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L HISTOIRE c#x -

DE LA DECADENCE
\ DE L'EMPIRE G REC,
ET ESTABLISSEMENT DE CELVY
des Turcs, par Chalcondile Athenicn.

De la traduction de B. de VioENERE Bourbonnois,


Cºillgſtrée par luy de curieuſes recherches
trouuées depuis on decés .

*Auec la conimºtº de la meſmcHiſtoire dé


puis 1a ruine du Peloponcſe juſques à preſent
& des Conſiderations ſur icelle

-h laquélle ont eſ# # les Eloges des 5g


Othomans : P#ſeurs -

)sſºriptions ## -
, \ ſéntans au naturel les Accºſtremens -

--

º de l'Empereur Turc, C5 des ſableaux P etiques


j| preºyºns
prediſins la ruine ae
de la #ſme Mon archie,
#

lIllIilllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllhiiliiilllIllla
illllllllliiilIlIlIlIlIlIlIlllllllIlIIllIllIlllllllllllllllli .

Chcz1a veufue ABELLANGELIER ſ%

8.1L premier pilier de 1a orand


Salle du Palais, $
ET
La veufue M.GviLLEMoren1a
Ga1lerie des Priſonniers,
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TRES-ILLVS T R E.
T R E S - E X C E L L E N T,
· E T T R E S-M A G N A N I M E P R I N C E,
C H A R LES DE G o N z A G v E ET D E C LE V E S,
Duc de Niuernoi, Donziois et Rethelois,Seigneurſôuuerain
de Charle-ville, Marquisd'Iſle, Comte de S" Manehould,
Prince de Mantouée& de Portien etc. PairdeFrance,
Gouuerneurc.9 Lieutenantgeneral pour le Roy en
ſes pays de Champaigne & Brie.

= º O N S E I G N E V R, ..

& l) CETTE verſion Françoiſe de Chalcon


$ dyle Athenien ſortant pour la deuxieſme
fois en public, n'y a voulu paroiſtre ſoubs
†ſ autreliurée que la voſtre.Auſſi vous eſtoit
# elle affectée & acquiſe par droict heredi
VA - - $ taire, dés lors que ſon Autheur, le feu ſieur
a Sº$ %)S S de Vigenere en feit preſent à defunt Mon- .
ſeigneur de Neuers voſtre pere. Outre que plus conuenablement
ne pouuoit-elle cſtre dediée, qu'à l'honneur de voſtre Nom, puis
que le ſubiet qui ſ'y traicte,eſt principalement de repreſenterl'eſtat
& affaires de l'Empire Grec,ſoubs les Princes Paleologues,à qui ſe
rapporte l'vne des branches de voſtre deſcéte & origine. Conſide
ration, qui peut-eſtre plus qu'aucune autre incita le ſieur de Vige &
nere, comme ſeruiteur qu'il eſtoit tres-affectionné de voſtre tres
Illuſtre Maiſon,d'entreprendre & publier cette ſienne traduction.
Mais comme les ouurages bien ſouuent n'arriuent àleur perfection
du premier coup, c'eſtoit ſon intention, ſi la mort n'euſt rompu le
- fil de ſon deſſein,de la polir & enrichir d'infinies bellesan notations
3l

•s -
º

& curieuſes recherches, ainſi que ſon eſprit excellét & rarey eſtoit
heureuſement porté. Et de fait ſ'en eſtant trouué bon nombre par
my ſes papiers conſignezaueclereſte de ſes œuures entre les mains
de defunct l'AN G E L1 E R mon mary; cela luy donnalavolôté & le
courage d'entreprendre l'impreſſion de Chalcondyle d'vne forme
elegante & ſomptueuſe; & (pour rendre l'œuure accomply de
tout poinct) de pourſuiure & continuer iuſques à nos ioursl'hiſtoi
re des Otthomans,auec pluſieurs diſcours concernans le miſerable
eſtat, où ſe trouue aujourd'huy ſoubs leur Tyrannie la jadis ſiflo
riſſante Grece, & l'eſperance qui reſte de lavoir cy apres deliurée
d'vne ſi dure & barbareſque ſeruitude. Mais qui en peut parler à
meilleures enſeignes,ny auec plus de certitude que vous, MoNsEI
GNEvR, qui pouſſé d'vngenereux & braue courage, auez voulu au
peril de voſtre vie recognoiſtre ce mortel ennemy du nom Chre
ſtien, luy faiſant ſentir pour coup d'eſſay, & cognoiſtre à tous les
peuples Baptiſez, combien plus grands efforts de vos armes & de
voſtre valeur luy peuuent porter de nuiſance & de dommage : Or
toutes les Additions, Diſcours, & Figures exquiſes, dont le corps
de ce Liure a eſté paré & enrichy, n'eſtans qu'acceſſoires & depen
dances du principal deſiavoſtre,i'ay creu qu'ils vous appartenoient
auſli, & que les communiquant à la France ſoubs la recommenda
tion & les fauorables auſpices de voſtre Nom, ils exciteroient infi
nis ſouhaits de le voir orné des palmes & trophées, que la valeur
& le merite ſemblable au voſtre pourroit eſperer & acquerir à iuſte
tiltre contre les Infideles ennemis de la Chreſtienté.Ainſi ſoient
mes vœuz, & i'oſe encore dire les voſtres, exaucez en cét endroit,
où apres auoir tres-affectueuſement prié noſtre Seigneur de vous -
-

combler de ſes plus ſingulieres benedictions; Ie demeureray pour ,


iamais, - -

M O N S E I G N E V R,

De voſtre Tres-illuſtre Excellence,


Tres-humble ſeruante, la Vcufve
A B E L L'A N C E L I E R.

A Paris, ce 1. Nouembre 1 6 12.

· · #
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A V. | -
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T R E S- P V I S S A N T , T R E S
ILL V ST R E , ET MAGNANIME P R I N C E,
M o N sE 1 G N E v R L v D ov I C D E G o N z A G v E , D v C D E
Niuernois, & Donzioys, Prince de Manthouë, Marquis du
Montferrat, Comte de Rethelois & d'Auxerre, &c. Pair de
France; Cheualier de Tordre du Roy; Capitaine de cent hom
mes d'armes de ſes ordonnances; Gouuerneur, & Lieutenant
general pour ſa Majeſté delà les Monts, & en Italie.
SAL V T E T F E L I C I T E PER P ET VELLE. .

O N S E I G N E V R, ·
Combien que nous ſoyons tous treez à l'image &
4 ſemblance de Dieu ; pourueus par luy, & enno
blis de la dignitè d'vne meſme ame raiſonnable,ſans
l difference aucune, ſinon celle que nous y impri
mons de bon ou de mauuais,par lavertu ou la depra
uation de noſtre naturel, deſtiné à bien,mais incliné
) , à mal; Ilyaneantmoins beaucoup d'ordres & de de
S=* s=-^ grez pamyles hommes; les vns eſtans nais pourcom
mander,les autres pour obeir & ſeruir; les vns riches-heureux,les autres pauures-in
ortunex; les vns de longueduree en la continuation de leur race, les autres ſoudain
eſteints, & diſparoiſſans du iour au lendemain : Tellement que de ces differenées
& varietez toutes les hiſtoires ſont pleines ; leſquelles nous auons deuant les yeux
comme vne belleglace de miroiier, repreſentant au vifle train & le cours entier de
la vie humaine. Bien eſt-il vray que la vertu propre & particuliere d'vn chacun,
doit touſſours eſtre pour le principal eſtabliſſement de ſa nobleſſe; teſmoing la plus
part des Monarchies & principautex qui furent oncques : Mais pour-autant que
les commencemens en ſont fort tenebreux de ſoy, ainſî que ſ'ils eſtoient plongez &°
enfoiiys au profond goulphre d'vne incertitude obſcure ; à guiſe de quelques gros
quartiers de pierre rudes & mal polis, qu'on iecte en bloc és fondemens d'vn edi
fce, pour puis apres faire naiſtre & exhaulſer au deſſus les embelliſſemens de ſa
ſtructure ;AuſSi lantiquité de ſang, les triomphes, gloire & renommée de ſes ma
- •, a /
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jeurs,aucc les facultex & moyens qu'ils delaiſſent,ſont vn fortgrandaduantagecº
-
-

ſecours pour bien-toſt ſe faire cognoſtre, bien-toſt ſe mettre en euidence, & ſe faci
liter à bon pris vn chemin à luluſtration de ſon nom: Dont les entrées & premiers
esbauchemens en ſont non ſeulement mal-aiſex & laborieux au poſſible, mais ſub
iccts quant & quant à infinies trauerſes, contrarietex, & obſtacles De maniere que
encore quelesſages anciens ne nous ayent conſtitué que trois ſortes de biens, ou dons de
grace,Ceuxdeleſprit,du corps,& delafortunes comme ſont les richeſſes, ſans leſquel
lesl'on ne ſauroitgueres bien exercer la vertu,ne auſSi peuſepreualoir desperfections
de la # ;l'on ypeut neantmoins à bon droiéiadiouſter la quatrieſme,ſçauoireſt
la nobleſſe & ancienneté de race.Carau maniment des affaires publiques,à la condui
· -

te d'vne armée,enſemble à toutes autres charges & adminiſtrations d'vneſtat,lepeu


ple iettera plus volontiers touſiours l'œil ſur quelque Prince ou grand Seigneur de . '
maiſon illuſtre,ſurquelque perſonnaged'auétorité & eſtoffe;ſelairra menere9 con
duire par luy, ſe rendra plus ſoupple & obeyſſant à ſes commandemens ; que non
, pas à vn petit compagnon nouueau né, dont l'aduancement c9 reputation ne font
que commencer à poindre, & ſepouſſerauant La vertu doncquesaccompagnée dv
ne nobleſſe de race, & de l'opulence requiſe pourne les laiſſer point oiſiues, car ſans
cela l'vne & l'autre ſeroient en danger de demeuerr mortes c9 enſeuclies, reſſemble à
vne pierre precieuſe, richement enchaſſée en or taillé, cizellé,eſmaillé, ou autre
gent embelli de quelque excellente manufacture & ouurage. AuſSi Platon appelle
or, non le vulgaire metallique, ains celuy qui eſt incorporé & vny dés noſtre naiſ
ſance auec nous , la vertu & reputation qui nous eſt deriuée de nos anceſtres,parvne
longue ſuitte & continuation de poſterité ſans reproche. Au moyen dequoy quand
nous venons à conſiderer en nous-meſmes, que depuis le premier eſtabliſſement du .
monde, il n'y a vn ſeul de tous les mortels,fuſt-ce le moindre & plus deſdaigné cro
chetteur, dont la race n'ait eſté continuée de pere en fils iuſques à l'heure preſente; Il
ſemble certes que ceſoit vne choſe bien miſerable deſtre lafin de la ſienne, & pourtant
veoir aneantir & perdre le ſiecle en noſtre eſtoč, ſi nous ne delaiſſons quelque li
gnée qui le puiſſe čontinuer endroit ſoy, tant qu'il plaira à Dieu le maintenir ſelon
les loix par luy eſtablies en la nature : Si bien que le rebours de cette diſgrace deura
touſîours eſtre reputé à vn tres-grand heur c9 ſalicité. O R l Empire de Con
ſtantinople, ou pluſtoſt le Romain tranſporté là, (car les Grecs meſmes en voulu
rent touſîours retenir le nom )auoit deſia atteint quelques neufcens tant de reuo
lutions ſolaires (cela peut tomber enuiron lan mille deux cens deux , de noſtre ſa
lut ) Quand les François meux d'vn zele & ferueur de retirer des mains des in
fideles l'heritage du peuple Chreſtien,ſe recroiſerent de rechefpour paſſer en la ter
re Sainéte, ſous la conduite du Comte Thibault de Champagne , lequel eſtant decedé
ſurces entrefaictes,ils appellerent enſon lieu Boniface Marquis du Montferrat,Prin
ce de ſinguliere vertu,& leplus renommé Capitaine de tout ſon temps. Mais les Ve
nitiens auec leſquels ils ſaſſocierent, vindrent à desbaucher leurs bonnes c9 loüables
intentions, leurs propoſans à la trauerſe ie ne ſçay quelles autres entrepriſes de plus
grand profit (à leurdire) & de moindres trauaux & meſaiſes : Tellement que s'e
ſtans deſtournez de leur droicte & legitime routte,pouraller en faueur de ceux-cyre
prendre Zara,place forte en l'Eſclauonie, que n'agueres leur auoit tollué deforce le
Roy Bela de Hongrie, Ilspaſſerent tout d'vn train outre à Conſtantinople ;appellex
- - - pour
Epiſtre.
pºur remettre le vieil Empereur Iſaac en ſon ſiege, qu'vn certain Alexisauoitvſur.
pe,apres luy auoir fait creuer les yeux, & ainſi attorné le ietter en vn culde foſſe.
Les choſes à la parfin en vindrent là, qu'ils ſen emparerent eux-meſmes , au lieu
dallerà la conqueſte du ſainčt Sepulchre, & firent couronner Baudouin Comte de
Flandres l'vn des chefs de l'armée : Delaiſſant le Patriarchat aux Venitiens, c9 le
Royaume de Theſſalonique au deſſuſdit Boniface, auquel auſſi bien appartenoit-il;
pour aucunement l'appaiſer de liniure à luy faiéte, d'ainſi le defrauder de ce que
mieux luy eſtoit deu qu'à nul autre. Voila toute l'iſſuë qu'eut cette belle entrepri
ſe,bien eſloignée neantmoins de la deuotion conceuë enl'eſprit de tant de valeureux
perſonnages ; d'abandonner leurs aiſes & repos , leurs meſnages, femmes & en
ſans, auec de ſi grands frais, labeurs, & dangereux hazards, pour aller en vn
pays ſi loingtain, expoſer leurs perſonnes & leurs vies auſeruice de Dieu, & exal
tation de la foy contre les ennemis du nom Chreſtien. Dequoy outre ce qui con
cernoit le ſalut de leurs ames, ils ſe fuſſent peu acquerir vne renommée immortel
le,ſîvn petit eſguillon & pointure d'auaricieuſe ambition ne ſe fuſt interposé par
my, qui les en deſtourna, & rompit leur premier propos. De ſorte qu'oublians les
vaux & ſermens par euxfaits, le toutſen alla enfumée, apres ieneſay quelles vai
nes & friuoles eſperances,qui enfinne leurfurentgueres heureuſes.Alaverité c'eſt vn
vraycºpur ſacrilege d'appliquerà autre vſage ce qu'vne fois a eſté conſacré à Dieu:
Carcalan'eſtplus noſtre,& ne s'en trouuaperſonne oncques bien.Et encore qu'ily euſt
apparence de quelquecharité & iuſtice, deſtre touchez de la compaſSion d'vnpauure
Prince Chreſtiéainſi affligé,ainſipriuéà tortdeſonpropreheritage;aumoyen dequoy
· le deuoir & effort où ils ſemirent de le reintegrer nepouuoient eſtre eſtimex ſinon ver
tueux & loüables,neantmoinsſ'immiſcerpuis aprés dans les biens d'autruy,faire detel
les violences,extortions & rapines en vne terre de meſme foycº creance, bien que de
religion aucunement diſſemblable ;ſe retenir & approprierce qu'ils nepouuoient legi
timementpretendre,& enfin deſtourner ailleurs ce qu'ils auoient ſi eſtroiétement de
diéà leur Dieu;cela ne peut trouuer nyd'excuſe enuers luy, nyde couleur& pallia
tion auſſi peuà lendroit desperſonnes. Carla repriſe de Zara n'eſtoitpas deſ grande
importance,ne ſi preſſée commele recouurement de la terre Saincte, & des lieux ſa
crex,ainſimal-heureuſementpollux parles infideles. Les François doncques quarante
oucinquanteans durant,ſous cinq Empereurs conſecutifs ſ'emparerent de Conſtanti-.
nople, iuſques à tant que Michel Paleologueriche & puiſſant Seigneurenl'Aſie, &
l'vn desplus excellens perſonnages que la moderne Greceait iamais porté, les en chaſſa
dutout,& ſeſtablitàl'Empire del'Orient luy & ſapoſterité, ou elle a commandéde
puisparplus de neufvingts ans,ſous neufoudix Empereurs tous d'vneſuitte, & d'vne
meſme famille: Ce qui n'eſt gueres aduenu à nulle autre,fors à celle des Othomans
qui regnent à preſent ſur les Turcs,leſquels (le permettans ainſ nos offences)con
quirent Conſtantinople depuisſurledernier Empereur Chreſtien, Conſtantin Paleo
logue, l'an 1453. là où il fut tué combattant vaillamment à la breche,pourlemain
tenement delafoy, & la deffence de ſon heritage. Demaniere que tout ainſi que cette
tranſlation d'Empire eutſon commencement parvn Conſtantin fils d'Heleine, celuy
qui pourle merite de ſes beaux faicts ſ'acquitle ſurnom de Grand, il vint auſſi à ſe
terminer ſous vn autre Conſtantinpareillement fils d'Heleine,apres auoir duréſans
diſcontinuation onze cens vingt-vn an. Car ce que les François y brouillerent ne
4 tlf
-
-

Epiſtre.
ſe peut bonnement appeller conqueſte , ne changement deſtat, mais pluſloſt quelque ,º,
ioiiet c 7" paſſe-temps de fortune, qui prit plaiſir de faire cette petite parentheſe , of , é
frant ainſi inopinément vn ſi gras & ſ riche morceau à ceux qui ne ſattendoient
rien moins qu'à cela, & n'y auoient parauenture oncques penſé : Le tout en grace
& ftueur des Princes Paleologues , afin de leur preparer & faire naiſire de là
l'occaſion d'vne tres-ſignaléegloire, d'auoir ſeuls entre tant de milliers deſgrands &
illuſtres hommes, eu le cœur & la hardieſſe d'entreprendre vneſ haute beſongne, que
de reſtituer à leur nation ce que leurs deuanciers par leurnonchalance & mauuaisgou
uernement auoient laiſſe perdre. - -

: D E cEs grands Monarques icy, d'vne ſi longue ſuitte cº rangée d'Empereurs


tres-puiſſans, vous eſtes deſcendu, M o N s E 1 G N Ev R , Non qu'aucc flatterie &
deſguiſement ilfaille aller requerir celaparde longs deſtours,& le ramener du dedans
des nuages & brouillats eſpoix d'vn tempsiadu,plein de doute , incertitude; Car
-
| la deduction en eſt toute prompte & deueloppée. A L E R A N premier Marquis
du Montferrat, iſſu de la tres-noble & tant celebre maiſon de Saxe,ſource viue cº
|º,
plantureux Seminaire de la plus-part des meilleures races de la Chreſtienté,eut de
ſa femme Alix fille de l'Empereur Othon deuxieſme, c9 de Theopbanon infante
de Conſtantinople, Boniface & Guillaume. Ceſtui-cy (ſon frere aiſné eſtant dece
dé ſans hoirs)eſſouſa Heleine, fille du Duc de Cloceſtre, frere du Roy Richard
d'Angleterre : Duquel mariage fut procreé Boniface deuxieſme, qui de ſa ſemme
Marie fille du Roy Philippes premier de ce nom, l'an milleſoixante eut Guillaume
· troiſieſme, qui eſpouſa Marie fille de l'Empereur Lothaireſecond : Dont vint René;
· c9 de cettui-cy marié à Iullie fille de Leopolde Marquis d'Auſtriche, & ſaur de
lEmpereur Conrard, Guillaume ſurnommé Longue,pée, à cauſe de ces vaillances &
proiieſſes ; René, Boniface, c37" Othon, qui fut Cardinal du ſainči Siege. Guillau
777e Longue,pée espouſa Sibille ſaur de Baudouyn le quart, Roy de Ieruſalem,laquelº
le il laiſſa groſſe à ſa mort de Baudouyn cinquieſme, qui rcgna puis apres. e'Mais
ſa mere ſe remaria à Guy de Luſignen Roy de Chypre , lequel ſ'eſtant aſſex mal
porté à la tutele de lenfant, & adminiſtration des affaires de la terre Sainéie, in
continent apres le deceds de ce ieune Roy qui ne veſcut commerien,la couronnevint és
mains de Conrardle troiſieſme des freres,par le moyen du mariage de luy aucc Eliza
bet ſaur de ladiéie Sibille ; duquelſortit Yoland,qui espouſa Iean Comte de Brenne,
qui en eut vne fille nommée Yzabelle,laquellefut mariée à l'Empereur Federicſecôd.
Mais les familles d'iceux Federic,& Comte de Brenne eſtans depuis venues à ſ'eſtein
dre parfaute d'hoirs, le tiltre du Royaume de Ieruſalem retourna finablementaux ſuc
ceſſeurs du deſſuſdit Conrard,Marquis du Montferrat.Aumoyen dequoy les armoi
ries en furent deſlors incorporées aux leurs, auec vne banniere mi-partie d'incarnat
& de blanc, qu'ilſoulloit porter à la guerre contre les Sarrazins; qui eſt le faux eſ
cuſſon inſeré au milieu du blaſon dudit Montferrat. René frere d'iceluy Longueſ
pée l'an mille cent oéiante-trois eutàfemme Chera-marie fille de l'Empereur Ema
nuel de Conſtantinople, lequelluy donna pour ſon dot le Royaume deTheſſalonique,
· qui fait vn autre quartier de ce meſme blaſon, marquéparquatre fuſils d'or, ou plu
ſtoſtquatre B grecs maiuſcules, autourd'vne croix d'or en champ de gueulles. Mais
eſtant decedé ſans enfans, le Royaumevintà ſonfrere Boniface chef de l'armée des
François,lors queſeſtans croiſezpourpaſſer en la Paleſtine,ainſi qu'ilaeſié dit cydeſſus
Epiſtre.
il ſemparerent de Conſtantinople. Ceſlui-cy laiſſa deux enfans ; Guillaume qui
ſucceda au Marquiſat,'& Dimittre à la couronne deTheſſalonique : lequel n'ayant
point eu de lignée,ſon appanageretourna à ſon frere aiſné, c9 delà denouueau aux
Grecs,par le moyen du mariage de Violante fille dudit Guillaume auec l'Empereur
Andronic Paleologue; dont vint Theodore Porphyrogenite l'an mille trois cens ſix,
qui par le teſtament de Iean ſon oncle maternel fut appellé audit A4arquiſat , c9
conſequemment les armes de l'Empire Oriental y annexées, aſſauoirvne Aigle d'or
à deux teſtes en champ de gueulles, celles-là meſmes que ſouloit porter Conſtantin
le Grand. A Theodore Porphyrogenite ſucceda ſon fils Iean, qui eut à fem
me Elizabeth fille de Dom Iacques Infant d'Arragon, & Roy de Maiorque &
.Mihorque,mille trois cens cinquante-huict : A raiſon duquel mariage leurs deſ
cendans adiouſterent à leurs armoiries le quartier dudit Arragon. Theodore deu
xieſme de ce nom, & le troiſieſme en ordre des enfans maſles d'iceluy Iean,apres
la mort de ſes autres freres eſtantparuenu au Marquiſat, eſpouſa Ieanne fille aiſnée
de Robert Duc de Berrylan mille trois cens nonante-trois, dont ileut le Prince lean
Iacques, & vnefille nommée Sophie, qui fut mariée à Iean Paleologue Empereurde
Conſtantinople : c9 de cette alliance deuant diéte ont eſté acquiſes les armoiries du
Duché de Berryaux.Marquis du Mont-ferrat. Illaiſſa quatre enfans, Iean, Guil
laume, Boniface, & Theodore. Boniface eut de Mariefille d'Eſtienne Deſpote de
Raſcie & Seruie, Guillaume, & Iean: Lequel Guillaume eſlouſafinablement l'an
mille cinq cens vn, Madame Anne fille de René Ducd'Alençon, de la maiſon de
France, & de Marguerite de Lorraine, dont vint Marie,femme qu'eut Monſei
gneur Federic de Gonzague Duc de Mantouë,pere de voſtre excellence,lan mille
cinq cens vingt-ſept : e9 de cette Princeſſe à faulte d'hoirs maſles le Marquiſat du
Montferrat eſt paſſé à voſtre eſtoc. T E LLE s doncques & ſi grandes ſont les al
liances de voſtre tres-illuſtre maiſon:Si riches, nobles, & puiſſans furent les Prin
ces dont vous eſtes de tous coſtez deſcendu, que le blaſon de voz armoiries ſe void
dignement eſtoffe de pluſieurs ſceptres & couronnes; comparty & ſemé des princi
pales pieces de terre de toute l'Europe, à guiſe d'vne belle Mappemonde. D'vn co
ſté la marque Imperiale de Conſtantinople,ſiegeſouuerain de la Monarchie Orien
tale; d'autre, les tres-Chreſtiennes fleurs de lix du ſang Royalde la maiſon de Fran
ce : Là eſt Ieruſalem , Icy Arragon , Sicile & Maiorque: Dela Theſſalonique,
c9 le Peloponeſe; & icySaxe : Puis Mantoiie c9 Gonzague,à l'oppoſite de Cleues,
Neuers,la Marche, Arthois, c9 Brabant : le Mont-ferat au delà des c Alpes : cg
de ce coſté cy Allebret, Rethel & c Auxerre.Mais à quel propos tout cecy , Queſt
ce que ie vois racomptant à celuy qui le doit mieux ſgauoir que nul autre ? Vous
auex certes, Monſeigneur, eſté touſiours ſi curieux de vous acquerir quelque gloire,
& reputation outre & pardeſſus celle de vos anceſtres,qui auſſi bien ne vous peut
fuyr, qu'à grand'peine y auex vous daigné tourner l'œil pour vous en informer
plus auant; Ains comme vn preux & magnanime Capitaine , abandonnant le tout
à ceux qui peut-eſtre ſ'en contenteront, auez cherché de vous traſſer vous-meſmes
nouueaux triomphes, nouuelles couronnes, & fortune correſpondente à voſtre ver
tu , afin de vous eſtablir quelque loz & honneur en propre par vn particulier de
uoir. Car encore que les beaux faicts des maieurs paſſent cg ſe communiquent à
leur poſterité, cela neantmoins que chacun vient à y amonceller & accroiſire, eſt
a tttſ
-
/

Epiſtre.
bien plus pregnant, & de plus grande efficace pour ſ'illuſtrer touſſours d'auanta
ge. Au moyen dequoy à grand'peine auiez-vous atteiné?laage de quatorze ans,
qu'on vous a veu continuellement chargé d'vn corps de cuiraſſe, en tous les camps
& armées qui ſe dreſſèrent ſoubs le feu Roy Henry deuxieſme de ce nom : Vous
trouuer aux coruées des ſimples ſoldats iour & nuict à cheual , aux plus penibles
cg hazardeuſes faétions : & meſme à la iournée de ſainét Quentin, vous ne vou
· luſtes iamais deſmarcher vn ſeul pas en arriere, ains auec vn tres-grand danger de
voſtre perſonne, vne preſence de mille morts, demeuraſtes ferme, combattant au
propre endroit où lennemy vous aborda: & eſtant accablé de la foulle fuſtes pri,
apres quoir voſtre courſier eſté tué ſoubs vous à coups d'effée, la voſtre au poing
· toute teinéie de ſang, & le viſage addreſſe où beaucoup d'autres auoient deſîa les •
eſpaulles tournées loingtaines. Du depuis tant que vous demeuraſtes priſonnier, les
|
Imperiaux n'oublierent rien que ce ſoit de tous les artifices qu'ils peurent inuenter,
pour vous deſmouuoir du ſeruice du Roy, c9 attirer à leur party, auec offres e9"
promeſſes tres-aduantageuſes : à quoy vous ne voulluſtes oncques preſter l'oreille;
combien que vous n'euſsiex receu encore aucun bien-faiét ny aduancement des ſer
uices par vpus des-ja faits à cette couronne, par l'eſpace de dix ans entiers & con
tinuels : là où vous vous eſtes touſtours comporté de ſorte, ſoubs quatre Roys les
vns apres les autres, que non ſans cauſe leurs Majeſtex ſe ſont ainſi fermement
aſſeurées de vox aétions, & repoſees ſur voſtre ſimple parolle, que vous auez en
tout & par tout conſeruée entiere, nette, & irreprochable , N'ayant jamais dit
l'vn & penſé l'autre. Merueilleuſe grace particuliere, & qui n'arriue à gueres
d'autres; meſmement és troubles c9 eſmotions ciuiles, où l'on ne ſçait bonnement
de qui ſaſſeurer. Auſſi eſtes vous d'vne race & d'vn nom, qui ne firent iamais
faux-bon à perſonne, & dont à bon droiét on peut dire le meſme que l'Eſcriture
ſainéfe attribué à l'vn de ſes plus vaillans champions ; Qu'oncques le dard de
Ionathas , ne fut veu la pointe en arriere : Et né d'vn territoire qui a touſ
iours porté les plus belliqueux cheuaux, cv des meilleurs & plus excellens Capi
taines de tout le reſte de la terre. En ſorte que depuis trois cens ans en ça, il n'y
a eu guerre en Italie; courſe, entrepriſe, bataille, ne aſſault, où le tres-magnanime
ſang de Gonzague n'aye faict veoir, n'ait fait ſentir à bon eſcient ſon effort &°
valleur.Queſiie me voulois arreſter à parler tantſoitpeu dechacundeleursfaiéis,e9° '.
proiieſſes, ilmefaudroit baſtir icy le corps complet d'vne trop prolixe & laborieu
ſe hiſtoire : Parquoy me contentant de trois exemples, l'vn de hardieſſe & gran -
deur de courage;l'autre d'vne force incomparable; & le tiers de prudence, & ſage -
conduite (car le quatrieſme poinčt, qui eſt le bon-heur tant requis en vn ſouuerain
chef deguerre, a touſiours eſté vn, & comme eſgallement # à tous ceux de
:
voſtre tres-bien fortunée race.) Ie puis veritablement dire du combat qu'eut iadis le
Seigneur Galeasde Gonzague contre le Mareſchal Bouciquault, ce que teſmoigna
autrefois le Philoſophe Antiochus en ſon traiété des Dieux immortels, de la bataille
de Luculle contre le Roy Tygranes d'Armenie, Que iamais le Soleilne veidvn plus
beau & excellent faiéi d'armes. Ce Bouciquault icy de ſtature Gigantale, de for
ce proportionnée à ſon perſonnage, daddreſſe, experience, endurciſſement,bruiét,&
reputation, lepremier guerrier de ſon temps, ayant deſia par de longues reuolutions
d'années , ſemé & eſpandu de tous coſtex vn merueilleux eſpouuentement & ter
| Epiſtre. ..
reurde ſon nom, & ſe trouuant en fin Lieutenant generalpour le Roy à Gennes,
deuenu pour la gloire de ſes beaux faiéfs,plus fier & inſolent que ne porte la mo
deſtied'vn Cheualier,pour braue & vaillant qu'il puiſſe eſtre, enuoya de gayeté de
crurdeffier au combat d'homme à homme l'Italie entierementd'vn bout à autre : à
·quoy perſonne ne ſe preſentant pour reſpondre, tant il eſtoit craint & redouté, le
Seigneur Galeas de corpulence petite, mais d'vn courage Coloſſal, ne pouuant com
porter de veoir par vn eſtranger attacher vn tel blaſme ca reproche à ſa patrie,ac
'cepta gayement le party , & en chemiſe eſpée & dague combatit •Bouciquault
en camp clos; le vainquit; & qui plus eſt luy donna la vie : Dont l'autre de despit
fit ſerment de ne porter iamais armes. Le Seigneur Louys de Gonzague, ſurnom
mé Rodomont pour ſa deſmeſurée force qui excedoit toute portee humaine, iuſques
àrompre fort aisément auecles mains vn fer de cheualendeuxpieces, Quelles gran
des preuues en a-il fait en ſon temps #Et meſme en lapreſence de l'Empereur Char
lescinquieſme; lequel deuiſant vn iour familierement auec luy, c9 entre autres cho
ſes d'vn ſien Geant More qu'il auoit amené d'Aphrique, lequel il luy monſtroit du
doigt là aupres, ſi outrageuſement fort & robuſte , qu'homme ne pouuoit durer de
uant luy à la luéte, c9 le plusſouuent d'vn bras tout ſeul, luy demanda en ſe ioiiant
ſil oſeroit ſ'attacher à luy, Le Seigneur Rodomont ſans luy respondre autre choſe,
iette la cappe & eſpée, & ſ'en va ſaiſir l'autre au collet, puis l'embraſſant au tra
uers du corps, quelque reſiſtance qu'il fiſtleſtouffit deplaine arriuée, auſSi legerement
que feroit vngrand Lyon quelque maſtin ou dogue d'A ngleterre. Mau quant au Sei
neur Dom-Ferrand Vice-Roy deSicile,Gouuerneur c9 Lieutenantgeneralau Du
ché de Milan, & autres terres de Lombardie , qui a eſté l'vn des plus valeureux &°
ſages Capitaines de ſon ſiecle, & qui outre infinies autres belles charges à quoy il
fut employé tout lelong de ſa vie,eut le commandementprincipal au voyage de Ar
ger, où il fit cette tant celebrée, & à iamah memorable retraiéfe, il ne faut point
aller chercher ailleurs plus grande marque ne teſmoignage de ſa ſuffiſance, que le
iugement de ceſtui-cy qui en fut en ſes iours vn tres-ſouuerain maiſtre , le deſſuſdit
" Cherles cinquieſme : lequel ſe voyant eſtre contraint de ioiier à quitte ou à dou
ble contre le grand Roy François,ſeul contr'eſcarre de toutesſes entrepriſes c9 deſc
ſeins, & euſt à ceſte occaſion dreſſé de longuemain des praétiques & menées , pour
nous venir,outre ſes forces ordinaires, verſer à maniere de dire toute la Germanie
ſur les bras ;ne voulut neantmoins en vn ſi peſant affaire choiſir autre conducteur de
cette groſſe & puiſſante armée,autre coadiuteur de ſes deliberations & conſeils,que
cettui-cy, voſtre onclepaternel, MoN s E I G N E v R, lequel menant l'aduant gar
de,furent prinſes d'entrée la ville de Ligny, & celle de Sainct Dizier: Puis ſe vin
drent preſenterdeuant Chaalons, & de là paſſans outre à trauers le Royaume iuſ
ques au Laonnois, la paix fut finablement arreſtée entre ces deux grands Monar
ques, qui ne fut iamais plus par eux violée ne rompué: Car la nºrt qui ſuruint là
deſſus demeſla leurs emulations & querelles. TELS ES G V I L L o N s de bien
faire;Telles ſemences de vertus vous ont delaiſſé vos predeceſſeurs,pour en cultiuer
c9 faire valloir ce riche & plantureux heritage , auquel vous leur auez ſuccedé
en cela; Que vous auex mis ſi bien peine d'ameliorer: Mais voſtre ſobre & retenué
modeſtie me cloſt la bouche d'en parler plus auant; Sçachant aſſez combien ie vous
offencerou de toucher rien icy de la moindre de tant de bonnes parties de leſprit &
.. Epiſtre. - -

de la perſonne,que chacunvoid & cognoiſteſtre en vous : De tant de ſainčies & pi


toyables entrepriſes; d'exemples de charitex, deuotions & aumoſnes. Vn Conuent
de Minimes aux faulx-bourgs de Rethel par vous fonde-baſty de pied en comble,
en lieu tres-àpropos pour vn quartierſ proche-voiſin des ſolitudes eſcartées del'Ar
denne. Vn Collegºle leſuittes à Neuers,pourlinſtruction de la ieuneſſe Vn ſer-.
uice quotidian en la Chappelle de voſtre hoſteltle Neuers-Gonzague en cette ville
de Paris ;aumoſne certes plus que bien employée à l'indigence de ces pauures Men
dians eſtans là aupres. Le mariage de ſoixante ieunes filles par chacun an, deſti-'
tuées de toutes autres facultez & moyens. Et finablement outre infinis autres en
droiéts où vous vous mettez ſans ceſſe en deuoir de bien meriter de ce Royaume, .
ce tant braue & ſuperbe edifice de Nelle, l'vn des principaux ornemens & deco
- rations de Parts; au lieu d'vne grand vieille cour deſerte, deſtinée pour ſa meilleu
re fortune & condition à eſtendre des linges & drappeaux : Là où parmy tout
plein de belles choſes vous auex proposé de faire vne magnifique Bibliotheque,gar
nie de toutes ſortes de bons liures ; auec deux hommes de lettres ſtipendi.x d'vne
bonne penſion,l'vn pour la langue Grecque , l'autre pour la Latine, qui auront la :
charge dy aſſiſter trois iours la ſepmaine, pour recueillir ceux qui y viendront, &
confèrer auec eux des poinčts dont ilsſe voudront reſouldre.Seroit-ildoncques raiſon
nable de deffrauder la poſterité de la cognoiſſance de l'Autheur dvn tel bien, duquel
nous aurons iouy en nox iours * Moy doncques pour n'encourir point cette ingra
titude, me ſuu ingeré de preſenter icy à voſtre excellence ce mien peu de labeur, de
la traduction d'vn moderne Grec, qui a mis peine en faueur de ſes citoyens, au
: tant ignorans & groſſiers pour ceſte heure là, que leurs anciens predeceſſeurs furent
«
-
- | . -

, parfaiéts & admirables ſur tous autres, de ramaſſer tout plein de belles choſes :
Par où vous verrez ( MoN s E 1GN EvR ) force changemens inſignes & nota
bles, bien differends les vns des autres;aduenuz comme en moins de rien, & reſ
errex icy
cy en ppetit volume, ny
1y plus ny moins qu'en quelque payſage repreſenté
repreſent en .
vn tableau ſont compriſes de longues eſtendues de terres & de Mers. Et combien
que le principal but de ſa narration tende à parler des affaires de l'Empire Grc, '
ſoubs les Princes Paleologues dont vous eſtes venu, toutes-fou pource que la plus
part d'iceux furent Empereurs, Roys, ou autrement grands & puiſſants Poten
tats çà & là par le monde, & ce par vn fort long traiét de temps , il eſt à tous
propos contrainét de faire des digreſſions pour plus grande facilité & eſclarciſſe
ment de l'hiſtoire ; & y entrelaſſer incidemment beaucoup de cas qui ne deuront
point eſtre des-agreables à ouyr racompter; d'autant que la plusgrand partie n'ayant
eſté touchée de perſonne auant luy, cela venoit par conſequentà eſtre du tout igno
ré & eſteint. c Au moyen dequoy, M o N s E 1 G N E vR, vous le receurex ſ'il
vous plaiſt, comme eſtant voſtre de droict, & deuolu à vous par ſucceſſion de vox
predeceſſeurs : Aén que ſoubs l'ombre & faueur d'vn ſi magnanime & vertueux
Prince, ilpuiſſe plus dignement ſortir en lumiere, & trouuer grace deuant les yeux
du public : Tout ainſi que voz tant meritoires œuures , vox ſainctes & charita
bles intentions, ſe voyent ſecondées de la benediction dvne belle lignée, à qui cecy
pourra ſeruir quelque iour, & meſme à ce petit Prince qa'il a pleu à Dieu vous
domer n'agueres , au lieu de l'autre qu'il vous auoit rauy dentre les mains auant
le temps : Pour esprouuer parauenture voſtre conſtance, laquelle ſe monſtra telle en
- ^)'/76:
- Epiſtre. .
vne ſi raiſonnable affliction, que ce fut vous qui conſolaſtes les autres de ceſte vo
ſtre ſignalée perte. Puiſſe doncques ce tres-illuſtre & heureux enfant vous conſo
ler ſur vos vieux iours : Puiſſe-il à l'exemple de ces majeurs icy deduits, qui retire
rent magnanimement des mains des eſtrangers l'heritage qu'on leur vſurpoit, repe
ter quelque-fois à meilleur tiltre encore ſur les ennemis du nom Chreſtien, les Roy
aumes & Empires qui luy appartiennent : puis qu'il eſt ſi bien né, ſi bien voulu,
e9 tant aimé du ciel, qu'à ſa ſaincte regeneration il nous apporta & fit veoir la
plus ioyeuſe nouuelle, le plus plaiſant & deſiré ſpectacle que le peuple François
euſt ſceu requerir à Dieu, ne ſouhaitter en ſoy-meſme,
MoNsEIgNEr r, ie ſupplie le Createur vous donner en tres-parfaicte ſanté
c9 proſperité tres-longue & tres-heureuſe vie. De Paru ce vingt-neufieſme iour
d'Auril l'an mil cinq cens ſoixante dix ſept.

| De voſtre Excellence,

Tres-humble, & tres-obeïſſant ſeruiteur,


B L A I s E D E V I G E N E R E.
Sur l'Hiſtoire des Turcs. º
$ N peut déguiſerſa miſere | |
$ Quand elle eſt incogneue à tour:
#)} Mais il n'est plur temps de ſe taire
# Quand auec nostre vitupere,
On nous void courber ſoubs les coups.
Quand le Turc conqueſtoit l'Aſie
Nous paſſions nos iours en plaiſirs ;
Mais quand Grece deuint Turquie,
Et qu'on rauageoit la Hongrie, - . "
Nous rempliſmes lair de ſoupirs ?
Les Grecs qui n'auoient dans leur ame
!
Qu'vne imprudente ambition,
Rccherchans l infidele lame, · -

Mirent leur# tout en flame . - -


En perdant leur Religion. - - |
C'est bien vn horrible meſlange - | |:
Que tout leur establiſſement; - |
Mais quoy! le peuple qui ſe range .i
Soubs vne nation eſtrange, - #!
Merite bien ce changement. -
-
-
-
·-
Puis l'eternelle Prouidence · $
Voyant le meſris de ſa Loy, . - ·

Permit linfidele puiſſance, -

Prendre vne ſeuere vengeance - :


De ceux qui n'auoient plus defoy. - é:
*. Chrestien qui coule tout ton aage ·
En deſlordez eſbattemens, · - ·
Prends exempleſitu esſage, - :
Sur vn ſi cruel eſclauage -
Craignant de pareils iugemens. -
e2Cais toyº qui l'œil baigné de larmes, - l

Liras tant de tristes diſcours, - #


Afin tes
Que queprieres ſoient desarmes
leurs funeſtes charmes, - #.
t,

N'ayentpoint d effect en nos iours ? - ,


e A. T. TD. -

P REFACE
f§ |. s# -

R E F A C E

SVR TO VT LE
CONT E NV E N LH IS TO I R E
D E S T V R C S , TA N T E N C E L L E DE .

Chalcondyle, qu'en la Continuation d'icelle #


-
iuſques à ce temps.
#.
sgeſ)'Es P R IT de l'homme eſt ſi fecond en la multi
# plicité de ſes idées, qu'il eſt bien difficile de luyre
preſentervne conception qu'elle ne ſoit inconti
nent contreditte, le particulier ayantvneinuen
$ tion contraire à ce qui luy eſt propoſé, ioinct que
| chacun ſ'eſtimant auoir le iugement plus ſolide
º que ſon compagnon (car c'eſt de cette ſeule cho
ſe de laquelle nous ne faiſons aucune plainte à la
ſ, nature) on ſ'émancipe de controller non ſeule
- * ment les actions des autres, mais encore leurs in
tentions, quand bien elles ſeroient renfermées dans les obſcurs ſecrets de
l'intelligence.Ie dy cecy ſur le ſubiect de l'hiſtoire des Turcs,carie ne dou
te point que quelques-vns ne trouuent eſtrange, qu'vn François ſ'amuſe à
eſcrire les actions d'vn Barbare, & qu'vn Chreſtien face reuiure les cruau
tez del'Infidele. - - - -
Pour le regard du premierie reſpons, que lesTurcs ſont plus barbares
en leur loy qu'en leur conduite & gouuernement, ſoit en leurs guerres ou
enleur police; Ce qu'on peut facilementiuger parlesquerelles qu'ils ont
euës depuis vn ſi long-temps auecles Perſes,ayans eſté plus de vingt-cinq
années conſecutiues, qu'on aveu tous les ans partir deux tres-puiſſantesar
mées (les moindres eſtans de quatre-vingts & cét mille hommes)deCon
ſtantinople,ou des enuirons : l'vne pouraller en Perſe,l'autre en Hongrie,
& au meſme temps deux autres ſe preparer pour aller à leur ſecours auec '
toutes ſortes de munitions, ſans toutesfois diminuer les garniſons des pla
ces,ou ſans diminuer la garde du corps de l'Empereur Otthoman,à laquel
leilfaut payer ſa ſolde à poinct nommé, à peine de ſedition, quelque affai
requipuiſſe ſuruenir au dehors.Cela eſt encore arriuérarement,que lesar
, mées quivont en Perſeayent ſouffertbeaucoup deneceſſité, encores qu'il
- - C
Preface. ' -

leurfaille paſſerſouuentpar des deſerts & des chemins tres difficiles,& que
·- l'ennemy faſſe touſiours vne rafle, pour empeſcher qu'ils ne tirent aucun
ſecours de ſon pays.
N'a-on pas auſſi aſſez ſouuent experimenté en Hongrie, comment les
gouuerneurs des places ſe ſçauent ſecourir les vns les autres à poinct nom
mé, rendans tous vne tres-grande obeyſſance à leur general L'ordre enco
re qu'ils ont en leurs armées nous a faictapprendre à nos deſpens, que fils
ſont des tigres apres leurs victoires, qu'ils ſont des hommes au combat.
Cela ſe verra cy apres au pourtraict de la diſpoſition de leur armée, mais
º plus particulierement partoute cette hiſtoire : fort prudens au demeurant
| ' & fort aduiſez en leurs affaires domeſtiques, de ſorte qu'ils ſont propre
| - zuela veſr ment ces enfans du ſiecle, qui ſontplus prudens que les enfans de la lumiere : ayans
en cela auſſi bien qu'en autres choſes, ſuccedé aux Romains, deſquels ils
· - &> en leur Empire,X rendans encore à tous leurs
ont la viue image ſubiects vne
\ res-prompte iuſtice, la chiquanerie eſtant bannie de leur eſtat. Si bien
- que toute leur barbarie n'eſt que pour noſtre regard, à ſçauoir en la miſera
ble captiuité où ils reduiſent nos freres, & au deplorable tribut qu'ils exi
© gent d'eux.
Mais c'eſt pour cette raiſon que i'ay deu eſcrire cette hiſtoire comme
Chreſtien, puis que comme tel, ie ſuis autant obligé de rapporter au pu
blic,les effects admirables de la tres-redoutable iuſtice du T o v T-P v1s
s A NT, comme de reciterlesgraces qu'il nous communique par ſon infi
nie miſericorde : Et c'eſt ce que ie me ſuis eſtudié de fairevoir par tout ce .
•/
CarſilesTurcs
que i'enay eſcrit.nos
viennétrauager Geans
ſont lestout
contrées, mettans à feudont
& à ſang l'Eſcriture,
parlepour qui
noſtre cha
ſtiment, nous auons eſté les Defaillans, cauſes de tout ce malheur. C'eſt la
traduction de ſainct Hieroſme ſur ces mots du Geneſe : Les Geans eſtoient
censſcaveſ ſurlaterre,car au lieu de Geans, illit,les Defaillans eſtoientſurlaterre : rencon
1*. tre admirable,puis que iamais la ruine n'arriue que le defaut n'aye precedé.
I'adiouſteray, qu'on ne ſçauroit bien entendre l'Hiſtoire Chreſtienne
depuis 3oo. tant dannées, ſans lire la Turque ,les plus grandes & notables
guerresayans eſté contre eux,& le Mahometiſme plâté à force d'armes, où
le Chriſtianiſme auoit iadis le plus ſainctement fleury : ioinct qu'eſtans les
ſucceſſeurs des Empereurs d'Orient, & qu'ils ont eſtably comme les autres
• leur ſiege àConſtantinople,il ſemble qu'il ſoit bienneceſſaire de voir cette
ſuitte,n'eſtátnon plus hors de propos d'eſcrire la vie des Princes Mahome
tans, qu'on a faict cy-deuant de celle des Empereurs Payés, puis qu'onvoid
aux vns & aux autres vne entre-ſuitte de Miſericorde, de Iuſtice,& de Pro
uidence de DIEv. Lequel tout ainſi que malgré les Tyrans,& touteleurra
ge & fureur, planta ſa Religion ſaincte iuſques ſur leur throſne, terraſſant
- Idolatrie, quiauoit regné ſi long-temps; & mettant le ſceptre entre les
mains de ceux qu'ilauoit adoptez pour ſes enfans, & qui obeyſſoient à ſes
commandemens; Tout de meſme, depuis qu'oublieux de leur deuoir, ils
ſe reuolterent contre ſa hauteſſe, ſ'abandonnans à toutes ſortes de vices,
chaſtia-illeur ingratitude, par la priuation des graces qu'il leur auoit fai
UCS
Preface.
tes, & leuroſtala poſſeſſion de la terre, s'eſtans premierement priuez de
celle du Ciel. -

Lecture donc quine peut-eſtre que tres-vtile ſi elle eſt priſe en ce ſens,
puis que l'exemple d vn chaſtiment ſi ſeuere, nous pourra peut-eſtre nous
meſmes retirer du mal, & le miſerable eſtatauquel nous verrons nos freres,
nousſeruira d'aiguillon pour nous inciter à quitternos erreurs, & nos am
bitions,pour embraſſer leur deliurance. Les conqueſtes des Aſſyriens, des
Perſes & des Macedoniens nous ſont repreſentées dans les liures Saincts à
ceſubiect : iln'ya peut-eſtre pas moindre conſideration enl'eftabliſſement
desTurcs, dans les terres du Chriſtianiſme.
Or ſembloit-il qu'ilyauoit plus d'apparéce d'eſcrire cette Hiſtoire tout
d'vne main,& commençant par Otthoman,en diſcouririuſques à preſent,
qued'acheuer ce qu'vnautreauoit commencé, toutesfois le reſpect qu'on
aportéàl'antiquité, a faict qu'on ſ'eſt ſeruy de Chalcondyle, en la meſme
maniere qu'il ena eſcrit, c'eſt à dire ſansyrien changer ou retrancher :le-º
uelcommence ſon Hiſtoire, où Nicephore Gregoras acheue la ſienne,à
§ auieune Andronic Paleologue, ſoubs lequellesTurcs eurent pre
mierement quelque nom,versl'an13oo. (depuis lequel temps les affaires
des Grecsallerent touſiours de mal en pis)iuſques à leur finale deſtruction
& ruine, par Mahomet 2. fils d'Amurath, qui print Conſtantinople, &
Trebizonde,& acheua de dompter le Peloponeſe, la derniere piece de ter
re quelesTurcs empieterent en la Grece L'origine deſquels, enſemble
leur premier aduancement & progrez, fort obſcurs, & incertains de ſoy,
Chalcondyleamieux eſclaircy qu'aucun autre qui fuſtauparauât luy,ayant
auſurplus comprisſon œuure dans le temps& eſpace de quelques 16o.ans,
quiviennent à ſe terminer enuiron le milieu du regne d'iceluy Mahomet
2.tout ce qu'ilya de mal, c'eſt qu'il ne touche les affaires des vns & des au
tres que ſommairement & en paſſant, combien qu'il euſt vne matiere ſi
belle que les deux chefs qu'il ſ'eſtoit propoſez, la decadence à ſçauoir de
l'Empire Grec, & l'eſtabliſſement de celuy des Turcs, tous deux ſigrands
& ſipuiſſans, & en l'vn & l'autre deſquels il ſ'eſt faict de ſibelles & grandes
choſes mais il y entre-meſle à tous propos pluſieurs diſcours des autres na
tions, deſquelles nous eſtions mieux informèz qu'il n'eſtoit : de ſorte qu'il
ſemble qu'iln'ait voulu dreſſer icy que quelques memoires, en intention
de l'eſtendre puis apres en vne hiſtoire plus accomplie, & yappoſer les
derniers enrichiſſemens. -

Toutes-fois ce qu'ila dict eſt plein de moelle & de ſuc, d'aduis & con
ſeils d'importance en affaires d'Eſtat, ſans aucun fard, deſguiſement,nyaf
fetterie ;tout plein de haranguesy ſont rapportées naifues au poſſible , &
repreſentans excellemment bien le faict dont il eſt queſtion, auquel elles
ſonttellementiointes & incorporées, que le fil de la narration ne ſçauroit
conſiſter ſans cela, ayant diuiſé ſon Hiſtoire en dix liures, laquelle a eſté
premierement traduitte en Latin par Conradus Clauſerus & imprimé à
Baſle chez Oporin,auecles autres Autheurs del'Hiſtoire desTurcs, & de
puis encore auec l'Hiſtoire Grecque de Nicephore Gregoras, l'an 1562.
e 1j
Preface.
auſquels le traducteur met par tout, Laonic Chalcondyle, comme le re
quiert auſſilanalogie & ſimilitude desautres noms com poſez de l'adiectif
#x,as, & des autres ſubſtantifs, comme on dit 2anzér»ºe, de ce quia des por
tes d'airain,ax,ése-esreé, d'vne nauire qui a la proüe d'airain, & ainſi des
autres, & 2e érº2a ou a verſiº, vn qui auroit le poing d'airain, ſoir
u'on veille ſignifier la force de ſon poing, que cette appellati6 ſoit venue
àl'occaſion de la bleſſure de quelqu'vn, lequelayant perdu le poing on luy
en auroit attaché vn d'airain ou de cuiure à ſonbras, comme de noſtre téps
vn Capitaine François a eſté nómé, Bras defèr, & entre les anciensvn Guil
laume fut ſurnommé Ferrabrachius, oubras de fer.Ce neantmoins entre les
Eloges de Paule Ioue, nous liſons qu'vn Grec de natiónommé Demetrius
Chalcondylas enſeignales lettresGrecques à Florence,& fit imprimervne
Grammaire Grecque du temps des Seigneurs Pierre,& Laurés de Medicis,
tellement qu'il ſemble que la nouuelle Dialecte & langue corrompue des
Grecsaye voulu euiter la repetiti6 de la ſyllabe co, pour n'offencerl'oreille
de la rencótre de ces deux ſyllabes,en diſans Chalcondylas, C'eſt l'opinion
du plus docte des François enlalägue Grecque,(comme il nous faictiour
nellement paroiſtre par ſes doctes traductions)& non moins recomméda
ble pour ſa pieté & ſainctete devie,ce tres-venerable Ieſuite le Pere Fróton
le Duc,duqueli'ay appris ces remarques,quine ſerót peut-eſtre point rap
portées inutilement ny hors de propos ſur le nom de Chalcondyle.
Lequeleſtoit Athenien, de l'vne des plus nobles & anciennes maiſons
de toute lacontrée d'Attique, commeleteſmoignent quelques endroicts
de celiure qu'ila eſcrit en Grec, l'an 1462. & traduit l'an 1577. par le ſieur
Blaiſe de Vigenere. Ce rare & excellent perſonnage, cét eſprit prompt &
vigoureux,infatigable, &inuincible à toutes ſortes de trauail qui luyte
noit lieu de repos, auquel la France a toutes ſortes d'obligations pour ſes
rares & doctes labeurs,qui deuoit eſtre de la nature du Cedre,& demeurer
à iamais incorruptible en cette vie, mais qui pour le moins ſ'eſt ambauſ
mé dans ſes admirables eſcrits, ſ'acquerant ſur la terre vne immortelle vie,
tandis qu'il en eſt alléiouyr d'vne eternelle au Ciel. Lequel comme il eſtoit
fort exact en toutes choſes, & qu'il ne mettoit pas volontiers la main à vne
traduction ſans y apporter de l'embelliſſement, & quelque notable inſtru
ction,voyant Chalcondyle auoir diſcouru ſi ſuccinctement des choſes †
nous ſont ſi eſloignées, ily fit des Illuſtrations fort amples, par leſquelles
on peut voir clairement l'eſtenduë & les forces de ce grand Empire,le reue
nu encore, & la maniere de la conduite de ce puiſſant Monarque, tant en
ſes armées,qu'en ſon Serrail, & partoutes ſes Prouinces, la charge de tous
fes officiers & leurs appointemens, & vneinfinité d'autres belles & curieu
ſes recherches à ce propos, contenuës ence traicté, qu'ilauoit laiſſé auant
ſon deceds, au feu ſieur Abell'Angelier Libraire, pourl'adiouſter àla tra
duction de cette Hiſtoire. -

Lequel commeilauoit les conceptions plus hautes, & l'eſprit plus ge


nereux & releué que ne portoit l'eſtenduë de ſavacation, ayant ces deux
coPpies en main,& deſirant d'enrichir cét œuure de tout ce quiſe pourroit
ICCOUlUlICI
Preface.
recouurer pour ſon embelliſſement, reſolut d'y adiouſter les fi gures de
&>

Nicolai, repreſentans les accouſtremens des officiers du Monarque Ot


thoman, & des peuplesaſſubiectis à ſon Empire, auec des tableaux Pro
phetiques, prediſans la ruine de la Monarchie des Turcs : & outre ce les
pourtraicts des Empereurs Otthomans, auec celuy de laville de Conſtan
tinople enl'eſtat qu'elle eſtàpreſent. Deſſein d'vne fort longue haleine, &
qui meritoit non ſeulement vne tres-grande deſpence pour la taille de
tant deplanches,yayantiuſques à cent & ſix figures dans ce volume : mais
encore beaucoup de temps & de peine à la recherche d'icelles, & ſa longue
maladie quil'a depuis faict reuiure à vne meilleure vie, ne luy permettant
pasvn ſigrand ſoing, il faſſociaauec le ſieur Matthieu Guillemot,faiſant
encore paroiſtre la ſolidité de ſon iugement par cette aſſo ciation;cettuy-cy
ayant l'intention toute conforme à celle de ſon aſſocié, à ſçauoir de ne
plaindre point la deſpence, pourueu qu'il peuſt conduire vn œuure à ſa
perfection, & que le public tiraſt quelque contentement de ſon labeur.
Mais comme il eſtoit ſurl'execution de ſon deſſein, il paſſa de cette vie
· enl'autre,enuiron deux mois apres iceluy l'Angelier, de ſorte que cét œu
ure encommencé, demeura entre les mains des deux veufues, à ſçauoir
celle dudictl'Angelier, & celle dudict Guillemot, leſquelles animées par
le meſme eſprit que celuy de leurs maris, qu'elles deſiroient infiniement
faire reuiure par l'execution de leurs deſſeings : & comme elles auoient
touſiours euvne naturelle ſympathie & conuenance à leurs volontez, tant
fen faut que leur ſeparation fuſt cauſe de quelque retardement à cette en
treprife, que n'ypouuantauoir de tombeau pour leur affection, elles ont
apportétant de ſoin & de vigilance pour la perfectionner, qu'à peine leurs
maris l'euſſent-ils plus heureuſement executée,& principalement la Veuf
ue d'iceluy l'Angelier, laquelletant par ſon induſtrie que par l'entremiſe de
ſes amis, a recherché tout ce qui ſe pouuoit deſirer pour l'embelliſſement
de cet œuure, en quoy ſavertu eſtd'autant plus digne d'honneur, que ſon
grandaage la pouuoitiuſtement exempter de cette peine.Voyla, quant à
ce qui regarde, tantl'Hiſtoire de Chalcondyle, que les Illuſtrations de Vi
genere,deſſein & deſpence deſdits l'Angelier & Guillemot.
Maintenant auſſi pour faire voirmonintention ſur ce que i'ay faict en
celiure, qui eſt la plus grande & meilleure partie, ie commenceray par le
Triomphe de la ſaincte Croix, lequel i'ay mis enſuitte des Illuſtrations,
d'autant que le ſieur de Vigenere les ayant finies par vn diſcours de l'Alco
ran de Mahomet, il m'a ſemblé que les reſueries de ce faux Propheteme
ritoient bien d'eſtre combattuës, de crainte que quelqu'vn n'en fuſt mal
edifié, & y vouluſt peut-eſtreadiouſter trop de foy. Et d'autant que plu
ſieurs des noſtres meſmes oſenttrop hardiment, & non ſans impieté, cen
ſurer lesactions de l'Eternelle Prouidence, enl'eſtabliſſement de l'Empire
desTurcs, & que ceux-cyd'ailleurs fontgloire de leurs conqueſtes, qu'ils
tiennent pourvn miracle de leur Loy : I'ay faict des Obſeruations ſurtou
tes les actions desTurcs, par leſquelles la Iuſtice & Prouidence de D1E v
ſontremarquées, non ſeulement ſur Chalcondyle, mais encore ſur tout le
- e 11j
| Preface.
reſte de l'Hiſtoire Turque, comme on pourra voir à la fin delavie de cha
qu'vn Empereur. Laquelle Hiſtoire i'ay commécée depuis la conqueſte du
Peloponeſe parlesTurcs, & diſtinguée en huict Liures, ſelon le nombre
des Émpereurs deſquels i'eſcry, commençant à Mahomet ſecond, où
Chalcondyle eſt demeuré, & continuant iuſques à la fin de l'année 161r.
auecle plus d'eſclairciſſement & de verité qu'il m'a eſté poſſible. Car com
me on ne trouue que quelques memoires des actions de cette nation, eſ
crits en diuers temps, par perſonnes differentes, la pluſ-part paſſionnées &
cottans les années par des ouy dire ( car il n'y a que Leonclauius quil'ait
compilée iuſques enuiron la moitié du regne de Solyman, laiſſant encores
beaucoup de choſes à dire tres-remarquables, qui ſe trouuent army d'au
tres Autheurs)ileſtaſſez mal aiſé de les bien concilier enſemble,& d'en ti
rervne Chronologie ſi certaine, que quelques fois vne année ne ſoit priſe
pourl'autre : Mais lors que ces difficultez ſe ſont preſentées,i'enay laiſſé le
iugement libre au Lecteur, ayant premierement rapportéles opinions de
art & d'autre.
Apres l'Hiſtoire i'ay faict venir en ordre les Deſcriptions ſur chacune
des figures, dontila eſté faict mention cy-deſſus, afin qu'on voye la repre
ſentation des Officiers, deſquels il a eſté parlé dans l'Hiſtoire; enſuitte
deſquels i'ay mis les Tableaux Prophetiques, pour finir & clorre ce Liure,
puis qu'ils prophetiſent la ruine & entiere deſtruction de cét Empire, où il
eſt diſcouru ſuccinctemêt ſur les Epigrammes qui ſont au pied des figures.
Et pour le ſoulagement de ceux qui ſont bien ayſes devoir en peu de mots
toute la vie d'vn Prince, ſansauoir la peine de lire toute l'Hiſtoire,i'ay faict
des Eloges ſur la vie de chacun des Empereurs Otthomans, comprenans
ſommairement leurs plus notables actions, leſquelles ſont diſpoſées par
tout cét œuure,& miſes apres leurs pourtraicts au commencement de leur
Hiſtoire.I'aduerty auſſile Lecteur, qu'encore qu'elleait eſté long-temps à
venir en lumiere,ſelon le deſir de pluſieurs,le temps a toutesfois eſté bien
bref,ſelonlagrandeur dutrauail, de ſorte que i'ay eu fort peu de loiſir à
reuoir exactement toutes choſes, comme ileuſt eſté bien neceſſaire, ce qui
a eſté cauſe de faire gliſſer pluſieurs fautes enl'impreſſion, leſquelles tou
tes-fois le Lecteur, qui prend plus de plaiſir à lire qu'à cenſurer, ſupplera
ayſement, & ſe remettra touſiours dans le fil de la narration,ſi par quelque
faute il ſe trouuoitinterrompu : Et quant au Critique, commeie ſçay qu'il
trouue à redire ſur tout, auſſi n'ay-ie pas entrepris de le contenter. /

PRIVILE GE
- -

P RI V I L EG E D V R O Y.

g# ENRY Par la grace de Dieu Roy de France & de Na


#, farre, A nos amez & feaux Conſeillers les gens tenans
# ouleurs
}$ nos Cours de Parlemens, Baillifs,Seneſchaux,Preuoſts,
Lieutenans , & à tous nos Iuſticiers & Officiers
N# qu'il appartiendra, Salut. Nos chers & bien amez ABEL
$ L'A N G E L I E R & M A T T H I E v G v 1 L L E M o T,
y marchans Libraires en l'Vniuerſité de Paris, nous ont
, faict dire & remonſtrer qu'ayant cy-deuant ledit l'An
†)gelier faict imprimer les Tableaux de platte peinture de
| Philoſtrate, auecles Commentaires de Blaiſe de Vigenere, la vie
ſ( d'Appolonius Thianée, & l'Hiſtoire des Turcs , compoſée
- par Chalcondyle Athenien, le tout de la traduction du
dict de Vigenere,& voyant combien leſdicts Liures auoient eſté bien receus du pu
blic, pour leur vtilité auroient enſemblement fait tailler fort grand nombre de figu
res en taille douce, tant pour les Tableaux de Philoſtrate, quepourl'Hiſtoire de Chalcon
dyle, non ſeulement pour l'ornement deſdicts Liures, mais la plus-part neceſſaires
pour la parfaicte intelligence d'iceux, auec pluſieurs Illuſtrations, Commentaires,
Annotations & amplifications ſur iceux non encores veuës : Mais d'autant que le
Priuilege cy-deuant obtenu par ledict l'Angelier, eſt expiré, & qu'ils craignent que
d'autres mettent leſdicts Liures ſur la preſſe, ſoubs pretexte qu'il n'y auroit point de
figures, ne les fruſtrent en ce faiſant du fruit de leur labeur, ou pour le moins ne fiſ
ſent perdre le cours à leur debit, & leur faire ſouffrir vne perte de plus de quatre mil
cſcus qu'ils ont ja debourcé pour faire tailler les planches ſeruans auſdicts Liures:
ils deſireroiét volontiers les r'imprimer ou fairer'imprimer en diuers volumes, auec
figures ou ſans figures, tant de fois que bon leur ſembleroit, & en tels caracteres
qu'ils verront eſtre les plus commodes pour le bien public, ſans qu'autres qu'eux les
puiſſent imprimer ny vendre.A c E s c A v s E s, deſiransgratifier ledict l'Angelier
& Guillemot,& aucuncment les redimer des frais qu'ils ont faicts,& qu'il leur con
uiendra faire àl'impreſſion deſdicts Liures, & par meſme moyen les faire reſſentir
de leurs labeurs pour les bons & agreables ſeruices qu'ils nous ont faits en pluſieurs
& ſemblables occaſions, & aux feuz Roys nos predeceſſeurs, meſmes en diuers Li
ures qu'ils ont imprimez ou fait imprimer à l'honneur de noſtre Royaume, des Roys
nos predeceſſeurs & de nous, & autres qu'ils ont encores en leurs mains preſts à im
primer. A v o N s par ces preſentes ſignées de noſtre main, & de noſtre grace ſpecia
le, pleine puiſſance & authorité Royale, permis & accordé, permettons & accor
dons auſdicts l'Angelier & Guillemot, qu'ils puiſſent & leur ſoit loiſible à eux ſeuls,
imprimer ou faire Imprimer partels Imprimeurs qu'ils voudront choiſir,leſdicts Li
ures de Philoſtrate, Vie d'Appolonius, Hiſtoire de Chalcondyle, auecles Commentaires, An
notations, Illuſtrations, Notes & Amplifications ſur iceux, en telle marge, caracteres, & tant
defois que bon leurſemblera, auecfigures & ſansfigures, durant le temps & terme de dou
zeans entiers & conſecutifs, àcompter du iour que leſdicts Liures ſeront parache
uez d'imprimer : faiſans defenſes tres-expreſſes à toutes perſonnes de quelque eſtat
& qualité qu'ils ſoient, d'imprimer ou faire imprimer, tant dedans que dehors no
ſtre Royaume leſdicts Liures, ſoit en l'eſtat qu'ils ont eſté cy-deuant imprimez, &
qu'ils le ſeront cy-apres, à part ou ſeparemét, & les inſerer en autres Liures,en quel
que ſorte & maniere que ce ſoit, ſoubs couleur du Priuilege expiré, d'additions, di
minutions, ſommaires, annotations, corrections, illuſtrations & traductions faites
par autres que ceux qui ſont ou ſeront faictes du conſentement deſdicts l'Angelier
& Guillemot, leſquels Liures imprimez ne pourront eſtre vendus ny eſchangez en
noſtre Royaume, ſoit par perſonnes interpoſées de quclques lieux & parts qu'ils
ſoient,ou auec fauſſes marques, faux & ſuppoſez noms des lieux & des villes, ſur
peine de deux mille eſcus d'amende, applicable moitié à nous, & l'autre moitié auſ
dicts l'Angelier & Guillemot, leſqucls cſtans ainſi imprimez & cxpoſez en vente,
voulons eſtre ſaiſis & mis en nos mains par lc premier de nos Iuges & Officiers ſur ce
requis,contraignant ceux quiauront cſté trouuez ſaiſis d'iceux,de declarer & nom
mer les lieux & les perſonnes deſquels ils auront eu leſdicts Liures,pour eſtre proce
dé contre eux extraordinairemcmt.Vov L o N s cn outrê que mettans ou faiſans met
tre par leſdicts l'Angelier & Guillemot au cosomencement ou à la fin deſdicts Li
ures vn brcfou extraict de ces prcſentes, ellcs ſoient tenuës pour ſuffiſamment ſi
gnifices & vcnuës à la cognoiſſancc de tous, comme ſi clles leurs auoient eſté parti
culiercment ſignifiées. S I v ov LoNs, vous mandons, & à chacun de vous en
droict ſoy, enioignons que du contenu cn ces preſentes nos lettres de Priuilege &
permiſſion vous faictes & laiſſez leſdicts l'Angelier & Guillemot,& ccux qui auront
droict d'eux, iouyr & vſer plainemcnt & paiſiblement, ceſſant & faiſant ceſſer tous
rroubles & empeſchemens au contraire. Etd'autant que de ces preſentes l'on pour
ra auoir affaire en diuers lieux,nous voulons qu'au vidimus dicelles, faict par l'vn de
nos amez & feaux Conſeillers, Notaires, & Secretaires, foy ſoit adiouſtée comme
au preſentoriginal, Cartel eſt noſtre plaiſir. Donné à Fontainebleau, lexiiij. iour
d'Octobre, l'an de grace mil ſix cens neuf. Et de noſtre regne le vingt-vnieſme\
Signé H E N R Y. . - Par le Roy.
Et plus bas
, - - DE Lo M E N 1E.

EXT R A I CT D ES R E G IST R ES D E P A R L E M E N T.

E V par la Courles lettres patentes du quatorzieſme octobre dernier,ſignées Henry, &


plus basparle Roy, de Lomenie, & ſeellée du grandſeel,parleſquelles inclinant à laſuppli
cation d'Abell'Angelier& Matthieu Guillemot marchands Libraires en l'Vniuerſité de Paris,
leureſtpermis de nouueaufaire imprimer, vendre & debiter les Liures de Philoſtrate, Vie
d'Appolonius, & Hiſtoire de Chalcondyle, aucc les Commentaires, Annotations,
Illuſtrations, Nottes & Amplifications ſuriceux, auec figures & ſans figures, Sans
qu'autres puiſſent cefaire ſans leur congé,pendant dou{e ans, à commencerdu iourqu'ils ſeront
paracheuez,ſurlespeines & ainſi qu'au long contiennentleſdites lettres, requeſte par eux pre
ſentée afin d'enterinement d'icelles, concluſions duſieur Procureur du Roy:Tout conſideré Ladi
éte courentherinant leſdictes lettres, ordonne que les impetrans iouyront du contenu en icelles
ſelon leurforme & teneur Faicfen Parlement le vingt-quatrieſme Nouembre, milſix cens
neuf.
V o Y s I N.
O T T H O M AN
M.

· Ou OSMAN
pr emier Empereur des Turcs

-
---- - --------------------
------

-------- - -------- ---- - ------|

,, • • •
-------- : ::• --»--*
· s oN ELo G E o v s o M M AIRE ,
D E s A V I E. " - - ,
•,

o 1 c r l'vn des plusſgnalez chef d'œuure de lafortune, ou pluſtoſtl'vn des


#z$ plus admirables effects, de la prouidence eternelle du Tout-puiſſant. Vn hom
#$à mevenu de bas lieu ſelon la plus commune opinion (ie parle du premier Em
$ \\V pereur des Turcs) ou en tout euenement, dont les anceſtres n'auoient commaa
)#$3 #'déqu'à vne petite poignée degens, nourry & gſleuédans vn meſchant village
de Sogut, en vn temps où les Turcs faiſoientiougà l'Empire des Souldans d'Egypte.Parladex
terité deſonentendement, & la hauteſſede ſon courage, perſuaderaux OguXiens (nation Tur
que )dereprendre leurs armes deſia toutes roiiillées, aueclaide de Michaly, Marco,& Auramy,3.
deſes confidens. S'acquerirvne telle reputation à l'endroit du Souldan Aladin, quel'ayanteſleue
ſon Lieutenant general, ilſe trouua (parſamort) auoiren main vnetelle puiſſance, que depou
uoirſe rendre le compagnon, de ceux qui tenoient auparauant ſur luy le rang de Maiſtres,&par
tageraueceux les Prouinces qu'ils auoientconquiſes en commun,s'aſſubiectirluyſeul vnepartie
de la Bithynie, & de la Cappadoce, deffaire en bataille rangée le Teggiurde la ville de Burſe, &
(ſelon quelques vns)prendreſa ville d'aſſaut où il eſtablii leſiege Royaldeſon Empire.Se rendre
maiſtre des renommées villes de Sinope en Galatie, & Angauri en Phrygie, auec la tres-grande
& forte ville de Sebaſte ou Suias en Cappadoce, & celle d'Iaca auecgrandnombre de tres-bonnes
laces aux enuiros. Deffaire les enfans d'Homut, l'vn des ſept Seigneurs ou Satrapes d'Alaain.
Chaſſerles Grecs de la Natolie, & dompterceſte Prouince, auecvne infinitéde places ſurlamer
Maiour. N'eſtre infortunéen pas vne deſes entrepriſes,qu'auxſieges des villes de Nicée,& Phi
ladelphie. Pouuoirparmytant de conquſtes faire lepremier paſſer 3ooo. Turcs en Europe, qui y
ſirent vnrauage nompareil Introduire qu'iln'yeuſt aucun enſa Courquineſe diſtſon Eſclaues
Etpourſerendreplus redoutable, ſtablit des Ianitzaires ou ſoldats deſagarde (Turcs toutesfois
à la difference de ceux d'Amurat ſonſucceſſeur) auecvn telchoix & milice, qu'ils deuoient gſtre
à l'aduenir, comme vnfort inexpugnable, & lanchre tres-aſſeurée deſon Eſtat. Donner& con
ſtituerdes loix qui ſe ſont touſtours obſeruées iuſques à ce iour,ſe trouuant parce moyen Fonda
teur& Légiſlateurenſemble. Et en l'eſpace de 28.ans qu'il regna.Laiſſeren fin à ſes ſucceſſeurs
vne tres-belle & tres-ample principauté, redoutable à toutes les nations voiſines, & ſîbien gſta
blie qu'elle deuoiteſtre en moins de cent années la terreurdel'vniuersºToutes ces rencontresſont
ſîrares qu'elles n'ontpoint eu iuſques ig deſemblables : Ny luy aucunſecondqui lepuiſſe en cela
eſgaller. Il fut d'vn natureltres-charitable, tres-clement, tres-belliqueux, & tres-liberal,prin
cipalementenuersſesſoldats : d'vn eſpritprompt,inuentif, & tres-iudicieux, & qui toutesfois
mefaiſoitrienſans conſeil Cefutauſſi ce qu'ilenchargea ſpecialement à ſa mort à ſon fils, auec
vn comandementparticulier, de n'entreprendre iamais rien contre les comandemens de DIEv;
& vn conſeild'aimerlesſîens,poureſtre aiméd'eux, de recognoiſtre liberalement, voire honorer
ceux qu'ilauroitrecogneu luy ſtre obeiſſans & affectionnez. Ceux qui le tiennent venu de bas
lieu le diſentfils de Lichs Les autres quitirentſon origine d'vnefamille illuſtre, luy donnentor
togules pour pere. Ilcommença à regnerlan denoſtre salut 3oo. & laiſſantſelon quelques 'U/7 $
trois enfans : ilmourut à Burſe à pareil iourqu'il auoit pris naiſſancel'an 328.aagéde 7o. ans:
Prince autantregretté des ſiens qu'aucun autre de ſes/ucceſſeurs, & dont la bonté futſîrecom
mandable, que lesTurcs au iourd'huy à l'aduenementde leurs Empereurs à la Couronne, leur
ſouhaittent encore la bonté d'O T T H o M AN. Lequel nom ſes ſucceſſeurs ont tenu deſ heu
reux preſage, qu'ilsſe tous ſurnommez de luy voulans quaſi par ſa ſecrette influence fairere
uiure en leurs caurs les graces & excellences de leur premier Empereur.

v, LE PREMIER
DE L' H I S T O I R E DES
T V R C S D E L AO N I C C H AL- °
C oNDYL E A T H E N I E N.

. s o M M A I R E, ET c H E Fs PRIN cIPA Vx
du contenu en ce preſent liure. .
Preface contenantl'argument & ſubieét de ceſt auure, qui traitiedeladecadencede
l'Empire des Grecs, &" eſtabliſſement de celuy des Turcs. | Chapitre I.

Incident des anciennes Monarchies : Tranſlation de l'Empire Romain à Conſtanti


nople, auecvn brief diſcours du different de la Religion Grecque & Latine.
Chapitre 2.

L'origine premierdes Turcs, & l'Etymologie decenom,puis ſoubsquels Capitaines


ils prirent premierement les armes. . Chap.3.
Delarace des Othomans qui ont iuſques icy regné depereen filsſurlesTurcs; & du
partage des Prouincesconquiſes par les ſept premiers chefs d'iceux, dont l'Otho
• man fut l'vn. - Chap.4.
Les diſſentions des deux Androniques Palleologues, enſemble quelques affaires quele
Grecs eurent premierement à demeſlercontre les Turcs, & entreux-meſmes en
core. - | . - - Chap.5.
Lesfaicts & geſtes d'Orchanfilsd'Othoman,ſecondEmpereurdesTurcs. Ch. 6.
LeregnedeSolimanfils aiſné d'Orchan:l'origine des Tribailles ou Bulgares, enſemble
, des Albanois; & lapuſillanimité des Grecs, aueclapriſe d'Andrinople. Cha.7.
Amurat premierde ce nom ſucceda à ſon frere Soliman : l'origine des Valaques, &
des Coruarts.Andronic Palleologuerecouureſon Empireſur Cantacuzene, quile
., luy auoit ſouſtraitdemauuaiſe foy. • | Chap. 8.
. .

Les premieres conqueſtes d'Amurat ſurles Tribailles, Myſiens; & les Grecs & ce
pendant l'Aſie ſe reuolte contre luy, dont ilalavictoire deruze. Chap. 9.

Le ſoubſleuement de Saux fils aiſné d'Amurat en l'Europe; & d'Andronic fils de


l'EmpereurCaloian, contre leurspropres peres : aueclechaſtiment qu'ils en firent.
Chapitre 1o. -

Quelques remuëmens & practiques dreſſées par Emanuel fils de Caloian, au deſceu
de ſon pere côntre Amurat, aſſoupis parle Baſſa Charatin : & les loüanges de ce
perſonnage. - - · Chapitre II.
A "j
# -

- Liure premier
Recapitulation ſuccinéte des affaires des Grecs, qui parleurmauuais gouuernement
furent cauſe de la ruine & euerſion de leur Empire. Chap. 12.
Voyage d'Amuratcontre Eleazar DeſpotedesTriballes, où ilfutmisàmort, & la
maniere comment.
J.
N
-
° Chapitre 13.
-
-

\--
Laonic cſt le r . #ESSs# # #
nom de Nico- Nº# # N
las renuerſé. \ ©# #
# # A O N I C Atheniena propoſé d'eſcrire ce qu'il
# aveu & ouï durant ſa vie : Partie pour ſatisfaire au
Xº deuoirauquel nous ſommes naturellement obli
Le ſubiect de -
# gez: Partie auſſi,qu'ila penſé que ce ſeroient chq
ceſt œuure. N ſes dignes d'eſtre raméteuës à la poſterité.Car cel
b

les qui ſeronticytouchées, ne ſe trouuerót point


ºr p) (à mon aduis) de moindre eſtoffe & grandeur
\#= # 4º / qu'autres quelcóques qui ſoientiamais aduenuës
- *N en aucun endroit de la terre : Principallement ces
- deux-cy,la decadence & ruine del'Empire des Grecs, auec les malheurs qui
finablement ont regorgé deſſus, & les proſperitez desTurcs, qui en ſi peu
de temps ſont montez à vn tel degré de richeſſes & de puiſſance, qu'ils ou
-
trepaſſent & laiſſent de bien loin derriere eux touslesautres qui ont eſté au
parauant. Or ſont-ils les maiſtres pour ceſte heure de nos perſonnes & de
nos biens, & en diſpoſent commeilleur plaiſt: nous troublans non ſeule-.
mentl'aiſe & repos de la vie preſente, mais encore tous nos plaiſirs & liber \

tezaecouſtumées, ils les rauiſſent & deſtournent àvne miſerable ſeruitude:


Neantmoins ſii'oſe dire çe quei'en penſe,vniour pourravenir que la chan
ſe tournera, & leurs fortunes prendront vn train toutau rebours.Quoy que
ſ'en ſoit, il m'a ſemblé quel'hiſtoire qui ſeroit par moytiſſuë des vns & des
autres, ne deura point eſtre des-agreable à ouïr: meſmement que i'entre
laſſeray parmy quelque memoire & ſouuenance des choſes ailleurs a lue
nuës çà & là parle monde; non point de mon temps ſeulement, ſi que le
me ſois trouué partout en perſonne pour les voir à l'œil, mais de beaucoup
d'autres encores, où toutesfoisie ne me ſuis pasarreſté à ce que l'apparen
ce pouuoit fairé ſemblerveritable : Ne auſſi peu au rapport ſimple de ceux
• qui auoient le bruit de les ſçauoir mieux que nuls autres : Car afin de dreſ :

ſer plus fidelement le cours de noſtre narration, nous ne mettrons en auant :


ſinon ce qui nous ſemblerale plus digne de foy, & approchant de lave
5

# rité. N'eſtimans pas que perſonne nous vueille blaſmer pour auoir eſcrit
# ceſte hiſtoire en langage Grec, puis qu'il atouſiours eſté parmy le monde .
en telle dignité & honneur, qu'encore pour le iourd'huy il eſt preſque
commun à tous. Et combien que la gloire de ce parler ſoit excellente ſur
. toutes autres, ſi auroit-il bien plus de vogue & credit, lors que quelque ri
che & puiſſant Empire viendroit és mainsd'vn Prince Grec, & de luy he
- reditairement à ſes ſucceſſeurs : Ou bien ſilaieuneſſe Grecque faiſant ain
ſi qu'elle deuroit, reprenoit cœur, pour d'vn commun accord & conſen
tement ſ'eſuertuer de remettre ſus, la douceur del'ancienne liberté, & les
franchiſes de leurs ſibieninſtituées Choſes-publiques : Car par ce moyen
ils
-
|


Del'Hiſtoire de Turcs. 3
ils donneroientla loy,& commanderoient brauemétauxautres peuples
& nations,qui maintenant leurtiennentlepiedſurlagorge.
PAR quels moyens aureſte nozanceſtres & maieurs† iadis II.
àvneſigrande renommée: Quels furent ces beauxfaits ſi illuſtres & me- L'origine &
morables,quileurapporterent tant detriomphes comme ceſt entreau-# #
tres choſes qu'ils entreprirent auſſi de venir en Europe & Afrique,& tra-" "
| uerſerent de ſi longues eſtendues de pays,iuſques au fleuue de Ganges,
& àlamer Oceane,Hercules entreles autres, & Bacchus auparauant qui
fut fils de Semele: Puis les Lacedemoniens,& les Atheniens, & les Rois
de Macedoine, enſemble leurs ſucceſſeurs ,auecques l'ordre & ſuitte des
temps eſquels le tout eſt aduenu; aſſez d'autres l'ont couché en leurs
Commentaires & Annales.Et à laverité noz predeceſſeurs ſe ſouſmirent Leut loiiige,
d'vne grand'gayeté de cœurà beaucoup de peines & trauaux,pours'eſta
blir vne fortune correſpondante à leurvertu, dont elle ne fut iamais de
ſtituee.Auſſiont-ils duré plus longuement en leur grandeur & reputa
tion que nuls autres : de ſorte que par pluſieurs † ils ont iouy
de leur propre gloire.Apres euxie trouue que les Aſſiriens (peuple fort - -

ancien) eurentiadisvnrenom de fortlongue duree,ayans obtenu la do-†"


mination de l'Aſie Et puis les Medois leur ſuccederent, qui ſe ſaiſirent p. Medoi
- - - - • - CCiOIS,

de cette Monarchie ſoubs la conduite de Barbarés, quel'hiſtorien Iuſtin


appelle Arbacte,lors qu'ils deſmirentle Roy Sardanapale de ſon ſiege: pe rec,
Mais ils enfurent eux-meſmes depoſſedez par Cyrus Roy des Perſes,qui -»

les deffit & ſubiugua.Delà partraict de temps ces Rois de Perſe s'agran
· dirent merueilleuſement , & furent bienſioſez & hardis que d'entre
prédre
des depaſſer enmit
Macedoniens Europe.Toutefois
fin àleur Empirepeu detempsdu
& lesayant apres
toutAlexâdre Roy†º
rengez ſous CI13.

ſon obeiſſance, gaigné pluſieurs batailles contre les Indiens, & conquis
la † part del'Aſie & de fEurope,tranſmit & delaiſſale tout à ſes Des Romai,
ſucceſſeurs.Les Romains conſequemment,dont la fortune a touſiours

†up plus auant que nuls autres quiayentiamais comman


eſté en eſgal contrepoixàleurvertu,eſtendirentleurs limites au long &
2ll

déen la terre& en la mer pourtant s'eſtablirent ils vne Monarchiela plus


ample de toutesautres.Mais àla parfin ayansdelaiſſé leur citéés mains du
ſouuerain pontife des Latins,ils # retirerentauecleurChef& Empereur †"
és marches delaThrace,où ils reſtaurerent l'ancienne ville dite Byzan-†.
tium,& maintenant Conſtätinople,en cetendroit où l'Europe s'appro-§"
cheleplus de l'Aſie. Delà en auantils eurent touſiours de grandes guer- ...
tes,& des affaires bien lourds & † à demeſler contre les Perſes, ºu †
deſquels
Grecs ils ontmeſlez
s'eſtans le plus&ſouuent eſté fortmal-menez.
confondus Et ſed'autant
auec les Romains que les
trouuoient #de
en †"
plus grand nôbre qu'eux,lelangage,les meurs & façons de faire du pays "
' ont eſté retenus.non-pasle nom, carles Empereurs de Conſtantinople
† plus de majeſté & grandeur le changerent,& voulurent eſtre appel
ez Empereurs des Romains,& non Rois ou Seigneurs des Grecs. Nous
auonsauſſiapris,comme l'Egliſe Romaineapres auoir longuement con
A ij
" .

*..

4- Liure premier
teſté & debattu auecles Grecs ſur aucuns poincts dela Religi6,lesa fina
,† blemét ſeparez d'elle.MaislesEmpereurs § ccidét 9res eſtás eſleuz de
Grecs. Frâce,ores de Germanie,n'ont gueres laiſſe perdre d'occaſions d'enuoyer
leurs Ambaſſadeurs deuers les Grecs,pourles attirerauxConciles expreſ
ſément conuoquezafin deles vnirauec eux.A quoyils n'ont iamais vou
lu † , ne rien relaſcher & § de leurs traditionsan
Les François
ciennes.Ce quileura eſté cauſe de beaucoup de maux: Car les Princes &
† Seigneurs du Ponant ſ'eſtans liguez auec les Venitiens, leur vindrent fi
c§no-nablement courir ſusauecvne treſgroſſe & puiſſante armee: & ſe ſaiſirét
† † de Conſtantinople,tellement que celuy qui pour lors y commandoit,fut
† contrainct auecles principaux officiers & miniſtres de l'Empire de ſe re
tirer en Aſie, oüils eſtablirent le ſiege capital de leur domination en la
11j4.

ville de Nicee. Mais quelque tempsapres ils recouurerét ce qu'ilsauoiét


Lanººs. perdu,& ayans trouué moyen de ſe couler ſecrettement dans Conſtah
§ §le tinople,en debouterent les autres. Depuis ils regnerent aſſez longue
†" ment en la Grece,iuſques à ce que l'Empereur Iean Palleologue voyant
ſes affaires du tout deſeſperez,& côme dict le prouerbe, preſque reduicts
entrel'enclume & les marteaux,accompagné d'vn grand § d'Eueſ
† des plus ſçauanshômes du pays,monta ſur mer,& paſſa en Italie,
oubs eſperance que ſevenant rengeraux ſtatuts de l'E § Romaine, il
*« obtiendroit facilement l'ayde & ſecours des Princes del'Occident, en la
Au concle guerre quelesTurcsluy appreſtoient. Eſtans doncques venus à confe
de Florence,
† rence auec Eugene quatrieſme de ce nom, pour le commencement les
dºcumenique choſes furent aſprement debatues d'vne part & d'autre:à la fin les Grecs .
acquieſcerent,& l'Empereurs'en retourna auecl'ayde qu'il auoit requis.
| Mais le peuple demeura ferme,ſans vouloir admettre rien de ce quiauoit
eſtéaccordé,perſeuerant touſiours en ſes traditions accouſtumees : & eſt
depuis demeuré en diuorceauecquesl'Egliſe Romaine.Voila en ſomme
ce qui m'a ſembléeſtre neceſſaire de toucher en la preſente hiſtoire des
affaires des Grecs,& de leurs diſſentions & diuorcesd'auec les Romains.
Dequoyon peut aſſez comprendre,que ny le tiltre de ceſt Empire, nyle
nom & qualité qu'ils prirent,n'eſtoient pas fort bien conuenables. Moy
doncques quiayattaint ces temps là,me ſuis mis à conſiderer comme les
La dedinatiº Grecs & leur principauté auoient premierement eſté ſoubs les Thraciés:
† & que puis apresils en furent deſpoüillez de la meilleure & plus
† partie,voire rcduictsàvnebien petite eſtendue de pays, ſçauoir eſt Con

§ ſtantinople,& les regions maritimes de là autour,iuſques à la ville d'He
" raclee en tirant contre-bas.Et au deſſus,ce qui eſt le lôgdelacoſte du pôt
Euxin,iuſques à celle de Meſembrie.Pl°tout le Peloponeſe,excepté trois
ou quatre villes des Venitiés, & les Iſles de Lemnos & d'Imbros,auecles»
autres qui ſont en la mer AEgee. De quellemaniere toutes ces choſesad
uindrent, & quelesaffaires des Grecs peu à peu onteſté parles Turcs mis
au bas, & ceux desTurcs au contraire en vn inſtant ayent prins vn telac
croiſſement,iuſques à monter à la plus haute cime de grandeur & felicité
- » - - 2 &b

mondaine, telle qu'on peut voir pour leiourd'huy; neus le declarerons


/
- Del'Hiſtoire des Turcs. | 5
parlemenu le plus diligemment qu'il nous ſera poſſible, ſelon que nous
&b • /

l'auons entendu au plus pres delaverité.


-
" -
-

-
I E N E ſçaurois bonnement aſſeurer quant à moy, de quel nom les r . des
Turcs furent anciennement appellez,de peur de me meſcompter,& par-º
ler à la vollee.Carquel ues vns ont voulu dire qu'ils font deſcendus des
Scites qu'on tient † Tartares, en quoy il y a quelque apparence:
par-ce que les meurs & façons de faire desvns & des autres ne ſont gue
res differends; ne leur parler beaucoup eſloigné. Il ſe dit d'auantage,que
les Scites habitansaulong de la riuiere de Tanais , eſtanspar ſept fois s .
ſortis de leurs limites,auroient couru, pillé, & ſaccagé toute la haute †
Aſie,du temps que les Parthes eſtoient encore au comble de leur grâdeur, #º
& qu'ils commandoient abſolumentaux Perſes, Medois, & Aſſiriens.
Que de là puisapresils deſcendirentés pays bas, où ils ſe firent Seigneurs
de Phrigie, Lydie, & Cappadoce : & meſme nous voyons encore vnc
grande multitude de ceſte generation eſpandue çà & là par l'Afie, ayans -

fºs propres couſtumes & façons deviure qu'ont les Nomades Scites,c'eſt Nomade,
àdire,paſteurs ougardiens de beſtail, vacabons perpetuels,quin'ont ne †
feu ne lieu, n'aucune demeure ferme & arreſtee. Il y a encore d'au- #rºsº
tres coniectures pour prouuer que les Turcs ſont de la vraye race des 7.

Scithes, en ce que les plus eſtranges & barbares d'entr'eux , qui habi
tentés prouinces inferieures de l'Aſie, comme Lydie, Carie, Phrigie, &
Cappadoce,ne different en rien que ce ſoit du parler, & des conditions - -- "

des Scithes, qui viuent entre la Sarmatie, & ladicte riuiere de Tanais.ll †"º
y en a d'autres qui eſtiment les Turcs eſtre deſcendus des Parthes,
leſquels eſtans pourſuiuis parces Nomades ou Scithesvacabonds ( ainſi
appellez, pour-ce que continuellement ils changent de pacages) ſe
retirerent à la parfin és baſſes regions de l'Aſie; là oû tournoyans de co
ſté & d'autre,ſans prendre pied nulle part, ains portans quant & eux
leurs loges & maiſonnettes ſur des chariots , ſe departirent & habitue
rent parles villes & bourgades du pays : Dont eſt aduenu que cette ma
niere de gens ont depuis eſté appellez Turcs, comme qui diroit Pa
ſteurs.lesautres veulent qu'ils ſoiét ſortis de Turca,vne fort belle & opu
lente cité en la Perſe:& delà ſ'eſtre iettez ſur ces pays bas de l'Aſie, qº o º t
· conquirent entierement,& les rengerétàleur § Aaucuns ſem - †

ble croyable † de la Ccleſyrie, & Arabie ils ſoient plus toſt ve † :
nus en ces quartiers là,auecleurlegiſlateur Omar,quedela Scithie:Et par †
ce moyé s'eſtre emparez del'Empire del'Aſie,viuâs à guiſe de Nomades. ºº
A sçA v o 1R-mon maintenant s'il faut adiouſter foy à toutes ces III.
opinions, où s'il n'y en a qu'vne ſeule qui ſoit veritable. De ma partie
n'en diraypointautrement monaduis, pour ce que ie n'en ſçaurois par
ler bien ſeurementiSime ſembleroit-il plus raiſonnable de s'arreſter au
dire de ceux, qui tiennent les Turcs eſtre premierement deſcendus des
Scithes,veu que les Scites qui viuent encore pour le iourd'huy en cette
partie del'Europe qui regardeau Soleilleuant,conuiennét en tout & par
toutauec les Turcs, & en ce qui dependdeleurs foires, marchez,eſtap
A iij
© \ -

6 Liure premier
pes, commerces, & traffiques Outre ce que leurboire & mâger,leurve
ſtir, & tout le reſte de leur viure, eſt vn & commun aux vns & auxau
tres.Car les Scithes commanderentautrefois à toutel'Aſie; & le meſme
†º encore veut dire ce mot de Turc, qui ſignifie vn homme viuant ſauua
Turc. gement, & qui paſſe ainſi la meilleure partie deſon aage, à l'exemple
& imitation des Nomades, ou paſteurs. Cette generation des Turcs
s'eſtantainſi augmentce & accreuë,ie trouue qu'elle fut premierement
# ºu departie par tributs & cantons,du nombre deſquels fut celuy des O gu
§ ziens ; gens qui n'eſtoient point autrement querelleux de leur naturel,
" mais auſſi qui ne ſe fuſſent pas laiſſéaiſeement gourmander. De ceux ic
vint § aymant l'equité & iuſtice, qui fut chef & Capi t
taine des ſiens , tant ayméd'euxtous pour ſa preud'hommie & vaillance,
que iamais perſonne ne le contredict deiugement qu'il euſt donné( car
c'eſtoit luy quileur faiſoit droict)ainsle choiſiſſans touſiours pour iuge
& arbitre deleurs differends,acquieſſoientvolontairement à ce qui eſtoit
par luy decidé. Eſtant doncques tel, les Oguziens le demanderent à
Aladin ſeigneur du pays, pour eſtre leur gouuerneur,& ille leur octroya.
· Ceſte auctorité eſtant paruenue apres ſa mort à ſon fils Oguzalpes , il
· ' envſa bien plus arrogamment : car il ſe porta en toutes ſes actions com
Iouierarpsl meleur Prince & Seigneur, en faiſant ce que bon luy ſembloit : telle
# ment que les ayantarmez côtre les Grecs,il s'acquit en peu de iours beau
coup § gloire & de reputation partoutel'Aſie Orthogules ſon fils luy
ſucceda prompt à la main, & vaillant de ſa perſonne, qui en ſon temps
fit la guerre à pluſieurs peuples & nations. Il equippa auſſi grand nom
bre devaiſſeaux,auecleſquels il portatout plein de dommages aux iſles
de la mer † ſont vizàviz de l'Aſie & Europe: & courut quand &
uandvne grande eſtendue de plat pays en la Grece, qu'il pilla & gaſta:
L'an. 1298. Puisayantamenéſa flotte à la § de la riuiere de Tenare, ioignant
laville d'AEneil entrabien auant à mont l'eau.Et fit encore aſſez d'autres
telles courſes & entrepriſes en pluſieurs endroicts de l'Europe. Finable
ment s'eſtantietté dans le Peloponeſe, & enl'iſle d'Eubœe; en l'Attique
pareillement,illaiſſa partout de grandes marques & enſeignes de ſes
degaſts & ruines.Cela faict,il s'en retourna à la maiſon, chargé de butin
& d'eſclaues, de ſorte qu'en peu de temps il deuinttres-riche & tres puiſ
ſant. On dit auſſi que ce-p endant qu'ils'arreſta en Aſie , il ſaccagea ſou
uentesfois les peuples d'autour de luy, dont il r'amena de grandes
proyes & deſpouilles.Etainſi toutes choſes luy ſuccedans à ſouhait, il
amaſſavne bien belle armee; ſoubsl'aſſeurance de laquelle il aſſaillit &
dompta les Grecs ſes plus prochesvoiſins, & pilla les autres qui eſtoient
plus eſloignez. Dequoy le reſte ſe trouuant eſpouuenté, ſe ſoubſmit ,
volontairement à ſon obeiſſance : ſi bien qu'en peti de temps il don
na commencement à de tres-grandes facultez & richeſſes. Et comme
de iouràautre luy vinſſent pluſieurs Nomades de renfort, auec tels au
tres Baudoliers qu'il receuoit à ſa ſolde, & s'en ſeruoit en ſes expedi
tions & entrepriſes àl'encontre de ſes voiſins, cela luyfut vn beau ſurcrez
\

--
-

De l'Hiſtoire des Turcs. 7


pour aggrandir & dilater bien-toſt ſes limites , auſſi qu'à cauſe de ſes
proüeſſes, il vint à vne tres eſtroicte amitié enuers Aladin. Il y en a qui Autrement
ont eſcrit que ce cantondes Oguziens, ſoubs le bon heur & condui-†º
cte d'Orthogules , s'empara premierement des lieux forts & aduanta
geuxd'empreslemont duTaur,& de là puis apres à force d'armes con- #cº
uirent tout le pays d'alentour, & ſurmonterent les Grecs qui y eſtoient "
§ : Au moyen dequoy peu à peu ils accreurent grandement leur
puiſſance. Quant à l'eſtat & condition toutesfois dont ils furent ſur
leurs premiers progrez , ſi ce peu que nous en auons deduict cy-deſſus
eſtveritable
pluſieurs ou non, iede
le racomptent ne cette
le voudroisgueres bien affermer,encore
ſorte.Ie ne m'arreſteray que Empereurs
doncques point t'originede.
Turcs,dont il
à en faire autre redicte, mais viendray à parler des Othomans qui ſont †
deſcendus de lalignee d'iceux Oguziens, & comme ils ſont paruenuzà #ºn
vn ſiriche & puiſſant Empire. ,
IIIIe
T o vT ioignant la Myſie ilya vne petite bourgade que ceux du pays
appellent Sogut, par où paſſe vne riuiere de § nom. Ce lieu
là nommé autrement le bourgd'Itace, n'eſt diſtant de lamer Maiour, ſi
non que quinze ou ſeizelieues tant ſeulement; fertil au reſte & abon
dant en toutes choſes neceſſaires pour la vie de l'homme. Et pourtant
les Oguziens s'y eſtans vne fois embattus, y firent leur ſeiour & de
meure par vn long temps, lors qu'Othoman fils d'Ortogules n'eſtoit †
/ V 2 - d'Orthogules
pas encore arriué à la grand'vogue de ſes proſperitez, & que la fortune premi§
neluy auoit ſibien monſtré laſerenité de ſon gracieux viſage comme el-§ des
lefit depuis. Neantmoins luy qui eſtoit d'vn naturel gentil & liberal,
& auec ce, d'vn courage haut eſleué, ſçeut incontinent ſi bien gai
gnerles cœurs de ce peuple par le moyen de ſes largeſſes & bien-faits,
que tous d'vn commun accord le creerent leur chef & ſouuerain Ca
pitaine : carils auoient de longue-main touſiours eu de grands debats Les Turcs
auec les Grecs habitans en la meſme contree.Ayant donques Othoman po leur
ſoudainement faict prendre les armes à tous ceux qui § propres †
deles porter,il courut ſus àl'impourueu aux vns & aux autres,dont il def-†"
fit la plus grand'§ & chaſſale demeurant hors du pays Delà les cho
ſesluyvenans à ſucceder de bien en mieux,il en rapporta pluſieurs triom-. , .
phes & victoires,ſibien quela renommee de ſes beaux faicts s'eſpandant†"
de tous coſtez,vintauſſi à la cognoiſſance d'Aladin, qui le fit pour cette †
cauſe ſon Lieutenant § & bien toſt apres iceluy Aladin eſtant §
decedé, ſuruindrent là deſſus de grandes altercations entre les Sei- † #:
gneurs & Barons de ſon Royaume, à quoy fut appellé Othoman. Et †
apres pluſieurs choſes debattues d'vne part & d'autre, finablement fut chrº
arreſté parforme de ligue & confederation, qu'il ſeroit tenu de les ac
compaigner auec ſes forces, quelque part qu'ils allaſſent à la guerre, à la
charge que ce quiprouiendroit de leurs nouuelles conqueſtes, ſeroit é
galement party entr'eux.Parce moyenils firent de là en auant pluſieurs
entrepriſes & § de côpagnie,où les vertus & proueſſes de l'Otho
man reluirent touſſours par deſſus cellesdesautres, tout ainſi qu'vn clair
A iiij
8 Liure premier
Soleil à trauers vn amas de nuees , ſi qu'en peu de temps il aſſembla de
Les premiers grands threſors, & donna piedàvn Empire quine ſe pouuoit plus meſ
#
Turcs furent priſer.
k Ces capitaines qui eſtoient ſept en nombre,vindrent incontinent
ſ§
bre.
§ à partir les§ par cux † , 1ettans au ſort les lots qui en auoient
- eſtéfaicts:ſurquoy tout le dedans dela Phrigieiuſques en Cilice, & Phi
Le departe ladelphie demeurerent au Caraman, Sarchan eutà ſa part les prouinces
† par eux maritimes de l'Ionie, qui s'eſtendent iuſques à la ville de Smirne : Ca
uinces

§ lam & ſon fils Caras,la Lydie iuſques aux frontieres de Myſie : Mais à
ras liure 7. - - - - - - - -

§" Othoman & Tecies eſcheut la Bithinie, enſemble tous les pays qui re
gardent vers le mont Olimpe : & aux enfans d'Omur la Paphlagonie,
auecles regions qui ſe vont rendreaux riuages de la mer Maiour.Ainſi ſe
firent les partages qui furent iettez au ſort & aduéture:Car quant à Cer
mian,on dict qu'il ne fut pas de ce nombre, mais que du commence
Cogni en
vulgaire. .
ment s'eſtant § de la ville d'Iconium capitale de tout le Royaume de
Carie, il en fut puis apres deboutte,& ſe retiraau pays d'Ionie, où il ache
ua le reſte de § iours en ſolitude & repos, comme perſonne priuee.
Au demeurant ſi les perſonnages deſſus nommez firent ces belles con
queſtes de tant de regions & prouinces leurs forces eſtans ioinctes &
vnies toutes enſemble,ou chacun d'eux à part ſoy, & de quelle ſorte ils
vindrent à ſuccederles vns aux autres tant à l'argent COntant & autreS
meubles,qu'aux heritages & ſeigneuries, cela ne me ſemble point fort
neceſſaire d'eſtre curieuſement eſpluché par le menu. C'eſt bien choſe
toute notoire queles Seigneurs Othomâs ont touſiours eu en fort grâd
- - - - b

†º
Othomans reſpect & recômandation le †
de Sogut;où ils ſont allez ſouuentes
§ fois,& ont faict plus de graces,deliberalitez,& de biensfaits aux habitâs
† d'iceluy,qu'à nulsautres de tousleursſubietsl'ayaprisd'auantage,qu'o
****" thoman fils d'Orthogulesfut le premierde cette race natifde ce bourg,
d'où s'eſtantacheminéilauroit pris beaucoup de villes del'Aſie; & ſiem
† porta encor par famine & lôgueur de ſiege celle de Pruſe,la plus riche &
† † floriſſante de toute laMyſie,là où il eſtablitleſiege de ſon Empire,&yde
ceda finablement,apresauoir mené à fin pluſieurs belles beſongnes, di
gnesd'vne perpetuelle recômandation laiſſantà ſes enfans vne deſia tres
puiſſante,tres riche,& delongue eſtendue principauté.Ce futle premier
d'eux tous,qui fort ſagement ordonna & prouueut à tout ce quipouuoit
eſtre neceſſaire pourle maintenement & longue duree de ce grand Em
# § pire:& qui pour le rédre plus ferme & ſtable,dreſſavne milice de ſes plus
" exquis & valeureux ſoldats,pour eſtre d'ordinaireautour de ſa perſonne;
† appelle maintenant les Ianiſſaires de la porte:Ce quile renditbicn
· plus crainct & redoubté partout,quâd on voyoit ceſte force ainſi prom
pte & appareillee à toutes les occaſions qui euſſent peu ſuruenir.Au
moyen dequoyles peuples à luy ſubiets fleſchiſſoient bien plus volon
tiersaux mandemens & ordonnances quileurvenoient de ſa part. A la
veritéce Prince icy fut en toutes choſes tres-valeureux & excellent;& dôt
les beaux faicts & majeſté venerable, le mirent en tel honneur & repu
tation,qu'il fut eſtimé preſque diuin: Auſſiſes ſucceſſeurs prirent de luy
·
*

De l'Hiſtoire des Turcs. . 9


cetant noble & renommé ſurnom d'Othomans, qu'ils gardent encore
ourleiourd'huy. Ordeſon temps paſſerent premierement en Europe
§ mille Turcs naturels par le deſtroit de l'Helleſponte, leſquels ſur- # †º
- prirentla garniſon que les Grecs tenoientau Cherſoneſe; & de là entre-#
rent enlaThrace iuſqu'au Danube,oûayanscouru, pillé,& gaſté le pays §"
de tous coſtez,s'en retournoient chargez de grâdes richeſſes & deſpouil
les,meſmement de priſonniers5 leſquels ayans faits eſclaues, ſuiuant les Les Turcsfº
loix & deuoirdeleur guerre,ils enuoyerent deuant en Aſie: En ſorte que † #
lesaffaires des Grecs & desTriballiens, que maintenant on appelle Bul-"
gares, commançoient deſia à ſe portermal: quand les Scithes qui en cet
te meſme ſaiſon eſtoient ſortis de la Sarmatie, mais en aſſez petit nom- ce ſont les
bre,prirent d'auenture leur chemin versle Danube, & l'ayans paſſé à na-"
ge,ſevindrentrencontreraueclesTurcs deſſuſdicts,là oùily eut vne fort
lourde & dangereuſe rencontre ; dont les Scithes eurent le deſſus, &
tuerent preſque tous les autres. Ce peu qui eſchappa de la meſlee reprit "
à bien grande haſteles erres du Cherſoneſe,& delà eſtás repaſſez en Aſie,
s'abſtindrent
D'AvTRE part delà
lesenauant
Grecs ſe del'Europe.
trouuoiét en fort mauuais termes,à cauſe des -

V. .

troubles & diſſentions domeſtiques des deux Androniques,layeul& ſon e. .


petit fils,deſcendus tous deux du tres-noble & illuſtreſang des Paleolo-§ §
gues,leſquels querelloient entr'euxl'Empire de Conſtantinople,& pour†" cauſe de la

cette occaſionauoienttout remplyde troubles,ſeditions, & partialitez, †


lesvns fauoriſans ceſtuy-cy,les autres tenans bon pour l'autre : ce qui les # es Turcs a

'amena finablementàvne derniere perdition & ruine.Car le premier An-§a -


dronique auoit euvn fils appellé Michel,quimourutauant que ſucceder"
àl'Empire : mais illaiſſa cet enfant de luy,le ieune Andronique , lequel d†
ronique fut
bruſlant d'vne conuoitiſe & appetit deſordonné de regner, tout incon-# #
- / - - rcrn1cr l'a

tinentapresle decés de ſon pere ſe banda ouuertement contrelevieillard §


ſonayeul,ne pouuantauoirpatiéce
reſtoient à viure, en la dignité qu'ilqu'ilacheuaſtce
pretendoit luypeu
eſtrededeſia
ioursacquiſe.
quiluy mains
† des
François l'an
Comme doncques l'ambitionl'eut rendu ſi effronté & peruerty,qu'il ne #
pouuoit admettre negouſtervn ſeul conſeil ſalutaire,ilacheua bien-toſt †
deprecipiter & gaſtertout.Car pour ſerenforcer, il fitvenir les Tribal-†
liens:& ayant tiré à ſes intentions preſque tous ceux qui tenoiét les prin- Pº
cipales charges & dignitez del'Empire,ilfeit que perſonne delà en auant
neſe ſouciapas beaucoup d'empeſcher aux Turcs l'entree de l'Europe: Pruſe capita
tellemét que laville de Pruſevint lorsés mains del'Othoman,apres qu'il §
l'eut longuement tenuë aſſiegee, & reduicte àvne extreme neceſſite de †
toutes choſes.Ilprit auſſigrand nombre d'autres places en Aſie; dequoy "º -
ſe trouua fort augmétee la puiſſance desTurcs. Leſquels eſtans parapres -

L'an 1317,
paſſez en Europe,firent de grands maux & do mmages partoute la Thra
ce, d'autant meſme que Cathites qui auoit par les Grecs eſté confiné au #"
Cherſoneſe,fut celuy qui y attira les Turcs, & ſi repouſſa braucmét ceux
quicuiderentallerau ſecours:Puis entrabien auant en la Thrace, dontil
ramena vn gros butin.Mais apres que le renfort desTriballiés fut arriué,
-

/
IO Liure premier
& les gens de guerre auſſi qu'on auoit faict venir d'Italie; & que ces
-

Les Turcs
forces ioinctes enſemble eurent
i eſtoienclos herſc
par tousſ les 1endroits de la ter
le ſeſ
c§z § re & dela merla garniſon
• I " ,

§ eſtoit au Cherſonele , les Turcs ne le fen


† tans pasaſſez forts pourreſiſter,choiſirent vne nuict obſcure & tempe
r éees ſtueuſe à la faueur de laquelle ils euaderent en Aſie,au deſceu de ceux qui
les penſoient encoretenir aſſiegez. Les Grecs depuis ne traicterent pas
fort bien Azatin, ne les autres CapitainesTurcs qui s'eſtoient allez ren
dreà eux, ce qu'ils firent,ſinon pour complaireaux Italiens qu'ilsauoient
appellez à leur ayde,afin d'eſtre encoresaccompaignez d'cux contre Or
† Empereur desTurcs,quiauoit lors mené ſon armce deuant Phila

prouin-
C1l 12
delphie. Eux doncques tous enſemble, auec Azatin & les autres Turcs
- - - - .- -

§ fuitifs,ſe mirent enchemin pouraller donner ſurla garniſon de Gallipo


lilaquelle eſtoit àla garde du Cherſoneſe, en § d'aſſiegerla
, ville tout parmeſme † les habitans ayans eu levent par vn
† Grec qui leur deſcouurit l'entrepriſe, s'eſcarterent d'heure deçà & delà
arlaThrace.Les autresayans paſſé la montaigne de Rhodopé tirerent
Cº*hººPé droict vers Caſſandrieanciennement dicte
eſt en Mace- -
Pydné: & les Turcs qui ſui
doine. uoient Azatin,s'en allerent trouuer le Prince des Triballiens. Mais ceux
quiau-parauants'en eſtoientfuizen Aſie, voulans de nouueau reſtaurer
ou r,daé, la guerre,retournerentau Cherſoneſe, & tout auſſi toſt taſcherét de re
† gaignerl'Aſie.En pluſieursautres endroicts encore,ils furent contraincts
* de capitulerauec les Grecs : puis apres s'eſtans apperçeuz qu'ils alloient
de mauuaiſe foy enuers eux,& ne cherchoient ſinon de les circonuenir,
* •• - - -" - º
& leur ioüer quelque mauuais tour,ils ſe ſauuerét vne autrefoisauCher.
ſoneſe,où ilsarreſterentles autres,& de là enauant leur porterét de grâds
dommages & nuiſances.Ce temps-pendant les Italiens, & Arragonnois
apresauoirbientournoyétoute la Macedoine & la Theſſalie, entrerent
, au territoire de la Bœoce,& ſ'eſtans emparez de la contree, prirent auſſi
· & ſaccagerent la ville de Thebes, dont on reiette l'occaſion ſur la pre
ſomption & temeritédu Prince,lequelmeſpriſant ces eſtrangers,comme
ſi ce euſſenteſtéquelques friquenelles de nulle valeur, ſ'alla inconſide
reement attacher à eux hors † ſaiſon & de propos, faiſant ſon compte
deplaine arriuceleurpaſſerſurleventre. Ce qui n'aduint pas ainſi qu'il
cuidoit , carlesautres ſe ſeruans de la commodité & aduantage du lieu
où ils s'eſtoientcampez tout au contraire de ce qu'on euſt iamais eſperé,
d'autant que c'eſtoitvne campaigne raſe, & que ceux qui les venoient
† combatre eſtoientgens de cheual,& eux tousà pied,creuſerentd'vneex
§"tremediligence tout plein de trenchees & canaux, par où y ayans attiré
randeabondance d'eau des ſources & fontenils prochains, deſtrempe
rent tellementleterrouër , que quand les Grecs cuiderent les y venir
enfoncer à toute bride, ils ne ſe donnerent garde qu'eux & leurs m6
tures demeurerentengagez là dedans,tout ainſi § planteesde
bout,n'ayans le pouuoirde ſe remuer ny deffendre àl'encontre du grand
nombre de traicts & de jauelots qu'on leurláçoit de toutes parts,ny plus
nymoins que ſileurs aduerſaires euſſent decoché de pied ferme contre
-
/
-

- - - y -

De l'Hiſtoire des Turcs. I[


· vnebutte : & ainſi lesaccablerent là preſque tous. Puis s'eſtansallez de ce Thets ne
pas preſenter deuant la ville de Thebes, la prirent & pillerent ſans contre-#
- - - 2 - - Itaiiens & Ar
5

, • dictne reſiſtance;cela faict,s'en retournerent en leur pays.Les Grecsd'autre§º


coſtéauec leur Empereur Andronique, ne s'eſtans peu aſſez dextrement
comporter ny enuerslesTurcs, qui s'eſtoient venus rendre à eux , ny auec
les Italiens & Eſpagnols qu'ilsauoient appellez à leur ſecours, ſe trouuerent
· toutaureuers de leurs eſperances; ils eurent les vns & les autres pour enne- Choſe
, , , ,bien,
" mis D'auantage les deux competiteurs de l'Empire, taſchans d'attireràl'en-d§
,' uychacunà ſa faueur &deuotion,les plusgrands & auctoriſez parle moyen †"
des largeſſes & profuſions qu'à pleines poignées ſans meſure ne diſcretion †
: quelconquesils leurs eſpandoientàtoutes heurtes,eurentbien-toſt eſpuiſé § la
les coffres de l'eſpargne,& les deniers de tout le reuenu, ſans auoirfaict, ce †º
pendant, aucune leuée de ſoldats eſtrangers, ne s'eſtre mis en deuoir d'aſ
ſembler par autre voye quelqueforme d'armée,pour repouſſerles ennemis
• hors de leurs frontieres & limites.Mais pour § ce propos & retourner à
celuy dont nous eſtions partis, Othoman fils d'Orthogules apresauoir re
duit à ſon obeiſſancetoutes les prouinces de l'Aſie habitées des Grecs, alla
attaquerlaville de Nycée, & celle de Philadelphie, leſquelles toutesfois il†,
ne peuſt prendre : Parquoy il tourna ſa colere àl'encontre des Turcs, qui §.
ſuiuoient les enfans d'Homut, à qui il en vouloit de longue main. Mais Otl oman
ayant deſia regnéfort longuement, & eſtant paruenu à ſa derniere vieilleſ meurt à Pruſe
, ſe,il decedabien toſtapres en laville de Pruſe chefde ſon Empire, laiſſant l'an 1339,
trois enfans,& vne tres-belle &ample Seigneurie,à laquelle ilauoit donné º
vn commencementfort heureux. . - -

i,

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º -

. -
-

º -

-
-

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4
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O R C H A N ou V. R C H A M G V S I
ſecond Empereur des Turcs. - :

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de l'Hiſtoire des Turcs. I2
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s o N E L o G E o v s o M M A I R E D E S A V I E. "
#S@S RC HA N ouvreham Guſieſgalāt ſonpere en hauteſſe de courage dexterité de con
-ſ$@ # ſeil, & grandeur d'ambition, ſes freres feſtans emparez de tout leſtat, il ſe fortifie de
#à\ bandouliers, & ſe ſeruant deleurs querelles, les desfait l'vn apres l'autre, ſe rendant
} parce moyen Seigneurabſolu del'Empire Turqueſque. Il deſconfit de vieux Capitai
# nes de feu ſon pere qui ſ'eſtoient reuoltez contre luy, & leur oſtant leurs prouinces, les
#SSS#
$#S# donne à ſes deux fils,ſoubs le nom de Sarighiacats. Se fortifie d'alliance, eſpouſant la
jïle du Roy de Caramanie,faict la guerreà quelques Princes d'Aſie, & comme il eſtoit fin &aduis#, il
faccorde auecles vns pour desfaire les autres plus à ſon aiſe. Prendles villes de Nicée, & Nicomedie, &
met en route pres Philocracél'Empereur Palleologue, qui eſtoit venu ſecourir Nicée. Contracte alliance
auec Catacuzene autre Empereur Grec,& eſpouſe ſa fille.Attaque le Caramanſon beau pere & luy ayant
ºſté pluſieurs places faittmourir ſon ieune fils,frerede ſa femme, aagé ſeulement de dix ans. Conqueſts
lae Myſie, Licaonie, Carie, & Phr# endant ſes limites d'vn coſté iuſques à l'heleſpont , & de l'au
tre iuſques à la mermaiour Aſſiegé dans la ville de # les Bulgares, & autres peuples Chre
ſtiens, il ſ'en retire heureuſement , taillant apres en pieces les aſſiegean,les ſurprenans à demy yures.Met
le ſiege deuant Philadelphie, mais la courageuſe valeur des aſſaillans le contraignit de ſe retirerſans rien
faire.Il força ſelon quelques vns les vhles de # & Philippopoli & ſur le grand tremblement de
terre, qui ſuruint le iour de deuant la priſe de Gallipoli, il dit aux ſiens. Demeurons en Europe puis
que Dieu nous en ouure le chemin Sa demeureny fut toutesfois que de trois ans car il perdit ſelon
quelques vns vne bataille contre les Tartares où il fut occis, laiſſant deux enfans Soliman (5 Amurat.
Îles autres diſent deuant la ville de Pruſe.mais mon autheurn'eſt pas de cet aduis, il fut enſeuely en vn vil
lageproche de Gallipoli ayant regné#ans,l'anmilletrois cens quarante & neufſemità Rome
clement ſixieſinetenantl'Empire Occidental,Charles quatrieſme, & celuy de Conſtantinople, Iean Pal
leologue,& Iean Catacuzene quile querelloient enſemble. Prince fort courtois & liberalprincipalement
à lendroir des gens deguerre,enuers cèux qui excelloient en quelqueart & enuers les pauures,de ſorte qu'il
eſt dit deluy qu'il ne refuſa iamais l'aumoſneàperſonne auſſi fit-il conſtruirepluſieurs Timarets ou hoſpi
taux.Religieux & deuot en ſaloy, cºfort reſpectueuxàl'endroitdesminiſtres d'icelle,leur faiſant baſtir
des maiſons où il vouloit qu'ils fuſſent nourris. Fonda vn college à Burſe oit il entretenoit la ieuneſſe à ſes
deſpens, & donnoit des gages aux regens, & Docteurs Mahometani. Son eſprit eſtoit ſubtil & inuentif,
principalement en inſtrumens belliques. Il feſtudia fort à ſe monſtrer benin, liberal & courtois enuers
les Chreſtiens pour les attirerà ſoy, ce qui # reuſſit auectant d'heur (par la partialité des Grecs ) que
leurs diſſenſions ciuiles, luy ont acquisplus de lauriers, que ſes propres forces. ·
- " - •. , - ,- " - - » -

g R cHAN le plusieune,duviuant encore du pere n'auoit †


| rien oublié pour gaigner les volontez de ceux qui pou-§.
j uoient le plus, ſi bien qu'il les eut touſiours du depuis #"
entierement affectionnez & fideles en tous ſes affaires.†.
Carauſſitoſt qu'Othoman eut lesyeux clos,ils ne failli-§º#
rent del'enaduertir en toute diligence : Au moyen de-"
† quile menaſſoit de ſes freres, il ſe retira dans le mont
Olympe qui eſt en la Myſie,oüayant departy à ceux quiſe venoient d'heu
re à autre rendre à luy,les cheuaux qu'il trouua à grand'stroupesés haraz ſur
les chemins, de là il commença à faire des courſes & ſaillies ſur les peuples
delà autour,& enabandonnale pillage à ſes ſoldats & partiſans. Il prit auſſi
&ſaccageavne bonneville, dont il ne receut pas peu de commodité pour
s'equipper, cependant que ſes deux freres eſtoientaux eſpées & aux cou
ſteaux l'vn contre l'autre,ayant chacun d'eux attiré de grandes forces à ſon ,
party. Mais auant que leurs camps fuſſent preſts de ſeioindre pour ſe don-†
nerlabataille.Orchan deſcendantàl'impourueuſurl'vn, & puis ſur l'autre, d'appeller
§vn
aueclesgens de guerre † - • : , .

auoitramaſſez,les desfit tous deux, & ſe fit ſeul§


Seigneur.Toutesfoisie ſçay bien que lesTurcs ne le racomptent pas ainſi, † d,
1
qui les
.
- tiers

carils ont opinion que ces choſes paſſerent ſoubs les Capitaines des Ogu
. Liure premier
Orchan ſub -
iugue la Lydie
ziens.L'Empire doncques † eſtant demeuré paiſible,toutincontinent il# #|

adiouſtala Lydie,& entamalaguerreaux Grecs demeurans en Aſie, ſurleſ


· quels il conquit pluſieurs places; ſe ſeruant en cela de l'occaſion qui ſe pre
ſentatout à propos pour bien faire ſes beſongnes parce que les Empereurs
les rures de Conſtantinople,lesTriballiens en laThrace,& les Myſiens,eſtoiét cha
† cun endroit ſoy en combuſtion & diuorce auecles ſiens. En apresilſeietta
" ſur la Cappadoce, oûil prit quelques forts & petites villettes : & delà mena
Nycéeaſſis-: ſon armée deuantlaville de Nycée,où il mit le ſiege.Les nouuelles eſtásve
†" nues à Conſtantinople,que ſi elle n'eſtoit promptementſecouruë ilyauoit
danger qu'elle ne ſe perdiſt, & le peuple enfermé là dedâs ne fuſt forcé de la
neceſſité & contrainct devenir és mains des infideles, l'Empereur cómença
àleuergens,& ſe remettre au maniement d'affaires,faiſant quelque demon
ſtration de ne vouloirainfi abandonnervne telle place,ains qu'ilferoit tout
ſon effort dela conſeruer,non tant pour animoſité qu'il euſt contre les Bar
bares,que de crainte de laſchervntel morceau,mais tout ſoudain ce deuoir
& office de bon Prince mis en arriere, il ſe rechauffa plus aſprement queia
†º
querelle eſt mais apresſes hargnes & partialités domeſtiques.Et comme conuoiteux de
8D

†"nouueaux troubles, incita derechefles Grecs contre ſonayeul; ſe liguant à


l1 -

§e & MichelSeigneur
raiſonnable. qu'illuy donna endemariage,combien
la Myſie, aueclequel
qu'ilileuſt
fitalliâce †
deſia par le moyé
celle de
duſaPrince
ſœur
desTriballiens.Dequoy ceſtuy-cy eſtantindigné prit lesarmes contre luy,
ayât en ſa cópagnie Alexandre couſingermain dudit Michel,lequelilvain
quit:& pourſevenger del'iniure à luy faite,mit ſa principauté és mains d'A
lexandre.Orcóme il ſoupçonnaſt que les Grecs auoiét eſté de la partie con
tre luy,il s'addreſſa auſſi à eux, &ayât pris quelquesvnes de leurs places s'en
retourna en ſon pays. Ils firenttoutesfois appoinctement enſemble de là à
† téps:mais bientoſtapres les nouuelles eſtans venues comme Or
, chan eſtoit entré dans la Bithinie,& qu'ayant pris au plat paysgrád nombre
#º d'eſclaues,ilauoit finablement aſſiegélaville de Nycée,laquelle iltenoit de
fort court,& labattoit aſprement à tout ſes machines & engins,l'Empereur
aſſa en diligence en Aſie auec les forces qu'ilauoit, afin de ſecourir ceſte
place & ne la laiſſerperdre par ſa faute.Dequoy Orchanayant eu le vét, s'en
vint incontinentau deuât de luy,auec ſonarmée rengée en bataille,iuſques
orchºn fit aupres de Philocriné,où lesGrecss'eſtoient câpez pourſe rafreſchir dulon
† , chemin qu'ilsauoient fait, & deliberé comme ils ſe deuroientgouuerner à
† ſecourir la place,mais il ne leur en donna pas le loiſir, car de plaine arriuée il
deffait. les vintattaqueraucóbat,auquell'Empereur ayant eſtébleſſé à la iambe, &
grand nombre de ſes genstuez de ceſte premiere rencontre, il fut contraint
de ſe ſauueraueclereſte dedansl'enclos des murailles, tât pourlaiſſer eſcou
ler ceſte ſi chaude impetuoſité & furie,que pour faire panſer les navrez : en
core toutesfois ne peuſt-ilfaire la retraicte ſans mener les mains à b6 eſciét,
& perdre derechefbeaucoup de bonshómes,parce † les Turcs les chaſſe
rentviuemét,& les ayans rembarrez iuſques dedansles portes, lesy aſſiege
rent.Toutesfois eſtátlaville aſſiſe ſur le bord de lamer,dót à toutes heures il
- •. leur
De l'Hiſtoire des Turcs. i3
leur pouuoitvenir des rafraiſchiſſemenstels qu'ils vouloient, Orchan qui
n'auoit ne vaiſſeaux, ne moyens pour les en forclorre, fut bien toſt con
trainct
ſouffertde&ſ'en departir,
enduré toutes& retourner
extremitezaupoſſibles,
ſiege de Nycée : laquelle
ſe rendit apresauoir
finablement la piiſe de
par Nycée.
compoſition. Et telle maniere ceſte riche & puiſſante cité vint enl'obeïſ
ſance des Turcs; qui ſ'en allerent tout de ce pas aſſaillir Philadelphie;
mais elle fut ſivaillamment deffenduë par lesgens de guerre que les habi
tansauoient ſoudoyez, qu'ils n'y peurent rien faire. Parquoy Orchan ſ'en orchºn ai la
alla par deſpit deſcharger ſa cholere & indignation ſur aucuns Princes & † de ſa nation & .
Seigneurs de l'Aſie, contre leſquels il eſtoit deſia animé & aigris & ſeſtanterence
§ accordé aux vns, ſubiuguabien àl'aiſe tout le reſte. Quel
que temps apresileſpouſa la fille de Cantacuzene † des Grecs, la Ruſe d orcha
quelle alliance amenala paix & reconciliation entre lesTurcs & eux : & #
pourtant il ſe mit apres ceux qui dominoient en Phrigie, & eſtoientaux ººº
armes les vns cótre les autres. Orl'Empereur Andronique auoit laiſſé vn fils orchºn eſpou .
| aagé ſeulement de douze ans, † ilauoit ordonné pour tuteuriceluy†
Cantacuzene homme riche & de fortgrande authorité, afin degouuerner Cantacuzenes.
2 -- - » - - N 2• - -

& l'Empire & l'enfantiuſques à ce qu'il ſeroit en aage pour commander, &
prendre luy-meſme en mainl'adminiſtration desaffaires; ayant obligé &
aſtrainct Cantacuzene par ſerment ſolemnel, de ſe porter enl'vn & en l'au
tre ſincerement & ſans aucunefraude ne dol; & que ſans faire ne pourchaſ
ſer mal à l'enfant, il luy remettroit par apres de bonne foy le tout entre .
les mains. Cantacuzene doncques apres la mort del'Empereur eſtant por-cantieuzene,
té des plus grands, prit la tutelle de ce ieune Prince, & le maniement des # ſö8
affaires; ſans toutesfois attenter encore choſe qui luy tournaſt à preiudice.
Mais quelque temps apresl'ayant apperçeud'vn naturel mol & languide,
il commença à le deſdaigner, & entrer en des hautes eſperances de pouuoir |

retenir l'Empire pour † par le moyen des principaux, & du peuple qu'il
penſoit bien ne luy deuoir point eſtre contraire.Ainſiayant tout ouuerte
ment depoſſedé ſon pupille, il vint à gaigner puis apres le ſupport & ami
tié d'Orchan, parlemoyen de ſa fille qu'illuy donna enmariage; & defaict
leut touſiours depuis entierement # & deuotion.
premier
Liure -

SOL IMAN T R OIs IE s ME


Empereur des Turcs.
De l'Hiſtoire des Turcs. , 14

soN E Lo GE ov soM.
M AI R E D E S A V I E.
# O LI MA N Prince tres-belliqueux nourry des ſa plus tendre
à enfance au milieu des armées de ſon pere, & plus abreuué de ſang "
#W

#èN # que de laitt : Ayant deffaict Vngleſes & Crates, Princes des Bul
#)#gares : Prent par ſurpriſe (ſelon noſtre Autheur) la ville d'Oreſtia
*ºde ou Andrinople, & celle de Philippopoli par compoſition. Con
queſte vne partie de la Thrace, auecles villes de Pergame,Edrenute, Zemenique,
& pluſieurs autres, tant deçà que delà l'Helleſpont, acquerant vne telle reputa
tion, qu'il luy venoit tous les iours nouueaux ſoldats de tous les endroits de l'Aſie,
attirex en partie auſſi de la friandiſe & douceur du pillage. Contraéte ſocieté auec
lEmpereur Grec, pour faire la guerre aux Triballiens, ou Bulgares. Mais comme
dargé de butins & deſpouilles, il ſe haſtoit de repaſſer en Aſie, vne maladie le
preuenant, luy fit faire vn autre paſſage de la vieà la mort. Il ne regna que deux
ans, & fut inhumé au goulet du Cherſoneſe aupres de ſon fils (diét noſtre Au
theur,ſi parauanture il ne veut point dire ſon pere.) Ceux qui ne luy donnentpoint
de rang entre les Empereurs Turcs, diſent qu'il mourut du viuant d'Orcanes, s'e
ſtant rompu lecol en tombant de ſon cheual, comme il couroit vn liéure. Les autres
diſent faiſant voller ſon oiſeau ſurvne oye: Car il prenoit vn ſingulier plaiſirà la
chaſſe,y employant volontiers le temps qui luy reſtoit, apresauoir mis ordre à ſes
plus importans affaires. · · · · · · | - . . - - -

# R C H A N regna en tout vingt-deux ans, & laiſſa viii.


$ ( deux fils, Soliman, & Amurat. Soliman comme l'aiſ
Soliman L'
j né ayant pris poſſeſſion de l'Empire, meut toutincon Empereur deâ
# tinent la guerre aux Grecs habitans en l'Aſie, dont en f§.
$ vne courſe qu'il fit ſur eux, il enleua grand nombre
de priſonniers : Et de là paſſa en Europe à l'inſtiga-Le uoif-ºne
tion des Turcs, qui auparauant y eſtoient venus ſoubs la conduicte de #aſſage des
-

Turcs eH

Cathites ; car ils luy en apprirent le chemin ; adiouſtans que c'eſtoit le l'E§pe,
plus beau, le meilleur, & le plus fertile pays qui fuſt au demeurant du
monde, & quant & quant fort aiſé à conquerir. Parquoy eſtant paſ
ſé auec partie de ſes gens au Cherſoneſe, il le pilla d'vn bout à autre :
prit encore quelques villes, & chaſteaux , mettant en routte les garni
ſons qui eſtoient là, & à Madyte. Cela faict, il ſe ietta ſur la Thrace, &
donna iuſques à la riuiere de Tænare; ramenant en Aſie force butin
B j
Liure premier -

& eſclaues qui furent pris en ce voyage Lesautres qui eſtoient cependant
demeurez enleurs maiſons, en eurenttelgouſt, que tout ſoudainils paſſe
rent en Europe deuers Soliman : en ſorte que de tous les endroits de l'Aſie,
iour par iour luy venoient gens frais & nouueaux, attirez de la douceur
& friandiſe du pillage : les laboureurs meſmes abandonnoient leurs poſ
ſeſſions, domiciles,& heritages pourſevenir habituerauCherſoneſe : mais
quelque temps apres l'Empereur des Grecs enuoya deuers Soliman pour
accorder auecluy, pource qu'il voyoit d'heure à autre proſperer ſes af
' faires de bien en mieux. Et ainſi ces deux Princes ayans ioint leurs forces
enſemble, ſ'en allerent à communs fraiz faire la guerre aux Triballiens :
combien qu'aucuns veulent dire que duviuant encore d'Orchan,ſon fils
Soliman eſtoit paſſé en Europe contr'eux,à la requeſte de l'Empereur, d'au
tant qu'ils eſtoient deſia paruenus & montez à vne puiſſance trop redouta
ble pourleursvoiſins; & ce de la ſorte & maniere que nous allons dire pre
ſentement. - -

Lorigine des EsT IENNE leur Prince eſtant quelquefois ſorty de cet endroit de païs
# " quiſeſtend le long dugoulphe Adriatique, entra au territoire d'Epidam
ne,bruſlant & gaſtanttout,& ſi prit la ville:Puis mena ſon armée en Mace
doine, oûileſtablit ſon ſiege Royal en la ville desScopiens.On eſtime que
ces gens cy eſtoient deſcendus des Illiriens, qui dominerét vne bonne par
tie de l'Europe ;leſquelsayans abandonné les regions Occidétales,ſ'en vin
drent enladite ville des Scopiens, dont le parler n'eſtoit pas beaucoup dif
ferent du leur: & delà eſtendirent ſiauant leurs limites tout le long de ces
mers là, qu'ils paruindrent iuſquesauxVenitiens. Les autres qui ſ'eſtoient
deſbandez d'auec eux, demeurerent eſcartez de coſté & d'autre par l'Euro
†angage,les
; toutesfois ils retiennent encore iuſqu'auiourd'huy preſque le meſme
meſmes mœurs & façons † : tellement § l'opinion de
ceux n'eſt gueres vray-ſemblable, qui cuidét ces Illiriens eſtre les Albanois:
#ont pas les Al- Ny auſſi peume puis-ie accorder auec lesautres, quiveulent faire accroire
- - - - - -

§" que les Albanois ſoient de la race des Illiriens : trop bien que les Albanois
- eſtans partis d'Epidamne pour ſacheminervers les riuages de la mer quire
gardent à l'Orient, ſubiuguerent l'Oetolie & Arcarnanie,auecla plusgran
Les Albanois de part de la Macedoine, & yayent faict leur demeure : i'ay aſſez cogneu
† tout cela,tant parbeaucoup de coniectures qui me le font croire ainſi, que
par le rapport de pluſieurs que i'ay ouys là deſſus. Mais ſoit qu'ils partirent
de la Poulhe pourvenir à Epidamne,ainſi que quelquesvns penſent,& que
de là finablement ilsarriuerent en laregion que depuis ils conquirent; ou
bien qu'eſtans voiſins des Illiriens qui habitoient en Epidamne, ils ſe ſoient
peu à peuapprochez de ceſt endroit de pays qui ſ'eſtendvers le Soleil le
uant, & emparez d'iceluy, ie ne voy point de raiſons aſſez peremptoires
pour me le faire croire. Parquoy nous viendrons à eſclaircir & demeſler
# # comme ces deuxraces de gens,lesTriballiens & les Albanois, eſtans ſortis
§ des marches & contrées quitouchent à lamer Ionie, ou goulphe Adriati
" • que, ont paſſé parlesregions de l'Europe expoſéesauleuant,&ſy † ha
- 1tuez;
Del'Hiſtoire des Turcs. I5
bituez, puis de là s'acheminans versl'Occident,ayent adiouſté à leur Em
pire pluſieurs terres & prouinces iuſques à attaindre le Danube, & la
Theſſalie,voire bien pres du pont Euxin:toutes leſquelles choſes aduin
drétainſi qu'ils'enſuit Le Prince & c6ducteur de ce peuple s'eſtát pour
ueude forts bons & vaillans Capitaines,tres expersau § de la guerre,
partit de la ville† 2ll1CC V11C groſſe & puiſſante armee, & ren- saue en vul.

caincontinent à ſon obeiſſance tout le pays d'autour de Caſtorie : puis †e


† s'arreſter
Therme entra en Macedoine,
ou Theſſallonique:& qu'il conquit auſſi, exceptélaville de ºº
ſi paſſa encore outre iuſques à la riuiere A
-

de Saue. Finablement apres §


beaux & memorables exploicts
d'armes,parluy heureuſement menez à fin en l'Iſtrie,ſ'en fit paiſible poſ
ſeſſeur; laiſſant entoutes les prouinces de l'Europe par luy conquiſes,
des perſonnages ſeurs & fidelles, pour les gouuerner en ſon nom. Car
non content de tout celail donna ſur les Grecs en intention de deffaire c , la
& mettrebas leur Empire.Ayant donques enuoyé vne grande force de #
aupres l1CS

gens de cheual dans le territoire de Conſtantinople, ils y firentvnemer-ð


ueilleuſe deſolation & ruine, puis ſ'en retournerent à tout le butin : Et*
les pauures Grecs demeurans envne extreme craincte, pour ſe voir ain
ſi eſcorner deuant les yeux vn ſi beau & ſi puiſſant eſtat, le tout par la
faute & nonchalance deleurs Princes, ne ſçauoient quel party prendre.
Car le vieil Andronique s'eſtoit du tout aſſeruy à vne vie voluptueuſe Le mur
& perdue, ſans plus ſe ſoucier d'autre choſe que de prendre ſes † qu'amenét la

Et ſon peupleàl'exemple & imitation de luy, perdant le cœur, ne ſe don- †


noitpasgrand'peine derecouriraux armes, ny ne cherchoiét autre moyé
de ſe deffendre,ſinonaueclaforce & vertu deleurs murailles, oùils ſete
noient enfermez,ſans oſer ſeulement mettre le nez dehors; remettans ...
là deſſus toute l'eſperance de leur ſalut. Ce-pendant le Bulgare dreſſant †
ſon chemin par le pays d'AEtolie prit la ville Ioannine anciennement di
cte Caſſiopé : & finablement departit ſes Gouuerneurs & Lieutenâs ge
neraux en telle ſorte.Cette partie de Macedoine qui confine à la riuiere . .
d'Axie,illa commit à Zarque,perſonnage qui auoit le plus grand credit §.
& authoritéaupres deluy: Et le reſte de la prouince qui s'eſtend depuis # §
laville de Pherresiuſquesàla deſſuſdicteriuiere,au Pogdan, le meilleur †*
homme de guerre qu'il euſt.Le pays depuis Pherresiuſques au Danube,
eurét les deux freres Chrates & Vngleſes,dontl'vn eſtoit ſon eſchançon,
& l'autre ſon eſcuyer d'eſcurie Les terresadiacentesauDanube eſcheurét
à Bulque Eleazar,fils de Práque laville deTrica,enſemble celle de Caſto
rie,à Nicolas Zupan:l'AEtolie à Prialupas : la Lochride, & la contree de
Prylédicte Baea,à Pladicas, homme fortrenommé.Etainſi les prouinces
& pays de l'Europefurent diſtribuez, & donnez en garde aux deſſuſ
dicts parle Prince Eſtienne : apresla mort duquel chacun d'eux en ſon regge &
endroict,ſe retint & appropriales gouuernemens qu'il leur auoit cômis †
- - - pour VnC

durant ſavie:Et ſe dônerent bien garde de ſe guerroyerles vns les autres, †º


", - RQl1llCllC4

ainss'eſtans liguez tous enſemble, employerent leurs forces d'vn com


mun accord contre les Grecs.Ie trouueaureſte; que Michel, Seigneur
-

-
- - - - - - - B ij
I6 Liure premier
dela Myſie, qui domina le pays d'alentour le Danube, & eſtablit ſon
ſiege Royalen la ville deTernobum, precedale deſſuſdit Eſtienne.D'a
uantage que les Bulgares que nous appellons auſſi les Myſiens, firent
meſme là endroict leur demeure : & les Seruiens, Sorabres, & Tribal
liens, combien qu'ils fuſſent ſeparez & diſtincts,obtindrent tous neant
moins ce nom là,& le garderent depuis Sieſt ce que les vns & les autres
eſtansainſi differends comme ils ſont , ne ſe deuroient pas reduire à vn
ſeul peuple. Comment ils ont eſté ſucceſſiuement depoſſedez par les
, Barbares, & ſoient à la parfin deuenus à neant, cela ſe dira par apres.
» :
Mais Soliman duquel nous auons deſia commencé à parler, apresauoir
reduict à ſon obeiſſance toutes les places du Cherſoneſe, hors-mis la
† ville de Gallipoli,s'achemina auec ſon armce contre la Thrace, en in
§T§ tention de la conquerir à la poincte de l eſpee : au moyen dequoy ayant
faict accord auecles Grecs,ilſe delibera de donnerauant tout œuure ſur
Chrates & Vngleſes, ceux de tous les Triballiens qui eſtoient les plus
moleſtes à iceux Grecs, comme hardis & entreprenans qu'ils eſtoiét :leſ
quels n'eurent pluſtoſt les nouuelles de ſon arriuee en Europe, où il
eſtoit deſiaentré dans leur pays.le pillant & ſaccageant à toute outrance,
u'ils ſe meurent auſſi de leur coſtéauectoutes leurs forces pour luy al
1., rue leraudeuant.Et comme ils fuſſent venus enſemble à vne tres-cruelle &
# ſanglanteiournee,les Bulgares en rapporterent la victoire, ayans mis à -
mort vngrand nombre de leurs ennemis ſurlaplace, du beau premier
choc & fencôtrc. Mais quand ils virent que les affaires& proſperitez des
Turcs prenoient deioureniournouueaux accroiſſemens,& que de tous
les endroicts de l'Aſiearriuoient inceſſamment à la filegés de guerre fraiz
& nouueaux à Soliman,ſibien qu'il oſoit deſia s'attaqueraux principales
places de l'Europe,alors meuz & excitez detât de conſiderations ſi pre
gnantes,ſe retirerentl'vn & l'autre plus auâtau dedâs de laThrace, pour
aſſembler plus à loiſir leurarmee. Quant à Vngleſesil partit de Pherres,
où eſtoit ſa demeure ordinaire, pour ſ'en aller contre lesTurcs;& Chra
tes ayant mis ſus en toute diligence vn grand nombre de bons ſoldats,
prit ſon chemin parle milieu # laThrace, & ſ'en vint rendre deuers ſon
frere, afin que leurs forces eſtans ioinctes enſemble, d'vn commun ac
cordils peuſſent plusaduantageuſement faire la guerre. Ce temps-pen
dant, Soliman eſtoit deuant vne petite ville, ſituee ſur le bord de la ri
uiere de Taenare,à quatre lieuës de Gallipoli: & s'eſtant campé à l'enui
roh ſoubs des tentes & pauillons,où les Scites, & les Turcs, voire tous
ceux qui ſuiuent la vie paſtorale,ont accouſtumé de paſſer Cpl grand plai
ſir & contentement le cours de leuraage,latenoit tres-eſtroittement aſ
ſiegee, quandileutnouuelles de la venuë des ennemis. Parquoy ayant
choiſi parmy tous ſes gens iuſques au nombre de huict cens hommes
ſans plus, il chemina toute la nuict, & au poinct du iour arriua pres le
camp des ennemis,qu'il trouua tous en deſordre,ſans aucunes gardes ne ,
ſentinelles,ains logezàl'eſcart,& au large, le long de la meſme riuiere,
l'eau de laquelle eſt fort plaiſante & delicieuſe à boire, ſaine & profita

|
de l'Hiſtoire des Turcs. i7
ble quant & quant Et pource qu'il faiſoitgrädchaud, (car c'eſtoit au plus fort
de l'Éſté)& penſoient eſtre en lieu de ſeureté & hors de toute ſurpriſe, ils ne ſe .
dônoiét pas auſſigrád'peine d'auoir leurs armes aupres d'eux,nyleurs cheuaux Deffaiâe des
appareillez,cóme le deuoir delaguerrerequiert Ce quidóna cómodité à So-§
lymádeles prédre au deſpourueu,ainſi endormis & deſbauchez qu'ils eſtoiét,
pourlatrop bône chere qu'ilsauoientfaicte en cette contrée.Donnant donc
ques dedansauecces8oo.hommes,ilen fitvn fortgrand meurtre,& porta par
terre tous ceux qui ſe rencótrerent les premiers les autres s'enfuyrent vers lari
uiere,tous eſperdus & incertains quel partyils deuoient prédre pour ſe ſauuer, Mort dvº
de ſorte qu'en cette irreſolutióils finirºt là leurs iours.Vngleſes entre les autres g§"
ſe trouua à dire,& Chrates auſſiy fut tué:mais quât à lamaniere de ſa mort,onº
ne la ſçait pas au vray : car aucuns & meſmes de ſes plus proches parens eurent
opinió qu'ilſurueſcut encore quelque téps depuis.Solymä enflé d'vne ſibelle
& noblevictoire,prit toutincótinent apres par cópoſition la ville qu'il tenoit
aſſiegée:& delàs'en alla cótre celle d'Oreſtiade,autrement dite Andrinople,ſe , le rais
câpant en cet endroit qu'onappelle Peridmetü,d'où il cómença àlabattre,& ciennement
d .-
&aſſaillirfortviuement.Mais cóme tousſes efforts ne luy profitaſſent de rien, §o
&que le ſiege fuſt taillé d'aller engrádel6gueur,iladuint là deſſus qu'ilyauoit †º
vnieunehöme qui de fois à autre par vne féte & creuaſſe de lamuraille ſortoit
ſecrettement pour aller cueillir du bled emmy les champs,puis tout chargé de
grain qu'il eſtoit,ſ'en retornoitàlaville parle meſme endroit.Cela ayât à la fin
eſté deſcouuert&apperceu parvnſoldatTurc,lequel remarquafort biéle lieu
par où le Grecſortoit & r'entroit, ſe mit vnefois à le ſuiure pour eſſayer ſ'il y
pourroit paſſerauſſi:& apres qu'il ſe fut biéinſtruit&acertené du tout,envint
faire le rapport à Soliman,qui fit mettre ſur le châpſes gés en bataille le l6gdu
foſſé.Et delà ayât fait döner vn faux aſſaut à ceux de dedâs pour les amuſer,en-La ville d'An
uoya cependât quelque nôbre des meilleurs & plusaduantureux hômes qu'il†
euſt en toutſonoſt,ſous laguide de cet autre, leſquels entrerétſans aucune re-#ºgº
ſiſtance parle deffaut delamuraille däslaville, par ce moyen elle fut †
ſans"
grâde effuſió de ſangd'vne part ne d'autre:cela ſait,ilmenatoutfreſcheméts6
armée deuât Philippopoli,qui ſe rédit parcópoſitió.L'on dit que ce Prince ici
fut touſioursfort ſoigneux d'auoir pres de ſoiforcebós & excellésCapitaines.
Vn meſmemét entre les autres,dót le nós'eſt perdu auecle téps,quin'eut onc
ques ſon pareil parmylesTurcsàbié dreſſer & códuire vne entrepriſe, & faire
des courſes exceſſiues & lointaines,qui eſt le ſeul moyépour prédre beaucoup
dames:car plus les ennemis ſont eſloignez, moins on ſe doubte d'eux : & lors
qu'on ne péſe plus à rié,& que le pauure peuple eſt à la campaigne occupé à ſa
beſongne,il ne ſe dönegarde qu'il ſe voit cruellemétenueloppé de ces brigás
inhumains;liergarotterhómes fémes, & enfans à laveuélesvns des autres, &
emmener envne miſerable ſeruitude pour eſtre expoſez à toutes ſortes d'op -

probres,outrages,villenies,&iniures,la moindre pire que mille morts. Ceſte Laprincip,


capture d'amesa eſté de tout téps,& eſt encore le principal fondemét des grâ- †
des richeſſes & facultez desTurcs ſoit qu'ils les vendent àbeaux deniers com-†
ptans,oules eſchangent à des choſes dont ils ont beſoin, oubien qu'ils lesre-§ R .
tiennent pourlabourerlaterre,pourlesſeruir & faireleurbeſongne,toutainſi"
que ſouloiétiadis les Grecs,les Romains, & autres peuples plus anciés qu'eux .
• B iij
Liure premier
AMvRAT , QVAT R IESME
Empereur des Turcs, #.
4

| VOIR de la force aueclamaladie,delacourtoiſe, & de la cruauté,


, de# en ſavièilleſſe, donner de la terreur & del'amour, eſtrein
ſatiable àreſpandreleſanghumain, & toutesfoune fairemourirau
#cun de ſes ſubiectsque tres-iuſtement ?Se ſont des accordantes contra
De l'Hiſtoire des Turcs. 18
ſtºrité.Lebon-heur qui commença dés ſon aduenementàl'Empiredeluymonſtrer la
ſerenité de ſon beauviſage, ( y eſtant inſtalé ſans competiteur) luydeſpartit touſiours
abondamment ſes faueurs, iuſques à la fin de ſa vie, Soubs ſon aſileilenuoye Zen
derbuen ſon Cadileſcherauec 12ooo-Turcs au ſecours de l'Empereur Grec.Luy-meſ
mepaſſe apreshardiment ledeſtroit de Gallipoli,ſurdeux naues de charge Geneuoiſes
lan 1363.accompaigné de 6ooo. Turcs quipayerent pour lepaſſage vn ducat pourte
ſte. Ildesfit Marco Cracouicchio Prince desBulgares, & le Deſpote de Seruieen la
banaillede Caſſouie,où le Deſpotefutpris priſonnier, & lequelilfitcruellement mou
rir Print la ville de Phares capitalle de Macedoine, conqueſtala Myſie ſurDragas, -

& lemont de Rhodopé ſurle Poydau,deux vaillans & puiſſans Princes, & preſque
toute la Romanieſur l'Empereur Grec.Son abſence ayant causé lareuolte de ſes Lieu
tenans qu'ilauoit en Aſie,la victoire qu'ilobtintſureux (parſapreſence inopinée )re
mitenvninſtant les choſes en leurordre,& fitſentiraux rebelles larigueurd'vnepuiſ
ſanceſouueraine.Son fils Saiis ayant fait leſemblable en Europe,lafortune du fils ce
de à celle dupere,& lamaieſté Royalle,ramene ſans combattre les ſoldats en leur deb
uoir,e9 prenantſon fils aueclaville de Dimothique illuyfitcreuerlesyeux,(aueuglât
ceſtui-cytout à fait commeilauoitfaitperdre la veuë à ſes Lieutenans le iourdeliiba
- - - •n r . - : | #

taille)e9 ietterdans lamertous les Grecs quilauoientaſſiſté,entreprint laguerreton


tre Suſman Deſpote de Seruie,pour la beauté de la Princeſſeſa fille qu'ilvouloitauoir
àfemme,côme ileut ayant euledeſſus de luy.Carathin le plusgrand Capitaine de ſon
temps luy acquitles villes de Cherale,Seres, Marolia, & lacelebre Theſalonicque,
contraignant le Prince Emanuelfils de l'Empereur Calojan de luyallerdemâder par
don.Finalement eſtanttouſiours demeuréviétorieux en 36. batailles oùils'eſtoit trou
ué.La 37.qu'ildonnacontre les Bulgares & Seruiens, en laplaine de Coſobe fut plus
renommée que toutes les autres,tantpourlavictoire ſignalée qu'ilemportaque pourla
vie qu'ily laiſſa.Les vns diſentquecefutparvn ſimpleſoldat en vengeance de la mort
du Deſpote Lazareſonmaiſtre,les autres parvngentilhomme Hongrel'vn de douzé
quiauoient conſpiré contreluy.Cecyaduint l'an 1372.ſeant à Rome Gregoire II en la
France Charles 5.en Allemagne Charles 4, & à Conſtantinople Callojan ou lean
Palleologuelequelfitpaix auecluy,cº luy enuoya vn deſes enfans pour faire reſiden
ce d'ordinaire à ſaporte. Il fut le premier des Otthomans qui ſe nomma Contichiari
c'eſt à dire Empereur.Prince duquelonpeut malaisémëtiugerquifutplus granden luy
· ou la vertu,oula fortune,quineſelaſſaiamais de lefauoriſer. Infatigable à la #
(pourlaquelleilentretenoit 4ooo chiens auecchacunvn colier) & à la guerre, la
quelle il n'entreprint iamais(comme diſent les autheurs ) de gayeté e37" gentilleſſe de
cœur ou parconuoitiſe,mais commeparvnerage & auidité inſatiable qu'ilauoit de ré
pandre leſang,& bien qu'ilfut maladifileſtoittoutesfois auſſifais,aſpre,prompt cgº
vigilantſurſes derniers iours,comme en ſaplusgrande Q.9" vigoureuſe ieuneſſe, peu dé
Princesſepouuansparangonner à luy pource regard Ilauoitlafaceplaiſante, & ag
greable,lailſans rien defarouche,& barbareſque,laparolle douce,cº attrayante,ve
hemente, & pleine daffection quandil falloit exhorter le ſoldat à bien combattre,
monſtrant touſiours lepremier le chemin à bienfaire.Monſtroitvne chere affable,dou
ce e.9º gracieuſe , & cependantextremement cruel, & quin'eut pas remis la moindre

faute.Sa grande experiencelauoit renduſîexact en cequ'ilentreprenoitque iamais il


Liure premier
ne luymanqua aucune choſeneceſſaireparſa negligence.Tenoitſaparollepourueu que
tenefuſtanpreiudice deſagrandeur,pourlaconſeruation delaquelle,ilauoitbienſou
uent beaucoup de diſſimulation,d'ambition,de trahiſon,eg d'infidelité. Mais ileſtoit
t-
douxAuſſi
re. & traittableenuers les peuples
ſemonſtra-iltouſiours fortquimoderéenuers
portoient paiſiblement le iougdemaiſon,
les enfans denoble ſon Empi
qui
|.
-

|
- eſtoientnourrisenſa Cour: & tres-prompt à careſſervn chacun & l'appeller par ſon -

#
|

nompropre.Quelques vns ont dit qu'ayantpermis à ſes Capitaines defaire des courſes
ſur les Chreſtiens,il ſe reſeruoit la5 partie du butin, & ſingulierement les plus beaux
eſclaues deſquels ilinſtitua les Iannitxaires, & qu'il ordonnal'audiance qui ſe donne
encore auiourd'huy à la porte du grandSeigneur. Noſtre autheur rapportevn dialo
gue de luyaueclevaillant Carathin où ſa ſageſſe c9 prudence ſepeuſt facilement re
marquer,& à la verité ilſefuſt rendu admirable en toutes choſes,ſansſacruauté, qui
ſeuleternit la ſplendeur de ſes actions, carelle fut telle qu'on tient qu'il y eut plus de
ſangreſpandu ſoubs luy ſeul, que du temps de ſes predeceſſeurs tous enſemble.
VIII.
La ,
mort de @# )g ( OL1MAN doncques à tout ſes grands butins & deſ
S\ | - - - - &o -

Soliman. poüilles ſe haſtant de repaſſer en Aſie,fut preuenud'vne


-

SN
# maladie,dótil mourut bientoſtapres.llvoulut eſtrein
huméaugoullet du Cherſoneſe, aupres de ſon fils, qui
23
auparauantyauoit finé ſes iours : & ordonna par teſta
ment vne tres-magnifique ſepulture pour leurs corps,
51 A

accompaignée de ſon temple ou Moſquée;auecvnbon


reuenu pourl'entretenement des preſtres & Taliſmans,quiy deuoiét à per
petuitéfaire certain ſeruice toutes les nuicts pour lame des deffuncts. Cr
# comme il euſt rendul'eſprit, Amuratſon frere en ayant eu ſoudain les nou
† uelles, prit à lahaſte les Genniſſeres, & autresgens deguerre de la porte, &
es treſpaſſez.
§
Empereur des en toute diligence paſſa en Europe, oû il prit poſſeſſion des armées qui y
- • º - -

§" eſtoient Puissenalla auanttout œuureeſtablir ſa cour, & ſon palais Royal
d'arriuée à la
† enlaville d'Andrinople : & de là courut toutes les regions maritimes de la
†º Macedoine,dót en peu de iours il enleuavne infinité de prisóniers, & deri
cheſſes,quifirétbeaucoup de bien à ſes ſoldats,auparauant fortalterez.Et ſi
dóna encore aux aduanturiersTurcs quileſuiuoiét pour chercher leur for
tune,leur part & portiô du butin quiauoit eſté prisſurlesGrecs,& les Myſiés
tât en eſclaues que meubles,cheuaux & beſtail.On dit que Solimá,quelque
· temps auant ſa mort,ayât eſté aduerty que les Myſiens & Triballiésauoient

uenir à la ſom- aſséblé vne groſſe puiſſance pour lui venir courir ſus,offritauxGrecs de leur
2• - - - -

† rendre tout ce qu'ilauoit pris ſur eux dans le païs deThrace, moyennant la
cicus , *2 - J> - - " • - 2

§ ſomme de 6ooo.dragmes, & qu'ence faiſantil quitteroit du toutl'Europe,


- 3o A-7 • 2 A*


vouluſt enten- pourſeretirer
r111'i en Aſie:lequel partyils euſſent fort volôtiers accepté,
• -º " ! . ie d'autât
A- - /

†ºlº ils voyoiét tout plein debönesvilles, quelesTurcstenoient de ce coſté


§
6ooo. d là fort eſtroittementaſſiegées,eſtre en danger de ſe perdre Mais ainſi qu'ils
- - - - -

§ eſtoientſurle point de bloquer ſuruintlà deſſusvn tréblement deterre,qui


vray-ſembla
hle. réuerſala plusgráde partie des murailles,&y fit de telles breſches,& ouuer
tures,qlesTurcsy entrerétauſſià leuraiſe cóme ſi quelque groſſe minerem
- -
plie
* 1x wr r - A ' , - - -

Del'Hiſtoire des Turcs. I9


pliede pouldre à canon y eut tout à coupiouéſonicu.Ce qui leur donna
pluſieurs places,priſes & gaignees ſurles Grecs meſmes, ſans coup frap
per Tellement que depuis ils ncvoulurent plusvenir à la compoſition
qu'ils leurauoientofferte;& dés lors commencerent à ancrer bien auant
en la Seigneurie & domination de fEurope.Cartout de ce pas ilss'enal- Quelquesºns
lerent contre lesTriballiens,& Myſiens,quiſont (à ce que ie trouue)l'vn†"
des plus grands peuples & des plus anciens de toute la terre.Ils aborderét Vºques
iadisés marches oûils font encore de preſent leur demeure; ſ'eſtans deſ
bandez d'auecles Illiriens,ou(comme eſt l'opinion de quelquesvns, car
les autheurs varient en ceſt endroit)eſtans partis de la contree, qui eſt au
delà du Danube,àl'vn des coings de l'Europe, & de la Croatie : pareille
métdes Pruſiés qui habitét les riuages de l'Ocean Septétrional;& encore
delaSarmatie qu'onappelle la Ruſſie. Toutes leſquelles regiós à cauſe
de leurs intolerables § tres-aſprerigueur de l'air, ils abandon
nerent pour trauerſer le Danube, & ſevenir habituer en la region eſpan
duë le long des coſtes de la mer Ionie,d'oüils conquirent par apres tout
le pays limitrophe,iuſques aux terres des Venitiens. Que ſi quelqu'vnay-Autre ºpiniº
memieux fuiurel'opinion contraire,aſſauoir qu'ils partirent des regions †
maritimes de Ionie,& ayans paſſé le Danube, ſe vindrentarreſter en ceſt
endroiét de pays,dont nous venons de dire qu'ils ſortirent premieremét,
.iene conteſteray point à l'encontre : Maisienevoy pas auſſi commei'y
peuſſe ſeurementadherer.Quoy que ce ſoit, cela ſçay-ie bien, qu'encore
† ces peuples-cyſoient diſtinguez de noms,fine voit-on pas qu'ils dif
erent en rien ny de meurs,ny § Au reſte ils s'eſcarterent çà &
là parl'Europe,tellement qu'aucuns s'enallerent habiter en la Laconie,
audedans du Peloponeſe,és enuirons de la montaigne de Taugete,& du
capdeTaenare, communémentappellé Metapan ;là meſme où auoitau
trefois faict ſa demeure certain autre peuple,depuis la prouince de Dace
iuſques au mont de Pinde,qui ſe reiette en dedans la Theſſalie : eſtans
lesvns & lesautres appellez † ſeul nom de Valaques.Toutesfois ie n'o
ſerois bonnementaffermer s'ils paſſerent en l'Epire : car les Triballiens,
Myſiens,Illiriens,Croats,Polonois,& Sarmates,vſent d'vn meſme lan- Aſa eſt de
gage entr'eux.Et ſi delàil m'eſt permis de tirer quelque coniecture , ie†.
croirois qu'eux tous ne ſoient qu'vne meſme race de gens , ſans aucune †
difference des vnsaux autres.Mais commeils ſe ſoientainſi par traict de §
temps laiſſez aller à des façons de viure ſi differentes, & ayent cherché de
s'habituer en tant de contrees & regions , ie ne l'aypoint entendu ſiau
net quei'en peuſſe rien inſerer de certain en la §
hiſtoire, ſinon
qu'on ſçait aſſez qu'ilsviuent enl'vn & l'autre riuage du Danube, com
mandans à de fortlongues eſtendues de terres. Au moyen dequoyil me
ſemble plus raiſonnable de croire,qu'apresauoir eſtéagitez de pluſieurs .
"fortunes les vnes ſur lesautres, tout ainſi que de quelques tempeſtes &
orages en pleine mer,ayans paſſé le Danube, ils ſe vindrent finablement ,
arreſterſur le bord de la mer Ionic,que non-pasd'auoirlaiſſé vn ſi beau,ſi . "
agreable & plantureux pays,pours'aller de gayeté de cœur confiner en
- - B iiij
- -
-

2O Liure premier
vn climatſirude,mal-plaiſant, & peu habitable. Soit doncques ou que
par cotraincte,ou † deleur propre mouuement penſans § à requoy
ilsayéteſtéattirez de ſeſeparer des autres pour faireleur cas à § eſt
pluſtoſtle faict de quelqu'vn qui veut fonder & aſſeoir ſes diſcours ſur
des coniectures † non pas d'vn hiſtorien bienſeur de ce"

qu'il veut eſcrire.Ce ne ſeroit point au reſte prement d'appeller
la haute Myſie,ceſtendroict de pays qui eſtau deſſus du Danube,ains ce- -
- luy qui eſtau delà: tout ainſi que labaſſe Myſie n'eſt pas celle qui eſt au
# deſſoubs de ce fleuue Et tient on que les habitans d'icelle ſont les vrays
Bulgares,quis'eſtendent depuis les contrees prochaines du Danube,iuſ- * ..
, ,

ques vers † fort bien la langue Grecque,leſquels eſtans au- º .


tresfois partis de la ville de Bydene, donnerentiuſques au pont Euxin, & -

- eſtablirent le ſiege capital de leur domination en celle de Trinobum.


# Alexandre que Chrales DucdeSeruie & des Triballiens leur auoit don
§ c - népour Seigneur,les gouuernaiuſques à ſa mort,laiſſant vn fils nommé
†e, Suſman,quiluyſucceda;celuy-làmeſme,auquel Amurat fils d'Orchan fit
† depuis forte † ayant mené ſon armee contre les Triballiens,il
† les deffit en cnamp de †
la ville de Pherres, riche & opulente à
§ merueilles,rengeaàſon obeyſſance,la region contigue à la montaigne
†" de Rhodopé;& fit encore tout plein d'autres beaux exploicts en ce voya
§ Puis laiſſaladicteville de Pherres en lagarde deSain,homme de gran- .
-

iſſime reputation,& paſſa outre contreiceluy Suſmanalors Deſpote de .


la Seruie,lequel il deffit,maisilyeutpeu de gens tuez ſur la place; pource
† désles premiers coups il prit,la § , luy & route ſon armee qui ſe
auuale long du Danube.De làilenuoyaſesAmbaſſadeurs deuers Âmu
# ratdemanderla †
luyfut facilement octroyee: Pource qu'A
#. muratquiauoitouyparler de l'excellente beauté de la princeſſe ſa fille,
§ auoit en partie entrepris cette guerre àl'encontre de luy, pour chercher
† les moyés del'auoirà femme,moyénant quelqueappoinctement; lequel
# ilſe doutoitbien que cettuy-cyſeroit côtraint de médier,la §
u'ilſetrouueroitmal-mené de luy:Suſmanauoit eu cette belle creature
§ dame nómee Braide,qu'il eſpouſa paramourettes: Et quât àl'autre
deſes filles,ill'auoit deſiadonee en mariage à l'Empereur de Conſtanti
nople,Andronic fils de Ieâ, apres qu'il eut chaſſé Cátacuzeneſon tuteur.
Car Cantacuzene(côme nousauons deſia dict)ayant euauecla perſonne
de ceieune Prince tout le maniement del'Empire, s'eſtoit emparé ouuer
tement de l'authorité ſouueraine;& auoit enuoyé Emanuelle plus ieune
- de ſes enfansau Peloponeſe,prendre poſſeſſion de la Duché deMizithre,
*. anciennement dicteSparthe,qu'illuy auoit deſtinee pour ſon partage;&
à l'aiſnétout le demeurant de la coronne.Mais Iean fils d'Andronic eſtant
, paruenu en aage,ſçeut ſi bien practiquerles principaux d'entrelesGrecs,
& faire ſes complainctes & doleances du tort qu'on luy tenoit, que ce--
pendant que l'Empereur eſtoit à paſſerſon temps en la Macedoine aban
· donné & perdu apres toutes ſortes devoluptez & delices,les Barons qui
auoient à deſdain & contre-cœurvn telPrince, & pourtâtne eherchoiét
Del'Hiſtoire des Turcs 2{
ſinon quelque occaſion coloree de pretexte pour s'en deffaire,ayás ame
néIean en la Macedoine,il futlà dugré & conſentement de tout le peu- z

ple proclamé Empereur, & Cantacuzene contraint de prendre l'habit dç


Religion,& chan † ſon nom à celuy de Matthieu.Son fils aiſné,quide
uoit regnerapres luy,s'en alla à Rhodes demander ſecoursau grand Mai
ſtre, mais apresauoir eſſayé pluſieurs moyens,& tous en vain, voyât qu'il
n'y auoit aucune eſperance de pouuoir rien faire,il ſe retira au Peloponeſe
deuersſon ieune frere Emanuel, Duc de Sparte, qui luy donna moyen
des'entretenir.Cefutalors que Iean deſia côfirmé en l'Em pire, fit allian
ceauec Amurat, quieſtoit paſſé en Europe; & donna en mariage à ſon
Myſie, dont il eut deux enfans.
fils Andronic, la fille du Duc de
O R eſtoit Andronicl'aiſné,Dimitre, & Emanuel venoient apres, & *
puisTheodore, lequel ſuiuoit Amurat en perſonne,en tous ſes voyages
& entrepriſes.lesautres ſ'eſtoient rendus ſes tributaires,& ſi ne laiſſoient
pas pour cela de l'accompaigneràla guerre,quâd illeleur faiſoit ſçauoir.
Au moyen dequoy toutes ces choſes ainſi ordonnees pour le regard des
Grecs,Amurat mena ſon armee contre Dragas,fils de Zarque; & conquit En vulgair.
incontinent tout le pays qui eſtés enuirons de la riuiere d'Axie, oû ilim-Varda .
poſatributtant en deniers,que gens de guerre qu'on luy deuoit fournir
en ſes expeditions. Dragas meſme parl'appoinctement qui fut faict en
tr'eux fut obligé de le ſeruir en perſonne auecbon nombre de gens de
cheual.Le ſemblable fit il encore du Bogdan lequel il fit auſſi venir à la
D -

raiſon,& voulut qu'ill'accompagnaſtauec ſes forces.Ainſis'alloit Amu- -

ratagrandiſſant de tous coſtez ſur les ſeigneurs des Triballiens , & des
† ſur les Grecs meſmes; les traictant neâtmoins tous d'vne fort -

grandehonneſteté,douceur,modeſtie,& liberalité, à l'exemple de l'an- -

cien Cirus,fils de Cambiſes,dontil taſchoitd'imiter les actions en tou-,mua nt.


tes choſes.Mais apresauoiraſſez longuement demeuréen Europe, il cut #ºgº
nouuelles comme ſes lieutenansgeneraux ésprouinces del'Aſie,auoient
conſpiré enſemble contre luy, & ſollicitoient les peuples de ſe reuolter. -

Tellement qu'ils enauoient deſia deſbauché la plus grand part; & ſite
noient de groſſes forces en campaigne,toutes preſtes à troubler & met
tre en combuſtionlesaffaires de ce coſté là, ſi promptementil n'y euſt re
medié.Carilsauoient deſia pris tout plein de places, & en tenoient d'au
tresaſſiegees defort court. Parquoy ſoudain qu'il futaduerti au vray de •
toutes ces menees , il s'appreſta pour paſſer en Aſie; diſcourant en ſoy
meſme,les moyens qu'ilyauroit de mettre bien-toſt fin à cette guerre,la- .
quelle ne luypouuoit eſtre ſinon tres-pernicieuſe & dommageable,ſiel- Le principal
lealloit en longueur. Cariln'yapoint de meilleur expedient en toutes †
les eſmotions & ſoubs-leuemens des ſubiects contre leur Prince, que §
d'abbreger,& donner ordre de les eſteindre de bonne heure , ſans leur †
laiſſer tant ſoit peu de loiſir de prédre pied pourſe multiplier& accroiſtre:
Autrement cela va toſt en infiny, ny plus ny moins qu'vn feu bié allumé
àtrauers vn grostaz de fagots,ouautre menu bois. Ayant doncques eu
nouuelles comme ſes ennemis ſ'eſtoient campez en la Myſie,iltira droict
-"

22 Liure premier -

celle partauecſonarmee.Et d'autant que c'eſtoités plus chauds iours de


l'eſté, lors quelesvents qu'on appelle Eteſies,qui ſoufflent des parties du
Ponant ont accouſtumé de regnerforts & impetueux celle-part,luy qui
en eſtoit pratiqué & inſtruict,comme ruſéau faict de laguerre,autât que
nulautre Prince de ſontemps,ſçeut fort bien prédre l'aduantage, & gai
gner le deſſus duvent pour mettre la pouldreauxyeux de ſes ennemis, &
Stratageme
d'Amurat sé
† troubler laveuë & leiugemét,alors † les viendroit charger. Mais
b

ainſi que les deux armees n'attendoient ſinon quele ſigne du combat, il
blable à celuy
†º arreſtatout court ſes gensàvniectd'arc des autres,& du haut d'vne peti
bataille de
Cannes. te motte de terre,quide fortune ſe rencontralà tout à propos,leur eſcria
Harangue à hautevoix en cette ſorte.Hal tres-fideles compaignons,voire mes tres

ne d'artifice, chers & bien-aymez enfans, ne vous remettez-vous point maintenant
§r
ſes gens au
en memoire,les perils & dangers,auſquels vous-vous eſtes ſi ſouuét ren
§- contrez en tant & tant d'endroicts de Europe,contre les plus belliqueu
tre les rebel.
.lcs. ſes nations quele Soleilvoye point Quels trauauxvous aueziuſquesicy
endurez pour eſleuerladignité des Othomans,au poinct de la gloire &
honneur où leurnom eſt, & parmeſme moyen vous acquerirvne loüan
ge & renommeeimmortelle, auec vn commandement ſur vn ſi grand
nombre de peuples & nations qui vous obeiſſent ? Qu'attendez-vous
doncques,que de plaine abordee vous n'allez paſſer ſur le ventre à ces
traiſtres & deſloyaux, qui ſont bien ſi effrontez que d'oſer comparoir
tous ſoüillez encore de leur meſchanceté abominable, deuant des gens
de bien, deuantla fidelité devoz entiers & inuincibles courages,veu que
voſtre Empereur qui eſticypreſent,ſera le premieràvous y faire breſche
Les fias du & ouuerture? Et quant & quant donnant des eſp erons à ſon cheual, s'en
chef accom
alla à bride abbattuë d'vne grande furie & impetuoſité, ietterà trauers la
paignent icy.
ſesui paroles,
eſt ce Ul
,
plus grand'foule des ennemis ; leſquels s'eſtoient de leur coſté aduancez
-

§ auſſitant que les cheuaux pouuoient traire , pour commencer la char


les ſoldats à
bien faire. ge les premiers. Mais le vent qui leur donnoitauviſage , & la pouſſiere
dont tout à vn inſtant l'air fut couuert ainſi que d'vne nuee, leur oſte
rentle iugement & cognoiſſance de ce † deuoient faire, & pour
ta11t IlC § gueres à eſtre enfoncez & rompuz, auec grand

meurtre toutesfois & occiſion d'vne part & d'autre . Car encores
*
qu'Amurat demeuraſt victorieux, ſi eſt-ce que beaucoup de ſes gens
y perdirent la vie , s'entretuans eux-meſmes les vns les autres, tant à
Deſfieds cauſe de la grande confuſion quel'obſcurité apportoit, que pour le peu
Turcs rebel
les. de differéce qui eftoit entre les deuxparties.Au moyen dequoy luy voyât
CC § ſonner la retraicte,& ſi pardonna encore depuis à ceux qui
s'eſtoient ſauuez de la meſlée, leſquels luy enuoyerent incontinent re
querir mercy. -

X,! CETTE victoire & pacification ainſi prompte, luy vindrent fort à
propos;carlesaffaires ne furent pas pluſtoſt compoſez de ce coſtélà,qu'il
eut nouuellesd'vn bien plus grand & plus dangereux trouble, qui s'e
ſtoit leué n'agueres enl'Europe de lapart de l'aiſnémeſme de tous ſes en
fans,Sauz,lequelilauoit laiſſéau gouuernement des Prouinces par luy
· Del'Hiſtoire des Turcs. 23
conquiſes,pour donner ordre aux affaires qui ſuruiendroient en ſon ab
ſence.Cettuy-cy enflammé & boüillant d'vn deſirillicite de regnerauât
temps,oublia tout deuoir de fils, & ſe laiſſa accoſter de quelques Grecs
quimanioient Andronic,fils aiſné auſſi de l'Empereur de Conſtantino- -

ple,auquelilauoit de ſon coſté,laiſſéſemblable charge & ſuperintendan- -

cc de ſes affaires,lors qu'il paſſa en Aſie auec Amurat,contre les ſcditieux


& rebelles.enſemble
aboucher Les Grecscesdoncques
deuxieunestrouuerent
Princes : le
là moyen de fairefrappez
où ſe trouuans voir & friandiſe
relle eſtdela
regner, qu vn

d'vn meſme coing, conſpirerent de dés-heriter ceux,qui apres Dieu leur †


auoient donnél'eſtre & lavie,& s'emparerbien & beaudeleursEmpires, # §
ſans attendre plus longuement ce que lanature en diſpoſeroit. Et firent §"
àcette finligue offenſiue & deffenſiue entr'eux, ſe promettans parſermét
reciproque des'entredonneraide & ſecours,ſans iamais varier,& ſansia
mais s'abandonnerenuers qui que ce fuſt,ains ſeroient amis d'amis, en
nemis d'ennemis,ſans nul excepter,& ainſi taſcheroient à faire leurs be
ſongnesàl'ombre & faueurl'vn del'autre. Cela faict & arreſté entr'eux,
ils commencerent à dreſſer leurs appreſts,pour forclorre les deux Empe
reurs de l'entree de l'Europe à leur retour, dequoy Amuratayant eſté ads
uerty,ſoupçonna ſoudain qu'il y euſt de la fourbe & mauuaiſe foy des
Grecs meſlee parmy. Parquoy tout deſpit & courroucé fitappeller l'Em
pereur, auquelilvſad'vn tellangage.Les nouuelles que i'ay euës ( ſire †
Empereur)ie ne doubte point que vous ne leſçachiezauſſi bien que moy §
meſme:carie ſuis aduerty de bonlieu, que voſtre fils eſt celuy ſeul qui a #.
deſbauché le mien,& luy amis en teſte de ſe rebeller contre moy, pour "rº
me rendre le plus deſolé & miſerable Prince qui ſoit pour le iourd'huy
viuant.Comme doncques ſe pourroit-il faire que vous autres n'ayez cſté
de la partie; & qu'elle ſe ſoit iouee ſans voſtre ſceu & conſentement: Ny
† ie me § perſuader , que celuy qui ſans aucune contradiction
euoit regnerapres ma mort, ſe ſoit voulu laiſſé aller à vne ſi deteſtable
meſchanceté, qu'il n'ait eſté ſuborné & induit à cela par les menees de
voſtre fils, lequelluya promis del'aſſiſter à cette malheureuſe entrepriſe;
non pour bien qu'illuyvueille,mais pour luy faire à luy-meſme mettre la
main à la deſmolition de ce beau & puiſſant Empire,& réuerſer en vnin
' ſtant de fonds en comble,tout ce que la vertu de nozanceſtres,& l'effort
de ces victorieux bras , ont deſia exaucé à vne telle maieſté & grandeur.
Mais voicy que c'eſt, ie ne vous tiendray pas non-plus exempt de cette
praticque & menee,ſi vous n'en monſtrez quelque reſſentiment à l'en
droit de voſtre fils,& nel'en chaſtiez comme il merite, ſelon que moy
meſme levousveux preſcrire, alltl'C1IlCIlt ſoyez ſeur que ie vous en meſ
croiray,& reietteray toute la faute ſur vous. L'Epereurſans ſe troubler de
ce proposluy reſp6dit en cette ſorte.De reiettercela ſurmoy(Seigneur) †"
Empereur
vous ne le pouuez faire auec raiſon: carſii'auois icy mon fils en mon pou-#
ſans rié auo1f

uoir,lequelvous péſezauoireſté autheur de cette tragedie,vous cognoi- §.


ſtriez de quel piedieveuxtouſiours marcher envoſtre endroict, enſem
ble la deuotiô queie porte à la proſperité & accroiſſemét de cette ample
24- Liure premier
& inuincible coronnevoſtre.Que ſivous deſirezvoir quelque punition
& chaſtiment de mon fils , ne m'eſtimez pas auſſi ſi puſillanime & deſ
ourueu d'entendement, que pour pitié aucune qui ſçeuſt r'amollir
- l'ire & indignation du pere enuers ſon enfant,ie § rien relaſcher
de la ſeuerité & rigueur qu'ameritél'impieté de celuy quia plus conſpiré
contre moy, † contre vous.Ayant mis fin à leur propos,ilsarreſterent
finablement de chaſtier chacun le ſien de ſemblable peine,veu que le cri
cettepuni me eſtoit eſgal, aſſauoir de leur faire creuerlesyeux : Et là deſſus Amurat
† auecla plus groſſe armce qu'il peut promptement aſſembler, repaſſa en
# Europe, marchant à grandesiournees droict aulieu où il auoit entendu
yeux. que Sauz & le fils de l'Empereur auoient aſſis leur camp; nongueres
loing de Conſtantinople, en vn endroict appellé Apicridium, le long -

† d'vn torrent & de quelques baricaues qui le flanquoient. Or auoient


cip des deux
† ils aſſemblé grand nombre debraues hommes, des meilleurs qui fuſſent
poſſible en toute la Grece & autres parties de l'Europe, en deliberation d'y at
tendre Amurat : lequel ayant bien recogneu l'aſſiette, & les aduenues
de ce logis, où il ne les pouuoit forcer de venir au combat s'ils ne vou- |
loient, à cauſe du torrent & duvallon, il ſe campa de l'autre part , & y |
eut d'arriuce quelques eſcarmouches, & legieres récontres pour s'en- -

tretaſterles vns les autres; eſquelles, à ce que l'on dict, les Grecs eurent
- - '
du meilleur, & menerent battant les gens d'Amurat iuſques dedans le -

gros hourt de leur gendarmerie. Mais apres qu'il ſe fut apperceu que
ce lieu ne luy eſtoit aucunement à propos, il deſlogea la nuict, & s'en •
alla ſecrettement paſſerl'eau aſſez loingau deſſus ; puis s'en reuint tout
- - A"
• ,

le long, iuſques aupres de leurs eſcouttes & corps de garde ; ſi bien iº -


, qu'onle pouuoit ouyr , & cognoiſtreàſaparole,lors †
ſe mit à ap- | | |
§ peller nom par nom, ceux qui autre-fois auoient eu charge ſoubs luy;
#leurremettantdeuant les yeux les beaux faicts d'armes qu'il leur auoit
†*veu mener à fin en ſa preſence, dont il les extolloit iuſques au Ciel. |
ſoy. Puisſoudain adiouſta à ce preambule & exorde: Et pourquoy donques,
tres-excellens & magnanimes Monſulmans, vous deſmembrez-vous
ainſi de celuy, ſoubs l'heureuſe conduicte duquel rien ne vous fut ia
mais impoſſible; iamais ennemy tant hardy, & aſſeuréait-ileſté, n'endu
rala premiere poincte de voz victorieuſes lances, non pas à grand'peine .
la veuë de noz enſeignes & panonceaux, pour vous aller inconſideree
ment renger ſoubsvn nouice quine ſçauroit encore ne cognoiſtre , ne
mettre en œuurevoſtre valeur & vertu : qui aioiiévn ſilaſche tour à ſon
propre pere & Seigneur, que de ſe ſubſtraire de ſon obeyſſance, & s'eſle
uer contre luy ſans aucune occaſion : Mais i'en impute la faute à ceux
qui portans enuie à noſtre gloire l'ont ſuborné & circonuenu , luy de
guiſans les matieres, & l'enflans de ie ne ſçay quelles folles & vaines eſ
perances,afin de nous voir à leur grand contentement entreheurter , &
briſer les vns les autres, & ſe mocquer puis apres à bon eſcient de noſtre
ſotte ignorance & beſtiſe. Auſſi ne le veux-ie pas traicter à la rigueur,
ains me contenteray de quelque legere punition & chaſtiment ; & cn
COIC
| Dél'Hiſtoire des Turcs. 25
core àla diſcretion de toute cette armee, pour luy apprendre vne autre
foisàn'eſtre plus ſileger & temeraire.Ce qui me met en plus grandeſ
moy,eſtla pitié &compaſſion que i'ay de vous autres,queietiensaurang .
de mes propres enfans Carſi preſentement vous ne recognoiſſez voſtré
faute,ains au contraire vous voulez opiniaſtrer à ſouſtenir plus auant ce
ſteiniuſte & mauuaiſe querelle àl'encôtre de voſtre ſouuerain Seigneur,
ſçachez pour vray que vous n'eſchapperez pas la fureur de noſtre glai
ue, ſivne fois il s'irrite à toute outrance,maisy lairrez tous mal-heureu
ſement lesvies, auecvne belle reputation (penſez) pourles ſiecles adue
nir Quand on dira que vou-vous ſerez obſtinez de combattre iuſques
àlamort, pour ſouſtenirl'impieté d'vn fils deſobeiſſant, & rebelle con- .
treſon propre pere. Ne recullez donc point d'auantage à faire ce que
le deuoirvous commande, c'eſt de paſſer de noſtre coſté,ſansauoir dou
tederien.Carſiainſi vous le faictes : ievous iure celuy, par la grace &
bonté duquelie ſuis paruenuàvne telle dignité & puiſſance, & le vous
promets loyaument, deiamais ne mereſſentir,nevenger du moindre de
tous tant que vous eſtes. La plus grand'parteſcouterent de bonne oreil- Lesgens de
le ce langage, ayans honte en eux meſmes du tort qu'ils ſe faiſoient, §
d'allerainſi ſans occaſion contre le ſerment de fidelité qu'ils auoient à #º*
leur Prince:Et ſiredoutoient quant & quant la § heur qu'ils "
ſçauoient eſtre en luy. Les autres craignans que quelques belles paroles
u'il leur donnaſt,ilneſevouluſt puis apres venger d'eux, demeuroient
en doubte & ſuſpens,àla fin toutesfois ils ſe recogneurent : & meuz du
reſpect de celuy qui ſouloit eſtre de ſi grande authorité enuers eux,
apresauoir communiqué les vnsaux autres de ce qu'ils deuoient faire,la
nuict enſuiuant abandonnerent leur camp preſque tous , s'eſcartans
deçà & delà, où ils penſoient eſtre le pluſtoſt à ſauueté, pour euader la
fureur tant du pere que du fils. Grande partie toutesfois s'alla rendre à
Amurat,s'excuſant † n'auoir point faict cette faute de leur bô gré, mais
† contraincte de Sauz,quiles auoit forcez de prendre lesarmes,& de
e ſuiure.Et luyvoyant comme tous l'auoientabandoné, ceux-là meſme
ment dont il ſe fioit le plus,ſe retira en diligence à Didymothicum, où
les Grecs l'accompagnerentileſquels ne le voulurent point laiſſer Mais l epi.
Amuratles pourſuiuit chaudement,& les aſſiegea là dedans ſi à deſtroit, † #
que par faute deviures ils furent bien toſt contraincts de ſe rendre.Ayât †
pris cetteville, deſia toute preſte à expirer de la famine qui y eſtoit eut vº .
par meſme moyen Sauzentre les mains, auquel il fit ſoubdain creuer
lesyeux Etauregarddes Grecs,lesayant faict accouplerles vnsaux au #
tres, furent tous precipitez
batauilspied,ce-pendant du haut
qu'auecvn des murailles
œil tout eſioüy de dans la riuiere
ce criminel qui §.
ſpecta-* ieté du fils

cle,il contemploit du dedans de ſon pauillon tendu ſur le bord de l'eau,


les beaux ſauts que faiſoient ces pauures miſerables, deux à deux , trois
àtrois,ſelon qu'ils ſe rencontroient.Sur ces entrefaictes, commeil eſtoit cruautéd'A
ainſi ententifà ce paſſe-temps,dont à grand peine ſe pouuoit il ſaouler,"
de fortunevnlieureayât eſtéleué par quelques chiens,vint mourir aſſez
26 Liure premier :
pres † fut, celuy ſembloit,vn redoublement du plaiſir & re
1 a creation qu'ilauoit d'ailleurs:mais quelques vns le prirent pourvn tres
§ mauuais & ſiniſtre preſage dont l'effect de la ſignifiance ne tardague
† res depuis. Neantmoins luy qui ne prenoit pasgarde à cela, ou bien n'y
adiouſtoir point de foy,apresque tousles Grecs eurent eſté depeſchez,
il commanda aux peres de ceux qui s'eſtoient rebellez contre luy , & en
defaut d'euxaux autres parens les plus proches,de les maſſacrer en ſa pre
†º ſence, de leur propre main:à quoyils § tous,hors mis §
' tant ſeulement leſquels abhominans l'horreur de ce parricide, eurent
plus chermourir eux-meſmes,que de ſe ſoüiller les mains en leur propre
#º ſang, auſſi furent-ils ſur le champ mis à mort auec leurs enfans car le
§sen ſcrupule qu'ils firent de les executer commelesautres auoient faict,don
†""naoccaſion à Amurat de ſoupçonner qu'ils euſſent eſté conſentans de
la rebellion.Cela faictil manda à l'Empereur, s'il ne vouloit pas ſuiuant
LE'mpereur leur compromis,†auſſiſon fils en lameſme ſorte qu'il auoit faict le
§ ſien:à quoyiln'oſa contredire.Et luyayant faict verſer du vinaigre tout
†"boüillant dans les yeuxl'aueugla en cette ſorte. Voila le ſuccés qu'eut
†" l'entrepriſe (à laverité § de ces deuxieunes Princes, & le tout
par mauuais conſeil.
xI. Qv EL QyE temps apres Emanuel,vn autre des enfans del'Empereur
qui auoit le gouuernement de Theſſalonique, ayant ſoubs mainattiré
Emanuder quelques hommes defaction,fut ſoupçonnéd'auoirdreſſévne entrepri
† ſe § ville de Pherres,& de vouloir broüiller les cartes contre Amurat.
· " Amuiat Lequel à cette occaſion, depeſcha incontinent auec vne groſſe puiſſan
ce,Charatin home de grande execution,& tres-verſéau faict de laguerre,
autant que nulautre qui fuſt pourlors, luy ordonnant de s'aller § de
Theſſalonique,& luyamener pieds & poings liez Emanuel.Mais ceſtuy
cycraignant cette endoſſe dontilauoit deſia eule vent, ſçachât bien que
la place n'eſtoit pas en eſtat pourſouſtenirlonguement vn teleffort, car
elle eſtoit malfortifiee,& pirement pourueuë encore de gés & munitiôs
de guerre, ſe preparoit pour ſe ſauuer à la deſrobee deuers l'Empereur
ſon pere;quandilluy enuoya dire qu'il euſtàſeretirerautre part n'oſant
pas le receuoir, de peur d'irriter Amurat, & encourir ſon indignation.
Pourtant Emanuel ſe reſolut de s'allerrendre à luy-meſme, & demander
pardon de ce qu'ilauoit attenté.Amuratayât eu les nouuelles de ſavenuë
en futioyeux à merueilles,& de vray,il priſoit beaucoup ſa vertu, & la
† de ſon naturel. Eſtant doncques allé au deuant de luy pour
ereceuoir; car les SeigneursTurcs rendoient encore ce deuoir au ſang
† la Grece,le tenſa de plaine arriuee, d'vn viſage riant tou
†ºtesfois, & qui ne promettoit rien de fielny d'amertume,en luy diſant
f§ tant ſeulement:Et bien Prince vous auez voulu faire desvoſtres, & vous
" iouër à moy auſſi bien que les autres, ſi eſt-ce qu'en fin on n'y trouue
ragueresàgaigner; par quoyle meilleur ſera touſiours, de vous entre
tenir en ma bonne grace, dont tout bien & ſupport vous peutaduenir.
Or ce qui ſouloit eſtre voſtre,& eſt maintenant à nous,vous ne le pour
Del'Hiſtoire desTurcs 27
riez pas repeter ſans exciter de grands troubles, & remuer des choſes qui
araduenture retomberoient ſurvous-meſmes. Au moyen dequoy, il
§ laiſſer là le paſſé,& de ma partie ſuis content d'oublier tout,eſperant
quevous ſerez plus ſage àl'aduenir.A quoy Emanuel fit reſponſe : A la Briefues .
verité,Sire, queie n'aye eſté chatoüillé de quelque legere & volontaire †
ieuneſſe, ie ne le puis ny veux nier; & ſuis venu icy tout expres pour en
demander pardon.Amurat fembraſſalà deſſus, & apres luy auoir faict :

tout plein de beaux preſens, le renuoya à ſon pere, auec de fort hon- #
neſtes & gracieuſes lettres, qu'il ne laiſſaſt pas de le bien traicter pour -

choſe quifuſt paſſee, d'autant que tout cela eſtoit oublié Ce-pendant -

Charatin prit d'emblee la ville de Theſſalonique , & ſe ſaiſit des ſedi- #"
tieux qu'il mit tous à la cheſne,dont il s'aquit encore plus de faueur au-† & leurs mini
pres d'Amurat qu'il n'auoit eu auparauant. Auſſi eſtoit-ce vn excellent ſtres demeu
: rent pour les
perſonnage,lequel fit defort belles & dignes choſes en ſon temps,& d6-§ - º

natouſiours
ſonaduis de tres bons
& induſtrie il vint&àſages
bout conſeils à ſongrâds
de pluſieurs maiſtre
& ,chatoüilleux
ſi bien que par
af- # •

faires,tâtenl'Aſie que l'Europe.Ilya tout plein de beaux dicts & ſenten


cesdeluy,touchant les deuis queſouuentilauoit auec Amurat, leſquels - --

meritent bien de n'eſtre point mis en oubly,principalement ceux quic6- .


cernentl'art & diſcipline militaire.Caron dict qu'vne fois l'ayant inter- -

rogé en telle ſorte: Dy moy,Seigneur, (ſi Dieute gard) de quelle ſorte #


penſes tu qu'ondoyue faire laguerre,pour plus aiſément paruenir auec†º
cette force que tu t'és deſia eſtablie,au comble dela grandeur où tu aſpi-§
res?S1ie ſuis bien ſoigneux (reſpódit § oint les oc-º
caſions qui ſe preſenteront,& m'en preualoir § en laiſſer
envaineſcoulervne ſeule parmanegligence & pareſſe. D'auantage ſi ie †º
me môſtre liberal & magnifique enuers mes ſoldats, & taſche de plus en †.
plus par meslargeſſes & biens-faicts,à me les rendre deuots, prompts, fi-§ " ,
deles, &laiſſer
pourne obligez. Charatin
point redoubla : propres
perdre d'occaſions mais comment pourras-tu
& conuenables faire ,
;gagner | | •

ainſi le cœur des gens de guerre,& eſtablirà proposvn reiglemét pourla #


milice:Quandie ne me ramolliray § Amurat)apres les oiſi-†
uetez & delices, peſeraymeurement touteschoſes àlabalancederaiſon, †
& tiendrayla brideroide à mes ſoldats,qu'ils ne facent hors de l'hoſtilité §ſ .
tort nyiniure à perſonne:& n'employentàleurs hargnes & querelles par #.
ticulieres,le ſangquidoibt eſtre reſerué contrele iuſte ennemy. Là deſ
ſus Charatin ſe prit à ſoubs-rire, en diſant : Ala verité,Seigneur, tespro- Mots dignes
pos ſont † d'vne grande prudence,ie le voybien : Neant-*
moins comment eſt-ce § tu pourras peſer en ton eſpritles choſes plus
loüables, & plus approchantes de la raiſon, ſi toy-meſme ne mets des
premiers la main à la paſte; & n'examines ſans t'en rapporter à d'autres ce -

qui ſe doibt,oune doibt faire?car cette pratique s'acquiert plus par expe -

rience, que par diſcours : par ce que bien ſouuent les choſes ſuccedent
tout d'vne autre ſorte que paraduéture on n'auroit péſé. Mais ce qui eſt
leplus requis envn § ouuerainCapitaine,eſtla celerité parlaquelle
C ij
28 Liure premier
les plus beaux & excellens faicts-d'armes ont eſté heureuſement mis à
fin : de ſorte quei'eſtime qu'en ces deux choſes icy ſeulement, conſiſte
tout l'art de la guerre,aſſauoir en vn ſoing & vigilance aſſiduë, & la pre
· ſence à tout s'il eſt poſſible, voire iuſques aux moindres & plus legieres
| | entrepriſes.Car en cet endroit iln'ya rien de petit, ſoit de perte, ſoit de
gaing,&quin'importebeaucoup plus quebien ſouuent on ne cuideroit.
Tels eſtoient les deuis de ces deux excellensguerriers, lors que quelque
fois ils ſe trouuoient de loiſir : tellement que non ſans cauſe les armes
d'Amurat eſtoient par tout eſpouuentables,& merueilleuſement redou
tees: Etiamais ſes exercites ne branſloientvers aucun lieu,que ſoudain la
frayeur ne †
dans les cœurs des plus aſſeurees & belliqueuſes na
· tions. Pour raiſon dequoy,& de la merueilleuſe diligence dontilaccom
pagnoit tous ſes deſſeins & entrepriſes,chacun auoit l'œil auguet, & ſe
tenoit ſur ſes gardes, remparans non ſeulement les places des frontieres,
Ad - mais encore celles du cœur du pays,quipouuoient tant ſoit peu preiudi
#ºtº cier S'eſtant †
ſeruy Amurat de la dexterité & ſuffiſance de ce
perſonnage,en la pluſpart de ſes conqueſtes, où il monſtra touſioursvn
grand deuoir & fidelité;ce n'eſt pas de merueilles s'ill'honora & aduança
† grandement:car il fut en partie cauſe dcluy cſtablir ce bel Empire en Eu
ſa. rope,oûil ſubiuguatant de peuples,rendit de ſi grands Princes ſes tribu
taires:& contraignit les Grecs de le ſuiure en toutes ſes expeditions &
Les conque-' voyages là où Emanuelluy fut touſiours le plusagreable.Ilrengea entre
§ les autres Dragas fils deZarchus ſieur de Myſie, enſemble le Pogdan qui
" commandoit à tout le mont de Rhodopé,qu'onappellevulgairement la
montaigne d'argent,& pluſieursautres Princes del'Europe,Triballiens,
Croats,& Albanois auecleſquels (depuis qu'ils furentvne fois vnis à ſa
domination) & ceux del'Aſie,il ne fit de là en auant plus de difficulté de
s'allerattacher à tous ceux dontilluy prit enuie.
xii. . MAIs en quelle ſorte les Grecs,d'vne telle authorité& puiſſance tom
berent ſitoſt en vne tres-miſerable ſeruitude, nous l'auons deſia touché
,, cy-deuant : & neantmoinsil ne nous ſemble point hors de propos de re
#. capituler le tout icy en vn ſommaire. Iean eſtant rentré en ſon Empire,
†º contraignit Cantacuzeneſon predeceſſeur eniceluy, de prendre l'habit
g d'amº deiour
Ial.
de Religion,& ſe faire Moyne.Voyant
à autre prendre puis apreslesaffaires
nouueauxaccroiſſemens de proſperitédes& Turcs,
gran
deur,il paſſa en Italie:oûtout premierement il alla § les Venitiens
pour auoirſecours, maisàla finil cogneut que ce n'eſtoit que vent & fu
meedeleurs promeſſes.Parquoy apresauoir pris à intereſtvnebône ſom
me de deniers,dontilauoit † deſpendu la plus grand'part apres cette
vaine pourſuitte,il ſe delibera de paſſer outre deuersle Roy de France : &
ct . " oubliade viſiter ſurle chemin les potétats d'Italie pour eſſayer s'il pour
m§- roit faire quélque choſe enuers eux. Eſtant arriué en France, il trouua le
† Roy en fort mauuais eſtat de ſa perſonne, & ſon Royaume en pire train
†º encore , y eſtant tout ſans deſſus deſſoubs, à cauſe des guerres & ſedi
tions inteſtines dont il eſtoit embrazé de toutes parts:tellement qu'il s'en
Del'Hiſtoire des Turcs. 29
retourna en Italie ſans rien faire,là où il fit encore auſſi peu. Et ſi fut d'a
uantage arreſté à Veniſe,commeilpenſoitfaire voile pour retourner en
ſon pays,à faute de payer les deniers qu'ilauoit pris ſur le change : car les 4
Venitiens ne luy voulurent permettre de deſloger qu'il n'euſt premiere
mentſatisfaict à tous ſes creanciers.Ainſi le pauure Prince reduict à vne Miſtre de
extrême angoiſſe & perplexitéd'eſprit,deſpeſcha à Conſtantinople de-†"
uers ſon fils Andronic auquelilauoitlaiſſé en garde ſonEmpire,pourluy
faire en diligence quelques deniers,tant des biens de l'Egliſe,que des au
tres moyens & facultez de ſes ſubiects,& des impoſitions & reuenus pu
bliques,& lesluyfaireincontinent tenir,afin de ſe racheter de ſes debtes, t .
ſanslelaiſſerpluslonguemét crouppiren cetteindignité & miſere. Mais §
Andronicà quiil faſ#oit de deſmordre le maniment des affaires, & auec †§
cene portoit gueres d'amourny de reſpect à ſon pere,ne s'en donna pas *
grand'peine.Pourtoutereſolution illuymâda quele peuple ne vouloit
enſorte quelconque,ouïrparler de mettre la mainaux reliquaires,& biés
Eccleſiaſtiques,& que d'ailleurs il n'y auoit ordre de recouurerſitoſtvne
telle finance.Parquoys'il ne vouloit à touſiours tremper là, qu'il adui
ſaſtquelque moyen de recouurerluy-meſme de l'argent, & ſe depeſtrer ,
dubourbieroüil s'eſtoitallé mettre ſans propos. Là deſſus Emanuel(le »entés re
puiſné) ayant entendu la neceſſitédeſonpere, amaſſade coſté & d'autre †º
tous les deniers qu'il peuſt recouurer ; & s'en alla par mer en toute dili- d'Androme,
gence deuersluy,auecl'argent meſme qu'ilauoitautrefois recueilly en la
ville deTheſſalonique,lorsqu'il eneſtoitgouuerneur; luy preſentant le
tout & ſa perſonne encor'pour demeurer en ſon lieu,ſi ce qu'il auoitap.
porté ne § Ce deuoir & office de bon fils, & §
pitoyable cauſerentautant d'amourà l'Empereur enuers Emanuel, que
iuſtement il conceut de courroux & indignation pour l'ingratitude
d'Andronic, & fut cela le commencement de la haine mortelle, que les †
deux freres s'entreporterent touſiours depuis; tant pour raiſon § leur de caloian,
diſſimilitude de meurs, & de laialouſie qui ſourdit entr'eux pour l'oc- -

caſion deſſuſdicte, que des differens qu'ils eurent en infinies ſortes &
manieres ſur leurs partages.Ce-pendantl'Empereur s'aydant de l'argent
apporté parſon fils Emanuel, ſatisfit à tout , & s'en retourna à Con
ſtantinople ; d'où tout incontinent il depeſcha vn Ambaſſadeur à
Amurat, auec l'vn de ſes enfans qu'il luy enuoyoit, pour delà en auant
faire reſidence à ſa porte, & le ſuyure & accompaigner ésarmees †
dreſſeroit. Amurat le remercia de ſa bonne volonté, l'admoneſtant
de perſeuerer en la foy qu'il luy auoit promiſe , ce qu'il fit touſiours de
puis ſans plus rien entreprendre qui le peuſt offencer. Il enuoya auſ- c.l-ha
ſi au Peloponeſe apres que les enfans de Cantacuzene furent dece-†
l'vn de ſes en
dez, ſon filsTheodore, † ſe tint auec Emanuel gouuerneur de † †
Theſſalonique. Et ce-pendant eſtant venu à parlementer auec celuy§
-

ſeruir en ſos
qui commandoit pour Amurat en Macedoine & Theſſalie, conſpire-§
rent enſemble de ſe reuolter. L'autre des enfans de l'Empereur fut r'ap
pellé àConſtantinople, pour luy mettre la couronne entre les mains,
- · — - \-- «- C iij

--
.3O Liure premier . -

cºshitºire & quantàluy il s'en alla au Peloponeſe,poury eſtablir les affaires, & for
† tifier les lieux & endroits qui luy ſemblerent à props pour brider le
º º pays.Toutes leſquelles choſes aduindrent au-parauant qu'Andronique
-
& Sauz ſe fuſſent eſleuez à l'encontre de leurs peres.
XIII.
IN coNT IN EN T apres Amurat deſcouurit qu'Emanuel conuoiteux
de nouuelletez, eſtoit apresà faire des brigues & mcnees côtre luy; pour
raiſon dequoy Charatin le deſpoüilla deſaville,& de ſongouuernemét.
Et commel'Empereurluy eut enuoyé deffendre de ſe retirer ſur ſes ter
res,il ſ'enfuyt à Leſbos,là où ſon arriueemit engranddoubte le gouuer
neur de l'Iſle,quiluy commanda ſoudain d'en vuider:& là deſſus s'eſtant
reſentévnegallere qui tiroit verslaTroade , il paſſa en terre ferme de
l'Aſie; & delà ſur des cheuaux de poſte,iuſques à Pruſe. Amurat ne de
, meuragueres depuis à ſe mettre en campaigne, pour faire la guerre aux
#Pº" Triballiens & à
d'Amurat cö
§ Prince Eleazar, † auoit ſollicité les Hongres de
# ºgº prendrelesarmesauecques luycontrelesTurcs. Eleazar ayant entendu
- comme Amuratlevenoit trouuer à tout vne groſſe & puiſſante armee,
ietta pareillement la ſienne en campaigne pour le preuenir & combattre,
pluſtoſt que devoir deuant ſesyeuxla ruine § de ſon pays.Or
auoit-il deux filles preſtes à marier, l'vne deſquelles il donna au Suſman
ſeigneur des Odryſiens ou Moldaues:& l'autre à Bulque fils de Brancas,
qui eſtoit fils de Plandicas,lequeltenoitCaſtorie, & cette portion de la
Macedoine qu'on appelle § , auparauant des appartenances de
Nicolas fils de Zuppan: tellement qu'il ſe ſentoit merueilleuſement ren
forcé de ces deuxalliances. Et ſi auoit apres la mort d'Vngleſes & de
Chrates conquis Piſtrinum & Niſtra(ainſi nommel'on cette contree)&
on larrºſe cſtenduſes limites †
à la riuiere de Saue. Orcomme Amurat ſe fuſt
†approché bien pres de luy,ilſçeut parſes auant coureurs qu'il eſtoit lo
» ... géeºvneplaine raſe appellee Coſobe,oüill'alla trouuer droit, ayât auec
§ luy deux de ſes enfans Iagup,& Paiazet;& futlà combattu fortaſpremét
† d'vne part & d'autre, tant qu'à la fin lavictoire demeura à Amurat: mais
où Amurat

º elleluy fut bien cher-venduë,carilylaiſſalavie.Sa mort toutesfois ſera


Diueſ eri compte en diuerſes ſortes.LesTurcs dient qu'ainſi que le conflict eſtoit
†º # en ſa plus grande ardeur,Eleazars'envoulut fuyr , & qu'Amurat l'ayant
† erceuſemitapres à toute bride,mais ainſi qu'ille pourſuiuoit,vnſim
ple ſoldat Triballien homme de pied, qui ſe rencontra deuant luy fit te
Miloſch Kha- ſte,& luy donna ſigrandcoup de pique à trauers le corps qu'il le porta

§" par terre tout roide mort.Les Grecs en parlent autrement, & dient, que
Merueilleuſe º fut pas en chaſſantles ennemis qu'il mourut,ains auant quela meſ
#. lee commençaſt ainſi qu'il eſtoit encoresapres à ordonner ſes batailles,
§" vn certain Milo homme de grand cœur & entrepriſe,commeillefitbien
paroiſtre,s'offrità Eleazar d'aller tuer Amurat Et là deſſus ainſi monté &
armé qu'il eſtoitlalanceaupoing,s'en allaiuſques aux premiers rangs de
l'armeeTurqueſque,quieſtoit toute preſte à commencer la charge, fei
gnant qu'ilauoit quelque choſe d'importance à dire-Parquoy on le me
naincontinent à Amurat,qui eſtoit au milieu de ſes Géniſſaires : là où luy
/

· De l'Hiſtoire desTurcs. 3I
ayanteſté faict large,ildeſcocha de telle roideur, qu'auant qu'on ſe fuſt
apperçeu de ce qu'il vouloit faire,ille perça de part en part, mais il fut ſur
le châp mis en pieces.Voylace queles Grecs en racomptent. Quoy † ",

ce ſoit,cela eſt tout certain qu'il finaſes iours en cette plaine de Coſobe, "
où ſes entrailles furententerrees, & ſon corps mené à Pruſe,la ſepulture
Royale detousles Princes Othomans,fors de Solyman qui fut inhumé
au Cherſoneſeregna
mort.Amurat aupresvingt-trois
de ſon fils,ſuyuant ce qu'ilauoitpauurement,
ans,& mourutainſi ordonné auant ſa # d'À, -
apres
auoir durant ſavie eſchappétant de perils & dangers, faict de ſi belles "
choſes,mené à fin deſigrandes & difficiles guerres, tant en Aſie qu'en
Europe,iuſquesau nombre detrente ſept,& plus.En toutes leſquelles il
demeura touſiours victorieux,ſans qu'on leviſt iamais tourner le doz,
ne quitter la place à ſes ennemis.D § que malaiſeement on pourroit
dire, quifutla plusgrande enluy,oulavertu ou la fortune, mais faut par
neceſſitéqu'ellesyayéteſtécomparties eſgalement. Car de bien ordon
nerſesaffaires,ſçauoirprendre à propos ſon aduantage, combattre tres
aſprement luy-meſme touſiours des premiers, ne ſe perdreny eſtonnerés
plus doubteuſes & mortelles rencontres ſont toutes choſes que la vertu
ſe peut approprierde droict Mais neluyeſtre oncquesvne ſeule fois meſ
aduenu en ſi grande longueur de temps,en tant d'entrepriſes & conque
ſtes, meſmementés premiers accroiſſemens & progrez de cette monar
chie,qui n'eſtoit pas encore nybeaucoup eſtenduë, ny gueres bien con
firmee,cela ne ſe peut attribuer qu'à la fortune ſeule, qui ne ſe ſaoulaia
mais de le fauoriſer,& luy bien faire:nel'ayantaucunement voulu laiſſer
nyabandonner à la mercy de ſes euenemens,le plus ſouuent incertains
& doubteux.Car la deſconuenue de ſa mort ſe doibt referer à la diuine
vengeance, à quiilfaut que toutefortune cedeàla parfin : & eſtoit bien
raiſonnable que celuy finaſt ſes iours de cette ſorte, lequel onques ne
peut eſtreaſſouuy de ſanghumain, onques n'alladegayeté & gentilleſſe
de cœur à la guerre,mais comme pouſſe de rage,de fureur, & forcenerie,
toutainſi qu'vn lyon deſpité, quelque ſaoul & remply peuſt-il eſtre, fe
toitàtrauersvneharde debeſtes rencloſes dans le pourpris de quelque
parc: Que ſid'auenture illuy eſtoit force de laiſſer repoſer ſes ſoldats, il
ne bougeoitinceſſamment de la chaſſe, & ne ſe donnoit point de repos.
En quoyil ſurpaſſa de bien loingtous ſes predeceſſeurs:carquant à la di
ligence & celerité dont il auoit accouſtumé d'vſer en toutes choſes , la
vieilleſſe ne luy en fit rien relaſcher,ains ſe monſtra toufiours auſſi fraiz,
auſſi aſpre, prompt & vigilant ſur ſes derniers iours , comme en ſa plus
verte & vigoureuſeieuneſſe.Si bien que peu de Princes, ne des anciens
ne des modernes,ſe pourroient en ceſt endroit paran gonner à luy. | Etſi
pourcelail ne laiſſoit pas de faire toutes choſes meurement,ſans obmet
trevn ſeul poinct de ce qui pouuoit eſtre neceſſaire pour l'execution aſ
leuree de ſes entrepriſes & deſſeins.Deſſoubsluyſeulilyeut plus de ſang
reſpandu,que dutemps de tousſes predeceſſeurs enſemble. Mais au reſte
ilſemonſtroit aſſez doux & traictable enuers les peuples qui paiſiblemét
- C iiij
32 Liure premier .
portoientleioug de ſon Empire:& fut touſiours fort moderé enuers les
, -

enfans de noble & illuſtre maiſon, qui eſtoient nourriz en ſa courtres- l


promptaureſte à careſſer vn chacun, & l'appeller par ſon nom propre.
" Toutes les fois qu'il eſtoit queſtion de combattre, il ſçauoit bien ama
doüerſes ſoldats par harangues & langages conuenables; & leur accroi
ſtre le cœuràlaveuë de l'ennemy, oùbien ſouuent les plus aſſeurez ba
lancent & vacillent : mais luy-meſmeauſſi leur monſtroit le chemin de
ce qu'ils auoient à faire,& eſtoit ordinairement le premier à donner de
dans : ce quime ſembleauoir eu plus de force pour encourager ſes gens,
† non pas ſon † partout ailleurs eſtoit fort refroi
ie,& preſque muette,car il parloit peu de ſon naturel. Et encore que
d'ordinaireil monſtraſtvne chere douce, gracieuſe, & debonnaire , ſi
eſtoit-ilneantmoins rigoureux & ſeuere , à punir les moindres fautes
qu'on luy euſt faictes, dont il ne remettoit iamais rien. Il monſtra bien
pourle commencement de faire † eſtime de garder ſa parole & ſa
foy,plus que nul autre de la maiſon des Othomans; de façon que plu
ſieurs qui meſmeauoient conſpiré contreluy,nefaiſoient point de diffi
culté deſefierlà deſſus Mais dçpuis qu'il ſetrouuaaugmenté de puiſſan
ce & d'authorité,ilenvſa tout autrement; dont beaucoup ſe trouuerent
pris autrebuchet;car il ne pardonna gueres à ceux qui ſe voulurent ob
ſtinerà luyfaire reſiſtence,& ſe bander contre luy. Quiconque auſſi ſe
voulut entremettre deluy braſſer quelque mauuais party, nes'en alla pas -

de ſes mains bagues ſauues;ſuiuant l'ordinaire des Princes & grands Sei
† eſt de changervolontiers de naturelauecl'heureux ſuccés de
eurs affaires ; principalement quandilsſevoyent hors de crainte & de
doute de leurs ennemis & de doux &benins qu'ils eſtoientau-paruaât,ſe
monſtrer à tous rudes, farouches, & eſpouuentables. Amurat neant #
moins parmy cette grande ſeuerité,dontileſtoitſicraint & redouté des
ſiens,nelaiſſa de trouuerenuers euxautât d'amour,defaueur,& de bien
vueillance, que nulautre chefdeguerre quiait oncques eſté. Parquoy il |

ne faut pas que perſonne ſe perſuade, que s'il ſe fuſtrencontré du temps


de Temir,qu'onappelle communémentlegrandTamburlan,cettuy-cy |
Autrement
Temberlan.
euſt eu § bon marché de luy, commeileut de ſon fils Paiazet depuis; -

car il euſt mené laguerre d'vne autre ſorte:& ſibienil n'euſt renuerſé &
mis au bas vne telle puiſſance, côme ſe trouuoitlors celle de ce Tartare,
ileuſt bien mieux toutes fois ſçeu prédre ſon party,pour ceder à ſes pre
mieresfuries & tépeſtes; ſefortifier enlieux propres & aduantageux : luy
coupper les viures,l'eſcorner & affoiblir peu à peu par embuſches, eſcar
mouches,& legers combats; ſans ainſi temerairement,& àlavoleehazar
· derſaperſonne,ſes armees,& ſon Empire,àl'incertain euenement d'vne
bataille mal conuenable.
Fin dupremier Liure.
BA I A Z E T G V L D E RV M
cinquieſme Empereur des Turcs.
S O N E L O G E O V S O M M A I R E.
D E S A V I E.

E foudre cſouuente vniuerſellement,ranage indifferemment paſſe en vnmo


ment, & perit en vn inſtant. Toutes ces qualitez commencent excellemment
bien à Baiazet,ſurnommé desſiens Gilderum, ou Gulderum, c'eſt à direfoudre
N# du Ciel, ou ondefurieuſe : Carſapromptitude lefaiſoit paroiſtre comme vneſ
#e=# clair.Lerenom deſes victoires donna terreurà l'vniuers,ſa cruautémit à feu
& iſang toutes les Prouinces paroùilpaſſa, tant Chreſtiënes que Mahometiſtes Et enfin perdit
en vne/eule bataille,ſon Empire & ſagloire,finiſſant honteuſementſavie en vne miſerableca
ptiuité.Ilcommençaſon Empireparlefratricide deſonfrere Soliman, & parlemaſſacre des en
fans du DucdeSeruie, qu'ilfithachervifs en menuëspieces : Et enuoya pour ſe fortifiervne co
lonnie deTurcs en Macedoine, & vne autre à Scopie en la haute Myſie ou Seruie,puis paſſant in
continentapres en Europe : Ilfitlaguerre aux Triballes, & gaigna vne bataille ſur Marc leur
Prince, en laquelle il taillaſesgens enpieces, & luyfit perdre la vie, s'emparantparce moyen de
la meilleurepartie deſonpays.De là il vint rauager toute la Theſſalie, Phocide, & Attique.Les
Grecs aimans mieux luypayertributque de s'accorderentre eux, luy liurent Philadelphie, & le
font iuge de leurquerelle.Retourne en Aſie, & prent la ville d'Eritzecapitale d'Armenie, & cel
les d'Hypſipolis, Iconium,Caſura,Migdie, & Aſſaraſur le Caraman : Guerroy4nt tous les Prin
ces Turcs,Aſiatiques, & les contraignant d'allermendierduſecours à Samariant, à Tamerlan.
Chaſſe d'Ionie Sarchan, & Mendeſie, vſurpant leurs ſeigneuries. Puis reuenant incontinent
apres en Europe : Ilyfftgeneralde ſon Armée vn GrecnomméTheodorefils de Iean Laſcari, qui
luyacquiſt la ville de Domacie, & la citéde Delphes. Et continuant le cours de ſes victoires : Il
s'achemina en Hongrie qu'il ſaccagea toute auec la Boſine, & Croatie, apres auoir deffait les
François, Bourguignons, Allemans & Hongres, en ceſtememorable bataille de Nicopoli cité de
· Raſcie,l'an Boy. en laquelleilprit Iean Comte de Neuers priſonnier,qu'ildeliura luycinquieſme
en payant rançon, faiſant cruellementmourirtout le reſte des François. Met leſîege deuant la
Royale citéde Bude, qu'ileſt contrainct de leuer. Etpenſant allerdelà deſchargerſa colereſurles
, Valaques, &principalement en la Moldauie : Ileſt contrainčt de ſe retirer.Deſorte que toute la
violencedeſarage vint fondre ſurlaville de Conſtantinople (laquelleiltenoitaſiegée ilyauoit
dºſia 3.ans)ruinantſesfauxbourgs, & laſerrant deſipres, queſans larriuée deTamerlan & le
dgaſ#qu'ilfaiſoit en Aſiepartoutes les terres deſa domination, ellen'gſtoitpaspourſe defendre
plus longtemps.Mais Tamerlan ayant deſiagaignévne bataille contre lesſiens & pris la ville de
Sebaſte, où ſon fils EmirSolymanfut mis à mort Ilfutcôtraintd'aſſemblertoutesſesforces & ſe
retirerpour deffendre leſien. Laprouidence Eternellepermettant que celuyquiſe diſoit lefoudre
du Ciel, rencotraſtentſte celuy qui ſelon quelques vnsſediſoit lefleau de D1E v. Et à la verité
il fut bien ſon fleau. Car luy ayant liurévne des plusſignalées & ſanglantes batailles, qui ait
iamais gſtédonnée au monde,en laplaine d'Angory, ou Ancyre en Amaſie,proche du montStella.
Lieutres-memorableſurles confins de Bithinie & de Galatie (ou Pompée deconfit Mithridates)
en l'an 1397. Laquelle dura vn iour, & yfut tué 14oooo. Turcs, entre leſquels fut Muſtaphal'vn
deſesfils. Les autresprépriſonniers auecluy.Quit àſapriſon c'eſtoitvnecage defer, où ileſtoit
lié de chaiſnes d'or, & ſeruoit de marchepied ài'amerlin quand il vouloitmonterà cheual, &
ramaſſant commevn chien ce qu'il luyiettoit. Finiſſant ainſi miſérablementſavie, apres auoir
regné 26.ans, ſelon les vns, les autres 2s. & les autres 3o. Vn homme au demeurant plein de
fougue, de preſomption, & de cruauté, ſans foy, & ſans autre bonne inclination, n'ayant autre
deſirque de s'agrandir, & de reſpandre le ſang. Il futheureux au commancementdeſon regne,
maé la fin en fut tres-miſérable.Ilauoiteſpousélafle du Deſpote de Seruie qui futpriſe auecluy
(carilla menoittouſîours comme la plus chere de toutes ſesfemmes) &parlaquellepar deriſion,
ſelon quelques vns Themirſefaiſoit ſeruir à ſa table. -

LE SECO N D LIVRE
- - 33
LE SE C O N D L IV R E
D E L' H I S T O I R E D E S
T V R C S, D E L A O N I C C H A L
coNDYLE A T H E N I E N.

S O M M A I R E, E T C H EFS P R I N C I P A V X
du contenu ence preſent liure.

PaiaKetſoudain apresla mort d'Amu Complot desſeigneurs Grecs contre Pa


rat s'estantemparé de l'Empire,faict ia Ket,ce quil'irrite à aller enuahir
mettre à mortſonfrere aiſné; & tout Conſtantinople, oùil tint le ſiege par
decepas acheue de deffaire les Bulga l'eſpace de dix ans : auec le voyage de
7'85 , Chapitre I. l'Empereur Emanuelen Italie, & en
Harangue de l'auèugle Andronic Pa Francepour demanderſecours. Ch.8.
leologueà Paiazet, duquel ayant ob | Deſcription du Royaume de France, &°
tenu ſecours il recouure l'Empire , des merites des Rois François enuers
eg metſespere & frere priſonniers: la Chreſtienté pourleſquels ils ſeſont
mais eſtans euadez,Emanuely eſt re acquis ledroit del'Empire Occidétal.
mis par le meſme Paia Ket,moyennât auecquelquesguerres contre les An
3oooo. ducats de tribut. Chap.2. lois. - Chap 9•

Lapriſe de Philadelphie,laguerrecontre Des Iſles de lagrand'B retagne,& fagôs


Alexâdre Royd'Armenie; & quel de viure despeuplesquiyhabitenter
quesautres exploitsd'armes de Paia de la cauſedufiux & reflux de l'Oc
zetenl'Aſie. Chap.3. C6'477, Chap.1o.
Ciqueſte delaTheſſallie,& principauté Deſcentes & courſes des Turcsau Pelo
de Delphes : & de la domination de poneſe : lapriſe de la ville d'Argost
quelques ſeigneurs Italiens & Eſpa quelsſont les Accangi ou auant-cou
gnols en la Grece. (hap.4. reurs del'armee Turqueſque : & de
Deſcriptiondela Germanie,e9 Högrie, quelques habituations des Tartares
& des meurs & façons defaire de ces & des Turcs en diuers endroiéts de
deuxpeuples. Chap.5. l'Europe. Chap.Ir.
La rencontre de l'Empereur Sigiſmond, Paiazet s'eſtant emparé de la ville de
auecles Venitiens s'en allantfaire co Melitinédesappartenances deTam
ronnerà Rome, en laquelleil fut re burlan, cela l'incite à prendre lesar
pouſsé : ligue des Princes Chreſtiens, mes contre ledict Paia Ket, ioinétles
contre Paia Ketſoubs laconduitted'i doleances des Seigneurs Turcs deshe
celuySigiſmond, & de la bataille qui ritexparluy. Chap.I2. .
s'en enſuiuit,où les Chreftiens furent Du diuorſe desTurcs,e9 eſtrangefaçon
deffaits. Chap. 6. d'iceluy:diuers diſcours de Tambur
Entrepriſe de Paiazet ſur la Valaquie, lanauecſafemmeſur la rupture de la
, auecla # dupays;& lahon guerre contre Paiazet ; & lafinale
teuſe retraictedesTurcs par la vertu reſolutiond'icelle. Chapitre 13.
& proeſſe du Prince Myrxas.Ch.7.
Liure ſecond
MvRAT fils d'Orchan mis à mort par ce ſoldat Tribal
- $lien,les Baſſaz & autres Officiers & perſonnes principales
V /9 de la porte(ainſi appellent-ils la Cour du Turc) procla
$ merent Empereur tout ſurle champſon fils Paiazet, com
Paiazet puiſ- $è# bien qu'il fuſtle plusieune:lequel ne s'endormit pas, mais
† enuoya ſoudain à faulſes enſeignes † ſon frere aiſné
ſºn pºtºſi& Iagup(que les noſtres nomment Soliman) comme ſile pere viuant enco
fait tout ) - >• • / - : .
§". re# euſt mande:& ſoudain qu'il fut arriuédeuersluy,le fit empoigner, &
†" mettre à mort en ſa preſence, à la mode toutesfois dont les Seigneurs
J 373. Turcs ontaccouſtumé de ſe deffaire de leursfreres, qui eſt deles eſtran
cesargueles glerauec †
oula corde d'vn arc, ſans autrement reſpandre
†, parle glaiue le angImperial.S'eſtant doncques Paiazet ainſi aſſeuré de
†" l'eſtat parle parricide de celuyauquelil appartenoit de droit, ils'en alla
ils ont cette

# tout de ce pas chargerlesTriballiès, que de plainearriueeilmit en route;


§ & les chaſſaluymeſme fort longuement, là où ily en eut grand nombre
# de tuez carles Turcs eſtans beaucoup meilleurs combattans qu'eux &
" leurs monturesauſſi plus exquiſes,les enfoncerent fort aiſément, & ne
1.,r .. leurlaiſſerent pas grand moyen deſeſauuer àla fuite.Voila comment les
liens deſ choſes paſſerent à celle fois,au moins ſi nous voulons adiouſter foy à ce
que les Grecs enracontent,carlesTurcs en parlentbien d'vne autre ſor
te, diſans que cette deffaicte ne doibt pas § attribuee à Paiazet,mais à
ſon pere Amurat,ſoubs la conduicte duquella bataille fut donnee; dont
il eut le deſſus,&mitluy-meſme à mort de ſapropre main Eleazar le Prin
ce desTriballiens: qui eſt ce que lesTurcs entiennent entr'eux.De moy,
ie ne puis bonnement comprendre, comment il fut poſſible en ſi brief
temps de mettre ſon frere à mort, & puis de retourner au combat : Le
moyen auſſi qu'eutvn ſimple ſoldat ennemy d'approcher ainſi armé de
pied en cap,la lance en l'arreſtvn ſi grandSeigneur, & d'aſſeurance l'aſ
ſenerſià propos ſans que perſonne deſtournaſt le coup, tout cela m'eſt
vn peu chatoüilleux & § ie laiſſe neantmoins à chacun la liberté
d'en croire ce que bon luy ſemblera: Etreuiens à mon propos que Paia
zetapres eſtre ainſi paruenu à l'Empire, & auoirgaigné d'entreevne ſi
noble victoire,encore qu'elleluy couſtaſt bien cher, pour-ce que grand
nombre de ſes gensy laiſſerent lesvies ; & de ſa propre main euſt mis à
mort le chefdes ennemis ſurlaplace,ne ſe laiſſa pas § pourtant à vne
oyſiueténonchalante:carpourſuiuant chaudement ſafortune,ilcourut
Paiazet tout d'vne
-
. diligence incroyable tout le pays de ceux qu'il auoit deffaicts;dont
- - - - - • A

§ il ramena vngrand nôbre de priſonniers.Cela faict,ilſemit à ordonner


† ſes affaires: Ettout premierement receutles Grecs à ſon amitié & allian
†º" ce, fit paix auecles Princes de Macedoine; & enuoya grand nombre de
Turcs naturels tant del'Aſie que del'Europe,auecleurs meſnages habi
©

ter en la ville des Scopiens,non à autre fin § pour touſiours anchrer


#º ſurles Illiriens,& les mettre en combuſtion:cartout incontinent apresil
, des scº leurcourut
piens. entierementſus,&prit quelques
puis enuoya vnes
encore vnedeautre
leurs armee
places,leſquellesil s'accagea
contre les Albanois
-

, Del'Hiſtoire desTurcs. 35
enlacoſtedelamer Ionie prochaine delaville de Duras,dont fut enleué :

vntres-grandbutin. - - | -

Av regard des Grecs, ilsle ſuiuoient deſia † tous à la guerre it.


uelque part qu'il allaſt,hors-mis Emanuel fils de l'Empereur Ieâ: & An
† lesyeuxauoient eſtécreuez auecduvinaigre boüillant, &
eſtoit gardé dans le palais de Côſtantinople:mais quelque téps apresqu'il
ſevit aucunemét amendéde laveuë,iltrouuamoyenàl'ayde de quelques
vñs d'euader,& s'enfuit en laville de Galathie,autrement dicte Pera, qui
eſttout visàvis,d'où il ſe retira puis apres deuers Paiazet, àluy §
duſecours pourrentrerenſon heritage.Eſtant doncquesvenu en ſa pre
ſence on dict qu'il parla en cette ſorte. De moy(Seigneur) qui ſuis en Harengue de
l'aueugle Ana
couru envne ſigriefue † i'ay touſiours eu mon dronic à Pa
iazet.
eſperance en Dieu,lequelvoit,cognoit toutes choſes, & me ſuis entiere
ment remis à ſa bonté & miſericorde,auſſine m'a-il point delaiſſé: car ie
metrouue maintenant (graces à luy)aſſez mieux que mon Infortune ne
ermettoit: Et m'a ſa bonté & clemence fait telle grace, que m'ayans les
§ du tout voulu priuer de la veuë, il m'ena § laiſſé quel
que peu,pour me pouuoir à tout le moins conduire; me promettant d'a
uantage la reſtitution de mon Empire: Auſſi eſt il bien raiſonnable que
ie ſois reintegré en ce que de droict m'appartient. Or trouueras-tu c Les Grecs

apres le tout à ta deuotion & ſeruice,ſi par le moyen de mon ayde ie vies †"
Empire de,

àle recouurer, ce quiſefera bienàl'aiſe, ſi tu me donnes ſeulement iuſ-# ueur duTurc


ques à quatre mille cheuaux,qui † l'eſpace de deux mois
& non plus:cartous les riches & puiſſans perſonnages,voire les plus no-.
bles & anciennes maiſons de Conſtantinople,tiennent noſtre party: tel
lement que de cette heurei'enaurois vn grand nombre à ma ſuitte, ſi ce
n'eſtoit qu'ils ſont beaucoup plus à propos dans la ville, à briguer ſoubs
main & ſolliciter nozaffaires.mais ils ne faudront devenir à noſtre man
dement,touteslesfois qu'il en ſerabeſoin.En recognoiſſance du ſecours
qu'il te plaira me donner,voicy queiete promets des maintenant àl'ad
uenir,& pour touſiours,te payertribut par chacun an : Et en outre de re
ceuoiren Conſtantinople telgouuerneur qu'il te plaira y enuoyer de ta
part.A quoy Paiazet fit telle reſponce. Alaverité (Prince)ce nous a eſté Reſponſe de
Paiazct.

plaiſir d'entendre que tu n'ayes point du tout perdulaveuë, & nous en


cſtde tant plus agreable le langage que tu viens de tenir preſentement:
rendans graces au Createur des mortels,& desimmortels, de ce qu'illuy
a pleu me faire ce bien Aureſte ne te ſoucie,tu esarriué deuers ceux que
tu trouuerasamis & ſecourables iuſquesaubout,& qui t'aſſiſteront ſoy
neuſement en tous tes affaires maisie veux vn peu § ton pere, &
† apprendre vne autre foisà ſe donner de garde de m'irriter, ne rien
remuer àl'encontre de moy. Prends doncques à la bonne heure ceux
que tu demandes,& te mets tout de ce pas en chemin , afin d'executer
promptemét ce quiteviendra le plus à propos pourrentrer en ton bien,
Cela dict,illuy fit tout ſur l'heure deliurer les quatre mille cheuaux qu'il
auoit demandez auecleſquels Andronic § droict à Conſtatinople.
t
36 · Liure ſecond
Mais toutauſſitoſt que Iean & ſon fils Emanuel eurent nouuellescom
meilvenoit contr'eux à tout vne groſſe puiſſance, ils s'allerent enfermer
dedans le bouleuard qu'on appelle la tour doree, en deliberation d'yat
A tendre le ſiege,& s'eſtant venu ce-pendant Andronic plâter deuant lavil
† le, ils ſe rendirent incontinent à luy. Il les fit tous deux mettre en vnc
§ geolle de bois,faite tout expres fort eſtroitte & contrainte dedans lameſ
" me fortereſſe,ſi qu'à grand peine s'y pouuoyent-ils tourner. Etainſiayât
empriſonné ſon proprepere & ſon frere,il rccouural'Empire,auquel dü
† rant qu'ille gouuernoit encore,il deſignaſon fils Iean pour ſucceſſeur:&
#" garda trois ans entiers les autres, qu'il ne les voulut point faire mourir,
§ :| uerent
1'CllI ,
combiémoyen
que Paiazetl'en preſſaſtfort.Mais
de pratiquer àlacharge
celuy quiauoit la quatrieſme
de leurannee,ils
porteràtrou

Caloian & E-
manuel eſ-
† lequelles accommoda d'vn ferrement dont ils ouurirentlapriſon,&
- -

#
la priſon. de ſe retirerent àgarend deuers Paiazet, luy offrans vn gros tribut par cha
- &b

cun an, auec tel nombre de gens de guerre qu'illeur voudroit impoſer.
· Là deſſus,luy comme fin & ruſé qu'il eſtoit, enuoya quelquesvns à Con
ſtantinople pour ſonderſecrettementlesvolontez du peuple,lequel on
Ainſi eſt ilau aymeroit le micux ou luy ou Emanuel;taſchant parlà de deſcouurir quel
† le partilauoit là dedans. Ils choiſirent toutesfois Emanuel, eſtans §
# auſſi bien tous ennuiez du gouuernement d'Anthronique. Telle fut la
†º contention & debat qui ſuruintentre ces deux, dont Emanuel qui of
§te de froit à Paiazet trente mille ducats de tribut par chacunan, & d'auantage

carrie du Turc de le ſuiure partoutauccvnearmee entretenue à ſes propres couts & deſ
/ V 2• ' • 2

† Pens, fut par luy preferé » ! la charge qu il ſeroit tenu d'apporterluymeſ


†# cement
y
me à la porte le tribut qu'il auoit promis, & touſiours ſur le commen
de la prime vere fourniroit le nombre de gens qui luy ſeroit or
CIl 1Cc1ll - - - - -

moyennant

†" donné armez & equipez en§ Auregard d'Andronic & de ſon fils,
†* ils demeurerent à ſa ſuitte, deffrayez & entretenus aux deſpensd'iceluy;
# & par cemoyen Emanuel ſe trouua du tOllt paiſible. - -

iazct. PA 1AzET doncques ſe voyant auoir en ſa diſpoſition & puiſſance les


deuxautres Empereurs des Grecs, quil'eſguillonnoient à l'entrepriſe de
Philadelphie, alla(par maniere de dire)lancertoute la furie & impetuo
ſité de ſes armes contre ceſte pauure cité, car dés lors que ces Princes e
ſtoient en pique les vns contre les autres, telle que vousauez ouye cy deſ
ſus, ilauoit faict grandeinſtance qu'elleluy § miſe entre les mains, &
eux le luy auoyent accordéchacun en ſon endroict. Mais comme Ema
nuely euſt depuis enuoyévn Heraut pour commander aux habitans de
ſe rendreauTurc, & receuoir le gouuerneur, & leiuge qu'ily voudroit
enuoyer,pour leur obeyr delà en auant,ils firent fort bien reſponſe,qu'ils
n'eſtoient pas deliberez de s'abandonner & commettre ainſilaſchement
és mains d'vn Barbare infidelle. † Paiazet ſe ſentant picqué,yme
naſon armee auec les deux Princes deſſusdits,quis'y porterétaſſez mieux
I a priſe de que paraduenture le deuoir de Chreſtiens ne permettoit : carce furent les
Philadelphie
par les Turcs. premiers qui monterent ſur la muraille, & firent le chemin aux autres
poury entrer.Ainſifutpriſe ceſteinfortunee Philadelphie,ville Grecque
au pays
Del'Hiſtoire des Turcs. 37
au pays de Lydie,de toute ancienneté excellemment bien policee, & re
gie ſoubs inſtitution de meurs,loix,& couſtumes tres-loiiables. De là Pa- Turc
2 9
, ºººº
ſignifie
azet s'en allafaire la † à Scender Roy d'Armenie, & mitle ſiege de- , §
- - - /

uantfErtzica capitale de tout le Royaume; & vne autre petite ville en- #
core appellee Lamachie. On dict que ce Scendericy eſtoit le plus fort hô-†
me de toute l'Aſie,& le plus adroictauxarmes, qui en vigueur & diſpoſi-º.
tion de membres, en hardieſſe,& experience au faict † guerre, ne ce
daàaucun autre de ſon temps: tellement qu'ayant eſté par pluſieurs fois
aſſailly des Aſſiriensilfit tout plein de belles choſes ſur eux , & quelque
petite trouppe de gens § euſt auecques ſoy , il mit neantmoins
touſiours en route ſes ennemis.Mais finablement ſa femme propre pour
uelque mauuais meſnage quiſuruint entr'eux, luy dreſſa des §•'
† le mit à mort auecvn ſien fils,retenant en ſes mains le gouuerne
ment du Royaume.Contre ce grand & valeureux Capitaine Paiazet me
naſonarmee, & prit de forcela ville d'Ertzica,enſemble ce ſié fils deſſuſ
dit, qu'il emmena priſonnier. Cela faict, paſſa outre à la conqueſte des
Tzapnides qui tiennent toute la region de la Colcide iuſques à la vil- ..
le* d'Amaſtre.Puis s'en alla contre Carailuc & Leucamna Seigneur de †.
* Samachie,qui levintbrauement rencontrer, mais il fut deffait, & per-†ºhlagonie.
ditlabataille,oùily eutvne durerencontre. Eſtât puis apres Paiazetallé M#
edie en la
mettre le ſiege deuant la ville deſſuſdite,ily demeura quelquesiours ſans §
† rien faire:parquoy il deſlo gea & s'en retourna chez ſoy; où il ne #.
eiournagueres qu'ilnereuinſt faire la guerre aux autres Seigneurs de"
l'Aſie, Aſſauoir à AEtin,Sarchan, Mendeſias, Tecos, & Metines, auſ-paizetde
† il oſta toutes les terres & pays qu'ils poſſedoient, & ſe mit de-†a
ans : tellement qu'ils furent contraincts,ſevoyans ainſi chaſſez hors ºººººº.
de leur droict & legitime heritage , de recourir à l'Empereur Temir:
mais commentils arriuerent tous deuers luy, hors-mis le Caraman ſur
nommé Aloſuri,& Turghet Seigneur de la Phrigie,cela ſe dira cy-apres;
car ces deux Princesſe rengerent du party de Paiazet.Touslesautres qui
auoient parluy eſté § deleurs biens ſe retirerent à Semarchant, cºdep .
où eſtoit la cour & demeure Royale de Temir.C'eſt bien choſe ſeure, §
ue Sarchâ quiioüyſſoit des pays bas de l'Ioniele l6gde la mer, & Men- # zºg .
§ , tous deux neueux de Calamis; enſemble Tecos Seigneur de
Madian, eſtoient des deſcendans de ces ſept Capitaines de l'Othoman,
leſquels apres auoir reduict leurs forces envn, conquirent de compai
gnie l'Empire del'Aſie,ayans auparauanteſté à la ſuitte d'Aladin. Mais
ie n'aypoint encore bien peu ſçauoiràlaveritè,le moyen parlequel AEtin villed'Aſie ls
& Metin vindrent à eſtre ſigrands Seigneurs.Caron dit qu'AEtintenoit "
luy tout ſeul ce qui eſt de pays depuis # ville de Colophon iuſques à la
Prouihce de Carie.Quantà moyie ſçay pour certain, que tous ceux qui
viuent foubs l'obeyſſance des Turgaturiens, du Caraman , de Metin,
& d'AEtin, ſontTurcs naturels, & pour tels tenus & eſtimez d'vn cha- Vi&toi
cun. Mais pour retourner à Paiazet, apres qu'il eut ſubiugué à force #
d'armes tout ceſt endroict de la Cappadoce qui obeyſſoità Caraiſuph, #º
- - - - D ' ts f

ºn • •
38 Liure ſecond
& la contree encore que tenoient les enfans d'Homur; & ſe fuſt d'abon- z
dant emparé de la meilleure & plus grâde partie de la Phrigie,ilmena ſon
armee contre la deſſuſdite ville d'Ertzica,& contre Scender,qui pourlors
dominoitvne fort grande eſtéduë de pays ences quartiers † à la
riuiere d'Euphrate:à quoyilauoit encore annexé vn bon eſchantillon de
la Colchide. Paiazet fit encore tout plein d'autres belles choſes ce-pen
dant qu'il s'arreſta en Aſie; laiſſant de tous coſtez de fort amples & ma
gnifiques marques de ſes victoires & conqueſtes. -

III1. MA 1s apres qu'il fut paſſé en Europe,ayant laſché comme d'vne laiſſe
-luſieurs armees tout à vn coup ſur Mocedoine, & le territoire des Al
- § quihabitent au long delamer Ionie,il fit par tous ces quartiers là
caa,s rui detres grandes deſolations & ruines Et ſi prit de force quelques vnes de
#º leurs places.Puis paſſa outre contre les Illiriens,le pays deſquels il courut
& gaſtad'vn bout à autre, & enleua tous les biens & richeſſes qui y
eſtoient : cela faict, dreſſa ſon equipage pourallerau Peloponeſe : tou
tesfois il faiſoit courirle bruit que c'eſtoit pour donner ſur la Phocide,
& ſe ſaiſir de laTheſſalie, afin d'auoirce pays-là à propos pour ſes autres
· entrepriſes & coqueſtes.Carl'Eueſque des Phocentiens meſmes eſtoit
† celuy quil'y attiroit, luy mettât en auant la beauté du pays, le plus com
moit extre

† mode de tous autres pour le deduict de la chaſſe & delavollerie; où il


§- y auoit force grandes & ſpacieuſes prairies, couuertes ordinairement
†"d'vne infinite de gibier : & d'auantage des pleines & campaignes ra
liure. ſes, toutes à propos pour ioüer à ſon aiſe de ſa cauallerie : ce qui fai
ſoit aucunement ſoupçonner que ce fuſt le but où il viſoit; neantmoins
ſon deſſein à laverité eſtoit ſur la Theſſalie,pouraller prédre au deſpour
| ueules Princes Cerneens qui pourlors y dominoiét; & la vefue de Dom
· Louys Daualos Prince de Delphes,nommee Trudelude. Parquoyil fit
ſemblant de s'aller ietter dans le Peloponeſe ; mais y ayant laiſſé pour
ſon lieutenant generalleSeigneur Theodore fils de Iean,lequel s'acqui
ta fort bien de cette charge,iltourna courtvers la Theſſalie, & d'arri
† uee prit la ville de Domace, quel'vn des Cerneens auoit abandonnce.
Theiiie Il ſe ſaiſit encore de celle des Pharſaliens qui eſtoit auſſi des apparte
nances d'iceux Cerneens. Puis eſtant paſſé outre,il rengea à ſon obeiſſan
ce Zetunis ſituee dans le deſtroit desThermopiles,& Patras qui eſt en la
plaineau pied de la montaigne des Locriens;auec tout plein de petites
villes de là autour, quiluy furent rendues par compoſition. Ceſte Tru
delude auoit vne fort belle fille preſte à marierlaquelle eſtoit deſia fian
cee;mais voyant Paiazetvenir côtre elle à main armee,prit les plus exqui- .
ſes & precieuſes beſongnes qu'elle euſt, & menant ſa fille quant & elle,
## s'en allaau deuant deluy,lequelreceut fortvolontiers le preſent, & leur
§ile permit à toutes deux de viure en leur religion & maniere accouſtumce:
# neantmoins il mitvn gouuerneur aupays qu'elles tenoient. On dit que
Paix. cette Trudelude auoit eſté autrefois #tranſportee de la folleamourd'vn
preſtre nommé Strates,qu'oubliant toute honte & deuoir elleluy auroit
misés mainsl'entiere adminiſtration & gouuernemét de ſa principauté,
Del'Hiſtoire des Turcs. 39
& à ſon occaſion faict mourir pluſieurs des citoyens de Delphes. Dc
uoy l'Eueſque du lieu l'auoit fort ſcandaliſee enuers Paiazêt, adiou
§ encor'à celal'indignité que c'eſtoit de laiſſer ſi longuement vn tel
pays es mainsd'vnefemme † traittoitainſi inhumainement ſes ſubiets,
& leur faiſoit endurer tant d'opprobres & iniures , ce-pendant qu'à la
veuë de tout le monde elle tenoit le berlan, & exerçoit ſes paillardiſes
& meſchancetez auecſon beau ruffian de preſtre : ce qui fut cauſe, ou
pourle moins vnpretexte & couleur,que Paiazetluy alla courir ſus. On
dict encore tout plein de choſes de ce preſtre,& qu'elle n'eſtoit pas ſeule
de quiil abuſoit, maisy en auoitbeaucoup d'autres qu'il auoit ainſi ſu
bornees, le tout par le moyen des charmes & enchantemens dontil s'ay- A

doit pour les faire condeſcendre à ſavolonté. Or eſtoit le mary de cette


dame mort de maladie nagueres auparauant,perſonnage de fort ancien- . .
nerace, comme yſſu de lamaiſon & famille des Roys d'Arragon leſquels C'eſt poi
iadis eſtans paſſez des parties d'Italie au Peloponeſe, s'eſtoient faicts Sei- §
neurs du territoire de l'Attique,& dela Bœoce, enſemble de tout le re- §
ſte du pays que maintenant on appelle la Moree : & auoient par meſme †
moyen conquis la Phocide,& laville de Patras hors le deſtroit des Ther-# ragon : car ils

mophiles.Toutesfois par ſucceſſiô de temps,luy & le reſte de ſa race vin-§ §


drent à perdre ce qu'ilsauoient gaigné; tellement qu'aucuns d'eux s'en # #
retournerent en Italie, & lesautres acheuerent le reſte de leurs iours en †
la Grece. De ces gens-là eſtoit deſcendu ce Dom Louys Daualos Prince ſe .
de Delphes, dont,ainſi que dict eſt, la femme & la fille furent enleuees , Le Due de
par Paiazet, qui ſe vint finablement ruer ſur le Peloponeſe : toutesfois il †.
ne fut pas pluſtoſt arriué en la Theſſallie, que le Duc de Sparte apres †
auoir pourueuaux places de ce coſté là,eſtant ſecrettemét partyvnenuict ſe
syen alla en toute diligence , afin de le preuenir & luy faire teſte, s'il ſe
mettoit en effort d'y entrer. Cecy donna à penſer à Paiazet,voyant la dif- Ligue des
ficulté qu'ilauoit d'en approcher ſonarmee.auec ce que là deſſusluyvin-c# cótre le Turc.

drentnouuelles, comme les Hongres ſoubs la conduite de l'Empereur §


Sigiſmond,à tout vn gros renfort de François & Allemans, s'eſtoiét mis †,
en campaigne pourlevenir trouuer,deſia preſts à paſſer le Danube : & ſi #.d
auoient encore accueillyles forces des Valaques (gens aſſez cogneuz & des temps
renommez) pour leur ſeruir de guides en ce voyage, & les conduire par
le pays de l'ennemy. Ce Sigiſmondicy qui aſſembla vne ſi belle armee
contre Paiazet,eſtoitvn fort grandterrien, des parties du Ponant ; qui
faiſoit ſa demeure la pluſpart du téps à Vienne en Auſtriche, dôt il eſtoit
Seigneur, enſemble de beaucoup d'autres terres de là autour : de ſorte
qu'il eſtoit paruenuau Royaume de Hongrie, & à l'Empire d'Allemai
gne encore. Mais puis que nous ſommes icy tombez ſur le propos des
François & des Allemans, il me ſemble qu'il n'y aura point de mal de
toucher quelque choſe en paſſant de laſituation de ces deux belles gran
des Prouinces, & des meurs & façons de faire des peuples quiy habi
UCIlt. -
-
V -

- - A . . , * , , , 1» Deſcription
LA Germanie prend ſon commencemcntés monts des Alpes, d'où §
- - Dij "
4o Liure ſecond
ſort la riuiere du Rhin, lequel ſe va rendre en la mer Oceane deuers So
ſeil couchant.Tout ce qui eſt de pays depuis Argentine ou Straſbourg
iuſques à Maience, & encoreplus bas quaſi iuſques aupres de Colon
gne, enremontant puis apres de là vers Auſtriche, s'appelle la haute
Germanie:mais le reſte qui paſſe au deſſoubs de ladicteville de Colon
gne,tant à main gauche du Rhin, en tirantversles Gaules, iuſquesaux
- Iſles de la grand'Bretagne, † main droicteau deça de ce fleuue vers
" Pº « la Pyridaſtie,ſont les pays bas de ladicte Germanie ou Allemagne. Sa
longueur,à la prendre depuis Vienne iuſques aux bouches du § , eſt
devingt bonnesiournees: Et ſi lalargeur en eſt plus grande, combien
- qu'onla vueille meſurer parla plus courte & abbregee trauerſe, depuis
la Gaule Celtique, iuſques preſque en Dannemarch. Au reſte cette na
tion eſt pour cette heure la mieux policee, & qui ſe gouuerne le mieux
que nul autre peuple de tous ceux qui regardent,ſoit au Septentrion ou
au Ponant, departie au reſte en pluſieurs belles & groſſes villes, qui viuét
chacune ſelon ſes loix & couſtumes à part. Il y a auſſi pluſieurs Prin
ces, Potentats,& grands Seigneurs § parmy;& des Eueſques & au
· tres Prelats delieu à autre, qui reſpondent tous au ſouuerain Paſteur de
l'Egliſe Romaine,lequelils recognoiſſent pour ſuperieur, & luy obeiſ
ſent en la ſpiritualité.Mais les principales,& plus fameuſes de toutes cel
les qui ſont venuës à noſtre co gnoiſſance , tant de la haute que de la baſ
r,yredeſ ſe Germanie, ſont Nuremberg riche & fort marchande, Straſbourg,
† Bamberg, Coulongne; & bien deux cens autres, commel'on dict, qui
†. ne ſont gueres moindres.Somme que c'eſt vne tres † & puiſſan
§e te nation, & qui en nombre de gens, & eſtendue de pays peut eſtre
† tenue pour la ſeconde apres les Tartares, ou Nomades de la Scithie:
† tellement que s'ils eſtoient bien vnis & d'accord tous enſemble
ſoubs l'obeyſſance d'vn Prince ſeul , ie croy quant à moy qu'ils ſe
roient inuincibles, ou à tout le moins les plus forts & redoubtez de
tous les mortels. Car entant, que touche l'habitude & diſpoſition
de leurs perſonnes , ils ſont gaillards , ſains , & robuſtes, ce qui ſe
peut : comme ceux qui paſſent leur aage au Septentrion , ſoubs vn
climat où rien ne deffaut de ce qui eſt neceſſaire à la vie de l'homme,
ſans iamais eſtre gueres infectez ny empuantis de la peſte, prouenan
te d'vn air corrompu, ainſi que ſont les peuples de l'Orient , parmy .
leſquels cette pernicieuſe contagion faict ordinairement de terribles &
merucilleux eſchecs & breſches.Et s'ilya encore fort peu d'autres mala
dies quidurant l'Eſté,& ſur l'Autône ſontailleurs fort frequentes & mo
leſtesine de tremblemens de terre nomplus, aumoins qui ſoient dignes
d'eſtre remarquez:trop bien y pleut-il enabodance tout le long de l'Eſté
autât ou plus qu'ennulautre endroit que ie ſçache.Ilyaauſſi force fruits
de toutes ſortes,hors-mis § de raiſins,auec, ſi ce n'eſt
le long du Rhin.Auregard de leurviure,de leurs habillemens, & autres
façons de faire, ils ne different pas beaucoup en tout cela des Occiden
raux.Maisie n'ay point oy dire,qu'en tout le demeurant de la terre ilyait
"

Del'Hiſtoire des Turcs. 4t #.


gens plus feruens & deuotieux, ne plus fermes & arreſtez en la religion
Romaine,que
cident.Le duel ſont ceuxprincipalement
& combat d'homme àhommequi approchent
leur eſt fortlefrequent,
plus de l'Oc-nvºutenten.
tou- # pays
tesfois ce n'eſt pasàcheual,ains à pied que leurs querelles ſe § -

& ne trouuera-l'on pasayſémentailleurs,commeie croy, † qui ſoient


plusinduſtrieux & ubtilsàinuentertoutes ſortes de machines & engins
pourlaguerre.Auſſiſe ſçauent ils bien † d'eſtre les plus exceſſens
ouuriers de tous autres,en quelque meltier † ce ſoit : car on tiét que ce
ſont eux quiont monſtré premierement l'vſage del'artillerie, arquebou
ſes piſtolles & autres baſtos à feu & que delà,ceſte peſte & ruine du gére
humain,a couru& s'eſt eſpächee par tout le reſte du mode,ſibié que pour
leiourd'huyiln'ya gueres de gens quine s'enaident.Mais pourvenir à la pºrpion
Pannonie,ou Hôgrie,ainſi qu'onl'appellemaintenant, elle commence à* ººgº
laville de Vienne,& delà tirant droict contrel'Orient le long de la riuie
re du Danube,paſſe iuſques auxTranſſiluains & Triballiens : & deuers .
Septentrion,ellevaatteindre les Bohemes, qu'on appelle autrement les
Cephiens ouTzechiens.Elle a auſſi ſes Princes & Seigneurs particuliers,
qui ont leur pays ſeparez les vns des autres,& neantmoins recognoiſſent
tous le Roy pourſouuerain,& luyrendent obeiſſance ſoubs de certaines
conditions; combien qu'ils n'ayentgueresaccouftumé de l'eſlire de leur
nation,carilsappellent ordinairement quelqu'vn duſang Royal de Bo -
heme,ou bien de la Germanie,ou des Polonois,& autres peuples circon
uoiſins pourlesgouuerner.Quant à leurs armes,meurs & faços de faire,
ils ſemblent conueniraſſezauecles Italiens, s'ils n'eſtoient ſidiſſoluz &
exceſſifs en leurviure,auſſi bien queles Allemans & François. Ils ſuiuent
la religion Romaine, & ſont au reſte gens fort vaillans & exercitez à la
† tellement que ce ſeroit choſe trop malaiſee à racompter, que de .J ". * '. "

eurs faicts & proëſſes. Que ſi d'auenture le Royaume vient à vacquer


quelques fois, celuy des Princes & Barons quile premier ſe peut ſaiſir du -
palais Royal, a dupeuple la ſouueraineauthorité & ſuperintendance des
affaires, mais il ne prend pas pour cela le tiltre de Roy. Leur langage eſt
particulier, n'ayant rien de commun auec celuy des Allemans ne Polla
ques,ne de pasvne des nations Occidentales auſſi peu:& pourtant quel
ques vns veulent dire que ce furentanciennement les Grecs propres qui
habitoiétau pied du môt AEmus,& qu'en ayans eſté dechaſſez parles Sci
thes,ils ſe ſeroiétretirez enlacontree qu'ils tiennent de preſent,les autres
ont opinion que c'eſtoient Valaques de moy ie n'en ſçaurois que dire à
laverité.Mais puis qu'eux meſmes ſe ſont donnez le nom de Pannoniés,
& † les Latins les appellent ainſi, il me ſemble qu'il ne me ſierroit gue· L'Empereur
- - - - v .

res bien de leur en vouloir mettre vn autre. Le ſiege capital eſt à Budde, # eu Roy de
treſbelle & magnifique ville ſituee ſur le bord du Danube , d'oùilsens Hongrie.
uoyerent premierement deuers Sigiſmonddeſia eſleu Empereur, lequel
pour lors ſeiournoit à Vienne,luy offrir le Royaume. . " , , , ,
I L n'en fut pas pluſtoſt entré en poſſeſſion , qu'il depeſcha deuers ler #.
- - -
# 1j
Pape,qui luy eſtoit deſia auparauantfortaffectionné, & auſſi aucu
- · •


42 · Liure ſecond
T nement,pourfaire ratifier ſon election Imperiale, laquelle dignité les
- * • - - - -

†"
France pre ſouuerains Pontifesdel'Egliſe Romaineſouloient auparauant conferer
† † aux Roys de France,en conſideration de leurs merites & biens-faicts en
magne uers le ſainct Siege: & mcſmement pour auoir defaict & exterminéles
Sarrazins, qui § paſſez del'Afrique en † & deliuré le pays
entierement deleur ſeruitude & oppreſſion, enſemble de leurs courſes,
inuaſions,& ſurpriſes.Mais puis apresle droictd'eſlireles Empereurs paſ
ſa de Romeaux Allemans : & neantmoins Sigiſmond apres en auoir eu
l'aſſeurance du Pape,& que ſa ſainctetél'euſtmandé là deſſus, pour aller
receuoirla coronne de ſa main,il ſemit en chemin pour l'aller trouuer,
1e v a prenantſon addreſſe parles terresdes † n'en eurent pas
#. pluſtoſt les nouuelles, qu'ilsluyenuoyerent dire aſſez rudement, qu'il
† ; euſt à en ſortir Dequoy il ne tintcompte,nevoyant rien encore ( ce luy
†" ſembloit) qui luy deuſt émpcſcher le paſſage. Mais les autres ayans
† en toute diligenceaſſemblé leurarmee,vindrentaudeuant de luy,ende
#i liberation deluyfaire fairedeforce ce quede ſonbongréiln'auoit vou
' lu faire: Et luy de ſon coſté voyant leur contenance & reſolution,rengea
fes gens en bataille, & leurvint preſenter le combat, où il perdit grand
nombre d'hommes,& futluy-meſme contrainct de prendre la fuite hon
teuſement,en grand danger encore deſtre pris Voyant doncques qu'il
n'yauoit plusd'ordre de paſſer parlà,ilrebrouſſa chemin vers les hautes
Allemagnes,& delàs'en vint rendre à Milan. Pourſuiuant puis apres ſes
erres,il arriua finablementà Rome,oûilfut coronné Empereur parle Pa
pe, aueclequelil eut le moyen de negocier toutàloiſir beaucoup de cho
· ſes,touchant le ſecours de gens & d'argent qu'il demandoit pour la guer
re du Turc,caril § ſon entendement:à quoyle Pa
Charles 6. pe preſtafortvolontiersl'oreille,& deſpefcha là deſſusauRoy de France,
& au Ducde Bourgongnc,quioctroyerent liberalement huictmilleh6
Iean comte percur
de Neuors.
mes de défoncoſté
guerre,ſoubsfitlaſesappreſts,
charge & conduicte
receuantàduſa frere
ſoldedudict Duc.
tous les L'Em
Allemans
qui ſe voulurentenrooller , Puis auſſitoſt qu'il eutſon cas en ordre, ayât
pris les forces de Hongrie,& les Valaques pour ſeruir deguides & auant
coureurs,tira droictau Danube, pour de là aller rencontrer Paiazet. Et
cependant depeſcha des Ambaſſadeurs deuers les Princes & Potentats
del'Italie & Eſpagne, pour ſolliciter auſſi leur ſecours d'hommes & de
deniers,à cette ſaincte & louable entrepriſe.Le tout ſuiuantl'aduis & en
hortement du ſainct Pere,lequel de ſa part ne manqua en rien de tout ce
qu'ilauoit promis.Maisle Turc† ſçeutincontinent,comme †
, s'en venoità toutvnegroſſe pui ance pour le combattre, aſſemblaſou
- dain les forces de l'Aſie & del'Europe,& d'vne diligence nompareille, le
. ,
vint deuanceriuſques au Danube,plantant ſon campà deux lieuës & de
mie du bord del'eau.Surquoyles François(qui àla verité ſont bien vne
#. # tres-hardie & belliqueuſe nation, mais bien ſouuent auſſivn peu plus
§ boüillans & haſtifs, que par-aduanture il ne ſeroit beſoin)ſans autremét
" vouloir temporiſer,coururent ſoudain aux armes,nevoulans pas que les
12 r r , A , 1 . >r

Del'Hiſtoire des Turcs. 43


autres euſſent partàleurvictoire; & allerent attacher fort viuement les
ennemis, comme ſi de cette premiere poincte ils euſſent deu fouldroyer
tout,& paſſer de plaine arriuee ſurleventre àl'armeeTurqueſque.S'eſtât
là commencé vn fort ſanglant & tres-crueleſtour,eux meſmes ne peurét
ſupporter le faix de leurs aduerſaires,mais ployerent aſſez toſt, & ſevin
drentrenuerſer ſurlesautres qui les ſouſtenoient, où fut encore braue
ment combattu par vne bonne piece : Tant qu'à la parfin la foulle des
Turcs qui de tous coſtez les vindrét § ſi groſſe & impetueu
ſe,que cela les emporta du tout,& acheua de les deffaire. Il y eut à cette
ſeconde recharge,vn fort grandmeurtre & tuerie des Chreſtiens,tant ſur
lelieu du combat,que puisapres à la chaſſe.Et d'auantage ceux quis'eſtás
ſauuez deviſteſſe,ſe voulurentaduenturer de paſſer la riuiere a nage, de
meurerent la pluſpartengloutis dans le courant & profondeur des on
des.Tellement que pluſieursy finerent miſerablement leursiours, tant
Hongres que François entre leſquels fut pris le frere du Duc de Bour
ongne,quiauoit la principale charge & authorité en l'armee. Et ne s'en
† mefme gueres que l'Empereur qui ſe trouualors en tres-grand dan- sigiſmonà ſa
er deſa perſonne,ne demeuraſt § és mains desTurcs : toutes-†,.
§ ayant trouuévne barque à propos,il ſe ſauua deſſus, & tira droict en †
† deuersl'Empereur,où apres auoir cômuniqué de beau-§
coup de choſes auecques luy,& obtenu ce qu'il vouloit, s'en retourna**
ſain & ſauue en ſon pays.Paiazet ſe voyât vne ſi belle & heureuſe victoi
re entre les mains, en laquelle ilauoit proſterné & mis bas toute la fleur ceſ laval.
&eſlite de la puiſſance,non ſeulement de Hongrie, mais des meilleurs †º
endroitsdela Chreſtienté,ſemittoutàſonaiſeapiller & ſaccagerle pays"
dalentour:& ſi paſſa encore plusauantiuſques vers Budde, ville capitale
detoutle Royaume; ſe ſaiſiſſant d'vn nombre infiny de pauures ames,
pour emmener en captiuite & ſeruage.Mais il ſe trouua ſurpris & tour
mentédelagoutte,dontilfutcontrainct de retournerarriere,&r'emme
IlCI ſon armee ;i combien que pour ne luyauoir cetteindiſpoſition duré

comme rien,ienemepuiſſe aſſez eſmerueiller pourquoy il s'arreſta ainſi


courtine deuiner auſſi peu ce quil'empeſchalors de prendre Budde,& ſe
faire entierement maiſtre & ſeigneur de toutle pays,veul'occaſion & les
moyens quis'en preſentoient. Quoy que ce ſoit,il ſemble que cette ma
ladie ſuruint bien à propos pourler'emmeneraulogis, auec les groſſes ,
forces qu'ilauoit, toutes § encore d'vne ſibraue & ſuperbe
victoire:neantmoins,il renuoya depuis vne autre armee en H6grie,pour
gaſterle pays. . -

B I E N toſtapresilallaluy-meſme en perſonne courir ſusà Mirxas Duc #, #


de Valaquie,par deſpit de ce qu'ilauoit commencé le premier à l'aſſaillir
v .
enla compaignie des Hôgres,auecleſquels il s'eſtoit ioinct & aſſocié en "
cette derniere guerre Les Valaques ſoubs quiauſſi là ſont compris ceux
de Moldauie, ſont § vaillans hommes au faict de la guerre;
mais fort groſſiers aureſte,& peu ciuils , faiſans ordinairement leurs de- .
meures en certains petits hameaux,& lieux champeſtres par cy & par-là
- D iiij
4-4- Liure ſecond
àl'eſcart, où ſe rencontrent les meilleurs & plus beaux paccages pour
leurbeſtail.Au regard de la ſituation du pays,il prend ſon commencemét
aumont Orbale,& aux Peuciniens,ouTranſliluains,& delà s'eſtendiuſ
Moldauie. quesaupont Euxin, eſtant arrouſe du Danube à la main droitte,du coſté
uiregardevers la marine:à la † ilyala region qu'on appelle Bog
† carlamontaigne de Praſobe (ainſil'appellent ceux du pays ) qui
eſt celle-là meſme qu'on nommoit anciennemét Haemus, s'allonge d'vn
bout à autre,& la couppe par le millieu en ces deux moitiez. Là aupres
† habitevne race deTartares fort peuplce & opulente, ſujets toutefoisà
de Pºlºgué Cazimir Royde Pologne, lequelles Scites Nomades ont auſſi accouſtu
médeſuiure & accompagner en toutes ſes guerres & entrepriſes,car c'eſt
vn Prince de fort grandevalleur,& quis'eſt touſiours merueilleuſement
bien porté en toutesles récontres qu'ila euës,en quoyila acquis vngrád
bruit & reputation.A la partie de Septentrion puis apres ſe trouuent les
Les Ruſſiens Polonois,& deuers Soleilleuant les Sarmates. Quant aulangage des Va
†ºº laques,ilſembleroit de prime-face que ce fuſt preſque vne meſme choſe
auec celuy des Italiens,mais il eſt ſi corrôpu,&ſetrouue finablemeottant
-

de difference del'vn àl'autre,quemal-aiſéement ſe pourroiét-ils entr'en


tendre. Comme cela ſe ſoit peu faire, qu'eux vſans preſque du meſme
parler, de meſmes meurs & forme de viure que les Italiens, ſoient allez
"- Prendre piedences marches là,ie nel'aypoint encore entendu, & ſi n'ay
Le,val que trouuéperſonne quim'en ſçeuſtrendre aſſez bon compte.Toutesfois le
†" bruit commun eſt quece furent gens ramaſſez de diuers endroits qui y
† aborderent premierement,ſans ce-pendant auoir faict choſe digne de
§ memoire,ne quimerited'eſtreinſeree en lapreſentehiſtoire.Aureſte,on
"º voit encore pourleiourd'huy qu'ils ne different pas beaucoup d'auec les
Italiens,tant en leurs façons defaire, qu'en leurs vſtancilles, armeures,
cquipage & veſtemens,qui ſont preſquevnsàtousles deux peuples.Cet
te nation doncques eſt diuiſee en deux principautez, aſſauoir la Bogda
nie,ou Moldauie, & la contree qu'on appelle Iſtrie ; † ne gardent pas
toutesfoisvne meſmeforme degouuernement trop bien conuiennent
ils en cela, que ce n'eſt point la couſtume des vns ne des autres d'obeyr
touſiours à de meſmes Princes & Seigneurs,car ils en changentſel6†
leurvient à propos, appellanstantoſtl'vn,tantoſtl'autre, àl'adminiſtra
Autrement tion & conduicte de leurs affaires. Et devray ce Myrxasicy dont eſt que
Marc. ſtion, fut par eux promeu & aduancé à la ſeigneurie,aulieu d'vn Danus
ou Daas, qu'ils auoient mis à mort; il eſt bien vray auſſi que Mirxas
- eſtoit du ſang deleurs anciens & naturels ſeigneurs , & eutd'vne femme
u'il entretenoit pluſieurs baſtards, dont les deſcendans ont touſiours
§ regné de main en main en la Valaquie,iuſques à l'heure preſente.
Ce fut celuy-là que Paiazetalla attaquer, pourſe vengerde la ligue qu'il
auoitfaicte àl'encontre de luy † CICl1I † Au moyen
- dequoyayant paſſé le Danube,il entrai § aufond de ſon pays,pillât
tout, & prenant vn grandiſſime nombre d'eſclaues : Ce que Mirxas ne
pouuant plus longuement comporter de voir deuant ſesyeux,aſſembla
3 -• º -

De l'Hiſtoire desTurcs.
- - 45
endiligence fon armee, & ſans autrement s'arreſter à conſulter dela fa
çon dont ſe pouuoit plusſeurement faire la guerre, ne ſi on deuoit ha
zarderle combat ou non,apresauoir ſeulement deſtournéles femmes &
enfansés plus forts & ſecrets lieux du mont de Praſobe, ſe mit à ſuiure -

le camp des Turcs par de grandes & profondes foreſts; qui ſont ſi drues †
en tous ces cartiers là, qu'elles les rendent comme inacceſſibles, & preſ- debo .
queinexpugnables. Mirxas doncques s'eſtant mis à la queuë de Paiazet,
le tenoit inceſſamment en alarme : & ne ſe paſſoit gueres iour qu'ilne
donnaſtvne eſtrette à ceux qui ſe deſbandoient de la groſſe trouppe; ou
nedreſſaſt quelque bonne embuſcadeauxfourrageurs,quieſtoient con
traints d'allerau loing chercheràviure & à piller : Tant qu'à la parfin a
pres pluſieurs eſcarmouches & legieres récontres,ſuiuant touſiours les -

ennemis à la trace, il eut bien la hardieſſe de venir tout ouuertementaux


mains auec eux : Mais ilprit ſon aduantage, & les alla attendre à vn de Myrxas s'e. .
ſtroict fort mauuais & dangereux, où leur ayant viuement couru ſus, il †
en tuavn
ne grandd'vn
ſe fuſtaduiſé nombre; & leurdeeuſt
expedient; bien
faire encores
faire alte &faict pis, ſilàBrenezes
ſe camper pour le # les
Turcs.

reſte du iour : ce qui garentit & ſauua le demeurant de l'armee, du dan


ger oüils s'eſtoient eux-meſmesallé precipiter. Deslors ce Brenezes cô- †"
mença d'auoirbeaucoup de credit aupres de Paiazet; quil'eſleua finable-§ § †
ment à vne tres-grande authorité. S'eſtant doncques ſuiuant ſon aduis #§
arreſtêlà, il deſlo † l'endemain de bonne heure, pour allér repaſſer #º
le Danube; d'où il reprit puis apres le chemin de ſon pays. Voylal'iſſue
qu'eut le voyage de la Valaquie , lequel ne fut pas ſi heureux que pro
§toitlamonſtre & equipage d'vne telle puiſſance. -

CE LA ne l'empeſcha pas neantmoins d'eſleuerſes eſperances à de plus vIII.


hautes entrepriſes, & meſmemens d'alleraſſaillir Conſtantinople, pour
laque
cauſe que vous orrez preſentement. Les Empereurs des Grecs, ainſi L'occaſion
nous auons deſia dit cy deuant, ne bougeoient de ſa cour, & l'acc6- OCC2111
qui meut Pa

pagnoient à la guerre toutes les fois quel'armee ſortoit dehors.Orcom- #.


me Paiazet ſe trouuaſt vne fois de ſeiour en laville de Pherres cn Mace-ºrº
doine,l'Empereur de Conſtantinople,le Duc de Sparte,Conſtantin fils
de Zarque, & Eſtienne fils d'Eleazar luy vindrent faire la reuerence : là
oû ſe trouuaauſſi Mamonas, qui eſtoit party expreſſement du Pelopo- • .

neſe, pour venir faire ſes doleances à l'encontre du frere de l'Empereur,


lequelluy auoit oſté de force laville de Duras, & fait † quât tout
plein d'outrages & iniures. Cela aygrit Paiazetenuers Empereur,ioinct
que Iean fils d'Andronicpouſſoit de ſon coſté à la roue, eſtant lors à ſa
ſuitte, nourry & entretenuà ſes deſpens. Et dit-on que Paiazet fut vn
iour ſur le point de donnervn coup de poignard àl'autre, comme il par
loitàluy, mais il ſe retint.Et quelque temps apres Halifils de Charatin le
mit à mort, combien qu'ils fuſſent grands amis, & que Hali euſt receu Ligue des
deluy pluſieurspreſens & bien faicts. Ainſi s'eſtans tous ces princes & #
ſeigneurs rencontrez à la cour de Paiazet, conſulterent par enſemble de §º"
leursaffaires particuliers, & ſe reſolurent de n'y reuenir plus. Car Con
46 Liure ſecond
ſtantin qui eſtoit bien le meilleur homme de guerre d'eux tous, & de la
plus haute entrepriſe, ayant ſuccedé à ſon frere Dragas, aux pays par luy
conquis ſur les Albanois & Illiriens, durant le temps qu'illeur fit la guer
re, auoit eſté contraint par Paiazet de le venir courtiſer, & la pluſpart
del'annee faire reſidenceaupres de luy; ce qu'il portoit fort impatiem :
ment. Parquoyil ſe mit à faireie ne ſçay quelle brigue auec l'Empereur
Emanuel,pour luy donner ſa fille en mariage moyennant qu'il vouluſt
approuuer la deliberation qu'ils auoient faicte,de ſe retirer de cette ſer
uitude, & ſe mettre de la partie auec eux.Car Emanuelauoit auparauant
fiancé la fille de l'Empereur de Trebiſonde, qui eſtoit demeuree vefue
- d'vn SeigneurTurc nommé Zetin,belle dame entre les plus belles, & de
- meilleure grace encore:De laquelle (comme ill'euſtamence à Conſtan
Le vieil Empe tinople)le pere deluyayantietté l'œil ſur ſa beauté , accompaignee de
toutes les perfections qui peuuent eſtre deſirees en vne dame de telle
reur Caloian

†" maiſon,en deuint incontinent ſiamoureux,qu'il ne fit point de côſcien


† ce del'oſterà ſon fils,& laprendre pour ſoy-meſme, combien qu'il fuſt
hors d'aage de ſe remarier,& tellemét perſecuté des gouttes,qu'à grand'
· peine ſe pouuoit il remuer.Mais nonobſtant tout cela, il ſe trouua ſi af
folé de ſa nouuelle eſpouſe,qu'ilfaiſoit des choſes ridicules,voire du tout
indignes du lieu qu'il tenoit,& de ſa diſpoſition Car laiſſant là en non
ce guereus chalance lesaffaires del'Empire,penſez qu'ille faiſoit bon voir auecvne
†, bande déviollons à ſa queuë, & autres ioüeurs d'inſtrumens † le ſui
ºgº uoient continuellementaux dances,mommeries,& feſtins, où le pauure
bon-homme qui ne ſe pouuoit pas remuer, paſſoit les iours & les nuicts
†. toutes entieres. Apres doncques qu'Emanuel & Conſtantin ſefurent
#.# entre donnez la pa role ſur le maria ge & les conuenances deſſus-dites, les
" Princes qui n'aſpiroient qu'à executer promptement le complot fait en
tr'eux de ſe reuolter , s'eſcoulerent § mot dire chacun en ſon pays.
Emanuel meſme ſ'eſtant deſrobé fit ſibonne diligence,qu'au quatrieſme
iour apres qu'il fut party de Pherres,ilarriua à Conſtantinople.Theodo
· reſon frere gaignale Peloponeſe, & les autres ſ'eſcarterent de coſté &
d'autre Maisl'Eſté enſuiuant,comme Emanuel n'euſt point comparu à la
portcainſi que de couſtume,& qu'on euſt ſouflé aux oreilles de Paiazet
- u'il ne ſe falloit plus attendre del'y reuoir:il depeſcha deuers luy Hali
fils de Caratin:l'homme de ce monde à quiil ſe fioit autant, pour l'aller
ſommer de retourner deuersluyſansy faire faute, & en ſon reffus de luy
denoncer la guerre. Halieſtant arriué à Conſtantinople, tint bien en
apert le langage que ſon maiſtreluy auoit commandé, mais en priué il
conſeilla à Emanuel de n'en faire rien.Il fit toutesfois vne fort gracieuſe
peneyauté & honeſte reſponce là deſſus.Que ja à Dieu ne pleuſt, qu'en choſe de ce
uers ſon mai monde il vouluſt iamais meſcontenter Paiazet, & puis que tel eſtoit ſon

ſtre. plaiſir,il ne faudroit de l'aller trouucr au pluſtoſt. L'effect puis-apres ne
reſpondant point à ſes paroles, Paiazet s'irritavoyât qu'il ne faiſoit quo
l'abuſer,& mena pour cette occaſion ſon armee deuant Conſtantino
ple, où il ruina tous les fauxbourgs,auec les beaux lieux & maiſons de
-
5 . * 4- - - A - -

Del'Hiſtoire des Turcs. 47


plaiſance,les fermes & caſſines qui eſtoient à l'entour; & fit encore tout
plein d'autres degats & ruines en la contree. Cela faict pour-ce que leſie-conſtantino
geneluy ſuccedoit pas à ſa volonté;il s'en retourna au logis. Toutesfois †.
'annee enſuiuant, & conſequemment par l'eſpace de dix autres conti-º"
nuelles que cette guerre dura,il ne faillitiamaisd'y r'enuoyer ſon armee,
eſperant de l'auoir à la longue, & d'affamer ceux de dedans : Ce quiles
mit ſi à deſtroict, que pluſieurs moururent de neceſſité & meſaiſe , &
randnombre s'allerent rendreauxTurcs.Sur ces entrefaictes la ville de
§ vintés mains de Paiazet,dontil donnale gouuernemët à Iean # ceſtvne
fils d'Andronic. Cettuy-cys'en eſtant fuy de Conſtantino ple pour euiter † ,
la fureur del'Empereur ſon oncle,auoit depuis eſté contraint de retour-ºPº
nerdeuers luy, & là deſſus ille depeſcha en Italie , pour quelques ſiens
affaires.Apres qu'il ſe futacquité de ce qu'ilauoit en charge,illuy enuoya
nouuelle § paſſer outreiuſques à Gennes, ſolliciter du ſe
cours contre le Turc; & cependantilauoit enuoyé ſecrettemétvn cour- †#
rier à la Seigneurie,pour l'arreſter, & le mettre en lieu ſeur. Mais ayant uers ſon ne
longuementainſi eſté detenu priſonnier, il trouua moyen d'eſchapper, §s
& ſortir de l'Italie;d'où il s'envint droict rendre à Paiazet, quilors eſtoit †
deuant Conſtantinople, duquelilfut receu fort amiablement, & le me-Tºº -
na quant & luyau ſiege de Selybree : laquelle luy ayant eſté renduë par
compoſition,illuylaiſſa en gouuernement.Eſtant delà retourné au ſie
ge de Conſtantinople, pource qu'il voyoit bien qu'il n'yauoit ordre ny
moyen del'emporter de force , il ſe reſolut de la prendre a lalongue par
famine; & l'euſt faict ſans les nouuelles qui luy vindrent de la deſcente
de Temir,quimarchoit contre luy,à toutvn peuple innumerable. Tou
tes leſquelles choſes aduindrentvnpeuau-parauât que Paiazet fuſt def
faict, & pris parTemir, comme vous orrez cy-apres ; dont beaucoup
de pieces de ce beau & puiſſant Empire qu'il s'eſtoit deſia eſtably en
l'Aſie, ſe vindrent à eclipſer. Si n'abandonna il point pourtant ſi toſt le .
ſiege,tellement que l'Empereurſevoyant ainſi preſſé, voire reduict au
dernier deſeſpoirdeſesaffaires,ſans qu'ilyeuſt plus aucun moyen de re- 1 ,de.
medieraudâgerimminent,laiſſale tout enlagarde dudit Iean fils d'An- †
dronic,quin'eſtoit pas alors gueres bien enuers Paiazet, d'autant qu'ille # #§
ſoupçonnoitd'empeſcher ſoubs-main quela ville ne luy fuſt renduë, & †"
lautre craignât qu'il ne luy fiſt à la fin quelque mauuais party,ſe deſrobba
ſecrettement,& s'en vint trouuer Emanuel,qui eut ſa venuë infiniment
agreable.Luylaiſſant doncqueslacharge & ſuperintendence de tous ſes Voyage de
affaires,fitvoile en Italie, pour demander luy-meſme ſecours contre le † Emanuel de

Turc.Eſtant arriué en la Moree,illaiſſalà ſa femme en la garde & recom-#


mandation de ſon frere,& paſſa outre à la pourſuitte de ſon voyage de- #
uersles Princes & Potentats del'Italie où tout premierement il remon-#e
ſtra ſes affairesaux Venitiens puis s'en alla à Gennes, & de là deuers le
Ducde Millan,qui le receut fort amiablement, & luy donnagens,argét, º
cheuaux,& addreſſe pour le conduire au Roy de France : en la preſence
duquelil expoſa l'occaſion de ſavenuë,qui eſtoit pour le requerir de ne
48 Liure ſecond
vouloir pointabādonner,& laiſſerainſi perdrelaville de Coſtantinople,
conſtantine chef& ſouuerain ſiege de tout l'Empire d'Orient,alliee & confederee de
† tout temps & anciennetéàla Coronne de France.Mais le malheur ayant
† voulu qu'il trouuaſtle Roy malade,& aliené de ſon ſens , en telle ſortc
§"" queles Princes & Barons eſtoient contraints de s'en prendre garde , cela
† cauſe quel'Empereurattendantſagueriſon,demeura là fort longuc
ment à ne rien faire.
IE dirayce-pendant cecy des François,que c'eſt vne nation tres-noble
IX.

† & fortancienne; riche,opulente,& de grand pouuoir. Et d'autant que


4 - - - - -

de toutes ces choſes ils ſurmontent & paſſent de bien loin tous lesautres
† peuples de l'Occident,auſſiont ils bien opinion que c'eſtà eux,à quide
France eftant

† s droictl'authoritéſouueraine, & l'adminiſtration del'Empire Romain


le plus grand doit appartenir.º Au regard de la ſituation du pays,la partie qui regar
& puiſſant d 2 - - - -

§ deàl'Orient,ſe vaioindre & rencontrerauec la Lombardieau midy elle


toute la Chre

† ales Eſpaignes,ou pluſtoſtles monts Pyrenees qui luy font eſpaule, &
† ſeruent de rempart,du coſtéde Septentrion la Germanie faict ſes tenans
** Cette ſitua- & aboutiſſans: mais deuers Soleilcouchant,iln'yaautres bornes ne limi
§ tes, que les flots del'Ocean,& les Iſles de la grand † Tellement
> - , 1> -

† qu'en ſalongueur,qu'on prend depuis les Alpes,qui ſont hors de l'Italie,


lemaigne no"
† iuſques à la mer † contient dixhuict bonnesiournees de
§ſi chemin,& del'Eſpaigneiuſques en Allemaigne dix-neuf.Aureſte la tres
#- grand'ville & cité de Paris,autrement dicte Lutece,quieſtle ſiege capital
† de tout le † en beautéd'aſſiette, multitude de peuple,ciuili
#†. té,& courtoi le des habitans , richeſſes, commoditez, & § de
# toutes les choſes qu'on ſçauroitſouhaitter,laiſſe bien loin derriere elle,
coup d'autres toutes les autres habitations dont iuſquesicyon ait euco † Ily
"†s c, a encore force autres belles villes & citez, toutes ſoubs l'obeiſſance de ce
loiianges. † & puiſſant Monarque,quiont chacune leurs couſtumes à part. Et
. ſiles Princes & Seigneurs quiluyſont ſubiects,ſont fort riches & grands
terriens, leſquels ne bougent la pluſpart du temps de ſa cour; ce qui la
§
Le pue de rendla plus belle &
de toutesautres.Du nombre de ceux là,
† cſtle D ucde † commandeàvn fort† pays,& aſoubs
# ſa domination pluſieursvilles pleines de tres-grandes richeſſes, meſme
§ ment celles de Flandres,& autres pays bas,comme Gand,Anuers,Bruges,
† ſituees ſurle bord de la marine visàvis de l'Iſle d'Angleterre, en laquelle
† commeàl'vn des plus fameuxapports & eſtappes de toutes ces marches
# là,abordent tous lesiours infinis vaiſſeaux chargez de toutes ſortes de
marchandiſes , tant de noz regions de par deçà, que de tousles coſtes
d'Eſpaigne, Portugal, France, Angleterre, Dannemarc,& C1lCOfC plus
auant en tirantauSeptentrion. On racompte tout plein de fort belles
guerres, que de freſche memoire ces Ducs de Bourgongne ont fait con
tre les Roys de France, & les Anglois. Mais il y a puis apres le Duc de
Brºigne Bretaigne, & d'autres encore tout ioignant les terres & pays du Roy,
ºº Comme eſt auſſile Duché de Sauoye eſpandu & ſemé parmyles montai
gnes:neantmoinsle pays ne laiſſe pas d'eſtre bon & fertil; & ſi eſtgrand
2lllCC
-

- -

: -
-

Del'Hiſtoire des Turcs. 49


ducccela,carilarriueaux Geneuois,& à la Duché de Millá.Qui eſt ce que
nous auons peu retirer en la preſente hiſtoire de ceſte belle maſſe,& puiſ
ſante Monarchie desFrançois.Quantà Gennes,qui eſt commevn portal cenne .
& cntree de tous ces quartiers là,du coſté de l'Italie, Son territoire s'eſtéd
iuſques à la frontiere de Prouence, dont eſt pour le iourd'huy Seigneur
le Roy René,yſſu du tres-noble & trcs illuſtre ſang des Roys deſſuſdits,
Nice en eſt la capitaleville,& y en a encore tout plein d'autres, entre leſ Nº
quelles eſt fort renommee celle d'Auignon, pour l'excellence du pont Au sº•.
quiy eſt,l'vn des plus beaux,des plus grâds & admirables qui ſoit en tout
lereſte du monde:auſſieſt-ce la clef,quiouure & ferme le chemin pour
paſſer C11 Catalongne,& Arragon.Mais à tant eſt ce aſſez parlé des parti
cularitez, & deſcriptions de la France,car on ſçait aſſez que ceſte nation
eſtfort ancienne ſurtoutes autres,& qu'elle ſ'eſt d'auâtageaquis vnetres
grande & magnifique gloire pourauoirtant de foisvaincu & rembarré
les Barbares,qui eſtoient ſortisdel'Afrique,durant meſme que l'Empire
Romain eſtoit comme annexé & hereditaire à ceſte coronne. Celuy de
tousComte
du quifitles plus belles
Roland(de choſes&fut
la force Charlemaigne,lequelaccompaigné
vaillance duquelon racompte des mer- †
Charlemai 1•

ueilles incroyables) de Renaut de Montauban,d'Oliuier,& autres Pala-"


tins ou Pairs de France, gaigna heureuſement pluſieurs groſſes batailles
contre les Sarrazins,tant en Frâce qu'en Eſpaigne, les ayâs touſiours def
faicts & contraincts de fuyr deuant luy,dontiuſques à auiourd'huy par
toutes les contrees de l'Occident ne ſe chante preſque autre choſe, que
lesloüanges de leurs proeſſes & beaux faicts d'armes. D'autant que les
Mores de l'Afrique ayans paſſé le deſtroict de Gilbatar, où ſont les jadis
tant fameuſes & renommces colônes d'Hercules,ſ'eſpancherét par tou. Ie More de
tesles Eſpagnes,& les conquirent en peud'heure Delà feſtans emparez†
du Royaume de Nauarre, & de celuy de Portugal , enſemble de tout le †º
reſte du paysiuſques en Arragon, entrerent finablement en la Gaule,oi
Charlemaigne auec les Princes deſſuſdits leur alla au deuant , & les .
chaſſanon § de ſes confins & limites , mais encore de tout ce
† auoient occupé en Eſpaigne:tellement qu'ils furét contraincts de †
e retirer ou pluſtoſt enfuyr à Grenade,ville bien remparee & aſſiſe, en † de .

tres-forte ſituation,ſurvn couſtau qui ſe r'abbaiſſe doucement iuſques à #,


la greue delagrand'mer,oùilyavn bon port,duquelſbrtâs de fois à au-c .de,
tre,ils enuahirét derechefl'Eſpaigne,& s'y habituerent. Mais Charlemai- -

gne leurvint vne autrefois courir ſus, & deliura les Seigneurs du pays
u'ils tenoientaſſiegez,auſquelsilreſtituatout ce qu'ilsauoiét perdu,tät
en Caſtille,que Nauarre,& Arragon:côbien qu'ill'euſt conquis de bône Masºnini.
guerre àlapoincte de l'eſpce.Les naturels & proprietaires ayans faict en-†
maigne, qui
tr'euxvne diſcuſſion & departement, r'entrerent chacun en l'heritage §.
- - - Eſpai
qui leur appartenoit,le tout par la beneficence de ce magnanime Empe-§y,
reur & des ſiens Leſquels ayansmisà fin deſigrandes choſes, ce n'eſt pas †
de merueilles, ſi leurvertu & effort ſont encore en la bouche de tout †
lemonde.Au regardduComte Roland,on dict qu'ayanteſtéfortbleſſé c§,
5o Liure ſecond
en vne embuſche qu'on luyauoit dreſſee;il mourut de deſtreſſe de ſoif,
par faute de trouuer promptement del'eau : & que Renaud demeura à
pourſuiurelereſte de cette guerre, mais que finablement il en remit la
charge és mains des Rois d'Eſpaigne, qui touſiours depuis ont eu beau
coup d'affaires contre les Africains,dont le langage eſtle meſme que ce
luy des Arabes,& tiennent la religion de Mahomet auſſi bien qu'eux.Au
1e, Françoi, reſte ils s'habillent partie à la Barbareſque, partie à l'Eſpaignole. Les
† François doncques,pour tant de belles choſes dontils ſont heureuſemét
§ venusà bout,n'ontſansiuſte occaſion voulu touſiours auoir la prece
# dence ſur tousles peuples & nations du Ponât Leurmaniere de viure eſt
vn peu plus delicate que celle des Italiens,mais au demeurant il n'y a pas
beaucoup de difference.Et combien que ce ne ſoit point du tout vne
meſme choſe des deux langages,ſine ſont-ils pas toutesfois ſi eſloignez
u'ils ne ſe puiſſent quelque peu entendrelesvns les autres.A la verité il
† vn temps,qu'on trouuoitles François par trop inſolens & ſuperbes,
voulans touſiours auoir le deſſus † part qu'ils ſe trouuaſſent;
mais ils remirentbeaucoup de ces façons defaire ainſi hautaines, déslors
que la fortune commença de leurmaldire contre les Anglois, † leur
oſterent la plus-part des Prouinces qu'ils tenoient,& lesvnirét à ſeur co
ronne.Puis les ayans ainſi deſpoüillez,menerent leur armee deuât Paris,
où ils mirent le § dict-on quele differend & querelle de ces deux
1 : premier, peuples eutvn telcommencement.Ilyavne petiteville,ſituee àl'vn des
# coings de la Gaule Belgique, ſur le bord de la mer Oceane, appellée
† Calaisi quin'eſt† autrement des plusrenommées & fameuſes, mais
#ºº de elle eſtforted'aſſietteau poſſible ;auſſi † le plusà propos
' detoute la mer,pourtrauerſerde France en Angleterre : & y a quant &
quant vn fort beau port, qui peut tenirgrand nombre de vaiſſeaux , la
lus belle commodité que les Anglois euſſent ſceuchoiſir, pour mettre
# pied dâs la France.Au moyen † Royd'Angleterre ayât de lon
Les Anglois † main faictſon complot auecleshabitans, prit la ville d'emblee , &
§ ſ'en mit en poſſeſſion: Les François puis apres ayans enuoyé deuers luy
# pour la rauoir,il ne fitautre reſponce ſinon qu'il y aduiſeroit plus à loi
il fut recou

# ſir.Cependantillafitfortifier,& y enuoyavne bonne garniſon ; ſi bien


##. que le Royde France eſtantallémettre le ſiege deuant »y demeura lon 8,
§ temps ſans rien faire, & fut finablement contrainct de ſe retirer : ce qu1
1557 . dóna cœuraux Anglois de paſſerla merderechef pour courir & endom
mager le pays.Mais ceſte deſcente fut envnautre endroictbien loin g,du
coſté de la Guyenne,oûils eurentvne groſſe rencontreauccles François,
† deffirent lors,& en occirent grád nombre ; ce qui aduint en ceſte
orte.Les Angloisapresauoir pillé vne grande eſtenduë de pays, ſ'enre
c'eſt l.defi tournoientaueclebutin qu'ilsauoiétfait,pour le mettre enlieu deſeure
# † les autresayás eſté incontinentaduertis,les ſuiuiréten queuë;
*ººº toutesfois ils ne les peurétrateindre qu'ils n'euſſétdeſia gaignévnemot
teforte d'aſſiette,là oûvoyans † neleur pouuoiét faire autre choſe,ſe
- mirentàles enclorre &aſſiegerlà dedans ; en ſorte que les Anglois qui
- > - •e

Del'Hiſtoire des Turcs. - 5I


n'auoient moyen de reſiſter,ny detenir à la longuevindrent à parlemen--
ter,offrans de rendre tout ce qu'ils auoient pris, & mettre encore les ar
mes bas, pourueu qu'on leslaiſſaſtallerleursvies ſauues, ce que les Fran
çois ne voulurent accepter, ains firent reſponce qu'ils vouloient tout
preſentementauoirla raiſon des torts & iniures † leurauoient faites.
Au moyen dequoyles Anglois ſevoyans au deſeſpoir,vindrent au côbat,
oùils ſe porterent ſi bien, qu'encor qu'ils ne fuſſent qu'vne poignee de
gés cotre tant de milliers d'homes,ſimirent-ils neâtmoins leurs ennemis
en route,& les chaſſerent longuement,apresauoir faitvn grandmeurtre -

ſurlaplace; carce n'eſt pas choſegueres vſitee entrelesFrançois de tour- Le ma


nerle dos : & pourtant quelques vns veulent dire , qu'ils n'eſſayerent #.
point deſeſauueràlafuitte,mais qu'ayans combattuiuſquesàl'extremi #
té,ils furent tous là taillez en pieces.Auſſi eſt ce dequoy ils ont accou-"
ſtumé de ſe priſerle plus,& dont ils cherchent de reluire en gloire & re
utatio ſurtoutesautres nations,de tenirfermeaulieu de deſmarcher vn
§ pas en arriere,ſoit pour prendreleuraduantage,ou en † autre
maniree que ce ſoit,d'autant qu'ils conſtituent la victoire àla poinéte de
leurs lances, & au trenchant de leurs eſpees, ſans chercher ruſe ne fi
neſſe que celle là. Ce grand faictd'armes hauſſabien le cœur aux An
† de là enauâtauec moins de † ſe mirét à aſſiegerlesvilles&
places fortes,& peu à peu gaignans touſiours pays, vindrét à donnervne
- • \ 9 - -

autrebataillepres Creuecœur, où n'ayans peu le premier iour emporter 1,t .


· lavictoire, le lendemain ils retournerent au combat, & deffirent dere- oùC les Fran
ur
chefles François, quiy demeurerent preſque tous; partie encore ſerrez §
enbataille, partie apres auoir eſté rompus & mis en deſordre. Ce qui†"
1§ "
donna aux Anglois vne fort grande eſtenduë de pays toute gaignee;
& s'en allerét de ce pas § e deuant Paris, ville capitale de tout
le Royaume.Lequel ſe trouualors † eſbranlé, & preſque en danger
d'vne derniere ruine,ſimiraculeuſementil n'euſteſté † , ainſi que ,

quelques-foisiladuient en ſemblables extremitez. Carlors qu'il y auoit †


le moins d'eſperance, ſe preſente vneieune fille de fort beau maintien, §
uiſe diſoitinſpiree de Dieu pourvenir deliurer les François des mains †
† leurs ennemis,à quoyils adiouſterent foy, & laſuiuoient commeleur †"º
chef & ſouuerain capitaine.Sevoyant doncques ainſi obeye,elle leur dit
vne fois qu'elleauoit eureuelation,que les Anglois eſtoient pres de là, & •
venoient pourles combattre, commeiladuint & y eut là deſſus bataille Deſtiae des
donnee, dont les Anglois n'eurent pas le meilleur, & ſe retirerent les †
deux armees, chacune enleur logis iuſque au lendemain, que les Fran-i§
celle,qui ſe
| çois encouragez de la vertu & effort de ceſte creature, vindrent les§e
remiers à charger,& tournerent les ennemisenfuitte, leſquelsils chaſ-º"
† fort longuement cepédant elle ſe trouua à dire,qu'on neſçeuſtia
mais qu'elle deuint De là enauant les François reprirent cœur,ſe voyans
auoirrecouuréleur reputatiô:& ſemaintindrentſibien en toutes les au- Les François
tresrencontres qu'ils eurent depuis auecles Anglois, que non ſeulement #"
ilsdeffendirent ce quileur eſtoit demeuré, mais reprirent encore toutes†" *
Eij .
• --


52 Liure ſecond
· lesvilles & places fortes qu'ils auoient perduës durant la guerre, com
bien que pluſieursautresgroſſesarmees d'Angleterre paſſaſſent la mer,
dont ils emporterent touſiours la victoire, & les rembarrerent ſouuen
tesfoisiuſquesàCalais,tant que finablementils lesietterent dutouthors
du Royaume. » r
-

v
· '

X. O R la grand'Bretaigne,& lesautres trois Iſles,ſont toutes vis à vis de


- - - - -

Deſ ºption la coſte de Flandres, s'eſtendans bienauant enlamer, dont elles occup
† pentvnegrande eſpace.L'vne eſt expoſee àla haute mer , où les vagues
Bretaigne, -

# duflot & des marees vont & viennenttoutàleurayſe ſans aucun contre
prédre les au
§ dictne empeſchement : les autres ſont parmy certains courans & rent
- - ) - - 2 2 -

# contres d'eaux ſerrees,qui viennent là s'entreheurter d'vne merueilleuſe



tes de terres impetuoſité & roideur & neantmoins ce ſeroit parler plus proprement,
§ ſi de toutes enſemble on n'en faiſoit qu'vne ſeule. Car certes à le bié pré
ét en la mer, 2 » - - 2

§ dre, ce n'eſt qu'vne Iſle,vſant de meſmesloix&couſtumes,&preſqued'vn



ronnees d'i meſme langage,& gouuernee parvn meſme magiſtrat, qui donne ordre

†n
Pline liure...
6. à tout. Par ce moyen elle ne comprendroit en tout ſon circuit, ſinon
ºp.1s. cinq mille ſtades tout au plus. Mais elle eſt grandement peuplee , & les
cefirley ds. #º ſont fort robuſtes : yayant beaucoup debônes villes,& VIlC infi
§ nité de bourgades & villages, dont Londres eſt la capitale. Il y a bien
†. †
pluſieurs
ſtades.
Seigneuries &
du Roy,nyplus ne Principautez neantmoins
moins que nousauons dit toutes ſoubs
cy-deuant de lal'obeiſ
Fran
ce.Et ne ſeroit pas bien aiſé à Prince que ce ſoit des'emparerde ce Royau
me, où le peuple meſmement n'eſt point tenu d'obeyr à ſon ſouue
rain, outre ce que les ſtatuts & couſtumes du pays le portent. Mais ils
ont ſouffert autrefois beaucoup de calamitez, tant à cauſe des differens
Le Re, qu'ils ont euzauccles Princes eſtrangersleurs voiſins, & bien ſouuent
† contreleurpropre Roy,que pourleurs ſeditions & partialitez domeſti
§ler ques. Deviniln'y en croiſt point du tout, & ſi le terroüer ne produict
l Eu•. pas beaucoup de fruictages. Quant au froment, orge, miel, & laines,
ilyena en abondance,autant ou plus qu'ennulautre endroict quel'on
ſçache:Tellement que là ſe faict vne grande quantité de fins draps, ca
riſez,& limeſtres de toutes ſortes.Lelangage, dont ils vſent eſt preſque
particulierà eux,ne ſe rapportant ne à celuy des François, ny des Alle
mans,ne des autres peuples delà autour.Toutesfois leurviure ordinaire,
* leurs meurs & façons de faire ne different pas beaucoup de ceux de la
France,ſi ce n'eſt en ce qu'ils ne ſe donnent pas gueres de peine de leurs
cen, ta femmes & enfans. Carceſte couſtume eſt commune à toutel'Iſle que ſi
† † de leurs amis,ouautre de leur cognoiſſance lesvavoir, le II12l1
i § ſtre delamaiſon deplainearriuee luy mêt ſa femme entre les mains, &
†" les laiſſe là ſeul à ſeul deuiſer & paſſer le temps tout ainſi que bon
leurſemble,cependant qu'ils'en va promener, puisau retour luy faict la
meilleure chere dontil ſe peut § de meſme,quand ils vôtpar
pays d'vnlieuà autre,ils s'entrepreſtent leurs femmes, & s'en accommo
| dent entr'eux. Laquelle couſtume eſt encore envſage par toutes les vil
les maritimes,au pays des Vandales,iuſques ſurles confins & frontieres
º
- 2 r *r • - -

Del'Hiſtoire des Turcs. 53


d'Allemaigne:Et ſine tiennent point à honte ne vergongne reprocha- -

ble,devoirainſi deuant leurs yeux faire l'amour à b6 eſcient à leurs fem-ºº


mes,& leurs filles.Au regard de la ville capitalle, elle ſurpaſſe de beau
coup toutes les autres du Royaume, ſoit en nombre d'habitans , ſoit
en richeſſes & puiſſance : Et n'y en a gueres en toutes ces marches
là, quiluy puiſſe eſtreaccomparee. D'auantage ce ſont gens qui ont le
bruit d'eſtre plus belliqueux que nuls de leurs voiſins, ne peu d'autres
peuples du Ponant.Quantàleurs armes,ilsvſent deboucliers à la façon
d'Italie, & ont des eſpees & poignards ſemblables à ceux des Grecs,
auec quelques dards & iauelots vn peu longuets, qu'ils plantent en ter
re,& s'appuient contre , comme pour vne contenance qui leur ſemble
braue & de bonne grace eſtansdebout.Mais pour retourneraux particu• La ſiuieete
laritez du pays parle milieu de Londres, paſſe la riuiere de la Tamiſe aſ- la Tamiſe.

ſez grande & impetueuſe, laquelle ſe varendre en la merde Frâce,quel


§ douze ou quinzelieuës au deſſoubs,là où elle s'eſpand & inonde, de a †"º
orte que les gros nauires de charge peuuent monterà pleines voilesiuſ
ques tout aupres des murailles : carle flot de la mer repouſſe le cours de la
riuiere contremôt, où elle eſt arreſtee parl'obiect & rencontre de laville
quila réuoyederechefcontrebas,ce qui eſt cauſe de ceregorgemét.Tou
tesfois apres que lamers'eſtretiree,& quel'eaudufleuue eſt reduicte en
ſonlict & canal ordinaire,les vaiſſeaux demeurent à ſec,attendans l'autre
·marée pourflotter de nouueau.On dit que cesinondations & croiſſance,
ne paſſent point quinze cpudees au plus,mais auſſiarriuét-ellesiuſques à
onze pourle moins.Et ainſi le flot des mers de Ponant va & vient touſ- .
iours deux fois en vingt-quatrcheures,dót on eſtime que la Lune ſoit la
cauſe:Pour-ce que toutes les fois qu'elle ſe rencontre au milieu du Ciel
en noſtre habitation, & ſemblablementau point droict oppoſé à icelle
au deſſous de la terre,adoncques ſe font deux mouuemens tous côtraires
enla mer.Mais ſi nousvoulons r'amener de plus loin les raiſons de cesal- L,auſe du
lees & retours,& les enfoncer plus auant,il nous faudra diſcourir en ceſte †
ſorte : Que ceſtaſtreicya eſté inſtitué de Dieu pour auoir le gouuerne-ººº
ment & regence des eaux.Ce quinousfaict croire,quelaproprieté & diſ
poſition qu'elle a receu du commencement, du grand Monarque, n'eſt
en rien eſloignee du naturel de l'eau.Aumoyé dequoy, à meſure que par , ...
ſon mouuement elle ſe hauſſe deuersnous,elletire auſſi & charrie quant #
& ſoyles eaux qui ſont icy bas, tant qu'elle ſoit paruenuë au plus haut
poinct de ſamontee.Puis quandellevient à s'aualler & redeſcendre, les
eaux par meſme moyen ſe retirent& eſcoulent,l'accompagnâs touſiours
en ce rabaiſſement,iuſques à ce qu'elle ait atteint le plus bas endroit de
ſon cerne,& non plus:car dés l'heurequ'elle commence à remonter, les
mersauſſi en leurendroit retournentàleur flot & inondation accouftu
mee.Que ſi quelquesvents ſe viennent extraordinairement à recontrer
parmy cela, les marees † & quant s'en augmentent & renforcent.
Mais de quelque cauſe que puiſſe proceder ce mouuement des eaux,
c'eſt choſe toute certaine qu'il eſt double,àl'imitation de celuy
, - - • , E iij
du Ciel, *

-
-
- 3 , * -
54- Liureſecond
uien partie eſt naturel & volôtaire,en partieviolét & forcé. Aumoyen
† ſi ce mouuement ſe vient à rencontrerauecvn accord & conue
· nance de l'annee,& en la ſaiſon encore quiluy eſt la plus oportune, plu
ſieurs diuerſes ſortes de mouuemenss'en enſuiuent.Et certes ce ſeratqu
- ſiours vne fort douce,plaiſante & gentille ſpeculati6, & vn paſſe-temps
tres agreable à voir & ouyr,ſi noſtre ame ſevient à recueillir & reſtrain
dre à vne certaine meſure & deuë proportion de ce grand vniuers, com
me ſi elle ſentoit en ſoy,& y apperceuſt les mouuemens d'iceluy, & en
- vouluſt fairevnaccord,le meſlât & alliant les vnsauecles autres. De vray
uelle muſique ſe pourroit-elle repreſenter,qui plus luyamenaſt de plai
† & de delectatiô? D'autât que de ce double & reciproque mouuemét,
elle en reçoitvn du tout ſemblable,dont ellevient auſſiàmouuoirnoſtre
, ... corps en deux façons & manieres,l'vne qui tend à croiſtre,& l'autre à di
l § minuer. Car cependant que noſtreame ſuit & s'accommode au mouue
*º métdel'vniuers,ilfaut par neceſſité que celuy qui eſt naturel cauſe gene
ration & accroiſſement : & le violent & contraint,corruption & deſtru
ction de tous les corps procreez de la nature.Cela ſuffiſe pour cette heu
re,tant pour le regard de la mer Oceane,que de ce † deſpend du dou
ble mouuement † choſes quiontvie,en quel l1C orte & maniere fina
blement qu'elles viennent à ſe § n'eſt pas ncceſſaire que
l'humeur de noſtre Mer reſtreinte entre deux terres, garde & enſuiue le
meſme mouuement de l'autre,qui eſt libre & ſpacieuſesd'autant,que ce
| Me#- la ne ſe conduiticy ſinon parlanature desvéts,& l'aſſiette & diſpoſition
terranee n'a
§ des lieux,quiſe rencontrent propres à telles agitations. Ce que nous
†" auons bien iuſques icy voulu diſcourir & deduire, comme choſes qui
ſingulierement appartiennentà la cognoiſſance du mouuement, tant
XI,
de lamer
Pov ROceane que retournerau
doncques des autres. propos que nous auions abandonné,
| .
- -

l'Empereur Emanuel eſtant arriué en France,trouuale Roy grandement


† deſuoyé de ſon ſens.Ce qui fut cauſe qu'il ne peut rien faire enuers pas
· § vn des Princes & Seigneurs du conſeil,de toutes les choſes pour leſquel
# les ilauoit entrepris vn ſilointain & peniblevoyage : carils ſe remettoiét
†. touſioursàlagueriſon de leur maiſtre, & luy conſeilloiét del'attendre,
# § commeilfit.Mais voyant que cette maladie alloitenlongueur,& que de
' luyil ne pouuoit plus temporiſer,il prit le chemin d'Allemaigne, & de là
trauerſant la Hongrie, s'en retourna en ſon pays, au meſme temps que
Paiazet eſtoit encore deuant Conſtantinople, lequel auoit enuoyé ce
pendant vnc armee de cinquante mille hommes au Peloponeſe, ſoubs la
charge & conduicte de Iagup Beglierbeide la Grece, cependant queluy
· faiſoit tout ſon effort de prendre ceſte cité,&conſequemments'emparer
de tout l'Empire qui en deſpendoit.Or lagup & Brenezes,lequelcom
méçoit deſia d'entrer en credit pourſes merites & beaux-faits,carilauoit #:
-

Deſcente des mis à fin tout plein de belles choſes, entrerent dans le Peloponeſe : Et
V - /° •/ ,
§ quant à Brenezes,apresauoir eſſayé en toutes ſortes la côqueſte de ceſte
· " Prouince, il ſe mit finablementà courir & piller le plat pays, enſemble
4
•,
\.

De l'Hiſtoire desTurcs. 55
les lieux
ſon prochains
armee de Coron,
deuât laville & de Modon
d'Argos,qu'il : Iagup d'autreDuc
prit deforce.Carle coſté
de mena .
Spar-,† la
- - - ville d'Argos.
theTheodore,voyantles Grecs hors de toute eſperance de pouuoirplus
deffendre,neConſtantinoplene le Peloponeſe,& leurs affaires eſtre re-†..
duitsàvn extreme peril & danger,auoit laiſſé ceſte voiſine de celle nºs au grand † maiſtre de

, de Nauplium aux Venitiens,pour bien peu de cho e. Et d'auantage eſtât †


venuàvnabouchement auecles commandeurs
vendula ville de Sparté,moyennantvne de Rhodes,il
groſſe ſomme leurauoit
de deniers : de . §
de la quitter.
d

, quoytout auſſitoſt que les habitans eurent le vent & qu'ils ſevirent ſi
laſchementabandonnez,& trahis parleur propre Seigneur, lequel pour
lors eſtoit abſent à Rhodes,ils § enlagrand'place de laville
àla perſuaſion & enhortement dél'Eueſque qui auoit deſcouuert toute
lamenee; & là apres pluſieurs choſes debatuesd'vne part & d'autre,arre
ſterent finablement par commun accord , de ne point receuoir ceux de
Rhodes,eſtans tous preſts d'endurer pluſtoſt tout ce qui pourroit ad- .
uenir,qued'obeiriamais à vnetelle maniere de gens. Et afin que le tout -

paſſaſt plus ſolennellement, & auec plus grande authorité, eſleurent ſur
le champlemeſme Euefque pourleurchef tellement qu'ayans entendu
comme ces Nazareens(ainſi
ſion)s'eſtoient
2 -
appellent-on
deſiamis en chemin pour ſeceux quiemparer
venir
-
font vœu
de & profeſ-Les
leur Grecsar.
ville, pellent
-

toute - - 4
ſortes de reli
enuoyerentau deuant leur denoncer
- - >• - • .
† euſſent à vider hors de leurs gººº Nº.
- , • - reës, mais en
limites,ſinon qu ils les tiendroientaulieu d'ennemis : les autres voyans les
- - - -
# Nazareens • •/

leurs deſſeins & pratiques rompues ſemirétau retour pour aller trouuer §c§.
Theodore,lequelapresauoir entendu que les choſes eſtoiét paſſeestout†
autrement qu'il n'auoit proiettéen ſon eſprit, depeſcha deuers eux pour †
- ſtoitautre chd
• • •/ -

| ſonderleursvolontez,s'ils le voudroiétaccepter & receuoir de nouueau: #


à quoy s'eſtans conſentis, il retourna à la ville, & leur promit ſoubs ſa #
foy & ſerment de iamais ne les plus abandonner.En ce meſme tempsles †
Venitiensayansremparé le chaſteau d'Argos,mirent dedans vne bonne
groſſe garniſon. Mais Iagupamenaſon armee deuantlaville,& fit quel
ques effortsàlamuraille,ſans toutesfois pouuoir rien aduancer pource
la,iuſquesàcequ'vniourayant faict donnervnfortrude aſſaut en deux
|
endroits tout à vn coup,ceux quicombattoientau coſté gauche, entre
rent ſoudain envne frayeur & eſpouuentement qui les mit en deſarroy:
Carvn fantoſme(çommel'on
- - -

à eux enforme d'vn desha- Vneteº
• , panique faict- - -

bitans, qui leur vint dire comme labreſche auoit eſtéforceeàlamain §


droictc,oüils accoururent ſoudain,pourſecourirleurs compagnons : &
cependant les ennemis ne voyans plus de reſiſtenceau deuant d'eux en
· trerent dedans.Ainſi fut priſe à celle-fois, & miſerablement ſaccagee,la
tâtrenome,&iadisfloriſſante citéd'Argos dôt(à ce † l'on dit)lesTurcs ·
enleuerent bientrente milleames,qu'ils enuoyeréthabiter en Aſie.Tou- #
tesfoisie n'ay peu encorerien trouuer qui me ſçeuſt faire foy de cela : nyº ,
entendre auſſi peu quelfutceſtendroict de pays en Aſie,que Paiazet leur
aſſignapour leur habitation & demeure.Iagup doncques ayant mis cet
te entrepriſe à fin,remmena ſon armee;& Brenezes de ſon coſté en peu
- · •
-
- E iiij
56 : Liure ſecond •

de temps monta en fort grâdbruit & reputation, dés-lors qu'il fut entré
en armes dâsle peloponeſe,&enlaMacedoine qui eſt le l6gdela marine,
où il auoit fortvaillamment combattu les Albanois neantmoins il n'eut
plus de charge en la Cour de Paiazet:trop bien lesTurcs le ſuiuoient vo
lontairement à la guerre quelque † qu'il allaſt , pour ce que toutes
choſes leurvenoient à ſouhait ſoubs ſa conduicte, & reuenoient ordi- .
Acargiae nairemét chargez de † richeſſes Car parmy lesTurcsilyavne ma
†, niere de gens à cheua equippez à la legere qu'on appelle les Accangi,
§ leſquels n'ont du Prince ne ſouldene charge,ou degré quelconque,mais .
†" ſont ainſi † cherchent leur fortune à la ſuitte du camp,
| accompaignans celuyquiles voudra menerà quelque proye & pillage.
Chacun d'eux atouſioursvn couple de cheuaux; l'vn ſurquoy ilmonte,
' & l'autre de relaiz,qu'il mene en main, pour charger ſon butin deſſus,
· & pourſe raffraiſchir auſſi de monture s'il en eſt beſoin. Car auſſi toſt
qu'ils ſont arriuez en terre d'ennemis,& que leur Capitaine leur a laſché
la bride, ils s'eſpandent tousàla deſbandee de coſté & d'autre, ſans s'arre
·- ſter nulle part, pillans,rauiſſans,& enleuanshommes,femmes,beſtail, &
toutes autres choſes quiſe rencontrent enlavoye.Tellement que i'enay
-cogneu de ceux qui auec Amurat fils d'Orchan, & depuis ſoubs Paiazet
eſtoient paſſez en Europe,leſquels s'eftans mis à faire ce meſtier, auoient
en peu de temps amaſſé de fort grandes richeſſes, & s'éſtoient habituez
deça & delà,depuis la ville des Scopiés,iuſquesauxTriballes,&enlacon
tree de Myſie,voire dansla Macedoine propre:& yen a encore pluſieurs
- ainſi que chacun ſçait, qui ont paſſéleurs iours ſur les confins delaTheſ
† ſalie.Oron dict que du temps de Paiazet vn grandnombre de Tartares
† deſcendirent en la Valaquie , d'où ils depeſcherent leurs Ambaſſadeurs
· §" deuers luy,pourauoir quelqueargent,auecvne contree, oùilſe†
retirer:enfaueurdequoy ils paſſeroient le Danube, toutes les fois qu'il
luyplairoit,& feroient la guerre en ſon nomaux peuples del'Europe.Pa
iazet fut bien aiſe de ces offres,& leur promit tout plein de belles cho
ſes,s'ils faiſoient ce qu'ils diſoient, meſmement de leur aſſigner des ter
res, où ils pourroient viure à leur aiſe, ſoubs leurs chefs & condu
cteurs,à part lesvns des autres:& ainſi s'eſtans reſpandus de coſté & d'au
tre,ils vindrent à ſe faire treſbos hommes de cheual, & fort propres pour .
la guerre guerroyable.Mais quelque temps apres,Paiazet craignant que
ces Capitaines de Tartares ne luyioüaſſent en fin quelque mauuais tour,
"-- & ne vouluſſent troubler ſon Eſtat,lesayant faict venir tous en vn lieu,
cruelle deſ commanda de les mettreà mort.Encores pour leiourd'huypeut-on voir
† * vn grand nombre de ces Tartares habituez de coſté & d'autre parmy .
l'Europe,qui del'ordonnance d'Amurat eſtoientaiſez reſider en ceſten
droict de la Macedoine,qui eſt proche des bains de Myrmeca, & de lari
uiere d'Axius, maintenant dicte Vardari , où il enuoya quant &
quant pluſieursTurcs naturels, pour cultiuer le pays. Le territoire auſſi
# de Zagora commençalors d'eſtre habité par fon commandement, en
#" ſemblela contree de Philippoli : mais le Cherſoneſe de l'Helleſponte
-
, Del'Hiſtoire
rs a3 r r , A . - • v ' . *» •4
- •

des Turcs. 37
auoit deſia eſté peuplé par ſonfrere Soliman. Au regard de laTheſſalie,
& du pays des Scopiens,& des Triballes,quis'eſtend depuis ladicte ville
de Philippoli, §
à la montaigne de Hemus,& aubourg de Sophie,
cefut Paiazet quiyenuoyades habitans : auſſi ceslieux là luy furent de- "
puis comme vne ouuerture & entree,pour delà courir & fourrager à ſon
aiſelesterres des Illiriens & Triballes, eſtans treſpropres & commodes,
pour faire laguerre à ces deuxpeuples. Ilyen eut encore tout plein d'au
tres qui ſe retirerent depuis en ces quartiers là,ayans entendu que c'eſtoit
vnlieu tout à propos poury ſerrer les eſclaues, & autre butin qu'ils fe
roient ſur les ennemys. -

M A 1s pour reuenir à Paiazet,apres qu'il fut repaſſé en Aſie,ilallamet- x I i.


tre le ſiege deuant la ville d'Ertzica, ainſi que nous auons deſia dict cy
deuant, § il print de force, & la ſoubsmit à ſon obeyſſance. Puis . .. .
paſſa outre contre celle de Melitiné, ſituee ſurlariuiere d'Euphrate,là où M†º
· auec ſes machines & engins de batterie, il fit d'arriuee vne fort grande
ruine. Ceux de dedans neantmoins ſe defendirentaſſez bien pour quel
† temps; maisl'effort ſe continuant & augmentant de plus en plus,ils
urent finablement contraincts de venirà compoſition. Ce fut alors que
les Princes & Seigneurs Turcsdel'Aſie, ſe retirerent à garend deuersTe
mir, pour implorer ſonayde & ſecours à l'encontre de Paiazet, & eſtre
reſtituez enleurs biens, luy remettant deuant les yeux, afin de luy faire
touſiours prendrel'affaire plus à cœur, la conformité de religion, & la . .
proximité du ſang qui eſtoit entr'eux,au moyen † ils l'auoient eſ †
leu pour pere, protecteur, & deffenſeur du pays. Adiouſtansàcela, qu'il †.
deuoit reco gnoiſtre quelelieu de ſouueraineté qu'il tenoit en l'Aſie,re- †à es
queroit denelaiſſerpoint outrager ceux quine faiſoient tortnyiniure à§"
perſonne, & que de cela ils n'en vouloientautreiuge que luy, à l'arbitre†º
duquelils ſe ſoubs-mettoient pourreceuoirtelle punition & chaſtiment
qu'illuy plairoit ordonner,s'ils ſetrouuoiétauoiriamais enrien côtreue-, .
nu aux capitulatiôs &alliancesd'entr'eux& Paiazet.Temir à laveritén'e §
ſtoitpoint encore autrement irrité contreluy, d'autant † l'auoit touſ †
joursveu bien porter contre les ennemys & aduerſairesdeleur loy. Caril † rincipales,
n'ya pour le iourd'huy en tout le monde que deux ſortes des religions †
- - - " n . - - r11t , c

,qui ayentlieu ;la Chreſtienne & la Mahometane : des autres on n'en fait Mahomet; .
cas, pourle moins elles ne ſontpoint admiſesaux Royaumes,Principau- †º
tez,& Seigneuries,oubieifn'yontaucun credit nyeſtime.Aumoyen de-†"
quoy il reputoit,
1
que tousles ſectateurs de Mahomet eſtoient
N. - " ff fort tenuz
•f , zetgrand
ennemy du
" *: : - - -*1 | v -

& redeuables à Paiazet, pour le ſoin qu'il prenoit de deffendre à force §


d'armes le party deleur Prophete : & telle futl'opinion queducommen-†tien de
cementil en eut. Mais apres auoir cogneu parles plainctes & doleances †e
de ceux quideiour en iour ſe retiroient deuersluy, que s'eſtoitvn mau- †
- - : /° - - - - - 1Il •

uais
d
homme,7-..
ſans; foy, loyanté, ne conſcience
ſt , ſi
aucune, ambitieux
d ſi ich :ſ
au §
iſ- dirc foudre,
cmeurant,& qui ne le contentoit pas d'eſtre ſi grand, il riche & il puil-†n
- - : --- . >

ſant en l'Aſie, ains halletoit apres la conqueſte de la Syrie, & del'Egyp


pte, & deſia faiſoitſesappreſts pour aller courir ſusau Souldan du Caire,
58 - Liure ſecond
ſemonſtrant entout & par tout d'vn naturelviolent & impetueux,ſem
blable àvne foudre ou tourbillon de vents,dont auſſiilportoit le nom,a
Couſtume
lorsil depeſcha deuers luy, pourveoir s'il voudroit point faire quelque
- - - ». - - :) 4 -

† raiſon auxprinces deſſuſdits,& s'ilyauroit moyen d'apointerleurs diffe


† rends & querelles. Il luy enuoya † & quant vne robbe, ſuyuant la
# couſtume de ceux quitiennentle plus grandlieu en Aſie. Les Ambaſſa
ſent vne rob - - - . - " ·· · 1 . .

§ deurs eſtans arriuez en lapreſence de Paiazetauccle preſent,luyparlerent


be à ceux qui
†" en ceſte ſorte.Temirle grand Royt'enuoye parnous ceveſtement(Sire)
† en ſigne de la § qu'ilteporte, & que de tous autres Mo
raiaº narques,c'eſt luy qui eſt le plus† ;te ſçachantinfinimentbongré,du
ſoin que tu prendsàguerroier d'vn ſigrandzele, & mettre basles enne
mis de noſtre ſainct Prophete; en quoy tu exauces touſiours d'autantles
affaires de ſa religion & creance, & eſtablis l'heur, & proſperité de ceux
qui ſuiuent la doctrined'iceluy. Auſſieſt ce là où il faut que tu aſpires, |

pourſuiuant de plus en plus noz mal-vueillans & aduerſaires, non pas


d'employer ton effort à oppreſſer de torts & iniures nos plus chers amis,
alliez & confederez, pourlesaliener par ce moyen de nous, & les reduire
au dernierdeſeſpoir : Plus toſtte faudroit-ileſuertuer de lesgaigner par
douceur, & te les rendre bien affectionnez & redeuables, partoutes §
tes de courtoiſies & bien-faicts. Car ſi tute monſtres rude, criminel, &
outrageux enuers les tiens , quelle victoire,ne quel honneur & reputa
tion pretends tu acquerircontretes ennemis;Voicy doncques en peu de
paroles, ce que te mande & ôrdonnelegrand Roy; Rends tout preſen
tementaux princes & ſeigneurs de l'Aſie, les biens que tu leuras iniu
,- ſtement oſtez, puis que de leurcottéils ont eſtéaux paches & conuenan
ces accordees entre vous, ſans auoir attenté aucune choſe au preiudice
d'icelles, ne de ton eſtat. Si ainſi tu le faicts, tu feras choſe qui luy ſera
tres agreable, & dont tous les habitans de l'Aſie te rendront graces im
mortelles. Que ſi tu pretends qu'ils t'ayent en rien offenſé, ny contreue
nu au traicté de l'alliance iuree, voicy ce qu'ils dlent : Nou-nous ſoubſ
mettons de celaauiugement de noſtre Roy, preſts à endurer toute telle
peine & chaſtiment qu'illuyplairra ordonner. Paiazet oyt aſſez patiem
ment tout le reſte,hors-misl'article delarobbe que Temirluy enuoioit,
dontil entra bien fort en colere, tellement qu'illeur reſpondit tout ſurle,
†. champ;
lere.
Allez,eſmerueiller
me puisaſſez retournez vous
de cesenremercimens
à voſtre maiſtre, & luy dittesfaire,
qu'ilm'enuoye que ie
dene
la
peine que ieprends tous les iours contre nos communs ennemis, pourle
ſouſtenemét & deffence delafoy: mais ce qui me rendencore plus esbay,
cſt que ce-pendant qu'il me faict offrir gens,argent, & autres choſes ne
, ceſſaires pourl'entretenemét de cette ſaincte entrepriſe,on ne voit point
toutefois que pour celailſe declare commeildeburoit de nousyvouloir
aſſiſter & ſecourir au contraireil ne ceſſe de me machinertouſiours quel
ue choſe, & me dreſſer ſoubs main des querelles ; s'efforçamt encore
m'arracher des poings(s'il pouuoit) le pays que i'ay conquis de bonne
guerrc ſur mcs ennemis mortels, quiauoient conſpire contre ma propre
-- —---- * ------ -- .---.-..- . - --- -- - - - -- • - --

-
5 r ° ° » pºè ' • - - •v -

Del'Hiſtoire des Turcs. 59


vie.Côment dóques péſe-ilm'entretenirmaintenant de cesbeauxgrands
mercis ; Or † à l'habillement qu'il m'enuoye, vous luy direz de ma
art, que deſormais il ne ſe mette plus ces follies en la teſte, de vouloir
§ tels preſens à celuy quieſt d'autre eſtoffe & calibre qu'il n'eſt, & qui
le precede de tous poincts en nobleſſe, & ancienneté de race; en richeſ
ſes, & puiſſance auec. Ces paroles ayans eſté rapportees àTemir en la vil- .
le de Semarcant,il s'enaltera extremement, meſme pour le regard de la
robbe plus § de tout le reſte. Parquoyil deſpeſcha ſur le champvnhe
rault, pour aller faire commandement à Paiazet de rendre aux Princes
des-heritez le pays qu'il leur detenoit, ſans autre remiſe ne delay, carille
vouloitainſi : & que s'il en faiſoit difficultéqu'illuy denonçaſt la guerre.
De faictTemirauoitluy meſmevouluveoirleur affaire,en ſorte qu'apres
l'auoir bien examiné,il prononceaſoniugement là deſſus, contenant en
ſubſtance, Que les PrincesTurcs auoient eſté iniuſtement depoſſedez: ... ,
parquoy tant † W
luy battroitAlau- corps,il
• 1 \ à n'endureroit de les veoir †º
- - -
cbuoir des
rands Mo
- -

allervagabonds çà & là par le monde, à mendier leurvie. Mais Paiazet †


renuoyabien loing, & l'anbaſſadeur & l'ambaſſade,auecvnetelle reſpö-†
ſe.Si ton maiſtre qui menace de ſi loingne nous vient veoir commeil dit #"
auec ceſte groſſe puiſſance, dont il † eſtonner tout le monde, ie prie #.
à Dieu quefinablementil puiſſe reprendre la femme que par trois fois il
aura repudiee. \

CELAeſtl'vn des plus grands blaſmes & reprochables qui ſoit entre x 111.
les Mahometans, de retourner partrois fois auecvne meſme femme,s'il
n'y a † bien apparente & legitime occaſion. Car la loy veut que , couſtume
touteslesfois qu'ils delaiſſent leurs femmes, ils declarent quant & quant †º
de ne la vouloir plus reprendre, comme ne leur eſtant permis ne loiſible,*
depuis qu'vne fois le maryvient à dire, qu'ilya eu diuorce entre luy & ſa
femme iuſques à trois rattes, & pourtant qu'il n'en veut plus. C'eſt vne †
§ & ridicule,practiqueeneantmoins
ils ne peuuent eſtrediſpenſez, quand la production deparmyeux,& dôt§
cette troiſieſme que. .

rattevient en public, quepreallablement celle quelemaryvoudrarepré † des Turcs tou

dre n'ait paſſé par les mainsd'vn autre, & commis adultereauec luy.Ainſi †
le Heraut ayant ouy ces beaux propos,s'enretourna à tout, ſans exploi- †"
cterautre choſe.On racompte en ceſt endroict,que la femme deTemire
ſtantfort conſciencieuſe,auoit de tout ſon pouuoir eſſayé de deſtourner
ſonmary de faire la guerre à Paiazet, pour-ce qu'illuy ſembloit digne de
rande loüange, d'auoirainſi touſiours affectionnément combattu pour
a foy de Mahomet:& à ceſte cauſe eſtoit continuellementaux oreilles de
ſon mary,à luy perſuader devouloirlaiſſer en paix & reposvn telperſon
nage, ſans luy point donner d'ennuy & faſcherie qui le diuertiſt de ſes
louables entrepriſes; caril n'auoit pas merité d'eſtre mal-mené par ceux
qui eſtoient de ſa creance.Toutesfois apres quele Heraut fut de retour,
& qu'il eut rapporté à ſon maiſtre les villains & deshonneſtes propos de
Paiazet,ilvoulut que ſa femme les ouyſt elle meſme. L'ayant doncques
faict venir en ſapreſence,illuy demandas'illuyſembloit raisônabled'en-
+
'
6o • Liure ſecond
durer plus longuement cedesbordé Turc, brauerainſià belles iniures &
# outrages, ſans ſe mettre en deuoir de l'en chaſtier. Et certes cela eſtoit
† bien tout arreſté en l'eſprit deTemir, qu'encore que ceſte dame euſt per
#es rais ſiſtéen
ZCL. tre, maisſapremiere
il vouloit opinion,de ne laiſſer qu'il
donnerà cognoiſtré pas pourtant d'alleraſſaillir
portoit quelque reſpectl'au
à ſa
# femme,& que rienne lemouuoit à ceſte guerre,ſinonl'honneſte pretex
†" te & occaſion qu'ilauoit de vengerl'iniure à elle faicte.Pour cela neant
moins elle ne laiſſa pas de luy faire encore vne telle reſponſe.A laverité,
Sire, ne moy ne tous ceux quiorront les vilaines paroles de ceſt homme
là, ne pourrontiuger ſinon que c'eſtvn folinſenſé, du tout hors de ſon
entendement, de maniere qu'il ne ſçait plus ce qu'il faict,ne ce qu'il dict,
& que ce ne fuſttres-bien faict à toy de t'en venger, pour luy apprendre
vne autre fois à quiilſeioüe : mais nonobſtant tout cela ſi prendray-ie la
hardieſſe de te dire,que ic ne ſerois pasd'opinion que tu entrepriſſes la
guerre pour ſi peu de choſe, contre celuy qui a ſi bien merité de noſtre
Prophete, & qui pourle ſeruice,gloire,& honneurd'iceluy, neceſſe de
uerroyer tres-valeureuſement les Grecs & autres peuples habitans en
Europe : ſi ce n'eſtoit cela, ie croirois bien qu'il n'y auroit pas grand mal
de ſe reſſentir de l'outrage & iniure qu'il nous faict, carilne ſeroit pas rai
ſonnable de le laiſſer paſſerſans § chaſtiment. Mais voicy que tu
peux faire ce me ſemble : Denonce luy la guerre , & ne la luy faiz pas
pourtant, au moins à toute outrance, & prends ſeulement ſaville de Se
baſte, que tu luy ruineras de fonds en comble:car en ce faiſant tuaurasaſ
ſezven géla ſurpriſe de Melitiné,& la querelle des Princes qui ſonticyàta
ſuytte.Toutes ces choſes eſtans paſſees en la ſorte que § eſt, Temir
s'appreſta pour aller trouuer Paiazet : Neantmoins † VIlS I2CO1Yl

ptent,que ayant paſſé outre Melitiné,ilvint deuant Sebaſte,& apres †


l'eut priſe, illuy enuoyades Ambaſſadeurs pourle ſemondre de rechef
Demande de de reſtablirles Princes en leurs heritages; & pour luy demanderauſſi des
†"* beurres, & des pauillons : A ſçauoirlacharge de deux mille chameaux de
beurre, & pareil nombre de pauillons garnis de leurs chappes, tels qu'ôt
accouſtumé de porter les Paſtres çà & là par l'Aſie. Item que par tous les
temples & § des Pays de Paiazet, Temir fuſt proclamé publi
quement Roy & Seigneur ſouuerain : quel'vn des enfans de Paiazet vint
reſider à ſa Cour : & finablement que la monnoye de Temir ſeule,& non
autre, euſt cours par toutes les terres de l'obeyſſance de Paiazet. Ces de
mandes & conditions luy fit propoſer Temir apres la priſe de Seba
ſte, dontl'autre entra en ſigrand courroux & deſpit, qu'il luy enuoya
- dire ce que nous auons deduict cy deſſºus.Au moyen dequoyTemirayât
dreſſéſon equipage, ſe mit en campagne pourl'aller combattre, faiſant
Les deſſeins
ſon compte de ſubiuguer tout ce que l'autre auoit en l'Aſie,& de là paſ
deTamburlä.

ſer en Europe.Et ſi n'auoit pas intention de retournerarriere,qu'ilne fuſt


#† pourueu iuſques aux extremitez d'icelle,vers les riuages del'Ocean.pro
##a chains des colomnes d'Hrcule ;oùilauoit ouy dire qu'eſtoit lé deſtroict
§ de merquiſeparel'Europe de l'Affrique:laquellcil Pretendoit de coque
I1I
-
| De l'Hiſtoire des Turcs. -
6I
rir auſſi & delà finablement ſ'en retourner à la maiſon. C'eſtoient les hau .
tes & excellentes beſongnes que Temirtraſſoit en ſon efprit, mais elles re- .
queroient vne meilleure fortune, & de plus grande efficace, que celle que
Dieuluyauoit preordonnée. Paiazet d'autre coſté embraſſant toutes gran
des choſes en ſon eſperance, ſe perſuadoit devenir facilement à bout de
ceſtuy-cy; qui ſe monſtroit ſi animé contre luy, & ramenoit là deſſus en
memoire & conſideration les exemples du vieil temps: Que les Princes
conqueransdel'Aſie n'auoient peu ſubiuguerl'Europe : là où ceux de l'Eu
ropeauoient autresfois chaſſé & mis hors de ſon Eſtat, l'vn des plus grands ,
Roys de toute l'Aſie.Ces choſes & autres diſcouroit Paiazet à par ſoy, leſ- †°
- - ' - - - -epriſes de
quelles luyhauſſoient bien ſes deſſeins & conceptions, comme ſi de prim-†
ſautil euſt deu renuerſer & Imettre bas la Monarchie de Temir. Mais main-lexandre le
Grand : mais
tenant que la ſuitte de ce propos m'a tiré & conduit iuſques icy, quand ie § §
penſe à la premiere & ſeconde deſcente que fit ce barbare, & aux maux,º "
dommages, & ruines qui ſ'en enſuiuirent, il me ſemble que les affaires des
Tubcs euſſent peu prendre vn fort grandaccroiſſemét, ſi deſlors qu'ils dreſ- .
ſoient leurs entrepriſes & conqueſtes vers les marches du Ponant, ils n'euſ- #
ſent point eſté ainſi diuertis par ce puiſſant ennemy : Car encor quela Mo-† ment de l'+ m

narchie des Otthomans ſe fuſt venuë embraſer de toutes parts en noiſes, pºeue, †
princial
ſeditions, & partialitez, & eux-meſmes euſſent pris lesarmes les vns contre § a cauſe
lesautres, les choſes toutesfois ne fuſſent(peut-eſtre)arriuées à vne ſi pi des guerre ci -
uiles qui ſur
teuſe fin, comme elles firent à Paiazet, & quand ſes enfans puis apres vin-† ſa mort entre

drent à ſebattre & entre-tuer miſerablement les vns les autres, & combler ſes e .
leur propre pays de deſolations & calamitez. Ce quiamena des maux infi
nisàtoute la nation Turqueſque : & le pere en ſon viuant ayant eſté eſleué
parla permiſſion diuine, à vn tres-haut degré de grandeur & dignité mon
daine, illuyaduint d'eſprouuer & ſentir les poinctures de nos miſeres, pour
aucunement refrener ſon inſolence, & le rendre plus doux, plus moderé,
&traictable : ſi ſon malheur nel'euſt pourſuiuy à toute outrance, & ſe fuſt Il y eut deux
contenté de quelque mediocre repriméde & chaſtiment. Or pour moyen-†" mir Chur'u

ner ceſte ſigrande & inſigne mutation, le Royaume de Semarcant auec †


heureux , le
lEmpire de l'Aſie, ſe vindrent de gayeté de cœur ietter entre les bras de † CC mperia c:

Temir, ſans que pour cela il luy fuſt preſque beſoin de deſgainer ſon ci-§ §
meterre.Toutes leſquelles choſes comme & quand elles aduindrent, vous†
> - - teux , qui eſt
l'entendrez de moy cy-apres: Car on dict que ceſt homme icy, monta de † †
nu de lieu in
fort bas & petits commancemens, à vne tres-grande gloire, authorité, & cogneu,
puiſlance.
TAM E R LAN E S ou THE MIR
Empereur des Tartares.

S O N EL O G E O V so MMAIRE D E S A V I E.

, Lvrs 1 Eprrs trouuerontpeut eſtre eſträge que i'entremeſlele portraitt &leſommaire


# de la vie de cet EmpereurTartareparmyceluy des Empereurs Turcs : mais pourquoy n'y
doit il pas eſtre puis qu'ila commandé vn temps à leur † en toute ſouueraineté, &°
$ qu'il eſtl'vnique entre les Potentats de la terre.quiaitfai ployer le colà ceſteraceſuper
be des otthomans ? Mais laprincipaleraiſon : c'eſt que ietrºuueen quelques hiſtoriens
aſſez dignes defoy ( comme entre autres l'Arabe Alhacen quileſuiuit en toutes ſes coque
ſtes) La vie de ce Prince tout autrement deſcrite que celle que nous repreſente !ºy noſtre Autheur. De ſorte
\
· -» '
62
qutiemeſuis perſuadé que ceſte diuerſité donneroit du contentemêt auxplus curieux, & que les contrarie
tezquiſyrencontreront pourront bien eſtre accordées parles plus iiidicieux. Començant doncparſoit ori
gine Ileſtoit deſon eſtre Prince de Sachetay, & la ville capitalle de ſon Royaume eſtoit Samarcat. Al'aa
e dequinze ans ſon pere luy baille ſon Eſtat à# & ſa premiere guerre fut contre le Moſcouite
qu'il desfit en # bataille, & luyfitperdre vingtcinq mille hommes de pied, & quinze àſeis emil
lecheuaux le rendantſon tributaire Aſon retour legrand Cham des Tartares ſon oncle luy faict eſpouſer
ſafle & declarer ſon ſucceſſeur. CalixgrandSeigneur entre ces nations, & qui aſpiroit à l'Empire s'en
vºyantfruſtré,prent les armes, & fait ſouſleuertout le Catay en l'abſence deThemir qui luy fit bien toſt
reſſentirparſa preſence que le bon droict,le bon heur, & la valeureſtoient deſon coſté Carapres vnegran
de deffaicte #priſonnie# Illuyfit trancher la teſte auec celles de quelquesſeditieux auec luy, eſtei
gnantparcepeu de ſangvngrandfeu qu'fallumoit partout cegrand Empire. Ilfait la guerreau Roy de
laChine, & ayant gaigné les longues murailles qui ſéparent les Chinois des Tartares, forçea les villes de
Paquinfou, Paquinahu,Teauchenºy, & Pannihu, & donna trois grandes batailles contre ce Roy en la
derniere deſquelles ille pritpriſonnier. Et comme l'autre luyparloit ſuperbement Themir au contraire luy
r#ondoit humainement c3 ſans vanterie deſoy, attribuani à DI È V le gain de ceſte victoire de ſorte
qu'il luy rendit ſa liberté & ſon Royaume qu'ilauoitpreſquetout conquis luy impoſant ſeulement quelque
iribut.De là ramenant au logisſon armée victorieuſe : Il eſt prié del'Empereur Grec, de luy donner quel
queſecours contre Baiazet Empereur Turc, ce qu'il obtintparla priere d'Avalla Geneuois, le plus vaillit
& renommé Capitaine de toutel'armée de Themir, & par les armes duquel il executaſes plus fignalées en
trpriſes.Prenflaville de Caphaenſaprotection, & ruine celledeSebaſte Deffaictles Capitaines de Ra
iattt, & luymefmeapres qu' #priſonnierenccſtememorable bataille de la plaine d Angory. Et com
me il ſ'eſtonnoit de l'orgueil de ce Prince en ſa miſere : Il dit queſa ſuperbe meritoit d'eſtre chaſtiée par
cruauté, & qu'il failloit qu'il fuſt vn exemple de chaſtiement aux cruels de la terre, luy faiſant finir ſes
iours comme ila eſté dit au ſommaire de ſa vie. Ildeliure ſans rançon le Deſbote deSeruie, qui auoit eſté
ris en ceſ#e bataille, & traitte humainement les enfans de Baiazet. Se monſtre en toutes choſes fauorable
aux Chreſtiens : Deſorte que la ville de Conſtantinople, & l'Empire Grec, luy eſtant offert# Ambaſ
ſadeur expres qu'enuoya l'Empereur vers luy: Ille refuſa, diſant, qu'il n'alloitpoint parlemondepour
conquerir des terres mais gloire & re utation. Conqueſte toutl'Empire des Otthomans , & pourſuiuant
ſes victoires, Sevange du Souldan d'Egypte quiauoit donné ſecours à Baiaz et contre luy. S'aſſubieciit
Damas, Damiette,Alexandrie, & le Caire anec toutes les places plus notables de ſon Eſtat, obtenät deux
notables victoires ſur luy,& le # defenfuyr & faire ſa retraicteen des lieux inacceſſibles.Ho
noreleſaintiSepulchre & auoitvnedeuotionparticuliereauſainttnom de PÉ SVS : Deſorte qu'il fit
baſtirºntemple à l'honneur du Redempteur en ſa ville de Samarcant. L.Arabicheureuſé ſe rendàluy, &
la meilleurepartie del'Afrique, Ses armes donnans vnetelleterreur à tous les peuples, que tout ſe rendoit
arou il paffoit, S'en retournant au logis : Ildompte la Perſe,tout le Glauture & le Tarpeſtan , prenant
laſuperbe ville deTauris.Taliſmahar leur Princefen eſtant fuy,c laiſſant Axallapourſon Lieutenant
#, en tousles pays deſes conqueſtes, ilſeſit ſuiureparles Gentilshommes Perſans qui vouloient faire
es Roys en leurpays.Se retirantainſi enſaville deSamarcant, qu'il embellit des deſpouilles dela meilleure
partie de l vniuers,laffranchiſſant detout tributpourattirer les peuples à yvenir demeurer, & la rendät
laplus fameuſe de lOrient.Saſtature eſtoit moyenne les eſpaules vnpeu eſtroičtes,la iambe belle, les yeux
pleins le Maiefté, deſorte qu à peine enpouuoit onſupporter le regard, maispar modeſties ilſ'abſtenoit de
regarder celuyquiparloit à luy Lereſte du viſage eſtoit affable, & bien proportionné.Iln'auoit gueres de
poilaumenton,& auſſi peu demouſtache,portoir les cheueux longs & creſpus deſquels ilfaiſoit grand côte,
(à cauſe qui ſe diſoit eſtre de la race deSanſon)ioint qu'ils eſtoient fort beaux & d'vne couleu # en ti
rant ſur le violet. Ilfut nâmé Themir Curlupar les Parthes, c'eſt à dire fer heureux. Les Tartares le nö
merent Tamerlanes, qui eſt à dire en leur lague grace celeſte Il diſoit queſon Ange tutelaire ſ'appelloit
Meaniel,& queſon Demon de profeſſion le conduiſoit aux affaires ſeſtimāt eſtreappellé de DIE F,pour
punir ſeulement l'orgueil des Tyrans. Deſorte quefilſ exerçoit quelquefois à vne autre choſe qu'à laguer
re, ce n'eſtoit, diſoit-il, que par emprunt. Il eſtoit fort continent, n'aymant queſa femme fille du feu grand
Chamſon oncle.Tenoit ſesſeruiteurs en vnion, & concordeles vns auecles autres, & n'auoit point deja
louſie de la bien-vueillance qu'onportoit àſesfils Ileftoitfort amateur des lettres, & excellent en Aſtro
logie, & Theologie Mahometane, finalement ſi iuſte en toutes ſes actions ordinaires, qu'il en eſtoit tenu des
ſens, comme vn Prince que la vertuTiuine accompaignoit. Il eut trois grands Capitaines ſoubs luy, Od
mar, Axalla, & le Prince de Tanais, dont leplus renommé fut Axalla. Portoit le Soleil pour deuiſe ou
hieroglife quifutvn mauuais augure pour les Otthomans qui prennent la Lune. Car ainſi comme la Lune
enſa conionctionauecleSoleilnousparoiſtſans lumiere. #l'Empire Turcconioinct à celuy de Tamer
landemeuraſans clarté, Ceſtegrandeſplendeuroffuſquant lamoindre,ilmourutl'anmilquatre cens trois.

Fj
L E T R O ISIE SME LIVR E
D E L H I STO I R E D ES
T V R C S, D E L A O N I C CHAL
C O N D Y L E A T H E N 1 E N.

S O M M A I R E, ET C H E FS * P R 1 N C I PA V X
du contenu en ce preſent liure.

L'origine deTamburlan,qui d'vn tres Des Scithes derechef, & de leur manie
bas & petit lieu monta à vn ſi grand re deviure, contre leſquels Tambur
Empire, & de ſes premiers exercices lan s'eſtant acheminépar deux fois, il
& occupations aux brigandages,dont nepeut riengaignerſureux Chapi
tre 8.
vint tout ſon aduancement. Chapi
tre premier. La priſe de Damas & d'Alep, auec le
L'ordre & diſcipline eſtablie par Tam reſte de la Surie : & la deſcription du
burlan és Siſ$ities,autrement Hordes, Souldan du Caire, & del'Empire des
ou congregations de Tartares, errans Mammelus. Chap. 9.
gà & la enforme d'vn campperpetuel. Tamburlan faiét paix auec le Roy de
Chapitre 2. Chatai, prend & ruine de fonds en
Deſes deuxprincipaux Capitaines Chai. comble la ville de Sebasie, des ap
dar & Myrxas, dont il fit mettreà partenances de Paiazet : & les pre
mort ceſtuy-cy pour luy auoir parlé paratif deces deux grands Monar
trop librement. Chap. 3. ques pour ſe donner la bataille. Cha
· Deſcription de la mer Caſpie, & pays pitre 1o.
adiacens : & quelques exploiéts dar Les ſignes & prodiges qui precederent le
mes de Tamburlan contre les peuples | deſaſtre de Paiaxet, & diuers diſ
de l'Orient : c9 de là contre les Ara cours c9 conſultations de luyauecſes
bes. Chap.4. Capitaines s'il deuoit hazarderlecó
Du fauxprophete Mahomet; deſa loy, bat. Chap.II.
& ſes traditions; ſes faicts & geſtes, L'auarice & outrecuidance de Paia
& de ſes ſucceſſeurs : & des pellerina zet ſont cauſe de luy faire tout per
ges qui ſe font d'infinis endroits à la dre: & la groſſe bataille qui ſe don
Mecque, où eſtſaſepulture. Cap.5. na à laparfin au pays de Myſie, où il
Tamburlan ſubiugue les Chataides : ſon fut entierement deffaiét, & pris pri
entrepriſe contre les Scites ouTarta ſonnier, luy & ſes enfans. Chapi
fY6 I2..
res Orientaux, auecla deſcription d'i
ceux, & de leurs Hordes. Chap.6. cAigres reproches & deriſions de Tam
De la Sarmatie & Ruſcie,mœurs & fa burlan enuers Paiazet : les ignomi
gons de faire des Moſchouites, Liuo nieux & mauuais traiétemens qu'il
miens, Lituaniens, & autres nations luyfit les hauts deſſeins & conceptiös
du Septentrion : & des trois ſortes de d'iceluyTamburlan : lapourſuitte de
religions inſtituéespourfaire teſteaux ſa victoire, & la mort de Paiazet.
infideles. Chap.7. Chapitre 13.
Deſcription
-

º -

Del'Hiſtoire desTurcs. 63
Deſcription de l'Inde Orientale : volu- | | s'effantdonné au repos: & le partage
ptex & debordemensdeTamburlan, | | deſon Empireàſesenfans. Chap.14.
pg E premier exploict de guerre que fit Temir en ce sebaſteeelta
\ voyage, fut ſur Sebaſte ville de Cappadoce, riche & º
# opulente.Car ayant eu infinies plaintes de Paiazet,
# qu'ilſe porteitinſolemment enuers les autres Prin- ,
# ces & Seigneurs de l'Aſie, nonobſtant qu'ils fuſſent †
2# deſcendus dela race desTurcs, & qu'apres encoreles#"s"
auoir deſpoüillez de tous leurs biens, il nelesvouloit
laiſſer en aucune paix ne repos ; † que ceux qu'il auoit en
uoyez deuersluys'en eſtoient retournez ſans rien faire, & n'oyoit par
tout reſonnerautre choſe que ſes menaſſes & brauades; ſe §
† remettre les choſes en longueur, d'aller attaquer Sebaſte.Auſſi #
ien deſiroit-il aſſeoirles fondemens de ſon Empire ſur le bruit & re- § -

putation de cette entrepriſe , dontle principal motif eſtoit de dompter † .


Paiazet,affin d'intimiderlesautresàl'exemple de ceſtuy-cy,& les renger †
plus aiſément ſoubsleiougdeſon obeyſſence. Et ſi auoit deliberé de ne priſ .
prendre ceſſe ne repos, que premieril n'euſt conquis toute l'Aſie d'vn
bout à autre,commeiladuint, ſelon ce que nous auons peu entendre.
Ce Temiricy fut fils d'vn nommé Sangal,homme de baſſe condition : &
tout auſſitoſt qu'il eut atteinctl'aage † porter le trauail, les habitans du
lieu où il faiſoit ſa reſidence, d'vn commun accord le choiſirent pour ' .
garderaux champs leurs haraz; ce qui luy fut vn accés & moyen de s'ac
cointerincontinent de tous les bôs côpagnons de lacontrce, Paſtres, &
autres ſemblables bandolliers, qui ne valoient pas mieux† : &

n'eut pas beaucoup de peine de leur mettre enteſte, delaiſſerla pauure


& § vie qu'ils menoient,pour taſcher d'aller faire quelque bon
ne main,& viureailleurs en gensdebien & d'honneur:tellement que luy
& ceux de ſa ligueſetrouuerent en peu deiours force cheuaux, & gran
de quantitéde § de toutes ſortes. Car en luy n'y auoitfoy, meſure,
§ ſeureté aucune,ains toutefraude,deſloyauté, diſſimulation, &
rapine.Et dict-on qu'vne fois eſtant à eſchellervnebergerie,le maiſtre de
la maiſonl'apperçeut qu'il eſtoit deſia montéau haut de la muraille ; car
ence pays-là, on a de couſtume de faireles parcs, & les cloſtures des mai
ſons ſort exhaucees, au moyen dequoy il ſe ietta en bas , & ſe rompit
vne cuiſſe dont il demeuraboiteux toute ſavie. Toutesfois aucuns veu
lent dire, que ceſtaccident luyaduintd'vnebleſſure qu'il receutà la che
uille du pied,envn affaire oûil ſe porta fort vaillamment. Quoy que ce -

ſoit,ces Paſtresicy,apresauoirducomencemét eu quelques legieres ren- cea deau ,


côtresauecleurs voiſins,come pourvn coup d'eſſay,s'acheminerent de-†, .
puis ſous ſa conduicte enterre ennemie,pillans & accageans tout ce qui † 'ſignie
ſerencontroit deuanteux.Et par ſonaduis choiſirentvn lieu pour ſe reti-"
rer à ſauueté,auecle butin qu'ils faiſoiét deiour en iour , d'où puis apres
ilscommencerentà courir & brigader de tous coſtez d'vne cruauté
-- - Fij nom •.

/
. -
--

64 · Liure troiſieſme
Tes ºu pareille,ſans pardonnerà perſonne.De maniere qu'en peu de iours ayant
† aſſemblé vn grand denier de ces deſtrouſſemens & volleries, il s'aſſocia
§-auec deux autres Maſſagetes de nation , nommez Chaidar & Myr
#º xas, à l'ayde deſquels il prit ſi à propos les ennemis qui eſtoicnt venus
faire vne courſe en la contree,qu'illes mit en routte, & tailla en pieces
toute leur cauallerie: Dequoyles nouuelles eſtans venues à la prochaine
- ville,onluy enuoyaſoudainvne bonne trouppe deſoldats, & force ar
gent pourleur departir à ſa diſcretion,affin de lesauoir plus prompts &
affectionnezàtout ce qu'illeurcommanderoit.Se voyant doncques vn
telrenfort,il entra dans le pays ennemy, où il pritgrand nombre d'ames
& de beſtail, dont il fit § à ceux de la ville : Et de là en auant le
Roydes Maſſagetes cognoiſſant ſa proeſſe & valleur,lecommença d'a
uoir en fort grande eſtime, car illefit chef& capitaine general de toutes
ſes forces; auec leſquellesTemir s'eſtant iettéen campaigne,fittelle dili
gence, qu'il § ennemisaudeſpourueu,& les mit de plaine abor
dee à vau-de routte, les chaſſans à pointe d'eſperoniuſques dedans Ba
bilone, autrement dite Bagadet, oûilles aſſiegea. Puis manda ſon Roy
pour cueillir le fruict de † victoire, & y mettre la derniere main; mais
ſur ces entrefaictes il mourut:& par ce moyéla Royne auecle gouuene
#ºn
eſpouſe la ment du Royaumevindrentés mains de Temir; lequel deſlors ſe portât
-

§ abſolument pour Roy, continua ſon ſiege deuant Bagadet, & Semar
# cant encore là oûvniourceux de dedan ſe voyans reduicts au dernier
*°º" deſeſpoir, ſortirentd'vnetres-grande hardieſſe iuſques dedans les tren
chees, mais ils en furent repouſſez, & ne pouuant plus durer, ſe rendi
Priſe dese rent par compoſition àluy.S'eſtantainſi emparé de Semarcant, il vou
" lut pratiquer quelques vns de Babilone, pour la luy mettre entre les
mains, & conduiſoit ceſte menee Chaidar, mais Myrxas qui eſtoit d'vn
naturel doux & †† taſchoit de le retirer de ceſte .
entrepriſe; luy remonſtrant que de ſe laiſſer ainſi tranſporter à l'impe
tuoſitéd'vne ambition & conuoitiſe deſmeſuree,luy qui eſtoit venu de
ſipetit commencement,celaneluyameneroitàlafin rien de bon en ſes
affaires, qui auoient beſoin de § & de patience pourles eſtablirpeu
à peu: auſſi bien la Seigneurie de Babylone ne luy eſtoit aucunement à
propos.
II.
Siſſities,ſ
CE fut celuy quimonſtraàTemirtoutletrain des Siſſities, ſurquoy il
- - T - | | - - - - - - | ||> -

§" fondaſa diſcipline militaire.Caril commença d'ordonner & departirſes


†. gens par dizaines,parcſquadres, & enſeignes,en telle maniere que cha
† que dizenier , lequel auoit la charge de nourrir ceux de ſa châbre, eſtoit
der tenu à toutes heures que l'occaſions'en preſentoitdeles rendre prôpte
-
mét à leur cſquadre pour delà eſtre menez au capitaine: & par ce moyen
n'arriuoit perſonne és Siſſities, quin'euſt ſon lieu propre & determiné,
† auquelil ſe deuoit reduire.Pourlereſtedel'armee,luymeſmepouruoyoit
§ de viures, afin qu'il ſçeuſt le nombre de ſes gens, & ceux qui alloient &
†" venoient enſon camp; & ſurtoutes choſes tenoit ſoigneuſemétlamain
belle.

que ſesgés nedemeuraſſentoiſifs;carles colonels employoiét inceſſam


Del'Hiſtoire des Turcs.
» - - |. - - - 65
ment les Capitaines deleur regiment à quelque occupation & exercice,
chacun en ſon endroit, & les Capitaines,les centeniers, & autres chefs de
bande; &ceux-cyles ſoldats quieſtoient ſoubs leur charge:tellemét qu'e
ſtrangeraucun,ny eſpion ne pouuoitaborder, & encore moins faire ſe
iour parmy ſon armee;loint qu'ilyauoitvn † cômis & ordon
nétout expres,pourtraicterlesſuruenans. Ce bon ordre & diſcipline fi
rent en peu de téps,que ceſte ſigroſſe & peſante maſſe de peuple, ſe trou
ualaplus aiſee de tous les autres à ſe mouuoir & manier en toutes les ſor
tesque le chefeuſt ſçeu aduiſer, voireau moindre ſignal , tous ſe mon A

ſtroiét prôpts & appareillezàl'executiô de ce quileur eſtoit commandé.


Machiauclèa
Entre autres choſes,touslesſoirsapresauoir eu du generalle mot du guet ſonart mili
chacun ſe retiroit en ſatéte & châbree,& lors ceux qui eſtoient de garde, taire.

faiſoientvne ronde tout autour du camp,pour voir ſid'auenture il y au


roit quelqu'vn;carſoudainileſtoit † remiſſió mis à mort.
Au moyen dequoy ceux qui euſſent voulu entreprendre de le venir eſ.
pionner, d'autant qu'ils n'auoiét point de lieu pourleur retraicte,eſtoiét
contraincts de demeurer dehors, & là comme gens tous neufs, & incer
tains de ce qu'ils deuoient ne faire ne dire, ne failloient de tomber és
mains de ceux duguet.Tclle eſtoitl'ordonnance & milice de ces Siſſities,
& la forme de s'y gouuerner lors qu'on eſtoit en campaigne. III.
Av regard de Chaidar,il ſe monſtra touſiours fort fidele & obeiſſant
cnucrsTemir,& iamais nel'abandonna en pasvn de ſes voyages & entre
priſts,ains luy fit partoutbône & loyale côpaignie,& beaucoup deſerui
cesés occaſions qui ſe preſenterent;Voire l'eſguillonna ſouuentà de fort
grandes & dangereuſes guerres, pour nele laiſſer engourdir par trop de
repos & d'oiſiueté.Mais Myrxas,auparauant queTemirfuſt paruenu àla
couronne de Semarcant,& qu'il couroit encore le pays comme vn ſim
pleaduenturier,occupé à ſesvolleries & brigandagesaccouſtumez,ne ſe
peut tenir vne fois,que ſes familiers & domeſtiques deuiſoient auec luy
de ſes bonnes fortunes,iuſques à dire qu'il ne tarderoit gueres qu'on ne
levitt Roy de Semarcant,de laſcherces parolesvn peu trop inconſideré
ment & àlavollee:Le Royaume deSemarcant eſt trop ferme,& bien ap
puyé pour tomberés mains d'vn ſipetit compaignon,& brigandencoret Parole tropli
Que # d'auenture cela arriue,ieſuis content que lors on ne me permette bre de Mirxas "
plus de viure,mais me ſoitlateſte trencheetout ſurl'heure, comme à vn enuers ſon ſue
erieur luy
menteur quei'auray eſté.Il diſoit celanon point enieu, maisau meilleur couſte la vie,
eſcient qu'il euſt,auſſi l'effect s'en enſuiuit depuis , qui ne fut gueres
heureuxpourluy.Car quelque temps apres que Temir eut conquis Se --,

marcât,Chaidarvoyant que nonobſtât ces paroles ſi piquantes& †


iens ,
minieuſes de Mirxas,onluy faiſoitneâtmoins plus de faueurs, de
& d'auancemens qu'à luy,tout indigné de cela,ilva dire à part ſoy:Et cer
tesl'heure eſtvenue qu'il faut que tuſois trouuéveritable,carilya encore
aſſez de gens de bien rècords de ce que tu dis vne fois.Etayantraffreſchy
lamemoire de celaàTemir,il fut cauſe delefaire mourir, alleguant † .

celuy euſt eſté faire tort, de le defrauder des côuenances que luy-me IIlCt
F iij
66 Liuretroiſieſme
degayeté de cœur, ſansy eſtre ſemôdde perſonne,auoit miſes en auant.
ToutesfoisTemir en cherchoit quelque couleur & excuſe,afin qu'on ne
l'eſtimaſtauoir temerairementviolél'ancienne amitié & côpagnie qu'ils
auoient euë par enſemble, lors qu'il n'eſtoit encore qu'vn vagabond:
mais ne pouuant plus auoir de patience,illevintvniour cauteleuſement
aborderd'vn tellangage.I'eſtime aſſez,ôMyrxas,que ce n'eſt point cho
ſe nouuelle à toy,ne à Chaidar,ne à tout le reſte de ce peuple, par quels
moyens & artifices nous ſommes paruenus à ceſte grandeur & puiſſan
ce.Én quoy nousauons touſiours eu deux choſes entre les autres en ſin
guliere recommandation,cependant que nousauons eſté embeſongnez
† à nous eſtablir ceſte belle & ample Monarchie:leſoin & diligéce en pre
§- mier lieu de nozaffaires,puis vnefoyinuiolable de gardertres-eſtroicte
" ment tout ce qui auroit eſté promis auſſibien à noz aduerſaires propres,
comme à noz plus fidelesalliez & confederez.Et non ſeulement par noz
actions & comportemens,mais encore par noz propos & deuis ordinai
res,auons nous touſioursaſſez faict paroiſtre,denevouloir chercher au
tre choſe, ſinô deviure en toute paix & douceur auec noz familiers amis,
ſans leur eſtre ne mal-gracieux,ne moleſte,nytaſcher de leur contredire à
tous propos,nychangerſouuent comme fantaſtiques & bizarres d'opi
nion en leur endroit, n'yayant rien de plus recommandable en tout le
cours de la vie humaine(principalement des grands) que la ſeule beni
nité,& clemence,qui eſt aſſez plus forte que toutes les armes de ce m6
de.Auſſi nous ſommes-nous touſiours remis deuant les yeux , que c'eſt
celle qui emprainct le plus auant en nousl'image & reſſembláce de Dieut
lৠveut eſtre ſi reueſche & farouche, de ne ſe pouuoir
comporterauec perſonne,ny accouſtumer à parler de meſure, comment
ſeroit-il poſſible que ſes actions ne fuſſent à la fin infauſtes & malheu
reuſes,ne qu'illuypeuſt rien ſucceder de bon en toutes ſes entrepriſes?
. •
Oril te ſouuient bien ( commeie croy) qu'vne fois en me tendât la main
tuvins à dire,que ſi d'auenturei'eſtoisiamais Roy de Semarcant,tu eſtois
content deperdre la teſte:Puis doncques que tu as proferéces paroles en
i bonne compaignie,& deuant tant de † eſt maintenât heu
R -- † elles ſoient accomplies, & parce moyen les conuenances ſeront
† d vnepart & d'autre † apres que le Roy eut mis fin à
†. ſon dire,repliqua en ceſteſorte Alaverité (Sire) de quelle maniere tu es
†" paruenuàceſtEmpire,tule ſçais aſſez,& tous nous autresauec qui ſom
- mes icy preſens. De ma partie n'aypoint craint de m'expoſerà pluſieurs
| perils & dangers,pourt'aider à faire le chemin à ceſte felicité & grâdeur:
Voicy encore les marques & enſeignes des coups que i'yay receus. Que
Aº ſº ºp ſid'auentureil m'eſt eſchappé de dire quelque choſe à lavolee, n'eſt-il pas
§ raiſonnable que celame ſoit pardonné, & pareillement à tous les autres
# #ttar quit'auront bien & fidellementſeruyº Certes cela n'eſtoit pas de ſi gran
#.# de Importance , & meſmement à l'endroit d'vne perſonne priuee,
# † on y deuſtauoir pris garde de ſi pres : Mais maintenant que la†
d'Orleans.
eur de ton nom s'eſtainſi eſpanduë aulong& au large,par tant de vi
Del'Hiſtoire
2 r r. ! •
- • • At **
-

des Turcs. | 67
âoires & conqueſtes,& fera encore d'auantage ſi Dieuplaiſt , ſi rien dé
telm'aduenoit parcy-apres,il ſeroit auſſiraiſonnable de m'en chaſtier, ne
fuſt-ce que pour contenir les autres au reſpect & honneur qu'on te doit.
Pource coup,oublie le paſſé(iete ſupplie)à l'exemple de ce grand & ſou
uerain Monarque,quibeneiſtnoz fortunes, & nous enuoye des biens à
plâté,toutes lesfois que nous vſons de miſericorde enuers ceux quinous
courroucent & offencent.Toutes ces belles remonſtrances neantmoins
neradoucirent pas le cœur de Temir lequel n'y fit autre reſponce,ſinon # fau
† deuoit pardonnerà ceux qui ſans ypenſer,& non à leur eſcient & †º
epropos deliberé,venoient à commettre quelque offence. Car com
ment pourrois-ieàlalongue(diſoit-il) maintenir la fortune à moypro
pice & fauorable,ſi de ma partie ne m'eſuertuë, & ne medeffaicts de ce- †
luy quia monſtrévn ſi malingvouloirenuers moy ? Et là deſſus com- †
manda delemettre à mortimais ille fit enterrer fort honorablemét, & le § "
pleura parvn longtemps. • - - -

DE Pv1s ilalla fairelaguerre aux peuples quihabitent au long de la "


mer Hircanique:tousleſquels il rangea ſoubs † obeiſſance. Ceſte mer Maintenant
eſtauſſi § Caſpienne, ayant au midy les Saquens & Caduſiens, †#$
les†
& Ma † neufvingts
hardis &†
dixlieuës deuers Soleilleuant,
longueurau&reſte eſtdevingt †
le Septentrion , † C1IlaIC
8
mille ſtades, qui peuuent faire quelques ſix cens lieuës. Les †
de la Meoty
de: & eſt ap
- • || | •r - º pellé Bacuc
entrerent autrefois en la Perſe,où ils côquirent & occuperent pluſieurs †
de Baccara
-

villes:& dit-on
v 12
-

§ - •

ceTemir eſtoit deſcédud'eux,& qu ils l † di#


-

ar1e ſ ,
2 • 1| 1| )

† -

giollello #
• | .

rent à l entrepri1e du Royaume de Semarcant, lequel finablementilob-§


- - - -

tint,apresauoirrenuerſé & mis au bas la Monarchie que les Aſſiriens , codonne.


Polo luy

auoientn'agueresredreſſee.Et combien qu'en ceſte merCaſpienne vien- †º


nent à ſe § grand nombre de fleuues dót elle eſt le receptacle,
celuyneantmoins qui eſt le plus fameux de tous eſtle Cyrus,lequel à tra
uersvne fort longue eſtéduë de pays côtinuë ſon cours,iuſques à ce qu'il
ſevienne perdre,& conſignerſes eaux dans ceſtemer : mais i'ay entendu
§u'ilyavnº canal, par lequelil ſe va finablement rendre en l'Ocean In
ue.Toutes les coſtes ſont peuplees de pluſieurs ſortes de gens, tres- « Ainſi le dis
§ ueux & aguerrist& s'y † grande quâtité de bonpoiſſon, auecº
force huiſtres,oû ſe trouuoiêt quelques perles.Au delà puis apresſe ren
contre lagrand'mer des Indes,& † àl'autre vont & viénent parce
" canalles gros nauires de charge , qui traffiquent continuellement en
toutes deux: eſtant celle d'Hircanie fort expoſee au Soleil leuant, prin
cipalement ducoſtédel'Aſie.Là ſe vient rendre le grand fieuue Araxes,
& Choaſpes auſſi,quiſe coule droict contre l'Orient auec pluſieurs au- .
tres groſſes eaux & riuieres de nom.Or tous les peuples qui confinent à
ceſtemer, ſouloiét eſtre ſuiectsaux Caduſiens,& leur payoient vn tribut #
annuel enlaville capitale ParquoyTemirſe reſolut § leur aller fairela§
† toſt qu'ilſeroit venuàbout des Hircaniés, dontilauoit duſiens.
eſamisle Royàmort.LesCaduſiésdeleur coſtéfaiſoiétdiligéce d'amaſ
ſergensdetoutes parts,ſemonſtransreſolus de levouloir º# rece
-
-
1lu]
's " » ae " -

67 Liure troiſieſme
uoir QuandTemir ayant entendules appreſts qu'ils faiſoient, & que de
ſiails s'eſtoient mis en armes,enuoya Chaidar deuant pour eſſayer d'em
porterlaville d'aſſaut, & luy auec le reſte de ſes forces s'en vint ſecrette
mentlogertout au plus pres qu'il peut, attendant ce que feroit ſon ad
uantgarde. Les Caduſiens vindrentincontinentau ſecours des leurs, à la
deſbandee toutesfois, & ſans aucune ordonnance : Au moyen dequoy
· Temir ſortant de ſon embuſche en bataille rengee, leurvint couperche
4 ^ - -

Dèffaicte des
min, & les chargea au deſpourueuſi rudement, que de plaine arriuee il
- -

§" les mit à deſconfiture, & les menabattant † aux portes de la ville,
- - -

laquelle il prit à la parfin, apresl'auoirpar quelques iours tenue aſſiegee


† court. Toutes leſquelles choſesainſi heureuſement miſes à fin, il
† entreprit levoyage § Ces Arabesicy comme chacun ſçait, ſont
vn fort grand peuple, riche, & ancien, † ne cede à autre que ce ſoit de
toutes les commoditez requiſes pour l'vſage delavie humaine,iouyſſans
d'vne bonne partie de l'Aſie, & de tout le coursdelamerRouge, depuis
vn boutiuſques à l'autre. Et outre ce quel'eſtendue deleur pays eſt fort
Il entend de large & ſpacieuſe , encores eſt ce l'vne des plus belles & §de
i§ meures, quiſe puiſſetrouuerautre part : Gens droicturiers & equitables,
tres-ſages, retenus, & obeyſſans en ce qui depend du fait de la religion.
S'il eſt queſtion d'eſlirevn Roy,ils ſegarderont(s'ils peuuent)de tomber
és mains de quelque fol & inſenſétyran, maisauront touſioursl'œilà ce- -

luy quiſera en la meilleure eſtime d'aymer la iuſtice & raiſon. Le ſiege


es Royal eſt en Adem, ville fort grande, & pleine d'infinies richeſſes, ſituee
ſur le bord de lamer, preſque à l'entree & embouchcure du canal. Ces
gens au reſte confinent d'vn coſté àl'Egypte:&del'autrearriuentiuſques
Tout ceey eſt
- - aux Perſes & aſſiriens : car depuis la Colchide, & la contree du Pharos,
• » - - - V. - -

vn peu ſuſ- † s'eſtendlelongdelamarinevers la Celeſyrie iuſques à la ville de Lao


ra icee, on compte quinze bonnes iournees de chemin, pour le meilleur
laquais qui puiſſe § : delà puis apres on ſçaitaſſez comme en ceſt en
droict delabaſſe Aſie, vient preſqueà ſe reduire en forme d'iſle. Au de
meurant l'Arabie eſtfort couuerte & plantee d'arbres, & meſmement de
palmiers : car les deuxriuieres dont elle eſt encloſel'arrouſent d'vne part
& d'autre, ſi qu'elle produit des fruits en abondance gros à merueilles,ce
Expediti quia eſtéen partie cauſe aux anciens del'appeller heureuſe. Ainſi Temir
§i vintaſſaillir les Arabes,ſoubs ombre(commeildifoit)qu'ils auoient don
" néſecours aux Caduſiensàl'encontre de luy, lors qu'il leur alla faire la
guerre, & porté beaucoup de nuiſance & empeſchement à ſes affaires.
Par deux fois il combatit auec eux, & n'en peut iamais auoir la victoire.
† parquoyils s'entr'enuoyerent des Ambaſſadeurs qui traicterent la paix,
" moyennantvn nombre de ſoldats, & quelque tribut luy deuoient †
donnerparan. Maisauant que ceſt appoinctementfuſtfaict,certainsde
putez des Arabes eſtoientvenus enſon camp, requerir qu'on n'euſtà en
treprendre aucune choſe en la contree du Prophete, veu qu'ils eſtoient
tous deſcendus de la race d'iceluyleur commun legislateur; & qu'à ceſte
occaſion ils deuoyent eſtre en lieu de peres & protecteurs à tous ceux de
De l'Hiſtoire desTurcs. 68
ſacreance. On dit que ceſte maniere de gens n'eſtoient pas prophanes,
& mondains comme les autres mais fort reformez,& remplis d'vn grand
zele,ſaincteté, & deuotion : dont ils eſtoient partout tenus en vne mer
ueilleuſe reuerence,pour eſtre deſcendu de leur ſang,vn ſigrand perſon
nage que Mahomet, lequel auecleurayde & ſecours auroit bien oſé en
treprendre la conqueſte de toute l'Aſie, car les Arabes eſtoient lors en
fort grand eſtime, à cauſe de leurs proeſſes & vaillances
CE Mahometicy fut filsd'vn nommé Hali, de l'Arabie heureuſe:le- . .
quelpour le commencement ne fit rien de force, mais parbelles paroles M†
&perſuaſions tira à ſa deuotionles Arabes en premier lieu, & puis apres dede Abdala,
Hemina
&

ceux de Surie Finablementilgaigna vn autre Hali, gouuerneur du pays †,


aueclequels'eſtantligué, il rengeabien à l'aiſe tout le reſte du peuple à #
receuoirſa doctrine.A la veritéſa loy n'enſeigne autre choſe, qu'vn cer †
tain repos,ou pluſtoſt oiſiueté,coloree de ie ne ſçay quels rauiſſemens de #.
fureur diuine, & continuelles contemplations. Carentre autres choſes, †.
on eſt ſubiet de faireles prieres cinq fois leiour,quelque empeſchement †
qui puiſſe ſuruenir pour lequel on ne ſeroit pas excuſé. Et le Vendredy †.
tous en general s'aſſemblent aux temples & moſquees pour laquer, à t† repriſe qu'il

oraiſon,où il n'eſt loiſible de tenir aucune image ne repreſentation quel- #


le qu'elle ſoit, fuſt-ce de platte peinture, afin que ſans aucune diuer
ſion on puiſſe tout droict eſleuer ſa penſee à Dieu.Ils ont des Preſtres ou
Taliſmás,l'vn deſquels à certaines heures duiour monteau ſommet d'v
ne tour dedie à cela.Et là à grands cris il ſemond & exhorte le peuple à fai
re les prieres, qui § haute voix de l'aſſemblee,aumoins lors
qu'elles ſont ſolemnclles : eſtans en cela ſi religieux, que pour rien ils f#
ort deuots
n'entreprendroient aucune choſe quilesleurpeuſtentre-rompre.Quant †
, au reſte de leurvie & façons de faire, c'eſt choſe aſſez cogneue, qu'ils ne""
ſont intimidez ne retenus d'aucunes peines, qu'il ne leur ſoit permis de
faire ce que bon leur ſemble, & ce qu'illeurvient le plus àgré:auſſi n'ont
ils rien en ſiſinguliere recommandation, que leurs plaiſirs & voluptez,
& d'obeyr du toutàleurs affections & concupiſcences. Car chacun eſ
pouſe pluſieurs femmes, & tient encore (ſibon luy ſemble) autant d'eſ
claues pour concubines, commeil en peut nourrir : Neantmoins pourle
regard de leurs femmes legitimes, ils ont de couſtume de les prendre
vierges,ſurquoy ne leur eſt donné aucun empeſchement iuſques au n6
bre de cinq, & ſi pour celales enfans qu'ils ont de leurs eſclaues ne ſont
pas tenus pour baſtards;ouy bien ceux qu'ils auroient de quelque cour- . _ . ,

tiſane, ou putain publique,leſquels n'entrent point en ſucceſſion ne par- ##


tage. Ceux quiſe veulent marier, achetent les fillesvierges à beaux de- #
niers comptans, de leurs peres ouautres parensles plus proches r& pourz traireils
- - - , , || • - - - -
§s les
vne grande magnificence le iour de leurs eſpouſailles, ont accouſtumé §
defaire porter deuát eux force torches & flambeaux.Que ſi le mary n'eſt
bien ſatis-faict & content de ſa femme, & qu'elle ne luyreuienne point , ,
àſongouſt,illuydeclare comme partroisrattes,ilfaut qu'il ſe ſepare d'el #
le, Et quand vnefemme eſtainſi repudice de ſon mary, perſonne ne l'o
#

;
7o · Liure Troiſieſme
ſeroit eſpouſerpuisapres, ſi ce n'eſt à ſa tres-grande honte & ignominie,
revin def encore ne luy ſeroit il pas loiſible que premierement quelqu'vn n'euſt a
†.s. dulteréauec elle. Levin leur eſt totalement deffendu, & n'eſt loiſible à
'l'Alcoran có

†f perſonne d'entrer en oraiſon, que preallablementilne ſe ſoit bienlaué &


d' - - - -

§ nettoyé. Ils ont auſſi cela enrecommandation demettre à part les deci
. " - - - A - -

†sºn mes de leurs biens,leſquelles par chacunanils reſeruent à Dieu : Et gar


† dent fort eſtroictement vne forme de Careſme, § in †
†ºſtituee, quidure
ils celeb
l1S CCIC DICElt
vne forIne de

dure, trente -
iours
il ne leur & d'auantage;
eſt pas -
pen antleque
permis de boire ne mangertemps, tant
rien que
- ce - -

†"" ſoit, mais quandlanuict eſt venue, & les eſtoilles apparoiſſent au ciel,a
1c lors ils s'aſſemblent pourfairevnbonrepas, & ſe recompenſent tres-bien
# de la diette qu'ils ontfaicte. Perſonne n'oſeroit,principalement durant
ſageauxMa- - - - -

§ ce Careſme,boire duvin, non pasſeulement entaſter. La Circonciſion


bometans,cö
† leureſtenvſage ; & aduouent leſus-Chriſt eſtre Apoſtre & enuoyé de
† Dieu, quipar l'Ange Gabriell'engendra enlavierge Marie, ſans qu'elle
ſix ou ſeptieſ,
"#. euſt onques compagnie charnelle d'homme : & que c'eſt vn tres-ſainct
C - - - -

§ Prophete, ſurpaſſant de beaucoup en dignité & excellence la condition


Mahometans -

†s de toute humaine creature : lequelau dernier iour quand ſe viendra au


#g° iugement
Marie,lcſ-
&b vniuerſel, ſera le ſouuerain † arbitre. La chair de pour 2

§
1 ſt ceau leur eſt deffendue;les autres permiſes, pourueu qu'elles ayent eſté
- - - -

§" ſaignees.Ne mettent aucune doute que Dieu parſa† ne regiſſe


#er,
ny enmcſ.
& gouuerne le monde,allegans qu'en cela il ſe ſert du miniſtere d'intelli
©

"# ... gences(commeils dient) enflambces : mais que Mahometa eſté enuoyé
# deluy, pour accomplir tout ce que les anciens legiſlateurs, auſſi enuoyez
†s de Dieu,auroientlaiſſé à parfaire. Eſtiment la Circonciſion eſtre le vray
COIIlIIlc 2llX
Iuifs. & principal nettoyemét ſur tous autres : au moyen dequoy és meſmes
†º
dcs Turcs iours dela Circonciſion,ils ont de couſtume defaire leurs mariages.Quât .
§or aux ſepultures, elles ſont ordinairement le long des grands chemins, &
#
Leur honne neleureſtpermis deſe faire enterrer autre part mais ils ſont fort ſoig

†"
lescorps
IIlOItS.
neuxlesdeenſeuelir.
que faire lauerFinablementilyavn
& nettoyer les corps,voire deraſertout
article en le poil
ceſte loy, qui auane
ordonne
par expres de croire&obeyraulegiſlateur:ſi † y contredict,faut
qu'irremiſſiblementil paſſe par le trenchant du glaiue. Les Armeniens
ſont ſeuls entre tous autres peuples,dont lesTurcs n'enleuent point d'eſ
claues, encore qu'ils ſoient de differente religion, pource qu'vn Arme
1s, rur,ne nien prophetiſa iadis que la gloire & renommee de Mahomet viendroit

claues les Ar à s'eſpandre par tout le monde. Et c'eſt pourquoy depuis ils ont porté vn

§ & tel reſpect à ce perſonnage,de ne permettre que perſonne de ſa nation


º ſoit mis en ſeruitude. Mahomet doncques ayant ordonné & eſtably ſa
de†loy,
Mahomet, vint à ſe faire ſeigneur d'vne bonne partie de la terre, tant en Aſie
† qu'en Afrique; & d'vnegrande eſtendue de pays en Europe ,iuſques aux
21Ct C1tO1t - N - - - 2 -

§ & Scithes & Tartares, & à ceux qui maintenât on appelle Turcs en l'Iberie:
† carſon credit&authoritédeuindrentincontinent fort grands, d'autant
Entre la

† que le peuple qui volontiers auoit gouſté ſa doctrine, ſe rengea facile


#º" ment à luyobeyr en tout ce qu'ilvoulutd'eux, & mirét fort liberalement
nie.
Del'Hiſtoire des Turcs. | 7r
leurauoir & cheuance entre ſes mains, pour en diſpoſerà ſa diſcretion
, cequiluy donnamoyen d'aſſembler & mettre ſus de grand's forces,leſ
quellesil mena en Egypte; & fit encore quelques conqueſtes dans le de
meurant de l'Arabic , où en paſſant par les ſablons & deſerts, il adiouſta
àſon Empire les peuples qui y font leur reſidence. Finablement apres
auoir regné quelques ans, il deceda en vn lieu appellé la Meche, ou
les gens de guerre & les habitans du pays, luy firent de fort magnifiques
§nnorables funerailles,&en porterent le dueilbienlonguement.De
puis les Arabes ont continué touslesans, de faire vn certain anniuerſaire
àſon honneur & ſouuenance,le tenans pourvn tres- grand & ſainct Pro
phete, expreſſément enuoyé de Dieu pour leur annoncer laloy qu'ils de
uoient ſuiure : Enquoyiln'auroit point vſé de force ne violence, comme
tyran, mais ſe ſeroit touſiours porté en homme aymantl'equité & iuſtice
ſur tous autres. Mahomet decedé, Homur le plus apparent de ſes diſci
ples& ſectateurs eut de ſongendre le gouuermement & adminiſtration
desaffaires.Parquoy ayantaſſembléſon armee,ilentra enSurie,oûilcon
quit preſque tout le pays, partie de force, partie par menees & intelligen- te conque
ces,& enfaiſant par cy & parlà, quelques traictez de paixàſonaduanta #º
ge:Par le moyen deſquels les Ciliciens, Phrigiens, Medois, & Ioniens " "
ſe ſoubs-mirent àluy; auec quelques prouinces de la haute Aſie,là où il
tirafacilement ces nations Barbares, qui eſtoient ſans aucune religion, à t .
ſon opinion & creance;& enuoya § diſciplesés autres contrees,pour de Mºhomº
les preſcher & induire à la receuoir. Il edifia auſſivne fort riche & ſomp
tueuſe ſepulture à Mahomet; & eſleut en ce lieu meſme ſa principale re
traicte & demeurance, oüilfonda vne ſolemnité qui ſe deuoit celebrer
tous les ans à grand'pompe & ſeremonie, perſuadant à pluſieurs de le re- -

uerer; auec de grands merites & pardons à ceux quiiroientviſiter ſon ſe- # †.
pulchre.Tellement qu'encore pour le iourd'huy ce n'eſt pas peu de cho-*
ſe des pelerins, qui de diuers endroictsdel'Aſie, del'Afrique, & del'Eu
rope, entreprennent ce voyage, qu'ils tiennentàvne deuotion merueil
leuſ,& dontils cuident demeurer grandement ſanctifiez.Lesvnsyvont Il y a 6o iour
eux meſmes en perſonne, les autresbaillentdel'argent, & y enuoyent †
- -
/ - -

Mais le chemin eſt fort faſchcux,mal-ayſé,& penible; car ilfaut paſſer par §e
deslarges & profonds deſertsſablonneux,ce quine ſe pourroitfaireſans †
legrand nombre de chameaux qui portent leurs hardes & victuailles, & toutdeſerts. .
princi palementdel'eau, pource que celle qu'on trouue par lavoye n'eſt parlesdeſers
pas ſuffiſante. Ayans faictleurapreſt,ils montent ſur les dromadaires, ſe # -

| guidans parles eſtoiles, auec le quadran de nauiguer, par le moyen du- †


· quelapresauoirprisleuradreſſe ſurle poinct du Nord, ils voyènt quelle §
routeils doiuent tenir & lors qu'ils ſont arriuezés endroicts oùl'on aac-
2 - - - - ſt -

couſtumé de trouuer l'eau,ils en empliſſent leurs ouldres & barils , puis f#


1 aux, car c'eſt
paſſent outre, touſiours dans ces ſablons, tant † finablementaubout
- • 1 ' . >
YºººPº
* " fort ſimple, •
de quaranteiournees ils arriuent oü eſt le corps de Mahomet.I'ay ouydi-†
- - . - - , 1 tour dans vne
re
lc que ſa ſepulture
cltſuſpendue eſt baſtie
enl'air de pierres
au milieu fort exquiſes
du temple, &precieuſes,&
ſans tenirà rien que cequ'el-
ſoit, #..
Medina Tale
nabi,

i
72 · Liure troiſieſme
toutesfoisie croirois que ce fuſſent fables. De ce lieu, on compte quel
ues cinqlieues,iuſqu'àla Mecque , là où puisapres on explique auxpe
† lerins la loy & les preceptes de l'Alchorâ ; le † entreautres choſes ad
§ mettentl'immortalité de l'ame, & la prouidence de Dieu, dont toutes
†"
Preceptes. choſes ſont regies & adminiſtrees, & non à la volee, auec vne noncha
- • -

lance de ſa diuinité.Toutes leſquclles choſes nous auôs bien voulutou


cher en paſſant. -

V I. OR commeTemireuſtfaict force courſes & rauages dans le pays d'A


rabie, & pris quelques villes, il s'en retourna à Semarcant, carilauoit eu
nouuelles que les Scithes des enuirons de la riuiere deTanais eſtoient en
trez dans les terres de ſon obeyſſance, & y auoient faict infinis maux &
dommages.Ce qu'il prit fort à cœur,& ſe ietta tout incontinent en cam
paigne, pour lesaller trouuer, mais ils ne l'attendirent pas,car ayans fait
ceſ le leur main : ils s'eſtoient deſia retirez.Parquoyiltourna tout courtvers les
†º Chataides, en intention de les dompter à celle fois, qu'il auoit bien-aſ
§de ſembléhuictcens mille hommes de guerre.On eſtime que ce ont eſtéau
†º" tre fois ceux des Maſſagetes,qui ayās paſſé la riuiere d'Araxess'éparerent
d'vne grande eſtendue de pays, tout le long d'icelle, & s'y habituerent.
Tambulin Temir doncques les allatrouuer en l'equipage que deſſus, ſi bien que e
†, ſtans finablementvenusàlabataille,il en obtint la victoire, & delà ſans
arreſtertira droictàleur horde; qui eſt le fort de toute leur puiſſance,la
† il emporta par compoſition.Cela luy fut vn beau moyen d'accroi
ſtre ſon armee d'vn grand nombre de bons & vaillans hommes, qu'ilre
ceut à ſa ſoulde; & apresauoirpris des oſtages & impoſé le tribut qu'ils
luy debuoient payer chacunan,ils'en retourna chezſoy plein de gloire,
de triomphes & de deſpouilles. Chatay eſtvneville del'Hyrcanie deuers
Soleilleuant, grande & fort peuplee; ſurpaſſant en richeſſes, en nombre
- d'habitans, & abondance de tous biens, toutes les autres villes & citez de
c† l'Aſie,ſid'auanture on ne vouloit excepterSemarcât,&le Caire en Egyp
† †e : les Maſſagetes anciennement la fonderent, & y eſtablirent de fort
" belles loix & couſtumes. ParquoyTemir quiaſpiroit de longue-main à
la sale " faire ſeigneur, commença à pratiquer par argent pluſieurs Perſes,
r§ qu'il ſçauoit eſtre fortinſtruicts des affaires des Scithes, comme de ceux
† , auec quiils traffiquoient ordinairemét,n'eſtans plus ſi delicats qu'ils ſou
† loient eſtre. Et là deſſus prenant pied, delibera de tourner toute ſa puiſ
§u ſance contre leur horde : Carilauoit apris, que ce peuple eſtoit le plusan
†"* cien de tous autres: & que pasvn des conquerans du temps paſſé, quel
que effort qu'il en euſt faict, ne les auoit peu oncques dompter; com
bien que par leurs courſes & inuaſions ils euſſent ſouuentes-fois faict de
§ maux enl'Europe & Aſie, dontilsauoient amaſſéinfinies richeſ
ſes, ce quil'enflaboit encore d'auâtage à ceſte entrepriſe.Et meſmement
" que Darius fils d'Hiſtaſpes, apresauoireſté eſleu Roy leur ayant voulu
- courre ſus,yauoit tres malfaict ſes beſongnes:Parquoyil reſoluten tous
poincts de ſoy ceſte gloire & reputation ſi honnorable.Et pour plus aiſé
r
mét y paruenir,aduiſa eſtre expediét de ſe haſterle plus qu'il pourroit,sâs
- - temporiſer
De l'Hiſtoire desTurcs. • 73 -

temporiſer d'auantage,-ny remettre l'affaire en plus grande longueur,


ſinonautant qu'il en ſeroit beſoing pour faire à loiſir ſes appreſts, § Cn On ne ſçait
rieneſuenter.Aceſte cauſeilenuoya de Semarcant grandnombre degés †
cnlaville de Cheri, comme pour y faire vn nouueau peuple, & # - -

nie : deſorte qu'en peu de iours,ſuiuant ſon ordonnance & commande


ment ſe trouualà vne infinité de ſoldats,artiſans, & toutes autres ma
nieres de gens; comme auſſi firent luſieurs Princes & grands Seigneurs;
& luy-meſme y alla faire ſa reſidence . Chacun iour encore y arri
uoient àla file les principaux de ſes ſubiects, & les gens-d'armes de l'A
ſie Siqu'on ne ſçauroit penſer combien cette citétout à coup ſe trouua
augmentee & accreuë de † : auſſi tant qu'ilveſcutelle fut touſiours
pres-quebien † & policee d'ordonnances, & ſtatuts fort loüables.
Mais en † endroictproprement de l'Aſie elle eſtoit ſituee, ie ne l'ay
peuaſſez bien ſçauoir.cariln'ya pas grande apparéce à l'opinion de ceux
† on appelloit Nini
qui ont voulu dire que c'eſtoit ce
ue,& maintenant Bagadetau pays d'Aſſirie;ne auſſi peu † fuſt en la La ville de .
Cheri capita- *
Surie,ny en la† des Medois. Comment que ce oit,apresl'auoir†e
peuplee à ſon ſouhait,&eſtablyenicelle pourl'aduenir le ſiegeſouuerain †.
deſon Empire,ilſejetta en cápagne pour aller faire la guerre aux Scithes §
deſſuſdits,& à leur Horde principale, ayant aſſemblé vne armee merueil- . d
leuſe & eſpouuentable,là
ra droict où eſtoient
à la riuiere de Tanais. Maislesſoudain
Chataides
queentre les autres;eurent
les ennemis T†"
& ti- † lesTza
chateila prin
preſſenty ſavenuë,ils ſe diligenterentd'aller ſaiſirles pas & deſtroicts des †
montaignes, par oûil falloit qu'ilpaſſaſt ; & auecle gros hourt & maſſe #
del'armee, s'acheminerent àl'encontre. Ils ſouloient eſtreiadis departis #
par Cantons, & tenoient tout le pays quis'eſtend depuis la riuiere du
Danube, iuſques aux habitans du mont de Caucaſe : maintenant vne
partie d'entr'eux eſt paſſee en Aſie, où s'eſtans du commencement ac
commodezés parties Orientales,ils ſe ſont depuis reſpanduz par le reſte
de la prouince. On les appelleTzachatai,& font leur reſidence au deſ
ſus de la Perſide,iuſques aux Xantes & Cadeens : & eſt l'opinion d'au
cuns que Temir meſme en eſtoit deſcendu. Car certes ce ſont gens,
qui en proëſſes & vaillances onttouſiours emporté le pris deuant tous
les autres peuples de l'Aſie : tellement † y en a qui veulent dire que
ce furent ceux parle moyen deſquels il paruint à vn bel Empire; ayant
ſubiugué tous les peuples & nations qui y ſont compriſes, hors-mis
les Indiens tant ſeulement. Quant aux autres Scithes,ils ne different
en rien de ceux cy: car ils ontvn ſouuerain auquel ils obeyſſent , qui
tient ordinairement ſa cour, & ſon ſiege Royalen la Horde; & ont de
couſtume de le prendre & eſlire touſiours de la plus noble & ancienne
race.Ily en a encore d'autres eſpandus çà & là par l'Europe, iuſques au † -

Boſphore ou deſtroit de mer qui eſten la Thrace, dont le nombre n'eſt # †.


pas petit. Ceux-cyont ſemblablement vn chefſureux,deſcendu du ſang -

Royal de tous coſtez,nommé Atcigerei,ſous lequel s'eſtás acheminez en


ces quartierslà,ils donerentiuſquesauxriuages duDanube,qu'vnebone
74 * Liure troiſieſme
troupe trauerſa pour allerpillerlaThrace, où ils firent pluſieurs courſes
†*
Lariuiere de auec d
de grands dommages & ruynes.i. Puis laiſſans la Sarmati
in2 Cr aI e,reprirent
» .

leur chemin vers laTane: la pluſpart toutesfois s'arreſterent és enuirons


du Danube,& y firent leur demeurance. Aucuns l'ayans paſſé, acheue
rent le reſte de leursiours ſoubs Paiazet; car chaque Horde des Tartares
. a de couſtume d'auoir ſon habitation ſeparee des autres « & ceux qui ſe
fermerentau delà du Danube,ſont § depuis demeurez ſoubsl'o
º beyſſance de Cazimirgrand Duc de Lithuanie, & y ſont encore pourle
iqurd'huy,le ſeruans fidellement en toutes les guerres qu'il a contre ſes
| voiſins: car ce ſont gés fortbraues & belliqueux,&§ tels reputez par
tout.Au regard de ceux quis'en retournerentau deſtroict de Precop, & à
l'iſle duTaureau,quiſepareles mareſts de la Meotide d'auecle pôt Euxin,
ils ſontvaſſaux du deſſuſdit Atcigerei : & ſont ceux-là qui deffirent les
Gots & les Geneuois habitans en Capha, & contraignirent lesvns & les
autres de leur payer tribut,comme auſſi ils firentvne partie de la Sarma
· ce ſont les tie.Mais les autres Sarmates, qui poſſedent tout ce grand traict de pays
†º depuis le pont Euxin iuſquesàl'Ocean Septentrional,ſont tributaires du
grand Cam (Empereur ſouuerain desTartares, lequel tient ſa cour en la
premiere & plus puiſſante de toutes leurs hordes)deſlors qu'ils entrerent
en leurs contrees, dontils emmenerent vn butin ineſtimable, tant en
creatures,qu'en cheuaux & beſtail; & y retournerent encore aſſez long
temps apres qu'ils eurentimpoſé le tribut.
VII, CETTE Sarmatie prend ſon commencementaux Scithes, qu'onap
pelleNomades ou paſteurs,&arriue iuſques atix Valaques,& §
Le peuple vſe la plus grand'partdelalangue Eſclauonne:& quantàleurs
meurs & façons de faire, voire en ce qui deſpend de la religion,ils ſont
# Chreſtiens,plus adherens toutefois aux traditions des Grecs,qu'à l'Egli
º ſe Romaine & au Pape,auec lequelils ne ſont pas biéd'accord : car ils ont
meſmevn Eueſque Grec,auquelils obeiſſent. Leurs meſnages & vſtan
En, le ciles ne ſont gueres differends de ceux des Tartares Les Sarmates qui
†. ont leurs demeures depuis la ville de Leopolien tirant vers le pôt Euxin,
§" ne recognoiſſent preſque tous point de Roy, ne ſeigneur ſouuerain;ains
ont des chefs qui les gouuernent.Mais les villes de Moſcouie, & celles
de Chiouie, desTafariens, & Chorobiens,ont chacune leurs Princes &
Seigneurs, & payent tous tribut à la noire Sarmatie ou Ruſſie; ainſi eſt
elle appellee,car l'autre qui eſt ſoubs le Septétrion,eſtlablâche
Sarmatie.
Neuegarde, En tirant à la mer Oceane, ſe trouue la cité d'Vcrat, autrement dite la
†"
1oooo. du grâde Nouogarde,gouuernee par certain nôbre des principaux & plus
#ut
aux grands apparens citoyens,laquelle ſurmonte en richeſſes, & en pouuoir toutes.
§. cellesdel'vne & l'autre Sarmatie:
Inflaſte,iuſquesàl'Ocean
uanie. , là où Etabofdent
s'eſtédceiournellement
pays appellé Euphraſte ou
grand nôbre
1ens ſa, ce devaiſſeaux de Dannemarc, & des baſſes Allemagnes,chargez de toutes
†º
parlà . ſortes de marchandiſes de la France & de l'Angleterre, dont on trafique
- A - - - * J> • • • •

en Ges quartiers là.Depuis le Tanais iuſques àl'Ocean Británique,on c6


pte quelques tréte cinqiournees de chemin,le prenât encor tout au plus
- - - --

-
15 r r. n ' - -

Del'Hiſtoire des Turcs. 75


longtrauers,ſelon les longitudes du ciel : mais par les latitudes, l'eſten
due en eſt bien autre,car elle prend depuis la Sarmatie au deſſus d'iceluy
Tanais,iuſques en cette partie d'Aſſirie, que les Scithes poſſedent. Et à
la veritéie croybié,que la region habitee au delà de ce fleuue doibt eſtre
merueilleuſement large & profonde.Quantaux Permiens,ils ſont ſituez
audeſſus des Sarmates deuers le Septentrion, deſquels ils ſont voiſins,
vſansd'vn meſmelangage:& dit-on que ce ſont peuples fortanciens, du
toutaddonnez à la chaſſe,enquoyils employent la meilleure & plus grâ
departie du téps La Sarmatie qui s'allonge deuers la mer, finablement ſe
vaioindreau pays de Pruſſe,à preſent gouuerné par des Cheualiers reli- Les cheus
gieux,qui portét de longs manteaux tous blancs marquez d'vne double †"
croix noire.On tient† ils ſontbellesvilles
&ſont Seigneurs de pluſieurs Allemans tres-bien
à leur parler & façons devn
policees,ayans faire,
or- †gº
pouuoir.

dre à part,auſſi bien que ceux d'Eſpaigne,& dc Rhodestcar on ſçait aſſez Trois princi.
comme ces trois ſortes de religieux entre tous autres,ſe ſont continuelle de†
- cheualiers
ment monſtrez aſpres & valeureux combatans pour la foy Chreſtienne. lareligieux
- - - - - -
en .
Chreſtientë
Auſſiontils commetres-preux championsd'icelle, eſté inſtituez contre §
les efforts des Barbares meſcreans-infidelles ; a ſçauoir l'ordre * d'Eſ- †º
† pour repouſſer les Mores Mahometans de l'Afrique, qui à tou- * Ilv en a 4.S.

tesheuresauoient accouſtuméd'ypaſſer: celuyde Pruſſe,contre les Sa- §


mogitiens & Tartares, qui ontleurs demeures là aupres : & les comman- †*
deurs qui font reſidence en l'Iſle de Rhodes, pour faire teſte à ceux de
l'Egypte,& de la Paleſtine, en faueur du ſainct Sepulchre de noſtre Sau-,.,
ueur, & auxTurcs del'Aſie ſemblablement. Aux Pruſſiens touchent & †º
· cofinent les Samogithiés deſſuſdits,gens robuſtes & endurcis au trauail, samesithia.
ayans vnlangage & façon de viure toutà part, horſmis qu'en certaines
choſes,ils § de conueniraucunementaueclesanciens Grecs;car
entre les autres poincts & articles deleurcreance,ils ont pourleurs dieux
Apollon & Diane, & les adorent : mais quantàleurs meubles & habille
més,ils ſuyuétla mode de Pruſſe Les Bohemiés leurs voiſinsviénétapres,
quivſent en partie des ſuperſtiti6sd'iceux Samogithiés,& en partie tien-Boheme.
nent la doctrine desAllemans habituezauec eux. Quant àleur forme de Paghe ville
viure,c'eſt preſque vne meſme choſe auec les Hongres : La ville capitale #º
cſtappellee Praghe,riche & bien peuplee, oùiln'ya pas lógtemps†
· adoroit encore # ſoleil, & le feu. Et certes ie n'aypoint cognoiſſance, #--"

qu'au dedans ny au dehors de l'Europe,ilyait gens diuiſez en tant de ſe #


ctes côme ceux cy:côbié que noſtre naturel ſoit biéaiſéà ſe laiſſer eſbloir,
& enuelopper des tenebres de beaucoup de mauuaiſes & erronees opi
nios,ſi nous nesomes retenus de la foy,& del'obeiſſance que nous deuós
àl'Egliſe:carl'Euangile de Ieſus Chriſt,laloy de Moyſe, & les traditions Ildit celà
& preceptes de Mahomet,y ſont peſle-meſle practiquees,&en vſa † †
bié ouy dire qu'au delà delamerCaſpienne,& des Maſſagetes,habitent †
certains Indiens
lunon,ainſi que quiadorent
nous dirons Apollon & autrescy-apres:mais
plusamplement dieux, comme Iupiter
à tant & # en Bohe
ſuffiſe IIlC,

de ce propos.Les Polonois ſont voiſins des Sarmates,le lágage deſquels"s"


- G ij -
76 | Liure troiſieſme
leur eſt tout communi de meurs & façons de faire, ils conuiennent plus
, auccles Italiens,& autres peuples Occidentaux.Aux Polonois ioignent
Lithuanie les Lithuaniens,qui arriuent iuſquesà la mer Euxine,& aux Sarmates La
Pedelie Podolie, dontlaville capitale eſt Leopoli, s'eſtend depuis les Valaques
qui habitent au long du Danube iuſques aux Lithuaniens & Sarmates.
Et certes ce peuple icymerite quelque loüange,de cela meſmement, que
iamais ils n'ont voulu changer de langage, mais ont touſiours gardé le
leur, & le retiennent encore, combien qu'anciennement ils fuſſent diui
ſez en deux parts,dont l'vne auoit des Princes & Seigneurs auſquels ils
obeyſſoient, & l'autre des chefs & Capitaines pour les gouuerner Les
Lithuaniens entant que touche leur parler, ne conuiennent de rien auec
Vilne capita- les Sarmates, Hongres, ny Allemans, ne auec les Valaques nomplus:
§" car ils ontvn langage à part,& eſtlaville capitale du pays,appellee Vilne,
" grande,riche & bien habite. Auſſi peut-on cognoiſtre aiſément que
ce peuple eſtle plus puiſſant de tous ces § & ſine cede en rien
de proeſſe & vaillance à autre que ce ſoit : Car ils combattent tous
les iours auec les Pruſſiens, Allemans, Liuoniens, Moſchouites, Tar
tares,& autres telles races de gens dont ils ſont entourez,pour la deffence
de leurs frontieres & limites En leurs meurs & façons de faire, en leurs
habillemens & maniere de combatre, ils ſuiuent preſque leurs voiſins.
tenans de chacun quelque choſe.Et pour autant qu'vne bonne partie de
leur pays touche § Podolie, il ne ſe peut faire que bien ſouuentils ne
1alangue Eſ viennentàs'entre battre. Or ce langage des Sarmates dont nous auons
#ººº
ſté ancienne tant parlé, eſt-celuy-là meſme dont vſent les Illiriens ou Eſclauons, qui
§# babitent en la coſte de la mer Adriatique, iuſques aſſez pres de Veniſe.
# Mais de pouuoir dire leſquels ſont les plus anciens, ou qui ont ſupplan
§ téles autres de leurs contrees & demeures; ſi ce furentles Eſclauons,qui
†" paſſerent les premiers en la Pologne & Sarmatie, & s'y habituerent
bien ſi les Sarmates s'eſtans acheminez vers le Danube, ; ou
COIC . conquirentle
pays de la Myſie,& celuydesTriballiens,&l'Eſelauonie ſemblablement,
qui s'eſtend comme deſſus eſt dit,iuſquesauxVenitiens, ie n'ay veu en
core vn ſeul de tous les anciés qui en diemot, ne moy-meſme n'en ſçau
- rois parler d'aſſeurance.
VIII. PAR Qy oY ie reuiens aux Scithesappellez les Nomades ou Paſteurs,
-

leſquels(ſid'auenture on veut entrer en quelque côparaiſon) on pour


#roit dire qu'ils ſurpaſſent de beaucoup, ſoit en nombre d'hommes, ſoit
§" enforce & hardieſſe, endurciſſement & tolerance au faict de la guerre
& des armes, tous les autres peuples de la terre,s'ils n'eſtoient §eſcar
tCZ parl'Europe & Aſie, oûils rodent inceſſamment de coſté & d'autre,
ſeiournans tantoſticy, tantoſt là, loing de leurs limites, comme gens
Il r # le cœur a autre choſe qu'à courir, brigander, & enuahir le
§" pays d'autruy, & s'arreſter au premier lieu qui leur viendra en fantaſie. .
† " Ques'ils pouuoient eſtre d'accord entr'eux, & ſe vouluſſent contenter
d'vn ſeul chef, & d'vne ſeule region; ie ne penſe pas qu'il y euſt en tout
le monde Prince aucun ſi grandneſipuiſſant,quis'oſaſtattaquer à eux.
-- - 2 s , ºn . • -* --

- De l'Hiſtoire des Turcs. 77


Mais ils ſont trop deſcouſus, & eſpanchez en diuers endroicts, meſme
ment parmy laThrace iuſques au deſtroict ; & pourtant ſieſloignez de
leurs contrees, que cela les affoiblit d'autant. Ceux qui habitent le pays , chaſſes &
u'onrencontre en tirantau deſtroict,font beaucoup d'ennuy & de faſ †
§ Circaſſes, Mengreliens, & Sarmates , ſur leſquels ils font or †
dinairement pluſieurs courſes & butins,emmenans § grand nombre †º
d'amesà Precop & en Capha; & de là aux mareſts de la Meotide, où ils eldude.
les vendent à bon pris aux marchands Venitiens & Geneuois : & ainſi
vit & paſſe le temps ceſte maniere d'hommes beſtiaux. Mais les autres oouuerts
†º de
qui n'abandonnent pointlahorde, en lieu de maiſons ſe ſeruent decha- †º
· mots, qu'ils trainent çà & là auec des cheuaux , dont ils mangent la §.
chair, & boiuent le laict des iumens : n'ayans aucun vſage de froment, †
ſeigle, orge, ny autre grain, ſi ce n'eſt de quelque peu de millet, dont ººººl
ils font des tourteaux auec des figues. Leurs veſtemens ſont certaines -

chiquenies ourobbesdetoile : mais en perles & pierreries, ils ſont les


plus pompeux & abondans de tous autres. Leurs fleſches, glaiues, &
tout le reſte de leursarmeures & equippage,ſentent entierement le Bar- •

bare; bien ſont leurs targues & pauois fort approchans de ceux des Va-,†º
laques.Et auregard de ce qu'ils portent en la teſte, leurs chappeaux ne Pºrlº
ſont pas de feultre, meſmementà ceux qui ſont voiſins des Sarmates, ne
leurshabillemens tiſſusprincipale
ton.Au reſte la Horde de fil delaine,ains ſecouurentdepeaux
d'iceuxTartares, de mou-†
& deleur Prince ſou-r . arta
uerain, comprend touſiours plus de quinze iournees de pays : telle
ment qu'il leur eſt loiſible deiouyr àleuraiſe de telle contree qui leur
vient le plus àgré Ilyena aucuns,mais en aſſez petit nombre , qui ont
ſemblablement vh chef& ſuperieur ſur eux, & tiennent leur horde à
part, ſe deſbandans ſurlesaiſles pour eſtre plus au large, & trouuer de
plus belles & abondantes commoditez de paccages à leurs troupeaux:
Les autresſerengent à telle forme de gouuernement qui leur ſemble la
meilleure.Et n'ya que le ſouuerain ſeulementauec les Princes qui ſoient
clos & fermez, § on faict vn parquet en rond rempare de paux
aiguz; & au dedans eſt la cour & palais Imperial. En apres ils depar
tent leur Horde par quartiers, en chacun deſquelsilyades chefs gou
uerneurs & officiers , qui à toutes heures c † ſouuerain veut & or
donne quelque
entendre choſe,ne faillentque
ſavolonté.Tellement ſoudain d'accourir deuers
lors queTemirmena luy,eux
contre pour
les ,Les Tartares
,
vont au deuät

forces de l'Aſie, & qu'ils eurent eſté aduertis de ſa venuë , l'Empereur #


- - / - - our le com
- -

ayant incontinent aſſemblé la Horde,& icelle reduite en forme de camp, §"


ht trouſſerles bagages ſur les chariots, & ſans attendre autre renfort,
marcha droict à l'encontre ; enuoyant en diligence quelques trouppes
deuant pourſe ſaiſir des pas & deſtroits des montaignes, & empeſcher
le paſſage àTemir lequel de ſon coſté tiroit touſioursauant en pays vers
la riuiere de Tanais, ayant à la main droicte les hautes montaignes de
Caucaſe Mais il n'eut pas pluſtoſt mis le pied en la Scithie, qu'on luyvint
dire comme les ennemis s'eſtoiét arreſtezlà aupres,&l'attendoiét de pied
- - - - G iij -
\.
- - º>

78 - Liuretroiſieſme
quoypourluy donnerlabataille. Au moyen dequoy il rengea auſſi ſes
gens en ordonnance,& ſevint rencontrer auec eux à l'emboucheure du
deſtroit là où il y eut vne tres-forte & aſpre meſlee,dot Temir n'eutpas ſi
ayſemét le meilleur côme ilcuidoit,car pource iour-là fut preſque côbatu
égallement des deux coſtez Ayans doques faict ſonner la retraicted'vne
art & d'autre,le lendemain ils ſe retournerent attaquer de nouueau : &
là ſe porterent ſi vaillamment les Scites qu'ils firent rccullerTemir,luyre
tranchans par là toute l'eſperance qu'il pouuoit auoir d'entrer plusauant
dedans leurs confins & limites. Alors voyant la perte qu'il auoit faicte de
ſes gens ſans qu'il luy fuſt poſſible de forcer l'entree de ce paſſage,il retira
ſon armee,& s'en retourna à la maiſon. L'annce enſuiuantilamaſſa enco
re de plus grandes forces; & faiſant ſemblant de vouloir aller deſcendre
en Egypte, tournatout court à trauers pays,& s'en vint derechef reſpan
dre toute lafurie & orage de cette guerre ſur les Scites,leſquels il preuint
- à cette fois, parles grandes traictes qu'il fit, ſi bien qu'il entralors au deſ
Dºg de pourueu dans leur pays : car eſtans venuz aux mains auec ceux qui gar
† doient les deſtroits,illes força,& contraignit de luy quitter le paſlage.Ce
"º n'eſt point autrement choſe honteuſe ny reprochable parmy ces gens là,
de tourner le dos;au contraire ils ne ſçauent point de plus grand ruſe &
aduantage en combattant, que de fuyr par interualles, ſans que pour
cela ils puiſſent encourir aucun inconucnient ne danger : pource qu'ils
· ſe r'allient ſoudain, & s'en retournent ſurl'ennemy,qui les chaſſe en de
ſordre penſant auoir tout gaigne:telle eſt leurcouſtume & façon de fai
re. MaisTemir quine cherchoit que de ioindre leur groſſe trouppe oü
eſtoit l'Empereur en perſonne,paſſa outre bien auant en pays, & eſtant
deſiaaſſez pres d'eux,commençoit à ordonner ſes batailles pour les aller
Les Tarare charger de plaine arriuce : Quand les Scites, pour luy reboucher cette
† premiere impetuoſité & ardeur dont il pouuoit beaucoup , deſlogerent
† promptement,& marchans toute la nuict, eurent bien faict ſix ou ſept
#
uy.
grandeslieues
piſte auant
en la meſme †
fuſtiour,
ou plus grande & luy de ſon
diligence,les vintcoſte les ayantſur
r'atteindre ſuiuis à la
le ſoir.
· Mais eux qui eſtoient repoſez,ſe forlongerent derechef,àlafaueur de la
nuict comme auparauant;en ſorte quel'armee de Temir ſe commença à
laſſer & ennuyer de cette patroüille,ce qui fut cauſe que le iour enſuiuât
il enuoya deffier les Scithes, leſquels ne voulurent plus fuir le combat,
ains apres auoir rengé leurs gens en bataille par trouppes & eſquadrons
ſeparez, marcherent d'vne grande audace contre Temir, & luy de ſon
| coſté ne les refuſa pas. Ilauoit donne la conduicte de la poincte droicte
ou auant-garde à Chaidarauec les Maſſagetes, & de l'arriere garde à ſon
fils Sacruch,leur ayant àl'vn & à l'autre departy les Perſes,'Aſliriens, &
†# Chatagiés tout autât qu'il s'en trouua en ſon armee : De luy, il ſe tint au
cótre les Tar
milieu en la bataille. Apres † que toutes les deux armées eurent
†º eſté ainſi eſtablies à laveuë l'vne del'autre, & que les trompèttes & cle
donnance
ºcelle rons eurent donné le ſignal du combat, la charge alors ſe commença de
toutes parts fort furieuſe & mortelle, où les Scithes d'abordec n'eurent
-

- - -
) - $ -

Del'Hiſtoire des Turcs. 79


pas du meilleur, neâtmoins reprenans courage, s'en vindrent d'vne gran
de impetuoſité(côme pourioüerà quitte ou double)ietter la §
ſee à trauers le bataillon de Temir, en eſperance del'enfoncer, ce qu'ils
ne peurent, au moyen dequoy eux-meſmes prirent la fuite , laiſſans vn
rand nombre de leurs gés morts ſurlaplace,maisily eut auſſi beaucou
de Perſes tuez Delà en auant,voyansbien que ce ne ſeroit pas leur profit # des
deveniraux mainsauec deſirudes & aſſeurez combatrans,aduiſerent de "
lesenclorre (s'ils pouuoient) dedans leur pays, & leur coupperles viures,
ourleslaiſſerconſumer & deffaire à parteux dequoyTemirs'apperçeut †,
auſſi-toſt,& retira ſon armee fort ſagement , pour euiter au danger en-
- / 2• / - 2 -» 1 †
tune ſe con
| | -

quoy il ſe fuſt trouué,s'il euſt tardétant ſoit peu d'auantage : Sibien qu'il de ſa vis
tête
arriuale premierà la riuiere deTanais,oûles ennemisauoient deliberé de #
levenir attendre aupaſſage. Delà eſtant paruenu enl'Iberie d'Aſie,il prit †
ſon chemin parla Colchide,apresauoirpaſſélariuiere de Phaſis quideſ
céd de la motaigne de Caucaſe,& ſeva rendre en lamer Maiour.Finable
ment ilgaignal'Armenie,& redoublant ſesiournees arriua ſain & ſauue
, àCheri.Mais ſon armee qui eſtoit auparauant ſi bien en point, ſe ſentit
longtemps de ce voyage,& s'en trouua fort haraſſée. + ·
T R o I s ansapres, les Scithes ſe voulans venger de la brauadequ'il º
leurauoit faicte,ſe mirentenarmes tout à coup, & entrerent à leur tour
enceſt endroit de pays qui eſtau deſſus des Aſſyriens,tellement queTe
mirſe voyant pris au deſpourueu,fut contrainct d'enuoyer ſes Ambaſſa- Ligues ...
deurs pourtraicter de la paix, offrât de faire ligue auecleur Roy Odieus, †
& generalement auec toutesleshordes & Cantons des Scithes.Ainſifut §
iurel'appoinctement entr'eux, parlequel ils deuoient demeureràl'adue-†.
nirbons amis,alliez & confederez les vns auecles autres, enuers tous & /

contre tous. Cela faict,luy qui ne pouuoit demeurer en repos, ſe voyant


n'auoir plus rien à demeſler auec les Scithes, tourna toutes ſes delibera
tions & conſeils àl'entrepriſe de Surie; & de plaine arriuee ſans autremêt .
· marchander,s'en alla mettreleſiege deuant Damas:laquelle, apresauoir † s Tambur
faict les approches & tranchees,& aſſis ſes machines & engins en batte- †
, rie,il ne demeura gueres à prendre d'aſſault : là où cette belle & grande §
cite qui ſouloit eſtrelanompareille de toutes autres,fut tellement ſacca
· gee,qu'on dit qu'il en emmena bien huict mille chameaux chargez de , ;
meubles tres exquis & precieux,devaiſſelle d'or & d'argét, de pierreries, †,
, & ſemblables
- • "
§ d'vnevaleurineſtimable: ſans § deſ enleuees du
- 3 ſac de Damas.
poüilles qui eſcheurentaux grands del'armee, & aux ſoldats pourleur -

part,leſquels s'en retournerent chargez debutin à la maiſon. Or auoit-il


auparauant depeſchéſes Ambaſſadeursau Souldan du Caire, auecvn tel
meſſage.Temirlegrand Royte mande (ô Souldan) que tout preſente- †
ment tuayes à te departir de la Surie,& la luy quitter de tous poincts : Si †
tule fais,tu acquerras ſa bonne grace;& il conuertiralafureur de ſes ar-§ ð
mes eſpouuentables en paix,amitié, & concorde auecques toy : Sinonil
nete prometrien moins qu'vne derniere & finale ruine. L'autre ne tint
compte de ce propos, comme trop plein de fierté & arrogance,& ne s'en
G iiij
8o . Liure Troiſieſme
fit que rire : Ce quifut occaſion que Temir s'envintaſſaillir Damas,qu'il
rit auec tous lesbiens & richeſſes quiy eſtoient. Mais il n'y fit pas long
| Deſcription § l'occaſion que nous dirons, apres auoir diſcouru quelque
†.. choſe de l'Empire des Mammeluz. Ce Souldanicy eſt vn fort grand Sei
§r gneur,& quiiouiſtd'vne bien longue eſtendue de pays. Car à commen
†"* cerdesArabes, iuſques en Egypte,Surie, & la plus grand part de la Pale
ſtine, tout eſt àluy : & eſtoit paruenu à ce haut eſtat en cette ſorte. Tous
fes eſclaues qui prennent le § de vertu, & dont on peut conceuoir
tMamºu, quelque bonne eſperance ont accouſtumé d'eſtre enroollez au nom
l, f
†bre des gens de † qu'il entretient à ſa ſoulde, là ou quandl occaſion
2 • - V v V -

Caire, deſ ſe preſente , OIl es choiſiſt pour mettre à la garde du corps: & ſont d'or
# dinaireces gardes icy qu'onappelle Mammeluz (Circaſſes de nation)en
#. uiron deux mille : Deſquels ſont pris & tirez, puis †es les officiers de la
maiſon; & delà de degré en degré, rencontrans touſiours meil †
leure fortune, montentiuſques aux plus grandes dignitez du Royaume.
|
Melicamari Car eſtans en gros credit & authorfté enuers le Prince, il les commet le
des. plus ſouuent ſur ceux qu'on nomme les Melicamarides (ce ſont les gou- .
uerueurs des bonnes villes) & de là ne tardent gueres à eſtre aduancez
aux charges les plus honorables de la contree, oüle ſeigneur faict la plus
1.c en part du tempsſareſidence, quieſtau Caire en Egypte preſque touſiours;
† car cetteville du Caireanciennement ditte Memphis,paſſe de beaucoup
ca,rºit " grandeur & multitude depeuple toutesles autres de la terre, comme
§" celle qui comprend en ſon circuir ſept cens ſtades: Et ſi n'en aypoint co
# † de plus paiſible ne mieux policee. Il y a bien cinq cens mille mai
ons; & paſſe le Nilaubeau milieu, dont l'eau ſur toutes autres eſt fort
† ſaine & plaiſanteàboire Cefieuue icy ſourd & deſcend du montArgy
§ par
re, &tout
delàvient arrouſer,
des tranchees
· gypte tous les
comme par
& canaux, à ſouhait,le
leſquels pays d'Egypte
on l'attire : Car il ya
& conduit oü
ans és iours

†. l'on veut; De ſorte qu'iln'ya endroict où le terrouer ne s'en ſente, & ne


#º puiſſe eſtre abreuué tout àl'aiſe.Là ſe trouue grand nombre de"Mono
§ thelites, & Iacobites,faiſant tous profeſſion delafoy & creance de Ieſus
l'E - - • " - > • •

§e Chriſt fils de Dieu , mais auecbeaucoup de diuerſitez d'opinions, toutes .


† contraireslesvnesaux autres, quiſe trouuent parmy eux : car ilsveulent
º chº donnerl'interpretation des eſcritures auſli bien aux Romains, comme
npre.dordi aux Grecs. Ilya auſſi force Armeniens qui ſont de leurſecte, & pluſieurs
† autres de celle des Manichées. Mais pour retournerau Souldan, il tient
frique. tout le pays qui s'eſtend depuis la Lybie, iuſques à la ville d'Alep en Surie:
1ara * ſi ya d'auantagetantenl Aſie qu Europe, & Afrique,beaucoup de na
· vont
chreſtes qui tions qui
au S.Sc
le reuerent, comme ſouuerain preſtre & paſteur de la loy de
d Y - || • - 2

† Mahomet : Card'ordinaire beaucoup de gens s'arreſtent tout expreſſe


ºº Pºyer ment au Caire,pour
le rribut aux »P -
eſtre inſtruits és ppoints&articles de ſa doctrine.Auſſi
•A - -
-

§ ſouloit eſtre ce Souldan anciennement tenu en lieu de pontife, comme le


M. in / >• - - - - -

les†
Turcs le plus verſéàl'intelligence, & explication de leurs eſcritures.Il tire tous les

" ans vngrand profit duS. Sepulchre de noſtre ſauueur; qui eſt és pays de
ſon obeyſſance enla'Paleſtine,gardé continuellement par certains per
Del'Hiſtoire des Turcs. 8I
ſonnages à ce deputez. Quant à l'Egypte, elle s'eſtend depuis Alexan-ºrlineliu ;.
drie,& la ville de Sur,iuſques au paysºd'Ituree;quelques octante ſtades; chap. 2.
s'en allant le Nil rendre en la mer, droict au vent de Biſe, pres laditevil nomberat
le d'Alexandrie. De la commence la Paleſtine qui ſe vient puis apres ren †
côtrerauec le pays de Surie:maisle ſainctſep § eſt en Hieruſalem,qui † #
a eſté toute ruinee, auec les regions prochaines de la marine. La Cœli. §
ſyrie d'autre coſté, s'eſlargit deuers l'Arabie iuſques à lamer rouge en al
lant contre Soleilleuant. Paſſee ceſte mer on entre dans le grand deſert,
& les ſablons qu'il conuient trauerſer à ceux qui vont au lepulchre de
Mahomet.Voylal'eſtendue du pays qui eſt ſoubs l'obeiſſance de ce Prin- - '-

ce, à quoy il faut encoreadiouſterla Phœnice.Mais il a d'abondant vne †


fort grande puiſſance & domination par la mer, car l'Iſle de Samos luy r"
fourniſt de Nauires & de Galleres : Tellement qu'ayant vne fois equipé -

grand nombre de vaiſſeaux,illes enuoya à Rhodes, & en Chippre. Au


regard de Rhodes,apres auoir quelques iourstenu le ſiege deuantla vil
† ypouuoir rien faire, ils furent contraincts de s'en retournerauecle
butin qu'ilsauoient faict parmy l'Iſle Mais ils conquirent Chippre, &
emmenerentle Roy priſonnier , & depuis eſt touſiours demeurétribu
taire au Souldan. A laveritél'eſtime qu'ilauoit eſté autres fois à ſes pre
deceſſeurs, iuſques à ce que les François allans à la conqueſte de la terre
Saincte, auecles forces & armees par mer que chacun ſçait, s'en empare
rent; tout ainſi
desricheſſes quiyque firent les de
eſtoient,& venitiens § ville
la commodité d'Amathunte,à
du port cauſe
pour traffiquer en †º 1In lllO,

Egypte;
de Franceceont
quiauſſi
fut cauſe
regnéqu'ils la garderent
en Chippre bien longanstemps.
par pluſieurs les vnsLes Roys
apres , les Roi de
les † t

autres : mais maintenant les Arabes en tiennent vne partie, & meſme la #º
ville de Famagoſte; auec leſquels, & les Afriquains d'vn autre coſté,le
Souldan ſeigneur du Caire & del'Egypte eſt ſouuent en debat, & mau
uais meſnage ſurle differend de leurs frontieres & limites, tant qu'aucu
nesfois ils enviennétaux mains.Nousauons dit cy-deſſus côme il eſtoit †
auſſi ſeigneur d'Alep,l'vn des meilleurs, & plus renommez apports de #º
toute la grande Aſie : carilfournit tout le pays, & l'Arabie encore, d'in
finiees denrees & commoditez qui arriuent là de tous les endroicts du
Leuant : Et produict quant & † territoire d'alentour,defort bons
& excellenscheuaux , comme faisl'Egypte, & ceſtendroict de pays qui rambula
ſevarencontrer auecla
ues cheuaux, & de Lybie , oü: auil ſemoyen
dromadaires trouuedequoy
auſſi grand nombre de de
Temirn'oublia bra-
ſe †.
§. p en >u°
ſaiſir de ceſteville,lors qu'ilalla àla conqueſte † Damas. X.
O R auoitcontrainct
quandilfut il deſia rengé à ſon obeyſſance
de retourner vne grand
arriere, pour part de la†
les nouuelles Surie,
luy R .L'armee du
du

oy de Cha
vindrent quele Roy de Chatai,l'vn des neufPrinces qui commandoient §s•.
enl'Inde,ayant paſſelariuiere d'Araxes ;eſtoit entré à main armee dans "
ſes pays, oü il y auoit faict de tres grands dommages & ruines, & emme- -

né vn nombre infiny de priſonniers, puis s'eſtoit retiré auec ſon butin.


On dit qu'il âuoit lors en ſa compagnie bien quatorze cens mille hom
82 · Liure troiſieſme
· mes : ce quifut cauſe que Temirlaiſſa là le reſte de ſes † en Sua
rie, & ſe mit à pourſuiure l'autre, apresauoir bien fortifié les paſſages &
aduenues qui § ſurlesfrontieres du Chatai. Toutesfois il ne le peut
rattaindre ny en Perſe, ny au Royaume des Candioriens , & pour tant
depeſcha des Ambaſſadeurs deuers luy pour traicter d'appoinctement,
pour ce qu'il meditoit deſia en ſon eſprit la guerre contre Paiazetien ſor
te quela paix fut arreſtee entre ces deux grands Princes, ſoubs condition
ueTemir delà en auant pourraiſon du pays des Meſſagetes où ils'eſtoit
ietté de force : payeroit tribut par chacun an au Roy de Chatai. Et com
IIlC † moyen de ce traicté, la guerre fut demeuree aſſoupie,aduint
qu'il entreprit la protection des Seigneurs particuliers de la baſſe Aſie,
leſquels en nombre preſque de cent, auoient eſté contraincts par Paia
zet d'aller aſſieger pour luy & en ſon nom la ville de Methelin.Âyât don
ues Temir § vnetres-groſſe armee, ils'envint en Cappadoce,aſ
† ville de Sebaſte, oü ſouloit eſtre autrefois le ſiege & demeure des
Empereurs Turcs, comme l'on peut voir encore. Car eſtans autrefois
ſortis delà, ils s'eſtoient faicts ſeigneurs d'vne grande eſtendue de pays
en Aſie, iuſquesaux riuages de l'Helleſponte.Et depuis ſe ſentans §
forts,eſtoient venus auecvne plus groſſe puiſſance enuahir le pays qui eſt
Tambulin visàvis de Conſtantinople. Mais pour reuenir à noſtre propos, Temir
†" eſtantarriué deuant Sebaſte,l'enuironna de tous coſtez de trenchees &
#ºº rempars, ce pendant que Paiazeteſtoit occupeàl'entrepriſe de la ville de
Lebadie au pays de la Bœoce; enſemble de tout le reſte du Peloponeſe &
de la Theſſalie auſſi. Toutesfois il auoit laiſſé en Sebaſte ſon fils Ortho
bules, auec partie de ſes forces; & ayant ainſi ordonnéſes affaires, eſtoit
paſſé en Grece, où il ne fit pas longfeiour, par ce qu'il fut contrainct de
retourner arriere pourles nouuelles qu'il eut de l'arriuee de Temir:mais
ainſi qu'il ſe haſtoit de § , il ſceut par les chemins comme
l'autre auoit deſia pris Sebaſte, & s'en eſtoit retourné enlaville de Cheri.
Carapres auoir continué par pluſieurs iours vne tres furieuſe batterie,
comme il viſt que ceux de dedans remparoient plus la nuict, que de iour
on ne les pouuoit offenſer, & ſe deffendoient au reſte fortvaillamment,
il eut recoursaux mines, oûil faiſoit trauailler ſans aucune intermiſſion
ne relaſche, huict mille pionniers departis en pluſieurs trouppes, afin
† vn meſme temps il peuſt donner diuers aſſaux , dont les autres s'e
ans apperceuz, ſe mirent de leur part à contreminer & aller au deuant.
Mais ils furent preuenus & repouſſez parle grand nombred'ouuriers que
Temir tenoit continuellement en beſongne : tellement qu'en peu de
iourslaville ſe trouua minee de tous endroicts. Et d'autant que les rem .
pars & platte formes ou ceux de dedans ſe preparoient de ſouſtenir l'aſ
ſaut n'eſtoient que de bois, encore fort exhauſſez, il fut bien aiſe dy atta
cher le feu, tout au meſmeinſtant qu'vn grand pan de muraille deſia fort
† eſbranlevintà ſe renuerſer,laiſſantvnetellebreſche & ouuerture, que de

ſaccagee par plaine abordee les ſoldats deTenir la forcerent&entrerent dedans.Là en
- - - - - - - 2 • -

le riraies premierlieu furent taillez en pieces tous les homes, ſuiuant ce qu'ilauoit
5 - º - - -

Del'Hiſtoire des Turcs. | 83


ordonné, & puis apres ayant faictaſſemblerles femmes & enfans envne
· grand'place,illaſcha ſa cauallerie apres, qui en firentvncarna g°Pºyº c nérºs
# à eux meſmes, carils les maſſacrerent tous iuſques au † ueilleuſe.
la fin de ceſte pauure malheureuſe cité de Sebaſte, dont vne ſeule amevi
uante n'eſchappa la fureur duglaiue, encore qu'elle fuſt ſi peuplee, que
le nombre des habitans paſſoit ſix vingt mille.ilſetrouua d'auantagevne §.
grande multitude de Ladres † , qu'il fit tous mettre à mort : Car §.
tout autant qu'ils'en rencontroit dcuant luy, ils ſe pouuoient bien aſſeu
rer de faire le ſaut, allegant n'eſtre raiſonnable, de laiſſer plus lon gue
ment regner vne telle peſte, quine ſeruoient que d'infecter les autres,&
viuoientauec cela en tant d'angoiſſe, & de martire Briefqu'on eſtime la
deſolation de ce lieu, auoir ſurpaſſé toutes les miſeres & calamitez qui
ſoient oncquesaduenues autre part. Orthobules meſme le fils de Paia-T†"
zet, eſtant venu vifés mains deTemir, apres que par † jours il bulesfils
- - -
ºnuc# 9rthº
aiſné
l'eut promené çà & là à ſa ſuitte, il commanda à la fin de le mettre à mort. deratº
Paiazet ayant entendu tous ces malheurs & deſaſtres les vns ſur les au
· tres;la deſtruction & ruine de ſaville, l'enorme effuſion du ſang de ſes
ſubiets,& le meurtreinhumain de ſon tres-cher&biéaymé enfant,on ne
ſçauroit certes penſer la douleur & deſtreſſe qui le ſaiſit: Car ainſi qu'il
paſſoit en Aſie, & eut rencontré vn paſteur gardant le beſtail, quiioüoit
d'vn flageollet; iettantvn profond ſouſpirilluy dit telles paroles,quide
monſtroientaſſez ſa douleur & amertume:Berger mon amy,le refrain de .
tes châſons ſoit tel d'oreſnauant,ie te prie : Malheureux Paia Ketes,plus ne #"
verrasta Sebaſte, netonfils Orthobules. Et àlaverité c'eſtoitvngentil Prin- †
ce,& d'vne tres-belle eſperâce plus que nulautre de ſonaage:aumoyéde-º"
quoy ſon pere ne l'auoit pas laiſſe ſans occaſiô ſonlieutenat generalenA
- † toute puiſſance & authoritéen ſon abſence.Temirbiétoſtapres
depeſcha ſes Ambaſſadeurs à Paiazet pourluy faire les ſommations que
vous auez oyes, à quoyl'autre deſia tout tranſporté de fureur & de cour- -

roux,fitceſteaigre&outrageuſe reſponſe,cequi fut cauſe finablement de le «


ſa ruine, la plus tragique & calamiteuſe qui aduint oncques à vn tel †
Prince. CarTemirayant entendu ſon langage, perdit toute patience,& †
ſans plus differer ſemit apresl'execution de ce que de logue main il auoit † -

deſia proietté en ſon eſprit,auec les plus groſſes forces qu'il peut aſſem- .
bler,tant de la Scithie que des Tzachataides, qu'il auoit preſts à toutes r†amburlà c6

heures, Apres donques qu'il eut faitvne reueuë de ſes gens, il ſe trouua †
bien iuſques à huict cens mille combatans.Etlors il ſe mit en campagne, #
- - - - - - ' foisschiltper
prenátſonchemin par le pays de Phrigie,& la Lydie,Paiazet de ſon coſté §
pour n'eſtre pris au deſpourueu,&auoir dequoys'opoſeràvn ſi puiſsât & †
· redoutable ennemy dreſſa ſon camp,où il n'oublia pas lesTriballiens en-†.
trelesautres, leſquels auoient lagarde de ſon corps, eſtans en nombre §
. pres devoulans
qui ne dix millelaiſſer
, auſſiperdre
eſtoit-ce
la ſa principaleque
reputation eſperance, comme en ils
de ſi longue-main ceux §
a-†" hö

uoient acquiſe,s'eſtoient par tout fort bien portez.Ilnelaiſſa toutefois, # .


| (quâdilfut queſtió de partir)deleurrafraiſchirlamemoire deleursproeſ a# ux Bulgares.
-

84 · Liure Troiſieſme -

#
ſesaccouſtumeesauecvn tellangage. Vous ſçauez tres-vaillans ſoldats,
: - cômeiadisAlexandre fils dePhilippes,n'ayant à maniere de parler,qu'vne
oignee de Macedoniens, entreprit bien de paſſeren Aſie, pour venger
§ Darius les outrages que les Grecs auoient autrefois receues de ſes pre
deceſſeurs, & ſi il les § en diuerſes rencontres & batailles,& ſubiugua
tout le pays iuſques au fieuuc de Hyphaſis, & dernieres extremitez du
Leuant.Parquoy me confiant en voſtrevertu, & ſurla force devos victo
rieux bras, ſouſterius d'vne ſi belle & puiſſante armee,ie ne fais doubte
que nous ne venions bien àbout de ce barbare cruel & inhumain; & ne
-

-eº..
renuerſions
paſſerons de plaine abordee
ourreiuſques aux tanttoutes ſes vſurpations
renommez & tirannies.
Indiens,dont Puis
ie vous rame
neray (Dieuaidant) ſains & ſauues,tous chargez de gloire, de deſpoüil
les, & de triomphes, pourvſer le reſte devosiours en tout plaiſir & re
pos envosheureux meſnages,auecvos femmes bien aymees,&plus chers
1.mesde petits enfans. Apres qu'il eut raſſemblé toutes les forces del'Europe,il ſe
' †* trouuan'auoir en tout que ſix † mille hommes de guerre,& nô plus:
11 OOOO• W | > - -

# ſeº-Toutesfois il ne laiſſa de marcher droitàl'ennemy,lequelileut bienyou


" ludeuancer,& le preuenir, afin d'allerietterlaguerre dans le pays d'ice
celuy:és enuirons de lariuiere d'Euphrate, & le combattre là s'ileuſt peu.
Et pource que Temir conduiſoit ſon armee parla Phry† , il prit le che
min de Cappadoceaux plus grandesiournees qu'illuy fut poſſible, pour
XI.
arriuer
MA1lesquandilfut
premier à la riuiere deſſus ditte.
en Armenie,ileutnouuelles que l'autre eſtoit de
ſiaentré dans ſon pays, tellement qu'il fut contrainct de rompre ſondeſ
ſein, & tourner tout courtvers la Phrygie, par où il auoit entendu que
Temir luy venoit au deuant : & pour-ce qu'il faiſoitvne diligence inſup
portable, ſes gens haraſſez du longchemin, & de leurs traictes §
rees,vindrent à ſe mutiner,de ce qu'ainſi à tous propos ſans occaſion il
, vouloitabuſer de leur facilité & obeyſſance, le tout parvne certaine folie
#§ & preſomption trop vaine. Aduint d'auantage qu'ils ſe trouuerent en
ue Paiazet. fort grande neceſſité de viures, principalement de froment & d'orge, és
cnuirons de la cité de Pruſe , carles gens de cheualcommençoient § à
†º ſouffrir beaucoup, & chacun murmuroit, ſe monſtrans tous fort des
# gouſtez de ceſte guerre, & indignez de ce qu'en vn tel beſoin, il auoit
§" fait de tres-rigoureuſes deffenſes, que perſonne n'euſt à mettre la main
* , aux bleds, ne d'en coupper ſur peine dela vie. On dit qu'ainſi qu'il paſ
ſoit par Cappadoce,ſuruintvn § tourbillon &orage,que ten
- tes & pauillons tout alla par terre: delà puis apres eſtansrauis tous entiers
enl'air, vcnoient à retomber en mille pieces & lambeaux; ce qui fut pris
siniſtres pre pour vn fort mauuais preſage.Et envne autrefois encore qu'il rebroſſoit
†" cheminvers la Phrygie, le campeſtant deſiaaſſis,ſon pauillon vint de ſoy
meſme à ſe renuerler tout à coup ſans deſſus deſſoubs, tellement qu'ilac
cabla trois pages de la chambre qui de fortune s'y trouuerent on ne ſçait
ſi ce fut le deffaut duterrouer & des cheuilles, qui
· -- f - · ne peurent porter l
faix
Del'Hiſtoire des Turcs. · | 85
faix des cordages quile tenoient debout,oubien s'ily euſt quelqueautre
occaſion ſurquoy on peuſtreietter ceſt accident; mais certains Grecs &
Triballiens qui eſtoient lors en ſon armee,diſoient bien,que cela luy de- ·
uoit eſtrevn aduertiſſement de ne deuoiraller en la Phrygie, Etaupara

llaIlt paſſaſtla mer, Haly fils de Charatin perſonnage de fort gran- sºgeconſeil
de authorité,& tenu pourl'vn des plus ſages & experimentez qui fuſt en de Charatin.
ſon oſt, auoit touſiours fort taſché de le deſmouuoir de s'attaquer à Te
mir, eſtant beaucoup plus ſeur,commeil diſoit,d'eſſayer à § ce dif
ferend par quelque voye amiable,enquoyil s'offroit d'eſtre luy-meſme le
miniſtre & Ambaſſadeur,eſperant qu'ille r'adouciroit, & queles choſes
ne paſſeroient point lusauant.. Paiazet fit reſponce qu'il ne fuſtiamais paiezet reiet.
paruenuàvnſi haut degré & honneur,& n'euſtſoubs misàſon obeiſſan †º
ce tant de Princes ſi † & puiſſans, s'il ſe fuſt arreſté à ces trop ſages †
& meures conſiderations mais que la hardieſſe accompagnee d'vne ſou- #.
daine & abregee promptitude † auoit mis à fin de ſibelles & ma gnifi- -

ques choſes. Car (diſoit-illa pluſpart de tousles conquerans, qui ſans


autrements'arreſterà cette flacque & molle,que tu appelles prudence,ſe
ſontiettez entre les bras de la fortune,& degayeté de cœur ont hardimét
entrepris,ſontauſlivenus à bout de pluſieurs beaux & excelles faits d'ar
mes, là où cependantles autresguiontvoulutrop ſagementaller enbe
ſongne, & ſe monſtrer en toutes occaſions ſiaduiſez & retenus, ſont de
meurez tout court,oubié ont fait quelque finmal-heureuſe.Telle eſtoit
l'humeur de ceſthôme; lequeleſtât encore en Armenieauoit deliberé de
n'en faire point à deuxfois,mais de commettre & aduenturer le tout au
hazard d'vne bataillegenerale.Parquoyayant faictaſſembler tous les ca
pitaines,chefs de § & autres perſonnesayans charge enl'armee,ne
leur parlad'autre choſe, ſinon de l'ordre & façon qu'on deburoit tenir
our cobattre.Mais côme en celails ſe trouuaſſent de differente opinion,
§ tantoſtd'vn
de Haly opina coſté,tantoſtd'vn autre,finablement
enceſte ſorte.Certes,ſeigneur tu t'appreſtes auAbrahin fils Tres-belles
côbat con- _ . &
ſages rcfnOIl4

tre des gens qui ſont tenuslesplus endurcis & experimentez aux armes †
de tous autres,par ceux quiont eſprouué § c'eſt de leurvertu : & moy- hia.
meſme me ſuis ſouuentesfois trouué en pluſieurs copaignies où l'on en
deuiſoit, mais i'ay touſiours ouy loüer eſtrangement leurs vaillances, &
† Outre plus,ſelon touslesaduertiſſemens que nousauons,leurs
orces ſurpaſſent les noſtres de beaucoup : au moyen dequoy s'il m'eſt
permis de meſler auſſimon opinion parny celles que ie viens preſente- .
ment d'ouyr,ie ne ſerois pas d'autre aduis, ſinon que ſoubsla confiance
de tant de gens de bien quiſonticyaſſemblez,nous allions tout de ce pas
lateſte baiſſee,donerautrauers des ennemis, ſiiene côſiderois puis apres
làdeſſus, quel profit & aduantage c'eſt que nous pouuons eſperer de ondetteur
nous eſtre expoſez à ce danger, encore quelavictoire nous en demeure; †º
là où ſi nous entrons dans leur pays, & que là nous venions à iouër des § §ns
couſteaux,infinies commoditeznous
auront combattu pour en attendent,
conquerirl'Empire de Temir,comme ccux qui †
& non pourdeſ- # ſien
' ^- - - - H -
86 · Liure troiſieſme
fendrelenoſtre : dequoynous ſerons entierement fruſtrez, ſi nous ves
nons icy chez nous aduenturer le tout, àl'euenement incertain & dou
teux d'vne bataille.Et ſi(ce que Dieu ne vueille)il nous en ſuccedoit mal,
voyez vn peu Sire (ie vous ſupplie ) en quel peril vou vous mettez de
perdre tout àvn coup,vn ſi beau,ſiriche & plâtureux eſtat que le voſtre.
Il eſt donques bien aiſe à cognoiſtre, que ce n'eſt pas ieu pareil de vous
deux,&que la forme de guerroyer qui eſt conuenable à l'vn ne ſeroit pas
à propos pour l'autre : Car ſiTemir entend bien ſon faict il ſe gardera,
comme ie croy, de hazarder toutes ſes forces à vne fois, ains les faiſant
combattre ſeparément, & par trouppes,grandes & petites, nous tiendra
en continueleſchec & alarme.Poſons le cas,que nousayós eſbranlé,voi
re mis en routel'vne de ſes batailles, qu'aurons nous gagné pour cela?
Car tout incontinentil nous en remettra vne autre en teſte,toute freſ
· che & repoſee,& puis vne autre encore s'il eſt beſoin , tant que finable
métilnous ait recreuz & mattez,& que nous ſoyons côtraints de ployer
ſoubs le faix, & donner du nez en terre; pource que d'heure à autre ils ſe
· renouuelleront, & d'hommes & d'effort. Devray on ſçait aſſez comme
ces gens icy,ne ſont gueres aiſez à eſtonner,& mettre en deſordre, †
il eſt queſtion de menerles mains.Encore meſme en fuyant, ſont-ilsplus
dangereux & à craindre,que nous ne ſommes en combattant de piedfer
me.carpour eſcartez qu'ils puiſſent eſtre,ils ſeviennent ſoudain à r'allier,
& retournent plus aſprement à la meſlee que deuant. Parquoy ie ſuis
d'aduis qu'on ne doit en façon quelconque s'aller mettreau deuant d'v
ne telle puiſſance,mais les ſuiure & coſtoyer ſeulement, de logis en lo
is, le long des montaignes & autres lieux mal-aiſez ; eſpiant touſiours
#occaſion à propos de leur porter quelque dommage s'il eſt poſſible;
pour le moins les engarder de fourrager, & s'eſpandre ainſi à leur aiſe &
au large,quandà toutes heures ils nous aurontſurles bras,leur chauſſans
les eſperons de pres, quelque part qu'ils aillent. Parce moyen nous leur
coupperons les viures, & les reduirons à toutes ſortes de neceſſitez &
meſaiſes.Puis quandnouslesauronsainſitrauaillez,& rccôduits iuſques
dans leurs § & limites,alors pourrons-nous ſeurement venir à la
bataille,côtre ceux quin'auront plus le cœurà autre choſe que de gagner
le logis, chacunà la deffence de ſa femme & de ſes enfans. Telles furent
les remonſtrances d'Abrahim,lequelapres qu'il eut mis fin à ſon propos,
il n'y eut vn ſeul de toutel'aſſiſtance qui n'approuuaſt & loüaſt grande
Reſpence de IIlCIlt CC qu'il 3ll1O1U dit. Mais Paiazet repliqua CIl CCttC ſorte Le nombre
Pai,zet plei des ennemis vous fait doques peur(ace que ievoy)& c'eſt ce qui m'aſſeu
† rele plus.Car vousauez touſioursaſſez cogneu par experiéce que lagră
#º- de multitude de peuple,n'ameine que confuſion & deſordre,quand il ſe
treuue quelqu'vn qui leur reſiſte.N'auez-vous point autrefois ouydire,
quelles trouppes de gens de guerre Xerxes fils de Darius Roy des P erſes,
mena auecques luy lors qu'il paſſa en Europe : & neantmoins il fut con
t1aint de ſe retirerfort † preſque du tout deſconfit,& deuali
ſc; cndangerluy-meſme d'y demcurer pourles gages ſi Mardonie n'euſt
Del'Hiſtoire desTurcs. 87
preuenu à ceſt inconuenient;luy faiſantveoirau doigt & àl'œil ſa der
niere ruïne,ſi bien toſtilne regagnoit le logis.D'auantage,nous n'igno
ros pas cóme Alexâdre le grand, ayant par pluſieurs fois rompu Darius,
luy oſta à la parfin ſon Empire,& le mit à mort. Pluſieurs ſçauent auſſi,
comme aſſez ſouuent vne pêtite poignec de Turcs a mis à fin de tres
belles& excellentes choſes,s'eſtans par tout portez fortvaillamment,&
nous encore,partant & tant de fois que nous auons combatu en Euro
pe,n'auons nous pas mis en routteles François & les Hongres, les deux
plusbraues & redoutables nations que le Soleil voye point Ne nous
meſpriſe doncques plus ainſi,iete prie,& ne nous fais paroiſtre pires que
nous ne ſommes,ny de moindrevaleur au faict de la guerre que ces ca
nailles deTartares, & Tzachataides,qui ne ſont bons que pourfuyr,ſans
· iamais venir aux mains à coups de lance & d'eſpee, comme braues Che
ualiers doyuent faire; mais ſe tenansau large, le plus qu'ils peuuent,auec
leurs arcs & les fleſches , taſchent de ſe tircrloin des coups, & ſans reſ
pandre goutte de leur ſang, r'emporter les victoires deuës & reſeruees
aux gens de bien. - · · · ·

AY A N T mis fin à ſon dire,l'vn deſes Saniaques prit la parole enceſte *


ſorte.Puis dôques(Sire)que tune veux reſolument que nous marchions
droictàl'ennemy, à tout le moins mets la main à § , & ouurant
tes treſors, fais quelque largeſſe à ton armee, qui en a pour cette heure
ſigrand beſoin.Car en § ſorte & maniere, que le ſort de cette
guerrevienne à tomber , quand tu auras ainſi departy ton or & ton ar
les ſoldats, il n'eſt poſſible que le proffit ne t'en demeure:
gent entre
Pource que ſi fiousauons la victoire, voilaincontinentvne abondance
, de tous biens & richeſſes quiſe preſentent & nous tendentlamain:Si au
contrairel'ennemyauoit le deſſus, ce te ſera moins de regret d'auoirain
ſi diſpoſé de tonbien. Il ne perſuada pas pourtant cela à Paiazet , caril Anise de
n'en fit rien du tout, dontl'autre ne ſe peut tenir dedire, qu'il ſembloit †
que la monnoye de leur fuſt marqueeau coing de Temir, & que †
Princedepartirà
c'eſtoit la cauſe qu'il nel'oſoit ſes gens-d'armes,commeſi deſia IlCS 12 dCllllSe

il penſaſt d'eſtretenu d'en rendre compte à fautre voila comment les -

choſes paſſerent en ce conſeil. Mais voyans qu'ils n'aduançoient rien, †


& ne faiſoient que perdre temps, ils deſlogerent, & s'en vindrent à An-diteAn .
gorie,ville de la Phrygie : Ce temps-pendantTemir gaignoit touſiours
paysvers la Myſie, en intention d'alleraſſaillirlaville de Pruſe , capitale
de tout l'Empire de Paiazet, & oûil tenoit ordinairement ſa cour : le
uel auſſi de ſon coſté ſe diligentoit d'aprocher l'ennemy , tant que
- § il ſe vint camper à vne lieuë pres : & lors on dict queTe
mir s'eſmerueilla fort de ſon courage & hardieſſe, d'eſtre venu d'Arme
mie à ſi grand'haſte pour luy cuyder faire teſte. Parquoy eſtant mon- †
té à cheual, s'approcha le plus pres qu'il peuſt de ſon camp ; & apres †
auoir bien recogneu tout à ſon ayſe les aduenues & aſſiette d'iceluy, § ſe"
enlemble les ſentinelles & corps de garde, s'eſclattant de rire profera #º
telles paroles. A la verité cet homme icy n'eſt pas ſans cauſe ſurnommé
- H ij • -
88 Liure troiſieſme
fouldre ou tourbillon, non point tant pour la vertu,que pour latemeri
té & audace dontil eſt plein toutesfoisi'eſpere qu'il en péſera eſtre quit
te à bon marché,s'il peut eſchapper bagues ſauues d'entre mes mains.
Quant à moyiene penſe pas qu'ilſoit bien inſpiré,le pauure malheureux,
tantilſemonſtrehors de tout entendement & raiſon Cela dit , il s'enre
tOllIIla promptement au logis Et le lendemain de bô matin, enuoyavne
groſſe trouppe de gens eſleuz ſoubs la conduicte de ſon fils le Prince Sa
# cruch,pourallerattaquerl'eſcarmouche, & attirer Paiazet au combat.le
† quel tout auſſi toſt ordonna ſes batailles ſur vn couſtaulà aupres Ala
poincte gauche eſtoit le Bel glierbei de l'Aſie,& àla droicte celuy de l'Eu
† rope: De luy,iltenoit le milieu,accompagné des Genniſſaires,& du reſte
" de ſa maiſon.Sacruchauec les Tzachataides, & les principaux Perſiens,
marchoit cependantàl'encontre en tres bonne ordonnance,non enin- .
tention del'enclorre,combien qu'il euſt des gensaſſez pource faire,mais
luylaiſſant parle derriere lieu & commodité d'eſchapper s'il euſt voulu;
depeur que ſerrouuanslesTurcs enueloppez de tous coſtez, le deſeſ
poirne les euſtcontraincts de s'efforcer & prendre courage : tellement
qu'eſtans contraincts de combattre pourſauuerleur vies ils n'euſſent fi
nablement emporté la victoire. Et ainſi commença l'eſcarmouche con
tre ceux de l'Europe, quiduravne bonne partie du iour,lestenât Sacruch
de ſi pres qu'ils n'auoient preſque le loiſir de prendre haleine. Toutes
fois lesTriballiens ayans deuant les yeux vn ſouuenir de leurs accouſtu
mees proëſſes & beaux-faicts, ſemaintindrentfortvaillâment, & don
nans à toutebride dans les Tzachataides,rompirent leurs lances,puis mi
rent la main à l'eſpee,& firent vn tres loüable deuoir. Paiazet qui voyoit
le toutàl'œil,& commel'ardeur & eſchauffement du combat auoitdeſia
tranſporté au loing ceux † craignant que cependant on ne le
vinſtenclorre parle derriere,& ne fuſt en danger de ſa perſonne, enuoya
dire à leur § ne failliſt ſoudain de r'allier ſes gens , & les ramener
au propre lieu qui luy auoit premierement eſté aſſigné: dont pour le
premier coup il ne tint compte,† aſſez ce qui en pouuoit ad
ceſ rliure ;. uenir.Mais comme Paiazet s'en fuſt mis en colere, iuſques à venir à des
"# menaces,ilobeyt & retiraſes gens: Ce qui donna cœur aux Tzachatai
†º des,de fes pourſuiure plus chaudement, ſi bien qu'apres en auoir tué vn
† grand nombre, ils contraignirentle reſte à la fin de † la place, &
§ " s'en aller à vau-deroutte. Cela eſpouuenta ceux del'Aſie, & fut cauſe
u'ils ne tindrent ferme, ains gaignerent au pied auſſi bien quelesau
# tres, combien que perſonne ne les chargeaſt encore. Paiazet meſme
†§. voyantà quel party ſes affaires eſtoient reduicts, monta habilementſur
apris. vneiument Arabeſque,& ſe mit à fuyr à toute bride. Or auoit Temir
de deſia fait crier par tout ſon † n'euſt à faire eſclaues aucuns des en
Humanité de - - | . - - \

†an nemis, maisapres les auoir deſualiſez qu'on les laiſſaſt aller ou bon leur
auec les . - - - - - - -

† ſembleroit,à quoyapres la deſconfiture, il tint ſoigneuſement la main,


† n'eſtimant pas eſtreraiſonnable de mettre en ſeruitude ceux qui eſtoient
d'vn meſme ſang, & d'vne meſme creance. Toutau rebours, Paiazet,
-
Del'Hiſtoire des Turcs. | 89
premier que de venir au combat,auoit faict fairevn ban tres-expres,que
pasvn de ſes gens n'euſtà garder des priſonniers,ains que tous ceux qu'ils ,
prendroient fuſſent ſur le champ mis au fil de l'eſpee. Apres doncques †
que Sacruch eut de ceſte premiere poincte emporté les ennemis, le re-†
ſte des forces de Temir, qui s'eſtoient iuſques alors tenues coyes de-§ §
dans le camp, ſe vindrent en diligence ioindre à ceux qui auoient de- l'an 1397,
ſiacombattu,afin de pourſuiure § la victoire,& aller deuan
cer ceux qui s'eſtoient ſauuez, pour les garder de ſe r'allier : car ce leur
euſt eſté nouuel affaire, pire paraduenture, & plus dangereux que le .
premier; tellement qu'ils les chaſſerent ſans relaſche aucune , iuſques
en la prouince d'Ionie, & aux riuages de l'Helleſponte , où ils firent vne
merueilleuſe deſolation & ruyne,& ſaccagerentinfinis bourgs & villa
ges, outre pluſieursvilles qui furent auſſi pillees & deſtruictes Cepedant
Paiazet fuyoit touſiours tant quilpouuoit, taſchant de ſe ſauuer de vi
ſteſſe, & lesTzachataidesle pourſuiuoient de pres, deſirans ſur tout de
l'auoirvifenleurs mains.Carils n'ignoroient pas que c'eſtoit le côble des
deſirs de leur Empereur: mais il † deſia fort eſloigné d'eux,& auoit
faict vngrand chemin eſtant montéàl'auantage , quand de fortuneil ſe
trouuaſurle bord d'vne eau, où ſaiument preſſee de la ſoif s'arreſta pour -

boire, & ne luy fut poſſible de l'en deſtourner,ne la faire paſſer outre,
eſtant fort mal-mené des gouttesaux pieds & aux mains : de ſorte que
ſa monture ayantbeu rout à ſon aiſe, ſevint ſoudainement à refroidir &
laſcher, ce qui donna moyen à ceux quialloientapres de le r'atteindre, &
ainſi fut pris & menéàTemir.En cette groſſe deffaite demeura auſſi pri-†
ſonnier Moyſe, & preſque tousles Capitaines de Paiazet, qui en furent § §.
neantmoins quittes pour leurs deſpoüilles, ſans auoir autre mal. Mais deffaite.
par ce que Moyſe eſtoitd'vne fort belle apparence,& paſſoit tous lesau
tTCS § & diſpoſition de corps, ce fut le ſecond que Temir retint, le

menant deçà & delà à ſa ſuitte, oûileſtoit defrayé & entretenu fortho
norablement. D'autre coſtelafemme de Paiazetvintés mains des enne- †
mis, qui donnerent iuſques à la cité de Pruſe, & la pillerent, rauiſſans § fille du
tout ce qui eſtoit dans le Serrail; & cette dame meſme entre les autres qui Prince des
1 Bulgaresme
cſtoit fille d'Eleazar,laquelle ils menerent à leur ſeigneur : Muſulmam, †
loſué, Mechmet,& les autres enfans de Paiazet,coururent tous la meſme e#
nfans d'ice
fortune: Etaureſte, ceux qui eſtoient tant en Aſie qu'en Europe, ſe ſau- §
uerent au mieux qu'ils peurent. -

MA1s Paiazetayanteſtéconduit enlapreſence deTemir, on dit que º


ceſtuy-cyluy parla en ceſte ſorte.Ha pauure mal'heureux, le plus miſera- .
ble qui ſoit entre tousleshumais, à quel propos as-tu voulu ainſi preci- .
piter ta deſtinee, & luy faire ce tort,que de tevouloirattaquer de topro
pre mouuement à noſtre grandeur & puiſſance N'as-tu pas bien ouyº A- , , , -

dire,qu'iln'yaqueles enfans des infortunez,qui ſe bandentcontre nous,& ſe veulêt †


oppoſerà noſtreinuincible effort A quoy Paiazet fit reſponce, queia †.
mais il ne fuſt paruenu àvn ſi haut degré #. felicitémondaine,ſiluymeſ-§
mene luy euſtdonéles occaſions de faire la guerre ;cobien que d'ailleurs d'Homere»
- - - - .

-
H iij
, 9O ' Liure troiſieſme
il euſt eſté aſſez prouoquépar les aduerſaires & ennemis du Prophete.
Mais(repliqua Temir) ſi tu n'euſſes eſté ſi enflé d'outre cuidance,iamais
ne fuſſes tombé en cettemiſere & calamité où tu es carla diuine végean
cea de couſtume le plus ſouuent de r'abaiſſer ainſi les preſomptueux &
arrogans, & les reduire au plus bas eſtage de la fortune. Il luy enuoya
puis apres des chiens & des oyſeaux, auec tel autre equipage de chaſſe,
comme à celuy quimieux reſſembloit quelque veneur , qu'vn chef de
guerre conduiſantvnearmce,contre ſon ennemy;caron dit qu'il entre
Merueilleur tenoit d'ordinaire bien ſept mille fauconniers,&preſqueautant de chiés:
†"à quoy il reſpondit en cette ſorte.DevrayàTemir,qui pour tout po tage
† n'eſt qu'vn Tartare & bandolier, ne recognoiſſant autre metier que d'al
Zet. lerbrigâder de coſté & d'autre,il ne ſierroit gueres bien d'auoir † chiés
Reſponce • • • \ --- : ſ--- / |2 >

§e & des oyſeaux,ſi fait bien à moy,quiſuis né d'Amurat fils d'Orchan,tous


†"º deux ſi grands, puiſſans & inuincibles Princes.Dequoyl'autre ſe ſentant
piqué,commanda que tout ſurl heure on l allaſt promener parmy le cap
Contumelie

§s ſur quelque vieil mulet de coffres, pour ſeruir de riſee & de moquerie à
†" toutel'armee, là où apresauoir receu mille brocards & iniures, on le ra,
menaderechefdeuant Temir,quiluy demanda ſi cette promenade n'e
- ſtoit pas encore des exercices & paſſe-temps de ſatant noble & ancien
Preparatifs 11C race,auſſi bié que la chaſſe & la volerie,& là deſſus l'enuoya en priſon.
de § Cela faict, fit trouſſer † pour s'acheminer vers le pays d'Ionie, &
#º autres contrees où il paſſal'hyuer. Puis ſur le commencement du prin
temps, fit ſes appreſts pour trauerſer en Europe, en intention & eſperan
ce (comme nous auons deſia dit cy-deuant) de la conquerir toute iuſ
u'aux colomnes d'Hercules : faire puis-apres le § l'Afrique : &
§ là s'en retourner à lamaiſon , quand il auroit annexé à ſon Émpire
toute cette grande eſtendue de la terre habitable : Parquoy il depeſcha
des Ambaſſadeurs à Conſtantinople deuersl'Empereur pour demander
desvaiſſeaux à paſſer ſes gens. Mais il fit encore vn tel outrage à Paia
zet : car la fille d'Eleazar, la plus cheretenuë, & la mieux aymee de tou
tesſes femmes,& laquelle il menoit touſiours quant & luy quelque part
qu'il allaſt, ayant § aInCIlCC priſonniere à Temir, il luy commanda
toutàl'heure en la preſence de ſon mary de le ſeruir de couppe, & aller
aubuffet querir ſon vin : dequoy ce pauure Prince tout outré de cour
• roux & indignation ne ſe peut tenir de luy dire † cela ne luy appar
tenoit pas, ny n'en eſtoit digne : careſtant venu de ſi bas lieu, tant du
pere que de celuy delamere, & de ſi pauures & incogneuz parens, il
, ne luy ſieoit point bien devouloir ainſi fouller aux pieds, & accabler
. de tant d'indignitez, ceux qui de toutes parts eſtoient yſſus de ſang
Royal, & qui par droict de nature deuoient tenir lieu enuers luy , de
Princes & Seigneurs ſouuerains Dequoy Temir ſe† bien fort à ri
re, ſe mocquant de luy, comme d'vn homme tranſporté de ſon eſprit
quine ſçauoit ce qu'il diſoit.Sur ces entrefaites quelques Capitaines de
Paiazet s'eſtans accointez des mineurs deTemir, trouuerent moyen de
lesgaigner ſoubs promeſſe d'vne groſſe ſomme de deniers, qu'il leur
•k 15 - r. N, , • - • • • : - r - ,

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Del'Hiſtoire des Turcs. . . rº ... . ' , ' • • • • > - · - , ', -
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9I
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debuoient donner pour creuſer vne caue qui s'allaſtrédre enceſt endroit peſsinuentis
oüleur maiſtre eſtoit /
† , & l'enleuer ſecrettement. Mais comme ils †
† - - "• » , - • rs . ſauuer
euſſent
iazet, &commencé ceſte
finablement gne,laàconduiſans
beſonvenus
fuſſent faire iour, droitauPauillon de Pa-#els
ils furent apperceuz & euſt 1euſſi,
ſaiſis : car n'ayans pas donnéſiauant qu'ils cuidoient, ils firent ouuerture -

trop toſt, & de malheur encore ſortirent aupropre endroit oûſefaiſoit #


lecorps de garde, de ceux quiauoient la charge de luy. Parquoy ayans §
eſté ſurpris, ils furent tout ſurle champtaillez en pieces parle comman- †
dement de Temir. De là eſtant venu deuant la ville de Smirne,illa prit Pº" .
par le moyen de ſes roues, & d'auantage fit voller ſans deſſus deſſous le † #
fort qui eſt aſſis au bord de la mer, oû l'Empereur de Conſtantinople ian. -

tenoitvne garniſon & nes'abſtint pas non plus des autres places ;s'adreſ
ſant à toutes celles † luy ſembloient eſtre de quelqueimportance,pour
l'eſtabliſſement de ſes victoires & conqueſtes. Ces roues icy eſtoient cer
taines machines & engins, faicts de § cercles enueloppez, & ſe
retournans les vns dans les autres,& au dedans y auoit des eſchelles pour
monter ſurle rempar: tellement que quand on les rouloit vers le foſſe,el
les receuoient bien iuſques au nombre de deux cens hommes,chacun lo
géà part,carils y entroient à la file les vns apres les autres.Et ainſi eſtoient
menez à couuert, ſe conduiſans eux-meſmes iuſques au pied de la mu
raille, oû ils plantoient les eſchelles ſans pouuoir eſtre offenſez d'en
haut. AinſiTemirprenoitles places : car d'ailleurs le reſte de l'armee tra
uailloit cependant à de longues & profondes trenchees tout àl'enuiron,
& hauſſoient des plattes formes qui commandoientaurempar, dôt fort
aiſement puis apresils ſevenoient à faire maiſtres. Ilauoit encore outre
cela force maçons & charpentiers parmyſes gaſtadours,leſquels à meſu
re que lesvns
degroſſes ſappoient
pieces de bois,la &
muraille par le pied,les
y mettoient autres
puis apresle l'eſtançonnoient
feu:ſi 1, #ppei
bien qu'apres # é

qu'elles eſtoient conſumees, de grands pands de muraille tous entiers, • V1QIAS

ſans qu'ony fiſt autre effort,ſevenoientà auallereux-meſmes en bas,laiſ


ſans vne breſche & ouuerture par oü les ſoldats entroient à la foule.
C'eſtoient lesinuentions & § dontTemirſe ſeruoità prendre les
villes. Mais ſurle commencement du printemps, arriuerent deuers luy "
desherauds d'armes du grand Empereur desindiens, pour luy denoncer
laguerre, & luy faire entendre que leurSeigneur eſtoit deſia entre dans -

ſes pays,à toutvne puiſſance innumerable,ayant par deſpit de luy faitle


pis qu'ilauoit peu en la citédeCheri,&ouuertle threſor pourſe payerpar
ſes mains du tribut, qui eſtoit eſcheucclle annee, puis s'en eſtoit retour
né. Et adiouſtoient encore à cela, tout plein de menaſſes, & paroles fort
hautaines; qu'il ne vouloit plus de ſon alliance & amitié,maislaluy quit
toit là. Toutes leſquelles choſes mirent Temir en grand trouble &
eſmoy,craignant que ſi ces meſſagers s'en retournoient deuers leur mai
ſtre, il ne raſſemblaſt d'erechefſonarmee, pourvenir courirſus, & enua
hirſes pays ce-pendant qu'il ſeroit ainſi eſloigné, & detenu à guerroyer
les prouinces eſtrangeres:Remettoit quant & quanten memoire,la cone
| - H iiij
92 Liure troiſieſme
1 a bits dition &inſtabilitédes choſes de ce monde,quiiamais ne demeurent fer

maines auſſi mes nearreſtees en vn eſtat. Mais ce qui le picqua plus que tout le reſte,
- - -

†º
nes, & plus furent les arrogantes braueries de ces Indiens, qui auoient parlé ſi haut,
- -

§ & aduantageuſement. Parquoy ſans plus differer, il retourna en toute


#" " diligence à Cheri, charriantauecquesluy Paiazet & ſon fils, enuers leſ
uºlsilvſade bienpeu de reſpect, & fut cette retraicte ſi haſtiue, qu'elle
· Mort de Pa- § proprement vne fuitte : en ſorte que Paiazet qui ſe trouuoit de
* ſia fort mal,vint à mourir parles chemins. Telle fut la fin de ce grand &
redoute monarque, quine s'eſtoit auparauantiamais trouué en lieu où
• il n'euſt laiſſé detres-beaux & amples teſmoignages de ſa vertu. Il regna
vingt cinq ans,ayant mené à fin beaucoup de grandes choſes, tant en
Aſie qu'en Europe. Mais au reſte ileſtoit d'vn ſi fier,& outrecuidé natu
rel, & ſi preſomptueux de ſa ſuffiſance, qu'il ne ſe falloit pas aduancer de
luy donner conſeil, carauſſi bien nel'euſt il point receu; nes'arreſtantia
mais qu'à ſa ſeule opinion & fantaſie, & principalement quand il eſtoit
† de prendre lesarmes. Quelques autres veulent dire qu'il dece
a au pays d'Ionie, lors que Temir y alla pour hyuerner ſon armee. .
x111I. Mais pourretourner à noſtre propos, l'Empereur des Indiens dont
/ nousvenons de parler, eſtoit du nombre des neufchefs des Tzachatai
, des, celuy la meſme qui enuoya ceſte groſſe nuee de gens de guerre con
du†ºtre
grand Temir, parla contrec des Maſſagetes : Et lequelayant paſſé la riuieré
Cham. 'Araxe, courut & ſubiuguavne † de partie de ſes pays,les prouinces
Voiez l'hiſtoi • - - - 2

# M de Syené, del'Inde & de Xipriſe, luy ſont ſubiectes : & s'eſtend encore
Pºlº venitié bien plus auant ſa domination outre l'iſle de laTaprobaneiuſques àl'O
1es princi cean Indique, dans lequelſe vont deſcharger le Ganges, Indus,Anythi
† nes, § Hyphaſis, & autres ffeuues,les plus grands
#†ºº de tous ces quartiers là. orl'Indeeſtvne region treſplantureuſe , & fer
#ºn tile en toutes ſortes de biés,&de cômoditez qu a pleines poignees(com
ð mel'on dit) elle ſeme & reſpand par tout de quelque endroict qu'on ſe
puiſſe tourner.Mais laſouueraineauthoritéde toute cette ſi grâde & pro
fonde eſtendue de terres & de mers, eſt par deuers ce Prince icy : lequel.
s'eſtant autrefois acheminé de la contree quieſtau deſſus de la riuiere de
Ganges, & des regions maritimes del'Inde, enſemble de l'Iſle de la Ta
probane, vintà main armee au Royaume de Chatai, ſitué entre icelu
-
-
Ganges, & le grand fleuue Indus, & l'ayant conquis à la poincte de #
| Aouiºn, pee, eſtablit en laville capitale le throſne & ſiege imperial de toutes les
# # prouinces à luy ſubiettes. De maniere§ l'Inde deſlorsa eſté touſiours
regie ſoubs le commandement&obeyſſance d'vn Prince ſeul.Cettuy-cy,
25 ou trente

# ne tout le peuple de Chatai auſſi, ne reco gnoiſſent point d'autres Dieux


ººrºº qu'ils veulentadorer, ſinon Apollon, Diane,& Iunon. Ils n'vſent pas
toutesfois d'vn meſmelangage,mais de pluſieurs qui ſont bien differens
lesvns des autres : auſſi ſont ils diuiſez en beaucoup de nations fort peu
plees, tant ésvilles qu'au plat pays : & ſacrifient communément des che
uaux à Apollon en lieu de victimes, à Iunon des bœufs, & à Diane des
garçons cn l'aage de quatorze & quinzc ansileſquelles offrandes ils reite
Del'Hiſtoire des Turcs. 93
rent pluſieurs fois parchacun an.Au demeurant labontéduterroüery eſt
telle,au rapport de ceux qui l'ontveu, que le froment y paſſe quinze cou
dees de hauteur,& l'orge & le millet tout de meſme.Ilya ſemblablement
des cannes & roſeaux de ſi exceſſiue grandeur, qu'on a faict des naſſel
les pour paſſer les riuieres,voire des barques toutes entieres,quitiennent
bien quarante mines de bled, ſelon la meſure des Grecs , chacune mine
de § Mais pource que nous n'auons gueres de cognoiſſance -

de ces regionslà, auſſila plus part de ce qu'on en raconte eſt tenu pour
vne fable, & ne faictenuers nous § : pour autant que l'Inde en
eſtantainſi eſloignee, il ſeroit bien mal-ayſé de ſçauoir parle menu tou
tes les meurs, façons deviure, & autres particularitez de tant de peuples
ui y habitent. On eſtime qu'anciennement, & lors meſmes qu'ils e
§ leurplus grande vogue & reputation,ils obeyſſoient aucune
ment à la Monarchie des Aſliriens, & des Perſes, ſeigneurs abſoluts de
toute l'Aſie. Devray Semiramis, & encor Cyrus depuis, qui fut fils de
Cambiſes,ayans paſſé la riuiere d'Araxe,y firent § la guerre
fort & ferme : mais cettebraue & magnanime Royne s'eſtant acheminee
contrel'Empereur des Indiens, auecvne puiſſance & equippage eſpou
uantable, apres auoir paſſél'eau, perdit preſque toute ſon armee; & elle Men isse
meſme y demeura pourlesgages Cyrus d'autre coſté, eſtant venu au c6- #
batauecles Maſſagetes, fut defaict & mis à mort, parleur Royne Tho- §ia
miris Toutes leſquelles choſes ne ſont point hors de propos,pour mieux diens .
entendre commeTemirayant ouy quel'Empereur des Indiens eſtoitve
nu ſur ſes marches, il ſe retira en diligence à la ville de Cheri; & que Pa
iazet outré de maladie, d'ennuy, & de trauail payale deuoir de nature par
leschemins : toutesfoisle Prince Moyſe ſon fils fut deliuré,& s'en retour
na en ſon pays. Temir doncques eſtant de retour à Cheri, donna ordre
auant tout œuure aux affaires du Royaume, le plus diligemment qu'il
luy fut poſſible : cela faict, il s'en allacontre les Indiens, mais ils ſe recon
cilierentincontinent : au moyen dequoy luyſe trouuant de repos s'aban
donna delà enauant du toutàl'oiſiueté.Ilauoit trois enfans entre les au- Lesenfins de
tres, dont il faiſoit eſtat , Sacruch, Abdulatriph, & Paiamgur. Sacruch Tamburlan,
commel'aiſné de tous ſucceda àl'Empire; & cependant le pereacheuale
reſte de ſesiours en plaiſirs & voluptez; car ce fut le plus desbordé hom
me, & le plus luxurieux de touslesviuans, meſmement lors qu'il fut vn
peu ſur l'aa e,&qu'il ne pouuoit plus mangerſon pain tout ſec ſans quel
que ſauce d'appetit,le plus beau de ſes paſſe-temps eſtoit de faire venir en
quelque ſale où gallerie les plus roides & diſpoſts de ſes Pages,lacquais,
pallefreniers, mulletiers, & autres telles ſortes de gens alterez, & en ha
leine; leſquels toute honte & vergongne effacees de la maieſté Royale,
illaſchoit de ſa propre main apresvn troupeau de garces qui atendoient
àl'autre bout, ny plus ny moins qu'on feroit quelques laiſſes & etriques -

de leuriers ſurvne harde de beſtes trauerſantes vn accours : taſchant par


vn tel ſp ctacle de ce prouoquer & eſmouuoirla chair deſia toute lâguiſ
ſante & lettrie. Que ſi d'auentureil eſtoit contrainct delaiſſer, ou plus

•:
94- | Liure Troiſieſme -

· toſt entremettre pour quelque temps ces ordes & ſalles voluptez, pour
entendreaux affaires § uerre, il n'oublioit toutesfois d'y retourner
plus aſpre & rechauffé que § auſſitoſt quel'affaire eſtoit paſſé,
ſans fe chaſtier de riens, iuſques à s'efforcer outre, & par deſſus ſa portee,
sattach fils dont bien ſouuentil encouroit en de tresgriefs accidens,tant il eſtoit ad
# donnéà toutes ſortes devillenies & lubricitez. Apres ſa mort, Sacruch
† Princebenin & debonnaire ayant faict paix auec ſes voiſins, regna en
† fort † tranquillité & douceur, mais il ne veſcut§ lon guement, &
§ vintl'eſtatés mains de Paiamgur qui s'en empara de force,combien qu'il
† fuſt le plusieune, ce qui fut cauſed'allumer de grandes guerres entre luy
aiſné s'empa- -

# & ſes freres. Car Vly s'eſtant ſaiſi du pays des Caduſiens, & de l'Hirca.
nie ſe banda contre Abdulatriph, & luy fit beaucoup d'ennuis.Mais Pa
guerres ciui
-

# iam gur ſuruint là deſſus, quiluy oſta tout, & ſile mit encore en priſon.
Tamºurlam. Paiam gureſtant decedé,la couronne eſchetàTrochies,aucclequelcon
tracta alliance Praeampur, l'vn des neuf Princes, dont nousauons parlé
Trochies.

cy deſſus : Puis tout ſoudain Praeampur tournant ſa robbe,le deſpouilla


º"P" de ſon Royaume. Car ceſtuy cy ayant fort tourmenté, voire mis au bas
preſque du tout ceux de Semarcant, auecvn gros renfort d'Indiens qu'il
| auoitfait venir, alla au deuant de Trochies, quile venoit pareillement
Bataille entre • • - - V V .

† rencontrer,auecles Perſes & Aſſiriens auſquels il commandoit,là oùily


" eut bataille donnee, dont Præampur eut le deſſus, & parmeſme moyen
obtint la Seigneurie. Quelque temps apres s'eſtant ligué auec vn autre
†º de ces neufPrinces, & ayant eſtably ſa cour en la ville deTabreze en la
' , prouince d'Aſſirie,il ſe mit à pourſuiure le Duc de Leucarie, & aſſiega
† Samachie principale retraicte & demeure de Garailuc. Or cette ville de
† Tabreze eſt fort grande, comme l'on dit, & pleine de merueilleuſes ri
§u cheſſes : de ſorte qu'apres Semarcantonlatient pourl'vne des opulentes
† detoutel'Aſie. Carle territoire d'alentournourrit force vers, qui font
uaux : en la

† la ſoye, plus fine beaucoup que celle quivient de Samachie. Il produit


ººVºº auſſi vne autre eſpece de vers qu'on appelle Crinizin, dont ſe faict ce
beaucramoiſi : qui eſt ſi riche & plaiſant àlaveuë, Et ya par toute cette
contree grand nombre de Perſes appellez Arzamiens, d'autant que tous
ceux qui parlent Arzamien ſont Perſes, & vſent d'vn meſme lan †
Ceux cy font leur reſidence en Tabreze,Cagrin,& Nigerie, toutes bon
nes villes en la prouince de Medie. Mais Samachie, qui eſt du coſté de
l'Armenie eſt encore la meilleure, & la mieux peuplee. Pourretourner à
† Trochies, ſa fille fut mariee à Caraiſuph qui en eut le Prince Tzaniſas,le
# # quel fut ſeigneur de Babylone,& conquit toute l'Aſſirie & la Medie.aucc
d
conque§ la ville de Tabreze qu'iladiouſta à ſon Empire. C'eſt celuy qui fit ſiforte
uerreau fils de Praimpur ; qui prit d'aſſaut la ville d'Artzinghan, ren
gea à ſon obeyſſance tout cet endroit de l'Armenie qui eſt au deçà de la
riuiere d'Euphrate; & de là s'en alla mettre le ſiege deuant Babylone , où
ayant eu nouuelles que le fils deTrochies eſtoit party de Semarcant pour
le venir trouuer, ilallaau deuant, & le deffit : Puisayant pris la ville, me
naſon armee deuant celle de Tabreze, oüils ſe bartirent encore vne au
Del'Hiſtoire desTurcs. 95
trefois. Carvous debuez ſçauoir que Cazan ſurnomméle long,petit fils
de Scenderſeigneur d'Artzinghan, de la race de Carailuc, auoit obtenu
le Royaume d'Armenie à l'ayde des enfans d'iceluy Carailuc, qui le ſe
conderent en cette † e. Ceux cyayans depuis eſté fort §.
ment aſſiegez par Tzaniſas fils de Caraiſuph, dans la ville de Samachie,
& leurs affaires bien esbranlez, enuoierent deuers Paiampur le requerir
de ſevouloir en diligenceietter enla Medie,afin de diuertir leur ennemy;
à quoyil § , & fit toutainſi qu'ils le voulurent : dont
auſſitoſt que Tzaniſaseneutles nouuelles,illeuale ſiege,&s'en alla droit
pourrencontrer Paiampur, partie reduiſant à ſon obeyſſance le pays º Le pire,
0b1 il paſſoit ; partie le aſtant & deſtruiſant. Mais Mendeſias 2 AFtin, Turcs des he- ,

Zarchan, & Allontes † la conceſſion à eux deſia faicte parTemir, †


s'en allerentiecter dans les terres que Paiazet leurauoit oſtees, & rentre-ºlººiº,
rent chacun en ſon herirage. Chaſan cependant ce voyant en †
pouuoir & authorité,conquitl'Armenie & les Tzapnides : Puis fitpaix
auec l'Empereur de Trebizonde, parle moyen de quelques mariages
alliances quiſe traicterent entr'eux. " · ·
, , t · · · · | _) · ' · · · · · · •. · · ·
' ! .7 | - l . • | - . - • ' .. -- . • , ' ' '$ ,, ,
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_ - · Findutroiſieſme Liure ,
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96 | | -
LE QVATRIESME LIVRE
· D E L' H I S T O I R E D E S
T v R C S, DE LA ON I C CHAL- .
4 : . C o N D Y L E A T H E N I E N. i : |:,

| so M MAIRE, E T c H E F s PRI N cI PAV x


3 - | | | | du contenu ence preſent liure. | | - 2|
- - , -- - -, - -
: ſi ! • 4- .
, , -- !
• • • - Ioſuéfils aiſnédePaiazet ayantrepris la | La Deſcription de Veniſe,ſetpremiers
| ville dePruſe,recouure l'Empiredesö -* commencemens & progre K : & les
| -- pere, tant en Aſiequ'en Europe mais affaires queles Venitiens onteuçàer
| ſonfrere Muſulman aſſiſté des Grecs là,auant que veniràlagrandeur où
x luy court ſus ; & l'ayantpris priſon ils ſont. Chap. 6, • • • •

• nier, lefait mettreà mort. Chap. 1. Deſcription de l'eſtat de Milan ;l'hiſtoi


Moyſevn autre des freres prend lesar re des Mari' Anges premiers Ducs,
mes contre Muſulman, & à tout vne e9 l'occaſion du ſerpent qu'ils portent
roſe armee de Valaques, & Tri. en leurs armoiries. Chap. 7.
balliens luy liure la bataille,dontainſi Guerres des Venitiens contre les Ducs de
qu'il auoit deſiale deſſus, il eſt trahy Milan & laforme dugouuernement
par les Triballiens, & contrainct de de Veniſe. Ch. 8.
s'en fuyren Valaquie. Chapitre.2. Guerre de Mechmet côtre les Venitiens,
Muſulman s'eſtant laiſſé alleràl'oiſiueté où il y eutvne groſſe bataillenauale
& yurongnerie döne occaſionàMoy aupres de Gallipoli,que les Turcs#
ſe de reprendre courage, & luy pre dirent. Ch. 9. -

enter de-rechefla bataille; où Mu Muſtaphaleplusieunedesenfans de Pa


ſulman abandonnè desſiens eſtpris en ia Ket, ſe penſant ſoubſleuer contre
ſe cuidantſauuer,par les Turcspro Mechmet,ſe retire premierement en
pres, & amené àMoyſe qui le fait la Valaquie,& puis deuers les Grecs
mourir, & ceux quileluyauoientli à Theſalonique, où ileſtarrefté, &
uré quant & quant. Chapitre3. | enuoyépriſonnier enl'iſle de Lemnos.
MoyſeſevengedesTriballiens,&'aſsie Chap. 1o. -

ge Conſtantinople : Cependant Or Partage fait par l'Empereur Emanuel


chanfils de Muſulman s'eſtant decla entreſes enfans:de RenéAcciaoli Flo
récôtreluy,eſt trahy par vnſienpage. rentin,qui fut vnfortgrandcº puiſ
Mechmetl'autredeſes freres s'eſtant ſantſeigneuren la Grece; e.9 de quel
auſsi declaré,perdvne bataille contre ques autres dominations des Italiens
Moyſe.Ilſe refait derechef, & la vi ences quartiers là. Chap. II
étoire obtenue lefait eſträgler. Ch.4. Entrepriſes desAlbanoisen Theſſaliee9
Mechmet demeure en paix & repos àl'é Macedoine:lelaſche&meſchanttour
droit des Grecs : l'Empereur Ema par eux commis enuers le Prince de
nuelfait clorre l'Iſtme de murailletle l'Acarnanie:& le meurtre de Prialu
Prince Iſmaelde Sinopeſe rendtribu pasparles propres mainsdeſafèmes'e
taire du Turc. Chapitre. 5. ſtatenamoureed'vn Eſpagnol.Ch.Iz.
à - - - Les
De l'Hiſtoire des Turcs. 97
le geſtes de Charles Tochiano, & de de ſon nepueu Theodore Duc de
on fils naturel Anthoine, qui retira Sparte, & faire clorrele deſtroit de
de forcela ville d'Athenes d'entre les l'Iſtme : auec vn eloge de Brenezes,
mains des Venitiens; Prince treſſage | & Thuracam,les deux plus renom
c9 heureux. · Chap.I3. mez Capitaines de Mechmet.
Voyage del'Empereur Emanuelau Pe- Chapitre 14.
loponeſe, pour y eſtablir les affaires
I O S V E , S IXI E S M E
Empereur des Turcs.
Liure quatrieſme
• -- - r : -- * rA . ::: --**

soN E Lo G E ov soM
MAI RE DE s A vIE | |
$ L eſt bien plus aisé de conquerir,que de reſtablir, daccroiſtre ſonbon
" à heur,que de ſeretirerdelamiſere, & d'vn petit Roytelet ſe faire vn
# # grand Monarque,que de deſcendre d'vn haut degré pour y remonter.
# # Ce faux pas ſans deſmarche, qui ſe fai(i delaRoyauté,à laſeruitu
de trouue rarement vn ayde aſſez puiſſant pour ſe releuer. C'eſt donc beaucoup de
, gloire à Ioſué l'aiſné des enfans de Bajazet,parmy le debris, & la ruine vniuerſelle
deleſtat de ſon pere, d'auoirreleué cet Empire abbatu par ſa valeur, & bonnecon
duitte: & ne puis aſſez m'eſtonnerde quelques vns quile veulent mettre comme vn in
terregne, & quelqueregenceinteruenue en attendant le legitime heritier. Car luy
eſtantl'aiſné,& le premier de tous les Otthomans qui a reconquis du temps meſmes
de Tamerlan vne partie de ce qu'illeurauoitvſurpé, merite bien detenir ranc d'Em
pereur. Veumeſmes qu'il prit la ville de Burſe capitale autresfois de leur Empire, c9
preſque tout ce que ſes anceſtres poſſedoient en Aſie. De là paſſant en Europe il fit en
ſorte par crainte ou par amour qu'il remit ſoubs ſa domination les peuples qui en
auoient ſecoiiéleioug. Mais s'en eſtant retournéen Aſie,ſon frere Muſulman forti
féparle ſecours des Grecs,c9 àl'ayde des Seigneurs de Sinopeille fut trouueren Ca
padoce,où luy preſentant la batailleil obtint vne victoire ſi entiere que Ioſué penſant
ſe ſauuer à la fuitte il fut pris & amené à AMuſulman qui le fit eſtrangler ayant à
peineregné quatre ans auec vncontinueltrauail& ſans aucun plaiſirnyrepos guel
ques vns ont dit qu'il n'eſtoit pas ſi grandhomme de guerre que Muſulman, & que
cela fit retirerdeuers ſon frere lameilleure partie de ſes Capitaines & ſoldats. Mais
iecroyveules choſes par luyexecutées qu'ilauoitaſſez de valeur,mais peu de bon heur:
On dit qu'ilaeuvnebonté de nature aſſexrecommandableſîla bonne fortuneeuſtſe
condé ſes deſirs.

A PRE s
de l'Hiſtoire des Turcs. | 98
) PREs leretour deTemirenſabelle grande cité de Che
ri, Ioſué laiſné des enfans de Paiazet, ayant gagné ceux
$ qui ſouloient auoir le plus de credit & d'authorité au
tour de ſon feu pere, & raſſembléle plus grand nombre
de Genniſſaires qu'il luy fut poſſible, trouua moyen de , .
- E-T s'emparer delaSeigneurie. Car Paiazet auoitlaiſſé plu-†
ſieurs enfans; ceſtui-cypremierement, puis Muſulman, Moyſe,Mechmet, †
leieune Ioſué & Muſtapha. Parquoy tout incontinent que ioſuéfutarriué §
enAſie depuis le deſpartement de Temir , par le moyen des principaux §.
Turcs, & des Genniſſaires quieſtoient reſchappez du naufrage, il s'en alla
droict † la ville de Pruſe, ſiege ſouuerain de l'Empire des Turcs en p . repriſe
Aſie,laquelle il prit de force; delà enauant il eut peu de peine à recouurer le †
reſte,là où il eſtablit par tout desgouuerneurs & officiers en ſon nom : Puis # †
N V - - V - . . /-Yº tCIlO1CD t CIl

paſſaen Europe, là où en peu de tempsilretira à ſon obeiſſance les peuples §


quiſeſtoient deſia ſouſleuez; & y ayant laiſſé vn lieutenant general pour
commander, il repaſſatout incontinent en Aſie. Mais cependant ſon frere
Muſulmanſeſtoit retiré à Conſtantinople,dontilauoit obtenuvngrosſe
cours : & d'auantage pource qu'on l'eſtimoit autre homme deguerre †
Ioſué,&beaucoup plus vaillant & experimentéaux armes,les meilleurs ſol
dats de Paiazet, Genniſſaires & autres, ſevenoient de iour en iourrendre à
luy, tellement qu'apresſeſtre mis en poſſeſſion de la plus grande partie des
terres & prouinces del'Europe,ilozabien paſſer en Aſie, pour aller preſen
terle combat à Ioſué,qui pour lors ſeiournoit en Cappadoce, lequelildes
fitde pleine arriuée àl'ayde des Seigneurs de Synope,& de leurs alliez, qui
luyfaiſoienteſpaule : & ſivoulut le malheurencore,que ce pauureinfortu
néde Ioſué ſe penſant ſauuer à la fuitte,fut pris &amené à Muſulman, qui leſ émisi
lefittoutſurle champ mettre à mort, n'ayant pas àgrand'peine acheué le" frere
- - - -

- Muſul - - "

quatrieſmean deſon Empire : durant lequel,ileut ſi peu de plaiſir & dere-§ †


- - - - - - - - IlC 4 a

† qu'il ſemble que parie ne ſçay quelle malignité & enuie des deſtinées,†"
afin de celuy de Paiazet, & le commencement voire le total de cet autre
ayentioüé vne meſmetragcdie.

| I ij
|
Liure quatrieſme
MV S V L M A N ou C A L A PIN
ſeptieſme Empereur desTurcs.

·
$

SON -
De l'Hiſtoire des Turcs. 99
s oN EL o G E o v s o M MAIRE DE s A v IE.
# VSVLMAN, Celebin, Calapin, Ceriſcelebey, ou Chielebei,
$ (car on luy donne tous ces noms)apres le maſſacre de ſon frere, s'aſ
'ſ ! à ſeure des prouinces qu'iltenoitenl'Aſie,ſon frere Moyſe s'eſtabliſſant
N# cependant en la Grece,& ayantmis ſon ſiege à Andrinopoli, Muſul
manàla premiere rencontre le deſconfit, & lemit en fuite, recouurant en ce faiſant
layille d'Andrinopoli,fit laguerre en Hongrie, &* liure la bataille à l'EmpereurSi
giſmond, au pays de Seruie,pres Colombeſſa, treize ans apres (ſelon aucuns)celle de
Nicopolis,en l'an 14o9.Saccagea lespays de Bulgarie, e9 de Seruie : Rendaux Grecs
les villes deTheſſalonicque,où Salonichi,c9 de Zetunis, auecles pays bas de l'Aſie le
longdelamarine,les fauoriſant en toutes choſes, s'alliant meſmes auecl'Empereur, c9
prenant pour femmelaniepce diceluy fille de lean Theodore Quelques vns diſent
qu'ilfut pris par les Grecs auec ſes autres freres, au deſtroit de Gallipoli , comme ils
ſ vouloient ſauuerà Andrinopoli, & menexàl'Empereur de Conſtantinople, qui
pouuoit parce moyenexterminerlarace des Otthomans : Mais la prouidence diuine
enordonnant autrement, ilnourrit le ſerpent en ſon ſein quiapres luygaſta ſa famil
le.Ilfutextremement desbordéen ſon viure & addonné à toutes ſortes deplaiſirs, de
delices,& deſordonnées voluptex, comme il ſe veit au deſſus de ſes affaires,terniſſant
ainſila ſplendeur de ſes belles aétions precedentes, & au lieu d'vn retoutable & re
nommé Capitaine, deuenantvn Prince nonchallant, mol & effeminé, encore que
naturellement il fuſtrobuſte & diſpoſt de ſa perſonne, & autantadroit aux armes,
voireauſibon combattantquenulautre de ſon temps. Tandisſon frere Moyſe ra
maſſant ſes forces diſpersées par ſa desfaiéte, & ſe voyant en main vne fort belleegº
puiſſantearmée,vintpreſenterlabatailleà Muſulman,lequel fut contrainétdes'en
fuir,voyant Cajan Agades Ianitzaires, & Breneſes generalde ſa gendarmerie ſe
rangerdu coſté de ſon ennemy. Comme il ſe ſauuoità Conſtantinopleil fut rencontré
dvnetrouppedeTurcs quil'ayant pris lamenerentà Moyſe, lequel pour recompenſe
deleurtrahiſon les fit bruſlertous vif auecleurs femmes & leurs enfans, ne laiſſant
pastoutesfois de faire eſtrangler ſon frere Muſulman. Il regna ſelon quelques vns
ſeptans, hors ſes desbauches ileſtoit fort gracieux affable & debonnaire Prince. Et
quiapres ſa derniere deſroutteauoit intention de quitteraux Grecs toutes les prouin
ttedel'Europe,afin den'auoir plus à deffendre quecelles del'Aſie
ſ2ses#º OvT auſſitoſt que Muſulman, parl'homicide de ſon fre- it
# re ſe fut mis en poſſeſſion de l'Eſtat, Moyſe que Temir
". auoit relaſché s'en vint par mer deuers les enfans de Ho
$) mur, ennemis mortels de Muſulman,carils s'eſtoient ban
#$ dez enfaueur de Ioſué,àl'encontre de luy, & delà paſſa ou-ioſéle, des
tre à Sinope & Caſtamone; puis finablement par le pont †
Euxin s'envint en Valaquie,oûil pratiqual'ayde & ſecours de Myrxas,auec |
degrands offres de reuenus & terres, qu'illuydeuoit donner, pourueu qu'il
luy aydaſtà chaſſer ſonfrere,& s'introduire en ſa place.Myrxas receutMoïſe
©- I iij
Liure quatrieſme
6 - - - -

fortamiablement,& luy dreſſa ſoudainvn deffray & entretenementhono


rable, pour luy & pour ſa ſuitte, attendant qu'ileuſt donné ordre à ſes affai
Muſulmanru-res.Carincontinent ſevindrent rendre à luy de toutes partsgrand nombre
† de gens mal contens & deſpitezàl'encontre de Muſulman, pour le rebuffe
& mauuaistraictement qu'il faiſoit à vn chacun, lequel eſtoit pour lors eſ
loigné & detenu en Aſie.Ainſi Moyſe en peu de iours, par le moyen du ſe
cours & appuy de Myrxas, & quelque renfort que luy amena vnautre ſei
neur † nommé Daâs, eut bien toſt amaſſé vne fort groſſe armée,
#† auec laquelle il ſe fit proclamer Seigneur en Europe, & s'en alla faire cou
#,ronner à Andrinople,ſe deliberant de paſſer puis apres en Aſie pour yache
§"uer le demeurant de la guerre contre ſon frere.ll ne s'endormoit pas toutes
†" " fois de ſon coſté, ains #iſoit toute diligence extreme, pour le preuenir &
paſſer luy-meſme en Europe : carl'vn & lautre, prenoit au plus grandad
uantage quiluy euſt peu arriuer, voire au principal poinct qui donnoit la
victoire toutegaignée,de deuancer ſon compagnon,& luy liurerlabataille
enſon pays,ſans attendre qu'illuy vinſtle premier courir ſus.Parquoy Mu
ſulman paſſalamer,& s'envintà Conſtantinople,ſe confiantſurl'amitié &
accoinctance de celuy qui adonctenoit l'Empire : Mais pour s'en pouuoir
touſioursaſſeurer d'auantage,à ſon arriuée il eſpouſalaniepce d'iceluy, fille
de IeanTheodore,en ayant euvne autre du meſme ſang.Toutincontinent
que Moyſe ſçeut ſa venue,& les menées & preparatifs qu'ilfaiſoitàl'encon
tre de luy,ilſehaſta devenir à Conſtantinople, & l'autre de ſon coſté ſortit
encampaigneauec les forces qu'il auoit amenées d'Aſie : tellement qu'il y
Bºuille ente eut iournée entre eux dure & ſanglante, & où beaucoup de gens laiſſerent
#" * lesvies d'vne part & d'autre. Car Moyſe eſtoit accompaigné des Valaques
&Triballiens,ſoubs la conduitte du Vaiuode Eſtienne, # d'Eleazar, auec
lesTurcs del'Europe,qui ſ'eſtoient rengez à ſon party:Toutesfoisl'Empe
reurauoitvn peuauparauant enuoyé à cachettes deuers ce Prince,pour luy
remonſtrer que c'eſtoit à luy vne bien grande ſimplicité de ſe formaliſer
ainſi,& ſe mettreluy,& ſes affaires au danger d'vne derniere ruine,àl'appe
titd'vn tyran cruel & inſupportable, lequel finablement il trouueroit in
grat: Parquoyilvaudroitbeaucoup mieux cepédant que les choſes eſtoiét
en leurentier, qu'ilſerengeaſt deuers celuy quiauoit le meilleur droict, &
eftoit le plus fort, caril ſçauoit fort bien recognoiſtre àl'aduenir le plaiſir &
faueur qu'il receuroit de luy à ce beſoin,comme courtois,gracieux & benin
-- • •

# Prince,qu'il eſtoit.Ces propos,ioinct quelquesautres conſiderations qu'E


ºº ſtienne ſe ramena deuantlesyeux,eurent tant d'efficace, qu'àl'inſtant meſ
me que la charge ſe deuoit commencer,il ſe retira luy & les ſiens, & tourna
viſage autre part droict au chemin de Cóſtantinople:Ce nonobſtant Moï
ſe, qui auoit donné fortvaillamment à trauers les ennemis : ne laiſſa de les
, e . « mettre enroutte de pleinearriuée,&les chaſſer parvnlong eſpace.Car Mu
§ " ſulman tout de propos deliberé,fit ſemblât d'auoir perdule cœurauſſi bien
que les autres,& ſe retira augrand trot deuers la ville,auecvn hourt de cinq
cens cheuaux enbonne ordonnance bien ſerrez : & quelques autres quile
•, ſuiuoient
de l'Hiſtoire des Turcs. IOO
fuiuoientàladeſbandée ſur les aiſles iuſques tout aupres des muraillesde la
ville làoùilſ'alla malicieuſemét deſrober de laveuë des ennemis, qui pour
ſuiuoient cependant la victoire,penſans auoir deſiatout gaigné, afin de re
tournertout court par vne autre addreſſe ſur leur camp, qu'il ſ'attédoit bien
de trouuer deſpourueu de deffence. Celaluy ſuccedatoutainſi qu'il l'auoit
imaginé, & entra dedans d'abordée, mettant au fil del'eſpée tous ceux qui Muſulman >,

ſytrouuerent, leſquels on auoitlaiſſé là à la garde dubagage, & quelques †"


autresencore quide laſcheté de cœur dés le commencement de lameſlée -

fyeſtoientretirez à garent, comme dedans vnfort, pour attendre en plus


grande ſeureté quelen ſeroitl'euenement. Moyſe apresauoiràtoutebride
rembarrévnebonne piece les fuyards, commençoit deſia à faire ſonner la
retraicte,poursaller rafreſchir en ſon logis,quand on luyvint annoncer c6- X.
me ſon frerel'auoit pris & ſaccagé,& ſ'en venoitau deuant de luy, auecvne
roſſe trouppe de genstous fraiz & repoſez.Dequoyils'eſtonna de prime- , ' ,

† & abandonnant çà & là ſon armée eſpanduë en deſordre parmy la †


campagne, ne penſà ſinon à ſe ſauuerluy-meſme de viſteſſe, deuant ceux ººººº
que n'agueres il pourſuiuoit ſi chaudement. Sesgens à ſon exemple ſe mi
rent à faire le ſemblable, taſchant vn chacun d'eux à ſeſcouler de coſté &
dautre,où ils penſoient arriuerle pluſtoſt à ſauueté. Mais la pluſpart ſalle- •&

rentrendre à Muſulman,& luy preſterent obeiſſance & ſerment de fidelité.


| VoILA comment les choſes paſſerent à celle fois,ayant (ſelonce que 11i
faypeu entendre) Muſulman faict preuue excellente de ſa perſonne, ſurvillance de
tous ceux d'vne part & d'autre,quiſetrouuerent en ceſte iournée.Cela faict Mº":
ilsenalla à Andrinople,là où il ordonnales affaires de ſon Empire,tellemét
† Mais Moyſe ſe retira en Valaquie deuers Daas,quiſeſtoit tou
iours monſtré fort fidelle & affectionné enuers luy : & ſe tint és enuirons , , , .
dumont Hæmus,changeant parfois de demeure. Cependant Muſulman # #
quiſevit(celuy ſembloit)hors de tous ſoupçons & empeſchemens,ſelaſ † #
chaſoudain
bien que lesàbelles
des oyſiuetez,yurongneries,
choſes auparauant par & luyautres tels deſbauchemens;
heureuſement ſi †& #
exploictées,*ire la Vic.

vindrent à ſe ternir & offuſquer par ceſte deſbordée & diſſoluë forme devi
ure : dont les perſonnages d'authorité & de cœur qui eſtoient aupres de luy
ſetrouuerentgrandement ſcandaliſez, de levoir,ainſitout à coup changé;
& debraue renommé Capitaine qu'il eſtoit,deuenir mol,effeminé,& ſinö
chalant,qu'il n'auoit ſoing de rien,non pas ſeulement devouloir permettre
qu'onluy parlaſtd'aucun affaire, ne de choſe quelconque, que de plaiſirs,
de delices,& deſordonnées voluptez.Quelques vnstoutesfois des plusgés
debien, s'ingererent de luy remonſtrer, que cela eſtoit cauſe que les meil- -

leurs de ſes ſoldatsſe deſroboient tous les iours à grandes trouppes, pour
senallerouuertement rendre à ſon frere.Et les Grecs meſmes, auſquels dés ... ...
lecommencement de ſon Empire ilauoitrendulaville de Theſſalonique, #.
enſemble celle de Zetunis,& touslesautres pays bas de l'Aſie, le long de la #«
marine, & d'abondant leur donnoit eſperance d'emporter tout ce qu'ils Turcs
Voudroientdeluy,ne ceſſoientdel'admoneſter par continuelles Ambaſſa
I iiij
-

Le Prince ne
Liure quatrieſme
†º des,que ces façons deviure n'eſtoient pas encore bien conuenables, & qu'il
† ne falloit pas ſitoſt s'anonchaloir ainſi, ne laiſſer là ſesaffaires d'importance
aller a oiilue- - - - J. r - N •

§, meſpriſez, comme ſi deſiailfuſt en toute ſeureté dans le port preſt à ietter


mais moins .
†nd l'ancre,& ployer les voiles & cordages de ſon nauire, parce que ſon frere ne
† " dormoit pas cependant ains luy appreſtoit quelque groſſe tourmente &
orage.Mais c'eſtoit à des oreilles trop ſourdesà quiils chantoient tout cela,
1

† caril paſſoit les iournées entieres, & bien ſouuent la plus grand'part de la
nuičt auecques à boire d'autant auec ſes mignons courtiſans.Puis tout ainſi
XIl d Il.

accablé & enſeuely devin & de viandes, s'alloit precipiter en vn goulphre


de ſommeil,conformeaux excez de bouche, qu'ilauoitfaicts, iuſques à ce
que reſolution de ſon yurongnerie fuſt en partie parachcuée.Alors tout pe
ſant & eſtourdy encore, des fumées & cruditez de la beuuetre precedente,
| ſante.
ºa e r - lement
recommençoit vnenouuelle
qu'on dit,qu'eſtant vnerecharge à tous enuisà bâqueter
fois en campaigne & toutes&reſtes : Tel
ſe reſioiiyr
| ſoubsvne freſcade, ainſi qu'ilauoit la couppe au poing, vn cerf eſchappé
des toiles (car onauoitfaict vne enceincte là aupres pour luy donner du
paſſe-temps) s'envinttant que iambes le pouuoieiit porter,tout au trauers
des loges & ramées deſesgens,dont ſoudain ſeleuax ngrand bruit & huée
Tata ſ en de ceux qui ſe mirent à courirapres.lldemanda que c'eſtoit,& on le lui dit
# alors il repliqua,ques'il eſtoitvenu expreſſement pourboire à luy, qu'illuy
- alloit de ce pas faire raiſon, & là deſſus entonnavngrandtraiét de maluoi
†" ſie, quiluy fitoublier &le cerf& la chaſſe. Aureſte quandil eſtoit hors de
† ces deſbauchemens,c'eſtoit vn fortgracieux, affable,& debon naire Prince;
§ robuſte & diſpoſt de ſa perſonne, & autantadroict aux armes, voire auſſi
†s bon combatant que §
de fontemps : Là où Moyſe au contraire ſe
†" monſtroit
-
deſpit,ſoudain,&boüillantd'vne colere extreme quiletráſpor
toit ſouuent hors de ſoy,à faire tout ce qu'elle luy commandoit. Il ne laiſſa
- pas neantmoins pourſes impatiences & imperfections,d'amaſſer en peu de
- iours vne fort belle & puiſſante armée,aueclaquelle s'eſtant mis aux châps,
ils'en vint derechefpreſenterlabataille à ſon frere,auſſigayement comme
ſi ç'euſt eſtévn ſecond Momont.Cazan,Aga ou capitaine des Genniſſaires,
& Brenezes general de la gendarmerie de l'Europe, s'en allerent de prim
ſault rendre à luy.Ce que Muſulmanayant entendu ne s'amuſa pas à ordon
nerne haranguer le reſte de ſes gens,mais à poincte d'eſperongaignalarou
te de Conſtantinople, en intention de quitteraux Grecs toutes les prouin
ces de l'Europe, afin de n'auoir plus à deſfendre que celles d'Aſie : & ainſi
Actes gene- qu'ileſtoit apresces diſcours gagnant touſiours pays , ſa meſ-aduanture le
§- mena dans vne trouppe de Turcs qui s'eſtoient aſſemblez en armes, deſ
† quels ilfut recogneu & menépriſonnier à Moyſe, eſperant en auoir quel
† que bon preſent,mais illes fit en lieu de celabruſler tous vifs,auec leurs fem
uiiſ , mes & leurs enfans, pour latrahiſon par eux commiſe enuers leur propre &
naturelSeigneur.
M O Y SE
De l'Hiſtoire des Turcs. | ioi
MOY S E HvICTIESME
Empereur des Turcs.
Liure quatrieſme
soN E Lo GE ov s o M.
MAI R E D E S A V I E.

A profondeur des iugemens de la treſſainéte Diuinité eſt autantim


meſurable, côme ils ſont incûprehenſibles; &ſelonlediredel'Apoſtre:
, C'eſt choſe horrible que de tomberentre les mains du D1E v viuant.
# Baiazetquiauoitfaict trembler parlaterreur de ſes armes tout l'O
rient & lOccident; Quiauoit mis àfeu & àſangvnegrande partie de l'Europe &
del'Aſie,& quiſe diſoit lefoudre duciel pert en vn inſtant cegrâdc9 floriſſant Em
pire: Etluyquiauoitfaitployer & faireioug à tant de peuples, courbe lecol à tous
momens ſousles pieds de ſon ennemy, finiſſant ſavie en vn tres miſerableeſclauage.
Laiſſant pluſieurs enfans, quiau lieu de ſe reunir pourreparerleurperte; taſcherent
tant qu'ils peurent deſteindre entierement leur nom, parleurs diſſentions. Ettoutes
fois au milieud'icellesſereſtabliſſent,& retournentderechefen leurpriſtinegrandeur,
e9 ce à l'aide de ceux quideuoientemployer tous leurs effortspourles aneantir, Iepar- .
le des Grecs qui ayans refusé ceſte grace & faueurceleſtesſentirent bien-toſtapres aux
deſpens de leurtotale extermination ; combien la confederationauecles Philiſtins eſt
preiudiciableaupeuplede DIE v. Voicy doncvn troiſieſmefils de Baiazet, qui viêt
à ſon touràl'Empire, apres le maſſacre deſon frere, enuiron lan 1412. (ſelon quel
ques vns) & quiredonne quelque calme à l'Aſie fort agitée de la tourmente ppée.
Gaſte & rauage le pays des Bulgares, & prend la ville de Spenderouie. Met le ſie
ge deuant Theſſalonique, cºfinalement deuant Conſtantinople, mais il fut contraint
de ſe retirer parlavaleurdEmanuel fils baſtard del'Empereur.Il prent ſon nepueu
Orchan fils de Muſulman quiaſſembloit des forcescontreluy, & cepar latrahiſon
de Palapan,page dudit # & lefait mourir.Rangele Pogdan àſon obeyſſan
ce. Son frere Mahomet, ouſelon quelquesvns, ſonnepueu,ayant ramaſſé quelques
forces luypreſentelabataille; mais Moyſe ayant obtenu la victoire,lecontrainét de
s'enfuyr.Ilreuint toutesfois quelque temps appuyédu ſecours des Grecs & Bulgares,
ſerendant en peu deiours ſeigneurdelapetite Aſie. Et ayantmeſmes gaigné les prin
cipaux de la Portequieſtoient indignez contre leur Empereur pour ſon inſupportable
e9 tyrannique façon de dominer. Il preſente derechefla bataille à Moyſelequel la
perdit, nonfautedecourageoude conduičte, mais poureſtre abandonné desſiens. S'e
ſtant doncmis àlafuitte: ilfutpris dans vnmareſts & amené à Mahomet ayant vne
main coupée qu'ilauoitperduè en combattant contre Cazan Agaautrefois de ſes Ia
mitzaires, & qui s'eſtoit reuolté contre luy, & ainſi tout ſanglante9 demy-mort on
lacheuade faire mourir,lan 1414.ſelon quelques vns. Lelieu deſa deffaictes'appel
le Samoconu, & dit on qu'il futarreſtépriſonnierparvn ſien couſturier, ayant regné
enuiron trois ans. Ileſtoitfort imperieux, deſpit, ſoudain, & bouillant,d'vne colere
extreme &)auecvn telexcexqu'iln'auoit nul pouuoirde ſecommander.
-

-
De l'Hiſtoire des Turcs. io2

# ELLE futlamaniere dont Moyſele troiſieſme des enfans 111i.


, N 1» N
- -

, de Paiazet paruinta l'Empire a ſon retourll paſſa puis apres Moyſe 8. Em3
- - - - • -

en Aſie, pour raſſeoir les affaires qui eſtoient encore fort # #


#|
N $l auſſi
agitezde&nouuelles
eſmeus de la'tourmente
forces, paſſée,
pource qu'il ſe deliberoit d'atta- #º
& pour amaſſer º

- - † er Conſtantinople:Toutesfois eſtantarriué àTheſſalo


nique,il mena delà ſon armée contre lesTriballiens,là où d'entrée il courut -

&gaſtatout le pays. Cela faict,ſenalla planter deuant la ville de Spendero-Moyſe ºſcie


uie,& aſſiegeafort eſtroictement là dedans Eſtienne ſurnommé Bulco,fre- #º
redela femme defeu Eleazar, apres la mort duquelil ſ'eſtoit em paré del'E
ſtat, & porté pour Prince abſolument, ayant § beaucoup de ſeruices à
Paiazet,en toutes les occaſions qui ſe preſenterent durant ſon regne.M oyſe
enauoit bien aſſez ouy parler, maisle ſouuenir du laſche & meſchant tour
qu'illuyauoit nagueresfaict, en la premiere rencontre de ſon frere Muſul- º - º:

man, lors quel'abandonnant & trahiſſant il ſe retira à Conſtantinople, luy #


eſtoit encore deuant lesyeux. Ce qui fut la ſeule occaſion pour laquelle ilº
luy alla ainſi courir ſus,& deſolerſon pays.Quelque temps apres,ilretourna
à ſon entrepriſe proiectée de longue main contre la cité de Conſtantino
ple, § il enferma de tous coſtez, & parlaterre & par la mer : mais les
Grecs ayans promptement chargé vnbon nombre des meilleurs hommes
qu'ils euſſent,ſurlesvaiſſeaux quiſe trouuerent à propos dans le port,luyal
lerent preſenter le combatſoubs la conduitte d'Emanuel, baſtard de l'Em
pereur Iean,dontils emporterent la victoire,par le moyen de ſa prouëſſe &
experience aufait de laguerre, dontilauoit acquis vne gloire & reputation -

ſur tousles autres Grecs de ſon temps. Mais auſſi cela fut cauſe quele frere vaiilnced'Es
del'Empereur conceutvne ſimortelle hayne & enuie à l'encontre de luy, †
qu'illetint depuis auec toute ſalignée bien dixſeptans priſonnier. Moyſe † luy
doncques ſevoyant n'auoir pas eu du meilleur par la mer, ſe mit à piller & § fort

fourragertout le plat pays, où il porta vn fort grand dommage, enſemble


ésenuirons deT eſſalonique,qu'il tenoit cependant de fort court : & ſi ne
laiſſoit pas auſſi de faire laguerreaux Triballiens, car il eſtoit en toute paix
&repos du coſté de l'Aſie, ayant faict appoinctement auec les Seigneurs †
Turcs,quiy dominoient par endroicts,leſquels il ne voulut pas irriter(ainſi , §e
qu'auoit fait feu ſon pere)ſous lequelils n'auoientiamais euvne ſeule heure †"
de repos : Et pourtantil eut lors commodité d'entendre tout à ſon aiſe aux ..
affaires d'Europe,oûils'arreſta preſquetant qu'ilveſcut.Car les Grecsapres #º
la mort de Muſulman auoientappellé ſon fils Crchan, pour l'oppoſer & †
mettre enieuàl'encontre des proſperitez & efforts de Moyſe; & enuoye-Mºrº
rent deuersle Bogdan, & lesTurcs quitenoient encore Theſſalonique aſ
ſiegée, pratiquerleur ayde & ſecours, pour reſtablir ceieune Prince en la
Seigneurie,quide droict luy eſtoit acquiſe parle decezdefeuſonpere. Or #
. auoit Orchanfidele,lequels'appelloit
meurantpeu vn page entre les autres,d'aſſez
Palapanbonlieu en l'Aſie,
: Ceſtuy-cy mais aude-
fut ſuborné §#
de ſtre.
Liure quatrieſme
Moyſe,& firent ſibienleur complot enſemble, quele deſloyalluy promit
de faire tomber ſon maiſtre en ſes fillets; tellement qu'ainſi qu'Orchan fut
venu premierement àTheſſalonique, & de là eut paſſé parla Macedoine à
la ville de Berrhœe, r'amaſſant de coſté & d'autre les Turcs habituez en ces
quartiers-là, puisſe fuſtaduancéiufques enTheſſalie, mettant deſiala puce
enl'oreille à ſon oncle Moyſe, ille fit ſi ſoigneuſement ſuiure & eſpier, ſui
uantlesaduertiſſemens que d'heure à autre luy donnoit Palapan de tout ce
qu'ilfaiſoit,deschemins qu'il deuoittenir, & des addreſſes de ſes ſecrettes
'retraictes, qu'vne fois qu'il penſoit eſtre hors de toute crainte & ſoupçon
en certain endroict de la montaigne imminente à laTheſſalie,il ne ſe don
nagarde qu'il eut Moyſe ſur les bras;lequelle prit envie, & tailla en pieces
tous ceux qui eſtoient auecques luy : Puiss'allaietter de ce pas ſur le pays du
Pogdan,que de pleine arriuée ilrengea à ſon obeiſſance.Et ainſialloit Moï
Les Grecs ſe ſe continuant ſes victoires & conqueſtes en l'Europe, tant contre les Grecs,

§ § que contre les autres peuples, en ſorte que les Grecs las & mattez d'vne ſi
d - -

†"longue & ennuyeuſe guerre,furent contraints de ſe tenir coys,ſans de là en


auant plus oſer leuer les cornes,contre la fortune de celuy, quiiour pariour
s'alloitaggrandiſſanttout autour d'eux. Encore toutesfois ne ſe peurent-ils
garder derecueillir Ioſué, le plus ieune des enfans de Paiazet : mais ceſtuy
cy n'euſt pas beaucoup de moyen des'empeſcher des affaires dumonde,car
†. s'eſtant faict baptiſer à ſonarriuée en la Grece,il neveſcutgueres depuis.Par
§t ainſine reſtoit plus que Mechmet qui deuſtioüer le ieu : lequel n'eut pas
†º" pluſtoſtatteintl'aage competant à remuer affaires, qu'on levitàvninſtant
ſortir de la Caramanie auecvne groſſearmée, practiquant çà & là lesTurcs
cſpandus en l'Aſie,pour les attirer à ſon party, & eſtre ſecouru d'eux aure
couurement del'Empire : De ſortcqu'allans & venans pluſieurs Ambaſſa
des d'vne part & d'autre,& les Grecs s'eſtansiettez à la trauerſe,qui promet
toient monts & vaux en ſa faueur,il ſe fit en peu de iours Seigneur de l'Aſie.
· Cartous les plus gens de bien eſtoient indignezàl'encontre deMoïſe pour
ſatyrannique & inſupportable façon de dominer : & à cette cauſe s'enalle
renttous au deuant de Mechmet,auſſi toſt qu'il comparut en campaigne:
dont en peu de ioursil ſe trouua non ſeulement paiſible de l'Aſie, mais en
core aſſez fort & puiſſant pour aſpirer à ce qui reſtoit à conquerir du coſté
† .. del'Europe.Ceieune Prince icy du temps que Muſulman eſtoit encore de
nourriture de * -
- - - »

§ bout,fut mis par Moyſe & Ioſué, qui auoient eula charge del'eſleuer enla
chez vn faiſeur - -" - &b

§" maiſon d'vn faiſeur de cordes de luth & de violles en la cité de Pruſe, pour
| | | apprendre le meſtierafin que ſes freres n'euſſent point cognoiſſance de ſon
| eſtre,& qu'ils ne le fiſſent mourir:Mais apresqu'ilfut paruenu enlaage pro
pre à entreprédre,il ſe retira deuersleCaraman Aluri,par le moyé duquel,&
de quelques autresſeigneurs de l'Aſie,il ſe fit ſeigneur, ainſi que nousauons
† dit Delà eſtât paſſé à Cóſtantinople,ilparlaauecl'Empereur, & iurerétvne

reur de Con - fort eſtroite amitié &alliâce entr'eux;Puis ſe mit en chemin pourpaſſervers
# # le Deſpote deSeruie,& deThrace,afin defaire de meſme & ſe preualoir des
· forces & armées de ce Prince àl'encontre de ſon frere Moyſe,lequel aux I.
- - nouuelles
De l'Hiſtoire des Turcs. 1o3
nouuelles qui luyvindrentdel'arriuée de Mechmet,aſſembla en diligence
le plus de gens qu'il peut : & finablement ſevindrent chocquer, pluſtoſt
toutesfois par cas d'auanture que de propos deliberé, aupres d'vne petite
ville de fort peu de nom. Chacun de ſon coſté rengea ſes gens en bataille, nºiiie c.ns
ſelon que le temps & le lieu le leur permirent, puis ſe vindrent attaquer de † Mechme

grande furielesvns contre les autres : Mais les trouppes de l'Aſie ne peu- § #
rent longuement ſouſtenir le faix, & effort de ceux del'Europe, ains bran- ".
lerent incontinent, & ſe mirent en fuitte. Mechmet meſme ſe deſroba de
lameſlée, & à courſe de cheual ſe ſauua deuers Conſtantinople, là où ce
faiſeur de cordes qui l'auoit nourry,auoit admené vn ſien autre frere nom
mé Hali,fils auſſi de Paiazet: Parquoy eux deux de compagnie ſaccorde-Mechmet, &
rent de courir vne meſme fortune, & paſſerent en Aſie pourſeremettre ſus,†
&retourner derechef à eſprouuer le hazard du combat Les Grecs d'autre†"
coſté ne leur faillirent pointaubeſoin, leſquels tranſporterent leurs gens Mº,º,
en Europe,ſur les meſmes vaiſſeaux dont ilsauoient deſia fermé à Moyſe
lepas & deſtroit de l'Helleſponte, & empeſché qu'il ne paſſaſt en Aſie, à
lapourſuitte de ſa victoire. Ainſi Mechmet feſtant refait de ſa perte en peu
de iours, & mis ſon armée à ſauueté, tira droict au pays desTriballiens,
pour ſolliciter leurs ſecours, ayant deſia aſſez cogneu par experience, que
c'eſtoit ce qui luy importoit le plus à venir au deſſus de ſes affaires, pour ce
que les peuples de l'Europe ſont bien autres guerriers & meilleurs combat
tans, que les molles & effeminées nations de l'Aſie. Mais Moyſe qui ſe di- -

ligentoit cependant de le preuenir & rencontrer auant qu'il euſt faict ce #


qu'il pourpenſoit,l'alla deuancer en la contrée appellee Panium, au delà du #º
mont Hacmus, là où Mechmet n'eut pas le cœur de l'attendre, ny de ve
niraux mains : car il ſ'enfuit à ſauueté vers les Princes des Triballiens, d'où ſ'en
· il depeſcha de coſté & d'autre, & meſme deuers Chaſan, Brenezes, Amu- †
rat, & ſemblables perſonnages de nom & authorité enuers lesTurcs, pour
les ſolliciter & ſemondre à embraſſer ſon affaire à l'encontre de Moyſe.
Eux pour le commencement firent contenance de ne vouloir entendre à
vne telle infidelité, maisà la parfin ils ſelaiſſerent perſuader, & ſaccorde
rent de ſe reuolter en faueur de Mechmet. Et là deſſus Brenezes accompa-,
gné deſes enfans, & debonnombre des plus apparens qui le ſuiuirent en-†
tre leſquels eſtoit Chaſan,auecles meilleurs Geniſſaires de la Porte,ſallerent †
rendre à Mechmet: lequel ſe voyantvn ſi gros renfort; & auoir deſiavne -

puiſſance telle qu'il ne deuoit plus faire de difficulté de tenter la fortune,


ſe met aux champs, ayant quant & luy le Prince des Triballiens, en in- .
tention d'aller droicttrouuer ſonfrere, & luy liurer la bataille quelque part -

qu'il le rencontraft.
de impetuoſité de ceMais
ieuneMoyſe
hommepourqui rompre,
luy donnoit& reboucher la chau-
aſſez à penſer, #º
prit Moyſe.
tous les gens de guerre du pays, auec les Geniſſaires & autres ſouldoyez
de la Porte, qui luy eſtoient reſtez ( car la plus grande part ſ'eſtoient al.
lez rendre à ſon ennemy) & ſ'en vint aſſeoir ſon camp ſur les confins de
la Myſie, en vn lieu fort & aduantageux, où il pouuoit tout à ſon aiſe
Liure quatrieſme
auoir des viures, & tout ce qui luy faiſoit beſoin, faiſant ſon compte de
temporiſer, & tirer ceſte guerre en laplus grande longueur qu'il pourroit.
Mechmet d'autre coſtéquiauoitvn deſſein tout aurebours, & ne tendoit
qu'à abreger, & combattre de pleine arriué, ſ'en vint en toute diligence
I'ordonnance loger ſi pres, qu'il n'y auoit plus d'ordre d'euiter de venir aux mains, Et
§e ſans autrement marchander par aduantage de logis, netaſter les ennemis
de Mechmet. par eſcarmouches & legiers combats, rengea toute ſon armée en bataille;

donnant la conduicte de la poincte gauche au Prince desTriballiens, & de


la droicte à Brenezes, quiauoit là cinq de ſes enfans auec luy, tous gens de
valeur, & fort eſtimez à la guerre;aſſauoir Agath, Ebraim, Hali, Beic, &
Ioſué. Moyſe ſemblablement voyant la contenance & reſolution de ſon
frere,tira ſes gens dehors; allant de coſté & d'autre ſur les rangs, afin de
- pouruoir à ce qui eſtoit neceſſaire, & d'admoneſter vn chacun de bienfai
- # re ſon deuoir : Car ce iour là (celeur diſoit-il) deuoit eſtre la fin de toutes
gens. leurs peines & trauaux; & delà enauant n'auroient ſinon à faire bonne che
re; & iouyr en paix & repos, des grands biens & recompenſes qu'il pre
tendoit faire à ceux qui ſe ſeroient bien portez en celle iournée : auec au
tres ſemblables propos, remplis de promeſſes & eſperances fort magnifi
ues.Là deſſus Chaſan,qui ſouloit eſtre Capitaine desGeniſſeres,mais auoit
quitté ceſte charge pour ſaller rendre à Mechmet,ſenvintaugrandgalop,
iuſques aſſez pres de ceux qui eſtoient aux premiers rangs; tous preſts à cö
langage de mençer la charge,leur criant à haute voix : Ha enfans, pourquoy reculez
Chalan aux
§- vous ainſi de vous rendre à voſtre Roy legitime, & naturel Seigneur; la
† vraye tige du ſang des Otthomans, & le plus doux, le plusgentil, liberal
& debonnaire Prince qui ſoit ſur la face de la terre,voire qui en vertu ſur.
paſſe touslesautres qui nous ont iamais commandé? Mais ie voy bien que
c'eſt,vous voulez touſiours demeurer en voſtre miſere accouſtumée, ſous
la cruelle ſeruitude de ce tyran, en pire condition que les plus malheureux
eſclaues que vousayez en voſtre ſeruice; vous expoſans de gayeté de cœur
aux outrages & indignitez de celuy, qui ne ſçauroit rien gouſter de iuſte
ny equitable en ſon courage. Moyſe pouuoitbien ouyr tout à ſon aiſe le
langage qu'iltenoit, tellement que l'vn de ceux qui eſtoient là aupres, ne
ſe peut tenir de luy dire : Ne vois tu pas, Seigneur, l'impudence effron
tée de ce traiſtre; qui ne ſe contente pas de t'auoir ainſi malheureuſement
abandonné, aprestant de biens, tant d'honneurs, & aduancemens qu'il a
receus de taliberale main, & à ceſte heure a bien le cœur deveniricy tout
Moyſe trºſ ouuertement ſuborner les gens de bien qui te ſont demeurez ? Moyſe
porté de cho
§ eſmeu des propos,tant duChaſan que de ceſtuy-cy; craignantauecce, que
† # #.ſilattendoit d'auantage, quelque mutinement ne ſeleuaſt parmy ſes gens,
††ne ſe peut plus contenir, ains donnant des eſperons à ſon cheual fen alla 2

# º luymeſme à toutebride charger Chaſan, lequellevoyant venir ainſi re


ſolu, ne l'attédit pas de pied coy, ainstournabride pourſeretirerà ſa troup
§ Ce que toutesfois § peut faire ſi à temps, que Moyſe ne leioigniſt;
equel ſe hauſſant ſurles eſtriez, luy donnavn ſi grand coup de cimeterre
qu'il
De l'Hiſtoire des Turcs. Io4
qu'ill'enuoya àbas.Et comme il vouloit redoubler pourl'acheuer du tout,
l'Eſcuyer de Chaſan qui l'auoit ſuiuy vint à la trauerſe, qui luy aualle le
poing tout net : dont Moyſe eſperdu tourna court, pour retourner à ſes
gens. Mais quand ils le virentainſiaffollé,au lieu d'enauoir pitiéquilesin- #. #.
citaſt à venger ſa deſconuenuë, entrerent en vn meſpris de luy, & le plan-ſurſesaute .
terent là pour ſ'en aller rendre à Mechmet. Alors ce pauure § Prin
ce,ſe voyant enuironné de tant de malheurs tout à coup, ne ſceutfaireau
tre choſe ſinon de prendre la fuitte, en intention de ſe ſauuer en Valaquie,
ſil pouuoit : mais Mechmet ne voulant pas laiſſer perdrevnetelle occaſion
de mettre fin à ceſte guerre, & aux dangers & perils dont ſavie eſtoit me-,u. i,
naſſée, ſe mit luy-meſme à le pourſuiure ſi chaudement,que le pauure miſe-§ #
rable fut ratteint en vn marets, où il ſ'eſtoitietté par contraincte n'en pou. #gºrie
uant plus, tant à cauſe du ſang qu'il perdoit,& dutrauail extreme qu'ilauoit
enduré tout le long du iour, que du regret & anguoiſſe, qu'il auoit de ſe
voirreduit à vn ſipiteux eſtat.Etainſi futamené à Mechmet plus mort que
vif, là où ſans le laiſſer languird'auantage; on mit finàl'aide d'vn laqs cou-
# à § peu devie quiluy reſtoit encore, & à ſesinfortunes & ennuis tout†ºº
-

EIllCIIlDlC.
Liure quatrieſme -

MAH O MET N E V FIE S M E |


Empereur des Turcs.

S O N E L O G E O V S O M M A I R E D E S A V I E.

'O RAGE nepeut longuement durer en vn lieu, & laplus violente ebulition eſt eſtein
tepar la # ſeignée. L'Empire Turc qui auoit eſté à deux doigts preſt deſarui
ne, tout tremblant encore d'vneſi lourdeſecouſſe, aprestant depertes, de captiuitez, de
ſaccagemens,
% fermir en fin, demaſſacres, defratricides,&
& reprendreſon de diſſentions conduicte
ciuiles, commença de ſe raf
P"\ ancien luſtreſoul'heureuſe de Mahometpre
". º mier du nom. Lequelſe voyantpaiſible poſſeſſeur del'Empire Otthomanparla mort de
ſon frere, mena ſon armée victorieuſe contre le Caraman qui luy faiſoit laguerre en la Natolie & auoit
-
| -- ,.
". aſſiegé
De l'Hiſtoire des Turcs. lo5
aſigé Burſe : mais ilfut côtrainct deleuerleſiege & d'accorderauec Mahomet qui luy print les •ºi .
resplaces de ſon pays. Reconqueſtale Pont, la Cappadoce & autres Prouinces perduës du tèps deſesfreres.
D#faict (par la valeur deſonfils Amurat) Burzagla Muſtapha qui auoiteſté Cadileſcher du temps de
Afoyſe, qui feſtantreuolté taſchoit de ſe faire Empereur : Vn Moyne heretique en laloy Mahometane .
nommé Torlaces Huggiemal ou Torlacheualayat auſſi pris les armes contre luy l'an mil quatre censtrois,
ſon armée fut taillée en pieces par le meſme Amurat,& luyprispriſonnier &pendu.Il# auſſi Schel
ſtem Bedredin qui eſtoit lepremier en authorité du temps de Moyſe.Dompte la Seruie Valaquie & gran
departie delaSclauonie & Macedoine. Faict la guerre au Prince de Sinope. Et pour oſter à l'aduenir
tout ſubiect de diſcorde : Il chaſſe tous les Roytelets de la petite Aſie yeſtabliſſant vn Beglierbey. Impoſe
rribut aux Valaques, & tranſporteſelon quelques vns,ſonſiege Imperial à Andrinople, donna au Prin
cedesTriballiens vnegrandeeſtendue depays ioignant leſien. Rauagea les terres des Venitiens proches de
lamer Ionie. Mais enrecompence ilsgaignerentſur luy vne batailleau deſtroit de Gallipoli, & luyprin
drent la ville de Lampſaque. Son frere Muſtapha, ou ſon oncle ſelon quelques vns,# retiré vers le
PrincedeSinope,quitaſchoit de deſbaucher lesprincipaux ſeigneurs Turcs fut enfin arreſtéparlesGrecs
à Theſalonicque, & touſioursgardé fidelement parl'Empereur Grec. En recognoiſſance dequoyles Grecs
frent ce qu'il voulurent du temps de ce Prince : Car il demeura touſiours ferme & arreſtéen leuralliance.
Etmeſines poureuitertoute occaſion de querelles Ilnevouloitpoint queles Ianitzaires (gens tumultueux
6- tempeſtatifs) communiquaſſent auecles Grecs,gens demeſine humeur. Les vns diſent qu'il regna douze
ans: les autres dixhuict d'autres quatorze les autres onze.Qºylques vns diſent auſſi qu'iln'ya que vingt
vnan depuis la priſede Baiaz et iuſques à Amurat. L'année de ſa mort eſt auſſi incertaine. Car les vns di
ſent qu'elleaduint l'an mil quatre cens neuf autres mil quatre cens dixhuict, d'autres mil quatre cens dix
neuf d'autres milquatre censſeize, & d'autres mil quatre cens vingtneuf, tant ilyad'incertitude en tou
teceſte Chronologie.Son origine n'eſtpas moins douteuſe. Carles vns veulent qu'il ſoit fils de Baiazet, &
qu'ilaireſté nourryà Conſtantinople.chez vnfaiſeur de chordes de lut : les autres qu'il fut fils de Muſ
ſulman Calapin. Sa mort fut celée quarante & vn iour, & iuſques à l'arriuée de ſon fils Amurat,par vne
inuentionnaifuement repreſentée par noſtre Autheur. C'eſtoit vn bon & equitable Prince, doux & cour
toisenuers chacun, d'vn eſpritmerueilleuſement poſe, & plus fidelle & conſtant enſes promeſſes qu'aucun
deſa race, Ileut cinqfils, Amurat, Muſtapha, Achmet, Ioſeph, & Mahomet, ces trois moururent ieii
fltJ. - --
º

2 E c H M ET eſtantvenu audeſſus de ſes affaires par la V.


) mort de ſon frere, qui fut payé en la meſme monnoye e†º
regne des
qu'il auoit preſtée aux autres (carie ne ſçaurois comment †t
deſſuſdits n'éſt
appeller ce que firent Chaſan, & ceux de ſa ſequelle en-§
uers leurmaiſtre, auquel ilsauoient deſia donnéleurfoy,†.
& preſtéleſerment d'obeïſſance & de fidelité) ne mit pas†..
en oublyl'aide & ſecours qu'ilauoit eu des Grecs, & autres peuplesdel'Eu- †.
rope, dont eſtoit procedé le principalgain de ſa cauſe, donna en pur don §
au Prince des Triballiensvnegrande eſtenduë de pays,ioignant le ſien, & -

deſpeſchavne autre armée pour courir & gaſter la Valaquie, par deſpit du
'ſupport qu'enauoit tiré Moyſe àl'encontre deluy : mais le ſeigneur du lieu
enuoyaaudeuant pour le rappaiſer, offrant de luy eſtre àl'aduenir tributai
re.Mechmetaureſte, demeura touſiours depuis ferme &arreſté en lamitié
& alliance des Grecs : tellement que l'Empereur de Conſtantinople,Ema
nuel, eut toutloiſir d'entendre à ſes affaires; &là deſſus ſenalla au Pelopo- .
neſe, où il ferma de muraille le goullet & entrée de l'Iſtme, quid'vne mer † de
iuſques à l'autre peut contenir quelques ſix mille pas de trauerſe, & laiſſe de #
toutes les terres & contrées duPeloponeſe encloſes de mer en forme d'vneº
belle grande iſle, il ne ſ'en faut que ceſte aduenuë qui la conioint à la ter- -

re ferme de Grece : Là auoient de couſtume les anciens Grecs, de celebrer † -

lesieux & ſpectaclestant renommez, qu'on appelloit à raiſon du lieu les Pris aitmc$.
- "
Io6 Liure quatrieſme
Iſtmies. Laville de Corinthe eſt ſituée vers le milieu : & deſlors que Xer
puiſſance ſi deſmeſurée contre les Atheniens
xes fils de Dariusamena vne
& le reſte de la Grece,les habitans du Peloponeſe fermerent ce deſtroit de
muraille; pour luy empeſcher l'accez & entrée de leur pays : l'Empereur
Iuſtinianla renouuella longtempsapres.Comme donques Emanuel ſe fuſt
entierement aſſeuré de la paix de Mechmet, il ſ'en vintau Peloponeſe, &
impoſa à tous les habitans d'iceluy certaine contribution d'ouuriers, & d'e
ſtoffes requiſes pour ceſte fortification : de ſorte que tous ces peuples y
E nue pourayans trauaillé comme à l'enuy les vns desautres, elle fut paracheuée en peu
s'aſleurer du
§ de iours. Cela faict, il ſe ſaiſit de la perſonne de touslesgrands perſonnages
†º du païs, qui ſ'eſtoient deſiafort longuement maintenus & portez pour ſei
† gneurs, chacun en ſa contrée, ſans autrement vouloir recognoiſtre les Em
eſtoient " pereurs des Grecs à ſouuerains, ne leur obeïr & deferer, ſinon entant qu'il
leur plaiſoit, ou que le profit particulier, & la commodité de leurs affaires
les inuitoient à cela; & les emmenatous quant & luy ſous bonne & ſeure
arde à Conſtantinople,laiſſant ſon frere ſur le lieu pourgouuerner le païs,
& recueillir letribut qu'ilauoit ordonné eſtreleué pour l'entretenement de
la garniſon, & les reparations de ſa nouuelle fortereſſe. Ce temps pendant
Mechmet, qui ſe voyoit detous poincts confirmé en ſon Empire, entre
prit d'aller faire laguerre à Iſmael Prince de Synope,lequel ſ'eſtoit touſiours
, , monſtré fort affectionné & fidele enuers Moyſe, tant qu'il auoit veſcu.
† Mais luy, preuoyant aſſez le danger de l'orage qui eſtoit tout preſt à luy
†" tomber ſur les bras, allaaudeuant, & enuoya ſesambaſſadeurs pourradou
cir Mechmet, & faire ſon appoinctementenuers luy : car il offroit de luy
delaiſſer parforme de tribut, tout le reuenu des mines de cuyure, qui ſont
ſeules entoutel'Aſie (au moins que ie ſçache)qui en produiſent.Aumoyen
de quoy laguerre qui ſe preparoit, fut conuertie en vne bonne paix : auſſi
ºueitepºmie
re des Turcs que tout incontinentapres,les Venitiens, & lesTurcsvindrentaux armes
- -

. § les vns contre les autres pourraiſon de ce que Mechmet voulut entreprédre
†ie ne ſçay quoy ſur les terres prochaines de la mer Ionie.Et devray,ilyauoit
enuoyé ſon armée,laquelle y fit degrands excez, & dommages. Les Veni
tiens, ſoudain qu'ils en furentaduertis, luy enuoyerent des Ambaſſadeurs;
mais n'en ayans peuauoir aucune raiſon,ils ſe preparerentauſſi à la guerre
de leur coſté. -

V I. OR il eſt bienraiſonnable de dire icy quelque choſe, de ceſtetantbel


le & floriſſante choſe publique, qui a deſia par de ſi longues reuolutions
' de ſiecles, maintenu ſon authorité & Empire. On ſçait aſſez que les Ve
†nitiens ſont vnpeuple fortancien, qui en vaillance & grandeur de cou
niſe. rage ont laiſſé bien loing derriere eux tous les autres habitans de la mer
Ionie. Car leur demeure fut iadis au long du goulphe Adriatique, qui
- ſ'eſtend depuis la Dalmatie & Eſclauonie, iuſques en la coſte de l'Italie;
· · & les nommoit-on auparauant Henetes, qui depuis furent appellezVe
: nitiens : Ceux-cy meuz en partie de certaine opinion, en partie auſſi con
traincts & forcez de la neceſſité d'abandonner leurs contrées, quiauoient
eſté
De l'Hiſtoire des Turcs. 1o7
eſté toutes ſaccagées & deſtruictes par les cruautez du Roy Attila, ſe retire
rent pourviure en plus grande ſeureté & reposàl'aduenir,le plus loing du
danger qu'ils peurent, en vne petite iſle mareſcageuſe, diſtante de §rre
fermevnelieuétant ſeulement , où d'entrée vn petit nombre d'iceux ve-premiere #
nitiens ſ'habituerent en des loges & cabanes; mais puis apresſen vindrens #iona-º
dautres ioindre à eux, qui pareillement auoient eſté fort trauaillez de la
guerre : De façon que ceſte nouuelle demeure ſ'augmentoit à veuë d'œil,
parlemoyen des meſnages quide iour à autre ſyvenoientrenger, tant du
Friol, que de pluſieursautres endroits d'alentour Et croiſſoit non ſeulemét .
en nombre de maiſons & de peuple, mais en bonnes loix, ſtatuts, mœurs,
diſcipline, & police, & en ſplendeur d'habitans, qui eſtoient tous de qua
lité & eſtoffe : Pour autant quebeaucoup de grands perſonnages, tant de
l'Italie que de la Grece,iſſus de noble & illuſtre ſang, auſquels la fortuneſe
ſtoit monſtrée peu fauorable, & quiauoient ſouffert de grandes pertes &
ſecouſſes,les vns à la deſcente des Barbares,les autres parles factions & par
tialitez deleyrs citoyens, ſe trouuoient hors de leurs anciens manoirs, poſ
ſeſſions, & heritages; tous ceux-cyrecouroient là, cóme à vne aſile ou § " ',

chiſe de ſeureté & repos. Mais d'autant qu'ils n'auoient pas le territoire à †
, commandemét pourſe pouuoir exercer au labourage, n'y à nourrir dube-†
ſtail, & autres
contraints telles
en de occupations
petites mottes &del'agriculture, comme àeſtans
turaux à fleur d'eau,qui peine ſ'eſ& §
toutereſerrez #
†º & traf
· leuoient hors § & ſuperfice d'icelle; & que l'aſſiette dnlieu ſe trouuoit
merueilleuſement à propos poury dreſſer quelque notable eſtappe & ap
port de mer, ils ſ'adonnoient du tout à la marchandiſe, & à la nauigation,
qui leur pouuoit fournir en abondance toutes les choſes neceſſaires pour
leur maintenement : ſibien qu'en peu de temps ils ſe trouuerent vne mer
ueilleuſericheſſe & puiſſance entre les mains, & leur cité embellie d'infinis , ".

edifices, d'Egliſes, Palais, & maiſonstres-magnifiques.Ils ſe pourueurent ſi #.


bien quant & quant d'armes, & munitions, degalleres, & vaiſſeaux ronds #
detoutes ſortes, tant pour le traffic que pour la guerre, qu'ils eurent bien #. #
la hardieſſe de ſallerattaquer aux plus fameuſes nations qui fuſſefit lors en # º *
toute lamarine, dont ils ſe firent bien toſt tellement craindre & reſpecter,
qu'on ne parloit plus ſinon d'eux, & n'oſoit perſonne les irriter, non pas les
plus puiſſans & redoubtez qui ſouloiét eſtre,ſigrand fut le credit qu'ils ſ'ac
quirent preſque envninſtant. Carils ſe firent ſeigneurs d'vne fort grande
cſtenduë d'vn tres bon & fertille pays,le long de la coſte qu'on laiſſe à main , _'A

gauche en nauigeant dugoulphe Adriatique vers le Leuant; & de pluſieurs #


groſſes villes qu'ilsy ſoubſmirent à leur obeïſſance, iuſques à la mer AEgée; r#"
auec tous les havres & ports qui y ſont.Ils ſe ſaiſirentauſſi des iſles de Cor
fou, de Candie, de Negrepont, enſemble de la plus grande partie du
Peloponeſe : donnerent meſme iuſqu'en Syrie : & d'autre coſtéſ'empare
rent de la ville de Cyrené : traſſans de grands exploicts & entrepriſes de En rafique
toutes parts, & venansgayement à toutes heures aux mains ſans en faire†º
difficulté, auec les Barbares quelque part qu'ils les rencontraſſent : telle
\ - - • :•

1o8 Liure quatrieſme


, ment qu'ils ſe rendirent comme maiſtres&ſeigneurs de toute lamerquieſt
†"au dedans des colomnes d'Hercules. Ils ſ'attaquerent dauantage (& fort
brauement encore) contre
pe.Mais pourleregard decºpluſieurs nations, des plus puiſſantes de l'Euro
qu'ils meſpriſerent ainſi de ſe ſaiſir de la ville
de Rauenne, qui eſtoit ſiriche & opulente, & leur voiſine de ſi pres, alors
que le Seigneur fut decedé, & que toutes choſesy eſtoient en combuſtion,
cela ne leur doit pas eſtre reproché à nonchaláce oulaſcheté, pour ce qu'ils
n'eſtoient point couſtumiers de courir ſus à ceux qui eſtoient de meſmes
†mœurs, & de meſmelangage, & façons de faire auec eux,'ains aux eſtran
†.gers ſeulement. Orfeſtás aſſociezauec les François, ils prirétlesarmescon
§
• • •-1--
tre lesdeGrecs,
rent & lesConſtantinople;
force dans vainquirent en vne groſſemaiſtres
ſe firent bataille par mer : puisdeentre
& Seigneurs plu
ſieurs terres & pays durant ce voyage, & finablement conduirent leur cité
à vne ſouueraine gloire & reputation, moyennantlesgrandes forces qu'ils
pouuoient entretenir & mettre ſus, tant parla terre que par la mer, à cauſe
desricheſſes qu'ils auoient amaſſées, & des eſtranges prouiſions de toutes
les choſes requiſes pour la guerre; dontils ſ'eſtoient pourueuz de longue
TLes Venitiens main. Quant aux differends qu'ils eurent auecles Albanois, & autres Sei

§ gneurs de l'Empire, ils durerent longuement, tantoſt perte, tantoſt gaing:


† † mais enfin de compte ils en curent le meilleur » & eſcornerent les autres de
†ºrº toutes les meilleures pieces qu'ils euſſent. Ils recueillirentle ſouuerain Pon
tife Alexandre, qu'vn Empereur Allemanauoit affligé indignement, & iet
té hors de ſon ſiege, & lyreintegrerent, ayans deffaict & pris ſon ennemy
- s† envngros conflict parlamer. Mais ils eurent de longues & faſcheuſes guer
†" res contre les Geneuois, quitenoient en ſubiection preſque toutes les co
ſtes d'Italie, & ſiauoient conquis pluſieurs contrées & places fortes en ces
uartiers de deçà, & vindrétà tout plein de beaux & memorables exploicts

† peuauec eux,dont le plus ſouuentils eurent le deſſus, iuſques àvne fois;
ſ'en fallut que les Geneuois ne les miſſent du tout § , n'entraſ
ent de force dans leurville, eſtansvenus bien pres à tout vngros conuoy
devaiſſeaux, leſquels prirent Chioſe,l'vne des principales clefs & aduenuës
de Veniſe. Car elle eſt ſituée (comme chacun ſçait) dans les marets & re
Elle ,,rpelle gorgemens dugoulphe Adriatique, &aau deuantvnegrandeleuée, quila
† couure de lafurie & violence des ondes de la haute mer,gardant par meſ
uen le nuage me moyen, quelefiot ne la comble & ſablonne : de maniere qu'entre cet
te longue chauſſée, ou riuage (qu'ils appellent)& laterre ferme de l'Ita
lie, demeure enclos & à couuert en aſſez bonabry de tousvents, l'vn des
plus beaux & ſpatieux havres, qui ſoit en tout le demeurant du monde.
Malamoch Caril ſ'eſtend iuſques àla bouche du grand bras du Pau, à plus de quinze
- lieuës de là; embraſſant dans ſon pourpris (outre ceſte Citéadmirable, &
grand nombre de petites iſles toutes couuertes & remplies de ſuperbes
edifices, ou cultiuées en iardinages) infinis canaux & deſtours au delà de
Le Pau.
ladite ville de Chioſe. Ce fleuue icy du Pau, autrement nommé Eridanus
eſt le plus grand de toute l'Italie, lequel charriant beaucoup d'eaux eſt
capable
Del'Hiſtoire des Turcs. · 1O9
capable & ſuffiſant pour endurer de groſſes barques, & des nauires auſſi
parvne bonne eſpace de ſon cours; & s'enva finablement rendre dans la
mer par deux groſſes bouches & entrees,auecvne merueilleuſe commo
dité de § COIltICCS # coſtoye & aborde. Les Geneuois don-†:
ques s'eſtans ſaiſis de Chioſe , enuoyerent à Veniſe pour ſonder ce que #
voudroient dire les habitans , leſquels pour raiſon du danger qui les"
menaſſoit de ſi pres, firent reſponſe d'eſtre tous reſoluz de s'accommo
deraux conditions telles que les Geneuois leur voudroient impoſer : &
meſmement de receuoirla forme du gouuernement qu'ils leur preſcri
roient : mais les autres abuſans de ce langage ainſi humble & r'abaiſſe,
& delà ſe hauſſans à des eſperances plus violentes que paraduentureils
n'auoient encore oſé conceuoir, demanderent d'vne trop deſreigleear
rogance,qu'on leurlaiſſaſt pillerlaville tout à leuraiſe & diſcretion,trois
iours entiers, ſans qu'ils euſſent honte d'vne ſi outrageuſe & deshôneſte
brauerie.Dont le côſeil & tout le peuple furent ſi indignez, que ſans plus
attendre ils monterent ſurles premiers vaiſſeaux; & tout de ce pas allans
chargerles Geneuois d'vne grande furie & impetuoſité les contraingni
rent de ſe ſauuer à forced'auirons dedans Chioſe,là
foncervne grande carraque àl'emboucheure
où ils allerent en-†"
du port, & fermerent de dºººº
tous coſtez parla merles autres aduenuës & ſaillies pour les enclorre là
dedans, comme dans vne enceinte de toilles, & les y faire mourir de
faim.Les Geneuois là deſſuss'efforcerent bien de percer & ouurir vn ca
nal, pour eſchapper, & ſeietter dans le Pau , mais voyans que c'eſtoit
en vain, & qu'ils ne pouuoient venir à bout de leur entrepriſe, ils ſe
rendirent à la parfin honteuſement, à la mercy de ceux que n'agueres
ilsauoient conduicts àl'extremité, & auſquels ils auoient voulu impo
ſerdes conditionsſi dures & iniques.De maniere qu'on ne les peut, ny N .
doit plaindre dutraictement qu'ils receurent, parce qu'ils s'en rendirent mes le plus
ouuent cauſe
plus que dignes,afin de les faire vneautrefois ſouuenir de l'humanité & §
modeſtie qu'on doibt touſiours auoir deuant lesyeux, quelque picque, #º
aigreur, & alteration qui puiſſe eſtre, à cauſe de l'incertitude & fallace †"
des choſes de ce § le moins àl'endroictd'vn peuple de meſmc
langue, & meſme religion.Ceſtevictoire eſleua le cœur aux Venitiens,
de faire à leur tourvoir & ſentir de pres la force de leurs armes, à ceux
qui naguereslesauoientſimal-menez: ſurquoyils eurent quelques ren
contres & meſlees, mais le tout à leur aduantage.Et comme leurpou
uoirs'accreuſt deioureniour par tant de ſi heureux ſuccés, & s'acquiſ
ſent de toutes parts vne merueilleuſe reputation & grandeur , euſſent
ferméquant & quantlecours de la riuiere de Gennes à tous les autres, le veniiiens
ceſte cité là ſe trouualors envn merueilleux eſmoy, ſouffrant de grandes †
incommoditez de toutes choſes, parce que leur faict conſiſte entiere- Gennes.
ment en la mer,dontils ſe trouuoient forclos. Mais les Venitiens s'en re-Les Carrares
autrefois ſei
tournerent finablement,carilsauoientfort grand deſir de ſe venger du §
Carrare Duc de Padouë,quis'eſtoitformaliſé pourleurs ennemisà l'en-†º
contre d'eux,& s'en vindrent mettre le ſiege àl'entourdelaville.Cela fut Vº
K
IIO Liure quatrieſme
vne entree pour les faire aſpirer à de plus grandes choſes, & meſme
ment d'eſtendre leurs limites en terre ferme, ayans deſia eſté allechez
par la friandiſe qu'ils en auoient gouſtee àla priſe deTreuis, & de quel
. ques autres endroits du Friol, que la diuiſion & partialitédu peuple en
uers leurs ſuperieurs, leurauoit mis entre les mains. Ils s'opiniaſtrerent
† toutesfois plusardemmentàlaconqueſte de Padouë, pour eſtre ſi pro
me,Bergame,
# chaine d'eux; & de pied en pied puis apres à d'autres places contigues,
autres places ;
§'# afin
die.
de ſe former
ſemaintenir & eſtablirdedeſoy-meſme
& deffendre ce coſté làcontre
quelque
leseſtat aſſez fort,
entrepriſes de pour
leurs
voiſins. Tellement qu'en peu de temps ils rengerent ſoubs leur obeiſ
# #. ſance, non ſeulement ladicte ville de Padoue, mais celle de Verone
d•Verons encore , dont ils mirent dehors les Scaligeres , qui en eſtoient Sei
gneurs. Ils prirentauſſi Vincenze, & Breſſe, deux tres-belles & fortes
places, & qui en richeſſes & commoditez de viure, ne ſont pas des
dernieres § Conſequemment ils eurent guerre auec le Duc de
Millan, de la maiſon & famille des Marianges, † proche voiſin,la
quelle dura pluſieurs annees. -

p#e- LA ville de Millan eſt l'vne des plus belles, des plus grandes , & opu
d§" lentes del'Italie ;fort peuplee, & ancienne, comme l'on dict,n'ayanton
ues ſouffert aucune deſconuenuë, depuis qu'elle fut premierement edi
§ a touſiours excellé ſurtoutes autres au faict delaguerre, & en
preparatifs & equippages d'armees tres-puiſſantes. Audemeurant elle
eſt aſſez auant en pays, quelques trente lieuës loing de Gennes, tout
ioignant ceſt endroict de la Gaule qu'on appelle Piedmont. Mais il
n'ya tant ſeulement qu'vn petit canal d'eau qui ypaſſe, ſansy apporter
† beaucoup de commodité,lequelſe va rendre au Theſin, & le Theſin
§des dans le Pau, au deſſoubs de Pauie, front à front preſque de Plaiſance,
† † eſt vne fort grandeville : Que deuient puis apresle Pau, nous l'auôs
# eſia dict cy-deſſus. Mais pour retourner à ces Marianges, grands &
ils

§ illuſtres perſonnages en leurtemps,on dict que leur introduction & ad


§ uancement à la Duché de Millan,& du reſte de la Lombardie;vint d'vne
†" telle occaſion. Il yauoitvn ſerpent de grandeur enorme, lequel de fois
à autre deſcendoit de la montaigne prochaine de là ſur les payſans,la
boureurs, ou autres les premiers venus qu'il r'encontroit en chemin,
dont ilfaiſoit vn tres-piteux carnage, toutesfois il n'eſtoit point de nou
uelles qu'il fiſtaucun malne deſplaiſir aux femmes; ſeulement il en vou
loitaux hommes.Au moyen dequoy pluſieursaſſemblees ſe firent pour
luy courre ſus,& taſcher à en deliurerle pays,mais toutes envain:Aucon
o† traire, de iour à autre ſe renouuelloient les dommages & cruautez de
#
tes d'Angler, ceſte beſte iuſques à tant que l'vn de la race de ces Marianges, Prince
» -

§ fortvaleureux, & d'vn tres-gentilčœur; eſtant de fortune arriué en ces


champ de ba
† quartiers là,ouyt ce qu'on en diſoit ; & pouuoit luy-meſme bien voir à
† l'œill'effroy
toit vne vipe-7- . & eſpouuentement qu'en auoitle peuple. S'eſtant donques
- - - 2

† faict fort bien armer de toutes piecesluy & ſon eſcuyer, ils s'en allerent
, cu
§" eux deux ſans autre compaignie en queſte duſerpét, lequelils ne mirent
Del'Hiſtoire des Turcs. , I1 i
guere à trouuer.Les ayans deſcouuerts, il ſe vint ſoudain ruerſureux, &
de prim-ſaut engloutit l'eſcuyer iuſqu'à la ceinture , car pour cauſe des
aI'IIlCllICS † ne pouuoit ſi § entfroiſſer,le miſerable demeuraac
crochéen ſa gorge, ſans qu'ille peuſtny aualler du tout, nyle deſmordre
& reietter.Ce qui donnaloiſir au Prince,cependant quc le ſerpent eſtoit
en ceſt eſtrif,de luy donner tout à ſon aiſe tant de coups ſur la teſte, auec
vne hache d'armes dont il s'eſtoit pourueu,qu'en fin illuy fauſſale teſt,&
lerua mort eſtendu emmyle champ, ayant encore ſa proye à demy en
gorgee.Voila en quelle ſortele pays fut deliuré de ceſte peſte,& des dom
mages & cruautez qu'il en receuoit chacun iour : dont en recognoiſſan
ced'vn tel bien faict,ils eſleurent ce Mariange pour leur Duc, & luy mi
rent l'authorité ſouueraine de toutes leurs guerres & affaires entre les
mains; comme à celuy, qui s'eſtoit moſtréſ preux & hardy , de ſa ſeule
bonne volonté & gentilleſſe.Toutesfois comme habile homme qu'il
eſtoit,craignant quelque mutation de volontez en ce peuple aſſez leger
& fantaſtique,& pour auſſienauoirplus d'obeiſſance,ilchoiſitvn nom
bre de bons & aſſeurez ſoldats,pour demeureraupres de luy à la garde de
ſa perſonne,quelque part qu'il ſe trouuaſt.
* 0 • || - VIII.
LE Duché puis † par ſucceſſion de temps,vint à Philippe,le qua-ph§u :
trieſme en ordre de ſes deſcendans,celuy contre quiles Venitiens eurent †
Galeas V1c6
la guerre dont nous parlons, à la conduicte de laquelle ils appellerent †"
tout plein d'excellens Capitaines de fort bonne maiſon,lesvns apres les §e
autres.Et tout premierement Carminiola, qu'ils firent depuis executer †
à mort, & ſubrogerent en ſon lieu Franciſque ſurnomméSforce, auquel†
ils porterent touſiours fort grand reſpect & honneur.Auſſi n'eſtoit-ce 4°°. -

pas peu de cas,que de la reputation qu'ilauoit deſia acquiſe à la conque- rantiſque


ſte de pluſieurs places de Lombardie : tellement qu'il dilata bien auant †
les bornes & limites de leur domination en terre-ferme
- - - .
- .4
de ce coſté là. à#
-eſtre Duc de
- -

Mais comment l'Italie ſe diuiſa là deſſus en factions & partialitez, les Miil .
vns ſuiuans le party des Venitiens,les autres celuy des Millannois, ie le
racompteray cy-apres:Parquoy ie reuiens à mon propos des Venitiens,
qui cependant eſprouuerentl'vne & l'autre fortune,tantoſt la mauuaiſe,
tantoſtla bonne. Ayans donques cherché les meilleurs & plus experi
mentez Capitaines quifuſſent lors,ils leur mirent entreles mains lacon
duicte & ſuperintedance de leurs armeées : Et tout premierement à ce
Carminiola, que nous auons dictauoir par eux eſtémis à mort, pource
ue ſoubs-main il fauoriſoit à leur aduerſaire, & taſchoit de les trahir
§ ce qu'ils auoient deſcouuert & verifié : Puis apres à Franciſque
Sforce , qu'ils appellerent au lieu de l'autre. Au demeurant i'eſtime
qu'il eſt aſſez notoire à toutle monde, comme les Venitiens ayans ex
ploicté en pluſieurs endroicts de la terre & de la mer,infinis beaux & ex
cellens faits d'armes, ſont demeurez,il ya deſia plus de mille ans, en leur
entier, & en l'heureux ſuccés de leurs entrepriſes & affaires , dont ils ſe
ſont acquis vne gloire immortelle par deſſus tous les autres peuples de
l'ltalie : Mais d'auoir ainſi touſiours maintenuleur Eſtat net &
- - - - - •, - - K ijdehuré -
©
&

II2 Liure quatrieſme


de toutes factions partialitez, ſeditions inteſtines , ç'a eſté la bonne
forme de leur gouuernement qui leur a cauſé ce bien là, laquelle va
1e gouuer ainſi que ie vois dire. Le §
anciennement y auoit la ſouueraine
† † authorité & puiſſance,& ordonnoit de toutes choſes auec les †
† * à ſon bon plaiſir & fantaſie : Puis apres comme la commune ſe trou
uaſtchacun en ſon particulier detenu & empeſché à ſa beſongne , &
u'ils n'auoient plus le loiſir de s'aſſembler au conſeil à toutes heures,
§ que les affaires ſe preſentoient,ils furent contraincts de remettre
cela aux principaux & plus apparents, qui eſtoient aduancez aux char
L Eſtat
Veniſe de ges, ou par ſort, ou parlesvoix & ſuffrages, & leur en laiſſer faire.Etain
du cö- > - - -

Imcnccmcnt
# d'vn gouuernement populaire, cette Choſe-publique paſſa en Ariſto

que paſſe en cratie, c'eſt à dire à celuy des plus grands & mieux famez Citoyens. De
- » - -

† puis lequel temps , elle s'eſt touſiours depuis fort heureuſement main
comme meil

§ tenuë, & a acquis vn merueilleux pouuoir. Ils ont entre autres cho
gouuernemét
†" ſes ce † appellent leur grand conſeil, auquel ils s'aſſemblent tou
Maine tes les ſepmaines; & là en ballotant, on eſliſt les magiſtrats des villes eſtás
ºu lºf ſoubs leur obeiſſance , & de la cité encore : Toutesfois leurs loix ne
ſtes, & ſont
d'ordinaire
- cn ce conſeil
N 2 , >• || > •

permettent a perſonne d y entrer, qu il n'ait atteint l aage de


- 2

† qua
-

§" tre ans, & ne ſoit Venitien naturel, Gentil-homme, & exempt de tou
tes les reproches quile pourroient exclurre de ce priuilege & honneur.
Il s'y trouue ordinairement iuſques à deux mille perſonnes , & plus,
qui creent les Officiers de tous les lieux & endroicts où il eſchet d'en
I. Du pouruoir. Quant au Duc, ils choiſiſſent celuy qui eſt tenu de tous
#ººve pourle
•-
plus homme de
tes les deliberations bien, &,mieux
& conſeils & eſt famé, lequelad'vn
fort reſpecté des voix en tou
chacun. Il
faict ſa demeure au Palais de la Seigneurie qu'on appelle Sainct Marc,
où il eſt nourry & entretenu aux deſpens du public , & y a touſiours
oales appa ſix Conſeillers qui luy aſſiſtent, ſans leſquels il ne ſçauroit rien faire;
# car ils
†º
§ & ordonnent de tous les affaires d'importance
auecques luy : Et dure ce Magiſtrat là ſix mois ſeulement : au bout
à ſà main

†.',* deſquels autres ſuccedent en leur place. Apres ce grand conſeil dont
§u
che.
nousàvenons
c'eſt dire desdeſemonds
parler ,ouinuitez,
il y en a vnenautre qu'on
nombre deappelle des leſquels
trois cens, Pregay,
- ſont choiſiz & eſleuzaudict grand Conſeil, de ceux qu'on tient
pourles
#idº
gay. plus ſages & aduiſez. Ce Conſeilicy cognoiſt de laguerre,de la paix, & 2 3

des Ambaſſades : & ce qui s'y reſoult, † ferme & arreſté. Pour
les cauſes criminelles, ils commettent dix perſonnages qui les iugent
en dernier reſſort ; carilleur eſt loiſible de mettre la main ſur la perſon
ne du Prince meſme ſi l'occaſion s'en preſente, & le condamner à la
mort; & neleur oſeroit perſonne contredire ne donnerempeſchement
là deſſus : car les anciennes inſtitutions de leur Choſe publicque le
veulent ainſi. Et ſont expreſſément creez ces Decem virs, pour pu
nir les mal-faicteurs & delinquans qui ont forfaict, ſoit enuers le pu
blic,ſoitàl'endroict de quelque particulier, dont apres auoir bien veu
& examiné le procés ils font faire la punition. Il y a encores d'autres
Del'Hiſtoire desTurcs II3
iuges, tant naturels de la Yºle,qu'eſtran gers, qui vuident les cauſes ordi
naires & ciuiles.Toutest9lsilyavne chambre qu'ils appellent des Qua- 1a chambre
rante,deuant leſquels il eſt Permis d'appeller,à ceux qui ſe ſentiroiét gre- †
uez du iugement & là ſont reueuz les procés,pour § s'ilaeſtébien †
ou malappellé.Que ſid'auenture ils ſe trouuent partis, & ne ſe peuuent di,.
accorder pour le regard duiugement,le tout eſt r'enuoyé aux Pregay, là
où apresauoir bien meurement debattu le droict des parties, ſans y por
teraucune faueurnyaffection particuliere,l'affaire eſt finablement ter:
miné en dernier reſſort. Il y a encore aſſez d'autres magiſtrats & offi- #
ces deſtinez pour la ſeureté de la ville, leſquels ſe prennent garde que
de nuict il ne ſe face quelque tumulte ou deſordre : d'autres ſont com.
† reuenuz , impoſitions, & ſubſides, leſ
mis à recueillir les deniers
quels ils diſpenſent & employent ſuiuant ce qui leur eſt ordonné par le
Duc, & le conſeil; auquelils ne laiſſent pas de tenir vn bien grand lieu
entant que touchent les deſpeſches, tant pour le regard des finances
dont ils ont la totale charge , quc pour la police & les affaires d'eſtat :
neantmoins ils ont des contrerolleurs pourauoir l'œil, & obſeruercom
me ils verſerôt enleurmaniemét. Et ſont ces ces Eſtats icy àvie, parquoy tesreceueurs
on a de couſtume de les mettre ordinairementés mains des plus vieils & §.
honorables perſonnages, pour ce qu'onjeſtime que ce ſeroit choſe trop "
mal aiſee,de rendre compte d'an en an de ſi groſſes receptes, & deſpéfes
enſemble des deniers qui toutes choſes deſduictes peuuent finablement
demeurer de reſte és coffres de l'Eſpargne.De ces treſoriers icy , on a de
couſtume deſlirele Duc,touteslesfois que celuy qui eſt en cefte ſouue
raine dignitévient à deceder. Et ainſi § degré en degréviennent aux
§ honorables, tant qu'apress'eſtre bien & deuëment por
tez en tous leurs exercices & manimens,ils m6tent ſuiuât le deuoir qu'ils
y aurôt fait,iuſques au plus haut ſommet,& dernieraduancement qu'ils
peuuent eſperer. Or cette cité icy ſurpaſſe toutes les autres de l'Italie, en #ence
deux choſes;l'vne en beauté & magnificence d'edifices , & l'autre en †º
ſon eſtrange & admirable ſituation car elle eſt de tous coſtez encloſe de -

mer; & ſemble que ce ſoit quel ue deluge, lequel ayant ſubmergé le
pays d'alentour,l'a arrachee & § # terre-ferme, pour la laiſſer
'ainſiplanteeau beau milieu des ondes. Mais auectout cela elle eſte plei- L,ºlde
ne d'infinies richeſſes, pour eſtre ſi propre & idoine au traffic & nc- †
gociation de toutesles choſes qu'on pourroit ſoubhaitter,ce qui donne lemonde
moyen aux habitans de faire leur proffit par deſſus tous autres mortels.
Ilya des ports & haures ſans nombretoutautour, & dedans les canaux
& carrefours encore, qui tiennent lieu de ruës & de places telles qu'on
voités autresvilles. Mais de toutes les choſes quiyſont,iln'yarié de plus
beau ne magnifique que l'Arcenal, qui eſtàl'vn des coings, là où ſont
· continuellemét entretenus pluſieurs milliers de perſonnes de toutes ſor
tes de meſtiers,trauaillâsaux galleres & vaiſſeaux qui ſontlà touſiours en
fort grâd nombre,lesvns preſts à faire voile,lesautres àietter enl'eau, les
autres qui ne ſont qu'encore eſbauchez, ouparfaicts à º# C'eſt auſſi .
- llj
II.4- Liure quatrieſme
vne trop ſuperbe choſe, que des halles & magazins remplis d'armes &
munitions de guerre, en quantité preſqueincroyable : car ce lieu fermé
tout autour de tres fortes & hautes murailles, contient pres d'vn quart
de lieuë de circuit; & toutes les annees on eſlit deux citoyens, qui ont la
1.e charge & ſuperintendence de tout ce qui en depend.Auregard des che
#, uaux & autres montures, on ne ſçait là que c'eſt, & n'y en a aucunvſage,
†"" cartoutle monde yva à piedle long des quaiz,qui ſont de coſte & d'au
ere des canaux, auec des ponts à chaque bout de ruë ;ou bien ſur de peti
tes barques fortlegieres, proprement agencees, & couuertes de cerge
noire, qu'ils appellent Gondoles,qu'vn ſeul homme conduict, eſtantau
derriere tout ſuſpendu enl'air ſur vn pied, où il vogue d'vn auiron en
auant, d'vne viſteſſe & dexterité nompareille. Les maiſons ſont faictes
en terraſſe, couuertes de thuiles creuſes : & n'y a aucunes murailles nc
cloſture autre que de la mer,quila bat de tous coſtez,& va&vient à tra
comme en uers,empliſſant les canaux d'eaue ſallee,où elle ſehauſſe & augméte deux
†º fois en vingt quatre heures à cauſe du flux & reflux qui eſt plus fort là,
u'en nul autre endroit de la mer Mediterranee Quant aux Magiſtrats,
† § & offices des places qu'ils tiennent, tant en la terre fer

qu'en nul au me de l'Italie,que de la Dalmatie,Eſclauonie,& Epire; & és coſtes,& iſles
§e de la mer,on les eſlit en ce grâd conſeil dont nous auons parlé cy deſſus,
†" toutes les fois qu'ils viennent à vacquer Leur temps expiré, ceux qui les
ont adminiſtrez en viennent rendre compte à la Seigneurie : s'ils s'y ſont
bien portez, ils montent de main en main à d'autres plus grandes & ho
norables charges:mais auſſi s'ilsy ont commis quelques #us, on les cha -

ſtie; les vns eſtans declarezincapables de iamais paruenir, ny eſtre em


ployez à aucune dignité publique lesautres encore plus griefuement , ſi
# #-
mee de terre le casy eſchet.Le chef& capitaine general de leurs forces par terre n'eſt
§ iamais pris du corps delaSeigneurie,de peur que venant à gagner la fa
#" ueur des gens de guerre quiontàluy obeyr & eſtre ſoubs ſa charge, il
n'attentaſtquelque choſe,& neſevouluſt emparer de la tyrannie & puiſ
ſance abſolue.Mais le plus ſouuentauxarmees de mer, ils commettent
quelqu'vn d'entr'eux,& meſmement quand ils n'ont moyen de recou
urer des eſtrangers aſſez ſeurs, & aguerrisà leur† Tous les ans d'ordi
naire ils mettent dix galeres dehors, & aucunesfois plus, qui vont ren
geant les coſtes de lamer Ionieiuſques enl'Archipel, & plus haut encore
vers l'Helleſponte,& la Propontide:afin de nettoyerla mer des Pirates,
quiauec leurs fuſtes ont de couſtume del'infeſter, & ſeietterſur ceux qui
vont & viennent, tant marchans que autres paſſagers : & par ce moyen
† aſſeurerleurs gens quitraffiquent en " Egypte, & en Surie, à Baruch,

les ans deux Tripoli, & autres endroicts pourle faict de l'eſpicerie, droguerie, ſoyes,
†º draps d'or & d'argent,& toutes autres ſortes de denrees precieuſes, qui
§. viennent à la mer par lavoye d'Alep, & de Damas.Au moyen dequoy
† " ces galeres ne retournent point, qu'iln'en arriue d'autres pour leur leuer
#º le ſiege.Il ya des vaiſſeaux ronds auſſi,quela Seigneurie loüe auxparticu
- liers qui vont en Alexandrie d'Egypte,voireiuſques aux mareſts Maeoti
i

-
Del Hiſtoire des Turcs. 1f5
des,audeſſus duPontºin, & dvn autre endroict, tout le long de la
coſte de Barbarieversleºeſtroict de Gilbatar, & horsd'iceluyencore par
la mer Oceane,és Eſpaignes ,
Portugal, France, Angleterre, Flandres,
FHolande, Frize, Dannemarch, Noruege, & autres regionsSeptentrio
nales; où les ieunes Gentils hommes Venitiens vont ordinairement en
perſonne, tant pour gaigner quelque choſe, que pour veoir le monde, -

& apprendre àviure, par le moyen de la practique & cognoiſſance qu'ils †


ont des meurs & façons de faire des nations eſtrangeres ce que puis apres §.
ne leur ſert pas de peu au maniement des affaires publiques. Orils con-"
ſumerent de grandes ſommes de deniers en la guerre qu'ils eurent con
trele Duc de Milan, de façon que toute leur eſpargne yfut eſpuiſee, &
le reuenu encore ſi bien eſcorné, qu'ils furent contraincts de ietter vn
gros emprunt ſur les particuliers, quaſi de la dixieſme partie de tout leur
auoir; dont toutesfoison leur faiſoit rente qui paſſoit à leurs heritiers, &
ayans cauſe : y en a encore qui par diſette & neceſſité, la tranſportent &
alienent à d'autres, àvil pris.Car combien que cette cité ſoit riche & opu
lente infiniment, & qu'ily ait de bonnesbourſesautant qu'en nulle au
tre que ce ſoit, ilyaauſſi ( comme par tout ailleurs) de mauuais meſna- -

ers, & de ceux qui ne ſont pas heureuſemeutappellez delafortune aux .


§ facultez de ce monde. Tellement qu'il s'y trouue de la pauurete
par endroicts, & ſi le public n'a point accouſtumé d'ayder ne ſubuenir
iamaisvn Gentil-homme † neceſſiteux& indigent qu'il †
puiſſe eſtre, de peur que celane fut cauſe de les rendre nonchalans & oy-§
y- niſe pour en
ſifs, & les empeſcher de s'eſuertuer d'eux meſmes. L'ordre (au reſte)& †"
police qui y furenteſtablis dés le commencement,ſont ſi bons, † par
vnetelle longueur de temps qu'ilya que ce Potentat dure,il ne s'eſt trou
ué encore perſonne, quiſe ſoit mis en deuoir d'yſuſçiter eſmotion,ou d'y
vouloirinnouer quelque choſe,fors ſeulementvnieune Gentil homme †
nommé Baymondo Tiepoli, de fort bonne maiſon & grandement ri-ſ, #
che, lequel parle moyen de ſes dons, largeſſes, & bien-faicts, auoit tel-§
lementalleché la commune, qu'il eſtoit ſurle poinct de ſe faire Seigneur,"
quandainſi commeil s'en § aller au Palais pour s'en emparer, ac
compagnéd'vne grandefoule de † le ſuiuoit auec cris & ioyeu
ſes acclamations,vne femmeluy ietta du haut d'vne terraſſe vne thuile
ſur la teſte, qui luy froiſſala ceruelle, & finalà ſes iours, aucc ſon ambi
tion & courte tyrannie. Perſonne ne s'eſt trouué depuis quiait voulu,ou
pourle moins oſé entreprendre de remuerl'eſtat, car la ſeigneurie donnç
bonME
ordre
CH quetels inconueniens
MET, fils n'aduiennent
de Paiazet, ayant denonceplus.
laguerre aux Venitiens, - - , -

IX.
-

Mechmet lc

ils armerent ſoudain bon nombre de Galleres, auec forcevaiſſeaux rôds, † ,


car il y ena touſiours de preſts à voguer & fairevoile, & ne reſte que de #
ietter les mattelots, & gens de guerre deſſus : tous leſquels cinglerent de
- - - e aux V c n1
tiens. -

conſerué droict la dela


Lauredangeneral routte de l'Helleſponte,
flotte, qui en la guerreſous la conduicte
contre de Pierre
les Geneuois pierrechefLaure
auoit dan de
l'armee de

faict maintes belles choſes,& acquisvngrand honneur.Cettuy-cyeſtant †"


K iiij - --
II6 Liure quatrieſme
arriué au deſtroict quiſepare l'Aſie de l'Europe, s'en vint mouillerl'ancre
vis à vis de laville de Gallipoli, ne voulant pas rompre ouuertement, ne
venir auxarmes le premier,s'illuy euſteſté poſſible, pource qu'il ſembloit
que la paix reſpiroit encore, & que les alliances n'eſtoient pas du tout ſi
violees & enfrainctes, qu'il n'y euſt quelque eſperance d'appointement.
auſſiauoit-ileu charge expreſſe de la Seigneurie de temporiſer, & ſerete
nir pluſtoſt ſur la deffenſiue, que d'eſtrele premier à aſſaillir; ce qu'ils fai
ſoientauecvne bien grande conſideration , & fort prudent aduis, afin
§uelalescoſte
places qu'ils tenoientaubeau milieu despaysdeMechmet,lelon
de la mer Ionie, & au dedans de la mer AFgee, ne vinſſent à
ſouffrir † dommage de la part desTurcs, dont elles eſtoientenue
loppees de toutes parts. Parquoyle Senat entreles autres poincts & ar
ticles de ſes inſtructions,luyauoitfort recommandé cettuy-cy,de ſe bien
arder de rompre le premier, à celle fin † prouoqué des ennemis,
# euſſent plusiuſte couleur de ſe deffendre.Comme donquesilfuſtvenu
ſurgirau deſtroict de l'Helleſpôte,àlaveue de Gallipoli, tout ioignant le
riuage de l'Aſie, le Gouuerneur de la place, de la maiſon & famille des
Fuſcari, ſe prit ſoudain à eſcrier, quela maieſté du grandSeigneur ne per
# mettoit pas de comporter plus †
que ces gens-là les vinſſent
§ brauer deſ pres.Ory auoit-il plus d'animoſité en cela que de raisô;pour
†" ce qu'vn ſien fils auoit eſté tire en iugement à Veniſe par le conſeil des
dix,au grand danger de ſa teſte, pour quelques menees & practiques
qu'on ſoupçonnoit auoir par luy eſté braſſees contre l'eſtat. Toutesfois
encore qu'on luy euſt donné la †
fort & ferme,ſine § rîen
tirer de luy, au moyen dequoyileſchappa, & s'en retourna ſain & ſauue
à ſes parens. Il fut encore pris vne autre fois depuis, & arreſté en Candie,
pour auoir tuévn homme qui luyreprochoit ce que deſſus, & de-rechef
accuſé de trahiſon : tellement qu'ilfut mené à Veniſe, & ſemblablement
trouuéinnocent, & renuoyé en Cádie abſous à pur & à plain,là oü quel
que temps apresil finaſesiours.Et ainſile gouuerneur de Gallipoli,apres
L'armee de auoir chargé àlahaſte† nombre de gens de guerre ſur les vaiſſeaux

merT§ qui eſtoient au port,aſſauoirvingt-cinq galeres,&enuiron quatre vingts


†º que naufz, que brigantins,il ſe ietta hors la bouche d'iceluy, auec vne
- grande parade & obſtentation, & vn bruict merueilleux de trompettes
& clerons, penſant d'abordee eſpouuanter les Venitiens, & qu'ils ne l'o
ſeroientattendre : Mais euxhauſſantincontinentlesvoiles,paſſerentvn
· eu plus outre deuers le Periconeſe , non toutesfois que la peur commå
†daſt de faire cela, mais ſeulement pour mettre touſiours le bon de leur
f geºle de coſté, & monſtrer d'auoir fuyàleur poſſible l'ouuerture de cette guerre:
† pourprendre quant & quant le deſſus du vent,& l'aduantage du courant
§" qui de la largeur & ſpatieuſeté de la Propontide ſe venant reſerrer en cet
- - - - - b - - | | - - - -

†"te encouleure oucanal, deuientlà fortroide & impetueux. Oryauoit-il


n'a pas vn

e la ge,ordi- vne galere Peloponeſienne qui ſuiuoit derriere aſſez loin,& paraduentu
( -

† re qu'onl'auoit ainſilaiſſee tout à propos : contre cette-cy ſe deſbanda dc


Urt ICIm - • * - -

§" la flotte & armeeTurqueſque,vne deleurs galeres des mieux equippees,


De l'Hiſtoire des Turcs. II7
pourl'allerinueſtir & choquer, & neantmoins on faiſoit ſigne de la ge
nerale desVenitiens àl'autre,qu'elle euſt à ſuiureſaroutte ſans autrement
s'arreſter à combattre;ce quele capitaine prit tout en autre ſens,interpre
tant que s'eſtoit le mot qu'on luy donnoit pour commencer la charge.
Au moyen dequoy
venoitàluy de droitfaiſant
fil, illaadreſſerl'eſperon deſaparla
prit ſi à propos, tant galerefaueur
contreduvent
celle qui .galere
& Vne
Turqueſque
de lavague dontilauoit le deſſus, que del'effort de ſa cheurme qui eſtoit miſe a fonds
- 2 - - • du premier
- - - - - -

beaucoup meilleure que l'autre,que ſans autre contradiction illa renuer- #"
- - - " - : n1t1cnns.
ſa & mit à fonds. LesTurcs voyans le conflict auoir ainſi eſté commen-
- - - - Batai|!
cé dela part des ennemis ne ſe contindrent plus, mais ſe mirent à voguer §le,
de toute leur force; & les autresauſſi tournerent les proués de leurs vaiſ †º
ſeauxau
lez deuantà d'eux,
& attachez tellement&que
vn tres-furieux toutcombat,
mortel ſoudainils
quiſecouurit
trouuerent meſ †
envnin- Poil.

ſtantlamer de corps morts, & du bris des vaiſſeaux qui s'entrefroiſſoient


auec vn bruicthorrible & eſpouuantable. A la parfin toutesfois les Ve vidoire des
nitiens demeurerentlesmaiſtres,& ayans mis pluſieurs vaiſſeaux à fonds, "
en prirentiuſques à treize,mais vuides d'hommes la plus grâd'part,pour
ce quelesTurcs s'eſtansiettez en la mer, gaignerent fortaiſément à nage
le prochain bord; & les autres ſe ſauuerent à la fuitte le mieux qu'ils peu- - -

rent. Cette victoire leur mit tout incontinent entre les mains la ville de t†.
Lampſaque,qui eſtoit pres delà,laquelle ſe rendit ſans coup frapper. Ce-†**
la faict, & apresy auoir laiſſe vne bonne garniſon, ils s'en retournerent
en leur pays où Lauredan n'euſt pas pluſtoſt mis pied en terre, que pour Grande ſeuè
recompenſe deſavertu, & des ſeruices qu'ilauoit faicts en ce voyage, on rité d'iceux.
l'appella eniugement, pource que contreuenant à ce qui luy auoit eſté
ordonné, ilauroit le premier faictacte d'hoſtilité, & rompu la paix que
la ſeigneurie auoitauec Mechmet. Toutesfois le tout bien examiné il fut
abſous à pur & à plain;comme celuy quin'auoit point commeneé la meſ- -

lee: Auſſi que biè toſtapres eſtansallez & venus pluſieurs meſſages d'vne †
part & d'autre,les alliances furent renouuellees, & l'appoinctement re-aueclerº
noüé. Les choſes paſſerentainſi à celle fois entre les Venitiens & Mech- -

met, lequel au demeurant ſe monſtroit merueilleuſement affectionné


enuers les Grecs, s'efforçant touſiours de plus en plus de les gratifier, &
rendre contens de tout ce qu'ils vouloient de luy;& procedoit cetteami
tié,à ce quel'on dit, d'vne telle occaſion. X
MvsT A PHA qui eſtoit auſſi des enfans de Paiazet : reprenant les erres Muſ hale
de ſon frere Moyſe, s'eſtoit retiré deuers le Prince de Sinope ennemy † enfans de Pa

mortel de Mcchmet;aueclequelilauoit faictliguetres eſtroicte,tellemét m†


enees con
qu'ils s'eſtoient entrepromis & iuré de iamais ne s'abandonner l'vnl'au trsſonfrere
u1 le deſcon
tre, quelque affaire & danger qui ſe preſentaſt. Ilauoit pariellementen- †#. eſté
- . - - - -

" ! . - - • || > - ſ
uoyéſesAmbaſſadeurs au Prince de Valaquie, où il s'achemina en per-"
ſonne bien toſtapres; & fut fort amiablement receu de luy,auec de gran
des offres & promeſſes de luyaſſiſter en tout & partout- Cela luyhauſſa
le cœur d'aſpirer au recouurement del'Empire, mais il perdit beaucoup
de temps à roder de coſté & d'autre auec trois cens cheuaux qu'ilauoit en
r

#
118 Liure quatrieſme
tout; deuers les principaux ſieurs Turcs pour taſcher de les attirer à ſon
· party, & leur faire abandonner celuy de ſon frere. Et voyantàla fin que
perſonne pour cela ne ſe mouuoit, ny que les choſes n'eſtoient pas pour
luy ſucceder ſelon ſes conceptions & eſperances, il ſe trouua en vne fort
grande deſtreſſe & perplexité: car Mechmet qui eſtoitvn bon & equita
Ble Prince, doux & courtois enuersvn chacun, & d'vn eſprit merueilleu
ſement repoſé, auoit ſi bien gaigné les volontez de tous les peuples,qu'il
n'eſtoit pas bien aiſé de le deſarçonner. Ioinctauſſi qu'il mettoit en auant
cettuy cy n'eſtre pas le vray Muſtapha, fils de Paiazet,ains auoir eſté ſup
poſé au lieu de l'autre, qui eſtoit mort petit garçon : Ce que meſme teſ
moignoit celuy quiauoit eu la charge de le nourrir & eſleuer, perſonna
ge d'authorité, & digne de foy : Et devrayil ne rapportoit de rien que ce
ſoit,ny à Paiazet,nyà pas vn de ſes enfans,de façon queMuſtaphavoyant
qu'il n'aduançoit rien, aduiſa de ſe retirer deuers les Grecs, parle moyen
deſquels il eſperoit faire mieux ſes beſongnes, d'autant qu'ils eſtoient
commeau centre de l'Empire desTurcs, & parainſi pourroit aſſaillir ſon
frere de quelque cofté qu'illuyviendroit le plus à propos. En cette de
termination,accompagnee neantmoins de beaucoup d'incertitudes &
| ſoucis, il s'en partit de Valaquie, & prenant ſon cheminatrauers laThra
ce, vintàTheſſalonique, oùiln'eut pas pluſtoſtmisle pied, que le gou
uerneur delaville s'en ſaiſit, & foudain en aduertitl'Empereur pour ſça
uoirce qu'il envoudroit eſtre faict : auſſi que Mechmet ayant eu le vent
de la venue de Muſtapha en la Grece, auoit en toute diligence aſſemblé
vn camp volant, & s'en eſtoitvenu (le cherchant de toustoſtez) deuant
Theſſalonique,où on luyauoit dit qu'il s'eſtoit retiré:Parquoyildeman
doit à toute force qu'illuy fuſt mis entre les mains, commevnaffronteur
ſuppoſé, vraye peſte & note d'infamie pour la maiſon des Othomans.
L'Empereur

† L'Empereur fit reſponce, qu'on ſe donnaſt bien garde de le laſcher en


i§ " quelque ſorte que ce fuſt; & quant & quant depeſcha à Mechmet pour
" renouueller les anciennes alliancesauec luy, ſous condition de ne remet
treiamais Muſtapha en liberté. Surquoy fut la ligue & amitié iuree, fort
expreſſe entre les deux Princes : & l'infortuné enuoyé priſonnier au cha
†ſteaufd'Epidaure, auec Zunait Duc de Smyrne, qui eſtoit venu pour
l'aydercontre Mechmet; là oü ils demeurerent aſſez longuement,& puis
s†* furent tranſportez és iſlesd'Imbros & Lemnos, dont ils ne ſortirentiuſ
quesapres la mort de Mechmet.Ainſi les Grecs luy ayans ſi bien com
penſé tous les plaiſirs qu'ils en auoient receuz : parle ſeuldetenement de
Mechmet fut celuy qui luy pouuoit renuerſerſans deſſus deſſoubs tOllt lerepos&aſſeu

· § rance entiere de ſon eſtat,obtindrent ſans grande difficulté ce qu'ilsvou


† lurent de luy, tant qu'ilveſcut; & ce pendant eurent vnbeau moyen de
enuers les

º faire leurs beſongnes ſoubs la faueur & ſupportd'vn ſipuiſſantamy,allié


& confedere. Auſſi diſpoſerent ils comme bon leurſembla de tout le Pe
loponeſe, & y eſtablirent telle forme de gouuernement qu'ils vou
lurent.
XI.

1
d'Emanucl.
s O R auoit l'Empereur Emanuel pluſieurs enfans, & en premier lieue
\
Del'Hiſtoire des Turcs. 119
Iean le plus aagé de tous,Andronic, & Theodore, puis Conſtantin,Di
mitre, & Thomas. A Iean non ſeulement commeàl'aiſné, mais le meil
leurencore, le plus ſage, & debonnaire de tous les autres,illaiſſal'Empi ſans, iſºé
re, & le maria auecla filledu Marquis de Montferrat, qui audemeurant †
n'eſtoit pas des plusbelles,mais en ſageſſe , honneſteté, modeſtie & ſem-leo§ &
blables vertus dignes du lieu dont elle eſtoitiſſue, ne cedoit à aucune au †
tre de ſon temps Neantmoins pour tout cela, ſon mary qui viſoit plus†.
au corps qu'àl'eſprit,ſuiuantl'ordinaire des ieunes gens (meſmement où †
l'accouſtumance, qui eſt le plus fortlien qu'on puiſſe trouuer pour arre- §
ſter & retenirl'amour, inconſtant & volage ſans cela, n'eſt point encore -
aſſez bien eſtablie & ancree entre les deux parties)ne laiſſa pas del'auoirà |

contre-cœur & deſdain, de ſorte qu'il ne la pouuoit gouſter, & ne han


toit auec elle en ſorte quelconque. Et elle qui eſtoit d'vn grand cœur,
ne peut longuement comporter qu'on en fiſt ſi peu de cas : Parquoy ſans
attendre d'auantage, ne prendre la patience de le gaigner auec le temps,
† par aduenturey euſt peu faire quelquechoſe,le planta là, & monta
urmer, pours'en retourner à ſes parens, luy puis apresſe remaria à la fil
le du Duc de Ruſſie. Ce furent les primices de l'Empire de ce ieune Prin
ce, auquel ſon pere Emanuel s'en eſtoit demis deſon viuant, & ſi l'auoit †*
pourueu † & quant du Patriarchat, qui eſt la ſouueraine dignité de #ºtº
toute l'Egliſe Grecque.Andronic(le ſecond de ſes enfans)eut legouuer.
IlcIIlCIlt § Theſſalonique, mais quelquetemps apresil cheut en meſel-†.

lerie:& pour ce qu'ilvoyoit les affaires de cette cité eſtre en ſi mauuais §r


train, qu'iln'yauoit plus d'ordre ny eſperance de les redreſſer,illavendit #.
aux Venitiens pourvne bien petite ſomme d'argent , eſtimant que cette "
alienation retourneroit au bien & vtilité de luy & des habitans.Cela fait,
il ſe retira au Peloponeſe deuers ſon frere, oû il eſleut ſa demeure en la
ville de Mantineeau pays de Laconie. Mais il neveſcut pas longuement -

apres; car le mal ſe rengregea, quiauccle chagrin & ennuy dont il eſtoit
affligé, pourſevoir en vnſipiteux eſtat, l'emporta hors de cette vie à vne
plus heureuſe; ne laiſſant pourtous enfans qu'vn ſeul fils nommé Theo
dore,lequelauant mourir,ilauoit enuoyéà ſon frereTheodore Porphi-†
rogenite,

† ſuccederàla Seigneurie du Peloponeſe, comme il fit §nd
- • , / des enfans
à la fin : & fut touſiours fort gracieuſement traité de luy,
non rant pour §le
luy eſtre nepueu, † pource qu'il eſtoit fils quant & quant de celuy de au
quel ſucceda
tous ſes freres qu'ilaymoitle mieux. Ce Theodore apresle decés de ſon ſe.Pelopont
pont

oncle eſtât paruenu à vne ſi belle & ample Seigneurie,eſpouſalafille d'vn


Malateſte Italien, Ducdela Marche, l'vne des plus belles & accomplies Theodore Pa
Princeſſes qui fuſtentous ces quartiers là : Et neantmoins il s'en ennuya †
tout incontinent; dontils firent vn ſi mauuais meſnage,&eurent tant de †
· riottes , de querelles, & diſſentions parenſemble, que finablementilſe †
reſolut de quitter tout là, & allerprendre l'habit des Cheualiers de ſainct §.
Iean de Ieruſalem, qui faiſoient lors leur reſidence en l'Iſle de Rhodes.
S'eſtant doncquesarreſté du tout à ce propos, il enuoya querir ſon frere
pour luy reſigner la principaute entre les mains. Mais tout ſoudain il
I2O Liure quatrieſme
changead'aduis, carles Seigneurs & Barons qui eſtoient ſans ceſſe à ſes
oreilles pour luy remonſtrer l'erreur qu'ilvouloit faire,l'endeſtournerent
, † à la parfin, & firent tant qu'il ſe remaria a la fille de René Duc d'Athenes,
§ laquelle ſurpaſſa en excellence de beautétoutes les autres dames de ſon
† temps : mais il n'en eut point d'enfans, & reuint le tout apres qu'il fut
†i, mort,à ſesbaſtards, § quenous dirons cyapres Ce René icy qui fut
† ſeigneur de Corinthe, & d Athenes , & commanda auſſi à la Bœoce,voi
§" reiuſques ſurles confins & limites de laTheſſalie, eſtoit Florentin, de la
maiſon des Acciaoli,&paruint à cette grande authorité lors que les Fran
çois, & les Venitiens, enſemble le Roy de Naples, les Geneuois, Lom
bards, & autres puiſſans peuples du Ponant, parl'enhortement & inſti
ation du Pape, paſſerent de compagnie à la conqueſte du Pelopo
neſe, & du reſte de la Grece. Les Geneuois de la famille des Zacharies,
s'emparerent bien & beau de la contree d'Achaye,& de la plus grand'part
de celle del'Elide, Prirent auſſi la ville de Pylos, auec vne bonne por
tion du pays de Meſſene, & ſi ancrerent encore dans la Laconie,telle
ment que rien ne demeura aux Grecs ſinon le cœur & le dedans du Pelo
poneſe , car les eſtrangers ſe firent maiſtres de toute la coſte, & des re
· gions maritimes, dôt René eut pourſapart celles de l'Attique, & de la
Bœoce, comme i'ay dit cy deſſus, & ſi prit depuis quelques places ſur les
Phocenſes.Les Geneuoisauoient longtemps auparauant conquis l'Iſle
d'Euboee, autrement dicte Negrepont, leſquels ayans quelquefois per
1e,venitien, misauxVenitiens d'y deſcendre pourſe raffreſchir, ceux cy s'eſcarterent
† de coſté & d'autre comme pouraller àl'eſbat : Surquoy ils entrerent en
†e querelle auecles Geneuois, dontils eurent le deſſus, & les en chaſſerent.
§ Ét pour ce que le pays leur ſembla propre & commode pour beaucoup
†" de leurs intentions, ils le garderent depuis , donnant toutesfois†
13oI. recompenſe aux Geneuois,afin d'amortir les querelles qui euſſent peu
ſourdre de cette illegitime occupation. Longtemps apres les Venitiens
& Geneuois, ce Renéicy,les François & Arragonois, enſemble tous les
autres qui paſſerent lamerauec eux àl'entrepriſe de la Grece,aborderent
en cette Iſle,où Renéprit l'alliance d'vn certain Prothyme dontil eſpou
ſalafille , par le moyen duquel mariage il ne tarda gueres depuis à s'em
parer de la † : & delà ſe iettant ſur la terre ferme,prit Corinthe;
tellement qu'il imaginoit deſia en ſon eſprit la conqueſte de tout le Pe
loponeſe,quandTheodore frere de l'Empereur,voulant à toutes aduen
tures preuenir & obuierà ce qui en euſt peu arriuer, l'alla trouuer pour
traicter d'appoinctement,&luy demanderſa fille(cette belleieune Dame
que nousauons dit cy † le pereluy accorda tresvolontiers,
& luyaſſigna pourſon dotlaville & le territoire de Corinthe, dont ils
peut le deuoyentiouyrapres ſa mort. Quant à l'autre de ſes filles, il la maria à
desTechiens Charles Prince d'Acarnanie, & d'AEtolie.Or les premiers Ducs de ce pays
la reco gnoiſſoientpourſouuerain le Roy deNaples,auquel †
ſe donnerent les iſles de Cephalenie, de Zacynthe, & les Echinades,tou
LCS leſquelles à cauſe des grandes & longues guerres, qu'ils auoient euës

- - - -- - - - - COIltIC
De l'Hiſtoire des Turcs. I2 I

contre leurs voiſins , où preſque tout eſtoit demeuré perdu, ſe trou


uoientlors ſans Prince ny chefaucun; mais il mit par tout des gouuer- Charles To
neurs en ſon nom Quelque temps auparauant y en eſtoient bien arri- §
uez d'autres, & meſmement ce Charlesicy, ayant quant & luy vn Iac- †"
ques de la Roze, Dominique Gillio, & Geofroy Milly, tous braues &"
vaillans ſoldats, & fort experimentez aux armes ; mais comme ils ſe
iournoient en Cephalenie, illuyprit enuie d'aller donner ſur l'Epire, &
par le moyen de † ſieurs Epirotes, quiſevindrent rendre à luy,il
côquit le pais quileurappartenoit. Peu à peu puis apresl'Acarnanie vint
en ſes mains. -
XII.
SvR ces entre-faictes,les Albanois eſtás ſortis de Duras en bon nom
bre, s'en allerent prendre d'arriuee toute la Theſſalie,auecvnegrâde par
tie des regions maritimes de Macedoine, & les villes d'Argyropolychné,
& Caſtorie, qu'ils adiouſterentàleur domaine. Mais ils partirent entre
eux les placesdelaTheſſalie, courans & fourrageans ſans intermiſſion
aucune, tout le pays d'alentour, comme gens vacabonds, qui n'auoient
le pied ferme nulle part.De là ils vindrent en Acarnanie, ſous couleur de
mettre leur beſtailauxpaccages, dont la contree eſt fort riche & abon
dante,& ſur ces entrefaictes prirent conſeil entr'eux de iouërvn tour de
leur meſtier aux Grecs, en quelque ſorte & maniere que l'affaire deuſt
ſucceder. Ils auoient vn Capitaine entre les autres, nommé Spadafo , spad.fore
re, homme hazardeux & prompt à la main, en qui eſtoitleur principale †**
fiance,auſſileurauoit-ilfaict tout plein de bons ſeruices : Ceſtuy-cy fut
choiſi parmy tous,pour executer l'entrepriſe : tellement qu'ayans eſpié
par pluſieurs iours le Prince Iſaac (ainſi eſtoit appellé le ſieur de la con
tree)ils le prirentvn iour à leur aduantage,ainſi qu'il eſtoit alléà la chaſſe
ſans ſe doubter de rien, & le maſſacrerent en vn lieu à l'eſcart dans les
bois. Delà s'eſtans mis en campagne,ſe ſaiſirent de toutlepeuple qu'ils y †"
trouuerent,& le mirentàlacheſne, ſe faifans ſeigneurs du pays entiere †º
ment, & meſme de laville d'Arthé,capitale de toute l'Ambracie,laquel- -

leils prirent de force. Ils ne s'abſtindrent pas nomplus de courir les ter
res que tenoient en ces quartiers là les Princes du Ponant,oüils firent de tee ,
grandesdeſolations & ruines;carils n'arreſtoient en place, eſtans conti-ºbºgºndº
nuellement le culſurla ſelle à piller de coſté & d'autre.Cela fut cauſe que "
les Neapolitains qui eſtoient enl'iſle de Corfou(carles Rois de Naples la Corfou priſ
tenoient pour lors) ſe mirent en armes pour aller au recouurement de †
l'Acarnanie, & delaville d'Arthé, deuant laquelle ils allerent planter le †"
ſiege.Mais comme ils eſtoient apres à faire leurs approches , & dreſſer " .
leurs machines & engins pour battre la muraille, le capitaine Spadafore
ayant faict vnebriefue remonſtrance à ſesAlbanois,pour leur donercou
rage de ne ſelaiſſer point enuelopper là dedans, tout ainſi que beſtes
muës dans quelque pan de rets, & apres yauoirlanguy en grâde deſtreſ
ſe receuoir quelque vilaine & honteuſe mort, ſortit ſur les Italiens qui
| eſtoient eſcartez,lesvnsàfaire des tréchces,les autres à ſe loger, & la plus
- - L
I22 Liure quatrieſme
sºif def grand'partieallezaufourrage,& prochazdes victuailles,donnantſiver
# § tement ſur ce deſordre, que d'arriueeilles mit tous en routte, là oùil#
† en eut grand nombre de tuez, & beaucop de priſonniers : les autres le
§" ſauuerentàlafuitte le mieux qu'ils peurent.En ce côflictſetrouuaPrialu
pralup Bul. pas le Tribalié,Prince d'AEtolie,& allié de Spadafore ſieur d'Arthé, quiy
† fitvn merueilleux deuoir, en ſorte que pour cette fois ils demeurerent
nie. maiſtres de l'Acarnanie.Mais Charles quelque tépsapres,eſtant ſorty des
chalesTo Iſlesauecbon nôbre de ſes confederez,& autres,qui en haine de la tyran
†nienie.
des en
entrez Albanois,laquelleils auoientleàpays:&
cette ligue,recouurerent tres-grand contre-cœur, eſtoient
ſi conquirét encore la con

D5 ſgnique º d'AEtolieſur Dom Ignique d'Aualos Arragonnois,enſemb elaville


†rº des Dromeniens,qu'ilauoit arrachee des poingsaux enfans de Prialupas
' parvnetellevoye. Lors que ce Tribale icyalla au ſecours de Spadafore,
uand les Italiens vindrent mettre le ſie ge deuant la ville d'Arthé,
où ils
† ſibien battus,ily eut beaucoup de gésd'eſtoffe priſonniers, & en
tre autres ce Dom Ignique d'Aualos , gentil-homme de la Maiſon du
Roy de Naples, ieune,beau, & honneſte au poſſible, & quiſentoit bien
ſa bonne maiſon. Mais pourtout cela , Prialupas qui l'auoit eu à ſa part
auecd'autres captifs,nelaiſſa pas de le traiterindignement, ſans en §
nomplus de compte , † de quelque vil & maloſtru eſclaue, com
bien qu'il en attendiſtd'heure à autre vne bonne groſſe rançon, à quoy
. ils'eſtoit
La lubricite 1, . mis.Sa femme n'en fit pas ainſi, car elle n'eut pas pluſtoſt ietté
2 - - >

§ l'œil deſſus,qu'elle en deuint deſeſperement amoureuſe,fuſt qu'elle euſt


de Prialupas. pitié & copaſſion de levoir traicter ainſi mal, ou bien meuë de ſa ieu

neſſe & grande beauté, ou bien pour la legiereté de ſon naturel lubri
que § & laſcifautant † de nulle autre de ſon temps, car elle
n'attendoit pas qu'on la requiſt & priaſt d'amours, ains ayant aueu
glé quelque ieune homme de bonne taille , ſoudain elle le tiroit par
la cappe pour luy dire deux mots enl'oreille.Auſſiadiouſta-ellel'execu
tion à ſon deſir, commevieilſoldat qu'elle eſtoit, practiquee & experi
mentee de longue-main en tels affaires & occurrences:& luy en pleurent
tellement les premieres erres, qu'afin de les pouuoir continuer & entre
§
tenir plus à ſonaiſe, elle tta auec ſon nouueau adultere,l'homi
Lafemme de cide de ſon mary legitime. Le negoce n'alla point autrement en lon
†# gueur parce que la premiere nuict que Prialupas alla coucher auec elle,
| †. il n'euſt pas ſi toſtlateſte ſurle cheuet,qu'ils luy coupperent la gorge : &
§ ſi firent encore creuerles yeux à vnſié fils, qu'elle auoit eu deluy; lequel
† s'eſtoit deſrobé,en intétion d'aller demanderſecoursà Moyſe Empereur
propre fils. des Turcs,pourvégerle meurtre de ſon Pere, & recouurer ſon eſtat:mais
- d'Aualos qui n'eſtoit agreable à perſonne qu'à ſa femme, & elle deteſta
ble à tout le monde,ne gouſterent pas longuement le fruict de leur meſ
chãceté,car Charles ſuruint incontinentapreslà deſſus, quilesietta tous
deuxhors de cour & de procés,ainſi que nousauôs dit cy deuant. Quant
à la ville & au territoire des Ioannins, on n'y alla point pource que
Del'Hiſtoire des Turcs. , I23
de leur bon gréils ſe vindrent offrir & rendre à Charles : lequel depuis
qu'il en eut pris poſſeſſion, ſe maintint fortvaleureuſement en toutes les
guerres qu'ileut depuis Etainſi le pays d'Arcananie,apresauoir eſtéenla
main d'vn Triballe,& delà ſoubs vn Arragonnois,vint finablement ſous -

la puiſſance de ce Seigneur. . - - -

TENANT donques les deux bouts de la courroye,iladiouſta à ſa prin- xIII,


cipauté la contree prochaine à la riuiere d'Achelous , † pour lors on
· appelloit AEtus , & le territoire d'Argyropolichné, iuſquesà la ville de
Naupacte,vis à vis de l'Acahye.Il mania au reſt, tres ſagemét ſes affaires
empaix,& enguerre,dont ils'aquitvne fort grande gloire & reputation c,:harlesToº
- - - - r

parmy tous ſes voiſins : Car en iuftice & cquité, en valeur & proeſſe, cec§
ilne ceda à nul d'eux,ſibien que ſon faict † de bien en mieux, § # ſage& heu

il eſpouſa Euboide fille de René Ducd'Athenes, & de Corinthe: mais †.


pource qu'il n'eut point d'enfans d'elle, illaiſſa par teſtament à vn ſien †
baſtard nómé Anthoine, le pays de la Bœoce auec laville de Thebes; &
celle de Corinthevint àTheodore frere de l'Empereur, l'autre gendre
de René Aiât puis apres retiré Athenes des mains des Arragonnois qui Anthoiné
s'en eſtoient emparez,illa laiſſa aux Venitiens, tellement qu'Anthoine dict
>I • , - -
fils baſtard de
Charl
n'herita que de la Bœoce, carle reſte du pays des Phocéſes,auec la Leba-†,
die auoient deſia eſtéempietez par Paiazet:Mais luy ne pouuant côpor-†º
ter de ſeveoir eclipſervneſibelle piece,leur meut la guerre, & s'en alla
auec ſon armee planter deuant laville d'Athenes, faiſant toute diligence
del'enclorre & ſerrer de pres,afin de la reduire à † neceſſité, & fa
ciliter par ce moyen les pratiques & menees, qu'il auoit deſia faict ſemer
parmy les habitans.LesVenitiens d'autre coſté,à quiilfaſchoit de la dcſ
mordre, craignans que ſi elle n'eſtoit promptement ſecouruë par quel
† voye que ce peuſt eſtre,il n'en aduint quelques inconueniens, firent
oudain leplusgrandamas degens qu'ils peurent en l'iſledeNegrepont,
auecl'equipage & ſuitte neceſſaire pour leur entrepriſe en intention de
s'allerietter dãs la Bœoce,afin de diuertir Anthoine, & luy faire leuer le
ſiege d'Athenes pourvenir au ſecours de ſon plus aſſeuré heritage. De
· quoy tout auſſitoſt qu'il eut les nouuelles, il partit ſecrettemeut de fon
campauec ſixcés hommes ſans plus, toutefois choiſiz & eſleuz parmy
tquslesautres,& s'envint embuſcher en vn deſtroict paroùles ennemis
deuoient paſſer; faiſant deuxtrouppes,l'vne qu'ilmit àl'entree, & l'au
tre à l'iſſuë de ce goullet.Cependant les Venitiés tiroient touſiours pays
droict à la ville deThebes, diſtante de l'iſle de Negrepont dix lieuës ſeu
lement, & s'eſtoient deſia enfournez en ce paſſage ſans l'auoir faict au
trement deſcouurit, pource qu'ils neſe doutoient de rien, quand tout à
vn inſtantils ſe trouuerentenueloppez & par deuant & par derriere , & -

chargezaudeſpourueuſi rudement, qu'ils n'eurétiamaisleloiſir,nyde ſe †


r'allier pour côbattre, ny de s'apperceuoir du petit nombre de ceux qui †
leur couroient ſus.Car ils eſtoient bien ſix mille,quiſe pouuoiétayſémét § v .
demeſler de cette ſurpriſe,ſide primefaceils ne ſe fuſſent ainſi eſtonnez,"
- r · · L j
124- Liure quatrieſme
& perdus; ce qui fut cauſe deleur entiere defaicte, & que ſans faire autre
deuoir ne § ſemirenthonteuſement à vau de-routte; la plus
grand part eſtans taillez en pieces ſur la place, & le reſte pris priſonniers,
meſmement leurs magiſtrats & officiers , qui y demeurerent preſque
tous.Anthoine tout eſleué & glorieux pourvnetelle victoire, heureuſe- .
· mét obtenue en téps ſia propos,s'éretourna tout de ce pas au ſiege d'A
thenes,& ne fuſt neantmoins pour tout cela venu à chef de ſon entre
priſe,aumoins ſi toſt, n'euſt eſté la trahiſon de quelques vns des habi
tans, qui trouuerent moyen de luy liurer la ville entre les mains : &
peu deiours apres luy fut encore rendule Chaſteau au moien dequoy il
Laville & le ſe trouua lors ſeigneur paiſible del'Attique, & de la Bœoce. Et comme
†º deſiaauparauant, du viuant encor de ſon pere , ilfuſt allé quelque fois
† à la porte de Paiazet,& depuis à celles de Moyſe,de Muſulman, & de
Mechmet, il prit deſlors cognoiſſance aux Genniſſaires, & perſonnages
de credit & authórité enuers les deſſuſdits Empereurs Turcs, leſquels
il ſceut fort bien gagner,tant par ſon honneſteté & douceur, que par ſes
largeſſes & preſens. † facilita grandement la paix & repos en
† regna le reſte de ſes iours,s'eſtatmoſtré en toutes les occaſiôs qui
e preſenterent,homme de cœur & de gentil eſprit,& negotiation : Car
apres cette priſe d'Athenesiln'oublia pas d'allerà la porte duTurc pour
Tyranniques Y renouuellerſes anciennes accoinctances, & s'obliger les volontez de

mens d'An-
ceux quiypouuoient le plus. Toutesfois il ne ſe monſtra pas bien iuſte
- - - > -

§ & equitable en toütes choſes,car il rauit la femme d'vn gentil-homme


† deThebes, qu'il eſpouſa par force : Et ne ſe contentant pas de telle vio
ſte. lence,s'amouracha encor depuisd'vncautre damoiſelle de lameſmeville,
† fille d'vn des principaux preſtres(car iln'eſt pas deffendu aux gens d'Egli
§ ſe delareligion Grecque de ſe marier ) le iour propre de ſes nopces , en
" la prenant pourlamener danſer,tellement qu'ill'eſpouſa bientoſtapres:
Et neant-moins pourtout cela,il ne laiſſa pas de regner longuement &
heureuſement, ſigrande force & vigueureut le bon ordre qu'il maintint
touſiours, que meſmeilamortit les deſſusdictes tyrannies, & aſſezd'au
trCS § , qui autrement euſſent peu eſtre du tout inſupporta

bles à ſes ſubiects. Il maria vne ſienne fille adoptiue au fils de Galeot
cas pºn Prince del'AEgine,vaillantieune hmome,& fortadroictaux armes,par
#
pouſe la fille quoyille reſpcctabeaucoup, d'autât qu'ilſe ſeruir de ſa valeur & proeſſe
†e comme d'vn rempart, pour ſe maintenir ſeurement en lavie repoſee &
IltllO1nc

§ tranquile,qu'il embraſſa dés lors qu'il euſt arreſté la paix de tous poincts
auecles Venitiés: De ſorte qu'en tout heur & felicitéil paruint iuſques à
ſa derniere vieilleſſe,& amaſſa de grâds treſors;embellit quât & quant,&
decoralaville d'Athenes depluſieurs magnifiques & excellés cdifices,au
Anthoine re lieu des antiques quiauoiét preſque eſte tous ruinez parles iniures& ini
†" leurs
ricS.
quiteztragedies,
du téps,&les
toutlogues guerres
ainſi que quiyauoiét(à
ſur vn maniere deparler)ioué
publiq eſchaffaut. L'autre de ſes
filles,que ſemblablementilauoitadoptée,fut†º à vngentil-hom:
me de Negrepont,riche & de fort bonne maiſon. -
| Del'Hiſtoire des Turcs. º.
-

O R m'eſtant ainſi longuement deſtourné apres ces choſes particu - xIIiI.


lieres&incidentales,ileſtdeſormais temps que ie retourne à Theodore

petit fils de fut Duc de Sparte, & Seigneur de tout le
reſte du Peloponeſeapres la mort de ſon oncleTheodore lequell'ayant
eſleué & nourry en toutes bonnes meurs & conditions loüables, le laiſſa
ſon ſeulheritierapresſa mort. L'Empereur Emanuel s'y achemina ſou
dain,tant pourſe trouueraux funerailles de ſon frere (où il fit luy-meſ
melaharangue ſelonlacouſtume, monſtrantvn grand reſſentiment de
douleur † tombeau, & yverſa maintes larmes) que pour aſſeurer &
eſtablir à ſon nepueul'Eſtat quiluyauoit eſtélaiſſé.Et pour ceſt effect aſ
ſemblalaplus grande partie de tous les peuples du Peloponeſe ſur le de
ſtroict de Liſtme,pourle fermer de muraille : laquelle ne fut pas pluſtoſt
en deffence, qu'il ſe ſaiſit des Seigneurs & Barons du pays qui pouuoient
remuer quelque choſe, & les emmena auecques luy à Conſtantinople
· ſoubs bonne & ſeure garde, laiſſant des gens en garniſon en cettc nou
uelle fortereſſe. Voila comment les choſes de la Grece paſſerent alors,
laquelle tant que Mechmet veſcut demeura touſiours en fort grand rc
pos & tranquillité,tant pour le† del'Empire, que pour le faict des
particuliers Car Mechmet s'eſtudioit de tout ſon pouuoir à leur fai•
re gouſter de plus en plus , combien eſtoit doux & ſauoureux le fruict
de la paix dont illeslaiſſoit iouyr; & auoit ſoigneuſementl'œil à diuertir
& empeſcher que les Genniſſaires, gens tempeſtatifs & tumultueux, nc
communicaſſentauecles Grecs, de peur qu'ils ne leur miſſent quelques
opinions en la teſte, quiles euſt peubroüiller, & faire rompre auec luy.
Au reſte, outre les preſens qu'il faiſoit ordinairementaux gens d'authori
té,ilaccordoit facilement tout ce qu'on vouloit de luy: toutes leſquelles
choſes il faiſoit, afin de pouruoiràl'aduenir au faict de ſon fils Amurat,
qui eſtoitl'aiſné, & auquelilauoit deſtinél'Empire de l'Europe apresſa
mort; comme à Muſtapha ſon autre fils,celuy de l'Aſie.Ayant doncques Mechmet de
ainſi diſpoſe de leur partage parteſtament,illeur ordonna que ſur tout §.
ils ſe retinſſentenl'amitié & alliance de l'Empereur de § †.
& que toutes les fois que l'occaſion s'en preſenteroit, ils n'oubliaſſent #º
chacun endroit ſoy, de luypreſterayde & ſecours contre quique ce fuſt. -

Il enuoya auſſi vne groſſe armee en Vallaquie ſoubs la conduicte de


Chotzas domeſtique de Therozes, pour piller le plat pays , laquelle
par meſme moyen fit quelques rauages en la Tranſliluanie, & en l'Eſ
clauonie encore. Au regard de Brenezes, qui fut ſemblablement à la †º
guerre fort long-temps en ces marches-là, & dans le Peloponeſe, il
s'en racompte tout plein de beaux & memorables exploicts.Les faicts
auſſi & geſtes desTurcs, qui guerroyerent en la compagnie des gens
d'armes de l'Europe ſont fort loüez , car ils leur ſeruirent de beau
coup en toutes leurs entrepriſes,à cauſe de la viſteſſe & tolerance d'eux,
& de leurs montures, toutes les fois qu'il eſt queſtion de quelque lon
gue & laborieuſe traicte : Tellement qu'vn iour ſoubs la conduicte de
L iij
| 126 Liure quatrieſme
Brenezes,ils firentvnecourſefort † ſur les terres des Venitiens,
dontils enleuerent grande † 'ames & debutin, qui les enrichit
beaucoup. Ce Brenezes a laiſſé de merueilleux baſtimens de coſté &
d'autre parmy l'Europe,qui font aſſez de foy de ſes facultez opulentes.
Depuisayant abandonné Moyſe pourſerenger du coſté de ſon frere, il
departit les charges qu'ilauoità ſes enfans, Ioſué, Barac,& Haly, qui par
leurs proeſſes & vaillances monterent bien-toſt àvn fort grand credit.Et
luy apresleur auoirfaictvne tres-belle & ſage remonſtrance de bien &
loyaument ſeruirleur maiſtre,ſe retira § reſte de ſesiours en la ville
de Iaditza, ſituee presla riuiere d'Axius, dont le Turcluyauoit faict pre
ſent. Là ſe voyent encore pourle iourd'huy pluſieurs grosvillages habi
Thunan tez, quiluy ſouloyent appartenir.Apres Brenezes, Turacan , que les
†Turcs appellent Vardary, fut tenu pour le meilleur & plus renommé
dºrs Capitaine qu'euſt point Mechmet durant tout le temps de ſon Empire:
Auſſi fut-ilColonneldelacauallerie de l'Europe; auec laquelle il mena
fortheureuſementàfin pluſieurs belles & notables entrepriſes, & fit de
fort grands gaings àlaguerre en toutes les contrees d'autour de luy. Il
eut auſſile § deSeruie : & delà faiſant de fois à autre plu
ſieurs courſes & ſaillies dans la Hongrie,il s'acquitvne gloire & reputa
• - -- • -- - --*

tionimmortclle, partous les endroits de l'Europe.


FinduquatrieſmeLiure. -
A MVR AT SE C O N D DV N O M
dixieſme Empereur desTurcs.

# A crainted'vn mal futur, en aietté pluſieurs en de tres-grands dangers (di


# ſoit vn ancien) de ſorte que penſans fuir le dºſfin, ils ſe ſont iettez au milieu
d'iceluys l'experiencenous apprenant, quelesſentimens deceux,ſur leſquels
:$z les iugemens diuins veulentexercerleurpuiſſances deuiennent mouſſes & he
#==## betez. Les pauures Grecs penſans bien faire leurs affaires (s'ils ſemoient de
la diſſenſion entre les PrincesTurcs)font vne mauuaiſe eſlection prenansleparty de Muſtapha,
cºntre Amurat: Carceſtui-cyeſtantdemeuré victorieux, ceſte funeſte alliance, leur couſta les
#iens,lhonneur,la vie,& leurpays.D'autantqu'Amurat & ſonffls Mahomet (qui ſucceda à la
4vnedu pere)neceſſerentiuſquesàcequ'ils euſſent enſeuely la Grece & lenom Grec dans ſes
'
· propresruines. Muſtapha doncdernier fils de Baiazet, fauorisédesarmes Grecques s'empare
d'vne partie des prouinces que les ottomans tenoient en Europe,& paſſe en Aſie pourguerroyer
ſonnepueu.Mais luy-meſme print l'eſpouuente ſoubs vn faux bruit que fft courir.Amurat, &
s'enfuyant en Europe, eſt pris &- eſtranglé , Amurat faiſant tailleren pieces tous les Azapes du
camp de Muſtapha encore qu'il ſe fuſent rendus àſa mercy. De là il ſe mit à la pourſuitte d'vn
autre Muſtapha ſon frere, & fils de Mahomet encore ſupportédes Grecs,qu'ilprit, & fit mourir
dans la ville de Nicée. Et ce fut lors n'ayant plus que craindre qu'il ſe banda du tout contre les
Grecs,leuroſtant la ville deTheſalonique ſibelle, riche & floriſante citéqu'ilruina de fonds en
comble,rendant eſclaues tous les habitans d'icelle & les tranſportant partoute l'Europe & l'Aſie.
Met le ſiege deuant la ville de Iohannine ou Caſiopéen l'Arcananie, rauage la haute Myſie ou
Raſcie & prendlaville de senderome anecle fils du Dgſpoteauquelil fit creuer les yeux, encore
qu'il fuſt frere de ſa femme. Et penſant faire demeſme en Hongrie mit le ſiege deuant Bel
grade qu'il fut contrainét de leuer par la valeurduredoubtable Huniade, qui apprit aux Turcs
que leur multitude eſt inutile contre vn ennemy qui a de la valeur& de la conduitte.Carilfit te»
Jſte à cinqpuiſſantes armées Turqueſques, qui l'attaquerent à diuerſes fois, & leurdonna cinq
grandes batailles,deſquelles ildemeura touſîours le vaincqueur Prenant le Baſa Carambey pri
ſonnier,& meſmes en tient qu'ileſtoit pour prédre les villes d'Andrinopoli & Philippopoliſîles
ſiens l'euſſent voulu ſuiure. De ſorte qu'ilcontraignit Amurat de demander la paix aux Hon
gres,laquelle luygſfant accordée,il s'en alla conqueſterlepays de Sarmian & celuyde Sarcan puiſ
ſans Princes en la petite Aſie,& la ville de Coni ou Iconium ſurle Caraman qu'illuy rendit de
puis eſpouſantſa fille.Les Hongres ayans cependantrompu la paix Amurat ſe haſtant de retour
meren Europe fut ſi heureux que les galeres Chreſtiennes eſtant au deſtroit de l'heleſpont pour
luyempeſcher le paſſage ſont contrainčtes de ſe retirer pourl'intemperie de l'air, & luy cepen
dant paſſe ſans aucun danger, & vint en ceſte memorable pliine qui donna le nom à l'vne des
plus celebres batailles qui fuſt aduenue longtemps auparauant,& où Amuratfuten vn extreme
danger,& meſmes tout diſposéde s'enfuir ſans vn des ſiens qui l'arreſta. Les lauriers toutesfois
luy en demeurerentparla mort du Roy Ladiſlaus,& de preſque toutelanobleſſe de Hongrie, l'an
dengſºre ſalut 14 tz. l'on Kieſme iourde Nouembre : ilretourne au Peloponeſe où il fait ruinerle
murdel'Iſtme que les Grecs auoient baſtydutemps de leur faueurſoubs Mahomet.Ilprit biétoſt
apres la villel'an 14zy.au ſon des cymbales cornets & trompettes ſelon la couſtume des Turcs;
l'Empereur de Conſtantinople s'amuſant cependant à faire des nopces tandis qu'Amurat con
queſtoit le Peloponeſe.Apres leſquelles thoſesſi heureuſemët executées il ſe deſmit bien toſt apres
de/on Empire,les vns diſent que cefutpourvne illuſion qu'ileut,les autrespouraccôplirvn vœu
qu'ilauoitfaict lors de la bataille de Varneſeretirant auecdes religieux Turcs nommeXDeuirs
Chlers.Mais ceſte deuot4ne luy dura gueres, carles Hongresſous la conduitte de Huniade ayis
rpris les armes,& ſçachant qu'ileſfoit deſirédes ſiens, ilrepritderechef en main le maniement
des affaires (parlaſubtile inuention de Haly Baſſa)3 preſenta la bataille à Huniade en laplaine
de Coſobe çui dura2.iours,& au 3.la victoire luydemeura par lafuite de Huniade. Il ſerendit
tributaire le Roy de la Boſine, & apres auoir faict vn rauage en l'Albanie mit le ſiege deuant
Sphetzigrade,& quelques autres places.Mais ilrencontralavaleur,la force & la prudence tout
enſemble de cegrand& redoubtable Scanderbeg Caſtriot, l'eſpée& le bouclierde la Chreſtienté,
autresfois ſon eſclaue qui lefftretirerhonteuſement chexluy.Ilyretourna toutesfois pourla 2fois
mais ilyfft auſſi malſes affaires que lapremiere,carayant mis leſiege deuant Croye ilfut côtraint
de le leuer,oùſelon quelques vns ilymourut de deſplaiſir,&ſelon les autres d'apoplexie.Ilregna
3ian & mourutl'an 14 jo.ouſelon quelques vns #st.Cefutluy qui ordonna que les Ianit{aires
ſeroient d'oreſhauantpris des Axamoglans ouenfans detribut.Ilfutaſexbon Prince debonnai
re,droicturier & grandamateurde iuſtice,n'entreprenant aucuneguerre qu'enſedeffendit,mais
ilne le falloit gueres chatoiiiller.Soigneux d'aſſemblerdesforces & allerlateſte ba iſée où les af
faires l'appelloient ſans crainte de trauailnyde meſaiſe de chaudny defroid,non pas meſmes des
montaignes les plus aſpres & autres diffcultez de chemins malaiſez &faſcheux, en toutes leſº
quelles choſes il fut ordinairementfauorisédu bon-heur. on dit qu'en mourant il commanda à
l'aiſnéde trois enfans qu'ilauoit,& luyfitpromettre (comme vn autre Amilcar à ſon fils Han
nibal) qu'il ſeroit perpetuele3 irreconciliable ennemy des Chreſtiens, ce qu'ilexecuta fort exa
éfement,& cefut
fut peut-gſt
peut-gſtreen ceſte 9ſeqqu'il#
eſfe /ſeule choſe éi GyresME
garda ſa parole. L IV R E
º v,
127

LE CINOVIESME LIVRE
D E L' H I S T O I R E D ES
T V R C S, D E L A O N I C C H A L
C O N D Y L E A T H E N I E N,

S O M M A I R E, E T C H E F S P R I N C I P A V X
du contenu ence preſent liure.
Amurat ſecond fils aiſné de Mechmet, Thuracan dans le Peloponeſe,où ilde
ayant ſuccedé à l'Empire deſon pere, fait les Albanois, & dreſſe vntro
les Grecs luy mettent Muſtapha fils phee de leurs teſtes : voyage del'Em
de Paia Keten barbe,c9 lefauoriſent pereur Iean audičtPeloponeſe,enſem
àl'encôtre deluy;dôt ils ſe viennent à ble quelques affairesdemeſlez dececo
perdre, & eux&rleurs affaires.Ch. 1. ſté là par les Grecs contre les Italiens,
Muſtaphaaſſiſté des Grecs,s'empare des - Chap. 6. -

Prouinces de l'Europe, & de la ville Amuratfaictappointementauec le Deſ.


d'Andrinople ſiege capital des Turcs pote de Seruie dont il eſpouſe lafille,
enicelle:Delàeſtantpaſſéen Aſie,viêt puis s'en vacontre le Caraman:la deſ
à labataille contre Amurat, là où il cription deſonpays,& des autres ſei
eſt abandonné des ſiens, & finable gneurs Turcs de la Natolie : le Prin
mentpris enThrace, & mis à mort , ce de Sinope ſe faict tributaire d'A
apresauoirregné troisans.Chap.2. ! murat. Chapitre. 7
La manieredeleuer,e9 nourrirles Gen Laguerre contre lesTriballiens,ſurleſ
niſſaires, tous enfans des Chreſtiens, quels Amurat prendlaville de Spen
c9 la principale force du Turc: ſa derouie : leſiege & aſſaut de Belgra
magnificence à camper , auec l'ordre de, dont les Turcsſont vaillamment
de ſamaiſon,& du reſte deſes jor . repouſſe K : la Boſsine deuient tribu
Chapitre3. taire : & dequelquesautres exploiéts
Leſiege de Conſtantinople : inuention de | darmes qui paſſerent lors es marches
l'artillerie, & ſa deſcription : Les de l'Illirie. Chap. 8.
Grecs attiltrent encore vn autre L'entrepriſedeTranſiluanieſous lacon
M.uſtaphafil de Mechmet, & l' # duičte du Baſſa Mezet,où ileſttuée3r
poſent à Amurat, auquelil eft trahy les Turcs mis en routte, Autre voya
& liuréparſongouuerneur.Chap. 4. geaudictpays par l'Eunuque Sabat
Lapriſe deTheſſalonique:l'expedition de tin, lequely eſt pareillement deffaict
l'AEtolie & Acarnanie : le ſiîege de auecſon armeeparIean Huniade,&
Caſſiopé,quiſe § del'orrigine, progre K, & aduance
c des querelles & diſſenſions desſuc ment decegrandperſonnage,enſemble
les eſmotiens des Hongres, B ohemes,
ceſſeurs du Duc Charles ſeigneur de
l'Attique,& de la Bœoce. Chcp. 5. | & Vallaques qui ſuruindrent de ſon
Reconciliation des Grecs auec A ºu , tº/72f75. Chap. 9.
moyennantqu'ils demolliroientlaclo- Voyage de l'armee de mer Turqueſque
ſture de l'Iſtme : courſe du Saniaque aupont Euxin, & le naufrage qu'elle -
| L iiij
128 Liure cinquieſme -

ouffre au retour:La deſcription de la l'hoir d'iceluy eut atteint l'aage de


ville & eſtat de Gennes;auecquelques douze ans. Chap. 12.
guerres d'iceux Geneuois contre les DeſcriptionduRoyaume d'Arragon,e9
Neapolitains & Venitiens. Ch.1o. des coſtes,& iſlesy adiacentes : De la
Deſcription du Royaume de Naples, & maiſon d'Aluarez,& de celuy quila
lapiteuſefin du Roy Vladiſlaus,ayât mitlepremieren reputation : Guerres
aſsiegé Florence. Chap. II.du Royde Caſtille contre le deſſuſdit .
Conqueſie du Royaume de Naples par | Alphonſe, & celuyde Grenade, auec
AlphonſeRoyd'Arragon,lefreredu- vnfortplaiſanttraict de ce More:e9 .
quelayanteſpousé la Royne de Na-| | | de lapretention des Rois de France au
| uarre, & eu vnfils d'elle,eſt contraint Royaumede Nauarre. Chap. 13.
º de ſe departir du Royaume, quand -

'EM P1RE desTurcs ayantainſi eſté esbranlé de ladeſ


À conuenüe de Paiazet, & des guerres & eſmotionsci
# uiles ſuruenues entre ſes enfans, ſevint de nouueau à
refaire ſous la vertu & le bon-heur de Mechmet, en
$ | # l'eſpace de douzeans qu'il regna:lequel n'eut pas pluſ
" # # #) toſt les yeux clos, qu'Amurat ſon fils aiſné ſansaucun
Amurat 2.le ^ * contredict,prit
p en main le 8
gouuernemét & authorité
† treſpas,là
ſouueraine.oüainſi
14Ij.
Il eſtoit lors en la cité de Pruſe quand ſon pere alla devie à
qu'il commençoit de donner ordre à ſes affaires, les
Grecs ayans eſtéaduertis du decés de Mechmet, & comme Amurat s'e
ſtoit deſia emparé de la couronne,appellerent Muſtapha, que l'on pre
tendoit cſtre fils de Paiazet,lequelfaiſoit lors ſa reſidéce § de Lem
nos aſſezlegierement gardé par d'autres Grecs : & pour-autant que ceux
quiauoient eſté deleguez pourl'aller querirfurentempeſchez des vents
# & de la mer, qui ſe trouuerent du tout contraires pour paſſer de Lemnos
§ en l'Helleſponte ;& que nommément il falloit que la confirmation de
†"" l'Empire ſe fiſt en Europe,ils ſemirent auec leursgaleres à fermer auſſi à
Amurat le paſſage de la Propontide de l'Helleſponte:& les autres ce-pen
† dant voguerent à loiſir verslaville de Gallipoli, ſituee ſur le bord d'vne
langue de terre preſque reduicte en forme d'Iſle, où il y auoit planté &
abondance de tousbiens,afin de s'entreuoir & aboucherauecMuſtapha.
- L'ayant proclamé ſeigneur enl'Europe,ils le requirent de leurrendrela
La decadence dite
. ville de Gallipoli,ce que facilementils obtindrent : mais en ce faiſant
- V * • -

§ ils vindrent à ſe perdre, & eux & leurs affaires, parvne trop grande haſti
†" ueté & mauuaiſe conduicte : & peus'en fallut, queleurville meſme ne ſe
trouuaſtau dernier peril d'eſtre priſe & ſaccagee par Amurat; parce que
les Capitaines &gouuerneurs quiauoient eſtelaiſſez de Mechmet en Eu
rope vn peu auparauant ſon decés, pour obeyr & ſe donner à celuy qui
luy ſucccderoit,allerent faire inſtance àl'Empereur de Conſtantinople,
de ne permettre aux Grecs de s'entrebroüiller ainſi les vns les autres; ne
que luy meſme pourle deſir&eſperance qu'il pourroit auoir de quelques
nouuelletez, n'attentaftrien au preiudice de ce quiauoit eſtéconuenu&
Del'Hiſtoire des Turcs. 12 9
accordéauecleurfeu ſeigneur Paiazet.L'vn des plus grands de la porte,
& quiauoit eſté deſia nomméàl'vn des Saniaquats & gouuernemens de
l'Europe, eut la charge d'aller porterla parole au nom de tous lequel fit
tout ſon deuoir de ſolliciterl'Empereur d'entrer en nouuellealliance, par
laquelle lesTurcs ſeroient tenus de le ſecourirenuers tous&contre tous,
toutes les fois que l'occaſion le requerroit. Et pourtant plus le mouuoir
à cela, offroit de donner en oſtage douze enfans des meilleures & plus
grandes maiſons d'entr'eux, auecla ſomme de deux cents mille eſcus, &
vne grand'eſtendue de pays és cnuirons de Gallipoli, tout tel que les
" Grecslevoudroient choiſir. Ces choſesicy offroit il à l'Empereur pour
luy faire abandonner Muſtapha, & ſe retenir en neutralité, ſans donner
faueur nyauxvns nyaux autres;ains pluſtoſtles laiſſer demeſler leurs que
relles àla poincte de l'eſpee, & permettre que celuy regnaſt, auquell'e- .
uenement de la guerre decerneroit la Seigneurie. L'Empereur (appellé la lºi eté
Iean) eſtoit encore ſiieune,& auec cela trauerſé de tant defriuoles & mal a†
duis de Iean

ſaines conceptions, qu'ilnepeut gouſter,ny faire ſon profit du party qui †


ſe preſentoit, pourl'aſſeurance & repos de ſon Empire. Carvoulant fai #
redu fin,ilpenſa que ſesaffairesne s'en porteroient que mieux,ſices deux "
freres continuoient à ſe faire la guerre , & que le ſucces n'en ſeroit ſinon
d'autant plus heureux & fauorable, quand les diſſentions & partialitez
ſeviendroientà nourrir parmy eux.Carilſe promettoitvn grandaccroiſ
ſement de prQſperité, pourſevoir ainſi recherché de l'vn & del'autre, &
que tous deux euſſent crainte de luy, & affaire de ſon ayde & ſûpport
uant & quant. Il faiſoit encore vn autre diſcours en ſon eſprit, que ſi
§ ilsvenoient à mi partir leur Empire, & que chacun ſe tint à
la portion qui luy ſeroit eſcheue,il en viendroit facilement à bout, là où •

demeurant tout entieràl'vn des deux, il n'y pourroit pas eſtre pareil: Au
moyen dequoyiliugeoir cette diuiſion tres-vtile & à propos pourle bien
de ſes affaires: Puis tout ſoudainvenoit à ſe retracter,& reſoluoit de ſe te- · -

nir du toutau
s'eſtoit partydu
pas encore detout
Muſtapha.Mais ſon perelevieilEmpereur,
demis du maniment des affaires, eſtoitquine ºpinio de
bien l'Empereur
Emanuel bié

d'autreaduis, qu'on ne deuoit en aucune ſorte violer ny enfraindrelafoy †"


des traictez & alliances, & que celuy qui feroit au contraire, ne proſpe- # « •
reroitiamais; carrien nele pourroit ſauuerqu'ilnetombaſt àla parfin en belle
uelquemal-heur,auec ſes ruſes & malices.Et pourtant ſi l'on eſtoit en
† àlaquelle des deux parties ondeuroit pluſtoſtincliner,ilfalloit en
premier lieuſe propoſer,& mettre en diſpute ces deux choſesicyaſſauoir :
la grâdeur del'EmpireTurqueſque, auec la force & valeur des Genniſ
ſaires d'vn coſté,& ce que nousvenons de dire maintenant,del'autre.Les
premiers rédentl'eſlectiô doubteuſe:celles-cyn'apportent gueres moins
d'incertitude & ambiguité,quádonviendra à conſiderer par oü, & com
ment on cuydroit venir à bout de conquerir & renger à ſon obeyſſance
vne tclle Monarchie : yayant danger que ce-pendant on n'amenaſt les piſ #
affairesdela Greceàvne derniere perdition & ruine.Voyla en quelle ſor-§
teles opinions des Grecs balançoient, tantoſt d'vn coſté, tantoſt d'vn †
I3O Liure cinquieſme
autre. Mais lavoix de ceuxl'emporta,quivouloient à toute forcequ 'on
ſuiuiſtleieune Empereur , lequelauoit deſia toute authorité & puiſſan
# ce, & par ce moyen ſe retindrentau party de Muſtapha, lequclils decla
#
ne ieuneſſe in rerent Seigneur , ſous condition que la ville de Gallipoli qu'ils auoient
- . . / • - -

experimétee. perdue leur ſeroit reſtituee. Cela arreſté, ils emplirent leurs vaiſſeaux de
les Grecs de sens de guerre, & s'embarqual'Empereur Iean pour faire voile à Galli

#rº poli,oü pourautant que Muſtapha n'eſtoit C11COIC arriué del'Iſle de Lem
†º nos, il voulut eſſayer quelque choſe qui redondaſt aubien & aduantage
desaffaires del'Europe, & à cette occaſion, pourgaignerauſſitouſiours
autant de temps,ſe delibera del'aſſieger.Zunaites Prince deSmyrne,l'vn
v des plus grands fauorits deMuſtapha s'y trouuaauccpluſieursTurcs qui
c'eſtlage s'y cſtoient deſiaaſſemblez; auſquels, ce pendant qu'on battoit le cha
# ſteau on fit dire, qu'onl'attendoit d'heure à autre auſſivint-il bien toſt
Thrace entre

†. apres, & ſoudain tout le Cherſoneſe le receut, & ſalua à ſeigneur, auec
# vne merueilleuſe deuotion & allegreſſe. Là deſſusl'Empereur luy fit in
i§reste ſtance de la reſtitution de Gallipoli, à quoy Muſtapha eſtoit bien con
† tent de ſatisfaire,mais les Turcs môſtroient d'auoirà trop grand contre
† cœur, de ce demettre d'vne telle place entre les mains des Grecs ; n'eſti
#º mans pas que cela luy deuſt eſtre gueres honneſte, & meſme à ſonadue
nement àla couronne quine luy cſtoit pas encore trop bien aſſeuree; tel
lement que c'eſtoit choſe fort doubteuſe & incertaine à iuger, quel ply
pourroient prendre ſes affaires : Trop bien pourroit-il Promettre aux
Grecsdelaleur fendre,lors que de tous poinctsil ſeroit confirmé & eſta
bly en ſon Empire, & que #yauoit encore rien outre cela qui leur fut à
propos, & dont ils le vouluſſent requerir,ils n'en ſeroient point eſcon
1 #§ de duits ne refuſez. . - -

Grccs.' PAR ces belles paroles ayant Muſtapha aucunementappaiſéles Grecs


| il s'achemina plus auant enl'Europe, où il fut partout receu à ſeigneur,
comme fils du tant renommé Paiazet:Toutesfois le Saniaque dont nous
auons parlé cy deſſus,ayant eſté aduerty comme l'autre § de gai
gner Andrinople queMechmetàl'heure de ſon decés luyauoit donne en
garde; aſſembla en diligence les forces qui reſpondoient ſous ſon gou
1.r , - uernement, & luyvint faire teſte au deuant de la ville, comme s'il eut eu
# # volontédele combattre pourl'empeſcher d'entrer dedans, & s'emparer
rédent à Mu- - 2 - -

§ par ce moyen du ſiege capital de tout l'Empire. Ce nonobſtant Muſta


†" phaapprochoit † en bien bon equippage & ordonnance, & les
Turcs paſſerentincontinent de ſon coſté pour luy ſaire la ſubmiſſion ac
couſtumee;Ce que fit auſlile Saniaque Paiazet qui ſe proſterna à ſes pieds
Cruauté de
M§ & luy conſigna
b entre les mains tout ce qu'il auoit en charge. Muſtapha
- - -

en recognoiſſance de ce deuoir le fit mettre à mort ſurle champ; & de là


ſans aucun contredict,entra dans Andrinople,où il s'aſſit au ſiege Royal.
Cela faict retourna arriere pour aller à la conqueſte de l'Aſie, menant
quât & ſoyles armeesd'Europe, & les gensdepied Turcs qu'on appelle
Azapes, auec tous leſquels il paſſale deſtroit Ilauoit auſſi en ſa compag
· nie le Prince de Smyrne dont nousauons parlécydeuant : & commcillc
- 4
-
/
5 •- - -

De l'Hiſtoire desTurcs. 13I


fuſt mis en chemin pour aller rencontrer Amurat, il depeſcha àl'Empe
reur de Conſtantinople, pour le prier de ne remuer rien à l'encontre de
luy pendant qu'il ſeroit † , & detenu à cette guerre , car tout auſſi
toſt qu'il en auroit eula fin,il ne faudroit de luy rendre Gallipoli. Amu
rat enuoya auſſi de ſon coſté offrir de faire entierement ce qu'il voudroit,
pourueu qu'il vouluſt eſtre des ſiens,&fauoriſerſon † les Grecs
retarderent quelques iours, & tindrent en ſuſpens la reſponſe des vns &
des autres; à la finils renuoyerent ceux d'Amurat comme ils eſtoient ve
nus, ſe declarans pour Muſtapha ſous certaines conditions qu'ilsluy mi-, †º
rent en auant. Les Ambaſſadeurs d'Amurat s'en eſtans retournez ſans d§u
rien faire,ſemerentneantmoins àleurarriueevn bruict parmy le camp de †
leurmaiſtre; qu'ils auoyent gaigné les Grecs, & que pour certain ils ſe-†"
roient du tout pour eux.Oreſtoit-ilcampé pourlors aupres du lac de La
podie, & auoit couru & gaſté toute la contree de Michalicie, qui eſt en
ceſt endroitoùlelacapres pluſieurs deſtourss'en va finablement rendre
dans la mer, parvne bouche fortſerree, & eſtroicte.Carilyalàvn pont,
& Muſtapha s'eſtoit venu logervn peu au deſſus,tout aupres le deſgor
gement de celacquifaictle canal deſſuſdit, au moyen dequoy Amurat
pritl'occaſion en main de faire ſon profit de ces fauces nouuelles; &en
uoya à cette fin ſes coureurs crierà hautevoixd'vne grande allegreſſeiuſ
ques dedans les eſcoutes & corps de garde des ennemis : Trahiſtres ca- # †
nailles rebelles,quiauez delaiſſé voſtre vray & legitime ſeigneur, pour †
vous donneràvn champiauoultré, quin'a aucun droict à ceſt Empire,les †.
Grecs ne vous ont pas voulu preſter l'oreille, ains s'en viennent vous †º
coupper le paſſage, & vous enclorre en Aſie, afin quevous mourieztous
honteuſement pour la deſerte de voſtre meſchanceté, Cela mit vne telle
frayeur parmyles gens de Muſtapha,quiadiouſterent incontinent foy à
ces paroles, d'autant que leurs Ambaſſadeurs n'eſtoient point encorear
riuez, que de crainte que les Grecs ne ſe ſaiſiſſent du deſtroit del'Helleſ
ponte, & ne leur oſtaſſent le moyen de repaſſeren Europe, ils commen
cerent à s'eſmouuoir de toutes parts, & à tenir de fort eſtranges propos
entr'eux. Zunaites meſmelanuict enſuiuant ſe deſrobba, & planta là zunaites#.
Muſtapha pourſe retirer enſon pays: ce que firent pareillement tousles #.
autres principaux perſonnages , & les capitaines de l'armee, ne ſe fians "
pas beaucoupàlabonne fortunedeleur chef lequelſevoyant ainſi aban
donné de ſes gens, quis'eſcouloient d'heure à autre ſans qu'il y euſt plus
moyen de les retenir ; & craignant de demeurer tout ſeul à la parfin,
pritla
rengezfuitte
de ſonauſſi bien
coſté qu'eux, droit
chargerent à la mer,
ſes gens oü les
ſur leurs Grecs qui
nauires, s'eſtoient ſtapha
& cinglerent fuitedeMº
& des
ſiens ſans

parl'Helleſponteàl'autrebord. Ce temps pendant l'Empereurde Con-º†.


ſtantinople eſtoit apres à prendre ſes plaiſirs au Periconneſeauecvneieu- †
ne damoiſelle fille d'vn homme d'Egliſe dont il eſtoit deſeſperement a- #
moureux, hors de tout propos & ſaiſon, pour les affaires qui ſe preſen- #"
toient, pource qu'il ſe deuoit pluſtoſt employer à repouſſer Amurat du
paſſage de l'Europe; lequel tout incontinent que le iour commença à
I32 · Liure cinquieſme
poindre tira droict au camp des ennemis, qu'il trouua du tout vuide &
deſnué de gens, hors-mis des pauures Azapes qui n'auoient peu ſuiure
les autres. Eux doncques luy ioignant les mains de l'autre part, (car la
riuiere couloit entre deux)requeroient piteuſement qu'on les priſtàmer
cy, & qu'illuy pleuſtn'exercer point ſavengeance ſur ceux que les gens
de chcualauoientainſilaſchementabandonnez & trahis. Mais ayant là
· deſſus en diligence fait dreſſervn pont à baſteaux,il paſſa à eux, & les fit
tous mettreau fil de l'eſpeeiuſques au dernier. Puis s'en alla apres Mu
- ſtapha, le pourſuiuant à la trace de ville en ville, & de lieu en lieu, où il
cºiipel eſt ſçauoit qu'il s'eſtoit adreſſéen ſa retraicte; toutesfois ilauoit gaigné les
† deuants,& eſtoit deſia à Gallipoli,quand Amurat de bonne fortuneren
de l'Heilcſpö

† contra ſurle bord de la mer vn gros nauire Geneuois qui eſtoitàl'ancre,


l'Europe, où
-

§ & fittantauecle pilotte, † ils'accorda de le porter outre,auecles Gen


- •• - >

† niſſaires,& autres ſoldats de laporte,enſemble tout le reſte de ſonarmee,


" moyennant vne bonne ſomme d'argent, qui luy fut nombree &# CC
Amun paſ ſur le champ:Etainſi paſſa en Europe ſain & ſauueauectoutes ces forces.
#. Muſtapha ſe voyantd'heure en heure croiſtre le peril (car ſon ennemy le

ſurvn ſeul na tenoit deſiaaſſiegé de tous coſtez)apresauoir cherché en ſon entende

# ment tous les partis qu'il pouuoit prendre pour ſe mettre à ſauueté,ſere
tI - - - -

§ ſolut finablement de ſeretirer en lamontaigne que les habitans dupays


" appellent Toganon;là où Amuratl'alla incontinentenuelopperauec ſes
gens, qu'il departit &ordonna toutàl'entour ne plus ne moins que quâd
our le deduictdela chaſſe on faict vne enceinte de toiles,au dedans deſ .
uelles on deſcouplelevaultrey apres quelque grand ſanglier qui s'y eſt
† laiſſé enfermer:Tout de meſme fut à la parfin trouué le miſerabſe Muſta
trouué cache
†º, pha caché dans vn hallier, & amené en vie à Amurat, fit ſur la pla †
† ce eſtrangleren ſa preſence. Et ainſi fina pauurement1es iours celuy qu1
§" parl'eſpace de troisans auoit occupé l'Empire des Turcs en l'Europe. .
º#, Av moyen dequoy Amuratapres auoir reduict à ſon obeyſſancel'vne
& l'autre terre ferme,fut proclamé de tous Empereurpaiſible des Mon
ſulmans : & ne tarda depuisgueres à fairel'entrepriſe de Conſtantinople,
· & la guerre contre les Grecs; enuoyant Michalogli deuant, qui eſtoit
- †
ei de l'Europe. Cettuy-cyauecles gens de guerre qu'ilaſſembla
Amurat aſſe en ſon gouuernement, s'en alla faire vne raze ésenuirons delaville, puis
†" ſe campa deuant:& Amuraty arriuaincontinent apresauec les Genniſ
ſaires de ſagarde, & tous les autres quiontaccouſtumé de ſuiure quand
il ſe faict vnearmee Imperiale.Ilmenoit auſſiles gens de guerre de 'Aſie;
tellement que le logis de ſon armee conprenoit tout ceſt eſpace qui eſt
1 ordre s in d'vn bras de meriuſques àl'autre. Or la porte duTurc, qui eſt ſa maiſon
† & fuitte ordinaire, § eſtablie en cette ſorte.Ilya touſiours ſix mille hô
ºu Ture mes de pied, & aucunesfois bien dix mille, dontila accouſtumé de tirer
ceux qu'il enuoye en garniſon à la garde de ſes fortereſſes, & en remet
# d'autres enleur place : Tous leſquels viennent des 1eunes enfans qui ſont
§ & pris & enleuez de coſté & d'autre pourle ſeruice du grand Seigneur, du
diſcipline. - - >

" quel ils ſont les eſclaues : Car on les departauxTurcs habitans en l'Aſie,
- pour
Del'Hiſtoire des Turcs. 133
pourleur apprendre lalangue,& lesaccouſtumer au trauail,& à leurs fa
çons de faire, ce qui ſe faict communément en deux ou trois ans. Puis
quandils ſont vn peu renforcez & endurcis,& ont autant appris du par
ler qu'ils le peuuent entendre, & eux auſſi eſtre entendus,alors on faict -

vnereueue,oùl'onen choiſit deux outrois mille des plusadroicts, qu'on †


enuoyeà Gallipoli poureſtreinſtruictsautrain & exercice de la marine,#
en paſſant ceux quiveulent trauerſer le deſtroict de l'Europe en l'Aſie. §
Ils ont tous les ans vn accouſtrement neuf, auec ie ne ſçay quelle ma- †.
niere de voulge, preſque de la façon d'vne broche de † De là à †º
quelque temps ils ſont appellez à la porte du Seigneur, où l'onleur don- -

ne prouiſion en deniers pourleurviure & entretenement, aux vns plus,


& aux autres moins. Ceux qui ſont enroollez ſoubs la charge des dize
niers, & des caps d'eſcadre de † hommes, departiz parce moyen
par bandes & enſeignes,tirent la ſoulde, & ſont tenus de faire reſidence .
deux mois continuels au pauillon de leur dixaine:leſquels pauillons ſont
touſiours dreſſezlesvnsioignans les autres tout aupres de celuy du Prin- | -
ce: caril n'eſt pas loiſible à qui que ce ſoit,ſi ce n'eſtà ſes enfans, de cam
per parmyces gens-cy.Là au milieu fort ſuperbement, eſt logee ſa per
ſonne, auec ſes richeſſes & threſors,ſoubs vne grande tente à la Royale, \

teincte en incarnatauec certaine occre on terre rouge, & aureſte toute telesa .
chamarree de paſſemés
cunefois iuſques à trois,&ſans autres12.ou 15§
profileuresd'or. ilyena deux,au-††
qui ſont d'ordinaire armees guerre.
& tenduës dansle quartiermeſme des Géniſſaires; hors duquelles autres
gens de guerre de la porte dreſſent les leurs:Les Amurachoreés,&ceux du
retraict de Gobellet,qu'óappelleSaraptar,les port'enſeignes ou Emiralé;
les Preuoſts del'Hoſtel, Bixorides; & les courriers du Seigneur: Et côme
toutes ces manieres de gens ſoient en grand nombre, il s'augmente oficie, de.
bien encore à cauſe des valets & eſclaues qu'ils trainent quant & eux, †"º
pourleur ſeruice. Aprcs ceux que nousvenons de nommer , ſuiuent en
l'ordre de la porte du Turc enuiron trois cens Selictars ; tous gens de
cheual, quide ſimples Genniſſaires ſont paruenus à ce degré: Et conſe- .
quemment les Caripi, c'eſtàdire eſtrangers,ainſi appellez pource qu'on sea,,
les prend
lans del'Aſie, del'AEgypte,
& hazardeux, qui ont ſoulde&l'vnauec
del'Afrique. Ce ſont gens
meilleur,l'autre fortmoin-
auec vail-Caripi..
dreappoinctement. Puis les Alophatzi ou Mercenaires en nombre de Alophatzi.
huict cens:& apres cuxlacompagnie des deux cens Spachi , tous enfans
des plusgrands de la cour,& de ceux quiſe ſont pôrtez en gens de bien.
leſquelsapres auoir ſeruy quelque tempsàla chambre,ona de couſtumes .
de mettre là,& en ſubſtituer d'autres en leur place.Voila à peu pres l'or
dre & eſtat de lamaiſon du Turc.Ilya deux chefs au demeurant en toute
cette Monarchie, qui commandent & ſont ſuperieurs aux autresil'vn en
Europe, qu'on appelle le Baſſa ou Beglierbei de la Romanie; & l'au- Deux Begli- |

tre en Aſie, qui eſt celuy de la Natolie : Car toutes les compagnies de § .
gens d'armes, tous les Capitaines & membres d'icelles leur obeiſſent,†
&lesaccompagnent partout;comme font auſſi les Saniaques,ougou-º"
v - M
· I34- Liure cinquieſme
†"uerneurs qu'on appelle Gonfallonniers , leſquels eſtans aduancez à
pays. cette dignité par le Prince,ont priuilege de faire porter autant de ban
nieres ou cornettes deuant eux, comme il y a de villes ſoubs leur de
partement. Ces gouuerneurs icy ſont ſuiuis des magiſtrats & officiers
deſdictes villes , enſemble de leurs gens , quelque part que la guerre .
tire : cariln'ya perſonne qui ne ſçache ſoubs qui il ſe doit renger. Puis
uâd tout eſtaſſemblé en vn camp,l'ordre qu'on y garde cômunément,
eſt de reduire & departir les gens de cheual par regiments, & les Azapes
ſoubs vn colonnel. -

pa#. Co M ME † Amurat futarriuédeuant Conſtantinople, & euſt


i§ mis le ſiege tout àl'entour, il fit incontinét arrenger ſes pieces en batte
† # rie; s'efforçant partous les moyens à luy poſſibles de faire quelque breſ
†. che & ouuerture à la muraille. Toutesfois ſans aucun effect, combien
que au meſme
† que les balles fuſſent d'vn poids & calibre deſmeſuré , pource que la
§ maçonnerie eſtoit forte & eſpoiſſe, ſouſtenuë auec cela d'vn gros rem
§ # partau derriere, tellemêt querienne s'en peut deſmentir. Mais puis qu'il
†"vient à propos de dire vn mot de l'artillerie en paſſant, ie ne penſerois
Mºns pas quant à moy que ce fuſtvneinuention ancienne comme parauentu
I'inuention re quelques vns ont cuidé. D'où puis-apres elle ait pris ſon †
#. ne quelles manieres de gens s'en ſoient aydez,ie n'en puis gueres bien
†parlerauvray. Il y ena qui penſent queles Allemans en ont cogneul'v
# # ſage auant tous autres, & que c'eſt à eux à qui on doibt attribuer ceſtar
' tifice & inuention; car delà les premiers fondeurs & canonniers eſtans
partis, ſe ſont peu à peu eſtendus & communiquez à tout le reſte de la
terre.Quoy que ce ſoit, la furie & impetuoſité en eſt merueilleuſe : ce
† ſe cognoiſt en ce qu'iln'ya choſe de ſi grande reſiſtence, où elle ne
ace vn merueilleux eſchec : & eſt la pouldre qui cauſe cette violence &
cffort,laquelle eſt compoſee de ſalpeſtre, de ſoulphre, & de charbon,
eſquels trois conſiſte toute ſa force & ſa puiſſance. Or le monde tient les
canons, couleurine, & autres telles pieces, & les harquebouſes , pour
la meilleurearme qui ſoit:ie croirois neantmoins, que le dommage &
execution n'en ſoient point ſi grandes comme parauanture on cuide
roit, ains qu'ils font plus de peur que de mal : combien que là où le
coup aſſene, il ſoit mortel & dangereux ſur tout autre : & me ſemble
que cecy tienne ie ne ſçay quoy de diuin, imitant les eſclairs, fouldres,
& tonnerres.Aureſteie ſuis en cette opinion, que les premieres pieces
ayent eſté de fer, & que puis apres on trouua § de lesietter de cui
ure, alliéauec de l'eſtain par certaines proportions; qui eſt la meilleu
re, & plus ſeure eſtoffe qu'on euſt ſçeu excogiter, voire la plus propre
pour chaſſer le boulletau loing. De vous § icy la § dont
elles ſont, cela me ſembleroit ſuperflu & inutile,veu que tout le monde
, a cela deuant lesyeux mais de tant plus elles ſont longues, tât plus loing
auſſi enuoyent-elles la balle. Et de faict nous auons ouy parler d'vne
# ,ſtades.erte couleurine qui a porté de vollee de deux groſſes lieues : & s'en trou
/ -

"" ua tout le contour eſtonné & eſmeu, ny plus ne moins que de quel
R, -

- 15 • A e - - •-r-v . - - - - - _-

De l'Hiſtoire des Turcs. · I35


que tremblement de terre. C'eſt la force du feu qui cauſevntelbruict &
ceſte portee ainſi violente delapierre , car ſile feu enclos eſt preſſé tout
à coup, il faict des effects merueilleux, qui ſurpaſſent la capacité de no
ſtre entendement : Les fouldres meſmes ſeviennent à former & produis
re quandl'air eſt conuerty en nature de feu, & de là ſe faict vn ſon ainſi
horrible & eſpouuentable , auecques l'extreme force du coup : ſoit
qu'on ne vueille point admettre devuide en la nature; ſoit que l'efficace
du feu, lequelcontrainct & preſſé violentement , venant à rencontrer
vne matiere à luy propre & idoine, puiſſe cauſer l'vn & l'autre effect
tout enſemble ; au moyen dequoy tout ceſt effort doit eſtre referé au
feu, comme à celuy qui en eſt la cauſe, auſſi que la pouldre y eſt adiou
ſtee,qui a deſia acquis la proprieté d'exciter le feu, par le moyen de ſon
action qui s'y meſſe & y entreuient.Toutes leſquelles choſesioinctes en- '
ſemble,font que la pierre ou le boullet ſoit ainſi pouſſé loingMais pour
retourner à noſtre propos : Amurat † auoir faict ſes approchesiuſ Aºunttºt
ques ſur le bord du foſſé,battoitfort furieuſement la muraille,auec ſon † .
artillerie & autres machines & engins, faiſant tout ce qui ſe pouuoit inople
pour la prendre de force : Etles Grecs ſe deffendoient vaillamment, ren
uerſant du haut en bas des murailles les Genniſſaires qui s'efforçoient
d'ymonter; dont les aucuns, qui d'vn grand courage & hardieſſe arri
uoient iuſques au haut du rampart à combattre main à main,y laiſſoient
les teſtes, & les corps eſtoient roullez impetueuſement ſur les autres
qui les ſecondoient. Tellement † ne ſçauoit plus que faire,
tantileſtoit en grande perplexité d'eſprit ; voyant que tous ſes efforts,
ne la hardieſſe # ſes gens neluyprofitoient de rien : & neantmoinsils'y
opiniaſtroit touſiours de plus fort en plus fort, ſoubs eſperance d'em
porter ceſte place à la longue.Comme donques il eſtoit apres à tempori
ſer,en reſolution de n'abandôner point ſitoſtle ſiege,les Ambaſſadeurs
des Grecs le vindrent trouuer , pour eſſayer de § quelque accord
auecquesluy, & renouueller les anciennes alliances, dont il les refuſa
tout a plat neantmoins peu de iours apres il deſlogea de là deuant Les
Grecs qui auoyent enuoyé deuers luy requerir la paix, ſevoyans eſcon
duits de ce qu'ils deſiroient tant, s'addreſſerent à vn autre Muſtapha -

† eſtoit filsdeMechmet, lequeleſtoit pourlorsauccle Caraman def-#


rayé & entretenu à ſes deſpens fort honorablement. Il n'auoit en- # †
cores que treize ans quand ils l'enuoyerent querir , mais ſoudain qu'il †
futarriuéà Conſtantinople,ilſemit à faire degrandesbrigues & menees † -

pour eſmouuoir & faire ſoubs-leuer les Turcs; touchant à la main de de l'Aſie
tous ceux qui ſe preſentoient, & leur promettant le double de tout ce
qu'ils auoient onques euſoubs Amurat. Ce quifut cauſe que quelques
vns ſe rengerentà ſon party, en petit nombre toutesfois, iuſques à ce
qu'eſtant paſſéenAſie auecle ſecours quel'Empereurluy donna, il prit lsorces
d'arriueevn lieu nómé la Chappelle, & de là tirant plus auant en pays, "
les Turcs par tout oü il paſſoit s'alloient ioindre à luy , comme au
fils de leur feu Seigneur. Sur ces entrefaictes, Helias le Saraptar,c'eſtà
M ij t
136 Liure cinquieſme
†" dire Eſchançon,auquelMechmetauoit laiſſé la charge de ceieune Prin
OUIUlcTnCllI - -

AE ce,l'allatrahir & vendreà Amurat,& apresauoir bien aſſeuré ſon côplot


& marché, illuy reuelale lieu de ſaretraicte; car Muſtapha eſtant yenu
deuant laville de Nicee, on luy ouurit ſoudain les portes,& ils'arreſta là
pour gaigner & attireràſoyles principaux d'entre les Turcs, auſſi que
l'Hyuerl'empeſchoit de paſſer outre.Dequoy Amurat ayant eſtéaduerty
Extreme di par Helias,il prit auec ſoy ſix mille hommes , tous les meilleurs qui fuſ
# ſent à ſa ſuitte,& s'envint en diligence paſſer le deſtroict del'Helleſpon
†" te,puis tira en Bithinie, de ſorte qu'auât que ſa venuë peuſt eſtre deſcou
uerte, il entraau deſpourueu dans la ville de Nicee,& ſe ſaiſit de ſon fre
re.Carle pauure enfant s'eſtanteſueillé enſurſaut,à cauſe du bruit qu'on
A tea faiſoit, s'allad'effroyietter entre les bras de ſon gouuerneur, où il eſpe
†roit eſtre à† & quel'autre pouruoiroit à la ſeureté de ſa perſonne.
§
deffaict des Helias luy dit qu'il ne ſe doubtaſt de rien; & cependant Amurat entra au
- \ • - - /

§u Palais,oûilleluy liura entre les mains, & fut ſur la place eſtranglé auec

cle & ſon fre vn licol, à la maniere accouſtumee. On dict queThezetin, iſſu du no

#* ceux de ble & illuſtre ſang des Rois d'Ertzingan,quandilouyt le tumulte desen
Tous - 2 -

# nemis,accourutpour le deffendre,& que d'vne tres-grande hardieſſe &


† franchiſe deco urage s'eſtantietté au beau milieu de la foule, tua d'arri
† uee Michalin l'vn des Saniaques de l'Europe, ſon ancien hoſte & amy,
# qui ſe preſenta au deuant, & pluſieurs autres encore:mais àla parfin ilfut
§ E§ taillé en pieces. -

Pº , VoILA l'eſtat en quoyſe trouuerentlorslesaffaires des Grecs, pour


† auoirvoulu eſpouſer par deux fois vn party contraire à Amurat, & ſe
†. bander contre luy. Et pourtant †
eſtoient hors de toute eſperance
#ºs qu'illes vouluſt iamais laiſſer paiſibles de la ville de Theſſalonique, ils
la vendirentauxVenitiens à beaux deniers comptans : ce qui fut cauſe
Grecs.

# qu'Amuratalla mettre le ſiege deuant, & la battitfort & ferme auec ſon
#. artillerie,taſchant partoutesvoyes & manieres de la prédre,ſans que cela
## luy ſuccedaſt en rien; nomplus que le complot † aUlO1C1lt faict les ha
Iat . bitans de creuſer ſecrettement des mines en pluſieurs endroicts, par où,
au deſſoubs de la muraille & du foſſé, on s'alloit rendre dans ſon camp;
§ qu'ils furent deſcouuerts parlesVenitiens, & pris preſque tous:
es autres s'auallerent en bas durampart,& ſe ſauuerent deuerslesTurcs.
A la fin toutesfois la ville fut priſe d'aſſaut du coſté du Chaſteau, par
où on l'auoit approchee & commencee à battre.I'ay entendu que cefu
rent les Genniſſaires,leſquels faiſansvn grandeffort monterent les pre
miers ſur la muraille, & firent le cheminauxautres; tellement qu'elle fut
toute ſaccagee,que perſonne n'eſchappa qu'il ne fuſt mort ou pris. Mais
ie croy quant à moy qu'elle fut priſe par trahiſon,car c'eſtoitvne bône &
forte placç, & aureſte riche, grande & puiſſante, ne cedant de rien que
ce ſoit à pas vne des autres del'Empire des Grecs, de faict on ne voyoit
1 venitiens gueres autre choſe partous les marchez del'Aſie & Europe, que les pau
i eſt - - > - X

† ures habitans faicts eſclaues, qu'onvendoit de coſté & d'autre. Quant à



uent par mer. la garniſon quiy eſtoit des Venitiens,ſoudain qu'ils s'apperçeurent dela
-

Del'Hiſtoire des Turcs. · 137


priſeils gaignerentleport, & s'embarquerentàla haſte ſur les premiers
vaiſſeaux qu'ils trouuerent,puis leuans les ancres firent voile.Ainſi vint
ceſte riche & floriſſate Citéés mains du Turc Amurat,lequelapresl'auoir
pillee & departie aux habitans de là autour pour la repeupler, s'en re
tourna à la maiſon.Cependant il depeſcha Charats Beglierbei de l'Eu
rope auec vne groſſe armee, contre la ville Ioannine en AEtolie, an
ciennemét dite Caſſiopé,où d'arriueeil fitvn grandrauage dans le pays,
qu'il courut & gaſta d'vnbout à autre cela faict, s'en alla mettre le ſie
ge deuant cette place, car le Prince Charles Seigneur d'icelle, eſtoit
vnpeuauparauant decedé, & n'ayant point eu d'enfans de ſa femme,fil
le de René,laiſſa à trois de ſes baſtards deſia tous grands , Memnon,
Turnus, & Hercules, le pays d'Acarnanie au dedans la riuiere d'Ache
lous; & au fils de ſon frere Leonard, tout le reſte de ſon heritage, hors
mis la ville d'Arthécapitale de l'Ambracie, & le territoire de l'AEtolie,
aueclaville quiy eſt,laquelle il donna à vn autre ſien nepueu nommé
Charles comme luy. Quant aux baſtards ils ne durerent pas longuement
qu'ils ne fuſſent menez à la porte du Turc, dequoy ils ne s'en firent gue
res prier; là où Memnon le plus aduiſé & ſuffiſant de tous les autres, re
quit d'eſtrereintegréau pays qui luy † , ce qui fut vne cou
leur & pretexte à Amuratd'yenuoyerſonarmee : laquelle mit le ſiege
deuant la ſuſdicteville Ioannine, & y demeura quelques iours ſans en
pouuoirveniràbout;iuſques à ce que finablement ceux de dedans, &
le Prince meſme qui s'y eſtoit auſſi enfermé, vindrent à parlementer
auec le Baſſa,auquel il demanda le reſte de l'Acarnanie, & de l'Epire,
& que toutluyfuſtbien aſſeuréparvn traicté inuiolable, car ſoubs ce-,.
ſtecondition il rendoit la ville Les Turcs ayans accepté l'appoincte-§
ment, eurent la place ; & le Prince le pays qu'il demandoit , moyen-"
nant certain tribut qu'il deuoit payer par chacun an,& ſe repreſenterà la
porte touteslesfois qu'il en ſeroit requis. Mais s'eſtans là deſſus venuz
ietter à la trauerſe les enfans du Duc Charles, Hercules, & Memnon,
ils s'emparerent d'vne grande partie de la contree ; ayans amaſſé bon
nombre de gens de guerre delà aupres, qui de iour à autre ſe venoient
ioindre à leur trouppe : Tellement qu'ilsfirent beaucoup d'ennuy & de
dommage à leur couſin, car ils remplirent ſon pays en peu de iours de
uerres & de ruines:& luyàl'encontre aſſembla quelques forces, partie tadiuiféd,
qu'il obtint de la porte du Turc,partie qu'il fit venir d'Italie. Maisvoyât † & non autre
que ſesaffaires ne prenoient point bon train, il fit appoinctement auec choſe,a tºu°
lesautres, parlequelilleur quittatoute la region, poureniouyr par eux §
àl'aduenir ſans aucun contredict ny § : & eux auſſine luy"
querelleroient plus rien. -

E N telle maniere le paysd'AEtolievintés mains d'Amurat. Les Grecs vi,


puis apresl'allerent requerir de paix, qui leur fut octroyee ſous condi
tion qu'ils abbatroiétla cloſture & muraille del'Iſtme,& deſormais s'ab
ſtiendroient de rien entreprendre neinnouer,comme ils auoientiuſques Paix honteu,
alors eſté couſtumiers de faire. Et là deſſus il depeſcha Thuracan pour #
M iij
138 Liure cinquieſme
aller faire cette demolition, & courir par meſme moyen les terres que
les Venitiens tenoient encore dans le Peloponeſe, là où il pilla & ſacca
geatoutes les places qu'il prit ſur eux. Mais à ſon retour, les Albanois
qui y eſtoient habituez s'aſſemblerent dans le cœur du pays, en certain
lieu qu'on appelle Dabia, & ayans eſleu vn chefpourleur commander,
ſe mirent en poinct pour ſe departir d'auec les Grecs, & aller la teſte
baiſſee donner ſur l'armee de Thuracan , lequel les voyant ainſi ani
mez & reſolus venir droict à luy , & qu'il ne pouuoit plus euiter le
combat, rengea ſoudain ſes gens en bataille, comme firent auſſi les Al
- banois , & ſe vindrent rencontrer d'vne grande impetuoſité & furie.
1s, Albanois Toutesfois ceux-cyne peurent longuement ſupporter l'effort desTurcs
#"º qu'ils ne tournaſſentle doz, & ſe miſſent enfuitte, là oûThuracan en fit
vne fort grande boucherie, & prit bien huict cens priſonniers qu'il fit
maſſacrer ſur le champ, & deleurs teſtesarrengees lesvnes ſur les autres,
cruel & hor dreſſer vn trophee en forme d'vne petite pyramide, pour remembrance
† de ſavictoire cela faictil ſeretira. Il fit encore tout plein d'autres belles
# choſes,dont il s'aquit vn grand credit & faueur aupres de ſon maiſtre;
deſpoüilles lequell'enuoya puisapres en la prouince de Brenezes,&† CIl
vaillances de la Valaquie, où il deffitvne groſſearmee, qui eſtoit deſia toute preſte à
# faire quelque bon exploit : Tellement qu'il en retourna plein de victoi
º res & de reputation; & chargé d'infinies deſpoüilles des ennemis, tant
- en eſclaues qu'autre eſpece de butin. Or comme les Grecs vinſſent &
allaſſent fort ſouuent à la porte , & meſmement Notaras, Caroluca,
& autres grands perſonnages, la paix fut arreſtee : & incontinent a
presl'Empereur monta ſur mer, pour aller au Peloponeſe, là où il fit
venir ſon frere Theodore Duc de Sparte deuers luy; car pour raiſon
du peu d'amitié qu'il portoit à ſa femme (Italienne de nation ) il auoit
- deliberé de la laiſſer, & prendre l'habit des Cheualiers de Rhodes: Mais
quand il fut venu au Peloponeſe, ayant amené quand & ſoy ſon au
tre frere Conſtantin, auquel il ſe deliberoit de † tomber l'Empi
re, il changea de propos , de maniere qu'il ne fut plus queſtion de ſe
de mettre auſſi que les ſieurs du Conſeil faiſoient tout leurpoſſible de
l'en diuertir, & en fin trouuerent le moyen de le reconcilier auecques
ſa femme, qu'il n'auoit peu encore gouſter pour raiſon de ſa diformi
té & l'aideur : Toutesfois de là en auant ils veſcurent aſſez doucement
enſemble.Sur ces entrefaictes il s'en alla faire la guerre à Charles Prin
† ce del'Epire, & mitle ſiege deuant la ville de Clarence, capitale de tou
ciennement

# #te la contree d'Elide : mais ne l'ayant ſceu prendre, il fit le mariage de


C1t CC1Ul - - -

§ ſon frere f Conſtantin auec la fille de Leonard, laquelle eſtoit couſine


†- germaine de Charles; ſous condition qu'elle auroit ceſte place pour ſon
reur de Con
ſtantinople dot : & delà mena ſon armee deuant la ville de Patras en Achaie,qu'ilaſ
1, vis - ſiegeafort eſtroictement de toutes parts Puiss'ébarqua pour faire voile
Patras liuree V.
- . la i A - -

† a Conſtantinople; laiſſant la charge du ſiege à Conſtantin,quiy demeu


§
ſt P l ra bien longuement ſansypouuoirrien faire : & peut eſtre
1 - /
syfuſt
-
† • -

§" morfondu du tout,n'euſteſté quelques pratiques & mences dot ils'ayda


5 º C -

| Del'Hiſtoire des Turcs. 139


enuers les habitans qui luyliurerent la ville entre les mains : car l'Eueſ
que eſtoit allé en Italie pour demander ſecours au Pape, oü il ſeiour- .
na pluſieurs iours auant que pouuoir eſtre depeſché. Et faut enten
dre que les Seigneurs Italiens qui dominoyent au Peloponeſe,eſtans deſ
cendus de la race des Malateſtes,apres qu'ils ſe furent mis en poſſeſſion
de la dicteville de Patras, laiſſerent vn gouuerneur ſur le lieu, &en or- .
donnerentvn autre à la ſuite du Pape pour negotier leurs affaires. Au
moyen dequoy luy comme pretendant droict de ſouueraineté y eſta
blit vn Eueſché,dontil pourueutl'vn de ces Malateſtes, celuy là meſme conſtantin
qui eſtoit allé pourchaſſer le ſecours.Conſtantin doncques ayât eulaville †
ſe mit à aſſieger le Chaſteau,où il demeuravn an entier; & finablement
- N * | , - 2 . § /
-
uoir dèmeuré
vint à bout de ſon entrepriſe. Mais d'autre coſtéles galeres du Pape pri- §
rent la ville de Clarence : car ſoudain que les nouuelles furent venues de
la deſcente des Grecs au pays d'Achaye,&qu'ilsauoient deſia pris la prin
cipale place,ilarma dix galeres pour eſſayer de la § elles ne
donnerent pas iuſques là, ains s'en allerent ſurgir deuant Clarence dont
le Duc eſtoit abſent pourlors, & ſi n'y auoit ame dedans pour la deffen
dre, ſi bien qu'ilsy entrerentd'emblee, & la pillerent : Puis l'ayans ven
due au frere del'Empereur pourle pris & ſomme de cinqmille eſcus, re
prirent la routte de leur pays. Pluſieurs autres mal-heurs & infortunes
encore ſuruindrent à cette pauure cité : car Oliuier durant que le Prince
d'Achaye la tenoit encore, eſtant party d'Italie y arriua à l'impourueu,
& la ſaccagea : Puis prit à femme la fille d'iceluy;& finablement tranſ.
porta ladicteville au Prince de l'Epire pour vne ſomme d'argent,ayant
deſiavne autre fois eſté racheptee des galeres du Pape : cela fait il s'en re
tourna d'où il eſtoitvenu. Au reſte les Grecs eurent de longues guerres
auec Centerion Italien , lequel commandoit à l'Achaye, & puis firent .
paix & alliance enſemble, par le moyen du mariage de la fille de cettuy- #
· cy,queThomasle plusieune frere del'Empereur eſpouſa : & par le trai §
ctéfutaccordé qu'elle auroit en dot le pays de Meſſene, & celuy d'Itha- #
mé,hors mis la contrce d'Arcadie quieſtaulongdela mer. Ainſiprit fin †º
cette guerre, car Thomas apresla mort de Centerion entra en poſſeſſion
du pays, & mit la femme d'iceluy en priſon, où elle acheua le reſte de ſes †º
iours Ce futlafaçon dont le Peloponeſevint de la main des Italiens en §
- - - - * - ues de la
celle des Grccs;
tout ainſi lesaffaires
que nous venonsdeſquels paſſerent de la conqueſte de ce pays§ia.
de dire preſentement. liens. -

AMvRAT ayant fait denoncer † guerre aux Triballiens, & enuoyé V º


ſon armee au dommage & ruine du pays, le Deſpote depeſcha ſoudain
deuers luy pour le requerir de paix, moyennant laquelle il eſtoit preſt de
deuenirſon tributaire, à telle ſomme de déniers qu'illuyvoudroit impo- -

ſer; & obeyr encore en tout & par tout à ſes commandemens. Amurat Amº #.
luy demanda ſa fille en mariage par le Baſſa Sarazi, mais Chali l'amena †
u Deſpote -

depuis, quiauoitfort grandcredit & authorité aupres de luy, Cela faict,º †


- - - T " - Les ſeigneurs - -

il s'en allacontre le Caraman Alideriſeigneur de la prouince de Carie,par, touſiours


†" eu
deſpit de cequ'ilauoit nourry & eſleué ſon ieune frere, & iceluy
- - -
enuoye
M iiij º

guerres & Int:
·
I4O Liure cinquieſme
†eauxGrecs.Eſtant doncques entré auecvnegro ſſe puiſſance dans ſon pays
† ily fit beaucoup de maux & de ruines tout à ſonaiſe, ſans y trouuerreſi
§ ſtence:Carle Caramanne ſe ſentant pas aſſez fort pourluyfaire teſte,s'e
º" ſtoit retiréaux montaignes & lieux inacceſſibles. Cette contree a deux

de Licaonie. bellesvilles cntreles autres,l'vne appellee Larande,& l'autre eſt celle d'I


† conium ou de Cogni, eſt bien plus riche & plus grande; de longue
§ main reiglee de bonnes oix,ſtatuts,&ordonnances notables,auſſi eſtoit
cel'ancienne demeure & retraicte des Rois. Et pour-ce que les montai
gnes d'alenuiron ſont fortes & malayſees au poſſible, les Turcs ne s'a
muſerent pas à les combattre, ains deſtournerent tout le faix de la guer
re ſur le plat pays, qu'ils alloient conquerans pied à pied. Au regard de
Larande,elle eſt ſituee au bas des montaignes qui ſont en ces quartiers là,
ſans eſtre autrement remparee ne munie pour endurer vn ſiege : I1CaIlt

moins les habitans attendirent de pied quoyl'armee d'Amurat,& ne s'en


, voulurent point fuyr, eſtimans que puis qu'ils eſtoient les vns & les au
† trcs Turcs naturels , d'vne meſme loy & façon de viure, ils n'en rece
§ † uroient aucun mal ne deſplaiſir. Le Caraman dont eſt icy queſtion, eſt
" voiſin de la contree de Turgut, & desf Piſides,autrement appellez Bar
ſacides, qui ſont certains paſtours, ou pluſtoſt bandolliers vſans de la
langueTurqueſque, & du tout addonnez aux volleries & brigandages
dont ils viuent, & vont faire touslesiours de grandsbutins en la prouin
ce de Syrie, & és pays delà autour. Ils ne s'abſtiennent pas nomplus de
celuy du Caraman, auec lequelils ont guerre perpetuelle; & choiſiſſentà
cette fin des capitaines, ſous la charge & conduicte deſquels ils s'ache
minent à leurs larrecins & deſtrouſſemens ordinaires: leſquels capitaines
reſeruent touſiours quelque portion des deſpoüilles, pour la part de
ceux qui ſont demeurez au logis à garder les femmes & enfans. Mais
Turgut commande à la Phrigie; & s'eſtendſon pays iuſques en Cappa
doce, & Armenie:Toutesfois ſa race n'eſt pas fortancienne,& n'ya gue
res qu'elle prit ſon commencement ſous Amithaon. Car de là s'eſtant
iette dans la Phrigie, luy & ſes ſucceſſeurs en ont touſiours iouy depuis
iuſques à preſent, qu'ils ont pris les armes contre les deſcendans de l'au
tre, & le Caraman. Ils ont pareillement eu laguerreautresfois contre les
Leucarnes, enfans de Carailuc. Ainſi Amurat courant & gaſtant le pays,
Lesſeigneurs prit la fille du Prince qu'il mit en ſon ſerrail, maisillaiſſala Seigneurie au
de la Turchie fils : & en ce meſme voyage il
†- desherita entierement le Cermian,AEdin,
† & Sarchan, tous riches & puiſſans ſeigneurs en ces quartiers là; leſquels
#. il chaſſa des pays qu'ils tenoient, & pillaleurs palais & demeures.Quant
- à AEdin, il mourut ſans hoirs : Sarchan, & Mendeſias s'enfuirentés pro
chains lieux, oû ils ſe ſauuerent des mains d'Amurat ; tellement qu'ils ne
receurent point d'outrage de luy. Car Mendeſias ſe retira à Rhodes, oü
il demeura quelque temps; & depuis ayant eſté appellé à ſeureté, il s'en
alla deuers luy pour taſcherd'auoir quelque moyen deviure; & eſtenco
re pour leiourd'huy à la porte duTurc, où il eſt entretenu & deffrayé à
ſes deſpens. Mais le Caraman qui ne deſiroit qu'à recouurer ſaville d'I
De l'Hiſtoire desTurcs. · 14.I
conium, & le pays qu'ilauoit perdu, enuoya deuers Amuratluy offrirſa
fille en mariage,& ſon fils pour reſiderà ſa ſuitte; parquoylapaix futiu
rce § laquelle Amuratremmena ſon armee en Europe:oü #ppointemét
tout incôtinentilſe mit en point pouraller faire la guerre à Iſmael Prince #.
de Sinope, & de Caſtamone. Ie ne ſçay pas qui en fut le motif, maisl'au
tre le preuint, & enuoya ſes Ambaſſadeurs § luy demander la paix,
En quoy faiſant, ilfourniroit par forme de tribut par chacun an, auſſi Reeoneta
ros de cuivres & roſettes comme il eſtoit, & d'auantage enuoyeroit ſon †º
§ reſider àla porte, quieſtvneforme d'oſtage , ce qui appaiſa Amurat. §as
D'vn autre § il remit le fils deTurgut, quis'eſtoit venu rendre à luy, §t .
dans ſes pays, aueclameſme authorité & puiſſance
fouloitauoir. •
de commander qu'il"
O N ne ſçauroit dire la gloire & la reputation, dont toutes ces choſes v11 I.
ainſi magnifiquement parluy executees,ennoblirent ſon Empire de l'A
ſie: Carileut auſſivne groſſe guerreauecles Leucarnes,qui duralongue
ment; & bien toſtapresil fitl'entrepriſe contre le Prince des Triballiens, voyaged'A
& Georges ſon allié, ſous ombre & pretexte(ainſi quel'on dict)d'Eſtien-†
ne le plusieune des enfansd'Eleazar, qu'ilauoit amené quant & luy lors"ºi°.
§u'ilcesvint deuant Spenderouie, oü eſtoit la cour & reſidence ordinaire s .
Princes. Mais Eleazar ayant eu le vent de ſavenue,laiſſa là ſon §
derouie

autre fils Gregoire pour deffendre la place ſi d'auenture il s'y vouloitat- †


taquer, & s'en alla querir du ſecours en Hongrie, oûil tenoit vne gran-"
de eſtendue de pays, auec pluſieursvilles riches & opulentes, qu'ilauoit
euës en eſchange del'EmpereurSigiſmond pour celle de Belgrade. Or
cette place de Spenderouie plaiſoit infiniment à Amurat, pour la com
modité du port qui luy eſtoit fort à propos : Au moyen dequoy apres a
uoirfait vne raſe en tout le pays d'alentour, il ſe vint planter là deuant, &
fitaprocherſes pieces en batterie, dont ilauoit deſia quelque train & é
quippage,lequel toutesfois n'eſtoit pdinttel qu'il euſt peu faire breſche
raiſonnable, ne qu'ily euſt grande eſperance d'emporter cette place,for
te d'aſſiette & bien remparee,ſileieune Prince qui eſtoit enfermé là de
dans ne ſe fuſt perdu & eſtonné de plaine arriuee, pour la furie & impe
tuoſité de cestonnerres, à luy ſi nouueaux, qu'à grand'peine en auoit-il
ouyparler.Ayant peur doncques d'eſtre parlà abiſmé luy & les ſiens, il
vint toutincontinentà parlementer auec Amurat, & fut la com poſition spenderouîe
telle, qu'illuy
vne plus amplerendroit la place,
reſolution & demeureroit
de ce qu'ilauroit en ſon
à faire; camp,attendant
carauſſi bienſonau-§"† C

tre frere nommé Eſtienne y eſtoit deſia. Quelque temps apres , Amurat
- fut aduerty de ſe dönergarde d'eux, pource qu'Eleazar leur pere eſtoita
pres à faire quelque menee àl'encontre de luy, où ſes enfansluyaſſiſtoiét inhumanité
ſecrettement, ce qui fut cauſe qu'illeur fit à tous deux creuer lesyeux:& †"
uers les en- '
ainſi en peu de iours ayant † Spenderouic auec le reſte du pays des †:
- - - - - \Cè: dcS l3lll2a
Triballiens, laiſſa par tout de bonnes & fortes garniſons, puis ſans re-†º"º
• mettrel'affaire en plusgrande longueur, paſſa outre tout de ce pas con
tre la ville de Belgrade en Hongrie. Cette place icy eſt enuironnee de #
I42 Liure cinquieſme
deux riuieres qui la flanquent ; le Danube d'vn coſté , & celle de
Saue de l'autre , qui ſe va rendre dans le Danube vn peu au deſſous:
Parquoy Amurat eſtant arriué là deuant, eſpandit ſes gens à l'en
tour , & l'enferma de toutes parts : Puis auec ſon artillerie ietta
Le 6ege de . " grand pan de muraille par terre , mais ce ne fut pas ſans que
† † ceux de dedans leurfiſſent beaucoup d'ennuis & de † cepen
§ dant, à coups † , d'arbaleſtes , &autres tels baſtons &
†" machines de guerre dont ils eſtoient fort bien munis,de ſorte qu'ils en
| tuerentvn grand nombre : & n'yauoit en toutle camplieu ne endroict,
pourſe mettreſeurement à couuert, que ſoudain on ne ſe trouuaſtac
cablé d'vne nuee defleſches & de traicts, quiy pleuuoient inceſſamment
v .. de tous coſtez.Tant de dangers neantmoins, & d'images de morts ainſi
§ preſentes, ne peurentintimiderHaly fils de Brenezes,ny le deſmouuoir
† de pourſuiure ſon entrepriſe encommencee, de tirer vne grande tren
chee iuſques ſurlebord du foſſé, où ilallabrauement dreſſer ſon pauil
lon, & arborerles enſeignes de ſon regiment tout le long de la douue &
contreſcarpe : & apresauoirà coups de fleſches deſlogé ceux qui du haut
durempart&des platte-formesluyfaiſoient le plus d'ennuy,& recogneu
†, luymeſmelabreſche, en perſonne, donnavnaſſautſifurieux, que de la
† premiere poincte les Genniſſaires renuerſerent tout ce † ſe trouua au
§" deuant.Et eſtoient deſia maiſtresd'vne bonne partie de la ville penſans
# auoirtout aigné, quand ceux de dedans s'eſtans ralliez, & ayans repris
nouuelles † , & nouueau courage,leur vindrentaudeuant comme
ils eſtoient eſcartez & eſpanduz, & en tuerent pluſieurs, rembarrans le
reſte en grande confuſion & deſordre iuſques à la breſche par oû ils e
ſtoient entrez, là oü pluſieurs laiſſerent encore les vies, en la foule de
# ceux qui ſeparforçoient, les vns d'entrer, les autres de ſortir. Amurat
§a cogneut bien par l'iſſue de cette tétatiue,ce † finablemétil deuoitat
de, tendre de ſon entrepriſe : au moyen dequoy ſans s'y opiniaſtrer d'auan
tage, il fit ſoudain trouſſer tentes & pauillons,& s'en retourna à la mai
ſon. Maisillaiſſa de groſſes garniſons tant de cheual que de pied ſur les
-.
frontieres des Scopiens, & des Illiriens, ſous la charge d'vn de ſes prin
cipaux Capitaines,lequelauoit eſpouſéſa ſœur,afin de courir & endom

Boſſine voi mager touſiours les peuples delà autour, & les matter àla longue : meſ
†a mement ceux de la Boſſine , pays fort rude & montueux qui s'eſtend iuſ
#e• ques en l'Eſclauonie,le long du goulphe Adriatique. La ville capitale
eſt Iaitza, flanquee de la riuiere de Vukrine, qui ſe va rendre dans celle
de Saue, & delà toutes deux de compagnie dans le Danube.Le Seigneur
dela contreelavoyant perdre & ruiner deuant ſes yeux par Iſaac, auoit
aſſemblé quelques gens poury reſiſter; mais apresauoir à part ſoy bien
examiné quelles eſtoient les forces des ennemis, & meſuré les ſiennes à
l'encontre; de crainte de hazarderſon eſtat tout à vn coup contre vne
telle puiſſance, enuoya ſes Ambaſſadeurs pour requerirla paix, à condi
tion que delà enauantil ſeroit tributaire duTurc, & luy payeroitvingt »
· .. cinq mille ducats chacun an, à quoy il fut receu. A cette region confine,
Del'Hiſtoire des Turcs. 143 \

le pays d'Eſtienne fils de Sandal, qui eſt auſſivn peuple del'Illirie, lequel
s'eſtend iuſques à la mer Ionie : toutesfois ils ſouloient eſtre ancienne
ment ſeparez des autres Illiriens,encore qu'ils ne ſoient aucunement dif
ferends en mœurs ny façons de faire, ſinon qu'ils n'vſent pas de meſmes
loix. Cuduerges ſont appellez ceux qui habitent ce pays de Sandal,entre ººgº .
lequel & celuy del'Epire, ilya quelques places des Venitiens,dansleter
ritoire meſme d'Iuain Caſtriot. Puis ſuit apres celuy de Comnene,la plus †º
grand'partau long de la marine, ſinon que parle dedansils'alonge,mais º
c'eſt par bien petit eſpace, iuſques aſſez pres de la ville d'Argyropoliné;
là oüle Lieutenant generald'Amuratauoit ſon armee,faiſant de grands
maux & dommages partoutes les terres d'Iuain, & des Comnemes; tant
u'à la parfin ce pauureSeigneur entierement ruiné,& n'en pouuât plus,
§ contrainct de recourir à ſa mercy,&mendier enuers luy quelquecho
ſe pour ſonviure : maisapres ſamort,le filsd'iceluy fut reintegré enl'eſtat
& Seigneurie de ſon pere.Arianit tout de meſme,quiauoit pareillement Ananuf,de
eſté deſpoüillé de la ſienne, s'en alla pourſuiure quelque recompenſe à la ſ†
tant rendu à
porte: puisſoudain s'eſtantraduiſé,trouua moyen de faire entendre
main à ceux du pays, dontilauoit eſté mis dehors à force d'armes, que #ſous § COIllIC .

bien toſtillesiroit veoir auecvn gros ſecours : A quoyils firent reſpon


ce, qu'il ſeroitle tresbienvenu, & qu'en ce faiſantils eſtoient tous preſts
de ſe reuolter contre Amurat, & ſe deffaire de ſa ſeruitude.S'eſtant don
ques ſecrettement deſrobé, & enfuy deuers eux,il fut fort bien receu de
touslesprincipaux,auecleſquels il tailla en pieces lesTurcs qui y eſtoient
en garniſon, & de là commença à courir & piller le pays d'alentour, où
il fitvn merueilleux rauage. Car eſtans les lieux & endroits de leur de
meure pleins de montaignes,& malayſezaupoſſible,apres qu'ils auoient
fait leur main, ils ſe retiroient là en ſeureté, chargez des deſpoüilles, &
butins qu'ils faiſoient deiour eniour. Et commençoient † les choſes
à leur ſuccedertres-heureuſement, quand Amurat ayant eſté aduerty du Haly chefde
tout, depeſcha ſoudain le Saniaque Haly, auec les gens de guerre qui ſe †
iournoientés enuiros de la riuiere d'Axie,& la deſſuſdicte ville d'Argyro- §
poliné,tant de cheual que de pied, pour aller remedier à ces deſordres,"
& retirerà ſon obeyſſance le pays des Albanois, ſans en partir qu'il ne luy
amenaſt pieds & poings liez ceſt Arianit fils de Comnene,& n'euſt mis à
la cheſne tous ceux quiluyaſſiſtoient. Haliayant pris les forces qui luy
auoienteſte ordonnees, entrad'vne grande furie dans le pays ennemy,
nonobſtant qu'ily euſtvn bon nombre de gens de pied en armes , & le
courut & fourragea d'vn bout à autre, mettant le feu partout, ſans par
donnerà perſonne,ne à choſe quelconque. Mais cependant auſli Aria
nit eut quelqueloiſir d'aſſembler ſon armee, aueclaquelleil s'en alla ſai
ſir les couppeaux & deſtroicts des montaignes, par ou les Turcs ſe de- -

uoient retirer chargez de proye, & debutin, d'eſclaues, & autres tels Lamºrra.
empeſchemens : de ſorte que les premiers qui à leur retour ſe voulurent #º"
eſſayer de forcer le pas,furentbrauement repouſſez parles Albanois:de- .
quoy les autres quiauoiét eſtélaiſſez par Haliàlagarde dupays,s'effroye
^.

I4-4- Liure cinquieſme


rent & mirent en deſordre,taſchant chacun enſon endroict de ſe ſauuer
haſtiuement, où ils penſoyent
pluſtoſteſcheuerle danger qui ſe preſen
toit. La pluſpart toutesfois furent pris & mis à mort, & le reſte qui eſ
chapperent contraincts d'aller prendre vn grand deſtour pour gaignerla
†º plaine, d'où finablement ils ſe ſauuerent deuers Corfou , mais ce fut en
# fort petit nombre, car
mere la nom.
ien grande

tousy demeurerent pourlesgages. Ccttc
reputation & faucurauxaffaires d'A
§ entrepriſe apporta vne b

rianit, & fut fort priſéd'auoir ſi facilement mis en routte l'armee de Ha


ly,lequels'eſtoitiettéd'vne telle furie & impetuoſité ſur la contree re
gardant au long de la merIonie,comme nousauons deſia dict cy deuant,
Car le reſte des Albanois qui habitent deuers la ville d'Argos, ayans en
tendu comme ce ieune Seigneur auoit commencé à remuer meſnage -

te , contre Amurat, & ſi heureuſement encore, eurent volonté de faire de


/

§ pellerent
d'Arianit ſe
meſme, &Depas,
ſe rebeller
pourdecſtre
leurleur
partauſſi
chef&contre lesTurcs.
conducteur Parquoyilsap
: ce qu'ils firentd'au
rebellent cö

†* tant plus volontiers, pource que Paiazet le fils du premier Amurat,auoit


#º" lº chaſſe le pere de cettuy-cy hors de ſon pays,auſſi bien que Myrxas, & le
CT, - - - 2 - / -

Prince des Caniniens,auecbeaucoup d'autres,&s'en eſtoit emparé.Ainſi


ce Depas, lequel ayant tout perdu s'en alloit roddant de coſté & d'autre
parl'Italie, & la pluſpart du temps ſe retiroit en l'Iſle de Corfou apparte- .
nanteauxVenitiens, fut appellé parles Albanois d'entour la ville d'Ar
# † laquelle tenoit le party d'Amurat. Ayantdoncques aſſem
>

§.. blé ſes forces, il s'en alla mettre le ſiege deuant, & l'aſſaillir viuement
auec toutes ſortes d'engins & machines de guerre:car ilyauoitlà dedans
vne garniſon de Genniſſaires, & grand nombre de Turcs naturels qui
s'y § retirez : tous leſquels ſe deffendoient d'vn grand courage:Et :

· cependant les autres Albanois, quitenoient la † tout à leuray


ſé, durant que cette place eſtoit ainſi bridee, & tenue de court par ceux
de leurligue (pource qu'Amurat eſtoitlors bien empeſché en Aſie apres
la guerre du Caraman ſeigneur de la Cilice,& Carie)eurent beau moyen
& commodité d'endommager les pays de ſon obeyſſance, leſquels ils
coururent & pillerent comme bon leur ſembla, ſans contredit ne reſi
Thuracisa-ſtence aucunc ; iuſques à
ce que Thuracan gouuerneur de Seruie & de
† Thcſſalie, ayant entendula reuolte des Albanois,& que deſiails auoient
Scru1e vu au

†" mis le ſiege deuant vnetelle & ſi importante place, aſſembla prompte
ºº ment la plus groſſe armee qu'il peut & aueclesTurcs meſmes qui eſtoiét
habituez en Theſſalie, fit telle diligence à trauers les glaces & les neges
(car c'eſtoit en plain cœur d'hiuer)que le ſecond iour il arriua à la veuë
d'Argyropoliné,où il ſurprit les autres,quine ſe doutoient de rien moins
Dcffuite des # ue de ſa venue:Tellement que de plaine arriueeil en tailla en pieces plus
† de mille, & prit le capitaine Depas priſonnier. Par ce moyen fut ſecou
§- rue & deliuree la ville d'Argyropoliné,&les Albanois contraints de nou
" ueau à receuoir leiou g de la ſeruitude accouſtumee.Lesautresquieſtoiét
• à piller à la campaigne de coſté & d'autre comme nousauons dit, & meſ
mes les plus grands de leur armce, quand Thuracan arriua ainſi à l'im
pourueu
De l'Hiſtoire des Turcs. I45
pourueu, n'eſchapperent pas pour cela, car en fuyant ils tomberent és
mains des autres Capitaines d'Amurat, qui les firent tous mourir cruel
lement en diuerſes ſortes. - - ·,

Lvx puisapres eſtant de retourdeſon voyage d'Aſie, depeſcha de ſa t #


porte Mezet,lequelilauoit n'agueres fait Beglierbey & Gouuerneurge- †
neral del'Europe, auec tel nombre de gens de cheual & de pied #" †
voulut prendre pourallerà la conqueſte delaPannodace ouTranſſilua
nie. Ceſtuy-cyayant prisles Azapes del'Europe,enſemble toute la caual
lerie quiy eſtoit,marcha droictau Danube,& l'ayant paſſé, entra en ceſt
endroit du pays deſſuſdit qu'on appelle Ardelió,lequels'eſtend depuis le
mont de Proſobe, iuſquesaux frontieres de Hongrie, eſtant de toutes
parts enuironné degrandes & profondes foreſts,& ya pluſieurs villes,la
principale deſquelles eſt celle de Toſibinium Le lágage dontvſe ce peu
plelà, en partie tient du Valaque,& en partie de l'Hongreſque, dont ils
enſuiuent les meurs & façons defaire, auſſiſont-ils ſubiectsau Roy de
Hongrie, qui leur enuoye de ſa cour telchef& gouuerneur que bon luy
ſemble : neantmoins les villes ne laiſſent pas de iouyr de leurs ancien
nes libertez & franchiſes,& vſer chacun endroit ſoy deleurs loix & cou- .
ſtumes particulieres : mais elles reſpondent toutes à celles de f Toſibi-†
Cibinium : on

nium, comme à la metropolitaine Aureſte ils ſont tenus d'alleràla guer-#


tenant Her
re quand le Royle commande,& luy payent encore le tribut outre cela, §
toutes les fois qu'illeurveut impoſer. Ce fut ſur cette place que Mezet
s'en alla deſcharger tout le faiz de ſa guerre, & l'auoit deſia † eſtroi
tement encloſe toutàl'entour preſt à faire la batterie auec ſes machines
& † la fortune voulut, ainſi qu'il alloit recognoiſſant l'en
droict le plus à propos pour aſſeoir ſes pieces, qu'ilfut atteinét d'vn ,
coup de mouſquet,dôtil tôba mort ſur la place.Toutel'armee ſe trouua zet
- - - - 2
Le Baſſa.Me
• |*tué dvn
) , -

en fort grandeſmoy pourla perte d'vn tel perſonnage, caril n'y enauoit coupdemouſ
quet en reco
plus d'autre pourcomander parquoyils ne firent pas long feiour là de §
- - • I • , - . . - - - llcd'H
uant, & ſe retirerent en diligencevers le Danube Mais ils ne le peurent †
paſſerſi à temps,que ceux du pays qui s'eſtoient mis en armes, ne leur"º
euſſent couppé chemin, oû ils en tuerentvn grandnombre,le reſte eſtât
mis à vauderoutte ſe ſauuerent le mieux qu'ils peurent. Voila l'iſſuë
† voyage de Mezet enTranſſiluanie, auquel il fina ſes iours, & '
1 perdit encore la plusgrande partie des forces qu'il y auoit conduictes,
ſansy auoirrien exploicté. Amurat fut deſplaiſant au poſſible de ceſte †
perte,qu'il reputoit fort grande;mais il remit incontinent ſusvne ſecon- #
de entrepriſe contrelaTranſſiluanie, & enuoya de tous coſtez aduertir†.
ſes gens de guerre,deſetenir preſts à marcher ſur le commencement du †#.
renouueau , ſe deliberant dy aller en perſonne, toutesfois il changea §"
d'aduis fuiuantl'opinion de l'Eunuque Sabatin, homme fort excellent statiº Es.
enl'art delaguerre,auquelil remit ceſte charge, & luy commandant de †
ne partir de la,qu'iln'euſt du tout reduict le paysà ſon obeiſsäce. Sabatin §
auecles forces qu'illuyauoit ordonnees,& bien quatre milleGenniſſeres #º
de la porte,qu'il prit de renfort,s'achemina droictau Danube; & l'ayant
S

I46 Liure cinquieſme -

paſſé, entra enlaTranſſiluanie quelques iournees auant en pays, là oü


le de langus Choniates, que ces gens là appellent Iean Huniade, le plus excel
† lent Capitaine de ſon temps(auſſi pour ſa vertu & longue experience,le
"g" conſeildu Royaumeluyauoit comis entre les mains le gouuernemét de
cette prouince) ſe mit à le coſtoyer parles montagnes & lieux couuerts,
auecles gens de guerre qu'ilauoitramaſſez,tant du pays meſme, que de
celuy de Hogrie,& Sabatin eſtimant que ſon cas iroit bien,s'ilypouuoit
faire quelque gaſt,auoit ſous cetteintention enuoyé toute ſa cauallerie
auec la meilleure partie de ſes gens de pied çà & là au pillage, comme ſi
par ce moyen il s'euſt deu enrichirluy & ſon armee tout àvn coup; telle
Houſſarsſont ment qu'il eftoit demeuréfort mal accompagné. Ce que Huniade ayant
#. † par ſes eſpies,prit en mainl'occaſion qui ſe preſentoit pour aller
, " donner deſſus:& eſtantinopineement deſcendu de la montagneauec ſes
houſſars, s'en allad'vne fort grande impetuoſité ruer ſur le camp des en
nemis, preſque tout deſnue #e gens de deffence,là où Sabatin quin'auoit
pas lorsle moyen de ſortir en campagne,ſe deffenditaſſez bié pour quel
que temps,toutesfois Huniade le preſſa ſiviuement, qu'il fut à la parfin
côtraint de quitter tout,& prendre la fuitte à toute bride vers le Danube.
l ºmp des LesChreſtiés nes'amuſerêt point à le pourfuiure,mais apresauoirſaccagé
# ſon camp, s'en allerent embuſcher en certain endroit paroù ceux qui
† s'eſtoient deſbandez pour aller fourragerle plat pays deuoient faire leur
leur cauallerie

†" retraicte, chargez d'eſclaues, & autres deſpoüilles & butins : Ce quileur
§ſ ſuccedaſibien,que les autres ſans ſe douter de rien vindrent en deſordre
nladc. " donnerdans le § oüils demeurerét p
†" > preſque
q tous:Étn'vy en eut p
pas beau
coup qui allaſſent porterles nouuelles de cette ſeconde routte, à ceux de
leurs compagnons qui s'eſtoiét ſauuez de la premiere. Ces deux deffaites, -

autant belles & memorables qu'on euſt point encore obtenues en ces
marcheslà,apporterent vne fort grande reputation à Huniade enuers les
vns & les autres: Aumoyen dequoy il eſt bien raiſonnable de dire quel
que choſe en paſſant de ce tant renommé & excellent perſonnage,qui fit
deſibelles choſes en ſon temps, & meſme à l'encontre des ennemis du
nom Chreftien.Il eſtoit en premier lieuTranſſiluain de nati6,de lieu non
du tout ignoble & incogneu; & vint du commencement au ſeruice du
L,
niade,
en monſtra
Prince desTriballiens, àla ſuitte duquelil demeura bien longuement,&
en toutes les occaſions oü il fut employé,vn fort grâd deuoirde
proüeſſe & diligence. On dict qu'vne fois que ſon maiſtre eſtoit allé à la
chaſſe, ſes chiens leuerent vn fort grand loup, lequelil commanda à
Huniade de pourſuyure à toutebride, quand bienildeuroit gaſterſon
cheual, car il ſe forlongeoit deſia.Il ſe mit apres, & le preſſa de telle ſorte,
qu'il fut contrainct de ſeietter dans vne groſſe riuiere, laquelle il paſſa à
nage, & Huniade pareillement,ſans quelaroideur & § de l'eau
l'en peuſt deſtourner, ſi bien que finablement il r'approchale loup, &
cut moyen de le tuer.Puis le deſpoüllaluy-meſme ſur la plaçe, & repaſ
ſantla riuierevne autre fois, apporta la peau au Prince, luy § : I'ay
faict (Seigneur ) ce qu'il t'a pleu me commander, en voila les enſeignes
- /

2 t, • - - - - -

· Del'Hiſtoire des Turcs.. I47


L'autre fut ſi contentd'auoirveuvnteldeuoir en ceieune homme, qu'il
dit tout haut,certes il ne ſe peut faire que ceſtuy-cyne ſoit vniour quel
§ grand'choſe:& de là en auantl'honnora plus † ne ſouloit, & luy
t tout plein de biens.Mais apres qu'il eut encore demeuré là quelque eſ
pace de temps,il s'en retourna en † y en a quiveulent dire,qu'il
auoit eſté auparauant au ſèruice de Hali fils de Brenezes, dont nous auôs
parlé † , & auoit eu la charge de ſon eſcurie : toutesfois ie ne
voyrien qui me puiſſe faire croire cela eſtre veritable , car ſi ainſi eſtoit,
il euſtappris lalangueTurqueſque. Quoy que ce ſoit, luy eſtant arriué º
en Hongrie auec quelques autres qui le ſuiuoient,ils'alladroict preſen- . -

ter à lacouapour eſtre enroolléau nombre de ceux qui'eſtoient appoin


ctez à la'ſoûlde du Roy,dontilnefut pas refuſé.Auſſi tout incontinent
apres, en la guerre † eſtoit fort & ferme allumce entre les Hongres,
& les Allemans, il fit tout plein de beaux exploicts d'armes, ſe trou
uant à toutes les factions qui ſe preſenterent, où il fit merueilles de ſa
pçrſonne. Téllement que beaucoup de bons ſoldats ſe venoient iour
· nellement rendre ſoubs ſa cornette:Et commença deſlors à ſe faire fort
craindre & renommer de toutes parts; ſi bien que le gouuernement de
Tranſſiluanieluyfut decerné parle conſeil Royal de Hongrie, là où du-Huniadegeu
uerneur de la . '
rant qu'ily reſidoit,ildeffit & mit à mort l'Eunuque Sabatin, auec tou-†
te ſon armee, s'acqucrant de là vne victoire belle & memorable entre
toutes autres, qui remit les affaires de Hongrie enleur premiere ſplen
deur & dignité. Car depuis que lesTurcs ſoubs la conduicte de Paiazet
curent rompu l'Empereur Sigiſmond, ils ne ceſſerent de courir & pil
lerles Prouinces dependantes de ceſte couronne, dont ils enleuerent ſi
grarfdnombre d'eſclaues, que preſque ils en remplirent & l'Aſie & l'Eu
rope.Maistout auſſi toſt que Huniade fut arriué enTranſſiluanie,ilcon
traignit à viue force Sabatin,enſemble tous les Turcs quiyauoient deſia
prisvn bon pied, de retourner arriere à bien grande haſte , & aban
donnerle pays du tout. Depuis les Hongres ayans repris courage, les
· deffirent en pluſieurs groſſes rencontres, eſquelles par leur proüeſſe, &
le bon ſens & conduičte de leur Capitaine, † eurent touſiours du meil
leur: carſouuentefois ils paſſerent le Danube à bien petite trouppe, &
neantmoins ne laiſſerent de chaſſer deuât eux grand nombre des Turcs,
quine pouuoient pas ſeulement ſupporter leurs premieres ,&†
plus legieres eſcarmouches.De toutesleſquelles choſes Huniade demeu- Humide et
racntelle eſtime d'excellent Capitaine, & dêtres-valeureux ſoldat, que †
,du commun conſentement de tous les eſtats de Hongrie,il eut la charge †,
& ſuperintendence de la guerre contre lesTurcs, & contre les Allemasi †
oùl'on ne ſçauroit preſque racompterles belles choſes quifurét par luy"
faictes.Carles Hongres n'auoient pas à faire à de laſches & foibles en
nemis que les peuples de la Germanie, dont les forces ſont aſſez co
† &§
eſtimees par tous les endroicts de l'Europe: Et neantmoins
laguerre contre ceux de Boheme, laquélle dura aſſez
ils firent
longuement, & yreceurét les vns & lesautres degrâdes ſecouſſes.Mais à
• | N ij
- © v a - -"

I48 . Liure cinquieſme -

la parfinles Hongrèss'eſtansaſſociez auec les † Roy †


s † ilsappellerent àleur couronne,commencerent deſlors à auoir quelque
†, aduantage ſur leurs ennemis : en ſorte qu'ils leur porterent beaucoup
de H§e, de †, & pillerent ſouuent le plat † , mettans le feu à vn
grand nombre devilles & bourgades. Ils combattirent quant & quant
en bataille rengee par pluſieursfois, dont tantoſt ils auoient du meil
leur, tantoſt du pire : puis prenoient vn peu d'haleine pourremettre ſus
nouuelles forces, & lors retournoient derechef aux armes † ardem
tºn-ºº qu'auparauant. Car ces gens-là ont accouſtumé d'vſeren toutes
§ choſes de furie & impetuoſité , ſans ſe pouuoir ſaouler de guerres ny
* †, de combats, eſquels ils ſont fort criminels & † ; pseſſans leurs
*ºgº ennemis à coups de lance & d'eſpee,& d'harque ouſes encore quelque- -

fois; & ſivſent les gens de cheual meſmes , d'arbaleſtes dacier auec
beaucoup d'autres telles ſortes d'armes offenſiues fort eſtranges, dont
' ils ſe ſçauent bien ayder contre ceux qui leur voudroient # teſte.
Mais ſion leur quitte la place, & qu'on fuye deuâteux,al8rsils ne s'opi
niaſtrét pas beaucoupa chaſſer, ny à reſpandre le ſang: & donnent firia- .
blemét § volôtierslavie ſion la leur demâde, & qu'on aduouë d'eſtre
vaincu,r'enuoyäs ceux qui ſe ſoubs-mettétà leur mercy quittes & exépts
de toute rançon,à la charge delà en auant de ne porter plus les armes c6
tr'eux. C'eſt la forme qu'ils ont aecouſtumé de garderes batailles & ren
contres,où peu deleurs ennemis laiſſent la vie, ſi ce n'eſt enl'ardeur du
combat,& pendant que la victoire ſe diſpute encore, dont ils ſont con- .
† puis apres ſous la conduicte dudict
uoiteux ſur tous autres.Les
Huniade paſſerent en valaquie, là où ils mirentvn Seigneur àleur deuo
tion,appellé Danus ou Daas, & ordonnerent au † de luy obeyr.
#º Au moyen dequoyce Daasayant depoſſedé Dracules,qui fut contrainct
- de ſe retirerà la porte du Turc,s'empara & mit en poſſeſſion du pays, oü
il fit cruellement mettre à mort tous les parens & amis de ſon † -

ſeur, qui luy peurentvenir entre les mains On† que ces Princes icy
† regnerent en Valaquie, eſtoient baſtards de Myrxas; dont les vns,
oubsl'opinion qu'on auoit qu'ils fuſſent ſes enfanslegitimes, furétad
mis à la Seigneurie par certains gentils-hommes des plus nobles & plus
riches de tout le pays;eſtimans que ce ſeroit le bien & le ſoulagement du
peuple, ſi ceux du ſang de Myrxas venoient à commander abſolument.
Ie me ſuis autrefois enquisdel'vn & del'autre,& ay ſceuauvray de quel
le race ils eſtoient, maisie n'ay pasintention de le publier:Aumoyen de
quoy pourretourner à Daas, ayant ainſi eſté auancé par les Hongres §
· la principauté de Valaquie, dont il demeura paiſible de là en auant, i
ſe monſtra touſiours fort fidele & affectionné enuers eux.Et comme
il ſe trouuaſtgrandement moleſté des Capitaines d'Amurat,quieſtoient
en garniſon le long du Danube, & parinterualles ſeiettoiétà l'impour
ueu dans ſes pays,oüils faiſoient de grandes ruines & dommages, il en
#Vºlsques
tributaires
uoya ſes Ambaſſadeursà la porte pour demanderla † obtintà la
§ Parfin, moyennantvntribut de trois milliersdefleſches, & quatre mille
De l'Hiſtoire des Turcs. I4-9
pauois,qu'ildeuoit fournir parchacunah: Tellement qu'il eut lors tout
moyen & commodité d'ordonner & eſtablir ſes affaires à ſon aiſe. Il en
uoya pareillementvn Ambaſſadeurau Prince de laNoire Pogdanie,auec Pºdolie, des
lequelil fit ligue,& en tira depuisvn bien grand ſecours, en l'affaire qu'il†
eut contre Dracules.Telle donques fut la reformation que prirent les
affaires de Valaquie,ſoubs ce nouueauSeigneur.
MA1 s pour retournerà Amurat, il enuoya quelque temps apres ſon , x. .
armee de mer en la coſte de la Colchide, & †. de Trebiſonde r †
pouryfaire vneraze,& taſcher de ſurprendre la ville car il y auoit bien à †º
aigner,tant enricheſſesdetoutes ſortes, qu'en eſclaues : ce que toutes
ois ne luy reuſcit pas, & ne peut eſtre executé.Parquoy cette flotte paſ
ſa outre à lavolte de Gothie,où elle fit beaucoup de maux,& y chargea
vn grand nombre d'ames priſonnieres.maisau retourellcfutaſſaillie #
negroſſela tourmente
appelle & orage
Bize,quiſe leua du vent
ſoudain Aparctias,
ſiroide que vulgairement
& impetueux,que on §.
la plus gran- Naufagede llf •

de partie desvaiſſeaux allerent donner à trauers en lacoſte de l'Aſie, pres


la ville d'Heraclee ſur le pont Euxin , où ils ſe perdirent preſque tous.
Au demeurant Amurat demeura touſiours en paix & amitié auec les Ge
neuois, qui eſtoient lors fort embroüillez de troubles & partialitez, r le
dont peu s'en fallut qu'ils ne ſe perdiſſent & eux & leurs affaires; à cauſe †
que les ſeditieuxappellerent Philippes Duc de Millan, & luy mirentleur§
ville entre les mains, obeiſſans en tout & par tout à ſes intentions &"
commandemés.Ce quiaduint en partie, pourlahayne implacable qu'ils
†rasrtoientauxVenitiens ;par deſpit deſquels ils s'allerent ietter entreles
de ce Prince, lequel ils ſçauoient § le plus mortel ennemy que
les autres euſſent; & de faictily auoit deſia long-temps qu'ils s'eſtoient ,
fort & fermeattaquez enſemble. Or pour dire auſſi quelque choſe de †
la ville de Gennes, qui eſtl'vne des plus belles, & des plus fameuſes de isºs dº
toute l'Italie,elle eſt en premier lieu ſituee àl'vn des coingsd'icelle, ſur le |

bord de la mer, en tirantvers les Gaules. Du coſté d'Orient, elle vaat


teindre la Toſcane,& du Ponant,au ſortir de ſon territoire, celuy de la
Prouence ſe rencontre de front,qui eſt de l'obeyſſance des François, tel
lement qu'elle eſt dicte † Ianua, quivaut autant à dire côme
porte pour ce que c'eſtl'vne des c efs & entrees del'Italie.Au regarddela
forme de leurChoſe-publique,elle ne panehe pas du tout nyàla Demo
cratie, qui eſt le gouuernement du † à l'Ariſtocratie, où les plus
nobles & apparents Citoyens ont la ſouueraine authorité & puiſſan
ce, mais participe de toutesles deux enſemble, en cela mefmement qui
concernel'election du Duc.Carilya deux familles entre les autres,qui de
tout temps & ancienneté ont accouſtumé de commander, en ſorte tou
tesfois qu'il ſemble quele peuple leur ait voulu departir aux vns & aux taperia »
autresſes faueurs & iuffrages, comme à la balance : l'vne eſt celle des†.
Dories, & l'autre
affectiónees des Spinoles.A
les volontez ces deux
de la cômune: Auſſimaiſons-cy
aduient-ilſont eſgallement
le plus ſouuent † C -

quel'vne des parts enclineaux Dories, & l'autreauxSpinoles. Et encore


N iij -
15o Liure cinquieſme
que parce moyenilsayent tout le credit & authorité par deuers eux, ſi
n'oſeroient-ils toutesfois entreprendre d'eſlire vn Duc de leur ſang, car
le peupleauſſi bienne le permettroit pas : mais ily a deux autres familles
du meſme corps de la ville, dontl'vne s'eſt touſiours monſtree plus affe
ctionnee enuerslanobleſſe, & l'autre enuers le commun peuple, aſſa
uoir les Adornes, & les Fregoſes, deſquelles on prendle Duc toutes les
fois que le ſiege vient àvaquer,ſelon que le party de ceux qui fauoriſent
Les Adornes aux vns ou aux autres vient à ſe trouuer le plus fort : car les Adornes ſont
& Fregoſes - - -

§ du tout liguez auecles Spinoles, & les Fregoſes auecles Dories. Quand
†" doncques le Duc eſt crée, illuy eſt loiſible d'adminiſtrer la Choſe publi
Ligues des § ſelon ce qu'il luy ſemble eſtre le plus à propos pourlebien & repos
† 'icelle,appellé toutesfois au conſeilauecques luycertain nôbre des plus
§" nobles & apparens Citoyens,& ſans ſe departir de la formalité des loix
& anciens ſtatuts & ordonnances.Au regarddeleur domaine,leurs ſub
ſides,gabelles,& autres impoſitions du public,il en diſpoſe comme bon
luy ſemble; mais de la paix ou de la guerre,le† delibere en pleine
Lauthorité aſſemblee,oûl'affaire ſe determine. Que ſi la guerre eſt arreſtee contre
† quelqu'vn,ils en laiſſent puis apres la charge au Duc,qui prend ſur luy la
† #. conduitte des affaires à meſure que les occaſions ſe preſentent , & pour
# uoit que l'eſtat ne tombe en quelque deſconuenuë pernicieuſe. Au reſte
aſſiſte. les cauſes & procés des Cytoyens reſidens en laville, ſont decidez par des
1aIuſtice de º8º deputez,qu'on a de couſtume d'eſlire de la famille qui eſt alors en
G§ " la plus grande vogue & credit & neantmoins s'iliugent contre lesloix,il
, eſt loiſible à la partie intereſſee d'en appeller par deuât le peuple.Or com
# me ces deux maiſons des Spinoles & des Dories ſe fuſſent animees l'vne

vns le Roy, cotre l'autre, & aigries d'haynes & rancunes particulieres côceuës de lon
les autresºu gue main,elles auſſi precipiterent leur cité en de tres-griefues calamitez:
- - - - - -

†**§arelles yintroduirent des princes eſtangers,& firent aſſezd'autres mau


uais offices. Ceux qui auoient plus le cœur aux Italiens , appellerent
le Due de Millan à leur ſecours; & les autres qui tenoient le party des
François, eurent recours à leurs forces : Au moyen dequoyiladuint que
ce peuple cheut en detreſgrandes faſcheries & miſeres, cependant que
l'vne & l'autre des factions s'eſtudioientàl'enuy d'admettre dedans leurs
murailles dans leurs propres foyers,les plus mortels ennemis qu'ils euſ
ºa #" ſent, & dont ils ſe deuoiét deffier le plus. L'vne des cauſes principales de
" leurs mal'heurs,fut pourauoirabandóné la forme de leurancien gouuer
nemét:mais ennuiez à la parfin de tât d'afflictiôs&ruines dôtils ſevoyoiét
accablez,ils vindrét finablemét à ſe recognoiſtre,& recócilier enſemble,
chaſſans hors des charges & offices ceux qu'ils cognurétles plus ſuſpects
& dangereux,ou les moins idoines & capables. D'auantage comme ils
euſſent par pluſieurs fois appelléle Roy de France,& àiceluyconſigné &
remisl'entiere dominatio de leur eſtat,ils trouuerent le moyé puis-apres
de s'en deffaire, ayans tous d'vn accord conſpiré contre lesFrançois, la
dure ſeruitude deſquels il ne leur eſtoit plus poſſible de ſupporter.Car le
peuple conuoiteux de recouurerſon ancienne liberté, aſpiroit à de nou
-

De l'Hiſtoire desTurcs, • 15i


ueaux remuemens, de ſorte qu'apres s'eſtre defaict des Princes eſtran2
ers,ils ſe remirent denouueau à creer du corps de leur choſe publique,
† magiſtrats pour les gouuerner ſelon leurs ſtatuts accouſtumez. Or
eſtoientils de tout temps grands ennemis desNeapolitains,& par de fort
longues reuolutions d'annees auoient continué la guerre entre eux, non c .
ſeulement en general de peuple à peuple, mais encore les particuliers ne §.
ſe rencontroient nulle part, qu'ils ne miſſent la main aux armes les vns †
contre les autres : tant enracinee fut la hayne de ces deux nations, que #º
iamais ils ne ſe peurentappointer. Ilsauoient quant & quant touſiours :
quelquechoſe à demeſlerauec les Venitiens,pourraiſon des Iſles de Scio
& de Methelin en la mer AEgee , & du Duc de Millan,auquel iceux Ge
neuois s'eſtoient donnez : Et au milieu meſme de leurs plus grands trou
bles, commirent le gouuernement de l'eſtat à d'autres, pour auoir meil
leur loiſir devaqueràla guerre contre les deux peuples deſſuſdits. Par
quoyils equipperent vne groſſe armee de mer, aueclaquelle ils allerent
courir tout legoulphe Adriatique, faiſans de grands maux & domma
ges aux places des Venitiens, qui ſont celle part, & ne s'abſtindrent pas
encore de celles de l'Archipel. Ce qu'ils ne firent pour autre raiſon,ſinon
pourvengerles inimitiez & § , que le Duc Philippe de Millan a
uoit contre iceux Venitiens : Car ils mirent le feu aux faux-bourgs de
Corfou, quiauant,
flambe plus furentſice
tousqu'ils
reduicts en cendre,
auoient & ſeeuſt
proiecté fuſtſuccedé.
bien eſtendue
Quelquela Bataillenaua
,
le des Gene

temps apresils vindrent à la bataille parmer auec Alphonſe Roy de Na †,


les & d'Arragon,tout contre laville de Gaiette,oüil tenoit grand nom- †º
§ devaiſſeaux equippez en guerre.Dequoy les Geneuois ayans eſtéad-§
uertis,ietterent promptement ſur de gros nauires de charge, qui eſtoient
enleur port pour enleuer delamarchandiſe,les meilleurshommes qu'ils
euſſent, & firentvoile droit à Gaiette, où il y eut vn gros combat tout
au deſſous des murailles delaville,ſi bien que le RoyAlphonſe qui eſtoit
cependant aux creneaux, en pouuoit voirle paſſetemps tout à ſon ayſe,
Mais ne pouuant plus comporter que les ſiens, qui en nombre d'hom
mes & devaiſſeaux, ſurpaſſoient de beaucouplesautres, tardaſſent tant
à les mettre en routte montaluymeſme ſur vne galere pourleur aller d6
nercourage , ſi bien que lameſlee ſe renouuella plus forte qu'elle n'auoit †
encore
& dit-oneſté,iuſques
que ce fut àleceſecretaire
que finablementilfutinueſti & pris
de Dorie, chefpourlors priſonnier:
de l'armee §
des politains.
Geneuois quifit cette priſe.Apres doncques qu'ils eurent acheuéd'eſcar- Deriepreſen.
ter & mettreà fonds le reſte des vaiſſeaux qui tenoient encore bon, ils †
reprirentla reutte de leur pays, emmenans le Roy quant & eux,tous bra-†º
ues & enorgueillis d'vn ſi beau & excellent fait d'armes.Mais auant que "
d'entrer dans le port, Dorie deſcendit en terre, pour en porter les pre
mieres nouuelles au Duc de Millan, & luy preſenter le Roy, eſperant Htumanité de
d'en tirer vne bonne recompenſe. Ille reçeutauec le plaiſir & contente-§
mentd'eſprit qu'on peut iuger, neantmoins ce futfort honorablement, "
& ne le gardagueres, qu'il ne le renuoyaſt ſain & ſauue : Dequoyles Gc
N iiij
#

152 - · Liure cinquieſme


1egene et neuois furent ſiindignez qu'ils le mirent hors de leur ville, & de là s'en
† allerentaſſiegerla
lan.
fortereſſe,
qu'ils remirent
IIlCIlt
qui leurfut rendue parcompoſition,telle
ſus le gouuernement ancien, comme nous auons
dit, & promeurentà la dignité de Duc & Prince ſouuerain en icelle,l'vn
deleurs citoyens, ſuiuantleurforme accouſtumee. Alphonſeayant eſté
ainſi remis en liberté, & renuoyé quitte en ſon Royaume, par le Duc de
Millan, ſe monſtra depuis touſiours fort fidele affectionné enuers luy,
- ſansiamais le refuſer de choſe dontillerequiſt, tant qu'ilveſcut.
, X I. CE Prince icy eſtant Roy d'Arragon, de Valence & de Barſelonne,

honſe R
§ ö#
tres-belle & richevilleſ en lacoſte de Catalongne, enſemble
- -il desl iſles de
- N

†" Sardaigne, & de Corſe, aborda premierement en Sicile, & dc là en Ita


# lie , & à Naples, dont il occupa finablement le Royaume, † de tout
temps & ancienneté auoit eſtécompris entre les nationsd'Italie;mais par
traict de tempsilvint ſous l'obeyſſance des Rois de France, qui le met
toientés mains de tel Prince de leur ſang que bon leurſembloit. Le pays
† commenceaucap
u Royaume 1 .
d'Ottrante, és extremitez de la Poulhe,anciennement
- * • - / |V

§N§ ditte la Meſapie, de l'vn de ſes premiers Roys Meſapius, & de ce coſté là
Ie ne ſçay ce s'eſtendle longde la merAdriatique, coſtoyant à main droicte le Du
§ ché de Barri,qui eſt vne contree du tout Royale,& bien digne de ce nom
†.là.
ſi ce n'eſt que Audelà de Gepanum oû ſont les Brutiens, § terre de La -

† bour,ilarriueiuſquesàlaville de Gaiette, & à la ſaincte cité de Rome,


on à ce |

# # qui confine à ce Royaume deuers Soleil couchant; mais au leuant il va


# atteindre Rhege,front à front de la Sicile,là où ſe rencontre la Calabre,
"s" qu'on ſouloit appellerlagrande Grece. Ce ſont les bornes & limites du
Royaume de Naples, oü parmyla domination des François, il y eut vn
Ladiſlaus quiy regna † temps;tres-riche & puiſſant Prince,lequel
s'armacontre le reſte del'Italie, & nomméement les Florentins, qu'ilal
laaſſieger en leur Cité, & la preſſa deſ pres, que le peuple ſe voyant re
duictàl'extremité parla longueur & ſubiection du ſiege,fut contrainct
" . de parlementer, & venir à compoſition de ſatisfaire & obeyr à tout ce
qu'il voudroit, pourauoir paix. Ceieune Princeaddouci deleurs prieres
& humble langage,ne demandaautre choſe ſinon la fille d'vn bourgeois
qui eſtoit eſtimeela plus belle creature delaville, & de toute l'Italie en
core, Carflorence à d'ordinaire les plus belles & gratieuſes dames qui ſe
trouuent pointautre part : ce quivenoit bien à propos pour vn Roy de
complexion amoureuſe, & tant desbordéapres cette ſorte de contente
ment, que plus luy eſtoitlaiouyſſance de quelque deſiree † la
conqueſte de tous les Empires de la terre, combien qu'il ne laiſſaſt pas
pourcela d'eſtre vaillant de ſa perſonne, & fortaddonnéauxarmes. Au
moyen dequoy les florentins voyans l'humeur de l'homme,qui leur fai
ſoit ſi bon marché du danger oü ils lesauoit reduits,ordonnerentincon
tinent au pere d'amener ſa fille, la plus proprement attiffee qu'il fut poſ
ſible. Ce pereicy eſtoitvn medecin (à ce que l'on dit)le plus excellent
& fameux de ſon temps, lequel eutàtel regret & contrecœur qu'on peut
eſtimer, de ſe voirvntel blaſme & dehonncurà touteſamaiſon, ſi bien
Del'Hiſtoire desTurcs. 5 s
qu'apres auoir tentétouslesmoyens de s'en exempter, & voyant à la fin
que c'eſtoitvn fairele faut, il ſe reſolutàvne choſe bien eſtrange, & qui Il prendici
ne partoit § d'vn bas & petit courage. Car auecduius de cigue, & au- #
tres mortelles drogues, il empeſavncouurechef richement ouuré de fil†
- - - W, general,al'i
-

d'or & deſoye cramoiſie,lequelil donnaà ſa fille, pour s'en accommo-†"


derquand le Royſeroit auecelle, ce qu'ellefit: Car il n'euſt pas pluſtoſt #qui
deſtournéſaveuë ſur cette beauté,quela renommee (diſoit il)auoiteſté §
ar trop chiche de luy loüer, que tout bouillant & enflambé d'amour #.
ans remettre la choſeà dsplus amples cerimonies,ilvoulutveniraux pri- -

ſes. Maisilneuſt pas eſté pluſtoſttouché du couurechef, ainſi eſchauffé


u'ileſtoit encore, que toutſoudainle poiſon luy monta au cœur,d'vne
# grande promptitude & action, qu'apres auoir ietté quelques petites
gouttesd'vne ſueurfroide, comme pour vn dernier effort de nature, il
renditl'ame entreles bras meſmes de la Damoiſelle,laquelle auſſi expira
bien toſt apres. C'eſt accident aduenu ſi inopinéement, ſon armee -

ſe trouua en grand trouble & confuſion, & ſe retira à lahaſtet Ainſi -

futla Cité de Florence deliuree. Ilyatoutesfois des Italiens qui ont eſ


cript, que cene fut pas le pçre quibraſſa ce broüet, mais le conſeil pro rz ,

predelaville,apres auoir fort mignardement fait accouſtrer cette filles | LW*


"
#º, .
.

afin qu'elle paruſt encore plus belle àl'ennemy, & que par ce moyen ce
qu'ils auoient proiecté & baſty ſurlaconcupiſcence d'iceluy, fuſt execu
te plus promptement. Quoy que ce ſoit, la choſe aduint en la ſorte &
maniere que nousauonedit. Mais atant eſt ceaſſez parléd'vne choſe,qui -

autrement n'eſtgueres de ſoy belle ny bonne. -

AP REs le decés de Vladiſlaus, ſa femme fut fort moleſtee des Ita- l#.
liens pourraiſon du Royaume; & les Seigneurs du pays luy firent quant †º
& quantbeaucoup d'algarades Au moyen dequoyelleſe remaria à René Naples
- - † apres
Comte de Prouence,couſin germain du Roy des François; & luy mitla †
couronne entre les mains. Cette Princeſſe eſtoit fille du Ducd'Ottrante, # #
& dela Poulhe,dela maiſon des Vrſins,riche & puiſſant Seigneur en ces † #
marches là; en la compagnie de laquelle René gouuerna le Royaume §†º
parl'eſpace de douzeans : & cependant Alphonſevenu du ſang des Ducs .
de Medine qui eſtoit Roy d'Arragon, de Sardeigne, & de Valence, ar
II12 grand nombre de vaiſſeaux, qu'il emplit demattelo ts Siciliens, & a
uec ceſt equippage vogua droict en Sicile, qu'il conquit & rengea à ſon
obeyſſance. Puis s'eſtant acheminé à Naples, aſſiega fort eſtroittement
laville de toutes parts,faiſant approchergrand nombre de pieces, tant ,
pour battrelamuraille, que pourrompreles deffences,là où vn ſienfre
refut tuéd'vn coup de canon. Mais incontinent apres la place luy fut tºrtiſe de
rendue : & ſiput encore le fort de terreferme par famine, & celuy de la †
mer par compoſition,pource quelesſoldatsquieſtoient dedansn'eurentº"
pas le cœur de ſe deffendre, ains ſe rendirent aſſez laſchement. Il y mit '
vne bonne garniſon, tellement qu'ilne reſtoit plus que le Chaſteauaſſis
àl'emboucheure du port, & enl'vn des † de la muraille, qui ſe va
eſtendre enforme d'aiſleiuſquesſurleborddelamer. La Roynes'eſtoir
I54- Liure cinquieſme - ,

retiree à ſauueté là dedans, attendantleſecours que ſon mary eſtoit allé


ueriren Prouence, commeil diſoit , carauant que les ennemis arriuaſ
† eſtoit monté ſecrettement ſurvnegaliotte, mais elle ſe trouuant
preſſee, & preſque reduicte à l'extremité , enuoya appellerSforce Prin ·
A

cela de Marchel'vn des plus excellés Capitaines de ſon temps,lequelcon •

† traignitAlphonſe de ſe retirer, & recouura laville. Le ſiege fut mis de


†e" puis deuantle chaſteau, qui eſt aſſis au haut de la montaigne, & ne pou
- uant eſtre pris de force, fut finablement rendu par famine. ð
· temps aprescommeiceluySforce ſe trouuabié ambeſongné en ſes guer
res & § propres,Alphonſeſeietta ſurlaCalabre,laquelleilconquit

† tout entierement : Cela faict, & ayant misſus vne groſſe armee, s'en alla
# de rechefdeuant Naples, & la prit encore, tellement que la Royne fut
" contraincte d'abandonnerle chaſteau, & s'enfuyr à garend deuers ſon
fils, le Prince d'Ottrante & de la Poulhe:Carapres la mort de Vladiſlaus,
elle s'eſtoit remariee au Seigneur de cette contree là, dont elle auoit eu.
vn enfant. Alphonſe apres s'eſtre emparé de Naples, & des enuirons,
s'en alla faire laguerre au Prince deſſuſdit, fils de cette Royne Marie : Et
auoit deſia pris quelques places ſurluy, quand parle moyen des Ambàſ
ſadeurs qui alloient & venoient d'vne part & d'autre, la paix fut arreſtee
entreux, & par meſme moyen le mariage de Ferdinand fils naturel d'Al
phonſe, auec la couſine germaine du Duc de la Poulhe, fille du Marquis
' '» de Venouſe; ſous des promeſſes ſolemnelles de demeurer bonsamis,al
liez, & confederez à l'aduenir. Puis s'en allereut tous de compagnie à
Naples ;là où lé Duc prit opinion † luy vouloit faire quelque mau
, uais tour, & en entra envne freneſſe,& deſuoyement d'eſprit.Au moyen
dequoyles Royaumes de Sicile& de Naples,demeurerent lors paiſibles à
Alphonſe. Il eut puis apres de fort grandes & longues guerres, tantoſt
contre les Venitiens, tantoſt § Florentins,puis fit la paix finable
mentauec eux. Le Roy René qui eſtoit allé † du ſecours,ainſi que
• nous auons dict cy deſſus,arriua deuant Naples à toutvn grand §
devaiſſeaux Geneuois; neantmoinsil ne aignarien pour cela,& fut c6
- trainct de retournerarriere; voyant que † † s'en alloit en fu
##† mec. Orauoit Alphonſe quand il partit d'Arragon, laiſſé le gouuerne
§
de Nauarre,
ment du Royaume à ſon frere, auquel les Nauarrois s'eſtoient donnez
- - /

par le moyen apres le decez de leur Roy, dont ilauoit eſpouſé la fille : car la plus gran
†e de partie des peuples du Ponant, encore qu'ils payent de gros deuoirs &
d'iceluy ſubſides, ſi eſt ce qu'ils n'endureroient pas qu'on leur donnaſt des gou
uerneurs outre leurgré, neauſſi peu des gens de guerre pour les tenir en
bride&ſubiectionains creent eux meſmes leurs magiſtrats,&ſegardent
1.r - delºurs ProPres forces, ſans yappeller des eſtrangers : Et ſi ne ſeroit pas
N§ loiſible à leurs Roys, de les contraindre d'adminiſtrer leurs choſes publi
† ques, contreles anciens ſtatuts & ordonnances.Ainſiles Nauarrois ayás
ze ans a l'ad
miniſtrati / I» - 2 - - - -

† appellel enfant d'Arragon au mariage de leur Royne, & adminiſtration


#pere du Royaume, il ne tarda gueres à en auoirvn fils,lequel n'eut pas pluſtoſt
pour eſtre
§ſt atteint l'aage dedouzeans, qu'ils le prirent pourleur Roy, & donnerent
licentié.

º
De l'Hiſtoire des Turcs, 155
congéàl'autre; luy diſant que puis † vn fils deſia grandelet, il
falloit qu'il ſe demiſt du maniment du Royaume enſes mains,& qu'il n'y
auoit plus que veoir : cela toutesfois aduint quelque temps apres.
: .1 1 : r - - X II f.
O R pour retournerà Alphonſe, quandil fut arriué en Italie, illaiſſa p#
tous ſes pays patrimoniaux à ſon frere,leſquels prennent leur commcn- #
cement au territoire de Valence, riche & opulente cité, & ſiege capital Valence,
de ce Royaume là. Elle eſt ſituee à l'oppoſite de Sardeigne, s'eſloignant
du deſtroit de Gilbatar quelques ſept cents ſtades. Arragon vient apres
quis'eſtendiuſques à Barcelonne, & Catalongne,laquelleva atteindre le
paysde Lâguedoc & de Prouéce, qui ſont des appartenâces des Frâçois. -

Mais pour parler plus particulieremét de ces confins & limites;le Royau-, Les limites"
me d'Arragon a du coſtéd'Orient la Prouence : Deuers Soleil couchantº
les Eſpaignes : au Septentrion Nauarre : au midy la mer Mediterranee,
front à front de la Barbarie. La ville de Barcelonneau reſte, ſous la per- Barſienne.
miſſion & conſentement du Roy , eſt gouuernee par les principaux &
plusapparens Citoyens, preſque en forme d'vne Ariſtocratie, & eſt à Pline met
3.2ooo. pas
l'oppoſite de l'Iſle deCorſe,anciennement appellee Cyrnus,quicontient ſtades,&a
§Sar.
de circuit deux mille ſtades. † & Minorque ne ſont pas gueres deigne 4576.
- - - | . : . \

loingdelà, ſousl'obeyſſance du meſme Prince, & reçoiuent vn Viceroy ſtades.


de ſa main , comme auſſi faict Sardeigne,Iſle fortgrande,& qui enuiron
nebien cinqmille ſtades de fort beau & riche pays , où il y a deux villes
principales, Oreſtilie, & Sagere; l'vne ſituee à l'Orient, & l'autreau Mi- orea,nsi,«
dy, & vne peſcherie tres abondante tout le long de la coſte,dont les ha- º† ,
bitans tirent vn merueilleux proffit : De là on nauige au nouueau mon- pºCanari es,#
car
de. Liberie ou Eſpagne du coſté de la Gaule, où elle prend ſon commen-i§
cement, confine aux Celtiberiens Arragonnois, iognant leſquels eſt le ſtoiét pas en
- cores de ſcou- .
pays de Gaſcongne , de l'obeyſſance des François : puis fe trouue la Biſ º§«ſt
- - , l -- l* - 1 c .. - iſ : uertes d

caye. L'Eſpaigne doncques, qui eft la plus grande Prouince de toutes : #


eſtoit enuiró
cellesdel'Occident apresla Gaule, s'eſtend deuers Soleil couchant iuſ-§
- , - '• • ites &

uesàlamer Oceaneau Leuant elleale Royaume de Nauarre,& la Gau †


le; & au Midy elle atteint la mer Mediterrance, visàvis de la Barbarie.Le # a
longdela coſte eſtle Royaume de Grenade,qui arriue iuſques à l'O cean, # ceſt en
puis ſuit celuy de Portugal, & le pays de Gallice, auquel eſt le ſepulchre †
del'Apoſtre lainct Iacques, oùl'on va de pluſieurs endroicts de la tcrre : †
quoy il y a c- ,
en fort grande deuotion.
-

Mais pourretournerau Roy Alphonſe,auant †


' n r - : - - - - -

que de paſſer en Italie il eut quelques guerres, & differends auec celuy # #
§
† ne, & fut finablement pris en vn gro s conflict par l'vn des Capi †:
Aluarez, auec ſon frere le Roy § Nauarre, dont"
nous auons parlé cy deſſus. Ceſt Aluarez icy eſtoit naturel du Royaume ramºiſe
d'Arragon,venu de fort bas lieu , & neantmoins par ſa vertuil paruint à #
eſtrel'vn des premiers hommes de toutel'Eſpaigne:tellementqueleRoy §n'arra
l'auoit fait ſonLieutenât general,outre autres grâds hóneurs& "
aduancemens; car il ne ſe trouuoit en affaire ſi dangereux qu'il n'en ſor
§
tiſtà ſon honneur.Dequoy les Seigneurs du Royaume ayans conceuvne
hayne & enuie mortelle àl'encontre de luy, pource qu'ils ne pouuoyent
plus comporter devoirvn eſtrangerainſi aduancé par deſſus eux, fuſcite
| • #
- r % e • • .

156 Liure cinquieſme


rent ſoubs mainle Roy Alphonſe de venir faire la guerre en Eſpaigné;
où il entra,ayant ſon frere quand & luy,auecvne groſſe & puiſſantear
mee.Mais Aluarez ſe preſenta tout incontinent au deuant,luy enuoyant
dire parvn Heraut qu'il euſtàlaiſſer en paix le pays où il n'auoit quevoir.
Alphonſe reſpondit qu'il n'eſtoit pas venu là pour obeyr à ſon comman
dement, ny auſſi peu pour menerpaiſtre les âſnes de ſon pere, mais pqur
Routte du luy paſſer ſur le ventre, s'il eſtoit ſi outrecuidé dél'oſerattendre. Toutes

R§, foislameſlee s'en eſtant enſuiuie forte & roide de tous les deux coſtez,
# Aluarez en obtint finablement la victoire, & mit les Arragonnois en
rez Lieutenât

†" fuitte,oüily en eur grand nombre de tuez : & ſi prit encore les deux fre
- res priſonniers,leſquels il preſentaau Royſon maiſtre. Il ne leur fit au
tre mal ne deſplaiſir, ſeulement les fit promettre & iurer de iamais ne
#" prendre les armes contreluy; & par ce moyen furent deliurez. Mais il
§is fut encore prisvne autre fois, depuis qu'il fut paſſé en Italie, en la ren
contre qu'il eut par mer auec les Geneuois(comme nous auons deſia dit)
· & menéau Duc de Millan,quipareillement le laiſſa aller.Quelque temps
, apresilrepaſſa en Arragon, pourvcoirſafemme qu'il y auoit laiſſee lors
qu'il en partit pouralleren ltalie, caril y auoit fait vn fort long ſeiour,
partieapres les guerres & affaires oü ilauoit eſté occupé, partie apres l'a
mour, & autres plaiſirs auſquels il eſtoit addonné & enclin. De quelle
ſorte les choſes luy ſuccederent finablement, nous le dirons cy apres.
Cependant le Roy de Caſtille s'en alla faire la guerre à celuy de Grenade,
#les qui eſtoit Afriquain & Mahometan.Carles peuples de l'Arabie habituez
de Luntune,
§, en Afrique,ayanslon gtemps auparauant † le deſtroict de Marroc,
#
† de Iean en cet endroict,où la mer quiſepare la terre ferme de l'Europe d'aueccel

†" le de la Lybie, n'a de largeur que deux cens cinquante ſtades tant ſeule
l'an 712.
| ment, s'emparerent d'vne grande partie des Eſpaignes, & apres auoir
| eſtenduleurs conqueſtes & limites de coſté & d'autre, voire couru & pil
| | | | léle Royaume de Valence, eurent bien finablement la hardieſſe d'entrer
|| és Gaules; Mais les François s'eſtans ioincts auec les Roys d'Eſpaigne
, leurallerent au deuant, & les contraindrent de ſe retirer dans vne place
| forte au poſſible, laquelle neantmoins ils prirent depuis, & les rembar
†"
rent du tout rerent bien loin delà.Pourleiourd'huy encoreils vont ſouucnt faire des
chaſſez de - · *-- … -; - - - •
l'Eſpaigne, & courſes iuſques aupres des murailles, & y meinent quelquesfois leur ar
§ mee.Ainſi le Roy
de G de 1. - † Dom Iean,celuy là meſme duquel no°par
2 • - - -

§ liös nagueres,aſſemblaſes forces àl'inſtāce&perſuaſio du deſſuſdit Alua


† rez,quil'animoit de plus en plus à entreprédre cette guerre,&l'euoya de
† uant pour en † ville de Grenade, où il tint par pluſieurs iours
§ les 'ilMoresaſſiegez
me,enuiron ſt d :ſ ſi à ſdeſtroit,de
* d ,-
victuailles
l' & toutes
ſ ſ autres comoditez,
• 19
V 1 * . / - -

ran ,,.. qu ils eitolet della prelque rcduits a l extremite;lans 1çauoir pl* quel par
ty prendre,quand ils s'aduiſerent d'vne telleinuentiô. Ils chargerét dou
" zemulets de fort belles figures,en chacune deſquelles)lesayâs couppees
parle milieu,& puis reiointes)ils cacherentvne piece d'or,& les enuoye
rent au pauillon d'Aluarez.Il en ouurit quelquesvnes,& fut bienesbahy
quâdil vit ce quiy eſtoit enclos:Parquoy il s'équit de ceux quicoduiſoiét
le preſent,que cela vouloit dire.Ils firentreſpoſe,que leurRoyauoitaſsé
- - . - blé
* 15 r r • ra • :--

Del'Hiſtoire des Turcs. I57


blétoutl'orquieſtoit dans la ville, & qu'on ſe pouuoit bien aſſeurer,fuſt
u'on la priſt,ou qu'ô nela priſt pas, qu'il n'y en trouueroitvn ſeulgrain
§ Au moyédequoys'il venoitàlaſaccager,il perdroit beaucoup
d'autreor,que deioureniouron yapporteroit de l'Afrique,tât pour luy
que pour eux mais s'illalaiſſoit en ſon entier,il pourroit àl'aduenir enco
refaire ſouuent de telles reuoltes.Aluarez ayant ouy celan # porta le
preſent à ſon Roy,& apresluyauoirouuert de ces figues ainſi farcies de
double-ducats,luy dit,à laverité,Sire,tout bien conſideréie ne penſe pas
qu'on doyue couperl'arbre qui porte de ſibeaux fruicts,car cy-apres par
auéture ne ſ'en pourroit pas recouurervntel.Et encore que pour ce coup
nous ſoyons pleins & aſſouuis,nous ſerions neâtmoinsàl'aduenir priuez
d'vnetelle felicité Ne voit-on pas lesvignerons qui taillent les vi gnes, & #
les jardiniers qui eſcourtentles arbres, retrancher ſeulemét ce qui eſt d'i-§. P
nutile & de ſuperflu,afin que lebois quifait beſoin,& le fruict, en ſoient
tant mieux nourris?Que #d'auéture on lesdeſracine,il n'en faut plus rien ·

eſperer. Le Roy ces choſesouyes, quiluy ſemblerent eſtre acc6paignees


d'vne grande raiſon,cómanda à Aluarez de retirer ſon armee, & laiſſer en
aix ceux de Grenade.Ce Royicy dont eſt queſtió,prit àfemme l'infante
de Portugal,dont il eutvn fils nômé Henry,fortvertueux Prince, & tres
excellentaufaictdela guerre,lequeleſpouſa en premieresnopces la fille
du Roy de Nauarre,mais pource †
eſtoit inhabile à porter enfans,
illarepudia, & ſe remaria àlacouſine germaine du Roy de Portugal, la
plus belle Dame quifuſt pourlors en toutes ces marches là. Ce qu'il fit
pour côtenter les Princes & Seigneurs de ſo Royaume, quil'en preſſoiét,
afin qu'illeurpeuſt laiſſer quelquehoir de ſon corps:& l'autre fut renduë
en vne religion,auec telle prouiſió que requeroit l'entretenemét de ſon f De Luxéni
eſtat.On dit que ſon pere eſtoit iſſu de la maiſon def Frâce, ce qui pour-bourg "
roitbien eſtre:& croy quant à moy que ce fut lors que les François vin- -

drent au ſecours des Eſpagnols, contre les Mores & Sarrazins,qui domi
noient vne bonne partie § pays,& retirerent des mains de ces meſcreás
le Royaume de Nauarre,dontilsiouyrentfort longuemét depuis: Pour- Le Rºyaume
tanton eſtime que ceſte couronneleurappartient,& qu'iln'yaautre que #
ceux de ce ſangtres-Chreſtien,quiſy doiuentimmiſcer Carl'Empereur # §
Charlemagne, & autres Roys de France le conquirent à la poincte de †
l'eſpee ſurlesSarrazins,& pourtäten ont laiſſé le droit à leurs ſucceſſeurs: º
tellement que le frere d'Alphonſe n'y futadmis,ſin6 ſous cette códition,
† tout auſſitoſt qu'ilauroit euvn fils § la Princeſſe ſa femme du parété
es Rois de France,ilremettroit le Royaume entre les mains d'iceluy, &
s'en departiroit totalement.D'auantage que là où il aduiendroit †
mourroit ſans enfans, l'eſtat retourneroit aux Roys tres-Chreſtiens.
Voila pourquoyles Nauarrois (côme nous auons dict cy-deſſus)plante
rentlàl'Infant d'Arragon,pour ſe renger ſoubs l'obeiſſance de ſon fils,
qui du coſtématernel eſtoit deſcendud'iceux Rois de France.Toutes leſ
quelles choſesi'ay bien voulu touchericy en paſſant,car elles faciliteront
grandementl'intelligéce de l'hiſtoire quiſuiuracy-apres: Au moyen de
quoy ie reuiens au propos que i'auois delaiſſé. - O
- | 158
· LE SIXIESME LIVRE · •

D E L' H I S T O I R E D ES
T V R C S, D E LA ON I C CHA L
A T H E N I E N.
coNDY L E \

S o M M A I R E, E T c H E F S P R I N CI PA V x
du contenu ence preſent liure.

Autrevoyage d'Amurat contre le Ca Autresguerres du Ducde Millan Fran


raman:Courſe desTurcs dans le Pe ciſque Sforce auec les Venitiens; du
loponeſe : ligue du Deſpote de Seruie Pape Eugenecôtre les Florentins, &
auec Ieå Huniade côtre Amurat:e.ºr quelques autrespotentatsd'Italie; &
la guerre des Geneuoiscontrel'Em delamaniere qu'ontient à la creation
pereur de Conſtantinople,& les Tar du Pape. Chap.5.
tares du deſtroict de Precop, quile, | L'hiſtoiredel'Abbé Ioachim Calabrois:
deffirent. Chapitrepremier. troubles & diuiſions des Princes Pa
L'EmpereurIean Paleologue s'achemine leologues : Ligue de l'Empereur de
en Italie deuers le PapeEugenequart, Conſtantinopleauec le Pape Eugene,
pouraccorderl'Egliſe Grecqueauecla & le Roy Vladiſlaus de Hongrie,
Latine:la deſcription de Ferrare;auec pour faire la guerre à Amurat.
vnetrespiteuſe & tragiquehiſtoire de Chapure. 6.
la Ducheſſe, & du baſtard du Duc.ſ Conſultations d'Amurat auecſesprinci
Chapitre 2. paux capitaines touchant le faiét de
Entreueuë & abouchement de l'Empe cette guerre ; enſemble quelques ha
reurauecle Pape:Deſcriptiôdu pays |
ranguesſurcepropos, excellentement
deThoſcane,& de la Republique des belles, & bien remarquables. Ch.7.
Florentins : Conference & accord Les Chreſtiens n'ayans peu forcer le de
desdeux Religions : & de l'ordre des ſtroit des montagnes occuppé par les
Cardinaux ; au # deſquels Beſ Turcs,ſontcontrainéts de s'en retour
ſarion de Trebiſonde , & Iſidore nerarriere : lesTurcs les cuidaspour
Eueſque de Ruſſie furent receuK: ſuiure tombent és embuſches de Iean
Chapitre3. Huniade,& ſont deffaicts;Aumoyé
Retourdel'Empereur Iean à Conſtanti | dequoy les Chreſtiens parfont ſeure
nople,là où s'aſſemble vn Colloque des ment leur retraiéte. Chap. 8.
Grecsſur lefaictdelareligion,lequel George Deſpote de Seruie faict ſon ap
ſedepart ſans rien faire: Guerres des poinctement auec Amurat, & ſ ne
Venitiens contre le Duc de Millan: gociéencore lapaixentreiceluyAmu
PartialiteX des Guelphes , & des rat,& les Hongres : Quelques trou
Gibellins : Conspiration de quelques bles & remuemens aduenus au Pelo
citoyens de Padoue, pour rendre la oneſeſurces entrefaictes. Chap.9.
ville aux Venitiens : & la mort de L'hiſtoire deNerroAcciaoliFlorêtin,er
Carminiolaleur capitaine ſoupçonné les moyensparleſquels ilsparuindrent
de trahiſon. Chap. 4. à la Seigneuried'Athenes, luy &ſon
De l'Hiſtoire des Turcs. I59
frere Meneesdel'Empereurde Con- # faicttant enuers le Roy Vla
ſtätinople,auecle Pape,& les Princes diſlaus, qu'ilrompt la paix nagueres
Chreſtiens,pour courreſus àAmurat: traicteeauecAmurat; lequel retour- .
c9 lafrayeur que les Turcs eurent de na tout court de l'Aſie, & repaſſa
cette entrepriſe. Chap.Io. en Europe, nonobſtant l'armee de
Le CardinabIulian Ceſarin Legat du merdes Chreſtiens. Chap. II.
# O vs auez ouy cy-deſſus l'occaſion qui meut Amurat
# d'aller contre le Caraman, lequel il penſoit bien auoir
# mené à la raiſon, & qu'il n'auroit plus rien à faire de ce
coſté là; Parquoyil ſe haſta de regagner l'Europe, pour
# le deſir qu'il auoit d'aller faire la guerre aux Valaques,
" afin de remettre le fils de Dracula en ſon eſtat. Mais il Lecanman
n'eutcomme
pos, pas plus-toſt
celuy paſſe
quinelacherchoit
mer, quel'autre ne pouuant
que nouueaux demeurer en re †$.
troubles & change- thomans.
mens, ſe mit à remuer meſnage de tous coſtez ; ayant attiré à ſon party
le Seigneur de Candelore, & quelques autres Princes del'Aſie, ſous les
eſperaces qu'illeurpropoſoit meſmement queles Högres ne faudroiét /

deles ſecourir d'vne groſſe trouppe de gens, & ſollicitoit encore le reſte .
de ſe ſouſleuer.Amurat ayant †aduerty de ce quiſe braſſoit côtre luy,
fut contrainct de changerd'aduis, & ſe retirer de ſon entrepriſe ia ache
minee, pour aller † guerreau Caraman mais il depeſcha premie
rement Thuracan gouuerneur de la Theſſalie,auec les forces de ſon re
giment, pour ſe ſaiſir du deſtroit del'Iſtme, qui eſtà l'entree du Pelopo
neſe, & de là courir & gaſterle dedans du pays eſtant encore en l'obeiſ
ſance des Grecs : cela fait qu'ils'en retournaſt au logis. Thuracan pre-†
nant auecques luy les gens
- 8-", de guerre de laTheſſalie, & dela Perabie qui #cº
- -

eſt prochaine du matez, s'achemina droict à cette emboucheure deterre cºurſes des
qu'il gaigna de plaine venue, pource que les ennemis l'auoient deſia †
quictee : Et de là s'efpandant tout à ſonaiſe dans le large du pays, fit par
merueilleuxdegaſt & ruine; car il courut iuſques aux portes de
tOllt VI1

Sparthe, & pilla la contree de Laconie.Toutes leſquelles choſes par luy


executees ſuiuant le commandemét qu'il enauoit,il s'en retourna arrie
re.Amurat ce pendant eſtant paſſé en Aſie, entra dans le pays du Cara
man; ſaccageantpout où † , & le ſubiugua vne autrefois. En ce »† †
meſme temps
Huniade, & leGeorge
Roy dePrincedesTriballiés
Hongrie : & ſceût ſialla
bientrouuerle
preſcher Vaiuode Iean
les Princes §# .
& #" les

Barons du Royaume, qu'il leur mit en teſte de prendre les armes auec
luy contre lesTurcs:car illeur propoſoit de belles choſes, & faiſoit de
grand's offres,meſmement d'vnegroſſe ſomme de deniers qu'il deuoit
fournir pour la ſubuention de ceſte guerre,dontilleur fit ſurle châp deli
urer vne grand'partie, comme pour arres & ſeureté de ſes promeſſes:
interpoſant à toutl'ayde,moyen,& faueur du Vaiuode, quiſe mouſtroit caens des
fort affectionnéenuers les Grecs.Or cſtoit pour lors Iean l'Empereur de #
Conſtantinoble en pique & mauuais meſnage auecles cº# » Pour†
4J l]
· I6o - Liure ſixieſme
raiſon de ie ne ſçay quelles denrees d'vn marchât de Frâce, tellement que
les Geneuois faiſoient diligence d'equipperleurarmee de mer, chargeás
, ſur de gros nauires de guerre qu'ilsauoient, & ſur treize galeres,lenom
bre § mille ſoldats bien armez & eſleuz,auecleſquelsils cinglerent
droict à Conſtantinople, eſperans que de plaine arriuee ils la pren
droient. Ils auoient lors auſſi ie ne ſçay quoy à demeſler congre les Tar
tares,qui fontleurs demeurances es enuirons du deſtroict de mer appel
léle Boſphore Cimmerien, leſquels eſtans en pique & querelle auecles
, habitans de Capha,ſaccagerentleur ville,& enleuerét tout ce quiy eſtoit
† de bon & debeau, Ceux de Capha en enuoyerent faire leurs doleances à

Colonie des Atcigereichef& Empereur desTartares, pour auoir raiſon du tort que
† ſes gens leur faiſoient, & eſtre reintegrez en leurs biens & poſſeſſions
§ mais voyans qu'il ne ſe faiſoit que mocquer d'eux, & tirer l'affaire en
longueur ſans leur en donner autre reſolution, ils eurent recours aux
Geneuois,qui prirent la matiere fort à cœur, de voir leurs ſubiects ainſi
mal menez : Dont ils ſe trouuerentauoir affaire tout à coup en deux en
droicts; & pourtant ſe preparoient pour auoir la raiſon des vns & des
autres.Eſtans doncques venus moüiller l'ancre deuant Conſtantinople,
" ils firent de plaine abordee acte d'hoſtilité, & denoncerent la guerre:
Puis tirans outre parle Pont Euxin s'en allerent finablement prédre terre
· en Capha, oü ſans faire autre ſeiourils deſcendirent en terre dans ceſte
demie iſle qu'on appelle le Cherſoneſe Taurique; & tout d'vn train tire
rent outre pouraller combattre les Tartares.Ceux cy en ayâs cules nou
uelles,& qu'6lesvenoit ainſi trouuer à la chaude,auccvneaudace pleine
de meſpris & de contemnement, coururent ſoudain auxarmes, & ſe ha
ſterent d'allerau deuant là où ils auoient entendu que les Geneuois le
iour precedent s'eſtoient campez, le long d'vne riuiere à l'eſcart les vns
, des autres,& en deſordre, ſans poſer aucunes gardes ne ſentinelles, meſ
Deſordre des mcment en pays ennemy & § ils eſtoient ſi outrecuidez, qu'ils

faitte.
ne penſoient
nyvenir pasfermeau
de pied que les ennemis
combateuſſentiamais eule cœur delescoureurs
auec eux;maisaurebours,les attedre,
qu'ils auoient enuoyez deuát pour recognoiſtre ce qui eſtoit en pays,les
ayans de loingapperceuz s'en retournerent fuyâs à toute bride, & ſe iet
terent à trauers le bataillon que leurs gens de pied commençoient de
dreſſer,fortlaſchement toutesfois, & enfiles minces & trop deliees pour
faire plus grande monſtre, ſi bien que les Tartares qui les chaſſoient
, à poincte d'eſperon, y eſtans preſque auſſi toſtarriuez qu'eux,les en
foncerent fort ayſément, & mirent le tout en deſordre & en fuitte,
Routte des preſque ſans coup frapper. Ceux qui eſtoient demeurez vn peu plus en

# ga,comme par forme d'arriere-garde & de ſecours, ne s amuſerent pasa


' faire teſte, mais gaignerent au pied de bonne heure; neantmoins il ne
s'en ſauua ſinon ceux qui ſe peurent ietter dans la ville. Ainſi ſe dcli
urerent les Geneuois en peu de temps, de la guerre par eux entrepri
ſe contte lesTartares, mais non pas beaucoup à leur aduantage & hon
ncur: Parquoyils ſierent arriere vers Conſtantinople, & s'en vindrent
-
*

• • 1, r- - p• l - ":'- , |! - - • ^

Del'Hiſtoire des Turcs. 161


ſurgir à Pera, qui eſt vne ville en l'Europe vis à vis de l'autre, il n'y a †º
qu'vn biè petit bras de merentre-deux là oùs'eſtansaſſemblez au conſeil # Cn ort petit
pour aduiſer deleurs affaires, ils chargerent ce qu'ils auoient de gens de §
guerre ſur les vaiſſeaux,auecles pieces & engins debatterie,& s'enallerét †
arle dedans du port droict au pied de la muraille,dônervnaſſaut. Mais †.
ceuxde dedans ſedeffendirentbrauement, & repouſſerent fort bien les # †
• > - - 2 - OIllta I)(1nCA•

autres, qui s'efforçoient de monter à mont en ſorte qu'eux voyans leur §"
entrepriſe aller mal,& que toutl'effort qu'ils faiſoient eſtoit en vain,ſon
nerent la retraicte, & apres pluſieurs riottes & altercatiôs qui ſuruin- choſebier
drent entre eux meſmes,reprirent finablement la routte d'Italie.Toutes-. §
fois la ville de Pera au nom des Geneuois maintint encore aſſez long- #. 1

temps depuis la guerre contre ceux de Conſtantinople, en laquelle les chaine


» • - +
† deCö 3 . - » ' , • | | T. • ••

vns & les autres s'aiderent de canons & d'autres pieces d'artillerie, iuſ- † u dcmcurer
ques à ce que Iean Leontares les eſtant venu aſſieger de pres, & enclor- §
- - - • * - | - - - - -

re tout àl'entour,leur oſta la commodité de plus ſortir, & recouurer des † Geneuois qui

viures. Il prit auſſi tout plein de Geneuois és rencontres & combats #


qu'ils eurent
ment; enſemble
leſquels parqui
auec ceux la mer, oùil ſe portatouſiours
demeurerent priſonniers és fort vaillam-§
ſaillies & eſ-* aI IIlCI «

carmouches aupres des rempars,arriuoient bien au nombre de troiscens,


qu'il mena pieds & poiags liez àl'Empereur Ican,quipour lors eſtoit lo
géau Palais de Xile. Mais de là en auant ils commencerent de s'entr'en- Autrementl
uoyer lesvnsauxautres des deputez, pour accorder du traffic, & du vi- #º
gnoble pareillement qui eſtoitautour de la ville de Pera En fin les Gene-"
uois receurent telles conditions qu'on leurvoulutpreſenter,& entre au-c†#
tres, qu'ils rembourſeroient la ſomme de mille eſcus, tant pour le dom- †
mage qu'auoient faict durantle ſiege les coups de canon au boulleuard †
Royal,que pour la reparation des boutiques & ouuroüers communs en
tre les deux villes,quiauoienteſtéruinez, & pouriouyrauſſi du benefice
du ſceau & du cachet de l'Empereur. Ce fut en ſomme l'iſſuë qu'eut la
guerre des Geneuois contre ceux de Conſtantinople. - , . II . , ,

INc oNT 1 NE NT apres l'Empereur ſes Ambaſſadeurs à # †


Rome deuersle Pape Eugene † pour demander vn Concile où ſe †
euſſentaccorder en quelque bonne ſorte les differends & controuer- #§
# des deux Egliſes,la Grecque & Latine ;taſchant par làde deſcouurir, †.
ſi ceux du Ponant auoient § à cœur ceſte vnion & accord. Les Am-†
baſſadeurs s'en allerent droict à Baſle, où eſtoit aſſemblé le Concile, à
cauſe duchiſme ſuruenu pourraiſon dudit Eugene,lequelfutdeſmis, & †"
Felix eſleu en ſonlieu,homme d'vnetreſſaincte vie, & pour tel cogneu §r .
de tout le monde. Neantmoinsayans ces deux Pontifes equippé quel-a§
† galeres, enuoyerent chacun de ſa part deuers l'Empereur pourle #,
aire venir, pretendansl'vn & l'autre eſtre celuy ſoubsl'authorité duquel†
deuoit eſtre aſſemblé le Concile,& là eſtre vuidé le differend des Grecs Papa .
auec les Latins.Come donques leurs gens fuſſentarriuez deuers l'Empe
reur,il depeſchafort gracieuſement les deputez du Concile, leur diſant
qu'ilauoitdeſia negociéauccceuxde Romc& de Veniſe,enséble de tout
O iij - -
162 - Liure ſixieſme
lereſte del'Italie, leſquelsl'inuitoientd'vne fort grande affection à s'a
cheminer par delà.Au moyen dequoy menant quant & luy les Prelats
† de † les plus doctes & excellens perſonnages de Grece,
# il fitvoile en Italie,là où il vint premierement deſcendre à Veniſe puis
8 | delà paſſa outre à Ferrare,oüilauoit entendu que le Pape Eugene feſtoit
Deſcripti retiré. Cetteville eſt diſtante de l'autre de quelques dixhuict ou vingt
d§" lieuës,ayantvn Duc de la tres-noble & illuſtre maiſon d'Eſte : & eſt fort
riche & biépeuplee,aſſiſe ſurl'vn des bras du Pau. Celuy qui y comman
doit lors, eſtoit vn gracieux & debonnaire Prince, & de fort bon ſens &
conduicte, maisvn telmeſchef luy aduint. Il auoit eſpouſé la fille du
†.ſes Marquis de Môtferrat,l'vne des plus belles ieunes Dames de ſon temps,
§ & des plus vertueuſes & honneſtes, auparauant † ſe fuſt deſbau
†"
I4oo. mais chee : car ſon maryauoitvnbaſtard, duquel clle deuint deſeſperément
ºººº amoureuſe.Et d'autant qu'il auoit libertéd'aller & venir en ſa chambre à
Princeſſe nö.
-

»• - - - -

†. toutes heures qu'il vouloit, & y demeurer tous les ſoirs iuſques bien
§ auant en la nuict, outre l'ordinaire & couſtume des grandes maiſons
" d'Italie, elleluyvint à faire certaines priuautez & attraicts, dont il s'ap
perçeut auſſitoſt, ſe picqua luy-meſme ſi bien que ſans autrement re
mettrel'affaire en longueur, ils commencerent à ioüer leurs ieux. En
quoy ſe paſſa quelque temps qu'ils ne furent poipt deſcouuerts : mais à
la finl'vne des femmes de chambre s'en eſtant aperceuë, ne ſe peut tenir
d'en parleràvn qu'elle aymoit, lequel eſtoit fauorit du Duc, & en auoit
receu tout plein de biens & aduancemens.Ayant doncques entendu ce
beau myſtere parle rapport de la Damoiſelle , & luy-meſme cogneu la
verité du tout,pource qu'il ſe mit à les eſpier,&yprendre garde de pres, il
vint trouuer ſon maiſtre,& luyparla en cette ſorte. Pluſtoſt me puiſſe la
terre engloutir ( Monſeigneur) que de voir plus longuement regner
vn ſi § & deteſtable forfaict en cette maiſon, c'eſt † touteſeure,
§ue propre
la Ducheſſe ſe fouruoye , & abandonne malheureuſement à vo
fils naturel, & moy-meſmelesayveuz enſemble : Parquoy |

donnez y ordre , & vous deliurez promptement de ceſte meſchante


creature, ſans garder d'auantage vnc ſi honteuſe & abominable com
pagnie; confinant l'autre en quelque lieu dont il n'en ſoit iamais parlé.
Le Duc ſe trouua de prime face bien eſtonné de ce propos ; toutesfois il
luy demanda commentille ſçauoit,&adiouſta qu'il s'en vouloit eſclar
cirluy-meſme,& levoir de ſes propres yeux auant que d'en croire rien.
Par ainſi, apres auoir accommodé ſecrettement vne petite creuaſſe au
plancher,qui reſpondoitiuſtement ſur le lict de ſa femme,il ſemit ſi bien
& ſoigneuſementàles cſpier, qu'àlaparfin il les trouua ſur le faict ; &
deſcendant § ſurprit, eſtans encore enſemble ſans ſe dou
ter de rien.Alors ſ'addreſſant à elle, il luy dict telles paroles.O mal'heu
reuſe, la plus meſchante & maudite de toutes celles qui onquesfurent
| Quellefurie,quelmauuais & damné eſprit t'a conduict à vne telle rage
& forcenerie, de te meſler ainſi abominablement auec celuy que i'a
uois engendréſQuelle excuſe & couurture pourras-tu trouuer,d'auoir
- • •
5 - - - - - - • • '

à S4.
-
Del'Hiſtoire desTurcs. 163
ſideteſtablement violéles ſainctes Loix de noſtre mariage : A quoy elle
C#ts
Itº fit reſponce : Queie n'ays commis cette faute, que ie ne vousays fauſſéla
-

# foy, ie ne le veux point autrement nier, ie ne pourroisauſſi quand ié


#t voudrois, mais confeſſe & aduouë le peché, dont moy ſeule & non autre
ſuis le motif& la cauſe; ne ſçachant comment ny en quelle ſorte il m'eſt
# peu entrer en la fantaſie. Carmoy meſme ay eſté celle, qui par mes alle
foºt
ſldſl
chemens ayinduict & attirécomme par force & maugré luy , le pauure
l$ &
ieune homme quine penſoit rien moins qu'à cela , & pourtant il eſt bien
raiſonnable que moy ſeule en portela peine, & ſeule en ſois chaſtiee &
punie. Auſſiie ne vous demande point d'autre grace, ſinon qu'à tout le
moins il vous plaiſe n'exercerpointvoſtrevengeance ſur celuy quin'en
peut mais. Le Ducalors ſe tournantvers ſon fils luy dit; & toy auſſi qui "
teveois ſurpris en vn ſi deteſtable forfaict, qu'eſt-ce que tu veux dire là
deſſus ? Le pauuret tout eſperdu, voyant que le nier ne pouuoit auoir
lieu, n'auoit plus d'autre recours qu'à demanderpardon,& requerir qu'6
luyvſaſt de miſericorde:Tellement qu'ilne reſtoit plus quela tierce per
ſonne de laTragedie : s'eſtoitvn bouffon ou plaiſant,lequel ſçauoitbien
toute la manigance, ayant luy meſmeattiſé le feu de cette folle & deſor
donnee affection en la teſte duieune Seigneur,& dreſſé toutes les parties
pourlesfaire bloquer enſemble. Le Duc l'ayant faict appeller, luy de
manda quelle choſel'auoit meu de commettre vne telle deſloyauté en
uers luy. Le tort & iniure (reſpondit il) que tu auois faict à ton propre
fils,de luy deſtourner& rauir celle †
aymoit plus que ſoy meſme,pour
en faire tavolonté; & pourtant c'eſt ton demerite & rien autre choſe,qui
t'a amené ce mal-heur. Devray le fils du Duc eſtant deuenu amoureux
d'vneieune Damoiſelle delaville,belle en perfection, dont toutesfois
il n'auoit encore rien eu,le pere qui en auoit aſſez ouy parler, ſe mit à la
trauerſe, & de force en eut les premieres erres , ſurquoy ce plaiſant taſ
choit de reietter tout ce qui eſtoit aduenu , mais nonobſtant cela le Duc
apreslesauoir bien ouys &examinezlesvnsapresles autres,leur fit à tous
trois trencher les teſtes : à ſon baſtard premierement ; puis à la Ducheſſe,
& finablement à leur courtier & ambaſſadeur. Ce fut la calamité dont
n'agueresauoit eſté affligé ce pauure Prince,ainſi que nous auons dit cy sa . s'ap
deuant,lequel netardagueres depuis à ſe remarier auec la fille du Mar-§ſoit elle
quis de § ; & laiſſantlà tous affaires & ſoucis, eſſayoit à ſe reſiouyr
& donner dubon temps, pour amortir & oublier le ſouuenir de ſadeſ
COIlllCIlllC,

L'EMPERE vR des Grecs eſtant arriuéà Ferrare, deuers le Pape Eu- Entreueue
• > - • / • ſ" • 1 V » »
.. # de -

gene qui s'y eſtoit retiré, & faiſoit là ſa reſidence, d'autant qu'auſſi bien †
eſtoit-ilVenitien, fut de luy requis fortinſtamment, de le vouloirayder †º
au differendoüil eſtoitauecles Allemans, & s'entrevirentlà deſſus plu-†
ſieurs fois, pouraduiſer des moyens dontlesaffaires de l'vn & de l'autre #º
pourroient eſtre le mieux & le plus promptement accommodez. Delà
† s'en allerent tous deux à Florence, ville capitale de toute la Deſºrtiºn
Thoſcane, &l'vne des plus belles, & des plus riches qui ſoit en tout le #ºtº
O iiij
•.

164 , Liure ſixieſme


reſte del'Italie. Or ce pays de Thoſcane qui eſtl'ancienne Hetrurie(au
cunsl'ont auſſi voulu appeller laTyrrhenie)cómence àlaville de Perou
ſe,&laiſſant à main droicte Bologne laGraſſe,qui eſtvne fort opuléte cité
†º au pied du môt Apennin,va atteindre le territoire de Lucques laquelle,
§iſ & Perouſe pareillement, ſont deux villes libres, regies & gouuernees
#º " ſous l'authorité du peuple. Mais pourreuenirà parler de Florence, qui
eſt la plus riche apres Veniſe, ily a touſiours vn grand nombre des Ci
toyens qui s'eſcartent çà & là parle monde pour traffiquer,les autres s'oc- .
, cupentàl'agriculture, les autres à la guerre : & ſont tous engeneralfort
Le, nerain, adroictes gens à tout ce qu'ils veulent entreprendre , & d'vn eſprit ſi
sººº prompt, # vif& diligent, qu'il n'y a gueres de choſes dont ils ne vien
- . nent facilement à bout.Au regard § Republique , elle ſe gouuerne
Lafºrme du en cette ſorte. Il ya tout premierement vn conſeil de cinq cens des prin
§" cipaux bourgeois quicognoiſſent & deliberemt de ce qui eſtd'importan
† ce, comme # laguerre, de la paix, & autres ſemblables affaires d'eſtat.Et
ont puisapres deux perſonnages lettrez, eſtrangers toutesfois, auſquels
ils portent fort grand reſpect & honneur; l'vn pour iuger les cauſes cri
minelles, & l'autre les procés & differends du ciuil:Le peuple manie tou
tes les autres charges de la Republique:mais ils appellentainſi ces eſtran
gers, de peur que ſi l'attributiue de iuriſdiction demeuroit és mains de
leurs citoyens propres,eſtans pouſſez de quelquefaueur,ouinimitié par
ticuliere;ils ne fiſſent quclquc tort & iniuſtice àl'vne ouàl'autre des par
ties Ils ont au reſtevn chef&Capitaine general,qu'ilsappellent de Gon
fallonnier, lequel ſe change de trois mois en trois mois, deuant lequel
ſe rapportentles comptes & raiſons de tousles reuenus, ſubſides,&im
† de la ville. Et ceux qui arriuent deuers luy, ſoit qu'ils apportent ou
a guerre, ou la paix, ſont tout incontinent menez au conſeil des cinq
cens, oùl'affaire ayanteſté debattu & arreſté, le decret en eſt puis apres
misés mains de leurs Capitaimes, auſquels en appartientl'execution.Les
autres menus magiſtrats & offices qui concernent le faict de la commu
ne, on les eſlit du corps d'icelle, auecles maiſtres & iurez des meſtiers : &
cſtloiſible àvn chacun qui veut, de ſe faire leur citoyen, moyennant
certaine ſomme qu'il faut donner.Toutes les autres republiques & com
munautez de Thoſcane ſont preſque moulees ſur la forme & exemplaire
de cette-cy; meſmement celles de Perouſe, Lucques,Arezzo, & Sienne.
sinºde de Les Grecs doncques eſtans arriuez à Florence auec le Pape, traicterent
"" enſemblément par pluſieursiours des affairesdela religion, pourvoir s'il
y auroit moyen de mettre quelque bonne fin à leurs differends, ſi bien
qu'à la parfinapres pluſieurs diſputesilsdemeurerent d'accord:& s'eſtans
arreſtez à cette reſolution, ordonnerent que rien ne ſeroit plus changé
ne innouéàl'aduenir és poincts & articles de la foy : Ratifians le tout ſo
lemnellementauecl'inuocation du nom de Dieu,apresl'auoirrcdigé par
cſcrit,afin qu'il demeuraſt ferme & ſtable à touſiours.Le Pape puis-apres
receutau college des Cardinaux(qui eſt la premiere & plus haute dignité
\
-
del'Egliſe Romaine, deux des plus nobles & cxccllens perſonnages de
> L> - | - -

| De l'Hiſtoire desTurcs. I65


tous les Grecs qui eſtoient là venus, auec leſquels il contracta vne fort La deiuation
eſtroite amitié. On les appelle Cardinaux, comme chefs & principaux †
relats enl'Egliſe; & ſont en fort grand reſpect & honneur enuers le ·
§ pere, lequelentient ordinairement aupres de luy iuſques à trente;
ſe ſeruant de leur aduis & conſeilés choſes d'importance; & leur donne
de fort beaux & amples reuenus, pour l'entretenement de leur eſtat &
dignité: Non toutesfois qu'ils ſoient en cela traictez tous egalement,
carlesvns en ont plus, les autres moins, ſelon ce que les occaſions ſe ren
contrent, & qu'il plaiſtà ſa ſaincteté.Ainſiaurangde ces grands perſon- .
nages,furent introduicts & aduancez les deux Grecs deſſuſdicts,aſſauoir p «
Beſſarion, natif de Trebiſonde, lequel eſtoit Eueſque de Nycce, & Iſi- † -

dore Eueſque de la Sarmatie ouRuſſie,quiſeruirent de beaucoup en cet #"


te vnion & accord. Du Cardinal Beſſarioni'en diray franchement ce que †
i'enayapris : C'eſtoitvn homme d'vn ſi bon ſens naturel, que ie ne penſe "°
† qu'en cela ileſgalaſt ſeulement les plus fameux & renommez d'entre . louanges
es Grecs, mais les laiſſoit encore bien loin derriere luy : Il auoit d'auan †"
tage vniugement admirable en toutes choſes, & ſur tout de ſi bonnes "
lettres Greçques & Latines,que facilementila emporte la gloire & hon
neur ſur touslesautres de ſon temps. Auſſi fut-il touſiours en grandcre
dict & reputation aupres du Pape Nicolas,ſucceſſeur d'Eugene , en ſor
te qu'il luy bailla le gouuernement de Boulongne, oùilſe porta diuine
ment bien,parmyles factions & partialitez dontlesſeditieuxauoient de- . '

ſiatout renuerſe ſans deſſus deſſous : Étneantmoins ilgarentit & conſer- º )

ua cette belle cité, quine cede en rien que ce ſoit à pas vne del'Italie,ſoit
on richeſſes, beaute de ville, & bonté de terroüer, outre l'eſtude & exer- -

cice des bonnes lettres, dont elle eſtrenommee furtoutes autres.Au re-†"
gard d'Iſidore (perſonnage fort prudent, & grandzelateur de la foy)on
ſçait aſſez comme à la parfin il fut pris des Turcs au ſac de Conſtantino
ple en combattant vaillamment pour la deffence de la ville, & de la reli
i6 Chreſtienne.Et pourautant quele nom&authoritéd'iceluy eſtoient
† grands parmy les Grecs, pour cette cauſe le Pape Eugenel'aduança
au Cardinalat; eſtimant bien qu'ilne luy ſeroit pas de peu d'efficace,pour
faire venir les Grecs à vn Catholique conſentement & accord.
Av demeurant quand ce vint à parler du ſecours que l'Empereur de- mII.
mandoit pour la deffence de Conſtantinople,le Pape fit reſponce en ter
mesgeneraux, que de là en auant luy, ſon eſtat,& tout le reſte de la Gre
ce, luy ſeroient en tres eſtroitte recommandation, & de tout ſon pou
uoirne ceſſeroit de chercher les moyens, pour eſmouuoir les Hongres
& Allemans, à prendre lesarmes contre les Turcs, ſelon que les Grecs
meſmesverroient eſtre le plus expedient, & à propos poureux.Là deſſus de legi
l'Empereurs'en retourna en Conſtantinople, où il ne fut pas pluſtoſtar- †.
riué,queles Grecslaiſſans là tout à plat ce quiauoit eſtéluré & promis en
Italie, recoururentàleurs premieres opinions, ſans ſe plus ſoucier d'ad
hereraux Latins. Au moyen dequoy le Papey enuoya ſoudain quelques
hommes de ſçauoir, pour entrer de nouueau en conference auec ceux
166 Liure ſixieſme
ui contrarioientaux choſes arreſtees en la derniere Synode; du nombre
§ eſtoit Marc Eueſque d'Epheſe, & vn Scolarius, tenu pour le
plus ſçauant homme detoute la Grece, leſquels dés le commencement
auoient touſiours contredict & reſiſtéaux traditions des Latins, ſans s'y
colloque des vouloir aucunementrenger.
L -
&b S'eſtansaſſemblez à vn Colloque & diſpu
- - - >

† te, les Latins ne peurent rien faire, & furent contraincts de s'en retour
es Grecs à

#- ner comme ils eſtoientvenuz. Bien toſtapres Eugene reuintà Rome par
le moyen des Venitiens, qui auoient lors le meilleur de la guerre pareux
. encommencee contre le Duc de Millan , en laquelle ils auoient creéleur
# Capitaine generalle ſieur Franciſque Carminiola Millanois auparauant
§v, l'vn des plus grands fauorits du Duc, duquelil eſtoit auſſi allié aucune
"" ment. Cettuy cy,auſſitoſt que l'armeeluy fut conſignee entre les mains,
chargea ſes gens de pied ſur ſoixante dixgros vaiſſeaux, fort bien equip
ez & munis de tours, paueſades,& autres deffences faictes de bois de
trauerſe ſur le tillac,pour de la combattre à couuert : & les faiſant voguer
· contremont larruiere du Pau, il ſe mit à les coſtoyer par terreauec ſa ca
uallerie, marchant en cette ordonnance contre le Ducnommé Philippe.
† Orauoit le Carminiola pour ſon LieutenantvnNicolas Brachio,hôme
# de fortvaillant & experimentéau faict de la guerre, & qui deſia par ſes ver
tus & merites eſtoit paruenu au plus haut degré d'honneur qu'on peut
atteindre par les armes au moyen dequoy lçs Venitiens demeurerent vi
ctorieux parvnlongtemps. Et comme ils ſe fuſſent attaquez à forcer la
garniſon qui deffendoit lesaduenues dulac de Garde,là où ils s'arreſte
rent par pluſieurs iours, ce Brachio s'en alla cependant, auec partie de
preſſe ſiegee l'armee deuant la ville de Breſſe, ot il fit toutſon effort de laprendre:
†, mais ceux de dedans ſe deffendirent&maintindrent fortvaillamment en
""" rout le ſiege,iuſques à manger par la neceſſité qu'ils auoient les chats &
· les ſouris, & § tous autres meſaiſes & extremitez pluſtoſt que de
ſe rendre, ayant la faction des Guelphes qui eſtoient là dedans en partie
eſté cauſe de cette reſiſtence. Carl'Italie § diuiſce en deuxfactions,l'vne
des Guelphes, & l'autre des Gibellins : Mais comment, ny pour quelle
occaſion cela ſoit aduenupremierement, que toutes les villes ſe ſoyent
ainſi my-parties, & que d'vne ſigrandeanimoſite & rancune ils ſoyent
§ aux eſpees & couteaux, les vns contre les autres, per
ſonne ne m'en a encore rien ſceu dire de certain, ſurquoy ie peuſſe pren
dre pied pour en parler d'aſſeurance. C'eſt bien choſetoute notoire,que
le pays des Geneuois tient le party des Gibellins : Les Venitiens, & les
Romains auecla marque d'Anthone, celuy des Guelphes, & laThoſca
ne, Rhege, Modene, & autres villes delà autour, voire la Poulhe, & la
Calabre, ſi on vcut paſſer plusauant, tous les deux enſemble : carles vns
ſe font Guelphes, & les autres Gibellins, commeilleurvient en fanta
ſie. Le plus ſouuent encore en vne meſme ville, on peut voir à toutes
heures ces deux factions,aux armes l'vne contre l'autre , dequoy ſelon
mon opini6prouiennêt beaucoup de mauuaiſes & dâgereuſes ſemences
de ſeditionsaux peuples del'Italie. Mais pour retournerànoſtre propos,
A.
Del'HiſtoiredesTurcs 167
il aduint que durant la guerre deſſuſdicte, les Padoüans menerent au
camp des Venitiens leurs Capitaines &gouuerneurs,entre leſquels eſtoit
vn Marſilio, de la maiſon des Carrares, quiauoit entrepris de liurer Pa- Padelie, ou
doüe és mains de Carminiola. Or eſt-ce vne fort riche & puiſſante cité, #.
& d'vn grand enclos de muraille, car elles ont plus de deux lieuës de cir-"
cuit : & parle milieu paſſe la riuiere de la Brente, qui l'enuironne encore 7° ſtades.
tout autour, & en rendl'aſſiette preſque inexpugnable.Ayans donques cºplotpour
menéauec eux ce Marſilio, ils prirentiour pour rendre la ville; mais de †
fortune au meſme inſtant que le ieuſe deuoit ioüer, il fitvn ſimauuais & Vºº
faſcheux temps qu'il ne luy fut poſſible des'y trouuer:Au moyen d equoy
l'vn de ceux qui eſtoient de la menee, craignant que quelqu'vn ne le pre
uinſt,s'aduança luymeſme de deſcouurirl'entrepriſe, & manifeſtale tout
aux habitans. Leſquels mirentſur le champ de bonnes gardes par tous
les lieux & endroicts d'importance, & attiltrerent quelques gens en em- -

buſche par où Marſilio ſe deuoit retireraux ennemis, là où il fut pris & #


arreſté, auecbien autres cent citoyens, qu'ils firent tous mourir, auec §t
- - trahlfl'2

leurs femmes, & Marſilio pareillement. Leſquelles choſes eſtans adue- †º


nues au plus fort de cette guerre, furent cauſe que la charge de capitaine
generalfut prolongee àCarminiola Maisbien toſt apres ayant eſte ſoup- c,minicl,
çonné de trahiſon, & ſurpris ſurle faict, machinantie ne ſçay quoy con †"
trela ville propre de Veniſe,il fut condamné à mourir.Et dit-on qu'ainſi § vs
qu'on le menoit au ſupplice pourluytrencher la teſte, il ſe tint touſiours"
leviſage couuert, de pœur quevenant à parler à quelqu'vn de ceux qui
s'eſtoient là aſſemblez, pour le veoir executer, il ne le miſt en mauuaiſe
opinion enuers le peuple. -

A PREs ſa mort, les Venitiens appellerent Franciſque Sforce pour , v.


conduire leurarmee,& luymirent entre les mains toutela charge de cet-†,
teguerre. A la parfin les choſes en vindrentlà, que moyennantl'ayde & #
ſupport † luy donnerent,il paruint à eſtre Ducde Millan : Car il ac- §y .
quit vne fort† reputation durant le temps qu'il mania leurs affai-"
res,ayant paſſé outre iuſques à Loddes,qui eſt fort prochaine de Millan,
&ſubiugué toute la contree de Bergame,ſans les autres places de la Lom
bardie, qu'il prit au delà de la riuiere d'Adde. Puis apres que la paix fut
faicte, & que laguerre euſt eſté de tous poincts aſſoupie & eſteinte entre
ces deux Potentats,ilprit à femmela baſtarde du Duc, eſtant lors com-†e
me neutre entrelesvns & les autres : & Nicolas Brachio duquel nous a- †
uons parlé cy deſſus, ſe voyant n'auoir plus rien à † s'employer, ſe re
tiraà Naples deuers le Roy d'Arragon,s'offrant dele ſeruir(ſi d'auenture
ilauoitbeſoin de luy) en laguerre qu'il auoit entrepriſe contre les Flo
rentins : Mais pource qu'il ne rencontra pastel party qu'ilmeritoit,ils'en
retournaau Duc de Millan,là où bien toſt apres il mourut d'vn mal de †
reins, quil'auoit fort longuement tourmenté. Ileſtoit natifde Perouſe, -

& fut vnfort grand Capitaine en ſon temps,tres expert à mener des gens -

à la guerre, & à bien ordonnervne bataille : Tellement qu'il laiſſa apres .


ſamortvnetres-belle & honorable memoire de luy, & de ſes faits. Ne
I68 A Liure ſinieſme
paſſagueres de téps † deMillan eſtant decedé auſſi,Fran
ciſque Sforce, qui deſia auoit conceu quelque opinion de s'emparer de
Troubles ad- l'eſtat, entra en dique contre les Venitiens ; parce qu'apres le decés
- | | - - - - - -

§ de Philippe, ils eſtoient liguezauecles Millanois; & non ſeulement les


†e enhortoient, mais encore les fauoriſoient ſous main, pour remettre ſus
le gouuernement de certain nombre des principaux & plus gens de bien
de leurs citoyens.De fait ilsauoient deſia commencé de mettre leursma
giſtrats & offices és mains de tels perſonnages,& s'eſtoiét quelque temps
maintenus en cette forme de viure iuſques à ce qu'ils eurent apperceu,
que leurs gouuerneurs ne regardoient ſinon à entretenir les choſes en
vne certaine meſure &eſgalité, & que c'eſtoit bien peu de cas deleur fait,
toutesfois & quantes qu'il eſtoit queſtion de mettre vne armee dehors.
Carle peuple commença lors à deſirer de retourner ſous l'authorité &
commandement d'vn homme ſeul : & là deſſus appellerent le deſſuſdit
† Sforce,à quoy neantmoins contrarioient encore les Venitiens en tout ce
†" † pouuoient. Parquoy il ſehaſta d aſſembler ſonarmee, & en toute
Duc.iligence marcha contre eux; s allant camper au propre endroict ou ils
auoient deliberé de ſevenirloger,trois lieuës loingſeulement de la vil
º le de Millan, laquelleil commença deſlors à aſſieger, & tenirvn peu de
court. Toutesfois commeil ne pretendiſtautre § qu'à ſe faire Duc,
afin de ſe preparerle chemin à cela,il choiſit quelques perſonnes du tout
à ſa poſte & deuotion, pouryaller & venir : & permettoit encore à ſes
arens & alliez d'y entrer, afin d'attirerles habitans (qui ſe voioient de
# preſſez)à quelque bon
ſonarmee de † accord.Car deluyil ne vouloit pas approcher
craignantlagrande multitude de gens qui eſtoiét
enlaville(la plus peuplee de toutes celles del'Italie) †
il ſçauoit bié
eſtre ſuperieurs en nombre de †
voire tres-ſuffisäs pour rompre
& deffairevne plus grande force quelaſienne;&ſiattendoient de iouren
iour le ſecoursdesVenitiés.Parquoyil s'arreſta en ſon premierlogis, qu'il
auoit deſiafortifié,&ytrauailloit encore touſiours fort ſoigneuſemét,a
fin qu'on ne leluypeuſtfaire abandonnermaugré luy.Neantmoins tout
auſſi toſt qu'il ſçeuſt comme les autres approchoient, il le quitta luy
meſme de ſon bon gré pour aller au deuant d'eux , & ſe logea à vne
lieuë & demie de Millan, là où le chef de l'armee des Venitiens, Cu
dunidas,qu'ils nommét entreux Coleon,ſevint planter tout visàvis,ré
parant ſon camp en diligence,pouryattendre enſeureté le renfort de la
ville, & donner par enſemble la bataille. Sforce ayant eſté bien aduer
ty tant par ſes eſpies, que par ſes auancoureurs, comme ceux de de
ººgºº dans eſtoient ſortis ppour ſe venir ioindre aux Venitiens,> fit allumer la
de Sforce.

Sf
Victoire de nuict
-

† nombre de feuz parmy ſon camp , afin que les ennemis


2 • - - >
-
-

§ ne ſe doubtaſſent de ce qu'il vouloit faire, & s'en alla ſecrettementa



les Veniticns uec tous ſes gens au deuant des Milanois, leſquels il chargea d'abor
©

# dee à l'impourueu ſi viuement, que bien peu reſchapperent : Cela fait


ſtre ioin cts 9 - - - 2 -

enſemble s'en reuint au logis, & bien toſt apres s'attaqua auſſi au combat auec
les Venitiens, ou il yeut vne fort cruelle & ſanglante rencontre,maisàla
- fin
) -
-

De l'Hiſtoire des Turcs, I69


finilles rompit & tourna en fuite, & en pritbié ſix mille priſonniers,tous
ens de cheual.Ainſi doncquesvictorieux doublemét,& en ſipeud'heu
re, s'en alla aſſeoir ſon campaſſez pres de laville, où il entra incontinent
apres, & futla paix faicte par le moyen & entremiſe d'vn certain Reli.
ieux lldepeſcha puis apresſon fils deuersles Venitiens, auec leſquels , .
# demeura delà en auant en bonne amitié & concorde. Les Grecs,apres,
». 1 r • 1 > • ^ - re
#
: - par eux faict
pent l'accord
qu'ilsfurentpartisd'Italie,voyansquele Pape Eugene ne leurenuoyoit †
oint le ſecours tel qu'ils pretendoient leurauoir eſté promis, vindrent P .
auſſi à s'aliener de luy,ſe repentans del'accord qu'ils auoient faict. Tou
tesfoisl'occaſion quile faiſoitainſi manquer † promeſſes, eſtoitlane
ceſſité de la guerre ſuruenuë entre luy & les Florentins, pourraiſon de
leurs limites,ayanteſté côtrainct defairevnefort grande deſpence pour
l'entretenementde ſon armee, dont ilauoit donné la § à l'Vn
de ſes proches parens comme Legat de ſaſaincteté,perſonnage fort pru
dent & aduiſé. Ceſtuy-cyſe trouuoit continuellement en affaires, tan
toſt contreles Florentins, tantoſtcontre le Duc d'Vrbin : car pour lors
laville de Florence monſtroit de vouloir tenir le party du Duc Philippe
de Millan, enfaueurduquelils faiſoient la guerre forte & ferme ; d'au
tant meſme que le Pape eſtoitVenitien, delamaiſon & famille des Con
delmariens,auſquelsàla faueur & inſtāced'iceluy,la Seigneurie octroya
que de là en auant ils entreroient au Conſeil , & pourroient paruenir
aux charges & dignitezdelaChoſe publique.Mais commelaguerrefuſt
deſia bien allumee entre iceuxVenitiens,& le Duc de Millan, vne por
tion del'Italie ferengea du coſté de ceſtuy-cy, & le reſte de celuy des
Venitiens.Quantaux Potentats, & Seigneurs ſouuerains eſpandus par
fItalie,voicyles principaux.Ceux de Ferrare dela maiſon d'Eſt : à Rimi
ni, & la Marche d'Ancone commandent les Malateſtes : Adiouſtez
puis apres les Ducs d'Vrbin, de Mantouë, & de Millan : & d'autre part
Rome, Naples, & la Calabre. Quantà Ferrare, Millan , & Calabre, &
la forme de leurgouuernement, enſemble de celuy de Mantouë, il en a
eſtéparlé à ſuffiſance cy deſſus, autant qu'il eſt requis pour la preſente
hiſtoire Et pourleregard des Seigneursd Vrbin, ie ſçaybien qu'ils ſont
venus de fortancienne race,& ſont appellez Malateſtes; qui ont par vn
longtemps cómandéà la Marche, Rimini,& pluſieurs autres belles villes
de ce coſtélà:& furentpuis apres faicts chefs de ceux qui adminiſtroient
la Iuſtice en Italie:Les Venitiensles ontauſſi ſouuentesfois appellez à la
charge de leursarmees,& les Thoſcans pareillement.Mais puiſque nous
nous ſommes embarquez ſi auant à parler des affaires de l'Italie, il me
ſemble qu'il n'y aura point de mal de dire quelque choſe de la crea
tion desſouuerains Pontifes.Toutincontinent qu'il eſt decedé,les Car
dinaux s'aſſemblët, & reſſerrent en vn lieu qu'ils appellent le Conclaue, d
& là balottentauec de petits bulletins qu'ils mettent tous les iours à la Papes.
fin de la Meſſe, quiſe chante du ſainct Eſprit, dans le calice;tant que fina
blementils viennent à s'accorder à la pluralité des voix, ſur celuy d'eux
tous quicſtiugéle plus digne & capable : aucunesfois de la maiſon des
P$
17o · Liure ſixieſme
Vrſins, ou de celle des Colomnes, qui ſont les deux plus puiſſantes fa
milles de Rome:mais bien ſouuentauſſi,quandles opinions ne ſe peuuét
accorderneaux vns neaux autres de ceux-cy,ils ſe mettent à eſlire quel
que eſtranger. Et tout auſſi toſt qu'ils ſe ſont arreſtez à qui † ce ſoit,ils
- le mettent en vne chaire Pontificale,& luy vont tous baiſerſes pieds,l'vn
† l'autre,en ſigned'obeiſſance: Puisà haute voix à l'entree du Con
claue annoncentaux Eueſques, & au peuple qui attend là en grande de
uotion, celuy qui eſt eſleu Lacouſtume eſt au reſte de luy changer tout
incôtinent ſon nom,côme s'il eſtoit montéàvn degré d'vne plusauguſte
& diuine nature,que lors qu'il eſtoit perſonne priuce.Auſſi eſt ce la pre
† miere & ſouueraine dignité de toutel'Egliſe Occidentale,à laquelle non
c'eſt que les - - - -

† ſeulement le commun peuple,les gentils hommes, & grands ſeigneurs,


# " mais encore les plus puiſſans Princes, iuſques aux Rois & aux Empe
reurs, portent § grand honneur & reuerence. Quant au nombre
† des Cardinaux, ils ſont d'ordinaire † cinquante; vne fois plus,
c§ vne autre moins: carles bonnes maiſons, d'Italie, afin de ſe conſeruer
en leurgrandeur, ont de couſtume quand bien ils n'auroient que deux
enfans, d'en mettrel'vn d'Egliſe, luy donnant quelque petite portion de
l'heritage pourſalegitime,& laiſſent à l'autrel'eſtatentier: Par ce moyen
ils euitent l'occaſion des noiſes & debats, qui pourroient ſuruenir à cau
ſe de leurs partages. Et pourtant celuy-là s'eſuertuë de s'ancreraupres du
ſainct Pere, pour accrocher quclque bonbenefice,& atteindre(s'il peut)
vne fois au Cardinalat. ! | | -- :
· vI. DE ces Pontifes, & ſouuerains paſteurs en l'Egliſe Romaine, l'Abbé
† Ioachim(qui fut en ſon répsvn grand perſonnage en matiere d'anoncer
†, les choſes à venir) alaiſſevntraicté,là oüilmonſtre preſqu'au doigt & à
p#a l'œil & encore par portraitures, de quelle ſorte chacund'eux doit parue
§ nir au Papat, & comment il s'y gouuernera : ce qu'on dit eſtre preſque
† touſioursarriuéſelon ce qu'ilauroitpredit. On conte tout plein d'autres
grandes merueilles de ce perſonnage,lequel eſtantignorant & idiot,ſans
aucunes lettres ne ſçauoir,ſe mit à fairel'office de portier en certain mo
naſtere del'Italie, là oûvne fois qu'ils'eſtoit allé promenerau iardin, ſe
preſenta à luyvniouuenceau de tres beau maintien & apparence, qui ſe
*º vint planteraudeuant,tenant en ſa mainvn fiaſcon d'argent, & luy dict:
Tien Ioachim,boy hardiment,c'eſt du bomIl obtempera à ſon dire,& en
beut vn bon traict ; puisluy rendant le demeurantluy dict,qu'il en auoit
aſſez. HaIoachim repliqual'autre, ſi tu euſſes toutvuidé, il n'y a ſcien
# ce qui t'euſt eſté incogneuë. Deſlors eſtant venu à diſputer auec tous
§" les plus doctes hommes de ce temps là,il ſemonſtra tres-excellent, voire
· diuin en toutes ſortes de ſçauoir : Et par ce moyen eſtant paruenuà eſtre
Abbé, ce futalors qu'il predit beaucoup de choſes que l'euenement con
firma depuis, car il ne s'y eſt point trouué de faute, au moyen dequoyil
eſt touſiours depuis demeuré en fort grand bruict & reputation par
toute l'Italie. Au reſte, quantaux Seigneurs de ce pays-là, il y en a de
moindres que ceux dont nousauons parlé cy deſſus,leſquels ſont ſuiccts
-
- - -

> º -

Del'Hiſtoire des Turcs. 172


du Pape:dont, & pareillement du Ducde Millan, des Princes de la Sicile,
Poulhe, & Calabre, & autres de là autour , qui recognoiſſent le Roy
de Naples pour ſouuerain, ie me deporteray de parler plus-auant, car
auſſi bien n'en eſt-il point de beſoin : trQp bien adiouſteray-ie cecy
· (comme en paſſant) de la police & forme & gouuernement des villes
d'Italie,que les principales Republiques ſont celles des Venitiens, des
Florentins,& des Geneuois. Ilyen a encore quelques autres, qui ne ſe Les principa
meſurent
enſuiuent pas §
celleendegrandeur & puiſſance
nousà celles-cy,
auons deſiamais elles
dit.Et imitent
ceux-cy &†
ſont §†
de l'Ita

les Potentats de l'Italie quitantoſt ſerengeoient du party des Venitiens,


tantoſt de celuy du Duc de Millan. Pour doncques retourner à noſtre
propos,les Grecs cſtans de retour en leur pays, enuoyerent leurs depu
tez deuers Amurat pour demander la paix, & faire alliance auec luy : & Cöſtantin 8,
bien toſt apres Conſtantin s'en alla au Peloponeſe, afin d'animer ſon qui ſe §
frereau recouurementdeleurEmpire,puis repritlaroute de Conſtanti-#.
nople.Mais s'eſtant arreſté parles chemins en l'iſle de Lemnos , à cele-"
brer ſes nopcesauec la fille du Prince de Methelin, le Baſſa Mahomet
ſuruintlà deſſus auec ſon armee de mer, qui l'aſſiegea dans la ville de
Gotzinum;là où ayant mis ſes gens en terre, qui firent cependant infi- Autrement

nis maux & deſtructions par toute l'iſle, il tint Conſtantin de fort court c§
par l'eſpace devingt-ſeptiours.Neantmoins,combien qu'auec ſon artil
lerie il euſtabbatuvn grand pan de muraille,il ne peut trouuerle moyen
defaire aller ſes gens àl'aſſaut: Parquoy voyant qu'il n'y auoit ordre de
prendre la place, il ſe rembarqua pour retourner en ſon pays. Conſtan
tin depuis eſtant arriué deuersl'Empereur, fut par luy renuoyé ſoudain
querir ſon frere Theodore, auec commandement expres à l'vn & à
l'autre de ſe departir du Peloponeſe,& s'envenir tous deux à Conſtanti
nople : ce qui ſuffira pour ceſte fois.Mais le plus ieune des freres appellé
Demetrie,vint enfort grande altercation & debat auecle frere del'Em
pereur, quil'auoit deſpoüillé par force de la meilleure partie de ſon bien:
& apresquel'affaire eut eſtéaſſez promené envne ſorte & en vne autre,
ſans pouuoir trouuer le moyen d'en auoir raiſon , il ſe retira par deſpit
deuers Amurat, quiluy donna vne groſſe armee, auec laquelle il s'en al •.
la planter deuant Conſtantinople,où il trouua moyen de pratiquer ſon
cndre Aſan,quiauoit toute autorité& puiſſance en laville,& monſtroit
† vouloir tenir la main à recouurer l'Empire : Voyant toutesfois De
metrie qu'il ne faiſoit rien là que ſe morfondre , il leua le ſiege , &
r'enuoya l'armee à Amurat. Quelque temps apres il depeſcha certains
perſonnages deuersl'Empereur ſon frere , puisyalla à la parfin luy-meſ
me en perſonne,là où tout ſoudain il fut empoigné auec le frere de ſa
femme, & mis tous deux en priſon, chacun à part. Quant à luy, à
la perſuaſiond'Aſan quiluy conſeillad'ainſilefaire,ayanttrouuémoyen
d'eſchapper,il ſe retira à Pera, d'où puis-apresilenuoya quelquesvnsde
uersl'Empereur,quifirent ſon appointemét,parquoyil s'en retourna en
la mer Maiour dont il iouyſſoit. Son beau-frere fut auſli par meſmc
- - - - - - • P ij ,
172 Liure ſixieſme
moyen relaſché, & mis du tout en liberté.Quelque temps apresl'Em
recaſion de Pº fitvnaccordauec Amurat, mais ilnelaiſſa pas pourcelade depeſ
§ chervneambaſſadeau Pape Eugene, pour renouueller & remettre ſus
† leursvieilles pratiques & intelligences & vneautre encore à Vladiſlaus,
quinagueresauoit eſté appellé au Royaume de Hongrie, & eſtoit prin
cipalement eſguillonné à entreprendre la guerre contre le Turc, par
Deſpote ou
#º George Bulc,lequel ayant eſte depoſſedé de ſon eſtat,offroit vne groſſe
' ^" ſomme de deniers pour dreſſer ce remuement D'autre part,Iean Hunia
de eſtant † engrand credit & reputation,à cauſe de pluſieurs ren
contres eſquellesilauoit monſtré vne grand'preuue de ſa vertu ſur les
Turcs,eſtoit ſans ceſſe aux oreilles de ceieunePrince, pour luy faire pren
dre lesarmes contre Amurat, comme il fit, & ſe diligenta de mettre en
ſemble le plus grand nombre de gens de guerre qu'il luy fut poſſible:
ayant encore trouuéle moyen d'attirer & faire entrerén ceſte ligue Dra
cula Prince des Valaques,& † , celuy des Triballiens, qui deuoit
eſtre † & conducteur de tout le voyage.Ainſi de compagnie ayans
paſſé le Danube, entrerent dans les terres du Turc, où ils firent de fort
rands maux & dommages,& bruſlerent la ville de Sophie, auec tous les
Maintenant § & villages duplat pays.MaisAmuratayant eu nouuelles, com
§ meles Hongres à tout vne groſſe puiſſance eſtoient partis de leur pays
†"
de.
pour levenir
§ combattrepartout
& ſaccageoient s'il ſe trouuoit au deuantaſſembla
où ils paſſoient, d'eux, &enqu'ils pil
diligence
toutes ſes armees de l'Aſie & Europe, & s'achemina à l'encontre. Èſtant
doncarriuéen ceſt endroit qu'on appelle Baſilitza, il ſceut au vray par
ſes eſpies & coureurs, qu'ils eſtoient logez non gueres loin delà. Par
quoyilenuoyavnegroſſe trouppe de cauallerie deuant pour les reco
gnoiſtre, & remarquerbien la forme & aſſiette de leur camp; leur coms
mandant de ſe ſaiſir par meſme moyen de l'emboucheure & deſtroicts
des montaignes qui gardentl'entree du pays, & y faire abatre & pleſſer
force arbres, pour embarraſſer tellement le paſſage que les Chreſtiens
ne peuſſent paſſer outre. Ce qu'ils executerent fort bien , & tindrent là
les autres acculez,leſquelsauoient faictleur deſſein d'entrer par ceſt en
droict,dans le pays de Thrace. - -

VII. A MvRAT ce temps-pendant s'en vint auecques le fort de l'armee,


le long des couſtaux qui ſe vont rendreaux pas & aduenues deſſuſdictes;
là oü il fit parl'vn de ſes Roys d'armesaſſemblerau conſeilles principaux
& plus renomez capitaines qui fuſſent en ſon oſt, entre leſquels eſtoient
Ioſué fils de Brenezes,Thuracan Saniaque ou gouuerneur de la Theſ
ſalie, Cumulie,Chazan Beglierbey del'Europe, & Iſaac gouuerneur des
Scopiens. Apres qu'ils furent tous aſſis chacun ſelon ſon rang & di
, Harangue gnité, luy du hautd'vn grand dez tout couuert de drap d'or, leur com
#. mença à parler en cette ſorte. Hommes Muſulmans , fideles zelateurs
de noſtreloy, vous voyez à quel poinct ſont arriuez noz affaires : car
ces Hongres icy auecle renfort des Valacques&Triballiens qu'ils ont ti
rez à leur party, nous viennent de gaieté de cœur, & ſans raiſon aucu
-
De l'Hiſtoire des Turcs. 173
me faire la guerre.Au moyen dequoyl'heure eſt venuë, que ſi perſonne
d'entrevous ſçait rié qui † ৠpournous faire obtenirlavictoire,
il faut qu'ille diefranchemét,ſansaucune craintene diſſimulatiô. Et afin
que moy-meſme tout le beau premier i'en die mon aduis il me ſemble
ue nousdeuons hazarder le combat, & ſans plus differer leurallerpre
- † ter la bataille, donti'eſperé que fortaiſéement nous aurons le deſſus
attendule peu de gens qu'ils ſont au pris de nous. Il diſoit cela malicicu
ſement,non tant pour # vouloir ſi de legier precipiteràvn combat con
tre des gens hazardeux & bons † que pour ſonder ce que les .
&o

ſiensauoientſurle cœur,& s'ils ſe ſeroiét pointintimidez pourla ſoudai


ne ſuruenuë des autres.Ayant doncques mis fin à ſon propos , Chazan
chefdesforces de l'Europe prenant la parole,ou pour faire bonne mine,
ou pource que ſon opinion fuſt telle,levint ſeconderlà deſſus par vn tel - - , •"

langage.Certes(Sire)il n'y a homme en ceſte compaignie, qui ne doiue aduis Opinion &
de Cha
haut-loüeriuſques au ciel,le propos que ta Majeſté nous vient de tenir, tâtzan Baſſa ſen-.
vn peu ſon
comme digne d'vn ſigrand & valeureux Monarque, iſſu du ſang des courtiſan
fiateur.
&

Othomans,lequel auroit trop de regret & de deſpit d'auoir abandonné


vn poulce deterre à ſes ennemis,& encoreiene ſçay quels,que premiere
mentilnelaleureuſt bien chervenduë à la poincte de lalance & eſpee.Et
defait ſi nous ne nous reſoluons de combattre,promptemét,tout le cou
rage que nous pourrionsauoir,toutes nos proueſſes & vaillances accou
· ſtumees ſe ramolliront,& la hardieſſes'en accroiſtraauxennemis, quife
rôt leur prouffit de noſtrelaſcheté&faute de cœur.Carils n'interpreterôt
pointd'autreſorte noſtre temporiſement,noſtre aduis, prudéce, & ſages
conſiderations(qu'onles appelle commel'on voudra)& n'y a doute que
de tirer les choſes en plus grande longueur, ce ne ſoit non ſeulemét pour
ne nous amener rien qui vaille, mais au contraire pour nous ietter en de
treſgrandsinconueniens & dangers. La difficulté meſme que nous auós
faicteiuſques icy devenir tout de plain ſaut à la meſlee, enuoyât ! †
le pas des montagnes, & en eſtoupper les entrees & aduenuës à force
d'arbres chablez & mis par terre,m'a deſpleuinfiniment, pource que de
làles Chreſtiens voudront inferer & prendre leur theme, & que nous
l'ayons fait tout expres pourfuirlalice,& de peur de combatre. Oril me
ſemble qu'il ſefautbien garder,que rien de cela en ſoit ſceu parmynoſtre
camp,ne dôner barres àfennemy de nous pouuoirarguer d'aucune crain
cte ne timidité: Pourtantie concluds que nous deuons tout au pluſtoſt
veniràlabataille,& faiſant brauement noſtre deuoir, empeſcher & def
fendre en gens dc bien,l'étree de nozlimites.Et quoy,abandônerlà tout
àl'ennemyſans coup frapperºQuâdbien certes † auroit que le gaſt&
ruine de ce pays,ſivaut il mieux toutesfois ſe hazarder & prédrela †
netelle qu'elle ſe preſentera, que de ſouffrir cette indignité deuant noz
yeux Maisſionveutauoireſgardaudangerdetaperſonne (Sire) qui eſt
biéla choſela plus importante de tout,qu'on me laiſſe faire tât ſeulemét;
ie chaſtierayſibien ceuxicy,que parapresiln'yaurany Hongre, ny Tri
ballié,n'yautretellemaniere de gens,quiſoiétſipreſomptueuxne hardis
- P iij -
I74- Liure ſixieſme
de tevenir chatoüiller les oreilles»Ainſi parla Chazan fils de Maſal. Et
comme tous les autres ſe teuſſent, pource qu'ils n'oſoient s'oppoſerne
contreuenir à lavolonté du Seigneur,Thuracan Saniaque de la Theſſa
Conſeil de
lie finablement ouurirlabouche, & opina en cette ſorte. Il faut (Sire) &
Thuracá plus eſt de beſoin,que chacun de nous die touſiours franchement ce qui luy

† ſembleraeſtre le plus expedient & à propos pour le bien de tes affaires,
##º ſans autrement s'arreſter aux premieres opinions qu1te pourroient venir
§ § à la fantaſie;& meſmemétalorsque les choſes nous monſtrét comme au
" doigt & à l'œil lagrandeurduperil, auquel puis que nousauons noſtre
part,il ne nous faut pas feindre auſſi de declarer à noſtre Prince & ſouue
' rain Seigneur,ce † nous en ſentons en nous meſmes. Quant à moy ie
puis dire que tonfait reſſemble propremétàvnoiſeau,auquelſi tu arra
chesl'vne des eſles, tu le rends † t'en ſeruir à rien que ce ſoit,.
ſi puis apresl'occaſion s'en preſente, ſitu luy oſtes encore l'autre, tu ne
luy laiſſes † la carquaſſe,qui ne pourra plus voler, mais ſeulement ſe
trainerſurla terre.Que fera donques cette pauure beſtiole s'il eſt queſti6
d'aller à ſon prochas, ou faire quelque autre deuoir ſelon ſon naturel;
Tout ainſi eſt-il de tes affaires.Carles Géniſſeres de la porte, ie les acc6
pare au corps:auſſi n'auons nous point de refuge aſſeuré que celuy là: les
forcesdel'Aſie tiénentlieu d'vne des eſles,& celles de l'Europe del'autre.
Que ſi nous venos àlabataille,cela eſt tout certain que pas vn d'entr'eux
ne demeurera ferme,meſmement les Aſiatiques,qui ne pourrôt endurer
le choc de gens montez & armez àl'auantage, de corps de cuiraſſe, & de
, lances.Ceux del'Europe,encore qu'ils ne refuſent point(ce crois-ie bien)
' de venir vaillamment à la charge, toutesfois s'ils voyent branſler lesau
tres tant ſoit peu,ils n'en feront pas moins, & taſcheront de ſe ſauuer à la
fuitte auſſi bien qu'eux:& pourtant ne te reſtera plus que ta cornette.Ce
qui faict,que de ma† ne me puis reſouldre à l'opinion qu'on a pre
ſenteméticypropoſee,veu qucla bataillenete peutapporteraucüfruict.
Si ſuis-ie neantmoins bien d'aduis de côbatre;mais il faut auant cela nous
retirer peu à peu en arriere,faiſant le gaſtdeuâtl'ennemy,& nous rendans
maiſtres de tout ce quinouspourroit apporter quelque deſaduantage.Et
ſi veux encor que nous ne ceſſiôs de reculer,tant que les ennemis outrez
de famine,de mes-aiſes,& incommoditez,ſoient côtraincts de nous quit
terlà,& rebrouſſer chemin par où ils ſeront venus:car lors nous les pour
ſuiurons à noſtre tour,& irons charger ceux quiſeront las & recreuz , ſi
bien qu'il nous ſera fort aiſé d'en auoir ſeurement laraiſon. A cette opi
nion,comme beaucoup meilleure & plus certaine que la precedente, il |

ſembla que toute la compagnie fuſt † s'arreſter ; mais Ioſué fils de


Aduis de Io-
Brenezes ſe tira auant , & parlaainſi. Ienevoy pas, Sire, que nous
-

ſ§ ayons gueres gaigné quand bien nous aurôs mis en routte &deffaictnoz
† ennemis,& n'ya(ce meſemble) prouffit nyaduantage quelconque que
"º nous deuions attendre de cette victoire : Car ton ayeul Paiazet gaigna
groſſe bataille ſurles François, les Bourguignons, &
bien autrefois vne
les Hongres, & neantmoins que luy en reuint il pour cela ; La plus
· · Del'Hiſtoire desTurcs. 175
grand part ſe ſauua de lameſlee, & le garderent fort bien d'entrer plus a
uant en pays. Mais ſile rebours(que Dieu nevueille)aduenoit mainte
nant,&que nous euſſions du pire,ie penſe que chacun conſidere aſſez les
dangers & inconueniens qui nous viendroient menacer. Ce ſera donc
nions à tomberen
† ſeure
ques le meilleurdes'arreſter à la
† confuſion opinion,afin que nous neve
& deſordre qui nous face à la fin
perdre tout , mais pluſtoſt cherchions les moyens d'arracher de viue for
cela victoire des mains de nos ennemis. Or icy en ta preſence ont eſté
propoſez deux conſeils & aduis tous differends , l'vn qui eſt fort dange
reux & peu raiſonnable; l'autre beaucoup plus ſeur & digne de toy. Qui
' eſt ce doncques maintenant qui voudra reuoquer en doubte, qu'on ne
ſe doiue tenir au plus certain ? Qui eſt celuy ( s'il a aumoins le iugement
ſain & entier , qui n'en vueille pluſtoſtprendre la meilleure & plus ſeure
voye ? Et pourtant de retourner en arriere, ne reculler deuant tes en
nemis,ce n'eſt choſe ny digne de ta grandeur, ny à laquelle ie me peuſſe
iamais conſentir: car cela reſſenbleroit à vne vraye fuitte, dont le coura
ge ſe viendroit à leur redoubler, & aux noſtres à diminuer d'autant : De
ſorte queie n'eſtime pas que lors on puiſſe trouuer moyen de retenir les
forces del'Aſie, ne les gens de piedauſli peu.Ie neveux pas dire pourtant,
u'on doiue ainſiàlalegere hazarder tout à l'incertain euenement d'vne
§ bataille;car i'eſtime, que le plus expedient ſera de clorrefort bien(à
toutesaduentures)les vallons & les emboucheures des montaignes auec
noſtre armee, & laiſſerainſi tout à loiſir çouler le temps, iuſques à ce que
les ennemis ſeviennent à matter, & d'eux meſmes ſoient contraincts de
nous quitter là,pourſemettre au retour:Alors nous pourrons allerapres,
enuoyant deuant toute noſtre cauallerie pour leur donner à doz, & les
trauailler en toutes les ſortes qui ſeront poſſibles.
CE s T aduis ſembla encore meilleur & plus certain que le preccdent, V i f f,

parquoy tout le reſte del'aſſemblee ne fit point difficulté de l'approuuer


& conſentir ;arreſtant ſuyuant cela qu'on ne combattroit point ; auſſi
† ne retourneroit pas en arriere, d'autant qu'à chacun † plus
de temporiſervn petit,pourpuis apresaller charger en toute ſeureté,ceux
† plus le cœur à autre choſe que de retourner au logis. Et là
eſſus on enuoyales trouppes del'Europe pour deffendre le paſſage auX

Chreſtiens, leſquels firent bien tout leur effort de contraindre ceux qui
eſtoient à la garde del'abandonner;ce qu'ils ne peurent,carlesTurcs leur
reſiſterentvaillamment, & repouſſerent de grand courage ceux quilesy
vindrent aſſaillir de front; tant qu'à la parfin les Hongres, apres s'eſtrc
parquelquesiours opiniaſtrez à ceſt eſtrif & combat ſans pouuoir rien
aduancer, furent contraincts pource que les viures leur deffailloient, de Retraitte des
trouſſervnenuict bagage, & reprendre le chemin par où ils eſtoientve Hongres ſans
rien auoir cx4
nus. LesTurcs ne s'apperceurent point de ce deſlogement que le iour ploité ſur les
Turcs,
ne fuſt deſia grand, qu'ils virent leur camp & les loges toutes vuides : &
neantmoins ſine ſe haſterent-ils pas d'aller apres qu'Amurat ne futvenu,
lequelcommandaau Beglierbey del'Europe de prendre ceux qui eſtoiët
- - - - - P iiij
176 Liure ſixieſme •

- là preſens, preſts & en eſtat de combattre, & ſuiure les ennemis à toute
bride; & àThuracan Saniaque de laTeſſalie, de l'accompagner pour le
ſouſtenir ſi beſoin eſtoit.L'autre prenant ceux que le Seigneurauoitluy
meſme choiſis,s'en alla à poincte d'eſperon pourrattaindre les ennemis,
de Huniadc. v
a part

sºatºgene mais Iean Huniade qui auoit
nombre preueudes
d'hommes à tout, ayant auſſi
plus aſſeurez & de ſon coſté
vaillans, trié
les alla
embuſcherenvnlieu à propos ſur le chemin : & luy commeil euſt voulu
attendre de pied ferme ceux qui le pourſuiuoient, tourna viſage.Cepen
dant le † del'Europe, tiroit touſiours auant tant qu'il pouuoit à
tTallCfS la † & ſpacieuſe,ſuiuant les Chreſtiens à la †
ſon frereThuracanl'eſtant venu ratteindre luy eſcria : Et que pen1es-tu '
faire mon frere, de charrierainſiàlahaſtevne ſi lourde & peſante maſſe
de gens à trauers cette campaigne raſe, ouuerte de tous coſtez? Certes
tu ne ioues pas au plus ſeur, car les ennemis ne fuyent point,ie t'en veux
bienaduertir; & ſine pourront longuement endurer d'eſtre pourſuiuis
& chaſſez de nous, qu'on ne lesaye ſurles bras,& nefacent quelque dan
ereuſe recharge, veu que par tant de iours, & d'vne ſi grandeardeur ils
† arforcez de nous attirer au combat, & ont monſtré d'en auoir
ſi § enuie,eſtans(ce me ſemble)bien deſpitez que nous ne voulions
deſcendre à la plaine, poury demeſler la querelle à la poincte de l'eſpee.
Parquoyie ſuis d'aduis que nous gagnions ces coſtaux, & le long d'i
ceux les pourſuiuions ſagement, autant que l'œil nous fera co gnoiſtre
u'il en § beſoin.
Ces paroles toutesfois ne retirerent point Chazan
: § ſon premier propos, tellement quel'autre voyant ſon opiniaſtreté, le
uitta là, & auecles forces delaTheſſalie dontilauoit la conduicte,s'en
† tout bellement en bonne ordonnance, prendre ſon chemin par le
bas de la montagne,cependant que Chaſan ſuiuoit touſiours ſes premie
reserres, ſe haſtant le plus qu'il pouuoit de ioindre les Hongres;leſquels
faiſoient ſemblant de fuyr,iuſquesà ce qu'ils l'eurent attiré dedansl'em
†º
Huniade cö buſcade.Alors Huniadevoyant ſon party à propos, ſortit ſoudainement
§ T§s. de furie&impetuoſitéſurlesTurcs,&en fit d'arriueevn terriblemeurtre,
outre ceux qu'il prit priſonniers en fort grand nombre, parmy leſquels
Autrement ſe trouua Carambecfrere de Chatites, &l'vn des enfans de Priam.Tout
† le reſte fut encore depuis pris ou tué àla chaſſe : Mais Chazan ſe ſauua de
# viſteſſe, ſans s'arreſter qu'iln'euſt gaignéla trouppe d'Amurat,auecquel
# ques Yns qur eſchapperent quant & luy. Eſtant arriuéen ſa preſence luy
' dit telles † Helas Seigneur : à quel partyauons nous eſté reduicts,
parlamalheureté de celuy qu'on ſçait aſſez eſtrele plus meſchant de tous
les hommes, & qui nousaainſi trahis & liurez és mains de tes cnnemis.
Car veritablement il eſt trahiſtre, & ne le ſçauroit nier; leur ayant deſ
couuert tous noz conſeils & entrepriſes,& n'a pointvoulu marcherquât
& nous. Ila(dis-ie) reuelé point par point à ſon tres-grand & ſingu
lieramy George Bulc,toute la maniere dont nous leur deuions courir
ſus; ce quia eſtéla ſeule cauſe de noſtre perte & deſconfiture; & que ſi
peu de nous (encore à toute peine) ſe ſont ſauuez à la fuitte. Là deſſus
| Del'Hiſtoire des Turcs. 177
Chatites fils de Priam chargeant ſurThuracan pourl'amour de ſon frere,
vintde plus belles à enfläberle courroux d'Amurat.luy remettant en mc
moire,comme du temps deThuracan ſeiournoit en la hauteMyſie,ayant
le gouuernement de la contree prochaine du Danube,ilauoit touſiours
eu fort grande amitié & intelligence auecle deſſuſdict Bulc, Prince des
Triballiens, de ſorte qu'en faueur & conſideration de cette leurancienne
accointance, & de pluſieurs grands preſens qu'il auoit receuz de luy, il
l'auroit voulu ſupporter en tout ce qu'il auoit peu.A quoy Amuratad
iouſtafoy : & reputant àvne trop grande faute qu'il euſtainſi abandon- , , .
né le General de la Grece, & pris tout expres vn chemin à l'eſcart, l'en- #†
uoyapriſonnieren Aſie,en laville deThochata,là oû il fut gardéiuſques par calomnie.
à ſon retour; donnant le gouuernement de laTheſſalieàvn autre.
V o Y LA l'occaſion & la forme de l'empriſonnement de Thuracan. 1x,
Mais George Seigneur desTriballiens, lequel ne voioit pas beaucoup
d'eſperance ny de reſſource ſur le ſupport des Hongres pour recouurer
ſon eſtat, depeſchavn Ambaſſadeur à la porte du Turc pour ſonder ſa Gººg Deſ
volonté;aſſauoir-mon s'il levoudroit point reſtablirenſes terres, ſoubs #.
condition d'eſtre delà en auant ſon vaſſal & ſon tributaire, & luy donner †"
par chacun an la moitié de tout ſon reuenu : Encore feroit iltant enuers
les Hongres (s'ille trouuoit bon) qu'ilsviendroient auſſi à quelque ap
pointement, Toutes leſquelles choſesayans eſté expoſees en la preſence
d'Amurat, il promit de reſtituer à George & à ſon fils le pays qu'il leur a
uoit oſté, pourueuqu'àl'aduenirilsluy vouluſſent demeurer fideles. Et Arret ,
là deſſus Bulcſceut
ilperſuada ſi bien
à Vladiſlaus gaignerlesvolontez
d'entrerenl'amitié des Hongres,
& alliance que: meſme
d'Amurat Car ce #† ucClCS l llICS.

n'eſt pas peu de choſe Sire (ce diſoit il) que l'Empereur des Turcs t'offre
non ſeulementvne bonne paix & accord, mais de rendre outre cela à tes
confederez le pays dontil eſt deſia en poſſeſſion & ſaiſine; à quoy tuen
tendras ſi tu me veux croire, & par ce moyen tes affaires ſe §
touſiours de mieux en mieux, pour recommencer vne autre fois cette
guerre en temps plusà propos,& auquellavictoire te ſerabeaucoup plus
certaine & ayſee. Ce † le langage qu'iltintau RoyVladiſlaus, lequel ſe
laiſſa perſuaderà ce côſeil & aduis,& depeſcha ſuiuât cela deuersAmurat,
afin d'enuoyer des deputezauecleſquels on peut traicter,& conſequem
ment receuoir de leurs mains les terres dontil eſtoit queſtion. Ce que le
Turc accorda, & dôna plain pouuoir aux ſiens d'arreſter les articles qu'ils
auoient deſia esbauchez: Aſſauoir que le Prince G eorge rentreroit en tesarides &
ſon heritage,
chacun ſous ladecondition
† moitié par luy parforme
tout ſon reuenu miſe en auant, de luy payer
de tribut:Que par la§de
lesHon- paix, qui
fut inconti- s
· gres en aucune ſorte ne moleſteroient plus les pays d'Amurat deſormais: ºº
& les Turcs auſſi ne paſſeroient le Danube, pour endommager celuy de
Hongrie : & par ce moyen que deſlors lesvns & les autres à l'aduenir de
meureroientbonsamis, alliez, & confederez, ſans aucun dol,deception
ne mauuaiſe foy. Toutes leſquelles choſes ils promirent & iurerent reſ
pectiuement parſerment ſolemnel,de garder chacun endroictſoyinuio
I68 Liure ſixieſme
lablement, ſansycontreuenir , neles enfraindre en façon quelconque,
Et pourle regard desValaques, qu'ils payeroient tribut à Amurat, ſui
uant la conuention deſia arreſtee entr'eux : mais au reſte, qu'ils demeu
reroient comme de couſtume, des appartenances & dependances du
Autre expe Royaume de Hongrie. Cela fait,Amurat s'appreſta pour aller contre le
† Caraman- pour-autant que cettuy cy n'auoit pas pluſtoſt eu les nouuel
†" les dela deſcente des Hongres dans les terres d'Amurat,que prenant cet
· te occaſion à propos pour bien faire ſes beſongnes, il ſeietta à l'impour
ueu d'vne grande impetuoſité & viſteſſe ſur les Prouinces del'Aſie, ren :

geant à ſon obeyſſance tout ce qu'il trouua en chemin. Et apres qu'il eut
entendu comme les Chreſtiens s'eſtoient approchez d'Amurat, il s'en
vint auſſi auec ſon armee pour luy donnerà doz, de forte que lesTurcs ſe
voyans enueloppez par deuant & par derriere de ces deux puiſſances en
nemies, furentlors contraincts de ſeparer & diſtraire leurs forces, pour
entendre aux vns & auxautres; ce quileur reuenoit à autant d'affoibliſ
ſement. Cela fut àlaveritél'vne des principales cauſes, qui meut Amu
rat d'appoincter auec les Hongres, voyant le danger qui ſe preſentoit,
afin que s'eſtant deliuré d'eux, il peuſt aller deſcharger ſa vengeance ſur
les §
du ſeul Caraman, qui luy faiſoit continuellement infinis
†" deſplaiſirs & moleſtes. Mais l'autre n'attendiſt pas ceſt orage, car de peur
# IIlllIat §
à toute outrance le courroux & fureur d'Amurat,il enuoya
- - -

' ſes Ambaſſadeurs pour faire ſon accord, preſt & appareillé (comme ildi
ſoit) de le ſeruir, & obeyr & complaire en tout & par tout, & où il luy
voudroit commander : Et que pour plus grande aſſeurance,s'il ne ſe vou
loit'contenter de ſes promeſſes, & ſe fier à ſa parole,illuy donneroit tels
oſtages & ſeuretez qu'ilvoudroit , afin de le mettre hors de doute & def.
fiance.Ce quiaduintàAmurat du coſté de l'Aſie.Mais ce que les Princes
& ſeigneurs du Peloponeſe entreprirent ſur les Prouinces de l'Europe
Bºgues - nous le dirons preſentement.Theodore, qui fut puis apres eſleu Empe
† reur, eſtantarriuéà Conſtantinople, Conſtantin ſurnommé †
§u &
s'envintau
I1V- meſmementPeloponeſe
delavillelàde
oüil ſe mit en
Sparthe, poſſeſſion des leterres
quiregardevers montdedeTauge
ſon frere,
te; enſemble de tout le reſte de la contree, hors-mis de celle de Thomas,
frere del'Empereur, en deliberation de clorre de muraille l'Iſtme ou de
ſtroict de terre qui eſtàl'entree : & neceſſoit de ſolliciter les peuples qui
habitentau dehorsd'iceluy, ſubiects d'Amurat, de ſe reuolter & §
Neri, - lesarmes contre
Thebains, luy : letellement
auec tout plat paysqu'il
de laretira à ſonquantauSeigneur
Bœoce.Et obeyſſance la villed'A
des
thenes, n'ayant pas eule cœur d'eſprouuerla fortune du combat, il luy
offrit de payertribut delà en auant par chacun an:au moyen dequoyl'ap
pointement fut fait entr'eux. Ils'emparaauſſi de la montaigne de Pin
dus, pour leiourd'huy appellee Mezzono, laquelle eſt habitee des Bla
ciens, quivſent du meſme langage que les Valaques, & ne different en
rien de ceux qui font leurs demeures au long de la riuiere du Danube.
\. Ceux cy s'eſtansvenus rendre àConſtantin,ſe mirent de là en auantà faire
De l'Hiſtoire des Turcs. 179
la guerre auxTurcs delà Theſſalie,ſous la charge &conduicte de telchef
u'il leurvouloit enuoyer Auregard de Leodoricium, qui eſt vne pe
titevillette ſituee en la contree des Locriens, tout ioignant la deſſuſdi
temontaigne de Pindus, du coſté meſme delaville de Phandrium, elle
auoit accouſtumé de prendre & receuoir ſon gouuerneur de la main du
Turc, mais les Arabeens Albanois, qui habitent ceſtendroictdelamon- -

taignelequel s'allongeverslepays d'Achaye,ſous ſa permiſſion & con-


ſentementadminiſtroient eux meſmes leur choſe § : Tous ceux -

cyneantmoins ſe rengerent au party des Grecs. AinſiConſtantin ayant . .


aſſemblé tout le Peloponeſeau deſtroict,ſe mit à le fermer de muraille, d†
meſme,
&ſe haſtadel'acheuerau
quieſtoit ſon vaſſal,
pluſtoſt
& dreſſer
qu'il les
peut,
attelliers
car il par
y fittout,puis
venir ſond'epar-
frere †
P ſ

titl'ouurage partaſches, autant que chacun en pouuoit mener à finence


peude iours qu'illeur limita. Cette cloſture paracheuee, il ietta ſes for
ces en campaigne, & les enuoya ſurles terres duTurc, courir & fourra
ger, en ſorte que deſiailluyfaiſoit la guerre à bon eſcien : Mais Homur
filsdeThuracangouuerneur delaTheſſalie ayant fait diligence d'aſſem- ,
blerſes forces, s'allaruer ſur la ville deThebes, & le territoire d'Attique, †
oùilporta vnfort gros dommage,puiss'en retourna chargé de deſpoüil-"
les & de butin : Et là deſſus Neri Seigneur d'Athenes,voyant que les af
faires desTurcs commençoient vne autrefois à renaiſtre, & rentrer en
leur premier bon-heur , & proſperité accouſtumee , enuoya à la porte
pourfaire ſa paix; deſirant (ce diſoit il) de retourner en la bonne grace
d'Amurat, & continuer à cette fin de luy.payer par chacun an le tribut
qu'ilſouloit, Les Ambaſſadeurs furent fort bien receusº & remporte
rent ce qu'ils demandoient, ſous les conditions par eux propoſees. -

· OR eſtoit ce Nerinatifde florence, & auoit trouué le moyen de par- s # .


uenir à la Seigneurie del'Attique parvne telle façon : Car Anthoine fils, #
par quels mo
de René l'ayant faict venir d'Italie,& ſon frereauecluy,leur fit toutplein §
de biens & faueurs à tous deux, & les tint touſiours au rang de ſes plus †
intimesamis, & proches alliez; leur donnant penſion & eſtat pour s'en-º
tretenir honorablement. Mais apres que tout à coup il fut mort d'vne
' apoplexie quile prit en dormant, ſa femme enuoya deuers Amurat, afin :
d'eſtre par luy maintenue en la ſeigneurie de ſon mary, appellé auec elle
l'vn des principaux & mieux famez citoyens ( qui luy eſtoit proche pa- tº pa &
rent,le propre pere de moy,qui eſcrislapreſente hiſtoire) & fut luy meſ #s
me commisàfaire ce meſſage, pourallemauecvne bonne ſomme de de-†
niers, pourfuiure cette principauté de l'Attique, & de la Bœoce. Mais itoire.
tout auſſi toſt qu'il fut party, ceux qui eſtoient les principaux en da ville,
meuz d'enuie & de deſpitàl'encontre de luy,moyennerent par belles pa- .. , ,
· roles de faire deſcendre de lafortereſſe de l'Acropolis,la Ducheſſe veufue †"
de feu Anthoine, laquelleapres ſa mort s'y eſtoit retiree à ſauueté, & mi
rent le gouuernement de la ville & de l'eſtat, és mains des plus proches
parens d'iceluy; chaſſant dehors toute la race d'elle. Et ainſi ſe firentles
plus forts: toutesfois eſtans depuis retournez àfaire alliance auec elle par
-
- "
18o Liure ſixieſme
le moyen d'vn ſien fils adoptifqui n'eſtoit point autrement de mauuais
naturel,ils luy mirent le chaſteau entre les mains, dont tout incontinent
apresils le debouterent, & s'enſaiſirentderechef, parquoyle gouuerne
ment leur demeura entre les mains, carils auoient entierement mis de
, teperede hors toute noſtre famille. Et Chalcondyle d'autre coſténe fut pas plus
# toſtarriué en la preſence d'Amurat, qu'illuy fit mettre la main ſur le col
A"t let, voulant nomméement (comme il diſoit ) qu'il luy rendiſt le pays
Mon pere luy offroit bien trente mille eſcus,mais celan'eut point de lieu.
Et comme ſur ces entrefaictes il eut le vent de l'armee qu'Amurat auoit
faict partir pour s'allerſaiſir de laville deThebes, enſemble de toutlere
" ſte de la Bœoce, ilſe mit lors à eſpier ſoygneuſementles moyens qu'il y
auroit d'euader; ſi bien que s'en eſtant vn iour offerte l'occaſion , il ne
s'amuſapas à faire trouſſer ſon pauillon, ne ſerrer bagage, mais gaigna
au pied tout doucement le droict chemin de Conſtantinople;oüſans fai
re aucun ſeiourilmonta ſurmer pour tirerau Peloponeſe : mais la fortu
tune luyfut ſi contraire,quelesvaiſſeaux des Seigneurs de l'Attique qui
s'en aloientvoguans çà & là àl'aduentute, le rencontrerent, & fut par
euxpieds&poingsliezremmenéà Amurat, lequel toutesfois ne luy fit
aucun mal, ains luypardonnale tout. Et comme l'on demanda à ceux
quil'auoientamené les trente mille eſcus qu'ilauoit offerts,ils firentreſ
ponce que cela eſtoit entierement hors de leurpuiſſance : † fut la cauſe
des maux & outrages, que lesTurcs eſtans en garniſonenla Theſſaliefi
infidelitéde rent dedans le territoire d'Attique. Neridoncques eſtantvenu à la prin
† cipauté, ſe monſtra tout du commencement ſimol & effeminé, que ſon
†. propre frere Ahthoine luyayant braſſéſous main ie ne ſçay quelle me
§ nce, le depoſſeda, & s'introduit en ſa place : mais apres ſa mort Neris'en
eſtant alléà Florence, fut par le moyen de ſes citoyens reintegré en ſon
eſtat. Et là deſſus pour autant qu'ils'eſtoitligué aux Grecs, & auoit pris
les armesauec eux, le gouuerneurdelaTheſſalieluy vint courir ſus, &
gaſter tout ſon pays , dont il ſe trouuaſi preſſe, qu'il fut à la parfin con
-

c†" trainctdes'accorderauecles Turcs. Les Grecs n'en eurent pas pluſtoſt


les nouuelles qu'ils prirent lesarmes contre les Atheniens parquoyilde
· peſcha vn courrier en toute diligence deuers Amurat, pour luy faire en
tendre le danger où il ſe trouuoit, & comme les autres le tenoient fort
eſtroitementaſſiegé dans la ville meſme d'Athenes,faiſans tout leur ef
fort de la prendre. Thuracan gouuerneur de la Theſſalie l'en aduertit
pareillement, & l'enhortoit d'aller aſſaillir le Peloponeſe pour diuertir
leur entrepriſe ;mais tout cela aduintlon# temps apres, car pour lors ce
Negociation Neriiºw comme nous auons deſia ditcy deuant, auoit eſté par le Duc du
§" Peloponeſe frere del'Empereur reduictàluy eſtre tributaire. Ainſi paſ
ſtantinople ſerétles choſesàcelle fois,pourleregard des Grecs,&desaffaires du Pelo

†,
& les Princes poneſe.Quant
i à l'Empereur de Conſtantinople,&de ce qu'il fit,nous en
† parlerons doreſnauant. Comme doncquesil ſceut quel'armce de Hon
pour recom
§" grie s'en eſtoit retournee, & qu'à l'inſtigation du Prince George ils a
† uoient faictappoinctemétauecAmurat,il depeſcha deuers le pape, pour
- - . luy
Del'Hiſtoire des Turcs 18
luyremôſtrer que ſiles galeres & vaiſſeaux du Ponantvenoient en l'Hel- .
† pour clorreaux Turcs le paſſage del'Europe, on pourroit fort .
aiſément en auoirla raiſon : car c'eſtoit choſe touteſeure , que ſi Amu- .
rat n'auoit ſinon les forces de † ſe garderoit bien de hazar
derlabataille contre les Hongres Delà, ilsauoient charge de paſſeroti
tre vers le Roy de France, & le Duc de Bourgongne, pour leur rafraiſ.
chirla memoire de la deſconfiture quelesleursauoient autresfois receuë
du temps de Paiazet,par lafaute & ignorance de l'Empereur Sigiſmond,
dont ils ſe pouuoient bien véger à cette heure s'ilsvouloient, & leur ren
Armee de
drela pareille. Le Pape de ſon coſtéarmadix galeres, & dixautres qu'on mer pour al
ramaſſa çà & là, toutes bien fournies & equippees de§ & munitions ſtroit
lerſaiſir le de
de l'Hel
de guerre,leſquellesvoguerent,en Leuant Étau reſte ſa ſaincteté man- leſponte.
daàl'Empereur Iean de fortbonnes paroles, comme eſtant preſt & ap
pareillé de faire tout ce qu'il voudroit de luy. Eſtant arriuee cette flotte
en l'Helleſponte, elle fit fort bien ſon deuoir d'empeſcherà Amurat la
paſſage de l'Europe,tout le longdelamarine de Macedoine du coſté de
l'lonie. Et comme le bruict fuſt volé de toutes parts, que les Hongres
eſtoient en armes, & s'envenoient à grande diligence droict en la Thra
ce, pour en mettre lesTurcs & Amurat dehors,( car il eftoit bruict par
tout de ce grâdappareil, & que tousles paſſages de lamer eſtoient deſia
clos & ocupez par lesgalleres des Occidentaux)il n'y eut lors perſonne, .
qui ne priſt courage de recouurer ſon pays, & n'euſt bonne eſperance d'y
rentrer,en quelque ſorte & maniere que le ſort de la guerrevinſtàtober,
Entre les autres Zenempiſasle fin beau premier ſortant de la Macedoine chef Zenempiſas
des Alba
aucclesAlbanois quiy eſtoiéthabituez,ſevintruer ſur le territoire d'Ar-§ ' te contre les
º
gyropolichné, rafflant toute la plaine qui s'eſtend iuſques · en Caſtoric. § 3
MaisTherizes gouuerneur de Bœrhare, ayant en diligence aſſemblé les º"
Tartares d'Azatin, & lesTurcs qui eſtoient à la ſoulde d'Amurat, auec- .
quesvn bon nombre de Bœrhaeens, & de ceux deTherme, & de Limna,
luyalla àl'encontre,& le ſurprit au dcſpourueu, qu'il eſtoit encore en la
contree de Caſtorie,oûil le dcffit,& tailla en pieces pluſieurs Albanois,&
autres encore,auecleur colonnel Zenempiſas, qui demeura ſur la place:
Leſquelles choſes paſſerentainſi en Europe,là oûtout eſtoit en trouble
& combuſtion ; chacun ſe haſtant d'accourir au recouurement de ſes
biens, comme àvne moiſſon & recolte de grains non encore paruenuë .
à maturité,ainſi quele ſuccés des choſes le monſtra depuis.Neantmoins desL'appareil
Hongres
les Turcs entrerent lors CIlVIl fort grand eſpouuentement,voire preſque eſpouuenta
ble auxTurcs.
en deſeſpoir deleurs affaires, eſtimans que c'eſtoitfaictd'eux à cette fois,
& qu'ils ne ſe pourroient iamais † de l'aſſaut des Hongres, & de
tant de peuples conſpirez contr'eux. Parquoy ils ſemirent à remparer
leurs murailles,par tout où ils trouuerent quelque commodité d'atten
dre vn ſiege:Et
les troubles cependantpreſentes.
& eſmotions eſtoientaux eſcoutes que pourroient deuenir
• • * ' !

XI.
D'AvT R e part le Cardinal Iulian Legat du Pape, homme fort ver-†"
*, , - ſT, • - - - - - , Iulian Ce - - -

ſées vs & cöſtitutions de Rome,eſtoitaprestât qu'il pouuoit à inciterles ſatin Legat


182 Liure ſixieſme
du Pºp rºpt Hongres de prendre lesarmes contrelesTurcs : les diſpenſant par l'au
# thorité du Pape du ſerment qu'ilsauoient preſté outraicté de paix,lequel
† eſtoit fort expres, aînſi qu'on peutvcoir quandil fut leu en lapreſence
deleurruine de tous. Et eux de leur coſté eſtoient pouſſez d'vne certaineimpetuoſité
àl'entrepriſe des pays qu'Amurattenoit en Europe, eſtimâs les trouuer
vuides & deſnuez de deffence à cauſe de ſon eſloygnemét en Aſie, où
les affaires du pays le detenoient, & pourtant les recouureroient fort à
l'aiſe: pource † les galeres du Pape, qui eſtoient deſia arriuees à la bou
che del'Helleſponte,luy empeſcheroientle paſſage.Ce quel'Empereur
de Conſtantinople leur confirmoit de plus en plus, les aſſeurant qu'A
| murat, quelque effort qu'il ſceuſt faire, & deuſt-ilremueriuſques àla
derniere pierre,ne paſſeroit point deçà la mer.Au moyen dequoy les Hô
gres firent paix auec ceux de Boheme,ſurles differens qu'ils auoientàde
meſler enſemble,leſquels auoient eſté le principal motifde faire venir les
Hongres à vn † auec Amurat.Etles Bohemes meſmes s'apreſterent
pouraller à cette guerre car ce qui les auoit le plus incité de faire appoin
tement, eſtoit qu'ils reputoient à choſe fort loüable, de laiſſer leurs ini
mitiez & querelles,afin de ioindre & vnirleurs forces enſemble, & d'vn
commun accord puis apres s'en aller courir ſus à ce grandennemy du
, laguerrede nom Chreſtien.Ils attirerent quant & quant à la ligue, Ducas, & Dracu
† la fils de Myrxas,lequelſemonſtrafortprompt & deliberéà cette entre
†, priſe,offrantvn § de dixmille cheuaux.Etauregard de George Sei
Vº" ' gneurdesTriballiens,ils eſſayerent bien tout ce qu'ils peurent pour l'eſ
mouuoirà eſtre de la partie,toutesfois il n'y voulut oncq entendre, alle
guant eſtre choſe trop deteſtable de fauſſerainſiles promeſſes iurees d'v
ne part & d'autre,& commencerles premiers de les enfraindre & y con
treuenir,ſans qu'on leur en euſt donné occaſion.A tout euenement,ſiles

ſe doit garder choſes ſuccedoient bien pour le RoyVladiſlaus & les Hongres, il eſpe
indifferºment roit de les a paiſer facilement par le moyen de quelque argent:& neant
- - -

§# moins il ne laiſſa deluy faireremonſtrer ſous main, qu'il ne deuoit point


ainſi entreprendre laguerrealavolee contre les Turcs, dont la puiſſance
eſtoit deſia trop à craindre,& ne ſe pouuoit aiſément renuerſer & mettre
bas,aumoins parles forces de Hongrie.De faitilvoyoit bien que leurap

pareil & eſtoit tropfoible pour les chaſſer hors de l'Europe, y
· eſtans en ſi grand nombre & tous bons hommes de guerre, endurcis &
accouſtumez deviure à la campagne ſous des tentes & pauillons , ſans
recognoiſtre autre meſtier,exercice ny occupation pour gagnerleurvie,
que celuydesarmes:Etau reſte de ceſte nature, que quand on penſe les
auoirreduitsàlaplusgrande extremité,c'eſt lors qu'ils monſtrent & font
paroiſtreleur vertu & proëſſe par deſſus tous les autres peuples de la ter
re.Toutes ces choſesicyle Prince George taſchoit de ramener deuant
les yeuxau Roy § & toutesfois il n'en tint compte,mais deſlo
geant de laTráſſiluanie s'en vint paſſer le Danube auec toute ſon armee,
& cntra dans le pays d'Amurat,oüilſe campalelongdelamarine de Do
brodicie,ésriuages du pont Euxin: & delà s'envint mettre le ſiege deuât
2 - © -

De l'Hiſtoire des Turcs. 183


la ville par
Varne de Calliacre, & celle
compoſition, de Varne,leſquelles
& l'autre d'aſſaut : Caril les
prit, aſſauoirdecelle
Hongres de §
plaine vºne antie O•

abordeegaignerent fortviuement le haut de la muraille, & delà s'eſtans


iettez d'vne grande impetuoſitéau dedans, ſaccagerent miſerablement
cette pauure & deſolee place,dontils enleuerent grand nombre de pri
ſonniers. Cela faict,prirent le chemin d'Andrinople,& de Conſtantino- r†
ple, Ce temps pendant Amutat eſtoit empeſché autour du Caraman, #º "
dontil pilloit & ruinoit le pays:& apresauoirfaictvn grand butin debe
ſtes à cornes,& de cheuaux s'en alla aſſiegerlechaſteau de Cogni, car le
- Caraman s'eſtoit retiréauxmontaignes,& faiſoitlà ſon compte de reſi
ſter.A la parfin toutesfois il enuoya des deputez deuers Amurat, comme
nous auons deſiadit, offrant donner des oſtages, & meſme ſon propre
fils:En outre de redoublerletribut qu'il ſouloit payer chacun an. Com
me doncquesileſtoitapres à § ces conditions, ſuruint le courrier
que le Prince desTriballiensauoit depeſchéàAmurat, pour l'auertir de
la deſcente des Hongres,quiauoient deſia paſſe le Danube : dequoyil ſe
trouua fort ſcandalizé,& fut la cauſe de le † plus aiſément condeſcen
dre à pardonnerauCaraman, nonobſtant les faſcheries & ennuis qu'il
luy faiſoit ainſi à toutes heures: Et ayant pris lesoſtages qu'il luy donna,
enſemble vn ſien fils,il retira ſon armee.Maisil eſtoit cependât engran
de perplexitéd'eſprit,de ce† l'armee de mer des Italiens,& autres peu
ples du Ponant,auoient deſia occupé toute la merdel'Hclleſponte; par
† ilnevoyoit point de moyen qu'il peuſt paſſer en Europe,aumoins
ipromptement commel'affairelerequeroit. Si ne laiſſa-il pourtanrd'y
faire acheminer ſon armee en diligéce,eſtât deliberéde deſloger à coups
decanô,lesvaiſſeaux desChreſtiens qui ſe preſenteroiét pourluyem †
cherle paſſage:Car ceſtendroit de la Propontide eſtfort eſtroit & ſerré;
& yavnefortereſſe qu'on appelle la tour Sacree, qui commande àl'vn & #
l'autre riuage.Orcommeilyfuſtarriué, diſcourant en ſoy-meſme quel #e
partyil pourroit prendre pourtranſporterſes gens à l'autre bord, il n'y
trouua plus les gareles, carle temps auoit eſté ſi rude & impetueux par cnºah ,
pluſieurs iours,qu'il n'euſt eſtéaucunement poſſible auxvaiſſeaux de de-†
W |» - - repaſſer ſifa
meurer àl'ancre,ny de parerauvent en toute la Propontide ; tellement §
l'ayant trouueevuide & deſnuee de toutereſſiſtence,il paſſaluy & ſes gés †"
tout à ſon aiſe en Europe;oüiln'eut pas pluſtoſt mis le pied en †
depeſcha l'vn de ſes gens àl'Empereur de Conſtantinople, pourluy faire
entendre comme il eſtoitaudeçàſain & ſauue, & s'en alloit trouuer ſes
ennemis, afin que ſans aucune remiſe ne delay,il ne fiſtfaute d'aſſemblcr
toutIncontinent ſon armee pourſevenir ioindre à luy. .

Finiſsijneliure - · · · · · ·

- _ - --- --
-

184
LE SEPTIESME LIVRE
DE L' H I S T O I R E D ES
T V R C S, D E LA ON I C CHA L
- coNDY L E A T H E N I E N.

soMMAIRE, ET cHEFs PRINcIPAvx


du contenu ence preſent liure.
Le ſoucyen quoy eſtoit l'Empereur Iean de cette vieſolitaire & oiſiue, & re
Paleologue,deſe declarerpourAmu prendle maniement de l'Empire.
ratoupour les Chreſtiens, auſquelsfi Chap.6. -

nablement il inclina. . Chapitre 1. Secondvoyaged'Amuratdeuant Croye,


La bataille de Varne où le Roy Vladiſ dontileſt contrainct de ſe leuer pour
lausfuttué,erſonarmeeentierement allercombattre Huniade, qui auoit
· deffaitte. Chap.2. aſſemble vne autre armee pour luy
Iean Huniades'eſtantſauuédeladeſcon courirſu. ,. Chap.7.
fiture,tombeés mains de Draculaſon L'ordonnance des deux batailles,Turque
mortelennemy,lequell'ayant deliuré & Hongreſque; auecvne facetieuſe
· à l'inſtant des Hongres,fut depuismis hiſtoire d'vn ieune ſoldat Turc.
à mortpariceluyHuniade. Chap.3. Chapitre. s.
L'Empereur de Conſtantinople faiét ſa La groſſe bataille donnee és plaines de
paix enuers Amurat : Diſſention de Coſobe,où les Hongres & Valaques
ſonfrereTheodore auecluy : lacloſtu furentdeſconfits. . Chap. 9.
re de l'Iſtme priſe d'aſſaut par les Diuerſes aduentures&rdangersſuruenus
Turcs, & quelques places du Pelo à Huniade,à ſa retraitte de la iour
poneſe encore. . Chap.4. neede Coſobe. Chap. Io.
· Expedition d'Amurat contre Scander | Noiſes & diſſentions entre les freres de
# Seigneur d'Albanie; la priſe de · l'EmpereurIean Paleologue, pour la
· · Sphetiſgrad, & Getia; & le ſiegede ſucceſſiondel'Empire apresſon decés:
· Croye. . | | Chap.5.| La mort d'Amurat, & le commen
,
2 -

| Amurat,ſuiuantlevauparluyfaictà la|. · cement duregne de Mechmet ſecond,


-

' bataille de Varne s'eſtant mis en vn leplusbraueguerrierde touslesOtho


· Monaſtere,s'ennuyetout incontinent | ,: mans. .. , Chapitre II.
g)@# ES nouuelles mirentl'Empereur en grand eſmoy & per
#$N$ plexitéd'eſprit,pour n'auoir ſceu empeſcher aux Turcsle
# paſſage del'Europe,oû ſans trouuer aucune reſiſtenceils
Irreſolution #%NNN)$
# auoient pris terre ſiàleuraiſe. C'eſtoit à la verité ce qui
del'Empereur
de Conſtanti- * Q) # luy peſoit le plus ſur le cœur : pourtant diſcouroit-il en
il r, III"IfI

nople en la
uerre des
* ſoy-meſme lequel des deux luyſeroit plusàpropos,&vti
ongres cö
le pourl'heure preſente,ou de diſſimuler & s'entretenir en lapaix & ami
tre Amurat. tié d'Amurat,oubié de rôpreauecques luy,& luy denoncerla #
ournir des
ſila paix auoitlieu, cela eſtoit bien certain qu'il luy faudroit
Del'Hiſtoire des Turcs. 185
viures à point nómé,& toutes autres choſes neceſſaires pour ſon armee,
cepédant qu'elle trauerſeroitle Royaume de Pont ; dequoyils'aſſeuroit
bien que les Hongres luy ſçauroientmauuais gré,& que partrait de téps
illuy en pourroit venir de l'ennuy & faſcherie,s'ils auoiét le deſſus de cet
te guerre,tellement qu'iladuiſa pour le mieux de ſuiure leur party, & ſe
declarer tout ouuertement côtre Amurat. Mais Chatites fils de Priá eſtár
encore bien affectionnéenuers les Grecs, ſelon ce que depuis on a peu
voir par ſes lettres, n'aduertit pas ſon maiſtre cruëment de cette delibera
tion,ains leurconſeilla de ne rompreſi toſtauecques luy, que premiere
mentils n'euſſentvn peu mieux penſéau traict que ceſtaffaire à la parfin
pourroit prendre.Ce temps-pendât Amuratayant eu nouuelles comme
les Chreſtiens eſtoiét deſiabienauât en pays,ſe mit en chemin pour leur
aller àl'encótre,recueillant de coſté & d'autre les forces qui eſtoient çà &
là eſpanduës par l'Europe:Et tout auſſi toſt † les euſt approchez, il #
aſtuce d'A-,
trouua moyé de gaigner le derriere,pour taſcher àleur couperles viures. IIlUlIat,

les ſuiuât en queuë de logis enlogis,& ſe câpanttouſiours au meſmelieu,


oüilsauoiét logé leiourpreccdét: Que ſid'auentureles autres ne faiſoiét -

traicte entiere,il s'arreſtoit ſemblablemétàmy-chemin, en quelque lieu


propre & aduantageux.Etainſi
&D
continua durât quatre iours, tout expres Tresbellee
numeration
pourrecognoiſtre quel nôbreils eſtoiét leurforme demarcher & ſe met-†
treenbatailleicome c'eſt qu'ilsvoudroientprocederen cetteguerre ſiſe †
trouuans eſtónez deſa ſoudaine ſuruenuë,ils rebrouſſeroient point tout †
e,eſtant pres
court en arriere, ou bien ne faiſans cas de luyils voudroient paſſer outret§
ſiles choſes alloient en leur camp par bon ordre & conduicte : qui e my.
ſtoient ceux qui y commandoient : s'ils s'accordoient bien enſemble:
& s'ils eſtoient envolonté devenirtoſt à la bataille, outirerla guerre en
longueur : s'ilsauoient abondance ou difficulté deviures : & toutes tel
les autres particularitezd'importance, donton ſe peut inſtruire, ſi on
tient ſon ennemy de pres. Amurat doncques temporiſa ainſi quatre
iours, ſuiuant continuellement les ennemis à la trace.Mais au cinquieſ
me, Iean Huniade qui auoit ſoigneuſement remarqué cette contenan
ce & façon de faire, † aſſembler # conſeil au pauillon du Roy de Hon
grie pour aduiſers'il faudroit tout de ce pastenter le hazard du combat,
ouſeietter plusauant dans le pays de l'ennemy.L'opinion de tous fut de
combattre ſans differer d'auantage, & pour cette occaſions'arreſterét en
ce meſme logis, afin de ſe preparer pourle lendemain Amurat d'autre "
coſté qui pourbeaucoup de conſiderations ne vouloit pas tirerles choº
ſes en longueur, meſmement pour ne ſouffrir point gaſter ainſi ſon
pays deuant ſesyeux, s'en vint § ſon camp aſſez pres de celuy des
Chreſtiens,en la meſme plaine où ilss'eſtoient deſialogez,& ſe fortifialà
à la mode accouſtumee, quiſe faict en cette ſorte. Les Genniſſaires tout Mededea.
premierement
fichez en terre,font vn parquet
& accouplez l'vntout autour
à l'autre d'cux
auec des fermé
chainesdedegros
fer paux †.
, qui § de ſon

paſſent autrauers: Et † part que le Turc marche, les chameaux


portét cette cloiſon à ſa ſuitte, auecles armes d'iceux Genniſſaires qu'oa
Q.iij
186 Liure ſeptieſme
leurrebaille quandl'occaſions'en preſente. Aumilieu d'eux tous, ſont
dreſſezles trefs,tentes & pauillons pour ſa perſonne; enſemble des Baſ
ſaz,& autres grands perſonnages de la porte, & de tous les courtiſans.
Apres les Genniſſaires, ſont arrengez grand nombre de pauois & de
targues, & puis les chameauxau deuant Qui eſt à peu pres l'ordre de la
porte, quand le Seigneureſten ſon camp: & en vſa ainſi à celle fois, là
oùlesarmees de l'Europe eſtoient à la main droicte, deſquelles eſtoit
Beglierbey ou general,Carats homme de fort grande valeur & eſtime
parmylesTurcs : & àla gauche celles de l'Aſie , departies par trouppes
& eſquadrons, peu diſtans les vns des autres,afin de ſe pouuoir ſecourir
ſi l'occaſion s'en preſentoit ; autrement la cauallerie Turqueſque ne
pourroit pas combattre à ſon aiſe,ſi elle n'eſt ordonnce de ſorte,que leur
- gens de pied (tous harquebouziers & hommes de traict) ſe puiſſent
† eſtendre en manches, & en poinctes.Mais cependant les Chreſtiens ne
§, dormoient pas nomplus; car ils ſe rengerent en bataille d'vne fortbel
le maniere, tout auſſitoſt que leiour commença à poindre; eſtant Iean
Huniade celuy quiconduiſoit le tout, comme l'vn des meilleurs & plus
excellens Capitaines de ſon temps.Apres doncques qu'il eut ordôné les
Hongres à lapoincte droicte,& les Polonois & Valaques àla gauche, &
queluyauec le Phaſe,(ſe ſont ceux qu'on appelleles Bitaxides)fuſt preſt
d'aller cômencer la premiere charge, le RoyVladiſlaus par ſon conſeil &
aduis s'eſtant allé mettre tout aubeau milieu de ſon armee, vſa d'vn tel
#ºg ºu langage. Puis qu'il a pleu à Dieu, pour le ſeruice duquel nous ſommes
† icyvenus(trefchers & loyaux compagnôs) de nous auoir amenez ſains
† & ſauues,iuſquesàlaveue des ennemis de ſon ſainct nom, & nous döner
le moyen & commodité de les combattre en lieuſi à propos , il ne reſte
plus que de vous exhorter,non point à monſtrerce iourd'huy voſtre va
leur & proëſſe,car de celaie n'en faicts doute,maisd'vne choſe ſeule,c'eſt
d'aller§ en beſongne,& ne vous perdre point parvne trop grâ
de animoſité,quand † l'ardeur du combat à l'encontre de ces
ens-cy,qui ſont beaucoup plus dangereux,& à craindre rompuz,& deſ
§ † fuitte,que lors qu'ils ſont encores fermes & entiers.Ayez dó.
ques bien † & que tout l'effort que vous ferez ſoit touſiours
eſtans ſerrezen bataille s'il eſt poſſible,ſansvous eſchauffertrop inconſi
, derémentàles chaſſer & pourſuyure,nyvous amuſerautrementau pilla
Ge des richeſſes,que parauentureils vous expoſeront tout expres pour
vous mettre en deſordre, & les retirer puis apres devoz mains auec les
voſtres propres, & les vies encore. Mais ſi vous voulez auoir la patien
ce d'obeir à voz chefs, commeàlaveritéil faut que vous le faciez, & at
tendre que tous empeſchemens & obſtacles vous ſoientleuez, ie nefais
doute qu'auiourd'huy nous n'emportionsl'vne des plus nobles & illu
ſtres victoires, qui ayt oncques eſté obtenuë ſur les ennemis du nom
t#ill
I.
Chreſtien.
> •- -

## I L n'eut pas pluſtoſt mis fin à ſon parler , quc Huniade auec ſa troup
†" pe deſcocha d'vne grande roideur & furie ſur les premieres trouppes de
2 • Ai 0 , " -

Del'Hiſtoire des Turcs. 187


' l'Aſie, dont la plus part ſe mit incontinent à fuir à vaude routte, auant
que deveniraux mains, & le reſte ne la fit pas longue apres , tellement
que luy & ſes gens les ayans chaſſez vne bonne piece, ſans ſe trop eſcar
ter forces
les toutesfois, en tuerent
de l'Europe, quigrand nombre.Ilne
eſtoient reſtoit
encores toutes plus à car
entieres, Amurat que meilleurs
perſonne #s hö--
mes de †º
n'auoit donne deſſus, & attendoient comme les choſes paſſeroient. De †,
moy ie ſuis d'opinion, qu'outre que ces gens là ſont ſans comparaiſon ººº
beaucoup meilleurs combattans que les Àſiatiques, c'eſt leur ordinaire
de iamais ne branſler tant qu'ilsvoient leur Prince demeurerferme : que
ſid'auenture il faict quelque contenance de reculer (ainſi que par fois il
aduient)ce n'eſt pas pourtant pour fuirà toute bride,& en deſordre ſans
ſçauoir oû, mais ſe retire au grand pas vers le fort que nousauons dit c
deſſus, auecſes Genniſſaires quiiamais ne luy § là ſe ral
lient incontinent aupres de luy, ceux qui ſe ſeroient eſcartez & eſpanduz
çà & là : CarlesTurcs ſurtouslesautres queie ſçache apres les Tartares, †º
ſont fort aiſezà ſe desbander & prendre la fuitte; & ſi pour cela ce n'eſt §
pas legiere choſe de les deffaire, & acheuer de rompre, parce qu'ils ſeral-§
lient bien toſt, & retournent de nouueau au combat, plus aſpres & cou- - -

rageux qu'auparauant. OrlesValaques d'vn autre coſté s'eſtans apper-† #


ceuz comme les Albanoisauoient quitté la place,& fuyoient à tous enuis †
& toutes reſtes,ne ſe peurent teniraulieu de pourſuiure la victoire con-§e
- - - 2 • | > lus ſouuent
tre ceux qui eſtoient encore debout, des'aller ruer ſurlelogis d'Amurat, §
où ils pillerent ſon threſor, ayansmis à mort les chameaux qui ſeruoiét #"
de remparau deuant; tellement que tous chargez de richeſſes & de deſ
§oüilles,ils ſe retirerent en leurs logis,ſans plus vouloir manger du com-
, ny preſterl'oreille à choſe qu'on leur diſt; occupez ſeulement à reui
,

ſiter leur buttin, & le mettre à fauueté. Mais Huniade apres auoir rom
pu & tournéenfuitte les trouppes del'Aſie(côme nousauons deſia dit) #
vinttrouuerle Roy Vladiſlaus,pourluy faire faire haut auec ſa cornette, Hºniadº
au propre lieu où il eſtoit; &l'aduertir de ne permettre que perſonne ſe
desbandaſt à chaſſerles fuyards,à celle fin que ſi enlarecharge qu'ilalloit
faireilluyaduenoit quelque deſaſtre, & qu'il fuſt repouſſe, il euſt pour
ſe retirer à ſauueté ce gros hourt, comme pourvn §& fortereſſe.Et
toutincontinentapres s'en alla attaquer ceux de l'Europe, qui eſtoient à
la main gauche d'Amurat,là où ilyeut vn fort rude conflict , ſe rembar
ranslesvns les autres chacun à ſon tour,iuſques dedans leurlogisiCarde
plaine arriuee les Hongrescontraindrentles autres de s'ouurir, & les me
nerent battans bien pres de leur camp; mais les Turcs s'eſtans ſoudain
ralliez & repris leurs eſprits,les mirent euxmeſmes enfuitte vers le leur.
Etainſi ſe continua la meſlee à charges & recharges, ny plus ne moins
qu'vn ieu de barres parvne bonne † de temps,ſibien qu'il y eut tout
plain
neral de
deſgens tuezCaratz,
Europe d'vne part
qui&fut
d'autre,&
porté parmeſmement le Lieutenant
terreroide mortd'vn coupge-
de † Begli -

eſbei de l' Lu
enquoy Amurat fit vne perte irrecouurable, & le regretta fort rope
lance ; tué en
cette rencon :
-

onguement depuis:carill'aimoit, & eſtimoitbeaucoup pour lavaillance uº


Q iij
188 Liure ſeptieſme
tºunºde & preud'hommie. Orleslances des Hongres & Allemans, enſemble des
† autres peuples Occidentaux ſontfort longues, & ont de meſme le fer
† long & delié: Ils ne les lancent pas au loing hors de leurs poings à guiſe
§ de § & iauelots, mais les couchans de droit fil contre leur ennemy,
" iointla force & roideurducheuallequel eſt celuy qui fait tout l'effort,ils
en font de merueilleuſes fauſſees. Que ſid'aduenture elles ſeviennentà
rompredelapremiere rencontre (comme le plus ſouuent iladuient) ils
mettent la main à des cſtocs longs & trenchans des deux coſtez, tous
droicts, & fortaiſez à manier, dontils fontvne fort grande execution,
† principalement parmy des gens malarmez là oü les cimeterres desTurcs
res des Turcs 2 2

† † ſont courbes, & auec ce fort lourds & peſants, n'ayans qu'vn tren
§ a § chant,varient fort aiſément au poing de ceux † les mettent en beſon
nier que les gne. Et n'eſtoit les cheſnes ou cordons dont elles ſontretenues aux bras,
eſpces des
†" du beau premier coupellesvoleroient emmylechamp Bien eſtvray que
# Plus pº mortel,
4Il E• là où ellesque
aſſenent à bondes
des eſpces eſcien, l'eſchecOccidentaux.
Chreſtiens en eſt bien plus dan gereux
Durant &
ce gros
eſtour contre les forces de l'Europe, en quoy on ne pouuoit encore ap
perceuoir aucun aduantage,au moins qui fuſt gueres apparentnycertain
pourl'vne part ny pourl'autre, ceux qui eſtoient aupres du Roy Vladiſ
# laus, enuieux & ialoux de la gloire de Huniade, & du deuoir qu'ils luy
# voyoientfaire deuantlesyeux deleurPrince, cependant qu'ils eſtoyent
†" à le contempler, ayant deſia rompu & mis enfuite toutes les armees d'A
º ſie, & tenant defort court ceux quireſiſtoient de l'Europe, où Caratz le
plus eſtimé perſonnage qu'ils euſſent,auoit eſtémis à mort, ſe prirent à
Treigande crier tout haut : Et quoy, Sire, qu'eſt ce que nous faiſons icy? nous at
# tendons paraduenture que c'eſt homme ait luy tout ſeul mis à fin noſtre
† . guerre, comme s'il n'yauoit autre † luy digne de manier ny lance ny
† * eſpee. Alaverité ce nous ſera vn rort bel honneur, quand on dira par
' tout,qu'envn tel affaire nous ſerós demeurez† que des
Dames ſurvn eſchaſſaut,à regarderſes proueſſes,& en auoirle paſſe-téps;
Vous-meſme (Sire)tout le beau premier. quideuriez icyfairevoir quel
que preuue de la bonne opinion § chacun a deſia conceue de voſtre
vertu, ſans endurer qu'vn ſimple ſoldatvousl'offuſque ainſi, & terniſſe
à tout iamais, & cncore en voſtre preſence. Allons doncques donner
dedans, cependant qu'ilya encore † monſtrer ce que nous autres
ſçauons auſſi faire, & n'attendons pas le dernier euenement de la batail
le, dont le mal tournera au danger de nous tous, & le bien à noſtre hon
"--- .. te & ignominie. Ces paroles enflammerent le cœur du ieune Prince, de
† ſonnaturel aſſez chaud & bouillant: Aumoyen dequoy toutainſi que ſi
ſaut les Gen

† on euſt verſévngrand pot d'huile ſur vn braſier de feu ardent, luy qui
leur fort mal - 2 - - -

§ bruſloit deſia d'vne impatience & deſir de combattre, deſcocha ſoudain


auec ſa troupe tant que les cheuauxpeurent traire, vers Amurat ; lequel
• eſtoit touſioursaubeau milieu de ſes Genniſſaires réparez ainſi que nous
auons dit cy deſſus,atrendant quelle ſeroit la fin finale de ce gros con
flict,ainſi chaudementattaqué entre Huniade & ſes Europeens. Mais ils
De l'Hiſtoire des Turcs. 189
furentbicnautrement recueillis qu'ils ne cuidoient, car les Genniſſaires
firent ce iour là vn extreme deuoir, & combattirent tres-vaillamment
pour l'honneur & lavie de leur maiſtre. Vladiſlaus d'autre coſté pouſſé
d'vnappetit de gloire, s'eſtant temerairement enfourné des premiers en
la plus grand'preſſe, pour monſtreraux ſiens le chemin de bien faire, ne . .
ſe donnagarde que ſon cheual eutvn grandcoup de hache ſur le iarret, # #º
dontil donna du nez à terre à tout celuy qui eſtoit deſſus; lequel fut toutº
incontinentenueloppé, & accablé des Genniſſaires,qui le maſſacrerent
là ſurle champ, ſans que ceux qui combattoient aupres de luy le peuſſent
reſcourrenyſecourir à temps, ſi grande eſtoit la § & confuſion en
ceſt endroict.Vnſimple ſoldat de la porte nomméTherin, fut ccluy qui
luytrenchalateſte, & la porta à Amurat, † §
luy fit depuis de
recompenſes & biens-faicts : Car à laverité ſi ce n'euſteſté ce deſaſtre,la
mentable pouriamais à toute la Chreſtienté,Amurat eſtoit ſur le point
delaiſſer tout là,& taſcherà ſe ſauuer deviſteſſe, voyant que de tous les
endroicts delabataille, les choſes alloient tres-mal pour luy & que les
Hongres preſſoiétſi fort ſes gens, qu'ils n'en pouuoient plus deſormais. A

On dit certes, que toutauſſi toſt qu'il eut veules troupesdel'Aſie tour-Aºunt a
nerle doz, il s'esbranlabien fort , & eut paraduenture pris la fuitte auſſi †.
bien qu'eux, n'euſt eſté quel'vn de ceux qui eſtoient pres de luy s'eſtant †
apperceu de cette contenance, le raſſeura, & tenſa aucc, de quelques # †
paroles piquantes dontil eut honte; & fut cela cauſe qu'il demeura fer-"
mc à † Mais quandil vit puis apresvenirainſile RoyVladiſlaus
la teſte baiſſee droictàluy, dans ce parquet où il eſtoit au milieu de ſes
Genniſſaires,& l'effort que de plaine abordee on fit pourles enfoncer,il
n'euſt pas ( peut-eſtre) ſupporté longuement cette ſirude charge, ſi le
mal-heur des Chreſtiens n'euſttourné la chanſe contr'eux.Car tout auſſi ce qu'impor
toſtque le Roy fut porté parterre,les † & Polaques ne levoyans †.
plus,relaſcherent & amollirentbeaucoup deleur deuoir, & lesTurcsau mº
contraire reprirent cœur,quiles firent lors reculer vnbon traictd'arc;tel
lement que le corps du Roy demeura
del'enleuer. • · ſurla
· ·place,
· & ne· leur
· ·fut poſſible
· · · .

Sov DA 1N que ces nouuellesvindrent à Huniade qui eſtoit encore III.


apres ceux del'Europe, & commençoit aucunement d'en auoir le meil
leur,ilvitbien que tout eſtoit perdu, & que cette deſconuenue amene- .
toitvn granddéſordre & eſpouuantement à toute l'Armee; parquoy ils .
s'arreſta court, & rallia ſes gens autour de luy comme pourreprendre ha-#ºurſe
leine, & vouloirfaire vne nouuelle charge , mais cependant il ſe retira "
tout bellement à quartier, puis doublale pas droit au Danube, auecvne .
groſſetrouppe deValaques & Tranſfiluains qui le ſuiuirent; en bonne ,
ordonnance toutesfois,& ſans monſtrer aucun ſemblant qu'ils euſſent , -i . "
,
peur. Mais la cornette du Roy Vladiſlaus ne fit pas de meſme, car ils ſe #
desbanderentincontinent
fuſion à trauers champs. Ce&qui
mirent en fuitte,en
accreut encore legrand deſordre
courage & con-†
auxTurcs de •

leschaſſer & pourſuiure à toute bride,là oüily eutvn grand meurtre.Le


. . ^- ſ

I9O Liure ſeptieſme


Cardinal Iulian entreles autres yfut tué,homme de fort bonne reputa
lamendº tion & eſtime, & grand zelateur de la foy Chreſtienne, auec pluſieurs
† al1tTCS perſonna es de qualité Des Valaques qui furent ceux qui firent
† le mieuxà cette § ne s'en trouua gueres à dire, carils ſuiuirent Hunia
§ de, auquel,apres qu'ileut paſſé le Danube,il ne fut pas poſſible de rete
nirſes gens enſemble,ains s'eſcarterent ſoudain, taſchans chacun de ſe
ſauueroûils penſoient eſtre pluſtoſt à ſeureté & refuge. Ce quifut cauſe
#un qu'en cette retraicteil tomba és mains de Draculaſeigneurdela Molda
† uie,le plus mortelennemy qu'il eut en ce monde; & ne peut euiter d'e
º" ſtrepris de luyau § danger de ſa vie : carils auoient eu autres
fois tout plain de contentions & diſputes en la preſence propre du feu
Roy : & depuisauvoyage contre Amurat, Huniade luy fit tout plein de
dommages, & inſolences en ſes terres, où ilpilla quelques villes & chas
ſteaux.Ill'auoit d'auantage taxé enuers Vladiſlaus, & le conſeil de Hon
rie des'entendre aueclesTurcs, leſquels il aduettiſſoit ordinairement
# tout ce quiſe faiſoit. Au moyen dequoy Dracula fut en termes de
le mettre à mort tout àl'inſtant qu'ill'euſt enſes mains,n'euſteſtéle grâd
argent qu'il offrit pourſarançon, ce quifut cauſe de luyſauuerlavie,car
l'autrel'emmena priſonnier, attendant de ce reſoudre à ce que finable
ment il en deuroit faire. Les Hongres qui ſe ſauuerent de la deffaicte
eſtans de retour enleur pays,ſceurentincontinent la prinſe de Huniade,
dontils furent extremement marris, & ne voulans abandonner ainſi vn
perſonnage de telleauthorité & reputation,quiparle paſſéleurauoitfait
tant de bons & ſignalez ſeruices, depeſcherent desAmbaſſadeurs deuers
Dracula, pour le prierdele relaſcher,autrement que tout de ce pasilsluy
denonçaſſent laguerre, come à leurplus mortel ennemy. Draculaapres
auoirbien conſideré tous les inconueniens qui luy en pouuoient adue
nir ſivne foisilvenoit àiritervne ſigroſſe puiſſance contreluy, & que ſi
de ſon bon gré il ne faiſoit ce dont ilsle requeroient, il ne fuſt contraint
à la fin de § par force, ſereſolut de le deliurer.Etluy faiſant les plus
| honneſtesexcuſes&gracieuxtraictemens dontil ſe peutaduiſer,l'accom
##. † meſme toutà trauersles montaignes de Praſobe , & d'Ardel,
§ iuſques ſurles frontieres de Hongrie, où il pouuoit deſormais eſtre en
†"* ſeureté : mais quelque temps apres Huniade, auvoyage qu'il fit poural
lerremettre le Prince Danus, prit à ſon tour Dracula auec ſon fils auſ
quels il ne fit pas ſi bonne guerre, carilles mit tous deux à mort. Ce qui
ne ſera point hors de propos de racomptericy vn peu plus particuliere
ment, parmy les autres choſes plus remarquables d'iceluyHuniade.Car
Danu.remi, commeileuſt mis ſusvne groſſe armee, pouraller reſtablir en la princi
† pauté de Valaquie ce Danus fils de Maſarempes ,il rencontra tout àl'en
†ºvº tree du pays Dracula & ſon fils , qui de leur coſté auoient faictleur amas,
" en deliberation de reſiſter, & faire teſte, mais ainſi que les deux armces
" eſtoient preſtes à conbattre,les Valaques abandonnerent le fils de Myr
xas, qui auſſi bien leurauoit faict § cruautez, & mauuais traictc
mens,& ſe tournerét du coſté de Danus.Ce que Draculaayantapperceu,
Del'Hiſtoire desTurcs. 19I Guerres d

• vulut ſauueràlafuitte auec ſon fils, là où ils furent ratteincts & me- #
- - \ - - - - t Alle -

nezpriſonniers à Humiade, quiles traicta en la ſorte que vousauez ouy. §.


llnetardagueres puis apresàeſtre eſleu Chef& Capitaine general en la †º
guerre qui ſe reſueilla entre les Hongres, & les Allemans & Bohemesila †
Il eſtoit aueu

quelle dura longuement, auec diuers ſuccez pour les vns & les autres, †
iuſques à ce que finablement eſtantvenu à la bataille contre Ilchra,bra § º
ue & renommé Capitaine, il eut du pire : mais quelque temps apres s'e †
ſtant refaict, & remisſus nouuelles forces, & equippage, il en rapporta †
la victoirc. | - \ pouuâteroiét.

PovR retourner maintenantà Amurat, apres qu'il eut faictſes mon I I I I.


ſtres & parades de la teſte d'Vladiſlaus, qu'il † porter ſur la poincte d'v
ne lance partoutſoncamp,ils'en tetourna chez ſoy plein de gloire, de
triomphes, & de deſpoüilles de ſes ennemis : toutesfois il n'y eut à celle
l fois que de ſeptà huict mille Chreſtiens tuez ſur la place, & des Turcs
:t preſqueautant : Bien eſt vrayqu'enlaretraicte, ſi pluſtoſt on ne la doit
appeller fuitte, grandnombre de Valaques, & autres gens encore, ſe
trouuerentà dire. Ce fut la fin qu'eut l'entrepriſedu Roy Vladiſlaus, à
laverité plus hardie & § que bien digeree : car elle ne reuint
oncques (ſelon ce que i'ay ouy dire) ny à Huniade, ny à pas vn de ceux
quieuſſent le iugementſain &entier.Et croyque ce ieune Prince meſme
yfutpouſſé outre ſon gré,parles perſuaſions de quelquesvns quil'enfle
rent non ſeulement d'eſperances vaines, mais pernicieuſes encore, & à
luy& à toute la Chreſtienté: pource que le gaing de cette bataille hauſſa
lementonaux Turcs, & leurrenditl'Empire del'Europe du tout aſſeuré
f & paiſible; d'autant queles Grecs, & autres peuples circonuoiſins ſe re
pentans de s'eſtre ainſilegerement declarez contre Amurat, firent de là
en auant ſa volonté en toutes choſes. Au reſte il donna à ce Theriz qui
luyauoit apportélateſte du Roy, de grandes poſſeſſiens & heritages,a
uec infinis autres biens & richeſſes : & quant & quant le fit Sania
que, c'eſt à dire † de Prouince. Il fit auſſi porter à grand'
pompe & magnificence,le corps du Baſſa Caratz en la ville d'Andrino
ple & luy faire des funerailles fort ſomptueuſes , comme le meritoient ſa sans Albs
vertu & ſesſeruices; donnant ſa place à vnAlbanois nommé Scuras, qui †
auoit eſté pris à la guerre eſtant encoreieune garçon,&amenéauSerrail †
, où il auoit eſté nourry, & delà eſtoit montéàvn Sanjaquat, puis à eſtre § 1
Beglierbei de l'Aſie, & finablement del'Europe, quieſt bien plus gran- †"
de dignité quel'autre, encore qu'ilyait en cellelà § de gens de guerre, l†
'Aſie,à cauſe
& de Prouinces à† , qu'en l'Europe; mais à cauſe des nations†
nations qui p
belliqueuſes qui ſont de ce coſtécy,la charge en eſt plus honorable. Il §
oſta auſſi Phatuma qui eſtoitCadileſcher,aſſauoir commegrand Preuoſt
del'hoſtel, & mit en ſon lieu Sarraxi,Grecdenation Etſi fit mettrel'au-,#"
tre en vn culde foſſe, & luy confiſquant tousſesbiens quimontoyent à #
de fort groſſes ſommes de deniers. Mais entre tous les autres, Chatites #
• fils de Priam eſtoit celuy quiauoit le plus de credict & d'authorité enuersºn#º#
luy auſſin'yauoit-ilhomme en toute la porte ſiſage,aduiſé, ne modeſte. †" "
192 Liure
Sur ces entrefaictes ,l'Empereur
ſeptieſme
de Conſtantinople fit tant † ſes prati
ques & menees,& par preſens qu'il enuoya à Amurat, & à ſes fauorits,
qu'ilrenouuellalapaix auecluy, laquelle ne fut plus violee ne rompue
tant qu'ilveſcut, & ne fit, ny ne tolera choſe aucune qui luy deuſt deſ
plaire, caril eut volontiers donnéle reſte de ſes iours à ſe repoſer de ſes
peines & trauaux, ſi cela ne luy euſt eſté deſtourné & entrerompu, par
les diſſentions qui vindrent à naiſtre entrcluy & ſon frere Theodore; le
guerre contre quel eſtant party du Peloponeſe s'en vint broüiller les cartes à Conſtan

tinople, & vendiquer l'Empire , tellement qu'il ſe portoit deſia pour


Empereur, & tout ouuertements'oppoſoit à ſon frere; alleguant qu'il
eſtoit trop mal & indignement traicté de luy, & que luy ayant faict re
monſtrer le peu de moyen qu'il auoit de s'entretenir ſelon ſa dignité &

grandeur, afin qu'il le voulutpourucoir de quelque reuenu plus ample,


ill'enauoit eſconduit toutà plat. Comme doncquesileutfaict quelque
amas de gens à Sylembree, & aupays de là autour dont il † gou
Theodore Pa
uernement, & fut ſur le poinct de commencer la guerre fort & ferme à
voulant iniu
l'Empereur,auant qu'il peut rien executer de ſes deſſeins, celle qui a de
couſtume de trauerſernos plus affectionnez deſirs ſuruintlàdeſſus,quile
parer de l'Em rauit de ce monde en vn autre; & ainſi fina ſavie aubeau milieu d'vn tra
uail deſia encommencé, du toutillegitime & deſraiſonnable. Le Duc du
Peloponeſe ſe mit incontinent à remuer meſnage de tous coſtez, & ſe
1ettant ſur les terres d'Amurat prit d'arriuee la ville de Pinde, le pays de la
Bœoce, & les Ozoles Locriens enl'Achaye : Et ſi donna encore iuſques
dedans le territoire de l'Attique.Ce qu'amurat ayant entendu,il vit bien
qu'il n'eſtoit plus queſtion de temporiſer, de peur quela playe ne ſe ren
gregeaſt: Parquoy il fit venir en toute diligence † nombre de gens
de guerre de l'Aſie, & marcher encore toutes les forces de l'Europe, qui
eſtoient en garniſon és enuirons d'Andrinople droict à Pherres ou †
d'Amurat cö
iournoit lors, auec leſquellesil feietta en campaigneàla volte du Pelo
tre le Pelopo. oneſe.Car NeriPrince d'Athenes, &ThuracangouuerneurdelaTheſ
ſalie lc ſolicitoyent de ſe haſter, pource qu'il trouueroit (ce diſoit-il) les
choſes entierement diſpoſees à ſa deuotion, pour y faire quelque bon
exploict. Sitoſt que Conſtantin eut ces nouuelles, il aſſembla tous les
peuples du Peloponeſeau deſtroict del'Iſtme, & y fit auſſi venir ſon fre
re, combien qu'ilfuſt ſurlepoinct de faire les nopces de ſa fille,qu'ilauoit
nagueres fiancee à Eleazarfils aiſné du Prince des Triballiens. Et ſe mit
à grande haſteiour & nuict, à fermer de muraille ce paſſage d'vn bout à
autre, pour deffendre par ce moyen à Amuratl'entree du pays. Cepen
· dant toutes fois il s'approchoit touſiours, accroiſſant ſon armee d'heure
à autre,pource que de tousles endroicts par oû il paſſoit ſe venoient ren
dre à luy nouuelles forces : Nerimeſme levint trouuer en perſonne iuſ
ques àThcbes,auecvn gros renfort qu'illuyamena : & de là paſſant ou
rreaux Mingies, il ſ'arreſta en ce lieutant pour raffreſchir ſes gens, & en
fairevne reueue, que pour mettre ſon artillerie en ordre, de cordages,
ferreures, & autre equippage neceſſaire. Cela faictil deſlogea, & # vint
- - - - - - - - roict
De l'Hiſtoire
1> • a . • T -
i -
• - -

des Turcs. · I93


droict planteràl'emboucheure du deſtroict,ſe campant depuis vne mer
iufques àl'autre:ſi grande eſtoitl'eſtenduë de ſon armee.Ily eut là vneſ-n y a ſix mille
pion Peloponeſien, qui ayant bien remarqué le tout à loiſir, s'envint di- #sºn
ligemment trouuer Conſtantin, auquel, tout effrayé encore du grand "
appareil† auoit veu, il parla en cette ſorte. Oh ſeigneur! & qu'eſtce
que tu as faitſ en quel dâger & ruineas-tuinconſiderémétamené, & toy,
& tout le Peloponeſe,entreprenant vne guerre non neceſſaire contre vn
ſi puiſſant & redoutable ennemy, lequeltevienticy reſpandre & verſer
ſur les bras toute l'Europe & l'Aſie,& ne peut aſſez trouuer d'eſpace pour
loger ſon armee.Certes ſi tu auois encore deux autres telles cloſtures icy
au deuât,ſine pourrois-tu pour cela ſouſtenirl'effort & impetuoſitéd'vn
· ſienorme pouuoir Parquoy ie te ſupplieaunom du Dieuimmortel, en
uoyer tout de ce pas des Ambaſſadeurs pour le radoucir & appaiſer , &
chercher d'auoir paix à luy,à quelque pris que ce ſoit, de peur que pouſ
ſant outre ainſiirritécommeil eſt,ilnenousaccable & foudroye,icy tous
miſerablemét auec toy.Ce propos courrouça le Pince,lequel fit tout ſur
le champ mettre cette eſpie en priſon:& depeſchal'vn de ſon conſeilde
uers Amurat,pour luy mettre en auât † articles d'appoinctemét,
àla veritétrop ſuperbes , & du tout hors de ſaiſon : car en lieu de filer
doux,ilbrauoit, & vouloit que le reſte de l'Iſtme luy fuſt renduë, auec
les terresadiacentes horsd'icelle, qu'Amuratauoitconquiſes de bonne
guerre.Auſſiil ne daigna faire reſponce à vne ſi folle & outrecuidee de
mande, mais enuoya fort bien l'Ambaſſadeur pieds & poings liez en la
ville de Pherres,lequeleſtoit Chalcondile Athenien mon propre pere,
Et combien que ce fuſt en cœur d'Hyuer, il prit auecques luy ſix mille
cheuaux eſleuz,pour allerrecognoiſtre ceſte fortification & cloſture,ou
les Grecs l'attendoient pour luy faire teſte, & remarquer l'endroit où il l'hauteur
r† vne †
pourroit plus commodement faire ſesapproches, & aſſeoir ſes pieces en #
batterie. Mais il ſe courrouça bien fort contre Thuracan, de ce qu'au †.
contraire de ſon opinion, quiauoit touſiours eſté de remettre ce voya- #.
geau renouueau,ill'auoit conſeillé d'yvenir en vne ſaiſon ſi rude & en-º .
nuieuſe, ſoubsl'apaſt d'vne eſperance parauenture vaine & friuole, que
tout ſe rendroit incontinent à luy ſans coup frapper, dés qu'on orroit
ſeulcment les premieres nouuelles de ſa venuë : là où il voyoit vne con
tenance aux ennemis de ſe vouloir deffendre à bon eſcien, veu le pro
pos que Conſtantin luyauoitfaict tenir. Toutesfois il atendit encore
quelques iours pourveoirs'il ne ſe raduiſeroit point. Etvoyât qu'il n'en †
faiſoit aucun ſemblant,approcha lors ſon armee de plus pres, & s'en †*
vint logerſur le bord dufoſſé, oü leiour enſuiuantles Peloponeſiens luy §
firentvne ſalue d'vn bon nombre de pieces, qu'ils auoient affuſtees ſur †
les plattes formes & rempars,maislelédemainilleur reſpódit de meſme. #
Ainſi s'allerent entre-carreſſans les vns les autres à coups de canon,iuſ deux ioursa
uant que de
ues au quatrieſme iour,que les Turcs allumérent ſur le ſoir de grands §e
hacun d
euz,cnacun deuant ſa
la loge ſtume ;: qui
ſelon lleur couttume
loge 1elon qui eit
eſt de
de raire
faire ordi-
ordi-†"º
.
nairement cela deuxiours auparauant qu'ils donnent vne bataille,ou vn
R
' I94- Liure ſeptieſme
aſſaut general:chantans des Hymnes àlaloüangedeleur Prophete, qui
denotent que le troiſieſmeiour ils doiuent mettre leurs vies au hazard,
pour le maintenement & exaltation de ſa foy, & le ſeruice de leur Prin
ce.Et cependant firent conduire leurs groſſes pieces à force de brasiuſ
ques ſurle bord du foſſé,parvne ſorte de gens qu'ils appellentZarahori,
- inutiles à toutes autres choſes;car il ne combattent point, nomplus que
pluſieurs qui ſuiuent l'armee,les vns poury apporter des viures , les au
tres pour r'habiller les chemins,dreſſerles explanades, remparer le camp,
faire les trenchees, & autres ſemblables offices à quoy on employe les
piôniers : On les nomme Agiades ou Azapes,Zauſti & Iaya, & ſont preſ
que tous de l'Aſie.I'eſtime quantà moy qu'il n'ya Prince en toutelater
re, qui ait ſes camps & armees mieux ordonnez que ceſtuy-cy, tant
pourl'abondance des viures, & toutes autres choſes neceſſaires qui s'y
trouuent ordinairement,que pour le bel ordre & maniere qu'ils ont de ſe
loger ſans aucune confuſionne embarraſſement.Car en premier lieu, ily
a touſioursgrand nombre de marchandsvolontaires quile ſuiuent quel
que part qu'il aille,auecforce bleds,force chairs,cheuaux, & toutesau
tres ſortes de denrees ; & des eſclaues encore, pour en accommoder
ceux qui en ont affaire:Etacheptent en contr'eſchange ceux qu'on préd
1e r , espillages & ſaccagemens des prouinces,oûilvafaire la guerre; tellemét
#. qu'il y a touſiours à ſa fuitte vne abondance inexpuiſable de tout ce qui
#º # peut deſirer pour l'vſage del'homme. Outre cela les grands ſeigneurs
qui ſont conſtituez és charges & dignitez , menent quant & eux.vn
grand train de cheuaux, mulets, & autres beſtes de voicture pour por
terleurs bagages ,
tentes,pauillons, armes,vſtanciles, orge & victuail
· les, dont le nombre excede touſiours au double, voire au triple celuy
cºmit , des perſonnes. Il y a auſſi des Commiſſaires des viures , qui ont la
ºvº charge de pouruoir que l'armee n'en ait point de diſette, & en faire à
cette fin venir de toutes parts, pour le diſtribuer aux gens de guerre
qui n'ont pas le moyen detrainer apres euxvn ſi grand carriage, & aux
grandsauec, s'il en eſt beſoin : comme quelque foisiladuient en vn
lointain voyage. Mais ce qui eſt le plus beau à voir, eſt la magnificen
cc des tentes & pauillons , qui ſont communément en nombre de
plus de dix ou douze § eſleuez, merueilleuſement ſuperbes,
toutainſique ſi c'eſtoit quelque belle grande cité, qui vint à vn inſtant
à ſourdre ſur la place, où n'agueres on ne voyoit que la terre toute
nuë: Car les Turcs entre toutes autres nations que l'on ſçache ; ſont fort
curieux de ſe brauement loger à la campagne, plus ſans comparaiſon
qu'ils ne ſont à la paix dâslesvilles.Mais pour retourner à noſtre propos,
Amurat ne fit toute la nuictauparauant que de dôner l'aſſaut, tenirles
Ruſed'A: Grecs encontinuelle alarme par ces inutiles Zarahorides, quiſefaiſoient
" tuer dans les foſſez commebeſtes,lesvns ſur les autres, pour touſiours
trauailler d'autant les ennemis, qui ſe trouueroient puis apres moins
prompts & gaillards au beſoin; & pour meſnager ſes gens de faict, & les
laiſſer repoſer cependant, afin de les auoir plus frais & diſpoſts. Mais
Del'Hiſtoire
) e a -- --- . - --

des Turcs. · 195


tout auſſitoſt que l'aube du iour commença d'aparoiſtre, il fit ſoudain Amutdebia
ſonner de toutes parts ſes trompettes &atabales(ce ſont petits tabourins"
de cuiure foncez parl'vn des bouts)auec tels autres inſtrumens de guer
re, quirendoientvn ſon horrible & eſpouuentable pourles vns & pour
les autres, ſçachans bien que c'eſtoitvn adiournement & ſignal, pour
enuoyer auant leurs iours à la mort pluſieurs milliers de viuans Les
Turcs s'amaſſerent ſoudain de toutes partsàgrendes trouppes ſous leurs
enſeignes, pour aller lateſte baiſſee donner àl'endroit qui leur eſtoit or,
donné & departy Et Amurat de ſon coſtéauccles Genniſſeres de la por, v ,.
te,ſe mit au beau milieu de ſes gens rengez tous d'vn front, qui com, d'Amºn
prenoitl'eſtenduë entiere de la muraille depuis vne mer iuſqu'à l'autre;
marchantà grâds pas droictaufoſſé, où ilauoit deſia faict conduire vne
infinie quantité d'eſchelles, & bracquer toutes les pieces d'artillerie ſur
lebord, dont il fit delaſcher deux ou trois volees , cependant que ſes
gensgaignoientlepied de lamuraille, tant pour en oſteraux Grecsla co:
† le moyen de la fumee que rendoiétles pieces & quelques
artifices de feu entre meſlez parmi tout expres, que pour les empeſcher
de comparoiſtre ſur le ramparlors qu'on viendroit à planter les eſchel
les, & monter à mont.Carl'effort § eſt tel, que rien ne peut
reſiſter à ſon impetuoſité, & meſmemét les choſesdures & ſolides enco
re moins que ne font les molles quicedent & obeiſſent, comme des bal
les de laine ou de cotton, &§ eſtoffes.L'empeſchement don
ques , & reſiſtence que pouuoient là trouuer les Genniſſeres en eſtans " , .
leuez; le premier d'eux tousquiarriua en haut, & ce cnlapropre preſen
ce du ſeigneur,futº Chiteresle † eſtant venu aux mains celtidie
auec ceux quiſe preſenterent pourles repouſſer,le rembarra fortbraue-º . *

sent,& les tourna en fuitte; donnant par ce moyen loiſirà ceux qui le » 3

ſuiuoient à la file, de prendre ied ferme ſur le rempar,& combattre


plus à leuraiſe. Mais ceux de dedans perdirent incontinent courage; & #º ,
tout nyplus nymoins ques'ils euſſenteſté eſtonnez de quelque coup de "
foudre, quileur euſt § & le iugement & la veué, quitterent tout là;
ſeren § & culbuttanslesvns ſur les autres, en tel deſordre & confu
ſion qu'ilss'accabloienteux-meſmes : ſi grande fut la frayeur & eſpou
uentement, qu'ils conceurent à la ſeule veuë du premier ennemy qui les
alla ioindre de pres. Et faut bien dire quecefurentleurs pechez quiles
aueuglerent à celle fois, & leur oſterentle ſens, car ils combattoient en
lieuaduantageux,d'oûs'ils euſſent eu tant ſoit peu de cœur, ils pouuoiét
aiſémentrepouſſer ceux, qui auec peine & difficulté tres-grande , ve
noient du bas en haut contr'eux.Mais leur longue oiſiueté, leurs delices u†
ent plus dä
&nonchaloir,& ſurtout faute d'experience,celle quineus aſſeure le plus †
ésgrâds & douteuxaffaires,ne
dece quileur leurpourleur
eſtoit propre, tant permirent de pouuoir
honneur rien diſcerner
& deuoir,que pour la§a
guerre.
-

leſalut & conſeruation de leursvies,ains tournerent le dos ſans occaſion


† & s'eſtans ainſi eſpouuentez d'eux-meſmes,empoiſonnerent
cleurlaſcheté les autres qui eſtoiét derriere pourles ſouſtenir:tellement
-- • - -- · R ij
-

196 | Liure ſeptieſme


· que de cette premiere poincte,les Genniſſeresſe firentmaiſtres delamu.
' raille & du rempart, cependant que d'ailleurs on ſappoit par embas, &
qu'on enfonçoit les portes.Et toutainſi qu'vn impetueux torrent, qui a
vne fois fauſſé tât ſoit peu la digue ouleuee quil'arreſtoit,ne met gueres
† apres à renuerſer & § reſte,&delà d'vne furie eſpouuentable,
ans plus trouuerde reſiſtéce s'eſpand à trauersles plaines & campagnes,
rauiſſant quant & luyl'eſperance du pauure deſolé laboureur; En ſem
Grande deſo
blable les Turcs ayans de plaine abordee forcé ce qui les deuoit arreſter
lation àla pri
ſe de l'Iitme.
plufieurs mois,ſe deſborderent ſurces pauures miſerables,les vns, tuans
& ſaccageans tout ce qui ſe r'encontroit deuant eux, les autres ſe ruâs ſur
le pillage trainoient parmy labouë & le ſang des richeſſes ineſtimables,
ou bien s'amuſoiét à prendre des priſonniers, qu'on venoit deſmembrer
entre leurs mains propres, par conuoitiſe de § arracher les vns auxau
tres,& demeurer chacun maiſtre de la proye. Quant aux chefs & per
ſonnes illuſtres , tout auſſi toſt qu'ils ſe furent apperceus de la mau
uaiſe contenance que faiſoient les ſoldats, & come de prim ſautilscom
mencerent a § qu'ily euſt plus d'ordre de les retenir & faire
combatre,ne voulurent pas demeurer pour les gages, mais monterétha
bilement ſur les cheuaux qu'ils auoient à toutes auentures là ſellez & bri
dez,tous preſts à metre le pied en l'eſtrié ſi uelque deſaſtre ſuruenoit,&
à toute bride ſe ſauuerent dans le profonddupays.Carencore quelaville
de Corinthe fuſt tout aupres pour leur plus courte & abregee retraite, ſi
ne s'yvoulurent-ils pas toutesfois engager,ſçachans fort † que la pre
miere choſe que feroit Amurat à la pourſuitte de ſavictoire,ſeroit de les
La clouſture
del'Iſtme,
aller § dedans Etils coghoiſſoientaſſez la portee de la place, qui
• plus domma
geable aux
n'eſtoitny de fortereſſe,ny de gens de guerre, ny de prouiſions quelcon
Grecs, que c6
mode.
ques aucunement en eſtat d'endurer ou ſouſtenir vn ſiege, non pas à
grand' † de tenir bien peu deiours.Parquoyils ſe retirerêt de viſteſſe
· toutaubout de la Laconie,attendans ce que les ennemis vo udroiét faire:
leſquels ſ'eſtans ainſi faits maiſtres de l'entree du Peloponeſe, il n'yauoit
plus rien quipeuſt arreſter Amurat, ne l'empeſcher de ſe promener de
coſté & d'autre tout à ſonaiſe, ſelon qu'ilvoudroit choiſir † party. Et
à la verité cette ſecouſſe briſſa detout poincts les affaires des Pelopone
ſiens , de ſorte qu'il n'y eut plus aucun eſpoirny apparence de §
neautre expedient ſinon d'abandonnertout là,& monter ſur mer pour
ſe retirerailleurs, parce que,hommes,armes,artillerie, & munitions de
uerre, tout cela eſtoit entierementeſpuiſé.Amurat donques ayant à ſi
† marché forcé la cloſture de l'Iſtme , entra dans le pays ſans aucune
contradiction ; là où tout premierement il alla faire enuelopper , ny
plus ny moins que dedâsvn accours ou parquet de toiles faict pour le
deſduict de la chaſſe,troiscés pauures captifs,quiauoiét trouuéle moyen
d'euaderlanuict,& ſe retirer enlamontaigne eſtant au deſſus duport de
Cenchrees, qu'on appelle Oxi ou poinctue, leſquels ſe rendirent par
compoſition à faute de viures , § eſperance † leur feroit
bonne guerre ; mais ayans par ſon commandementcſtéamenez en vne
De l'Hiſtoire des Turcs. 197 .
grand'place, illeur fit à tous coupper la gorge en ſa preſence, comme pour
vne primice & offrande de ſa victoire. Et ne ſe contentant pas de ceſte #
cruauté, achepta encore de ſes deniers iuſquesau nombre de ſix cens des § ^
plus beaux ieunes hommes quiſe peurentrecouurer parmy tous les priſon
niers Grecs,dont il fitvn ſolennel ſacrifice à l'ame de ſon feu pere, comme
ſil'effuſion du ſang detant de pauures miſerables,luy deuſt ſeruir de propi
ciation pour ſes pechez. Cela faict, il ſeparaſon armée,dontil donna vne
partie à conduire àTuracangouucrneur de la Theſſalie, homme fort pra
ctiqué & experimenté au faict de laguerre,& quiauoit grande cognoiſſan
ce desaffaires du Peloponeſe, & des Turcs quiy eſtoient habituez, & luy
donna encore mille Genniſſeres de renfort,pour aller faire vne raffle dans le
cœur du pays.De luyil tira droict vers l'Achaye, & le meſme iour qu'il for- # de .
ça l'Iſtme, ſenallaplanter ſon camp deuant la ville de Sicyone, † #
prit & ſaccagea entierement : car elle n'eſtoit ny ſituée en vnlieu fort, ne #
pourueuë de gens deguerre, d'autant que tous les hommes de deffence en º"
- &b

auoient eſté tirez pour aller à la garde du deſtroit. Toutesfois Mulgeri, & Autremen
quelques autres Grecs en petit nombre ſeſtoient retirez au chaſteau aucc ºº !
§ & enfans; leſquels ſevoyans hors de toute eſperance d'auoir
ſecours,& que lesTurcsayantgaigné le foſſé, ſappoient deſia le pied de la
muraille, ſe rendirent à la diſcretion d'Amurat, qui fit mettre le feu ſur le
champ au chaſteau & à la ville,& les enuoya en † d'Angium. De là paſ
ſant outre il vint à Patras ville d'Achaie, riche & opulente pour lors, mais il
latrouua toute vuide, car les habitans l'auoient abandonnée, & ſ'eſtoient
retirez en laterre-ferme que les Venitiens tenoient vis à vis, fors quelques
outrecuideziuſques au nombre de quatre mille,compris les femmes & en- *.
fans,quiſe pouuoient auſſi bien mettre enſeureté'que les autres, leſquels ſe
voulurent opiniaſtrer de tenir bon dans le Palais; toutesfois ils perdirent le
cœurtout auſſitoſt que lesTurcs comparurent; & furent tous faits eſclaues
iuſques au dernier.Ne reſtoit plus que le chaſteau, là où Amurat fit donner Patras piiſº
quelques coups de canon : & comme les Genniſſeres eſtans allez à l'aſſaut &§
> | _ - - | | | | -
#.
les habitani
N-

euſſent d'abordée gaigné la muraille, ils en furentbrauement repouſſez par §º


ceux de dedans, a§e des cercles, lances & pots à feu, & autres artifices de
ſoulphre,& de poix-reſine deſtrempez d'huile; & ſi remparerent labreſche -

ſoudain, beaucoup plus forte qu'auparauant.Au moyen de quoy Thura


caneſtant de retour de ſa courſe, chargé d'vn infiny butin d'eſclaues & de
deſpoüilles, le camp ſe partit delà tout enſemble; & bien toſtapres fut la
paix faicte auec les Grecs. Le Peloponeſe qui auoit touſiours gardé ſon an- Le Peloponeº
cienne liberté, commençalors premierement à eſtre tributaire aux Turcs:
- - - - / -
§
- ment tributai
&auregard desThebains quiauoient
& les autresgarderl'Iſtme,ilsy abandonné
demeurerent leurville
preſque pour tuez
tous, partie allerſur
quât §
la" ſecôd,

† le reſte faits eſclaues.Laville auſſi de Pinde,auec le pays adiacent,&


a contrée qui eſt au dehors de ceſte encouleure, tout auſſitoſt que la mu
raillefut forcée vindrentés mains d'Amurat. -

R iij
Liure ſeptieſme
G E O R G E S C A S T R I O T ou
Scanderbeg Royd'Albanie.
de l'Hiſtoire des Turcs. - 198
: S ON E LO G E OV S O M.
MAI RE D E S A V I E.
n Nſeul Horace arrgſtatoute la puiſſance desToſtans, vn Marcellu enerua la
(g#puiſſance d'Annibal, & vn Camillusredonna la vie à ſa patrie. Mais vn ſeul
§ # - Scanderbeg plus vaillantque l'vn, plus prudent que l'autre &plus heureux
§\VA# quele dernier,agſténonſeulemét vn Gedeoa,vn Sanſon, & l'eſpée deſapatrie,
#$2) % 3 mais le bouclierdela Chrſtienté ayant appris aux ſiecles futurs qu'vne debille
puiſſanceauecvne bonne conduitte peutterraſſerdes forces tres-redoutables, & qu'vne valeu
reuſehardieſſe donnel'alarme,& faiét beaucoup ſouffriraux pluspuiſſanspotentats dumonde.
orGeorges Caſtriot,autrement Scender,ou Scanderberg, ayanteſtéſîredoutable à ces deux puiſ
ſans Monarques Amurat& Mahomet; que lepremiereſtmortdetriſteſſe des affronts qu'illuy a
faict ſouffrir, & l'autre qui agféſîredoutable à toutl'vniuers, n'aiamais receu que de la honte
de s'eſtre attaquéà luy Eſt-ceſans raiſon ſinous auôs inſeréle Royd'Albaniela terreurdel'Em
pire ottoman parmyles Princes ottomans qu'ila ſîmalmenez par vn ſilongtemps,auec vne
poignée de gens ?Ceſeroit à laveritéeſtre trop ingrats & meſcognoiſtre la graceſ ſpeciale que
les Chreſtiens receurentalors du TovT-P v 1ss ANT, de learauoirdonné vn tel deffenſeur.
Ileut pour pere Iean Caſtriot Seigneurde ceſtepartie d'Epire qu'on appelle Emathia & Zu
meneſtia & de Vorſaua fille du Prince des Triballes,ou de Pologo Paſſe ſon enfance comme
oſtage à la porte de l'Empereur.Amuratqui le faicf circoncire contre ſa volonté. Sa ieuneſſeaux
armées de ce Monarqueoùil fut touſîours employé aux charges plus honnorables iuſques à ce
qu'iltrouuamoyen dedeliurerſa perſonne de ceſte ſeruitude & ſon ame de l'eſclauage de ceſte
abominable croyanceretournant ſecrettement en ſonpays qu'il faicfreuoltercontre lesTurcs &
s'engſfantrendu le maiſtre pour ſon coup d'eſſay taille en pieces4oooo Turcs pres de Dibre con
duits par Haly Baſſa.Recherchéd'amitié parAmurat,illa refuſe,qui pourſe vangerluy enuoye
deux Baſſats l'vn apresl'autre, Ferie Baſſa & Muſtapha qui n'eurent pas meilleure aduanture
que Haly.Les Venitiens luy fontlaguerre pourlaville de Dagnium,ila l'aſſeurance & la va
leurdeleurreſſter,& d'attaquerenmeſme temps les trouppes d'Amurat.Finalementils s'accor
derent.Reſºſte à vne armée de 2ooooo.hommes & à Amurateu perſonneau ſiege de Croye, lequel
fut contrainčt de le leuerhonteuſement dont ilmourut de dueil.Miten routte en diuerſes rencon
tres Ameſabegque Mahometſecondauoitenuoyécontre luy, faiſant ſouffrir la meſme honte
& lameſmeruine à huičtarmées quelemeſme Mahomet yrenuoya depuis à diuerſes fois, lequel
eſtant pourlors l'effroydel'Europe gſtcontrainct de rechercher d'accord le Prince Scanderberg,
faiſantcependantquelques trefues, durant leſquelles noſtre Caſtrioteſfant venuen Italie à la
priere du Pape Pie,& de Ferrandd'Arragon pourles ſecourircontre la puiſſance des François,il
Jit auſſi cognoiſtre ſon couragenompareil&ſa ſageconduite à la plus valeureuſe & victorieu
ſenation del'vniuers.Lestrefuesexpirées,& Mahomet ayant de nouuenuremis le ſiege deuant
Croyeluy ſurmontant la neceſſitée ſa foibleſſe faitvn teleffortqu'ilrauitailla Croyé,& la mu
nitpourvnan,contraignantenfin Balabam de leuerle ſiege,& aumeſme Mahometquiyreuint
en perſonneauecvnearmée effroyable. Eſtanten fin contraincfdeluy laiſſerſon pays enrepos,
& de garderſeulementſes frontieres, & toutesfois pour l'execution de tous ces valeureux ex
ploiéfs,iln'aiamais eu auplus que dix ou douze millehommes, auec leſquels ila paſſé touſîours
ſurleventre à deſ grandes&puiſſantes armées, ſans queiamais l'ennemyluyait peuvoirles
eſpaules,ſîadextre & entendu au faict de la guerre qu'iln'euſtcraintauec 3ooo.cheuaux d'en
attaqueriaooo. D'vne force audemeurant ſîincomparable qu'on tient qu'ilatuéen ſa vie plus
de 2ooo Turcs,& qu'illes fendoitordinairement depuis latiſte iuſques au nombril,ayantimpri
méauxTurcs vne ſi grandecrainte de luy,& quant & quantvnetelle admiration qu'ils onteu
touſ ours ſes os entres-grandereuerence,& celuy s'eſtimoit heureux qui en pouuoit auoir. Il a
paſſé de ceſte vie en lautre en ſaville de Lyſſe,en l'aage de 63ans le 25.Nouembre 1443.& deſon
# le24 en leſtatd'vnreligieux Chreſtien pluſtoſtqued'vn homme deguerre,& d'vn vail
nt Caualier.
Liure quatrieſme
esa # , a , SV* le commencement de l'Eſté enſuiuant,ilſemit en campaigne pour .
do§- aller contre Scender ou Scanderberg ( c'eſtà dire Alexandre) fils d'Iuanes,
taI1t - - - N - 2

§e quiauoit en ſa ieuneſſe eſté nourry à la porte, & dit-on qu'Amurat meſme


†"
loit par ſon en auoitabuſé: dont indigné de cet outrage, & ne ſe pouuant condeſcen
§.. dre d'abandonner ſa religion,ilauoit trouué le moyen d'euader, & ſe retirer
ſtriot. en ſon pays d'Epire , là où ayant eſpouſé vne Princeſſe nommée Donique,
fille d'Arianetes, s'eſtoit tout ouuertementrebellé contre Amurat, ne luy
enuoyant plus le tribut accouſtumé, & ne permettant à perſonne de ſes
ſubiects,d'allerà la porte,ny à la ſuitte de ſon camp. Deſia meſme il com
† mençoit àluy faire laguerre à bon eſciens Parquoy Amurat aſſembla en di
scandeberg ligence tout autant qu'ilauoit de gens de fait,& en l'Aſie & enl'Europe, &
entra en perſonne dans le pays d'luanes,où il mittout à feu & à ſang,pilla la
contrée,& gaſtavniuerſellement tous les bleds & autres biens qui eſtoient
ſur la face de la terre,'pour reduire le peuple à famine. Ce temps pendant
Scender,apresauoirfaictretirer les femmes & enfans,enſemble tout le reſte
de l'inutile peuple ſurles terres des Venitiens le long du goulphe Adriati
que pourles mettre enſeureté,luyauecles hommes de deffence voltigeoit
çà & là par le pays,ſans s'arreſter nulle part,de peur d'auoir quelque eſtrette,
pouruoyant par meſme moyenaux endroits quiauoient beſoin de ſecours:
Et ſifaiſoit touſiours encore † dommage aux ennemis.Mais ſa prin
cipale retraitte eſtoit en des lieux forts & mal-aiſez d'aborder,dans les mon
taignes quisalongentiuſqu'à la marine, attendant ce que voudroit faire
Amurat,& à quelle place finablementil ſe viendroitattaquer.Qui fut à cel
le de Sphetiſgrad,laquelleilenueloppa de ſes armées toutà l'entour, & fit
d'arriuée ſommerles habitans de ſe rendre, enquoy faiſant, il leur donne
roit liberté de ſeretirer où bonleurſembleroit : dont ils ne voulurent rien
faire,ainsſe preparerent pour attendrele ſiege en bonne deuotion.Toutes
fois il ne dura pas longuement,carleurayantfaict donnervnefort rude eſ
calade parles Genniſſeres, ils furent emportez d'aſſaut, & ſuiuant ce qu'il
, auoit ordonnètousleshommes mis aufilde l'eſpée,le reſte expoſé au pi la
la le de ge.De là iltira outre vers Getia,laquelle intimidée del'exemple de l'autre,ſe
†. rendit à compoſition : Ayant mis enſeruage tout le peuple, s'en alla fina
†blement planterdeuant Croye, la principale, & meilleure place de toute
# l'Albanie ;car l'aſſiette en eſt forte à merueilles, & ſi eſtoit bien remparée &
munie de bonsfoſſez,de muraille,boulleuards,& plattes-formes.Il fitneát
†º moins ſesapproches ſans temporiſer, moyennant le grand nombre de ga
Croye, ville
l'Albanie,dont ſtadours qu'il charrioit continuellement à ſa ſuitte : &ayant aſſis ſes pieces
§
§ en batterie fit vnegrande breſche à la muraille, où les Genniſſeres donne
†" rentincontinentl'aſſaut,toutesfois ils enfurentrepouſſezvaillammét,auec
grand meurtre & occiſion. Parquoy Amurat voyant que les choſes ne luy
ſuccedoient pas à ſa volonté, & que le ſiege ſeroit pouraller en longueur,
ioinctauſſi quel'Hyuer approchoit, & que les pluyes & froidurescom
mençoient deſia à eſtre fort grandes, qui euſſent porté vn merueilleux
dommage à ſon armée,aduiſa pour le mieux de ſeretirer celle fois.
CR
| De l'Hiſtoire desTurcs. I99
O R en la bataille qu'il eut à Varne contre les Hongres & Polaques,
s'eſtant trouué en vn telperil & danger quel'on ſçait(car ſes gens §
enroutte preſque tous,tellement qu'il ſe vit ſur le poinct d'eſtre perdu,
n'eut eſté la meſaduenture du Roy Vladiſlaus, ilauoit fait vœu, que s'il #
eſchappoit de cette iournee ſon honneur&ba gues ſauues,ilrcnonceroit #"
au monde, remettant la couronne entre les mains de ſon fils, & ſe retire- -

roit en quelque Monaſtere de l'Aſie, pour acheuerle reſte de ſesiours en


penitences & ſainctes deuotions, à ſeruir Dieu, & le Prophete. Ayant
doncques obtenu vne ſi memorable victoire, & mis à mort ce ieune
Roy, qui eſtoit pour luy donner beaucoup d'affaires s'il euſt veſcu plus
longuement, tout auſſitoſt qu'il fut de retour, il manda ſon ieune fils
Mechmet (car Aladinl'aiſné eſtoit deſia mort, s'eſtantrompule col à la
chaſſeainſi qu'il pourſuyuoitvn cerfàtoute bride) & enlapreſence des , .
Baſſaz&autres officiers de la porte, ſe demit de l'Empire entre ſes mains, #§.
enſemble de toutes les forces & armees eſpádues parles Prouincesd'ice-† retirer n ſo

luy:Puis ſe retira à Pruſe,ſiege ancien des SeigneursTurcs enl'Aſie,là oü †


ilſe renfermaauecles Zichides, qui ſont leurs moynes & religieux: & les §a,
Sectides, gens de ſçauoir, ayans la charge d'interpreterlaloy & les cſcri
tures : & ainſi paſſa quelques iours en leur compaignie à en conferer, &
à des deuotions telles quelles. Mais luy qui eſtoit homme mondain,ac
tif,remuant, & ambitieux, & qui ne pouuoit demeurer en repos,ſe deſ
ouſtabien-toſt de cette vie ſolitaire & oiſiue, & commença à pourpen
† part ſoyles moyens de rentrer en ſon eſtat, ſans aucune effuſion de
ſang, craignant que ſi ſon fils deſcouuroit cette ſienne intention, il ne
fuſtcontrainct devenir auxarmes contre luy, & que de là ne s'eſmeut
uelque cruelle & forte guerre qui ne ſe pourroit pas ſi toſt aſſouppir,
† Turcs ennemis † toutes diſſentions ciuiles, luy en im- †º
putcroient entierement la faute. † il ſe va aduiſer que le Baſſa #
Cathites fils de Priam quiluyauoit touſiours eſté fort fidele,& ne s'eſtoit §,
enrié deſmenty encore de ſa ſeruitude & obeyſſanceaccouſtumee,pour-#"
roitbien iouer ceieu là, ſans qu'il fuſt autrement beſoin devenir à vne H†"
contention auecſon fils. Au moyen dequoy luy ayant ſecrettement fait †"
entendre ſavolonté, il attira vne chaſſe Royale à Mechmet, laquelle de- †"
uoit durer puelquesiours,& quandilfut bien embarqué apres ce deſduit
& paſſetemps, auectous ceux de la porte deſquels il ſe fioit le plus, Ca
thites fit venir cependant Amurat, & l'introduict dans le ſerrail, où d'ar
riuee ilvoulut aſſiſterluy meſme en perſonne au Diuan (qui eſtl'audien
ce publique qu'on donne quatre iours la ſepmaine) pourſerenouueller,
&fairevoiraux magiſtrats,&au peuple.Là ſans contradictionaucuneluy
fut deferé le meſmehonneur & obeyſſance quel'on ſouloit: Carvn cha
cun auoit encore deuant les yeux la memoire toute rccente d'vn ſi valeu
reux & redouté Monarque tellement que Mechmet ayant eu ſoudain la
nouuelle de cette ſi§ mutation, aduiſa pour le mieux deſe ſou
mettre de nouueau au commandemant de ſon pere, pour ce peu deiours
quiluy reſtoient à viure; & accourut en toute § luy baiſerla main,
R iiij
2OO Liure ſeptieſme
& s'humilier deuant luy, ny plus ne moins que s'il fuſt retourné victo
rieux de quelque lointaine entrepriſe & conqueſte. Et ſceut fort bien
diſſimuler pourl'heure ſonmeſcontentement, & le deſpit qu'à iuſte cau
ſeil pouuoit auoir conceu contre Chatites,autheur de toute cette brigue
& menee; reſeruant dans le profond de ſon cœur de s'en reſſentir en
temps plus opportun, commeil fit puis apres. Mais ilfleſchit àlors,tant
pour n'irriter ſon pere, que pource qu'il cognoiſſoit aſſez le credit & au
thorité que le baſſa auoit parmyles Turcs.Toutes leſquelles choſesad
uindrent auparauant qu'Amurat menaſt ſonarmee és regions maritimes
de la Macedoine, où eſt le pays & demeure des Albanois,le long des ri
uages Ioniques. Eſtant retourné de là, ſans auoir faict autre choſe que
ce que vousvenezd'ouyr,il ſe repoſa vn an entier à Andrinople, & és
CIlll1I'OIlS.

V I I. L' ANNEE d'apres,ilretourna d'erechefcontreScanderbergauecvne


† plus groſſe puiſſance, plein de maltalent & courroux; deliberant de ſe
#*bien vengerà cette fois, des brauades quel'autre luy allO1U faictes. Car
c'eſtoit vn homme de grand cœur & entrepriſe, quine bou geoit ne 1our
ne nuict le cul de deſſus la ſelle, à trauailler en toutes ſortes les ſubiects
d'Amurat : lequel s'achemina à tout vn grand nombre de gens, qu'il a
uoit faictvenir de tousles endroicts de ſon Empire, droict à Croye, qui
eſt la principaleville del'Albanie ainſi que nous auôs deſia dit.Et enuoya,
(eſtant encore parles chemins)ſommerlesVenitiens de luyliurer Scan
derberg; à quoy s'ils reffuſoient d'obeyr, iliroit luy meſme le leur arra
cher § mainsàviue force. Mais ayantſceu comme il ſe preparoit
pour l'attendre à Croye : il tira droit celle part, enuoyant partie de ſaca
uallerie deuant pour courir & gaſterle pays, qui à l'autre voyage s'eſtoit
trouué exempt de cette calamité & orage; deſorte qu'auantl'arriuee de
la groſſe trouppe,ils remplirent tout debruſlemens & ruines,iuſques à
vne groſſe riuiere,laquelle n'ayans peu paſſeràgué, ils s'en retournerent
au camp chargez d'infinies deſpoüilles & richeſſes.Ce temps pendant les
Albanois,apresauoir mis leurs femmes & enfâs à ſauueté ſur les terres des
§ retirerent quant à euxauecleur chef&PrinceScanderberg,
dans les montaignes prochaines de Croye, pour y donner ſecours
sige,duis de quand le beſoin s'en preſenteroit.Au reſte, il ne voulut point autrement
Scanderberg. † ne contraindre perſonne de ſerenfermerlàdedans,eſtimant qu'el
le ſeroit beaucoup plusſeurement deffendue,parceux quid'vnefranche
volonté ſe ſoubsmettoient au hazard du ſiege. Ce qui † parluy fortſa
emétaduiſé;carle plus ſouuentil ne faut que la peur&laſchetéd'vn ſeul
AE , qui enuis & à regret ſeverra § ppé dans vne place,n'eſtant
point accouſtumé aux meſaiſes, trauaux, & frayeurs † ſe preſentent,
our deſcourager & intimider le reſte, & eſtre cauſe de faire perdre tout.
# Amurat ne marchanda pas beaucoup à recognoiſtre le lieu pour faire ſes
ºn cºre approches de loin,l'ayant deſia tout conçeu & emprainct en ſon eſprit
mais incontinent fit tirerdes trenchees, & approcher ſon artillerie iuſ
ques ſur le bord dufoſſé, parle moyen du grad nombre de ſes pionnicrs»
Del'Hiſtoire des Turcs. 2O1
, & des mantelets, & autres machines & taudis de charpenterie,oûles pie
ces pouuoient eſtre à couuert,auec ceux qui eſtoient deſtinez pourl'exe
cutiond'icelles, hors de tout danger & offence de la contrebatterie des
platte formes & remparts. Et ainſi commença de tirer quelques coups
aux deffences, & taſterla courtine par des volees çà & là, pourrecognoi
ſtre oû ſe pourroit plus aiſément faire breſche : En finayant reduict tout
ſon equippage en vn ſeulendroict,ilietta en peu d'heure vn grand pan
de muraille † Mais Scanderberg du haut de la montaigne faiſoit de
rands feuz toutes les nuicts, & ſuriour de la fumee, pour aſſeurerceux
† dedans qu'il eſtoit preſt devenirà leur ſecours, ſi toſt que la neceſſité
s'en preſenteroit; dont ils le deuoientaduertir par vn ſignal accordé en
tr'cUIX. † quelques vns des ſoldats d'Amurat,les meilleurs & plus
diſpoſts qu'il euſt en tout ſon camp, fe voulurent mettre en deuoir de
monter cette montaigne, pourl'aller deſnicher de ſon fort, ou bien l'a
muſer & retenir pendant qu'on donneroitl'aſſaut, là où il y eut vn fort Proeſſe de
Standerberg.
brauecombat : & fit là Scanderbergdes choſesincroyables de ſa perſon
ne,abattant & renuerſant tout ce qui ſe rencontroit deuant luy. Dau
tre partles Genniſſaires voyans la ruine & ouuerture quel'artillerie leur
auoit preparee, & que labreſche eſtoit plus que raiſonnable, ſe renge Aſſaut de
rent incontinent en bataille ſur le bord du foſſé, & allerent tous d'vne Croye où les
Turcs ſont
grande furie lateſte baiſſee donneriuſques ſurle haut du rempar, là où repouſſez.
ils furent fort bien recueillis par ceux de dedans, qui combattoient d'vn
rand effort, en ſorte qu'Amurat qui § l'emporter de plain
aut,ſe voyant deſcheu de ſon eſperance changea d'aduis, faiſant ſon
compte de l'auoir par famine à la longue, quandvn courrierarriua dela
† George Deſpote de Seruie, quile luyauoit depeſché en toute di
igence, pour l'aduertir comme Iean Huniade ayant aſſemblégrádnom
bre de Hongres, de tranſliluains,& Valaques, eſtoit ſurle point de paſ
ſerle § pour entrer dans ſes terres. Ces nouuelles firent bien à Amutateſ
Amurat corriger ſon plaidoyé, carſoudain il trouſſabagage, & ſe mit en pouuanté de
Iean Hunia
chemin pour allerdeuancerles Chreſtiens, la part oü il penſoit les pou de,leue le fie
uoirpluſtoſtrencontrer.Cependant il depeſcha des meſſages de tousles geCroye.
deuant

coſtez del'Europe,aux gens de guerre quiy eſtoient eſpanduz,à ce qu'ils


ne failliſſent de # rendre haſtiuement en ſon camp; lequel parce moyen
ſe renforçoit deiouràautre,chacun s'eforçant de preuenirſon compai
gnon, &arriuer le premier pour gaignerla bonne grace du Prince. Or
ayant dreſſéſon chemin parle pays desTriballiens,ilarriua finablement
Én vulgaire
enceſt endroict de la Myſie par oü paſſe la riuiere de Moraue,qui ſevavn Schirutza.
† plus bas deſcharger en celle du Danube : toute † contree eſt
ousl'obeyſſance duTurc, & quelques cinq bonnes lieues plus auant
encore,iuſquesàlaville de Nice Que ſi onregarde à la main droicte, on
la § desTurcs iuſques à Nobopyrü, ou Bopirum, & à la
grande montaigne qui eſt des appartenances des Triballiens. Amurat
eutlànouuelles certaines de l'armee de Huniade, quiſe haſtoit tant qu'il
pouuoitdele venirtrouuer, ayant bien quarante mille hommes de pied
2 O2 · Liure ſeptieſme . .
chariots de tât Hongres que Valaques ſept mille cheuaux,& enuiron deuxmille ca
" roſſes equippez en guerre,ſurchacun deſquelsyauoit vn rondelier & vn
moſquetaire,pourueu de pluſieurs groſſesharquebouſes toutes preſtesà
† vnes apres les autres, ſans perdre temps à recharger , & eſtoient
couuerts là dedans d'vne paueſade,preſque ſemblable à celle d'vne fuſte
ou galiotte. En ceſt equippage paſſerent les Hongresle Danube ce qui
eſtoit ſuffiſant pour donnerà penſerà quelque moyenne puiſſance:Mais
le Prince des Triballiens, qui regardoit tout cela comme d'vne eſchau
guette, & lequeleſtoit homme entendu & verſéaux affaires du monde,
cognoiſſoit aſſez que ce n'eſtoit pas bille pareille pour reſiſter aux forces
qu'Amurat charrioit quant & luy, eut plus de peur de l'offencer que les
autres, dont auſſi bien ilauoit receu tout plain d'indignitez & outrages
enſes terres:Parquoyilſetint quoyſansſe declarerpour eux,encore qu'il
ſe fuſt volontiers vengé d'Amurat s'il euſt peu, lequel luy auoit aueuglé
ſes enfans. Huniadelevoyantainſicaler lavoile, en demeurafort deſpi
· té contre luy, d'autant qu'il s'attendoit à ce renfort qui n'eſtoit pas peu
de choſe, mais ne ſçachant qu'yfaire, il fut contraict de diſſimuler pour
l'heure,& remettre à quelque autre ſaiſon plusà proposle reſſentimét de
cette deſloyauté,dontilſe contenta de luyfaire quelques reprochesaſſez
| - † ; puis paſſant outre s'en vint planter lon camp en la plaine de Co
ſobe, oüle premier Amurat fils d'Orcan vint à la bataille contre Eleazar
Deſpote de Seruie, qui demeura ſurla place, & fut ſon armee entieremét .
defaicte : mais luy meſme auſſi y perditlavie,ayant eſtémisà mort parvn
ſimple ſoldat Triballien, ainſi que nous auons dità la fin du premier li
cequiment ure. Ce qui tirale plus Huniade à entreprendre cette guerre, fut qu'en
† larencontrede Varneilauoitveu, comme facilement e premierevenue
†º il rembarra & mit en fuitte les Turcs, tout auſſi toſt qu'il fut venu aux
mainsauccques cux. Dequoyil s'imprimavne opinion que c'eſtoit cho
ſe non ſeulement poſſible, mais aiſee de les deffaire; & que n'euſt eſté la
trop bouillantehaſtiueté du RoyVladiſlaus,illes eut lors totalement mis
cn routte : là où maintenant qu'il n'y auoit que luy qui commandaſt, il
faudroit que la fortune luy † bien contraire s'il n'emportoit de tous
· poincts ceux, que en tant & tant de combatsilauoitveutournerle dozà
la premiere veue & comparoiſſance de ſacornette;ayant meſmement de
ſibelles forces, & ſi bien entalentees de faire quelque granddeuoirpour
l'honneur & ſeruice du nom Chreſtien, à l'encontre de celuy, qui deſia
tout deſbriſé & rompu devieilleſſe & de maladies, ne s'aſſeuroit pas du
tout bien de ſon propre fils; & quivenoit tout freſchement de receuoir
vne honte & deffaueur deuant la ville de Croye,laquelleilauoit eſté con
trainct de quitterlà, nel'ayant ſçeu prendre ſurvn ſimple cheualier cr
rant, dont ſon armee eſtoit touteie ne ſçay comment deſcouragee &mal
faicte. Tous ces diſcours le rendoient plusinſolent que de couſtume,&
leiettoient preſque hors des gonds, comme s'il eut deſia tenu lavictoire
aſſeuree en † mains, & que ce qu'ilauoit conceu en ſon eſpritn'euſt oſé
faillir de luy ſuccederà ſouhait,voire outre & pardeſſus ſes propres cſ
De l'Hiſtoire desTurcs. 2o3
perances;ayant deſia depeſché des Ambaſſadeurs deuers Scanderberg
& Arianites, pour les ſolliciter de s'en venir en diligence ioindre à luy
auccleurs forces, afin que de compaignie ils peuſſent exterminer leur
commun ennemy.
MA 1s Amurat ſe trouua bien à celle fois cent cinquante mille com- viit
battans : parquoy eſtans venues les deux armees à veue l'vne de l'autre, †º murat dc

déslel'endemain au matin il mitſesgens dehors, donnant la charge de m† es &ſon or


lapoincte droicte où eſtoient les Aſiatiques,à Scuras, & de la gauche à § venir au com
Caratz,auec toutes les trouppes de l'Europe, les vns & les autres depar bat.
tizpar eſquadrons ſeparez. Quantàluy , il demeura à l'accouſtumé au
milieu de ſes deuxgros hourts,ayant auecques ſoy les Genniſſaires, &
· autres domeſtiques de la porte, couuertsau deuant des chameaux, & de
lapaueſade ordinaire;le tout entremeſlé de force mouſquets, faucon
neaux & autres pieces de campaigne aiſees à manier, tellement que c'eſt
choſe tres-difficile à aborder ſans vne bien grand'perte de gens.Huniade bataill
- - 2 -
†º
rengea auſſi de ſa part les ſiens en bataille à la maniere qui s'enſuit. De la §
Hongres,
poincte droicte eurent la charge les gouuerneurs du Royaume de Hon
grie, auec ſes couſins Zeculez, Ziloces, & Megaluſes. Au milieu il e
ſtoit en perſonne, accompaigné des Bitezides Houſſarts (ainſi eſt appel
, leelagendarmerie de Hongrie)& des forces de laTranſſiluanie ou Ardel
| Ala gauche commandoit Danus, amyintime d'iceluy Huniade, en fa
ueur duquelilauoit chaſſe Dracula de la principauté de Modaluie, pour
introduire cettuy-cy, quiamena lors bien huict mille Valaques à ſon ſe
cours. Or comme les deux armees fuſſent ainſi rengees d'vne part &
d'autre, n'attendans ſinon de commencer l'eſcarmouche, vn Houſſart
dela cornette de Huniade la lance au poing ſeietta hors des rangs, dc
mandant vn coup de lance de gayete de cœur : Surquoy les Turcs qui
· eſtoient § s'arreſterent tout court; & vn d'entr'eux nom
mé Hali fils de Barizas qui en ſon temps auoit eſte homme de nom,&l'vn
desSanjaques de l'Aſie, auparauant Aga ou coronel des Genniſſaires, ſe
preſenta enſemblable equippage pourluyreſpondre; & ſans autrement
marchandervindrent à toute bridel'vn contre l'autre tant que les che
uauxpeurent traire, de ſidroit fil, que leurs lances volerent en eſclats,
maisle Houſſart fut porté par terre,& Hali renuerſe ſur la crouppe de fon
cheual, car ſangles & poitrail rompirent de la force du coup, auquel il
ſetrouua plus § & plus roide que l'autre;tellement que cela luydon
· nal'honneur de cette iouſte, mais pource qu'il eſtoit ainſi en mauuaiſe
aſſiete, il neluy fut poſſible de retourner ſur ſon ennemy pour l'acheuer,
lequel giſoit emmyle champ tout eſtourdy dela cheutte, auſſi que tout
àvninſtant lesTurcsvoyant l'aduantage de leurchampion,ietterentvn .
haut cry, prenans cela pourvnbonaugure de la victoireaduenir.Etain- .
ſi s'eſtantretireztous deux,chacun deuers les ſiens,Amurat fort content
du deuoir qu'il auoitveu en ceieune homme,le fit venir en ſaprcſence,&
Plaiſante &
luy dit telles paroles. O mon enfant : quel beau commencement as tu facetieuſe
monſtréicy de ce qucl'on pcut eſperer cyapres de tavaillance, veu qu'on hiſtoire.
. - -- . t --- • . «-

2O4- Liure ſeptieſme


ſçait aſſez que c'eſt la premiere guerre où tu te trouuas onques, & les
· premices de ta milice; Neâtmoins tu t'es porté en ce coup d'eſſay contre
ton ennemy,toutainſi que ſitu euſſes deſiaatteint le plus haut degré de
ce meſtier. A celaleieune homme reſponditd'vne naïfueté fort grande:
Certes, Seigneur pour t'en dire la verité, vn lieure à eſté en cecy mon
maiſtre & precepteur, & m'a enſeigné de faire ce que i'ay fait. Amurat
tout esbahyd'vne ſi eſtrange & fantaſtique reſponce, luy demanda &
comment eſt-ce (iete prie) que le plus paoureux & imbecile animal de
tous autres, peuſt tenireſchole de proeſſe & aſſeurance ? Il repliqua. I'e
ſtois en Aſie, reſident en cette Prouince dont ilauoit pleu à ta grandeur
donnerle gouuernement à mon pere, quandvne matinee il me prit en
| uie d'alleràla chaſſe, à toutmonarc & vne laiſſe de levriers.Et voicy que
ie rencontray vn lieure en forme, † ſelaiſſaapprocher de ſi pres, qu'il
me ſembla que ce ſeroit choſe plus ſeure de le tuer d'vn coup de trait, que
de m'aduenturer dele prendre à la courſe. Carle pays d'Attalie ( comme
tu ſçais Seigneur)a de fort bonslievres, combien que ceux de l'Europe
ſoiét encore beaucoup meilleurs.Etainſi faiſſant § à part moy,
ie commançay à deſcocher ſurluy la premiere fieſche, puis la ſeconde, &
la tierce encore, & toutle reſte conſcquemment, ſans que ie peuſſe aſſe
ner non pas ſeulement eſueillerle lievre,ne le faire partir de ſon giſte,que
ie n'euſſe acheué devuider tout mon carquois, ſiyauoit il pourle moins
quarante fleſches dedans,il m'en ſouuient bien : Et pource qu'il ſe vou
loit ſauuer,ie laſchaymeslevriers apres, qui le faillirent § bien que
moy.Voyant † parvne ſiclaire eſpreuue, que ſa deſtinee l'auoit
† d'vn tel peril,ie m'imprimay deſlors cette opinion qui m'eſt tou
iours demeuree enlafantaſie, queie ne deuois nomplus craindrenylan
# ce,ny eſpce, nycoups de fieſche , ou d'harquebouſe;pource que tout ce
§ la ne me ſçauroit abregervne minute d'heure de la vie, qui m'a eſté pre
"" mierement ordonnee de là haut : Et ſous cette confianceieme ſuis ainſi
hardiment expoſé ſans rien craindre, contre celuy qui nous venoit bra
uer, ſçachanttres-bien que ſi mon heure n'eſtoitvenue, il ne me pouuoit
arriuer de cela aucun inconuenient. Amurat prit fort grand laiſir à ce
diſcours,& aima touſiours depuis le ieune homme,lequelil § 3lllX
charges que ſouloit tenir feu ſon pere, & les oſta à celuy qu'il en auoit
deſia pourueu pour les donnerà cettuy-cy. Mais cela fut puis apres, car
pourl'heure luyayant donnévnerobbe de drap d'or, & faict tout plein
d'autres careſſes en teſmoignage de ſa vertu, il le renuoya en ſon rang,
pour acheuer de bien faire à la bataille qui s'alloit commencer. Les
Ruſe cnla loy Turcs à la verité & tous ceux qui ſuiuent leurs ſuperſtitions deferent
VA • / - - " - - -

>

Turqueſque. beaucoup à la predeſtination, & n'eſtiment pas qu'il ſoit poſſible d'en

dis.
rien euiter; ce qui les rend plus courageux & hardis à entreprendre des
choſes hazardeuſes. . ! *.

XI. AM vRAT au demeurant ne voulut pas,que les trouppes de l'Aſie cn


fournaſſent le combat comme àl'autre fois craignant qu'il n'en aduinſt
du dcſordre,&qu'ils ne tiraſſétlesautres,beaucoup plusſeurs&meilleurs
- - - - - -- - " -- -- - - - - - -------- ------- " " -- -- - | | combattans
Del'Hiſtoire des Turcs. 2o5
combattans,à ſe deſbander quant & eux.Tellement qu'ilayma mieux les
#
faire contenir,tout ainſi que s'ils n'euſſent eſté là à autre fin que pour ſer
uir de teſmoings& ſpectateurs pour donnerauſſi à penſer aux Chreſtiés,
uandils verroient tant de milliersd'hommes encor en leur entier,preſts
à donner dedâs,oùl'occaſion s'en preſenteroit,ce quiles feroit aller plus
| ſous bride, & reboucheroit aſſez de leur impetuoſité & ardeur. Apres
donques qu'il eut fait renger en ordonnâce les trouppes de l'europe, par
cornettes & efquadrons prochainslesvns des autres,voyâs quelesChre
ſtiens començoient deſia à ſ'eſbranler pour venir à la charge,il fit donner
le ſignal pouralleràl'encontre:Et là en cette premiere abordee il y eut de La bataillede
grands coups donnez d'vne part & d'autre,& pluſieursvaillans hommes §
portez parterre,quin'en releuerentonques puis.CarlesTurcs Europeés †"
côbattirent degrád effort qu'on n'euſt cuidé,ſe ſentans eſguillonnez de *
l'honneur que le ſeigneur faiſoit,de vouloir cômettre tout le faiz de cet
teiournee ſur leurvertu & proueſſe. Et ſi il n'y alloit pas moins que de ſa
perſonne,de ſa reputation,& de tout ſon eſtat paraduenture,ſi bien qu'il
rembarrerent ceſte premieretrouppe de Hongres qui les eſtoient venus F
uitte des
attaquer,& en tuerent grand nombre à coups de fleſche & de cimeterre: Hð.
chaſſans le reſte à toute bride iuſques dedans leur groſſe trouppe, à tra
uers vne plaine ſpacieuſe & fort à propos pourleurs montures, qui ſont
viſtes & de longuehaleine.Mais Huniade vint tout incontinent au ſe
cours desſiens,auecvn gros hourt de cauallerie toute freſche,qui arreſta
&les fuyards & les pourſuiuans,auſquels il fit tourner bride, & les con
traignit de prédrela chargeàleurtour,eniameſme diligéce qu'ils auoiét
pourſuiuyles ſiés.Ainſis'allerent les deuxarmees eſcarmouchans tout au
long du iour,ſans qu'ily euſtaduantage gueres apparent pour les vns ne
pour les autres;caril en tombagrandnóbre, eſgalemét preſque des deux
coſtez. Etlà deſſus ſe retirerentau logis qu'il eſtoit deſia noire nuict, fai
ſans à part eux diuers penſemens & diſcours en leur eſprit : Les Hongres,
quelagend'armerie Turqueſque n'auroit point la hardieſſe de retourncr
le lendemain au combat,mais s'eſcouleroient tous qui deçà qui delà à la
faueur des tenebres, & l'airroiét leur Prince pour les gages,aucc ſes Gen
niſſeres,dontilsauroientadonc fort b6marché Alaveritéilyauoit aſſez
de Turcs quiſe fuſſent bienvolontiers retirez ſi loin des coups, qu'il euſt
eſté biémal-aiſé deles r'atteindre leiour enſuiuant,n'euſt eſte que les Tri
balliés qui gardoient les pas & deſtroits des môtaignes leur firent peur,&
furent # qu'ils retournerét au camp.Amurat d'autre coſté § ſon
compte toutaurebours;carayant ſi bien veu faire à ſes gés, que non ſeu
ment ils auoiét oſé attédrelafurie & impetuoſité des Hongres, mais les
auoient rembarrezles premiers,& bien auant encore,commença d'eſpe
rer mieux de lavictoire,& meſpriſer les ennemis beaucoup plus qu'aupa
rauant.Parquoyayât faitvn fort bô viſage à ceux qui s'eſtoient le mieux
portez,loüé le reſte de leur deuoir,& exhortélesvns & les autres de pren
dre courage,d'autât que lesHôgres ne pourroiétle lédemain endurer de
lcsvoir enface,leur dönaconge pour s'aller r'afreſchir,caril pouruoiroit
S

' •i
2o6 Liure ſeptieſme
que ceux qui n'auoient point trauaillé, feroient les gardes & ſentinelles
requiſes.Voila cóme les choſes paſſerent en cette premiere iournee. Les
Hongres employerent le reſte de la nuict,à côſulter ſur ce † auoiét à
faire,les vns mettans en auât vne choſe,les autres vne autre,ſelô qu'il leur
f Ce fut ce- ſembloit le plus à propos, tant que finablement Thaut fils de f Sauz,
# # qui fut fils d'Amurat premier, & pourtant de la race des Othomans, le
†" quel pour lors eſtoit auecles Hongres ſuyuant leur parti,ſe mit à parler
† " en cette ſorte, Nous auons deſia (ſeigneurs Chreſtiens ) aſſez de fois
yeux. - » - - -

A ,
· Aduis du combattu & en Aſie, & en Europe, & ſi n'auons pas encore bien pris
T r
qui ſuiuoit le
garde à la maniere dont il faut procedercontre Amurat, pour le mettre
§ bien toſt au bas luy & tous ſes affaires: car nous ne viendrons iamais à
" bout de luy, ny ne ferons choſe quivaille, que premierement nous ne
rompions ces gens cy: ceux là veuxie dire qui le remettent touſiours ſur
pied, quelque perte & deffaicte qu'il puiſſe receuoir en tout le reſte de
ſes forces, pourueu qu'ils demeurent en leur entier. Et de faict le plus
- court & abbregé expedient qui puiſſe eſtre pourlegaing d'vne bataille,
eſt de mettre à mort,ou prédre priſonnierle chefde l'armee, qui retient
to°les autres en leur deuoir.Que ſi vne fois ils ſe voyêt priuez de luy,tout
le reſte puisapres ſe met bien aiſement de ſoy meſme à vau de routte, &
quitte la place; tout ainſi que ſi quelqu'vn auoit receuvne playe mortel
le en la teſte,qui eſt comme vn chaſteau ou Citadelle,laquelle commâde
à tout le corps,il rendentierement ſa force & ſavertu,là où eſtant frappé
en autre endroit,il peut encore reſiſter,& ſe deffendre. Oyez dóques ma
côception.N'auez-vous point pris garde,comme la porte d'Amurat s'eſt
toutlelong du iour contenue ſans ſe mouuoir ?auſſi eſt-ce la totale reſ
ſource de luy & de ſon armee, en ſorte qu'ils ſe garderont bien de la ha
zarder ſi quelque grande occaſion, voire extremité notable, neles en
preſſe,de peur que tout ne ſe perde quant & eux. Parquoy voicy ce qu'il
nous faut faire : Allons donner droict à trauers les Genniſſeres, ſans plus
nous amuſer autre part,car ſinous les rompons vne fois,tout le reſte ſui
ura facilement,& n'y aura perſonne quinous face plus teſte:mais ily faut
aller de reſolution ſans marchander,& y employer meſme les carrozzes,

| equippezd'arquebouzes
ront & mouſquets
la plus belle ouuerture, : Ce ſeront ceux
& nous les ſeconderons puis qui nous
apres y fe
à coups
de traict, & de main finablement. Et ſi ne faut pas attendre qu'il ſoit
iour,ains executer tout de ce pas noſtre entrepriſe au plus profond de la
nuict, dontl'obſcurité nous fauoriſera beaucoup, pource qu'à lalumie
re on ſe r'aſſeure plus aiſement, & voit-on mieux à qui l'ona à faire, en
choſe meſmement non preueuë & ineſperee. Si vous le faictes ainſi, il
n'ya doute quele Soleil à ſon leuer ne nous voye & ſaluë victorieux &
d'Amurat & de ſes forces iuſques à maintenant inuincibles, & de tout
ſon Empire quant & quant. Ayant mis fin à ſon propos , l'aſſiſtence
adhera ſoudain à cette opinion, qui ſemblala meilleure , & ar1eſterent
tous d'vnevoix qu'il en falloit faire ainſi, car ce ſeroit de vray briſer la
reſte du ſerpent.Et là deſſus ſans faire autre demeure, ayans promptemét
De l'Hiſtoire des Turcs. 2o7 -

Les Hongres
atteléles carrozzes,ſur chacun deſquels ils mirent trois ou quatre groſ à la perſuaſió
ſes harquebouzes, s'en allerent d'vne grande audace ietter ſur le # gis†
d'Amurat enuiron la ſeconde garde; là où de plâine abordee ils mirent §
vn terrible effroy parmy les Genniſſeres , qui n'auoient point encore "
eſté deſieunez de ceſte forme de combattre: auſſi que cela fut ſi ſubit & - .

inopiné, & le bruict que feiſoient ces chariots ſieſtrange, qu'ils demeu
· rerent quelque temps auant que ſe pouuoir recognoiſtre, ne renger en
l'ordonnance accouſtumee pourſe deffendre:Toutesfois ils ſe raſſeure
rentincontinent comme gens de faict qu'ils eſtoient tous,& experimen
tez de longue main aux diuers accidens de la guerre. Les canonniers
uant & quant commencerent à iouër de leurs pieces, dont le parquet
† Gennrſſeres (au milieu deſquels la perſonne du Turc eſt logee,
tout ainſi que dedans quelque gros boulleuard) eſt garni & enuiron
né de toutes parts : ce qui fitvn † grand eſchec à trauers les Hongres
& leur attelage,dontvnebóne partie fut emportee à coups de canon. Le
pis encore fut pour eux,que l'aube iour cômença ſoudain à apparoiſtre,
& les deux grandes aiſles de Turcs, qui iuſques à lors n'auoient oſe ſe
mouuoir à cauſe de l'obſcurité de la nuict,cômençoient deſia à s'eſbran
ler pourlesallerinueſtir & encorre : Parquoy les Hongres ſe retirerent #
tout bellement versleur camp,là oü Huniade mit à lafaſte le reſte de #
ſon armee en bataille, voulant encore eſſayer de rompre & mettre les "
Turcs en deſordre:Et s'en vint là deſſus pour charger à toute bride les
troupes de l'Aſie, eſperant d'enauoir meilleur marché qu'il n'auoit eulc
iour precedent de celles de l'Europe. Maisle Beglierbey de la Romanie
s'enapperçeut auſſitoſt,& enuoyaThuracangouuerneur de la Theſſalie †
bat entre les

auec ſes gens,pourleur allerdonner en queue, & luy auec le reſte de ſon #
regiment les prit de flanc, en ſorte qu'ily eutlà vn grand meurtre & oc- §
ſion de Chreſtiens,pour ſe trouuerainſi tout à coup preſſez de diuersen-"º
droicts : car ceux de l'Aſie ſevoyans ſouſtenus reprirent cœur,&combat
tirent plus aſprement qu'ils n'euſſent faict Les Valaquesvoyâsla conte-infdelitédes
· nance desvns & desautres,& quele perilles menaçoit deſormais de ve-†
nir iuſqu'à eux s'ils s'opiniaſtroient d'attendre d'auantage, aduiſerent †"
d'enuoyer deuers Amurat pour chercher de faire leur appoinctement; "
ſous proteſtation de luy demeurer de là enauáttres-obeiſſans & fideles:
Car ils ne voyoientautre meilleur expedient que celuy-là : & ſçauoient
treſbien que la premiere choſe qu'il † apres auoir gaigné la bataille,
ce ſeroit delesaller tous exterminer en leur pays,& les ruiner de fonds en
comble : Parce qu'il ne ſe voudroit pas contenter des excuſes qu'ils luy
pourroiétalleguer,que la conformitédela religion, & l'alliance, & con
federation que de ſilongue-main ils auoientauec les Hongres, les au
roient contraincts de prendre les armesauecques eux,ayâs eſté meſmc
ment induicts,voire forcez à cela par le Prince que Huniade leur auoit
donné, lequel eſtoit du tout à ſa deuotion.Apres doncques qu'ils eurent
deleguél'vn d'entr'eux, auec vn trompette pour aller porter ce meſſage
à Amurat,il luy parla CIl CCUUC ſorte.Treſp uiſſant & redouté Monarque,
S ij
2o8 Liure ſeptieſme
# º les Valaques tres-humbles & tres obeiſſans eſclaues de ta grandeur,
† m'ont commandé devenir icy deuers toy,pourte ſupplier tres-humble
ment leur vouloir octröyer la paix, & les receuoir de nouueau en tabon
ne grace & bien-vueillance , leur pardonnant la faute qu'ils peuuent
. - auoir commiſe enuerstoy & toninuincible couronne: Carils proteſtent
ſur la foy & ſeruitude qu'ils t'ont touſiours portee en leurs courages,que
par contraincte & malgré eux,ils ont pris les armes contre toy,en la com
pagnie de tes capitaux ennemis les Hongres, que Dieu confonde, puis
† ne ceſſent de troubler ton repos, & diuertir tes glorieuſes entrepri
es & conqueſtes. Plaiſe doncques à tabenignité (Sire)ne'reietter point
la tres-humble requeſte qu'ils te font tous en general, par la voix & or
gane de moy leur deputé,& leur vouloirpardonner le pafſé , à la charge
· que tout de ce pas ils t'aideront à exterminer tes ennemis icy preſens , &
· que d'oreſnauantils obeiront fidelement à tout ce qu'il te plaira coman
Reſponce der. A cela Hali le premier Baſſa ou Viſir prenant la parole fit telle reſ

# Ponce Maisvous MeſſieurslesValaques,ne deuiez pas ignorer quellea


§ § eſté touſiours,& eſt encore plus que iamais la puiſſance de noſtre ſouue
#. rain Seigneur, ce qui deuoit ſuffire pour vous deſmouuoir & retenir de
rien attempter qui luy deuſt deſplaire.Toutesfois puis que vous n'auez
point eſté opiniaſtres iuſquesaubout, & vous eſtes vouluz recognoiſtre
auant que l'extremité vous preſſaſt, ſa grandeur eſperant que le langa
ge que vous venez de tenir ſera ſans dolne diſſimulation aucune,eſt con
tent de vous receuoir en ſa grace accouſtumee , & vous pardonner le
paſſé.Au reſte vous vous pouuez aſſeurer que ſi vous faictes ce quevous
dictes , voſtre deuoir & obeiſſance pourra ſurmonter les bons traicte
mens & biens-faicts dont il pretend vſer enuers vous. Allez doncques,
. & apportezicy vos armes, afin qu'il ait dequoy s'aſſeurer devos promeſ
ſes ;car de voſtreayde & ſecours il n'en a point de beſoin pour cette heu
re.Ayantainſi parléillicential'Ambaſſadeur ; lequel ne § pas pluſtoſt
La deſloyauté de retourvers les ſiens, qu'ils planterent là les Hongres au plus fort de

§ l'affaire,& s'en vindrentrendre àla porte d'Amurat, où ils s'arreſterent


† encore tous ſerrez en vn eſquadron , s'attendans qu'il tiendroit à vne
†" º bien grande obligation,& lcur en feroit ſoudain † belle recopen
- ce,d'auoirainſi abandonné les ennemis pour venir à ſon ſecours ; pour
le moins qu'ils ne ſe meſlaſſent ny pourlesvns ny pour les autres. Mais
luy quiinterpreta cela tout d'vneautre façon, craignant que ce ne fuſt
vn ſtratagemeapoſté entr'eux & les Hongres, pour eſpier l'occaſion de
luy porter quelque dommage , ou bien euſt en horreur & abomination
Les Valaques leurdeſloyauté,manda là deſſus le general de l'Europe, auec enuiron

§ vingt mille cheuaux qu'ilauoit ſoubs ſa cornette, leſquels vindrent en


† clorreincontinent ces pariures,& les taillerent tous en pieces juſques au

rat, & ſon gé dernier; qu'ilsauoient encores leurs armes: car Amurat ne les leur auoit
#º pas voulu faire mettre bas, afin qu'on ne le peuſt arguer d'auoir exercé
CClA.

vne telle cruauté contre des gens nuds, qui auroient deſia eſté receus
à ſa mercy. Mais eux n'eſtans pour reſiſter à vne telle force, finerent là
Del'Hiſtoire des Turcs. 2o9 '
miſerablement leurs iours, en vitupere & ignominie perdurable : Là où -

paraduenture s'ils ſe fuſſent retenus enleur deuoir, & pris le hazard d'vn
combatlegitime,auecleurs alliez & confederez, d'vne meſme creance,
contre leur commun ennemy,ils en euſſent (peut-eſtre) eſté quittes à
meilleur marché,auecvne honorable & glorieuſe memoire. Les Hon
gres cependant ne ſçauoient que penſerlà deſſus , car ayans veu comme
les Valaques les abandonnoientainſi vilainement au beſoin pour paſſer
ducoſté d'Amurat, ils en conceurent de premier mouuement plus d'in
| dignation que d'effroy,s'eſtimans bien-heureuxd'eſtre deffaicts d'vne ſi
mauuaiſe denree : Mais apres qu'ils ſceurent le traictement qu'on leur
auoit faict pour recompenſe de leur trahiſon , alors ils curent la vertu
- d'Amurat en trop plus grande eſtime, qui n'auoit voulu ny le ſecours, ny
· lacompagnie d'vneſi mal'heureuſe race de gens ; & commencerent à le
redoubterplus que deuant. Or ſe faiſoit-ildeſiatard,& s'eſtoitpaſſé cet-#
teiournee auſſi bien que la precedente , en eſcarmouches & legiers com-#re
· bats, tantoſt # tantoſt là,ſans venir à la bataille generale , ne qu'il y doubté par
les Hongres
que la gran
euſtaduantage ſinotable, que les vns & les autres ne ſe peuſſent encore †
· pour celle fois retirer chacun en ſon camp : Au moyen dequoy la re-ºº
traicte ſe ſonna des deux coſtez; & Huniade ayant faict appeller ceux
qui auoient la charge des chariots. Eſcoutez (dit-il) compagnons , ºr si .
viens de recognoiſtre tout à monaiſe,& la trouppe, & le fort d'Amurat, †
là où giſtle centre de noſtre victoire,& me ſuis † bien reſolu du moyen †
qu'il faut tenir pourracler tout cela cette nuict auec peu de perte pour §
nous. Que chacun doncques ſe tienne preſt pour aller donner dedans"
ſur le changement du guet, lors que ie vous en feray aduertir par la
Sourdine, car ie me mettray deuant pour vous faire le chemin & ou- .
uerture. Et ſur ces entrefaictes s'en alla choiſir parmy toute l'armee les
| meilleurs hommes † fuſſent, & les mieux montez, dont quaht &
quantilſe pouuoit fier le plus; leur commandant de repaiſtre en toute
diligence, afin de partir quand il le leur feroit ſçauoir, qui fut vn peu
auantleiour.Maisilne prit pas ſon chemin vers Amurat comme il diſoit, Hunlade,

au contraireil tourna court tout auſſi toſt qu'il fut hors des trenchees, laiſ ſºn
pourallergaigner le Danube, & le paſſer auant que ſon deſlogement §
peuſt eſtre deſcouuert. Comme leiour puis apres euſt commencé à ap
paroiſtre,& que ceux qui eſtoient aux carroſſes attendans ce qu'on leur
commanderoit, n'apperçeurent plus ny Huniade,ny marque aucune ou
apparence de luy ne de ſa trouppe ; & que les Turcs d'autre coſté qui
eſtoient en ſentinelle euſſent veu le camp des Chreſtiens plus vuide &
deſnué que de couſtume, demeurerent d'vne part & d'autrevne bonne
eſpace en ſuſpens,ne ſçachans bonnemêt deuiner que cela vouloit dire,
iuſques à ce que quelquesvns de leurs coureurs,qui eſtoient allez la nuict
àla guerre, rapporterent que Huniade auecvn gros hourt de caualerie -

auoit repaſſé l'eau,& eſtoit deſia fort eſloigné.Cela entendu,les Genniſ Bºnfiaius dit
ſeres coururent haſtiuementaux armes,&allerent donnerſur les carroz-†s
zes, oû pourle commencement ily eut de la reſiſtence, pource que ces"
- S iij
2Io Liure ſeptieſme -

- enslà qui n'eſtoient pas des pires,ſe voyans reduicts au deſeſpoir com
§ comme par deſpit,tous forcenez & furieux pour le laſchetour
Entasashi º leur chefleurauoitioué.A la fin toutesfois les Tures en ayant tué
nt16ºf6 dCta1- v. - 2 -

§ pluſieurs à coups de fleſches & d'harquebouſes,ſe ſaiſirent d'vne partie


grcs. des chariots, auec leſquels, tout ainſi attelez qu'ils eſtoient, ils donne
rent à toute bride à trauers le reſte,& leur paſſerent ſur le ventre, ſi que
perſonne n'en reſchappa.Alors les chefs debande, & autres perſonna
ges de commandement & authorité, ſe voulurent parforcer de mettre
· en teſte à Amurat qu'il falloit pourſuiure chaudement la victoire, & al
lerapres Huniade ainſi deſconfit, mais il reietta bien loing ceſt aduis,
leur remettant deuant les yeux ce qu'autrefois eſtoit cuidé aduenir à
surlafin du Chazan fils de Mazaal, pour s'eſtre voulu trop opiniaſtremét eſchauffer
liure precedét. apresle meſme Huniade,& les Hongres.Parquoy (dit-il)c'eſt le meilleur
· que nous nous contentions pour ceſte heure, de ce que la fortune nous
a octroyé ſur nos ennemis. Quant au nombre des morts qui demeure
rent en tous ces combats, ſelon ce que i'enay peu apprendre, carle Prin
ce desTriballiens en fit depuis vne reueuë, il y eut bien dixſept mille
#
ſtiës & 4ooo. Chreſtiens tant Hongres que Valaques,& desTurcs enuiron quatre mil
- - »

miiie Tures le tuez ſur la place:eſtant fort aiſé de diſcerner les vns d'auec les autres;
#. pource que les Turcs ſont circoncis,& tous raſes » hors-mis vn touppet
† de cheueux qu'ils laiſſentau haut de la teſte, & quelque peu de poil vers
† les temples,là où les Hongres nourriſſent fort curieuſement leurs perru
§ſeule les
ques
IllCIll .
fort longues
enſeuelir & bien
§ bord de teſtonnees.Amurat
la riuiere de Moraue.fit tirerles ſiens à part, &

» a . . # temps-pendant Huniade gaignoitto uſiours pays en la plus † -

† de diligence qu'il pouuoit, tant que ſur le veſpre il arriua aupres d vne
§" petiteville des appartenances des Turcs,appellee Sphetzanium, eſtant
en grande perplexité d'eſprit quel chemin il deuroit pluſtoſt prendre
pour ſe mettre à ſauueté,& qu'il ne fuſt deſcouuert des Myſiens, pour ce
qu'il ſçauoitbien que George Prince des Triballiens ſon mortel enne

my, ne faudroit ſur ce deſaſtre de luy faire dreſſer embuſche, &
mauuais party s'ilpouuoit.Tellement que ſur la ſeconde garde, faiſant
ſemblant d'aller reuiſiterlesſentinelles qu'ilauoit poſees pour ſa ſeureté,
il ſe deſtourna auec quelquesvns dont il ſe fioit le plus,& prit vn chemin
- à l'eſcart: Puis toutſoudain changeant d'aduis,ſe deſrobaauant qu'il fuſt
iour de ſa trouppe; eſtimant de ne ſe pouuoir ſi bien ſauuer en compa
gnie,côme s'il eſtoit ſeul.Et tout auſſi toſt que le Soleilfutleué, abâdon
nant ſon cheual, s'en alla à pied pour gaigner vne petite colline qui
eſtoit là aupres toute couuerte de buiſſons, mais il apperceut vn Turc
† tiroit pays,ce qui fut cauſe qu'ils'alla cacher dans les cânes & roſeaux
vn marets quicoſtoyoit le pied de ce tertre, iuſques à ce que l'autre
- fuſt paſſé outre. Lorsil ſortit, & pourſuiuit ſon § , tant qu'il arri
ua ſurles terres du Prince George,là oü ayant de premiere entree ren
contré deuxTriballiens,illeur offrit vne bône ſomme d'argent pourluy
monſtrer le chemin; mais ils ne furent gueres loin qu'ils conſpirerent de
- N.

-- #
De l'Hiſtoire des Turcs. 2f1
lemettre à mortpourauoir ſa deſpouille , dequoy luy qui auoit conti
nuellementl'œil auguet s'apperçeut auſſitoſt, deſorte qu'auant qu'ils le vaillancede
chargeaſſentileuſt le loiſir de mettre la main àl'eſpee, dont il auala leſ "
paule à l'vn, & l'autrevoyant ſon compagnon par terre, gaigna au pied
à trauers des broſſailles, oùils'eſuanoyt incontinent de ſaveue.Or auoit Le Deſpote
le Prince desTriballiens,ſoudain qu'il futaduerty de la fuitte de Hunia- #
de, & de la deffaicte deſonarmee, enuoyé en diligence fermerles paſſa- †º
ges, afin que perſonne ne peuſteſchapperſans ſçauoir qui il eſtoit,& où -

ilvoudroit aller : que ſid'aduenture Huniade ſe rencontroit, on l'arre


ſtaſt, aux autres, on permiſtd'aller leur chemin, ſans leur donneraucun
empeſchement. Cette ordonnance courut ſoudain de toutes parts; au
moyen dequoy Huniade ne ſçauoit plus que faire,& cependâtilſemou- .
roit de faim,n'ayant mangépaſſé deux iours, S'eſtant doncques embat- )

tuſurcertains payſansTriballiens quilabouroient la terre,illeur deman


daenl'honneur de Dieu quelque morceau de pain, car il n'en pouuoit -- :

lus deſormais.Ils le recogneurent bien à ſon habillement & langage, & '
luy dirent : Eſtranger mon amy, de pain vous n'en manquerez point,te
nez,mangez à la bonne heure, maisil eſt queſtion de vous meneraugou
† celieu, pour ſçauoir qui vous eſtes; là oûapres que vousau
rez eſtéinterrogé, on ne vous fera mal ne deſplaiſir quelconque, de cela
ſoyez en tout ſeur,ains vous lairra-l'on aller voſtre chemin,pource qu'on
neretient perſonne outre ſon gré,& ne cherchcnt § l'Huiade tant ſeu
lement,ſchon ce que nous auons peu entendre.Là deſſus s'eſtans ſaiſis de
luy, il fut contrainct par neceſſité d'aduoüer au plus ancien qu'il eſtoit
|. celuy qu'on cherchoit, mais qu'il leur feroit de grands biens,& leur don
|! neroittant d'argent, d'heritages & de maiſons, qu'ils en ſeroient riches
ll
àiamais,s'ils levouloient conduire à ſauuetéiuſqu'à Belgrade, ſans le deſ
couurirauxTriballiens, Le vieillardle recogneut § , & entreprit
de le rendre ſain & ſauue dans ſon pays; declarant à ſes freres qui il eſtoit,
dont il ſe falloit bien garder de ſonner mot : & pour s'en aſſeurerd'auan
tageles retintauec ſoy. Sur le ſoir puis apres ils le menerent en vn ma
noir où ils gardoient leurs fourrages & beſtail,afin d'apreſter leur cas,&
le faire repoſerla nuict pour deſlo ger àl'aube duiour. Mais cependantil , Malheur de
- - 2 > H - de.
ſuruint quelque noiſe & debat entr'eux, tellement qu'vn des freres ſe"
deſrobba, & alla reuelerl'affaire au preuoſt de la prochaine ville, †
auec ſes archers s'y en alla ſoudain; & ayans trouué Huniade caché dans
vn grostas de foin, le prirent & l'emmenerentaugouuerneur de la con
tree; luy diſans quic'eſtoit, & où ils l'auoient trouué.Celuylà le mit dans .
la fortereſſe,là oûil demeura quelque temps priſonnier,iuſques à ce quc
finablementil trouua † aigner le Capitaine & ſes morte payes,
qui deuoientàla premiere † ſe ruer ſur le gouuerneur,& ſaccager Autre mal
laville maislemal'heurvoulut encore quel'vnd'eux alla deſcouurirl'en- .†
· treprinſe, † ceux là furent tous mis en pieces qui eſtoient partici-mºhº
pans de la conſpiration. Finablement ſe fit vne alliance de la fille de Hu
· niade auecle fils du Deſpote, par le moyen de laquelle il fut renuoyéà
S iiij
Liure ſeptieſme
-

212 ·
Bude. voyla commentles choſes paſſerent en cette expedition de Hu.
niade & des Hongres contrelesTurcs,qui n'eut pasl'iſſue telle que tou
te la Chreſtienté peut eſtrel'eſperoit,attendu tant de belles forces, & vn
telequippage, ſous la conduicte meſme d'vn ſi grand & renommé Ca
· pitaine. - · , '

x I. | A MvRAT puis apres s'en retourna à Andrinople,& ne demeurague


, • res depuis à aller enuahir Conſtantinople;car l'Empereur eſtoit nagueres
decedé,& de droict la courône deuoit tomberés mains de ſon frereCon
ſtâtin,maisDemetriel'autre frere ſehaftoit de le preuenir,&s'en emparer
le premier : dontilfut empeſché parleur mere, & les ſeigneurs & barons
conſtantin principaux,
ſurnommé
du conſeil; meſmement par Cantacuzene
craignans, commeauſſi faiſoit &tout
Notaras , quique
le peuple, eſtoient les
ſi Deme
Dragoſès 8.
† trie ſe ſaiſiſſoit del'Empire,Conſtantin n'amenaſt quelques forces eſträ
# g§ qui euſſent acheué de ruiner tout l'eſtat. Parquoy ils temporiſe
rentiuſquesàlavenue de Conſtantin, & cependant garderent fort bien
Demetrie de faire ce qu'il pretendoit. En ce meſme temps arriua auſſi à
Conſtantinople le PrinceThomas, puiſné de tous les freres qui s'eſtoit
làacheminé tout expres pour depeſcher quelque affaire qui luy impor
toit de beaucoup, eſperant de trouuetl'Empereur encore en vie: mais au
lieu de celail trouua tout ſans deſſus deſſous, à cauſe des brigues & me
nees que faiſoit Demetrie aſpirant àla couronne. Et là deſſus Conſtan
tin eſtantarriué, le tout fut pacifié: carles autres deux firent par meſme
moyen leurs partages du Peloponeſe, auecſerment ſolennel de n'entre
prédre iamais rien l'vn ſurl'autre au preiudice de ceſtaccord.Ce que tou
tesfois Thomas n'obſerua pas longuement; cary eſtant allé par merà la
deſrobee, il commença tout incontinent à pratiquer lesvilles eſcheues à
Demetrie, & les inciter à ce rebeller contreluy; & ayant amaſſé vn bon
nombre de gens du pays, luy faiſoit deſia tout ouuertement la guerre.
L'autrevoyant le tort & mauuaiſefoy dont ſon frere luy vſoit,ſe retira
, deuers Aſan frere de ſa femme,parle moyé duquelil obtint ſecours d'A
murat, & contraignit Thomas devenir à appoinctement,& ſe remettre
de tous leurs differensàl'arbitrage del'Empereur: ſurquoy d'vne part &
* d'autre furent donnez des oſtages, & autres ſeuretez Sur ces entrefai
, Le reſpas ctes Amurat fina ſesiours d'vneapoplexie, dont il fut frappé en vn ban
#† quet, pourauoir exceſſiuement pris duvin & de la viande, plus que ſon
eloge. aage & ſa force ne pouuoient porter. Il regna trente deux ans en tout;

#e-laiſſant deux enfans, Mechmet qui luy ſucceda àl'Empire, & f vn autre
†, qu'ilauoit eu de la fille de Spender.Ce fut vn fort bonPrince, debonnai
† re,droicturier,& grandamateur d'equité & iuſtice, qui n'entrepritguer
ººº re aucune ſinon en ſoy deffendant, & qu'onl'euſt prouoquéle premier:
Auſſineluy falloit-il pas gueres chatouillerles oreilles pourlemettre aux
- champs; carils'aigriſſoit facilement, & eſtoit lors fort ſoigneuxd'aſſem
bler des forces,& aller la teſte baiſſee où les affairesl'appelloiét ſans crain
te de trauail ne meſaiſe, de chaud ne froid, non pas meſmes des montai
gnesles plus aſpres, & autres difficultez de chemins malaiſez & faſcheux,
#!

De l'Hiſtoire desTurcs. 213


en toutesleſquelles choſes il eut ordinairement la fortune fort fauora
ble. Eſtant donques telillaiſſavn ſucceſſeur encore plus grand, car peu
de princesluy pourroyent eſtre parangonnez, à cauſe des belles choſes
qu'il fit en ſon temps. Mais pendant qu'il eſtoit en chemin pour venir
prendre poſſeſſion del'Empire,les Genniſſaires qui eſtoient à la porte ſe Eſmeute des
mutinerent, & eſmeurent pour piller la ville, & s'eſtoient deſia rengez #
en bataille hors les murailles tous preſts à ſe ruer deſſus,ſi Chatites fils †
de Priam,perſonnage de grandeauthorité,aucc ceux de la porte,&quel- §
ques autres † aſſemblaàlahaſte, ne les en euſt deſtournez. Car il les , '

ſurprit, & eſpouuanta de plain-ſaut, menaçant de les tailler tous en pie


cesſur † s'ils ne mettoient les armes bas,leſquelles ils ne pouuoient
auoirpriſes à aucune bonne intention, pource qu'il eſtoit raiſonnable
d'attendre l'arriuee du nouueau ſeigneur,&ſe remettre à ſa liberalité tou
chant la recompence de leurs ſeruices, ſans ainſi outrageuſement entre
prendre de ſe payer parleurs mains propres;& ſous ce pretexte mettre en
trouble & combuſtion ſes affaires à ſon aduenement à la couronne , eux
meſmement,qui n'eſtoient dediez à autre fin que pour la luy conſeruer,
aſſeuree & trâquille.Le langage&le reſpect que chacun portoit au Baſſa,
arreſterét ſoudainl'eſmotio qu'ellene paſſaſtplus outre.AuſſiMechmet †
arriuaincontinent
receu le ſerment de apres,lequels'eſtât introduit
fidelité des Genniſſaires au ſiege
&officiers deImperial & mità
la porte,ſe ayât des
I.45O•
ſera"

remuer meſnage en toutes ſortes, comme aſpre, diligent, & ingenieux


u'il eſtoit, s'il en fut onques.Car de plaine arriuee il fit eſtouffer ſon
§ auec de l'eau qu'on luy vefſa tout à coup, & en quâtité dans la gor- Mechmet
e:&fut cette execution faicte parl'vn de ſes ſommeliers nômé Saraptar, †.
lequel ne la fit pas logue apres.Il renouuella tout ſoudain la paix& les an-"
ciennes alliances auec les Grecs, & leur laiſſales regions maritimes le l6g
de la coſte d'Aſie.Traitta pareillemét vne confederatioauecle Prince des Negociati
Triballiens,auquelilrenuoya ſa fille que feu Amuratauoit eſpouſee,pé-†
ſant luy faire par là vn grand plaiſir; & ſi luy donna quant & quantvne #
longue eſtendue de pays ioignant le ſien. L'autre de ſes belles meres fille "
de Spender,dontilauoit fait mourir le fils pour ſe deliurer de tous empeſ
chemens,& ſe rendre paiſible del'eſtat,illa remaria à Iſaac,hôme de grâd
credit aupres de luy,&qu'ilaymoit ſingulierement,auquelil donnalaſu
perintendence generale de toute l'Aſie. Il fit auſſivne alliance auec les
Ambaſſadeurs quivindrent du Peloponeſe deuersluy:Carapres le decés
d'Amurat,le CaramanHaliſuri,quiauparauant n'auoit ceſſé d'eſmouuoir
les peuples de l'Aſie pour les faire reuolter & prendre lesarmes contre la †
maiſon des Othomans,eſperant que cela luyacquerroitvn tres-grádac- †
croiſſement de puiſſance, eſtoit † apres plus que iamais à rallumer ce #
feu,& les ſuſciter de ſe ſouſtraire de l'obeyſſance accouſtumce,la plus ſer
ue&miſerable condition(diſoit-il)qu'ils euſſent ſceuauoir en ce monde.
Tellement qu'ayant deſiaaſſemblé de grand's forces, & encore de celles
qui ſouloient eſtre au ſeruice d'Amurat,il s'eſtoit mis en campaigne, pil
lant & ſaccageant tout ce quiſe pouuoit rencontrer. Mechmet indigné
2I4- Liure ſeptieſme
de ces inſoléces&outrages,laiſſa en Europe le Baſſa Sarrazies auquel il ſe
premiere ei fioit du tout, & paſſa en perſonne à tout vne groſſe & puiſſante armec
# enl'Aſie pour reprim erle Caramâ, lequel ne voulut pasattendre le choc,
º mais ſe retira ſoudain dans les montaignes & lieux inacceſſibles ſelon ſa
couſtume,& de là enuoyaſes § Mechmet(car Chatitesl'ad/
moneſta ſous-main d'ainſile faire) offrant s'il luy plaiſoit oublier le paſ
ſé,de luy eſtre tres-fidele & obeyſſant à l'aduenir , & ſiluy rendroit tout
preſentement la place de Candelore:Ce queMechmctaccepta.Parquoy
reprenât le chemin de l'Europe,ſoudain qu'il fut arriuéàGallipoli,ilvou
lut faire vne reueue des Genniſſaires, pour ſçauoir ceux quil'auoient ſui
cela n'eſt uy ou n6 en ce voyage.Et là deſſus fitfort bien foüetter Hagiapaſes leur
†1gno Aga ou coronelapresl'auoir demis de ſa charge, pour auoir failly de luy
IT16ºnt

"º# Pº denoncer ceux: qui


q s'eſtoient abſentez.Ilvauoit
y d'autre partenuiron ſept
p
† mille faueonniers, qu'il caſſa tous de cette oiſiueté,& en remplit les ban
#" des des Genniſſaires Il rompit ſemblablementlavenerie, hors mis cent
† que picqueurs § valets de chiens,auecquelques cinq cens fauconniers
† qu'il retint, pluſtoſt pour parade de ſa cour, que pour plaiſir qu'ily priſt:
#" Ne voulant pas(commeil diſoit)ſe monſtrer ſiinſenſe&deſpourueu d'é.
tendement,que devouloir donner ſon pain à mangeràvne telle trouppc
pour choſeſivaine,& du toutinutile.Ildóna puis apres ſecours au Prince
Demetrie en la guerre qu'il eut contre ſon frere,lequelrefuſoit de luyré
dre le pays quiluy eſtoit eſcheu en partage: & luy enuoyaThuracan ſous
cette couleur , ayant toutesfois charge expreſſe,de deſmolir par meſme
moyen la muraille qui fermoitle deſtroit du Peloponeſe.Les deux freres
ºnt , ſerappointerent là deſſus & Thomas donna à Demetrielaville de Cala
| Iiure. ' mate;pour le territoire des Scortiés qu'illuy detenoit.Voyla ce quiinter
uint pour ce regard.Tzaniſas au reſte fils de Caraiſuph enuoya †
Mechmet de ſe vouloir abſtenir de toucher au pays d'alétour de Sebaſte,
· & qu'en faueur de cette grace, illuy donneroit quatre mille quintaux de
beurre,auecmille chameaux:ce qu'illuy octroya,combien quel'autre eut
commencé le premieràluy faire la guerre-Car ceTzaniſas icy,lequel(cô
me nous auons deſia dit cy deuant)arriue iuſques aux Negres appellez
Mauroprobatans, apres auoir oſté Tabreze aux autres § de Carai
ſuph,les rembarra danslaville de Samachie, oü illes alla depuisaſſieger à
ſon retourde Babylone : & delà ayant ſubiuguél'Armenie, menaſonar
mce contré Ertzinghan capitale de toutle Royaume, laquelle il prit de
force,ayantlors bien quatre vingts mille combattans : tellement qu'il
,º†" fut ſi oſe que d'entrer en Aſie la Mineur, & ſeiecter ſur les prouinces de
Mechmet. Ceux de Sebaſte ſe rachepterent encore d'vne grande quan
tité de beurres, dont ils luy firent preſent. Ce-pendentTrochiesl'vn des
deſcendans de Temir,ſ'eſtant acheminé à lavolte de Semarcant, conquit
toute la contree; & puis ſ'en alla mettre le ſiege deuát Babilone,ainſi que
nousauons deſia dit cy deuant, d'où il enuoyavne groſſe armée ſous la
#ent conduitte de Chazanle long,pour allerdonner ſurl'Armenie,& les pays
Vſumcaſſan
§. bas de l'Aſie, qu'ilrengea à ſonabeyſſance.
\

MAHOME T ou MECHMET II.


dunom Empereur des Turcs.

- ' - ---- ---

so N E L o GE o v s o M MAIRE DE s A viE.
, #$ # En'ſt pas ſans cauſeſ Mahometſeconddunom filsd'Amuratc de laffleda
$ #N # Deſpote de Seruie a voulu eſtre ſurnommé des ſiens Bov 1, c'eſt à dire legrand
-
|

$# } ou laterreurdumonde, puis que toutes ſes actions & inclinations ont eſtéſ#
\ #M , grandes & ſîreleuées qu'il ſemble qu'elles ayentternytoutes celles deſes deuan
§è)S# # ciers. Il fut grand en ſes entrepriſes,granden courage, granden conduitte,
grand en idence & en ce qui de#endoitdugouuernement,grandenſesionqugfes,& grand
-
en beauté&ſubtilitédºſprit. Maiilfut grindauſien impieté,en cruauté, en diſſolution,en
perfidie & deſloyauté,en vengeance & en ambition.Lagrandeurdeſes entrepriſes le portacon
tre les Grecs,les Hongres,les Perſes,Trebizondins,Myſiens,Valaques, Tranſyluains, Boſniens,
Albanois,Rhodiots, j emitiens, & pluſieurs autres peuples. La grandeurde ſon courage luy fit
hardiment expoſer ſa perſonne à toutes ſortes de dangers ſans s'eſpargnerencore qu'ilait eu af
, faire aux plus belliqueuſes nations du monde.$agrande conduitte le deliura maintcsfois deplu
ſieurs grands perils entre autre celuy qu'ilencourut en cçſte grande deſroutte qu'ilreceut deuant
Belgrade qu'ilauoit aſſiégée & où tlperdit yoooo.Turcs auet toute ſon artillerie par la valeur du
redoubtable Huniades, & deuant Croye par le tres-valeureux Scanderbeg comme nous auons
dit en ſon Eloge.Sa prudence ſt remarquable quand il remit ſi facilement l'Empire entre les
mains de ſon pere Amurat, lors que quittant ſon cloiſºre ilvoulut rentreren la poſſeſſion d'ice
luy. Es conquiſtes s'ºſtant rendule maiſfrededouze Royaumes del'Empire de Trebizonde & de
celuydes Grecs auec ceſte ſifloriſante & renommée cité de Conſtantinople le 29.de May 1 z ſ3.prit
la ville de Croye & toute l'Albanie,La Valajuie, Boynie, Scodre, le Pcloponeſe, auec la vii.e a ot
trante en Italie,rangea le Caraman à ſon ob. 5/aace,la Syrie, Carinthie, Sinºpe, l'iſle de Mete
din.Et apres la bataille de Ar/anga qu'il gaigna ſur //uncaſſan,ille contraignit à rechercher/on
amitié,ayant pris en fin ſurles Chrſtiens enuiron deux cens villes..Quant à lagrandeurdeſon
eſprit, il fut ires-docfe en Aſtrologie,& bien verséés langues Grecque, Latine, Arabique, &
Perſîque,fort adonné à l'hiſtoire ayant fut traduire en fa langue la vie des plusgrands 1 rin
ces,entre autres celle d'Alexandre le Grand, laquelle ildiſoit vouloir imiterencore que ce fuſt de
bien loin. Quant à ſes vices ſon impietéſfoit remarquable en ce qu'il feiguoitd'ſtre de toutes
religions & m'en approuuoit pas vne, non pas meſme la ſeane, de laquclle il ſe mocquoit & de
ſon faux Prophete, l'appelant eſclaue, & feignantquelquesfois de fauoriſer les Chrſtiens. Sa
cruautéextreme ſe void au mtſacre de ſes freres en lapriſe de Coſtantinople où tout ce qui ſe
peut imaginerde cruel fut exercé tant contre la figure de l'Empereur du ciel & de la terre que
contre le corps mort de l EmpereurGrec,& contre tous les habitans de ceſte ville deſolée,en lapriſe
deTrcbizonde,en la conquſte de tout le Peloponeſe,& en fin partout où s'eſt peu ſtendre la for
ce de ſon bras, & ſur toute celle de ſes Pages qu'il fit ouurir tous vifspour voir celuy qui auoit
maagévn concombre.Sa diſſolution en ce qu'il ſtoit extremement adonné aupeché contre natu
re, teſmoin Dracula frere du Prince de Valaqute qui luy donnavn coup de poignarden la cuiſſe
pour ſe diſpeirerde ſes mains comme ille vouloit forcer. Sa perfidie à lendroit del'Empereur
Dauid Comene & ſes enfans,contre le Prince Eſtienne de Boſnie, le Prince de Metellin qu'il fit
tous mourrircontre ſa foy& ſa promeſſe apres s'eſtre rendu volontairement à luy.Sa vengean
ce en tous lieux où ill'a peut exercer,n'oubliant iamais vne iniure ou quelque deplaiſir,entre au
tres celle de Haly Baſa qu'il fitcruellementmourir pourauoirremis ſon pert Aaurat à l'Empire
encore que cºſt Haly luy euſt fait depuis de tres ſignalez ſeruices, & jinalement ſon extreme
ambition quiluy dura iuſques autombeau,ſurlequelilvoulut qu'on mitceſte inſcription en lan
gue Latine apres vne longuenarration de tous ſes faits en langue Turqueſque.
Mens erat Bellare Rhodum & ſuperare ſuperbam Italiam, c'eſt à dire,
Ilauoit intention de ruiner Rhodes,& de ſurmonter la ſuperbe Italie.
Ilpreparoit vne grande armée pour alleraſaillir le Souldan du Caire, & deſcharger/acolere
ſurluy de ce qu'ilauoiteſtécontrainct de leuer le ſiege de deuant la ville de Rhodes, mais il fut
ſaiſid'vne ſi violente colique en la ville de Nicömedie qu'ilen mourut, au grand contentement
de tousſes voiſins,&principalement des Italiens qui enfirent des feux de loye,l'an rz81.de ſon
aage le 3.& de ſon regne, le 32.n'ayant pas eſtéſ heureux qu'Alexandre le Grand, mais ayant
euauſſien teſte d'autres Capitaines,& d'autre valeurà combattre queluy.

LE HVICTIESM E LIVRE
| LE HVICTIESME LIVRE -

| DE L' H I S T O I R E DE S
· T V R C S, D E L A ON I C C H A L
#. c o N D Y L E A T H E N 1 E N.
s o M M AIRE, ET cHEFs PRINcIP Avx
du contenu ence preſent liure.

Pour brider Conſtantinople,& l'empeſ | mentàlabreſche; auec lesgrand'sof. -


cherd'eſtreſecouruedes parties du Po- fres & promeſſes qu'ilfait à celuyqui
nant, Mechmet baſtiſt la fortereſſe lepremierymonteroit. Chapitre5.
de Lemocôpieſurlebord de laPropon- L'aſſautgeneral de Conſtantinople , où
|

tide : fait faire vne groſſe courſe dans Conſtantin Paleologue le dernierEm
#. le Peloponeſe,pourdiuertirdece coſté pereureſt tué,e9 la villepriſe & de la
· là: & rafflerd'autrepart tous lesfors tres piteuſe & miſerable deſolation
|: d'autourde la ville, afin de ne laiſſer | quiaduint auſaccagement. Chap. 6.
| rien en arriere qui peuſt moleſter ſon | Lapriſede la ville de Pera, & deſman
m armee. Chapitre I. | telementd'icelle : lamort du Chance
# Lé ſiege tant renommé e9º fameux de lier Leontaresauecſes enfans,e9 tous
, Conſtantinople,l'an 1453.c9 la ſitua- les autres Grecs remis nagueres en li
- tion d'icelle : les approches & furieuſe | berté : le tout à l'appetit d'vne Da
| batterie des Turcs : & les conſeils, moiſelle dont Mechmet s'eſtoit ena
, deliberations,& reſiſtences de ceux de mouré, qui l'en requit à laſuſcitation
# dedans, Chapitre 2. | deſonpere, mortelennemydes Grecs.
# Merueilleux ouurage & entrepriſe des Chapitre7.
- Turcs, qui remorquent leurs galeres Mechmet ſe reſouuenant du tour que
| - 69° # ronds iuſques au haut luyauoitiouéle Baſſa Chatites,ayant
#. dynemontaigne, & delà les aualent | eſtécauſederemettreſonpere Amurat
auport, pour s'enſaiſir# le derrie- al'Empire, le faict mourir: Ses ma
re,eſtantferméd'vnecheſne à la bou- gnificencesapres lapriſe de Conſtanti
- che:erdupontpareux dreſſe là deſſus. nople : Et de la Prophetiede l'Empe
|. Chapitre 3. - - reur Leon, de tous les Empereurs &
· Combat parmerde l'armee Turqueſque Patriarches aduenir apres luy.
# enlapreſence de mechmet contre deux Chapitre 8.
# nauires de charge, venans au ſecours | Troubles & ſeditions C0177777º/1C6'6'5 df4
de Conſtantinople, leſquellesſedemeſ | Peloponeſe entre les principaux : la
lent detous ſes vaiſſeaux, & malgré- rebellion des Albanois y habitue K,
euxgaignentleport. Chapitre 4.| ſous laconduicted'vn Emanuel Can
# Pluſieurs allees & venues d'vne part e9 | tacuzene, & l'empriſonnement de
d'autre pour taſcher de moyenner les | Centerion & de Lucanes, les deux
choſes : & ne s'en pouuant trouuer le principaux miniſtres des Princes Pa
moyen,l'exhortation de Mechmet à | leologues en ces quartiers là. -

ſes Genniſſaires pourallercourageuſe- | Chapitre 9.


2I6
Thuracanparlecommandement de Me | les troubles aduenus au Royaume de
chmet donne ſecours aux deux freres Hongrie apres le decés dudié# Hu
Paleologues Seigneurs du Pelopone- | niade , iuſques à ce qu'il paruintés
ſe, & remetleurs affaires aupremier mains de Machias l'vn deſes enfans,
eſtat & repos : & des beaux admo · leplus renommé Prince qui y ait ia
neſtemens qu'illeurfait.C hapi mais commandé. Chapitre 14.
tYº IO. Guerre des Allemans contre les Hon
LespartialiteX de ces deux ieunes Prin grespour auoirmaſſacréleursAmba
ces, mal-menezparla malicedeleurs ſſadeurs : conuocation du Concile de
flatteurs & mauuais miniſtres qui MantoueparPieſecondpourlaguer.
lesaigriſſent l'vn contre l'autre pour reduTurc: & le peu d'exploiét que
leurtenirpar ce moyen le pied ſur la firent lesgaleres du Papeſous la con
gorge, & faire cependant leurs be duiéte d'Alphonſe Royde Naples és
ſongnes : Les troubles duTeloponeſe, , mers de Leuant,où elles tournoyerent
lafinale ruine des Grecs procedee de inutilement par l'eſpace d'vn an en
cetteperuerſe & dangereuſe traditi tier. Chapitre 15.
f/6'. Chapitre II. Expedition du Baſſa B rene Kes contre
Second voyage de Mechmet contre les Scanderberg Princede l'Epire:deffai
Triballiens : l'inuention des mortiers étedes Neapolitains venus à ſon ſe
d'artillerie : la priſe de Nouogarde: cours : Voyage dudictScanderbergà
cº la mort du Deſpote George de Naples, & delà à Rome: & lade
Seruie,laquelle deuient tributaire du | ſolation que les Turcsfirentenſes
Turc. Chapitre 12. pays. Chapitre 16.
Leſiege de Belgrade, où ilya d'arriuee Les Pompes & magnificencesfaiéies par
vn fort gros conflict par eau ſur le Mechmet à la circonciſion de ſes en
Danube, & ſont les Turcs mis en fans : & les ieux,feſtes, c9 eſbatte
routte : Eſtans entreX puis apres en mens accouſtumez de ſe faire parmy
labreſche, les Chreſtiensles rembar les Turcs entelles ſolemnite K, où ilſe
rent auecgrand meurtre & occiſion: voiddes choſesmerueilleuſes.
font de cepas vnegroſſeſaillie,& gai L'origine du Baſſa Machmut, & les
gnent les pieces : là où mechmet en charges auſquelles ilparuint de degré
combattantvaillammenteſt bleſſé,e9 endegré:enſemble quelques autresen
le Coronnel de ſes Genniſſaires mis fans de Chreſtiens,quimonterentà de
à mort ſur laplace : La nuiét ayant treſ grandes dignitez & aduance
party le combat, Mechmet ſe retire mens : c9 des noms des Turcs , auec
ſecrettement. Chapitre 13. leursſignifiances. Chapitre 18.
Le treſpas dumagnanime Iean Hunia Les Prouincesdel'Empire Turqueſque
de, auecvn eloge & recapitulation de tant en Aſie qu'en Europe, qu'ils ap
ſes faicts.Diſcours du Cordelier Iean pellent les Sanjaquats : & le reuenu
Capiſtranqui luy aſſiſta à deffendre d'iceluyſpecifiéparlemenu.Chapi
Belgrade,cºy côbattitdes r" tre 19.

L'EsT E"
De l'Hiſtoire des Turcs. 217
#GP 'EsT E' † Mechmet fils d'Amu
# rat,ayant faictvn grandamas de chaux en Aſie, ſe mit à
# baſtirlafortereſſe de Lemocopie furle bord de la Pro- .
· pötide du coſté del'Europe, en ceſt endroict propremét ſ†
toit ancien

@ qu'onappellele Boſphore,oüeſtle plus eſtroict paſſage †º


* pour trauerſer d'vne Prouince à l'autre : Ety fit venir #.
tousles ouuriers qui ſe peurent recouurer propres à cela; leſquels ayant †
eſté departis paratteliers, où furent commis des maiſtres & conducteurs #rre sº
de l'oeuure,commencerent tout incontinent de mettre la main à la be-"
ſongne. L'occaſion quile meut de faire cette place, fut en premier lieu,
pourauoirà toutes heures le paſſage de l'Aſie ſeur & libre, de peur que
les vaiſſeaux du Ponant ne s'en faiſiſſent, & ne vinſſent par ce moyen -

troubler ſesaffaires.Enapresileſtimoit que cela ne luy ſeroit pas de peu -

d'importance pour le # de Conſtantinople : Parquoy entre autres


choſesily fit trois tours, les plus grandes que nous ayons encore veües:
deux d'icelles deuers la terre,afin que de là on peuſt ſortir ſurles vaiſſeaux
qui rengeroient la coſte;l'autre qui eſtoit la plus grande, ſur le havre, &
les fit toutes couurir de plomb. Quant à l'eſpoiſſeur de la muraille elle
cſtoit de vingt deux pieds, & la hauteur des tours de trente. Ce fort mis -

en deffence,ce quifutfaict enl'eſpace de trois mois, il depeſcha Thura-#.


canau Peloponeſe pour faire laguerre aux freres del'Empereur:tellemét Feloroneſ .
que cettuy-cyayant r'aſſembléles forces de la Theſſalie & des enuirons,
tout autant qu'ilyenauoit à Pherres,& ſoubs le reſte de ſon gouuerne
ment il ſe mit en campaigne auec ſes enfans,& les ſeigneurs particuliers
desvilles deTheſſalie & de Macedoine & auecl'equippage quiluy eſtoit
neceſſaire prit ſon chemin par le dedans du pays qu'anciennement on
appelloitl'Arcadie : Puis par Tegee, & Mantinee mena ſon exercite en
la contree d'Ithomé & de Meſene; là où ayant par pluſieurs iours couru
en toute liberté le pays, & prisvne grand'quantitédebeſtail, ſe ſaiſitfi
nablement de Neopolichné Il mit auſſile † e deuant Sideropolichné,
mais n'ypouuant rien faire,il fut contrainct de ſe retirer : Et ainſi qu'il
paſſoit pays, Achmatle plusieune de ſes enfans futſurpris envne embuſ
cade,qu'Aſan frere de la femme du Prince du Peloponeſe luy auoit dreſ .
ſce,ioignantla contree de Mycenes,ſçachantbien qu'il deuoit paſſer par -

là;& delà menéau Duc de S parte,quile tint priſonnieriuſques à ce qu'il


futrachepté desſiens.L'annee enſuiuant tout auſſitoſt quele printemps
apparut,Mechmet ne voulut plus retarderl'entrepriſe, que de longue- L'entrepriſe
main il auoit braſſee en ſon eſprit ſur la ville de Conſtantinople, dont # an
toutesfoisil n'auoit rien voulu donner à cognoiſtre, que premierement
cette fortereſſe de Lemocopie n'euſt eſté paracheuce : ayant quant au
reſte faict trauaillerd'vne extreme diligence tout le long de l'hyuer en
pluſieurs ports & havres apres les galeres,& autres vaiſſeaux dontil pen
ſoit auoiraffaire en ce ſiege, & fondre par meſme moyen grandnombre
d'artillerie,où il y auoit des pieces du plus demeſuré § qu'on euſt
iamaisveu encore; caril falloit à vne ſeule ſoixante dix iougs de bœufs,
T- , - ^:°
2 18 Liurehuictieſme
- Meruelleuſ & bien deux mille pionniers pour la tTa1I1C1 parpays. Eſtant donques Ve
†" - - - - - 'e
-

nuela ſaiſon propre à ſeietter en campaigne,il commanda à Saratzi Be


glierbey de l'Europe, de ſe mettre deuant auec tout ceſt cquipage, & ſes
trouppes,lequel eſtantarriué ſur le territoire de Conſtantinople, ſe ſaiſit
incontinent de tous les forts,oüles payſansauoient accouſtumé de ſe re
tirer eux & leurs biens; dontil emporta les vns de force, & contraignit
par faminelesautres de ſe rendre, mettant à mort tous ceux qu'il trouua
dedans,& gaſtant entierement la contree. V. -

II. • IN C o NT IN EN T apres Mechmet arriua en perſonne, qui alla aſſeoir


† ſon camp depuis vn endroit de mer iuſqu'à l'autre : dont l'eſpace qui
cäp de Mech- - -_ " - - >

mºt deuant eſtoit à ſa main droicte vers la porte dorce, fut departy aux forces d'A
#"ſie,àla gauche, celles de l'Europe furent logees en tirant à la porte de
bois; mais au milieu eſtoit fort pompeuſement dreſſees ſes tentes & pa
uillons, & tout à l'entour eſpanduzles Genniſſeres & les domeſtiques de
la porte,qui ont accouſtumé de demeurerà la garde de ſa perſonne quel- .
que part qu'ilvoiſeiamais : visàvis deſquels, au deſſus de la ville de Ga
lathie dicte Pera,s'eſtoit parqué le Zogan ſon allié , auec ceux dont il
auoit la charge & conduicte.Telle futl'aſſiette de ce camp, oû l'on dict

y eut bien alors quatre cens mille perſonnes,& deux fois autant que
† de cheuaux de ſeruice, que de beſtes devoicture. Carles Turcs ſeuls en
§- quileur
tre tous autres
IllC8,
queiepartout
faict beſoin ſçache, où
ontilsaccouſtumé de trainer
vont à la guerre quant que
: tellement & eux ce
pour
auoirabondance de toutes choſes,ils menent ordinairement force mu
lets & chameaux; outre leſquels chacun a encore quelques autres che
uaux,chameaux,& mulets †
exquis,pour ſeruir ſeulement de monſtre
1'armesde & parade. L'armee de mer arriua auſſi bien toſt apres, ou il n'yauoit
#º § trente galeres, mais les nauires & autres vaiſſeaux ronds paſſoient
eux cens, Incontinent que les Grecs eurent deſcouuert cette flotte, ils
tendirent la cheſne qui trauerſe de Pera iuſques à la muraille de la ville,
ioignant le chaſteau; & enfermerent au § tous les vaiſſeaux : dont
les aucuns eſtoient venusàleurayde & ſecours, les autres eſtoient naui
res marchands,afin de les mettre en ſeureté, & empeſcher que l'armee
Le port de
Conſtantino
† ne s'enſaiſiſt; & du port pareillement, lequel eſt bien l'vn
§ des plus beaux & ſpacieux qui ſoit en tout le reſte du monde : car il ne
†s contient gueres moins de trois lieuës de circuit à l'entout de la ville ; &
† le long de la Rade ils'en eſtend plus de cinq : & ſi n'y entre point de ri
ººººº uieres telles, que parl'impetuoſitédeleur cours elles peuſſent tourmen
1e, munille,terlesvaiſſeaux † y ſurgiſſent. Quant aux murailles qui regardent la
† marine, elles ne ſont pas des meilleures, mais du coſté de la terre, il y a
#de la foible,eſt
tCITc,
double mur & double rempar.
en recompence Le grand
armé d'vn premier eſtantdeuant,
foſſeau bas & de
aucunement
deux cens .
pieds de large,reueſtu de coſté & d'autre de pierre detaille : l'autre qui eſt
en dedans eſt fort haut & admirable, tellement que l'Empereur & ſon
conſeil eſtoient en doute,auquel des deux deuoit faire teſte : à la fin ils
ſe reſolurent de n'abandonner point le premier nomplus qu'on fit lors

s
- »•

Del'Hiſtoire des Turcs. 2 I9


u'Amuratles eſtoit venuaſſieger. Cependant Mechmet fit approcher des
- - |» #iº Turcs
les plus groſſes de ſes pieces pourbattre la muraille, l'vne deſquelles fut §i
lanteeàl'endroit du Palais Imperial, & l'autre à la porte Romaine, ou †"
ileſtoit logé.Ces deux bombardes portoientla bale d'enuiron cent liures
de noſtre poids: & eſtoient certaines pierres noires extremement dures,
qu'ils § venir tout expres de la mer Maiour. Il y auoit puis apres
grand nombre d'autres moindres pieces, toutes affuſtees le long de la
contr'eſcarpe, dont on battoit les deffences & le parapet & à fleur de
rempar,pour en deſloger ceux qui les pouuoient endómager Aure gard #º
de leurs
auoit canonniers,l'vn
ſeruy eſtoit Valaque
les Grecs, & n'ayant nommé
receu d'eux Vrbain, quiautrefois
tel appoinctement qui luy §ié
Chreſtiens.

peuſt ſuffire pour nourrirſa famille, auoit eſté côtrainct de ſe retirer à la


cour duTurc, duquel il auoit eſté le fort bien venu, & eu pluſieurs
grands biens & recompenſes. Auſſi fut-c; celuy qui luy dreſſa tout le Façó de bati
train de ſon artillerie : & quand ils s'en ſeruirent deuant Conſtantinople, §
ces deuxgroſſes
biaiſant machines
pour eftonner dontnouspuis
la muraille, auonson parlé cy-deſſus,detiroient
en deſlaſchoit frontvneen †
#ºiour°

autre au milieu de ces deux , plus grande d'vn tiers, qui amenoit ce
qui eſtoit eſbranlé en bas: car le boullet porté d'vne § violence de
pouldre commeil en falloit pour chaſſervn ſigrandpoix, ne pouuoit ſi
non fairevn tres-grandeſchec, & ruine, l'eſclat meſme & le tonnerre de
ces volees eſtoit # vehement & eſpouuentable,que la terre en trembloit
plus de deux lieües à la ronde.Et ainſi commencerentà battrela premie
recortine, n'eſtant pas la ſeconde exempte des coups qui y pouuoient
arriuer facilemét,pource qu'elle eſtoitbeaucoup plus haute,ſibien qu'ils
yportoient † dommage; non tant toutesfois que les Grecs s'en
deuſſentainſi cſpouuanter.Car ces groſſes & lourdes pieces eſtans tres
malaiſees à manier, ne tiroient que ſept ou huict volees par iour, & la
nuictvnc tant ſeulement, encore n'eſtoit-ce ſinonvers le poinct duiour
Pour ſaluër la Diane,& eſueillerles autres à § execution
& batterie. Mais les Grecs n'eſtoient gueres pratiqués de ſe raſſeurer en
telles neceſſitez, ne de rem parer auſſi peuauec ce qu'ils auoient à faire en
tant d'endroits tout à vn coup, qu'ils ne ſçauoient auquel entendre:
Pource que les Genniſſeres s'eſtans pourueuz de grand nombre de ga- # *
bions, & de mantelets oûils pouuoient demeurer à couuert, gaignerent #.#
lesvnsle foſſé,les autres ayans eſleuévne petite douue ou rempar ſur le §
bord de la contr'eſcarpe, la perçoient par endroicts, & de là com
mc par des canonnieres tiroyent inceſſamment & ſans intermiſſion,
cóme vne greſle de fleſches & d'harquebouzades aux creneaux; de ſor
#e que perſonnenyoſoit comparoir, netant ſoit peuyſeiourner pour #
tremines, leſ
† quelque grand dommage. Mechmet outre tout cela fit faire #
pluſieurs mines, † par deſſoubs le foſſé, & les fondements§"
des deux murs , iuſques bien auant dans la ville : Et à l'endroict où
l'onles auoit ouuertes, afin que les ouuriers qui iroient & viendroient
Pour tirer la terre , fuſſent plus ſeurement , eſtoyent eſchaffaudees,
T ij
22O · Liure huictieſme
quatretours ſur certaines machines de bois, dont on lançoit des lances,
-, pots à feu, & autres artifices contre ceux de dedans. Mais les mines
ne vindrent point à effect, pource que les Grecsallerent au deuant,
& les ayans eſuentees, contraignirent à force de feu & de fumee les
Turcs de les abandonner. Ils auoient encore acommodé vne autre
tour de bois beaucoup plus exhaucee que les precedentes, au haut dela
quelle yauoit grand nombre d'eſchelles, & de ponts portatifs pour iet
ter ſur le rempar.Toutesleſquelles choſes ſe faiſoient du coſté de la ter
re,pour eſſayer ſi elles leurpourroient ſucceder en quelque ſorte & ma
niere à forcer la place.
MArs comment elle fut cependant aſſaillie auſſi deuers la marine,
III.

# vous l'entendrez preſentement. Quand les Turcs virent qu'ils ne pou


uoient gaignerle port à cauſe des cheſnes qui en defendoient l'entree,ils
s'aduiſerent d'vn ouurage terrible & merueilleux, afin † tout à vn
IIlCI ,

coupils la peuſſent ſerrer &par la terre & par la mer.Ce fut de remarquer
· lesvaiſſeauxvers l'endroit où eſtoit campéle Zogan,d'ou à force de bras
ils tirerent contre-montvne colline iuſques à ſoixante & dix nauires, &
quelques galeres,auec tout leur equipage devoiles & auirons : Puis les
coulans en bas, lesaualerent derechef en l'eau à la faueur de quelques
pieces, & d'vn grand nombre d'archers & d'arquebouziers arrengez
ſurla greue, qui gardoient les Grccs de ſe monſtrer en lieu dont ils les
euſſent offenſer:leſquels d'autre coſté conſiderans l'importance dont
cela à la parfin leur pouuoit eſtre,emplirent ſoudain de gens de guerre les
vaiſſeaux quiſe trouuerent dans le port, venans d'vne braue & aſſeu
ree contenance pour le commencement aſſaillir ces vaiſſeaux, & y met
tre le feu : mais l'artillerie de pleine arriuee en enuoya deux en fonds,
tellement que ceux qui ne ſceurent nagervindrent enla main desTurcs,
c ede quileur firent fort mauuaiſe guerre; car dés l'aube duiour enſuiuantils
#. les maſſacrerent cruellement deuantl'vne des portes de la ville, à laveuë
§ ctacle,
de ceuxpendirent
(ICS,
qui eſtoient ſur le rempar. Les carneauxtouslesTurcs
ſurl'heuremeſmeaux Grecs irritez de ce criminel ſpe
qu'ilste
noient priſonniers:& ainſi ſe compenſalamort honteuſe desvns & des
#º " autres.Mais cependant le port ſe trouuoitvuide & deſnué de toute reſi
ſtence:carles vaiſſeaux qui y eſtoient, n'oſoient plus ſe monſtrer pour
craincte del'artillerie.Au moyen dequoylesTurcsallerent ietter l'ancre
r deſ ºutau pied de la muraille , & firent vn pont en ceſt endroict de la tCTTC -
†º ferme qu on appelle les Ceramariens, qui trauerſoit d vn boutà autIC,
' lequel eſtoit faict de fuſtailles & tonneaux liez enſemble deux à deux, &
retenus parles coſtezauecdeschables & cordages,pourlestenir fermes,
& les garder de branſler;puis les plancherentd'ais par deſſus,& ſemerent
de grauois & de ſable:tellement qu'ils auQient le paſſe libre pour aller &
venir à toutes heures du logis du Zogan iuſqu'aux murailles de la ville, .
qui demeuroit cloſe & enueloppee de tous coſtez , ſans que perſon
ne y peuſt plus entrer n'en ſortir. Et qui pis eſt leurs forces alloient de
ioureniour diminuans pourlagrande eſtenduë de cetteville,quicótient
De l'Hiſtoire des Turcs. 221
trois ou quatre lieuës de circuit : Parquoyayans à departir leurs gens de †
deffence
leurs ende
corps tant d'endroits
garde tout àvn
ſe trouuaſſent coup,de neceſſitéil
bienfoibles, & que dufalloitauſſi,que
trauail aſſidu, # ODZC 4t2dES,

& veilles continuelles,pluſieurs mouruſſent ou deuinſſent malades. Car


ilyauoit deſia quaranteiours que le ſiege duroit, pendant leſquels ceux
de dedans n'auoient eu vne ſeule heure de repos,eſtansiour & nuict oc
cupez ou à remparer,ou à contreminer,ou à cobattre:Et deſia parl'effort
& impetuoſité de l'artillerie,quatre des meilleures tours eſtoient par ter- Contrebatte

re,& la muraille preſque par tout fort deſchiree.Ils auoiét bien dés le c6-§ ð
ImlCIlCCIIlC1lt eſſayéde s'aiderde quelques pieces qu'ils auoient, leſquelles †.
portoientiuſques à ſoixante ou quatre vingts liures de boulet; dont ils" '
planterentl'vne en contrebatterie,àl'oppoſite de la plusgrande de celles
de Mechmet;mais quand ſe venoit à les delaſcher, l'eſclat partant de là
eſtonnoit touſioursd'auantage la muraille & le rampart, qui d'ailleurs
n'eſtoient que trop intereſſez , de façon que cela leur tournoit à plus
de dommage qu'aux ennemis propres : auec ce que leur plus groſſe pie
ce, aux premiers coups qu'elle tira ſe trouua eſuentee,dequoy ils voulu
rent par deſpit reietter la faute ſur le canonnier, le ſoupçonnans auoir
eſté pratiqué parlesTurcs, & pourtant le vouloient faire mourir : mais
netrouuans là deſſus ne preuue ne indices ſuffiſans, le laiſſerent aller; & Mati
eurent recours à remparer la nuict auec boys de trauerſe, clayes , ton- #
neaux, gabions, & balles de laine, ce que les Turcs pouuoient faire de † "
breſche le longdela iournee. IIII,
O R comme ces choſes ſe faiſoient, on vintaduertir Mechmet,com
me deux groſſes naues de charge auoienteſté deſconuuertes cinglans le
long de la coſte,qui venoiét deuers la mer AEgee:
- - :) 5. la plus grande -

les eſtoit de Geneuois, & l'autre chargee de viures & raffreſchiſſemens,
pour l'Empereur. Cela entendu il1etta ſoudainement ſur ſes nauires & †"
galeres
ſtir, car force ſoldats,
deſia elles leur commandant
approchoient, portees de lesaller
d'vn tout à l'heure
frais gaillard inue- tent
& à ſouhait. † fort mal,

Et comme à force d'auironsils euſſent bien toſtabordé celle de l'Empe


reur, elle euſt eſtéen fort grand danger d'eſtre priſe, ſi l'autre ne fuſtve
nueau ſecours,laquelle d'vne grande furie donna à toutes voiles à tra
uers les galeres, & les eſcarta. Et encore que Mechmet ſi deſpité que
rien plus, du riuage où il eſtoit à cheual,& aſſezauant dedans l'eau,leur
criaſt à hautevoix , & les tanſaſt tres-aſprement, leur reprochant leur
laſcheté pour les animerau combat, ſieſt ce que les deux nauz s'en de
meſlerent brauement, & malgré tous ſans receuoiraucun dommage en
trerentau port.En ce conflictfut bleſſéà l'œil Pantogles general de l'ar † e Pantogles

mee de mer, par les ſiens propres, comme il leur reprocha depuis en la #
l'armee #
de
preſence du ſeigneur, & que ſans cela, ioinct leur mauuais deuoir,les que §ſluy ſauue .
deux vaiſſeaux ne fuſſent pas ainſi eſchappez. A laverité cette bleſſeure vic.
la -

luyvint fort à propos pourcolorer cela qu'il reiettoit ſur les autres, car
par ce moyen il ſ'exempta de la puniti6 qui luy eſtoit preparee:& Mech
mettournantſoncourroux ſur ceux qui furent ſoupçonnez d'auoirfait
- T iij
2 22 Liure huictieſme
· le coup,les fit ſur le champmettre aux fers, reſeruant de les faire punir
puis-apres.De là eſtant retournéen ſon logis, comme il euſt faict reco
noiſtre labreſche, & trouué qu'elle eſtoit raiſonnable, il ordonna de
§ feux partout le § la couſtume obſeruee par les Turcs
†º telles occaſions & au reſte fit preparertoutes choſes pour donner l'aſ.
" ſaut au troiſiemeiour, faiſant publier à ſon de trompe , commeil don
noit le pillageauxſoldats, & abandônoit tout le peuple pour eſtre faicts
- eſclaues. -

V. CE P E N DANT que les choſes s'ordonnoient ainſi,& que la muraille


arl'effort de l'artillerie fut miſe bas, & des ruines d'icellelefoſſé comblé
- à fleur de terre, Iſmael fils de Scender Prince de Synope, qui euſt bien
voulu que les Grecs ſe fuſſentrengez à quelque honeſte parti, alla de
perſuaſion uers eux, & leur tint vn tellangage. Vousvoyez(ſeigneurs Grecs)voz
†" affaires aller de malen pis,voire eſtre reduits à l'extremité, & dernier de
ºie ſeſpoirs Que n'enuoyezvous doncques moyennervoſtre paix enuers le
ſeigneur : Certes ſivousvous envoulez fier à moy,i'eſpere faire en ſorte,
que ſavolontés'adoucira à vous faire quelque raiſonnable & honneſte
compoſition: Carie ne doute point que vous ne ſçachiezbongré à tout
iamais,à celuy qui vous aura procuré vn tel bien; parce que ſi ceſt accord
ne ſe faictau pluſtoſt, vous ne deuez rien moins attendre que la totale
ruyne devoſtre ville; la voir miſerablement ſaccager deuant voz yeux,
voz femmes & enfans eſtre menez enſeruage, & vous tous cruellement
misà mort. Quelle deſolation doncques vous ſeroit ce, que vozaffaires
& fortunes receuſſentvne telle calamité ? Parquoy ne differez plus,mais
cnuoyez tout de ce pas quelqu'vn auecques moy: car ie m'offre de vous
ſeruird'interceſſeur, & de tenir moy-meſmela main à voſtreappoincte
ment.Ainſi parla Iſmaël aux Grecs; leſquels ayans mis la choſe au con
ſeil, arreſterent finablement de deputerl'vn d'entr'eux pour entendre la
volonté de Mechmet.Mais celuyquien eutlacharge,n'eſtoitny de mai
ſon, ny d'eſtime aucune; Toutesfois ileut audience, dont la reſponce
fut, de faire entendreaux Grecs, qu'ils euſſent d'oreſnauant par chacun
an à payer la ſomme de cent mille ducats de tribut : Que s'ils trouuoient
cette condition trop onereuſe,qu'ils luy quittaſſent la ville , ſe retirans
1.c , auccleurs biens où † leur ſembleroit. Ce langage leur fut fort durà
† †ous,& ſemirentderechefàconſulterlà deſſus, tellement qu'apres plu
§ fieurs choſes debattues d'vne part & d'autre,l'opinion de ceux preualut,
bat. † furentd'aduis eſtre beauco up plus honneſte de tenter la fortune, en
aiſant le deuoir de gens de bien qùelque danger qui ſe preſentaſt, que
- par faute de cœur § là tout ſans coup frapper. Quant à
Rºſe de moyi'eſtimerois le deputé des Grecs auoir eſté r'enuoyé par Mechmet
" auec cette reſponce, pour deſcouurir ſurquoyils pouuoient fonder en
| core quelque eſperâce en vne ſi pregnâte neceſſité : car ilvoyoit euidem
ment,leurs foſſez&rápars eſtre du tout inutiles à reſiſter deſormais : pour
cela neantmoins ils ne ſe laſcherent de rien.Au moyen dequoy luyvoyât
les choſes neceſſaires pourl'expiation de la place eſtre §& en eſtat,
,

-
Del'Hiſtoire des Turcs. 223
ilfitaſſembler ſes gens d'aſſaut & leur parla en cette ſorte.Tresbraues & Hºrºsue de
vaillans combattans, qui auezaccouſtumé touſiours de bien faire, quel- †.
que part que nous ayons voulu tourner la fureur & impetuoſité de nos º
heureuſes conqueſtes,envous ſeuls & non autres, conſiſte toute l'atten
teque nouspouuôsauoir de la priſe de cette place. Vous ſçauez quelors
que nous en le vouluſmesauoirvoſtreaduis,vous auriez tous vnanime
ment reſpondu † fiſt tant ſoit peu de breſche, & qu'on vous laiſ
ſaſt cheuir du reſte : Cela eſt executé maintenant, & mieux beaucoup
que vous ne demandiez, carvous-meſmesl'ayant recogneue en eſtes de
meurez ſatisfaicts; en ſorte qu'il ne reſte plus, ſinon † monſtrer qucl
courage vous auez de confirmer en ceſt endroict la bonne opinion que
chacuna de vous; qui en tous lieux, tant ſous noſtre conduicte,que cel
le de nos predeceſſeurs,auezrapportévne tres gran de gloire &honneur,
des choſes fortvaillamment parvous menees à fin. Vous n'ignorez pas
auſurplus, † charges & gouuernemens, & combien nous en auós -

ennoſtre diſpoſition, tant en Aſie qu'en Europe:le plus beau & meilleur Merueilleuſe
de tous ſoit dés maintenant, pour honnorerlavertu de celuy quile pre-§"
mierarriuera ſur la muraille, & quelque riche & opulente Seigneurica-†"
uec, dont il puiſſe en paix & repos viure à ſon aiſe le reſte de ſesiours : Et ºº
ſiieveux qu'il ſoit reſpectéparapres autant que nul autre qui nous ait
oncques faictſeruice. Que ſi nous en ſçauons quelqu'vn ſependant que
l'aſſaut ſe donnera qui pour fuyr la lice demeure au logis, s'en cuidant #
exempter&ſouſtraire,certes quâdil auroit les eſles du plus leger oyſeau, ††
ſine pourra-il
Par ainſi euitervous
preparez pourtant le chaſtiment
alegrement de noſtre
à ce combat, rigoureuſe
le plus main. d'vn
aduantageux § #º citat.

pourvous qui ſe ſoitiamais preſenté:carinfinies richeſſesvous attendent


là § ſans nombre,filles tres-belles,& nobles enfans,vous c
ſtant referuéle tout pourle loyer&recôpenſe de voſtre hardieſſe &effort.
Iln'euſt pasàgrand'peineacheué de parler,que les Capitaines & ch efs de
bâdes,quieſtoiét là attendas quelesdernieresvolees del'artillerie euſſent
acheué de nettoyer labreſche, commencerent tousd'vne voix à s'eſcrier
† ne ſe ſouciaſt de rien,cartout de ce pas ils l'alloient mettre en poſ
cflion de la place, à quelque pris de leur ſang que ce fuſt; & l'acclama- Honneſteté
tion des ſoldats ſuiuitapres d'vne fort grande allegreſſe: trop bienleſup-§
plioyent ils d'vne grace devouloir pourl'amour d'eux pardonnerà leurs †"
compaignons que nagueresilauoitfaict empriſonner, eſtimant que par "
malice &de propos deliberéils euſſenteſté cauſe de diuertirlavictoire du
coſté de la mer, & là deſſus euſſent bleſſé le general de la flotte : ce que
Mechmet pour les gratifier en l'occaſion preſente leur octroya.Et com
meils fuſſent preſts de donnerl'aſſaut, n'attendans plus que le ſigne de
deſcocher,il le voulut neantmoins remettre au l'endemain , faiſant de . ...
grandes promeſſes à ceux qui ſe porteroientvaillamment; & d'ailleurs †
ont accouſtu -
ne propoſant rien moinsauxautres quiiroient laſchement en beſongne, †
que la perte de leurs propres teſtes. Cependant les Zichites qui ſont les # .
preſtres&miniſtres desTurcs,les alloient encourageâs par- tout
T iiijle camp; #†º
0ll ºlllºlUl V •
224- Liure huictieſme
leurremettans deuantlesyeux la reputation & honneur que de touttéps
ils auoient acquis à la guerre, & quelle gloire ce leur ſeroit aux ſiecles
aduenir, d'auoir mis à fin vne ſi haute beſongne, comme la conqueſte
d'vntelEmpire; Les aſſeuroient quant & quant, que le Prophete atten
doit à bras ouuerts ceux quiy fineroient leurs iours , pour les combler à
tout iamais de ioye & delices perdurables, envnevie plus heureuſe:auec
autres telles perſuaſions,quinc ſont pas de peu d'cfficace parmyces gens
ſimples & ſuperſtitieux de leur naturel. -

.# ,O R parmy les Grecsyauoitvn gentil-homme Geneuois de la mai


† ſon des Iuſtinians , perſonnage de fort grande vertu, lequel nagueres
eſtoit venuà leur ſecoursauec vne groſſenaue, & trois cens hommes de
vaillant.
>

c#† guerre : On les mitàl'endroict où ſe deuoit donner l'aſſaut, pour rece


# º uoir la premiere poincte & effort des ennemis : & tout aupres d'eux ſe
| rengeal'Empereur en bataille, quiles deuoit ſouſtenir ſelon que le be
a# " ſoin s'en preſenteroit. Le Cardinal Iſidore duquel nousauons parlé cy
deuant, eſtoit auſſi pour lors à Conſtantinople Legat du Pape : ou peu
de iours auparauantilauoit faictaſſemblervne Synode, afin d'aduiſerles
moyens d'vnir les Grecs àl'Egliſe Romaine; car en ce faiſanton leurpro
1 nºterº # de grands ſecours : mais cette reconciliation fut trop tardiue,
§ d'autant que Mechmet venul'heure que l'aſſaut general ſe deuoit don
† nertrois)
#º May, te
1OllI dC 2(ce fut vn Mardyvingt
désl'aube ſeptieſme
duiourayant de May
par tout millefaict
ſon camp quatre cens cinquan
ſonnerlesataba
les, trompettes & cornets, donne le ſignal du combat ; ſurquoyles Gen
niſſaires & autres encore, ſeietterent ſans plus attendre dans le foſſé, &
commencerent d'aſſaillir fortviuement § † endoict
de la muraille qui regardevers le port,les Grecs firentfort bien leur de
uoir, repouſſans § en bas ceux qui auecles eſchelles ſe parforçoiét
de monter, & y en eſtans demeurez quelques vns malſuiuis,leur coup
perent les teſtes qu'ils roulerent à ceux qui eſtoient encore embas, afin
de les eſpouuanter. Mais la partie que deffendoientles Geneuois n'eut
pas vne ſi heureuſe iſſue, par ce que les Genniſſaires qui combattoient
d'vn grand effort en la preſence de leurSeigneur qui les regardoit faire,
ne mirent gueres à forcer la breſche, & s'en faire maiſtres : † OIl
†e reiette la principale occaſion, ſur ce que Iuſtinian ayant euvne arque
§ bouzade à la main ſe retira pourſe faire penſer,& ſes gens eurent opinion
# qu'illes vouluſtabandonner; tellement qu'ils ſe mirent en deſordre, &
quitterent là tout ;y en eſtant toutesfois demeuré grand nombre, que
morts que bleſſez. L'Empereur quivit cela, y accourur ſoudain & de
. mandant à Iuſtinian oü ilalloit, il ne fit autre reſponſe, ſinon que là où
†º Dieu ouuroit le chemin auxTurcs. Allons doncques (dit-il, en ſe tour
"º" nant deuers ceux qui eſtoient encore autour de luy)ôvaleureux perſon
-

Mort de Can-
nages, acheuer de faire noſtre deuoir contre ces maudits chiens deteſta
V ,* - -

§ " bles. Etlà deſſus fut tué le gentilCantacuzene : carlesTurcsarriuoyent


L' Empereur deſia de toutes parts à groſſes trouppes,quibleſſerent auſſil'Empereur à,
#rse l'eſpaule, & le rembarrerent auec les ſiens luſques
pa C. - -
à la ſeconde cloſture,
-
#
5 r • r• 6> - -

De l'Hiſtoire desTurcs. 225


-

oûlereſte des Grecs ſe deffendoient encore à coups de dards, & de fleſ


chcs, & groſſes pierres, qu'ils lançoient du haut duremparà ceux qui en
cuidoient approcher. Mais quand ils virent que les Geneuois où eſtoit
leur principale eſperance fuyoientainſi,& quel'Empereur eſtoit forcé de
rcculer, ayant à dozvn nombre infiny de Turcs qui le preſſoient,ils per
direntadonques le courage du tout ; & ſe mirent à fuirvers la porte Ro
maine en tel deſordre & confuſion, qu'ils ſe renuerſoient & accabloient
les vns ſur les autres.Defaçon que ceux qui ſuruenoient en foule,eſtoiét
forcez de paſſer ſur le ventre des autres qui eſtoient deſia par terre, ou y
cſtoient portez eux meſmes. Et ainſi ſe faiſoient de grandstaz & mon
ceaux d'hommes abbatus, qui fermoient le paſſage, ſi que perſonne ne
pouuoit plus euader, dont pluſieurs finerent là piteuſement leurs iours,
quifurent eſtouffezenlapreſſe; chacun taſchant ſans auoir eſgard à ſon
compaignondele preuenir & gaigner le premierl'iſſue,iuſques à ce que
finablement ils ſevenoient tous aculer à ce calamiteux rencontre,auecce
ue les portes,quaridbien ils ſe fuſſent conduits iuſques là,ſe trouuoient
§ de corps morts, qu'il eſtoit du tout autant poſſible d'y paſ
ſer, qu'au beautrauers d'vne muraille. Comme doncquesles Genniſſai
res euſſent emporté de viue forcela ſeconde & derniere cloſture,carl'ar
tilleriey auoit auſſiioué ſonieu, & faictiour à bon eſcien, de là en auant
ils peurent tout à leuraiſe s'eſtendre parlaville, ſans plus trouuer de reſi
ſtence ny empeſchement,& lors commencerent à piller & ſaccageràleur
plaiſir, dont tout auſſitoſt que les Grecs qui combattoient encore à l'au
tre bout eurent les nouuelles,ils ſe mirent à fuyr vers le port, aux vaiſ
ſeaux des Venitiens & des Geneuois : Et là fut la § encore plus
râde,à cauſe de la multitude du peuple qui toutà coup s'efforçoit de s'é
§ ent que la plus grand'part ſe noya,& lesvaiſſeaux ſe trou
uerent ſi ſurchargez, que quelques vns allerent à fonds auec tout ce qui
eſtoit deſſus,ce quiaduiét ordinairemét enſemblables foules & extremi
tez, quand ſans aucune patiéce de diſcretion, chaſcun taſchant d'euiter
leperilimminent,vient à ce precipiter en vn plus dangereux. Quelques
vns toutesfois reſchapperent,&s'en fuſt bien ſauuéd'auantage,ſiles por
tiersmeuz d'vne biéfantaſtique&pernitieuſe opinió,voyansvn ſigrand |

* nombre de peuple encore ſur pieds & en eſtat de ſe pouuoir § 1

ſe fuſſentimaginez que s'ils les enfermoient dedans, ils ſeroient con |

traincts de reprendre cœur, & renouueler le combat; ramenans là deſſus


en memoire ie ne ſçay quelle vieille Prophetie, commune parmy eux:
Qu'vniouºiendroit,que quandles ennemispourſuiuans les Citoyens de Conſtanti neProphetievai
ou mal «n
nopleſeroientparuenusiuſquesàlaplaceduTaureau,alorsiceux Citoyenscontraints tendue.
parneceſſitédetournerviſage, rechaſſeroient les autres valeureuſement à leur tour,
& recouureroientlaville.Les portiers dôcquesadiouſtansfoy à cette forme
d'oracle,fermerent les portes, & ietterent les clefs par deſſus la muraille.
Par ce moyen les pauures gens qui eſtoient là arriuez à grand'strouppes,
hommes, femmes, enfans, furent contraincts de ſe retirer vers ſaincte
Sophie, où tout incontinent apres lesTurcs ſuruindrent, qui en mirent ©s,
-

226 Liure huictieſme


à mortſans nombre au milieu de l'Egliſe.Lesautres qui fuyoientçà & là
ne ſçachans quel party prendre pour ſe ſauuer, quelques vns d'entr'eux
des plus hardis ſe mirent à combattre vaillamment, choiſiſſans de mou
rir pluſtoſt en gens de bien l'eſpee au poing, que de voir deuant leurs
eux rauir leurs femmes & enfans, & le tout venir en la captiuité de ces
## Barbares. Theophile entreles autres de la maiſon des Paleologuesy fut
# misàmort,apresauoir monſtré tout ce quiſe peut de hardieſſe & de ver
§ tu.Semblablement les autres Paleologues, le pere & les enfans d'iceluy,
†º" ſe deffendans d'vn tres grand couragelaiſſerent touslesvies.Et pluſieurs
Grecs quant & quant, de ceux meſmes qui eſtoient ordonnez pour la
arde de l'Empereur,aymans mieux finir là leurs iours que de venir en
# main desinfideles : tellement que tout eſtoit plein de ſang, d'horreur,
& de mort; de fuyans,& de pourſuiuans, de miſerables & devictorieux.
Mais voicy comme iladuint de Notaras l'vn des principaux officiers de
l'Empereur, & d'Orcan petit fils de Muſulman, ſelon que les Grecs le
racompterent depuis. Car quand ils virent que la ville § priſe, ils ſe
retirerent en vnetour pouraduiſer comment ils ſe ſauueroient. Quantà
Mond'orchi Orchan, ayant prisvn accouſtremét de moyneil ſe voulut ietter du haut
† en bas, mais ilſetua: Notares fit quelqueſemblant de vouloir tenir bon
" où il eſtoit, & endura qu'on lyvintaſſieger; finablement il ſe rendit, &
eſchappa à celle fois auccſes enfans. Cependant tout eſtoit en merueil
leux deſordre & confuſion parmylaville, oü les Turcs ſaccageoient in
humainement, ſans aucun eſgard de lieu ſacré ny prophane d'aage, ny
de ſexe, emmenans tous ceux que la fortune (peut eſtre plus inique en
leur endroict) auoit exemptez de la premiere rage & fureur de leurs ſan
glantes mains, pour les reſeruer à de plus § cruautez : Et ſe trou
uoit le camp deſia remply de captifs, de biens, & deſpouilles; & l'air rai
ſonnoit piteuſement des voix & exclamations lamentables, de tant de
pauures mal'heureux & infortunez qui s'enrr'appelloient les vns les au
tres,les femmes leurs maris, & les meres leurs enfans, comme s'ils ſe fuſ
ſent voulu dire le dernier à DIE v, n'eſperans pas de ſe reueoir iamais
plus : Expoſezaudemeurant à toutes ſortes d'opprobres,contumelies,& s
outrages, que les plus meſchantes & desbordees concupiſcences ſe
pourroient à grand'peine imaginer. Mais ces cruels ne s'en donnoient
pas grand'peine, ains entendoient ſeulement à s'enrichir; car oncques
ils n'eurent vn tel buttin, & n'auront iamais plus ſi Dieu plaiſt , au
moins ſur le peuple Chreſtien. La plus belle, la plus riche & opulente
cité de toutes autres,ſi bien ordonnee,ſibien eſtablie partant de reuolu
tions de ſiecles, durant leſquels elle auoit commandé & à la terre & aux
mers; ſiege ſouuerain, domicile & reſidence de tant d'Empereurs, auec
La rura leurs ſuperbes & † cours; le magazin & apport de tous les
†* treſors d'orient,eſtre ainn tout à coup abandonnee aux vœus & deſirs
d'vne canaille ignorâte, quiſe faſchoiêt quaſi de tât de richeſſes entaſſees
les vnes ſurles autres; ne pouuans comprendre en leur lourd & groſſier
entendemét,ce qu'ils en deuoiét faire:ſiquetel cſtoit chargéd'or & d'ar
/

Del'Hiſtoire des Turcs. | 227


gent, quiiettoit là tout pourcourirapres du cuyure ou eſtain.Et les plus
exquiſes & precieuſes † , ils les donnoient àvil pris, ou les eſ Le cardinal
changeoient à des choſes de petite importance. En cette miſerable con- #
fuſion&renuerſement de fortunes,fut pris auſſile Cardinal Iſidore Eueſ- †º
que de Ruſſie,& menéà Pera,où on le vendit, mais ayant trouuéle moyé §r ,
de monterſurvn nauire qui eſtoit preſt à faire voile, il ſe ſauua au Pelo- aºrº
poneſe : Que ſi le Turc en euſteula moindre cognoiſſance, meſmement †"
que c'euſt eſtévn Cardinal, à grand'peine fuſt-ilreſchappé de ſes mains. †.
Ôrcuidant qu'il euſt paſſé le pas † & les autres, il ne ſe ſoucia pas º
beaucoup d'en faire autre perquiſition : auſſi que lors on luy apportà la r†
teſte del'Empereur, ce quiluy touchoit de plus pres, dont il fit de gran-†
d'scareſſes & recompenſesà celuyquilà luy preſenta. De quelle façon
ce Prince fut mis à mort, parvn des Genniſſaires n'en ſceut rien dire de
certain : on penſe § qu'il fut tuéaupres d'vne des portes de la vil
leauec beaucop d'autres,ayant ſeulement regné trois ans & trois moys.
Pluſieurs Venitiens au reſte hommes illuſtres, leſquels peu auparauant
eſtoient arriuez à Conſtantinople, vindrent lorsés mains desTurcs, e6
meaſſez d'autres de diuers endroicts, à qui les Grecs ne voulurent per
mettre de deſloger, afin de ſe preualoir § aide & ſecours és affaires .. , , .
quiſe preſentoient. De tous ceux là neantmoins, le ſeul Baile des Veni- #
tiensayanteſté menéen la preſence de Mechmet fut mis à mort; aux au- Conſtantino
-

tres il fit grace & les deliura. Mais ceux de l'armee de mer voulans auſſi Plºººº
auoirleur part du buttin,abandonnerent les vaiſſeaux & le port,pourſe #. -

ietter dans la ville apresle pillage tellement que les galeres Venitiennes Ambaladeur
ſe trouuans vuides & deſtituees d'hommes(carlesGrecs les enauoientti
rez pour mettre à la garde & deffence de leurs murailles, où la plus part
auoyent eſtétuez ou pris)s'en allerent flottans à l'aduenture le long de
l'Helleſponte, tant qu'au troiſieſme iour elles aborderent en l'iſle d'E
· gine, & furent les premiers quiyapporterent les nouuelles de cette pi
teuſe deſconuenue. Ce qui mitvn teleffroy à tout le pays d'Alentour,
tant des Iſles que de terre-ferme, que le peuple ſoudain ſans penſer à ce
qu'ilfaiſoit quittalàtout, fuyant en deſordre de coſté & d'autre, & ſi
ne ſçauoiét oü,toutainſi queſi deſiails euſſent eu les Turcs enleurs mai #
ſons, quileur tinſſent le couteau à la gorge. Les ſieurs meſmes du Pelo
poneſe eſpouuantez de cette grande calamité, eurent recours à la mari
ne pour ſe ſauuer; ce qui apreſta vne belle occaſion aux Albanois qui y
eſtoiét habituez,de s'eſleuer & departir de leur obeyſſance accouſtumee. .
ME c H MET s'eſtantainſi emparé de Conſtantinople,ordonna ſou- Vº
dain au Zogan des'aller ſaiſir delaville de Pera qui eſt toutvisàvis,& n'y
a qu'vn bras de meràpaſſer,afin de retenirles habitans qu'ils ne s'en al
laſſent d'effroy. Mais le Podeſtat de la ville voyant commel'autre auoit †
eſté traictce, voulut preuenir l'orage, & s'en allaluy meſme preſenter Pera.
les clefs à Mechmet,lequelle receut benignement; &là deſſus dona char
ge au Zogan d'enaller prendre poſſeſſion. Tout auſſitoſt que les habi
tansl'apperceurétvenirà euxauecles galeres,ils coururét àleursvaiſſeaux
228 Liure huictieſme
pour ſe ſauuer deſſus,là où il y en eut quelques vns de tuez pour intimi
derle reſte; & cependant laville fut priſe; là où on eſtablit vn gouuer
neur : tellement que Mechmet en vn ſeul iour ſe fit maiſtre & Scigneur
de ces deux citez : l'vne toutesfois ſans comparaiſon plus belle, plus ri
ra, che & puiſſante que l'autre : cette-cy receue à compoſition, & celle là
§" miſerablement ſaccagec. Toutesfois il fit deſmanteler Pera du coſté de
la terre, afin de luy oſtertoutesoccaſions & moyens de ſe rebeller àl'ad
uenir, ſous l'eſperance des vaiſſeaux qui pourroient arriuer d'Italie, par
ce quel'ouuerture des murailles leur en retrancheroit la volonté : pour
yauoir auſſil'entree libre à toutes heures † y cuideroit remuer †
que choſe. Tous les autres Grecs qui s'eſtoient exemptez du maſſacre
& execution,furent tranſportez en laditteville de Pera, remis en liber
té, principalement ceux qui eſtoyent de † nom & dignité. Car
†" Notaras meſme duquel nous auons parle cy deſſus, fut rachepté par
†* Mechmet auec ſa femme & ſes enfans; & apresauoir conferé enſemble
iiberté de quelques affaires, il luy donna permiſſion de ſe retirer où il voudroit:
· mais ſe fondant ſurle ſecours qu'on attendoit d'Italie, il voulut demeu
rerà Conſtantinople ; où quelques autres encore ſe ramaſſerent, leſ
- quels ſe ſouuenans de la douceur de la vie paſſee, & de l'ancienne liber
té dont il eſt bien mal-aiſé de ſe departir, ne ſe peurent tenir de faire
Leenaresa , certaines contenances & petites menees, qui furent incontinent deſ
† couuertes, dont ils irriterentleTurc de ſorte
remisenliber † les fit mettre à mort.
# Toutesfois on eſtime que cette ruine leur aduint, de ce qu'ayant eſté
#pour rapporté à Mechmet que Notaras auoit vn fort beau ieune garçon de
" l'aage de douze à treize ans , il luy enuoya demander par vn ſien eſ
Latropgs chançon, & l'autre s'eſcarmoucha vn peu trop viuement là deſſus,de
# laſchant en colere des paroles hors de ſaiſon que cette demande eſtoit
ºgº du tout inique, dèshonneſte & outrageuſe : car puis qu'on leur auoit
vnefois pardonné,& remis leurliberté à quelpropos,nyà queltiltre leur
pouuoit on plus rien demander ? † ſi cette grace n'eſtoit qu'vne fein
te & diſſimulatiô, & qu'en toutes ſortes on euſtarreſté de leur faire quel
que mauuais party,pourquoy ne comandoit onaux peres, de mettre eux
meſmes la main à leurs creatures?Somme toute qu'il n'en ſeroit rien, &
que celuy ſeroit choſe trop dure, voire inſupportable, de ſe voir ainſi
· vollerſes enfans deuantlesyeux,qui n'auoient en rien offenſé ne meffait.
L'eſchanſon luy remontroit d'ypenſervn peu mieux,pour le moins qu'il
moderaſt ſes paroles, carſi cela venoit vne fois aux oreilles du Seigneur.
ce ſeroit pour le mettre luy & les ſiens à perdition ; mais il ne le voulut
croire ne eſcouter.Au moyen dequoyle toutayanteſté rapportéà Mechº
» , met il comandaſur l'heure de les mettre àmort,& le reſte des Grecs qu'il
#auoitſauuez quât & quant.Auregard de Notaras ilprenoit ſa fortune Cfl.
patiéce,&ſe porta en tout & partout fortmagnanimement,ſans môſtrer
ſIlOIt ,

le moindre ſigne de laſcheté ou faute de cœur:Seulementilrequit qu'on


tuaſt ſes enfans les premiers, craignant qu'on ne les vouluſt reſeruer a
Presſa mort à quelques vilenies & abus. Mais d'autre coſtélespauurcts,.
| De l'Hiſtoire des Turcs. . º»
cômeieunes & plus craintifs crioient apres leur pere, † pluſtoſtildon
naſt & eux & tous les biés qu'ilauoit deſtournez en Italie,que de les ſouf .
frirainſimaſſacrer cruellement deuât ſes yeux,dótilles reietta bié loing,
les exhortant d'endurer la mort conſtâment.Etainſi paſſerent le pas ; les
enfans en premierlieu, & le pere puis apres, qui ſe preſenta fort coura
geuſementauſupplice. Les Grecs auſſi qui auoient deſia eſtéremis enli
berté,& cuidoient eſtre deſormais hors de tout peril & danger,coururét
neantmoinslameſme fortune.On dit que ce fut certain eſtrágier quiles †
hayſſoit mortellement,lequelleur § cette trouſſe CarMechmet s'e-†
ſtant tranſportéoutre † del'amourd'vneſienne fille,ſe laiſſa allerà §"
| toutce qu'elle voulut deluy;& parce moyen obtemperantau prochas & #§.
inſtance que lepere & la filleluy firent d'exterminerles Grecs,les traicta""
de la ſorte que vous auez ouy Coment que ce ſoit,il eſt tout certain que
lamiſere & deſolation de Conſtantinople,a ſurpaſſé toutes les autres ca
lamitez dont nousayons euiamais cognoiſſance : Et qui voudra de pres
y prendre garde pourvn peu diſcourirlà deſſus,on trouuera qu'elle n'eſt
gueres diſſemblableain a beaucoup d'affinitéauec celle deTroye lagrá- Merueilleuſe
de : tellement qu'il a ſemblé à pluſieurs, & mefme les Latins le tiennent † ,
cóme pour choſe certaine,que cea eſtévne vengeance & punition,pour-ºº.
ceque l'autre ayant iadis eſté deſtruiéte parles Grecs, cette.cyle fut puis
apres par les Barbares,deſcendus paraduenture desTroyens.
M E c HM E T netardagueres depuis à faire trouſſer le Baſſa Cathites » #n
fils de Priam,ayant de longue-main eu la dent ſurluy, & propoſé en ſon †
eſprit de le faire mourir : mais ne ſe ſentant encore aſſez bien confirméà #§,
l'Empire, il auoit
p1re, 1l auo diſſimulé
1 iuſques alors
C 1Ul 1 , retenu de qquelque
q craincte trer
# Amurat à

delagrande authorité qu'ilauoit.Apres donques qu'ill'eut faict pren-"


dre,ill'enuoyalié & garrotté dans vn chariot à Andrinople, & ſe ſaiſit
cependant de ſon or, argent, enſemble de tous ſes autres biens : car il
auoit touſiours eſté fortaſpre & conuoiteux d'en amaſſer à toutes
mains; tellement que de richeſſes & d'auoiril ſurpaſſoit tous les autres
Baſſas & officiers de la porte, quelques puiſſants, fauorits & opulents
qu'ilsfuſſent.Cette diſgraceluyaduintdel'authorité & credit oü entra †
le Zogan : car Mechmet eſtant vne fois allé auec cettuy-cy veoir vne †
de ſes filles, deſia fiancee à Machmut fils de Michel,ils'en amoura & la ""
prità femme, donnant en contr'eſchange ſa propre fille en mariage
audit Zogan:& ainſi parvn meſme moyen côtracta double allianceauec
luy. Incontinent auſſi qu'il eut faict mourir Cathites, il priua deux de
ſes plus grands fauorits, qui eſtoientle deſſuſdict Machmut,& vnautre »
appellé lacob, de tous leurs biens qui montoient à la valeur de plus de
ſix vingts mille eſcus. Et pource que la famille du Baſſa qui eſtoit en †º
grand nombre,s'eſtoitveſtuë de dueil pour la mort de leur maiſtre, il en -

cutdeſpit, & leur enuoya tout incontinent dire par l'vn de ſes Chaoux, †
que ceux qui voudroient continuer ce noir, n'euſſent à faire faute de ſe §.
trouuerle lendemain à la porte:mais eux ſe doutans aſſez que cela vou
loitdire, ſe garderent bien d'y comparoir en ceſt equipage & liurec.
23o Liure huictieſme
Et de faictilauoit deſiaparaſſez deteſmoignages&indices faictcognoi
, ſtre ſa grande indignation, & courroux enuers le deffunct : Car ayant
vne fois apperceuvn Regnardattachéàl'entree du Palais, il ſe prit à luy
#º " dire comme en goſſant; &que fais-tuicy priſonniere pauure beſtiole,eſt
il poſſible que tu ſois ſi deſpourueuë de moyens, que tu n'ayes dequoy
graiſſer la main au Baſſaauſſi bien que les autres : Le bruict commun a
A tºus uoit auſſi eſpouuâté † eſt le plus ſouuent ce qui nous annöce
T§n les choſes aduenir: Au moyen dequoyil ſe preparoit comme pour aller
† en pelerinage viſiter le ſepulchre de Mahomet; eſperant que durant ſon
#.- ab encelemal-talent du Princes'adouciroit : mais ille preuint par malice
†" & aſtuce,luy faiſant meilleure chere que de couſtume, & plus de biens
§ ſomme
que iamais.
robe.
Et meſmele
de deniers; auecvoyant ainſideenbelles
tout plein ſoupçon,luy enuoya
paroles qu'il ne vne groſſe
ſe ſouciaſt
de rien, & ne preſtaſt plus l'oreille à ceux qui alloient controuuans &
ſemans ces faux rapports pour le troubler & mettre en confuſion d'eſ
prit à quoyil ne deuoit adiouſter aucune foy : dont Cathites aucune
ment reconforté luy fit cette reſponce. Il eſt en toy, Seigneur,de nous
contriſter tous, & reſiouyr ainſi que bonte ſemblera : Queſiton vou
loir eſt que nous demeurions triſtes & dolents, certes nous auons aſſez
d'occaſion d'ainſi le faire : mais ſi tu entends que nous facions bonne
chere, & reprenions noz eſpritsàl'accouſtumé,il eſt bien raiſonnable de
t'obeyr. Nonobſtant toutesfois ces beaux diſcours, il ne laiſſa de faire
Mºraiſºn leſaut.Comme † Mechmet en ſi peu de temps, & auec telle fa
†. cilité euſt conquis vn ſigrand & puiſſant Empire,il commença de tenir
†# vne plus grande maieſte; & tout enflé de pompe, & de magni †
" ficence,ſe mit courageuſementapres pluſieurs tres-belles & hautes en
trepriſes;amplifiant de tous coſtez ſa domination, parle moyen de tant
de citez,de Prouinces, & de Royaumes que de iour en iour il accumu
loit à ſa Monarchie ; partie de force, partie qui volontairement ſe ren
geoient ſoubsleioug de ſon obeiſſance. Mais c'eſt choſe bien eſtrange,
† pas vn de tous les Grecs ne ſe prit garde, ou bien n'y adiouſta point
e foy,aux predictions qu'ilsauoient deuantles yeux , veu que le cata
logue des Empereurs de Conſtantinople autres fois deſcrit par l'Empe
reur Leon,Prince tres-ſçauant,venoit à ſe terminer en Côſtantin, qui de
vray fut le dernier, & au Patriarche qui mourut à Florence : Car cetteta
ble ouliſte de Leon ne faiſoit mentionny de Conſtantin mis à mort par
c† lesTurcs,ne qu'ilfuſt decedé au Palais Imperial : Ne auſſi peu de Gre
0 Cl O - > - - 2 - - - V.

§
lle loſephe. goire s'en allant en Italie ( ainſi s'appelloit le dernier Patriarche )là où
• 1 * • - -

" tous les autres,peu ou pluſieurs qui ſoient paruenuz à ces deux dignitez,
†" chacun en ſon ordre,& au propretemps qu'ils deuoient eſtre ſelon qu'il
phetie d'vn
des Empe
reurs de Cö-
ſe verifia depuis,ſe trouuoient marquez en ladicte table ,
- - - -
iuſques à ceſt-

§pi
L .ſ Empereur & Patriarche qui furent les derniers. Ily a encore tout plein
- > - - • » •"

§ d'autres choſes memorab cs,qui teſmoignét aſſez l'excellence & le grâd


-† ſçauoir de ce Prince Leó,lequelfuttres-verſe & expert en la Philoſophie
naturelle, & en l'Aſtrologie, & qui cut parfaicte cognoiſſancc de leurs
Del'Hiſtoire des Turcs. 23I
facultez & effects:Dontilya deux outrois preuues qui meritét bien d'e
ſtre recordees; mais nous en parlerons quelque autre fois. /

O R comme les Seigneurs du Peloponeſe s'appreſtaſſent pour ſe reti- x.


rer en Italie, ayans aſſocié auec euxles plus grands & notables perſonna
es de toute la Grece, Mechmet les en diuertit, & les abuſa parle moyen
# ie ne ſçay quelappoinctement fourré qu'il fitauec eux : ce qui les pre
cipita en de grands inconueniens & calamitez Carles Albanois voyans †
ietter en merlesvaiſſeaux, &defaire
•Vn deſlogement, † tous autres preparatifs propres pour §.
là occaſion de ſe rebeller, & conſpirerent loponeſe.
entreux de ſe ſaiſir du pays , dequoy leur fut inſtigateur vn Pierre le /

Boitteux, homme deſeſperé & meſchant tout outre, qui les animoit
ſans ceſſe à ſe ſouſtraire del'obeiſſance des Grecs,&eſlire quelqu'vn pour
les gouuerner.Les Albanois pourle commencement firent ſemblant d'y
vouloir entendre, puis tout ſoudain changerent d'opinion : car encore
yauoit-il parmyeux quelques Grecs qui les incitoient à creer vn Prince
dela nation Grecque. Finablement ils s'arreſterent à vn nommé Ema
nuel, dela maiſon des Cantacuzenes : puis tout incontinent donnerent †
ſur lesautres Grecs, pillans leurs biens, emmenans leur beſtail, & fai-§
ſans tous autres actesd'hoſtilité.Or ces Albanois icy ſont Paſtres, qui # -

vont vagabonds de coſté & d'autre, ſans auoiraucunes demeures arre


ſtees ;au moyen dequoy feſtans mis en campaigne, ſe ruoient ſur les
villes & fortereſſes ,aſſiegeans lesvnes, ſaccageans les autres; & s'empa
roient des habitationsyeſtans. Car pourle peu d'eſtime qu'ils faiſoient
des Grccs,leſquels ils ne tenoyent ſinon pourautant d'eſclaues,ils de
peſcherenttout incontinentàlaporte, § auTurc de luy mettre en
tre les mains les places, & les forces du Peloponeſe, pourueu qu'il leur
laiſſaſtla iouyſſance du plat pays, dont ils luy payeroient tribut chacun
an. Cette reddition eſtoit maintenuë & fauoriſee ſöubs-main par Cen
terion Zacharias,frere de la femme qu'auoit eſpouſeel'vn des freres du
feu Empereur,& par vn autre encore nommé Lucanes , pour raiſon
dequoyle Prince Thomasles fit prédre tous deux, & menerpriſonniers
au chaſteau de Chlumetie. Mais les Albanois par brigues & menees
pratiquerent le gouuerneur de la place, quilesauoit en garde, luy pro
poſans le mariage de la fille d'iceluy Centerion , auec autres belles pro
meſſes quil'induirent de les laiſſeraller,& eſpouſerluymeſme leur party;
de maniere que la guerre ſe faiſoit deſia tout ouuertement. Au regard Centerion &
de Centerion,Thomasl'auoitfait ſaiſir, pource que quand Amurat fils Lucanes pri
de Mechmet vint pourrompre la muraille de l'Iſtme , il abandonna le ſonnie .
Peloponeſe,& ſe retiraenAchaie.Et ne ſe contentant pas de s'eſtrvoeulu
rendreauxTurcs,luy & vn autre appellé Boccales Leontares, ſe mirent
à ſoliciter les Princes & Seigneurs d'alentour, de faire de meſme : Car
deſlorsiceluy Boceales ſans plus diſſimulerſerengea deuers eux, & leur
aſſiſtoit entoutes leurs guerres & entrepriſes : mais en vne récontre qu'il †
tOUlt C OIIlUlIt

cutauccRaoul,l'vn des Capitaines du Prince,il fut pris,& luy fit-on cre-§


uer les yeux. Eſtans doncques chargez de ces cas, ils furent mis en
V ij
232 Liure huictieſme
priſon , aſſauoirCenterion pourauoirabádonnéle pays lors qu'Amurat
demoliſſoit l'Iſtme; & Lucanes, pource qu'il aſpiroit à des troubles &
nouuelletez, & s'eſtoit partializé auec ceux des Grecs qui eſtoient les
plus conuoiteux deſeditions & changemensdel'Eſtat.Caràlaverité Lu
canes auoit deſia auparauant ſuſciré les principaux & plus puiſſans, à
ſe bander contre leurs Seigneurs propres, & pareillement les Albanois;
† de ſorte † les forces de cette ligue n'eſtoient plus à meſpriſer Cettui
§ cyvenu de race non point autrement notee ne mauuaiſe, mais au reſte
" fort obſcure & ignoble,homme tres-aduiſé & d'vn prompt & gentilna-,
turel,trouuaincontinent moyen d'auoiraccés à Theodore Seigneur de
Sparthe, qui le receut aureng de ſes plus grands fauorits, & luy fit d'arri
uee tout plein de biens & d'auancemens : ce qui luy fut puis-apres vne
introduction à eſmouuoirles principaux Grecs à ſedition & reuolte; car
eſtant fin & ruzé,il ſçauoitfortbien appliquer toutes choſes à ſon parti
culier, par le moyen de la grace & faueur du peuple , dont il faiſoit ce
qu'il vouloit. Mais pour le commencementilfeignit d'eſtre de contrai
re opinion aux Grecs de Conſtantinople, & d'auoir peur que ſilesTurcs
ſ'emparoiét du Peloponeſe, ils ne vinſſent bien toſt apres à perdre tout
leur repos & felicité: neantmoins ſoubs main il ne briguoit autre choſe
· que de ſ'appuyer de quelqu'vn, pource que toutes ſes eſperances en ceſt
endroict eſtoient logees là deſſus tellement que ce pauure pays ſe trou
uoit envn fort piteux eſtat.Ils menerent donques tout premieremét leur
| armee contre Cline,dont ils furent honteuſement repouſſez : au moyen
dequoy delà s'adreſſans à Patras ville d'Achaie où eſtoit le plusieune des
deux Seigneurs,ils eurét là endroitlafortune auſſi peufauorable, & per
x. dirent tout plein de gens.
Le Pelopone
§ MA 1s pour tout cela encore lePeloponeſe ne laiſſa d'eſtre en danger
† devenirau pouuoir des Albanois,ſiAſan qui eſtoit alle deuers le Turc,
rºº n'euſtimpetré de luy vne armee, qui fut celle meſme dont Thuracan
auoit la charge, lequeleſtant là arriué auec ſes forces, aſſembla au con
† ſeilles deux Seigneurs Paleologues,auecles principaux dupays pourad
† Pe uiſer ce qui eſtoit à faire; & leurvſad'vn tellagage.Enfansdel'Empereur
des Grecs,il faut de neceſſité que quelqu'vn d'entre vous ſe trouue à ceſte
guerre,& nous yaſſiſte: car § ennemis vous verront, plus facile
ment ſe rendront-ils,ſçachansbien que de vous ils ne receuront aucun
mal. Mais quant à nous autres qui leur ſommes inueterez aduerſaires,
ils nous auront plustoſtapperceuz,qu'ils entreront en crainte & deffian
ce, & feront difficulté de venir à raiſon : Parquoy ſi vous me voulez
croire toutes choſes iront bien, & ſuccederont au plus prés de voſtre in
tention. Doncques en premier lieuie vous requiers & admoneſte, que
d'oreſnauant vous regardiez à traitter voz § d'vne autre façon
| | que iuſques icy vous n'auez faict, faiſant du bien aux bons,& chaſtiant
'lesdeſbauchez & meſchans.A ces deux choſes là ayez tout voſtre ſoin
& ententeievous prie, car ſi vne fois les bons vous aſſiſtét(ce qu'ils ferot
. . ſans difficulté toutes les fois qu'ils ſe ſentiront de voſtre beneficence)
vous n'aurez pas beaucoup de peine puis apres àdopterlesmauuais,&en
-
-

»' * - º -

Del'Hiſtoire des Turcs. - 233


veniràbout. Sidonques à ceux qui ſeront de peruerſe volonté vous ne
laiſſez ne liberté, ne moyen de malfaire, qu'eſt ce qui vous pourroitin
opinemétſuruenir?Mais tenez auſſi cela de moy pour choſe toute ſeure
que ſi quelques vns des deprauez&mutins,viennent par vous à eſtread
uācez aux charges & honneurs que les gens de bien meritét, lesautresſe
parforceröt de ſe rendre ſemblables à eux, & par ce moyen demeurerez
affoiblis& oppreſſez de toutes parts,en danger de perir miſerablement.
Ainſi vous faut-il tirervneinſtruction des § paſſees, pour vous en
ſerujr en ce que vous auez preſentement à deſmeſler. Mais là deſſus ie
conſidere,quelesvoſtres propres vous ſont les plus malaffectionnez,&
ayment ceux qui vous contrarient, ſuiuans continuellement tout le re
bours de ce qu'ils penſent que vous deſiriez. Certes ſi le ſeigneur n'euſt
eu pitié de vous,&ne vous euſt ſecouru de ſes forces, qui vous remet
tent entre donques
faict.Puis les mains que
ce pays,ia du tout
l'experiéce perdu,ie
vous môftre,neque
ſçayparque vous euſſiez
cy deuât voſtre •
eſtat n'a point bien eſté gouuerné, la neceſsité vous enſeignera auſsi
d'auoirvoz ſuiets en plus eſtraicte recommandation à l'aduenir; ie dis
de les traicter plus gratieuſement Et ſi faut dauantage, que vous ayez
l'œil, ce pendant que vous ſerez en paix & repos, de ne vous endormir .
point envozaffaires& de neles laiſſer en deſordre ainſi deſcouſus.Mon
ſtrez à tout le moins quelque forme de rigueur enuers ceux quitaſchent
ainſi à vous troubler,ſans rien pardonner à telles ſortes de gens:car deux
choſes entre les autres ont eſleuéles Turcs à ceſte ſouueraine puiſſance
† vous voyez, l'vne que touſioursils ont faict tres-diligente perqui
ition contre les deprauez, iuſques aux moindres occaſions qui ſe font
preſentees , & les ont tres-bien chaſtiez de leurs inſolences & abus;
L'autre, que iamais les gens de bien & d'honneur † eſtélaiſſez par
my eux ſans quelque dignité &recôpenſe.Que ſi d'auentureles affaires
qui ſont ſuruenuz n'ont permis de punirles coulpables ſur le champ,
l'on n'a point faict de difficulté de leur pardonner pour l'heure , mais ils
nelont portéguere loing;cartout auſſitoſtque le dangera eſté paſſé, &
la tormente ſ'eſt trouuee reduitte en bonnace, ſans plus yauoir rien à
craindre de faire naufrage,le loiſir ne leur a pas eſté donné lors de ſere
uolter, ny entreprendre vne autre fois à faire mal, à l'enuy les vnsdes
autres : car tout incontinent ils ſe ſont trouuez enueloppez en la pu- #
nition & chaſtiment qu'ils auoient merité. Ce furent en ſubſtance les † • m1nc contre
propos queEtleur
ſeditieux. touttint Thuracan; les
premierement enhortant
Demetrie auecdelelerenfort
ſuiure des
contre les §is
Turcs, rebelles,

ſ'acheminavers la contreeappellee Borbotane,quieſtoit de forte&diffi


cileaduenue; carles Albanois pour plus grandeſeureté de leurs femmes
& enfans,auoient baſtià fentree vne bonne forte muraille,auecyn Tor
rion, que les grecs&lesTurcs ſe mirent à ſapper peſle meſle, pour ſe fai
reouucrture dans le pays.Toutesfois la nuict ſuruenant là deſſus les em
pcſcha d'acheuer : & cependât les Albanois eurét le loiſir de ſ'eſcouler,
Par ccſt endroictdela vallee oû la môtaigne quil'enſerre viétàſaffaiſſer,
V iij
-

234- . Liurehuictieſme
& prendre fin. Ce qu'eſtant venu à la cognoiſſance des Turcsfirent
ſoudain marcher leurs cornettes, & chaſſerent ſi chaudement ceux
qui fuioient, qu'ils en prirentbien dix mille, leſquels n'auoient peu ſui
ure la groſſe troupe. Cela faict, l'armee paſſa outre vers Ithomé;le plus
ieune des deux freres nommé Thomas les coſtoyant touſiours ſurles
aiſles, tantoſt d'vne part,tâtoſt d'vne autre.Et delà allerentaſſaillir la vil
le d'AEthon ou de l'Aigle,quiauoit nagueresſuiuyle party de Centeri6,
& lareceurent à compoſition, qu'elle fourniroit mille eſclaues àl'armee
Turqueſque, auecquelques armes&cheuaux dc bagage. Delà enauant
le reſte des Albanois ne contredirent plus de venir à raiſon:& enuoyerét
lors quelquesvns d'entre eux deuers leurs Princes, pourfaire entendre
qu'ils eſtoient preſts de rentrer en l'obeiſſäce accouſtumee, pourueu
qu'on les laiſſaſtiouyr des lieux dont ils eſtoient ſaiſis,& ne fuſſent con
traincts de rendre le butin qu'ils auoient faict de cheuaux & autre
· beſtail; leſquelles conditiós furêt accepptees. Au regard de Thuracá, il
ne cherchoit que d'affoiblirles affaires des Albanois, pour les rédre plus
ſouples & moins faſcheux à leurs maiſtres; parquoy quandil †
de
# s'en retournerilaſſembla de-rechef le conſeil, & parla en ceſte ſorte. Ie
†,
Turc Thura- vous ay nagueres remonſtré(feigneurs Grecs) comment il me ſembloit
- / - V.

§ que voti-vous deuiez gouuerner cyapresés choſes qui vous touchent, à


†" quoy i'adiouſteray encore ce mot, Que ſi vous eſtes d'vn bon accord
enſemble,vozaffaires ne pourront aller que treſbien'& ſerez touſiours
en repos & tranquilité heureuſe : mais ſi les diſſentions & partialitez
prennét pied parmyvous,ſoyez certains que le contraire vous aduiédra.
Parquoy prenez garde ſur toutes choſes,& ayezy bien l'œil,quevoz ſu
iets ne deuiennent inſolens & presóptueux en voſtre endroict, ce-pen
dant quevous penſerez eſtre à voſtre ayſe, ains puniſſez ſur le châp, ſans
le remettreau lendemain, ceux qui vouldroyent attempter, & remuer
quelque choſe. Car encore que le mal dés ſon commencement, ſi petit
uiſſe-il eſtre, ſoit § pernicieux, ſi le ſera-ilbien d'auâtage, #

# onlelaiſſe croiſtre, & aller auant ;par ce que bien-toſt il s'eſtend, iuſ
ques à paruenir à deſigrands outrages & inſolences, qu'elles ne ſe peu
uent plus comporterelles meſmes.Prenez y doncques(ie vous prie vne
autrefois) ſoygneuſement garde, & ne vous laiſſez ſurtout endormir
envne oyſiueté & nonchalance, la plus dangereuſe peſte qui ſe puiſſe
XI preſenter en vn eſtat,& quiyameine finablement plus de maux.
' A Y A N T acheué de parler, il tendit la main aux deux Princes,& là deſ
# ſus en prit çongé. Mais ils ſegarderentbien de ſuiure ſes ſages admone
des deux fre
† ſtemens; au contraire entrerent incontinent apres en picque & com
par CS f12 -

§ de buſtionl'vn contrel'autre;ne s'eſtudians à autre choſe ſinon de comba


" tre àl'enuy à quiferoit plus de careſſe, de faueurs,& de biens chacun à
ſes partiſans, & leur donneroit plus de priuauté & credit, taſchans par .
là de ſe rendre fideles & affectionnez d'auantage, & pourtant ſe rabeſ
ſoient de leur dignité & grandeur, pour gratiffier ceux quileur eſtoient
ſubiects.En quoyils ſe meſcomptoient grandement, car ce n'eſt choſe
De l'Hiſtoire des Turcs. 2 3s
Traict bien
moins dangereuſe à vn prince, de s'incliner ainſi & ſe communiquer remarcable.
trop laſchementenuers les ſiens, que de ſe m6ſtrer vn peu fier,arrogant
&ſuperbe. Auſſiles principaux ne faillirent ſoudain d'en abuſer,& s'eſ-"
leuans à vn deſdain & meſpris, ſe mirent à eſmouuoir les autres de
moindre cſtoffe, à des ſeditions & reuoltes; taſchans touſiours de reſ
ueiller quelque noiſe, pour tenir par ce moyen leurs ſeigneurs en eſchec,
& en doubte & ſoupçon l'vn de l'autre, ce qui admena finablement
& eux & leurs affaires à vne ruine & deſolation miſerable.Cartout
ainſi que s'ils euſſent eſté poſſedez de quelque malin eſprit, qui leur
euſt du tout tranſporté le ſens & l'entendement, ils ſe remettoient de
toutes choſes à ces malicieux & deſloyaux miniſtres, quice-pendant
complotoient entr'eux, & les vendoient à beaux deniers comptans.Lu
canesinuitales
tins, en premier lieu, lequcl
Albanois,& ceuxayant amené certain
du Peloponeſe nombre de
à ſe reuolter, afinBizan-
qu'ils . •

ſe cantonnaſſent, & ſe deportans de l'obeiſſance deleurs §


*times, s'eſtabliſſent vne forme de choſe-publique pour viure à part,
chacun endroit ſoy à ſa fantaſie & volonté, Et ainſi ſe ſentans renforcez
( ce leur ſembloit) de cette premiere conſpiration,ſe retirerent deuers
Aſan, comme celuy qui eſtoit dc plus grand pouuoir & authorité, caril
auoit le gouuernement de Corinthe,& ce la plus grand'part du Polopo
neſe. Mais il ne les daigna oncques ouyr, ne leur adherer à choſe quel
conque de toutes celles qu'ils pretendoient, En contr'eſchange,les Al
banois &les Peloponeſiens refuſerent tout à plat le tribut qu'ils ſou-cº,rsu -
loyent payer,lequel môtoit bien à douze mille ſtateres d'or par chacun †
an. Et ainſi s'alloient conſumans les Grecs peuà peu, par le moyen de #º
leurs partialitez & diſentions mutuelles: carils ne vouloient plus rien .
payerdes charges & impoſitions accouſtumees, que premier on n'euſt L, tellen
deſparty egalemët le territoire entr'eux.Auſſifalloit-il que toutes choſes †
allans ſi mal, & comme en deſpit de la fortune, ils s'en allaſſent belles- § §
erres àvne entiere perditiö & ruine,& finablemétfuſſent reduits à neât. "
MA 1s pour retournerà Mechmet,depuis qu'il eut pris la ville de XII
Conſtantinople, il retourna à ſa ſeconde expedition contre les Tribal
liens,& laville de Nouobarde ſituee dans les confins des Turcs presla s .
riuiere de Moraue, quia ſes ſources en la contree de Priſtine, &de là tra-g #
uerſant les lieux deſſudicts ſevameſler & perdre dans le Danube. Côme †"
doncques ſon armee fuſt eſpandue partout le pays,pillant & fourra- Mechmet !
geant ſans aucun contredictny empeſchement, luy ce-pendant auec †º
vne partie de ſes forces ayant enclos la ville deſſuſdicte toutàl'entour, §
la commença à battre d'vne eſtrange furie auec ſes mortiers,ſans s'amu-"
ſer à faire breſche à la muraille : & dicton qu'il fut le premier inuenteur
de ces machines enormes.Ce ſont de groſſes pieces fort courtes àl'ad
uenant, leſquelles ne tirent pas de blanc en blanc ainſi que font les
| autres, mais eſtans plantees tout debout en terre la bouch e contre-mót, .
deſgorgent le boulet droict en l'air, d'vne hauteur incomparable, .
Par la violence & inpetuoſité de la pouldre qui le chaſſe,ſique
• - - Viiij venant -
.
4

' -
236 Liure huictieſme -

à retomber de la meſme furie,ilaccable tout ce qui ſe rencontre def


ſoubs: & en eſt le coup ſi certain,qu'il ne faut gueres de donner au pro
† endroict où le canonnier l'aura deſtiné, encor qu'il n'yayt pas eſté
bracqué en ligne droicte, Les habitans apres auoir eſté ainſi rudemét
moleſtez par quelques iours,&ne ſçachans plus comme ſe garentir cô
tre ceſte tempeſte qui auoit effondré preſque toutes les maiſons, fu
† rent finablement contraints de ſe rendre à la volonté&diſcretion de
#di Mech ſongnes
lIlCt. Mechmet, lequel fit enleuer
quiyfuſſent, toutes
& ſivendit les des
partie meilleures
habitans& :plus exquiſespar
aux autresil be
donna, & les y laiſſa demeurer comme au-parauant, pourraiſon prin
† cipalement des metaux dont ces gens là ont le bruict d'eſtre ouuriers
† excellens ſur tous autres:auſſi parleur moyen& induſtrie, il ſ'eſtablit là
Nouobarde. - - / • A

autremétNo- Vn fort bon reuenu, prouenant des IIl1IlCS qui ſe trouuent es enu1ros de
# laville.Mais George prince des Triballiens ayant preſſentiſavenue, &
eu peur queſil ſ'arreſtoit en Senderouie, il ne le vintaſſieger là dedans,
Aragnc.

eſtoit deſia paſſé en Hôgrie deuers Iean Huniade, pour luy demander°
ſecours, puis qu'ils cſtoientamis & proches alliez & cependât ne laiſ
ſoit de pratiquer ſon appointemétenuers les Turcs,lequelil obtint à la
arfin;toutesfois il mourutbien toſtapres.Et cóme le plusieune de ſes
†bºt enfans nômé Eleazarfuſt celuy quiluy deuoit ſucceder àl'eſtat, Eſtiéne
potedeseruie & George à quil'on auoitfaictcreuer lesyeux, trouuerét moyéde met
tre la main ſurle threſor,&ſ'eſtás ſaiſis de tout l'argent quiy eſtoit,ſ'al
, ceſsteeee lerent de ce pas rendre à Mechmet, qui leur aſſigna certaine †
," du pays pour leur viure, dont ils eurent moyen de ſ'entretenir honno
rablement:car au reſte la paix deſſuſdicte auoit eſté traicte e moyennât
« vn grand tribut que deuoient payer les Triballiens,lequel montoit
4" • · bien vingt mille ſtateres d'or chacun an. . · · · ·
' XIII, L'AN N E E enſuiuant Mechmet mena ſon armee contre la ville de
. . - Belgrade en Hongrie, laquelle comme nous auons deſia dit en la vie
d'Amurat, eſt flanquee d'vn coſté de la riuiere du Danube & de l'autre
- de celle de Saue, qui entre dans le Danube vn peu au deſſous: De ſorte
· que ces deux groſſes eaux, qui l'enferment preſque de toutes parts -

hors mis d'vne ſeulle aduenue, la rendent d'vne tres-forte aſſiette, &
# bien mal-aiſee à approcher. Ilne laiſſa ncanmoins del'entreprendre
§ mais auant que ſortir en campaigne il deſpeſchaTheriz,& Haly fils de
†" Michel, auec partie de ſon armee contreles Illiriens.Etayantla †
· au meſme temps contre l'Empereur de Trcbizonde'il fit partir ſesga
leres döt eſtoit generalChetirgouuerneur d'Amaſie,pour aller courir
la coſte de la Colchide qui eſt ſur le pont Euxin. De luy,apres que tou
tes ſes forces furentaſſébleesés enuirôs d'Andrinople,ſuiuât le mande
Mºnaei mét qu'ilenauoit fait publier, il ſe mit en campaigne,ayant autourde
† ſa perſonne les Genniſſaires&autres ſtipendiez de la porte,&dreſſa ſon
§ chemin par le pays des Tribaliés faiſant conduire ce-pendant vne fort
†. grâde quâtité debróze, tant par eau contremôt le Danube, que ſur des
†" chameaux par terre pourfodre de l'artillerie ſur les lieux.Il fut fort ma
De l'Hiſtoire desTurcs. 237
gnifiquement receu & traitté, luy & les principaux de ſon armee par le
Prince d'iceux Tribalhés,quileur fit de beaux preſens à tous:carilſe dou
toit bien que ſil'autre venoitàbout de Belgrade,il ne faudroit de leve
nirviſiterincontinent apres, comme celuy qui par maniere de parler ne
reſpiroit qu'armes,guerres, batailles, & aſſaux.Auſſiil ne fut pas pluſtoſt ſiegee
Belgºdeae
arriué deuant Belgrade,qu il ſe mit ſoudain àl'enclorre &aſſieger de tou par les
Turcsl'an

tes parts, eſtant ſon armee fort † & fit ſes trenchees & approches iour
# de Iuin.
parle deſtroict qui eſt entre les deux riuieres, † ne ſçauroit contenir
7.ſtades qui
vn petit quart de lieue au plus, là où les Genniſſaires ſe vindrent de plai font 875. pas
nearriuee loger ſurlebord dufoſſé; & apres auoir accommodé leursga
bions & mantelets ſuiuant leur couſtume, commencerent à tirerinfinies
harquebouzades, & coups de fleſches à ceux qui eſtoientſurle rempar,
de ſorte que perſonne n'oſoit tant ſoit peu monſtrer le nez à vne ſeule
canonniere, ou creneau : card'autre part ſes pieces eſtoient deſia aſſiſes
enbatterie, & commençoient à faire vne merueilleuſe execution & ex
ploict. Or auoit-ilbien preueu que s'il ne ſe faiſoit maiſtre de la riuie
re,pour empeſcher que les Hongtes ne vinſſent de l'autre part ſecourir
laplace, & la raffraiſchir d'hommes & de munitions,ce n'eſtoit rien faict
àluy; caril n'yauoit point de plus beau moyen d'en auoir bien toſt la rai
ſon que çeluy là, & auec moins de perte & de difficulté. Parquoy s'e
ſtans trouuezlàiuſques au nombre de deux censvaiſſeaux tous preſts, il
fitſoudain rembarquer les mariniers qui s'eſtoient deſia reſpandus par
myla plaine au long du Danube; & les faiſoit aller & venir continuelle -

ment depuis la ville de Bidine, vers le camp : ſi bien que par quelques A

iours ils auoient tenu le cours de la riuiere en ſubiection ; quand le Roy


de Hongrie quis'eſtoit campéau delà auecvne fort belle armee, emplit
auſſi de ſoldats eſleuz tous les meilleurs vaiſſeaux qu'il euſt à Bude , &
commes'il fuſtvouluvenir àvne bataille nauale, marcha contre bas d'v
negrande furievers lesTurcs, qui bruſloyent,pilloyent,&ſaccagcoient Turcs pe#ſur ledes.
. tousles riuages; oü de plaine abordee les ayant chocquez fortviuement Danubc,
il mità fonds pluſieurs de leurs vaiſſeaux,&en pritvin gt,dont il fit mou
rirſurle champ tous ceux qui s'y trouuerent. Les autres ſe ſauuerent à
lafuitte tant que la roideur de
leau, & la diligéce des auirons les peurent
porteriuſquesaucamp oüils s'allerentietteràgarâds,laiſſans là leursbar
quesàl'abandon:mais Mechmety fitincotinent mettre le feu : de peur
que les Chreſtiens ne s'enſaiſiſſent. Comme donques les Hongres euſ
ſent euvn ſibeau & heureuxſuccés de leur premiere rencontre, qui leur
donna delà en auantl'vſage de la riuiere franc&libre,ils chargerét ſur ces
vingtvaiſſeauxvuides d'hommes, certaines petitesloges & cabannes, &
- -

rcngeans leurflotte entres-belle ordonnance,s'aualerent contre-basvers


laville, où mal-gré les Turcs ils mirent tel renfort & rafraiſchiſſement t ...
qu'ilsvoulurent. Quant à ceux qui pourlors y entrerent, ce furent Hu- †
niadeauec ſes gens, & le Cordelier Iean Capiſtran,le nom duquel eſtoit § #º
en telle eſtime & recommandation par tous les endrçicts du Ponant, #"
Pourle regard des affaires de la religion, que le Pape, ioinct la ſaincteté -

|
238 · Liure huictieſme
& reformation de ſavie, & lezele dontileſtoit remply, l'auoit choiſi ſur
tepaysdeBo tous les autres pour aller à Pragheville capitale de Boheme, preſcher le
# peuple quiidolatroitle Dieu Apollon. Et d'autant qu'il eſtoit fort elo
"º" quent, & auoitvne grand'vehemence & efficace enſon parler pourper
ſuader ce qu'ilvouloit, il retira finablement la plus grande partie de ce
· pauure peupleaueuglé; de ſon erreur & folieavne plus ſaine doctrine;&
§ encore qu'vn bon nombre d'entreux, auec pluſieurs Hongres &
Allemans prirent les armes, & le ſuiuirentau ſecours de Belgrade, oüa
resauoir tenu la campaigne par quelquesiours, eſcarmouchans conti
nuellement lesTurcs, ou les tenans en alarmes, quand ils ſceurét quela
breſche eſtoit faicte, & qu'ilyauoit danger deſormais que la place ne ſe
perdiſt, ils ſeietterent dedans tout à leuraiſe parlariuiere, & de là en a
uant commencerent à faire tel deuoir, que les Turcs cogneurent bien
qu'ils auoientaffaire à des gens quin'eſtoient pas à § Mechmet
d'autre partvoyantl'ouuerture que ſon artillerieauoit faicte à la murail
le, ſe prepara comme s'il eut voulu fairevne courſe dans le pays pour al
§ desames; & cependantilordonna qu'on fiſt les feuz parmy
le camp à la mode accouſtumee,& fitdreſſerforcegabions & mantelets,
enſemble toutes autres choſes neceſſaires pour approcher à couuert le
Mert du Bar pied de la muraille, & y donnerl'aſſaut. Mais ſur ces entrefaictes Carats
* º generaldes forces de l'Europe, tres-vaillant & experimenté Capitaine
# touslesautres,fut tuéd'vn coup de mouſquet, dont ſon maiſtre eut
vn extreme deſplaiſir, ſçachant aſſez la faute que feroit à ſon ſeruice la
LaºutdeBel perte d'vn tel perſonnage. Pour cela toutesfoisilne laiſſa de fort grand
* matin à faire donnerle § ducombat, conduiſant luy meſme ſes ſol
dats iuſques ſurle bord du foſſé,lequel de plainearriueeils gaignerent &
monterent encore au haut de labreſche,ſans y trouuer aucune reſiſten
ce:Tellement que ſeiettansàcorps perdu danslaville, ils s'eſpancherent
de coſté & d'autre, penſans deſia auoirtout gaigné, & qu'il n'y euſtplus

uiade,&le bel que faire,fors de piller & ſaccageràſouhait. Mais Huniadeauoit ſecret
ordre par luy tement † ſes gens enbataille en vne place, & n'attendoit ſinon que
-

†"lesTurcsſ fuſſent embarquezbienauant; car ceux qui eſtoientàlagar


de du chaſteau auoient le mot duguet de ſortir ſur eux au premierſon de
trompette,& les autres ordonnez pour deffendre labreſche,s'en eſtoient
retirez par ſon commandement, à ce que les ennemis la trouuant vuide
& delaiſſee,vinſſent à donner plusinconſiderément dans le filé qu'il a
uoittendu. Ils eſtoient neantmoins inſtruicts de retourneràla muraille
au deſſuſdict ſignal, chacun au lieu & endroict quiluyauoit eſté premie
rement aſſigné,afin que faiſans teſte à ceux quiviendroient par dehorsà
la file, les premiers demeuraſſent enueloppez dedans. Comme donc
ques ſes genniſſaires & autres gens d'aſſaut,de premiere abordee n'ayans
rencontré perſonneàlabreſche pourleur en contredire l'entree, ſe fuſ
ſent ſans autre difficultéiettez dedans à corps perdu ( car les Hongresſe
lon l'admonneſtement qu'ils en auoient l'abandonnerent ſoudain, &
ſe retirerent aſſezloing de là; de façon quelesTurcs n'entendoient plus
Del'Hiſtoire des Turcs. 239
· qu'aupillage,(tout ainſi que s'ils euſſent deſia eſtéau deſſus de leurs affai
res)latrompette commença à donnerle mot,&lors ceux qui eſtoient or
donnez pour ſouſtenirl'aſſaut,tout incontinent accoururentàla murail
led'vne grande viſteſſe, & impetuoſité, & enfermerentlesTurcs au de- Deſordre de,
dans ;§ voyans Huniadevenirlateſte baiſſee droict à eux, & ceux †º
duchaſteau deſcendre d'autre coſté pour les venir enclorre, ſe mirent à diºus.
fuyrvers la breſche. Mais les Hongres quiles pourſuiuoient viuement
entuerent grand nombre : Les autres qui peurent regaigner la muraillç,
quand ils l'appercourentbordee de tant de gens, firent ſemblant de les
vouloir charger, & cependant à quimieux mieux ſelançoient dedans le
foſſé,pour eſchapper de leurs mains.Cette victoire encouragealesChre- -

ſtiens de ſorte,que le Capiſtran & quelques vnsauecluy,firêt tout chau . #&


dement vne ſaillie ſur ceux qui eſtoient àl'artillerie, & les ayans de plai- #º.
neabordee mis en fuittelagaignerent; Dequoy Mechmet quivoyoit le
tout,cuida depaſſionner ; #enflambé de courroux,qu'il ne voulutiamais
deſmarchervn ſeul pas en arriere,ains demeuraferme en la propre place
où il eſtoit, combattantvaleureuſement de ſa perſonne.A la parfin tou
tesfois,voyant que ny pour celales Hongres ne pouuoient eſtre repouſ
ſez, il fut contrainct mal-gréluy de ſe retirer : & les Chreſtiens ſe rallians
là endroict, tournerent la bouche des piecesvers ſon logis, où ils firent
vnterrible eſchec & ruine. Deſia eſtoit la moitiédu iour paſſee, quand
la deffaicte desTurcs dedans la ville, & tout le reſte de ce qui eſtoit adue
nu fut rapporté à ceux qui eſtoient au delà de la riuiere attendans l'eue
nement del'aſſaut,parquoyils ſe mirent tout incontinent à paſſerà groſ
ſes trouppes, nonia plus pour entrer dans la place, mais pour s'allerioin
dreaux autres qui combattoientau dehors, comme firent auſſi ceux de
dedans : & d'vne grande hardieſſe & effort commencerent tous enſem
ble à enuahirle camp des ennemis, où les Houſſars pillerent le marché,&
lesautres mirent par terrela plus grand'part des tentes & pauillons,meſ
mement ceux de Mechmet,lequel de nouueau criant apres ſes gens, &
les tençant tres aſprement de ce que deſiails n'auoient creuélesyeux à
ces femmelettes
mit (comme
ſus le combat, il diſoit
& tourna † ſeullesd'vn
finablement courage
Hongres inuincible
en fuitte, oü dere- y lance de
ſa Mechmct.
propre main il mit à mortl'vn des principaux. Et combien que là deſſus
il euſt eſté aſſez dangereuſement bleſſé à la cuiſſe, ſi ne recula il pas pour
tant, mais paſſa outreau recouurement del'artillerie, oü les Hongres fi
•rent teſte vne autrefois, repouſſans lesTurcs fortviuement iuſques de
dans leurlogis. Orcomme ces charges & recharges euſſent eſtéreiettccs
par trois fois, & que de luy il euſtvn extreme deſplaiſir de l'eſloignemét
de ſes Genniſſaires, la plus grand'partie deſquels s'eſtoient deſbandez de
de coſté & d'autre pour alleraufourrage, il fitvenir àſoy Chaſan leur A- #
#eure
, auquel d'vne extreme colere il parla en cette ſorte. Et où ſont à cette †
(homme mal-heureux,le plus malheureux de tous autres) où ſont §.
ceux dontie t'auois donnéla charge? Quel deuoirfont ils de me ſecourir
en la neceſſité preſente?Oü eſt ce que toyle beau premier (ſiau moins tu
".

24-O Liure huictieſme t.

valois quclquc choſe) & cux conſequemment , faictes teſte à ceux qui
nous viennent enfonceriuſques dedans le cœur de noſtre camp, ce que
iamais autres ne firent?Tu ſçais aſſez comme de tres bas lieuie t'ay eſleué
à vn ſi haut degré, comme de te faire chef des bandes où eſt ma derniere
reſſource,& neâtmoins pourtout cela tuas ſi peu de ſoing de mon hon
neur & de mavie. Mais ſiie ſors de ceſt affaire, aſſeure toy queie te trait
teray en ſorte que les autresy prendront exemple.A quoyil ne repliqua
autre choſe, ſinon tant ſeulement : Certes, Seigneur, quant à ceux que
devray tu m'auois laiſſé en charge,la pluſpart ſont mbrts oubleſſez, que
s'ilyena encore quelques vns qui ſoient ſains, ils ne me veulent plus o
beyr. Parquoy ce que ie puis pour cette heure : eſt de m'aller tout de ce
pas preſenter la teſte baiſſeeaux ennemys, & là combattant vaillamment
- pour ton ſeruice,perdre la vie ſelon la fidelité &obeyſſance queiete dois.
Ce diſantil s'en va ſoudain ruertout au plus fort de la meſlee, où il fut
incontinent mis en pieces, à laveuëmeſme de Mechmet, qui en eutvn
cxtreme regret depuis,pource que c'eſtoitvn fort homme de bien.Quel
ques vns de ſes domeſtiquesle ſuiuirent, quifurent tuez aupres de luy.
Etainſiles Hongres de pis en pis malmenoientlesTurcs dans leur logis
propre,lesayans par pluſieurs fois mis en routte, & contraints de tour
nerle doz : quand tout à coup ſuruindrent ſix mille cheuaux à l'impour
ueu, quiauoyent eſté enuoyez pour garderle pays quieſtau long du Da
nube, & empeſcher les deſcentes qu'on y euſt peu faire par la riuiere.
LeHerº Eſtans donques arriuez fort à propos lors qu'ils eſtoientattêdus le moins
† enuelopperent d'arriueeau milieu d'eux les Hongres, qui eſtoient CIlCO
# re en la plus grandeardeur ducombat, dont ils en tuerentvn grád nom
bre,les autres prirent la fuitte vers les trenchees où eſtoit l'artillerie,qu'il
fiege le 6.iour
† commençoit deſia à faire obſcur,ce quiles departit.Mais Mechmetcon
" ſiderant en quel danger & extremitéauoientpreſque eſtéreduicts ſes af.
faires, commença à penſer de la retraicte; pource que la meilleure partie
\
de ſes Genniſſaires, & autres bons ſoldats eſtoient ou naurez, ou telle
.. ment deſcouragez qu'ils n'envouloient plus manger, & n'oſoit de là en
auant y mettre gueres plus d'aſſeurance.Au moyen dequoy tout auſſi
toſt que la nuict futvenue, il commanda de trouſſer promptement ba
gage, & que chacun euſt à ſe tenirpreſt pour deſloger au ſon de la ſour
dine, & ſuiure la file. Et ainſiàlafaueur des tenebres ſe deſroboit, crai
gnant quel'armee de Hongrie ne paſſaſt l'eau pour allerapres: Ce quifut
XI I I I,
cauſe que ſon deſlogement ne luy fut ny difficile,nydangereux.
LEs Hongresluy euſſent fortvolontiers donné en queue , ſi Huniade
|

ne les en euſt retenus, lequel cognoiſſoit de longue main la façon de fai


re desTurcs, qui eſt de † courage lors que le beſoing eſt plus
l reſeau grand, & qu'ils ſe voyent comme reduicts au dernier deſeſpoir, car ils ſe
†" raſſeurent, & endurent plus conſtamment toutes choſes. Dauantagela
peſte eſtoit deſia ſi cruellementallumee partout le camp des Chreſtiens,

Huniade le 1o que de longtempsapres ils ne ſe peurent demeſler de cette contagion :

†# Ioinct que Huniade auoit eſté bleſſé ſi griefuement en ce conflict, que


4j6 .
peu.
-"
| Del'Hiſtoire des Turcs. 24.I
peu de † il mourut. Ce qui me ſemble la principale occaſion,
pourlaquelle les Hongres deſiſterent de pourſuiure les ennemis, fuyans
preſque àvauderoutte.Ce perſonnage icy eſtoit le plus valeureux & re Son eloge.
nomméd'eux tous; lequel venud'aſſez bas lieu, auoit neantmoins par
ſes merites & vertus atteinct à vn tres-grand pouuoir, & faict en †
temps beaucoup de choſes memorables contre les Allemans, & les Bo
hemes.Et delà auecvne excelléte gloire & reputation eſtoit monté iuſ
uesauthroſne Royal , tant il auoit gaigné & acquis la bonne grace &
§ de tout le peuple.Il s'eſtoit porté puis apres fort brauemêt contre
lesTurcs,leſquels il auoit bien touſiours eſtimezinuincibles ſinon auec
detres-grandes forces,& des leurs propres encore:Et en cette ſorteauoit
pris en main le gouuernement du Royaume,où il commandoit à tous
ceux qui portoiét les armes Dequoy les autres Princes & ſeigneurs con- . "

ceurent de grandesialouſies contre luy,ſe faſchans fort d'obeyr à ſes or


donnances : neantmoins en peu de temps il fit en ſorte qu'il ſe retint
abſolumentl'authorité Royale,attendu meſme que ſes enuieux & mal
vueillans eſtoient contraincts de confeſſer, que perſonne ne meritoit ſi
biéde le manier,&adminiſtrer cóme luy,puisqu'ill'auoit touſiours main
tenu en honneur,reputation,& ſeureté,Car on ſçait aſſez, qu'il n'entre- :
prit onques choſe dôtil ne vinſtà bout : auſſi vſa-il partout d'vne prom- A

ptitude & diligence incroyable, ſe trouuant ſoudainement à tous les


affaires quiſe pouuoient preſenter. Aucuns veulent dire qu'il mourut
de peſte & non de ſes bleſſeures:mais auregard du Capiſtran,nous en di
rons maintenant ce que nous en auons peu apprendre.Il fut en ſesieunes
ans ſectateur de Bernardin Calinio,lequel durant toute ſa vieauoit fait #
profeſſion continuelle d'annoncer la parole de Dieu, ſi bien que par le ſi -
moyen de ſes bons ſalutaires enſeignemens, il s'eſtoit acquis par toute
l'Italie, & autres peuples circonuoiſins , vn tres excellent bruit & re
nommee.Car en doctrine & ſaincteté devie,il fut tenu pour le premier , c.
perſonnage de &
encore le iour ſoncommemoration
ſiecle, dontilfutdeeanoniſé apres ſa mort;
ſa feſte,yayant & s'obſerue
des Egliſes baſties, ſé§
en Italie.

& images dreſſees à lareuerence de ſon nom, tout ainſi qu'aux autres
ſaincts,voire force miracles attribuez à ſon heureuſe interceſſion. S'e
ſtant donques le Capiſtran rendu ſon diſciple & imitateur, comme nous
auons deſia dit, & s'en allantàl'exéple d'iceluy preſcher de coſté & d'au- .
tre en diuerſes contrees, il arriua finablement en Boheme, où le peuple †
adoroit le feu,tátileſtoit deſuoyé;& ne ſevouloit departir de cette folle #
impieté,pour ſe rengeràlalumiere de noſtre foy,s'eſtans touſiours aupa- †
rauant monſtrez en cela fort opiniaſtres & reboursiuſques à la venuë de ººº
ce diuin perſonnage,que ſoudainils ſerengerent à la communion del'E
gliſe.Delà ayant acquis par le moyen de ſon ſçauoir & bon entendemét,
vn grandaccés & priuauté enuers le Roy de Hongrie, il luy ayda beau
couP depuis, & luy fit de grands ſeruices en ce ſiege de Belgrade, cóme
vous auez peu entendre cy-deſſus. Huniade mort ainſi que dict eſt, les
Hiongres voulurétauoir Ladiſlaus fils de la fille del'Empereur Sigiſmod,
24-2 Liure huictieſme
† côbien que ce ne fuſt encore qu'vnieune enfant, & enuoyerent à cette
gº fin leurs deputez deuers Albert,quil'auoit en ſa garde & tutelle.Car peu
M, apresla mort de Vladiſlaus, qui demeura en la bataille de Varne,ille reti
ra aupres de ſoy,&le mena en Italie toutieune qu'il eſtoit,lors qu'ilyalla
prendre la courone par les mains du Pape Nicolas V. duquelilfut receu
à fort grand honneur, & auecvn merueilleux applaudiſſement de tout
le peuple:Tant pource que c'eſtoitl'vn des plus riches & puiſſans Prin
ces de ſon temps , qu'auſſi pour le zele & affection qu'il monſtroit
auoirà la guerre,contre le Turc. Ainſi les Hongres luy § à
fort § inſtance ceieune Prince, nourry § en ſa cour, en la vil
le de Vienne en Auſtriche , mais il faiſoit difficulté de le leur donner
pourle bas aage oü il eſtoit craignant que quelque inconuenient ne luy
aduinſt: Dequoy s'en enſuiuirent de grandes guerres, qui durerent aſ
ſez longtemps,iuſques à ce que finablemét ayans enuoyé deuers lePape,
le requerir de leur faire deliurer ce Roy, & que s'illes reffuſoit d'vne ſi
legitime & raiſonnable requeſte, ils ne ceſſeroient qu'ilsn'euſſent ruiné
tous ſes pays, il fit tantenuers l'Empereur qu'illeur obtempera ; & leur
| enuoya celuy que ſiinſtamment ils prochaſſoient, pour aller prendre
poſſeſſion du Royaume auquel ils l'auoientappellé.Toutesfois il ne ſur
ueſcut pas longuement à Hunide, car bien-toſtapres eſtre arriué à Bu
de,il fut empoiſonné(à ce que l'on dit) par vn nommé Laurens Cedra
chabare, auant qu'auoir eſpouſé la fille du Roy de France, qui luy auoit
eſté accordee en mariage. Delàvindrent à naiſtre de grands troubles &
partialitez entre les Barons dupays, où les enfans de Huniade ſe trou
Le Renuneº les plus forts; combien que vlrich grandſeigneuren Hongrie,
d § lequel du viuant de leur pere luyauoit touſiours eſté fort contraire, s'op

niade.
poſaſt
ne roidementàeux,
fuſſentadmis & qu'il contrediſt
augouuernement 2 de tout
du Royaume; ſon pouuoir
alleguant qu'ils
les ruines & -

calamitez qu'on auoit receuës parle moyen dudict Huniade , qui par
pluſieurs fois lesauoit embarquez à laguerre contrelesTurcs, ſans qu'il
en fuſt autremét beſoin.Les Ho gres d'autre part diſoient eſtre §
inique & deſraisônable de les en fruſtrer & là deſſus cesieunes ſeigneurs
ſe ruerent ſur luy,de ſorte qu'ils le maſſacrerent au
beau milieu du Palais;
Les enfans de - - - > - •r

§ 9° † deſpleut infiniment à toutel'aſſiſtance,& en prirentvn ſur le châp


† qu'ils enuoyerent priſonnier à Belgrade, pour y eſtre gardé plus ſeure
§ ment.Mais bien toſtapresil trouua moyen de ſortir,& ſi paruint quant
#. Rey & quant à la couronne, le tout àl'ayde & moyen des amis de feu ſon pe
† re,& de la faueur qu'ils'eſtoit acquiſe enuers les gés de guerre, qu'ilauoit
reux & ren6

† gaignez delon† à force de preſens & biens faits, côme riche &
N§ pre.Mais
opulent qu'il
lach.
eſtoit:car la plus part dudetépsilles
Iloces,auſſiennemyancien Huniade,entretenoit duencore
nourriſſant ſien pro
ſes
haines & râcunes inueterees enuers les enfans d'iceluy,refuſa tout à plat
pour le commencemét d'obeirà ce nouueau Roy;puis ils ſe rappointerét
à la parfin & furêt les choſes accômodees entr'eux.En telle manierevint
le Royaume de Hongrie és mains du plusieune des cnfans de Huniade,
- 2 - é - •4 . ' - .

V. De l'Hiſtoire des Turcs. 263


lequel tout incontinét ſemit à faire la guerre fort & ferme à l'Empereur
Albert,oûil ſe porta fort valeureuſement,& y fit pluſieurs beaux & me
morables faicts d'armes.Caril conquit Praghe,& tout le reſte de Bohe
me; ſique de là en auant il commença à iouyr paiſiblement des deux
1
Royaumes. - . - - - - -

A v regard de l'Empereur, il auoit monſtré touſiours vn ſingulier xv,


deſir de ſ'attaquer auxTurcs: Parquoyayantaſſembléſonarmee; il en
uoya deuers les Hongres demander viures & paſſage; ce qu'ils luy refu
ſerent tout à plat. Et de fait ils conſideroient, que ſiles choſes venoient .
à luy bien ſuceder en laThrace,& qu'il ſ'en fiſtle maiſtre,cela luy euſt eſté Ain
Ainſi le plus
vn tel accroiſſement de grandeur & pouuoir, qu'il euſt eſté à craindre v†
n faux diſ

qu'à ſon retour il n'euſt voulu attempter quelquechoſe contt'eux : par-§fe


quoy ils firent reſponce que deleurbongréil ne paſſeroit point. L'opi- †
t,
nion de † vns eſt, que les Hongres luy donnerent cette reſolu-†
tion ainſi cruë Les autres dient, qu'ils parlerét plus gracieuſement.Quoy †
ſlt
que ce ſoit, ainſi que les Ambaſſadeurs ſ'en retournoient deuers leur § "
maiſtre, on attiltra ſecrettement quelques vns pourlesallerattendre ſur
i
#
le chemin, oüils les mirent à mort.Ce que l'Empereurayantſoygneuſe
ment faictauerer, la guerre ſe r'alluma de rechef entr'eux qui fut tres- .
cruelle d'vne part & d'autre.Voila commel'on dict que les choſes paſſe
rent à celle fois, pour le regard des Hongres & des Allemans Et à la ve
rité tout cela aduint en peu d'annees : dequoy le Pape Pie ſecond ayant Le concile
vn extreme deſplaiſir, fitaſſembler le Concile en la ville de Mantoüe,oü # .
il ſe trouua luy meſme en perſonne;&enuoya deuers les Princes de Frâce •

& d'Eſpaigne, & les Potentats d'Italie, d'Allemaigne, & de Hongrie,


pouraduiſer de mettre quelque fin à ces troubles & diſſentions ;à ce que
les Princes Chreſtiens ſe peuſſent vnir & employer leurs forces contre
le commun ennemiMechmet, ſi puiſſant deſia & ſi redoutable. Quant
2.
à ceux du Ponât,ils ne firent faute d'enuoyerleurs deputez, leſquels ayâs
eſté ouys chacun en ſon rangſur les articles & inſtructions deleur char- )

- §é † & offert, les vns des gens, les autres del'argent,finablement fut arre
prendroit le dixieſme de tousles reuenus, & le cinquantieſme .
ſi
desbiens de l'Egliſe, pour employer à cette guerre, & que les deniers #
ſeroiétrecueillis & ſerrez par certains perſonnages, quides lors y furent ººgº
commis. On aduiſa auſſi par meſme moyen de la reconcilation des Hon
gres & des Allemans, & fut à cette fin deſpeſché deuers eux le Cardinal
Beſſarion deTrebizonde,lequeleſtant arriuéſur les lieux, enuoya de
uers les vns
furent & les autres
deleguez encorepour eſſayerendroits,
en diuers d'appaiſerleurs differends.vnPluſieurs
pour enhorter chacun #" Bcflarion.

à cette deuote & Chreſtienne entrepriſe : A quoy le ſainct Pere mon


ſtroit auoirvn ſingulierzele, pour ne paroiſtreinferieur en ceſt endroit,
ou moins bien affectionné que ſes predeceſſeurs auoient eſté. Car dés la
Priſe de Coſtantinople,Nicolas cinquieſme auoit faictvn extremede
ºoird'aſſembler ce Concile, & parvne fort elegante & pitoyable rem6
ſtrance,ſ'eſtoit efforcé danimerles Prinçes Chreſtiens d'entrer
- 4- • -- T - . X ij enligue -
24-4 Liure huictieſme
contre les infideles, mais incontinentapresil deceda, auant que ſes ſain
ctesintentions euſſent ſorty effect.Au moyen dequoy auſſi toſt que Pie
ſecond fut paruenuau Pontificat,ilreprit ces meſmes erres,& ſi s'obligea
d'auantage tout le premier par vœu ſolemnel, de les pourſuiure & effe
ctuer,enuoyant à Naples pour faire en diligence equipper ſon armee de
Alphºſe Rey mer, dont le RoyAlphonſe auoit eſtéeſleu chef,& Capitaine generalde
†. cette entrepriſe.Ceſtuy-cy tout incontinent mit en mer dix galeres, leſ
†. quelles ſeules arriuerent à Rhodes, ſans plus, cardepuis on n'en enuoya
§ r § point d'autres; & delà courans la coſte de l'Aſie,y firent quelques dom
mages,& ſi prirent quant & quant l'Iſle de Lemnos, qui pour lors cſtoit
enl'obeiſſance du Turc, auec celle d'Imbros , & tout le reſte de la mer
AEgee.Devray on ſçait aſſez comme Sciros,Scopelle,& les autres Iſles de
- - là autour,incontinent apresla priſe de
Conſtantinople vindrét és mains
† des Venitiens, qui les garderent touſiours depuis. Comme doncques
## ces dixgaleres ſe fuſſent bien § de coſté & d'autre par l'eſpace
§ d'vn an entier,ſansauoir rien faict de memorable,voyans qu'il ne leurve
ſºnº°ple noit plus de renfort,reprirent la routte d'Italie,oûles gens de guerre qui
eſtoient deſſus s'eſcarterét çà & là par les villes,& §prit fin ceſte guer
re,que le Pape Pie II.auoit ſi chaudement remiſe ſus; n'ayant le Concile
à autre fin eſte parluyaſſemblé, que pourauiſer les moyés de courir ſus à
· Mechmet. Cependât le § Beſſarion eſtoit touſiours apres ſa com
miſſion,à reconcilier & mettre d'accordles Hongres & les Allemans : &
encore qu'il euſt trouué moyen de les aſſembler pour leur faire entendre
- deviue voix ce qu'il penſoit eſtre à propos,tout cela neantmoins ne prof
fita derien,& fut contrainct de s'en retourner commeil eſtoitvenu.Mais
pourtant on ne laiſſa de conclurre,que de toutel'Italie on iroit par terre
aſſaillir le Turc;& là deſſus le Concile prit fin. -

XVI.
BovR doncques retournerau propos que nous auons delaiſſé, l'Eſté
enſuyuantMechmet encore tout eſtonné & hôteux de la ſecouſſe parluy
receuë deuantBelgrade,ne voulut point ſortir dehors,eſtimant d'en eſtre
† à bon marché ſiles Chreſtiens ne luy venoient les premiers courir
us.Mais ilenuoyavne groſſe armee contre Scender fils d'Ibanes, dont
Amurat n'auoit ſçeu auoirlaraiſon, quelque effort qu'il en euſt fait & en
dóna charge à Ioſué fils de Brenezes † ayât ramaſſe les garniſons de
- Pherres,auecles forces quiſeiournoiétaulögdelariuiere d'Axius,& cel
les de laTheſſalie,ſe mit aux châps,& courut toute cette partie de la Ma
cedoine quic6fine àla mer Ionie,dótilramenavn grâd butin.MaisScen
derauoitdepeſché au Pape,& au Roy de Naples qui luy eſtoit fort amy,
luy offrant la ville de Croye pour recompenſe de l'ayde & ſecours qu'il
luy feroit en cette guerre. L'autreluy enuoya tout incontinent vn bon
nombre de gens de piedſous la conduicte d'vn de ſes Capitaines,vaillant
homme de ſa perſonne,& fort experimentéau faict de la guerre, lequel il
fit paſſer de la Poulhe à Duras & nefurent ſesgens pluſtoſt deſcendus en
terre,qu'ils ſeietterent à corps perdu dans le pays del'ennemy, pillans &
enleuans tout ce qu'ils rencontrerent d'abordee.De là puis apress'eſtans
Del'Hiſtoire des Turcs. 245
| ioinctsauecles forces de Scender, s'en allerent de compagnie mettre le
ſiege deuant la ville de Sphetiſgrad, & l'euſſent parauenture emportee, ſi -

§ quiauoit ſoygneuſement l'œil au guet, ne ſe fuſt haſté de venir au -

ſecours, auec les forces dont nous auons parlé cy-deſſus; lequelles ſur
prit au deſpourueu, & les tailla tous en pieces. Scender toutesfois qui ſe
trouualors abſent à la bonne heure,euita cettevenuë , & bien toſt apres
ſe retira deuers le RoyAlphonſe, duquel il fut le fort bien venu : Puis
s'addreſſa au Pape, quine faillit de fhonnorer & receuoir comme ſa ver
tule meritoit. De là eſtant retourné à Naples, le Roy luy.fit de grands
preſens; & ainſi plein de richeſſes & de bonnes cheres, s'en retourna à .
la maiſon.Il choiſit ſurces entrefaictes vn lieu propre & aduantageux, -

qu'il fortifia pour s'y retirer quandlesTurcs luy viendroient courir ſus.
Et enuoya ſa femme & ſes enfans d'vn autre coſté, hors du danger.Cela -

faict, & ayant dreſſé vn campvolant de ſes Albanois, il ſeiecta dans les
montagnes, ſe trouuant par tout où ſa preſence pouuoit eſtre requiſe, _
maintenant en vn endroit,tantoſt en vn autre.Et eſtoit continuellement #
auguetà obſeruerce que les ennemisvoudroient faire; leſquels à la par- #º
fin eſtans entrez en ſon pays, à grandes trouppes de gens de cheual & $

de pied tout enſemble, le coururent d'vn bout à autre, & enleuerent


gens, beſtail, & toutes autres choſes qui peurent venir en leurs mains :
& ſi mirent parmeſme moyen le feu aux bourgades & hameaux ; de •,

ſorte que de cette venuëla contree demeura preſque côme deſerte, ayans *
les Turcs eu le loiſir d'y demeurer par pluſieurs iours ſans y trouuer reſi
ſtence quelconque:A la fin ils s'en retournerent,carScenderauoit fait vn
fort aupres de la ville de Duras deuers la mer Adriatique,là où ilyavn de
ſtroit de terre large d'enuir6vn quart de lieuë, lequelil ferma d'vne bon
ne & forte muraille; & au dedans retire à ſauueté grandnombre de pay
ſans Albanois poury habiter. Il r'emparaauſſilaville bien mieux qu'elle
n'eſtoit auparauant,afin que ſi quelque choſe ſuruenoit de nouueau, &
quelesTurcs desgarniſons de là autour le vouluſſentveniraſſaillir,ileuſt
quelque lieu pour attendre le ſiege. Carilconſideroit qu'à tout euene
ment la retraicteluy ſeroit touſiours aſſeureeparmer,quand bien il vien
droit à eſtre forcéparlaſuruenuë d'vne plus groſſe puiſſance de quitter la
' place tellement quelesTurcs ſ'eſtans preſentez là deuant, l'experience .
leur fit tout incontinent co gnoiſtre, que ce ne ſeroit que perte d'homes, -

, & de temps de ſ'y opiniaſtrer d'auantage,parquoyils leuerét le ſiege, n'e


ſtant ſuccedé autre choſe de toute ceſte expeditio que Mechmet enuoya
faire contre Scender,ſinon ce que nous venons de dire. -

MAIs l'Eſté enſuiuantil depeſchales principaux de ſa porte, deuers xvII.


les Roys & les Princes quiluy eſtoient tributaires, pour les ſemondre à #,
la Circonciſion de ſes enfans , qu'ils appellent leur purification. Il †
fit appeller auſſitous les grandsSeigneurs de ſon obeiſſance,les gouuer-monies.
neurs des prouinces & des villes, les Sanjaques & Capitaines, & tous .
ceux qui portoient les armes,& tiroient ſolde de luy : leſquels ne failli
rent de çomparoiſtreauiournômé en la ville d'Andrinople,oû ſe deuoit
. X iij
· 246 Liure huictieſme |
faire cette ſolemnité.Et là àl'entree du Palais Imperialil receuoitlespre.
Couſtumedes •. -

§ ſens que luy enuoyoient de toutes parts les Maggiſtrats & officiers en

ſes.
tres-grande
uec pompe
les Princes & magnificence
eſtrangers,& : eſtant
non autres luy ſeul
car tout logéeſtoit
le reſte à couuert,
eſpanduaà
la campagne d'alentour,ſous destentes & pauillons qu'il faiſoit merueil
leuſement bon veoir, tant ils eſtoient riches & bien appropriez. Or ces
nopces icy (carainſi appellent-ils la Circonciſion encore ) ſont vne des
choſes de ce monde que lesTurcs honorent, & ont le plus en recom
· mandation; parquoy chacun s'efforce de faire veoir quelques nouuelles
Admirables ſortes deieux & eſbatemens : Et en toutes les Circonciſions des enfans
" dugrandSeigneur,ſevoyentd'eſtranges & merueilleux cas, voire preſ
† du tout incroyables. Vn homme tout debout à pieds ioincts ſur le
- os d'vn cheual, ſe tenir droict ſans appuy ne ſouſtenement quelcon
que, le cheual paſſant vne carriere à toute bride, qui eſt-ce qui compren
dracomment cela ſe puiſſe faire,& quine le reputera pourvncopte faict
à plaiſir, ou pourvn enchantement , Ie laiſſe à part ceux qui vont ſur la
· corde, carles Turcs en ſont les maiſtres ſur tous autres. Ils y font des
ſaults & des tours merueilleux, & courent là deſſus tout ainſi qu'en plai
ne terre : vont & viennent à trauers des eſpees toutes nues qui y ſont
attachees; & infinies autres choſes de tres-grande admiration, qu'on ?
- peutveoir touslesiours augrand marché qu'ils appellent le Tactale, où
" telles ſortes de gens ont accouſtumé de faireleurs ieux : & appellét Tam
pexin ceux de cette profeſſion. Semblables eſbatemens ſe voyent tous
les iours en la place d'Andrinople, où la lucte & l'eſcrime ſont auſſi en
fort grand vſage.Mais qui pourroit croire que ce ne fuſt vn miracle ou
choſe feinte,qu'vn enfant enſeuely bien auant danslaterre, & tout cou
uert d'icelle,reſponde neantmoins diſtinctement à ce qu'on luy deman
de De ſorte qu'ilyabeaucoup de merueilles,quiſefot en ces aſſemblees
par quelque vertu & puiſſance occulte qui eſt bien grande, à comparai
ſon deſquelles,ces danſeurs ſurla cordene ſont par maniere de dire,qu'v
Le preſent ne baſtelerie & petitioüet.Ily eut bien d'autres paſſe-temps encore, &
†recreations durant la feſte;oilepreſent de Machmut Viſir Baſſa, & Be
†,glierbeiquant & quant de la Romanie, ſurpaſſa de beaucoup tous les
de ſes enfans

† ºutres quiyfurent faicts,tant parles Roys & Princes eſtrangers, que par
les gouuerneurs,capitaines,& autres officiers delaporte; car il fut eſtimé
à plus de cinquante mille ducats. -

XVII. C E Machmuticy fut fils de Michel, Grec de nation,mais du coſté de


ſa mereil eſtoit Bulgare , auec laquelle s'en allant vn1ourtout ieune gar
çon qu'il eſtoit de la ville de Nebopride à celle de Senderouie, ils furent
rencontrez ſur le chemin par quelques cheuaux legiers du Turc, quile
prirent, & le luy menerent aucc toute ſa ſequelle. Sur le champ il fut
faict page de la chambre, & en peu de temps ſe fitvn tres grand & riche
- perſonnage. Car premierement il luy donna la charge de ſon eſcurie;
puis le fit Aga,c'eſt à dire colonel des Genniſſeres, dont il auoit demis le
Zogan,combien qu'il fuſtalliéfort proche : Etbien toſt apres naruint à
| -
Del'Hiſtoire des Turcs. 247
-

vnetelle authorité, qu'il paſſa de bien loing tous les plus fameux & re
nommez en grandeur, pouuoir, & credit, qui euſſent eſté auparauant.
Ileſtbienvray
lieu qucf Charaitin,&
aupres d'Amurat, ſoh fils Halyauoient
& de Paiazet,toutesfois tenuvn fort
nel'vn nel'autre grád #
n'eurent " gc.
oncques de ſibelles charges & gouuernemens que cettuy-cy : Careſtant # cheſſe d'vn #
le premier entre tous, il † & quant de ſi grands biens, que de § §la
ſon propreil euſt peu luy tout ſeulſouldoyer vnearmee. Et y eut encore #º
de ſes domeſtiques qui paruindrent à de grandes dignitez & richeſſes : -

Parce que les § Grecs,aumoins ceux que le Turc voulut retenir


aupres de ſa perſonne à la priſe de Conſtantinople, furent tous fort ad
uancez; Amurat entre les autres plus que nul, lequeleſtoit venu du tres- ilfutdepuis
noble & illuſtre ſang des Paleologues, qui eſt le plus reueré qui ſoit en †"
uiere d'Eu

toute la Grece.Apres luy eut le premierlieu en credict&opulence Mech- †


met filsſemitaudeuant
l'autre de Mandronee;dulequelauoit entrepris de tuer
coupainſi qu'illevouloit Mechmet,
frapper&ſe mais l §º
preſenta" les Perſes.

pourle receuoir luy meſme. Ayant doncques pour le commencement


eſtéfait gouuerneur de la ville d'Ancire au pays des Piſides,ilmonta puis
apres à de plus grandes dignitez. Or qui voudra ſçauoir ce que ces noms Angorie.
†º
ſignifient en noſtre langue Amuratvaut autant à dire comme conuoi-
- - - 1. • ' • f : 4 IInterpretat1D5- º-

teux.Hali, Helie: Eſes, Ieſus: Empreim,Abraham:Soliman, Salomon: d§ es noms pro


lagup, Ioſeph : Scender, Alexandre : &ainſi des autres.Ils appellent auſ †
ſi Demetrie, Elazen : & George, Chetir.Quant à ces quatte cy, Paiazet, g"
Orchanes, Orthogules,Tzimiſces, & ſemblables, ils ont eſté tirez de
noms d'oyſeaux, & de Tartares. Ils ont auſſi accouſtumé d'vſer de di
minutifs, & † de noms plus remplis & magnifiques, comme
pour Muſtapha dire Muſplachaiſites, & pour Chetir, Charaitin,le reſte
va parvne meſmereigle, · · · | - : " *•

Av-DEME vRANT il y a en Europe trente ſixgouuernemens qu'ils † ,


appellent Sanjaquats, auſquels le Turc pouruoit comme bon luy ſem- fe§
ble; dont les principaux ont iuſques à huict mille ducats, & les autres †
moindres quatre mille, & deuxmille, plus & moins. Mais l'Aſie eſt di- Il y a en l'exé
uiſee par reginens & banieres qu'ilsappellentSemees, chacune deſquel- §
les a deſſous ſoyquarante Capitaines. Ilyad'auantagedes bonnesvilles †
comme Therme,aupays des Scopiens, Philippopoli, & autres qui ont †,
leurs Princes & Seigneurs à part,leſquels ſont compris & enroollez ſous
les dittes Semees oubanieres d'ordonnanccs : Aſſauoir ceux de la Grece -

ſous le Lieutenant general de l'Europe; & ceux del'Aſie ſous celuy de la


Natolie; leſquels ils ſuiuent & accompaignent par tout où ils vont à la
guerre.Au moyen dequoy quandl'vn de ces gouuerneurs & lieutenans
generaux dreſſe quelque camp, les Seigneurs des villes deſſuſdittes levôt
incontinent trouuerauecle nombre de gens qu'ils ſont tenus de fournir
par fôrce de ſecours,ſuiuant ce quileur aura § ordonné parleſdits lieu
tenansgeneraux; car ils ont plaine & entiere puiſſance & authorité, de
· commanderen tout ce qui depend du faict des armes, auec de grandes tes Turcs
- 1
Penſions & entretenemens du Turc. Si bien que ioinct les practiques i §
• X iiij coup des fa
- -

º
· · x - . - z -v

248 Liure huictieſme *

;ºnsdeºire extraordinaires qu'ils tirent, & les preſens que les villes, & les gouuer
† neurs des prouinces leur font de ioureniour, ils peuuent en fort peu de
†"
cuſſions de temps deuenir riches grandement. Mais parmy les Genniſſaires, & au
† tresgens de guerre qui ſont ordinaires à la porte, ily en a touſiours quel
OllllCIImc- - - > -

§ ques vns qui paru1ennent aux grandescharges, ou qu on enuoye aux


Ambaſſades & commiſſions ,ou bien aſſiſtent au Diuan, qui eſt le con

ſeil d'cſtat ;&lesdesarreſter,
treſoriers finances, à oüyr les
ſeellerles comptes
deniers dansdes
lesfermiers, receueurs,&
ſacs pour les mettre au
secreaire Chaſna, c'eſt à dire le trcſor de l'eſpargne.Le plus proche en ordre & di
§ ** gnité apres eux, eſt le ſecretaire maieur, qui tient le regiſtre de tous les
- droits & reuenus du Turc, & en fait ſon rapport aux Baſſas, & autresſe
# crétaires en font les expeditions. Au regard de ce qu'il tire de l'Europe
# parchacunan, cela peut monterà quelques dixhuict cens mille ducats,
§ dequoyles Turcs naturels ne payent rien , carles Chreſtiens, & les Iuifs
†º portent tout le faix : n'eſtimans pas eſtre loiſible qu'vn Turc ſoit aſſeruy

mais il monte à contribution quelconque,d'autant que toute leurvacation n'eſt qu'à
• " I • - > - - '»

§ ſetenir bien equippez d'armes & de cheuaux,pour ſuiure leur Prince par
t - -" - - » - -

†" tout oüilva à la guerre.Auſſi pasvn de ſes predeceſſeurs n'auoitrien vou


· †
turels exépts lu iamais exiger ſurlesTurcs, de la dccime qui ſe leuoit des ouurages &
† man ufactures de leurs ſubiects, mais auoit cette taille & impoſition tou
i§ ſiours eſtéreiettee ſur ceux de differente religion,là où cettuy cyla prend
indifferemment ſur les vns & ſur les autres; & ſi ne laiſſe pas pour cela de
· les fairealler à la guerre.Les Seigneurs desvilles,les capitaines, & les ſol
dats, outre ce qu'ilsappellentla Boſcine ou Boſtime, payent encore cet
te decime qui eſt affectee à la ſolde des Genniſſaires, & autres ſtipendiez
de la porte, oùl'onameine auſſi tous les trouppeaux de beſtes blanches
# †
leue par forme de tribut. Voyla comment les choſes paſſent tou
§ " chant le reuenu du Prince, en ce qui depend destributs : mais ilya d'auä
tage des ſubſides & inpoſitions tant en Aſie qu'en Europe, ſur les che
uaux, chameaux, bœufs, & mulets, qui arriuent bien à trois cens mille ,
eſcus : Puis ce que† les locatifs, quimonte à la ſomme de deux cens
cinquante mille eſcus. Le reuenu de iuments, chameaux, & §
| 1 mulets du Turc, qui ſont par tout çà & là eſpanduz par les lieux & en
· : droits de ſon obeyſſance, propres àles eſleuer & nourrir, eſt affermé à
cinquante mille eſcus. Ilya encore quelques autres deuoirs † luy ap -
partiennent,valans bien deux cens mille eſcus paran. Mais le denier qu'il
tire des foires, marchez, eſtappes, ponts, ports, peages, & paſſages des
riuieres : des metaux, duriz, des rozettes, & alums, & du cinquieſme de
tous les eſclaues, il ny a doute aucune qu'il ne ſoit merueilleuſement
grand,à qui voudra prendre la peine de le calculer parle menu.Ie ſçay bié
uant à moy quele peage ſeul du traiect & paſſage de Conſtantinople, &
u phanal,oulanterne du port,ne luyvaut pas moins de d'eux cens mille
eſcus.Et que le reuenu des metauxapproche pres de cent mille. Le ris, &
autres telles denrees que les Genniſſaires de la porte ont droict de pren
dre, qui eſtvn compte à part,ſion leveut rcduire enargétarriueroit bien -
5 r @ • º º t , •.

De l'Hiſtoire des Turcs. 249


à deux cens mille eſcus. Ilyatout plain de ces droits de fhauees tanten, †" T

l'Europe qu'en l'Aſie: & d'auantage le tribut que payent les Princes &les #
Roys,auſſi bien Mahometans comme ceux d'autre religion, qui monte §
enuiron cent mille eſcus. Tellement que le tout enſemble ſpecifié ſui- #
uant ce que nous auons dit cy-deſſus, tant ce qui entre de net au Chaſna # #
- outreſor,que ce qui eſt employé pourl'entretenement des Genniſſaires, †
- - - - - - - 2 toutesfois :
peutvaloir par chacunan bien pres de quatre millions de ſtateres d'or, 3doit fignifie
chacun deſquels peſant deux dragmes, ce ſeroient huict millions de du- †º
cats; à quoy depuis le temps de mechmet, a touſiours eſtéeſtimélereue-§e.
- - - - L d
nuduTurc. Il ya puis apreslespreſens, que luyfont ſur le commence-§ Turcmontoit

mét de la prime-vere,lors qu'ila accouſtumé de s'esbranler pour ſortiren† millions d'or:

campaigne,les gouuerneurs des Prouinces, les chefs & capitaines, cha- †


cun ſelon ſa faculté & puiſſance, mais cela eſt deſtiné pour les frais de ſon §.
voyage : Au reſte ou n'en pourroit pas faire eſtat au vray, ſinon que par †"
commune eſtimation ce pourroit eſtre l'vneannee portant l'autre quel-†
ues deux cens mille eſcus. Et ſont tous ces deniers portez au deſſuſdict †
Chaſnaou.cſpargne,pour eſtre puis-apres côuertis & employez au paye- §
ment des Genniſſaires,& autresgens de guerre de la porte, qui tirent ſol- .
de de la bourſe duTurc,les Caripi,Selictars, Alotphagi,Spachi, & au
tres, tousleſquels ſont payez par quartier.Reſte maintenant le plus grâd
reuenu de tous les autres, qui eſt reſerué pour les penſions & entretene
mens des Beglierbeys,Sanjaques, & Timoriots : C'eſt le domainc du
.Prince, quine peut eſtre † à laverité que par ceux qui en tiennent
les regiſtres : Toutesfois on eſtime que le payement de ceux cy ne monte
pas moins de neufmillions d'or parchacun an , lequel eſtant adiouſté à
celuy des forces qui ſont d'ordinaire à la porte, & aux autres fraiz & deſ
pences
grandesqu'ilconuient faire,arriuera
ſont les facultez à pres
de ce puiſſant de dix-ſept
& redouté millions d'or. Si 14oo.
Monarque, Ilyaaumyria
texte
des de ſtateres
Venitiens,qui
ne ſembleroient eſtre ſinon deszechins ou ducats,& non le ſtatere d'or peſant deux dragmes.Parquoycecy ne reuié driot qu'à qua
torze millions d'or, mais tout cecy eſt fort broüillé, & ne ſe rapporte pas.

j
- Fin du huictieſme liure. -

\
25o -

LE NEVFIESME LIVRE
D E ' L' H I S T O I R E DE S
T V R C S, D E L A ON I C C H A L.
A T H E N I E N.
coNDY L E

s o M M AIRE, E T c H E F s PRI N cI PAV x


du contenu ence preſent liure. - -

Les Seigneurs du Teloponeſe cuidans " ſtoire. Chapitre 5.


faire les fins enuers Mechmet,e9 elu ; L'Empereur de Trebiſonde ſe faiét tri
derles côuenances accordees § butaire du Turc : La deſcription de
ilſe iette à main armee dãs leurpays, l'Iberie Orientale , & comme le
aſ$ige Corintheſituee au deſtroiét de peuple fut reduict à lafoy Chreſien
l'Iſtme,erprend pluſieurs autres vil me: le recouurement des Iſles d'Archi
lesd'importance Chapitre1. pelpar les Lieutenans de Mechmet:
Harangue de Ioſuéfilsde Brenezes aux & des affaires qui paſſerent lors au
habitâs de Co rinthe,pourſe rêdreau Peloponeſe, & contrees adiacentes.
C hapitre 6.
Turc Reſponſe d'Aſan qui comman
doit dans laplace : la batterie &-aſ Thomas Paleologueeſtant venuàvn ap
ſaut d'icelle, & ſa finable reddition: poinéiement auec Mechmet, pource
à l'inſtance & perſuaſion de l'Eueſ qu'ilnepeutſatisfaireaux conditions .
que, anecla plus# du Pe d'iceluy, l'autre luy recommence la
loponeſe, & de l'Archipel. guerre, & faict mettre priſonnier
Chapitre 2. Aſan venu deuers luy de la part du
De quelques Italiens qui paruindreat à | frere aiſnéde Thomas(le Prince De
la Seigneurie d'Athenes, & les moy metrie)lequelſe rendà Mechmet,c9
ens par leſquels s'en empara Omar des cruautexexecrablesparluy exer
pour Mechmet. Chapitre3. ceesésplaces lors priſes au Peloponeſe.
Meneese9-remuemés duPrinceThomas | Chapitre 7.
Paleologue contre Mechmet, lequel Demetrieremis enliberté par Mechmet
ayantd'autre coſtéeſtéaſſailly à l'im ' luy conſigneſa femme & ſafille,qu'il
pourueuparles Hongrespreslaville prendpuis apres àfemme : la conti
des Scopiens,illes met enfuitte : e9 nuation deſes conqueſtesauPelopone
quelques autres exploiéts de guerre | ſe : & le piteux eſtat oùſe trouua fi
quiſefirent au Peloponeſe. C ap. 4. nablement reduicte la pauure Grece.
Expedition de Mechmet contre les Tri Chapitre 8.
Lapriſe de la ville de Salmenique:lebra
balliens, où la ville de Senderouie luy
eſt rendue : De là ilpaſſeen Aſie, & ue & valeureux deuoir que fit à la
prendcelle d'Amaſtre ſur lepont Eu garde du chaſteau l'vn des Paleolo
xin : Vn ſommaire de la domination gues,quile maintintcontreles Turcs
des Comnenes , e9 autres Princes par l'eſpace d'vn an entier, auectous
les meſaiſes & incommoditeK de ce
Grecs à Trebiſonde : & des affaires
5 ſuruenus du temps delapreſente hi- | monde : Deſloyautéde Mechmet en
De l'Hiſtoire des Turcs. 25t
uers les habitans de Pheanum : la luyauoir lepremierannoncé CºS /70l/
mort de Franco Acciaoli : & le re uelles. · Chapitre 13.
tourde Mechmet à Andrinople. Mechmet aſſemble ſon armeepouraller
Chapitre9. contrele Valaque: La mode quetien
Reddition du chaſteaudeSalmenique : le nentſes courriers àfairediligence : la
teſmoignage du Baſſa Machmuttou · priſe de Prailabum : leſiege de Kilie,
chant la vertu du Paleologuequi l'a où les Turcs nepeuuent rienfaire : a
uoitgardé:Thomas l'vn desSeigneurs quelques df/fYº5 legiers exploicts
• M6'C
du Peloponeſeſe retire deuers le Pa d'armes. Chapitre 14.
e : Mechmet s'achemine contre le Harangue des Ambaſſadeurs d'Vladus
Prince de Sinope : La deſcription de au conſeil de Hongrie pourauoirſe
cetteville, & dupays d'alentour, le cours contre le Turc , ce qu'on leur
tout finablemêt misés mains duTurc. octroye : La camiſade donnee par les
Chapitre Io. Valaques aucamp de Mechmet, en
Mechmeteſtantdeſia en campaigne pour intention deſurprendreſon logis; &
aller rencontrer Vſuncaſſan Roy de le bon ordre qu'ont accouſtumé les
· Perſe, lamered'iceluylepreuint, & Turcs de teniraux alarmes de nuict.
parſesſages remonſtrances le diuer Chapitre 15.
tiſt de cetteentrepriſes # iltour Leiourvenu, Mechmetenuoyeapres les
ne ſur l'Empire de Trebiſonde, qui Valaques, leſquels ſont mis en rout
luy eſt rendu preſqueſans coupfrap te : La fidelité & conſtance d'vn de .
per. Chapitre II. leurs eſpions : L'horrible & hideuſe
Departement dupeupleprisàTrebiſon boucherie d'Vladus; & ſa diligence
de : lamort de l'Empereur & de ſes e9 dexteritégrande à trauaillerl'ar- .
enfans : Les ordes & vilaines concu meeTurqueſque. Chapitre 16.
piſcences de Mechmet, dont peu s'en Vladusayantlaiſſé6ooo.cheuauxpour
fautque lefrere d'Vladus ne le mette coſtoyer les Turcs, ils ſe hazardent
à mort : & les cruaute K deteſtables trop temerairement devenir au com
d'iceluy Vladus enuersſesſuiects. bat où ilsſontdeffaicts, e9-bien2ooo.
Chapitre 12. taillezenpiecesſurlaplace, celafatét
Vladus s'eſtant reuoltécontreMechmet, Mechmetapresauoir couru & pillé
fait empalerynſien ſecretaire, & le toute la Valaquie, repaſſe le Danu
Saniaque Chamus, qui auoient eſté be, & ſe retire; laiſſant Dracula
#.pour l'allerſurprendre:cº frere d'Vladusſurlesfrontieres, le
: tout decepas trauerſe auec ſes forces quelſuborne lesprincipaux du pays,
le Danube,faiſant degrands rauages ey s'en emparefinablement.
dans lepays dudict Mechmet,lequel Chapitre 17.
faitfoiietterleBaſſa Machmut pour
]

# #% ## porte,
E cHMET ayant depeſché des Chaoux & Huiſſiers dela
pour aller au Peloponeſe recueillir le tribut qui Troubles de
l§ # a eſtoit eſcheu, ils trouuerent toutes choſes en telle com-†
| # §)
buſtion parmyles Grecs, qu'ils n'en voulurent point au- † #
#s#S# trement preſſernylesAlbanois,neles Peloponeſiens : & #"
luy-meſmevoyant les partialitez & debats qui eſtoiét entreles ſeigneurs .
•4
| 252 - Liure neufieſme
• du pays, meuz à cela de quelque mauuais Ange, pour lesconduire final
blement eux & leurs affaires à vne perdition & ruine,bºurrelaſchaletiers
du tribut, ſans leur faire inſtance d'autre choſe, † qu'à tout le moins
ils ſe vouluſſent contenir dans les poincts & articles de la paix 3l - †
uoit eſtéiuree par eux. Mais apres s'eſtre apperceu qu'ils ne ſe faiſoyent
que moquer, & que toutleurfaict n'eftoit qu'vne vraye piperie, laquel
le à la parfin trompe touſiours ſon maiſtre, il ſe delibera de leur faire la
† guerre. Toutesfois premier que de ſe declarer ouuertemét, il enuoya au
Danube Machmut fils de Michel, deſia eſleu Baſſa & Beglierbey de l'Eu
rope, afin que ſiles Hongresſe vouloient remuer de ce coſté là,iltaſchaſt
par remonſtrances, & menaces de les contenir: Que ſi cela ne luy ſeruoit
en quelque ſorte que ce futilles † d'endommager ſes pays.Cet
tuy cy ayant raſſemblé les forces del'Europé, qui pouuoient faire quel
- ques quatre vingt mille combattans,tira droictauxTriballiens, quiha
- &b - -

ats des Turc bitent la contree eſpandue le long des riuages du Danube : Mais quand
#
§ il vit que les Hongres ne faiſoient ſemblant de rien, alors il ſe tourna du
'tout à la conqueſte de la Boſſine, & pilla toutes les places qu'il peut pren
dre; puis s'en vintaſſeoir ſon campés enuirons du Danube,afin de †
riſer les villes de là autour eſtans ſous l'obeyſſance de ſon maiſtre, & les
garder des incurſions & ſurpriſes des ennemis. Ce fut la charge † eſ
cheut lors augeneraldel'Europe. Et cependant Mechmetayant fait ap
rocher les armees de l'Aſie, tout autant que ſon Empire ſe pouuoit eſté
dre du coſté du Leuant,&les gens de guerre qu'ilauoit faictleuer au pays
· de Theſſalie, & en la Macedoine, auec les Genniſſaires de ſa porte & au
tres ſes domeſtiques,
s'acheminaau Peloponeſe, où tout auſſitoſt qu'il
-

La ville de Co
fut arriuéau deſtroictdel'Iſtme,ilalla mettre le ſiege deuant la ville de
- V I» - - - -

§ Corinthe, & tournoyant àl'entour taſchoit de recognoiſtre l'endroict le


† plus à propos pouraſſeoirſes pieces en batterie, afin de faire breſche, &
# donner puis apres l'aſſaut par la ruine & ouuerture que les coups de ca
non auroient faicte. Neantmoinsapres qu'il eut bien conſideré le tout,
il ne voulut point encore faire fondre ſon artillerie, ains eſpandit & lo
gea tout àl'enuiron les forces de l'Aſie, en intention de l'affamers'il pou
uoit:s'attendant s'il prenoit cette place,d'y trouuervn fort grandequip
page de pieces, & nunitions de guerre, tant de poudres que de boulets.
Et luy cependant auecle reſte del'armee entra plusauant en pays, prenât
ſon chemin par la contree de Phliunte. Or n'auoient les Grecs faict au
cune prouiſion de bleds à Corinthe, d'autant que Lucanes gouuerneur
· de Sparte yauoit la principale charge & authorité enl'abſence d'Aſan : &

dcuoir d'Asä. ſi n'auoient pas mieux remparé les murailles,ny fait amas de gens de def
† fence poury mettre, en ſorte que tant ſoit peu ils † arreſter l'en
§
Napoli en la nemy.Mais Aſanayât eu ſoudain les nouuelles du ſiege,aſſembla prom
- - -

m§" ptement vn bon nombre de ſoldats; & partant de la ville de f Nauplia


#" qui pour lors eſtoit enlamain des Venitiens,s'en vint parmer deſcendre
petite ville
† º au port de f Centhrees , là ou au deſceu des ennemisil entra de nuit
rinthe à qui
el§ dans la ville, auec quelque peu de viures & raffreſchiſſemens qu'il auoit
port. - apportez
º
> © ©

Del'Hiſtoire des Turcs. - 253


apportez quant & luy, Mechmet d'autre coſté eſtant arriué à f Phliun- , .
te,ſ'en alla aſſaillirla ville deTharſe:Et Doxies qui ſousl'authorité & c6- # #
mandemét desAlbanois gouuernoitla contree,aſſembla ceux qui eſtoiét † ,
de ſon departement,auec les habitans de Phliunte envnlieu fort à mer- "
ueilles, oü il dehberoit d'attendre le ſiege.Mais ſur ces entrefaictesThar
ſe fut renduë, dont Mechmet enleua iuſques au nombre de trois cens !
- C nC trOUlUl C

| ieunes
-
enfans.Puisy
le peuple ayantlaiſſé
en obeiſſance,
-
vn Capitaine
il paſſa outre,
- prenantpour cômander,
ſon chemin & dedans
parle
-
retenir †
en la Grece,
C CIl lâUsICCC

du pays, tant que finablement il s'en vint deſcharger ſa colere ſur vne
ville § au haut d'vne montaigne detres-difficile accés, là où grand
nombre de Grecs & d'Albanois s'eſtoient retirez: Mais ils ſe trouuerent
en vne extreme neceſſité d'eau ; car la fontaine dont ils ſouloient vſer
eſtoit horsl'enceinte des murailles,& nonobſtantqu'ilsl'euſſent rempa
ree à leur poſſible, Mechmet neantmoins y eſtantarriuéauecles Genniſ
ſeres, l'emporta de plainearriuee.On dit qu'à faute d'eau ils tuerent des
cheuaux, & auec le ſang deſtrempoient delafarine dont ils faiſoient du
· pain : tellement que ſe voyans preſſez d'vne cruelle & intolerable ſoif,
ſans ſçauoir plus quel party prendre, lesvolontez de tous commencerét
d'incliner àla reddition de la place,& enuoyerent deuers Mechmet le re,
uerir de les vouloir prendre à compoſition.Mais comme ſur ces entre
§ ils fiſſent aſſez mauuaiſe garde, ſe confians ſur ce que leurs de
putez eſtoient allez traicterl'appoinctement,les Genniſſeres les allerent
aſſailliraudeſpourueu, & l'ayans priſe de force la ſaccagerent entiere- -

ment De là eſtansvenus deuant celle d'Arriba, oû les habitans pour le †*


commencement ſe deffendirentaſſez bien , ſans vouloir ouyr parlerde
: ſe rendre, ils gaignerent neantmoins le haut de la muraille, & en firent
tout ainſi que de l'autre. Mechmet puis apres paſſa outre auec ſon ar
& mee, & vint deuantvne place de la Phliaſie,appellee la Rochelle, oü s'e
ſtoient retirez à ſauueté quelques Grecs & Albanois aueºleurs meſna
ges: auſquels il fit donner † rude aſſaut par deux iours continuels;
&voyât qu'iln'ypouuoitriéfaire,&quebeaucoup de ſes gésy auoiéteſté
bleſſez, encore qu'ilyeneuſtbien peu de morts, illeuale ſiege pours'en -

allerautrepart.Mais de fait côme il eſtoit deſiaſurle poinct de ſe mettre †


en chemin, les deputez de la ville le vindrent trouuer pourluy demâder 9

la paix, eſtás preſts de ſe rédreàluy; Parquoyilles receutà tellecópoſitr6


qu'ils requirent, & ne leur fit autre mal à eux nyà leur ville, ſinon qu'il
les enuoya tous habiter en Conſtâtinople,auecleurs femmes & enfans.
Quantaux
lors Albanois
qu'elleluy qui s'eſtoient
fut renduë, & auoientauparauant trouuez
voulu depuis dedans Tharſe,
ſe renfermer en cet- #. cruaue
te place,illes fit tous mettre ſurlarouë,vingtqu'ils eſtoient ou enuiron;
leur faiſant d'vne cruauté nompareille rompre bras & iambes, & puis
les laiſſerlàacheuerd'expirer envne agonie trop execrable, voire peut
eſtre deſeſpoir; dequoy il ne ſe ſoucioit pas beaucoup n'eſtans pas auſſi
bien deſaloy & creance.Cela faict, il dreſſa ſon chemin par le pays de
Mantince droict à la ville de Pazenica, oüil enuoya deuant Cantacuze:
| Y
| s
|

254- Liure neufieſme


ne, que les Albanoisauoiét autrefois appellé pour eſtre leur Capitaine &
§ , lors qu'ils firent laguerre contre les Grecs : mais il eſtoit
adoncq'à § Mechmet, lequel l'auoit faict venir tout expres
pour ſeſeruir deſoninduſtrie enuersiceuxAlbanois eſtâsauPeloponeſe,
& vouloit qu'ilallaſt parlerà eux,afin d'éattirer quelquesvns par certai
nes menees & pratiques à trahir les autres.Eſtant dóques Cantacuzene
allé deuers les habitans de Pazenica, pour leur perſuader de ſe mettre
eux & leurs murailles à la mercy de Mechmet , lequel auoit encore
deputé quelques autres des ſiens pour aller auecques lüy, & le con
· treroler en ce qu'il feroit & diroit, il fut charge au retour d'auoir par
ſa mine & contenance admoneſté les autres de tenir bon, & ne faire
rien de ce qu'il leur diſoit de bouche. Dequoy Mechmet eſtant entré
en vn extreme deſpit, luy commanda devuider tout ſur le champ : Et -

luy auec tous ſes gens en bataille marcha droict à la ville , dont ceux
de dedans eſtoient deſia ſortis pourluyvenir faire teſte en vne trenchee
horsles murailles,laquelle eſtoit deffenſable.Ayant faict là donner quel
- ques aſſaux tous en vain, & ſans aucun effect, il fit trouſſer bagage, &
regeeville de là au ſec6d logis il entra dâs le territoire de Tegee, oûil s'arreſta pour
†,
Pline liure 4. deliberer s'il tireroit en la Laconie,&à laville d'Epidaure,car cela n'eſtoit
"#edie Pas ſans grand doubté : Mais il auoit vne merueilleuſe enuie de voir
qu'o§e cette place, & encore plus de s'en emparer s'il euſt peu ; eſtant l'vne
" des plus fortes dont nous ayons iamais ouyparler. Auſſi l'vn des deux
†#º Princes s'y eſtoit retiré; &l'autre auec ſafemme, en la Laconie, dans la
§. ville de * Mantinee.
II. M E c H MET ayant depuis entendu que le pays eſtoit tropaſpre &
malaiſé,ſe retint d'aller plusauant; & rebrouſſant chemin en arriere, r'a
mena ſon armee au ſiege de Corinthe, en laquelle (comme nous auons
deſia dit) eſtoit Aſan qui commandoit à tout.Il ſe campa tout aupres, en
"9" ºppº vn endroictaſſez rabotteux & difficile;carla * fortereſſe eſt hauteſleuee
loitaucienne

§ ſur la poincte d'vne môtaigne,& fit incótinent apporter force eſchelles,


rinthe Plutar. &b

§ & approcher quelque nombre de pieces quant & quant pour rompre
" les deffences, & fauoriſer ſes gens quandils monteroientſurlamuraille.
/

Parmeſme moyen il ſe ſaiſit auſſi del'eau qui eſtoit au dehors, en vnlieu


bien remparé tout autour, afin d'en § commodité & vſage à ceux
de dedans. Maisauant que d'y donnerl'aſſautilchoiſit Ioſué fils de Bre
Harengue nezes,homme fort ſage & poſé, pourallerauec vn Truchement deuers

† Aſantaſcher
ſan COIIl- del'induire àrendrelaplace,là oütout
eſtantarriuéil fit ſon meſ
ſage en telle ſorte.Aſan,&
mandoit dans vous autres Grecs, autant quevous eſtes
Corinthe,ſen- .
† icypreſens, voicy ce que le grand Seigneur vous mande par moy Am
" baſſadeur de ſa hauteſſe.Toy en premier lieu qui as le bruict d'eſtre le
plus aduiſé & prudent perſonnage de toute la Grece, & qui pour les af
faires d'icelle ayant ſouuent negocié à la porte,ſçaisautât bien quenul
autre que ceſt du pouuoir de ceſt inuincible & redouté Monarque,
lequel en quelque endroit que la fureur de ſon glaiue ſ'addreſſe,il ne faut
point faire de doute que toſt ou tardil ne vienne à bout de ſes heureuſes
De l'Hiſtoire des Turcs. 255
entrepriſes & intentions : ſoit de forcer villes aſſiegees, & les emporter
d'aſſaut, ſoit de renuerſer, & paſſer ſur le ventre aux plus braues armees,
uiſeroient ſitemeraires de l'oſer attendre en campaigne. Or quelles
§ les conditions qu'il vous propoſe,oyez les preſentement. Si vous
faictes paix & § ſa maieſté, & vous ſouſmettez à ſa clemence
vous & voſtre ville,il eſt en vous de choiſir toute telle contree où vous
vousvoudrezretirer,carillavous octroye. Et toy, ô Aſan, ſitu luy obeis
en ceſtendroit, tu te pourras aſſeurer auſſi de # faueur & bonne gra
ce pour tout iamais; & qu'à tous vous autres en† , il vſera d'v
ne tres-magnifique & Royale recompenſe.Mais ſi vous-vous oppoſez à
ſon vouloir, & voulez faire des opiniaſtres à tenir bon en cette place,
ſçachez pour vray (ie le vousiure parl'ame de mon Roy) qu'il la pren
dra en peu deiours, & la raſeraiuſques aux fondements ; faiſant cruel
lement paſſer parle fil † toutes lesames qui ſont icyviuâtes, ſans
pardonneràvne ſeule.Ainſi parla Ioſué par la bouche de ſon Truche
ment , à quoy Aſan fit telle reſponce. Vous direz au grandSeigneur Reſp5ce d'
n ſage &
A

( ô fils de Brenezes) † nous n'ignorons point qu'en grandeur & ge bien aduiſcc,
neroſité de courage, il ne ſurpaſſe de beaucoup tousles Princes iſſus du
ſang des Othomans, & que ſa puiſſance ne ſoit la plus redoutable de
toutesautres : carchacunle ſçait aſſez ; ceux là meſmement qui en ont
fait l'eſpreuue,& nous encore le recognoiſſons bié pour tel. Maisvoyez
vn peul'aſſiette de cette place, comme elle eſt forte,tant de nature, que
d'artifice & ouurage de main : certes malaiſément ſe pourroit trouuerla
ſemblable;ne onques les Seigneurs Othomans, & meſme celuy d'apre
ſent en tout le temps de ſon Empire,nes'attaquerent àvnetellefortereſ
ſe: cariln'ya en tout qu'vne aduenuë, qui eſt remparee & couuerte de
trois ceintures de murailles tres-fortes, & trois gros rauelins & porteries. Le ſiege de
Ayez - en renuerſé vne à coups de canô,ſivous faut-il venir à la ſeconde: Corinthe.
Et quand bien vous en ſerez les maiſtres , encore vous reſtera la tierce à
combattre,plus forte que tout le demeurant.Quand dóques nous venós
à côſiderer toutes ces § ue nous ſommes certains d'eſtre enclos
en vneplace plus queraiſonnable,auſſiauons nous deliberé d'yattendre
& ſouſtenirvaillamment voſtre ſiege,quand biennous y deurions tous
laiſſer lavie:Sinous le faiſions autremét,il nousauroit en eſtime d'hômes
º, laſches,recreans,& faillis de cœur,qui envain ſe ſeroient misicy,ſi ayans
peur des coups, ils auoient euintention de ſe rendre. Ce fut en ſomme
ce que dit Aſan:Et Ioſué s'en tetournavers Mechmet,lequel toutincon
tinent fit planter ſon artillerie droit audeuant de la premiere porte, ſe
deliberant de faire ſon effort par la plus eſtroicte & ſerreeaduenuë,enco
re que là endroitily euſt (comme nous auons deſia dit)trois murailles,&
trois rempars, peu diſtans les vns des autres. Aſan ſe vint preſenter à la
premiere qui eſtoit la plus foible, pour touſiours faire autant perdre
de temps àl'ennemy,& conſommer en vainſes pouldres & munitiós;car
il ſçauoit bien que la cortine ne pourroit pas à la longue reſiſter à la
furieducano,qu'ellen'allaſt finablement par § ſon eſperâce
Y ij
\

256 Liure neufieſme


eſtoit de tirer par ce moyen le ſiege en longueur. Or depuis que les
pieces eurentvne fois çommencé à battre en batterie,ceſte premiere clo
ſture fut bien toſt deſchiree & miſe bas: Et ce pendant les Grecs firent
pluſieurs ſaillies ſur lesTurcs,dont ils entuerent quelquesvns, mais à la
† parfin ils furent contraincts de l'abandonner, & ſe retirer à la ſecon
#.
Turcs.
de enceincte bien plus forte que l'autre, & qui eſtoit reueſtuë de gros
quartiers de pierre de taille. Parquoy ils ſ'y maintindrent fort vaillam
ment parl'eſpace de qüelques iours, durant leſquels les groſſes pieces
ayans tiré continuellement,y firent vne fort grande breſche & ouuer
Eſtrange f - ture. On dit qu'ainſi que cette batterie ſe faiſoit vn coup de canon qui
†, foudroya
110Il.
n'auoit pastoute;
eſte braque
& de làiuſte,vint à donner
eſtant bondy dans
en haut vne boulangerie,
tomba de fortune ſurqu'il
vn
- pauure homme qu'il emporta en † de mille pieces : Si grande eſt la
force & violence de ceſte impetuoſite,qu'on envoit des merueilles preſ
# † incroyables Carvnautre bouletquiauoit failly d'atteinte, paſſa au
§" deſſus de la ville , & alla tomber dedans l'arcenac, ayant faict pres de
* Quatorze demie lieuë de volce.combien qu'il fuſt du poids de huict cens ſeptante
ſtad cinqliures.En tellemaniere ſe continualabatterie fort & ferme par plu
Leerte por ſieursiours,tant que ceux de dedans vindrent à ſe mutiner, carles viures
† leur commençoient à faillir : & s'aſſemblans par trouppes de coſté &
#ººº ºf d'autre és carrefours de la ville, s'en allerent deuers l'Eueſque. Quant à
liures chacun.
' foi
§ 1 ſi
Aſanil faiſoit biétout ſon poſſible pourles encourager & retenir : Mais
» - 2 - - -

§ l'autre cependant enuoyal'vn des bourgeois à Mechmet pour luy faire


*" entendrelaneceſſité oûils eſtoient reduicts:& l'aduertir de ne ſe departir
point de ſon entrepriſe.Ce que luyayant eſté rapporté, il enuoya dire
aux habitans , comme il ſçauoit bien qu'ils n'auoient desviures ſinon
pourpeu dciours : Et pourquoy doncques voudroient-ils eſtre ſi mal
aduiſez que de differer d'auantage,à ſe donner à luy?Ce propos leurayât
eſté expoſé en la preſence meſme d'Aſan, ils ſe mirent tout publique
ment à conſulter de ce qui eſtoit à faire; ou de ſe rendre, ou de ſe †
dre de tenir iuſques au dernier but. Mais voyans le peuple ſi las & en
nuyé des preſens meſaiſes, & qu'il ne cherchoit ſinon às'en deliurer, &
ſortir hors de ces maux, Aſan & le Spartiate Lucanes, apres auoir eu
leur ſauf-conduict ſortirent de la ville, & s'en allerent trouuer Mech
met; là où eſtans tombcz ſurles propos de la capitulation & appoin
»† ctement,illeurparla en cette ſorte.Vous ferez entendreà voſtre Prince,
† que i,ſuis content de faire paix auec luy, ſoubs condition toutesfois
†ºn que tout le pays paroûmonarmce a paſſe me demeure; & pour le reſte,
' qu'on me payela ſomme de deux mille ducats par forme de tributan
nuel Mais quant à ce qu'il tient encore en lamer AEgee;enſemble la ville
de Patras,& le territoire d'alentour,ie veux nommement qu'il me le qui
te,ſinonie m'en Iray de cette heure,& le luy oſteray de force. Ces choſes
entenduësils s'en allerent trouuer les Princes qui ſe tenoient alors és
enuirons du mont deTaugette en Laconie,là où ils leur firent entendre
lelangage de Mechmet:ſurquoy,afin de ne ſe mettre point en hazard de
- º
Liure neufieſme 257
perdre tout, ils ſe reſolurent de luy depeſcher des ambaſſadeurs, ayans
pouuoir de traicter ſous les conditions qu'ilauoit propoſees;& fut par
eux la paix arreſtee de tous poincts &le pays que Mechmet auoit de
mâdérendues mains de ſon cómiſſaire. D'autre part la mer AEgee,l'Iſle
de Calaurie,la ville de Patras,&le pays prochain del'Achaie furent c6
ſignez és mains d'Omar,gouuerneur de Theſſalie.Mechmety mit par
tout des Genniſſaires en garniſon. -
AYANT ainſi appaiſé cette guerre,il licentia ſon armee,&auec ſon III.
train ordinaire tourna du coſté de l'Attique là où ſe promenant quel
que-fois àl'entour d'Athenes,il côtemploit fort attétiuement le Pyree, p . quel mo
&la cômodité des ports&havres qui y ſont Or eſtoit ceſte cité venue § §
en ſa puiſſace:enſemble la fortereſſe quiy eſt par le moyen & dexterité #"
d'Omar:Il eſt bien vray que de longue-main elle s'eſtoit môſtree fort
affectionnee enuers Mechmet; &luy de ſon coſtéauoit touſiours fait
grâd cas des beaux&magnifiques baſtimés qui y eſtoiét encore de fan
ciétéps,tellemétqu'il ſe prit lors à dire tout haut.Hoquelle grâde obli
gatiô nous auons à Omar fils deThuracan. Par quels moyens au reſte
Omar acquit ceſte cité&la fortereſſe à ſon maiſtre, voicy commêt cela
aduint. Apres la mort de Neri,ſa femme qui auoit vn petit garçon de
luy, demeura dame&maiſtreſſe de tout l'eſtat:car ayant ſecrettement
enuoyé à la porte quelques vns dont elle ſe fioit, trouua moyen de gai
gner les principaux à force de preſens parquoyilluy fut bien aiſé d'en
retenir la iouyſſance. Bien toſtapres elle deuint amoureuſe d'vn ieune
, gentil-homme Venitien,qui de fortune eſtoit arriué là pour le trafic de
marchandiſe; & s'en picqua de telle ſorte, qu'oubliant toute crainte &
vergôgne, luy deſcouurit du beau premier coup ce qu'elle en auoit ſur
le cœur, vſant de toutes les careſſes, priuautez & attraicts dont elle
ſe pouuoit aduiſer : tant qu'au milieu deleurs plus eſtroictesiouyſſan
ces & contentemens, elle luy offrit de le prendre à mary, & de luy met
tre quant&quant tout ſon bien entre les mains, pourueu qu'il delaiſ
ſaſt la féme qu'ilauoit deſia eſpouſee,& puis retournaſt à Athenes de
uers elle.Il eſtoit fils du magnifique Piero Palmerio,pour lors Podeſtat Mal-heureux
de NaupliumEtauſſi toſt qu'ilfut arriué à Veniſe,tout bouillât& trâſ-#
porté d'amour,&d' ambition d'empieter cette principauté, il fit mou-"
rir ſa femme,qui eſtoit fille auſſi d'vn des principaux du conſeil puis
s'en retourna à Athenesayant faict ce beau chefd'œuure, oü il eſpouſa
la vefue deſſuſdicte de Neri Eſtantainſi paruenu à eſtre vn ſi grád Sei
gneur, le bruict en courut ſoudain iuſqu'aux oreilles de Mechmet,en
uers lequelil fut accuſé de la part des Atheniens,caril eſtoit forthay &
mal-voulu de tout le peuple:au moyen dequoy pour aucunemét le r'a Frâco Aciao
doucir,il prit la qualité de tuteur del'enfant; lequel bien toſt apres il li Florentin,
emmena à Mechmet, parceque Franco fils d'Anthoine Acciaoli, nep
ueu du deffunct,& couſin germain dece petit, ſous eſperance quel'oc
caſi6 pourroit venir qu'il entreroit en la principauté d'Athenes,s'eſtoit
retiréàla courduTurc,& y faiſoit ſa reſidéce.Auſſi tout incôtinét que
Y iij
258 Liure neufieſme
Mechmet euſt entendules fols & deshonneſtes comportemés de cet
te femme, il mit la ville és mains deFranco, ordonnant aux Atheniens
de le receuoir benignement,&luy obeyr, ce qu'ils firent. Eſtant entré
· punitionde en poſſeſſion,il fit empoigner la Ducheſſe, laquelle il enuoya priſönie
†º re en laville de Megares, où bié-toſtapresilla fit mettre à mort, pour
raiſon dumariage qu'elle auoit cótractéauec ce Venitien, en quoyily
auoitvne meſchancetétrop enorme: toutesfois on ne ſçait point en
quelle ſorte elle fina ſes iours. Tanty a que le mary s'en alla à la porte
accuſer Franco;& Mechmet meu de ſes doleances,depeſcha Omarfils
de Thuracá,auecles garniſosdelaTheſſallie à Athenes,dôt il ſe ſaiſit de
plaine arriuee;mais il fut long-téps deuât la Citadelle, eſperant que par
le moyen de quelques vns qui eſtoient dedans auecleſquels ilauoit in
†º telligence, elle luy ſeroit rendue Cela toutesfois nevenant pointà ef
· Omar auec

·§
oli ſur la red fect, il trouua le moyen de parlementerauec Franco, auquel il tint vn
§ tellangage:Tu as aſſez hanté la cour du ſeigneur (ce me ſemble Frâco)
†º pour cognoiſtre la maniere dontila de couſtume d'vſer touchant les
charges qu'il commet à ceux que bon luy ſéble. Car encore qu'ilt'euſt
donné ce gouuernement à longues annees,ſi maintenant ſon plaiſir
eſt que tu leluy remettes entre les mains, cóment ny à quel tiltre eſt-ce
que tu le puiſſes retenir outre ſon gré: Et certes tu ne dois faire doute,
que ſitu t'opiniaſtres à conteſter contre ſon intention, auſſi bien ne la
garderas tu pas longuemcnt. Pour r'étrer donques en ſa bonne grace
rends luy cette place,& emporte auecquestoy non ſeulement ce qui
t'apartient, mais tous les biens encore quiy ſont & ſite donnera d'a
uâtage pourrecompenſe le pays de Bœoce,auec la ville de Thebes, car
1,s , il ne veut autre choſe que ces murailles toutes nues. Leieune homme
† ayant ouy ce propos,demanda quelle aſſeurance onluy en donneroit
Turc. Et là deſſus Omar depeſcha à la porte pour faire entendre le tout, oü il
obtint aiſémentla ratificatiö de ce qu'ilauoit promis : & Franco rendit
la place,pour s'aller mettre en poſſeſſió de ſa nouuelle ſeigneurie.Voila
en quelle maniere la Cité d'Athenes, parla menee &pratique d'Omar
eſtoit venue en la puiſſance de Mechmet : Lequel s'eſtât mis à côſiderer
de pres la fortereſſe, admiroit infiniment la grandeur& hardieſſe d'vne
telle cntrepriſe, & de tous les autres edifices antiques,dont la ſtructure
eſtoit trop ſuperbe & magnifique.De là ſ'eſtantallé promener autour
de laville, loüa fortl'aſſiette d'icelle;& meſmement pour la grâde com
modité des ports qui ſont tout le long de la rade,ainſi que nous auons
deſia dict cy-deſſus.
1III. enuoya vn Chaoux deuers les ſeigneurs du
SvR ces entrefaictes il
Peloponeſe, pour receuoird'eux le ſerment de fidelité, & par meſme
moyen demander en mariage la fille du Duc de Sparte.Ils iurerent
Thomsp. (quât à eux)tout en la propre forme&maniere qu'ils enfurentrequis,
†.&promirent de luy garder fidelité,&obeiſſance à l'aduenir.Toutesfois
#, le plusieune des deux freres nomméThomas,vint à s'ennuyer&repen
voir ſous la
§a tir de ce ſerment,&cómença deſlors à chercher tousles moyens dontil
- --- ---- · - -
| |) r - r• ſ7 - -

Del'Hiſtoire des Turcs. | 259


ſe peut aduiſer, pourſe ſouſtraire de Mechmet deuers lequelil deſpeſ- †
chal'vn de ſes gens, ſous le pretexte de negocier ie ne ſçay quelaffaire, #"
&ce-pédant eſpier quel il y faiſoit.Il en enuoya auſſivn autre pour faire
certaine brigue en la ville de Patras, mais le mal -heur voulut qu'il fut
deſcouuert, & mis priſonnier dans le chaſteau,oü il y auoitvne garni
ſon de genniſſaires,auec quelques autresTurcs,ſignalez, tous gens de
faict,quifurent puis-apresaſſiegez parl'armee dudict Thomas. Celuy
quil'auoit le plus induit&animé à ce reuoltemét,eſtoit le Lacedemo
nié Lucanes,quiluy donnoit à entendre côme ilauoit dreſſé vne prati
que auec ceux de Corinthe,dontilauoit bonne eſperance de prendre
la ville:&que ſiainſi aduenoit,illeurſeroit bié aiſé de diſpoſer de tout
le reſte du pays. Parquoyil ſe declara ouuertement çótre Mechmet,&
s'en alla aſſaillir les places de s6 obeiſſäce: mais ſes étrepriſes ne luy ſuc
cedâs point bien, il tourna ſon entéte à ſoliciter le reſte du Peloponeſe, .
tant les Albanois queles Grecs, de ſe tourner auecques luy. Il faiſoit
† &quant la guerre à ſon frere,&auoit deſiaaſſiegé quelques vns de
es chaſteaux;de toutes leſquelles choſes aucûs eurêt opinio qu'Omar
eſtoit le ſeul autheur: Ce qu'eſtätvenu aux oreilles de Mechmet,ilen
uoya deuers le prince du Peloponeſe vn autre gouuerneur pour ſucce
der à Omar,& le contraindre de ſe departir de la charge. Il luy oſta pa
reillement la Theſſalie; le tout pour la meſme occaſi6: & quant à luy,
il s'en alla faire ſeiour en la ville des Scopiés, afin d'eſtre pres de §
Hongrie, & prédre garde à ce que ce peuple voudroit faire. Mais tout
auſſi toſt que les Hongres eurent le vent de ſa venue, eſtimans bien †
qu'il s'eſtoit approché tout expres§ empeſcher qu'ils ne fiſſent #
quelque dommage enſes pays,ils aſſemblerent leurs forces, & trauer-†"
ſans le Danube vindrét donner droict ou il eſtoit auec les Genniſſaires
de ſa garde&les gens de cheualde ſa ſuitte ordinaire: là où s'eſtás atta
chez au combatils furent mis enfuitte, & quelques vns des leurs tuez
ſur la place:d'autres pris & admenez à Mechmet. Ce pendant que les
choſes paſſoiétainſi du coſté de Hongrie,ileut nouuelles cóme le pri
ce Thomas cótreuenant à ſon ſerment&promeſſe,s'eſtoit rebellé, &
auoit aſſiegé les géniſſaires qu'il auoit laiſſez és places fortes. parquoy
il fit paſſer au Peloponeſe les gés de guerre qu'ilauoit en Theſſalie, &
AEtolie ;& döna la charge de cette guerre à Chamuz ſurnóméle port
cſperuier,lequel s'eſtât ſaiſi des persónes de Achomat gouuerneur du
Peloponeſe,& d'Omar à qui ilauoit dôné ſa fille en mariage, entra à
main armee dás le pays.Et s'eſtát venu preſéter deuâtla ville de Patras
en Achaie,deliurale chaſteau:car les Grecs n'eurent plus-toſt eu nou
uelles que le ſecours de Mechmet approchoit,qu'ils abâdönerét le ſie
ge,&ſe retirerêt deuers le prince enlaville de Megalopoli,côme faiſäs
contenâce de vouloirattendre là lesTurcs,&les y côbattre en bataille
régee Leſquelss'acheminoiét ce pendât par la cötree d'Elide le logde
la marine;& eſtans arriuez à Ithomé vindrét delà à Megalopoli,là où
3Thomasr'aſembla en diligence les Albanois & les Grecs
- - - - - • - - - Y qui
iiij s'eſtoiêt
- -- •- -
26o - Del'Hiſtoire des Turcs.
reuoltezauecluy,&mit ſes gens en bataille,preſt de prendre le hazard
du combat.Tellement que quandles Turcs y furent arriuez, &qu'ils
apperceurent les ennemis ſi bien rengez en bataille le long d'vn rideaù
aupres de la ville, ils ſe mirent à conſulter s'ils ſe deuoient camperlà,
ou paſſer outre droict à Muchla de Tegee, ſuiuant ce qu'ils auoientde
liberé:Mais Ianus general de la cauallerie, s'eſtant apperceu comme
les Grecs auoient eſtendu le front de leur eſquadron fort au large ſe
prit à eſcrier : O tres-chers & bien-aymez Muſulmans, ceux cy ſont
â nous pour certain; car il ne leur ſeroit poſſible de combatre comme
ils ſont arrengez , & ne faudront de ſ'en aller à vauderoute, tout auſſi
toſt que ceux de derriereauront eſté renuerſez & rompus. De vrayils
n'eſtoient pas ordgnnez de ſorte qu'ils ſe peuſſent ſccourir les vns les
autres,ains s'eſtans allongez en forme de haye mince & delliee, s'ap
- preſtoient au combat , quand Ianus apresauoirremonſtré ce que nous
••

L'importance
auôs dict,s'en alla dôner de cul & de teſte ſur les derniers rangs, auec
- - - > - - -

§ vne cornette de gés de cheual: Toutefois ils furent d'arriuee aſſez bien
† #, recueillis des Grecs, iuſques à ce que grand nombre de Turcs eſtans
ºººº ſuruenus à la fille,les autres prirent la charge,&s'eſtans renuerſez ſur
leurs côpaignons qui eſtoiétau frôt,les mirent en deſordre, &les atti
rerent à fuyr quant & eux,ſi bien que toute l'armee des Grecs fut rom
pue,pour auoir ceux de derriere eſté enfoncez,&contraints de reculer
† " ſurles premiers.LesTurcs qui leur eſtoient aux eſpaules, s'enhortâs à
grâds cris leur chauſſerét les eſperôs de ſipres,qu'ilsen tuerét bien deux
ccns, les autresgaignerent lavilletant que les cheuaux peurent traire,
là où peu s'en fallut que les ennemis n'entraſſent peſle-meſle: carils les
rembarrerent iuſques dedans les portes, & les aſſiegerent là auec leur
prince meſme qui s'y cſtoit ſauué: Toutesfois leur armee ſe trouua lors
fort trauaillee de la famine & de la peſte, à cauſe des eſclaues qu'ils
auoient enleuez d'Achaie, & de là les auoient amenez à Muchla, Au
r se moyen dequoy
metrie pour
frere.
on laiſſalelàſiege
continuer Ianus;leauec
reſtequelques gens,
s'en retourna aux&garniſons:
le prince De
Et
Thomas ſi toſt qu'il en eut les nouuelles, s'en reuint derechef aſſieger
V les Genniſſaires, qui eſtoient demeurez à la garde des fortereſſes.
© Sv R ces entrefaictes Mechmet s'enalla faire la guerre à Senderouie,
†º au pays des Triballiens, pour vnetelle occaſion Eleazar fils de Bul- .
motificelle cus à ſon decés laiſſa la ſeigneurie es mains de ſa féme, & d'vne ſien
ne fille, qu'elle donna en mariage à Eſtienne ſeigneur de la Boſſine,
* fils du prince des Illiriens ; en intention de retenir la ville pour ſoy,
& qu'elle en demeureroit Dame & maiſtreſſe. Ce temps pendant les
Triballiens ſe retirerent deuers Machmut fils de Michel, quiauoit eſté
nourry aupres de leur feu ſeigneur, & l'eſleurent pour chef?le reque
rans de prendre en mainle gouuernement & les affaires de la ville.
Ruſe de la >• »

§ A ſon arrinee la Dame l'inuita d'allerloger au chaſteau, mais ſoudain


- - - -

* qu'il y eut mis le picd, elle le fit empoigner,& l'enuoya lié & garroté en
Hogrie,oüilfut gardé en priſó fort eſtroicte;en ſorte que les Triballiés
De l'Hiſtoire des Turcs. . 26 f
retournerent d'erechef ſous l'obeyſſance du Roy de Hongrie, duquel
ayans eſtéappellezauecla veufue deleur feu Prince, ils luy rendirent la
deſſuſdicte ville de Senderouie. Mechmet doncques voyant le party
à quoy ſes affaires eſtoient reduicts de ce coſté là, eut recours aux armes,
& menaſon armee deuant la ville, pour taſcher à la recouurer de force. -

Mais les habitans ayans entendu ſavenue ſortirent au deuant, & luyvin- La vie de
drent preſenterles clefs ſur le chemin : en faueur dequoyilleurfit à tous †
de beaux preſens;
& cheuances aux vnsveufue
: & receutla en argent comptant,aux
d'Eleazar autresgrace
en ſa bonne en poſſeſſions #scour
& prote- frapper.
ction, luypermettant de ſe retirer librement où bon lu § auec *
tout ſon auoir ; & au demeurant ſe ſaiſit de la fortereſſe, & de laville.
Apres qu'il eut fait cette main,il ſe dclibera de remmener ſon armee au
Peloponeſe, mais il s'en vint premierement à conſtantinople : Et de là
eſtant paſſé en Aſie, alla mettre le ſiege deuant la ville d'Amaſtre, ſituee
ſur le bord du pont Euxin, qui eſtoit pour lors en la puiſſance des Gene
uois. Ceux-cyauoientauparauant enuoyé deuers Mechmet pour luy fai- caerresnue
reinſtance de laville de Pera,laquelle leur appartenoit, & neantmoinsil† les Geneuois

s'en eſtoit lequel


là deſſus, bien & de
beau emparé,
leur combien qu'il
coſté n'auoient violéy ne
euſtaccord
rompu ; faict & paſſé #º
& pourtant C l'CIa,

requeroient qu'elle leur fuſt rendue, nonobſtant † la pri


ſe de Conſtantinople elle ſe fuſt ſoubsmiſe à ſon obeyſſance. Mechmct
leur fit reſponſe, que quant à luyil n'auoit point cherché de fineſſe ny
mauuaiſe foy en ccla,nyauſſi pqu mené ſon armee dà deuant pour eſſayer
àl'auoir de force, mais que lesgouucrneurs de leur bon gré s'eſtoientve
nus rendre, & la luy mettre entre les mains, deſirans de ſevoir pluſtoſt en
paix & repos, que d'attendre la ruine quiles menaſſoit de ſi pres; & que
c'eſtoit la façon dont ill'auoit acquiſe,ſans que pour cette occaſionileut
faict tort ne violence à perſonne. Là deſſus les Geneuois luy ayans faict
denoncer la guerre, il s'achemina contre la deſſuſdicteville d'Amaſtre,&
y menales forces d'Aſie, auecvne grande quantité de bronze,qu'ilauoit
faict charger ſur des chameaux&autres § de voicture.Mais inconti-tavilled'A
-

· nent
renduequ'ilyfut arriué,&
à certaines eut commencé
conditions; à faire ſesreceuë,ilylaiſſalatierce
auſquellesl'ayant approches,elleluyfut †, par coponuoi

partie des habitans, & tranſporta tout le reſte à Conſtantinople pour y


habiter. Ilchoiſitauſſi & retint quelquesieunes garçons d'eſlite, pour
ſon ſeruice : & puis s'en retourna à la maiſon : Car il auoit eu nouuelles
comme les affaires d'Vſuncaſſan commençoient à prendre de grands ac
croiſſemens : & que s'eſtantietté en campaigne,il s'envenoit tout droict
à la ville d'Ertzinghan, capitale du Royaume d'Armenie. Neantmoins
-cela n'aduint quel'annee d'apres,lors que Dauidfrere de l'Empereur de
Trebizondelevinttrouuer, qu'il eſtoit deſia party du Peloponeſe pour
aller à cette entrepriſe:& luy ayant apporté le tribut ſur le chemin renou- vr .
uellaleurs alliances. Car on dict que les Roys de la Colchide eſtoientan- †
ciennement Empereurs de Conſtantinople : iſſus de la maiſon & famille autresfois és
mains des

des Comnenes, leſquelsayans eſté chaſſezdeleur droict & legitimeheris "


262 Liure neufieſme
tage,Iſaac fils de celuy qui fut maſſacré parle peuple,pour la hayne mor
telle quetous luyportoient, s'enfuytà Trebiſonde, oü les habitans du
pays l'eſleurent pourleur chef Et depuis ileſtablitl'Empire de la Colchi
de en cetteville là, depuis lequel temps ils y ont tôuſioursregné iuſques
à preſent; s'eſtans monſtrezvrais Grecs en toutes choſes, tant en langa
ge, qu'en meurs & façons de viure qu'ils ont retenus. Bien ont-ils tou
tesfois contracté quelques alliances auecles Barbares de là autour qu'on
appelle les blancs Probatantes, & ſemblablementauecles deſcendans de
| Temir, quinaſquirent des enfans deTrochies & de Caraiſuph, afin que
* leur pays ne fuſt couru & endommagé par eux; Et encor'auec les Grecs
[ui demeuroient à Conſtantinople,lors meſmement qu'Alexis Comne
ne donna ſa fille en mariage àl'Empereur Iean,ſurquoyil aduint puis a
res vn tel deſaſtre. Car Alexis vintàluyeſtre ſuſpect pour raiſon de ſa
† mere, qui eſtoit des Cantacuzenes, ſe doutant quele grandChambelan
| i § abuſoit d'elle; dequoy eſtant indignéille fit mourir, & enſerra quant &
quant Alexis & ſa femme en vne chambre pour en faire de meſme, ſi le
peuple qui entreuint là deſſus,ne leuſtadoucy & deſtourné par ſes prie
• res, de mettre à execution vn ſi horrible & deteſtable forfaict : & fit-on
† ſe retira luy meſme és parties de l'Iberie. Cependant Alexis,
pourla felonnie & mauuaiſtié qu'il auoit cogneue en luy, declara Em
pereurvne autrefois ſon fils Alexâdre, § fit eſpouſer la fille de Ga
liuſes, qu'ilauoit pourueu du gouuernement de Methelin : & Iean prit
à femme la fille d'iceluy Alexandre. Mais il s'en alla puis-apres d'Iberie à
Capha, cherchant quelque nauire pourle paſſer àTrebizonde, tout re
ſolu de faire laguerréà ſon beau pereAlexis.Il rencontralà de fortunevn
Geneuois qui auoitvn moyenvaiſſeau, mais fort bien armé & equippé
en guerre,&fut celuylequelil employa tout le premier enceſt affaire.Par
quoyayantpourueu, & muny ce nauire de ce qu'ils aduiſerent leur eſtre
beſoin,prirent la routte de Trebizonde,& allerent ſurgir aupres du tem
ple deſainct Phocas,dans lequelil fit tendre ſon pauilloff.Orauoit-ilde
ſa pratiqué les ſoldats Cabazitans, leſquels furent ceux qui trahirent
1 En l'Empereur: Car eſtant commis à la garde de ſa perſonne dans le faux
†º- bourg de l'Achante, oüil s'eſtoit allé camperaucc ſes chariots & machi
ſ§ nes,tout visàvis de Iean,ils firent large;tellementque ſur la minuict les
#a mort, - - -- 2° (t . - -

capitaines de ſon fils le ſurprirent, qu'il ne ſe doutôit de rien,& le mirent


à mort. Il eſtbien vray qüe ce fut outrelevouloir de Iean, quileurauoit
expreſſément commandé de neletuer, mais le luy amener envie; toutes
fois ne s'arreſtans pointà cela, ils penſerent que ce luy ſeroit faire choſe
tres aggreable d'en depeſcher le pays, & pourtant ils le maſſacrerent : à
raiſon dequoyilleurfit depuis à quelques vns creuerles yeux, & couper
les poings à d'autres,afin de § que ſon intétion n'auoit pointeſté
de lefaire mourir.Eſtant doncques paruenuàl'Empire de ſon pere, il luy
fit faire de tres magnifiques obſeques, & inhumer le corps fort honno
rablement en vne Egliſe prochaine, maisille tranſporta depuis en la vil
le capitale. Et bientoſt apres Artabales le Circaſſe, qui auoit mis ſusvne
De l'Hiſtoire des Turcs. 263
groſſe armee des parties de Leuant, & de Midy, de Samos & pluſieurs †.
autresvilles,tiradroictversTrebizonde, en intention de la prendre, & §"
ruiner de fonds en comble. L'Empereur Iean aſſembla auſſi ſes forces ***
tant parlaterre que parla mer,ayant appelléà ſon ſecours celuy dcCon
ſtantinople; & marcherent au deuant des ennemys iuſques au temple de
ſainct Phocas,appelléCordyla, là oùl'Empereur des Grecs apres auoir
reduit en forme de camp les gens de guerre qu'ils auoient, ſe mit en che
min pour aller trouuer Artabales, & luy donner la bataille quelque part
qu'il le rencontraſt. Il fit quant & † ſuiure ſon armee de mer qui le
coſtoyoit : car Artabaless'eſtoit deſia ſaiſi du lieu qu'on appelle Meliare.
ayant faict diligence de gaigner le premier le deſtroict & emboucheure
de Capanium : & de faict les Grecs le trouuerent ainſi quand ilsy furent
arriuez. Pourtantſehaſtoient ils de l'aller iqindre, en eſperance qu'en
core ne refuſeroit-il point le combat parlamer, qui eſtoit la principale
occaſion pourquoyils conduiſoient leur flotte. Mais cela fut empeſché
par le temps quine ſe trouua à propos : carvne telle tourmente ſuruint là
deſſus, que nyles gens de mer qu'auoient les ennemis, ne ſe peurentiet
ter dans les vaiſſeauxpourles ſecourir & deffendre, ne auſſi peu l'armee
de mer Gregeoiſeapprocher d'eux pour les chocquer,ains fut contrain
te de demeureràl'ancre tout au long de la rade, ſans rien executer de ce
qu'ilsauoient pourpenſé. Mais les Circaſſes ne laiſſerent pas perdre cet
t#occaſion, ainss'en allerent d'vne grande furie & impetuoſité charger Mortdel'Em
l'Émpereur, & le mirent à mort auecvn ſien fils, & quelques trente au-†.
tres encore : le reſte ayanttourneledoz ſe rendirent deuers Iean,quimo-†.
ta ſoudain ſur
grand'part vn vaiſſeau,
ſe retira & ſe ſauua
auſſi,lesvns deviſteſſe
par terre à Trebizonde
les autres par mer. :Parquoy
La plus §
caſſes,

Artabales s'envint camperau monaſtere de ſainct Phocas, oü les deux
Empereurs s'eſtoient logez auparauant, ayant pris force priſonniers à la
chaſſe, dont il en fit mourir quelquesvns,& entrelesautres Maurocoſtas
quiauoit la charge des grands cheuaux de l'Empereur Iean, lequel fut.
executéà la veue de ceux qui eſtoient ſurles murailles. Cela faict, apres
auoirdemeurétrois iours en ce logis, il s'en partit pour aller aſſaillir le
Meſochalde, qu'ilpenſoit eſtre encore tenu parles Grecs.Mais iladuint
vne telle choſe la premiere nuict qu'ilarrita en ce monaſtere de Cordyla;
Ce fut vne femme Armenienne, laquelle craignant que les ennemys ne † -

priſſentlefort qui eſthorsl'enceincte des murailles,ſe retira auccſesou †"


- urages deleine dont ellegaignoit ſavie, au grand chaſteau, où elle pen-†"
• ſoit eſtre plus ſeurement,&yporta quant & quant quelques petites pro
uiſions qu'elleauoit. Et pource que ce deſmenagem ent ſe fit de nuict,le
feu s'alla prendre d'auenture, ſans qu'elle s'en apperceuſt, parmy ſes eſ
cheueaux & pelottons, eſtant deſia en la fortereſſe, & ne ſçauoit rien de
ce qui eſtoit aduenu, quâdla maiſon ſe trouuaincontinent toute en feu,
quis eſpandit de main en mainaux autres contigues. Ce fut cnuiron la • •

minuict que laflamme ſe trouua en la plus grande furie, dont ceux qui
•ſtoient enlaville ſe mirent en opinion, que les fauteurs des Circaſſes
V.

A
264 Liure neufieſme
-

auoient baſty quelque trahiſon pourlaleur liurer entre les mains. Tout
le peuple, tant officiers qu'autres, ſe prirent incontinent à fuyr,laiſſans là
leur Empereur pour les † , auec quelques cinquante qui eurent le
cœur de demeurer aupres de luy : tellement qu'il ne ceſſa toutelanuit de
fairelaronde, & aller reuiſiterles portes. †
leiour fut venu, Arta
» a , balºº preſenta,eſperât que la deſſus on luy feroit ouuerture;mais n'ayât
§ rien obtenu de ce qu'il pretendoit, il fut contrainct ce s'en retourner au
†" Meſochalde. Les officiers & autres perſonnes principales de la ville, qui
s'eſtoient retirezau deſordre & § que vousauezouy,les vns par
mer, les autres parterre, pour gaigner l'Iberie ſituce és monts Caſpies,
eſtans finablement retournez à Trebizonde apres qu'Artabales ſe fut re
tiré, eurent tout plein de reproches del'Empereur, les appellant laſches
VI.
& faillis de cœur,deſloyaux à leur Prince, & àleur pays.
Tov T incontinent apres le gouuerneur d'Amaſie nommé Chiter
Les Turcs ſur bergs'eſtant mis en campaigne, vintaſſaillir Trebizonde àl'impourueu,
#" où il trouſſa ceux qui eſtoient au grand marché, & és fauxbourgs, fai
†º ſant bien le nombre de deuxmille. Et comme cette pauure cité ſe trouua
toute deſpeuplee, & preſquedeſerte à cauſe de la cruelle peſtilence qui y
regnoit, n'attendant plus autre choſe ſinon d'eſtre priſe ſi l'ennemy s'y
opiniaſtroit tant ſoit peu,l'Empereur fit tant par argent enuers Mech
met, qu'il ſe contenta del'auoir de là en auant tributaire, moyennant
quoyil fit rédreles priſonniers que Chiterbergauoit enleuez.Auſſil'Em
pereur promit de n'entreprendre iamais rien contre luyne ſon eſtat, ains
que de bonne foyil payeroit àl'aduenir deux mille ducats de tributan
. nuel & perpetuel. Et pourcouclurre & arreſter ce traictéaux conditions
deſſuſdittes, fut depeſché tout expresſon frere le Deſpote Dauid ſelon
que nousauons dit cy deſſus,lequel negocia ceſt affaire enuersMechmet:
Deſcriptiö de toutesfois il fallut encore adiouſter mille ducats aux deux autres † a

. †" uoient eſté promis. Or l'Iberie eſt tout ioignantle pays de la Colchide,
†"* & ne ſont pas les Princes & Seigneurs d'icelle gensde peu de courage,ny
eſans & puſillanimes au faict de la guerre. Elle s'eſtend depuis le lieu
qu'on appelle Bathi, & la riuiere de Phaſis,iuſques à Chalthlichi, qui eſt
des appartenances de Gurguli,Cori,Cachetium,&Tyflis,villes prochai
nes de celle de Samachie,quelesTurcs tiennent &habitent,ſous l'obeyſ
ſance deſquels, plus bas que ladicteville de Cachetium, en tirantvers la
mer, ſont ſituees(chacune à part ſoy toutesfois) Sebaſtopoli capitale de
Mengrelie, & de Dadian, Mamia, Samantaula,Guri,&autres villes ma
ritimes. Car à celles de la haute Iberie confinent les Alans,les Huns , & -
les Embiens, dont les Alans arriuent iuſques aux montaignes de Cauca
ſe, leſquels ſont eſtimez les plusvaillans & aguerris de tous les autres. Ils
tiennentlafoy Chreſtienne , & ont vn langage à part. Au reſte, ils font
de tres-bons corſelets , & ont encore d'autres armeures forgees d'airain
L'origine des
Iberiens, & u'on appelle Alanoiſes eſtansàlaverité Iberiens, mais de quel endroict
† ils partirent premierement pour venir habiter en ces quartiers là; ſi ce fut
º des Iberiens Occidentaux ou d'ailleurs,ie n'en ſçaurois bonnement que
-' - dire:
Del'Hiſtoire des Turcs. 265
dire : Quoy que ce ſoit ils † en bien peu de tempsvn fort grand philirre
pouuoir, & des richeſſes ineſtimables.Au regard de la religion Chre-†
ſtienne,elleleurvint premierement de Conſtantinople : carvne femme †
qui auoit accouſtumé d'yaller & venir pour eſtre inſtruicte en la foy,at- §
tira puisapres ces Iberiens à delaiſſer leurs folles & vaines ſuperſtitions,
pour receuoir noſtre creance, ouuriere de tous miracles : Et les declara
Chreſtiens,ſuiuant l'adueu & confeſſion qu'ils Iuy firent de vouloir vi
ure & mourir tels. Long-temps apres les Scithesleurs proches voiſins,
leurvindrent faire laguerre, & eſtans entrez dans le pays, y commirent
de grandes violences, faiſans eſclaues tous ceux qu'ils pouuoient auoir
en leurs mains : mais les Roys des Iberiens ſe retirerentà ſauuetéaux
montaignes, & quandles Scithes s'en furent retournez,ils deſcendirent
lors, & demeurerent delà en auant en repos, moyennant † tri
but,qu'ils accorderent àl'Empereur d'iceuxScithes,lequelbiétoſt apres
u'ilfut ainſivenu courir ſusaux Iberiens,alla aſſaillirles Alans,lesHuns,
& les Saſiens, dontie me deporteray de parler plus auant, carie n'enay
pas apris d'auantage.Au moyen dequoy pour retourner à Aſan, quand
il fut arriué deuers Mechmet,il §
entendre ce qui eſtoit paſſéau Pe
loponeſe; & luy parla d'Achmat gouuerneur du pays, carſon frere
auoit deliberé n'en bouger.A ſon arriueg Mechmetluy fit preſent de . .
ces Iſles icy en lamer AEgee;aſſauoir de * Lemnos, Imbros,Thaſſus, & †
Samothrace:Toutesfois cela futauant la priſe de Conſtantinople , car †
depuis,& lors meſme que Palamedes fut decedé, Dorie ſon fils s'empara vºgº
de la Seigneurie de* Leſbos,& de Lemnos,& auſſi de celle d'AEnus:Mais ** Methelin,
Mechmety eſtantarriuéauec ſon armee la reprit incontinent, s'eſtans de
plaine arriuee donnez à luy ceux qui eſtoient dedans : & Ianus gouuer
neur de Gallipolifut enuoyé au recouurement des Iſles, auquel Imbros
& Lemnos ſe rendirent ſoudain. Il mit par tout des gens de guerre: mais
comme ceux quiy eſtoient auparauant en garniſon eüſſent eu le vent de
l'armee
core vn de mergros
autre querenfort
le Legatapres,
du Pape amenoit d'Italie,les&I
ilsabandonnerent † yenoit en #triarche d A•
es,& lesTurcs §
ſe mirent dans les places pour les garder. Au regard de Lemnos tout auſ
ſi toſt que la flotte eut pris terre, elle ſe rendit ; & auſſi firent Imbrus.
Thaſſus,& Samothrace.Mais apres qu'elle eut faictvoile à Rhodes, Iſ
maël generaldes galeres † , recouura Imbrus & Lemnos,&
enuoya pieds & poingsliez à Mechmet tous les Italiens qu'il y trouua;
leſquels il fit mettre à mort àleur arriuee. Cela fut à Philipopoli, oû il †
faiſoit lors ſa reſidence
nople pourraiſon de la ;ayanteſté contrainct
peſte quiyeſtoit. de deſloger
Thaſſus de Conſtanti-†
& Samothrace ſe ren- # l)

dirent bien inconſiderément, car peuapres que le Zogan eutſupplanté


Iſmael,& obtenu le gouuernement de Galipoli,yeſtant arriué il les prit
derechef, & ſaccagea entierement; & enuoya tout le peuple habiter "
en Conſtantinople. Or quand Aſan fut entré dans le Peloponeſeauec #
ſon armee, il rompit, & mit en fuittele Prince Thomas pres la ville de die.
" Lcontarium; oü l'ayant pourſuiuy chaudement,ille tint aſſiegé quel
Z ,
, 266 Liure neufieſme
quesiours:mais pource que cesaduerſaires luy donnoient tout plein de
faſcheries.il fut contrainct de partir delà, & ſe retirer deuers Mechmet
pour luy demander du renfort. Le debat & contention qu'ilauoiteuë
auec Omar gouuerneur de laTheſſalie en fut cauſe,carils eſtoient inceſ
ſamment en picquel'vn contre l'autre:auſſi bientoſtapres Mechmet cö
traignit Omar de quitter ſon Sanjaquat,dont il pourucutle Zogan, qui
#" * auoit d'auantage legouuernement de Gallipoli, Ce fut vn perſonnage
qui en bien peu de temps monta à vn fort grand credit, pourauoir entre
autres choſes pris le Morezin,le plusbraue & renomméPirate quifuſt CIl
, , toute la mer de Leuant;ce quiluy tourna àvne grand'gloire.Eſtât donc
Exploicts de - / - - -

§ " ques entré le Zogan en poſſeſſion du gouuernement de Theſſalie, & luy


† ayanr encore Mechmet remis la ſuperintendance du Peloponeſe,ildon
na auec ſon armee dans l'Achaye, où tout auſſi toſt qu'il ſe fut câpé deuât
la fortereſſe,les Grecs qui s'eſtoient là aſſemblez en armes, s'eſcoulerét &
eſuanoüyrent Les Italiens d'autre part que Thomas auoit faict venir, de
la Duche de Millan à ſon ſecours,ſoudain àleurarriuee ſe mirent à battre
la ville,auecvne groſſe piece tant ſeulement,mais voyans qu'ils n'aduan
çoient pas beaucoup,pour n'auoir ne canonnier,ne equipagc tel que re
queroit vne telle entrepriſe, ils furêt contraincts de leuerle ſiege, & s'en
allerent à Naupacte,où ils s'arreſterent. -

VII. SvR ces entrefaictes le Prince Thomas arriua d'ailleurs auec ſes for
ces, lequel rengea à ſon obeiſſance la contree de Laconie, & prit la ville
de Calamate au territoire de Meſſene; puis vint mettre le ſiege deuant
celle de Mantinee. Là où eſtimant bien qu'il ne feroit que perdre téps,il
enuoya deuers Mechmet, pour ſonder s'il ſe voudroict point condeſ
Vſuncaſſan.
cendre à quelque appoinctemét,à quoyil preſtavolontiersl'oreille,ayât
deſia entendules choſes que Caſan le longremuoit enl'Aſie Et ne re
fuſa point cette, paix, afin de pouuoir plus à ſon aiſe faire la guerre à
cettuy-cy, & à Iſmael Prince de Sinope , lequel s'eſtoit ligué auecques
†" l'autre. Neantmoins il voulut adiouſter encore les § ſuiuans au
ſ§e traictéde paix:que Thomas retireroit tous les gens de guerre qu'il auoit
mas & Mech - / - - -

§ misés fortereſſes de Mechmet, rendroit celles qu'il auoit priſes ſur luy,
#a & payeroit preſentement douze mille ducats pour arres & entree du
tribut : Au reſte qu'il ne fiſt faute de ſe trouuer à Corinthe dans le vingt
ieſmeiour enſuiuant, pour y attendre ſes deputez. Toutes leſquelles
choſesayans cſté propoſees à Thomas,iln'en reietta pas vne: Mais pour
autât que tout alloit de trauers & en deſordre parmy ſes ſuiects,iladuint
qu'il ne peut auoir le moyen de ſatisfaire au tribut qu'il auoit promis;
dequoy s'eſtant Mechmet deſpite, delibera de luy faire la guerre dere
Ao a chef,& remit ſon voyage contre le Chaſan àl'Eſté enſuiuant, afin de n'a
#nſon • Aſan
mer.
uoir àſeentendre
preſentaqu'au Peloponeſe.
à luy de Eſtant donques
la part de Demetrie arriuébien
s'attendant à Corinthe,
d'auoir la
charge de conduire ſon armee, mais quand ils furêt àTegee,ille fit met
tre en priſon, & ſe ſaiſit encore de tous ſesadherens: Puis s'achemina en
perſonne côtre la ville de Sparte,à toutvne groſſeforce de gés de cheual,
#.
-
| . • • •r - -
•, -

> e - - -

Del'Hiſtoire des Turcs. 267


& les trouppes de l'Europe ;là où ainſi †eſtoit apres à faire ſesappro
ches, il ſceutau vray comme le Prince eſtoit dedans, qui ſe trouua bien
eſtonné de ſe veoir ainſi enuelopé,au rebours de ce qu'ilauoit touſ
iours eſperé de Mechmet. Parquoyil voulut eſſayer de ſe ſauuer au cha
ſteau qui eſtati deſſus delaville mais quand il ſçeut que ſon beau - frere -

Aſan eſtoit priſonnier, ſe voyant de tous coſtez reduict à l'extremité, il # -

abandonnalà tout, & ſ'en allaau camp de Mechmet ſe preſenter à luy, †" met auec ſa

dont il fut receu & traicté fort humainement; auecaſſeurance que tout pº#
le paſſe ſeroit oublié, & qu'on le recompenſeroitd'vnautre pays au lieu §
de celuy de Sparte, oü rienne luy manqueroit : toutesfois on luy don-†"
na des gardes, & fut retenu. Au deſſus de Sparte droict au pied de la .
montaigne deTaugette,eſt ſituee vne fortbelle ville Grecque,riche,&
opulente, à vne lieuë de Paleopoli, & de la riuiere d'Eurotas, de la
uelle Mechmet ſe ſaiſit, & y mit vne bonne garniſon,ſous la charge de
Chaſan Zenebiſasl'vn de ſes domeſtiques,auquelil en donnale gouuer
nement.Cela faict, il paſſa outre †† Caſtrie, eſloygnee de là se ſtades.
d'enuiron deuxlieuës & demie, où il mitle ſiege. Car les habitans tant
hommes que femmes,ſous la confiance qu'ils auoient en la force & dif- .
ficulté de † aſſiette,faiſoient contenance de ſe vouloir deffendre ſi on
lesy alloitaſſaillir: mais les Genniſſeresn'eurent pas eu pluſtoſt le ſigne
de l'aſſaut, que d'vne grande furie ils gaignerent ſoudain le haut de la
muraille, & les prirent tous enuie. Puis ayans mis ce poulailler en ruine, †
s'en allerentaſſaillirle
montee chaſteau qui eſtoit
aſſez roide & mal-aiſee;outre haut
ce que dedecinq
ceux cens par
dedans pas,lad'vne
reſi- §
Genniſſeres,

ſtence qu'ils faiſoient la rendoientd'autât plus difficile.Pour celaneant


moinsles ſoldatsTurcs nelaiſſerent pas d'allerauant,à l'enuylesvns des
autres à qui arriueroit le premier, dont pluſieurs quiſe venoient à entre
heurter en la foule,ſe precipitoient eux-meſmes du haut en bas : ſi bien
qu'il en demeuragrand nombre, que de morts que d'affolez, auant que
le reſteayant ſurmontéces difficultez & empeſchemens fuſt paruenu au
pied de la muraille, où ils commencerent vn tres-aſpre & rude aſſaut.
Les Grecsapres auoir côbattu & reſiſtévne bône piece,ne peurét à la par
fin porter lefaix des ennemis,quiſans ceſſe arriuoientàla file tous frais&
repoſez,& furent côtraincts de ſe rendre qu'ils n'en pouuoient plus Mais
auſſi toſt que Mechmet ſe vit maiſtre du chaſteau,illes fit tous aſſembler
en vne place, & paſſer par le tréchant de l'eſpee,eſtans bien au nombre •

de trois cens. Et le lendemain il fit cruellement coupperleurCapitaine † §


en deux moitiez parle faux du corps: Puis prit le chemin de Leontarium,
& ſe campa deuant , là oû ayant ſceu comme les habitans auoient retiré
leurs femmes& enfans envne place forte appellee Cardicce,il fit ſoudain
trouſſer bagage,& s'y en alla en grand'diligence.Et cômele iour d'apres
il ſe fuſt † de l'aſſaillir parle chaſteau, & euſt deſia misſes Géniſſeres
en beſongne pour s'apperle pied de la muraille,ilenuoya cepédant don
ne Vneautre aſſaut parlesAzapes du coſté du palais Royal, afin que de
là ils ſe peuſſent ietter à corps perduſurles ennemis qui eſtoient en bas,
, • Z ij
# ; -
#
#
268 Liure neufieſme
Ils firent fort bien & promptement ce quileur auoit eſté ordonné, car
ils rembarrerent d'arriuee leurs aduerſaires, & les contraignirent de
Lavillede tourner le doz, ſi bien qu'ils entrerent peſle-meſle auecques eux dans
† la ville, & le reſte de l'armee apres,là où il y eut vn merueilleux & hor
†" rible carnage d'hommes & femmes, de cheuaux & autres ſortes de be
ſtes, ſans pardonnerà choſe quelconque § ſe preſentaſt en cette pre
miere furie. Les autres qui tenoient le chaſteau ne firent plus de difficul
té de ſe rendre : Entre leſquels eſtoit Boccales, qui en la compagnie de
ſes parens & amis s'eſtoit enfermé dans cette place en intention de la
- deffendre: Mais Mechmet enuoya ſoudain crier à ſon de trôpe par tout
. . le camp, qu'homme ne fuſt ſi oſé ne hardi de receler des priſonniers,
ains euſſent àles repreſenter ſur le champ, & les luy amener; en defaut
de ce faire, que le priſonnier tuaſt ſon maiſtre, puis fuſtluy-meſme mis à
mort.Ce commandementayanteſté publié, il n'y eut rien lors plus rare
que de voir vn ſeul de ces pauures captifs parmy les tentes & pauil
lons, & ſi eſtoient bien treize cens quiauoient eſté pris en vie,leſquels
Mechmet fit reduire en vn lieu, & les maſſacrer là tres-cruellement tous
Mechmet e iuſques au dernier De ſorte que l'inhumanité dont ilvſa en ceſt endroit

cruel enucrs fut telle, que de tous les habitans de Leontarium il n'en rechappa vne

†" ſeuleameviuante:car ſelon ce que i'ay depuis ouydire à leursvoiſins, il


" ſe trouuabien iuſques à ſix mille corps morts,auec grand nôbre de che
uaux & de beſtail qui paſſerentinutilement par la meſmerage & fureur.
† Auſſiles autres villes du Peloponeſe eſpouuentees de cette execution
poneſ cruelle, ſe ſouſmirentincontinent à ſon obeiſſance, & enuoyerent leurs
deputez deuers luy : meſmement celle de Saluarium en Arcadie, place
tres-forte & bien remparee, oüilyavn beau havrevis à vis de Pylos, ſe
rendit àluy. Ce nonobſtant tout auſſitoſt qu'ill'eut en ſa puiſſance, il ne
faillit de faire enferrer tousles habitans, hommes & femmes, qui fai
ſoient bien le nombre de dix mille; monſtrant de les vouloir faire mou
rir, mais finablement il les enuoya à Conſtantinople pour peupler les
fauxbourgs. -

VIII. Av regard du Prince Demetrie qui ſe trouua parmy les autres, il le


garda quelque temps lié & garrotté à la ſuitte de ſon camp;le promenant
/ en cette ſorte de coſté & d'autre,iuſques à ce que eſtâtvenu pourla deux
, ieſme foisà deuiſer auecques luy desaffaires § la Grece,ille deliura ; & à
d†" ſa perſuaſion depeſcha Ioſué fils d'Iſaac pour aller receuoirlaville d'Epi
P" daure,& enleuérde là ſa femme & ſa fille, laquelle Mechmet monſtroit
de vouloir prendre à femme. Demetrie y enuoya quant & luy l'vn de
ſes Capitaines pour perſuader aux habitans de ſe rendre, & permettre
ue les deux Princeſſes fuſſent emmenees.Ioſué s'eſtant acheminéà Epi
§ quelques trouppes de Grecs qui luy furent donnez pour ſa
ſeureté & eſcorte, le Preuoſt de la ville, à la ſollicitation & inſtance du
peuple fit reſponce, qu'il ne pouuoit obeirau cómandement du Prince,
ne rendre la ville ſuiuant ce qu'il leur mandoit : trop bien permit-ilaux
deux Princeſſes de ſortir, & s'en allerauecques Ioſué, lequelles cmme
- ------- ----- * -

-- — ,
- - *

*.
,

Del'Hiſtoire des Turcs. 269


na'au camp. Mechmetayant entendu par ſon rapport,qomme les choſes la femme &
au reſte eſtoient paſſees à Epidaure, fit deſtourner les dames hors du Pe- #
loponeſe,& les conduire en la Bœoce parl'vn de ſes Monuques,auquelil †"
donna en mainl'infante pour s'en prendre garde ; & ne tardagueres de
puis d'enuoyer Demetrie apres ſa † eſtât Venu à bout de Car
dicee,il paſſa outre pour aller donnerſurles places des Venitiens;& vou
lut aller luy-meſme recognoiſtre Coron.Cependant le Zogan gouuer
neur du Peloponeſe, qui auoit eu la charge d'aller conquerirle pays
d'Achaye, § la contree d'Elide,tant ce qui eſtau longdela coſte Exploits da
delamer, que ce qui eſt plus en dedans pays, ayant raſſemblé les garni-†
ſonsdelaTheſſalie,auecles gens de cheual que luyauoit donnez Mech-º
met, prit la ville de Calaurit qui luy fut renduë par Doxas, l'vn des
principauxd'entre tous les Albanois ; † ſe donna incontinent au
Zogan auec toute ſa ſequelle, ſansauoirfaictvne ſeule reſiſtence : tou
tesfois ils furent puis apres mis à mort par le commandement de Mech
met. Delà ils'acheminavers Grebenum place tres-forte & bien munie,
deuant laquelleil mit le ſiege : mais la difficulté de l'aſſiette l'engarda de
la prendre , & fut contrainct dela quitter, pour s'en aller tenter les au
tres places des Albanois,& meſme ſaincte Maure, où les plus riches & sainae Mau
opulens delacontreeauoientretiréleurauoir, comme envnlicudetou-† la prend pour
teſeureté.Ce nonobſtant ceux de dedans eſtansvenus à parleméter aucc l'ancienne
leZogan, firent
entré dedans il neaccord,&
leur tint luy
pas rendirent la fortereſſe.Apres
bien promeſſe: caril enuoya ſescegens
qu'ilpour †
fut ſte del'Epire,

les ratteindre, qui entuerent pluſieurs, & firent eſclaues tout le reſte.
Deſiale bruict s'en eſtoit eſpandu parles autres villes de leur ligue, ce
quileur oſtatoute eſperáce de pouuoirtrouuer plus de merci en Mech
met, tellement que chacun endroict ſoy s'apreſta pour ſe deffendre, ſans \

que de là enauant le plus meſchant petit poulailler voulut ouyr parlerdé -

venirà côpoſition,& de faict le Zogan auoit cómis beaucoup de cruau


tez à ſaincte Maure,ce quifut cauſe que bien toſtapresil fut demis de ſa
charge.Sur ces entrefaictes Mechmeteſtant parti de Coron,vint à Pylos
où il ſe câpa,&y eſtoitle PrinceThomas euecvn nauire preſt à fairevoile,
attendant quelle fin & iſſuë prendroientles affaires du Peloponeſe: mais
les vaiſſeaux des Venitiensy eſtansabordez; on luy fit commandement
dedeſloger,à ce qu'il ne fiſtpoint ſon compte de reſiſterau Turc en l'vn
§ il deſmara tout auſſi toſt qu'il ſceut que l'armee
de leurs
Turqueſque s'eſtoit logee là aupres; & les § des Venitiens " "
vindrent trouuer Mechmet pour renouueller leurs alliances, luy faiſans
au reſte toutes les honeſtetez & bonnes receptiôs dontils ſe peurent ad
uſer.Mais pour cela ſa cauallerie ne laiſſa pas de courir & fourragerla c6
tree,où ils prirentvn bon nombre d'Albanois quiy eſtoient habituez,&
mirent à mort les plus proches de là autour:puis† outre iuſques
vers Modon,pourvoir qui eſtoiét ceux qu'on diſoit eſtre ſortisdelaville
pours'aller rendre à Mechmet,lequel ayant reſſemblé derechef ſon ar
mee,deſlogea de Pylos:& fut lors qu'il comandaau Prince Demetrie de
Ziij
27o Liure neufieſme .
ſenaller en la Bœoce,pour rengerà ſon obeiſſanceleplat pays,ainſi que
nousauons deſia dict cy-deſſus.Quant à luy ſe trouuant ſur les frontie
ce quºte º d'Achayeilentra dedans,& ſe ſaiſit des villes & places fortes, † les
d§ Seigneurs du paysluy rendirent, ayantauecſoy Aſan frere de la femme
" de Demetrie.Aſoharriuee il entendit la deſolation pitoyable aduenue
à ſaincte Maure,dontilentra en grandcourrouxcontre le Zogan,& non
ſans cauſe:car pourraiſon de cette cruauté,lesautres places ne voulurent
plus preſterl'oreille à ſe rendre;au moyé dequoyil fit crier à ſon de trom
pc parmy ſon camp,qu'on euſt à faire perquiſition des eſclaues de ſain
Mechmetfait cte Maure,& remit en liberté tous ceux qui ſe peurent recouurer ; mais
§ auant que cette recherche ſe fiſt,l'on en auoit tranſporté grand nombre
#rº † e en AEtolie:& le Zogan meſme enauoit diſtraictauſſi & en
* uoyé § en ſa maiſon;cela fait,il prit laville de Grebenum, y ayant
depeſché Ioſué Sanjaque des Scopiens, & fit eſclaues la tierce partie du
peuple quis'y trouua; parmy leſquels il choiſit & retint pour luy tout ce
qui eſtoit de beau.Deſia auparauantle gouuerneur de Patras nômé Iſo
cales, auoit pris quelques petites places de là autour.Car tout incontinét
† que les Grecs entédirent que Mechmet eſtoit apres à courir le plat pays,
§ & mettoit à mort grand nombre de peuple, chacun des villes & citez ſe
· * haſterentàl'enuylesvns des autres de s'allerrédreàſa mercy, auant qu'il
yallaſt en perſonne pour les prendre & ruiner;mettant les vnsenſeruitu
de & captiuité doloreuſe,& les autres au fil de l'eſpee. Voyla en quelle
maniere lesvilles Grecques vindrent finablemét en la main desTurcs; &
comme la liberte qui partant de ſiecles auoit eſtéſi obſtinément mainte
nuë, que lavie propre ne leur eſtoit pas en ſi eſtroitte recommandation,
s'en § peuà peu declinant,iuſques à ce qu'ellevint trebuſcher au plus
bas eſtage de toutes les indignitez & miſeres qui ſe peuuent imaginer
ſoubs le tres-dur & peſant ioug d'vne nation non ſeulement eſtran
gere, differente en langage, meurs, & façons de faire, & de Religion
du tout contraire ; mais auec ce lourde, ignorante, cruelle & vicieuſe
ſurtoutes autres. Car tout ce qui ſe pouuoit rencontrer d'agreable &
gentil, cſtoit trié & mis à part,pour eſtre nyplus ny moins que des trou
peaux de pauures beſtes, non pas ſacrifié à des idoles & ſimulacres qui
ne haſlentnynegelent,mais à des ordes,ſales,infectes, & deteſtablesvo
luptez & concupiſcences de ces vilains Barbares, qui ſe reſeruoient pour
cſclaues,& pis encore,la prime fleur & eſlite de ce pauure mal-heureux
† peuple ;ils les appellentº Apritiens à leur mode. † auxmoindres &
§ plus petitesvillettes,apres lesauoir miſerablement ſaccagees, ils ne par
#" donnoient pas tant ſeulementaux murailles, que tout n'allaſtpar terre
iuſquesauxfondemens.Et ne ſçay ſil'aduenture & condition des autres
eſtoit gueres meilleure,dont la fortereſſe,la beauté & magnificence des
baſtimens eftoient reſeruees pour la retraicte & vſage de ces brigandsin
fames.Cartoutainſi qu'vne bande de loupsaffamezſeiette ſurvn troup
peau de brebisabandonnees de leurs paſteurs & gardiés, ſans ſe pouuoir
ſaoulerde ſangny de carnage, que tout ne paſſe par l'executi6 cruelle de
, •
v,
De l'Hiſtoire des Turcs. 27t '
:
leur rage & furie inſatiable; de meſmele pauure & deſolé Peloponeſe,le ,
plus ſuperbe & renommétheatre quifut oncques en la Grece, ny para-º du†
- - 2 - Pelopone
uenture en tout le reſte du monde, n'eut pas meilleur & plus doux trai-†º
4 - ment ſire
-

ctement à celle fois , y ayant preſque tout le peuple eſté exterminé, ou §


pour le moins eſcarté, tranſporté & reduict en ſeruitude; & la plus gran
de partie des baſtimens raſez à fleur de terre.
AINsY Mechmet pourſuiuant ſesvictoires & conqueſtes, s'en vint 1x
logerés enuirons de Patras en Achaye, & prit la ville de Caſtrimenum:
Puisenuoya vn trompette ſommer ceux de Salmenique de ſe rédre, mais
ils luy firent reſponce qu'il n'yauoient point bien penſé, pource qu'ils ne
s'attendoient pas d'en auoir meilleur marche que les autres; au moyen
dequoy Mechmet déslel'endemain s'yen allaauectoute ſon armee. Or Laſſiette de
eſtcette place ſituee auſommet d'vnehautemontaigne,& pourtant for-"
te, & mal ayſee à approcher plus par nature & diſpoſition d'aſſiette,que
d'artifice & ouurage de main : & ſi ya d'auantagevn chaſteau qui com
mande à la ville, lequel eſt planté ſur vn precipice de rocher couppé à
lomb; où grand nombre de meſnages auec leurs femmes & enfans s'e- -

§ retirez; ſeconfians d'eſtrelà hors du danger de tomber és mains


des ennemys, commeauoientfaictles autres Grecs & Albanois,leursal
| liez & voiſins. Mais Mechmetapresl'auoir recogneue, fitapprocherſon
artillerie, & battre la muraille d'vne grande impetuoſité & furie ; où les
coups dçcanon n'ayans peu faire aucun exploict, il fit remuer ſes pieces
ailleurs poureſſayerdetous coſtezſion en pourroitfaire quelque ouuer
ture.Et toutesfois ilnel'euſt pas priſe pourtout cela, car il ne fit rien di
gned'vn tel equippage & appareil, hors-mis que les cannoniers tirans
parfois à coup perdu en bleſſoient quelques vns de dedans:mais finable
ment apres que le ſiege eut duré en ce poinct ſix ou ſept iours, les Gen
niſſaires trouuerent le moyen degaigner la riuiere, & oſter du toutl'eau
auxaſſiegez,leſquels parce moyen vindrent à eſtre ſi oppreſſez de la ſoif,
qu'ils furent contraincts de ſe rendre. Mechmet les fit tous eſclaues, &
departit les plus apparens aux principauxdel'armee, reſerué enuirô neuf
censieunes garçons des plus robuſtes & mieux formez, qu'il rétint pour
en faire des Genniſſaires le reſtefut venduàl'encan en pleinbageſtan ou »

marché.Auregard du chaſteau, celuy quiy commandoit eſtoitle Paleo- †


logue,l'vn des chefs & Princes des Grecs, lequel ſe trouuant en la meſ-§
me, ou plus grande encore neceſſité que ceux de la ville, ne voulut pas
neantmoins entrer en aucune compoſition , que premierement Mech -
- --

met n'eut accordé de retenir ſon armeevne bonne demie lieue en arriere;
commeil fit, & s'en allaverslaville d'AEgium, laiſſant en ſon lieu Cha
muz qu'ilauoit prouueu du gouuernemât du Peloponeſe,& de la Theſ
ſalieaulieu du Zogan, à cauſe dela rigueur & cruauté dont cettuy-cya
uoitvſé enuers ceux de ſaincte Maure.Maisily fut toutleiour enſuiuant Aſtucs du
ſans pouuoir rien faire, parce que les Grecs qui vouloient ſonder le gué Grºº
de cette capitulation : & voirſi on leurgarderoit la foy promiſe, firent
ſortir quelques vns auecleurs hardes & bagages, pour paſſer en la terre
Z iiij
l
| 272 Liure neufieſme
' ferme qui eſt vis à vis du Peloponeſe, carils
faiſoient leur compte, de ſe
| retirer de làauxVenitiens. Et combien que l'accord euſt eſté faict ſous
cette condition, neantmoins tout auſſi toſt qu'ils furent ſortis pour ſe
^ mettre en chemin,Chamus les fit tous empoigner, & leur mettre les fers
aux pieds;ce qui fut cauſe que les autres quivoyoient cela du chaſteaune
ſe voulurent plus rendre à luy,ains enuoyerent deuers Mechmet pourſe
plaindre de cette deſloyauté & iniuſtice, ayant ſi toſt enfrainct & violé .
ce quiauoit eſté conuenu. Soudain que Mechmet eut entendu le faict,
iloſta cettuy cyhors de charge, & remit de nouueau és mains du Zogan
†º le gouuernemët du Peloponeſe,&delaTheſſalie.Cela faict,il s'achemina
†" parla contree de Phaanum,&enuoya vn trompette auxpetites villes &
bourgades du plat pays,leur ſignifier que pour le regard du paſſé tout
eſtoit oublié,maisauſli qu'ils ne fiſſét faute d'apporter desviures à ſes ſol
dats auſquels ils lesvendroiét degréàgré.Quelquesvnsy obeyrét,&s'en
Grande deſ. vindrent au camp,hantans & † tOUlt priuément aueclesTurcs;
† quand Mechmet tout envn inſtant aſcha ſes Genniſſaires apres,&quel
§. ques gens de cheual encore quiſe trouuerent là à propos,leſquels mirent
tous ces pauures Albanois en pieces, & ainſi attrapperent ceux qui trop
legerement s'eſtoientaſſeurez en ſa parole.LesTurcs puis apres prenans
l'occaſion en main, pillerent leurs maiſons, & emmenerent tout le butin
Phliunte pri- à Corinthe. Ilvſa encore d'vne ſemblable tromperie en la contrce de

# Phliunte, oü ilalla faire tout vn meſmerauage. Car les Albanois qui en


- ces quartiers là ont leurs demeures fortes à merueilles,n'auoiét pas moins
à cœurlesaffaires des Grecs quelesleurs propres; & les autres qui habitét
és bas pays du Peloponeſe,les ſupportoient&accompaignoient †
part qu'ils vouluſſent branſler : au moyen dequoy Mechmet ſe delibera
de les affoiblir, & quant & quant empeſcher que ceux des Albanois qui
' en eſto1ent partis, n'innouaſſent plus rien és terres de ſon obeyſſance :
-
t Mechmetre- arce qu'à toutes heures(ainſi que nousvenons de dire)ils ſerebelloient,
- - V T" • >

' § & attiroient encore les autres à faire le ſemblable. Mechmet s'en retour
†*** na puis-apres d'erechefàAthenes,oü il ne ſe pouuoit ſaouler de contem
pler auecvn grandeſbahyſſement,labeauté&magnificence des antiqui
tez quiy eſtoient encore debout, &la ſuperbe entrepriſe des ports qui
ſont là au long. Cependant les Genniſſaires qui gardoient le chaſteau
luy donnerent à entendre, que quelques vns † Citoyens d'Athenesa
uoient conſpiré de liurer la ville és mains de Franco Seigneur de la Bœoce
lequelauparauant auoit cſté Duc d'Athenes : ce qui mit en fort grand.
danger cette pauure cité, enſemble tout le peuple qui y eſtoit demeuré;
parce que Mechmetadiouſtant foy à la calomnie, fit trouſſer la deſſus
iuſques à dix des plus gros & riches bourgeois , qu'il tranſporta à
Conſtantinople pour y faire leur reſidence. Luypuisapres s'eſtant a
cheminé pour retourner à la maiſon,enuoya dire à Demetrie qu'il ſe miſt
touſiours deuant auec ſa femme, pource qu'il ne vouloit faire que peti
tesiournees. Ce fut alors qu'illuy donna la ville d'AEnus, & le reuenu
des ſalines qui en dependent, outre quelques douze mille eſcus qu'il
De l'Hiſtoire des Turcs. 273
receuoit du caſna ou coffre del'eſpargne. Mais quant à Franco Acciaoli,
delaieuneſſe duquelon dit qu'ilauoit autresfois abuſé, & de fait illuya
uoit mis la citadelled'Athenes entre les mains,ill'enuoya auZogan gou
uerneur du Peloponeſe,qui le fit mourir:Carl'ayant faict appeller en ſon
pauillon, Hl'entretint de propos iuſques bien auant en la nuict, & ainſi
qu'ils'en cuidoit retournerauſien,l'autre lemità mort toutesfois ce fut
apresy eſtre arriué, parce qu'ilrequit d'auoir cette † d'eſtre executé
là dedans. Voila la fin que fit Franco Acciaoli. Mechmet doncques con
tinuant ſon chemin,s'en vint à ſon aiſe à la ville de Pherres,oüil s'arreſta
vniour, pour raiſon d'vn bruit quicourut que les Hongres eſtoient en
cipaigne preſts à paſſerle Danube:mais ſoudain on ſceut que cela eſtoit
faux , parquoyil tira outre, & arriua bien toſt apres à Andrinople, me
nant quand & luy Demetrie & ſa femme : & tout auſſitoſt qu'il fut entré
au ſerrail, il retira l'Eunuque qu'il auoit mis à la garde de la Princeſſe .
· leur fille.
O R le Zogan quiauoit eſtélaiſſé au Peloponeſeauec toutes les forces *
delaTheſſalie, hors-mis les gens de cheual,s'en alloit de coſté & d'autre † Z

arle pays, donnant ordreauxaffaires qui ſe preſentoient , là où luy & §


† Capitaines firentvn fort grand proffit des eſclaues, qu'à la deſrobee .
ilsauoient deſtournezenTheſſalie:d'auantage les Peloponeſiens luy fi
rent de grands preſens. Delà il s'en allaaſſieger Salmenique, mettant en
auant aux habitans des conditions fortaduantageuſes † luyvouloient
quitterla place, leſquelles pourl'heure ils reietterent, & n'y voulurent
entendre. Maisiladuint bien toſt apres, que le chef & conducteur des
Grecs, qui par l'eſpace d'vn an entier y auoit fort vaillamment, & dvn
courage inuincible ſouſtenu la guerre,& les continuels aſſaux desTurcs, ,

en ſortit ſes bagues ſauues : Tellement que Machmut Baſſa, le premier


homme de la cour duTurc, vint à donner ſoniugement de ce vertueux
& magnanime Prince en cette ſorte.Ievins(diſoit il)au Peloponeſe,qui
eſt vnfort beau & plantureux pays, où ie trouuayaſſez de ſerfs & autre
valletaille,mais pasvn ſeul d'entr'euxtous qu'auecraiſon on peuſt appel
lerhomme; fors cettuy-cy. Mechmet ſe trouuoitlors de ſeiourà Andri
nople, quandThomas qui eſtoit§ du Peloponeſe s'en vint à Cor
fou, dontil mit les femmes & enfans dehors,& delà fitvoile en Italie de
uers le Pape : mais il enuoya par meſme moyen vn AmbaſſadeurauTurc,
pour ſentir ſi pour la ville d'Epidamne qu'il luy liureroit entre les mains,
illuyvoudroit
mer, point rendre tout le paysfitqui
au dedansdel'Europe.LeTurcle eſt le long& de
empoigner la coſte
mettre auxde la Il ya au texte
fers, 6ooo.ſtateres

toutesfois bien toſtapresillerenuoya ſans luyfaire autre mal.Et cepen-†


* - • • uels à raiſon
-

dant Thomas eſtamtarriué à Rome, eut ſa table ordinaireau palais,auec demesd#


- - - - pour ſta- .
quelques trois milleliures de penſion pour ſes autres menues neceſſitez §à
& entretenement.L'annnée enſuiuant désl'entree du printemps, Mech- #.
met ſe mit en campaigne pour aller contre le Prince de Caſtamone & de † #.
Sinope,le chargeant d'auoir faict alliance auec Vſun Caſſan, &
- - 2 - •"

fai- ou letent
grosleſ
·ſoit quelques preparatifs pours'allerioindre auecluy, & entrer de com-§e
liu. tournois.
| 274- Liure neufieſme
a †" paignie à main armee dans ſes pays. Il y a encore quelques autres particu
†laritez qu'on racompte raſſauoir que ledict frere du Prince nommé A
ques vns VcU1 -
marles lequel eſtoit à la ſuitte de Mechmet, le ſollicitoit inceſſamment
lent lire,ce
ſeroient dou- -

† de luy faire la guerre. Au moyen dequoyayant emplyde ſoldats iuſques


O U1 3 O In111Cº 11- - - - - -

§ au nombre de cent cinquante que †


que vaiſſeaux ronds, les en
# uoya deuant : Et luy apres eſtre paſſé en Aſie,prit ſon chemin par le de
†º" dans du pays, cependant quelaflotte rengeoitlacoſte del'Aſie,tant que
finablement elle vint ſurgir deuant Sinope, oüilarriua quaſi au meſme
temps auecſon armee de terre,l'ayant amenee parla ville de Caſtamone.
Sinope eſt ſituee ſurlebord du pont Euxin, dans le deſtroict & encoul
leure d'vne lan gue de terre, qui s'eſtendvne bonne lieue & demie auant
en la mer; fortabondanteau reſte en iardinages,oüily a de toutes ſortes
d'arbres & de plantes tant domeſtiques que ſauuages , & l'appelle l'on
Pordapas. Il y a auſſi tout plein de parcs de lievres & de daims pour le
deſduict de la chaſſe,auec pluſieurs autres eſpeces de tels animaux,dont
ces quartiers là en ont abondâce.Au regard de la ville elle eſt merueilleu
ſement forte,eſtant de coſté & d'autre enuironnee de la mer,& ſine laiſſe
pas pour cela d'eſtre vne plaiſante & agreable demeure,car deuers la terre
ferme elle a ſon aſpect ſurvn § vers l'entree du de
ſtroit eſtvne plaine campaignetoute raſe; tellement que par là il eſt aiſé
del'approcher. Le Baſſa Machmut s'y eſtantacheminé auant que le Sei
neur fuſt arriué en ſon camp,vintà parlementerauec Iſmael,auquel à ce
† quel'on dit ilvſa d'vntellágage.Fils de Scender,toy qui és iſſu de la tres
§le noble & valeureuſe nation desTurcs,ſçais-tupas bien que noſtre Prince
xandre Prince V

des§ & † ſouuerain en eſtvenuauſſi,& que ſans ceſſeil eſtapres à guer


- - - -

royerles ennemis de noſtre ſainct Prophete; Pourquoy eſt-ce doncques


que tu fais difficulté de receuoir, & embraſſer la paix,auecvn repos §
petuel quandils ſe preſentent; & faiſant telle part que tu dois à ton frere
de l'heritage que tu poſſedes, ne te contentes de commander au reſte?
Cartul'asiniuſtement deſpoüillé de la moitiéquiluy en appartenoit, &
veuxgourmandementauoir le tout pour toy,ſans t'abſtenir encore d'ai
grir & irriter d'ailleurs le Seigneur contre toy, par tes inſolens & iniu
rieux comportemens. Voicy doncques ce qu'ilme ſemble que tu doibs
maintenant faire, pour mettre ta perſonne & tes affaires en vn meilleur
& plusſeur eſtat. C'eſt que tu t'envoiſes des ce pas remettre le tout en ſes
Royalles mains, te pouuantaſſeurer que tu ne le trouuerasny ingrat ny
rigoureux : & pourtant ne differe plus de rédre ſa maieſté obligee par cet
te honneſteté&deuoir.carie ſçayaſſeurément qu'il te donnera en recom
pence quelque autre eſtat quine ſera point de moindrevaleur & reuenu
, que le tien là où tu pourrasviure à tonaiſe en toute ſeureté & repos, ſans
qu'aucune faſcherie ny ennuyte puiſſe plus aduenir. Et ſi n'auras plus rié
à demeſler auec nous, ne tes autres ennemis,t'aſſeurant parce moyen de
ton frere, ſi bien que perſonne ne pourra plus rien † IlC II12
, chineràl'encontre de toy. Il ne reſte ſinon de me dire franchement de
quelle autre côtree tu pourrois auoir enuie en l'Europe , carie te promets
- - | |5 r° . A • s »mr- - 1 , -

De l'Hiſtoire des Turcs. 275


del'impetrer du Seigneur,&l'obtenir pourtoy.Ainſi† le BaſſaMach
mut fils de Michel : Mais Iſmael luy repliquant, réſpondit. A la verité #º
Machmut,c'eſtoit ce qu'il falloit quele Seigneur fiſt , d'aller aſſaillir & "
combattre les aduerſaires de noſtre foy,& nô pas de nous venirainſimo
leſter, qui ſommes de meſme nation, & de meſme creance. Car ce n'eſt
point choſeiuſte ne raiſonnable, de mouuoir guerre àvn Prince quia ces |
deux qualitez,&a deſia eſtéreccu en ſon alliance&amitié;nytaſcher d'ex- . Af

terminer celuy qui nel'a point offenſé le premier, ne faict aucun tort ou
iniure, dont il peut auoir la moindre occaſion de ſe plaindre. Et Dieule
ſçait,ſiiamais nous auons ſeulement eu volonté de ce faire, ny cherché
décontreuenir en nos alliances en façon que ce ſoit. Que ſid'auentureil
cſtdeſpité contre moy, de ce †
penſe que i'ay adheré au Caſan, qu'il
: s'en voiſe à labonne heure deſcharger ſacolere ſur luy, & ietter de ce co
ſtélà tout le faix & peſanteur de cette guerre. Mais à tout euenement s'il
aſigrand deſir de retirer d'entre nos mains ce peu d'heritage qu'il auoit
pleu à Dieu nous eſlargir, nous luy en ferons tres-volontiers paſſer ſon
cnuie,en nous donnant pour recompencelaville de Phillipopoli,franche
& quitte de tous ſubſides, charges & impoſitions quelconques : S'il eſt •
-

content de ce faire, nous l'irons trouuer ſous ſon ſauf conduit & aſſeu- -

rance. Or voyez vous point combien eſt forte & mal-ayſee l'aſſiette de
cette place?comment elle eſt remparee, & munie de tout ce qui luy faut?
Car le long de la cortine, & deſſus les plattes-formes & boulleuards, il
n'ya pas moins de quatre cens pieces d'artillerie ſur roue : Voila puis a
pres deux mille arquebouziers d'eſlite, & autres dix mille hommes de
guerre dont on peutaſſez iuger ſinous pouuons ſeurementattendrevo
|
1tre ſiege , & vous portervn merueilleux dommage, auant que vous en
puiſſiez veniràbout. Machmut fut fort aiſe du langage d'Iſmael, & s'en
alla ſoudain trouuer ſon maiſtre, pour luy faire le party qui ſe§
preſentoit, lequel apresauoir bien examiné de point en point, tout ce
qu'Iſmaelauoit touché,luyaccordala paix aux meſmes conditions qu'il " †"
auoit propoſees, & luy donnalaville de Phillipopoli, où l'autre ſe retira §
aucctoutes ſes richeſſes & threſors,apresauoir conſigné Sinope és mains †
t Ilyaau tex -

de Mechmet : le reſte de ſes appartenances , & dependances ſe rengea †.


bien toſt puis apres; & meſmement la ville de Caſtamone tres-forte & §nt
- - - > ſ
bien remparee, oü Iſmaelauoit mis ſa femme&ſes enfans, s'eſtant quant § aa
àluy deliberé d'attendre le ſiege à Sinope. * Au regarddela ſituation du †
pays,il commence à laville d'Heraclee, qui eſtoit ſous l'obeyſſance de † .
Mechmet, & s'eſtend depuis le Royaume de Pontiuſques en Paphlago-§. Les autres li
nie, & aux terres deTurgut ? eſtant fort riche & abondante en toutes §
choſes. f Auſſivaut elle bien cent mille liures de rente,& n'y a endroit en †" roient.
tOlltc l'Aſie qui produiſe le cuyure que cettuy-cy tant ſeulement,comme 4ooooo.du
> - - - - CatS. • "

nous l'auons deſia ditailleurs,lequel eſtle meilleur, & le plus fin de tous 2oooo.
§te# ſtate- .
autres, apres celuy de l'Iberie. LeTurc en tire maintenant plus de qua- §
rante mille ducatsde profitannuel. Or entre les autres vaiſſeaux dontil †
4oooo.du
y en auoitvn grandnombre en l'arcenac de Sinope, eſtoit vn nauire du †
C pour ce que
-T

276 Liure neufieſme


2 - , * r• . - r --

#. port de neufcens tonneaux, qu'Iſmael auoit fait faire : Mcchmet l'em


§e mena à Conſtantinople, oüil en auoit fait baſtir vn autre, le plus grand
§
i'eſtime qu'il qui fuſt pour lors en toute la mer de Leuant, hors
mis ceux des Venitiés

res d'argent, & le
,- galion
8 d'Alphonſe Roy de Naples & d'Arragon, le premier de tous
- -

†º
ne ſeroient qui entreprit vne ſi lourde & peſante machine; & lamena à fin,
- - - - - -
§
- -

§. bien quatre milletonneaux.LaSeigneurie de Veniſe apresauoir fait paix


l - - - » - -

§t auecle Duc de Millan en fit d'autres, & le Roy deſſuſdict en eut deux qui
† engrandeur & appareil, ſurpaſſerent tous ceux quifurent onques. Mais
#
teres d'or , s'eſtans de mal-heurvenuzinueſtier dans le port meſme,ils ſe briſerent,
† & nepeurent iamais eſtretirez en pleine mer. Al'enuy de tout cela Me
†" chmet en voulut auſſi faire vn iuſques à trois mille tonneaux, lequel ſe
re ueuu de

† perdit bien toſtapres parlatrop exceſſiue grandeur du maſt. Carayant


# eſté dreſſe, & l'eau du tout eſpuiſee par quatre cens perſonnes qui y tra
§oſe uaillerent l'eſpace de pluſieursiours, il ſe renuerſa, & alla à fonds dans le
port auant qu'en ſortir : au moyen dequoy le pilotes'enfuit craignant la
fureur de Mechmet; mais celaaduint depuis.
X I. A INsY Mechmet s'eſtant aſſeuré de tous poincts de la contree que
ſouloit tenir Iſmael fils de Scender, tira outre pour aller trouuer Vſun -
caſſan, combien qu'ileuſt fortvolontiçrs donné auant tout œuure ſur la
Colchide pour auoir ſaraiſon del'Empereur de Trebizondé, lequel s'e
peſpina-ca-ſtoit eſtroictement ligué auecl'autre,& luyauoit donéſa fille en mariage,
†º
loit cette ſousl'aſſeurance qu'ill'affranchiroit du tribut qu'il ſouloit payerà Mech
#: - met,ſilesAmbaſſadeurs d'Vſuncaſſan n'euſsét vſé de trop braues & hau
# taines paroles touchant ce point,& autres qu'ils auoient enleurs memoi
l§ res & inſtructions ; tellement que Mechmet les renuoya auecvne reſ
# p6ce pleine de menaces;quebiëtoſtils cognoiftroient à leurs deſpens,ce
qu'illuyfalloit demander,& auecquel reſpect.Sur ces entrefaictes, ainſi
qu'il paſſoit par Cappadoce,Muſtaphasô fils aiſné qui eſtoitgouuerneur
d'Amaſie,levint trouuer auec force beaux preſens: & á ſon arriuee s'eſtât
proſterné en terre,luy baiſalamain, en tel honneur & reuerence qu'euſt
ſçeu faire le moindre de s6armee.Il auoit mené quât & ſoy Turgut, dôt
Mechmet auoit eſpouſé la fille qu'il aimoit ſin §.
eſtoit la ſecó
de de toutes ſes fémes à quiil moſtroit le plus de priuauté,apres celles de
ſa châbre: Auſſi fauoriſoit il fort le frere d'elle lequelil menoit touſiours
quelque part qu'il allaſt. Apres doncques que ſon fils le fut venu ioin
M. . dre parles cheminsauecles preſens,& qu'il eut paſſé la ville de Sebaſte, il
† entra dansle pays d'Vſuncaſſan, où il prit d'arriuee la ville de Coricum.
caſſan. Mais ainſi qu'il paſſoit touſioursauant ſans s'arreſter nulle part, la mere
d'iccluy Vſuncaſſan luy vint au deuant auec tout plein de fort belles
& exquiſes beſongnes, faiſant elle-meſme le deuoir & offige d'Ambaſ
ſadeur au nom de ſon fils, en telles paroles. Roy des Othomanides,fils
†" dutres redouté Amurat,ie viens (à la verité)de la part de mon fils, le
† quel eſt autant bien affectionne enuerstoy que nul autre Prince ſçau
roit eſtre, ſans porter aucune enuie à cette tienne grande felicité qui
r'accompaigne CIl COlltCS ICS entrepriſes , & ſi ne refuſe point de te
- complaire,
De l'Hiſtoire des Turcs. 277
complaire, & gratiffier en tout ce que tu voudras raiſonnablemétdeluy.
mais les choſes que tu orrass'il te plaiſt, ô tres-excellent & diuin perſon
nage,viennent de moy. A quelle occaſion(ie te prie)eſt-ce que tu nous
viens ainſi aſſaillir & perſecuter, quiſommesvne meſme race,&vn meſ- .
me peuple auec toyº Ne ſçais-tu pas bien à quel party fut finablement ,
reduit Paiazet le Foudroyant ton biſayeul, fils de ceſtautre inuincible
Amurat, pourauoirvoulu ſuiurevne ſemblable routte , & faire tant de
maux à ceux dc ſon ſang,& de ſa foy, Carla diuine vengeance eſtant en- licite
#Pº à ceux

•treuenuë là deſſus, leliuraés mains de ſon ennemy, où il fina miſerable-† religion de ſe


ment ſes iours.A toy certes iuſques àl'heure preſente, pource que tu t'es faire la guer
C•

benignement comportéenuers eux,ſans leur faire outrage, Dieu t'aauſſi "


octroyévne tres-grande proſperité, & affluence de rousbiens , le tout à .
l'interceſſion de noſtre tres-ſainct prophete; t'ayant mis entre les mains "
vn ſibeau,ſi riche & puiſſant Empire,tant de Citez & de Royaumes, qui
tous fleſchiſſent ſous ton cómandement,& te redoubtent.Orie m'aſſeu
re que tu n'ignores point,que ſivne fois tu comméces à mal-traitter ceux
de noſtre religion, & leur courir ſusilte meſaduiendra, & ne te ſera plus
aucunement poſſible de vaincre tes legitimes ennemis. Iaçoit qu'au
cuns mal-heureux effrontez, qui ont l'ame & conſcience oblique, veu
lent maintenir qu'iln'ya pointicybas deiuſtice pour punir la deſloyau
té des mortels, ains que tout le cours de la vie humaine, eſt conduict
& menéàl'aduenture, & par cas fortuit. Ce qui ſeroit trop deteſtable La prouiden
à imaginer ſeulement : cartout ce qu'vn Prince legitime, ouvn tyran ſe # iuſtice
propoſe,n'eſt pas licite & raiſonnable pourtant,ſi cela n'eſtaccompagné †
de raiſon & equité.Auſſi voyons nous que les deſtinees impartiſſent à #.
toute creature venant en ce monde l'vne & l'autre fortune, auſſi bien la ne,
mauuaiſe comme la bonne.Ceux qui ont l'heur trop à ſouhait en cette
vie, finablement enuoyez là bas, liez & garrottez és priſons perdura
bles, poury ſouffrir de griefues peines & tourmens:Et d'autre part la di
uine diſpoſition eſt couſtumiere de tenir ſoygneuſement la main , à |
faire obſeruer & accomplir ce qu'on a promis par ſerment; & de chaſtier ·
touſiours celuy quiyvoudroit contreuenir.Quant à toy,tu as devrayat- | -,

teint vne telle felicité;que Prince aucun de tous ceux qui ſont viuans ſur -

la terre ne s'y pourroit pas meſurer: La raiſon eneſt toute prôpte,pource


que tu as craint & reueréle Prophete, & n'as iamais voulu enfraindre
qu'vne fois t'a ſemblé ſolemnel. Auſſi ton Empire ſe maintiendra ſi tu
pourſuis de faire ainſi,caril faut nommémét que chacun endroit ſoyde
meure ferme iuſqu'àla mort ſansvarier, en ce qu'vne foisilaura voüé &
promis, ſoit à Dieu,ſoit au Prophete. Au moyen dequoy tu ne te com
portes pas bien enuers nous,eſtans tels que nous ſommes; & ſuis certai
ne que la Parque, qui a auſſi bien contracté auec toy comme auec le
moindre de tes eſclaues,ne nous lairra pas longuement aller vagabonds
çà & là, deſpoüillez de noſtre iuſte & legitime heritage.Ainſi parla cet- † *
te Dame : A quoy Mechmet fit vne telle reſponce. Ce que vous dictes,
mere,certesileſtveritable, & n'en ſuis point en doubte : mais vous ne
Aa
- |

278 Liure neufieſme -

deuez pas ignorerauſſi, que toutes paches & conuenances fauoriſent


, touſiours en quelque choſe de plus aux Princes ſouuerains, que non pas
#† aux perſonnespriuees L'experience nous fait voir cela tous les iours,que
†. † Vn Vient à † vn ſien voiſin,ilen faudra premierement
§ informer, & prendre le teſmoignage de ceux qui peuuent parler du cas,
† & puis apres on en faictlaraiſon & iuſtice ſelô † appartient: ce quîne
#" ' ſe peut faire pour le regard des Princes & grands ſeigneurs.Neantmoins
nous l'auons obſerué àl'endroit devoſtre fils; carauant que de luy cou
rir ſus,ila eſte par pluſieurs foisadmoneſté de nous, qu'il ſe deſiſtaſt de*
plus rien entreprendre ſur nos pays & ſuiects, leſquels nous n'entédions
point de luy laiſſer plus longuement en proye & abandon ; dequoyil
n'auroit tenu compte,ains # gayeté de cœur ſevient tous les ioursietter
- àla trauerſe,pour mettre tout en trouble & combuſtion. Oren quelque
ſorte & maniere que cela ſoit allé,voicy ce que finablement nousvoulós
qu'il entéde de noltre part,à quoy s'il ſatisfaict, nous retourneros prom
ptement arriere, ſans paſſer plusauant à la ruine & deſtruction deluy, &
de ſon pays : C'eſt que d'oreſnauantil s'abſtienne de courirſus à ceux qui
ſont ſoubs noſtre obeiſſance & protection, comme il eſt couſtumier de
ce faire,& ne s'empeſche plus en façon que ce ſoit des affaires del'Empe
reur dcTrebizonde,pourluy donner ſecours,faueur ne fupport.Mech
met ayant mis fin à ſon propros, la mere d'Vſun Caſſan luy accorda au
nom de ſon fils tout ce qu'il demandoit & fut parce moyen la paix arre
,† ſtee entre ces deux Princes à celle fois.Parquoy Mechmet remmena ſon
§
Perie.
§ quelapresle
armee à la volte de Trebizonde,pour
decés donnerſus
de ſon frere,le Prince à l'Empereur Dauid:
Iean quiauoitlaiſſévn le
petit gar
#priſe çon de l'aage de quatre ans, ayant aſſemblé les Cabazitaniens qui com
de Trebizon- - > - / 2 -

de. mandent au Mezochalde pres de Trebizonde,s'eſtoit emparé del'Empi


re,&eniouyſſoit alors Tout au meſmeinſtant,l'armee de merquin'auoit
bougé du port de Sinope depuis la reddition d'icelle, fit voile vers Tre
r - bizonde, coſtoyant la Cappadoce à main droite, & ſ'en vint ſurgir tout
# aupres,là où d'arriuee fut mislefeu aux fauxbougs, & tintlaville aſſie
§ gee parl'eſpace de trente deuxiours, premier que le ſeigneur y arriuaſt
du coſté de la terre : toutesfois encore enuoya il deuant le Baſſa Mach
mut, quiſe logea en cet endroict qu'on appelle le Scylolymne, là oü il
s'abouchaauec le grand Chambellan George, couſingermain de l'Em
pereur Dauid : Et luy tint celangage, pour le faire entendre àl'autre de
# mot à mot.Empereur de † ce que le grand dominateur &
#º Monarque de tous les peuples de la Grecete fait dire. Vois-tu pas quels
- chemins nous auôs paſſez,& quelles lógues eſtédues de terres noſtrear
mee arpenté tout-expreſſement pour te venir faire la guerre ? Si donc
· ques tute ſoubs-mets à noſtre diſcretion toy & ta ville, ne fais aucune
doute de la recompenſe de quelque autre region, ainſi † eule Prince
Demetrie parcy deuant ſeigneur du Peloponeſe,auquel nous auonsfait
de tres grands biens, & donné pluſieurs Iſles : enſemble la belle & ri
che cité d'AEnus, où il vit maintenant à ſonaiſe en tout repos & ſeureté,
" Del'Hiſtoire des Turcs. · 279
hors de craincts,iouyſſant d'vne felicité trop heureuſe. Que ſi tu es ſi
mal conſeillé de refuſer à nous obeyr & complaire,& vouloir eſprouuer
feffort & rigueur de noſtreinuingible puiſſance, aſſeure toy de voir au
premier iour ta ville & toutes tes fortunes ſans deſſus deſſoubs: car nous
ne partirons d'icy que nous ne l'ayons priſe, & faict mettre au trenchant
de l'eſpee tous les viuans qui s'y ſeront trouuez. Cecy ayant eſté rap
# porté à l'Empereur,il fit reſponce, que désauparauant que le traicté euſt
0l. eſté en rien enfraint de ſa part,& meſme lors qu'il relaſcha le frere du Sei
t# gneur, il eſtoit deſia tout reſolu deluy obeyr , & ſe retirer vn tel lieu
0$ qu'illuy plairoit ordonner.Ce qu'ilauroit encore reconfirmé au Gene
ral de la mer,afin qu'iln'endommageaſt † la contree,caril eſtoit
reſt de ſe rendre auſſi toſt que Machmet ſeroit arriué. Et pria à cette oc
caſion le Baſſa de faire ſes excuſes & ſa paix enuers luy; ſoubs condition
toutesfois qu'il eſpouſeroit ſa fille, & luy donneroitvn pays de ſembla
ble reuenu & valeur que ccluy qu'il laiſſoit. Mechmut eſtant retourné
au camp s'en alla au deuant de ſon maiſtre,pour luy faire entendre ce qui
eſtoit paſſé, & l'informerau demeurât de ce qu'ilauoit peu reco §
touchant le ſiége: dont Mechmet deuenu plus fier & arrogant, ne vou
loit plus preſterl'oreille à aucune compoſition,ains ſe propoſoit d'auoir
laville de force, & la ſaccager; eſtant deſpité de ce que l'Imperatrix en
fuſt ſortie auantl'arriuee de ſon armee demer, § retirer deuers ſon
gendre Mamias.Mais apres qu'il eut misl'affaire en deliberation au con
ſeil, il fut aduiſé que les deux Princes s'entre-verroient,& ſe donneroient
lafoyl'vn à l'autré,d'accomplirreſpectiuementlesarticles propoſez , en
ſorte que Mechmetayant iuré le premier, les Géniſſeres entrerent dans Trebizonde
Trebjzonde, & l'Empereur s'embarquaauec ſes enfans, & le reſte de ſes réduë à Mcch
plus proches parés pour paſſerà Côſtantinople,où Mechmet les enuoya §
deuant.Quant à la ville, il la laiſſa ſous la charge du Baſſa de la mer, qui
cſtoit gouuerneur de Gallipoli: Mais il mitvne garniſon de Genniſſeres
au chaſteau, & vnc autre d'Azapes en la ville. Et enuoya puis apres
Chetirgouuerneur d'Amaſie, pourſe ſaiſir deslieux §
ble du Meſochale, que les Cabaziteens auoient tenu iuſques alors au
nom de l'Empereur de Conſtantinople,& de ſon fils,mais le toutvint fi
nablement en la main de Mechmet, auquelils ſe rendirent les vns apres
· les autres. Parquoy ayant partout laiſſé de bónes & fortes garniſons, tât
de Genniſſeres que d'Azapes,ilprit ſon chemin parterre,& eut de l'affai
re à trauerſerle pays desTzanides, qui eſtoitfort & mal-aiſé. Ala parfin
toutèsfois il arriua à Conſtantinople, dont il fit enleuerl'Empereur Da
uidà Andrinople, & s'y acheminaincontinent apres. '
XII,
VoI LA comment fut priſe la cité de Trebizonde, & tout le pays de
la Colchide reduit en la puiſſance des Turcs ; qui eſtoit au parauant vn
fort bel Empire, gouuerné parles Grecs, dont il ſuiuoit en toutes cho Perdition fi•
ſes les meurs & façons de faire. Mais les Grecs , & tous les Princes & § • Grecc,
ſeigneurs de la Grece, furent bien toſtapres du tout abattuzicar Mech
met ayant mis le pied en Conſtantinople, vint de là tout ſoudain fai
- - - º Aa ij
28o Liure neufieſme
re la guerreau Peloponeſe, & conſequemment prit l'Empereur de Tre
# bizonde , auectout ſon pays. Il departit le peuple en pluſieurs ſortes,
§
bizonde.
& en retintvn
bougent pointnombre poureſtans
de la porte; faire ſes
desvns
Selictars,
employez& des Spaoglans
au ſeruice qui ne
& menuës
charges de la maiſon,& les autres reſeruez pour l'vſage de ſes ordes &
vilaines concupiſcences.Il en enuoya auſſi quelquesvns à Cóſtâtinople:
. Du reſte il† des Genniſſeres, & des Eſclaues pour ſeruires tentes &
† àlaguerre.Mais parmyle totalilchoiſitiuſques au nombre de
uict cens les plus beaux ieunes garçons, pour le ſupplement de ſes gar
des ordinaires.Au regard de la fille de l'Empereur,illa prit à femme tel
lement quellement,& non du tout enla ſorte & maniere qu'il en auoit
eſtérequis : ne tarda gueres neantmoins qu'ill'appella au'rang de celles
de la chambre, apres qu'il eut faict mourir ſon pere: & retint aupres de
ſoyle fils du feu Èmpereur, frere de cettui-cy , lequel eſtoit demeuré
en fort bas aage lors que ſon pere deceda. Mais le Prince George , le
plusieune des enfans † Dauid,eſtant arriué à Andrinople ſe fit Turc, &
s'acommodaàleur habillement & façons de faire;cela neantmoins ne le
garentit pas que Mechmet nçle fiſt empoigner bien toſtapres, auec ſon
· pere & ſes freres : Pourautant † la femme d'Vſun Caſſanauoit eſcrit
quon luy enuoyaſtl'vn des enfans de l'Empereur, ou bien Alexis Com
neneleur couſin germin, qui eſtoit lors à Methelin : & les lettres tom
· berent de malheurés mains de Mechmet; à cauſe que le grand Cham
bellan George, les ayant premierement donnees au gouuerneur des
Princes, lequel il ſçauoit bien n'eſtre ne traiſtre ne meſchant, & dont
l'Empereur ſe pouuoit fier, ſe r'aduiſa ſoudain, & eut peur que s'il ve
noit à eſtre decelé d'auoir eu cômunication de ceſtaffaire,le Baſſa Mach
mut quiauoit tout credit & authorité aupres duſeigneur, neluy fiſtfai
- re quelque mauuais party,les retira & les luy donna Mechmet les ayant
leües,n'en eut point bonne opinion, & fit prendre là deſſus l'Empereur
†. garde.
#, & ſes enfans, enſemble leur couſin, & les mettre tous en fort eſtroicte
L'infante fut auſſi miſe hors de ſa chambre comme dict a
D§ § eſté,mais apresauoirgardéles autres quelquetempsilles mena à Cóſtan
†* tinople,où ils § mis à mort.Quant aux ieunes garçons
qu'il auoit enleuez de laville de Trebizonde,& deslieux circóuoiſins,les
vns furent enroollezaureng des Genniſſeres,les autres reſeruez pourle
ſeruice de ſa perſonne,& le reſte donnezàinſtruire en la diſcipline & in
ſtitution desTurcs.A ſes enfans, & perſonnages d'auctorité il departit
les fillesvierges,hors-mis quelquesvnes qu'il retint pour mettre en ſon
ſerrail,& d'autres qu'il maria † ſeruiteurs. Orl'Hyuer enſuiuant il ne
bougea de Conſtantinople(oûilauoit deſia eſtably le ſiege de ſon Em
pire)à ſe donner du bon temps : & manda Vladus fils de Dracula Prince
vldu autre de Moldauie, dont il entretenoit le ieune frere : Toutesfois pour le
† commencement que cettuy-cyvint au ſerrail,il y eut de la difficulté auât
#º que le pouuoirfaire renger à luy complaire; & peu s'en fallut que là deſ
ſus il ne tuaſt Mechmet ; lequel ſe trouuant eſpris outre meſure de
Liure neufieſme 28I
famour de ceieune prince , le fit appeller àpart, &commença de luy
faire tout plein de priuautez & careſſes, pour taſcher de le gaigner: Ce
que l'autre du commencement n'interpretoit qu'a bien, iuſques à
ce que l'ayant fait entrer en ſa chambre, quandil vit que c'eſtoit à bon
eſcien,&qu'on vouloit venir aux priſes,dont neâtmoins il ſe defendoit
le mieux qu'il pouuoit,repouſſant les infames attouchemens dont il
cſtoit preſſé,à la parfinilfut contrainct pour ne ſçauoir plus commét ſe
ſauuer, de mettre la main au poignard, dont il donna aſſez auant dás
la cuiſſe à Mechmet,qu'illaiſſalà tout eſperdu,&gaigna au pied ce-pé
dant qu'ô accourutau ſecours;tellemét qu'il eut le loiſir de grinper ſur
vn arbre touffu,où il ſe cacha parmy les branches;& par ce moyen ca m .
eſchappa cette premiere furie: Car la playe s'eſtant trouuee moindre †
· qu'on ne penſoit,la recóciliation fut incontinét faicte entr'eux, pource " -

qu'il ſe laiſſa aller à ce qu'on deſiroit de luy. Si eſt ce que Mechmet


n'eſtoit pas ſi ardétapres les eſträgers comme enuers ceux de ſa nation,
dót peu luy eſchapoiét,au moins de ceux qu'il pouuoit ſçauoir eſtre de
quelque beauté & merite : & en auoit iour & nuict continuellement
de grands troupeaux autour de luy;tât eſtoit outrageuſe&deſmeſuree
la meſchanceté de ce desbordé perſónage.Bien toſtapres en faueur de
ce mignon ſien, il donnala Moldauie à ſon frere Vladus, & luy tint la ſt
main pour l'en rendre paiſible: Lequel tout auſſi toſt qu'il en eut pris a †
poſſeſſion,mit ſus vne trouppe de halebardiers pourla † de ſa per-º
ſonne & s'eſtant faict le plus fort dans le pays, ſe ſaiſit des plus ap
parens, dont il pouuoit ſoupçôner quélques changemens & reuoltes,
pourraiſon de leur credit:mais il ne ſe contenta pas de s'en deffaire par
quelque mort ſimple & legere, carilles fit empaler tous vifs, adiouſtât
à la commodité de ſes affaires vne extreme cruauté de ſupplice. Aude
meurantil ne pardonna à vn tout ſeul de leurs familles, non pas ſeule
*mentaux femmes&petits enfans ſi grande fut l'inhumanité & la rage
de ce tyran, que nous n'enauons iamais ouyparler de ſemblable. Car
pour s'aſſeurer de ceſte pricipauté,on dit qu'en peu deiours il fit mou
rir plus de vingt mille perſonnes,donna à ſes gardes & ſatellites tout
leur auºir, enſemble les charges, offices,&dignitez qu'ils ſouloientte
nir,enſorte qu'il eutbien toſt reduictles affaires du pays àvne eſtrange
&merueilleuſe mutatió:&ſi chargea quant & quant d'impoſitiós tres
exceſſiues indifferément pluſieurs Hongres,leſquels il mecroyoit de
porter quelque affectionaux affaires de ce pauure & deſolé pays, côme
ayant intereſtdele voir reduit àvn ſi piteux eſtat. Finablement, apres
auoir eſtably ſa dominatiô de ſorte,qu'elle luy ſébloit deſormais bien
aſſeuree,il ſe mit à cherchrles moyés de ſe ſoubſtraire de l'obeiſſäce du
Turc.Toutesfois le doute qu'ilauoit du peuple,le tenoit aucunement
ſoubs bride,craignât que s'il remuoit rié de ce coſtélà,quelque bon or
dre & prouiſion qu'il euſt dôné à ſes affaires,les Valaques,auec laide de
ceux de Hongrie qu'ils ne faudroient dappeller àleur ſecours, ne luy
fiſſent quelque fauxbon. - -

Aa iij
-

282 Liure neufieſme


XIII. LE s choies donques paſſoient ainſi pour ce regard : mais Mechmet
M. durant le meſme hyuer ayant eule vent de tout, &comme Vladus c6
' voluptez
ºººººſ &ſes uoiteux de nouuelletéz eſtoit apres à ſe rebeller,s'eſtant à cette fin ac
/ - - • - -

§ coſté des Hongres,&faict nouuelle ligue &alliâce auecques eux,en fut


†º fort indigné.Parquoyil deſpeſchavn ſié ſecretaire,Grec de natió nó
tOUlt, méCatabolin,pour taſcher à faire venir Vladus deuers luy, ſous om
bre de tout plein de belles choſes qu'il luy deuoit dire de ſa part &
meſme que s'il perſeueroit en la fidelité & obeiſſance promiſe, & alloit
baiſer les mains au ſeigneur,qu'il ſe pouuoit aſſeurer d'infinis autres pl°
grands aduancemens & bien-faicts. Cependant il manda à Chamus
ſurnommé le port-eſperuier, auquel ilauoit ſecrettement donné le
gouuernement de la Valaquie, & pourtant cettui-cyrodoit és enuirós
du Danube attédant † occaſió à propos, qu'il trouuaſt moyé en
quelque ſorte que ce fuſt par aſtuce ou autremét, de prendre & luya
mener Vladus, car il ne luy ſçauroit faire ſeruice plus agreable. Leſe
cretaire confera du tout auecChamus en paſſant:&regardans par enſé
ble des moyés qu'il auroient pour executer la volonté de leur maiſtre,
complet de reſolurét pourle plus expedient de dreſſer vne embuſche à Vladus, ſur
† le chemin,lors qu'il viendroit à reconduire le ſecretaire,lequel aduer
# # leur uât
ſlllIlC.
tiroit
ce Chamus
quiauoitquâdil ſeroit preſt à s'é retourner.
eſté aduiſé,&l'ébuſche Le tout
dreſſee en lieu fort fut faict ſuy
conuenable;
quâdVladus,quiauecquelque nôbre de cheuaux s'eſtoit mis aux châps
pour accôpagner le ſecretaire&le Géniſſaire qui le c6duiſoit, ne ſe dö
nagarde qu'il ſe vit enueloppé des Turcs,neâtmoins ſans s'effrayer de
rien,apresauoir encouragé les ſiens ſe ſaiſit bien& beau de ces deux,&
º de ce pas tourna Chamus enfuite quil'eſtoit venu charger àl'impour
ueu,tellemét qu'ille prit luy-meſme,auecquelques autres encore,caril
n'y eut pas grâd meurtre.Tous ceux là puis apres qu'ilauoit peu empoi
gner envie,illeur fit coupper bras & iambes, & finablement empalers
meſmemét Chamus qu'il fit mettre au lieu le pl°eminét,ſelon s6 degſé
&dignité: Ce qu'il fit pour döner exéple à ſes ſubiects,&les intimider
d'entreprendre de telles choſes, s'ils ne vouloient paſſer parle meſme
chaſtiment que les autres. Cela faict,ilaſſembla en diligence la plus
groſſe armee qu'il peut, & s'en alla droict au Danube, qu'il paſſa. Puis
s'eſtât ietté d'vne grande furie & impetuoſité dans le pays de Mechmet
uieſtle long de cette riuiere,le courut,pilla&ſaccagea d'vn bout àau
tre;&bruſla tous les villages&hameaux, mettant à mort iuſque aux fé
mes & petits enfäs qui eſtoient encore dans le berceau. Apres donques
auoirfaictinfinies cruautez execrables,& laiſſé partout des marques&
† d'vne treſpiteuſe deſolation, ils'en retourna en Moldauie.
Ces choſes raportees à Mechmet; comme ſes ambaſſadeurs auoient
eſté inhumainement mis à mort par Vladº,& Cham°l'vn des premiers
hommes de la porte executé d'vn ſi horrible ſupplice, luy apporterent
vngrád ennuy&creuecœur, ainſi que l'on peut croire : mais celuy euſt
- * bien encore eſté vn plus grieftourment d'eſprit,s'il euſt eſté cótrainct
-

Del'Hiſtoire
b 4 º

des Turcs. . 283


d'outre paſſervn tel outrage ſans en prendrevengeance, attendu l'or
gueil& inſolence d'vn ſi petit compagnon,quin'auoit point craint de
mettre la main à ſes ambaſſadeurs. Cela auſſilaigriſſoit d'auantage,que
l'autre euſt ſans aucune occaſiô paſſé ſur luy le Danube à main armee,
bruſlé&ſaccagé ſes pays&ſubiects,&faict par tout vn ſi eſtrâge rauage.
Toutesfois la cruauté dontilauoit vſé enuers ſes ſeruiteurs,luy eſtoit
pl’à cœur que tout le reſte de ſes pertes au moyé dequoy il deſpeſcha
incôtinent ſes mandemens&commiſſions de coſté & d'autre à tous ſes
capitaines, pour amener en diligence les gens de guerre qui eſtoient
ſoubs leurs departemés: & ainſi eſtoit apres à faire ſes preparatifs pour
aller en la Valaquie. On dit là deſſus,quele Baſſa Machmut auât que
les nouuelles certaines de la mort des ambaſſadeurs&deChamus,enſé-M. ,c
ble de ces bruſlemens & ruines fuſſent arriuees, auoit faict entendre †.
le tout à Mechmet, dont il entra en ſi grand collere qu'il le fit fouetter #
ſurle champ,pourluyauoirfaict ce rapportsCar ce n'eſt pointd'igno-"
minie(à ceux au moins qui ont eſté eſclaues,& nom-pas les Turcs na
turels)d'eſtrebatus à coups de verge, ſitel eſt le plaiſir du ſeigneur. . XIIIf.
MA I s Mechmet deſpeſcha des courriers quant il en ſçeut laverité, , !
pour aller faire aſſéblerſes forces,&meſmemêt ſa cauallerie. Oront les #.
courriers du Turc qu'on appelle Vlachi, cette couſtume quand il eſt †
queſtion de faire diligence, de n'eſpargner point leurs montures, carle ºgºº "
premier paſſant qu'ils rencontrent, il faut qu'il mette pied à terre, &
quitte là ſon cheual,prenant en lieu celuy qui eſt recreu,&ainſi relayét
de main en main,comme ſi c'eſtoient poſtes aſſiſes.Mais de peur que le
branſle & agitation ne leur froiſſe l'eſtomac,à cauſe de lextreme dili
gence qu'ils font,ils ſe ſerrent à trauers le corps fort eſtroictemét auec
vne bande large:De ſorte qu'en peu de temps ils font vn merueilleux
chemin.Ie ſçay pour vray,qu'vn de ces courriers eſt autrefois venu en
cinqiours depuis le Peloponeſeiuſques àAndrinople,ce qu'à grád pei- #
nevn homme de cheual pourroit faire en quinze Mechmet doncques tant §d'heures
apresauoiraſſemblé toutes ſes forces, ſe mit aux châps ſur le cómence-§
- - la font bien
ment de la prime-vere pour aller en la Moldauie,auecla plus groſſe ar- plus grande
mée qu'il euſt point encore eue, horsmis celle du ſiege de Cóſtantino-deux fºis,
ple:&neâtmoins cette-cy eſtoit pl°belle,&mieux equippee d'armes,&
de tout autre appareil de guerre:car on dit qu'il y eut lors bien deux
cés cinquâte mille cóbatans en ſon camp; dequoy le bac&paſſage du
Danube peut faire foy,par ce que depuis on a ſçeu que les fermiers qui
l'auoient pris à ſoiſåte mille ducats, gaignerét neâtmoins beaucoup là MechAm. .
•r *A - - - | | - - - - A

deſſus. Quât à farmee de terre,elle print le chemin de Philippoli; mais f§.


Mechmetauecvingt cinq g
gt cinq galeres&quelques
quclq cent cinquâte
q naufs q
qu'il v§#au
auoit chargees de gens de guerre, monta ſurmer, failant voile par le tert§
pont Euxin droict aux bouches du Danube,& de là tira contremont †
cn la Bidine, oü il bruſla tout ce qui ſe rencontracn chemin par ce que qui reuien
-
droient à
TO1CI1t a

defois à autre il deſcendoit à terre, comme les occaſions s'en preſen- #. (1llCatS. l'af -

toiét,&puisſe rébarquoitderechef,tât que finablcmétil fit metrelefeu §


- - - - - - - | Aa iiij
2o4 Del'Hiſtoire des Tures.
† àlaville de Prailabum,la principalle eſtape & apport de toute la Va
d'argent, c6 - - V - - • -*

me endroitcv
nau-laquie,
^ l ? là où la plus p
part des edifices ſont de bois,, &
& Ppourtant il eſt bié
§ aiſé de les reduire en cédre. Mais les Valaques ayans eu les nouuelles
† de la venue de Mechmetauec vne telle puiſſäce,auoient retiré d'heure
ſomme de cét

† les fémes & enfans; partie dans la montagne de Praſobe, partie en vne
le liures tour
† place merueilleuſement forte, tant à cauſe du rempart & foſſé qui eſt
§ tout au tour, que d'vn mareſt quil'enuironne, & la rend 1I13C †
† ceſſible. Ils en cacherét grand nombre quant & quantau profond des
#"#foreſts, oü il n'eſt pas biéaiſé de penetrer, ſi ce n'eſt à ceux du pays, qui
§s " ſçauétles lieux&les adreſſes;Car ce ſôt de grâds forts ou il ny'a ne voye
1, vºl qui ne ſétier.Ainſi les Valaquesayâsmis en lieu deſeureté ce quileur eſtoit
†º inutile à la guerre,mais le plus prochain de leur cœur,s'aſſemblerétau
| tour de leur Prince Vladus, lequel departât ſes forces en deux, en retit
ca, p , vne partie aupres de ſoy pour faire teſte au Duc de la noire Pogdanie,ſi
† d'auétureil ſe vouloit remuer à la faueur de farmeeTurqueſque de fait
§ la guerre eſtoit deſia allumee entre eux & auoit ce Pogdan enuoyé ſe
†e crettemét deuers Mechmet pour lappeller à cette entrepriſe dela Vala
quie,offrât(pour touſiours le plus eſmouuoir à cela)de ſe ioindre à luy
auec toutes ſes forces : à quoy il preſtavolontiers loreille,& luy manda
de le venir trouuer,afin de s'en aller de côpagnie mettre le ſiege deuant
la ville de Celi6 ſituee ſur le bord du Danube,laquelle eſtoit des aparte
nâces d'Vladus.Cettuicy ne fit faute d'aſſébler † gés en toute diligen
ce,& s'éuint deuât la place deſſuſdicte, qu'eux deux tindrét aſſiegée par
pluſieurs iours: à la parfin toute-fois voyans qu'ils n'ypouuoiét riéfai
re, ils furent contraints d'en deſloger, apres yauoir perdu quelque n6
bre de gens, prenât le Pogdan ſon chemin pour entrer en la Valaquie,
dont il fut empeſché par ceſte portion de farmee qu'on auoit enuoyée
côtre luy.Et cependât Vladusauec le reſte de ſes forces s'eſtoitietté dâs
les foreſts,attendât de voir plus clairemét ce que voudroit faire Mech
1 uueveys-º & quelle partil dreſſeroit ſon chemin lequel apres auoir tranſ
§v# portétous ſes gens outre le Danube entra dans la Valaquie,sâs toutes
# fois mettre le feu nulle part, ny autrement en † le pays, ce †
†* auoit tres-expreſſément deffendu,mais faiſantmarcherſonarmee fort
aduiſément & ſoubs bride,pour raiſon de la difficulté deslieux, les plus
propres&cómodes de tous autres à dreſſer des embuſches, tira droict
à laville où les Valaquesauoient retiré leurs femmes & enfans.Et eux
· le coſtoyoient parles bois & paſſages malaiſez : tellement que tous les
Turcs qui s'eſcartoient,ne failloient d'eſtre incontinenttrouſſez & ſur
le champ mis à quelque cruelle mort ſans remiſſion aucune.Mechmet
apresauoirentendu de ſes coureurs que perſonne ne ſe preſétoit pour
le combatre,& eu d'ailleurs aduertiſſemét qu'Vladus n'auoit point de
renfort du coſté de Hongrie, cômença à le meſpriſer, &ſe tenir moins
ſongneuſemét ſur ſes gardes, ſelogeât en campaigne raſe,ſäs autremét
· fortifier sô câp. Cequ'Vladusayât fortbiéfait rccognoiſtre aiſi que les
énemis gaignoient touſiours pays pour le venir trouuer, éuoya deuers
- •

. De l'Hiſtoire desTurcs. | 285


lesHongres pourleurremonſtrer en quel eſtateſtoientlesaffaires,&leur
parla en cette ſorte ſon Ambaſſadeur. •. -

V oV s † point ( comme ie croy)Seigneurs Pannoniens,que XV.

noſtre pays eſt tout ioignant le voſtre, &§ les vns & les autres habi- Harengue de
tOI1S au long du'Danube. Vous auez au i deſia peu entendre (ſi ie ne †
-

- deur d Vladus
mºmeſcompte)comme le grand Empereur des Muſulmans auec vne #lds ongrie.
puiſſance ineſthmable nous eſtvenu courir ſus.Si donquesil gaſte la Va
laquie,& lareduit à ſon obeyſſance,ſçachez pour vray qu'ilne s'arreſtera
pas à ſi peu, eſtans meſmement ſes affaires paruenus àvn ſi haut degre de
grandeur & proſperité humaine, mais ne faudra incontinent de s'atta
queràvous, & tourner à voſtre deſolation & ruine la fureur de ſes ar
mes, ennemies du nom Chreſtien : dont ie ne fais doute que beaucou
de dangers ne ſe preparent, pour ſevenir auec le temps reſpandre & deſ
chargerſurvos bras. Parquoyl'occaſion preſente vous ſemond à nous
donner ſecours,afin que par enſemble nous taſchions(& au pluſtoſt)de
repouſſer ce commun aduerſaire hors de nez frontieres & limites. Car
il ne faut pas attèndre qu'il nousait acheuéd'accabler du tout, & ren gé
noſtre peuple à vne ſeruitude miſerable, ayantauec ſoyle ieune frere de
· noſtre Prince, qu'il taſche de nous donner pour Seigneur, ains ſe met
tre en deuoir de l'empeſcher,faiſant en ſorte que les choſes neluyvien
nent point du tout à ſouhait, ſelon ſon deſir & intention. Il a meſme
commencé de faire à ceieune homme plus de faueurs que de couſtume,
quandil s'eſt voulu acheminer par deçà: l'a honnoré,l'a aduancé, & fait
infinis preſens, tantenaccouſtremens, qu'en argent comptant & autres
richeſſes. A quelle occaſion tout cela ie vous prie,ſinon pour le gaigner
touſiours de plus en plus,&l'induire à ſemerdes brigues&menees parm
nous, afin de le ſubrogeraulieu de ſon frere; & qu'il nous rende tous †
clauesauſſi bien queluy du tyran auquel il s'eſt donné du tout en proye,
autres-grandſcandale de ſon hôneur,&du nom Chreſtien?Neantmoins
il n'a peu encore faire rien enuers les Barons du pays, deſquels il a eſté
fortvertueuſement reietté. Les Hongres, ces remonſtrances ouyes, vi
rent bien qu'ilsn'eſtoit plus queſtion † temporiſer,&ſe reſolurent deſe
courirlesValaques en toute diligence:Parquoyils ſemirent ſur le champ
à leuer gens de coſté & d'autre; tellemét qu'en peu deiours ils dreſſerent
VIlCgroſſe armee.Et cependant Mechmetgaignoit touſiours pays,met
tant le feu par où il paſſoit, & enleuant tout le beſtail qui ſe pouuoit ren
contrer, car d'eſclaues, ſes gens de cheual meſme n'en eurent que bien
peu, au contraireils ne failloient d'eſtre empoignez toutes les fois qu'ils
s'eſcartoient tant ſoit peu de la groſſe trouppe. On dit qu'Vladus enha dieſſe
Grande har
ou plu.
bit diſſimulévint luy-meſmeau camp, pourvoir à l'œil, & remarquer ce ſtoſt temerité
quisyfaiſoit & diſoit : toutesfois cela ne me ſemble pas vrayſemblable, d'Vladus.
qu'il ſe fut voulu hazarder à vn tel peril, veu qu'il auoit aſſez d'autres
eſpiesdontil ſe pouuoit ſeruir envn ſidangereux affaire : Auſſi pourroit
il eſtre, que cela euſt eſté inuenté pour magnifier
• V • / J) b d'auantage la hardieſſe
-

de ceſt homme, quiàlaverité futl'vn des plus merueilleux de ſon temps.


286 Liure neufieſme |

| Mais cela eſtbié certain,que parpluſieurs fois ilyjnt tout de plainiouriuſ


quesàlaveuë del'armee recognoiſtre l'aſſiette du logis, le nombre des
tentes & pauillons, & le quartier de Mechmetienſemble le Bageſtan,qui
eſtlagrand' place où ſe tient le marché. Au reſte ilauoit enuiron dix mille
cheuaux, combien qu'aucuns ayent voulu dire qu'il ne paſſoit pas le
nombre de ſept mille,auec leſquels il eut bien la hardieſſe de venir ſur le
# premierguetleur dônervne camiſade bien chaude,là oüikyeur de prim
§a ſaut vn merueilleux effroy & confuſion par tout le camp; pource que les
† Turcs eſtimoient, que ce fuſt quelque groſſe armee d'eſtrangers qui leur
" eſtoient venus donner à doz : le meſme craignoit Mechmet encore. Au
moyen dequoy tout leur ſembloit deſia plein de ſang, de carnage, & de
mort tres-eſpouuantable & horrible; ce que renforçoit l'obſcurité de la
nuict,laquelle ne leur permettoit de diſcerner au vray quelle choſe ce
pouuoit eſtre,auec ce que le grand nombre de trompettes qui ſonnoient
de tous coſtez, empeſchoient de s'entr'ouyr les vns les autres, ſi grand
fut l'eſtonnement de cette ſubite & inopinee charge. LesTurcs toutes
fois ne ſortirent pas pourcela hors de leur câp,mais demeurerent fermes
chacun en la place quileur eſtoit aſſignee dedans leurs tentes & pauillós:
pour†
alarme Auſſi n'eſt-ce pas leur couſtume de ſe mouuoir, ne changer rien durant
†. la nuict, ſoit qu'ilyait des larrons,ou que quelque bruict & tumulte ſur
ne ſe meuuet uienne. Puis les Chaouxalloient de coſté & d'autre lesadmoneſter de ne
§ de s'eſtonnerpoint, & que ce n'eſtoit autre choſe qu'Vladus, lequel auec
†* vne poignee de gens reduicts au deſeſpoir eſtoit venu faire ſa derniere
" main, pour ſonder ſeulement leur courage:mais qu'ils en laiſſaſſent con
uenir #hauteſſe, car luy-meſme le vouloit chaſtier de ſa trahiſon & infi
delité, s'eſtant ainſi rebellé ſans occaſion, apres auoir receutant de gra
ces & de biens-faicts. Qu'ame doncques d'entre vous ne bouge ( ce di
ſoient ils)il,&vous autres bons § ayez patience ce peu d'heu
res qui reſtent encore iuſques au poinct duiour,que vous verrez ſans que
§ d'entre-vous mette la main pour cela à ſon cimeterre, comme
ſera traicté ce temeraire deſloyal,auec ſon eſcadron de brigandeaux.Car
ſi vous demeurez fermes,la querelle ſera bien toſt demeſlee, là où ſivous
vous effrayez,& venez à embarraſſer les vns les autres,vous réplirez tout
le camp de côfuſión; dont le Seigneur vous fera puis apres mettre à mort
les beaux premiers.Ainſi alloient crians les Chaoux à hauté voix par tous
les quartiers, pour retenirlafoule du peuple, quiia commençoità cereſ
pandre de coſté & d'autre en tumulte & deſordre, ſans ſçauoir ce qu'ils
faiſoient.Surquoy ceux de l'Aſie furêt les premiers qui ſe trouuerét preſts
Laſcheté des & arrengez en quelqueforme d'ordonnance, & ſe mirent en deuoir de
Aſiatiques. faire teſte. Mais ils quitterent bien toſt la place aux Valaques; leſquels
ne ſe ſoucierent pas beaucoup de les pourſuiure à cauſe des tenebres, qui
Ifeleur permettoient pas de choiſir tous les partis qui ſe pouuoient pre
ſenter : auſſi queleur principale intention eſtoit de donner dans le logis
de Mechmet, qu'ils cherchoient d'vne grandiſſimeaffection,auecforce
tortils & flambeauxallumez,qu'ils auoient apportez tout expres.Neant
-
Del'Hiſtoire des Turcs. | 287
moins le mal heur voulut qu'ils faillirent, & s'addreſſerent à celuy des d # †
Baſſaz
les Machmut & Iſaac,làtentes
cordages,renuerſoient où combattansd'vn
& pauillons , &grand effortaucouppoiét
mettoient fil del'eſ #º
# cntIt•

pee tout ce † ſe preſentoit au deuant,gens,cheuaux,chameaux,mulets,


& autres beſtes de charge.CependantlesTurcs qui deſiacommençoient /

àſe raſſeurer, vindrent donnerà trauers ceux qui s'eſtoient eſcartez,dont


ils en tuerent quelques vns, & rébarrerent le reſte dans leurgroſſe troup
pe : laquelle n'ayant faict choſe d'importance aucune,furent contraincts
de ſe retirerversle Bageſtan, carles Genniſſaires firent lors vn fort grand
deuoir, & cependant qu'ils ſouſtindrent la plus grade furie de cette char
gc , donnerent loiſirau reſte de l'armee de prendre lesarmes, & monterà
cheual, tellement que lameſlcevintà ſe reſchauſſer fort aſpre & crimi-#º
nelle. Etainſi les Valaques ayans en teſte les Genniſſaires qui deſia les §
rien exploicté
· preſſoient fort, paſſerent par le marché oüils firent quelque rauage : & §
làdeſſus le iour commença à apparoiſtre, quiles fit retirer du tout, ſans P"
auoir perdu gueres de gens, nomplus que firent les Turcs. -

· NMAIs Mechmet tout auſſi toſt qu'on vit clair, choiſit de chacune xvI.
trouppe les plus legiers & deliures ſoldats, qu'il enuoya à toute bride a
preslesValaques ſous la conduicte de Haly-Beg fils de Michel, lequelles Hºly Bºgdef.
pourſuiuitſiviuement à la piſte, qu'illesvint ratteindre auât que de pou, †
uoir gaignerles bois; & lesayant chargez ſans marchander en fitvngrád º,
meurtre, & en ramena pres de mille priſonniers au camp, où Mechmet
les fit tous ſur le champmettre en pieces en ſa preſence. LesTurcsauoiét
auſſi pris lanuict vn eſpiond'Vladus, lequel fut amené à Mechmet, &
l'ayant interrogé de quel paysil eſtoit, & d'oüilvenoit à telleheure, il fit
reſponce de point en point à tout ce qu'on luyvoulut demander,iuſques Laeniate &
à ce qu'onl'enquit des affaires de ſon maiſtre,&s'il ſçauoit point oû il s'e- †v.
ſtoit
tes'ilretirétil
vouloit,ditmais
qu'ouy,
qu'il ſe&garderoit
que de celail
bienend'en
pourroit bien
rien dire , ſiparleràlaveri-
grande eſtoit #"
y

la crainte & lafrayeur qu'ilauoit de l'offencer. Et comme on fuſt venu à


le menacer de mort, s'ilne declaroit franchement ce qu'il en ſçauoit, il
repliqua † de luyil eſtoit tout preſt à la receuoir,mais au reſte qu'il n'o
ſeroit pas ſeulement auoir penſé d'ouurir la bouche pour en reueler vn
ſeul mot.Mechmet tout eſbahy de levoirainſi plus apprehender la crain
te d'vn perilincertain & abſent, que les tourmens & la mort quiluy e- †
ſtoient deuantlesyeux,ne ſe peut tenirdes'eſcrier tout haut : Que ſi ce #
perſonnage, qui tenoit les ſiens en vne telle crainte & obeyſſance, a- "
uoit quelque notable armee entre les mains, il ſeroit pour faire bien
toſt de belles choſes, & acquerirvne fort grandereputation: Et là deſſus
commanda qu'on depeſchaſt ceſt opiniaſtre, Cela fait,il † ſou- .
dain pour tirer droit à laville capitale d'Vladus , n'oubliant de faire tous
les ſoirs bien clorre & fortifier ſon camp tout à l'entour, d'vnelarge tren
chee, & d'vn bon rempart en dedans, carle danger où il s'eſtoit trouué
à faute de cela,le faiſoit plus ſoigneuſement penſeràſoy;ſibien qu'ilte
- noitiour & nuict la plus grand'part de ſon armee en garde : finablement
288 Liure neufieſme
il entra dans la Valaquie,iuſques tout aupres de la ville deſſuſdite, où les
habitás quine voyoiét ne rime ne raiſon de s'obſtiner à tenir contrevne
ſigroſſe puiſſance, auoient deſia ouuertles portes pour le receuoir de
dans, & luy, cuidant qu'on l'euſtabandonnee, pource qu'il ne voyoit
perſonne ſur la muraille, ny delaſchervn ſeul cou p d'arquebouſe ou de
fleſche : paſſa outre:Et trouualà aupres les corps de ſes Ambaſſadeurs en
core attachez auxpaux oü ils auoient eſté fichez ſur le grand chemin; ce
quiluy futvn renouuellement de courroux&douleur.Parquoy les ayant
faict deſpendre & inhumer, il s'aduança enuiron vne lieue & demie, là
Spectacle oü il rencontrale carnage qu'Vladus auoit faict de ſes propres ſubiects;
m§ſe choſe horrible & eſpouuantableàlavoir de loing ſeulement.Car c'eſtoit
# vne place quelque peu releuee, & deſcouuerte de tous coſtez, ayant plus
d'vne bonne lieue en longueur, & demie delarge ; toute plantee de po | --,

tences, de paux, de roües,& de gibets hauts eſleuez águiſe d'vne fuſtaye ,


drüe & eſpoiſſe; le tout chargez de corps humains cruellement martyri
ſez, lelon ce qu'on pouuoit encore apperceuoir à l'angoiſſe de leurs hi
deux viſages, eſquels la mort auoit emprainctl'enormite dc leur douleur
& tourmens : N'eſtimans pas en moindre nombre que de vingt mille : ce
----

qui rendoit de tant plus le ſpectacle effroyable & hideux à voir; car ilya- .
uoitiuſques à de petites creatures executees aux mammelles meſmes de
leurs meres, ou ellesauoient eſté eſtran glees, & y pendoient encore : Et
les oyſeauxinfames, dont l'air eſtoit obſcurcy & couuert tout ainſi que - ,
d'vne groſſe nuee,auoient deſiafait leurs aires dans le creux des ventres
dont ilsauoient deuoréles entrailles. Mechmet quant à cela,eſtoit bien
d'vn naturelautant cruel & ſanguinaire que nul autre eut ſceu eſtre ; & ,
-
neantmoins quandil vit qu'vne ſeule rage & forcenerie d'vn petit com
Diuendie Pagnon, auoit ſurpaſſé de † toutes celles qu'il cuſtoncques fait
† º º ſaviesd'vn coſtéeſtoit remply de ſi † merueille qu'il ne ſçauoit que
§ ſoy
d'Vladus.
dire,que
& nô
de l'autre,
sâs cauſeaucunement touché&deredouté
eſtoit ainſi craint pitié &dehorreur: diſant
ſes ſuiccts, à part
celuy qui
auoit eu le cœur de commettre vnetelle inhumanité:Et que malayſemét
pourroit-il eſtre depoſſedé de ſon pays, puis qu'il ſçauoit ainſi vſer de
ſon auctorité, & de l'obeyſſance de ſon peuple. Puis tout ſoudain ſe re
prenoit , ne penſant pas qu'on deuſt faire compte d'vn telbourreau. Les
Vigilance & Turcs meſmes qui contemploient ce tant horrible & criminel cemetiere,
#usv lettoient de grandes imprecations contre Vladus : lequel ne ſe ſouciant
' pas beaucoup de tout cela leur eſtoit inceſſamment ſur les bras, tantoſt
ſurles flancs,tantoſtàla queüe del'armee : tellement qu'il ne ſe paſſoit
iour qu'il n'en miſtà mort vn grand nombre, & ne leur fiſt quelque no
, table & ſignalé dommage, auſſi bien ſur les gens de cheual, comme ſur
les Azapes, ſi tant ſoit peuils s'eſcartoient.Et eſtant ſa principale inten
tion de donner quelque bone eſtrette au Ducde la Noire Pogdanie pour
ſe véger de luy,illaiſſa ſix mille cheuaux pourſuiure &coſtoyer touſiours
l'armee desTurcs, parles bois, & pays couuerts, dontils ſçauoient tres
bien les adreſſes, ſans toutesfois ſe hazarderà aucun combat, mais ſeule
IIlCIlt
- Del'Hiſtoire des Turcs. 289
ment continuer à les trauailler,& trouſſer ceux quiſe deſbanderoient, là
où ils verroient le ieu eſtre ſeur : & luy auec le reſte de ſes forces s'en alla
droit vers la ville de Kilie, que l'autrc auoit enueloppee COIIlIIlC IlOUlS
auons deſia dit. - • -

C e s ſix mille cheuauxfurentbienaiſes de n'auoir plus perſonne qui s,#. '


les contrerollaſt & retinſt de faire quelque braue faction, comme ils ſe §
le promettoient; & s'attendans † de pleine arriuee ils mettroient les d'oſer
- - - - -
§z aſſail
ennemis en routte, de quoy ils ſe pourroient acquerir vne gloire & rC- lir l'armee de
-

4 Mechmet.
putation immortelle, ne firent rien de ce qui leur auoit eſté ordonné,
mais au contraire s'en allerent la teſte baiſſee attaquer les Turcs, tout
ainſi que s'ils euſſent voulu combattre en bataille rengee , là où ſoudain
les ſentinelles donnerent l'alarme, & le camp ſe trouua incontinent
preſt, hors-mis les Genniſſeresdela porte quine bougerent: Auſſi n'ont
ils pas accouſtumé de ſe mouuoir legierement, ne ſi ce n'eſt à vn grand
beſoin toutesfoisle Baſſa Machmut enuoya Ioſephe pour les reco gnoi
ſtre, & taſcher de lesattirer àl'eſcarmouche le plus auant qu'il pourroit:
& cependantil ſe tint à cheualauecle reſte des forces qui eſtoient ſous
© t Qu
ſon regiment.Quant à IIoſephe,il
F alla devravattaquer
2 y q les Valaques
V q fort Ioſephemis
viuement, comme ſià ſon arriuee il leur euſt deupaſſer ſur le vêtre:mais les§
Valaques -

cela ne duragueres, & tourna tout incontinent le doz, fuyant luy & les†
ſiens à brideabattue,quand Omar filsdeThuracá quiauoit eſté enuoyé Pº"
pour le ſouſtenir,luy eſcria de loing,Et où fuys tu ainſi vilainement laſ
che & failli de cœurquetu es : De quel œil penſes tu que le ſeigneur te
verra à n'attends tu pas d'eſtre beaucoup plus cruellement traicté de luy
que des ennemis propres, & qu'il ne te face mourir hôteuſement, tout
auſſi toſt qu'il ſçaura que tute ſeras ainſi porté en ſa preſence : Ces re
proches & autres que luy fit Omarleretindrent,&inciterêt de rctourner
auecquesluyau combat;là oûil ſe porta aſſez mieux qu'il n'auoit fait à
lapremiere charge;en ſorte qu'ils mirent à leur tourles ennemis en rout- .
te, dont ſans prendre perſonne à mercy, ils en tuerent bien deux mille , Defaite des
auſquels ils coupperent les teſtes,&les ficherentaubout de leurs lances, †
puis ſ'en retournerentainſi victorieux deuers Mechmet. Il donna ſur le †
chample gouuernement de Theſſalie à Omar combicn que Mazal fuſtie hef
encore envie, lequeleſtoit àla ſuitte du campauecvne trouppe de bra- A

ues hommes. Voilal'iſſuë que eut la ſeconde temerité & outrecuidee #º


hardieſſe des Valaques; leſquelsauec ſi peu de gens auoient oſé enuahir
, vne autrefois,& en pleiniour encore,vne telle puiſſance.ParquoyMech
met eut lors plus de liberté de courir le pays à ſonaiſe; & le piller, fourra
† & prédre forces ames, moyénant ſa cauallerie qui s'eſpandoit au
ong & au large ſans plus trouuer de reſiſtence,aumoins qui fuſt à crain
&b
dre : tellement que ſes gens ſe firent riches, car le butin
du beſtail ſeule
mét arriua à bien 2ooooo. chefs, que de bœufs que de chauaux Etainſi †"
chargez
5
de deſpoiiilles reprirent le chemin du Danube,qu'ils repaſſerent butin,ſle
texte n'eſt cor
àgra d'haſte; côbien qu'il n'y euſt perſonne qui leur y donaſt empeſche- porte
§i° vingt
ment. Car les Valaques quelque bonne mine qu'ils fiſſent, ſe monſtrans †
Bb
29O Liure neufieſme
tantoſtd'vn coſté,tantoſt d'vn autre,ne les oſoient plus toutesfois atta
quer,ayans eſtéfaits ſages parles deuxautres rencôtres Auſſi que Mcch
metauoit ordonnéà Haly fils de Michel de demeurer ſur la queüe, pour
faire plus ſeuremeñt ſa retraicte.Illaiſſa par meſme moyen Draculafrere
de Vladus au pays,pour faire des brigues & menees, & taſcher de s'en
emparerd'vnefaçon ou d'vne autre: Afin auſſi que le Sanjaque qui y de
meuroit pour continuer la guerre , peuſt eſtre aſſiſté & ſecouru de ſes
moyens:& apresauoirainſi diſpoſé toutes choſes,ils'en retourna à Con
ſtantinople.GependantDracula ſuiuant la charge qui luyauoit eſtédon
nee,trouua maniere de parlerauxprincipaux, & à ceux qu'il péſoit auoir
Rſtran- †
authorité & credit,auſquels il tintvn tellangage : Que penſez
- - ,r . - 2 -

# vous finablement deuenir (ſeigneurs


2UlX DI1I1C1 - - -

auez-vous pas ſentià
-

†.bon
quie.
eſcien quelle eſtla puiſſance du grand ſeigneur , Ignorez vous que
vous ne l'ayez continuellement ſurles bras? Car il vient d'autres forces
toutesfreſches, qui acheueront de ruiner ce pays, & piller tout ce qui y
eſt demeuré de reſte.A quel propos doncques refuſez-vous ſonamitié &
bien vueillance2Cherchez(ievous prie) de retourner en ſa bonne grace,
& en ce faiſantvous mettrezvne finàvoz maux & calamitez:& ne verrez
point deuant vozyeuxrenuerſervoſtre pays de fonds en comble, pour
eſtre deſormais vne ſolitaire habitati6 de beſtes ſauuages tant ſeulemét.
Carvous ſçauezbiéquevous n'auez plus de beſtail,ny de cheuaux, dont
vous-vous puiſſiezaider:& toutes ces deſolations vous les auez ſouffer
tes pourl'amour de ce cruel & inhumain tyran; ie ne ſçay commentie le
pourroisappellerfrere,tantilvous amal-heureuſement traicté,voire fait
de ce pauure peuple la plus horrible & deteſtable boucherie dont on ait
oncques ouy parler.Partelles paroles, & autres ſecretes menees qui ſe
faiſoientauecques ceux qui eſtoient venuz rachepter les priſonniers, il
en attira beaucoup à ſa § autres il fit dire, que ſans auoir
crainte de rien, ils pouuoient en toute ſeureté venir parler à luy : leſ
quels finablement ſe reſolurent tous d'vn accord, qu'il eſtoit plus ex
pedient pour le pays & pour eux d'obeyr à Dracula, & l'auoir pourſei
Reueled , gncur,que non pas ſon frere Vladus. Parquoyils commencerent peu à
#
tre Vladus , le peu
%- . à ſe retirer deuersluy, attirans parleur exemple le reſte du peuple à
- -

§ faire de meſme:ſibien que Dracula ſetrouua en peu deiours vne bonne


† . trouppe de †
gens de faict;auecleſquels,& la garniſon des
ºgº Turcs quiauoit eſtélaiſſee ſur les frontieres, il cômençaà conquerirpied
à piedle pays,& le rengeràl'obeiſſance de Mechmet. Vladus voyât que .
ſes ſuiectsl'auoientabandonné pour aller à ſon frere, & que ce ne ſeroit
que perdre temps de ſe vouloir opiniaſtrer de les retenir; meſmemétque
cette grande execution qu'il auoit faicte pourſe péſer aſſeurer del'eſtat,
luynuiſoit plus qu'elle n'aydoit, quittalà tout & ſeretira en Hongrie.
29I
LE DIxIESME LIVRÉ
D E L' H I S T O I R E DE S
T V R C S, D E L A O N I C C H A L
C O N D Y L E A T H E N 1 E N.

s o M M A I R E, E T c H E FS P R I N c I P A V x'
du contenu ence preſent liure.

Empriſonnemét & mort d'Vladuspour Mechmetapresauoirraclétout le reſte de


auoir tyrannizéſesſuiects : L'entre l'Illiries'addreſſeaux terres de Sâdal,
priſe de Methelin,dont leſeigneura & des autresſeigneurs ſes voiſins,leſ
uoitfaict mourirſonfrere aiſné pour quels ilemmenepriſonniers:Les Veni
iouyrde ſon heritage : & vn diſcours tiês & les Högres excite K deceſt exé
des affaires de l'Iſle, enſemble decelle ple qui les touchoit deſipres,ſeprepa
de Scyo occupee par les Geneuois. rêtpourluyfairelaguerre. Chap. 6.
Chapitre premier. - Harengue deliberatiueexcellemmêt belle
Leſiege de Methelin,e9 redditiöd'icelle, duſieurVictor Capelià laſegneuriede
auecvne harangue fort pitoyable du Veniſe,pourleurperſuaderde rompte
Prince à Mechmet, lequellefaictf auec Mechmet, &° prendre les armes
nablem êtmourir,quât 637 vnſiéC01Z -
contre luy. Chap.7.
ſinquiluyauoitaidé à ſon parricide; Les Venitiésàlapluralitédesvoix s'eſtás
* nonobſtant qu'ilsſe fuſſent faits tous reſoluX contre le Turc, depeſchent en
deuxTurcspourſauuer leurs vies. Högriepourfairedeclarerle Roy, &
Chapitre 2. cºſe ligueraueceux: Les remonſtrâces
Baſtimens & preparatifs à quoy s'em deleurs Ambaſſadeurs làdeſſus, & la
ploye Mechmet durant le ſeiourde reſponce qu'ils emporterent. Chap.8.
l'Hyuer, nepouuant demeurer oiſif | Armeemaritime des Venitiens, aucópa
· Deſcription des Illiriens, & peuples roiſtredelaquelle tout le Peloponeſes'eſ
adiacens; & l'occaſion qu'ilprendde | leue.lapriſe de la villed'Argos cloſture
leurfaire la guerre. Chap.3.|| dudeſtroitdel'IſtmeſiegedeCorinthe,
| Voyagede Mechmetenl'Illirie,qu'ilré mais envain : & la reuolte de Sparthe
ge à ſonobeiſſance,partie enperſonne, anciennemêt dite Lacedemone. Ch. 9.
partieparſes lieutenans:dont le Baſſa Le Baſſa Machmutayât eſté depeſchédu
Machmutprend la ville de Clitzie,! Turcauecles forces de l'Europe pour
auecleſeigneurdupays dedans; lequel ſecourirle Peloponeſe,contraintd'arri •7

ayât eſtéamenéà Mechmet,illefaict uee les Venitiens del'abandonner, &°


quelque temps apres eſcorcher tout recocouure ce qu'ilsauoiêtpris Hiſtoi
vif. . . Chapitre 4. reprodigieuſe du # toyable d'vn
Deſcriptiondela Citéde Rhaguſe & de | bœufenuers le corps deſómaiſtre.ch.Io
de ſapolice : Laguerre quefit Sandal Lettres d'Aſan aux habitans de Sparte
aux Rhaguſins , pourauoirretiréſa pourretournerà l'obeiſſance duTurc:
femme & ſon fils, quile depoſſede de cg-lapriſe deMethelin parl'armeedes
ſon eſtat;eº ce quien aduint.Chap.5. Venitiens. ' Chapitre II s .
-

J . Jb j . /
\ •- • e

Liure dixieſme
#@ E v o Y A GE de Mechmet contre les Valaques eutvne
# # telleiſſuë Et Vladus ſentant que ſon frere Dracula ap
# prochoit,conquerant pied à pied toute la Moldauie, ſe
# retiraen Hongrie, oü ceux dontilauoit faict mourirles
§ parés & amis l'appellerent eniuſtice,deuant le Roy Ma
pour ſes mau- T" thias fils de Huniade,& y eut iugement donné cotre luy
† fortrigoureux, ſurles tyrannies, oppreſſions, & cruautez dont il auoit
†º vſé enuers ſes ſubiects : Puis fut mené à Belgrade & mis en vn cul de
§ foſſe Mechmetd'autre coſté deſpeſcha vn courrier pour aller faire ap
preſter ſon armee de mer&aſſembler les gens de guerreau longdelama
· rine. Carl'eſtén'eſtant pas du tout dehors,il ſe deliberoit pour ne perdre
ointinutilement la ſaiſon qui reſtoit encore propre à § guerre,
L'entrepriſe d'aller enuahir l'Iſle de Leſbos auec ſes Genniſſeres, & autres domeſti
de Methelin - - >• -

§ ques, & quelques trouppes de l'Europe qu'il emmenoit quant & luy;
º toutesfois en petit nombre.Or celuy qui § pour lors ſeigneur de cet
te Iſle,la tenoit des Princes Othomans,de leur grace & beneficence par
ticuliere, à quatre mille ducats de tribut annuel dés le temps que Paito

-

ſon
† gouuerneur de Gallipoliſous le dernier Amurat, y eſtatabordéauec
armee de mer la pilla, & en emmena grand nombre d'eſclaues , y
ſtateres d'or.

ayant pris laville de Calloné riche & opulente , puis s'en eſtoit retourné
auec ſon butin.Les SeigneursTurcsl'auoient encoreauparauant fait tri
butaire quand & celle de Chio,lors que Ianus Capitaine des Genniſſeres
fut ordonné pouryaller,lequel ſe mit en deuoir de prendre de force la
# ville de Molybe, qu'il affiega fort eſtroittement, toutesfois il n'y peut
§ rien faire : & dict-on qu'Amurat l'enuoya là, pource que le Prince
ll3I1C. auoit receu & fauoriſé en ſes ports les Arragonnois, qui faiſoient le
i
meſtier de Courſaires ; & achepté d'eux vn grand nombre d'eſclaues
· qu'ils auoiept enleuez ſur les terres desTurcs, dequoy il faiſoit vn grâd
| proffit Devray les Arragonnois partans de Leſbos de Conſerue , auec
ceux des Iſles Cyclades qui s'aydoient de lameſme profeſſion, venoient
à infeſter toute la mer de brigandages , par le moyen de leurs
fuſtes & galliotte8: tellement que toutes les coſtes de l'obeiſſance d'A
murat demeuroient preſque deſpeuplees ; & puis apres ſe retiroient à
garand dedans cette Iſle, chargez de tres grandes richeſſes,là oü ils par
| tageoient le butin qu'ils auoient faict, duquel ils faiſoient part au
Le f Prince. Toutes leſquelles choſes eſtans r'apportees à Amurat,ils'appre
c trere m et
†" ſtoit pour luy aller courir ſus : Mais Dominique, que les Grecs appel
† lent Cyriaque,le plusieune des deux Seigneurs del'Iſle, trouua moyen
uoIr le bien

º# ſurces entrefaitesd'époignerſon frereaiſné,auquel le pere l'auoitlaiſſee


rn§º
Cataluſio eſ parteſtament,de
]: ſorte qu'il en auoit deſiaiouy par vn longtemps, & le
† dôna engarde àvnGeneuois nommé Baptiſte,qui luy auoitaſſiſté à ceſte
V - / - - - ·• / N

# conſpiration, puis le fit mettre à mort; demeurant à cette occaſion ſeul


Calorian,

Methelin en
poſſeſſeur de l'iſle, moyennant les quatre mille ducats de tribut enuers
† Amurat,& à quoyil fut taxé.Larace,au reſte de ſes ſeigneurs de Leſbos
"º ou Methelin qu'on appelle les Cataluſiens, ſemble eſtre deſcenduë des
Del'Hiſtoire des Turcs. 293
Geneuois qui vindrent autrefois au ſecours de l'Empereur de Conſtan
# tinople & luy firent degrands ſeruices en ſes plus preſſez & importans

l$
affaires : &
marque Enteſmoignage
recognoiſſance dequoydeilleur
perpetuel la leur donna,
vertu. comme
En ayans pour
pris vne
poſſeſ
# ſion , quelque temps apresils allerentaſſaillir la ville d'AEnus en Thra
#
l0 !
ce, ſurlariuiere
auoient conceuëdeà Hebrus , car du
l'encontre les gouuerneur,
habitans pourappellerent
l'indignation qu'ils
les Cata
l# luſiens à leur ſecours, quila prirent & garderent fort bien; eſtans lors
# les affaires des Grecs en de grands troubles & combuſtions , pour
[ . - raiſon des partialitez deleurs Empereurs.Toutesfois il ſemble que cette
# Iſle de Methelin auoit long-temps auparauant eſté ſous l'obeiſſance d'i
T, céux Cataluſiens Géneuois : car elle reſpondoit au gouuerneur de la M
#. Phocee en Aſie, nommé Catanes,quil'auoit priſe d'emblee : mais l'Em-vieilleſ§.
# pereurlaluyoſtatoutincontinent, & ſi luy alla encore faire la guerre
Cl, chez luy.Les Cataluſiens puis apreseſtansvenus à ſon ſecours (comme
à[- nousauös dit)illaleur redonna, & la garderent longuement depuis,iuſ
t). • ques meſme à noſtre temps : Carayans contracté pluſieurs alliances tant
# auecles Empereurs de Trebizonde, que les plus grands ſeigneurs de la
) Grece, ils ſe renforcerent ſi bien qu'on ne leuroſa rien demander. Cette
l[llº Iſle a touſiours eſté fort bien gouuernee, & n'eſt diſtante de terre ferme
º» del'Aſie que d'enuiron deux lieuës & demie. Chio pareillement a eſté
# de longue main ſous la puiſſance d'iceux Geneuois, non qu'ils l'ayent Quatre vingt
·ct ! coquiſe à force d'armes,mais pource que les Empereurs de Conſtâtino-ſtade .
pt ! . ple s'eſtans trouuez courts d'argent, à cauſe des grarfdes guerres qu'ils » -

ring " eurentà ſupportertout à vn coup contre les Perſes, & les Bulgares, fu-† .
nt : º rent côtraincts d'emprunter vne groſſe ſomme de deniers d'vn nommé †
lau5 . Martin,auquelils l'engagerent : & puisapresl'ayant rembourſe la retire- †
gſi . rent de luy. Maisles Geneuoisamorſez de la beauté & delices du lieu, §"
au:: ne demeurerent gueres à y retournerauecbon nombre de galeres, & la
# prirent. Ce ne fut pas toutesfois de l'authoriré, ny du ſceu & conſen
kIIE ! · tement du Senat, ne du peuple que cette entrepriſe fut faicte, mais du r. .
%
i " | ſemble
propre motifde neuf ou
pour veniràla dix maiſons
conqueſte de Gennes,
de cette qui s'aſſocierent
Iſle; & deſlors d'vn commun en- # ſuiii D laIls

accordgouuernerent en fort grand repos la ville de Chio, ſe monſtrans .


en toutes choſes fort gracieux & modeſtes à chacun qui auoit affaire à
• eux.Par traict de temps puis-apres les plus richesy acheterent des heri
|. 'tages & demeures, principalement à cauſe du reuenu & prouffit qui ſe
| · tiroit du maſtic, dont cette Iſle ſituee en la mer AEgeeproduitvnegran- Linede seys
- de abondance. Elle eſt encore plus approchee de la terre ferme d'Aſie #ºº
que n'eſt celle de Methelin, ny ayant que deux petites lieuës de traiect:
& cſtiuſquesà auiourd'huygouuernee par les neuffamilles qui premie 57, ſtadev,
rement la conqueſterent , auec quelques autres qui acquirent de noz
Empereurs le re.te des places. La ville principale nommee Chiô, eſt
- l'vne des belles & mieux inſtituees qui ſoit en toutes les Iſles de ces mers
là, & le peuple autant deuot & religieux : y ayant de grands
- - - - Bb iijreuenus,
• • -

-
-
-

-
| -

v,
-
º -

294- Liure dixieſme


ſi bien que le proffit eſt preſqueincroyable qu'en tirent par chacun an
ceux qui l'adminiſtrent. « -

, # , ME cHMET donques pour les occaſions deſſuſdittess'enalla courir


†* ſusau Prince de Meth elin, ayant encore outre le recelement des Pirates
§ les vn autre pretexte de luy faire la guerre fort pregnant, aſſauoir le meurtre
°" de ſon frere,qu'il auoit à laverité aſſez malheureuſemét mis à mort pour
iouyrde † ; & vouloit (ce diſoit-il)venger cette deſloyauté
& trahiſon ,laquelle il n'eſtoit point honneſte à tout Prince de gentil
cœur de laiſſerainſi crouppirimpunieſipres de ſoy, Parquoy apres qu'il
fut paſſé en Aſie, il prit ſon chemin par terre auec ſes § ordi
naires, & quelques deux mille autres hommes de guerre qu'il auoit
amenez de l'Europe;coſtoyantſon armee de mer qui pouuoit eſtre lors
devingt cinq galeres, & de quelques centvaiſſeaux ronds, ſur leſquels
on auoit chargelesvictuailles,artillerie,munitions , & autre equippage
de guerre, auec bien deux mille boulets, pour paſſer le tout en l'Iſle, où
ils ne furent pas pluſtoſt deſcendus , qu'ils coururent d'vn bout à autre
tout le plat pays Toutesfoislebutin ne fut pas grand, ny d'eſclaues ne
† d'autre priſe, pource qu'à vn inſtant tout fut retiré dans les villes & pla
†" ces fortes.Mechmet là deſſus enuoyal'vn de ſes Chaoux deuers le Prin
ce,pour le ſommerde luy rendre l'Iſle,& qu'en recompenſeil luy donne
roit ailleurs d'autres terres de meilleur reuenu:dequoy il ne tint compte,
ſe trouuant (peut eſtre)mal mené alors de quelque mauuais eſprit, ou
pluſtoſt des furies propres de ſon parricide, quiluy troubloient l'enten
| dement;de ſorte qu'il ne pouuoit diſcerner le peril qui le menaçoit de ce
refus.Sa reſponce ouye,Mechmet fit ſoudain,deſcendre ſon artillerie en
terre,mais il ſe retira quantàluy hors de l'Iſle par le conſeil & enhorte
· ment du Baſſa Machmut general del'armee,de peur qu'il n'aduint inc6
uenient de ſa perſonne, pource que ceux de dedans auoient quelques
pieces qui portoient aſſezloing : Et cettuicy, ayant faict ſes approches
cömençalabatterie,qui dura l'eſpace devingt ſeptiours côtinuels, pen
dât leſquelsils deſchirerent eſtrangement la cortine & les tours, & mirét
bas vngrand pan de muraille & de rempar. Il y auoit auſſi des mortiers
qui tiroient à coup perdu dans la ville, ou ils accabloient les maiſons, &
# tuoient par chacun iour pluſieurs perſonnes. Ce qui mit vn grand eſ
i§ mettre
pouuentement
ICCS•
parmy
à couuert, meſme
pourſe lesde
ſauuer gens de guerre,de
l'impetuoſité quine ſçauoient
ces groſſes où ſe
bombar
des,leſquelles iettoient des boulets d'vn calibre demeſuré.Neantmoins
, ils faiſoient des ſaillies de fois à autre, à la faueur de quelques pirates qui
, furent ſurpris & enueloppez là dedans ; gens de guerre, & prompts à la
main,quiſçauoient bien ce que c'eſtoit de ſe trouuer en tels affaires : & fi
rent quelque dommage aux ennemis. Mais le nombre d'iceux eſtant
grand, & ſe raffreſchiſſans d'heure à autre aux continuelles gardes qu'ils
faiſoient preſque dedans le foſſe,dontilsauoient leué tous les flancs, les
autres ſe trouuerent à la parfin reduits à telle extremité, que le ſieur de
l'lſle ſe voyâtaculé, & preſſé de toutes choſes neceſſaires pour reſiſter à la
l \ longue, & horsDe l'Hiſtoire
de toute desTurcs.
eſperance d'auoir , 295
ſecours, fut contrainct d'en
- uoyer requerir Machmut de le receuoiraux conditions qui d'arriuee luy
|( auoient eſté propoſees : & en ce faiſant qu'il rendroit la ville, enſemble
†$ toutes les places & fortereſſes qui en deſpendoient : D'auantage que de
# là en auantil obeyroit aux commandement du Seigneur, quelque part .
u'illuy ordonnaſt de le ſuiure & acompagner à la guerre, auec le plus
- †
† gens pourroit faire. Le Baſſa fit reſponce qu'il en aduertiroitvo
lontiers ſon maiſtre pour entendre ſavolonté là deſſus; lequel en eut tel
plaiſir & contentement, craignant de faillir cette entrepriſe, qui devray
eut tourné àvne trop grande importance&preiudice pour ſa reputation,
|! que ſur le champilrepaſſa en l'Iſle pour faire la compoſition luy meſme.
[$ Le Princeapres quelesſeuretezeurent eſté donnees d'vne part & d'autre,
# ſortit de la ville accompaigné de quelques ſiens fauorits, & fut conduict .
# deuers Mechmet pour luyaller baiſer la main en ſon pauillon, où il eſtoit
i en ſa pompe & magnificence. S'eſtant là proſterné à ſes pieds,illuy par
# la en cette ſorte. Tu ſçais aſſez,Seigneur, comme depuis queieſuis en-†"
ſlº tré en la poſſeſſion & iouyſſance de cette Iſle, ien'ay lamais enfrainct en thelin à Me
#. rien que ce ſoitle reſpect & obeyſſance quit'eſtoit deue;&ne me ſçauroit †
m. perſonnearguer d'auoir oncques fauſſe maparole,ne contreuenu à cho-"
Mt ſe que i'euſſe promiſe. Or quant à ceux qui ont eſté pris ſur les terres de
)ſ , . ta hauteſſe, on pourra aiſément ſçauoir des habitans del'Aſie,comment
CI ie m'y ſuis gouuerné,& ſin'y en ay reccuvn ſeul: car creature n'eſt arriuee
ºil ! " icy ſe reclamant de ton heureux nom, que ie ne l'aye ſur le champ faict
t(! mettre à plaine & entiere deliurance ;ayant ſoigneuſement touſiours eu
: ºll l'œil à cela, que ce quiauroit eſté pris ſurlesTurcs,fuſt renduà ceux qu'il
rtc. . appartiendroit. Sii'ayau demeurant receu des courſaires en mes ports,ce
6 a eſté pour m'exempter des maux & dommages qu'ils me pouuoient fai
# re; & ne ſe trouuera point queieleurayeiamais fait ouuerture, ne don
lits névn ſeul moyen d'aller ſurtes terres : s'ilsl'ont faictautrement, cea eſté
ºſl- ſans mon fceu, ie le teiure & certifie ſur la foy queie dois à mon Dieu.Et
# neantmoins nonobſtant toutes ces innocences, il faut quei'aye encouru
t5 ta male grace, & ſois maintenant reduitàte quitter maville, mon pays,
,& & mon peuple; tout le bien & ſubſtance que m'auoient laiſſé mesance
fl- ſtres pour le maintenement de mavie & de mon eſtat,ſansoncquesauoir -

ſ: fait choſe, pour laquelle vn pauure Prince deuſtainſi à tort & ſans cauſe *

lſ- eſtre deſherité. Mais puis qu'il plaiſt à la fortune, ie te ſupplie à toùt le
2 moins, Seigneur,que ſuiuant ta magnanimitéaccouſtumce,attendu que
ie me ſuis ainſi franchement ſouſmis à ton vouloir,& fié ſur ta ſimplepa
role, que les conditions ſoient accomplies quim'ont eſte promiſes:& ne
permets, toy quias le cœur ſinoble & genereux, vn homme de maiſon
illuſtrealler çà & là vagabond par le monde, mendierſon pain le reſte de
ſesiours. Ces paroles, & autres pleines de grande compaſſion proferoit
ilà chaudes larmes, eſtant touſiours à genoux deuant Mechmet : adiou
| ſtant que ce n'auoit point eſte par opiniaſtreté de vouloir conteſtercon
: trevne telle puiſſance,la plus grande de toutes autres, s'iln'auoit obeyà
l º,
Bb iiij
• -T

296 . Liure dixieſme


ſa premiere ſommation, mais par la temerité de la commune, & les en
hortemens des courſaires, & de quelques autres mutins qui les auoient
animezà tenir bon, craignans la rigueur de ſaiuſtice. Mechmet, apres
l'auoir aigrement repris & tenſé, † euft eſté ſi preſomptueux d'oſer
, ſeulement contredire au moindre de ſes commandemens,luy dit au reſte
qu'il ne ſe ſouciaſt, & que demeurant en la fidelité & obeyſſance qu'il
M .s luypromettoit, il deuoit eſperer de plus grandes choſes, que celles qu'il
# Mech luy
MIlct, dre remettoit
poſſeſſion entre les mains.Et
de la ville, là deſſus
& en mettre monta dehors
le peuple à cheual: pour aller pren
enuoyant gens
auecle Prince pour receuoirles autres places & fortereſſes de l'Iſle. Par
toutes leſquelles ils mirent ſur le champ des ſoldats en garniſon, pour
empeſcher les rebellions & ſurpriſes. Au regard des habitans, il laiſſa
. le menu populaire qui n'eſtoit pas pour rien innouer ne entreprendre,
ſur les lieux, tant pour le labourage des terres,qu'autres commoditez du
pays, le reſte furent en partie faits eſclaues, & departis aux Genniſſaires:
les riches & plus grands,illes enuoya à Conſtantinople, pour touſiours
d'autant repeuplerla ville. Mais il fit amener tous les courſaires qui pou
Cruauté mer- uoient eſtre quelques trois cens, en vne place hors des murailles , & les
§ executer tres cruellemét en ſa propre preſence.Car pour leur faire mieux
Pº" ſentir la mort, & qu'ils languiſſent d'auantage, on les couppoit en deux
moitiez parle faux du corps àl'endroit du diaphragme,d'vn ſeul coup de
cimeterre bien trenchant & affilé,artifice certes trop inhumain; de faire
ainſi ſouffrir à vn mefme corps le cruel ſentiment de deux morts tout-en
ſemble pourl'auoirſeparé endeuxparts pleines de vie; leſquelles on pou
uoitveoir horriblement ſe demener par quelque eſpace de temps, auec
des geſtes tres-eſpouuantables & hideux, à cauſe des angoiſſes & tour
mens qui les preſſoient. Il mit au reſte deux cens de ſes Genniſſaires de
ſagarde dedâs la ville de Methelin,auec trois cens Azapes pour la ſeureté
d'icelle ; & y laiſſa pour gouuerneur le fils de Samblates, qui de ſon vi
uantauoit eſté § , c'eſtà direl'vn des plus grands preuoſts de la
porte, homme de touteintegrité, & en reputation d'auoir touſiours fait
autant bonneiuſtice,que † qui fut oncques au ſeruice des Otho
mans employé en pareille charge. De fait il ne laiſſoit rien paſſer impu
ny qui euſt merité chaſtiment , & ſi eſtoit parmy cela fort moderé &
pitoyable touchant la peine, & le ſupplice des delinquans : ſe conten
-

tant d'oſter la vie à ceux quil'auoiét deſſeruy, ſans les § par l'in
º ºu humanité & violence des martyres. Quant au Seigneur de l'Iſle, Mech
Prince de Me- - -

thelin belle met l enuoya à Coifſtantinople auectout ſon auoir, dontil ne luy fut a
#" donc faict tort aucun ;mais il retint pour ſoy bien huict cens que filles
" , que garçons, des meilleures maiſons del'Iſle, qu'ilemmena quant & luy
enſemble toutes les galeres qui y eſtoient, ne laiſſant aux habitans que
de petites barques pour l'vſage de la peſcherie, & pour paſſer de coſté &
d'autre, tant en terre ferme, qu'aux Iſles circonuoiſines oü ils auoient
| affaire. La ſeur du Prince, veufue de feu Alexandre Comnene, laquelle
Mechmetauoit priſe au parauant au paysdela Colchide,fut par luy miſe •

·
- 5 - © * ºw- - -

Del'Hiſtoire des Turcs. 297


disſon ſerrail,carde ſon tépsiln'y eut vne ſi belle dame en touteslespar
tiesdu Leuant, ne qui en ce cas ſe peuſt parangonner à elle. Son mary
eſtoit decedéàTrebizonde ayant eu vn fils d'elle, lequel Mechmet em
mena apres auoir pris la ville, que ce n'eſtoit encore qu'vn petit en
fant, mais depuis ille fit le plus grand de ſa courapres Bizantius, le frere
d'Amurat. Il donna auſſi en mariage la fille de l'Empereur nommee An
ne,au Zogan gouuerneur de la baſſe Macedoine,luy permettant neant
moins de viure en ſafoy & creance; & quandil demiticeluy Zogan du
Peloponeſe, illuyoſta quant & quant cette Princeſſe, & la donna au fils
d'Alban : mais quelque tempsapresilluy prit opinion del'auoir pourſoy
meſme, & la contraignit lors d'abandonner ſa religion, & ſe faire Tur
que. Oril ne tarda gueres depuis qu'il fut de retour du voyage de Me
thelin,qu'il ne fiſt mettre le Prince priſonnier:Ie ne ſçay pas ce qu'il pou- lepines de
uoit auoir faict, ſid'auenture on ne vouloit dire que de longue main il #
auoit la dent ſur luy, à cauſe de l'ennuy qu'il s'eſtoit touſiours ingeré de † A

à mort &l'oc

faire à la maiſon des Othomans. Toutesfois il y en a qui donnent vne §out


raiſon plus particuliere de ce mauuais traictement, c'eſt que vn des pages "
du ſerrail s'eſtant deſrobés'enfuyt à Methelin, là où cettuy-cy le retira,
qui le fit baptiſer; & en eſtant deuenu amoureux : en abuſa. Quelque
temps apres que l'Iſle fut priſe, & qu'il euſt eſté mené à Conſtantinople,
ceieune garçon ayant eſté oublié, & pris auec les autres, fut preſenté à
Mechmet,lequel indigné dufaict (carles pages ſes compaignons le re
cogneurentincontinent(fit mettre le Prince en priſon, auecvn ſien cou
ſingermain nommé Lucius, Seigneur d'AEnus,lequel eſtant encore fort
ieune,luy auoit aſſiſté aumaſſacre de ſon frere,& àl'vſurpation de l'eſtat.
Ainſi ayans eſté compaignons en cette meſchanceté,ilsle furent bientoſt
apresdeleurpriſon, là oû ſe voyans tous deux en tres-grand danger de
leurs vies,ſans ſçauoir plus à quel ſainct ſe vouer,furent contraints dere
nier leur foy,&ſe faireTurcs.Mechmetles fittout incontinét circoncire;
& prendre le Doliman,& le Turban : mais ils neiouyrent pas longtemps Impieté inu
· de ceſteſlargiſſement, ains furent bien toſt reſerrez & mis en vn cul de vengee
§ſt de la
foſſe,dont ils ne ſortirent oncques puis, ſinon quâd onles mena au ſup-§,
plice pourleurtrencherlateſte. -

I II,
VoILA en ſommeles deux voyages & expeditions que Mechmet fit
celleannee : Premierement contre les Valaques, tant que la ſaiſon de
meurapropre pour demeurer en campaigne , & de là en l'Iſle de Methe
lin : tellement que les froidures eſtoient deſia bien aduancees quand ilre
tournaau logis. Le reſte de l'hiuer,ille paſſa à faire faire des vaiſſeaux, #:
& equippervne groſſe armee de mer; eriger des moſquees, & baſtir des §
palais : ſe deliberant d'accommoder Conſtantinople pour ſa demeure,&
y dreſſervn Arcenal pour le ſeiour des vaiſſeaux qu'il deſſeignoit de là en
auant mettreſus, & les tenir preſts à toutes les occaſions qui ſe preſente
roient : caril penſoit bien de ſe rendre maiſtre & ſuperieur de ſes voiſins,
ſivne fois il ſe faiſoit le plus fort par la mer. Il auoit auſſi deſia pris opi
nion de faire vne fortereſſe, la plus belle de toutes autres, apres celle de
298 Liure dixieſme
Lemocopie en la Propontide, laquclle finablementilcdifia ioignant la
porte qu'on appelle doree,& baſtit encore d'autres tours fort grandes &
admirables à voir, enſemble tout le dedans du ſerrail : & vne autre tour
encore àl'entree du pôt des Scopiens ſurlariuiere d'Axius; plus vne fort
belle maiſon de plaiſance à Andrinopleau delà de la riuiere de Taenarus,
à l'endroit ou elle ſe va aſſembler à celle de Hebrus:& deux chaſteauxſur
le deſtroict de l'Helleſponte,l'vn en Aſie aupres de Maditum , & l'autre
tout vis à vis en l'Europe ; leſquels.ferment lepaſſage , & gardent l'aue
nue de Conſtantinople & de la mermaiour, où d'auantage l'on pouuoit
tenirvn grand nombre devaiſſeaux pour la ſeureté de toute la coſte.Ilfit
mettre en chacun trente pieces de groſſe artillerie, & tout plein d'autres
de moindre calibre,quibattoient d'vn bordà autre à fleur d'eau, de ſorte
qu'il eſtoit impoſſible d'étrer en ce deſtroict ſinon à la mercy de ces deux • *1

'fortereſſes:& eſtoient côtraincts tous les vaiſſeaux qui abordoient celle


part,d'aller mouiller l'âcre enl'vn des deux,& ſelaiſſerreuiſiteràla diſcre
ti6 du gouuerneur.Cela fit Mechmet en partie pour la guerre que deſiail
auoit proiectee contre les Venitiés,à celle fin que s'illuy ſuruenoît quel
que deſaſtre par la mer,ileut moyen de ſe retirerà ſauueté:mais il §e de
clara pas contr'eux que tous ces ouurages ne fuſſent en deffence. L'eſté
enſuiuantil s'en allafaire laguerre aux Illiriens ; c'eſt vn peuple fort an
cien , lequel habite le pays qui ſe va rendre à la mer Ionie , ayant eſté
autresfois en fort grande eſtime, & faict ſouuent de tres-belles choſes:
†"
Eſclauon.
l'origine
De
On l'appelle maintenant la Boſſine. Les Dalmates, Myſiens, Tribal
des Illiriens liens, & Sarmatesvſent preſqued'vn meſme langage que ceux-cy, pour
ou Voſſen
ciens.
le moins ils s'entendentlesvns les autres, toutesfois il eſt plus vray ſem
blable que premierement ils ſoient ſortis des contrees qui s'eſtédent vers
la mer Ionie, & dit-on que ce fut en bien petit nombre, mais ils ne laiſ
ſerent ſoudain d'acquerirvn grand bruict; car ils ſubiuguerent la Thra
ce, & de là ayans paſſé le Danube, s'arreſterent finablement en la Sarma
tie.Ily en a d'autres qui veulent dire qu'ayans eſté chaſſez de leurs côtrees
parles Tartares, ils ſe retirerent au pays qui eſt habité au delà du Da
nube;d'où s'eſtansiettez danslaThrace, & icelle conquiſe,ils ſe vindrent
habituer ſur le goulphe deſſuſdit.Mais ie ne me puis aſſez esbahir de ceux
qui veulent que ces Illiriens ſoient les Albanois,quaſi queles Illiriens qui
tiennent le goulphe del'Ionie ſoiét paſſez en cette terre-ferme,& en l' AE
tolie, & la region deTheſſalie.Au demeurant la contree qui prend de
puis la ville d'Epidamneiuſques augoulphcCarnique peut côtenir quel
3ooo.ſtades.
ques centlieues ou enuiron, toute habitee de gensquivſentd'vn meſme
langage : & s'aduance bien auant en pays iufques à la riuiere du Danu
/
be,là oü elle va atteindre les terres de Sandal,ayans de coſté & d'autre les
Triballiens & Myſiens pour voiſins. Toutes lesquelles choſes ie dis
pouſſé de cette coniecture, que les Illiriens ſans aucune doute ſont par
- uenus à vn fort grand pouuoir,& ſe ſont eſpandus en pluſieurs endroicts
de la Thrace : tellement que ieles croirois pluſtoſt deuoir eſtre appellez
|

Illiriens qu'Albanois. Et ſi ie m'accorde quant & quant à ceux, qui les


De l'Hiſtoire dés Turcs. 299
dientauoir pris ce nom de la contree, careſtansſeparez en pluſieurs par
ties,lesvns ont retenuvn langage:les autresvn autre.Et pour autant que
maintes manieres de gens y habitent, de parler tout different, cela me
faict penſer qu'ils ayent eſtéappellez Illiriens.Ce que i'ay bien voulu tou
chericy, pource § quelques vns ont opinion que la raiſon que i'aſſi
gne de cette appellatiô ne ſoit pas des mieux fodees,aſſauoir que du pays
qu'ils habitentils ſoientainſi nommez & que les Albanois doiuent eſtre
pluſtoſt referez entre les Maced9niens , que nul autre peuple: mais c'eſt "

aſſez de ce propos.I'appelle doncques les Illiriens ceux qui habitentioi- « tebaa a


gnant la mer Ionie,iuſques àlahaute Iſtrie ou Éſclauonnie(ainſi eſt dicte †
la contree qui s'eſtend le long du goulphe † à la plaine mer:)& fut § de
côtreºlesSeigneursd'icelle queMechmet(ainſi que nous auôs dit c deſ- † #º
ſus) entrepri la guerre pour cauſe durefus qu'il fit deluy payrle tributac-"
couſtumé. Car ayant enuoyé deuers luy vn commiſſaire pour le rece-toaſ .
uoir, il fit apporteren ſa preſence les cinquante mille ducats à quoyil ſe #º
montoit, en luy diſant : Voila devray l'argent qui eſt tout preſt, mais "
mon conſeil n'eſt pasd'aduis queie me doibue ainſi deſſaiſir d'vne telle
ſomme, pour en accommoder voſtre maiſtre : par ce que s'illuy prend .
opini6 de me faire laguerre,i'auray au moins dequoy me deffendre quel
ue eſpace de temps : Et ſi(à tout euenement)ie ſuis contrainct d'aban
† le pays,ie m'en pourray honneſtement entretenir le reſte de mes
iours. L'autre luy fit reſponce, que cela ne ſeroit que bien à propos
† luy que ce threſor ne ſortiſt point de ſes coffres, ſi cela ſe pouuoit
aire ſans contreuenir à ſa promeſſe & violer les conuenances : mais ſi
pourvne conuoitiſe † vouloit fauſſer ſa foy & parole, & que de .
ce pariurement il vouluſt attendre quelque heureux ſuccés, il ſeroit à
craindre que tout le rebours neluyaduinſt. Car de poſſeder à la bonne
heure vntelthreſor: cela ne pouuoit eſtre que bon;mais de s'en deffaire, *
pluſtoſt que d'irriter celuyparle moyen duquelill'auoit acquis,ce ſeroit
encor le meilleur. Ces propos neantmoins ne le perſuaderent pas , au
moyen dequoy l'autre s'en retourna ſans rié faire.Celaauoit meu Mech
metà entreprendre cette guerre tout au meſme temps que celle de Va
laquie, dont nous auons parlé cy deſſus, mais il fut contrainct de remet
tre cettuy-cyàl'annee enſuiuant, qu'il aſſembla à Andrinople toutes les
armees del'Aſie & Europe ſur le commencement du printemps,& fe mit
en campaigne pour aller en l'Illirie, ſe deliberant de donner par meſme Lerºy de
moyen ſur les pays de Sandal fils baſtard de celuy qui auoit auparauant †
commandé aux Illiriens: là où s'eſtans meues des querelles & partialitez #

entre les freres, qui aſpiroient chàcun de ſon coſté à l'eſtat,ils remirent
finablement la deceſion de leurs differends à Mechmet, lequel l'adiu
ea à Sandal, ordonnant à Iſaac gouuerneur des Scopiens voiſin de là, †
del'aſſiſter de tel ſecours dont il auroit beſoing pour entrer en poſſeſ-†"
ſion.L'ayant doncques accommodéd'vne groſſe armee,il commença de †
faire la guerre à ſes freres,& à gaſterle pays,dont lesTurcs qui eſtoient là §.
aupres1çeurét fort bié faire leurs besôgnes,& enleuerent ſous ſe pretexte §º
3OO · Liure dixieſme
luſieurs milliers d'eſclaues,qui furent ſoudain tráſportez en Grece,&en
Aſie.Car deſlors que Mechmet eut enuoyé vne Colonie au pays des Sco
- † & que Ioſué fils d'Iſaac fut par luy continué augouuernement de
on pere,on tira plus grâd nombre d'ames qu'on n'euftiamais penſé pour
vne telle prouince, qui ne contient en longueur à la prendre depuis les
Triballiens, & la riuiere de Dorobize,iuſques au domaine de Sandal, &
ººººººº le goulphe de l'Ionie,ſinon vingt cinq lieues en tout : Il eſt bien vray
2 ooo. ſtades
qu'en ſa largeur plus grande, dont elle ya atteindre les Pannoniens, &
· les meſmes Triballiens elle a bien ſoixante bonnes lieues.Aux Triballiés
commence la region d'Iſaac : Celle de Paule ſuit apres, les villes duquel
- arriuentiuſquesâux Illiriens : & auoient ces gens icy au precedent fait la
guerre contre les Seigneurs O thomans, tantoſtaueclesTriballiens,tan
toſtauec les Hongres, mais s'eſtans depuis reconciliezauxTurcs, ils les
guiderent eux meſmes pouraller pillerles pays eſpandus tout autour de
'Illirie; & delà tranſporterent la guerre contrelesTriballiens, le Prince
deſquels ſe reſſentant de cetteiniure,alla aſſieger quclquesvnes de leurs
laces,puiss'accorderent enſemble.Sandalauſſi de ſon coſté les eſtoitallé
† aſſaillir,auccl'armee Turqueſque , & leurauoit deſia porté vn grand d6
c#es mage : tellement que par deſpit de cela, s'eſtans cruellement animez les
# vns contre les autres,eux meſmesappellerent des Genniſſaires à leur ſe
cours, & acheuerent de ruiner leur pays. Car de toûs les deux coſtez on
prenoit iournellement grand nombre d'eſclaues, qui eſtoient tout ſou
dain deſtournez au loing: & ainſi cette pauure contree ſouffrit en pcu
de temps vne merueilleuſe deſolation, Sur ces entrcfaictes Iſaac , &
Paule ayans faict ligue enſemble, enuoyerent offrir leur ayde au Prince
· des Illiriens, car auſſibien auoient-ils deliberé de ſe declarer du tout con
tre Mechmet, ſi les Hongres ſe fuſſent tant ſoit peu voulu remuer, &
- euſſent eu le cœur d'entreprendre quelque choſe contreluy.
#a M A IS Il C ſe donnant pas beaucoup dc peine des conſeils de tous ces
§ petits compaignons,il ſe mitaux champsauec ſon armee,& s'envint paſ
des brigues & ſerlariuiere de Dorobize qui ſeparelesTriballiens d'auecles Illiriens,&
† 2


conſiſte tout de la marcha outre iuſques à celle d'Illiriſſus, qui eſt nauigable, où les
leur faict en bagages & les perſonnes paſſe rent ſur des naſſelles & radeaux baſtiz ſur
l'aſſeurance & - - 2 • - - -

† le lieu, & les cheuaux à nage. Car on dit qu'il eut bien à celle fois cent
†,
L'armee de cinquantemille cheuaux de combat, outre grand nombre de Genniſſai

#, res & Azapes, tous gens de pied: & vneimfinitéd'autre peuple,lequel ne


labeſine côbat point,mais ſuit le camp pour le ſeruice & commodité d'iceluy.Car
iln'ya nation en tout le monde, comme nous auons deſia dit ailleurs,
qui meine à la guerrevngrand carriage, ne plus de valetaille & de beſtes
devoicture, que font lesTurcs. Eſtant doncques cette grande caual
lerie paſſec outre la riuiere d'Illiriſſus , elle innonda ſoudain tout le
plat pays, ny plus ny moins que quelque gros torrent deſborde, rem
pliſſant tout de pillages,ruines & captiuitez,oüil ſe peut trouuer dequoy
prendre : & s'en vint finablement Mechmet mettre le ſiege deuant la
ville de Dorobize, forte à merueilles, & mal-ayſee à approcher à cauſe
- de ſa
#
Del'Hiſtoire des Turcs. 3o
# deſa ſituation, qui eſt au hautd'vne montaigne bien faſcheuſe : mais il #
mitvn ſi grand nombre de pieces en batterie,& tant de mortiers quiti-§ "
roient à coup perdu,qu'en peu deiourselle luy fut rédue parcompoſitió.
Ily laiſſa partie des habitans, partie illes departitaux principaux de ſon
armee, & enuoyale reſte pour peupler Côſtantinople.Cela faitilcom
# manda au Baſſa Machmut de # mettre deuant, auec toute la fleur &
'eſlite des forces del'Europe, pour eſſayer de ſurprédre le Prince des Illi
,! riens, en certain lieuoùl'on diſoit qu'il s'eſtoit retiré, ſe côfiant ſur vne
# eau large & profonde qui couroit entre-deux,laquelleil ne penſoit pas
, que les Turcs deuſſent paſſer, n'eſtant gueable en aucun endroict : & il
# auoit faict deſtourner tous lesbaſteaux, & autres commoditez qui leur
# euſſent peu ſeruirà cela.Mais le Baſſa faiſant vne extreme diligence par
# vn chemin àl'eſcartvn peu plus long que le commun, arriua au ſecond
# iourà vn endroict où cette riuiere ſe fourche en trois bras : & làilcom
[|(! mença à exhorterſes gens en cette ſorte.Gentils Muſulmans, c'eſt à ce Hinºgus .
#- coup ſequ'il
vous faut que
parforce vous vous
endroit ſoy demonſtriez gens de bien,& que
faire paroiſtrelavolonté qu'ilchacun de †
a de faire ges.

#. ſeruice au ſeigneur pourl'exaucement de ſagloire.Qu'onvoye donques


:#
t#.
qui ſera le conſiſte
tres,carlà premiertoutl'abbregement
à paſſer cette eau,afindedecette
monſtrer le chemin
guerre. aux au
Et ne faut pas
l0l douter que ſa hauteſſene le recognoiſſe parinfinis biens-faits & faueurs
#. qu'en receura celuy à qui la fortune,& ſa hardieſſe en donneront la gra
# ce.Il n'eut pas pluſtoſt proferé ces † ſans attendre autre com
,,
"ll(t
mandementvous
apparence de danger les yeuſſiez
quiypeuſtveuietter en foule
eſtre.Mais à corpsdeperdu,
le premier quelque
tous fut Omar # dieſ de
C0ſ- fils de Thuracan gouuerneur de la Theſſalie,lequel auecles ſiens paſſa Omar.
ſ, à
{,
à nage àl'autre bord, & tous les autres le ſuiuirent, qui s'eſpancherent
. W. V 1 » - - - - -

$C$
incontinent
auec quelqueà trauers
nombrechamps, là oü ſe Princecedes
de cheuaux,attédant queIlliriens eſtoit
les Turcs encore
voudroiét
# faire,caril ne les cuidoit pas deuoir eſtre quittes à ſi bon marché de ce
# paſſage.Et craignant que s'ilſe mettoit en deuoir de ſe ſauuer à la fuitte,
ils il ne § bien r'atteinct par vneſi grande cauallerie, legiere au poſſible,
ilſ & fortvſitee à faire de longues traictes, tout troublé & eſperdu qu'il e- !
# ſtoit, s'allainconſiderementietter dedanslaville de Clytie, oü le Baſſa
#-
ſlº
l'aſſiegea
ville ſurdel'heure.
capitale tous lesMechmet
Illiriens; &ce-pendant prit làle deuant
s'eſtant campé cheminles
dehabitás
Iaitie,
ſans faire autre reſiſtenceluyvindrent au deuant offrir les clefs & le ſup
plier de les prendre à mercy : Cartout auſſitoſt que les nouuelles furent
ſceües de la priſe de Dorobize la plus forte & inexpugnable place de
toutes les autres,l'eſpouuantemét en fut tel, que chacun àl'enuy d'eſtre ,
le premier s'efforça de ce rendre; eſperant par ce moyen de receuoirvn †*
meilleur & plus gracieux §les principaux de †
laities'eſtans venuz preſenter à Mechmet, ſe rendirent à ſa diſcretion;
le ſupplianstant ſeulement de leur laiſſer la forme de viure accouſtu
. mee, & qu'au reſteils luy demeureroient bons & fideles ſujects, preſts
l2 - - - - - - Cc
3O2 Liure dixieſme
d'obeyr à toutes les charges qu'il leur voudroit impoſer. Ce qu'il leur
octroya: & eſtant entré en la ville, mitvne bonne garniſon au chaſteau.
Puis choiſit quelque nôbre d'enfans des meilleures maiſons, qu'ilretint
pour ſon ſeruice, & en departit d'autres à ſes fauorits. Mais pour retour
s . "º Machmut quiauoit enclos le prince des Illiriens dans la ville de
§ Clytie, à laverité cette place eſt ſituee en lieu fort mareſcageux, carily a
º tout plein de lacs à l'entour qui empeſchent de § , & ſeroit"
vne entrepriſe trop grande, voire vn labeur preſque inſupportable de
les penſermettre à ſec: Neantmoins le mal-heurvoulut qu'à celle fois ils
ſe trouuerent tous tariz des chaleurs de l'eſtéquiauoient eſté exceſſiues,
ſi bien que Machmut recogneut incontinët tout plein d'endroicts, par
oü l'on pouuoit aller à pied ferme iuſques ſur le bord du foſſé, auec ce
u'ilyauoit fort grande quantité de cannes & rouſeaux, dont les Turcs
§ r'abiller les paſſages plus malaiſez,& faire des faſſines pour
combler le foſſé. Or § eſtoient ils tous preſts à y mettre le feu, qui
ſe fuſt facilement attaché aux pieces de bois entaſſees les vnes ſur les
capitulation autrcS cn forme de muraille, quant ceux de dedans ſe voyans en tel pe
† ril, firent ſigne du remparde vouloir parlementer; & là deſſus ſe rendi
# rét à compoſition leurs vies & baguesſauues,tât pour eux que pour leur
prince;qui auroit de cela vne ſeureté ſignee de la main du Baſſa, auec
ſerment ſolemneldelaluyfaire maintenir & garder par ſon Seigneur,
de quiilrepreſentoit la perſonne.Ces conditiösacceptees tout ainſi que
les Illiriensle requirent,la place fut rendue au Baſſa, lequellaiſſa ſembla
blement le commun peuple là dedans pour y habiter, mais il departit
la ieuneſſe à ceux qui auoient le mieux faict : Et furent les gros de
la ville menez à Mechmet quât & le Prince & vn ſien frere, qui n'auoit
pas encore treize ansaccomplis.
«ril De SA femme" s'eſtoit deſia au-parauant retiree à Rhaguſe,pours'exem
ote de Ser-
†. pter des perils & inconueniens de la guerre, & y auoit porté de †
- - - / -

#lleſ ira des richeſſes du conſentement meſme de ſon mary. Ques'il nous e per
depuis à Ro- - - - '- , - -. -

§ mis de direicy en paſſat quelque choſe de cette ville qui eſt aſſez fameu
†ſe elle eſt en premier lieu ſituee ſur le goulphe Adriatique , habitee de
† longue main parles Illiriens qui autresfois s'aſſemblerêt là,tous gens de
iours. marque & de noble ſang,leſquels viuâs par enſemble envne fort grád'
paix,amitié,& concorde,la rendirent en peu de tépstreſbelle& floriſſan
te,& l'enuironnerét de foſſez & de fortes murailles : Puis s'eſtans mis à
exercer le traffic de la marchâdiſe tant par la terre que par la mer,amaſſe
rent en peu de temps vn fort grand auoir. Il ont là dedans leurs vs &
couſtumes à part, & viuent ſelon leurs loix ſoubs vneforme d'Ariſtocra
tie,c'eſtà dire le gouuernement des plus apparens & mieux famez ci
toyens. Car entre les autres choſes qui luy ont donnébruict, elle eſt
conſtumiere de produire de bons cerueaux & des gens fort ſages & ad
uiſez, qui la decorent bien plus que tous les beaux Palais & edifices qui
y ſont Le pays de Sandal arriue iuſques aux portes, lequel eut nague
res ie ne ſçay quoy à demeſler auecques eux pourraiſon de ſa femme.
De l'Hiſtoire des Turcs. 3o3
Cette damcauccvn ſien fils encore tout ieune adoleſcent, ne pouuant la#e guerre de
lus ſupporter les rigoureux traictemens de ſon mary, s'y eſtoit retiree: §
Ét Sâdalles leurayant enuoyé redemâder,on ne lesauoit pas voulu ren- #ºgº
dre, parquoyilleur denonça la guerre. Les Rhaguzins de l'opinion de
tous eſleurent pourleur chefceieune Prince,& firent vne bourſe com
mune pour employer aux fraiz, tellement qu'ils receurent beaucou Adultere &
mieuxl'ennemi qu'il ne cuidoit. Or ce qui meut la mere & le fils de fai- †*
recette retraicte, (fut à ce quei'ay ouydire) pource que la femme d'vn †
marchant Florentinqui traffiquoit ences quartiers là, y arriua par cas †º
d'auenture; belle entre les plus belles, gentille, & de § bon eſprit ; #
comme ont accouſtuméd'eſtre tous ceux de Floréce,Sádal qui eſtoit d'a
moureuſe complexion en fut incontinétaduerti; & voulât voirſi ce que
l'o diſoit des femmes d'Italie eſtoitveritable, n'eut pas pluſtoſtiettél'œil
deſſus, qu'ils'en picqua de ſorte que tout à l'inſtant il oublia & l'amour
& le deuoir qu'il ſouloit porter † femme, pour ſe donner du tout en
proye à cette nouuelle amante, laquelle eſtant femme de bonne compo
ſition, ne ſe fit pas longuement faire la cour. Et luy ſoudain qu'il en eut
taſté y prit tel gouſt, que de là en auantil commença à traicter ſa femme
d'vne autrefaçon qu'ilne ſouloit,voire plus indignement aſſez que ſa
vertu, & le lieu dont elle eſtoit iſſuë ne requeroient. Ce qui fut cauſe
que cette princeſſe qui eſtoit de grand cœur, ne pouuant comporter vn
tel tort & iniure, ſe retira à Rhaguſe auec ſon fils.Sandalenuoya incon
tinentapres pour taſcher à la rapaiſer,de peur que demeurât ainſi ſeparce
deluy, cela ne fuſt cauſe de le ſcandaliſer enuers le monde: mais elle ne
voulut retourner,nyle ſenat de Raguſel'exclurre de leurs murailles, que
preallablementiln'euſt abandonné ſa concubine:ſinon, qu'il en ioüiſt à
la bonne heure, & ſ'en ſaoulaſt tout à ſon aiſe.Voila comme l'on dit que
· les choſes paſſerent pource regard: Tellement quele fils eſtant animéà
l'encontre du pere, & eleu chefdes Rhaguſins ,il ſe mit en campagne

º[•
pourallerdroict à luy: là oûy eut bataille donnce, laquelleil gaigna, &
contraignit les ennemisde prendre la fuitte,apres en auoir mis à mort
j: vne grande partieſurla place.Choſe àlaveritévn peu doubteuſe, quel-batailleentre
d:
que pretexte & apparence de raiſon quiyſçeuſt eſtre: car il ne ſe conten.†***
ta pas de la victoire, par le moyen de laquelle il ſ'empara ſur l'heure de
ſl
l'heritage dót auſſi bienil deuoitiouir quelqueiour, mais deſpeſcha de
uers Mechmet pourl'inuiterà prendre les armes auecques luy contre le
Prince des Illiriens, en quoy de ſon coſté il le § Et ſceut ſi
bien poulſer la negociation par ſes pratiques & menees, que finable
mentil attiralesTurcs à cette guerre.Mais ayant ſçeucôme ils venoient
en beaucoup plus grand nombre qu'il n'euſt deſiré,il ſe preparaauſſi, &
tint ſur ſes gardes pour deffendre ſon pays, ſi d'auenture on y vouloit
nen entreprendre. -

yI.
OR pour retourner d'oü nous ſommes partis, apresque Machmut fils
de Micheleut pris le Printe des Illiriens dans la ville de Clytie, ill'em-.
menaà Mcchmet&receut encore parles chemins quelques autres places
Cc ij
3O4- | Liure dixieſme -

qui ſe rendirent par le commandement de leur ſeigneur, pendant que


Omar s'en alla d'vn autre coſté pouracheuer de nettoyer le reſte.Mech
met eutvn grand plaiſir devoir ſitoſt ſon ennemi entre ſes mains : mais
il ſe courrouça fort au Baſſa del'aſſeurance qu'il luy auoit donnee, & n'y
pouuât faire autre choſe pour l'heure,ſinon de luy maintenir ce quiluy
auoſt eſté promis en ſon nom, l'emmena priſonnier auec luy au pays de
Sandal: carilauoit deſia ſubiuguétous les Illiriens, tant par luy meſme,
que par Machmut&Omar, qui fit tout plein de belles choſes en ce voya
† augmentabien la bonne opinion qu'ilauoit deſia acquiſe ſur tous
p.cation !ºs autrºs braues de la porte. Sur ces entrefaictes Mechmet enuoya à
d§ Rhaguſe demâder la femme de Sandal, & elle qui s'en doutoit bien l'a
| †"" uoit preuenu, & s'eſtoitretiree en Italie tout auſſitoſt que les nouuelles
vindrent de la conqueſte du pays, tellement que les Ambaſſadeurs s'en
retournerent ſans rien faire : & Mechmet ayant raſſemblé toutes ſes
forces, entra au pays de Sandal qu'il courut & gaſta d'vn bout à autre :
car ſa cauallerie legieres'eſtant eſpanduë de tous coſtez, raffloit iuſques
à la terre propre, & ſi entoura encore quelques places. Les gens de
- guerre pourſe voir en ſi petit nombre, n'oſans comparoir en campa
gnc, ſetenoient dedans les montaignes, eſpians l'occaſion de donner
vne nuict à propos ſur le logis de Mechmet comme ils firent ; & pil
lerent quelque hardes d'arriuee : L'alarme puis apres s'eſtant eſmeüe
parmi le camp, ils furent contraints de ſonner la retraicte.De la Mech
met s'en alla mettre le ſiege deuant laville principale de Sandal, où ilde
meura † ſans rien faire; parquoy il mena ſon armee ſur les
Enfins vn terres de Cóſtantin, de Caraguſie & de Paule, leſquelsilenuoya ſommer
#† de luy remettre le tout entre les mains, & qu'il les recompenſeroit ail
† leurs en l'Europe meſme,àquoyils obeirent preuoyäs qu'auſſi bien ils ne
les pourroient deffendre à la longue, pour eſtreainſi enclos aubeau mi
lieu de ſes pays; & s'en allerent tous trois de compagnie luy baiſer les
mains : Maisilleur fit mettre les fers aux pieds & les emmena ainſi liez
& garrotez auecluy. Quant au Prince des Illiriens, comme on l'euſt
vne matinee ſurpris que tout eſtoit encore en repos parmi le camp, taſ
chant à ſe ſauuer (au moins ainſi qu'on diſoit ) Mechmet commanda
del'admener en ſa preſence; & l'autre ſe doutât bien que ce n'eſtoit pour
*
rien de bon, prit quant & ſoyles lettres de ſeureté que le Baſſa luy auoit
depeſchees les tenant au poing comme ſi elles luy euſſent deu ſeruir
de franchiſe. Nonobſtant toutesfois tous ce qu'il voulut alleguer là
Inhumanité deſſus,lateſte luy fut trenchee ſur le champ : Les autres eſcriuent qu'il
†- fut eſcorché tout vif : D'autres, que Mechmet en vn banquet beut
#ºº d'autant ſa mort à Perſas ſon precepteur, qui l'alla execurer ſur l'heu
des Illiriens,
# re : & d'autres que ce fut l'Eſcuyer de cuiſine de bouche, qui le mit à
§ § mort , alleguantl'auoirſurprisainſi qu'il vouloit mettre du poiſon par
myles viandes qu'on appreſtoit pour le ſeigneur:Toutesfois on eſtime
que ce fut pour faire deſpit à Machmut qu'il auoit aſſeuré de lavie, car
cettuy-cy luy eſtoit ennemy. Comment que ce ſoit, ce fut pour le
Del'Hiſtoire des Turcs. 3O5
moins du conſentement de Mechmet, quiauſſi bien ne cherchoit q'ua
s'en deffaire.Ainſi finaſesiours ce pauure Price infortuné, trop haſtifà
entreprendre vne choſe de ſi grand poids, & plus mol encore à rien .
executer qui fuſt digne d'vne telle audace. Quandles Venitiens, & les †
Hon § plus proches vôiſins eurent bien penſé à leur faict; & pris #
garde de plus pres aux grandes proſperitez & accroiſſemens de Mech-,
met, cettui-cy porté par terre, & les autres ſeigneurs du pays detenus :
envnevile & miſerable captiuité,adoncques ils cognurent bien qu'ils
auoient trop attendu, & que le danger croiſſant à veüe d'œil, les me- -

naçoit maintenant de prés. De fait les capitaines de Mechmet com


mençoient deſia de faire tout plein dextortions&violences à leurs ſub
iects, dont il ne ſtoit plus poſſible de ſe taire, & neantmoinsils s'eſtoiét
touſiours tenus coys en attendant l'euenemét de ceſte derniere entre
priſe, ſans auoir voulu cependant rien enfraindre des capitulations
qu'ilsauoient auec Mechmet, iuſques à ce que Ioſuéle fils d'Alban eut
pris d'emblee la ville d'Argos,parla mtchåceté & trahiſon d'vn preſtre, v, preſtre li
qui la liura aux Turcs, & de là commença de faire tout ouuertemét #
la guerre, D'autre part Omar fils de Thuracá eſtoit allé fairevne cour- r§"
ſe † le territoire de Naupacte,& ne s'abtindrent point encore l'vn ny
l'autre de mettre le pied dans les terres prochaines de Modon au Pelo
* poneſe, qui eſtoient des appartenances des Venitiens.Au moyen de
quoy ne pouuans plus endurer ces entrepriſes & violences,ils s'aſſem
blerent pour voir ce qui eſtoit de faire,& y eut pluſieurs choſes debat
tues d'vnc part & d'autre au conſeil qu'ils appellent des Pregai,
c'eſt àdire des inuitez ou ſemonds . Finablement Victor Capel
li,hôme riche & de fort grande authorité,voiretenu pourl'vn des plus
aduiſez de tout le Senat ſe leuant en pieds,harengua encette ſorte. VII,
I AY cogneu par pluſieurs experiences, Seigneurs,ce peuple icy ne
s'eſtreiamais perdu és plus forts & dangereux affaires,ains auoir tou
ſiours brauemét reſiſteàſes énemis,toutes lesfois qu'ô s'eſt voulureſoul†" . ſieur Victor

dre par voye de côſeil;parquoyil me ſéble neceſſaire de vous remöſtrer nat


c de#
- Veniſe
aucunes choſes,vous voyant ainſi lents&pareſſeux à prédre les armes, §
quela neceſſité à la par fin vous mettra bon gré mal gré que vous en #us
ayez étre les mains. Car certes il faut que ievous die,qu'il séble que de l**"
propos deliberé, vous vueillez trahir voſtre choſe publique és mains
propres de s6plº mortel énemy quâd vous téporiſez ainſi à vous decla
-
rerà fencôtre de luy, d'autât que la pl" part de ceux qui ont fauthorité&
gouuernement monſtrent eſtre d'aduis,qu'ilne faut pas ainſià la legie
re ſe reſouldre en vn affaire de telle importâce,mais que prealablement
.on doit éuoyer des ambaſſadeurs à Mechmet pour ſcauoir &e qu'il veut
dire ſurl'entretenement des traictez que nous auons aucc luy, lesquels
neantmoins il permet tous les iours à # gens de violer & enfraindre
comme illeurplaiſt,contre lafoy & le ſefment par luy donnez,& qu'6
le doit requerir de les garder, ſuiuant ce qui a eſté conuenu & accordé,
ſi d'auenture nous eſtimons que § par paroles que non
- | Cc ij
3o6 Liure dixieſme
pas à la pointe del'eſpee, on le puiſſe amener à ceſte raiſon : Et que ſi
par ces rem6ſtrances on ne peut rien faire enuers luy, que nous ſerons
alors tout à temps de deliberer de luy faire la guerre, & de donner
noz voix là deſſus Car pour bien peſer les choſes, il faut cöfererles pc
rils les vns aupres des autres, afin de pouuoir eſlire les moindres,& que
celuy qui a de dire ſon aduis ſe tienne touſiours à cette maxime, deles
tous conſiderer par le menu. Car ceux qui ſont du tout de côtraire opi
nion à la noſtre, alleguét pour leurs raisôs, que ſi nous venons auxar
mes contre Mechmet, il ne faut plus faire d'eſtat des places que nous
tenós en terreferme, tant és coſtes du Peloponeſe,que de la mer Ionie,
pour ce qu'elles ne pourr6t plus auoir deviures& autres cómoditez,&
ce quiy eſt, n'eſt pas pour durer longuement: D'auantage que le traffi

que viendra à ceſſer, nous ſeroit vne perte trop intolerable; pour
toutes leſquelles conſideratiôs on doit differer la guerre le plus que l'ó -

ourra,& taſcher par douceur de remettre les choſes, enuoyât desam


§ qui moyenneront plus aiſément cela,que toutes noz forces
ioinctes enſemble neſçauroiêt faire Orauât toutes choſes ie viendray
· à parler de lambaſſade, & puis toucheray les autres poincts. No°nous
pouuous aſſez ſouuenir,ſeigneurs,comme cy deuant, que nousauons
deſpeſché desambaſſadeurs deuers Mechmet, gens ſages, prudens, &
aduiſez, il s'eſt neantmoins mocqué d'eux & de nous, leur donnant
de belles parolles en payement, pleines d'âbiguitez & deſtours: car à la
fin ilafaicttout le contraire de ce que nous attendions de luy.De ſorte
que ie ne voypas-quels memoires & inſtructions nous puiſſions dö
ner à ceux qui de nouueauy ſeront enuoyez, ne quels principaux chefs
ils pourroient toucher en negociant auec luy, ſi d'auenture ce n'eſtoit
cettui-cy: Les Venitiens, ſeigneur, n'ont pour le iourd'huy aucunes
forces pour reſiſter à tout ce que tu voudras entreprendre ſur eux, ſoit
à tort, ſoit à droit,& pourtât ont recoursaux remöſtrâces qu'ils te font
preſentemét,à quoy s'il ne te plaiſt auoir eſgard, ilfaut qu'ils te laiſſent
faire du tout à ta volunté.Voila certes,ſeigneurs,vn fort beaulan gage,
& bié digne du nom & magnanimité de noz anceſtres, qui ont tât pris
de peine pour nous eſtablir ce beau & puiſſant eſtat,auccla reputatfon
q nous auös (grace à Dieu )touſiours iuſques icy maintenue & gardce.
· Il y auroit bien de vray quelque apparence de faire ſonder encore fin
tention de Mechmet,s'il ne s'eſtoit deſia tout ouuertement declaré c6
tre nous par la priſe d'Argos, taſchant de deſcouurir le premier ce que
nous auösauventre,&iuſques là où noſtre patiéce,ou plus-toſt noſtre
puſillanimité ſe pourra eſtêdre, non ia par paroles cóme nous voulons
faire,mais parlesarmes& les effects.Car ſi nous cóport6s ces premiers .
traicts & eſbauſchemens, il eſt à craindre qu'il ne vueille conſequem
menty appoſer la derniere † Là où ſinous monſtrös viſage tel que
gens de cœur doiuent faire, lüy meſme (peut eſtre ) ſera le premier à
nous rechercher de paix, & filer doux. Sinous le faiſons ainſi, la repé
tance ſans aucune doubte ſuyura bien toſtla faute.Mais ie ne ſçay ſi
-
Del'Hiſtoire des Turcs. 3o7
elle arriuera à temps; car on ſçait bien que la premiere fois qu'il mit le #ire ! VI)

|;
-
picdau Peloponeſe,ilvoulut voirl'Euripe ou deſtroit de mer, & le re-† .
#
cognoiſtre luy meſme,enſéblelaville ſituee ſur le bord d'iceluy,laquel-| lide
• - -

• •en la Bœ
*

le nous ten6s;&que depuis ily retourna vne autrefois écores, pour fai- #
re ſonder le paſſage.Aquel propos tout celaie vous prie,ſin6 pourl'at-§"
taquer & enuahir,Vous ne ſçauriez pas donquesauoir de plus apparés †
teſmoignages de ſa mauuaiſſe volonté, que celuy là,ſans aſſez d'autres †#
qu'iltrop
noz nouslongues
a monſtrez de vouloirauecles
& ireſolues armes
deliberatiós. bien
Mais entoſt
cettevenir decider
guerre que †º CU11C

nagueres il nousa ouuerte, ſel6 que nous auôs eſté aduertis c'eſt choſe
ſeure qu'il procedera de ruſe & malice : Car il prendra en premier lieu :
tout ce qui luy viendra en main : dont il retiendra ce qui ſera le plus à
propos pour le bien de ſes affaires, & du reſte qu'il verra eſtre de peu
d'importáce, il fera séblant de nous en vouloir faire quelque rais6,de
ſauoüant ſes gens de ce qu'ils auront faict. Et parce moyen pied à pied
gaignant touſiours pays, nous ne nous donner6s de garde qu'il ſera à
# noz portes, ſans que plus il n'y ait moyen de luy reſiſter, pour ce qu'il
)I$ ſera deſiamoté à vne trop grâde puiſſance: Le tout par noſtre laſcheté,
ſly qui nous amuſons à le contépler cependant qu'ilruine noz voiſins,&
s'accroiſt de iour en iour de nouueaux Royaumes& Empires. Quoy
lflt doncques,pourrois-ie opiner qu'il ne faut point faire la guerre à vn tel
ii h6me Et certes ceux là ſe paiſſèt d'vne vaine eſperâce, eux&les autres,
[(º -qui ſe perſuadent que iamais fl ne nous inquietera, ny entreprédra rien
% † nous, quâdbienille pourroit faire tout à ſon aiſe,&pourtât qu'il ne
# · le faut point irriter,ains eſt beaucoup plus ſeur de viure en paix & ami- .
tiéauecques luy;nous tenans neantmoins ſur noz gardes, & pourueuz
à toutes aduentures de ce qu'il faut. Mais ſi parles choſes deſſuſdites,&
tant d'autres encore que ie ne dis pas, on voit euidément qu'il ya deſia
longtemps qu'il nous fait la guerre,lequel penſerez vous eſtre pl°vtile
ou de demeurer en repos, & ſouffrir qu'il nous volle de iour en iour
quelque bonne piece , ou de monſtrer à ce barbare quelle eſt auſſi no
ſtre puiſſance,& combien grandes ſont nos forces Car ſi nous deſcen
dons àvne guerre ouuerte eſtás armez, pour le moins nou-nous pour
rons garder de ſes embuſches & aguets, & auec noſtre armee le co
ſtoyer,nous tenans ſoigneuſement ſur nos gardes, & eſpiâs l'occaſion
propre pour luy donner quelquebône eſtrette.Et ne doit-on pas repu
ter ennemyceluy quitaſche de ſurprendre&rauir ce qui eſt noſtre?Que
ſi nous le laiſſons ainſi faire tout ce que bon luy ſemblera ſans luy don
ner empeſchement,c'eſt autât d'occaſion à noz ſuiets propres de ſe d6
ner de leurbon gréà luy, pour fuyr les dâgers que l'hoſtilité leur pour
roit apporter.Si doncques la guerre nous eſt en toutes choſes plus ne
ceſſaire contre ceſt homme que n'eſt la paix,qui eſt celuy ſiaueuglé,qui
nevoye bié qu'il no°la faut plus-toſt eſlire, que de demeurer touſiours
ainſi àl'ancre, en vn calme & temporiſement ſans aller ny auant nyar
tiere dont rien de plus dangereux & dommageable ne nous ſçauroit
- - - --- -- . - - - - - - -- - Cc iiij -
3o8 . Liure dixieſme -

aduenir; comme lors il nous aduint, quandabandonnant laſchement


& l'Empire & l'Empereur des grecs,nous vouluſmes eſtre ſpectateurs
§
oiſifs de la ruine des murailles que ce Barbare met
toit bas à coups de canó: car il n'ya perſône d'entre nous qui ignorele
prouffit & cômodité que noſtre traffique receuoit des Grecs, Depuis
nous euſmes encore à meſpris, & reiettaſmes fort bien l'inſtance quc
nous firent les Ducs du Peloponeſe, qui à mainsioinctes imploroient
noſtre ſecours? tellement que ceſte nonchalance fut cauſe de faire per
dre le plus beau pays de toute la Grece. Et tout freſchemét que le prin
ce des Illiriés requeroit noſtre ayde auec de ſibelles & âples promeſſes
nous l'auons neantmoins laiſſé maſſacrer cruellement preſque deuant
noz yeux.Tous leſquels ayâs par nous cſté abandonnés,(ie nc ſçay ſiie
dois dire trahiz)Il ne ſe peut faire autrement,que nous n'ayons encou
ruvne grâde note d'infamie enuers tous les peuples&nations de l'Eu
rope,qui pourront dire que pour la gloutonnie de ie ne ſçay quelle pe
tite mercadécerie, &prouffitinfame,&nous ayons pris plaſir de laiſſer
-
exterminer par les armes des infidelles,ceux qui eſtoient de meſmes
meurs&creance auecques nous.Mais pour finablement reſtreindre en
vn,&amaſſer tous ces diſcours ainſi eſpars,ie dis que ſi nous venons à
faire ligue auec les H6gres,&parenſéble mouuoirlaguerre à ce cómun
ennemy,les terres que nous poſſedons nous demeureront paiſibles:
Que ſinous reculons de ce faire,&qu'on vueille perſiſter en l'oiſiueté
accouſtumee,nous verrós de briefaccabler les autres, & ſerons quât & "
quant deſpouillez de tout ce que nous tenons au pres de luy.Au moyé
dequoy ie côcluds,que tout au plus toſt ſoient deſpeſchez des Ambaſ- .
ſadeurs deuers les Hongres,auecforce argentD'auantage qu'outre les
vaiſſeaux que nous auons deſia preſts à mettre en mer,l'on en equippe
encore le plus grand nombre qu'on pourra : & ſi ne faut pas oublier
de ſoliciter le Pape pour entrer en ligue auec nous,voire d'eſtre luy
meſme chefde cetteſaincte entrepriſe.Plus de faire en ſorte que le Pe
loponeſe ſe rebelle ce qui ſera bien aiſé (ceme ſemble)pource que ſi
les Peloponefiens ſe ſont ainſi volontairement rengez deuers celuy
des deux Princes qui s'eſtoit departy del'obeyſſäce de Mechmet, non
obſtant qu'ilfuſt tres-pauure,voire preſque deſnué de tous moyens,
&pour cette occaſion n'ayât refuſé d'abandonner leurs maiſons & leur
auoir, & ſe ſous-mettre à pluſieurs grands perils&dangers;que ferótils
(ie vous prie)ſi vne fois ils apperçoiuent de telles forces tant parla ter
re que par la mer,preſtes à branſler contre ce tyran?Il faut auſſi enuoyer
deux mille cheuaux legiers Italiens au Peloponeſe,& donnervne abo
lition generale à ceux de l'Iſle de Candie,de toutes les fautes paſſees:car
uand ils ſe verrontaſſeurez, ils retourneront incontinent à nous, &
† dans le Peloponeſe,d'où ils ne donnerét que trop d'affaires
auxTurcs: cela eſtant ce qui nous peut le plus faciliter l'entree du pays.
Etainſi de côpaignie auecles Hongres, eux parle coſté du Danube, &
nous par celuy du Peleponeſe,y pourrôs faire vn merueilleux eſchcc&
De l'Hiſtoire des Turcs. . 3O9
·nt
rauage. Et par ce moyenne demeureront pas ainſi inutilement les bras
I,
croiſez,à branſlerlesiambes ſurvn banc,ſans ſe donner peine ſilesTurcs
gaſtent noz terres, & emmenent noz ſuiets en ſeruage. A tout le moins
monſtrerons nousauxautres le chemin de ſe deffendre en gens de bien,
de ſes mains cruelles & inſatiables. -

LE ſieur Victorayant ainſi parlé en tira pluſieurs de la compagnie à , v1 1 I.


ſon opinion.Et comme le nombre des balottes ſe rencontraſt preſque #
egal, ceux là neantmoinsl'emporterent qui vouloientlaguerre, & s'en ##
trouua quelquesvnes de plus. Parquoy ils † des Ambaſſa-ralitédcsvoix,
deurs à Rome, & en Hongrie, auec de groſſes ſommes de deniers. Ceux
quiallerent deuers le Pape, remonſtrerent comme l'occaſion preſente
l'inuitoit deioindre ſes forcesauec celle de la ſeigneurie, pour aller par
enſemble courir ſusaux infideles, ſelon ce que la ſaincteté auoit aupara
uant promis en la ville de Mantoue.A quoyle † fit reſponce,qu'illuy
, falloit premieremét cheuir du petit barbare (ainſi appelloi-ille Ducd'A, Sigiſmond
- - - - - - -

rimini,le plus dangereuxaduerſaire qu'euſt pointl'Egliſe:)cela faict qu'il Mal eſt .


s'employeroit volontiers côtre le grand Mais il vaut mieux paſſer icy
ſousſilence,l'occaſion pour laquelle le ſainct Pere eſtoit ainſi anime co
trel'autre.Au regard de ceux qui allerent deuers les Hon§ pour les fai
re declarer contre le Turc, apres qu'ils eurenteſtéintroduictsau conſeil
en la preſence du Roy Mathias , ils firent leur harangue en cette ſorte. †
SIRE & vous autres meſſieurs qui eſtesicy preſens, vous ſçauez aſſez à §u
quellegrandeur de pouuoir eſt monté l'Empire desTurcs, qui ont deſia #
ſouſmis à leur obeyſſance la pluſpart des peuples Chreſtiens, pilléles pays
quinous appartenoient, & remply l'Europe & l'Aſie des eſclaues qu'ils
en ont enleuez. D'auantage, paſſans & repaſſans d'heure à autre le
Danube, ils ont deſole toutes les contrees d'alentour,& mis tout à feu &
à ſang.Maintenant ſi vous nous voulez croire, ce commun ennemy ne
paſſera plus ainſi aiſément à la ruine de vos terres : Car nous eſtimons
eſtre aſſez euident à ceux qui voudront auec la raiſon venir pe
ſer lesaffaires, que ſi vous les premiers paſſez le Danube ſur ſur luy, &
vous iettez dans ſes pays, quevous y remuerez de terribles meſnages, &
mettrez tout ſans deſſus deſſous. Mechmet(commeil eſt notoire)à ſub
iuguéles Grecs, & annexé à ſon Empire ce qu'ils poſſedoient en Aſie &
Europe : a conquis la region desTriballiens, & le Peloponeſe entiere
ment : a ruinél'Empereur de Trebizonde de fonds en comble, & s'eſt
emparédel'eſtat : a donnétel Seigneur aux Valaques que bonluya ſem
blé: amiſerablement pillé & ſaccagé les Illiriens ; † Prince d'iceux,
homme paiſible & equitable,puis l'afaict inhumainemét mettre à mort, ,
contre la foy & aſſeurance quiluyauoit eſté donnee. Que penſez vous
doncques que doiue finablement faire celuy, qui en ſi peu de temps a
proſterné tant de puiſſans Royaumes & Empires? Carilne ſe faut pasat
tendre qu'il ſe donne àvne oiſiueté & repos, ains ſe voudra touſioursac
croiſtre & dilater pied à pied ſur ſes voiſins,& ioindre leurs terres auecles
ſiennes, Etſinetemporiſera paslonguement, qu'on delevoye ſeietter à
-

-
3IO Liure dixieſme
main armee ſur les vns & ſurles autres, dont paraduenture vous pour
riez bien eſtre des premiers quile verrez(ſivous n'y donnez ordre)l'vn de
cesiours pillervoz contrees deuant vozyeux,emmenervoz meſnages en
ſeruitude & captiuité, hommes, femmes & enfans, & paſſer par le fil de
l'eſpee les meilleurs devoz capitaines, & ſoldats.Carileſt, & ſera àtout
iamais irrcconciliable ennemy enuers tous ceux du nom Chreſtien:ne ſe
monſtrant pas plus benin à ce qui luy ſede & obeiſt, qu'à ce qui luy reſi
ſte & fait teſte.Vou-vous pouuez encore bien ſouuenir de ce qui aduint
àvoſtre Roy Vladiſlaus,toutesfois pource qu'il fut tué de bonne guerre,
on n'a queblaſmer en cela : Mais quel tort,quel deſplaiſirou iniure auoit
faictauxTurcs ce pauurebon Dauid, dernier Empereur deTrebizonde,
le Duc de Methelin; le Prince des Illiriens , netant d'autres, que c'eſtin
ſatiable a fait mourir?Au moyen dequoy ſi ſans diſſimuler, ne remettre
les choſes en longueur, vous prenez les armes contre luy, & vous iettez
ſurſes pays, vous luy amortirez certes en brief cette deſmeſuree & inſa
tiable ardeur de conuoitiſe & ambition,laquelle ſe nourriſt & augmen
te de voſtre patience : tellement que vous l'aurez (& ſoyez-entousſeurs)
l'vn de ces iours ſurles bras,auec toutes les forces del'Aſie& del'Europe.
Ie ne ſçay puis apress'ilyaura plus d'órdre de luy reſiſter, ne de garentir
la Hongrie qu'il ne l'empiette, & ne la vous rauiſſe d'entre les mains,auec
vne finale extermination devoſtre nom,&memoire.LesVenitiensayans
Reſpensedu mis finàleur parler, le Royleur reſpondit en cette ſorte. SE1GN EvRs,
Roy de Hon
# aux Am i'auois touſioursaſſez ouyloüervoſtre prudéce,&boniugement en tou
aſſadeurs de
Veniſe. tes choſesmain:tenant i'envoy à l'œilbeaucoup plus qu'ilnes'en dit;que
vous eſtes gensaduiſez,entendus & practiquez non ſeulement en ce qui
concerne le train ordinaire de cette vie, mais aux affaires d'eſtat encore,
& deliberations d'importance, & pourbien maintenirvne choſe publi
que en ſon entier. Toutesfois vous n'eſtes pas bien records ( comme il
nous ſemble) que par tant & tant de fois vousauez eſtérecherchez d'en
trer en ligueauecques nous contre le Turc, dequoy vous n'auriez iamais
voulu tenir compte, combien que noſtre ſainct Pere vous en euſt faict
toutes inſtances à luy poſſibles:mais au lieu de cela, vou-vous en allaſtes
fort bien faire alliance auecl'autre, ſans vous ſoucier de cequinous pou
uoit aduenir, allegans pourtoutes raiſons, qu'il n'eſtoit ne beau §
neſte de vous bander contre celuy, qui ne vous auoit point fait de deſ
plaiſir. Etlà deſſus nous paſſaſmes par pluſieurs fois le Danube ſur les
Turcs,oü la fortune nous fut ſi peu fauorable que chacun ſçait.Car nou
nous ſentós encoredela playeque nous receuſmes,par faute d'eſtre ſecou
rus de ceux quiyauoientautant ou plus d'intereſt que nous. Et tout pre
mierement le tres-preux & vaillant Vladiſlaus noſtre predeceſſeur que
Dieu abſolue,y fut tué en combattant valeureuſement : Puis apres au
| tres pluſieurs grands perſonnages, qui partie finerent leurs iours ſur la
place, partie furent emmenez priſonniers en cette rencontre que nous
euſmes en la plaine de Coſobe,au pays des Triballiens. Toutes leſquel
les choſes nous vousauons bien vouluremettre deuant les yeux,afin que
5) ,r N r » ! J - -

Del'Hiſtoire des Turcs. 3II


vous cognoiſſiez que parle paſſéilya eu de la faute devoſtre part. Si ne
voulonsnous pas pourtant vous eſconduire, ne man quer en vne ſibon
ne&ſaincte entrepriſe,ains ſommes preſts de prendre les armes en voſtre
compagnie, & repaſſer encore le Danube pour aller enuahir le pays du
Turc;que nous enuoirons deffier tout auſſitoſt que le printemps ſerave
nu, & luy denoncer laguerre, dont àl'ayde de Dieu nous eſperons auoir
bonne iſſue:Pour le moins nous ne deffaudrons point à noſtre deuoir, &
yemployerons toutes les forces & moyés qu'il nous a donnez en ce m6
de. Mais il faut auſſi que devoſtre part vous entriez au meſme téps dans
le Peloponeſe,pour † tout le dommage quevous pourrez,afin qu'v
nanimement&tout àvn coup nous luy faciós laguerre de deux endroits,
& qu'on luy donnetant d'affaires qu'il ne ſçache à quelbout ſe tourner.
Ces choſes ainſi accordees d'vnepart &d'autre,les Ambaſſadeurs deliure-ººº.dºº
rentau
d'autantRoy vingt cinqmille
d'hommes; ducats, que
& s'en allaietter ſoudain il employa
à l'impourueu dans lesàvneleuee #.
terres du § Hongres
pour l'entree
Turc, qui ſont à l'autre bord du Danube. Or Sabatin auoit faictvne†"
grande cloſture de murailles en forme de Bloccuau deuant de Bel grade Tºrº

#
pourlabrider, & que celaluy peuſt ſeruir de retraicte és courſes qu'il fe- Exploict de

roit dansla Hongrie,afin d'y mettre ſon buttin à ſauueté: là oûayant laiſ g§
#
ſévn nombre ſuffiſant de Genniſſaires pourlagarde du fort,ils'en eſtoitº"
# allé à la porte. Le Roy Matthias s'en alla auant toute œuure la mettre

par terre : Puis paſſa la riuiere de Saue : mit en routte les
Turcs & lesTriballiens, qui luy vouloient donner empeſchement, &
ramenabienvingt mille eſclaues en la maiſon. Qui fut tout ce que les
Hongres exploicterent de leur coſté. -

MA1s les Venitiens incontinent que leurs Ambaſſadeurs furent de ix.


Armee de
retour, mirent en mer trente cinq galeres, & douze † naufz, auec m§v§ nitiens contre
· leſquellesils prirent la routte du Peloponeſe, ayans chargé deſſus gran le Turc.

nombre de ſoldats Italiens,& bien deux mille cheuaux legiers.Et creerét Iacomo Lau
- -

chefde cette armee le ſieur Iacomo de lamaiſon des Lauredans, homme §


de ſingulierevertu,auquelils donnerent plain pouuoir,auctorité &puiſ-†"
ſance partoutes les terres qu'ils tenoient le longdelamer Ionie, & Egee,
pour diſpoſer de toutes choſes, commeilverroit eſtre à faire pour le ſer
uice de la choſe publique. Et enuoyerent d'autre part en Candie pu
blier vn edict d'abolition à tous ceux qui ayant commis quelque crime
& delict s'eſtoient retirez celle part, à ce que ſans auoir doute de rien ils ooo Poruſ
vinſſent en toute ſeureté en cette guerre. Ceux-cyfirent bien le nombre §
de quatre mille hommes, qui paſſerent au Peloponeſe pour eſmouuoir #.
ceux du pays à s'eſleuer & prendre les armes contre lesTurcs. Et là deſſus †.
les Peloponeſiens apresauoir bien conſulté &debattubeaucoup de cho- -

ſes entr'eux,arreſterent finablemét d'aller redreſſer la muraille de l'Iſtme,


afin d'enclorreau dedans les Genniſſaires eſtans departiz en garniſon
V - > ,.n.çà La plus grand -

& là par les places, leſquels auoient deſia eul'alarme fort chaude, s'eſti-§
mans eſtre trahiz, & que iamais ils n'eſchaperoient ce danger. Car tout †
& $s auſſitoſt que comparutl'armee des Venitiens,la Laconie, & ceux deTa - †ºvº tlCIl3,
º \
· 3I2 Liure dixieſme
nares & d'Epidaure, enſemble leurs voiſins ſe reuolterent & les Arca
diens & Pelleniens les ſuiuirent : tellement que le gouuerneur du Pelo- .
poneſe, lequel faiſoit ſa reſidence en laville de M§ alopoli, ne ſçachant
uel ordre donner à tantd'emotions quiſe manifeſterent tout à vn coup
§ en diligence vn courrier à Mechmet, pour l'aduertir comme
· les Venitiens eſtoient entrez dâsſes pays,où tout eſtoit deſia en combu
:|.
ſtion. Eux cependant eſtans partis de Nauplium s'en vindrent mettre le
ſiege deuant la ville d'Argos, oü ayans faict leurs approches & batterie
reſts à donnerl'aſſaut, les Genniſſaires qui eſtoient dedans ſe voyans en
† ſi petitnombre (carils n'eſtoient en tout que cinquante) & qu'auſſi bien
#º les habitans parloient deſia de ſe rendre,vindrentauſſi à parlementer de
leurpart, & s'en allerent bagues ſauues. Les Venitiens ylaiſſerent quel
ques gens pour la garder,attendansl'arriuee du ſieur Ieroſme Bernardi.
ni, auquelilsauoient ordonné de s'envenir le long de la mer ietter de
dans auec ſes trouppes, & qu'il ne priſtautre chemin que celuy là. Mais
luyne tenant compte de ceſtadmoneſtement,ſe deſtourna plus en dedâs
pays, àl'entourd'vne montaigne propre à luy dreſſer des embuſches; à
quoy lesTurcs ne faillirent pas : car Ils le preuindrent, & gaignerent le
paſſage ſans qu'il en euſt cognoiſſance; ny de cent hommes pareillement
Ieroſme Ber- qu'ils enuoyerent par le derriere ſurl'aduenue de lamer : & ne ſe donna

§ garde qu'il ſe trouua enueloppé de deux coſtez,là où il perdit quatre cens


deffait par ſa † oitié quifurét tuez ſur la place,&le reſte pris priſonniers. Quâd
faute auec

† àluy ileſchappa de la meſlee, & ſe ſauua deviſteſſe iuſques aù bord de la


ºs de Turc. mer, ou de fortune ayant rencontrévne barque qui eſtoit là abordee, il
monta deſſus,diſant que le generall'enuoyoit en diligence en l'Iſle d'AE
gine.Toutesfois ilnes'yarreſta pas : car commandant au Patron de ſin
gler outre vers Negrepont : il prit terre ſur le chemin en la coſte d'Atti
ººnition du que, & de là s'en alla trouuer le Turc. Quelque temps apres ayant eſté :
†" renduauxVenitiens , ils le traicterent ſelon que ſa poltronnerie & deſ
loyauté le meritoient. Les Grecs qui eſtoient au Peloponeſe, & les Al
banois, enſemble Nicolas Ragio,& Pierre Claude inſiſtoient que la mu
raille pe l'Iſtme fuſt refaicte en toute diligence carparce moyen ceux du
pays ne feroient plus de difficulté d'abandonner Mechmet pour ſe réger
de leur coſté, quandils ſe verroient ainſi muniz & remparez contre les
ſoudaines courſes & inuaſions des Turcs; & n'y auroit rien de ſi grande
efficace à les eſmouuoir que cela ſeul. Ce que les Venitiens gouſterent
fort bien, & ne voulâs oublier choſe qui § à propos pour gaigner ceux
† du Peloponeſe, firent ſoudainamener grande quantité de pierres, bric
† Vº ques, & autres materiaux ſur le deſtroict pour diligenter l'ouurage, au
quel grand nombre d'ouuriers, & meſmes les ſoldats mettoient la main
iour & nuict; tellement qu'en peu de iours cette fortification ſe trouua
en deffence: N'oublians d'enuoyer cependant de coſté & d'autre,ſollici
terles peuples de làautour de ſeioindre à eux,&meſmement ceux de Co
rinthe,l'exemple deſquels ils ſçauoient bien que tous les autres de la Pro
uince ne faudroient de ſuiure incontinent. Mais eux ne ſe voulans pas
ainfi .
A

|
5° ° ° ° • ^ •e *** -- - " -

Del'Hiſtoire des Turcs. 3I3


ainſilegierement departir de l'obeyſſance du Turc, & preuoyans auſſi
bicn ce qui en deuoit ſuccederà la fin, n'y voulurent entendre. Parquoy coriº heen
larmee alla mettre le ſiege deuant, enquoy aucuns de la ville ſeruirent†
meſme de guides pourmonſtrer les plus foibles endroits : & là on fit vne "
fort furieuſe batterie,le long de la courtine qui eſt à l'oppoſite du cha
ſteau : mais eſtans deſia les nuicts longuettes, & grand nombre de gens
à remparer par le dedans; ioinctl'hyuer & les froidures, qui ſont toutes
choſesau des-aduantage desaſſaillans, ils furent contraincts de leuer le
ſiege, & ſe retirer ſansauoirrien faict quifut digned'vne ſi grande leuee Deſºrdes»
§ Car les ſoldats mal menez des mes-aiſes & incommoditez†
de la ſaiſon , qui eſtoit beaucoup plus rigoureuſe que de l'ordinaire, # †
§ garde § enuiz, & preſque à coups de ba- §
ſton : Et cependant Corinthene ſevoulut rendre, ne l'Achaie rebelles,"
# combien qu'ony euſt enuoyévn Grecnommé Rachez, pour taſcher de Micha
# les eſmouuoir, lequel fut pris & mis à mort parlesTurcs, qui battoientº
# inceſſamment les chemins de tous coftez) ne les autres places nomplus,
si hors-mis la cité de Sparthe qui auoit eſtéſeduitte par les belles propoſi
# tions d'vn ieune homme Grecnommé Gritza, de maniere qu'il n'yauoit
#! plus d'ordre de retenir l'armee , voyant à l'œil vn chacun , que rien de
0|! leurs deſſeins & praticques ne ſuccedoit,& que ce n'eſtoit que peine per
'(# due de s'opiniaſtrer d'auantage à la reddition du Peloponeſe, qui n'en
U# faiſoit aucun ſemblant. Là § encorevindrent nouuelles, comme le
# Baſſa Machmutapprochoit à tout vne groſſe puiſſance, pour les venir
t,! : de plaine arriueetailler en pieces,ſans en prendrevnſeulà mercy; & que †
#. Mechmet
Parquoy ilsſuiuoit apres de
arreſterent en commun
perſonne,accord
la terre
de ſetoute
partircouuerte de gens.
delà,n'eſtant pas § Venitiés aux
#. premieres
#. l'Iſtme comeils diſoient) de ſigrande importance,quele danger qui les †
menaçoit. Et ſe retirerent de coſté & & d'autre § places,oüils deli- Tº
: bcroient de ſedeffendre ſi on lesvenoitaſſaillir. -

. ME cH MET apres auoir eſtéau vray acertené des grands preparatifs ».


que faiſoient les Venitiens,leſquels ayans armé de trentecinqà quarante
galeres,& douze vaiſſeauxronds,auoient chargegrand nombre de gens
de guerre deſſus, tant de cheualque de pied, & s'en eſtoient venuz clor
rel'iſtme de muraille, reuolter le Peloponeſe, faict paſſer làvn gros ren
fort de Candiots pour s'en emparer,vitbien qu'il n'eſtoit pas queſtion
de s'y endormir:
toutes Parquoyildepeſcha
les forces del'Europe, en diligence
excepté ce §
le deſſuſdit
beſoing Baſſa,auec
de laiſſer pour dela Mechmet
diligence
pour ſauucr le
tenir piedaux Hongres; luy commandant de deſmolir en premier lieu †a
tout ce qu'il trouueroit auoir eſté refaict au deſtroict ( car cela fo- donne ic .
mentoit les ſeditions du Peloponeſe ) & entrer dedans en pays pour
combattrelesVenitiens Que s'il ne ſe ſentoitaſſez fort pour ce faire,qu'il
l'en aduertiſt d'heure à autre,& ille ſuiuroit de prés pour ſubuenir à tout.4 L'eſpouuen
- • • / |" - -

Machmut apres auoir tiré hors les gens de guerre qui luy auoient eſté §
deſtinez, dreſſa ſon chemin parlaTheſſalie droit à la montaigne de Pin-#es de l'arriuee

)èS dus,& s'alla camperés enuirons delaville de Larice,ayant auecluy Omar §v§,.
- • -- .
Dd ·
*

•.
3I4- · Liure dixieſme
gouuern eur du pays, lequeleſtoitd'aduis des'yarreſter, ſans paſſer ou
tre que premierement on n'euſt enuoyé remonſtrer au Seigneur, que
ceſt affaire eſtoit de trop grand poix pour ſes lieutenans & que ſa pre
ſence proprey eſtoit bien requiſe. Car ayant nagueres enuoyévn eſpion
Memeilleu, au camp des ennemis pourentendre ce qui s'y faiſoit,ilauroit nombréſur
# le rempar de l'Iſtme plus de deux mille pieces d'artillerie,& bié quatre cés
§
ne luy faiſoit canonniers pour les mettre à execution, recogneu auſſi force gens de
- - - - - V

§ traict, & rondeliers quiles garderoient bien de ſe porcher là deuant, &


† y ſeiourner:Dequoyils ne voulurent faillir d'aduertir incontinent le Sei
· gneur, & eux cependant tirerent outre vers Lebadie, là où ils receu
rentlettres qu'vnAlbanois apporta,lequel vnenuict eſtant party de Co
rinthe que la mer eſtoit bonace & le vent à propos, auoit paſſé ſur vn
eſquif en terre ferme de la Bœoce, & de là pris ſon chemin parlaTheſ
ſalie.Ces lettres haſtoient Mechmet des'aduancerauecſes forces,ſe pou
uantaſſeurer que les Venitiens ne l'attendroient pas.Au moyen dequoy
le Baſſa apres auoir veu le contenu, & refermé le † pour le luy
faire tenir, deſlogeaincontinent, & s'cnvint ſur les confins de la Bœoce,
oü il eut encore vne recharge, comme les ennemis ayans quitté l'Iſtme
s'eſtoient retirez. Ce quiluy fit àl'inſtant trouſſer bagage, pour s'en ve
† nir par le territoire de Platee gaigner le mont Citheron lequel il paſſa
2

§ de nuict : & ſur le poinct du iourſe trouua au deſtroit, d'où il peut veoir
" tout à ſon aiſe les vaiſſeaux des ennemis, qui s'eſtoient retirez plus a
uant en la haute mer, & yauoientietté l'ancre. Ayant trouuéla muraille
ainſi abandonnee, il ſelogea là pour le reſte du iour , & le lendemain
prit ſon chemin par Corinthe droità Argos, que quelques ſoixante dix
#
de faute à la ſoldats Italiens tenoient encore ,leſquels il prit en vie, & les enuoya liez
† & garrotez à ſon maiſtre : lequel auoit deſia changé d'aduis, & s'e
ºnſiders durant
IIlCI1C.
ſtoit misl'hyuer
au retour deConſtantinople,afin
deuant cette fortification de ne haraſſer
nouuelle, point
dont ſonpenſoit
il ne armee

« Megieps Pººº ſi bon marché.Parquoy Machmut paſſa outre parla contree de


lis. Tegee, & s'en vint camper aupres de " Leontarium, d'où il depeſcha
le Zogan (lequelauoit nagueres eſté ſubſtitué au gouuernement du Pe
loponeſe au lieu de Ioſué fils d'Alban) à Patras en Achaye, & auxautres
places d'alentour pourles auitaller,& pouruoir de munitions de guerre.
Et enuoya Omar d'vn autre coſté auecvingt mille hommes courirlester
res des Venitiens; lequel eſtant arriué aupres de Modon prit d'aſſaut vne
petite ville, dont il emmenales habitans au Baſſa eſtans bien cinq cens,
# qui furent enuoyez à Mechmet en Conſtantinople, & là en ſa pre
# . ſence couppez tous vifs en deux moitiezpar le millieu du corps. On ra
§ compte pour choſe vraye,que ces pauures miſerables ayans eſtelaiſſez ſur
lamitié,&dere la place ou l'execution auoit eſté § ,ſuruintvn bœuf, lequel ſe prit à
#ºgº
† mugler hideuſement, & auecles cornes ſouſleua de terre la moitie d'vne
de ces charongnes,
#ºn "- l'autre,&les
FC, qu'il emporta
raſséblatoutes deux enaſſez loing de lá, puis
leuraſliette.Cela retourna
futveu querir
d'vneinfini

te de perſonnes,tellemêt que le bruit en vint ſoudain à Mechmet,lequel


De l'Hiſtoire des Turcs. 315
neſçachant que penſerlà deſſus, commanda de remettre ce corps où il
eſtoit premierement; maislebœufallaapres à grâds cris, & l'ayant fort
bien ſçeu choiſirparmy les autres, r'apporta derechefles deux partiesau
meſme lieu oüilles auoit deſia reünies.Mechmet tout eſbahy d'vne telle
merueille,leurfit donner ſepulture, & mener le bœufen ſon ſerrail, où
il fut touſiours depuis nourry tant qu'ilveſcut.Quelques vns dient que
c'eſtoitvn Venitien, & les autres vn de l'Ilirie: Quoy que ce ſoit il ſem
ble que ce futvn myſtere, qui promettoit fort grand heur & felicité à la
nation dont il eſtoit. C'eſt que nous auons ſceu eſtre lors aduenu en
Conſtantinople. Mais le Baſſa voyant que ce n'eſtoit plus la ſaiſon de
s'amuſer à aſſaillir des places,laiſſa à Sparthe Omar , & Aſan pour par
lementerauec les habitans; car eux ayant enteudu comme les Venitiens
auoient quittél'Iſtme,& s'eſtoient retirez, partirent ſoudain de Taena
re, d'Epidaure, & autres lieux pour s'en venir deffendre leurs biens :
Et eſtoient lesvns retournez dans la ville; les autres craignans d'eſtre
enueloppez là dedans, & qu'ils n'ypeuſſent durerlonguement,auoient
gaigne les montaignes , & lieux inacceſſibles , deuers lcſquels on en
uoya pour les r'aſſeurer, & reduire à l'obeiſſanceaccouſtumee:& pareil
lement à ceux de Taenare, & de la Laconie, auſquels Aſan eſcriuit vne
telle lettre. - º -

C1T oY ENs de Sparte,il me ſemble que ſi vous n'eſtes totalement x1.


aueugles, vous pouuez bien voirà †party ſont reduicts les affaires †
des Venitiens,depuis qu'ils ont eſtéſimal conſeillez que de s'oſer decla-§
rer contre le grand Seigneur, & venir faire vne monſtre & oſtentation §
de leurs armes dans le Peloponeſe, qui eſt(cela ſçauons nous bien)tout † .
ce qu'ils peuuent mettre de forces enſemble. Vous n'ignorez pas auſſi
cómeilleuren eſt pris,tant en l'Iſtme,que partoutle reſte de cette pro
uince,encore que leurentiere † fuſt reduicte & amaſſee en vn,
& le ſecours de ſa hauteſſe enfuſt ſi eſloigné, Si donques ils n'ont peu
tant ſoit peu ſouſtenir & attendrel'vn de ſes eſclaues,que # vous que
ç'euſt eſte ſil'armee Imperiale fuſt venuë contr'eux: Certes il n'ya coing
ny endroict ſi eſcaté en tout le Peloponeſe, qui euſt eſté exempt des
deſolations & calamitez de cette guerre. Or le grand Seigneur eſtant
arriué aux Thermopiles, eut nouuelles comme les Venitiens auoient
repris la routte de leur pays, en intention de retourner à Negrepont ſur
la prime-vere quivient, & taſcherà s'emparer de toutes ces contrees.De
cela il en aduiendra ce qui pourra, ne penſant pas toutesfois qu'ils ſoiét
ſi temeraires & mal-conſeillez que d'irriter de nouueau ſa grandeur, ne
de ſe precipiter eux & leurs affaires auxinconueniens qui leur en peuuét
aduenir: Mais au regard de ce qui vous touche, vous ne deuez pas(ce me
ſemble)laiſſer eſchapperl'occaſion qui ſe preſente de r'entrer en ſabon
·ne grace, à laquelle l'accés vous eſt maintenant ouuert s'il ne tient à
votre opiniaſtreté.Vous pouuantaſſeurer (car ainſi mel'a-il comman
de de vous dire) que vous ne receurez aucun mal nyiniure pour toutes
les choſes qui ſont paſſees iuſques icy;aſſezlegieremét toutesfois, & à la
- Dd ij
316 · Liure dixieſme -

perſuaſion de quelques deſeſperez, † ne deſirent autre choſe que la


ruyne de ce pays: & ne ſerez pour ceſte occaſion ne faicts eſclaues, ne
priuez de voz biens, ne puniz par autre voye que ce ſoit.Et pourtât ceux
uivoudrontiouyr de cette beneficence, ayent à ſe retirer promptemét
§ en ſa maiſon : car ſile Seigneurapperçoit de la contumace & ob 2

ſtination en voſtre faict,ilne faut pas puis apres eſperer de trouuer plus
en luy aucune miſericorde;ains vous traictera tout ainſi que les Veni
| tiens ſes mortels ennemis.Aucuns obtempererent à ces lettres, & rece
uans àvnegrand'grace le pardon que Mechmet leur enuoyoit,ſe retire
rent tout doucement d'auec les Venitiens.Les autres, & meſmement
ceux qui eſtoient aſſiegez à Taenare, trouuerent moyen de faire ſortir
quelques vns, & les enuoyer deuers les Hongres pour ſentir ce qu'ils a
uoientdeliberé de faire. Car les Venitiens n'oublioient rien pourleur
donner courage, & les enhorter à tenir bon; les aſſeurans que tout auſſi
toſt que les Hongresauroient paſſé le Danube, ils ne § de re
tourner en l'Helleſponte auecvne plus groſſe armee.Ce temps pendant
leurs galeres allerent deſcendre en l'Iſle de Lemnos, à l'inſtance d'vn
nommé Comnene Capitaine de la fortereſſe, homme d'honneur & de
reputation.Ilyauoit deſia bien eu quelque propos entre les principaux
d'entr'eux de la vendre & alieneraux Venitiens, mais ceux. cyles preuin
drent, & ſe ſaiſirent du chaſteau, d'oüils deſpeſcherent puis apresleCa
L'Iſle deLem pitaine deſſuſdit en l'lſtme pouramener du renfort, tellement que ceux
nos repriſe
parles Veni
des autres places quitenoient encore bon, ayans eu nouuelles commeil •

E1CI13, cſtoit en mer, monterent de coſté & d'autre ſurdesvaiſſeaux,& ſe retire "
-

rent où bon leur ſembla.Sur ces entrefaittes, les Venitiens ſe ſaiſirent -

auſſi de la ville de Cercede,dont ils chaſſerent le Magiſtrat que ceux du -

pays appellentleZamplacon,& ymirent vne garniſon bonne & forte.


Ayans puis apresamaſſé † quantité de bleds & autres victuailles,
| --

tant pour eux que pour les fortereſſes du Peloponeſe,ils'y en retourne


rent pour lesauitailler.Voilaàpeu pres comme les choſes paſſerent du
rant ceſt hyuer. (; ,

A)


Finde l'Hiſtoire desTurcs.
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DE BLAISE DE VIGE NE R E
l BOVRBON NO I S S V R L'H I S T O I R E D E
à CHAL coND1LE ATHE NIE N, D E L A DE cADENcE
\! de l'Empire Grec, & eſtabliſſement de celuy des Turcs.
† , 'E M P 1 R E tranſlaté de Rome à Conſtantinople enuironl'an
$\ $ de ſalut 33. par Conſtantin fils d'Helene ſurnommé le Grand,
# % l'an 24. de ſon regne, ſe maintint encore par quelque temps en
:! º $ ſa dignité & grandeur, bien que non auec vne telle tranquillité
&# -
-
#
[ / * A, & obeiſſance des nations & Prouinces à luy ſubiectes comme au
º - »N > -

- 2x Fa#$) precedent, iuſqu'à ce qu'en fin par la nonchalance & deſbauche


# mens des mauuais, vicieux & inutiles Princes mal-aduiſez, puſillanimes & volu
I# ptueux; ioinct leurs picques & ſeditions inteſtines hors de ſaiſon, ceſte groſſe maſ
k(, ſe de Monarchievintà ſe deſmembrer peuàpeu, tant par elle-meſme, que par les
' (! reuoltemens du dehors, de pluſieurs peuples, & Potentats de coſté & d'autre, qui
ml
« en és
les emporterent chacun ſalippée
parties Occidentales, : Cöme entre
& en l'Afrique autres,
: Et les les Goths,
Perſes,les Huns
Arabes, & Vanda
Sarrazins, les
t#. Circaſſes ou Mammeluts,tantau Leuât, qu'en l'Egypte † pour noſtre regard,
# & de la Greceau Midy, qui ſ'emparerent en peu de iours de l'Arabie, Egypte,&Su
# rie, voire de la plus grande part de l'Aſie : & les Turcs conſequemment en toutes les
# trois portions de ceſt Hemiſphere, où ils ont pris pied peu à peu, ſ'eſtendans ainſi
)ſſ, qu'vne tache d'huile, de proche en proche ;tant qu'ils ſont venus à ſ'eſtablir l'vne
# des plus puiſſantes dominations quifutoncques apresla Romaine. Toutes leſquel
]º- les choſes comme, quand, & ſoubs qui elles aduindrent, auec les groſſes guerres.
qui pour ceſte occaſion ſe demeſlerent entre les Chreſtiens & les infideles, ſe pour
roient dire aucunementeſtrehors de noſtre propos principal, ſi ce n'eſtoit que pour
ce qu'il eſt icy queſtion de la decadence, voire aneantiſſement de l'Empire Grec,
ou pluſtoſt du Romain tranſlaté de Rome en la Grece; & de l'eſtabliſſement de ce
luy des Turcs en ſon lieu , leſquels apres pluſieurs & diuers changemens ont à la
parfin arreſté leur ſiege Imperial à Conſtantinople : Et n'y aura point de mal de
premettre icy vn Sommaire de ce qui peut concerner ceſte belle Cité, tant l'an
cienne que la moderne : En-apres de Conſtantin ſon reſtaurateur, & de ſes ſucceſ
ſeurs, dontauſſibien ceſte hiſtoire eſt partout ſemée,aumoins depuisque lesTurcs
eurent commencé de regner; quelques bons & loüables Princes en petit nombre
entremeſlez parmy la pluralité des meſchants : Car ſi beaucoup de ceux qui pre- *
cederent Conſtantin,à Rome, furent pluſtoſt loups rauiſſans que creatures raiſon
nables,la pluſpart des autres d'apres ont eſté de vrays monſtres, voire lions, voire
tygres : ou ſi quelque autre ehoſe de plusinhumain & cruel ſe peut, nó que retrou
uer,maisimaginer en la nature.Celafait nous viendrös à Mahomet, & à ſa ſequelle,
parce que tous les Turcs ont touſiours eſté Mahometans, auant que deveniràla
premiereſource & origine d'iceux; & aux Othomans qui en ſont finalemét deſcen
dus, auec leurs conqueſtes par le menu de pere en fils iuſques à douze ou treize
- - EE

:
318 Illuſtrations de B.de Vigenere
generations en droicte ligne maſculine ſans interruption,par l'eſpace de trois cens .
ans, peu ſ'en faut : Ce qu'oncques n'aduint à nuls autres ſi grands ſeigneurs. Plus
les forces qu'à toutes heures ils peuuent mettre dehors, tant par la terre que par la
mer : l'eſtroitte obeiſſance & reſpect de ces gés là enuers leur Prince, & ſes officiers
& miniſtres tous tels qu'il luy plaiſt les choiſir, bien qu'indignes : leur diſcipline,
ſobrieté , endurciſſement au fait militaire : leurs mœurs, vz, couſtumes, & fa
çons de viure au boire, manger, & veſtir : leur religion, & mariages; l'ordre de la
cour ou de la porte, comme ils l'apellent, du grand Turc ; & ſa ſuitte , tant au
camp ſoubs les tentes & pauillons; qu'à la paix & repos dedans ſes Palais dicts ſer
rails : auec telles autres particularitez qui ne ſeront deſagreables ny invtiles , ains
pourrontamener beaucoup de lumiere à ceſte hiſtoire, qui ne faict que ſuccincte
ment paſſer par dçſſus.
CoN sTANT 1 N o P LE auparauant dicte Bizance, fut fondée premierement par
peſcription , Pauſanias fils de Cleombrot, Roy de Lacedemone, ſi nous-nous en vouloris rap
†"Ple. porter à Iuſtin
fondateur au 4. liure : mais
pourreſtaurateur : Parilceſequ'Herodote
doit eſtre meſconté
ſur la finendecela, ou qu'ildit,
ſon hiſtoire ayequ'à
pris
l'entrepriſe que fit Darius Roy de Perſe, pere de Xerxes, ſur la Thrace, les Bizâtins,
& Chalcedoniens n'attendirent pas la venuë de la flotte Phenicienne, ains ſitoſt
qu'ils en eurent le vent, quittans là ces deux villes, ſe retirerent plus au dedans du
Pont-Euxin, où ils baſtirent Meſembrie. Et Thucidide au commancement de la
guerre du Peloponeſe, enſemble Pauſanias quia deſcrit les antiquitez de la Grece,
mettent que ce Pauſanias fils de Cleombrot prit la ville de Bizance ſur les demeu
rans de l'armée d'iceluy Xerxes : Ce qui aduintenuiron l'an du monde 349o.en la
76. Olympiade : l'an de Rome 278.auſſi Stephanus au liure des villes,& Euſtathius
ſur Homere l'attribuent à vn Bizante fils de Neptune, ou pluſtoſt comme auſſi Po
lybe, & Diodore Sicilien, à Bizés, conducteur de l'armée de mer des Megariens,
qui yallerent fondervne Colonie : Philoſtrate en lavie du Sophiſte Marc Bizantin,
l'appelle Bizante, nom bien plus proche de celuy de Bizantium, que celuy de Bizés.
Brief que toutes ces anciennes origines des villes ſont fort douteuſes : Pour ce que
la pluſpart du temps il aduient que les premiers edificateurs d'icelles ne ſ'attendét
- pas qu'elles doiuent paruenir à la dignité & grandeur, où le ſort des choſes humai
nes les eſleue par traict de temps.Comment que ce ſoit elle fut baſtie, ſelon qu'on
peut voir, meſmes encore pour le iourd'huy, en vne encoigneure d'Europe, ſur le
• Boſphore ou deſtroit de Thrace, qui eſt vn petit bras ou canal de mer ſeparant l'Eu
rope d'Aſie, lequel n'a là que huictou neufcens pas de large; ſi que les coqs ſoyent
chanter, & les chiens abbayer d'vnriuage à l'autre; eſtant Chalcedon visàvis, du
coſté de la Natolie ou Aſie,auiourd'huy Scutari ou Scodra, autrement dicte la ville
desaueugles parl'oracle d'Apollon Pythien,ainſi que metTacite au douzieſme de
ſes Annales; & Pline liure 5 chap. dernier : .9uod locum eligere neſciſſent, ſeptemſta
dia diſtans à BiXantio tanto fœliciore omnibus modis ſolo : Pour n'auoir ſceu choiſir vn
lieu propre pour baſtir leur ville ; ains preferé en cela vn terroir maigre & mal
plaiſant, & vne coſte ſi ſterile en peſcheries, à cauſe que les poiſſons, meſmement
lesThons qui en tres-grande abondance deſcendent de la mer Maiour tous les ans
en la Propontide, Helleſponte qu'on appelle le bras ſainct George; & la mer Egée
ou Ariſipel; eſpouuentez de lablancheur de certains rochers qui ſont ſemez dru &
menu le long du riuage de Chalcedon, ſ'en deſtournentvers celuy de Conſtantino
•ple, ainſi qu'eſcrit bien amplement le meſme Plineliure 9. chap.15. & Plutarque au
traicté de la ratiocination & entendement des animaux terreſtres, & aquatiques : &
encore ayans ſi pres d'euxl'vne des plus plaiſantes & commodes demeures qui ſoit
en tous les quartiers de là.Car outre la campagne d'autour, capable de toutesma
nieres de fruicts& biens de la terre, elle a deux Ports; l'vn entre les deux branches
du Promontoire appellé zipas, corne ou cornu, qui ſe fourche en deux comme la
queuë d'vn poiſſon deſſus l'angle & poincte du deſtroict; embraſſant dedans ſon
pourpris vne bonne cale, où peuuent cómodement donner fonds & ſurgir les bar
- - ques
ſur le Chalcondile. 3I9
, Ct ;
ques à deux ou trois Hunes; l'autre qui entre bien plus auant en terre, entre Con
#l
ſtantinople, & Pera, ſe peut dire l'vn des plus beaux, ſpacieux, & ſeurs ports qui
#y
ſoit en tout le demeurant du monde : Carilà bien vne lieuë de long, àl'abry dc tous
vents, & cinqou ſix cens pas de large , d'vn tel fonds par tout, que les plus grands -

vaiſſeaux péuuentaller ietter l'ancre tout ioignant le moulle ou le quay des deux
villes; & ſi il n'y entre point de riuieres qui le puiſſent moleſter de leurs vagues;
tellement qu'il en eſt touſiours plus tranquille. Outre-plus il ya encore vn bel ha
vre le long de la plage de la Propontide, où les nauires peuuent aſſez commodé
ment demeurer à couuert de beaucoup de vents, voire ſi le temps n'eſtoit par trop
rude & contraire : Ce qui auroit meu l'hiſtorien Denys Bizantin de luy attribuer
trois ports : l'vn au Midy ſur le coſté de la Propontide : l'autre vers le Leuant ence
ſte cale du deſtroit : & le troiſieſme au Septentrion, qui eſt le canal deſſuſdit d'en- .
tre les deuxviles, lequel on peut bien fermer d'vne cheſne à la bouche.. . , .
CE sT E ville de Pera qui ſignifie en Grecaudelà, ouaudeſſus,parce qu'elle eſtau PE R A.
delà du canal pour le regard de Conſtantinople dont elle faiſoit autresfois vne por
tion,& meſmes on peut bien aller par terre de l'vne à l'autre, mais le deſtour ſeroit
en aucuns endroits de pres de deux lieuës , fuſt anciennement appellee Galate ſe
lon Sophian,& quelques autres;des Geneuois qui la fonderent premierement;mais
ils n'en furent que les reſtaurateurs nonplus, car elle eſt bien plus ancienne;du com
kh mencement ditte 2vxgè; Nicephore la nomme Tzei Ka, & Strabon la corne des Bi
ſ#, zantins : Volaterran la prend pour Perinthe, meu, pourroit eſtre, de l'alluſion des
deux noms : Car Perinthe à quil'Empereur Seuere donna le territoire & ſeigneurie
des Bizantins, depuis appellee Heraclee de l'Empereur Heraclius; où il y eutan
ciennement vn amphitheatre d'vn marbre ſeul,reputé pour vne des ſept merueilles
du monde, en eſt bien plus eſloignée; & encore au deſſoubs ſur le bord de la Pro
pontide : Toutesfois quelques vns vueillent dire que l'ancienne Perinthe fuſt ce
qu'onappelle maintenant Rodoſto,entre Gallipoli,& Selybree, enuiron deuxiour
nees de Conſtantinople. Quoy que ce ſoit Pera d'auiourd'huy eſt vne ville ſituee à .
l'autre coſté dugrand port de Conſtantinople vers le Septentrion, ayant vne bonne
lieuë de circuit,habitee au reſte de quatre manieres de gens,de Chreſtiens,aſſauoir,
Catholiques viuans ſelon l'vſage & les traditions de l'Egliſe Romaine, & ceux-cy
ſont les vrais Perotins : d'autres de la religion Grecque : & desTurcs,auec quelques
Iuifs peſle-meſle, parce que la grande flotte d'icéux Iuifs fait ſa demeure en Con
ſtantinople,manians toutes les fermes & admodiations des peages, gabelles, & au
tres ſubſides,tout le train des banques,& des fripperies, voire preſque tout le traffié
de la marchandiſe : mais ces trois demeures ſont ſeparees les vnes des autres par au
tant de cloſtures de murailles. Les Ambaſſadeurs de France, Veniſe; Poloigne;
Hongrie,Tranſſyluanie,Valagnie, Ragouſe, & en ſomme que tous les Chreſtiens y
reſident, auſquels il n'eſt pas loiſible de loger en Conſtanti ople, horſmis l'Ambaſ
ſadeur de l'Empereur & celuy d'Eſpagne quand il y † longueur de Pera s'e
ſtend tout le long du port,au bout duquel eſt vn arcenal pour baſtir desvaiſſeaux,&
mettre la pluſpart des galleres du Turc à couuert,yayant bien à ceſte fin centarcs ou
voultes telles qu'on peut voir en celuy de Veniſe : Et à l'emboucheure du canal qui
apres d'vn mille de large, mais plûs en dedans de quatre à cinq cens pas ſeulement,
eſtl'autre arſenal pourl'artillerie,elle eſt bien peuplee d'habitans& de maiſonnages,
lourds & groſſiers toutesfois, ſelon la mode du pays, & des barbares qui le poſſe
dent,leſquels n'admettent rien d'architecture, ſculpture, peinture, ny autre choſe -

de gentil : aſſiſe partie en vn plain , partie deſſus la pente d'yn couſtau, où ilya force
vignes au haut. - . , ·· · · · · , : . : # -

| CoN sTANT 1 No PLE a ſouffert autresfois de grandes deſolations & ruines par Accidens ar#
· ſont
lesThraciens
vis à vis, &gens
les Gallogrecs, †
felons & farouches;
comme eſpandus Titealentour
Liue au: 38.
Parqui
leslaBithyniens qui §Pic.
tindrent lon- #
guement tributaire à8o. talens chacun an, reuenansà48. mille eſcus : En apres par
lesguerres des Grecs,tantalencontre des eſtrangers qu'entre eux meſines, & fina
- - - - - - EE ij -
32o Illuſtrations de B. de Vigenere
blement des Romains,dont elle fut premierement confederee, puis faite Colonie
Latine; & en fin obtint le droit de la bourgeoiſie Romaine. Mais ſur tous ſes autres
deſaſtres & infortunes , la plus grande qu'elle receut oncques fut de l'Empereur
Septimie Seuere,l'an de ſalut 197.& de la fondation de Rome 948.Qui par deſpit de
Peſcennius Niger ſon concurrentàl'Empire,dont elle auoit eſpouſétrop affection
nement le party, apres l'auoir tehue aſſiegee troisans entiers; & ceux de dedans fait
& patytout ce qu'imaginerſe pourroit, que de deuoir, que de meſaiſes; la ruina de
fonds en comble, & en aſſignala Seigneurie & le territoireaux Perinthiens. Tout
cela eſt bien au long deſcript par Herodian, & Dion, ſelon † l'allegue Zonare,
auec la beauté & magnificence tant de ſa cloſture,que des edifices publiques & par
ticuliers. Elle demeuraainſi deſolee 135. ou36.ans : Toutesfois Seuere en ayant eu
vlepuis ſa ruine quelque remords,la voulut aucunement reſtaurer, & de fait y auoit
deſia commencé vn theatre, vne longue gallerie ou portique, & vn Hippodrome
que les Romains appellent Cirque, ce ſont des liſſes à faire courir des cheuaux de
ſelle, & des chariots, auec desThermes & bains tout aupres : leſquelles choſes ſon
fils Antonin Caracalle acheua depuis,dont elle fut ditte Antonienne ſelon Zozime
& Euſtathius. Mais Conſtantin le Grand l'an 362. à compter de l'Empire ou aire
L'Aire d'Au d'Auguſte, qui tombe en l'an 321, de noſtre ſalut, le 15.du regne d'iceluy Conſtan
guſte,
tin,commença de la rebaſtir,& la dedia dix ans apresl'an 331.l'onzieſme de May,luy
donnant ſon nom,auec le ſiege de la Monarchie de l'Orient, voire de l'Empire Ro
main toutà fait,quine fut depuis pour le regard des Romains, & de Rome qu'vne
ombre & image,apresl'auoirembellie de ſes deſpoüilles,& des autres les plus ſigna
lez lieux de la terre,ainſi que le teſmoigne S.Ieroſme en ſachronique : Hocipſo anno
Conſtantinopolis dedicaturpenè omnium vrbium nuditate.Ilauoit du commencement eu
opinion de l'edifier entre les ruines de Troye lagrand',& le port de Sigee,ſelon Zo
· zime,& Soſimene Salaminien, ou à Theſſalonique,comme met Georges Cedrene,
& puis apres à Chalcedon, dontil en fut deſtourné parie ne ſçay quels miracles d'ai
gles, quitranſporterent les cordeaux des ouuriers de l'autre coſté de la mer à Bizan
ce,à ce que raconte Zonare: les autres dient que ce furent de petits cailloux & pier
t'occaſion de rettes, qu'elles enleuerét. La cauſe au reſte qui le meut de faire ceſte tranſlation de
la tranſlatió de
l'Empire de la ville,& du ſiege Imperial,vint ſelon Sozomene, & quelques autres, d'vne viſion,
Rome à Con par laquelle il futadmonneſté en dormant de ce faire, & aller baſtir vne nouuelle
ftantinople. cité ésparties de l'Orient,à quiil donneroit ſon nom. Aucuns qui ſe ſont hazardez
là deſſus de vouloir diſcourir plus auant, alleguent que luy touché de deuotion,à la
perſuaſion,pourroit eſtre,du Pape Sylueſtre, auqueldepuisſon Chriſtianiſme ilad
iouſta beaucoup de foy non tant ſeulement en la ſpiritualité, mais en aſſez de choſes
téporelles encore,il ceda à la primauté de l'Egliſe,la ville dame & maiſtreſſe de tou
tes autres, & où,depuisque S.Pierre y eut premiereméteſtably le ſiege du ſouuerain
vicariat de noſtre Sauueur icybas,tant pour luyque ſes ſucceſſeurs; auoit parconſe
quentauſſi eſtétranſlatee la preeminence de ſon Egliſe,quiauparauant ſon aduene
ment ſouloit eſtre en la ſaincte cité de Ieruſalem : & luy,Conſtantin ainſi que le bras
ſeculier de ceſte eccleſiaſtique puiſſance,& capitaine generald'icelle,s'en ſeroit allé
# àl'endroit le plus à propos, tant pour reprimer les courſes & inuaſions des
arbares, & infidelles,que pour eſtendre les limites de ceſte monarchietemporelle,
& de lafoy; eſtant pourlors Rome bien obeïe, & en toute ſeureté & repos au long
& au large de tous les coſtezàl'entour. Et de fait nul Prince deuant Conſtantin ny
apres, n'a plus deferé auſainct ſiege Apoſtolique que luy ; affin d'inuiter les autres
† viendroientapres de porter le meſme reſpectaux ſacrez Pontifes qu'ilfitau deſ
uſdit Sylueſtre: ce qu'ont fait depuis à ſon imitation de grands dominateurs eſtran
gers tantinfidelles que Chreſtiens,comme l'an 1268. le tres-puiſſant Empereur des
Tartares Cublailan,ſelon que le raconte Marco Polo Venitientout au commence
ment de ſes narrations : & long temps apres l'Empereur des Ethiopiens Abiſſins
qu'on appelle abuſiuement Pretejan, & aſſez d'autres. Dauantage que cecy eſt aſ
ſeznotoire,que lesTurcs quelques grands & puiſſans qu'ils ſoient,ne laiſſentneant
-

•.
ſur le Chalcondile. 321
pmoins d'aduoüer liberalement, ſelon que leurs eſcriptures propres teſmoignent,
qu'ils ne ſe peuuentattribuer de droit le vray tiltre de la monarchie, que premiere
mentils ne ſe ſoientemparez de Rome, laquelle ils en eſtiment eſtre# vray ſiege &
domicile ſans autre, & qu'ils n'enayent depoſſedé le ſainct Pére, qu'ils voyenteſtre
ainſi reueré des Princes Chreſtiens,toutainſi que leur ſouuerain, iuſques à luy baia
ſer les pieds, & luypreſterl'obedience. Mais les autres quine veulent faire ſi con
ſcientieuxConſtantin,le diſentauoireſté meu d'abandonner Rome,ou par vne vai
negloire d'auoiroſé entreprendre vne telle noualité , ou bien qu'à l'exemple de Iu-.
les Ccſar, lequel pourſe garentir des conſpirations & aguets qu'il ſoupçonnoit ſe
dreſſeralencontre de luy d'heure à autre auroit pris opinion, de tranſporter, com
memetSuetone en ſavie,le ſiege & authorité de l'Empire en Alexandrie d'Egypte, Chap. 73.
ouen Ilion ésruines de l'ancienne Troye,apresauoireſpuiſél'Italic de tous les gens
de guerre qui sy pourroient leuer, & laiſſé la charge d'icelle ainſi affoiblie & deſ .
nuée à ſes plus fidelles amis : En cas ſemblable Conſtantin ſe voyantauoir encouru
la hayne & indignation du Senat,& des principaux,tant pourauoirabandonné leur
accouſtumee religion,aſſauoir le paganiſme, que de ce qu'eſtant baſtardil ſe ſeroit
impatroniſé de l'Empire,ſe ſeroit retiré és parties orientales. Zozime comme ennc
my du nom Chreſtien, & pour gratifier auſſil'impieté de Iullian ſurnommé l'Apo
ſtat,en ameine vne occaſiöaccommodee à ſon propos. Que Conſtantin apresauoir
fait tuer ſon fils Criſpe,& commis pluſieurs autres enormes forfaits, dont il ſe ſen
toittormenté en ſa conſcience, ayant taſché de s'en faire purger & abſoudre par les
Preſtres Payens, ils luy firent reſponce n'auoir le pouuoir & authorité de ce faire,
Trop bien certain Egyptien qui eſtoit lors nouuellement arriué à Rome , auquel
Conſtantin s'eneſtant conſeillé, il luy dit, qu'il pourroit à la verité obtenir pardon
de ſes fautes pour quelques grandes qu'elles fuſſent, s'il vouloit embraſſer la doctri
ne Chreſtienne,qui tenoit entre lesautres articles de ſa creance,que toute perſonne
venantà auoir contrition & vray repentir de ſes fautes, le tout luy eſtoit ſoudain
pardonné.Ce qui l'auroitmeu à delaiſſer le paganiſme, & prendre ceſte nouuelle
religion ſi qu'vniour que ſe debuoitfaire vn ſacrifice ſolemnel dans le capitole,ilre
fuſa de s'y trouuer, dontilacquitla malvueillance de tout le peuple : au moyen de
quoy ne pouuant plus comporter leurs meſdiſances & execrations, il ſe ſeroit retiré
premierement en laTroade,
gnammentSozomene,& & finablement à Bizance : ce que refutent fort pre
Euagrie. - - ·•

CoN sTANT 1N doncques yayant dreſſé ſanouuelle Rome,curieux d'en ſçauoir


laduree en fit dreſſer la reuolution parvnValens le plus excellent Mathematicien
de ſon ſiecle; lequel par ſon calcul ne trouua que ſix cens quatre vingts ſeize ans; .
bien hardie prediction certes à ceſt Aſtrologue, mais tres-ſeure d'ailleurs à n'eſtre
dementie de ſon viuant,ne longtemps apres : dont tant plus ſimples ſont ceux qui
ſelaiſſentainſitranſporter àtelles reſueries oiſeuſes,& meſmes vn Prince ſi prudent
& religieux comme eſtoitConſtantin, lequel euſt eu auſſi bon compte d'embou
cher l'autre,comme devrayon eſtime qu'il fut embouché,attendu ce compte ſien
trerompu pour plus luy faire adiouſter de foy,& le faire parlerà ſavolontéd'vne du- -

reeperdurable,ou pour le moins plus diuturne, pour donner touſiours tant plus de -

credit à ſon entrepriſe, ſuiuant ce dire du poëte , quant à la domination des Ro


mains : Imperium ſine finededi,Car ce terme de 696.ans eſchet en l'an de ſalut 1o3o.
ſur la fin de l'Empire,pour le regard de l'Allemagne de Conrard ſecond, & du Roy
Roberten France,leſquels firentenuiron ce temps là aſſembler vne ſynode à Trief
uestouchantleieuſne du Vendredy,quifut le premier receu én France, ſelon Vin-,. .. ,
cent liu.26.chap. 16. de ſon miroüer hiſtorial,commandant pour lors en Conſtanti- #. 1
noplel'Empereur Romain Argyropile,ſi que rien ne ſuruint d'extraordinaire ny de quad inſtitué,
nouueau,non pas meſme de longtemps depuis, carles Chreſtiens ſe maintindrent
àConſtantinople encore plus de quatre censans, iuſquesàl'an 1453. qu'elle fut pri
ſe,&l'Empire du tout occupé par Mechmet ſecond de ce nom, & le 9. de la maiſon
des Othomans Empereur desTures. Neaumoins ceſte ville apres ce ſien reſtaura
- - E E iij -
322 Illuſtrations de B. de Vigenere
- ! teur Conſtantin ſouffrit pluſieurs accidens & fortunes,aſſauoir du feu ſoubs le grâ
†† Leonenuironl'an de ſalut 44o. Que toutybruſlad'vne merà autre, de lapartie du
conſtantino- Midyà celle du Septentrion, le long du Boſphore; l'autre beaucoup plus grand &
ple. dommageable aduint ſoubs l'Empereur Baſiliſque,quelques dixou douze ans apres
auquel meſme futbruſlée la Bibliotheque auec plus de ſix vingts mille volumes de
liures,& le boyau d'vn ſerpent long de ſix vingts pieds,ſurquoy eſtoient eſcriptes en
lettres d'or l'Iliade, & l'Odiſſee d'Homere, comme le teſmoigne le Sophiſte Mal
chus,quia eſcriptl'hiſtoire Bizantine depuis Conſtantin iuſqu'à Anaſtaiſe.Vneau
"tre conflagration encore yaduintl'an 532. le V.de l'Empire de Iuſtinian, où le tem
ple de ſaincte Sophie bruſla, n'eſtant lors voulté que de bois. Quant aux tremble
mens de terre,l'vn fut ſoubs Zenin Iſaurique incontinent apres : mais vn bien plus
encore eſtrange depuis,du temps de Baiazet ſecödl'an 15o9.au mois de Septembre,
dont les murailles furent en pluſieurs endroits renuerſees,auec grand nombres d'e
difices,& bien treize mille perſonnes accablees de ceſte ruine. .
Lagrandeur , Av R E GAR D de l'eſtendue & grandeur de Conſtantinople elle a eſté diuerſe à
#ºº" circuit
nople.
diuerſescontenoit
fois : car Denys Bizantina
quarante eſcript,
ſtades,qui qu'auant
peuuent que Seuere
faire quelques l'euſt ruinee,
cinqmille ſon
pas. Mais
vnelieus & Conſtantinl'agrandit de beaucoup,yrenfermant les ſepttertres qu'on yvoit enco
demie. re pour le iourd'huy, àl'exemple de ceux de Rome, dontilla departit auſſien qua
torze regions ou quartiers, comme Auguſte auoit fait l'autre, & la nomma la nou
uelle & ſeconde Rome,la peuplant la pluſpart de ceux qu'il y tranſporta de l'ancien
ne, enſemble de pluſieurs autres villes qui pour cet effectil deſnua preſque de leurs
habitans,ſique Canapius Sardiana eſcript en lavie du Philoſophe Edeſius, que tou
tes les nauires de charge de la coſte d'Aſie,Surie,& Phenice à grand'peine pouuoiét
ſuffire pourl'aduitailler,& fournir de bled,& de vin. Les Empereurs ſuiuans, com
me metZonare,l'augmenterent encore depuis,& meſmeleieune Theodoſe,quien
ayant donné la charge à Cyrusgouuerneur de la ville, ceſtui-citira en 6o.iours auec
vne tres-grande promptitude & allegreſſe du peuple qui s'y employa liberalement
iour & nuict, vn pan de muraille d'vne mer à autre,embraſſantl'Iſtme oulangue de
terre qui ſe foriecte dans la mervers le deſtroit. L'ancienne deſcription de la ville
porte, que deuant le temps de Iuſtinian quil'amplifia de beaucoup, elle contenoit
cn longueur depuis la porte doree iuſqu'àl'autre bout ſur le bord de la marine, qua
torze mille pas de droitte ligne,& plus de ſix mille de large,quireuiendroientà bien
trentecinq mille pas de circuit,pouuans faire plus de dix lieuës:ce qui eſt vn peu dur
à croire,attendu que noſtre autheurau8.liure,ne luy donne lors qu'elle fut priſe par
Mechmet,que cent onze ſtades de tour,qui arriuent ſeulement à treize ou quatorze
mille pas,geometriquee faut touſiours entendre, chaſque pas contenant cinq pieds
de Roy,de ſorte qu'elle correſpond preſque à l'enceinte & grandeur de Rome,mais
clle eſt fort malbaſtie pour le iourd'huy,& encore n'eſt-elle pas peuplee à ſa propor
tion comme pourroit eſtre Paris, Veniſe, ou Milan, parce que les maiſons n'ont
communement qu'vn eſtage: Priuee au reſte preſque de tous ſes anciens ornemens.
sa figure & cœur,dont
aſliette.
ELLE eſtladepointe
formeeſtés
triangulaire,à
ſept tours,guiſe
& le preſque d'vnrecourbe
chef,quiſe œufapplaty,ou pluſtoſt
aucunement end'vn
de
dans,le long du portau droit de Pera,l'vn des deux autres coſtez eſt deuers la terre:
Et le tiers flanqué de la Propontide,depuis les ſept tours iuſqu'à la pointe ditte Képas,
non en vn plain du tout,mais partie és couſtaux,partie és vallons des ſepttertres, leſ
quels s'entreſuiuans d'vne file, lapartiſſent preſqu'eſgallement de ſon long, ſi que
de la plus grand part des edifices on peut aiſément deſcouurir au long& au large l'e
ſtendue de la marine,tant du coſté de lamer-maiourà la main gauche vers la partie
du Septentrion,que de la Propontide vers la droitte, l'Helleſponte,& la mer Egee,
maintenant ditte l'Archipel,au Midy : Et deuers la terre les grand's campagnes de
laThrace,contenans de quelque coſté qu'on les vueille prendre, plus de ſix bonnes
iournees de chemin,& en aucuns endroits quinze ou vingt,fertiles au reſte ce qui ſe
peut, & bien cultiuees, choſe fort magnifique & plaiſante à l'œil. Mais lamer luy
ſur le Chalcondile. 323
donne bien plus de credit, tant pour eſtre là comme vnbacq où l'on peut en ſi peu
d'eſpace paſſer de l'Europe en Aſie,que pour autant que ce deſtroit où elle eſt aſſiſe,
ſertainſi que d'vne barriere qui cloſt & ouure à ſon bon plaiſir, les deux mors d'en
haut & d'embas : Car quiconque veut † & aller de l'vne à l'autre,faut neceſ
ſairement que ce ſoit par la mercy de ce paſſage,comme ſion l'auoit là dreſſé & eſta
blytoutexpres parvnartifice de main pour y receuoir le peage de toutes les mar
chandiſes quivont&viennéten s'entrecroiſant de l'Europe en Aſié, du Ponant au .
Leuant,& du Septentrion au Midy : de là en exquiſes peaux & fourrures qu'on ap
orte des regions froides,comme martres,zibellins, loups-ceruiers, hermines, dos
degris,& ſemblables,auecvne infinie quantité de miel & de cire, & grand nombré
d'eſclaues : ce qui s'eſpand puis apres par le moyen de la mer mediterranee de toutes
partsà droit & à gauche, és trois portions du monde, iuſqu'à la grand'mer Oceane -

vers le deſtroit de Gilbatar & en contr'eſchange des mers d'embas aux parties d'en
haut,tant de l'Europe que de l'Aſie,force bleds,vins de toutes ſortes,huilles, eſpice
ries,draps de ſoye,& de laine,or & argent, cuirs, toilles, & telles denrees : Parquoy
Conſtantinople ſe peut dire comme vne ſerrure, dont la clefferme & ouure infinis
threſors & commoditez reciproques,voire vn abbreuuoir,ou mere nourrice de ces
deuxmondes ſi differends de temperature , & des choſes que la nature y produit
pourl'vſage desames viuantes : ſi qu'il ne ſe faut pas eſbahir,ſi Conſtantin Prince adº
uiſé,lachoiſit pour le domicile de ſon Empire; & que les Turcs aſpirans à la monar
chie de l'vniuers,dontils ont deſiabonnesarres,l'ont ſiardamment conuoittee : car
il n'ya autre aſſiette en toute laterre qui s'y puiſſe parangonner, ny de plus propre - t

pour dominer la plus grand partie de cet hemiſphere. -

LEs murailles doncques de Conſtantinople,ſelon meſme qu'elles ſe comportent Le circuit de


pourleiourd'huy,peuuent contenir quelques quinze millepas de circuit, qui font †
quatreàcinq de nos lieuës Françoiſes,tant du coſté de la terre que de la mer, car la § º
cloſtures eſtend partout : mais deuers la terre où eſt la plus dangereuſe aduenue, el
lesſontdoubles,baſties parendroits de pierre de taille,& en d'autres demoullon , &
debricque; chacune de ces deux ceintures munies au deuant d'vn foſſé à fonds de
cuuemuraillé de coſté & d'autre,large de ſix vingts pieds. Le premier mur de de
hors n'eſt qu'à guiſe d'vne fauſſe braye, eſleué de quelques dix pieds & non plus,
, auecforce creneaux & barbacanes en ſon parapet,& des canonnieres par bas, tantà
lacortine que dans les tours druſemees à peu de diſtance l'vne de l'autre,iuſques au
nombre de deux cens cinquante.Entre ceſte premiere cloſture & celle de dedans y
avnterre-plein ou entremurlarge de dix-huict pieds ſeulement auſſi ſert-il de rem
Par,eſtant plus haut que la premiere contreſcage ou banc de dehors : Et la ſeconde
muraille de meſme,quia2o.pieds hors de terre iuſqu'au cordon,eſpoiſſe d'autant &
garnie de pareil nöbre de tours que la precedéte plus eſleuee toutesfois,de ſorte que
le tout cömande,& eſt à caualler de l'autre, combien que toutes deux voiſent partie
enpleinauniueau,partie en péchant, ſelon que la ſcituatió qui eſtinegalle ſe hauſſe
ou rabaiſſe, ſans aucuns edifices entre-deux : Tellement que ceſte ville ſe pourroit
aiſémentrendre tres-forte : mais les Turcs n'ont aucun beſoin de cela car l'eſtabliſ
ſement & conſeruatió de leur Empire ne conſiſte pas en des fortereſſes ſur les fron
ºcres, ny dedans le cœur du païs,choſe à la verité § aux fôrces grâdes
decheual & de pied qu'ils peuuétàtoutes heures mettre dehors tant parlaterre que
P#lamer. Les murailles de la marine ne ſont pas telles, mais plus baſſes, bien que
aſſez maſciues,&garnies de creneauxauſſi,& de tourrions, plantées au reſte le long
ºl'eau toutſurlebord deuersledeſtroit,eſt la Propontide, ſice n'eſtés ports &
ºcentesoùlesbarques viennentaborder : carelles ſe retirent là endroit en dedans
Pººleur faire place, quelques cinquante plus ou moins petits pas ſelon la diſpoſi
ºn du riuage. -

91 LA à peu pres qu'elles furent les murailles de Conſtantinople, & ſont enco
#Pºurlepreſent,cariln'yaguere eu de changé depuis leurancienne cloſture, nö
PºquàRome&meſme depuisſix vingtstätd'ans qu'elle fut empietéo des Turcsi
A
•º

324 Illuſtrations ſur


mais elles ont pluſieurs fois eſté rebaſties,tant auparauant que Seuere la ruinaſt, que
puis apres par Conſtantin, & ſes ſucceſſeurs, comme Iuſtinian, Theophile, Nice
phore, & autres : ce qui ſert peu à ce propos. -

Les portes en QyAN r aux portes, il y en a ſix du coſté de la terre : la premiere qu'on appelle
nombre de * de Conſtantin, par ce qu'elle eſtoit pres de ſon Palais : Celle d'Andrinople; & vne
autre qui eſtau ſommet du ſeptieſme tertre : la porte Dorée : celle de Selibrée, &
des ſept tours, le long du port ilyala porte de Blachernes, où eſtoit l'Egliſe noſtre
Dame que Iuſtinian fit baſtir : onl'appelle auiourd'huy Xillopile, ou la porte de
bois, ſur le troiſieſme anglet de la ville : Celle de Cynigos, autrement la Palatine:
la Phanarie puisapres; l'Agie ou Saincte : la Iubalique, Farinaire, lignaire, ſemi
naire : de lapeſcherie, la porte du Port de Neorion : Puis celle de ſainct Dimitre à
lapoincte du premier tertre, mais elle ne ſert que pour le Turc, car elle eſt compri- ;
ſe dans ſon Serrail:& eſt pluſtoſtvne poterne,par laquelle il ſort & ſ'embarque quād | |

il veut alleràl'eſbat à Scutari, & autres lieux de la Natolie ou Aſie ſur lemoule ou :

quay de la Propontide, outre les autres poternes du Serrail du Turc, il yena cinq
ayans toutes leur port & deſcente : à ſçauoir la Stercoraire, la Leonine, la Coinde
ſtale, & deuxautres au deſſoubs du ſeptieſme tertre : Somme qu'ilyena de vingt &
vne à 22.Toutes leſquelles ſe ſont changées de fois à autre; comme auſſi la cloſture
desfaux-bourgs, qu'on appelloit les longues murailles dont il ſ'eſcrit d'eſtranges
choſes : & meſme qu'elles ſ'eſtendoient depuis le Pont-euxin, bien quarante mille,
iuſqu'à laville de Selybrée : eſpoiſſes neantmoins de vingt pieds : Que l'Empereur
1
Ce ſeroient, Anaſtaiſe fit faire pour arreſterles courſes & inuaſions des Bulgares, & des Tartares,
†""º ainſi que met Euagrius, quileur donne dix ou douze mille pas dauantage,à ſçauoir |
42o.ſtades, que Iuſtinian fit depuis racouſtrer. Mais pour mieux vous repreſenter
tout cela, enſemble ce qui ſe deduira cy-apres : nous vous en auons bien voulu icy |
appoſervne petite carte, qui vous le feraà peu-pres voiràl'œil comme en gros, auec |
les pieces principalles de ceſte fameuſe Cité, tant les anciennes en partie ſelon qu'il
eſt demeuréquelque marque & recognoiſſance, que les modernesdel'ouurage des
Turcsdepuisqu'ils ſ'y ſontannichez. - -

LEs
'!

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- - - - - --
l'Hiſtoire de Chalcondile. . 325
LEs ſept Tertres contenus au pourpris de Conſtantinople, ne ſe peuucnt pas
gueres bien diſcerner icy en ce plain, mais il ſuffira de vous aduertir qu'ils ſ'eſleuent
enfilez tout de rang en longueur d'vn bout à autre de la ville, à guiſe des vertebres
d'vnanimal, ou d'vne areſte de poiſſon, du Soleil leuant eſtiualau couchant d'Hy
uer : leſquels auec leurs pentes & aplaniſſemens de part & d'autre par embas,& les
vallées d'entre-deux eſtoient departies en quatorze regions ou quartiers, ainſi que
fut l'ancienne Rome par Auguſte, ce qui eſt tout ſi confondu & brouillé mainte
nant, qu'il eſt bien malaiſé d'en rien atteindre ſinon par quelques coniectures de
ce que les Autheurs en eſcriuent. De ſorre que ces deux belles grandes Citez au
trefois les plus floriſſantes de toutes autres, ontcouru auec le temps pareil deſaſtre
& changement : mais telle eſt la viciſlitude des choſes humaines, qui ne permet
rienicybas de ſtable & longue durée.Or pour vous en dönericy meilleure cognoiſ
ſance, nous confronterons engeneral la déſcription de l'vne & l'autre Conſtanti
nople : à ſçauoir comme eſtoit l'ancienne és mains des Empereurs Chreſtiens, &
quelle eſt celle de maintenant ſoubs les Turcs. -

LA PR E M 1 E R E en ſagrande vogue & ſplendeur contenoit cinq beaux grands Deſcripti6 dë


Palais : quatorze Egliſes collegialles, ſans infinies autres Chapelles & oratoires : ſix §
maiſons Royales des Imperatrices Auguſtes : trois autres excellens logis pour rece-ple.
uoir les Princes & Ambaſſadeurs eſtrangers : huict thermes ou magnifiques bains
& eſtuues : deux Hoſtels de ville : quatre grandes places enuironnées de portiques
comme des cloiſtres, pour les traffiques & marchez à couucrt : deux Palais pour ſ'y
aſſembler au conſeil : cinq magazins & greniers publiques : deux Thcatres : deux
eſcolles à ſ'exercer : quatre ports : vn Cirque, ou liſſée à picquer & faire courre les
cheuaux de ſelle,& les coches:quatre ciſternes:quatre grandes eſtuues publiques,&
cét cinquante trois particulieres:cinquante deux portiques vingtboullangeries pu
bliques,& ſix vingts autres particulieres : trois cens vingt-deux ruës paſſantes : cent
dix-ſept eſcaliers ou montées des plains és pentes & coihux, & cinqboucheries .
- Il yauoit outre-plus quatorze Commiſſaires, vn à chaque quartier ou region, &
autant de ſurueillans denominateurs és meſines quartiers, pour donner aduertiſſe
ment de ce qui ypouuoit ſuruenir d'heure à autre : cinq cens ſoixante Collegiez,
certains hommes choiſis à tour de roolle de toutesles communautez de la ville pour
ſe prendre garde & pouruoiraux inconueniens fortuits : ſoixâte cinq Vicomaiſtres
ou ſuperintendans des ruës & carrefours : vne colonne de Porphyre : deux autres
fort grandes colonnesayans desviz & montées parle dedans pour parueniriuſques
au haut ainſi qu'en celles de Trajan, & d'Antonin à Rome : vn coloſſe : vne manie
re de capitole : la monnoye : trois moulles, auec des marches & eſcalliers pour de
ſcendre des quais à la mer : & quatre mille trois cens maiſons ſignalées des plus ri
ches & principaux citoyés, ſans infinis autres petits logis pour le menu peuple eſtät
ceſte ville peuplée au poſſible. De toutes leſquelles choſes, pour le regard aumoins '

des edifices publiques, il n'en eſt reſté que quelques marques de ruines : l'Egliſe de
ſaincte Sophie : l'Hippodrome ou pluſtoſt la place où il ſouloit eſtre, car il eſt en
tierement deſnué de ſes ornemens : la colonne de Porphyre, & celle d'Arcadius à a Conſtanti
viz,auecie ne ſçay quelles ciſternes. Au lieu de cela l'on y peut voir plus de trois cés § ople Tur
moſquées toutes couuertes de plomb, tant des Sultans ou Empereurs des Turcs, & queſque.
de leurs Baſſats, & autres plus authoriſez officiers, que des moindres : car à tous il
eſt permis d'en fonder quiena le moyen, embellies des collönes de marbre, & fem
blables deſpoüilles des Egliſes Chreſtiennes , autrefois là en nombre de plus de
ſix cens,y compris Pera : tout de meſme que celles-cy ſ'eºient decorées des tem
ples du Paganiſme : ilyaauſſi des Therhmes & bains † de cent à ſix vingts,
dont ilyena 5o.de doubles,eſgallås preſqu'en magnificéce ceux de Mechmet, que
nous deſcrirons cy-apres. Plus de ſix vingts Imaraths ou Hoſpitaux, eſquels il ya
partout force belles fontaines d'eaux viues, que les ſeigneurs Turcs y ont attiré de
loin, tant par des aqueducts & tuyaux eſleuez, que par des conduits deſſoubs terre,
auec vn tres-grand labeur & deſpence : Car il n'y a moſquée , hoſpital, bains, &
- - FF
326 . Illuſtrations ſur
eſtuues, ne carbaſiſara, ce ſont cöme publiques hoſtelleries où chacun indifferem
ment eſt receu pour ſe mettre luy & ſes montures à couuert ſans rien payer, & fily
a encore quelques diſtributions gratuites de chair & de potage par chacun iour, où
il n'y ait de l'eau abondamment, ny place auſſi & carrefour, outre les Serrails & Pa
lais renfermez comme des Colleges ou Monaſteres, du Prince, & des grands de ſa
Cour, qui reſide ordinairement en Conſtantinople : Ce qui ſert non tant ſeulement
pour l'vſage du viure de bouche, que pour les leſciues, & autres telles neceſſitez:
mais auſſi pour tenir la ville nette, dont ces caux coullans continuellement çà & là,
auſſi bien deſſus les tcrtres & couſtaux comme en bas, emportent les immondices
en la mer.Les maiſons au reſte de Cºſtantinople ainſi que de tous les autres endroits
de Turquie, ſont communément baſſes, & d'vn ſeuleſtage, baſtie fort lourdement
& de quelque mauuaiſe eſtoffe, empruntée ſelon qu'il leur vient le plus en main,
des ruines & demoliſſions qui ſe rencontrent,aduenues par les tremblemens de ter
re, conflagrations, & ſemblables inconueniens dont elle a eſté ſouuent moleſtée.
Pour le regard des Chreſtiens, ilya le Patriarchat, & quelques autres Egliſes des
Grecs, tant à Conſtantinoplc qu'en Pera, iuſques au nombre de ſoixante dix, mais
fort peu de choſe, comme auſſi ſept ou huict des Armeniens, & plus de trente Sy
nagogues pour les Iuifs, qui encores à peine leur peuuent ſuffire pour le grand nom
bre qu'il y en a. |

", LE P R E M 1 E R tertre marqué A. eſt à l'vn des trois angles ou encoigneures de


Conſtantinople,ſur la marine,dont il eſt enuironné tout autour, fors deuers la ville:
auiourd'huy c'eſt le cap.S. Dimitre,que Denys Bizantinappelle le promontoire du
Boſphore,& Pline liu.4.cha.II. Ghry/ochera, ou corne d'or, pour la richeſſe de ſa peſ
cherie; Promontorium Chryſocheras in quo oppidum BiXantium libere conditionis, anteà %gos
dictum : parce que quelques vns eſtiment que l'ancienne ville de Bizance ne com
prenoit que ce tertre ou promontoire tant ſeulement.Etau 19.liu. chap.15.Ilya (ce
dit-il) du coſtéde Chalcedon vn rocher blanc à merueilles, qui rendvn eſclat & lueur depuis le
• fonds iuſques au haut, dequoy les Thons venans à s'esblouyrſe deſtournent, & s'en vont ren--
#erdeuers la pointe de Bizance appellee 26 aººeas , pour ceſte occaſion. Ce tertre icy le plus
eſleué des ſixautres,ſur la pointe duquel, comme dit Ammian Marcellin, eſtoit vn
Phare ou haute lanterne pouraddreſſer les vaiſſeaux de nuict, comprenoit auec ſes
pentes & vallons,deux des quatorze quartiers de la ville, le premier,& le ſecond.Au
premier quar- Pº ſelon lancienne deſcription,bien que d'autheur incertain Anonyme, mais
§ §- quia eſcript deuant mille ans,comprenoitle palais de l'Imperatrice Placidie, celuy
# de la Princeſſe Marine, les thermes & eſtuues d'Arcadius, xxix. rues paſſantes,
- cxv 11 I. beaux pallais d'hommes illuſtres : deux longues portiques ougalleries,
quatre boulangeries publicques, quatre grands eſcalliers pour deſcendre és ports
Vn quartenier,vn ſurueillant d'iceluy, vingtcinq Commiſſaires deputez ſur les in
conueniens du feu,& cinq denonciateurs du quartier pour la nujct. Mais tout cela
eſt maintenantreduit & compris au Serrail duTurc,auec la pluſpart du ſecöd quar
tier, dont il n'en reſte plus maintenant hors de ſon pourpris & cloſture que l'Egliſe
de ſaincte Sophie, aſſeruie à l'vſage de la principale moſquée ou temple Turqueſ
que, où le Turc la pluſpart du temps va faire tous les Vendredis ſon a/hala ou orai
ſon, parce qu'elle eſt la plus prochaine de ſon Serrail. Duquel puis qu'il vient icy à
propos, il eſt beſoin de parler icyvn peu plus au long, & par meſme moyen de l'or
dre & eſtat de la maiſon de ce grand Monarque, & de ſa maniere de viure enicelle,
fort à ſon priué, outre la couſtume des Princes Chreſtiens, enſemble de toutes les
particularitez qui en dePºdent
L E S E R R A IL D V T V R C.

CE s c ER c EssARAT ou Serrails ſont de grands palais,clos à guiſe de monaſte


res,tout àl'entour de hautes murailles, où les Empereurs Turcs, leurs Baſſats, Be
glierbeys,Cadileſchers, Saniaques, & autres principaux perſonnages font leur de
II1CllIG !
2 - , s . - - - - - -

· l'Hiſtoire de Chalcondile. 327


meure auec leur Cour, & leur famille, yeſtans toutes les commoditez contenues; --

quileur peuuent faire beſoin,tout ainſi que dans quelque ville cloſe , magaſins aſſa- |#
uoir,iardinages,cuiſines,boulangeries,eſcuiries,eſtuues,voire des Mahommeries &
oratoires particuliers,& ſemblables choſes,tant pour les hommes que pour les fem
mes. Le Turcau reſte en a quatre principaux entre tous les äutres, ceſtui-cy , & le
vieil,où ſont les filles qui ſe reſeruent pour ſon vſage,vnà Andrinople,& vn à Burſie
iadis ſiege des Roys de Bithynie au pied du mont Olympe, & depuis des Seigneurs
Othomans auant qu'ils ſe fuſſent emparez de Conſtantinople. Il y en avn autre en
core en Pera , & en pluſieurs autres endroits preſque par toutes ſes bonnes villes.
Mais celuy dont il eſt icy queſtion,fut baſty par Mechmet ſecond de ce nom, qu'ils Conqueſte de
§ conquerant, parce qu'en vingt-huict ou trente ans qu'il regna , il con-§
quiſt deux Empires,douze Royaumes,& bien deux cens citez ſur les Chreſtiens.Ce | --

Serrail eſt aſſis en la plus belle & plaiſante ſituation de la terre : car des galleries qui
regardent ſur la marine,tant du coſté de la Propontide,que du grand port, on peut
voirarriuer & ſurgir les vaiſſeaux qui viennent d'amont par le pont Euxin, & des
mers d'embas; & ouyr preſque ſans eſtre aperceu, iuſqu'aux menus deuis des nau
tonniers & mattelots. Il y renferma vne portion des cloiſtres, & autres appendan
ces de l'Egliſe ſaincte Sophie, dont ilya encore pour le iourd'huy vne grande galle
· rie le long du couſtau, ſouſtenuë ſur de belles groſſes colonnes, auec plus de deux
cens chambres de coſté & d'autre, qui ſouloient ſeruir de logis aux Chanoines &
Chappelains. Son fils Baiazety edifia depuis vn beau corps d'hoſtel au milieu, où
il ſe retiroit au bas eſtage durant l'Hyuer, pour ſe garantir des véts de bize, qui ſouf
fient lors communément de la mer Maiour : & l'Eſté il ſe tranſportoit au bout d'i
celle gallerie, pour eſtre ce lieu là releué & fort frais, accópagné outre cela de plu
ſieurs canaux & fontaines, dont le doux murmure des eaux prouoque gracieuſemét
le ſommeil.Car ceſte demeure eſt comme au milieu des Boſtans ouiardins, quien- .
, uironnent preſque tout le Serrail : meſmement deuers la marine, ſi qu'ils contien
nent plus de trois mille de circuit, plantez d'arbres exquis tant fruictiers qu'autres,
& de toutes ſortes de fleurs & verdures. Ilyaordinairement de ſix à ſept censiardi- /

niers pour les cultiuer, arrouſer, & les tenir nets, tous eſclaues du Turc, & enfans
de Chreſtiens, qu'il enuoye leuer de quatre en quatre ans par forme de tribut, en la
Grece, Albanie,&c.caril en ſera parlé cy-apres en leur lieu. Ceux qui ſont deſtinez
à ces iardinages ont de trois à quatre aſpres pariour, dont ils viuotét du mieux qu'ils
peuuent attendans vne meilleure fortune qui leurarriue quelquefois : & vn habil
lement de gros drap bleu de Sallonithi tous les ans.Leur Chefſ'appelle Boſfangibaſi, B,ſianitaſk
lequela deux ducats pariour, & deux habillemens par an,l'vn de velours, l'autre de # des *
brocador. C'eſt vn office de grande dignité & credit aupres du Turc, par ce qu'il le " -

voit à toute heure,& deuiſe familierementauecluy quand il ſe promene par lesiar


dins, qui eſtl'vn de ſes principauxpaſſetemps & recreations. Et quand il monte ſur
ſabarque pour aller à l'eſbat vers Scutarien la Natolie, ou és parcs & vergiers le long ,
du riuage de la mer Maiour au deſſus de Pera, c'eſt luy qui en gouuerne le timon
& les plus fauorits de ſes iardiniers voguent & la conduiſent; enſemble l'autre de ſa
ſuitte qui l'accompaigne : eſtans de tout leur nombre quelques cent de choiſis pour -

eſtre employez à cela : & pourtant mieux traictez que le reſte, au moyen dequoy ce
Boſtangibaſſa, eſtfort reſpecté & careſſé de tous les plus grands,iuſqu'aux Baſſats pro
pres, pourraiſon qu'ayantainſi la commodité de parler au maiſtre ſouuent, il leur
peut bien à l'aiſe faire quelque bon ou mauuais office, & preſter vne charité ſoubs
main; par ce qu'il ſ'informe de luy de leurs actions & comportemens, & du bruit -, -

† ont : enſemble des doleances du peuple, ſi d'auanture il fen preſente : & en


omme de tout ce qui ſe fait d'importance en la ville.Il n'ya aureſte homme en tout
le Serrail au deſſus de vingt deuxans, qui ſoit entier de ce qui appartient à vn hom
me propre à engendrer des enfans, que ceſtui-cy, qui de là paruient ordinairement
à quelques charges honorables; comme à quelque Saniaquat de Prouince , ou
autres ſemblables : mais le plus ſouuent on le fait gouuerneur de Gallipoli, qut
FF ij

-
-
l

328 Illuſtrations ſur


luyeſtd'vngros rèuenu & profit : & parfois encore general de l'armée de mer. Les
iardiniers de leur coſté apresauoirauſſi ſeruy quelque temps ſont faicts Ianiſſaires
d'où ils montent de degré en degré ſ'ilsſe fontvaloir, iuſqu'aux plus grandes char
ges & dignitez, ſelon qu'il plaiſt au Prince les aduancer : caronne le contreroolle
ointen cela, ains faut que tout ſoit trouué bon ce qu'il fait : eſleuant tout à coupſi
† luy ſemble le moindre des ſiens à la plus grande charge & authorité, & rauallât
au contraire les principauxaux plus bas & infimes offices, ou les en deſpouillant du
tout : voire parfois de tout leur bien, & la vie encore. Telle cſt l'obeiſſance de ce
peuple ainſi ſeruile,enuers celuy qu'ils tiennent à laverité pour l'image & repreſen
tation de Dieuicy bas : commeil eſt à la verité, ſ'il ſe comporte enuers ſes ſubiects,
ſelon que faict Dieu àl'endroit de ſes creatures. · r

A quoy s'em-, Lº **V#NV de cesiardins qui n'eſt pas petit, eſt commnnémentreſerué pour
pio ſe § latable & deſpence debouche du Prince , ce que nous appellons la chambre aux
§ ## deniers,quiarriue à bien quarante mille ducats tous les ans,tant de ceux qui ſont en
- Conſtantinople qu'ailleurs,ſans qu'il ſoit loiſible d'eſtre employé à autre vſage. Car
les SeigneursTurcs, à ce qu'on dit,ontiufques icyeu ceſte maxime de conſcience,
de ne ą les deniers leuez ſur le peuple,que pour la deffence & conſeruation
d'iceluy,appellant cela,Haram agemi cani,le prohibe ſang du peuple,comme on peut
voir en l'hiſtoire Romaine que ſouloient faire les bons Empereurs,Auguſte,Veſpa
ſian,Traian, Antonin Pie, Marc-Aurelle, & autres ſemblables : Et lorsqu'il §
prendre les armes,& alleràlaguerre,ils s'aident des impoſitions & ſubſides, mais en
temps de paix & repos,du ſeul profit de leurs iardins : Cartout le domaine du Turc
eſt deſtiné pour l'entretenement de ſa gendarmerie, qu'on appelle les Timariots,
parce que Timaren Turqueſque ſignifie le reuenu ordinaire quiprouient des terres:
ce qui ameu quelques vns d'imaginer que les EmpereursTurcs,& leurs principaux
officiers trauailloienteux meſmes de leur propre main à les cultiuer, ou à faire quel
que autre exercice de manufacture pour gaigner le pain qu'ils mangeoient, voire
que pour cet effect ce grand Solyman qui regna de noſtre temps ſi heureuſement, &
ſilonguement, auoitpour cet effect accouſtumé de coudre des ſouliers, qu'ilen
uoyoit vendre ſoubs main, ſe fondant ſur ce paſſage, mais trop cruëment à la lettre
du 3 chap.de Geneſe : En la ſueur de ton viſage tu mangeras ton pain, d'autant que
ce mot prº Lechem ne ſignifie pas ſeulement tant le pain, comme toutes ſortes de
viandes ſolides, mais c'eſt pource que c'eſt le principal maintenement de la perſon
ne.Ce labeur toutesfois de ſigrands Seigneurs,& ſi delicats eſt vn peu ſuſpect: Tro
bien n'eſt-il pas inconuenient qu'en ceſte vie ſolitaire qu'ils meinent, ils ne s'y †
ſent parfois eſbattre,ne fuſt-ce que pourautant d'exercice,ainſi qu'on lit de Mech
met ſecond, lequelayant pris plaiſir d'eſleuer certains pieds de concombres, qu'il
arroſoit & traittoit en toutes autres ſortes de ſa propre main, tant qu'ils vindrent à
produire leur fruict pluſtoſt que les autres que ſes iardiniers cultiuoient : Et lors arri
ua vn cas pitoyable,car s'en eſtant trouué vn à dire, qu'ils eſtoient encore fort petits
& tendres, il va ſoupçonner que ce ne pouuoient autres que ſes pages & enfans
ſtrá d'honneur quil'accompagnoientésiardins, dont il en fitouurir l'eſtomach, & le
†"ventre toutſurle champaux premiers venus (inhumanité nompareille)& paſſaou
II1Cl,tre iuſqu'au quatorzieſme, où il ſe trouua non du toutacheué de ſe corrompre &
digerer. - |

• - A L'ENTR E E de ce ſerrail grand & ſpacieux, à pair preſque d'vne bonne ville,
† caril contient vne grande lieuë de circuit compris les iardins,du coſté de ſaincte So
' ple.
conſtantino- poſé
phie de
ſe rencontre vn excellent
marbres taillez & beaulettres
à fueillages,& portraict,reſſemblât vn petitdoré,diaſpré
Arabeſques, argenté, chaſteau, com
de
toutes couleurs d'vn riche ouurage damaſquin iameſque, comme auſſi la gallerie
qui regne au deſſus, couuerte de plomb,& ſouſtenue de belles colonnes, où les Ia
· niſſaires qui ſont en garde ſe mettentà couuert,& pendent leursarmes,comme arcs
& trouſſes garnies de fleſches,arquebouſes, maſſes,haches, & cimeterres : car ils ne
les prennentiamais ſi ce n'eſt en cas de neceſſité : de deffenſiues,lesTurcs n'envſent
-
l'Hiſtoire de Chalcondile. 329
comme point, fors de quelques cabaſſets, iacques de maille, & aulbergeons. .. ;
Il yaauſurplus de quatre à oinq cens eapigé ou portiers,partis en deux trouppes,†º**
l'vne de trois cens ſoubs la § vn chefappellé Capigibaſi, quia de prouiſion de "
deux à trois ducats par iour : & l'autre de deux cens appellez Cuccicapigi, & leur chef
Cuccicapigibaſſa, quiena deux : Ceux qui ſont ſoubs leurs charges, depuis ſept iuſ
ques à quinze aſpres, qui plus, qui moins, ainſi que nos ſoldatsappointez diuerſe
ment,tous enfans pareillement de Chreſtiens,& eſclaues du Prince, ces portiers aſ
ſiſtentauec les autres Ianiſſaires à la garde tant de ceſte premiere porte, que de laſe
conde,& quelquesfois tous enſemble,comme quand le Turc tient conſeil general,
ou reçoitvn Ambaſſadeur,ou quand il va à la Moſquee : & quelquesfois vne partie
ſelon que les occaſions ſe preſentent, la moitié ſe rengeant de l'vn des coſtez, & le
reſte de l'autre, pour prendre garde que perſonne n'entre auecarmes, & qu'on ne
faſſe bruit ne deſordre. . , • * - | -- - 1 . !

DE ce portail on arriueàvnefortgrande & ſpacieuſebaſſe-cour, qui n'eſt point†º


autrement pauee, capable au reſte de tenir vingt mille cheuaux : car elle a ſept ou
huictcens pas de long,& plus de deux cens de large. Al'vn des bouts de la meſme
courilyavne autre ſeconde porte au milieu de deux torrions, gardee ſemblable-Sec6de porte .
ment par certain nombre de Capigis, & de Ianiſſaires , qui ont là auſſi leurs armes
penduesaueroc, laquelle eſt accompagneeparle dedans d'vn riche porche ſouſte-†
nude dix belles colonnes de diuers marbres, & la voulte enrichie de muſaïque d'or †"
& d'azur.Al'entree de ceſte porte il contient que tous mettent pied à terre , car il -

n'eſt loiſible à aucun d'y entrer à cheual, fors au Prince, & à ſes trois enfans d'hon
neur,qui luyportent ſonarc, ſa valiſe, & vn vaſe plein d'eau pour faire ſes ablutions
accouſtumeesaux Baſſatsauſſi,& Ambaſſadeurs. - -

Io1 GNANT ceſte ſeconde porte à la main droitte désl'entree eſt le chaſha ou
threſor du ſerrail, auecvne belle armeurerie pour la perſonne dugrandTurc : Et à
lamain gauche eſtaſſis l'Aga ou Capitaine des Spacchi,Selictars,& Vlufagibaſſi, & des
Capigi : car de ce coſté ſe rengentdebouttous ceux quivont demanderaudience: & cour du Diai,
delà on entre envne autre cour carree,contenant en tous ſens deux cens pas, qui eſt
enuironnee d'vne gallerie en forme de cloiſtre, ſouſtenue de diuerſes colonnes de
marbre,oùl'on ſe peut mettre à couuert:& au milieu de ceſte couryavne belle fon
taine ombragee de pluſieurs ſicomores & cyapres pour la commodité du Dinan ou
audience publique quiſetientquatre fois laſcpmaine,aſſauoir, Samedy, Diman
. , che,Lundy,& Mardy. -

F F iij

- --------
33o Illuſtrations ſur
| EN l'vne des faces de ce Cloiſtre, à la main gauche de l'entrée regardantvers ſe
Septentrionyavne loge ou ſalette qu'on ne † mieux accomparer, qu'à ce que
nous appellons és Monaſteres le Chapitre : Tout ce que deſſus eſtant de l'ouurage
Le Di d'Imbrahim Baſſa, auquel le Turc Soliman fit trencher la teſte, qui le fit faire à ſes
† §. deſpens. Là dés le grand matin ſ'aſſemblent les quatre Baſſats, és iours deſſuſdicts,
blique. auec les quatre principaux officiers de la Porte, (c'eſt la CourduTurc) le viſirou pre
Les ſeances de
mier Baſſa eſtantaſſis au milieu d'vn banc haut de terre enuiron vn pied & demy, &
ce conſeil. couuertd'vn riche tapis : à ſa main droicte eſt le ſecond : puis le tiers, & le quart : &
conſequemment le Beglierbey de la Romenie ou Europe, auec celuy de l'Anatolie
ou Aſie, ſ'il eſt lors en Cour, par ce que d'ordinaire il ne bouge guere de ſon gouuer
nement : & le Beglierbey ou general de la mer, ſi d'auanture il n'eſt dehors auec l'arº
mée. Puis le Droghman ou trucheman maieur du Prince qui eſt de grande authorité
Comme yn pres de luy. Alapotence au rétour de ce banc eſt aſſis vn Nafangibaſſi qui reçoit &
† littous les paſſeports, ſauf-conduits, permiſſions, & ſemblables dépeſches que les
· Secretaires ont expediées, & les trouuant raiſonnables les paſſe & ſigne: ſ'il y a quel
que choſe à redire, il la marque & corrige, & la leur renuoye pour la remettre au
net.A la main gauche du premier Baſſa ſur le meſme banc ſont aſſis les deux Cadi
lehchers, & à la potence au retour d'icelle les trois Defterdari, à quelque diſtence les
vns des autres : & tout d'vn rang, mais plus bas ſur vn tapiseſtendu par terre, les Se
cretaires & Greffiers quitiennent le regiſtre de tout ce qui entre dans le Chaſna, &
ſ'en tire, à ſçauoir de la recepte generale, & de la deſpence: & aupres d'eux ſont aſſis
les Veradari, à ſçauoir ceux qui ont la charge de peſer, compter, & examiner les aſ
pres, & ſeraphs : & pour ceſt effectya touſiours au Dinan vn fougon auec des char
bons allumez, & vne grand'poëlle de fer pour les eſprouuer en les fricaſſant, & voir
ſi ces eſpeces d'argent & d'or ſont bonnes & loyalles. Ils prennent au reſte les aſpres
.. au poids : car quand ils en ont compté mille quivallent vingt ſultanins ou ducats,
# par ce qu'ils ne comptentiamais plus haut en cas de deniers, que par milleaſpres, ils
aſpresle ducat. les mettent en vne balance, & peſent les autres alencontre, qui ſont ſi iuſtes qu'en
vingt mille aſpresil n'y en aura pas quatre de tare. Quant aux ſultanins ou ſeraphs
qui ſont d'or fin ſans aucun alliage comme ſont de meſme les aſpres de fin argent en
leur endroit, en quoyils ſont mieuxaduiſez que nous, ils les comptent.Le ſembla
Monnoyesdes ble ſe practique és Prouinces & Sanzaquats, par les Receueurs generauxpour lesap
Turcs. porter à l'Eſpargne : & n'ont lesTurcs autres eſpeces que ces deux-cy,auecvne mer
maille de cuiure appellée mangours, dont les ſeize vallentvnaſpre.Ils les enchaſſent
puis apres en des ſacs de cuir, en chacun cinquante mille aſpres : & les ſultanins à
- l'equipollent pour le regard de lavaleur, à ſçauoir mille en chaque ſac : Puis les ca
Le cachet du chettentainſi peſez lesvns, & les autres comptez, du ſceau du ſeigneur que le Viſir
7utc. Baſſa tient en ſon ſein, car c'eſt luy qui le garde,graué en or, non § , ou de
quelque deuiſe, par ce que les Turcs, n'en vſent point, mais de lettres Arabeſques
deſguiſées en forme de chiffre, faiſans le nom du Prince qui regne : cöme auſſi ſont
les marques & les coings de leurs eſpeces,auecl'année qu'elles ont eſté monnoyées,
, , , laquelleils comptent de l'Hegyre ou fuitte de Mahomet de la Mecque, quieſchet
§n- en l'an de noſtre ſalut 593.Tout cela eſt porté ſur le champ au Chaſha ou threſor qui
•ent de l'He fait l'vn des corps d'hoſtel du Serrail, le plus prochain de ceſte ſalle del'Audience,
*#c,,ſ .. ſeparéneantmoins d'icelle : Et là eſt le cabinet du ſeigneur,auecques ſon armeure
rie,l'vn & l'autre d'vne ineſtimable valeur & richeſſe; & tous les papiers, tiltres, &
regiſtres du reuenu; enſemble les comptes qui ſontenuoyez des Prouinces,arren
gez par ordre dans desarmoires & liettes diſtinctes, ſur chacune deſquelles armoi
res eſt eſcrit le nom de la Prouince,& ſur les liettes celuy de l'année.Là auſſi ſe met
tent tous les deniers qu'on apporte de toutes parts en chaque Dinan : Plus les draps
d'or, d'argent, de ſoye,& de laine : les fourreures, toiles & creſpes : & generalemét
toutes autres eſtoffes ſemblables, tant pour les meubles, que pour les habillemés de
la perſonne du Seigneur, & de ſes domeſtiques & appointez , que pour en faire ſes
preſens,à meſure qu'on les apporte destributs & impoſitions; ou qu'on les luydon
ne, ou qu'onlesachepte pour lesvſages deſſuſdits. - -
à - -

l'Hiſtoire de Chalcondile. - 331


DE c E c H AsNA ont la charge les Aſaoglandari, qui ont de dix à quinze aſpres Aſsºciants :
ariour, & deuxaccouſtremens l'annee, eſtant au ſurplus ſoubs la charge d vn Eu
nuque appellé Eſnedarbaſſi, lequela les clefs du threſor, neaumoins il ne luy eſt pas Eſnedarbaſi.
permis de l'ouurir ſans lalicence de deux autres Eunuques ſes ſupericurs , qui cn
ſeellent les portes & les armoires,l'vn dit le Tſfcder,& l'autre Niſa gi, leſquels l'ou-Teſteder.
urenttous trois enſemble,& autrementnon.l'Eſacdarbaſſia trois ducats de gage par º
iour, & trois fois l'an de fortriches accouſtremens & fourreures, & outre ce deux
pour cent de tout ce qui ſe tire du threſor,dontil en döne vn tiersauTeſteder, vn.au
tretiers au premier Eunuque dit, Iacutaga, & l'autre eſt pour luy, & a d'abondant Iacataga.
monture telle † luy ſemble en l'eſcuirie du Prince. Ce Chaſna s'ouure toutes
lesfois qu'on tient le Dinan : & encore qu'il ſoit fermé de pluſieurs ſerrures & cade
nats,ſieſt-il touſiours ſeelléneaumoins du cachet du Seigneur, dont le Chaouxbaſſi, chaouxiaſ .
ou chefdes huiſſiers va luy meſme leuer la cire,& l'aporte monſtrer au Biffa qui pre
fide à l'audience,lequellabaiſe reueremment,parce quc le nom du Prince y eſt em
praint : Puis quand il le faut refermer, le mcſme Chaouxbiſ prend de luy le cachct,
& le baiſe,comme auſſi fait le Baſſa en le luy donnant : & aprcs auoir refermé le Chaſ
nale luy rapporte en la meſme ſolemnité que deſſus. -

E N ce corps d'hoſtelle Chaſhatarbaſi fait ſa demeure, qui eſt le grädthreſorier du Chafnatarbaſ ,


Serrail, Monaque ordinairement,parce qu'il conuerſeauec les pagcs, & leur deliure - - _*

largent qu'il faut pour les menus plaiſirs du Seigneur,aſſauoir quarante ducats par †#
iour,tant en aſpres que ſultanins, qu'on luy met dans les pochettes de ſon doliman, -
pour le diſtribuer luy-meſme de ſa propre main comme bon luy ſemble : que s'il en
reſte quelque choſe c'eſt au page de la chambre à qui il touche de le deſ-habiller ce
iour là.Ce qu'il faut pour la deſpence de bouche,& de l'cſcuirie,& pour la prouiſion
desappointez,auiour la iournee,ſe deliure par le Chaſnaemin chefde dixcommis ou chaſnaemin,
petits threſoriers qui ſont ſoubs le Chaſnadarbaſi, lequel a outre plus ſous ſa charge
ſoixante ou quatre vingtsieunes garçós, de ceux qui ſont nourrisau Serrail: & quâd -

il faut tirer quelque choſe du Chaſna , l'vn de ces Checagni , ainſi ſont appellez ces Cºgºi
commis,s'y en va auec tel nombre de ces garçons qu'il eſt beſoin, leſquels tiennent
lesbras croiſez cependant,ſans mot dire, ne faire le moindre ſigne ou mouuement,
iuſques à ce que le commis leur die, Vous, prenez telle choſe, & vous telle, à quoy •
ſoudain ils obeiſſent : mais cela ne ſe faitgueres qu'és iours du Dinan, quand on ou
ure le threſor, & qu'on le referme, à cauſe du ſeellé quiy eſt.
IL ya d'autre partvne petite feneſtre carree qui ſert d'eſcoutte, au bout d'vne ſe- La feneſtº
crette gallerie, qui reſpond du Serrail droit ſur ceſte loge de l'audiéce,auecvn treil-º
lis de cliſſe au deuant garny de creſpe ou taffetas noir,qu'on appelle laialouſie ou fe
neſtre dangereuſe, pource que le Princeypouuanteſtre à tout'heure que bon luy
ſemble; & delà ſans eſtreapperceu,ny qu'on ſçache s'ily eſt ou non, veoir à l'œil, &
oyr tout ce qui s'ypaſſe, ce ſeroit choſe fort perilleuſe de luy en cuider taire ou deſ
guiſer rien.Carenceſte audience ſe traittent toutes ſortes d'affaires tant publics que
particuliers,d'Eſtat,de finances,guerre,iuſtice,police, proces, plaintes des peuples,
doleances de particuliers, de quelque nation & religion qu'ils puiſſent eſtre, hom
mes & femmes, pauures & riches, commençans aux choſes de plus grand'impor
tance,comme à conſulter des propoſitions de quelque ambaſſade, & luy donner là
deſſus reſponce : de pouruoir à ce qui faitbeſoin és Prouinces, expedier des priuile
ges, ſauf-conduits, paſſe-ports : condamner quelque perſonnage d'authorité à la
mort : & de là de main en main, tout ce qui ſe peut preſenter tant que le Dinan du
re,qui eſt communément ſept ou huict heures,iuſques aux plus petits differends.Et
là ſans interpoſition d'Aduocats ny de Procureurs il faut que chacun plaide luy
meſme ſa propre cauſe,mais modeſtement & ſans bruit, ny ſe mettre en celere, car
lesTurcs ſont ennemis mortels de tout bruit & fongofité,autrement on les chaſtie
roit ſur le champ à coups de baſton. Que s'ils ne ſçauent la langue Turqueſque, il y
atouſiours là force truchemens en toutes ſortes de langages : mais pour abbreger &
cuiter la confuſion & deſordre, on les fait renger par petites trouppes de douze ou
332 " · Illuſtrations ſur
quinze à chaſque fois, ſoubs l'introduction d'vn des Capigi, qui les conduit vers le
Baſſa : & quand ils ſont arriuez deuers luy, hors toutesfois de l'auditoire, tout ainſi
comme à vn barreau , ils ſe retournent vers le Capigi, qui entre dedans visà vis du
Baffa,qui en ayant eu la reſponce,illa leur porte dehors: puis luy,ou quelqu'vn de ſes
compagnons,en rameine d'autres : mais ils ne font pas cet office gratis,ains en reçoi
uent de bons ſalaires.Et n'eſt pas là queſtion de ſ'entr'iniurier nyvſer d'inſolence,ou
de faire le moindre bruit ou tumulte, parce qu'on en ſeroit chaſtié tout à l'heure, à
coup de groſſes cannes d'Inde noüeuſes & dures au poſſible, iuſquesau nombre de
centou deux cens ſur les feſſes,ſans autrementaualler les chauſſes; de ſorte que tel
Iuſtice Tur
enya quelquesfois qui de longtemps ne ſe peut releuer du lict.
queſque. O v T R E laiuſtiçe de ce Dinan, il y a celle qu'adminiſtrent les Cadileſchers en Con
ſtantinople & les Cadiz pareillement,qui ſont comme iuges de reſidence par toutes
^
lesiuriſdictions & villes de l'obeiſſance du Turc : & des SouſcadiXés ſieges ſubalter
Les repas
qu'on fait au
nes ésbourgs & villages. Et ſe donne en ce Dinan à repaiſtre à tous les hommes de
Dinan. reſpect & authorité qui yaſſiſtent, commençant de la ſeconde porte à l'Aga des Ia
niſſairesauec tous ſes Capitaines; à ceux-cy vne fois ſeulement deux heures apres
le leuer du Soleil : mais les Baffats & tous les autres officiers de l'audience y mangent
trois fois, l'vne le matin dés l'aube du iour où ſoudain apres qu'ils ſont arriuez ils
deſieunent : l'autre ſur les onze heures à noſtre mode,qui eſt le diſner : & la tierce
quand l'audience vient à ſe rompre : en tous leſquels repas on leur ſert force ris ap
preſté en diuerſes guiſes, car c'eſt l'vn de leurs principaux maintenemens,auec de la
chair de mouton trenchee parmy en menus morceaux,des poulies & chappons tant
boüillis que roſtis,du gibier, & de la venaiſon, horſmis du ſanglier & du lieure qui
leur ſont prohibez en la loy : le tout accompagné de ſaulces d'aux oignons, ſaffran,
eſpices,&ius d'oranges & de limons; & de l'eau ſucrée,ou du ſorbet, & autres breu
uages vſitez d'eux : car le vin leur eſt pareillement defendu, comme à tous autres
-Mahometiſtes,ſomme que leur viure eſt en tout & par tout groſſier,& non ſi delicat
qu'a nous : car en cela ils different peu des Allemands, & encore moins des Polla
ques.Ceux auſſi qui ſont à lagarde de la 3. porte par où l'on entre dans le ſerrail, y
prennent leur refection,& n'en ſont pas non plus exclus ceux qui vont là pour leurs
affaires de quelque religion qu'ils ſoyent : carl'ony porte ordinairement ſix ou ſept
cens plats,ou pluſtoſtbaſſins qu'ils appellentSigin pleins des mets deſſuſdits.& ſont
· ſeruis par autant de Ianiſſaires qu'il y a de plats, leſquels par meſme moyen couppét
le pain,& donnent à boire de belle eau qu'ils vont puiſer à la fontaine. Le premier
repasacheué, l'Aga des Ianiſſaires enuoye dire parl'vn de ſes Capitaines nommé le
Mochtur, au Viſir, qu'il veut aller vers le Seigneur pour le deu & acquit de ſa charge,
& qu'il veut prendre congé de luy. Cela fait l'Aga ſe leue de ſon ſiege, & s'en
va à la troiſieſme porte , là où accompagné des deux Capigibaſſi il entre dedans la
chambre du Seigneur, dont il en reſſort auſſitoſt pour s'en retourner au logis, &
monte à cheual quantà luy:mais les Ianiſſaires quil'accompagnent ſont tous à pied.
Les Baſſats auſſi bien deuant le manger commeapres,donnentaudience:& cepen
dant entour midy la pluſpart du temps : quelquesfois plus toſt ou plus tard le Sei
gneur enuoye par vn Capigi donner permiſſion aux Cadileſchers de venir vers luy, &
alors ils ſe leuent de leur ſeance,& accompagnez du Chaouxbaſi,& du Capigi-checher
Deuoit des ſi,ilss'en vont à la troiſieſme porte,où le Chaouxbaſſi,les laiſſe,& s'en retourne vers les
Cadilſcher les Baſſats:les Cadileſchers entrez où eſt le Seigneur,auec les placets & requeſtes tant du
iours du Dina.
criminel que ciuil,car cela eſt de leur gibier,luy en font leur rapport,voire les liſent
de mot à mot s'il en eſt beſoin : car ils † ſuccincts en leurs eſcripts & procedures.
Le Seigneur leur porte fort grand reſpect, autant ou plus qu'à nuls autres, apres le
Mode de ſa Muphti,& les ſalué la teſte enclinee,la mainplacquee deuant le pis qui eſt leur mode
luer & faire la pour l'amour de laiuſtice qu'ils repreſentent : Puis leur fait reſponce,& leur decla
reuerence à la
Turcque. re ſon intention ſi c'eſt quelqueaffaire qui le merite, mais le plus ſouuentil leur re
mettout,pour en faire ſelon que les loix diuines & humainesl'ordonnent : cela fait,
&ayans pris congé de luy ils s'en vontaſſeoir entre les deux portes, où ils †
iC ClOIlIlCT
l'Hiſtoire de Chalcondile 333
de donner encore vn peu d'audience, puis ſe retirent à leurs logis. .
Sov DA 1N que les Cadileſchers ſont ſortis de la chambre du Prince, les Baſats ſe Les Beglierbeſ .
leuétauec les Beglierbeys,& Defterdari,& ſ'en vont à la troiſieſine porte; & de là accö
paignez du Capigibaſſi, & des quatre Aga d'iceux Capigibaſi, enſemble du Chaſha
darbaſi, Chilergibaſſi, & Aſamiragraſſi, iuſqu'à la porte de la chambre. Soudain qu'ils
ſont entrez dedans, premierement les Beglierbeys font leur rapport ſur les choſes qui
ſont de leur charge en ayant au precedent conferé auec le Viſir ou premier Baſa , &
uis là meſme en la preſence de tous les autres remöſtrent ce qu'ils ont à dirè.Apres
auoir acheué,& eu reſpöſe du Seigneur ſuiuantl'aduis des Baſats,ils ſortét de la chä
bre,& ſ'en vontàleurs logisauecvne lögue ſuitte à pied & à cheualtant de leurs fa
milles que des courtiſans qui les ſuiuent.Les Defterdari eſtás demeurez quant & les Les Deferdari.
Baſſats,font entendre ce qu'ils ont à dire pour le fait de leur charge, chacun en ſon
rang, apres en auoir communiqué au Viſir dés la ſalle de l'Audience : le Teſqueregi
baſi ou Secretaire maieur qui à ſept ou huict mille ducats d'intrade ſur le Timar ou Teſqueregibaſi
- N - - - , | • - 2 • Secretaire ma
domaine, eſtant là preſent, qui tient vne liſte ou memoire qu'ils appellent Ars, de §
· toutes les particularitez & negociations d'importance qui ont eſté traictées au Di
nan, dontl'on doit faire rapportau Seigneur : & là deſſus apresauoir eu ſa reſolution
cöme bon luy ſemble, ils luy font tous vne profonde reuer«nce, & fen vont aſſeoir
ſurvn banc pres de la porte du Chaſna, là où deuiſans de ce qui concerne leur char
ge, ils attendent que les Baſſats ſortent, afin de les conduire au lieu où ils ſ'eſtoient
premierementaſſis au Dinan : Toutesfois les Defterdari ne vont point parler au Sei
gneur qu'au ſecond Dinan qui ſe tient le Dimanche, & au quatrieſme le Mardy.
Pendant que les Baſſats ſont demeurez tous ſeuls en la chambre, & que le Viſir faict
ſon rapport, les autres ſe retiennent coys ſans mot dire, par ce que le premier eſtin
ſtruict de tout : & apres que chacun des autres à fait auſſi ſon rapport à ſon tour, ils
ſ'enretournent derechefaſſeoir en la ſalle de l'Audience, où ils acheuent de depeſ
cher le reſte des affaires qui ſe preſentent,iuſqu'à ce que l'aſſemblée ſe röpe : en Éſté
enuirövne heure apres midy : & és coursiours vers les quatre : & là ayans laiſſé tous
les papiers & memoires és mains des Secretaires, & ſeellé de nouueau le Chaſna,
ils ſ'en reupnt à leurs logis, accompaignez de leurs eſclaues & domeſtiques qui
marchent deuant,& de ceux qui pour leur faire honneur les conuoyent : le premier
Baſſa ſuiuy meſme des autres ſes compagnons, & des principaux de la porte : lequel
acheue en ſa maiſon tout le reſte de la iournée iuſqu'au ſoir à donner audience aux
particuliers, ſans en exclurre les plus petits : ſi qu'ils n'ont comme point de repos,
attendu le grand nombre d'affaires qui ſe peuuentiournellement preſenter en vne
ſigroſſe maſſe d'Empire. . - :

OvTR E ce Dinan & publique audience, les Baſſats, Beglierheys, Cadileſchers, & Audiences pat
autres officiers de la porte, en donnent chacun endroit ſoy dedâs leurs logis, le Me
.credy, & le Ieudy, car le Vendredyleur eſt en la meſme obſeruation & reſpect, que
aux Iuifs le Samedy, & à nous le dimanche: & pourtant reſerué pour aller faire leurs
prieres & deuotions és Moſquées. Es deux iours doncques deſſuſdits, le premier
Baſſa(le meſme ſe doit entendre auſſi des autres trois) faict ouurir dedans ſon Ser
rail la ſalle où il aaccouſtumé de donner audience : en Eſté ſur les trois ou quatre
heures apres midy : en Hyuer entre deux & trois, car Conſtantinople eſt preſqu'au
meſme paralelle que Paris : & là ſe trouuent en premier lieu les Sparſîz, chaoux, &
les vieils routtiers Muttefereca, qui ſignifie autant comme gens ſans ſoulcy : ce ſont Mut,ſer .;
tous Chrêſtiensreniez eſclaues du Turc, leſquels ayans fait quelque preuue ſigna
lée de leur perſonne, ſont fort bien appointez de luy, ſans eſtre plus ſubiects d'al
ler à laguerre, n'yau Serrail, ſibonne leur ſemble : leur Chefa cent aſpres le iour.
Ilyalà encore des autres principaux Courtiſans en fort bon ordre & equipage,&ri
chement habillez de longues robbes de toile d'or, velours & ſemblables exquiſes
eſtoffes, pourl'honorer de leur preſence en ſon auditoire particulier.Tous leſquels
mettent pied à terre dés l'entrée de la maiſon : car tous les Turcs non ſeulement de
qualité, maisiuſqu'aux plus petits compagnons ne vont guereiamais qu'à cheual,
GG
· 334- Illuſtrations ſur
quand ce ne ſeroit que pour aller quelques deux cens pas loin de leur logis : ſ'entre
, , ſalluans humblement quand ils ſe rencontrent par vne baſſe inclination de la teſte,
† † la main droite à l'eſtomac, qui eſt comme il a eſté deſia dit cy-deſſus la maniere de
honneſtetez leurs reuerences, & ſ'honorans les vns les autres de bcaux tiltres ſelon leurs rangs &
†º"
•-
qualitez
Monſieur: comme
: Sultan,deMaiſtre,
Biſſa quiSeigneur,
veut dire&Chef: Aga Capitaine,
dominateur Beg,ceBenc,
: toutefois nomou Beghun,
là eſt pro
prement deuau Prince : mais nous appellons bien de meſme vn marchant, & ſim
ple artiſan, Sire,comme nous faiſons noſtre Roy:encore les choſes en ſont venues là
qu'il les faut maintenât appeller môſieurs: Quelques vns au reſte ſ'efforcent de tirer
ce tiltre royal de SI R E de Cyrus Roy des Perſes tant celebré és hiſtoires ſainctes,&
profanes,mais l'ortographe y contredit.Ilya vn autre tiltre encore parmy lesTurcs,
chumchiera duquell'on n'vſe enuers perſonne que le Seigneur,à ſçauoir Chumchiera,comme qur
diroit Empereur ou Ceſar.Les Courtiſans doncques,pour r'entrer en noſtre propos
ſ'en vötaſſeoir dedans la ſalle ſelon les degrez de leurs charges,ſur vn petit bancar
régé exprés tout autour,&au milieu ya vn ſiege plus releué que le reſte,auecvn tapis
au deſſoubs, où ſe doit mettre le Baſa : attendant la venuë duquel tous ſe maintien
nent en vn ſilence merueilleux, & modeſtie nompareille, les yeuxabbaiſſez contre
terre, & les bras croiſez, tant qu'il vienne. A ſon arriuée ils ſe leuent tous iuſques à
ce qu'il ſoit aſſis, puis ſe remettent en leur place. Alors le Baſa faiſant ſigne de la
main à ceux à qui il veut parler, ils ſ'en vontà luyauec de grandes ſubmiſſions iuſ
qu'en terre, & illeur faitentendre ſon intention : cela fait, ſ'ily en a qui ayent quel
que choſe à luy remonſtrer pour ſesaffaires particulieres, ils y vont l'vn apres l'autre
au meſme ordre qu'ils ſont aſſis. Puisayant là deſſus pris congé, ils ſ'en vont faire le
ſemblableaux autres Baſſats, Beglierbeys, & Cadileſchers,compartiſſans leur temps,de
ſorte qu'ilsayent acheué de faire leur Courauant que le ſoir ſoit venu, les particu
· liers entrent puis apres que les Courtiſans ſont partis, n'eſtans demeurez en la ſalle
que cinq ou ſix Chaoux, ou Huiſſiers,& quclques truchemás en diuers langages pour
ceux qui ne ſçauent parler Turqueſque : & leur donne l'on audience à tous iuſques
au dernier : car ilya des Portiers, Ianiſſaires communément auecques leur baſton
de canneau poing, qui appellent à tour de roolle ceux qui ont affaire au Baſſa, & les
ameinent en ſa preſence, où il les eſcoute benignement, & depeſche ſur l'heure, ſi
c'eſt choſe qu'il puiſſe faire tout leſur châp; ſinon il leur donne vn Teſquere ou petit
Aduertiſſemët billetaddreſſant à ceux qui leur en doiuent faire l'expedition, ſoient Cadileſchers,
Pºur lº "- ticulieres
vCCS.
Cadiz, ou autres,
n'ya pasou bien les remet
longtemps au premierViſir
que Mehemet Dinan. En vne de ces
de Selimpere audiences par
d'Amuratauiour
d'huy regnant, dontilauoiteſpouſé la ſeur, fut tué d'vn coup de couſteau par vnin
ſenſé, ou pour le moins qui le contrefaiſoit, ſoubs ombre de luy preſentervn placet,
& ce pour raiſon de quelque iniuſtice qu'on diſoit luy auoir eſté autrefois faite par
Les Turcs fort ce Baſſa.Sivn Ambaſſadeur veut auoiraudience à part, il l'enuoye demander dés le .
grands mati-grand
lllCIS.
matin
uer quant & leouiour,
le ſoir
& precedent : car tous
deuant encorc; & onlesluy
Turcs ont l'heure
aſſigne cela de qu'il
propre de ſe ve
y doibt le
IllI. • -

VoILA à peu pres ce que c'eſt de leurs conſiſtoires & audiences, tant publiques
que particulieres, en temps de paix à Conſtantinople, Andrinople, ou autre tellieu
Le Dinanau que le Turc eſt de ſeiour : mais au cample Dinan ſe tient ſous vne grande tenteioin
Camp. cte parvne gallerie ou allée de toile, à ſon pauillon : & les particuliers en ceux des
Baſſats.Somme que pour desgens ſiruraux comme on les eſtime, pour le moins qui
n'ont point de lettres, ils obſeruent en tout & par tout vn bien plus bel ordre & po
lice que nous, qui les appellons Barbares : mais cela deſpend en partie de leur pa
tlCIlCC. - - -

1e - ci , L L ya encore vne autre forme d'audience plus ſolennelle que les deſſuſdites, où
i§ §le Seigneuraſſiſteen propre perſonne : laquelle ſe tient à la premiere ſalle qu'on ren
#† contre à l'entrée de la troiſieſme porte, où commence le ſecret enclos du Serrail:
" quandil eſt queſtion de receuoir ou licentier quelque Ambaſſadeur: car ils nevoyet
1aIIldlS
2 • - : - , : . » YI . -

l'Hiſtoire de Chalcondile. | 335


jamais le Turc, nyne negocientface à face auecluy, qu'à leur arriuée & depart,ains
les remet de toutes choſes à ſes Baſſats : ou bien pour prendre l'aduis de ſes princi
paux officiers ſur quelque guerre, & autres tels affaires de grande importance : ou
quand l'vn des Baſſats,ou Beglierbeys eſt de retour d'vne entrepriſe où il auroit eu
charge d'armée, & ſemblables occaſions. Ceſte ſalle eſt parée fort richement, &
toute tenduë de draps d'or & d'argent, auec des tapis Perſiens, & chairons par bas,
& de petits bancs à l'entour eſtoffez de meſme. Là les Baſſats ayansaduerty & faict
faire commandement à tous les principaux de la porte de ſe repreſenter equippez
& veſtus de leurs plus ſomptueux habits : les deux Cours cependant ſe rempliſſent
de Ianiſſaires,au nombre de dix à douze mille:& de Spaciſiz,Solachs,Selicfars,& autres
forces de lagarde du Prince, tant de pied comme de cheual : dont les plus qualifiez
& qui ont garde entrent en ceſte ſalle où ils ſ'aſſéent ſelon leurs rāgs,attendant que
le Seigneurvienne,ce qui va preſqu'en ceſte ſorte.Premierement entre les deux Ca- , , ,
pigibaſi ou Capitaines de la premiere porte, qui ont de grands baſtons de cănes d'in- †.
| deau poing, garnis d'or,& de quelque pierrerie és deux bouts, tels à peu pres que les § Impe
portent les maiſtres d'hoſtels chez le Roy : & d'vn pasgraue & venerable ſ'achemi-rial.
nentau ſiege du Prince dreſſé tres-magnifiquement au fonds de la ſalle ſur vn daiz
haut de pluſieurs marches, le tout couuert & garny d'excellens tapis. En apres vient
le premier Baſſa, & puis le Prince au milieu des deux autres Baſats,& derriere luy les
trois enfans d'honneur,dötila eſté parlé cy-deuant,leſquels lui portent derriere ſes
eſpaulles vn grand oreiller d'or battu, tout eſtoffé de pierres precieuſes d'vne ine
ſtimable valeur, qui luy ſert quand il eſt aſſis à ſ'appuyer contre.A ſon arriuée tous
ſe leuent ſans bouger neantmoins de leurs places, & font vne fort grande reueren
ce, inclinans la teſte preſque iuſques en terre. Alors les Capitaines de la porte ſe
mettent l'vn d'vn coſté, l'autre d'vn autre ſur la premiere marche du Tribunal par
embas, auquel le premier Baſa monte deuant, & puis le Seigneur, que les deux
autres conduiſent pardeſſoubs les bras comme vne eſpouſée : & l'aſſéententre de
tres-riches cuiſins à leur mode. Là autour ſ'aſſéentauſſi les trois pages, auecques
les principaux Eunuques du Serrail : & ſur la ſeconde marche d'enhaut à la main •

droicte le premier Baffa, & le Cadileſcher de la Grece, qui adminiſtre la iuſtice en


Conſtantinople, ainſi que le premier Preteur ſouloit anciennement faire à Rome:
& à la gauche ſur la meſme marche, les deux autres Baſſats, ou les trois ſ'il y en a
lors quatre en Cour, enſemble le Cadileſcher de la Natolie, qui equipolle aucune
mentau Preteur des Forains. Adonques de ſa viue voixauecvn merueilleux ſilen
ce, & attention de toute l'aſſiſtance, il propoſe ce qu'il leur veut communiquer :
ſurquoyils opinent, & donnent par-apres leuraduis chacun en ſon rang d'vn grand
ordre à la mode ancienne Romaine : aſſauoir les plus dignifiez les premiers. Le
Conſeilacheué il ſ'en retourne auec ceux qui l'auoient accompaignéau venir: & le
reſte deméure en la ſalle,où leur eſt appareillé le manger : Puis ſ'en retournétàleurs
logis,leur ayanteſté preallablement preſenté à chacun vne robbe de la part du Prin
ce à l'entrée de ce Conſeil,aux vns de draps,ou de toiles d'or & d'argent, aux autres -

de velours, ſatin, damas, & broccadors de toutes ſortes de couleurs. Q v E ſi d'auä- Les executio#
ture ilauoit à faire mourrir quelqu'vn de la trouppe, fuſt par aucun meffait commis †º
de luy, ou pour vne mauuaiſe opinion qu'on en euſtcóceuë, ila de couſtume de luy
faire preſentervne robbe de velours noir, qui eſt ſigne qu'il faut qu'irremiſſiblemët
il meure : parquoyle repas eſtantacheué quand les autres ſ'en vont les Chaoux retié
nent ce veſtu de noir,& certainsieunes hommes robuſtes qu'ils appellét Geleth, luy
mettent vne corde de ſoye noireau col, & l'eſtranglent couché par terre, ſans que
les Baſſats,nyautres quelque grád & fauorit qu'il peuſt eſtre ſ'oſaſt entremettre d'in
tercederenaucune ſorte pour luy,ſur peine d'encourir au meſme danger& punitiö: - /

Puis le trouſſent ſurvn cheual couuert d'vn drap noir, ayantenuoyé deuantl'vn d'i
ceux Chaoux auecvne longue baguette noire quiavne petite banderolle de taffetas
ou creſpe noir attachée aubout,laquelle il plante ſur le ſueil de l'huys, afin que ſafa
mille voiſe à l'encótre receuoir le corps:cela ſentédàl'endroit de quelque persöna
#G
ge d'autorité,cöme vn Baſſa,Beglierbey, ou Saniaque:car auxautres moindre eſtoffe
ij
-

336 Illuſtrations ſur


ils couppentaſſez miſerablement la teſte en quelqueaparté endroit du Serrail; puis
la portent dehors,& la mettent ſurvn tapis.Il ſe fait aſſez de iuſtices encores d'autre
maniere par le iugement des Cadileſchers, & Cadix, mais celles-cy s'entendent pro
ceder du particulier commandement & vouloir du Prince : comme l'an 1536.Le
Turc Solyman apresauoir fait ſouper auec luy Hibraim ſon premier Baſſa, le plus
grand perſonnage,le plus riche & authoriſé qui futoncques aupres des Empereurs
Othomans, luy enuoya trencher la teſte en vne garderobbe où ill'auoit fait retirer,
par la main du Boſtangibaſi, ou Chefdesiardiniers du Serrail.
Reception des QyE ſi c'eſt pour receuoir quelque Ambaſſadeur d'vn grand Prince ou Potentat
§ que ceſte audience s'aſſemble, l'ony garde à peu pres vne telle cerimonie. Eſtant
reſt d'entrer en Conſtantinople, le Turca accouſtumé de luy enuoyer vne grande
robbe de drap d'or, & vn beau cheual richement harnaché par l'vn de ſes eſcuiers
ſuiuy de trente ou quarante laquais : & l'ayant fait monter ſur ce cheual, il trouue à
l'entree de la ville la pluſpart des Capitaines,officiers,& autres des plus apparents de
la porte, qui le conduiſent au logis du premier Baſſa, d'où apres vne legere entre
veuë & ſalutation,il s'en va au ſien,attendant qu'on luy vienne annoncer l'heure &
Ie iour de ſa reception : lequel arriué,& s'eſtant mis au meilleur equipage qu'il peuſt
luy & ſafamille,vne bonne trouppe des deſſuſdits le viennent prendre pour l'ac
compagnerau Serrail, là où à la premiere porte il trouue les deux Capigibaſi deſſuſ
dits,auec quelques Monuques des plus fauorits,qui le meinent par les deux Cours à
la ſalle de l'audience : Et là eſtant recueilly du premier Baſſa,ille meine au Seigneur,
qui eſt basaſſis ſur ſon daiz parmi force riches oreillers & carreaux à leur mode,mais
il ſe leue au deuant,& luy tend la main à baiſer, puis ſe remet en ſon aſſiette, & faict
aſſeoir l'Ambaſſadeur en vne chaire develours cramoiſi, ſi c'eſt de la part d'vn Prin
ce Chreſtien, parce que ce n'eſt pas leurfaçon de ſ'accroupir bas comme font les
Turcs.Alors l'Ambaſſadeur luy preſente ſes lettres,leſquelles il prend, & les deſca
chette de ſa propre main, puis les donne à ſon premier truchement pour les lire tout
haut,quiles luyinterprete puis apres de mot à mot. Cela fait, les gentils-hommes
ſont conduits par deſſoubs les bras comme vne Eſpouſee, à luy aller auſſi baiſer la
/

/
main,& s'en retournent à reculons de peur de luy torner le dos : Là deſſus le Turc ſe
retire,laiſſant l'Ambaſſadeur & les ſiés és mains du Baſſa, lequelles meine tout de ce
Banquet Tur pas banquetter en la ſalle du Dinan, où le feſtin eſt appareillé à leur mode, de force
queſque. potages de riz,& de diuerſes frométees, auec de menus morceaux de chair de mou
ton,qu'ils mangent plus communement, & de poulles hachées dedans, & des reiſ
ſoles & bignets; le toutaſſaiſonné iuſqu'à oultrance de ſaffran & d'eſpiceries : Il y a
auſſi quelque roſtarroſéauecques du beurre,carils ne mangent point de lard ; mais
il ne le faut pas trouuer eſtrange : ny le referer ſeulement à vn ſcrupule de religion,
car les Anglois & Allemands ont la meſme façon de faire,voire ilyabien peu de na
tions, quilardentainſi que le François. -

LE vR breuuage aureſte eſt de pluſieurs differentes ſortes,comme nous le dedui


rons cyapres; mais tous exclus du vin de vigne, parce que leur loy nomméement le
defend : & ne ſe font ces feſtoyemens aux Ambaſſadeurs quels qu'ils ſoient, que
deux fois en tout,à leur arriuee, & depart : Tout le ſurplus de leur temps ſe paſſe és
negociations auec les Baſſats & autres officiers de la porte, car ils ne traittent plus
rien de bouche à bouche auec le Prince,quin'eſt pas,peut-eſtre, vne des pires inſti
tutions d'vn eſtat,pour infinies cauſes plus propres beaucoup à diſcourir & conſide
rer à par ſoy,& les pratiquer par experience,qu'à les dire,nyà les eſcrire,
MA 1s pour retourneràla deſcription du Serrail, ceſte grande premiere place
nonobſtant qu'elle ſoit fermee de hautes murailles de toutes parts, n'eſt toutesfois
qu'vne auant-couroùiln'ya pointd'habitations en tout ſon pourpris & circuit,iuſ
Cuiſines du qu'à la ſeconde cloſture où eſt le cloiſtre & auditoire du Dinan. Mais à main droitte
gOmIIlun. en y entrant ſont les cuiſines du Seigneur,tant pour le Dinan, que pour les domeſti
ques du Prince,à quoy les Turcs ont accommodé vn petit temple rond, & couuert
de plomb,comme eſttout le reſidu du Serrail , lequel temple ou chapelle ſouloit
l'Hiſtoire de Chalcondile. 337
eſtre des appartenances de ſaincte Sophie. La cuiſine de bouche eſt plus en dedans, Celle de bou :
à huict combles diſtincts l'vn de l'autre, enforme de culs de four, ou couppoles che.
qui ſeruent d'autant de cheminees, dont chaſque maiſtre queux a la ſienne à part,
auec ſon four : & yaen ces deux cuiſines bien ſoixante maiſtres, & deux cens Chiſc
mechiari ou aides,leſquels trauaillent continuellementàappreſter les viandes : mais
les maiſtres ſe ſoulagent & relayentalternatiuement d'vn iour à autre.Ceux de bou
che ont de quinze àvingtaſpres par iour,& du commun,la moitié d'autant: leurs ai
des & garçons trois ou quatre : & ſont tous habillez de neufvne fois l'annee. •

IL Y A au ſurplus quatre ſur-intendans ſur ces cuiſines : le premier appellé Argi-ºgi# con
baſi prend garde que toutyaille comme il faut, & que chacun faſſe bien & perti-"
nemment ſon deuoir. C'eſt luy auſſi à quiil touche de faire payer les gages des deſ
ſuſdits, & fournir leurs accouſtremens & liurés. Ila ſoixante aſpres d'appointement
chacun iour,auec vne robbe de broccador; & vne autre de ſoye, paranà la volonté E , pagi
du Seigneur.Le ſecond eſtl'Emimmut pagi, autrement Mutpatenin, qui ſont preſque ou #
comme lesargentiers és maiſons de nos Princes & grands Seigneurs,où il n'ya point"éº
de pouruoyeurs & marchands pour fournir les victuailles,ceſtui-cyala charge de la
deſpence des cuiſines; & fourniſt iour par iour les deniers ; ayant d'appointement
vn ducatpariour,auec des accouſtremens comme l'autre,à la diſcretiö du Seigneur
& comme il luyplaiſt le donner à leur Bahiram & Kabir, ou grand paſque : Et eſt de
grande authorité,parce qu'il parle à luyà tout heure,pour ſçauoir ce dontilaura ap
petit de manger. -

LE T R o 1 s 1 E s M E eſt le Checaya, comme vn contreroolleur, le premier d'apres Ce mot ſigni


le maiſtre d'hoſtel,pour reuiſiter tout ce qui entre & ſort des cuiſines, & pacifier les #†
differends qui peuuent ſourdre entre les officiers ;appointé au reſte de meſme, & ſomme leſe- .
ainſi que le precedent. - - -
-
##
LE QyAT R 1 E s ME eſt le Mutparia{igi, telà peu pres qu'vn clerc d'office,qui dreſ § §
ſe les eſcroües, & tient le regiſtre de tout ce qui ſe deſpendés cuiſines : ordonne en ºtº
outre les viandes & les metz qu'on doitappreſteriour par iour, tant pour la bouche,
que pour le commun. Il n'a que trente aſpres par iour, & eſtau ſurplus habillé ainſi
que les autres. C'eſt luy qui donne les billets & certificats tantaux maiſtres, queux, #

qu'à leurs aides, poureſtre là deſſus tous payez de leurs gages, qu'ils reçoiuent tous
les quartiers, outre leurs practiques & menus droicts, leſquels ils partiſſent entre
eux : car ſans le menu, la venaiſon, le gibier, & poiſſon, dont ils mangent indiffe
remmentauec la chair,on tué d'ordinaire pariour pour la maiſon du Prince,de qua
treà cinqbœufs, & cinquante moutons, ſans des boucqs chaſtrez, & des chievres,
| qui leurſont auſſien vſage, comme il ſe dira cy-apres. · · · - -

Sv1T le CheleKXi (tous ces gens icy ſont Eunuques,ille fautainſi † ſuiuant Chºlezzile ,
tequi a eſté dit cy-deſſus) quiatrente autres soubſchelezzi ou commis ſoubs luy, leſ-†
cier ou verdu
quels ont la garde des menuës prouiſions, comme riz, miel, oliues, fromages, beur-rier
re, ſuccre, & ſemblables choſes: & dix Caluagi, tels que ſont les fruictiers en la mai-#ºº
- - - - ctiers.
ſon du Roy; qui font les compoſtes, confitures, & autres tels metz de deſerte. Et
pour ceſt effectyavnautre office & demeureàpartau Serrailditlechiler ou deſpé-# rºi
ce ſecrete, fournie de 25. ou trenteieunes hommes de vingt à vingt deux ans, qui •
ont la charge des ſuccres, dragées, & eſpiceries de toutes ſortes : & des iuleps, ſi- .
rops, & ſorbets pour la bouche. Ils ont de huict à dixaſpres le iour, & ſont habillez
deux fois l'an, de ſatin ou damas de toutes couleurs, ayansvn Chef Eunuque auſſi
comme les autres, appellé Chilergibaſſi, qui en a cent, & deux accouſtremens lan- chiºzit.ſi
née : bouche à Cour, & monture enl'eſcurie : outre quelques cinq ou ſix cens du- .
cats tous les ans que luyvallent les droicts & profits de ſa charge. . · -

LA B ov LLAN G E R 1 E & les fours pour cuire le pain du Seigneur & de ſa famil-Boul#gerie &
le, ſontauſſi dans l'enclos du Serrail, là où ſ'employent continuellement quelquesº -
cent que maiſtres qu'aides. Les Maiſtres de laboullägerie debouche ont dix aſpres " .
le iour, & ceux du commun, ſix : leurs aides & garçons de trois à quatre, auec quel- … ,
ques habillemensd'aſſez bon drapvne fois l'an,à leur Paſque. Leur chef ſ'appelle
11J
338 | Illuſtrations ſur
Echenicherri
baſii. Echenicherribaſi, maiſtre ou ſur-intendant du fournil, quia cinquante aſpres le iour,
& vne robbe de broccador tous lesans,auec quelques dons & bien-faits des Baſſats,
& autres perſonnages d'authorité,quand il leur preſente des marſepans, du meſtier,
biſcuit,& telles autres friandiſes & douceurs de paſte à leur façon, qui n'eſt pas des
plus delicates : -

pumanger,& OR n'yaura-il point de mal,puis que cela vient à propos, de toucher icy quelque
†º choſe du mâger & boire desTurcs,qui ſontfort ſimples en cela auprix de nous mais
ce n'eſt pas parauenture le pis de leuraffaire, encore que nous les reputions lourds,
ruraux,& barbares,car il n'ya rien quinous perde plus, & deſbauche de toute valeur
& merite que l'exceſſif laye & intollerable où nous ſommes plongez à preſent.
Voire les petits compagnons ſans moyen qui ſe veulent eſgalleraux plus grands : ce
qui ſucce,ronge,& deuore inſenſiblement le publiciuſqu'aux os:là où aux Turcs en
premier lieu le vin eſt abſolument defendu par la loy,pour les cauſes toucheescom
me en paſſant dans l'Alchoran, & expliquees plus amplement dedans le liure de ſa
Les incom- doctrine qui ſerainſeré cy-apres,mais la ruze & malice de ce faux legiſlateur, n'eut
#º" autre eſgarden cet endroit,que pourauoir les peuples plus ſoupples & obeiſſans, &
- moins fantaſtiques & ſeditieux,parce qu'il n'ya rien qui eſchauffe plus le cerueau &
le cœur que le vin:Pour les exempterauſſid'infinies maladies,que l'vſage ameine de
ceſte pernicieuſe liqueur l'vn des principaux deſbauchemens du genre humain : Et
pour finablement pouuoir conduire & charrier par pays de plus groſſes armees , &
plus aiſéement : parce qu'outre le couſtange de ce breuuage, la voicture en eſt fort
faſcheuſe, & d'infinis frais, penible tout outre, & le recouurement en pluſieurs en
droits nö que mal-aiſé,mais impoſſible,ſi que vingt Turcs, ou autres tels Mahome
tiſtes viuront de ce que deux ou trois ſimples ſoldats de ces quartiers de pardeça dé
· pendront en vn deſieuner à cauſe principallement du vin.Ils en alleguent encore ie
ne ſçay quelle occaſion, que Mahomet vit vniour certaine trouppe de ieunes gens
| | -- en vn iardin qui banquettoient beuuans du vin,& eut de vray quelque plaiſir de les
voir eſbattre ſiioyeuſement, mais à ſon retouril trouua que s'eſtans depuis enyurez
ils s'entrebattoient à outrance,& s'eſtoient deſialà entretuez la pluſpart, dont co
gnoiſſant le vin en auoir eſté la principalle cauſe & motif, il luy donna ſa maledi
ction,& en interditl'vſage en ſaloy. - - - - -

Le pourceau Ay, RE GARD delachair de porc qui leur eſt auſſiprohibee,ce n'eſtpaspource
§ que Mahometait eſté mangé de ces animaux,ſelon qu'alleguét quelques vns, meus
† Mº† parauanture d'vnzele pour le faire deteſter
metiſtes auſſi # du de lui dedans l'Alcl lus d'
dauantage
droit.l
: cariſ(il eſt nomméement
ſſibien
de
du vi
bien qu'aux rendu de lui dedans1 Alcnoran en plus d vn endroit les raitons auſſi bien que du vin
Iuifs. mais fabuleuſes tout de meſme,& ridicules, en ſont deduittes dedans le liure de ſa
· doctrine, & ſçait-on aſſez que ſon corps eſt inhumé en la Moſquee d'Almedine,
mais il fait cela pour ſe conformer exterieurementà la loy de Moiſe, en cet endroit,
· comme à la Circonciſion, afin de gratifier les Iuifs, & les tirer à ſon party, auſſi bien
- qu'ilavoulu faire les Chreſtiens pourauoiraucunementextollé IE svs-CHRI sT,
' ,
& ſa mere la vierge Marie, pour puis apres blaſphemer plus libertement contre les
principaux points de noſtre creance,ſelon qu'il ſe verra en ſon lieu. Ila ſemblable
· ment defendul'vſage du ſang,& de toute viande eſtouffee, ou atteinte des beſtes,
†, ou trouuée morte : des connils & lieuresauſſi, & des grenoüilles, eſcargots,tortuës,
de Mahomet. & autresſemblables : Toutes choſes empruntées du Iudaïſme,mais ils ne font point
de diſtinction de iours maigres nygras comme nous. Les chairs au reſte dont les
Viande des
Turcs vſent le plus volontiers,ſont le bouc chaſtré,& le mouton : de vache comme
Turcs. point, & de veau,afin de les laiſſer croiſtre, pour, ſi c'eſt vne geniſſe auoir touſiours
plus de laictages,l'vne de leurs principalles commoditez, à cauſe des beurres,'creſ
me,& fromages qui en prouiennent, & qu'ils ont engrande recommandation : & ſi
Paiiramach c'eſt vn maſle,à ce qu'eſtant deuenugrandils en puiſſent faire du Paſtramach , car la
†a cheminée* chair de bœuffraiſche ne leur eſt pas gueres commune, ſi eſt bien accouſtrée en ce
- - - / / w

§le
breſil.
Paſtramach, vne maniere
cheminée,lequel debreſil,
ſe gardefort ainſi appellons
longuement, & leurnous le treſbonne
eſt vne bœufſallé,prouiſion
& fumé tant
à la
- en temps
l'Hiſtoire de Chalcondile. 339
entemps de guerre qu'en paix,allans en voyage,ſoit en camp,ſoit par les deſerts auec
les Carauanes : car l'ayans reduit en menue poudre,& confit d'eſpices,ſaffran, & ſel
compoſéauec des aulx, ils en ſaulpoudrent leurs tourteaux & galettes de farine de
riz,& froment deſtrempee auec de l'eau comme pour faire des oblies, mais eſpoiſſes • '
de deux bons doigts, & les font cuire tout lentement ſur vne lame de fer chauffee
dans vne forme delanterne qu'ils portentàl'arſon de la ſelleallans parpays : Celeur
eſt vne viande de fort grande nourriture, combien'que non ſi delicate que pour
roient eſtre nos tourtes & gaſteaux, ſi que tous en portent ordinairementvn petit
ſachet quant & eux. ILs o N T outre-plus vne autre eſpece de prouiſion qui ſe gar-Autreproui,
derabien vnbon mois ſans ſe corrompre nyalterer, à ſçauoir,de la chair de mouton
- - 5N - / ,a : ſiºº
--
furqueº
que fort pro
o -

cuitte iuſqu'à ſe ſeparer des os,puis hachée groſſieremêt, & cuitte dans de lagraiſſe,2 §
Prc a Vn camp.
auecdes oignons hachez menu ; & le toutaſſaiſonné de ſel & d'eſpices. Cela ſe met
en de petitsbarrils, & eſtantreſchauffé auecvn peu de nouuellegraiſſe ou de beur
re & de l'oignon , approche d'vne fricaſſee ou hachis qu'on viendroit tout à l'heu
re de faire. - - , ' - -

ILs ont encore vne autre eſpece de maintenemen*ortleger, & dont ils ſe ſer-Autre encore
uent comme d'vn aduitaillement de peu de deſpence & appreſt, pour les Carauanes de legumes.
à paſſer les deſerts,& lieuxin-habitez,aſſauoir des poix chiches fricaſſez tous ſecs en Ertuithia.
de grandes poëſles de fer; & appellent cela Ereuithia, dont ilya pluſieurs boutiques
à Damas,&au Caire. - - | | . -

· LE s poulles partoutes les terres du Turc ſe trouuent engrande quantité,& à bon


marché,graſſes & plus ſauoureuſes aſſez que les noſtres,mais de chappons ils ne ſça
uent que c'eſt,ny de gibiergueres nonplus, fors quelques pluuiers & oiſeaux de ri
uiere : Et quant à la venaiſon ils en ont à reuendre, toutesfois ils ne mangent point
de ſanglier, parce qu'il eſt compris au genre des porcs , & par conſequent de- " .
fendu. Et comme le roſt leur ſoit plus commun entoutes ces viandes que le boüil- Le reſt de,
ly, ils l'appreſtént neaumoins d'vne eſtrange façon , mal ſaine , & auſſi peu de-Turcs.
licate au gouſt : carils ne l'embrochent pas, ny ne lardent à noſtre mode, ny ne -

l'arrouſent de beurre ou de graiſſe pour l'attendrir & donner ſaueur , comme


font les Allemands , & Anglois , ains ont vn grand pot de fer fait à maniere de
chauderon, ou ils mettent des charbonsardens, & deſſus labouche vn gril , là où
à la vapeur du feuils font leur roſtiſſerie à guiſe de carbonnades , la ſaulce eſt de
meſme, pour la plus grand'part d'aulxbroyez auec du ſaffran & eſpices, auſſi bien
l'Eſté que l'Hyuer : Et ſien l'ardent outreplus, ainſi que quelques vns parmy nous, '
meſmement en Gaſcoigne, font des gigots de mouton; ou roüelles de veau. A la
• / N V , • / -
# # eſº
; piceries fort » -

· verité à ces gens là qui communément ne boiuent que de l'eau toute pure , les ris vtiles aux -

chesauſſi bien que les pauures,les aulx & oignons qu'ils mangent leur ſeruentcom-Turcs.
me d'Antidote pour la corriger, & reconforter l'eſtomach alencontre, ainſi que
faitd'autre-part le frequentvſage des bains pour decuire leurs cruditez, ſelon que
le teſmoigne Columelle desanciens Romains, Quotidianam cruditatem laconicis ex
coquimus. Mais cela les preſerue par meſme moyen de la vermine , dont autre
ment ils ſeroient mangez iuſqu'aux os , pour le peu de linge qu'ils ont. Ils v
ſent auſſi d'autres ſaulces encore, & d'appetits qui ne leur couſtent pas beau-saulces.
coup, comme de grappes de verjus confites auec du ſel & vinaigre, & de la grai
ne de mouſtarde concaſſee groſſierement pour letir donner pointe : force raci
nes de blettes , & d'enula Campana; & des choulx à pomme accouſtrez de meſ
me. Mais entre tous autres mets , ils ont en fort grande recommandation les
pieds de mouton, & les teſtes, qu'ils tiennent toutes appreſtees en pluſieurs bou
tiques , auec vne ſaulce de graiſſe & vinaigre, le tout ſaulpouldré de ſel, & d'aubx
broyez parmy du jus de citron, dont illeur vient en Conſtantinople plus de cin
quante tonneaux tous les ans, de Surie : d'eſpine vinette, grenades, & ſemblables , , ,,s
liqueurs aceteuſes. Ils vſentauſſi de petits paſtez de chair hachée , mal baſtis & # das
aſſaiſonnez. Quant à leur boüilly, lors que la chair eſt cuitte ils la tirent du pot, »

& la deſtrenchent en menus morceaux , puis mettent dans le broüet


• •! - -
ce 'qu'ils
34o · Illuſtrations ſur
veulent pour leur potage, comme du riz, qui eſt leur principale nourriture, & deux
ſortes de fromentées qui ſ'appreſtent en l'iſle de Metholin, & ont de là vn merueil
Bohourt leux cours & debitement par toute la Turquie: l'vne appellée Bohourt,qui eſt du fro
#º mentbouïllyiuſques à ſe rompre & creuer, puis ſeché au Soleil, meſlé auec del'o
xigala ou laictaigre, qu'ils appellent Igur, dont ils vſent auſſi pour breuuage : L'au
Trathanº tre eſt laTrachana, qui approche du Maza des anciens: vne certaine compoſitiôn fai
te de farine auec de l'huile, & de l'eau, ou du laict. A propos de cet oxigala Marco
Pololiure premier de ſes narrations, chap.47. met que lesTartares, auſquels en in
finies choſesſe conforment les Turcs, comme autrefois deſcendus d'eux, ont vne
maniere de laict ſeché dur cóme paſte qui ſe fait en le bouillant douceméttant que
toute la chreſme en ſoit hors, qu'ils gardét pour faire du beurre ; car autrementilne
ſe pourroit pas congeller : Puis mettent ce qui reſte de laict au Soleil, où il ſe caille
Ricones apr * endurciſt : & quand ils vont par païs, ils prennent ceſte maniere de ricotte, car
talienne. ainſi l'appellent les Italiens, dont ils ont touſiours bonne prouiſion quant & eux, &
la mettent en vn petit flaſcon de cuir auec de l'eau, où ils ſe battent, & ſe meſlenten
cheuauchant, & ſ'en fait vnºuc qui leur ſert de viande & breuuage fort nourriſſant.
Aſtos. Les Turcs ont outre-plus vne autre eſpece de legume qu'ils appellent Aſcos,du mot
- corrompu Aphacé, qui leurvient d'Egypte,&vſent fort d'huile, de Seſame,qui eſt
††àbon marché par delà,nonobſtant qu'elle ſoitbienpenibleàfaire,ce quin'eſtcom
§re de la
faire.
munément
macerer qu'en Hyuer;
la ſemence où l'on
en de l'eau y employe
ſallée les eſclaues
par vingtquatre : car ilpuis
heures, fautlaen premierauec
concaſſer lieu
des maillets de bois dans vne groſſe ſerpilliere tant qu'elle ſ'eſcorche, & la mettre
lors de nouueau tremper en de l'eau ſallée, où l'eſcorce ſurnageant ſe ſepare, qu'ils
euacuent,& deſechent le reſte au four : cela fait, ilsl'a mettent à la meulle, où l'hui
. le en coulle eſpoiſſe à guiſe de mouſtarde, carilya fort peu de marc, qu'ils en ſepa
rent finablement, l'ayant fait bouillir.Elle eſt fort douce, & d'aſſez bon gouſt: mais
c'eſt vne vraye peſte que de leurs beurres, qui ſe peuuent mettre hardiment en pa
rangon auec la manteca d'Eſpaigne,ſ'ils ne la ſurpaſſent,ou le viel oint donton graiſ .
ſe pardeçà les charrettes.Trop plus tollerables beaucoup ſont leurs autres confe
º ou
•fragala.
ctionsoumiſitra,
melca de laictages : commedesl'oxigala
la recotte deſſuſdit
Italiens,vne : le Caimac
maniere ou afrogala,
de caillé la aride,tiré
fort ſec & chreſme :du
le
laict clair par boüilliſſement & preſure.Ils ne reiectent pas les œufs,qu'ils accouſtrét
en diuerſes ſortes.Mais ce ne ſeroit iamais fait de toucher icy toutes les particulari
tez de leurs viandes, carauſſi bien en cela chaque nation a ſa mode à part, ſelon les
commoditez du païs, & leur inclination & vſage ou routtine practiquée de longue
IIla11l.

· Pain Turqueſ- LE vR pain qu'ils appellent Echmech, n'eſt pas des meilleurs,le blancauſſi peu que
que. le bis; car il eſt ordinairement mal peſtry, & pirement cuit, comme eſtant en vne
groſſe maſſe,où le feu ne peutgueres bien penetrerau dedans : outre ce qu'ils y meſ
lent de la ſemence de cumin, & de pauot, voire d'oppium quelquefois, & d'vneau
Suſam. tre encore qui leur eſt fort familiere,appellée Suſſam, dontl'on vſe auſſien l'Ande
louſie. Ils font outre-plus quelques foüaces & tourteauxauec de la fleur de farine,
& du beurre, leſquels ils dorentauec des œufs pardeſſus.
Breuuages
Turcs.
des belle
L E eau
v R toute
communpure;boire
maiseſtlesleplus
meſme
aiſezqu'à tous
vſent deles animaux
diuerſes de ladeterre,à
ſortes ſçauoir
breuuages comde
poſez à leur mode, & ſelon leurs gouſts, & les commoditez qu'ils en ont : comme
Oxicrat, d'Oxicrat,qui eſt l'eau commune corrigée auec du vinaigre : de l'oxigala deſſuſdit dé
trempé en de l'eau, ce qui rafraiſchiſt & nourriſt beaucoup : IulepAlexandrin faict
Secher. de ſuccre cuit & reſoulsen fine eau roſe damaſquine : ilsl'appellent ſecher, motap
prochant de celuy de ſuccre, de l'hidromet auſſi, qui eſt du miel cuit en de l'eau,
| auec des raiſins de corinthe, ou de damas, & des pruneaux, ce qu'ils appellent Hoſ
Hoſaph ſeriet.ſaph, le ſorbet eſtvne deco3tion de raiſins ſeos, figues, pruneaux,poires, & peſches,
- & ſemblables fruictages aigrets, leſquels ils gardent à ceſte fin deſſeichez, tout lc
long de l'an, & vſentfort de ce breuuage principalementen Eſté, meſlé auec de la
- - glace
` , •. • , ., , 2 - • ! 1 ; -

l'Hiſtoire
1, - r

de Chalcondile. 34i
glace ou neige , qu'ils conſeruentainſi qu'on faiten Italie, enueloppée lict ſur lict
dans de la paille en des celliers & magazins deſſoubs terre. Ils font auſſi quel
† manieres de ceruoiſe, que les anciens appelloient Curmy, auec du froment,
e l'orge , miel , riz , & ſemblables grains. Et ont vne autre breuuage encore
appellé pechmes, faict de mouſt cuit & eſpoiſſi à guiſe de micl , qu'ils deſtrem-p.bou.
pent auec de l'eau, mais ils le donnent aux eſclaues . Plus vne eſpece de zi
tum, ou Poſca, combien que quelques vns le prennent pour de l'oxicrat, & lesau-zitum, Poſa.
tres p
pour ceſte boiſſon que les 8
gens meſnagiers
g1ers ,, principallement en Bourbon
nois,, aPp
appellent deſpance
p , eux le chouſſet, non gueres
> $ -
differend de ce qqu'on chouſſºt.
dict le bouilhon en Picardie qui eſt bien eſloigné de la deſpance ou poſcu, qui ſe
faict d'eau paſſée ſur le preſurage de la vendange, & ce chouſſet approchant du
bouilhon, eſt eſpois & blanc comme laiSt : fort nourriſſant au reſte, & qui ente
ſte comme la biere, iuſques à enyurerauſſi bien qu'elle, qui en prendroit outre
meſure : car il eſt faict de paſte crue , mais leuée, qu'on decuiſt dans vn chaul
deron plein d'eau : & eſtant raſſis & ſeiché l'on en prend la groſſeur d'vn œuf,
qu'on iecte en de l'eau pour boire, laquelle ſ'eſchauffe incontinent, & boult d'el
le-meſme ſans la mettre autrement ſur le feu , de maniere qu'il ſ'en faict vne boiſ
ſon blanche & eſpoiſſe, dont les Turques ſe fardent de l'eſcume, ainſi que les
Flamendes & Angloiſes de celle de biere. Et encore qu'il ſoit fort eſtroictement
prohibé à toutes ſortes de Mahometiſtes de boire du vin, n'y de ſ'enyurer, prin
cipalement quand ils ſont au camp, & durant leurs careſmes, ils ſ'en diſpenſent
bien neantmoins, mais c'eſt à cachettes, ſur peine, y eſtans deſcouuerts & ſur
pris, d'vn bon nombre de baſtonnades à leur façon : Car il n'y a nulle-part de plus
grands yurongnes, ny plus aſpres au,vin, non tant à la verité les Turcs naturels
qui ſont d'ordinaire fort feruents obſeruateurs de leur Loy, comme les Chre
ſtiens reniez, les pires canailles de la terre , & tous Atheiſtes : mais ils ne font
point difficulté d'vſerd'eau devie, qu'ils appellent Archent,voire à toute outrance, Archent, eau
ſans comparaiſon plus aſſez que les Allemans, Hongres, Polonoys , Moſcoui- de vie.,
tes, deuant leur repas, durant iceluy, & apres : ſi que rien ne peut auoir meu
leur Legiſlateur de deffendre le vin, ſinon que pour ſe ſeparer en quelque cho
ſe de toutes les autres Religions : & ce ſoubs vn fort beau pretexte : Car outre
que ceſte liqueur ne ſe trouue pas aiſément par tout, rien n'a eſté produict plus
pernicieux de la nature icy bas, tant pour la ſanté du corps , que de l'efprit,
comme il a eſté ja touché cy-deſſus. Pleuſt à Dieu que chacun les peuſt imiter
en cela. - - -

: L E s Tv Rcs au reſte, ont accouſtumé de prendre leur refection non ſur Mode de ma#:
des tables releuées , ny ainſi haut aſſis, comme nous en des chaires, & eſcabel ger des Turcs,
les, mais par terre, les iambes croiſées à maniere des Couſturiers ſur leur eſtau:
& ce deſſus quelques tapis eſtendus pour ſe garentir de la poulſiere, & ordure,
enquoy ils ſont aſſez curieux : ou ſur des nattes de ioncs & roſeaux, qu'ils ap
pellent en leur langage Haciſer, & les Italiens des Storres : Les Arabes ſaccroup-Haiſir.
piſſent ſur les tallons : leſquelles aſſiettes, combien qu'elles ſemblent tres-mal
aiſées & incommodes à nous qui n'y ſommes pas accouſtumez, comme elfes ſont
à la verité ſelon la collocation de nos membres & ioinctures, cela toutes-fois
ne leur couſte comme rien, fuſt-ce poury eſtre tout le long du iour ſans bouger,
moins aſſez qu'à nous d'eſtre aſſis & appuyez le plus à l'aiſe que nous-nous ſçau
rions mettre dans quelque chaire adoſſée, ou en vn bien proportionné faude
ſtueil : mais auant que ſ'eſtendre ſur ce tapiz ils deſchauſſent , tout ainſi qu'ils .
font en entrans dedans les Moſquées , leurs faulx-ſoulliers appellez Paſimah, la Pºſtmº
plus-part ferrez par deſſoubs, qui leur ſeruent, comme à nous , de mulles :
& reſtent en leurs ſimples eſcarpins , ou bottines , de peur de ſouiller le tapiz.
Les riches, & mieux accommodez vſent de petits bancs garnis de coiſſins pour
ſe mettre plus à leur aiſe. Et là eſtans aſſis en rond , on leur #rs vn cuir
.

# t2; .
-

342 Illuſtrations ſur


liſſé dict r(ophra cueilly & ſerré en forme d'vne bourſe de iectons, qui leur ſert
TRºphra. de table & de nappe. Et deſſus on aſſiet vn grand plat, ou pluſtoſt baſſin, chez
les grands d'argent, & les moindres d'airain, ou de cuiure eſtamé , ou de bois:
dans lequel y a force eſcuelles de porcelaine, qu'ils ont en grande recomman
#Porcclaine dation : & les anciens appelloicnt la fine & naifue Murrhinavaſa , tranſparente
vraye. preſque, & auec ce d'vn luſtrc & couleur de nacque de pcrle tirant ſur les gayes
varietez de l'opalle , dont il ſ'en faict vne grande quantité au Caire , mais elle
ne laiſſe pas d'eſtre chere . Ces eſcuelles au reſte ſont garnies de pluſieurs
ſortes de riz, & ſemblables mets deſia mentionnez cy-deſſus; auec des dattes,
amendes, & du pain parmy couppé par mcnus morceaux : combien qu'il n'y ait
homme en toute la Turquie , quelque grand ſeigneur qu'il puiſſe eſtre, qui ne
orte ordinairement ſon couſteau pendu à la ceinture. Chacun peſche là au plat
à ſa diſcretion, à tout des cueilliers de bois, ou dc porcelaine, car ils n'en vſent point
ui ſoient d'or & d'argent, non-pas meſme le grand Seigneur ; par certaine ſu
perſtition de leur loy : ſ'ils n'en ont ils mangent auec les trois doigts principaux;
mais les Mores & Arabes y emploient tous les cinq, alleguans que le diable man
ge auec deux doigts, ce qui n'eſt pas ſans quelque myſtere, parce que le binaire
ou le deux, eſt vn nombre de confuſion : & ſe haſtent communément fort, tout
ainſi que les Iuifs ſouloient faire en mangeant ſeur agneau paſchal, ſi que leurre
pas eſt bien toſt deſpeſché: toutesfois modeſtement, & en grand ſilence, ayant
prealablement,aumoins les gens de bien bons & vrays Muſſulmans, faitvne pe
tite priere auant que de mettre la main à la viande, qu'ils commencent ordinai
Priere des rement par ces mots : Bijmil liir rahemanir Rheim, c'eſt à dire, au nom de celuy qui
Turcs auant a creé le ciel & la terre. On donne és bonnes maiſons vne grande longiere de toile
le manger.
| de cotton,barrée de noir ou de pers, qui tourne à l'entour, & chacun en tire ſa
part à ſoy, l'eſtendant deſſus ſes genouils, pour ſ'y torchcr les doigts & la bou
che : ncantmoins tous portent de grands mouchoüers pour ceſt effect. Le repas
achcuéils reployent & referment ceſtc grande bourſe, & enſerrent les reliefs de
dans, ſ'aucuns enya, dont leurs eſclaues & ſeruiteurs ſ'accommodét le mieux qu'ils
peuuent. -

· Av R E G A R D du manger du Prince, encore que par raiſon il d9iue eſtre trop


· Le ſeruice de plus exquis & magnifique que de tous les autres, ſi eſt-il neantmoins ſobre & ſim
table du Turc.
ple ce qui ſe peut pour ſa grandeur. Bien eſt vray quc ccla varie ſelon les comple
xions des perſonnes, qui ſont plus ou moins ſur leur bouche, & leurs voluptez:
Comme feu Selim dernier mort, lequel fut vn tres-grand yurongne & gourmand,
à guiſe preſque d'vn autre Vitellius, au prix de ſon pere le tant renommé Soli
man, & de ſon fils qui regne auiourd'huy, Prince merueilleuſement reformé pour
vn Turc : mais l'ordinaire cſt d'eſtre ſeruis ſur le lourdois, & prennent leur refe
ction bas aſſis, les iambes croiſées, auſſi bien que les autres, ncantmoins ſur quel
que grand marchepied garny de riches tapis, & carreaux, tels que ceux de la ſalle
de l'audience, ou ſur des matterats eſtoffez de draps d'or & d'argent : & là quand
l'heure de manger eſt venuë on luy dreſſe vne petite table portatiue, telle à peu pres
Chilergi. que celle dont vſentnosaccouchées, haute ſeulementd'vn bon pied, afin de pou
uoir prendre la viande plus à ſonaiſe ſans ſe courber. Et en premier lieu les Chilergi
qui ſont comme à nous les ſommelliers d'eſchançonnerie & panneterie,apportent
vne grande ſeruiette de banquet, & vne longiere, auec force petits flaſcons d'ar
gent pleins de cinq ou ſix ſortes de breuuages qui luy viennent le plus à gré, car ce
n'eſt pas leur mode de les faire rafraiſchir dans de l'eau,ains de meſler des morceâux
de glace & de neige parmy : Etapres auoir faict vn eſſay de tout, ils le conſignent
en la main des Eunuques & pages qui le doiuent ſeruirà table : leſquels quand il eſt
tout preſt de ſ'aſſeoir,eſtendent la ſeruiette ſur la table,& la longiere ſur ſes genouils
Cºſignir Baſa. pour ſ'en torcher les doigts : & le Ceſignir Baſſa qui tient comme lieu de grand pan
netier,fuiuy de cent Cºſignirs ou pages eſtans ſous ſa charge,deſtinez à porter la vian
de, ſ'en va à la cuiſine, où il trouue les plats tous dreſſez qui ſons communémët auſſi
- grands
!

- " © - - - 1 , -

l'Hiſtoire de Chalcondile. 343


grands que baſſins,tous de porcelaine,ayans des couuercles d'argent doré, bicn gar
nis de toutes ſortes de mets à leur mode, & ſelon ſon gouſt. Ceux qui portét les plats
en font faire l'eſſayaux cuiſiniers qui les leur liurent, auecques vn cueillier de bois,
& eux puis apres § le meſme en la ſalle où mange le Prince : là où ſi toſt qu'ils ſont
arriuez, ils preſentent les plats qu'ils portent au Ceſignir Baſſa, qui les aſſiet deuant
luy, tous eſtans ſur ces entrefaictes accrouppis ſur leurs tallons, comme eſt auſ
ſi celuy qui trenche deuant luy.Etainſi continuent de tous les metzen leur rang,
& par ordre l'vn apres l'autre, à meſure qu'il fait ſigne qu'on les luy apporte, iuſ
ques à ce qu'il ayt finy ſon repas, auquel aſſiſte touſiours ſon premier Medecin,
qui eſt communément Iuif; car les Turcs ne font gueres profeſſion d'aucune
ſcience. -

CE Ceſignir Baſſa au reſte eſt touſiours Eunuque, & a ſix vingts aſpres le iour, auec
# deux accouſtremens tous les ans. Et les Ceſignirs ſont tous enfans de Chreſtiens
ici . auſſi bien que le reſte du ſeruice domeſtique du Turc, appoinctez de dix à douze
# aſpres le iour, & veſtus à ſes deſpens. Ilya l'vn des trois plus fauorits pages qui en
trent à cheual dedans le Serrail auecluy, qui le ſert de couppe; & pendant ſon re
# pas on luylict parfois quelques hiſtoires de ſesanceſtres, ou d'autres anciens valeu
,# reux perſonnages : mais cela change à tous propos ſelon le plaiſir, & le gouſt qu'ils y
prennent plus ou moins les vns que les autres : parquoy il ne ſ'en peut rien detê -
† miner de certain, nomplus que d'infinies autres particularitez du meſme ſubicct,
" L. qu'il ſuffiſt de toucher icy comme en gros. Ils ont tous accouſtumé de deſieu
ner de fort grand matin , diſner à midy, & ſoupper au ſoir ſur le tard : mais le
Seigneur ne boit ny ne mange en ornyargent, ains en vaiſſelle de porcelaine, &
en des verres & vaſes de criſtallin , combien qu'il aye infinis buffets riches ou
tre meſure, d'or & d'argent, enrichis de pierrerie d'vne ineſtimable valeur, plus -

pour vne monſtre, & parade enuers les Ambaſſadeurs eſtrangers, vn fonds de thre
ſor, & le contentement de ſon œil, que pour vſage qu'il en reçoiue. /

A LA main droicte doncques de l'entrée de la ſeconde cour deſſuſdicte où ſe Gardes dcuant


tient le Dinan, ſont les cuiſines, & là aupres les corps de garde de dix ou douze le Serrail ou
mille Ianiſſaires qui ſont d'ordinaire à la cour ou porte du Turc, auec leur Aga, Palais duTutc.
qui ſe tient tout le long du iour aſſis ſoubs vne gallerie tout ioignant la troiſieſ
me ou derniere porte, accompaigné de quelques perſonnages d'authorité. Et de
l'autre coſté ſont les Spaoglans, Selictars, Alofagi, & ſemblables, deſquels il ſera
parlé plus particulierement cy-apres en leur lieu, caril vient icy plus à propos de
toucher ce qui deſpend des eſcuries, qui ſe preſentent à la main gauche en entrant
dedans la ſeconde porte. • • • . - - -

E N P R E M I E R L I E v, il faut ſçauoir qu'il n'y a gens en tout le monde plus Eſcurie du


curieux d'auoir d'excellens cheuaux que lesTurcs, qui les panſent plus ſoigneu Turc.
ſement de la main, ne qui les ſçachent mieux gouuerner : car eſtans lents & oi
ſifs de leur naturel, ce ſont tous hommes de cheual : Auſſi en ontils les meilleurs Perfediós des
de tous autres, les plus beaux,vigoureux, tolerans de labeur, & diſette, & qui cheuaux furcs3
ſoient de plus longue durée & meilleur ſeruice : par ce qu'eſtans bien choiſis &
cntretenus ſans les outrer d'haleine, ou leur faire quelque trop grand tort & ex
cez, ils leurs ſeruent vingtcinq ou trente ans, ſi qu'vn hommc en a pour ſa vie.
Bien eſtvray qu'ils n'ont pas la bouche & le maniement ſi friand & aiſé comme
les courſiers, genets cheuaux d'Eſpaigne, nyque quelques rouſſins & Friſons : Il
leur ſuffiſt qu'ils courent & galloppent bien, & ſoient de long trauail & haleine.
Et à la verité toutes ces courbettes, balſes, paſſades, voltes raddopiates, aller de
Pied coy, & le gallopgaillard, ſe manier par haut, & par bas, auec ſemblables ſin
geries, ſont pluſtoſt pour faire l'amour à la feneſtre d'vne dame, & piaffer le long
des ruës, que pour la guerre & les combats à bon eſcien, outre ce que cela foul
le & greue extremement les meilleurs cheuaux. Ceux des Turcs doncques ſont
-

/
-

communément forts en bouche, & qui ſ'en vont le nez au vent preſque tous de
leur naturel, roidiſſans le col, mais d'vne grande viſteſſe au reſte, & d'vne force
H H ij
34-4- Illuſtrations ſur
incomparable nonobſtant la ſubtilité de leurs membres, qui ſont tous compoſez de
nerfs. I'ay veu certes à vne iouſte en camp ouuert dedans la ville de Neuers au
Chaſteau, vn cheual Turc de moyenne taille preſqu à pair d'vn barbre, ſ'eſtant
rencontré de droict fil auec vn courſier des plus fort & membrus qu'on euſt ſceu
choiſir, fuſt de la faute des hommes d'armes qui couroient la lance deſſus, qui ne
les ſceurent pas bien addreſſer & conduire, fuſt de la grande animoſité & ardeur
des montures, le courſier en eſtre demeuré roide mort ſur la place, bien eſt vra
que le Turc en fut eſpaullé, mais encore ſeruit il long temps apres d'eſtallon, car
ileſtoit entier. Ils en ont au reſte de tout plein d'endroits de l'Europe, Aſie, & A
frique. De l'Europe, comme ceux de Macedoine, & de Theſſalie, dont la gen
darmerie a eſté de tout temps & ancienneté en grande vogue : Plus les Coruats,
Valaques, & Tranſſyluains. Mais les plus exquis & meilleurs de tous, & du plus
grand corſage, cœur, & effort, ſont ceux de l'Aſie, meſmement les Caramans, ce
qu'on appelloit anciennement la Cilice : En-apres, de la Surie, Armenie, & Medie,
dont Strabon enl'onzieſme liure, parle en ceſte ſorte. Le pais de Medie produiſt d'ex
cellens cheuaux, vigoureux, & de longue haleine & de grandcorſage : bien autres en toutes
guiſes que ceux de Grece, ny des regions de deça : mais l'Armenie ne luy cede de rien en cecy: car
il s'y procrée auſſi des cheuaux Niſeens dont les Roys de Perſe ſouloient fournir leurs eſcuries.
Et Herodote en ſa Thalie : Les animaux de l'Inde ſurpaſſent en grandeur tous les autres,
horſmis les cheuaux : caren cela elle ſt ſurmontée de ceux de Medie qu'on appelle les Niſeens.
Ils en ont outre-plus de fort exquis de l'Arabie Heureuſe : Et des Barbres auſſi,
mais rares, & de petite corpulence, viſtes au reſte, & de longue haleine, aumoins
- les Arabes.
Election des
cheuaux Turcs. .
LE s Tv R c s choiſiſſent leurs cheuaux au contraire de nous, haut-montez ſur
- • / 5• » -

- desiambes greſles & deliées ; ce qu'ils prennent pourvne marque d'eſtre fortviſtes,
& bons coureurs, toutainſi que la corne longue & noire, pour force de vigueur: les
yeux gros & ardens, & le collong, non par trop mince toutefois, ains pluſtoſt aucu
nement groſſelet: la teſte petite, les oreilles courtes, aiguës & dures, labouche lar
ge & bien fenduë , la queuë longue & plantureuſe, comme auſſi le corps du cheual,
Traitement d'vn boyau pluſtoſt eſtroit qu'engroſſi. Quant à les panſer, les Turcs ſurpaſſent en
d'iceux. cela toutes les autres nations de la terre, tant pour l'extréme ſoin qu'ils mettent à
les bien traicter de la main, qu'à les entretenir nets & polis : les nourrir à la toleran
ce & ſobrieté; & les endurcirau trauail, ce qui eſt cauſe de les conſeruer longuemét
en labonté & vigueur que nature leura donnée,voire l'accroiſtre de beaucoup.En
•. premier lieuils ont accouſtumé de les tenir durant les chaleursla nuictau ſerain tout
à deſcouuert, ou ſoubs des Portiques ouuerts de toutes parts pour les eſgayer à ceſte
freſcheur, & les accouſtumer d'eſtre à l'erte quand ils ſont au camp, leur mettans
vne legiere eſclauine ſur le dos pardeſſus leur caparaçon de toile, & en Hyuer de
Chepenet. Chepenec, c'eſt à dire gros feultre ou bureau, qui traiſne iuſques aux paſturons, pour
lesgarder de ſe morfondre.Leur lictiere n'eſtiamais de paille ny de fumier ainſi que
La liaicre aux noſtres, mais prennent leur fiente toute pure ſans vn ſeul brin de fourrage meſ
lé parmy, laquelle ils font deſſecher au Soleil,puis la courroiét,& mettent en deliée
pouldre qu'ils ſaſſent,& l'incorporât auec de l'eau en fontvne aire biébattuë,ferme
& ſolide, qui leur ſert par-apres de lictiere. Quand ils ſont au camp ou en voyage,
ils les font pluſtoſt coucher ſur la terre nuë que de leur en faire de paille : mais par
deſſus l'aire ils eſtendent des feultres & eſclauines pour les ſoulager ſ'ils ſe couchét,
eſtans fort ſoigneux de leur oſter à tous propos la fiente de deſſoubs eux, & faire eſ
#† ºgouſter le piſſat.Tous les matins ils les eſtrillent & bouchonnentfort diligemment,
- & quelquefois ſeront à les lauer & nettoierauec des eſpöges,& eſpouſſettes dâs vne
eau courante bien claire bien deux bonnes heures, ſi qu'il ne leurreſtevn ſeul grain
de poulſiere ny autre ordure; dont leur poil, qui eſt communément fortraz demeu
Leur migeail.re
C, euxplus
peuluiſant
à peu,&&liſſé que ſatin.
en petite Ils lespar
quantité nourriſſent
terre, carde
ils foin qu'ils
n'vſent leurde
point mettent deuant
mangeoüeres
nyderatelliers;de paille ils ne leur en donnentiamais,ſur le midy ils les abbreuuent,
| ) - 9 - - - -

l'Hiſtoire de Chalcondile. 345


&aumatin point,ſi ce n'eſt en cas de neceſſité : le ſoirapres qu'ils ont derechef beu,
|!
ilsleur donnent de l'orge en lieu d'auoine,criblée & nette ce qui ſe peut,dans vnpe
tit ſac ou muſſelliere de toile qu'ils leur attachent ſur les oreilles; les laiſſans ainſi
par deux ou trois heures, afin que le reſchauffement de leur flair & haleine qui ſ'y
imprime la leur faſſe manger de meilleurappetit,& qu'elle leur profite mieux,quād
parl'humidité qui ſort de leurbouche & de leurs naſeaux, elle ſe cuit comme à de
my,ainſi que dedans quelque eau vn peu tiede, & qu'elle demeure plus nette : Puis
leur donnentvn peu de foin; & les tirent au fraiz dehors, ayans demeuré tout le
long du iour en l'eftable. Ils la donnentà tous les cheuaux tout enſemble, & à vne
fois : car cela les ennuye & chagrigne, & fait demener, de la ſentir manger aux au
tres,& n'en auoir point. S'ils y procedent trop goulument, on meſle de gros ſable
parmy,afin de la leur faire manger plus à l'aiſe,quand ils ſ'amuſent à le demeſler d'a
uec la prouende, ſi trop laſchement,on leur frotte la bouche de ſel, ou bien leur en
font leſchervn loppin dur comme vne pierre , ce qui leur nettoye le lampaz, & leur -

reſueille l'appetit. Alapluſpart de leurs cheuauxils ne donnent point d'herbe non-Mode de les
plus que nous, que s'ils voyent qu'il en ſoitbeſoin,au douzieſme iourilleur font ti-"
rer du ſang desars; & au commencement en lieu d'herbe ils leur donnent de l'orge
verte,lors qu'elle commence àboutter l'eſpy; & ce par dix ou douze iours; puis de
l'herbe.Pendant qu'ils les herbentainſi,ce qui ſe fait au ſeiour, & à l'obſcurité dans
l'eſtable,ils leur donnent beaucoup moins à boire qu'en autre temps, & encore vne
fois leiour ſeulement, parce que ceſte verdure les humecte aſſez, & ne les eſtrillent
ny ne frottent lors : mais ſi c'eſt en allans par pays, ils leur donnentau ſoirvn picotin
d'orge,de peur qu'ils ne demeuraſſent trop vucilhes & flacques,à quoy toutesfois ils
ne ſont à beaucoup presſi ſubiects que les noſtres de pardeça. -

LA premiere iournee en tous leurs voyages eſt fort petite, & donnent auſſi à l'e- Leurs traictes,
quipolent bien peu
tant qu'ils ſoient d'orge,à puis
paruenus vont renforçant
vne raiſonnable peudeà peu
meſure l'vn l'orge de †
ſelon les traictes,
& de l'autre,comme y ont. q

quelques dix lieuës françoiſes au plus; car ils ne vont iamais que le pas; & ne font
qu'vne ſeule traicte, depuis l'aulbe du iouriuſques à deux heures deuant le coucher
du Soleil, donnant quelque goullee d'eau à toutes celles qu'ils rencontrent, ainſi
que font les Allemands : Enquoy leurs montures ne peuuent point encourir d'in
conuenient,parce qu'ils vont tout à l'aiſe ſans les eſchauffer : & delà vient qu'ils ont
en figrande recommandation d'attirer des eaux tout le long des grands chemins,
careux auſſi repaiſſentemmy les champs de ce qu'ils portent; & boiuent de meſme
leurs cheuaux.Eſtansarriuez au logis, ſoudain ils leur deſtrouſſent la queuë, & les
laiſſent vne bonne heure ſans les deſbrider, les couurant d'abondant d'vne eſclaui
ne , puis leur donnent vn peu de foin : & quand ils voyent qu'ils ne mangent plus,ils
acheuent lors de les abbreuuer, & tout de ce pas leur donnent l'orge.Que ſi d'auen- contre les
tureils eſtoient moleſtez de mouches,ils les frottent de beurre,lequel tant plus frais mouches
ileſt & recent, tant plus grand'efficacea-il de les faire mourir. Si que le ſoin qu'ils .
ont de bien panſer & gouuerner leurs cheuaux,ioinct le bon & fort naturel d'iceux,
eſt cauſe qu'ils leurs durentainſi longuement ſains & gaillards, ſans eſtre expoſez à
tant d'inconueniens que ſont les noſtres,nonobſtant que parfois il leur faſſent faire
des traictes & autres courſes preſq'incroyables : Car il ſe lit que deuant Zara ville raia ,
de l'eſclauonie, il n'ya pas gramment encore, la cauallerie Turqueſque fit en vne eſt ges.
nuict plus de vingt-cinqlieués pour ſurprendre leurs ennemis, qu'ils chargerent de
plainearriuee ſans autrement faire alte pour reprendre haleine : & apres les auoir
defaits, rebrouſſerent tout de ce pas le chemin qu'ils eſtoient venus, ſans repaiſtre,
ny que leurs montures ſ'en trouuaſſentautrement ſurgreuees. Et à la veritél'on en -

voit aſſez de bien grands efforts en ces quartiers meſmes de pardeça. L'oRDINAIRE Pourquoy les
aureſte eſt de les chaſtrer, non pour empeſchcr que les Chreſtiens quiles enleuent †
n'en faſſentrace,ainſi qu'on cuide, car de cent cheuaux que les Turcs meſmes gar- leurs cheuaux.
dent poureux,à peines'en trouuera-ildeux ou trois d'entiers;& ceux-là encore ſont -

à meilleur marché que les autres; ains pour euiter qu'ils ne ſoient trop fogoux & ,
&tempeſtatifs,à quoy ils ſont ſubiects naturellement pour leur grand'ardeur &
H H iij
346 - Illuſtrations ſur A

courage, & parconſequentvicieux & enclins à mordre & ruer, ce que ces gens là
pacifiques de leur humeur,abhorrent ſur toutes nations de la terre : pour les garder
auſſi de hennir & criailler en leurs embuſcades, & la nuict ſurtout dans le camp, où
tout eſt lors en vne merueilleuſe tranquillité & ſilence,ſique ſivn cheualeſteſchap
pé, ſon maiſtre n'oſeroit ſur peine de la vie courir apres, ny faire bruit, ou mouue
ment pour le reprendre en ſorte quelconque. Dauantage eſtans chaſtrez, ils ſont
moins dangereux à ſe morfondre, forboire & combattre : & ſe tiennent par meſme
moyen plus gras & refaits , plus polis & luiſans, & la crouppe plus rebondie que les
,, de ºntiers qui ſont ordinairement plus cornus,& ne peuuent endurer ſi bien le trauailà
† la longue. Ils ne ferrentpasauſſileurs cheuauxà noſtre mode,& ne leur creuſent la
- corne quand ils la parét, pouſſans en dehors auecvn bouttouer appuyé ſur la cuiſſe,
ains en retirans en dedans à eux, auec vne plane preſque ſemblable à celles dont
vſent les charrons & torneurs,l'applaniſſans toutvnimêt.Et les fers ne ſont ſi lourds
& maſſifs à la moitié pres que les noſtres, n'ayans point de crampons, ains ſont plats
comme les ſolles des mullets de coffre,parce qu'ils ne les fontiamais torner en rond
de pied coy,& ny ne les manient à paſſades ainſi que nous, bien eſt vray que les teſtes
des clouds ſont plus groſſes,& plus longuettes,à guiſe d'vn cœur de pigeon renuerſé
la pointe en bas,principallement ceux du train de derriere vers le tallon, ce qui leur
ſert d'autant de crampons : & auront bien la patience d'employer vne bonne heure
à aſſeoirvn fer, tantils ſont exactes & ſoigneux en cela , auſſileur dureront-ils cinq
L ou ſix mois ſans ſe deſmentir, ne qu'il y faille rien refaire, en allans meſme par pays.
† LE v R s ſelles ſont fort legieres, & non ainſi materiellement rembourrées que les
noſtres, ce qui ne ſert auſſi bien qu'à ſurcharger & greuer vn cheual, & le caſſer la
pluſpart du temps ſur le dos, & ſur le garrot.Tout le reſte de leurs harnois nonplus,
• auecvn ſimple poitrail qui ne les ſerre ny contrainct, comme ne fait auſſila croupie
re qui n'a pointnonplus de pendans, de peur que venant à battre le long des cuiſſes,
& des flancs celane ſoit cauſe de faire demener le cheual. Mais ſur la crouppe ils
ont ordinairement vngiret,d'eſcarlatte,velours,broccador, ou autre eſtoffe , ſelon
leurs facultez & moyens : & à la ſoubſgorge de longs flots & houppes de ſoye de di
uerſes couleurs; ou de la queuë & creins d'vn cheualteints de rouge, ou iaune do
tſlriefs. ré,telles à peu pres dont vſent les Hongres,Allemands,Polonois,& Valaques.Leurs
eſtriefs ſont larges d'aſſiette, affin de ſe pouuoir ſouſleuer là deſſus, car ils cheuau
chent fort court,comme à la genette, les iambes racourcies & reploiées conforme
Enerons mentà leur maniere de s'aſſeoiràterre , auec de cours eſperons, mais garnis riche
- ment de larges courroyes develours ou draps d'or, quelques vns les portent atta
chez,ou pluſtoſtancrez à la bottine,le tout tres-magnifique & ſomptueux ce qui ſe
peut : car en cela lesTurcs ſurpaſſent de bien loin toutes autres manieres de gens,
comme ceux qui employent la meilleure partie de leurauoir, d'autant qu'ils n'ont
rié en fonds d'heritages à eux en propre, àl'equipage de leurs armeures & cheuaux:
. & n'ya preſque Turc, qui ſoit aumoins de quelque compte & eſtime, lequel n'aye
des reſnes de grosiazerans d'or,pour le moins d'argent, le mords, les eſtriefs, & ar
ons de meſme, & pareillement la ferrure de leurs cheuaux,pour ſe promener par la
ville, auec force pierrerie meſlee parmy, & ſemblables enrichiſſemens, s'ils en ont
- tant ſoit peu le moyen. -

Trois auues EN ceſte premiere eſcurie qui eſt en laſeconde cloſture, bien eſt vray qu'elle a
† encore vne autre entreeenlatroiſieſme où eſt le logis & demeure de laperſonne du
§. Prince, ya d'ordinaire deux cens pieces de grands cheuaux tous deſlitte, tant pour
ſon vſage que pour monter ſes domeſtiques les principaux, auecvn pallefrenier de
deux en deux pour les panſer,qui ne bougentiamais de l'eſtable. Il y en a outre-plus
vne autre dedans le troiſieſme pourpris & enceinte,d'enuiron quarante ou cinquan
te plus exquis encore, pour ſes Eunuques, & les pages plus fauorits : & huict ou dix
autres pour ſa perſonne tant ſeulement, où il n'ya que luy qui monte, au moyen de
quoy on les meine en main pour monſtre & parade, quand il ſort pour aller faire ſes
prieres à la Moſquee, tous alors ſirichementequippez d'harnoyscouuersde pierre
ries, que tel enyaquivaudra plus de deux cens mille eſcus. Il y a encore d'autres
l'Hiſtoire de Chalcondile. 347
cheuaux de reſerue à Andrinople,Bourſie, Salonichi,& ſemblables lieux tant de la
Grece que de l'Anatolie,où il pourroit faire parfois quelque reſidence & ſeiour : &
ſien entretient çà & là en pluſieurs haraz iuſques au nombre de quatre à cinqmille,
pour monter les ieunes gens qui ſortent hors de ſon Scrrail, ce que nous appellons,
mettre hors de page : car n'ayans rien à eux,nypoint de parens,d'où ils ont eſté enle
uezieunes garçons,qui les puiſſent ſecourir d'vn denier,la prouiſion qu'ils tirent du
Prince,de quinze à vingtaſpres le iour,quand bien ilsl'eſpargneroient toute entiere
durant le temps de leur ſeruice dans le Serrail, à peine leur ſuffiroit-elle pour les
monter & equipper; au moyen dequoy le Prince pour la premiere fois ſubuient à
cela;mais delà enauant ſi leurs montures viennent à ſe gaſter ou mourir,il faut qu'ils
enacheptent d'autres à leurs deſpens, ſur la ſolde & appointement qu'on leur don
IlC, - -

IL ya vn chef& ſuper-intendant ſurtout ce qui depend des eſcuries, appellé Im Imbraorbaſi,

braorbaſi ougrandeſëuier, lequela trois ducats d'eſtat pariour, outre trente mille grand Eſcuier.
aſpres, qui font ſix cens eſcus, de Timar ou reuenu annuel qu'il tire des prairies de
l'Anatolie.Ila en premier lieu milleSardeiler deſſoubs luy, appointez de ſix à dix aſ Saraciler,palle
renier.
pres le iour; dontily en a quelques deux cens des plus adroits deſtinez pour les eſ
curies du Serrail à Conſtantinople; le reſte eſt departy ailleurs où il a eſté dit ci-deſ
ſus : & quand le Prince marche en camp, ils ont la charge de panſer non ſeulement
les cheuaux, mais les chameaux encore, & autres bcſtes de voicture,qui portent les
tentes & pauillös du Seigneur; ſon threſor & autre equippage tant de luy que de ſes
domeſtiques; meſmes les armes; car les Turcs ne vont pointarmez à laguerre,ſinon
quand il eſt queſtion de combattre; parquoy il y en a encore cinq cens autres de ſe
cours ſoubs vn Chefappellé Gepigibaſſi,qui a ſoixante dix aſpresleiour,leſquels con Gepigibaſsi
Chef des coii2
duiſent les chameaux chargez de iacques de maille,aulbergeons,targues,arcs & fle ducteurs des 4

ches; auec desaiz & planchages pour remparer,qui ont deux longues pointes de fer Chameaux,
àl'vn des bouts, pour les ficher en terre, pour-autant qu'ils ſe mettent à couuert au
derriere,munis ainſi que d'vne paueſade en gallere,contre les coups de fleches&ar
quebouzades; qui eſt vne eſpece de leurs mantellets. Ilya bien quinze autres mille
Saraciler quandon eſt en camp,appointez de quatre à cinq aſpresle iour, conduiſans -

chacun trois chameaux qui portent les munitions de l'armee; les tentes des Ianiſſai
xlv mille Cha
res,&autres de la cour & ſuitte du Prince; dubronze pour fondre la groſſe artillerie meaux
deſſus les lieux, les poudres,boullets,ponts à baſteaux,& ſemblable attirail requis à cture endevoi
l'ar
laguerre : car lesTurcs n'vſent point de charroy. Mais les deuant dits ſont entrete m ee du Ture

nus d'ordinaire durant la paix, & ceux-cy ſeulement à la guerre : comme ſont auſſi
Voingler,fauls
quelques mille ou douze cens Voingler, ſoubs la charge encore du grand Eſcuier, cheurs,
maisnon pas eſclaues du Turc,ny renicz; auſſi n'ont-ils point de gages,mais en lieu
de cela ils ſont exempts des decimes & autres contributions; eſtans tous Chreſtiens
Grecs,ou de la Boſſine, & Seruie, leſquels quand il eſt queſtion de faire vne armée
Imperialle ſe repreſententà Conſtantinople garnis d'vne faulx pour faucher l'her
be,qu'ils fourniſſentau camp aux cheuaux du Turc. - Ils ſe retirent en l'eſcurie, &
ſont entretenus de leurs gens propres à dix ou douze aſpres le iour. Il y a puis apres
trois cens Mareſchaux,que maiſtres que vallets,appointez ſelon leurs degrez & me Mareſchaux
rites, depuisquatre iuſqu'à dix aſpres, dont les vingt ſont pour mediciner les che
uaux,quaräte des plusieunes & robuſtes forgent les fers,& les clouds, les autres fer
rent les autres chaſtrent, le reſte ſont ſerruriers & eſperonniers : Tous leſquels ſont
payez de leurs vacations & ouurages, outre la prouiſion deſſuſditte qu'ils touchent
preciſement à chaſque quartier de l'anneee. - º , .. • • • -- : ,* i * » .
-

DE L'EscvRIE auſſi dependent encore deux ou trois cens ſelliers,qui ont de ſix à Selliers, & ef.
dixaſpres le iourautantà la paix qu'à laguerre, parce qu'ils ſont tenus de ſuiure le peronniers. .
camp partout où il marche,mais ils ſont payezauſſi de leurs manufactures. Iln'ya
gens au reſte en tout le monde qui plus proprement trauaillent en ouurages de cuir
& plus à profit que les Turcs,ſoient en bottines & ſouliers,ſoient en ſelles & harnaſ
chemensdecheuaux,ne quiayentà ceſte fin de meilleurs cuirs,&mieuxaccouſtrez
-
348 | Illuſtrations ſur
de maniere que toutainſi qu'vn cheual ſeruiraàvnTurc pour toute ſa vie, vne ſelle
& harnois dureröt de meſme à vn cheual pour la ſiéne:cartout eſt couſu de fine ſoie
en arrierepoint,laquelle dure bien plus que le fil,& ſi proprement qu'il ne ſeroit poſ
ſible de plus,ioinct les enrichiſſemens d'autres cuirs de diuerſes couleurs, placquez
& enchaſſez,& ancrez dans l'autre cuir qui ſort de fonds,à fueillages moreſques, &
àguillochis,ainſi que le damaſquin ſur le fer,& la marquetterie ſur le bois.
- L'IM B R o o R B Ass 1 donques ou grand Eſcuier eſtl'vne des plus belles & fru
ºº ctueuſes charges de tout le Serrail, d'autant qu'outre ce qu'il commande&ordonne
en Chefde tout ce qui depend du fait des Eſcuiries & haraz, tant à la guerre qu'à la
paix, & a de fort grands emolumens & proffits, c'eſt luy qui monte le ſeigneur de
•Checaya,de ſa main, & le ſouſleue ſur ſon cheual , qui n'eſt pas petite faueur. Il y a vn Checaya
§ deſſoubs luy, qui ſignifie ſon ſubſtitut & contreroolleur, lequel a trente aſpres le
la# gººr iour : & vn iaizy appointé à vingt, leſquels tiennent le regiſtre & contreroolle des
" Eſcuiiiest Tous les autres offices & dignitez de Turquie,out enleur endroit chacun
ſon Checaya,& Iaizy. - - -

Cucchinc IL ya puis apres le Cucchinc Imbroorbuſi,tel à peu pres que le premier Eſcuier en
Imbrºerºaſi, uers nous,lequela deux ducats par iour, & quatre cens ducats de reuenu ou Timar
§, annuel, ainſi que l'autre ſur les prairies & paccages, auec vn contreroolleur & Eſcri
uain appointez comme les deux autres. Ceſtui-cy en l'abſence & ſoubs l'authorité
Petite Eſcurie du grand Eſcuier commande à la petite Eſcuirie,tant pour le regard descheuaux de
ſelle,que des mullets,Chameaux,& autres beſtes de voicture, qui portét l'equippa
ge du Turc quand il eſt en camp, ou va par pays : & durant la paix encore eſtant de
reposau Serrail : meſmemét pour faire diſtribuer le foin & orge à ceux qui ont leurs
cheuaux à liuree, comme ſont tous les domeſtiques & Ambaſſadeurs,Saniaques, &
autres Capitaines ſuruenans à la porte : & autres qu'il deffroye de leurs montures,y
ayant pour cet effetvn Arpaemin, pouruoyeur d'orge, de foin, & de fourrage, qui a
A paemin ſoixante † le iouri & ſoubs luy deux censArpagilar ſes commis, payez à raiſon
† de de huict à dixaſpres,qui donnent ordre que rien ne manque de ces fournitures, tant
oin & º'ºge à la paix pour les cheuaux du Serrail, qu'à la guerre pour tout le camp : car les ha
Arpagilar,ſes
†" raz, & les Chameaux ne dependent rien meſmement durant la ſaiſon de l'Eſté,
- pour-autant qu'ilya force paccages deſtinez à cela, ioinct que pour le regard des
Traictement Chameaux ils ſe nourriſſent preſque de rien, voire de moins encore que ne font les
deschameaº aſnes , & ſe contenteront de rencontrer quelques chardons, & rameaux d'arbres,
auec autre telle miſerable verdure,au ſoir ceux quiont moyen leur donnent quel
ue petit picotin d'orge,accompagné d'vn peu de paille hachee parmy : quant à les
† & eſtriller, ils n'y ſont pas accouſtumez, & les laiſſent lanuict dehors tout à
l'erte, parce qu'ils ne ſont point autrementſubiects à ſe morfondre : & ſi deux por
teront plus peſant que trois forts mullets: fortaiſezau reſte à charger & deſcharger,
carils ſe couchét pour receuoir plusàl'aiſe les fardeauxſurleur dos,puisſereleuent,
de maniere que trois hommes duits à cela, auront pluſtoſt chargé cent Chameaux
à leur mode, que quatre de deça n'auroicnt ſix mullets ou ſommiers : & vn ieune
garçon aagé de douze à quinze ans ſeulement, en pourra tout ſeul deſcharger plus
,
de cent cinquante en moins d'vn quart d'heure, parce qu'il ne faut que laſcher le
nœud des cordages où les balles ſont attachees, qui s'envont doucementd'elles
meſmes par vn contre-poixtouteſgaliuſqu'enterre, ſans aucune precipitee ſecouſ
ſe, comme ſion les aualloitauec des pollies & vn guindail.Avx Chameaux aure
Deuxilarcon- ſte on donne communément de trois en troisvn conducteur qui s'appelle Deuegilar,
ducteur de de Deueh, qui ſignifie Chameau. Somme que ces animaux leur ſont d'vne mer
" ueilleuſe commodité & ſecours, principallementen loingtains voyages, par des
pays ſecs & ſteriles : car ils ſe paſſeront à vn beſoin cinq ou ſix iours de boire, &
lus encore , outre le peu de nourriture & entretenement qu'il leur faut : auſſi
c'eſt vne choſe preſqu'incroyable du grand nombre qu'ilsen ont ordinairement en
leurs camps & armees : car on dit que Sultan Selim le biſayeul d'Amurat, qui
regne à preſent, lequel defit le Souldan d'Egypte , & mit fin à l'Empire des
Mammeluz,
> • , . - -" - - -

l'Hiſtoire de Chalcondile. 349


Mammeluz, en auoitplus de deux cens mille lors qu'il combattit le Sophy Iſmaël .
és champs Calderains pres le mont du Taur : & ſon fils Solyman en vne autre #
entrepriſe qu'il fit contre le ſucceſſeur du meſme Sophy Roy de Perſe , dauan- x
tage encore, pour porter l'equippage & les munitions de l'armee : Toutesfois le
nombre ordinaire pour le train du Turc , & ſes domeſtiques, eſt de dix à douze
mille. • - - · - • . -

MA 1s pour retourner aux Eſcuries, & meſme celles du Serrail , eſtans ainſi bien
fournies des plus exquis & meilleurs cheuaux de la terre, elles ſont auſſi l'vn des
principaux paſſe- temps du Prince en ceſte ſienne ſolitude, dont il ne ſort en temps La vie du Tºrë
de paix qu'vne fois la ſepmaineau plus, pour aller faire ſes deuotions és Moſquees: §
mais auſſi bien quel plaiſir pourroit-il auoir à ſe promener plus ſouuent par la ville, reciuſe.
parmy des gens ſerfs & beſtiaux auec leſquels il ne pourroit auoir aucune conuerſa
tion familiere : Ioinct que les ſeigneurs Turcs,& non ſans raiſon,obſeruent fort,at
tendu les gens qu'ils dominent, de ne ſe communicquer à eux que le moins qu'ils
peuuét,mais ce n'eſt pas de meſmes és regiös de deçà, où le peuple eſt trop plus franc
&genereux,& veut voir plus ſouuent ſon Prince. Quelquesfois, & quand bon luy
ſemble, le Turc paſſe le deſtroit de Conſtätinople pour aller à la chaffe & à la volie
rie à Scutari; ou bien ſe va eſbattre ésiardinages & lieux de plaiſance qui y ſont : ou
ſans paſſer la mer, faire de petits progrez, à Selinrce, le Fanari & autres cndroits le
long de la Propontide,& la mer-maiour : quelquesfois encore iuſqu'à Andrinople,
où il ya plus de quarante lieuës : mais tout cela eſt à ſon priué, auec peu de train à la
deſrobee & ſans pompe ne magnificence, ny en charriant vne longue queuë &
trai- ·

nee de cour apres luy comme font nos Princes, ce qui reſſemble mieux vn petit
camp vollant qu'autre choſe , attendu les deſordres & maiuerſations que leur
train & ſuitte commettent tant par les villages au plat pays , qu'és villes cloſes,
où l'on ne ſçauroit auoir gueres de pires hoſtes que ce qu'on appelle les Courti
ſans. -

SvR c E P R o P os il y a dequoy diſcourir quel plaiſir & contentement peut occuratiºn .


auoirvn ſigrand ſeigneur d'eſtre ainſi aſſiduellement r'enclos dedâs vn pourpris de du Turc dans
murailles, quelque ample & ſpacieux qu'il peut eſtre, où il n'y a homme d'eſtoffe fon Serrail.
nyd'eſprit pour le pouuoir entretenir, nyauec qui il peuſt familierement deuiſer &
ſereſiouyr : car ce n'eſt là qu'vn ſeminaire de garconnaillerie,reduitte ainſi que dans
quelque croiſtre ou college, mal nourris, habillez, & entretenus la pluſpart , ſans -

honneſteté, diſcipline , ſçauoir, ny experience : Tous en general pauures craintifs -

eſclaues, qui à peine oſeroient ietter l'œil ſur ſon ombre, ne ſur les marques de ſes
Pas:auecquelques Eunuques plus mauſſades & decrepites que la vieille de Zeuzis,
dontl'aſpect en eſt non tant ſeulement ridicule, mais deſpriſable quant & quant, &
tres-ennuyeux. Il ne iouë au reſte à ieu quelconque de hazard : car cela eſt nom
méement defendu par la loy, comme ſont auſſi les eſchets & les tables, mais il s'en
diſpenſe aucunement : ny à ceux d'exercice nonplus, car il n'a perſonne aucc qui -
ioüer. Pour toutil boit & mange quand il veut, fort groſſierement toutesfois : ſe .
promeine, & fait de beaux chaſteaux en Eſpagne ſibon luy ſemble, ayant de belles
longues galleries à ceſte fin, & de ſpacieux iardinages : de femmes, & autres vene
riennes voluptez pluſqu'à regorger, mais ſans aucune ſaulce ny appetit pour les ren
dreplus agreables, quieſtle demenement de l'amour, & les obſtacles & refus qui
l'auinent toutainſi que l'eau iettee deſſus la forge d'vn mareſchal , ou vn ſouflet
Pourattiſer le feu, car toute iouyſſance ſitoſt obtenue ſans contradiction eſt fad
de & languide, fuſt-ce de la plus belle creature du monde, s'il n'y a pour lareſ
uciller par interualles, quelques entremets de bonne grace, entretien, affecte
tie, mignardiſes, courroux, deſpit, deſdain , ialouſie, mais c'eſt tout ainſi que du
ſtorax liquida parmyles parfums, ou des viperes dans la theriaque, car ſi l'on ne
veut perdre & gaſter tout, il faut y aller auec grande diſcretion : là où celluy
qui a toutes choſes ſans reſiſtence quel plaiſir y peut-il auoir, aumoins au prix
de ceux qui apres vn long mendié prochaz, viennent à fin de leurs preten
- HE
35o Illuſtrations ſur
tions. Car ces pauures creatures deſtinees pour ſon vſage ſont ſi craintifues &
' eſperdues quand illes vient à aborder pour en aſſouuir ſon deſir, voire eſblouyes
du reſpect de ceſte grande maieſté, qu'elles ne luy oſeroient ietter vne ſeulle
oeillade,ny donner quelque traict de langue pour luy reſchauffer ſon affection, ains
demeurent là toutes mornes , taciturnes , & intimides , à guiſe preſque d'vne
perdrix toute preſte à tomber dans les ſerres de quelque aultour : outre ce que
pour la pluſgrand'part elles ſont lourdes, groſſieres, & malappriſes, comme nour
ries en vne captiuité & ſilencç plus eſtroit & auſtere aſſez que nos religieuſes :
brief que ce ſont preſqu'autant de ſtatuës immobiles , quelque perfection de
# beauté dont nature les ait douées , qui deſire d'eſtre accompagné d'vne bonne
grace, & attraits , mais cela ne ſe peut pas bien obtenir ſans de l'honneſte li
berté. -

Qv ANT aux pierreries & autres richeſſes dont il ſe peut equipper & parer .
en diuerſes , cela eſt à la verité comme ſans nombre.ne meſure , & y peut bien
auoir du plaiſir & contentement, quand il ſor: , à ſçauoir , pour aller faire ſes
prieres , où tout le monde le peut voir emmy les rues auec grande admiration &
applaudiſſement de ceſte ſienne beatitude, qui luy redonde en l'eſprit ainſi que
la reflexion d'vn miroüer , à guiſe des Paons , leſquels plus volontiers font la
rouë en la preſence des perſonncs , que quand ils ſont ſeuls, ſuiuant le dire du
Poëte, Candatts expandit auis Iunonia pennas : mais quand il eſt retiré à par ſoy de
dans ſon Serrail, qui eſt-ce qui le peut admirer, qui luy tourne aumoins à quel
que chatoüillement d'aiſe en ſon cœur, car ce ne ſont que pauures vallets ſtupi
des ſans iugement, cognoiſſance , ny apprehenſion : Brief que tout cela ſe rap
porte à l'exemple d'vn autre Narciſſe qui ſe contemple & admire ſoy-meſme dans
vne fontaine : mais d'autre coſté on alleguera, qu'eſtans dés le berceau nourris en
ceſte maniere de ſolitude, ils n'apprehendent point d'autres plaiſirs, non plus qu'vn
religieux qui ne ſeroit iamais ſorty hors de ſon conuent, ou vn naturel de Seriphe,
qui n'en eſtant oncques party reſtreindroit la grandeur de toute la terre habitable,
àl'eſtendue de ceſte Iſlette : outre ce que toutes nos recreations ſe meſurent ſelon
lesgouſts, humeurs, & enclinemens où noſtre naturel nous pouſſe : car tel par ad
uenture ſe reſiouyra plus de demeurer ſeul tout le long du iour à entretenir ſes pen
ſées, que de ſe trouuer parmy toutes les plus gayes & gracieuſes compagnies qu'on
luy ſceuſtattiltrer pour luy donner quelque plaiſir.Dauantage les Turcs, voire tous
les Orientaux ſont de leur complexion ordinairement mornes,ſolitaires,melancho
liques, & peſans,nourris & accouſtumez des latédreur de leur enfance à oiſiueté &
repos. Puis lagrand'flotte desaffaires ſert à ces ſeigneurs d'autant d'exercice & oc
cupation, d'entretien, & de paſſetemps; leur eſtant beſoin d'auoir ſans ceſſe l'eſ
prit tendu aux negoces qui ſe preſentent : ioinct les guerres continuelles, les longs
voyages, entrepriſes, & expeditions, où preſque tous les ſeigneurs Turcs ont iuſ
ques icy employé la meilleure part de leur aage. En apres le grand contentement
. qu'ils ont en leur eſprit, de commander à tant de peuples, & de telles forces , tant
par la terre que par lamer & à vne ſigrande eſtendue d'Empire : d'eſtre ainſi obeiz,
honnorez , & preſqu'adorez à pair d'vn Dieu , non ſeulement de leurs ſubiects
propres, ains des eſtrangers : ſi craints, redoubtez, reſpectez des principaux poten
tats de la terre : tant de beaux meubles, pierreries, vaiſſelle d'or & d'argent, & au
tres ineſtimables richeſſes en leur diſpoſition & pouuoir : Tant de voluptez & de
lices de toutes les ſortes que la concupiſcéce charnelle ſçauroit ſouhaitter ny appre
hender:Toutes ces choſes certes leur peuuent ſeruir d'vn treſ-grand contentement
& plaiſir.Ils font en outre de petits progrez & ſaillies, quand,& où bon leur ſemble,
pour aller çà & là à l'eſbat de coſté & d'autre à la châſſe & à la vollerie, cöme ila eſté
dit cy-deſſus, à quoy les Turcs ſont plus adonncz que les autres, ſelon qu'on peut
voir vers la fin du troiſieſmeliure de ceſte hiſtoire,que Baiazet,celuy qui fut pris du
grand Tamburlan, encore que l'eſtendue de ſon Empire ne fuſt telle la dixieſme
Partie qu'elle eſtauiourd'huy, cntretcnoit neaumoins d'ordinaire plus de ſept mille
- . pieces
l'Hiſtoire de Chalcondile. 35i
pieces d'oiſeaux de proye , auec des faulconniers à l'equipollent , & ſix mille chiens. Merueiiieux .
Mais cela varie ſelon lcs humeurs des Princes plus enclins qui à vne choſe, qui à vne| # º
| º'conne,ie.
autre. Penſez quel contentement pouuoitauoir en ſon eſprit, Solyman,vne fois §
quepoſſible,
le ſe promenantalentour de Conſtantinople
la pouppe toute tendue dans
& reueſtue de vne galliotte
tres-riches doree & diaſpree # †.
tapis & draps d'or : Et ºº
au lieu de banderoles,panonceaux,& flambars,garnie d'infinies enſeignesgaignees
ſur les Chreſtiens; luy tout couuert de pierreries d'vne ineſtimable valeur, & aſſis
parmy des couſſins eſtoffez de meſme,ſi qu'à peine l'œil humain en pouuoit ſuppor- . - -

ter l'eſclat, vn Royau timon,aſſauoir celuy d'Arger Cairadin Baſſa ſurnommé Bar- .
· berouſſe, & vn autre à l'eſtenterol, Dragut Roy des Gerbes; la Cheurme toute de |

- Capitaines ſignalez Chreſtiens,la pluſgrand' part Eſpagnols,veſtus de drap d'or, &


enchaiſnez de groſſes entraues d'argent doré : à guiſe de ce ſuperbe & inſolent Roy
Egyptien Seſoſtris, qui en lieu de cheuaux faiſoit atteler quatre Roys à ſon coche,
leſquelsauoient de luy eſté pris à la guerre. Mais ce ſont les gloires & orgueils du
monde, ſemblables à ces petites bubettes d'eau qui feſleuent quand il pleut à bon
eſcien,& diſparoiſſent auſſi toſtauec leur naiſſance. . · · ·
LE s Tv R cs au reſte n'ont pas tant de diuerſes ſortes de chiens comme nous, veneie des
quiauons de grands leuriers d'attache,& d'autres moindres,qu'on appelle de com-º
paignon auec de plus petits encore,& plus viſtes pour le licure:des dogues,allås,ma- -

ſtins,& meſtifs : bracques, chiens-courans,epaigneulx, & barbets, des chiens d'ar


toys, & de terre pour le renard & le blereau, & de petits chiennets pour delices , le
tout d'infinies varietez de tailles, façons, & pellages : là où ils n'ont en tout que des
bracques qu'ils appellent Hith, & desgualgues leuriersTaſi, de plus grands toutes- ci . Tu -
fois les vns que les autres, mais qui ont tous communément la queue fenoillec, & §es.
les oreilles plattecouchées & pendentes,ainſi que nos epaigneux les mieux auallez,
ou les chieures de Languedoc,fort legers & viſtes de vray,& de longue haleine,vo,
re qui rident pour la pluſpart,ainſi que nous le pouuons voir en ces marches de par
deça de ceux qui nous viennent de la Turquie. Quantaux maſtins ils les appelient
Chuipech, duquel motils vſent enuers les Chreſtiens qu'ils appellent auſli Gitular, # beauxEpi
maudits & hays de Dieu:& Mordar ſalles,ords,&immondes,pour-aultant que nous §
ne ſommes pas circoncis comme eux, & ne nous lauons & nettoyons ainſi exacte-aux Chreſtiés. -
mentà toutes heures qu'ils font, enquoyils conſtituentl'vn des principaux accom
pliſſemens de leur loy. OR il n'y agens en tout le monde plus curieux de traitter ,- .

bien & ſoigneuſement leurs cheuaux, & leurs chiens que les Turcs : carils ne deſ- #"
conurentiamais leurs montures de leurs caparaçons de toile fors que pour leur met-§ &
tre la ſelle : ne les chiens de leurs giacques que quand ils les veulent faire courir : les º
tenans nets & polis ce qui ſe peut, voire d'vne plus grande curioſité que leurs pro
pres perſonnes : & les lauans fort ſouuent auec du ſauon noir & eau tiede : Ils ne
les laiſſent point non plus coucher ſur le foin de peur de la galle, parce qu'i! les eſ
chauffe : mais ſur de la paille fraiſche : ou communément ſut vne meſme ſor
tedelictiere que les cheuaux, faite de fiens deſſeiché, & broyé menu, bien battu,
auec des eſclauines & mantes eſtendues deſſus. Le matin ils leur donnent du pain
competemment, mais peu à peu par petits morceaux, & non pas tout à vne fois,
ce que nous ne practiquons pas ſi exactement , & de l'eau bien nctte. Puis le
ſoir autant encore, ſans broüet, chair ny potage, ne des os ſur tout, de peur
de leurgaſter les dents : Trop bien leur font-ils manger tous les mois deux à deux
Vne teſte de mouton cuitte, & ſaulpoudree de ſoulphre , pour leur nettoyer le
ccrueau , & les inteſtins, les mettre en haleine, & leur entretenir l'enſentiment,
& quand aux liſſes & leuriers , ils les tiennent beaucoup plus maigres que non- -

Pas les maſles ; ne les laiſſant toutes-fois porter en tout plus d'vne fois en leur ·

Vie L E s M A R Q v E s qui leur plaiſent le plus és leuriers , ſont vne che-si ucs d vit
rcmorne & melancholique , tenans la queuë ſerrée entre les iambes , lon- §'
gue & deliée à guiſe d'vn rat, ou pluſtoſt d'vn Lion , bouquettée à l'extre- " "

º de derriere
mité , la patte longuette, la crouppe large, l'entre-deux dp -

- 1 lj , "

:
352 Illuſtrations ſur
fortbien ouuert, comme auſſilaharpeure,venantà ſe reſtroiſſirparle flanc, le mu
Equipage de ſcau
pointu,& le poil raz & liſſé : Toutes leſquelles cognoiſſances nous approuuons
†du à peu pres és noſtres. A v R E G A R D en particulier de l'equippage de la venerie du
Turc. Turc,il varie auſſi ſelon l'affection que les vnsyont plus que les autres : mais d'ordi
seimenbaſſi
grand Veneur. naire il yavn Seimenbaſi ou Chef des Veneurs, qui a cent aſpres le iour, & ſoubs
luy mille que Seimen, picqueurs à chcual,quevallets de chiens à pied : ceux de che
uai ont de douze à quinze aſpres, & de pied huict ou dix, qui meinent chacun vne
Tagarzibaſ$i,
maiſtre des
leſſe de deux leuriers. Il ya dauantage vn TagarXibaſ,qui commandeaux bracques,
braconniers. & chiens courans, lequel a mille Ianiſſerots deſſoubs luy, dont chacun endroit ſoy
en gouuerne & conduitdeux ou trois coupples, de maniere que le nombre en eſt
Les maſtins. grand : mais tout cela eſt ſoubs la charge du grand Veneur. QvANT aux maſtins
ils n'ont communément point de maiſtres particuliers és bourgs& villages, & ſine
laiſſent pas pour cela d'eſtre nourris & entretenus,ſans entrer toutesfoisés maiſons,
à cauſe qu'ilyapartout des tapis eſtendus par terre : Parquoyils tiennent au dehors
en quelque coing de petites aulges de pierre, où ils portent leurs reliquats : & les
chiens ſelon ce qu'ils ſont accouſtumez d'yfaire la garde,ſyaddreſſent pour ſ'enre
paiſtre,ſans permettre aux autres d'en approcher. Ils en repouſſent quant & quant,
Adils, Loups mais c'eſt la nuict,& dechaſſentvne eſpece de petits loups qu'ils appellentAdil,fort
del'Aſie.
friands d'entrer és villages, pluſtoſt pour y larreciner s'ils trouuent rien dequoy à
l'eſcart,ſoyentbottines,ſouliers,chappeaux,brides,courroyes,& ſemblables hardes
car ils ſont enclins de leur naturel à cela, combien que meſmes ils ne les rongét pas,
tants'en faut qu'ils les deuorent, que pour rauir nyfaire aucune nuiſance aux per
ſonnes,ny au beſtail : en vulgaire Grec on les nomme Squilachi, vn peu moindres
qu'vn loup commun : & abbayent à guiſe d'vn chien, ayans le poil d'vn fort beau
iaune paillé.Ils vontàgrandes trouppes iuſques au nombre parfois de deux cens &
plus.Somme que l'Aſie en eſt pleine,principallement la Caramanie.
Faulconnerie
Turqueſque.
MAIs lesTurcs ſont encore plus adonnez à la faulconnerie qu'à la chaſſe, d'au
tant qu'elle n'eſt d'vn ſi violent & laborieux exercice, parquoy ils entretiennent à
ceſte fin vn grand nombre d'oiſeaux de leurre,& de poing encore : les gerfaux leur
viennent de Norvegue,Suede,Moſchouie, & ſemblables regions Septentrionalest
Les Sacres, de la Caramanie & autres endroits de l'Aſie, où l'on eſtime qu'ils font
, leursaires mais les meilleurs ſe prennent au paſſage des Iſles,& tant plus loing dont
ils procedent,tant meilleurs ſont-ils,& plus excellens.Quantaux Laniers,Faucons,
Gentils,& Peregrins,baſtards de Sacre,& Tagarols,ils leur viennent de barbarie, &
des Iſles circonuoiſines de ceſte coſte les Eſperuiers,& Aultours,de tout plein d'en
droits de l'Europe,où il ya bien ſix mille meſnages de Chreſtiens, qui ſont exempts
du Carazzi, & tous autres tributs & impoſitions pour fournir chacun anau Prince
certainnombre d'oiſeaux de poing, lequel apres en auoir retenu l'eſlitte pour ſoy,
depart le reſte où bon luy ſemble,& pour cet effect entretient encore quelques mil
le Faulconniersd'ordinaire, qui ont de douze à quinze aſpres le iour, & deux che
uaux à liuree : auec autant d'accouſtremens de gros drap tous les ans, ſoubs la char
g#
rand Faul- . ge d'vn Doganxibaſſi, autrement Tſacregibaſſi, qui a deux cens aſpres de prouiſion
connier. chacun iour ils portent ordinairement deux oiſeaux ſur le poing , mais c'eſt ſur le
droict,au rebours de nous qui les mettons touſiours ſur le gaulche : Et ſi nourriſſent
parfois leurs oiſeaux d'œufs de poulle durcis,à faute de chair,leur façon de les leur
rer & reclamer eſt beaucoup plus ſimple que la noſtre, & ſans tant de tons& de voix
accompagnees de criailleries iuſqu'à ſ'eſgorger:carils ne font ſeulement que houp
per, & les oiſeaux ſont duits à les entendre de fort loing auec le branlement du
$ariana.le pºi-leurre. OR quand le Seigneur veut aller Sariana , comme ils dient, à ſçauoir,
ſir de la chaſſe,
& dc la volle prendre le plaiſir, & s'eſbattre à la chaſſe, & à la vollerie, qui eſt le plus com
rie. munément és entours de Scutari, delà le canal en la Natolie , il nomme ceux
dont il veut eſtre accompagné ; aucunefois d'vne grande trouppe, & des Baſ
ſats meſmes, enſemble des autres principaux, & plus apparents de la porte :
Par fois à peu de bruit, & ſeulement de quelque nombre de Spachis, & ſes plus
\ -
.l'Hiſtoire de Chalcondile. | 353
priuez domeſtiques. Par fois il dreſſera des parties dé chaſſes royalles , où il cſt
ermis à chacun d'aſſiſter, & participer au buttin : & là il prend tel deſduit qu'il
† plaiſt, à toutes ſortes de ſauuagine & de gibier : bien eſt vray quc le ſan
glier leur eſtant defendu par la loy pour eſtre du genre des porcs, il eſt abandon
né, apres en auoir eu le plaiſir, aux Chreſtiens : ſi la beſte quelle qu'ellc ſoit vient
à eſtre eſtranglée des chiens, ils ne la mangent point nomplus,par ce que toute vian ·!
de eſtouffée leur eſt interdite, & le ſangauſſi, commeaux Iuifs. Mais en ſomme ils
ſont grands chaſſeurs, combien que non ſiartiſtes & induſtieux comme nous : car
ils n'ont pas la traditiue ny methode ainſi exacte, cauſe de leur peſant naturel,groſ
fier, hebeté, de courre à force lesbeſtes faulues, & les noires; auſſi n'yail gueres de
gens ou point du tout, quifacent ce meſtier ſi exquiſement que font les François.
Av RE GAR D de la vollerie, nonobſtant qu'en toutes leurs actions ils ſoient fort
lourds, & bien peu ſpirituels, ſieſt-ce qu'en ceſtendroit ils ne nous doibuent pas
beaucoup , n'yaux Italiens en cas de vollerie, qui leur eſt en aucune recommanda
tion : mais de la groſſe chaſſe à force, ils ne ſçauent bonnement que c'eſt nomplus
que lesTurcs : mais chaque nation a ſon exercice à part qui luyplaiſt, ainſi que le
reſte de leurs couſtumes. - -
Le dedans du
Serrail du
L'V N des bouts de la ſeconde cour deſſuſdite, pres l'auditoire
Turc. du Diuan, eſt vne autre loge ou ſalette toute de marbres exquis, où
les Empereurs Turcs ont accouſtumé quelquefois de ſe preſenter
en public; & ioignant icelle eſt la troiſieſme porte du Serrail, gar
· dée de vingtcinq ou trente Eunuques : car là n'ont plus que voir ny
les I.iniſſaires,nyles Capigi, par ce qu'on entre par là dedâs en la de
meure priuée du Prince, où il n'eſt loiſible à perſonne d'aborder ſi l'on ne l'appelle:
& n'y a homme d'audeſſus vingt ou vingt deux ans qui ſoit entier, fors luy, & le Bo
ſtangibaſi, chef desiardiniers, comme il a eſté dict cy-deſſus : tout le reſte ſont ou
Monuques, c'eſtà dire taillez ric à rac; ou ieunes garçós enfans de Chreſtiens qu'on
yeſleue pour le ſeruice de ſa perſonne : & de là quand ils approchent l'aage viril, plu
ſtoſtou plus tard les vns que les autres ſelon leur diſpoſition naturelle,illesaduance
à telles charges que bon luy ſemble. SvR Qvox, il faut préallablemétentendre que
tout le faict du Turc, toutl'eſtabliſſement tant de ſa maiſon, cour, & ſuitte,en parti
culier qu'engeneral de ſon Empire, & du principal nerf de ſes forces, deſpend d'vn
- , perpetuel ſeminaire de ieunes garçons qu'il leue parforme de tribut ſur les Chrc
#†. # ſtiens reduits ſoubs ſon obeiſſance & ſubiection : ou qui ſont pris à la guerre, ou
penddesChre- les
1CI1S.
en cours
ayans tant par la terre
recouurez que pard'argent
à chreſme la mer; de
ou coſté
ceux &qued'autre
les marchants
: car il a luy preſentent,
de tous la fleur
& eſlite. Et n'y a charge, office, ne dignité, depuis la moindre iuſques à la plus gran
Toutes les de, fuſt-ce celle du Viſir propre, ou premier Baſa 'qui ne tombe és mains de ceux
· charges & di- cy; car les Turcs naturels en ſont du tout exclus ; ſoit que le Prince ne veuille com
† mettre aucun maniement nyauthorité à des perſonnes de condition franche, &
que, és mains apparentez: parce que les autres ſont touſiours eſclaues; (bien eſt vray que les Turcs
#º meſmes ſ'intitulent tels, mais c'eſt par vne forme d'höneur & reſpect qu'ils portent
- à leur ſouuerain) craingnant quelque reuolte & remuëment, à l'exemple qu'Au
guſte Ceſar ne ſe voulut oncques fier du gouuernement de l'Egypte à pas vn Sena
. teur Romain, de peur que par leur credit & moyés ils ne ſ'emparaſſent de ceſte Pro
uince, riche & puiſſante entre toutes autres, ains ſeulement à ceux de l'ordre des
Cheualiers : ſoit qu'il ſe trouue plus fidelement & ſoigneuſemét ſeruy de ceſteieu
" neſſe Chreſtienne Mahometiſée qui n'ont feu ne lieu, parents nyamis, non-pasſeu
lemcnt rien de ſouuenir de leur propre naiſſance, n'y autre attéte pour le faire cour,
qu'au ſeul eſpoir de la grace & faueur du Prince, qui les peut, ſ'ils trouuent gré de
uant ſaface,aduancer au rang de grands Roys : de maniere qu'on ne ſçait point que
iamais ils luy ayent fait faux-bon, ny manqué en rien de leur loyauté & deuoir, ains
, luy ont touſiours eſté ſi conſtamment affectionnez & fideles, que tout tant qu'ils
| ſont expoſeroient volontiers dix mille vies en vn ſeuliour, ſ'ils les auoient, pour ſon
ſalut & accroiſement. - -

Mode du Turc , L E Tv R c doncques de quatre en quatre ans, & bien ſouuentau bout de trois
†º ſelon que les occaſions ſ'en preſentent,ade couſtume d'enuoyer des Commiſſai
Chreſtiés, deſ res recueillir non la decime des enfans dont deſpend le deſſuſdit Seminaire, ſe
† † lon que quelques vns preſuppoſent, ce qui ſeroit bien moins onereux, & intolle
§º" rable, mais de troisl'vn : & encore celuy qu'on voudra choiſir, enquoy il ne faut pas
douter que ce ne ſoit le plus beau, ſain & robuſte, & le mieux formé de ſes mem
bres, des ieunes garçons fautentendre : car ils ne touchent point aux filles pour ce
regard, & ce depuis l'aage de huict à dix ans, iuſques à ſeize ou dixhuict : ce qui ſe
peut
l'Hiſtoire de Chalcondile. | 355
peut dire la plus enorme cruauté qui ſe puiſſe exercer des ennemis du nom Chre
ſtien, non tant pour le corps de ces miſerables infortunez, qui de libre condition
· ſontrauiz à vne trop execrable ſeruitude, & tranſportez en'eſtranges & loingtaines
contrées, ſans aucun eſpoir de reuoiriamais plus leur chere patrie,ne leurs deſolez
arens & amis:mais ſurtout de l'ame qui ſ'en va à perdition par ce que tout auſſi toſt -

qu'ils ſont arriuez àConſtantinople on leur fait leuer le doigtindice de la main droi
cte,& prononcer, ces mots icy; LA ILLAH ILAHAH, MvAMED REsvL ALLAH, Mots † -

Dieu eſt Dieu, & Mahomet eſt ſon Prophete : En-apres on les circonciſt, & alors ils ſont §"
Muſulmans, c'eſt à dire fideles Mahometiſtes : car ils abhorrent le nom de Turc,
comme eſtant ignominieux, & qui ſignifie en leur langage autant preſque qu'a
bandonné ou mauldit. | - - -

AINqui
ſtiens s 1 ſont
ce tribut
ſoubsdes enfans ſe du
l'obeiſſance leue indifferemment
Turc ſur toutes
: Grecs à ſçauoir, tant deſortes
l'Aſiedeque
Chre- ce que ſigni
de # IllOt

l'Europe, de la terre ferme & des Iſles : de la Boſſine, Albanie, Seruie, Raſcie, Mol- prouinces
dauie,Valaquie,Tranſſyluanie, Hongrie : & d'autre coſté en la Circaſſie,Trebi- †
ſonde, Mengrelie, Zorzanie , D'Armeniens point du tout, encore qu'ils ſoient §
Chreſtiens, & ſoubs ſa domination : car ils ne les font point eſclaues, à cauſe de †
certain priuilege qu'ils eurent de Mahomet, pour l'auoir vne fois recueilly & fa-§
uoriſé au beſoin, & auſſi qu'ils eſtoient Neſtoriens comme luy. DE Iv 1 F s, ils n'en & pourquoy.
enleuent point nomplus, car ils n'en font cas, & ne les eſtiment propres à rien qui #º
vaille qu'à traffiquer. T urcs.

OR les Commiſſaires qui vont recueillir ce tribut, ſont communément quel- · -


ques subaſi, ou autres officiers ſemblables, qui ont grand nombre de commis &†º
deputez ſoubs eux : & ſ'en vont de lieu à autre par les Prouinces deſſuſdites, là où
ils ſe font apporter les papiers de bapteſme parles Papaz (ce ſont les Preſtres) qui
ſur peine de la vie n'oſeroient rien deſguiſer ne cacher : & là deſſus remarquent
ceux qui peuuéteſtre de l'aage propre à eſtre enleuez : ſ'il y en a de morts, ou abſents
on les leur deſigne, & pareillement ceux qui ſont deſia mariez, auſquels il ne leur
eſt pas loiſible de rienattenter : ce qui eſt cauſe qu'ils ont accouſtumé de les pour-Dumvitatſtuk
uoireſtans encor fortieunes, pour euiter ceſt inconuenient : ſi que deuant qu'ar-#
riuer en la force & virilité de leur aage, ils ſe voyent vne pleine maiſon d'enfans, ce
qui tourne à autant d'auantage § pour le Turc : Parquoy il ne les empeſche
point autrement de ſe marier, ſ'ils ont atteintl'aage de puberté capable de procréer
lignée. Et ont ces Commiſſaires couſtume d'aller touſiours à ceſte queſte à temps
indeterminé, pour les ſurprendre, & garder qu'on ne les deſtourne , nonobſtant
que les pauures malheureux peres ſoient ſi intimidez & craintifs de la peine qu'ils
encourroient, ſ'ils cuidoient vſer de recellement, outre ce que leurs voiſins & pro
Pres parens les accuſeroient, qu'en cela ils n'vſent d'aucun ſubterfuge.
CE s enfans eſtans amenez en lapreſence du Protogere, ou Maire du lieu, lessou- Protogère,
baſſi, & Commiſſaires choiſiſſent de trois vn qui leurvient le plus à gré : & quand
bien le pere en auroit quatre ou cinq quifuſſentd'aage competant, ſin'en prennent
ils qu'vn à la fois, ſauf d'y retourner à la premier occaſion : Mais ſ'il n'ena qu'vn, ils .
ne laiſſent de l'enleuer:ſi qu'il n'y a année l'vne portât l'autre qu'ils n'en emmeinent
dix ou douze mille à Conſtantinople.Là ſoudain qu'ils ſont arriuez, on les met ſous , Diſtribution
quelque côuuert pour deux ou trois iours pour les refaire aucunement de la laſſeté † Chreſtiens du
du chemin : & puis l'Aga des Ianiſſaires le va faire entendre au Seigneur, qui en voit r§
la fleur & eſlite, & retient ceux que bon luy ſemble, pour les mettre dans ſes Ser
rails : le reſte, partie il les depart aux Baſſats & autres perſonnages d'authorité : par
tie on les enuoye en la Natolie, où ils ſont conſignez és mains des particuliers, pour
apprendre le parler Turqueſque,& les endurcir au trauail & mes-aiſe,car ils ne cou- -

chent que ſur la dure, & pour tout leur nourriſſement ont quelque petit meſchant †º
morceau de pain bis, auec de l'eau telle quelle, & à peine encore la moitié de leur »
ſaoul, habillez au reſte de meſme. #

Av B ovT de quelques quatre ou cinqans qu'ils ont aſſez competemment appris


356 llluſtrations ſur
la langue, & ſe ſont renforcez & parcreuz, on les rameine à Conſtantinople, où ils
A quoy on les ſont employez à ſeruir les maçons, porter la terre, chaulx, ſable, pierres, bois, &
employe.
ſemblables eſtoffes pour les baſtimens du Seigneur, duquel ils ont lors vn aſpre par
iour dontils viuottent au mieux qu'ils peuuent, & fonteux-meſme leur deſpence,
• Eſtranges en- ſe mettans vingtcinq ou trente en vne chambre,dont il y en avn qui à tour de rool
durciſſemés, & le fait la cuiſine, auquel ils donnent à raiſon de vingt cinq aſpres pour iourapour les
" employer en vn peu de riz, & de beurre, bois & chandelle pour tout le mois : de
maniere qu'ils en eſpargne cinq ou ſix pour leur menues neceſſitez, meſmement de
A ſoulliers:car on leur fourniſt tous les ans vne iuppe,& des chauſſes de gros drap bleu
de Salonichi : & quelque coupple de chemiſes ſaffranées, ou teintes de rouge ou de
bleu, de peur de la vermine : & en la teſte ils ont vn haut bonnet pointu fait en pain
Boluchbaſi có- de ſuccre, ou comme vne chauſſe d'hypocras, eſtroit d'entrée, de couleur iaulne,
§# pour denoter que ce ſont les eſclaues du Prince.Au regard de leur pouruoyeurcul
ð ſinier il vitgratisauecques eux pour le ſalaire de ſon labeur. Ils ſont communément
de ſix à ſept mille en Conſtantinople, ſous la charge d'vn chefqui a ſoixante aſpres
le iour : & de certains Boluchbaſſi appointez de dix à douzeaſpres, qui les enferment
en leur retraicte ſur le ſoir,& le iour les conduiſenta la beſongne, les accompagnans
par tout où ils vont, vn baſton au poing, de peur qu'ils ne facent deſplaiſir à perſon
ne : car ce ſont meſchantes canailles, & comme gens deſeſperez, pires vn milion de
fois que lesTurcs naturels, & bien plus mortels ennemis des Chreſtiés, nonobſtant
qu'ils en ſoient venus.
ON les employe auſſiau ſeruice des Arſenats; & à mener les barques qui paſſent
continuellement de Conſtantinople en Pera, & la Natolie, pour leur apprendre le
train de la marine, & à voguer : au moyen dequoy l'onaaccouſtumé d'enuoyer vne
bonne partie de ces AXamoglans ou Gemiſerots à Gallipoli, où l'on les exerce à con
En Latin Hip- duire lesbaſteaux qui paſſent & repaſſentà toutes heures le deſtroit pour porterles
§in§" allans & venans d'Europe en Aſie : & les Maones pareillement (ce ſont groſſes bar
#Pºté du ques plattes propres à porter les cheuaux & chameaux) qui vont ordinairement en
Gree.
-
Conſtantinople & autres endroits : puis en fin paruiennent à eſtre Ianiſſaires.
Vo 1 LA la ſource principalle dont eſt ordinairemét abbreuué & entretenu l'Em
pire Turqueſque en ſavigueur : Enquoy Dieu permet pour nos offenſes & demeri
tes que nous ſoyonsbattus de nos propres verges : mais il ſeroit bien aiſé d'yreme
dier, ſi les deuxplus puiſſans Monarques Chreſtiens ſeulement, ſansioüer au faulx
compagnon ſe vouloientbien entendre enſemble, & ſ'vnir contre le commun en
nemy, & que leurs ſubiects les vouluſſent ſuiure. - •

Le legs du trePAssE
Turc.
E ceſte
dans vne ſalle troiſieſme
de moyenne porte qui eſt gardée
grandeur dontilaperles Eunuques,ſoudainl'onen
eſté parlé cy-deſſus, richement
- tapiſſée tant les parois que le par-terre, auecvn daiz à l'vn des bouts, eſleué de cinq
ou ſix marches, où le Turc reçoit les Ambaſſadeurs, & tient ſon conſeil general
quand les occaſions ſen preſentent: Puis mötant2.ou 3. degrezl'on entre en vneau
tre moindre ſallette carrée, trop plus magnifique que la precedéte : car les murailles
. ſontincruſtées de lames d'or,& d'argent,ouurées à la damaſquine & iameſque & de
pierreries ſans nöbre qui ſont enchaſſées parmy. Le plancher qui eſt voulté à cul de
four eſt tout orné d'vne ſi excellente muſaique, de petites pieces de criſtal argentè,
doré,& diaſpré de toutes ſortes de couleurs,comparties & rapportées en maniere de
marqueterie, à fueillages moreſques & guillochis : car de figures d'animaux, nópas
ſeulement d'herbes ny fleurs que la nature produiſe, ils n'en vſent aucunement.
AuxMahome-C'eſt là où les Baſſats, Beglierbeys, Cadileſchers, & les autres grands de la porte
†## viennent faire leur rapport au Prince tous les iours du Diuan : les ambaſſadeurs y
trefaire enleurs vont auſſi quelquefois luy baiſer la main. De là ſuiuent conſequemment forceau
# , tres ſalles,antichambres, chambres,garderobbes, cabinets, galleries, & ſembla
§ p§ " exquis
duiſt,
bles pieces pour ſon vſage,&&par
à Conſtantinople, ſecrette
tout ledemeure : cartout
reſte de leur ce qui
Empire, eſtoit
a eſté de plus rare
tranſporté &
en ce
lieu pour l'embelliſſement & decoration d'iceluy, le tout à vn eſtage tant ſeulement
COIllIllC
5 | T * ſ) ° . , . • • || " ' . . . **

l'Hiſtoire de Chalcondile. 357


comme ſont lesautres edifices des Turcs,qui n'ont pointaccouſturné d'auoir de ba
ſtimens exaulſez, ſoit pour raiſon de leur lenté,incurioſité & pareſſe,ou par faute de
bös& ingenieux architectes. Mais il n'eſt pas bié aiſé de parler de cecy auec certitu- , , , ,à
de,ſinon d'autãt qu'on en peut tirer de rapport de ſes domeſtiques,à quoy il faut ad- # #
iouſter foy,par ce que perſonne horſmis eux,Iuif,Chreſtien,nyTurc,n'y cntre point § en ne du
nypar conſequétl'on n'en peut auoir cognoiſſance.De ce logis on paſſe à trauers vn Turc.
iardin clos particulierement de murailles,à la demeure de la Sultane,qui eſt vn petit
Serrail à par ſoy bien fermé, & renclos dans le grand, accommodé au reſte de beaux
vergers & iardinages, de fontaines, offices, bains,& eſtuues,& autres telles commo
ditez : meſmementd'vne Moſquée, où elle auec ſes damoiſelles & femmes de chä
bre vont faire leurs deuotiös : par ce qu'elles ne ſortent point en public, ſi ce n'eſtoit
que le Turc l'avouluſt mener à l'eſbat : mais encore eſt-ce par mer dans ſa fuſte, ou
dedans vne lictiere ou carrozze bien cloſe : & n'y a que luy, & les Eunuques qui
l !
en ont la charge, qui entre en ce petit Serrail, où le principal d'entr'eux qui va & \
# vient à toutes heures vers la Sultane, luy fait adminiſtrer ſes neceſſitez. , " -- • •: .
::
OvTR e ceſte demeure ilya encore 4 grands corps d'hoſtel dedans le pourpris †º"º
#
du Serrail, pour les Eunuques, & les pages : l'vn qui ſappelle l'Engioda, la petite ou l #ng la
neufue maiſon, où ſont les plusieunes AKemoglans, iuſques à l'aage de puberté, qui • · ,

|é apprennent à lire & eſcrire en Turc, Arabe, Perſien, Eſclauon, & autres langues, & †
à ſe deſnoüer à tirer de l'arc, lutter,ſaulter, courir, eſcrimer, & ſemblables exerci-" º (

ce militaires,à quoy tend leur principale occupation. Le ſecond la grande maiſon


où ſont ceux depuis quatorze ans iuſqu'à ce que la barbe leur commcnce à poin-second corps
dre, car lors l'on les mer hors du Serrail. Ceux-cycóme plus roiddes, & renforcez, dºoºº
ſ'emploient auſſi à des exercices bien plus robuſtes : comme à cnfoncer l'arc, ioüer
des armes à bon eſcien, & picquer les cheuaux, & ont tous de ſept à huict aſpres le
iour, & bouche à Cour, auec des accouſtremens de drap, & certains bonnets à leur i ſine
mode, de ſatin, develours,broccador,cemmunément de couleur rouge. Lc troi-†" \

ſieſme corps d'hoſtel ſ'appelle Chiler, où demeure le Chilerhaſi, qui a la charge des grand cteden
breuuages, & des confitures du Prince, & auec luy ſont bien deux cens pages pour"º
le ſeruice de ſa table : tous leſquels ſ'exercent comme les autres. Le quatrieſme eſt Le uatrieſine
le Chaſna, ou threſor, & y loge le Chaſnatarbaſſi, auec les pages dont il a eſté parlé le c† ou
cy-deuant
reille : leſquels
prouiſió que lesapprennent
autres: maislailsmuſique, & à ioüer des
ſont plus richement inſtrumens,
habillez, & ont pa-º !
de ſatin,velours, •
-

# damas, toile d'or:& ont de haults bonnets en teſte vallans de cent à deux cés ducats.
Ilya puiscapres
A LA L os vers
Tv RlaE marine la demeuregrand
de ce Serraililya du Boſtangibaſi,
nombre de & de 6.&à 7oo.
tours, iardiniers.
12. portes, cha- # du
cune garnie de gros huyz de fer,pourl'vſage du Prince,& des ſiens toutesfois on ne "
les ouure pas ſouuent, & ſinon au beſoin : ſept, à ſçauoir du coſté de la ville, & cinq
le long de la mer, dont celle du milieu qui regarde droit à Soleil leuant vers Scutari,
eſt flanquée d'vn gros tourrion de chaque coſté,bien garnis au reſte d'artillerie groſ
ſe & menuë : & au deuant en vne place large ſeulement de huict ou dix pas, & lon
gue de trente,ya bien cinquante autres bouches à feu affuſtées pour battre à fleur
d'eau : car c'eſt la ſecrette iſſue du Prince, par où il ſort quand il ſ'embarque dans ſa
galliote pour aller à l'eſbat en la Natolie. . | : . . . , --

: OR dans ce Serrail,comme il a eſté deſia dit cy-deſſus, n'ya homme au deſſus de Le dedans du
5 vingt deuxans qui ſoit entier, ny habile à cognoiſtre femme, fors le Seigneur, & leº
maiſtre desiardiniers: tout le reſte ſont Cadum, c'eſt à dire Eunuques du tout : & A Cadum, Eunu
· zemoglans. Quant aux Eunuques il y en peut auoir quelque cent d'ordinaire, de- ques.
† à diuers offices & charges : entre leſquels enya3. de plus grand'autorité que • • '

es autres: dont le premier eſt le Capigibaſi, le capitaine des portiers,qui en a ſous luy Cºpisiºaſi.
3o. deſtinez à garder la 3. porte, par où l'on entre au logis du Prince : & la nuict veille -

auec ſes Eunuques à tour de roolle, en l'vne des ſallesouantichâbres. Le ſecond eſt chaſiatirtaſt.
le Chaſnatarbaſſi, ou grand threſorier, duquela eſté parlé cy-deſſus,quiala charge du
threſor : & ſoubs luy4o.ou 5o.ieunes Azemoglansappcllez 4ſlaaglandari, qui ont de A la glandari.
—T

358 Illuſtrations ſur


dix à 15. aſpres le iour, & luy ;. ducats ſans ſes aduantages : caril fourniſtà toutela
- deſpence de la maiſon,& ſuitte domeſtique du Turc. Le 3. qui eſt le plus fauoriſé de
Iſaga. tous,& a le plus grand credit, eſt l'Iſaga, comme qui diroit le dernier & ſuperieur de
- tous autres quia quatre ducats par iour, & plus de ſix mille que luy vallét ſes droits
& profits tous les ans, tenant le lieu de grand Chambellan ou ſommeiller de corps ;
lequel porte meſme les Ambaſſades & ſecrets meſſages du Prince à la Sultane : &
les metcoucher enſemble : commande outre-plus aux pages de la chambre, & de la
garderobbe;& en ſomme à tout ce qui cöcerne la perſonne du Seigneur,à quoy ſont
Oddeglangari. deſtinez quelque 6oieunes adoleſcens,la fleur & eſlite de toute l'Agemoglerie,döt !
ilyena touſiours 3. fauorits pardeſſus les autres appellez Oddeglangari,enfansd'hon
rºtadar ou neur:l'vn deſquels eſt nommé le Tecadar,ou porte-māteau autrement Chiocadar por.
º tant partoutoù va le Prince,vnevaliſe,oùilya vn habillement complet,& du linge,
Chiupter. pour changer & ſe rafraiſchir ſ'il en eſt beſoin. L'autre eſt le † porte vn
flaſque de cuir plein d'eau,auecvn maſtrapan ou hanap, tât pourboire que pour faire
les ablutions accouſtumées au Mahometiſme : car les Turcs ſe lauent à tous propos,
& n'oſeroientautremét entrerés Moſquées,ny dire les prieres & oraiſons qu'ils ſont
saluſtarou tenus de faire iournellement ſix ou ſept fois le iour, aux heures que les Taliſmans ou
Sitidar. miniſtres leur ſignifient du haut des tours.Le 3.eſt le Saluſtarou Sitidar, quia ſon arc
auecvn carquoys plein de fleſches;& le Chiligs ou cimeterre accôpagné d'vn Cancar
vne courte dague ou poignard , pendant à vn Chuſſak ou ceinture toute eſtoffée de
pierreries d'vneineſtimable valeur. Ils ſont beaux,& parez à l'aduâtage:& leurs che
la mºde de "º de meſme exquis & tres-richement equippez,cóme eſtans du nombre des plus
e - * \. - -/ * -

§ rcſeruez pour la propre perſonne du Prince, derriere lequelils marchétimmediate


- - >N -

Turc. ment touſiours,& entrent à cheual quant & luy iuſqu'à la 3. & derniere porte. Cou- .
chét auſſi en ſa chambre, où l'vn d'entr'eux veille autour du lict, auec trois autres du
nombre des 2o. mentionnez cy-apres,qui ſont pareillement de la chambre:ſi qu'ily
cn a deux au cheuet,& autantaux pieds,auec 2.gros tortiz de cire blanche qui ardét
toute la nuict ſ'ils ont froid, ils prennent ſur eux des mantes fourrées de martresſu
blines tres-riches,& quelque liure en la main pour ſe des-ennuier,& garder de dor
mir : laquellegarde ſe fait ſeulement pour luyadminiſtrer les choſes requiſes: cöme
ſi d'auāture il ſe vouloit leuer pour faire les prieres de la minuit ou aulbe du iour,&à
ceſte fin ſe lauer;ou quelques neceſſitez de ſon corps.Tous ces pages là ont par mois
dix ducats d'appoinctement,& ceux qui ſont de garde partagent outreplus entr'eux
Menus plaiſirs tout ce qui ſe trouue de reſte au ſoir dans les poches de ſon Doliman ou ſottane : là où
†º le grandthreſorier eſt tenu de mettre tous les matins la valeur de 4o. ducats pour ſes
- menus plaiſirs,& aumoſnes,partie en ſultanins ou ſeraphs,ce ſont ducats de la valeur
des noſtres,& partie en aſpres: & ſont nourris de ce qui ſe deſſert de deuātle Prince,
tres-pompeuſement habillez au reſte,develours,ſatin,& draps d'or & d'argent,auec
de larges ceintures ouurées,de la valeur de 4o. ou 5o. eſcus,& des ſcoffions d'or, qui
en vallent plus de deux cens : Eſtans appellez à ce miniſtere depuis l'aage de 15. à 16.
ans,iuſqu'à ce que la barbe leur commence à poindre. Mais au ſortir de page ils ſont
touſioursaduancez bien pluſtoſt que pas vn des autres,iuſqu'à paruenir à † Agaz,
ouSaniaques,c'eſt à dire capitaines ougouuerneurs de quelque Prouince: & delà de
main en main àl'eſtat de Beglierbey,& finablemët de Baſſa,qui eſt la plus haute digni
té dc toutes : comme faitauſſi l'Iſaga leur chef Eunuque,car ces gens là bien que de
my-femmes, ne ſont pas exclus pour cela des grandes charges & manimens, meſme
desarmes, ains ſ'en eſtbien ſouuent trouué de tres-valeureux & grands Capitaines,
auſſi bien que Narſes ſoubs l'Empereur Iuſtinian : comme du temps de Selim pre
SinanBaſſa Eu-mier, pere de Solyman qui defit le Souldan du Caire parl'entremiſe de Sinan qui
†º" ſyportatres-vaillamment, & obtintlavictoire ſur les Mammeluts, où il fut tué: car
c'eſtoit luy qui commandoit en chef à toute l'armée Turqueſque.
Aſonglanlar , IL Y A en outre autres2o.pages qui ſeruentauſſi à la châbre appellez Aſongleanlar,
† enfans fauorits,ouscialangar,familiers , bien que de moindre credit que lesdeſſus
§ dits; leſquels de cinq en cinqà la fois font la garde en l'antichambre : & ont cinq ou
• ſix
l'Hiſtoire de Chalcondile. 359'
ſixducats le mois, ſans leur nourriture,veſtemés, & monture aux deſpens du Prin
:: ce. Leur chef pareillement eſt Eunuque, dict Tauétaga, lequel a trois ducats d'ap Ta…iagº
poinctement par iour, & vne prouiſion de plus de ſix cens,aſſignée ſur le reuenu du
Timarou domaine des villages & hameaux deſtinez pour l'entretenemét des Cour
tiſans,auec de fort richesaccouſtremés & fourrures, & des cheuaux en l'eſcurie tels
qu'illuyplaiſt. Ces pages-ey ont la charge de nettover la chambre du Prince,& faire
ſon lict, qui n'eſt pas dreſſé ſur vne couche de bois hauteſleuée ainſi qu'à nous, nais TLeurc..
lict du
ilya en la chambre de ſon repos de riches tapis cairins, deux matterats, & vn lict de
plume de velours cramoiſi en lieu de couttis, auecvn cheuet eſtoffé de meſme, &
trois oreillers, des coctepointes pareillement,& le reſte de l'equippage conforme; le
tout roullé ſuriour à vn des coings de la chambre : Puis ſur le tard quand il eſt heure
d'aller dormir, ils eſtendent le tapiz, & les matterats ſoubs quelque pauillon ou ciel i
carré,ſelon les ſaiſons,& le plaiſir du Prince: & mettent premierement vn gros mat
teraz de cotton tenant comme lieu de paillaſſe,& pardeſſus le lict de duuet : Puis fi
nablement vn autre matteraz plus delié,& vne coctepointe qui enueloppe & bande
le tout.Les linceux ſont de fine toile de Hollande qu'on leur porte de ces quartiers
de pardeçà, & leur eſt engrande recommandation, encore que par la loy il leur ſoit
§ de ſe deſpouiller,& coucher entre deux draps de lin ne de châvre.tellemét
qu'au lieu de cela ils ont accouſtumé de veſtir de longues chemiſes, & des marineſ
§ mais le Prince,& les grands de ſa Cour ſ'en ſçauét fort bien diſpenſerainſi que
e beaucoup d'autres choſes : ſi que la rigueur de la loy comme en toutes eſpeces de
religions,tombe ordinairemét ſur les petits,& le commun peuple.Aucunefois pour
lachaleur ſi elle eſt grande,le dernier matteraz eſt reueſtu de camelot ou de ſatin, &
ſemblables eſtoffes plus fraiſches que n'eſt le velours; auec des linceux de taffetas
armoiſi.En Hyuer leTurc Solimá,à ce qu'on dit, lequel deceda en sö extréme vieil
leſſe ayât pres de 8o.ans, auoit de couſtume de ſe ſeruir en cet endroit de fines four
rures de martres,&de certains renars noirs,dont le poil eſt lög&douillet ſurtous au
tres,mais telles peaux ſontfortrares & cheres,couſtans 5o.ou 6o.ducats la piece.par
quoy on les reſerue de toutes parts où l'on les recouure pour le ſeul vſage du Prince:
Neâtmoins il me ſembleroit qu'il n'ya pas grãde delicateſſe,ny gueres de volupté &
amour, au prix du linge qui eſt ſans comparaiſon trop plus aggreable & plaiſant à la Le dormir du
chair.Ce lictainſipreparé loin des muraillesſi qu'on peut aller tout autour,&lePrin;| Turc.
ce couché dedans,ils allument deux flambeaux de cire vierge,l'vn au pied,& l'autre
aucheuet,de l'autre coſté qu'il ſ'eſt endormy: & ſ'il ſe tourne il les eſteignent, & al
# lumétles autres,afin que la lumiere ne luy donne dans les yeux, & luy empeſche ſon
repos : toutes leſquelles ceremonies pourroient bien auoir quelque lieu à l'endroict
d'vne perſonne mal diſpoſée, mais pourvn homme ſainelles me ſembleroient mer
ueilleuſement importunes. - - , - -

SvIv E NT quarante autres ieunes adoleſcens qui ſeruentàlagarderobbe dits od Oddoglandari


de gar
doglandari, pournettoyer & ſerrer les habillemens, leſquels ils mettent puis apres és vallets
derobbe.
mains de ceux de la chambre,& ont dix aſpres le iour,bouche à Cour,& deux habil
lemens de velours, ſatin ou damas tous lesans. Leur chefſ'appelle oddobaſi, qui eſt odiobaſti.
Eunuque comme lesautres, & a de prouiſion deux ducats par iour, auec trois cens
autres ducats annuels de Timar ou de reuenu aſſigné ſur les villages & caſals de la
Grece.Ceux-cy ſontemploiez outreplus à receuoir la viande àl'entrée de la ſalle,de
lamain des Ceſignir,ou porte-plats,quil'apportét de la cuiſine,& lavont de là preſen
ter au Scalque ou pannetier pour l'aſſeoir deuant le Seigneur,ſelon qu'ila eſté dit cy
deuant.Mais ces Ceſignirnonobſtant qu'ils ſoient des Azemoglans ne couchét pas däs
le Serrail,ainsàlaville ſous le gouuernemétd'vn autre Eunuque apellé Ceſignirbaſſi.
LL Y A dauantage au Serrail trente autres† dits les Chileroglandari,qui ſeruét chilereglauari
à la deſpenſe ſecrette, comme ila eſté dit cy-deuant,ſous la charge pareillemétd'vn
Eunuque dit Chilergibaſſi : leſquels ontbouche à Cour, & quelques huict ou dixaſ
ſpresd'appointementtous les iours,auec des habillemens deux foisl'an, & des mon
tures en l'eſcurie,carils marchétquant & le Prince lorsqu'il part de Conſtätinople.
ij -
-

36o Illuſtrations ſur


- Av R E G AR D des plusieunes Azemoglans, auant que de lesaduancer à aucune
† § charge, on les tient en nombre communément de cent ou ſix vingts, ſelon qu'il en
nouu º vient auTurc qui luyplaiſent, ſoit du tribut, ſoit de pris en guerre, ou donnez en
#" " preſent, dansl Engiodda ou maiſon neufue deſſuſdite,pour apprédre la langue Tur
queſque, & à lire & eſcrire en Arabe, combien que les Turcs de leur ordinaire ne
ſoient pas autrement gueres grands eſcriuains : Et pour ceſt effect y a quatre Hogea
larou Precepteurs en Arabe,appellez Shaich, qui y ſont entretenus ordinairement,
dont l'vn leur monſtre la premiere année à lirc : & faut noter qu'ils n'ont autres ca
racteres n'y eſcriture que l'Arabeſque; toutainſi que les François,Italiés,Eſpagnols,
Allemans, Suiſſes, Anglois, Eſcoſſois, ceux de Noruege, & Suede, & autres natiös
Ponantines & Septentrionales, eſcriuent chacune endroit ſoy leur langage d'vne
meſme lettre Latine : & eſt ladite eſcriture Arabeſque fort faſcheuſe & difficile à li
re & eſcrire, tant pour ce quelle ſ'eſcrit ſans voyelles comme l'Hebraique,que pour
ce que ce ſont la plus-part tous poincts, abbreuiatures, & liaiſons : ioint qu'ils ſont
tous aſſez lourds & mauuais eſcriuains, cöbien qu'ils n'ayent point d'impreſſion qui
> ' eſt le pis. L'autre Maiſtre leur enſeigne puis-apres à lire & apprendre par cœur quel
ques Axoares ou chapitres de lAlchoran,qui eſt le liure de leur loy,cöme à nous le tex
te du vieil & nouueau Teſtament: qu'il leur interprete en Turc vulgaire pour les
inſtruire & cathechiſerés principaux articles de leur creance : enquoy ils ſont fort
ſoigneux, voire parauanture plus que nous : afin que cela ne ſe puiſſe iamais plus ef
facer de leur ſouuenir.Il leur apprend par meſme moyen leursAXzalahou prieres,la
Mode de lite pluſparttirées dudit Alchoran. Le troiſieſme leur lit certains liures en langue Per
ºº *º ſienne. Et le dernier finablement quelques autres en Moreſque, & vulgaire Turc.
En liſantils hochent la teſte à tous propos : ce qu'aucuns attribuent à la difficulté de
( la prolation du langage : les autres veulent que ce ſoit pour la reuerence du nom de
Dieu qui y eſt fort ſouuent reiteré, ſi qu'ils branlentainſi la teſte par forme d'incli
nation : enquoy à laverité ilyabien plus d'apparence qu'à ce que deſſus : car c'eſt
choſe aſſez notoire comme nous le monſtrerons plus particulierement cy-apres,
que Mahometa emprunté la pluſpart de ſes traditions de celles des Iuifs; leſquels
Prieres iour- ſelon qu'il eſt eſcritauTalmud, au liure des Beracoth benedictions ou prieres, ſont
§§ obligez de dire pour le moins deux fois tous les iours, à ſçauoir en ſe leuant, & en ſe
Iuifs. ouchant,ces ſix mots icypris du 6.du Deuteronome : SE MA Is RA E L, AD oN A 1
† o H 1 M, AD oN A 1 EHA D. Eſcoute Iſraël, le Seigneur noſtre Dieu, eſt vn ſeul Dieu
& Seigneur. Et les proferer diſtinctement de labouche accompagnée d'vn cœureſ
- leué à Dieu. En prononçant leſquelles paroles les Iuifs branlent la teſte du haut en
† bas : & puis du coſté droictaugauche, enforme de croix, qui ſe fait en toutes leurs
benedictions.Tout de meſme lesTurcs à leurimitation vſent de ces hochemens de
· teſte, cncore qu'ils ne ſçachent pas bonnement ce qu'ils font, n'y à quelle fin : & ce
· la ſ'obſerue non tant ſeulementau Serrail, mais par toutes les eſcoles de la Turquie:
Superſtition ſi que pour le reſpect qu'ils ont au nom de Dieu, & aux choſes ſainStes il ny eſt pas
# permis à aucun Turc, Iuif, ny Chreſtien d'employer du papier ſoit eſcrit oublanc,
de re§ce à aucun ſalle & ordvſage, par ce (diſentils) que c'eſt oùl'on eſcrit le nom de Dieu:
& partant ont accouſtumé de recueillir ſoigneuſement tous les petits billets, mor
ceaux, & fragmens de papier qu'ils peuuent rcncontrer çà & là, & les mettre dans
des trous de muraille, non tant ſeulement pour la deſſuſdicte raiſon, mais pour ce
que Mahomet ayant eſcrit ſon Alchoran par petits ſchiffons & parcelles qu'il ca
choit de coſté & d'autre où il pouuoit, Axa ſa femme fauorite en recueillit la plus
grande partaprcs ſa mort dedans ces trous, dont depuis fut tiſſuë ſa loy : & de là eſt
venuë l'obſeruation deſſuſdite. - - -

Le reſpeaque QVA NP Vn enfantaacheué d'apprendre à lire, & eſcrire, car l'eſcriture n'eſt
§ les pas guere commune enuers les Turcs, ſes compagnons le conduiſent parmy la ville
# † iuſqu'à ſonlogis, chantans ſes loüanges auec de grandes & ioyeuſes acclamations,
VIC Z. luy marchant le premier de tous richemét veſtu & paré, ce qu'inuite les autres à gai
gner le temps, & ſaduancer d'apprendre. · . · · ·
-
l'HiſtoiredeChalcondile. 36t
Les -----
A2 E 1.M o GL A N s deſſuſdits ont la premiere annce deuxaſpres le iour,
• - ," 7-1- - - - - ». la» , ſe- ieuncs
Prouiſion des
Azenoº.
conde trois, la troiſieſme quatre, & ainſi vont croiſſans de gagesauecques ! aage,iuſ-†
qu'à huict ou dix, qu'ils peuuent mettre en eſpargne & reſerue : carils ſont nourris §
aux deſpens duTurc, & habillez d'eſcarlatte vne foisl'an : Pour le chaud on leur
donne quelques legiers veſtemens de toile. Leurs maiſtres ont dc dix à douze aſpres -

lc iour,auec quelques accouſtremens,ne leur eſtant permis au reſte de chaſtier leurs †† -

diſciples plus d'vne fois chaſque iour, & encore auec vnc petite houiſine deliée & §
mince, dont ils leur donnent quand ils faillent ſoit à apprendre leur leçon, ſoit à ra
ger,ou autrement,iuſques à dix coups,& non plus,ſur la plante des pieds, par deſſus
leurs brodequins toutesfois, que ſimeus de cholere ou de felonnie ils excedoient,
comme fontaſſez ſouuent & mal à propos quelques mal-aduiſez ignorans pedants
parmy nous, iuſqu'à deſchirer inhumainement de pauures enfans, penſans par là ſe
monſtrer plus habiles hommes , on leur coupperoit la main ſur le champ : auſſi de
leur pardonner trop legerement,il n'y pend que d'eſtre depoſez de leur charge,ſom
me qu'il faut qu'ils y procedent par meſure. Qy AN D ils ont fait leur apprentiſſa
ge,ils ont accouſtumé de faire preſent à leurs maiſtres de quelques huict ou dix du
cats qu'ils ont eſpargné de leurs appointement deſſuſdit : leſquels partiſſent cela en
tre eux quatre,autant ſont-ils de pedagogucs,qui font vne bourſe commune.
DE LA ces ieunes garçons paſſent puis apresau ſecond logis, où on leur monſtre
à tirer de l'arc; ioüer des armes à leur mode , & picquer les cheuaux , enquoy ils
n'ont pas tant de ſubtilitez &addreſſes que les Italiens,excellens en ceſte profeſſion
pour le iourd'huy, & encore plus autresfois puis cent ans en ça, ſur tous les peuples
de la terre : car il ſuffitauxTurcs de ſe bientenir à cheual,encore qu'ils cheuauchët
fortcourt, paſſer vne carriere à toute bridde; & en courât aſſener droitvn coup de
fieſche, ou de iauelot, au lieu deſtiné, & l'y enfoncer fermement; ſe haulſer deſſus -

les eſtriefs, & delà ramener quelque grand fendant de leurs cimcterres lourdes &
peſantes au poſſible;dont le coup en eſt tant plus fort : & faire tourner à propos leurs ".

montures, nonobſtant que pour la pluſpart fortes en bouche, & non ſiaiſées à ma
nier que les noſtres de pardeça,on leur monſtre encore par mcſme moyen quelques
lettres ſelon qu'ils y ſont plus ou moins cnclins & addroits , & meſmement de la
loy,& des diſciplines humaines; comme des mathematiques, philoſophie, & Poë
ſie,dont ils ont quelque vſage auſſi bien que nous; horſmis de la Rhetorique qu'ils
appellent Mantic; mais ils l'eſtiment eſtre ſuperflue & inutile, parce qu'ils ne font
pas profeſſion d'haranguer, ains eſt leur parler court, ſimple & rond ;auſſi n'ont-ils
point de procez ny de differends, ou s'ils en ont ils ſe vuident tout ſur le champ, de
meſme comme à nous és Conſuls, ſans vſer de tant de formalitez, & de ſubterfu
ges, de l'hiſtoire,ils ne ſyadonnensgueres, eſtimans que la pluſpart doibuenteſtre
fauſſes,ou deſguiſées,pour le dangerauquelon peut encourir en eſcriuant la verité.
OR devoirainſi inſtruire & exerciter ces ieunes enfans, c'eſt l'vn des principaux PlaiſirduTure
plaiſirs du ſeigneur en ceſte ſienne ſolitude, ce qui fait que luy meſme les choi-º
ſità ſavolonté, pour lesappeller pres de ſa perſonne, ſelon qu'il les peut cognoiſtre
eſtre les plus propres, & à ſon gouſt : & aaccouſtumé de leur faire diſtribuer quel
ques quarante ou cinquante ducats,auec vn habillement de broccador,& coiffeure
plus ou moins riches comme illuyplaiſt, quand il les tire de ces eſcoles & logis, à
chacun deſquels lieuxpreſide vn Eunuque pour ſeprendregarde de tout, qui a vn
ducatleiour,& des habillemens deux fois Pan : & ſoubs luy vingt autres Eunuques
moindres qu'on appelle Capioglans, appointez de douze à quinze aſpres par iour, & aapioglant,
departis par des chambrées,où ils dormentaupres des enfans, pour leuradminiſtrer
leurs neceſſitez; & ſe prendre garde qu'ils ne commettent quelques deſordres l'vn
enuers l'autre;dont le taire eſt plus honneſte que n'eſt le dire & eſclaircir plus auant.
VoILA l'ordre à peupres du Serrailence qui depend des Azemoglans,& des pa
ges,& Eunuques que le Turc employe au ſeruice de ſa perſonne : outre leſquels il y
#ncore quelques Pallegä,porte-bois ou vallets de fourriere: & douze Sacquaz ſoubs palai
lacharge d'vn Sacquabaſi, ou ſert de l'eau,leſquels ont de ſix à huictaſpresſe iour : & sººººz
K K iij
-

362 · Illuſtrations ſur .


ſont habillez tous les ans vne fois de gros drap bleu. CesSacquats fourniſsét d'eau au
Serrail,où ils la portent çà & là és cuiſines,boullangeries, bains,lauandiers, & autres
offices, ayans à ceſte fin chacun deux mullets, auec des ouldres de peaux debuffle,
parce qu'ils n'vsët point de barraux, & autres séblables vaiſſeaux tels que nous auös.
Leur Chefa quinze aſpres le iour, & vn habillement paran, d'eſcarlatte ou brocca
dor, mais bien ſimple : C'eſt luy au reſte qui fourniſt d'eau pour la bouche, tant és
Serrails en temps de paix & de repos,qu'à la guerre au camp, & encore pour le com
mun, d'autant que le vin eſt defendu au Mahometiſme: tellement que par toute la
Turquie,& autres contrées de l'obeiſſance du Turc,ilyagrand nombre de ces Sac
quaz, qui vont & viennent de lieu à autre, és places publiques des villes & bourga
des,& le long des grands chemins, auecvn ouldre de cuir pendu en eſcharpe, plein
d'eau de fontaine ou ciſterne, & vne taſſe de letton, dorée ou damaſquinée par le
dedans,où ils mettent encore des Capis-lazuli,iaſpes, agathes, caſſidimes,cornali
nes,& autres telles pierres fines,pour rendre par là l'eau tant plus delectable; dontils
preſentent à boire par charité à ceux qu'ils rencontrent; leur monſtrans par meſme
moyen vn miroüer pour les exhorter de penſer à la mort : Pour lequel pitoyable offi
ce,ils n'exigent rien, trop bien ſi on leur preſente quelque piece d'argent ils la pren
nent, & en recompence arrouſent le viſage de ceux qui leur donnent, de quelque
eau roſe, naffe, ou damaſquine, auecvne petite fiole qu'ils portent à ceſte fin dans
leur pannetiere: & font encore preſent parfois,s ilsvoyent que le perſonnage le me
rite,de quelque pomme d'orenge,citron,ougrenade, ou d'vn bouquet, ou ſembla
ble choſe de la valeur d'vn Mangorqui eſt lahuictieſme partie d'vnaſpre, à ſçauoir,
vn denier & maille, qu'ils hazarderont volontiers, ſoubs eſperance d'en tirer deux
ou trois aſpres. Somme qu'ily peut auoir d'ordinaire dans le Serrail du Turc à Con
ſtantinople,de cent à ſix vingts Eunuques,& trois cens que ieunes Azemoglans ap
prentifs,que pages deſia employez au ſeruice du Prince, ſans cinq ou ſix cens iardi
niers,tous enfans de Chreſtiens auſſi,& Ienniſſerots. Quant à ceux-cy, parce qu'ils
ſont endurcis aux trauaux & meſ-aiſes : car leur viure eſt fort miſerable & chetif, &
couchent ordinairement ſur la dure,outre ce qu'ils ſont en vn labeur continuel, au
artir de là ayans atteintl'aage de vingt-quatre ans ils paruiennent communément
à eſtre § meſmement pour la marine; le Chefdeſquels eſt le Bºſfangibaſſi
qui eſt fort fauorit & priué du Prince, & pourueu la pluſpart du temps du gouuer
nement de Gallipoli,d'vn fort grãd reuenu & profit,parce que c'eſt l'vne des princi
ales clefs & aduenues de toutes les mers de delà, comme eſtant ceſte place aſſiſe
ſur le deſtroit où ſe vientreduire la Propontide de ſa largeur & eſtendue,au canal de
l'Helleſpóte,autrement le bras ſainct George : parquoy il faut que tous les vaiſſeaux
qui vont & viennent,paſſent par la mercy de ce lieu, & y voiſent moüiller l'anchre
pour yeſtre reuiſitez, outre ce que c'eſt le plus frequent paſſage de la Grece en l'A
pºtni, Admi- gnisbaſſa,
ral.
natolie, voire de toute
Admiral l'Europe
ou general de en Aſie.Ce Boſtangibaſſaencore paruientà eſtre De
la marine. | -

IL ya d'autrcs Azemoglansaufſi nourris d'ordinaire en Pera, Andrinople, Burſe,


& ſemblables lieux où il ya quelques Serrails, mais ils ne ſont pas ſi fauoriſez, bien
entretenus, nyaduancez comme ceux de Conſtantinople, qui ſont continuelle
mentaupres de la perſonne du Prince.
Mededeme-, QvAND doncquesilyaquelqueiuſte nombre de ces ieunes Azemoglans preſts
§ de - à eſtre mis hors de page & du Serrail, ce qui aduient communément de deux en
† deuxans qu'on fait vne reueuë de ceux qui ſont en aage d'en ſortir : car lors les qua
# ' tre principaux Eunuques ſ'en vont par toutes les chambres , où ils mettent à part
ceux qui leur ſemblent les plus aduancez, & des autres qui reſtent, ils entirent les
plus plaiſans & agreables, & les mieux inſtruits&appris, tant de la petite que de la
ande maiſon,& les mettent à celle de la credence, & du threſor : de meſime ceux
qui leur ſemblent dignes d'eſtre receus pres de la perſonne du Prince, ils les y eſta
bliſſent, tantqu'ils ſoient enaage de ſortir du tout hors du Serrail : car ils montenF
ainſide degré en degré,ſelon que leurs ſages & adroits comportemés,ouleur
-

3C1ll lIl
-
- v,

2 - - 22

l'Hiſtoire de Chalcondile. 363


aduanture les pouſſent : mais l'abſolutvouloir du ſeigneur, qui la pluſpart du temps
fait luy-meſme ce choix & eſlite , eſt-ce qui peut le plus en cela, bien que la recom
mandatiö & rapport des † ſelon qu'il leur plaiſt les fauoriſer,y ſeruent auſſi
non de peu.Ceſte reueuë paracheuée,le grand Capigi luy va dire, deſormais eſt venut
le temps treſ-puiſſant monarque,que tels & tels vos eſclaues, qui prient continuel
lement pour la ſanté & proſperité de lamaieſté voſtre, & de voſtre eſtat, ſortent de
voſtre heureux Serrail pour les departirés lieux où il plaira à voſtre ſublimité de les
enuoyer & les mettre, pour les promouuoiraux charges de voſtre tres-humble ſer
uice dont voſtre bon plaiſir ſera les gratifier.A quoy il reſpond s'ill'a agreable,Nolhah
ſoitainſi,ou ſoit fait. Et lors ils ſe mettent tous au meilleur ordre & equippage qu'ils
peuuent pour luyaller baiſer les mains,eſtant à l'entrée de ſa ſallette aſſis parmy des
couſſins,ſurvn riche tapisTurqueſque engrandmaieſté,la main droitte ſur ſon poi
gnard,& le bras gauche reployé ſur le flanc,ſon arc & ſon carquois bien garny de fle
ches à coſté de luy ſur vn oreiller : & luy viennent en merueilleuſe reuerence baiſer · •·

qui le pan de ſarobbe, qui les pieds, ſans mot dire Apres qu'ils ont tous fait ceſte ſºutes choſei
ſubmiſſion,illes ſalue gracieuſement d'vn tour de teſte, auquelils correſpondent †"
parvne inclination iuſqu'aux genoux,remercians Dieu qu'ils ſortentainſi en ſa bö- quées,
ncgrace hors de ſon Serrail,& de le voir ſain & ſauue. Là deſſus il leur fait vne ſuc
cincte remonſtrance,qu'ils perſeuerent à bien faire leur debuoir és charges où il pre
tend les employer & aduancer ſelon qu'ils ſe comporteront : & au reſte de tenir ſe
cret ſans le reueler à perſonne, tout ce qu'ils peuuentauoir cogneu &apperceu du
rant le temps qu'ils ont pris leur nourriture en ſa maiſon: & ſurtout d'eſtre touſiours
& perſeuerer à eſtre bons & fideles Muſulmans, ſans iamais ſe deſuoyer de la loy &
doctrine de leur ſainct prophete, à quoy ils ſe ſont obligez par vœu & ſerment ſolen
nel,en leuans le doigt en ſigne de ce,& receuans la Circonciſion marque exterieure
de leurcreäce.Cela fait,& leur ayanteſté deliuré à chacun vn habillemêt,& vn bon
cheual ſelon leur degré, auec quelque ſomme d'aſpres & de ſultanins, & vn ſerre
teſte de la valeur à quelques vns de trois à quatre cens eſcus, pour mettre en leurs
bonnets : car ils ne portent point encore de turbans , ils ſ'acheminent à la ſeconde
porte où leurs montures les attendent,& mettans le pied àl'eſtrier ſ'en vont en grâd
triomphe & allegreſſe, iettans à poignées les aſpres qu'ils ont pour cet effect dedans
leurspoches & mouchoirs tantqu'ils ſoienrarriuez au lieu à eux deſtiné : car à cha
cun eſt ſon rang aſſigné,auec la ſolde qu'ils doiuentauoir : Parquoy ils ſont cöduits
parles Capigi ou archers de la porte deuers l'Aga des Ianiſſaires, auquel ils baiſent la
main : & delà aux Saniaques,Beglierbeys, & Baſats, pour ſçauoir d'eux où il faut qu'ils
ſereduiſent,& lesyintroduire.communémentils viennent à eſtre Selictars,Spanglis,
Chaoux,& autres tels gens de cheual, auec prouiſion de vingt à trente aſpresle iour,
& leurs Oddobaſi, Caps deſquadre, ou Chefs de chambrées quarante ou cinquante.
Mais les trois pages deſſuſdits qui portent lavaliſe,l'arc,& le vaſe, ne ſortent qu'vn à
lafois : & ſont au partir de làfaits imbraourbaſi grand Eſcuier,ou Capigibaſ Capitai
ne de la porte,ayans de trois à quatre ducats par iour, auec deux ou trois mille autres
ducats,& encore plus de Timar, ou reuenu annuelaſſigné en fonds de terre : ou bien
ſont faits Saniaques & gouuerneurs de prouinces , ou autrement aduancezà de
tres-honnorables charges,& de grand profit & authorité.
MAIs auant que ſortir du Serrail & enclos du Prince,il vaut mieux tout d'vn train
Pourſuiurele reſte : car ces pallais ſont fournis & accommodez de toutes choſes ne
ceſſaires,comme pourroit eſtre quelque bonne ville : & en premier lieu il y a vingt
lauandiers ordinaires appellez les Chiamaſtir, dont les deux ſont deputez pour blan- chiamăſtir.
chir ce qui eſt de la perſonne & bouche du Prince : & le reſte pour le commun, leſ- Lauand§.
quelsont ſix aſpres leiour, & les deux du corps douze, auecquelques habillemens,
ſans autres droits, profits ne practiques quelconques, fors les vieils linceux & che
miſes.On leur fourniſt quelques cinqouſix caiſſes de ſauon, carils n'vſent point de
leſfiues de cendres comme nous faiſons, ce qui cauſeroit à raiſon de lagraiſſe&on
ctuoſitéduſauon,vne merueilleuſe vermine & ſi ce n'eſtoitle frequent vſage qu'ils
364 · Illuſtrations ſur
ont de ſe baigner de iouràautre,ils ſeroient mangez de poulx : au † dequoy les
petits compaignons ont accouſtumé de porter des chemiſes teintes de bleu, ou au
tre couleur qui empeſche leur procreation ; ainſi que les Reiſtres pour le meſme ef- .
Bains & eſtu
fect font boüillir les leurs en de la ſuye & du ſel deſtrempez auec du vinaigre.
ues du Serrail. A PR o P os de ces bains, il y en a vn en certain endroit du Serrail, dans vn pauil
lon voulté & couuert de plomb, ſi ſpacieux que deux cens perſonnesy pourroient
demeureràl'aiſe, auec force chambres & cabinets alentour pleins d'eau chaude &
froideau milieu de ce bain ou eſtuue qui eſt continuellement reſchauffée,& dont la
voulte eſt en cul de four enrichie de muſaique, & par embas pauee d'vne maniere
de marqueterie de petites pieces de marbre, & ſemblables pierres de diuerſes cou
leurs,il y a vn baſſin de fontaine,qui eſt de marbre blanc eſlcué à la haulteur de huict
ou dix pieds, auquel par certains conduits deſſoubs terre ſe vient rendre vne eau
freſche au poſſible, qui delà ſ'eſpend par toutes les chambres : & là aupres eſt vne
grand'aulge de pierre, dans laquelle ſe rapportent deux robinets, verſans l'vn de
l'eau chaude, & l'autre de la froide, tellement qu'on les peut recontemperer com
me on veut. Ilya en outre en ceſte eſtuue vn cabinet ſeruant de bain, paué de mar
bre, & remply d'eau tiede à la hauteur de quatre ou cinq pieds, ſi qu'on ſ'y peutre
creer meſme en nageant, & de là ſ'en aller rafreſchir dans l'autre d'eau froide. Là ſe
va baigner le Seigneur quand il veut,au lieu qui eſt ſeul reſerué pour ſa perſonne : &
· en tout le reſte ſes domeſtiques ;y ayant douze hommes prouiſionnez de huict à dix
aſpres, qui tiennent continuellement le tout preſt & appareillé: carles Turcs ſe la
uent preſqu'à toutes heures, tant pour la diſette qu'ils ont de linge, que pource que
la loyle commande : principallement le Ieudy, parce que c'eſt la veille du Vendre
dy, qui leur eſtcomme à nous le Dimanche : & ce àl'imitation, ainſi que beaucoup
d'autres choſes, des eſcritures Iudaïques : car Iob au premier chap. ſanctifie ſes en
fans chaſque ſeptieſme iour de la ſepmaine, afin qu'ils puiſſent le lendemain iour du
Sabbat aſſiſterau ſacrifice : & ce par certaines luſtrations & lauement la nuict prece
dente,laquelle ils veilloient,à raiſon dequoy les Iuifs qui vindrentapres appellerent
· ceſte veille qui ſe faiſoit le Vendredy, Herub, aſſauoir la paraſceue ou preparation,la
Sultane a auſſi ſes eſtuues à part dedans ſon pourpris & enclos, pourelle, & pour ſes
· damoiſelles.
Echin,mede
· DANs le Serrail ſont auſſi entretenus d'ordinaire dix Echin ou medecins,dont les
cins du Serrail. trois ſont ordinairement Iuifs, & dix Geracler chirurgiens & barbiers, qui ont cha
Geracler,
chirurgiens.
cun douze aſpres le iour pour panſer les malades & bleſſez, lauer la teſte, tondre &
raire tous les Ieudis aux ieunes gens du Serrail; (le Turc a ſon barbier à part)neau
moins la pluſpart de ſes pages, & nomméement les fauorits ne ſe tondent pas, ains
portent leurs perruques & treſſes entieres,auec meſmes des paſſefillons. Les mede
cins au ſurplus, & les chirurgiens n'oſeroient mettre la main à perſonne pour les
panſer,ſans en auoir eu premierement congé du Seigneur; non pas meſmearracher
vne dent, ſur peine qu'on leur en tiraſtvne en contreſchange. Mais ce ſeroit trop
longue & ennuieuſe choſe de vouloir parcourir tous les autres officiers & artiſans:
Therſler, cöme les Therſiler, ou tailleurs, en nöbre de plus de trois cens, qui ſuiuent le Prince
tailleurs.
- quelque part qu'ilaille,fuſt-ce à la guerre, & ſont montez à ſes deſpens, ayans huict
ou dix aſpres le iour pour leur viure, & ſont outre cela payez de toute labeſongne
qu'ils font. Mais il y en a trente quine trauaillent que pour le Prince, & les autres
ſont pour ſes domeſtiques,quelques vnsauſſi pour le Serrail des femmes.
Ciumgeler, IL ya outre-plus quelques ſoixante dix Ciumgeler, ou orfeures, dont les maiſtres
orfeures. ont dix aſpres pariour,lesſeruiteurs cinq ou ſix : & ſont payez de leurs ouurages, les
vns eſtans Perſiens & libres : & les autres eſclaues du Prince, ayans tous neaumoins
leurs boutiques au cœur de la ville,& au Bageſfan.
Les trompet- . L E Tv Rc entretient outre-plus d'ordinaire plus de cent cinquante trompet
tes du Turc.
tes,clerons,fiffres,haulbois,cornets,tabourins à leur mode,qui ont de douze à quin
· zeaſpres le iour, deſquels trompettes & clerons il y en a trente deputez ordinaire
· ment pour Conſtantinople, quinze aſſauoir ſur vne haute tour aupres du Serrail, &
M. - quinze
l'Hiſtoire
5 • -

-- -

de Chalcondile. · 365
quinze àvn autre bout de la ville, leſquels ſonnent à deux heures denuict : Cela fait
perſonne n'oſeroit plus aller par la ville, autrement ſile Subaſci, qui eſt comme le -

cheualier duguet, les rencontroit, il les conſtitueroit priſonniers, & condamne- ,


roitàl'amende. Ils ſonnent encore le matin à la Diane vne heure auant iour. Il y
en a vne partie en Pera , & le reſte eſt pour accompaigner le Seigneur au camp. -

Mais nous en parlerons pºus à plein cy-apres , auecques les deux cens Ciaderme- ca irmttt !
den, ou Tchtiers, & leur Chef Metarbaſcia, leſquels dreſſent les tentes & pauil-tentiers.
lcns. , • -

To v ràce
pourvenir que deſſusde
la ſpirituelle concerne le corps,
ces infidelles & les commoditez
barbares, il ya dedans letemporelles, mais †
Serraild'ordinai- #† Ul

requarante
leur Taliſmans
pſalme dit Ezeam,leurs
ſi longminiſtres,
qu'il fautdits
plusparticulierement Eneangiler,
d'vne bonne heure à le dire.deCeux-cy
certain Eneangiler.
Taliſmanº
ne ſont pas eſclaues mais Turcs naturels, qui ont cinq aſpres par iour pour leur pei
ne & viennent tous les matins au Serrail, ſi toſt que les portes en ſont ouuertes, où
s'agenoüillans tous en rond dans la Moſquée qui y eſt, chacun leur liure au poing,
ſe mettent à lire à haute voix ( les Eſpaignols diroient, Rezar) le deſſuſdit Pſal
me, auec quelques autres menus ſuffrages à leur façon, le tout fort poſéement
& diſtinctement : car il y a là des ſuperieurs qui les contreroollent & ſurueil
lent, à ce qu'ils n'obmettent rien , & ne fourehent d'vne ſeule ſyllabe. Les relle eſtoit
Turcs ont fort grande deuotion & creance à ceſte forme de priere, & trouuent 1'ancienne
dans leurs liures que la diſans quarante fois, ils impetreront de Dieu toutes leurs † #
requeſtes, voire qu'en quelque tribulation & aduerſité qu'ils puiſſent eſtre, ils §
en ſeront ſoudain deliurez. Parquoy le Turc les fait venir en nombre de quaran- †s
te pour le dire pour luy tous les iours durant ſa vie, & apres ſa mort font le meſ- † ſlUlX

me ſur ſa ſepulture pour le ſalut de ſoname: car les Turcs admettent les prieres pour #
lestreſpaſſez : & cecy eſt ordinairement compris és fondations de leurs Moſquées §le
& hoſpitaux dits les Amarats. - · - - · †
· MA 1 s pour retourner encore à ce qui concerne le ſeruice de ce grand Scigneur †.
Turc pour ſa perſonne, ils entretient ordinairement à ſa ſuitte quatre vingts ou
cent Peichs,
cntr'eux ou lacquais,
courir vn bruit les
queplus
pourexcellens ccureurs
les entretenir de tous
en vne autres,
ſi longue ſi qu'ilsilfont
haleine, y a Peichs.lacquais
du Turc.

certain ſecret non vulgaire, ny cogneu


-
-
$> à d'autres † ; de leur faire oſter ou
- - --
-

conſumer de ieuneſſe la ratte, ce qui eſt paſſé par forme de ſobriquet iuſqu'aux
noſtres, leſquels quand on les void trop lourds & peſants, on dit qu'il les faut
deſratter : la pluſpart de ces lacquais ſont Perſiens de nation , ainſi que les baſ
qucs à nous, qui ſont communément les meilleurs que nous ayons point, tant
Pour la ſobrieté de leur viure, que pour leur legiere & diſpoſte taille, ioinct le
continucl exercice, à quoy on les employe & accouſtume par maniere de dire Leuthabille.
dés le berceau. Ces Peichs ont de douze à quinze aſpres le iour, courtementha-m§.
billez au reſte, d'vne cazaque à l'Albanoiſe,iuſte au corps, de ſatin rayé, ou da- -
mas, de diuerſes couleurs mais plus communément de vert,.dont les pans de : ·

deuant qui s'allongent en pointe, ſe viennent recueillir & trouſſer à vii Gothiach, †º
c'eſt vn large tiſſu, ou longiere de linge, ou †
ſoye enrichie d'or, d'argent, & §q§
ouurage fait à l'eſguille, lequel leur ſert de ceincture faiſant deux ou trois tours !
autour du corps : & par le derriere ceſte cazaque eſt toute ronde , & à plein
fonds, leur venant battre ſur les iarrets, leurs chauſſes ſont toutes d'vne venuë
ainſi que de tout le reſte des Turcs, & plus longues beaucoup qu'elles ne doib
uent, afin de faire pluſieurs replis, à maniere de courquaillet, comme des bot- *

tes à l'Allemande : & par deſſus paſſe leur chcmiſe d vne fine toille de cotton
blanche. Mais ils portent communément vne mutiiere de garderobbe de taf
fetas, fronſſé menu vers la ceincture , lequel arriue iuſqu'à myiiambe, & re
trouſſé & ouuert par deuant, pour ne les empeſcher de courir En la teſte ils --

ont vn haut Bourc, ou bonnet pointu , qu'ils appellent particulierement en leur #


langue Scuff, mot (fort approchant du ſcoffion Italien )
-
ºs , auecº
L
366 Illuſtrations ſur
vn fourreau de la meſme eſtoffe, doré & garny de pierreries partie fines, partie
faulſes, ſelon leurs facultez & portee ; duquel part vn gros flot de plumes d'ai
grettes, accompaigné de pluſieurs autres moindres pennaches d'Auſtruche de di
uerſes couleurs, le tout enrichy de paillettes d'or & d'argent, de perles, & de
Biºiº poi- grenats, qu'il fait fort bon veoir. A leur ceincture pend le poignard dit Biciach,
†º emmanché d'yuoire, & la gaine d'vn cuir de poiſſon rare, auec l'Anagiach, ou
A§h peti petite hachette damaſquinée en la main droitte, d'vn coſté ayant vn marteau, &
º de l'autre vn large trenchant, & en la gaulche vn mouchoüer plein de dragées
& confitures pour ſ'en humecter la bouche, & oſter l'alteration en courant.Ces
lacquais ainſi equippez trottent ordinairement deuant le Seigneur, quand il va
dehors , ſautellans à caprioles, bonds , & fleurets , pour monſtrer leur diſpoſi
tion , & haleine, ſans aucune intermiſſion ne relaſche : & ſi d'aduanture ils ſe
rencontrent en quelque prairie ou belle † raze , alors tournans la face
deuers luy ils vont à recullons ſur la pointe des pieds, chantans ſes loüangesen
tremeſlées de ioyeuſes acclamations & ſouhaits pour le maintenement de ſa proſ
perité & grandeur. Ils luy ſeruent auſſi à portet çà & là ſes meſſages & depeſ
, , ches : mais d'vne diligence nompareille , car ſi toſt qu'ils les ont receües, fai
ſans vne profonde reuerence, ils ſe mettent indifferemment à bondir à trauers
la preſſe à maniere de daims, ou cheureux, en criant ſauli, ſault, gare,gare, &
ainſi vont galloppans iour & nuict ſans prendre repos iuſques où ils doibuental
ler, ſi qu'ordinairement ils iront de Conſtantinople à Andrinople, où il y a de
trente-cinq à quarante lieuës, & retourneront en deux iours & deux nuits, qui
ſeroient bien quarante lieuës par iour, & encore à continuer. Theodore Can
tacuzene gentil-homme Conſtantinopolitain certifie en ſes narrations Turqueſ
ques, que luy preſent vn de ces Peichs fit gageure durant les chaleurs du moys
d'Aouſt d'aller d'Andrinople à Conſtantinople entre deux Soleils, ce qu'il ac
complit par effect. Mais cela n'eſt pas du toutincroyable , car ie ſçay au vray qu'il
n'y a point vingt trois ans qu'vn grand lacquais du feu Viconte de Polignac aa
gé deſia de plus cinquante, vint du Puy en Auuergne à Paris, où il y a pres de
cent lieuës de l'vn à l'autre, & retourna en l'eſpace de ſeptiours & demy, ſi qu'on
l'eſtimoit faire ces grandes traictes par quelque voye extraordinaire outre le com
mun cours de nature , aſſiſté de quelque eſprit familier , ie le rencontray allant
lors en poſte à Rome Secretaire pour le Roy Charles neufieſme en Italie pres la
Charité enuiron la fin de Iuillet, l'an mille cinq cens ſoixante ſix, & me mis
tout exprés à le ſuiure, rebrouſſant chemin vers Paris où il alloit, vne gaule
blanche à la main , par plus d'vne bonne lieuë , pour veoir à l'œil ce que ſ'en
eſtoit ; mais ie le vis arpenter auec ſes grands iambes : car il eſtoit fort bien fen
du, de telle ſorte deuant moy qu'il s'en forlongea aiſéement, ores que ie preſ
| ſaſſe au grand gallop mon cheual, qui n'eſtoit des pires, au moyen dequoy ie
- iugeay qu'il n'y auoit autre ſecret, ny enchantement en ſon faict, qu'vne diſpo
ſition naturelle en ce grand corps aduantageux, accompaignée d'vne haleine
longue , ioinct ſa ſobrieté, & auſſi qu'il ne s'arreſtoit aucunement en nulle
part , & ne repoſoit que quatre heures en toute la nuict, & le iour il gaignoit
pays.
IL ſeſt veu aſſez d'autres lacquais faire de grandes diligences, du tempsmeſ
me de Henry ſecond, qui l'ont accompaigné allant en poſte de Paris à Bloys, où
ie me ſuis quelquesfois trouué ſans oncques perdre ſon eſtrier, nonobſtant qu'il
· n'y miſt qu'vn iour & demy.
. MA1s pour retourner à ces Peichs, on dit qu'il fut vn temps qu'allans tous
deſchaux la plante du pied leur eſtoit endurcie de ſorte, qu'ils ſe faiſoient ap
pliquer en lieu de ſemelles ordonnées ſur le col du pied , & cloüer à trauers
le callus, qui s'y eſtoit procrée, de petits fers fort legiers, tout ainſi qu'à des
cheuaux : & pour mieux encore ſ'y conformer, en courant tenoient touſiours
· dans la bouche certaines ballottes d'argent creuſes & percées en pluſieurs en
- droits,
1, " , • V, - · i i , A -
l'Hiſtoire de Chalcondile. 367
droits, tout ainſi que le bout d'vn canon d'vn ieune poullain, pour la leur te
nir freſche, en lieu de mellons patenoſtres, & ſemblables termes de mords que
practiquent les eſperonniers : ayans au reſte tout plein de cymbales & petites clo
chettes pendues à leurs ceintures & iarretieres qui rendent vn ſon melodieux &
plaiſant. - -

Vlachs,cour- .
LE Tv Rc a encore d'autres courriers à cheual dits Vlachrar, non qu'il y ait en riers à cheua!.
aucun endroit de Turquie des poſtes aſſiſes ainſi qu'à nous , mais quand leur che Calchondyle
ual eſt recreu, le premier paſſant qu'ils rencontrent, Chreſtien, ou Iuif, & Turc au 9. liui e,
encore illuyfaut mettre pied à terre ſans conteſter : car la vie y pend, & qu'ils le
fuiuent à beau pied s'ils le veulent r'auoir, ſans qu'il leur ſoit loiſible de monter
ſur celuy qu'il aura laiſſé, ains demeure là en plaine campaigne à la mercy des beſtes
ſauuages,ou à ſe morfondre & ſe perdre, au moyen dequoy pour ſ'en redimer on
eſt contrainct de leur donner quelques ducats, plus ou moins ſelon la valeur de la
ſ, monture , ſi aumoins la choſe ſe peut accommoder auec de l'argent , & que le
cheual du courrier ne fuſt encore trop haraſſé; car tous ceux qu'ils trouuent par les
chemins, combien que le leur futaſſez frais potir paſſer outre, ils vſentneaumoins
de ſemblables menaces, tellement qu'ils commettent infinis rançonnemens &
abuz : & ne vont que de iour ſeulement ; la nuict ils ſe retiennent au logis, à rai
ſon dequoy ils ne peuuent tant aduancer que les noſtres qui vont iour & nuict
ſans aucune intermiſſion, dont il s'en eſt veu d'eſtranges diligences, meſmement
: de l'Abbé Nicquet, lequela eſté de nos iours le plus fort courrier, & qui a duré le
- plus longuement que nul autre dont il ſoit memoire, caril eſt allé pluſieurs fois en
ſixiours quatre heures de Paris à Rome, oùily a pres de trois cens cinquante lieuës
comparties en ſix vingts poſtes. |
I L Y A puis apres les Peluanders, autrement Gureſ#, ou lučteurs, à quoy le Peluanders, ou
#ureſ$is,lu
Turc prend par fois plaiſir , & en entretient à ceſte fin quelques quarante d'or- cteurs.
dinaire, à dix ou douze aſpres le iour, qui vont veſtus d'vne longue iuppe de
drap, ceinte d'vne longiere ou large ceinture de toille barree d'or à la mode Tur
queſque : & par deſſoubs ils ont desgregueſques fort iuſtes, & iointes à la chair,
d'vn cuir oinct & liſſé, pour y auoir tant moins de priſe, qui arriuent au gras de
la iambe. En la teſte pour les diſcerner ils portent vne maniere de bonnet dit
Taquia, fait en forme de mouffle, ſemblable à ceux des Polonois, horſmis qu'il Taquia, b6net:
n'eſt pas pliſſé ſi menu , lequel eſt de velours noir, ou de quelque peliſſe d'ai
gneaux creſpes, de la meſme couleur, dont la bourſe panche à l'vn des coſtez, &
ſe vient rendre ſur l'eſpaulle. Ce ſont gens membruz, forts, & nerueux, & ad
droits au poſſible en ce meſtier, la pluſpart mores de la barbarie, indiens, ou Tar
tares, non eſclauesâutrement du Turc, ains libres, & de bonne-vogle, qui ſe con
tiennent en chaſteté pour eſpargner leur force & vigueur , à l'exemple des an
ciens Athletes & Pancratiaſtes qu'ils imitent en beaucoup de choſes, car ils s'ai
dent non ſeulement de clinquets, tours de bras, trappes, & crocqs en iambe pour
renuerſer leur aduerſaire, mais pochent quant & quant , mordent, eſgratignent,
& fonten ſomme du pis qu'ils peuuent, quand ils s'acharnent l'vn ſur l'autre, tout
ainſi que des dogues ſur des ours ou taureaux, ce quiaduientaſſez de fois, tant pour
l'ambition d'obtenir chacun endroit ſoylavictoire en lapreſence du Seigneur, que
pour la friandiſe de quelques ducats qu'il a de couſtume de diſtribuerà ceux qui
obtiennent le deſſus de leur apparié compagnon : & encore à l'vne & l'autre des
deux parties, ſi d'aduanture ils ont bien faict à ſon gré & contentement. Au par
tir de là pourſ'eſſuyer de la ſueur, ilsiettent vn barragan ou petite mante de cot
ton ſur le dos, billebafrée à treillis de fil bleu : & vont communément douze ou
quinze en trouppe, eſtans touſiours appareillez de preſter le collet à quiconque ſe
veut attaquer à eux.
L e T v R c entretient auſſi quelque nombre de Maccheia (&i, qui font des ef- #
forts merueilleux à tirer de l'arc , car ils perceront d'vn coup de fleſche non ſeu-§
L L ij
368 Illuſtrations ſur
lement le plaſtron d'vn corps de cuiraſſe de tres-bonne trempe, d'outre en outre,
ainsvne lame de cuiure de l'eſpoiſſeur de quatre doigts.I'envisvn l'an 1543.quel'ar.
mée de mer TurqueſquevintàToullon ſoubs la conduitte de Cairadin Baſſa,dit Bar.
berouſſe Admiral du grand Solyman, perceràiour d'vn coup de fleſche vn bourlet
de canon.Ilya tout plein d'autres manieres de gens en Turquie, quifont des choſes
excedans toute creance, comme noſtre autheur meſme certifie ſur la fin du hui
ctieſmeliure, dontil ſ'en reiterera pluſieurs cy-apres à la circonciſion du fils d'A
murath qui regne à preſent, /

-
-
:

D E LA PVISS ANCE
D V T v R C.
#E S T E maintenant de parler des forces de ce grand redoubté Mo
narque, tant par la terre que par la mer : leſquelles conſiſtent ainſi
< preſque que de tous les autres Princes & Potentats, de gens de chc
ual, & de pied , les vns & les autres de deux eſpeces : dc Turcs natu
pl,!$relsaſſauoir,& de Chreſtiens Mahometiſez, qui procedent tous du
Seminaire deuant-dit des Azemoglans, ou ieunes enfans qui ſe leuent par forme de
tribut ſur les Chreſtiens de trois l'vn en ames viuantes; & de ceux qui ſont pris en
guerre, ou qu'on achepte pour en faire preſent au Turc. Ceux qui ſont diſtribuez
de coſté & d'autre pour apprendre la langue Turqueſque, & les mœurs, & ſ'endur
ciràl'agriculture, ou à garder le beſtail : & pareillement les Boſtangi ou lardiniers, en
nombre de plus de quatre mille en tous les Serrails du Prince, quand ils ont atteint
l'aage de vingtcinqans, des plus robuſtes & martiaux on en fait le ſuppléement des
gens de pied : le reſte plus lourds & moins proprcs aux armes demeurentaux autres
exercices : mais les plus gentils & adroits qui rencontrentvne meilleure fortune, &
ſontreceuz & inſtituez pres de ſa pertonne dans les Serrails, paruiennent à eſtre hö
mes de cheual, qui ſont de pluſieurs ſortes de degrez, comme il ſe verracy.apres.
Quant aux gens de pied où conſiſte tout le principal nerf de leurs forces, toutainſi
qu'anciennement les Romains le ſouloient mettre en leur infanterie de legionnai
res, ils ſont tous d'vn ſeul mot appellez Ievnitzeri, auſſi bien ceux de la marine, que himologies
de laterre, tant à lagarde des fortereſſes, qu'aupres des Saniaques, & desgouuer- † §
neurs des Prouinces.carily en a touſiours quelques vns des plus anciens,bien qu'en zeri, -

petit nombre, comme à la Cour & ſuitte du Prince, qu'on appelle La Porte, où eſt la
groſſe maſſe d'iceux Ianiſſaires : ce qui pcutauoir induit quelques vns ſuiuant meſ
me ce qu'en touche Chalcondile au premier liure, de tirer l'ethimologie de ce mot
là, de janua porte, mais cela a plus d'affinité au Latin que nompas au Grec, Eſcla
uon,Turc, ny Arabe : ainſi la vraye deriuation de ce vocable Jennitzeri,bien qu'au
cunement corrompu,vient de la langue Tartareſque,Cham,qui ſignifie Seigneur,ou
Prince,mais les Turcs le prononcentTham,& de je,ſer eſclaue, comme qui diroiteſ
claues du Seigneur : non eſclaues toutefois de la meſme ſorte que ceux qu'on vend
ºn plein marché, leſquels ils appellent Coul, Coullet, ou Cul, ains comme deſtinezau
ſeruice du Prince,cöbien que par vne forme de reſpect & ſubmiſſion les Baſats meſ
mes ſ'appellent les Culi duPrince. Les autres tirent ce mot d'vne ville appellée sar,
dºntle Souldan Aladin, enuiron l'an de grace Ii8o.fit preſentàvnTurc de laracé
desOguſéens,alienédeſon entendement, pour auoir defait en camp clos vn cheua
lier Grecbraue & vaillant qui luyauoit tué tout plein d'hommes, ſi que Gianud (&ari
ºn langue Turqueſque ſignifie enfans de Sar, ou procréez en Sar. Amurath II. fut † #
le premier qui les inſtitua reiglez comme ils ſont encore pour le iourd'huy, ainſi †

ºn peut veoir au 5.de ceſte hiſtoire & ce en nombre de 8 ou dix mille,que ſon fils -

ºhemet lequel conquiſt Conſtantinople, & ſes ſucceſſeurs, augmenterent de


#º uſques à quarante ou cinquante mille : mais Selim fils de Baiazet les reduità
º mille, en ayantfaict maſſacrer les vns, & iecter les autres en vn ſac en l'eau,
L L iij

s
37o Illuſtrations ſur
craingnant qu'ils ne luyioüaſſent le meſme tour à le depoſſeder de l'Empire, que
par leur moyenilauoitfaità ſon pere, ainſi que ſouloient faire communément les
ſoldats Pretoriens aux Empereurs Romains,dont les Iennitzaires ſont en la pluſpart
vnevraye repreſentation & image, comme ceux qui introduiſent au ſiege Imperial
quand il vientà vacquer celuyquileur eſt le plus agreable, c'eſt à dire qui plus leur
donne,àl'imitation d'iceux Pretoriens , des enfans du Turc fautentendre lors qu'il
vientà deceder : car iuſquesicyla ligne maſculine n'ayant point encore manqué de
pere en fils en la race des Othomans Empereurs desTurcs,les Iennitzaires ne ſe ſont
pointauſſiingerez d'eneſtablir d'autres au ſiege Imperial que les enfans de leur def
funct Prince : lequel n'a pas pluſtoſt l'œil fermé, qu'ils ſe diſpenſent devoler tou
te la ſubſtance des Iuifs & Chreſtiens qui ſe retrouuét parmyeux, comme ſi c'eſtoit
vnbuttin qui leur fuſt acquis de bonne guerre : ſçachans bien que le tout leur ſera
ardonné du nouueau Seigneur, & qu'outre-ceils auront encore de grands preſens
à ſon aduenement à la couronne : ſans cela ils ne luy confirmeroient pas, & ne luy
preſteroient le ſerment de fidelité & obeiſſance.Neantmoins ce ne ſont pas à beau
coup pres les donatifs tels qu'auoient les Pretoriens, quitelle fois fut arriuerentà
cinq cens eſcus pour chacun : ſi que Iullian ſucceſſeur de Pertinaxachepta ſon Em
pire d'eux quatre millions d'or : là où il ne ſe trouue point que les Iennitzaires ayent
Solde & ap
plus eu à vne fois, de mille aſpres (ce ſont vingt eſcus) pour homme, que leur don
oinctement nerent Selim, & apres luy ſon fils Solyman. Ils ſont au reſte appoinctez diuerſement
des Iennitzai en leur ſolde, qui parttoute immediatement des coffres du Prince; les vns à plus les
ICS.
autres à moins, ainſi que nos lanſpeçades, depuis trois iuſques à huict ou dix aſpres
le iour : le tout ſelon leur valeur & merites qui ſont cauſe de leur faire accroiſtre la
paye, & non les recommandations & faueurs. Ils ſont puis apres habillez de pieden
cap deux fois l'an, de quelques draps de peu de prix, bleuz ou rouges, dont on leur
fait des chauſſes tout d'vne venuë, mais reployez comme ila eſté dit cy-deuant; &
Leurs habille vneiuppe ou doliman long iuſques à la cheuille du pied, eſtroit & ceintaufau du
IIlCI1S,
corps d'vne longiere de ſoye, ou de fil, barrée d'or, ainſi que communément tous
lesTurcs,leſquelles tant plus elles ſont larges,& font plus de plis, tant plus ſont el
Leur accou
les eſtimées honorables. EN la teſte ils ont vne zarcola de feultre blanc, qui les fait
ſtrement de diſcerner partout, & cognoiſtre pour Iennitzaires, car il n'ya qu'eux qui la portent
teſte.
de ceſte façon & couleur: bien eſt vray que tous lesTurcs en general portent le bläc
en leurs Turbants, deſquels les Iennitzaires n'vſent pas, ains de ceſt accouſtrement
en particulier qui approche des chapperons de drap des Pariſiennes, horſmis qu'ils
ſe haulſent plus droit contremontà la hauteur d'vn pied & demy moyennât vn gros
fil d'archat qui le tient droit, au haut duquel yavn petit cercle de fer dont part le
pennache : & lazarcole ſe vient rabbattre en vne large queuë en arriere, qui vabat
tre ſur les eſpaulles, bordée àl'entour d'vn cercle d'or traiSt, ou d'argent doré large
de trois ou quatre doigts,duquel ſe haulſe àl'endroit du frontvn tuyau de la meſme
eſtoffe iuſques au cercle, enrichis l'vn & l'autre de turquoiſes, grenats, & ſembla
bles pierres, de peu d'importance, voire de quelques ſaphyrs & rubis balais, ſelon
que leurs facultez le permettent : carlesTurcs ont cela de particulier entre tous les
autres, de conſtituer le principal de leurs richeſſes, en la magnificence de leurs ar
mes, & l'ornement de leurs perſonnes,montures & armes.Du haut de ce tuyau ſ'eſ
pand contre bas le longdesreins vn beaugrand pennache de naifues plumes d'au
ſtruche, ſans toucherà rien : ſi que cela eſt meſmementenvn telnombre, eſt de fort
belle monſtre & apparence : car ils ſemblentautant de geans : quelques vns encore
yappliquent quantils vont à laguerre, vn vol d'aigle, & le pennage de diuerſes cou
leurs toutentier d'vn oiſeau nommé Rhintaces, des Modernes Apus, que Belon préd
pour le Phenix d'autant meſme qu'il vient d'Arabie, dont le corps qu'ils font deſe
cher, n'excede pas vn eſtourneau, & ceſte maſſe de plumes eſt bien du volume d'vn
gros chappon : ſique cela les rend fort ſpecieux & eſpouuétables par meſme moyen,
ioint les groſſes & longues mouſtaches heriſſées qu'ils entretiennenttout expres, le
reſte de leur barbe eſtantraze. Il n'eſt pas neantmoins loiſible à tous de porter indi
feremmerſ

?
l'Hiſtoire de Chalcondile. 37 -

feremment ces pennaches, ains à ceux làtant ſeulement qui ontfaict quelque acte Pennaches ſt
ſignalé à la guerre, & tué beaucoup d'ennemis : ce qui ſe cognoiſt à la quantité de gnes de valllä
ces plumes. Quand ils ſont en paix & repos ils en vſent plus ſobremcnt, & ne por ce parmy leà
tent aucunesarmes, ſi ce n'eſt vn couſteau attaché à la ceinture pour leurs menuës Turcs.
neceſſitez: car de frapper de glaiue aucune perſonne quelconque, c'eſt vn crimc ca
pital & irremiſſible, quand bien il n'y auroit qu'vne petite eſgratigneure; reſeruâs
leurs felonnies & acharnemens contre leurs ennemis legitimes, où ils eſtiment de
uoir leur ſang & leurs vies pour le ſeruice de leur Prince, & nompas leur eſtre per
mis d'en abuſer en leur courroux & querelles particulieres; contre les ſubiects d'ice
luy leurs confreres. Mais communément ils portent vne canne d'Inde au poing,
telle qu'il a eſté dit cy-deſſus des Capigis, ou portiers, qui ſont du nombre des Ien
niſſaires, & gens de pied auſſi bien qu'eux, & n'ya que leurs chefs quiaillentà che
ual:à ſçauoir les odäobaſi caps deſquaddre, dont chacun d'eux fait le dixieſme de
ſa chambre, eſtant le plus ancien mais nompas le plus vieil d'ieelle : Les Centeniers,
&le grand Aga leur Coronel general : auecques le Chegaza, ou Protagero, qui cſt en
cet endroit comme vn maiſtre de camp: de maniere que quand ils eurent eſtably
Solyman à l'Empire, toutesfois ce fut ſans aucune effuſion de ſang, pancé qu'il n'a
uoit point de freres, ny de cópetiteurs, ils luy requirent ceſte grace, que puis qu'e
ſtans tenus de luy comme pour ſes propresenfans, ils alloientneantmoins à pied, il
ne fuſt loiſible à aucun Giaour, c'eſt à dire Chreſtienne Iuif, d'aller à cheual par la
ville : & que ſ'il faiſoitgrace à quelquesvnsd'ypouuoirvſer de montures,aumoins
ce ne fuſt que ſur desaſnes & mullets, & non des cheuaux : ce quia eſté obſerué de
puis, excepté enuers les Ambaſſadeurs, & ſemblables perſonnes publiques, Magi
ſtrats, Officiers, & autres gens de reſpect & authorité. Quant à leurs armes pour la
Armes desſen
guerre, car à la paix ils n'en portéten aucune ſorte,outre le cimeterre & le poignard, nitzaires.
ilsont communément l'arc turquois qui eſt de corne, & les fleſches, dont ils ſ'aidét
excellemment, & en fontd'eſtranges merueilles: Quelques vns ſoulloient porter
vne maniere de longs bois, plus courts toutesfois que les picques, comme iauelines,
eſpieux, partuiſanes, auecvne targue ou pauois : mais depuis trente ou quarante
anslapluſpart ſont deuenus arquebouſiers, & ya à ceſte heure des moſquetaires car
onne les haraſſe pas continuellementà des eſcarmouches, longues traictes, & ſem
blables coruées,eſtás leurs arquebouzes toutes de calybre & peſantes,dontils ſe ſça
uentfort bien aider, leſquelles ſont portées aux deſpés du Prince ſur des chameaux,
iuſques là où il faut prendre les armesàbon eſcien,l'ennemy eſtant pres, ſe reſeruás
àguiſe d'vne ſacrée anchre pour le dernier mets du ſalut & cöſeruation de leur ſou
uerain : & le reſtaurement d'vne batailleà demy perduë, ſi d'auanture l'affaire arri
uoitiuſqu'à ſa perſonne : carils en ont autresfoisremis ſus de bien eſbranlées, com
me on peut voir au 7. de ceſte Hiſtoire, d'Amurath contre Vladiſlaus Roy de Hon
Le zele & fidé
grie,pres de Vvarne : eſtans tous ſiloyaux & bienaffectionnez à leur maiſtre, qu'ils lité des Iennit
cndureroientpluſtoſt mille morts que de luy faire iamais faux bon,nyle laiſſerex zaires enueis
poſé au moindre danger,ains mettroient mille & mille vies, ſiautant en pouuoient leur Prince,
auoir, pour ſa gloire, reputation, & grandeur : auſſi appellcnt-ils communément
quand il marche en camp perſonnellement, Baliſababa, l'Empereur noſtre pere, &
luyreciproquement les tient comme pour ſes enfans. De faict, quelque grieffor
fait qu'ils commettent lapremiere fois, ſi d'auanture ce n'eſtoit à la guerre, carrien
quelconque ne ſ'y pardonne, iuſque meſme aux moindres fautes,(dont pour les
plus atrocesils tiennenteſtre les querelles & batteries, & les larrecins & piilages ſur
lebon-homme :)quand bien ils auroient maſſacré & vollé quelqu'vn, encore que
la Iuſtice parmy lesTurcs ſoit tres-rigoureuſe, ſi ne les feroit-on pas mourir pour
cela, ny ſouffrirautre punition que de les caſſer.Au demeurant les autres offenſes
plus legieres ſont chaſtiées par leur oddobaſſi, ou Iaiabaſſi, de quelque nombre de Iaiabaſº ees
coups debaſton, ou de lattes, dans leurs chambres ou pauillons à part pour ne les teuier
diffamer en public : à quoy ſid'auanture les chefs deſſuſdits conuenoient, & qu'ils
ne donnaſſentle chaſtimétrequis & eniointparleur diſcipline, auât que le Iaiabaſſi
"

372 Illuſtrations ſur


en ait cognoiſſance, celuy-là le va denoncer à l'Aga, & Checaya, & eux aux Baſats,
ſi c'eſt choſe qui le merite,dont le dixenier meſme en porte la peine,fuſt qu'ilyallaſt
c6formité des de la vie, ſ'il n'allegue quelque peremptoire excuſe pour ſa deſcharge. De maniere
† que leur reiglement eſt exacte, & ſe conforme en beaucoup d'endroits à l'ancienne
urc, auec CS - - - - - - • - -

§ diſcipline des Legionnaires Romains, telle que la deſcrit Polybe au 6. de ſes Hi


nºires º°- ſtoires
Il la lllS.que les de la maniere
Romains de camper,
appelloiét & ce meſmement
Contubernia, qu'ilsCamerades,
les Eſpaignols ſont departismais
par châbrées,
elles vont
aucunement d'vne autre ſorte que ne fait pas à ce propos : & tout ainſi que chaque
chambrée auoit ſonCapdeſquadre & vne beſte de voicture auec ſon conducteur ou
Callo, pour porter leurs tentes, hardes, & menuës neceſſitez, & prouiſions,de meſ
me les Tennitzaires par ce que leur ſolde eſt ſi peu de choſe qu'à peine leur peutelle
ſuffire pour viure, encore qu'ils ne bôiuent point de vin, principallement à la guer
re ſur peine de cinquante coups de baſton; & ſoient ſi ſobres au ſurplus, que vous
en nourrirezvingt de ce dont quatre de nos moindres ſoldats ne ſe voudroient pas
contenter, outre ce qu'il leur faut des goujaz & des garces, & aux autres rien de
tout cela : le Prince a accouſtumé de leur fournir pour chaque dixaine ou chambre
vn cheual pour porter leurs hardes & prouiſions : & de vingt en vingt vn cha
meau, qui leur porte pareillement deux petites tentes, auec autant de gros tapiz
Tzophra, table P9ur dormir deſſus, & leurs vſtancilles, quine ſont toutesfois pas grand choſe, ains
& appe Tur- quelque meſchante marmite pour faire cuire leur viande, & vn Tzophra ou bourſe
º de cuir pour manger deſſus. En temps de paix à Conſtantinople, & autres lieuxoù
le Turcaaccouſtumé de faire ſeiour, ils logent auſſi par chambrées, dont ily en a
l'vn d'entr'eux qui va au marché, car ils mettent quelque nombre d'aſpres par iour,
comme il a eſté dict cy-deuant des Agemaglans, mais ces Iennitzaires ont plus de
moyen, pourauoir vn peu de pain & de chair, du riz, & du beurre, desaulx & oi
gnons, & ſemblables victuailles de petit prix, dont ils ſe maintiennent fort ſobre
ment : & le dernier venu fait la cuiſine, lequel ſauue par ce moyen ſa deſpenſe, auſſi
bien ſa ſolde qui n'eſt que d'vn aſpre & demy par iour, ou deux pour le plus, †
y pourroit elle ſuffire, & faudroit qu'il fiſt ſon cas à part : ce qui n'eſt aucunêment
vſité parmy eux, car ils viuent d'vne merueilleuſe fraternité, paix, amour, & vnion
par enſemble : ſi que quiconque poulſe le moindre, tout le reſte du corps & maſſe
generale ſ'en ſentoffenſé,& ne ceſſent qu'ils n'en ayent eu la raiſon: parquoyils ſont
d'vne grande authorité & reſpect enuers tous; leur eſtant meſmement permis de
chaſtier à coups de baſtó le premier venu pour la moindre inſoléce qu'il puiſſe com
mettre & le plus ſouuent ſans occaſion,ſans qu'on leur oſe contredire ne ſ'y oppoſer:
Ce qui fait que les Ambaſſadeurs & les eſtrangers ontaccouftumé d'en auoir touſ
iours quelques vns à leur ſuitte, pour lagarde,ſeureté, & conſeruation de leurs per
ſonnes, maiſons,& familles,ſoubs la charge d'vn Chaoux pourtant plus les authori
ſer, à ce quine leur ſoit point fait de tort ny outrage, à quoy les Turcs ſont aſſezen
N. clins, meſmement eſtans yures; & pour ce deuoiront de ceux auſquels ils aſſiſtent,
quatre ou cinqaſpres le iour pour leur deſpenſe, auec quelques autres paſſedroicts
& commoditez, ſi qu'ils peuuenteſpargner leur ſolde, outre l'eſperance qu'ils ont
· qu'apres ſ'eſtre bien & ſoigneuſementacquittez enuers ceux à qui on les donne,par
leurinterceſſionils pourront paruenirà quelque grade plus honorable, ou augmen
tation de ſolde. - - -

Gatde des Ien


LE s I E NN 1TzA1RE s au reſte font la garde à tour de roolle en nombre incer
: nitzaires. tain, quelquefois plus, quelque autre moins, tant au Serrail, que par les ruës & car
refours de iour & de nuict, tant pour obuier aux debats, & aux larrecins, qu'auxac
cidens qui pourroientſuruenir du feu, à quoy Conſtantinople pour eſtre la pluſpart
• baſtie de bois eſt fort ſuiette.Et là deſſus il n'yaura point de mal de toucher icy quel-'
que choſe de leur reiglement & pollice duguet pour les occaſions deſſuſdictes. En
· premier lieu les Turcs eſtans mortels ennemis de toutes noiſes, contentions & que
† † relles, côme eſtans plus raſſis que nous de leur naturel,ioint qu'ils ne boiuentpoint
. quic. devin, celaleur eſt bien aiſé d'yremedier; Car pour le regard des larrecins, *#
- Cu,
l'Hiſtoire de Chalcondil
11UO1I'C C1C alcondile. 373
- -

feu, toutes les villes ſont departies & ordonnées par quartiers & parroiſſes à leur
façon, dont l'vn d'eux ainſi que pourroit eſtre enuers nous quelque Marguillier,
tient le regiſtre des chefs d'hoſtel : & chacun d'eux eſt tenu de faire le guet de
nuict à ſon tour; ou bien ſil ſe veut exempter de ceſte coruée, payer quatre ducats
à ceux qui la feront pour luy tout le long de l'an : ſi qu'il aduiendra, par ce que
erſonne n'en cſt cxempt, qu'vn Iuif, vn Chreſtien, & vn Turc, feront en vne
meſme nuict tant qu'elle durera ceſte ronde en leur quartier , auec vne torche
ou lanterne à l'vne des mains, & vn baſton en l'autre : que ſ'ils rencontrent quel
qu'vn faiſant mal, ou qui ne ſoit de cognoiſſance, ils le meinent ſoudain en pri
ſon : ſ'ils trouuent vn huyz ouuert, ils font condamner à l'amende le maiſtre de
la maiſon, par ce que paſſée certaine heure de nuict chacun eſt tenu de fermer
ſa porte, à cauſe que la laiſſant ouuerte, ſoit par meſgarde ou nonchallance, les
, larrons prenans de là occaſion d'y entrer, celuy qui cſt lors en garde en ſeroitre
ſponſable , car tant des larrecins que du feu, c'eſt luy à qui l'on ſ'en prend le
premier : à raiſon dcquoy ſoudain que quelque feu ſe manifeſte eſpris en vne che
minée ou autrement , la garde en va ſoudain aduertir le maiſtre du logis, que
ſ'il eſt Chreſtien pour ſi peu qu'il puiſſe durer, il eſt condamné en la ſomme de
cent eſcus : & ſ'il aduient tant ſoit peu de dommage, tout ſon bien en eſt con Punitions du
fiſqué, & par fois perd la vie encore : ce qui eſt cauſe qu'ils font petit feu, prin 1cu.
, cipallement pour ce que la plus-part des maiſons ſont de bois, & couuertes de
chaulme : parquoy ils ſont ſoigneux de faire ſouuent ramonner leurs cheminées.
De meſme tous les artiſans qui trauaillent de feu, comme orfcures, maréſchaux,
ſerruriers, & ſemblables,ſoudain que le Soleil ſe couches ſi l'on trouue du feu en
leurs forges & officines , ils ſont punis en leur endroit d'vn correſpondant cha -

ſtiment. Les autres boutiques ſe ferment vn peu deuant qu'il ſoit nuit cloſe : non
à ſerrures & verroux par le dedans, mais à cadenats en dehors : & pluſieurs mar
chans bien ſouuent laiſſent de grands ſacs pleins de leurs denrées hors deſdit
tes bouticques , auec deux groſſes pierres deſſus ſeulement, ſans qu'il leur en
ſoit fait tortquelconque : car ces gardes là font la ronde, & tournoient inceſſam
ment de cofté & d'autre, qui empeſchent qu'on ny touche point, par ce qu'il
n'eſt loiſible à perſonne d'aller de nuict par la ville , ſ'il n'eſt bien aduoüé & co
gneur - . -

DEs IEN N I T z A I R E s puis apres il y en a quelques vns de mariez, mais non Iennitzaireà
en grand nombre, eſpandus par les villes & bourgades tant de la Grece, que de mariez.
la Natolie : viuans là auec leurs meſnages de la ſolde qu'ils tirent du Prince, trans
muez en vne penſion qui leur eſt aſſignée ſur le reuenu des lieux meſmes. Et
quand il eſt queſtion de quelque guerre proche de là, on les y appelle ſoubs les
Beglierbeys , & Saniaques : mais le plus ſouuent on les employe par la mer ſur les
Charitables
vaiſſeaux où ſe dreſſent les ieunes Ienniſſerots, qui ſont le ſeminaire & pepiniere conſideratiori$
des Iennitzaires : ou bien ſils ſont habituez en Conſtantinople, l'ona de couſtu pour desTurcà;
me en conſideration de la charge qu'ils ont de femmes & enfans, à quoy leur ſol
de ordinaire malaiſément pourroit ſuffire, de les departir aux Ambaſſadeurs, &
autres qualifiez eſtrangers, ſelon qu'il a eſté dict cy-deſſus : Bien eſt vray que le
Prince leur faict grace ordinairement d'vn aſpre par iour, pour chaque enfant
qui leur vient à naiſtre, & à quelques vns d'auantage , ſelon la recommandation
& faueur qu'ils ont pour les aider à eſleuer, attendant qu'ils ſoient en aage de fai
re ſeruice. Ceux pareillement qui caſſez de vieilleſſe, ou pour quelque bleſſeu
re ou autres indiſpoſitions & empeſchemens ne peuuent plus porter les fatigues
accouſtumées : ou qui pour autres occaſions ſont licentiez de leur place de Ien
nitzaires,on les depart tout de meſme en garniſon, comme on ſouloit faire lesan
ciens Veterans Romains apresauoir accompli & parfaict le temps de leur milice à Aſſareli, mcr2
porter lesarmes, & ont ſemblable prouiſion pour leur nourriture que les mariez : ou tes payes,
bien ſontfaits Aſareli,à ſçauoir mortes payesdesvilles,chaſteaux & fortereſſes,leurs
chefs,capitaines & chaſtellains,auecvne péſion equiualente à la ſolde qu'ils ſouloiét
M M
374 Illuſtrations ſur
auoir : de ſorte qu'ils ne peuuent tomber en neceſſité pour le ſurplus deleur vieil -

leſſe, ce qui les rend tant plus prompts & affectionnez à ſ'expoſer à tous les hazards
& dangers de laguerre. -

ILs ſont encore departis aux chefs d'armees,& d'ordinaireaux Saniaques & gou
Belle diſcipli- uerneurs de Prouinces, comme pourvne ſuitte & parade honoraire de leur digni
Il©. té: Pour executerauſſi leurs commandemens : & n'ya ville, bourg, ne village, où
quelques vns de ces Iennitzaires ne reſident, pour empeſcher les emotions & tu
multes qui pourroient ſourdre : & garentir les Chreſtiens, & les Iuifs paſſans, ou
qui y ſont habituez de pied ferme, des outrages & inſolences de la multitude
Turqueſque. Ilyena meſme touſiours vn bon nombre pour ſeruir d'eſcorte aux
Carauanes contre les aſſaulx & agreſſions des Arabes, & autres ſemblables voleurs
qui les eſpient és deſerts & paſſages des grands chemins.Les autres qui ne ſont
· 1 ieaiens mariez, qui eſt la groſſe flotte des Jennitzairesreſidantsordinairement à la Porte,
§& leurs ont pluſieurs quartiers aſſignez en Conſtantinople pour leur retrai3te en temps de
†* repos & ſeiour, où ils logent ſoubs la conduitte de leurs chefs, les oddobaſſiaſſauoir
ple. ou dixeniers, qui ont chacun vingt aſpresle iour : & les Iaiabaſ ou cinquanteniers
cinquante : leſquels Chefs qui ſur le nombre de douze mille Iennitzaires peuuent
faire plus de treize cens, vont à cheual magnifiquementequippez eux & leurs mon
tures : veſtus au reſte d'vne autre ſorte que les ſoldats; car pardeſſus leur doliman ils
ont vn caftan ou longue robbe de drap de ſoye, & broccador, & en la teſteau lieu
de la Karcola, vn bourc ou haut bonnet à la marineſque, dont la poincte ſe replie
quelque peu en auant, enrichy d'vn beau cercled'or tout eſtoffé de pierreries, a
uecques le tuyau de meſme dont partau ſommetvn grand pénache de plumes d'ai
graitte qui ſe rehaulſe droit contremont: de maniere que deux outrois cens quiac
compaignent le Prince quand il ſort dehors pour aller faire ſon oraiſon çà & là és
Moſquées, car ils ſont lors quelque deux mille Iennitzaires à pied ordinairement
auecluy, pour vne plus grande monſtre & parade : ioint le grâd bourdon qu'ils por
Bourdonbelli-tentau poing, (c'eſt vne groſſe lance plus longue beaucoup que les noſtres & creu
que. . ſe dedâs, mais renforcée tout du longauec de la colle forte, & des nerfs hachezme
nu,comme ceux qu'on appliqueaux rondelles,& peinte de quelquesgayes couleurs
Buſdeghä, maſ
& fueillages : les Aouſſarts,gendarmerie Hongreſque en vſent)& à l'arçon de laſel
ſe d'armes. le le pauois enrichy de meſme : & le Buſdeghan ou maſſe d'armes : que ne feroient
ouze ou quinze cens cheuaux des noſtres.
FINABLE ME NT ilyalegrand Aga ou coronneld'iceux Iennitzaires quicom
LAga ou co- mande à tout ce gros regiment, & à vingt eſcus par iour d'appoinctemét, outre ſept
†** mille ducats de jimarou penſion paran,aſſigné ſur vn reuenu qui en vaut bien dix:
· & ſieſt habillé par le Prince cinq ou ſix foisl'an de riches broccadors & fourrures de
grande valleur, auec des diſtributions & liurées qui luy ſont fournies iournellemét,
de pain, riz, chairs,foin, & orge, pour entretenir ſa famille qui eſtfort ample,com
me de plus de trois cens bouches, & vn grand nombre de cheuaux, pour dönerauſſi
vnrepas deux fois la ſemaine aux Iemnitzaires, & leurs chefs ſulbalternes, leſquels
ne faillent de ſe trouuer tous les matins à ſon leuer, pour luy faire la cour,& receuoir
ſes commandemens.C'eſt vne charge de fort grande authorité & pouuoir, comme
d'vn qui cömande à ceux deſquels deſpend la cöſeruation de lavie du Prince,& ſon
maintenemétenl'Empire : de maniere qu'ila accouſtumé d'en pouruoir celuyqu'il
eſtime luy deuoir eſtre le plus fidele, & le plus ſouuent luy donner ſes lilles, ſœurs,
ou telles plus prochaines parétes en mariage. Ettoutes les fois que le Turc ſortpour
aller à la Moſquée, ceſt Aga cheuauche tout ſeul à par luy derriere la trouppe des
Iennitzaires, monté ſur quelque cheual de prix, dont le harnois eſt garny de tres
riches parreures & orfeuerie : mais luy encore d'auantage, il y a ſix ou ſeptans,
que l'Aga qui eſtoit pour lors achepta de certains Italiens , vn rubis ballay , du
poids d'vne once, octogone, & plat comme de l'eſpoiſſeur de deux iocondal
les, & beau en toute perfection, qui auoit eſté autresfois de la maiſon de Laval,
pour la ſomme de douze mille eſcus : c'eſt dommage qu'vne telle piece ait eſté
alienée
<
l'Hiſtoire de Chalcondile.
-
\
-
375
alienée hors de ce Royaume , car outre ce qu'elle fut venduë à vil prix,ou pluſtoſt
que ce barbare la retint de puiſſance abſoluë, l'acheptant, & payant encore à ſa di ' .
ſcretion, malaiſément ſ'en pourroit-il gueres recouurer de ſemblable : maison me
dira que toute ces beatilles là ſont choſes mortes, inutiles & ſuperflues, ne ſeruans
que de deſbauchement Ie l'aduoüe certes : mais de priucr du tout les perſonne des
plaiſirs & contentemés qui ſe peuuent receuoir de ce que produit la nature de beau
àl'œil,& indifferent, ce ſeroit le reduire au rang, & pis encore, des beſtes brutes. . - : •

Au reſte cet Aga a ſoubs luy vn Checaya ou Protagero, qui eſt comme vn maiſtre de †
- camp,ayant cognoiſſance de tout ce qui peut ſuruenir entr'eux, & quiles concerne §
iuſques à les renger en bataille quand il faut combattre. Il a quatre ducats par iour ºPPººººººº
& ſix cens de Timar par an ; auecvn Iazgi ou eſcriuain pour faire les roolles & tenir Iazgi, Secretai
le regiſtre de ceſte charge, appoincté à deux eſcus par iour, ſans aucun Timar ny re ou Grefher.
· • autre choſe que ce qu'il peutpractiquer de ſes emolumens& profits qui ſont grands:
car il prend ie ne ſçay quoy ſur la paye des Iennitzaires : ſi qu'il entretient plus de
cent çheuaux, deſquels il va accompaigné quand il marche.Au ſortir de ceſte char
ge ſion ne l'aduance à autre plus grande, on a de couſtume de luy donner vn Sub
lic ou appoinctement de cent mille aſpres paran, qui peuuent reuenir à deux mil
le de nos eſcus, - - ·

Voila à peu pres ce qui concerne ce regiment & milice de Iennitzaires : par le
moyen deſquels lesTurcs ont eſtably & conſerué iuſques icy ceſte groſſe maſſe de
: • Monarchie , ſans iamais encore perdre ny relaſcher vn ſeul pied de terre qu'ils •
ayent vne fois empieté. - - - -

DE LA FLE vR & eſlite de ces douze mille braues ſoldats de race & ſemence ^ºº de *
. -- - - \ - arde du corps
Chreſtienne,reſidans continuellement à la porte & ſuitte du Turc, ſe prennent en §
premier lieu quelques quatre ou cinq cens archers pour lagarde du corps, appellez les Solah .
Solachi plus ou moins ſelon qu'il luyplaiſt : mais au reſte tous vieils routtiers des plus
experimentez & vaillants.Ils vſent d'arcs & de fleſches, & non d'arquebouzes de
peur d'effroyer ſon cheual, & de l'offenſer quant à luy de la fumée de leurs meſ- †º
ches, par ce qu'ils marchent touſiours coſte à coſte tant à la ville comme au camp, des S§.
l'arc tendu, & la fleſche encochée deſſus la chorde, preſte à delaſcher: dont la moi
tié,à ſçauoir ceux à la main droicte, ſont tous gauchers, & au contraire à la gauche
droictiers : afin qu'en tirans, ſilen eſtbeſoin, ils ne ſoient contraincts luy tourner le -

doz, qui ſeroitenuers eux vne irreuerence trop grande, & entierementillicite. Ils
ont de douze à quinze aſpres le iour, & deux accouſtremens chacun an, tous d'vne
pareure, d'vne iuppe de † , ou de ſatin blanc, qui leur arriue par derriere iuſ
ques à my-iambe, comme fait auſſi leur chemiſe blanche & deliée qu'ils laiſſent
flotter pardeſſus leurs gregueſches : mais les pants de deuant ſont plus courts, &
retrouſſez encore à leur Couſſac ou large ceinture tiſſuë de ſoye & de fil d'or : en la
teſteils ontvn bourc ou hautbonnet broché d'or, accompagné d'vn cercle & tuyau
d'or auſſi ou argent doré, enrichy de quelques pierreries ſelon leurs moyens : du
haut duquel partvn beau grand pennache blanc auec vn gros floc de plumes d'ai
grette, comme il a eſté dict cy-deſſus des Iennitzaires. outre leur arc qui eſt do
ré, & leur trouſſe pareillemét, d'ouurage damaſquin, ils ont le cimeterre à la cein
ture & le poignard, C'eſt la principalle & prochaine garde du corps, qui empeſche
quand le Prince va par pays que perſonne n'en approche ſinon ceux qu'il faict venir
parler à luy: & le premier Baſſa,ou Viſir,qui à toute heure le peut aborder à la guerre,
mais nö au Serrail, ſi ce n'eſtaux heuresaccouſtumées,ou qu'ille mande.Que ſ'il ſe
rencontre quelque riuiere, ils la paſſentàguayioignant ſon cheual, & ſ'il eſt beſoin
nagent tous coſte à coſte, carils ſont duicts à ce meſtier. Si l'eau leutarriueauxge
nouils, ils ont accouſtumé d'auoir en preſentvn eſcu chacû : ſi elle paſſe la ceinture,
deux : ſi plus hault trois : ce qui ſe doit entendre à la premiere tant ſeulement, car
delà en auâtils n'ontrien.Et ſi elle eſtoitpar trop roide & profonde, on les fait mö
terà cheual, par ce que ſont ceux qui en ce cas prennent garde de ſa perſonne, où -

MM ij
-

376 · Illuſtrations ſur


ils ont fait ſouuent de fort grands deuoirs, comme au paſſage de l'Euphrateenla
Meſopotamie à Sultan Solyman; & au precedentà ſon pere Selim, & à ſon biſayeul
Mehemet contre le Sophy Roy de Perſe. Et à ceſte cauſe ils câpent touſiours aupres
du pauillon Imperial: tout de meſme que les Capigi, ou portiers; eſtans la derniere
reſſource du Prince en vne grande extremité fielle aduenoit,& qu'il fuſt contrainct
de ſe retirer, accouſtumez au*eſte de longue-main à courir preſqu'à pair d'vn viſte
cheual.En temps de paix & de reposils ne logent pas au Serrail, ains à la ville en leur
quartier, & ne ſont obligez à aucune garde,ny ſubiects à autres coruées que d'ac
compaigner le Seigneur quand il ſort dehors en pompe & parade pour aller à ſesde
uotions és Moſquées. Ils ſont departis ſoubs deux Solachbaſſi, qui ont chacun qua
ranteaſpres pariour : & leur Checaya contreroolleur, & Iazgi eſcriuain, à l'equip
· pollent, ainſi que les autres : le tout ſoubs la charge & commandement du grand
Aga, comme auſſi ſont les cinqcens Capigi ou portiers, qui ſe créent des Iennitzai- • '
res,auec leurs chefs & conducteurs, & montent de degré en degré ſelon leurs me
rites, & les preuues qu'ils ſeſuertuent de faire. . •

EN ces trois ordres, neantmoins tous d'vn corps : les ſimples Iennitzaires aſſauoir,
les Capigi, & Solachlar, conſiſte toute l'infanterie de la Porte, & ſuitte ordinaire du
Turc; qui ſe rempliſt & abbreuue de main en main de la pepiniere des Ienniſſerots,
dontil a eſté parlé cy-deſſus : ſi que iuſques à preſent rien ne ſe peut imaginer de
mieux ordonné:ſileurtrop grandes richeſſes & pouuoir ne les deſbauſchent & per.
uertiſſent, comme les autres Monarchies que le luxe a eſté cauſe de renuerſer & fai
re perdre : car il n'ya rien de permanenticy bas : mais la pluſpart du temps nous al
l:#:
lons au deuant du coup, & accelerons nous-meſmes noſtre ruine, & extinction,ſans
cela auſſi bien ineuitable à la longue. · · · - .

Les Capigi ou CEs CAP 1 G 1 ou portiers en nombre ordinairement de trois cens,font la garde
- - -

ortiers, & à tour de roolle departis de cinquante à ſoixante, plus ou moins ſelon que les oc
º caſions ſ'en preſentent, à la premiere & ſeconde porte : & parfois tous enſemble
quand vn Ambaſſadeur va baiſer la main au Seigneur, ou ſi quelque Saniaque ou
Baſa retourne d'vn ſien voyage & entrepriſe. Ils introduiſent auſſi les iours du Diuan
ceux qui ont affaire au parquet de l'audience, comme il a eſté dit cy deuant : & gar
dent que perſonne n'yentre auecarmes.Seruentencore à donner la queſtion & tor
ture où il eſchet: & ſont en ſomme ainſi qu'Huiſſiers, qui en ſemblable ont pris leur
ancienne appellation des huyz qu'ils gardent, dont on dit encore chez les Roys, &
les Princes, Huiſſier de chambre, Huiſſier de ſalle par ce qu'ils engardent l'entrée.
Ceux-cyà la guerre font de meſme la garde à l'entrée du logis du Turc, aſſauoirau
pourpris de ſes tentes & pauillös, & ont de douze à quinze aſpres le iour, auec quel
ques accouſtremens, ſemblables à ceux des Iennitzaires, excepté qu'ils ſontvn peu
plus riches, & portent comme euxla Xarcolabläche, mais toute brochée d'or traict,
& non rabbatuë en arriere ainſi que l'autre : leur Capigibaſi ou chef a trois ducats par
iour, auecvne bonne penſion ſur le domaine ou Timar: & ſoubs luy trois Boluchbaſ
ſileCapitaines, qui ont
Iazgi eſcriuain, cinquante aſpres : le Checaya ou
trente. -
Contreroolleur
· · · ·
quarante, &
r -

#
D E S G E N S D E CHE VA L
: D E L A P O R T E. -

#ESTE maintenant la cauallerie de la Porte & ſuitte du Turc,laquel


le conſiſte de meſine que l'infanterie ſuſditte , toute de Chreſtiens
J Mahometiſez. Et toutainſi que les moins fauorits Agemoglans & Ien
§$#NS$
u-
V#@ niſſerots, apres auoir eſté longuement endurcis & exercitez aux tra
uaux & meſ-aiſes paruiennent à eſtre /ennitzaires, tous gens de pied;
en ſemblabie les pages & enfans nourris & eſleuez dans les Serrails, principalement
en celuy de Conftantinople pres de la perſonne du Prince, au partir de là montent
tous aºrang de gens de cheual, payez & entretenus en deniers comptans ſur ſes cof
fres : Car les Turcs naturels ſont appointez ſur le Timar qui ſont reuenus fermes aſſis
ſur le domaine. -

· Ex en premier lieules Spacchi , & Spanglans, en nombre ordinairement de trois Gardes ordi
mille, qui logent en diuers quartiers de Conſtantinople, dont il n'eſt poſſible de naires à cheual
voir rien de plus ſuperbe ny remarquable, ne mieux en ordre eux & leur montures.
Alaguerre ils marchent & campent à la main droitte de leur Prince,comme ils font
auſſi,mais deux à deux quand ils l'accompaignent à la Moſquee,non tous à vne fois,
ainslatierce partie tant ſeulement pour euiter la confuſion d'vn ſigrand nombre de
cheuaux : car il n'y en avn ſeul de tous ceux-cy qui n'en entretiennent deux ou trois
pour le moins, ſelon qu'ils ſont appointez, parce que pour chaſque cinq aſpres de
iournelle ſolde, ils ſont tenus d'auoirautant d'hommes à cheual entretenus à leurs
deſpens à laguerre : ſi que celuy qui en avfngt, eſt luy quatrieſme : & par ce moyen
les huict mille qui ſont d'ordinaire à la ſuitte du Turc en font plus de vingt. Ils ont
doncques chacun par iour,les vns plus,les autres moins ſelon leur merite & faueur,
depuis quinze iuſqu'à trente aſpres : & de vingt en vingtilyavn Boluchbaſſi qui com
mande, ainſi qu'eſtoient preſque les Decurions en l'ancienne gendarmerie Romai
ne;lequelena quarante : le Spucchi-aga ou leur Coronnel a quatre ducats; & deux
ou trois mille de penſion annuelle ſur le Timari car apres le Ianiſeraga ceſte charge
eſt des plus honorables de la Porte. Son Checaya ou contreroolleur en a vn : & l'eſcri
uain, demy. - - -

LEs sEL 1 cT AR s c'eſt à dire,gauchers,ne different en rien des Spacchis, fors du


nom,& de ce qu'ils marchent à la main gauche,dont ils ſont ainſi appellez,caraure
ſte ils ſont en pareil nombre,& traittez de meſme.
LE s v Lv F A G 1 ne ſont que deux mille, departis ſoubs deux cornettes, & deux Vlufagi.
Capitaines, leſquels ont chacun trois ducats pariour.Leurs Boluchbaſſi, & officiers à
peu presainſi que les autres : Ceux-cy marchent derriere le Prince pour vne forme
d'arriere-garde; & n'ont pas tous eſté nourrisés Serrails comme ont eſté les prece
dents, ains enya de meſlez parmy, qui ayans fait preuue de longue main à laguerre
de coſté & d'autre ſontaduancez au rang de ces Vlufagi. . -

LE s c AR 1 P 1 en nombre de mille n'ont pas eſté non plus nourris és Serrails, ny caripi.
ncſont pas eſclaues comme les autres, ains la pluſpart ſont mores, ou Chreſtiens
reniez, pauure,&eſtrangerauſſi,quiaueclesAccangi,
ſignifie qui ont fait le train & meſtier de pauuresaduanturiers
& AKapes:ſontparleur
car ce mot dedexte-
Caripi Accangi, »
Azapet,
| iij A7
378 · Illuſtrations ſur
rité & valeur paruenus aurangdesgens de cheual de lagarde du Prince: ils marchét
auec les Vlufagi à main gaucheau derriere de luy,& ont de dix à douze aſpresle iour,
ſans eſtre obligez d'entretenir plus d'vn cheual s'il ne leur plaiſt.Leur Aga en a cent,
& leurs membres & officiers à l'equipolent.
PAR M 1 les Spacchis, (mais il fautentendre que ſoubs ce mot ſont compris auſſi
les Selictars, & en ſomme toutes ſortes de gens de cheual, comme ſoubs les Iennit
zaires,toutes manieres de gens de pied,) il y a de leurs enfans receus qu'on appelle
Spaoglans li Spaaglans,leſquels ne ſont pas proprement eſclaues comme leurs peres ont eſté,bien
bertini,ou af
franchis Ro que tous Turcs engeneral,ainſi qu'il a eſté dit cy-deuant ſe dient Culi ou eſclaues du
mains.
Prince,neaumoins ils iouyſſent des meſmes gages & priuileges du pere,ſ'il ſ'eſt bien
porté : mais pource que ſi cela ſe continuoit à perpetuité de race en race ainſi qu'à
nous enuers la nobleſſe, il tireroit en preiudice pour les droits du Prince; leurs im
munitez ſe terminent communément en deux ou trois generations, ſ'il ne luy plaiſt
les leur prolonger d'auantage, ſi qu'ils reuiennent lors au rang des Turcs naturels
appointez ſur le Timar. Les armes dontils vſent ſont l'arc, le pauois, partuiſane,za
gaye : mais plus courtes que celles des mores, & Arabes qu'on appelle les Zenetes,
d'où eſt venu le mot de cheuaucher à la genette, auec la hache à la ceinture quant
& le cimeterre, le poignard, & la maſſe d'armesàl'arçon de la ſelle.Toutes ces qua
tre trouppes de cauallerie font la garde à tour de roolle autour des pauillons du
Turc quand il eſt en camp : & à la paix és iours de Diuan ils ſe tiennent debout en la
ſeconde porte à la main gauche du coſté des eſcuries, & l'accompaignent qºand il
ſort dehors, en nombre chaque trouppe de cinq à ſix cens.
V o 1 LA la cauallerie de la ſuitte & garde ordinaire du Turc, tant à la paix com
me à la guerre,qui peuuét faire vingt mille cheuaux, aſſauoir quelques ſeptouhuict
mille maiſtres,& le ſurplus, de leurs eſclaues & vallets qu'ils entretiennent de leur
ſolde, & ne ſont moins bons combattans qu'eux : car en toute la domination du
Turciln'ya point de Princes ne de gentils-hommes, ny ſemblables diſtinctions de
nobleſſe,quiſe puiſſent dire plusgenereux que le populaire,ains ſont toutes creatu
res viuantes compoſees de chair & d'os,de nerfs & de ſang, bien qu'il y en ait , ainſi
que par toutailleurs, auſſi bien que parmy les beſtes brutes, de plus courageux &
vaillans les vns que les autres. -
Schaoux. Sv 1 v E NT maintenant les Schaoux, ou maſſiers,gens de cheual pareillement,en
nombre de cent cinquante, plus ou moins, car ce n'eſt pas vne compagnie arreſtée,
toutesfois en plus hautgrade que les precedents : car leur charge s'eſtend en plus
d'vne ſorte,eſtans en premier lieu ce que ſouloient eſtre les Fecialiens aux Romains
& les Heraux en noſtre endroit : de fait le Turc ſe ſert d'eux à enuoyer faire les de
' fiemens en l'hoſtilité , ſommer les places de ſe rendre, former quelque complain
te ou demande,porter meſſages & ambaſſades aux Potentats eſtrangers. Item à la
guerreils ſeruentcomme de ſergens de bande pour renger les gens en bataille, &
leur faire garder l'ordre qu'ils doibuent tenir : que ſi quelqu'vn ſort de ſon rang, ou
qu'il fiſt ſemblant de tourner le dos au combat,ils le rameinent à coups de maſſe,qui
eſt la ſeule arme, & marque qu'ils portent. A la ville ils marchent deuant le Prince
quand il ſort dehors,afin de faire retirer le peuple,& faire large : Prennent quant &
quant les requeſtes,que ceux qui veulentremonſtrer quelque choſe, eſtans proſter
nez contre terre ſans leuer l'œil, tiennentattachéesauboutd'vne canne : & les lu
preſentent qu'il attache à ſonTulban, pour eſtant de retour au Serrail leur faire rai
ſon là deſſus. Il ſ'en ſert encore à porter ſes mandemens de coſté & d'autre, & tien
nent en ce cas lieu d'huiſſiers : meſmes à prendre au corps, & conſtituer priſonniers
iuſqu'auxplusgrands, voire les executer à mort de leur propre main ſur le ſimple
commandementàbouche du Prince, ou de quelque Teſquere,& commiſſion du Di
uan,laquelle apresauoir communiquée au Saniacqougouuerneur de la prouince,ou
en ſon abſence au Cadi,ſubaſſi, ouiuge du lieu, pour auoir main-forte s'il en eſtbe
ſoin,oresque ce fuſt le Sanxacq propre, il eſt creu, & obeytout ſur le champ, car la
reſiſtance n'auroit point de lieu,ioinct qu'ils ſont tous ſi obeiſſans à leur Prince, que
4.
l'Hiſtoire de Chalcondile. 379
- ſans autre ſubterfugenycontradiction ilspreſenteront alaigrement leur teſte,quâd
# bieniln'yenauroitrien par eſcript de ſigné ny de ſeellé: & le schaoux ! apporte à la
cour pour teſmoignage de ſon execution, là où quelquesfois il y en aura vingt ou
#
-l
trente pour vnautres
baſſadeurs,& ſeul iour,on a accouſtumé
perſonnages auſſi de departir
de qualité,auec quelquesdeIennitzaires
ces Schaoux, aux Am
auſqucls ils
• commandent en ceſt endroit : & ce comme pour vne forme de ſauuegarde à l'en- .
s contre des inſolences & outrages qu'on leur pourroit faire autrement ſans cela : car
, ils ont le pouuoir de chaſtier à coups de baſton ceux que bon leur ſemble,ſans qu'on
:| º
leuroſaſtreſiſter, dont ils commettentaſſezd'abuz & de concuſſions, parce qu'ils
ne ſont ſoubſmis ne reſponſables à perſonne qu'au Prince ſeul,& à ſon Diuan : Tou
# tesfois ils ont vn Chefappellé le Schaouxbaſi, lequela trois ducats pariour,auec plus Schaouxbaſi,
s de deux mille de penſion ſur le Timar chacun an, & deux Caffetans de drap d'or, ce #des maſ
#
l#
ſont
te oude longuesaſpres
quarante robbes qui ſe portent ſans
d'appointement ceindre
le iour. par deſſus
Et toutainſi le doliman,
qu'ila eſté dit auec tren-"
cy-deuant -

,lr des Iennitzaires, il n'y a chef d'armee, Beglierbeyne Saniacq,qui n'ayent quelques vns
# de ces Schaoux aupres d'eux,pour executer leurs commandemens,&pour les autho
# riſer en leurs charges,car on leur porte vn grand reſpect.
# OvT R E ce que deſſus il ya vne autre bande de trois cens hommes de cheual, Muteferega,
$ . appellez Muteferega, quivaut autant à dire comme gens viuans ſans ſoucy, leſquels § ſouci
# ont de quarante à cinquante aſpres le iour, & approchentaucunement de l'ancien
#. ne inſtitution de deux censgentils-hommes de la maiſon du Roy, qui y ſouloyent
eſtre tant ſeulementappellez des vieils Capitaines & autres hommes de valeur ayās
#. longuement ſeruy à laguerre pourvne recompenſe de leurs merites & trauaux, ſur
li leurs derniersiours : en ſemblable quand quelqu'vn aura faict vne ou pluſieurs ſi
: gnalées preuues de ſa perſonne,& qu'il eſt deſormais aduancé ſur l'aage, le Turca
: de couſtume de le pouruoir d'vne place de ces Muteferga , qui varient de nombre à
# tous propos, car cela demeure à ſa diſcretion de les croiſtre ou diminuer : & ne ſont
#. point tenus à aucune faction ny couruée, non pas meſme d'aller à la guerre quand
# bien le ſeigneur dreſſeroit vne armée Imperialle pour yaller en propre perſonne:
I$ . neaumoins ſilavieilleſſe ou indiſpoſition ne les en empeſche, ou que le voyage ne
fuſt trop loingtain,ils nc faillentgueres de l'accompagner:comme ils fontauſſi tous ,
[! les Védredis quandilvafaire ſonoraiſon àla moſquée en pompe & parade.Au cāp,
# ſile Princey eſt en perſonne, ils ſont commis à la garde des bannieres & eſtendars, Eoialo,
s lors qu'on les deſploye,ſoubs la charge de l'Emiralem ou gonfallonnier general,pour #º
: lesgarder. '- - * general.

Les forces des Empereurs othomans, compoſées de Turcs naturels.


Iv s Q v E s icy a eſté parlé des gens de cheual & de pied reſidans continuelle
ment à la Porte pres la perſonne du grand Turc, là où eſt ſa principale aſſeurance &
J reſſource : tous venus de Chreſtiens naturels dontils furent engendrez : & eſt vne
# choſe trop merueilleuſe, voire preſque comme incroyable, qu'vne petite poignée
à maniere de dire, de gens de pied tels que de dix à douze mille, & quelque peu
moins d'hommes de cheual, puiſſentainſi donner la loyàvne ſigroſſe maſſe d'Em
pire : & tenir en bridde vn ſigrandabyſme de Turcs naturels portans lesarmes, en
# nombre de plus de quatre ou cinq cens mille cheuaux : & de gens de pied, ainſi que
le ſablon de la mer,meſmementyayans vne ſiiuſte occaſion d'enuie & d'emulation,
de ne ſevoiriamais aduancer,nyen eſperance de l'eſtre,à aucune charge ne dignité,
ains au lieu d'eux eſtre promeuz à toutes, depuis les moindres iuſqu'aux plus gran
des,des Chreſtiens reniez, ſi qu'eux eſtans nez libres de condition, ſe peuuent dire
ſerfs & eſclaues de ceux quile ſont : creuecœur certes inſupportable pour des gens
ç°
qui auroient
nation du cœur
naturelle, : Par où ſedepeut
carlesTurcs ſoy aſſez cognoiſtre
ſont fortgens decepeu,&
que peut d'vn coſté
de l'autre l'incli
lanourritu
re&accouſtumance à la peine, meſaiſes, & ſobrieté, & le bon ordre, diſcipline, &
*. t
38o Illuſtrations ſur
obeiſſance en des gens de guerre. Ainſi ſe firent anciennement redoubterles Per
ſes,& eſtablirent ce bel Empire qui dura iuſqu'à Alexandre fils de Philippes,ſ'eſtans
relaſchezà la fin par leurs voluptez & delices,ainſi les Lacedemoniens,& Macedo
niens,& ſur tous autres les Romains.Ainſi la domination ſ'accreut des Circaſſes, &
Mammeluz en Egypte, Arabie,Surie, ſoubs le Souldan du Caire : & de meſme tant
que lesTurcs ſe maintiendront comme ils ont fait iuſques icy, ils ſeront,aumoins
ſelon le diſcours humain,inuincibles. - -

OR pour eſclaircir comme ce tant redoubté Monarque peut d'ordinaire entre


tenirvn ſigrand nombre de combattans,mefmement à cheual les charrier par pays,
& nourrir tous enſemble en vn ſeul corps d'armée, voire en des pays par fois ſteriles,
il faut en ceſt endroit preſuppoſer beaucoup de choſes : & en premier lieu le peu de
Endurciſſe- delicateſſe de ces gens là, tant au viure, loger, que veſtir, & leur endurciſſement
ment des d'eux & de leurs montures car ils n'ont pas meilleur temps,& ne ſont pas plusà leur
†* aiſe durant le ſeiourà la paix , qu'au camp, ayans dés leur enfance accouſtumé de
' viure comme de rien, à guiſe preſque des Cameleons, au prix de nous : & coucher
en tout temps ſur la dure.Au reſte ils ne boiuent point de vin : du pain, à la guerreils
Leur ſobrieté, ne ſçauent preſque que c'eſt, hors quclque biſcuit, qui n'eſt pas encore commun à
* Pº tous,desaulx,des oignons,& vn peu de riz, auec moins encore de Paſtremach, ou de
breſil,les voila repeus & contens,ainſi que nous ſerions aux nopces. De regretter de
voir leurs biens,heritages,& poſſeſlions,leurs belles maiſons à la ville, & leurs lieux
- de plaiſance aux champs, auec les commoditez qui y ſont , point de nouuelles de -

tout cela pour leur regard, quand bien ils demeureroicnt cinq ou ſix ans ſans retor
ner à leurs meſnages : car ils n'ont rien en propre,ſi que leurs tentes & pauillons ſont
plus magnifiques, que les baſtimens où ils reſident de pied ferme,ioinct que le plus
beau, & plus precieux de leurs meubles, qui conſiſtent en l'equippage de leurs ar
mes,& de leurs cheuaux, ils le traiſnent par tout auec eux. Pour tous vſtanciles, &
mcubles,car ils n'ont couches,tables,dreſſoüers,bancs,chaires,ny eſcabelles, linge,
ny tapiſſeries, ny vaiſſelle, ils ont vne belle nappe de cuir qui ſ'ouure & ferme com
me vne bourſe de gettons, & n'eſt point de beſoin de la mettre à la leſſiue pour la
reblanchir,vn petit vaſe de cuir qui ſe ploye auſſi, pour boire de l'eau.vn petit chau
deron couuert, qu'ils portent à l'arçon de leur ſelle, où en allant ſe peut cuire leur
viande,par le moyen d'vne lamine de fer eſchauffée qui eſt au fonds: & vn large plat
de bois ou eſcuelle pour dix ou douze : auec quelque meſchant tapis ou natte de
ioncs & rouſeaux,à ſeſtendre deſſus pour dormir : leurs cheuaux n'ont iamais non
plus de rattelier, ny de mangeoire, ny littiere, vn peu d'herbe, ou de paille hachée,
ºlllCC VI1C poignée d'orge au ſoir,les maintientforts & vigoureux, de treſbon trauail
& longue durée : & ainſi comme ils fontvne deſpence tres-petite, peu de ſolde leur
ſuffit auſſi, carils ne ſçauroient deſpendre homme & cheual ſelon qu'ils viuent, ſoit
- * e a envoyage parpays, ſoit au camp, la valeur de trois ſols pariour à tout rompre. En
Turc. apres le Prince qui proiette de longue main ſes entrepriſes & expeditions,a loiſir
de faire ſes preparatifs,& pourueoir de viures par les lieux où ſon armée doibt paſſer,
leſquels il reuend à ſes gens de guerre,& gaigne beaucoupla deſſus, outre ce que la
pluſpart d'iceux luy eſt fournie & donnée gratis par ſes ſubiects, de maniere que là
où tous les autres Princes deſpendentinfiniment en leurs guerres,luy ſeul au con
traire faités ſiennes vn grandgain & profit : car il ne luy eſt point de beſoin de met
tre la main à la bource pour ſouldoyer des eſtrangers : toutes les forces qu'il a ſont
d'ordinaire entretenues auſſi bien en temps de paix que de guerre. Surquoy il faut
Perſonne ne notter qu'en toute ceſte large & ſpacieuſe eſtendue d'Empire, il n'ya homme quel
#.. qu'il ſoit,ſi ce ne ſont d'aduenture les Chreſtiens, dont la condition en ce cas eſt en
† core pire, & plus onereuſe, quiſe puiſſe dire auoirvn ſeul poulce de terre en propre
#º " à luynyaux ſiens, tant ſ'en faut qu'il peuſt eſtre ſeigneuriuſticier de quelque cha
- ſteau, bourg, ou village, ny autre terre & ſeigneurie, nyauoir des ſubiects & vaſſaux
ſoubs luy; ains eſt tout le § departy aux vns & aux autres par forme d'vſu
fruict ſeulement; & encore non pas à vie, ainstant qu'il plaiſt au Prince de le leur
COllIlIlllCV
- ) - - ©. _| - - |! • ' f • - - - -

l'Hiſtoire de Chalcondile. 381


continuer & laiſſer, ce qu'ilsappellent delàTimar, qui ſignifie Fruits, & les 7ima- Timºr,& ai
riots, ſont ceux quiieuyſſent de ces terres & heritages, à la charge & condition de arii .
ſeruirà la guerre en propre perſonne, auec autant d'hommes & de cheuaux de ſer
uice, comme leur Timar par l'eſtime qui en eſt faicte vaut de deux mille cinqcens
aſpres, ou cinquante eſcus, & les entretenir d'ordinaire montez & armez à leur mo
· de, pour eſtre preſts de marcher'à toutes heures qu'on le leur mande, & ce ſur pei
ne de la vie, car rien ne les en ſçauroit excuſer qu'vne maladie. Outre ce debuoir
& ſubiection qui tient aucunement de nos bancs & arriere-bancs, ils payent enco
revne redeuance du dixieſme du reuenu, lequel vient de nect au Chaſna ou threſor
de l'eſpargne. Que ſ'ils ont des enfans qui ſoient en aage, de porter armes, & pro
presàfaire ſeruice apres leur deceds, ou en defaut d'eux quelques parents tant ſoit
peucogneus & fauoriſez, on a de couſtume de leur continuer ce Timar aux meſ
mes charges , ſinon l'on on pourueoit d'autres , mais il faut là deſſus entendre
que ſi l'heritage & poſſeſſion paſſe de reuenu annuel la ſomme de quinze mille suiaºi.iuges
aſpres qui ſont trois cens eſcus, ceux qui le poſſedent ne ſont pas appellez Tima-§ #
riots, ains ſubaſi, leſquels adminiſtrent la iuſticé du lieu ſoubs l'authorité du Sa- ou chaſtel
niacq de la prouince, de façon que cela ſe rapporte en tout & par tout à nos aiîeien-"
nes chaſtellenies. - , - -

CE LA premis,ilyaicytrois ou quatre principaux points à toucher : le premier Points nota


l'eſtendue de ceſt Empire,le plusgrand de tous les autres qui furent oncques dont il †§
ſoit memoire, apres le Romain, auec les prouinces yannexées,& le reuenu d'icel- §. -

les, les officiers principaux : le nombre des forces de Turcs naturels de cheual,& de
pied, tant par la terre que par la mer,ſurquoy, & comment elles ſont ſouldoyées & • º :

entretenues; & leur maniere de camper, enſemble l'ordre de ſe renger en bataille †º


& combattre. Tov T premierement doncques la domination du Turc s'eſtend §. * .

és trois parties de la terre habitable, Europe, Aſie, & Afriquc, à ſçauoir du Le


uant au Ponant depuis le fleuue de Tigris, qui borne la Perſe & eſtat du Sophy du
coſté de la Meſopotamie, iuſques à la Cireiºaique d'Afrique, voire iuſqu'au deſtroit
de Gilbatar vers Marroc en la barbarie le long de la coſte d'Afrique, car tous les
l'
Roys & ſeigneurs particuliers qui y ſont, luy rendent obeiſſance & payent tribut:
le long de la mer mediterranée en l'Europe , il ne paſſe pas la Valonne, toutes
fois plus auant dans terre il ſ'eſtend iuſqu'à Trieſte en l'Eſclauonie deuers la mer
Adriatique, mais à prendre plus auant dans la terre , depuis Babylone , iuſqu'à
Seghet qui n'eſt qu'à deux petites iournées de Vienne en Auſtriche, d'où iuſques
à Conſtantinople tant ſeulement, qui n'eſt pas la moitié du chemin de ce grand tra
uers, ilya plus de quatre cens lieuës, & plus de cinq cens delà iuſques ſur les fron
l

"
pieres de Perſe. Du Septentrion d'autre partau midy, depuis Capha qui eſt yers les
paluz Meotides, & le fleuue de Tanaïs,iuſqu'à la ville de Siené en la baſſe Ethio
pie, où à peine les armes Romaines penctrerent oncques, & à l'emboucheure de
la mer rouge , il y a plus de mille lieuës , le tout ſans aucune interruption d'vn
ſeul pied de terre : car les Turcs marchent touſiours de proche en proche en leurs
: conqueſtes. - - - -

4 A v regard des mers, toute la mediterranée à peu pres ſe peut dire eſtre ſoubs
ſon obeiſſance,tant pour les coſtes & iſles qui luy ſont ſubiectes, que pour lesgroſſes
flottes devaiſſeaux qu'il peut mettre dehors à tout'heure,horſmis le goulphe Adria
tique , & la mer inferieure comme on l'appelle, depuis le Far de Meſſine iuſ
qu'à
touteMarſeille, & de là iuſqu'au
du nom Chreſtien. deſtroit
Mais pour venirdeauGilbatar en en
particulier, Landelouſie , quipoſ-
Europe le Turc eſt
| , •

ſede toute la Hongrie à ceſte heure , & vne encoigneure des appartenances de la
Poloigne vers Chionie le long du fleuue Boriſtenes, ou Nieper, qui s'en va tomber
dans la mer-maiour vers Moncaſtre, anciennement Hermonaſſe : la Tranſſylua
nie, Moldauie, & Valachie, luy eſtans non ſeulement tributaires, ains du tout
à ſa deuotion. Le long du Danube de coſté & d'autre il occupe tout , la Ser
nie, à ſçauoir, ou Myſie, tant la ſuperieure que l'inferieure : Raſcie , que
NN . . . -
382 Illuſtrations ſur
Strabon & Ptolemée appellent les Scordiſques, & quelques autres la Dardanie,
c'eſt la Boſcine de maintenant : Plus la Bulgarie ou Triballiens, & le long du goul
phe adriatique la pluſpart de l'Eſclauonie, Croatie, Dalmatie, & l'Epire, auiour
d'huy Albanie.La Grece toute d'vn bout à autre, auec le Peloponeſe ou Morée, &
les Iſlesadiacentes de toutes parts.La Macedoine, Theſſalie, & laThrace, iuſques
au deſtroit de Prerop, & plus haut encore,où il va confineraux Moſcouites & Tar
tares vers le Tanais, des modernes appelle le Don. Et pour reprendre la marine de ce
coſté là,quiſe varendre où nous auons dit cy-deſſus, tout le pont Euxin ou mer-ma
iour, (les Turcs † Caradenis, la mer noire,) auec ſes riuages tant en l'Euro
pe qu'en l'Aſie, eſt de ſa domination : puis la Propontide, Helleſponte,la mer Egee,
· ou Archipel, Phenice, Ionie, enſemble toutes les Iſlesy contenues horſmis Sgo,
| Leſbos ou Methelin, & quelques autres de peu d'importance, qui luy ſont neau
moins tributaires, à trop meilleure & plus fructueuſe condition pour luy, toutes
fois, que ſi elles eſtoientreduittes abſolument ſoubs ſon obeiſſance & ſubiection,
car toutes les fois qu'il luy en prendroit enuie il les pourra empietter d'heure à au
tre, les choſes eſtansés termes où elles ſont,auſſi bien commeil a fait Chypre,& eſt
en dangerfaire de Candie qui n'y pouruoira. EN As I E , l Empire de Trebizon-'
de, auec la Mengrelie, & Zorzanie confinans d'vn coſté auxTartares, c'eſtoitl'an
cien Royaume de Colchos tant fameux pour la toiſon d'or, & le voyage des Argo
nautes. En apres la Gallatie ou Gallogrece, Cappadoce, & Paphlagonie : la Cara
manie conſequemment quiconſiſte en la Cilice, Cycie, Lycaonie, & Pamphylie:
Toute la petite Armenie ou Aladuli, y compris les monts du Taur, & de Caucaſe en
vulgaire Coca{: l'Anatolie, ou Aſie mineur, & Turquie, où ſont contenues Bithy
nie, Lydie, Phrygie, Meonie, Carie. Item toute la Surie, & Phenice : l'Aſſyrie,
. ou Aſamie, (l'ancienne Chaldée) dont Babylone, Bagadet, ou Baldach, eſt le chef
encore : Medie, & Meſopotamie qu'ils appellent le Dierbech, l'Arabie pierreuſe, &
la deſerte où ſont les villes de Medinatalnabi, & de la Meke : & vne portion de lafer
tile ou heureuſe, aumoins le redoubtement du nom Turqueſque ſeſtend iuſ
ques là. Et finablement en Afrique toute l'Egypte, qu'ils appellent Mitxir, du
mot Hebrieu Mixraſim, angoiſſes, dont le Caire eſt le ſiege capital à ceſte heure,
& la reſidence du Baſſa, gouuerneur de ceſte prouince , qui ſ'eſtend iuſqu'au
Royaume d'Arger le long de la coſte , & plus de cent cinquante lieuës contre
mont le Nil. -

-L E R E V E N V D V T V R C.

carazzi, tribut , Tovs LEs cHR EsT 1E N s, & les Iuifs quiviuent ſoubsl'obeiſſance du Turg
ſonteſcriptsau papier du Carazzi, depuis qu'ils ont l'aage de quatorze ans ( i'en
tends des maſles, car les femelles en ſont exemptes ) qui eſt certain tribut en
argent qu'ils payent pour teſte ſelon la taxe qui ſe fait ſur l'eualuation de leurs
facultez & moyens, au teſmoignage & rapport de trois Turcs naturels, ne pou
uant toutes-fois exceder deux cens aſpres qui font quatre eſcus, ny auſſi eſtre
moindre que d'vn eſcu, auec quatre aſpres outre cela pour les frais de la cueil
lette des deniers. Et pource que ceſte taxe demeure à l'arbitre des Turcs, ilſy
commet de grandes iniuſtices & deſraiſons, d'autant qu'eſtans corrompus par
les riches , la charge ſe reiette ineſgallement, comme il aduient par tout preſ
qu'ailleurs, ſur les pauures & foibles, qui ſont contraints la pluſpart du temps
de donner leurs propres enfans pour eſclaues en lieu d'argent, pour n'auoirde
quoy ſatisfaire à ceſte charge & impoſition , & à d'autres dont ils ſont ſurchar
gez encore , meſme pour l'entretenement des mattelots & gens de rame quand
Le carazzi du on dreſſe quelque armée de mer. Ce Cara{Xi , doncques peut arriuer pour lo
† iourd'huy à bien deux millions d'or de liquide, par communes années, & plus:
do c§. Car du temps de Baiazet, il y peut auoir quelques quatre vingts &. dix ans,
- par la deſcription qui ſ'en fit, ſe trouua enuiron le nombre d'onze cens, douze
- - mille
l'Hiſtoire de Chalcondile. 383
mille Chefs de Chreſtiens : & ſoubs ſon fils Selim biſayeul d'Amurath qui regné
à preſent, treize cens trente trois mille, outre les priuilegez & exempts, n'eſtans
encore annexées à l'Empire Turqueſque, la Surie, & Egypte, la Mcſopotamie,
& Armenie, que conquiſt iceluy Selim : Solyman puis apres la Hongrie , &
Rhodes : & ſon fils Selim Chypre, ſi que le Carazzi peut bien arriuer de nect main
tenant aux deux millions d'or deſſuſdits, outre toutes les non-valleurs quiypeu
uent eſcheoir, & encore plus. Bien eſt vray , que là deſſus a eſté aſſigné par les Fondations
Empereurs Turcs l'entretenement des Moſquées & hoſpitaux de leurs ſepultures, des Turcs
comme de Mehemct ſecond, qui reuient à cent mille ducats par an de deſpen
ce, à quoy eſt affecté le CaraXXi de Coron, Modon, Lepantho, & Pattras. Et de
Baiazet, tout plein d'autres reuenus de coſté & d'autre. Quand à Selim le biſayeul
de celuy qui regne, pource qu'il ne conquiſt rien ſur les Chreſtiens , ains ſur les
Mahometiſtes tant ſeulement, comme ſur le Caraman, le Sophy, & le Souldan
du Caire, il fit la fondation de ſon Imarath, ſur le domaine, & non ſur le Carax to,ai hor.
i. Et ſon fils Solyman au rebours, parce qu'il eſtendit toutes ſes conqueſtes ſur pital.
le nom Chreſtien , horſmis quelques entrepriſes qu'il fit contre le Sophy , plu
ſtoſt par oſtentation & brauade, que pour y rien empietter de pied ferme, ilaſ
ſigna le ſien , dont le baſtiment couſta plus de douze cens mille eſcus, ſans les
marbres , & autres precieuſes eſtoffes qu'il enleua d'infinis endroits , ſur le Ca
razzi, qui monte plus de ſept vingts mille eſcus tous les ans : & ce qui eſt vne fois
li#
deſtiné à ces laiz charitables , ne ſe peut aiſéement reuocquer ne diſtraire à au
&
tres vſages par les ſeigneurs qui viennent apres, ains demeure perpetuellement
affecté à cela. -

OvT RE le CarazXi deſſuſdit, dont les Turcs ſont du tout exempts, les Chre- Impoſition
ſtiens, les Iuifs, & les Turcs meſmes payent certain autre impoſtannuel, qu'on ap-pour la deſpé
, pelle pour la deſpence,aſſauoir les Iuifs,& Chreſtiens trente aſpres pour teſte, & lesºº
#
Turcs vingtcinq, qui reuient à plus de douze cens mille eſcus tous les ans, car il n'y
faut pas comprendre les gens de guerre , ains les laboureurs & marchands ſeule
ITlCIlt.
-
1.i
-

IT E M pour chaſque chef de beſtail, de quelque ſorte indifferemment qu'il rºtut ſur le
puiſſe eſtre,d'vn aſpre,à vn aſpre & demy : dequoy on peut faire eſtat à plus de quin-beſtail.
ze cens mille eſcus, - -

# IL Y A puisaprestoutlereuenu des Serrails,&autres lieux que le Turc ſereſer-† des


ue pour ſon vſage, auec le domaine, & les heritages qui en dependent, ce qui tient §yalles.
lieu de plus de cent mille eſcus chacun an, & eſt reſerué pour la deſpence de bou- -

che. · " ,

TovT E s les minieres de metaux, ſels,alums,ſoulphres,terres ſigillées,bole ara


menien qu'on appelle,azurs,& autres couleurs, & ſemblables matieres foſſiles,dou
ze cens mille. -

L E s D o v A N E s, traictes foraines , daces , ſubſides, & impoſitions ſur


toutes ſortes de denrées qui entrent & ſortent de Conſtantinople , Gallipoli, le
Caire, Tripoli de Surie, Baruch, Damas , Alep , Babylone , & c, deux millions
d'or.
LE PRoF 1 T des lettres patentes,graces,priuileges,ſauf-conduits,paſſe-ports,
&autres telles expeditions,cent mille.
L E s Av L B E 1 N E s & confiſcations , cinq cens mille : car cela s'eſtend bien
plus loin qu'enuers nous, & y eſt bien mieux meſnagé, parce que le Turc bien ſou
uenteſtheritiervniuerſel de tous ceux qui meurent ſans hoirs, tant des immeubles
que des meubles : & ya des threſoriers à part pour le ſolliciter & pourſuiure,ap-paalmagiiar,
pellez Petalmagilar, S'il y a des heritiers, il prend la dixieſme partie de tous les threſor§ des
meubles. confiſcations
-

L E s deniers reuenans bons par la mort,ou demiſſion des officiers & Timariots, & aulbeines,
d'autant que cela ne paſſe pas à leurs ſucceſſeurs, ains retorne au profit du Prince,
quatre cens mille eſcus. - -

NN ij
384 Illuſtrations ſur
CE qu'il tire de la monnoye, cent mille.
LEs PR Es ENT s quiluy ſont faits de toutes parts, & meſme en temps de guer
re par les officiers des prouinces,à l'enuyl'vn de l'autre, ſont eualluez par commune
eſtimation à plus de trois cens mille eſcus paran, deduits ceux qu'il fait en contreſ
change. - - -

· EN cE que deſſus,qui eſt extraict des relations des Bailes ou Ambaſſadeurs que
les Venitiens tiennent d'ordinaire à Conſtantinople, qui ſont tenus, comme par
tout ailleurs où ils en ont aupres des Princes & Potentats, de leur apporter de trois
en troisans,vn diſcours bien ample de tous les affaires des lieux où ils reſident, n'eſt
compris le reuenu du Royaume de Chypre puis n'agueresannexé à leur Empire,qui
peut reuenir par an de cinqà ſix cens mille eſcus. | .
IL Y A puis apres les tributaires,comme du coſté de la Barbarie tous les Roys, &
Seigneurs particuliers qui commandent en Arger,Thunes,Telenſin, Tripoli, Fez,
Marroch,les Gerbes, & autres,cela peut monter compris les preſents & paſſe-droits
qu'ils fontaux armées de mer, à plus de cent mille eſcusl'vn portantl'autre tous les
aIlS. -

DE LA Pogdanie & Valaquie,vingt mille eſcus. De certains endroits de Hon


grie,trente mille : Tranſſyluanie quinze mille : Ragouze douze mille : Scio qui eſt
ſoubs le gouuernement des Geneuois, dix miile.Toutes les autres Iſles de l'Archi- .
pel, qui viuent encore ſoubs leurs ſtatuts en quelque forme de liberté, car de la reli
ionil ne l'oſte à perſonne,dix mille.Le Duché d'Arego pour toutes chargesa com
poſé à douze mille.
ET F IN A B LE MENT pour la decime qu'il tire de tout le Timarou domaine de
party à la gendarmerie Turqueſque, lequel comme nous le monſtrerons cy-apres,
arriue à plus de vingt millions d'or, on peut faire eſtat de deux millions pour le
Prince.
Le reuenu du So M M E toute que peut monter ſon reuenu annuel, enuiron douze millions
§ d'or; ce qui correſpond & ſe rapporte aucunement au calcul qu'en fait noſtre au
# º theurverslafinduhuictieſmeliure.
D E S P E N C E S V R C E.

Les gen, de L'ENTRETENEMENT de douze mille Iennitzaires qui reſident d'ordinaire à la


pied
Porte,
de la Porte,y
nus compris
d'enfans de les Solachs, &auecl'eſtat
Chreſtiens, les Capigi, qui ſontAga,
de leur du nombre,&
Capitainestous gens de
& autres piedve
membres,
& officiers, les appointemens & Capeſouldes aux vns plus qu'aux autres, leurs ac
couſtremens, armes, poudre d'arquebouze, balles, arcs, fleſches, ſommiers pour
porter leurs bagages & hardes, tentes & autres telles commoditez, car le Prince les
entretient & defraye de tout; ne ſçauroit moins monter qu'à quelques cent eſcus
paran l'vn portantl'autre,qui ſeroient douze cens milie eſcus, ioinct ce qu'il donne
auſſiaux Ienniſſerots en attendant qu'ils ſoyent pourueus, car il en a touſiours qua
' tre ou cinqmille de reſerue pour le rempliſſement de ſes bandes : Bien eſt vray que
la pluſpart gaignent leurvie. -

Les gens deLEs huictmille que Spacchis, que Seličtars, & Vlufagi qui font, auec leurs cou
#! º" ſtilliers entretenus,bien vingt mille cheuaux, on les peut mettrey compris leursha
- billemens, montures, & autres preſents, paſſedroits, & ſurgraces qu'ils ont du mai
ſtre, à cent eſcus auſſi paran, tant les maiſtres que les vallets, ce qui reuiendroit à
deux millions d'or.
SI que ces forces de la Porte, qui paſſent en pompe & parade toutes les au
tres qu'a le Turc, ſont auſſi l'vn des principaux & plus lourds articles de ſa deſ
, pence. -

† | QyANT à ſa maiſon, il entretient plus de deux mille bouches dans ſon Ser
Turc. rail, ſelon qu'on a peu voir cy-deuant : Tous leſquels outre leur deffroy de bou
- che,ont des gages,&accouſtremens,la pluſpart fort riches A les prendre doncques
ſeulement
-

• • - - - - - - • . : "-- *

l'Hiſtoire de Chalcondile. 385


--
ſeulement à 5o. eſcus pour teſte, cela arriueroit à vn million d'or, car ilyapluſieurs
# Serrails outre celuy de Conſtantinople, où il entretient de ces Agemoglans, & des
#. officiers pour le ſeruice de ſa perſonne. - - · -

Chambre aux
SA c H A M B R E aux deniers ou deſpenſe de bouche, y compris ces ſix cens plats deniers.
|
ou baſſins de viande qui ſe ſeruent quatre fois la ſemaineau Diuan,ne ſçauroit moins
monter de cent mille eſcus, attendu le grand nombre de bouches qui viuent ſur ſes
cuiſines; & le deffroy des Ambaſſadeurs, & ſemblables perſonnages de qualité qui
reſident aupres de luy, auſquels il donne iournellement certaines liurécs & diſtri
butions de riz, grains, chair, foin, orge, & autres telles victuailles : & certes ſi ce
n'eſtoit leur parſimonie, prouiſions de longuemain comme en demeures de pied
ferme, leur ſobrieté & bon meſnage, ils n'en ſeroient pas quittes, aumoins nous, ſi
#!
ſ
l'ony veut comprendre les larrecins qu'on appelle practiques, pour quatre ou cinq
fois autant. , - . -
#:
#.
S Es Esc v R 1 Es, y compris les achapts de cheuaux, & les preſens qu'il en Eſcuries.
faict de coſté-& d autre , auec leurs richcs harnachemens : Ceux qui les pen
ſent, & leurs ſuperintendans , & officiers , à cent mille autres eſcus pour le
II1O111S. - - -

SoN A R G EN T E R 1 E eſt immenſe, caril donne à infinies perſonnes de fortri-Argentelle


ches accouſtremens d'eſcarlatte, de draps d'or, d'argent, & de ſoye de toutes ſortes,
& d'exquiſes fourrures : Puis là deſſus viennent en ieu ces riches meubles, les pier
reries qu'ilachepte, les armes, harnois de cheuaux : vaſes, couppes, baſſins, & au
tre telle vaiſſelle & buffets d'or & d'argent, qui en ſont garnis & eſtoffez comme par
deſpit : de maniere que cela ne ſe peut bonnement limiter : toutesfois ie me ſuis laiſ
ſé dire à certainsTurcs, & Iuifs groailliers, gens d'entendement, & qui eſtoient
employez en ces affaires, que la moindre année ily deſpend plus d'vn million d'or:
Bien eſt vray qu'outre le deſſuſdit reuenu ferme, il a beaucoup de parties caſuelles
qui ſ'employent preſque toutes en ceſtarticle, & le ſuiuant. - ·
SE s menus plaiſirs ordinaires ne ſont que de 4o eſcus par iour, mais ce n'eſt que Menusplaiſirs,
ce qu'on luy met tous les matins dans ſes pochettes pour donner çà & là par les me
nus, tant lors qu'il ſort de ſon Serrail par forme d'aumoſne emmyles ruës, que dans
iceluy à ſes domeſtiques quand ils font quelque exercice d'armes à ſon gré : carilya
bien d'autres largeſſes à vaul'année qui ſont plus rudes & peſantes, comme des plai
ſirs qu'il reçoit en bouffons, feuz artificiels,jeux, & ſemblables paſſetéps : de ioüer
à dez n'y à carthes cela leur eſt defendu en la loy.Au moyen dequoy par commune
eſtimation l'on peut bien mettre icy pour ce ſeul article, cét mille autres eſcus pour
le moins. | - |

SA VENN E R I E & fauconnerie ſelon qu'ila eſté ſpecifié cy-deſſus, à plus de vénsrie & fad
- - COIlllCI1C,
| cent millel'vn portant l'autre.
ILs ſont au reſte ſi peu curieux de baſtir, que cecy ſe peut paſſer comme en blanc: paaiments.
toutesfois ilya eu des EmpereursTurcs qui y ont faict d'extrémes deſpences.
HoRs de ſon Serrail il entretient plus de trente mille artiſans , qui ont tous Entretenemét
de luygages outre leurs manufactures : comme armeuriers, ſelliers, eſpronniers,º
mareſchaux, tentiers, conducteurs de chameaux & beſtes de ſomme, & autres ſem
blables, qui à les prendre de ſix iuſques à dix aſpres le iour, arriueroient à plus de
douze cens mille eſcus paran. - - Gaiges d'ofH
L E s G A G E s de ſes principaux officiers, & les preſens qu'il leur fait outre ce qui cie# -

leur eſt aſſigné ſur le Timarou domaine, plus de deux cens mille. -

L E s SERRA 1 Ls des Dames qui y ſont gardées pour ſon vſage fi bon luy ſemble
en nombre tres-grand de coſté & d'autre, iuſques à douze ou quinze cens, voire en
core plus, tant pour leur viure & veſtemens, & les dons qu'il leur fait de grace ex
traordinaire en les mariant, que pour ceux qui ont la charge de les garder & ſeruir,
plus de deux cens mille eſcus. - - - - - "

Les FoN PAT 1oNs des Moſquées & Hoſpitaux de ſes predeceſſeurs iuſques †
icy, montent à ce que i'ay peu entédre, compris les œuures pitoyables que le Prince §"
#
- N N iij -

".
386 | Illuſtrations ſur
faict durant ſavie, & les entretenemens de ces lieux auec les baſtimens des autres
qu'ils fondent pour le ſauuement de leurame, ſiaumoins il y peut auoir ſalut hors
de l'Egliſe de Dieu Catholique, à plus de ſix cens mille eſcus, mais cela va ſur la
deduction de leur reuenu.
EN temps de guerre, encore que pour le regard de ſes forces il ne deſpende point
plus qu'à la paix, par ce qu'il les entretient d'ordinaire; ſi ce n'eſt d'aduanture pour
quelques azapes gens de pied, & Turcs naturels,mais c'eſt peu de choſe : & pareille
Artillerie.
ment que lesviures lui tournent à plus de profit que de deſpenſe:neaumoins le train
de l'artillerie qui eſt fort grand en ſes voyages & entrepriſes; dont ſi c'eſt au loingil
fait porter le bronze ſur des chameaux, afin de fondre les pieces ſur les lieux où il
en peutauoir affaire : & les pouldres,boullets, cordages, affuſts, & tout le reſte de
l'attirail, ne luy peut eſtre que de grands frais: combien que cela n'arriue pas tous les
La marine. ans, ce nonobſtant il ne laiſſe d'entretenir continuellement plus de quarante mille
perſonnes en ſesarcenats, qui à cinqaſpresl'vn portantl'autre ſans les eſtoffes, mon
teroiét à plus de douze cens mille eſcus tous les ans.A ceſt article l'on pourroit auſſi
Arcenal, mot ioindre la deſpenſe de la marine, par ce que ce mot d'Arcenal qui eſt Turqueſque
Turqueſque. concerne tantl'artillerie que les vaiſſeaux, dont le Turc entretient d'ordinaire plus
de deux cens groſſes galleres, & centgalliottes & fuſtes. Il ya puis apres la deſpenſe
des mattelots, forçats, & gés de guerre qu'on charge deſſus Parquoy on peut bien
mettre icy pour tout cela vn million d'or : car ſon equippage de mer eſt fort grand:
Bien eſt vray que quand ſa flotte ſort dehors, ils ont de couſtume deietter vne creuë
ſur le Cara{ºi de † eſcu pour teſte, car ils n'ont que ceſt impoſt qui puiſſe aug
menter, comme à nous les tailles, & autres aides & ſubſides.Mais il vaut mieux re
ſeruer tout ce fait de la marine ſur le chapitre de l'Arcenal qui eſt en Pera, où il vien
draplus à propos : il ſuffiſt d'auoir touché icy en paſſant ceſt article parvne commu
ne eſtimation. -

A 1N s 1 ſa deſpenſe arriueroit à quelques dix millions d'or peu ſ'en faut.Mais tout
l'eſtat que nous en pouuons faire eſt enl'air, & comme ſil'on y alloit à taſtons, parce
que les choſes ſe changent de iouràautre ſelon le naturel des Princes, & les occa
ſions qui ſuruiennent, meſme en vne telle & ſivaſte eſtenduë de Monarchie. A ce
compte le Turc pourroit mettre en reſerue deux millions d'or chacun an, ce quine
ſ'eſloignegueres de la raiſon : tellement qu'ils deuroient auoirvn fort grand fonds,
que quelques vns qui font profeſſion d'entendre leur fait, eſlargiſſent à plus de cent
millions d'or, qui ſont (dient-ils)és ſept tours dont nous parlerons cy-apres.Lesau
tres qui ſont parauanture plus clair-voyans, & qui examinent de plus pres leursaf
faires,ontopinió que le Turc meſme eſt courtd'argent,& neceſſiteux la pluſpart du
temps, quelque bonne mine qu'ils facent : & là deſſus alleguent ce qui ſe dit meſme
pardelà de Ruſtan Baſſab que la cauſe principalle de ſon aduancement enuers Soly
man,fut ſa dexterité à trouuer desinuentions pour luyamaſſer des finäces,iuſques à
vendre des meſchantes hardes & deſpoüilles priſes ſur les Chreſtiens,eſtant lors le
Chaſna ou threſor de l'eſpargne fort eſpuiſſé : auquel en l'vne des chambres d'ice
luy eſtoittaillé en groſſes lettres ſur la porte; L E s F 1 NAN c E s A c Q v I s E s Av
PR 1 N c E P A R LE M o Y EN ET D E x T E R 1 T E DE Rv sT AN. Lequcl,
cöme porte vne des Relations des Bailes Venitiens, ſe laſchavn iour de dire, que le
Seigneur pouuoit maintenir laguerre plus de cinquante ans des deniers ſeulement
du Chaſha; ce qui reſſent plus ſon odeur d'vne vanterie & piaffe Turqueſque pour
intimider vn chacun, que de vray-ſemblance réelle.Trop bien le bruit communeſt
que Solyman au voyage qu'il fitl'an 1566.en Hongrie lors qu'il mourut deuant Seg
het,auoit portéauecques luyplus de quarante millions d'or : & que ſon fils Sultan
Selim en paſſant par Conſtantinople pour aller à l'armée prédre poſſeſſion de l'Em
pire voulut ouurir le Chaſna pour prendre de l'argent, dont il peuſtfaire des largeſ
ſes & donatifs ſelon la couſtume,aux Iennitzaires & autres forces de la Porte à ſon
nouueladuenement à la couronne : mais que ſa ſœur Camerie veufue dudit Roſtan
luy remonſtra, qu'outre ce que leur deffunct pere auoit portéauecques luy vn tres
grand
-

l'Hiſtoire de Chalcondile. 387


rand threſor, ce ſeroit faire vn trop grand tort au nom Othoman, & à la reputa
tion de leur Monarchie, d'ouurir le Chaſna pour ſi peu de choſe comme de trois ou
uatre millions d'or que pourroit möter ce donatif, & autres ſemblables frais d'en
trée : leſquels elle luypreſtatous comptans de ſes coffres.
Des principaux officiers de la Monarchie Turqueſque.
Tov r le faict du Turc, tous ſesaffaires d'Eſtat, de Iuſtice, police, & finances,
auec le train de ſa milice eſt en principale ſuperiorité ſous le maniement & condui
te de quatre perſonnages (quelquefois ils ne ſont que trois) qui reſident continuel Les Baſſats,
lement à ſa ſuitte, appellez Baſſats; dont il y en a touſiours vn, aſſauoir le premier,
dit le Viſir qui a plus d'authorité que les autres, non que ce rang luy ſoit acquis par
l'ancienneté de ſa charge, comme à nous pourroient eſtre les mareſchaux de Fran
ce : mais ſelon qu'il plaiſtau Prince de les pouruoir & aduancer à ce tiltre & grade
d'authorité,le plus grand de tous. Ce motau reſte de Baſſa ſignifie Chef, & Viſir Le Viſir ou pré4
Conſeiller, parquoy il ſe communique auſſi par forme d'honneuraux autres Baſats, mier Baſſa.
mais proprementilappartientau premier, comme qui voudroit dire Chef du con
ſeil : car il preſide au Diuan, dont il a eſté parlé cy-deſſus, & deſpeſche en ſon logis
outre plus toutes ſortes d'affaires ſansyappeller ſes compagnons ſi bon ne luy ſem
ble : ce qu'ils ne pourroient pas faire ſans luy, au moins ceux qui ſont d'importance.
Il a cn-apres le ſeau & cachet du Seigneur en ſagarde; dont il deſpeſche ce qu'il
luy plaiſt, ſans que perſonne l'y contreroolle : Somme qu'il les precede en toutes
choſes : & ſontaduancez à ce degré qui eſt le plus haut, tant par leurs merites &
ſuffiſances, & la preuue qu'ils ont faite en d'autres charges, que par le ſeul bon plai
ſir & vouloir du Prince, qui eſtendindifferemment ſes faueurs & biens-faicts où il
luyplaiſt; comme ilaºuint d'vn nommé Achmat, que Mehemet ſecond de ſimple
Solach, fit tout à vn inſtant par certain Bizarre Capricce premier Baſſa. Et d'Ebraim
qui ſoubs Solyman eut plus de credit que nul autre d'auparauant, nyapres : Car il
auoit plus de trois cens mille ducats d'eſtat, & entroit à toutes heures que bon
luy ſembloit vers le Prince, ce qui n'eſt permis à perſonne ſans y eſtre appellé de
luy. | -

O v T R E les quatre Baſſats deſſuſdits ilyen a vn cinquieſme appellé le Baſſadegnis Baſſa Degn#
ou de la mer, qui eſt comme vn Admiral, & general de la marine,tel que fut ſous le Admiral.
dit Solyman Cairadin Baſa dit Barberouſſe de par ſon oncle Roy d'Arger; & nague
res Occhiali; lequel Degnis a ſeance au Diuan auec les autres Baſ/ats, combien que ſa
reſidence ordinaire ſoit à Gallipoli, & parfois à Pera, où il commande, par ce que là
eſtl'Arcenal, & la plus grand part des vaiſſeaux, auecl'attirail & equippage de mer:
&y commet meſme vn Subaſſi ou Caddi pour y exercer la Iuſtice. Ce mot de Baſ
ſa eſt auſſi deferéaux Beglierbeys,& Saniaques,gouuerneurs des Prouinces, & groſ
ſes villes, comme à celuy qu'on'appelle le Baſſa de Budde de la Morée, du Caire, &
autres ſemblables.Et finablemét à tous les chefs des officiers pour petits qu'ils ſoiét,
comme les Boſfangibaſſi chef desiardiniers, les Odobaſi chefs deſquaddre ou cham
brées, Chaſnadarbaſi, &c. Quant au premier Baſſa ou Viſir, il n'abandonneiamais le
Prince quelque part qu'il aille, ſoit à la paix, ſoit à la guerre : ſi font bien les autres
à qui il donne charge d'armées, & entrepriſesd'importance quand il ny veutpasal
leren perſonne, tant par la terre que par la mer : comme à Muſtapha Baſa au ſiege de
Malthe: & depuis à Chypre lors qu'elle fut priſe,les Baſſats donnentaureſte audien
ce aux Ambaſſadeurs, & conſultent de toutes ſortes d'affaires : Car le Prince nene
gocie iamais quant à luyimmediattement auec perſonne que ce ſoit, nyne fait rien
fors que par eux & auec eux : voulant qu'ils examinent & eſpluchent diligemment Notables ad
toutes choſes, afin que le rapport luy en eſtant par eux faict,il ſ'en puiſſereſouldre à uertiſſemens
les Prin
loiſir.A ce propos le Roy Catholique Dom Ferrand d'Arragon ſouloit dire, que les pour
ces ſouuerains,
Conſeillers des Princes eſtoient leurs lunettes : maisle Turc Solymanyadiouſtoit,
qu'il n'eſtoit pas expedient qu'ils commiſſentiamais tous leursaffaires à vn homme
-
388 Illuſtrations ſur
ſeul : Parquoy ceſte façon de faire desTurcs eſtvnetres-bonne forme de gouuer
nement; & vaut mieux la pluſpart du temps eſtre vn peu plus peſant & groſſier, voi
re comme l'ondit, cheminer à pieds de plomb 'és grands affaires, que ſubtil & har
ſtif. Ce ſont les Baſats au reſte qui ordonnent des finances, & quiconferent les pro
uiſions des Timariots au deſſus de ſix mille aſpres de reuenu, qui valent ſix vingts
eſcus : & en ont quant à eux chacun vingt mille de penſion , le Viſir vingt-cinq
mille, & celuy de la mer quinze mille, aſſignez ſur les plus certains & meilleurs
endroits de tout le domaine; car ils les choiſiſſent comme bon leur ſemble , de
maniere qu'ils leur'arriuent au double , & leurs practiques encore plus , ſi qu'il
n'y a Baſſa quine puiſſe faire eſtat de pres de cent mille eſcus tous les ans; auſſien
tretiennent-ils ordinairement vn grand train & famille, de plus de trois ou qua
tre mille bouches , & mille cheuaux , pour en employer la pluſpart à la guerre.
Et n'y a qu'eux outre le Prince, & les deux Beglierbeys qui ayent leurs tentes & pa
uillons de couleur rouge. -

Des Beglierbeys, & Saniaques.


L'Av T R E dignité d'apres les Baſſats la plus grande,eſt celle des Beglierbeys qui
Beglierbeys. ſ'eſtend ſur le faict de la guerre & des armes, de la Iuſtice & police en tout leur
departement. Que ſi l'on en peut donner quelque ſimilitude approchant de no
ſtre cognoiſſance , le Viceroy de Napples ſeroit comme vn Beglierhey, qui com
mande à tout le Royaume en general ; & les Gouuerneurs particuliers des Pro
uinces qui ſont compriſes ſoubs iceluy, ainſi que la Pouilhe, la Calabre, Duché
de Barri, l'Abruzze, le Capouan , & le reſte , tiennent lieu de Saniaques, leſ
quels ont chacun endroict-ſoy la gendarmerie des Prouinçes compriſes ſoubs la
· charge generalle du Beglierbey, qui marchent ſoubs leur bânniere & eſtendard,
car ce mot de Beglierbey importe autant comme Seigneur des Seigneurs ; eſtant
ce mot de Bey bien plus honorable que de Beg Seigneur, comme en Aſſambeu Roy
de Perſe, & Tomombei le Souldan du Caire; qui ſont choſe trop plus ſeigneuriale
que ſi l'on diſoit Aſſambeg, & Tomombeg ; y ayant toute telle difference que du
Prince ſouuerain aux ſeigneurs qui ſont ſoubs luy : ou de Monſeigneur à Sieur,
Il y a encore d'autre mots enuers les Turcs de bien plus grande authorité, com
me Sach, & Sultan , qu'on attribuë au Prince, bien que celuy de Sultan ſe con
fere auſſi par vne forme d'honneur aux Baſſats, & autres principaux perſonnages,
neaumoins par diuerſes ſortes de locutions : car le mettant au deuant du nom
propre , ainſi que, Sultan Solyman , cela ſignifie le grand Seigneur Solyman , & le
poſtpoſant, Solyman sultan, vn Viceroy ſeulement, Gouuerneur, & Lieutenant
general de quelque Cité ou Prouince.Ainſi ce mot de Beg ou Benc eſt vſité pour
vne eſpece d'honneur & de courtoiſie, comme à nous ſieur tel, ou monſieur aux
Italiens Signor : aux Eſpaignols Dom, aux Anglois Millor, aux Allemans Her, du
Latin Herus, & ſemblables. Les Beglierbeys au reſte ne ſouloient eſtre que deux:
celuy de l'Europe ou de Grece qu'ils appelloient Romlu Romenie : & l'autre de
la Natolie : mais depuis que l'Empire ſ'accreut, le nombre des Beglierbeys ſaug
menta aumoins enl'Aſie : car celuy de l'Europe eſt demeuré ſeul à l'accouſtumé,
eſtant bien plus honorable, & de plus grande dignité que les autres, parce qu'il
repreſente l'Empire de Grece, où le ſiege ſouuerain de toute la domination Tur
queſque eſt eſtably à Conſtantinople : Dauantage les gens deguerre qui ſont ſous
ſa charge ſont les meilleurs que le Turc aye , comme oppoſez, & continuelle
ment exercez aux armes à l'encontre des nations Chreſtiennes, bien plus fieres,
· belliqueuſes & redoutables, que ne ſont les Aſiatiques, molles, flacques, & pu
ſillanimes de leur naturel. Neaumoins ſ'il n'ya quelque ſoubçon de† , ce Be
glierbey de la Grece fait ſa reſidence ordinaire en Conſtantinople pres de la perſonne
du Prince,quia de couſtume d'auancer ceſtui-cy touſiours des premiers à la dignité
de Baſa, comme auſſi lesautres Beglierbeys en leur rang, car c'eſt le plus Pº†
egre
-
l'Hiſtoire de Chalcondile. 389
# degré poury paruenir. EN A s 1 E donques il y a ſept Beglierbeys, & en premier lieu Le Bºlet )
ccluyde la Natolie, qui comprent le Royamue de Pont, Bithynie, Lydie, Phrygie, de le Natclie.
Meonie, & Carie : & a 14 mille ducats de penſion, aſſignée ſur le reuenu du Timar;
& ſemblablement celle de ſon Checaya,ou Eſcriuain,qui luy en vallent plus de 3o.car
ils les meſnagent, ſans ſes autres profits & emolumens qui redoublent,& ſous luy 12,
mille cheuaux departis ſous autât de Saniaques, il fait ſa principale demeure à Burſic.
L E B E G L 1 ER B E Y de la Caramanie commande à la Cilice, Pamphilie, & Ly- Le B#licrt y4&
caonie, ayant dix mille ducats de penſion, & ſept saniaquats deſſoubs luy, auecques le cºnaºie
autant de mille cheuaux.Sa reſidence eſt à Iconium ou Cagni.
" . > · · · 11 . - -- -
-

- -
- . -
, Le Beglierbey
, . '
LE T R o 1s 1 E s M E eſt celuy d'Amaſie ville capitalle de Cappadoce ou Toccat, §
reſque à deux cens lieuës de Conſtantinople, auquel reſſortent Galatie,Paphlago
nie & Trebizonde. Il a huict mille ducats de penſion ouTimar, quatre Saniaquats, &
ſixmille cheuaux deſſoubs luy, - | | • - » * " -

LE QvAT R 1 E s M E eſt Lauendoli, qui conſiſte pour la pluſpart


caſe,auec la Zorzanie,& Mégrelie.Ila dix mille ducats de Timar, ſept és monts de Cau-
Saniaques #
I e Lauendoli.
ſous de
luy, autant de mille cheuaux, auec trente mille Curdes ou Accangi qu'il peut leuer en
ſa Prouince pour ſeruir de cheuauxlegiers & auant-coureurs toutes les fois qu'ii en
eſtbeſoin; leſquels n'ont ſolde aucune, n'y autre choſe que ce qu'ils peuuent buſ
quer ſurl'ennemy, mais ils ſont auſſi exempts de toutes impoſitions & ſubſides. .
LE c 1N Qy 1 E s M E eſt celuy de la Meſopotamie que les Turcsappellét Dierbech, Le si,t,
ſoubs lequel ſont compris Babylone ou Baldach, autrement Bagadet, & tout ce que de la Meſo
le Turc poſſede en lagrande Armenie.Ila trente mille ducats de penſion,douze Sa-"
niiques,& vingt cinqmille cheuaux des meilleurs de l'Aſie,& qui ſont les mieux ap
poinctez,auecvn bon nombre de Ienniſſaires, parce qu'il fait frontiere au Sophy,&
aux Perſes les plus redoutez ennemis que le Turcaye point des nations infideles.
· LE s 1x 1 E s M E eſt celuy de Surie, quiavingtquatre mille ducats de Penſion : 12 Le Bºglierby
Saniaques, & quinze mille cheuaux ſoubs luy; faiſant ſa demeure continuelle ou en de Surie.
-

ſ ! Halep, ou en Damas. Il eſt tenu de rendre de net dans le Chaſna ou eſpargne chacun
-
-
an,lestimariots payez. & toutes autres charges acquittées vn million d'or. -

LE s E P T 1 E s M E eſt celuy du Caire, & d'Egypte qu'ils appellent Mitzir,lequela .. . '


trente milledes
commerce ducats auſſi de penſion,
drogueries& ſansquiſesviennétauCaire
eſpiceries profits qui ſontfort
& en grands,à cauſe du †º
Alexandrie,d'Ha- e

lep,Damas, Baruch,Tripoli,&autres endroits de Surie , où ils arriuent par terre fer


me de l'Aſie, & celles d'Egypte par la mer rouge,& les Carauanes qui vont à la Mec
que. Le Begherbey a dixſept Saniaques ſoubs luy, & vingt mille cheuaux des meil
leurs qu'aye point le Turc, comme ſont auſſiles Iennitzaires en fort grand nombre:
car ſon gouuernement eſt d'vne tres-large eſtenduë; arriuant le long de la marine
deuers le Ponant iuſqu'au Royaume d'Arger,au Midyplus de 15o. lieuës contremöt
le Nil il ſ'en va confiner à l'Ethiopie; & vers le Leuantil embraſſe l'Arabie, & la Pa
leſtine : De maniere que le Turca accouſtumé d'y tenirvn perſonnage de grande
authorité & experience, & qui luy eſt treſcogneu & fidelle; parce que les Måmeluts
döt il y en a encore quelques reliquats du temps que Selym pere de Solyman cöquit
l'Egypte, & la Surie ſur le Souldan du Caire; leſquels eſpandus çà & là ne cherchent
que quelque occaſion à propos, & vn Chefpour ſe reuolter ; ainſi que peu ſ'en fallur . "
n'ya pas encore longtemps,que ſous iceluy Solyman il cuidaaduenir d'vn ſien Baſſt . '
nommé Achmeunatifde Trebizóde homme fortvaleureuxau faict des armes; qui
ayant par luy eſté enuoyé au Caire pour reprimer certaine emotion des Arabes, ſe fit
créer Souldan,mais ayanteſté preuenuauant que de pouuoireſtablir ſon fait,les ſiés
propres l'eſträglerent en vne eſtuue.Les Arabes ſontgés inquietez & grâds volleurs
eſtans continuellemétaux aguets de coſté & d'autre pour deſtrouſſer les Carauanes,
, & les paſſans.Au moyen dcquoyle Turc eſt contraintd'entretenir fur les confins de
la Paleſtine, & Egypte 4 ou 5.groſſes trouppes d'Arabes habitans ſous les tentes &
pauillons auec leurbeſtail qu'ils conduiſent ordinairement euec eux, ſans iamais ſe
reduire dans les murailles,tous correſpödansàvn chef appellé Mithligeolu, quicon
39O · Illuſtrations ſur
tient tout le reſte deſdits Arabes le mieux qu'il peut; mais il y a touſiours quelques
· brigandages & volleries meſlées parmy. -

A 1 N s I le Turcentretient d'ordinaire en Aſie ſept Beglierbeys, & quatre vingts &


ſept Saniaques, qui ont pres de cent mille cheuaux deſſous eux, ſans les autres qu'ils
entretiennent à leur ſuitte, qui arriuent à preſque autant.
Le Regherbey , Qv AN r au Beglierbºy de l'Europe lequel eſt feul, & par conſequent le plusgrand
º ºº de tous pour les raiſons cy-deſſus deduictes. H a trente mille ducats de penſion, &
quarante ſix Saniaques ſous luy, aucçques cinquante mille cheuaux les meilleurs &
plus aguerris de tous les autres apres les forces de la Porte, à cauſe des belliqueuſes
nations où ils font frontiere. D'iceux il y en a trcnte mille Spacchi ou Spaoglans, c'eſt
à dire de ceux qui ſont venus des Chreſtiens enleuez pour le ſeruice du Turc, & par
luy nourris en ſes Serrails de coſté & d'autre, & de leurs enfans, trçp plus aſſeurez &
valeureux combattans que ne ſont les Turcs naturels;leſquels trente mille Spacchis
ont chacun deux cens eſcus de penſion annuelle ſur le Ttmar; auſſi meinent-ils trois
ou quatre cheuaux à la guerre. Les autres vingt mille qui ne ſont pas de ce calibre,
n'ont que de cinquante à ſoixante eſcus: Tellemét que ces cinquante mille cheuaux
maiſtres reuiennent à plus de ſept vingts mille combattans. Les limites au reſte de
Les confins du ce Beglierbey de l'Europe ſont d'vn coſté l'Auſtriche à ceſte heure, par ce que toute
ºgliº de la Hongrie eſt cmpietté;: d'vn autre la Poloigne, & Ruſſie blanche & rouge, vers
:º les Moſcouites & lesTartares au Septentrion : Puis deſcendant de Capha le long
de la mer Maiour vers Conſtantinople & Gallipoli: les coſtes de la Propontide,Hel
leſpont, Archipelou mer Egée : Eten ſe retournant delà au Ponant toute la mer Io
· nie iuſques à Ragouze, & vne portion du goulphe Adriatique : contremont lequel
ila pour bornes & confins vne partie de l'Eſclauonie, & la Carniole, le Friol, & la
Carinthic en rebrouſſant chemin vers Hongrie. , -

L E s principaux Saniaquats ſont Capha vers la Cheroneſe Taurique, mainte


LesSaniaquats
§§ nant le deſtroit de Precop , & en Hongrie Strigonie , Budde, Belgrade , Si
§ §, mandrie, Niſſe de Bulgarie, Seruie, Raſcie, Boſline, Sophie, Nicopoli, Philippo
poli, Tricala, la Morée, dont le Saniaque à vingt mille ducats de Timar, autantpreſ
- que que les Baſſats : Negrepont, le Pantho, Scopie, Cochie, la Valonne, l'Epire
qui eſt le païs des Albanois. Mais on auroit trop d'affaires à parcourir tout le reſte
par les menus : ioint que la plus grande part de ces lieux ſont pour le preſent, inco
gneus à cauſe du changement des noms anciens, des plus doctes meſmes. Il ya par
ticulierement vn Gouuerneur ou Baſa à Rhodes : & vn autrese plus grande impor
tance en Chypre,qui reſpondentimmediatementainſi que les Beglierbey aux Baſats,
& à la Porte du Turc. - -

Qy ANT aux Saniaques, qui ſont comme Gouuerneurs de Prouinces, yayans


ºiºiº & la charge des gens de guerre qui y ſont appoinctez & entretenus : enſemble de la Iu
"º ſtice, & Police : Plus de retenir les peuples en obeiſſance, & donner main-forte à
l'execution des commandemens du Prince, & à la leuée de ſes tributs, tant en de
niers qu'en eſpece de fruicts de la terre : & des Agemoglins enfans des Chreſtiens:
qu'on ne face quant & quant tort ne violence à perſonne : Ils ſont dicts ainſi de
San{ac ou Sangis qui en langue Turqueſque ſignifie eſtendard ou banniere : ce qui
· , ne ſ'eſloigne pas gueres de nos anciens Bannerets, & du ban & arriereban, qui y
· ont quelque affinité : parce que ſous leur banniere à laguerre marchent les Timariots
ou gens de cheual appoinctez ſur le reuenu du domaine : & à la paix ils ſont de leur
Myſteres des reſſort & Iuriſdiction. Ceſtebanniere conſiſte d'vne groſſe pomme dorée,attachée
b§T au boutd'vne lance, & au deſſus vn croiſſant d'argent : ce qui ſe repreſente le So
sºlº leil, & la Lune qui ſont là haut, auec de gros flocs de queue de cheual, & longs
crins teints de diuerſes couleurs, denotans les rayons de ces luminaires qui ſ'e
ſpandenticy bas, afin qu'on n'eſtime pas les Turcs ſigroſſiers que leurs marques ex- .
terieures ſoient du tout priuées de quelque myſtere caché deſſous, auſſi bien qu'en
uers les anciens idolatres : encore que quelques vns vueillent referer ceſte queuë de
cheual, à ce qu'Alexâdre le grand qu'ils ont en ſinguliere recömandation & reſpect
- pour
/
-
-

l'Hiſtoire de Chalcondile. 39i


## pourſes proüeſſes, en portoitvne au tymbre de ſa ſallade comme on peutvoir en ſes
Medailles : ce que ſouloit auſſi faire Hector aſſez long temps auparauant, ſi nous
nous en voulons rapporter à Homere en pluſieurs endroits de ſon Iliade, & meſme
au 6. liure. - . ' • • •- - t • •! ' - - •"

Q; &ez parºows xépu$ etAtto ?ºê)uo; Exlop frzroveur · |. •

ayant vn peu au deſſus appelle la creſte de ſon armet,Aépo, la no32ºtta Et Vir


gile à ſon imitation, parlaht d'Enée ; Criſ/aque inſgais equina. A propos dequoy ' . •
Ican marie
nous liſons és narrations des Modernes qui ont voyagé de coſté & d'autre, qu'en Angiollello.
Perſe, ce que les Sophiens portent vn haut bourc ou bonnet d'eſcarlatte à la ma chap 17.
rineſque, dontils ſont appellez Ke{cilbuſ teſte rouge, pliſſé tout du long à douze
godderons ou tuyaux embouttis à guiſe des coſtes d'vn melon : cela ſuiuant l'in
terpretation vulgaire de ces gens ignorans, barbares, ſignifie les douze Sacremens
de leurloy : mais c'eſt par faute d'intelligence qu'ils ontallegué là deſſus la premie
· re choſe qui leur eſt venuë à la bouche : car à quel propos ces douze Sacremens en la
loy Mahometique : conime ſi les Turcs, & les Perſes auoient grande cognoiſſance,
&vſage des Sacrçmens, & encore les repscſenterés accouſtremens des prophanes.
Ceſt donc vn myſtere emané de l'antiquité au Paganiſme,où les Perſes adoroient le
feu, dontl'ardeur eſt denotée par la couleur rouge, & ce comme ſymboliſant au So
leil, qu'ilsauoient auſſien tres-grand'reuerence, & faiſoient tous leurs plus ſolénels
vœux & ſerments par luy : Carle ſacré chariot du Roy eſtoit traiſné par des cheuaux
blancs,tels qu'on feinteſtre ceux de l'attellage du Soleil:&ces douze godderös em
bouttis monſtroient les 12.ſignes & mois de l'an,où ceſtaſtre parfait ſon cours.Cecy
ſoit donques dit parvne forme de remarque que nousauons touchée ailleurs, que
iamais il n'y eut religion ſi inepte qui n'ait eu quelques ſecrets myſteres enueloppez
ſous l'eſcorce de ſes ceremonies exterieures, ainſi que les Eleuſiniénes ou Theſmo
phoriennes à l'höneur de Ceres : les Bacchanales, les Adoniennes, & infinies autres
de meſme farine. Ce floc des cheueux au reſte que lesTurcs & Tartares, & ſembla
bles Mahometiſtes ont accouſtumé de laiſſer au haut de la teſte quands ils ſe font
raire, ſelon leur dire eſt à deux fins : l'vne pour yattacher leur Turban, & cecy eſt cö
mun à tous:l'autre qui en particulier touche aux gens de guerre,eſt afin que ſ'ils ſont
tuez par leurs ennemis au combat, & qu'on leur trâche la teſte comme eſt l'ordinai
re de les † pour teſmoignage de leur proüeſſe,onait dequoyles empoigner
ſans les diformer & corrompre : mais outre cclai'ayappris autresfois à Veniſe d'vn
aſſez ſçauant Papaz Grec, qu'il ſoubçonnoit quelque ombre de lancien Paganiſme
eſtre cathée là deſſous, auquel à la premiere tonſure des ieunes enfans on ſouloit
laiſſervn petit touppet de cheueuxappellé xôxis au ſommet de la teſte,pour le con
ſacrer à la diuinité, comme certaines premices de la perruque. • , , ,

MAIS pour retourner à noſtre propos pour diſcerner les ſuſdites bannieres des Sa
miaquats, ces pömes & flocs ſont § de quelque eftendard ou drappeau,
comme on l'appelle en termes de guerre, qui eſt de taffetas de diuerſes couleurs &
de[liſes, ainſique les enſeignes & guiddons de noſtre gendarmerie : car ſoubs ceſte
banniere colonnelle marchent les cornettes particulieres des Subaſſis,qui à guiſe des
anciens Decurions Romains ont quelques trois cens cheuaux ſoubs eux,afin de gar
der touſiours tant mieuxl'ordre qu'on doit tenir, & ſçauoir où ſe renger tantaulo
gis, qu'au combat, & ralliemens. Car les Turcs bien que fort exactes obſeruateurs
de la diſcipline militare, ſont neaumoins vn peu groſſiers & mal-adroits à tenirba
taille, & combattent à la deſbandée comme en eſcarmouche, à frequentes charges
& recharges, en ſe retirant & fuyant la pluſpart du temps, à la maniere des Tarta
res dont ils ſont venus, d'autant qu'ils ſont legierement armez & embaſtonnez:
& leurs montures de fort longue haleine , ſi que quant on cuidde les auoir du
tout rompus & deffaicts, les voila retourner ſur vos bras ainſi qu'vne groſſe nuée
& orage : par ce moyen emportent le plus ſouuent la victoire ſur des gens pe
ſammentarmez, pluſtoſt parles haraſſer & matter à la longue de chaud & trauail,
que parvaillance & effortd'armes. Ils ſont ſtipendiez au reſte ſur le meſme Timar
- - O O ij
392 · Illuſtrations ſur
de leurgouuernement & iuriſdiction, les vns plus ou moins que les autres, ſelon
l'eſtenduë d'iceluy, & l'importante dont il eſt; ou qu'ils ſont fauoriſez du Prince,
Appoinctemët des Baſſats & Beglierbys, les teſmoins de leurs bons deuoirs & comportemens, de
des Saniaques.
puis quatre mille ducats,qui eſt le moins, iuſqu'à douze ou quinze, ſans leurs prati
ques & profits : car outre ce qu'ils ſurchargét le reuenu qui leur eſt aſſigné pour leur
ſolde & appoinctement, ils corbinétencore ſur celle des Timgriots qui ſont ſous leur
charge, toutainſi que nos Colonnels ſur les Capitaines , & les Capitaines ſur leurs
ſoldats, autres grand detriment du Roy : car c'eſt par là oſter le courage aux gens de
valeur de ſ'eſuertuer,pour paruenir à vne meilleure fortune & condition: diſcipline
la plus loüable qu'ayent pointlesTurcs,& qui plus les maintient en leur reputation,
& grandeur,n'yayant artiſan, ny homme de guerre parmyeux quine puiſſe parue
nir à cueillir quelquefois le fruict de ſes perfections & merites : ce qui inuite les vns
au trauail,& les autres à ſ'expoſer aux plus grands dangers & hazards,ſ'attédans bien
qu'ils ne ſeront point fruſtrez de la recompenſe à eux deuë. Et n'y eut onques nati5
en toute la terre,où ces deux points ſur leſquels tous les eſtats les mieux eſtablis ſont
Prœmium , & fondez, ainſi que ſur deux fermes & puiſſantes ooulonnes Prœmium, & paena, le
pœna le fonde
mentde toutes loyer dubien faire, & le chaſtiment des mesfaicts, ayent eſté plus exactement prati
dominations. quez qu'enuers les Turcs. Il n'ya point là de nobleſſe hereditaire, ny degétilleſſe de
race,qui acquiſe par oiſiue ſucceſſion de pere en fils face exceller les indignes deme
ritoirement ſur de plus dignes qu'ils ne ſont : ny d'heritages & poſſeſſions nomplus
| delaiſſées à de laſches & puſillanimes faits-neants, leſquels ſans ſeruir nyau Prince,
nyau public de rien quelconque, conſument ces biens deus aux gens de bien & aux
vertueux, à ſe peruertir eux & leur ſequelle à toutes ſortes de delices & deſbauſche
mens : & attirent par meſme moyen ceux, qui ſont aptes & capables de ſ'enfourner
au bon chemin, à ſ'en deſbaucher: lavertu ſeule,& la valeur, le ſens, ſuffiſance,& les
preuues ſignalées de leurs perſonnes où chacun ſe parforce de relûire & ſe faire pa
roiſtre les rendentd'eſclaues en vn inſtant non que gentils-hômes, mais Princes,de
pauures & ſouffretteux,opulens & riches:d'incogneus,celebres & renómez.L'hon
neur & le reſpect qu'on leur porte vient de leurs charges& dignitez ſeulement,& de
la preud'hommie qu'ilsyexercét,auſquelles leurs merites & ſuffiſance les pouſſent.
Iln'ya point là de diſputes, de rangs & degrez qui leur ayent eſté laiſſez comme en
heritage de leurs anceſtres: chacun ſçait ce qui luy appartient ſans rien eniamber ſur .
autruy: car l'authorité où le Prince les cöſtitue reigle le tout ſans aucune alteratiöny
mutinement pourcela : le moindre indice † rien moins que leur teſte
ſans autre forme de procés.Et n'eſt point queſtiºh de faire du malcontent,ny de ſe
retirer chez ſoyſil'on n'obtient ce qu'on deſire. La recommandationauſſi peu nyla
faueur n'y ont point de lieu, ſinóaccompaignées de merites dontl'onait fait preuue
euidente.Parquoyles enfans de bonne maiſon ſiautre choſe ne les ſeconde ſ'y trou
ueroientvn peu freſque, & malappoinctez. Et à quel propos auſſi commettre vne
cauſe de grande importance à vn ignorant & non experimenté Aduocat, pour eſtre
fils de quelque Preſident ouConſeiller,riche & d'anciéne race,pluſtoſt qu'à vn vieil
routtier eſprouué, ores qu'il fuſt le premier de la ſienne incogneuë auparauant, ouà
vn Medecin traiſnantvne grande robbe de veloursauecvne longue ſequelle,& qui
ade belles maiſons à la ville & aux châps & forces rentes cöſtituées, qu'à vn de ſim
ple pompe & equippage bié practiqué & verſé en ſa profeſſion? C'eſt ce qui abuſe le
plus les perſonnes que l'apparence exterieure:là où parmy les Turcs,quelques rudes
& groſſiers qu'ils ſoiét, la dexterité d'eſprit & la preuue de leur deuoir va pour toute
nobleſſe de ſang, & ancienneté de race : le ſoin, vigilance, & teſmoignage apparent
de ſes faicts, pour les richeſſes & facultez.Selon ce qu'ils paroiſſenteſtre capables &
idoines pour l'exercice d'vne charge, les yvoila tout ſoudain & à l'impourueu aduä
cez, la pluſpart du temps outre leurattente & pourſuitte : ſi qu'iladuiendra, comme
ils dient en leur maniere de parler, que tel quine ſouloit eſtre que pieds, ſ'il ſe porte
valeureuſement ſera teſte, & au rebours.Söme que la gentilleſſe,les facultez, ne les
honneurs,ne ſe produiſent pas là de races, ainſi que les herbes font de leurs ſeméces,
/

t
l'Hiſtoire de Châlcondile. . 39;
ne la vertu & les bons debuoirs ne paſſent point hereditairement de pere en fiſs,
nomplus que lesarts & ſciences,ou autres perfections qui ſ'acquierentatfecle temps
trauail aſſidu,exercice & cultiuement de l'eſprit, mais outre ce que le ciel leur peut
impartir de beneficence tout leur prouient par leur labeur,induſtrie,hardieſſe,vail
lance, bons debuoirs & merites, par leurgrande ſobrieté de vie, tollerance, & en
durciſſement de fort longue main aux meſaiſes, incommoditez, & trauaux, obeiſ
:
ſance enuers leurs Chefs & ſuperieurs,& autre telle diſcipline militaire,nourriture,
& inſtitutions treſloüablcs.Au moyen dequoy les belles charges,dignitez & aduan
:
cemens, le credit & richeſſes immenſes où ils paruiennent, ſont le prix & loyer de
leursvertus & merites : là oùl'inutilité & pareſſe, la nonchallance, gourmandiſe &
#:
laſcheté demeurent enſeuelis auec ceux qui ſ'y ſont laiſlez peruertir, dans le goul
phed'indigence,de meſpris & contemnement.Dont nous deburions rougir de hö
te,ſiaumoins elle peut auoir place dedans nos cœurs, de voirvn ſibel ordre oſtably,
& toutes choſes ſi bien reiglez parmy des gens que nous tenons pour ſi hebetez &
barbares : & qu'en des nations ſi bien polies & cultiuées on viue d'vne telle ſorte
que n'y ayant aucune place reſeruée pour la vertu rout ſ'en voiſe ainſi ſottement à
vne vaine adombrée nobleſſe de race,& à desfaueurs la pluſpartmendiées à deniers
comptans.Mais c'eſt aſſez de ce propos.
OR toutainſi que les Saniaques ſont ſoubs l'authorité des Beglierbeys, de meſme les
subaſſi ſont ſous la charge des Saniaques. Mais pour mieux le donnerà entédre con- Les Sutaſi
formementà nos anciennes façons de faire,les Saniaques eſtans cóme les Lieutenans
de Royés prouinces, les Subaſ(t ſerapportent à nos Bailliz, Seneſchaux, Vicontes,
Preuoſts,Chaſtellains; car ils cognoiſſent des cauſes tant ciuiles que criminelles,º
de la police ſoubs les Saniaques, particulierement chacun endroit ſoy en ſon refiort
& kiriſdiction : & ſont defrayez eux & leur ſuitte trois iours de rangoù ils vont te
nir leursaſſiſes, faiſans à ceſte fin des cheuauchées en certaines ſaiſons de l'année
pour ouyr les plaintes & doleances, combien qu'il y ait desiuges de reſidence trien
naux,qu'onappelle Cadiz, ſoubs les Cadileſcher, dontnous parlerons cnleur liéu : &
· conduiſent ces Subaſſi leur banc & arrierebanc à la guerre, chacun ſoubs ſa cornet-'
tequireſpondent puis apresàlabanniere des saniaques : & ceux-cyaugonfalon ou
indeſtendart du Beglierbey.Ils ſont en nombre preſque de quatre cens ſoubs le rç
giment de l'Europe : & yena en l'Aſie à l'equipollent, comme à raiſon de trois ou
quatre Subaſſi pour mille cheuaux : Tous leſquels ont quelque mille eſcus de pen
ſion aſſignée ſur le Timar : & moyennant ce,ſont tenus d'entretenir du leur huict ou
dixcheuaux de ſeruice.
Av regard des Timariots à peu pres comme noſtregendarmerie des ordonifin- Les Timarlik
ces,compoſée d'hommes d'armes & archers, à la grande & petite paye, ils ſont ap
pointez diuerſement,à quatre ou cinq mille aſpres du moins, vallans centeſcus : &
pour le plus haut à vingt mille : mais ils ne ſont pas obligez de marcher ſ'ils ne paſ
ſent huict mille aſpres,ou huict vingts eſcus, ſi d'aduanture il ne ſe faict vnc armée
Imperiale où le ſeigneur ſe retrouue luy-meſme en perſonne : car lors il n'y en a nul
exempt. Tous les eſtrangers quivont & viennent par le pays du Turc, faut que de
lieu en lieu ils ſesvoiſent preſenterau Saniaque, ou au subaſ en ſon abſence, pour luy
monſtrer leur paſſe-port, ou en prendre vn nouueau,fil n'eſt general, & de la Porie,
auec vn guide & truchementſil'on en veut,& des Iennitzaires encore pour leur eſ
corte & ſeureré: mais tout cela ne ſe fait point ſans mettre la main à la bource:car les
Turcs ſont gensauaricieux ſur tous autres,& ardants apres la pecune,d'autant qu'ils
ne peuuent laiſſeraucuns heritages ne poſſeſſions à leurs hoirs,nygeneralement rien
quelconquefors vne portion de leurs meubles : parquoyils ne font rien pour rien,&
& en ce cas ne pardonneroient meſme à leurs propres peres. -

L Es sAN 1 A Q v E s finablement,les Subaſſi,& encore les Spacchiº ou gens de che


ual de leur charge, qui excedent ſix mille aſpres ou ſix vingts eſcus de prouiſion an
nuelle : car iuſqu'à ceſte ſomme le Beglierbey del'Europe peut conferer les places va
cantes comme bon luy ſemble, faut qu'ils voiſent prendre leur prouiſion des Baſats
- O O iij
-

394 • Illuſtrations ſur


à la Porte parce que ce ſont eux qui manient le touten dernierreſſort:mais le Beglier
. bey, delaNatolie
prendre la confere
ſa depeſche à quibonluy ſemble,ſans,qu'on en ſoit tenu d'en aller
à la Porte - • - - -

L'eſlection CoMME doncques quelque Saniaquit vient à vacquer ſoit par mort ou autre
des Saniaques, ment, c'eſt le faict de l'Emiralem qui en tient les regiſtres d'en aduertir les Baſſats,
pour le faire entendre au ſeigneur,& il regarde auecques eux à quiille deura confe
rer; de ſorte qu'on les eſlit ſans que la pluſpart du temps ils le ſçachent : car les char
ges ne ſe mendient point par delà par vne importunité & faueur,ains par la ſeule ſuf.
fiſance & merite : l'Emiralem en ayanteſté aduerew,luy enuoye ſur le ſoirforce trom
pettes & clerons,fiffres, tabourins & haulbois, & autres inſtrumens de guerre à leur
mode : car c'eſt luy qui ena la charge auec les enſeignes, pour luy donner vne ſon
nade d'allegreſſe de ſapromotion à la charge du Saniaquat, entremeſlée de ſes loüan
ges & ſeruices qu'on publie à haute voix,& tout ce qu'il peut auoir fait de beau & de
bon à la guerre.Puis le matin enſuiuantil s'en va trouuer ledit Emiralem qui luy faict
entendre le gouuernement dont il eſt pourueu; & là deſſus le meine baiſer la main
aux Baſſats, qui le conduiſent vers le Prince pour preſter le ſerment, & luy baiſer les
pieds de lagrace qu'il luya faite. Cela fait les Baſſats le renuoyentàl'Emiralem, le
quel luy met lors entre les mains la banniere de ſa charge, dont elle eſt la marque &
enſeigne : & le Saniaque luy fait preſent de deux ou trois censeſcus,plus ou moins ſe
· lon la dignité & valeur de ſon magiſtrat. Ses lettres luy en ſont expediées par le Teſ
queregibaſi ou ſecretaire maieur,& ſeellées par le Naffangibaſsi, qui ſont deux offices
de fort grande authorité à la Porte : carce Secretaire d'Eſtattout ſeulen chefdepeſ
e toutes les choſes d'importance qui ſe reſoluent au Diuan, & par le Prince en ſon
priué,les lettres patentes,& miſſiues,paſſe-ports, § aLlUfCS 1llaIl

demens d'iceluy,qu'ilsappellentTeſquere : & yappoſe le cachet que le premier Bºi,


a engarde,lequel ſerttant de ſignature, que de ſeau, n'eſtans tous les deux qu'vne
meſme choſe,aſſauoir le nom du Prince quiregne fait de lettres Arabeſques entre
laſſées à mode de chiffre.Et à ce propos fautentédre que les Turcs ont diuerſes ma
Tmieres de ſigner leurs lettres & expeditions, le Prince met la ſienne tout au deſſus,
Mode des comme les Romains leur inſcription S. P. D. Mais aux Roys & Potentats eſtrangers
Turcs de ſi ſqn cachet eſt appoſé au bas à la fin,remplyd'or mollu & liſſé: les Baſſats, Beglierbeys,
gner leurs - Cadileſchers, & autres perſonnages de marque & authorité le rempliſſent d'enchre,
tres & expe
rions. " mais c'eſt à coſté,en marge,plus haut, ou plus bas, ſelon ceux auſquels la depeſche
i'eſtat du Tſ s'addreſſe:& les perſonnes priuées touten bas à la fin.Le Teſqueregibaſsia de ſix à ſept
#"
SecIctdiIc mille ducats de penſion annuelle aſſignée ſur le Timar, quiluyen vallent mieux de
Imaieur. doüze,ſans ſes practiques & proffits,& deux riches habillemens tous les ans : & ſous
luyplus de cinquante clers qui font les depeſches,dont le moindre a demy eſcu par
iour Tous les autres Secretaires pareillementtant du Prince que des Baſſats, Deph
tenderiz,ou threſoriers de l'eſpargne,& autres officiers de la Porte, enſemble les gref
fiers, & generalement tous ceux qui manient la plume & affaires d'Eſtat,de laguer
re, & des finances,ſont ſouſmis à ce Secretaire maieur,qui en eſt le chef.
Naſſangibaſi. L E N Ass AN G 1 B A ss 1, encore que ſa charge ſoit de ſeeller toutes les depeſ
ches & mandemens, neaumoins ſon authorité n'eſt pastelle que des Chancelliers
des Princes Chreſtiens,ains pluſtoſt comme d'vn chauffecire de nos Chancelleries:
car il n'entre pas au conſeil, ny deuers le Prince : & ne fait ſeulement qu'appliquer
ſon ſeau,qui eſt de cire vierge,dans vne petite demie pomme d'or creuze, ſi c'eſtaux
Roys,ou autres Potentats ſouuerains, & aux autres ſur le papier en placard : ila tou
tesfois bon appointement,comme de quelques deux mille ducatsparan, & certain
nombre de commis entretenus. Il ſe tientés iours du Diuan en vne petite chambre
ioignant la loge des Baſſats, où il fait le deu de ſa charge ſelon qu'ils luy enuoyent
les depeſches : & cachette par meſme moyen les ſacs d'aſpres & de ſultanins pour
Forme des de mettre au Chaſna, comme ila eſté dit cy-deuant. En ceſt endroit ie ne veux oublier
peſches du de dire que les lettres que le Turc eſcritàl'Empereur,au Roy,aux Venitiens, & au
Turc.
tres ſemblables,ſont en lettre Arabeſque de la main droitte vers la gauche, comme
• . - l'Hebrieu,

".
- -

- - -

-
-
-

- -
-
- ".

* L ! , ſl-,-, , d | d| - -

l'Hiſtoire de Chalcondile. 39;


l'Hebrieu,au contraire de nous, ſurvn roulleau de papier liſſé, de longueur conue
nable, car en ce cas ils n'eſcriuent pas des deux coſtcz, nomplus que nous és lettres
patentes : & au bas eſt ſà ſignature,aſſauoir vn chiffre portant ſon nom, de la gran
deur d'vn double ducat. Ceſte lettre eſt roullée plat à la largeur de deux doigts, &
pnis reployée en deux,& miſe dans vn petit ſachet de drap d'or long de ſept ou huict
poulſes ſur quatre de large, lequel ſachet eſt empoché dedans vn autre de velours
verd, dont les laſſets de ſoye verte ſe viennent noüer deſſus l'ouuerture, & delà paſ
ſez en deux endroits à trauers vne demie pomme d'or de ducat,ayant quelque rubiz
ou diamant de cent ou ſix vingts eſcus en la cime dans laquelle pomme eſt le ſeau du
Turc de cire vierge comme ila eſté dit cy-deſſus, conforme à ſa ſignature & cachet.
Et entre les deux ſachets eſt l'interpretation de la depeſche en Italian,qui commen
ce ordinairement en ces termes ou autres ſemblables.Sultan AmurathSach.grand Em
ercurdes Muſulmans,lapuiſſance de Dieu en terre,le bra dextre de Mahomet,le maintenemët
ce / pure docfrine, la terreur des meſºhans, le confort, aide & protection des gens de bien,
. lombrage de la terre, & des mers, & ſemblables qualitez barbareſques vaines & pia
feuſes. - '

· M A 1 s pour retourneraux Saniaques,ils ont,& ceux de leur deſpartement auſſi,


cn fort grand honneur & reſpect ceſte banniere prouinciale, la faiſans ſolemnelle
ment accompagner par tout où ils marchent, auec grand nombre d'inſtrumens, &
la tiennent au plus honnorable lieu de leur logis, tapiſſé richement, ce qui a quel
que conuenance auec l'ancienne façon des Romains, dont les Turcs retiennent &
ont emprunté pluſieurs choſes, en ce qu'ils reueroient leurs Aigles, & autres enſei
gnes militaires comme de precieux ioyaux ſacreſaints. -
-

L'E M I R A LE M ou Imral maga eſt vn office de fort grande dignité & profit : & Eolat ,
qui ſe peut mettre pour l'vne des premieres apres les Ba/ats, Bºglierbºys, Cadi4/chers,
& l'Aga des Iennitzaires : car il a la garde de tous les eſtendars des prouinces, qu'il
met és mains de ceux qui font faits de mouueau Saniaques : plus de ceux de la per
fonne propre du Turc, lequel quand il va à la guerre, ceſtui-cy marche immediate
ment deuant luy, faiſant porter vne cornette mipartie de blanc & de verd, pour la
marque de ſon office : & n'eſt loiſible à aucun autte de la porter de ceſte parure &
· deuiſe qu'à luy tout ſeul : apres
laquelle viennent les ſix bannieres ou grands eſten
dards du Seigneur, portez par autant de forts & robuſtes hommes. Ceſt Emiralem a
quatre mille ducats de penſion annuelle,ſans ſes profits qui ſont treſ grands,& deux
riches habillemens de drap d'or ainſi que les autres principaux officiers ſoubs ſa
charge ſont encore les trompettes, phiffres tabourins,atabales, & ſemblables ſon
neurs d'inſtrumens ( à nous cela depend de l'eſcurie) en nombre de plus de deux
cens, dont eſt chefſoubs luy vn Mechterbaſsi qui a de penſion vn eſcu par iour : & les
ſonneurs de douze à quinze aſpres les Baſats, Beglierbys, saniaques , & autres per
à
ſonnages d'authorité entretiennent les leurs à leurs propres couſts & deſpens. Au v
regard de leurs trompettes & clerons, ils ſont preſque ſemblables aux noſtres : mais ·•

leurs tabours ſont differents,& ſi en ont de pluſieurs ſortes. L'vne eſt de deux petits Les tab ours
boucliers d'airain qui ont leurs anſes en dehors , leſquels ſe venans à rabattre l'vn Turqueſques.
contre l'autre, rendent vn ſon fort eſclattant & aigu, qui eſt ce qui leur agrée le
plus. L'autre de deux petits chauderons d'airain auſſi, pendus à l'arçon de la ſelle,
dont l'vn eſt plus petit, pour faire quelque maniere d'accords, du tout ſemblables
auxatabales § mores, & aux tabourins des Reiſtres. La troiſieſme ſont de groſ
ſes caſſes de tabours à guiſe des noſtres, ſinon qu'ils n'ont tymbre ny chorde par le
deſſoubs, pour-autant qu'ils les ſonnent des deux coſtez, par le deuant de la mdin
droitteauecvn baſton tors & recourbé comme vn billard : & par derriere de lagau
che d'vne baguette deſliée qui redouble plus dru & menu que la droitte : mais ils ſe
ſçauent ſi bien accorder enſemble quand on les bat de compagnie , qu'on diroit
que de deux ou trois cens que le Turc a ſoubs ſa cornette, ce n'eſt qu'vn tout ſeul
reſonnant profondement d'vn ton qui reſſemble au murmure ſourd d'vne meragi
tée devents & de vagues qu'on ouiroit bruire de loin, en lieu de phiffres chaſque
-
# -
-

| 396 Illuſtrations ſur


§e tabourin eſt accompagné de deux zurnalar ou haulbois qui s'accordent à la caden
hºulbºº ce d'iceluy, plus cours au reſte, & plus large par la bouche ou patte d'embas que les
noſtres de pardeça, & par conſequent qui requierenttrop plus de vent à l'entonner,
parquoyils ont auſſi le ſon plus penetrant, ainſi que toutes les autres muſiques de ce-.
ſte nation lourde en beaucoup de choſes au prix de nous, n'admettant rien de
delicat en pas vne de leurs actions, non-plus qu'anciennement ce Scythe oirTarta
re, deuant lequel Iſmenias le plus excellent ioüeur de flute de toute la Grece,ayant
voulu faire vne eſpreuue de ſon ſçauoir, pour ſauuer ſa rançon s'il euſt peu, l'autre
iura par ſes grands Dieux le vent, & le poignard , auoir ouy plus melodieuſement
hennir ſon cheual.Mais les Turcs ont appris tout cela des Arabes.
Faduation du IL F Av T maintenant recueillir de ce que deſſus,& verifier par eſtimation à peu
reuenu du do-pres ce à quoy peut monter le reuenu du Timarou domaine du Turc, tant en Euro
† pe qu'en Aſie parle nombre de ceux qui ſont appointez là deſſus, & auſquels tout ce
la § domaine eſt employé, reſerué la dixieſme portion que le Prince en tire pour luy,
toutes charges deduittes & rabbattues. Il ne faut pas trouuerau ſurplus la ſomme
immenſe à quoy cecy arriuera, attendu la grande eſtendue de ceſt Empire , car
ſi tout ce que tiennent les Eccleſiaſtiques en France , les Princes, Seigneurs,
Gentils-hommes , & roturiers , outre le domaine de la couronne eſtoit mis &
euallué en vn blocq , ie croy que pluſtoſt il ſurpaſſeroit celuy du Turc, qu'au
tICIllCIlt.

Les Baſats. --; EN premier lieu on peut bien prendre l'eſtat & penſions des cinq Baſats,ycom
pris celuy de la mer qui a plus de ſix vingts mille eſcus tous les ans, auec celles de
leurs officiers,& leurs plus valleurs, à deux cens mille eſcus.
officiers de la CE LL E s de Muphti, & Cadileſchers, & generalement de tous les officiers de la
Porte. Porte, & des forces quiyreſident,outre leur liurée & diſtribution ordinaire; qui ſe
Le Beglierb
e Beguerbey
prend ſur les coffres de ſon eſpargne,à autre deux cens mille eſcus.
> -
-

# , LE B E c L1 E R B E x de l'Europe qui a trente mille eſeus de penſion aſſignee ſur


-

le Timar, ſe peut mettre icy, auec l'eſtat de ſes officiers, & le parenſus que leur va
lent les terres à eux aſſignées, car pour ce regard il faut preſque touſiours redoubler
à cinquante mille eſcus. -

Ses saniaquu. SE s Saniaques en nombre d'enuiron cinquante, à raiſon de dix mille eſcus l'vn
portant l'autre à D. mille. SE s quatre censSoubaſſis, qui ont de mille à douze cens
eſcus,preſqu'autant,les cinquante mille cheuauxeſtans ſoubs ſa charge, qui en font
plus de ſix vingts mille auec leurs couſtilliers, à cent eſcus chacun, cinq millions
d'or.
Somme de la deſpence de l'Europe aſsignée
Surle domaine d'icelle enuiron ſix millions d'or.
* 2
- L' A S I E. .

Le'Betiºty LE B E G L 1ER B E Y de la Natolie, trente mille eſcus. Douze Saniaques ſix


de l'Aſie. vingts mille, cent Subaſsis cent mille. Douze mille cheuaux maiſtres à cent eſcus
M C C. mille. -
-

*.

Somme xiiy c. l. mille eſcus.


Caramanie. CE LvY de la Caramanie xx. mille eſcus,ſeptSaniaques Lxx. mille eſcus,tren
-

te Subaſsis xxx. M. eſcus. v 1 I. M. cheuaux. v 1 1.c. M. eſcus.


Somme D ccc. x x. mille eſcus.
Amaſie. - D'AM As I E xv. M. eſcus, quatre S4niaques x L.M. xxx. Subaſſis, xxx.vI. M.
cheuaux, v1. c. mille.
Somme D c. lxxxv. m. eſcus.
Auendol. D'AvEND o L xx. M. eſcus, v1 I. Saniaques, Lxx. M. x L. Subaſsis,xL. M. ſept
mille cheuaux D c c. mille. -

Mºreanie - Somme D ccc. xx x. mille eſcus.


DE LA ME soP o T AM1 E , L. M. eſcus. x 11. Saniaques cxx M. cent cin

- quante
• .. . - - • ,-- ---

l'Hiſtoire de Chalcondile. 397


quante Subaſi, c. L. M. vingtcinq mille cheuaux à c L. eſcus,trois millions v11.c. r.
mille eſcus, car ceux-cy ſont mieuxappointez que nuls des autres pour eſtre les plus "
proches voiſins du Sophy & des Perſes, & par conſequent les plus valeureux &
mieux equippez. - · · · (

.. Somme enuiron iij. millions d'or . ,


MA1 s il faut là deſſus entendre que ceſte prouince de la Meſopotamie ou du
Diarbech ne pourroit pas à beaucoup pres porter vne telle charge, attendu meſme
que le pays eſt deſert en partie pour les frequentes courſes & degaſts qui ſe font des
vnsaux autres au moyen dequoy le million d'or que nous auons dit cy-deuant eſtre
pris ſur le Beglierberat de Suric, les Timariots appointez; eſt employé là : auec preſ
u'autant du reuenu & des impoſts de l'Egypte, & la Paleſtine, & autant encore
§ coffres du Prince : ſi que ceſte frontiere luy couſte plus à garderque nulle
des autres, auſſi y ticnt-on ordinairemcnt certain nombre de Iennitzaires , & de
Spacchi de la Porte. - · · · ·--

DE sv R 1 E, x L. M. douze Saniaques cxx. mille. cent Subaſſi, c. M. quinze Surie.


mille cheuaux comme deuant x v. c. mille. * -

- Somme xvy. c.xx.mille eſcus. "

Dv c A 1 R E & Egypte. L. M. dixſept Saniaques, cLxx. M. eſcus.Cent cinquan- Le Caire, &


te subaſi, c. L. M. vingt mille cheuauxappointez de meſme que ceux du Diirbech,º
trois millions d'or, y compris vn grand nombre de Iennitxaires & de Spacchis de la
Porte, pour crainte de ce peuple tumultueux, & des Arabes proche-voiſins, mais
la paye des cinq Capitaines Arabes auec leurs ſoldats, & leur Colonnel va là deſſus.
Somme trois millions cccc. mille eſcus. - -

Somme totale de l'entretenement des forces d'Aſie, xy.millions, D cc.xxx.mille eſſus, leſquels
auec les ſix millions d'orde l'Europe arriuent à enuiron;vingt millions, dont le dixme que
prendle Prince fait deux millions, qui ſt-ce que nous pretendions de verifferen cſt endroit
parla deſpence. - " • •-

, DE cecy ſe tire outre-plus que le Turc peut auoir cent mille cheuaux de l'Europe
à tout heure qu'il en abeſoin,& de l'Aſie deux fois autant, bien que non tels à beau
coup pres,& ce ſous Lxx.Saniaques,& Dc.Soubaſſi,car il faut redoubler pour le moins
le nombre des entretenus d'ordinaire,voire en tripler la plus grand'part.
OvT RE les forces deſſuſdittesilyavne autre maniere de gens de cheual & de
pied,tous Turcs naturels,& enfans de Turcs, qui ſe leuent extraordinairemët ſelon -

le beſoin qu'on en a.La cauallerie eſt des Accangis, comme qui diroitgaſteurs on ad-Arcangi.
uanturiers cherchans leur fortune,leſquels ſeruent de cheuauxlegers & auant-cou
reurs, ſ'eſpandans au long & au large de toutes parts, ſoubs leurs cornettes toutes
fois,& la conduitte de leurs Chefs,quatre & cinqiournées, voire encore plus quel
† , à la teſte du camp, & ſur les efles, enquoyils font pluſieurs bons effets, &
'importance. En premier lieu de deſcouurir,recognoiſtre, & nettoyer le pays, ſi
qu'on n'y peut dreſſer embuſches, ny moleſter les fourrageurs. En apres de conſer
uer les victuailles par où l'armée doibt paſſer, & entrans auant comme ils font dans
les limites des ennemis,yfaire le gaſt,& les priuer des cómoditez qu'ilsy pourroient
auoir.Plus de faire r'habiller les chemins,&lesguez,dreſſer des ponts & explanades,
tenirl'ennemylarge du corps de l'armée, qu'il ne la puiſſe inquieter ny donner des
alarmes, meſmement de nuict, l'vne des choſes que les Turcs abhorrent autamt,
carils ſont lors ſi exactes obſeruateurs du ſilence, que my pour cheuaux qui eſchap
pent, ny pour eſclaues qui ſe deſrobbent & enfuyent,ny pour autre choſe qui peuſt
ſuruenir, ils ne ſe mouuront en ſorte quelconque, ny ne feront bruit , comme on
peut veoir en ceſte hiſtoire, & d'autant que ces Accangi font des traictes preſqu'in
croyables, & des diligences extremes, leurs montures eſtans plus propres à cela que
pour combattre de pied ferme,illeur eſt aiſé de ſurprendre le peuple eſcarté encore
dans le platpays,& emmy les champs,& par conſequent faire de grands butins,prin
cipalement de perſonnes,dont,enſemble de tout ce qu'ils peuuent buſquer & rafler
faut qu'ils en donnent la dixieſme partie duplus beau & meilleurau Prince, duquel
- - PP
A -

- b -

398 · Illuſtrations ſur



ils n'ont ſolde quelconque : Trop bien leur fait on dreſſer des eſtappes par où ils
paſſent dans ſes pays, ſi qu'ils viuentgratis ſans mettre la main à labource depuis lo
lieu où ils ſ'aſſemblent pour faire leur maſſe & reueuë, iuſqu'aux frontieres de l'en- .
nemy.Ils ſont neaumoins ſifriands de marcher,que ſur la Prime-vere quãd les cour.
riers du Seigneur leur vont annoncer de ſe mettre aux champs, ils ont accouſtumé
de leur faire de bons preſents pour ces agreables nouuelles, ſi que la leuée ne tarde
comme rien à ſe faire, & ſ'en recouureroient plus de deux cens mille en moins d'vn
mois ſ'il eſtoitbeſoin, montez & embaſtonnez à leur mode, maison n'en retient
communément que cinquante ou ſoixante mille, ſoit enl'Europe que le camp ſe
dreſſe,ou en l'Aſie; le ſurplus, apres que les commiſſaires en ontfait le choix & en
roollement, eſt par eux renuoyé au logis : leurs armeures ſont quelque meſchant
aulbergeon, brigandine, & collets d'eſcaille, mais en petit nombre; & au reſte ou
tre le cimeterre,lalance auecvn pauois, & la maſſe à l'arçon de la ſelle (d'archersil
n'yen a point parmy eux)& vn petit chauderon ou lanterne à cuire leur viande en
allantpar pays parle moyen d'vne lame de fer chauffée qui eſt au fonds, ſur laquelle
ils eſpandent vn tourteau de farine de riz ou de froment empaſtée auec du beurre,
puis le ſaulpoudrent par deſſus d'vn peu de Paſtramachoubreſil, à ſçauoir de la chair
de bœuf ſeichée à lacheminée ou au four, & confitte auec des eſpices & du ſel aſ
ſaiſonné d'aulx, ſelon qu'ila eſté dit cy-deuant : Tous les autres ſimples ſoldats ſe
maintiennent de meſme en temps de guerre. Il ſ'en trouue de plus hazardeux les
vns que les autres, leſquels venansà faire quelque bon debuoir & preuue ſignalée
de leur vertu, ſont recommandez de leurs Capitaines aux Beglierbeys ou Saniaques,
& promeuz par eux à vne penſion de Timariot. Finablement ces Accangis ſont habil
lez d'vn Doliman comme les autresTurcs, & en la teſte ont vn hault bonnet rouge
en lieu de Tulbant. . - -

Axapes. LEs AzAPE s ſont les gens de pied, à maniere d'eſtradiots, Turcs naturels,
toutainſi que les Accangi, leſquels on leue extraordinairement & en tel nombre que
les occaſions ſ'en preſentent, tant pour la terre que la marine, neaumoins il y en a
touſiours d'entretenus dans lesvilles & places fortes auec les Iennit{aires, qui ont
communément la garde de la fortereſſe ou chaſteau, & les Azapes de la ville, mais
en plus grand nombre que les IennitXaires, pour eſgaler le contrepoix car les Iennit
zaires eſtans tous enfans de Chreſtiens, & plusvaleureux ſans comparaiſon que les
AzapesTurcs naturels,ily a ordinairement de l'emulation & riotte, de façon que
ſ'ils eſtoient pareils en nombre, ils ne pourroient pas reſiſteraux Iennit{aires, qui les
voudroient trop gourmander : & à laverité ce ſontgens de peu d'eſtime & de faict
que ces Axapes, & dontl'on ſe ſert par maniere de dire, comme de lictiere, pour les
coruées & premiere pointe des approches & aſſaux des places, és paſſages de quel
ques riuieres,& deſtroits qui ſont ſcabreux, toutainſi que de gabions, ou de faſſines
& gazons qu'onietteroit en vn bourbier pour paſſer les autres deſſus, afin de meſna
ger les Iennitzaires & autres hommes de valeur pour les bons affaires, & les reſeruer
au dernier beſoin.Ces Azapes icy,pour les diſcerner d'auec les autres portent tous,à
Tathia.
guiſe preſque des Accangi,vn hautbonnet de laine rouge à la marineſque, dont les
oreilles refendues de coſté & d'autre pendent en pointe iuſques ſur les eſpaules, &
pour armes vſent de l'arc,de la cimeterreauec la rondelle, & vne maniere de iaueli
nes & partuiſanes,leur ſolde eſt de trois à cinq aſpres le iour:& ſe leuent communé
ment en la Natolie,plus propresbeaucoup pour lesvaiſſeaux & combats de mer que
de terre. .
bub,fol,hardi , IL ya encore vne autre maniere de gens de guerre parmy les Turcs, mais en pe
titnombre, les plus braues & hardis de tous autres, appellez Dely, c'eſt à dire, fols
hazardeux, comme à la verité ils le ſont, & pluſtoſt eſtourdis qu'autrement, de
fexpoſer ainſi de gayeté de cœur, à des perils ſi manifeſtes : car il faut ſur peine
de perdre ce tiltre & leurs marques, qu'ils ne faſſent difficulté d'aſſaillirvn tout
feul huict ou dix hommes de cheual , ce que la pluſpart du temps leur ſucced
de,ſoit pour leur grande force & addreſſe : car encore qu'ils ſoient de lourd &
groſſier
- - 4"N M. | ' • .. | | , g -, «. **. --

l'Hiſtoire de Chalcondilê. 39 9
groſſier eſprit, ils ont neaumoins quelques ſecrets tours d'eſcrime qu'ils ſe laiſſent
demain en main les vnsaux autres; ou que ceux a qui ils s'addreſſent ſyent gens
laſches & de peu de faict , ou pour lcur eſpouuentable equippage,ou bien, ce qui eſt
plus à croire, que la fortune les fauoriſe, comme on dit communément qu'elle faict
aux fols & aux temeraires : auſſi mettent-ils toute lcur confiance en la protection & Naſſup, ou
ſecours de ceſte Deeſſe ditte Naſ/up, ou Ctuſara, comme font generalement tous les Ctuſara, la
Turcs, qui par-deſſus tous autres mortels attribuent tant à la predeſtination, tenue deſtinée.
d'eux pour leur heure fatale & preordonnée, qu'ils ne penſent pas que pour danger
où ils ſe puiſſentabandonner, elle s'aduance ou retarde d'vn ſeul moment ; ſi qu'ils
ont à tous propos ces mots icy en labouche : Iakilangelurbaſſina,qui ſignifient,le/cri
ture arriuera à ſa tgſfe : comme ſ'ils vouloient dire, que tout ce que la fortunea eſcrit à
l'heure de leur naiſſance en leur teſte qui cſt la principale partie du corps, il eſtim
poſſible de l'euiter, encore qu'on ſe fuſt renfermé en vn fortinexpugnable,ny plus
ny moins qu'il ſe lit du Poëte tragique Eſchyle,auquel ayanteſté annoncé d'vn de
uin qu'il ſegardaſt bien vn tcliour d'eſtre accablé de ie ne ſçay quoy qui luy tombe
roit d'enhaut ſur la teſte,il ſ'alla placerau beau milieu d'vne campaigne,large & ou
uerte de toutes parts,où il faiſoit ſon compte de debuoir cſtre hors d'vn tel danger, ſi
le ciel d'aduanture ne tomboit ſur luy, quand vne aigle qui ſ'eſtoit ſaiſie d'vne tor
tue,cuidant de la teſte chauue de ce bon vieillard quc ce fuſt quelque groſſe pierre,
lalaiſſa cheoir deſſus droit à plomb pour la rompre,dont il expira toutàl'heure. Ces
Dely au reſte,autrement Chalizar Behadur, hardis & vaillans, & Zataxaici deffieurs,
ſont tous Européens & non de l'Aſie, pour la pluſpart de la Boſſine,Seruie,Bulgarie,
Croacie,& ſemblables regions adiacentes; vieils ſoldats practiquez & eſprouucz,de

taille robuſte & membruz pour pouuoir correſpondre à leur hardieſſe , qu'elle ne
demeure inutile & courte par faute de force , tendans ſans ceſſe à ſurprendre leur
ennemy à deſcouuertou ſur la teſte,ou ſur les bras, à quoy ils viſent, & # vn coup de
taille : car ils tiennent à grand vitupere les eſtocades,auſſi que leurs cimeterres tor
tes & courbes dont vſent generalement tous les Turcs, ne ſont pas propres pour
donner de pointe, leurs autres armes ſont la targue, & la lance creuſe qu'on appelle
ourdon,beaucoup plus groſſe & plus longue que les noſtres,ayant vn fer long d'vn
empan,auquel àl'endroit où il eſt enchaſſé dans le bois eſt attachée vne plume d'Ai
gle en lieu de banderole, puis le cimeterre, & le bouſdeghan ou maſſe d'armes à l'ar
çon de la ſelle : en la teſte pour ſalade ou cabaſſet ils ont vn large chapeau, dont le
rebras leur vient battre ſur les eſpaules, fait de la peau de quelque once ou leopard
moucheté : & en lieu de pennache vn grand vol d'aigle auec la queuë, le tout tendu
& ſupporté par le moyen d'vn fil d'archal : la targue eſt equippée tout de meſme, ſi
qu'ils ſemblent à les veoir de loin à cheual l'enchanteur Atlante du poëte Italian.
Arioſte, monté deſſus ſon hypogriphe, leur cazaque puis apres eſt d vne deſpoüille
de lyon, comme auſſi le caparaçon du cheual, & leurs Saluares ou longues chauſſes
de lapeau d'vn ieune ours,ou d'vn loup,le poil en dehors, auec des bottines qui les
viennentrencontrer à my-iambe, pointues au pied par deuant, & hautes derriere,
ferrées par deſſous, auee degrandseſperons à la Hongreſque longs d'vn bon pied:
Somme que c'eſt vn eſtrange & hideux ſpectacle que de leur fait. Mais ſur toutils
ont de tres bons cheuaux, carils ſont fort bien appointez, de quatre à cinq censeſ
cus de penſion, n'y ayant Baſſa, Beglierbey, ny Saniaque de compte qui n'aye quelques
vns de ces fols hardis auec eux,pour autant de pompe & reputation allans à la guer
re.Les Tartares ont auſſi de ceſte maniere de gens parmy eux, & lesappellent Talu
bagater, comme met Ioſapha Barbaro en ſon voyage de la Tane ch. 6.où il les deſcrit
fort par le menu.Au ſurplus le pourtraict ſuiuant qui les vous repreſente au naturel,
aeſté emprunté de Nicolas Nicolaï, mais la deſcription deſſuſditte de certains trai
ctez Italians d'vn Antonio Menauino Geneuois,Theodoro Spandugino, & autres,
afin de ne m'accuſerd'aucun larrecin recelé & diſſimulé. - -

PP i,
:
r- Illuſtrations ſur
4OO -

# L'ordre des finances du Turc.


· LA DEs P eN c E des Roys & autres potentats ſouuerains conſiſte en deuxarticles
principaux, l'entretenement de leurs forces & de leur maiſon, auec les autresme
nues charges qu'il leur faut porter ſur leurs coffres. Ily a auſſi deux manieres de fi
nances poury ſubuenir, (mais tout cecy eſt plus reiglé ſur le Turc dont il eſticy que
ſtion, que ſur les autres Princes) le reuenu de la terre compris ſoubs ce mot de do
maine,quis'appelle àl'endroit desTurcs le Timar,& les tributs,tailles, impoſitiös&
ſubſides, ce qui s'approche aucunement de ce que les Romains diſoient erarium &
fſius. Tout cela eſt employé par le Turc de la ſorte que nous auons dit cy-deuant en
ſa recepte & deſpence,& ce ſoubs le maniment & adminiſtrations de trois ſortes de
15ephtercmim, financiers, les Dephteremtm à ſçauoir, qui ſont trois,l'vn en l'Europe, l'autre en l'A
,Threſo11ers
natolie, & le troiſieſme en Surie, Arabie, & Egypte, preſque comme nos anciens
generaux. threſoriers de France qui ont leur bureau en la chambre du threſor, auec la charge
Bel ordre. du domaine car ceux-là cognoiſſent de tout ce qui depend du Timar, & des ap
pointez là deſſus, dequoy ils tiennent les regiſtres, ayans pour cet effect ſoubs eux
autant de commis comme ilya de Santaquats, & ces commis autant de cl ers,que de
Subaſ ſoubs leur Saniaquat, pour faire les roolles desTimariots, qui ſont ſoubs leur
reſſort & iuriſdiction, & des terres dont ils iouyſſent, enſemble quel nombre de
cheuaux ils ſont tenus defrayer & mener à la guerre: auec les denicrs reuenans bons
au Prince des places vacantes, & de la dixieſme partie qu'il leue ſur tout le Tamar.
Ces Diphteremtm ont chacun quatre mille eſcus de penſion,leurs commis cinq cens,
& les clers deux cens : mais ils font tous reſidence continuelle ſur les lieux de leur
charge & departement.
Dephterderi, L' Av T R E eſpece de financiers ſ'appellent les Dephterderi, deux en nombre tant
† des ſeulement, pour l'Europe, & pour l'Aſie, & ſont comme generaux ſur-intendans
lid IlCCS.
des finances, ayans la charge de faire venir au Chaſna ou eſpargne tous les de
niers tant du Carazzi, que des autres impoſitions & ſubſides, & ont à ceſte fin cha
cun quarante commis ſoubs eux, & ces commis grand nombre de clercs qui vont
& viennent de coſté & d'autre au recouurement des deniers : pour ſ'informer auſſi
des rançonnemens, & autres maluerſations & abbus que peuuent commettre les
doüanniers, pour la pluſpart Iuifs, les mettre en priſon, ſ'ils faillent de payer és ter
mes, & les faire executer à mort quelquesfois, ſ'ils font des concuſſions exceſſiues.
Enſemble telles autres choſes dependantes de ceſt affaire. Le Dephterder de l'Euro
pea dix mille eſcus d'eſtat, & ſoubs luy deux commisgeneraux, l'vn pour la Hon
grie,Tranſſyluanie,Valaquie Croatie,Seruie, Bulgarie, Boſſine, & regions adiacen
tes : l'autre pour la Grece, la Morée, & les iſles circonuoiſines, qui en ont chacun
quatre mille, & pluſieurs clercs ou ſoubſcommis appointez de deux iuſqu'à cinq ou
ſix cens eſcus, lors que le Turc dreſſe vne armée Imperiale où il va en propre per
ſonne, il a accouſtumé de laiſſer ce Dephterderi de l'Europe en Conſtantinople auec
vn des Baſſats , pour commander en ſon abſence , & lors ſe tranſporte le Chaſna
du Serrailau chaſteau des ſept tours, oùilyaauſſivn autre threſor d'ordinaire gardé
parvnbon nombre de Iennitzaires comme nous dirons cy-apres : & ce pour y eſtre
plus ſeurement. Le Dephterderi de l'Aſie n'a que ſix mille eſcus de gages, & deux
commis qui en ont deux mille chacun, l'vn pour l'Anatolie, & l'autre pour la Surie,
Arabie, & Egypte, leſquels ont pareillement pluſieurs ſoubſcommis & clercsap
|
pointez comme ceux de l'Europe. -

Chaſnadarbaſi LA troiſieſme eſpece des financiers ſont les deux Chaſhadarbaſsi,l'vn pour les de
Threlorier de
' l'eſpargne. niers prouenâs de l'Europe,& l'autre de l'Aſie,comme threſoriers de l'éſpargne, qui
reçoiuent chacun endroit ſoyles deniers prouenans de ces deuxgrandes prouinces,
dont ils fourniſſent à toute la deſpence du Turc,tant pour l'entretenemét de ſa mai
ſon,que des forces reſidentes à la Porte,ſelon qu'ila eſté dit cy-deſſus, & au bout de
l'année mettent les deniers bons, & qui leur reſtent entre les mains , dedans
les
- - © - " I - 1- -

l'Hiſtoire de Chalcondile. 4oi


les coffres du chaſºa. Ils ont chacunvn eſcu par iour, & bouche à Cour, auec deux
accouſtrcmens tous les ans aux deux Baſiram qui leur ſont cöme à nous les Paſques;
& dix commis ſous eux, qui ont vingt aſpres. · • » - ' , ' -

IL Y A puis apres deux Veſuadur, qui ont charge de peſer les ſeraphs & les aſres à
meſure qu'on les apporte de coſté & d'autre és iours que le Diuan ſe tient, où tout
ſexamine de iour à autre ſans rien laiſſer traiſner en arriere, qui eſt l'vne de leurs
bonnes façons de faire : & ſix Seraffers, car tous ceux la ſont des finances, leſquels
ſeruent comme d'eſſaieurs és monnoyes, pour fricaſſer les eſpeces dans le Diuan
propre en la preſence du conſeil, pour voir ſ'il y aura rien de faux, ou d'autre titre
qu'il ne doit : Puison les peſe & enſache, & les deliure l'on aux Chaſnadarbaſſi qui en
tiennent le compte. Les huict derniers ont demy eſcu par iour.
L E s Dephterderis ont ſeance au Diuan, & entrent aucc les Cadileſchers, Baſſats,
Beglierbeys, & autres principaux du Conſeil, deuers le Prince; & où ils ſont tous les
derniers à ſortir de la chambre, luy rendans raiſon de ce qui dépend de leur charge;
de laquelle comme gens plus verſez aux lettres qu'aux armes, ils ont accouſtumé
de monter à celle de Cadileſcher : mais les Dephtercmim n'entrent point au conſeil du
Diuaa, ny deuers le Prince , auſſi ne viennent ils pas guere ſouuent à Conſtantino
le, ains ſont tenus de faire reſidence ſur les lieux de leurs charges, & des cheuau
chées de coſté & d'autre ſelon que l'occaſion ſ'en preſente. /

V o 1 LA l'ordre à peu-pres qui ſe tientés finances du Turc; lequel ſemble fort


bien eſtably & diſpoſé en beaucoup de choſes, mais principalement de ce qu'en vne
ſi groſſe maſſe d'Empire ilya ſi petit nómbre d'officiers, ce qui eſpargne autant de
gaiges & de larrecins; de confuſion, & mangeries du pauure peuple , toutes ces ve
xations prouenans de la pluralité d'iceux.

# La maniere de dreſſer des armées, de camper, & combattre des Turcs.


- -

Tov T E s F o 1 s & quantes que lc Turc veut armer, & ie3ter des forces dehors
tant par la terre que par la mer de quelque coſté que ce ſoit , il ne luy conuient point
autrement pour cela mettre la main à la bourſe pour leuer des ſoldats eſtrangers,ny
de ſes païs, ny de faire ſes preparatifs de longue main, carila ſes forces touſiours pre
ſtes &à toutes heures, entretenuës en tout temps auſſi bien à la paix qu'à la guerre;
& ſi puiſſantes en nombre d'hommes, qu'autre, ſi ce n'eſtoit d'auanture le grand
Cham Empereur desTartares orientaux, ne ſ'y ſçauroit point eſgaller : mais celuy là
en eſt par trop eſloigné : Et quant aux autres Chefs des Hordes d'iceuxTartares, ils
ne ſe pourroient pas meſurer au pouuoir Turqueſque, ſi ce n'eſtoit pour quelque
rencontre campalle qui ſe demeſlaſt de pleine abordée; encore y pourroientils faire
mal leurs beſognes ſila fortune ne leur eſtoit particulieremétfauorable,car ils n'ont
pointde gens de pied,& meſmemétd'arquebouziers,ny d'artillerie,nyautre equip
page requis pour vne guerreguerroyable; & rien que ce ſoit par la mer, qui peuſtaſ
ſiſter de commoditez leurs armées de terre.Lors doncques que le Turc veutarmer,
ſi c'eſt du coſté de l'Europe, il n'a à faire que de mander au Beglierbey de Romenie ou
de Grece, defaire aſſembler en tel temps, & en tellieu:(toutesfois c'eſt communé
ment autour d'Andrinople que la maſſe ſe fait) les forces qui ſont entretenuës ſous
ſa chargé, iuſques à tel nombre qu'il aduiſe eſtre requis pour ſon entrepriſe; car ils
n'ont point accouſtumé de laiſſer rien dedans les places, d'autant qu'ils n'ont com
me point de fortereſſes, & auſſi qu'ils ſont maiſtres de la campaigne : & ce Beglierbey
faictentendre le rendez-vous aux Saniaques, qui enuoient des mandemens à leurs
Subaſſi, leſquels leurs meinent chacun cndroit ſoy leur cornette de cauallerie, pour
de là marcher tous enſemble ſoubslabanniere du Saniaquat vers le Beglierbºyau lieu
§ quant & eux les viures & les munitions, à quoyles ſubiects du
dit Saniaquat auronteſté cottiſez par le Prince.Au regard des Accangiz, & Azapes,
l'on en depeſche les commiſſions de la Porte par des Vlaques ou courriers expres,aux
Commiſſaires à ce deputez, qui en font comme en moins de rien la leuée, & les
:
- P P iij
* • " • - - -

4 O2 Illuſtrations ſur
meinent où le camp ſ'aſſemble.Cependât le Prince ſ'achemine tout à ſon aiſe, auec
ſes Iennitzaires,Spacchis, Seličtars, Vlofagi,Caripi,& autres forces de ſa Porte, ſelon qu'il
a eſté ſpecifié cy-deſſus : & celles de l'Aſie, qui ſeruent comme d'vne arrieregarde
viennentapres paſſer le deſtroit de l'Helleſpont qu'on appelle le bras ſainct Geor
ge,à Gallipoli, où le gouuerneur aura faict à ceſte fin prouiſion de maormes, palan
dries, & ſemblables vaiſſeaux propres pour les gens de cheual. Tout le meſme ſe
practique du coſté de l'Aſie ſil'armée ſ'y dreſſe, où le Begliérbey de la Natolie meine
l'aduantgarde & poincte gauche à ſon tour, comme fait celuy de la Grece en Euro
pe : car le coſté gauche au contraire de nous eſt le plus honorable enuers les Turcs,
pour autant que c'eſt là où ſe porte le cimeterre, que celuy qui eſt à la gauché pour
roit ſaiſir ſurl'autre qui ſeroit à ſa droicte, & ainſi qu'à la façon des Hebrieux & Ara
besils eſcriuent endedans de la main droicte vers la gauche, & que ce ſe tournans
vers le midy pour faire leurs oraiſons & prieres, la partie de l'Orient qui eſt la princi
palle & plus excellente que l'Occident, leur demeure à gauche. Ces deux Beglier
beys ſont de pareille authorité & commandement comme le Conneſtable en noſtre
endroft, carles enfans propres du Prince,qui pour le plus ne paruiennent qu'à quel
que bon saniaquat durant la vie de leur pere, leur obeiſſent à la guerre, combien
qu'ils leur portent touſiours beaucoup de reſpect à cauſe du ſang Imperial dont ils
ſont. Quantaux Iennitzaires, & spacchis de la Porte, car les Beglierbeys & Saniaques en
ont touſiours quelque nombre à leur ſuitte, comme auſſi des Chaoux pour vne plus
grande authorIté,ils ne bougent d'aupres la perſonne du Prince,& n'ya que luy ſeu
lemét qui leur cómande,ou de ſabouche propre,ou de celle du Viſir & premierBaſt
qui cheuauche ordinairement pres de luy à la guerre,pour ordonner de ce qui peut
ſuruenir d'importance : auſſi ces forces de la Porte ne combattent qu'au dernierbe
ſoin, laiſſans § la premiere poincte, & entamer comme on dit le gaſteau, auxTi
mariots, Accangtz, & Azapes,& meſme à ceux de l'Aſie moins valeureux que de l'Eu
rope, leſquels ores qu'ils fuſſent rembarrez & rompus,car de deffaire tout à tracvne
ſigroſſe nuée de gens de cheual,plus dâgereux en ſe retirant & fuyant que lors qu'ils
demeurent fermes, ce ſeroit choſe trop malaiſée, voire preſque impoſſible : Ceſte
ſeconde trouppe ſe trouue en teſte freſche & entiere, de douze mille arquebouziers
eſprouuez de fort longue main, auec vingt mille cheuaux tous d'eſlite, & vne infi
nité de pieces de campaigne audeuant, auec des paueſades portatiues, aſſauoir de
gros aiz ferrez par le bout pour ficher en terre : ſi que c'eſt comme vn fort preſqu'in
expugnable, qui peut ſinon remettre ſusvn combat du tout eſbranlé, & obtenir
nonobſtant cela vn final gain de cauſe, à tout le moins ſauuer le maiſtre auec ſon
threſor iuſques en lieu de ſeureté, & faire eſpaule à tout le reſte de l'armée quelque
diſſippé qu'il peuſt eſtre, pour ſe rallier de nouueau. Par ainſi le Turc ayant conti
nuellement toutes ſes forces entretenuës, il ne deſpend nomplus à laguerre qu'en
temps de paix, ainsy gaigne au contraire de tous les autres : car quant aux viures &
munitiös qui outre la ſolde des gens de guerre ont accouſtumé d'eſtre de fort grâds
frais à nos Princes de pardeçà, il eſt luy meſme le marchand munitionaire, qui vend
à tel prix que bon luy ſemble, non toutesfois ſi exceſſif que ſes gens n'en puiſſent
viure chacun endroit ſoy de leur paye & appoinctement, les prouiſions que de lon
gue-main ila fait amaſſer en des eſtappes & magazins dreſſez és lieux où il ſçait que
ſon armée deura paſſer,caril préuoit ſes entrepriſes,& ce ſans qu'illuycouſte vn ſeul
aſpre, pour ce que ſes ſubiects, principalement les Chreſtiens, luy contribuenttoutes
ſes fournitures gratis, & les conduiſentà leurs propres couſts & deſpensiuſques aux
lieux qu'on leur à mandé, auec des artiſans neceſſaires pour la ſuitte du camp: ioint
que les Beglierbeys meſmes, les saniaques, Subaſſi & autres perſonnes aiſees qui ont
fait deſialeur main és charges pareux obtenuës, pour paruenir à de meilleures, ſ'ef
forcent de luy faire de beaux preſens à l'enuy, quid'vne choſe, qui †. , cn
argent comptant, viures,draps, toiles,beſtes de voicture, & ſemblables cómoditez,
leſquelles venant à reuendre à ſes gës propres, la guerre ſans doute luy eſt d'vn mer
ueilleuxprofitiioinct que de tous les buttins qui ſe font ſur les ennemis de quelque
- IlatllTC
- l'Hiſtoire de Chalcondile. 4o3
nature qu'ilspuiſſent eſtre,il en prend la dixieſme partie à ſon choix.Que ſien quel
querencontre moins fauorable,il perd quarante ou cinquante mille hommes,com
meil n'y a pas longtemps contre le Sophy, cela luy reuient à autant de gain, pour
raiſon des places vacantes dont il reçoit le reuenu , car desgcns de guerre ny de che
uaux il n'en peut manquer, eſtans ſes pays ſi peuplez, & les Turcs ne ſ'adonnans à
autre profeſſion ny meſtier que des armes : de maniere quc pour rien preſque il peut
compter la perte de ſes hommes, ſelon qu'on a peu voir par la grande deſconfiture
nauale qu'il receut pres de Lexanto l'an 157I. par les Chreſtiens, dont il ſe reſtaura
auſſi-toſt ſans qu'on peuſt rien eniamber ſur luy pour cela ; ſ'il ne perd quant & quât
le pays qui les ſouldoye, ce qui ne leur eſt point encore aduenu iuſques icy, ne leur
ayant peu eſtre ecclypſé vn ſeul pied de terre qu'ils ayent conquiſe,ains ſe vont tou
jours dilatäs ſur leurs voiſins de proche en proche,& accroiſſans de iour à autre,pied
à pied leur domination & Empire. - - s. . • -
O R L'AR M E E Turqueſque approchant les frontieres de l'ennemy, l'ordre qu'el
le tient à marcher eſt tel à peu pres. En premier lieu les Accangé coureurs & gaſteurs , , ,,
de pays ſ'aduancent deux ou trois iournées, & quelquesfois plus ſelon que les occa- †.†a
ſions ſ'en preſentent; & ce ſur les eſles, & à la teſte du camp, ſ'eſpandans au long & §
au large pour prendre langue, & pour les autres effects & factions deſduictes cy-deſ- cºlº
ſus.Apres ſuiuent vne bonne iournée toufiours deuant les Mareſchaux de camp;
auee les pionniers ſoubs la conduitte de leur Saracmim ou Maiſtre des explanades, Saracmim Ca
auſquels vne partie des Accangiz & AKipes fonteſcorte afin de r'habiller les chemins § desGa
& mauuais paſſages, & dreſſer de coſté & d'autre de gros tas de pierres, & pieux de ſtadours.
bois,auec autres ſemblables marques ſeruans à monſtrer labrizée que le camp doit
tenir pour autant que la couſtume des Tutcs eſt de partir ordinairement à minuict,
& chemineriuſqu'à midy qu'ils ſe campent, faiſans à ceſte fin porter force fanals, &
meſmementautour du Prince, la premiere chambre duquel, c'eſt à dire l'vn de ſes
logis qui conſiſte de tentes & de pauillons, marche à la queuë de ceſte trouppe: car il
en porte touſiours deux du tout ſemblables quand il va à la guerre, ſi qu'auant qu'il
deſloge de l'vn, l'autre eſt deſiapreparé & tendu au lieu où il doit aller ce iour là : & #
le ſecond ſe trouſſe engrande diligence; caril n'ya nation au monde qui ſe campe
mieux nyplus promptement, & plus magnifiquement que les Turcs : pour paſſer
outre tout d'vne traicte iuſqu'à l'autre logis du iour enſuiuant, ainſi qu'enuers nous
: de tout temps les deux chambres du Roy.
AP R E s ceſte premiere trouppe des Mareſchaux de camp, commence à marcher
le corps de l'armée , à ſçauoir le Beglierbey de la Grece, auec les forces tant de caual
lerie, que d'A{apes ou auanturiers gens de pied, dont les bataillons ſont entre
meſlez auec les eſquadrons de ceux de cheual, ainſi que vous pouuez voir en lafi
gure ſubſequente , où il faut eſtre aduerty de prendre les choſes toutaurebours, aſ
ſauoir la main droicte pour la main gauche, pourautant que le peintre l'ayant deſſei
gnée ſur la planche ſelon que le tout deuoit eſtre, quand c'eſt venu à l'imprimer les
choſes ſontallées à contre-poil. Le Beglierbey doncques auec la cornette de ſes do
meſtiques qui font ordinairement quelques mille cheuaux, & quatre ou cinqmille
autres de tel Saniaque que bon luy ſemble, ſe plante à la teſte de la poincte gaulche
en vn eſquadron carré,& aucunefois le Seigneury commetl'vn des Baſſats auecluy,
quia de ſa part auſſi ſa cornette, de telle couleur qu'il luy plaiſt de mille ou douze
cens cheuaux de ſes domeſtiques, la pluſpart eſclaues, qu'ils entretiennent à leurs
deſpens ſurl'cſtat qu'ils ont, tous gens de guerre,&braues hommes. Lesautres sa
# niaques ſont eſtendus, chacun auec ſon regiment à part, en vn demy cercle : & de
meſme le Beglierbey de la Natolie auec ſes Saniaques & leurs regimens,comme vous
pouuez mieux apperceuoir par la figure,qu'on ne le ſçauroiteſcrire: ſi qu'il n'yarien
à quoyl'armée Turqueſque rangée en bataille, & marchantparpays reſſemble plus
proprement qu'à vnfer de cheual, dont les deux cramponsvers l'ouuerture vuide
dutallon repreſentent les ºrdeux Beglierbeys,aſſiſtez des Baſſatsauecleurs cornettes,&
|. -


|

4 C 4- Illuſtrations ſur
le tour d'iceluy, les deux grandeseſles de cauallerie & infanterie de Natolie, & Eu
rope, qui enferment au dedans d'eux, ainſi qu'en la Solle parée, la trouppe du Turc,
auec les forces de ſa Porte, de ceſte maniere. T o v T premierement ſa perſonne
eſt ſeule dans vn grand eſpace en forme d'vn parquet quarré d'vn bon get de pier
re en tous ſens, fors du premier Baſſa, & quelquefois deux qui l'accompaignent : &
au derriere de ſon cheual tout ioignant ſont les trois enfansd'honneur qui portent
la valize, l'arc & les fleſches, & le vaſe : Tout cela ſans plus eſt dans ce parquet; &
autour d'iceluy les Soulachs ou Archers du corps de coſté & d'autre, auec quelque
nombre de Chaoux au deuant pour porter ſes commandemens çà & là, & faire lar
ge, empeſchans que perſonne n'approche ſ'il n'eſt mandé. Et là meſme auecques
Coſuigiti por eux ſont quelques quarante Coſuigiti qui portent le mangerau Diuan les iours qu'il
te-plats.
ſe tient; ſix deſquels à tour de roolle, car cela ſe change de iour en iour, portent
autant de lances pour la perſonne du Prince dedans des riches fourreaux d'eſcarlat
te; tous bien en ordre, & montez ſur de bons cheuaux, leur Chefa quatre eſcus
par iour, & eux demy : les Mutteferaga ſont deuanteux. En-apres à quelque diſtan
ce des Solachs marchcnt les Capigi ou portiers eſpandus pareillementautour du par
· quet, dont le Capigibaſi qui eſt leur Chef, a la charge de mener au Prince, & luy
· introduire ceux qui luy viennent baiſer la main ; les inſtruiſant de la ceremonie
qu'il leur faut faire; & les faiſant conduire vn à vn quand ils ſont deſcendus à ter
re, par deux de leurs gens ſoubs les bras à la mode accouſtumée qu'on garde au
Serrail. Et finablement les douze mille Iennitzaires enferment le tout en vne oua
le, ſans eſtre ordonnez autrement en rangs n'y en files diſtinctes ſoubs des enſei
gnes particulieres, mais par chambrées de dix en dix, & en centaines, preſqu'en
foulle; auecques leurs Odobaſſi, & Boluchbaſt à cheual, comme eſt auſſileur Aga ou
Coronnel maieur lequel eſt au milieu d'eux tous : à l'oppoſite du cheual du Prince,
accompaigné de ſon Checaya ou Lieutenant. Toute ceſte maſſe au reſte de gens de
pied eſt flanquée de la cauallerie de la Porte; des Spacchis aſſauoir à main droicte,
en nombre de ſept à huict mille, auecvne banniere rouge; & des Selictars preſ
que autantà la gaulche, dont la leur eſt iaulne, & celle des Olofagi verte, de qua
tre à cinq mille, qui ſont derriere, y compris les Caripi, comme il a eſté dit cy-de
uant. Mais entre les Iennitzaires & la cauallerie deſſuſdite yavn grand interualle,
auquel eſt l'attirail & equippage du Turc, & de ſa maiſon auec ſon threſor, &
grand nombre de pieces de campaigne dont les gens de pied ſont couuerts, ſi que
fort malaiſément les pourroit-on aborder pour donner dedans qu'auec vne tres
grande perte & danger. Au deuant des Chaoux & Coſuigiti marche l'Emiralem ou
Gonfalonnier, accompaigné de ſix forts & robuſtes hommes qui portent autant
d'eſtandards du Seigneur, leſquels ne ſe voyent ny ne ſe deſployent iamais ſinon
quand il eſtau camp. Puis ſönt les deux Cadileſchers qui ne vont point nomplus à
laguerre ſ'il n'y eſt en perſonne, autrement, & que l'armée ſoit ſoubs la charge d'vn
Beglierbey ou Baſſa, ils commettent quelqu'vn en leur lieu pour adminiſtrer la Iu
ſtice, dont ils ſont les ſur-intendans, & comme deux grands Chancelliers outre
plus : auſquels ſ'il eſt queſtion de combattre en bataille rangée, ou d'aſſiegervne
place, ou faire quelque rauage dans le païs de l'ennemy, le Turc auant que de paſ
ſer outre a de couſtume d'en demander leur aduis, pour ſçauoir ſien cela ilyaura
ricn contre laloy, & ſa conſcience, afin d'auoir quelque iuſte pretexte en ſon en
trepriſe, & mettre lebon deuersluy, toutainſi que ſouloient faire anciennementà
leurs Fecialiens les Romains. On peutvoir de cecyie ne ſçay quelle adombration
vers la fin du ſecond liure de ceſte hiſtoire, des difficultez que la femme de Temir
ou de Tamberlan luy propoſe de mouuoir la guerre contre Baiazet. Deuant les Ca
dileſchers marchent les Dephterderi ou Threſoriers generaux, accompaignez chacun
de quelques quatre ou cinq cens de leurs domeſtiques, tous bien montez &ar
mez de cabaſſets, iacques de maille, targues, lances, maſſes & cimeterres. Delà
en hors à lateſte de l'armée ſont les eſquadrons des deux Beglierbeys,ou des Baſits,
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Coſuiſ
tc-pla
l'Hiſtoire de Chalcondile. 4 C5
commeil a eſté dit cy-deſſus. Et entre la cauallerie de la Porte toute de Chreſticns
Mahometiſez, & ceſte grande & profonde mer de Turcs naturels, tant de l'Euro
pe que de l'Aſie,eſtendus en deux eſles qui ſe viennent rencontrer & ioindre en
vne ouale, marchent les monitions & bagaiges du camp,yayant pluſieurs schaoux -

àcheual eſpandus tout autour pour garder que perſonne ne ſe deſbande , ou re


culle, & fuye laliſſe quand il eſt queſtion devenir aux mains, & iouèr à bon eſcien
des couſteaux; car ils les font retourner de viue force au combat à grands coups
de maſſe,ainſique vous pouuez voir le tout figuré au preſent portraict.

Icy doit eſtre le portraict de larmée du Turc.

Q. Q

- - - = r = --
4o6 Illuſtrations ſur
D E L'A RTILLERI E.
O V T ce que les Turcs ont eu iuſques icy de ce tant pernicieux &
damnable artifice en inuention, practique, & vſage, ſe peut dire eſtre
(ſ prouenu des Chreſticns : car ces barbares là n'eſtoient pas ſi ſubtils &
# induſtrieux qu'ils ſ'en fuſſent peu preualoir ſans l'aide de gens plus ſpi
rituels qu'ils ne ſont,tât pour les fontes des pieces & boullets,que pour
leurs affuſts & equippages propres pour les traiſner par pais, & les mettre à executi6.
Pour la confection auſſi de la pouldre à canon où conſiſte tout leur effect, qui a cau
ſétant de calamitez & ruines, tant de deſolations de belles villes & fortereſſes qui ſe
fuſſent peu conſeruer ſans cela : de la mort & affollement de tant d'illuſtres & valeu
reux perſonnages : de la perte d'vn ſi grand nombre d'excellens Capitaines, & vail
· lans ſoldats, miſerablementexterminezauant leurs iours : à qui pour ceſte occaſion
les moyens ont eſté retranchez de mettre en euidence les preuues de leur hardieſſe
& vertu,que lagrandeur de leurs courages les eſguillonnoit de pouſſer dehors.Brief
que l'ordre entieremët de la guerre & diſcipline militaire ont eſté du tout peruertis
&annichilez par ceſte malheureuſe imitatiö de ces dcrniers temps, pluſtoſt tirée du
profond des Enfers ſelon le Poëte Arioſte, que des effects de la nature en la moyéne
region de l'air, és eſclairs, fouldres, & tonnerres. Neaumoins on peutaſſez voiren
pluſieurs endroits des œuures Chimiques de Raimond Lulle, qu'il auoit fort bien .
deſcouuert la qualité du ſalpetre principalingrediët de ceſte mixtion,eſtre merueil
leuſementaëreuſe,& qui ſe reſoult& dilate d'vne terrible impetuoſité en vn tres-fu
rieux eſclat tout à coup, auecvnegroſſe vapeur : mais plus de centans auant luy en
core, Roger Bacchon tres-ſubtil Philoſophe Anglois, lequel en ſon traicté de l'ad
mirable puiſſance de la nature & de l'artena eſcrit ce qui ſenſuit. Auecvn bien peu de
matiere appropriée à ceſt effect, à la groſſeurdu bout dupoulce,ſe peut faire vn ſon & eſclairſur
paſſant ceux de la nature ce quiſefait en pluſieurs/ortes,dont iln'yafortereſſeny armée quin'en
fuſt deſtruicfe : de la meſme ſorte quefft Gedeon, lequelauec certaines petites boulettes de terre,
dontlefeuſortoitſuiuyd'vn tonnerreeſpouuentable,luyſeulementaccôpaigné de trois cens hom
mes deffit toute l'armée des Madianites. Et encore que celane ſe trouue ſi preciſément à
la lettre dedans le texte de la Bible ch.7. du liure des Iuges, neaumoins ilya plus de
35o.ans qu'iceluy Bacchon l'aainſi eſcrit.Et deux ou trois lignesau deſſus Ia omnidi
ſtantia qua volumupoſſumusartificialitercomponereignemcomburètem exſalpetria,& aljs.
Ce qui ne ſe peutentendre que de la pouldre à canon pour ceſte grande diſtāce qu'il
dit où ceſt effect ſe peuteſtendre.Quelques vns veullent auſſi referer ce lieu de Plu
tarque en la vie de Marcel, qu'Archimede delaſchoit de ſes machines & engins,des
pierres peſans dix quintaux, deux ou trois à la queuë l'vne de l'autre, auec vn mer
ueilleux tonnerre & témpeſte : àl'effect de lapouldre à canon, n'eſtimans pas qu'il y
peuſtauoir contrepoids nyreſſorts ſiroides, qu'ils peuſſentenuoyer de tels fardeaux
ainſi au loin, & d'vne telle violence. On allegue en outre, que ce que les Poëtes ont
feint Promethée auoir ſigriefuement encouru l'indignation des Dieux, & eſté cha
ſtié d'vne ſi rigoureuſe ſorte, ne ſe doit pas ſimplement entendre du feu commun,
ains des artificiels compoſez de ſalpetre, ſoulphre, & autres tels inflammatifs mate
· riaux : pour autant qu'il n'eſt pas (ce dit-on) croyable que les Dieux ſibenins & bien
affectionnez au genre humain, nous euſſent voulu priuer touſiours de ceſte parcel
le de la nature, ſans laquelle noſtre vie ſeroit trop plus pire,& de plus miſerable cö
dition que celle des beſtes brutes : mais que voyant la ſigrande curioſité & teme
raire entrepriſe de ceſt humain là ; & encore vne choſe non tant ſeulement in
utile, mais ſi dommageable par meſme moyen, en voulurent chaſtier ainſi aſpre
ment le premier autheur, nyplus ny moins qu'vn ſecond attentat des Geantsen
fans de la terre, enl'exaulcementinſolent de la tour de confuſion : car ceſt par trop
entreprédre à la creature de vouloir parvn ſi outrecuidé artifice imiter les ouurages
de ſon Createur, en contrefaiſant les eſclairs, fouldres & tonnerres qui ſe forgent
naturellement
l'Hiſtoire de Chalcondile. 4o7
naturellement en la moyenne region de l'air de meſmes ſubſtances,côbien que ſans
comparaiſon celles d'enhaut plus depurées, pius ſubtiles & eſſentielles que d'icy
bas, qui ſont aſſez plus groſſieres ; d'aurant que les autres ſont attenuees iuſques au
dernier degré d'vne ſpiritualité vaporeuſe par le moyen de leureſleuement cauſé de
deux chaleurs, l'vne pouſſante, & l'autre attrayante, dont ſ'enſuit que ce qui ſ'en
forme & procrée eſtaüſſi ſans comparaiſon de plus grand effect.Comme que ce ſoit
de ceſt artifice, ou que l'vſage n'en ait eſté ſi parfaictement cogneu des anciens, ou
qu'eux pouſſez d'vne loiiable intention ils ayent mieux aimé le cacher & enſeuelir
ſoubsvn ſilence perpetucl que de le deſcouurir aux mortels, n'ayans que trop de
moyens ſans celade ſ'entrenuirc & offenſer, ou que par vne diuine prouidence il ait
eſté reſerué à ces derniers temps empoiſonnez d'vne tres-cruelle inhumanité: ceſte
compoſition de pouldre à canon n'a eſté practiquée, pour le regardaumoins de l'ar
tillerie iuſques enuiron l'an 14oo. de ſalut qu'vn certain moine Allemapd comme
on dit, commença de le mettre envſage, non ſi exactement toutefois qu'ila eſté de
puis, & ſur tout à ceſte heure qu'on faide de petards, de ſaulciſſes, & autres ſembla
bles plus que diaibleries tout nouuellement eſcloſes & ſorties en lumiere.Car meſ
meiuſqu'auregne de l'Empereur Charles le Quint, & du grand Roy François I. de
ce nom, ce n'eſtoit quaſi rien de l'artillerie & arquebouzerie, qui ſeruoient pluſtoſt
de monſtre & oſtentation pour faire peur aux femmes & petits enfans, que d'aucun
effect d'importance : de fait tout ce qu'on tiroitalors pour battre des places, d'vn pe
titnombre de pieces, & encore de mauuais calibre, & de loin à coup perdu, eſtoit
cinq ou ſix vollées pariourtout au plus , ou bien de ie ne ſçay quelles longues fluttes
de baſilicqs, ou de courts mortiers accrouppis pour laſcher contremont de groſſes
demeſurées balles de pierre qui au recheoirvenoient effondrer les maiſons, comme -

on peut voirau8.& 9. de ceſte Hiſtoire, pour intimider de laſches courages non en


core bien raſſeurez encontre ces pluſtoſt menaces que réclles executions : & lesar
quebouziers n'oſoiét pas coucher à iouë leurs baſtons à feu courts & renforcez,mais
d'vn tres-delié calibre, ains en y mettant le feu tournoient ainſi qu'en effroy & ſur
ſault, le viſage arriere,ayans commeils le monſtroient plus de peur, & eſtāns en plus
de danger que ceux à qui le coup ſe deſtinoit. Au moyen dequoy le tout n'eſt venu
enl'accompliſſement que nous le voyons ſinon depuis le regne du Roy Henry II.
que la furie des batteries, & le grand nombre d'arquebouziers & de piſtolliers ſe fit
voir ésarmées que par huict ou dix ans continuels il mit en campaigne tant deçà que
delà les monts : & encore depuis ſa mort en nos troubles & calamitez domeſtiques
les plus cruelles qui furettonques en tout le pourpris de la terre. Ce qui depéd prin
cipalement de trois choſes : l'vne de la grande quantité de pieces, & leur equippage
fourny de la ſuitte quiyappartient : des nouueaux calibres d'icelles, trop meilleurs
en toutes ſortes que des anciennes & finablement de la pouldre groſſegrenee,dont
l'experience nous a fait voirl'effect en eſtre tant pour tant plus fort au'double que de
la menuë eſcachée; par ce que laviolence procede de la force reünie & contraincte
au reſſerrement des gros grains, qui eſclattent d'eux meſmes ſür le brazier à pair
preſque de quelque petit piſtollet. Mais nous auons aduiſé eſtre plus à propos de re .
mettre tout celaſurl'art militaire d'Onoſandre, qui ſuiura, Dieuaidant, bientoſt
ce labeur, ſ'il ne le preuient d'auanture : car il ya beaucoup d'autres choſes à dire en
·cet endroit, leſquelles n'ayans rien de commun auec les Turqueſques, à cauſe que
· l'attirail de noſtre artillerie eſt aucunement differend du leur, elles pourroient en
trerompre ce qu'il faut pourſuiure de leurs affaires. . · ' · · · · ·
· PovR retourner donques à noſtre propos principal : route la practique qu'ont les
Turcsdel'artillerie, celaleur eſt venu des Chreſtiens : ſi quela pluſpart des ouuriers . .
dontle Turc en entretient d'ordinaire plus de ſix cens,& bien autant de Topgilar ou Tºpgilº caº
canonniers,quionttous chacun de 15.à 2o. aſpres le iour,auec des accouſtremens "
Italiens,Eſpagnols.Allemans,Pollonois,& Högres reniez,ſous la charge cóme d'vn · ·
grand maiſtre de l'artillerie appellé Topgibaſſi, car Top ſignifie canö,& Topan l'arcenal: # †.
&à ce proposie mereſſouuiensauoirleuésrelations de ces nouueaux découuremés §"º
4o8 Illuſtrations ſur
& conqueſtes des Indes occidentales, que ces pauures barbares quandiltönoit ſou
loient dire en leur langage que Topan ſe courrouçoit,yayant ſigrande affinité entre
les coups de canon,& le tönerre que chacun ſçait côbien que ce mot de Topan qu'ils
prennent pour le bon eſprit le mauuais ils l'appellent Aignan, ſe doiue pluſtoſtre
ferer au Grec qu'autrement,comme nous le penſons auoir ditailleurs.Ceſt Arcenal
au reſte du Turc en Conſtantinople, eſt à Pera tout aupres,atiquel ilyavn merueil
leux attellier,& nombre d'ouuriers,auecvne infinité d'eſclaues & forçats pour leurs !
aides, dont les vns en nombre de plus de cent cinquante trauaillenttout le long du
iour à fondre les pieces en l'Arcenal, & la nuict ſe retirenten Conſtantinople où ils
ſont habituez auec leurs meſnages : les autres ne bougent de Conſtantinople à faire
les affuſts & les pouldres. Les autres ſont pour la conduicte & execution des pieces à
la guerre; dont celles qui ſont pour les armées de terre demeurenten reſerue audict
Conſtantinople; & de la mer en Pera ſur le bord de l'eau, en vn lieu appellé Topanar
retraicte d'artillere, où ſont auſſi les magazins deſſuſdits pourlafondre.Ilya encore
vn grand nombre de pieces ſur la muraille du Serrail, & en vne plate forme hors d'i
celuy : Plus és deux chaſteaux de l'Helleſponte; & dans les tours pres le pas ou de
ſtroit de Gallipoli : & en vne fortereſſe edifiée dans la mer entre le Serrail, & la terre
ferme de la Natolie ainſi que vous le pouuez voirau portraict de Conſtätinople ſous
· la lettre : toutes les armes ſont en reſerue dedans le pourpris du Serrail en l'endroit
qui eſt cotté, qui fut vn temple autrefois dedié à ſainct Chryſoſtome.
Aragibaſi Ca So v B s le train au reſte, & ſuitte de l'artillerie eſt auſſi compris l'Aragibaſſiou Ca
pitaine du pitaine du charroy, car Araba en Turc veut dire chariot; lequela trois mille Araba
charroy.
iz ou charretiers deſſoubs luy, qui conduiſent l'equippage du Prince, & l'attirail
Saracmin. de l'artillerie, auec les pieces de campaigne. Plus le Saracmin qui a cinq cens pion
niers ſoubs luy, entretenus tant à la paix comme à laguerre,pour aller faire les expla
nades,& r'habiller les chemins partout où la perſonne du Turc marche : Car pour
le reſte de l'armée l'ony employe les AKapes & Coynariz, qui ſont de certains paſtres
& gardeurs de beſtail, rodans continuellement çà & là auec leurs troupeaux par les
montaignes de la Grece & la Natolie. Et pour-autant que l'eſtendue de ceſt Empire
cſt fort grande, dont Conſtantinople eſt preſque le centre, où ſe tient d'ordinaire
tout le train de l'artillerie, quand il eſt queſtion de faire quelque entrepriſe lointai
ne, ou par des endroits malaiſez à conduire les groſſes pieces de batterie : ils ont de
couſtume de faire porter le bronze ſur des chameaux; & puis quand ils ſont arriuez
ſur les lieux où ils en peuuentauoir beſoin, les fondre de tel & ſigrand calibre que
bon leur ſemble : Par la mer il n'eſt pas neceſſaire d'en faire ainſi : & meinent touſ
jours quant & eux vne grande quantité de pieces de campaigne en toutes les armées
qu'ils dreſſent; auſſieſt-ce l'vn des moyens principaux qui leur a acquis de telles vi
ctoires & amplification d'Empire tant ſur lesChreſtiens que Mahometiſtes,comme
le Souldan du Caire & Surie, & le Sophy Roy de Perſe & de Mede. Les pieces le
gieres ſont ordinairement departies en trois trouppes, deuxaux deux poinctes auec
les deux Beglierbeys; & la troiſieſme à la teſte des Iennitxaires, au milieu deſquels
comme en vn fort inexpugnable eſt la perſonne du Seigneur. -

· Av R E GAR D des roſettes & cuiures ils leur viennent de Cappadoce & Paphla
gonie, és enuirons de Caſtamone & de Sinope, vne ville ſcituée en vn Cherſoneſe
ou langue de terre qui ſ'aduance vn bon mille outiers de lieu en la merMaiour,ſelon
que vous le pouuez voir au 9. de ceſte Hiſtoire : Plus de Gomene, & de Pantracha
en la Natolie. Le ferils le ſouloient prendre en la Grece, en vn lieu appellé Lauroca
uo, mais à cauſe de l'incommodité du charroyils le font venir de la Natolie où il ſ'en
trouue en pluſieurs endroits, & encores au deſſuſdit Pantracha où ilya de fortbon
nes minieres de fer,d'acier,& de cuiure.Les ſalpetres,ils les tirent preſque tous d'vn
endroit de la Natolie, dit le Caſir, ayans eſté contraints de laiſſer pour la plusgrande
part ceux de Surie, pour eſtre trop moiſtes : Quant au ſoulphreils en ont des minie
res en aſſez de lieux. Et ſont tous ces materiaux conduicts à par-ſoy en Conſtanti
nople, où les pouldresſe fontaupres des ſept tours, oùilya commodité de moulins
l'HiſtoiredeChalcondile. . •e»
tantàeau, & cheuaux, qu'à bras, des forçaires & eſclaues quiytrauaillent : puis les
avans enfoncées dans des barrils & doubles caques, on les retire en la fortereſſe
comme en lieu ſeur, & qui eſt gardé ordinairement par certain nombre de Menuit
zaires pour raiſon meſme du threſor quiycſt.
Lamvde de camperdes Turcs.
Il n'yagens en tout le monde quiſe campentmieux & nyplus magnifiquement
uelesTurcs,cöme ceux qui ſe reſſentent touſiours des meurs & façös des Tartares
§ ils deſcendirentpremierement, toutletrain de lavie deſquels conſiſte à roder
ſans ceſſe par les campaignes çà & là ſoubs des tentes,pauillons,& chariots couuerts
de feultre ou de drap,ainſi qu'en quelques maiſons deambulatoires, dont le deſſous
ſert à mettre les cheuaux à l'abry, & du hautils font leur habitatiö & demeure.Tout
de meſme lesTurcs ne recognoiſſansguieres d'autre meſtier que la guerre, & la vie
paſtorale plus que l'agriculture,ſont par conſequent plus exquis, & plus curieux de
leurs pauillons, que de leurs edifices particuliers : car au reſte ils ſont aſſez ſplendi
des en leurs Moſquées & bains publiques,où giſt toute la magnificence de leurs edi
fices. Si qu'ils deſpendront pluſtoſt en leurs tentes & autre equipage de camp qu'à
baſtir, ioinct que rien d'immeuble ne paſſe en propre apresleur decez à leurs heri
tiers.Dauantage ce ſont gens lourds, groſſiers, peſants, & pareſſeux, qui n'ont pas -

l'entendement de baſtir,ains ſe contentent d'eſtre tellement quellement à couuert


en quelque appentis ou recoing, ſi que par faute de mettre vne thuiile ou petite
poultre ils lairront quelquesfois deperir tout le reſte de l'edifice , Voire eux-meſmes
en haſteront le plus ſouuent la demolition : auſſi par tout où ils ſe ſont habituez tout
vaen ruine : & ne ſe trouueranulle part en toute ceſte grande eſtcndue d'Empire,
maiſon d'aucun,riche qu'il ſoit,ſid'aduanture ce n'eſtoit de quelque Baſſa,ou autres
perſonnagesd'authorité,quiſe peut accompareraux moindres de France, Italie, &
Allemaigne,n'eſtans leurs demeures que petites meſchantes cahuettes & tugurions
maçonnez comme on dit,de boüe & crachat, & le dedans meublé de meſine, ſans
aucuns bancs,chaires, eſcabelles,table & treteaux,parce qu'ils mangent accroupiz
-enterre les iambes croiſées à la mode des couſturiers,ſur quelque meſchant tapis ou
nattes de ioncs & pourtoute nappe,ſeruiettes vaiſſelle aſſiettes,couppes,eſguieres,
& ſemblables vſtancilles de bouche,ont vne belle grand'bourſe de cuir,qui ſ'eſtend
en rond quand elle eſt ouuerte,ſur laquelle ils vous poſeront vn grand plat de bois
auec quelques eſcuelles de terre pleines de riz, & de chair hachée en menus mor
ceaux,comme auſſi eſt ce peu de pain dontils vſent : & là chacun peſche au plat, &
prend ſa lippée à grand'haſte,puis ſelechent les doigts,ou bien ſe les torchent à leur
mouchoüerº & pourboire ontie ne ſçay quel petit vaſe de cuir qui ſe ploye en qua
tre,dont ils puiſent leur eau,& y boiuent.Au reſte ils n'ont non-plus ne licts ne cou
ches de bois,ains eſtendent au ſoir quand il eſt queſtion d'aller dormir,quelque cou
ple de Arapontins ou mattras où ils ſe veautrent ſans linceux,car leur loy-mefme en
defend 1'vſage, ny de ſe coucher nud à npd, & s'enueloppent de quelque mante ou
eſclauines'il fait froid : puis trouſſenttout cela au matin,& le pendent ſur quelques
perches oubaſtons ancrez dans la muraille Mais en recompenſeils ſont plus exquis
ſans comparaiſon que nous en leur equippage de guerre, ſi que bien ſouuent fon
verra vn ſimple Spacchi qui ne craindra pointd'employer cent ny deux censeſcus en
quelque moyen pauillon, tout enrichy par le dedans d'ouuragesiameſques, & de
broderie à leur mode, à gais & plaiſans fueillages de toutes couleurs, qu'il faict fore
bon veoir,& n'yarien de plus delectable à l'œil: Eſtans au reſte toutes leurs tentes &
pauillösauec les cordages, de fil de cotton,quiiamais ne ſe rendurciſt, ny embroüil
le,ny rend contumax à la pluye,ains eſt touſiours doüillet,obeiſſant, & traictable, &
legierauec tout cela.Il n'ya perſonneiuſques meſmeaux eſclaues qui Gouche nylo
geàl'airte & deſcouuert, & ce àl'imitation des anciens Romains, comme l'eſcript
#
Polybeau6.de ſes hiſtoires qui eſt de leur caſtrametatiö : mais pour le peu de moyen
Q Q iij
4Io - Illuſtrations ſur ·
qu'ontles tennitzaires, auſquelsàpeineleur ſolde peut ſuffire pourleviure de bou
che,le Turc leur pouruoit de pauillons, & les fait porter à ſes deſpens, de ſix en ſix
| vn,ou de quatre en quatre plus ou moins ſelon le ranc de leurs merites, l'an 1566. le
Sophy enuoya en preſent à feu Selim dernier mort, pere d'Amurath qui regne au
| iourd'huy, vn pauillon Imperial pour mettre ſoubs vne grande tente, eſtimé à cinq
cens mille eſcus : & deux perles,l'vne du poix de cent quinze caracts groſſe comme
vn eſteuf, l'autre de quatre vingts & dix, rondes au reſte, blanches & belles en per
fection,priſées encore plus grande ſomme.Marco Polo à ce meſme propos en ſa de
ſcription de laTartarie orientale liu. 2.cha.16.parle d'vn pauillon †Cham de
Chatai, ſi ſpacieux que dix mille hommes pouuoient demeurer deſſoubs à couuert:
& d'vne tente pour ſa perſonne, ſouſtenue ſur trois grands maſts ou pilliers de bois
entaillez à fueillages dorez & diaſprez, le dehors d'icelle garny de peaux de lions,
d'onces, & leopards, agencez en forme de compartimens figurez de pluſieurs cou
leurs : & le dedans tout reueſtu d'exquiſes fourreures de Zibellins, martres, loups
ceruiers, hermines, & ſemblables de treſ grand pris,accommodées pareillement à
diuerſes fantaſies & varietez de deuiſes,à guiſe de tapis cairins,de burſies ou de Per
ſe.Mais pourreuenir aux tentes du Turc, il en meine touſiours deux attirails com
plets de toutes leurs pieces & ſuittes, & ſemblablesl'vn à l'autre, comme nos Roys
ſouloient mener deux chambres par pays, premiere & ſeconde , l'vn où il loge vn
iour,cependant qu'on va tendre l'autre deuant au prochain logis, afin qu'a ſon arri
- uée il trouue tout ſon cas preſt & dreſſé,ayant à ceſte fin d'ordinaire de trois à quatre
-

'
-

Mačterlers, &
cens Mačterlers ou Hortagilars tentiers & dreſſeurs de tentes ſoubs leur Capitaine:
Hortagilars. leſquels en premier lieu choiſiſſent quelque belle place au milieu du camp,commu
nément ſur quelque petittertre ou couſteau,pour eſtre d'vne plus ſuperbe apparen
ce,& flanquée de quelque petite touffe d'arbres ſil'aſſiette du lieu le permet. Là ils
dreſſent le pauillon de ſa perſonne fort haut exaulſé grand & ample,ſoubs vne tente
pour mieux le deffendre de l'ardeur du Soleil,ou des pluyes, & des autres iniures de
l'air : le tout, tant latente que le pauillon, & le reſte de ſon logis, eſtant de toille de
cotton teinte en eſcarlatte, de laquelle couleur il n'eſt pas loiſible en ce cas d'vſer à
autres qu'à luy,ſes enfans,les Baſats,& Beglierbeys:chamarrée au reſte de rubents,paſ
ſemens, & autres tels enrichiſſemens de diuerſes couleurs d'vn fort bel aſpect, mais
par le dedans toutbroddé d'vn ouurage tres-excellent d'or,d'argent,& de ſoye, que
rien ne ſe peut veoir de plus magnifique,ioinct les tapiz eſtendus partere.A ce pauil
lon ils accoupplent vne gallerie ou allée de la meſme eſtoffe, qui ſe va rendre à vne
tente ſeruant à tenir le Diuan,où le Prince peut eſtreaux eſcoutes toutainſi que dans
ſon Serrail à Conſtantinople : & de l'autre part toutàl'oppoſite ily en a vne ſembla
ble qui ſert du Chaſna ou threſor, auquel ſe mettent les deniers qu'il porte touſiours
quant & luy en grand nombre:car à l'entrepriſe de Zeguet 1566.on dit que Solyman
auoit plus de vingt millions d'or,auec ſon cabinet de pierreries, & ſagarderobbe de
tres-riches meubles & accouſtremens, & de faict le camp leur eſt comme vne belle
grande cité qui ſeroit deambulatoire. Toutautour puisapres ſont ſes offices, & au
tres pieces tant pour l'vſage de ſa perſonne,que pour ſes domeſtiques qui le ſeruent,
le tout enuironné d'vne haute muraille de la meſme toille,en forme ronde ou ouale
ſelon l'aſſiette & diſpoſition du lieu, auec des creneaux qu'on diroit à veoir ce logis
de loin que c'eſt vne ville : carilya des croiſſans ſur les combles, des pommes, gi
roüettes,bannieres & panonceaux appoſez au feſte ainſi qu'en nos couuertures d'ar
toiſe,dorez,argentez, diaſprez, qui rendentvne merueilleuſe lueur & eſclat. Il y a
dedans ce pourpris encore vne autre tente pour les Soulachs ou archers de lagarde du
corps: & deuxgrandes portes en iceluy,où ſont les Schaoux,Capigi,ou Portiers,& au
tres quiy font la garde toutainſi qu'au Serrail,l'vne du coſté de l'aduantgarde à la
pointe gauche qui eſt la plus honorable : & l'autre de l'arrieregarde à la droitte : car
ces deux † d'auantgarde & arrieregarde ne marchent pas, ny ne ſe campent
diſtammentl'vne deuant,l'autre derriere le corps de labataille où cſt le Prince ainſi
qu'à nous, & ſelon que le portent leurs appellations, ains ſ'eſtendent en de
- -
º# C1lCS
-
| -
l'
l'HiſtoiredeChalcondile. 4
4 II
-

: eſlescomrhe les cornes dvn croiſſariº ou les deux bouts d'vn arc tendu, au fonds
: & milieu duquelendroit la poignée eſt la trouppe du Turc, qui conſiſte de ſes Ien
#- niſſaires,Spacchis,& autres gens de cheual & de pied, commeila eſté dit cy-deſſusi
& qu'il eſt fortelegamment exprimé au 6.de ceſte hiſtoire,és remonſtrances que fait
# Thuracan à Amurath : Tout autour puis aprcs de ceſte enceinte ſont dreſſées les
- tentes des Iennitxaires,puis des Spacchis, Selictars, & I lufagi,ſelon l'ordre declaré cy
#. deſſus,dont les cordages ſont entrelaſſez d'vne telle ſorte qu'on ne ſçauroit en façon
| . quelconque arriuer à cheualny à piedaux murailles, ioinct auſſi la palliſſade qui eſt
s au deuant,compoſée de gabions portatifs, qui ſont certainesplanches ouais eſpoix
- de pres de demy pied, auec vne pointe de ferpar embas pour les pouuoir ficher en Au commens
, terre : & ainfilesarrangent & emmortaiſentlesvnsaux autres en forme d'vn gabion † .
. carré, mais nonpasàangles eſgaux,ains barlongs & en lozange, qu'ils empliſſent "
- puisapres de terre, tellement que c'eſt comme vn fort rempar, accompaigné parles
, endroits où ſont les lumieres & canonnieres, armées toutesfois de mantellets qui ſe
, hauſſent & baiſſentàguiſe de baculles bu ponts-leuis, d'vne infinité de bouches à
, feu. Ils ſ'en ſeruent auſſiés ſieges des places pour ſe mettre derriere à couuert. A la
| porte versl'aduantgarde eſt planté le pauillon de l'Emiralem ou garde des enſeignes
- . & eſtendards, & tout vis à vis celuy du Baſſa, ou du Beglierbey qui commande, auec
# ! ſes Saniaques,& leurs regimens de cauallerie eſtendus en eſle, qui ont ordinairemét
· de quarante à cinquante Chaouxauec eux galloppans à toutes heures à l'entourdeſ
# dits regimens pour garder qu'on ne ſe deſbande, & à coups de maſſe faire retourner
|
l .
bon-gré mal-gré
ſonniere au combat
: & aduenant ceux quicuideroient
que l'ennemyvinſt faire l'eſcolle,comme
charger,aller & venir de fois àonautre
dit buiſ
vers
- le Prince à toute bridde,pour luy donneraduis de ce qui ſuruient, & auoir ſon com
## · mandement là deſſus, ſans lequel,ou du Viſir qui eſt à ceſte fin touſiours pres de luy
- rien d'importance ne s'execute,ſoit au combat en campaigne raze, où au ſiege & aſ
, ,
ſaut des places fortes : le meſme ſe fait en la poincte droitte ouarrieregarde.Somme.
:: que la trouppe du Prince, qui eſt comme vne citadelle en quelque grand'ville, &
d'où dependtout leur recours,cariuſques icyil n'en eſt oncques meſ-aduenuny n'a
peu eſtre enfoncée pour eſtre ſon camp defait tout à trac, eſt couuerte parle deuant
de la groſſe artillerie & d'vne partie des IennitXaires,auecques la cauallerie de la por
2 te parles deux flancs des deuxgros hourts de la Romenie,& Anatolie, & par le der
. riere des bagages qui ſont ſans nombre, auec quelques forces pour leur eſcorte, &
: les artiſans,marchands,vallets & eſclaues, viures,munitions, & autres commoditez
# qui ſuiuent l'armée. Et encore que les Iennitzaires ſoient communément les pre
miers à marcher,ils ſont neaumoins les derniers à combattre:car on les reſerue com
- me vne ſacréeanchre pourreſtaurer & remettre ſus ce qui pourroit eſtre eſbranlé,
: ou à touteuenément ſauuer la perſonne du Prince aucc ſon threſor : cela garenty ils
n'ontrié à craindre de laroutte de tout le reſte : carils n'ont que trop de Turcs natu
relsgens de guerre, pourremettre incontinent ſus vne autrearmée auſſi forte voire
: plus fil en eſt beſoin que laprecedente ; ayans vne ſource ou ſeminaire comme in
! expuiſable d'hommes & de monteures,armeures,& autre equippage. Les Iennitzai- .
& res au reſte maintenant tous arquebouziers, qui marchent à la deſbandée ſans tenir
: files ne rancs,ne deſchargent pas tous enſemble ainſi qu'à nos eſcouppetteries & ſa
: luës : mais peu à peu, & l'vn apres Pautre comme fils tiroient au gibier & en mire de
#| | | pied-ferme & celuyquiade
leuer qu'il n'aitrechargé delaſché ſe metbas
nouueau. . à terre,faiſantplace ·aux•autres, ſans· ſe
. • •

à , , QvANT à la forme de combattre de tous lesTurcs en general, ils ont de plain


- , ſaultie ne ſçay quelle viue ardeur d'vne impetuoſité & furie,accompaignées de cris
4 qui mettent quelque eſpouuentementd'arriuée,ioinct la hardieſſe dont ils expo
# ſentleursviesauxdangers, non toutesfois tantparvne gentilleſſe de cœur, † dé
n! crainted'eſtre chaſtiez, & pourl'obeiſſance qu'ilsportentà leur maiſtre : auſſi pour
# · les grandesrecompenſes qu'ils attendent de leur bien-faire, mais ſurtout meusd'v
nefantaſieimprimée en leur cerueau de la fatalité ineuitable en tout ce qui leur
-
412 Illuſtrations ſur
doibtaduenir,commeileſttouché parvnaſſe-facecieux compte au 7. de ceſte hi
ſtoire : neaumoins ſi ceſte premiere pointe eſt bien ſouſtenuë & rebouchée,ils pren
nenteux-meſmes la fuitte.Somme que toutleurfaictenceſtendroiteſt à la manie
re des anciens Parthes, & des Tartares d'auiourd'huy, tantoſt chargeans, tantoſt
fuyans à la deſbandée, & ſe rallians tout ſoudain pour venir recharger de nouueau,
tant qu'ils ayent du tout haraſſez & recreus ceux qui ſont plus peſamment armez
qu'eux & leurs montures de moindre haleine : de façon que là où on les cuide du
tout rompus, c'eſt alors qu'ils ſont plus à craindre, ſil'on ſe iouë à pourſuiure trop
chaudement & indiſcrettement la victoire : car rarement prouientelle iuſqu'au fort
- du Prince : ſi cela arriue, les IennitXaires qui le tiennent en lieu de pere, combattent
en ce cas arrengez toutautour de luyiuſques au dernier ſouſpir de leur vie,couuerts
au deuant comme ila eſté dit cy-deſſus, ſi que pour ſi peu de cauallerie qui ſe puiſſe
rallier auec eux, car ce ſeroit choſe bien mal-aiſée de tailler en pieces ſigrand nom
bre de gens,& quifuientainſi eſclaircis,on ſe trouue à recommencer de nouueau,&
en danger de tout perdre,comme on peut voir en pluſieurs lieux de ceſte hiſtoire.
L A M A R I N E.

Les Tv Rcs ſont venus forttardàenauoirlapractique & vſage, comme gens


deſcendus d'vne region fort eſloignée de lamer, & qui ne ſe ſoucioient pas beau
coup du traffic, ains ſeulement de courſes, inuaſions & brigandages à cheual de co
ſté & d'autre, parmy les mediterranées & le cœur interieur de l'Aſie, n'ayans point
de domination ny de demeures arreſtées, iuſques apres en auoir eſtably vne ſoubs
pluſieurs Princes conſecutifs, & parvne aſſez longue reuolution d'années pris fina
blement Conſtantinople & Trebizonde,l'vne & l'autre aſſiſes ſur la marine, & de
là eſtenduleurs conqueſtes au Peloponeſe & autres maritimes contrées le long des
coſtes de la Grece auec lesiſlesadiacentes,ils ſe renforcerent peu à peu de vaiſſeaux
'tant que finablementils ſont paruenus à vn tel pouuoir, qu'a tous propos ils peuuent
mettre en mer enbien peu de iours plus de trois cens voiles, de galleres, galliottes,
fuſtes & brigantins,auec lesvaiſſeaux de ſuitte & leurs nauleages,le toutequippé de
forçats, mattellots, gens de guerre, viures, artillerie, & munitions, eſtans pourueus
abondâment & de longuemain de toutes les choſes requiſes en ceſt endroit.Caren
core que ceſte groſſe coutte qui fut d'euxreceuë ſoubsSelim pres de Lepanthol'an
157I. del'armée Chreſtienne,où il perditplus de 2oo.vaiſſeaux nousappreigne qu'il
ya plus d'attente de venir à bout de ces redoubtezaduerſaires du nom Chreſtien en
general, par la mer que par la terre, où leurs forces iuſqu'à preſent ſe ſont trouuées
comrne inuincibles,tant§ le grand nombre de combattans,& tous preſque gens
de cheual,que pour leur diſcipline & obeiſſance,de leur ſobrieté & endurciſſement
à toutes ſortes de trauaux & meſaiſes : ioinct les grandes facultez & moyens qu'ils
ont de les entretenir d'ordinaire : & ſur tout qu'en leurs armées il n'ya rien quel
conque de delices qui les puiſſe deſbaucher,ny leur ramollir le courage & les mem
bres : caron n'yiouë iamais,on n'yboit point de vin, & n'ya garſes nyputains : ils ne
iurent ny ne blaſphement,non pas meſme le nom de IEsvs CHRIsT, ny de la VIER
) CE MARIE, non plus que de Dieu ny de leur Prophete : & n'intermettent rien que
ce ſoit de leurs prieres&lauemensaux heuresaccouſtumées tant de la nuict comme
du iour : & en § ſont en tout & par tout plus moderez & deuotieux que nos
gens de guerºa. Eſtans doncques tels,ils ſeronttouſiours fortaiſéement victorieux
cnuers les peuples eſloignez de toutes ces choſes, en parlanttoutesfois ſelon lapor
tée & conception du diſcours humain, parce que le Dieu des armées eſt puis apres
par deſſus tout : caron voidaſſez comme ils ſe refirent ſoudain de ceſte lourde ſe
couſſe deſſuſditte de Lepantho : & qu'en moins de ſix mois ils remirent ſus, & r'e
quipperent tout de nouueau vne plus groſſe armée de mer que la precedente : & cc
la nous monſtre les moyens qu'ils peuuétauoir en ceſtendroit, où les courſaires ſont
preſque tous en la deuotion du Turc,aumoins les plus ſignalez comme on a peu º#
C

º
l'Hiſtoire de Chalcondile. 4I3
de Dragutraizi Piali, Occhiali, † ayans fait leur apprentiſſage cn
l'artpiratique, luy ont eſtétres-propres & neceſſaires pour luy dreſſer & conduire
letrain de la mer : ioinct le grand nombre de Chreſtiens reniez dont eſt procedé la
pluſpart de l'accroiſſement & conſeruation de ce grand Empire tant par la terre que
par la marine carau reſte les Turcs ſont d'vn lourd groſſier,& peſant naturel, choſes
mal-propres entre les autres à nauiguer, combien toutesfois que ſans celails ne lair
roient de dominer eſtansſi puiſſans par la terre vne ſigrande eſtédue de coſtes qu'ils
poſſedent,depuis les marets de la Meotide iuſqu'au deſtroit de Gilbatar deuers l'A
frique & la Barbarie,qui eſt entierement tout le cours de la mer mediterranée.
• LE s Turcs doncques iuſqu'au temps de Mehemet ſecond,apres la priſe de Con
ſtantinople, & de la Morée, n'eurent comme rien de pouuoir par la mer, auſſi ne ſ'y
amuſerent-ils gueres,addreſſans toutes leurs conqueſtes dans le cœur de la terre fer
me d'Aſie & Europe, mais ce prince courageux & entreprenant ſur tous les autres
de ceſterace,luy eſtant ſi heureuſement ſuccedé eiftant de maritimes contrées,peu
auparauant qu'il mouruſtl'an 148o.auoit equippé bien deux cens galleres, & trois
cens autres voiles carrées latines comme on les appclle, en intention de donner ſur
- Rhodes,& d'vn autre endroit en la Poüilhe, pendant qu'en perſonne il ſ'achemine
roitparterre en Surie contré le Souldan du Caire,auecvne armée de deux cens mille
# combattans.Son fils Baiazetayant encore accreul'Empire, ſe renforça de vaiſſeaux
#
auſſi,bien qu'il n'en fiſt pas de fort grands exploits : mais Selim qui luy ſucceda agră
:
ditfort le train de la marine,meſme depuis qu'il eut defait le Souldan, & cöquis l'E
gypte,Arabie,&Surie,dont la pluſpart s'eſtend vers la Paleſtine & Phenice,& fitba
ſtirl'arcenal qui eſt en Pera tout au föds du port, clos de hautes murailles & de tour
rions,auec des loges par le dedans, tout ainſi qu'on peut vëoir en celuy de Veniſe,
pourretirerau ſec à couuertautant de galleres,là il y a d'ordinaire plus de trois mil
le que cordiers, charpentiers, ferronniers, & ſemblables artiſans entretenus pour y
, trauailler, quiontdixaſpres le iour quand ils beſongnent, & ſix quand ils chom
ment, auec cinquante ſur-intendans ou Protos, appointez de trente iuſqu'à quarari
:
teaſpres,vn Checaya & ſcribe qui a dix ou douze commis ſoubs luy, Maison ne tra
uaille pas continuellement en ceſt arcenal de Pera à faire des galleres comme à Ve
niſe,car ſ'il cſt queſtió de dreſſervnearmée de mer & baſtir des vaiſſeauxtoutàneuf
ou en r'habiller de vieils,onaſſemble tous les ouuriers de Conſtantinople & Pera, &
parfois desiſles circonuoiſines, & lesyfait-on trauailler à la haſte en toute extreme
---:

diligence : neaumoins ce ſontgens fort preuoyans, & qui ont touſiours de longue
: main leur equippage dreſſé & appareillé.Ilya outre les ouuriers ordinairement qua
tre ou cinq cens Azapes entretenus, qui ont de cinq à ſixaſpres le iour,pour ſe pren
dregarde qu'on ne mette le feu, ou mesfaſſe de quelque autre ſorte auxvaiſſeaux.
Et reſpond tout cecy ſoubs la charge & authorité du Baſſa Degnis, lequel auſſi con
duit l'armée quand elle ſort pourallerencours, ou à quelque entrepriſe & voyage:
& ſouloit à ceſte fin faire ſon ordinaire reſidence à Gallipoli, dont il eſt Saniaque,
Ceſt office luy vautºplus de vingt-cinq ou trente mille ducats touslesans, qui luy appointement
La charge, & .
ſont aſſignez partie ſur le peage & traiect de ce lieu , partie ſur les iſles de Rhodes
- - - - _ - º» de I'Admiral
Methelin, & Negrepont, outre infinis autres profits & emolumens qui luy vien- Turqueſque.
nent d'extraordinaire : carila ſa part & portion de toutes les priſes,buttins, & ſacca
gemés que l'armée fait,& participe encore meſmesaux volleries des courſaires. Les
Boſtangibaſſi qui ſont les Chefs desiardiniers du Serrail de Conſtantinople, ſouloiét
communémenteſtre aduancésàceſte charge d'Admiral,lequela ſa ſeanceau Diuan
quant & les Baſſats, & au meſme ranc, dont il fait le 5. & rend compte pareillement
bouche àbouche de ce qui concerne ſon faict,au Prince, commandantau reſte iuſ
quesaux murailles de Cöſtantinople.Orauant que Cairadin Roy d'Arger ſurnómé
Barberouſſeyfutappellé parSolyman fils de Selim,lesTurcsauoient eu encore fort :
peu de practique&vſage de la marine, excepté les Pirates dontils ſe ſeruoient par
fauted'autres,mais durantle longtemps qu'il demeuraen ceſte charge ſansl'enre
mucr, & ce pourtenir cötrccarte àAndré Dorie qu'ils redoutoiét ſur tous lesautres
D. n
414- Illuſtrations ſur
Capitaines Chreſtiens par la mer,ils commencerent de ſ'yinſtruire, tant qu'ils ont
atteintau plus grand pouuoir, & à la plus grande ſuffiſance & dexterité où leurs fa
cultez & moyens, & la capacité de leur eſprit ſoient peus arriuer : car ils entretien
- nent d'ordinaire bien quatre cens voiles, que galleres la pluſpart baſtardes, & plus
# fºrce dº2 renforcées que les noſtres, plus lourdes auſſi à manier, que galliottes, fuſtes,brigan
†** tins, gallions, mahones, ſchiraſſes, palandries, & ſemblables vaiſſeaux garnis de
tout leur equippage,attirail, & commoditez neceſſaires, biſcuits, ſalines, & autres
viures,artillerie, pouldres, boullets, & munitions, tantà Conſtantinople qu'à Ni
comedie, Amaſie, Gallipoli, Rhodes, Chypre, & la Vallonne : car de nauires &
vaiſſeaux ronds ils en ont trop plus qu'il n'en faut, & bien trois cens RaiKou Capitai
nes de galleres, appointez de cinqiuſques à douze cens eſcus de gages paran , auec
tous les officiers neceſſaires. Quantaux gens de rame, ils ont d'ordinaire vn grand
nombre de forçats Chreſtiens mis à la cadene,car de leurloyil ne leur eſt pas permis
d'enauoir,de Iuifs nonplusils rºen ont point,mais ſi cela ne ſuffiſoit , ils en leuent
encore de bonnevogle,de ces Gomarirs paſtresTurcs de la Grece & Anatolie, dont
ila eſté parlé† en l'artillerie : & encore des Grecs, & autres Chreſtiens qui
ſontſoubs leur obeiſſance. Et pour cet effect deuxou trois mois auant que l'armée
faſſe voile, ils ont accouſtumé de depeſcher des Schadux auec des mandemens aux
Saniaques, Cadiz, Soubaſſis, & autres officiers de reſidence en chaſque prouince , leſ
uels ſont tenus d'enuoyer nomméementauiour quileur eſt prefix,certain nombre
§ , & à faute de ce,fournirvingt eſcus pour chacun de ceux qui ſe trouue
roient defaillans.Ils en mettent communément cent cinquâte pourvoguer en cha
Chº, que gallere,appellez d'eux ChiureX&i,qui ſont payez à raiſon de trois aſpres le iour : il
"º" yapuis apresles # leue par meſme moyen pour les armer,à raiſon de qua
circiſ atºu : rante en chacune,outre quelques lennitzaires anciens qu'on meſle parmy,auec des
•lofori ' , Iennitxerots,& d'autres ſoldats dits Giergi,ſcapoli,& olofori, comme qui diroit, portans
tout leur vaillant ſureux, ſi que tous enſemble ilspeuuent faire quelquescent ou ſix
vingts hommes de combat, equippez partie d'arquebouzes, & arcs, partie de pic- ,
ques,eſpieux & corſeſques, & ont de cinqà ſix aſpres par iour, plus ou moins, ſelon
que le voyage eſt† courtou plus long : car on leur aduance tout à vne fois neuf
cens aſpres quandils ſ'embarquent : comme auſſiaux rameurs au prorata, & auxma
telots,patrons,comites,pillotes, & autres officiers : Tous leſquels ſont diuerſement |

· appointez à douze, quinze,vingt,& trenteaſpresle iour : & les canonnieres en ſem


blable, deux pour gallere, où ilyavn canon en proué, auec quatre ſaccres, mouſ
quets,& ſemblables pieces legieres, cinquante boullets de canon, cent pour les au
tres,& des pouldres à l'equipollent Plus cinquante arquebouzes equippées de leurs
fournimens,autant d'arcs, & de fleſches ce qu'il en faut,aucc autres armes & mu
nitions de guerre. Mais tous ces gens de marine horſmis les vogueurs & tireurs de
rame, & les Azapes touchent leur ſolde annuelle auſſi bien durant le ſeiour que
quand ils ſ'embarquent,& qu'on les employe. Au ſurplus toute ceſte deſpence ex
traordinaire des armées de mer ne part pas du Chaſna, ny des coffres du Prince : Au
contraire en lieu de frais ilya du gain de reſte pour luy : car ce à quoyle tout peut
monter, enſemble les viures & munitions ſe leue par forme de creuë ſur le carazzi
ou impoſt de leurs miſerables ſubiects Chreſtiens, & les Iuifs,voire ſur chaſque feu
quelquesfois des Turcs propres, & encore plus qu'il ne faut, ſi qu'il luy en reuient
toutes choſes deduittes de fortbonnes & graſſes roigneures.Lors doncques qu'il eſt
queſtiond'equipper vne armée de meron faitvneliſte de tous les deſſuſdits, tant
des gens de eheurme que de combat, ſelon le nombre de vaiſſeâux qu'on veut met
tre ſusipuis on mandeauxofficiers des lieux de lesleuer & enrooller:& à leurs Chefs
& conducteurs de lesamener où ſe doit faire l'embarquemept à Cöſtantinople,Gal
lipoliouailleurs,là où on faitentendreaux IennitXaires,Spacchis,& autres forces ordi
naires de cheual & de pied qui doiuentaller quant & quant,de ſ'y rendreau iour nö
mé,ſil'entrepriſe eſt de telle importance qu'elle le requiere, & lors le Turc a accou- .
ſtumé de deputer quclque Baſſa pour chef de l'armée, lequel Baſa º # aux
- OICCS
".
l'Hiſtoire de Chalcondile. · 4 I5
forces deſtinées pour deſcendre enterre, & tenir camp, ſoit pour la conqueſte de,
§uelque pays, ou pour aſſaillir vne place, car l'Admiral ne bouge ce tempspendant
vaiſſeaux,côme àMalthe l'an 1565 où l'armée eſtoit de 15o.galleres,17. que fuſtes :
que galliottes,huict mahones,& quinze gros carraconsarmez en guerre,auec 45oo.
jennitxaires,dix-huict mille Axapes,&autrestelsaduanturiers, huict mille Spacchis
gens de cheual; & de l'artillerie, pouldres,boullet, & autres munitions de guerre,
ſans nombre. Plus grand equippage dreſſa encore Selim quatre ou cinq ans apres
pourl'iſle de Chypre ſoubs la conduitte de l'Admiral Piati, & dumeſme Muſtapha
Baſſa, lequelauoit eu la charge de Maltheaagé de75 ans. Et en laroutte de ſon ar
mée pres de Lepanthol'an 1571.ilyauoit deux censgalleres,cinquante galliottes,&
vingtfuſtes. Ce que i'ay bien voulu touchericy en paſſant, comme pour vne mon
ſtre & eſchantillon du pouuoir de ceſte nation parla mer.Au partir de Conſtantino
ple on donne augeneral de la flotte ſon inſtruction cloſe & ſeellée, de tout ce qu'ila
à executeriourpariour durant le voyage,de la routte qu'il doibt tenir, & generalle
ment de toutes autres choſes, ſans qu'il leur ſoit en rien loiſible de ſ'en departir, y
gloſer ne contrarier,quelque occaſion qui ſ'en preſente,nonobſtant ce commun di
- re,que la guerre ſe fait à l'œil, ou ceſt autre plusgeneral en Latin,Mitte ſapientem,& ni
hildicas, comme ſi ce Prince là ne commandoit pas ſeulement aux perſonnes, ains
: · aux occaſions fortuites, au ciel, & aux elemens : laquelle ordonnance & inſtructiori
ils n'ouurent qu'au ſortir du deſtroit de Gallipoli ou autre tellieu & endroit qui eſt
cotté au dos d'icelle, & de là faiſant voile pourſuiuent leurvoyage auecvne obeiſ
ſance incroiable.Quant aux moyens de faire des vaiſſeaux,ils en ont toutes les com
moditez qu'on ſçauroit deſirer, pour le grand nombre de foreſts qui ſont tout le
long de l'Anatolie pres dugoulphe de Nicomedie qui n'eſt qu'à deux couruées de
Conſtantinople : & de la Caramanie vn peu plus en là, d'où ils recouurent le bois de
trauerſe, & de ſiage, & pour les maſts, rames, & auirons de toutes ſortes de calibres,
de diuers endroits ſur les coſtez de la mer-maiour, & de Staganda plus embascordo
uiſſo,Proropata,Cachilla,Verra, & autres tous bons ports où l'on peut charger.De cour
besils ſ'en fourniſſent en vn bois dit Dignoagar,c'eſt à dire,mer d'arbres : & de voiles
ils en ont du coſté de Thrace vers le Pont Euxin, là où pour eſtre le pays humide
croiſſent des lins & des châures engrande abondance,dont ils font de groſſes toiles,
-: outre ce que de l'Italie ils ont tant de caneuats qu'ils en veulent,& des olonnes meſ
mes de ces quartiers cy, quelques eſtroittes ordonnances qui ayent de tout temps
eſté faictes de n'en tranſporter nulle part, mais il eſt bien mal-aiſé de clorre de ſorte
le traffic & commerce qu'il n'eſehappe touſiours quelque choſe des plus prohibées.
Du fer,il en a eſté parlé cy-deſſus,lapoix,& autresgommes & liqueurs propresà cal
lefeutrer,& fretter, leurviennent de la Surie, & Phenice, le tout par la mer, la plus
grande & abbregée commodité de toutes autres.

- | RR j
416 - Illuſtrations ſur

A s E coN D E region de Conſtantinople ſoubs les Empereurs


# 4 Grecs dependoit encore du premier tertre, marquée au portraict
# A.2. & comprenoit ſelon l'ancienne deſcription,la § Egliſe
ſ3 , # de ſaincte Sophie cottée B.l'ancienne ou petite Sophie : vn ſenati
- - # vn tribunal de Porphyre,auec les marches poury möter : les ther
#) mes duZeuxippe,vntheatre &amphiteatre : Trente rues paſſan
tes,& leurs carrefours,xcviij. maiſons ſignalées : quatre grandes portiques : treize
bains,& eſtuues particulieres:quatre boulangeries particulieres:quatre grands eſca
liers pour deſcendre ſur lagreue de la marine : vn quartenier,& vn ſurueillant:tren
tecinq deputez ſur les accidents du feu : & cinq denonciateurs ou commiſſaires du
Themes du quartier pour la nuict. Quanteſt des Thermes du Zeuxippe, c'eſtoient celles que
Zeuxippe. Septimius Seuerus fit faire apresauoir ruiné Conſtantinople, leurayanteſté impoſé
† ce nom pource qu'elles furent baſties aupres du temple de ce Dieu où Heroë fils
ques. d'Apollon,& de la nymphe Syllis, où eſtoitvn tableau le repreſentant en ſa maieſté,
de la main de l'excellent peintre Zeucis,ſelö Euſebe,& George Cedrene.Ces bains
. furent treſbeaux par excelléce,& enrichis de force marbres & ſtatues,entre leſquel
les eſtoit celle du poëte Homere tout penſif& plongé en vne profonde cogitation,
tenant ſes mains entrelaſſées, & pendantes vers la ceinture, la barbe longue & mal
pignée comme auſſi eſtoient ſes cheueux ſ'auallans eſgallement de coſté & d'autre,
mais fort clairs par le deuant,preſque chauue,laface renfroignée & chagrigne, tant
à cauſe de la vieilleſſe,que de ſes meditations des choſes hautes qu'ila touchées en ſi
rand nombre le nez correſpondant à tout le reſte de ſon viſage, & les yeux comme
couſus auec les paupieres à guiſe d'aueugle,tel qu'on le ditauoir eſté : enueloppé au
ſurplus d'vn grand reiſtre par deſſus ſaiuppe, &à ſes pieds vne longue courroye de
- bronze placquee & eſtendue le long de labaſe.Ilyauoit encore force autres ſtatues
de tous les plus fameux Heroës, poëtes auſſi, philoſophes, orateurs, & hiſtoriens.
Mais de toutes ces belles antiquitez il ne reſte plus maintenant que le temple de
ſaincte Sophie, que nous nous parforcerons de deſcrire icy le moins mal qu'il ſera
poſſible,apres Procope,Euagrius,&autres qui ont donné ſur ce ſubiect.
Deſ iption | CE temple doncques de ſaincte Sophie,c'eſt à dire,delaſapience diuine,futpre
#tempº º mierement edifié par Conſtantius fils de Conſtantin,en ſon troiſieſme cöſulat,auec
ſainte Sophie. § § - / - - - >
Iulianl'an 342.& depuis ſelon Sozomene bruſlé en vne ſedition qui ſ'eſleua ſoubs le
ieune Theodoſe pourraiſon de S. Ieâ Chryſoſtome:& derechefen vne autre ſeditiö
du peuple à l'encontre de Iuſtinian,où plus de 4o.mille perſonnes furent taillées en
pieces,l'an 5.de ſon Empire, mais ille fitrebaſtir depuis bien plus ample & ſpacieux,
& plus magnifique ſans comparaiſon qu'il n'eſtoit,l'an du monde 6o4o.ſelö Zonare
qui compte à la mode Grecque de ceſte I. creation iuſqu'à IEsvs-CHRIST que †
nous enuiron 154o.ans,ſique celaà noſtre calcul reuiendroitàl'an du monde 45oo.
ans,& de noſtre ſalut 538.Iuſtinian au reſte mit 17 ans à paracheuer cet edifice, où il
L'Egypte ren- employatout le reuenu de l'Egypte, commê le teſmoigne Muſel Glycas Sicilien en
†la 4 partie de ſon hiſtoireyayantfait outre-plus apporter de tous les endroits de la
d'orchacú an terre ce quiypouuoit eſtre de plus rare & exquis,en marbres,colonnes,& tables, de
iaſpes,porphyres,ſerpétins,& autres telles eſtoffes ſingulieres pour l'ornemét de ce
ſte Egliſe,qui n'euſt oncques auparauant ſa pareille ſi ce n'eſtoit le téple de Salomon
niparauãture n'auraapres,ſelon que ſes demeurans en ſontfoy,bien que grandemét
diformez & decheuz de leur I. ſplendeur, non ja par la rigueur & iniure du temps
\
--

5 • ----- - ' | . - • *

l'Hiſtoire de Chalcondile. 417


uelque long qu'il aitpeu courir de ſon edification iuſques à nous, ne par la faute ,
† l'ouurage qui ſoit venu à ſe dementir, alterer & corrompre, mais par la beſtialité -

& ſuperſtition de ces ignoransbarbares, qui ont entre les mains vn telioyau ſans en
cognoiſtre la valleur. Et de faict les anciens l'ont accomparé au Soleilainſi que dict
Manaſſes en ſes Annalles, & tous les autres edifices à la Lune & aux eſtoilles.Le pre
mier Atchitecte & conducteur de ceſt œuure fut vnAnthemie de la ville de Tralles,
ſelon Procope au traicté des baſtimens de Iuſtinian, & au premier liure de la guerre
Perfique, auec lequel fut depuis appellé encore vn autre Ingenieur plus expert, Iſi
dore aſſauoirnatif de Millet, lequel exaulſa de vingtcinq pieds d'auantage lagran- -

de Retube ou voulte ronde en cul de four, qui par vn tremblement de terre ſ'eſtoit
aucunement dcmentie, voireeſbranlée à bon eſcien, iuſques à en tomber degrands
tas ſur le maiſtre Autel, comme l'eſcriuent Agathius, Zonare, & Cedrene; & ce en
reſſerrant deux arcades où elle poſoit, & la confortant auec des arcs-bouttans par le
dehors; dans leſquels eſtoientdeſrobées certaines viz,& cſcalliers pour monteriuſ
ues au haut de la lanterne:Euagrius liu.4 chap.31. met par vne forme d'hyperbole
que la hauteur de la voulte droit à plomb eſtoittclle qu'à peine la veué y potiuoitar
riuer, pour y recognoiſtre, faut preſuppoſer quelque choſe diſtinctement : & que
du hautaureciproque on n'euſtoſé ſans trop grande hideur regarder en bas : mais
pour reſtraindre cela à certainesarreſtées proportions & meſures,f fait ceſte hau
teur eſtre de neufvingts pieds, peu moins que les tours noſtre Dame de ceſte ville
# de Paris : ſa longueur depuis le grand Autel iuſques à la porte qui eſt à l'oppoſite,
: neufvingts & dix; & la largeur cent & quinze. mais ceux qui l'ont plus moderne
' ! ment obſeruée, ont trouué la longueur eſtre en tout de 24o. pieds, la largeur de
# 213. & la hauteur du† iuſqu'aux arcs qui ſouſtiennent la voulte, 142. le renfon
[l , drement puisapres depuis la corniche iuſques au centre du cul de four qui eſt com
# me vn creux hemiſphere, ou la concauité d'vne demy boulle, qui ſ'eſleue ſur leſdits
UT, arceaux, de quclques quarante pieds : ce qui ſe conforme à peu pres aux dimentions
# d'Euagrius. Ceſte Egliſeau reſte eſt toute baſtie de briques tres-fortes & de grand
# calibre, eſleuës entieres & ſaines, & maçonnées d'vn ciment àl'eſpreuue de toutes
# les iniures de l'air, & efforts du temps; le tout incruſté & reueſtutant par le dedans
tz que par le dehors, degrandes tables de porphyre,ſerpentin,iaſpes,albatres, & mar
# res miſques,gentils, & crenez, & autres pierres les plus rares : comme ſont auſſiles
- colonnes toutes d'vne ſeule piece,admirables tant pour leur longueur & groſſeur,
# que pour l'eſtoffe, dont l'edifice eſt enrichi & par dehors, & par dedans ſemblable
|. ment, pluſtoſt pourvn ornement & decoration, que pour aucune néceſſité duſou
à ſtenement de la maſſe, qui ſemble toutesfois fappuier là deſſus : mais cela ne ſeroit
pas ſuffiſant pour la ſouſtenir ſans les † maſſifs de maçonnerie qui ſuppor
: tent ſecrettement la meilleure partie du faix. Quantaux voultes, elles ſont par tout
. couuertes & enduittes d'vne Muſaïque admirable : c'eſt vne compoſition & aſſem-Muſaique.
, blement de petits fragmens de criſtal, d'eſmail, & de verre, dorez, argentez, & -

diaſprez de toutes couleurs, pourrepreſenter ce qu'on veut, ainſi que d'vn ouurage
damaſquin ſur l'acier, de marquetterie ſur le bois, & deiameſque ſur les draps de
|. ſoye, de laine, & les toiles : ainſinaifuement que ſçauroit faire la platte peinture, de
quelque rare & excellente main qu'elle ſçeuſteſtre,ſans qu'on fapperçoiue de ceſte
|. ſi ſubtile liaiſon, & menuë qu'on n'ait l'œil tout contre, ainſi qu'on peut voir en plus
: ſieurs endroits d'Italie, & meſmemétceftenaſcelle de ſainct Pierre,lequel eſt trop
l
| plus
tée degrand queleletout
vagues, naturel, ſur ledu
de la main portail de ſon
Ghiotto Egliſe auleVatican,
Florentin auec vne
plus excellent meragi- .
quifutonc
: ques enceſte maniere d'ouurage : & au Porche de ſainct Marc à Veniſe, deux ta
, bleauxcontenans pluſieurs perſonnages, où il n'ya homme qui ne les prinſt, voire
& - de pres, pour platte peinture. Ceſte muſaique doncques de ſaincte Sophie à Con
:: ſtantinople eſtoittres-exquiſe pour le temps d'alors que les bonnes arts & ſciences
# auoient deſiade longuemain commencé à decliner & ſ'abaſtardir : & les barbares
# | du Septentrionempoiſonné tout d'vnegoffe lourdeſſe sº#
: faicte aureſte à
# - - -- -
1
· R R iij
418 Illuſtrations ſur
figures de perſonnages,& beſtions,oiſeaux, fueillages,guillochis, & choſes ſembla
bles, qui ont eſté cauſe en fin de la difformer comme elle eſt; pour-autant que les
Turcs, & tous autres Mahometiſtes n'admettent aucune repreſentation ou image
de choſe qui ſoit produicte de la nature, alleguans n'eſtre loiſible à la creature de
contrefaire les ouurages de ſon Createur. Le paué eſt d'vne autre ſorte de marque
terie, mais correſpondente à celle d'enhaut, de nacques de perles, caſſidoines, cor
nalines,agattes, lapis, lazuli, onyces, coral, proëſmes d'eſmeraulde, & ſi quelque
autre choſe de ſemblable ſe peut retrouuer de plus beau & plaiſant à l'œil : & à ce
propos, afin qu'on ne trouue cela trop eſtrange,ie ſçay auoir veu en l'Egliſe ſuſdite
de ſainct Marcà Veniſe, envne chappelle à main droicte du chœur, vne pierre au
paué d'icelle, qui ne ſçauroit auoir plus de demy pied de long, & quelques quatre
poulces de large, dont pluſieurs ont voulu donner plus de quinze censeſcus.Au re
gard de lagrande § ou cul de four, elle eſtàguiſe de celle de la Rotonde, au
trement le Pantheon à Rome, mais trop plus ample & ſpacieuſe ſans comparaiſon,
& plus eſleuée, & quant & quant plus delicate, ce qui la rend tant plus admirable;
toute enrichie & reueſtue de muſaïque ſelon qu'ila eſté dit cy-deuant; & ſouſtenue
ſur quatre grands pilliers maſſifs, reparez tout autour de groſſes colonnes, & enta
blemens de Pie Ies exquiſes; ſur la frize, architraue, & corniche deſquels poſent &
viennent à ſe recourber les arcades, & lavoulte par conſequent; deux d'icelles plus
exaulſées, au leuantaſſauoir, & Soleil couchant, & les autres plus baſſes, qui re
gardentvers le Midy & Septentrion : le reſte du corps de l'Egliſe, carce cul de four
couure le grand Autel, & le chœur ſeulement, conſiſte en trois nefs ou paſſages,
celle du milieueſleuée à pair desarcades qui ſouſtiennent la profonde cube ou cou
polle; & les autres deux ſur les eſles, à deux eſtages l'vn ſur l'autre, celuy d'embas
pour l'vſage des hommes, & d'enhaut pourles femmes, quine ſe meſlent pas peſ
le-meſle ainſi qu'à nous parmy les hommes, nyenuers les Grecs, nyenuers les Ma
hometiſtes § les temples, où les Turques n'ont point accouſtumé d'entrer ſi
non rarement, car elles ne ſortentgueres de lamaiſon ſinon pour aller aux eſtuues,
ou aux nopces,& font leurs prieres& oraiſons au logis,ou en quelque oratoire à part:
auſſi ſelon l'Alcoran elles n'ont que la preſente vie temporelle; & apresleur mort
leursames vont en certain lieu où elles ne ſentétne bien ne mal ;l'vne des plus gran
des impietez du Mahometiſme. Les galleries de ces nefs tant parle basque par le
haut, ſont de chaque coſté ſouſtenuës ſur des groſſes colonnes de marbre, d'ordre
dorique, tant que ſçauroientembraſſer deux hommes,huictembas, & ſixtantſeu
lement en haut, vn peu moindres, & d'ordre Ionique : mais de ſerpentin, vne pier
reverde mouchettée de blanc, dure à pair du porphyre,voire plus : & y en a encore
grand nombre d'autres moindres en ces deux eſtages, tant pour ſeruird'embelliſſe
ment, que pour les diuiſer chacun en trois eſpaces ſeruans de chappelles carrées par
les trois faces, & la quatrieſme ſe recourbant en forme d'ouale à lareſſemblance de
tout l'edifice qui eſt carré par le dehors, & par le dedans ſe rapporte à vne ouale
mouſſe & camuſe, dont il ſ'enſuit que les portes des arcs & voultes ſoient merueil
leuſementſpacieuſes & forthardies. En Procope l'on peutvoir deux exemples de
l'induſtrie & promptitude d'eſprit de Iuſtinian en ceſte fabrique, où il trouuale
moyen de remedier à deux inconueniens qui ſuruindrent, ayans eſtonné tous ces
Architectes,de ſorte qu'ils eſtoient preſts de quitter tout là : l'vn que le grand arc
qui regardeau Soleil leuant, pour ſon deſmeſuré fardeau eſtantvenu à ſurcharger
tellement les pilliers où il poſoit de part & d'autre, qu'ils faiſoient contenance de ſe
renuerſer, il ordonna de § en toute diligence parfournir le ceintre de l'arcade,
qui eſtantacheuée les couppes d'icelle ſe ſouſtiendroient en partie d'elles-meſmes
liées qu'elles ſeroient les vnes aux autres : cöme iladuint, car il ſemble que tout ſoit
ſuſpendu en l'air. L'autre fut, que pour la peſanteur des deux autres arcs tournez
au Midy & au Septentrion, la ſtructure du deſſus ne pouuant ſupporter ce trop
grand fardeau, commençoit à ſe deſmentir, & les colonnes à ſ'eſcorcher en cer- .
taines petites eſcailles, comme ſi c'euſt eſté de detreſſe qu'elles ſentiſſent, à quoy
- l'Empereur
l'Hiſtoire de Chalcondile. 4I9
: l'Empereur fit remedier, en abattant ce qui eſtoit deſiaedifié de la voulte, dont la
maçonneriefutdelà en-auant conduicte parinterualles peu à peu,& nó tout à coup,
ains à meſure qu'elle ſeichoit, afin que l'humidité du ciment exhalée à loiſir & par
les menus, le poids exceſſif qui en prouenoit accablant ce qui eſtoit au deſſous vint
à ſalleger. L'edifice finablementayanteſté conduict à ſa derniere perfection, non
ſans vn trauail & deſpence extréme, il fut forteſbranlé toſtapres, du viuant meſme
de Iuſtinian, par vn gros tremblement de terre, ſi que la coupoulle ou cul de four
eſleué au deſſus de tout le reſte de l'edifice, ſe deſmentit, ainſi qu'eſcrit Agathius,
, & creua : Zonare met que l'arc du coſté du Soleil leuant vint à bas : à quoy Georges
Cedrene adiouſte qu'ilacrauantale poulpitre, & le grand Autel, auec le Ciboire:
les autres dient que toute la coupoulle tomba, maisque les arcs demeurerent de :
bout. Quoy que ce ſoit Anthemie eſtant deſia mort, Iuſtinian fit ſoudain reparer
#
••
ceſte ruine par Iſidore, & autres cxcellens Architectes; faiſant haulſer les quatre
pilliers qui les ſouſtenoient de vingt cinq pieds, & la coupoulle à l'equipollét, mais
, plus eſtroicte & plus aiguë qu'elle n'eſtoit, & par conſequent plus ferme & ſolide
contre tous inconueniens. Quelques 33o.ansapres, l'arc qui regarde deuers l'Oc
cident ſ'eſtant deſmenti par d'autres tremblemés de terre, fut refait parl'Empereur
Baſile, & encore longtemps depuis, apres la mort de l'Imperatrice Irené femme de
l'Empereur Andronic Paleologue, partie de l'argent qu'elle laiſſa fut employé,ſe
lon que le racompte Gregoras vers la fin du 7.liure, à faire ces deux groſſes pilles
#
ſeruansd'arcs-bouttans en formes de pyramides du coſté d'Orient & de Septétrion,
: ſans leſquelles & le ſupport qu'elles donnerent à la ſuſdite ſtructure elle menaçoit
vne bien prochaine ruine. Si que tant d'accidens ontfait croire à quelques vns que
ce temple là ne ſoittel, ne ſi ſpacieux à beaucoup pres comme il fut premierement Les portes de
baſty par Iuſtinian : caril ſe lit qu'ilyauoitbien cent portes : à ceſte heure deuers So ſaincteSophie.
leil leuant par oùl'on deſcend cinq degrez pour entrer au temple, lequel eſt tout
enuironné par dehors de portiques & galleries ornées de belles colonnes de por
phyre, ſerpentin, & bronze, auec force muſaïque és parois & planchers du dedans
ainſi qu'à ſainct Marc de Veniſe, dont l'exterieur ſe conforme aucunement à cecy;
ilyenaneuf, les deux du milieu leſquelles ſ'ouurenteſtans doubles,& plus grandes
que les ſeptautres qu'on tient fermées. En la face qui regarde versl'occident où eſt
la principalle entree à rez de chauſſée en ya cinq doubles auſſi, & toutes de bronze,
d'vn tres-excellent artifice & ouurage, comme celles de la Rotonde à Rome; les
trois du milieu ſeruâs pour entrer en lagrand'nef, & les autres des deux coſtez pour
les deuxpetites nefs d'embas, & monter par meſme moyen aux deuxgalleries d'en
haut. Et de ce portaill'on deſcend par pluſieurs degrez à vn grand paruiz, où ily a
forces belles fontaines d'eauviue amenées de loin à grands frais & trauail pour la
commodité des ablutions auant que d'entrer au temple pour faire les prieresaccou
ſtumées : tout ce pourpris eſtant planté d'vn grand nombre de palmiers, lauriers,
cypres,orengers, citronniers, ſicompres, & autres tels arbres d'ombrage, verds en
tout temps. Du coſté de Septentrion il n'ya qu'vne ſeule aduenuë : mais de celuy du
Midy ſix portes toutes de bronze autrefois, maintenantil n'y en a plus que troisſeu
lement de ceſte eſtoffe, mais d'vn rare & exquis ouurage.Tout le dedans du temple
eſt fort clair, comme y eſtant la lumiere admiſe par pluſieurs feneſtres, dont en la
muraille qui ſ'eſleueau deſſus des quatre arcades ſouſtenans la grande coupoulle y
en aiuſques à quarante, & par le deſſous vingtſix.Tout le long puis apres des deux Les feneſtu:
petites nefs, de chaque coſté par embas, trente deux, & en laface de l'Orient vingt, ges,
ſans tout plein d'autres qui eſclairent la lanterne qui eſt au feſte du cul de four : le
chœur,& les galleries d'enhaut, & celles qui ſont ſur le portail expoſé au Soleil cou
chant.Ilya puis apresquatre grands arcs-bouttans & conſolateurs par dehors pour
ſouſtenir les grandesarcades,& la Retube, ſoubs laquelle droitàplöbeſtle chœur,
quioccupe tout ceſteſpace : au dedans deſquels arcs-bouttans ſont deſrobées cer
tainesviz & eſcalliers paroùl'on monte à la voulte & couuerture du temple, toute
deplombainſique desautres Moſquees faites ſur le patron de ceſte fabrique : mais
-
4-2 C Illuſtrations ſur
anciennement doré ê: diaſpréla pluſpart. De là on deſcouuroit non ſeulement tou
Merueilleux te la ville bien à laiſe & diſtinctement, mais par meſme moyen les faulxbourgs, qui
faulxborugs
de Conſtan
ſe ſouloientiadisettendre iuſqu'à Heraclée, deuxiournées de Conſtantinople; &
tinople. les larges campaignes de la Thrace du coſté d'Occident en la terre ferme d'Europe:
# & au delà du deſtroit vne bonne portion de la Natolie au Leuant, meſme le mont
Olympe qui ſemble ſurpaſſer les nuës, en tout temps couuert de neiges & glaces:
Plus la mer Maiour vers le Septétrion,&au Midy la Propontide,& le canal de l'Hel
leſpont,voire les Iſles de l'Archipel, ſitant ſe pouuoit eſtendre la veuë : De façon
que rien ne ſe ſçauroit trouuer nulle part de plus belaſpect. -

DE ceſte deſcription au reſte conformement à ce qu'en touchent Procope, Aga


thie, & Euagre, ſe peut recueillir à peu-pres, que rien, ou fort peu de choſe n'a eſté
deſmembré en cetedifice de ſa premiere edification par Iuſtinian, nonobſtant que
les Turcs, & les Grecs alleguent qu'il eſtoit trop plusample ſans comparaiſon que
ce qu'on en voit auiourd'huy; & que la pluſpart de ſes pieces & ſuittes en ont eſté re
tranchées & deſmollies par les barbares : les ſeditions domeſtiques, les accidens du
feu, & les tremblemens de terre , ſi qu'à peine en eſt fi reſté la dixieſme partie de
bout. Ce qui n'eſt aucunemcntvray-ſemblable, aumoins pour le regard du corps
duTemple; ſid'auanture l'on y vouloit comprendre le logis du Patriarchat, & le
cloiſtre des Chanoines, & des Chapellains, auec leurs appartenances & dependan
ces : car encore pour le iourd'huyiuſquesbien auant dedans le Servail ilyena quel
ques veſtiges & demeurans de ce qui a cſté par traict de temps abattu, ruiné, & en
autre ſorte alteré de ſon premier eſtre. La portique meſme n'eſt plus auſſi, que Pro
. cope met en la face du Soleil leuant, au lieu de laquelle qu'on preſume auoir eſté
renuerſée par quelque tremblement de terre, coup de fouldre, ou autre accident,
a eſtébaſtie ceſte groſſe terraſſe & platte-forme qui ſe voit auiourd'huytoute maçö
née de gros quartiers de pierre de taille en tallud fort panchant, pour le ſupport du
baſtiment de ce coſté là,les murailles outre plus du coſté de Midy & de Septentrion
ſont d'vn ouurage plus moderne qucl'ancien edifice auſſi hautes que les pilliers des
grandesarcades, & longues de vingt pieds, ſur huict ou dix d'eſpoiſſeur, pour con
treboutter en lieu d'arcbouttans maſſifs, contre le haut exaulſement de ceſte Inaſ
ſe. Mais pour le regard de ſes enrichiſſemens & decorations elle n'eſt pas pour ceſte
heure à beaucoup pres ce qu'elle ſouloit, car les Turcs ſuiuant la vaine ſuperſtition
· de leur loy, de n'admettre aucune reſſemblance des ouurages du Createur, partout
où ils donnent, defigurent & les viſages des perſonnages, & les animaux, voireiuſ
ques aux arbres, plantes, & toutes ſortes de fueillages pour ſi peu qu'ils approchent
· du naturel,ſoit des peintures,ſoit de la muſaique,ou de la taille& relief bas ne plain;
Le chœur auſſieſt en ſon entier entant que touche ſa ſtructure (il n'yauoit que les
Ecclefiaſtiques qui y entraſſent,) mais au reſte deſpouillé de tous ſes ornemens &
richeſſes quiyauoienteſté amaſſées de tous les endroits de la terre; & meſme ceſte
tantprecieuſe table d'Autel que Iuſtinian fit refaire,toute damaſquinée d'or & d'ar
gent, auec infinies pierreriesyenchaſſées, & toutes les plus rares & exquiſes ſortes
de bois, d'aloës, ſandal, ebene, & autres ſemblables enuoyez des Indes, & pluseſ
loignées regions de l'Orient & du Midy, tant des Iſles, que de terre ferme : Outre
plus desioyaux ſans nombre d'vne ineſtimable valeur, que les Empereursy auoient
offers,les Patriarches,& grands parſonnages,ainſi qu'allegue Sozomene d'vne autre
table toute d'or & de pierres precieuſes qu'y dönaPulcherie fille d'Arcadius,& ſœur
du ieune Theodoſe. Au ſurplus c'eſtoitvne choſe preſqu'incroyable du reuenu de
ceſte Egliſe, que Procope eſtend à plus de quatre cens mille eſcus paran, pour les
prebendes du Chapitre tant ſeulement, aſſigné entre autres choſes ſur le loüage
de mille ou douze censboutiques aſſiſes és ruës les plus paſſantes, places, marchez,
& autres les meilleurs endroits de la ville affectez particulierement à cela : & encore
pour leiourd'huy tous les Scites,Taliſmans, & autres miniſtres de la grande Moſquée
de ſaincte Sophie eſtansappoinctez & entretenus là deſſus, le Turc en tire plus de
deux cens mille ducats de bon tous les ans, nonobſtant que Conſtantinople ne ſoit
pas

$
l'Hiſtoire de Calchondile. 42 I
pas la quarte partie qu'elle ſouloit en ſagrandevogue,leſquels ſe met
habitée ce
tent en reſerue dans le chaſteau des ſept tours pour les employer à la guerre contre
les Chreſtiens.

DEs QyA TRE PATRI ARC H E s E T P R I Nc 1 PA Vx ca E Fs


de l'Egliſe Grecque; & des /ecfes du Chriſtianiſme au Leuant,
& parties Meridionales.
, AY ANT icy eſté deſcrite la ſtructure materielle de ce tant fameux & celebre
Dome de ſaincte Sophie, d'autant que ceſte hiſtoire ne concerne moins lesaffai
res des Gfecs que des Turcs, meſmement qu'ils viuentainſi peſle-meſle les vns par- -

my les autres , dont le Muphti, les deux Cadile chers, les Seytes, & Taliſmans, & au
tres miniſtres du Mahometiſme ont ie ne ſçay qu'elle ombre de conformité auec -

les ordres & dignitez de l'Egliſe Grecque, iln'yaurapoint de mal d'en dire icy quel-†
que choſe : leſquelles dignitez conſiſtent premierement au Patriarchat, & delà au Grecque "
Metropolitain ou Archeueſque, Eueſque, Hieronomaque ou Caloyer Preſtre, &
Preſtre ſimple ou Papaz : Tous leſquels chantent Meſſe : Puis il ya le Moine non
conſacrant; le Diacre, & Souſdiacre qui ſeruent à l'Autelau Preſtre : & l'A nagno- -

ſte qui lit l'Epiſtre au peuple, le tout en vulgaire, les iours de Dimanche : les Moi
nes ont auſſileurs Igoumenes, & Archimandrites, à quoy ſe peuuent à peu pres rap
· porter les Abbez, Prieurs,Souſprieurs, & autres dignitez de nos Conuents & Mo
naſteres. - -

B1zAN cE doncques ruinée de fonds en comble par l'Empereur Septimius Se- • ---
uerus l'an de Salut 197. que le Chriſtianiſme auoit deſia pris pied en diuers endroits †
de la terre,illa ſoubſmit à la luriſdiction des Perinthiens ville de Thrace depuisap- § -

pellée Heraclée, ſi que par meſme moyen le Dioceſe y fut tranſporté, & y demeura -

pres de neufvingtsans, Iufques au temps de l Empereur Probus, dont le frere Do


mitius fut fait Eueſque de Bizahce, ayant eſté contraint de ſe retirer de Rome pour
raiſon de la foy Chreſtienne.Son fils Probus luy ſucceda, & à Probus l'autre de ſes
enfans Metrophane, lequelapres que Conſtantin le grand eut edifié ſur les ancien
nes ruines dudit Bizance,Conſtantinople,& qu'il y eut tranſporté le ſiege de la Mo
narchie, laiſſant l'ancienne Rome aux Pontifes ſucceſſeurs de S.Pierre, fut d'Eueſ
que fait Patriarche enuiron l an 336.A ce Patriarchat de la ville ſouueraine de tout
l'Empirede l Orient, furent par ſucceſſion de temps affectées, & ſoubs-miſes plu
ſieurs Prelatures & benefices peu à peu, tant qu'à la parfin il monta à ce haut degré
de ſe parangonner aux Papes, voire à les ſurpaſſer de beaucoup en eſtenduë de Iuriſ
diction : car ſ'eſtans du commencementretenus en l'obedience de l Egliſe Romai
ne, par plus de 25o. ans, ils ſ'en emancipercnt par apres enuiron le temps de Tybere
ſucceſſeur de Iuſtin Curopalate , lequelTybere fut couronné de la main du Patriar
che Eutbichius l'an 576. & Maurice apres luy, par Iean ſurnommé le Ieuſiieur: Ce
ſtuy-cy vers l'an 61o.l'Empereur 1 hocas ayant permis à Boniface IV. d'vſer du til
tre de Pape, comme qui'diroit Pater patrum, qui par conſequent importoit yne ſu
perintendance & authorité abſoluë ſur toute l'Egliſe Chreſtiehne,au lieu que ce
mot ſouloit eſtre commun à tous les Preſtres de la Grece qui ſ'appellent Papaz,
il print auſſi de ſa part la meſme qualité : mais plus ambitieuſe encore : Io4»ms
tAe 8º3 & px4ºzroko704 Karçtonyo7roXews,véaz Póuns,xg bizovtterixès na7eatºs : Iean par
la miſéricorde de Dieu Archeuefque de Conſtantinople, la nouuelle Rome, & Pitriarche vni
uerſel, tiltres & qualitez des quatre Patriarchcs de l'Egliſe Grecque : & quand on :
parle à eux, ou qu'on leur eſcrit, on yadiouſte ce mot de na,ay12tt.Tºs, tout ſainct,
ou tres-ſainct, comme aux Papes : leſquels y ont eſté plus modeſtes , ſ'eſtans
retenus au nom d'Eueſque ſimplement, comme ils font encore , accompaigné
de ceſte qualité fort ſimple de, Seruus ſeruorum Dei , que ſainct Gregoire print
le premier, douze ou quinze ans auparauant ; neaumoins ceſte forme de lo
cution ſelon l'Hebraïſme, importeroit tout au rebours vne ſur-intendance &
- / º S S
4.22 Illuſtrations ſur
priorité, ſurles ſeruiteurs, tout ainſi qu'en Dominus Dominantium, les autres trois
† nonobſtant que ſuperieurs chacun endroit ſoy ſur tout leur Clergé,
& Egliſes, auſſi bien que celuy de Conſtantinople, eſt au ſien, le recognoiſſent
neaumoins pour Paſteur ſouuerain & AEcamenique, & aſſiſtent à ſon eſlection, &
auxSynodes generales qu'il conuoque : ſomme qu'ils l'aduoüent pour ſuperieur.
Les tiltres doncques de cestrois Patriarches ſelonl'ordre qu'ils marchent ſont tels:
Alexandrie. &y14@xToº JaavºTmº, mina, & mz7e1& px, ANe#ardp4as & ntions ajy07ils,7rir(27dAtasx1Góns,
xg xiºozria : Le treſſaincf Seigneur Preſtre & Patriarche d'Alexandrie, & de toutel'Egypte,
auec Pantapoli, Libye, & Ethiopie. Il reſide au Caire, encore que ſon tiltre ſoit d'A
lexandrie , de peur à ſçauoir que pour eſtre ceſte ville icy vn port de mer : il ne face
quelque patricotage auec les Chreſtiens. L'autre d'apres eſt celuy de Ieruſalem,
1eruſalem aytá@tos }iarºms, ma7e'a exºs ſepºooAºuor lºyas 2iàr , 2velas, Ae2Clas 7réez, Iopê)érº,
xgrà Tiis 5axiN«ſag, xg adon, azAa7im4 : Le treſſaincf Seigneur Patriarche de Ieruſalem,
du ſainčt mont de Sion, de Syrie, Arabie au delà du fleuue Iourdain, de Cana de Galilée, &
de toute la Paleſtine. Ceſtuy-cyreſide d'ordinaire à Damas, & non pas en Ieruſalem.
Antioche. ayiözzgos Juarétns , ma7era pº# $ºoºaºMºº4 gºaans Arno34ſa , çà náons AraToN#.
Le treſſainct seigneur Patriarche de la diuine Citéla grande Aniioche, & de toute l'Anatolie.
Mais celuy de Conſtantinople outre ſaſuperiorité, aluy ſeul plus beaucoup ſans cö
paraiſon que le reſte enſemble.Car ſon ſiege ſ'eſtend en toute laterre ferme de Gre
ce iuſques en la Dalmatie, Eſclauonie, & Croatie : Plus toute lacoſte de lamarine
enl'Anatolie; & en l'Europe encore outre la Greceila laThrace,&autres lieux qui
ſe deduiront cy-apres, dont les principales prelatures ſont celles-cy.
PR E M 1E R E M E NT le metropolitain d'Heraclée, Primat, & quaſi en pareil
#es #elatures degré que l'Eueſque d'Oſtie à Rome quieſt Doyen des Cardinaux : car il ſacre &
† † inſtalle le Patriarche enſon ſiege, & luy metenmain le Pedum oubaſton paſtoral,
nople. • quitient lieu de Croce. Il ſouloit auoir ſeize Eueſchez ſoubs luy, qui ſont mainte
nant reduictes à cinq, Rhodoſto,iadis Bizanthe,ville deThrace; Pauium en vulgai
re Phanarion, ſur vn Promontoire d'Europe, au boſphore ou deſtroit de Thrace:
· Metrore, ou Athyre, auſſienThrace; Tzurloë, & Myrophyte.
L E M E T R o P o L 1T A 1N d'Ancyre (Angori)és Galates.
L E M E T R. de Ceſaree en la Bithynie.
L E M ET R. de Tornobe capitale anciennement de la Bulgarie,ſurvn ſommet du
mont Haemus, Gregoras liu. 3.
LE MET R. de Cyzique, ville de la Myſſie ſur le bord la Propontide en Aſie.
C E Lv Y de Theſſalonique ou Salonichi, capitale de la Macedoine, & Theſſalie,
ayant ſoubs luypluſieurs Eueſchez.
* DE N1cE E en Bithynie: il n'ya plus d'Eueſchez ſoubs luy : trop bien trois Egli
ſes dedans laville; l'vne de noſtre Dame, pres de laquelle ſe voyent encore pour
le iourd'huy quelques marques d'vn grand Palais, où ſ'aſſembla le Concile que
†ºCI2I1S,
y fit conuoquer de trois cens dixhuict Eueſques contre Arius&ſesad
" DE CH A L c E D oN (Scutari) vis à vis de Conſtantinople du coſté de l'Aſie : ce
n'eſt plus à ceſte heure qu'vne bourgade, ſans Eueſchez, mais 6o. paroiſſes de ſon
reſſort, de centiuſques à trois cens ames. -

DE LA R1 s s E en Macedoine, oùilya pluſieurs Dioceſes reſſortiſſans, comme


Demetriade, Pharſale, Demonique, Zetum, Tricca, & autres.
A N DRI N o P L E en Thrace : c'eſt la principaleville que le Turctienne en Euro
pe,apres Conſtantinople, à36.lieuës de là : &atrois Eueſchezſoubs ſoy, Agathope
li, SoKopoli, & Trabine. . :

AN c H I A L E (Achilo) en Thrace encore ſur la mer Maiour. -

C o R 1 N T H E, ville aſſez cogneuë de longuemain, ſur l'Ithme ou deſtroit deter


rc du Peloponeſe. Ilya tout plein d'Eueſchez là deſſous,comme Damate ancienne
mentTrezene, au Peloponeſe ſur le goulphe Argolique, Cephalenie,iſle en lamer
Ionique : Zacquiſe,ou Zante,iſle auſſi, & autres. . -

PR vs E
- - b - l . _ •, . f — - * -- ",

l'Hiſtoire de Calchondilè. 423


PRv s E en Bithynie ſur la coſte de la Propontide.
PHILI P P o P oL1 en Thrace à 6o.lieuës de Conſtantinople.
PH 1 L 1 P P 1 en Theſſalie.
PAR I N A x E. - · · · · · - -

PAT RAs lavieilleau Peloponeſe. Le † ſouloitauoir cinq Eueſchez


ſoubs luy, maintenant il n'en a que deux, Modon, & Loron. -

TH E B Es, ville de la Bacoce. - · -

LA c E D E MoNE en la Morée, maintenant Miſithre.


M ET H E LIN en l'iſle de Leſbos qui en a pris le nom.
M E sE MB R 1 E ſur la mer Maiour en l'Europe. · -
H1 E R Iss E, ou la montaigne ſaincte de Dauid, c'eſt le mont Athostant celebré
pour ſes Caloyers. - -"

R HY s E. - · · ·

- ATH E N E s, ilya encore quelques remarques de ſon ancienne ſplendeur, d'vri


fort grand circuit de murailles, auec quelques dix ou douze mille habitans. Il y
ſouloit auoir dix Eueſchez de ſon reſſort, maintenantil n'yena plus que ſept auec
bien cent cinquante paroiſſes; à ſçauoir Diaulis, Andros iſle en l'Archipel; Ho
reotopie, Scyros en l'Archipel encore; Caryſtie en l'iſle de Negrepont, Porthi
nie, & la Velone, en l'vn des recoins de la Macedoine ſur le goulphe Adriatique.
Coronée, l'Euripe, & Syres en ont eſté ecclypſees. •

NAv PA c T E (Lepanto)& Arté,en la Morée ſur le goulphe Corinthiaque: ce fut


làaupres où les Chreſtiens gaignerent ceſte tant memorable victoire par mer contre
l'armee Turqueſque l'an 157I. "

VARN E, ſur le pont Euxin en Thrace, où aduint la piteuſe deſconfiture du Roy


Vladiſlaus de Hongrie & Poloigne. -

CHR1 s T o P o L 1, ſur les frontieres de Macedoine, & de Thrace : Gregorasli


ure 7. -

, M o N E M B As I E, anciennement Epidaure en la Morée; autrefois de l'Archeueſ


ché de Corinthe, mais metropol.à ceſte heure ayant ſoubs ſoy l'Eueſché d'Argos,
& celle de Nauplium, Napples de Romenie, Ville tres-forte, qui fut rendue auec
Monembaſie parles Venitiens au Turc Solyman l'an 154o. -

TRA 1 AN o P L E, c'eſt la Maronée ou Marognade Thrace preslamontaigne de


Rhodopé. - -

D 1 DY M o T H 1 Q v E en laThrace ſurvn hautrochernon gueres loing de Con


ſtantinople : Gregoras liu. 8: Calchondile liu.z.
- D R 1 s T E en l'Eſclauonie.
M1 D 1 E, c'eſt la Lebadie en Baeoce. .
- Z1 cHN E'. · · · . · . - ' ' . " . .. * °

LE MN os (Stalimené) iſle en la mer Egée entre la Thrace, & le mont Athos;


fort fameuſe pour la terre medecinale qui ſ'y tire de longue-main, dicte com
munément la terre Sigillée, du ſceau ou cachet dont les paſtilles en font mar
quées. • - '

BE RRH o E E , ville de Macedoine. . , · i · · · · · · · ·


SERRE s,ville ſur les marches deThrace, & de Bulgarie : Gregoras liure huict
ieſme. - - - · · · .

PH 1 LA DE LP HYE ville Grecque en la Lydie : Calchondile liu. 2. ,


: Ts cAN 1 E ou Iſcar, en la Macedoine, preslariuiere de Strimoine. .
· TH Av MA qy,E pres le goulphe Malliaque : Tite Liue au commencement du
3z. liure. - - - -

L1 T z E : GAvN E, B1z E, & M Ezo N. .. | | | | | | | #|


AGRA P HoR E s. - · · · · · ·· ·

LY c E, ( Laodicée) en la Phrygie. . - - -- . - · ··
RH o D E s, iſle & ville en la mer Carpathie. Elle fut priſe ſurles Cheualiers de
# Sainct Iean de Ieruſalem par le Turc Solymanl'an 1522. où ils ſouloient vſerd'vn
S S ij
• 1

424 Illuſtrations ſur - -

ſceau à triple croix.Et à ce propos faut entendre qu'ilya deux ſortes d'Egliſes Grec..
ques; l'vne qu'ils appellent çaupomntaxi croiſée, que le Patriarche adminiſtre par
ſes vicegerens, nonobſtant qu'au deſtroit & iuriſdiction d'vn autre, comme à Nau
lium & Athenes : & Evoeuax qui eſt adminiſtrée parvn Metropolitain, comme
eſtant dedans ſon reſſort.
CH1 o (Scio) iſle & ville en l'Archipel. Elle ſouloiteſtre des appartenances des
Geneuofs, tributaire au Turc de dix ou douze mille ducats paran; maisl'an 1566.
Piali Baſſa de la mer ſ'en empara. L'Egliſe des Grecs eſt en la montaigne à deux
lieuës de la ville,edifiée iadis par l'EmpereurConſtantin Monomaque,enuiron l'an
de ſalut 1o5o. Le plus ſomptueux & magnifique edifice de toutes les Iſles de ces
quartiers là. Chioau reſte n'eſt qu'à trois iournées de nauigation de Conſtantino
ple, mais par bon temps, & autant de Rhodes, & de Rhodes autant iuſqu'en Ale
xandrie d'Egypte; d'où l'on compte iuſques à Conſtantinople par mer neuf cens
mille, qui peuuent valoir trois cens lieuës des noſtres ou quclque peu plus; d'Ale
xandrie au Caire on va en deux iours.
P1 s 1D I E en l'Aſie mineur ou l'Anatolie.
EPHE sE ville fameuſe de longue-main en la Prouince d'Ionie en Aſie.
SM Y RN E en la meſme Prouince.
P E R I TH E o R I E.
| IM B Rv s ou Lembro, Iſle en l'Archipel.
AND Ros, de meſme. -

PAR os id. le ſiege de l'Eueſché eſt en la ville de Parikia : il ya outre-plus deux


chaſteaux Kephalon & Auguſte.
AEN vs en Thrace.
SoPH1E ville capitale de la Bulgarie, à cent lieuës de Conſtantinople.
DRAME, ville de Macedoine, Gregoras liu.8.
N 1 c o M E D I E, en la Bithynie.
SE L1B R E E en Thrace ſur la mer Maiour.
NE v R o c o P I E. -

CARPATHE, Iſle entre Rhodes & Candie.


Cos (Stancou en Turc)ville en l'Archipel, où futné l'excellent Medecin Hip
pocrates.
PE K 1 E, en la Seruie.
A c HR 1DE s ou la premiere Iuſtiniane.
I B E R 1 E, metropol. de toute la Mengrelie, & Zorzanie.
, I L yenapluſieursautres encore ayansſous eux tout plein d'Eueſques,quireſpon
dent tous au Patriarche de Conſtantinople comme outre les mentionnez cy-deſſus.
CE LvY de Citre anciennement Pydné en Macedoine ſoubs la metropol. deSa
lonichi. -

L'EvE s QvE de Caſſandrie en Macedoine auſſi.


PoLE ANNINE en Theſſalie.
| D R 1 N o P L E en l'Eſclauonie.
PoLY PHEN GE (l'ancienne Micenes)auterritoire d'Argos.
Eueſchez. OLE N E en l'Achaïe ou Peloponeſe. -

MAN ov iL, la meſme.


SA LoN E en la Dalmatie.
IoANNINE (Caſſiope) en Etholie : Chalcondile liure 2.& j.elle ſouloiteſtre
de l'Archeueſché de Naupacté, mais à ceſte heure c'eſtle ſiege metropolitain de
toute Etholie. -

DE M ET R I A D E en Macedoine. _'.

RH E N D INE,en la baſſe Theſſalie.Elle futautrefois du reſſortdeSalonichi,main


tenât c'eſt l'Archeueſché de Naupacte,quiale tiltre d'Exarque,ou Legat d'Etholie.
MozYLE en Etholie, Gregoras liu.6. - .

DE B R E en Macedoine,le meſme Gregoras6, # !


-
l'Hiſtoire de Chalcondile. 425
Tv R L o E , PE T z I v M , M AR oN E E.
CAs T o R 1 E pour le iourd'huy primat de toute la Bulgarie. -

STRvM M 1Tz, en Seruie, au ſommet d'vne montaigne ſurpaſſant les nuës,


Gregoras liu.8. -

M E LE N 1 Q v E, ſur vn haut rocher en la Macedoine non gueres loin de Salo


nichi,George Cedrene en l'Empire de Baſile.
S c o T v z E, S C o P I E. - -

M E L o s, iſle en lamer Cretique, entre Candie, & le Promontoire de Stinium


en l'Achaie. -

CY THE R Es(cerigo)iſle des appartenances des Venitiens au goulphe Laconi


que en la coſte de la Morée,à trente mille du cap de Mallée,cent de Modon,& deux
cens de Candie. Elle en peut tenir quelques ſoixante de circuit, & eſt au reſte fort
boſſué & monſtrueuſe,ce fut là où Paris eut la premiere iouyſſance d'Helene.
L'AB BAYE de Pathmos petite iſle en la mer Icarienne qui fait portion de l'Ar
chipel,où S.Iean eſtant en exil compoſa ſon Apocalypſe.
QyANT à l'iſle de Candie, encore qu'elle ſoit meſmement des appartenances
des Venitiens, neaumoins les Grecs qui y reſident, pour le regard de la religion &
des choſes Eccleſiaſtiques ſont ſoubs l'obeiſſance & iuriſdiction du Patriarche de
Conſtantinople. -

EN Tovs ces benefices & aſſez d'autres de moindre nom,ila pleine ſuperio
rité & pouuoir en ce qui depend de la religion: confere les Archeueſchez Eueſchez
&autres benefices d'importance, les demet & depoſe preſqu'à ſon arbitre : Donne
les principales excommunications,quiy ſont de fort grand reſpect & tremeur : con
uoque les Synodes, cognoiſt des differends pour les pacifierauant qu'ils viennent à
la notice des Baſſats & autres officiers de la Porte : & pour ceſt effect va de quatre en
quatre ans faire ſes viſites où bon luy ſemble : eſtant partout defrayé & nourry auec
ſa ſuitte, outre le preſent & don gratuit qn'on luy fait ſoubs main,appellé piAºTuor,
& à ſes miniſtres & officiers chacun ſelon ſa qualité, il enuoie d'autre part ſes Exar
ches qui ſont comme Legats ou grands Vicaires, de coſté & d'autre, tant pour faire
leſdittes viſites, que pour recueillir les deniers qu'il eſt tenu de contribuerauTurc
pour le Carazzi,c'eſt certain tributannuel,dont il y en a de deux ſortes,l'vn eſt le du
cat que payent pour teſte tous les Chreſtiens, exceptez les Armeniens, qui viuent
ſoubs la domination Turqueſque,qui ſe monte à de grands deniers chacunan,l'au
tre touche en particulieraux Archeueſques & Eueſques, qui en compoſent en bloc
auecle Turc pour tous les Eccleſiaſtiques de leurs dioceſes. Le premierautheur d'i
celuy peu apres la priſe de Conſtantinople par Mehemet II.l'an 1453.futvn Seruian
nommé Raphaël, qui paruintau Patriarchat moyennantl'ouuerture qu'il fit de ce
Cara (ºi à deux mille ducats paran ſeulement, mais il monte à ceſte heure à plus de
ſix mille,que le Patriarche recueille,& porte tous les ans à la porte durant que le Di
uan ſe tient, le iour S.George. Ilya puis apres le wvoxéoio quand ilyeſchet, qui en
vaut plus : c'eſt vne autre contribution par forme de preſent &.don honnorable; '
que les Patriarchcs ont accouſtumé de § au Turc dés la ſuſditte priſe de Con
ſtantinople, quand il vientnouuellementàl'Empire, ou que le Patriarche ſe renou
uelle,ſoit par mort,demiſſion,ou depoſement,car les Grecs gens mutins, ſeditieux,
turbulents,fantaſtiques,acariaſtres,legers,inconſtans,deſloyaux, ne les tollerent pas
volontiers longuement ſeiourner au ſiege , ains en changeroient s'ils pouuoient
d'heure à autre, meſmement ſ'ils en rencontrent de preud'hommes dočtes, & de
bonne vie, ſuffiſans & dignes de ceſte charge, car ils en tolleroient pluſtoſt de meſ,
chans vicieux ignorans : comme ils ont fait auſſi de leurs Empereurs, dont il ne ſe
faut pas eſbahir ſi Dieu les afflige de ceſte ſorte,les ayansreduits ſoubs le ioug & ſer
uitude de ces barbares meſcreans , là où fils auoient tant ſoit peu d'eſprit & de cous
rage, ils deburoientaimer mieux mourir mille fois le iour que d'ycrouppirvn ſeul
moment pour ſouffrir de tellesindignitez mais telles ſont finablement les verges &
fleauxdelaiuſtice diuine,&l'inſtable reuolutiô & viciſſitude des choſes humaines.
- - SS iij
426 - Illuſtrations ſur
Ces Exarches doncques vont & viennent de coſtê & d'autre recueillir les droicts du
Patriarchattant ſur les Prelats, que ſur les particuliers, outre cela leur pouuant de
meurer tous les ans trois ou quatre cens ducats pour leurs eſtaffes. Ce que practi
quent auſſiles Archeueſques & Eueſques en leur endroit,quileuent certaines ſom
mes de deniers en leurs dioceſes, tant pour le Turc, & le Patriarche, que pour leur
entretenement auſſi,ſans leurbaiſe-main, & le droict qu'ils prennent pour conferer
les ordres appellé ºu2aTixxo : Toutesfois il n'y a que les Archeueſques qui donnent
| celuyde Preſtriſe.Ils ordonnent auſſiles Eueſques de leur reſſort, & des Archeueſ
ques auſſi, mais c'eſt par la permiſſion du Patriarche, comme les Eueſques fontvn
autre Eueſque,& des preſtres du conſentement de leur Metropolitain. Telle eſt la
Hierarchie de l'Egliſe Grecque,les Archeueſques ont outre-plus, comme a auſſi le
Patriarche, leur domaine, quiconſiſte en terres labourables, prez,vignes,iardins,
bois taillis, & autres heritages affectez à leurs benefices, dont ils reçoiuent le reue
nu : & les offrandes qu'on leur faict quand ils vont celebrer la Meſſe de part & d'au
tre en leurs dioceſes, meſme le Patriarche, qui s'en va faire l'office tantoſt en vne
Egliſe,tantoſt en vne autre dans Conſtantinople, où ily en a douze ou quinze de re
ſte de ce qu'ily en ſouloitauoirparle paſſéau Chriſtianiſme, autant (ce dit-on) que
deiours en l'an : & montent ces offrandes à de grandes ſommes de deniers : car tely
a quiiettera trois ou quatre ducatsaubaſſin : ſi que celane peut pas fortbien conue
nir qu'aucuns dient,qu'il n'a pour tout que deux cens ducats tous les ans : & de faict
il ſ'en eſt trouué ſoubs les Turcs meſmes qui ontamaſſé de fort grands threſors:& ſe
lit qu'à la priſe de Conſtantinople Mechmet trouua de ſi grandes richeſſes au Pa
triarchat, que iuſqu'à Selim fils de Baiazet l'on en employoit tous lesans ſoixante
- mille ducats à laguerre contre les Chreſtiens, & à l'entretenement des Moſquées,
mais iceluy Selim contre le Sophy Roy de Perſe l'eſpuiſa du tout,pour leiourd'huy
· Le Patriarchat le train des Patriarches eſt fort peu de choſe,& leur train encore plus maigre. Ils ont
#" leur habitation en Conſtantinople, non à ſaincte Sophie comme du temps des Em
- - * ereurs Chreſtiens : car pour n'eſtre ceſte Egliſe là qu'à 6o.ou8o. pas de la premiere
porte du Serrail, qui eſt en partie baſty ſur ſes anciennes dependances : & auſſi pour
l'excellence de ſaſtructure,lesTurcs l'ontappliquéeàl'vſage d'vne Moſquée, où le
Prince vale plus communémentfaire ſonoraiſon tous les Vendredis. Le Patriar
| chat doncques eſt pourle preſentàl'vn des coings de la ville, àl'autre bout, comme
#i vous le pouuez voir en la carthe ſuiuante, pres laporte de Cöſtantin,où ſouloiteſtre
vn monaſtere de religieuſes ſoubs le nom de la VIERGE MARIE du tiltre de Pam
macariſte totalementtres-heureuſe,en vn lieu vn peu releué qui regardeau Septen
trion ſur le port de Pera , dans vn aſſez grand pourpris clos de murailles, de figure
preſque carrée,yayanteſtétransferé parla permiſſion de Mechmet ſecond, de l'E
gliſe des ſaints Apoſtres,André,Luc,& Timothée, qui eſtau ſecond tertre de la vil
le, fondé comme met Cedrene, l'an23.del'Empire de Iuſtinian, qui tombe en l'an
de ſalut 55o.parl'Imperatrice Theodore ſa femme : mais d'autant que ceſt endroit
cſtant vn peu à l'eſcart & des-habité apres la priſe de Conſtantinople, & par conſe
quentvnpeu ſuſpect & dangereux, car on y trouua vne matinée le corps d'vn hom
mefreſchement tué,ils obtindrent ce monaſtere : où depuisſoubs le regne de Soly
man Ruſtan Baſſafitabbattre la croix qui eſtoit au haut du clocher, ſi qu'on la deſ
couuroit de fort loin tant par laterre que par lamer. Ceſte Egliſe des ſaints Apoſtres
fut conuertie envne Moſquée où ledit Mechmet II.eſt enterréauecvn Imarath,ou
hoſpitalyannexé tout ioignant.Quantaubaſtiment du Patriarchat, il n'eſt pas des
plus magnifiques,ains commevn ſimple monaſtere,ayant pluſieurs petites pieces,&
force cellules pour retirer les moynes, & autres Eccleſiaſtiques quiy arriuent iour
nellement de pluſieurs endroits : mais l'Egliſe eſtaſſez belle pour ſa petiteſſe yayant
pluſieurs peintures de IEsvs-CHRIST, & la VIERGE MARIE , des Prophetes, Apo
ſtres,& autres ſaints,& forces hiſtoires du viel & nouueau teſtament,auecvne gran
de quantité de reliques,& entre autres, à ce qu'on dit, la colonne où le Sauueur fut
flagellé. Quandon paſſe deuantlaporte de ce Patriarchat, homme ou femme, des
', · · · Chreſtiens
l'Hiſtoire de Chalcondile. | 427
Chreſtiens fautpreſuppoſer, carlesTurcs tiennentfort peu de compte du Patriar
che meſme,qu'ils deteſtent&villipendent quand ils le rencontrentallant&venant
par les ruës,ilsy font vne grande reuerence & ſubmiſſion, non pas en ployant les ge
noiiilsainſi que nous,ains mettant la main à l'eſtomach,& inclinans le chef à la mo
de lurqucſque,ſans ſe deſcouurir autrement. -

O R encore que les Turcs ſe ſoient emparez de tout l'Empire Grec, tanten'l'Eu
rope qu'en Aſie & Afrique,ſi laiſſent-ils viure neaumoins les Iuifs & Chreſtiens en
leurancienne religion, en payans certains droits & debuoirs, ſans forcer perſonne à
prendre le Mahometiſme,horſmis en certains cas:& les Agemoglans ou enfans du tri
but,les femmes auſſi qu'on metés Serrails. Trop bien ne permet-il point qu'il y ait
diuerſité d'opinions en chacune loy,de peur que cela n'amenaſt quelque trouble en
l'Eſtat, comme à laverité il n'ya rien de plus propre à broüiller les cartes , d'autant
que ce qui touche la conſcience, principallement en genszelatifs, eſt d'vne efficace
perſuaſiue ſurtoutes autres pour faire remuer les perſonnes qui autremient ſe tien
droient coy.Etainſi les Turcs ont laiſſé les Grecs en leuraccouſtumé Chriſtianiſme
ſans les ytroubler,auec leurs Patriarches & autres Prelats, & la police de leurs Egli
ſes,meſmement à Conſtantinople côbien que ce ſoit la demeure ordinaire du Prin
ce,& de ſa Cour qui eſt fort grande : & ce nonobſtant qu'ils ayent de toute ancien
neté vn ſtatut, qu'és villes Chreſtiennes emportées de force, & qui ore ſe ſeroient
voulurendre, ils ruinent toutes les Egliſes, ou les accommodent à des Moſquées;
Somme qu'ils en banniſſent tout l'exercice de la religion. Ce qui fut cauſe que l'an
:
1536.ſoubs le regne de Solyman cela ayant eſté refreſchy & renouuellé, peu ſ'enfa
lut que les Turcs n'accouruſſent de toutes parts pour ruiner les Egliſes de Conſtan
tinoplc,n'euſteſté lafaueur ſoubs main du Viſirou premier Baſſa Tulphi, qui conſeil
la ſecrettement le Patriarche de méttre en termes que la ville n'auoit pas eſté priſe
d'aſſault par Mechmct II. comme le bruit commun portoit, ains par compoſition
volontaire de Conſtantin Palleologue le dernier Empereur Chreſtien,& offrir de le
prouucr par des Iennitzaires viuans encore en Andrinople, quiauoient lors porté les
armes,encore qu'il y euſt plus de 8o.ans.Ce quifutfait par les practiques & menées
duditTalphi, & parauanture du conſentement du Turc meſme qui fitainſi ioüer ce
ieu, de peur de perdre les emolumens qu'il perceuoit du Patriarchat lequel par ce
moyen demeura en ſon entier à Conſtantinople,auec toutes ſes anciennes obſerua
tions,combien que non en telle ſplédeur que par le paſſé, mais quant à ſon eſtenduë
plus grand encore : car comme ila eſté dit cy-deſſus à luy reſpondent tous les Chre
ſtiens de la Grece,Macedoine Theſſalie,auec les iſlesadiacentes : Thrace, Bulgarie, Leſtendue du
Valaquie,Raſcie,les deux Seruies, & la pluſpart de la Hongrie où ilya encore quel Patriarchat de
Conſtantino
que exercice de la religion Grecque, la Ruſcie, & la Moſcouie : Plus tous les mo ple,
naſteres du montAthos en nombre de 24.bien fortifiez contre les ſurpriſes & inua
ſions des courſaires, où il ya de cinqà ſix mille religieux dits Caloiers : les Albanois;
Eſclauons,& Croats : & d'vn autre coſté les Mengreliens,Zorzaniens, & Circaſſes,
auccles autres nations qui habitent les riuages de la mer-maiour. Pour tous leſquels
le Patriarche paye douze mille ducats de tributannuelau Turc. -

LE Patriarche d'Alexandrie reſideau Caire en vn pourpris non moins ample & Le Patriarche
d'Alexandrie,
ſpacieux que celuy de Conſtantinople, & a ſoubs luy toute l'Egypte, & Arabie : les
monaſteres du mont de Sinaï,& desdeſerts de S.Antoine, & S. Macaire verslaville
duTor, enſemble tout le reſte de la mer rouge où reſident les Caloiers maronites,
Arabes viuans ſelon l'Egliſe Grecque : l'Abima meſme qui eſt le grand Patriarche &
Pontife de toute l' Ethiopie,ſe prend de ſa main, en Alexandrie ilya quatre Egliſes
Chreſtiennes,S.Georges,S.Sabée où ilya des Latins,S.Marc,& S.Michel. -

Le troiſieſme Patriarche tient ſon ſiege en Ieruſalem, & parfois en Damas,2 le-,.r...
• , - - - - Le Patriarche,
quela toute la Paleſtiné & Phenice,auecvne portion de Surie,comme Baruch,Tri-§ /
Poli,& autres lieux de ces marches là. Il eſt tenu d'aller tous lesans celebrer la Meſ.
ſeleiourdel'Aſſomptionnoſtre Dame, 15. d'Aouſt,aumonaſtere des Caloiers ma
ronites,& Grecs,baſtyſur le montde Sion.
4) 8 · Illuſtrations ſur
D'antioche, LE quatrieſme eſt celuyd'Antioche,qui regiſt le ſurplus des Egliſes de la Surie:
car Antioche eſtantfort ruinée, & n'y ayant pour le iourd'huy qu'vn pauure petit
bourg de Chreſtiens d'enuiron 6o.feux,auec vne Egliſe,le Patriarcheatranſporté ſa
demeure en Damas,où ilyavne belle Egliſe,& plus de mille maiſons Chreſtiennes.
Pov R venir maintenant aux particularitez de l'authorité & reſpect que nous
auons dit cy-deſſusauoir cſté trop plus grande, comme il eſt bien raiſonnable de
croire, de ces Patriarches du temps des Empereurs Chreſtiens, que non pas depuis
ſoubs les Turcs,nous en amenerons icy les teſmoignages des Grecs modernes.Et en
premier lieu quant à ce nombre de quatre,voicy ce qu'en met Gregoras liu.5.cha. I.
Michel Paleologue ayant enuoyévers le Pape pour traiéfer la reunion des deux Egliſes, de lan
cienne, & nouuelle Rome, mit en tuant pour gratiffer les occidentaux, ces trois articles entre les
autres.gu'es hymnes,& autresprieres & menusſuffrages du ſéruice diuin és Egliſes Grecques
on feroit commemoration de ſa ſainčtetéauecles quatre Patriarches. Item,qu'il ſeroit loiſible à
chacun d'appeler à la Courde Rome,comme la ſouueraine,&plus parfaicfe.Ettiercement,qu'en
tout & partout la ſuperioritéluy demeureroit. Ce qui eſt compris en ce peu de mots par
Pachimerius au 5 mais à recullons : Tè oº2Téo,Tº éxxxnro,Tºurvuºoºor : mais cela ne
ſ'effectua pas.Etau dernier chap.du 1o. liure, Auec le Patriarche de Conſtantinople doib
uentauſſi ſtre appelleX celuyd'Alexandrie,de Ieruſalem,& d'Antioche.
Leſection du Av regard de celuy de Conſtantinople,quand il venoit à vacquer par mort, de
Patriarche.
miſſion,incapacité,ou maluerſation,anciennement l'eſlection en appartenoit à l'Ar
cheueſque d'Heraclée le meſme Gregorasliu.6.ch.1.A l'Archeueſque d'Heraclée appar
tenoit le droičt d'cſlire le Patriarche de Conſtantinople, car le grand Conſtantin meſme quides
ruines de Bizance en auoit faicfcſte inclyte cité de la nouuelle Rome, ne voulut pas pourcela
abolirles priuileges des anciens Empereurs, ains confirma ce que Septimius Seuerus auoit ſoubſ
mis de tous points Bizance aux Perinthiens Heracleitiques. Mais par traict de temps les
ſucceſſeurs dudit Conſtantin ſ'en approprierent la collation, ſi que les Prelats auec
le clergé de ſaincte Sophie apresauoir fait vn examen de la vie, mœurs, doctrine, &
ſuffiſance de celuy qui ſembloit eſtre le plus digne d'eſtre mis au ſiege,le preſentoiét
à l'Empereur qui le confirmoit : & l'Archeueſque d'Heraclée le ſacroit, le meſme
Gregoras liu.9.ch.13.Les choſes eſtoient ainſi ordonnées,que comme l'Empire auoit ancienne
ment octroiéà l'Egliſe les droits,priuileges, & preeminences dont elle iouyt encore àpreſent, en
contreſchange l'Egliſe auoit auſſi deferéàl'Empereurd'admettre pour Patriarche celuy que bon
luy ſembleroit de tous ceux qui auroient ſtédeſignex. Et au rebours liu.6.ch.9.Iean Sozopo
litain ſuiuant la nomination de l'Empereur, & les voix & ſuffrages du ſacrécollege entra au
ſiege Patriarchal. Plus liure7.ch.16. Niphon Archeueſque de CiXique eſt admis au Patriar
chat parles Prelats obtemperans à la volontéde l'Empereur, lequel ſoudain apres ſa petite
denonciation qui ſe faiſoit indifferemment à tout'heure, & lagrande confirmatiue
de l'autre,ſolennellement touſioursàl'entrée de veſpres,dont la formule eſtoit telle
apres l'auoir reueſtu des ornemens pontificaux.La diuine & ſacrée ſynode desſacreſaints
Metropolitains,des tres-deuots Eueſques,& le reſte du tres-venerable Clergé, enſemble des tres
àobles ſeigneurs & de tout le peuple Chreſtien,a appellévoſtre Pontificale dignitéduSſiege Me
tropolitain de N.en cetres-haut & ſouuerain Patriarchat,throſne ſuperieurde latres ſainte &
vniuerſelle Egliſe de IE sv s-CHR 1 s T. Apres doncques ceſte dcnonciation & auoir
rendu les condignes remerciemens, & receu le Pedum oubaſton paſtoral de la main
de l'Archeueſque d'Heraclée (maintenant ils le prennent de la main du Turc) les
Prelats l'vn apresl'autre luyvenoient baiſer la main,& il leur donnoit à tous labene
diction : Puis veſpres finies ſortant au Paruiz de l' Egliſe conſequemmentà tout le
pcuplc, qui luy faiſoit de ioyeuſesacclamations. Cela faict il ſe retiroitau logis à luy
deſtiné, reueſtu de ſes habits & ornemens pontificaux en la ſorte qu'elle vous ſera
: "
repreſentée cy-apres.Et à ce propos Gregoras liu. 6. ch. I. L'EmpereurAndronic fils de
-
:-
-
-
Michel Paleologue deſiroit promouuoirau Patriarchat Gregoire Cypriot, & de faitapres les ſuſ*
frages accouſtumeK,ſurles atteſtations de ſa preud'hommie & capacité il ly inſtalla luy met
tant en main ſurl'eſchaffaut à la veuède tout le monde,ſuiuant la couſtume ancienne la croce ou
biſton piſtoralmarquedecgſte dignité.Suitapres en ce meſme lieu,ſon ſacre, voire inſti
- tllU1OR
l'Hiſtoire de Chalcondile. 4 29
tution par l'Archeueſque d'Heraclée Metropolitain de la mer ma-iour, auec
-
ques les occaſions de cela. L'Eueſque de Mozyle à l'inſtance du Patriarche deſgnédºſ
ia par l'Empereur, nomme certain Moine appellé Germain , pour Archeueſque d'Heraclée,
auquel de tout temps & ancienneté appartenoit le droict d',ſlire le Patriarche de Conſlam
tinople. Car Conſtantin le grandn'ayant rien voulu abolir des anciennes conſtitutions, meſ
me du temps du paganiſme en ce qu'elles ne derogeoi#t en rien à la foy Chriſtienne, ſui
uit en cela l'ordonnance de l'Empereur Seuere , lequel apres auoir ruiné Bizance , la ſoubſ
mtt à la iuriſdiction des Heracleotiques de Thrace , pour y commander ainſ qu'à l'vne de
leurs bourgades. Le meſme traicte auſſi Michel Glycas en la quatrieſme ſection de
ſes annales. -

Delà en auant la couſtume vint de deferer la confrmation du Patriarche de Conſtanti


nople à l'Archeueſque d'Heraclée ſuiuant la mode ancienne , lequclſouloit ſacrer l'Eueſque
de Bi(ance. Car les Eueſques eſtoient ſoubſmis aux Archeueſques , & ceux-cy
aux Patriarches , comme on peut veoir au lieu allegué cy-deſſus de Gregoras :
L'Eueſque de Mozyle obeiſſoit au Metropolitain de Naupaéte : & cſlui 9 au Patriarche de
Conſtantinople. Mais le plus ſouuent les Empereurs ſe diſpcnſoient bien de con
ferer le Patriarchat de leur pleine authorité & puiſſance, y commettans meſmes
: -
des gens indignes, comme il met au huictieſmc liure, chapitre cinquieſme : En
ce temps là ſucceda au Patriarche certain preſtre moine du mon iſºcre de Mangonie , nom
mé Geraſme , homme deſia tout blancc cheſnu, mais d'vn eſprit hebeté & idiot, /ourdault
ſ1l4 reſte pour ſa grande vieilleſſé, n'ayant atteint les lettres Grecques pas ſeulement du bout
# du doigt, mais à cauſe de ſon ignorance & ſimplicité fort propre pour obtemperer aux vou
· loirs de l'Empereur : car les Princes ont accouſtumé de ſe choiſir de tels miniſtres, afin de les
auoir plusſopples & obeiſſans comme eſclaues, & qu'ils ne leur contrediſent en choſe queſ
••• •
conque. De maniere, ainſi que le trenche tout net Pachimcrie au quatrieſme li
_Qu'en l'eſleéfion des Patriarches, la principale c- plus forte voix à quoy on auoiteſ
llTC :

gard, ſoit la volonté & inclination de l'Empereur : Car il falloit inger pour le plus idoine
& capable celuy qui luy agreoit le plus. - - - -

EsT ANT donc eſleu & amcné ſur l'eſchaffaut Imperial, tout le Clergé, &
le peuple apres, luy faiſoient à haute voix ceſte ioyeuſe acclamation, comme met
Zonare au troiſieſme tome. V I v E E N T o v T E P R o s P E R I T E ' E T R E p o s
P A R Lo N G v E s A NN E E s C oN sT A N T I N P A T R I A R c H E oE cv M E N I -
oy E. Outre ceſte dignité generale, il auçit ſon Eueſché affectée à part en Con
ſtantinople, dont il ioüiſſoit ainſi que les autres Prelats, & ſa demeure à ſaincte
Sophie. Greg. liu. & chapitre ſixieſme, parlant du Patriarche Athanaiſe. Il eſli
moit ſtre raiſonnible que chacun allaſt reſider/ur ſon benefice, pour y gouuerner ſon trou #
peau , comme il faiſoit quant à luy le ſien en Conſtantinople. Et de fait outre la qualité
de Patriarche œcumenique, il prenoit quant & quant le tiltre d'Archeueſque de
la nouuelle Rome. - - - | | - ' '' - ' N - º :

OR encore que l'Empereur peuſt beaucoup, voire preſque tout,à ſa promo


tion, ſi ne le pouuoit-on pas depoſer fans quelque mal-verſatiôn & forfaict, com
me d'hereſie, conſpiration, & abbuz ſignalé en ſa charge, ou autres delicts , dont
il euſt eſté bien & deuëment atteint & conuaincu. Le meſme autheur liure qua
trieſme chapitre 7. Michel Paleologue fait aſſembler les Prelats, & leur preſente tous les
crimes reduits en vn , dont l'on chargeoit le Patriarche Arſenie, pour les veoir & exami
mer legitimement, & pué apres en ordonner comme de raiſon , & entre autres d'auoir laiſſé
entrer le Turc AXatin en l'Égliſe, & deuiſé auecques luy durant le ſeruice : & ſemblables
choſes que deduit Pachimerie au quatrieſme, pour leſquelles il fut depoſé de ſon
ſiege, & enuoyé en exil : & au ſixieſme liure, chapitre premier. Eux au contraireal
lºguoient que Arſénie auoit ſté ſolennellement depoſé de toute la congrégation des Prelats.
De ceſte depoſition au reſte il ſ'en trouue vne telle formule alencontre d'vn Ioſa
phat Metropolitain d'Andrinople, qui par ſimonie eſtoit paruenuau Patriarchat,
& auoit commis pluſieurs grandes indignitcz & mal-verſations, il y à quelques
vingtquatre ans peu auparauant le deceds du Turc Seliman, qui #º deuant
4.3O Illuſtrations ſur
Seghet en Hongrie l'an 1566 en laquelle depoſition aſſiſterent plus de cinquante
Prelats qui tous la ſoubſcrirent.
Formule d'v- , CE s T ancien ennemy de moſtre ſalut, oncques ne ſe ſaoula de nous guetter, & nous ma
# †. chinerquelque mal à noſºre perdition & ruine, s'ſtant dés le commencement du monde mon
- ſºréde plaine arriuée noſtre coniuréaduerſaire : & n'a iamais ceſſé depuis de guerroierl'Egliſe
de C # R I ST, tantoſt nous dreſſant des embuſches pardiuerſes varieteX d'hereſies qu'il ſaſº
cite de coſtéc d'autre, tantoſt pardes cerueaux eſuenteK, remuans & inquietes qui luy pre
- ſtent volontiers l'oreille, pourſe parforcer d'abolir les ſainctes traditions & canons des Apo
ſtres & anciens Peres : comme à cgſte heure l'abondance de nos peche X a ſuſcitétout à deſcouuert
vn ennemy & perſecuteurde la diſcipline Eccleſiaſtiquç,ce Patriarche Ioſaphat qui ſouloit eſtre,
lequeld'vn gſprit malſain, tout reſpect de Dieu laiſé en arriere, homme/ans crainte, & alie
méde raiſon, ſe departant de l'obſeruance des ſaincts decrets, a proiecté dedans ſon cœur toute
eſpece d'iniquité: Dequoy nous Prélats qui ſommes icy aſſemble.X en ce Synode pouren enquerir,
ayans eſtéacertenez premier que d'entreren aucune procedure des choſes concernans le faict de
l'Egliſe auons ſtimédeuoir/oigneuſement ſºlucher les aétions de ce foruoyé Iettans doncques
l'ail/urles crimes dont ilsſt chargé, le tout fort bien veu, examiné & conſîderé, nous l'auons
deſcouuert eſtre mon tant ſeulement inique & auare, mais contumace & reffaéfaire quant &
quant, qui s'eſt mocquéde la ſentence donnée alencontre de luy/urla ſymonie dont ila ſfé at
- . teint & conuaincu par les Peres ;ayant parmaniere de dire foulléaux pieds, comme luy-meſ
me a aduouéde ſa propre bouche de n'en tenir compte, le 29. canon des ſaincfs Apgſtres qui con
ttent cecy.
c de, SI Qv EL Qv E E v E s Qv E P o v R A v o I R D o NN E DE L'AR
ſimºnie G E N T E s T P A R v E N v A C EsT E D I G N I T E : P R EsT R E PA
RE IL LE MENT , o v D1A c R E , Q v 1 L s s o 1E NT D E P os Ez,
ENsE M B L E CELv Y Q v I L E s Y A v R A E s T A B L I s , ET R E
TRA N CHEZ TO TA LLEM ENT D E LA COMMV N I O N DES FI

D E L E s , A INsI Q v E s I M O N L E M A G I C I E N L E F V T P A R M o Y
T I E R R E. -

Nous auons en apres aueréque ſans aucun beſoin qu'ilen fuſt, ſans le conſentement de la
Synode, ſans le veu & ſceu de clerc ny de Preſtre, ilaalienédes poſſeſſions de la ſouueraine Ca
tholique Egliſe, conſacrées de tout temps immemorial pourleſeruice diuin en l'iſle de Candie,
comme il a auſſi confeſſé: & ce contre la teneurexpreſſe du 26.Canon du Concile de Carthage, qui
porte en C€.5 ft'77/26.5 .
Autre Canon
# † N o v s A v o N s D'AB o NDA N T o R D o N N E' Qv E P E R soN
#º N E N'A I T A v E N D R E NY ALIENER RIEN oy Elcos qyE
- D E C CLE s IA sT I Q v E : Q v E s 1L N A Dv R E v E N v C oM PE
T A N T P o v R s ENT R ET E N 1 R , ET Q y'I L s o IT PR Ess E DB
T R o P GRA N D E NE C Ess IT E , Qv'IL E N A D v E R T I s s E L E
PRIMA T D E s A PR o v 1 N CE , L E Q v E L A P P E L L E A v E & L vY
C ERT A IN NoM B R E D E v E s Q v E s D E s o N R E s s o RT , I L s AD
vIs E R oNT PA R E N s E M BLE CE Qy'IL FA vDRA F AIR E. Q v E
sI LE s CH o s E s E s T o I E NT s I H A s T E E s P o v R L E s A FF A I
REs D E L'E GLI s E Qv'o N N'E vs T LE LoIsIR D'EN DE L IB E
R E R A v A N T Q v E D E v E N D R E, A T o v T L E M o IN s Q v E C E s T
E v E s Q v E Y A P P E L L E DE s v o Is I Ns LEs PLv s s I G N A LE z,
G E Ns D E F o Y , P o v R E N T E s M o I G N E R , s'A P PRE sTANT A v
sv R PLv s F o RT s o I G NE vs E M E NT A R E N D R E B o N C o NTE
A LA P R O C HA I N E S Y N O D E DE TOV S LES AFFA IRES DE
-- .

s o N E G LI s E Q v 1 L'Av Ro 1 E NT coNT RAINT A CE LA , sv R


- , PE INE
l'Hiſtoire
1» - - - - 1 . , | * | . . - . - T

de Calchondile.
-

43I
PEINE DE DEME vR E R čov L P A B LE ENvER s DIE v, ET RE s
P oN s A B L E A LA DIT T E S Y N O D E D E CE s T È A L I E N À T I o N,
ET D'E s T R E D E M Is D E s A DI G NI T E'. .
ce Patriarche dauantage aſté conuaincu d'auoir depoſé des Prelats ſans occaſion, & enre
ſituéi#gitimementd'autres qui auoient forfaict s'eſt trouuéauoiraaſi conferédes ordres hors
de ſes limites, comme és diocèſes de Calcedoine, Heraclée, Salomiſe,Theone & Metoymne, &
encore ſans examen ne preuue de la capacité requiſe, leſquelles charges & accuſations ſontac
couplées à d'autres crimes tous manifeſtes & prouue{ Pourceºſt-il que voyans tels abus, &
craignans d'encourirlameſme dpoſition & cenſure, comme ceux quicommunicqueroient auec
vn excommunié, nousl'auons decernéindigne du Pontificat,ainſique le premier autheur d'en
· fraindre les diuins & ſacre{Canons, & dés à preſent nous le depoſons,le declaranspour priué,
depoſé,& demis, tantde la dignité Patriarchale, que du nom & tiltre d'icelle:Tellementqu'en
ſortequelconque il ne puiſſe iamais plus rentrerayea la chaire Patriarchale,nyen la dignitéd'i
celle, ains ſe retiendra en la vie & profeſſion d'vn ſimple moine. Queſîaucun d'entre nous icy
ſoubſgnez contreuenant à ſa ſoubſgiption lºgitime vouloitattenterdelerſtablir& abſoudre,
puis qu'ila ſtéainſideuëment depoſe de ſon ſiege, fuſt parvne certaine coñtumacité& preſom
ption, ou parquelque affection particulierequ'illuy portaſ*: Nous dés àpreſent declarons ce tel
là s'eſtre luy-meſme dipoſé par ſon propre faicf, de ſa dignité Epiſcopale, & auoir encouru ce
faiſant ſemblables peines & cenſures que l'autre. En teſmoin dequoy, & pour plusgrandeap- -

probation de ce que deſſus a ſfédonnélepreſent ArreſfSynodal, ayans icydeuant les yeux le tex
te des ſainčtes Euangiles,ſuiuant l'excommunication deſia prononcée, Fait au mois de Ian
uierl'an de la creation du monde 7o73.indiction VI I I. Surquoyil faut eſtre aduerty que
les Grecs de tout temps comptent depuis laditte creation iuſqu'à IEsvs-CHRisT,
1545.ans plus que l'Egliſe Romaine, ſi que ceſte datte tombe en l'an de ſalut 1564.
uelquesfois les Patriarches ſe depoſoient eux-meſmes de leur bon gré , Gregoras
liu.6.chap.dernier. Le Patriarche Iean ſe voyant à tous propos gourmander & iniurier des
Prelats, ſans quel'Empereurfiſt aucun debuoirde le ſupporter, il luy vint preſenter la demiſ
ſion de ſa dignitéqu'il pretendoit faire. La formule de laquelle ſe commençoit ordi
nairement en ces termes, ſelon Pachîmerie liu.1o. Ataro To uº 4xe 22.aixed , g vu34
Jiavo(2 ug 4yºo a pxºrêts, iyo tè opoto aaapto^à été2, éuautor : &c. Sainct Empereur
Monſeigneur, & vous meſieurs les ſaints Prelats , me recognoiſſant en premierlieu eſtre pe
cheur,ie mettois toute diligence pourme deliurerde peché Au reſte leur charge eſtoit d'vne
grande peine & ſubicction,mais accompaignée de beaucoup d'honneur,carés prie
res & ſuffrages on faiſoit comme a eſté dit,cömemorationd'euxtant vifs que morts,
auec les Empereurs,ainſi que nous faiſons du Pape.Le meſme Gregor.liu.8. chap.6.
pour prouuer parauthoritez tout ce que nous propoſerons. LepremierSamedy de Ca
reſme, comme le lendemain on deuſt faire commemoration tout haut des bons & Catholiques • -

Empereurs, & des Patriarches. Les Empereurs outroplus eſtoient couronnez de leur †
main,liu.6.chap.9.Le Patriarche Iean couronna du diademe Imperial Michelffls d'Andronic § §
Paleologue. Les marques & ornemens deſquels Empereurs eſtoient ſiparticuliere- †
mentaffectez à la couleur rouge, que meſme leur ſignature ſe faiſoit de vermillon, † antino
liu.4.chap.15.L'Empereur Michel Palleologue permit à ſon fils Andronic deſigner les Edits
& lettres patentes d'eſcripturerouge, mais ſans ymettre aucune datteny du mois, ne del'indi
ction, ains tant ſeulement s'y ſoubſcrire en ces termes : A N D R o N 1 C PAR LA GRA C E Tiltre des Em
DE IE svs-CHR 1sT, e M P E R E v R D E s R o M A 1N s. Quieftoit le tiltre dont ils ºº
vſoient, & au 9.liu. chap. I1 parlant de la deſconfiture que trois censTurcs d'Orca
nesauoient fait de l'armée Grecque : Le lendemain ſitoſt que le Soleil fut leué, les Turcs
apperceuans ceſteroutte & desfaitte incroiable des Grecs,& dans le camp force armeures,les ten- Tout leur
tes & pauillons vuides d'hommes,& les montures de l'Empereurauecleurs rougesſelles & har-equippage de
machemens de lameſmecouleur,Au 6.liu.auſſi del'hiſtoire de Geoffroy de Villhardouynº
Mareſchalde Champaigne & de Romenie, de la conqueſte de Conftantinople,Le
Marquis Boniface de Montferratprit l'Empereur Alexis qui auoitfait creuerles yeux àſonfrere
Iſaac,& luy oſtales brodequins de pourpre, auec les ornemens Imperiaux qu'ilenuoya àl'Em
- - : ' TT 5

4-32 | Illuſtrations ſur
pereur Baudouyn en Conſtantinople.Car ces brodequins & bottines de pourpre eſtoient
l'vne des marques de l'EmpireiTellement que les fils aiſnez des Empereurs eſtoient
ſurnommez Porphyrogenites, comme qui diroit naiz ou engendrez au pourpre ou au
cramoiſy.Cc qu'ils retindrent des Romains,& le ſiege Romain de ſa partauſſiàl'en
droit du Pape & des Cardinaux, comme la plus haute & excellente couleur de tou
tes, ainſi que nous l'auons plus à plein deduit, auec les raiſons de ce, ſur Philoſtrate
au tableau des beſtes noires. Cela eſt paſſé aux Turcs pour le regard au moins de
leurs tentes, ſelon qu'on a peuveoircy-deſſus,quiontherité de cela des Grecs auec
l'Empire, & beaucoupd'autres choſes encore. Orpuisqu'il vientàpropos nous ap
poſerons icy le portraict des anciens Empereurs Grecs en leur ſolennel equippage,
& à la fin de ceſt œuure vn autre,auquel ils alloient veſtus ordinairement.
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Suit le portraict de l'Empereur.

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l'Hiſtoire de Chalcondile. 435


Av sv R P L vs ſuiuànt ce qui a éſté dit cy-deuant que lcs Patriirches de Con
ſtätinople auoient toute authorité ſouueraine en l'Egliſe Grecqtie, meſmes des plus
importans & authoriſez excommunimens, & d'interdire iuſquesàl'Empereur pro- • 7

pre, le préallegué Gregorasliu.4.c.7. Le Patriarche Arſenie ayant entendu comme Mi-†.


chel Palleologue auoit fait creuer les yeux à Iean Ducas, auquell'Empire appartenoit, il l'inter-dire i'Em -
dit de l'Egliſe, & des ſacremens. Etauoient par meſme moyen le pouuoir de les reinte-ººº
grer & abſoudre des plus griefues fautes & cas reſerucz,chap.13.La Meſſe dicte Michel
Palleologue eſtantproſternéagenoiiils à l'evtrée du chœur, confeſſa tout hautſes deux crimes,ſon
periurement aſſauoird'auoircontre/onſermët defidelitéºſurpél'Empire : & fit creuerles yeux
au fils de ſon feu Empereur, dequoy le Patriarche Joſeph premierement, & apres luy les autres
Prelats en leur ordre luy reciterent la formule de ſon abſolution. Le meſme faiſoit encore le
Patriarche enuers les Metropolitains, les Eueſques, & autres Eccleſiaſtiques,liu.9.
chap.8. parlant du Patriarche Iſaie : Dela ilſe mit apresſes vengeances, & àpourſuiure les
Eueſques & Preſtres, dont il interdit les vns de leurs tcerdoce pour quelques annees, & les au
tres pourtout le reſte de leurvie. Et à l'onzieſme enſuiuant, L'Empereur Andronicle ieune le
pria de laiſſerſon indignation contre les Eueſques, & d'abſoudre le peuple : Surquoy pour le grt
tiffer, luyreutſºu deſes ornemenspontificaux, à l heure qu'on deuoit cel brer lagrand Meſſe mon
teaupoulpitre, & de lirecite vne abſoulte tantpour les d ffuné/s que pour les viuans : miti à la
pluſpartdes Eueſques & Preſtres qu'il auoit cenſurez, il ne vou'ut rien remettre my phrdonzer.
C'E s T o 1 T en-apres à eux à conferer les benefices & autres dignitcz Eccleſiaſti- Le Patriarche
ques,liu.6.c.1. Le Chapitre deſaincfe Sophie deſiroitſingulierement qu il y euſºva Patriarche §s
de leurcorps, afin qu'ilspeuſſent parce moyen ſé donnerpar les ioués de toutes les Archeneſchez,ºººº
Eue/chez,Abbayes, Monaſteres,c autres telles meilleures pieces q4i viſdroient à vacqucr brief
qu'ils s'attribuaſſent tout ce qui dependoitdel'authoritédel'Egliſe Etau 5. enſuiuant : Le j'a
triarche Gregoire Cypriotfutabandonnéde Chilts Epheſien, & de Daniel de Cizique, auſquels Penſi3s ſur l
ilauoit conferédeplus grands honneurs qu'ilne leur ippirtcnoit, voire les principales dignitez §#
Eccleſiaſtiques,entre tous les autres Prelats & Preſtres. Sur leſquclsbenefices & dignitez l'Egliſe Grec
ilyauoit auſſi bien des penſions conſtituées qu'en l'Egliſe Romaine, liu. & chap. 5.ºº
Chilas & Daniel furentpriuez des penſions annuelles que les Metropolitains leurpayoient.
OR il ne futiamais nulle part que les Prclats & autres Eccleſiaſtiques n'ayenteſté Touchant la
fort frians de ſe tenir aupres de leur Chef,& du Prince encore plus,comme la ſource reſidence des
dont ils ſ'attendent que decoullel'engraiſſement & amclioration de leur territoire: ºº
& de monter par ce moyen touſiours de degré en degré plus haut peu à peu , la char- *
e des ames à eux cömiſes, & toute autre adminiſtration dependante de leur deuoir
quittées là,& conſignées entre les mains de leursSuffragands,Vicegerends,& grâds
Vicaires; nonobſtant tous les plus eſtroits ſtatuts & reiglemens ſur leurs reſidences;
· De meſme auſſi la plus grâd'part des Metropolitains,Eucſques,& Abbcz Grecs de
meuroient en Conſtantinople à courtiſer & l'Empereur, & le Patriarche auquelap
partenoit le pouuoir de les enuoierreſider ſur leurs benefices,oules en diſpenſer cö
me bon luy ſembloit,li,& c.6.Le PatriarcheAthanaiſé enuoya tous ceux qu'à ſon adºenemët
il trouua en la ville,reſiderſurleurs beneffces,& exclud du tout les autres qui ſtoieºt dehors,d'y
lus venir,encore queparordonnancedes/ainéfs Conciles les Metropolitains euſſent accouſtumé
de s'aſſemblervnefois ou deux tous les anspres le Patriarche,pourcomuniquerauec luy de ce qui
concernoit lefaict de leurs Dioceſes;allegant qu'ileſfoitraiſonnable que chacun d'eux gouuernſt
endroit/oyſon trouppeau,pluſtoſt que recuèillans la laine & dſoiitlle de leurs oiitilles, en venir
faireſespompes & bonnes cheres à Conſtantinople. Prudément certes & enbonprud'hö- | , , ,
me; car il n'ya rien de plusillegitime & indecét en l'Egliſe, que de voir rodervn Pa- †
ſteur de coſté & d'autre,ſon parc & bergerieabandonnez à la mercy des larrons, des §
loups,&autresbeſtes rauiſſantes.Ce n'eſtoitpasau reſte choſe incompatible qu'on mariez
eſleuſt les Patriarches ores qu'ils fuſſent mariez; car les Papaz ou Preſtres Grecs le
ſont bien,aumoinsvne fois en leurvie,& àvne fille,non vnevefue parce que labiga
mie leureſt totalementdefenduë,li.7.c. 18.(touſiours de Gregoras fautentendre)
Iean Glycasfutpourueu du Patriarchat,lequel auoitfemme & enfans,mais ſafemmeprit incon
aiment le voile de religion,dont il voulut auſſi prëdre l'habit,& ſefaire moine,pour la reuerčce du
Aºege.ſºl'Empereurny euſt contreditpour raiſon des gouttes dont iceluy Iean ſtoitſouuent tour
436 ' Illuſtrations ſur
menté: tellement que parl'aduis des Medecins illuyeſfoit beſoin quelquefou mangerdelachair
Ce qui nous inſtruict de deux choſes; l'vne que la femme du Patriarche ſoudain
qu'il entroit à ceſte dignité, eſtoit contraincte de ſe rendre religieuſe; & l'autre que
les Moines n'vſoientiamais de viande deſcaremée; & encore és iours de ieuſne ne
mangeoientpoint de poiſſon qui euſt ſang : ce qu'ils obſeruent meſme à ceſteheu
1'C.

Le reſpect que QyANT au reſpect qu'on leur portoit, iuſques aux Empereurs propres, outre
†" ce qui ena eſté allegué cy deſſus, Nicetas le teſmoigne aſſez quand il dit : Andro
· nic deſia deſigné au gouuernement de l'Empire , vint à beau pied au deuant du Patriarche
· Theodoſe eſtant à cheual, & ſe proſterna iuſques en terre luy baiſant leſtrié Et Gregoras
liu. 6. chap. I. Le corps du Patriarche Arſenie auecle conuoy eſtant arriué à laported'Eugene,
le Patriarche accompaigné du Clergé, & de l'Empereur auec ſes Princes, & ſon Conſeille vin
drent trouuer, & en la pompe accouſtumée le conduirent en l'Egliſe de ſainčte sophie. Son
accouſtrement ordinaire eſt tel qu'on le voit cyrepreſenté : mais vous en aurez vn
autre portraict encore à la fin de ceſt œuure, où il eſt reueſtu de ſes ornemens Pon
tificaux.Au reſte en toutes ſes ſignatures & ſoubs-ſcriptions il vſoit d'vne plume
d'argent, & tousles autres de certains calames ou ioncs delicats, quiviennentde
Perſe. .
-
-

- | Suit le portrait du Patriarche .


".
-

CE cRAND
-

l'Hiſtoire de Chalcondile. 437

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--
438 | Illuſtrations ſur
l'Hiſtoire de Chalcondile. 439
CE CRAN D large chapeau ou ſombrere ſ'appelle en Grec vulgaire ºgguNa6y1,
le voile d'audeſſous, ou le capuchon qui a deux pendants, larges & frågez gu4xa#o;
qui repreſententenuers eux à leur dire les liens dont noſtre Sauueur fut mené lié &
garrotté à Caiphe, Herode, & Pilate, A ce propos le Flamendialanciennemcnt à
Rome durant le Paganiſme, vſoit d'vne maniere d'habillement de teſte à guiſe preſ
que d'vn cabaſſet de Suiſſe,mais il eſtoit de peau,du haut duquel ſ'eſleuoit vne poin
te d'vn certain bois,& ſous la gorge ſe venoient rendre deux pendans pour le brider,
lequel eſtoit appellé apex de apere,qui ſeló Feſtus,& Seruius ſignifioitioindre & lier,
à cauſe de ces deux fils de laine qui venoient ſeruir de bride ſoubs le menton : Ceux
des Cardinaux en leurs chapeaux gris cordonnez de ſoye cramoiſie & fil d'or; ie ne
parle pas du plat de bois comme on l'appelle , & des Eueſques pareillement qui les
portent § , ſe rapportent aucunement à cela : mais les larges pendans de leurs
mittres qui ſ'auallent ſur les eſpaulles, ſignifient ſelon Durandus liu.13. c.I. nomb.3.
l'eſprit & la lettre de l'eſcriture. Pour reuenir donc à nos Patriarches de Conſtanti
nople , tout leurgrand manteau qu'on peut voir icy ſ'appclloit nau pºpeux, & eſtoit
de laine, repreſentant labrebis eſgarée que le bon Paſteur emporte ſur ſes eſpaulles. .
La ſottane ou longue iuppe d'audeſſous qui eſt de taffetas, ſatin, camelot, ou autre † †
drap de ſoye noir, Pgx : & la Croce oubaſton Paſtoral, tatoea a, les ſoulliers, zv4y- -

ao@. Quant aux Moines & Caloyers, ils portent ſur leur camiſolle dicte jb0Aoua,
mot conforme du doliman, vn pourpoint dit & mºuvº, qui approche aûſſi du gippon,
lequel ſ'attache aux 2e2x , ou brayesauoc le bas de chauſſes xg AT#. Puis ilyavne
tunique ou ſottane dicte IIgxº, & pardeſſus vn x96a ), chapeauec le capuchon, &
le xguiAaGo. Le bonnet d'audèſſous oxépia , & le chappeau x2zrna oi ; ſi que la plus
part de ces mots vulgaires approchent des noſtres, ou les noſtres d'eux. -

V o 1 LA à peu pres ce qui a concerné le Patriarchat de Conſtantinople, tant de


l'ancien temps durant que l'Empire eſtoit és mains des Princes Chreſtiens , que
depuis quelques 14o.ans qu'ila eſtéreduit ſous l'obeiſſance des Turcs, où il eſt en
core preſque comme il ſouloit, i'entends le Patriarchat; combien que non en telle
ſplendeur pour la diſſemblance des loix, & ceſte tyrannique & tortionnaire domi
nationbarbareſque : carau reſte pour en parlerà laverité, les EmpereursTurcs ont
eſté iuſqu'à huytrop plus benins & tollerables ſans comparaiſon, quant au monde,
que les Grecs n'eſtoient; la pluſpart d'iceux vrais horribles monſtres pluſtoſt que
creatures humaines, -

OR à la priſe de Conſtantinoplc le Patriarche nommé Gregoire qui eſtoit lors,


ayant trouué le moyen d'euader ſe retira en Italie, où il mourut depuis à Florence,
comme il eſt porté au 8. de ceſte hiſtoire : parquoy le ſiege demeuré vacant, Mech
met permitaux Grecs d'en eſlire vn autre en ſon lieu,aſſauoir Scolarius,lequel chan
geaſon nom de Georges en celuy de Gennadius, car pour vne plus auguſte Majeſté
ils ont accouſtumé de changer leur nom auſſi bien que les Papes; à leuraſſomption
au Patriarchat : homme de ſaincte vie, de bon eſprit, & grâde doctrine & cxperien
ce; ſi que le Turc prenoitbien ſouuent plaiſir à l'ouïr diſcourir de noſtre foy, & vou
lut qu'il luy en redigeaſt par eſcrit vne confeſſion des principaux poincts & articles,
qu'il fit traduire en langue Turqueſque par vn appellé Achomat caddi de Berrhoée,
laquelle nous auons tournée du Grec, & icelle appoſée à la fin de noſtre traicté de la
Penitence, imprimé l'an 1587. Et encore que cela ne ſeruiſt de rien pour le conuer
tir,ſine laiſſa-il de luy en faire tout plein d'honneſtetez,courtoiſies,& gratifications;
& l'honora des meſmes preſens que les Empereurs Chreſtiens auoient accouſtumé
de faire aux Patriarches à l'entrée de leur dignité , ſçauoir eſt vn accouſtremët com
plet tel qu'ila eſté deſigné cy-deſſus, auec quelquebeaucheual blanc: & luy mitpa
reillement le Pedum en la main, comme ſouloient faire auſſi les Empereurs; mais
par la deſloyauté de quelques ſimoniaques qui vindrétapres, le Patriarchat fut ren
du venal & tributaire, tant du Peſcheſion, que du carazzi, iuſques à monter peu à pcu
iuſques aux douze mille ducats qu'il paye auTurc pour leiourd'huy. -

- VV ij
CESTE HISTO IRE ESTA NT PRINCIPAL EME NT
des Turcs qui ſont tous Mahometiſtes; il eſt bien requis de traiéter icy vn peu
· au long de ceſte maudite c9 damnable ſeéte, quia ainſi empoiſonné lapluſpar
de la terre habitable, & icelle remply preſque de ſes conqueſtes. Et en premier
lieu de la naiſſance de ce faux prophete, de ſa religion auſſi & doétrine.
# V E L S furent les cóportemens de ce ſeducteur désauparauant
& depuis qu'il eut vſurpé le nom de Prophete. Et commencé à
eſpandre ſon peſtifere venin : quelles ſes briques & menées, ſes
conqueſtes, ou pluſtoſt brigandages, & deſtrouſſemens, qui don
@ ſl 7, #) nerent le premier pied où paruindrent ſes ſucceſſeurs pour le re
#º ) # gard du temporel, tout Cela ſe racomptera plus au long, & par le
menu en ſon rang ſur la Chronique Sarrazineſque qui ſuiura cy-apres. Icy nous n'en
prendrons tant ſeulement que ce qui concerne leur ſpiritualité aueuglée, & faulſe
creance, tant en general de toutes ces manieres de gens qui embraſſent le Mahome
tiſme, qu'en particulier pour les Turcs. Surquoy deux choſes entre les autresſe pue
ſentent de prime face, dignes de conſideration : la premiere, qu'vn telabuz, ſi ridi
cule, abſurde, & groſſieraye peu ainſi parvne ſilongue ſuitte de ſiecles tant obſtiné
ment déuoyer vn ſigrand nöbre de pauures ames.Car il ne regne que trois religions
pour ceſte heure, voire ilya deſia longtemps , bien que ſoubs-diuiſées en pluſieurs
branches & rameaux de ſectes : la Iudaique aſſauoir, la Chreſtienne, & Mahumeta
ne; & non ſeulement des gens lourds, idiots, ignorans, & par conſequent fort aiſez
à perſuader, ains des plus excellens eſprits parmy eux en toutes ſortes de doctrines,
arts, & ſciences qui furent oncques autre part, ainſi que leurs eſcrits en peuuét por
ter bon teſmoignage : comme d'Auerrois, Auicenne, Algazel, Almanſor, Rhaſes,
Meſne, Alpharabe, Geber, Alkindi, Albumaſar, Racaidibi, Habi Aben Ragel,
Thebit Ben Corath, & infinis autres que nous toucherons ſuccinctement cy-apres
en ladite Chronologie : Tous leſquels furent Mahometiſtes,& ſi fermes & conſtans
en leur loy, qu'ils ne ſ'en voulurentonques departir ny tant ſoit peu aliener. Bien eſt
vray qu'ils ne furent pas du temps de lagoffe & barbare lourderie de Mahomet, ny
plus de 5oo. ans apres, ains en vn plus heureux ſiecle de lettres, lors qu'elles cömen
cerent à ſ'abaſtardirenuers les Chreſtiens pour faire leur tranſmigration ailleurs; &
tout ainſi que quelques oiſeaux de paſſage ſ'en voller des parties Occidentales aux
Arabes du Midy, & de l'Orient, il y peut auoir de trois à quatre césans : & de là ſ'en
retournerent de rechef deuers nous du temps de nos peres,n'en ya pas cent, laiſſans
les autres à leur tour en vne plus grande barbarie & ignorance qu'auparauant : mais
clles ſ'enfuyent de nous bien au loin; & ſiie ne ſçay où elles voudront eſlire leur do
micile & reſidence. Telles ſont les viciſſitudes & alternations des choſes humaines,
eſquelles il n'ya rien de ferme ny de permanent nulle-part. L'AvT RE poinct digne
de remarquer, eſtlagrande Domination qu'en ſi peu de temps vn peuple de ſi peu
de moyen, de ſi peu de pouuoir, ſçauoir, & auoir; de ſi mauuaiſe, ou point du tout
diſcipline militaire : gens ſimiſerables, mal garnis d'armes, & munitions de guerre:
& au reſte ſi contemptibles comme les Arabes : la pluſpart confinez dedans des de
ſerts & lieux ſolitaires, diſcommodes de toutes choſes, empietterent la plus graa
de & meilleure part de l'Aſie, & Afrique, & vn tresbon eſchantillon de l'Europe,
· l'Hiſtoire de Calchondile. 441
meſme en Eſpaigne qu'ils occuperententierement & de viue force plusde ſept cens
- ans tout de ſuitte; auec la Sicile par interualles, & les autres iſles circonuoiſines;
enſemble vn bord de l'Italie en terre-ferme : le tout ſoubs l'authorité & obeiſſance
de leurs Caliphes ou grands Pontifes, qui ont eſté leurs Monarques tous abſoluts, .
#
; auec vn ſouuerain pouuoir tant au temporel qu'au ſpiritucl. Deſquels deux particu
laritez malaiſément en pourroit-on aſſigner autre raiſon, fors qu'ila pleu à Dieu de
le tollerer de la ſorte; pour punir ſon peuple peut-eſtre de ſon ingratitude & meſco
gnoiſſance, de ſes vices, deſbordemens, & autres telles iniquitez. vne autre choſe
vient encore à eſmerueiller, comme il ſ'eſt peu faire que tant de peuples & nations
de ſi differëtes & bizarres humeurs, & entre autres les Aſiatiques ſi delicieux de tout
temps en leur viure ſe ſoientainſi voulu ſoubs-mettre à l'auſterité & rigueur de ce
ſte loySarrazineſque, iuſques meſmes à ſabſtenir du tout du vin, vn breuuage ſi
friant & ſauoureux, & ſi conuoitté de toutes ſortes de perſonnes, outre ce que c'eſt
l'vn des principaux ſouſtenemens de la vie humaine, & qui la reconforte le plus , &
reſioüiſt non ſeulement les creatures, mais Dieu meſme , & encore croiſſant parmy † Io4.
eux en telle abondance, & ſi excellent, ſans qu'ils leur conuienne le faire venir de gcS 9.

loin, comme font les Pollonois, Moſcouites, & autres peuples Septentrionaux; at- .
tendu que les Romains ſe ſont trauaillez plus de 4oo. ans pour ce meſme effect,
Il1al1S Cll Va11l. - "

OR pour venir aux traditions de ce cault & pernicieux affronteur, l'ombre & pre
curſeur du vray Antechriſt, annoncé tant par Daniel que les autres Prophetes; le
quel eſtant nay d'vn pere Payen, & d'vne mere Iuifue, toutainſi que de l'accouple
ment d'vn aſne auec vne jument ſ'en vient procréer vne tierce eſpece meſtifue qui
n'eſt ne l'vn ne l'autre, & neaumoins participe de tous les deux, qui eſt le mullet : il
fut tenu plus de dix ans des Samaritains alors bänis de la cömunauté des vrais Iuifs,
pour leur Meſſie, iuſques à ce que ſes fraudes & deceptions deſcouuertes, & le maſ
ue leué de l'ambition où il aſpiroit, ils le quitterent : mais ce fut à tard, car ayant
• ſon credit pris deſia racine, il en fit mourir la pluſpart, & ſe ſaiſit de la Meke, où ils
| ſ'eſtoient habituez. Tout ſon but doncques & ſon deſſein fut de venir donnçrà tort •
& trauers des deuxreligions, Iudaïque aſſauoir, & Chreſtienne; & les ſupplantant
cruellementl'vne par l'autre, en introduire vne troiſieſme qui luypeuſt donneren
trée & accez à la domination temporelle qu'il ſe forgeoit en l'eſprit, mais ſur tout,
d'eſteindre & annichiler ſ'il pouuoit, le Chriſtianiſme, voyant qu'auſſi bien les Iuifs
auec leur loy eſtoient deſia de longue-main aſſez deprimez. Et pour paruenir à cela
, pritvn pretexte le plus plauſible qu'il euſt ſçeu choiſir, d'abolir l'idolatrie & venera
tiö d'vne pluralité de dieux,& meſme des creatures mortelles,ainſi que Moyſe auoit
fait iadis enuers le peuple Iudaïque, d'vnzele bien different, pour ne propoſer en
auant qu'vn ſeul Dieu Createur du ciel & de la terre : enquoy toute l'eſcriture con
uient, & meſmes les plus aduiſez des Gentils. Voyez que te ſuis ſeul, & n'y a autre Dieu
que moy, Deuter.32. Je ſuis le premier, ie ſuis le dernier: & n'yapointd'autre Dieu que moy,
Iſaie 44. Mais plus expreſſément encore auxCorinth.8. Nous ſçauons que l'idole n'eſt
rien au monde, & qu'iln'ya autre Dieu qu'vn tout ſeul. A quoy ce faulſaire ſ'approprie le
plus pres qu'il peut en maints lieux, meſmes en l'Azoare 122. ſous le perſonnage de
Dieu, qu'ilintroduit là, luyparlantainſi : Dis leur, ô Prophete, tout reſolument qu'il n'y
a qu'vn Dieu, neceſſaire à toutes ſortes de creatures, & incorporel qui n'a oncques engendré
d'enfans, ny m'a eſté engendré nomplus, n'ayant aucunpareilàſoy. Ce qui battout directe
ment contre le myſtere de la ſacre-ſaincte Trinité, & l'incarnation du Verbe Diuin;
& ſomme la diuinité de IE sv s CHR I s T. Comme auſſi en la 33.Azoare, Dieu n'a
point admis d'autre Dieupourſon fils participantauecluy deſa diuine Eſſence. Et en la 29. Ils
recognoiſtront d'auoirproferévne tres-vilaine parole, en diſant que Dieu auoit eu vn enfant
En la 13. auparauantil introduit I E s vs CHR 1 s T ſe purgeätenuers Dieu le Crea
teur, d'auoir oncques rien voulu attenter de donner à entendre aux hommes que
luy nyſa Mere fuſſent Dieux : Car(adiouſte-il) toy qui cognois les plus interieures pen
- ſées de tes creatures, tu penetres bien aiſement iuſques au plus profond

de mon caur, mai
• V V iij
-

4
' \
A

4-4-2 Illuſtrations ſur


non pas moyenſemblable du tien. Qui eſt formellement contre le texte des Euangiles,
ſº§ par ces derniers mots renuerſer tout le principal fondement de noſtre
creance. Et ce qui ſuit pareillement apres en la perſonne de noſtrc Sauueur : Il faut
qu'ils t'inuoquent & adorent, toy qui és mon ſouuerain Dieu & le leur. Enquoyille faict
eſtre eſgal aux autres hommes à l'endroit de Dieu, & ne ſçauoir pas ſes ſecrets.
Auſſi les mots les plus ſacramentaux des Muſulmans, ou Mahometiſtes initiez,
ſont ceux qui enſuiuent : Que ſi vn Iuif ou Chreſtien par inaduertcnce ou autre
ment ſe ioüoit de les proferer, il faudroit qu'il reçeut ſur le champ leur loy, ou
mouruſt ſans remiſſion : LA H 1 LA E , H 1 LA L LA, M E H E M E T R E s v L LA L
LA, T AN GAR 1 B 1 R B E R E M B E R A C. Dieu eſt Dieu , & n'y a autre Dieu que
luy, & Mehemet eſt ſon Meſſagier & Prophete : Ce qu'il a emprunté du Talmud, ain
ſi que la pluſpart de ſes traditions, au liure de Beracoth ou prieres; là où il eſt or
, donné aux Iuifs de dire deux fois chacun iour pour le moins , à ſçauoir le ſoir &
matin ces mots icy du 6. du Deuteronome : Eſcoute Iſraël, le Seigneur noſtre Dieu, est
vn Dieu tout ſeul. Mais il fautentendre qu'ils ont accouſtumé d'adiouſter quant &
quant ce beau Cantique des Seraphins, du 6. d'Iſaie : Sainct, Sainct,Sainct, eſt lesei
' gneurdes armées : Toute la terre ſtremplie de ſa gloire. Ce qui denote tacitement le my
ſtere de la Trinité. Or à ce propos de La Hilae Hilalla, le Conte Pic de la Mirande
au traicté de Ente & vno, diſpute d'vne fort grande ſubtilité qu'on ne peut point pro
prement dire, D E v s E s T D E v s, vtperhoc nomen Deus viccm predicati gerens illud
quodperſubiectum conamurconcipere declaretur. Sa principale intention donquesa cſté
de renuerſer de fonds en comble la loy Chreſtienne, quelque beau ſemblant qu'il
face en pluſieurs endroits de ſon Alchoran de reuerer noſtre redempteur.
A v R E s T E on ne peut pas dire auec verité ce qu'aucuns taſchent de prouuer
& de ſouſtenir que le Mahometiſme aye cauſé plus de bien que de mal, quand ce
ne ſeroit que d'auoir retiré tant d'ames de l'idolatrie qui regnoit lors; & ramené à
la cognoiſſance d'vn ſeul Dieu ceux qui deſmembroient ſon pouuoir, & l'hon
neur à luy ſeul deu & reſerué, en tant de parcelles. En cela de vray Mahomet con
uientbien auec les Iuifs, & auec nous, mais c'eſt faire, comme ditaſſez dextrement
l'vn de nos anciens Poëtes : Leſcher le miel deſſus eſpines : d'autant que là deſſoubs,
(comme ſuit puis apres : Enfans qui aux fraiſiers allez, gardez vous du ſerpent ſoubs
4'herbe) giſt le mortel venin dontil pretend d'empoiſonner tout le monde. Caron
ſçait aſſez que quiconque n'eſt du tout auec IE sv s CH R1 sT, eſt contre luy, hors
la foy & creance duquel iln'yaaucun eſpoir de ſalut : & quiconquey defaut d'vn
ſeul poinct, faut en tout. En-apresil ſeroit beaucoup plus aiſé de retirer les peuples
de l'idolatrie, en laquelle toute pérſonne pour ſi peu de iugement qu'elle ait, ne
trouuera rien de ſolide; que non pas du Mahometiſme, qui a quelque ombre &
apparence d'vne vraye Religion : & qui nous combat en certaines choſes, par eux
àl'exemple des Iuifs mal entenduës, & pirement interpretées ; comme des ima
ges des ſaincts, & ſemblables : Ce qui en a deſbauché aſſez de la Religion Ca
tholique. Ce que deſſus c'eſt aſſez fait voir par experience en la conqueſte des In
des Orientales par les Portugaiz, où ils n'ont comme point eu d'affaire, nomplus
que les Eſpaignols és Occidentales, à retirer ces peuples-là des folles & vaines
crreurs de l'idolatrie & du Paganiſme à la foy Chreſtienne : Ce qu'ils n'ont peu
aucunement obtenir à l'endroit des Mahometiſtes : Au moyen dequoy ceſte opi
nion que la loy de ce ſeducteurait rien peu introduire ny cauſer de bon, ne ſe peut
ſauuer en ſorte quelconque, ains eſt labreſche la plus grande que l'aduerſaire euſt
peu faire en l'Egliſe de Dieu, eſtant comme vn eſgouſtabominable de toutes les
Plus pernicieuſes hereſies qui y furent oncques, tant au Iudaïſme qu'au Chriſtia
niſme. Bien eſt vray que cela deuoitaduenir ſelon la Diuine préordonnance, com
me le teſmoigne bien à plein l'Apoſtre en la 2.aux Theſſal.2. Qu'aucun ne vous ſe
duiſenyparparoles nyparlettres, commeſielles vous eſtoient enuoyées de noſtre part : carle iour
de CHRIST n'arriuera point, quepremierneſoit aduenu le reuoltement, & que l'home depeché
ne ſoitreuelé,l'enfantaſanoirdeperdition, qui s'oppoſe & s'eſleue contre le TovT qui s'appelle
- Dit4
-
l'Hiſtoire de Chalcondile. 4 43
Dieu Neaumoins de iugerauvray en particulier del'Alchoran& ce qu'ilypeutauoir
de bon neveux-iepas dire,mais de moins mauuais,& pernicieux,il ne ſe peut böne
.
ment faire, parce que celuy que les Turcs, & en general tous les autres Mahometi
ſtes tiennent d'vn vnanime conſentement pour le pur texte de leur loy, n'eſt pas
proprement celuy de leur legiſlateur Mahomet, ains vn autre tout baſty de neuf,&
repetaſſé à pluſieurs & diuerſes fois, ſelon les humeurs, fantaſies, occurrences, &
partialitez de leurs Caliphes & Docteurs, ſurquoy il y a eu infinis changemens &
varietez,toutainſi que le Iuriſconſulte Alphene demande ſi le nauire lequel futtant
& tant de fois r'habillé qu'il n'y reſtoit vne ſeule piece de celles qui eſtoient entrées
en ſapremiere fabrication debuoit eſtre tenu pour le meſme, ou pourvn autre : ce
que Plutarque en la vie de Theſeus allegue de la ſacrée barque deſtinée pour aller
querir les reſponces d'Apollon en Delphes,appellée de là }eae)g. Mais auant que ve
nir à parler de ces changemens & alteratiôs aduenues à l'Alchoran, il fautentendre
premierement qu'ilyauoit cinq ſieges de Pontificats où les Caliphes reſidoient, qui
furent les ſucceſſeurs de Mahomet au ſpirituel,& au temporel,apres que leur domi
nation
UCITlDS.
ſe fut eſtablie, & dilatée de coſté & d'autre, ce qui aduintenbien peu de
•.

# E PREM 1E R d'iceux ſieges eſtoit à la Meke & Medine, auec toute l'Arabie Les cinq prin- .
ſoubs luy. LE s E coN D en Bagadet ou Babylone,autrement Baldach,ayant en ſon cipaux ſieges
obeiſſance toute la Chaldée,Perſe,Medie,Parthie,Aſſyrie,Meſopotamie, Carama du Mahome
nie, & autres regions adiacentes, tellement que c'eſtoit quant au temporelle plus tiſme.
puiſſant Caliphat de tous, & tenu pour le Principal. L E T R o 1 s 1 E s M E à Damas,
auec la Surie, & la Paleſtine pour ſon departement. Et encore qu'il ne fuſt pas de ſi
grand pouuoir que les autres,toutesfois illes deuançoit en la ſpiritualité,& en repu
tation de ſaincteté & de doctrine,car de ce ſiege, & de la faculté y inſtituée des mai
ftres & docteurs de la loy, dependoient toutes les deciſions des doubtes qui pou
uoient ſe former és points & articles de leur creance,iuſtice,& police.Et en ceſteau
thorité il ſe maintintfort longuemét, iuſqu'à ce que les Souldans du Caire ſe furent
emparez del'Egypte,& de la Surie. LE QVATRI E s M E eſtoit audit Caire ville ca
pitale d'Egypte, edifiée ſur les ruines de Memphis, ou là'aupres, par vn Lieutenant
general du Caliphe Eſchaim, lequel ſ'appelloitGeohar,Albanois de nation,& fortva
leureux à la guerre, afin de luy ſeruir de retraitte en ſes entrepriſes : & enuiron l'an
4oo.de l'Hegire,qui tombe en l'an de noſtre ſalut 993. furent làbaſtis deuxtemples
ou Moſquéesàl'honneur de deux de leurs ſainctes nommées Fatima fille de Maho
met, & de ſa premiere femme Gadiſa,& d'vne autre de ſes parentes ditte Nafiſſa,dans
le tronc des offrandes de laquelle furent trouuezen deniers comptans bien cinq cës
milleducats, ſans les ioyaux & pierreries d'vne ineſtimable valeur, lors que Selim
Empereur des Turcs prit le Caire 1517. Mais il fit reſtituer le tout, auec ce que les
Ianiſſaires auoient d'autre part ſaccagé en ce temple. LE c 1N Q v 1 E s M E ſiege
eſtoitau Cairohan, ville edifiée preſqu'au meſme temps que le Caire, par vn autre
lieutenant general du Caliphe otmen,appellé Hucba Hibnu Naffch, en la Cyrenaique
pres les Syrthes, à quelques quarante lieuës de Carthage. Ceſtui-cy dominoit tou
te la Barbarie, & la Numidie, auec la coſte de la marineiuſqu'au deſtroit de Gilba
thar,& le montAtlas, quiconfine à la mer Oceane,& laterre des Noirs. -

DE cEs cAL 1 P HE s, & de leur double domination, temporelle & ſpirituel-La'domina


tion de Maho
le, Mahomet, & ſon Alchoran furentles premiers autheurs, preſuppoſant que puis met,& ſes ſuc»
que l'homme eſtvn indiuidu compoſé de l'ame & du corps, auquell'ame comman ceſſeurs,tant
de comme laplus digne & principale partie, par conſequent doibtauſſi la ſpirituali au temporel
que ſpirituel.
téfaire ſurlesbiens temporels,à quoybutcecy de Virgile,Rex Anzus,rex idum homi
mum phebiqueſacerdos. - /

MAH o MET aureſte futfilsd'vn des plusapparensbourgeoys de la Meke,nom-La genealogie


mé Abdalla, filsd'Abdalmutalif, de la famille de Corays, & d'vne ditte Emyna, qu'on de Mºhomº
Pretendauoireſté vneieune garſe Iuifuè quiſ'abandonnavolontairementàAbdalla.
Il fut né en la ville de Ietrib ou Ieſfab, qui pour ceſte occaſion fut depuisappellé
444 | Illuſtrations ſur
Medinah Alnabi,la cité du Prophete, douze ou quinze lieuës audeçà de la Meke, ou
ſelon d'autres en la Meke meſme, qui eſt vn aport fort renommé en la partie occi
dentale de l'Arabie heureuſe à 3o ou 4o.lieuës de la mer rouge, où toutes les aroma
tes, drogueries, eſpiceries, & autres precieuſes denrées de la contrée des Sabéens ſe
viennent rendre par des Carauanes ſur des Chameaux. Lors que Mahometynaſ
quit elle eſtoit en partie habitée de Iuifs, qui auoient leurs temples à part, & leurs
ſynagogues,& de gentils,leſquels adoroient vne idole dit Alieche Aluxa, qu'on eſti
me eſtre la Deeſſe Venus : & de là pourroit venir, car Mahometa beaucoup main
tenu de choſes tacitement de l'ancien Paganiſme à la Meke, comme il ſe dira cy
apres : que ce qu'ils obſeruent le Vendredy, comme les Iuifs le Samedy, & nous le
Dimanche, eſt pour la memoire de ceſt idole, repreſentantanciennementenuers
les Gentils,la Deeſſe qui preſide à la generation & fœcondité. Ilyauoit outre-plus
des Chreſtiens meſlez patmy,mais heretiques Neſtoriens, Iacobites, & autres de la
meſme farine : & vn temple au milieu de la ville, appellé Beithala, qui ſignifie mai
ſon de Dieu,auecvne tour ditte Elcabba,ou Alkible, deuers laquelle les Mahometans
ſe ſouloiët tourner en faiſant leur Zalla ou priere, (à ceſte heure ils ſ'addreſſent tous
º au midy) & iurer par le nom d icelle,comme les Mores font encore,tantils l'ont en
grande reuerence.Mais tout cecy eſt en conſideration d'Abraham,parce qu'ils tien
nent Mahomet eſtre deſcendu d'Iſinaël fils baſtard dudit Abraham , & d'Agar ſa
| chambriere, ce qui merite d'eftre eſpluché de plus pres. Car en Geneſe 12 il eſt eſ
Depui.cieft cript. Peli Abraham ſe tranſporta à la montaigne qui eſt à l'orient de Bethel, qui ſigaiffela
appellée Beth - maiſon d Dieu,& y tendit ſon pauillon, en ſorte qu'il auoit Bethelau I onant,& Har( œil ou
#º fontaine ) deuers le leuant : & ediſia la vn autelau Seigneur, duquelilinuocqua le nom, puis
piſa outre s'acheminant touſ ours vers le midy.Là deſſus Rabbi Moyſe Egyptien au 3.des
Maimonim, chap.46.met que les Gentils qui reueroient les Idoles leurs edifioient de
beaux grands Domes,auec des images és montaignes haultes leuées.Au moyen de
quoy Abraham auroit choiſy le mont Moria, où il dreſſa vne maiſon au ſeul Dieu .
Createur de tout l'vniuers , qu'il appella Sancfa Samčforum. L E s s A I N T s D E s
s A IN T s : tournée du coſté d'Occident, où il fit auſſi ſa priere, tournant le dos à l'O
rient : & ce pour ſe departir de la forme des idolatres qui adoroient tous vers Soleil
leuant, tenans ce luminaire pour leur Dieu. A quoy ſe rapporte ce que met Plutar
que en la vie de Sylla,& de Pompée, plus de gens adorer le Soleilleuant que le cou
chant. Et au traicté d'Oſyris, que les Egyptiens tenoicntlcleuant pour la face du
monde,ſi que le Septentrion leur eſtoit le bras droict : & le midy le bras gauche : ce
qui pourroit faire aucunement preſumer qu'Abraham euſt appris cela des anciens
preſtres d Egypte, & des Chaldéens qui ſuiuoient pareille doctrine : car ſi le leuant
- eſt la face du monde,il faut qu'il regarde diametralement & à l'oppoſite le couchant
que les Hebrieux appellent any2 Maharah,parce,dit Ioſeph ben Carnitolau liure des
portes de iuſtice, que c'eſt le lieu des Plantes, & du germement de ce qu'on ſeme,
Iſai. 43.
ſuiuant ce qui eſt eſcrit, d'orientie ferayvenirta ſemence, & de l'Occidentiel'aſſemblerºy.
Au moyen dequoy les Rabbins ont dit le tabernacle de la diuine majeſté eſtre en
Occident, qu'on interprete pour la main droicte, ſelon le lieu deſſuſdit de Geneſe,
qu'Abraham ſachemina vers le midy, carayant la facétournée de ce coſté,le leuant
ſera à la main gauche & le Ponant a la droitte. Et de faict, pourfuit là meſine puis
, apres le meſme Rabbin toutes choſes apres leur creation ſemaintenoient ſelonl'or
· dre de leur vraye diſpoſitiue,iuſqu'à ce que le premier homme vint, qui rompittous
· les canaux, & par ſon moien le cordeau des arpentages & meſures fut rompue, tant
qu'Abraham vint,lequel commença à redreſſer ces canaux du coſté droict, & de la
partie meridionale l'ordre & inſtitution de celebrer de loüanges le Createur du
monde : puis de là ſe tranſporta à la montaigne qui eſt à l'Orient de Bethel, pour y
· dreſſer le tabernacle de la diuine majeſté du coſté droit,pour-autant que le premier
· homme l'auoit córrompu du coſté gauche : car Abraham feſtant acheminé vers le
· midy, ſon fils Iſaac vint puis apres, qui ſe mit à remparer lesbreſches du coſté d'A
quilon,là où domineºNot Samael,c'eſt le lieu d'eſpouuantement & de crainte lequel
ouurage
",

l'Hiſtoire de Chalcondile. 4 4-5


ouurage fut paracheué de ſon fils Iacob., Tout êe que deſſus met ce Rabbin fils de
Carnitol : & que Samaëlauréſte eſt le coſté gauche, & l'accuſateur des forfaicts des
hommes, mais le Neſſach la victoire, eſt le coſté droict. Item qu'Abraham eſt le bras
droict du monde;& commenſuration de Bethel, Iſaac le bras gauche ou Beth-elochim,
Iacob la moyenne ligne qui ſeſleue iuſques au plus haut diademe, où il ſe va con
ioindre auec le Principe de toutes choſes, par l'aide & moyen d'Abraham, & Iſaac,
lameſure auſſi duTetragrammaton mn Iehouahou Iahueh, ayant ſix des noms diuins à
ſapart, trois en haut † n'ru Ghedulah, grandeur, nma2 Gebolleth, puiſſance, &
mutan Tiphereth beauté : Et trois en bas, rixx Nezach victoire , Tin Hod honneur, &
-mc Ieſod, fondement. Sur le meſme prppos des prieresil dit encore que le calom
niateur bNnv Samaël ou Sathan aduerſaire du genre humain, qui eſt cauſe de defe
ctuoſité,& de repugnance,demeure à la partie gauche, & eſt ditnBxTſaphon ou muſ
ſé & couuert pourvne telle occaſion : car quand toutes les creatures demandent
quelque choſe du ſouuerain nºnN Ehieh,l'eſtant, ou celuy qui eſt, dont la numera
tion eſt nr2 Cheter couronne, la plus haute de toutes, qui eſt le monde de clemence
& miſericorde, alorsl'effect & accompliſſement de leurs requeſtes ſ'attire d'enhaut
ſoit que celuy qui prie ſoitiuſte, ſoit pecheur & indigne : mais comme ceſte grace
ou don qu'il demande de la ſouueraine clemence vient à paſſerparl'Aquilon, où eſt
caché en embuſcade ce guetteur de chemins, qui deſtourne toutes les petitions &
deſirs des perſonnes, alors ſes trouppes qui ſont en la partie d'Aquilon, ſe viennent
mettre au deuantdelarequeſte accordée là hault, & l'arreſtent tant qu'il ſoitiugé ſi
celuy quiaimpetré ceſte grace eſt digne qu'elle luy ſortinterinée, ou non. Que ſ'il
en eſt digne, ſon deſir luy eſt accomply, ſi indigne il demeure arreſté en ce lieu, ſans
que ſon octroypaſſe plus outre, ny qu'il retourne là haut. Car iamais la diuinité
n'oſte nynereuocque ce qu'elleavne fois octroié, mais le benefice ne paſſe pas pour
celaà celuyquil'aimpetré, parce qu'il n'en eſt pas trouué eſtre digne, & §
en reſerue là caché ainſi que dans vn magazin de dons & requeſtes accordées, en la
partie d'Aquilon, pour eſtre puis apres deſparties aux gens de bien. Parquoy les
Rabbins ont dit que qui ſe voudra enrichir ſe tranſporteau Septentrion. Là deſſus
bat ce que le Cöte de la Mirande tres-grand Cabaliſte met en ſa concluſion quaran
teſeptieſme. Qui ſciet proprietatem Aquilonu in Cabala, ſºietcur Sathan Chriſto promiſît
regnamundi,ſicadenseum adoraſſet.Toutes choſes dira quelqu'vn fortembroüillées&
# , ce qui eſt vray, mais auſſi ſont touslesabſtruz &eachez myſteres en quel
que religion que ce ſoit, autrementon ne les auroit pas ainſi appellez. Mais comme
les fondemens d'vnedifice ſont ordinairement cachez en terre,afin de pouuoireſle
uerferme deſſus ce qu'on veut manifeſter à laveuë,de meſme eſt-il de ces maximes
Cabaliſtiques, ſur leſquelles, eſloignées des communes conceptions du vulgaire,
.poſenttoutes les notions des trois ſciencesquiſe rapportentaux trois mondes, l'in
telligible, le celeſte,&elementaire comme nousauons ditailleurs, & meſmes au li
ure des chiffres : & ſans cela l'eſprit humain ne ſe ſçauroit pas eſleuerny eſtendre à la
cognoiſſance des choſes rares & ſingulieres qui le peuuent rendre admirable ſur
(
tous les autres en quelque profeſſion que ce ſoit. - - * ' ...

OR pourreuenirau propos intermis de lagenealogie de Mahomet, Iſmaël dont


il ſemaintenoiteſtrédeſcendu,ſevint (dient-ils) habituer à la Meke, où il ſe maria
à Alghadira fille d'Alierchamin Roy de la contrée, dontileut douze enfans, qui fu
renttous idolatres comme luy, & delà ſ'eſpandirenten diuerſes contrées. Mais le
ſecondnommé Caidardemeura en la Meke,yayât ſon pere Iſmaël deſiabaſtyla tour
ſuſditte, & letemple, que Mahometau ſecond & ſixieſme chapitre de l'Alchoran
dit auoir eſté le premier de tous autres. Etau quatrieſme que ce fut Abraham meſ
me quil'edifia : Caidar mit l'idole dedans la tour où il fut touſiours adoré depuis,
iuſqu'à ce que Mahometayant trouué le moyen de donner piedàſa doctrine,& pré
dre la Mekelaruina, mais la tour demeura en ſon entier,&yfont les pelerins leurs
deuotions comme ilſe diracy-apres enl'article desvœux & † Caidar fit
auſſiPlantervne pierre noire parle dehors vers l'endroit où eſtoit Pidole, affin que
- XX

446 Illuſtrations ſur
ceux qui entreroient dedans le temple ſceuſſentoùilleurfaudroits'addreſſer.Pour
le iourd'huy ceſte pierre, de tout temps appellée la bien-heureuſe, eſt encore fort
reuerée des Mahometans, qui ſ'y inclinent, & labaiſent d'vne fort grande humili
té, ſuiuant ce qui leur eſt ordonné par les traditions de la Zune : & au liure d'AEri
cole, au chapitre des ceremonies : que ceux qui entrent au temple de la Meke, la
premiere choſe qu'il leur conuient faire eſt de ſaluer ceſte pierre, & la baiſer au co
ſté droict, qui eſt le meſme qu'on ſouloit obſeruer au Paganiſme : mais les idoles
furent renuerſez & cſteints par Mahomet, lequel peu auparauant qu'il ſe mariaſt,
ceſte pierre ayanteſté remuée de ſa place pour r'habillerie ne ſçay quoy dans le tem
ple, luy & vn ſien couſin germain la poſerent ſur leursTulbans, & l'adorerent en
grande
meſme deuotion,
reſpect. & depuis encore qu'il fut receu pour Prophete il y continua le
- - -- • • • • •

e s . Av DE ME vRANT quant à la genealogie de Mahomet, ſes ſectateurs l'ont


N§ eſcripte de deux façons, l'vne en deſcendantd'Adam iuſqu'à luy, & l'autre en re
trogradant de luy à Adam. Celle-là eſt deduitte dedans le liure d'Azear,& au trai
cté de lanaiſſance & education de ce faux prophete : Ceſte cyen la Chronique Sar
razineſquc,ſurquoyily ainfinies fables & bourdes trop ridicules à racompter : &
entre autres que Dieu apresauoir crée Adam, luyimprima certaine reſplendiſſante
lueur en ſa face, pour vne marqué de la future naiſſance de Mahomet, ce qui eſt
emprunté des Talmudiſtes au Midras Tillim lagloſe des Pſeaumes leſquels dient là
deſſus ainſi. - - , . '

Que veut dire ce qui ſ eſcript en Daniel2. Et yaura vne lumiere auecques luy. Rºffond
Voyez les in-
certitudes des - > - " A »• - \ --- " - - - -

§ Rabbi Abba : c'ſt la lumiere du Roy Meſſiſe : & cela nous monſtre que delà Dieu la fiicf, & que
pour ſa generation ilauoit enferméceſſe lumiere deſoubs le throſhe de ſa gloire , ſurquoy Sa
than s'en vintpreſenterdeuant Dieu, & ditcecy : s E I G N E V R du monde, ceſ 'umiere
encloſe ainſi deſſoubs le throſne de ta gloire,pourquleſt-elle ?Dieu luy reſpond : pour la geaert
- tion du Mgſie. Sathan replique, Seigneurdumonde permets moydoncques de le tenter. Dieu
dit:Tuneſaurois auoir puiſſanceencontre luy. Sathan derechef octroye moy ſeulement cela,
& laiſemoy faire du reſte, cari'en viendray bien à bout. Dieu luydit lors : Si tu te ioiies à cela
ie t'exterminerayhors du monde : & de ceſte heure là Dieu commença à faire vn contract d'al
liance auec le Meſie. Ceſte lumiere doncques emprainte de Dieu en la face d'Adam,
auſſitoſt qu'il euſt engroſſé Eue de Seth, paſſa en elle, & puisaudit Seth apresqu'el
le l'eut enfanté, qui † à ce que dient les Mahometiſtes la tige & ſource de tous les
Prophetes & meſſagers de Dieu. Cela eſt pris de l'hereſie des Sethiens, qui veulent
tirer de Seth dontils ont pris leur appellation,l'origine de tous les Prophetes. Bien
eſt vray que les Rabbins mettent ſelon Moyſe Egyptien liure § chapitre 3I.
de ſon moré Neuochin , que l'eſtre des hommes ne commença bonnement qu'en
/ Seth, qui repreſente le Septenaire, & le Sabbath , comme nous l'auons dit ail
leurs : Car(dit-il) apres les ſept premiers iours de la creation, où toutes choſes furentfaicfes
en leur ſtat de perfection & beauté complette , rien ne fut changé de la nature. Au moyen
dequoy, ne vous eſmerueilleX pas de ces paroles, parce que iuſqu'au ſptieſme iour n'y eut
point de nature ferme & ſtable, qui ſe retrouue en l'abſence & priuation de lt lumiere. Et
de fait les tenebres ſont vne nature exiſtente en tout ce monde inferieur, & la lumiere eſt
vne choſe qui ſe renouuelle ſur iceluy , par leſquelles tenebres ſe doibt entendre le premier
feu , qui eſt l'vn des quatre elemens, ſuiuant cecy du quatrieſme & cinquiefme du Deute
^ ronome : V o vs Av E z o Y s Es PAR o LLE s Dv M 1 L i E v D v F Ev : E T sA
voIx DE L'o B s cv R 1T E. Eten Iob vingtieſme. Toute obſcuritéeſ#muſée en ſes ſe
crets,&c. Tellemët que beaucoup de choſesamenées de Mahomet,& ſes ſectateurs
ſemblent à quelques vnsauoir eſté dittes à lavollée, ce qui n'cſt pas,ains non ſans
de malicieuſes fignifiances, toutes tirées oula pluſpart des Talmudiſtes Et en ceſt
endroit le liure d'Azear enfile vne autrefable, que l'Ange Gabrielaccompagné de
6o.dixmille de ſes compaignons, chacun auecvnroulleau de papier blanc comme
nege,& vne plume de celles de Paradis pour eſcrire, vint pour mintiter lé contract
d'entre Dieu & Adä, touchāt la continuati6 de ceſte lulniere de Pere en fils iuſqu'à
º -- - - Mahomet,
-
- l'Hiſtoire de Calchondile. 4 47
Mahomets ce quifut ſigné dudit Gabriel, & ſeellé de ſon ſeau. De Sethelle paſſaà
Enos,& de luyà ſon fils Chainan, Etainſi de main en main ſubſequemment iuſqu'à
Abraham,auquel elle redoubla,dont vne portion vintà Iſmaël, & de luy à Chaidar,
dont deſcendit Mahomet : l'autre paſſa à Iſaac,qui eſt la ſouche de la generation du
CH R 1 s T. Mais toute ceſte fiction de lumiere a eſté forgée à l'imitation de ce que
les Cabaliſtes mettét, qu'apres qu'Adam pour ſa tranſgreſſion euſt eſté chaſſé §
radis terreſtre, Dieu pour le conſoler luy enuoya l'Ange Raziel qui luy fºtentendre,
comme de ſa propagation viendroità naiſtre vn iuſte innocent, dont le nom en ſes
miſeratiös ſeroit de quatre lettres, lequel repareroit ſon offéce, & expieroit le pcché
originel : ce qu'ayant communiqué à ſa femme,ſoudain ils dreſſerentvnautefoù ils
ſacrifierentvn ieune taureau, & là deſſus Eue deuenue groſſe ſe reſiouyt fort,eſti
mant que ce deburoit eſtre le reſtaurateur nommé, auquelils impoſerentàceſte oc
caſion vn nom de quatre lettres Cain, qui ſignifie poſſeſſion ou acquis : mais pour le
veoir de peruerſes mœurs & complexions ils transfererent leur eſperance à Abel,le
quelinformé de ceſte promeſſe ne recula point d'eſtre occis de la propre main de
ſon frere,l'ayant veu meſme prendre vn gros baſton pour l'aſſommer, eſtimant que
ce deburoit eſtre le bois de vie , qui tout ainſi qu'il auoit introduit le peché & la
mort, ſeroit cauſe de la iuſtification & de la vie. Delà puis apres ceſte eſperan
1 --
- º , ce paſſa à Seth , & de luy à ſes deſcendans, ſelon qu'il a eſté dit cy-deſſus de ce
-*
----
ſte lumiere. · · · .
Av R EsT E Mahomet naſquit en Retrib, ſon pere eſtantja decedé ſix ou ſept
moisauparauant, le douzieſmeiour du mois de Sahaben, qui reſpondoit lors à no
ſtre Feburier, enuiron l'an de ſalut, cinq cens cinquante.comme nous le monſtre
rons cy-apres : Tout eſtant s'en deſſus deſſoubs en trouble & combuſtion, & guer
res mortelles par tous les endroits de la terre, au rebours de la natiuité de noſtre
SA vv E vR qui aduint ſoubs vne paixvniuerfèlle, le temple de Ianus ayanteſté fer
mé à Rome par Ceſar-Auguſte : ſa mere Emina ne luy ſurueſcut depuis que deux
ans. De ceſtenaiſſance ſe voyent des comptes trop inſupportables dedans le liure
d'Azear & ailleurs : qu'il ſortit du ventre de ſa mere tout circoncis : & au meſmein
ſtanttoutes les idoles de la terre ſe noircirent comme poix, & ſe renuerſerent, que
les Anges ſur ces entrefaictes ſaiſirent Lucifer au collet, & le precipiterentau fonds
de la mer Alcazun, d'où quarante iours apres à toute peine ayant trouué le moyen
d'euader, il ſ'enfuitau mont Kobels, là où auec horrible eſclat & mugiſſement ilap
pella tous ſes ſatellites à ſon ſecours : & comme eſperdus de frayeur qu'ils eſtoient
ils l'euſſent enquis de ce quil'eſmouuoitainſi, par ce,leurva-il reſpondre, que Ma
homet le fils d'Abdalla eſt nay, produit de Dieu, & enuoyé auec vn glaiue flam
boyant, dont le trenchantaceré penetrera toute reſiſtance, à noſtre entiere confu
ſion & ruine certes, ſi que rien ne nous reſtera plus au monde, ny endroit quelcon
ue où ſa doctrine ne paruienne del'vnité d'vn ſeul Dieu, lequela creé toutes cho
† : & par ce moyen oſtera l'opinion qu'ilaye aucun coégal ny participant auec luy.
Auecinfinies autres telles reſueries. Comme d'vniouuenceau veſtu de blanc, qui
luyvint apportertrois clefsayansvn luſtre de perles orientales, l'vne de prophetie,
l'autre des loix,& la troiſieſme de victoire,leſquelles au ſortir du ventre de ſa mere il
prit en ſes mains, comme pour apprehender la poſſeſſion de toutes ces choſes. Plus
que les oiſeaux,les vents,& les nuées eurentvn fort grand debat &diſpute enſemble
pour ſa nourriture,les oiſeauxalleguans d'eſtre plus propres à cela, pource qu'ils luy
pourroientaiſéement apportertoutesſortes de fruits,de tous les endroits de la terre; -

lesvents,qu'ils le répliroient d'odeurs tres-ſuaues & aromatiques,qui le garderoient


de corruptiö:les nuées,qu'elles l'abreuueroiét des meilleures eaux.Surquoy les An
gess'eſtäsdeſpitez,vnevoix fut ouye du ciel,qu'on en laiſſaſtfaire aux perſonnes : &
quant & quant Dieu commit la charge de l'eſleuer à Halima fille de Ducibazadi, du
. rapport de laquelle depend tout le cötexte & teneur de ce liure là,qui n'eſt de moin
dre authorité enuers eux que l'Alchoran propre. Là il eſt narré de plus , qu'e
ſtant paruenu à l'aage de quatre ou cinq ans, vn iour qu'il ſ'eſbattoit auec ſes
- ' - _ - . · - | XX ij
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448 Illuſtrations ſur


compagnons en certains paccages, ſuruindrent troisieunes hommesàl'impourueu
qui le rauirent du milieu d'eux tous, & l'enleuerent ſur le couppeau d'vne montai
e proche de là, où l'vn luy ouurit auec vn raſoir tout l'eſtomach & le ventre iuſ
qu'au nombril,& luy laua ſes entraillesauec de la neige le ſecond luyfendit le cœur
en deux parts,& du milieu d'iceluy en oſtavngrain noir,qu'ilietta au loin,en diſant
Ceſte-cy eſt la portion du diable,le troiſieſme luy nettoya la playe, & la reconſolida
comme auparauant. Toute laquelle fictiö a eſté auſſi empruntée d'vne allegorie des
Cabaliſtes,qui appellent ceſte goutte noire,de laquelle le diable tente les perſonnes
IeKzerharas , ou nrnno nbn Miphah Seruchab goutte puante : les Theologiens la
pnrinx»
prennent pour la concupiſcence, ou le peché originel, que les Mahometiſtes tien
nent eſtre en toutes perſonnes fors en IEsvs-CHRIST,& la VIERGE MARIE,que l'Al
choran meſme dit auoir eſté exempts dudit peché originel.Cela fait ils le mirent en
l'vn des baſſins d'vne grande balance,& en l'autre dix robuſtes hommes,& de grand
corſage, leſquels il emporta de poix, dontils ſe prindrent lors à dire, laiſſons deſor
mais ceſt enfant,car vninnumerable nombre de perſonnes ne le ſçauroient contre
peſer : & l'ayant baiſé au chef,&au front ſe retirerent, & diſparurent.
OR tout ce compte de la nourriture de Mahomet par ceſte Halima quifut ad
monneſtée de le nourrir ſoigneuſement a eſté comme moullé ſur vn autre de ſem
blable farine preſque, inſeré dans le Bereſith Rabba, la grande gloſe de Geneſe,ſur ce
lieu du 3o. chap. vers la fin. Il aduint que les brebis en leurchaleurde côceuoir regardoient
les gaulles & baguettes,&c. où Rabbi Samuel dit cecy. Feu de tres-heureuſe memoire le
bon pere Elie en allantvn iour par pays, celuy-là meſme que lamaiſon du Sainctuaire fut rui
née, iloit vne voix du ciel s'eſcriant, la ſacre-ſaincfe maiſon du Sainctuaire s'en va à deſtru
ction, dont Elie eſtima que tout le monde deuſt perir. Parquoy il paſſa outre, & trouua les en
fans des hommes labourans la terre, & l'enſemenfans,auſquels ildit : Dieu le ſainčt, le benit
eſt irrité contre ſon peuple, & veut deſtruire ſa maiſon, & reduireencaptiuitéſes enfans ſous
la ſeruitude des idolatres, & cependant vous vous ſouciez de ceſte vie temporelle : Mais là deſ
ſusvintderecheflameſmevoix qui luy dit, laiſſe les faire, cardeſia eſt nayle Sauueurd'Iſraël.
Elie demande, & où eſt-il?En Bethlehem de Iuda, reſpond la voix. Il s'y en alla, & trouua
vne femme aſſiſe ſurleſueilde ſon huis, & vn ſien fils tout enſanglantégiſanteſtendu deuant
elle, à quiildit,ma fileas-tu donc enfantévn fils ?ouydit-elle. Et que veutdire cela (redou
bla-il) qu'ileſtainſienſanglanté?Elle reſpond Ileſt aduenuvn grandmal, carle propre iour
qu'ila eſténélamaiſon du Sainčtuaire a eſté deſtruitte. Elle dit, ma fille ne t'eſmaye point,
ſois ſeulement ſoigneuſe de le nourrir, car de ſa main prouiendra vn treſ grand ſalut à
tout Iſraël Dequoy ſoudain reconfortée elle ſemità le curieuſement eſleuer. Et là deſſus Elie
la laiſſe & s'en va. Cinqans apres ils'en reſouuint & dit en ſoy-meſme: Ie retourneray pour
veoirſîle Sauueurd'Iſraéleſtnourry à la façon que ſontles Roys, ou à la mode des Anges deſti
mez au ſeruice & miniſtere de Dieu. Parquoy il s'en alladerechef vers ceſte femme qu'il trou
ua debout à ſa porte, oùilluydemande : & bien ma fillecommeſe porte ceſt enfant ? Elle reſ
ponds Noſtre maiſtre ne t'auoi-ie pas bien dit que c'eſtoit mal fait que de le nourrir, parce
queleiourqu'il fut mélamaiſon du Sainčtuaire a eſté deſtruitte. Mais ce n'eſt pas tout, il a
des pieds & ne marchepoint, des yeux, & neveoit goutte, des oreilles & n'oit rien, vne bou
che, & ne parle pas : & voy le là giſant ſans ſe remuer non plus qu'vne pierre. or comme
Elie deuiſoitencore auecelle, voicyque les vents vont ſoufflerdeſſusluy de tous les quatrecoings
de la terre, & l'emporterentàvne grandemer, dont Elie ſe prit à deſchirerſes accouſtremens,
& à s'arracherles cheueux & la barbe auecde grandes exclamations en diſant: Helas le ſalut
- d'Iſraèleſt perdu. Mais la fille de la voix, c'eſt à dire,lareuelation ſuruintlà deſſus, qui luy
dit, la choſe me va pas ainſi que tu dis ô Elie, carildemeurera par quatre cens ans en la gran
demer, & quatre vingts en lamontée de la fumée chex les enfans de Choré: & autantàlapor
fº# Rome & lereſte desans ilretournera ſurtoutes lesgrandes citez, iuſques à la fin du temps
07Z/6/7/ºë.

Tovr cecy eſt de motàmot contenu au lieu allegué : & l'auonsbien voulu ame
nericypour monſtrerl'affinité qu'ont les fables du Mahometiſme,auec les comptes
de lacicoigne des Talmudiſtes,& des Rabbins.
· MA H o M E r
l'Hiſtoire de Calchondile. 449
[ MAHoMET fut depuis acheué de nourrir chez ſon grand pere Abdalmutalifiuſ
ques à l'aage de huict ans, ſoubs la ſecrete aſſiſtance & protection des Seraphins
(pourſuit ceſtementeuſe reſuerie d'Azear) & conſequemment ſoubs celle de l'An
ge Gabriel par 29.ans; qui durant ce temps luy enſeigna & dicta l'Alchoran, qu'il
tint encore ſecret & caché à par luy ſans en rien publier par trois ans. mais en l'aage
de quinze il fut commis à la conduicte des chameaux d'vne ſienne riche parente
Arabeſque nommée Cadiga, fille de Hulert, & dame de la contrée de Corozonie : &
par ce moyen allant & venant ordinairementen Babylone, Surie,& Egypte, luy qui
eſtoitd'vn eſprit cault, ſubtil & malicieux, trouua moyen de ſ'informer de pluſieurs
choſes de la ſoy Iudaique, & Chreſtienne, mais de ſuperſtitions, vanitez, & here
, ſies tant ſeulement; de maniere que ceſte dame le voyant par ſucceſſion de temps
aſſiſté d'vn grand nombre de Iuifs, & Chreſtiens,& de Sarrazins idolatres pour lors,
comme elle eſtoit auſſi de ſapart, adiouſtafoy à ce qu'il luy donnoit faux entendre
d'eſtre le vray Meſſie promis aux Iuifs,lequel deuoit eſtre Monarque de toute la ter
re,& l'eſpouſa en fin aagé de vingtcinq ans,apres la mort de ſon mary,auquel il trou
ua moyen d'aduancer ſes iours par poiſon. Il en eut trois filles en tout, & vn fils; la
premiere nommée Fatima, l'autre Zeyneb, & la troiſieſme Vmicultum : & le fils Cazin,
qui deceda en l'aage de 22. ans. Parle moyen de ce mariage ſ'eſtant accreu de facul
tez, & deuenuriche & puiſſant; il commença d'exercer, non le traficq comme au
precedent, ains les brigandages,accompaignéd'vne trouppe de bandolliers & guet
teurs de chemins : & tantoſt donner ſur les paſſans. & les Carauanes malapparen
tez, tantoſtcourir, piller, & ſaccager les contrées circonuoiſines, & monſtrer d'a
ſpirer à la tyrannique domination des ſiens propres : ce qu'il continuaiuſqu'à l'aage
de 38. ans. mais ne ſe voyant pas encore aſſez ſuffiſant pouryprocederà force ou
uerte, il prit le pretexte de Prophete enuoyé de Dieu por les retirer de l'idolatrie, &
les reduire à la vraye religion & cognoiſſance d'vn ſeul Dieu. -

OR eſtoit-il ſur ces entrefaictes grandement affligé du haut mal dont il tomboit
de fois àautre : pourraiſon dequoyſafemme le voulant laiſſer, il l'engeolla que ce
laprocedoit de boire du vin,ſique de là en-auant il ſ'en abſtint du tout. mais pour
tout cela le mal ne ſ'allegeant point, il va controuuer que c'eſtoit l'Ange Gabriel,
lequelquand il levenoitviſiter,luy rauiſſoitainſi tous ſes ſentimens envne profon
de ecſtaſe; & au ſortir de ſon accez auoit de couſtume de prononcer touſiours ces
mots icy, qui paſſerent depuis pourvn préambulle de tous les Soraths & chapitres de
ſon Alchoran : Biſmi lahi rachmain rachimi: Aunom de Dieumiſericordieux & propice : A
quoy il enfiloit quelques lieux communs par luy deſia premeditez, cóme ſ'illes euſt
receu toutàl'heure par l'inſpiration de l'Ange. Etainſi peu à peu pareſchâtillons &
menus fragmés deſcouſus futbaſtie ſa loy toute en rithme Arabeſque, dont les vers
ſont plus longs beaucouples vns que les autres:ce qui eſt cömun auſſiaux Poëſies de
toutes lâgues : & compila la pluſpart de ce beau chef-d'eeuure en l'eſpace de dix ans
à la Meke : d'où ayanteſté contraint de deſloger ſans trompette, & gaigner le haut,
il paracheuale reſte en Almedine en 13.ans qu'il y demeura iuſques à ſa mort : car
tant qu'ilveſcutily repetaſſatouſiours quelque choſe. Et de là vient que quelques
vns de ſes Soraths ſont dits les Mekiya, & lesautres Medinya. Toutesfois il dict auoir
receu toute ſa loyen vn ſeul iour; & en vn autre endroit, envn moys : & que ce n'eſt
pasvn ouurage d'homme,ains de Dieu propre : car toutes les creatures qui furent
oncques, ne qui ſeront, n'en ſçauroient iamais compoſer vn tel. A cela au reſte il
fut premierementaſſiſté de deuxfourbiſſeurs Chreſtiens faiſeurs d'eſpées, eſclaues
d'vn citadin de la Mekeoùils trauailloient de leur meſtier, qui luy cömuniquoient
ce qui leur pouuoitvenir en memoire de noſtre Eſcriture : & cela eſt cauſe qu'il ya
tant de falſifications & contrarietez en ſon faict : pour n'auoir eſté ces gens là point
lettrés, nyeu lors aucunsliuresauecqueseux ſurquoyils ſe peuſſent reigler. mais il
tirabien puis-apres plus de ſecours d'vn Moine § appellé Sergius, lequel
ſ'en eſtoitfuy de Conſtantinople ences marches là pour raiſon de ſon hereſie : & de
- là vintqueles Neſtoriés ſontapprouuez de Mahomet pourles meilleurs & plus purs
- - XX iij
45O , Illuſtrations ſur
Chreſtiens de tous autres,pour ce qu'ils ne vouloiétadmettre la Diuinité en Iesvs
CHR 1 s T, qui eſt tout ce à quoyil tend principallement en ſon Alchoran : lequel
auſſin'eſt autre choſe qu'vne rapſodie des eſcritures anciennes, mais deprauées &
corrompuës de leur naïfue verité. Mahomet donquestint bien longuement ce Ser
gius caché en vne cauerne pres de la Meke, dicte en Arabicq Garhera, la cauerne de
Hera, où il l'alloit voir de fois à autre, tant qu'vn iour ilyfut deſcouuert & ſurpris
par ſon petit fils Hali, qui fut depuis le quatrieſme de ſes ſucceſſeurs, auquel il fit
iurer qu'il ne le reueleroit iamais à persöne. Le liure d'Azear porte que c'eftoit pour
y faire desabſtinences fort auſteres, & des prieres au vray Dieu du ciel : Surquoyil
entroit lapluſpart du temps en ecſtaſe & rauiſſement d'eſprit, tant à l'occaſion (dit
il) de ſesieuſnes, que de ſes profondes meditations, & del'effroy que luy cauſoitde
pleine arriuée la ſplendeur § l'Ange Gabriel, dontil n'eſtoit capable de ſupporter
eſtant en ſes ſens entiers, la viſion; comme eſt l'ordinaire de l'apparition des bons
eſprits, qui de prime face eſt horrible & eſpouuentable, & puis conſole & reſiouiſt
au departir. Mais tout cela proccdoit de ſa maladie qui l'auoit rendu preſque com
me hebeté, ſi qu'on le reputoit pour vn Meginum, c'eſt à dire idiot ouinſenſé, ſelon
que luy meſme le teſmoigne en ſon Alchoran. En-apres feſtant accoſté des Iuifs
de la Meke,leurs traditions luy ſemblerent plus à propos pour les fins où il preten
doit, que nompas le Chriſtianiſme, contre lequel ils l'armerententant qu'ils peu
rent : auſſi voit-onbien qu'il leur incline en la plus grand'part de ſa loy, & ceremo
nies, combien qu'il les peruertiſſe & altere : cöme de la circonciſion,& de leurs fre
quentes ablutions, de ne manger point de chair de pourceau, ny de ſang, ny de be
ſte eſtouffée, ouatteinte des loups, & des chiens; ny de ce qui auroit eſté offertaux
idoles, & ſemblables ſuperſtitions. Ce qui le rendit aggreableaux Iuifs, & fut cau
Azoares 2. 6.
12. I6.
ſe de luy faire eſpouſer des Iuifues fortriches, des moyens deſquelles il ſ'aidabien
fortenſes entrepriſes. Et pour autant qu'il ne ſçauoit pas eſcrire, & peut eſtre àgrâd
peine lire,illuy dönerent des plusdoctes& ſuffisås d'entr'eux pour recueillir ce qu'il
dicteroit; & y changer, adiouſter, diminuer, retrancher; ce qui pouuoit faire pour
ou contre leur party. Le premier deſquels futvn Abdalla Ben Sallem, qui luy ſeruit
de ſecretaire bien ſept ans, luy reformant & corrigeant ſes rithmes à tous propos,
eſparſes ſans aucun ordre ne methode, & appliquéesà des lieux communs ſelon la
premiere occaſion & obiect qui ſe preſentoit à ſa fantaiſie , dont ceſtuy-cyen ayant
amaſſé la pluſpart : Quand il vit le but où il aſpiroit, de renuerſeraſſauoirauſſi bien
la loy Iudaïque que la Chreſtienne, & en forger vne neutre toute nouuelle entre
les deux; il ſe departit d'auec luy; & fut cauſe qu'à ſon exemple vn bon nombre de
Iuifs ſe reuolterent : mais il trouua moyen de le repatrier, & pour recompenſe de ſes
ſeruices le fitvne nuict eſtrangler dans ſon lict,& puis flamber,afin qu'on creuſt que
le feu du ciel l'auoitars pourraiſon de ſon impieté & blaſpheme enuers le Prophete
Il eut encore pour coadiuteurs de ſes eſcritures pluſieurs autres Iuifs; & meſme
Nehaban, fils de Mahanias, & Chabin, les deux principaux de leur Synagogue : auſ
quels il fit ſemblabletraictement à la fin : ce qui fut cauſe que les Iuifs le quitterent
du tout, & retournerent à leur premiere traditiue. " . *

OR ayant atteintl'aage de 4o.ans, qui fut le cinquieſme de la compilation de ſa


loy, il ſ'eſtoit deſiaacquis grandcredit, & du pouuoir aucunement, car il ſe mit par
meſme moyen à donner liberté aux eſclaues Iuifs, & Chreſtiens qui ſe vouloient
faire Muſulmans, c'eſt à dire fideles Mahometiſtes, & à cómettre tout plein d'autres
tels actes ſeditieux, comméçant deſlors à proceder de force ouuerte pour faire rece
uoir ſa loy : & là deſſus ſeioignirentà ſon party Ebochare le plus puiſſant perſonnage
de la Meke, qui luy donna ſa fille Axa en mariage, encore qu'elle n'euſt que huict
ans : mais nonobſtant cela il ne laiſſatout incontinent de coucherauec elle : Ceſte
cy fut la plus fauorite & authoriſée de toutes ſes femmes, & l'vn des principaux
moyens de la promulgation de ſa loy, comme il ſe dira cy-apres. Homar ſe rengea
pareillementauecluy, grand homme auſſi; duquel il eſpouſa la fille nommée Ha
iezan : Puis HaniXaus, Alabez, Haly, & Zeid, auec tout plein d'autres qui voulurent
CXC1UCI
A
-

l'Hiſtoire de Chalcondile. * 5I
excitervne ſedition à la Meke, mais ils ne furent pas les ,lus forts, & yeuſleſtémeſ
, me tué Mahomet, ſil'on ne l'euſt tenu pour fol. · •
, LEs cHosE s demeurerent ainſi par dix ou douze ans, durant leſquels par les
- menus ſe publioittouſioursie ne ſçay quoy de ſa doctrine, neaumoins de bouche tät
- ſeulement, ou par petits fragments & eſchantillons, dont de main en main l'on ſ'en
, tredonnoit des copies, l'original demeurant ſerré en pluſieurs coffrets ſoubs lagar
de de ſept perſonnages par luy deputez à cela; à la meſure qu'il compoſoit, & met
toit dehors ſes Soraths chants ou chapitres, ſelon les occaſions qui luy ſuruenoient.
- | Et deſlors vn peu apres ſon dechaſſement de la Meke,d'où ils commencent à cópter
> • ^. - N - N - - - -

, leursannees; & qu'il ſe retira à Medine, & à Echeſep, vne petite ville prochaine, il L'Hegire,
º , prit tout appertement le nom de Prophete &de meſſagier de Dieu, ſoy diſanteſtre
- le ſceau d'iceux Prophetes , c'eſt à dire tout le dernier, & le parfaict accompliſſe
, ment,d'autant qu'apres luyil n'en viendroit plus.Toutesfois Iean Leon conuerty du
-- Mahometiſme à la foy Chreſtienne du temps du Pape Leon X. en ſon ſecond liure
: de la deſcription de l'Afrique, dit qu'en la ville de Meſſa, ilya vn temple ſur le bord
, de la mer fortreueré de tous les Mores, parce qu'ils tiennent communément que
- de là doit ſortir le iuſte Pontife & Prophete promis par Mahomet : ce qui contre
" . dit à ce que deſſus. | , - -

#s A 1N s 1 parl'eſpace de dix ans iuſques à ſa mort quifutl'an 63.de ſon aage,allant &
s venant de coſté & d'autre, il eſpancha le venin de ſa faulſe doctrine, accompaigné ·
pour le commencement de quelques ſoixante brigands, auec leſquels il voulut
faire derechef vn effort ſur la Meke, mais ils en furent repoulſez, & luy contraint
ſ.i de ſe retirer en Ieſrab autrement Yetrib, où il acheua le reſte de ſa loy, & ſes iours
#z par meſme moyen : Parquoy ceſte ville prit lors le nom de Medinah al Nabi, la cité
-- du Prophete, qu'elle garde encore pour leiourd'huy : mais en fin ils prindrent la
# · Meke. Il mourut au reſte d'vne pleureſie audict Medine, où il fut enterré par ſes
:: * Saipler, ou diſciples, dedans le temple à la main droicte de l'autel, en vne petite tour
::: relle; & n'eſt pas ſa ſepulture de fer ſuſpenduë en l'air par le moyen de la pierre d'ai
#r mant, dont le paué, les voultes & parois du temple ſoient faictes à ce qu'ont voulu
# ſonger quelques vns, ains dans terre ſans aucune magnificence ;neaumoins les Ma
#. · hometiſtesy vont tous les ans en pellerinage, pour y faire leurs offrandes & deuo
# tions, comme il ſe dira en ſon lieu. · · · · - - - -

- DE LA NAT I v 1 T E de Mahometilya diuerſité d'opinions quantau temps, & La natiuité de


# meſme entre ceux de ſaloy & creance; car meſmevn Alfaqui de Sciatiuia en Eſpai-Mahomet.
: gne, conuerty depuis à la foy Chreſtienne, la met en l'an de ſalut 62o. c'eſt celuy -

# qui la haulſe & retarde le plus; & le deſſuſdit Iean Leon auſſi, pour autant qu'ilad
|. iouſte l'an de l'Hegire dont nous parlerös cy-apres, àl'an de ſalut 591. toutefois c'eſt
593 & il eſchet enl'an 52.ou 53. de la vie de Mahomet. Palmerius, & Functiusapres
,: luy , Nicolas Zeno, & pluſieurs autres enuiron l'an 6oo.Volgand Dreſler en ſon
Chronologicq Sarrazineſque,en l'an 567 & la confection de l'Alchoran vers le 623.
y ayant cinquante ſept ans de diſtance de l'vnàl'autre, & neaumoins il met ſonde
cez en l'an 4o. de ſonaage. Celius Auguſtinus Curio en lameſnie hiſtoire, en l'an
56o. & ſa mort en l'an 637.aprcsauoir regné dix ans : ce qui eſt bien vrºy, mais à ſon
compte il auroitveſcu 77.ans, ce † eſt faux, & n'ayantbien ſceu faire ſon calcul,
il dit quel'an 1567.lors qu'il compoſoit ſon Alchoran, couroitl'an 9oo. du premier
eſtabliſſement de l'Empire Sarrazineſque, ſi qu'ilaupit ſeulement cômencé en l'an
667. trente ans apres la mort de ce ſeducteur : là où tous les Mahometiſtes comptét
tous vnaniment leurs ans de l'Hegire deſlors que Mahomet auec ſes complices fut
contraint de ſ'enfuyr de la Meke dix ans auant qu'il decedaſt.Et de faict encore que
*- ce mot d'Hegirah en Arabe ſignifie fuitte ou retraicte,neaumoins ils en vſent auſſi
3 en quelques endroits pour cela que nousappellons Regne, aſſauoir le téps que cha
que Prince acommandé : comme en la Chronique de Mahomet, & de ſept de ſes
ſucceſſeurs, en laverſion Latine ilya ainſi , Illius Alhigeram ideſ regnum, integrède
: cenne ſºatium menſum eſt. Et au chapitre enſuiuant où il parle d'Eubocare : Anno ſue
- - è

4.52 Illuſtrations ſur


Alhigere cuntribus »ºmiale tredecim diebus eſt priuatus vita.Voila que c'eſt des Au
-

-
theurs nonchallans & oiſifs : Parquoyil faut eſſayer d'adiuſter cecyle mieux qu'on
pourra, pour autant que ces varietez de dattes peuuentamenervne bien grandeta
re & confuſion en l'hiſtoire qui en depend.
To vs les Mahometiſtes doncques commencent à compter leurs années de ce
ſte Hegire ou retraicte, toutainſi que nous autres Chreſtiens faiſons de la Natiuité
de noſtre SAv v E v R; & les Eſpaignols anciennement ſouloient faire de Liera de
Nabonaſſar; & depuis de celle d'Auguſte,celle là748 ans,& ceſte-cy38.deuant IE
sv s CHR 1 s T : Ce qu'ils continuerent iuſques au temps du Roy Iean premier de
ce nom l'an de ſalut1372. qu'ils ſe mirent à compter comme tout le reſte de la Chre
ſtienté.Au demeurant ceſte Hegyre ou fuitte aduint la nuict enſuiuant le 15. iour
de Iuillet, l'an 53. de l'aage de leur Legiſlateur, & 593. de noſtre ſalut ſelon la plus
commune opinion:Tellement qu'à ce compte il faudroit de neceſſité qu'ileuſt eſté
nay l'an 54o. & ce au mois de Decembre, auquel reſpondoit alors leur Sahaben, &
mourut l'an 6o3.en celuy de Dulchegia ou Almuharan, qui ſe rencontre en la Lune
de Mars : Carl'année Arabeſque dont vſent tous les Mahometiſtes,Turcs, Perſes,
& Mores : & leurs mois auſſi deambulatoires & vagabonds, ſont d'vne autre façon
que les noſtres, quivont ſelon lareuolution du Soleilés douze ſignes du Zodiaque,
L'an & lesmois qu'il parcourt en 365.iours & ſix heures, moins douze ou treize minutes; là où leur
des Mahome année eſt de douze lunaiſons ſeulement, dont ils en conſtituent les ſix du nombre
tans.
impair, de trente iours, & les ſix autres du nombre pair de vingt neuf: qui font en
tout 354. ioursauec huict heures, & quarante huict minutes de plus : par ce que
chaque Lune contient 29. iours, douze heures, & 44. minutes : lequel ſuccez de
huict heures & quarante huict minutes, les a contraints de faire vn cycle de trente
ans, auquelils intercalét & enchaſſent en onze années d'iceluyou ceſte creuë ſe ren
contre d'outre-paſſer 24.heures,vniour de plus aux 354. à ſçauoirà commencer à
la 3o. & finir à la 29. où toute la reuolution ſe trouue accomplie ſans vne ſeule mi
nute de reſte, la 2.5.8.1o. 13.16.19.21.24.27. & 29. & en cela i'ay ſuiuy la pluſpart
de ceux quienonteſcrit.Que ſion vouloit commencer à la premiere année, la meſ
me reuolution ſe trouueroitaccomplie en la 3o. & ſeroient ces annees d'vne autre
ſorte; à ſçauoir 3.6.9.II.14.17.2o.22.23.28 & 3o. Toutes neaumoins auſſi bien
que les deſſuſdites de 355.iours, & les autres 19. de 354.ſeulement. Car multipliez
leſdites huict heures par les trente ans du cycle, vous aurez 24o. heures, qui de- .
parties pat vingtquatre, autant qu'il y en a en vn iour naturel,feront dixiours, mul
tipliez pareillement les 48.minutes par 3o. ce ſeront 144o. minutes; partez les par
6o. carily en a autant en vne heure, ce ſeront vingtquatre heures, ou vn iour; qui
adiouſté aux dixautres ce ſerontonze. Voila pour le regard de ce parenſus des huict
heures ſuſdites, & 48.minutes chacunan, outre les354.iours de l'année Arabeſque
auſquels ils ontaduiſé d'intercaller le Reſultat en la ſorte ſuſdite, afin de faire reue
nir le commencement de leurs mois aux nouuelles Lunes ainſi que ceux des He
brieux : ce quine ſe pourroit autrement, ains iroit le tout en confuſion ſ'ils n'inter
calloient ces menus fragmens mis enſemble. Reſte maintenant l'autre tare des on
ze iours & ſin heures, moins douze minutes, dont l'an ſolaire ſurpaſſe leſdicts 354;
iours : car les huict heures 48. minutes dont les douze lunaiſons excedent les 354.
iours, ont eſté employées ésintercallations deſſuſdictes. Ce ſurcrez doncques faict
que trente deuxans ſolaires equipollent à peu prestrente troisans lunaires Arabeſ
ques, il ſ'en peut faillir de cinqà ſix iours; car de cuider eſtablir aucune iniuſte pe
riode de l'an des Arabes commun qu'il n'yait touſiours quelques menus fragments
& parcelles de reſte, il n'eſt poſſible. Cela ſe peut verifier groſſierement en ceſtefa
çon. multipliez les trois ſoixante cinqiours de l'an ſolaire par trente deux, vous au
rez II68o.iours, adiouſtezy huict autresiours parles32. fois ſix heures, par ce que
quatre fois ſix heures fontvn iour naturel,& quatre fois huict trente deux, ce ſeront
en tout 11688.iours, pour leſdits 32.ans ſolaires, moins quelques ſix heures 24.mi
nutes pour les douze minutes qui manquentauſdites ſix heures, outre les †
CIldCUlIl
l'Hiſtoire de Chalcondile. . 453
#. chacun an, car 12 fois32.font384 minutes,leſquellespartiespar 6o.autant qu'ily
# enaen vne heure font ſix heures 24 minutes, qu'il en faut defalguer. D'autre part
#: - multipliez354.iours del'an lunaire par 33.ce ſeront 11682.iours, qui ne diferent que
de ſix des autres,adiouſtez y les onzes iours d'intercalation, ce ſera le compte deſ
ſuſdit,que32.ans ſolaires equipolentà 33 ans lunaires, moins cinqiours ſix heures,
& 24.minutes.Plus facilément encore vous le pourrez trouuer par ceſte autre voye:
multipliez les onze iours dont l'an ſolaire aduance le lunaire, par 32. ce ſeront 352:
iours : adiouſtez les8. iours pour les 6. heures, vousaurez36o.iours, qui font vn an
lunaire,& ſixiours de plus; leſquels diſtraicts des onze de l'intercalatiö,reſteront les
cinqauectant d'heures & de minutes deſſuſdites. Carau ſurplus les 8. heures, 48.
· minutes qui ſont és douze lunaiſons outre les 354.iours, ſont compriſes & comptées
és onzeiours de l'intercalation &adiouſtement Chaque année dôques de plus qu'il
fautadiouſter en chaque reuolution de 32 ans Arabeſques,eſt cauſe qu'en ce terme
là tous leurs mois auront fait leur reuolution & circuit,& ſe ſeront promenez par les
12.mois de l'année ſolaire;de maniere que où l'vn des leurs conmécera ceſte annee,
d'icy à32.ans ſolaircs des noſtres,ou33. des leurs, il recömencera à la nouuelle Lune
du meſme mois, par ce que le cycle deſſuſdit de 3o. ans où ils enchaſſent les II.iours
prouenans de 8.heures 48. minutes du parenſus des35.iours, ſera parfaict & accom
ply : ce qui eſt cauſe d'adiuſter le commencement de leurs mois aux Neomenies ou
nouuelles Lunes: & cela ſert entre autres choſes pour eſtablir la celebration de leurs
Bahirans, qui leur ſont comme à nous nos Paſques,aubout d'vne maniere deCarcſ
me, mais d'autre ſorte que n'eſt le noſtre, & nosieuſnes,comme il ſera dit cy-apres :
" O R l'an de ſalut622.& de l'Hegyre 29.laquelle aduintl'an 593 la Huict du 15.au 16.
iour de Iuillet,en la6.ferie qui eſt leVendredy tenu des Mahometans pour ceſte oc
#
caſion au meſme reſpect qu'enucrs les Iuifs eſt le Sabbat, & à nous le Dimanche, le
:
15. du cycle ſolaire, courant pour la lettre Dominicale C. & 19. pour le nombre d'or;
en la nouuelle Lune dudit mois,commençal'ordre de l'anChaldaïque à ſe peruertir
& changer, iuſqu'à lors obſerué parles Hagareens dits ainſi d'Hagar chambriere de
# Sarra femme d'Abraham, qui en eut Iſmael, tige deſdits Hagareens autrement ap2
:
pellez Sarrazins, mais nompas de ladite Sarra cóme on preſuppoſe, car eux meſmes
n ,
l'aduoüent de ceſte ſorte, & ſe glorifient d'eſtrevenus de Chaidar fils d'Iſmaelnay
d'Hagar,14ans deuant Iſaac,& ce pour lesgrandes benedictions qui luyfurent pro
miſes de Dieu és 16. & 17. de Geneſe. mais là deſſus il faut entendre que les enfans
d'Abraham ſont doubles,l'vn de la chairainſi qu'Iſmaël,& ſes deſcendans;& l'autre
de la foy, aſſauoir Iſaac, & ſes hoirs,auſquels eſt promisl'heritage celeſte ch. 15.Con
tiplemaintenantleciel, & compte les ſtoilesſîtu lepuis faire teleſera ta lignee Carle ciel &
# les eſtoilles denotent la partie intellectuelle de l'homme: comme il eſt encore dere
chefexprimé au 22.en ces mots cy, Ie multipliraytes deſcendans comme les eſtvilles du ciel
(qui eſt la lignée d'Iſaac, deſignce par les éſtoilles) & commeleſable qui ſºſhrle riuage
delamer les hoirs aſſauoir d'Iſmael, par ce que le ſable eſt vne choſe terreſtre, peſan
te,& infructueuſe: qui ſymboliſe à la chair & au corps,doat les fruicts ne ſont en au
cun compte & reſpect deuant Dieu.Et cela fait dauantage alluſió du haut au bas, &
du grandau petit, d'autant que chaque eſtoille eſt grande à pair preſque de toute la
terre & lamer,lesaucunesplus làoùlesgrains de ſableſontl'vne des pl°petitespaf
celles qui ſ'y retrouuét.Cecy eſtvnemarque&ſymbole encore du myſtere des deux
loix:comme l'Apoſtre meſme le teſmoigneaux Galat.4.dont celle de Moyſe qui eſt
corporelle precede celle de IE svs CHR 1 s T,qui eſt la ſpirituelle,ainſi que la gene
ration d'Iſmael fait celle d'Iſaac, & en la production de la creature le corps ſe forme
aucunement enl'embrion auant que l'ame ſ'y introduiſe : De meſme auſſi la loy de
Moyſe qui n'eſtoit qu'à temps preceda la Chreſtienne, qui eſt eternelle ainſi que
I'ame. En-apres celle-là fiit donnée en des tables corruptible de pierres, & particu
liereau peuple des Iuifs ſeulement, comme il eſt dit au Pſeaume 147: Lequelannonce
ſaparole à Iacobsſes iuſtices & iugemens à Iſraël. Il n'apasfait ainſi à toute mation, & ne leur
a donné à cognoiſtre ſes iugemens. Et la Chreſtienne doibteftregrauée en nos cœurs,
· # YY
- $
, - -

4 54 · Illuſtrations ſur
, c'eſtà dire au fonds de noſtreame qui eſt immortelle : en leremie 3I. & en la 2.aux
Corint. 3. Plus aux Hebrieux 8. - -

MA1s auant que partir encore de ces deux enfans d'Abraham,l'vn baſtard, l'au
tre legitime,& de leurs myſteres & ſignifiances: merite bien de n'eſtre laiſſé en arrie
re ce qui eſt eſcritauTalmud : que le Patriarche Abraham impoſa des noms ords &
ſalles aux enfans de ſes concubines, ſuiuant ce paſſage de Geneſe 25. Abraham laiſſa
toutes ſes poſſeſſions & cheuāces à Iſaaccome legitime,& aux baſtards qu'ilauoit eu deſes Con
cubines, des dons en biens meubles, & les ſepara durantſavied'auec Iſaac. Ce que les Ca
baliſtesinterpretent plus modeſtement , Shemoth Steltoma, noms eſtranges, par ce
qu'ils ne receurent pas labenediction de leur pere ainſi que l'hoir legitime, & ne fu
rent pas attribuez au ſouuerain Createur Tetragrammaton rrrv, comme Iſaac, ains à
des Deïtez eſtranges, d'où ſe vint à eſpandre l'idolatrie en tout le pourpris de later
re : ce qu'il ſemble que vueille inferer Moyſe aux enfans d'Iſraël au 29. de Deutero
nome : quelle eſt doncl'occaſion de ce deſmeſuré courroux de la fureur Diuine ?Ils reſpondront,
parcequ'ils ontſeruy aux Dieux eſtranges,& ont adoréceux qu'ils ne cognoiſſoient, & auſquels
ils n'auoient pas eſté ordonnez. Comme ſ'il vouloit dire que c'eſtoient les baſtards qui
auoiéteſtéattribuezaux Dieux eſtrâges, pourreſeruer la race legitime à la cognoiſ
ſance & adoration duvray Dieu.Et de faiten Ioſué 24.il ſe voit comme apreslacon
queſte de la terre de Chanaan, & le departement des lots & portions à chacune des
12.Tribuz, luiquiauoitaſſez eſprouué l'humeur bizarre, & lalegiereté de ce peuple
fantaſtique & refractaire, les metau choix de retourner à l'idolatrie où leurs prede
ceſſeursauoiét veſcu en la Meſopotamie: ou de ſuiure celle des Amorrhéens, crai
gnant qu'ils ne peuſſentaſſez fidelement perſeuerer au ſeruice & adoration duvray"
Dieu,lequeleſtantialoux de ſon höneur, ſ'ils euſſent tant ſoit peu fouruoyé ne leur
euſtpas legierement pardonné,ains punyrigoureuſement, ſelon que le denote aſſez
ce quieſteſcriten Exode 23. Voicyque i'enuoyemon Ange deuant toypour tefaire eſcorteen
lavoye: Regarde de le bien reſpecter, & ne luy contredire enrien que ceſoit, carilne t'eſpargnera
pasſi tu l'offence,parce que mon nom eſt en luy.Tellement qu'ils n'auroient pas eu ſimau
uais marché de ſeruirauxidolesqu'à Dieu, ſ'ils ne le vouloientſeruir deuëment, &
ſans varier.Ce qui ſeconde le propos intété cy-deſſus, que Mahomet n'a rien fait de
bien de retirer les humains de l'idolatrie en les precipitant en des impietezenuers
Dieu le Createur,& ſon V E R B E: carileuſt moins eſté mauuais poureux de demeu
rer en leur premier aueuglemét, que de blaſphemer comme ils fontapres leur ſedu
cteur,ſelon meſme que nous le teſmoigne S.Lucau 12.Leſeruiteurqui cognoiſé la volo
tédejon maiſtre & neſe diſpoſe del'accôplir, receuraplus debaſtónades que celuyquil'a ignoree,
& aura commis choſe digne deſtre battu.Et S.Pierre en ſa 2.Can. ch.2.Illeureuſº bien eſé
meilleurde ne cognoiſtre la voye de Iuſtice, qu'apres en auoireu la reuelation, rebrouſſerchemin
en arriere, & ſe deſtournerduſainct commandement à eux donné.
L Es SARRAz INs donques,en Arabe Elſarak, comme qui diroit brigands & de
ſtrouſſeurs,ſontainſiappellez de certains volleurs bandolliers vagabonds, voltigeäs
ſans ceſſe ſur les marches circonuoiſines de l'Arabie & Idumée, deſquels Ptolomée
faitmention,& Ammian Marcellin liu.14. en la vie de Iulian l'Apoſtat. Mais quant
, au cycle Chaldaïque enneadecateride ou dixneufuaire donticeux Hagareens ſou- .
loientvſer, il commença de ſ'abolirauec l'introduction de lanouuelle ſecte Maho
metique. & au lieu d'iceluyauoir lieuvn nouueau Almanach & reiglement de leur
annee,parce que ceux qui embraſſerent ceſte doctrine voulurent† touſioursdö
nervn plusgrädcreditau Legiſlateur, de là enauât pour l'amour de luy cómencer à
cópter les leurs de ſa retraicte,qui aduint le 53. de aage,& de noſtre ſalut 593.au mois
d'Almuharan,qui reſpondoitlors à noſtre Iuillet,oùileſtoit auparauant le 1o.carleur
année cömençoit lors en Rabbe ſecond, à la nouuelle Lune de l'Equinocce de l'Au
romne, comme le Tiſri des Hebrieux, ce qui ſe rapporte de noſtre Septembre à
l'Octobre : afin qu'outre la conſideration deſſuſdite leur grand Behiran vint à ſe ce
lebreràl'imitation de la Paſque des Iuifs & de lanoſtre,vers la pleine Lune de l'E
quinocce du Printemps, aux Hebrieux le mois de Niſan : & à nous de Mars à
" . - º l'Apuril
l'Hiſtoire de Chalcondile. - 455
· I'Apuril ſelonlesrencontres des Lunes, au mois de Schevval, qui ſuit celuy de Ra
madhan, lequel ils ieuſnenttout du long, mais à leur mode; car d'autant que leurs
mois ſont deambulatoires pour les raiſons cy-deſſus deſduictes; & auſſi que leuran
née eſt moindre que la noſtre ſolaire de douzeiours, il ſ'en faut trois heures, la ſo
lemnité de leur Paſque ſe varie par chacun an, plus beaucoup que celle des Iuifs, &
la noſtre, quine ſortiamais des deux mois deſſuſdits, Mars & Apuril; là où la leur
ſe promeine à tour de roolle par tous les mois & ſaiſons de l'année. Pour exemple,
afin d'abreger,laleur qui reſpondàla noſtre preſente 1585.ne commencera qu'au 2I.
de Decembre prochainvenant; carcelle d'octante quatre qui commença le pre
mier de Ianuier dernier paſſé courtencore; & par conſequent leur mois de Rama
dhan & leur Careſme ſe rencontreront le 25. iour d'Aouſt; & leur Behiram & Labir
ougrand Paſque qui vient à la fin dudit mois, ou le premier du ſubſequët dit schev
val, le 23. de Septembre : leurautre petite Paſque puis-apres de Behiram & zaguer
quivienttouſiours deux mois & dixiours apres le 1o. de celuy de Dulcheggia le der
nier de leur année, au dernier de Nouembre, car il commence le 2I. là deſſus ſe
pourroit adiuſter tous les autres.Voicyla table deſdits mois, & leur ordre, tant de
l'ancien Sarrazineſque & Agureniſme auant Mahomet, que de celuy quia eſté chä
gé depuisl'eſtabliſſement de ſaloy: dontilyena quatre deſtinez chacun an à l'Alha
ge ou pellerinage ; deux deuant leur grand Behiram, aſſauoir Muharan, & Regiab, &
deuxapres, Dulchaida, & Dulcheggia : pendant leſquels il ne leur eſt pas loiſible de
chaſſerny tueraucune beſte ſauuage ou oiſeaux : nompas meſmes les poulx & les
pulces : & ce àl'imitation de l'ancienne idolatrie inſtituee par Chaidar fils d'Iſmaël.
On dit que les Fueillans ont cela en leur reigle eſtimans que cela leur ſoit donné
pour autant de vexation & mortification de la chair, d'eſtre moleſté de ces inſe
ctes.

L'0 RD RE A N C I E N D ES L'ORD RE DES D IT S M O I S,


Moi Arabeſques , ſelon le reigle- depuis la reception du Mahometiſ
ment Chaldaique. me l'an 622.

,- 1. | RAB E ſecond. . I. | M v H ARA M.


2. | G I v MA D 1 premier. 1 I. | Tz E P HeR.
3. G 1 v MA D 1 ſecond. I I I. | RAB E premier.
4. RE G I A B. 1 1 1 I. li RAB E ſecond.
5. SA H AB E N. V. G1 v MAD 1 premier. .' :

_6._| RA MA D HAN. v I. | G 1 v MAD 1 ſecond. # 2

7. ll Sc HE vvAL. VI i. ll R E G 1 A B. | | :
_8 | Dv LcHA1DA. | |VI I I. | SAHAB E N. -
9._| DvLcHE G1A. | | | I X. | RAMADHAN.
º:_| MvHARA M. X. ScH E vvA L. . 4 :

II | T z E P HAR. : x I. | DvLcHA1DA. .
1*_| RABE premier. x 1 1 | DvL cHE G 1 A. | |
- - — 1. | | s
"-


Y Y ij
Illuſtrations ſur

D E L'A L C H O R A N O V c A L F V R C A N,
le texte de la Loy Mahometaine. -

A H O M E T dés ſes ieunes ans, comme eſtant d'vn eſprit


cault, malin, remuant & ambitieux ſe mit à ſ'inſtruire ſoigneu
ſement de coſté & d'autre en tous les endroits où il voyageoit, de
. # #\\% #
$
ce qu'il pouuoit apprendre des traditions Iudaiques & Chreſtien
-
$VE \/ N
LV nes; car il eſtoit Payen encore, comme luy meſme le teſmoigne .
- - - - - - -

# (§># en ſon Alchoran, où il introduiét Dieu luy parlant ainſi : Tu eſtois


orphelin, & tu as eſtérecueilly:Tu eſtoépauureſouffreteux, & t as eſléenrichy : Tu eſfois ido
latre, & ie t'ayramené à ma cognoiſſance. Leſquelles paroles ſembleroient de prime fa
ce eſtre dictes ſimplement ſelon laverité hiſtoriale, car en effect ſon pere mourut
auant ſa naiſſance , & ſa mere bien toſtapres : mais le ſeducteur couue là deſſous vne
grandiſſime impieté & malice, ſe parforçant de ſ'eſtablir par là cóme le Meſſie pro
mis en la loy, & Autheur du ſalut humain : Car cela a tout expres eſté appoſé de luy,
pris de Rabbi Barachias en ſon expoſition ſur Geneſe, où il met cecy. Dieu treſſainc#
- & benitparlantaupeuple d'Iſraël : N ov s AvoNs EsT E F A 1 cT s PvP 1 L L Es sANs

em. cha, dern. P- E R E s,E T N o s M E R E s soNT co M M E v E F v E s : mais le Redempteur que ieſu
- - -

ſciteray d'entre vousſera ſans pere,ſuiuantce qui en eſt eſcrit au Iro. Pſeaume, DE LA MA
T R 1 c E D E L'Av R o R E T E s E R A LA Rov s E E D E T oN E N F AN c E. (ainſi
liſent les Hebreux, ante luciferum genuite.) De tout ce qu'il peut doncques eſtre in
ſtruit ences deux loix,neaumoins la pluſpart à faulx,il en fitvn patricottage & nou
uelle loytenant des deux,qu'il intitula Alchoran, cóme qui diroit Recueil & amas de
preceptes, & Alfurcan, chants & chapitres ſeparez qu'ils appellentSoraths, le tout en
rithme Arabeſque, & deſcouſu ſans aucune methode, ordre ne ſuitte, ains ſaultant
çà & là du coqàl'aſne : neaumoins iln'eſt pas totallementſideſtitué d'artifice,qu'on
n'apperçoiue que c'eſt vn des ouurages plus malicieux qui ſçauroit eſtre,& tres-que
bien approprié pouAdes gens rudes, ſimples, & beſtiaux : car tantoſt il yintroduict
Dieu qui parle, & tantoſt l'Ange Gabriel; & les fideles d'icybasinuoquans labonté
diuine, & luy rendansgraces de ſes beneficences : Puis tout ſoudain luy Prophete,
comme il ſ'appelle,vient à la trauerſe,tanſant, & menaçant les incredules, auecau
tres telles baſtelleries; de ſorte que ceſte maniere de dialogiſme, & entrelaſſemens
de perſonnages,ſans les pouuoir aiſément diſcerner de primeface, apportent ie ne
ſçay quelle majeſté & luſtre à ſon dire. Au reſte ceſte loyne †
faite toute d'vne
teneur comme le Pentatheuque de Moyſe, carilyrauaudatouſiours quelque choſe
tant qu'ilveſcut, ſelon les occurrences quiſe preſentoient; de ſorte que ſiſes iours
ſe fuſſentprolongeziuſques à ſixvingts ans,iiyauroit ſans ceſſe forgé de nouueaux
† & tiltres de loix; & n'euſtiamais ceſt Alchoran eu fin. Il commençaàen
reſpandre les premiers erremens vers le 4o. an de ſon aage, & les pourſuiuit parl'e
ſpace de dixans à la Meke,iuſquesàce qu'il fut contraintluy & ſesadherâs d'enſor
tir pourſe retirer à Medine,où durâtles 13.ans qu'ilveſcutencore ilacheuale reſte;
de façon que ſes chants ou chapitres ont pris leur denomination de ces deux villess
partie d'iceux eſtansappellez Azoar Mikia, cantiques de la Meke: & les autres Azoar
Medina, ceux de Medine. Neaumoins il allegue que ceſt Alchoran eſt vn ouurage
de Dieu : & qu'illuy futapporté de ſapart envne nuict par l'Ange Gabrielle 15.du
mois de Ramadhan : ſurquoyen memoire & reuerence de celailfonda l'inſtitution
• ^ - º-- - •| | , - • • " T | • | | ) • * --

l'Hiſtoire de Chalcondilè. 457


deſonieuſne ou Careſme eniceluy, car les Mahometansleieuſnent chacun an tout
du long.Or à meſure qu'il proiectoitainſià la file ſes petits eſchantillons & fragmés
delieux communs, il les communicquoit à ſes ſectateurs : & les leur faiſoit appren
dre par cœur:à quoyaidoit beaucouplarithme,puis les ſerroit envneliette,appellée
laliette de la Menſegina ou legation,parce qu'illes feignoitluyeſtre enuoiez de Dieu
parle meſſager deſſuſdit Gabriel, ſe contrediſant en cela : car ſi ce ſont desamas &
recueils de preceptes & Cantiques ſeparez, comment l'auroit-il peu receuoir tout à
vne fois, parce que ce mot contenu meſme dans l'Alchoran infere que ce fut à plu
ſieurs, & par les menus, ſi ſes lieux communs au reſte n'eſtoient bien aſſaiſonnez à
ſon dernier gouſt, illes ſerroit dedans quelque trou de muraille le premier trouué,
où la pluſpart demeuroient là oubliez de luy à la mercy des rats & ſouris,& des blet
tes, & ſe remettoità en baſtir d'autres. Cela eſt cauſe que les Mahometans ontac
couſtumé partout où ils rencontrent quelques petits ſchyphons & morceaux de pa
piereſcrit,principallement en Arabe,de les recueillir fort reueremment, & les met
tre au premier trou ou creuaſſe qui ſe rencontre. Toutainſi que ſi c'eſtoient les pre
miers memoires de leur loy encore, combien que la principale occaſion, à ce qu'ils
dient, qui les y meut, eſt de peur que le nom de Dieu n'y ſoit eſcrit, & qu'il demeu
raſt prophané, comme auſſiil n'eſt pas permis de ſe nettoier en ſes affairesauec du
papier,ores meſme qu'il n'y euſt aucune eſcriture, & qu'il fuſt tout blanc. Les fra
gmens doncques ayans eſté retrouuez en pluſieurs & diuers endroits eſcartez les
vnsdesautres, donnerent lieu à beaucoup de ſuppoſitions & adiouſtemens qu'on y
fit, chacun taſchantd'y contribuer quelque choſe du ſien ſelon que cela faiſoit à
leurs proiects, & particulieres intentions, dont vindrent à ſourdre de tres-grands
troubles & debats entre ſes principaux ſectateurs : ioinct les varietez & contradi
ctions qui ſ'y trouuoient à tous propos, en partie prouenans de ſon peu de iugement
& memoire, & en partie de la fauſſeté & malice des Iuifs eſcriuans ſoubs luy, qui la
pluſpart du temps luyperuertiſſoient ce qu'il leur dictoit, ſelon que meſime le teſ
moignentle liure d'Azear,& celuy d'AXXifa. • • -

Le premier qui mitla main au recueil de ces menus fatrats de memoires, tant de
la caiſſe deſſuſditte, que des trous de murailles eſquels on les auoit ſerrez, partie
rongez des ſouris,partie effacez ou corrompus de moiſiſſeure, & autrement par l'in
iure du temps & des lieux,fut O D M EN gendre de Mahomet,& le troiſieſme de ſes
ſucceſſeurs tant en la puiſſance terrienne & laïque, qu'en la ſpirituelle du Caliphat,
& encompilal'Alchoran : & pource qu'il eſt diſtingué par liures & Soraths, il eſt dit
auſſi Alphurcan, & les articlesAiet, miracle ou merueille : Tous ces chants & chapi
tres eſtans comme il aeſté dit cy-deſſus diſtinguezen Mekiens, ou Mediniens, du
nom des lieux où ils eſtoient baſtis & forgez.Leſquels d'autant qu'ils varient le plus
ſouuent,& ſe contrediſent, quelques vns les ont encore ſoubs-diuiſez du depuis en
des Muquemath, comme qui † iugemens & points reſolus, & en gaſîr muquemah
non deciſifs.Ils ſont en outre de deux ſortes, les vns dits Naceh poſitifs, & les autres
Manſophderogatoires oureuocatifs des precedents,vneruzetrouuée depuis par les
Caliphes & Alphaqui.(, pour aucunement ſauuer leurs contradictions. Au §
nonobſtant qu'ils ſoient diſtinguez par liures & chapitres, ce n'eſt pas toutesfois de
ſorte qu'ils doibuent demeurerainſi, ains preſqu'à guiſe de la metaphyſique d'Ari
ſtote,où il n'importe de rien lequel doibue aller deuant ou apres,le dernier pouuant
eſtre mis le premier, & aurebours ſans leur faire tort, cariln'ya rien qui ſe ſuiue &
: entretienne,& pource que ceſte loyeſtoit encore toute nouuelle & recente, peu de
gens s'en trouuoient d'accord l'vn auec l'autre,la premiere choſe que fit Odmen, fut
d'enprendre l'aduis des proches parens du legiſlateur, & des ſept qu'ilauoit eu les
º plus familiers, ſurquoyily eut de fort grandes contentions & diſputes, mais en fin
l'authorité d'odmen preualut, ioinct qu'Axa la plus fauorite des femmes de Maho
met,laquelle auoitrecueillylapluſpart de ſes bullerins & memoires à meſure qu'il
lesforgeoit, les conſignaés mains #Odmen, mais il ne peut pour tout cela empeſ
cher qu'il n'y euſt plus de deux cens Alchorans tous diuers.Au ſurplus le ſien eſtoit
- - »- YY iij
-
458 Illuſtrations ſur
bien plus grandalorsque celuy u'ils ont de preſent, dont pluſieurs choſes furent
eclypſées apres les douze ſucceſſeurs, & meſmes plus de centaiets ou articles oſtez
dupremier chapitant ſeulement,& d'autres de nouueau ſubſtituez en leur lieu,mais
en moindre nombre, à l'exemple dequoy pluſieurs ſ'ingererent encore de faire de
meſme,ſique finablement toute leur loyſelon qu'elle auoit eſté premierementeſta
blie ſe trouuaallerée & eſuanoüie.
L'ALcHoRAN doncques compilé par Odmen à l'imitation du Talmud, fut
de luydiuiſé en quatreliures de ceſte ſorte.

Le premier liure de l'c Alchoran qui contientcinq chapitres.


Le premiereſtintitulé le chapitre de la Vache.
Le I I. De la famille de Ioachimpere de laVIERGE MARIE.
Le I I I. Des femmes.
Le 1 v. De la table.
Et le v, - Des animaux.

Leſecondliure contient xj.chapitres.


Le 1. De la muraille.
Le I I. Des deſpoüilles de guerre.
Le I 1 1. Del'eſpée.
Le I v. Du Prophete Ionas.
Le v. Du Prophete Hud,de linuention de Mahomet.
Le v I. De Ioſeph fils de Iacob.
Le v1 I. Des thrones.
Le v1 1 1, D'Abraham.
Le 1x. De l'Hegyre.
Le x. - Des mouſches. -

Le x I. Dutreſpas de Mahomet.
Le x I I. De la cauerne,& des ſept dormans.
Letroiſieſme contient xix. chapitres.
Le 1. De la VIERGE MARIE mere de IEsvs-CHRIST.
Le 11. De Taha. -

Le 11 I. Des Prophetes.
Le 1 v. Dutremblement de terre.
Le v. Des fideles croyans.
Le v1. | De la lumiere.
Le v11. . Des fourches patibulaires.
Le v1 1 1. Des executeurs de lahauteiuſtice.
Le 1x. · Des fourmis.
Le x. Du Cazaz.
Le x1. - Desaraignées.
Le x 11. De Lucamonvn ſainctfort aimé du Prophete Da
- uid,ſelon Mahomet. -

Le x1 I I. Del'inclination.
Le x1v. Des Romains.
Le xv. Du Createur.
Le xv I. Du Sabbat.
Le xv11. - Desadditions.
Le xvIII. · · Del'homme.
Le xIx. DesAnges.
Av
-

-
- -

l'Hiſtoire de Chalcondile. 459 .


, Av quatrieſme liureya cLxxv. chap.mais plus petits beaucoup que les prece
dents,& la pluſpart d'vne ſeule periode ou article, ſi que l'Alchoran en Arabe con
tient en tout c cx 1. chap. mais d'vne autre ſorte qu'en la traduction Latine.
Q v E L Qv E s quarante ou 5o.ansapres la mort de Mahomet Moauui le v1.de ſes * " - ) "

ſucceſſeurs en § tant ſpirituelle que téporelle eſtant encore en vn homme †


ſeul, (les autres attribuent cela plus de 4o.ansapresàvn Calyphe de Babylone ap-& de la loy ,
· pellé Morbas fils de Elheken,)voyant que pour lagrande confuſion des gloſes, & des*
commentaires des Mores ſurl'Alchoran & leurs repugnances & contrarietez, car
ce qui y ſouloit eſtre dit § la negatiue ſe trouuoit en l'affirmatiue, & au rebours en
pluſieurs autres,laloy eſtoit envoye de ſe perdre, & de demeurer du tout abolie &
eſteinte,luy qui en eſtoit le diſpenſateur fitaſſemblervn concile general en Damas,
· & venir là tous les Alfaquiz, docteurs,& autres miniſtres qui pouuoientauoir quel
ques copies de ces eſcritures pardeuers eux, deſquels illes retira toutes, en les leur
payantà leurgré,ſi qu'il fit en cela vne extreme deſpence.Puis les conſignaentre les
mains de ſix des plus ſuffiſans,nommez Muſlin, Butheir, Buhor, Annecen, Atermund, &
Daiid, chacun deſquels en fit à par ſoy vn recueil & iuſte volume, tout le reſte en
nombre bien de ſoixante mille traictez, qui faiſôient la charge de deux cens Cha
meaux,dont chacun peut porter de quatre à cinq quintaux des noſtres, il le fitietter
en la riuiere d'Adezele qui paſſe à Damas, faiſant faire de tres-expreſſes inhibitions
& deffences ſur peine de lavie,qu'on n'euſt plus à tenir autres liures de leur creance,
forsl'Alchoran'ſelon qu'otmen l'auoit digeré & reduit par ordre : & les ſix volumes
qui furent depuis appellés lazuna comme qui diroit loyſecöde ou iteratiue,les He
brieux Miſnah, laquelle conſiſte de la defloration des dits, actions & preceptes de
Mahomet,& és choſes doubteuſes & ambigues precede en authorité les textes meſ ,
mesdel'Alchoran.Ce quifutfaitàl'imitation duTalmud Babylonien, compilépar†e
les Iuifs modernes quelquestrois cens ans auparauant, n'eſtant autre choſe qu'vn §§
commentaire ſur la Miſnahou ſeconde leçon de la loy Iudaïque,comme lazuni l'eſt tient -

de l'Alchoran. Car il contient tout de meſme ſix parties dittes Sedarim, ordres ou di
ſtinctions,dont la premiere eſt des ſemences laſeconde du reiglement des feſtes,la
troiſieſme celuy des femmes,la quatrieſme des degaſts & dommages, la cinquieſme
des ſanctifiemens : & la ſixieſme des purifications. Ceſte partie puis apres de ces ſix
eſt ſoubſdiuiſée en pluſieurs Maſſachtiths ou traictez, & chaſque traicté puis apres
en pluſieurs Perakim ou chapitres.CE sT œuure doncques de la Zune,& les decrets
y contenus furent digerez par ces ſix docteurs, tant des diuers textes de l'Althoran, -

que des gloſes & interpretations que les Mores auoient deſia tiſſu là deſſus en tres
grand nombre,& preſque toutes repugnantes les vnesauxautres, döt peu de temps
apres vindrent à naiſtre quatre principales ſectes du Mahometiſme introduictes par
autant de leurs plus ſçauants Alfaquiz ou miniſtres, qui eurent la charge depuis de • • • •, • •4 •

faire des extraicts de ladicte Zune,le premier appelléMelich,l'opinion duquelfutre- #


ceuë parles Mores de Medine, Egypte, & Afrique, & ceux qui depuis dominerent Mahom§ſ
en Eſpagne,le ſecond,Aſſafihi,auquel adhererefitceux de la Meke, de lagrand'Ara
bie,Babylone,& Damas,le troiſieſme Alambeli, que ſuiuirent deux de Perſe, d'Aſſy
rie,& de l'Armenie : & le quatrieſme Abuhaniph, toute la Surie, & Alexandrie d'É
gypte,car quant au Caire,pourraiſon de lagrande multitude de peupleyaffluant de
toutes parts,ces quatre ſectes & opinionsy ont toutes lieu.Au ſurplus les decrets &
traditions de la Zune ſontauſſi de quatre ſortes, aſſauoir les certaines & indubita
bles,les manques,les retranches,& les debiles.Tout ce quiemana de la main des dix
Scupler, & principaux diſciples de Mahomet, & de la plus authoriſée de ſes femmes
Axa, tient le premier degré de certitude en leurendroit, ce qui eſt procedé du rap
port de ſes autres femmes eſt au ſecond ranc,& ſ'appelle manque, vn teſmoignage
inferieur au precedent.En troiſieſme lieu eſt la relation des Docteurs quiveſcurent ,
du tempsd'iceluy,& cela ſ'appelle le retranché.Et le quatrieſme eſt le plus debile &
infirme, aſſauoir ce que les autres Docteurs, approuuez neaumoins, en eſcrirent
apresſamort. De ces dix liures,ſix de la Zune,& les quatre autres des quatre ſectai
46o Illuſtrations ſur
#es principaux rès,eſt ſorty vn troiſieſme ouurage dit Anuar, ou le liure des fleurs. Ilyapuisaprès la
liures de ceſte chronique d'Azear,le Ritebe alimenie,le liure des Roys, auquel ſont eſcripts les geſtes
loy.
de leurs premiers Caliphes,mais il n'eſt permis de le lire qu'aux vieilles gens : l'Aſſa
meil qui parle des perfections du Prophete, la Recele bulugis,halil, & Almazhodi, les
· traditions.lesgloſes de Buhatits, But Xºanim,A Kâmahxars,Acahalibi,& Machmud de
la Meke, tous commentateurs de l'Alchoran, auec plus de ſeptcens autres de meſ
mefarine, meſmement vn grand nombre de deciſions des ſages Muphtiz & Alpha
quiz pourlaiuſtice & la police,compriſes en dix gros volumes. Mais les plus magni
fiques de tous encas de plaiſantes badineries, dont n'approchent en rien les vrayes
narrations de Lucian,nyla metamorphoſe d'Apulée , ny toutes les plus extrauagan
tesfables des poëtes Grecs,eſtl'Hedith & Nabi, l'hiſtoire du Prophete, contenant ſa
vie & ſa mort, enſemble le traicté de ſa generation & nourriture, & lc Taalim & Na
bi,la doctrine du Prophete,quieſtvn dialogue de luy, & de certain Iuifnommé Ab
dits pen salon, où ſont contenues les plus eſtranges chimeres & rcſueries qu'eſprit
humain ſceuſtimaginer, & pource qu'on peut trop mieux voir † menteries
intollerables,impoſtures & impudentes abſurditez dont ceſte friuole doctrine eſt
baſtie,& en deſgouttervn chacun,quepartous les arguments quºn ſçauroit former
alencontre, qui ſeroit comme perdre ſaleſſiue à lauer la teſte d'vn aſne, nousauons
aduiſé de le vous tourner icy en François commeila eſté de la langue Arabeſque en
Latin,& en Italian,afin que par là nous ayons tant plus d'occaſions dçbenir le ſainct
nom de Dieu, & luyrendreimmortellesloüanges de la grace qu'il nous a faicte, de
nous addreſſer à la voye de ſalut, & nous illuſtrer de la lumiere euangelique par ſon
VE R B E & vnique fils I Esv s-CHR I s T noſtre Seigneur & Redempteur,au lieu
destencbreux fouruoyemens où il permet d'errer en perdition tant de pauures mal
heureuſesames,bien que formées à ſonimage & ſemblance auſſibié que nous, qu'il
adaigné choiſir pourſon trouppeau.Mais telles ſontles merueilles de ſes iugemens,
d'impartir ſes beneficences où bonluy ſemble, dont ſinous nous monſtronsingrats
& meſcognoiſſans,& que nous en vueillions abuſer,nous nous faiſons noſtre procez
à nous meſmes, ſans qu'il ſoit beſoin d'y employerautres accuſateurs que la coulpe
de nos conſciences,d'auoirpris ſon nom envain,prophanél'effuſion de ſon precieux
ſang, & contaminé les ſaincts caracteres de ſes Sacremens quinous dreſſent vne eſ
chelle pour monter à luy, ce quine ſe peut pas ainſiaigrement reprocherà ceuxauſ
quels il n'a pas octroié ceſte grace, comme ſon eſcriture propre nous le teſmoigne:
Tellement qu'on nous les mettra quelque iouren face, pour nous conuaincre d'in
gratitude, que nonobſtant qu'ils ſoientainſi abandonnezapres vne fauſſe doctrine,
ils ne laiſſentneaumoins de nous ſurpaſſer en beaucoup de choſes loüables, deux
meſmement entre les autres,que Dieu deſire autant de ſes creatures,aſſauoirlacha
rité, & l'obeiſſance, dontils nous monſtrentvne belle leçon, en ce que de quelque
langage & nation qu'ils ſoient tous,Turcs,Perſes,Tartares, Indiens, & infinis autres
differents de parler,de mœurs & † ils n'ont iamais ſouffertiuſques icy que
l'Alchoran qui eſt le texte de leurloy fuſt leu parmyeux, n'y euſtcours en autrelan
ue que l'Arabeſque ôùil fut premieremét compoſé, en laquelle on le leurenſeigne
àapprendre par cœur,oresquela pluſpartn'yentenderien.Bien eſtvray qu'oncques
Prophete,commeil dit en la ſeconde Azoare,ne dogmatizaſinon en ſa langue com
mune & vulgaire.Maisceſte ſimplicité n'eſt de peu de fruict, ains des plus neceſſai
res & vtiles choſes qui ſoit en toutes ſortes de religions, car ſans cela, & ce qu'il leur
-
eſt expreſſement defendu ſur peine de lavie de diſputer de la leur en aucune ſortc,
Azoares, 5.6.7. ne d'en rien reuocquer en doubte, GardeKvous bien d'en diſputer,meſme auec les Iuifs,&
io.I3.15. Chreſtiens, non pas ſeulement d'en communiquer aueceux : Ceſte loyne ſe fuſt pas ſilon
guement maintenue comme elle a,non par ſon merite, mais par la ſeule facilité de
creance : là où au contraire il n'y a ſi ſaine doctrine que la trop curieuſe ſubtilité des
legiers cerueaux,quandilleur eſt loiſible de l'exagiter à leurfantaiſie,n'ayebientoſt
precipitée à vne confuſion de doubtes,desfiances,& incertitudes : & de fait de ceſte
trop large liberté de conſciences, & permiſſion à vn chacun de lire & interprcter
- l'eſcriture,
l'Hiſtoire de Chalcondile. 461
l'eſcriture à ſa fantaiſie,ſont procedez tous les erreurs,abbus, & hereſiesque Dieu a
1 permis regner parmy ſon peuple, tant en laloy Iudaique, que la Chreſtienne, ayans
pris plaiſir les vns & les autres enſemble de ſe deſnoyer du chemin battu à de faux &
· obliques ſentiers eſgarez,& yattirer quant & quât tous ceux qui leur ont voulu trop
inconſideréementadherer, pour delà humer quelque ondée d'ambition & gloire
mödaine:ſique des erreurs de ces deux loix ainſi peruerties & alterée,ioinct la vaine
preſomption des Gentils,ſe propoſans rien ne deuoir eſchapperàl'ingenieuſe ſubti

lité de leurs ſyllogiſmes, ceſte 3.doctrine ſource de toute impieté a eſtétiſſuë, plus
pernicieuſe que tout le reſte.Mais cecy requerroitvn plusample loiſir à diſcourir.
PovR doncques venir auxparticularitez de l'Alchoran, il eſt tout ourdy & tiſſu de
,- diuers paſſages empruntez de laloy de Moiſe, & de la Chreſtienne, mais alterez &
\. peruertis,partie tout à deſcouuert ſans rien feindre,& partie malicieuſemët deſgui
# ſez ſous vn maſque de pieté, car à tous prepos ila la veneration d'vn ſeul Dieu en la
# bouche,l'amour,& la crainte qu'on luy doit porter, l'horreur de l'idolatrie, le Para
.
* dis,enfer,ieuſnes,aumoſnes & oraiſons,lauemens,decimes,&ſemblables choſes qui
#
reſſententle Iudaïſme,cariltaſche d'imiter Moïſe en beaucoup de points à lalettre,
# cöme de l'expreſſe & rigoureuſe deffence de ne faire aucune repreſentatiö & image
, de tout ce que lanature produit,n'eſtant pas,ce dit-illoiſible à la creature de contre
faire les ouurages de ſon Createur, de ne tenir rien en leurs téples que force lampes,
cierges, & autres lumieres,auec le liure de leur loy pour tous ioyaux & reliquaires.
eſtablirvn Paradis de delices à ſes ſectateurs, à l'imitation de ce que Moiſe ne pro
metautre choſe à ceux quiobſerueront les cómandemens de Dieu,que des biens &
# felicitez téporelles,ſans point faire de mention des beatitudes de l'autre ſiecle,cöme
* on peut voirapertement dans le Leuitique 26.& au 18.du Deuter.Mais cela demon
ſtroit que l'obſeruatió de l'ancienne loy n'eſtoit pas ſuffiſante pour ouuriraux hom- (

5 mes le threſor des ioyes celeſtes iuſques à l'aduenemét du Meſſie:& les Talmudiſtes -

referans toutes les predictions d'iceluy à la creuë lettre,l'interpretent qu'il deliurera


|. le peuple des Iuifs de laſeruitude & miſere où ilssöt,les raſſemblera, & reſtablira en
-
r
leurancien heritage de la terre de promiſſion,auec leur téple,leurs cerimonies,& ſa- l,

crificesaccouſtumez,fera outreplus de grandesguerres & conqueſtes,& finablemét - ;


ſubiugueratout le monde, qu'ilreduira ſous la domination d'iceux Iuifs, aboliſſant
| toutesautresloix & religions, mais au lieu de celales Cabaliſtes reiettans toutesces
charnalitez téporelles,rapportent le tout à la deliurāce ſpirituelle du peché originel,
• qui ſe doit faire par le Meſſie.Somme que Mahometa mieux aymé imiter Moïſe,tät
ſous le pretexte d'exterminer les idolatries,que pour ſa maniere d'eſcrire, qui eſt de
reiterer pluſieurs foisvne meſme choſe, que nonpas Iesvs-CHRIST lequel il voyoit
aſſezauoireſté la fin de toutes les loix & prophetes, tellement qu'il ne laiſſoit point
de lieu à la ſienne qui venoit apres,&aux impoſtures où il pretendoit de ſe nommer
Accarzamam Pegamber,le dernier,oule ſeau des prophetes,comme il ſe nöme en l'Al
: choran,Azoare43.pour verifier parauanture ce que met Iſaïe ch.9.Longeuus & hono
rabilis,ipſe eſt caput,& propheta docens mendacium ipſé eſt cauda. Ils controuuentau reſte eſt insle
que Dieuluyenuoya cébeauchefd'œuure parl'Ange Gabriel,eſcriten du parche-†s
min fait de la peau du moutö que ſacrifia Abrahãau lieu de ſon fils Iſaac, apresauoir ne, -

paſturé en Paradis4o.ans:en commemoration dequoyils tuenttous lesans en leurs


© grands Paſques vne infinité de moutons,dont ils diſtribuent la chairaux pauures,&
eſtiment que ces animaux reſuſciteront,& entreront en Paradis,que ce liure au ſur Azoare 17.
plus eſt tel que ſi tous les hömes qui furentoncques eſtoientaſſemblezauec les An
ges,& lesdemons,ils n'en ſçauroient pas neaumoins baſtirvn ſemblable.Au moyen
dequoyils le liſenttantés moſquées qu'en leurs logis en treſ-grande reueréce&de
|
«2"
•º
uotion,croyans que qui le pourralire mille fois en ſavie,obtiendra Paradis ſans fau
te,& ne le mettentiamais en le maniantau deſſous de leur ceinture, de crainte de le
prophaner,maisyenaaſſez qui le ſçauent par cœur, enquoy ſoulage beaucoup leur
#
memoire larithme oùil eſt compoſé. Et chaſque fois qu'ils ſe mettentà le dire, ils
commancentpar ceſte priere.oAhudu billehimineſaytain ragini, Defends moySeigneur
|
/

A.62 · Illuſtrations ſur


Dieu s'ilteplaiſt du mauuai Sathan.Et toutesfoisil dit en deux lieuxdu4liure, que les
diables meſmes y croyent,vne groſſe trouppe deſquels l'ayansoy vne fois reciter, ils
l'eſcouterent engrand filence, & ſoudain en allerent aduertir leurs compaignons,
comme ilsauoientoy le liure mcrueilleux deſcendu du ciel depuis la thorahou la lo
donnée à Moiſe, lequelliure monſtroit le chemin de verité, à ceſte cauſe qu'ils y
creuſſent,&adheraſſent au Prophete,car en ce faiſantils ſeroiét deliurez de la peine
où ils eſtoient conſtituez pour leur des-obeiſſance & orgueil:ce qu'ils firent,& ne ſe
rendirent plus contumaces nymeſcreans au commandement de leur Createur. OR
en ce qu'ila controuué ceſt Alchoran luy auoir eſté enuoyé de Dieu par l'vn de ſes
Angés, il a voulu faire aucunement alluſion à ce qu'eſcript l'Apoſtreaux Galates 3.
Pourquoy donca eſtédonnée la loy pour le chaſtiment de la tranſgreſsion, iuſqu'à tant que vint la
ſemence à quiauoiteſtéfiitelapromeſſe : cºſte loy aureſte ordonnée par les Anges en la main du
mediateur.Suiuant ce qui eſt dit au7.des actes,C'eſt ce Moiſe qui fut en la congregation au
deſert auecl'Ange quiparloit à luy en la montagne de Sina.
Le †
points de l'Al - L'A L c HoRAN doncques entre autres choſes contient,mais le tout peruerty&
choran. empoiſonné d'infinies fables & menteries, que le monde a eſté crée d'vn ſeul Dieu:
qu'ilyaeu vn deluge vniuerſel,dont toutes les amesviuantes furét ſubmergées hor
mis Noé,& ſa famille,auec les animaux qu'il ſauua dans l'Arche, & de là tout le mö
de fut reſtauré,comme s'il euſteſté crée de nouueau.Qu'Abraham eſt la ſource & le
chefde lavraye religion & doctrine de l'adoration d'vn ſeul Dieu, qu'à Moïſe la loy
fut donnée du ciel:que les Prophetes, dont il repute Dauid pour le principal & plus
excellent,onteſté illuſtrez de l'eſprit de Dieu:que IE svs-CHR I sT eſt le vray Meſ
ſie promis aux Iuifs,le V E R B E,eſprit diuin,moulle,patron & exemplaire de tous les
hommes,conceu du S.Eſprit,nay de lavierge Marie ſans aucune corruption, lequei
, a faitinfinis miracles iuſqu'à reſuſciter les morts : qu'il a eſté rauyau ciel en corps &
ename, & là conſtitué à la dextre de Dieu plus haut que toutes les creatures raiſon
nables, dont il viendraauec ſes diſciples iuger le monde au dernieriour. Que ſon
Euangile eſt le comble de la vraye & pure doctrine de la verité, la lumiere & confi -
Azoare 12.
mation du vieil teſtament,ſ'il n'euſt eſté corrompu & falſifié par ceux qui ſont venus
apres,qu'ilya vn paradis pour les bons,& vn enfer pour les mauuais : auec tout plein
d'autres telles choſes eſcumées du vieil & nouueau teſtament, mais empoiſonnées
d'infinies deteſtables erreurs & impietez, dontiltaſche de coinquiner le tout, & le
peruertir: car quādil parle d'vn ſeul Dieu, iladiouſte qu'il n'a point de pair ny de cö
pagnon, ny d'enfans nonplus, pourrenuerſer la diuinité de noſtre Sauueur, ce que
les Rabins toutesfois,& les Talmudiſtes meſmes les plus mortels ennemis du Chri
ſtianiſme ſont contraints d'aduoüerés interpretations de leur eſcriture. Car ſur le
13. d'Exode, Sančtifiemoy toutpremiernay, Rabi, Natham gloſe, que Moiſêparces mots
là a voulu inferer que Dieu a dit : Toutainſi que i'ay fait Hacoble n22 Bechor qui ſgnifie pri
mogenite, aſſauoirle premierdes enfans, quand bien iln'y en auroit plus d'autre apres luy, en
ſemblableferay-ie le Roy M E s s 1 HE mon primogenite,ſuiuantre qui gſt dit au Pſ.89.Ilm'in
uocquera,tues monpere,mon Dieu,& la retraičte de mon ſalut, & ie le mettray le premier nay
eſleué plus haut que tous les Roys de la terre. Plus au Midras Tillim, expoſition allegorique
des Pſeaumes,ſur cecy du ſecond, le Seigneurm'a dit,Tu es mon fils, ie t'ay engendréau
iourd'huy,ilyale meſme. Item au72.ſelon la verité Hebraïque,ſon nom eſt permanent
deuant le Soleil,le participe n» rnnon ou permanenteſtderiué de p2 Nin,c'eſtà dire fils,
nayouengendré,cöme le teſmoignent Rabi Abraham Aben EXra,& Dauid Kimhi,par
quoy outre ceſte permanence il ſignifie encore, il filiera ou fera naiſtre, aſſauoir les
morts quand il les reſuſcitera auiour du iugemét, qui eſt vne 2.renaiſſance,ce quiſe
peut approprier auſſi au bapteſme & ſuſceptiö de la foy Chreſtiéne,où nous ſommes
regenerezoureengédrez,mais ſpirituellemét, & du vieilhöme d'Adam ſubietàpe
ché & à mort, faitsvn nouueau de IEsvs-CHRIsT, capables de grace,de ſalut,de vie
eternelle. Le mot doncques d'rnnon, ou filiation ne ſe peut attribuer à Dieu le pere,
qui n'eſt fait,crée nyengédré de perſonne,niau S.Eſprit nonplus,mais procede ainſi
qu'vne reſpiratiöouhaleine dupere & du fils,& encore moins à pas vne des creatu
res,dontiln'yena point eu de produittesauantle Soleil qui deſcrit le téps : parquoy
-
-
- l'Hiſtoire de Chalcondile. - • 463
\
il faut de necefſité que cela ſe refereau fils,qui ſelon la diuinité a eſté engendré eter -

nellement du Pere, comme le teſmoigne encore plus apertement le Pſeaume 11o.


f, Leseigneura dit à monſeigneurſ eds à ma dextre,&c.& plus auant Ie t'ay engendréduven
tre (c eſt à dire de ſon eſſence)premierque l'eſloille du iour fut crée, où Rabbi Ionathan
fils d'Vziel,dont la traduction Chaldaique eſt de telle authorité cnuers tous les Iuifs
que perſonne oncques n'y contredit, tout ainſi que ſi Dieu euſt parlé de ſa propre
bouche a tranſlaté ce ſecondSeigneur pour le Verbc,& la dextre pour la Deité, dont
il participe auecle Pere,ce que confirme auſſi Rabbi Ioden au nom de Rabbi Ekia ſur
le Pſeaume 18.Tu m'as donnéla protection de ton ſalut, & ta dextrem'a recueilly, qu'il ad
uiendra que Dieu fera ſeoir le Meſſie à ſa dextre ſuiuant ce qui eſt contenu au Pſeau
Ine I1o. Ilya infinis autres tels teſmoignages des Iuifs touchant le fils, & laTrinité,
laquelle n'a pas eſté ignorce de Moiſe, comme le monſtre aſſez le mot d'Elohim , &
d'Adonai qui ſont au plurier,qu'il repete plus de trente fois en moins de rien au com
mancement de Geneſe,mais d'autant qu'il voyoit le peuple des Iuifs eſtre ſi facile &
enclin àl'idolatrie dontille vouloit ſur toutretirer, & le ramener à l'adoration d'vn
ſeul Dieu,illeura deſguiſé ce myſtere de trois perſonnes en vnc ſeule cſſence, d'in .
finies ſortes qui n'eſtoient pas cachées aux principaux. -

Av regard de ce que Mahometa monſtrétenir de la facture & creation du mon


de,d'autant que ſaloy depend de lanoſtre,& de la Iudaïque, ila voulu en cela adhe
rer à Moiſe : non pas que pour ſon ignorāce & imbecillité d'eſprit il peuſt conceuoir
que cela deuſtaller de ceſte maniere, ne pour eſtablir non plus là deſſus les princi
pauxpoints & articles de ſa doctrine, cartoute la loy Iudaïque depend de ce fonde
ment & maxime, mais pour leur gratifier, & à nous quant & quant tout d'vn train
qui tenons la meſme creance,il ſ'y eſt voulu conformer.Au ſurplus ceſte queſtion, ſi ouDe eternité
la creatica
du
-
le monde a eſté de tout temps & eternitétel qu'il eſt,ou s'il a eu commancement, eſt monde.
fort exagitée & irreſoluë entre les Gentils qui ſont de diuerſes opinions en cela, qui
ſe pcuuent reduire à quatre ou à cinq principalles, dont la premiere & plus plauſible
:
de prime face ſelonl'apprehenſion du ſens humain, & d'Ariſtote & des Peripateti
ciens,qu'il eſt eternel,ſans commancemét & ſans fin, ny plus ny moins que Dieu ou
- la1.cauſe à luy coniointe qui luy dône eſtre & mouuement:car qu'eſt-ce qu'euſt peu
faire Dieu(diſent ils)en vne telle eternité infinie iuſques à la crcatió d'iceluy,ne vac
quant qu'à la contéplation de ſoy-meſme,nycn quelendroit euſt cela peu eſtre:En-.
· quoy
quoyils feignent & prciupp
&> prcſuppoſentſenſiblemétenuers Dieu deux choſesS qui
-
quin'ypeu
n yp
uent eſtre,le temps aſſauoir, & le lieu, mais nous deduirons cy-apres plusà plein les
moyés & raiſonsdudit Ariſtote,& de ſes ſectateurs.La2.opinion que le möde ſoit de
tout temps &eternité, eſt de ceux qui le font eſtre tel de ſoy, & ſans aucune cauſe
coniointe à ccſte grande maſſe.La3.que nonobſtant qu'il ſoit ſans commencement,
•- N ' . • 5 - - -

· neaumoins peu à peu il definera Platon au rebours,qu'ila eu de vray origine pour le


regard de ſa formation,mais nonpas de ſa matiere,qui n'a pointeſté crée ains de tout
temps ſubiecte à l'ouurier, lequel n'a fait ſinon l'ordonner en ceſte bclle façon où il
eſt, du Chaos ou maſſe confuſe où il eſtoit auparauant, parce que generation ne ſe
peut pas faire de ce qui n'eſt point, ains de ce qui n'eſt bien & deuëment, comme la
· eſcrit fort bien apres luyle Poëte Ouide àl'entrée de ſa metamorphoſe.
Ante mare & terras, & quod tégit omnia celum,
Vnus erattoto nature vultus in orbe, -

9uem dixere chaos, rudis indigeſta4 moles


Necquiequam miſºpondus mers,congeſta4.eodem - -

Non bene iuncfarum diſcordia ſémina rerum.


- - 1

,-*

Mais ce Chaos ou confus deſordre n'eſtoit pas du tout ſans corps,ſans mouuemét,
& ſansame,trop bien ce quiypouuoit eſtre de corps eſtoit cöme informe,& ſans cö
ſiſtance reglée,& l'ame d'iceluyinconſiderée & vagabonde à l'eſtourdy,ſans enten
dementne diſcours de raiſon.Au reſte,orcs qu'ilait eſté ainſi crée ou pluſtoſt formé,
il ne doibt pas pourtant prendre fin, non qu'il preuue cela par aucunsargumés valla
bles,mais ſeulemët par le benefice & bonté de ſon facteur, quine voudra pas defaire
ZZ i)
464 · Illuſtrations ſur
/
vn ſibelouurage, & où il s'eſt tantagrée, enquoy on ne peütalleguer aucun incon
uenient ny defaut, parce que nous tenons bien,& les gentils meſmes, que les ames,
nonobſtant qu'ellesayent commancement, ne laiſſent pas pour cela d'eſtre immor
telles & perdurables à tout iamais,comme ſont de leur part les Anges, & les intelli
gences ſeparées, parquoyil peut ainſi eſtre du monde. Mais ceſte infinité ſans fin, à
laquelle Platon veut eſtendre la durée du monde, equipolle preſqu'à vne eternité .
ſans commencement, car poſons le cas qu'il n'euſt eſté fait que le iourd'hier, neau
moins à cent millions de millions d'ans, & autant de millions de milliars de ſiecles,
ceſte vaſte & immenſe durée en auant qui n'a point de borne, viendroit correſpon
dre àvne eternité de premier Principe,toutainſi qu'vne ligne droitte imaginable de
pouuoir eſtre tirée en vne infinie longueur,ceux qui ſeroient bien auant en elle,ſieſ
loignez du commancement qu'ils ne le peuſſentapperceuoir,& n'y voyans point de
finale termination,latiendroiét comme pour infinie ſans aucun Principe ne fin,auſſi
bien qu'vn cercle ou globe ſpherique.Mais ce que nous en croyons finablement cö
me les Iuifs,& les Mahometiſtes, eſt que ce monde a eſté crée de rien, & ſa matiere
pareillemét le tout de Dieu,quile defera au temps par luy préordonné en ſa preſcié
ce,non pas qu'il le reduiſe du tout à rien, ainſi qu'auant ſa creation,mais parle moien
de l'vniuerſelle conflagratió il l'immuera & changera de meſme que nos corps,(par
celles d'iccluy,)àvne meilleure diſpoſition & nature,exempte de tout changement
& corruption.OR pour retourneràl'aduis d'Ariſtote,& à ſes raiſons de l'eternité du
monde,ilenameine 4 ou5 les plus pregnâtes,la I.que le mouuement n'eſt mygene
rable,ny corruptible ſimplement.Car ſ'il eſtoit renouuellé, il auroitbeſoin d'vn re
nouateur qui euſt mouuementdeuant luy, ce quine ſeroit autre choſe que ſortir de
puiſſance en action & effect, & commécer d'eſtreapres n'auoir encore eſté:& ſerale
mouuement d'iceluy certain eſtre,parlequel de neceſſité ilyavn poſterieur mouue
ment.Ce qu'eſtantainſi il faut en toutes ſortes que le 1.de ces deux mouuemens ſoit
eternel,ou bien il faudroit proceder en infiny,ſelon ce qui a eſté dit de Platon,& ſui
uant ceſte maxime Ariſtote preſuppoſe que le temps n'eſt nygenerable,ne corrupti
ble,veu qu'il ſuit,& accompagne le mouuemét, lequel ne peut eſtre ſinon au temps,
nyle temps eſtre cogneu & apprehendé fors au mouuement : & delà ſ'enſuiura l'e
ternité du möde. La2.de ſes conſequences eſt que la matiere I.cómunicableaux 4.
· elemens n'eſtauſſine generable ne corruptible:carſielle eſtoitgenerable,ilfaudroit
qu'elle euſtvne autre matiere preiacente dontelle futengédrée; & delà ſ'enſuiuroit
que ceſte matiere engendrée euſt quelqueforme, qui eſt le propre de la generation,
& que ceſte matiere preiacente fuſt matiere de la ſubiacente & inferieure, parquoy
elle ne pourroit en ſorte quelconque auoir eſté engendrée : & par conſequentil de
meure qu'elle aiteſté ſempiternelle, ſans qu'elle puiſſe eſtre deſtruitte & annichil
lée:& delà ſ'enſuiural'eternité du monde.La3.eſt qu'en lamatiere du ciel,à la pren
drevniuerſellement, il n'y a point de contrarieté, car le mouuement circulaire n'eſt
nyvariable ne diſſemblable,làoùilypeut bien auoir de la diuerſité en celuy qui ſe
fait par la ligne droitte,ainſi qu'és quatre elemens, dont les deux, terre, & eau, pour
leur peſanteur tendent en bas,&les deux autres air & feu pour leur legereté en haut.
Or ce qui cauſe la corruption de toutes choſes corruptibles eſt la contrarieté ſi donc
il n'ya point de contrarieté en la matiere & ſubſtáce du ciel,il n'yaura par conſequét
point de corruption ne generation,cartoutengendrable eſt corruptible,& tout cor
ruptible eſt generable. Doncques ce qui n'eſt point generable n'eſt point corrupti
ble nonplus,& aureciproque.La 4.eſt qu'en toutes choſes nouuellement faictes, iI
faut preſuppoſer qu'ilyait eu poſſibilité de les faire, & ioindre leur eſtre à certain
temps, car en toutes choſes muables precedevne poſſibilité de leur mutation en vn
temps.Au moyen dequoy deuant que le monde fuſt fait,ſa creation & facture eſtoit
ou poſſible,ouimpoſſible,ouneceſſaire,ſi neceſſaire,c'eſt à dire qu'il falloit de neceſ
ſité que celaaduint,il ne pouuoit eſtre que le monde ne fuſt, ſi impoſſible, de celail
ſ'enſuit que iamais il ne pouuoit eſtre,ſi poſſible,enquoy eſt-ce quegiſt ceſte poſſibi
lité, car il eſtoit neceſſaire qu'il y euſt quelque Eſtant ou ceſte poſſibilité ſe trouuaſt,
l'Hiſtoire de Chalcondile. 4.65
dontilſe peut dire que celafuſt poſſible. Et ne fait rien ce qui ſe pourroit alleguer
à l'encontre, que ceſte poſſibilité eſtoit au facteur &agent, & nompas en la facture,
& la choſe agie; car ilya double poſſibilité, attendu que toute choſe quia principe
eſt preceder de ſa poſſibilité, qui eſt en ordre premiere qu'elle, l'vne en la matiere, à
ce qu'elle ſoit de ceſte ſorte; & l'autre au facteur & agent pour la faire ainſi.
IL Y A encore d'autres telles ſubtilitez en ce ſubiect, excogitées par les ſectateurs
d'Ariſtote : comme, ſile Createura creé le monde apres la priuation ou le non-eſtre
d'iceluy, ilyauraeuauant la creation du monde vn operateur en puiſſance, lequel
quandill'aura creé ſera par là deuenu operateur en action : Que ſi ainſi eſt, donques
le Createur ſera ſorty depuiſſance en action : en quoy de neceſſité il y auroit eu be
· ſoin d'vn autre qui l'ait tiré de ceſte ſourde puiſſance en action.
ITE M, ce quel'operateur ou agent faitenvne certaine heure, & non en vneau
tre; eſt ſelon les empeſchemens qu'ilya; ou les motifs qui l'y induiſent : les empeſ
chemens cauſent la priuation de l'ouurage qu'il pretendoitfaire; & les motifs l'ex
citentàvouloir ce dontauparauant il n'auoit point de volonté : mais l'vn ne l'autre
ne pouuans eſtre au Createur ;il ſ'enſuit de là qu'il n'a voulu faire le monde en vne
heure pluſtoſt qu'en vne autre : car ſes actions ſont eternelles toutainſi qu'il eſt eter
nel,& en perpetuelle action ſans point d'oiſiueté iamais : eſtant outreplus tres-que
parfaict en ſon Eſſence, & ſans fin : parquoy ſes ouurages ſont du tout parfaicts &
accomplisſans aucune defectuoſité ny excez,ne rien quelconque qui ſoit en vain:
& pourtantil eſt Eternel; & ſa ſapience pareillement qui eſt ſa propre ſubſtance, e
ternelle auſſi. dont, puis que ſon Eſſence eſt eternelle, & ſans aucun commence
ment, qu'eſt ce qui le pourroitauoirinduit de ceſſer de toute œuure, & de demeu
rerainſi longuement ſans rien faire auant que ſe mettre à créer le monde ? Car ſoit
qu'à ceſte heureicyoù nous ſommes ilyait deſia cinq ou ſix mille ans que le monde
aiteſté creé,voireautât de millions d'années cöme il faudroit de grains de ſable tres
delié pour remplir toute la concauité de ceſt Vniuers,ainſi que taſche de le ſupputer
Archimede autraicté del'arene, neaumoins tout cela à comparaiſon de ſon Éterni
té d'Eſſence qui n'a point de commencement ny de fin, ne ſeroit nomplus que ſ'il
nel'euſtcreé que hier : Parquoy ſ'enſuiuroit qu'il euſteſté eternellementoiſif, ſans
I. rien faire qu'à ſe contempler ſoy-meſhme. · •

-: MA 1s toutes cesallegations ne ſont point encore demonſtratiues, ne ſi pregnan


tes qu'on puiſſe de neceſſité inferer de là le monde auoir touſiours eſté : comme il
appert meſme de ce qu'Ariſtote en a aduoüé au liure du Ciel, & du Monde : Car en
ce qu'il met la premiere matiere n'eſtre nyengendrable, ne corruptible, cela pour
roit bien eſtre vray : & de faict l'on ne veut pas dire qu'elle ſoit ainſi que celle d'vn
, animal qui vient de la ſemence de ſon conſemblable , ny ne ſe corrompt pas auſſi
comme il fait quand par la mort il vient finablement à ſe conuertir & reduire en ſes
:
:- quatre Elemens, nommément en terre : car le Createura creé de rienceſte premie
re matiere dont furent faites toutes choſes : & en elle ſe corrompt & reduit tout ce
- quien a eſté engendré, ſans qu'elle puiſſe plus demeurer deſpouillée de toute for
me entierement. Mais puis que le Createur l'a creée, il eſt en ſa puiſſance auſſi à tou
tes heures qu'il luyplaira de l'aneantir par vne priuation abſoluë & complette. Le
ſemblable eſt du mouuement, qu'il dit n'eſtre ne generable ne corruptible : ce qu'il
faut admettre pour le regardd'vne generation & corruption generale, qui n'eſt pas
de meſme nature que la generation des particuliers & accidentels mouuemens, leſ
quels peuuent bien ſouffrir alteration & corruption. Cela eſt encore vray, que le
mouuement circulaire n'apoint de commencement, mais c'eſt apres que le çorps
Spheriqueareceu ſon eſtre. Le ſemblable ſe peut dire auſſi en la poſſibilité preſup
: poſée d'auoirprecederen toutes choſes qui ſ'engendrent de quelque EsTANT : mais
#
cela ne va pas de lameſme ſorte en ce qui eſt creé de priuation où il n'ya rien de ſen
ſiblenyintelligible pourraiſon dequoyil ſoit neceſſaire qu'ilyait quelque poſſibili
: té precedente. On ne veutpasd'autrepart contredire que la generation des Cieux
, ne ſoit ſansaucune contrarieté ne repugnance; car cela eſt "y , & ne ſçauroit-on
- Z Z iij
466
/6 - •- - - ' • 4 -

Illuſtrations ſur
alleguer qu'ilsayent eſté faicts & formez ainſi qu'vn homme ou vn cheual, ny què
la corruption ſuiue leur compoſition & facture, comme és plantes & és animaux, à
cauſe de la contrarieté quiy eſt, ains par la ſeule volonté de leur Createur.Aure
gard de l'inconuenient qu'Ariſtote propoſe, que ſi le monde auoit eſté creé, il fau
droit que le Createur fuſt ſorty de puiſſance en action, attendu qu'il auroit ouuré
en vne heure, & non cnvne autre, au moyen dequoy ilauroit en ce cas eu beſoin de
quelque extracteur , il faut cntendre là deſſus qu'iln'y a point de comparaiſon ne
ſimilitude entre ce qui a corps, & ce qui eſt du tout incorporel : Car ceſte obiection
pourroit bien auoir lieu és choſes qui conſiſtét de forme & matiere, ou premier que
de venir en action il falloit qu'il y euſt quelque choſe en puiſſance qui eſt finablemët
venuë à effcct; & pourtant en toutes manieres elle auroiteu beſoin d'vn extracteur:
mais en la ſubſtance du ſeparé, c'eſtà dire de ce qui n'eſt corps, & n'a point de ma
tiere, il n'ya rien de poſſibilité en aucune ſorte,ains tout ce qu'ila eſt en action ſeu
Le Createur ne lement : Parquoyil ne luy eſt ny neceſſaire, nyimpoſſible de faire vne choſe en vne
ſort point de beure pluſtoſt qu'en vne autre; ny de ſortir pour ceſt effect de puiſſance en action:
puiſſance en par ce qu'à l'intelligence agiſſante, d'autant qu'elle eſt ſeparée de toute matiere, il
nction.
eſt poſſible, voire remis à ſa volonté, de faire en vne heure ce qu'elle n'aura faict en
vne autre, ſuiuant le teſmoignage propre d'Ariſtote, & d'Abimac Philoſophe Peri
pateticien, mais Arabe, & Mahometiſte : Qu'à ce qui nous peut apparoir de l'intelligen
ce agiſſante, c'eſt qu'elle n'agiſtpas touſiours, ains parfois, & quelquesfois non : Sans que delà
il faille inferer qu'elle ſe change nonobſtant que ce qui eſtoit auparauant en puiſſan
ce ſorte en action. Et encore que l'action de la forme en la matiere, & l'action de la
ſubſtance ſeparee de toute matiere ſoient equiuoquement appellees toutes deux
d'vn meſme nom, il ne ſ'enſuit pas que ce que la ſubſtance ſeparee ne faiſoit en vne
heure, & elle le fait puis-apres en vne autre, doiue eſtre eſtimee de ſortir par là de
puiſſance en action, enquoy elle aitbeſoin d'vn extracteur, comme és choſes com
poſées de la matiere & de la forme : mais il ne faut pas pour tout cela accomparer les
actionsd'vne intelligence ſeparée à celles du Createur, car ce ſeroit vn erreur trop
euident : trop bien peut-on dire que puisquel'intelligence agiſſante quin'eſt point
corps, ny puiſſance en vn corps,peut agir en vne heure pluſtoft qu'en vne autre, ſans
queneaumons elle ſorte de puiſſance en acti6; enquoy elle aitbeſoin d'extracteur:
à plus forteraiſon le meſme peut conuenir au Createur qui eſt pardeſſus tous autres
E s TAN s; ioint que n'eſtant ny corps, nyaucune puiſſance qui ſoit en corps, muta
tion quelconque n'y ſçauroit adherer nyentreuenir,ores meſme que n'ayât rien fait
auparauantil vintà agir. E T quand on allegue en cet endroit, que puis que Dieu eſt
totallement immuable, ſans qu'aucune variation puiſſe eſchoir en ſavolonté, par
conſequent les difficultez qui l'engarderoient de faire vne choſe ; ne les motifs, &
les moyens qui le pourroient ſemondre à l'entreprendre, ne peuuent pas arriuer en
luy, ſi qu'il opere vne choſe pluſtoſt en vne heure qu'en l'autre : & par conſequent
d'auoirfaitle monde à certain temps determiné : comme ſi quelqu'vn ayant delibe
ré de baſtirvne maiſon ou autre edifice, & il en fuſt diuerty par des empeſchemens
quiarriueroient,ou qu'il ſ'en trouuaſt degouſté pour n'en auoir plus de beſoin:Tou
tes leſquelles difficultez luy eſtans oſtées il luy prendroit enuie de l'effectuer , mais
ce n'eſt pas à dire que pour n'yauoir rien qui nous deſtourne de faire quelque baſti
ment, nous le vueillions neaumoins entreprendre à toutes heures, puis que cela de
pend de noſtre pure volonté : Ce neaumoins(pourroient-ils repliquer encore) de le
vouloir pluſtoſt en vne heure qu'en vne autre, c'eſt touſiours de la mutation: Ce qui
eſt vray.mais autre choſe eſtvne volonté adherante & cöpliquee à vne matiere pour
laquelle on aſpire à quelque but hors de ſoy; car en tel cas ceſte volonté ſe pourroit
muer ſelon la qualité des occurrences qui ſe preſenteroient d'empeſchemens, ou
commoditez : & autre choſe la volonté d'vne ſubſtāce ſeparee de tout corps,& tou
te matiere, & laquelle ne cherche rien hors de ſoy : Parquoy elle ne peut auſſieſtre
variable en façon quelcóque: car de vouloir demain vne choſe qu'elle n'auroitpoint
voulu auiourd'huy, cela ne ſe peut dire variation en ſa ſubſtance. mais ce qui nous
pourroit
+ • · • · · · · , " , -' · · · , . , ----
l'Hiſtoire de Chalcondile. 467
, pourroitabuſer en cetendroit eſt qu'encore que lavolonté qui eſt en nous, & cel
:- îe d'vne ſubſtance ſeparee ſoient bien differentes, & qu'il n'yait aucune ſimilitude
entre elles, ne conformité, on ne laiſſe neaumoins de les appeller d'vn meſme nom.
IL Y EN A d'autres qui admettét bien que Dieu eſt le Createur du monde : mais au
reſte qu'il l'aeſté de toute eternité comme il l'eſt : & ce qui nous faict mettre ceſte
creation à certain limite, c'eſt parce qu'il faut de neceſſité pour noſtre regard ſup
: poſer, par ce que nous ne le pouuons comprendre autrement, qu'en tout ouurage,
il faut quel'ouurier en ordre de temps le precede, & pourtant cela infere quelque
priuation : & que l'ouurieraiteſté premieremét en puiſſance que de ſortirenaction,
ce quiaduient lors qu'il commence ſa beſoigne : mais n'y ayant au Createur ny pri
uation nyrien en puiſſance, il ne ſçauroit eſtre par conſequent deuant ſon ouurage -

ainsa eſté de toute eternité touſiours en continuelle action. Et tout ainſi que ſa ſub
ſtance eſt ſeparee de la noſtre en toute extremité qui peut eſtre de ſeparation, ainſi
eſt la comparaiſon de ſon ouurage pour ſon regard ſeparce de la comparaiſon de nos
actions pour le noſtre. - - - -

OR en toutes ces diuerſitez de diſcours ſi malaiſez à conceuoir, & ſiincertains


comme envne choſe tant eſloignee de nos ſentimens, que de rien ſe ſoit peu faire
vne telle maſſe comme eſt le monde : & que Dieu qui eſt le principal EsTANT, voi
re qui donne & eſlargiſtl'Eſtre à toutes ſortes de creatures, euſtainſi d'vne ſilongue,
Eternité demeuré en rien fors en ſoy-meſme, qui devray eſt tout, & ſi n'eſtrié,pour
1 noſtre regard & conception qui ne le peut apprehender, commc nous auons dit cy- -

, deſſus de l'authorité des Cabaliſtes, noſtre creance, & celle des Iuifs, & des Maho
- metiſtes encore, les ſinges des vns & des autres,ſe conforme plus à l'opinion de Pla
ton qu'à nul de tous les Philoſophes Gentils : que le monde aſſauoir ait eu vn com
--
•--
mencent,
auant ſa creation; ainsnedemeurera
mais qu'il en ſaaneanty,
doit pas eſtre au moins
nature que du tout,
luya donnee le Createur, eſtoit
comme il com

bien qu'il ſoit en ſa diſpoſition & puiſſance de reduire tout naturel E s T R E à priua
- tion , (ce ſont les mots de Rabi Moyſe Egyptien au 3o. chap. du 2.liure de ſes Per
- plexes)Trop bien à certain temps determiné en ſa preſcience, pourra-il ſouffrir vne Azoare ... ra
, immutation ou renouuellement de ſa nature precedente; comme meſme le mar-terre ſe change
: que l'Apocalypſe, I'ayveu vn cielnouueau, & vne nouuelle terre : Car le premier ciel, & g#
: la premiereterre s'en eſtoient allez : & la mer n'eſtoit plus. Plus en Iſaie 65. Carvoicy que ie reillement. .
: crée nouueaux cieux, & nouuelle terre : Eten aſſez d'autres paſſages de l'Eſcriture : le teſ
" moignage de laquelle eſt la plus valide & demonſtratiue preuue que nous puiſſions
: auoir en ce que nous deuons ſentir & croire de cet article. Car ce ſeroit vne ſimpleſ -

: ſe par trop grande de ſ'en cuider nettement reſouldre par vn diſcours de ratiocina
# tion humaine, qui eſt contrainte en cet endroit de cligner les yeux, cöme encontre
_vnetres-forte lumiere,& ployer ſes eſpaulles ſoubsvn ſi peſantexceſſiffardeau,ainſi
-
qu'Atlas ſous le ſouſtenemét & appuy du ciel,ſi ce n'eſtoit l'aide d'Hercule,aſlauoir
: lafoy. Et de faict nousauons bien meilleur compte de croire la creation du monde,
| d'où dependent les principaux poincts de noſtre Religion, que de la remettre aux
Ariſtote & ſes ſectateurs à vne eternité infinie, qui nous amèneroit trop de confu
ſions & perplexitez en noſtre ame; voire meſme des impietez iuſques preſqu'à l'ab
negation d'vn Createur. O R voicy quelques raiſons des plus apparentes qu'alle
guent ceux qui ſe veulentretenir à la creation de cet Vniuers en vn point de temps,
, lequel a eu commencementauecluy. En premier lieu que ce qui ſe voit és parties
doit eſtre tout de meſme en leur tout. Pour exemple, on ſçait bien que le corps de
- Samſon n'a pas touſiours eſté tel qu'apres le dernier & perfaict accompliſſement d'i
: celuy , ains du commencement eſt venu de la ſemence de ſes peres meres, qui ſ'eſt
L muee de diſpoſition en diſpoſition iuſques à ce qu'ilait atteint ſon dernier finalbut
: mais ces changemens & alterations ne ſe ſont pas effectueesd'elles meſmes,ains ont
|. eubeſoin d'vn moteur extrinſeque, & d'vn ouurier pour façonner ceſte ſemence,
ſ, ainſi qu'vne primeraine matiere : le ſemblable eſt il d'vn arbre, & de tous les autrcs
- compoſez & mixtes elementaires : Parquoy telle doit auſſi auoir eſté la facture du
468 Illuſtrations ſur
monde, dont l'homme eſt comme vn petit exemplaire & modelle. Mais la conſe
quence n'eſt pas trop bonne, d'eſtimer que tout ce qui ſe retrouue en vn corps doi
ue conuenir & quaddrer à tous autres.SEcoNDEMENT que de la production des par
ticuliers indiuidus ſe tire vné preuue, que le monde en ſon vniuerſalité doibt auoir
eſté creé; &ce en ceſte maniere. On ne peut nier que Ioſeph n'ait eſté apres n'auoir
encore eſté.ſileſtainſi, il faut qu'ilaiteſté precedé de ſon pere Iacob, & Iacob tout
de meſme d'Iſaac, Iſaac d'Abraham, Abraham de Tharé, ceſtuy-cy de Nachor, &
ainſi en retrogradant iuſqu'en infiny. mais de copſtituer vn infiny c'eſt choſe abſur
de, par ce qu'on peut voir par demonſtration qu'il eſt impoſſible d'aſſigner nombre
ny magnitude qui ſoient infinis, d'autant qu'on y peut touſiours adiouſter & accroi
ſtre.Etainſival'ordre d'vne naturelle ſubſtance, où l'impoſſibilité d'vn infiny reel
lement & en acte eſt aſſez cogneuë : trop bien la peut on preſuppoſer en puiſſance,
ou ſelon l'accident,toutainſi que la diuiſion d'vne magnitude en infinies parties par
puiſſance : & du temps de meſme : mais nompas que l'eſtenduë pour cela, ny d'vne
magnitude, ny d'vn nombre en ſuitte de ſiecles quelques immenſes qu'ils puiſſent
eſtre, ſoit actuellementinfinie. le ſemblable eſt de l'accident par vne continuelle
ſucceſſion de quelque choſe qui ſ'introduit, en la place d'vne autre par la priuation
d'icelle; & celle là par vne ſuccedente; & ainſi imaginairement iuſques en infiny.
Sidóc l'infini actuellement & ſubſtantiellemétne peut eſtre en l'exemple cy-deſſus
amené, quand on aura rebrouſſé chemin iuſques à Adam, ſe repreſentera lors vne
queſtion, dequoy eſt prouenu Adam qui n'a point de pere ny mere ? à quoy on reſ
pondra, de pouldre : & ceſte pouldre dequoy d'eau. Sil'on paſſe encore plus outre;
, & dequoy ceſte eau on dira qu'il n'eſt pas poſſible d'alleriuſques en l'infiny: & qu'il
ſuffiſt d'eſtre arriué à vne exiſtence de choſesapres vne abſoluë & totalle priuation
au moyen dequoyle möde aura auſſi eſté faitapres vne vraye & parfaicte priuation.
TI E R c E M E N T on argue ainſi, que les ſubſtances ou ſont iointes à la matiere, ou
ſont ſeparées; & peut eſtre que quelques vnes ſont parfois conioinctes, & par fois
ſeparees : Car ſileur naturelle & quidditatiue diſpoſition eſtoit d'eſtre ſeparees tant
ſeulement, il ſ'enſuiuroit que iamais elles ne ſe conioindroient, ou ſitant ſeulement
conioinctes,iamais elles ne ſe ſepareroient : de maniere que leur conionction, & ſe
gregation ne ſont point de neceſſité l'vne plus que l'autre : Parquoy puis qu'elles
peuuenteſtre tantoſt conioinctes, & tantoſt ſeparees,les aucunes en diuerſes ſortes,
il ſ'enſuit qu'elles ont beſoin d'vn aggregateur qui les conioingne en leur compoſé,
& d'vn ſeparateur qui les diuiſe en leur diuiſé. dontils inferent la creation du mon
de par la meſme voye. mais ceux là baſtiſſent ſur le fondement qu'eux meſmes ont
poſé pour maxime; laquelle eſtant contredicte & deſniee, tout le reſte de leur in
ductionvientà ſe renuerſer. QyART E M ENT, que tout le monde eſt compoſé de
ſubſtance & d'accidét; car il n'yapoint de ſubſtance ſans quelque accident,ou plu
ſieurs. Or tous les accidents ſont nouueaux, & non eternels : ſ'enſuit doncques que
la ſubſtance ſera ſubiecte & expoſee au temps, qui eſt vn accident, & partant nou
uelle : car tout ce qui ſe vient ioindre & annexer à ce qui eſt innoué, ne peuteuiter
qu'il ne ſ'innoue quant & quant : Que ſi ainſieſt, le monde en ſon vniuerſalité ſera
nouueau, c'eſt à dire aura eu vn commencement. Surquoy ſi quelqu'vn vouloit al
leguer que la ſubſtance n'eſt pas nouuelle, mais ſeulement les accidents qui ſe re
nouuellent ſucceſſiuementl'vn de l'autre iuſques en l'infiny, il ſ'enſuiuroit ſelö leur
dire qu'ily euſt infinies renouations, ce quine peut eſtre ſuiuant leurs maximes pro
pres. d'auantage pour confirmer cet argument qu'ils tiennent le plus fort de tous, &
preſque comme demonſtratif, ils mettent trois ſuppoſitions neceſſaires, mais qu'on
pourroit impugner auſſi. La premiere que c'eſt choſe abſurde de mettre vne ſucceſ
ſion infinie. laſeconde, que toutaccident eſt nouueau , à quoy contrediſt Ariſtote,
uitient le mouuement circulaire n'eſtre nygenerable, ne corruptible; & parcon
§ mobile où eſt ce mouuementintroduit, ne ſerane generable, ne corru
ptible.la troiſieſme, qu'il n'ya rien quine conſiſte de ſubſtance & accident, leſquels
ne peuuenteſtre l'vn ſans l'autre : Ce qui pourroit conuenir de vray à vne ſubſtance
- ſeparée,
$
l'Hiſtoire de Chalcondile. 469
ſeparee ; & aux accidents qui y ſont : mais c'eſt vn corps compſé de matiere &
de formes, il faudroit prouuer que la premiere forme, & premiere matiere ſont
generables & corruptibles, ce que nie pareillement Ariſtote.
v INTE MENT, qu'à prendre le monde en ſon vniuerſalité, & en ſes parties,
tant èn ſa figure, quantité, couleur, temps, & lieu, & autres accidents ſembla
bles, il n'eſt pas impoſſible qu'il ne fuſt moindre ou plus grand, ou d'vne autre
forme qu'il n'eſt : ne qu'il n'ait eſté pluſtoſt ou plus tard, ou en autre lieu & aſſiet
te. Or de le voir determiné ainſi de ceſte grandeur & figure, il a eu beſoin d'vn
determinateur pour le faire tel : dont il ſ'enſuit qu'il a eſté creé à temps ; Car il
n'importe rien au reſte, qu'on die determinateur, ouurier, facteur, renouateur,
appropriateur, Createur : par ce que tous ces mots là reuiennent à vn. Et de faict
il n'eſt pas neceſſaire de toute neceſſité vrgente , que la terre ait eſté deſſoubs
l'eau, & non deſſus : mais puis qu'ainſi eſt, qui eſt-cc qui luya determiné ce lieu
là pluſtoſt qu'vn autre : Ny que le Soleil aiteſté pluſtoſtrond que carré ou trian
gulaire : Pour autant que la raiſon comparable de toutes ſortes de figuresaux corps
qui en ſont figurez, eſt vne meſme. Qui eſt-ce doncques qui aura arreſté ceſte
ſi exacte rotondité au Soleil ? Et pareillement que les fleurs qui prouiennent tou
tes d'vne meſme terre, & d'vne meſme eau , ſoient neaumoins ſi differentes en
figure, couleur, odeur, ſaueur, proprietez, & effects : Ce qui ne peut eſtre ſans
vn ouurier qui lesait voulu diuerſifier en la ſorte, tout ainſi que quelque imagier
ou ſculpteur , qui d'vn meſme bois, pierre, metal, & ſemblables eſtoffes feroit
de differents ouurages : lequel ouurier ne peut eſtre autre que le Createur, quine
ſe peut ainſi appeller, que pour le regard des choſes qu'il a creées.
EN s 1x1 Es M E L I E v, qu'il a eſté poſſible ſelon que tout entendement hu
main le peut conceuoir, le monde eſtre, ou non eſtre, dont l'vn ne luy eſt pas
plus proche que l'autre, aſſauoir pluſtoſt l'exiſtence que la priuation. Or ſi lapoſ
ſibilité de ces deux a eſté egalle, il ſ'enſuit de là, que puis qu'il eſt, l'exiſtence a
:-: preualu ſur la priuation : & que ce choix ait eſté pardeuers ſon facteur, qui ne
le pourroit auoir eu en ſon arbitre & diſcretion ſi le monde euſt toufiours eſté.
mais il y peut auoir pluſieurs contradictions en cela : & entre autres que ce
choix & determination ne peut eſcheoir qu'à vn E s TA N T ſuſceptible de va
riation.
| • • , • - - . -

# F1 N A B LE M E NT la ſeptieſme preuue de la creation du monde eſt eſtablie ſur4


ce enquoy les Philoſophes conuiennent tous preſque de la permanence desames.
Car ſi le monde eſt eternel, il ſ'enſuiuroit qu'il ya euvneinfinité d'hommes morts,
& par conſequent vne infinité auſſi d'ames , puis qu'elles ne periſſent pas quant
& luy. Mais il ne ſe peut donner de nombre infiny nomplus que de magnitude
infinie : Parquoy le monde ne peutauoir eſté de toute eternité precedente.Tou
tesfois cecy tient plus du ſubtil que du ſolide, de vouloir ainſi expliquervne cho
ſe incogneue par vne moins claire; car cela ne pourroit auoir lieu enuers ceux qui
voudroient nier l'immortalité des ames , n'y à l'endroit des autres nomplus qui
admettans leur permanence veulent qu'elles ſe reüniſſent à leur grand tout : car
ce qui demeure (diront-ils) de permanent de Iean ou Pierre apres leur mort, ſe
va vnir au meſme permanent qui demeure apres celle d'André ou Philippes : &
par-ainſine ſeroit en nombre qu'vn tant ſeulement, d'autant qu'elles n'ontpoint
de beſoin d'aucun lieu qu'elles puiſſent occuper & remplir. Parquoy il ne faut
pas conſiderer ceſte multiplication infinie en des Eſſences ſeparees, qui ne ſont
ny corps, ny vertus & facultez logees en aucun corps, comme en des choſes qui
ſont cauſe ſucceſſiuement les vnes des autres. Mais il ſe trouuera bien auſſi des
abſurditez en l'eternité du monde : meſmement qu'il ſenſuiuroit de là qu'vnin
finy fuſt plus grand ou moindre qu'vn autre infiny : Car imaginez tel nombre
Pour le plus infinyqui vous puiſſetomberenl'entendement, rebrouſſant chemin
en arriere ſur le paſſé: ſ'il eſtloiſible d'employer ce mot de nombre qui eſt iene ſçay
quoy de determiné, àvne infinitude indeterminée excedant tout
- • • - - AAA
le nombre quet -
47O Illuſtrations ſur
qu'il puiſſe eſtre; encore n'aura-il point de comparaiſon auec l'infiny qui l'aura
precedé : ny ceſtuy-cy nomplus à vn autre d'auparauant; par ce que cela ſ'eſtend
& reculle touſiours ſans aucune fin limitee. Car retranchez de ceſte infinitude
cent millions de millions de millions de ſiecles , ce ne ſera toutesfois rien r'ac
courcir de ce qui reſte du parenſus : Qui ſera ſans comparaiſon trop plus grand:
tellement qu'il n'y peut pointauoir de proportion. Le ſemblable aduiendroiten
core pour le mouuement circulaire des cieux, dont il y auroit plus d'infinies re
uolutions que celles qui ſeroient meſmes infinies ; & és autres accidents ſingu
liers encore. Mais tout cela n'eſt qu'vne conſideration mentale , comme le deſ
duit bien au long le Philoſophe Albumazar au liure des Eſſences tranſmutatoi
res : Parquoy il vaut mieux remettre ce poinct icy de la creation du monde à vne
ſimplicité de creance, que de ſe perdre & abyſmer dans vn obſcur goulphre de ra
tiocinations ſophiſtiques. Toutes leſquelles choſes, neaumoins la pluſpart ſuittes
& extraictes du More Neuochim de Rabi Moyſe Egyptien, nôusauons bien voulu
appliquer icy, tant pour ce qu'elles n'y viennent pas mal à propos, qu'auſſi comme
· pour vne monſtre & eſchantillon que noſtre langue eſt ſuſceptible de toutes ſortes
de doctrines qui ſe peuuent tres-proprement traicter en elle.
MA 1 s pour reuenir à noſtre propos, que Mahometait tenu le monde auoir eſté
creé au meſme temps, & de la meſme ſorte que tiennent les Iuifs, & nous auec
eux ( entendez ce temps pour le regard des annees qui ſont coullees depuis, car
auparauant, & à l'inſtant de ſa creation, il n'y pouuoit pointauoir d'ordre & ſuit
te de temps, veu que le temps vint auec le monde) il trauerſe & embrouille tout
cela d'vne eſtrange bizarrerie; non ſiignoramment toutesfois qu'on pourroit pen
ſer, ains auec vne tres-grande malice & cautelle , ayant emprunté quaſi le tout
des traditions des Cabaliſtes, & du Talmud, mal de luy priſes & entenduës, com
me nous en cotterons icy la pluſpart, pour traſſer vn chemin aux autres de pour
ſuiure le reſte ſur ces meſmes erres. -

IL D 1T doncques que Dieu a creé le ciel de fumee & vapeur ſ'exhalant de


la terre; auquel il a aſſis ſon throne : & la terre d'vne pouldre de toutes couleurs;
ce qui cauſe la difference de tant de choſes qu'elle produiſt; eſtablie au reſte ſur
la poincte de la corne d'vn bœuf, dont procede les tremblemens d'icelle quand
il ſe remuë. ( Les Poètes Grecs feignent le meſme du Geant Tiphon, que les Cabalſies
nomment Zamaël.) Il forma pareillement(ce dit-il) le premier pere de tous les vi
uans, Adam, de la meſme pouldre. (Cela eſt ſelon la verité Hebraique en Geneſe 2.
ET LE SE 1 G N EvR D1 E v c R E A L'H o M ME P ovL DR E D E T E R R E)
de diuerſes couleurs, qui font les diſſemblances des perſonnes; laquelle pouldre
eſtoit de limon; le limon d'eſcume; l'eſcume des flots, les flots de la mer, la mer
des tenebres, les tenebres de la lumiere,la lumiere de la parole, la parole de la pen
ſée, la penſee du Rubiz, le Rubiz du commandement. (Ceſte gradation eſt aucune
Azoare 48.
ment remarquable en quelques parties.) Puis Dieu l'anima, luy ſoufflant de ſon halei
ne en la face. ( Moyſe en Geneſe 2. appelle ceſte haleine ou ſoufflement NI s cH MATH
HA I I M, inſpiration de vies, lequel mot conuient proprement à la creature raiſonnable, &
non aux autres animaux : car il importe ie neſpay quoy de diuin & celſte ſelon Abraham
Aben EK a ſurleſeptieſme du meſmeliure : Tov T MovR v T c E | Qy I sv R LA
T E R R E Avo IT EN S E s N As EAvx s ov F F LE M ENT DE L'E s P R I T DE
v I E : Les Grecs l'appellent vous, les Latins MEN s, l'intellect & ſuperieure portion de l'a
me humaine : Ce qu'Heſiode a voulu repreſenter en la fable de Promethee, & de ſa Pan
dore, qu'il anima du feuceleſte parluy deſrobé.Dieu puis apres baillace premier homme
Adam, engarde à deux Anges, qui auec leurs langues,la ſaliue leur ſeruant d'an
cre, eſcriuent ſur les eſpaulles de tous les humains, l'vn le bien, l'autre le mal,
leurs œuures & deſtinees. De là il forma Eue de l'vne des coſtes d'Adam , pri
ſe du coſté gaulche , d'autant que ſi c'euſt eſté du droict elle euſt eu la for
Azoare 25. , ce de l'homme. Il crea auſſi les Anges & les Demons ; ceux-là de la ſubſtan
ce du ciel, & coux-cy d'vn feu mortel, & peſtiferc : auſquels Dieu ayant
- , ' - - commandé
- l'Hiſtoire de Chalcondile. 47I
*- •,

commandé de ſ'humilier deuant Adam, & de l'adorer, la plus grande party obeit A . r. 45º ,
, fors Beclzebuth , autrement Sathan, & ſes complices , alleguans qu'ils auoient 27. 48.
eſté formez d'vne plus parfaicte ſubſtance, aſſauoir de feu, & Adam de pouldre:
Parquoy ils furent maudits de Dieu, & precipitezaux Enfers. (cecy eſt pris de mot
a mot des Commentaires de Rabi Moyſe Hadarſan,ſur le cinquieſme chapitre de Genèſe , où
- il cite Rabi Iehoſue fils de Leui. Que Dieu ayant formé Adam appella tous les Anges, &
- · l ur dict : Humiliez vous deuant cgſt homme , & luy/oyez obeyſſans : à quoy la pluſéartſa
tiſit, & ſe proſternerent à luy ſuiuant la volonté de Dieu. Mais Sathan, à ſauoir Lucifer
le plus excellent d'entre eux, auec ſa ſequelle faict reſponſe à Dieu, & va dire, o ſouuerain
- Seigneur du monde, tu nous as créez de la clarté de ta gloire, & maintenant tu nous com
' . , mande de nous incliner deuant ceſtui-cy lequel tu as formé de terre. Alors Dieu treſſiné#
& benit luy replique : En cºſt 'homme icy nonobſtant qu'il ait eſtéformé de pouldre terreſtre;
y a nedumoins plus de ſapience & d'entendement que oomparen toy. Mais voyant que pour
tout cela Sathan ny ſes ſectateurs ne vouloient fleſChir, ny rendre obeyſſance à Adam, il le
chaſſa du ciel, & fut faict Diable. C'eſt pourquoy Eſaie a dict au quatorzieſme chapitre.
- C o M M E N T E S T - c E Q v E T v E s T R E B vs c H E D v c I E L L v c I F E R,
Qv 1 A v M A T 1 N T'Y s o v L o Is L E v E R ? A cela auſſi ſe rapporte, ce que cite
-

- l'-
g E poſtre
L1 Daux
E 1:Hebrieux
mais c'ſtchapitre premier. ET
du ſecond.Adam, A D onoſtre
le celeſte R E NRedempteur.
T E V M Leso M NAnges
E s aure-*
A N- ſeaum.
. 92.
..
- ſée portans enuie à l'homme pourvoir en luy vne plus expreſſe image de Dieu que nompts en
- eux ils conceurent de là leurenuie à l'encontre de luy, dont s'en enſuiuit la mort, comme il eſt
•- dict au 2. de la sapience : D I E v A c R E E L'H o M M E I N E x T E R M 1 N A B L E,
º ET L'A F A I CT A L'I M A G E D E S A S E M B L A N C E : M A I s P A R. L' E N v I E
D v D 1 A B LE LA M o R T E s T ENT R E E E N T o v T E L A T E R R E. : Ce qui
, - eſt plus à plein traiété au 12. de l'Apocalypſe, du draghon qui eſpioit la femme enceinte pour
# deuorer ſon enfant,ſurquoy interuimt vn gros combat de l'Archange Michel, & des ſens,con
tre luy qui fut iecté en terre, & ſes adherans auec luy. Et à ce propos S. Bernard ſurce lieu du
premierde Ionas : PR o P T E R M E T E M P E s T As H E c G R A N D 1 s v E NIT sv
P E R v o s, Interprete ceſte tourmente pour la diſſention des Anges & d'Adam : ceux là
l - pource qu'ils ne vouloient le recognoiſtre pour Seigneur : & cſtuy-cypource qu'à leurſagge
- ffion il voulut imiter le Meſſie à taſter de l'arbre de ſcience de bien & de mal: Ce qui eſtoit re
- férué audit Meſſie ſuiuant ce qui eſt diten Iſaie7. B va Y R v M E T M E L c o ME D ET,
r. V T S C I A T R E P R O B A R E M A L V M 5 E T E L I G E R E B O N V M. -

- O R ceſte cheutte de Lucifer, & ſes adherans n'a pas eu tant ſeulement lieu enuers les Iuifs
-- les Chreſtiens, & les Mahometiſtes, mais les Gentils auſſi & idolatres, Chaldees, Egyptiens,
- Grecs, & Arabes : meſme Pherécide de l'Isle descyros l'vn des Precepteurs de Pythagore la
deſcript ſoubs le nom du malin eſprit qu'il appelle # p13 ſerpent, lequel fut chef de la ligue des
Demons rebelles; comme fait auſſi Mercure Triſmegiſte en ſon Pymandre : & Homere ſoubs le -

nom d'Atéou Nuiſance, qu'il feint auoireſféprecipitee du cielpar les Dieux, comme furent les
, malins eſprits, ce dit Empedocle en Plutarque au traiétéde l'vſure, & ee dedans la mer, qui les
reietta ſur la terre; & la terre les fit rebondir au Soleil, qui les renuoya derechef au Ciel. Ce
qui batſurce reſtabliſſensent des Demons qu'à voulu toucher Mahometapres quelquesChreſtiens
non de petite authorité, comme Origene,ſiaumoins cela eſt de luy, & non choſe à luy ſuppoſée: le
, queltientque les Demons, qui de leur propre motif& arbitre à l'inſtigation de leurchef, ſéde
partirentdu ſeruice & obeyſſance de leurCreateur, s'ils/éveulent tant ſoit peurecognoſtre,ſ
- ront veſtus de chair humaine, où ayans faict leurpenitence apres la reſurrection generale par
º la meſme adreſſe qu'ils ſont arriuez à la chair, ils ſeront reſtituez comme auparauant, à la vi
ſion de Dieu; & deliurez meſmes de leurs corps etherées & aériens , afin que puiſſe eſtre ac
-, comply ce que dit l'Apoſtre : Tov T G E N ov I L s E c o v R E E E T F L E s c H 1s- -

2 s E A v N o M D E I E s v s, D E s c R E AT.v R. E s Q v 1 s o N T A v c'I E L3 Philipp. 2


: EN LA T E R R E , E T L A B As E s E N F E R s. Au regarddes corps dont par
: le origene,S. Auguſtin enſon interpretationſurCeneſemetqu'on appelle les Demons animaux
2 aérez, & ignees , par ce qu'ils ontvn corps de nature d'air, qui ne ſereſoult point parlamort, -

, tomme ceux qui ſont faicfs de terre ººººy le leur eſt plus propre à agir qu'àpatir. -

2 - 1 · AAA ij
- -
- -

\ -
•- (i •

| 4.72 Illuſtrations ſur


Et de faict tous les Anges en leurpremiere creation eurentdes corps formez de lapure & ſupré
me region de l'air: leſquelsfurentconfirmez aux bons, & changez aux mauuais apres leurpre
uaricition, en vne qualitéplus groſſiere & materielle:ſi qu'ils peuuent ſtre tourmentez par
le feu. A laquelle opinion adhere le grand Baſile, & Gregoire NaXianzene. Orphée auſſi leur
aſſigne des corps elementaires, mais non egaux & ſemblables à tous, ains de pluſieurs diffe
rends degrez. Et Virgile au 6.del'Eneide, vne craintemgſme des coups d'eſpees, & autresfer
7 €7/26'/2.5 . -

Azbare 2. . L E D I A B LE doncques par deſpit d'auoir eſté ainſi banny de la gloire de ſon
Createur pour raiſon d'Adam , le vint ſeduire auec ſa femme , & leur fit trans
greſſer la deffence que Dieu leur auoit faicte de manger de l'arbre à eux prohibé;
les Gloſſateurs Mahometiſtes l'appellent Loba, l'arbre de la trompette, dont les .
grains à leur dire eſtoient ſemblables à ceux du froument : Adam en prit vn eſpy
ayant ſept grains, trois deſquels il mangea; trois autres il donnaa Eue, & du ſept
ieſme qui eſtoit plus grand qu'vn aigneau, il en fit ſix cens parcelles, qu'ayant ſe
mées, en prouindrent toutes ſortes de grains & ſemences. ( Surce propos Rabi Moy
ſe Egyptien liure deuxieſme chapitre 3. de ſon M o R E , met qu'vn de leurs Docteurs a eſ
crit, que le Demon qui tenta Eue ſe nommoit ZAM A E L : auquelmot il y a certaineproprie
té latente, comme en NA H : Moyſe appelle ainſi le ſerpent, grandà paird'vn chameau, &
preſque de la façon : ſur lequel ſtoit monté Zamael: Tout ainſi que long temps apres quand
il voulut deſtourner Abraham de ſacriffer ſon fils Iſaac ſuiuant le commandement de Dieu:
lequel voyant venir le Diable ainſi monté & equippé ſur ce ſerpentin dromadaire pourſe
duire Eue, ne ſe peut engarder de rire : & le laiſſa faire pour voircomme ils luy voudroient
obeir. mais il ne s'adreſſa pts à Adam, craignant de le trouuer plus conſtant que ſa fem
me : qui ſuiuant la legiereté de ce ſexe ſe laiſſa ſéduire : & tout de ce pas s'en alla peruertir
ſon mary : dont vint depuis la grande inimitié entre la ſemence de la femme , & celle du
mauldit ſerpent : où il y a vne relation reciproque : & ſemblablement de la teſte qu'elle luy
º , doit briſer, auecle talon d'elle qu'il vaguettant. Toutes ces choſes met ce Rabi apres les autres,
les ayant bien voulu inſérer icy pour monſtrer les badineries des Talmudiſtes, ſîon les veut
prendre cruèment à la lettre, & non ſelon le ſens allegorique, où Mahomet a peſché la pluſpart
de ſes reſueries & impietez. " .

IL A D M E T vn Paradis pour la recompence des bons , & fideles, & vn En


- • " fer pour la punition des incredules & peruers : l'vn & l'autre departyen ſept pour
25. & 27. pris, cloſtures, & portes, Et conſequemment la fin de ce ſiecle; & la reſurrection
de la chair; mais le tout ſi corrompu & empoiſonné d'infinies fables & impietez:
meſmement que toute labeatitude de ſon Paradis ne conſiſte qu'en voluptez &
23. 64. delices charnelles. Par les bons & fideles qu'ils appellent Muſſulmans , il entend
r ' ceux qui auront creu en ſa doctrine , de n'adorer fors vn ſeul Dieu , lequel n'a
· point de compaignon ny de coégal : qui auront exercé les œuures de charité, &
Parties que miſericorde : & faict des aumoſnes ſelon les facultez & moyens qui leur ſonteſ
- les
º vrais fideles
ºir largis en ce monde : bien gouuerné & entretenu leur famille, ſubuenu aux or
- • (• / / /• . - - -

§ phelins, viſité les malades : & au ſurplus eſté ſoigneux de faire les AX&ala ou prie
-
res, cinq ou ſept fois le iour, aux heures determinees, auec les ablutions requi
ſes : qui n'auront vendu qu'à bon poids & loyalle meſure : payeront ſyncerement
& de bonnefoy les Alzaches, ou decimes au Prophete (luy aſſauoir) & à ſes mini
ſtres : pardonneront les vieilles offences & iniures à eux faictes, ſans en réſeruerran
cune quelconque, ny reſſouuenir de vengeance. Qui auront creu fermement au
Prophete,& combattu de bon courage pour le maintenement de ſa foy contre leurs
aduerſaires & meſcreans. Qui ſeront ſimples à croire, & non arrogans nycontuma
ces & refractaires, ou curieux de rechercher autre verité que la ſienne. Qui requie
renthumblement pardon à Dieu de leurs fautes,lequel eſt tout pitoiable & miſeri
cordieux : & fait croire & deſcroire comme il luyplaiſt ceux quibon luy ſemble, &
qu'ilapredeſtinez à ſalut : Auec infinies telles autres choſes,partie tirées de la loy de
nature, partie de la Iudaïque, & Chreſtienne : le bien touſiours entrelaſſé parmy
le mal pourſeruir d'amorce & apaſtaux impiete
-
gachées deſſoubs le maſque de ces
º -

« . - - • ,º - , 4 - :

2 © - « " - - "• "•

l'Hiſtoire de Chalcondile. 473


bonnes œuures,qu'à tous proposila en labouche, ſans aucune diſtinction de loy ny
#
de religion.Cariladuoüe que tous les bien viuans,ſoient Iuifs,ſoient Chreſtiens, ou
qui ayans laiſſe leur loy pour en prendre vne autre,& en ſomme tous ceux qui adore
ront vn ſeul Dieu, & exerceront les œuures dé miſericorde, indubitablement ob
: tiendroncl'amour,& la grace de Dieu.Mais ſon Paradis eſt du tout confit en delices
& voluptez,voire telles que les plus deſbordées concupiſcences auroient preſqu'hö
te de les imaginer en leurs plus ſecrets & intimes ſouhaits. Et en premier lieu il le li- Le Paradis dè
mite en ſa grandeur, telle que les cieux & la terre enſemble, c'eſt à dire, ce monde † Zoare 6.
ſenſible & concaue contenu ſous la voulte des cieux,yayant au reſte ſept pourpris & 5I.
eſtages,le tout enrichy,diaſpré,& elabouré d'or, d'argent, pierreries, marbres, por
phyres, ſerpentins,iaſpes, &c. dont ſont edifiez les beaux & ſomptueux palais gar
nis de meubles tres-riches & precieux,licts, & tapiſſeries d'or, d'argent, pourpre, 55.
& ſoye, le tout accompaigné de plaiſans & delicieux parcs, iardinages & vergers,
pleins de toutes ſortes de fleurs & de fruicts trop plus ſauoureux que l'on ne ſçau
roit deſirer, & arrouſez d'infinis ruiſſeaux doucement coulans de fontaines & ſour
ces d'eaux viues,& de laict,miel,& vins de toutes les plus delicates ſortes qu'on ſçau
roit deſirer.Mahomet conſtitue ſepteſtages de Paradis,& autant de l'eafer,le tout al'imitation
de Rabi Simeon fils de Iohahieu ſon Zoar,où ildt que ſuiuant le nombre ſptentire des peines
& tourmens infernaux,il ya de meſme ſept habitacles au Paradis de delices, & au ciel des bien
heureux où la lumieredusoleilluira ſeptfois au double, comme dit Iſalego.A quoy ſe rapportent .
les ſept lampes ardantes en l'Apocalypſe4.qui ſont les ſept eſprits de Dieu. Au regard des ſºpt
manſions infernales,les Cabaliſtes les tirent ainſi tellement quellement parles cheueux des p.t/º
ſages del'eſcriture. La premiere eſt Beerou Bor,le puits, au Pſeaume 63.que le puits ne fºrme
point/a bouche ſurmoy. La ſeconde Sheol, foſſe, Pſeaume ô. En enfer, ou ea la foſſe, qui ºſt-ce
quite recognoiſtra. La troiſieſme Maneth, la mort, la meſme, car eu la mort iln'ya perſonne
qui ſe ſouuiennede toy. La quatrie/me, Zal Maneth au 22.Si ie chemine au milieu de l'ombre
de la mort. La cinquieſme, Dimiah, ſilence, au II3. Nytous ceux qui deſcendent au Dimiah
vulgairement enfer Laſixieſme Abadon extermination, perdition , mort & ruine, au o. de
l'Apocalypſe, ils auoient ſureux le Roy del'abyſine nomméea HebrieuAbadon. La ſeptieſme,
Gheonam, leval de pleurs & lamentations Pſeau.yº. . ,
, Sv1T en apres de Mahomet.Au milieu de ce Paradisilyavnarbre que Moyſe
appelle l'arbre de vie,& les Mahometiſtes de Toba ou de la trompette, dont les bran
chess'eſpandent de tous coſteziuſques ſur les murailles du Paradis,& leur fontom
brage,les fueilles duquel ſont miparties d'or & d'argent, & en chacune eſt eſcript le
nom de Dieu,auec celuy de ſon meſſager A H M A T. Moyſe Egyptien liu.2.chap.3i.met
apresquelques autres precedents Rabins,que la grandeurde ceſt arbreſtoit autant qu'on pour
roit chemineren cinquante ans,aſſauoir la longueurde ſa tige,ſ elle eſtoit couchéeparterre,ſans
y comprendrele branchage : & que toutes les eſpeces des vegetaux furent premierement conte
nues en iceluy,lequel Dieu ne manifeſta oncques puis, ny ne manifeſtera àperſonne.
IL yaauſſi deux fontaines,l'vne appellée Celzebita,& l'autre Zengebila,dont l'eau
eſt plus blanche que neige, & plus douce que miel, & vne tierce encore plus ſingu
liere ditte AlcanXar, contenantl'eſpace de ſoixante dix mille iournées de long, & de
large,où ilyaautant de couppes & de vaſes pour boire, que d'eſtoilles au ciel. Dans
· ceſte fontaine Mahomet en la generale redemption doit lauer ſes Muſulmans ou fi
deles,qui pour n'auoir ſi bien obſerué ſa loy en ce monde qu'ils debuoient, ny yeſcu
- - - - • , _ I > - - - - . * -

engens de bicn,auroient merité les peines d'enfer dont ils ſortiront plus noirs qu'vn
charbon eſteint, mais apres qu'ils auronteſté laués en ceſte eau, de laquelle Maho Apocal.21.
- - - - • . .
met leur doit quant & quant donner à boire de ſa propre main, & leur faire vn ban- # à,
quet ſolennel,iamais ils ne ſentiront plus faim ne ſoif, commeil eſt dit au liure de la ## #
- - " . 0lf, 40 077 •

Zune, & en celuy des fleurs, & deuiendront lors blancs comme neige. Puis ſeront §
$
colloquez en Paradis au meſme ranc que les autres quin'ont point merité de peine, de N /2e4/3f.
Pºur
outre plus les vns & les autres ſeront reduits à vne meſme corpulence, ſemblable 4 Plus au 22.
scelle d'Adam,& leurface belle & reſplendiſſante comme le Soleil.Cecya quelqueaf Azoare4
Jinitéaueccequenoſtre eſcripturetient des deun Adams,& des deux loix,dont le terreſfrerepre
\
- · AAA iij
f • . .

4.74 Illuſtrations ſur -

| ' - « - | . - ! - • - -

ſênte le corps,& leceleſte leſprit,par la face qui eſt la plus digne partie del'homme, & que tous
animaux redoubtent,pour le caractere de la Diuinitéqui y eſt empraint.
EN la 65.Azoareil conſtitue deux Paradis : qui cheminera (dit-il) en la crainte
de Dicuil obtiendra deux Paradis pour ſon heritage, tres-fertiles & accommodez
de toutes manieres de biens,& arrouſez de belles fontaines tres-pures, là où il yaura
de tous les fruicts qu'on ſçauroit deſirer. CE LA ſignifie, dient leurs commentateurs là
deſſus, la double beatitude que doibuent attendre ceux qui craindront Dieu, & obſerueront ſes
commandemens du corps aſſauoiren ce monde içy,ſuiuant ce que Moiſeprometaux enfansd'I
raëlen Deuteronome28.où il ne parle que de la felicitétemporelle, comme s'il vouloit reſeruerla
| ſºirituelle & permanente à la loy de grace. Ce qui monſtre que Mahomet s'eſt plus ſtudié qu'on
ne penſe à contrefaire le Iudaiſme, & Chriſtianiſme, vſant partout d'allegories & paraboles à
l'imitation des Rabins.Carau traiétéde la doctrine du Prophete ſont conſtitue (deux ſiecles de
beatitude,le preſent & l'aduenir, dont ne s'en peut point donnerde ſimilitude, parce que les
iours de ſa durée ne ſont foubmis à aucun nombre, ny les habitans d'iceluy à la mort, maladies,
Apocalypſ 2I. hngoiſſes, tribulations, ny autres accidents quelconques. Leſquels deux ſiecles ſont repreſentez
. parles deux citez de Ieruſalem, dont celle d'emba eſt appelée la ſainčte & henoiſte habitatio ,
parcequ'elle eſtſituée vis à vis de la Ieruſalem celeſte ce qui conuient auecle21.de l'Apocal pſe,
afin de manifeſter touſlours # en plus, & conuaincre ſa fiaude & deception.
L E s habitans au reſte de ſon imaginaire Paradis ſe pourront veſtir de toutes les
couleurs que bon leur ſemblerafors de noir reſerué pour luy ſeul afin de le pouuoir
diſcerner des autres. C E s T l'occaſion pourlaquelle les Turcs, & autres Mahometiſtes ne
- s'en habillent iamais gueres.Et àl'entrée dudit Paradison leur donnera à tous à gouſter
du foye de certain poiſſon dit Alheiit,d'vne ſaueur ſi delicate,que nul ſens humain ne
ſçauroit arriueràl'imaginer ne comprendre,& puis vſeront de tous les fruits, & des
breuuages à leurappetit,car ce foye là eſt ce qui leur donne la ſaueur. CE c Y eſt orgé
à l'imitation de ce qui ſt dit au Talmud, du grand poiſſon Leuiathan, du bœuf/auuage, & de
l'oiſeau. Quant aupoiſſon que Iobau3 & 4o.appelle Leuiathan,& le Pſeau.io Draghon,ſainit
Thomas l'interprete pourvne baleine à la lettre, & allegoriquementpourle diable,/uiuant Iſaie
au 27.Leuiathan ſerpentem tortuoſum : & cetum qui in marigſt. Que Iobauzo.appelle auſsidu
meſme nom de Leuiathan,comme le denote aſſeX ce qu'il dit,an extrahere poteris Leuiathan ha
mo,&c. Et là meſme ils'ſtendbien plus amplement ſurce Baeuf dit de luy Vehemoth dontilen
dit deſfranges choſes,& les Rabins encore plus, que c'ſt vn animal terreſtre de telle grandeur
qu'en vn iourilpaiſtroit les herbages de millemontaignes, & le lendemain ils y renaiſtroient
comme au precedent : outre plus qu'en la reſurrection generale Dieu le fera tuer pour en faire
vn banquetaux iuſtes paroù l'on peut voiraſſez clairementl'affinitédu Mahometiſme auecles
· traditions Iudaiques.Saincf Auguſtin au rſte au 2 de la citéde Dieu,ſurl'aſſertion de Rau Kat
- tina au Talmudique ſix mille ans doit durerle monde, chaſque iour de la creation denotant vn
Pſeau º º millierd'années, ſelon que met le Pſalmiſte, mille anni in conſpečfutuoſicutheſternadies que
· #§, preteriit, & mille autres demourront pourle grandSabbath & iourduSeigneur, n'eſtime pas
" " , quereſte opinion ſoit du tout à reietter,ains aucunement tollerable, ſi l'on vouloit interpreterles
delices & volupteKque les Rabins alleguent deuoirgſtre en ce dernieriourde mille ans, pour la
beatitude ſpirituelle que les bien-heureux peuuent perceuoirde la fruition de la gloire & pre
ſence de Dieu,& non pas pourvn boire & mangercharnel, hors non ſeulement les bornes de la
modeſtie,ains de toute veriſimilitude & creance.
MA1 s pource qu'il preuoyoit aſſez qu'on luy euſt peu aiſéement obiecter,que ſi
ces repas ſe debuoiententendre charnellement à la lettre. Que deuiendroient les
excremens & ſuperfluitez de ce boire & manger qu'il dit ſe debuoir conuertir en
vne odeur plus flagrante qu'ambre gris, ne muſc, ſes interpretes taſchent de ſauuer
ceſte abſurdité par vne ſimilitude des creatures eſtans au ventre de la mere, où non
- nobſtant qu'elles reçoiuentnourriſſement, ſine rendent elles pas pour cela aucune
egeſtion, ioinct que ce ne ſera point par neceſſité & beſoin de ſuſtentation qu'on re-.
ceura (dient-ils)en Paradis toutes ſortes d'aliments, horſmis ceux qui ſont prohi
bezenlaloy,ainstant ſeulement pourvn plaiſir & volupté,afin que le corps aye auſſi
ſa part de labeatitude , comme l'ame aura de la ſienne en la contemplation de la
gloire
-

I'Hiſtoire de Chalcondile. 475


gloire de Dieu : & à ceſte cauſe ils auront pour les ſeruir de ieunes pages beaux en
touteperfection, parez au reſte tres-richement à guiſe de pierres precieuſes enchaſ
ſées en or deſſus leurs fueilles, & leur teint, de fins brocadors, & ſoye verte, qui eſt
vne couleurfort recommandée enuers tous les Mahometiſtes, ſi qu'il n'y a que les
Emirs, c'eſtà dire les parents du Prophete, & deſcendus de ſon lignage à qui il ſoit
loiſible d'en porter,principallementenTurbans ou habillemens de teſte : & deM ils
ont eſté ſurnommez IeſilbaXteſtes vertes, auſquels on porte vn fort grand honneur ,
& reſpect.Les pages doncques dits Guildemin Mohalledun, enfans d'honneur perpe
tuels,quine ſont pas de race humaine,ſont là ence Paradis ordonnez pour le ſeruice
des bons Muſulmans ou fideles Mahometiſtes, leſquelsy ont d'abondant pour leur
volupté & vſage des femmes belles par excellence, & touſiours vierges dittes Hora,
reſplendiſſantesàpair du Soleil, ſi que ſi quelqu'vne ſortoit dehors en plein minuict
des plus obſcurs,elle larendroit plus lumineuſe qu'vn clairiour d'Eſté ( c'eſt le liure
· de la Zune qui dit cela) & ſi elle crachoit en la mer, l'eau ſoudain en deuiédroit plus
douce que miel, les vierges là perpetuelles, treſſomptueuſement au reſte parées &
attiffées ne ſont pas non-plus de race humaine, ains crées de toute eternité en Idée,
ainſi que ſelon d'aucuns ſont les ames raiſonnables là haut au ciel, dontelles ſe vien
nent de main en main couler icy bas dans les corps : tout de meſme ces creatures ſe
viendront à manifeſter en vn incorruptible & immortel corps pour le plaiſir des
Muſulmans,d'vne bien plus eſtrange façon encore.Car quand le ſainct banquet ap
pellé Hadrate alcoduz ſe fera en Paradis aux eſleus, Dieu commandera à l'Ange Ga
briel d'allerprendre les clefs d'iceluy qui ſont entre les mains d'vn autre Ange, le
:: quelles tirera de ſabouche ennombre de ſoixâte dix mille, chacune ayant ſept mil
le lieuës de long, & quand Gabriel viendra pour les auoir , il ne les pourra ſouſleuer
pour leur peſanteur: Parquoy il ſ'en retournera vers Dieu,qui luy ordonnera de pro
ferer ces parolestant pratiquées parmyeux. LA H I LA H E H 1 LA LLA H , M EHE
M E T R E svLA LLA , T A N G A R I B I R B E R E M B E R A c, Dieu eſ* Dieu, & Maho
meteſt le prophete de Dieu, & le vraymeſſager diceluy En VCrtu deſquels mots il leuera
2

les clefs,& en ira ouurir le Genetualcoduz le Paradis ſainct,qui eſt le ſixieſme pourpris
& cſtage des ſept, où ſeront lors introduits tous les eſleuz, quitrouuerontla nappe
miſe,auec des ſieges d'or & d'argenttoutautour de la table,d'vne ſeule piece de dia
mant,longue & large de ſept cens mille iournées,eſtans aſſis à banquetter viendront
ſoudain les pages ſuſdits pour les ſeruir,& apres auoir bien repeuà leur volonté, on
leur viendraapporter de tres-ſomptueux veſtemens, auec infinies bagues & ioyaux
ours'en parer.Cela fait,quand ils ſeront bien equippez, les pages leur apporteront
à chacun dans vne taſſe d'ortoute enrichie de pierrerie,vn gros poncyre,que le Muſ
ſulman n'aura pas pluſtoſt flairé qu'il n'en ſortevneieune pucelle d'vne trop exquiſe
beauté,ayant les yeuxgrands comme vn œufd'Auſtruche, qu'elle ne iettera iamais Azoare 54•
47.&
ſinon fur celuy à qui elle ſera deſtinée,& leviendra embraſſer,& luy elle : & ainſide
meureront en ceſt acte venerien cinquante ans,ſans ſe ſeparer ne diſioindre,prenans
enſemble tous les plaiſirs que la ſenſualité ſçauroit deſirer.Cela fait,chacun viendra
auec ſa bien-aimée compaigne,deuant le throſne du grand Dieu,quioſtera à ceſtin
ſtant le voile de deuant ſa face, dont ſortira vne ſigrande lumiere que tous tombe
ront en terre comme tranſis, mais il les en releuera foudain : & le verromt lors face à
face: puis ſ'enirontés autres cloſtures de Paradis,chacun accompaigné de ſa vierge,
& de ſes pagesauxpalais àeux ordonnez,où ils demourront à perpetuité en ioüiſſan
ce perpetuelle des plaiſirs & delices du lieu. QvANT aux femmes Mahometanes,
elles n'entreront pas en Paradis comme les hommes, ains demourront apartées en
vn lieu ſequeſtre,où elles ne ſentiront ne bien ne mal: & voila pourquoy icybaselles
n'entrent pointés moſquées & Mahomeries, choſe bien eſtrange comme ces miſe
rables creatures peuuent comporter de ſe voir priuées de l'eſperance de ſalut, dont
par touteslesloix de ce monde, voire meſme du paganiſme ce ſexe là n'eſt point ex
clus. Etcertesil faut bien qu'elles ſoient plus ſtupides que pierres, & les hommes
tres-iniques & cruels en leur endroit, ne pouuant bonnement comprendre pour
476 Illuſtrations ſur
quoy ny à quelle fin ce malheureux legiſlateurl'ait voulu eſtablir de la ſorte. .
O R encore qu'à la lettre il monſtre de s'eſtre voulu entierement arreſter à vne
beatitude charnelle & voluptueuſe, comme ayant affaire à des gens confits du tout
en la ſenſualité,& és delices corporelles : Quibus, comme dit Pline des pourceaux,
anima data espro/ile,neaumoins en la quatrieſme Azoareil ſemble qu'outre lesbiens
& plaiſirs charnels, il en vueille promcttre à ſes ſectateurs de plus excellés ſans com
paraiſon, ſoubs la couuerture & inuolution de certaines allegories & paraboles. Et
quantà la viande celeſtielle dontila eſté parlé cy-deſſus, qu'il taſche de peruertir &
adulterer deteſtablement en la ſacre-ſaincte Cene de noſtre Seigneur, voicy ce qu'il
en met en latreizieſme Azoare.Dieu demandant à des hommes reuºſtus de belles aulbes &
robbes blanches,s'ils ne croyoient pus en luy,& en ſon meſſager Mahomet, ouy, reſpondirent-ils,
mous y croyons voirement, & tu en es toy-meſme teſmoin,la deſſus ces gens là demandans à IE
sv s fils de MAR 1 E, ſi Dieu leur pouuoit impartir à tous lerepas celeſte ? A quoy I E s vs fit
reſponce, craigneXDieu ſîvous eſtes fideles. Et eux repliquans, nous en voulons certes man
gerpourla confirmation de nos caurs,aſîn queparnºſtre teſmoignage nous approuuions que vous
nous aurex dit verité. I E s vs va faire ainſ ſapriere : 0 Dieu donne nous s'ilteplaiſt la vian
deceleſte quinous ſoit en bonne Paſque, & miracle venant de toy, à tous les preſens, les paſſez,
& les autres qui viendrontcy-apres.Dieul'exauçant dit, Ie la leurbailleray devray, mais qui
conqued'icy en auant ſera incredule, ie le puniray de peines & demiſeres que iamais n'en ſera
de ſemblables. Ces paroles icy ont accouſtumé d'eſtre leuës par les AlfaquiX & Taliſ
mans à toutes ſortes de Mahometiſtes en leurgrand Bayran ou Paſques, quand ils ſe
reconcilient les vnsauxautres. -

IL deſcritd'ailleurs vn enfer fort horrible & eſpouuentable & d'vne maniere


poëtique,comme tout le reſte de ſon ouurage,preparé (ce dit-il)pour ceux qui n'au
ront voulu croire en vn ſeul Dieu,&à ſon prophete,ny exercé les bonnes œuures par
luyordonnées en ſon Alchoran,ains auronteſté peruers, tortionnaires, & iniurieux
enuers leur prochain,&idolatres pour le regard de leur Createur, lequelilsont laiſ
ſé de reuerer ſelon qu'il le commandoit, pour luy donner des compaignons, & ſe
tranſporter apres vne pluralité de Dieux qu'ils ſe forgétàleurappetit, tant des crea
tures humaines,que des animaux meſmes irraiſonnables, voire des choſes qui n'ont
ne vie ne ſentiment : leſquels onteſté outre-plus nonchallans de faire les Axzalah,&
prieresaux heures deuës, & les ablutions ordonnées. Ceſt enfer doncques qui eſt
preparé pour de telles manieres de gens,en vn lieu puant & infect, obſcur & hideux
tout outre paué de ſoulphre fondu,& de poixboüillante ardans ſans ceſſe, & ſurpaſ
ſans de bien loin tous les plus forts embraſemens, d'autãt que les viues flammes font
enuers nous celles que l'on contre-fait de peinture, auec vne fumée meſlée parmy
qui n'eſt pas moins intollerable.Ilyad'autre part des mareſcages remplis d'vne ſale
boüe & ordure, plus froides ſans comparaiſon que tous les glaçons des montaignes
hyperborées : & des puits profonds, les vns pleins d'huilleboüillante, les autres de
metailfondu,où les diables auec de longs crocqs & hauets enflambez tournët, reui
rent,& deſchirent ſans ceſſe trop eſtrangement les pauures ames douloureuſes, ſans
que pour cela elles puiſſent finer leur miſerable vie, auec infinis autres telles cruau
tez de tourmens eternels, dont ce qui les afflige plus que tout le reſte eſt le fruit d'vn
Azoare 47.54. arbre appellézacon ouarbre maudit,planté au milieu de l'enfer,&iettant de ſa raci
ne le feu de la gehenne eternelle,lequel fruictfaict enforme de teſtes de diables,eſt
d'vngouſt ſi ennuyeux & abominable,que toutes lesamertumes & puanteurs qu'on
ſe pourroitimaginer en ce monde, ne ſeroient que vray ſuccre, miel, eau roſe, & ca
nelle à comparaiſon de cela,neaumoins on les force de le manger,puis on leurbaille
à boire ie ne ſçay quel breuuage mixtionné de diuerſes ſortes de feux, qui leurren
grege de plus en plusl'ardeur extreme quiles crucie. Ilyalà aupres vne grande &
profonde vallée:& au plus bas d'icelle vn abyſme creux:dedans l'abyſme vn puits,&
au fonds du puits vn coffre de fer fermé à pluſieurs cadenats & fortes ſerrures,où eſt
lié & garrotté à groſſes chaiſnes embraſées le maudit & deteſtable ennemy du gen
re humain,le rebelle & deſ-obeiſſant à ſon Createur, auquel de ſes hurlemens tres
· · · · horriblcs
- -
· l'Hiſtoire de Chalcondile.
-
\
477
horribles & eſpouuentables,il rompt continucllement les oreilles, criant ſans ceſſe
miſericorde.Au moyen dequoyaubout de mille ans ille fera conduire en ſapreſen
, ce,& luy demandera à quelle fin ill'importune de ceſte ſorte, & ſurquoyil peut fon
deraucune attente d'auoir grace, ny en quels mcrites : lors à chaudes larmes il reſ
pondra, Seigneur ie n'ay point d'autre Dieu que toy, qui me puiſſe faire mercy,
octroie moy donc remiſſion ſ'il te plaiſt de ma faute. Et là deſſus Dieu ordonnera
qu'il ſoitreſtably en ſon premier lieu,& mis à pleine deliurance: Et quand les Anges
le verrontainſi ſoüillé & noircy de la fumée de la poix infernale, ils demanderont à
Dieu, à quel proposille veut loger en ſon Paradis pour contaminer tous les autres?
Il leur dira qu'ils le voiſent lauer en vne fontaine : ce qu'ayans fait il deuiendra blanc
comme auparauant,fors vne petite tache noire qui luy demourra emmy le front, &
ainſi entrera dans le Paradis,où chacun le recognoiſtra à ce ſigne, & le monſtrera au
doigt, murmurans que Dieu l'ait voulu deliurer des enfers : dont le malheureux au
ravne telle vergoigne, qu'il aimera mieux y retourner derechefque d'endurer de
tels opprobres & contumelies, parquoy Dieu commandera aux Anges de l'aller en
core lauer par cinq fois en la mcſme fontaine,& ainſi ſ'effacera ceſte tache, & ceſſera
ſa difformité déſormais. • . • , • •

NoN moins fabuleuſe & ridicule que ce que dcſſus eſt ſa deſcription de la fin du Azoare 49.
ſiecle,& du iugement vniuerſel, duquel quand l'heure approchera ordonnée en la
preſcience de Dieu,il commanderaàl'Ange de la mort daller tuer toutes les crea
tures animées, Anges, diables, hommes, beſtes, & puis le fera venir deuant ſoy,luy
diſant : O Adriel, ce qui ſonne autant que priuation de Dieu, y a-il plus aucune de
mes creatures envie ? A quoyil fera reſponce, non Seigneur, excepté moy ton pau
ure inutile & chetifminiſtre. Et Dieu luy dira derechef, puis donc que tuas priué
de vie toutes mes autres creatures, va t'en entre Paradis & enfer, & tc met là à mort
toy-meſme. Alors le miſerable ſe tranſportera au lieu deſigné, & ſ'eſtantenueloppé
de ſes eſles ſeiettera par terre d'vne grande furie, & ſeſtouffera auecvn enorme cry,
& gemiſſement tel, que ſi meſmes les intelligences celeſtes & toutes les autres crea
tures eſtoient encor viuantes,cela ſeul ſeroit ſuffiſant pour les faire mourir d'horreur
toutàl'hcure : A ce propos Rabi Simeon au Talmud, Sathan, c'gſt à dire le diable eſt la mau
uaiſe creature, & l'Ange de la mort, & au liure de Zora , Rabi Racanath ſurle quatrieſme de
Geneſe, In foribus peccatum, dit ainſi la preſence de Dieu ditte Atta ſurmontera l'Ange de la
mort, c'eſt à dire le diable.Ce qui conuient fort bien à ce que deſſus, qu'Adriel ſignifie priuation
de Dieu : laquellepreſence de Dieu denote ſa ſapience, & le verbe qui doibtſuppediter le Prin
ce du monde, ou la Sathanique puiſſance, autrement appellé le grand Roy, comme met Moyſé
Egyptien liu. troiſieſme chapitre vingt trois.Apropos des afflictions de Iob, & la mauuaiſê
creature,là où la bonne gſt dittel'homme pauure & ſage, tel comme a cſié I E svs-C H R 1s r .
en la chairhumaine, lequeleſt la ſapience de Dieu, le fils de l'homme, (ſainčf Matthieu 8.) n'a
bonnement où pouuoirrepoſer ſon chef C'eſt le vrayAnge auſſi de grand conſeil, en Iſaie 9.
Surquoy les Rabins ſur ce paſſage:Tu aimeras le Seigneurton Dieu de toutton cœur,& de toute
ta penſée, qu'ils expoſent, de tes deux creatures, deux Anges ſont conioinéts à toutes perſon
mes,l'vn à dextre, qui ſt le bon, & l'autre à ſeneſtre le mauuais, qui s'introduit en l'homme à
l'heure de ſa naiſſance, ſuiuant ce qui eſt eſcript en Geneſe fixieſme. Creatura cordis hominis
mala ab infantia ſua : mais la bonne creature ou bon Angene s'y retrouue qu'apres ſa complet
te cognoiſſance e3- perfection de l'entendement. Tout cecy met le meſme Moiſe Egyptien au
lieu allegué. - - • .

OR il vaut mieux inſerer icy tout d'vn train, le voyage que ce bon pelerin Ma
homet fit au cielenſonge, & conſequemment le colloque de luy, & d'vn Iuif, par
où ſe pourra aiſéement veoir le reſte de ſes impoſtures effrontées & impudentes,
dont tant de pauures ſimples ames ont eſté & ſonttous lesiours miſerablement con
duittes à perdition, eſtant choſe preſqu'incroiable comme vne creature pour ſi peu
qu'elle puiſſe eſtre doüée du diſcours de raiſon, ſoit ſiabeſtie que de ſe laiſſer tranſ
porterainſià de ſilourdes & brutales badineries, que lesbeſtes meſmes deteſteroiét.
De là puis apres nous viendrons à leurs myſteres & ceremonies, & en ſomme à tout
BB B
-

478 Illuſtrations ſur


cè qui depend de ceſte fauſſe & friuole doctrine,afin que par là nousayons touſiours
tant plus d'occaſion de benir & loüer labonté de Dieu , de la grace qu'il luy plaiſt
nous faire de nous addreſſer à la vraye voye par la lumiere de l'Euangile, dont ſon
tres-cher & vnique fils noſtre Redempteur & mediateura daigné nous venir appor
ter le fanalicybas, au lieu de nous laiſſer fouruoyer en de ſi obſcures tenebres, où
tant de pauures malheureux, ſes creaturesneaumoins auſſi bien que nous, vont er
rans, tout le grand chemin de l'enfer. Mais telles ſont ſes merueilles & iugemens,
eſtendant ſes miſericordes où il luyplaiſt, dont ſi nous nous rendons ingrats, c'eſt
nous faire noſtre procés de nous-meſmes, & en minuter la ſentence, d'auoir ainſi
abuſé de ſes ſainctesgraces, dequoy ceux à qui il n'aura pas tant fait de faueur pour
rontpretendre &alleguer quelque eſpece d'excuſe à noſtre preiugé & condamna
t1Ofl, - -

vIsIoN
|

l'Hiſtoire de Chalcondile. 47 9
-

##

VISION , OV PLVSTO ST PIPPERIE CONTROV - • *

v E E P A R M A H o M E T , E T s E s s ECT ATE vR s D' v N


voyage qu'en dormantil fit en Ieruſalem, & delà au ciel monté deſſus
l'Alborach.

$ E LIvR E de Azearexpliquantl'Alchoran. Azoares vingtſept, r ·


$ & ſoixante & trois, met qu'vne fou Mahomet eſtant couché en , *
Almedineaucclamieux aimée de toutes ſes femmes Axa, ſe reſ -

| |
ueilla en ſurſault pour les grands coups qu'il oyoit frapper à ſa •

$ #$
•- orte , & ayant mis le nex à la feneſtre pour veoir qui c'eſtoit,
apperceut l'Ange Gabriel garny de ſeptantes paires de grandes eſles plus blanches i · · ·
-
" . !
que neige, & ſa face plus claire & resplendiſſante que criſtal, auec vne longue
perruque de rougeur plus que coralline, vesiu au reſte dvne belle aulbe enrichie
de perles c9 de gros diamants , ceinte &" retrouſſée en deux endroits , auec des ·
ceintures de fin or battu, larges dyn bon demy pied, toutes garnies de pierres i | |.
precieuſes d'vne ineſtimable valeur : & auoit d'autres moindres eſles encore aux
pieds, vertes & brillantes comme eſmeraulde : Lequel luy dit qu'il s'appareillaſt, | •
parce que Dieu luy vouloit communicquer la pluſpart de ſes plus ſecrettes mer | | | |
.
ueilles. Eſtant ſorty de ſa maiſon, il le voulut faire monter ſur vn animal qu'il
menoit en main par les reſnes, nommé Alborach, plus grand qu'vn aſne, & vn ## .
peu moindre qu'vn mullet, ayant face humaine, les yeux clairs à pair du Soleil, | -

les creins treſſez de gros vnions, le poitrail eſtoffé deſmerauldes, & la croup |
piere, & ſacquarelle d'eſcarboucles , & de ſapphirs, comme estoit la ſelle, en ···' !
• .
chaſſez en or cizellé, & eſmaillé de toutes ſortes de couleurs , mais il ne le vou
lut pas endurer, ains ſe retira à coſté , demandant à l'Ange comme il s'appelloit,
lequel fit reſponce,que c'eſtoit Mahomet le meilleur homme qui ſut oncques,e9 leplus - , •
aggreable à Dieu.L'Alborach repliqua qu'ilnemonteroitpoint ſur luy,quepremieril | -* •

ne luy promiſt le faire entreren Paradis : c9 Mahomet dit qu'il ſeroit ſans doubte } -

le premier animal qui y mettroit iamais le pied. Alors Mahomet monta en la !


-

| •

ſelle, Gabriel luy tenant leſtrié: Puis ſe mirent à cheminer deſ grandealleure que -

|
chaſque pas s'allongeoit autant que ſe pourroit eſtendre la meilleure veuë dvn clair
voyant en quelque grande campagne raxe , non empeſchée d'aucun obſtacle, &°
ce tout le droiét de chemin de Ieruſalem, Gabriel le coſtoyant comme vn eſtafier à
main droicte : & là deſſus par les chemins ouyrent la voix comme d'vne femme
qui ºppelloit par ſon nom, à quoy il ne daigna reſpondre , ains paſſant outre | | .
s'ouyt derechef appeller d'vne autre voix encore plus claire & hautaine que la #
BBB ij #

| : -
| |
:

48o - Illuſtrations ſur


precedente, & n'y reſpondit riennon plus, iuſqu'à la tiercequ'iltourna lateſte, &
apperceut laplus belle & magiſtrale creature qu'il euſt oncques veuë, habillée ſom
ptueuſement,& toute couuerte d'infinies richeſſes. cAyant demandéà Gabrielquiel
--

|
le eſtoit, il fit responce que la premiere eſtoitlaloy Iudaique, vers laquelle s'ileuſttour
|
nél'ail, & luy euſttant ſoit peu preſté l'oreille, tout le monde ſe fut fait Iuif Laſe
: conde, la loy Chreſtienne, & que s'illuyeuſt parlé, tous fuſſent deuenus Chreſtiens.
-
Mais la troiſieſme eſtoit la ſienne, qui ſeroit remplie de tous biens plaiſirs & delices
: · en cemonde icy, & en l'autre. Et là deſſus deuiſans ainſi arriuerenten Ieruſalem au
| i ! |
temple de Salomon, là où ilmitpiedàterre, c9 apres que l'Angeeut lié l'Alborach à
| | - )7/2º groſſe pierre qui là aupres, ils entrerent dedans, où ils trouuerent tous les Pro
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** phetes quil'attendoient là de piedcoy,aſſemblez à ceſte fin comme à vne generale ſy
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node. Ils le receurent à fort grande ioye, & lemporterent entre leurs bras iuſques à
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la maiſtreſſe chappelle appellée Mihrab, le requerans de vouloir faire la Zala ou
| : priere pour tous, & les auoir puis apres pour recommandez enuers Dieu quand il
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ſeroit arriué deuant ſa face. Cela faiéiils ſe diſparurent, & il demeura ſeul à ſeul
- | t *4
| | | |. | auec Gabriel, lequelluy monſtra lors vnelongue eſchelle quiatteignoit de laterre iuſ
, - - # ques au premier ciel, le piedd'icelle appuyé contre ceſte pierre noire ſuſditte où eſtoit
' ' • '
|

|

attaché l'Alborach, Ses brancarsau reſte eſtoient de fin or, c9 le premier eſchellon
1 ,
deſmeraude, le ſecondde diamant, le troiſieſme deſaphir , le quatrieſme de iacyn
| i
• -
' , ,º
the, le cinquieſmed'eſcarboucle, c9 ainſi du reſte, ſouſtenue des deux coſtez d'vne
• • ſ'. ..| ·
-

| -

multitude infinied'Anges,qui luyaſſiſtoient à monter,Gabrielallantle premier, qui


| | | · -

· i | . letenoit parlamaindroitte. La premiere choſe qu'ils rencontrerentquand ils furent


- · l - !
paruenus en laregion Etherée, fut vn Ange qui auoit depuis vn œil iuſqu'à l'autre
, , , , , !
-
ſeptantemille iournées de long. ( Cecy eſt encore tiré, aſſauoir l'eſchelle du 28. de
• , . !
Geneſe,où Iacob en voit vne qui touche pareillement de la terreau ciel, ce que les
! .
Rabins interpretent ſignifier, toutes les choſesinferieures dependre des ſuperieu
: res, & par les Anges qui deſcendent & montent, les intelligences deputées à la gar
- 1 .
-

|
• de & protection de chaſque peuple & prouince, mais pluſtoſt ſe deburoitentendre
|
| | |
|
-

| par là noſtre Redempteur,auquella diuinitéa eſté conioincte à l'humanité, & eſt


. ! - S, fcan 3. deſcendu à nous pour nous faire monter à ſon Pere : laquelle conionction de natu
res eſt denotée par les deux brancars de l'eſchelle qui font ioincts enſemble : Ce
| • que l'vn des bouts eſt appuyé en la terre, repreſentc ſ'humanité, & l'autre qui tou
cheau ciel, la Diuinité : les eſchellons , les degrez des generations dont IE svs
: i º C H R 1 s T, ſelon la chair ſe debuoit incorporer, & naiſtre en ce monde, depuis
· ! " . " -
-

·
*-
,
Adam, & delà dcpuis Abraham iuſques à la vierge ſa mere. Ce que Dieu eſtoit
l appuyé ſuricelle, monſtre que la Deité eſtoitvnie à la chair en vn ſeul ſuppoſt Dieu
-
|
|! -
homme, ou homme Dieu. A ce meſme proposauThalmud encore il eſt dit ſur
: •. I
l'allegorie de Rabi Tahunna, touchant le nombre quaternaire qui eſt admirable,
- 1 -
qu'ilyauoit quatre eſchellons en la ſuſditte eſchelle de Iacob plantée ſur la terre,
! · qui denotoient les quatre ordres d'Anges, les autres interpretes en mettent ſept,
1 ! -
mais tous conuiennent qu'il n'yauoitquc quatre Anges preciſément, & non-plus,
l "
ny moins auſſi, deux aſſauoir qui deſcendoient,& deux qui montoient, de maniere
à -
: º .
º! # !
qu'ils ſe vindrentrencontrer en vn eſchellon, dont la largeur contient toute l'eſten
i . ! due du monde, & de fait la largeur d'vn Ange eſt miſe és viſions prophetiques pour
· · ··
,º ' ,- - | latierce partie de l'vniuers, à propos de ceſte grandeur d'Anges dont il eſt icyque
'
• *
!
i
-
" !
:
-
ſtion, comme met Rabi Moïſe Egyptien en ſon aggregation du Thalmud, #º 7.
· · · • ! | & II.chap. du ſecondliure de ſon moré.
• , | | || Sv1T apres au liure d'Azearintermis, cet Ange qui vint audeuant de Maho
|| | | || |
' ! |

-
-
|
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| | | | | "
;
x
|
• -

l'Hiſtoire de Chalcondile. 48I


met eſtoit aſſis en vne grande chaire couuerte dvne eſtoffe de couleur perſe, & te
noit vn tableau en ſamain, qui ſeſtendoit d'Orientiuſques en Occident, auquel il Leper ces
eſcriuoit c9 effaçoit inceſſamment quelque choſe.Mahomet par ladmoneſtement †"
de l'Ange Gabrielle ſalua, luyayant ditqu'il eſtoit de fort grand credit & autho
rité enuers Dieu, # M E L E cH ALM E v T I, le Roy ou Ange de A -*

la mort; & ce grand tableau qu'iltenoit au poing A L Av H E A H NAF o D, la # #e


table reſeruée, où ilenregiſtreles noms de tous les humains à meſure qu'ils viennent à †#.
naiſtre,commec'eſtqu'ils doiuentpaſſerleurs iours, combien viure,& dequelgenredeº
mortils les doiuent finer Puis quand ils ſont venus au bout à eux limité & prefix,
illes efface, & ſoudain ils expirent. Darriuéeilnefitpasſemblant de regarder Ma
homet, mais apres que Gabriel luy euſt dit ſon nom, illuyrenditfort courtoiſement
ſon ſalut, luy faiſant entendre la domination e9º pouuoir qu'ildeuoit auoirentre les
º
, 1
mortels, & les biens, dignitex, & honneurs que Dieuluyauoit preparezen cemon
de Le Prophete luy demanda pour quelle occaſion il tiroit ainſi lesames des corps ? il
fit reſponce,que ceſtecharge luyauoit eſté commiſe des l'heure qu'Adam & Eueeu
7'º/7ttranſgreſſé lecommandement de leur Createur, & qu'il l'exerceroit iuſques au
iourdu Iugement. Et à quoyrepliqua Mahomet,ſe diſcernent les ames qui doiuent
eſtre ſauuées d'auec les damnées : Celles des predeſtinezà ſalut(dit-il)ie les arrache
du coſté droictauec peu de peine; & les malheureuxpar la gauche d'vnegrande vio- .
lence & effort. Luyayant demandé derechef commenteſtoit baſty lenfer; ilreſpond
que Dieuyauoit allumé vn grand feu tout autour, parl'eſpace de ſeptante milleans,
dont il ſeroit deuenurouge, enflambé comme feu ardent: & parautresſeptantemil -

leans ayant continué le feu, blanccomme neige: Puis noir, obſcur, enfumé apres au
tres ſeptantemilleans.Etdequoyſontcompoſezles Diables qui tourmententlesames
damnées ?adiouſta Mahomet encore; de feucaligineux & eſpoix (reſponditl'Ange)
duquelils viuent, & ſans luyne ſçauroientconſiſtervn petit moment, nomplus que
le poiſſon ſans eau. Que Dieu les auoit au reſte faits ſourds & muets,afin qu'ils ne
peuſſen touyr les clameurs trop eſpouuentables, & cris hideux des pauures ames qu'ils
tourmentent à grands coups de maillets de fer embraſez, & les deſchirent auec de
longs crocqs & hauets de meſme, & n'en euſſent pitiè. DE LA eſtans montez plus . . •
| #
"

:
haut ils arriuerent au premier ciel fait de fin argent de couppelle, dont leſpoiſſeur # a -
•º -

eſtoitautantqu'vn bon lacquais pourroit aller en cinq cens ans : & tel eſtoit leſpace
dece premier ciel iuſques au ſecond. Soudain que Gabriel eut heurté à la porte elle
leur fut ouuerte, où ils trouuerent à l'entrée vn vieillard merueilleuſement aagé c9
:
chenu, aſſauoirAdam, qui vint embraſſer Mahomet, remerciant ſon Createurde
cequ'illuyeuſt donné vn tel fils, & lepriadele vouloir auoirrecommandéenuersluy.
Vn peu plus outre ils rencontrerent vn Ange de telle longueur qu'elle pouuoit bien
contenirmilleans de chemin, accompaignéd'vnetres-grande multitude d'autres An
ges, les vns de face humaine, les autres de cheuaux, d'oiſeaux, & de baufs; ceux-cy
en nombre de ſeptante mille, ayans chacun ſeptantemille teſtes, chaqueteſte ſeptan
temille cornes, chaque corne ſeptante mille nœuds, dont l'interualle del'vn àl'autre
contenoitquarante années de chemin. Et de tous generalement chaqueteſte auoit ſe /
ptantemille faces, chaquefaceſeptantemille bouches, chaque bouche ſeptante mille
(#. langues, qui parloient chacunemille langages, eſquels ils loüoient Dieu ſeptantemille
BBB iij - -
-

#
| /

482 Illuſtrations ſur


: fois chacun iour Parmyles Anges qui auoient figures d'oiſeaux, il y enauoit vn
# || - - fait comme vn coq, mais ſi grand que ſes pieds touchoient à l'abyſme, &ſa teſte
arriuoit au deuxieſme ciel, deſtiné pour annonceraux mortels les heures du iour &
- de la nuict, afin de faire les prieres ſelon qu'elles ſont ordonnées en l'Alchoran; le
- † quel ſe prit alors en leur preſence à chanter d'vne haute voix : B E N 1T s o 1T
º .. : ! · . L E D I E v E T E R N E L , L E R O Y D E s A N G E s, D E s A M E s, ET
- D E T ovT E s A v T R E s c R E A Tv RE s : à laquelle voix, reſpondirent ſou
• | | dain tous les autres coqs
eſtans icy bas en laterre, qui ſont formez ſur le patron &
| - N - - - - -

· exemplaire de celuy là, & loiient Dieu en leur langage, qui ſignifie; Vous toutes
: ' - c # creatures qui eſtes obeïſſantes à Dieu, eſleuez vos cœurs à chanter ſes di
coqs dient en
•. - § uines loüanges. Le ſemblable font ceux qui ſont én dautres figures, chacun en
, # a - droit ſoy, & en ſon langage. Cecybat ſurce lieu du 15o. Pſeaume O MN 1 s s p 1
-

- - - - R 1T vs LAv D ET D o M 1 N v M. Et de ce que le Tharghim de Rabi Ioſeph veut


paraphraſer ſur le cinquantieſme. D E v s D E o R v M D o M 1 N vs; en ceſte ſor
1 - - • te : Cogncuës ſont dcuant moy toutes les eſpeces d'oiſeaux qui vollent enl'air du
· - · ciel; & le coq ſauuage dont l'argot poſe en la terre, & la creſte touche iuſqu'au
: | ciel, chante pareillement deuant moy. Et de faict pluſieurs ont tenu qu'il n'y a
voix d'animal quelconque, ny chant d'oiſeau, qui ne ſignifie endroit ſoy quelque
· - - - choſe. Et n'importe de rien que nous ne les entendions pas, car auſſi bien ne fai
- | ſons nous le parler des autres peuples, comme d'vn Tartare, ou d'vn Iapponnois,
ou d'vn Indien du Peru, cela ne nous eſt nomplus cogneu que ſeroit le henniſſe
º ment d'vn cheual , l'aboy d'vn chien , l'hurlement d'vn loup, & le muglement
| d'vn taureau : & enſemblable toutes les diuerſitez des chants des oiſeaux : ny d'au
| - trepart ceux qui ne ſçauent la langue Hebraique ou Arabeſque n'apprehendent pas
• · · ce que denotent les caracteres de l'eſcriture, dauantage que ſi c'eſtoient quelques
-- ' - pieds de mouche faicts à plaiſir pour ſeruir de chiffres, ainſi que nousl'auons touché
cy-deuant. -

| -
- LeC II. ciel
1 l, C1Cl,
GA B R I E L doncques & Mahomet montans touſîours arriuerent auſecond
- • |) - - - -

ciel tout faitd'or bruny, là ou ſi toſt que le portier ſeut qui ils eſtoient, les portes
leurs furent ouuertes, qui auoient le nom de Dieu engraué aucc celuy de ſon Pro
|
|
phete, comme deſſus : LA HILAHE HILL A LA, M E HEM ET REs vL
2 - - -

· ALLAH. Et à l'entrée trouuerent le bon Patriarche Noé fort decrepit, aſſis en


| vne chaire, dont il ſe leua ſoudain pour venir careſſer Mahomet ; & ſe recom
manda à luy comme Adam ; luy annonçant la reputation & honneur qu'ildeuoit
auoir Là ils trouuerent vne multitude infinie d'Anges trop plus grands encore que
les premiers, meſmement le Portier lumineux à pair du Soleil, dont les pieds arri
- - - -T - *. -

uoient bien auant en la terre, & la teſte au huiétieſme ciel. Il y a en auoit enco
revn autre fort eſmerueillable, compoſé en partie de feu, & partie de neige; priant
- Dieu ſans intermiſsion , que tout ainſi qu'il auoit conioint amiablement ces deux
- - ſubſfance ſi contraires & differentes, il luy pleuſt de meſme vnir les cœurs de tous
- les peuples delaterre à luy obeir, & le reuerer d'vn accord. CE cx bat ſur ce
que Rabi Eliezer met en ſes chapitres, que les cicux furent creez de la lumiere
• ſi , | du veſtement de Dieu , & la terre de la neige eſtant deſſoubs le throne de ſa gloi
1 - ; re : comme ſ'il vouloit denoter par là, ſelon qu'il eſt allegué au 27. chapit. du 2.
liure du Mo R E de Moyſe Egyptien, qu'il ya deux matiercs,aſſauoir la ſuperieu
re, dont les cieux ont eſté formez, qui eſt ignée & lumineuſe, de nature de feu &
d'air, mais trop plus purs que les Elemens d'audeſſoubs. Et l'inferieure, donta eſté
compoſée la terre, froidde & eſpoiſſe comme eſt la neige, qui conſiſte d'eau, §
- C

|!

".

( -
-:
l'Hiſtoire de Chalcondile. 483 ,
de limon meſlé parmy, ſelon qu'on le peut aiſémentapperceuoir en ſa ſeparation
par le feu. Eſquelles deux parties Moyſe a diſtingué tout l'vniuers; au commen
cement (dit-il) Dieu crea le ciel & la terre. Et à l'entrée du 2. chapitre, les cieux
& la terre furent parfaicts, & tous les ornemens d'iceux. mais cela pourroit bien
auſſi denoter le double Adam, terreſtre, & celeſte; & les deux natures conioin
ctes au M E ss 1 HE, diuine, & humaine; toutes deux pures ncaumoins comme eſt
le feu en ſa ſubſtance, & la neige en ſa parfaicte blancheur; Ce que les Mahometi* :-
ſtes meſimes ſont par fois contraincts d'aduoüer. à
EsT A Ns arriuez au troiſieſme ciel qui eſtoit de criſtal, desboiſſeur & di-11 I. Cic.
ſtance pareille que les deux autres, les portes leur furent defermées par vn Ange de
- - - ò

telle grandeur, que ſi tout le monde, & ce qu'il contient euſſent eſté mis dedans la
paulme de ſa main, il l'euſt peu aisément clorre; accompaigné au reſte d'infinis au
tres anges grands extrémement, ayans la face comme vne vache, & ſi ſerrez les
vnsaux autres, qu'on n'euſt ſceu ietter vn eſtœuf à trauers, Parmy eux eſtoit aſſis
Abraham, qui luy fit le meſme accueil & requiſition que les precedens.
L E IIII. Cieleſtoit tout de fine eſmeraude, ayant pour portier vn autre ange ſi I II I. cici
grand qu'au creux de ſa main droiéte euſſent peu tenir toutes les eaux douces du
monde , eg de la gauche toutes les mers ; lequel pleuroit à dhaudes larmes les pe
chez des hommes , comme le ſçeut Mahomet de ſon conducteur, meſmement de
ceux qui pour leurs demerites eſtoient condamnez aux Enfers. Il eſtoit au reſteaſ -'
| |
ſiſté de ſeptante mille anges ayans la teſte & le becq comme vn aigle; chacun d'i
ceux garnix de ſeptante paires deſles; & à chacune ſeptante mille pennes, longue
chacune de ſeptante mille couldées. Au milieu d'iceux én vne chaire claire au poſSi
ble & reſplendiſſante eſtoit aſſis Ioſeph fils du Patriarche Iacob, qui le receut de
la meſme allegreſſe qu'auoientfaict les autres. Pov Rsv Iv A N s leur routeils
paruindrent aucinquieſme Ciel, faict de rubis, & de la meſme eſpoiſſeur que les v. ciel
quatre precedens, où la porte leur fut ouuerte parvn ange embraſé & ardentcom
me feu, ayant ſept mille bras ; & à chacun diceux ſept mille mains; & à chaque
main ſept mille doigts, qu'il eſleuoit ſept mille fois tous les iours à la mode que font # --

les Mahometiſtes pour louèr Dieu leur Createur. Auec luy y auoit plus d'anges
encore, & plusgrands aſſez que les deſſuſdits, la teſte & le becq ſemblables à ceux
d'vn vaultour: & aumilieu le Prophete Moyſe aſſis en vn beau ſiege clair relui
ſant,lequel auſſi toſt qu'il vit Mahomet, il le vint ſaluer à grands careſſes,lad
uertiſſant comme Dieu auoit reſolu de charger ſon peuple de beaucoup d'abſtinen --

ces & ieuſnes auſteres, parquoy il le deuoit requerir que ſon plaiſir fuſtdelesmo -

derer, parce qu'on ne les pourroit ſupporter à la longue. DE LA ils arriuerent


au ſixieſme Ciel faict de topace, où la porte leur fut defermée par vn Ange plus V I. Ciel
*
grand que nul de tous les autres precedens; accompaigné dvninfiny nombre qui fai.
ſoient vnedoacemuſique, accordans leurs celeſtes voix au ſon d'vne harpedont ioiioit -
---

vn Roy couronné d'vn beau diadéme, & aſſis dedans vne riche chaire de parement, Le Pſeaultie,
- -

:
auec vn tres-precieux liure eſtendu tout ouuert deſſus vn poulpitre où ils chantoient --

lesloüanges du ſouuerain. Ce Roy là,aſſauoir Dauid, car ceſtoit luy, n'eut pas plu --

ſtoſt deſcouuert Mahomet comme il entroit auec l'Ange, qu'il courut audeuant de
luy pour le feſtoyer, luy diſant; Bien veigne le plus excellent de tous les mortels,
le preud'homme tant cheryde Dieu, & le dernier de ſes Prophetes; certes tres deſiré :
484 Illuſtrations ſur
& loyal miniſtre de ſa parole, bien heureux ſontceux quiviuent pour leiourd'huy
, au ſiecle d'embas; vueillez donc auoir pour recommandé ce peuple rebours e9 con
tumace, dont i'ay eu autresfois la charge , c9 l'adreſſer en la droiéte voye de verité:
car c'eſt à vous que ceſte graceeſtreſeruée.Apresquelques autres menus deuis, ayant
VI I. Ciel.
pris congé l'vn del'autre, Gabriele9 luy paſſerent outreau ſeptieſme Ciel faict de
iacynthe, qui leur fut ouuert par vn Angeaſsiſté d'autres infinis ſes conſemblables,
aumilieu detoute laquellecaterueeſtoient Enoch & Elie aſſu ſurvn bancq de por
phyre, viuans encore la viemortelle, & attendans l'heure préordonnée pour ſe faire
venir icy bas maſſacrer de la main ducruelcº impie enfant de perdition, quiſe vou
dra approprierl'honneur & gloire deuëautres-haut. LE vR s congratulations &
V III. Ciel.
bienvenuës parfournies depart & d'autre, Mahometauecſaguidepaſſerêt auhuici
ieſme Ciel fait deſaphir, & aornéd'infinies eſtoilles attachées à des chaiſnes, dontla
plus grande ſelon quillapeutmeſurerdelail, n'excedoitpointlemontde Nghopres
Almedine,à l'entréeſepreſentavn Angedautreforme que les precedens, & ſigrand
Au liure des -
fletits, & en
au reſte qu'il euſt auallé tout le globe de laterre & des mers auſSi aisément que feroit
la Zune.
quelque Geant enorme vn poix chiche; auec infinis autres de meſme. Là il trouua
S. lean Baptiſte veſtu encore deſa pelliſſe de chameau qu'il ſouloitporter au deſert,le
quel luyſaccouttatout basieneſçay quoyenl'oreille. Pv Is ſe departirent, & arri
I X. Ciel.
uerent au neufieſme Cieltout d'vne ſeulepiece de diamant, & de meſme eſpoiſſeur que
, · -,

les autres; eſclairé de laſeule lumiere de Dieu. Lesportes leurfurent toutſoudainou


uertesparvn Angefait declarté ſeptante millefois plus,luyſante que le Soleil,lequel
auoit ſeptante milleteſtes, & en chacune autant de viſages 5 chaque viſage garny de
pareil nombre de bouches, & chaquebouche de ſept cens mille langues, dont chacune
rendoitſeptcens mille ſortes de voix, en chaque voix autant deloüanges au Dieu eter
nelleiour & la nuict Ilyauoit outreplus enchaquefaceſeptante millepaires dyeux,
e9 en chaqueailſeptante milleprunelles munies dautantdepaulpieres,qu'ils clignoiêt
c9 reclignoientſeptante millefois en vne heurepourla crainte & tremeurdelagloire
procedant du throne de Dieu.Il yauoit auecques luyinfinies autres Anges d'vnefigu
rebiè diſſemblable desprecedens Voire detelle qu'iln'eſt paspoſible à languemortelle
d'entreprendre d'enparlerplus auant; cariln'ya que Dieu ſeulquilaſgeuſtexprimer,
nomplus que le nombre d'iceux , dont lapluſpart veilloit touſiours ſans clorrel'œil,com
meſils euſſenteſté làpoſez enſentinelle & en vedette; les autres tenoient lateſte pan
chée encontrebas; d'autres eſtoientproſternez ſans iamaisſeſouſleuertantſoitpeu, &
dautres quichantoient continuellement les loüanges de Dieu, d'vnton ſihaut, qu'ils
eſtoient contraints deſeſtouppereux meſmes leurs oreilles auec les doigts,depeur dede
- !

-•
meureraſſourdis de leurproprevoix.Aumilieud'eux tous eſtoitaſis IEsvs-CHRIST,
en vn riche throne touteſtoffé depierreries, deuât lequelſhumilia Mahomet,& ſere
commanda à # ilcommença à monterparpluſieurs eſtages & ſeparatiôs luy
Lermament tout ſeul,parce que Gabrieln'oſa allerplus auant : lesſeptantepremiers deſquels eſta
ges eſtoienttous deperles : les autresd'audeſſus enpareilnombre d'eauglacée: Puis au
tresſeptantedeneige:7o. degreſle, & autantpar apres denuages : Puis 7o autres
detenebres, & 7o.defeu,ſeptante de clarté, & autant de gloire : Tous ces eſpaces
rempliesd'infinies intelligences quiloiioientle ſainétnom de Dieuſans intermiſſion,ſt
que Mahometauantque de paruenirau dernier ſe trouuaſ las & recreu qu'il ne
pouuoit
l'HiſtoiredeGhalcondile. 485
pouuoit plus allerauant deſormais ; 9uandil vaentroiiirvnevoix commed'vneſloi.
gnétonnerrequipartroitfºisluyditainſi,èmonbien aimécºloial Ahmat appro-A. #
#etoy, & ſaluéton Createur ce quiluy fit prendrecourage, tant qu'ilſapprocha à
deuxtraiſ#dare du throne de Dieu,oupeu moins, mais il en ſortit vne telle lumiere
que«laleblouiſſoit tout nonobſtant que Dieueuſtſptantemille voiles ſur ſa face, -
dontlaclartéles penetroit tous, inſupportableàtoutesſortes decreatures.Alors (com:
meildi) Dieueſtendit la main ſurſonombre, & # , qu'il
cuida tranſir & geller S'eſtantproſterné pourl'adorer, Dieule ſaluaamiablement,
comme le plus fauorit de tous ſes Prºphetes & meſſagers; & lenquit comment ſe
| comportoit ſon peupleſ A quoy il fit reſponſe, Que bien la ſienne merci.Là deſ
ſus il luy enioignit de le# par ſoixante iours tous les ans; & faire des
prieres & oraiſons quarantefois chacun iour; mais il fit en ſorte ſuiuant ladmo
· neſtement de Moyſe, que ces ſoixante iours de ieuſne furent ramoderex à trente;
& les prieres à cinq le iour & la nuict Dieu outre cela luy fit tout plein dau
tres graces particulieres pour luy tout ſeul, qui oncques deuant ny apres nè furent , J°

octroiées à pas vn mortel; & par eſpecial cinq préeminences ſur tous les hommes:
la premiere, qu'il fuſt la plus eſleuée creature qui oncques euſt eſté creée nyen later
re,ny au ciel: laſeconde,leplus honoré de tous les fils d'Adam quandceviendroit au
iour du Iugement : latroiſieſme, tenu pourle Redempteur general,ſi qu'il ſ'appellaſt
|

ALM E HI, celui qui oſte les pechex : la quatrieſme, qu'il ſgeuſt toutes manieres de · : -
langages : & lacinquieſme, qu'à luy ſeul fuſſent concedées les deſpouilles & buttins Deſcriptiondti
delaguerre. Av RE GAR D du throne de Dieu,ſelon qu'ileut le moien de le voir& throne diuin.
conſiderer, qu'il eſtoit composé des quatres elemens; Plus du ſiecle paſſé, du preſent, -
|

c du futur: duciel, & de laterre auſſi, du Paradis, & del'Enfer: aſſis aureſte ſur
quatrepieds, chacun ſeptante millefou plus longeº haut eſleué qu'iln'ya de diſtance : •- º :
• - |

delaterreiuſques au dernier ciel, le tout chargéſur les eſpaulles dequatre Anges qui le Pris d'Ezech :
ſouſtenoient, chacun d'iceux ayant quatre faces; l'vne d'homme, l'autre d'aigle,la
tierce de lion, c9 la quarte de bœuf, & leurs corps totallement remplis & couuerts # #
: • , . '
d'yeux.Celle d'hommeprioitpour les hommes daigle,pourtoutes manieres d'oiſeaux,
delion,pour les beſtesſauuages; & de bœuf, pour lespriuées c37" domeſtiques. T ov :
·

TEs ces choſes parluyveués, Dieu lelicentia; & il ſ'en reuint par le meſme chemin
qu'ileſtoit venu iuſques là ou lange Gabriel luyauoitfaulsé compagnie,aſſauoirvers | | | |
le throne de I Esvs CHR I sT; lequelalors luy mit vnliure entreles mains fermé
à quatrecadenats d'orpur, dont il luy donnales clefs de lameſme eſtoffe, luy diſant; -
|
Tien, regarde à moy, ô dernier enuoiéde Dieu pourradreſſerſes creatures à laco | | | º *

gnoiſſance de ſon ſainct vouloir; Voicy lavraieparole que ie leurannonçai pendant


que ieconuerſois làbas parmieux : queſilsl'ont d'vne autre autre manierecen'eſt pas i - -

demon intention.Autant luyen dit Moiſe de ſaThorah, quant ils furentarriuex |


| | #| | |

deuersluy,ferméepareillement decinqcadenats d'argent à chacun deſquels pendoit ſa ,


-

clefpour l'ouurir, Puis redeuallerent encore iuſques à Adam , là où Gabriel luy dit -

qu'il auoit charge de ſon Createur de luy faire voir tout d'vn train le Paradu, &
l'Enfer, qu'il trouua conformes à la deſcription que vous en auex peu veoir cy
deſſus, # parmi les autres particularitez de l'Enfer, il y en a deux ou trois
fort plaiſantes; qu'il ytrouuapluſieurs perſonnes aſſiſes à table, hommes & femmes,
CCC
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| | - 486 | Illuſtrations ſur
: | où les Diables leur ſeruoient debonnes viandes & ſauoureuſes, entremeſlées de cer
t| || | - tainsmets tropdeteſtables & fetides,neaumoins ils laiſſoientcelles dubon gouſt pour
| |
- ſeteniràces ordes & ſalles. Mahometayant demandé à l'Ange que cela vouloitdi
| | || || re il luyfitreſponſe,queceſtoient les gens mariez, quine ſe contentans de leursfem
| | ||| mes,nyelles encaspareildeleurs maris, couroientapres des adulteres de moindreeſti.
· · · me. L'autre, que les Diables ne ceſſoientde verſer du plombfonduen la gorge deiene
| - - ſçai quels miſerables, qui venoit ſoudain à percerleurs boiaux,puis ſe refermoient;
| | || · creſtoitcetourment ſans relaſche, & touſiours à recommencer,ainſî quele rocher
| | | • de Siſyphe, & la roüe d'Ixion dans les fables Grecques. mais toutes ces fadezesſe
| - roienttrop longues à parcourir;aumoyen dequoypourymettrefin, Gabriel apresla
· uoirreconduiten # illefitremonterdeſſusl'Albºch, & leramenalameſme
| | | | nuictauantquelaulbe duiour apparuſt, iuſques en Almedine, où iltrouua ſa tres
- chere & bien aimée compaigne Axa qui dormoit encore, à laquelleil communiqua
- l tout ce que deſſus, dontpluſieursſe ſcandaliſerentletenansàfable & menſonge, mais
- - - - J> • | •

, º ' il trouua moien de le faire croire, par quelques vers qu il inſera dans ſon Alcho
' ! | V4/3,
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l'Hiſtoire
b

de Chalcondile.

LE Co LLO Qv E D V N I V I F AVEC MAHO M ET,"


qui luy rend compte de ſa doctrine : Le tout de ſemblable farine que
le precedent. -
f
-

E M E s s A G E R de Dieu, l'oraiſon c9 ſalu duquel ſoit eſºan


#$ due deſſus luy, eſtoit vn iour aſsis parmy ſes diſciples dedans la ville
#! # de Ieſrab, quand l'Ange Gabrielſ vint apparoirà luy en diſant,
Dieu te ſalué, ô Mahomet : & il reſpond, il gſt à la verité le Sci
N% "-
-4/Y•ººoGK3 neur de toute benediéiion & ſalut, pour ce qu'elleprocededeluy,
$\

& ºyan retourne L'Angepourſuiuantſonpropos : Voicy (dit-il) quatres perſonna


ges dvnegrandeprudence & ſçauoir,les plus ſuffiſans Rabins d'lſrael qui viendront |
tout preſentement pourteſonderen ta doétrine; le principal deſquels eſt Abaias Ben
Salon, appellé depuis en voſtre langage Sarrazineſque Abdala Jben Selech. c # quoy -

, Mahomet : viennent-ils doncques,ôtres-cheramy,pourmon bien, ou pour me deſ ri


ſer & faire opprobre , Pour bien, reſpondl'Ange.Alors le Prophete donna charge à
Halyfils d'Abitalif d'alleraudeuantpour les receuoir, accompaigné de quelques au -

tres; lequelles ayans rencontrez à laporte les ſalua, en leur diſant ;ſalut à toy ô Ab
| dias fils de Salon; & nomma encore tout le reſte parordre : dequoyſeſtans eſmerueil
lexluydemanderent qui luyauoitainſi reuelé leurs noms; ny d'où ilauoit ſçeu qu'ils
deuoient venir#ilfit responce que c'eſtoit Mahomet ſon oncle qui luy auoit ainſi or
donné.Et là deſſus deuiſans entr'eux, tous esbais de ceſte choſe, ils entrercnt où eſtoit -

le Prophete;auquel Abdiasſaduançant deux ou trois pas deuantſes compaignons, va


dire;ſalut deſſus toy Mahomet, c9 ſalut auſSi (reſpond-il)ſur celuyquiſuit c9 cher.
cheleſalut, & redoubte lapuiſſance de Dieu Là deſſus Abdias; moy, & ces autres
icymes compaignons, non des moins entendus en noſtreloy Iudaique, venons deuers
toy,enuoiez des noſtres, poureſtre eſclaircis de quelques poinéts des plus ambiguz c7º
douteux denoſtrecréāce & nousſauons bien à ce que nous auös peu entendre que vous
nous enpourriezreſouldreaisément.Ilreplique, Eſtes vouspoint venus pour m'eſprou
uer, oubienpourvous inſtruire de cela , Demandez doncques à la bonne heure toutce
que vous voudrexenquerir.Alors Abdiasdecent queſtions principalles qu'ilauoit ap
portées quante9 ſoypareſcrit,choiſis de touslesplus obſcurs lieux de la Bible,ſen va
propoſerlapremiere en diſant, mais degrace Mahomet dynousauant toutes choſes,ſi
tués Prophete, ou Meſſage, ilreſpond, Dieu m'aconſtitué l'vn & lautre; car il dit
ainſi dedans l'Alchoran, PART IE i'enay enuoyé deſſus toy,& partie non en
uoyé.Et en vnautre endroit, Il n'eſt pas poſſible àl'hôme de deuiſerauecques
Dieuſin6 parl'interpoſition d'vn ſiennonce.Cela eſt vrai,dit Abdias.mais dy f,
moypreſchetutaloy,oucelledeDieuºllreſpöd,laloy deDieu.Et quellechoſe eſt la loyde i
Dieulafoi,ditil.Quelle foi,Qu'iln'yapoint vnepluralitédedieux,mais vn Dieuſeul,
- CCC ij
488 Illuſtrations ſur .
4
ſans aucun coégal à luy : & moy Mahometſuisſon ſeruiteur, & ſon meſſager,an
nonçant aux hommes la fin du ſiecle, en laquelle reſſuſciteront tous les morts ſans
aucune doute. Il en eſt ainſi reſpond Abdias. mais dy moyſilte plaiſt encore,com
bienyaildeloix de Dieu Vne tant ſeulementſansplus. Et quevoudras tu doncques
dire des Prophetes qui t'ont precedé? La loy certainement, ou la foy de tous n'eſt
u'vne, mais les ceremonies & manieres ſont diffèrentes. CELA eſt comme tu le du,
"fait Abdias.mais dymoy encore; entrerons nous en Paradis par foyc9 creance, ou
par le moyen de nos merites c9 bonnes œuures ? T o v s ces trois y ſont neceſſaires;
neaumoinsſi quelqu'vn des Iuifs, Chreſtiens, ou Gentils qui ſe ſeront conuerty à la
foy Sarrazineſque eſtoit preuenu de la mort auant que d'exercer ces bonnes auures,
{
la ſeule foy pourroit ſuffire à ſon ſalut. IL le faut ainſi croire dit Abdias. Or dy
moy; Dieu t'ailenuoyé aucune eſcripture : S1 A; & s'appelle Alfurcan. ET pour
quoyeſtelle ainfi appellée : P A R c E que ſes preceptes & maximes ſont diuiſees par
chapitres , cartoutàvn coupne deſcendit pas ſurmoy la parole de Dieu, ainſi quela
loyfut donnée à Moyſe, le Pſeautierà Dauid, & l'Euangileà IE s vs CHRIsT.
CE LA eſt ſans doute reſpond Abdias. Dymoydoncques queleſt le commentement
de cºſt Alfurcan ? Av NoM de Dieu miſericordieux & pitoyable. Et quoy
- apres ? A B v G E D, & ce qui ſenſuit. ET que veut dire ceſt Abuged ? A,ſignifie
- †
par ce que les Dieu
• . : 1
: B, la puiſſanced'iceluy: G,ſonineſtimable beauté: & D,ſa loy; Carſapi
-, - A- - - , _ * _ . " -

point de voiel- - -
indignation. ET comment cela ? PAR-
Aºbº n'ºnt tié c9 miſericerde preuient ſon courroux & .
† CE qu'Adamſîtoſt qu'il eut eſté creé,ſe leuant debout eſternua, & dit loiiéſoit Dieu,
He- ) - - - - - - -

§. ce qu entendu par les eAnges ils ſe prirent à dire; & la miſericorde de Dieu ſoit ſur
† toy ô Adam : à quoyilreſpondit, ainſiſoit-il. Surquoy le Seigneur repliqua;
tre prennie : ---» iax •
I'ayoui -

† vos propos qui m'ont pleu. TovT cela va de ceſte ſorte, fait A dias : Pourſuy
phabet, iºs doncques , & racompte moy ſ'il te plaiſt qui furent ces quatre manieres de cho
· ſes que Dieu fit de ſes propres mains : DIE v auecſes propres mains, reſpond AM4
homet, edifia le haut & plus grand Paradis : planta l'arbre de latrompette : forma
cAdam : & eſcrit les tables qu'il donna à Moyſe , Rabi Rambam à ce propos
au premier liure de ſon Moré, ch.65.l'Eſcriture dit, les tables de Moyſe ſontl'ou
urage du Seigneur Dieu; & leur eſſence eſt naturelle; cartoutes les oeuures de na
ture ſontappellées les œuures du Seigneur. Et de fait quand Dauid eut fait men
tion des Plantes, desanimaux, vents, pluyes, & autres choſes naturelles, il adiouſte;
rſeaume lo,. ô combien ſont magnifiques tes œuures Seigneur : & là meſme encore, les cedres
du mont Liban que tapropre dextre à planté.Pareillementl'eſcriture dit que lesta
Exode 24.34. bles eſcrites du doigt de Dieu, aſſauoir auec lapremiere volonté d'iceluy, & non
Deu , i, auec aucun inſtrument, tout ainſi que les eſtoilles : Dont nos Sages ont dit, que
l'eſcriture de ces tables fut vne de ces dix choſes qui furent créez en l'ouuragede .
Bereſit.
ET quieſt-ce quit'a reuelétout cecy ?pourſuiuit Abdias.L'ANGE Gabriel, reſpon
dit. Dymoyauſurplus,ieteprie, & par ordre,que ceſtqu'vn,puis, deux, trois, qua
tre, V. VI. VII. VIII. IX. X. & ainſi derangen rangiuſqu'à cent. MA
HoMET reſpondit, Vn c'eſt Dieu, lequeln'aaucun compagnon,nyenfant, &)enla
main d'iceluyeſt la vie & lamort; & eſtpuiſſantſur toutes choſes. Deux, Adam &
Eue, & eſtoitceſtepaireen Paradisauant qu'ils en enfuſſent chaſſex.Trou, Gabriel,
-
Michel,e9-Serafiel, Archanges ſecretaires de la Déité. IV. laloy de Moyſe ; le
Pſeaumes de Dauid, l'Euangile, & l'Alfurcan. Cinq, ſont les oraiſons & prieresà
I'Hiſtoire de Calchondile. 489
Dieu,quimefurent enioinéies deluy,& àmö peuple,non encore ordônées à aucun des
ProphetespaſſeK,ny neſerontparcyapres à l'aduenir.Six,les iours eſquels Dieu ache
uatous ſes ouurages. Sept,les cieux,carileſ dit en l'Alchoran, Ilaeſfablyles ſept
cieux. Huiéi ſont les Anges qui auiourdu iugement porteront le throſne de Dieu.
Neuf, les miraclesde Moiſe. Dix, les iours duieuſne, dont il y en atrois pour l'al -

lerdu pelerinage, & ſeptauretour. Onze, les eſtoilles que Ioſeph viden ſonge qui -#
l'adoroient. Douze,les mois del'an. Treize, onxe principales eſtoilles auecleSoleil, * |
& la Lune. Quatorze,les chandelles pendues autour du throſne de Dieu, longues - - s-
-

autant qu'on pourroit cheminercinqcens ans. Quinxe,parce que l'Alchoran deſcen


ditcontinuellement du plus haut du cieliuſqu'au dernier : & de là demeuraà deſcen
dredoucement icy basiuſqu'au quinzieſmeiourdumois de Ramadhan : cariléſt ainſi º

eſcrit dans celiure, le mois de Ramadhan auquell'Alchoran deſcendit Seize -

ſont les legions des Cherubins qui font lagarde autour du throſne de Dieu, loüans le
i -

nom de leur Seigneur.Dixſept, les noms de Dieumis entre le bas de laterre, cº len i - -

fer, ſans leſquelsl'exceſiue inflammation & ardeurquien ſort, conſommeroit tout : | !"
-!. -

, :*
lemonde. Dix-huict les interualles & espaces d'entre le throſne de Dieu, cºlair, -

ques'ils n'yeſtoient, ſaclairtéaueugleroit toutl'vniuers. Dix-neuf, ſont les bras & 4

canaux du fleuueinfernalZacaz, lequelauiourdu iugement bruira d'vn tropeſpou


uentable ſon, auqueltous les condamnezreſpondront. Vingt, parce que le vingtief ,# ,
1

mede Ramadhan deſcendit le pſautier ſur Dauid. Vingtvn, car le vingtvnieſme |

dudictmois futnaySalomon, & lesmontaignes en loiierent Dieu. Vingt-deux, à


cauſequelemeſmeiourduditmois Dieuremit à Dauid ſon offenſe de lamort d'Vrie. ** ,•
Vingt-trois, d'autant qu'en ce iour dudit Ramadhan maſquit le CHR 1sT fils dé -" 1
***

|
MARIE,l'oraiſon de Dieu ſoit ſur luy.Levingt-quatrieſme, Dieuparlaà Moi
ſe Levingt-cinquieſme,lamers'ouurit deuant le peupled'Iſraël Levingtſixieſme, -
· |
- **
Dieuluy donnales tables du decalogue. Le vingt-ſeptieſme, labaleine engloutit Ionas -

quandil futiettéen lamer. Le vingt-huictieſme, Dieurendit la veuë à Iacob quand |


-
-
-
-

Iudas luyapportalachemiſe de ſon fils Ioſeph. Le vingt neufieſme Dieu rauit à ſoy : | !

Enoch. Le trentieſme, Moiſe s'en allaau mont de Sinai. LA DEss vs le Iuifle :


|

vint interrompre en luy diſant, abbregevn peu ô Mahomet, & te depeſche, car tu
pourſuis trop particulierementtoutes choſes. IE le feray, dit-il, mais pour ne laiſſer ' ! |

tarequiſition imparfaiéte. Quarante furent les iours que ieuſna Moiſe. Cinquante,
denotent que le iourduiugement durera cinquante mille ans. Soixante, ſont les di |

uerſes veines de la terre, ſans laquelle varietéiln'yauroitpointde difference éntre les -


t

i
perſonnes pourles diſcernerlyne de l'autre. Septante perſonnages choiſit Moiſepour Nºººº -* • 1

luyaſſiſter au conſeil.Huiétante,coups debaſtonnades doibtauoirccluyquisenyure. -


,l,
|.
-

Nonante, parce que l'Ange qui futenuoyé à Dauidluyditainſi,nonante brebisauoit Azoareſs " ,n

cemien compagnon, & moy vne ſeule qu'ilmerauit. Cent, ſont les coups que doibt 2.desRoys Iº -

ſouffrir celuy qui ſera trouué en adultere. ALoRs Abdias, en verité ô bon Maho -

mettout cela va de la propre ſorte que tule dis, pourſuis donc s'ilte plaiſt le reſte, cy |

expoſenous comme ceſtque fut faicfe la terre, & lesmontaignes,quels noms elles eu -

rent, & quand ce fut. IL FAIT reſponce, Dieu formacAdam du limon, & ce -

limon procedoit deſcume,leſcume,delatourmente,ceſtetourmentedelamer,lamer •'


destenebres, les tenebres delalumiere, la lumiere de la parole,la parole de la penſée,
- - CCC iij

-

- : l'
· · ·,

:
| ||
| |
4-9 O Illuſtrations ſur
la penſée delaiacynthe, & laiacynthe du commandement. IL N'Y A aucune dou
te en cela, fai .Abdias, mais dy moycombien d'Anges aſſiſtent aux hommes ?IL reſ
|
º 4

pond, chaſque perſonne eſtinceſſammentcoſtoyée de deux Anges,l'vn à dextre,lautre
| | | à ſeneſtre : celuyqut eſt à la main droitte eſcrit tout le bien qu'on fait, & l'autre de la
gauche le mal. ET o v aſſiſtent ils ainſiàl'hommenycomment, & en quoy eſt-ce
qu'ils eſcriuent : ILs ſontaſſis, reſpond il,ſur ſes eſpaules, oùleur langueleur ſert de
plume, leurſaliue d'anchre, & leur cœur de papier. Tov T cecy eſt encore vray,
mais pourſuis encore de grace, qu'eſt ce que Dieu fit puis apres. LA Charte c9 la
plume, QvELLE carthe, & quelle plume : VNE carthe certes, où eſt enregiſtré
tout ce qui fut, eſt, & ſera,tant en la terre commeau ciel , la plume eſt faite de lu
mieretreſ-slaire Qv ELLE eſt la grandeur deceſte plume : ELLE tient de long le
chemin de cinqcens iournées,cº quatre vingts de largeur, & a quatre vingts becs,qui
neceſſerontiamais d'eſcrire tout ce qui ſe fait au monde iuſques au iourdu iugement,
car il eſt dit enl'Alchoran, Nun vvacalam vuame aſturum.ET la carthedequoy
eſt-elle ?D'v NE belleeſmerauldetres-verte, les mots y inſerez de perles, c9 le dos
-
eſt de pieté ET combien de fois regarde Dieu enceſte carthetant leiourque lanui(f.
Hvi CT vingts fois, à chacune deſquelles ileſleue & aduance celuyquebon luyſem.
ble, & rabaiſſe qui illuy plaiſt: carileſtainſîeſcritenl'Alchoran. Il n'eſtiour que
Dieu n'accompliſſe ſa volonté CE RTE s en tout cecy iln'y arien que de veri
table.Ordeclaremoy pourquoyle cieleſtappellé ciel# PovR cE, dit-il, qu'ilaeſté
crée de fumée, & la fumée del'exhalation de lamer, carl'Alchoran met en la ſorte,
Vualmeam vuegeheu. ET dont vient qu'il ſt ainſi verd ? D v M o NT Kaf,
qui eſt tout fait deſmeraudes de Paradis, laquelle montaigne quienuironne toute la
terre ſouſtientleciel, ſuiuantce que dit l'Alchoran, KafVvalcoran elmegid. LE
C I E L d doncques desportes : O v Y,mais pendantes. ET les portes des clef ? DE

vray,qui ſont gardées au cabinet de Dieu. ET ces portes dequoy ſont-elles ? D'oR
fin, les ſerrures de lumiere, & les clefs de pieté. SANs doubte, mais ce ciel noſtre
que nous voyons dequoy a-ileſté crée! LE PREMIE R d'eauverte, le ſeconddeau
claire,le troiſieſme deſmeraude, lequatrieſme d'or pur, lecinquieſme de iacynthe, le
ſixieſmed'vne nuée reluiſante, & le ſeptieſme de la ſplendeur du feu. CE LA me
peut estre ſinon veritable, fait Abdias : Mais qu'y a-ilau deſſus deces ſept cieux!
VNE merviuifiée. ET quoy plus, VNE autremernebuleuſe. PovRsv 1s de
grace par ordre iuſques # Av deſſus de ces deux vient en apres vne mer aérée,

Puis vnepierreuſe : vne obſcurcie de tenebres vne autre de reſioiiiſſance eºſoulas : &
· au deſſus eſt la lune: deſſus la lune le Soleil : par deſſus le Soleil eſtle nom de Dieu, &
conſequemment laſupplication,& plus haut encorel'Ange Gabriel. Au deſſus deluy
· · · vn grand parchemin raz & paré: puis vn autre remplydeſcriture,& au deſſus ſºp.
' tante interualles & rengées de lumiere : Au deſſus ſeptante mille vertus de ces inter
ualles:puis ſeptante mille interualles demontaignes , & ſur iceux mille eſpaces : En
chaſque eſpace ſeptantemille trouppes & legions d'Anges, en chacune deſquellesyen
acinq mille, quineceſſent de louèr le grand Seigneur de l'vniuers, & au deſſus ad
detalmuncihe,c'eſt à dire la borne de la dignité Angelique.Puis au deſſus eſtplanté
leſtendard de gloire : puis des interualles & diſtances de perles : puis dautres inter
ualles de grace,c9 puis des interualles de puiſſance : En apres les interualles de la diui
| _ T) · nité,

-
-

l'Hiſtoire de Chalcondile. 4 9I
nité: & plus haut des interualles de la diſpenſation & gouuernement : & plus haut
lemarche pied : & au deſſusd'iceluyle throſneſurlequel eſt aſſis le Seigneur de lv
niuers. C ERT Es tu m'asmerueilleuſement bien deduit toutes ces choſes,comme elles
ſont ſans aucune doubte:ilnereſte plus ſinon deme dire ſile Soleil, & la Lune ſont
fideles ou meſcreans. FI DE LEs devray, & obeiſſans à tous les commandemens de
Dieu. ET dont vient doncques qu'ils neluiſent pas eſgallement , D1E v à la vèrité,
reſpond il, les creatous deux dvne meſme ſplendeur & vertu, mais iladuintqu'e
ſtanrencore intertaine la viciſe deduioure9 de lanuiét, Gabriel volletant par là
dauanture, touchala Lune du boutdel'eſle, dontelle deuint depuis obſcurcie,carileſt
dit en l'Alchoran, I'ay commis à la charge du iour & la nuictles deux lumi
naires,donti'ay eſteint celuy de la nuict,& allumé celuy duiour. Erpour
quoy, replique Abdias,eſt donclanuictappelleelanuiét ? PAR cE que la nuiét eſt
le voile quicouure le maſle & la femelle : & de faict l'Alchoran met en ceſte ſorte:
I'aymislanuict pourleveſtement, & le iourle prochas de la vie. TELLE
' eſt auſſi la verité,dit Abdias.Mais au reſte dis-moys'ilte plaiſt, combien ilyaderen- .
gées & ordres deſtoilles ?TRoIs: le premier,decelles quipendent du ſiege de Dieu,
attachées à des chaiſnes d'or,d'où elles eſtendent leur lumiereiuſqu'au ſeptieſmethrone.
Le ſecondeſt des autres dont le cieleſtembelly & orné, & quandles diables cuident
venir poure,pier les ſecrets celeſtes, elles ſemettent au deuant, & leur donnent bra Azoiie, 47.77
nement la chaſſe, carileſtainſîeſcrit en l'Alchoran, Nous auons paré le cielauec† .
les eſtoilles, & icelles plantées au deuant des diables. Letroiſieſmeeſt des pla ººº
nettes pour la diſtinéhon des temps, & des ſignes, & preſages. CE LA eſt encore
vray,dit Abdias, & ne ſe peut faire autrement : mais dis moy, ſi Dieu te gard de
desfortune, combien ya-ildemers entrenous & le ciel , SE PT, reſpond il, Er
combien devents?TR o1s : le premier eſt ſterile, que Dieu enuoya ſur le peuple
d'Abat: le ſecondnoir, lequelenfle & eſleuelamer, & cºſtui-ey rengregera le feu
auiourduiugement, le troiſieſmeeftceluyqui ſert à laterre, & àlamer. Tv As
raiſon.Au ſurplus combien ya-ild'interualles depuis le eieliuſques à nous ?VN tant
ſeulement,ſans lequell'ardeurceleſtebruſleroit icybastoutes choſes. CE cY eſt en
tore ſans doubte.Mais ſîlaterre eftoit osiée où ſelogeroit le Soleil. EN vne fontai
ne deauchaude, & la fontaine en vnecouleuure, la couleuure en vn interualle, e9
tinterualleaumont de Kaf, lequel eſt en lamain dvn Ange quitientlemonde iuſt
ques aniourduiugement. Il eſtainſi Orquelle forme tiennent les Anges à porter
lachaire de Dieu. LevRs tefies ſont ſoubs le ſiege, & les pieds au bas des dixſept
marches du throſne, leſquelles teſtes ſont ſi grandes, que ſile plus vifte & & legier
ºiſeau volloit ſans intermiſſionne repos à peine pourroit-ilarriuerd'vne oreilleàl'au
treenmilleans, c9 leurs cornes ſont entrelaſſées au haut de leurſdittes teſtes. Leur
viande & breuuageaureſte n'eftans autre choſe que la loüange & gloire de Dieu:
& lebattement de leurs eſles ſi prompt, qu'autre ne le pourroitconceuoirſinon Dieu. , ---

La premiererengée d'iceux eſtmoitié de neige, moitié de feu. Neaumoins le feu ne†


tonſume la neige, nelaneige n'eſteint pas le feu. La ſeconde eſt partie de tonnerre,ptien,liu.
# déſonmè2.ch.
.
partie d'eſclair, entremeſlezl'vn parmyl'autre. La troiſieſmemipartie demottes de" -
terre,& d'ondes d'eau,ſans quel'eau deſtrempe laterre,nyque la terreboiue leau.La
quatrieſme,moitiévent,moitié pluye,quine ſemoleſtent l'vnlautré. Lacinquieſme, -

3 - N


4 92 · · Illuſtrations ſur : |
meſlezeſgallement de fer& de feu,ſans aucune confuſion entre eux. La ſixieſme,
d'or cg d'argent,autant del'vn comme del'autre.La ſeptieſme,moitié loiiange, moi
Azoare 79. tié gloire. Et la huictieſmed'vne tres resplendiſſantelueur. CE LA va ainſi que tu
# l du, reſpondcAbdias, & ne pourroit eſtre autrement, maintenantdy-moy,ieteprie,
" leſpace qui eſt de nous iuſqu'auciel DE nous certes iuſqu'au plus bas, autant qu'on
pourroit faire en cinqcens ans de chemin, e2 ainſi par ordre derancenranc, del'vn à
lautre,telle eſt àlaveritéleſpoiſſeur de chaſque Sphere, où ily a en toutes ſi grand
nombre d'Anges,quenulne les ſauroit compterſino,Dieu. CE LA eſt ſans doubte
pareillement. Or dy moy doncques, quels oiſeaux ſont qui habitententre nous cºle
- ciel?CERT A INs oiſeaux quinetouchentiamais nyàla terre, nyauciel,ayans la
† queuë comme vne couleuure,cº de couleurblanche, des creins àguiſed'vn cheual, de
†º
ſez qu'on ap- longs cheueuxcomme vne femme, & au reſte des eſles d'oiſeau La femelle pond ſes
• - . .

po
des, mais tous aufs
" en vne petite foſſette enfoncée dans le crouppion dumaſle, où elle les couue,c9 eſt
§ cloſt : & cetant que le monde dureraiuſques auiour du iugement. CE LA va de la
ne les prend / " .
: - - -

† ſortequetu ledit. Mais pourquoy eſt ce que ce mºnde estappellémondeº PovR


A" vT
,
ANT qu'il fut fait outre vn autre ſiecle : car s'ileuſteſté faict auec luy, il ſe
/ ,
: Lazuneliu. .'º perpetuel tout de meſme. ET la fin pourquoy e -elle appellée fin : PAR cE
§ qu'en icellereſuſciteratoute creature.ET lautre ſiecle à quel propos eſt il dit autre
les Angcs · - ,: - - 2 -

§ | PA R C E qu il demeurera le dernierapres ceſtui-cy, & ne s'en peut potnt donner de


†e ſimilitude, car ſes habitans ne ſont point mortels,nyles iours de ſa durée ſoubſmis à
†r aucun nombre. CE CY eſt pareillement vray.Mais quoy : ſi faut-ilque iete pro
†º-poſe auiourd'huy quelqu, choſe où tu bronches : Dy-moy doncques ſi Dieu te gard,
-quel fils eſt plus fort que ſon pere L E F E R. Et qu'eſt ce qui eſt plus fort quele ferº
- LE F Ev. Quoy plus quele feu} L'E Av. Quoi plus queleau. LE vent. Cela eſt
-
encore vray. Or ne t'ennuye ie te prie, & me dy, Adam pourquoi eſt-il nommé
Adam ?PAR CE qu'il fut crée du limon de toutes les terres : car s'ileuſtefté créedv
ne ſeule iln'iauroit point de difference entre les perſonnes par où l'on les peuſt diſcer
ner, ET quandil fut fait,paroù entra en luil'eſprit devie, Parlabouche,&'parla
meſme ilen ſortit. Qu'est-ce quelui dit doncques Dieu : Habitetoi & ton eſpouſe le
Paradis : cg mangex & beuuex de tout ce qui yeſt, ſeulement gardez vous bien
dapprocher de cestarbre.ET quelarbre eftoit celui-là?FRvcTIER, mais ſem
blableaufroment,ayansſept eſpics, dont Adam pritl'vn,auquelilyauoitcinqgrains
ilen mangea deux,c9 en donna deux autres à Eue, le cinquieſmeill'emportaauec ſoi.
CoMBIE N donc eſtoit grand ce grain, ni qu'en fit-il! PLvs-G RAND qu'vn
auf, c2 le diuiſa en ſix censparties, deſquelles vindrent à ſe produire toutes les ſortes
de ſemences. ET où ſe retira-ilapres qu'il fut chaſſe hors du Paradis ? A DAM en
l'Inde,c9 Eue en Nubie. D E Q v o Y ſe vestoient-ils alors ?A DAM de troisfueil
les de Paradis : mais Eueeſtoit couuerte & enueloppée de ſa cheueleure. O v ſe ren
contrerent-ils puis apres ? EN Araf, c'eſt à dire à la Meke. Dv Qv E L des deux
- de nos premiers parents fut faitl'autre ? EvE d'Adam,(de là vient que la femme
-
· ſecouurelechef) de l'vne aſſauoirde ſes coſtesgauches,carſ de la droitte, elle euſt eſté
auſſiforte que luy. Qv1 eſt-ce qui habitalaterrepremierqu'Adamº Premierement
les diables, puis les Anges,e9 puis Adam.Entre les diables & les Anges il y eut ſept
milleans,& entre les Anges & Adam mille. LA choſe va ainſi que tu le dis : mais
Vº/40/1ſ

- &

-|--

:
l'Hiſtoire de Calchondile. 4 93
venons au reſte, qui eſt ce qui le premierde tous commençales pelerinages ? A DA M.
ET qui luiraſalateſte # G A B R 1 E L. Qv1 fut ce qui le circoncit , L v Y-meſme.
A PREs Adam qui fut circoncis le premier?ABRAHAM. CE LA eſt ſans doubte,
Mais i'aybien d'autres choſes à te demander.Dy ſibon te ſemble.QyELLE terre eſt
ce que leSoleilnevit oncques qu'vne ſeule fois, c9 ne la reuerraiamatsplus qu'à la fin
du ſiecle.Quand lamer rouge fut ſeparéepar Moiſe, le fonds d'icellevint àſe deſcou
urir,ſique le Soleilla peut voir alors,mats les ondes eſtansretournées iln'yauraplus de
moyen del'apperceuoir,que t'en ſemble ildonc Abdias,trouue turien de tout cecy en ta
loy. No N devray, ni beaucoupd'autres telles choſes que ie deſtre fort d'apprendre.
Orpaſſons outre,qui eſt la maiſon qui a douxeportes,parleſquelles ſortent douzepor
tions,auecdouzelignées.LE rocherqueffappa Moiſe deſa verge,auquel ſefirent dou
ze creuaſſes & ouuertures, dont ſortirent hors douze ſources pourles douze tributs
d'Iſraël.Vray,muis dy-moy à laquelle terrefit-ce que Dieuparla.A celle dumont de
Sinai,quandilluiordonna deſleuer Moiſeiuſqu'au ciel.Tu dis bien,mais quelle choſe
eſt-ce quivit,c9'ſîn'apoint deſprit.La nuiéf,carſon eſprit ne retourne iuſqu'au matin. »
Cela vrayencore.Orſus qu'eſt-ce quifutpremierement bois, cºpuis eut vie.La verge
de AMoiſe,tantoſt bois,tantoſtcouleuure.Ileſtainſi. Dymoy doncques conſequemment
quellefemme vint duſeul maſle.Ev E,qui vintdu ſeul Adam,comme CH R I s T de la
ſeule vierge Marie.Sans doubte,pourueuquetume dies encore qui ſont les trou choſes
quifurentproduittes ſans aucune commixtion demaſle.ADAM,lemoutöd'Abraham 4
c9 IEsvs-CHRIST. Bon. En apres quel fut leſepulchre qui ſe remua auecce qui y
eſtoit enſeueli.La Baleine auecIonas.Ainſieſt-il. Orquiſont les deuxſeuls dont l'on
ignore lesſepultures.Abitabil,cº Moiſe.Et comment celadyle moi degrâce comme il
aduint del'vn & del'autre.Abitabilpreſſentant ſamort,ordonna qu'apres qu'ilſeroit .
expiré on mitſoncorps ſurvn chameau,& qu'on le laiſſaſtaller où lafortune le côdui
roit,leſuiuant deloin iuſqu'àcequ'ils'arreſtaſtdeſoimeMe.Celafutexecutéde laſor. *
·te,&'ayant cauéen terre où le chameauvint à ſe coucher,onytrouua vn monumêt que
Noéauoitpreparéà Abitalif,ſelon queleportoitl'inſcriptionyengrauée, là où l'aians
enſeueli,e5 couuertpuis apres le lieu de terre,onnela iamais peu retrouuerdepuis.Au
regard de Moyſe,commeilallaſterrant toutſeulparmile deſert,iltrouua d'auanture
vnſepulchrevuide & ouuert,iuſtementcreuſeàlameſure deſon corps,côméilleſprou
ua s'yeſtant couché,dequoi eſtant tout eſmerueillé, voici là deſſus arriuer l'Ange de la
mortpourl'occire,que Moiſe recogneutſoudain, c9 lui demandapourquoyileſîoit là
| venu.Ilfit † auoirtoname.Commêt penſes-tudoncques,repliqua Moiſe,
demel'arracherhors ducorps,car parla bouche ilne ſe peut,de laquellei'ayparlé auec
le Seigneur,niparles oreilles dontiayoylavoixdelui,niparles yeux deſquels ie lay
veufaceàface,niparles mains quiontreceu ſon tant richepreſent,niparles pieds dont
iaimontédeſſus lemont de Sinai.Cela oy,l'Angeſedepartit de lui,cºaiantpris nou
uelleforme apportavnepömede Paradis qu'ildönaà Moiſepour lafleurer,cºlaiant
approchéedunex,l'Angele pritparcetendroit cômes'ill'euftvoulumoucher, & luy
arrachalame,tellement que le corps priuéde vie demeura là enceſepulchre, quine fut
iamais plus retrouué.Cela va comme tu ledis, mais quelfeu eſt-ce qui mange & boit,
& depuisqu'ilefteſteint vne fois ne ſe rallume iamais plus iuſques au iour du iuge -

ment : LE FEv qui eſt au corps humainest ſustanté & maintenu deviande &
", -, DDD
|
-

| | |
|
' -
! -

: | ! A-94 Illuſtrations ſur


º, breuuage , & quandl'ame s'en part, il s'eſteint ſans ſe rallumer qu'elle n'y retourne.
-
| |
l !
IL eſtvray. Pourſuymaintenant, qu'eſt-ce qui eſt touſiours petit, & qu'eſt-ce qui
eſt touſiours grand ? L Es petits caillous , eº les montaignes. ET où eſt le milieu de
ºi ; laterre?EN Ieruſalem : carde là ont eſté diſperſées les nations, & là meſme s'y raſ
, ,! '
| | ſembleront derechef Là ſera eſtably vn pont ſur l'enfer,auecde grandes balances au
" ||| |
|!| bout, qu'yapporteront ſeptante mille Anges. SA Ns doubte. Mais pourquoy eft
s . , ce que Ieruſalem eſt appellée la benoiſte maiſon ? PAR cE qu'elle eſt droictement
-

- -
:
à plombſoubs la Ieruſalem celeſte, e9 que là Dieu & les Anges ont parlé auec
-
| | |
||| les Patriarches, & Prophetes. Dieu y donna auſſi à Moïſe troismille cinqcens
|| || quinze preceptes.DY MoY encore, qu'elle humeureſt-ce qui ne prouientniduciel
, , ! " , ni de la terre ?LA ſueurdes animaux qui trauaillent. CoMME NT fut faicte la
·. "
- l' - : † premierebarque ?Noé commençale premierdetous àen faire, dont Gabrielluidon
|
|
|
| | ||
| †
ceptes, ſelon nales eſtoffes,où il entra auec ſa famille, & partant d'Arabiepardeſſus la Meke,la
- - - - - - -

| | † circuit par ſept fois : de là nauiguantau deſſus de Ieruſalem, ill'enuironna auſſi par
§ † ſept fois, c9 puis vintaumont de Iudée,où les eaux eſtans venues à s'abaiſſer, s'arreſta
dit - - - - - >

|
-
| | 1
-

§ ſa barque. IL eſtainſi,mais que deuint cependantla MekeºDieu l'eſleua là haut au



iours en l'an,& ciel, & donna engarde leruſalem aumont Abikobez, quilaconſeruaen ſon ven
# tre.Tv racomptes certes naifuementcommetoutes ces choſes paſſerent.Dymoy donc
i ! # ques,dequoy procedeque les enfans naiſſent,les vns reſſemblans aupere, les autres à la
, i ,º
· · · § mere, & les autres à leurs ayeuls ou ayeulles. Qv AND le plaiſir de l'homme ſur
· monte celuide la femme, la creature qui en eſt conceuètire à ſoyla ſemblance dupere,
-
,
-
j - c9 deceux de ſon eſtoc: demeſme celle de lamereſila volupté eſt ſuperieure. CELA
eſt vray. Mais declare moi conſequemment, ſi Dieu puniſt perſonne ſans occaſion?
. No N dit-il. ET aux enfans des infidelles que fera-il?ILs comparoiſtrontauiour
duiugement deuantſa face,& illeur dira,quieſtvoftreSeigneur& maiſtre?Ilsreſ
:
pondront:ToySeigneurquºnousascreez. Et à quiauex vous doncques ſerui, qui
·
eſt-ce que vous auezadoré?CertesSeigneur nous n'auons peu nous preualoirdelyſa.
|
ge de nos oreilles,nidenoſtrelangue,nienſuiureton meſſager. Ilrepliquera, & vou
• !
driezvous bien accomplirquelquechoſeſ elle vous eſtoit ordonnée : Ils diront, ouy
· | Seigneurtres-digne & tres-iuſte, voire toutcequ'ilte plaira commander.Alors ilferé
| | couler vn des fleuues infernaux deuanteux, & leurdira,iettez vous doncques dans
| | | ce gouffre.Ceux quiyobeiront en ſortiront ſansauoirmal, &'paſſeront en Paradic
|
mais les autres quienferont difficulté & refus, s'en irontauec leurs predeceſſeurs en
|
enfer.Carileſtainſi ditenl'Alchoran, Quiobeiraira en Paradis, & quilerefu
- ſera en enfer. CELA eſt bien laverité,maisie deſirerois volôtiers que tum'en donnaſ
ſes quelqueſimilitudeſitulepuis.OvY de vray,carlameſme queſtionſepeutfaire des
'4,
enfans desfideles qui leurnaiſſentaueugles,ſourds,& muets.IL ya apparence àceque

i
tudu.Orpaſſons outre,comméteſt-ce quelaterreſe desfera.LEfeulareduiraencem
dre,quel'eaudeftremperapuisapres.ILeftainſi.Quantauxmontaignes,d'oùſortirit
! elles.Du mont Kafe9 Dieulesficha comme degrospaulxdans laterre,carileſteſcrit
, º . en l'Alchoran de la ſortel'ay fait la terre toute plaine,& planté dedanslesm6
taignes cóme des paulx.Pourſuydoncques & dymoyqu'ilyadeſſous les ſeptter
res.Vn baufreſpondil.Etlespieds de ce baufſurquoypoſent-ils.Survnegroſſepierre.
| Quelleeſtlaforme de cet animalSateſteeſten Oriét, & ſaqueiieen Occident aiant
- quarante
p ſ , . ſY ... i .. ! 1 ,s - -

l'Hiſtoire de Chalcondile. 4-95


quarante cornes,c9 autant de dents,d'vne corneàautre il ya milleans de chemin.Er ,

quoy ſoubs la pierre ſur laquelle il eſt ſtally : VN E montaigne appellée Zohot. -
--

D'o v eſt elle ? D'enfer ET de quellegrandeur : A v T A N T qu'on pourroit aller en


mille ans : carlà deſſus montera toute la trouppe des infidelles, c7 apres qu'ils ſeront 4

paruenus au ſommet,lemont ſe mettra à trembler,c9 les iettera au fonds d'enfer, car


ileſtainſîeſcrit en l'Alchoran,Sourhicubu azottot,c'eſt à dire que Zohot les rui
nera.S A Ns doubte.Mais qu'ya il ſous lamontaigne : VN E terre. Er comment
eſt elleappellée ?VvER cLE A Qv o Y deſſous elle à VNE mer.Quel eſt ſon nom.
A L k A s E M. ET quoy au deſſoubs,afin que tu m'expliques le tout par ordre # L x
terre d'Aliolen, puis lamerZeré, puis la terre ditte Neama,puis lamerZegir,puis -

la terre de Therib, & puis vne autre ditte Agiba,blanche comme laiét,ſentantcom- .
muſc,molle àguiſe de ſaffran,cº luiſantea pair de la Lune : Sur ceſie-cy Dieu aſ
7/16
• •
ſemblera tous lesiuſles,car il eſt dit en l'Alchoran. En ce iour là Dieu commuera
vne terre pourl'autre.Au deſſous decºſte-cy,ſt lamer Alkintar, c9 au deſſous en
- - A. (. D ' / -
• º r
i •:

core vnpoiſſon appellé Albehbut,dont la teſte eſt en Orient, cz la queuë en Occid,t, , "

îir le dos duquelpoſent les terres,& les mers,les tenebres, l'air, c9 les montaignes luſ
qu'à la fin de tous les ſiecles. Au bas dupoiſſon ya vn mont qui ie ſouſtient : ſoubs le ,
:

mont vn tonnerre,e9 au deſſous vngrand eſclair : plus bas que tout ce que deſſus il y a |.

'
vnemerdeſang, c9 au deſſous lenferbien clos & bacclé: plus bas vnemerdefèu,puis -
|

#;
vne autremer opaque,puis lamer de lapuiſſance,puis vne autremernebuleuſe, cº au -
, l

deſſous ſont les loiianges, puis laglorification, puis le throſne, puis vne carthe toute
blanche, puis vneplume, & finablement le grandnom de Dieu. ET quoy encore au
deſſoubs, fait Abdias # HA t# demandes s'eſtendent tropen infiny, reſlond Maho -

met: & qui eſtceluiqui peuſt paſſeroutre : Te ſuffiſe que la toute-puiſſance de Dieu
eſteſgalleen tous ſens, c9 de tous coſtez Choſe eſtrange,fait Abdias,e9 certes ilya
-

apparence que toutaille comme tu le cuides. Pourſuy doncques s'ilteplaiſt, cºmedy


quellesſont les trois choſes qui vindrent de Paradis en ce monde.LA M E K E,Ieſrab, ,

c9 Ieruſalem. CELA eſt vray : mais quelles ſont les quatre qui y ſont venues denfer? - 1

VA sTAT villed'Egipte,Antioche de Surie : Ehberam d'Armenie, c> Elmeden


des Chaldées.ILeſtainſi,mais dymoy lameſure du monde. La quantité d'iceluicon :-
*

| ,
tient vne iournéedechemin. Commentcela : Parcequele Soleille parcourt tout en vn - •º :

ſeuliour depuis ſon leueriuſqu'àſon coucher. A la verité ceſte conſideration eſt ſubtile
& ingenieuſe. Maintenantpuis que tu cognois ainſi toutes choſes en haut, c9 en bas,
deſcrits moile Paradis s'ilteplaiſt, & la vie quel'onymeine. I'en ſuis bien content,
reſpond il,puis quepar ordre cºdeuëment tu faistes interrogatoires, Sois doncatten- . . } l,
tifà ce queiedirai.En premier lieu le plancher de Paradis eſt tout d'or enrichi de for +

ceiacynthes & eſmeraudes, & planté au reste de toutes ſortes d'arbres fruiétiers les |

plus exquis,c9 arrouſe d'infinis ruiſſeaux tres plaiſants, quicoulent ſans ceſſe, les vns : -
-

de laiét,les autres demielblanccommeneige, & les autres devin pur excellent. Les : |
|.

iours y ſont demilleans, c9 chacun an dure quarante mille denos années. Qvox |
| "
' doncques,celanete ſemble ilpas ſuffiſantpourvneparfaitebeatitude. SI fait à lave :
|
- *
rité,reſpond Abdias,pourueuquetume declares les habillemens c9 occupations des ha
bitans en icelui.Quantaux habitans,va-il dire,tout ce qu'il ſeroit poſsible de ſouhait
ter leur est incontinent en main, c9 ſe veſtent de telle couleur qu'il leur plaiſl, º
|
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»496 Illuſtrations ſur


horſmis de noir, qui n'eſt là permis à perſonne,fors au Prophete tant ſeulement, au
quel pourl'excellentmerite de ſa vie ceſte liurée eſt reſeruée pareſpecial priuilege: &
-
tous ſont en la perfection de la ſtature d'Adam, & du viſage de IE s vs-c H R 1s T
ſans iamais croiſtre ne diminuer en aucune ſorte. IE LE croirois bien en la ſorte:
mais parlemoydeleurvie, & leurs voluptex , à commencer de leur premiere arriuée
en ce benoiſtlieu. Sov DA 1N qu'ils ſont entrex là dedans, on leur preſente pour
le premiermets le foye dvn poiſſon dit Albehbut, plus delicieux au gouſt qu'Am
broſie, qui eſt ſecondé puis apres des fruich des arbres, & duneétarde Paradis, &
|
en outretout ce qu'ils ſauroient deſirerleureſt fournyau meſme inſtant. IE N'EN
doubte point autrement, faict Abdias , mais pource que tout ce qui entre dans le
corps, faut apres auoir eſté digeré qu'il ſe vuide , puis qu'ils mangent & boiuent
ainſi, que deuiennent les excremens , IL ne s'enſuit pas, reſpond Mahomet : car
pendant que la creature vit dans leventre de la mere, ne reçoit-elle pas du nourriſ
ſement, & toutesfois elle ne ſe vuide point pour cela, ains ſi toſt qu'elle commence
# • à ietter hors, elle eſt par meſme moyen ſoubſmiſe à la condition de mourir, à quoy
- ſeroient pareillement ſnbiects ceux d'enhault s'il leur eſtoit beſoin ſe vuider : Trop,
bien s'ilreſte quelque ſuperfluité , elle s'en va par vne legiere ſueur fragrante à pair .
dambre gris, & demuſc. Tv as fort dextrement reſolu ceſte obieétion,neaumoins
| ie deſire entendre detoy, s'ils ne mangeront pas du pain, & de la chair auſſi bien que
des # , c.9 ſemblables douceurs ?TovT en ſomme ce qu'illeur ſeroit poſſible de
ſouhaitter, horſmis les viandes prohibées, qui auſſi bien ne leur reuiendroient pas à
gouſt,mais pourdelectation ſeulement, & non pouraſſouuirla faim. ET qui ſont
ces viandes prohibées , CoMME pourexemplelachairdepourceau.Hatumasgra
té oùilme demange, bon Mahomet, carauſſiànous autres Iuifs Dieu,ſgay-ie #
nous la deffendue, & non ſans cauſe,laquelle ie deſirerois bien entendre, meſmement
detaboucheſicelanet'eſt ennuyeux,puisqu'ilvienticy à propos.I'en ſuis content,reſ
pondit-il,pourueu que tuypreſtes l'oreille attentiue, car IEsvs-CHRIsT eſtant requis
de ſes diſciples de leurdeſcrire quelle eſtoitl'Archede Noé,c9 leſtat de ceux qui reſº
chapperent du delugepourla propagation dugenre humain,luyeſcoutant ſans ſonner
motce qu'ils luydiſoient,va cependantformerdelutieneſay quelle figurine entre ſes
mains,qu'il flacqua contreterre,en luydiſant,leue toy au nom de mon Pere, & ſou
dain ſe leua en pieds vn hommechenu,auquelildemanda qu'il eſtoit ? & il fit reſpon
Ce quelaphet fils de Noé,c9 es-tu mortainſichenu?dit IEsvs-CHRIsT, non faitil,
mais àl'inſtant que ie deceday penſant en moy-meſme comme i'auois à reſuſciter au
iourduiugement,ieblanchis ainſi de frayeur.Alors IEsvs luycommanda de raconter
à ſes diſciples toutel'hiſtoire deceſtearche:c9 luys'eſtant mis à deduire la choſe de ſon
premier commancement,il paruintenfin à ceſtendroit où ildit,quepour l'occaſion des
excremens l'Arche ſurchargée dececofté inclina deſortequetous eneurent tropgrand
peur parquoyleurpere s'en conſeilla auecques Dieu,quiluy diſt,qu'ilamenaſtlàl'Ele
phant,& luitournaſtlacrouppevers cesimmondices,auſquelles ayantadiouſté ſa fen
te en ſourditſoudainvngrandporcquimangeoit toutes ces ordures,n'ya-il doncques
aſſez de cauſe d'abhorrervnſ orde& ſalle animal, ſia devray fait Abdias, mais que
tume diescequien arriuapuis apres.Enfouillâtreſpöd Mahomet,ceſtevillenieauecsö
|
-

groin,& leſcartâtdecoſté & dautre,enſortit vneinuſitéepuâteur,dontſeprocreavn


r: ---

-=-n -
-
l'Hiſtoire de Chalcondile. 497
gros rat,lequelſemità ronger les aix & cordages de l'Arche : Siquenoſtrepereayant
pris derechef le conſeilde Dieu là deſſus,frappale lion emmilefront,lequelirrité de ce
coup,ſouffla vn chat hors deſes naſeaux. Lo R s Abdias;certes iln'eſtpas poſsible de
mieux deduire,ôgentil Mahomet,commeallatoutce fait. mais c'eſtaſſez decepropos;
carpuisquetu nous asſîbiè diſcouruduviure des habitans de Paradu entât que touche
leur viande & breuuage, il reſtemaintenant depourſuiure quels y ſont leurs plaiſirs
c9 leurs voluptex. Et en premier lieu puis qu'ils y mangent & boiuent,ſ'ils y ont des
femmes, & comment, ny de quelle ſorte. IL R E s P o ND,ſiaucune eſpece devo
lupté y manquoit leurbeatitude ne ſeroitpaspleine & entiere; &) en vain iouiroient
ils de tant dedelices, Si ce grandcontentement defailloit auquel nul autre ne ſe peut
pas accomparer; ains qui plus eſt, à toutes heures, en tous endroits, c9 en toutes ſortes
qu'ils le ſauroient ſouhaitter, ils auront tellesfemmes qu'ils deſireront en leursſecret
tes volontex,ſans aucune difficulté neretardement; Sique celles quileur auront eſté
loyalles eſpouſes en ce monde icy, tiendront encore le meſme lieu depardelà; & lesau - - * r
tres de concubines; car les chambrieresſerontſans nombre. FoRT BIE N certes,c9
exaétement tout cecy, mais ie me reſouuiens de ce que nagueres tu as dit, qu'ils auront
toutes les viandes & breuuages qui leurviendront leplus àgré,forsles deffendus: Puis
qu'à ton direilyaura là des ruiſſeaux coullans devin excellent, dequoy leurpourront :
, º .
ils ſeruir,ſiceſt vne choſeillicite ? & ſileſt licite, pourquoy eſt-ce que ta loy le deſ - l,

:
fend en ceſiecle-cy. TE s demandes ſontſiſubtiles que deneceſſité vne ſeule requiert ,
double reſponſe : le ſatisferay doncques à l'vn c9 à l'autre, que le vin eſt licite depar -
-! :

delà c9 icyeſtreprohibé. O R ilyeut iadisdeux Anges appellez Arot, c9 Marot, |


-

que Dieu enuoya ducielen laterrepour gouuerner& inſtruirelegenre humain, leur -


|
|
ayant interdittrois choſes; dene tuerperſonne, de neiugeriniuſtement, & deneboire
pointdevin. S'eſtans maintenus ainſi longuement qu'ils estoientfort cogneus partout
lemonde, vn iourſen vint deuers eux vne ieune Dame la plus belle qu'on euſt ſçeu . - |

trouuernullepart,quiauoitcertain differédauecſon mari: Tellemêt quepourgaigner


la faueur deſes Iuges elle les inuite banqueter, où elle les traiéta des plus delicieux | | | #. #
mets deviandes & debreuuages qu'on euſtſeu deſirer, leurfaiſant parmicelapreſen l -

ter du vin, & les inuitant àſonpoſſible vouloirboire à elle. Que voulez vous plus? , :
es amadouèmens & importunitez le gaignerent ſur le bon droiét: tellement ques'e
ſtans eſchauffez dedans leur harnois, ils la requirent deſon amour, ce qu'elle leurac | •.
corda ſoubs condition que l'vn luyenſeignaſt lemot du guetpourmôterau ciel,e9 l'au. # ,
trepour en redeſcendre: & ainſi fut ſoudain enleuée là haut. Ce que paruenu à la
cognoiſſance de Dieu,illa transforma en la belle eſtoille du iour, la plus claire de tou -

tes les autres,ſelon qu'elle auoiteſtéicy bas la plus belle de toutes les femmes. mais les
Anges ayans eſtéappellezen iugement, Dieuleurpropoſa le choix deſtrepunis de leur
delict en ceſiecleicyouenl'autre; & ils choiſirent ceſtui-cy: Parquoy ilsfurentſurle
champpendus parlespieds à de longues chaiſnes defer la teſte en bas,aupuits de Bebit,
où ils demouront ainſiiuſques auiour du Iugement.Quoy doncques, ô bon Abdias,ne
|
teſemblepas ceſte cauſe bien ſuffiſante pourquoyle vin ſoit là haut permis, & icybas
prohibé du tout : S1à la verité, & à bon droit. mais puis que tout ce qui concerne le
Paradis m'a eſté ainſiclairement expliqué de toy, ievoudrou bien ſilteplaiſoit que tu
me parcoureuſſes ſuccinétement quelquechoſe auſſi de l'Enfer. , A demande eſt per
DD iij
º - 1 - -
# |
,! | |

| : ' i, |
| ";.*

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,|'; | |
| 498 Illuſtrations ſur
|| | | |

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tinente, & ie le feray. Or quant eſt du pauédel'Enfer,ileſtfait de ſouffre,fumant
· ſans ceſſe, auecforcepoix y entremgſlee, cºard tout deflammes trop cruelles & eſpou
|i || | | ni l
|
| ||
-

uentables.Ily a quant c9 quant des lacs, & des puits tres-parfonds, pleins de reſine
!| | |
- 4
| - boiiillanteparlemoien dufeuſouphreux qui eſt allumé audeſſoubs, oùl'on plongeiour
| '1 -
| - nellement, les damnex : c9 des arbres de coſté c9 d'autre pour les repaiſtre de leurs
' ! -

ti,
-

1"
-

| |

-
, .
· fruiéis, dont rien neſeſgauroit imaginer qui fuſt d vngouſtplus horrible & inſuppor
| | ' table. CERTE s ieſuisfort bien ſatisfaiéi c7 inſtruit de tout, mais que tume dies
,• | .
º , ,
• | |
!
-

:
-

! où eſt celuy que Dieu feraappellerdeuant ſoy apres le iourdu Iugement. A v M 1


|! • ' • , i -

| | | " * | L1 E v del'Enfereſt vneprofonde vallée, c7 enceſte vallée vngoulphrefort creux, au


| | | || || | |
||
,
||
|
fonds dugoulphre ya vn puits; & aufonds du puits vn grandcoffre, où le miſerable
· eſt lié & garrotté de chaiſnes, auecde groſſes entraues auxpieds, perſeuerant neau
, , !
·. 1
|
| |
| moins en ſes eſperances, lequel par leſlace de mille ans criera ſans ceſſe miſericorde.
"
:
' , | ; -
# ET que luy fera doncques Dieu : L E s mille ans paſſex illefera veniren ſa preſen
1 · '
| ce, & luy dira, Qu'eſt-ce qu'iltefaut malheureux dainſi continuellement m'aſſour
| ·
|

l , ; ",
dirles oreilles detes criailleries cºbraillemens : Qu'elleconfiancetemeine, nyen quel
:
·. ·
.
|
t
º,
- · merite puis tu aſſeoir ton eſperanceº Et il respondra gcmiſſant : Monſeigneur mon
- ·.

-,
|! •
- Dieu,ien'aypoint dautre Dieu que toy, quimepuiſſe faire grace c9 mercy : Tuen
dS aſſez d'autres que moypour y deſcharger ton courroux, cºy exercerta vengeance,
i | · · -

- |

fais moy doncques miſericorde Seigneur, & ayes pitié de moy ſilteplaiſt. LA DE s
| |
|
-

.. sv s Abdias, & quoy alors : Ilcommandera de le remmeneren Enfèr, mais ilneceſ


1 . sºi , | . ſerapourcela d'implorerencore lamiſericorde de Dieu,tant que le tout miſricordieux
, , | Erreur d'Ori
fleſchyde ſes cris ordonnera deledeliurer. Et commeleteint infernal lait rendu plus
· · |
gene du ſauue noir quepoix, les Anges demanderont à Dieu comme c'eſt que les habitans de Para
1

: | ' :º 1 !
.'
,
-

,
- -

,
•,s
ir
!
1 -

" †º"- dispourront compatir auecluy, alors il leurcommandera de lallerlaueren vne fon
|
| taine aérée, dont ilſera rendu toutblanc,fors qu'vne tache emmi le front : cg ainſi
|
nettoié ſepromenerapar le Paradis à la veiie de tous, qui le monſtrerontau doigt ſe
! , mocquans de luy, & murmureront de ce qu'on laretiré d'Enfer. Dequoyilſe trouue
|
|
t raſ honteux & confus,qu'ildira auoirplus cherº retourner que d'endurerpluslon
| | guement de tels opprobres c9 vituperes. mais le miſericordieuxpitoiable dira à ſes An.
|
1 !
* . -
ges qu'ils laillent derechef relauerparcinq fois en lameſme fontaine; ce qu'ayansfait
- · · 4 -|
la marque s'effacera du tout de ſon front, & ſera rendu ſemblableaux autres conci
" . |
| | | toiens de Paradis,ſiqueceſſeraſa vergoigne.Voila à monaduis Abdias,ce que tu vou
| i| |·- '| loisſauoirdel'Enfer: acheue doncde m'interroger ſiltereſieencorquelquechoſe.
|
l
l
:
CE R T Es tum'asſeuſi bien & exaétement eſclaircirdetout, que tu n'en as oublié
' ; vn ſeul poinét. Parquoy ieterequiers au nom de Dieu, puis que tu as ainſîen main
' ' •,
- ! | toutes choſes, me vouloirdeſcrire en apert quel ſera leiour du grand Iugement. I'EN
"4,
- ſuis content,pourueu que tu t'y rendes attentif Ce iour là Dieu ordonnera àl'Ange
-

-
de la mort de tuer toutecreature ayant eſprit de vie, tant les Anges entierement,que
| !
|
les Diables; & les Diables,enſemble les hommes,poiſſons, oiſeaux, c9 beſtes brutes,
Car ileſtainſi eſcrit en l'Alchoran; Toutes choſes mourront ſinon Dieu. Le
| |
, ' .
· ·
'
·
|
quel appellerapuis apres ceſt Ange, luy diſant, ô Adriel, yailplus rien en viedere
,º t" ! |
| ſte de toutes les creatures , & ilreſpondra,non Monſeigneur, horſmis moy ton pau
- i -
ureſeruiteurimbecille. Et il luydira; Puis que tu as mis à mort toutes mes creatures,
!
|
vat'en d'icyentre Paradis c9 Enfer,c9 tetuéfinablemêt toy-meſme,ſiquetumeures
C0777/fié
| | |
- -

| -
-

l'Hiſtoire de Chalcondile. 499


comme les autres. Le pauure malheureux ſen ira où il luy aura eſté ordonné, & ſe
veautrant parterre enueloppé deſes eſles ſeſtouffera ſoy-meſme auecvn ſienorme &
eſpouuentable vrlement, que ſi meſmes les intelligences celeſtes, & toutes les autres
creatures eſtoient envie, cela ſeul ſuffiroit pour les fairemourird'horreurtout à l'heu
re.Là deſſus le monde demeurera deſolé & vuideparl'eſpace dequarante ans,aubout
deſquels le Souueraintenant le ciel & laterre en ſonpoing dira, & oùſont à ceſte heu
re les Rou, les Princes, & Potentats de la terre; à qui eſt-ce que de droiét appartient
levrai Royaume & Empire,& le pouuoirſurtoutes choſes#Dictes en la verité main
tenant.Ayant repeté cela partroufou, ilreſſuſcitera Seraphiel, & luydira, Prens
ceſte trompette, & la va ſonnerlabas en Ieruſalem. Alors Seraphiel prenant ceſte
trompette longue autant qu'onpourroit faire de chemin en cinqcens ans, apres qu'il -

ſera arriué en Ieruſalem, laſonnera de tout ſon effort; & ſoufflera hors d'icelle dyne
grande impetuofité & roideur toutes les ames tantiuſtes qu'iniuſtes, qui yonteſtéce
pendant gardées, leſquelles volletans decoſté & dautrechacuneà retrouuer ſôn pro
pre corps quelque part qu'il ſoit,ſe diſperſeront en tous les endroits dela terre : c9 au |
premierſon de la trompette tous les oſſemensſeraſſembleront. Paſſezautres quarante
ans l'Angeſonneraderechef, auquel ſon les os reprendront leur chair & leurs nerf .
Et delà à autres quaranteans quandelle auraſonné pour la tiercefoi,toutes les ames
ſe reueſtiront de leurs corps: celafait, vngrand feu s'eſtantalluméen lapartie du Po
nant, ilchaſſera toutes les creatures vers Ieruſalem; où ſoudain qu'ellesſeront arriuées Azcare ,.
ilceſſera. Là dôques apresquepar4o.ans ellesſeront demeurées nageâtes en leurſueur Iln'y aura per :
ſonne qui ne s'a
en attendant le Iugement,affligées à laparſin detât detrauaux,elles viendrontàinuo-#
auquelles incre
querAdä,luydiſant,Pere Adam,Pere Adä, & pourquoynou as tuengendrez pour §
jouffrirtant deſicruels tourmens & martyres?ſouffres tuainſi(noſtrepere) nous tes #.
pauures enfansmiſerables flotterſilongtemps entrel'eſperance & lacrainte,attendas #"º
vneincertaine & douteuſefin !Que ne requiers tu pluſtoſt Dieu de vouloirprompte
mentacheuer de nous toutcequ'ila deliberé d'en faire,ſoit du Paradis,ſoit d'Enfer? -

cAdam leurfera reſponſe;Certes mes enfans vous ſçauez comme à l'inſtigation de Sa.
thaniefus deſobéiſſantau commandement de mon Createur; ce qui eſt cauſe que ſuis
- indigne de faire ceſt office que vous demandex : mais allez vous en à Noé; auquel fa
dreſſans ils diront; intercede pour nouseſleu de Dieu, Pere Noé.Et il reſpondra,iay
fait ce que i'aypeupourvous, & vous ay ſauuex au deluge : icyie n'ay plus rien que
yoir: Retirezvous doncvers Abraham. Là deſſus ils l'inuoqueront, luy diſans,ô Pe
re de lapure foy, c9 deverité, Pere Abraham,regarde ces pauures miſerables, c9
en aye compaſſion.Auſquel ildira, Qu'eſt-ceque vousallexainſirecherchans de moy?
evous remettezvouspasenmemoire,côme iefusſi longuement vagabondidolatre,
errant çà & là auant que deſtre circoncis. Ieneſuis pas ſuffiſant de m'entremettre de
voſtre requeſte, mais appellex Moyſe à voſtreſecours & interceſſion , Ce qu'ils feront -

en luy diſant; Entends à nous fauorit M.eſſager de Dieu,grand Prophete, cg ſonfa


milierſeruiteur.A cela Moyſe, à quivous cuidezvous addreſſerº Nevous ay-iepas
donné vne loyconfirméepartant demiracles,& neaumoins vous n'y auezpoint voulu
croire : Si vous m'euſſiezporté creance, i'euſſe peuaccomplir vos requeſtes; mais allez
trouuer IEs vs CHR I s T. S'eſtans donc retournez à luy ils diront; à IE s vs
CHRI sT leſprit, le Verbe, & lavertu du Dieu tout-puiſſant, ta miſericorde

:
5oO Illuſtrations ſur
t'eſmeuue à pitié, & ſois noſtreinterceſſeur enuers luy, CE Qv E vous recherchez
de moy, dira-il, vous l'auez perdu parvoſtrefaute; car ievous ayeſté enuoyéen la
vertu, & au nom de Dieu, & en laparole deverité;mais vous-vous eſtes extraua
guex; &plus queienevouspreſchois,auexvoulufaire demoyvoſtre Dieu, aumoien
dequoy vous eſtesdecheusdeceſtemiennebeneficèce.Oradreſſez vous au dernier Pro
phete denotantparlà celuy auquel vous parlex maintenant, Abdias; Alors s'eſtans
conuertis à luy, ils diront, ôfidelle Meſſager c9 amide Dieu, combien auons nous
offensé & mesfaict à maisnelaiſſepourcela de nous exaulcer, pitoyable P rophete de
Dieu; Tout le ſeuleſpoir qui nous reſte; caraprestoy, en qui pourrons nous mettre
noſtre attente Exauce nous doncques ſelon le pouuoirqu'il a pleu à Dieu te donner.
Là deſſus Gabrielſepreſentera, quinepermettrapas cegrandamyſien eſtre deffrau.
dé de ſonzele; & s'en iront decompagnie deuant laface du Souuerain, qui leurdira,
·ieſçaiaſſez ce qui vous meinejaneſoit que ie vueille en riéfruſtrer le deſirdemonfide
Azoa. 17.apres
le & bien aiméſeruiteur& pourtant ayâtfaictdreſſervn pontſurl'Enfer, àl'vn des
*. T> - - -*

Daniel, & l'A boutsyaura degrandes balances oùl'onpeſeratogs lesfaiéts deceux quimôteront deſ
pocalypſe.
ſus.Là les ſauuexpaſſeront outreſains & ſauues, c9 les damnextrebuſcheront dans
les Enfers. Demandemaintenant, Abdias,tout ce quite viendra à gré. Lv Y alors,
A - - > • - / > - - . /

ô moy miſerable; & quelle folliem'a iuſques icy poſſedé l'eſprit de ne voir la verité,
ui eſt plus claire que la lumiere ? mais puis qu'il eſt en ta puiſſance de me ſatisfaire
# à tous mes deſirs, acheue,iete upplie degrace, carienemepourrois iamais ennuyerde
t'ouir, à me racompter les trouppes degens qui ſe trouueront à ce iour là; & memets
| à part les fideles des infideles. IL Y AvRA,reſpond-il,ſix vingts bandes detousles
hommes, trois tant ſeulement de fideles, & lereſte de meſcreans; & contiendracha
que bandemille ans dechemin en long; en largeurcinqcens. IL EsT ainſi à laverité
· que tu dis,fait Abdias : mais concluds ce quice fera finablementdelamort,apresque
toutes les creatures auronten lamaniere que tu las deſcripte eſtédeparties en ces deux
endroits, ELLEſeratransformée en vnmouton qu'on ameneraentre Paradis & En
fer; & là s'eſleuera vnegrande contention & debat entre les habitans de deux regiô ;
parcequeceux de Paradis inſiſteront qu'elle mèure, de peurdeſtretuésparelle; & les
infernauxaurebours, qu'on la laiſſeviure,ſoubs eſperance demourir: mais ceux de
Paradis gaigneront leurcauſe, & s'en iront tuerlamort entre Paradis & Enfer, où
Azoare 67. l'on edifieravnegroſſetourpourſeruir de borne: àl'vn des coſtés de laquelle il yaura
ioye,plaiſir, contentement & repos; & à l'autre, douleur, tourment, & trauailſans
ceſſe. LA DE s sv s le Iuifs'exclamant; Tuas vaincu, ôtres-bon Mahomet,arre
ſte toy doncſanspaſſerplus outre; &) reçois maconfeſſion de moy: Cariecroycºvoy
:
clairement qu'iln'yapointpluſieurs dieux,ains vn Dieuſeulquieſttout puiſſant,dont
tu esſans doute levrai Meſſager& Prophete.
DE
DE LA RELIGION MA HoMETANE ENcoRE,
ſelon les textes de l'Alchoran.
E ce que deſſus on peut aſſez voir quclle eſt la doctrine de ceſt
impoſteur , pleine par tout de ſi impudentes baguenauderies,
dent il n'a laiſſé neaumoins d'engluer les dcux tiers du mon
de : Bien eſt vray que le tout n'eſt pas de ſa forge, ains de ceux
qui ſont venus apres luy, ſuiuantl'ordinaire des choſes humaines
de touſiours enrichir le compte, & baſtir ſur les fondements ja
oſez, iuſqu'à ſurcharger l'edifice, tant que ſa peſanteur l'amci
ne à bas. Car en ſon Alchoran qui eſt le texte de ſaloy, eſbauché ſeulement de luy
par parcelles, ſelon que les occaſions ſ'offroient propres à ſes deſſeins, qui n'eſtoient
autres que de regner, & ſe baſtir vne domination téporelle par le moyen d'vne nou
uelle ſecte relaſchée à toutes ſortes de voluptez, & depuis couſu & repetaſſé par ſes
ſectateurs, de dix mille menus lambeaux au contexte que nous voyons : il eſt beau
coup plus cault & ruzé qu'on ne cuide, n'y ayant blaſpheme, dont il eſt par tout far
· cy à outrance, qui ne ſoit aucunement adombré de quelque traict deſtourné du
vieil & nouueauTeſtament : & des rapſodies des Rabins quiy ont interpoſé leur de
cret. ET en premier lieu que pourroit-on voir de plus zelatif de prim-apparence,
ny de plus deuot, que ce preambule commun à toutes ſes AXoares ou diſtinctibns,en
Arabe Phateſen elchitabl'entrée du liure, qui eſt vne formule de priere dötvſent tous
les Muſulmans, ainſi que nous de la Patenoſtre : diuiſée au ſurplus en ſept clauſes di ºr

· tes Aiet, ou miracles : lequel mot ſ'eſtend encore à toutes les periodes de l'Alchorã:
& la proferoit touſiours Mahometau ſortir de ſes accez du mal caducq dont il tom
boit fort frequemment : le palliant du nom d'ecſtaſe ou enthuſiaſme, qui eſt vnra-oriſon de
uiſſement d'eſprit. Av N o M de Dieu miſericordieux & propice, I. Loiiange à Dieu le Sei-Mahºmeº # #
gneurdes ſiecles.2.Le Roy du iourdu Iugement.3. Ha !/eruons le, & nous en aurons prompt
ſecours. 4.Adreſſe nous au droict chemin : y. Le chemin de tes fauorits & eſleus : ô. Et non de
ceux auſquels tu es indigné, & des infideles. 7. Et nous nepourrons pointerrer. Autrement,
& plus dilaté.Av N o M de Dieu miſéricordieux, benin,pitoyable Loiiangeſoit auſouucrtta
Dieu Roy desſiecles : Roy debonnaire du iourdu Iugement. Recognoiſſons le tous nous autres ſes
creatures : ſeruons le, honorons, reuerons, en nous humiliant deuant ſa face. Requcrons le, cº
mettons noſtre aſſeurée confiance en luy : carnous n'enſerons pointeſconduits, ains ſiſtez & /c
courus deſa tres-liberale main. Adreſſe nous donc, ô Seigneur, à la voye droicte, la voye de tes
bien-aimez fauorits, que tu as eſleus à ſalut : & non de ceux auſquels tu és courroucé, les inſ
deles : & nous neſcaurions plus faillir. Les Taliſmans qui ſont leurs miniſtres, repeterôt
cent & deux cens fois en faiſant lazallah ou priere ces deux ou trois mots, pour ſup
pléerà ceux qui croiroienttrop froidement : Alhamdu lilahi hamdu lilah,hamdulilah.
Poſtelle auecques peu de changement,en ſa concorde du monde accommode ainſi
ceſte maniere d'oraiſon. Av N o M de Dieu miſericordieux & clement. Loiiäge ſoit auſou
uerain Roy des eternels ſiecles: tres puiſſant,tres-ſage, & tres-bon : duquel prouiennent toutes
choſes,parlequeltoutes choſes/ubſiſtent & auquelſont toutes choſes en leurparfaicfeſtre. Paix
ſoit àſesfideles, & à ceux qui le cherchenten verité. La clemëcedebonnaire de Dieu,ſagrace,ſa
mereyc> miſericordeſoit eſtéduëſurtoutes creatures.AINSI soIT-IL:mais ſous cesamorces
de pietéil tend des fillets plus ſubtils que la pentiere d'vnearaignée ny que le rets où
furët euuclopezMars&Venus parVulcă en leur adultere,fable qui n'eſt icy alleguèe
| EEE
,
l -|

5O2 Illuſtrations ſur


du tout hors du propos des deux idoles de la Meke, Aluthe AluXa, & Menete AKaluite,
attendu que toutes ſes principales traditiös ſont fondées ſur ces deux Deïtez Payen
· nes, la violéce aſſauoir, & effort des armes, l'effuſion de ſangoù preſide Mars : guer
res, conqueſtes, captiuitez, & rapines : & la paillardiſe & luxure, non tant ſeulemét
celle dont l'inſtinct naturel, & le legitime eſguillon de Venus ſollicite toutes ſortes
de creatures, ains des plus abhorrâtes & deteſtables qui ſe puiſſentimaginer,à quoy
il ne conſtituë point de bride. O R c o M B 1 E N ila eſté magnanime, ne faut pas di
re, ne belliqueux, mais cruel, felon, turbulant, ſanguinaire, ſes conſtitutions mili
Azoare 18.
taires le monſtrent aſſez en pluſieurs endroits de ſon Alchoran. LEs conquerans qui
au nom de Dieu entreprendront guerres, batailles, & aſſauts, n'ayent peur ne crainte derien:
carilaſſiſte ceux qui viuement enuahiſſent les infideles. Et quand Dieu vous ordonnera de leur
courirſus, nefaites doute qu'ilne vous aide : au moien dequoy chamaillez hardiment & ſur leur
dos, &ſurleurs bras:carilleurimprimera vnſ grandeffroy dans le cœur,qu'ils n'auront la har
dieſſe de vousſouſtenir. Et pourtant que nul bon ffdele ſtant aux mains auecles incredules ne
leurtourne le dos,ſîce n'eſtpourprendreſon aduitage, & ſe renforcer,ſurpeine d'encourirladi
uine indignation : Caril faut que les braues champions de Dieu, & de ſoa I rophete demeurent
fermes au contrechoc dedeux armées : & en cefaiſant ils obtiendront pleniere remiſſion &par
Azoares 6. 7.
don de leursfautes. Derechefen autres endroits. CE vx que vous prendrez au combat,
·. 18. mettez les au filde l'eſpée, ou les reſeruez pour eſclaues : dont, enſemble de tout autre eſpece de
butin, & deſpouilles conquiſes enguerre, le quintſoit reſeruéloyallement pour la part de Dieu,
69. & deſon Prophete.Item. LE sincredules qui oſeront vous reſſter, gſtans rompus /oientpour
57. ſuiuis à toute outrance,tant que lapluſpart demeurent ſtendus roide morts/ur la place. Et quant
," à ceux qui vous reſteront priſonniers,liez les, & lesgarrottez fermement, affa que vous enti
riez vne bonnerancon, ou les reſeruez poureſclaues : CA R Dieu cognoiſt qu'il vous a réduleur
58. capture licite. ET ToY, ô Prophete, va t'en combattre & debeller les incredules : pille les foura
ges, & ſaccage, & les chargeſans marchander, affn qu'ils te craignent : CA R tout ſt au Pro
#
19. 69.71.phete, à ſesfideles ſoldats : Et tous ceux qui combattentpourl'amourde Dieu, il les remune
rera deleurs faicts, & leur octroyera ſon beau Paradis qu'il a preparé pourles bons : ayanten
6, horreurles meſchans. ET auriez vous bien opinion quel'entrée d'iceluyvous fuſt ouuerte,ſî
premierement vous n'auez faict preuue demagnanimes & vaillansguerriers ?mais auantque
d'entrer au combat raſſeurez vous par vne reſolution de mourir : CAR il aime ceux qui
7r. combattent pourſon ſainct nom, marchans en bataillerangée à guiſe d'vn edifice ferme baſi).
ET celuy là eſt heureux en toutes ſortes qui meurt à la guerre entrepriſe pour l'honneurde
Dieu, & ladeffence de ſa loy: ſi que tous ceux qui finent leurs iours en ceſte querelle, dſire
roient reuiure vne autre fois pour y eſtre tuez derechef Mais il n'y veut enrooller & ad
-
mettre que les gens de bien, & non les meſchants; Qui eſt la meilleure & mieux
ordonnée choſe de toutes ſes loix & conſtitutions. D 1 E v ſeulement, & ſon Pro
» I2 . phete de luy enuoyé: & les gens de bien qui font des aumoſnes, & les prieres s'humilians
du tout à luy, ſoient ceux dont vous mendierez ſecours à la guerre : car la partie qu'ils au
ront en recommandation obtienda victoire ſans doute. Somme que toute ſa loy & do
ctrine ne battent que ſur lesarmes & effuſion de ſang, pilleries, extortions & ſac
cagemens : & pour cet effect, des douze mois de l'année il en deſtine quatre à faire
- 19. la guerre : bien au rebours de l'Euangile qui ne nous preſche qu'vne douceur, &
benignité pacifique, vnion, amour, charité, compaſſion, & miſericorde, recipro
ques des vnsauxautres. - -

Av R E cAR D des lubricitez, luy-meſme en eſt le porte-enſeigne à ſes ſectateurs,


comme vn parangon de toute diſſolution & deſbordement, dont il fait gloire, & ſe
complaiſt d'auoir les reins forts & gaillards à l'acte venerien; Nous t'auons fait vn ſto
1o4 machample,& les reins larges & biëfournis.Et de fait il eutd'ordinaire 12.ou 15. femmes
:
#
eſpouſées, ſans ſes garſes & chambrieres : & celles où il alloiten garroüage, où il fut
ſurpris maintesfois, combien que par ſa loyil ne ſoit permis d'en auoir plus de 4 en
ſemble : bien au rebours de l'ancienne loy des Arabes qui donnoit à vne ſeule ſœur,
25. douez freres en mariages : & que l'adulterey ſoit defendu. N E dreſſez point les yeux
mullepartenuers les femmes mariées; nyne les conuoitez en voſtre courage. Item, Ne dgſfour
| /7f2,
-

---
l'Hiſtoire de Chalcondile. 5O3 -

:
-

·
neziamais vos yeux aux femmes d'autruy, quelques belles & gratieuſes qu'elles puiſent/em- 3°. " •

bleraumonde. Il puniſt au reſte l'adultere de cent coups de baſton en public, ſ'il eſt
aueré par quatre teſmoins : que ſi le dclateur ne le preuue ſuffiſamment, il en doit
-"

receuoir quatre vingts. - , / , , . - -

CE Qv'1 L a le plus ſagement aduiſé pourvenir à ſes intentions, aſſauoir dere- - - :


gner en toute obeiſſance de ſes ſubiects,a eſté en premier lieu d'interdire l'vſage du | · l - -

vin, combien que cela participe de l'hereſie des Seueriens, & des Manichéens; & - - - - -- .
toutes ſortes de berlands. Si l'on vous enquiert du vin, du icu des eſchez, tables, dez, & 3. - - -

autres/emblables : dictes que ceſte eſpece de breuuage, & tous ces ieux, ſont vn grand & enor- - - • • ' .
me peché Plus, ô gens de bien, laiſſez la levin, les eſchez, ieux de tables, de carthes, & de 13. + ' - · • - •

dez : carcene ſont point choſes licites, ains inuentions & artifices du diable pourſemer moiſè - ° •

e diſcord entre les perſonnes, & les desbaucher des prieres où ils doiueat vacquer, & de l'in- - -

uocation de Dieu, à quoy ce commun ennemy tend le plus. L'Av T R E poinct eſt la deffen
ce ſi eſtroiéte, voire # peine de la vie, de reuoquer en diſpute ne doubte rien quel- '

conque de ſa doctrine: Il ne veut pas ſeulement permettre qu'on en deuiſe auec per- -

ſonne, fuſt-ce de ſa mefme loy; & par conſequent tant moins auec les incredules, l - - " ! -

-
comme il appelle
luy que vous tous les autres. Si quelqu'vn veut diſputer de la religion auec vous,diétes
auez du tout conucrty voſfre courage à Dieu, & à ceux qui enſuiucnt /es C02/27/24/2-
"

j.
-

| ' :
· •
-

r
|- -

demens : ce qu'accompliſſans tant ceux qui ſont ſcauans en la loy, que les non lettrez, ils enſui- - | •*

uront vne bonne doétrine. O G È N s de bien, pourquoy communiquez vous auec les incredur !º- - | • |

les, dont perſonne de vous autres ne doit praétiquer l'amitié ne la compagnie. N'EN T R Ez r # ! - |

point donc en propos auec ceux qui ne ſçauroient ouyr ce que vous direz. Q v E *5: | #

s'ils veulentdiſputerauecvous, dicfes leur qu'il n'ya que Dieu ſeul qui cognoiſe toutes vos 3* - - l • • •
aétions , lequel au dernier iourſcaura fort bien decider tous les différends & contrarietez : ' • ;

d'opinions de ſes creatures, ſoit des croyans, ſoit des Iuifs, des Chreſtiens, & des idolatres. -- . - | · | . -

ET PovRTANT que nuld'entre vous ne/econffe àſes enfanspropres,n'yàſesfreres, s'ils ne *2* . | · : -


ſont devoſtre creance,ſurpeine d',ſtre mis aurangdes mauuais.Il confirme cela parl'exem- -- . - |
ple d'Abraham qui laiſſa ſon païs, & ſes parés proches, pour ce qu'ils adoroient d'au- 7°º ' ! ' - !.
tres dieux que le ſien;& tint bon, enſemble ſes ſucceſſeurs, de ne contracter amitié, · • - '|
ſocieté, ny alliance ſinö auec ceux de ſa meſme foy. Si qu'il ne veut pas que les Muſ- - | ·
ſulmansayent desgouuerneurs,Iuges, ny autres officiers quelconques,quine ſoient -1 | | | |

de leurloy. N E permettezpoint, vous gens ffdeles & croyans, qu'on gſtabliſſedeſſus vous des . . - | | - -

· gouuerneurs,nydes iuges Iuif , ou Chrſtiens : carquiconque enfera ainſi, ſera rendu ſembla- * - |
ble à eux. ' - - - • • - · - · - #- # -

· Tovs ſes preceptes au ſurplus conſiſtentou de loix,ou de priuileges.Les loix ſont - - - • " - -

generales pour tous les Mores ou Mahometiſtes : les priuileges & diſpences, pour le : | | -

Prophete tant ſeulement; car il ne ſ'aſtreint pas à beaucoup de choſes a quoyil veut ' : - - -

aſſubiectir les autres, au côtraire de tous les autres Legiſlateurs,Payens meſmes,qui Priuilcgcs dé ' , " : . -

ſe ſontſoubſmisàleurs loix : & ſ'eſpandêt ces priuileges à 4 poincts, le premier qu'il § pout | -- | | :
nefuſt loiſible àaucun d'cſpouſerl'vne des femmes du Prophete, tât repudiées, que luyºul. | |
vefues; au moien dequoyſes neuffemmes qui reſterent apres ſon decez,furent con- *3* · ' ; - - -

"- -
·
trainctes d'acheuer leurs iours en perpetuelle viduité. L E ſecöd,que toutes les fem- , - * -

mes qui ſe voudroient offrir à luy,ſielles luy eſtoientagreables, il les pourroit prédre *3* - - |
cn mariage, ſans aucun contract ne ceremonie : ce qui ne ſeroit loiſible à nul autre. ,. -

LE troiſieſme,que tous les Mahometiſtes ſe pourroient marier iuſques à 4. femmes 8. ,

tout à vne fois,& non plus, mais luy tant qu'il en voudroit eſpouſer.Toutes les femmes - -

à quitu aurasfait des preſens ô Prophete, ou que tu auras achetéde ta bourſe, ou qui volontaire- 43e - | | -

ment s'offriront à toy, ilt'eſt permis, & non aux autres, de les accointer comme tes legitimes | | |
femmes. ET le quatrieſme, pour autant que ſaloy portoit que toutes les quatre fem- . - | | |
mes qu'il eſtoit loiſible à ſes ſectateurs d'eſpouſer, de leur loy toutesfois ſeulement, | -

& non d'autre, & ce à l'imitation du peuple de Dieu, en Geneſe ſix, vingtqua- " !
- -

tre, 26.27.28.34. fuſſent eſgallement traictées de leur mary quant au coucher, -


-

manger, & veſtir, ſans aucune particuliere affection ny faueur plus enuers l'vne |
-

que les autres, afin de retrancher toute occaſion de ialouſie, & noiſe entre elles: - · |#
-

-|
5O 4 . Illuſtrations ſur
l
tellement qui ſ'en ſentiroit greuée ſ'en pourroit plaindre, & faire conuenir le mary
en iuſtice; Quantàluy il ſ'en exéptoit, faiſant vne ordonnance expreſſe que ſes fcm
:
i
|
l .
|, |
#!#
il
- |
|
- 43º 76, mes n'euſſent à ſe meſcontenter de rien, ains trouuerbon, & prendre en gré tout tel
traictement qu'il lcur vouldroit faire, ſans leur eſtre loiſible de ſ'en douloir, nyen
- - * - -

·!| ; ' | il | quereller par enſemble. Toutes choſes dependantes d'vne tyrannique lubricité:
| | | · | i
-
-
|| j ?. 8o,
comme auſſi la permiſſion qu'il donne à tous Muſulmans, outre leurs femmes legiti
- º • ,! . "; º mes de pouuoirvſerindifferemment de leurs eſclaues chambrieres, comme de cho
r"
1 !
|| - *
º
:
'
| | ſe qui leur eſtoit acquiſe en propre de leurs deniers;ce qui n'eſtoit permis auparauât:
» | | • | Parquoy ce futl'vne des choſes dont il gratifia autant ces peuples adonnez à toutes
|
-
! . ·
-
· |
ſortes de paillardiſe : car ceſte permiſſion ſ'eſtendaumoins ſelon ſes gloſateurs, à des
| | | | | | | | | choſes trop deteſtables, meilleures à taire qu'eſtre dictes.
# -
| i
||
-
•l
: ||
Tov T E ſa doctrine au reſte n'eſt qu'vne tres-orde cloaque & egouſt des immon
|
| | dices Tamuldiques; & vne rapſodie de toutes les hereſies qui pullulerétés premiers
| | | l |
progrez du Chriſtianiſme iuſques à luy qui les eſcuma & ſuccea, auec beaucoup de
| .. ! | | || Payennes ſuperſtitions,nonobſtant qu'il monſtre en apparence de les vouloir toutes
- : 1 |
-
| extirperauecl'idolatrie; & ce à l'imitation de Moyſe. O R il nie en premier lieu la
: | | | " !
- ;

||
|
|
|
| 1
|
|

-
-

32 »
-
Trinité auec Sabelliq. Il ya des meſcreans qui alleguent y auoirtrois Dieux, mais il n'yen
|
a qu'vn ſeulement. Neaumoins il admet en Dieu le Binaire, aſſauoir ſon ſainct Eſprit,
- !. '; '
: |
,
-

º : pour en exclure I E s v s CH R 1 s T, auec Arrius, qui ne le tenoit que pour vne ſim
, 1 ! " ple creature , bien que iuſte, ſimple, ſainct, innocent, & exempt entierement de
- i, : |
, -- • ,!
peché : Comme auſſi Lerdon & Marcion maintenoient : Duqucl Arrius il a prins
· · · . quant & quant l'exemple de pourſuiurc par lavoye du glaiue ceux qui voudroient
| | | i -
contrarier à ſa doctrine. IL permet la pluralité des femmes eſpouſées, auec les Ni
: |
' -
colaites, & les heretiques Nazaréens, ſe couurant en cela du pretexte de quelques
# vns des anciens Patriarches, dont Lamech fut le premier de tous qui eſpouſa deux
· - ºli 1 - - Gcneſe 4•
femmes,l'vne pour en auoir lignée,& I'autre pour ſa volupté.Il conſtituë vn Paradis
de delicesapres Cherinthus,& Papias Hierapolitain autheur de l'hereſie des Chilia
| : • •"
ſtres.Auec les Meſſaliens,Pepugiens,& Manichéens il contemne les Sacremens de
- ! - | |, 1* -

- -º l'Egliſe, car quant à la circonciſion, il ne l'admet que pour le reſpect d'Iſmaël fils de
,
.
| | - Abraham, dont il tire ſon origine. Briefque ce ſeroit choſe trop longue que de par
-
| ,
courir toutes ſes impietez & blaſphemes. -

! -
|
· · ·
-

-
Av R E G AR D de ſon Alchoran, ou Alfurcan, que ſes interpretes alleguentauoit
| cſté eſcrit en la peau dumouton qu'Abraham ſacrifia au lieu de ſon fils Iſaac,ileſten
-

i
-
| 7
versArabeſques,non tiſſus toutefois de pieds meſurez de certaines quantitez de ſyl
' | !
|
| |
: | ||
labes, comme ſont les Grecs & Latins, mais en rithme telle que la Françoiſe ou Ita
- 1 | " lienne, de diuers nombres de ſyllabes; ſi que tels en ya de plus longs trois ou quatre
| fois que les autrcs:mais cela ſe practique bien auſſiés Odes,Tragedies,& Comedies.
1 !
,
4
• -
:
l, Et pour en parlerau vray ſans § ne paſſion, encore que ceſt œuure à le prendre
en toute ſa maſſe ſoit vnvraycoqàl'aſne, ſortant ordinairement pluſtoſt d'vn pro
- | - , , , i - pos qu'il n'y entre, ſans aucune ſolidité ny apparence de raiſon ne de fondemét, qui
peuſt eſbräler meſme vn eſprit mediocre, ains toutes fables deſcouſuës & ridicules.
| plus que celles de l'Icarominippe de Lucian, à les examiner vn peu de pres, ſi ya il
neaumoins des lieux communs entrelaſſez fortelegans, principallemét en ſalangue
•! | 32s Arabeſque, auec des ſentences non à reietter, comme, L'aueuglemët des yeux eſt moins
- 1 - -
nuiſible,que celuy ducœur. Item, Vos enfans,& voſtrepecune,vousſont leplusſouuent occaſion
, · 1 74, de beaucoup de maux. Etinfinis autres ſemblables traicts, non alienez au ſurplus de la
* | . vraye foy & creance; Caril taſche de ſe couller tacitement, & faire ſes approches
| i 1 , pour la demolition de la foy Chreſtienne, ſoubs quelques pretextes tortionnez du
- º,
-
º, - ' r vieil & du nouueauTeſtament, ainſi que ſoubs deux gabbions ou mantellets : &
· · ·
#!
· |
-
- ce qui eſt
tudes, encore
d'vne plus &dangereux,
poincte air delicat lecetout
qui enrichy
ſe peut. deDecertaines
manierephraſes & n'a
que cela ſimili
de
- cº . . ' | | |
- ! • · · peu ſeruy pour attraire les cœurs de ces peuples Orientaux, & Meridionaux con
· · i ,i ||
fits en délices, & peu capables d'vne vraye verité & raiſon. Ce qui eſt l'ordinai°
|
|

re des hereſies, ainſi que quelque difforme putain, qui pour couurir ſes imPcr
| |'
| |
· ' ! # ! -
- -
-

# ! i - |
|
* tº || ||| |
· 'l. : ' . |
il il |
- , , l '
l'Hiſtoire de Chalcondile. 5o5
# fectionsabeſoin de ſe parer , farder, attiffer. Au moyen dequoy ceſte doctrine qui
yreſſemble malaiſéementeuſt peu prendre pied entre des hommes d'eſprit, de iu
gement & de lettres, combien qu'on ne puiſſe nier qu'il n'y ait eu des Arabes Ma
hometiſtes tres-excellens tantaux armes, qu'és arts & ſciences, mais ils ont voulu
pluſtoſt obeir & ſ'accommoder ſimplementaux traditions de leurs anceſtres,que de
• ſ'en enquerir plus auant,& ſubtiliant là deſſus diuiſer leur creance en ſectes : choſe à
la verité fort loüable quant à ce point, qui impugnc nos trop grandes curioſitez &
diſputes en ce qu'on doibt tenir pour vnirrefragrable article de foy.Mais de ces Ara
bes ſi celebres & valeureux la race en eſt eſteinte de longue main, pour raiſon entre
autres choſes desTurcs qui en ont empietté la domination, gens les plus beſtiaux
de tous autres,& qui ont tout empoiſonné de leur barbareſque ignorance. .
MA 1s pour venir finablementaux particularitez de la ſecte Mahometaine , en
premierlieu elle recognoiſt & admet vn ſeul Dieu eternel, mais qui n'a point de
compagnonnyeſgal à luy, lequel a fait & crée toutes choſes de rien par vn trop ad
mirable & incomprehenſible artifice, en nombre,poids & meſure, cela pris de la Sa 64.
Qui en ſix iours crea le ciel& la terre,auectoutes les choſes y contenues,puis remon- 17.35. 67.
pience II. Qu -

· ta en ſon hautthroſue,qui couure le iourde la nuicf. Qui de ſou ſeulcommandement fait mou
uoirlesoleil,la Lune,& les aſtres d'vn cours ordonné Qui commideaux vents, eſleue les nuées ".

| & de là enuoye de l'eau ſur la terre morte, pourla procreation & accroiſſement des arbres,her
bes,& autres verdures. guiu vn tres-exacte ſoin & cure de tout iuſques aux plus viles & ab- Pſeaurne 14é.
iectes choſes,en les produiſant, maintenant, nourriſſant,gouuernant par ſa prouidence infalli
ble, autheur de tout bien en nous,& non du mal.CAR tout ce qu'aucun fera de bien eſt de Dieu, 9.
tout le malille doibtimputer à ſon ame. . - " .

MA 1s afin que perſonne ne s'yábuſe,penſant confronter les Azoares ou chapi La diſtinctioti


tres cottez de nous, cela va d'vne autre ſorte en la traduction Latine de l'Alchoran » de l'Alchoran :
& d'vne autre au texte Arabeſque,lequel eſt diſtingué en quatre liures non que Ma
hometl'euſt ordóné de ceſte maniere,ains Hodmen le troiſieſme de ſes ſucceſſeurs.
Le premier contient cinqchapitres, aſſauoir celuy de la Vache, I. De la famille de i
Ioachimpere de noſtre Dame, 2. Des femmes, 3. De la table,4. Et des beſtes,5.Av -

ſecond liure il y en a douze : Du mur, I. Des deſpoüilles, z. De l'eſpée,3. De Io |


1

nas le Prophete, 4. De Hud Prophete, mais de la forge de Mahomet,5. De Io


ſeph fils de Iacob, 6. Des throſnes,7. D'Abraham,8. De l'Alhigere, 9. Des
mouches, 1o. Dutreſpas, II. Et dc la cauerne des ſept dormants, 12. LE troi
ſieſmeliure en a dix-neuf, le premier s'intitule de noſtre Dame, I. De la Taha, 2.
Des Prophetes,3. Du tremblement de terre, 4. Des croyans, 5. De la lumie
re, 6. Du gibet, 7, Des bourreaux, 8. Des fourmis, 9. Du cazaz, 1o. Des
araignées, II. D'aluchmen, 12. De l'inclination, 13. Des Romains , 14. Du
Createur, 15. Du Sabbath, 16. Des additions, 17. De l'homme, 18. Et des An
ges, 19. A v quatrieſme liure il ya 175.chapitres, chacun ayant ſon nom,& tiltre par
ticulier, mais plus ſuccincts ſont-ils beaucoup que les precedents, ſi que ces liures
pour le regard de ce qu'ils contiennent ſont preſqu'eſgdtx , comme ſi on les auoit
meſurez au boiſſeau,ou à l'aulne: . - -

L'vN E de ſes maximes, & de cela vous pouuez iugertout le reſte, ainſi que le
lion des ongles, eſt que toutes religions ſont vncs, & qu'on ſe peut ſauuer en toutes.
IL faut entendre en general, que toute perſonne viuant bien, qui adore vn ſeulDieu ; & fait Azoare t.
de bonnes œuures,ſoit Chreſtien,ſoit Iuif, ou qui laiſſe ſa loy pouren prendre vne autre, indu -

bitablementelle obtient l'amourde Dieu, & ſa grace. En quoyila voulu imiter,ou pluſtoſt
ila deſtourné faulſairement ce lieu du dixieſme des actes : Dieu n'eſt point accepteurde
perſonnes,mais de toutes nations qui le craint, & fait les œuures de iuſtice, il luy eſt aggreable.
Car on ſçait aſſez que cela eſt dit pour raiſon que les Iuifs n'eſtimoient pas qu'il y
euſt peuple ſur la terre agreable à Dieu ſinon qu'cux, & cecy veut möſtrer que Dicii
reçoit toutes creatures à ſalut, qui cheminent la droitte voye en la creance de IEsvs
CHRIST. Auregard de la creation ill'admet auec Moïſe, & la ſepare tout de meſme
en ſix iournées, mais il embroüille tout cela, comme le reſte de l'eſcriture, de plu*
EEE iij
5o6 Illuſtrations ſur
17.21.22.ſieurs ſortestropabſurdes & impertinentes. Vous autres à quelpropos vouleK vous don
3o. 31.36. mer des eſgaux à Dieu le seigneurdu monde ?qui crea en deux iours la terre, & en icelleferme
38. 5o. 6I. eſtablie & retenue pardes montagnes,commeauecques des anchres & fortes gumenes,en deux
64.81.89. autres emblables iours, toute manicre de nourruure pour le maintenement des animaux qui y
89. viuent, multipliant à ceſfe ffn toutes eſkecesde ſemences. En apres de la fumée qui exhaloit, en
|l deux autres iours forma les ſept cieux, en chacun deſquels ilordonna tout ce qui yeſº, à ſon bon
- plaiſir& vouloir, leur demandant s'ils ſe mouuoient de leur bon gré, ou par contrainte, Et
# -
77. amſidecoralemonde de pluſieurs reſplendiſſantes lumieres. PovR chaſſer les diables delà,
82. leur faiſant peurde leurclairté: QvAN D ils vont ſºierce qu'on fait au ciel Car les gſprits
aſſtans aux eſtoilles les pourſuiuent à toute oultrance, ayantchacun endroit ſoy leſoin de cha
52. cune choſe icybas : SAN s leſquels Anges gardiens qui adorent inceſſamment Dieu,& leprient
4. 49. 61.pourles habitans de la terre,toutpitoyable & miſericordieux pardonneurqu'ilgt, le cieltombe
- roit deſſus eux. - - -

2» IL ſuppoſe au reſte que tous lesAnges s'humilierent deuant Adam ſoudain qu'il
euteſté crée,& ce par le commandement de Dieu, excepté Belzebuth & ſes com
- · plices,dequoyleurayanteſté demandé l'occaſion,pource reſpondit Belzebuth, que
17. 25. ie ſuis trop plus excellent qu'il n'eſt ayant eſté formé de fange, & moy de feu. Ail
65. leurs il met que l'homme futformé du Celal, de l'ombre, & les diables de flammes
de feu.Ceſte des obeiſſance deſſuſditte fut cauſe de la condamnation, où il doit de
: 48. meurer iuſqu'à l'heure d'obtenir ſa grace. SoRs donc d'icy ô decheu de la diuine eſpe
# rance dont tu es remis à vn autre temps, & comme ildemandaſt ce terme luy eſtre preffx au iour
de l'vniuerſelle reſurrection, Dieu luy dit, ton terme t'eſt a %ignéau iourde l'heure parmoy co
gneuë. Carilaſſere la reſtitution des demons en leur beatitude premiere, lequeler
56. reur on attribue à Origene,ou à ſes ſectateurs : Et dit qu'ils ſe conuertiront à la lectu
re de l'Alchoran. -

| L'HoMME ayanteſté produit du limon, & ſa compaigne de ſes os,ils tranſgreſ


ſerent incontinent la prohibition à eux faicte par le Createur, de s'abſtenir d'vn des
arbres du Paradis terreſtre, tout le reſte leurayanteſté abandonné & permis.
2. ToY Adam & ta femme demeure (en ce Paradis, mangeans de ce que bon vous /emblera,
#
& tout autant que vous voudreX,fors tant ſeulement de ceſt arbre. Mais la ſuggeſtion diaboli
que le deſtournant de ce precepte, les expoſa parmeſme moyen à gſtreexilez de ce Paradis.Plus
3o. en vn autre endroit : IE manifeſtay aſſez à Adam,& à ſa femme, quelennemy, & com
| bien tres-dangereux aduerſaire leurdeuoit eſtre Belzebuth, à ce qu'ils ſe contregardaſſentdeſes
machinations & embuſches, & qu'ilne les tiraſt hors du Paradis où ils ne debuoiétſouffrirfaim
ne ſoif,froid, ne chaud : mais le malheureux là deſſus les vint aborder en ceſte maniere. Ie te
veux de ce pas mener, â Adam, à l'arbre de l'eternité,& du Potentat qui iamais ne vieilliſt,pour
mangerdu fruicfd'iceluy : ce qu'ils n'eurent pluſtoſt perpetré, que leursparties honteuſesſema
nifeſterent,qu'ils taſchoient couurirauec des fueilles du Paradis.EtainſîAdam n'obſeruantpas
bien le commandement de ſon Createur,ſe ſouſmit au droit & tribut de lamort. Mais euxſe
retournans parapres à l'amourde Dieuilleur pardonna ce mesfait, leurmonſtrantd'abondant
la droitte voye qu'ils debuoient tenir. Laquelle voye ilinfere au meſme endroit, & plu
ſieursautres, eſtre contenue en ſon Alchoran, où entre autres choſes il ſpecifie les
35. bonnes œuures, ſans leſquellesil tient lafoy comme morte & enſeuelie. S1 le peni
2- tent ne croit,& ne fait de bonnes œuures, iln'obtiendra point Paradé. CAR il ſe fautgarder
2. 4. qu'exhortant les autres à bien faire, on oublyede faire du bien. D E faict Dieugſt iuſte iuge,
6. quirctribue à chacun ſelon ſes œuures, SANs defraulder perſonne de ſon merite, S1 quequi
38. aura repentance & croira, exerçant quant & quant les auures de miſericorde & de charité, il
4. ſera parla grace diuinemis aurancdes bien-heureux. Item. Qy 1 laiſſe ſon peché, & qui
s'en repent, qu'il s'aſſeure que tout lepaſſéluyeſtremis & aneanty: mais s'il y retourne & ren
2 cheoit, il ſentira le tourment du feu perdurable. Q v 1 croira donc en Dieu, & qu'ilyavnſſe
cle aduenir, & qui adiouſtera foyaux Anges,aux liures, & Prophetes : 9ui eſlargira charita
-
blement ſon argent à ſes parents neceſſiteux, aux orphelins, aux pauures qui vont mendians
d'huits en huits,& auxpriſonniers,vacquent deuotement auxprieres,rendrale deuoir& obeiſº
ſance deuë à Dieu,tiendra ſa foycºſaparole : Ce ſont les œuures que font les fideles & craignit
| Dltl4,

|
-

—-in-II-I IIILI t I iL l
rH iſtoire de Chalcondile. 5o7
Dieu. Item. CE vx qui ſe deuoiieront du tout à Dieu homes & femmes, qui croiront en luy, 43.
& feront deuotement les prieres, qui ſerontveritables & patients, pleureront leurs peche Xſ3
offenſes,fleſchiſans humblement les genoiuls à Dieu : ieu/neront, feront desaumoſnes, & ſe
maintiendront chaſtement,obtiendront de luy pardon de leurs fautes, auec pleniere reſioiiiſſan
ceen 'autreſiecle. Somme qu'il recommande fortvne charité reciproque des vns aux
autres.IE ne demande rien de vous, dit Dieu ſinon que vous aimieX voſtre prochain. Et ſur
toutildeffendl'vſure. CE vx qui viuent de preſterà intereſf, ne reſuſciteront qu'en guiſe
de demoniacles, attendu qu'ils ont annexéaux choſes permiſes, ce que Dieu a voulu gſtre tenu
pour prohibé& illicite, alleguans que c'eſt intereſº, & comme vn gain en marchandiſe. Et pour , '
-
-

tantàtout homme quicraindra Dieu, il ſe faut ſouuerainement garderde viure d'vſure : car,
il ſe faut entreſecourir gratuitement l'vn l'autre : racheter les Muſulmans, & mettre parfois
les eſclaues en liberté. Ce qu'ils font d'ordinaire en leurs eſpouſailles auant que de
toucher leurs femmes : & ſur tout qu'on vacque à la continuelle lecture & obſerua
tion de l'Alchoran. CA R qui contreuiendra à la loy, defraudera ſes orphelins de leurlegiti
me ſubſtance, negligera les prieres & oratſons aux heures prºfixes, ne fera point d'aumoſnes
de fes biens ſinon parvne vaine gloire & oſtentation,ſera du tout exterminécº mauuais. Et
envnautre endroit de ſa doctrine il eſt dit, qu'on doibt touſiours exercer quelque
charité & bienfaitenuers les ſouffreteux qui en ont beſoin,iuſques à ietter des mor
ceaux de pain dedans l'eau,parce qu'il pourra aduenir que quelque poiſſon les en ti
rera à noſtre benefice Ce qui ſemble ſe rapporter à ce qui ſe racompte de Polycrates
tyran de Samos,lequel pour eſſayer la faucur extraordinaire de ſabonne fortune,qui
iamais ne luy auoit encores manqué,ietta vn anneau, la plus chere choſe qu'il euſt,
aſſezauant en la haulte mer, mais ayant tout ſur le champeſte englouty d'vn poiſſon
& ce poiſſon pris le lendemain par des peſcheurs,comme onl'appreſtoit ceſt anneau
futretrouué dans ſon ventre. | : -

· IL preſche fort pareillementl'infinie, & iamais eſconduiſante miſericorde de


Dieu, dont nul pour quelque grand pecheur qu'il ſoit, ne doibt iamais deſeſperer.
Monpeuple, encore qu'ilait perpetré de gros peche G & detgſtables, qu'ilne dſeſperepointpour 49.
-

cela,car Dieu gſ tout miſericordieux, lequel pardoune les mesfiiéfs. Plus.Quenulne laiſſe de 5I. . *
-

prier pour le bien qu'ilen doibtattendre. Et pour ceſt effect il ordonnè tant & tant de †
les treſpaſſez. " |
prieresleiour & la nuict, non ſeulement pour les viuants, mais pour les treſpaſſezº -

auſſi,ſur leurs tombes meſmes. I E n'eſpandraypoint de prieresſur aucun de vous , ny ne 19.


m'approcheray de vos ſépultures pour les viſºter , tant pource qu'ils ont contrarié à Dieu, & à
ſon meſſage, quepource qu'ils ſont morts incrcdules. Caril admet vn Purgatoire. Si nous ººurgatoire.
46,
voulions nous vous pourrions boucherſes yeux, a4a que vous ne viſiez point le feu de Purga
toire,parlequelilvous faut paſſer.Au demeurantil eſt fort creuëmentarreſté ſur la pre
deſtination.Tu n'en addreſſerts point ô Prophete, en la droičte voye,ſî Dieu meſme m'y met la
rº -
main, comme ſi c'eſtoit Dieu quid'vne grace ſpeciale imprimaſt la foyen ceux que -

particulierement il luy plaiſteſlire à ſaluation. Carà tels Dteu fluoriſant, a inſcript au |


fonds de leurs ca'urs vne foy conſtante,& leur octroyera in benin pirdon, & ſon Paradis.CAR -
|
t'ſfluyauqueltoutes choſes retourneront,qui prcgſlit ceux que bon luy ſemble, & accompliſt ſon
ſainé#vouloiren chacune de ſes creatures. S1 que vous ne ſcaurie Xperpetrer en la terre choſe
quelconque au preiudice de voſtreame que Dieu n'aye proiectée deuant voſtreprocreation,en vn | | |

grandliure qui comprendtout. Item. Si nous voulons (dit Dieu) Nous enſeignerons le bon
& le droict chemin à chaſque peuple, mais noſtre parole eſt deſia arreſtée à ce quel'enfer ſoit en
tierementremply de ſa ſocietédes diables, & des hommes.OR à ceux à qui Dieu ouure le caur
à ſa creance,il enuoye parmeſme moyen ſa lumiere. Le meſme tient-il de la fatale deſti | | |
née, que les Grecs appellent euafuen, ou &vayxà, les Latins fatum, qu'il tient pour #
-

ineſuitable à toutes creatures. Nv L ne peut encourir la mort ſinon parla diuine diſpoſ 61.
tion, au temps aſſauoirqu'elle a prefix.Plus.Aucun ne ſçauroit preuenirne dilayerleterme qui
lyeſt limité Item.La vie de perſonne ne ſe prolonge, nyne s'abbrege , ſinon par la predeter
mination du liure. S 1 l'on demande le terme de ceſ*aduenement, reſponds qu'ilſ de tout temps
33
45 .
44:
·
:
!
|
eſtablytelqu'iln'eſtpoſſible de l'anticiperneretarderd'vneſeule minuted'heure. ET n'ya que 89.
Dieu ſeulqui le ſçache , & ſon Prophete. Derechef. NvL ne ſçauroit euiter ſon heure, 82.
| |
r
*i

il 5O8 · Illuſtrations ſur


-|,
| -

yo, l'aduancerny la prolonger. PAR ovoy auant que la mort arriue, faites des charitez & au
|, | i |
-
-
67.
73.
moſhes des bien qui vous ont eſtéeſlargis, affn que la neceſſité vous prºſant vous ne ſoyez con
traints de dire, O Scigneur prolonge moy par ta grace
: , -l
menderay. MA I s ce ſera en vain. CA R luy ſachant
- +
encore la vie, carie feray du bien, & m'a
diſcernerl'intention, & les faits de ſes
- : /. -- - - -

| creatures,iln'allonge à pa vned'icelles le but qui luya effé arreſlé DE ceſte deſtinée ineſ
- - uitable,ſi telle eſt,les Princes Turcs en ont ſceu fort bié faire leur profitenuers leurs
l
|
-
| | | - - ſoldats,pour les rendre plus hardis,hazardeux,& entreprenans, quand ils ſe ſeroient
- reſolument Imprimez ceſte opinion,que pour quelque danger que ce ſoit,leur hcu

-

4 « -
| - re ne peut
auecvn eſtre
fort haſtée,
plaiſant comme
compte à ceil propos
eſt bien: de
à plein deduit
maniere au 7.
que liureils
quand devont
ceſteà quelque
hiſtoire,
| | aſſaut, ou autre combat perilleux, ils ont accouſtumé communément de proferer
- ces mots,Allah Verah, Dieu a ordonné ce qui en doibtaduenir, & ſoubs ceſte aſſeu
rance font ſouuentesfois d'eſtranges preuues de leurs perſonnes. .
L E s Mahometiſtes conuiennent des points ſuiuants auec les Iuifs,& auec nous,
i , mais aſſaiſonnez à leur mode, comme nous le parcourrons icypar les textes de l'Al
· · · choran,car ce qui en eſtamené cy-deſſus eſt des gloſes de leurs docteurs, qui en ont
| | | | | | | enrichy le compte. Et premierementilafferme vne fin de ſiecle, & vne renouation
| i | 26. de la terre,& du ciel par lc feu. Q v I ne croira vn ſiecle aduenir, a le cœur refraétaire &
. | | | | | 24. malin. A v Q v E L la terre ſe changera en vne autre, & le cielauſſi : & compareſtront deuant
-
| -
| * -
* 47. le ſeul Dieu tout-puiſſant, toutes les creatures qui furent oncques. CAR va ſeul ſon de trom
'. /.. - , f -

, · - l'ºſ , 88. pette les reſuſcitera toutes. MESMEs les Anges, EN ce iour de la verité que les ames reſuſciteront
' ' * 8o. & les Anges pareillement en leurs ordres.ET lors le ciel s'eſaanouyra enfumée , & la terre s'eſ
| | | ' : 88. charpira comme de la laine qu'on carde. LE ciel s'ouurira en pluſieurs portes, & ſe reployera par
, , , ' , " | 91. menus fragments & lambeaux, ainſi que de petits billets de pipier: & vn feu deuorant allumé
· · · · · | | Iſai.34. de toutes parts embraſéra tout. Le Soleil perdra ſa lumiere, les eſtoiles cherront à bas. ET les
, l t
- -

!
, |
| | -

# -

montaignes qui auparauant ſe monſtroient ſifermes ſtablies iront voltigeans çà, &rés là/2 à: guiſé de
- - - - - - - - -

·
'
·
! -
·
- |
· - · muées,&ſeront en fin concaſſées en menue poudre, plus deliée qu'atomes. CE s T aduenement
-- - - 2 * - -'

· · · · · · - * trop horrible & eſpouuentable ſera plus viſte qu'vn clin d'œil,qui penetre en vn momët de later
· · · , · · · · ·· ·· '
42 re·orsiuſques au ciel. ET lors au premier/on de la trompette toutes choſes ſuccomberont à la mort,
ce que Dieu en voudra garentir. CAR toute ame viuante gouſtera la mort , mats diuerſe

- , "
- ) XV •
39 que D dra garentir. CAR tout te g la mort, d
- • • · - 89. ment : PARCE que les Anges tireront les ames des peruers d'vne grande force & violence hors
! - | . | • : de leurs corps, comme contraintes d'enpartir, & celle des bons doucement, & de leur bon gré.
- · | - - - » - » •- - -

- , | | 49. Av ſecond ſon elles reuiuront,& le ciel & la terre reſplendiront de la lumiere de leur Createur.
- | | | ' ! i' 9I. SI que les ames retournans és corps,recognoiſfront chacune endroit ſoy ſes actions : E T compa
- · - | | 24. roiſtront toutes deuant le grand Iuge pour ouyr leurderniere ſentence. LEQvEL arriuant auec
- · · · · i 49. les Prophetes qui ont eſtémis à mort icy bas,iugera tout d'vne verité cquitable, ſans faire aucun
| * # # | 4. 2o, 3o. tort à perſonne, ains retribuant à chacun ſelon ſes merites. DoNT les vns diront n'auoirgeu
| | l . #† • ig que ſix iours, & d'autres plus conſiderez & diſcrets,ſinon qu'vn. D'autres vne heure. Et
- | | | | d'Origene. " derechef TovTEs choſes chacune àpar ſoyretourneront à Dieu en celle grande ſpacieuſé iour
· i - | - 42. mee contenant preſque autantque mille de nos annees temporelles. Enquoy il ſemble faireal
- - ' luſion au Pſeaume9o. Mille ans deuant tes yeux ſont comme le tour d'hyer qui eſt paſsé. Et
| : ; en la ſeconde de ſainct Pierre troiſieſme. I n iourenuers le Seigneurcomme mille ans , &
| • mulle ans comme vn iour. Là deſſus interuiendrale iugementvniuerſel,auquel ſeront
- 24. remunercz les bons,& punis les meſchans. Q v E perſonne n'eſtime que Dieu ignore les
• 1 - auures & deportemens des peruers incredules, encore qu'il prolonge leurcondamnation iuſques
|
| :
:
|
- auiourdu iugement,où ils comparoiſtrontd'vn courage toutproſterné,voire mort,ſans oſer tour
• | | - -
| | º - mer
, les yeux nullepart.
Neaumoinsiladuoüe en vn autre endroit,que ſoudain apres leur trcſpas les mcſ
- -

| - - -, ' ' • - - - - - - -

- | | . : º . chants iront en enfer, là où ils commenceront à ſentir le tourment qui leur eſt prc
, , , | · 33. paré pour toutiamais. C E LA dit le condamné entrera au feu, & y demeurera iuſques ex
· · •
·
* '
· · ·:| | | |
| | | |
· la reſurrection. Apres laquelle reſurrection leur peine leurrcdoublera, comme eſtans
- » - - » . / 2 - - » ,/ -

, * • " | | | | - 29. en corps & en ame. IL fautſeauoirqu iln'ya perſonne qui apres ſa mort ne s'en voiſº paſſer
· · · · | | | | | | par le feu, auquelles incredules ſouffriront meſmes corporellement. Au liure de la Zunc, où
| | | | | |
| | | |
|| ||
|| | |
-

-
eſtinterpreté ce lieu du chapitre Elneſa, Q v E Dieu gſleua à luy I E svs-C H R 1 sT,cſcrit
il eſt -

| | # | -
-
| - -

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-
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|
• ! | - -

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- · 4
- ||
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-
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-

1
-

4 | -
|
- * - ri • . " , J -

- l ? |
·. : | ||
· l'Hiftoire de Chalcondile. 5O9
eſcriten ceſte ſorte : IE sv s fils de MARIE deſcendra du cielen laterreau iourde la reſur : • »•

reétion,& iugera les hommes en iceluy d vn iuſte iugement equitable. LE Parenſus de ce pro-*º rectió.
pos depend de laditte reſurrection,à quoyil eſtincorporé laquelle Mahometadmet
toutreſolument,auec quelques allegations non impertinentes,ſi elles n'eſtoient en
farin ées de tantd'impietez & blaſphemes,& de plus que pueriles fatras. D 1 E v d'vn 2. 3 .
non eſtre nous ayantproduit en gſtre devie, ilne luy ſera non plus malaiſéapres noſtre mort nous
reſuſciter.CAR tout ainſi que Dieuſans peine & trauail,& ſans aucunementſe laſer,crea le ciel 56.
& laterre, à plus forteraiſonpeut-ilbien, luy tout puiſſant qu'ilgſt, reſuſciterles morts qui ont
deſiaſtéquelquechoſe.Maisſion allegue comme ilgſfpoſſible der ſuſciter & rëdre de nouueau la 46.
chairquiauraeſtévnefois conuertie en terre,à des oſémens deſia tous reduits enpoudre,& les re
ſabliren leurpremiereſtat,reſpondez que celuy qui vous aformez premierement vouspourra bié
reuifferſecondairement,carileſt tout-puiſſant,tout ſachant,laſcule ordonnance duqueleffectue
& met à execution toutes choſes,la main duquelgouucrne tout,& tout retournera à luy.Voirefuſº 27. '
ſie{vous de marbre ou defer,ou de ie ne ſçay quoy deplus durencore,celuyqui vous a crée la 1.fois
vousreſuſcitera & rappellera de nouueau en vie.CE LA luygſt-ildoncquesplus malaiséque de 2.9.
• t

creerderien le ciel & la terre#Ov de vous reſtituer vgſtre corps qui deſa a eſté,quedel'auoirfait 32..
n'eſtantpoint. EN premierlieu deſimple terre, & eaapres de laſemence venantſucceſſiuement 33. . 85.
du 1 hommelaquelleſeconuertiſtenſangdedans le ventre delafemme,puis en Embrion, tit que
fnablement au temps determinéilparulentà ſaforme complette.Ainſi toutes choſes enuers
Mahometreſuſciteront au dernieriour,cöme il eſt dit auTheſchere Eliman,le manuel
des preſtres,qui eſt vnabregé de la doctrine Mahumetique.ET tout retournera à Dieu, 6o,
parle commandementduquella terreſé diuiſeraſoudain,à ce que toutes choſes retournent à celuy
#
quileura auparauant donnévie,& puis apres mort.ALoRs Dieu iugeant vn chacun ſelon· Mahomet du
ſesmerites,aux fideles gens de bien,les bons Muſſulmans, Qy1aurontexercéleurs au-§
moſnes & chariteXenuers lespauures indigens, aſſiſtéles orphelins,fait deuotement les prieres 86.
aux heures deués,eu leſoin de ſe lauerounettoyercome il faut,guerroyéde tout leureffort les ido
latres & meſcreans pourl'exaltation de lafoy,obſeruéles ieuſnes des Ramadans & autres choſes
à euxeniointesparle Prophete,illeurdira Entre{vous autres mes bien-heureux eſleus au Para 6o.
dis qui vous aeſléprparé. Mais ce Paradis n'eſt pas eſtably ſur lafruition du ſouuerain
bien,que l'œil n'aveu,nyl'oreille oy,ny n'eſt entréau cœur & apprehenſion des per
ſonnes,ny en labeatitude nonplus de la ſocieté des Anges,& viſió de la diuine maie
ſté,ains du tout tel que la chair & le ſangontreuelé à ce faux prophete.EN ce Paradis *s
doncques ces heureux eſleuziouyront en l'autreſiecle d'vnefelicitéeternelle, comblée de plaiſirs
& reſiouyſſances de toutesſortes de volupte% Qui aura eu crainte d'offenſerDieu, deuant lequel 65.
tous nos faits & cogitations/ontenplaine veuè,receurapourſon heritage deux Paradis,abôdans
detoutes manieres de biens.(Auſſi conſtitue-il deux morts & deux vies.)&arroſe (deplai 5o.
Jantes & delicieuſes fontaines, & ruiſſeaux cristalins coulansſouefuement.Là ils ne ſentiront 28.
:
aucuneennuyeuſe ardeurduSoleil,nypoint demoliſtes & picquantes froidures,ainsſerôt en tou 86.
tesſaiſons en vn tres-attrempéombrage de beauxgrands arbresſpacieux,qui inclineront d'eux 66.
meſmes leurs branches, à ce qu'ils cueillent ſans peine & trauailles ſauoureux fruičts dont ils
ſontchargez en tout temps,auecinnumcrables petits oiſeaux perchez deſſus, qui de leursgorges
armonieuſes deſgoiſeront vne plus plaiſante muſique, que tous les concerts d'inſtruments &
de voix qu'on ſcauroit accorder enſemble. I L s ſeront au reste veſtus de triomphantes &° 28.
pompeuſes robbes de ſoye verte, brochée d'or, auec de riches chaiſnes & carquants au col verte
La couleur
fauorite
tous ſtoffez de pierreries, & des braſſellets de grande valeur DoRM 1R oNT quand de Mahomet.
vouloirleurprendra de ſerepoſer,en detrop ſuperbes lits de drap d'or, d'argent, & de pourpre, 46.98.
auecdes oreillers garnis de groſſesperles,& autres pierres precieuſes.Ov illeurſera loiſible de 65. 66.
prendre leurrecreation auecdes filles touſîours vierges, & non encore depucellées parles hommes
neparles demons,belles aureſte en toute perfection,& agreablesplus que les perles neiacynthes. -

Ayans de durspetits tetinsrondellets Et des yeuxgros à paird'a'ufs d'Auſtruche, LE blancd'i ss.


ceux ſurpaſſant la neige,& laprunelleplus noire qu'Ebeneneiayet, clairs & eſtincellans au poſ 47.
ſible, maépudics quant & quant, & honteux. Qu'ils ne ſouſleuerontiamais tantſoitpeufors 54 -

à leurs bien-aime{ eſpoux. Eux alors auecleurs tres-cheres compaignes, ſans plus ſeſoulier 48. 62.
derien qu'à ſe donner du bon temps, appuyez ſur detres-exquis ç doiiillets couſins de duuet, 46., |, h
- FFF
A

# ·
5Iô Illuſtrations ſur :
d
#8. reueſtus de ſoye : D E ss ov B s de gracieux ombrages de dactiers & de vigne grimpante le
: 86. longdebeaux verdoyans cycomores en toute ſaiſon, M A Ne E R oNr de tels fruičts dont leur
62 . appetit les enſemondra. ET apres s'en eſtreraſſaſiez à ſouhait, enſemble de toutes ſortes de
66.86. viandes les plus exquiſes & friandes que gouſt d'homme ſceuſt deſirer CE R T A INs gra
cieux iouuenceaux en la tendre primeſleurde leurpuberté,propres & nets, plus polis que per
les,leur preſenteront de belles grandes couppes de criſtal & d'or, toutes ſemées de pierreries,
leines de la ſauoureuſe liqueurd'vn vin plus ſoueffleurant que baumenyambre gris, temperée
zelzebil. d'eau de la fontaine des bien-heureux, ditteThoſuez.Etainſi ſemaintiendrant en vn continuel
86. ſoults qu'on neſauroit imaginer,ſans plusſentir la mort,nytrauerſes aucunes de maladies, ou
| autre accident,ennuyne faſcherie quelconque qui leur peuſttroublerleur fèlicité & repos.
L' E N F E R. Av contraire les infidelles meſcreans & perucrs, 9ui aurontnegligéles%#, ad
84. monneſtemens du Prophete,les iouèurs,yurolºgues, berlandiers,vſuriers,adulteres,& violents
vſurpateurs du bien des pauures orphelins & des vefues,les faulſaires, homicides, & blaſphe
-
mateurs du nom de Dieu,auquelils auront voulu attribuerdes eſgaux & comperſonniers,ſeront
-
2.5. à cauſedeleurs forfaicts precipiteKaufonds d'enfer Qy 1 aſeptportes commiſes à lagarde de
certains tres-rigoureux Anges pouryºſtreperdurablement tourmentez dans l'horrible feu de lu
sz. gehenneeternelle : DoNT l'ombre eſt diuisée en trois parties, non demoindre horreur que les
flammes propres qui deſgorgent à tous moments des ſttncelles comme degros tourrions , ou des
24 chameaux roux d'vn poil enflambé.ET là outreXd'vne ardeur plus qu'inſupportableaux demûs
meſmes, demandans vn peu d'eau pour alligement, on leuren donnera la groſſeurd'vne petite
| r ** larme qui coulegouteàgoute desyeux & aurºſteſiinfecte,venimeuſe & abominable qu'eleleur
rºgera les entrailles,& les gſfoufera ſoudain,ſans toutesfois pouuoirmourir,tres-manuals breu
uage certes ſurtous les autres. ET quant& quant ſeront ripeus àgrandcontrecœurmalgréeux,
d'vn fruičtreſſemblant à des teſtesde diables,del'arbre appelé Ezecum, qui de ſa racine boiiil.
lonnelecontinuel feu de lagehenne, de maniere qu'il ardra au fonds de leurventre,comme le
bronze en la fournaiſé preſt à ietter : LEs miſérables cependant gſtantconſtituex aamilieu de
l'embraſement,lateſterenuerſée en bas dans degros charbons allumez,enchaiſaez parle colaucc
des carcans,degroſſesmanottes ésmains,& entraues auxpieds,& des chemiſes depoix enflam
bée,ayans deuanteux les teſmoins & accuſateurs de leursforfaits. ET en outre vnpapieriour
malqu'on leurouurira,où touteſt enregiſtréparle menu, auquelvn les contraindra de lire. Voicy
noſtre liure (dit Dieu)quicontientenſoytoutes vos actions & deportemens, eſcrit de noſtre
propre main, lequeldeſcouuriratous vos faits à la verité car il ya vn grandvolume rierenou,
quicontienttout.Avmoyendequoyceiourlà iln'yaurarien quiſoit cachédetouslesplus ſecrets
affaires des hommes.ET là deſſus les miſérables s'exclameront, Helu combien dangereux & à
craindre eſt ce mauuais liure icypournous qui n'obmetriëquelcóque desplusgrides ny desmoin
dres choſes.AvQvELeſtans diſtinctement marquez les mesfaits & maluerſatiôs desperuers,il
ſerapuis apresenfoncédis le plus profondde la terre.Mais celuydes bûs qui eſt eſcriten belles let
tres,& d'vne eſcriture agreable,on le verraſuſpëdu auplus haut du ciel,pour yeſtre leu des eſleus
•"•"*
lesplusproches de Dieu.A ce propos les Mahometiſtes tiennét comme il eſt ditauliure
d'Azear,& autres,que désl'heure de la naiſſance de la creature deux Anges luy ſont
ordonnez de la part de Dieu,pour luyaſſiſter iuſqu'à ſon treſpas,l'vn à la main droite
lequel eſt appellé Chiramin,& l'autre àlagauche,Chiratibin,qui ſont cöme eſcriuains
:, du bien & du mal que chacun fait en toute ſavie,dötils font regiſtre qui eſt produit
auiour duiugementAuecautresinfiniestelles fictions poëtiques,eſpandues confu
ſement çà & là dedans l'Alchoran,lefquelles cöme indifferentes pourroiét eſtreau
cunement tollerables,pour retenir par ceſte crainte ces gés vicieux, & au reſte groſ
ce que Maho ſiers & ruraux.Mais nonpas les impietez & blaſphemes qu'il y entrelaſſe,cótre ladi
i ſi , , , met tient de uinité du Sauueur,cöbien que ce ne ſoit pas du tout de droit fil, ains obliquemétpar
§t vne tres-cauteleuſe malice,feignantl'exalter par deſſus toutes creatures, & côme ſi
luy-meſme ſe complaignoitdutrop d'honneur qu'on luy defere en le faiſant Dicu.
ce qu'ilabhorre & deteſte.
: 13i O IEsvsffls de Marie (introduiſant Dieu quiluyparle ainſi)perſuades tu doncques aux
hommes de te tenir toyc#tamere aurancde Dieupourdeux autres Dieux,& t'adorer*I #svsre
Aód,Dieune vueillequeiediequeverité,& ſii'ai ô Dieuproferéquelquechoſètaleſ#aébié#,
1-
,
- - celuy

*• ! --
"» .
l'Hiſtoire de Chalcondile. 5II
• • • • - • - ", (-- J. • ... - L - -- & º ..,%'. ;-, /C. :,? . i Aſtuce & blaſ,
celuyquicognoiſſantles interieurespenſées detous les cœurs, penetreX auſſi iuſqu au fonds du † . -1

mien, & non pas moydedans le tien. Parquoy tu ſçais que ten'ay rien annoncé à tes creatures ºu prophete
Aorſmis tes commandemens & preceptes, affauoirqu'ils euſſent à t'inuocquer& adorer,toy mon
Dieu,& le leur,dont pendant qu'ilt'a pleu me laiſſer là bas i yayaſſiſtépourteſmoin:mais main
tenant toyquies l'infallible arbitre de toutes choſes, depuis que tu m'a eſleué à toy,en es toy meſ ,
me le cognoiffeur.Somme que tout le but où il viſe eſt de renuerſer la diuinité du MEs
sIHE,ne le conſtituant que pur homme,auec la pluſpart des anciens herctiques. IE-.
- svs-CHRIST n'a eſtéqu'homme ſeulement,auquel Dieu a conferé beaucoup de bonté,& l'a inſti- 53.
# ! tuéDocteur pourinſtruire les enfans d'Iſraél, lequcl venant auecla diuine efficace, diten cºſte
|, ſorte.Mevoicyarriuéauec Sapience qui decidera vos altercations.Suiuez moy doncque, & crai- -

#. gne{Dieu le Seigneurde vous,& demoy.CAR Dieu n'a aucun enfant,nyne luy cſt point beſoin 2.O .

d'en auoir,nydecomperſonniere>eſgalnon ple. NE dittes pointqu'il yait trois Dieux, veu, 35. 37°
qu'iln'y en a qu'vn tout ſeul,qui n'a point d'enfant,& eſt tout-puiſſant,Toutce qui eſt au ciel &, II.

en laterreluyeſtant ſubiect.IEsvs-CHRIST meſme ne ſaurouaier,comme auſſi les Angespro


ches de la diuinité,qu'ilne ſoit ſoubſmis à luy ET faut ſ#auoirque ceux-là ſont vrays meſcreis 12.
quidient IE s vs fils de Marie eſtre Dieu : & pareillement qui afferment yauoirtrois Dieux,
r
'#. veu qu'iln'yena qu'un ſeul. S1 queles autres qui auront voulu dire que Dieu euſt vn fils,re- 29. •

, A. cognoiſtront auoirproferévne tres-vilaine parole, pour laquelle le ciel preſque ſe confond, la .


r, terre s'enfuitcacher, & les montaignes ſèrenuerſent. NE donnez point doncques decompais ! | 82. º
|
|

# # gnon autres-haut & ſouuerain Dieu, qui n'a ny femme ny enfant. CA R iln'ya qu'vn ſeul 122. |


Dieu neceſſaire à tous, & incorporel, qui n'a pointengendréd'enfans, nyna pointauſſieſtéen- 1 4 26. 28, :
# • l
gendré, & n'a point de ſemblable à luy. Voila de ſes execrables blaſphemes contre la 3i. 33 35. | l

diuinité de noſtre Sauueur IEsvs-CHRIST, qu'il entrelaſſede tres-grandes preemi- 47.49. 5I ; :


nences,& prerogatiues qu'illuyaſſigne,& pareillementàlavierge Marie ſa mere,les 66. n

- * ! l
affermans eſtre les plus dignes excellentes,& parfaictes creatures qui furétoncques. -
| -

| |
MA R 1 E ſeredreſſant du tout à Dieu ne commit iamais rien de mauuais, parquoy nous auons 76 |
|
-

ſouffléen ellevname qui debuoit confirmernos paroles, & noſtre liure, & perſeuerer en toute, -
|
»
bonté.Entendant par ceſte ame là IEsvs-CHRIST, quifut conceu en elle du Ruhela ou
ſoufflement de l'Eſpritſainct. IE s vs le fils de Marieeſt le meſſager & nonce de Dieu , & II ,

ſon Eſprit,leVerbe enuoyéducielà Marie.Apropos de ce Verbe nonce de Dieu,lesTal |


mudiſtes,& meſme Rabi Iſaac Arama en ſes commentaires ſur Geneſe,alleguant le
Pſeaume 1o7. Ila enuoyé ſa parole & les a gueris, met que Rabi Samuel Leuite dit -

ce Verbe de Dieu eſtre ſon meſſager, dont il eſt eſcript en Ieremie vingtroiſieſme. -

r
-

#
Telle eſt ma parole qu'eſt le feu. Etau vingt-huictieſme du meſme : Quant ſa parole ſera -

venue, le prophete ſera cogneu.Et certes les Iuifs ſçauants enl'eſcriture n'ont peu igno |.
rer IE s vs-CH R I s T, s'ils ne ſe fuſſent tout à leur eſcien obſtinez en leur refractai ::
re erreur : mais pourretournerà Mahomet. Encore que Dieu aitextolléles Prophetes l'vn II.
plus quel'autre, iuſques meſmes àparlerbouche à bouche auecd'aucuns:Ceneaumoins à I E s vs i -
•t ,
-

fîls de Marie il a conferé vne puiſſance & vertu par deſſus tous autres. E r vne ame pure 13: | |
"i -

nette, & benoiſte, lequel donna la veuë à vn aueugle nay , guerit vn ladre, & reſuſcita |
des morts, luyayant en outre enſeignél'eſcripture, & la Sapience, l'Euangile auſſi, & le teſta
ment. Itcm. Dieu enuoya l'vn de ſes ſprits à Marie , en reſſemblance d'vn vray homme.
(l'Ange Gabriel) de la veuë duquelſe trouuant gſtonnée de prime face, elle eut recours à Toutle miſus
prierDieu qu'ullavouluſt deffendre deluy, qui toutàl'inſtant luy va dire, n'eſtre ſinon le meſ eſt, mais per
uerty.
#
ſagerde Dieu, lequel luy promettoit vn fils qui croiſtroiten tput heur& perfection. Et elle re
-

plique, Comment pourrois-ie auoir d'enfant , qui iamais n'eus accointance d'homme, ny le
cœur à ceſt acte là ? Il reſpond, cela eſt poſſible à Dieu , & leger à effectuer : & en appa
-
roiſtra aux hommes vne tres-admirable & 7'nique merueille, don gratuit de ſa grandecle
5
-
mence & miſericorde. Tout de ce pas ſe ſentant groſſe, de honte elle s'enfuit au loing : c3
J.

*
eſtant ſur le point d'accoucher, ainſi qu'elle ſe repoſoit ſouks vu Palmier : Pleuſt à Dieu,
va-elle dire , que ie fuſe morte, & engloutie de l'oliame auant que cecy me fuſt aduenu.
Mais là deſſus I E s v s-C H R 1 s T eſtant ſorty hors de ſon ventre, luy dit : Ne crai -

gneX ma mere , car me voicy qui vous aſſiſte : & Dieu quant & quant luy ordonna de
croulerl'arbre, dontgſtanttombées des dactes meures elle en mangea, & puis apres beut, ſº •
1J
«
512 Illuſtrations ſur
quelle ſereconforta, & addoucit ſon affliction, delà ayant portéſonenfantaulagé, comme on ,
ſe ſcandalizaſt de ce faict, IE svs va dire tout ainſi petit qu'il gſtoit emmaillotté dedans ſes
langes, ie ſuis le ſeruiteurde Dieu, lequelm'a donné ſon liure, & conſtitué ſon Prophete pour
l'amandementdeſes creatures , m'ayant ordonné de prier pour elles,faire des aumoſnes &
charitex, & honorermamere pendant queie conuerſerayaumonde. Ilm'a aureſte crée exempt
de tout mal,cardé l'heure demanaiſſance le diuin ſaluta eſtéeſtendu ſurmoy, & ſera pareille
33. ment à la mort : & quandiereuiurayderechef pourmonterlà haut.Là où enſembleàlavier
ge ſamere, ayansl'vn & l'autre fait de grands miracles parmyles hommes,il aſſigne
vn lieu à part de beatitude,fort plaiſant,& arrouſé d'eaux : & lafait quant à elle exé
5. pte auſſi de tout peché,meſmement de l'originel.La femme de Ioachim ſe ſentant groſſe
vadire,Ie te vouë ômon Dieu Createurde tout,l'enfant conceu dedans mon ventre,qu'ilteplaiſe
doncques lereceuoirà ton humble ſeruice. Et comme elle euſt enfantévne fille à qui elle donnale
nom de Marie, l'inuocquant derechefs'en va dire : oEterneldefends s'ilte plaiſé ceſfe mienne
fille,& le fruict qui ſortiravniourd'elle, deuouèz du toutàta/aincfe obeiſſance des tentations
aguets,& embuſches du diable, laquelle priere Dieu exauca. Il ya toutplein d'autres ſem
blables choſes qui ſuiuent apres, peruerties de nos Euangiles. Mais il n'admet pas
que IE svs-CHRI s T aiteſté crucifié, ains vn autre parmeſcognoiſſance en ſa pla
-º , ce. L E s Iuifs horſmis bien peu ne croiront iamais, leſquels font vn trop grandoutrage à
- : † Marie, & luy vſent d'vn blaſpheme iniurieux, d'alleguer qu'ils ayent mis à mort IE svs
auec Cerdon, CHR I s T,ſon cher fils, qui eſt le meſſagerde Dieu, mais rien moins que cela , ains vn autre
†, qui luyreſſembloit?Ce que deſſusill'aauparauant dilaté en ceſte ſorte,pour monſtrer
s§ touſiours d'auantage comme il entremeſle & pallie ſon venin deſſoubs vn ſuc de
º pieté,mais groſſierementàgens entendus,& fort aiſé à deſcouurir : car ſelon que dit
non Ineptement certain poete.
Le fardneſçauroit faire vne Helene d'Hecube.
j. O MAR 1 E, diſent les Anges, plus nette & monde que tous les hommes ne les femmes,
addreſſant perſeuerammentta penſée au ſeul Dieu, adore-le, auecles humbles de cœur qui luy
· fleſchiſſentlesgenouils.Maintenantt'eſt enuoyée du ſouuerain Createurde toutl'vniuers,la ſu
blimeioye du hautmeſſager,qui eſt le Verbe de Dieu, dont le nom eſt IEsvs-CHRIsT, qui eſt la
· face de tous les peuples,tanten ceſiecle qu'au futur, vn tres-bon & tres-ſainctperſonnage.Elle
reſpond.omon Dieu,moy qui n'eus oncques accointance d'homme, comment conceuray-ievn en
fant ?Les Anges repliquents Iln'yarien impoſſible à Dieu,lequel fait tout comme il luyplaiſt,
& dont le ſimple commandementexecute tout à ſavolonté. Il enſeigneraàton fils venantauec
la diuine vertu, le liurecontenantlaloy,enſemble toute ſcience & doctrine,leteſtament, & l'E
mangile, & les preceptes qu'il doibt annonceraux enfans d'Iſraël, & ſoufflant ſur des figures
d'oiſeaux parluy formez de ſimpleterre, les rendra volants : guerira les muets &- aueugles,
nettoyeralaladrerie,& parlacooperation du Createurreſuſciterales morts,manifeſterales vii
des qu'ileſtloiſible demanger,en confirmant le teſtament,fors quelquesvnes qu'il permettra,
yayans ſté prohibées,& declarantd'eſtrevenuauecques la diuine vertu & puiſſance, diratout
haut.Vous quicraigneXDieu,yuiuez moy, & en l'adorant vous cheminerezparladroitte voye,
carileſtvoſtre Seigneur& le mien.Mais IE svs ſçachant bien que la pluſpart voudroient de
meurerobſtinexen leurincredulitéditainſi Qui ſont doncques ceux d'entre vous qui me veu
Apºcalypſe 4 lent ſuiure?A quoydes hommes veſtus de blancreſpondirent, nous au nom de Dieu te ſuiuans,
croirons en luy.Tellement qu'entre les Mahometiſtes,maislesTurcs principalement,
)
quiconque blaſpheme IEsvs-CHRIST, ou la Vierge ſamere, il eſt toutſurle champ
Leuitique t1. #uny de cent coupsdebaſton. Ce point au reſte qu'il toucheicy des viandes prohi
ées en l'ancienne loy,dontilremet la diſpenceàl'arbitre de IEsvs-CHRIST,batau
cunement ſur les traditions des Cabaliſtes. Car dedans le Breſit raba,lagrande gloſe
Aaes 1e de Gen.ſurce texte du4o.ch.Etenlaplus hautecorbeillemeſembloitque ieportois de toutes
viandes,ſurquoyeſtalleguéle 146.Pſ Leseigneurdeſlie les entraueX, entre autres cho
ſes il eſt ditainſi.Toutes beſtes quience ſiecle (de laloy de Moïſe faut entendre) Sera te
nue pourimmondeautemps aduenirdu Meſihe ſera faicte monde & licite, tout ainſî qu'elles
gtoient aux enfans de Noé,auſquels ileſtditen Geneſe neufieſmeTout ce qui ſemeutayant vie
- vous ſera pour viande. Ievous ayočtroyé le tout, auſſi bien que les verdoyantes hortailles.
A.

-
l'Hiſtoire de Chalcondile. 513
s | Car nyplus mymoins que ces herbes & vegetaux gſfoient mondes, & permis indiferemment
- à chacun, auſſi toutesſortes de beſtes leur eſtoient mondes & licites. En ſemblable doit il eſtre
#?
$
au temps du Meſſie, où Dieu permettra librement toutce qu'ilauoitdefendu, & meſmement la
chairde porc: dont ſurle deſſuſdit lieu du Pſalmiſte : Le Seigneurdeſlie les liez, eſtformée vne
queſtion pourquoy ceſt animal gſf appellé vin Chaſir, qui ſigniffe en Hebrieureuerſion ?à quoy
on faict reſponſé, que cela denote que Dieu le fera retourneraumeſme eſtat qu'ileſtoit du temps
de Noé,auquelil gtoit permé d'en manger. Ce meſme touche encore Ben Carnitol és
portes de Iuſtice. . - - -

MAH o M ET faict ſemblant au reſte de deferer lavraye doctrine à l'Euangile de ..


IE sv s CHR 1 s T. N o v s v o vs auons enuoyé(Dieu adreſſant ſa parole aux Iuifs) 12.
I Esv s le fils de Marieauquel nousauons comis l'Euangile, qui eſt la lumiere, & confirmation
#.
du vieil Teſtament,ſa correction, & la droicte voye à ceux quicraignent Dieu,pourparuenirà ..
l'accompliſſement devoſtre loy. Item. A P R E s Noé, Abraham, & les autres Prophetes 52. 67.
leurs deſcendans; & derechef d'autres encores apres eux :ſinablement nous au onsenuoyé IE
sv s le fils de Marie, dontles/ectateurs luy furent du tout obeiſſans, & eurent des cœurs con
ſtans,humbles, & fideles : auſſi luy auions nous donné l'Euangile, non à autre fin,ſinon que
parle moyend'iceluy ils obtinſſent l'amour& la grace de Dieu : mais ils ne l'obſeruerent pas
': ! dignement comme il conuenoit. Parquoy il a eſté beſoin (ce dit-il) que l'Alchorau
:$7, ſoit interuenu là deſſus, pour raccouſtrer ce qui auoit eſté depraué, par les Chre-. ..
# !, ſtiens meſmes, qu'ilappelle deſguiſeurs de loix : & eſclaircir les differends des Reli- 32,
#: gions : & monſtrer la droicte voye de ſalut. Plus. N ov s t'auons enuoyéde Lahmet " .

#: le liure de verité, confirmatif de ſes preceptes, auec lequel tu pourras iuger de tout. LEQyEL 12:
eº liure (dit Dieu à Mahomet)nous ne t'auons commis pourautre cauſe, quepoureſclairciraux 26
Hommes leurs contrarietez d'opinions, & le manifeſterà ceux qui cheminent la droicte voye, & -

mettent leurattenteen lamiſericorde de Dieu. Item. Avx hommes de loix (ilappelle ain- 1*.
ſi les Iuifs, les Chreſtiens, & Mahometiſtes; car il n'y a eu que ces trois loix eſcrites
de conſtante opinion, d'autant que le Paganiſme avarié en tant de ſortes qu'il nè ſe -

roit pas poſſible de le prendre pour loyarreſtée) à ceux doncques qui obeiſſent àvneloy , . d ſon
& religion,s'ils croyenten Dieu comme il faut, & qu'ils le craignent, illeuroétroyera pardon †#º
de leurs faultes, auecvn Paradis correſpondant à leurs merites : Que s'ils obſeruent les com- -

mandemensduTgfamét, & de l'Euangile, & duliure qui leuraſtéd'abondantenuoyédu ciel,


ils abonderontdetant deviandes & autres biens, que meſme ils en feront liéfiere : mais peu
d'entr'eux ont la vrayefoy, laplusgrand partie ſfans incredales. Parquoyâ Meſſagerde Dieu
eſlargis aux autres le don qui Paeſté enuoyédu ciel, en leur enſeignant ce qu'ils doiuent croire. #
Caril faut entendre que les hommes ne ſeauroient obtenir laperfecfion d'aucune layoucreance,
s'ils n'obeiſſentaux preceptes du Tºſtament, & de l'Euangile, & de celiure gſtablyde Dieu : le
quelaugmentera l'incredulité, la malice, & obſtination depluſieurs : mais ne t'en ſaulcie:CAR : (?

cgſt Alchoran manifeſte aux enfans d'Iſraël & reſoult lapluſpart des choſes dont ils/ontendou- 37.
te & diſpute, auec le droiéf chemin paroù les croyans obtiendrontpardon de leurs fautes. De
là il eſt bien ſi effronté & impudent de ſ'appeller Accurzamen Penegaber, le dernier
# des Prophetes. Mahomet ſºle dernierd'eux, & comme le ſceau, & lecombled'iceux Pro 43.
',

, mis meſmc par I E s vs CHR I s T, qu'il introduiſt parlantainſi. O ENFANs d'Iſ


"
racl,vous gſtant enuoyé de Dieu par ſon Meſſager, ce qui ſ*en mes mains de ſon Tſtament,ie 71:
·. vous l'afferme : & vous apporte deſapart nouuelles de ce Meſſager qui doit venirapres moy, le
quel aura nom Mahomet. Mais à propos de ce dernier Prophete ce lieu # 9. ſ'y
peut fort bien accommoder : L'ancië& levenerable gſºlatgſte : & le Propheteenſeignant
menſonge la queue. Et en Michée z. Leur Roypaſſera deuanteux & le Seigneurſera en leur
chef Ce que les Talmudiſtes au chapitre Helec du liurc des Sanhedrim, referent au
Meſſie qui deuoit eſtre le chefdes Iſraelites ou fideles.Et Rabi Moyſe Hardaſan, en
lagrand'gloſe, ſur ce texte du 49. de Geneſe. Il lauera au via ſa ſotane, & auſang de -

#:
la grappe ſon manteau : dit cccy, .9aandle Roy Meſſie viendra, ilſera veſtu d'vnpourprejort
bel à voir, & ſera le chef d'Iſrael. , - t . * , : ." -

Tov r ainſi doncques que ce faux Prophete & ſeducteur de la pluſpart du gen
: te humain,a eſté comme vn receptacle de toutesleshereſies anciennes, à guiſé de
FFF iij

-|
- 1 e

514- Illuſtrations ſur


quelque ample baſſin de fontaine, où diuerſes ſourcés ſe viennentrendre pour puis
apresenreiecterl'eau par pluſieurs tuyaux : tout de meſme de luy, & desóempoisö
née doctrine ſe ſontvenuës à dégorger les principales ſectes qui regnét meſme pour
le iourd'huy. Et en premier lieu ceſte principalle maxime que tous heretiques ont
accouſtumé de rouller deuâteux comme quelque mantelle ou gabion pour ſe met
tre à couuert derriore; Que tout le monde eſtallé à taſtons & en tenebres iuſques à
| eux, qui ont finablement veu clair, & deſcouuert la verité cachée au fonds du puits
de Democrite : car ils ont,à leur dire l'eſprit de Dieu en leur teſte; & tous les autres
ſont aueugles. Ainſi en ont fait les Arriens, Pelagiens, Donatiſtes, Manichéens,
Neſtoriens, Euchites, Monotelites, Patripaſliens, Eucratites, & ſemblables peſtes,
pour ne m'eſtédre à ceux qui nous ſont plus proches de temps,& de voiſinage:Tous
leſquels ont donné impudemment ce pretexte à leur corrompuë & fauſſe doctrine,
ue levray ſens des eſcriptures dependoit de leur interpretation ſeulement.Voicy
§ comme l'Alchoran ſ'en eſcrime; & les autres à ſon effrontée imitation.
j2. Lespreceptes des loix, & des mœurs, commenous les auons manifeſtees, à Noé, & à toy, Abri- '
ham, Moyſe, & au Chriſt,maintenant nous les enſeignons. Irem. D 1 E v enuoyant des Pro
| phetes au genre humain n'eſtanttous auparauant qu'vn ſeul peuple, pourleur eſtablirvne foy,
& vne eſperance,les inſtruict parmeſmemoien de verirables eſcriptures diſcernantes le bien &
le mal Surleſquelles entre ceux quiauoient deſîa cognoiſſance de ſes iuſtes preceptes,c& nonaux
autres, vindrent à maiſtre des diſputes & controuerſes non mediocres, qu'il les falloitentendre
eſtre ainſi, & nompus ainſi , iuſques à ce que Dieumonſtrafinablemët la droicfevoye à ceux que
bon luy ſembla. Plus. N ovs t'auons enuoyé d'enhaut le liure de verité, confirmatif deſes
preceptes;aueclequelc'eſt à faire à toy de iugerde tout.Etpourtätſelon iceluy ayant à deciderleurs
contentions, ne regarde pas à leurs volontez ; ains embraſſe la verité ſeulement : Car s'il euſt
| pleu ainſi à Dieu, de tous les peuples iln'en euſtfait qu'vn,& d'vnemeſme opinion mais il veut
cognoiſtre ce que chacun endroit ſoyaccomplira de ſes mandemens. OR pour parueniràce
poinct qui eſt la clefde ſa doctrine, & ſon principal eſtabliſſement, car pour baſtir
quelque nouuelle opinion, il faut premier demollir les autres; il eſt beſoinauāt tout
oeuure dyen enfilerimmediatementvne autre : maxime auſſi practiquée par les he
retiques, que les anciennestraditions ne ſont que ſonges & reſueries : & telle eſt la
vogue qu'ont euë de tout temps les nouuelletez, l'vne des plus agreables choſes qui
ſoit, & qui chatoüille plus delicatement nos eſprits, introduicte en nos premierspc
res des la creation du monde, mais en recompence pernicieuſe & dommageable ſur
toutes autres; & qui ouure autant labarriere à tous vices & deſbauchemens; auxſe
ditions, troubles partialitez, factions, atheiſmes, & ſemblables peſtes, quine ten
dent qu'au renuerſement d'vn eſtat.Voyons doncques labriſée & explanade qu'en
a dreſſé aux heretiques l'Alchoran en pluſieurs endroits. Vos peres, s'ils onteſtéfols
2.
Contre les an
& aueugles, les voudriez vous bien imiter?Si ainſi vous lefaictes,vousſerezpires que ſourds,
ciennes tradi muets, aueugles, & idiots : & d'accomparer à ceux qui ne ſçauent alleguer que ce qu'ils ontouy
§voy la des autres. C'EsT le propre des incredules, quandon les ſemondd'adiouſterfoy aux prece
†º
homme. cºptes que Dieu, & ſon deputéontdonné, de dire qu'ils ne veullét enſuiure ſinon ce queleurs pre
deceſſeurs ont tenu.à quoy on leur fait vne telle obiection : Et voulez vous imiter vosperes, &
I3.
3I -
allerapres, s'ils ontpris d'autre addreſſequela droictevoye ? A B RAHAM reprenant ſon pe
re, & ſa nation, de ce qu'ils croyoiët es idoles, eux reſpondirent que leurs anceſtres en auoient vsé
4I de laſorte.IL Y EN Ad'aucuns quidonleurannonce les diuinspreceptes,& le droitchemin,qui
neſgauentrepliquerautre choſeſinon qu'ils enſuiuentles erres de leurs anceſtres.Maisſiles Dia
53. bles les deceuans les auoient tirez au feueternel, que ſeroit-ce ? E T s I nous vous monſtrons
#; vn ſentier plus expedient,plus certain & plus veritable que celuy qu'ont tenu vosperes.onne
nous enſauroit (diront-ils) enſeignerde meilleur, & ne voulons adiouſterfoyà vos paroles.
C'eſt le langage qu'onttenu les principaux de tous les peuples à qui nous auons enuoyénos Meſº
ſages. Mais Abraham n'en fitpas ainſi,carilſeut fort bien dire toutreſolument àſonpere,& à
ſes autres compatriotes, qu'ilrenonçoità tous ceux qu'ils adoroient au lieu de Dieu, ne croyant
quant à luyfors à l'Eternel, le Createurſien & d'eux tous. Mais l'Apoſtre nous reigle fort
bienlà deſſus, en lapremiereauxCorinthiens II. Ie vous loiie mesfreres de ce qu'en tout
l'Hiſtoire de Chalcondile. 5I5
&partoutvous vousreſſouuenez de moy,& que vous obſeruez les traditions que ie vous ay bail
#. Et en la2.auxTheſſal. z. Pourtant mesfreres demeurez fermes,& tenez les traditions
que vous auez appriſes,ſoit deviue bouche ou parlettres.
7 -

CE sTE ouuerture, qu'il pourſuit en pluſieurs autres diuers endroits, vne fois 2r. 24.26.
faite à la digue & leuée,l'eau qui en eſtoit retenuë bien aiſément ſe fait paſſage pour 47.55. 56,
ſ'eſtendre à trauers les champs, & ſubmerger tout le territoire.
Qv 1L ne faut point porter d'honneur ny de reuerence aux Eccleſiaſtiques.
LES CHR E s T 1 E N s reuerent leurs Preſtres & Pontifes : les tenanspour Seigneurs & ſu 19:
perieurs au lieu de Dieu,encore qu'illeurſoitexpreſſement defendu de ne venererſinon vn Dieu,
s'efforçans parleur bouche d'ſteindre la clarté d'iceluy,que malgré eux, & leurs efforts ilcon
duira à ſon parfaict accompliſſement. Et pourceſt effecta deſ#eché ſon Meſſager (Mahomet)
auec la droičte voye, & la bonne loy pour la manifeſter aux hommes, quelque reſ#ance qu'on
y puiſſe faire. Reprouuez doncques, ô vous gens de bien, ces Prºſtres, & Pontifes là, qui deuo
rent gratis & impunément la ſubſtance des ſimples perſonnes, & ne vont pas le droiéf che
7/2/77.

vANT à n'adorer, reſpecter, honorer,inuoquer qu'vn ſeul Dieu,il n'ya rien en


apparence de plus plauſible & receuable , ne qui ſe puiſſe moins contredire.
AF IN que maparolefructiffe en vous, craigne (moy ſeul, & me reſpecfez, quiſuis voſtre Dieu:
Inuoquez mon nom merendans graces des biensfaicºs que vous receuez EsTAN s de retour
de vos pellerinages ,ſâins &/auues en vos maiſons, inuoquez moy, qui ſuis voſtre Dieu & Sei
gneur, & merequerezpardon de vos fautes, carie/ué tout miſericordieux,pitoyable, & qui
ſeul vous les peut remettre. Item. I E n'en trouuepointd'autre que iedoiue adorerqu'vn Dieu
ſeul, duquel i'anonce les commandemens, ne luy attribuant point d'egal, ny de compagnon.
Tout ce qui tend à exclurre I E sv s CHR I sr d'adoration : car cela eſt particulier |. ,

aux Mahometiſtes de ne reuerer, nyinuoquer qu'vn Dieu ſeul, il ſ'eſtend à nos ſe


parez, leſquels ont cela de commun aueccux de reicctcr l'inuocation des Saincts,&
la veneration des images, comme choſe illicite & impie, voire friuole (diſent-ils)
d'adreſſer ſes vœux & prieres à autre qu'à Dieu, qui ſeul les peut exaulcer, & nous
tend à ceſte fin continuellement les bras ouuers, trop plus prompt à nous octroyer
ce quinous eſt neceſſaire, que nous ne l'en ſçaurions requerir. -

Pv 1s que la droicfevoye nous a ſ'émanifſtee de Dieu, le Seigneur de tout le monde, à


quelpropos peruertiſſons nous cela à noſtre appetit ? Adorerons nous en les venerant ceux qui
ſont du tout impuiſſans de nousftire ny bien ny malº Non pas meſme veut-il permettre ,
d'inuoquer les Saincts pour interceder pour nous enuers Dieu, ains les reiecte.
IN v o QyE ſans intermiſſion d'vne synceretéde ca'urle Seigneur ton Dieu, qui te donne vne
loy pure : Car quant à ceux qui adorent quelque autre en lieu de luf, ne le faiſans pour autre
cauſè, ſinon à ce qu'ils le prient poureux,il/ſaura fort bien diſcerner leur erreur: nam loco
Deiſumuntur quorum altus precatur pro tlio. Au regard des Images. CE vx qui en
ce ſiecle icy reueront les images au lieu de Dieu, s'en iront en l'autre aufeu perdurableſans au
u une remiſſion : CAR ceux que vous adorez au lieu de Dieuſont faicts comme s'ils ne pou
uoient rien ftire, eſºans priuez de toute vie, & inſénſibles, S.1 Q v 1 ts ne peuuent vous -

fruſtrer d'aucun bien, nyfaire mal Somme que le Mahometiſme defend fort eſtroi- Pſeaume ti; '
tement toutvſage de fimulachres, effigies, & portraicts de choſes quelconques, tät
és lieux ſaincts comme és prophanes : meſmes és manufactures de tapiſſeries, brod
deries, & toutes autres ſortes de meſtiers, iufques à vne reſſemblance non d'hom
mes tant ſeulement, ou de beſtes, ains des arbres meſmes, herbes & fleurs : & en
ſomme de tout ce que produiſt la nature; n'eſtimant pas eſtre loiſible à la creature
de contrefaire & imiter les ouurages du Createur. ·
· LA NovvELLE doctrine ne le prend pas ſicruëment, mais elle a au reſte cecy
de commun encore auec eux qu'il ne faut contraindre perſonne à ſè ranger à la Ca- .
tholiquereligion, & ſe departir de ſes opinions particulieres. Ne faictes force ne
violence à perſonne pour occaſion de la loy, attendu que la droicte & peruerſe voye ſont par
: tout ouuertes. Htem. Retirez vous de la compaignie des incredules # leur faire aucun . 15.
$ mal ny outrage, encore que parvne ignorance ou courroux illeureſchap de dire quelquechoſé
516 Illuſtrations ſur
i
de trauers de Dieu, parce que chaque nation a accouſtumé de ſe complaire en ſes traditions &
#é. creance, & les trouuer belles & bonnes. Plus.. PENsEz vous reduire les meſcreans defor
| ce à la vrayefoy
& doctrine ? Nulnepeut croire droictement,ſinon que Dieu le vueille de cºſte
ſorte, lequel laiſſe crouppir les malins indiſcrets en leurimmondice, & ordure.Caron/cait aſc
ſez quericn des celeſtes, ny terreſtres vertus, ne les miracles quels qu'ils ſoient, ne ſauroient
profiteraux incredules, qui n'attendent que des euenemensſemblables à ceux de leurs predeceſ
j { -

52. ſeurs. ET certes nous ne t'auons pas enuoyépourſurueillant & obſeruateur de ceux quiſe four
uoyent de la loy, ne pourles contraindre : car tu n'as autre choſe à faire que de les admoneſter
* "- , ſeulement de leurdeuoir Aamoien dequoyen les reprenant ne leurvſe d'aucuneforce ne violen
ce, ains ne leurfais qu'expliquerl'Alchoran, à ce que craignans Dieu tu les adreſſes au bon che
min. Ilreitere le meſme encore en pluſieurs endroits : mais en plus d'autres il ſe cö
trediſt. &à ſon exemple les refractaires, qui ont cela de propre & particulier, de ne
vouloir eſtre contraincts de ſe departir de leurs opinions, & veullent cependantfor
cer les autres de leur adherer. -

i6.
IL N'EsT point au ſurplus beſoin (ce dict-il) d'authoriſer ſa loy par miracles.
I E sçAY que vous n'attendez autre choſe pour croire ſinon que quelque aduenement des An
ges ou de Dieumeſme, & des miracles en effect : mais vgſtre foy ne vous profitera de rien quand
*7 ils aduiendront,parce que vous n'aurez pas creu auparauant. Derechef. S'1 L s te de
*. mandent pourquoy c'eſt que tunefais des miracles,puis que tu viens auec les diuines vertzs, dy
| ll
27.
-
leur que tu ne fais ſinon enſuiure lemandement de Dieu. MA1 s pluſieurs demeurerontin
credules, alleguans qu'ils ne veulentpoint croire à tesparoles, iuſques à ce que tu leurayes fait
- - - -

††§§ ſourdre vnefontaine d'eau viue tout/urle champ, ou deſcendre quelques bcaux vergiers de dt
|- - >

de la pieire étiers, des vignes, & iardinages arrouſez deplaiſans ruiſſeaux : ou que tu ne faces venir Dieu
# †# ºº & les Anges auecques toy, à la veuë de tous : ou que tu ne montes là haut au ciel, & de là leuren
l'eau.uoyes le liure de la loy pour y lire : Certes ils ne t'adiouſterontfoy deuant, mais là deſſus inuoque
& #† Dieu, qu'ilte donne moyen de te demeſlerde ces importunes recherches, en leurdiſant : ie ne ſuis
' fors vn homme, meſſager ſimple, qui vous reuelela droicte voye. Somme qu'il r'enuoye tous
les miracles à la ſeule diuinité, comme on doit de vray, mais nompas que Dieu n'en
face par ſes creatures, où il veut manifeſter ſa gloire & puiſſance.
A cE que deſſus ſe peut non impertinemment enfiler cecy de l'apoſtaſie. Qyr
deſniera Dieu enappert,retenantneaumoinsſecrettementſa religion en ſon cœur,ne/era dam
népourcela. Ce qui contrarie directement à pluſieurs paſſages de l'Euangile. Qv 1
me niera deuant les hommes, ie le nieray auſſi deuant Dieumon Pere qui eſt és cieux. L'Al
26. choran dit doncques. Qv 1 c oN Qv E aura vne fois receulafoy s'il vient à s'en demen
tirputs apres, & larenier parforce & contrainčte, pourueu que ſecrettementil retienne enſon
cœur ſa foy&ſa loy, neſera damné pourcela. Mais s'il lefait volontairement,parce qu'ilau
ra preferé la vie de ce tranſitoire monde à celle du ſiecle aduenir, iamais Dieu ne le redreſſera en
la droicte voye, ainsſeraexposé aux peines & tourmens perdurables. Sainct Auguſtin ſur
ce ſeptieſme verſet du cinquieſme Pſeaume : Et perdes omnes qui loquuntur menda
- cium , demande ſ'il eſt loiſible àl'homme ſpirituel & parfaict de mentir pour ſauuer
ſavie, qui eſt bien moins que de renier ſa religion : il dit que non. mais derechef,au
tre choſe eſt dire vne faulſeté & menſonge,&autre taire & cacher la verité. comme
ſi pour ſauuerlavie à quelqu'vn, qu'on ſçauroit auoir commis aucun cas digne de
liccleſiaſt. 19. mort, on ſe reſolüoit de n'en dire rien n'en eſtant enquis(audiſti verbum aduerſuspro
ximum tuum, commoriaturinte) ce ſeroittaire ce que nous ſçaurions eſtre veritable en
noſtre penſée; & cela pourroit eſtre tollerable, ſ'il n'eſtoit expreſſementditau cin
quieſme du Leuitique : Si la perſonne a peché, & ouy la voix du iurant, & ſoit teſmoin,
de ce qu'il aveu, ou cogneu, s'ilne le denonce, ilportera ſon iniquité. | Ce que les Rabinsin
terprettent : Que ſil'on aveu à quelqu'vn commettre quelque faute qui ſoit ſigna
léc, & qu'il ſ'en taiſe ſans la reueler au magiſtrat, il eſt coulpable du faict.Tantplus
fort eſt il de mentir, & teſmoigner faux de peur de perdre ſoname pour ſauuer le
corpsd'autruy. au moien dequoyilabien eſté quelquesfois permis de deſguiſer la
4gene 12 &2o. verité, ou n'en ſonner mot : mais iamais de mentir, & de dire le faux, ſi d'auanture
ce n'eſtoit quccela vint de Dieu pour importer quelque myſtere.Abraham, quandt
||
l'Hiſtoire de Chalcondile. 517
#s il dit que Sarra eſt ſa ſœur, il taiſt bien la verité qu'elle fuſt ſa femme comme clle
º eſtoit, neaumoins il ne dict rien de faux pour cela, car elle eſtoit auſſi ſa ſœur de
#: pere, & nonvterine. Iſaac de meſme de Rebccca. Mais Iacob paſſe bien plus ou- 26.
^. tre, car il ment directement à Iſaacſon pere, ſe ſuppoſant pour Eſaü, pour luy ſup
# planter ſa benediction : Qui es tu mon fils º Iacob reſpond, Ieſuis ton aiſné fils Eſaü Ce 27.
: que l'on ſauue ſur la prouidence de Dieu, detrásferer au fils puiſné le droict de pri -
# mogeniture, aſſauoirà Iacob; duquel en ligne directe deuoit deſcendre le Meſſie.
•- Et là deſſus les Cabaliſtes diſent de grandes choſes; mcſme Rabi Ioſeph fils de Car -

- nitol en ſes liures des Portes de Iuſtice. Qu'il y eut trois aiſnez reiectez comme les
ſcories des metaux; Cayn, du cuiure, dont les ſacrifices ne trouuerent graces en
uers Dieu, comme ceux d'Abel : Iſmaël, de l'argent : Et Eſaü de l'or. là où Iacob
eſt le pur argent ſans ſcorie, carilauoit eſté purgé par ſept fois, comme il eſt dict au
Pſeaume Ir. L'argent examiné parlefeu,purgéſept fois. c'eſtà dire par ſept generations,
comme ils l'interpretent Seth, Enoch, Noé,Sem, Abraham, Ifaac, & Iacob le ſe- -

:: ptieſme : le Meſſie eſt l'or pur; là où il eſt dit des autress Ton argent s'eſt tourné en ſco- Iſaie .
rie & eſcume : & en Ezechiel 22. La maiſon d'Iſraël m'eſt tournée en eſcume : Tous ceux-cy
ſont airain, & eſtain, & fer, & plomb, au milieu de la fournaiſe : ils ſont faiéfs eſſume d'ar
| gent.Au moyen dequoy Iacob, qui eſt le Tiphireth ou ornement, & la part du Sei
gneur; enſemble ſes enfans, furent conioincts auccques la ligne moyenne, autre
ment dite le centre,ou le temple interieur,Adonai,quia eſté preparé au milieu,com
me mctleliure de Iezzirah : Carletéple ou throne exterieur eſt l'homme : ſi que les
quatre pieds de la Merchaua ou charriot de Dieu, par le dedans ſont Abrahä,Iſaac,
Iacob,& Dauid; auquel ſont parle dehors attellez Iſmaëlà la main droicte,& Eſaü
alagaulche; des ſeptante couronnes qui enuironnent ce chariot, aſſauoir les ſeptä
te langues & nations enquoy fut diuiſée l'vnion du genre humain à la confuſion Ba
bylonienne; & ſont appellées le myſtere des eſcorces. Et comme le Seigneur eſle
ue de toutes ces nations, Iacob, qui eſt au milieu d'Abraham, & d'Iſaac, auſſi eſleut
:---
ilSion entre toutes
eſt au milieu les autres
de la terre terres;
habitable, ſur Le Seigneur
tous n'eſt illieux
les autres pas enpour
sionſa? Et Ieruſalem
demeure ; Ie qui
me Ierem. 8. --

". r'allegreray en Ieruſalem, & me reſiouyrayen monpeuple. Tout cecy diſent les Cabaliſtes Iſaie é;.
·N ſur ceſte benediction des puiſnez. S. Hieroſme au reſte en l'expoſition de l'Epiſtre -

# aux Galathes chapitre 2. Et ſimulationi eius conſenſerunt; tient qu'il eſt loiſible quel
|N que fois de diſſimuler, ſi cela peut amener quelque profit & aduantage à Thôneur & -

#
- gloire Dieu, & edification du prochain, comme fit Iudith pour circonuenir Olo-Iudith n:
# ferne ; & Eſther pour garentir les Iuifs de la fureur d'Artaxerxes : Ionathas pareil- #. >.
|| lement, & Michel pour ſauuer Dauid des mains de Saül. Et de Dauid enuers le & . -
- Preſtre Achimelech & Achis. Iehu fait bien encore dauantage, carilfeint de vou- †#
loir adorer Baal pour plus aiſément attraper ſes miniſtres. Origene a encorete-§
nu le meſme ſuiuantl'opinion de Platon ; Que ſ'il ſuruient parfois quelque beſoin &* des Loix.
| -- & neceſſité de mentir on le pcut faire, à guiſe de quelque ſaulſe qu'on meſle par
· my les viandes pour leur donner gouſt; ou des douceurs & aromates en des mc-,
- - dccines pour pallier leur deſagreable odeur & ſaueur; en gardant toutesfois meſu
- re, & ſans exceder la prudente mediocrité qui eſt requiſe en toutes choſes. Chry
- ſoſtome pareillementau premier liure du Sacerdoce, où il cite la plus grande part
des lieux ſuſdits, & latromperie dont vſa Moyſe en Exode 12. pour piller les Egy
ptiens de leurs meubles. Mais S.Auguſtin au traicté du menſonge chap.2.monſtre · · -

reprouuer du tout ceſte opinion de S. Hieroſme : Et en l'Epiſtre qu'il luy en eſcrit; -

Ilmeſemble (dit-il) effre vne choſepernicieuſe decroire que ces diuins perſonnagesparqui l'Eſ*
critureſainčte nous a eſté adminiſtrée, ayent voulumentir en rien : parlant de la deſſuſdite
diſſimulation des Saincts Apoſtres, Pierre, & Paul. Auſſi Platon au deuxieſme
de la Republiq. dit, warTn #ez & Jeuji, m ê)ziuonérºs, xg rè $ºor , Que toute la natu
redes Demons,& des Dieux abhorrentlamenterie.Conformement au 7. de l'Eccleſiaſt. " .

· • Ne vueillez mentir en ſorte aucune de menſonge; car l'accouſtumance n'en eſt point bonne. colocent#
·- Defait elle empeſche, ditl'Apoſtre, de deſpoüiller le vieilhomme auec ſes actions; T
•.
· |
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| -
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- -

| | | - - - - • ! • -

518 Illuſtrations ſur


Parquoy il la defend aux Epheſiens quatrieſme : lequel vieil homme ayant eſté
# | - iadis ſeduit par le diable pere & Autheur de tout menſonge , ne ſe peut renouueller
| | · ſ'il n'adhere à la verité, qui eſt le CH R I s T. Tant moins doncques deuons nous en
à 1 , rien fleſchir ny nous dementir de lafoy que nous luyauonsiurée & promiſe.Ce que
| º * aduoüe l'Alchoran meſme. QyI eſtpire que celuy-là lequel ayanteſtévnefois inſtruičien
: | laparole de Dieu, s'en departpuis apres,ſans plusſereſouuenirde ſes faicts & promeſſes ? De
| | | | | ſorte qu'il ne tient ceux qui ne croient que comme à demy,au meſme rang des infi
* deles; ſelon que de vray la creance ne ſe peut ny doit my-partir,nomplus que la robe
: - de NosTRE SEIGNEvR, ains la faut toute receuoir,ſans rien reſeruer en ſuſpens: Tel
-, | | lemét que les ſages mondains, Adiaphoriſtes,& moienneurs perdroient en c'eſten
| | II,
droit leur Latin. N ovs ſurchargerons demaux & meſpris ceux qui ſeront deſobeiſſans à
Dieu, & àſes nonces & meſſagers & qui voudrontexaminerentr'eux ce qu'ils ordonnent deſa
part : & alleguerdycroire enpartie, mais nompas à tout:penſans ainſîs'enfourneren ladroičte
º voye. Mais on pourra alleguer que c'eſt Mahomet qui le dit, parquoyil n'y faut pas
, adiouſter foy: ce qui eſt vray: Que ſi c'eſtoit d'vn autre que luy que ce propos vint,il
| | ·. ne ſeroit pas du toutreiettable. Et encore moins ceſtui-cy, par tout oùil ſera queſtió
|| 18 de quelque pacification & accord. SANs le conſentement & vouloirde Dieuiamais la
paix ne s'eſtablira entre vous, quandbien vous yemployeriez tous vos moyens & facultezter.
7'/6/2/76'J .

º
VI E NT puis apresvn autre poinct quicontrarie aucunement à ce que nous ente
nons : qu'il ne faut point prier pour les infideles, ores qu'ils fuſſent nos plus proches
29. parens & amis.. QyE nul Prophetenepreud'hommen'aye à prierpour les meſcreans qu'ils
|#: -
-

ſgait eſtre mauuais,& deſtinez.aufeuperdurable,quelques proches parés qu'ils luy puiſſenteſtre.


J' | . Et ce àl'exemple d'Abraham, lequel(dit-il) pour eſperance qu'ilauoit du commen
- - cement que ſon pere ſe conuertiroit, prioit pour luy; mais le voyant perſeucrer en
ſon idolatrie, il ſ'en deſiſta.
IT E M, que tous les Prophetes ſont venus, & ontadmoneſté le peuple en langue
vulgaire intelligible d'vn chacun. cela eſt vray. & IE sv s CH R 1 sT mcſine vſoit
: -\ de la langue Syriaque,vulgaire alors entre les Iuifs : carl'Hebrieu eſtoit reſeruéaux
| Docteurs,Preſtres & Scibes, quiauoient la charge de tranſcrire les liures de laloy,&
, , | l'interpreter: & envſe l'on de la ſorte en l Egliſe Grecque,Armenienne Abiſſine ou
· ·
• *
· ·
.
· · Ethiopienne, & par
cauſe des diuers tout ailleurs
langages qu'enqui
des nations la Catholique Apoſtolique
la recognoiſſent, & autres&bonnes
Romaine,
conſià
4
24 derations à celamouuans,l'Alchoran doncques à ce propos.Novsm'auons enuoyéau
cun Prophete iuſques icy,ſinon auecle langage de ſanation,afin qu'il peuſt entendre, & ºſtre
| · entendu d'vn chacun. -

,l - Qv'oN peutaorer & prier en tous lieux, & entous endroits, Veu que Dieu n'eſt
| , 2. pointenaucune part plusqu'enl'autre. CoMME à Dieu appartienne indifferemment
|
|
c3 lorient, & l'occident, celuyqui adreſſera ſesprieresvers quelquepart que cepuiſſe eſtre,ne
lairra dy rencontrer Dieu : car ſa pietée miſericorde ne ſe peut r'enclorre d'aucunes bornes
ne limites : & ſa Sapience comprend tout. Cela ne ſe pourroit pas impugner nomplus
pour le regard de quelques prieres particulieres:& ſi ce n'eſtoit pour la mauuaiſe c6
ſequence qu'il charrieroit apres ſoy du meſpris, confuſion & deſordre qui ſ'enen
- - ſuiuroit à la Communion de l Egliſe : outre ce que les lieuxſaincts, comme plusve
• nerables & deuots, purs & nets, que ne ſont les prophanes,ſont pluspropresàceſt
: · 32. effect : auſſiſen retracte-ilautre part. A cHA Qv E nation de la terre nousauons gta
- | | bly vn lieu propre, auquel inuoquant Dieu, & le glorifiant, à luy qui eſ*vn, &- ſeul, ils im
| | | | | | molaſſent des animaux. Mais c'eſtàpropos delavieille loy,en laquelle ſe faiſoient des
| | -, · · · - ſacrifices ſanguinolents.Et pour le regard des prieres,infinis paſſages de l'Eſcritu
, , , ! . - Pſeaume ». renous enreſoluët : de Dauid meſme & entre autres : Adorez le seigneurenſonſaintf
· · · · · , | i Porche : & tous racºpterontſagloire. Plus, i'adorerayenton ſainct téple,&c.QyANT aux
-
| | | | | 138 bônesœuuresilnage cöme entre deuxeaux,referät la remiſſion des pechezàla ſeule
| grace & miſericorde de Dieu,& àſesbeneficences.DIEvvouspardone tous vospetheº
-
6:
parſaſeule grace & miſéricorde.Mais il ne meſpriſe pastant les bönes œuures que #
-
-

| l'Hiſtoire de Chalcondile. 519


les heretiques modernes , ains les ioint & complique touſiours auec la foy, qui ſans :
iceux demourroit morte. TovT croyant, lequel faict de bonnes auures, obtiendra vn
bien grand loyer. - - - ·- ·. - -

, Av FRAN c-AR B IT R E pareillementilvabien plus retenu & ſoubs bride que


beaucoup de nos ſeparez; qui le ſoubſmettent & aſſubiectiſſent à vne fatale neceſ
ſité préordonnée & irreuocable, dont ſ'enſuiuroitvn abyſme d'Atheiſmes & impie
tez.Toutesfois ilbalance à ceſte opinion, ou'eux à la ſienne. Tv n'adreſſera per
ſonne à la droicte voye ſi Dieu meſmè n'y met la main : car il eſliſt ceux qu'il luy plaſt, & y
accompliſt & parfiiéf ſon vouloir. Item. EN c o R E que tous dſirent bien de s'achemi 86.
ner droict à Dieu, iln'eſt toutesfois poſſible à aucun,ſ ſa ſaincte Maieſ'éme le veut, qui eſt tout -«.

àTimoth.2
ſage & immenſe. Mais il veut auſſi que tous ſoient ſauuez, & viennent à la cognoiſ-" p"

ſance de verité. O R ce qui eſtbicn le pis, il conſtitué Dieu en outre, comme Au


theur du mal en nous. O D I E v merends poins noſtre cœurmalin & peruers en aucune Azoa. 7°.
ſorte. Et envnautre endroit il monſtre de vouloir reprouucr ceſte predeſtination
neceſſaire. Q vAN D on leurdit, craignez Dieu, & en crºyantfaictes du bien tîn que vous 46.
obteniez ſa miſertcorde, & pardon de vos fautes : Carladiuiaepunition me frappa oncques que
les incredules, & ceux qui s'extrauaguent du droicf chemin ; & departez aux indigens les
biens que Dieu vous a donnez commetn depoſt : ils font rºſponſe , à quoyfaire donnerons nous r
de la viande à ceſtui-cy, ou celuy-là, ny autre choſe ? Car Dieu leuren donneroit bien s'il vou
loit: Voyez l'erreur manifeſte qui les enueloppe. · · · · · · · " ..
-

Pov R le regard des ſacrements, d'autant que laloy Mahometaine eſt toute char
nelle, elle ne peut pas atteindre là; n'yayantrien de ſpirituel fors des chymeresfan
taſtiques de ſonges & fables.Car quätàla circóciſion enTurqueſque dicte Tſuneth, Del, circonc,.
encorededâs
expres que tous les Mahometiſtes envſent,neil fut
l'Alchoran:Mahometmeſme n'yarié toutefois d'ordöné
pas circoncis,ſi termes hſion
qu'ils ne lenobſeruét des Ma
ometiſtes.

pas parforme de myſtere,ny de choſe qu'il croienteſtre requiſe à leur ſalut,ains tant
ſeulement pour le reſpect d'Iſmaël fils d'Abraham, duquel Mahomet ſe maintenoit
éſtre deſcendu en droicte ligne, & faiſoit profeſſion d'enſuiure laloy. Neaumoins
c'eſtlaplusgrande & plusſolennelle ceremonie qu'ilsayent, & où ſe font le plus de
triomphes & magnificences. Il ne circonciſent pas au ſurplus leurs enfansau8.iour,
|,'
i4 ,
à lamode des Iuifs, & des Ethiopiens Abiſſins, mais entemps indeterminé depuis
ſ*
i l'aage de ſeptans iuſques à quinze ou ſeize, & plus haut encore, ſelon les occaſions
qui ſe preſentent, & quel'enfant ſ'aduance en diſcretion pour pouuoir compren
# dre leurs tels-quels mots ſacramentaux de la confeſſion de leur foy, qui conſiſte
tout en cecy; à ſçauoir LA 1 L LA H i LE LA H M E H E M E T R E s v L A LLA H,
TAN R E B 1 R B E R E M B E R A C : Dieu eſt Dieu, & n'y a autre Dieu que luy, & Mehe
met ſt ſon Prophete, vn Createurſeul, & vn Prophete : Qu'on leur fait prononcer haut
· & clairfortreueremment, leuant le parmachou poulce de la main droicte : leſquel
les paroles ſuffiſentaux filles & femmes pour le regard des Turcs, quine les circon ,
ciſent pointautrement : ſi font bien les Perſes, qui leur retranchent ceſte carno
ſité que les Grecs appellent Néu?», & tantaux maſles qu'aux femelles,la premie
rechoſe qu'on leur apprend de leur Cathechiſme & inſtruction outre les mots ſuſ
dits ſont les ſuiuans, comme vne mouëlle de l'Alchoran : Cv L L1 cv VA L LAv
HAL LA Hv z E M E T L E M v E L I T V E L E M 1 v L E D I E C v LE G v 1 cv F FvE M
B E H E N, &c. Dieu gſt appellé entre ſes creatures vnſeul,qui n'apoint delieu prefix & deter
miné,ains gſ#par tout,& n'apoint de pereny demere, ny d'enfans,ne boit,ne mange,nyme dort;
viuantſans auoir beſoin d'aucune choſe qu'ilaitcreée : & neſétrouue pointdeſemblable àſa di
uinité.Ceſte attente au reſte & remiſe de ſe circoncire ſitard, eſt ſouucnt cauſe que
lapluſpart vſénnent à decederauant que d'eſtre circoncis : & en ce cas ilseſtiment
§ les ablutions quotidiennes qu'ils font, auec les prieres, ſuppléent à ccla, & ſont
uffiſantes pour leur ſalut. Ceſte circonciſion ne ſ'accompliſt pas touſiours en leurs
Moſquéesoutéples,nyparla main de leursTaliſmans ou miniſtres ſacerdotaux,ains
en leur logis en priué par quelqueChirurgié expert,lequel toutes choſes eſtâsappre
ſtées pour la feſte qu'on ydoit faire,ſelon leurs cómoditez, meſmement le banquet
- G G G ij
|

| 52o- -- - t - .. - - - -
Illuſtrations ſur
- - % * #- _ .. - -

qui ſe continuë par trois iours de ſuitte, tout le plus ſomptueux qu'ils peuuent,au
quel entre autres choſes és bonnes maiſons l'on a de couſtume de roſtir vn bœuf
| tout entier,ayant vn mouton dans ſon ventre, le mouton vne poulle, & la poulle vn
oeuf, le tout tournant à vne poultre de bois accommodée en lieu de broche, qui ſe
tourneauec des engins, à vn feu ſi proportionné que chaque choſe endroit ſoy vient
à ſe cuire enſemblementainſi qu'il faut,&non plus ny moins.Sur le point doncques
de ſ'aſſeoir à table, le Chirurgien vient à l'enfant, & luyaualle le prepuce deſſus la
-

glande, Puis pour luy oſterl'apprehenſion de la peur, feignant le remettre à vneau


tre fois, il fait ſemblant de ſ'en aller, mais il retourne tout ſoudain, comme ſ'il n'a
, uoit aſſez exactement remarqué ce qu'il en faut retrancher, & luyattirant derechef
le prepuce fait ſon coupauec des pinſettes qu'iltiét cachées dans ſa main,puis ache
ue de le coupperauecvn raſouer; & l'ayant laiſſé ſaigner quelque peu,le baſſine auec
-# du ſel diſſouls en dujuz de coing,& yapplique puis apres vne pouldre qui acheue de
| conſolider la playe en trois ſepmaines au plus tard : laquelle doit eſtre fort doulou
reuſe pour les premiers iours, meſmement à ceux qui ſont deſia aduancez en aage,
comme on peutvoir au 34. de Geneſe, que les Suſcimites ſeſtans faict circoncire
pour eſpouſer les filles des Iſraëlites, le troiſieſine iour que la douleur eſt la plus
forte, ne ſe pouuans defendre à cauſe de leur debilité,les autres leur courrurent ſus,
& les taillerent tous en pieces. Neaumoins enuers les Mahometiſtes le troiſieſme
iour le circoncis eſt mené magnifiquementaux eſtuues, accompaigné de pluſieurs
cheuaux ſelon la maiſon dont il eſt, & d'vne braue fanfare de trompettes, phiffres,
& tabourins à leur mode : au retour les inuitez luy font des preſens de vaiſſelle dar
gent, habillemens, linges, tapis, armes, cheuaux, deniers comptans, & autres cho
|
-
ſes : & de là en auanteſt dit Muſulman, comme qui diroit fidele profex en la religion
, 7 Mahometique, dont ceſte ceremonie eſt l'entrée auſſi bien qu'aux Iuifs, eu le ba
· pteſme à nous Chreſtiens. Si c'eſt quelque Iuif, ou Chreſtien qui ſe vueille Maho
,
| metiſer, ſ'il eſtriche, on lûy fait de grands applaudiſſemens & careſſes en faueur de
" ! ſa circonciſion : ſi pauure & neceſſiteux, comme iladuient ſouuentesfois, pour ſe
| | . ' ,l
1, - •
redimer des durs traictemens qu'ils reçoiuét; & du Carax&i, & autres charges&im
- ' • •!
poſitions dont ils ſ'exemptent par ce moyen; ou par quelque deſeſpoir & deſpit; ce
i :
luy qu'ilauraeſleu pourparrein ſ'en va faire la queſte, où ilamaſſera quelque nom
! bre d'aſpres dont ſe fait puis apres le banquet : mais il eſtauant mené à la moſquée
| º
engrande pompe & magnificence, où le Taliſman luy fait haulſer non le poulce cö
me aux Mohometiſtes naturels, ains le doigt indice de la main droicte, & luyayant
* -
fait prononcer les mots deuantdits,ille circonciſt: Puis on le rameine au logis,te
|
| · nant quant & luy vne fleſche droicte eſleuée pour eſtre diſcerné des autres : outre
que cela ſert comme de marque qu'il veut par les armes ſouſtenir iuſques à la mort
4-
º -
la loy du Prophete, dont le maintenementgiſtàlaforce desarmes. Si c'eſt vn Iuif,
d'autant qu'ils ſont tous circoncis, on ne leur fait que faire proferer de leur bouche
• ! -
les paroles ſuſdites, apres quelques ablutions qui tiennent comme lieu de bapteſ
l | me : ce qui faict croire à quelques vns que vn Iuif deuant que ſe faire Mahometan,
1
faut qu'il paſſe par le Chriſtianiſme, pour ce que la loy Chreſtienne eſt moyenne
quant à l'ordre du temps, entre la Iudaïque & Mahometaine : auſſi qu'ils ſçauent
bien que les Iuifs n'ont vne telle reuerence à I E s vs CHR I s T que les Mahome
|
tans : au moien dequoy auec leſdites paroles ils leur font adiouſter, IssA HA c,
"4, Ieſusgſ veritable.Les occaſiösauſurplus pour leſquelles ils ont de couſtume de con
i traindre vn Iuifou Chreſtien, ſ'ils ne le font de leur bon gré,de ſe Mahometiſer,en
1 .
|.

tre les autres ſont celles-cy. Sil'onvientd'auanture à blaſmer leurloy,pu dire qu'on
n'y ſçauroit faire le ſalut de ſoname,& qu'ilyenavne autre meilleure ou de meſdi
#1
re de Mahomet, ou reuoquer en doute qu'il ne ſoit Prophete enuoyé de Dieu, &
- ,f
, , , "
t" •
l'Alchoran lavraye loy: qui appelleroitvn Muſſulman chien, ou luy cracheroitpat
- i
meſpris au viſage : qui diroit quelque choſe dc trauers au Prince:ou qu'on fuſt trou
ué auecvneMahometane.Toutes leſquelles choſes sötfort dägereuſes,parce que le
- teſmoignage de 2. de ces canailles qui n'ontfoy aucune ne conſcience àl'endroitde
|

|
l'Hiſtoire de Chalcondile. 52I
Dieunvdes hömes,ſuffiſt pour eſtre conuaincu: Tellement que les Chreſtiens pour
obuieront de couſtume de leucr vn Chucchium ou ſaufconduit de la Porte, qu'ils nc
pourront eſtre condamncz en cela fors par les Baſſats,& autres officiers du Diuin.Et
que nul ne ſéra rcceu à les accuſer, s'il n'eſt Taliſman de bonne renommée & prcu
d'homme,quine puiſſe eſtre redargué d'auoir bcu du vin puis douze ans.Quant aux
noms, on les leur impoſe dés leur naiſſance, neaumoins on les reitere à la circonci
ſion de nouueau,& ſont ordinairement ſignificatifs, ſelon qu'il en eſt touché quel
que choſe auhuictiefme de ceſte hiſtoire : comme Iſuleimun , Salomin pacifique:
Sultan Selim, Prince de paix, Muhamed, Conable, Mahmut, deſirable, Hahmad, bon,
º 1!
Amurath,Homar,Humeran,vif,Hali,haut, Iſmaél,oyant Dieu,Muſºapha, ſanctifié, Scen -
-

der,Alexandre, Pyrrhi,Roux,Sophi,ſainct & autres ſemblables : mais les eſclaues il les -


--
-
- . -

appellent communément d'vn nom general, Seremcth,prompt,diligent, & hardy.


C EsT E circonciſion des Mahometiſtes eſt par eux appellée nopces , comme -

met noſtre autheur ſur la fin du huictieſmc liure,& non ſans myſtere,ains à limita ,

tion des Hebrieux, ainſi que beaucoup d'autres choſes par eux empruntées de l'eſ -

criture,mais peruerties du vray ſens & intclligence : ceſte-cycſt de ce texte du qua :


trieſme d'Exode : Iladuint que Moiſe s'eſtant acheminé pouraſſer trouucr Pharaon,comme il :
-

ſe fuſ# arreſtéen vne hoſtellerie, l'Ange du Seigneur le vint rencontrer pour le mettre à mort,c3 | l'i, :
r
lors zephorah prit vnepierreaigue & tranchante, dont c4 couppa le prºpuce de ſon enftnt, | º
, Jº
u'elle ietta aux pieds de ſon mary, ou le ſaagen coula, lay diſant, Tu m'es vz eſÈoux de /äag,
|
& là deſſus l'abandonna apres auoir ditTum es vn eſpoux de ſang, à cauſe de la circonciſioa de -
|

lenfant.Surquoy Dauid Kimhiauliure des racines met cecy. Il ſºvray ſemblable que ,
#
|
-

toutainſique lhommeauiourde ſes nopces gſfoit appelé inn Chataa gĂºux , auſſé l'enfant au ,
iourde ſa circonciſion auroiteſ*é.ippclléde la meſme/orte, curl'etymolºgie de ce mot Chatta im |.

•#' .
- :

porteiene ſºay quelle ioyereceate : & comme elle /e renouuc4 • la iour des 2opces, tuſsi fait-eſſe en -
|. -

celuyde la circonciſion.Irenée liure premier chapitre dix huictieſme contre les hereſies -

#- •
-

des Valentinians, parlant du bapteſme qui tient lieu de la circonciſion enuers nous: | ,*
.Quelques vns des adherams de Marcus.preparins comme vae chambre nuptiale,font ie neſçay |
quelbapteſ ve myſtique,auec certains motsprophanes qu'ils appellent nopces ou gĂouſaillesſpiri • * -

tuelles,ce qu'ils dient faire à largſſcmblauce de celles d'enhaut. | 'il


• |
Des triomphes, ieux, cg magnificences qu'ont accouſtumé de faire les |
-
-
• " - !

| Turcs à la circonciſion deleurs enfans. - • | | |

G R E GoR As, & Calchondyle és huictieſmes liures de leurs hiſtoires,touchcnt # # | | |


quelques particularitez de cecy : Quantà Gregoras en ces termes. Ces ioury li partit | | |
vne trouppe de quarante baſtelleurs de l Egypte, où il yen a touſ ours à reuendre, & des plus ex |.
|
perts qui ſétrouuent pointnuº part , leſquels apres auoirrvddépreſque tout le Leuant, arri | ,
-

, , !
uerent finablement à Conſtantinople, mais la moitiédeux ſeulement, le reſºe eſfans demeurez -

| | | |
" . | .
"
arles chemins où ils s'eſtoient rompus le colcà & là, car les tours qu'ils font ſontfort dunge
|
reux,& la pluſpart du temps morteſ,. Entre autres choſes, apres auoirplantédeux ou trois gros ,

maſºs de nauire à vne conuenable diſtance,& iceux ferme arrºſtez auec des cordagespourles te -

mirdrºits qu'ils ne variaſſent,de la cime del'vn à l'autre ils tendoient va chable bandé fort roi
de : & puis vn autre de la meſmecime iuſques en terre,retenu la ferme auec vn picquant, à.tu
tantde diſtance du pieddu maſºcomme contenoit ſa hauteur, en forme d'vn triangle iſochele.
Cela faitl'vn d'entre eux montoit le long de ceſte cordeau haut du maſt,où ilſé plintoit tantoſt
ſurvn pied,puis ſurl'autre:parfois en faiſant l'arbre fourchu mettoit la teſte contre bas, &
les pieds en haut, ſans ſetenirdes mains à rien : & delà faiſant le ſaut perilleux ſereiettoit à |
la remuerſé ſurla corde à cheuauchons, laquelle eſtoittendued'vn miſé àl'autre, & li diſsſé
mettant debout,faiſoitinfiné tours de ſouppleſſe preſqu'incroyables à quiconque me les verroit,
car ſe prenant de l'vne des mains à la corde iltournoittout à l'entour comme les cſles d'vn mou
lin à vent.En apres s'accrochitdu iarret à icelle,illaiſſoit pendre ſa teſte & toutlerſte du corps
:
en bas,puis faiſoit la rouécomme auparauant,& ſereiettant ſoudain ſur la corde, s'y tenoitde
*
-- "
bout, & en ceſte aſſiette ſuſpendu en l'air, tiroitd'vn fort arcTurquois à vn blanc, à plus de
G G G iij
|
•. | .
- - - -

: 522 Illuſtrations ſur


cinquante pas de diſtance auſsiiuſtementque le meilleur archer pourroitfaire en plaine terré.
Se bandantles yeux chargeoit ſurſes eſpaules vn ieune garçon,&ſe promenoit ainſi aueuglet
tes le long de la corde,& enjamboitde l'vne à l'autre. Il y en auoit qui ayans ſur leurteſfe, mais
c'eſtoit à terre,vn billeblocquetde la longueurd'vne couldée,& au hautd'iceluy vne cruche toute
pleine d'eau ricà rac,tournoient paraſſez de temps comme vne pirouètte les bras eſtendus, ſans
qu'ils'enreſpandiſ#vne ſeale goute. Vn autre arrſfoit ferme ſur ſa teſte, vne picque de trous
toiſes de long, du boutde laquelle pendoit vne corde nouée parinterualles à guiſe demarches ou
degrez; le longdeſquels vn ieune garçon grimpoit des pieds & des mains, puis redeſcendoit.
Vn autre iettoit affeK haut en l'airvne petite boulette de verre, qu'ilrecueilloit tantoſt deſſus la
pointedel'vn des doigts,tantoſt ſurle coulde,& en pluſieurs autres ſortes tres-admirables,d'au
tres faiſoient de trop cſºranges choſes à cheual : carpaſſans la carriere à toute bridde, ils ſe dreſ
ſoientdebontſurla ſelle, & de là s'eſlançoient tantoſt ſur le col pres des oreilles, tantoſ#ſur la
crouppeen lameſme aſſiette.Vne autrefois le cheualcourant comme au precedent, ils ſe lettoient
d'entre les arçons d'vn ſautremuerſéen arriere à plaine terre, là où prenans la queuë ils accom
pagnoientdelaviſteſſe deleurs pieds celle de leur monteure , & à la fin de la carriere/e relan
çoientdedans la ſelle : laquelle abandonnans derechef, tournoient par deſſoubs le ventre d'vn
eſtriéàl'autre, & ſe retrouuoient és arçons, ne laiſſans pourtoutes ces choſes de haſter leur che
ualà coups de fouèt : Auec autres infinistels tours, dont nous auons peu veoir la plus
grand particy à Paris l'an 1585.voire encore plus admirables que les deſſuſdits, d'vn
Italian de Cezenne pres Arimini,lequel ayanteſté eſclaue huict ou dix ans en Con
ſtantinople,yapprit les choſes ſuiuantes,plus de dix ou douze de ſes compaignons,à
ce qu'il diſoit,s'eſtans en fin rompus le col à la meſme eſcolle. En premier lieu donc
ques paſſans vne carriere à toute bridde ſur vn vallaque de poil roüen, merueilleuſe
ment viſte,deſcochoit de coſté & d'autre à la maniere des Tartares des fleſches ſiiu
ſte, qu'il en donnoitoù il vouloit, & meſme ſe retournantenarriere au milieu de ſa
courſe, en atteignoit les fers du cheual ſi ferme qu'on le pouuoit oyr, ſans aucune
ment l'offenſer Enapres,comme le cheual s'eſtoit eſbranlé à courir,il ſe ſouſleuoit à
force de bras à piedsioints ſur la ſelle, tenant vne demy picque en la main, dont il
s'eſcrimoit pluſieurs fois autour de ſa teſte,& en pluſieurs autres façons,puis finable
mentla dardoitd'vne grande force & violence ſans varier de ſon aſſiette.Tiercemét
tout deboutencore, & le cheual paſſant carriere, ce qu'il faut preſuppoſer tout de
meſme en ce quiſuiura de luy cy-apres,il donnoit de droit fil d'vne lance,comme s'il
euſt couru la bague dedans vn gandattaché au boutd'vn baſton, ſans iamais faillir,
auſſi iuſtement que ſçauroit faire le meilleur & le plus adroit homme d'armes, aſſis
ferme dans lesarçons. Quartement,iliettoit enl'airvne bien peſante maſſe defer,
luy faiſant faire le tour enl'air, & la reprenoit cinq ou ſix fois en vne ſeule carriere.
Quintement,le cheual courant à toute bridde,il tiroit le pied droict de l'eſtrié, & le
mettoit iuſques à terre, remontant toutau meſme inſtant, & reiteroit cela par cinq
ou ſix fois tout de ſuitte. En vne autre carriere il tiroit par troisfois ſon cimeterre
hors du fourreau,& le rengaignoit ſans temporiſer. Plus, en ſe ſouſleuant en l'airà
force de bras deſſus le pommeau de la ſelle, paſſoit laiambe gauche par deſſoubs la
droitte, tant qu'il y faiſoit vn tour entier, comme ſurvn cheual de bois immobile,
dreſſé vn vne ſalle pourvoltiger, & ſe venoitretrouueriuſte dans lesarçons comme
deuant,c'eſtoit à ſon dire meſmel'vn des plus forts & dangereux tours de tous ceux
qu'il fiſt, & où l'vn des Pages du Roy le voulantimiter, ſe tua finablement eſtant à
terre,&faiſant le ſault perilleuxàl'enuers qu'ilauoitlaface tournée vers laqueuë de
ſon cheual,il ſeiettoit dans lesarçons,&comme le cheual couroit deſia à toute brid
de,il ſe renuerſoit les pieds contremont, la teſte poſant deſſus la ſelle, les pieds en
haut,& les bras § en l'air ſans ſe prendre à rien,paſſoitainſi la carriere,aubout
· de laquelle par vn autre ſaultàl'enuersil ſe remettoitésarçons Quelquesfois eſtant
deboutſurla ſelle,au beau milieu de la carriere il ſe renuerſoitainſi les pieds contre
mont,mais il ne faiſoit ce tour là que deuant les grands,auec tout plein d'autres cho
ſes † eſtranges encore,que nous euſſions tenu à vne pure fable &mcnſongeauant
que les voir.

|
l'Hiſtoire de Chalcondile. -
523
QyANT à piroüetter en terre, nous peuſmes voir au meſme temps choſes in
croyables d'vnieune Anglois,lequelapres s'eſtre eſbranlé par les menus,tournoit en
moins d'eſpace que l'ouuerture d'vn chappeau, plus d'vne groſſe heure ſans relache
nyintermiſſion, & ſiviſte qu'il n'euſt eſté poſſible de rien diſcerner de la forme de
ſon viſage : mais ce n'eſtoit tout, car il faiſoit ce temps pendant des choſes trop pro
digieuſes,il deueſtoit ſon pourpoinct à l'aiſe,attachoit des eſpingles aux poignets de
ſa chemiſe,accordoitvn deſſus deviollon dont ilioüoit ſingulierement bien, en fre
donnant ce qui ſe peut : Prenoitvne eſpée nue trenchante, & s'en eſcrimoit par en
tre lesiambes,l'ypaſſant & repaſſant pluſieurs fois,& autour du col,auec changemét
d'vne main à autre, & en pluſieurs autres manieres. En prenoit de là deuxtouten
ſemble, dontentournoyant touſiours ſans ceſſer, il mettoit les pointes ſur les deux
yeux,& dans les nazeaux : plus l'vne deuant ſur l'eſtomach,& l'autre derriere contre
l'eſchine,de ſorte que cela faiſoitvne horreur à veoir, ſon tournoyement au ſurplus .
eſtant ſiroide qu'on n'apperceuoit rien des eſpées fors vne lueur quiàguiſe d'vn eſ
clair ſe venoit reuerberer dans lesyeux.Aſſezd'autres ſemblables choſes faiſoit ceſt
Anglois natifde Londres, enquoy deux choſes font à eſmerueiller ? Comment luy
pouuoitainſi longuement durerl'haleine,nyle cerueau ſe maintenir ſans ſe partrou
bleren vne telle agitation : car certesiel'yayveuvne fois pres d'vne bonne heure &
demie,& ſi c'eſtoit ſa troiſieſme chambrée de ce iourlà, n'en ayant pas moins fait és
autres,ains plus encore. - - - -

MA1s les plus eſtranges merueilles qui furentoncques veuës parmy les Turcs, :
nyautres peuples de laterre,en cas de cesbagatelleries,ſe peurentveoirl'an 1582. au * a
mois de Iuin & de Iuillet à Conſtantinople en la circonciſion de Mehemet fils d'A -

murath quiregne à preſent,car ceſte feſte durapres de deux mois tout de ſuitte ſans
aucune diſcontinuation : & nefuſt pas encore ſitoſt ffnée ſans le tumulte des tenniſe
ſaires & Spacchi , où ilyen eut quelques vns de morts & pluſieurs bleſſez.Et premie
rement le iourarriué de que ceſte ſolemnité debuoit commancer,apres que les Sul -

tannesayeule & mere de ceieune Prince l'eurent ſuiuantla couſtume feſtoyé dans
le vieilSerraill'eſpace de ſeptouhuict iours,le Vizir & autres Baſſats ſortirent de ce
luy du Turc, accompaignez du Beglierbey de la Grece, & de celuy de la Natolie, du
Baſſa de lamer,de l'Aga des Ianiſſaires,& autres officiers de la Porte,auec grand nom
bre de Ienniſſaires à pied,& de Spacchiz à eheual,& tous les Chaoux & huiſſiers,veſtus
de riches robbes de drap d'or,& velours de Mecque & Burfie, leurs cheuaux equip
pezà l'equipollent & s'en allerentàl'Hippodrome,c'eſtvne grande place où eſtoiët
les liſſes anciennement,la colonne de Conſtantin, enſemble celle de Theodoſe s'y
voyent encore tout debout, & pluſieurs autres belles antiquitez, comme il ſe verra
· en ſa deſcription cy-apres : Sur laquelle place reſpond le palais qui fut d'Imbraim
Baſſa, le plus puiſſant, riche, & authoriſé perſonnage qu'eurentoncques les Empe
reursTurcs à leur ſeruice, auquel finablement Solyman fit trancher la teſte, à l'in
ſtance de la Ruſſe ſa femme,& de Roſtan Baſſa ſongendre, quile calomnierent en
uers luy,& ce apresl'auoirfait ſoupperà ſa table.En ces palais là doncques les Baſſats
ſuſdits,& autresallerent § du matin recueillir le Prince pour le me
nerà la Moſquéefaire ſa priere,auecvne infinité de flambeaux,cinq entre autres de l,
vingt braſſes de haut, & d'vne deſmeſurée groſſeur, pour offrande, leſquels ſe con
duiſoient ſur des machinesAntonikinites qui ſembloient ſe mouuoir de ſoy-meſme |
les Baſſats auec leurſuitte marehansapres,& le Prince conſequemment monté à l'e
ſlite ſurvn cheual de tres-grand prix, ſon harnaſchement tout eſtoffé de pierreries
d'vne ineſtimable valeur, & labridde particulierement d'eſmerauldes Orientales
accouplées deux à deuxenſemble.Ilauoitvne longue robbe de ſatin verd, bordée
toutàl'entourd'vn bon pied de large de pierreries encore plus riches. Et en ceſt
equippage ayantfaict ſa monſtretantàl'aller qu'aureuenir, auec de fort grands ap
# plaudiſſemens&acclamations deioye du peuple eſpandule longdesrues, à qui it
faiſoit de ſapartàtous propos defort humaines & courtoiſes inclinations de coſté
&d'autre,ilfutramenéau deſſuſditpalais d'Imbraimenuironvneheure apres mi
|

, .. ° . . | -

52 4- · -

-
Illuſtrations ſur
, - A | -

dy .Etlors ſe donna ccmmencement à la feſte parvn tournoy de cinq cens hommes


d'armes combattans en fouleauec de groſſes balles pleines devent, attachées auec .
e longues courroyes de cuir à des baſtons,leur conducteur qui eſtoit monté deſſus
vn grandaſne,marchant deuant pour faire faire large, & renger ſes gens en bataille,
l'eſchaffaut pour les Ambaſſadeurs des Princes Chreſtiens eſtoit dreſſé ſur ceſte
place,oùl'on leur apportoit à manger de la propre cuiſine du Turc. Il y eut auſſi for
ce eſbattemens de tours de ſouppleſſe tant ſur la corde, qu'en plaine terre,auec des
baſſins plantez ſur de longs baſtons qu'ils font tournoyer, & iettentenl'air : puis les
reçoiuent ſur les baſtons d'infinies ſortes. Mais il y en auoit qui s'eſtoient fichez de
dans l'entrepeau duventre & des cuiſſes, des dards, maſſues , couſteaux & dagues,
-
choſe trop hideuſe à regarder. Et ſur l'entrée de la nuict ayans eſté allumées infinies
lumieres,on donna feu à quatre chaſteaux,dont ſortirent des fuſées ſans nombre, &
vngrand cheual de chacun d'iceux plein de feux artificiels, qui les faiſoient courir.
de coſté & d'autre parmylaplace,aucc vnfort grand contentement & admiration
des regardans. " - . - -

| | | III. LE Dimanche enſuiuant III.iour du meſme moys,il y eut tout plein de ieux,&
tours de ſoupleſſe deſſus la corde mais le plus rare fut vn Turc, qui ſe couchant tout
| plat contre terre le ventre renuerſé en haut, deſcouuert & nud,s'y fitappliquer vne
enclume, & forger par ſix robuſtes ieunes hommes vn fer de cheual à grands coups
de marteau.Vn eſclaue grimpaiuſques ſur la cime d'vn obeliſque,à quile Turc don
naliberté,& vne robbc de drap d'or, auec vingt aſpres de prouiſion durant tout le
:
temps de ſa vie. Il y en eut qui ſe cloüerent des fers de cheualaſſez auant dedans la
teſte ſans monſtrer ſemblant de douleur. Et le mefme iour encommancerent les
preſentsau Prince,tant parles principaux de la Porte, que des gouuerneurs des pro
uinces,villes,citez,peuples,& mations de l'obeiſſance du Turc, de leurs confederez
auſſi, & des Ambaſſadeurs eſtrangers, notamment celuy du Sophy, lequel peu de
iours auparauant arriué à Conſtantinople en grande pompe & magnificence , eut
ſon lieu à part pour voir ces ieux, en vne gallerie couuerte contigue aux deux Sul
tannes, qui regardoient par desialouſies, & quelquesfois à pleines feneſtres arriere
ouuertes.La nuict venue fut donné feu comme au precedant à trois chaſteaux, auec
grand nombre de fuſées & ſemblables feux artificiels. . , .
IV. · Le IV. furent portées en monſtre & paradebien trois cens figures de ſuccre, de
toutes ſortes d'animaux, & depuis le matin iuſqu'à midy continuerent les preſents.
Alors ſe preſentavnTurc qui ſe martelloit le viſage & la teſte à grâds coups de pier
res fort groſſes,& là deſſus arriuerent force maſcarades,entre autres d'hommes ſau
uagesdedans desgrottes & cauernes, qui ſe roulloient en de grands pegmates &
machines ſe mouuans comme d'elles meſmes, d'où ſortans de fois à autre à guiſe de
matachins, faiſoient mille tourdions & gambades ſelon la mode du pays Il y eut
quant & quant d'excellens ſaulteurs faiſans des choſes admirables, à chacun deſ
quels fut donnéyn Caffetan oulongue robbe de drap d'or par le Turc.Vn autre m6
ta à force debras,& ſa dexterité de lambes ſurvne pyramide fort haute qui eſt en cet
Hippodrome, dont il eut vn bon preſent Et ſur le ſoirfurentportez deux mille
grands platsàlaTurqueſque,chacun garnydepluſieurs eſcuelles pleines de diuer
ſesſortes dériz,aucc quatre millepains, & grandequantité de poiſſon, & de chair
boüillie & roſtie.Tout cela ayant ºſtéaſſisenterre,furabandonné en proyeaux pau
ures, qui le deuorerent en moins de rien.Vne chaſſe de beſtes noires, & pourceaux !
priuez meſlez parmy ſuiuitapres,& finablement les lumieres,& lesfeuxartificiels à
l'accouſtumé. : , :::: , : 1 . :: , . : ! : bb n i . · . | rol , »ida | e |•
, I. E V.iourvn autre Turcmonta ſur la meſme pyramide, & ſur ces entrefaictes
commancerét de comparoir certainsartiſans en deschariots,bcſongnans là de leurs
meſtiers & manufacturès : & entre autres ceux qui font les yitkies ou tocquets de
drapsd'or,que portét lesfemmes & les Pages faugtits du Serrail,auoc deux outrois
censieunes apprentifs de douzeiuſqu'à dix hui# ant, veſtus richement deliurées
debroccad #eºpsdefºis #rºººººººººººre
-
- Ul
4

l'HiſtoiredeChalcondile. 525
duSeigneur, apresauoir fait leur monſtre lelongdelaplace, chantans desvers à la
loiiange de Dieu, & deſà hauteſſe, enſemble du ieune Prince, ce qui fut pris en ſi
bonne part qu'on leur ordonna de retourner le lendemain, &àl'inſtanton leuriet
ramille ducats enueloppez en vn mouchoir.Vn coche arriua puis apres lequel che
minoit ſans cheuaux,ſuiuy d'vne plaiſante lucte bras à bras d'vn Turc, & d'vn aſne.
Vn autre fit des cas merueilleux ſurvn cheual, telles à peu pres ou plus grandes que
celles quionteſtécy-deuant recitées : & celuy qui danſoit ſur la corde alla ſans con
trepoids deſſus. Il y eut quant & quant des preſents au Prince , du fils de Sinan
Viſir ou premier Baſſa, en ioyaux , bagues & pierreries de fort grand prix. De
là ſe donnaleſtiaſe ou banquet publique comme auparauant,& de plus vingt bœufs
gras roſtis tous entiersauecleurs cornes,ce quifutincontinent deſconfit par la mul
titude du peuple,lanuict ſe continuerentlesfeux.
LE lendemain VI. dudit mois ſe fit le feſtinaux Azappes, ce ſont ieunes ad 6,
uanturiers biſognes & fricquenelles, gens de pied, & de peti, la pluſpart deſtinez
pour lamarine, où ilyeut ſoixantebœufs, & cinq cens moutons roſtis tous entiers,
& du ris à l equipollent, dont fut fait tout à vn inſtant vn terrible & eſtrange de
luge, chacun taſchant d'en emporter ſa lippée à qui mieux mieux. Apres ce
repas ſe continuerent les preſents des Ambaſſadeurs : & cependant force ſaults
& baſtelleries. Le ſoir à l'accouſtumé ſe donna encore à manger au peuple, auec
vne chaſſe telle à peu pres que la preccdente, & des feux artificiels & lumieres.
LE VII. comparurent en des chariots desarts & meſtiers de diuerſes ſortes : &
le ſoir ſe reitera le repas publique, auec des feux artificiels qui durerent toute la
nuict. -

LE VIII. ſe fit le feſtinaux Ianiſſaires, quatre mille en nombre, & à leur Co


ronnelaccouſtumé,&
repas ou Aga, deſſoubs des tentes de galleresarrangées le long de la place,le ſoir le
les feux. A

· LE IX. ſe paſſa en la reception des preſents, accompaignez de pluſieurs entre


mets & baſtelleries,de ſinges,magots,aſnes,cheures, & autres tels animaux, qui fai
ſoientàlaverité des choſes trop eſmerueillables. Et ſur le tard ſe preſenterent ſoi
xante hommes de cheualarmez de cuiraſſes,auec des cazaques à l'Albanoiſe de ſa
tin iaune, & ſix vingts ſoldats à pied bien en ordre, n'ayans pour toutes armes qu'vn
baſton au poing, & vn grand bouclier.Pendant qu'ils faiſoient leur promenade em
my le camp,on planta à chaque bout d'iceluyvn chaſteau,l'vngardé parvn nombre
de Chreſtiens eſclaues ayans des arqucbouzes & morions,auec des fiffres, tabourins #
& enſeignes à noſtre mode,l'autre eſtoit muny de Perſº -- ſembloit à leur equippa
ge: & là deſſus les forces ſuſdittºs de cheual & de pied ſe mipartirent en deux troup
pes, dont l'vne alla donnerl'aſſaut au baſtillon des Chreſtiens, & l'autre à celuy des -
Perſes, qu'ils emporterent finablement apres vn fort dur & rude combat , force
coups de canon,& vne groſſe eſcouppetterie. Mais les Chreſtiens ſe faſchans de ſe : ,
veoir vaincre,car il falloit qu'il fuſt ainſi, delaſcherent quelques pieces à ſibon tiltre
qu'encore qu'il n'y euſt point de balles dedans, quatre Turcs neaumoins en furent
tuez, & vnbon nombre de bleſſez. Cela fait lesgens de cheual ſe mirent entre eux
à attacquer vne eſcarmouche à laZenette, à coups de cannes, & de carrouzelles,
comme il ſe practique meſme en Eſpagne, & Portugal : Et apresauoir faict lareue
rence au Seigneur, & au Prince, & aux Baſſats, ſe retirerent,faiſans place au man
ger ordinaire, & aux feux artificiels de la nuict. En contreſchange de ce chaſteau
emporté de force ſur les Chreſtiens parlesTurcs, l'Ambaſſadeur de l'Empereur cuſius enf,
donna quelques iours apresl'eſbattementd'vn verrat priué,lequel lié par vneiambe Turcogrece,
rembarratrois lions, & demeura maiſtre ſureux de la place: ce que lesTurcs prirent
à mauuais augure,& s'en faſcherent.
LE X. le Patriarche de Conſtantinople fit ſon preſent,accompagné de centpre 1o,
ſtres, auec de riches ornemens : & apres luyceluy d'Armeniereſidant à Antioche,
allCC † vingts ſixpreſtres tous vieillards venerables,& deux cens quarante ieu

nesadoleſcens fortbien en ordre.Celuy delaSeigneurie de Venize ſuiuitapres, qui


HHH -
!"
"
|

| | |

| | 526 Illuſtrations ſur


|| | fut addreſſéaux Baſſats,aſſauoir cent cinquanteſrobbes,dont les quatre eſtoient de
l; drap d'orfriſé ſurfrizé à deux endroits,& le reſte de draps de ſoye de toutes ſortes de
|, | || | l
"# couleurs,qui furent tout ſur le champ portées au Turc, combien que ce fuſt pour le
Prince. Il n'y eut autre choſe pour ce iour là,ſinon des courſes de cheuaux barbres,
lj : | | i & Arabes, & vn Turc, qui eſtant monté au haut d'vne antenne greſſée fenlaiſſa
| : |1 | | |
, |
cheoir, & ſe rompit le col. Il y eut auſſi quelques artiſants & meſtiers qui compa
i | |
-

| rurent en des chariots, y faiſans chacun endroit ſoy leurs chefs d'œuure, d'vne
'l! | : grande promptitude & dexterité Et ſur le ſoir ſe donnavne chaſſe de porcs pri
h » | - | uez, puis de renards & de lieures : ce qui fut ſuiuy du repas à l'accouſtumé, &
des feux. .
| || : | : | II. L E XI. ſe fit le feſtin à quatre mille Spacchis, & à leurs chefs & conducteurs,
| || | ainſi qu'on auoit faict aux Ianiſſaires,le tout accompaigné de diuers concerts de mu
|| | ſique
nuict de toutes
ſelon ſortes d'inſtrumensTurqueſques,aſſez mal-plaiſans,& les feux ſur la
l'ordinaire. - •

I2 . LE XII. apres la monſtre de pluſieurs meſtiers comme au precedent, & de


leurs chefs-d'œuures , ſe preſenterent les ſanctons, ce ſont certains fols idiots,
our le moins ils le contrefont, dont il a eſté parlé cy-deuant, qui vindrentfai
re leur oraiſon deuant la feneſtre, où eſtoit le Turc, prians Dieu pour ſa proſ
erité & ſanté , & du Prince. Puis ſe fit vne autre eſcarmouche de gens de che
ual telle à peu pres quc la precedente : & au bout le manger à l'accouſtumé, &
les fëux, ce qui continua tout le long de la feſte, afin de n'en vſer plus de re
ditte. -

I3. · LE XIII. outre tout plein d'autres merueilles qui ſe firent par des Arabes, il y
|
eut vn voltigeur qui fit des tours comme ſemblables à ceux de l'Italien deſſuſdit Là
1!
deſſus on ietta par vne feneſtre vne diſtribution & largeſſe au peuple d'vn gran
nombre de robbes de drap, auec plus de ſixmille ducats à grandes poignées,& quclº
ques ſoixante taſſes d'argent.Le manger ordinaire, & des feux plus excellens enco
re que tous les autres d'auparauant qui durerentiuſqu'apres minuict.
I4 Le XIV. on donna à diſner au Topangibaſi ou grand maiſtre de l'artillerie, &
à ſes Topgilar canonnieres, en nombre d'enuiron deux mille. Et ſur le midy ar
riuerent cent hommes de cheual en fort bon equippage , qui tournoyerent à la
Perſienne & Moreſque , à coups de Zagaye qu'ils lançoient auant, & arriere &
de tous coſtez d'vne treſ grande dexterité D'autres paſſans vne longue carrie
re à toute bridde, deſcochoient des fleſches contre vne pomme d'or plantéeau
bout d'vne haure ane-une : où la pluſpart aſſenoient à donner dedans Etſurle
ſoir il y eut vne autre chaſſe de pôles p1iuvz, auec des feux artificiels de trois
chaſteaux, vne pyramide, & dc deux galleres, qui fut vne tres-belle choſe à
VO11 . » -

15. LE XV. comparurent les tireurs d'or, & les fileurs en nombre de huict à neuf
vingts, richement accouſtrez, auſquels le Turc fit donner quelques robbes, & vnc
bourſe pleine d'aſpres.Celafutaccompaigné auſſitoſt de 5o hommes de cheual,ha
billez de toile d'argent, qui firent encore merueilles à tirer de l'arc, & entre autres
choſes, en paſſant vne meſme carriere,de 3. coups ne failloient de donner dans trois
blancs à eſgalle diſtance : puis dreſſerentvne eſcarmouche comme vn ieu debarres.
Ilyeutauſſi quelques baſtelleries meſlées parmy, & ſur la nuict des feux artificiels
de plus rare inuention que les precedens,comme de nauires,galleres, pyramides,pa
uillons, & ſur tout d'vne groſſe montaigne dont ſortirent vne infinité de fuſées, &
· ſemblables feux d'vn ſouuerain artifice,faite par les eſclaues d'Ochialigeneral de la
mer:laquelle s'eſtant en fin creuée en ſortitvn geantenorme veſtu à la Iudaïque, &
vn dragon quis'attacherentau côbat, comme firent auſſi deux galleresl'vne contre
l'autre,aſſez longuement, nyplus ny moins qu'en pleine mer, tirans pluſieurs coups
de canon,auec tant de petards en lieu d'eſcouppetterie & de moſquets, & defuſées
ſans nombre meſlées parmy, qu'on euſt dit que le Tout ſe debuoit abyſmer, choſe
trop horrible à voir,le meſme firent encore quatre chaſteaux de ſemblableartificº
| - qui
l'Hiſtoire de Chalcondile.
| 527
qui remplirent tout de ieu, de flammes & de fumée. '
LE X V I. ſe fit le feſtinauditgeneral de la mer, & à ſesgens, en nombre de ſix -
I6 ,
mille hommes,là où ſe porta vne infinité de viandes en diuers ſeruices & mets,à cha
cun deſquelsy auoit trois cens ſoixanteT/ophra, ce ſont plats fort grands qui ſeruent
de tablesauxTurcs: & en chacun d'iceux vingt-trois eſcuelles pleines de diuerſes
ſortes de ris, & de chair de bœuf, mouton, volailles, & ſemblables à eux permiſes,
tant boüillies que roſties : les feſtins eſtimez chacun à quatre ou cinq mille ducats.
Ceſtui-cyacheué ſe preſenterent diuerſes ſortes de meſtiers,faiſans à la veuë de tous
preuue de leurs manufactures, meſmement les verriers qui firent infinies ſortes de
verres, de boccals, & autres vaſes : le tout ſur de magnifiques chariots repreſentans
leurs ouuroüers & boutiques , peints & ornez d'or & d'azur à l'enuy lvn de l'au
UTC. -

Le XVII. ilyeut desiouſtes ſans liſſes,de cinquante hommes d'armes à camp 17.
ouuert,& fereſmolu,& rien plus pour ce iour. - - - ,

LE XVIII. apres le banquetaux Hebegilarou armeuriers,& à leur chcf, il y eut I8,


vn Turc qui paſſa vne carriere à toute bridde, au milieu de deux viſtes cheuaux,
ayant le pied gauche en l'eſtrié hors du montoir de l'vn d'eux & le droict en celui du
montoir de l'autre, ſi qu'il eſtoit tout debout en l'air au milieu des deüx, ſans eſtre
monté ſur pas vn. - · • • !

LE XIX: ſe preſenterent les fruictiers, auec toutes ſortes de fleurs & de fruicts, I9,
dont ils firent preſentau Seigneur,qui leur fit donner vn plein mouchoir d'aſpres. Il
y eut en apres vn Turc qui paſſoit & repaſſoit vn fer tout rouge & ardant ſur ſa lan #
º •
gue par pluſieurs fois,ſans monſtrer aucun reſſentiment de douleur,ny d'en eſtre en
rien offenſé.Ce qui fut ſuiuy d'vn autre, lequel ayant vn gros mortier de picrre en ſa
teſte,ſouffrit que deux puiſſants hommes le caſſaſſent à coups de marteau. Et ſur le
ſoir futamené vnieune enfant dans vne pippe toute pleine de ſerpens, viperes, cou
leuures,& autres telles eſpeces des plus venimeuſes vermines, qui le leſchoient ſans
luy faire mal,ne qu'il s'en effroyaſtaucunement. , |
- L E XX. ſur les dix heures du matin,tous les Chreſtiens de Pera ſe vindrent pre 2o.
ſenter ſur la place,dont il y en auoit bien deux cens cinquante ſomptueuſement ve
ſtus de drap d'or,auec force chaiſnes & carquans tous eſtoffez de pierreries, & par
myeux douze ieunes adoleſcens deſguiſez en femmes,quiconduiſans vne eſpouſée
equippée à la Perotine, danſétentvn ballet à la mode des anciens Macedoniens du
temps de Philippes fils d'Amynthas,& pere d'Alexandre le grand, au ſon des harpes
& des ſiſtres.Puis danſerent conſequemment cent autres ieunes hömes de la meſme
trouppe,la däſe pyrrhique,auec des eſpées nues tranchâtes,telle à peu pres quc ccllc
qu'ont redreſſée de l'antiquité les Italiés,& qu'on appelle les bouffös,à quoy leTurc
monſtra de prendre fort grand plaiſir, neaumoins pource que c'eſtoient les Chre - º•

ſtiens,il ne leur donna que deux mille aſpres dans vn mouchoir, mais pour les paſſer
& repaſſer de Pera à Conſtantinople il ordonna vne gallere, le ſoir ils allerent au lo -
gis de l'Ambaſſadeur de France,qui eſt d'ordinaire en ladicte ville de Pera, où ils fi
rent le meſme bal,pour le reſpect & honneur qu'ils portent à la Maieſté du Roy,ſous
la protection & faueur duquel à l'endroit du Turc , ils ſont maintenus en leur reli
gion, & iouyſſent de tout plein d'autres priuileges, On leur defonça vne pippe de
maluoiſie,qu'ils eurent bien toſt miſe à ſec,tant pour le chaud de la ſaiſon, que pour
le violent exercice qui lesalteroitd'abondant. Apres eux compareurent les armeu
riers & fourbiſſeurs en nombre de cent cinquante.Et les papetiers qui font le papier
liſſé pour eſcrire deſſusauec vn fort deſlié ionc ou calame,iuſques à cent. Plus quel
ques huict vingts contrepoinctiers & faiſeurs de mattras & ſtrapontins : enſemble
Ies miroüettiers : comme continuerent de faire les iours ſuiuans les autres meſtiers
de Conſtantinople, auec leurs plus exquiſesinuentions & chefs-d'œuure, auſquels
furent faits des preſens conformes à leur dexterité & merite, ou pluſtoſt ſelon le :
gouſt queleTurcyprenoit,lequeleſtant homme de paix & repos, & fort ſolitaire &
Particulier,paſſe le temps pour la pluſpart à ces menues oiſiuetez.
HHH. ij -

•!

|
528 Illuſtrations ſur
+
2I. LE XXI. continuerent iceux meſtiers de comparoiſtre. Vne giraffe fut auſſi
promenée par l'Hippodrome,comme choſe rare meſme en ces quartiers là.C'eſt vn
animal qui vient de l'Afrique,de fort longue & greſle encoleure, ayant deux petites
cornettes, & le train de deuant diſproportionnément eſleué au prix des iambes de
derriere. Puis fut aſſailly & pris vn chaſteau auec vn grand contentement & plaiſir
de tous,le ſoir,le repas,& les feux comme auparauant.
2.2 . LE XXI I. ſe preſenterenttous les marchands du grand & petit Bageſtan,iuſ
ques au nombre de ſept cens,ſomptueuſement habillez, auec tant de perles, pierre
ries,& richesioyaux deſſus eux qu'on ne les euſt ſceu eſtimer. Et ſur ces entrefaictes
celuy qui danſoit ſur la corde y fit des tours inaudite,entre autres,d'yporter vn hom
me ſur ſes eſpaules, non ſans grande frayeur des ſpectateurs, le ſoir à l'accouſtu
mé. . | -

23. LE XXIII. on courut la bague,mais non-pas pendue à vne potence ainſi qu'à
nous, ains bien plus difficillement, de la recueilliraſſauoir eſtant platte couchée en
i º terre,auec le fer de la lance, & de là l'enleuer en haut enfilée dedans : ce qu'ils reite
roient par trois fois, & en trois diuers endroits à chacune courſe & carriere, enſem
ble † telles addreſſes à cheual preſqu'incroyables, meſmement d'vn
qui ſon cheual courant à toute bridde, deſcendoit & remontoit cinq ou ſixfois ſans
tarder, mais nous auons veule meſme pardeça. Puis ſe preſenterent quelquesarti
ſans : & le ſoir paſſa comme les autresfois. - -

- *
- -
-:
24 . L E XXIV. Il y en eut vn autre,lequel paſſant la carriere de la meſme viſteſſeſe
mettoit lateſte contre bas dedans lesarçons,& les pieds en haut : auec pluſieurs au
tres merueilleux tours, la pluſpartveus encore de pardeça : mais non pas le cruel &
horrible ſpectacle de certains Turcs ayans chaſque bras lardé de trois grands cou
4! . ſteaux paſſez bien auant dans la chair, choſe plus deſ-agreable à veoir que plaiſante,
pour lagrande quantité de ſang quien degouttoit, le reſte du iour, & la nuictcom
me deſſus. |

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25. LE XXV. comparurent les Pleuianders ou lucteurs du Turc en nombre de tren
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• te à quarante,gens robuſtes, membruz, & nerueux, leſquels eſtans nuds reſerué vn
petit brayer qui leur alloit iuſqu'au genoüil, tout le reſte du corps oinct & huillé,
pour rendre leurs priſes tant plus mal aiſées,firent des preuues nompareilles de leur
force & habilité,àl'imitation des anciens Athletes.Cela fut ſuiuy du diſner appreſté
pour les Spacchis de la Porte:& au boutd'iceluy de quêlques ſauteurs, qui firent des
| ſaults mortels,& des tours de ſouppleſſe admirables. Le Seigneur & le Princeiette
rent lors par vne feneſtre 5o. taſſes d'argent, & bien ſix mille ducats en or, & mon
noye d'aſpres,auec vn grand nombre de pains,& de robbes de drap : enquoy lafoul
le § ſigrande,que troisy demeurerenteſtouffez ſur la place.La nuict venue ilyeuſt
force feux artificiels en forme de chaſteaux, & de cheuaux, auecvne montaigne de
la meſme eſtoffe,vn Elephant,vn Iuif,& quatre hommes montez à cheual, qui reu
ſcirent fort bien & durerentiuſqu'apres minuict. -

L E XXVI. ſe firent d'eſtranges courſes de cheuaux, & des tours non encore
veus nyoys : car en premier lieu paſſans vne carriere à toute bridde,de trois cens pas,
& non-plus, en courant ſans s'arreſter ils bandoient leur arc, & en donnoient par
quatre fois dans des petites boiſtes rondes, poſees ſur des poſteauxà quarante pas
loin de l'autre : Premierement de la main droicte vers le coſté gauche, comme eſt
l'ordinaire, & le plus adroict & commode : & puis en reiterant au rebours, de la
main gauche au coſté droit. La troiſieſme de leurs carrieres, apres auoir deſcoché
vne fleſche de grand roideur, ils mettoient la main à leur cimeterre pour donner
deſſus vn phantoſme ou Iacquemar deſguiſé en Chreſtien , & planté à demy
carriere,puis aſſenoient ſi droictement,qu'aucuns meſme lui couppoient lateſte du
premier coup, Etapresauoirrengainé leur coutellats, reprenoient l'arc vne autre
fois , & en donnoient à la pomme d'or pendue au bout de l'antenne, comme
ila a eſté dit cy-deſſus, de la main droitte, & de lagauche, puis apres en chan-,
geant de main. Alaquatrieſme carriere d'vne grande promptitude & habilité ils
•i
#

l'Hiſtoire de Chalcondile. 529


troienrvne fleſche, Puis retrouſſans l'arc ſur l'eſpaulle, aueclatargue, mettoient la
main au cimeterre, & feignans d'en ruër trois coups le rengainoient, touſiours cou
rans à toute bride : & ſur la fin de la carriere tiroient deux autres coups de fleſche à
droict, & à gaulche. Cela finy, ſe donnale repas aux Ambaſſadeurs, Puis celuy du
»euple à l'accouſtumé, & les feux la nuict. -

L E XXV II. il n'y eut que les meſtiers, qui firent leur monſtre & oſtentation de 27.
leurs chefs d'œuure, & artifices. . -

:
LE XXVI I I. les meſtiers encore, mais des plus exquis, & plus richement 28. - | r

equippez que les precedans. Il y eut quant & quant vn More qui fit choſes admi
rables ſur la chorde. . - - -

L E XXIX. les meſtiers continuerét encore à ſe preſenter ſur la place, où apres 29 ·


auoir fait leurs chefs d'œuure, & iceux offers au Seigneur, qui en contr'eſchange
dignement lesremuneroit, ſe preſenterent deux hommes § , ayans ſous chaque
mammelle vn cimeterre paſſé tout outre dans la chair, & autant de chaque coſté dás
le ventre; choſe qui faiſoit mal au cœur aux regardans, & meſme au Turc qui de
fendit telles cruautez comparoiſtre plus deuant luy. . -

LE XXX. les meſtiers encore; & grand nombre de baſtelleurs, qui firentvne 3º. i:
infinité de tours fort plaiſañs, & non moins admirables. Là deſſus on dreſſa le ban
quetà pluſieurs officiers de la Porte : Et ſur le tard, le Seigneur qui aſſiſtoit à tous ces
ieux tout à deſcouuert en vne feneſtre, ayant touſiours le Prince à ſon coſté, leurie
cta cinquanre taſſes d'argent, auec quelques centaines de ducats.
LE XXXI. les meſtiers encore, & le diſner au Beglierbey de la Grece, & à ſes Sa 3I. º .
niaques, enſemble aux Capigi, ou Portiers, & aux Agemoglans, & leurs chefs; le
tout reuenant enſemble à plus de dix mille bouches. Sur le tard arriuerent ſix cens
Iuifs veſtus de liurée, qui preſenterentau Seigneur pluſieurs pieces de draps de ſoye
:, principalemët de ſatins exquis de toutes ſortes de couleurs: & luy leur ayant fait de
mander pourquoyils ne luy requeroient quelques graces,ils firent reſpöce, qu'ils ne
deſiroientautre choſe que ſa longue proſperité & ſanté, auec cellé du Prince ſon
fils, pour leſquels ils ſemirent tout ſur le champ à faire vne deuote priere à leur mo
de. Puis ſe preſenta vnieune homme qui fit des choſes eſpouuentables ſur la chor
de, auquel le Turc fit donner vne robbe de drap d'or, & cinq cens ducats; & vingt
cinq aſpres de prouiſion par iourpour tout le reſte de ſa vie. Surl'entrée de la nuict
comparurent vingtquatre hommes de cheual,moitiez habillez en femme à laBohe
mienne, & le reſte equippez & armez à laTurque : qui dreſſerent vne petite eſcar
mouche entr'eux, où ils manierent-dextrement leurs cheuaux à la Zenete. Apres
vindrent deux cens cinquante autres Iuifs dans vn chaſteau, qui ſe rouloit par le
deſſoubs : auquel les gens de cheual deſſuſdits aſſiſtez de quelque nombre d'infan
terie, & de pluſieurs pieces d'artillerie, & de feuxartificiels, donnerent viuement
l'aſſault & l'emporterent. Le ſurplus de la nuict ſe paſſa apres vn bal, & les feux ar
tificiels de huict chaſteaux, & ſix cheuaux : à quoy le Turc monſtra prendre vn ſin
gulier plaiſir. Enuiron la diane furent promenez par la place deux elephans, quatre
, lions, & vn giraffe, qui toutesfois ne combattirent point. -

L E XXXII. furent faites d'eſtranges


b merueilles encore ſur la chorde : & les
- - -

animaux deſſuſdits amenez derechef en place. -


32.
LE XXXII I. Le Turc donna pluſieurs robbes de drap d'or, & de grandes ſom
mes de deniers à pluſieurs perſonnes qui auoient faitvne infinité de ieux, & de gen
tilleſſes. Et le ſoirapres le repas ordinaire au peuple,luy fut iecté par les feneſtres cin
quante taſſes d'argent, & ſix mille ducats. - "

LE XXXIII I. vindrent quinze compaignies de meſtiers, qui firent deschoſes


rares de leurs ouurages, & les preſenterentauTurc. Ilyeutauſſi des ſaulx perilleux
ſur la chorde : & finablement le manger, & les feux. - : -

LE XXXV. Des meſtiers encore, auec pluſieurs bellesinuentions. Puisſe pre


ſentavnTurc, lequelauoitvn arc paſſé dans la peau dé ſon ventre, qu'il bandoit, &
deſbandoit pluſieurs fois ſans aucune apparence de ſang, choſe
A H Haſſez pour ſ'emer
H | iij • -

-
,

53C Illuſtrations ſur


: ueiller. Le Turc luy fit donner quelque argent.
L E XXXV I. vne trouppe de cauallerie courut à la Quintaine : Puis ſe mirent
-|
à tirer de l'arc, paſſant carriere à toute bride comme deſſus,contre la pomme deuant
ditte, que l'vn abbattit, & l'alla porter au Seigneur, qui le careſſa, & luy fitvnfort
beau preſent, Sur le ſoir ſe reitera la largeſſe, tant en taſſes d'argent qu'en deniers.
cc qui fut ſecondé de la liberalité des Sultanes. Cela faict on mit le feu à dix cha
ſteaux, huict cheuaux, & quatre grands pauillons de guerre, le tout de feux artifi
- - ciels, qui fut tres-belle choſe à voir. - -

CELLE nuict du v I. iouraſſauoir de Iuillet,fut circoncis le Prince par Mehe


-- | met quatrieſme Baſſa, qui auoiteſté barbier du Serrail; & en ayant porté le prepuce
dans vne boüette d'oraux Sultannes,mere & ayeulle,auec le ferrement dontilauoit
operé, elles luy donnerent la valeur de huict ou dix mille ducats : le pere luy fit
- outre-plus vn fort beAu preſent en vaiſſelle d'or & d'argent, richesaccouſtremens
| & ioyaux. -

| 7. E r le lendemain XXXVII. iour de la feſte ilyeutvn Turc,lequel ſ'eſtantcou


ché à la renuerſe deſſus le dos ſoubs la feneſtre du Turc, ſe fit charger vne fort groſ
ſe picrre ſur le ventre, qu'il endura d'eſtre briſée en menuës pieces à coups de mar
teau par ſix puiſſans hommes, ſans faire demonſtration de ſentir mal ny douleur:
: leſquels outre-plus luy ruërent les morceaux puis apres d'vne grande roideur con
tre ſon eſtomach & les reins tout à deſcouuert, ſans qu'il möſtraſt ſ'en offenſer. De
là ſ'en preſenta vn autre qui ſe fit appliquer ſur la poictrine, puis ſur les reins, couché
plat par terre, vnc pierre carrée d'vne ſi deſmeſurée groſſeur, que ſix hommes eu
rét beaucoup d'affaire de l'yrouller & eſleuerauec des leuiers & des pinſſes. Parmy
, cela comparurent encore d'autres meſtiers auec leurs chefs d'œuure, auſquels le
Turc fitiecter force taſſes d'argent, & bonne ſomme de deniers. .
, L E XXXV III. Se firent de belles iouſtes à cāp ouuert, de certains tenanscon
tre tous venans, les vns & les autres richement equippcz auec leurs cheuaux : là où
ilyen euſt deux qui ſe choquerent ſirudemcnt que leurs montures en demeurerét
roides mortes : & l'vn d'iceux toutaffollé.Le reſte de ceſte iournée ſe paſſa comme
de couſtume.
· L E XXXIX. vindrent cinquante autres hommes de cheual ſur les rengs, en
bien plus riche equippage que les ſuſdits, leſquels tornoierent à lazenette, à coups
de dards & de zagayes : Et ſur la finiouſterent homme à homme à camp ouuert,où
il y en eut tout plein de bleſſez.
4O. L E XL. ſe preſenta vne muſique d Italiés & de Grecs,qui fut bien mieux receue
que celle desTurcs : & ſ'en contentale Turc de ſorte qu'il leur fit tout à l'heure de
beaux preſens : Et quant & quant vne largeſſe au peuple de mille ducats, iettez à
pleines poignées par les feneſtres, tant en ſeraphs d'or, que monnoye d'aſpres. Le
repasaccouitumé ſuiuit apres, & les feux.
4I - L E XL I. ſe paſſa en diuerſes bouffonneries, & baſtelleries ſur la chorde, & en
plaine terre, auec la monſtre de quelques meſtiers.
42 . L E XL II. ſe firentd'autresiouſtes, tournoys & combats à cheual, où pluſieurs,
acquirentreputation parleurs proüeſſes. -

: 43
LE XL III. les meſmesiouſtes & combats encore : auec des ſaulx ſur la chorde
trop admirables. - - -

44 . LE XL III I. ſe preſenta derechef le premier Turc quiauoit ioüé ſur la chorde,


auec plus de merueilleux tours bcaucoup, & qui n'auoient point encore eſtéveus.
Sur ces entrefaictes le Seigneur mena luy-meſme ſon fils auxeſtuues,où le Baſſà qui
l'auoitcirconciseut ſa deſpouille, & la deffroque de tout ce qu'ilauoit porté ſur luy,
la r '
-
tant de ſes habillemens, que de ſon cimeterre, poignard, & ceinture, le tout garny
de pierreries de grand prix, auec d'autres richesioyaux dont il ſe paroit chacun iouç
& vnbon nombre de ducats qui ſe trouuerent en ſes pochettes du reſte de ſes libe
- ralitez & menus plaiſirs. Au ſortir du bain le Seigneur fit preſentaudit Prince, de
|
-
deux accoſtremens complets, tiſſus de fil d'or traict à broderie de groſſes perles
-

| -
-

&

|
----

|
* -

l'Hiſtoire de Chalcondile 531


& pierreriesd'vne ineſtimable valeur, auec la ceinture, & le cimeterre à l'equippol
lent; & de trente mille ducats en deniers pour ſes menus plaiſirs. -

LE XLV. quelques ſaulx ſur la chorde; ſuiuis du repas publicque, & des feux 4J .
artificicls.
LE XLVI.bon
dontileutvn preſque de meſme , auec vn More qui monta ſur l'antenne greſſée,
preſent. •A
46.

LE XLV I I. des iouſtes & tournoys comme au precedent, mais plus magnifi 47.
ques : & ſur le ſoir le repas ordinaire au peuple, auec deux chaſteaux, & autant de
cheuaux, de feuxartificiels, qui durerent la pluſpart de la nuict.
LE XLVIII. ne ſe fit rien d'importance. 48.
MA 1 s le XL IX. vn Turc ſe promena ſur la chorde, portant vn homme ſur ſes 49,
- eſpaulles, & vn autre qui eſtoit attaché à ſes pieds; choſe prodigieuſe & inaudite:
auſſile Seigneur luy fit preſent d'vne belle robbe de drap d'or, & d'vne pleine bour
ſe de ducats, auec vingtcinq aſpres de prouifion par iour pour le reſte de ſa vie, mais
deffenſe au reſte de ſ'en plus meſler, car la chorde rompitauſſi toſt qu'il eut acheué;
dont les Sultannes eurent telle apprehenſion & frayeur qu'elles ſ'en cuiderent paſ
mer : & ſe retirerent là deſſus au grand Serrail dans des coches couuers d'eſcar
latte. . -

|
L E L. ſe firent des baſtelleriers de grands baſſins de mâloque & porcelaine, tour 5o.
nansd'vne ſubtile habilleté ſur de longs baſtons dont ils les iettoient haut en l'air,&
les recueilloient ſoupplément ſans les rompre. Sur le ſoir comparurent cinquante
cheuaux legiers à guiſe d'alarbes, qui firentvn beſourdis & eſcarmouche à coups de
cannes à la Moreſque : Puis le mangeraccouſtumé & lesfeux artificiels. - .

L E L I. furentiectées par la feneſtre du Seigneur, grand nombre de groſſes noix


dorées, dans leſquelles yauoit des bulletins bien cachettez, que ceux qui les attrap
poient en la foulle du peuple alloient preſenter aux Baſſats; & là eſtoient ouuers à
leurs perils & fortunes, car les vns ainſi qu'à vne blanque portoient des benefices,
telyauoit de quelque bon gouuernement, auec cinq ou ſix cens ducats de Ttmar ou
penſion annuelle ſur le domaine du Seigneur, & autres de moins en diminuant peu
••
à peu iuſques à ſe reduire à vn aſpre par iour. En d'autres y auoit blanque : & en
·
d'autres des diſtributions de cinquante à cent baſtonnades, qui leur eſtoient payées
tout ſurle champ. -

FINABLE M E NT la feſte ceſſa, & ſe terminerent les ieux en vne ſanglante que
rclle à bon eſcien, qui ſ'alluma entre les Ienniſſaires, & les Spacchis, auec vne meſ #- #
lée où ilyen eut pluſieurs bleſſez, & quelques vns tuez ſur la place, autres-grand
eſpouuentement du Turc nieſme. Ce qui fut bien toſt ſuiuy d'vn feu, qui ſe prit à
la ville, & bruſla plus de cinq cens maiſons, & deux mille bouttiquesauant qu'on ſe
miſten deuoir de l eſteindre : mais à la parfin les Ianiſſaires moyénant vn aſpre d'ac
croiſſement pariour à leur ſolde y remedierent.
· TELLE fut la fin de ceſte feſte, dont ie ne croy pas qu'ily enait gueres eu autres
fois de telle.
|
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·
TABLE
P R'I NC IP A L E S C O N T E N V E S
-

| T ANT EN L HI s T o IRE DE s T vR cs .
#. , · compoſée par Calchondile, qu'aux Illuſtrations de B. de " . "
- t - - - · · · - - - •
- - Vigenere ſur la meſme Hiſtoire. •. -
»
A .. Adultere & fol amour du #ºce Sandalluy
B B E Ioachin a predict cauſe de grands maux. 3o3
les Papes à venir de - Adils loups de l'Aſie. - 352
puis ſon temps, & Aducrtiſſemens notables pour les Princes
comment d'idiot & ſouuerains. · 387
d'ignorant parvn di- Aduertiſſement pour les Princes. 334
uin breuuage il de- AEnus ville de Thrace ſur la riuiere d'He
# , uint tres-ſçauât. 17o , brus. . · 293
- - Abrahim remöſtre tres- AEtolie conquiſe par Charles Tochiano,mi
ſagement à Baiazeth , ncantmoins non ſe és mains desTurcs. - 137 .
Crcu. .. . 85 l'Aga ou Coronel des Iennitzaires. - 374
Acarnanie parvne grande & meſchante tra- Aga ou Coronel des Iennitzaires du Turc.
hiſon occupée des Albanois, recouurée 2I4,Foüeté & pourquoy. ibid.
, , par Charles Toçhiano.. 122 , Agiades qucls hommes au camp du Turc.
Accangis quels hommcs de guerre entre les 164
. . Turcs. 56,377,397 Aigles ville rendue aux Turcsauec mille eſ
Affinité des Accangis auec nos Caſtadours. claues. 234
4o3 Aire d'Auguſte. 32o
Accouſtumance eſt le plus fort lien qu'on Aladin Roy de Surie. 7. fort pernicieux aux |
puiſſe trouuer pour arreſter & retenirl'a- Chreſtiens. ibid. ·
mour.° 419 Albanois d'où ſortis. 14. qù habitent...ibid.
Achaye conquiſe par les Zacharies Gene- ſont paſteurs vagabons de coſté & d'au
- uois. 12o tre, 231. leurs conqueſtes. 5 I. ſont outra
-

Achelous riuiere d'Acarnanie. 137 geuſement traiſtres & grands voleurs.12z


Achmat fils de Thuracan Turc,pris & mené miſerablement deffaicts & erigez morts
au Duc de Sparte. 217. en trophée. 138. rangez ſoubs l obeyſſan
Acrocorinthe fortereſſe de la ville de Co ce d'Amurath.28. ſe rebellent au Pelopo
rinthe. - - • " 254 neſe contre les Grecs & contre les Turcs.
Acropolis fortereſſe d'Athenes. 179 23I. deffaicts deuant Argiropolicné. 144
Adde riuiere de Lombardie. | 167 de l'Alcoran ou Alfurcan. 456,457,458
Adem ville forte & grande, & pleine d'infi diſtinction de l'Alcoran. 5o5
nies richeſſes & ſiege Royal. 67 cn combien de liures a eſté diuiſé l'Alco
Adornes ancienne & notable famille de ran. 458, le nombre des Chapitres conte
Gennes. - 15o nus en iccux, & la matiere. ibid.
Aduertiſſement notable. 28 Principaux poincts de l'Alcoran.2 462
- -

- •
-

-
|
#
Table des matieres.
| |
l , i |
Alemagne deſcrite ſelon ſalongueur & lar de ſa mort." . "- 3Q
º # geur.49,la micux policée quc toute autre Amurath inhumé aupres de ſon fils, & vn
| |
| : |
-
·
-
il , ,! region du Septentrion, rarementinfectée
de peſte & d'autres maladies. ibid.
eloge de ſes faicts & de ſes mœurs. 3I
Amurath en ſa vieilleſſe auſſi prompt&vigi
|| | | | | Alemans fort induſtrieux & ſubtils àinuen lant qu'en ſa plus verte ieuneſſe. 3I
| | | | | i

" | | |
,' . 1| • :
d . i
ter machines & engins de guerre.4I, diſ Amurath oncques ne peut eſtre aſſouuy de
, !
ſolus & exceſſifs en leur viure.41, fort fer ſang humain, & oncques n'alla de gayeté
-
- #. ués & fermes en la Religió Romaine.42, de cœur à la guerre. 3I
» . | | | | |
- : - | , ils ſeroient inuincibles s'ils obeyſſoient Amurath ſecond,le dixieſme Empereur des
• • !
| - 1 # •
-

tous à vn Prince, & deſcription de leur Turcs s'empare de la couronne. I28


naturel. ibid. Amurath paſſe toute ſon armée d'Aſie en
|
:
|| | -
| | -|
| |
-

Alliar ces en aucune ſorte ne doiuent eftre l'Europe ſur vn ſeul nauire.' I32
| | |
' i .
| cnfraintes. I29 Amurath'aſſiege Conſtantinople. ibid.
i ; | |! Alluſion de la pierre d'où Moyſe fit ſourdre Amurath hardy à merueilles, & diligent en
de l'eau, auec la feſtc de l'Aſcenſion & ſes entrepriſes. 136
| | | Pentecoſte. - 516 Amurath eſt cruel & inhumain enuers les
| | | |
: 1| | " - i Alophatz quels hommes de la maiſon du enfans du Prince de Bulgarie. I4I
· t: . |
-

-
- : º
TurG. - 133 Amurath par deux fois perd ſon armée en
"- · ··
|
Alphonſe Roy de Naples & d'Aragon pris Tranſſiluanie. I45
" ! |
*• ,

** : • -# - "º, par Neapolitains en champ de bataille.151 Amurath ſubiugue le pays du Caraman. 159
' .. preſenté au Duc de Milan, & humaine Amurath aſſeure ſon Empire par vne ſeule
ment renuoyé en ſon Royaume.ibid.iloc bataille obtenue contre les Chreſtiens.
, | cupe Naples & Sicile 152. pris auparauant I9I
| | -
,!º
: . a !. " -
par Aluarcz & mené au Roy de Caſtillc. Amurath entreprend laguerre contre le Pe
-
156 loponeſe. I92
| ! Amathonte maintenant Limiſſo occupée Amurath ſe demet de l'Empire, & ſe retire
-
-
par les Veniticns. - 8I en vn Monaſtere, dont il ſe repent tout
| º |
.' -
- Amaſtre ville ſur le pont Euxin priſe par le auſſi toſt. - I99
,#
1 , # |
Turc. 26I
-
Amurath remis en ſon eſtat par vn ſubtilar
|
, Ames creües immortelles par l'Alcoran. 72 tifice. ibid.
|
- -

Amour laſcifexcité par charmes. 38 Amurath eſpouuenté de Iean Huniadeleue


! . Amurath vaut autant à dire comme con le ſiege de deuant Croye. 198
· · · | -
uoiteux. 247 Amurath plus redouté de l'ennemy par vn
| -

| Amurath Empereur quatrieſme desTurcs, acte genereux que pour la grandeur de


| | faict tout plein de belles choſes venu à la ſes forces, 2o9
- • couronnc. - - 18 Amurath meurt en vn banquet pourauoir
Amurath entreprend vne forte guerre pour trop beu & mangé. 2I2
| , l'
· ! - la beauté d'vne Princeſſe Chreſtienne. Ancyre maintenant Angorie,ville de Phry
2o " -
gic. 87.247
| - | . •. -

" , '
Amurath imitant les mœurs de Cyrus le Anagiach petite hache. 366
| , " grand, s'agrandit de tous coſtez. 2I
Andrinople anciennement Oreſtiade, fon
· ; Amurath vſe d'vne harangue pleine d'artifi dée par Oreſtes. 17
•.
ce pour animer ſes gens au combat. 22 Andrinople priſe par les Turcs d'vne eſtran
" Amurath vſe d'vn langage ruſé pour retirer . ge façon. ibid.
"
à ſoyles gens de ſon fils rebelle. 24, victo Andrinople ſiege Royal du grand TurcA
rieux contre ſes rebelles. 25, propos d'ice murath.
·
, luy ſuperbe & hautain à l'Empereur de Andronic Empereur puſillanime. • 15
l #. Conſtantinople.26 remonſtre & pardon- . Andronic cauſe la ruine de l'Empire de
ne humainement à Emanuel fils de l'Em Conſtantinople. 9
pereur de Conſtantinople. ibid. Andronic ingrat & mauuais enuers ſonpe
| Amurath eſt partout eſpouuentable & mer IC. • . 29
-
ueilleuſement redouté 27, quelles con Andronic & Emanuelſon frere en partialité
pour la diſſimilitude dc mœurs.
queſtes il fit en l'Europe.28,& quels Prin ibid.
ces il s'aſſubietit. ibid. Andronic eut les deux yeux creuezauec du
- Amurath tué en bataillc, & diuerſes opiniós vinaigre tout boüillant & pourquoy. 26

|
Table des matieres.
Andronic ayant recouuré amandement de Argibaſsi contrerolleur. 337
la veuë, il euade & recouure l'Empire & Argos liurée aux Turcs par vn Preſtre, 3o5.
met ſon pere & ſon frere en priſon fort recouurée.312.repriſe & perduë parvn hi
cruelle. 35 deux fantoſme. -

Anges qui ſouſtiennent le throſne de D 1E v Argirogolicné ville priſe par les Albanois.
ſelon Mahomet. 492 I2I

Angium ville bruſlée par le Ture Amu Arianit ſ'eſtant rendu au grandTurc Amu
. rath. ' 197 rath ſe rebelle contre luy. I43
Angleterre peuplée de gens forts & robu Ariſtocratie meilleurgouuernementd'Eſtat
ſtes, quels fruicts elle produit & quels que Democratie. II2,
IlOIIlS. IO
Armée de Tamburlâ contre Bajazeth eſtoit
Anglois de quel langage vſent, naturelle de huict cens mille hommes. 183
ment ſeditieux,ſ'entrepreſtent leurs fem Armée du Roy de Catay de quatorze cens
mes.52, ils vnirent la France à leur cou mille hommes. 8I
ronne,chaſſez de France par Icanne la pu Arméc du Turc de quatre cens mille hömes
celle. 5o,5I deuant Conſtantinople. 2I8
Anniuerſaire fait tous les ans en l'honneur Armée des Venitiens touſiours conduite par
de Mahomet. 71 vnchef eſtranger. ii4
Anthoine baſtard de Charles Tochiano luy Armeniens exemps de tous tributs du Turc
ſuccede la principauté de Thebes. 123,ac & pourquoy. 355
compagné de ſix cens hommes il deffait Arpaemin pouruoyeur de foin & d'orge.348.
ſix milleVenitiens. I24. Arpagilar ſes commis. 348
Anthoine Seigneur d'Athenes meurt d'vne Arragon Royaume deſcrit ſelon ſes confins |#

apbplexie en dormant. 179 & limites. I55


!
Années des Turcs cömencét de l'Egyre. 33o Arragonois ſe font ſeigneurs de l'Attique,de
Appointement des Seniaques. 392 la Bœoce,& de la Morée,ſaccagentThebes -

Apartias eſt le vent de Bize. I49 & leur ſubtil ſtratageme. II -

Apieridium lieu pres de Conſtantinople. 24 Arriba priſe d'aſſaut & ſaccagée par le Turc.
Apollo honnoré de ſacrifices de cheuaux. 92 253 .
n'agueres adoré en Boheme, & mainte Arrogans ſouuent reduits au plus bas eſtage
nant aux Samogithiens. 75 de fortune. 9o
Apritiens quels eſclaues des Turcs, & pour Artheville capitale d'Ambracie priſe de for
quoyainſi appellez. 27o ce par les Albanois. I21

Arabes n'ont point de voielles non plus que Artillerieinuentée parvn Moyne Alleman. --

les Hebreux. 488 I34


Arabesgrand peuple, riche & ancien, & de Artzingham ville d'Aſie. »;
ſcription de leurs mœurs, & de l'Arabie, Aſcos queſt-ce. 34o
•faitstributaires de Tamburlan. 67 Aſiatiques laſches en guerre. . 286 -

Arabéens Albanois où habitent. I39 les bas pays d'Aſie entierement conquis par -

Arabie encloſe de deux riuieres & quels les Turcs. 5. ſept fois toute pillée & ſacca
fruicts elle porte. 67 gée par les Tartares. ibid.
Arbactus conducteurs des Medois contre les Aſie Mineur à preſent Natolie. 2I4
Aſſyriens. 3 Aſlaoglandari qu'eſt-ce. 357
Aragibaſſi Capitaine du charroy. 4o8 Aſongleanlar vallets de Chambre. 353
Araxes fleuue ſe deſchargeant en la mer Caſ Aſſareli mortes-payes. 373
pie.. - 67 Aſſyriens ont obtenu la premiere Monar --

Arcenaſ mot Turqueſque. . ' 386 chie. - 3 -

Arcenal de Veniſe le plus beau de tout le Atabales petits tabourins de cuiure au camp
monde. II3 du Turc. I95
Archent eau de vie. - 34I Athenes quand & comment vint és mains
Archers de la garde du corps du Turc dicts des Venitiens. 123. repriſe par Anthoine
les Solachs. · 375 Tochiano. ibid. il la reſtaure, 124.par quel
Ardel montagne de Moldauie. I9o moyen vient és mains des Turcs.
Argentine ou Strasbourg ville de Germa 257.
, Il1C. 4O Auarice de Bajazeth & le brocart d'vn de #
á ij
| Tables des matieres.
• ſes Capitaines à ce propos, | dangereuſe.219. façon des Turcs de battre
87 vnc
Aualos depoſſedé de l'AEtolie eſt fait priſon muraille. ibid.
nier par Prialupas duquel il eſpouſà la Eataille doit pluſtoſt eſtre hazardée au
femme & comment. I22
pays de l'ennemy que dans le ſien propre.
Aluarez venu de petit lieu cn Arragon. 35 -

I 55 - - -
Beglierbeys qu'eſt-ce. 333
des Audiences particulieresquc donnent les Belgrade ville de Hongrie aſſiegée en vain
Turcs. ' 333 du Turc Amurath, & deſcription de ſon
aſſiete. I42
Auignon & ſon excellence. 49
Axius riuiere bornant d'vne part la Macedo penſions ſur les Benefices en l'Egliſe Grec
ne à preſent Vardari. 56 quc. 435 -

façó de mettre les Azamoglans du Serrail hors de la reſidence des Benefices. 435
de page auec pluſieurs choſes dignes d'e Patriarche conferoit les Benefices. 435
ſtre remarquées. 362.363 Bergame contrée ſubjuguéc par les Veni
Azapes ſont les gens de pied des Turcs. ticns. IIo.I67
132 Bernardin Canilio canoniſé, & ſes loüan
AXapes qu'eſt-ce.377. à quoy ſont employez. gcs. 24I
| 398 Berrhaee ville de Macedoine. IO2,

Azoar notable de la loy de Mahomet tou Berthelemy Schuarts Moyne Alleman pre
* chant la punition des meſchans. 499 micr inuenteur de l'Artillerie. I34

- --,
Beſſarion fait Cardinal au Concile de Flo
· !

. B
: , rence & ſes loüanges. 165
· Bethel maiſon de Dieu depuis appellée Be
Bº# autrement dicte Bagadet. 64 thauen maiſon de l'Idole. *444
-

*-'Bacchus fils de Semele. ' 3 Bœuf d'vne merueilleuſe amitié enuersſon


Baimondo ſeul entretous les Venitiens qui - maiſtre & eſtrange hiſtoire de ce. 3I4
, ait aſpiré à la tirannie tué par vne femme. Bœufs ſacrifiez à Iunon. 92
, II5 - .. - -
Biciach poignard Turqueſque. 366
Bains & eſtuues du Serrail. 364 Blaciens peuples en la montagne Pindus.
Bamberg l'vne des plus fameuſes villes d'Al - I68 • - -

· lemagne. 4O Bocanlesales yeux creuez pour ſa trahiſon.


myſteres des Bannieres Turqueſques. - 23I * • -

. 39o Baeoce occuppée des Arragónois & le ſubtil


Banquet Turqueſque. 336ſtratageme qu'ils y dreſſerent. IO

Barac par ſes proüeſſes & vaillances monta Bogdanie region où ſituée. 44
: bien toſt à vn fort grand credit. I2 6 Bohemes appellez Cephiens ou Zechiens.
Barbarés autrement Arbactus conducteur 4I. adoroient le feu. ibid. quand & par
des Medois contre les Aſſyriens. 3 qui conuertis au Chriſtianiſme. 24I. font
Barſatides peuples Bandoüilliers du tout ad paix auec les Hongres pour aller contre
donnez aux volcries & brigandages. le Turc. 182. vſent de deux ſortes de reli
I4O gion. 75
Barſelonne tres-belle & riche Cité en la co Bohourt qu'eſt-ce. | 39o
ſte de Catalogne. 152...gouuernée preſque Boluchbaſsi caps deſquadre & chaſſauants.
en forme Ariſtocratique. I55 356 · · · · ·

Baſilitza quel deſtroict. 172 Bombardes merueilleuſes. 218


Baſtelleries admirables des Turcs à leur cir Bopirum ville des Triballiens. , 2,OI
conciſion. " 246 Borbotane contrée de forte & difficile ad
Baſtimens du grád Seigneur à quoyſe mon uenuë. 233
· tent par an. 385 Boſphore de Thrace combien contient en
Baſtonsà feu par quiinuentez. 4I largeur. 3
Batailles de Tamburlan & de Bajazeth l'v Boſſine & le pays d'Illirie. 298. pillée par
ne contre l'autre commcnt rangées & or Machmut Capitaine Turc. 25I. tributaire
données. 88
au Turc & ſa deſcription. I42,
Batailles entre le pere & le fils. 3o3 Boſtangibaſsi chefdes Iardiniers. 327
Batterie du Turc plus eſpouuantable que Boüilly des Turcs. , 339
|

•!
-
-

Table des matieres.


Bourc qu'eſt-ce. . 365 Leſbos priſe par le Turc. | 292
Bourdon bellique qu'eſt-ce. ' ' 374 Calojan Empereur de Conſtantinople, en
Bourgongne a ſoubs ſoy pluſieurs villes plei uoye l'vn de ſes enfans à Amurath pour
nes de tres-grandes richeſſes. 48 reſider aupres de luy. 29, prend la fian
Breneſe braue & vaillant capitaine, ſes ex cée de ſon fils Emanuel pour luy. 46
· ploicts memorables & ſa mort. I25 equipage des Caloyers. 439
Brcſſiens aſſiegez mangent les chats & ſou Caluagi fruitiers. . 337
« - I1S. - - - - • ! I66
Cam Empereur ſouuerain desTartares.74
Bretagne la grâde ou Angleterre deſcrite.52 Camp du Turc magnifique & merueilleu
Breuuages des Turcs. - 34o ſement ſuperbe,& ſon aſſiette ordinaire.
Bude ville capitalle de Hongrie,tres-belle & 194 ' , - i i . .. : , | . :: ! ) . .
magnifique & ſa ſituation . 4 I maniere de dreſſer les armées, de Camper &
Bulgares d'où iſſus.I4, appellez Myſiens. 15, · combatre desTurcs.4o1,4o2,4o3,4o4,
& anciennement Tribaliens.9, parlent 4o5,4o9, 4lo 4II - * ° • ° •

• fort bien la langue Grecque.zo,ſurpris& Candie occupée par les Venitiens. 1o7
deffaicts faiſans trop bonne cherc. 17 Candioriens qucls peuples. - 82
Buſdeghan maſſe d'armes. ' i - 374 Canons du Turc eſtrangement impetucux.
Butin merueilleux des Turcs pris ſur les Va 256
laques. - · · · 289 Canons font plus de pcur que d'execution.
Bydene ville. - ' : ' . : , , 2o I34 - · · · · · -

Canon contre la vendition des biens d'E


- C -

· gliſe. · · · · 43C
-
· · · · , , · ·· · · · · · · ' Canon de la Simonie. 43O
• Achet du Turc. - - Capioglans qu'eſt-cc. :. 36I · 339
Cachetium ville & ſa ſituation. .
Capigtbaſſi qu'eſt-ce. . 357
Caders des Roys des Turcs le plus ſouuent Capigi ou portiers.- ... · · · · 329
, ſe ſont emparez de l'Empire. . : | 12 les Capigiou portiers & leurs charges. 376
Cadileſcher eſt l'eſtat de grand Preuoſt de Capitaine ſouuerain de quelles vertus doit
, l'hoſtel du Turc. . .. , 19I,296. eſtre doüé. . - 27
deuoir des Cadileſchers le iour du Diuan. Capitaines conquerans doiuent principale
332 - - ment retenir deux poincts. 66
Cadum Eunuques. * : · · 357 Capitaines vaillans fuyent les delices & vo
Caduſiens où habitent. 67, deffaicts par luptez. IOO

Tamburlan. ibid.
-

Capitaine cruellement coupé en deux pie


Cagrin ville opulente en la Medie. 94 CCS, · 267
Caimacou Afiagala qu'eſt-ce. 34O Capiſtram Cordelier, retira les Bohemes de
Caire ville la plus peuplée & plus grande de l'idolatrie & ſa vie en brief. 237, 24I
· laterre, & la plus paiſible,& combien el Capadoce occupée par les Tartares.
le a de circuit. 8o Captifs ſacrifiez par Amurath à l'ame de ſon
-

Calabre anciennement la grande Grece. feu pere. 197


I52 - Caramanie quelle region. 7
Calais cauſe des premiers differends entre Caraman ſurnommé Aloſuri. 37, ennemy
les François & Anglois. 5o, quand priſe perpetuel de la maiſon des Othomans.213
par les Anglois, & recouurée par le Duc accorde auecAmurath en luy redoublant
de Guyſe. ibid. le tribut, & luy baillant ſon fils en oſtage.
Calamante ville au territoire de Meſſene. 183 |
, 266 Caraten deſloyal enuers ſon maiſtre. 46
Calapin Prince Turc, baptizé & nommé Cardicée ville priſe d'aſſaut & entierement
Calixte Othoman. ſaccagée. º 268 2I2

Caluarie iſle conſignée és mains de Marc ca Cardinaux ſont les chefs & principaux Pre
pitaine Turc. - 257 lats en l'Egliſe,l'etimologie de ce mot. 165
Calliacre ville priſe d'aſſaut par les Chre combien
\,
doiuent eſtre en nombre. 17o N • • • - -

- ftiens ſur le Turc. . - 183


Carazzi du Turc ſe monte à deux millions
Callipoli ville du Cherſoneſe. IO d'or chacun an. · 382 -

Callone ville riche & opulente en l'iſle de Carazzi tribut. 382


- ä iij
Table des matieres.
caripi qu'eſt-ce. .. . - 377
Calchondile Autheur de cette hiſtoire en
CardinalCeſarin romptla paix des Hongres quel temps viuoit 155, ſon pere Ambaſſa
auec Amurath, qui fut cauſe de leur rui deur versAmurath, mis deuxfois priſon
. ne, & commentil mourut en cette guer nier & pourquoy. I8o,193
IC. . , ... . 181,182,19o Chamus ſurnommé le Porte-eſpreuier gou
Carie Royaume. - 8 uerneur de Valachic pour le Turc. 282,
Caripiquels hommes de la maiſon du Turc. executé à mort. ibid.
I33 -
Chaoux ſont huiſſiers de la Porte du Turc.
Carminiola Milannois general des Veni 229,25I -

, tiens contre le Duc de Milan. 166, con Charatin homme de grande execution, pu
uaincu de trahiſon,executé à Veniſe.167. nit les Theſſaloniciens ſeditieux. 26, luy
· I1I ° -

& Amurath tiennent propos digne de let


Carrares depoſſedez de Padouë par les Ve tres d'or. - 27
nitiens. 1 | r Chariots de guerre.Io9 2 O2

Carats general des armées de l'Europe pour Chatai Royaume,où ſitué & ſes ſingularitez.
le Turc.186. tué en combatant. 187 92,93
Careſme comment obſerué par les Turcs. Chatai ville d'Hyrcanie, grande, fort peu
7o , , - plée & abondante en toutes richcſſes par
Caſſandrie anciennement Pydné, ou Cyd qui fondée. 72
- né ou Potidéc. • • IO Chataides en nombre de huict cens mille
| Caſſiope ville d'AEtolic maintenant Ioanni contre Tamburlan. 72
ne, rendue aux Turcs. I37 Chataiens encores idolatres. 92
Caſtorie ville priſe par les Albanois. 124 Chariots ſeruans de maiſon. 77
Caſtria ville pres de Laccdemone , priſe Charles Tochiano conqueſte l'Epire & la
d'aſſaut par les Iennitzaires. 267 Carnanie. | I2.I

Caſtrimcnum ville d'Arcadie, priſe par le Charlemagne rend aux Princes Eſpagnols
| Turc Mechmet. - 271 le pays par luy conquis ſur les infideles.
le Roy de Catai ayant vne armée de quator
ze cens mille hommes. 8I Charlemagne,ſes Pairs & ſes loüanges.ibid.
Catalufiens famille de Gennes ſeigneurs de Charmes attirans les femmes à amour la
Leſbos. ° 292,293 ſcif. 39
Cantacuzenus depoſſede ſon pupille de Chaſſan capitaine des Iennitzaires trahit
-
ſon ſeigneur.
• l'Empire. 13, contrainct de prendre l'ha Io4
- bit de Religion & changer ſon nom en Chaſſan chef des forces de l'Europe reſ
celuy de Matthieu. 2.I
pond vertueuſement à ſon Seigneur A
Cathites par quel artifice remet Amurath murath pour donner la bataille, accuſe
en ſon eſtat.199, executé à mort & pour fauſſement Thuracan de trahiſon. 173,
--
quoy. 229 176
Cazimir Roy de Polongne & ſes loüanges. le Chaſna ou treſor. 357,33o,I48
44 Chaſnacarbaſſi qu'eſt-ce. 33I,357, 4oo
Cazimir Duc de Lithuanie. 74 nombre des Chameaux en l'armée du Turc.
Cclium ville de Valachie en vain aſſiegée 349 .. -

' •! par le Turc. 2o4 Chaſnaemin qu'eſt-ce. - 33I


Ceremonie qui s'obſerue à lareception des Chaouxbaſsi qu'eſt-ce. 33I
, Ambaſſadeurs par le grand ſeigneur.336 traictement des Chameaux du Turc. 345
Ceſignir Baſſa qu'eſt ce. 342 xlv. mille Chameaux de voicture en l'armée
Ccltiberiens Aragonois pres le pays de Gaſ du Turc. 347
congne. I55 Checaya ou Protogero, maiſtre de camp des
Cenchrées petite ville ſert de portà Corin Iennitzaires & ſon appoinctement. . 375
the. 252,
Checagni qu'eſt-ce. 33I
Ccrcede ville ſaiſie par les Venitiens. 316 Checaya de l'eſcurie qu'eſt-ce. 348
Chair de pourceau deffendue aux Maho Chef à quoy doit prendre garde eſtant
metás, les autres permiſes pourueu qu'el pres de ſon ennemy, belle cnumcration,
les ayent cfté ſaignées. 7o de ce. 185
Chef

-
-

----*

Table des matieres.


Chefd'armée perdu & tué combien impor croiſſent par leurs debats l'Empire des
- CC. 189 Turcs. 137.Chreſtiens ſubiects aux Turcs
Cheri quelle ville & où ſituéc.73, capitale reduicts à vne miſerable ſeruitude. 2
de l'Empire de Tamburlan. ibid. toutes les charges & dignitez de l'Empire
Cherſoneſe Taurique eſt vne demie iſle.16o Turqueſque és mains des Chreſtiens.
Cherſoneſe de l'Eleſpont peuplé par Soly , 354
man.56, enuahy desTurcs. IO Cilicic maintenant Caramanie. I4O
Cheualiers & Religieux de trois ſortes en la Cimetieres des Turcs en quels lieux ſont or.
· : Chreſtienté. 75 dinairement. 68
" Cheuaux viande des Tartares. 77 Cimeterres'des Turcs plus mdl-aiſez à ma
perfections des Cheuaux Turcs. 343, l'cle nier que les eſpées des Chreſtiens. 188
ction d'iceux, & leur traictement.
344 Circaſſes où habitent. 77, deſcription de
pourquoy les Turcs chaſtrent leurs Chc leur Empire. 8o
ll2 UlX. - 345 Circonciſion eſtimée des Mahometans e
Chepenet qu'eſt-ce. 344 ſtre le vray nettoyement ſur tous autres.
Cheuaux ordinaires en l'eſcurie du Turc. 7o, 245 , -

346 - - Clemence plus forte que toutes les armes


façon d'herberles Cheuaux entre les Turcs, de ce monde,elle empreint en nous l'ima
- de leurs traictes & des remedes contre les ge de D1 E v. e7
mouſches. 345 Ciadermectericenciers. (. 365
lles
aferruredes CheuauxTurcs.346,leurs ſeibid.
& harnaſchemens.
triomphes, jeux & magnificences qu'ont ac # |

couſtumé de faire les Turcs à la Circon •.


•:
l
chelezz grand deſpencierouverdurier337. , ciſion de leurs enfans.521,522,523,& ſui
Cheuaux ſacrifiez à Apollon. 92. UlaIltCS.

Chlo ville & iſle de meme nom abondante de la Circonciſion des Mahometiſtes. 519
en maſtic. 293, engagée aux Venitiens, Ciungeler orfevres. 364 -

puis par eux priſe de force.ibid. tributaire Cochiach ceinture Turqucſque. 365
du Turc. • 292, ce que les Coqs diſent en leur langage. 482
chiler Apothicaire. 337 le Conſeil où le grand ſeigneur meſme aſſi
-

Chilerbaſ grand Credancier. 357 ſte en perſonne.334, ordonnance & aſſie


Chiamaſtir lauandiers. - 363 te d'iceluy. 335
chileroglandari, qu'eſt-ce. 359 Conſeil Imperial où le grand ſeigneur ſe
Chilergi qu'eſt ce. - , 342 trouue en perſonne, l'ordonnance & aſ
Chivcadarqu'eſt-ce. - · 358 ſiete d'iceluy , & des executions à mort #
Chiens Turqueſques. - 35 I qui ſe font en cette audiance ſolemnelle.
Chiurezzi vogueurs. - 4I4 , 334,335,336 -
# #
-

Chilergibaſſi qu'eſt-ce | 337 Conqueſte de Mechmet 2. 327


Chouſſet qu'eſt-ce. 34I charitables Conſiderations pour des Turcs.
Chiteres ſignifie George. - 195
Choaſpes fleuue coulant droit contre l'O Colloque d'vn Iuifauec Mahomet, qui luy
rient. " . 67 · rend compte de ſa doctrine. 487, 488, &
Choſes humaines ne demeurent iamais en ſuiuantes.
vn mcſme eſtat. - 92, deſcription de Conſtantinople.318, ſa gran
Chotzas par le commandement de Mehe deur,figûre & aſſiete. 322,323•
- met court la Valachie, Tranſſiluanie, & Conſtantinople Turqueſque & ſa deſcri
l'Eſclauonie. - 125 ption. 325 -

Chrates & ſon frerevaillans capitaines, def deſcription du premier tertre de Conſtanti
faicts & tuez faiſans trop bonne chere. nople. - 326
17 - accidens anciens de Conſtantinople, 319, &
Chreſtiens liguez contre le Turc. 39, miſe modernes. - 322
rablement deffaicts. 42, maſſacrez au Clitye ville d'Illyrie. 3o1, ſa ſituation.3o2,
nombre de dixſept mille. 21o. perdentv renduë au grand Turc Mechmct. 3o2 -

ne bataille lamentable à iamais. 189,faicts Cœleſirie region où ſituée. 8I


priſonniers au nombre de trente mille.55, Colophon ville d'Aſie la mineur. 3o7
ils ſc ruinent par leurs diuiſions.3oo, ac Cómiſſaire des viures au camp du Turc. 194 -
| Table des II)at1Cl'CS.
- • .
Comium ville capitale de tout le Royaume de · · ction. - 466
Carie en vulgaire Cogni. - 8 Creuecueur lieu où les François furent def
-

Concile de Florencc, où les Grecs s'accor faicts par l'Anglois. 5I -

dent auec les Latins. 164 Crinizin vers qui font le cramoyſi. 94
Concile de Baſle. I6I Croaques rangez ſoubs la puiſſance d'Amu
Concile de Mantoüe. 2 63
rath Empereur des Turcs. 2

1 Conniuence enuers les ſoldats fort perni Crocodiles pleurent quand ils veulent de
: -- - cieuſe à vn capitaine. 27 uorer quelqu'vn. 67
| Conſeil combien qu'il ſoit bon ne doit pas Croye capitale d'Albanie, en vain aſſiegée
touſiours dſtre receu. 88
- par le Turc Amurath. 198,2oo
Conſeil des Venitiens, où ſont d'ordinaire Cruauté du grand Turc Mechmet eſpou
bien 3ooo.hommes. II2, | ucntable. . 296 -

Conſeilliers de Veniſe appellez les ſages. Cruauté de Muſtapha. . I3o .

- ibidem. . - Cruauté ſur cruauté d'Atgerath. , 26,197


-

Conſtantin homme de haute entrepriſe ſuc Cruauté trop inhumtine & indigne d'vn
cede aux conqueſtes de ſon frere Dragas. Prince. ·. . 56
6 Cruel ſpectacle & inhumain.
-
* 3I4
c nºn Dragoſis 8. de ce nom, dernier Cuauerges quels peuples & où habitent.
Empereur de Conſtantinople. 2 I2, 143 , I43
Conſtantin Empereur bleſſé en l'eſpaule à la Cruauté eſtrange de Mechmet. 328
• priſe de Conſtantinople. 224, ſa teſte por Cucchine Imbroorbaſſi premier Eſcuier 348º
- tée au grand Turc. 227 Carmy qu'aſt-ce. 34I
:|
º
Conſtantinople quand & par qui fondée, & Cyllene à preſent Clarence capitale del'E
ſa ſituation. 3, combien elle a d'eſtendue. lide. 138, priſe par les galeres du Pape.139,
, .221, eſt la plus belle, la plus riche & opu la vendent au Prince # l'Empire,puisſac
lente cité de toutes autres, ſesloüanges & cagée par le Prince d'Achaie. . ibid.
miſeres. 22o, aſſiegée l'eſpace de dix ans. Cypre entre les mains des François. 8I
47, priſe par les François, & recouurée Cyrene ville priſe par les Venitiens. 1o7
par les Paleologues. 4. aſſiegée de quatre Cyrus le grand tranſporta la Menarchie en
· cens mille hommes.218, & priſe d'aſſaut. · Perſe.3. mis à mort par la Royne Thomi
224, ſon dernier Empcreur ſe deuoit ter I1S. 93 -

miner en Conſtantin, & ſon dernier Pa Cyrus fleuue ſe deſchargeant en lamer Caſ
triarche en Gregoire, ſelon la Prophetie. pie & ſon cours admirable. 97
23o, combien de temps a eſté le ſiege de
. . l'Empire. 9, a ſept collines. 323 . D
Coſuigiti, porte plats. * 4o4
Corcyra maintenant Corfou, Homere l'ap D Aas ou Dauus Seigneur de Valachie,
·• l - pelle Phœacia. - I44 met à mort tous les hcritiers de ſon
Corfouiſle ſaiſie par les Venitiens. Ioy,iadis predeceſſeur. 148. mis à mort par ſes ſub
aux Roys de Naples. I2 I - iects. 44
-
Corinthe où ſituée. II6
Dabia quellieu au Peloponeſe. " 138
Corſe anciennement Cyrnus, contient de Dace region où ſituée. I9
circuit 2ooo. ſtades. 155. priſe par le Roy Dalmatie eſt de la Seigneurie desVenitiens.
de Naples & d'Aragon. " 152 I14.
Corgium ville priſe par le Turc Mechmet. Damas priſe parTamburlan, d'où il emme
276. + - -
ne des richeſſes infinies & ineſtimables.
Coſobe plaine au pays des Triballes. 3o 79
Coulongnel'vne des principales villes d'A Darius fils d'Hiſtaſpes. 72. mis à mort par
lemagne. 4O Alexandre le grand. · 87 • •
Couleur verte fauorite de Mahomet. 5o9 Daualos Prince de Delphes. 38
Cour du Turc comment ordonnée & inſti Dauid apres auoir perdu ſon Empire de
tuée. . I32 Trebiſonde, mis à mort auec ſes enfans.
Courriers du Turc & leur manierede faire 28o. - -

diligence. 2 83 Decemuires quel magiſtrat à Veniſe. IIz


le Crcateur ne ſort point de puiſſancc ena Dccimes de tous biens reſeruées à D1 Év
par
Table des matieres.
*
par les Turcs. 7o Dracula ſeigneur de Moldauie prend pri2
Defterdari qu'eſt-ce. 333 ſonnier Huniade ſon ennemy mortel.19o
Dely fol hardy. 398 tué auec ſon fils par ledit Huniade, eſtant
Delicestres-pernicieuſes à vn Prince. 27 deliuré. ibid.
Delices des Grecs cauſes de leur ruine. 195 Dracules depoſſedé de la Valachie, & tous
Demetrius Paleologue ſe rend à Mechmet ſes parens & amis mis à mort. 148
auec ſa Duché de Sparte. 267, deliuré de Dragas fils de Zarchus ſieur de Myſie rangé
priſon , & ſa femme & ſa fille miſes és ſoubs la puiſſance d'Amurath Émpereur
mains de Mechmct. 268 desTurcs. 28, obligé de ſeruir Amurath
Deſcription du temple de ſaincte Sophie. en perſonne. 2I

416,417,418,419 Dépas faict chef des Albanois contre le


Deſcription de la boulangerie & paſtiſſerie Turc Amurath. 144, faict priſonnier de
des Turcs. 337 .,. uant Argiropolicné. ibid.
Defteremim treſoriers generaux. 4o o Dragme quelle piece de monnoye & com
Defterderi generaux des finances. ibid. bien elle vaut. 18
Deſcription des cuiſines du ſeigneur. 336. Duc de Milan chaſſé. 152,
337 Duc de Gennes & ſon authorité. 15o 1

Deſpence du reuenu du Turc. 384 Duc d'Arimini le plus dangereux ennemy


Deſpence de l'Europe aſſignée ſur le domai .
qu'euſt point l'Egliſe. 3o9
-

ne d'icelle, ſe monte enuiron ſix millions Ducs de Bourgongne & de Bretagne ont
d'or. 396,367 faict pluſieurs fois la guerre contre le Roy
Deſpence de la Marine du Turc. 386, & l'v de France. 48
ſage d'icelle. 4 I2, 4I3,4I4,415 Dueil porté par Mahomet, 7I
Deſpence de l'artillerie du Turc. 386, & e Duel & combat d'homme à homme fort
# quipage d'icelle. 4o 6,4o7 frequent entre les Alemans. 4I
Deuigilar conducteur des Chamcaux. 348 Duzalpes capitaine Turc,homme iuſte & e
le Diuari au camp. 334 quitable. 6
feneſtre dangereuſe au Diuan. 33I
audiance publique & ſeance du Diuan. 33o - E
•.
#: là repas q'u'on faict au Diuan. 332
· cour du Diuan. 329 E, Chin medecin du Serrail. 364
belle Diſcipline. 347
Didymothicum ville priſe par Amurath à
faute de viures. 2.5
certain tem #
Chenicherribaſſi maiſtre du fournil. 338
l'Egypte rendoit deux
millions diai de reuenu. 4I6
D'iligence doit eſtre le principal poinct re ordres & grades de l'Egliſe Grecque.421,
commandé en vn bon capitaine. 66 422
I2iligence & liberalité fort neceſſaire à vn Egliſe Romaine pourquoya ſeparé lesGrecs
Prince conquerant. 27 d'elle.
Dionyſiopoli maintenant Varne, priſe par le cinquantieſme des biens de l'Egliſe pris
les Hongresſur le Turc. . .. 123 pour faire la guerre contre les infideles.
Diſcipline militaire desTurcs. 64 263 - -

|
Diuan eſt le conſeil d'Eſtat & des finances Egypte deſcrite. 8o, arrouſée du Nil qui y
du Turc. 244 deſborde tous les ans en eſté, car il n'y
2
Doganzibaſsi grand fauconnier. 352 pleut point. ibid.
Doge eſt le Duc de Veniſe. II2 Eleazar Prince des Tribaliens tué en ba
Dom Louys Daualos Prince de Delphes de taille par Amurath Empereur des Turcs.
ſcendu des Aragonois. 39
Dopmacc ville de Theſſalie. 34 Eloge d'Othoman premier Empereur des
Dories ancienne famille de Geffnes. 148 Turcs. - I

Dorie chefdes Geneuois emporte la victoi Eloge d'Orchan ſecond Empereur des
re contre les Neapolitains & prend leur Turcs. II
-

· Roy & le preſente au Duc de Milan. 151 Elogede Solyman troiſieſme Empereur des
Dorobeze riuiere ſeparant les Triballiens Turcs. . I3
d'auec les Illyriens. 3oo, & auſſi vne ville Eloge d'Amurath quatrieſme Empereur
de mcſmc nom forte à merueilles. 3oI des Turcs. 17 #
ë

l
*

| º ! - -

|
| -- | - - l - 1 à
Table des matieres.
Eloge de Baiazeth cinquieſme Empereur 38o -

des Turcs. Empereurs Grecs couronnez par le Patriar


33
Eloge de Tamerlanes ouThemir Empereur che de Conſtantinople. 43I
des Tartarcs. 6I tiltre des Empereurs Grecs. 431, tout leur
Eloge de Ioſué ſixieſme Empereur des Equipage de rouge. ibid.
Turcs. 97 l'occaſion de la tranſlation de l'Empire de
Eloge de Muſulman ſeptieſme Empereur Rome à Conſtantinoplç. 32o
des Turcs. , - 98 Empire de Conſtantinople quand commen
Eloge de Moyſe huictieſme Empereur des ça à s'eclypſer. 47,128
Turcs. 1O I
Empire de Conſtantinople comment com
Eloge de Mahomet neufieſme Empereur mença à decheoir & celuy des Turcs à
desTurcs. . Io4 croiſtre. - 4

Eloge d'Amurath 2. du nom, dixieſme Em Empire de Conſtantinople a duré II2r. an,


pereur desTurcs. 127 & quelle fut la cauſe de ſa ruine. 9

Eloge de Georges Caſtrioth ou Scanderbeg prouinces de l'Empirc Turqueſque. 38o


Roy d'Albanie. 158 l'Empire appartient de droict au Roy de
France. 48
Eloge de Mahomet ſecond du nom II. Em
pereur des Turcs. 2I4 Empreim en langage Turquois ſignifie A
braham. 247
Emanuel auec ſon pere Iean Empereur de - -

Conſtantinple, mis en priſon fort cruel Engins de guerre d'eſtrange façon. 9I


le par ſon frere Andronic aueugle, il cſ Enuie des Hongres & Polaques cauſe d'vn
· chappe & ſe faict Empereur. 36,37 - grand mal. I88
Emanuel Empereur de Conſtantinople part diſtribution des EnfansChreſtiens du Turc,
de France ſans auoir rien faict & pour leur miſerable nouriture & à quoy on les
U1OV. employe. 355,356
E§ Empereur de Conſtantinople fait l'Engiada qu'eſt-ce, 357
, vne harangue funebreaux funerailles de Eneangiler qu'eſt-ce. 365
ſon frere. 125, pour s'aſſeurer du Pelopo façon du Turc d'enleuer les Enfans des
neſe emmeinc tous les ſeigneurs du pays. Chreſtiens , deſquels deſpend ſa plus
Io6 grande force. 354
Emanuel baſtard de l'Empereur Iean pour Epidamne gaſtée & bruſlée par les Bulga
I4
ſavaillance, tenu dix-ſept ans priſonnier. ICS. -

IO 2 - º -
Epidaure autrement Monembaſie. II8

264 Epiphanie à preſent Halep. .


l
8I
Embiens peuples. -
| Empereur & Patriarche tout enſemble en Epiehetes que donnent les Turcs aux Chre
vne meſme perſonne. II 9 ſtiens. 35I
Empereurs premiers d'Alemagne eſtoient Equipage de la chaſſe du Turc. 352
les Roys de France & pourquoy. 42 Erreur des Arabes du temps d'Origenc.
Election des Empereurs quand paſſa de Ro 5o8
me aux Alemans. 42 Erreur d'Origene du ſauuement des Dia
-- Empires premiers du monde, & de leurs bles. 498
commencemens, progrez & fin. 33 Ertzica belle cité entre Trebizon de & la
Empire des Aſſyriens & ſon antiquité. ibid. Natolie priſe ſur les Turcs par le Roy
-

Empirc Romain quand tranſporté à Con d'Armenie. •' 37


· ſtantinople. . ibid. Ertzinghan capitale du Royaume d'Arme
-

Emanuel fils de l'Empereur de Conftanti nie priſe par Tzaniſas. 2I4,26I


nople obtient humainemét pardon d'A Eſtriefs & eſperons des Turcs. 346
mu,ath Empereur des Turcs. 27 MareſchauX, Selliers & Eſperonniersdef
Emanuel conuoiteux de nouuelletez deſ pendans de l'Eſcurie du Turc en quel
·
| poüillé de ſa ville & de ſon gouuerne nombre ils ſont,
- 347
--
IIlCIlt . 3O Eſcurie du Turc. 347
--

-,
Emimmutpagi ou Mutpatenin argentier. 337 Eſnedarbaſſi qu'eſt-ce. 33I
Emiralem gonfalonnier general. 379, ſon of Efclaues ſót la principale richeſſe des Turcs
fice. . 395 comme des anciens Romains. 17
poincts notables de l'Empire Turqueſque. · Eſclauonie eſtde laSeigneurie deVeniſe.II4
Eſclauons

--

---
Table des matieres.
Eſclauonsiadis en grand renom, dont leur que maſſacre ſon maty pour en eſpouſer
| langage a preſque eſté reſpandu par tout vn autre. I22,
le monde. - - 6 Femme qui conuertit les Iberiens à la foy
1Eſes en langue Turqueſque ſignifie I E sv s. · Chreſtienne. 264
24
E§ eſt la plus grande Prouince de tout | - Femmes s'acheptent par les Turcs pour les
| auoir en mariage. ' . | 68
- l'Occident apres la Gaule, & ſa deſcrip Femmes repudiées entre les Turcs d'vne fa
- tion. . * º | | | 155 , çon bien dure & eſtrange. . 59
Eſpagnes deliurées des Mores par Charle Femme qui donna vn grand eſpouuente
· magne. . -º : ' ' , 44 " ment à ceux de Trebizonde aſſiegez.
Eſtats ſe maintiennent en honorant les bons ·2: 263° 3 : º 2ï ;
& chaſtiant les mauuais. - 223 Femmes communes en Angleterre. : 52
Eſt maiſon tres-noble & illuſtre. - 162 Ferrand Roy d'Aragon chaſſe les Mores
Eſtienne Prince des Tribaliens eſtablit ſon , d'Eſpagne. . - 2- º 156
· ſiege Royal à Macedone. 14, depart ſes Ferrare ville fort riche & bien peuplée & ſon
conqueſtes. · · · · · 1 · aſſiette. . · · · · -- . - • -- I62,
-
-
Eſtienne Bulco eſtroictement aſſiegé dans Figues farcies de doubles ducats. º ( 156 r -

Spanderouic. | | | 192 Flateurs cauſent la ruine des Princes. 234 -

#
· Eualuation du reuenu du domaine du Turc Fleuues principaux qui entrent dans l'O
ſelon la deſpence. . · 396 ccan Oricntal. | | -- 92 -

Eubœe autrement Negrepont conquiſe par Florence ville capitale de toute la Thoſca ,
-
les Geneuois. 12 oº · ne, la plus belle & la plus riche dé tou-. |
|!
, ,. "
Eueſque de Rome recogneu ſuperieur de te l'Italie. 165, commentiadis gouuernée.º | -" 1 -
!
l'Egliſe. . - - - · ' 4oº I64 -

Eueſque de Rome conferoitanciennement Florentines les plus belles & gracieuſes Da -

la dignité Imperiale aux Roys de France, mes qui ſe trouuent point autre part. .. 152 |
| -

- & pourquoy. · · · 42 Florentins & leur ville rendus à la mercy du -


-

Eugene depoſſedé de la Papauté. 161 | Roy de Naples, qui ne print rien ſinon la
Euripe quel deſtroict de mer & où 3o7 fille d'vn bourgeois. 152, deliurez par vnº »

Europe eſt le plus beau & plus fertile païs · artifice eſtrange du pere de la fille. ibid. ' ,
qui ſoit4u demeurant du monde. I4 Flot de la mer Mediterranée paroiſt plus à
Europeans plus belliqueux que toutes au Veniſe qu'en nul autre endroit. : 114 - l .
trcs nations. . 22 Flux & reflux de la mer Oceane d'où cauſé.'
Eurotas riuiere paſſant par Lacedemone. • 53, & pourquoy n'eſt ainſien la mer Me-?
: 267 - -
diterranée. - | 54
I
l'Experience meine les grandes & douteuſes Fortune n'a aucune puiſſance és choſes hu
affaires à bonne fin. I95 ' maines.277,elle cede à la diuine vangean-' •
* : ·, · -
3I
F
CC.
|
le Foüeter non ignominieux entre les pe
tits, meſme à l'endroit des grands ſei-'
F Amagoſte ville de Cypre. 81 gneurs. - | - 2 I4
Fantoſme qui fit perdre la ville d'Argos. Foy inuiolable doit eſtre gardée aux enne
55 - -
mis. " , . - - - - · 66*
Fauconniers en merueilleux nombre au Fondations des Turcs. . | 383
camp du Turc. - 2I4 laiz pitoyables & Fondations d'hoſpitaux i
Fautes pardonnables & non pardonnables. ' du grand Seigneur. 385, 386 - |
|
67 - - - Forces des Empereurs Othomans compo
Fauconnerie Turqueſque. · · 352 ſées de Turcs naturels. . 379
merueilleux equipage de Fauconnerie, Force desTurcs par la mer. 4I4, 4I5
de l'Empereur Bajazeth premier. 351 Formule d'vne depoſition de Patriarche.
merueilleux Faux-bourgs de Conſtantino 43o,431 . ·· · · } : " .

. plc. 42 o Fraude de Mahomet contre les anciennes


Felix eſleu Pape, Eugene depoſſedé. , 161 traditions. . -| 514 -

Femme de Prialupas deſeſperement lubri France deſcrite & ſes loüanges.48, c'eſt vne
belle maſſe & puiſſante Monarchie.ibid. -

é ij
: ·

| --
Tables des matieres.
· eſt embraſée de toutes parts de guerre & bandonné la forme de leur ancien gour
ſeditions inteſtines. 28, les Anglois s'en b1C fIlCIIlCIlt . - · - 15o
emparent.jo, deliurée par Ieannc la Pu Genniſſaires d'où & par qui leucz,comment
, celle. - 5I leurs offices ſont conſtituez. 8,13z"
François nation fort ancienne, tres-noble, George fils de l'Empereur de Trebizonde ſe
· opulente & de grdnd pouuoir.48, la plus fiſtTurc, puis fut mis à mortauec ſon pe
- braue & redoutable que le Soleil voye IſC. 28o
-

point.87, belliqueux mais vn peu trop Gepanum maintenant terre de labour. 152
- · boüillás & haſtifs.42, diſſolus & exceſſifs Germanie deſcrite ſelon ſa longueur & lar
geur.4o, eſt vne tres-grande & puiſſante
· lans touſiours auoir le deſſus en quelque , nation. - - 41
Getes anciens où habitoient. · · 4I
part qu'ils ſoient. 5o, ont de tout temps
, precedé tous les † du Ponant.ibid. Getiaville renduë à Amurath par compoſi
n'ont de couſtume de tourner le dos. 51,tion,& tout le peuple mis en ſeruage. 193
ſurnommez tres-Chreſtiens,à eux appar Gilbatar deſtroict où ſont les colomnes de
, tientl'empire de droit 48, s'emparent de Hercule. 49
, Cypre 5I,occupent l'Empire de Conſtan Gloire& reputation des Princes où giſt prin
-

tinople.4,le reperdent. 9 cipalement. 63


Fregoſes ancienne & noble famille de Gen Gondoles que ſignifie. II4
: ncS. . 5o Gonfallonniers quels gens ſe ſont entre les
le Frere met ſon aiſné à mort pourauoir le - T urcs & leurs priuileges. I34
bien d'iceluy. ' 292, Gotzimum autrement Gorthyna,ville où ſi
Funcrailles de Mahomet. 6I tuée. - 17z
Grecs anciens d'où iſſus & leur Republique
- - - G -
fort bien conſtituée.3, premierement fu
, rent ſous les Thoraciens.4, confondusa
G Aietteville,l'vne des bornes du Royau : uec les Romains. 3,pourquoy appellezA
$-* me de Naples. I52 priciens par les Turcs.27o,ſont ſeparezde
Galathie dicte Pera. . 218 l'Egliſe Catholique & Romaine,& pour
Galipolioù & comment ſituée, 128,13I. : quoy. 3, rompent l'accord de la Religion
Ganges ſe va deſcharger dans l'Ocean Indi · faict auec les Latins.164, ne veulent rien
que. 92 relaſcher de leurs traditions anciennes.3,
Garçonsimmolez à Diane. ibid. ils demeurent en diuorce auec l'Egliſe
Gardes deuant le Serrail ou Palais du Turc. . Romaine & Catholique, ruinez par leurs
· 343 vices & oyſiuetez.4.du tout proſternez &
Gardes ordinaires à cheual du Turc. 377 : mis à bas, & perdition finale de la Grece.
Generation & corruption d'où cauſées. 54 279, ont duré plus longuement en leur
Gennes portail du coſté d'Italie & deſcrip grandeur que nuls autres peuples.3, ſont
tion de ſon terroir. maintenant en grande calamiré & deſo
Geneuois mi-partis,les vns appellent le Roy lation. 27o
de France, les autres le Duc de Milan à la langue Grecque fort recommendable &
leur ſecours. 15o , preſque commune a tous. 2,

Geneuois emportent vaillamment lavictoi Grebenum ville tres-forte priſe par le Turc.
re contre les Neapolitains. I5I 27o -

Gepigibaſſi chef des conductcurs des cha Grenade Royaume. 156


IIlC2llX. 347 Grenade ville forte au poſſible,où les Mores
Geneuois fontguerre à l'Empereur de Con · eſtans eftroittemét aſſiegez font vne fort
· ſtantinople, & pourquoy. 159, deffaicts à plaiſante ruſe. - ibid.
# cauſe de leur deſordre. 16o, font accord, Gritzas Grec, par belles propoſitions ſeduit
|
,
º & à quelles conditions. ibid. la ville de Sparte. 313
Geneuois reduiſent les Venitiens à l'extre Guelphes l'vne des factions d'Italie. 166
, mité. Io9,preſque ruinez par leurs partia Guerre declarée à Veniſe contre le Turc à la
· litez, & deſcription de leur ſeigneurie & pluralité des voix. • 3o9
pourquoy dicte Ianna Lyo, 151, & leur po Guerre du Turc luy apporte profit, aux au
, lice.15o, leur mal-hcur vint pour auoira trés Princes de la terre dommage. 249
Gucrre
·

-
*- '. |!
Table des matieres.
Guerre ne doit eſtre entrepriſe entre ceux Harangue de l'Ambaſſade de Veniſe au c5
d'vne meſme Religion. 277
ſeil de Hongrie pour faire guerreau Turc.
à la Guerre eſt vne grãde faute de s'eſtonner 3o9 - · · .

trop inconſiderement. 3I4 Harangue d'Omar perſuadant à ceux de


Gureſu lucteurs. -
367 Sparte, de retourner en l'obeyſſance du
Turc Mechmet. - 3I5
H
-

Harangue du ſieur Victor Capelli au Senar -


de Veniſe pour entreprendre la guerre à
Aciſer , qu'eſt-ce. 34I contre le Turc. -
3O5
· * Hagiapaſes Aga ou coronel des Iennit Harangues diuerſes de donner bataille. 22. -
zaires,foueté & pourquoy. 2 I4 1o3,172, 173 -

Haly ſignifie Helie. 24 Harquebuſes eſtimées les plus dangereuſes


Halypere de Mahomet le faux Prophete.68 armcs qui ſoient. I34
Haly & ſonbon conſeil reietté par Baiazeth, Hebrus riuiere de Thrace. 29
dont malluyen prºt. 85 Helias l'Eſchançon vëd & trahit Muſtapha.
Halyfils de Breneſes par ſes vailláces monta I35
bien toſt à vn fort grand credit. 126. il ſe Henetes maintenant Venitiens. Io 6
porte tres-vaillammentdeuant Belgrade. Hcraclée ville ſur le Pont Euxin. I49
· 142,chefdel'arméeTurqueſque côtre les Hetrurie ou Tyrhenie maintenant la Thoſ
Eſclauons. 143,miſerablemétdefait.ibid. cane & ſa deſcription . 164
, Hardieſſe trop grande aucunefois plus dan Hicroſme Bernardin deffait par ſa faute auec
gereuſe que couardiſe.
|
188 4oo, hommes en vne embuſche des #
Harangue d'Amurath meſlée de langage ru Turcs.312,puny ſelon ſes demerites. ibid.
ſé pour retirer à ſoy les gens de ſon fils re Hieruſalem toute ruinée. 8I : #
• bclle. 24
Hiſtoire plaiſante de la vie de Muſulmä. 1oo
Harangue de l'aueugle Andronic à Baia Hiſtoire merueillcuſe d'vn bœufenuers ſon
· zeth Empereur des Turcs. 35 maiſtre. -
314
Harangue fort pitoyable de Myrxas cödam Hœmus autrement Praſobé, mötagne cou
né à mort. 66
pant par le milieu le pays de Bogdauie. 44,
Harangue admonitoire d'Abrahamim à ancienne habitation des Getes. 4I
Baiazeth. 85
Homar ſuccede à Mahomet en ſes conque
Harangue de Moyſe exhortant ſes gens à ſtes. 7r
bien combatre. Io3
Homar pille le territoire de Thebes & s'en
Harangue funebre de l'Empereur Emanuel retourne chargé de deſpoüilles. 18o
- aux funerailles de ſon frere. · I25
Hongres braue & redoutable nation. 2o2, -

Harangue du Roy Vladiſlaus à ſes gens ſur ſont fort impetueux, criminels & rigou
lepoinct du combat. I86 reux en combatant. 148, par leur enuie
Harangue du Prince de Synope à ceux de font perdre la victoire aux Chreſtiens-42,
:
Conſtantinople pour ſe rendre. 222 perdent la bataille lamétable pouriamais.
Harangue du grandTurc à ſes Iennitzair es 189, entierement deffaicts par le Turc A
deuant Conſtantinople. 223 · murath. ' 2o5
Harangue de Ioſué capitaine Turc, perſua Hongrie ou Pannonie deſcrite & le naturel
dant aux Corinthiens de ſe rendre & la des habitans. 4I
reſponce. - ". 254 Huile de ſaincte Ame & la maniere de la
Harangue de Turacanaux Princes du Pelo faire. -
34o
poneſe pour les mettre d'accord. 232 Huniade pere du Roy Matthias deffaict les
Harâgue de la mere d'Vſunchaſſan au grand Turcs en Tranſſiluanie. 146, eſleu general
Turc Mechmet & la reſponce. 276,277 contre les Alemans, Bohemes, Turcs. 147,
Harangue d'vn Baſſa ſentant bien ſon Tur par vn ſubtil ſtratageme deffait l'armée du
queſque. 278 Turc. 176, il † & laiſſe ſon armée
Harangue de l'Ambaſſadeur d'Vladus au pour les gages. 2o9, faict priſonnier de ſon
· Conſeil de Hongrie. 285 ennemy mortel Dracula. 19o, eſtant deli --"

Harangue du Seigneur de Leſbos au grand uré tue ledict Dracula auec ſon fils. ibid.
Turc Mechmet pleine de commiſeration. mcurt & commcnt. | 24O
2.95
--
- -
- é iij
º

||
|
| Table des matieres.
l
, Hydaſpes Hyldraotes & Hyphaſis, fleuues conformité des Iennitzaires du Turc auec les
qui entrent en l'Ocean Oriental. 92 • anciens legionnaires Romains. · 372
Hymnes chantez par les Turcs auant que premier reglement des IennitXaires, leurſol
donner vn aſſaut ou bataillc. I94 de & appointement, habillemenr & ac
t V,
couſtremcnt de teſte.369,37o,& leurs ar
I mes. 37I
|| ,º !
arde des Iennitzaires. 372.
: IA# es heretiques ne mettans qu'vne
nature en I E sv s - CHR I s T. 8o
ethimologies du mot Iennitzeri. 369
Iennitzaires non mariez & leurs departe
Iacomo Lauredano chefde l'armée des Ve mens à Conſtantinople. 374
nitiens contre lc Turc. , 3II Iennitzaires maricz. 373
- Iadiza ville ſituée aupres des ruines d'Axius. I E s vs-CH R 1 s T en quelle eſtime entre les
I26 , Mahometans. . - 7o
Iacup Beglierbey prend Argos eſpouuentée Ieuſne du Careſme commét cbſerué par les
d'vn fantoſme, & en emmeine trentcmil · Turcs. , • ibid.
Chreſtiens priſonniers. 55 Ieux lſtmées pourquoy ainſi nommez. 1o5:
Iacup ſignifie Ioſeph. 247 Ieuſne du Vendrcdy quand inſtitué. 321
Iacup ou Solyman mis à mort par Pajazet Igur qu'eſt-ce. . 34o -

| ſon frere aiſné pour enuahir l'Empire. 34 lllirie maintenant la Boſſine.298, gaſtée par
Iaitie capitale de tous les Illiriens rendue au les Turcs. . | 38
Turc. 3OI Illiriens d'où ſortis & leurs conqueſtes & ha
Iaiabaſſi centenier. 37I bitation. - I4
à quoy ſemploye le reuenu des Iardins du Illiriſies riuiere au pays d'Illirie. 3oo
Turc. 323 Imbros iſle en la mer AEgée.
Jairygreffier ou ſecrettaire. 348 Impieté bien toſtvangée de la Iuſtice diui
Iatutaga qu'eſt-ce. - 33I | nc. - 297
vray Icaromenipe de Lunan. 482 Imarets hoſpitaux. 365,383
-
Iean Empereur de Conſtantinople arriue en Imbraorbaſſi grand Eſcuver. 347,348
France, & pourquoy. 28,arreſté à Veniſe Impoſition pour la deſpence ordinaire du
pour les deniers qu'il y deuoit.29, il faict Turc. . ' . ibid.
creuer les yeux à ſon fils rebelle auec du Inde Orientale deſcrite & ſes ſingularitez.
vinaigre tout boüillant. 26, empriſonné 92, ' . - -

cruellement par ſon fils Andronic aueu Indes contiennent neufRoyaumes. 8r


gle.36,il eſchappe de priſon & comment. Indus ſe va deſcharger en l'Ocean Oriental.
ibidem. 92 .

Ieanne la Pucelle inſpirée de D1 E v remit Intelligences enflâmées gouuernent le mö


ſus le Royaume de France preſque perdu. de ſelon les Mahometans. 7o

51,elle ſe perdit & ne ſceut on qu'elle de Ioannine ville d'AEtolie anciennement Caſ
uint. ibidem.ſiopé.131, liuréc aux Turcs. ibid.
Iaitza capitale ville du pays de la Boſſine & Ioſephe capitaine Turc mis en route par les
ſa ſituation. I42 Valaques, ſecouru par Omar. 289
Iangus Choniates deffaict les Turcs en Träſ Ioſué fils de Paiazet pris & mené à Táburlá.
ſiluanie. 146,epilogue de ſa vie. ibid. 89,deffaict par ſon frere & mis à mort. 98
Iapusgeneral de la caualerie du Turc, 26o Ioſué le plus ieune des enfans de Paiazet ſe
S.Iacques a ſon ſepulchre au pays de Galice. faict baptizer. IO2
I Iſaac Prince d'Acarnanie traiſtreuſement &
Iberie dcſcrite ſelon ſes confins. 155,264 meſchamment tué par les Albanois. 12z
Iberiens d'où ſortis, & comme ils receurent Iſchrabraue & renommé capitaine aueugle,
la foy Chreſtienne par vne femme. 264 commanda à ſa mort qu'on fiſt vn tabou
Iconium ville de Lycaonie reglée de bonnes rin de ſa peau, au ſon duquelles ennemis
loix & ſtatuts. I4O
s'eſpouuenteroient. I9I
Ican Roy de France deffaict pres Poitiers Iſaga qu'eſt-ce. 357
par les Anglois. Iſidore perſonnage fort prudent& grandzc
5o
Ican fils aiſné d'Emanuel, faict Empereur & lateur de la foy faict Cardinal au Concile
- Patriarche tout enſemblc. II9 de Floréce.165, pris des Turcs, ibid.au nö
| du

|
Table des matieres.
" du Pape faict congreger vn Concile pour Lamachie cité où ſituée. - 37
vnir les Grecs à l Egliſe Romaine. 224, Lampſaque ville ſe rend aux Venitiens ſans
eſtant pris trouuc moyen d'eſchapper. coup frapper. 117
22 -
Lances des François, Hongres & Alemans
I# Prince de Synope ſe reconcilie auec ſemblables. 188
Amurath, moyennant certain tribut de Laonic eſt le nom de Nicolas renuerſé. 1
Cll9IUlIl. . - - - - I4I Lapodie Lac. I3I
* l'Iſtmc & à l'entrée du Peloponeſe. 159,fer Larande ville fort belle en Lycaonie. 14, où
#: & comment ſituée. ibid.
mé de muraille par les Grecs, demantelé
& mis à bas & pourquoy. 1o5, rcclos. 137, Largeſſes des Princes profuſes dâgereuſes.II
abandonné par les Venitiens. 313, pris du Lauredan chefde l'armée de mer des Veni
. Turcauecgrande deſolation. 196, ſa clo tiens. II5, emporte la victoire contre les
ſture plus dommageable aux Grecs que Turcs. II7, faict appointement. ' ibid.
comtmode. . · ibid.
Lcbadie ville au pays de la Bœoce.
-

82
Iſtrie eſt vne partie de Valachie. . 44 Legereté des Grecs. I3o
Itœa petite Bourgade, premier ſeiour des Lemnos vulgairement Stalimene. 265, eſt
Turcs en Aſie. 7 vne iſle en la mer AEgée. 4, priſe par le
Italie quels principaux Potentats contient. Roy de Naples chef de l'armée du Pape.
169. & combien de Republiques. 172 244, repriſe par les Venitiens. 3I6
Ithomé contrée. 217 Lemocopie fortereſſe ſur le bord de la Pro
Iugement vniucrſel de IE svs-CH R I sT, pontide baſtie par Mechmet. " 217
creu par les Mahometans. 7o Leodoricum petite ville des Locriens & ſa
Iuifs ſont en meſpris aux Turcs. 255 ſituation. I68
la Croix eſt vſitée aux Iuifs. 36o Leon Empereur de Conſtantinople eut par
••• Iunon honorée des ſacrifices des bœufs. 92 faicte cognoiſſance de touves ſciences.
Iupiter & Iunon encores adorez. 75 23o -

Iuſtice de Gennes. I5o Lcontarium autrement Megalopoli, ville


Iuſtinian le Long Geneuois, ſe porte vail d'Arcadie. 265,314
lamment dans Conſtantinople contre le Leopoli capitale de la Podolie. * 76
Turc.224, ſableſſure cauſe de la priſe de Leſbos ou Mctellin, iſle & ville de meſme
la ville. - ibid.
nom. 249, en lamer AEgée. 265, rendue
Iuſtice Turqueſque. au grand Turc Mechmet. 296, cruauté
· 332
eſpouuentable quiy fut exercée. ibid.
2 K le Prince de Leſbos priſonnier auec Lucius
-
;
ſon couſingermain.297, ont la teſte tran
K#e coifure des Perſes, que ſigni chée pour vanger leur impieté. ibid.
fie. 39I ſorte de Legumes que les Turcs appellent
Kilie ville de Valachie. , •332 Creuithia prouiſion de Carauanes. 339
· · ·, - , Lieures d'Attalie fort bons, & ceux de l'Eu
L rope encore meilleurs. 2 O4
le Lieure eſt l'animal le plus poureux & im
:
L Acedemone vulgairement Mizithra. becile de tous les autres. ibid.
* 267 les Lieures touſiours pris pour mauuais pre
Ladiſlaus ieunc enfant eſleu Roy de Hon ſages. 26
-: grie.242, emporſonné. ibid. Lhuniens de quel langage vſent & leurs
Ladiſlaus Roy Je Naples ayant contrainct IT) CCllIS 76
les Florentins de luy rendre la ville, ne Loddes ville prochaine de Milan. 167
prend rien d'eux ſinon la fillesl'vn bour Londres capitale d'Angleterre. 52
geois, mort par vn eſtrange accidentcau texte de la Loy Mahometane. 456
ſé par le pere de la fille. I53 principaux liures de la Loy Mahometane.
- reformation de l'Alcoran & de la Loy Ma 46o, 46I
hometane. 459 en quqy ſe rapporte la Loy de Mahomet a " .|

Ladres cruellement tous mis à mort à Seba uec les anciens heretiques. · 5I2
ſte. 83 Lucanes gouuerneur de Sparte pour le
Laines en abondance en Angleterre. 52 Turc. 252,
.#
l

-
Table des matieres.
la Lune eſt du naturel de l'eau & pour ce a ſeigneurs. 169
le gouuernemcnt & regence des eaux. Malheur des grands Seigneurs ordinaire

|
| 53 ment plus cruel que celuy des petits com
| |

º Lydie occupée par les Tartares. 5 pagnons. - 9I


-
|
i l
- Mapmelus & deſcription de leur Empire.
• • !
|.
|
| M 86 - -

| le Mans la premiere ville des Gaules qui fut


- M^ chmut Baſſa le premier homme de la battuë d'artillerie. 134

Cour du Turc haut loüe vn Prince Pe Mariage des Turcs faits ésjours de la circon
| |
ciſion. 7o
- l ! .
loponeſien.273, perſuade au Prince de ſe
| -
rendre. - 274 Manger & boire des Turcs. 338
|
1 • Maéferlars & Hortagilars qu'eſt-ce. 4IO Marianes, premiers Ducs de Milan par quel
|
-

1
naiſſance, nourriture, religion, & doctrine moyen vindrent à ceſte ſeigneurie. IIo,
|
|
-

4 du faux prophete Mahomet. 44o,44I, & d'où ils ont pris ſe nom. ibid.
- 1 ,• 442,447,448,449,45o,451 MARIE Vierge & mere de I E s vs-CHRIsT
Mahomet d'où yſſu, de quelles mœurs, ſa en quel eſtime entre les Mafiometans.
| vie & ſa religion en brief. 68 7o
! Mahomet en quelle eſtime entre les Maho Marſilio de Padouë voulant liurer la ville à
1 * II) Ct2 I] S. ibid. l'ennemy eſt deſcouuert & mis à mort.

d Mahomet quelles conqueſtes fit, combien | 167 -

-1,
-

- . -i ! il regna, où ilmourut, & comment enter Maſarempes ſeigneur de Valaquie. 19o


- • ré. 7o Maſſagetes gens hardis & belliqueux où ha
Mahomet viſité à ſon ſepulchre pour gai bitent. 67
gner les pardons. 71
des Maſtins Turcs. 35z
*! .
| #
Mahometans ayans repudié leurs femmes Matthias Roy de Hongrie quels exploits de
proteſterent de ne les reprendre jamais. guerre fit contre les Turcs. 3II

• - "t
59 Mauroprobatans eſpece de Negres. , 2I4
• 1 -

genealogie de Mahomet. 443,445,446, Mechmet le plus jeune des enfans de Baja


, -
447 zeth mis auec vn faiſeur de cordes de
l .
|
-
aux Mahometiſtes n'eſt permis de rien con luth pour apprendre le meſtier, & pour
trefaire en leurs ouurages de tout ce que quoy,1o2.il fait alliance auecl'Empereur
la nature produit. 356 de Conſtantinople. ibid. perd la bataille
|
cinq principaux ſieges du Mahometiſme. & s'enfuit. Io3
443 Mechmet 2. premier autheur des mortiers
domination de Mahomet & de ſes ſucceſ d'artillerie.253, voit en vn bâquet la mort
ſeurs tant au temporel qu'au ſpirituel. du Prince des Illyriens à Perſas ſon Pre
4
• -
443 cepteur. 3o4, ſuccede à l'Empire, 2I2, il
-

: Maccheiazzi Archers tres-puiſſans. 367, fait eſtouffer ſon frere auec de l'eau. 213,
368 aſſiege Conſtantinople auec vne armée de
parties que doiuentauoir les vrays Mahome quatre cens mille hommes.2i8, il prend &
taIlS. 472 ſaccage la ville miſerablement. 226
|

|
l'an & les mois des Mahometiſtes. 452M453 Mechmet fait tuer Notaras & pourquoy.
•. aſtuce & blaſpheme du faux Prophete Ma 228
- !
homet. Melicamarides quels hommes.
5II 8o

|
ce que Mahomettient de I E svs-CHRIsT. Melitine ville ſur l'Euphrates priſe par Baja
5Io zeth. - 37
Maones groſſes barques. 356 Memphis à preſent le Caire combien a de
Majorque & Minorque ſous l'obeiſſance du circuit* 8o
| i
Roy d'Arragon. I55 Mengreliens où habitent. 77
i
Maiſons de Veniſe comment faites. II4 Meotides maintenant Zabaca. 67
Maiſons des Nomades ſur des chariots. Mer Caſpie maintenant mer de Baccu com
5, 76 • bien a de circuit. - ibid.
| Maladies rares en Allemagne & frequentes Mer Ocean d'où a ſon flux & reflux. 53»

| -#
|
| és autres pays. 4O & pourquoyne l'a ainſila mer Mediterra
Malateſtes ancienne race d'Vrbain & leurs IlCC, - 54
|
| ·-
Meſapie
. !

i : .

-i
|
Table des matieres.
Meſapie de qui nommée maintenant dicte la Mores occupans toutes les Eſpagnes chaſſez
Poüille. I52 par Charlemagne. . 49 -

Meſene contrée. 2 18 Mortiers tyrans des balles deſmeſurées.


Metapan autrement Cap de Taenarus. 294 -

19 - Morezin le plus braue & renommé Pirate


Mezet general de l'Europe pour le Turc en qui fut oncques pris. 2.66
uoyé à la conqueſte de la Tranſſiluanie. Moſcoville capitalle de Moſcouie. 74
I45 -
Moſcouites Chreſtiens à la Grecque & tri
-

·
Mezet tué d'vn coup de Mouſquet. ibid.
butaires au grand Cam. ibid. .
Michalicie contrée où aſſiſe. I3I Moſquées ſont les temples desTurcs. 18
Michalin Saniaque de l'Europe tué par le Mores du tout chaſſez d'Eſpagne par Ferrád
Prince Tezclin. . 136 - d'Arragon. 156, font vne plaiſante ruſe.
Michel ſeigneur de la Myſie où tenoit ſon ibidem. "
ſiege royal. 15 Moyſe fils de Bajazeth fait Empereur des
-

Milan-combien ancienne, ſa ſituation & ſes Turcs , ayant pris & depoſſedé ſon frere
ſingularitez,& comment le terroir d'alen Muſulman. 1oo, prend Orchan*& taille -

tour fut deliuré d'vn eſtrange ſerpent. tous ſes gens en pieces par la trahiſon de i.
-º|

II Q -
ſon page. 1o2, vſe d'vne ſubtile caupelle.
Milo ſimple ſoldat & homme de grand 1o3, trahy en bataille ſe ſauue à la fuite.99,
cœur cntreprend vn affaire merueilleux Pris & mené à ſon ennemy Täburlam. 89.
dont il en vintàbout mais il fut mis en pie deliuré & renuoyé en ſon pays. 93, accablé
CCS. 3O de malheurs les vns ſur les autres eſt e
Mines & contremines au ſiege de Conſtan ſtranglé. . - IO4
tinople. | 219 Muſaique qu'eſt-ce. · 417
Mingies quels peuples. • I92 Muqpartazigi qu'eſt-ce. · 337
Mirxas enſeigne l'art milltaire à Tamburlan. Mutcefereca qu'eſt ce. . 333
, 64, ſes paroles trop libres luy couſtent la Muteferega gens ſans ſoucy. 379
vie. 65,fait vne belle remonſtrance deuant Muſtapha dernier enfant de Bajazeth eſti
que-de mourir à Tamburlan. · 66. mé auoir eſté ſuppoſé. 117, fait priſonnier
Miſſus eſt peruerty par Mahomet. : 511 & enfermé en vn Chaſteau. 118, declaré
Modon place forte au Peloponeſe. 3o5 Empereur des Turcs. 13o, abandonné des
Molybe ville de Lesbos en vain aſſiegée par ſiens prend la fuite ſans combattre. 131,
les Turcs. 292, trouué en vn hallier & amené à Amurath
Monarchie Romaine la plusample de toutes es eſtranglé. 132, tous ceux de ce nom ont
les autres. finypcu heureuſement. 136 -

Monarchies premieres du monde & de leurs Muſulman fils de Bajazeth rude & mal-gra
commencemens, progrez & fin. ibid. cieux aux ſicns. 99, ſurprend le camp de
Mois Arabeſques ſelon le reiglement Chal ſon frere Moyſe & le met en pieces. 1oo,
•--
--
· daique. - 455 par l'homicide de ſon frere ſe met en po
Mois depuis la reception du Mahomeſtime. ſeſſion de l'Empire. 99, il pourſuit ſes au
- 455 tres freres. ibid. perd ſon Empire par y-'
Mots pour ſinitier au Mahometiſte. 355 vrongnerie. 1oo, amené priſonnier à ſon
Monnoyes des Turcs. 33o frere Moyſe, ibid. prins & mené à Tam
Mode de manger des Turcs. 34I burlan. 89, recueil de ſa vie debordée &
Modeſtie des Turcs & les honneſtetez qu'ils laſciue. - - IO O
ſentre-font. " , . 334 Myſiens où habitent maintenant. I9
Moyſe Egyptien. ' . 49I
Monarques doiuent prendre en main les N
torts qu'on fait aux Princes plus foibles.
· 59
Monaſteres des Turcs. . I99
NA# de toute ancienneté comprinſe
entreles nations d'Italievenuë és mains
Monothelites heretiques ne mettans qu'vne des Roys de France & ſa deſcription.
· nature en I E svs-CH R I s T. · 8o 152 -

Morauie riuiere de Myſie vulgairement Naples priſe par Alphonſe Roy d'Arragon.
s Schatuza. 2© [ . 153, recouurée par Sforce & repriſe par
- 1

|
-

Table des matieres.


· ledict Alphonſe. 154 Occupation du Turc dans ſon Serrail.
Naſſingibaſ ? qu'eſt-ce. 394 349 \ *

Nsſip ou Ctuſara la deſtinéc. 399 Oddobaſsi qu'eſt-ce. 359


Nauarre appartient aux Roys de France, & Oddoglandari vallets de garderobe. ibid.
l'occaſion pourquoy. principaux Officiers de la Monarchie Tur
157
Nauarre Royaume ſubiugué par les Mores. queſque. 387,388,389,39o
· 49 - Oguziens l'vn des cantons des Turcs s'em
N#ei, chaſſent leur Roy & baillent la parent du mont Taurus.
couronne à ſon fils. I54 Oguziens gens de leur naturel non querel
Nauplia en la main des Venitiens. 252 leux, ne ſe laiſſans pas pourtant ayſement
Nazaréens ſe prennent en pluſieurs ſortes, outrager. 6
& quelles. 3 Oiſiueté cauſe de la perdition des Empires.
Neapolitains perdent la bataille contre les IOO

Geneuois,& leur Roy Alphonſe pris. 151 Oiſiueté des Grecs cauſe de leur ruine. 195
Negrepont anciennement Eubœe, quand Oiſiueté bannie de Veniſe par ſeuerité mer
| vint és mains des Venitiens. 12 O ueilleuſe. . - II5
| Ncopolichné ſaiſie par Turacan capitaine Olympe mont au pays de la Myſie. I2.

, Turc. 217 Omar legiſlateur des Turcs & ſucceſſeur de


Neri ſeigneur d'Athenes fort inconſtant. Mahomet. -

168, eſtoit Florentin de nation, & com Omar capitaine Turc & ſes conqueſtes.
ment il paruintà la Scigncurie d'Attique. 257, demis par ſoupçon de ſes gouuerne
, 179, depoſſcdé par ſon frere, puis apres Il]CI]S, • 259
, reintegré en ſon eſtat. - 18o olofori qu'eſt-ce. 4I4
# Nice capitale du territoire de Gennes. 49 diuerſes opinions ſur la creation ou eternité
Nicée ville capitale de Bithynie. 9 du monde. 463,464 & ſuiuantcs. '
Nicolas Brachio grand homme de guerre. Oraiſon de Mahofnet.
5oI
166, meurt du mal de reins. 167 Orbale mont,l'vne des bornes de Valachie.
Nigetie ville opulente en la Medie. 94
Nilfleuue paſſant par le Caire, d'où ſourd,& ,Orchan le plus ieune des trois enfans d'o
deſcription de ſon naturel. 8o thoman ſ'empare de l'Empire. I2,

Nil tombe en la mer par ſept bouches. 81 Orchan ſubiugue la Lydie. ibid. deffaict les
Niſangi qu'eſt-ce. " 33I Grecs & prend Nicée. ibid. meurtaprcs
Niſtra quelle region. - 3o auoir regné 22. ans. . I4
| Nomades pourquoy ainſi nommez.5, ſont Orchan § CIl Moynºë iettant du haut
paſteurs & vagabons perpetuels. ibidem, en bas ſe tue. 224
portét leurs maiſons ſur des chariots.ibid. Oreſtilie ville principale de Sardaigne.
Notaras à la priſe de Conſtantinople ſe ſau 155 -

ue auec ſes enfans. 226, pris & rachcté & Orgueil cauſe de grands mal-heurs aux
mis en liberté & l'occaſion de ſa mort. hommes. - Io9
228 Orthobules fils aiſné de Pajazet cruellemët
· Nombre de quarante en reſpectaux Turcs. tué par Themir. 82,
365 - Othoman Empereur des Turcs.7, de quel
Nourriture des ieunes pages du Turc, & lieu natif. ibidem, ſes proüeſſes. 8,9,to,
nouueauxAzamoglans & leur inſtruction meurt laiſſant vne tres-belle ſeigneurie
au Serrail. - 357,36o,361 à ſes enfans. II

Nouogarde ville qui ſurpaſſe en richeſſes Othomans race des Empereurs des Turcs
les deux Sarmaties.74, ſe rendau Turc. dont il n'y en a cncores eu qu'vne.
236 - 9

Nuremberg l'vne des plus fameuſes villes oxigala qu'eſt-ce.. 34o
d'Alemagne. * 4o oxicrat qu'eſt-ce. ibid.
certains Oyſeaux appellez Manucodiata,
- . E* qu'on apporte des Indes tous morts,
car il ne s'en prend point d'en-vie, ils
O Chide portion de la Macedeine. 3o · ne touchent ny terre ny cicl. 492
*- Officiers domeſtiques du Turc. 133 Padoué
•-Nm=-= -"
|


Table des matieres. |
4

l'eſlection du Patriarche. 448, 429 -

Paleologues pourquoy portent en leurs ar


moiries vn quartier d'Aragon. 39
P Adoüe cité riche & puiſſante ayant plus Paleologues recouurent Conſtätinople des
de deux lieues de circuit. I66
mains des François. 9
Pajangur ſuccede à l'Empire de ſon pere Palcologues mis à mort combatans vail - •
• •
.. ,
-
Tamburlan apres la mort de ſon frere lamment à la priſe de Conſtantinople. | |#
aiſné. 94 ,- 22.6 - - * •

* !
Pajazet ſurnommé Hildrin, c'eſt à dire fou Pannodace eſt la Tranſſiluanie. 145
" •-
· "
• ·
-

dre ou tourbillon, grand ennemy du hom Pannonie ou Hongrre deſcrite. .. 4I -

Chreſtien. 37, pour regner fit mettre à Pantogles general de l'armée de mer du -

mort en ſa preſence ſon frere aiſné. 34, Turc , ſauue ſa vie par vne beſſeufe. . ! "
|
2.2 I
depoſſede les PrincesTurcs de l'Aſie.37, - -
- •

-
-

, pille miſerablement la Hongrie. 34, il Papes comment & par quelles perſonnes -

commet vn acte traiſtre, cruel & indigne eſleus. 169, & pourquoy ils changent leur .
d'vn Prince. 56, aſſiege Conſtantinople, nom. 17o - l' -

|
& l'occaſion pourquoy. 45, eſt trop auare Paris & ſes loüanges. . 48 | ||
| |! |

pour vn † ſes ſoldats. 87, ſini Paris aſſiegée des Anglois. . | 5r '
, *
l. -

ſtres preſages pour luy. 84, ayant perdu la Pariures punis ſelon leur deſſerte. 2o8
bataille pris auec ſa femme, enfans, & Parler trop librement choſe ſort dangereu
tous ſes capitaines. 89, mené & brocardé ſe. | 228. -

par grandè contumelie parmy le camp de Parthes en quel temps eſtoient au comble
| .
l'ennemy. 9o, auoit ordinairement à ſa de leur grandeur commandans aux Per 1 - 1 ,
|. " .
ſuitte vn merueilleux train de chiens & ſes, Medes & Aſſyriens. · 5
oyſeaux.ibid. meurt pauurement.92, ſon Phaſis riuiere. - - . . 264
loge. - ibid. Paſques comment celebrées par les Maho •
Pairs de France. "• 49 IIlCtaIlS. , - . 7o • . , iº

Paix honteuſe des Grecsauec le Turc Amu Patrasville d'Achaye riche & opulente,vui-. º)
rath. - 137 de & abandonnée des habitans & pour »
Paix plus ſouuent faict perdre l'Eftat que la quoy. 197, priſe par Conſtantin qui fut |
|
- , . - -

gucrre. 195 le dernier Empcreur de Conſtantinople. |


-

Paix rompue cauſe de la ruine des Hongres. - I39 - } - - -

· t
182 Patriarchat ſouueraine dignité de toute l'É · •
Palapan Page,qu,meſchammenttrahitſon
, maiſtre. . Io2.
gliſe Grecque, - , II9
4

Pau,autrement Eridan, le plus grand fleuue


Pain Turqueſque. 34o d'Italie, ſa deſcription. - 1o9
Pallegü qu'eſt-ce. - 36I Pregai quel Magiſtrat à Veniſe. II2 , i rº
les principaux Pages de l'Empereur Turc. Pelerinages au ſepulchre de Mahomet pour *-,
||| |
, ,*
329 - - - gaigner les pardons. 7r
Paſtramach bœuf fumé à la cheminée qu'on Pelerins Chreſtiens au ſainct Sepulchre de | i
appelle breſil. 338 I E s vs-CH R I s T,payent tributau Turè. *: | •
8o , - • *
Paſtmach qu'eſt-ce. 34I
- -

|
Patriarche de Ieruſalem. 427 : • · • ,ir
Peloponeſe preſque tout enclos de mer. 1o5. |

|
le Patriarche d'Alexandrie. ibid. premierement faict tributaire du Turc
le Patriarche pouuoitinterdire l'Empereur. par Amurath deuxieſme. 187, finalement +

| |
· 43 - -
tout conquis par les Turcs. 26o.deplora ,

Pºche d'Antioche. " 428 tion d'iceluy. - 27r | . !

:
Patriarches pouuoient eſtre eſleus eſtans ma Peloponeſiens captifs du Turc maſſacrez |
|

|
I1CZ. · 435 .tres-cruellement. i97 #
-

reſpect qu'on portoit au Patriarche. 436 Pechmes qu'eſt-ce. . · 34i " !


le Patriarchat de Conſtantinople.426,& ſon Peichs laquais du Turc. 365, & leur habille . . -
" eſtendue. , 427 ment. . ibid. - :
-
|| |
quatre Patriarches & principaux chefs en Pennaches ſignes de vaillance parmy les |
# ! |
|.
, l'Egliſe Grecque. | 42 r Turcs. - 37I. | |

3i3 #
Paradis de Mahomet. 5o9,473,474,475 Pera & ſa deſcription. *.
-
1 ij
l


, - * -

· · · -,

## i ' :

|
,

.
.
-

|
|
Table des matieres.
Pera autre ment Galatie. 35. ville pres de Pogdan Seigneur du mont Rodopé ran
Conſtantinople,long-temps poſſedée par gé ſoubs la puiſſance du Turc Amurath.
2.8
les Geneuois, qui en ſont loing plus de
i 2ooo. lieuës par mcr. 161, elle ſe rend au Pogdauie ou Podolie, à preſent du Royau
Turc Mechmet.227,demantelée. 228 me de Pologne. I49
le Pere & le fils s'entredonnent la bataille. Pollonois de quel langage vſent & leurs
- IIlCCUlIS. 76
i ---
-
3e3 - /
la Police pour la nuict en Turquie. 372
* . , !
: -

-
-
Peridmetum quel lieu. 17
Permiens peuples tous addonnez à la chaſſe, Pompe eſtrange & brauade de l'Empereur
: , | où habitent. - 7 Solyman. 35I
| |
| | | !
· # | Perouſe ſoubs l'obeyſſance du Pape. 164 Poſca qu'eſt-ce. 34I
# ||| |
| |

Peſte rare en Alemagne, & frequente en O Portraict de l'Empereur de Conſtantino


# -
| ! | rient. 4O ple. - 433
-

|| | Peucinicns ſont les Tranſſiluains. 44 Portraict du Patriarche de Conſtantinople.


», *.
· · ·
| r

•t !
|
Piealmagilar treſoriers des confiſcations &
- aulbcine. 383 Portraicl d'Othoman premier Empereur,
-
' ! |

des Turcs.
• . •!
Phaeacia ou Corcyra, maintenant Corfou. - 1

r- ! . J 44 Portraict d'Orchan ſecond Empereur. II


-
" ,
-

1
t.

:· #
|
-
i
:
P#ium ville & ſa ſituation. I79 de Solyman troiſieſme Empereur. I3
- Pharos contrée d'Egypte combien grande. d'Amurath quatrieſme Empereur. 17
|.
l - |
-

#
| -

67 de Baiazeth cinquieſme Empereur. 32


" .
" Phaſis riuiere deſcendant du mont Cauca Portraict de Tamerlanes Empereur desTar
ſe. 79 U2TCS. 6I
|
,
| jº| Phatumagrand Preuoſt de l'hoſtel du Turc Pourtraict de Ioſué ſixieſme Empereur des
depoſé de ſon eſtat. 19I, mis en cul de foſ Turcs. 97
' . sºi , ſe & ſes biens confiſquez. ibid. Portraict de Muſulman ſeptieſme Empe
· · · · :
-

Pherres ville riche & opulente priſe par A ICUlI'. •" 98


" !
. murath. 2O Portraict de Moyſe 8. Empereur. IOI
· · · · · · ,t 1,

# | | | : Philadelphie ville d'Aſie en la Prouince de Portraict de Mahomet neuſieſme Empe


" | 4
Myſie. IO , I'CllT. Io4
|
Philippoli peuplée de Turcs. 37 Portraict d'Amurath ſecond 1o. Empereur.
Phliunte chaſteau d'Achaie. 253 I26
- Phocéc ville d'Aſie , maintenant Vicille Portraict de Scanderbeg ou Georges Ca
Feüille. 293 ſtriot Roy d'Albanie. 197
|
|
|· | -
· Phrygie quand occupée parlesTartares 5 Portraict de Mahomet ſecond II.Empereur.
" ! Pierre le Boitteux Albanois, homme deſeſ 2 /4 -

:
peré & meſchant tout outre. 23I Portraict de la ville de Conſtantinople. 324
: *·• Piller auant la victoire du tout obtenuë faict Portraict de l'armée du Turc. 4o5
-
ſouuent perdre des batailles à demygai . Pont dreſſé par les Turcs ſur la mer.
| : -
gnées. 187 2.2 O - -

-
Pindus montagne en Theſſalie à preſent Pont d'Auignon l'vn des plus beaux &ad
| - Mezono habitée des Blaiſiens. I68 mirables qui ſoit en tout le monde.
#
•.
Pindus ville priſe par le Duc du Peloponeſe. 9
192, miſe és mains du Turc Amurath auec nombre des Portes de Conſtantinople. 324
- le pays adiacent. 197 le Pourceau deffendu aux Mahometiſtes
-
! | Piſtoles par quiinuentées. 4I auſſi bien qu'aux Iuifs.7o,338,autresviá
4 - Piſtrinum quelle contrée. - 3o des auſſi deffendues par Mahomet. ibid.
l menus plaiſirs du grand Seigneur à quoy ſe Pordapas quel lieu au Pont Euxin. 274
| | -
, i, -
monte paran. 385 Port de Conſtantinople le plus beau de
' º Plaiſir fort loüable du Turo, 36I tout le monde.218, pris par les Turcs.
1 ,: - | " !
Pladicas homme fort renommé, faict ſei 2.2 O -

- | 1 l .
gneur de Pryle dicte Bœa. '
- -

I5 Portugal ſubiugué par les Mores. 49


Plaiſance fort grande ville d'Italie. Poudre à canon de quoy & commentfaicte.
-° • | IIO
I34
| | | | : . | Podolie region deſcrite. 76 Prague ville riche & bien peuplée capitale
| , | ! /
C

' . | |
• | :|
* - | |
-
-
| |
| ||
# !
º
t :: · a |
| Table des matieres.
:.
' de Boheme. 75,238 minations. - 392
Prailabum principale eſtape & apport dc Promeſſes doiuenteſtre eſtroictement gar
toute la Valachie , bruſlée par le Turc. dées aux ennemis. 66
2 O4 - Prouiſion Turqueſque fort propre à vn
Praſobe anciennement Haemus,montagne Camp. - 339
ſeparant en deux parties le pays de Bog Prouinces Chreſtiennes aſſubietties au
dauic. 44,I45,2O4 Turc. 355 :à
Precipitation fort pernicieuſe à vn Prince Protogere qu'eſt-ce. " - ibid.
conquerant. - 27 Prophetie eſtrange d'vn des Empereurs de -
Predeſtination fort rccommandée entre les Conſtantinople. . 23o
Turcs. 2o4 Prophetie vainc ou mal entendue tou
-

Preſtre charmant les femmes pour les attirer chant la ville de Conſtantinople. 225
à ſon amour. - 38 Pruze premier ſiege de l'Empire des Turcs,
Preſtre qui liura la ville d'Argos aux Turcs. 8, capitale de Bithynie. 9, ſepulture
O Royale des Princes Othomans. 3I
Preſtres de la Religion Grecque ſe marient. Punitions du feu. 373
I2 Pydne ou Cydne, anciennement Potidéc
P§e des Turcs les encouragent en ba à preſent Caſſandrie. 1C)

taille. - 223 Pylos priſe par les Zacharies Geneuois. 12o


les Prelatures & Eueſchez du Patriarche de Pyrenées ſeruentà la France de rempart. 48
Conſtantinople. . 422,423,424,425, Pyridaſtie autrement Phriſe. 4o.
42 6 -

Preceptes negatifs & affirmatifs en la Loy


de D 1 E v en quel nombre. 494 -

Prialupas Tribalien Prince d'Acarnanie & QV† mauuaiſe, ordinairement plus


friande qu'vne raiſonnable. I2,
d'AEtolie. 122, maſſacré en ſon lict par ſa
femme, laplus lubrique qui oncques fut. Quinſai ville ayant vingt-cinq ou trente
ibidem. lieuës de circuit.
Prieres particulieres du serrail. 365
Premiere inſtitution du Patriarchat, 42I - R.
º
Priere des Turcs auant le manger. 342 - | -
-
-
+ -

Prieres pour les Treſpaſſez ordonnées par


Mahomet. 5o7
RAches capitaines Grecs pris & mis à
-

mort par les Turds. 313


Prieres iournelles des Iuifs. 36o Rauenneville riche & opulente, pourquoy
Priuileges de Mahomet pour luy ſeul. 5o3 non ſaiſie par les Venitiens. Io8
Prince puſillanime quels maux ameinc. Rebelles à leur Prince, condamnez d'eſtre
I5 - * .
tuez & maſſacrez par les mains de leurs
Princes ne ſe doiuent laiſſer aller à oiſiueté proprcs peres.. | 26
ny delices. IOO
deux Religions principales en tout le mon
Princes en quelles choſes doiuent chercher de 37

,
gloire & reputation. 63 Rolandl'vn des Pairs de France ſoubsChar
- Princes ne doiuent mendier par profuſions lemagne. 49, il meurt de ſoif. ibid. ſes
la faueur des ſubiects. II , vaillances incroyables. · ibid.
Princes fe diſpenſent de beauconp de cho René d'Anjou eſpouſe la Royne de Naples.
ſes qui ne ſont pas tollerées aux perſonnes I53
priuées. . - | 278 René Seigneur de Corinthe, d'Athenes &
Princes changent ordinairement de natu de la Bœoce marie ſa fille àTheodore Pa
rel aucc l'heureux ſuccez de leurs affai leologue. 1I9
, 1 €S. - - 32. Republique des Grecs bien inſtituée.
Princes ordinairement ſe ſauuent & leurs Repudiation pourquoy & comment faicte
miniſtres demeurent pour les gages. entre les Turcs. 68
, 26 Religion Mahometane ſelon les textes de
Priſonniers des Turcs tous faicts eſclaues. l'Alcoran. 5oI,5o2,5o3,5o4, & ſuiuantes :
le Reuenu duTurc paſſe douze milliös d'or.
Pramium & Pana, fondement de toutes do 384,dutemps de Calchondile à huict mil
1 iij

º
* r, -
Tables des matieres.
lions. 294 Saracmini capitaine des Caſtadours. 4o ;
Reſurrection tenue par Mahomet. 5o9 Sariana le plaiſir de la chaſſe & de la vollerie.
Riottes à l'Italienne. , 34O 352
le Roſt des Turcs & leurs ſaulces. Saluſtar qu'eſt-ce
339 358
ancienne couſtume des Romains au Paga mode de Saluer & faire la reuerence à la
niſme. 365 Turque. 332
Rochelle place de la Phliaſie en vain aſſie saraptar ſommelier, eſtouffe auec de l'eau
gée par le Turc. 253 le frere du Turc par ſon commandement.
Rodopée montagne en Macedone. Io, vul 2 I3 -

gairement appellée la montagne d'ar Sarchan ſeigneur d'Ionie. 37


gent. . " 28 Sardanapalus par qui & comment démis

Rome laiſſée au ſouuerain Pontife de l'Egli hors de ſon ſiege. 3
ſe Latine & Catholique. · 3 Sardeigne iſle priſe par le Roy de Naples &
Roüe pour ſupplice entre les Turcs. 253 d'Aragon. 152, combien elle a de circuit.
Roys de France premiers Empereurs d'Ale I 55
magne, & pourquoy. 42 Sarmates en quelle partie du Septentrion
Roys d'Angleterre ne font rien d'importan lhabitent. - 44
ce ſans aſſembler les Eſtats. 52 Sarmatie deſcrite. -

Ruſe de Mechmct deuant Conſtantinople. Sarmatie la noire & Sarmatie la blanche.


2.2.2 ibidem.
- Ruſe de Huniade pour ſe retirer. 189 Sarrazins chaſſez d'Afrique & d'Eſpagne
Ruſe fort plaiſante faicte par les Mores. par les Roys de France. 42,49
• 156 Sarraxi Grec de nation, eſtablygrand Pre
. RuſcieeſtlaSarmatie noire. 74 uoſt de l'hoſtel du Turc. . I9I

º'i , Saue ou Sou riuiere de Hongrie. 15, & ſon


S COlll S. I42

i
º *
Sauoye eſpanduë & ſemée parmy les mon
,l

: il
, ' •• •

S Abatin Eunuque chef de l'armée Tur tagnes,neantmoins fertile. | 4I
* 1 * - -


-

,
queſque en Tranſſiluanie, luy & ſon ar Saüz pour auoir voulu ietter ſon pere Amu
* :. mée deffaicts. - I46 - rath hors de l'Empire a les yeux creuez. 25
|

• .
i **
-
Sacrifice de captifs faict par Amurath à l'a | Seapoli qu'eſt-ce. 4I4
-
-

': me de ſon feu pere. 197 Scaligeres chaſſez de Verone par les Veni
• # Sacruch fils aiſné dê Tamburlan ſuccede à ClCIlS. 1IO
i
l'Empire de ſon pere encores viuant. Schaouxbaſsi chefdes maſſiers. 379
Sehaoux qu'eſt-ce. 378
1

|
Sagere ville principale de Sardeigne. . 155 Scialangar vallets de chambre. 558
| 4 . -

il
Sain capitaine Turc, homme de grande re Scender Roy d'Armenie, homme tres-vail
•• • putation. 2O lant & ſes beaux faicts. 37
#
Saladin Roy de Surie fort pernicieux aux Scanderbeg contre Amurath.2oo, pruden
• | •. Chreſtiens. 6 ce d'iceluy.ibid. & ſes proüeſſes. 2oI
: - ,
- | Samachie ville de la Medie, grande & opu Scanderbeg ſe reuolte dugrand Turc Amu
| i , : · lente. 94
rath, & pourquoy. 198
|
•1 Samogitiens gens robuſtes & endurcis au Scuff qu'eſt-ce. 365
- .'
trauail n'agueres Idolatres. 75 Scuras Albanois faict Beglierbey de l'Euro
-
Samothrace ſe rend trop inconſiderement pc. I9I
au Turc. - 265 Scytes eſtimez les plus anciens peuples ne
Saincte Maureiſle en la coſte d'Epire. 269 furent iamais debellez auparauant Tam
l i
-

Saniacs ſont comme gouuerneurs des Pro burlan. 72, habitoient iadis en tentes &
, , , i, uinces. 247 pauillons. 16, en quoy conuiennent aucc
# ! ·
º ' - il Sagues où habitent. - 67 les Turcs, & quoy non. - 6
1
SacquacX qu'eſt-ce. 36I Sebaſte c'eſt à dire Auguſte, ville de Capa
, . . ! clection des Saniacs. 394
,

' doce riche & opulente. 63, iadis ſiege des
Saniacs & leur charge. 39o EmpereursTurcs. 82, priſe par Tambur
, 1 ,
| | Saracmin qu'eſt-ce. 4o8 lan. ibid. & tous les habitans maſſacrez
| | | | : .
|
Sarutiler palefrennier. 347 iuſques au dernier, , 83
| 4 | Sebaſtopoly
!
: .
|

|.
-

|
•--

Table des matieres.


Sebaſtopolycapitale de Mangrelie. 264 nom, premiere habitation desTurcs en
Scctides gèns de ſçauoir en la religion des Aſie. , 7,8
Turcs,& leur charge. I99 Soingaſſidu fort requis en vn chefde guer
Secher qu'eſt-ce. 34o I'C. • 87
Scliétars qu'eſt-ce. 377 à quoy ſe peuuent monter paran les gages &
quatre principales Sectes de Mahometiſtes. Soldes des gouuerneurs des Prouinces,
459 officiers, gardes & autres gens de guerre
Sectes duChriſtianiſme au Leuant & parties du grand Seigneur. 384,385,386,387
Meridionales. 42 I Sorbet qu'eſt-ce. 34O
| Selictars & Spaoglans quels hommes en la Solyman mis à mort par ſon frere puiſné. 34
Cour du Turc. I33,28o
Solyman ſignifie Salomon. , 247
Selybrée ville de Thrace liurée à Paiazet.47 Sophie maintenant appellée Scopie,bruſlée
Semarcant ſiege royal de Tamburlan. 64, par Georges Bulc, & pourquoy. 172
priſe de force par Præampur l'vn des Prin Sorabres quels peuples. I6
ces Indiens. - . . , 94 Sort ierté par les Turcs faiſans partages de
Semiramis braue & magnanime Royne leur conqueſte.
morte en cöbatant contre les Indiens.216Souldan ſeigneur fort puiſſant & deſcrip
Senderouie ville des Tribales , ſe rend au tion de ſon Empire.89,eſt reueré comme
Turc Mechmet ſans coup frapper. 261 ſouuerain Preſtre & paſteur de la loy dc
Sepulchre de I E s vs-CHR I s T gardé ſoi Mahomet. ibid.
gneuſement par les Turcs. 8o Spachi quels hommes de garde du Turc. 133
Sepulchre de ſainct Iacques en Galice viſité Spadaforce capitaine Albanois homme ha
en grande deuotion par les Chreſtiens. 155 zardeux, à l'ayde duquel ils firent de bel
Secmenbaſſi grand veneur. 352 les conqueſtes. 121, deffaict les Neapoli
Seruice de table du Turc. 342 tains deuant Arthé. . I2,2,

SerrailduTurc & ſa deſcription. 326,328, Sparte ville du Peloponeſe à preſent Mizi


329 . | thre. - 2 C)
-

cloſture du Serrail. 357 Sparte rendue augrand Maiſtre de Rhodes


Sepulchres des Turcs en quels lieux ſont or par Theodore Duc d'icelle. 55, & ce qu'il
dinairement. 7o ,enaduint. ibid.
Serpent deuorant les hommes & non pas les Spaaglans qu'eſt-ce. . 377
femmes comment fut combatu & tué Spaaglans libertini ou affranchis Romains.
pres de Milan. IIO 378 -

Sforce chefde l'armée des Venitiens. 167 Spacchiz qu'eſt-ce. 377


Sforce parvn ſubtil ſtratageme eſt double Spectacle de cruauté merueilleuſementeſ
ment victorieux,& contre les Milanois & pouuentable. 288
· contre les Venitiens. I68 Spenderouie ville capitale de Bulgarie ſur le
Sicyone maintenant Baſilique, ſaccagée par Danube. 141, rendue auxTurcs fort laſ
le Turc Amurath. 197 chement. . ibid.
Sigiſmond eſleu Roy de Hongrie. 4I, va à Sphetiſgrad ville ſaccagée par lesTurcs, &
Rome auec grande difficulté & danger | tout mis au fil de l'eſpée. Io8
de ſa perſonne pour ſe faire couronner Sphetzamim ville où aſſiſe. 2 IO

Empereur par le Pape. 42, va auec les Spinoles ancienne famille de Gennes. 149
Chreſtiensliguez contre le Turc.39,perd Stateres quelles pieces de monnoye & leur
la bataille & s'enfuit. 43 valeur. - 236
Similitudefortbien appropriée. 157
Stratageme fort ſubtil & gentil. IO

Sinambaſſa Eunuque tres-valeureux. • 328 Stratageme d'Amurath ſemblable à celuy


Sitidar qu'eſt-ce, 358 de Hannibal en la bataille de Cannes. 22
Simuler à temps eſt ſouuent neceſſaire aux Stratageme de Huniade cötre lesTurcs 176
grands Princes. - 83 Subaſſi iuges ſubalternes. 355 ---

Siſſities d'où vient & que ſignifie ce mot. subaſsiiuges de reſidence ou chaſtelains.38o
64 - Subaſſi qu'eſt ce & leur charge & appointe
Smyrne priſe par Tamburlan par engins de IIlCIlU, 393
belle inuention. • 9I Subſides leués par le Turc ſur ſes ſubiects.
Sogutpetite bourgade & riuiere de meſme 248 -

1 iiij
Table des matieres.
l,
| Superbes ſouuent reduicts au plus bas eſta Baiazeth, mis à môrt cruellement par luy.
ge de fortune. 89 | 56, enuahis par Tamburlan vont au dé
| Sur ville où ſituée. . - 8I uant de luy pour le combatre. 77, de •
il Suſman Deſpote de Seruie deffaict par Sain
capitaine Turc. 2O
quelle ruſe vſent en combattant. 78,
- | , li| ! ; -

deffaicts par ledict Tamburlan. 79, le


le logis de la Sultane principale femme du contraignit do faire paix. ibid. pompeux
, . , 1º ; Turc. - 357 en pierreries. 77
F" | |
-
||
' - ' !
· Suſſam qu'eſt ce. 34O Taugete mont en Laconie.
Syderopolicné en vain aſſiegée par Turacan Taureau place dans Conſtantinople.
256
, , , " 225 .
, , • !
|t,,
• Tutc. - . 2I7
Tecos ſeigneur de Madian. 37
| | | | ! Synope ſituée ſur le bord du pöt Euxin. 274 Tauſfaga qu'eſt-ce. - 359
|!
|
Tathia qu'eſt-ce. 398
| -

| |
i. . TA#e
T Tegée ville d'Arcadie.
Teccadar qu'eſt cc.
ville d'Aſſyrie fort grande & Themir ſurnommé Churlu, qui ſignifiefer
. 254
358

pleine de merueilleuſes richeſſes. 94 heureux, & Temir Aſſach,c'cſtà direfer


| • Taenarus riuiere de Thracc. 16, l'eau de la boiteux. 6I

| | quelle eſt fort delicieuſe à boire, ſaine & Teſfeder qu'eſt-ce. | 33I
rofitable. ibid.
:
| | | : -

Tagarzibaſsi maiſtre des braconniers. 352


l'eſtat du Teſquegiribaſsi ou ſecretaire ma
1CUlI . 394
- ' ;

: |
|
2 alijmans qu'eſt-ce. 365 Ternobum ſiege royal de la Myſie. 16
incertitudes des Talmudiſtes. 446 Terreur paniquc faict perdre la ville d'Ar
, 1
Talmud Babylonien & cc qu'il contient. gos. - - | 55
, i
459 -
Tezetin ayant tué ſon ancien hoſte &amy,
" !

Tabours Turqueſques. - 395 taillé en pieces. 136
Taquia bonnet. - 367 Tharſe rendue au grand Turc Mechmet.253
| | | | Tamburlan en ſon premier aage futgardeur Thaſus iſle en la mer AEgée ſe rendtrop in
· de haras. 63, briefue deſcription de ſa vie. conſiderement au Turc. 265
, '
-
-
ibid.eſpouſa la Royne des Maſſagetes.64, Thaut fils de Sauz fils d'Amurath du party
bien affectionné enuers ſa femme. 6o,en des Hongres contre les Turcs. . 2o6
!'
nemy mortel des ladres. 83, ayant faict Thebains ayans abandonné leur ville,maſſa
mourir Myrxas, le faict honorablement crez & faicts eſclaues. 197
t
inhumer & le pleura par long-temps. 67, Thebe ſaccagée par les Italiens & Arago
IlOlS, II
| | | · il ſomme le Sultan du Caire de ſe depar
|
tir de la Surie. 79, auec huict cens mille Theodore petit fils de l'Empereur Emanuel
||| hommes va contre Bajazeth. 83, va luy faict Duc de Sparte & ſeigneur du Pclo
meſme recognoiſtre le camp de l'enne oneſe. II9
| my. 87, il deffaict les Tzachataides. 73, Theodore faiſant guerre à ſon frere IeåEm
vainqueur contre Bajazet vſe d'vne gran pereur de Conſtantinople, ceſſe preuenu
| | | de humanité cnuers les vaincus. 88, il ce de la mort. #
de ſon Empire à ſon fils aiſné, & acheue Theodoſie à preſent Capha, colonie des
| ſes iours en repos. 93, ſommaire de ſes Gcneuois. I6o
concupiſcences & deſbordées voluptez. Therin ſimple ſoldat, tranche la teſte à Vla
· 93 , 94 - - - diſlaus Roy de Hongrie & la Porte au
amiſe grande riuiere &impetueuſe paſſant grand Turc. 189, recompenſé de biens
| ! par Londres en Angleterre. 53 infinis. ibid.
1 Tampezin ſont les baſteleurs des Turcs.248 Therizes gouuerneur de Bœrrhcee met en
i Tanaiſe riuiere par où coule. pieces les AlbanoIs. 18I
Tartares habitent par hordes ſeparées les v Theſin riuiere d'Italie, qui ſe va rendre dans
nes des autres.73, ils meinent leurs mai le Pau. IIO
' : ſons ſur des chariots, & leur maniere de Theſſalie pays fort plaiſant & abondanten
viure. 76, de quelles armes ils vſent. 77,prairies couuertes de gybier.38, conquiſe
quelles grandes courſesiadis firent parmy par les Albanois.12I, peuplée de Turcs. 56
le monde. 76, ont pillé & ſaccagé ſcpt Theſſaloniciens ſedicieux punis. 27
fois la haute Aſic. 5, receus au ſeruice de Theſſalonique rendue aux Venitiens par
- · les
Table des matieres.
les Grecs, & priſe par les Turcs,ou perſon bitent, à preſent appellez Bulgares.ibid.
. ne ne reſchappa qu'il ne fuſt occis ou pris. ſont hardis entrepreneurs.15,deffaicts par
126 le Turc Amurath. 2o, & par luy aſſubjet
Theſalonique maintenant Saloniche, ville t1S. 28
de Macedoine. , IO9Trochies ayant perdu la bataille contre
Thrace pillée par les Turcs. I.4. Preampur, perd la ſeigneurie de Semar
Thuracan braue capitaine, s'acquiert gloire C2 Il [. 94
& reputation immortelle par toute l'Eu lesTrompettes du Turc. 364
rope 174, faict Saniac de Theſſalie, ilopi Trophée cruel & horrible de teſtes d'hom .
ne de donner la bataille aux Tribaliens & IIlCS, 138
aux Hongres.ibid. par calomnie accuſé Trudelude Princeſſe de Delphês donne ſa
de trahiſon eſt mené priſonnnier. 177, fille à Bajazet Empereur des Turcs pour
ayant pillé le Peloponeſe s'en retourne auoir paix. 38
chargé de deſpoüilles & d'eſclaues. 197 Turc ſignifie paſteur & homme viuant ſau
Thomas Paleologue mal à propos ſe rebelle uagement. 6
contre le Turc. 259 ordre & inſtitution de la Porte ou Cour du
Thomiris Royne des Maſſagetes en com grand Turc. 132, comment il fortifie ſon
battant miſt à mort le Roy Cyrus. 93 . logis eſtant à la guerre. 133, & l'afliete de
Therſiler tailleurs. 364 ſon camp. ibid.
deſcription du Throfne diuin ſelon Maho Turcs d'où deſcendus, & de quel noman
IllCt . 485 ciennement appellez.9, habitoient iadis :
Timariots leurs charges & appointemét.393 en tentes & pauillons. 16, du commence
Timar & Timariots qu'eſt-ce. 38o ment departis par cantons. 6, viuans à la
Toganon montagne. . I32 . mode des Nomades.7, ſont de leur natu
Topgibaſi maiſtre de l'artillerie. 4o7, re ignorans & groſſiers, & ennemis mor
Topgilar canonnier. 47 tels du ſiege Apoſtolique. 227, ſont bri
Toſcaneanciennement Hetrurie,Thyrenie gans & vilains. 17, par quels Princes pre
& ſa deſcription. I64 mierement gouuernez. 6, n'ont point en .

Toſibinium ville principale de la Tranſſil cores eu d'Empereurs que d'vne race qui
uanie. 145, autrement Cibinium, mainte ſont les Othomans. 6, ſont fort deuots &
nant Hermenſtrat. ibid. zelateurs de leur Religion,adonnez aux
-|
•·

Tour ſacrée ſur le bord de la Propontide.183 plaiſirs & voluptez. 68,n'oſeroient boire
Trahiſon du gouuerneur de Muſtapha. 136 du vin.7, commentils exercent leur Re
Trahiſon tres-meſchante des Albanois. 121 .
ligion.7o, prient pour les Treſpaſſez. 18,
Traiſtres bruſlez tous vifs auec leurs fem naturels ne payent point de tribut. 248,
mes & enfans. Io9 outrepaſſent tous peuples en richeſſe. 1
Tratana qu'eſt-ce. - 34o perſonne ne poſſede de terres en propre en s
Tranſſiluaniens parlent partie Valache par tout l'Empire du Turc. • 38o •º ,
tie Hongreſque. I45 façon desTurcs de ſigner leurs lettres & ex
Trebizonde & ſon Empire autres-fois és peditions. 394
mains des Commenes.261,l'Empereur de endurciſſement desTurcs aux meſaiſes,leur
Trebizonde trahy par les ſiens & ſa mort. · ſobrieté & parcimonie. 38o
262 preuoyance du Turc. ibid.
-

Trebizonde rendue au Turc Mechmet,279. le reſpect que portent les Turcs aux lettres
le departement du peuple qui en fut enle & ceux qui en ſçauent.36o, leur ſuperſti
ué ibid. l'Empereur & ſes enfans mis à tion accompagnée de reuerence. ibid.
mort. " /* 28 la façon de dormir duTurc & ſon lict & cou
Tremblement de terre qui renuerſa plu cher. - 358,359
|
ſieurs villes. . 18 menus plaiſirs & aumoſnes duTurc. 358
Treſpaſſez ſoigneuſement enſeuelis entre Turcs ſont fort grands mariniers. 334
les Turcs. 76 reuenu des maiſons royales du Turc. 383 |

Treuis pris par les Venitiens. IIO


le logis du Turc. . - - 356
Tribut ſur le beſtiail. - 383 que ſignifie le mot Turc. 2OO

Tribales & Myſiens des plus grands peuples Turcs fort ſoigneux de leurs chiens & che
& plus anciens de toute la terre. 19, où ha llallX. 35I
:

Table des matieres.


Turcs ont monté en vn inſtant à la plus l'abſence de leur chef.289, pour leurtra
|. , haute cime de felicité mondaine.4, n'ont hiſon taillez en pieces. 2o8,faicts tributai
accouſtumé de faire brigues ny menées, res du Turc. 148, deſcription de leur na
mais tout leur faict conſiſte en la gran , turel. . - 43,
deur de leurs forces.3oo, cnnemis mor Valachie diuiſée en deux contrées differen
tels de toutes diſſentions ciuiles. 199, tes de gouuernement. 44, eſt toute cou
quand & en quel nombre paſſerentpre uerte de bois & foreſts. ibid. ruinée parle
mierement en Europe. 9, & où premic Turc Mechmet. 2o4 -

rement eſtablirent leur Empire.8, pour Valence riche & opulente cité,& ſiege capi
leur premier coup d'eſſay chaſſent les tal d'Aragon. - I55 -

Grecs d'Aſie. 19, ſe ſont rendus hardis de Varne anciennernent Dionyſiopoli priſe
ferans tout à la predeſtination. 2o4, ſe par les Hongres ſur le Turc. 183
rallient mieux que tous autres peuples. Vendales s'entreprettent leurs femmes. 52
187, pour alarme qui ſuruienne la nuict, Venerie en merueilleux equipage au camp
ne changent la place à eux ordonnée. du Turc. , 314
286, ils charient vn grand bagage à la il n'y eut iamais à Veniſe aucun qui aſpiraſtà
guerre.194, fontfeux par tout leur camp la tyrannie que Baimondo, qui fut tué par
deux iours auant que de donner vn aſ vne femme. - . II5
ſaut ou bataille. 193.font tous leurs pri Venitiens d'où ſortis & deſcription de leur
ſonniers eſclaues. 9, de iour à autre croiſprogrez & Eſtat.1o6,leurs conqueſtes.Io7
ſent & proſperent en grandeur. 28, à l'e ſont touſiours conduictsà la guerre parvn
_xemple des Romains ont accouſtumé de chefeſtrâger & pourquoy.II4,ſont grands
ſe preualoir des diſſentions des Princes & voyageurs par mer, & en quels pays. IIj,
des peuples.2o9, ont touſiours acreu leur quand ils firent premiefement la guerre
Empire par les diſſentions des Princes . auxTurcs. 1o6, liguez auec les Hongres
des Chreſtiens. 137, aſſeurent leur Eſtat contre le Turc Mechmet. 3o5. faicts ſei
par vne ſeule bataille obtenuë contre leſ gneurs d'Athenes. 123,les guerres d'entre
dicts Chreſtiens. 19I, ſont maiſtres des , eux & les Gencuois. Io9
perſonnes des Chreſtiens à eux ſubiectes Verone priſe par les Venitiens. . IIO

- & de leurs biens.I, ils achetent les vier Vers qui font la ſoye & le cramoyſi, 94
ges pour les eſpouſer. 63, eſpouſent plu Venerie des Turcs. . 35I
ſieurs femmes & tiennent autant de con Viandes des Turcs . - 338
cubines qu'ils en peuuent nourrir. ibid. la Vie du Turc fort ſolitaire & recluſe. 349
façon de lire desTurcs. 36o des incommoditez du Vin. . 338
Turca eſt vne fort belle & opulente cité en Viciſſitude merueilleuſe des choſes humai
la Perſe,d'eù ſont ſortis les Turcs. 6 IlCS. 229
Turchie quelle contrée & où aſſiſe.14o, en Victoire miſerable de Baiazeth contre les
ticrement vſurpée par Amurath. ibid. Chreſtiens. 42
Turgut ſeigneur de la Phrygie. 37 Victor Capelliharangue au Senat de Veniſe
| Turgut quelle contrée. I4o pour entreprendre la guerre contre le
Tzacataides peuples bons pourfuyr. 87 Turc. 3o5
Tzapnides peuples de la Colchide. 37 Vierges eſclaues departies par le Turcàper
Tzaniſas ſeigneur de Babylone & grãd con ſonnages d'authorité. 28o
querant. 94 Vigilance aſſidue eſt lavertu plus requiſe en
Tzaniſas donne au Turc quatre mille quin vn capitaine ſouuerain. 27
taux de beurres & mille chameaux & Vlachs couriers à cheual. 367
pourquoy. 2I4 Vlufagi qu'eſt-ce. , . 377
Tzophratable & nape Turqueſque. 372 Vlne ville grande & riche, capitale de Li
thuanie. - 76
V Vin totalement deffendu aux Turcs. 7o
Vlachy ſont les couriers du Turc & leur ma
V Alaques remplis de gens ramaſſez,com niere de faire diligence. 283
mc auſſi eſt leur langage.44, ils ſem Vladiſlaus Roy de Polongne appellé à la
blent de prime face parler le langage Ita couronne de Hongrie. 283, harangue ſes
lien. ibid. par leur temerité deffaicts en gens ſur le poinct du combat.I86,aſſaillent
mal

, |

|
- -

Table des matieres.


malàpropos les Iennitzaires en leur fort.
188, maſſacré ſur le champ & ſa teſte por Z
tée à Amurath. • I89
Vladus ſeigneur de Moldauie homme eſträ Z -A
Abacca ſont les mareſts de la Meotide,
6 -

gement cruel, & ſes faicts. 281, pluſtoſt te


meraire que hardy.285, ſpectacle merueil Zacharies Geneuois font de grandes con
leuſement eſpouuentable de ſa cruauté. queſtes en la Grece. 12 Q

288,abandonné des ſiens ſe retire en Hon Zagora peuplée de Turcs. 56


grie.29o, mis en vn cul de foſſe à Belgra Zampacon eſt le Magiſtrat de la ville de
de. - 292 Cercede, ainſi appellé. 3o6
Vngleſes & ſon frere Chrates faicts ſei Zarachorides gens de peu au camp du Turc.
gneurs de Pherres. 16, deffaicts & tuez I94
faiſans trop bonne chere. 17 Zarchus homme vaillant gouuerneur de
Vœux nonreiettez par les Turcs. 199 Macedoine pour les Tribaliens. 15
Volupté d'vn Prince quels maux ameine. Zaceſti quels hommes au camp du Turc.
15 194
Yoingler faucheurs. 347 Zele & fidelité des Iennitzaires enuers leurs
Voyage de Mahomet en leruſalem, & de là Princes. 37I
au ciel, monté deſſus l'Alborach. 479, & Thermes du Zeuxippe. 416
ſuiuantes. Zenempilas chef des Albanois, à ſon mal
Vrbain Valaque canonnier pour le Turc heur ſe reuolte contre les Turcs, deffaict
deuant Conſtantinople. 2 I9 & tué. I8I
Vrſins alliez auecques la maiſon d'Anjou. Zetunis ville d'Aſie, ſituée dans le deſtroict
153 des Thermopyles. 38, rendue aux Grecs
Vſunchaſſan range à ſon obeyſſance l'Ar par les Turcs. ibid.
menie & le bas pays de l'Aſie. 2 I4 Zitum qu'eſt-ce. 34I
, Vulkrine riuiere au pays de la Boſſine & ſon Zichides Moynes & Religieux des Turcs.
COllIS. I 4t 199, encouragent les ſoldats en bataille.
223
• X Zoganremis en ſes charges27 ,ſon progrez
par le Peloponeſe. 273
X Yle palais à Conſtantinople, autrement Zurnalar ioueur de hault-bois. 396
dict la maiſon du bois. - I6I opinion du liure de la Zune touchant la
mort des Anges & la reſurrection des ani #
· |
Y IIl2UlX. 492
Zumates Duc de Smirne abandonne Mu
- - YVºngºries cauſes de la perdition de ſtapha ſon ſeigneur. 13, faict priſonnier
Muſulman 1oo auec le Duc Muſtapha, & pourquoy.
traict d'vn Yurongne. ibid. I18 -

F 1 N.
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T RIoMPHE
E T VICTOIRE , DE LA ·
C R O I. X , C O N T R E L E S -

erreurs de Mahomet. ·

D IS C O v R S A v Q v E L L E S IM P E R TI- | | |
nences de l'Alcoran ſont demonſtrées , & que le ſigne · -

de noſtre Redemption regne encore triomphant - | |


ſur le troſne de ſes ennemis. | | |

Par ARTvs THoMAs Sieur d'Embry, Pariſtn. |

}
-

Q_V E L A SAINC TE
4 Croix eſt inuincible.
| | | I la Croix a eſté iadis -
|*
"
# # L'horreur, l'effroy, l'ignominie,
ººº Ores elle eſt de Paradis
* . , L'honneur, la douceur, & la vie.
-

Mahomet eſtablit ſes loix


Par le fer & par les alarmes, . ..
Mais IE sv s auecques ſa Croix,
Surmonte toutes ſortes d'armes,

Que ſi de puiſſans ennemis


.. . Luy ont voulu faire la guerre,
.. Pour monſtrer qu'ils luy ſont ſoubſmis,
· C'eſt qu'elle regne dans leur terre.
Le lieu meſme oû mourut vn iour A

Sur elle l'Autheur de la vie,


· C'eſt le plus ſacré-ſainct ſeiour,
Qui ſoit par toute la Turquie.
Car l'Enfer, les Tyrans,l'Erreur,
Ennemis iurez de ſa gloire,
Sont contraincts de luy rendre honneur,
- Et de celebrer ſa victoire.

--

i " .# , -
L' A V T H E V R -

D E LA CONT INVATION
D E L' H I S T O I R E D E S T V R C S
• A v L E C T E V R.

# VAN D ie me repreſenteles effects admira


(# # bles de la diuine PR ov1D E N c E au regi
) me & gouuernement de l'vniuers, ie ne
$ puis que ie ne die qu'elle eſt comme cét '

# $ ) arbre devie dont parlel'Aigle des Euange


# //# liſtes en ſon Apocalypſe, qui rapportoit
f º douze ſortes de fruicts, chacun mois de
,S>S <( ) ) l'année pour la ſanté des nations : car àla
»-z» ra #º verité c'eſt d'elle que chacun de nous peut
tirer vne notable inſtruction, cauſe par apres de noſtre ſaluation;
tous les peuples eſtans myſtiquement compris ſoubs ce nombre de
douze. Mais où cela ſe peut-il mieux remarquer qu'en l'Hiſtoire
des Turcs, leſquels comme fleaux du T ovT-Pv1ssANT ont fait
\euere ment ſentir ſaredoutable I vsT1cE à ceux quiauoient abuſé
dela bonté de ſa M 1 s E R1 coR DE.Or puis que cét œuure regarde
les C HR esr 1e N s en general, ieme ſuis auſſi reſolu de le preſen
tera en Pv B L1 c, afin qu'il prenne la protection de ce, dont il eſt la
Principale cauſe, & qu'il ſupporte plus doucement les deffauts
qu'il y pourrarencontrer, quandilrecognoiſtra que la choſe eſtant
ſienn e,ilyiroit de ſon intereſts'il n'en embraſſoit la deffence. LY-le
ºne - MoN Le cr Evr,auecvn œilauſſifauorable,commeilt eſt
Pºſenté d'vne ſincereaffection, & en prens auſſi charitablement
*defFence,commeie n'eſpargnerayiamais ma peine pour ton con
ºnte nn cnt. C'eſt la recompenſe publique que meritent ceux qui
-
9Dttra uaillé pour le PvB L1 c.

A. T. D,
-

A
P O v R Q y O Y C E D IS C O V R S A
- eſté inſeré dans l'Hiſtoire des Turcs.
siag Es choſes les plus abſurdesſont quelques-fois lesplusap
# prouuées, & cellesquiſont lespluspreiudiciables àl'hom
#, me, ſont celles qu'il embraſſe & qu'il reçoit auecplus de
: facilité. Y a-ilrien deplus inepte quel'Alcoran de Ma
# homet, & rien de plus preiudiciable àl'homme que ſes
preceptes ? De combien de fables a-il remply toutecette
# loy, qui n'enſeigne & ne commande autre choſeque le
$ ) ſang,quelesflammes & laruine de tout legenre humain,
% non ſeulement aux choſes ſpirituelles qu'elle abhorre du
tout, & priuel'homme de ſon ſouuerain contentement,
s'arreſtant aux corporelles, où elle eſtablitſaplus grandefelicité: ains encore aux tem
porelles, eſtant comme vnfeuquimetencendrestout ce qu'ilpeut rencontrer , Et tou
tes-fou toutes les nationsyont creu, (quelques-vnes exceptées): & ontfleſchylesge
noux deuant ce Baal,lequelneſçauroitfaire deſcendre lefeu Ciel, qu'en qualité dire
" ,
-
de D1 Ev, & encoreſurſes propres Prophetes, & parceux quiadiouſtentfoyàleurs
reſueries.Ord'autant qu'ileſtoit #, neceſſairepour l'intelligence de l'Hiſtoire Tur
- |
|
• • fi , -
-

| !
-

!
- -

que, tant decelle eſcritepar Calchondile,que de celle qu'on a adiouſtée à la ſuite de ce


,
:
- l '
|
:º 1!
º

-
petit traicté, de faire voirà vn chacun quelleeſtceſte Loy, qui atant causéderemu
· .# , : º - meſnage par lemondevniuerſel? Ceſtcequiaincitéleſieurde Vigenere d'enfaireles
-
:

| | | recherches que vous auez peu lire iuſques icy : mais à cauſe qu'il les a rapportées le
plusſouuentpour l'Illuſtration deſon hiſtoire, en faiſant ſimplement le rapportſansy
|
-
-

|
|
contredire : Afin que perſonne n'en tire quelquemauuaiſe conſequence, & qu'attiré
| | - 1 -

|
• -
par la corruption duſiecle,ilnepanche pluſtoſt du coſté du menſonge, que de celuydela
| | : 1 ! verité. On a eſté d'aduis dyadiouſter cepetit diſcours, tantpour leſecours des ames
· | |
1 : - - --
-

| |
foibles,quis'y laiſſeroient peut-eſtre emporter, quepour fairevoir à tout homme que
| | 4 : •
-
malgré les Demons & l'enfer,les Tyrans, la malice & l'erreur, l'Agneau quiaeſté
: » |
|
- -
|
1
1
occis dés laconſtitution dumonde,receura touſiours de toute creatnre qui eſt au ciel,ſur
| |
-

·. | laterre,ſoubs la terre & en lamer, honneur, gloire & benediction, comme à celuy
' . -
|.

!- | |
: qui a receu vertu,ſageſſe ,force & Diuinité: Et que leſainct Trophée ,par lequel ila
-
l
|
-

voulu monter au troſne deſa Maieſté: (ieparle deſa douloureuſe PaſSion, & prin
'
-
•!
- ! -
cipalement deſa tres-ſainčte Croix)ſera celuy-là meſme par lequelil obtiendraàia
-
mais victoire contreſes plus mortels ennemu.
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DE LA CROIX CONT R E L E S -

-
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E R R E v Rs DE MAH o M E T. | |
| • º l'l, | |

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#sſa) A Pv IssANCE & la miſericorde en DIE v . !
, ,º
|

# ſont deux attributs & perfections ſi grandes,ſi -


·

·
# belles & ſi eſclatantes que tout fieſchit & trem # |
2 , ble ſoubs l'vn, tout recherche & deſire l'autre: ' ! |
|

l , , !
# car ſe faiſant incontinent reſſentir & frappans -
l,
,4 ,
| •
| noz ſens de leurs effects bruyans, ils les rendent l- -

comme eſtourdis & tous aſſoupis, de ſorte que -- -


·
M laforce de l'admiration leuroſte l'vſage de leurs . " -
.
- !
-
:
- - 2 »" Puiſſaneè & -*
|
fonctions, contraints d'adorer ce qu # ne ſçau-§ *
1 "4,
il
- - - roient eſplucher; Au contraire de la Sageſſe & doutée
- †& #
- re º
| .

dela Prouidence, qualitez ſombres,obſcures, douces, deliées & ſubtiles, Sageſſe


- - - - -
# - & Pro.
- : ' |' |º
autant incogneuës, que meſcogneuës, ſi ce n'eſt par les plus clair-voyans, § :
-

ou pluſtoſtparles plus gés debien; LaSapience de DIE v (diſoitl'Apoſtre) #º |


: # | | r
# cachée en myſtere, que pas vn des Princes de ceſieclen'a cogneuë: Si haute & ººº . -- #
|

Wprofonde, qu'ellene ſe peut ſonder ny trouuer : § les voyons-nous |

|
touſiours heurtées,touſiours meſpriſées, touſiours blaſphemées : le dia | | -- |

bleles combatau cielleſerayſemblableauTres-haut,auiardind'Edem,Vous ſi, 14: | | | || | •

•t !
ſºrºKcozzame dieux.La femme quividquele fruict deffendu eſtoit bon augouſt, Geneſ 3. W. 6:
lhomnne qui crut pluſtoſt § femme qu'à DIE v : & en fin durant toute |
|
º#e Loydenature,onne parle que depuiſſance:peuadorent la Sapience, - •
|

&laProuidence.Enla Loyeſcrite,que ne dit point Iſrael contre laSageſſe |


-

&hºrouidence diuine , ſoitau §


en l'introduction de la terre de } -

PromiſHion, & depuis encore qu'ilsyfurent eſtablis ? Et durant les deux | " | ,

Lºysquie n'ontpoint eſcrit les Philoſophes contre ces fondemens & ces -

- |

º†ºs de toute la nature N'eſt-ce pasd'eux que ce grand Roya chanté |


|.
|
ºnt douté S'ilyauoit ſcience au Tres-haut fn'eſt-ce pas ſur cela qu'ils º**"
ºdie en leurcaur qu'iln'yauoitpoint de DIE v? Mais ô malheur ! oſeray-je ral• e r . · l

, dire ººe quelques-vnsd'entreles Chreſtiens onteſtéleurs plusgrandsen | |


-
º ? & toutes-fois iln'eſt que tropvray, tous les Heretiques,Schiſma -| | | | |

ºlº > Atheïſtes, les ont combatues, & les combatent encore tous les : |.
|
*9urs auectant d'impudence qu'il ſemble que ceſtepouſſiere incarnée, ce # |

A iij .
i
| 6 · Le Triomphe
ver de terre humaniſé veuille faire la guerre au ciel, & comme vn autre
|
eſcarbot combatre ces aigles du Tout-puiſſant.
• -
\
Orentre tous ceux quiles ont leplus malicieuſementattaquées, & qui
ſe ſont efforcez de ternir leur luſtre parla puanteur des fumées qu'ils ont
|* , -

faict exhaler iuſques au troſne duTres-haut, ça eſté Mahomet. Cét ex
: - ! crement de la nature, tout perdu de vices & d'imperfections naturelles
| | - - aneantmoins renuerſé § impudence la ſaincte Religion, qu'auoit
- | | | | | - eſtablie la Sapience Eternelle, & ce en la meilleure partie de la terre habi
| || | | - table,plantantauec ſon impudence vne ſecte auſſi pernicieuſe & pleine de
| | » se blaſphemes, qu'autre quiait eſté eſtablie depuis ouauparauant luy : car ſe
: * | | †
tout le monde voulant accommoderàtout le monde pourgaigner le monde à ſoy;ila
| ! · pour gagner tiré,non † le ſuc,mais s'ilfaut dire,la corruption de toutes les Religions,
·
le möde à loy.
afin que la ſienne ainſi compoſée de toutes † ſe fuſſent autant d'ha
|
| - - meçons pourprédre chacun parla choſe quiluy ſeroitleplusagreable: De
ſorte qu'auecSabellius il nie toutàfaict la ſaincteTrinité, mettant en la
- ••
-
-
Deitévne dualité, choſe dutout abſurde & blaſphematoire,puiſquetou
tealterité(s'ilfautvſer de ceterme) c'eſtàdire tout ce quin'eſt pas le meſ- -

me,preſuppoſevnprincipe.Oril dit qu'en § a eſſéce & Ame:


;
| | , ... ! - · d'oûvientqu'enl'Alcoranilfaictparler DiEvennóbre plurier, afinqu'on
· · · · · voye que cette Ame de DIE v, qu'il prend pour le meſme CHRIST, eſt
· · · vneautre eſſence moindre que celle de D1 év, & qui luy eſt ſubiecte ſe
· · · | - rapportât en cela auecArrius & Eunomius: caril ſuppoſe noſtre Seigneur
# • . : · I E s vs-CHRI s T eſtre vne creature excellente ſurpaſſante toute autre
| | creature : les vns & les autres ayans tiré cette opinion des Platoniciens, qui
| -, ſuppoſoient que du Pereeternel eſtoit deſcoulévncertain Mens, †
- i * " · queleſtoient contenues
que tous les autres, des raiſons
qu'apres celle-làdeeſtoitl'ame
toutes les eſſences
du monde& plus
: de excellent
ſorteque
R apport . Mahomet rapportoit à ce Mens, tout ce queles Eſcritures ont eſcritdu
de r,; 2 A • - - T | - - | -

· § § Fils de DIEv:tout de meſme qu'Auicenne quia dit que par deſſus le ciel il
| |· |
-» | : • -
- # par
yauoitvne
-
premiereintelligence
deſſus laquelle,& qui dónoitmouuementau
toutau ſommet, premier ciel,
le ſouuerain DIE v eſtoitarreſté.
|.

|
· ·
| |
i - .
| | |,
' -
De meſmeles
paſſoit Arrienstenoient
toutes lesautres, le Fils delaquelle
& moyennant DIE v pourvne creature
elles auoient eſtéquiſur
toutes
creées.Auſſi Mahomet preſuppoſoit quele CHRIsT eſtoitvntresſainct
homme, doué deVertus tres-excellentes, & qu'il auoit toutefois quel
quechoſe de plus releué quel'homme, auſſil'appelle-ilVerbe de DIEV,
Éſprit de D1Ev, & Ame de D1Ev : mais iltient pourvne choſe ridicule
-

- § tenir pourvray D1Ev : Voyla comment le diable a accomply parce


ſeducteur ce qu'iln'auoit peu faire parſon deuancierArrius, & qu'ilache
uera parfaittement en la perſonne de l'Antechriſt, lequel ne perſuaderº
pas ſeulementaumonde qu'iln'eſtpasvray DIE v,nyFils de DIE v: mais
au contraire que c'eſtoitvntres-meſchant homme, diſent tous les percº
-
qui § ce ſubiect. A

: La principale intention donc de Mahomet eſt d'oſter ceſte croyancº,


l
que

| i|
- *

, -
de la Croix. -
-
7
uele CHRIsT n'eſtny D IE v,ny Fils de DIE v;mais quelque ſainct & Quelle eſt l
§, & vn grand Prophete, engendré ſans pered'vne Vierge. §
2

conuenantainſiauecl'HeretiqueCarpocrates, quia dit auec Mahomet, †


qu'il eſtoitimpoſſible que DIEveuſtvn Fils, cariln'auoitpoint de fem- -

me, & pourvne autre raiſon, s'accordant auec l'Heretique Cerdonicus :


Il dit que ſi cela eſtoit, que toutlemonde auroit deſiaeſtéen peril, & que
parneceſſitéily auroit du ſchiſme & de la diuiſion entre-eux. Auec Ma
nesil dit que le meſme Seigneurnefutiamais occisnycrucifié parlesIuifs,
maisvn ſemblable àluy,adiouſtât que DIE vaappellélemeſme CHRIST
àluy, & qu'il doit derechefapparoiſtre à la fin du monde & exterminer
l'Antechriſt, mais qu'apres cela le CHRIsT doit mourir,faiſantvneallu
ſionà ce qui eſt dit enl'Apocalypſe d'Elie & d'Henoch, tranſpoſant ainſi l

leCreareur en la creature, & le Redempteurdel'vniuers en ceux qui ſont


rachetez : Maisnierla paſſion duSauueur,n'eſt-ce pasnier envn mot tous |

lesmyſteres de noſtre ſaincte Religion, qui tirent leur efficace de cette


ſaincte Paſſion, & conſentir en ce faiſant aux Donatiſtes ? Auec Origene
il dit que les diables ſeront quelque iour ſauuez. Entre pluſieurs #bles
dont ſon Alcoran eſt parſemé: ilraconte que l'Ange Gabriell'ayant trans
porté deuant le troſne de DIE v, lemeſme DIEv le toucha de ſa main,
auquelattouchementilſentitvnetellefrigidité en ſon corps que cela luy
paſlà dansles moüellesiuſques en l'eſpine du dos, ſe declarant par ce diſ
coursAnthropomorphite,quidiſoiétla Deité vne choſe corporelle.Auec
Macedo1nius # tientleſainctEſprit eſtrevne creature. Quant à ſon Para- -

dis de delices,veſtemens, ſomptuoſitez,feſtins,iardins & autres voluptez


corporelles, ils'accordeauec Cerinthus & pluſieurs des anciens infidelles.
Auec Eubion,ilcómandelaCirconciſion,il permet la polygamie & plu
ralité de femmes,aueclesNicolaites: Et enfin comme celuy qui deuoit -

#
† vneruineſinotable partous les peuplesdel'vniuers,ilaccómoda #
laloyaux humeurs & inclinatiós de toutes ſortes d'hommes.Aux Princes † à toutes 1OIt83

#Pºmet les conqueſtes,&laruinedesnations, auxſoldatslesvolleries & #"


leffuſion du ſanghumain,aux marchands les rapines &vſures,& àtous les |
† la gourmandiſe,la pópe &lavolupté, ne donnantautres patentes .
#inéts,
ºiſſion que ſes armes.Car ayant ouyparler des grands miracles des
Iors qu'ils planterent noſtre ſaincte Religion, & ſçachant bien -
-

que OIl - > • •- •-- • 1 - il ſt ſ b : S Les miracles


Pouuoirnes'eſtendit pasſiloin,iltrouua ceſte ruſe pour obuierà § M§
# qu'onluyeneuſtpeufaire, diſant qu'il auoit eſté enuoyé de #
# > non pas en lavertu des miracles,mais des armes & de ſon eſpée : ce
ºfauorablementreuſſiàluv&auxſiensparlaredoutable permiſſion --
| -
ºs-Haut,& parſon § prouidence que ceſte miſerable ſecte
ºteſtendu§ long&au large par tout l'Orient, partout le Midy, &
ºPluſieu§ endroicts duSeptentrion, &bien qu'en § ccident nous ne -

§ontgliſſées
#s>iſſions que de nom, ſi eſt-ce, ômalheur que les erreurs quiſe
parmynous,ont degrandes conformitezauecceſteſecte:qui .
C - •. - - -

ºudra voirvnfort ample diſcours ſur ce ſubiect, & fort exactement

|
- - 8 Le Triomphe
rapporté,liſe la Chronographie dupere G autier Ieſuiſte,au ſeptieſmeſie
cleiltrouueradequoy contenter ſa curioſité. Adiouſtez à tout cecy que
pours'accommoderauecles Payens : Ilchoiſit le Vendredy pourſoniour
| - ſanctifié,lequelils conſacroientàleur DeeſſeVenus:cartoute ſaloyeſtant
confite en volupté,ilne pouuoit pas faire choix d'vne Deité plusconue
nable. , -

| Or † cecyn'ait eſté ſonintention,ilſeprouueparce qui eſt eſcrit au


liure de la Zune, & dans celuyd'Azear,&autres commentaires del'Alco
ran, qu'enla Mecqe : le principal & premierſiege de ce faux † &
par toutel'Arabieilyauoit de ſontéps & depuis encore,vne IdoledeVe
nus,appellée Aličthe Abaza, qui y eſtoit adorée, ne pouuant oublier,
† qu'il veuille dire enſon Elphurcan ſes Dieux Ellathet & Ellahum
:
† auoitadorez en la Mecque : voylale principalartifice auec ila
-

#
emé ſamalheureuſe doctrine, & mis quaſile pied ſur la gorge à l'Egliſe
de DIEv,gaignanttant de peuples, ou pluſtoſt perdant tant d'ames, qui
ont mieux aimé ſuiurevnimpoſteur que laverité, prendre la ciſterneari
Le but de l, de quelafontaine d'eauviue : & §perance d'vnevolupté corporel
† le, perdrel'heritage duCiel : car la derniere & principale fin de la loy de
. quele#n
tement des Mahometne regarde que le contentement des ſens corporels, terminant
en euxtoute la recompence † l'homme qul ſuit ſa loy puiſſe iamais eſ
» - - - - -

ſens.

perer, quimonſtreaſſez combien ſareligioneſterronée : car quelleaffaire


auons nous de loy& de preceptes pour complaire à nos ſensºIlnefautque
- - nous laiſſer § deſbordemens , il ne faut point qu'vn Pro
phete vienne du Ciel pour nousy perſuader, la nature eſtaſſez puiſſante
d'elle-meſme ſans luy donner du ſecours, maisvoyant combien les hom
mesauoient de peine à reſiſter à leurs paſſions, & qu'ils trouuoientlacon
- uoitiſeſipenible à dompter,lavangeanceſi difficille à maiſtriſer,ilfitvne
† loy de chair & de ſang, de chair, en eſtabliſſant la volupté en la plus
##" * hautegloire qu'elle euſt peu † puisqu'illadiſoit venir de DIEv:
". · Loydeſang, cartousſes conſeils ne ſont que vangeances, que maſſacres,
que ruines & deſolations, emouſſant en ce faiſant du tout ceſte belle
| pointe del'entendementdel'homme pourrendrel'eſpritcorps,&sileuſt
| Peutoutel'ame corporelle, pouraneantir celle quinereſpire quelescho
ſes celeſtes & ſpirituelles, parlaprofonde malice de Satan, qui ſoubsle
-- ſucre empoiſonné de ceſte paix interieure, l'eſprit ne combattant plus
contrele corps, tue ce meſme eſprit durant ceſtevie corporelle, donnant
en ce faiſant § àl'ame & au corps eternellement.Car il n'y auoit pas
meilleureinuentiond'oſterla Syndereſſe ducœur del'homme, & le plon
Elleeſtl, ni ger dans toutes ſortes devices, que deluyen donnerla permiſſion,& meſ
†" medeluy en promettrerecompence : Celaaeſté cauſe que ce Seducteur
- enſon Elphurcan,s'eſtbandé contre lafoy des Patriarches,l'eſperancedes
Prophetes,la charité des Apoſtres, la conſtance des Martyrs, la ſcience
des Docteurs, l'abſtinence des Confeſſeurs, l'obeïſſance des Religieux,
, - laſaincteté des Anachorettes,lavirginité des Vierges, la continencedes
Vefues,
- de la Croix. 9
Vefues, & l'humilité de tous les Saincts : car la foy qu'il deſire † La Foy.
les ſiens, n'eſt qu'vn fantoſme, puis qu'ils ne croyent que les choſes qu'ils
voyent, s'il faut dire, & touchent auec la main, & quandily auroit en
ſa loy quelque eſpece de foy, elle eſt, comme i'ay dit, ſi eſloignée des
choſés ſainctes, qu'elle eſtveritablement indigne de ce nom.Pour l'eſpe
rice n'eſt-ce pas la rendre vaine, de dire que tout ce que les Saincts onteſ Eſperance.
peré de noſtreredéption par le moyen de laDiuinité humaniſée ennoſtre Charité.
nature eſt faux,& que toutes les Propheties ont eſtéaccomplies en luy La
charité de ſa loy,c'eſt ruiner & rauager tout le m6de:la cóſtäce dumartyre Conſtance.
luyeſt vnemocquerie & vne deriſió, ſi ce n'eſt quelqu'vn d'entre les ſiens .
que ſe diſent ſes martyrs, quandils ont eſté tuez en laguerre parles Chre Science.
ſtiens , cómeil fut trouué enl'armée l'Aben Humedeſace maure, quis'e
ſtoit fait eſlire Royau Royaume de Grenade, du temps de Philippes II. Abſtinence.
Roy d'Eſpagne fleau desTurcs,quiportoiétàleur teſte comme par vœu,
des chapeaux de fleurs, & diſoient qu'ils eſtoient enuoyez là pourvanger Obeiſſance.
lamort des martyrs de Mahomet. La ſcience eſt deffenduë, & nul n'oſe
roit Propoſer aucun doute ſur ſa loy : il ordonnele ieuſne, mais à lama
niere des hypocrites : car ſ'ils s'abſtiennent de manger de iour, ils font
† cherelanuict. Ilachez luy quelques renfermez, mais leurs ſtatuts
ont ſans aucuns vœux qui les † hermites ſont tous deſbordez: Hermites:
Virginité. :
· & lavirginiténylacontinence ne ſont† en prattique chez luy, enco Continence,
Humilité,
re moins l'humilité, cartous les ſiens ſe nomment les fideles eſleus, di
gnes de commander à tout le demeurant de l'vniuers, & en toutes ces
choſes n'eſt-ce pas parler comme le Dragon , & blaſphemer le ſainct nom de Apoc. 13. ».
DIE v,/ontabernacle, & ceux qui habitent au Ciel?N'eſt-cepas cettefumée qui
ſºrºda paits delabyſme & quiobſcurcitl'air & le Soleilde ſon infeétion?
Mais cela n'eſt-il pas digne de larmes de ſang, que les peuples de la -

ºayent pluſtoſt adiouſté foy à cet impoſteur, qu'à la Sapience eter


nelle , & qu'ilaye fallu qu'apres auoirtant obligé la nature humaine, que
ºuoir eſpouſéſamortalité, pour l'eſleuerenl'immortalité, & la rendre
PºrticiPante d'vne eternelle § ,apresauoir confirmé ſa loy par tant
demiracles, parluy-meſme & par les ſiens, vn chetifeſclaue, ignorant,
#PilePtique, ſans faireautres merueilles que le moindre des Capitaines Contrition. ·
ºinsapeu faire en ſontemps,atoutesfois eſté ſuiuy & creu par tous
lºpºu PIes oùila peu mettre le pied durantſavie, & apres ſa mort par la Eſtrangeaueu
lement hu
meilleure partie de l'vniuers : en diſant des fables, des § abſurdes, ri main.

dicules > ignorântes, & ſans polliſſeurenyliaiſon? Eſt-ce pas auec grande
raiſon SIue nous pouuons dire que lamultitude denoſtre obligationa eſté ·
º de cetteſouueraine ingratitude ? Lem6de abienvoulu croire qu'vn
†.s tout perdu de debordement & decorruptió , eſtoitvn Prophete
tele yeslu Ciel,& ilareietté leiuſte & laiuſtice meſme, celuy qui eſt tou -

º sloire &leurhonneur:ils ont tenu pour choſe abſurded'ouyr dire


#ºn ait lié le Roy, frappé le Tout-puiſſant,villipendé le Souuerain s
º,faictla Loyau Docteur,ſacrifiéle Pontife, iugé le Iuge, donné la

|
-

IO Le Triomphe
mortàlaVie,le fielau Medecin, calomnié le Prophete, & renié le Sau
ueur : & ils ont tenu & tiennent à grand honneur d'auoir receu vn impie
pour ſainct, vnvitieux pourreformateur,vn Prophete ſans miſſion, vn
| eſclaue pour Roy,vnignorant pour Docteur,le menſonge pour laverité,
- laruine dugére humain pourſon protecteur vnfol & furieux, pourvnſa
ge:& finalement ont mieux aimécroire les fables d'vn † quiluyve
- | noit ſouffleràl'oreille,& d'vnevache quiluyapportaſa oy, qu'aux mira
· · - cles notables de noſtre Redépteur:Siie n'auoitpointfaict les choſes que i'ayfai
étes aumilieu deux (diſoit le meſme Seigneur)ilsſeroientſanspeché:maisapres
| auoirreſuſcitétant de morts,guary tant de malades, illuminé tant d'aueu
gles,faictparlertant de muets, & ouyrtant de ſourds, prouué ſa miſſion
partouteslesPropheties : ſouffert la mort pourleſalut de tous, s'eſtrere
ſuſcitéautroiſieſmeiour par ſa propre vertu, &apres toutes ces choſes,le
- · quitter pourvn meſchant hommeincogneu, quin'aiamais faict en ſa vie
aucun miracle : n'eſt-cepas renouueler tous lesiours ce myſtere delaPaſ
#e ſion, où Barrabas ce meurtrier & voleur luy fut preferé à l'heure meſme
§ qu'ils'enalloit reſpandre ſon ſang,& donnerſavie pourtous les hommes
# "† Ét d'où a peu † ce grand aueuglement, ſinon de l'excez de ſon
- †º amour,que les hommes n'ayans peu comprendre quel'offencé fuſtceluy
1 meſme qui deuoit reparerl'iniure : & que le creancier fuſtlarançon, & le
- iuge l'aduocat. Cetraictdel'eternelleSapience eſtoittrop delicat pourla
ſageſſe humaine, qui nomme folie ce qu'elle ne peut conceuoir, & tene
bres latropgrandelumiere quiluyeſbloüitlesyeux.
| - - LeSagea dit quelquesfois que la dilection eſtoitforte comme lamort.mais
- - C) - - -

, r ie diroisvolontiers plus quelamort (auſſi eſt-ce veritablement laphraſe


Hebraique, qui prend fort ſouuent le comme pour le plus) : car la mort
|
ne faitautre † queruiner ce qui eſt deſiaennature, mais ceſte dilecti6,
ce lien de Charité, donne vn nouuel eſtre à ce qui n'eſtoit point; qu'vn
|
DIE v fuſt homme, que la vie peuſt mourir, & qu'en cette mort,elle
peuſtredonnerlavie, celan'auoitpointencore eſtéentendu.Voylapour
-
quoy cette meſme Sapience ſçachant que l'homme meſuroit touſiours
toutes choſes à ſon aulne , diſoit parlant aux diſciples de ſainct
Iean : Bien-heureux quineſerapoint ſcandaliſé en moy.Car l'homme qui ſait
bien qu'il ne ſçauroit obliger dela ſorte,ne croit pas que cela ſe puiſſefai
re : l'entendement finyiugeantainſi del'infiny.Voyla pourquoy, quand
Matt. 16. le Prince des Apoſtres luyfiſt cette notable profeſſion de ſafoy qu'ileſtoit
§. .. le CHR I s T fils de D1 E v viuant,luy reſpond auſſi-toſt que la chair&
La chair & l - - -

§ leſangneluyauoitpas reueléce ſecret,lhomme animalnepeut comprendre leschº


†ſes
foy.
quiſont del'efprit
Ciel&touché de DIEpourenauoirlegouſt,carſil'entendementn'eſt
de D1Ev, v, illes eſtimepluſioſtfolie, ilfaut eſtre eſclairédº
teinct & abbreuué de luy,ilneluy eſt pas poſſible de le pouuoir cognoi
ſtre, & ſi encore lacognoiſſance eneſtſiobſcure, qu'iln'yaeſprit,nylan
gue qui puiſſe conceuoirny declarer la profondeur du moindre de tous
º ° ſes myſteres. Or Mahometquiauoit comme Behemot, touteſaforce *
- - reins &%"
- de la Croix. . | II
reins c9 aunombrilde ſon ventre, ne ſ'eſt pas eſleué plus haut † la terre,
quoy qu'il dieauoireſtétranſporté par l'Ange Gabriel par deſſus tous les
Cieux , mais demeurant commevn pourceau dansla fange, & commé Vn
oiſſon ſans pinnes dans labourbe : il n'a rien dit en ſa loy que des choſes
jibaſſes & ſiridicules, † les Payens enleur Mythologie, luy feroient
touſiours ſaleçon.Etafin qu'onvoye que ie ne parle point par animoſi- conceptions
Baſſeſſe des
té,ie ſuis content de prouuerparſon Alcoran meſme, qu'il eſt tel que ie †e
lay deſcrit cy-deſſus : ie dy meſme ſans toucher aux choſes qui nous
regardcnt.
&b N

uant à ſon impieté,ilfait DIE v autheur de mal, dit qu'ilne fautprier Mahoma
DIÈv de raddreſſer les mauuais,d'autant † ne peut profiter ſinon à †"º"rº
CCUX qu'il aura pleu à DIEv,dit que ſa loy luya eſtébaillée deDIEv,& tou- †
tesfois eſt pleine de cótradictions,& faiſant la meſmeverité pleine de mé §
ſonge,dit que DIEv eſt corporel,nie qu'il ſoit pere,& qu'ilaitvn fils, qui " |

n'eſt ny engédré,ny engendrant, & ſoniugemétridicule à ce propos.Que Azo n .


lame de D IE va eſté communiquée à l'homme parinſufflation,ſemon Azo.II. & t2t.
ſtrât nneſme plus impie que les Payens qui faiſoient leurs Dieux impudi
ques, ſanguinaires,vindicatifs,inceſtueux,ſodomites:& luy qui dit & iure ºº
que ſa loy eſt dictée & eſcrite du doigt de DIEV,ſe trouue toutesfois rem-A.o …
plie de toutes ces belles inſtructions ſi diſſolues; au demeurant que tout -

ſon Alcoran eſt plein de termes ſi deſbordez, que les chaſtes oreilles ne #" "

les peutient entendre ſans rougir,addonnéàlavangeance,laquelle ilcom- §dique ·

mande entermes exprez,auſang qu'il veut qu'on eſpande de toutes parts, -

& † eſtabliſſe ſaloy parl'eſpée, le ſeulmiracle qu'il donne pour l'ap


#'
Probation deſamiſſion, addonné ſelon quelques-vns,à la ſodomie, à la
Pilerie & àvolerie, qu'il permet en ſa loy. SE D v cT EvR, car où eſt ſa seducteue
miſſion qui a prophetiſé de luy, ſinon comme faux Prophete, où eſt le ^ -

leul miracle qu'ilaitiamais faict toutes les reuelations qu'il ditauoir eues
de DI E v, ne ſont elles pas directement contre l'eſcriture & la paroſe
queluy-meſme confeſſe eſtre diuine,&toutesfois à ſon conte il faudroit
quelenneſme DIE v quia deffendu la paillardiſe,le larcin,le pariure, &c.
ºuftcornmandé parapresle contraire,'ce qui eſt abſurde & blaſphema
º C»r nous ſommes aſſeurez du premier, & par la croyance & tradu
ºon de toute l'antiquité & par ſa confeſſion propre : au contraire nous
ºns aucun teſmoignage de ce qu'il nous dit que le ſien, & cela eſt la -

vraye ºnarque d'vn faux Prophete. Es cLAv E, car encore que les Sarra- Eſºhue .
ºshent de couurirlabaſſeſſe de ſon origine, toutes-fois c'eſtlaveri- -
--

†º ſoit ſon pere Adimonepoli , Ou


§ » tantya † fut expoſé &
§
autre, car cela n'eſt pas
abandonné envn carrefour en la ville
*P pres de la Mecque,à preſent dite Medinath Elnabi, c'eſt à dire la
· trcité
citédui> #o hete, où Abdalatrouua ce malheureux & infortuné rencon-

d C, lequel il fiſtnourrir & eſleuer, puis l'enuoyagarderſes chameaux, où


- - • | |>

l §#Pºſſévnegráde partie deſaieuneſſe à ce meſtier, vne riche & §


º"sfuenommée Chadigas'eſtant enamourachée de luyl'eſpouſa,qui
-

-
-- - -
-

º, B 1)
- I2 · Le Triomphe
fut cauſe que par ſes moyens il deuint vn riche marchant, puis Pro
phete. - -

Ignorant.
Son ignorance ſe † en la Philoſophie naturelle,c'eſtignorance
de dire que les cieux ont pluſieurs veines de terre,enattribuant,comme il
Az°º faict,ſix cens à chacun. Cela eſtant contraire aux corps celeſtes, d'eſtre
compoſez de terre : ignorance de dire que les Cieux ſont faicts de fumée,
& la § des vapeurs de lamer, carles cieux ne peuuent eſtre compoſez
Aºº º dematiere Elementaire. Ignorance d'aſſeurerqu'autres-fois la lumiere de
la Lune fuſt eſgale à celle du Soleil, mais que frappée auec vneaiſle de
l'Ange Gabriel, elle perdit ſalumiere, par ce quel'ordre de l'vniuers deſi
: Azo. 35.
re qu'il y enaitvnleiour,l'autre lanuict.Ignorance de dire que DIE v ait
† certaines eſtoilesauciel pour empeſcher les Demons qu'ils n'ail
ent plus au cieleſcouter les ſecrets diſcours de DIE v, par ce que DIEv
ne diſcourt pointſenſiblement, de ſorte qu'il puiſſe eſtre entendu, & les
Anges n'ayans point le ſens de l'ouïe, n'ont point de beſoin de s'appro
&D
cher pour entendre.C'eſtignorance de dire que non ſeulement les homes
· Az° 24.4 é, mais les Anges doiuent re# ſciter,
7O.

cc que les Anges eſtans eſp ritS, ne
peuuent mourir.Son ignorance en la Philoſo phie morale n'eſt pasmoin
, dre, pourlapreuue de quoyvn ſeulexemple ſuffira, quand il dit que ceſt
Azo 13.
vngrand peché que de ioüeraux eſchets, neſçachant pas qu'il n'ya point
depeché que des choſes dittes,faictes ou deſirées contre la Loy de DIEv,
dit ſainct Auguſtin, & s'exercer moderement & modeſtement tant ence
ieu là qu'en vn autre, n'eſt pointvn mal. Quantà la Theologie, n'eſt-ce
pasvnegrande ignorance de faire DIE v corporel, ayant pieds & mains
& les autres parties du corps, carcela n'eſt-cepas dire qu'il n'eſtpaslepre
mier moteur,l'eſtre des eſtres,& vn acte tres-ſimple & tres-pur : carendi
Aze79 » ſant cela, c'eſt dire qu'il n'eſt pas DIE v. Ignorance de dire que les peines
d'enfer ne ſont pas perpetuelles, puis que le peché mortel †
ſieinfinie quia offencé D1Ev qui eſtvn bien infiny, ignorancegroſſiere
* º * & indigne de repartie, de dire que les beſtes reſuſciteront, & que les ani
† maux quiauronteſté ſacrifiez à DIEv s'eniront en Paradis, Ignorance de
† dire qu'auiour duiugementvniuerſelD1Ev ne pardonnera pointàceux
º quiaurontfaictquelqueiniure.Siceux quil'ont receune leurpardonnent
- remierement, comme ſilamiſericorde de D1E v ſe deuoit exercer à la
§ -des meſchans(qui appellentbien ſouuentiniure, ce qui eſt pu
nition)&non pas † plaiſir:Ignorance encore fort grande de
croire qu'ence iourlà DIE v oſtera des bonnes œuures des gens debien,
pour en donneraux meſchans, & prendra des meſchansactes de ceux-cy
, pour en communiqueraux autres, ne ſçachant pas quela iuſtice requiert
quel'homme ſoit recompencé ou puny ſelon ſes demerites : Chacunport
cal, c. raſa charge, & receura ſa propre recompenceſelonſon labeur, diſoitl'Apoſtrei
*** de ſorte qu'on peut hardiment conclure qu'ayant eſté ignorant en tou
tCS §, il luy a eſté impoſſible d'inſtituer ſecte ou religion quº
fuſt bonne, - - · · ·
- -*

| ..
| • '
|

de la Croix. : 13
| :
|

u'il n'ait eſté plein de menſonges & vn impoſteur,ce que nousvenós Impoſteur & |

de dire en faictaſſeziuger, mais adiouſtons-y encore ſes colloques auec lIlCIlICUI ,


-
|

D1Ev, qui eſt la ſaincteté meſme, & luy plein de diſſolutions, de deſ
bauches & d'impudicité, comme ſile pur & impur, le ſainct & impudi "-

que pouuoientauoir enſemblevne conference toute familiere, iuſques à ::


:
auoir des rauiſſemens & eſtre tranſportéau ciel & conferer auec D r E v,
comme ſi l'œil † quine peut regarder ſans s'eſblouir le ſoleil creé º
:
| --

º
-*
• --
-

pouuoit contempler & ſouffrir la ſplendeur de cette lumiere des lumieres


-

ſans mourir.C'eſtoitvn FoL ET F v R I Evx, ne tomboit-ilpas à tous Furieux ,

propos de haut mal,eſcumant de rage cóme vn ſangliereſchauffé, faiſant


&O
|
- 1

accroire que cela luy arriuoit lors u'il conferoit auec l'Ange Gabriel, -

duquel il ne pouuoit ſupporter la § & toutesfois en ſon Alco | |! -

ran il dit qu'il a conferé auec DIE v, comme nous auons dit cy deſſus? º
• ' !
l'|
"- •
-
|

Quelles fables n'a-ilpointracontées, tantoſt diſant que lamortàlafin du | , Jº


• i! |

monde ſe changera envnanimal, & ſera conduite entre le Paradis & l'En
fer, & qu'alorsilnaiſtra entre les peuplesvne grande diſpute, par ce que fabuleux |

i
-

lesvns pour lagrande§ qu'ils en auront, voudront qu'elle meure, &


&b
| -

queles autres pourl'eſperá


perâce qu'ilsaurót d'eſtrevn iour deliurez de leurs Enanges se |
2X,- ueries de Ma ,# ,.
† Par ſon moyen, voudront qu'elleviue,& que ceux-cy emporterôt homet. .
- > » " ,

, •

avictoire ence iour qu'ilsappellent Sabamar, c'eſt à dire lalune, où leurs -

docteuIrsinterpretans cepaſſage l'heure eſt venue, & la lune a eſté briſée, i -


º -


diſent que § & ſes compagnons s'arreſterent vn iour pour voir -
-*

1 "

''il
VncecliPſe de Lune, & qu'ilsluy dirent; Monſtre nous quelque prodige, ,
|

alors auec ſes deux doigts à ſçauoirle poulce & celuy dumilieu, fiſt quel -, • |
' •
queſigneàlalune, ce qu'ayant faict, elle ſe diuiſa en deux parts,l'vne des |
-
| •

Parties tombant ſur la montagne Elice, qui eſt du coſté de la plus hau -

ºPartie de la Mecque,l'autre ſurl'autremontagne qui eſt de l'autre coſté :- | !

delaviIIe, qu'ils appellent la montagnerouge, la faiſantapres deſcendre · !


dºnsſa nnanche, & puis la remettant de nouueau en ſa place, & puis la :

deffence qu'il fiſt de boire duvin, ſur vne fable des Anges qui s'eſtoient p. Diſ lib.;. #
-

! -

ºz- L'Elephant qui parla, à ce qu'il dit à § , propheti rér, yºm7, · · ·

ſant ſa venue, la nuée quil'accompagnoit quandilfaiſoit chaud, les vi Blond.dec.1.l.6. |

ſions, les ſalutationsdesarbres & des pierres auecvne infinité d'autres reſ * !
-
|

"º> ou pluſtoſtblaſphemes dont tout l'Alcoran eſt farcy. º

| Au sontraire le meſme Mahomet chante luy-meſme hautement les -


« !
-

†ºsss de noſtreSeigneur IE s vs-CHR 1 s T , l'appellant le Sainct,le Droiture]


Azo. 4. &.67]
luſte, le grand Prophete, lame de D IE v , le plus grand qui fut ia & :
|

º,que ſon Euangile eſt lalumiere de confirmation de teſtament, & la voye de † Esvs- CHRIST
loüé par Ma |
º

# ºraignent D 1 E v, pour le moinsauons nous cétaduantage ſurno homet. |


†ºsermy, qu'ilchante luy-meſmeles loüanges de noſtre maiſtre, en • -

fiinéteté § vie, en excellence de doctrine,& en puiſſance de faire des mi -

ndes *sar il confeſſe ingenuëment qu'il eſt venu au monde auec cette •
|.
.
-

Puiſſance- Quantàluy nous auons aſſez prouué cy deſſus ſavie laſciue & º
-
-

ddbordée iuſques à eſtre repris ou pluſtoſt ſurprisauecvne ſienne concu | |

B iij º

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t :
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-

' , I 4- · Le Triomphe
| bine fille du Roy des Iacobites, par ſes propres femmes. Quantaux mira
cles,ilditluy-meſme qu'iln'eſtvenu † lavertu de ſon eſpée,auſſin'en
Mahome ne fiſt-iliamais, carcePigeon † ecqueter à ſonoreille, ceſte vache
*-|
º
| † * oucebœufquiluyapportaſaloyentre ſes cornesceneſont qu'artifices, &
| pourlesautres que nousauons cottez cy deſſus, ce ſont preſages & illu
, | | | ſions, & non pas miracles : carencore qu'ilprenne beaucoup de peineàſe
| | | deffendre de ce qu'onl'accuſoit d'eſtre ſorcier, toutesfoisilne s'en peut
i | || excuſer, car outre la foibleſſe deſesraiſons, lesactions qu'il dit auoitfai
| | tes ſonttellementinutiles & ſuperflues, † voit à veuë d'œilqu'ilneles
| | * ainuentées que pour embabouinerles eſprits eſgarez& desceruellestour
| | | | ' nées quine prenoient gouſt qu'àdesfolies,nonplus que ces eſtomacs deſ
| - bauchez qui deſirent ordinairement les plus mauuaiſes viandes pour les
, | | . - ' - mettre engouſt, & digerent pluſtoſtle# que le meilleur.Au contraire
| de noſtre Redempteur, quin'aiamais faict miracle ſans vtilité & neceſſi
à - Antideſes de té,auſſieſtoit-ilvenu pour la deliurance du genre humain, & Mahomet
1Esvs-CHRIST
† pourlemettre en ſeruitude; l'vn eſtoit le bien-facteur, l'autre le deſtru
l -
Inet, cteur:l'vndeſcendit du ciel enterre pournous fairemonterau ciel,l'autre
:
eſt ſorty de laplusvile ſemence de la terre pour abyſmer les pauures hu
| mains en enfer;ileſtvenuaumonde pouteffacernos pechez & pourgua
|| | | rir nos infirmitez; & cettuy-cyn'a paruaumonde qu'en enſeignant lepe
- - | ché & comblant de miſere & de langueur preſque tous les cantons de la
- - terre:tout cecy eſtant prouuépartous ceux quiont eſcrit de l'vn & del'au
-
•, - -
tre, aiſépardel'experience,
fort & regle & pierre
croire que Mahomet deProphete,
n'eſtoit touche de toutesactions, il ſera
ny meſſager du DIEv
viuant,commeils'eſt dit par ſes eſcripts, & côme ilauoit faitgrauer autour
. . " de ſon cachet enlalettre qu'il eſcriuit à l'Empereur Heraclius, puis qu'il
- - · eſtoitſi deſpraué & ſicorrompu, & qu'il ne ſçauroit venir que tout bien
t...s.v de ce pere de l'vniuers, diſoitl'Apoſtre;ioinct que toutes ſes inſtructions
- - repugnent aux loix meſmes qu'il confeſſeauoir eſté données de DIEv,
• - ſoitaux preceptes,ſoitaux hiſtoires,ſeforgeantvn DIE v tout autre qu'il
ne nous eſt enſeigné dans lesliures ſaincts,auſquels on n'a iamais parléde
· | | | - luy:de nous † faire croire auſſi que ſon nom eſt eſcritſurle troſnede
| | | croyance ,b-D1Ev,illuya pleu de le direainſi, nous n'en auons point d'autre teſ
· - †** moignage, mais outre que cela eſt faux commelafauſſetémeſme, ilyad
| - - -- iouſte encorevnblaſpheme; encroyant DIE v comme il faiſoit, auecvn
- corps, & s'imaginant †
luy falloitvnlieu & vn ſiege pour ſe ſoir, &
| - ue ſonnomeſtoitlàviſiblementgraué.Carcommenous dirons cyapres,
-

|
† eſtoittoute terreſtre & corporelle,ſon eſprit laſcif,n'ayant peu paſ
'
-•

ſerlesbornes delanature, & l'eſtendue de ſes ſens corporels.


Quantàce qu'ils diſoient que ſonnoma eſté predit par les Prophetes,
|
1.sº.M & mefmes § noſtreSeigneurena parlé ſi clairement qu'ille nommeen
§
is eſcrit,
ſon Euangile diſant le vousannoncevn Apoſtre de DIEvquiviendra apres moy,
| - -
- - -

§ & auranom Mahomet, mais que les Iuifs ont tellement corrompu la loy
| † " de Moyſe,& les Prophetes,& les Chreſtiésl'Euangile de IEsvs-CHRIsr, >

| qu'il

|
- de la Croix. | 15
qu'iln'ya rien de veritable chez les vns & chezles autres, ſinon ce qui eſt
contenu dansl'Alcoran,orque cela ſoit tres-faux, ilſe prouueparinfinies
· raiſons toutes tres fortes mais entreautress'envoiticyquelquesvnes.Pre
mierennentlevieil & nouueauTeſtamentonteſté eſcrits & traduits endi
uerſes langues, enpasvneonne trouue le nom de Mahomet, les quatre
Euangeliſtes ont eſcrit en diuerstemps, en diuers lieux, en diuerſes lan
gues.Sainét Matthieu en Iudéea eſcrit en Hebreu: ſainct Iean en Aſie, à
§ſcrit en Grec, & ſainct Lucen Achaie a eſcrit en Grec auparauant ſainct
Iean, ſainct Marccompoſaſon Euangileen Latinen Italie. Tous leſquels Preuues de
| ontcſcrit long-temps deuant Mahomet. Or ces meſmes Euangiles ſont cette verité,
"--,
º tombez entre les mains des Neſtoriens & Iacobites, & les premiers eſtoiét
| râdsamis des Mahometiſtes; mais les meſmes Neſtoriens & Iacobitesſe

º . § de mort entre eux, comment donc ſe ſont ils peu accorder à
reträcher cette ſeule choſe de l'Euangile; car dit Ricoldill'aveuë chez eux
demeſime lanoſtre, ilyauoitbien des choſes plus importantes que celles
làpour le bien des Chreſtiens quiviuoientalors, car ils euſſent peu oſter
qu'iln'auoit pointeſté crucifié, qu'il n'eſtoit point mort, & choſes ſem
blables, quiſemblent deshonorerles Chreſtiens meſmes; ioinct que Ma
homet n'eſtoit point de ce temps-là, & n'eſtvenu de plus de cinq cens
ans depuis.A quelpropos doncoſtervne choſe qui n'euſt point incom
, modé, & qui n'eſtoit point pour lors diſpoſée § aucun preiudice à la
Religion Chreſtienne au contraire quiloüenoſtreSeigneur & la VIER *

CE de toutes ſortes de loüanges? Voyla comment, quoy que veuillent


dire ſes ſectaires, il n'eſt faicte aucunemention de luy, nyau vieil, nyau
ººuueau Teſtament, ſi ce n'eſt en mauuaiſe part, comme lors que noſtre
Seigneur dit qu'il ſe falloit garder des faux Prophetes, & en quelques Cſ1
droicts des Prophetes, & del'Apocalypſe, que nous cotterons cy-apres, :- #
ººº contagion que l'air peſtiferé de § deSatana reſpanduë
Pºutl'vniuers,eſtaſſezclairement prophetiſée. :
º Legiſlateureſtanttel,voyons donc maintenant quelle ſera la Loy: -

†Pºiſque d'vn cloaque iln'en ſçauroitſortir que de la mauuaiſe vapeur,


§# la meſchanteſemencenepeutraporter vnbon &beleſpy ileſtaiſé
peut § qu'elle eſt elle-meſme toute corrompuë, & que rien de bon ne
† ſ, Ortir de ceſteyuroye, nous en auons deſia veu cy-deuant quelque
º » mais il ne ſera pas maintenant mal à propos d'en faire vne compa
aiſon auecla Religion Chreſtienne ;afin qu'on puiſſe plus facilementre- La loy Mahº
metan c tOlltC -

†luer la fauſſeté de l'vne, & la ſaincteté de l'autre, celle-là toute cor imparfaicte &
vicieuſe, & ſes
# uë, & cette-cytoute ſaincte; carſi(comme dit ſainct Auguſtin)il ſe l'Euangeuque,
antitheſesauec
-:

Oll ºoitvnſeul menſonge en tout l'Euangile, il ſeroit ſuffiſant de faire


l'Al *ºr d'iceluy, & del'auoirpourſuſpect, que deuons nous doncdire de
ſe§ººan,auquelilſetrouuetant de fauſſetez, de fables, & choſes non
S>rn
étrepugnantesàtoute verité,mais encore ſe contrediſantes à elles- .
† es èi'enay deſia cottécydeſſus quelquesvnes,i'adiouſte celles-cyau
"Pºtre Elcuminar. Ilditqu'ileſtle premierSarraſin, doncle Sarraſime
16 Le Triomphe
acömencéàMahomet,& toutesfois il dit que Noé eſtoitSarraſin, & que
† le Deluge eſt aduenu à cauſe que les hommes nevoulurét pas receuoircet
# te loy, & neantmoins le Deluge eſt arriué plus de deux mille cinq cens
- ans deuant Mahomet;tout de meſmeau chapitre Abraham, où il ditque
les Apoſtres & noſtre Seigneuronteſté ſes imitateurs, encore qu'ilsayent
eſté plus de ſix censans auparauantluy, commeil dit auſſi que le meſme
Abraham n'eſtoitny Iuifny Chreſtien, mais pur Sarraſin : nous ſçauons
· toutesfois que les Iuifs ſontvenus deluy.Au chapitre Mariem, il ditque
labien-heureuſe VIERGE MARIE eſt ſœur d'Aaron, confondant celle
quimourutaux deſerts plus de quinze censans auparauantla naiſſance de
celle dontilveut parler : au chapitre Elneſt ou des femmes, il dit que les
Iuifs ſevantent qu'ils ont fait mourir I E s vs-CHR 1sT fils de MARIE
1s, Iuf di Apoſtre de D1Ev , menſonge manifeſte, car les Iuifs ne diſent pas que
ſent qu'ils † qu'ils ont crucifié fuſt D1Ev, ny ſon Apoſtre : mais vn meſchant
n'ont pas cru

#† homme qu'ils ontmisàmort pour ſes blaſphemes. •1 -

† Parlant du meſme Seigneur,il dit (le meſchant qu'il eſt) qu'il n'eſtny
D1 Ev ny fils de DIE v, & queluy-meſmenes'eſtiamais nommé tel au
monde, & qu'ils'enexcuſe humblementenuers D1Ev : Menſonge puis
qu'en ſainct Iean les Iuifs le voulurentlapider, pours'eſtrenommétel,&
- quedeuantl'impie Caïphe,lors de l'inſtruction de ſon procez,eſtantadiu
#º réparle DIEyviuant de dire verité, il declara clairement & hautement
#. * •
qu'il eſtoittelquicontient
poſévnliure douze millediſent
(Egoſum.)LesSarraſins parolesauſſi que Mahomet
pleines a com
de merueilles, &
-:
--

que quelques vns d'entre-euxayans eſtéſicurieux des'enquerir de luy, ſi


le tout eſtoit veritable, il reſpondit qu'ilyenauoit ſeulement trois mille
qui fuſſentvrayes, que le reſte eſtoit † De maniere que lors qu'on diſ
selon Mais PuteaueclesSarraſins, & qu'on leur allegue quel ue choſe de faux qui
† eſt en celiure,ilss'excuſentauſſi-toſt ſurce que § a dit que tout
§ n'eſtoitpas veritable, ce qu'ils prattiquentauſſi enl'Alcoran:voyez quel
le aſſeurance il pcut auoir en vne loy où le Legiſlateur meſme'confeſſe
qu'ilya trois fois plus de menſonge que deverité:& commenteſt-il poſſi
ble qu'vnſigrand menteurait peuauoirl'eſprit de DIEv qui eſt la verité
† auoirdittant de menſonges en inſtruiſant
lesſiens Voylapourquoyauſſiilleur deffend ſi § de diſ
†c † de ſaloy ; car ſçachant bien qu'on en deſcouuriroit incontinent la
§ fauſſeté, il ne voulut pas qu'ils euſſent aucune conference auec les au
ITCS †
, auſſine ſçauroit-on faire plusgrand deſpitàvn Mahome
tan, quelquefermequ'ilſoit, que de luy apportervn Alcoran,ayans meſ
megrand regret quand ils ſçauent que nous leliſons,auſſi en empeſchent
ils tant qu'ils peuuent la traduction en autre langue.Ie viens de monſtrer
la fauſſeté, voyons maintenantſaviolence, & combien elle eſt cruelle.Au
chapitre Empacara ou delavache, il dit qu'iln'ya point de force en la loy
de D1E v, & toutesfois partout ſon liure, il commande expreſſement
violence de paſſer par le fil de l'eſpée tous ceux qui ſeront contrairesàſa #&
IIlC1IIlCS

--

-
de la Croix © 17
· meſmes ſon propre oncle,nepouuant gouſterſa doctrine, il le menaça
de le ruer s'iln'adheroit à ſes opinions, & comme ſon oncle luy eut demä
dés'il n'y auoit point de moyen de viureautrement, non ,luy reſpondit
Mahomet;iete ſuyuray donc, dit-il,làoùtuvoudras, pour lacrainte de
ton eſpée, mais ce ſera ſeulement de lalangue, & non pas du cœur : & O
§ſifs de CatempadeſevoyantforcéparlantàD1Ev diſoit, tu ſçais Sei-va#
neur, que ceſtPour la crainte de la mort queiemefais Sarraſin. Le meſ. † t

mefit Ennpiaſea, maisilenuoya des lettres à la Mecque, les mettant dans #º à


$ le heueux d'vne femme, parleſquellesilmandoitaux habitans de cette "º
villelavenuë de Mahomet, & qu'ils ſedonnaſſent de garde delaforce de
ſadoctrine,auſſin'a-ileſtably ſaloy que ſurlaviolence desarmes, iuſques
àprendre vnaugure de la durée d'icelle, tant qu'ils ſe maintiendront les
† forts en armes.N'eſt-ce pas auſſi vne grâde marque de violence,que ſi
quelqu'vn deſire d'eſtre inſtruit en cette malheureuſe loy , le maiſtre qui
enſeigne ce miſerable diſciple, doitpremierementtirerl'eſpée, & latenir ·
touſiours nuë en la main,tant & ſilonguement qu'ill'enſeigne ?adiouſtez
àtout cecy les aſſaſſins † ſe retiroient en des forts,aux tours dumont Lil
tum, & qui eſtoient ſubiects du Sultan de Babylone, alors le chef des #
- - - ». - -
#
ure doit eſtre
Sarraſins qu'ilsappelloient Iſmaelites,& qu'ils tenoient pour les premiers §
deffenſſeurs & conſeruateurs de laloy de Mahomet, d'autant qu'ilsalloiét †. †
Partoute Iaterre maſſacrer les Princes qu'ils iugeoientleur eſtre côtraires. "
delàvientauſſi ce qu'ildit que ſaloyſe doiteſtablir,&ſonempire croiſtre
Parles armes,&nonparles miracles, c'eſtàdire par laforce, & non par la
perſuaſion, -

Quant àla cruauté de cette Loy,yena-ilvne ſemblable ? ne comman


de-il Pas partout cét Alcoran, &notammentaux Azoars 17. & 18. que les
ſiensmettentàfeu &à ſangtous ceux quinevoudront le recognoiſtre, de .
º$ſclauesleurs captifs,voire meſmedeles maſſacrer, ſile casy eſchet cuelle
&nel'auonsnous pasveu par experience, en quel eſtat eſt maintenant la
9ºce, iadislepetit œil de toutes les prouinces dumonde, labeauté & les
#s des mortels,le Theatre des ſciences & des armes,voire meſme de Eſtanges de
ºtulè ces cruels barbares,vraïementindignes dun6 d'hommes,n'ont-ils § #
† slePeuplélescontrées,eſgaléles plusgrandes citezàlahauteur del'her † P" º
§ ºº reduitenvndeſertcequieſtoitdeplusfertile, &s'il faut ainſi dire, "
ºſme &laffeurdelaterre habitable Et ce malheureux tribut qui ſe
#ºye au grandſeigneur desTurcs des enfans des Chreſtiens,qui §
§ ºug de ſon Empire;qu'eſt-ceautre choſe quelaprattique del'intention # -

†s Sruellegiſlateur Maisiln'eſt pas plus doux † ſiens meſmes, † †"


ºdilleurcommande lepariure, la vangeance, comme vn œuure de
Pº & de ſaincteté,ne pouuant conceuoir,tantileſtgroſſier & charnel,
†! H. emme puiſſe pardonner à ſon ennemy,car c'eſt vne des impoſſibi- - -

ſt SHu'il diteſtre en noſtre ſaincteloy.Mais afin defaire eſclater, ou plu-Impudiqu .


º Pourfaire embraiſ laſienne ,ill'atouteremplie d'impudicité, & de #
volup tés de ſorte que les Poctes les pluslaſcifs quiayenteſté entoutle Pa #
C
, • • !

-:
-•

I8 Le Triomphe
ganiſme,n'ont pas dit des choſes ſiſales, ny fi remplies d'impudicité &
qu'vne ame bien née ne dira iamais ſans rougir qu'a faict ce Sage & re
Malemet fit § legiſlateurenuoyé de D1Ev, lequelilfait(tantileſt deteſtable)mi
† niſtre de ſesvoluptez,ce qu'vne deſesfemmesluyreprochoit, ſur ce qu'il
diſoit que D1Ev luy permettoit d'aimer & commettre inceſte auec ſa
{8Z,

Marie, dont nousauons parlé cy deſſus : que le meſme D1 E v auoit bien


eſtudié à ſa concupiſcence; & de fait en ſon Alcoran il le faict parler, en
i #
luy perſuadant de commettre adultereauecla femme de Zelth ſon diſci
| † ple, delà eſtreceu ſon commandement d'eſpouſer tant de femmes, & de
§e§ permettreaux ſiens la polygamie & la repudiation, de laquelle ils vſent
-
commebonleur ſemble,reprenans iuſques à ſix & ſept fois celles qu'ils
ont repudiées. - -

| Mais ila bien paſſé outre, caril aprouuelaſodomie, delàvient qu'aux


Azoars 23.46.48.54.62.66. & en pluſieurs autres endroicts de ſon Al

corporelle, le coranilfaitvn Paradis de volupté charnelle (car c'eſt la derniere fin de ſa
4 † loy & ſon ſouuerainbié) où il permet qu'on n'aura ſoing de rien, mais que
---
' les hommes ſerôt couchezauecleurs femmes dans debeaux licts de ſoye,
les femmes qui auec grande modeſtie ne tourneront point ailleurs les
• yeux que ſurleurs maris : lesvns & lesautres veſtus de ſoye & de pourpre.
Mais ſurtoutau 66.Azoar, où il dit qu'ilyaura de tres-beaux & ieunes
-
adoleſcens, & des filles d'vne parfaictebeauté, quileur preſenteront des
, vaſes pleinsd'vne liqueurſuaue, quineleur donnerany mal de teſte,nyne
r,ndi, char les enyurera : ils leurapporterontauſſi toute ſorte de gibiertout appareil
†º lé. Là dit-il,ſe trouuera des mets † , & des fruicts tres-appetiſ
ſans & delicats; on n'y entédta que des diſcours tres-agreables; ons'eſten
dra ſurle moltapis d'vne prairie eſmaillée de diuerſes † du Printemps,
repoſant là àl'ombrage ſoubs l'eſpeſſeur des figuiers, qui ſeront pcrpe
-

tuellement halenez d'vn gracieux zephire, & doucement § des


ruiſſeauxgazouïllans,qui ſerpentent deleur courſe cette bien-heureuſe &
- § demeure.Vn ſon encore eſguillonnera les flâmesamoureuſes
desamansiouïſſans des plus hautes & ſecrettes faueurs que la cócupiſcéce
º peut promettre & permettre ſans laſſitude & ennuy, & ſans nulle crainte
-
,
detroubles ou chagemens pourl'aduenir.Teleſt ſon Paradis qui n'eſt pas
beaucoup eſloigné des champs Eliſées, que les Payens figuroient deſcrits
- - par pluſieurs, & entre autres par Virgileau 6. de ſon Eneide, ny de cette
contrée ſitemperée & réplie de felicité deſcrite par Platon en ſon Phaedó.
Voyla les grandes recompences que peuuent eſperer les Mahometans.
& ce ſont là les hautes conceptions de ce grand Prophete, qui n'a pas ſçeu
# àceux qui garderoient le plus eſtroittement ſes preceptes, que
a recompence des creatures irraiſonnables. Car combien pourroit-on
nommer d'eſpecesd'animaux, tantaeriens que terreſtres quiiouïſſent d'v
ne pareille § ? qui font paroiſtre aſſez quel eſtoit le fondement &
les principes que cét homme auoitdel'ame humaine, puis qu'en ſa ſouue
raine felicité;ill'aſſubiettiſſoit aux ſens : mais ce beau Paradis n'eſt-il pas
" -- - | naiuement
de la Croix. 19
naiuement repreſenté en la Sapience c. 2. quand ces impiesſe couron
nent de roſes,ſe parfumentd'onguenss'enyurent, & paſſent leur vie en
toute lubricité, d'autant, diſent-ils, que c'eſt leur ſort & leur part, s'exer
ceâsapres en la perſecution desgens de bien.qui eſt en peu de mots toute
linſtruction de Mahomet,auſſi ſont-ce les trois choſes qui ont attiré tant
de peuples à ſa doctrine, carlesgrands biens qu'il prometaux ſiens,par les
† , les ruines & les pillages de tous les † qu'il leur met
comme en proye,&comme choſe quileurappartientlegitimement, puis
la vie deſbordée qu'illeur permet, & la fin toute laſciue & diſſoluë, dela
quelle ilveut§ viuent eternellementſToutes ces promeſſes ſenſuelles
ont fait ouurirles oreilles charnelles, & luy ontgaignéla meilleure partie oui, at -
delaterre habitable, le corps ayantemporté la victoire par deſſus l'eſprit, †
ne ſe ſouuenant pas de ſçauoir la verité de ſa derniere fin, pourueu que , §
dapparence elleluy fuſt † ;auſſieſt-ce le moyen qu'ont touſiours
tenu ceux quiontvoulu ſecouerle iougdelavraye Egliſe, de donner au
ſens le plus de liberté qu'il leura eſté poſſible,noſtre mortel ennemy eſtât
toutaſſeuré que les portes de noſtre § gaignées, il aura touſiours
telle entrée qu'illuy plaira.Il eſtvray que ces derniers-cy viennent plus à
couuert,à cauſe de la profeſſion qu'ils font du Chriſtianiſme,mais ils ſont
auſſiplus dangereux que l'autre,lequel faiſant la guerre à deſcouuert, &
nyant les principes eſt plus aiſement recogneu.
Mais celan'eſt-il pas ridicule de dire qu'ila eſtéenuoyé de DIEv pour
venirapportervneloy † tous les anciés Payens ont prefque prat- Les anciens
tiquée : voire meſmes quelques-vns ont iouy de ſon Paradis, comme la †#
pluspart des Seigneurs Romains en la plusgrande vogue de leur Empire: º
carlacorruption humaine n'a † faire d'eſtre enſeignée quand ily va de
ſon plaiſir, il ne faut que laſcher la bride à la concupiſcence : Voyla ſon
Prophete & ſonlegiſlateur.Et neantmoins pour des bagatelles°tant de
fables, & de contes à plaiſir, eſloignez detouteapparence, dont il a par
ſeméſonAlcoran : les peuplesont ſecoué volontairement le ioug de la
uiſſance ſpirituelle & temporelle pour ſuiure cet impoſteur,allechez par
† § volupté,quiles deuoit par cét hameçon conduire à vne eter.
nellemortalité.Adiouſtons à tout cecy le deſordre & la confuſion qui
ſeretrouue partoute cette loy; car il n'yavne ſeule propoſition ſuyuie de
droitfil,nyvnſeulargument deſduit comme il faut. Iln'y a nul ordre de *
#mps ny des choſes, nulle ſuitte de diſcours,tousſes enſeignemens eſtans
fondez ſur descertaines ſuppoſitions qui deſpendent d'vne propoſition

qu'ilpreſuppoſeveritable, de celle-là collige; ou y en conioinct vne
†tre,laquellen'arien de communaueclapremiere, comme quand il dit M s
DIEv eſt DIE v, & n'yaautre D1Ev que DIEv, & Mahometeſt vn vray †
Prophete. Quelleliaiſon & conſequencey peut-ilauoïr, que ſi DIE v eſt #º
DIE v , que Mahomet ſoitvn vrayProphete de DIEve Au chapitre El
ºida, c'eſtàdirelatable; D1E v nous a(dit-il) inſtitué vne maiſon qu'il ap
PelleElaram, (c'eſtàdirevocation) c'eſtlamaiſon de la table du mois du ieuſne
- | | C ij
- • = i ! · · · i
kis : * -

|
-
|
2O - Le Triomphe
- · des Sarraſins, afin que vousſcachiex que DIEv cognoiſt toutes choſes qui ſont au
- cielcy en laterre, & que DIE v ſcait tout ce# eſt Quelle conſequence que
i •
latable & le mois du ieuſne desSarraſins faſſe ſçauoir que DIE v ſçait tou
tes choſes : paſſant ainſi d'vne matiere en vne autre, ſans qu'on y puiſſe
-

-
-
trouuerl'ordre del'hiſtoire ny de lamatiere. Mais comme s'il eſtoit hors
de ſon entendement : il paſſeauſſi-toſt des choſes vrayes ouvray-ſembla
- . ' | bles en d'autres toutes abſurdes, comme s'il eſtoit aliené de ſon eſprit,
# | | | ayant celatoutesfois detres-meſchant & malicieux qu'il eſt, que lors qu'il
veut faire gliſſerle poiſon de quelque meſchante doctrine dans ſes enſei
gnemens il commencetouſiours parl'inuocation dunom de DIE v, ou
| | parvne exhortation àluy-meſmeau ieuſne, ou à la priere.Afin que ſoubs
- - ce ſucre on puiſſe plus doucement & inſenſiblement aualer ſon
- poiſon. · · - -- - -

Quant au texte de l'Alcoran,il eſt aſſez elegant, meſme que tout le


liure eſt preſque en vers : dequoy ſeglorifient fort le Sarraſins , d'auoir
i " -

vneloy en ſibeaux termes : de ſorte qu'ils tirent de là vne conſequence


:
- -- , qu'il faut que Mahomet ait eſté Prophete, car celuy qui eſtoit ignorant,
comment pouuoit-il,diſent-ils, parler ſi elo quemment,&auectant d'art?
mais c'eſt en cela meſmes qu'on leur prouue que leur loy, n'eſt point loy
|| | | | | | | - de DIE v , lequel n'a point accouſtumé de parler au monde ou auec
- | - les Prophetes, pour le moins fort rarement, en paroles meſurées ou rit
mées;de ſorte que toute ſaloy n'ayant nul autre ordre, † Poetique &
| 1!
-

| | - Grāmairien qui n'eſt pointvſitéaux lettres ſainctes, on leur ſouſtient que


leurloy n'eſtpoint loy Diuine, ny du ſtyle du S.Eſprit. Mais ce deſordre
i . n'eſt pastoutes-fois ſans artifice : car il perttellement le lecteur dans cette
, •.
confuſion de matieres, qu'il ne ſçait bien ſouuent où il en eſt, ny où ſere
| |
i !
- † temps n'y
les choſes qu'iltraicte ſonteſtarriuées,
point cotté, les point
n'y ſont Roys nommez,
& les Princes ſous qui
& diſant vn
-
, , , motd'vne matiere, puisd'vne autre, la ſuitte de laquelle il faut aller re
uſe de Ma- - - V » - -

, # § chercher bien loing de là,iltrouble la memoire, & nous faict perdre dans
º celabirinthe & dangereux deſtours, principalement le lecteur ſimple, &
f
qui eſt naturellement porté à la pieté, carrencontrant à chaſque pagevne
-
inuocation du nom de D IE v, en diſcours interrompu comme par ex
--
taſe il ſe laiſſe perſuader que ce deuoit eſtrelàvn homme tout diuin, &
---
# | ue s'iln'entend pas ce qu'ildit, cela procede de ſon ignorance & inſuffi
ance,& n6 pas duliure qu'ils'imagine eſtre bon&ſainct.Voyla ce qui en
atant perdu,car s'ileſtoit eſcrit methodiquement; & que chaque matiere
• | | | | | | dequoyilparle euſt ſon chapitre à part, on deſcouuriroit incontinent ſà
i | | -
|| fauſſeté, par la contrarieté qu'ilyauroit, & le peu de ſens qu'on y trouue
:
' , | || roit : ioinctqu'ony liroit infinies redites, qu'onyverroit, que toutes ces
-
: -
ii -

»
• .
viſions &&enthouſiaſmes
propos, ſont des deverité,
ſans aucune apparence ſonges inuentez à plaiſir,appoſez
& † ſentent ſa manie &ſans
ſon
--
| | | epileptie pluſtoſt que la Prophetie: mais cóme ileſtoit conduit & pouſſé
i
parleſprit de malice,ila preueu& preuenu ce qui pouuoitarriuer.De ſor
- - UÇ
!: 4
de la Croix. ' 2I

te qu'ila faitvoirtant d'incertitude & d'inſtabilité en ſes enſeignemens, 1 .


ques'il dit envnchapitre qu'on ne ſe peut ſauuer qu'en ſaloy,ildira envn »

autre que chacun peut faire ſon ſalut en toutes : tantoſt il veut qu'on ne
force† en ſaloy,& toutauſſi-toſtil commande qu'on mette au fil
del'eſpée ceux quin'y voudront pas croire,oubien qu'ils payentletribut.
Icyilconſeille les ſiens d'auoir recoursaux ſainctes lettres,& ſur tout à l'E
uâgile,ailleurs il dit qu'ila eſté corrompu parles Chreſtiens,& qu'on s'en
donne degarde; vne fois il dira que DIE v ne rend point meilleur vn
meſqhant homme,vne autre-fois ill'exhortera de ſe mettre en oraiſon,
> - 2

afin que DIE v l'amende; tantoſt il veut eſtre tenu pour Prophete ſeu
lement des Arabes,&auſſi-toſt qu'il eſt vn Prophete vniuerſel à toutes

nations.Illoüe quelquesfois
q noſtre Seigneur,ſurtous
S------»
les amis de D IE v, >

l'appellant Prophete,Meſſager,Verbe,Ame, & S. Eſprit de D1E v, & en


lagrandeviſion qu'il dit auoir eue, il ſe prefere à luy & à tout autre meſſa
ger &amy de DIE v, & infiniesautres choſes ſemblables partout cét Al- Grande incer
-
-

COlaIl. titude entre les

Quesilaſi peu d'arreſtenſes preceptes,commeilſe peutvoir partout, †º


· Il n'y a pas moins d'incertitude encore entre-eux, à ſçauoir de qui ils †º
ont euë cette loy, lesvns le diſansauoireſtéenuoyétouttelducielà Ma-"
homet; d'autres diſent qu'il fut compoſé par ſeptante hommes ſages illu
minez de D1E v; quelques-vns qu'ilfut compilé par Odmar gendre de
Mahomet, & que de quatre Alcorans tous differens l'vn à l'autre, on en Multi -
fiſt vn,lequeltoutes-fois n'apeu empeſcher qu'il ne ſe ſoit trouué depuis d'Alcoºns.
plusde deux censAlcorans tous diuers,comme laremarqué le ſieur de Vi
genereenſes Illuſtrations, ſur Calchondile, page4 7.Mais Andreas Mo
rusquis'eſtconuerty depuis quelque temps à la Religion Chreſtienne, &
quiaeſcritſur ce ſubiectvn petit diſcours (où il rapporte à laverité tout
cequ'ilaappris durant qu'il eſtoit à ſi mauuaiſe eſchole) dit que Maho
met,ne ſçachantounevoulanteſcrire cependant qu'il compoſoit l'Alco
ran,ilauoit pres deluyvn ſecretaire qui eſcriuoit § en de
Petitsbillets ce qu'il diſoit luy eſtre enſeigné de DIE v, moyennantl'An
8e Gabriel, & les mettoit dans vn petit coffret, mais que cét eſcriuain luy commeA
ayantmanqué,il ſe ſeruitd'vn Iuiffort inſtruit en laloy Moſaïque, & †
qui outre cela eſtoit fort accort, lequel s'aduiſa incontinent que tout ce compilé
quildiſoit eſtoient choſes fauſſes &uullementreuelées de DIEv, & pour -

#ºnaſſeurerd'auantageilchangeoit orvne choſe,tantoſt vne autre, ob


ſeruant ſeulement les meſmes ritmes, ſans que iamais Mahomet s'en ap
† , deſorte que cognoiſſant par là § de cette loy, ilnevou
†Plusluyſeruiràeſcrire ſes fables, & s'en retournaau Iudaiſme. Mais
iſtoire destrois Iuifs familiers de Mahomet ne ſera pas peut-eſtre rap
ºéeicymalàpropos,leſquelsayâs
§ entouseſtéfort
durât ſa vie,& quil'auoiét
familiersamis deMahomet †
ſes deſſeins& entrepriſes,vindrét §ent †
#ſamorttrouuer Haly fils de Habitalib, lequel auoit eſté ſi familier "
, ºMahomet , qu'illuyauoit laiſſé ſon Alcoran : ceux-cyCvindrent
- " - - - • -iij-"
donc -
-

22 - Le Triomphe
-
trouuer Haly, & feignans de deſirer ſon bien & ſon aduancement, luy
conſeillerent qu'eſtant riche & de noble maiſon, qu'il ſe declaraſt Pro
phete,luypromettansdeluyaſſiſter.Deſorte † tout leur patelina
ge ils luytirerent des mains cét Alcoran,auquelils adiouſterent & chan
:|:
*
: gerent ce qu'il leur pleut.Mais le meſme Mahomet enſonAlcoran, yap
porteluy-meſme del'incertitude;carvne fois il † nuict qu'il dor
-#,
- • moit, illuyfutenuoyé du cieltouttelqu'il eſt: &ailleursil dit qu'il la eu
euàpeu, comme † Loy, Dauidle Pſautier, IE sv s-CHR 1 s T
'Euangile; enfin cette loyeſtincertaine, puis queles Sarraſins entre-eux
meſmes nes'aecordent pas quand ils ſeveulenteſolaircir de † diffi
Le poinct prin- culté, ou de quelque poinct de leur doctrine, neſçachans à quiils ſe doi
:
:
|
§ uentaddreſſer,nylaquelle ils doiuent croire, delà ſontvenustant de Pro
†º phetes entre-eux, chacun diſant qu'ilalevray Alcoran; leur difficulté n'e
†"º ſtant pas proprementſurl'interpretation, mais à ſçauoirqui'ale vray tex
te, mais celuyquis'eſt le plus eſtably, & quia faictle plus valoir ſon opi
--
nion,a eſté le Sophy Iſmael & ſes deſcendans.
-
-

L'année 1588.année perilleuſe pourpluſieurs contrées, ilſeleua du co


-|

ſté de l'Affrique vn autre faux Prophete en cette loy qui fit vne leuée
,, de 4ooo.hommes ou enuiron, maison empeſchaſi bien le progrez de
#
ſon entrepriſe parla defaite de ſes troupes, qu'on n'en a entendu depuis
, aucunes nouuelles.Voylal'incertitude en laquelle doiuentviure ceux qui
-
s'arreſtent à cette fauſſe croyance, à laquelle pour comble de perfection
,r nous pouuons donnerla marque d'impieté;non ſeulement pour nier la
a"--|
Impie. Diuinité du Verbe increé & humaniſé, mais pour les blaſphemes execra
-
bles qu'ellevoſmit contre la meſme Diuinité, &afin d'en mieux voir la
preuue,voicy 46. erreurs notables de l'Alcoran.
4#-
tables de l'Al Lapremiere que DIE v eſt autheur de tout mal,la ſeconde quelesvo
corah. leurs,ſorciers & autres pecheurs ſont deſtinez de D1Ev à mourir en cet
eſtat: la troiſiefme, comme nousauons deſia dit, il fait D1Ev corporel;
A. .. la quatrieſme ilniela ſaincteTrinité: la cinquieſmeilnie † D I Ev ſoit
Azo. II.
pere, pource, dit-il, que perſonne ne § eſtre pere ſans femme, & con
," |. |
ſequemment qu'iln'apoint de fils. Laſixieſme qui eſtl'erreurfondamen
Az°. s. tal&capitaldetoutle Mahometiſme, il tenoit que IEsvs-CHRIsT, fils
de MARIE n'eſt pas DIEv,ains ſeulement qu'il eſt ſon Verbe increé,ſon
-

--
•, ſeruiteur & Prophete. La7.il nie que IE svs-CHRIsT ait eſté crucifié
-

affirmant queles Iuifsvoulans contre les Loix le crucifier ne peurent le re


* Az°.4 : nºn tenir, mais que DIE v letranſportaau ciel, commetres-aimé de luy †
19. eſtoit, & qu'ilsn'ontmis en Croix qu'vnſemblable à luy. La huictieſme
Azo.it en conſequence del'erreurprecedent,ilalaCroix en horreur, appellant
idolatres les Chreſtiens quil'honorent.Laneufieſme quieſt †depen
dante delahuictieſme,ilreiette toutes ſortes d'images. La dixieſme que
Az° º. I Esvs-CHRIsT n'eſt encore mort, mais qu'il moura enfin, & apres
eſtantreſuſcité viendra, non toutes-fois auant la venuë de l'Antechriſt.
Lonzieſme que IE svs-CHRIsT eſtant reſuſcité auec les autres, les
- - - - - - - ameneroit
de la Croix. 23
ameneroitauiugement, mais que ce ne ſeroit pas luy quiiugeroit.La dou
zieſmetraiétant de la ſacrée VIERGE MARIE mere de DIE v, il luyat Azo. 29.
tribuevne fluxion de moisauantſon enfantement, nullement ſeante à la -

parfaitte pureté, ſoit d'icelle ou de ſon fruict Latreiſieſme que le diable Az° *.
a eſtécreéd'vnfeu peſtilentiel. La quatorſieſme que tous les † 9º Azo.25 ,z.
adoré Adam, excepté Belzebut, lequel, ditl'Alcoran, nes'eſt voulu ſouſ
mettreàluy, pource qu'ileſtoitformé de boüe. Laquinſieſme que les dia- -

blesſeront en finſauuez La ſeiſieſme qu'vne partie de l'Ame de D1Ev " *


aeſté communiquée à l'homme par inſufflation. La dixſeptieſme il nie Azo.4s.
quelques-fois § arbitre, & quelques-fois ill'aduouë auſſi, tantily
apeu de certitude en tout ce qu'ilordonne.Ladix-huictieſme en ce qu'il Azo 2.54.57.
eſtime vn Paradis ſenſuel, foiſonnant en toute volupté charnelle. "
La dixneufieſme de remettre ſus la Circonciſion. La vingtieſme de circó
cire ceux qui ſont en aage de diſcretion.La vingt & vnieſme que le Bap Prat.v. MahoN
teſme eſt inutile. La vingt-deuxieſme reiette la realité Euchariſtique,
teſmoinl'impie Auerroes,quinommoit impies les Chreſtiens, à cauſe,diſoit
il, qu'ils mangent leur DIE v. La vingt-troiſieſme de reietter les ſainctes
Ordres.Lavingt-quatrieſme eſt que pour eſtre en Paradis, il faut de ne-
ceſſitéauoirtrois § , la foy, la credulité, & l'œuure, bien qu'eſtant psa M .
-

§pédelamortauant l'œuure,lafoy ſuffiſe, en quoyilcommetvne pºgºº.


ourdefaute, de faire diſtinction delafoy & de la croyance ; & vne autre
encore pluslourde de retrancher l'eſp erance de ſon denombrement:mau
unisaugureàlaverité pour ceux qui ſuiuent cette doctrine,puis qu'ils ſont Az° 7º
ſanseſperance.Lavingt-cinquieſme eſt defaire leurs prieres eſtans tour
nezdeuers le Midy, afin de contrarier à la doctrine des Chreſtiens. La
vingt-ſixieſme eſt quand Mahomet ſe ditauoir puiſſance de violer ſes iu
remens.Lavingt ſeptieſme de celebrer le Vendredy au lieu du Dimâche.
Lavingt-huictieſme demeſpriſer toutes lesloix & iugemens de l'Egliſe.
lavingt-neufieſmelavangeance qu'ilveut qu'on prenne de ſes ennemis,
fin vouloir qu'on mette à rançon celuy qui eſt pris en ſedition mu Azo. 2.18.26.

tuelle &ailleurs ilordonne qu'onface laguerre.Latrentieſme, qu'il faut


pourſuiure partoutes ſortes d'embuſches & mettre à mort apres certains
ºot ceux quineſevoudrontranger à leurfoy. Latrente & vnieſme que . 19, •
lecelibateſt impoſſible àgarder. Latrente deuxieſme quelapaillardiſe eſt
Permiſe de D1E v, & pardonnable. La § de celebrer les A ° º º
ºriages ſaps ſelier.La tréte-quatrieſme de permettre àl'hômelapolyga-A.° 7.
mIe,c'eſt † de prendre autât de fémes qu'il en pourra entretenir ſelon
º facultez, ou § pour vſer de ces termes, autant qu'il en pourra Azo. 8.
ºit en paix. Latrente-cinquieſme de preſcher le diuorce, c'eſt à dire
ºdiſſolution
ºde du mariageencas
mœurs peruerſes, & changemét de femmeſaencasd'impudicité
que le maryn'aime en Azo. 3.
femme : comme auſſi
ºmet à lafemme quittée de ſon mary, d'en prendre vn autre quatre
ºeſcheus. La trente-ſixieſme d'auoir toute permiſſion de prendre**
ºge ſes propres couſinesgermaines Ileſtvray que Mahomet sat
| º

--

|
2 4- Le Triomphe
tribuece priuilege àluyſeul, commel'ayant de D1 Ev. La 37. le change
, ment du Careſme, que les Mahometans compoſent d'vnmoys & d'v
-i
i | Azo.t. ne ſepmaine, demeuranstout le iour ſans manger ou boire choſe quel
•.
conque, mais ayansveuvne eſtoileau ciel,ils ſe mettent à boire & man
# -
gerautant qu'ilsveulentiuſquesau commancementdel'heure † deuan
-

| -

Azo. 3. ce le Soleilleuant, & de toutes viandes, horſmis ce quia eſté ſuffocqué,


l -

& lachair de pourceau.Latrente-huictieſme, la deffence de boire du vin,


|| | *° º & demangerles viandes ſuffocquées & la chair de pourceau. La trente
| A.e,. neufieſme,le congé depiller que donne Mahometà ſes diſciples.La qua

|i

| |
|
-
*** rantieſme, d'appellertres-grandpechéboire duvin,ioüeraux eſchets,ou
auxieux de hazard. La quarante vnieſme,lalicence que Mahomet donne
-

| | | auxſiens d'exercertouteslesſuſdites ſenſualitez & § , ſans rien crain


- -

|
| | ***** dre & ſans rougir, & d'eſtimerlicite tout ce qui eſtagreableau gouſt ou à
| | | l'odorat, c'eſt à dire envn mot, tout ce qu'illeur plaiſt.La quarâte-deuxieſ
me, que Mahomet eſt Prophete & embaſſadeur de D1Ev, encore que
-
ſaloy ſoit commevnabregé & vn recueil de toutes les erreurs qui ont eſté
auparauant luy.De ſorte quelesTurcs ne recognoiſſent que trois Prophe
|
| ** tes, Mahomet,Moyſe, & IE s vs-CHRIsT, tenans leurAlcoran pour
enuoyé du Ciel.La quarante-troiſieſme, que les Chreſtiens ont perdu la
-

· · · · · - loy & l'Euangile : Et c'eſt ſur ce fondement que s'eſt appuyé Mahomet,
-

t pour corrompre & renuerſer lvn & lautre teſtament, corruption qu'il
, veut eſtrepriſe pour reformation, proteſtant que ſon Alcoran luy a eſté
|: | : donné pour publierle droict chemin & lamiſericorde. La quarante-qua
• * ! - trieſme, § ſuffitàl'homme de croire en DIE v & à § ; quoy
| |
,
|
"
| |
- † puiſſe piller,violer,aſſaſſiner, &c. La quarante-cinquieſme, qu'il
#ººº fautnôn § croire & obeïràl'Alcoran de Mahomet, ſur peine de
* : | | | | | pluſieurs maledictions, mais en outre ſegarder d'yrien changer, ou d'en
· · · diſputer,bié que le Mahometiſme ſoit diuiſé en ſeptantes ſortes.Laqua
| | | | rante-ſixieſme,eſtl'indifference de Religions § en diuers en
• | | droicts, moyennant qu'on ſoit de bonnevie. Cariaçoit qu'en ſon Azoar
· ' -
' ; - - 12. il eſcriue que perſonne ne peut obtenir la perfection d'aucune loy: ſi
: | | | | outre levieil teſtament & l'Euangile,on n'obeit à l'Alcoran, ſieſt-ce que
· , | l'eſprit de contradiction, quiconduit d'ordinaire labouche ou la plume
des errans, luyfaict incontinent apresrenuerſer ſon premier dire parcet
|
tuy-cy.Les Croyans & les Iuifs, & ceux qui adorent les Anges en la place de
DIE v, ſçauoireſt ceux quichangentvneloypourlautre,les Chreſtiens auſſi,tous
· | | ceux cy diſie, s'ils croyent en D1Ev, & font bien attendans le iour du iugement,
| | | | | qu'ils ne craignent rien.Et enl'Azoardeux,ilfaitgeneralement ſçauoir que
• | | | | - - quiconque vit bien,ſoit qu'ilſoit Iuifou Chreſtien,ſoit qu'en laiſſantſa loyil aſpire
| ... ! | | | - à vn autre : c'eſt à dire,quiconque adore DIE v & faictbien, obtiendraindubita
blement lamour Diuin. -

:
M . , Deſorte quecefaux Prophete, aprestoutes les loüanges qu'il adon
† ºu neesa ſa doctrine, & nonobſtanttoutes les contraintes & violences dont
" ilvſe pouryforcer tous ceux qu'il peut; Satan fait incontinent †
- & indif
-r
r

e ^

de la Croix. 25
enluy ſon principalbut, qui eſtd'abolirtoute Religion,parla permiſſion
& indifference de ſuiure toutes Religions, De ſorte que voicy vne Loy
toute fauce, pleine deviolence, de cruauté, d'impudicité, toute confu
ſe, inconſtante, & fondée ſur l'impieté, eſtablie parvn eſclaue, ignoranr,
impoſteur & ſeducteur, furieux & fabuleux, impie & impudique, &
quineantmoins auectant de vices & imperfections, eſt tellement multi
pliée quela meilleure partie de la terre habitable flechit ſoubs ſa domina
tion.Entelle freneſie peut tomberl'entendement humain, que de s'eſtre
'laiſſéemporterà tant de bagatelles, &à tout le badinage detant de fables,
ſansauoirveu nyouydire qu'il ait iamais faict aucun miracle, le legiſla
teur confeſſant luy-meſme que ſa loy ne ſe confirme que parlesarmes,
comme ſi du temps du Paganiſme qu'il faict ſemblant d'impugner ne
s'eſtoitpas faict de plus grandes merueilles que n'ont iamais faict ny luy,
nyles ſiens, teſmoinAlexandre le grand, quien ſi peu d'années ſe rendit
vn ſi redoutable Monarque, & Iules Ceſar, & tant d'autres ſoubs les
Grecs & ſoubs les Romains, car meſme du temps de l'Empire nous ſça
uons qu'ilya eu des Princes venus d'auſſibas lieu que luy,quineantmoins
ſeſontacquis la Monarchie del'vniuers parleurvaleur. -

Vn ſeul Lucullus a plus deffaict d'armées & conquis de Prouinces en # #


ce peu de temps qu'il eut la commiſſion de faire la guerre aux Roys My- †º#
tridates & Tigranes,(alors les plus grands Princes de l'Orient) que luy & § R
les ſiens n'ont acquis enl'eſpace de plus de deux censans : & legrand Pö-"
péenetriompha il pas destrois parties dumondeau rapport de Plutarque
enſavie lapremiere del'Affrique,oüildefit Domitius enbataille rangée,
ilconquiſt † païs de la Numidie enl'eſpace de quaranteiours, la ſeconde
del'Europeayant defaictlarmée de Sertorius, pacifié l'Eſpagne & l'Ita
lie,auſſien cou ppantiuſques au fond les reſtes & les racines de la guerre
des Gladiateurs.Étle § triomphe qu'ilfit de FAſie, à ſçauoir des
l'!ouinces de Pont,Armenie, Cappadoce, Paphlagonie, Medie, Col
chide,Hiberie,Albanie, Syrie,Cilicie,Meſopotamie,Phenice,Paleſti
ne,ludée,Arabie, & outre ce les Courſaires & Eſcumeurs de mer, qu'il
ºuoit defaits par tous les quartiersdumonde,tant parmer que parterre,
*yantpris ences païsiuſques au nombre de mille chaſteaux, & non guere
ºoins de neufcensvilles, devaiſſeaux decourſaires huict cens, & trente
neufvillesdeſertes repeuplées par luy : c'eſtoient bien là d'autres Mira
† les armées de Mahomet, car toutes ces grandes conqueſtes fu
cles
º#aites enfort peu de temps, de la grandeur deſquelles , ny luy ny la
meilleure partie de ſes ſucceſſeurs n'aprocherent que de bien l§ : abus
ºctres-granddefonderlaSainctetéd'vneloy ſurles conqueſtes,quiſe
roitpluſtoſtla marque de Tyrannie. -

Toutaucontraire de laReligion Chreſtienne qui eſt toute vraye : la #


† s'exerce par tous les Pro- Chreſtienne.
9étrine de verité prophetiſée enl'eſtat
· ºs&lesliures ſaincts que Mahomet nous veut faire croire † *P viaIrAntº,
Pºe Enelle rienneſe trouue de fabuleux, elle raconte ſimplement "
- - - - D- -
-

-
26 · Le Triomphe
ſon hiſtoire, laquelle ſerecite à peu-pres de meſme parſes † grands &
mortels ennemis,veritable encore en tout ce qu'elle predit,les Propheties
-
contenuës enſes liures ſaincts,s'accompliſſans encore tous les iours;veri
rable en ſes enſeignemens, comme tirez de la meſmeverité: veritable en
ſes promeſſes,leſquelles ſonttouſioursinfaillibles, ſoit en cette vie ouen
' l'autre : veritable parce que ſon maiſtre,& celuy quil'ainſtituée eſtleſaint
|
& levray, § Apoſtre àl'Egliſe de Philadelphie, # repreſente la
-
susviolenº ſaincte Egliſe Romaine. Apoc.3. Verſ 7. Elle eſt auſſi ſans violence:
N'eſt-ce pas le precepte desóSeigneur:Aprenex demey,dit-ilque ieſuis doux
& humble decœur La Religió Chreſtienneneviolente perſonne,l'eſpée eſt
ſon dernierremede, qu'elle ne prend point encore pour forcer perſonne
d'eſtre Chreſtien; mais§ eſteindre par quelque peu de ſang, le feu
quis'allume quelques-fois dans ſa propre maiſon, car comme dit ſainct
Iean Chryſoſtome : Telle efflanature de la verité, que tantplus elle eſtoppugnée,
plus elleſe fortifie, tout au contraire du menſonge,#plus ilreçoit de ſecours d'au
truy,cg plus ileftdebilitéenſoy meſme: laverité donc n'apoint de beſoin daydede
lapuiſſancetemporelle, & beaucoupmoins la verité du Seigneur qui demeure eter
nellement; toute la violence qu'onyapporte, c'eſt la perſuaſion.Auſſicon
duit-ellelesſiens auectant de douceur, que ſi elle vſe quelques-fois de
- ,ſ -
† chaſtiment pour les faire reuenir à la raiſon, quand ils ſe rendent troP
† opiniaſtres, c'eſt de les bannir de ſa compagnie,au lieu que le Mahome
#on desin- tiſme rend eſclaues tous ceux quiviennent ſoubs ſa domination, elle met
ſideles. - / 2 > - - V

en liberté du corps, del'ame, & de l'eſprit,tous ceux qui ſe rendent à elle;


:: chez luy on vous retient par force, chez-elle ſi vous ne voulez point eſtre
des ſiés,on vous faict ſortir,luya faict rougir les fleuues du ſangde tous les
euples paroüilapaſſé:elleau contraire reſpanddebon cœurleſien pour
† des infideles,luypreſche la vangeâce deſes ennemis,elle en
ſeigne le pardon,dit qu'il n'ya point de ſalut ſans iceluy : & en ce faiſant
Mahometluy § mort corporelle & ſpirituelle : & quant àl'Egliſe,
ellene donne iamaislatemporelle, mais elle faict vn † infaillible -

-
ment aux ſiens de la vie eternelle : car c'eſt la leçon qu'elle a receuë
de ſon maiſtre & Seigneur, Apprenez demoy, diſoit-il, que ie ſuu doux &
: humble decœur, aimez vos ennnemis:& Mahometaucontraires'eſt touſiours
i
fait paroiſtre cruel&ſuperbe : delàvient que la bonté ineffable du Pere
----
eternela donné tout ce qu'ila & ſon propre Fils, pour ſauuer nos ames,
-

& Mahometa enſeignétout ce qu'ila peu pour les perdre, ila faictcom
me le diable qui donne tout ce qui n'eſt pas à luy.
-
cºrºtrº. Quant à ſa continence & chaſteté, où eſt-ce qu'elle reluit dauantage
• r
7.,., àque parmylesvrays Chreſtiens Legrand docteur des Gentils l'enſeigne
ſes diſciplesTimothée & Tite,& en ſa premiereEpiſtreau Corinthiens,
Tit, c. 1.
. - 1

cap , chapitre 3.6. &7.ildeffendeſtroittementlafornication, conſeillelaVir


† # ginité, & commandelacontinence & chaſteté. N'eſt-ce pas auſſi ce que
§- chante la ſaincte Egliſe de cesgenereuſesames qui ont bruſlé l'ardeur de
:||
|
" leur concupiſcenceaufeudelamour qu'ils portentàleurSeigneurºCeſont
- - CºHXº

lºl !
de la Croix. 27
ceux, dit-elle, qui n'ont pointeftéſouillezaueclesfemmes,car ils ſontvierges:ceux
cyſuyuent lagneau,en quelquepart qu'ilaille. Puis queluy-meſme eſt Vierge,
ſaſaincte Mere,laRoyne & la VIERGE desvierges,auecvn nombrein
| finy deſaincts & de ſainctesVierges quionteſté, ſont & ſeront enl'Egli-.
ſe de DIE v. Tout au contraire de l'Heretique qui a touſiours com
mencé ſon Schiſme & ſa rebellion par l'impudicité. De ſorte que iamais
moine n'aietté, comme ondit,le frocaux orties,qu'iln'aitauſſi-toſt chan
géſonhabitenvnefemme,lerapportenſeroitlongà faire qui voudroit
ramaſſertout ce quis'eſt paſſé enl'antiquité: mais à quel propos d'aller re
chercheraulong des exemplesd'vne choſe quia eſté & eſtencore ſicom
mune ennosiours?Teleſtl'artifice du pere de menſonge,de ſe ſeruirainſi
des inclinations des hommes pour leurperte, & pour ſa gloire; car celuy Ruſedudible
uide ſoy-meſme eſtcontinent,ille pert parlameſme continence,à cau-§"#

# de labonne opinion a de ſoy, commeil fit ApolloniusThyaneen, "
lequel pour eſtre d'vn eſpritplus delié, & d'vnevertu plus eminente, il le
porta àvne imagination de Diuinité, & le fit eſgaller par les ſiens au fils
de DIE v. Et quant à Mahomet, qui eſtoitvn homme tout laſcif, il ſe
ſeruit de ſonimpudicité pourle poſſeder plus facilement, & pour faire
puisapres perdre par ſon moyen pluſieurs millions d'ames, qui ont ſuiuy
ſa doctrine,ſe contentant ſeulement de ſe faire appellerAnge & meſſager
du DIE vviuant. Il eſtvray qu'Apollonius n'aiamais faitgrand †
de diſciples, comme nousauons remarquéaux Commentaires ſur ſa vie,
aucontraire de Mahomet, qui comme nousvenons de dire, aſſubiettità
† malheureuſe doctrine, la meilleure partie de la terre habita
le; &d'autant que les hommesveulentbien ſaluerlavertu de loin, com- L'homme ſuit
mequelque Diuinité, & s'il fautainſi parler, rendre quelque eſpece d'a-ce #.
doration à celuy qui lapoſſede, mais ilss'vniſſent, s'allient & ſe conioi-"
gnentparaffection, par affinité, & parconuerſationauec ce quiconuient
àleursſens,lavertu eſtant trop hauteſleuée pour vn vol ſi terreſtre; cet
aſtrene peuteſtreveuſurleurOriſon.C'eſt pourquoy de ces deux perſon
ºges, fvnfut delaiſſé,l'autré fut ſuiuy : carApollonius inſtruiſoit § ſiens
#lauſterité, &à commander à leurs paſſions: &,Mahomet enſeigne le
libertinage, & comme il faut complaire aux ſens, auſſi eſt-ce la verité
qu'entre tous les Hereſiarques quiayentiamais eſté, il n'y ena pas vn qui
aitdonné vneloyplus § à ſes ſectateurs qu'eſtl'Alcoran.
Quesilfautveniràl'ordre,& où eſt-ce qu'il eſt plus enſonluſtre qu'en
lamaiſon du grand DIE v ? La loy & les commandemens qui y ſont re Ordonnée.
ºuz;ſont conſtammenttenus venir de ſa Maieſté,les hiſtoires des ſain- -

des Eſcritures, les Propheties, les myſteres, & tout ce qui eſt contenu au ##
ºil&aunouueauTeſtamenta § eſtévnanimement receu,com- †de
ºnous letenons auiourd'huy, (ie parle de la vraye Egliſe, & n'entre # en ſon
Pºintmaintenant en diſputeauec ceux qui s'en ſont ſeparez): Les Sacre- ordre,
ºns,leſacrifice,lacroyance, les ceremonies, toutsyadminiſtre paror
* ſefaictauecordre & reſpect,s'enſeigne ſans confuſion, s'exerce en
D ij
|
|,
28 Le Triomphe
temps & lieu : les liuressyliſentauec examen &approbation; les preſtres
. n'y§ qu'auec ordination : les Magiſtrats n'y exercentaucuneiu
riſdiction qu'auecmiſſion, les docteurs n'y enſeignent † impoſi
# - tion,les feſtes ne s'y ſolemniſent qu'auecproclamation, les prieres ne s'y
- : | font qu'auec diſpoſition, les penitences qu'auec permiſſion, les vœux
·
qu'auecdiſcretion,& entreautres leſeruice qui s'y chante eſt diſpoſéauec
--

•,
vn ordre ſi particulier, les textes ſaincts y ſont rapportez ſi à propos, ſelon
l'occurrence, &iuſques aux chants & aux ornemens, que veritablement
celuy qui voudra conſiderer le tout d'vn œiliuſte & equitable confeſſera
que la portée de l'entendement humain ne peut pas s'eſtendre à ſi haute
• entrepriſe, & parconſequent que cela procede de la Sageſſeinfinie de ce

lºy, quiplus infiniement qu'vn autre Saldmon veut quel'ordre de ſa mai .
· ſon ſerue, non ſeulementd'admirationaux plusgrands Princes de la ter
re; mais qu'elle ſoit le modele & l'exemple à tout l'vniuers, pour faire
qu'vn chacun de nous ſe conduiſe ſainctement, ſagement, & iuſtement
|| | | en toutes ſesactiós,rien ne s'y prattiquant qu'auecvne ſaine & droictein
tention : mais ce qui eſt à remarquer, c'eſt que nuln'y peut legitimement
| : | rien entreprendre, ſans eſtre auctoriſé,ne fuſſe † ſonner vne cloche,
dire quelque verſet ou lire quelque leçon,tantle ainét Eſprita voulu que -
ce poinctyait eſté religieuſement obſerué pour faire reluire icy bas entre
: les hommes, quelque eſchantillon de cette ſaincte & celeſte hierarchie,
i -
† aluy § eſtablie làhautau Ciel. Quant à ſa conſtance, la ſucceſ
# º ſion de doctrine qu'ellea maintenue depuis ſeize cens tant d'années, ſans
i --

| iamaisauoirchangé, ny ſansauoir peu eſtre terraſſée, monſtre aſſez †


l'Apoſtre S. Paulauoit veritablement prophetiſé d'elle quand il diſoit
# h. 3
- lh). ?, qu'elle eſtoit la Colomne
le Tout-puiſſant & lefirmament
Redempteur quiluyadedonné
verité:ſon
& que
espritſon
&autheura
ſa parole àeſté
ia

: mais, auecvne puiſſance § contre les portesd'enfer: & ſonaſſiſtance


-
non entous les ſiecles, & entous les ans ſeulement, mais tous les iours iuſ
Iſai. 59. ques à la conſommation duſiecle : tantilluya pleu d'eſtre exact, pour le bien
- & vtilité de ſon Egliſe, mais pourquoy ne ſeroit-elle pas conſtante & ar
----
· reſtée, puis qu'elle eſt fondée ſurla ferme pierre, Queſiquelqu'vn tombeſur
- -

Mat. Is. s. elle,ilſera misenpierre, e9- celuyſurlequelelle tombera, elle le briſera. La pratti
que nes'en eſt elle pas veuë en tous les Heretiques qui ſont venus en tous
- -
LEgliſe de les ſiecles, quitous ont eſtéterraſſez parlantiquité, conſentement,&vni
#" uerſitéd'vne meſme doctrine, meſmevſage des Sacremens, meſme ſacri
| fice, meſme croyance, & ſur meſmes ceremonies, principalement aux
_*
actions les plus importantes, que les ſpirituels, illuminez, Angeliques
#- incorruptibles,pacificateurs,iuſtificateurs,abſtinés,predeſtinez,puritains

.
reformez, & autres infinis chefs de part, quiauec § noms ſuſpicieux
,
# -
, --

4
* & pleins de douceurontaueuglé tant d'eſprits, & precipité tant dames
-
en enfer, n'ont point toutes ſºis eu le pouuoir auec tous leurs puiſſans
eſcadrons, tous leursartifices,toute leur cruauté & tyrannie d'eſbranler,
" .
tant ſoit peu, voire meſme d'offencer cette doctrine Apoſtolique, qui
-|

-|
| ſouſtiendra

1 -

-
,
• • • #! -

* .

|
· de la Croix. 29
| ſouſtiendra, & ſubſiſtera touſiours contre leurs efforts, voire meſmes re
ſiſtera à toute leur puiſſance, teſmoing celle de Mahomet, & des ſiens, de
ſi puiſſans & impitoyables ennemis qui ont conioinctl'artifice à la cruau
té, & quiontfaict plus de malenl'Egliſe de DIE v, pour les ames qu'ils
ont faict perdre, que n'ont pas fait tous les autres Heretiques enſemble,
n'ont toutes-fois iamais peu rien faire changer en la ſaincte croyance ; au
contraire ça eſtél'Egliſe quilesa condamnez comme ſeditieux, Hereti
ques, & impoſteurs. | -
Reſte maintenant à diſcourir de la pieté,vertu dontonne ſçauroit aſ
ſezexprimerle merite qui encloſttoutes lesvertus en elle, qui nous fait ->

aimer D1 E v plus que toutes les choſes dumonde, & aimer toutes cho-******
ſes pour l'amour § , & de laquelle la Religion Chreſtienne fait prin
cipalement profeſſion.Car ſoit † ait eſgardàl'office de lavraye pieté
qui eſt d'eſleuer D IE v toutau plus haut de ſon effect, & baiſſerl'homme d
all plus bas, pourpuisapres luy fournir des moyens de ſe releuer,luy faire
reſſentirſamiſere & ſon rien,afin qu'en DIE v ſeul ilmette ſa côhfiance,
& ſon tout, où eſt-ce que cela ſe prattique qu'en noſtre ſaincte Religion?
Y ena-ilaucune où D IE v ſoit honoré, ſeruy & adoré auec plus de reſ
pect, d'humilité & d'obeïſſance (ie parle de ceux qui ſont veritablement
Religieux entre les Chreſtiens) & oùl'homme face moins de cas de luy,
sauiliſſe,& meſpriſe dauantage, recognoiſſe mieux ſes deffaults & ſesim- - -

† & le meſpris de ſoy-meſme.N'eſt-ce pas vne des † .


cçons qu'elle donne pour parueniràlaperfection ? Tout ſon fondement
n'eſt-ilpas enl'humilité, commelabaſe de toute autre vertu,laquelle plus
ellesapprofondit&sabbaiſſe,plus elleſehauſſe & eſleue.N'eſt-ce pas par
elleauſſi qu'acommencéſon fondateur. Ils'eſt humiliéſoy meſmeprenant laN Phil.
- - - f /r- . -
. 1. y...3.
fºrmedeſeruiteur, dit ſon Apoſtre.Etailleurs : Ila eſtéfaict obeyſſant iuſques à -

lamortde la Croix : à cauſedequoy Dr Ev laexaltéeg luy a donné vn nom par


dºſſatoutnom.I'adiouſtevnautre office de la Religion, c'eſt de nous lier
aueclautheur & principe detoutbien, raccourcir & conſoliderl'homme
ºnſàpremiere cauſe, comme enſa cauerne,en laquelletant qu'ilydemeu vºos , ea
#yny&attaché,ilſe conſerueenſa perfection:au contraires'enſeparant, ".
ilſºicheauſſi-toſtſurlepied, & cecy n'eſt-ce pas ce que deſire noſtre cher
ºediateur, & dequoy #priaſiaffectueuſementſon Perelanuict où il c6
ºngaàtraitterles myſteres de noſtre redemption, à ſçauoirque ceux qui
#ôtenluyfuſſent tous vncommeſonpere eſtoitenluy,& luyenſon Pere,qu'ils Io. 17. y, 21:
fºſſentauſi tous vn en luy: Et plus basil prie le meſme Pere eternel, que ceux
#ºlluyadonnez,ſoient auecluy où ileſt,afin qu'ils voient laclartéqu'il luya don
# Lecomble & ſommet de la vrayeſainéteté & perfection Chreffienne, di
°itleſainctPere Ignace de Loyole,eſtd'eſtrefaictvn meſmeeſprit, vn meſme Ercer ſp.
4m0uy »ºnemeſme volontéauecnoſtre ſouuerain Seigneur, & demeurer ainſi vny

C conioiné#à luy en touteeternité.


fid $ueſionveutconſidererlafindela vraye pieté, n'eſt-ce pas de rendre
ºlcment tout honneur & gloire à DIE v ? & où eſt-ce que cela ſe prat
D iij

| -- • !" .
3O · Le Triomphe
tique mieux qu'entrelesChreſtiens} Lesliures de tous nos anciens peres,
site ea , & ceux demaintenât ſont pleins de ce deuoir, le culte exterieur,l'abâdon
# # # nement de toutes choſes pour ſon ſeruice, & ſur tout le ſang de tant
† § de Martyrs eſpandu pour cette querelle, eſtvnvray & certain
† ge que c'eſt chezles vrays Chreſtiens † rend l'honneur & la gloire à
§
DIE V, autant † la portée delafoib eſſe humaine ſe peut eſtendre; car
puis qu'illefaut honorer en eſprit & verité, diſoitlaveritéeternelle,com
meauſſilaplusbelle & ſaincte façon de lefaire, eſtd'effacer de nos eſprits,
toute charnelle, terrienne & corruptible imagination, & par les plus
chaſtes,hautes & ſainctes conceptions nous exercerenla contemplation
delaDiuinité. Or celane ſe peut prattiquer enlaloy Mahometane,toute
impure,laſciue & charnelle, comme nous auons monſtréau contraire de
, la ſaincte Egliſe Chreſtienne, quifaictgrandcas, & qui commandelapu
†reté,la chaſteté &lemeſpris des choſes corruptibles,ſoitducorps,ſoit de
c eſt l'eſprit,afin qu'ilſoit touſioursreueré d'ame & devoix pure,entiere & non
- corrompuë : car c'eſt elle qui veritablement, ſerieuſement,auecpudeur,
crainte & reuerence parle de DIE v & de ſes œuures, & qui conduite &
enſeignée de ſon ſainct Eſprit, reuele à ſes enfans les plus profonds my
ſteres de leur ſalut, & toutes-fois auechumilité & adoration qu'elle enſei
R, il y º gne touſiours parparoles ; lahauteſſe & profondeurdela Sapience & ſcience de
DIE v,appellant ſes iugemens incorruptibles, & ſes voyes impoſſibles à deſcou
urir.Et enſes ceremonies,quitoutes ſans†deſcouurentſes plusbeaux
ſecrets quiſe comprennent mieux bien ſouuent par l'action, que par pa
roles, ouquine ſontpasbienſouuentà propos d'eſtre declarez aux pro
phanes quiconuertiroient pluſtoſtle toutenmocquerie & deriſion, que
, d'en tirer aucune inſtruction, comme a faictyn impie ſeducteur, qui a
Preſomption • |2 • •" ) - -

· § pris l'Incarnati6 du Verbe eternel pourvnefable, & ſaſaincte Croix pour


†folie & pourſcâdale tout enséble, & non contétd'auoirfaictbanquerou
† te àlaverité,ileſtentréenvnetelle ſuperbe † de ſoy-meſme,
/
que le fils de
L) I E v.
# a creu pouuoirfairevneloy plus ſaincte & meilleure que celle du fils
e D I E v, la perſuadant aux peuples qui luy voulurent preſter l'o
reille.
Cartoutlefondement &l'intention principale de laloy de Mahomet
n'eſt autre que de faire perdre la croyance que I E s v s-CHR 1 s T eſt
DIE v & homme, DIE v de DIE v; lumiere delalumiere, DIE vvray
de D 1 E v vray, & defaire croire quu'il n'eſt qu'vn ſimple homme, ac
complytoutes-fois de toute perfection,vertu & ſaincteté,grand Prophe
te & Verbe creé de DIE v.Voylapourquoyilneveut pas croire qu'il ait
eſté crucifié, mais vnautre en ſa place; & ainſi niant le myſtere de noſtre
redemption,iltient la Croix pourvne purefolie, &l'adoration que nous
| rendons au meſme IE sv s-CHRIsT, pourvne execrable idolatrie.Or
commeiene deſire point traicter ceſte matiere en Theologien , pour ne
me meſler du faict d'autruy, & 2»sºria xs# # : #ºu Ie veux prouuer à
ceux quineſevoudroient pasſeruir desauthoritezChreſtiennes,qu'il faut
par neceſſité
· de la Croix. 31
par neceſſité
veuille que celuy &
dire Mahomet que
ſesnous adorons
ſectaires,il ſoiteſtre
ſe dit vrayDIE
DIEvv,& car 9º9Y
fils de que Que
D 1#v, one 1,,,;
I E sv s
C H R 1 s T eſt
comme nousauons dit'cy-deſſus.Ne dit-ilpasauſſi qu'il tient ſa Diuinité DIEv & h5me
- tº ltc contre l'erreur
de ſon Pere,qu'ila eſtéengendré parluy de toute eternité, qu'il eſt ſon fils* º
vnique, ſans fin & ſans commencement, & dés touſioursaccompagnant
ſon Pere : D'auantage ilnous commande de croirequ'ilaeſté enuoyé par
D IE v en ce monde, qu'ily eſt venu au nom de ſonpere, & nonau ſien
propre, s'attribuantla puiſſance & les œuures qui n'appartiennent qu'à
DIE v ſeul, & à nul autre, comme de remettre les pechez des hommes,
denous reſuſciter quelqueiour, nousvenir iuger ( § l'opinionmeſme
de Mahomet) punir & recompencer ſelon nos demerites. -

D'auantage il a enuoyé preſcher vne doctrine nouuelle, donnant &


promettantvne felicitéimmortelle aux croyans, & vne mort & damna
tion eternelleaux meſcreans : & bien que ſa doctrine fuſtnouuelle & non
encore ouye, toutes-fois celaatellement proſperé, qu'elle a eſté tantoſt --

preſchée & receuë partous les cantons del'vniuers : car Mahomet ny les
autres erranspeuples
ſtienne,les n'ont baſtyleurs
par †
ſectes que ſur leseſtans
ruinesindignes d'vne loy ſi †
de la ReligionChre- § pro :
ſaincte, & par ainſi mis en ſens reprouué. Ily a plus, c'eſt que toute la
Chreſtienté eſt fondée enſon nom,& les Chreſtiens croyent enluycome
auvray fils de DIE v,vneneſſenceauecſon Pere, † en toutes choſes à
luy, enuoyé parluyence monde, & le croyent & l'honorent comme le
vrayCreateur du ciel & de la terre. -

Orſicethomme IE s vs-CHRIsT n'eſt pas fils de D1Ev, s'il ne luy


eſtpaseſgal,s'il n'eſtpasvn auecluy,s'iln'apas eſté enuoyé par ſon com
mandement, & que tout ce qu'il nousavoulufaire croire n'eſtoit qu'vne .
fourbe & vn menſonge, qui doutera qu'il ne ſoit le plus mortel & le plus
capital ennemy de D1Ev qui puiſſe eſtre? Et comment eſt-ce que ce
Tout-puiſſant D1Ev quia dit qu'ileſtoitvn DIE v ialoux de ſon hon
neur,qu'ilne donneroit point ſa gloire à vn autre, laiſſeroit-il vſurper à (

lEs vs-CHRIsT ſagloire,ſaiuriſdiction & ſonauthorité,s'iln'eſtoittel


àlaveritéqu'il ſe dit eſtre Comment auroit-il ſouffert cette principauté
& § qu'ila parl'vniuers depuisſeize censans, où il eſt reueré, prié,
&adorépourvray DIEv ? car § le commencement du monde
iuſquesànous,n'avſurpévnteltitre que Iesvs-CHRIsT, n'a prins le
ºom de fils de DIE v,conſubſtantiel & coeternelà ſon pere.Nuldeuant,
ny † luynes'eſtappellé de cetitreſihonorable: Mahometmeſmes n'a
ºſéſe dire que Prophete, titreendignité & en grandeur infiniement eſ
oigné de celuy du fils de D1 Ev. Mais ce grand nom ſi glorieux ,ſireleué
Pardeſſus toute conception & imagination humaine,tant s'en faut que
#V laittrouuémauuais, enait pris quelque vangeance ou †
ºlacontinuellement approuué,beny & maintenu ceux quil'ont preſ
ºquiy ontcreu.Ilya plus,c'eſt queſi IE svs-CHR1 sr,s'eſtoitfau
ºttribuélanature Diuine,& qu'ileuſtfait accroire qu'ileſtoitfils de
- •
4
32 ' · Le Triomphe
D1Ev & enuoyé de luy, ildeuraeſtre infiniement hay & mal voulu de
ce meſme D1Év, & au contraire tous ceux qui l'auroient tourmenté,
perſecuté & meurtry, à cette occaſion, luy auroient faict vn ſeruice tTCS
agreable,ils ſeroient aimez, fauoriſez & bien-voulus de luy, car ils au
roientmaintenu ſonhonneur & ſa gloire,ils auroientvangécette notable
iniure faicteàſagrandeur. Commeau contraire,ceux §
la cauſe de IE svs-CHRI s T & quile voudroient deffendre, deuroient
eſtre pourſuiuis & tourmentez par DIE v , comme portans & mainte
IlaIlS § grand & morteladuerſaire. Mais il en va tout autrement; car il
n'ya peuple plus eſclaue, plus calamiteux, plus miſerable, ny plus mal
voulu detoutlemonde que celuy de Iudée, & pour cette ſeule conſidera
tion qu'ils on faitmourir IE sv s-CHRI s T, -

Deſorte qu'il eſt touteuident, que c'eſt la cauſe de DIE v qu'ils ont
c6batuë non deffenduë, que c'eſtnon † vnmenteur, mais le vray fils de
DIE v qu'ils ont crucifié, autrement il n'ya nulle apparence que D 1 Ev
vouluſt parvnſi longaage abandonnerſes amis à la boucherie des guer
res, & #oppreſſion&violence des tyrans, enrecognoiſſance d'vnſibon
& ſireligieux office.
Al'oppoſite, les Chreſtiens quionttouſiours proſperé enleuraccroiſ
ſement,iouyſſent de l'Empire de Rome, & des principautez & ſeigneu
ries dumonde,les plus fertiles & les plus opulentes, & qui ne ſouffrent
iamais de perte notable, qu'ils ne ſoient premierement en mauuais meſ
nageauecle meſme fils de DIEv, pour meſpriſer ſa loy, & ne l'executer
pas comme ils doiuent : l'infidele n'ayantiamais ſçeugaignervn ſeul pou
ce deterre ſurle peuple Chreſtien, que premierement ce peuple là n'ait
· faict diuorceauecſon D IE v, & § apres diuiſé en ſoy-meſme : ainſi
s'eſt eſtablyl'EmpireTurqueſque,ainſile Perſan, ainſi le Tartare, & par
tout ailleurs, où l'abomination Mahometane a pullulé, ayans pris leur
temps, & faictleur profit denosiniuſtices;ainſi encores'eſtablitiournel
lement l'Heretique. Maistanty a qu'on ne peut pas dire que ce ſoit pour
-

† adorerIE svs-CHRIsT ſinous § § pluſtoſt pour ne


º l'adorer pas aſſez, les peuples eſtranges nous eſtans enuoyez du Tres
hautpourchaſtiement, à fin de nous faire retourner en la cognoiſſance
denous-meſmes. Mais lameſmeiuſtice duTout-puiſſant,iette par apres
º * cesverges là aufeu. Sices enfans, diſoitlemeſme D1Evparlant de noſtre
Seigneur IE sv s & des Chreſtiens par ſon Royal Prophete, delaiſſent ma
Loy, & ne cheminentpointen mes iugemens, s'ils prophanent mes iuſtices, & ne
gardent point mes commandemens, ie viſiteray leurs iniquitex auecdesverges &
leurspechexauec des coups, toutes-fois iene diuiſeraypoint (ou ne retireraypoint)
de luyma miſericorde. De ſorte que nous pouuons dire auec le Prophete
Eſi 14 Eſaïe.Ne te reſiouyspoint trop, ô Prouince Philiſtée,car la verge duperſecuteur que
tunous auois enuoyé,aefté miſe enpieces; & cela, comme i'ay dit, à condition
que nous retournions à penitence : de ſorte qu'ilfaut conclure neceſſaire
ment quc D IE v a § fauoriſénoſtre cauſe,& queſielle n'euſt eſté
· ' iuſte,
de la Croix. , 33
iuſte, iln'euſtiamais permis noſtre eſtabliſſemenr, ny donné tant de vi
ctoires cótre nos ennemis.Adiouſtez à tout ce que deſſus, que cette mort
ſiignominieuſement ſoufferte, & que ſes ennemisluy firent ſouffrirpour
#reditfilsde Drev , deuoit apres cette notable executionfaicte à la
veuë de cettegrande ville de § , & depuis ſceuë partoutl'vniuers,
luyfaire perdre le credit† auoit peu acquerir durant ſa vie : mais au
contraire elle luya cauſé plus degloire qu'auparauant. Il n'eſtoit cogneu
qu'en Iudée.Notusin Iudca D E v s, maisapresſamorttous les Roysdelater- #
relontadoré,toutes les nationsluyontſeruy.Ilaregné & triomphé† tous "
les peuples, les ignominies & † qu'ilreceut lors de ſes aduerſai
res,eſtans eſchangez depuis en honneur & loüange, ce quine fuſtiamais
arriuéſionl'euſttenu pourvn impoſteur, & meſmes nous n'auons point
ouyparler de pasvn qui ſe ſoitvoulu dire le Meſſie,que ſonnom n'ait eſté
renduinfame partous les peuples.Ainſiles deux Barcoſba,dontle premier
vint quelquesannées apres ſa mort & Paſſion, l'autre † aIlS

apres la ruine de Ieruſalem, leſquels finirent miſerablement, ſans auoir faux

laiſſéàla poſterité que leurnom & leurmiſere.Mais pourquoy cette iuſte # º


Diuinitéauroit-elle chaſtiéceux-cy, & exterminé leur memoire, & laiſſé
regnercétautre là, quil'auroitbeaucoup plus offencé, ayantattirétant de
peuplesàſonadoration?mais commenta-il peu faire tant de miracles du
rantſavie, & communiqué ce meſme pouuoir aux ſiens apres ſa mort?
Miracles quin'appartiennent qu'à DIEv ſeul, ou à ceux àquiilena don
néla puiſſance : auſſi diſoit-il uy-meſme, Si ie n'auois faici les œuures que l , ya,:
fºy accomplies parmyeux ilsſeroientſanspeché: carrendre la veuë à vn aueu
gle né, reſuſcitervn mort de quatre iours, guarir vne Paraliſie de trente
années, & choſes ſemblables,ya-ilcreature humaine ou Angelique qui
Puiſſeauoirce pouuoirlà par § : De ſorte qu'il faut neceſſaire
mentconclure qu'il eſt DIE v, qu'il eſtce Verbe increé, parlequel DIEv
*ºtend ſoy-meſme, qui s'eſtapres incarné pour ſe manifeſter & decla
ºrſoy-meſmeàſes creatures,
Carcomme nousauons deux verbes,l'vn au dedans & en l'entende
ºnt,quin'eſtautre choſe qu'vne conception del'ame, qui nous repre- deux †"
verbes,
ºtecequenous entendons, & vn autre de la bouche, par lequel nous # †
declarós&ex liquons le verbe que nousauons conceu en noſtre enten- †
dement.Ai iilyauoit deux § en D1Ev,l'vn de ſon entendement "
Diuin, qui eſt le fils engendré de luy de toute eternité, s'entendant ſoy
mcſme,&l'autre de § (ſelon noſtrefaçon de parler)par lequelil
ºa declaré ſavolonté, laprononçant parla bouche de ſes Prophetes.
Mais DIEv deſirant rendre cette faueurplus accomplie, il a voulu que
le Vºtbe,ſe faiſant homme, ces deux paroles fuſſent reduites en vne, &
queleVerbe qui eſtoitſeulement conceu de l'entendement du Pere, fuſt
ºmme vne parole exterieure, ſefaiſantvrayhomme, afin qu'on †
º&voir (car quand nous parlons, ce n'eſt ſinon que pourmanifeſter
ºrieurement le verbe interieur que nousauons conceuen noſtre en
E
34- - Le Triomphe
tendement)afin que † ce moyen, il ne fuſt † beſoin que DIE v par
laſtauecd'autres paroles, comme eſtoient celles des Prophetes, mais ſeu
lementaueccelle-là meſme, parlaquelle il ſe prononçoit & s'entendoit,
ce quiſe deuoitfaire eſtantveſtu de chair humaine, afin qu'il peuſt eſtre
apperceu de nous, puis qu'ilvouloit eſtrenoſtre § & chaſſerles
tenebres de noſtreignorance, mettant en ce faiſant le ſilence en labouche
de tous les Prophetes ( quoy qu'en veuille dire Mahomet) & nous en
ſeignant immediatement cóme verbe,&comme lumiere. C'eſtoit auſſi ce
que demandoitl'EſpouſeauxCantiques 8. Que iete baiſe, diſoit-elle, &
que deſormaisperſonne ne me trompeplus cóme ſi elle euſt dit que les Prophe
tes ne m'enſeignent plus, que labouche des hommes ne me carreſſe plus
auecleur doctrine, mais que mon frere me parle, qu'il ioigne ſes léures
aux miennes, qu'ilm'enſeigne puis qu'il eſt monfrereaiſné, & que c'eſtà
luy de m'enſeigner, de mebenir, & de me nourrir de ſa doctrine; & non
ſeulement parcecy, mais d'autant que l'homme eſtant en diſgrace auec
ſon D1E v(comme le veut meſme Mahomet)& ne pouuoit paruenirà
ſa fin, qui eſtl'vnionauecques DIE v , le pur auecl'impur,le § & le
coulpable,ne pouuans faire de liaiſon enſemble.
Trois barrieres Orilyauoit troisgrâdes barrieres qui nous fermoient la porte de lafe
8o

# licité. Le peche de noſtre premier pere, la deriuation & inſinuation de ſa


#
té.
coulpe en chacun
conciſion, de nous;
& les fautes delàvient que Mahomet a renouuellécómet
que ſciemmment&volontairementnous la cir
tons.Orlacondition § , eſt de croiſtre & augmenter; à raiſon de
lagrandeur de celuy qu'elle offence : mais nous auonsvn Createur de ma
ieſté puiſſante,& bonté infinie & incóprehenſible, ſi bien qu'à ſapropor
ti6 deuós nous eſtimerlagrandeur de § que nous luyauons §
cauſe deria-Pº † auſſi la grâdeurdenoſtre obligationauchaſtiement, &à la
§ du peine quiſuiuét pas à pas l'iniure,&l'iniuſtice, & qui doit eſtre eſgalée àla
*** meſure de ſa grâdeur,autremétilyauroitvnmerueilleux deſordre enl'vni
uers, ce qui eſt impoſſible : carle deffaut de ſatisfaction ou de peine, eſt ce
quifaicttenirrangau† mais la coulpe ne ſe peut effacer que par le
merite, ny le deſplaiſir que parle plaiſir.De ſorte que pourrentrer enl'a
•, mitié premiere de noſtre Createur, ilfaut que nous le payons infiniment,
à raiſon denoſtre obligationinfinie, & que nous le payons autant agrea
blement comme iniurieuſement nous nous ſommes obligez : ainſi no
ſtre payement doit eſtre libre,volontaire, amiable, procedant de l'affe
ction intime du cœur, d'vne franchevolonté, exempte de toute violen
ce & contrainte, autrementil ne ſeroit nypacifique ny acceptable à DIEv,
ny ſuffiſant pour eſteindre ſoninimitié, il ſeroit foible à eſbranler l'iniu
rié, & malpropre pour forcer & enfoncer cette forte barriere, qui nous
rebutte de ſonvnion & accointance; parquoy ſans vne telle ſatisfaction
volontaire, c'eſt folieà nous d'eſpereraucune reconciliation ouamende
ment ennosaffaires : mais comment ſeroit-il poſſible à l'homme deſia
endetté detout ce qu'il peut, de deſchargerny ſoy ny autruy d'vne #pe
- I1UC
de la Croix. - 35
ſante obligation, nyautantd'hommes & demondes que nous pourrions
imaginerenſemble : & envn mot tout ce qui eſtaudeça de DIE v,ne luy
ſçauroit faire ſeruice quipeuſt equipollerànoſtreiniure & offence. Puis
doncquela ſatisfaction quiſe doit faire à DIE v, ſe doit faire par choſe
exépte de toute obligation & de toute dette,& quel'homme doit donner · •

enpayement choſe plus grande que tout ce qui eſt hors de Dr Ev,qui eſt #
· DiEv meſme, il s'enſuit neceſſairement que c'eſt à DIE v ſeuldele pou- ## ºº
uoirfaire : &attenduauſſi quel'homme eſt ſeulendetté & obligé, ils'en
ſuitque celuyquiaquitel'homme enuers DIEv,doit eſtre DIEv & hom.
me,envnemeſmeperſonne, non vn DIEv àpart & vn homme à parten
deux perſonnes diſtinguées : carafin que l'homme eſtant à part, & DIEv
àpart, D1E vneface ce qu'ilne doit, & l'hommecequ'ilne peut, & que
ceſoitvnplein & entierpayement, il faut qu'en cette vnité de perſonnes
l'homme entier ſe trouue, & DIEventier ſe trouue : que DIEv &l'hom
me conſeruans & gardans en leurentierl'vne & l'autre nature,ces deux na
tures ſoienttoutes-fois coniointes envn, comme le corps & l'ameraiſon
nable ſeioignent en nous;autrement il ne ſe pourroit faire que cette per
ſonne fuſt DIE v parfaict, & parfaicthomme; que ſi elle ſe trouue, outre
qu'elleſerainfinie, n'aura-elle pas en ſoy quelque choſe qui ſurpaſſera en
grandeurnoſtre dette, & tout ce que tous les hommes deuroient payer
pourleurſatisfaction:Careſtant entierement quitte,quantà ſoy,& exem
pte pourſon regard de toutel'obligation, carilfaut qu'elle ſoit telle, elle
ſerapropre à rendre & payerpourceux qui n'ont pointlapuiſſance desac
quitter, puisqu'ileſtvray qu'ilfaut à l'homme pour ſa deliurance vne ſa
tisfactioninfinie & volontaire, & vne perſonneinfinie qui ſoit enſemble
DIEv & homme. Or noſtre Seigneur IE s v s, a paru tel en toutes ſes
actions. Ildeſcend du cielenterre, mais il eſt conceuduſainctEſprit ſans
operation d'homme, ſabien-heureuſe Mere demeurant V 1 ERG E, de
ºnt, durant, & apresl'enfantement; ilnaſquit dansvne eſtable, mais les
âºgesannoncent cette Natiuité,les paſteurs leviennentrecognoiſtre,&
les Roys leviennentadorer, les meſmes princes le trouuent pauurement.
accommodé,mais vne eſtoile leurauoit † voirſamagnificence,il croiſt
ºmme homme, maisàl'aage de douze ans, il enſeigne les Docteurs : il
afaim,mais il peut eſtre quaranteiours ſans repaiſtre : il ſouffre toutes les
#commoditez de la vie, excepté le peché, mais il redonnel'ouye aux
ºurds,laveuëaux aueugles, & laſantéaux malades,il pleure la mort de
#ami,maisillesreſuſcite,&leurredonnelavie,ileſttétédu diable,mais
le chaſſe des corps humains, & l'enuoye oûilluyplaiſt;ilreſſent les an
Sºiſſesdelamort, mais à ſa ſeule paroleil fait trembler & tomber en ar
ºceux quile venoient prendre, guarit l'aureille coupée d'vn ſoldat,
ºmmande qu'onlaiſſe allerſeurement ceux qui eſtoient auec luy : il eſt
ºifié entre deux larrons, mais le Soleil&laLunes'obſcurciſſent,later
ºmble,les monumentss'ouurent,&les corpsreſuſcitentàcettemort
onlemet auſepulchre, mais ilrompt les portes de l'enfer,tireles peres du
. . - E ij -
36 - Le Triomphe
lymbe,&les emmeinetriomphansauecſoy;ilmeurt,mais ilreſuſcite au -
troiſieſmeiour, il frequente vn temps ſur la terre, mais il monte par ſa
vertu propre par deſſus les Cieux.Voyla commentils'eſt touſiours mon
ſtré DiEv & homme enſemble.
MAIs comment cette peſonne euſt elle payénoſtre dette, ſi ce n'eſt
parlamort carpourrendre à D1Ev del'obeïſſance, del'amour,del'hon
neur & de la reuerence, & envn mottous ſes moyens, elle luy doit tout.
cela, & ne fait que ſon deuoisnon pourauoiroffencé, car elle n'a iamais -
failly,mais pourauoir entant qu'home tout receu deluy, le neud & la for
ce de noſtre premiere & naturelle obligati6, mais cét hôme n'eſt pas tenu
de s'abâdoneràla mort(à laquelle il ne peut eſtre ſubiect,lamort eſtât en
tréeaumonde par la porte du peché)ny d'expoſerſoname & ſa vie pour
l'honneur de DIE v.Auſſile meſme DIE v n'exigera point de luy qu'il
, meure pourſagloire,careſtantl'innocence meſme, il n'eſt pointſubiectà
mourir, maisilfaut toutes-fois qu'il puiſſe mourir quand il voudra, afin
que cette aptitude qu'il a eue d'eſtre meurtry & outragé eſtant volon
taire en luy il aye peu ſouffrir volontairement la mort pour l'homme
qui eſtoit ſubiectàlamort eternelle : rachettant ainſi par cette volontaire
oblation de ſoy-meſme, l'eſclauage de la pauure nature humaine, &
effaçant noſtre obligation par ſa ſaincte mort & paſſion, & c'eſt veritable
·
tºu°.y. ie. ment cet amy qui eſt le nompareilencharité, qui donneſon amepour ſes amis.Car

-
ils'eſt peu rencontrer quelques-fois desamis qui ſont morts les vns pour
4

· les autres, teſmoingDamon & Pythias,Tibere Gracchus & §


quclques autres : mais tous ceux-là eſtoient ſubiectsàlamort,aucontaire
de noſtre Seigneur, qui ſans ſubiectionny obligation quelconque, mais
parvne pure, franche & volontaire charité,avoulu ſouffrirce qu'ila ſouf
fert § remettre l'homme engraceauec ſon D1Ev : raiſons à la verité
† a plus partne ſont pas miennes, mais que i'ay extraictes des doctes &
àinctes conceptions de RaymondSebon. Adiouſtons maintenant l'au
tre poinct que nous diſions à ſçauoir le ſcandale de la Croix, iadis ſi pleine
.. dignominie & d'abomination partout lemonde, & auiourd'huy # plei
ne d'honneur & degloire que les Empereurs l'ont portée au ſommet de
leur diademe,le Grand Conſtantin meſme ordonna qu'elle ſeroit grauée
· en ſa monnoye, & la meilleure partie des monnoyes, par toutes les
prouinces Chreſtiennes portent l'empreinte de ce beau caractere, & en
finnous lavoyonsglorifiée & ſanctifiée par le commun conſentement de
la meilleure partie de l'vniuers, comment ſeroit-il poſſible que D1Ev
meſme euſtpreſtélamainàvn ſi miraculeux changement pour fauoriſer
lafauſſeté & tromperie,voire meſmes pourl'authoriſer, puis quelemeſ
me Conſtantinen cette bataille notable qu'il eut contre Alexandre ſon
Competiteur,vid au ciel ce ſigne eſmerueillable de la Croix entouré d'e
ſtoiles, & àl'entour eſtoit eſcrit enlettres Romaines,In hocvince.De ſorte
qu'il commandaincontinent qu'on en fiſt vne ſemblable à celle qui luy
eſtoitapparue, & qu'elle fuſt portéeàlateſte de ſes biºlon #
1'eIlClaI1t
de la Croix.
-
37
rendant cette
autrement apparitióveritable,
eſtoit de beaucoup pluscarildefitentierementſonennemy,qui
puiſſant que luy; de là vint l'enſeigne † · Grecs.

du Labarum qu'ont depuis touſiours § Empereurs de Conſtan-q1 d vt csf


tinople, compoſé de ces deux lettres Grecques " & * auec vn ^ d'vn co- ##
ſté,& vnº de l'autre.Euſebe deſcrit fort amplement que ſainct Gregoire
dcNazianze ditauoir eſtéainſi nommé, comme Vnſoulagement des labeurs,
de ceux à ſçauoir quitrauailloiétau camp.Baronius Tom.3.le dit eſtre de
riuéde ce mot Latin labor, & du Grec, pº, c'eſt à dire terme, comme ſi on
diſoit fin delabeur. Ils le mirentauſſi ſur leurs glob es, ſelon Suidas : Iuſti
nian,dit-il,fiſt mettreſaſtatué à cheual ſur vne colomne, tenant en ſa main droi
fievnglobe & vne Croix attachéeaudeſſus,ſignifiant quepour lafoy qu'ilauoit euë
enlaCroix,ilauoit eftéfaiétſeigneurdumonde, car le globe c'eſt la terre pour la
fºrmeronded'icelle, & la Croixlafoy,à cauſe de DIE v quiyaeſté attaché en ſa
dhair Ce qu'ont depuis continuétous les Empereurs iuſques àl'Empereur
Rodolphe àpreſent regnant.Et cecy,n'eſt que pourle regard des grands,
mais chaque particulierne la tient-il pas à grand honneur & reuerence?
quelsfruicts ne ſont point ſortis de ce ſainctarbre ? -

uelle foreſt en porte vn tel


En feuilles, en fleurs, ou en fruict ?
chantelaſaincte Egliſe. -

· Maislebon Pere Louys de Grenade en ſonintroduction, en remarque ſainct


- »V - -
pe# arbre de
-

iuſqu'à2o.ſortes de fruicts,que nousa produicts ce S. Arbre, tres-dignes §


degrádescóſideratiós,cômeſa deuotieuſepieté le portetouſiours à quel-"
· quebelle conceptió.Le premiereſt cegrâdbenefice, quetout le mondea
receu pour cette ſatisfaction de noſtre Redempteur, de laquelle nous
auons parlé cy-deſſus, & laquelle il ne tient qu'à nous ſi nous ne nous en
appliquons le merite,la porte du ciel eſtant ouuerte par cette clef de Da
uid mais,ô malheur! ſi cette clefpouuoit ſouffrir quelque alteration, la
rºuilleyſeroittoute eſpeſſe, &à peine s'en pourroit-on ſeruir, tant peu -

ºgenslamettentenprattique,ie parle dumeriteacquisparlemoyen de


ºligne, qui eſt d'eſtre reconciliez au Pere eternel, moyennant la ſatisfa · 2t

étion de ſon fils Vnique. Le ſecond, c'eſt que l'homme eſt reſtitué en
ºpremier honneur & dignité en laquelle Di E vl'auoit creé, ce qui nous
eſtarriuéà cauſe que le tres-ſainct Fils de D1E va vouluſe reueſtir deno
tienature,en laquellegloire nous ſurmontons meſmes les Anges, auſ
quels cette grace n'a pointeſtéoctroyée. Le troiſieſme fruict ce fut d'ob Heb.
3. .

ºnirparle moyen d'icelle vn ſouuerain Preſtre,qui intercedaſt pour nous


ºpres du Pere eternel, carileſtoit bien neceſſaire qu'ily euſtlàquelqu'vn
ºuiprocuraſtle remede d'vne infinité de neceſſitez deſquelles †
ºenuironnez en cettevie, tant du corps que de † Tues Preſtre, di- Pfalºº
ſoitle Royal Prophete, eternellement ſelon l'ordre de Melchiſedech. Le qua 4•

#eſme fruict, ceſt celuy de la cognoiſſance de DIE v, & de tout lere


º, qui appartient à noſtre ſaluation. Le cinquieſme la grace de DIE v *
ºous eſt donnée par icelle, par laquelle la volonté toute deſbordée
- - - E iij
38 Le Triomphe
quine veut ſuiure que ſes inclinations corrompuës,eſtguarie, & ſe refor
6. me,afin que plusfacilementelle obeïſſeaux aduis & conſeils de l'enten
7. . dement.Le ſixieſme, les Sacremens de la loy de grace, qui ſont comme
- ſept canaux, par † elle nous eſt infuſe & departie. Le ſeptieſme,
c'eſt la hayne dupeché & l'amour de lavertu : car la Croixaeſtévnegran
deinuention pour fairevoir àl'homme que D1 E v n'euſt peu dauantage
monſtrer la hayne dupeché, que parlamort de ſon Fils vnique, de laquel
le nos pechez ont eſtél'occaſion, & quant àl'amour de lavertu quines'en
embrazera, lors qu'il conſidere que celuy qui de ſa ſeule parolea peu pro
duire vn ſibeaumonde pourrendre les hommes vertueux,il § qu'vn
telSeigneurſoit venuluy-meſme icy bas, ait enſeigné, non ſeulement par
paroles, mais par œuures ſainctes, & qu'il ſouffriſt infiniement Le hui
ctieſme,c'eſt la Charité,Royne & dame de toutes lesvertus,lavie,la for
me,l'ame, & labeautéd'icelles, ſans laquelle, dit † , ny la Foy,ny
l'Eſperance, ny la Prophetie,nyle martyre, ny le parler des Anges, nyau
cune vertu, n'ont prix nymerite deuant D 1 Ev : mais qui n'y ſeroit incité
quand onvoit ſon ſouuerain oublier nos offences ſidebonnairement,ſe
donner à nous ſiliberalement, & eſtreaimez comme nous ſommes ſi cor
l » , y. 14 dialement de luy, Ie ne vous appellerayplusſeruiteurs, mais mes amis.Etailleurs:
",*** Vousſerez mesamtsſivousfaiéiescequeievous commande.Le neufiefme,eſtl'eſ
perance laquelle s'eſtoiteuanouïe de nous parlamultitude de nos crimes,
car en cette valée de larmes à qui pouuôs nous auoir recours en nos maux
& eſperer duremede que § nosyeux à DIE v, puis que nos miſe
res ne ſe peuuentguarir que§luy? & comment euſſions-nous oſéeſpe
rercela deluy eſtans en ſa diſgrace?mais quandnoſtre reconciliationa eſté
faicte parce ſainctboys, alors nousauons eul'eſperance de la felicité àve
nir, l'eſperance du pardon de nos pechez, celle que nos prieres ſeront
ouïes & exaucées, & que nous ſerons ſecourus & deffendus de DIE v en
nos tentations & trauaux.Voyla pourquoy le meſme Eſpoux de nos ames
aux Cantiques, s'appelle le Lis du champ: car, ſelon Theodoret, le Lis
a eſté pris pour le Symbole de l'eſperáce,& ce pourroitbien eſtre la raiſon
pourquoyaux figures que nous repreſentons, del'annonciation de l'An
geà la tres-ſaincte VIERGE,onmet ordinairement entre l'Ange, & elle
vnvaſe † de Lis, pour enſeigner que toute noſtre eſperance deſpen
doit del'accompliſſement du ſacré myſtere de l'Incarnation. D'autres ont
pris le meſme Lis pour ſymbole de la Reſurrection, pour ce qu'eſtantar
rachée de terre, elle ne laiſſe pas deverdoyer : Iacob auſſiadorale bout de
la verge de Ioſeph, figure de noſtre Seigneur, & on tient † ce bout
eſtoitvne fleurde Lis, teſmoignantl'eſperance que ce Patriarche auoit de
1e. reſuſciter par le moyen de I §vs-C# isr , noſtre Royſouuerain.Le
dixieſme § celuy de lavertu d'humilité, le fondement & la gar
dienne de toutes lesvertus, celle qui faictvaloirtoutes lesautres, qui †
† iuſques au centre de la terre, pour eſleuer l'homme par deſſus
4 cscieux, qui eſt la plus meſpriſée, & quiſeule preparelechemin àla †
- IC 12
de la Croix. . 39
relaplus difficile à obtenir, & la plus neceſſaire à poſſeder. Mais noſtre
Roys eſtant humiliéiuſques à prendrelaforme de ſeruiteur,ferons nous
refus de le ſuiure à la trace, pour participer de labeatitude L'onzieſme ni
fruict eſt celuy del'obeïſſance, que noſtre Redempteur a ſi bien pratti
quée, qu'ila eſtéfaiéiobeyſſantiuſquesàlamort de la Croix, à cauſe dequoyila
#éexalté, & luya eſté donné vn nom qui s'eſleue par deſſus toutnom. Aurons
noushonte del'imiter,veu queluy-meſme a fondé cette recompence
ſurl'excellence de cette vertu ? Enverité celuy eſt mauuais gendarme qui
ſuitſonCapitaine à regret:ioinct que c'eſt en elle qu'eſt fondée toute or
dre,toute paix & tranquilité, en cettevie & enl'autre.
Ledouzieſme, c'eſt lavertu de patience, mais où eſt-ce que l'exemple 12)
delapatience ſe peut mieux remarquer qu'en la Croix ? n'eſt-ce pas vne
choſeadmirable que l'extreme ſilence du Sauueur, entre tant d'accuſa
tions, de faux teſmoignages, d'opprobres, d'iniures, de calomnies, de
cruautez & de douleurs, & ce envneaffaire de ſigrand prix De ſorte que
lePreſidentmeſme en eſtoit eſtonné.Etcelan'incite-ilpas auecvnegran
de violence d'affection à imiter cét Agneau innocent qui reçoit dans ſa
gorge incoulpable, le couſteau ſans crier,& lors† nous ſuruient quel
queaccident,& que nous nous repreſentons que le ſouuerain Monarque
duciel & de la terre atant ſouffert ſans ſe plaindre, cette penſée ne donne
ellepas vne grande fomentation à nos douleurs ? veumeſme que nous
ſommesaſſeurez que ſi nous eſleuonsnos yeux vers luy auec vne ferme
foy,ilnous rendra participans de ſavertu, comme ilafait à tous ſes ſerui
teurs quiont eurecours à luy : teſmoing le glorieux Protomartyr ſainct
Eſtienne, & vne infinité d'autres qui ont § ſouffert la mort
Pourladeffence de ſa Maieſté, mais encore tous ſes fideles qui ſont ordi
mairementaffligez de maladies,pcrtes&autresafflictions qui ſuruiennent
ºncette vie, & ſurtout de la § : car comment ſeroit-il bien ſou
ºnt poſſible de ſe maintenir dans les bornes de la modeſtie, ſi ce n'eſtoit
laforce que nous tirons de celuy quienatantſouffertºcarileſtvray ce qu'a
fort-bien remarqué vn de nos modernes, que les Iuifs outragerent plus
lesvs-CHRIsT parleurs langues, que par les maux qu'ils luy firent
ſouffrir,eeſt pourquoyilſe plaint de la gueulle du Lion, & non pas de
ºPattes, & qu'il demande ſecours à ſon Pere particulierement pour cela,
Sauue moydelabouche du Lion, & mon humilité des cornes des Licornes,mais de Pſal. 2là
† qu'illuyapleu de les ſouffrir, ilnenous a plus eſté de beſoin d'autre
ºurs, pourendurerle toutpatiemment, depuis que le Lion de latribu
ºdaaterraſſé le Lion infernal, mais ne craignons plus la picqueure de
ºnguesvenimeuſes ondit que pour ſegarantir de la dent & morſure
ºimaux les plus contagieux, ilnefaut que ſe frotter de la graiſſe du
lion Appliquons nous quelques gouttes de ce ſangpretieux, toutes les

C
& les playes qu'on penſeroit faire à noſtre reputation, nous ſe-
1n enſibles. Le treizieſme fruict del'arbre de la Croix, ce ſont des ex-
lj:
»

· "ºmotifs&incitationsàtouteslesvertus delà nous ſont venuës la


4C
L'applicatiºn douceur &
Le Triomphe
debónaireté la eralité, magnanimité,la
lib la deuoti6,laſaincte
§ té,la force,lamodeſtie,& tant d'autres vertus qui regnent parmy les Chre
# † ſtiens, quiconformétleurvieau nom qu'ils ontl'honneur de porter. Car
† " toy,ôhomme qui deſirois eſtre cóme DIE vauiardin d'Edem,il ne tien .

dra qu'à toy que tune puiſſes accomplir ton deſir, car voicy ce DIE v en
telle figure que tule peux imiter ſans danger, & obtenir cette ſemblance,
où tu pretends, tun'as qu'à choiſir ce que tu deſires,tul'ytrouueras. C'eſt
pouquoy ſainct Leon Pape diſoit que deux ſortes de remedes nous ſont
propoſez à la Paſſion du Sauueur, en laquelle nous auons d'vne part ſacri
fice, & exemple de l'autre; car parl'vne nous eſt donnée la grace Diuine,
& parl'autre eſtaydée &confortéela nature humaine : d'autant que com
me DIE v eſtl'autheur de noſtre iuſtification, auſſi l'homme eſt-il det
teur de ſa deuotion.Le quatorſieſme fruict,c'eſt la profeſſion del'auſterité
& pureté de lavie § , carpourayderàvngére devie quin'eſt que
toute Croix,quelremedeya-ilde † propre quelemyſtere de la Croix?
Carquipourroit eſtre ennemy de ſa propre chair, renoncer à ſoy-meſme
&à ſa propre volonté, ſe priuer d'honneur,degloire & de contentement,
orter ſa Croix chacuniour, & prendre enpatience touslestrauaux, ma
§ , pauuretez, perſecutions & tentations, qui par la permiſſion de
DIEv nous peuuentarriuer,ſi ce n'eſtoit le deſir que nousauons d'imiter
noſtre chef&leſuiure parla voye qu'il a tenuë, & ſi luy-meſme voyant
noſtre bonnevolonté,ne nous donnoit force pourlapouuoir executer?
1f. Le quinzieſme fruict,c'eſt qu'elle eſt matiere de tres-haute meditation
& contemplation: carque n'yail pas à mediter ſur ce ſubiect,voulez vous
voir la puiſſance de DIE v, par cette Croix?conſiderezlaruine de Ieruſa
lem, &lacaptiuité des Iuifs;voulez-vousvoirſaprouidence ? conſiderez
lesmerueilles qui en ont enſuiuy; deſirez vous ſa ſageſſe ? voyez comme
routelaſciéce & Philoſophie dumondea eſté § parce qu'elle eſti
moitfolie, & conſiderez-en le triomphe & lagloire : yvoulez-vousvoir
ſabonté, quelle plus grandey peut-ilauoiraumonde que de beatifier &
donner lavie eternelle à ceux qui faiſoient mourir ſon propre Fils, ſon
amour,où ſe peut-ilmieux recognoiſtre : DIE v atellement aimé le monde,
qu'ila donnéſonfils vnique.Maisyvoulez-vousvoirſagloire,tousles elemés
ſeremuent,tousles hommes del'vniuers § ennemis chantent
ſesloüanges, on luy dreſſe de nouueaux autels, teſmoin celuy d'Athe
nes, & tout à l'inſtant meſme de l'execution, mais depuis quelle gloire
, n'ena-ilpointacquiſe à celuy qu'on tenoit pour le plus vil de tous les
, hommes, n'a-ilpas eſté creucertainement, publié & preſché à haute voix
# Fils du DIE v immortel, conſubſtantielà ſon Pere2 Voulez-vous làvoir
†º tous les plusbeaux & plus rares myſteres, tant du vieil que du nouueau
Croix. Teſtament?liſez dansleliure ouuert,toutes choſes vous y ſeront reuelées:
aſpirez-vous au ciel voicyl'eſchelle quivousy feramonter ? deſirez-vous
voir toutes lesvertus enſemble?iettezlesyeux ſurce miroir,ilvous les re
preſentera envninſtant: voulez-vous voir la iuſtice Diuine ? conſiderez
Vn DIE V
de la Croix. 4
vn DIE v courroucé contre les pechez du monde, quine pardonne pas à
ſon propre Fils quis'en eſtoit chargé, mais d'ailleurs voyezyla miſericor
de, qui reçoit enſagrace
&2 tout legenre humain; làvous y verrez cette foy
† ne ſeraiamais aſſez loüée dub6larr6,la conſtance admirable de latres
- •- - A- A- -

aincte VIER GE, le tranſport d'amour d'vne ſaincte penitente Magde


leine, & la prompte obeïſſance de ce bien-heureux § , & tant aimé
dumeſmeSeigneur.Brefſur quelque ſubiect que vous vous vouliez en
tretenir,ſoit ſur la creation, conſeruation, redemption, ou glorification
ſoitque vousyrecherchiez le fils de DIEv, ſoit quevousy deſiriezvoir le
filsdel'homme, partout il s'y peut contempler de ſi hauts & proſonds
myſteres que celavacomme en l'infiny.De ſorte † depuis tant de ſie
cles qu'on eſtudie ſur ce ſubiect, onytrouue toufiours de nouuellesme
· ditations pour s'y entretenir. Le ſeizieſme fruict, c'eſt que nous auons 16.
maintenant que preſenter & alleguer en nos prieres & oraiſons deuant
DIEv, carauparauant les anciens peres ne pouuoient offrir que le ſang
desbeſtes, mais nousautres offrons le ſang du fils de D1Ev : nous offrons
auPere eternel tous les merites & trauaux de ſon tres-cher & bien aimé
fils,nous luy offrons toutes les laſſitudes, veilles, oraiſons, perſecutions,
lafaim,laſoif,lefroid, le chaud, la pauureté, les calomnies, les accuſa
tions qu'ilaendurées,& finalementtous les tourmens & iniures de ſa ſain
cte Paſſion.Le 17. fruict, c'eſt lafaueur & ſecours contre les tentations; 17,
carceluyquieſttenté de ſuperbe, n'a qu'à ietterlesyeux ſurle Createur du
Ciel&delaterre,le Seigneur des Anges, & celuy qui eſt la gloire des
hommes,crucifié entreleslarrons, diſantauecleProphete, qu'ileſtvn ver Pſal. 2r.
& nonpasvn homme,l'opprobre des hommes, & le rebut de la populaceSil'auari
ceteferme lesmains,voy ce Seigneurſiliberal & prodigue de ſon ſang,
Pournos neceſſitez, contreles efforts delaluxure, contemple lesgrandes
& horribles douleurs que cetres-innocentAgneaua ſouſtenu en tous ſes
· ºmbres, afin de payer pourles delices des ſiens.Sile ver & larouïlle de
lenuie terongele cœur, penſe àlagrande charité de ton Roy qui offrit ſa
#quivaloitplus que toutes lesviesdumonde pourſes amis & ennemis.
ºihgourmandiſe recommande, ſouuien-toy de cét amer bruuage, du
quellemondeſeruit ſon maiſtre & Seigneur en ſa grande neceſſité. Si la
Pºteſſeterend peſant & laſche aux choſes de ton ſalut, voy auec quelle
Pºmptitude & deuotionle Seigneurs'offritàſes ennemis,allant luy-meſ
ºaudeuant d'eux pourtrouuerta ſaluation. -

.Le dix-huictieſme fruict, ſont les victoires & triomphes des ſaincts 18.

#rtyrs, car commenteuſt-ileſté poſſible de ſouffrir de ſihorribles tour


º,meſmes de prouo querles tyransàleur eninuenterde tous nouueaux,
ºmme ſainct Laurens à Decius, & ſainct Vincent à Dacian,les defiant
ºi auroit le plus de puiſſance, ou le,Tyran qui tourmentoit, ou le
ºyrqui eſtoit tourmenté, ſi ce n'euſteſté qu'ayans eſtémarquez du ſi
#deTauquiles deffendoit demal,maisauſſi de peur ilsn'euſſent point
ºnte de porterleviſage haut eſleué pour confeſſer hardiment l'hon
- à - F
42 Le Triomphe
neur&lagloire ducrucifié, & faire emporter partout,vntriomphe dela
Comparaiſon
de l'Yf à la Croix.On dit quel'Yfeſtvnarbreveneneux & mortel en Arcadie, qui
Croix.
fait mourirceux qui dorment ſoubs ſon ombre, mais ſion fiche vncloud
dedans,ilpert incontinent ſonvenin ;ainſi la Croix amere & veneneuſe,
, eſt deuenuë douce depuis qu'on y a fiché les clouds qui crucifierent
IE sv s-CHRIs T. C'eſtaueccevaiſſeau qu'ils ontaiſement paſſé la mer
de ce monde; c'eſt pourquoy ſainct Auguſtin s'aigriſſant contre ceux qui
lameſpriſoient, diſoit : Ômiſerable il tefaut paſſer la mer & tu meſpriſes le
bois.Mais pourreueniraux Martyrs,ils auoienteſté figurezau temple my
ſtique d'Ezechiel, oûilyauoit des palmes à droict & àgauche, en ſigne
queles fideles ont de tous coſtez desſubiects à combatre, & des matieres
detriomphe : carnoſtregrand Roy, dit Olympiodorus, auec ſa Croixa
pris le diable comme vn poiſſon auecl'hameçon, & auec ſes clouds, il luy
arompu les dents en labouche. De ſorte que ces magnanimes courages
ont emporté lavictoire ſur le diable, le monde, & leur propre chair.
I9.
Le dix-neufieſme fruict, c'eſt que paricelle le mondea eſté reduit enla
foy & obeïſſance de ſonlegitime Roy & Seigneur; car deuant cette bien
heureuſe Paſſion, qu'eſtoit-ce autre choſe qu'vne reuolte generale de
tout l'vniuers contre le Tout-puiſſant à tout ne flechiſſoit-il pas ſoubs
l'empire du diable ? & l'idole n'eſtoit-elle pas adorée pour la realité? la
creature pour le Createur ? Mais depuis que cebien-heureux arbrea ſeruy
deſceptre au Roy des † ; les Payens qui eſtoient ſi aueuglez que de
couper des arbres,deſquels ils faiſoient des obiects de leur deuotion auec
Admirable
changement la regle & le cordeau : car l'Hebreu met, infilotinéfo,auecvne ficelle trem
qui doit eſtre pée dans duvermillon. DIE v pour remedier à ce mal, a voulu charpen
bien conſide
ré. tervne Croix de bois, & que ſon fils, comme vn cordeautrempé au ſang
de ſes veines ouuertes § coups de foüet,yfuſt eſtendu, & que ce fuſt
vnouurage ſi delicat, & ſi rare que tout le monde le peuſt adorer ſans
ſoubçon,& queles Idolatres changeaſſentd'intention & d'obiect de leur
adoration premiere, encore qu'ils ne changeaſſent pas de matiere en eſpe
ce, Deſorte quela ſaincte Croix, comme nousauons dit cy-deſſus, a eſté
arborée partousles cantons de la terre, & celuy quiya eſtéattaché, reco
-)
gneu pour DIEv, pour Redempteur, & § Seigneur. .
2o. Le vingtieſmefruict, eſt la felicité de la gloire & de la vie eternelle.
Lucian raconte que pour condamner vn homme à mort, il eſtoit ſeu
lementneceſſaire de depeindrevnT. pour ſignifier que le ſupplice de la
Croix luy eſtoit ordonné.BaroniusTome premier, dit auſſi qu'on met
toitvne Croix ſur le ſepulchre de ceux quimouroient hors la ville, pour
ſignifier qu'ils eſtoienttres-malheureux.Et moyie dy que maintenant le
Myſtere des
ſigne de Tau, eſtvnemarque de lavieeternelle, quiale pouuoir de chaſ
Egyptiens. ſerles Demons & leurs tentations, & de nous deffendre contre tous les
aſſauts, qu'eux, le monde & la chair nous peuuent liurer. Les Egyptiens
meſmes nel'ayâs
cerdotales pasignorée
peignoientvne qui droicte,
ligne enleurslettres
& vneHieratiquesoulettres
tranſuerſante qui #Sai
- O1L
de la Croix. | 43 -

fioit Esperancedelaviefutre,dit Orus Azelo,confirmé par Ruffin liure 2.ch.


29.&Sozomene li.7. & meſmeaux Obeliſques qui ont eſté ap- _O_
portez d'Egypte àRome,ils'eſt trouué des caracteresgrauez ainſi, D |
vne Croix à ſçauoir, auecvn petit anneau au deſſus, c'eſt le vray | |
fruict de vie,mais pluſtoſt c'eſt celuyquinous faictcôme Dieux, puisqu'il
nous rend participans de la meſme Diuinité , c'eſt cette eſchelle de Iacob,
ui nousfait deſcendre par humilité, & parlaquelle nous remontonsàla
beatitude.Mais il faut paſſerautroſne de l'honneur parceluy de lavertu, il
fautmonterautroſne de Salomon par des degrezempourprez de ſang,car
ilfalloit que CHRIST entraſtainſi enſanglanté, & que nous ſuiuiſſions ſes
veſtiges qu'il nous atraſſez. -

Brefpour monſtrer que tout bienvient de ce ſigne,l'homme la porte


enſaface, ſoit qu'ilnage, qu'il prie, quel'oyſeau volle, le nauire,la beſ-†à l'homme par
che,lemarteau, le chariot, les quatre parties du monde, les enſeignes, & ;e ſigne de la IOlX,

enfintout ce qui peut ſeruiràcette vie eſt touſioursaccompagné du ſigne


† pourquoy meſme à la Naiſſance du Fils de D 1 Ev, on
dela Croix.Vo
dit qu'en § quiapparutauxtroisRoys,ſerepreſentoitvneieune fille
portantvn enfantauecvne Croix, pour enſeigner quetandis que les An
gesannonçoientlagloire & la paix, cela deuoit toutes-fois arriuer par la
Croix : mais cecy eſt bien remarquable, encore qu'enla primitiue Egliſe,
pouranimer ceux qui prioient, & lesaſſeurer †
obtiendroientl'effect
deleurdemande, on peignoitvne Croix auec la figure d'vn œil, pour fai
realluſion auſceptre d'Oſiris, que les Idolatres appelloient le Soleil,vou
lans donneràentendre que cétoeil du monde diſpoſoit ſouuerainement
des Empires.Ainſi les anciens Chreſtiens, craignans que les nouueaux
conuertisvouluſſent encoreadorerle Soleil,ils peignoientvne Croix ſce Co
† duRoy des Roys I E s vs-CHR I s T auec vn œil, pour repreſenter 1I1C

emeſme Seigneurdel'vniuers, † auoit vouluy eſtre attaché pour ſou-º


lºgernos miſeres,nous departir ſes graces, & nous faire iouyr del'Empire
du Ciel,tantl'Egliſe ahonoré ceſigne, qu'elle a touſiours voulu que ſes
enfanslayent euë deuátleursyeux.Ainſiennos Egliſes,on lavoideſleuée
ºplushaut & eminent lieu,afin qu'eſtant à la veuë de tout le monde,
chacunen luy faiſant la reuerence,face non ſeulement proteſtation de ſa
°y, mais rende quelque action de grace à ſon Redempteur pour vn ſi
grandbenefice,l'ingratitude & meſcognoiſſance duquel,eſtau Chreſtien
Vºcrime execrable.De ſorte que tants en faut quenous enrougiſſions,quenous choaſ ,
ºglorifions en icelle,diſoit ſainct Ieä Chryſoſtome,e9 nonſeulement les par-#º #tu ſit hom.
ticuliers mais lesgrands Roys qui rachetez par ce diadeſme le portent pluftoft que
ºcouronnes.Ènfin : Les Princes, dit-il au meſme lieu,lesſubieéts,les hom
mes, lesfemmes,les vierges,les mariées,les libres,les ſeruiteurs,cºgenerallement f0f/3
ſºſgnentauecicelle,lagrauans en laplus noblepartie de noſtre corps:carnous lafigu
ºtous les ioursennoſtrefront, comme en vnecolonne. Et ſainct Hieroſme dit Hir Eriº 7.
quelepourpre plus eſclattant des Roys, & les brillantespierreries deleurs Diadeſ in Latum.
ºleurapportentpoint tant d'ornement,quela figure de ce boisſalutaire.
F ij
·

44 Le Triomphe
Cartoutainſi que leveſtement des Roys & Empereurs Payens n'auoit
eſté, s'ilfaut ainſi dire, empourpréque du ſang des ſaincts Martyrs qu'ils
exterminoient pourla crainte qu'ilsauoient de l'eſtabliſſement de la Re
ligi6 Chreſtienne,s'acharnans contre tous ceux qui enfaiſoientprofeſſió,
' depuis Herodes iuſques au grâdConſtantin,tant le diable leurauoitim
rimé cette fauceimagination,que les Saincts aſpiroiét à leureſtat, & tant
† ſenſualité craignoitladiminution de ſa pompe & de ſes delices, parla
reforme de cette ſaincteloy. Auſſi depuis † conuerſion, ils ont non
ſeulement quitté(ie parle des bons & des ſaincts) leurs pompes, leurs
† delices & leur couronne, pourprendre la Croix, mais meſmes leur pro
- bre troſne,s'enroollans ſoubsl'enſeigne de celuy qu'ils tenoient la lie, &
§ du monde, & rendans tout honneur & obeïſſance à celuy
qu'ilsauoienttant perſecuté.Auſſi tient-on que laſaincte Croix eſtoit cö
oſée de quatre ſortes de boys, à ſçauoir le corps de la Croix de Cedre,les
† de palme,le troncd'embas de Cypres, & le titre d'Oliue , le Cedre
mortelaux ſerpens, & ſalutaireaux hommes, comme auſſi elle a terraſſé
& terraſſetouslesiours le diable,lepeché & l'erreur : le Cypres qui ſeruoit
de monument & debiereaux plus ſignalez perſonnages, ſelo † dire du
Poëte,
|
Funeſta eſtarborprocerum monumenta cupreſſus.
d'autant que le ſepulchre du Fils de DIE v deuoit eſtre fort celebre, com
meil a eſté, eſt, & ſera, voire au milieu de ſes plus grands ennemis, qui
l'ont maintes-fois voulu mettre bas:mais D IE v s'eſt tantoſtſeruy de leur
auarice,& tantoſt de quelque aliance,ou de la puiſſance, & renommée de
† quelquegrád Prince cóme cesiours paſſez, il eſt arriué encore parle moyé
#º de noſtre grand H EN RY, comme nous remarquerons plus particuliere
ment ſurlavie de Mahomet troiſieſme du nom Empereur des Turcs. La
Prophetie d'Elaie ayanteſtétres-veritablement accomplie, à ſçauoir que
ai Son ſepulchreſeroitglorieux.L'Oliue † lapaix qu'elle nousamoyen
née, carl'Oliue eſtvn ſymbole de la paix; voyla pourquoy lors que les
Ambaſſadeurs venoient anciennement rechercher la paix , ils portoient
, Hicns.c, des rameaux d'Oliue; &le Prophete Hieremie dit que le Seigneur a ap
pellé ſon nom, vnetres belle & fructifiante oliue; Mais ce qui eſt de remar
quable, c'eſt que le ſainctnom de IE sv s eſtoit eſcrit deſſus, maisl'huile
c.1 s , vient del'Oliue,auſſil'Eſpouſe diſoit que ce ſainct nom eſtoit vne huile eſpan
dué.Son prctieux ſang, quicommevnehuile de miſericorde, s'eſt partout
eſpandue deſſus les pauures pecheurs;cartoutainſi que l'huile entretient
§ & oinct,ainſile Sauueur & Redempteur des hommes
- a eſtélalumiere dumonde,le painvif, & le medecin des malades.
· Ce que nous voulons† repreſenter auſſi en nos trois lettres
Aug ſerm.16. abregées IHS. l'I. repreſentant l'illumination, l'H. l'heritage, & l'S. la
# ſanté, & ſur tout de bois de palme, ſymbole de lavictoire, que non
Pourquoy la
§io - ſeulement nous, mais que le peuple d'Iſrael a iamais
ſe fu- changée
obtenuë : car ſainct
§" Auguſtin prendla verge de Moyſe pour vne figure de la Croix, & #
qu'elle
de la Croix. - 45
qu'elle fut changée en ſerpent,afin que la Croix que les Iuifs croyoienteſtrefolie,
fuſtconuertie en vnſerpent, c'està dire enſageſſe, & en vneſainčteſageſſe qui deuo
raſttoute laſageſſedumonde.Voylapourquoy Moyſe par eſprit prophetique
voyât que lebout de ſaverge auoit faict de ſi grands miracles, & ſçachant .
quele nom de IE s vs deuoit eſtre eſcritaubout delaCroix,il luy attri
buatoutes ſes victoires:Seigneurc'eſt ton nom Tout puiſſant,diſoit-il, qui a ſub- Deut. ,
mergédãs lamerlechariot,& l'armée de Pharaon.Et le meſme Moyſe cóbattât
contre Amalec, montant ſurla montagne, eſtend les mains en forme de
Croix, & prietenant ſaverge en ſamain; car ditTertulian,Il'fallott que ceux renant Maº
quiauoientàcombattrecontrele diableſe ſeruiſſent de la Croix, puiſque IEs vs- -

CHRIsT, en deuoit emporterlaviéioireparce moyen-là. Mais cecy n'eſt-ilpas


remarquable que le fruict qui fit les immortels mortels,eſtoit,comme di
ſentquelques docteurs,vne ſorte de fruictfort frequent, en vn port dela -

mer Mediterranée, nongueres diſtantedelaterre de Promiſſion, lequel#


eſtant partagé , ony voit vne figure duTau, comme ſi à l'inſtant meſme pr .
del'offence, noſtre premier pere euſt veule moyen de ſa Redemption & Fruia portant
la grandeur de ſon peché, & comme s'ileuſttiré le baume parlemeſme # *
moyenque luy eſtoitarriuélableſſure : & de faicttoute lavertu du Chre- "
ſtienne prouient elle pas d'elle Laforce de la Croix de CHRIsT eſt ſigrande,
ditlegrand Origene, queſielle eſt repreſentée à nos yeux,& imprimée deſorteen
lapenſee des fideles, qu'ils lacontemplent attentiuementauecvn des yeux de l'eſprit,
cimes'il voyoientenellelamort du meſme CHRIsT,iln'yanulleconcupiſcence, nulle
laſciueté, nullefureur, nynulle enuie, quinepaiſſe estreſurmontée. , "

Auſſi comme i'ay dit, toutes † plus ſignaléesvictoires que D1E v a


obtenuësiadis ſur ſes ennemis, furentemportées, ou par vne verge, ou
parquelque piece de boys, ou par quelque lettre myſterieuſe,qui eſtoitla
† § Croix.De maniere que IE s vs-CHR I s T y voulut mourir,
afin dy couronner toutes les § victoires qu'elle auoit deſia obte
nuesfiguratiuement; ſabonté & miſericorde infinie ayant voulu, pour
garantir ſes eſleuz, oppoſer ce ſingulier remede; contre la rage des meſ
· chans.AinſiIoſué figure du Redempteurtriomphant,commande qu'on
metteles pieds ſur les cols & les teſtes des Roys vaincus, à ſçauoir pour, 1

chacunenſon particulier,le diable, la mort & la chair:Voylacöment no


ſtreSeigneurafaicttoufiours triompherſa ſaincte Croix, & la miſe,com
me nousauons veuë,au deſſus du monde,l'eſleuant par deſſus toutes puiſ
ºncesterriennes,comme encoreles Empereurs Chreſtiens la portentau
lourd'huy en ceſte ſorte. , -

Et puis que nous parlons des Turcs, & des merueilles de la ſaincte
Croix,il ſera bien à propos de rapporter icy ce qui aduint du temps de
mpereur Maurice. Coſroé Roy des Perſes, duquel nous parlerons cy- |

#s, ayant faictcruellement mourir ſonpere & ſa mere, & ſes ſubiects A i .
*ºitans reuoltez contre luy pourvne ſigrande meſchanceté, il enuoyade- conſtiiº.
ºander ſecours à l'Em pereur Maurice contre
ſes ſubiects, ce qu'il obtint,
& "ſuccederent ſes affaires ſi heureuſement que Narſetes general dç
- - | F iij , •
46 - Le Triomphe
l'armée Romaine, mit enfuitte les ennemis du Peiſan, en taillaenpieces

ble des Turcs lameilleure
la lI1C1 partie, &
partie, & pprintpriſonniers
p quelqueſix
q q mille Perſes naturels 2

†§ & quelque nombre deTurcs : quant aux Perſes, il les donna à Coſroé,
de crºis mais lesTurcs,illes enuoya à ſon Empereur.Or comme ceux-cy eſtoient
tous marquezaufrontauecvn fer, & de l'ancre bien noire qu'on y auoit
eſpanduë deſſus, & qu'ily auoit en cette marque vne Croix empreinte. .
|· L'Empereurs'enquit d'eux dequoy leur ſeruoit cette figure, puis qu'ils nes
· l'honoroient point, ne celuy encore qui auoit ſouffert mort en icelle.A
quoyils reſpondirent que quelque temps auparauant ils auoient eu vne
peſte fort eſtrangeau pays Perſien; deſorte que preſque perſonne n'en eſ
· chappoit, mais qu'ayans quelques Chreſtiens parmy eux, ils leur aprin
drent de porter ainſi le ſigne de la Croix, & que ſans faillirils verroient
ceſſer cette peſtilence, ce qu'ils firent, & ſentirentſoudainl'effect de cette
-
deliurance, & que cela eſtoit cauſe qu'ils envſoient ainſi,portanslamar
que de leur guariſon, & toutes-fois apresvn ſigrand miracle ils ne laiſſe
rent-pas de demeurer opiniaſtres enleur erreur,car lors qu'ils racontoient
cette hiſtoire, ils eſtoient autant Idolatres qu'auparauant, mais tant eſt
ue la Croix obtint cette victoire, & ſe fiſtreuerer par ſes ennemis.
Or le diable ennemy mortel de ce ſigne, voyant tant de merueilles
pariceluy, s'eſt ſeruy de Mahomet pourle ruiner, & luya faict comme le
dragon àl'Elephant, premierementilſe ſert de ſa langue, comme d'vn
† hameçon, & puisl'attaque parlesyeux & parles oreilles; & ce † eſt re
: #Élep , marquable, c'eſt que ſelonSolin,les †n'attaquent iamais l'Elephât
i* que lors qu'ils ſont † arle trop boire outrop manger:adiouſtant
:
que la premiere choſe qu'ilsfont, c'eſt de lier la main ou la proboſcide de
l'Elephant , tout cecy conuenant tres-bien à Mahomet; carles folles im
,
|

-
preſſions qu'illuya mis enlateſte, n'eſt-ce pasl'hameçon : nel'a-il pas at
-

taqué parlesyeux, par le deſir de poſſederles Empires de la terre : & parles


oreilles en ſe faiſantappeller Prophete, legiſlateur,l'intime amy de DIEv,
&c.Mais le dragon pert l'Elephant parlagourmandiſe,& n'eſt-ce pas ain
ſi qu'ilapris Mahometlevoyant addonné à toute ſorte de volupté? De "
t, | ſorte qu'il adoroit au commancement la Deeſſe Venus, & quant à ce
-

qu'illuyaliéla main,on a peuaſſez remarqueriuſquesicy que tout ce qu'il


afaict n'a eſté que pourluy obeyr & † ;mais qu'ilme ſoit permis
-
#tion de dire icyvne conception, Mahomet a rendu la Croix la plus ignomi
notable. - - / • Y"/ - - - -

nieuſe qu'illuya eſté poſſible,laabaiſſée,auilie & miſeau deſſoubs de tout


ce qui eſtaumonde,atenu ceux quil'honorentpourmeſchans,impies &
· dignesd'eſtre mis à feu & à ſang Rapportez maintenantàcela qu'il ado
; roitVenus,duquelle caractere ſelon les Aſtrologues eſtvne Croix ſoubs
vn monde en cetteſorte.º Et les Empereurs Chreſtiens pour marque de
' leur Empire,lamettent au deſſus. , Diſons donc que Mahomet voyant
que la Croix eſtoitl'ennemie mortelle de la volupté qu'il adoroit, car il
n'a enſon ameiamais adoréautre DIE v. Ilarenuerſéla Croix, voulant
| dire qu'iln'appartenoitqu'àlavolupté de regner pour teſmoignage de
# • '• quoy -

|
de la Croix. 47
quoyilavoulu que le Vendredy, iour conſacréà Venus, fuſt le iour de
† Sabbat.Et c'eſt peut-eſtre auſſivneraiſon pourquoy ſainct IeanApo
calypſe 12 repreſente la ſaincte V 1ER GE, vraye & veritable Diane, qui
commande au ciel, en la terre & aux enfers, foulant la Lune ſoubs ſes
pieds, pourle trophée qu'elle a obtenu de l'Idole de Diane à Epheſe,
qu'onppelloitauſſi la Lune, &laquelle ſon filsadoptifabbatit, ou bien
delavictoire qu'elle deuoit obtenir contre les eſcadrons des Turcs qui
portentvne Lune en croiſſant en leurs enſeignes : comme auſſi les Chre
ſtiens ont ſouuent obtenu de glorieuſes victoires par les interceſſions de
cettebien-heureuſe Imperatrice : & de faict ſa loy eſt toute remplie de
precepteslaſcifs & charnels,oſtantl'Empire de l'vne pour eſtablirl'autre:
&le diableayanteſprouué que les perſecutions des Martyrs auoient plus
ſeruyàl'eſtabliſſement de la ſaincte Religion Chreſtienne, & à la reco
gnoiſſance de ce ſigne de ſalut, qu'à ſa ruine, il ſe ſeruit des Heretiques,
&s'enſert encore pour le combatre, mais il penſa qu'il gagnoit plus de
ens ſoubsle ſigne devolupté, que ſoubslevoile de pieté,voyla qui luy
mettre en auant Mahomet. ·

Etcequieſtencore remarquable, c'eſt quela loy de Mahomet com


mença dauoircours incontinentapres cettenotable victoire de l'Empe
reurHeracliuscontre Coſroé Roy des Perſes,ſurlequelilrecóquitcepre
tieuxbois, que ce Royauoit pris auparauant en Hieruſalem; car c'eſtoit
vnenotable victoire de la ſaincte Croix contre le diable qui auoit ſuſcité
ce TyranCoſroécontre l'Egliſe de D1 Ev, perſecutant à outrance ceux
, quihonoroient ce ſigne de † Redemption, croyant les auoirpriuez de
toutleur † oſtant ce qu'ilsauoient de plus rare & pretieux:
mais laCroix futaux Perſes ce que l'Arche d'alliance fut aux Philiſtins & Gand reſpea
àleurIdole Dagon. De ſorte qu'apres pluſieurs victoires obtenuës du-†
- - . . cte Croix pat
ºtſeptannées conſecutiues par cét Empereur Heraclius.Finalement on #
lºlºyrenditſauue & entiere, voire meſme ſans auoir eſté veuë au rapport #º
de Suidas, qui dit que l'Empereur la liura au Clergé & à l'Eueſque de
Hieruſalemſcellée & cachetée comme elle auoit eſté liurèe aux Perſes. De ſorte
# 9anspris laclefpourlatirerde dedans leſtuy, ils l'adorerent &
leſleuerent en
º, &à laverité ce futvngrand & ſignalétriomphe,auſſila ſaincte Egli
ſe enfait-ellevne grande ſolemnité, qu'elle appelle la feſte de l'Exalta
ºn, & non ſeulement pourvn ſeultriomphe, mais pour pluſieurs que
ºurfut rendu glorieux : car comme remarque le Cardinal Baronius B iº
ºnſes Annales,le corps dumartyr ſainct Athanaſe fut tranſlaté en Ce-" 8.
éedePaleſtine, cet Athanaſe qui reſpondit ſi conſtamment à l'impie
9oftoé enl'honneurde la ſaincte Croix, & quiapres pluſieurs tourmens
ºoit enfin ſouffert la couronne de martyre. Le ſecond fut l'eſlargiſſe
ºntdetant de captifs emmenez par les Perſes, & entre autres de Zacha
# Eueſque de Hieruſalem. Le troiſieſme le triomphe de l'Empereur
#ºaclius, pourtant de victoires obtenuës ſur les Perſes, doublement
Sºieux pourauoir combatu pour la foy, & pour auoir exterminé cet
+

-
|.
48 Le Triomphe
ennemy du nom Chreſtien : & le quatrieſme fut le recouurement de la
ſaincte Croix rapportée entiere & ſans meſmeauoir eſté maniée, com
menous auons dit, au lieu meſme où elleauoit eſté priſe. Deſorte que ce
pluſieur ºis- iour vn des plus glorieux & triomphans qu'ait veu le Soleil, merite
† bienvne particuliereaction de graces, & † s'en reſouuienne à iamais
-
-

-
: †º puis qu'ila app ortétant de bien à la repub ique Chreſtienne : mais cecy
- n'eſt-ce pas encorevn des triomphes de la Croix, que Heraclius retour
nant en Hieruſalem, commeil fut arriué à la porte qui conduit au mont
de Caluaire paréſomptueuſement d'or & de pierreries, plus ils'efforçoit
d'aller, plusilreculoit,de ſorte que le bon Eueſque Zacharierecognoiſſät
· · 41
-
- | --
t , la cauſe de cet empeſchement,Voyez-vous, dit-il, Sire Empereur, cet
-'!

-
| - , -! ! !
ornementtriomphal que vous portez, ne conuient pas à l'humilité &
.l'|
-17--11

pauureté de IE sv s-CHRI s T. Alors Heraclius oſtant ce veſtementſu


† , & meſme ſes ſouliers, s'habilla ſimplement commevn de la popu
-

:
-|
l -
ace, ce qu'ayant faict, il pourſuiuit apres ayſement ſon cheminiuſquesau
-
-
Caluaire, oû la Croix auoit eſté auparauant miſe, & d'où les Perſes l'a
: uoient tranſportée.Auſſi ce iour eſt-il auſſi ſolemnel aux Grecs comme
aux Latins dit Baronius, qui rapporte tout ce que deſſus des Annales de
/ · Theophanes. · -

Mais pourreuenirà ce que ie diſois, voyant que tout luy reuſſiſſoit ſi


mal de combattre à guerre ouuerte, & ne # pouuant ſeruirde la peau du
, Lion,ily couſitcelle de Renard,ſemantaumeſme temps pluſieurs Here
*ºn idem, ſiles, pour corrompre les e1prits
- eſprits plu
plus debiles des Chreſtiens:& p
pour com
IIl

ble de tout malheur, inuentant la malheureuſe ſecte de Mahomet, la


faiſant immediatement ſuiure à l'Idolatrie, qu'il voyoit exterminée par la
ruine de Coſroé, car il a eſté le dernier Tyran § qui ait §
l'Egliſe de DIE v, pour le moins en nos contrées de deçà, ce quin'eſt pas
:|, peut-eſtre d'inutile remarque, car ce fut ence meſme an 627. que la Reli
gion Chreſtienne auoit eſté illuſtrée de tant de merueilles qu'Eduin
Roy de la grande Bretagneauoit renoncé à l'Idolatrie auec tous ſes ſub
:
-
: iects, pour s'enrooller ſoubs l'enſeignevenerable de la ſaincte Croix, ayât
': luy-meſme eſtébaptize à Yorchleiour de Paſques,tandis que Mahomet
infectoit l'Arabie de ſa peſtilente doctrine qu'il trouua § de toute
· pieté, & que toute chaireſtoit deuenuëfoing. - *

-
Iob. 4o. | Car Behemot,cétanimal ſiterrible & vray hieroglifiquedeSatan,n'en
L'Eſcriture leueiamais aucune herbe dubeau champ de l'Egliſe, qu'elle ne ſoit pre

#e #à mierement deſeichée & deuenuë foing, & alors illa traicte comme vn
té de noms / N - - -

§ bœuf,
† , Behemoteſtant comparéàcetanimal.Orle
eſt pris pourle peuple,
OCCUllICIlCCS. & quandles hommesfoing,ſelon ſainctleGre
ſont du foing, dia
le eſtappellébœuf, quandils ſont chair & ſang,ileſtappellé Lion rugiſ
ſant. Quandl'homme eſtàcheual, c'eſtvnCeraſtes § voye pourmor
dre les öngles ducheual, afin que le cheuaucheur tombe : ſile Pere defa
mille ſeme, il eſt oyſeau du § , quand nous ſommes embourbez dans la
mer du monde comme des § , il eſt Balene; quand l'homme eſt
terre
de la Croix. 4-9
terre,ileſtſerpent: ſi nous ſommes dragon, il eſt eſtoile; ſi nous ſommes
maiſon, il eſt vent; ſiſemence, il eſtl'homme ennemy &ziſannie : mais
lemeſme Behemotavoulu fairevoiren Mahomettoutſonartifice.Voy
cycomme loble dep eint au chap.quarantieſme:Ilmágera le oingcommevn
bauf, maisc'eſt d'vn foingtrié & choyſi : car, diſoit le Prophete, la viande
dontileſtengraiſſé,eſtvneviande choiſie : Auſſi eſtoit Mahomettraicté delica- Rappo1t de
tement,&fort difficile à contenter,ſaforce,ditl'Eſcriture,eſt enſes reins & en †
ſonventre.Nousauons aſſez fait paroiſtre cy-deuatſa paillardiſe & ſa gour- Mahomet.
mādiſe,Saqueuë eſt roidie commevnCedre:monſtre la baſſeſſe & ignobilité de
ſarace, & qui toutes-fois du plus bas eſtages'eſt eſleué au plus haut degré,
le nerf deſesgenitoires ſont entrelaſſez : Sameſchantevie,quiparſes mauuais
exemplesarendules autresſemblablesàluy, excuſantles pechez d'autruy
pardesraiſons paſliées & deſguiſées, ſes os ſont comme vne fluffe d'airain : ou
ſelonl'Hebreu, comme vnbaſton,vnmeſchant & cruelPrince quiatant
reſpandude ſangen ſavie, & ſes cartilages comme lames defer; car toute la
liaiſonde ſaloy, ne reſpire que ſang & que flammes.Ileſt le commencement
des voyesdu Seigneur. Mais ne s'eſt-il pas dit le mignon de DIE v, le ſeul
vrayProphete † deſſus tousles Prophetes : celuyquil'afaict, en aprochera
ſonglaiue, Et cela n'eſt-il pas veritable, ſoit qu'on le prenne de la part de
DIE v quil'aPermiscommevn fleau, ou pluſtoſt,ſionne veut dire qu'il
a ſenty le glaiue de la iuſtice Diuine, eſtant mort enragé, ſoit qu'on le
prenne § part du diable, quiluyait communiqué ſa puiſſance : les her
bes des montagnes luy apportent fruiét, & les beſtes des champs ſe ioueront-là.
Qu'eſt-ce qui ſe peut mieux rapporter qu'à ſa loy charnelle & voluptueu
ſe,àſonParadis de bonnes cheres, & de belles § que cela : Ildort en
ſecretſoubs le roſeau en lieu humide; cela ſe rapportea ſa vie effeminée & laſci
ue, &àla deſbauche de tant d'ames qu'ila perduës par cet allechement, &
àſaialouſie, carilla eſté des plus, comme ilafaictvoiraſſez par ſa loy: les
ºmbresdeffendentſon ombre,cºlescaillouxdu torrentlenuironnerôiAuſſiauoit
il Prislesombresinfernaux pour deffenſeurs, & les puiſſances du torrent
infernalontaſſiſté ſes entrepriſes. Il engloutit vn fleuue, c9 ne s'en eſtonnera,
ºil aſſeure quele Iourdainpaſſera parſabouche : n'a-il pas aualél'iniquité có
mel'eau mais nel'a-il pas enſeignéevoire commandée auecaſſeurance de
ſalut àceux qni la mettroient en practique, comme ayant eu l'infHuence
denhaut de cette damnable inſtruction carſelonle dire deTertulian, de
cultufemin. Celuy quieſtpreſomptueux craintmoins,ſegarde moins, & †
et enplus grand danger.La crainte eſtle fondement de ſalut, la preſom-lut -

Pºon empeſchement de crainte,en doutant nous craindrös,en craignant


ºusnousgarderons, & ennousgardant,nous ſerons ſauuez : au contrai
ºſinousſommes preſomptueux,necraignans & ne nousgardans point,
difficilementnous garantirons-nous.Quiaaſſeurâce de ſoy,& n'eſt point
ººſmoy,neiouytpasd'vneaſſeurée & fermeſeureté, mais celuy qui eſt
ºdºute deſoy, ſe peut dire vrayement aſſeuré. -

9eſtauſſiàce doux bruit de libertéapportée & publiée parMahomet


- G
, ^"#
-

5o Le Triomphe
u'infinis hommesſe ſont enroollez parmyles Muſulmans, & c'eſtlarai
† querenditle Pape Pieà Mahomet ſecond, ſur ce qui luy demandoit
#-|
pourquoy tant de Chreſtiensſe iettoiétſous ſes bannieres;auſſi fut-cevne
de ſes premieres ordonnances,pourretirer les peuples de l'obeïſſance de
-
(t
† l'Empire Romain : Tout Chreſtien, dit-il, Iuif ou infidele, ou qui voudra
ſuiure le Prophete, aura liberté,ſans queſon maiſtre oupatron lepuiſſeretenir. Età
laveritéils'eſt comporté de ſorte en toutes ſes actions,qu'il ſemble quece
,#.|
•!
ſoit deluy que le RoyalPropheteait parlé † il prioit D1E v, qu'ille
| deliuraſtdel'incurſion du diablé de Midy. Etailleurs ;qu'ilcraignoitlahauteſſedu
iour: caril ſemble que leviceſe ſoit de ſon temps faict paroiſtre en plein
: pat ,s.
,
iour,aulieu qu'il ne ſe monſtroit deuant qu'à cachettes; car ſoubs levoile
de pieté & deſaincteté,ilapermis aux ſiens toute eſpece de meſchanceté.
Et cecy fait fort à ce propos qu'ila ordonné particulierement que les prie
res des ſiens ſe feroient tournez deuers le Midy,s'eſtant monſtré en toutes
ces choſes vrayminiſtre de Satan, & precurſeurdel'Antechriſt, car com
me nousauons veuiuſques icy : tout ſon but & ſes intentions n'ont eſté
que pourſe bander contre la Diuinité de noſtre Seigneur IEsvs, & d'em
eſcher à ſon poſſiblel'Exaltation de ſon ſainct nom,vſant toutes-fois de
§ ruſe de ces fins calomniateurs qui lors qu'ils ont enuie de döner
vne plus viueatteinte à la renommée de quelqu'vn, commancent par ſa
loüange,afin de rendre ſa calomnie plus vray-ſemblable, nous voulant
faire perdrelacroyance ſoubs ſon patelinage de loüanges qu'il luy donne
qu'il eſt D1Ev & homme, & qu'ila operéle myſtere de noſtre Redem
-
ption parſamort en la Croix, car c'eſt contre-elle †
eſt le plus enueni
mé, mais encore queluy & les ſiens ſevantent qu'ils ont faict tant de mer
ueilles parlesarmes, c'eſttoutes-fois vntrop debilefondement pourba
--
ſtir deſſusvne Religion.
Outre ce que nous auons dit cy-deſſus, s'il falloit faire comparaiſon
d'eſtenduë de pays l'vnàl'autre,ontrouueroit que les Chreſtiens ont plus
---

- conquis deterresaunouueaumonde en moins de deux censans,que tous


les Mahometiſtes enſemble n'ont fait enl'eſpace de milleans.Ie § bien
i
1., u .. qu'on dira qu'ils ont euaffaireà des peuples plus belliqueux, mais c'eſt à
-

§
emparez des
cela que ie les trouue eſgaux, carque pouuoit ſeruiraux Chreſtiés leurva
--
§" leur,puis qu'elle n'eſtoit priſe que côtre-euxmeſmes?N'eſt il pasvray que
†leloup n'eſtiamais entré dans labergerie,que lors quelesgardesdutroup
-
º º peau onteſté en diuiſion:Mahomet cómence ſaloyautéps del'erreur des
Monothelites,& quel'Empire Greccômençaà decliner : (car depuisque
--
l'Empereur § eut entrepris la protecti6 de ces miſerables Hereti
ques,iamais ſesaffaires ne proſpererét) & touslesſiens n'ont iamais mis le
pied dans pas vne prouince, qu'ils n'ayenteſté appellez & introduits par
† editieux,quiontmieuxaimé perdreleur Religió, & s'enſeuelir
dans les ruines deleur pays, que deviure en paix auecleurs compatriotes
meſme le Turc n'a point eu d'entrée dans la miſerable Grece qu'il n'ait
Premierement eſté appellé par les Princes Grecs, & qu'ils ne luy ayen#
* - donné
· de la Croix. · 5I
donné des places pouroſtage,leſquelles ils ont incontinentapres conuer- .
· ties en proprieté,&lemeſme Mahomet ne conquit point pararmes Ieru
ſalem, Damas, Antioche, la Iudée,Syrie & l'Egypte, & autres places en
la petite Aſie, que par le ſoubſleuement des peuples qui ſe reuolterent
contre l'Empereur Heraclius, ſoubs le ſpecieuxnom § erté qu'ilalloit
trompetant§ tout.Carcommeil eſt bien difficile des'eſtablir, & qu'il
n'eſt pas mal-aiſé de s'agrandir ſurvn eſtabliſſement, cette ſecte amulti
plié en richeſſes & engrandeur, mais plus ſouuent parfineſſes que parar
mes; & qu'ainſine ſoit,ils n'ontiamais empieté ſurl'Europe que les Prin
ces Chreſtiens n'ayenteſtébâdezlesvns contre les autres, encoreyont-ils
faict peu de † depuis centans,veuleurs richeſſes, & le grand nom
bre de peuple qu'ils charient en leurarmée, & le peu de comſ ns quiſe
treuue ordinairement encelle des Chreſtiens.
En quoy eſt-ce donc que les Mahometiſtes ſe peuuéttâtvanterdeleurs
armécs, † qu'ils negaignentiamais que par la multitude ? n'eſt-ce pas
, ainſi qu' ils ont gaigné toutes nos places#VnScäderbecqauecvne poignée
d'Albanois,eſtaſſez puiſſantd'arreſter tout courtvn Amurat, & Maho
metſecond, Empereurs des Turcs, qui auecvne armée effroyable,vou
loientenuahir ſon pays, leur faictleuerle ſiege de deuant Croye par plu
ſieurs-fois,& lesmeinebatantiuſques ſurleurterre,eſtans contraints de ſe
retireraulogisauechonte &perte notable.Combien defois ont-ils mis le
ſiege deuant Belgrade, deuant Conſtantinople, deuant Rhodes,&autres Le Turcs na
b - - - 2

que
placesdeuant quelesauoir?&cómentles ont-ils priſes, ſinonlors qu'elles !ainquent
atla multitu ,
onteſtéabandonnées de ſecours à n'auons-nous pasveu de nos iours que C,

lanationAlemande,ſecouruëſeulement de quelques François,leurafaict


teſtedeuantVienne : Quelle merueilleya-ildonc, ſi centmille hommes
viennent quelques-fois à bout de dix mille à n'eſt-ce pas vne choſe bien
† admirable devoir quelesChreſtiens les ont battus tant de fois depuis
eureſtabliſſement & le plus communementauec bien petites armées en
comparaiſon des leurs : & defait legrand D1Ev desarmées,afaicttouſ
iourscognoiſtre qu'il donnoit toute benedictionaux armées Chreſtien
nes, quand elles eſtoient en bon meſnage auec luy : & au contraire qu'il
abandonnoitlesSarrazines, teſmoin cette effroyable armee de 4ooooo.
$arrazins, ſoubs leur Roy Abdemare, qui ſereſpandit † la Guienne,&
Vintfondre en la Touraine, dutemps de ce grand Charles Martel,incon
tinentapreslamort de Mahomet, dont 175.millefurentmis en pieces en
ºeſeulebataille, n'eſtant demeuré des noſtres que 15oo, Et cette nota
levictoire obtenue par la ſeule nation Françoiſe, (fatale pour eux, &
ºmmereſeruée & preſeruée parle Tres-haut, pour prendre vangeance
detoutes les cruautez de tous ces peu les circoncis) & incontinent apres
Vnſeul Eueſque,nommé Otho, † fit leuerle ſiege de deuantſavil
ºdeSens,taillant enpiecesvnegrande partie deſonarmée,& en fin Mar
telchaſſa par deux-fois deuxtres-puiſſantesarmées des leurs, qui eſtoient
: ºuësenFranceàlaſuſcitation d'Eude, pretendu Duc de Guyenne; &
-

_ ^
G ij
52 Le Triomphe
depuis ſoubs Charlesmagne : cette conditionmemorable propoſéemeſ
par Agoland Roy Sarraſin,à ſçauoir de faire combatrevn eſcadron de
· IIlC

Chreſtiens contreautât de Sarraſins,&que celuy ſeroitiugéauoir le meil


-
leur droict & lavraye Religion de ſon coſté, qui emporteroitlavictoire,
& la condition acceptée parCharlesmagne,l'eſpreuue de ce combat par
/ ticulier fut priſe, & l'honneur & la gloire en demeura aux Chre
ſtiens. · · - -

Maisie ne puis paſſer cecy ſans faire vne remarque notable des excel
lences,grandeur & maieſté de la couronne Françoiſe, ence que DIE v a
voulu que parelle Mahomet & les ſiensayenttouſiours eſtébattus, qu'ila
conſeruénoſtre Monarchie enl'Europe,pourlafaire le logis de ſon Egli
# # ſe, & qu'elle ait touſiours eſté l'eſpée & le bouclier de la meſme Egliſe,
# quandelleaeſté perſecutée par lesTyrans.Car dutemps de ce † Roy
† que ie viens de nommer, l'Empire Romain fut conſerué, Egliſe fut
§ maintenuë contre les Lombards & d'autres ſeditieux, les Saxons domp
--
ptez & conuertis, & pluſieurs ſignalées victoires obtenues contre les Sar
raſins en Eſpagne : de ſorte que comme nous auons eſté les premiers qui
:
| ayenteſtably l Empire, quiayent emporté des victoires ſignalées contre
les Sarraſins, & quiayent deffendula ſaincte Egliſe! ilyagrandeapparen
# † ce que l'Empire reuiédraauſſi quelques-fois en nos mains, que le Maho
# de " metiſme doit eſtre exterminé par nos armes,& quel'Egliſetrouuera touſ
· France.

iours ennous vnrefugetres-aſſeuré,la France eſtant proprementſapatrie,


-

& laquelle l'eternelle Prouidence fera par ſa miſericorde ſubſiſter flo


riſſante,afin que ſachere Eſpouſe puiſſe regner en elle, comme elle s'eſt
maintenuë par elle. -

- -
Mais pourreuenir à noſtre propos, & marquerles victoires des Chre
ſtiens, & ſignamment des François contre les Sarraſins : Charles le Gros
les chaſſad'Italie, lors qu'ils menaçoient Rome, l'armée Chreſtienne de
-

nos Argonautes François en laterreſaincte, & les grandes & ſignaléesvi


ctoires qu'ils obtindrent contre les Mahometans,ſoubs le Roy Philippes
premierdunom, & l'heureuſe conduitte de Godefroy de Buillon, & les
:
--

voyages de Louys † , Philippes Auguſte, ſainct Louys, voyages


#
notables pour eſtre ſieſloignez de † : Carencore que noſtre charité
| -
& labonté de noſtre naturelnousait touſiours portezà donner ſecoursà
nos freres, & que nous n'ayons trauaillé que pour eux,ils nous ont tou
tes-fois le plus ſouuentabandonnezau §
fort de nos neceſſitez, mais
•*

touſiours valeur de nos armées,aſſiſtées de la faueur d'enhaut, s'eſt fait
---
voirauec petit nombre, a beaucoup plus † que les grandes forces de
nos ennemis, encore qu'ils combatiſſent chez eux auec toutes ſortes de
commoditez. -

Et ce qui en eſtle plus à eſtimer, c'eſt que cegrand Roypatron de Re


ligion, d'equité, de valeur & de magnanimité qui a fait voir à tous les
Roys de la terre, que lamaieſté § peut eſtre coniointe à la pieté, la
clemence àlaiuſtice, quiaſceuaimerſon D1Ev & ſon eſtat,ſon º &
OIl
de la Croix | 53
ſonauthorité,grand Roy entre les Saincts, grand ſainct entre les Roys. Triomphe du
Cette Royale fleur dis-je de la Chreſtienté, l'honneur de la France, & la §a
:|
plus noble tige denos Roys, rapportatout ce qui pouuoit eſtre de ſainct"
& ſacré parmy ces infideles, & ſur tout la ſaincte & pretieuſe Croix , la
couronne d'eſpines,les clouds & autres pretieuſes marques de noſtre Re
ſ,
demption, notable triomphe à laverité, & tres-riches deſpouïlles, puiſ
que nos ennemis n'auoient rien chez eux de plus pretieux.Les anciens Ro
mains faiſoient charier enleurtriomphe, tout ce qu'ils penſoient eſtre de
plus rareau pays de leur conqueſte, & ce grand Prince ne pouuant deli
urerles peuples trop meſchans & indignes d'vne ſi grande grace, enleue
tout ce quipouuoit eſtre chez ſes ennemis de ſainct & ſacré,enfaiſanteri
ger cette ſaincte chapelle que nous voyons au Palais à Paris, comme vnº
trophée de ſa victoire, oùila appenduau deſſus desautels, non d'vn fan
taſtique IupiterauCapitole,mais duTres-grand & Tout-puiſſant DIEv,
au Palais Royal des fils aiſnez de ſon Egliſe, les ſainctes & pretieuſes reli
ques quiluyonteſté, & luy ſont tantagreables, & à nous autres miſera
bles mortels,tant vtiles & neceſſaires. - -

Mais celan'eſt-ce pasvn miracle tres-ſignalé que la ſaincte Croix, tant


villipendée parmy ces infideles,ait eſtétant de † en leur puiſſance,ſans
† ayentiamais entrepris de la bruſlerou diſſipper qui ſeroit celuy qui
tenantvne choſe ennemie en ſa puiſſance ne l'extermineroit du tout ? Et
toutes-fois Coſroé, comme nous auons veu, l'a euë, & la plus part des
Caliphes & Soudans, ſans que pas vn d'eux ait iamais rien entrepris con
§ à mais ſubſiſter denuée de toute aſſiſtāce humaineau § de ſes La ſainčte
mortels ennemis, cela ne deſpend-il pas d'vn pouuoirtout Diuinº & tant c§ roix conſer

deChreſtiens, quibien qu'eſclaues ont toutes-fois l'exercice de leur Re- #


ligion,n'eſt-ce pasvntraictadmirable delaprouidence diuine,tant pour -

donerquelque ſubiectà ces pauures miſerables de ſe retirer de leur erreur,


quepour faire voirauxyeux del'vniuers, que toute la puiſſance humaine
n'apasaſſez de force pour empeſcherl'eſleuation de ce victorieux eſten
dardàilfaut que labanderolle du Roy des Roys ſoit touſiours veuë parla
merde ce mondeau milieu des orages & des tempeſtes : il n'y a point de
Corſaires aſſez valeureux qui puiſſent faire en tout & partout caller les
Voillesauvaiſſeau de ſon Egliſe ; ny d'aſſaults ſi impetueux qui puiſſent
#battrelemats,ilfaut qu'il ſe facevoir entoutlieu,ſice n'eſt en pleine puiſ
ºIlCe,aumoins † ce ſoit
*yantdroictſurlachoſe commevne marque de proprieté , & comme
vſurpée. - •

N'eſt-ce pas auſſivn miracletout miraculeux, de voir le ſainct Sepul


::[$ chreauoir peu demeurer debout,eſtre viſité,honoré & reueré depuistant
cſiecles, parmytous ſes ennemis, ſans que iamais aucun d'eux ait eu la -

\
-
ºdieſſedele deſtruire, & que D1Ev ſe ſoitſeruydeleurauarice pourle †
ºſeruer non ſeulement en ſon entier, ains meſmes pour le faire gar-º
ºParſesmortelsaduerſaires, & que tousles Chreſtiens, non ſeulement
| ºViuent ſoubs leur obeïſſance, ains qui meſmes ſont des contrées les
G iij
54- Le Triomphe
plus eſloignéesyſoiétles bien-venuës, & qu'ilsy puiſſent faireleurs deuo
tions àleurplaiſir & en touteſeureté, & que non ſeulement les Caliphes,
Sultans,Mamelus, & depuis ſoubs l'Empire duTurc, il ſoit neantmoins
,i

|
-

demeuré ſus pied triomphant, nonobſtant tous les efforts des Iuifs ſes
|:
i
|
-
| mortels ennemis,quiontpluſieurs-fois taſchédele faire deſtruire,&l'euſt
· eſté cesannées dernieres, ſansl'authorité de noſtregrand Henry quatrieſ
-
; -
me. Et afin qu'onne penſe point que cecy ſoit de ſilegere importance,ie
i dyhardiment, que c'eſt non ſeulement lamarque de noſtre redemption,
º mais auſſile ſeulſigne qui aeſté donné, comme dit noſtre Seigneur à la
gentperuerſe & adultere : c'eſt à dire aux Infideles, Athées & Heretiques,
car iladict qu'il ne leur donneroit que le ſigne de Ionas le Prophete qui
fut troisiours & trois nuictsauventre de la Baleine, comme luyau Sepul
- -
chre, reſuſcitant le troiſieſme iour,iuſques-là qu'ilfaut quelesTurcs paſ
-+--

ſent & honorent le ſainct Sepulchre en § deuant que de §


leur pelerinage en la Mecque. .
| -
Mais la Croix n'eſt-elle pas meſme eſleuée dans le ſiege propre de ſon
:
ennemy?combien de ſainctes Egliſes ya-il maintenant dans Pera, aux
º
* - | bourgs de ſa † ville de Conſtâtinople.Il eſt vray que ce n'eſt encore
u'aux faux-bourgs, mais viendravntemps,DIE v veuille qu'ilſoit pro
| |
- § , qu'elle regnera plus que iamais, au moins ſion doit adiouſter quel
que foyaux predictiós des Empereurs Seuere & Leon: caren leurneufieſ
, me figure qui eſt repreſentée parvn ſiegevacquant, au deſſus duquel, à
ſçauoir en celuy qui eſtimprimé,ilyavne Croix faicte en fleurons, mais
::
#:,
| en celle quei'ay veuë à la main,ilyaſix Croix
» -
† - -
du milieu
- / •

| - plusgrande que les autres; en l'Epigrame de celuy qui eſt imprimé, il ſe


|
·
Pº#, trouue : MALHEvR A TOY ! vILLE Avx sEPT MONTAGNEs QvAND
pour Conſtan- -

" tinople. L E v IN GT I E s M E ELEMENT SERA RECEV DANs TEs MVRAILLEs


- |
º
AvEc APPLAvDIssEMENT , CAR ALoRs APPARoIsTRA LA RvINE ET
:
CALAMITE DE TEs MAGISTRATs , ET CELA PAR L'INIQvITE DEs
IvGEs. Or ce vingtieſme Element eſt ainſi dit, d'autant que les lettres
*.
ſontlesprincipes & fondemens de l'Eſcriture.Or cette lettreTaf,eſt celle
des Iacobites car bien qu'enl'Aphabet Grec cette lettre ſoit la dixneufieſ
----- me, toutes-fois en l'Alphabet des Cophites, Georgianiens & Iacobites,il
eſt levingtieſme.Orcôme i'ay dict cy-deuant,Mahomet eſtoitfort porté,
/
§ à la ſecte des Iacobites, de ſorte qu'iln'ya point d'incon
uenient que l'Empereur Leonne ſe ſoit voulu ſeruir en ſa prediction des
--
- caracteres desvns ou desautres de ces peuples,pourfairemoinsrecognoi
# - ſtreſaProphetie; carle Taf eſtantfaict comme il eſt en forme de Croix,
& n'yayant aucun autre caractere qui ait eu de l'authorité de comman
-1--

dementau monde, on peut hardimentinferer que c'eſt de luy qu'il veut


- *4
parler, envoicyleurs § , afin qu'on puiſſe mieux iuger de la veri
- , té, quinous ſontvenus enmain, parlacurieuſe recherche du ſieur Blaiſe .
de Vigenere.
-

) |
· •|


r

|
-

de la Croix. 55
ALPHABET D E s IA C o BITE s.

ºX.É.S X E,8\ 5 H U.
ALPHA . VVEDA . GA 1Mr. • DELDA - E - Z SO - SYETA HEDA° THEDA .

5 a X ſc cl5OTIP
, ioDA. cABA . LavDA. ME : NYN , Axi .. oFF I

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A L P HAB ET D Es c o P HIT E S.
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ALPHAVVEDA GAMMA DELDA- E 2 S o , sYETA . HEDA. THEDA .

' IODA - CABA - LAVDA • ME - NYN Axr ... oF F .

ICJºcTXqPbc !º Rv : sIGMA. TAF . H E .. PHi - cHr . EPs r .

U,vcgbb sxe#
° , scHEY . vEx. cHA cHY. HoRx. GEvsA. siMA , Dx .
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56 Le Triomphe
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A L P H A B E T D E S G E O R G I A N I E N S.
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Utſuj ê ſ) 2 2X o- T)
ºmega : sºit sc4 .7 ue.u-com or º Gimsa - 5mnaºs - ºr .
---

CE CY eſt encore remarquable, que cet Empereur appelle Conſtan


tinople villeaux ſept montagnes : car comme l'Empire Turc eſt vraye
| ment l'image del'Empire Romain, & que c'eſt maintenant le lieu où le

ce n - prccurſeur de l'Antechriſt eſt plus † , & s'il faut dire,


†Pradoré;
montagnes.
le rapport en eſt tout admirable, que la ville capitale eſt le ſiege
*

| Apec. principal de cet Empire ait ſe ptmontagnes comme auoitiadisl'ancienne


Rome, & que cette-cyait eſté, & ſoit iournellementarrouſée du ſang des
i · Chreſtiens, comme l'autre s'eſtautres-fois enyurée du temps des Empe
reurs qui commandoientenicelle, du ſang des ſaincts, & des martyrs de
----
IE sv s. Il eſtvray que Rome payenne a commencé par le mal, mais Ro
me Chreſtienne, s'eſt conuertie aubien;l'vne pleine de tyrannie, l'autre
de ſaincteté:autres-fois le ſiege de l'Idolatrie, maintenât celuy del'Egliſe,
en laquelle on ne parloit iadis que de maſſacres & de cruauté, maintenant
+ on n'yparle que d'indulgences & de pardon.La ruine † fut cauſe
de ſon ſalut:au contraire de Conſtantinople,quicómençaſagrandeur par
ue Conſt3- le Chriſtianiſme ſoubs Conſtantin, perſeueratant de ſieclesen la ſaincteté

§ & pieté,quia porté de ſi grands & admirablès perſonnages, en laquelle


†onteſte tenus pluſieurs ſaincts Conciles,l'exemple de pieté & de vertu à
º toutl'Orient, quiaenſeuely dans ſesruines toutes ces § au lieu du
Chriſtianiſme,
--

i.
de la Croix. 57
Chriſtianiſme apris le Mahometiſme, pour la douceur, la cruauté: pour
la pieté, l'irreligion,pour lavertu,levice : elle en † les bonnes lettres ont
fleury ſilong-temps, & qui fait maintenant profeſſion d'ignorance, qui
eſtoit autres-fois la demeure des Saincts, & qui eſt maintenant la retraicte
de ceux quin'aſpirent qu'à la ruine de toutl'vniuers, quiauoit autres-fois
le Soleil deiuſtice quil'eſclairoit, & quin'amaintenant que la Lune : qui
# marchoit ſoubsl'enſeigne du fils de DIE v,& maintenant ſoubs celle d'vn
- ſeducteur, bref qui eſtoit l'eſpouſe legitime du Tres-haut, pour la fidele
obeïſſance,& lesloüanges continuelles qu'elle luy rendoit, maintenant
cettegrande paillarde ſeine de rebellion, & en laquelle on entend conti
nuellement d'execrables blaſphemes contre ſa ſaincte Maieſté. Cartoute
l'Aſie,l'Affrique, & vne partie de l'Europe n'ont elles pas beuduvin de ſa .
fornication ? tant de Roys qui ont fleſchy & fleſchiſſent encore le col
ſoubs ſa domination, n'ont † pas tenu ſameſme croyance à tous les mar
chans de tous les cantons de la terre, ne ſe ſont ils pas enrichis de ſes
delices : ne ſe ſiet elle pas ſur les eaux à l'emboucheure du Boſphore, &
comme Royne au milieu de toute la terre, qui ſert de bouleuert & de
† à ces deux grandes parties du monde l'Aſie & l'Europe, en qui
'or,largent,les pierreries,les richesteintures,ſont en plus d'abondance
les plus rares, excellentes & belles,la plusabondante enriches ouurages,
· en mignardiſes & delicateſſes, en proportion deſquelles choſes tout ce
qui ſe void au monde eſt gauffe, mauſſade & ſans inuention, qui ne re
cognoiſt point de ſuperieure, ayant ſecouéle ioug de ſes Seigneurs, ville
forteparnature & parart,à quilamer & laterre ſemblentauoir contribué
toutcequ'ils auoient deferé, pourl'enrichir,l'embellir & la fortifier, & en
† dabondant toute la force de ſon Monarquefaict vne continuelle re
idence.De façon que tout ainſi qu'elle atiré de l'ancienne Rome toutes
ſesgrandeurs : § toutes ſes abominations, tyrannies & diſſolutions, ſe
ſontcoulées en elle, eſtantpour le preſent, cette grande Babylon, cette
#ere des paillardiſes, puis qu'apresvn ſigrand § de ſaincteté, & vne
ſilongue profeſſion de la Religion ſaincte, elle a faict banqueroute à ſa
foy; & s'aueuglant § , s'eſt volontairement precipitée dans
destenebres palpables d'ignorance & d'erreur, adultere quia quitté ſon
ºgitime eſpoux & ſouuerain ſeigneur,pour eſpouſerlesfantaſques reſue
- liesd'vn ſeducteur. - - -

: Les fondateurs de ſavoiſine Chalcedó pourroientbien auoir mainte


ºntleurreuanche, carontient qu'Apollon eſtant conſulte par ceux qui
onderent Bizance ou Conſtantinople, (car ce n'eſt qu'vne meſme §
apres † les Megareenseurentbaſty Chalcedon,en quelendroitils baſti
ºlentleurville, foracleleur reſpondit A L'oPPosITE DEs AvEvGLEs,
qualifiantainſiles M egareens,quiauoient obmisvnetelle commodité de
,
: ºeschoſes,à ſçauoir la place où Conſtantinople eſt maintenant aſſiſe,
†choiſirvnlieu pire, & preſque ſans nul profit, tel qu'eſt celuy où eſt
ºdon,mais maintenant qu'elleeſtlaretraicte desDemons & detout
H
ºir ;--

|| -

58 Le Triomphe
eſpritimmonde,elle qui ſelon Nicephore Gregor.li.4. eſtoitappellée le
- miracle du monde,lanouuelle Rome, & la floriſſante : ne la pouuons
# nous pas dire toute pleine d'obſcurité: -

O vous ſaincts & doctes perſonnages, quine reſpirez quelagloire du


«
Seigneur arbres floriſſans, qui deſirez faire gouſtervos fruicts à toute la
-,' Chreſtienté,venez enter dans ce croiſſant le ſigne de noſtre Redemption,
comme elle a paru autres-fois au ciel, ſur la ville de Capha : l'eſtoile qui
eſtoitau deſſoubs,tefmoigne la ſplendeur & lagloire que vous deuez ti
:
§
rer de ceſte lumiere de lafoy que vousyferez reſplendir:
-
car ne plus ne moins que ces Mages quivindrentadorer le Sauueur, plus
| illuminez parvne croyanceinterieure, que parl'eſtoille qui les conduiſoit
, quin'en eſtoit que le ſymbole, & furent les premiers docteurs qui enſei
gnerent aux Gentils qu'ils deuoient croirel'Incarnation du Fils de DIEv:
\

Vous-ſerezauſſi, à cette gent Infidele, ſur le declin du monde, d'autres


Sages quiles meinerôt,non ſeulement en Bethlcévoir ce DIEv fait hom
me, mais encore iuſques au ciel,iouyr de la gloire de cet homme DIE v.
Eſai. 13. Venezplanter cette enſeigne colonnelle ſur cette montagne obſcure : l'hyuer com
| mence à s'ypaſſer, & deſia quelques odorantes fleurs nousy preſagentvne
aſſez belle moiſſon. Il y-a cent cinquante-huict ans qu'elle rouſſe ſoubs
|j
l'obſcurité d'vne petite parcelle de lune, faictes-y § reluire le

Soleil de iuſtice, qui diſſippe tous ces nuages, & tous les queces
ombresy ont apporté: afin que ſon ſainctnomy eſtant glorifié,& la puiſ
Eſai, 6, ſance de ſon ennemyterraſſée, il face voiràl'vniuers, qu'il eſt le ſeulgrand
·.-- & vnique Seigneur.Surmontez-les comme vn autre Gedeon au iour de
V.
Madian,ly&ſesſoldats briſerentleurspots deterre,&auec lalumiere de
leurs lampes mirent enfuitte,& exterminerent leurs ennemis,n'eſpargnez
".
point vos corps, † celuy de noſtre ſouuerain,iln'yeſtriendemeu
ré d'entier, depuis le ſommet de la teſte iuſques à la plante des pieds. Si
vous auez faict preuue devoſtre valeureuſe conſtanceaux autres contrées,
| |

--
celle-cy eſt le lieu oùvous deuez proprement eriger vos trophées. Vous
n'acquiſtesiamais couronne plusilluſtre, carvous ne meriterez-pas ſeule
ment la couronne ciuique pourauoir ſauuévncitoyen, maisl'obſidiona
-
le commevaillans capitaines, quiaurez ſauué pluſieurs citoyens , puis que
tousles Chreſtiens militent ſoubsvnmeſme chef, & que ceux qui ſont en
-'a
graceſont vrays citoyens de la ſaincte cité. Ainſi la fragrante odeur de vos
vertus, & la ſplendeur de voſtre doctrine puiſſe eſpouuenter tellement
ces peuples circoncis,quefuyanslevice &l'erreur,ilsviennétenfin preſter
le ſerment de fidelité† l'enſeigne dugrand Roy, ſe repurgeans dans
--

les eaux du ſainct Bapteſme. Vous † que lors qu'on bruſle vn


ſérpent en la campagne, cela ſe faict auec vne pierre ouauecvnbaſton:
mais IE s vs-CHR Is T n'eſt-ilpaslapierre, & la Croixlebaſton ? & Ma
-•
Deircit exul homet n'eſt-cepasvnvray ſerpent, puis que ſaloy ne parle§ de gour
#ºººis mandiſe, & de luxure,vices couſtumiers à cetanimal.Terra
- ez doncauec
Ecriſ. 47.
cettepierreiettée ſans mains,lesrodomótades de ce Goliat,auſſibiélesſer
- - pens
de la Croix. - 59
penss'enfuient quandlavigne eſt en fleur, rappellez cet Ephraim, cet oy
ſeau de paſſage,auec cette piece de chair enſanglantée, & faictes voir à ce
grandMonarque, qui commevnautre Roy deTyr ſe mire en ſes richeſ
ſes, & prendtelle complaiſance en ſàgrandeur, qu'il penſe eſtre comme
le cœur de D1E v,c'eſtàdire tout entendre ſans eſtre enſeigné de nul,qu'il
perira comme ce Roy ſuperbe, s'il ne recognoiſt ſon ſouuerain; comme
au contraire,ileuiterales rigoureux chaſtimens de la toute puiſſanteiuſti
ce, qui ſont pres de tomber ſur ſa teſte, la multitude des iniquitez de ſa
domination, eſtant paruenuëiuſques au ciel.
fauxCar cette folle&preſomption,
Prophete, c'eſtcedecliné
de tous ceux quiont qu'ilatiré demain en main
delaiuriſdiction de ſon à†º
duTout ominable
des plus grads
puiſſant, ainſile premier homme, Nembrot, Nabuchodonoſor, Ceſar, †º 2 la terre.

Caligula, Neron, Domitian, & vne infinité d'autres princes, & entre
ceux-meſmes qui ont faict profeſſion de lavertu, ou dela ſcience; l'vn &
l'autre, les atellementeſleuez par deſſus eux-meſmes (comme vn Pytha
goras, Empedocles,Apollonius Thyaneen, & vneinfinité d'autres)qu'ils
ont tous creu pouuoir ſubſiſter par eux-meſmes, ce qu'ont deſiré ſçauoir
Adam & Eue, qui ſçauoientnaturellement laſcience del'honneſte,del'v #
tile,
D1Ev & de
delectable,
ſçauoir ce mais
ſecretnon pas ſeulement
là, non celle de leur
deeſtre, n'appartenant
ſoy-meſme, mais auſſiqu'à §eſſio,
de ſçauoir.
toutes creatures, auſquellesil eſt totalement deſnié.Voyla pourquoy le
lus meſchant de tous les hommes, à ſçauoirl'Antechriſt, le ſouſtiendra
à cor&à cry, d'autant qu'il ſe dira eſtrelevray DIE v. Le monde corrom
pufiniſſantainſi parce moyen comme il acommencé, tant la viciſlitude
deschoſes eſtadmirable.Mais puis que nousvenons de parler d'vne ville
dUX ſeptmontagnes : ie veux encore faire icy vne remarque, qui ne ſera

Pointinutile ny peut eſtre malagreable au lecteur.


layditcy-deſſus que Romea eſté la Royne des nations au temps de l'I
dolatrie, Conſtantinoplenouuelle Rome,s'eſttrouuée en mainvnepa- .
reilledomination ſoubs l'Hereſie, car c'eſt proprement la ville capitale de #"
toutesles Hereſies du monde, puis que, comme nous auons remarqué †
uelques Me- -
§
ºy-deſſus,MahometacompoſéſonAlcorá,de tout ce qu'ilyauoit § ſubiect. ſur ce
UlS

meſchant en toutes les ſectes de ſon temps.Mais Hieruſalem n'eſt-elle pas


*uſſiappellée en Hieremie,Thren.C. Damedes natiôs,n'eſt-elle pas ſcituée º
ºmeaunombrildela terre, & les nations à l'entour d'elle,ayans,comme
ditſainctHieroſme,l'Aſie en l'Orient, l'Europeau couchant, au Midy la
lybie & l'Affrique, au Septentrionles Scythes,l'Armenie, la Perſe, &c.
lais n'eſt-ce pas laville aux ſept montagnes des Oliues, Erogé, Bezetra,
º,Caluaire,Salem,ouAcra, & Moria : Etn'eſt-ce pas en elle quel'An
ºchriſt doitacheuer la Cataſtrophe de cette cruelle tragedie encomman
ºedepuis ſi long-temps contre l'Egliſe ? carſainct Cyrille, ſainct Hilai Cath. 12.in Luc .
- - - - -

rº,lainct Gregoire,ſainct Hieroſme,Aimoauecvngrandnombre desan-§


- 4. - '. - - _ (1 , in -

†,tiennent que ce meſchant doit prendre origine des Iuifs, de la race #


°Dan, s'eſleuer parmy les Iuifs, commencer ſes merueilles parmy eux, #.
H ij • • • 7J#:
-

«,
| 6o Le Triomphe
. les aſſembler, & venir en Hieruſalem, pour rebaſtir leur temple, pour y
tenir ſesaſſiſes, & là ſe faire adorer comme DIE v. A quoy peut-eſtre ne
L'Antechriſt -

|| ,† ſe rapporte pas trop mal ce qui eſt dit en l'Apocalypſe II. que cette ſaincte
-
cité doit eſtre foulée aux pieds parles nations, l'eſpace de quarante-deux
-
#. mois,terme de l'Antechriſt, & que les deux grands Prophetes enuoyez
--
duTres-haut pour preſcher la ſaincte doctrine,y doiuent eſtre mis à mort
- parluy.Car l'Apoſtre dit notamment que ce doit eſtre en cetteville,où leur
-
Seigneuracſtécrucifié.Joint qu'il eſt dit qu'ilſe doitſoir au lieuſainci,&auquel
tous les Roys & les peuples feront ioug De ſorte que les trois villes les
plus renommées du monde, ce ſont celles quiauront le plus trauaillé l'E
#-gliſe
ebres a iept de D1Ev : à ſçauoirl'ancienne Rome en ſon enfance, Conſtantino
- - - -

• • §& ple à ſon progrez, & Hieruſalem à ſon berceau, & à ſa fin : toutes trois
conſiderations $o A

-
§ayans ſept montagnes, toutes trois fort-grandes,fort ſuperbes,fort riches,
- 5 - - - x -

en ſcituation de commandement, quiauront faict flechir le colà la meil


leure partie des nations, & qui ont toutes trois perſecuté cruellement le
Fils de DIE v, l'vne en ſa propre perſonne, les autres en ſes membres.
Mais cecy ne doit pas eſtre paſſé ſoubs ſilence, que toutainſi que le diable
conſpira fa mortauec toute l'ignominie dontil ſe peut aduiſer en Hieru
| |
ſalem, qu'enlameſme ville,le meſme Fils de D1Ev fera perirparl'eſprit
de ſa bouche, cet abominable que Satans'efforcera de tout ſon pouuoir
d'agrandir & de le faire bander contre luy. Luy qui ſera ſi temeraire que
-

de ſe ſeoiraulieu ſainct, enlacité ſaincte,qui ſelon le docte Villalpandus


a eſtétenuë pour le Paradis de D1 Ev, & en laquelle ville le diable s'eſt
voulu quelques-fois faire adorerparle fils de DIE v, & cet homme en
diablé † meſme Fils de D1 Év, & en cette meſme ville, où l'vn &
l'autre auronteſtévaincus parl'eſpritdeſabouche. ·
Ce ſera proprement en cette Hieruſalé que s'accomplira en terre cette
Prou. 3.y.35.
Prophetie quelesSages poſſederontlagloire,& quel'exaltation desfolsſeraigno
minie,ville toute teincte du ſangdetant de Prophetes, de Martyrs, & du
ſacreſainct du meſme Fils de DIE v, quia eſté ruinée de fond encomble
ourauoir faict mourir le Fils de DIE v, & quiperira de nouueau en ſon
' !
-
nouueleſtabliſſement,pourauoirreceu pour Meſſie le plus meſchant de
tous les mortels: c'eſtoit ce que cette Sageſſe eternelle leurauoit propheti
: ſé, qu'ils en receuroientvn quiviendroit enſon nom,c'eſtà dire ſans miſ
-
| ſion, & qu'ils le reiettoient † quivenoitau nom de ſon Pere : car ſelon
ſainct Hyppolite, & pluſieurs autres peres, ce meſchant fauoriſera les
Iuifs, leurredreſſera haſtiuement leurtemple, & eux le tiendront, voire
le forceront à ſe declarer leur Roy. De ſorte qu'il aſſemblera, autour de
ſa perſonne, les Idolatres, Iuifs,Mahometans,'& les Chreſtiens infide
les, § beſtes predites en l'Apocalypſe chapitre vingtieſme, auecleſ
quellesilfera tous les rauages § dans les liures ſaincts, empeſ
chant ſurtoutes choſes, qu'aucun des ſiens n'vſe du ſainct caractere de la -
Croix, mais d'vn autre qu'illeurbaillera.
Car ce meſchant faiſantvne alluſion à ce qui eſt dit aux Cantiques 8.
Al1et;
de la Croix. - 6I
· Mets moy(ditl'Eſpoux celeſte, parlant à ſon Eſpouſe) comme vn ſignacle
Prou. 18.
ſurton cœur, & comme vn ſignacleſur tes bras, l'Eſprit ſainct faictvnealluſion
,aux troupeaux qu'on marque de quelque caractere qui repreſente lenom
de leurs maiſtres, mais pluſtoſtpour luy dire † en vſe cóme de cho
ſe ſienne, d'autant que chacun dipoſe de ſon ſecret repreſenté parle ſceau
\ſt
f#
« ! ſur le cœur, pour teſmoignage de familiarité, & cachete ce que bon luy
| | ſemble,auec ſon cachet qu'on portoit anciennement au doigt, marque
/
d'authorité, comme ſiceSouuerainSeigneur vouloit direaux ſiens qu'il
eſt tout à eux, pour en diſpoſer comme bon leur ſemblera, & qu'encore
u'ils ſoient ſes eſclaues, que neantmoins illeurveut faire iouyr de toute
† de felicité & de liberté, par les ſecrettes faueurs qu'illeur communi
que & leur permet d'vſer de ſon authorité, parles miracles qu'ilfaictiour
nellement.Ainſil'Antechriſt ſçachant bien que ce qui afflige plus les meſ
chans c'eſt le remords qu'ils ont de leur meſchanceté, & que cever qui les
ronge malgré qu'ils en ayent,leur eſt vnbourreau continuel, afin qu'ils
perdent,diſ-ie,toute honte, & qu'effrontementilss'abandonnent à toute
ſorte de meſchanceté; il fera qu'ils porteront au front ſon caractere, qui
leureffacera toute pudeur,afin ques'abandonnansàtoutes ſortes devices,
ils ne ſe puiſſentiamais retirer del'eſclauage auquel il les aura reduits. Et
quant à celuy des mains, c'eſt afin que toute action deſpende de luy, per
mettant à quelques-vns pourſagloire propre de faire quelques preſtiges
qu'on tiendra pourvrays miracles,afin que diſans qu'ils les font en vertu
de cecaractere, chacun deſire del'auoir, & commettre apres toute ſorte
de mal, ſans eſpoir de repentance, d'autant que ſelon † dire du Sage ;
Lemeſchant qui e# paruenu à la profondeur deſespechez, les meſpriſe, Et comme
diſoitl'Apoſtre, ils ont tué l'eſprit : mais le grand ſecret de ce meſchant
ſeraprincipalement pourles empeſcher de ſe ſigner de la marque de no
ltre Redemption, à ſçauoir de la ſaincte Croix, dit le bon pere ſainct
#phrem, en ſon traicté de la conſommation dumonde, où il dit que cet
· homme de perdition ne fera pas grauer ſon caractere ſur toute ſorte de
mébre,de crainte que celane ſoit trop faſcheux à ſupporter,mais ſeulemét
ºuftont &àlamain, de peur quel'homme n'ait la † de ſe ſigner du
ſignedeCHRIsT,& qu'il ne puiſſeimprimerſurſonfront le redoutable
&ſainctnom de DIEv, & laglorieuſe & formidable Croix du Sauueur,
Carlemalheureux cognoiſtraaſſez que toute puiſſanceluy doit eſtre oſtée par lim
Preſſion de la Croix du Seigneur. Voylapourquoyil marquera l'homme à ſa main
ºre , d'autant qu'auec icelle nous marquons nos membres, & principalement le
ſºnt, dautantqu'ilporteen hautleſigne denoſtre Sauueur en forme de chandelier
$iqu'au diſcours de ce ſainct, on peut remarquer vne notable loüange
qu'ildonne au ſigne de la Croix,(luy quiviuoit dans le quatrieſme ſiecle)
* #quel'Antechriſtlaredouteratellement qu'ilfera remarquer le front
-
-

· #la main, de peur que perſonne n'en face le ſigne, craignant de


On Empire parleſigne de la Croix; car ceux qui ſe rangeront ſoubs ſon

| "gne,(eſtanslaplusgrande part hypocrites,eomme à celuyquieſtve
H iij
l]ſ -

62 Le Triomphe
ritablemét leur Roy)nepouuansauoir IEsys CHRIST pour chef,quieſtle
:
rádennemy de la diſſimulatió;ilfaudra de neceſſité qu'ils recognoiſſent
'Antechriſt qui doit auoir tous les deux viſages, tât de ceuxqui cótreferót
i,
les hübles, que de ceux qui ſous pretexte dereformation, renuerſent tout
| ordre,& neſe ſouciét que d'eſtablir leur fataiſie.Voyla pourquoyilneluy
ſera pas difficile de leur faire prendrel'accouſtumance de faire ce ſigne,au
uel enverité ils n'ont pointcreu.S.Hyppolite,lequel nousau6s cotté cy
:
§ s,eſt d'opinion que le n6 quiſera grauédans ce cachet,& ce caractere
|
ſera le mot,Arnoumai,c'eſtà dire,ie renoce,à ſçauoir le Createurducielc9 de
laterre, le Fils de DIE v crucifié,le Bapteſme,la Religion,c9 m'adioinéis à toy &
tecroy : & à laverité cette confeſſion de foyimprimée en lan 16o3. n'en eſt
guere eſloignée, car partoutonytrouue ces mots : Ie deteſte, i'abhorre,
aulieu d'vſer de celuy de, Ie croy, comme on doit faire en vne profeſſion
defoy : car là on deteſte la neceſſité abſoluë du Bapteſme, on abhorre la ſainčte
Meſſe, la Presfriſe, linuocation des ſaincts Anges cº des Sainéts, la venera
tion des Images, c9 ſur tout de la ſaincte Croix, & meſme leſigne d'icelle, De
dicaces de temples, Purgatoire,prierepour les morts,proceſſion & Letanie deteſta
ble (ce ſont leurs mots) repentance deſeſperée, e9 ſatisfaétion des hommes pour
leurs pechez,iuſtification par les auures, & vne infinité d'autres choſes ſain
• º-
ctes par eux deteſtées & abhorrées, eſtans comme ils diſent,maintenant en
| -
tierement reſolus de la verité, ce qui eſt ce me ſemble bien tard, & cette Re
ligion eſt bien moderne, pourauoirtant remué le monde, & cauſé tant
|! de deſordres, de maſſacres & de confuſions, comme ellea faict par toute
la Chreſtienté : s'eſtans bienaduiſez ſur le tard,de ſe trouuervneforme de
Religion, & c'eſtauoir demeuré long temps en ſuſpens en vne affaire ſi
-:
importante que le ſalut, dangereuſe marqueàlaverité, & fort conforme
à celle de l'Antechriſt : DIE v leur faſſe la grace de ſe recognoiſtre, afin
-
qu'ayás deſia preſchéla doctrine de ce meſchant, ilsn'adherentauſſi quel
ques-foisàluy, eſtans ſi conformes en pluſieurs choſes. \

Mais les laiſſans abhorrer & deteſter le ciel & la terre, toute ordre &
| toute authorité Eccleſiaſtique, & tout ce qui eſt de plus ſainct & venera
: ble parmy nous. I'aime mieux me ſeruir de ce que dit ce ſainct deſia alle
| gué, c'eſt qu'apresl'extermination de ce deteſtable, le ſigne de la Croix,
11
depuis l'Orient iuſques en l'Occident, ſe monſtrera reſplendiſſant par
deſſus la clarté du § , & ſignifieralavenue du Iuge, & ſon apparition
--

euidente pourrédre àvn chacun ſelon ſes œuures.(Tout cecy ſoit dit tou
tes-foisauec condition de me ſoubſmettre à tout ce qu'ilplaira à la ſaincte .
| l' * -

Egliſe d'en deteriminer & d'ycenſurer)Mais deuât que de clorre cettepe


tite diſgreſſion de l'Antechriſt, cecy n'eſt pas d'inutile remarque, que le
, diableau commancement du monde n'oſant pas ſe faireadorer parl'hom
i me, quivenoit toutfraiſchement de ſortir des mains & de la preſence de
| ſon DIE v, il luy perſuada l'amour de ſoy-meſme, & ſon adoration :

† , luy mettant en auant qu'il ſeroit comme DIE v. Depuis les


ommes s'eſtans addonnez à toute ſorte de mal, & ſe trouuans fort
- eſloignez
de la Croix. . 63
eſloignez deleurorigine, le diables eſt # adorer par mille inuentions
d'Idolatrie, & voyant les Idoles parterre,ila de nouueau portél'homme, s . Satan
autant qu'ila peu à l'amour de ſoy-meſme, iuſques à luy faire imaginer †e
u'il eſtoitvn DIE v, (car comme ſa premiere intention ſoit de ſe faire "
recognoiſtre del'homme pour ſouuerain : la ſeconde, c'eſt de deſtourner
de toute ſa puiſſance les creatures raiſonnables, de l'adoration du grand
· quellamort
DIE v, afin eſt
queentréeaumonde,
tout ſe perdeauecluy.)
& pourEtlequel
c'eſt ceprincipalementlemon-
peché notable, par le A

de finira : Hommes, dit l'Apoſtre, amateurs deux meſmes plus que de D1E v:
auſſiappelle-ill'Antechriſt, homme depeché, non ſeulement à cauſe qu'il
ſera extremement deſbordé & remply de toutes ſortes devices,mais à cau
ſe de ce péchénotable, de ſe dire D1 Ev, & le Redempteur des hommes
comme il fera, & d'autant que ſoubsl'apparence de vertu, ilabyſmera en
tant qu'illuy ſera poſſible, l'vniucrs dans l'iniquité. -

| Voylacomment les choſes finiſſent touſiours par où elles ont com


, mencé, & comment la Croix ſera touſiours victorieuſe contre le diable,
contre les Hereſies, quil'ont touſiours combatuë;contre Mahomet, &
faſecte, & contre l'Antechriſt, & voyla comment le Chreſtien emporte
ratouſiours lavictoire, en vn brasfort & eſtendu,diſoit le Prophete,comme
vn autre Moyſe, àlors principalement qu'il doit combatre contre Ama
lech,àſçauoir contre le diable. · · - -

Oſaincte & ſacrée Auriflame, toute empourprée du pretieux ſang de


monSeigneur, reſplendiſſante eſchelle de Iacob, parlaquelle les dons de
lagrace deſcendent en nous, & lesames des predeſtinez remontent pour pluſieurs
• - - - • -
† figu
cſtrebien-heureuſesau ciel! verge de Moyſe, qui deuorez les ſerpens#*
d'Enfer!Verge d'Aaron, fleurie & verdoyante, toute parſemée de fleurs, #.
& defaueurs de grace : Morceau de boys de Mara, qui adouciz nos plus
ºuellesafflictionsaumilieu denos plusgrandesamertumes ſerpent d'ai
º,vnique medicament du peché mortel, verge trempée en ce doux
miel,àſçauoirdans le ſang de mon Sauueur, quieſclaircis non ſeulement
ºyeuxſpirituels, mais les cœurs des croyans, puiſſante maſchoire, auec
laquellenoſtreinuincibleSanſonatriomphé de ſes ennemis, Chariot du
$ºndloſeph, parlequelilſe faictvoirtriomphant del'Egypte, à ſçauoir
ºumonde, & chariot d'Helie, ſur lequel le Monarque du ciel & de la
ºsenleue à ſon Pere,admirable hameçon quitiretoutaprestoy que
#diray-iepoints ou pluſtoſtauec quels termes repreſenteray-ie les bene
ºreceus parton moyen ? Si ie regarde le ciel, c'eſt toy qui en faisl'ou-'
†ure : ſiie me repreſentele Lymbe, tu entirelesames des ſaincts peres,
*deſtruictsl'enfer:ſiie regarde à droict, i'yvoy lagrace; ſiàgauche, i'y
Vºylaremiſſion des pechez: ſi on parle des peines, tu es la plus doulou
ºſè: ſidehonte,la plus ignominieuſe: ſi de myſteres la plus profonde,ſi
, de Pºix,laplus iufte,ſi de charité,la plus ſaincte, ſi de triomphe, la plus
Sºieuſe,ſidemerite,la plus infinie; ſid'exemples, la plus parfaicte : que ,

ºlheureux eſt celuy quimeſpriſe le ſecours de voſtre ſacré ſigne en ſes

>
|
-

| " i .

| |
|| | | 64- Le Triomphe de la Croix.
|| | l Damaſc. li. 4. actions, en ſes afflictions, majs ſurtout en ſes tentations, puis que vous
de org.fid. eſtesl'armure,le bouclier & le trophée contre le diable,le cachet quiem
i
#
, l # |
# *
| | |
eſchele deſtructeur de nous attaquer,le releuement de ceux § t6
-

! • † le ſouſtenement de ceux qui ſont debout, l'appuy des malades, la


.; # # verge des Paſteurs,la conduite de ceux quiſeconuertiſſent,la perfection
|
, " :
|
de ceux quis'aduancentàlavertu,la conſeruation de lame & ducorps,l'a
uerſion de tous les maux, la conciliation de tous biens, deſtruction de
-

• : !
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l, ' '
# !
peché,racine de reſurrection,& finalementbois devie eternelle.
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Obſeruations
E T

R E MAR Q V E S
plus notables de la prouidence
D E D I E V:

EN L' A C C R O I S S E M E N T D E L A
Domination des Princes Othomans, & decadence
de l'Empire Grec, & autres Seigneuries
qu'ils poſſedent à preſent.
' Sur l'Hiſtoire des Turcs de Laonie Chalcondile, eAthenien.

Par A R T v s T H o M A s, ſieur d'Embry, Pariſien.


-
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|
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4.
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| O B S E R V A T I O N S E T
R E M A R Q_V E S P L V S N O T A B L E S
DE LA PR OVID EN C E D E D IEV, EN
laccroiſſementdela Domination des Princes Othomans,
e9 decadence de l'Empire Grec, & autres
ſeigneuries qu'ils poſſedent à preſent.
9 OMB 1EN que l'Hiſtoire ſoit comme vn beau
parterre, dans lequelles plus rares eſprits viennent
* † quelque delectable recreation, & ſe ra
reſchir de leurs labeurs,pourlagrande varieté des
# # § diſcours, & l'agreable diuerſité des rencontres
## quisyretrouuent, quicomme vne trompette re
# # vices,redonnelavie, & tire les morts du tombeau,
) ſonante delaloüangedesvertus, & du blaſine des

pour annoncer aux viuans quelle doit eſtre leur


conduitte en toutes leursactions : ſi eſt-ce qu'on
peut dire qu'ilyena quelques-vnes entre autres, où pour la § IC

petition de casſemblables, & d'ouyrtouſiours dire qu'on pille, qu'on cap


tiue, qu'on ſaccage, qu'on deſerte & qu'on mettout à feu & à ſang;l'eſprit
s'en ennuye & ſe rebutte, & le cœur ne peut autrement qu'il ne ſe ſerre de
triſteſſe & d'ennuy, devoirl'homme ſi mortelennemy de ſoy-meſme, que
arvndeluge de feu & de ſangiltaſche d'exterminer ſa nature. Or ſiiamais
iſtoireafaictvoir ce que ieviens de dire, c'eſt celle desTurcs; car comme
toutyretentit de toutes parts,aubruit perpetueld'vn † des armes,
& queleur pieté & leur vertu ſoit à dompter & deſtruire les nations, ony
ºtiouue auſſi rarement des actions morales & politiques, par le moyen
deſquelles la vie humaine & ciuile puiſſe eſtre enſeignée,l'ame embellie,
&le iugementfortifié,ſi ce n'eſt en ce qui regarde le meſtier de la guerre.

Quefera doncle lecteur Chreſtien quila lira, & qui ne s'amuſe pas à pcr
deletemps ſurvnliure,mais quiveut entirer du § & du profit, & qui
dailleurs n'a pas d'inclinationaux armes ? Mais ſur tout, l'homme porté à
pieté , quiverrales ennemis de ſaReligion, s'accroiſtre & s'eſleuer en ſi
Pºdetemps, & auec tant de proſperité, quel contentement tirera-il de
ºlecture ſinon comme vnautre Eſdras ſe plaindreau Souuerain de la
# I ij
68 Obſeruations ſurl'hiſtoire
miſerable captiuité d'Iſrael, & par vn excez de zele, franchiſſant parauen
turelesbornes dureſpect qu'il doit à ſa ſaincte Maieſté , branſler en cette
ferme croyance qu'il doit auoir en ſa ſaincte Prouidcnce & iuſtice, s'il n'eſt
addreſſé par quelque conduitte ? -

Afin doncque cette lecture ne ſe face point ſans contentement & vtili
té, & tout § que les abeilles, qu'vn chacunpuiſſe du thirſ de cesamertu
mes enformervn doux & delicieux mield'inſtruction ;ie deſire parvnere
cherche particuliere desactions plus notables qui ſe peuuent remarquer,
tantenl'hiſtoire de Chalcondile, qu'enlacontinuation que i'ayadiouſtée,
fairereluire en public,les beaux traicts del'eternelle Prouidence,& deſare
doutable iuſtice,parl'accroiſſement del'Empire des Turcs,& la decadence
de celuy des Grecs, acheminant par ce moyen les plus incredules iuſques
dans le Sanctuaire de latres-ſaincte Diuinité: ce qui ſera cauſe de faire, non
ſeulement conuertir cette lecture prophane en pieté; mais encore par vne
meditation hiſtorique fera toucherau doigt, & en peu de paroles,ce quiſe
retrouue de plus remarquable, parla cognoiſſance qu'on aura en vninſtant
de l'origine, du progrez & de la fin de chaque choſe. Ioinct que les Turcs
entre leurs erreurs plus notables, tiennent queleur Religion ſe doit planter
arlesarmes, commeila eſté dit au diſcours contre Mahomet; & voyant
† affairesſibien proſperer,ſe fortifient de plus en plus en cette croyance.
De ſorte qu'il ſemble que D1Ev les fauoriſe au preiudice du Chriſtianiſ
me. Pour donc fairevoir clairement la fauſſeté de cette opinion, & que ſe
In Pſalin. 54, lon le dire de ſainct Auguſtin : le meſchant vitafin qu'il ſe corrige, ou afin que le
bon ſoit exercépar luy, & que cette innondation de peuples quis'eſt reſpăduë
ſur l'Europe, depuis trois censtant d'années, n'eſt enuoyée que comme vn
fleau, commeiadis les Egyptiens, Aſſiriens, les Medes & les Perſes, †
le chaſtiment du peuple de DIE v,lequelenfin,ſelon le dire du Prophete,
Exech. 39. y. 3. briſera larcen la maingauche de Gog, & luyfera tomber lesfeſches de lamain droi
éie : & iettera en fin le tout au feu (ſi eux-meſmes ne ſe retournent à luy de
tout leur cœur)reſſentans plus auviflarigueur de ſa iuſtice, d'autant qu'ils
en aurontabuſé. -

Car bien que ie confeſſe les Turcs eſtre auſſi entendus en l'art militai
re, que peut-eſtre nation qui viue auiourd'huy par l'vniuers ; ſi eſt-ce
que la lecture de cette hiſtoirea peu faire voir iuſquesicy, & fera encore cy
· apres, que leurs plus grands exploicts, ſe ſont executez lors que les Chre
ſtiens eſtoienrles plus diuiſez,ayans pluſtoſt ſurmontélesvilles & les pro
uinces par multitude, que par vertu, & bien ſouuent ſans coup ferir De
ſorte que partout reluitlaiuſtice Diuine contre lameſchanceté des peuples
ſurmontez, & la ſageſſe de ſa Prouidence, enl'expulſion desvns, & enl'e
ſtabliſſement des autres, Car encore qu'il ſe puiſſe dire que les Turcs ne
ſoient pas plusgens debien que ceux qu'ils ontreduits § les gra
ces toutes-fois qui ſont largement departiesaux Chreſtiens, & qui ne ſont
point communiquéesaux autres,donnét quelqueaduantageaux Turcs,car
§ le regard des cruautez qu'ils ont exercées contre les Chreſtiens, c'eſt-là
8o
echaſtiment que ie deſire faire voir.
Et
de Chalcondile. 69
Etd'autant quel'hiſtoire de Chalcondile eſt diuiſée d'auec la continua
tion,ilſemble bien raiſonnable que les meditations en ſoientauſſi ſeparées,
que iaymiſesapres le diſcours, contre les erreurs de Mahomet, afin que
toutes choſes ſe peuſſent plus clairement & plus nettement iuger quandon
verratant d'ignorance, de cruauté & d'impieté auoirpris racine au milieu
meſme du peuple eſleu, & ce par vn homme perdu entoutes ſortes de deli
ces & devoluptez,ieveux dire Mahomet. Quant à la continuation de cet
tchiſtoire, le Lecteurtrouueradoreſnauant ces obſeruations, à la fin de la
viedechaque Empereur, afin que la multitude des diſcours, & la diuerſité
desaffaires ne luy donnaſtdel'embaraſſement, & ne luy fiſt perdre la me
moire des choſes quiyſeront remarquées,ſion les euſt miſes à la fin de tou
tel'hiſtoire, ce qu'on n'a peu faire dans le Chalcondile, pour n'auoir point
voulutrancher le fil deſon hiſtoire par cette diſgreſſion. Toutes leſquelles
recherches,ſe feront toutes-fois ſans curioſité, de crainte de raualler DIEv
iuſques à nous, & que voulans penetrer dans la profondeur de ſes iugemés,
nous nous perdions dans l'abyſme de ſon immenſité. Nous nous eſſaye
rons ſeulement ſurles choſes que nousaurons en main, & ſur les occurren
ces de l'hiſtoire, pour nous pouuoir rendre pluſtoſt meilleurs que ſça
lldllS. - -

| Pouriuger doncplus nettement duprogrez des affaires des Turcs, il ſe


faut reſſouuenir de l'eſtat auquel eſtoient les affaires du Leuant, & quels
eſtoient les peuples Chreſtiens, quiiouyſſoient lors de ces contrées, lors
qu'Aladin, duquel Chalcondile fait mention au chapitre troiſieſme du
premierliure,(car ce fut par luy que le biſaieul d'Othoman fut aduancé)
Cetilluſtre & genereux prince Godefroy de Buillon, lavaleurincompara
bleduquels'eſtoit renduëautantredoutable parmy les infideles,pourauoir
conquis enl'eſpace de quatre années, la Lycaonie, Cilice, Cappadoce, Pa
phlagonie,Syrie, Meſopotamie,Comagene, la Paleſtine, la Iudée & les
| villes d'Antioche & deTripoly, mais ſur tout celle de Hieruſalem; pour
laquelle le ſainctvoyage auoit eſté principalemententrepris : commeil s'e
ſtoitacquis de bié-veuillance entreles ſiens pour ſa ſinguliere vertu & pie
té,quiluyauoit fait proſperertoutes ſes entrepriſes, filtmourir auſſi parſa
mort, tout le bonheur de ceux quiluyauoientaſſiſté en ſes conqueſtes: car
§
tants'en faut que ſes eſgalé, que Baudouin quiluy ſucce
da, encore que ce fuſtvngrandguerrier,trouua toutes-fois aſſez de choſes
àdeſmellerauecles Patriarches de Hieruſalem,touchant les droicts Eccle
ſiaſtiques,l'vn deſquels Patriarches en eſcriuit à Boeſmond Prince d'Antio
chepourentreprendre ſa cauſe contre le Roy Baudouin,lequel toutes-fois
nelepeut ſecourir,carilfutpris priſonnierdes Infideles.Il eut encore quel
ques querelles contre Tancrede Prince de Galilée, quis'appaiſerentneant
moins incontinentapres.mais cela cependant donna autant de relaſcheaux
Mahometansdesarmer&taſcher de recouurerles places que nous auions
conquiſes.
Car enfin nos diſſenſions vindrent en vn tel periode, principalement
i ºubs Baudouin quatrieſme du nom, & ſixieſme Roy de Hieruſalem, cha
I iij
7o Obſeruations ſurl'hiſtoire
cun diſputantlaregence du Royaume,à cauſe dubasaage de ce Prince,tan
toſtvn Milon de Plancy,ores Guy de Luſignan, & puis le Comte de Tri
poly,que quelquebon † ce Prince euſttaſché dyapporter, #
qu'ilfutvenu en aage,toutes-fois le party de Luſignan eſtant le plus fort,
cöme ayant de ſon coſté les grands Maiſtres desTempliers, & la meremeſ
me duieune Baudouin cinquieſme dunom, couronné Roy du viuant meſ
me de Baudouin quatrieſme, laquelle on dit auoir eſté ſi deſnaturée que
d'auoirfaictempoiſonner ſon fils enl'aage de ſept mois, pour faire tomber
la couronne entre les mains de ſon ſecond mary Guy de Luſignan, ſe faſ,
chantd'eſtre ſimplement nommée mere du Roy, mais voulantauſſi portér
le titre de Royne, qu'elle corrompit le Patriarche & le grand maiſtre des
Templiers, qui auoient tres-grande authorité en cet eſtat : De ſorte que
Guy fut couronné Roy, le propre iour que le petit Baudouin fut mis en
terre . - -
Le Comte deTripolycependant,quiaſpiroitaugouuernement,voyant
ſon ennemy en poſſeſſion de la couronne, & que Boniface Marquis de
Montferrat & Roy de Theſlalie, luy auoit amené en perſonne vn nota
ble ſecours, ſe deffiant de ſes forces, ſa paſſion le porta, non ſeulement
à s'allier de Saladin, mais encore de renoncer ſa Religion, & ſe faire
Mahometan , toutes-fois il feignit depuis des'en repentir,afin de faire per
dre entierement les Chreſtiens deuantTyberiade, comme il fit, & depuis
fut cauſe de la priſe de Hieruſalem, & de ſaville meſme de Tripoly, mais il
ne le porta pas plus loing, carayant perſuadé lesTripolytains de ſe rendre
au Soudan : ils eurent cette propoſitionentelle horreur, que dés le lende
main ils reſolurent de forcer ſesgardes, en intention del'aſſaſſiner, mais ils
le trouuerent ſuffoqué dans § uant à Guy de Luſignan, il fut pris
priſonnier, & la Royne Sybille mere du petit Baudouin, & le Patriarche
de Hieruſalem, contraincts de ſortir de Hieruſalem & de s'enfuir, lesvns à
Tyr, les autres à Antioche, perdans ainſiiuſtement les vns & les autres, ce
qu'ilsauoient conuoitéauectant d'iniuſtice.
Voyla les moyens qui faciliterent à Saladin, les grandes conqueſtes
quu fit ſurles Chreſtiens, & qui luy meirent en poſſeſſion cette ſaincteci
té conquiſeauectant de labeurs & de ſang de tous les Chreſtiens, & princi
palement des François, D1Ev ſevangeantainſi de ceux qui abuſans deſon
ſainct nom, & des lieux les plus ſacrezdel'vniuers, § , ſoubs pre
texte qu'ils combatoient contre les infideles, qu'ils deuſſent eſtre ſuppor
tezentoutes choſes : commeſiſaſaincte Maieſtéauoit plus de beſoing d'v
nenation que d'vneautre, ſinon en tant qu'elle execute ſa ſaincte vol6té; &
commeſiceux qui ſont appellez & ſe diſent la gent ſaincte, & le peuple eſ
leu, auoit § priuilege ſpecial de commettre des crimes impune
ment, le rendans en ce faiſantaccepteur des perſonnes, ce quine fut & ne
ſeraiamais,au contraire celuyquireçoit le § , eſt obligé auſſi de rendre
dauantage, c'eſtoit donclàl'eſtat des Chreſtiens du coſté delaPaleſtine, &
petite Aſie. |
Mais les Grecs n'eſtoient pas enmeilleur eſtat, car la perfidie de Manuel,
qui
de Chalcondile. - 71
uiauoitfaictvenir les François & Alemans (pour le moins fut-ce ſoubs
laſſeurance qu'on eſperoit en ſon appuy, & en ſon ſecours) pour rabattre
lorgueildes Mahometans, & faire rompre & eſmouſſer la pointe de leur
courage aux deſpens du ſang & des labeurs d'autruy,quandlesvns & lesau
tres paſſerent parſon pays,au lieu de les aſſiſter, il empoiſonna les farines
qu'illeurfiſtbailler.De ſorte que la meilleure partie de leursgens morts de
miſere, firentvnlong& peniblevoyage dutoutinutile, ſe retirans pluſtoſt
, pourlacrainte qu'ilsauoientdela perfidie des Grecs, que de lacruauté des
Turcs, eſtabliſſans en cefaiſant pluſtoſtlesaffaires des Mahometans, qu'ils
nelesruinerent, eſtans doreſnauantaſſeurez, que nulne les pourroit trou
blerenla poſſeſſion de leurs conqueſtes. 4.

Quantauxautres Empereurs Grecs qui ſuccederét à ce Manuel,les hiſtoi


tes nous apprennent que toute cette race des Comenes fut touſiours ſimal
daccordenſemble,que Andronique fiſtmourir Alexis,& Iſaac l'Ange An
dronique le plus ignominieuſement que iamais Prince ait finy ſes iours:
Iſaacd'vnautre coitéy perditlesyeux, que ſon frere Alexis luy fiſt creuer,
&apresconſtituer priſonnier,& eſtant § apres parles Latins, qui reſta
blirent Iſaac & ſon fils,lequel ayant apres eſté eſträglé par Alexis Marzulle,
lEmpire Grectomba entre les mains des Latins,enuoyez là pourchaſtierla
perfidie, malice & inſolence des Grecs, qu'ils eurent touſ ours pour com
† Laſcaris quiſe diſoient eſtre deſcendus des Comenes,iouiſ
oient dela meilleure partie desterres de cet Empire : de ſorte que routes
cesdiuiſions coniointes auec celles que les Latins meſmes auoient entre
eux les Venitiens voulans commander & auoir le ſpirituel, comme les
François & Flamansauoient le temporel, parl'induſtrie, ou pluſtoſt parla
perfidie & rebellion de MichelPaleologue, qui durant laieuneſſe de Iean
Laſcarisſefiſteſlire Empereur des Grecs,&mettre le pauure pupille enſeu
regarde il reconquiſt ſur Baudouin ſecond, la ville de Conſtantinople;
contraignant Baudouin ſecond du nom pour lors Empereur, de ſe retirer
enItalie, mariant les ſœurs de Laſcaris, #vne à vn ſimple Gentil-homme
François, &l'autre àvn Geneuois,à condition de les emmenerhorsle pays
- † auoirplus aucun enla Grece, de la race de ſon maiſtre, & faiſant
creuerlesyeuxaupauure Iean Laſcaris ſon ſeigneur : il s'allia des Aragon
nois,pour la crainte qu'ilauoit de Charles Roy de Sicile, quiauoitle droict
cedédel'Empereur Baudouin, ſi bien qu'il fut vn des principaux inſtru
mensdesVeſpresSiciliennes,chaſſantle
uoriſerle party de Laſcaris. Patriarche Arſenie qu'ilvoyoitfaN,

, Cecyeſtencore remarquable, que ſoubs le # de Theodore Laſca


ris,ayant faict quelques menées pour s'emparer de l'Empire, comme il ſe
vid pourſuiuy parſon ſouuerain, & qu'il n'y auoit aucun lieu de ſeureté
† lesſiens, & que d'ailleurs il § de mort les Latins,ilaima mieux
°retirerverslesTurcs ennemisiurez de ſa Religion & de ſon pays, & tou
#-fois ayanteſté rappellé par Laſcaris, ilreuintaugrand dommage de ſon
:ſibien que le premier de cette race de Paleologue ayant eſté nourry
Parmyles Turcs, ne faut trouuereſtrangelesalliances qu'ils eurent depuis

72 Obſeruations ſurl'hiſtoire
aucc eux,& ſiiuſtementils perdirentapresleur Empireiniuſtementvſurpé
parles forces de ceux meſmes qu'ilsauoienttant de fois recherchez, mais
de cecyplus particulierenent cy-apres. - ·· .· " .
Adiouſtez à tout cecy,le ſchiſme des Grecs,les ſectes & Hereſies quire
gnoient parmytoute l'Aſie, Ie parle entreles Chreſtiens & leurvie deſbor
dée, & vous trouuerez qu'ils meritoient iuſtement que ce puiſſant Prince
Aladin,laterreurdel'Orient, & le fleau du Tout-puiſſant, pour chaſtier
tous ces peuples,ſe rendiſtſeigneur del'Eg pte, Paleſtine, Iudée, & de la
meilleure partie del'Aſie,auec de fort debiles fondemens, ayant fait teſte
à noſtre Roy Louys, ſurnomméle Ieune, & àl'Empereur Conrad,leſquels
perdirent plus qu'ils negaignerentaux entrepriſes qu'ils eurent contre luy:
s'eſtant (commevnautre Alexandre le Grand)eſtably vne Monarchie,que
ſes Capitaines ou Satrapes partagerent apres luy entre leſquels fut Ortno- .
gules pere d'Othoman. - -

Mais cela eſtcncore digne de remarque, & ſertàces conſiderations, que


nous faiſons delaiuſtice Diuine,de ſçauoir qu'en Italielamiſerable faction
des Guelphes & des Gibelins,eſtoit en ſa plus grande ſureur,les Empereurs
& par conſequent l'Alemagne, contre les Papes, & les Papes contre les
Empereurs.Trois Antipapes ſe trouuent ence ſiecle,Theobald, ou Cele
ſtin, Pierre Leonis, ou Anaclete, Octauian,ouVictor quatrieſme, & plu-.
ſieurs Hereſiarques s'eſleuerentauſſi pour lors : entre autres les Petrobruſ
ſiens, Arnoldiſtes, Faux-apoſtoliques, Adamites, Vaudois, Enſabatez,
Albigeois, Cottereaux, & pluſieurs autres : l'Angleterrearmée contre la
France, à la ſuſcitationd'Alienor,femme repudiée de Louys le Ieune,pour
ſon impudicité,ſous pretexte toutes-fois de proximité, & quiauoit depuis
conuolé en ſecondes nopces auec le Roy Edouart † Ainſi de
quelque coſté qu'on puiſſe preſqueietterlesyeux ſur la Chreſtienté, on n'y
voit que troubles, diuiſions, factions, ſchiſmes, hereſies; & par tout vne
vie fort mauuaiſe & ſcandaleuſe & indigne du nom Chreſtien.Ne trouuez
donc pas eſtrange ſi vous voyez Saladin proſperer, car il fit paroiſtre à ſa
mort qu'ilauoit enſon erreur meilleure cognoiſſance de ſoy-meſme, que
ceux qui ſe diſent eſtre ſibien enſeignez;carilvoulut qu'on portaſt par tou
tC § du Caire aubout d'vnelance, le drap dans lequel il deuoit eſtre

enſeuely, & qu'on criaſt à ſon de trompe que, Saladin dompteur de l'Orient
m'emportoit de ce monde queceſeullinge, cette conception eſt plus braue & pro
fonde qu'elle ne paroiſt. - -

Le temps d'Aladin examiné, ilfaut maintenant voir celuy d'Othoman,


le chef& la tige des plus mortels ennemis du nom Chreſtien. Les Grecs
eſtoienttellement paſſionnez enleurſchiſme, que par deſpit de ce que Mi
chelPaleologues'eſtoit ſoubſmis à l'Egliſe Romaine, ils le laiſſerent ſans
honneur de § & depoſerent leur Patriarche qui ſembloitfauori
ſeraux Latins Ques'ils eſtoient diuiſez en leur Religion, ils ne l'eſtoient
Li. 1.c.5. Pas moins enleur eſtat, de ſorte qu'ils furent containcts d'appelleràleurſe
cours les Italiens & Aragonois, pourle mauuais meſnage qui eſtoit entre
leurs Princes, Andronique levieil, &Andronique leieune,le filsà ſçauoir
* º. . COI1tIC
• !
de Chalcondile. 73
# contre ſon aieul,lesTriballes ou Bulgares auſſi contre lesautres Grecs,& les
| Theſlaliens contre leur Empereur. .
Quantàl'Italie, elle eſtoit ſi diuiſée, que le Pape Clement cinquieſme
· nypouuant demeurerenſeureté, fut contrainct de transfererleſiege Papal
| de Romc en Auignon : quifutenuironle meſme temps, du premierpaſſa
ge desTurcs en Europe(ce † eſt fort à remarquer) quiy firent le rauage
rapportéparChalcondile,aulieu ſus-allegué : encore les Grecs furent-ils
: cauſe,parleur perfidie, qu'ils rauagerent laThrace,& quelesArragonnois
& Italiens pour ſemblableraiſon, firentlemeſine en la Bœoce.
#! La France ne ſouffrit pas moins auſſi pour le changement de Princes, &
, lesdiuerſes menées qui ſe faiſoient enl'eſtat, parles Anglois.La vie deſbor
# dée desTempliers & leurs impietez, ne doiuent pas eſtre paſſées ſans con
)- ſideration; eux qui ſe diſoient comme le bouleuert de la Chreſtienté con
· treles Infideles,& quiauoiét pris enleurgardele lieule plus ſainct qui fuſt
|! aumonde.Que ſi quelques-vns ont dict qu'on leur en auoit fait accroire,
)l toutes-fois le chaſtiement exemplaire qui cn fut faict, & l'extermination
# detout cet ordre,faitaſſez iugerqu'ils eſtoient coulpables de la meilleure
# partie de ce dontils eſtoient accuſez.
:- Lagrande &vniuerſelle peſtilence quiauintauſſil'an miltrois cens qua
- rante-huict, monſtreaſſez combien ce ſiecle eſtoit meſchant, car encore
# † ne ſoit pas arriuée du temps d'Othoman, toutes-fois elle faictcon
equence delavielaſciue queles hommes menoientà lors; car cette peſti
|! lencefut vniuerſelle, laquelle ayant pris commencement aux Indes, s'e- 1

|! ſtenditiuſques en Alemagne, France,Angleterre,&aux autres nations ſi


liſ ! # emportalamoitié du genre humain, apres laquelle il s'enſuiuit vn
uxdeſangextraordinaire, vneaduſtion du ſacré feu, quiconſommoit lº#.
chairiuſques aux os,meſmecelle des corps morts.Et ence meſme ſiecle naſ- # *
quit & mourut S.Roch,duquel § lamerueilleuſe puiſſance (pour #u. .
cettemaladie)futignorée,& ceiuſques enl'an 1414.au Concile de Conſtä
ce,où les Peres eſprouuerent premierement la force de ſon pouuoir.
Orlapunition fait conſequence d'vn delict precedét,&principalement
quand § eſt vniuerſelle, auſſi auons-nous veu ſoubs Aladin, & depuis
loubs Othoman, enqueleſtatviuoit lameilleure partie del'vniuers,& par
ticulierement l'Europe.Deſorte que pourlavie deprauée, & pourleboul'ºn a»nes.
leuerſement de tant d'eſtats les § ſaincts perſonnages § creurent #s .
quel'Antechriſt deuoit venir,& de faictaurapport du Cardinal Barronius,
, ceftoit vne opinion toute vulgaire , & † qu'vn ſainct perſonnage
i nomméNorbert (duquel ſainct Bernard eſcrit à vn Eueſque de Chartres)
# . ditl'auoirentendu de ce ſaincthomme, qu'il preuoyoitvne grande perſe
l5 cuti6 CIl l'Egliſe : car ſelon le meſme Barronius, c'eſtoit la couſtume desan
# : ciens, derapporteràl'Antechriſtles trauaux & les tyrannies quel'Egliſe de
# uoitſouffrir, & àlaverité, celle de ce miſerable exceptée,ilnes'en eſt point
:- yeudeplus grande que celle que lesTurcs(vrays precurſeurs d'iceluy ) ont
, *
L• ºct& font ſouffrir tous les iours au peuple de DIE v, toutes les autres
# n'ayans eſté que pourvnteps & parbouttades,mais celle-cy a duré depuis
:: - - K
74 Obſeruations ſurl'hiſtoire
4oo.ans ſans intermiſſion, ſans conter les cinq ou ſix censansauparauant
ſoubs les Sarraſins,ce que nous pourrons voir † ſuite de cette hiſtoire. .
Orchan ſecond Empereur desTurcs, ſucceda à ſon pere Othoman, &à
ſes victoires, car ilconquitla Bithynie, & la celebre cité de Nicée ſur les
Grecs, mais pourquoy nel'euſt-il point faict, puis qu'Andronique Paleo
· logue,lequelnousauons ditauoirfaictlaguerre à ſon aieul, regnoit pour
lors,auquel futiuſtementrendu ce qu'il auoitmerité,car en mourantillaiſ
ſavn fils en l'aage de douze ans, auqûelilbailla Iean Catacuzène, homme
riche & degrandeauthorité entre les Grecs, pourtuteur, lequel s'empara
del'Empire,ſoubs l'authorité de ſon pupille, & pours'eſtablir enſonvſur
pation,il donna ſa fille à Orchanes, pour en tirer du ſupport comme il fit
durant ſavie, inuention recherchée & prattiquée ſouuent par les Turcs
pour s'emparer des Prouincesauecquelqueapparence d'equité. -

· Or, comme c'eſtl'ordinaire de peſcheren eau trouble, les Bulgares, du-.


rant les diſſentiós des deux Androniques, & la nonchalante vie du vieil,s'e
ſtoient emparez de pluſieurs belles Prouincas, comme il ſe void au chapi
tre ſeptieſme, mais Soliman qui, ſelon noſtre Autheur, leur vint faire la
guerre,leur en eſcorna la meilleure part, leur faiſant rendre ce qu'ilsauoient
vſurpé. -

Deux choſes ſont encore remarquables enlavie de ce Prince,l'vne que


l'Empereur Iean Paleologue fit allianceauec luy, les Chreſtiens introdui
J. P,
C.
ſans ainſile loup dans leur bergerie : l'autre c'eſt que quelque tempsauant
ſamortilauoitreſolu de rendre aux Grecs, ce que luy & ſesanceſtres leur
auoientvſurpé dans laThrace,moyennant ſoixante mille drachmes, mais
comme ils eſtoient pres de blocquer, ce grandtremblement de terre, qui
abbatit les murailles des villes § vn ſigrandeffect, D1E v
voulant fairevoiraux Grecs, parce miracle, qu'ils eſtoient indignes d'vnſi
grand bien. -

Iean Paleologue quiauoit le premier introduict les Turcs en ſon pays,


pour en chaſſer ſon tuteur, (lequel pour ſavie laſciue futabandonné des
ſiens, & contrainct d'entrer dans vn § ,receuantainſileiuſte loyer de
ſonvſurpation)ce Paleologue fitalliance auec Amurath, luy donnant ſa
ſœur en mariage,commeauſſi Suſman Deſpote de Seruieluyauoit baillé ſa
fille; les Princes Chreſtiens ſemeſlansainſi indifferemment enl'alliance de
l'Infidele, qui s'en ſçeut bien ſeruir parapres, par vniuſte iugement de
D IE v . - ' -

Mais pourl'hcure la iuſtice Diuine ſe remarqua en ce que Paleologue .


fut contraint de payertribut à Amurath, & ſetrouuer à ſa porte toutes-&
quantes-fois qu'ille mandoit pouraller à laguerre, luylaiſſant pouroſtage
vn fils,pour le ſuyurc en toutes ſes entrepriſes,& outre celaville de Galipo
li,c'eſt à direluy miſten main la clefde # maiſon.
Voyezmaintenant la conſpiration des deux enfans Royaux, Androni
(ſ.IQ, II. que & Saüz: Siles Chreſtiens ſe fuſſent lors bien entendus, n'eſtoit-ce pas
pourruiner la puiſſance desTurcs,non encoretrop bieneſtablis enl'Euro
Pe?mais ils ne le feront pas encore, cy-apres à meilleure occaſion, car
- - - meſmes
de Chalcondile. z5
meſmes ils laiſſerent prendre cette grande & floriſſanteville deTheſſaloni
que, ſans donneraucun ſecours,tantlesaffaires des Grecs eſtoientenmau
llalS tCl'IIlCS. -

· Au contraire desTurcs quiauoient non ſeulement lesarmes & le bon


heurenlamain,mais la prudence,la ſageſſe,lavigilance & laconduite,com
meilſe peut colliger de ce dialogue d'Amurathauec Charatin.L'Eternelle
Prouidence ne commettantiamais quelqu'vn pour executervne entrepriſe
qu'elle ne luy donneauſſiles moyens d'envenir à chef : car ſi le Lecteur
veut prendre ſoigneuſementgarde,ilverra que † icyles Turcs n'ont
laiſſépaſſer aucune occaſion de faire leurs affaires, ſe ſeruans touſiours de
touslesaduantages quileurvenoient en main;au contraire des Chreſtiens,
quinegligeoient tout.Eux rarement en querellelesvns contre les autres,&
ceux-cytouſiours en diſſention : ceux-là touſiours le harnois ſur le dos, &
lesarmes en lamain pour conquerir; & ceux-cy ſoubs l'ombre & le cou
uert, viuans en delices pourſe deffendre : ceux-là derechef touſiours eſ
ueillez pourmettre tout à feu & à ſang; ceux-cy touſiours endormis pour c. ;
leſteindre,quiauoient quelques-fois des deſirs de remuer commeil ſe voit
auPrince Emanuel, mais ils n'auoient ny equipage , ny conduite pour exe
cuterleurs deſſeings; c'eſt ce quei'auois à remarquer de la vie d'Amurath: .
carpour le regardduvoyage del'Empereur Paleologue en l'Italie & en la
France, cela aduint du temps de Baiazeth.
Ce pauure Prince donc ſe voyantreduit en ſi mauuais eſtat, par ſa faute,
&ſereueillant trop tard de la profondeignorance quil'auoit ſi †g-temps
detenu, cognoiſſant d'ailleurs que ſes reins eſtoient trop foibles pour ſup
porterlefaix d'vneguerre contrevnſi puiſſant Prince,s'en vintàrefugeaux
| ltaliens,puis aux François,† eſtoient les vns & les autres aſſez empeſchez
chez-eux,ſans penſerauxaffaires d'autruy,mais voyez comme laiuſtice Di
uine chaſtie ce pauure Prince † auoitau commencement misſon appuy
ſurles chariots d'Egypte : carileſtarreſté parlesVenitiens : ſon fils aiſné ſe
reuolte contre luy,lequel toutes-fois pris priſonnier, ce miſerable eſtant
eſchappé, &rapportant commevousauezpeuvoir,ſaliberté & laguariſon
deſesyeuxàvne aſſiſtance particuliere de la Diuinité, pour faire proſperer
ſesaffaires,aulieu qu'ilauoit eſté choiſy pourvn fleau : finalement s'eſtant
tendu tributaire,&amené ſes ennemis contre ſa propreville,pris priſonnier
ſonpere & ſonfrere; finalementeuxs'eſtansliberez de leur priſon, comme
sils euſſent iouéaux barres, ils vont auſſi à refuge à Baiazeth, luy offrans
plusgrandtribut que I'autre : la fin recompenſa iuſtement vn chacun : car
Andronique quis'eſtoit reuolté, fut priué de ſa dignité: & luy qui auoit
flechy § lesTurcs, & contractétant de fois auec eux, eſt contrainct de
aſſerlereſte de ſa vie à la ſuitte de Baiazeth priué de ſon Empire; encore
ent-ils traictez trop doucement, pour eſtreſideſnaturez & indignes du
: ººmChreſtien, d'auoireſtéauectant de courage contrevneville leur ſub
53 º, & quineleurauoit point rendu de deſobeïſſance, & ſon frere Ema
nuel quis eſtoit rendu ſicharitable fils enuers ſonpere,fut recompenſé de
#mpiredeConſtantinople, comme tributaire toutes-foisduTurc.
K ij

,
76 Obſeruations ſurl'hiſtoire
Mais en parlant des Chreſtiens,il n'yapoint de danger de fairevoirque
ſionvſe de tellevangeance contreleboisverd, que celuy qui eſt ſec & ari
de eſt bien digne d'eſtre mis au feu : Ie dy cecy pour Baiazeth,lequel ſe fai
ſantappeller # foudre du ciel,croyant qu'iln'yauoit puiſſance quiluypeuſt
l. 2 c.3. eſtre eſgalée, la diuine iuſtice qui vouloit auſſi prendre vangeance des
Turcs,quiauoient tant de fois ſi inhumainement traicté les Chreſtiens,
permit que Baiazeth s'attaquaaux autres PrincesTurcs qui eſtoientenl'A
ſie, & que les priuant de leurs heritages, ils fuſſent contraincts d'auoir re
coursàThemirouTamerlan, pourl'inciter à rabattrel'orgueil de l'Empe
reur Turc, comme il ſe diracy-apres. -

Cependantle Lecteur remarquera comment & pourquoy fut † la


ville de Delphe, afin qu'il voye parces petits exemples pourquoy le gros
de la Greces'eſt perdu,tout eſtant depraué, à ſçauoir Princes, Preſtres &
Peuples. ·
Cette bataille auſſi ſi ſignalée de Nicopoli, bûla laſcheté des vns, & la
temerité des autres donnerentgain de cauſe à Baiazeth : que ſi ces petites
recherches permettoient de diſcourir au long de l'eſtat, tant des Princes,
conducteurs de cettearmée, que des peuples,onverroit # iuſtement la
victoire fut concedée à Baiazeth, & que ſi DIE v auoit à ſe vanger de luy,
il le feroit faire par vn Prince, à qui il en auoit deſia mis les verges en
main. - - -

Mais la miſericorde Diuine n'eſt-elle pas toute admirable au ſiege de


Conſtantinople qui dura dix ans : encore que ſelon noſtre Autheur, les
Turcstinſſent tous les enuirons, & qu'ilnereſtaſtaux Empereurs d'Orient
que la ſeule ville de Conſtantinople,ayant donné vn ſi long-temps de re
pentance & de conuerſion aux peuples, & encore les deliurant du ſiege;
ſans toutes-fois que celalesait incitez à changer devie,au contraire ils ont
touſiours eſté en empirant, teſmoing la vie diſſoluë du pauure Empereur
Calojan aueccettenouuelle eſpouſe qu'ilauoitrauieà ſon fils, paſſant tou
tes les nuicts à tenir le bal § complaire, elle qui auoit eſpouſé aupa
rauant vn ſeigneur Turc, les Empereurs de § ayans ſuiuy a
trace des Empereurs de Conſtantinople, auſſi en receuront-ils leur loyer
· en leur temps.
Lareuolte des Princes Grecs ne doit pas eſtre auſſi paſſée ſoubs ſilence:
carà quelpropos faire toutceremuëment, eux quin'auoient nulles forces
en main pourle maintenir : Il n'eſtoit pas temps de faire le braue, quand
lennemyauoit le piedſurlagorge: ilnefalloitpasl'auoirintroduit iuſques
dans ſon fouyer, & l'auoir ſeruyvolontairement comme eſclaue,pour puis
apresvouloir marcherdupairauecluy : Mais ils aiguiſoient eux-meſmes le
couſteau quileur deuoit couperlagorge: ils ſe perſuadoiét peut-eſtre qu'ils
ne ſeroientpas abandonnez des Princes Chreſtiens,eux qui de gayeté de
cœur auoient faictpluſieurs voyages en la terre ſaincte, Conſtantinople
eſtantſiimportante à tout l'Empire Chreſtien, mais les autres qui auoient
eſſayé † de deux cens ans, que cesvoyages ne leurauoient appor
téqucbeaucoup de peine &infinie perte, auoient perdu auec leur ſang la
pointe
· de Chalcondile. 77
pointe decedeſir. Les Italiens qui y auoient le moins contribué, & qui
auoient regardéiouerleieuaux autres, eſtoient neantmoins les plus refroi
dis, &bien qu'ils euſſent donné parole de quelque ſecours, leurs dilaye
menstoutes-fois firentaller ce ſecours enfumée.Quant à la France,le Roy
Charles ſixieſme eſtoitmalade de ſa maladie ordinaire, & chacun taſchoit
de faire ſon profit de cette indiſpoſition Royale; en Angleterre,tout eſtoit
ſans deſſus deſſoubs : le Roy Richardeſtant hay à mort de ſanobleſſe,l'Ale
magne eſtoit encombuſtion, pour les factions des Princes de l'Empire : &
la Hongrie eſtoitrauagée parles forcesTurqueſques.De ſorte que malgré
8D - - - - &©

eux,les Conſtantinopolitains furent contraincts de mettre leur eſperance


, en DIEv ſeul quiles deliura cettefois, parvn moyen,où ils nes'attendoient
pas; & de faictilyagrande apparence qu'ils euſſent ſuccombé, ſi ſa Maie
ieſté ſupreme n'euſt voulu chaſtier celuy qui ſe diſoit le foudre du
ciel.
Car au chapitre vnzieſme du ſecondliure,laville d'Argos priſe parvneº
frayeur Panique d'vn fantoſme, qu'eſt-ceautre choſe qu'vn notable cha
ſtiment ſurles Grecs, qui ſe mocquoient de leurs freres : ie veux dire des
Chreſtiens Religieux, les appellans Nazaréens, comme faiſoient auſſi les
Turcs, carils meritoient bien eſtreaſſubiettisaux Turcs, puis qu'ils tour
noient enriſée ce ſainctnom, comme faiſoient les autres, auſſiles verges ne
ſontpointretirées de deſſus leurdos,onchange ſeulemét de place, pourles
chaſtier: mais cette-cy eſtoitbiennotable,apres la ruine de cette floriſſan
te cité,d'enleuerainſi trente milleames toutd'vn coup, ces trâs-migrations
eſtansvn des plus ſeueres chaſtimens qu'on leur euſt ſceu donner, & du
quellesTurcs ont touſiours vſé &vſent encore tous les iours, ne rauiſſans
pasſeulementaux peuples leur pays & leur liberté, mais les priuans à iamais
dudouxair de leurpatrie, qu'ilsauoientreſpiréiuſquesà ce temps-là.
Quant à l'Ambaſſade que Themir enuoya à Baiazeth, pluſieurs tien
drontcecyàriſée,ques ces deux grands Princes ſe ſoient arreſtez aux diſ
cours d'vne robe, eux qui combatoient, & vouloient combatre pour
lEmpire & pourlaſouueraineté: mais c'eſt que cette ceremonie en eſtoit l.2.c.12.
lamarque entre les † : car celuy qui donne le veſtement à vn autre,
† qu'il eſt ſon ſuperieur, & † deſpend de luy : voyla
pourquoyles EmpereursTurcs ne font le plus ſouuent autres preſens que
derobes, quandils veulentgratifier † voulans dire qu'ils les tien
nent comme eſclaues, & que tout deſpédd'eux.Themir donc quiembraſ
ſoit enſon eſprit la cóqueſte de l'vniuers, & Baiazeth qui n'auoit † la pen
ſée moins eſleuée,prennenttous deux cecyau poinctd'honneur,l'vn qu'on
luyeuſt offerte ,l'autre qu'on l'euſtrefuſée : Mais la vanité de tous les deux
futbien rabaiſſee; car Baiazeth finit ſesiours envne miſerable captiuité, &
lautrefutcontraint de s'enretourneràlamaiſon plus viſte qu'ilne vouloit,
n'ayanteſté deputé, principalement dugrand D1E v, † pour le chaſti
ment de Baiazeth, luyayant pour cet effect mis en mainle Royaume de Se
marquantauecl'Empire d'Aſie, ſelon noſtreautheur ſans qu'illuy fuſtbe
ſoin de deſgaigner ſon cimeterre. -

K iij
78 Obſeruations ſurl'hiſtoire
Mais commeiln'auoit eſté enuoyé que pourchaſtierl'orgueil de Baia
zeth, & celuy des peuples qui eſtoient ſoubs ſon Empire (laiuſtice Diuine
l.3. c. !. vangeant parvn Mahometan,le mal que ceux de ſa ſecte auoient faict aux
Chreſtiens) Quandil voulut entreprendre des'agrandirailleurs, & faire la
guerre contre les Scythes, autrement qu'à ſon corps deffendant, il ſe vid
auſſi-toſt defauoriſé. De ſorte que ſoit qu'ilait entrepris ſurles Chreſtiens,
ou ſur les Idolatres, rienne luy a proſperé, pour le moins ya-il eu fort peu
d'aduantage,ie parle icy ſelon que Chalcondile deſcrit cette hiſtoire, car
ſelon celle quieſt enl'Eloge,les choſes doiuent eſtre autrement conſide
rées, mais l'opinion de Chalcondile eſt la plus vulgaire. .
Pour monſtrer encore que c'eſtoit principalement contreles Turcs,qu'il
eſtoit enuoyé, c'eſt que Tamerlan ou Themir ruina Sebaſte de fonds en
comble, taillant tout en pieces, iuſques à vn : or cette Sebaſte auoit eſté la
premiereville capitale de la domination des Othomans. Ie trouue encore
ſoubs cecy vnautre ſecret, c'eſt que tousles Chreſtiens qui auoient eſtére
duits en captiuité parlesTurcs, auoient eſtétranſportez en Aſie, leſquels
furent pour la pluſpart taillez en pieces par Tamerlan, tant la iuſtice diui
ne chaſtie ſeuerement ceux qui ont abuſé de ſes graces:car ceux quiauoient
plus de liberté que les autres,à ſçauoirlesTribales ſeruoient Baiazeth enſes
uerres, comme gardes de ſon corps, n'ayans point de plus fideles ſoldats
à faire laguerre contre leurs freres, tant la pluſ-part des Chreſtiens ont peu
de reſſentiment de Religion, & tantils font plus de cas d'vn peu de com
l.3.c.1o.
modité temporelle que de leur propre ſalut, mais ceux-cy en furent bien
payez, carils furenttous deffaicts en cette grande bataille que perdit Baia
zeth leurfidelité&valeuraeſté cauſe que les Empereurs Turcsſe ſont touſ
iours ſeruis depuis de Chreſtiens reniez pour la garde de leur corps, & prin
cipalement d'Européens, comme il ſe dira en autre lieu. -

Mais partoutl'onzieſme chapitre du troiſieſme liure: conſiderez l'im


udence & latemerité de Baiazeth, nonobſtant les ſalutaires aduis queluy
donnoit ſon Baſſa Abrahim, car au lieu qu'il auoit accouſtumé de faire
marcherſesarméesauec prudence & vigilance,celle-cyfut conduite ſans iu
gement, oùilyalloit de ſon eſtat & de ſa vie, & aux autres, où il n'eſtoit
queſtion que de s'aggrandir : ſa cruautéauſſi merite d'eſtre notée, au con
traire de l'humanité de ſon ennemy, qui ſe contente de l'honneur de la vi
l.2.c. II. ctoire, encore quelesTartares euſſent beaucoup de ſubicct de ſe vanger,
les leurs ayans eſtéſicruellement & deſloyalement maſſacrez enlaValaquie
apresauoir ſi bien ſeruy. -

Quantàlafin miſerable de Baiazeth, qui ne dira que c'eſt choſe horri


ble de tomber entre les mains du D1Ev viuant de voir vn ſi grand Mo
narque quicy-deuant faiſoit tout trembler deuant luy, reduit à vne mi
ſere telle, qu'il n'a trouué pour compagnon de fortune, qu'vn Empe
reur de Rome, nommé Valerian, quiſeruit auſſi de marche-pied à Sapor .
Roy des Perſes, comme on tient que Baiazetha faict à Tamerlan:lequel
comme vous voyez au chapitre treizieſme, pour confirmer ce que nous :
auons dict cy-deſſus,voulantentreprendre ſur les Chreſtiens,fut contraint |

de ſe |
de Chalcondile. ", 79
deſeretirer au logis : ie remarque encore que Baiazeth s'endurcit comme
, vnautre Pharaon en ſa propre miſere, parlant auecaudace à celuy qui lete
noit captif,laquelle ſuperbe fut cauſe de tous ſes malheurs : au contraire de
Themir, qui ſagemétrecognoiſſoit l'inſtabilité des choſes humaines,ſere
tirant de ſes entrepriſes , & faiſant paix auec les Indiens, leſquels l'auoient
neantmoins beaucoup offencé. Adiouſtez à toutes ces conſiderations le
plus grand effect qui arriuaiamais au monde en la deffaite de Baiazeth : car
ce que pluſieurs batailles ne deuoient pas donner à Themir, bien qu'il euſt
touſiours emportélavictoire! vne ſeule luy met ſon ennemy, & tous ſes
enfans entre les mains, & l'entiereiouyſſance de tout ce que les Turcs te
noient enl'Aſie, qu'ilsauoient conquis auectant de peines & en tant d'an
nées, DIEv voulant faire voir aux Chreſtiens qu'il pouuoit en vn inſtant
terraſſer leurennemy, & par leurs propres mains, s'ils euſſent voulu mar
cherſoubs ſon enſeigne, c'eſt à dire faire ſa volonté; mais il fallut qu'ilfiſt
naiſtre d'ailleurs vn homme qui fiſtcegrand coup & admirable à la po
ſterité: carbien qu'ils n'euſſent pas touſiours huict cens mille hommes, ſi
eſt-ce qu'ils en ont eu, auvoyage de Godefroy de Buillon en la terre ſain
cte,iuſques à ſix cens mille, & bien d'autres hommes que les Aſiatiques,
&endiuerſes rencontres, qu'ils ont euës en Hongrie;ils ont bien-ſouuent
combatu du pair, & ce qui eſt de plus ſignalé, e'eſt qu'encore qu'ils ayent
bien ſouuent §l victoire, ils n'ont ſceu s'en approfiter le fruict,
pour reconquerirſeulemétvne portion du pays qu'ils auoient perdu: mais
celaſeremarquera mieux cy-apres. -

Reſte maintenant devoir la fin de Tamerlan, homme qui auoit manié


lesarmes toute ſavie,& quiviéttoutes-fois finir ſes iours en ſamaiſon,paiſi
ble & envne grande viei leſſe:ieſçay bien qu'ons'arreſtera incontinent ſur
ſaviedeſbordéc.Mais outre que cette hiſtoire m'eſt ſuſpecte,commeayant
eſtéeſcrite parlesTurcs, ou parles Grecsamis desTurcs, de quiChalcon
|
dilela tirée, à la prendre toutes-fois àlalettre.Ie dy queThemir eſtoit Ma
hometan : &comme ona peuvoiraû diſcours contre Mahomet, cette loy
eſttoute charnelle : de ſorte qu'il n'y-a pas grand ſubiect de reprendre vn
TurcouvnTartare, d'eſtre § àvolupté, puis que laloy de laquelle il
faictprofeſſionl'authoriſe, & bien ſouuent la † commande, cela ne va
pas de meſme entre les Chreſtiens, de quila Loyeſttoute pure, & eux font
profeſſion de pudicité. Or la Diuinité ne chaſtie pas rigoureuſement en
cettevie pour ces crimes-là, ceux qui parvne fauſſe perſuaſion de
ſontemportezàdes conceptions contraires à la ſaincteté, ilrecompenſe l'I

dolatre,l'Heretique (qui fait d'ailleurs ſa charge,& ſeconduitiuſtement en
favocation) corporellement, ou pour le moins temporairement : mais le
Chreſtien, qui aſpire à vne meilleure & plus perdurable vie, ſpirituelle
ment & eternellement. Tamerlan doncques, qui auoit accomply cela
jſ
† onl'auoit employé, en receut benediction en ſes iours : Ainſi
ºsEmpereurs Veſpaſian & Tite, pour auoirvangé ſur les Iuifs la mort du
3 $auueurdumonde, en receurent pour recompenſe l'Empire Romain.
|

:
Vºylapourquoyonaveu lesTurcs proſperer, & les autres infideles, au
8o Obſeruations ſurl'hiſtoire
contraire des Chreſtiens, qui ont faict & feront touſiours malleurs affaires
auec eux, s'ils ne ſe retournent de tout leur cœurvers leur Seigneur; les vi
ctoires qu'on obtientſurles hommes eſtant vn chaſtiment, nonvnegrace,
mais le Pere eternelne mettra point les verges en la main de ſes enfans re
belles,pourchaſtier ſes eſclaues,ains au contraireilfortifierale bras de ceux
cy,pour prendre punition des deſobeïſſances de ces ingrats,& cela eſtfort
a remarquer.
Ce grand D1Ev quiauoitcheminé contre les Chreſtiens auecdes pieds
delaine,entraau combat contrelesTurcsauecdesaiſles d'Aigle,& des bras
de fer; les ayans terraſſez comme vousauez peuvoir, & reduits en vne de
lorable miſere,vangeantainſila Maieſté de ſon ſainct nom ſur Baiazeth &
† ſiens, quiauoicnt mis toute leur eſperance en la force deleurbras, don
nant lieu aux Chreſtiens de pouuoir meſmes recouurer ce qu'ils auoient
perdu, & rentrer dans leurs anciennes ſeigneuries, s'ils euſſent ſceuſe ſeruir
del'aſſiſtance de ſa pitoyable miſericorde : mais au lieu de ſe ſeruir d'vne ſi
bóne occaſió,quileur auoit eſté cóme enuoyée miraculeuſemêt d'enhaut,
† ruiner entieremétl'ennemy commun. Les Grecs meſmes quiauoient
e plus d'intereſt à la cauſe, & ſurtout ceux de Conſtantinople,qui auoient
eſté à deux doigts pres de leur derniereruine,ſont ceux qui donnent les pre- .
miers du ſecours à Muſulman fils de Baiazeth, tandis que Myrxas, ou Marc
Ducde Valaquie, prent le party de Moyſe, luy donne appointemét & for
ces pour rentrer dans ſes terres, & dans ſon Empire : qui pourra donctrou
uereſtrange,ſiles Turcs ont depoſſedé les Chreſtiens, puis qu'ils ont taſ
ché eux-meſmes, & les ontaydez à s'eſtablirº Queſiiadis Iules Ceſar,apres
la bataille de Pharſale, voyant le grand nombre de corps morts eſtendus
dans le champ de Pompée,ne ſe peut tenir de dire en ſouſpirant.Ils lontainſi
voulu, cº m'ont contraint à ce faire. Le grand DIE v ne pouuoit-il pas dire
des Chreſtiens le ſemblable, puis qu'il leur amistant de fois les moyens en
main pourſe liberer de leur captiuité: deſquels au lieu de ſe ſeruir, les ont
conuertis contre eux-meſmes, à l'aduancement de leurs ennemis; car s'il
ne les euſt chaſtiez, & ſe fuſt touſiours comporté auec eux la main deſar
mée apres tant de graces qu'illeurauoit faites, n'euſſent-ils pas abuſé deſa
bonté & miſericorde? - -

La premiere faute del'Empereurfut de receuoir premierement Muſul


man apreslamort de Baiazeth, car luy & les autres Princes Grecs, deuoient
courir ſus contre lesTurcs, tous eſtonnez de leur ſecouſſe : la ſeconde faute
tant de luy,que des Bulgares & Valaques,futd'auoirpris le party desvns &
des autres, carils n'eſtoient pasaſſez puiſſans par eux meſmes, pour ſe re
mettre dans leur heritage : la § faute que fit cet Empereur, fut de
s'eſtreallié auec§ , en ce grand changement d'eſtat ; car cette allian
· ce, renouuelale droictapparentieux que le Turc dit auoir depuis ſur cet
Empire, & qui pis eſt, c'eſt que cette alliance ſe faiſoit ſans neceſſité, ayant
aſſez de moyens d'obliger Muſulman, pauure Prince,quieſtoit pour lors
desherité, ſans chercher de s'allier auecluy, au moins deuoit-il rechercher
tant de ſeuretez enrccompenſe de ſon ſecours & de ſon alliance, que cela
luy
de Chalcondie , - 81
luy deuſtſeruirà l'aduenir contre luy & les ſiens : mais ee peuple & leurs
conducteurs eſtoient aueu gles (auſſi eſtoit-ce là punition ordinaire †
donnoient à leurs Empereurs que de lesaueugler) Voyla pourquoy ilsai
merentmieux ſe precipiter dans lafoſſe, que deſehazarderà la deliurance. l.4 e s.
Mais remarquez encore que Muſulman s'en alloit leur quitter, ſans ſa §
tiuité,ce qu'ils deuoientdésle cómencement luy demâder, quil'empeſcha
juſtement, & cette deliberation fut peut-eſtre cauſe de ſa capture : car il
n'eſtoitpasraiſonnable que les Grecs rentraſſent enleur pays par le moyen
d'vninfidele, puis † nel'auoient pasvoulu faire parl'aydefauorable du
Tout-puiſſant qu'ilsauoientmeſpriſé: voyla pourquoy ils s'eſtoient ren
dusindignes
8D
d'vn ſi† bien. * 1 - • -
-

Apres cela conſiderez le chaſtiment des Bulgares, pour auoir embraſſé


, laquerelle de ceux qu'ils deuoient
tinople meſme,ſanslavaleur ruiner,Emanuel,
du Prince ce qui fuſtlequel
arriuéauſſià Conſtan
pour ſalaire de ſa l.4.c.4

magnanimegeneroſité & bonne conduite, en receutvnſalaire pire que ne


luy euſt faictleTurcs'ill'euftvaincu,tantilfaictmauuais s'employer pour
desgens qui ſont enſens reprouué, ce ſont malades † s'aigriſſent contre
leurmedecin, & des furieux qui maſſacrent ceux qui leur veulent ſauuer la
vie.Auſſitoute la puiſſance des Grecs ne s'eſtendoit qu'à faire dumalà leurs
amis, & de ſecourirleurs ennemis pourtouſiours ſe ruiner dauantage,com
me en voulantaduancer Orchan, & depuis Ioſué. -

Etàlaverité cettuy-cy eſtoit plus digne de ſecours que tous les autres,
puisqu'ils'eſtoitfaictbaptizer, mais ſicela euſteſté les Chreſtiens euſſent
eſtéenliberté, & ilfalloit qu'ils fuſſent chaſtiez plus ſeuerement qu'ils n'a
uoientpoint encore eſté,puisqu'ilsauoient accumulé de nouueaux crimes
ſurlesprecedens. - - -

Voicyencore vnc autre occaſion qu'ils eurent de bien faire leurs affaires
durant tous ces troubles & diſſentions ; mais au contraire ils eſleuerent
Mechmet premier du nom, iuſques ſurle troſne,quiàlaverité le recognut
Parapres mais#ncore les Grecs n'en firent-ilspastrop-bien leurprofit, & .
encore moins les autres nationsChreſtiennes:carenvnſigrand deſordre,&
changement de tât de Princes enſi peu de temps,apresvnſigrand debris il
nyanuldoute que chacun euſtrepris ſapiece,s'ils ſe fuſſenttous bien en
tendus, caron le remarque en ce Muſtapha, quis'eſleua contre Mechmet,
lequels'envintàrefugeaux Grecs,comme à ceux quiluypouuoientleplus
' ayder, & cependant tout ce qu'ils firent, ce fut de ſe reſtablir dans le Pelo
Poneſe, & de faire refaire la muraille de l'Iſthme.
Toutes-fois cela me faict voir que DIE v fauoriſoit encore les Chre
| tiens, & leurauoit donné cepeu de reſpit pour ſe recognoiſtre, veu meſ
melavictoirenauale qu'eurentlesVenitiens contrelesTurcsau deſtroit de****
Gallipoli,mais tout § touſiours de pis en pis, ſoit entre les Grecs & les
lºliens,eeſtoitauſſien ce temps queles partis d'Orleans & de Bourgon
$ºº,mettoient toute la Frâçe à § &à ſang,& que principalemét Iean Duc
ºBourgongneaccôpliſſoit ce queleNegromancienTurcauoitpredit de
luy,lors # fut pris en la § de Nicopoli par Baiazet, il dit àcet Em -*
82 Obſeruations ſurl'hiſtoire ,
pereur quile vouloit fairemourir, Gardemoy ceieune homme, quituera plus de
Chrestiens,queneſçauroitfaire ton armée : Et à laverité ce fut vn Prince vraye
ment né pourlaruine de ſapatrie, ſon eſpée n'yayant pas eſté moins cruel
le quele Cimeterre du Turc, au pays qu'il auoit conquis. Quant aux Ita
liens,les Venitiens & Geneuois, ſe ruinoient lesvnsles autres, & les Grecs
uin'auoient plus lesTurcs à combatre,recommencerent leurs vieilles diſ.
§ la quantitéd'enfans qu'auoitl'Empereur Emanuel,qüiache
uerent de iouer la cataſtrophe & derniere tragedie de cette Monarchie
Grecque. Ilfaut auſſi remarquer que ces Empereurs Grecs manioient le
ſpirituel & le temporel, eſtans Patriarches & Empereurs,ſiperdus & ſideſ
bordez commeils eſtoient, quia eſtéencorevne augmentation de maledi
ction ſur eux, ces deux dignitez ayans des fonctions ſi contraires les vnes
-
auxautres, quela Prouidence eternelle en doit eſtre continuellementado- .
rée, pourlesauoir ſi diſtinctement ſeparées en tous les eſtats & contrées de
· l'vniuers, & principalement enl'inſtitution de noſtre ſaincte Religion,fai
ſant rendre à DIE v ce quiluyappartient, & au Prince ce qui luy eſt deu.
Car encore que ſa Maieſté ſaincteaitl'authorité ſouueraine au ſpirituel &
au téporel,toutes-fois les Roys ſont eſtablisſes Lieutenans aux choſes tem
porelles : & les ſouuerains Pontifes ſes Vicairesauxſ† iene pen
ſe pas que nyl'vn nyl'autreſe puiſſentiamaisvnirenſemble, qu'auec la deſ
vnion & le deſmembrement de l'vniuers, parauenture lors quel'abomina
tion de la deſolation ſeraaulieu ſainct. Ces chapitres onzieſme & douzieſ
me, font cependantaſſez remarquer § Chreſtiens eſtoient lors
alienez deleurbon ſens; caraulieu de ſe maintenir & ſe fortifier contre les
accidens quipouuoientarriuer tandis † la faueur de cet Empereur Turc
leuren donnoitleloyſir: ils ſe bandent lesvns contre les autres à qui pis fe
roit,s'emparât chacun de ce qu'il pouuoit ſur ſon compagnon, ce qui ache
' ua de ruinertout : car ces vſurpateurs ſe ſentans foibles pour maintenir &
deffendre ce qu'ilsauoientvſurpé contre les plus puiſſans du pays,appelle
- rent lesTurcsàleur ayde, & leurs donnerent eux-meſmes entrée iuſques
dans leurs fouyers, ſe perdans eux & leur patrie pourvnearnbition § -

fut de bien courte ioye, caron leurfiſtbien-toſt laſcher priſe. .. ·


Et pour finir celiure & ce qui eſt de remarquable en la vie de Mechmet
premier dunom, ce ſont tous ces capitaines que noſtre Autheur nous cot
te particulierement, leſquels deuoient faire de grands faicts d'armes, ſoubs
lesregnes d'Amurath & Mechmet, car ce § en dit icy, ne ſont que leurs !
apprentiſſages, DIEv diſpoſantainſi les choſes de longue-main, pourfai
rereuſſir ſa volonté,au contraire des Grecs,à quiles chefs,les forces,l'argét,
les hommes, le conſeil, le ſupport, & ſurtoutl'vnion & concorde des vns
auec les autres leur manquerenttoutàlafois : deſorte auſſi que le reſte de
cettebelle Monarchie tombabien aiſement, eſtant ſi mal appuyée, & ſes
ennemis ſi puiſſans & ſi valeureux. . - -

· Les Grecs,aulieu de recognoiſtre les courtoiſies qu'ilsauoient receuës


de Mahomet, par la continuation de la fidelité enuersſon fils, prennent le
party de Muſtapha,contre Amurath,ſelon la couſtume de leur perfidie:car
- CIlCOIC
de Chalcondile. | 83
encores'ils euſſent eu des forces baſtantes pour ſouſtenir vne ſi haute en
trepriſe,ils euſſent, ſelon les maximes de quelques Politiques eſté dignes
de quelque excuſe (bien qu'on ne doiueiamais rompre ſans le ſignifier au
confederé,ce que les Romains & autres peuples bienpolicez ont touſiours
prattiqué) DIEv nebeniſſantiamais lesarmes du perfide.Mais de vouloir
ſansaucunes forces ſoubsvn certain pretexte, rentrer dans ce qui ſouloit
eſtreàeux, iln'yauoitnulle apparence dele repeter, ſans exciter de grands
troubles, & remuer des choſes qui deuoient tomber ſureux-meſmes, en
coresyconduiſirent-ils ſans prudence; car puis qu'ils auoient enuie d'eſle
uerce pauurebanny, & qu'illeurdeuoit ſa vie & ſa grandeur, n'auoient
ils pas moyen auparauant que de le remettre en pleine liberté, & l'eſleuerà
l'Empire, de luy faire conſigner Gallipoli, & les autres places qui leur
eſtoiét les plus importantes ? carapresentout euenement (les armes eſtans
iournalieres comme elles ſont)ils euſſent eu touſiours moyen d'auoir meil
leure compoſition, & pour le moins du temps & du relaſche pour donner
ordre à leursaffaires, mais ils fauſſerent leur foy, & s'acquirent vn puiſſant
ennemy, qu'ils euſſent peu conſeruer pouramy, s'ils euſſent pris les offres
qu'illeur faiſoit auecvnaduantage tout certain, pour prendre le party d'vn
Bandolier, quine leurpouuoit donner que du vent & des cſperances, ce
que § vieilEmpereur.Maisl'Empire Grec ſe deuoit acheuer
de ruiner par ſoy-meſme : de ſorte qu'il falloit que cela commençaſt par
ſon premier reſſort, tant en ſa mauuaiſe conſcience qu'en ſon impu
%$5 dence.
· Que ie remarque en deux choſes, l'vne pour n'auoir pas choiſy leplus l. 5.c.2.3.
iuſte & le meilleur party,l'autre de n'auoir pas ſçeu prendre ſon occaſion
enlafuitte de M uſtapha, des'emparer de Gallipoli,s'amuſant à ſesvolup
tez,au lieu des'armerpuiſſamment, & marcher en diligence contre celu
qu'ils'eſtoit declaréſiàlavolée, mettant par ce moyen ſa ville & ſon Empi
rcentres-grand danger, irritant de plus en plus Amurath, par le ſupport
qu'ils donnerent de rechefà Muſtaphaſon frere : de ſorte que pour l'auoir
tantdefois irrité, ils ne peurent plus traitter auec luy qu'auec des códitions
tres-deſaduantageuſes, perdans la ville de Theſſalonique, & eſtanscon
traincts de rompre leur muraille de l'Iſthme : où s'ils euſſent voulu viure
comme ils faiſoient du temps de Mahomet, & garder le premier Muſta
pha, cela obligeoit Amurath à les conſeruer quſſi & nourrir la paix auec
#ux, & encore pouuoient-ils, comme vous auez peu voir, laiſſer battre
loncle&le nepueu, & ſe declarer neutres auec
toutes ſortes d'aduantages:
mais iuſtement perdoient-ils leiugementaux choſes neceſlaires à leur con
ſeruation , puis qu'ilsauoient perdu la conſcience pour leur ſaluation. . , •

| Quantà §. dont parle icy Chalcondile, c'eſt vne inuention l.5.c.4.


Vrayement diabolique, & du tout indigne de l'homme, car de quel eſprit
Pouuoiteſtre pouſſé celuy, qui par vne profonde meditation ſongeoitàla
ºuine des hommes? & toutes-fois elle eſtvenuë des Chreſtiens, qui depuis
ºt bien ſenty combien elle eſtoit preiudiciable, car de tous les Princes
infideles,leTurccſt celuy quilamiſe le premier en prattique contre-eux,
· L ij
84 Obſeruations
-- , - ", )| • * -

ſurl'hiſtoire
& quil'a encoreauiourd'huy le plus en vſage , toute la Chreſtienté ayant
eſté preſque foudroyée par luy, & par eux contre eux-meſmes,parces bou
ches infernales : mais remarquez encore cettcinuention arriuée iuſtement
à la deſtruction de ce grand Empire. Et à la verité Conſtantinople eſtoit
imprenable ſans ces foudres terreſtres, mais Mahomet ayant appris à nos
deſpens comme ilenfalloit vſerſoubs l'experience de ſon pere Amurath,
il § ſentir qu'on auoit forgé le couſteau, duquel il deuoit couper la
gorge. . -

l. 5.c. 61 Laconqueſte del'Etolie,&lapriſe delaville Iohannine, & cette cloſtu


re de la muraille de l'Iſthme ſont des effects de l'imprudence de l'Empe
reur Iean, & quifut cauſe de toutlerauage quel'armée d'Amurath fiſt dans
le Peloponeſe. Et ſi encore les Chreſtiens ne peurent-ils demeurer en la
paix qui leur futaccordée par le Turc, pour reprendre vn peu haleine de /

tant de lourdes ſecouſſes qu'ils auoient ſouffertes,ains ſemirent à ſe faire la


guerrelesvnsaux autres, Grecs,Venitiens, Albanois, Italiens, iuſques à
ce que, comme nous dit Chalcondile,le Peloponeſereuint entrelesmains
des Grecs, pour eſtreincontinentapres liuréauxTurcs.
l, j. £ 7.
Ie croy que le Lecteurliſant ce chapitre,s'eſtonnera detant de mariages
en vnmeſme temps par cet Empereur Turc, mais c'eſtoit ſe ſeruir à propos
de la licence de la reigle de ſon faux Prophete : car par ce moyen les Mo
narquesTurcs peuuent prendretant de § qu'ils veulent, & faire des
alliances,deſquellesils font ſi bien leur profit,que c'eſt ordinairemétlefon
dement qu'ilsiettent, & le premier pied qu'ils mettent dans la prouince
u'ils † vſurper, & cenon § ſur les Chreſtiens, mais auſſi
§ leurs I'entends ſur les Princes de leur meſme Religion.
l, ;. 6.8.
Voicyles Bulgares quiauoienttantfaict des mauuais contre les Grecs,
quiauoient eſté en partie cauſe de la ruinedeleur Empire, & quis'eſtoient
meſlez tant de fois d'aſſiſter les ſeigneursTurcs, pour paruenir à leurgran
deur,aulieu qu'ilsauoient deu ſebandercontreºux pour leur ruine,quire
çoiuenten fin le ſalaire qu'ilsauoient merité : & ce qui eſt de remarquable,
ceſt qu'eux qui eſtoient tenus entre les plusvaillans, & quiauoienttant de
fois donné des preuues deleur valeur, n'eurent pas le courage de deffendre
leur propre pays au beſoing, ains le laiſſerent perdre auſſi laſchement
comme ils l'auoient † promptement.Cependant cette reuolte des
Albanois, qui ſemble ſi pleine debonheur du premier abord, ſe tournera
bien-toſt en pleurs & en larmes, & ce qui eſt de pitoyable, cette victoire
qu'ils eurent contrelesTurcs, fut vn commencement de leurs malheurs:
car s'en faiſansaccroire, ils ſe fierent plus enleurs forces qu'ils ne deuoient,
& ſe tenans malſurleursgardes, perdirent eux & leur paysàla fin.
Parmytoutes-fois toutes ces diſgraces les Chreſtiens receurent quelque
· conſolation, parles deſroutes des capitaines d'Amurath : car D1 Ev leur
ſuſcita cegenereux &vaillantCapitaine, cet autre Gedeon Chreſtien qui
fiſt, s'ilfaut dire,le premierſentirauxTurcs, qu'ils n'auoient point encore
combatu (pour en parler ſainement) contre des hommes en l'Europe, ou
pourlemoins contre des chefs qui ſceuſſent que ceſtoit que de lart Ua1IC:
mili
de Chalcondile. | 85
taire : mais cettuy-cy, outre ſa valeur, fut ſi heureux, qu'ilchaſſa les Turcs
deſonpays, & leur tint teſte, ſans qu'ils euſſent iamais aduantage contre
luy, qu'à la derniere bataille,comme nous dirons cy-apres.
Mais il faut cependant remarquerlegrand remuement de tous ces peu
les,Italiens, Geneuois,Venitiens, Napolitains, Milanois, & quelemeſ c. ro,
me ſe faiſoit en Hongrie contre les § , Boemiens, & Alemans:
en France la faction de Bourgongne, quiauoitintroduit les Anglois dans
le Royaume, & leurauoit mis en main les meilleures villes,voire la Cou
ronnemeſme, ſi DIE v par ſa miſericorde n'y euſt autrement pourueui
c'eſtoit pourlorsl'eſtat de la Chreſtienté, lors que les Turcs auoient chez
euxles plusvaillans capitaines, &l'vn des plusgrands Roys qu'ils ayent eu.
Le chaſtimétauſſi de ce Prince Napolitain,merite bien que le Lecteursyar
reſte,levoyantaumilieu de ſes † eritez perir miſerablement,& finir par
lachoſe qu'ilauoittant deſirée:la cruauté dupere n'eſt pas moins remarqua
ble, qui pour ſevanger de ſon ennemy, n'eſpargne pas ſa propre fille, tant
$ lhomme eſt hors de l'humanité, quandil eſt commandé par ſa paſſion: car
lamour fiſt expoſeràtoute ſorte de dangers, vn Roy & tout ſon peuple,
&mettreau hazard ſa reputation,&lavangeance fit oublieràl'autre,lacon
ſeruation de ſon ſang, & lamour naturelle que les peres doiuent porter à
leurs enfans. - -

Cesgrands remuemens apres que nous repreſente noſtre Autheur en


l'Eſpagne, & lesquerelles que ſes Roys auoient les vns contre les autres,
faitvoir qu'iln'yauoit endroictenla Chreſtienté qui fuſt paiſible, non pas
meſmeau ſpirituel,nonplus qu'autemporel,commeil ſe peut voiraucom
mencement du liure ſuiuant, par le ſchiſme qui regnoit lors entre le Pape
Eugene quatrieſme, qui auoit eſté demis, & † Amedeé auparauant l.6.e.#
DucdeSauoye, quifut ſubſtitué en ſon lieu.Conioignez à tout cecyle fait
dufils du Duc de Ferrare, & de la Ducheſſe ſa femme,auec celuy que nous
· venons de dire du Roy de Naples (bien que cettuy-cy ſoit ſans comparai
ſonplus meſchant) & vous verrez que la paix ne regnoit pas plus dans l'in
terieur d'vn chacun des Chreſtiens, qu'enl'exterieur,ieveux dire que leur
ame eſtoit auſſi troublée par leurs paſſions, que leurs eſtats § di
uiſions. - -

Quant à ce voyage de l'Empereur Grec en Italie, pourlareunion des c.3.4 ſ


deux Egliſes,l'entrepriſe à la verité eſtoit tres-ſaincte, & qui ne pouuoit
apporter qu'vne grandevtilitéaux Grecs: mais comme leurintention prin
cipale eſtoit leurintereſt particulier,ils n'en tirerent aucun fruict,D1Ev ne
Permettantpoint qu'on abuſe ainſi des choſes ſainctes, pourvne grandeur
temporelleiioinctque cela eſtoit plusvenu dumouuement de l'Empereur,
† dupeuple,lequel opiniaſtre enſon erreur,nevoulutrien deſmordre de
ºnancienne croyance,& toutes-fois,peut-eſtre queſion leureuſt enuoyé
duſecours,que celales euſtincitez d'entendreàla raiſon mais commevous
Vºyez,lePape &les Florentins ſe battoient pour leurs limites, & les fa
ctions des Guelphes & Gibelins rauageoient toutel'Italie. Deſorte que ce
Pºure Empereur ſevoyant priué de tout ſecours, eut recoursàla paix auec
- L iij
86 Obſeruations ſurl'hiſtoire
ſon ennemy,l'Empire Greceſtant ſifoible que les Geneuois oſerent bien
aſſieger Conſtantinople, & tenir parlongues années la ville de Pera, à la
barbe des Conſtantinopolitains, encore qu'elle ſoit comme leurs faux
bourgs, & que les autres euſſentleur Republique eſloignée de là, de plus
de deuxmille lieuës par mer. Mais parmy leur foibleſſe, encore ne pou
uoient-ils demeurer en paix entre-eux,Et quandle Turcne fuſt point venu
s'en emparer, encore ſe fuſſent-ils ruinez eux-meſmes, comme l'hiſtoire
, nousa faict voir icy, & nous fera voir cy-apres, en la conqueſte du Pe
loponeſe. - -

Mais quines'eſtonnera del'inconſtance de cet Empereur, qui tantoſt


recherche le Turc, puis les Chreſtiens, derechefle Turc, & encores les
Chreſtiens, & ne ſe peut arreſter à ce qu'ilauoittant deſiré à ſçauoir à la paix
c. 6.
aueclesTurcs,leur donnant touſiours quelque ſubiect de meſcontente
ment, & remuant tout contre eux, pour les aigrir encore dauantage : eux
quiauoienttant de fois eſprouué leur puiſſance,&le peu de ſecours de leurs
voiſins : que ſi ce remuëmeſnage apporta quelque gloireaux Hongres, &
§ aux nations voiſines de la Hongrie les Grecs toutes
† n'enaduancerent pas dauantage leursaffaires, ce queiedy non qu'il ne
faille touſiours tentertous moyens pourſe deliurerd'vnemiſerable ſeruitu
de, mais c'eſt quand chacun eſtbien d'accord enſemble, & que le dedans
d'vn eſtat eſt ſans diuiſion, car autrement ce n'eſt touſiours que haſter ſa
ruine,aulieu de ſe liberer,les remuansyapportans plus de dommage que
l. 6. c. 7.3. le propre ennemy. - |

Amurathau contraire quinefaictrien quebien à propos, & apres s'en :


eſtre bien conſeillé,toutes-fois, cóme l'eternelle Prouidence vouloit faire
voir que tous les conſeils humains ſont inutiles, & qu'on ne choiſit pas
touſiours le meilleur, quand elle veutfauoriſer les ſiens : Amurath ſuit l'ad
uis de Ioſué,encore que celuy deThuracan fuſt le meilleur : car ſi les Turcs
euſſent touſiours faict le degaſt par les terres où l'armée deuoit paſſer, cóme
diſoit ce CapitaineTurc, il falloit de deux choſes l'vne, ou qu'elle periſtde
faim, ou qu'elle rebrouſſaſt chemin. Or en la premiere ilsauoient les Chrc
ſtiens à leur mercy, en la ſeconde, outre lahonte que ſeleur eſtoit de s'eſtre
retirez ſans rien faire,l'armée ſe fuſtincontinent diſſippée,quin'eſtoitcom
poſée que de pieces rapportées, chacunvoulant ſe retirer chez ſoy, quinc
ſe fuſſent pas apresayſementraſſemblez,&ainſile pays demeuroit deſgar
# contre laviolence des Turcs,quiauoient vne grande & puiſ
ny de deffence
ſantearmée, fournie de toutcequiluy eſtoit de beſoing, qui auoit à dos
toutes commoditez, & quine recognoiſſoit qu'vn ſouuerain:de ſortequ'ils
pouuoientapres ſeruerentoute libertéſurles pays de leurs ennemis, &-les
pillerau long&aularge.Mais Huniadevoyant quelesTurcs nerefuſeroiét
point le combat,au contraire qu'ils le deſiroient, cela le fiſt opiniaſtrer à
pourfuiure ſon entrepriſe pourprendre comme il fit, quelque bonne oc
caſion à propos.La punition toutes-fois eſtiuſte, qu'Amurath fitàThura
can,pour auoir quitté ſon general, pour faire à ſa fantaiſie : carles meilleurs
deſſeings àlaguerre, ne peuuentiamais bienreuſſir,s'ils ne ſontanimez par
l'authorité
A.
- -

" • J

- de Chalcondile. 87
lauthorité du chef, & acheminez parl'obeïſſance : mais cependant on oſte
Thuracále plus ſage & le meilleur chefdel'armée d'Amurath, qui pouuoit
faire beaucoup de malaux Chreſtiens, s'il fuſt demeuré en charge : mais
DIE v vouloit qu'ils euſſent pour cette foisl'honneur & la victoire, pour .
touſiours leur faire cognoiſtre ſa paternellebonté, & qu'il leur donneroit
touſiours ſonaſſiſtance,s'ilsluyvouloient rendre obeïſſance,& faire ſa ſain
cte volonté. - >

Mais toutes leurs victoires leur furent de peu d'vtilité, car ne s'eſtans -

oint ſeruis deleur aduantage, qu'à faire retirer quelques garniſons qui º7º
eſtoient dans les places deleurvoiſin, qui encore # rendoit tributaire, ils
firent incontinent la paix,laquelleilsrópirent auecautant de perfidie,qu'ils
lauoient conclueauecimprudence:auſſine leur en † du mal
heur,caraumoins deuoient-ils denoncer la guerre, & trouuer quelque ru
ſe& quelque ſubiect de plainte: mais de plein ſaut, & ſans que les Turcs de
, leur part euſſent enfrainctle traicté de paix : les Hongres ſeruerent ſur leurs
· ' places : mais voyez comme DIEv donnaſamalediction ſur leurarmée,leur
faiſant cognoiſtreau doigt & àl'œil, qu'il ne fauoriſoit iamais la perfidie,
pour quelque pretexte que ce fuſt; ils auoient tout à leur aduantage, car
Amurath & ſes forces eſtoientenl'Aſie contre le Caraman : ceux des places s
&lesgarniſonsTurques qui eſtoient deçà & delà, ne ſetenoient point ſur
leursgardes. Les Chreſtiens auoient au contraire vne grande & puiſſante
armée conduite par le plus grandguerrier, & le meilleur Capitaine, quiait
' eſtéentreles Hongres; & neantmoins tant s'en faut qu'ils fiſſent aucun ef
fect,qu'ilsruinerent pouriamais leurs affaires en la perte de cette memora
blebataille de Varnes, enlaquelle cecy eſt remarquable, que le malheur
principal & le premier, § tant ſur ceux qui auoient eſté les premiers .
- † àcette perfidie, que ſur celuy qui auoitfauſſé ſa foy: car le Car
dinalIulianCeſarinyfuttué, & deux Eueſques de Varade & d'Agria qui
ſe noyerent apres auoir eſté cauſe du deſordre qui ſuruint en l'armée
Chreſtienne, parleur mauuaiſeconduite, & pour eſtre ſortis de leursrangs
lois qu'Huniade commençoit d'auoirtoutaduantage ſurl'ennêmy,lequel
meſme eſtoitſ deſeſperé dugain de cette victoire, qu'il commençoit de
ºuterſaretraicte,voyantvne partie de ſes troupes taillée en pieces, & le
reſte mis en fuite : toutes-fois comme il eſtoit en ces acceſſoires, on dit
ºil tira de ſon ſein vne ſaincte Hoſtie, qui luy auoit eſté baillée par le
9yLadiſlaus pourgage tres-certain qu'ilgarderqitinuiolablement la paix
Pºluyiurée,& qu'eſleuant lesyeuxau ciel, il profera à haute voix ces pa
ºlesiCHR sT ,ſitu es D 1E v, ainſique tes Chreſtiens aſſeurent, vange leur
Perfidiee9- deſloyauté,puis qu'ils t'ont donné à moypourgage de leur foy, & cepen- .
"º»nemeſchancetéſigrandeils violentlapaix quenous auonsſireligieuſementfai
#:ºnler
d
& cefut lors, diſent
: Deſorte leschance,
quela Autheurs, que l'armée Chreſtienne commença
comme ondit, eſtant changée,l'armée
paux
ºiennefuttoutetaillée en pieces auec
ſeigneu rs Hongres & P § le Roy Ladiſlaus & les princi
auecluy, encore qu'auectouteap
Pºnceildeuoit emporter le deſſus,&l'hóneur de lavictoire. En quoyon -

- \ -
88 Obſeruations ſur l'hiſtoire .
peutremarquervne grande& manifeſte iuſtice diuine, & vne preuue de la
realité du corps de noſtre Seigneur enla ſaincte Hoſtie, car c'eſt en cettefa
çon qu'en parle Amurath diſant (puis qu'ils t'ont donné à moy) & vn no
table exemple que D1E v n'eſt point accepteur de perſonnes, ne fauori
ſantiamais ceux qui prennent ſon ſainct nom envain.Mais à tout cecyi'ad
iouſte quel'endurciſſement du cœur del'homme eſt extremement deplo
rable,carpuis qu'Amurathauplus fort du dangerauoireurecours à ceſou
uerainSeigneur quil'auoitfauoriſé de ſon aſſiſtance, luy donnant l'hon
neur de la victoire qu'il auoit auſſi-toſt obtenuë en l'inuocation de ſon
ſainct nom : pourquoynele recognoiſſoit-il pourtel qu'il s'eſtoit monſtré
en ſon endroict, c'eſt à dire pour D1 Ev, & s'il eſtoit D1Ev, pourquoyne
quittoit-ilſon faux Prophete : Iadis Conſtantinle Grand ſe conuertit pour
vn ſemblable effect, & planta la Religion Chreſtienne par tout l'Empire
Romain, il eſtvray que cettuy-cy creut ſimplement, auec intention de ſe
conuertir au cas qu'il peuſt deffaire ſon ennemy,mais Amurathauoit dit ce
la par vne maniere d'acquit, & tout tráſporté de colere:de ſorte qu'il oublia
auſſi toſtlebien-faict que le perilfut †
uy
;plus excuſable toutes-fois,ſans
n'eſtoit point initié aux myſteres
comparaiſon que les Chreſtiens, car
de noſtre Religion, & n'en croyoit du tout rien, mais eux qui faiſoient
rofeſſion de croire que ſoubs les eſpeces de la ſaincte Hoſtie,le Corps &
† SangdeleurSeigneur eſtoientveritablement contenus,le baillans pour
gage de leur foy; & larompre par apres, n'eſtoit-ce pas rendre le Fils de
DiEv protecteur & deffenſeur deleur perfidie? & cela n'eſtoit-ce pas fairevn
notable blaſpheme à la ſaincte Diuinité & Humanité d'iceluy?auſſi en fu
| rent-ils tous tant qu'ils eſtoient tres-ſeuerement chaſtiez : & ce tout dés le
, commancementde cette guerre, car Amurath & toute ſon armée paſſe
rent, contre touteapparence le deſtroict, l'armée Chreſtienne ayant eſté
contrainte de ſe retirer pour le mauuais temps, & luy laiſſer le paſſage tout
libre,auecvnvent fauorable pour luy : Et l'Empereur de Conſtantinople,
quiauoittant remué de monde,& quiauoit eſtéle principal motifde cette
guerre, qufauoit auſſile premierviolé la paix, fut le premier contrainctà
a rechercher auec infinis preſens, qu'il euſt encore peut-eſtre difficile
ment obtenuë, ſans la faueur du Baſſa Cathites, qui portoit le party des
Grecs pres de ſon maiſtre, oùilauoit grande authorité. Quantà Huniade,
il fut pris priſonnier par ſon ennemy † luy fiſt meilleure guerre qu'il
ncluy rendit parapres,tant lavangeance emporte tous les plus grands hom
mes,mais il en futapres bien § | .

l. 5. c.4.
Il ne reſtoit donc plus de tous ces perfides que ceConſtantin, qui deuoit
finir ſavieaueclatotaleruine de ſon pays, lequel ſceut bien armer tout le
Peloponeſe, mais il ne le ſceut pas deffendre, & comme toute cette hiſtoi
renous le faict voirfort preſomptueux, mutin & eſtourdy,tout luy reuſſit
auſlide meſme,ayanteſté cauſe d'abatre les courages des Peloponeſiens,&
de ruiner toutes leursaffaires : le Peloponeſe quiauoit iuſques ence temps
" gardéſaliberté,s'eſtant
fajſe rendutributaire
le degaſt parmy leur pays. desTurcs,apresauoirveuruiner &
| • - -

Mais
de Chalcondile. | 89
| Maisvoicyvnautre Sanſon enuoyé d'enhaut pour combatre les Phili
ſtins, carenforce corporelle iepuis quaſi dire qu'ill'a eſgalé,& en ſcience &
conduite enl'art militaire † 'a ſurpaſſé,ieparle de Scander ou Caſtrioth,
duq uelnousauons particulariſé les excellences enſon Eloge,admirable àla
verité entout ce qu'il entreprit, en ſavaleur, en ſa prudence, enſa magna
nimité & enſonbon-heur, mais plus admirable,de ce qu'auec ſes ſeules for
ces, il a faictlaloyaux deux plus puiſſans, plus experimentez, & plus re
doutables guerriers que lesTurcsayentiamais eu entre les ſeigneurs Otho
mans : ayant bien-ſouuent auec trois à quatre mille hommes de pied, &
deux mille cheuaux,ſouſtenunon ſeulement desarmées Imperiales, mais
lesa defaites meſmes & miſes enroute,leurfaiſātleuer des ſieges de Croye,
&les menant battantiuſques chez eux.Les Chreſtiens cependant, quifai
ſoient tant les mauuais, quandileſtoitqueſtionde rompre ſans ſubiect, la
foy donnée, quiarment & remuenttoutlemonde, quandils eſtoientmal
fondez,maintenât † voicyvnſecours quileureſtenuoyé du ciel pour les
deliurer, n'ayans ſeulement beſoing que de luy preſter vn peu l'eſpau
le,ils ſeignent neantmoins tous dunez,au plus grand beſoing,& àla meil
leure occaſion qu'ils eurentiamais Carquen'euſtpoint faictcegrandhom
mes'il euſteſté ſecondé de puiſſance pareille à ſa valeur & experience ? &
toutes-fois, quelque priere qu'ilſceuſtfaire, ilne peut iamais obtenir au
cunſecours † d'hommes, ſoitd'argent, que de trois mille eſcus, qu'il
auoit peut-eſtre deſpendus à ſon § : tout cecy eſtantiuſtement arriué
afinqueles Chreſtiens recognoiſſans leurs fautes notables, en euſſentou
treleurruine,vnperpetuel regret,leurmalheurn'eſtant arriué que parleur
negligence, & le peu d'vnion qu'ilsauoient entre eux : de ſorte que ce vail
lantPrincefutcontrainct de ſe retirer chez luy : & toutes-fois nonobſtant
fifoibleſſe,iamais lesTurcsn'eurentaucunaduantageſurluy, encore qu'il
alteuparpluſieursfois le pere & lefils ſur les bras, à ſçauoir Amurath, &
Mahomet voyez donc ce qu'ileuſtfaictsileuſteſtéſecouru à propos com
meildeſiroit,& enauoitimportuné toutlemódeº onremarqua auſſibien
ºſtquel'Albanie ne ſubſiſtoitque parſa ſeulevertu : carincontinentapres .
-

mort,nylesAlbºnois,nyles Venitiens,nyſes parens, ny ſon propre fils,


ºeſteurentmaintenirla gloire qu'ils'eſtoitacquiſe, eſtansincontinétapres
ºduitsſoubsladomination des Turcs. ·
llmeſembleauſſique le retourd'Amurath enſon Empire, ne doit pas
º Paſſé ſans conſideration, car puis qu'il eſtoit aſſez empeſché contre
ºnderbecq, comment Mahomet encore ieune homme & ſans experien
ºſt-ilpeu reſiſter aux&Hongres,
combatre que Caſtrioth
& auoir deux ſi vaillans capitaines à
Huniade ? c'eſtoient deux trop rudes ioueurs
†Vn apprentif, ce vieil routier d'Amurath, quelque experimenté qu'il
#y trouua encore bien empeſché: mais puis † plaiſoit à DIE v de
ºrles Grecs, & d'exterminerleur Empire,ileſtoitbien à propos qu'il
yeuſt
auoit † quipeuſtdompterles Hongres, carceux-là † ,il y
'ils core quelque eſperance de ſecours,mais § labataille de Coſobe
mechapitre du ſeptieſme c,,
• . - ?
Ja
ºPerdirent, commeilſe peutvoirauhuictie
:$
M
9O Obſeruations ſur l'hiſtoire
liure,ilsdemeurerentſansreſource, Huniademeſmeayantgaignéle haut,
dequoy ie ne me puis aſſez eſmerueiller comme ce grand Capitaine, ſans
auoirfaict aucune perte notable, apres auoir ſi valeureuſement combatu
deuxiours durant,ait pris ſi honteuſement la fuite, ſans attendre l'euene
ment du combat, § ainſiles fiens à la mercy del'impitoyable cruauté
& ſeruitude de ſon ennemy : caràquel propos venir encore agacer celuy
uine luy demandoit rien, & luy venir preſenter le combat iuſques dans
† terres, pour ſe retirer, lors qu'il eſtoit le plus de beſoing de faire paroi
ſtre ſa valeur, luy qui eſtoit legeneral de l'armée, & en la prudence & con
duite duquel, tousauoientvnemerueilleuſementgrande confiance?mais
vnhomme deſtitué de l'aſſiſtance d'enhaut, n'aiamais d'aſſeurance, tout
luy fait peur, & tout cela eſtoit encore peut-eſtre, en punition de leurpre
cedente perfidie, à † auſſi bien n'auoient-ils point ſatisfaict,pour
taſcherapres d'auoir lebon de leur coſté,ce † eſt ſiimportant à laguerre,
uele plus ſouuentil donnelegain de cauſe les Romainsnel'ont pas igno
ré, auſſi ont-ils fait touſiours ce qu'ils ont peu, pour faire cognoiſtre au
monde que ceux-là auoient le tort , contre leſquels ils prenoient les
a III1CS, -

,., i - Comme tous lestrauaux d'Amurath & Mahomet ſecond,&s'il faut di


§ques narchie
au 8.
re de tous les Othomans
Grecque, ne buttoient
& principalement § qu'àville
ſe rendre ſeigneurs de la Mo
de Conſtantinople, auſſi
tout ce quei'ay remarqué cy deſſus des defauts & imperfections des Chre
ſtiens, & principalement des Grecs en la decadence de leur Empire, & en
l'eſtabliſſement de celuy desTurcs, n'a eſté que pour faire voir que iuſte
ment leur ville auoit eſtéruinée pour leurs § ,leur Empire exter
miné pour leurs diſſentions, & leur Religion oſtée pour leurs ſchiſmes,
diuiſions & hereſies : choſe deplorable, ou pluſtoſt eſpouuentable, de
voirvn ſi ſeuereiugement, § tout cela ſoit arriué envn ſeuliour,voire en
vne ſeule heure, carlaville fut pillée, demolie & toute abyſmée dans ſon
propre ſang, ſon Empereury § maſſacré,& toute ſarace eſteinte, les Egli
, ſes conuerties en Moſquées, & eux qui quelques années auparauant auoiét
refuſé leur reunion auec l'Egliſe Latine , furent à ce idtir là effroyable àla
| poſterité, diſperſez parmyles nations, poury paſſer le reſte de leurs triſtes
iours envnmiſerable eſclauage : & pourvoir encore vne punition plusiu
ſte, c'eſt quelaville fut priſel'an §quatre cens cinquante-trois, levingt
ſeptieſme de May,le Mardy des Feſtes dePentecoſte:eux qui auectantd'o
piniaſtretéauoientnyéla proceſſion du ſainct Eſprit,ne plus ne moins que
Hieruſalem, qui futaſſiegéeàlafeſte de Paſques, eux qui auoient nyé &
crucifié le vray Agneau que le Pere eternelleurauoit donné pour le prix de
leurredemptiö: Mahomet choiſiſſant ſontépsſi à propos, qu'elle ne pou
uoit eſtre ſecourue : carles Hongres ayans eſté § & eſtans aſſez en
diſcorde chez-eux, n'auoientgarde dyvenir.Quantàl'Italie, elle eſtoit en
rl .... telle combuſtion,qu'aurapport de Platine,onpenſoit que tout deuſtabyſ
* mer, tellement que le Pape Nicolas quinzieſme,fiſt faire des prieres pu
bliques, où les § & les enfans rempliſſoient les ruës de Rome de
VCeuX,
de Chalcondile. 91
vœux, depleurs & de cris, pour les maux dont l'Italie eſtoit menacée, tant
parles frequenstremblemens deterre , que parl'eclipſe du Soleil, qui ad
uint en cetemps, & laguerre qui eſtoit allumée de toutes parts, à quoy ils
eſtoient encore d'abondant perſuadez par les predicateurs, mais entre au
tres par vn nómé Robert, del'Ordre S. François, quiauoit lors fort grande
repu ration. La France n'eſtoit pas auſſien meilleurs termes, car c'eſtoit du
temps du diuorce de Charles ſeptieſme, auccſon fils Louys, qui depuis fut
Roy : c'eſtoit-làl'eſtatdelaChreſtienté,lors que la plus belleville dumon
devint ſoubs la puiſſance de Mahomet, & de Chreſtienne deuint Maho
metane, demeurantainſi ſans ſecours comme la plus chetifue de toutes, &
quin'euſt eſté d'aucune importance àtout le reſte du Chriſtianiſme.Ce qui
fitqueienemepuisaſſez eſtonnercóment les Conſtantinopolitains n'al
lerent pointau deuant de cet orage,veu la cognoiſſance qu'ils auoient de
leur foibleſſe,& le peu d'eſperance qu'ils auoient au ſecours d'autruy : car
come vous pouuezvoirauchapitre cinquieſme de celiure,s'ils fuſſentallez
trouuerde bóne heure Mahometdeuant qu'ileuſt fait tous ſes preparatifs,
ils en euſſenttiré quelque compoſition : mais cet Empereur qui comman
doità lors,auoittrop de preſomption, & trop peu de prudence pour eui
tervn ſigrand danger, le † & le Prince meritoient ce chaſtiment,puis
que † tant d'années que les Bulgares,les Latins & les Turcs,lesauoient
reſueillez deleur endormiſſement dans levice &lanonchalance.ils ſe plon
geoientneantmoins iournellement de plus en plus dans la volupté, quoy
qu'ilsſeviſſentàtoute heure,s'ilfaut dire,l'eſpée ſurlagorge, & bienſou
ucntparlesleurs propres, quiont plus ruiné l'Empire,que leurs propresen
nemis,parleurs mauuais † & par leur ambition : & encore toute
leureſperance eſtant fondée ſurleſeigneur Iuſtinian, ſa bleſſure, comme
Vousvoyezau chapitre ſixieſme, fut la cauſe de la perte de la ville : encore
sºnfuſt-ilſauué beaucoup à la priſe d'icelle,ſans la ſuperſtition des portiers,
ºnfermans eux-meſmes, afin que rien n'eſchapaſt la cruauté de l'ennemy,
--
Notaras meſmeneſe pouuant retirer, encore qu'il en euſt la permiſſion,
ºrreſtant à vn ſecours, que ceux de quiill'attendoit, n'euſſent ſceuſe le
ºnneràeux-meſmes. Le rapport § que faict noſtre Autheur de cette
villeà Troyelagrande,eſtbien digne de remarque,que peut-eſtre lesTurcs
deſcendus des Troyens, eſtansvenus de deuers le pays de la Troade, pour
*ºins la pluſ-part d'entre-eux,ayent pris lavangeanceapres vne ſi lon
#ºſuite deſiecles,deleurs plus mortels ennemis, & lesayent entierement
*Poſſedez de leur domination.
Quant au Baſſa Cathites, dót parle noſtre Autheurau chapitre huictieſ l.8.c.*.
º°eſtl'ordinaire preſque de tous les ſeigneurs Turcs, detraicter ainſi
† qu'ils ont les plus eſleuez : caràlamoindre faute qu'ils font, ils ont
ºnligrand ombrage de leur domination, que commeils ont reſigné toute
† bien ſouuent entre les mains de ceux-cy, ils ſont bien-ſou
ment † d'vſer de ce dernier † encore que § ſoit iniuſte
#poureſel à eux tout cela eſt iuſte, carilstiennent ºutes ces ſortes de gens
ºlaues, auſſiles font-ils mourir quandbonleur ſemble,ſansautre
M ij
92 Obſeruations ſurl'hiſtoire •.

forme de procez. Mais cettuy-cy, comme vous auez peuvoir, auoit quel
que intelligenccauec les Grecs, outre ce qu'ilauoitfaict en faueur d'Amu
rath,car ſans la prompte obeïſſance que rendit Mahomet, lesTurcs eſtoiêt
pourbeaucoup ſouffrir ſoubs ces deux Princes, & au mieux qu'il euſt ſceu
aduenir, il falloit quela mort dupere & du fils s'en enſuiuiſt, cette vſurpa
tion del'vn & la reſiſtance del'autre ne ſe pouuant expier parmy les Otho
mans que par la mort, voyla pourquoy il ne faut pas trouuer eſtrangeſi
Mabomet, quiaeſtéſicruel & ſi vindicatif,ſe deffaict de luy : il eſt vray
qu'il lefiſtauec prudence, car ce futapresſe voir entierement eſtably.
Conſtantinople doncreduicte ainſi ſoubs l'Empire Turqueſque, il ne
©.9. IC.II.I2, reſtoit plus que le Peloponeſe,lequelcomme vous pouuez voiraux chapi
tres 9.1o. & iI.nonobſtant les bonsaduis deThuracan, les Princes Grecs
ne ſe ſceurent maintenir en paix,mais fallut que par leurs diſſentions,ils fuſ
ſent en fin reduicts envnetotale ruine, commeil ſe peut voir incontinent
apres.Mais l'artifice de Mahomet eſt notable de ne leur auoir point voulu
permettre de ſe retirer;car en cefaiſantils'aſſeuroit,veulamauuaiſe intelli
gence que les Grecsauoient lesvnsauecles autres,que tout viendroit enfin
enſes mains : au contraire ſiles Princes & Seigneurs ſe fuſſent retirez, c'euſt
touſiours eſtéautant de ſeminaires deguerres, animás les peuples,oùils euſ
· ſent eſté contre luy; au contraire l'imprudence des Grecs de n'auoir pas
ſceu cognoiſtre leurfoibleſſe,veuleur diuiſion, & qu'il falloitattendrevn
autre temps † propre à reſiſteràvne ſigrande puiſſance, ce qu'ils euſſent
peu faire ſoubs Baiazeth le fils de Mahomet.
t. 3. c.13. 14: Et pour le regard du ſiege de Belgrade, bien que Mahomet n'y receuſt
Ij. I 6. que de la perte & de la honte, il y gaigna toutes-fois aſſez, faiſant perdre
aux Hongres leur chef&leur conducteur, à ſçauoir Iean Huniade,oſtant
en ce faiſantaux Hongres, le moyen † auoientàlors de pourſuiure leur
aduantage, & meſmes empeſcheroit l'Empereur Federic, de ſe ſeruir dv
ne ſi bonne occaſion, ſoubs vne fauſſe imagination : car la Thrace n'eſtoit
pas ſiaiſée à vaincre, commeils ſel'imaginoient; & c'eſtoit bien veritable
ment ſoubs vne vaine penſée empeſcher leprogrez d'vn bien public, pour
le ſien particulier, pour viure en leursguerres & diſſentions ordinaires.De
ſorte que lors qu'on ne leur diſoit mot, & qu'ils eſtoient en pleine paix : ils
, auoient vouluremuer le ciel & la terre, & maintenant qu'onleur veut don
ner ſecours(ie parle des Hongres)ils font les retifs. On pourroit dire auſſi
le meſme des Chreſtiens, qui auoient iadis aſſemblé iuſques à huict cens
mille hommes,pouralleràla conqueſte dela terre ſaincte,& maintenant ne
peuuent pas mettre ſus vne bien petite armée pour empeſcher leur enne
my de conqueſter leur pays, tant leurs forces eſtoient diminuées.
l, 9.c. I.2.3. Reſte maintenant le dernieracte de la tragedie de la pauure Grece, à ſça
uoirlaconqueſte du Peloponeſe, où pluſieurs choſes ſe remarquent, leſ
quelles font cognoiſtre le peu de preuoyance des Grecs, & comme leurs
eſprits eſtoient deuenus commetous hebetez, & ſans conduite.Premiere
mentCorinthe placeſiimportante, qu'ils laiſſerent ſans munition & §.
uiſions debled, ceux de la Rochelle, qui ſe vindrent rendre, lors q ilsal
ſOlCIlU.
- - -1

- de Chalcondile, 93
· loiét eſtre deliurez,la mauuaiſe intelligence de l'Eueſque de Corinthe auec
Aſangouuerneur d'icelle,l'Eueſque meſme eſtant cauſe de rendre la ville
aux Turcs:car encore que le § ſelaſſaſt,s'ils ſe fuſſent bien accordez,ils

euſſent peureſiſtercomme d'autres places ne furent pas priſes:& ce qui
eſtoit de pis, c'eſt qu'on ne perdit pas ſeulement ceſte ville en ſe rendant
ainſi laſchement, mais encore pluſieurs places en la mer AEgée, la ville de
Patras, & le territoire d'alentour : carentous cas il n'y euſt eu que Corinthe
qui fuſt deuenuëTurque par force, ce qu'elle fiſt toutes-fois volontaire
ment. Suit apresle meſchantacte de ce Venitien,quifiſtmourir ſa femme,
pour eſpouſerlavefue de Neri Ducheſſe d'Athenes, laquelle on fit apres
mourir § ce mariage:de ſorte que cela fut cauſe, queMahomet s'empara
dela ville d'Athenes.Les menéesauſſi deThomasPaleologue,qui venoit de
iurer la paix,& ſareuolte penſant mieux faire ſes affaires,que lors qu'ilauoit
tout ſon territoire, qu'ilauoit eſté contrainct de quitter, & qui ſçauoitbien
que pour nauoirpas payé le tribut à l'Empereur Turc, le Peloponeſe en º 4,
auoit eſté rauagé, neantmoins il s'imagine pouuoir ſecouer le ioug des
Turcsapresauoireſtéruiné, & le mauuais ordre encore qu'il miſt en dreſ
, ſantſabataille,faiſantallongerſesgens en haye,au lieu de les reſſerrer en
eſcadrQn, mais cecy n'eſtoit que des preparatifs à leur totale ruine. Suit
apreslaguerre de Raſcie, entrepriſe ſiinconſiderement,finieſilaſchement,
aueclaredditió delaville de Senderouie,place ſiforte & ſiimportante, mi
ſetoutes-fois entre les mains de Mahomet à ſi bon marché. -

layditmaintenant que le Peloponeſe feroit le dernieracte de laTrage


die des Grecs, car encore qu'ilaiteſté ſouuent attaqué & ruiné,ſieſt-ce que
ºeſtladerniere Prouince quiaiteſtédomptée : Mais cependant remarquez
' lhiſtoire de la Coſchide, & de l'Empire de Trebizonde, comment ces
Princeslà eſtoientmeſlezd'alliancesauectoutes ces nations,ayans premie
#mentſecouéleiougdel'Empereur de Conſtantinople, & penſans s'eſta
blircontrelesTurcs ens'alliant des Perſes, ayans comme les Grecs, peu de
ºueydel'honneurdunom Chreſtien,ils ſuccomberent enfin pluſtoſt par
ºrsproprescrimes, & parleurs diſſentions, que parla force de leurs en
ºmis car ces PrincesTrapezontins ne furentiamais gueres paiſibles, ny
ºtaffectionnezàlaReligion Chreſtienne : deſbordez au demeurant en
ºutes ſortes devices, & §rtoutàl'execrablesodomie , teſmoingl'hiſtoi
º#u'on raconte d'vn Geneuois Meguolo Leccaro, qui pour vn affront
l'Empereur Dauid, dernier Em pereur de
qu'il auoitreceu d'vnmignon de
ºbizonde, coupoit le nez & les § aux pauures Trapezontins, iuſ
†ºâce queceGanimede luyfut mis entre les mains. Quant à ce Dauid,il
†de fortmauuaiſefoy, cómeilmöſtralors qu'ileſtoit oſtage à la Porte
§ † , oùilne ceſſa de le ſoliciter contre ſon frere Iean ſon prede
ois § j ºPreslamortduquel, encore qu'il euſtvn fils 3 il s'empara toutes
tiaàvn §ºuronne, & enpriua ſonnepueu : & quant à ſa niepce, il la ma
ilvouloi ahometá,à ſçauoiràVſuncaſſan,&meſme traittantauec leT #
- § nommement qu'il eſpouſaſt ſa fille , au lieu de le ſupplier qu'il
ºicn, non ſeulement à cauſe de cette alliance infidele, qui n'eſt pas
M iij
94- Obſeruations ſurl'hiſtoire .
peu de choſe,maisàcauſe quetoutes celles qui ſont femmes de †
desTurcs doiuent renoncer leur Religion,& faire profeſſion de l'Alcoran.
Ce que fiſtauſſi ſon fils George, quifut maſſacré auecſon pere, nonobſtant
§ euſt pris le Turban, comme ilſe voidau chapitre douzieſme. Finale
ment ſa fin tragique, & fort notable,vous faictvoir la punition de toutes
ces choſes, ſa perfidie enuersſonfrere, punie par celle † luy rendit Ma
homet, l'vſurpation ſur ſon nepueu, parla priuation & la perte deſon Em
pire, & ſon alliance meſpriſée iuſques † ſa mort,l'Empereur Turc ne
faiſant pas auparauantgrandeſtat deſa fille.Adiouſtez à tout cecy les grâds
remuëmens racontez par Chalcondile, qui eſtoient du temps des autres
Empereurs,& vous direz que ce pays n'en attendoit pas moins que detom
berenla ſubiection des eſtrangers, puis qu'ils ne pouuoient viure en paix
l.9. c. 7. les vns auecles autres. Cetteguerreau demeurant du Prince Thomas, fut
cauſe d'acheuer de ruinerles affaires du Peloponeſe, & de ce que ſon frere
aiſné fut contrainct de ſe rendre à la mercy de Mahomet, tant ces Princes
eſtoient hors du ſens de s'opiniaſtrer à combatre contre celuy qui auoit
vne ſi grande & redoutable puiſſance, eux qui eſtoient deſpourueus de
UOl1t .

L'hiſtoireaudemeurant d'Vladus Prince de Valaquie, eſt digne de plu


ſieurs remarques premierement ſa cruauté, par laquelle ce pauure peu
le fut chaſtié,lareuolte contre Mahomet,au chapitre treizieſme, lequel
ſelonl'ordinaire des Chreſtiens, qui empeſchent touſiours les armes des
Turcs de ſerouïller, fut perſuadé de venir courir & rauager cette prouin
ce,par le Prince de Pogdolie:voyezauſſi commevn petit compagnon reſi
ſte àvne ſi effroyable puiſſance,& cócluez hardiment que lesTurcs ne doi
uent eſtre effroyables aux Chreſtiens,qu'en tant qu'eux-meſmes ſerendent .
puniſſables deuant les yeux de la diuine Maieſté: car vous voyez icy deux
mille hommes conduicts, encore parvntres-meſchant & cruelPrince, qui
font teſte à Mahomet, ſiheureux entoutes ſes entrepriſes, mais à laverité
5. ikn'eſtoit pas digne de chaſtiercettuy-cy: carilluy auoitbaillé la Valaquie
pourrecompence d'vneaction touteabominable, & puis il eſtoit luy-meſ
6.
meſicruel, qu'il n'eſtoit pas digne de chaſtier la cruauté, laquelle toutes
l.1o, c. I. fois ne demeura pas impunie, carilfutiudiciairement condamné par ceux
meſmes de qui il eſperoit tout ſecours, finiſſant ſes iours en vn cul de
foſſe. • - -

l.1o. c.1.2.3. Apres Vladus Prince de Valaquie,voicyvnautre cruel & vn impie tout
enſemble, que ce Prince de Methelin,lequelayanttué ſon frere pourvſur
perſoneſtat,ilen fut depoſſedé par Mahomet,& depuis quittantſa Religi6
pourſauuerſavie,illa perdit auecignominie, & commemeritoit vnfratri
cide,vn ſodomite, & vnrenegat. -

6 - 4.
" Voyez encore quelle ſimpleſſe ace Prince Illyrien, de ſe reuolter,n'ayant
ny puiſſancenyarmée preſte, ny places munies, ny alliances aſſeurées, &
ces Seigneurs del'Iſtrie, que tous petits compagnons qu'ils eſtoient, #
roient faire laloyàl'Empereur desTurcs, & cependantils ſont tous ſi laſ
ches, qu'à peine peuuent-ils ſouffrir la veuë d'vnTurc, tantils ſe rendent
tOllS
de Chalcondile. 95
tous laſchement, & ſans preſque rendre de combat,combien qu'ils euſſent
de fortes places pourſe pouuoirau moins deffédrevntemps.La perfidie de
Mahometeſtauſſifortnotable àl'endroict de ce pauure Prince, mais quoy?
ce Monarque Turc eſtoit vn fleau à tous les Chreſtiens, & qui toutes-fois
ſefaiſoient le plus ſouuent autant de mal eux-meſmes, qu'on leur en euſt
ſceu faire : teſmoing le Prince Sandal & ſon fils qui ſe font la guerre, le fils
liurant la bataille à ſon propre pere, au hazard encore de le mettre à
mOIC -
Apres toutes ces pertes, les Chreſtiens s'aduiſent de prendre les armes
C. f. 6.
contre le Turc, mais c'eſttouſiours à leur maniere, à ſçauoir ſur le tard, &
hors de ſaiſon, & lors encore qu'il tenoit toutes les auenuës en ſa puiſſance,
ſadominations'eſtendantaulong& au large,toutd'vntenant & ſansauoir
comme auparauant, aucun Prince quile peuſttroubler dans ſes terres, &
toutes-fois parmytoutes leurs belles † : il s'y remarque touſiours
beaucoup de laſcheté, teſmoing la fortification del'Iſthme, qu'ils aban
donnerentincontinent : que s'ils fuſſent entrez forts dans le pays, on peut
voir parlalecture de § qu'ils euſſent donné beaucoup d'affai
resà † ennemis,auſquels ileſtoitbienayſe devaincre,puis qu'onfuyoit
ainſi deuant eux. -

Maisauant que finirces petites recherches, il ne faut pas paſſer par deſ
fusl'hiſtoire de ce Bœufquienſeignoitce cruel Prince par ſapieté,ce qu'il
ignoroit del'humanité: car comme iln'yauoit rien de ſi §que cette ſor
tedeſupplice qu'ilfaiſoit ſouffriràces pauures priſonniers deguerre, auſſi
n'yauoit-ilrien de ſi rare, que de voir cette compaſſion à l'endroict d'vn
bœuf,lequelcetinhumain voulutbien voir, mais iln'en changeapas pour
celade nature, tant il eſt bien-ſouuent plus ayſé d'apriuoiſer vn Tygre,
quvnhomme cruel. - |

Voyla ſommairement ce qui ſe peut conſidererſurl'hiſtoire de Chal


condile, oûie m'aſſure onvoid partoutreluire la iuſtice & Prouidence de
PIEV,comme nousauons dictcy-deuant, ſans quelesTurcsyayent beau
ºuPapporté du leur,car de menées, d'étrepriſes,de ſtratagemes & ruſes de
† ,tout cela s'eſtveurarement dans cette hiſtoire : & quant à la fôrce,
º qu'ilsl'ont euë la plus eſpouuentable, c'eſt lors qu'ils ont ſuccombé
ºubslesnoſtres quil'auoientſouuentbien debile, § Huniade, &
Pºcipalement Caſtrioth, quelques places encore quiont tenu teſte, &
#téàtous leurs efforts,les contraignansbien-ſouuent de leuer le ſiege,
#elgrade, Croye & pluſieurs autres,afin que l'homme ſçache que toute ſa
§ Prouient du ciel : que ſi quelqu'vn emporte le deſſus ce n'eſt pas touſ
† eſtre le plus puiſſant,ny pour eſtrele mieux fondé enbon droict
C

ºapparances & diſcours humains,maisbien pour combatre plusiu


†ſelon lavolonté dudecret Diuin. Ie ſu § doncques le Le
/

On § e † de ce quiaura eſté remarque1cy,car il verra vne liai


des peu † le en la ſuite de toute cette hiſtoire; tant de la cauſ de la ruine
c† conquis, que de celle des conquerans, tant en lhiſtoire de
le, qu'en la continuation que nousy auons adiouſtée.Car puis
96 Obſeruations ſurl'hiſt. de Chalc.
· que la plus grande gloire des Chreſtiens eſt de confeſſer IE svs-CHR 1sr
homme DIE v, on ne leur ſçauroit auſſi choiſir vn plus ignominieux
fleau, que de les faire chaſtier par ceux quicombatent contre cettemeſ
me Diuinité, de laquelle les autres ſe ſonr rendus indignes, puis que
leur vie & leurs actions ont derogé en toutes § à leur pro
feſſion. ſ
9z

C O NTI NV AT I O N
D E L HISTO I R E D E S T V R C S,
DEPVIS Qv'ILS SE FVRENT RENDVS
L E s M A I s T R E s D E L E M P I R E G R E c,
& leur conqueſte du Peloponeſe iuſques à preſent :

E N R I c HI E D E Co N s I DE RATIoNs
particulieres, ſur les actions plus ſignalées, aduenues durant
la vie de chacun des Empereurs Turcs, par leſquelles
on a veu reluire la Iuſtice & Prouidence
de D I E v.

· Diuiſée en huict Liures.

Par A R T v s T H o M A s , ſieur d'Embry, Pariſien.


, "
A D VERTISSEMENT
s V R LA CONTINV AT ION
D E L' H I S T O I R E D ES T V R C S.

#e V.1 s qu'il a pleu à la Maieſté du Tres-haut,


$#faire reſſentir les verges de ſa toute - puiſſante
|#\ iuſtice ſur toute la republique Chreſtienne, en
#) la permiſſion qu'il donna premierement à Ma
# homet, d'eſpandre par lVniuers ſa pernicieuſe
doctrine ; & depuis viſiter tant de Prouinces
29)ſ# l# en ſa fureur par les armes du Turc , le princi
$Cſ%2\ palprotecteur de ce faux Prophete. N'eſt-ce pas
§#) rendre honneur & gloire à ſa hauteſſe, de fai
- re cognoiſtre à tous que la matiere de ces ar
mes n'a eſté produite que par nos pechez, qu'elles n'ont eſté forgées
que par nos diſſentions , & depuis trempées dans noſtre ſang que par
ºe tres - equitable & tres-redoutable iuſtice ? Que nul donc ne ſe
ſtandaliſe ſi faiſant profeſſion du Chriſtianiſme, i'employe le temps à
deſcrire vne hiſtoire prophane , qui deuroit eſtre enſeuelie dans les
ºndres de nos ruines , & dans § de nos miſeres , pluſtoſt
ºdeparoiſtreau iour, & d'eſtre leuë parmy les Chreſtiens : Car outre
º que la choſe n'eſt que trop ſenſible pour eſtre teuë, la veuë que
ºauons de la miſere de nos voiſins & confreres, ignorée preſque
ºus ceux qui paſſent leur vie à l'ombre & au couuert, & deſgui
ººncore à ceux qui faiſans profeſſion des armes, ne paſſent point
ºfiontieres de leur patrie; on peut aprendre par cette hiſtoire à quels
ºes la diuiſion reduit vn eſtat, qui ne pouuant fleſchir ſoubs le
"$ fauorable de ſon Prince naturel, ſoubs l'apparence d'vne ſpecieuſe
ººompeuſe liberté, a recours à ceux qui au lieu de ſecours , met
ºt à feu & à ſang les contrées qui leur donnent entrée comme amies,
ºduiſans les peuples au plus triſte ſeruage qui ſe ſoit peu imaginer:
§§ † , non par leurs propres forces ou induſtrie, mais par l'eſ
º mains de ceux qui ayans eſté premierement infideles à DIEv,
"*Pres traiſtres à leur patrie, pour † ruine de laquelle ils ſe mon
- N ij
1C O · Aduertiſſement.
· ſtrent plus animez que leurs naturels ennemis. Ce ſont de ces triſtes
ſubiects que cette hiſtoire eſt remplie, leſquels comme ils ont com
mencé dés le premier paſſage des Turcs en l'Europe ſoubs Othoman,
l'an mil trois cens dix, ont continué & continuent encore tous les
iourS. -

O R comme l'Athenien Chalcondile eſtoit du temps de l'eſtabliſſe


ment de cette nation, natif & habitué dans la Grece, au temps meſmes
qu'elle fut ſubiuguée; & † † pouuoit eſtre plus fidele
ment informé, & auoir plus particuliere cognoiſſance des choſes, com
me elles s'eſtoient paſſées : on a penſé qu'il eſtoit plus à propos de ſe ſer
uir de ſon Hiſtoire, en la forme meſme qu'il la eſcrite, ſans y adiouſter
ou diminuer, ayant deſia eſté veuë & bien receuë du public : car enco
res qu'il n'ait touché qu'en paſſant la† des plus notables actions,
toutes-fois on euſt penſé faire tort à la reputation d'vn ſi excellent per
ſonnage, d'entreprendre la narration de l'Hiſtoire entiere, & vouloir
comme enſeuelir la ſienne dans le tombeau.Afin doncques de faire touſ
iours reuiure ſa memoire, & contenter par meſme moyen le Lecteur
qui deſiroit de voir cette Hiſtoire en ſon entier ! Tout ainſi que le meſ
me Chalchondilecommence ſon Hiſtoire, où Nicephore Gregoras (qui
a continué celle de Choniates ) acheue la ſienne : auſſi ay-ie pourſuiuy
la mienne depuis la priſe de Conſtantinople, & la conqueſte du Pelopo
neſe, où Chalcondile finit ſoubs Mahomet ſecond du nom , conti
nuant les actions de ce Monarque, & le reſte de l'Hiſtoire des Turcs iuſ
ques à ce temps. Où on pourra remarquer qu'encores que nous tenions les
Turcs pour gens barbares, inciuils & ſans eſprit, qu'ils ont toutes-fois
vne merueilleuſe experience en l'art militaire, vne grande conduite &
rouidence en leurs armées , vne incomparable fidelité & obeïſſance à
§ ſouuerain, & à leurs chefs; vne § prudence, & vn grandor
dre aumaniement de leurs principaux affaires; vne ſeuere iuſtice en leurs
negoces domeſtiques, & que les principales colonnes qui ſouſtiennent
cette groſſe maſſe d'Empire, ſont la punition & la recompence de ceux
qui ont malverſé en leurs charges,ouquiont faict quelqueacte de vertu,
· & ceiuſques à la moindre action. - ·

On y verra auſſi la vraye image de la Monarchie Romaine, principa


lement ſion enfaict le rapportautemps des anciens Empereurs Romains,
lagarde des Iennitzaires ſe rapportant du toutà la garde Pretorienne, tant
· pour la force que pour le droict d'election des Empereurs : car encores
que les MonarquesTurcs paruiennentpar heredité, & non par election,
toutes-fois commeils ſont ordinairement pluſieurs freres, & qu'il n'y a
point entreux de droict d'aiſneſſe, ains l'Empire appartenantau plus fort
& au plus fauoriſé, les Iennitzaires ſont ceux qui font tomber la cou
ronne entre les mains de celuy qui leur eſt le §
agreable. Quant aux
Baſſas, Beglierbeys, Sanjacs & autres chefs, ils ſont comme les affran
chis des Princes, qui eſtoient ordinairement eſleuez aux plus grandes
charges de cet Empire. \ •. -- -

- | Les
Aduertiſſement. IOI

Les Romains ſemaintenoientauecles Legionnaires qu'ils enuoyoient


par les Prouinces, ne faiſans conte des places fortes, mais ſeulement des
hommes : tout de meſme les Turcs, qui à la Lacedemonienne ne ſe def.
fendent que par les armes, & non par les murailles : les Baſſas ne ſont
' ils pas comme les Conſuls & Proconſuls : les Beglierbeys,comme les Pre
teurs, les Saniacs, comme les Gouuerneurs particuliers,les Chaſnatarbaſſi,
les Queſteurs?Ne font-ils pas des Colonies, & les Iennitzaires & Tima
riots, ne ſont-ce pas leurs Legionnaires à les Chaoux ne repreſentent-ils pas
les Licteurs deſquels encore on ſe ſertcôme de Fecialiens, pourtraicter de
la paix & delaguerreauecles Princes,ſireſpectez partout cet Empire,qu'il
n'y a Baſſa, Beglierbey, ouSaniacquine preſente ſateſte pour eſtre coupée,
†uand ceux-cyen.ontle commandementdel'Empereur, ſans qu'ilſoitbe
ing de plus grandes forces que d'vn ſeul homme: l'EmpereurTurc ſe
monſtrant en cela plus ſouuerain enſon Empire, que n'eſtoit l'Empereur
Romain : car outre ce qu'il eſt ſeigneur de la terre, il avn tel pouuoirde
vie & de mort ſur ſes § , qu'il faict ordinairement mourir les plus
grands & ſignalez perſonnages deſà domination, ſansforme ny figure de
procez,& ſans qu'ils'en faſſelamoindre † moins cela eſt-ilar.
riué fortrarement, où au contraire on faiſoitinfinies conſpirations contre
les Romains.Ioinct qu'il falloit qu'ils enuoyaſſent vn Centenier auec des
· forces pourſe deffaire de celuy qu'ils redoutoient : & cettuy-cy ſans autre
preparatif, n'a qu'à enuoyervn de ſes Chaoux pourluy en apporterla teſte.
Les Cadileſchers comme les Preteurs vrbains : Etlegrand Viſir, bien qu'il
ne ſoit pas en toutes choſes comme le Prefectuspretorio des Romains, &
quelAga, pourlecommandement qu'ila ſurles lennitzaires s'y rapporte
† ce regard : toutes-fois le ſouuerain † que ceux-là ont ſoubs
Empereur Turc,n'eſt pas moindre que celuy de ceux-là ſoubs l'Empereur
Romain. Le Mofti ſe rapporte à leur grand Pontife, tant pourauoirtoute
, ſouuerainetéſurlesaffaires de leur Religion, que pour eſtre fort meſlédans
lesaffaires de cet eſtat carbien-ſouuent les Monarques Turcs leurs com
muniquent les choſes plus importantes qu'ils veulent entreprendre : il eſt
Vºyque cet Empereur, comme i'ay dict,eſtantfort ſouuerain,l'autre s'ac
ºmodeàleurvolonté, ce quin'eſtoit pas ainſi dutemps de la Republique
Romaine; carceſtoitauPontife d'ordonner ce quiconcernoitla Religió.
VºylapourquoyAuguſte&ſes ſucceſſeursſefirentperpetuels grâds Pon
es, car § combien la Religion a de pouuoir ſur les eſprits, & les
ºicieux pretextes quiſe prennent ordinairement ſoubs l'apparence de
†éteté,ils ſe ſaiſirentdel'authorité ſpirituelle auſſibien que de la tempo
elle, & l'annexerent à leur dignité, ce qui n'eſt point neceſſaire auTurc,
ºeſtgardé ce pouuoir de diſpoſer de toutes choſes par deſſus tout : ilya
ºore pluſieurs autres rapports qui ſe pourroient faire ſurces deux Empi
º#is celaſe pourra iuger plus particulierement cyapres, -

Hiſtoire au demeurant qui pour eſtre moderne eſt fort embrouïllée


*ºù la datte des temps eſt fort confuſe, les actions meſmes les plus
#nes de remarque, ſont bien-ſouuent celles qui ſont rapportées par

* - : --- ---
1O2 Aduertiſſement. /

les autheurs auec plus d'embarraſſement : cela arriuant peut-eſtre pour la


aſſion que chacun porte à ſon party,lesTurcs ne s'oublians pas à ſe faire
† valoir, & meſpriſans lesChreſtiens,releuent leurs victoires par lava
nité, comme au contraire les Chreſtiens blaſment & rabaiſſent le plus
qu'lis peuuent leurs actions, par le reſſentiment qu'ils ont de leur cala
mité. Quant à moyie trouue le party de la verité ſi ſpecieux & digne de
loüange, queie me ſuis deliberé de l'embraſſer contre tout autre, ſi elle
me peut eſtre cogneuë, & d'enfaireau public le plus fidele rapport qu'il
me ſera poſſible, laquelle il me ſemble que Leonclauius en ſes annales a
ſuitie,§ que pas vn de nos modernes, auſſi m'arreſteray-ie plusà luy
qu'àtout autre, me ſeruanttoutes-fois de chacun ſelon les occurrences &
la neceſſité Ie ne doute pas toutes-fois qu'il n'y aitaſſez d'embarraſſemens
en pluſieurs endroicts, pour donner ſubiect aux Critiques d'aiguiſer leurs
langues, pourn'auoir pas eſté peut eſtre aſſez eſclaircisſelon leur deſir, &
les actions ayans eſté tranſpoſées ſelon leur iugement : outre cela ils euſ
ent deſiré en vne Hiſtoire, vn ſtyle plus ampoulé, tout parſemé de traicts
& de pointes, pour enrichir d'auantage ſon ouurage. Mais quant au pre
mier, ie reſponds qu'il eſt bien malaiſé de rapporter toutes choſes enlu.
miere § d'vne ſigrande obſcurité, ſans que quelqu'vne demeure
en arriere, quelque lumineux flambeau qu'on ait à la main : & quant au
ſecondpoinct, outre ce que ie n'ay pointremarqué que ce § façon
deſcrire des anciens & meilleurs Hiſtoriens, i'ay creu que la ſimplicité
eſtoit le plus riche veſtement de la verité, & que les plus belles qualitez
d'vn Hiſtorien eſtoientd'eſtreveritable §
LE PREMIER LIVRE
D E L A C ONT INVATION
D E L'H I S T O I R E D E S T V R C S.

SoMM A I R E E T C H E F S PR IN C I PAVx
du contenu en ce preſent liure.
-

MortdeScanderbecq,propos de Mahometſuricelle,rauage desTurcs enl'Albanie,


leurs courſes en la Caramanie, priſe de Giolchiſare, & des villes deScandalore, &
Norantine. -, Chapitre I.

Pluſieurs exploiéts des Venitiens contre lesTurcs,ſoubs leur capitaineCanalis,per


dentvnebatailleà Patras prennent la villed'AEnus, & les cruautez qu'ils yexercerêt,
priſedelaville de CoccinparlesTurcs, leſquels ſont deffaicts en Albanie,ayanspris le
partyd'Alexu d'Acugin, contreſonfrere Nicolas. Chapit.2.
Scituation de l'Iſlede Negrepont,& de Calchisville capitaled'icelle,aſſiegéeparles
Threſoubi lacha rgedu Baſſa Machmut, terreurpanique des Inſulaires, & leurin
ºnpourſefaire entendre à Canalis,priſede Scyros parles Turcs, & des villes de
òtora,& Baſiliqueen l'Iſle de Negrepont. . Chapit. 3.

Rauitaillement de Negrepont par les Venitiens, Machmut dreſſe vn Pont ſur


ºrdreen larméedesTurcs,pourfaireleursapproches,trahiſon deThomas
dauon deſcouuerteparvnefille:autretrahiſon de Floriode Cardone.
Eſ
Chapit.4.

Secours enuoyé à Negrepontparles Venitiens:l'extremitéen laquelle eſtoient re


hits les Negrepontins, &
-

leurcourteioye, Mahometſe voulantretirer,eftdiſſuadé


- - - f

4 *.

, -

P"Machmu, troiſieſme aſſautgeneralà Negrepont. Chap.5.


eºthmutanimeſesſoldats,les Nºgripontinsfontleſemblable,leurcourageuſedef
#ºº lapriſe dela ville:cruautez de Mahomet,& deceux deſonarmée:magnani
ºſtance de lafille du Gouuerneurde Negrepont. Chapit. 6,
lO4
Combienl'Iſle de Negreponteſtoitimportanteaux Chreſtiens:puiſſant ſecours des
Venitiens pourla deffencedecette Iſle trop tardif, baniſſement de Canalis, Ambaſſa
de des Venitiens vers le Turc. Chapit7.

Menéesdes Venitiens pourfairearmercontreleTure,courſes de Mocenique leur


generalſurſesterres.Ambaſſade dVſunchaſſan Roydes Perſes vers eux.Smyrne bruſ
lée, & Clazomenepilléeparles Chreſtiens : entrepriſe d'vn Sicilien,pourmettrelefeu
«n larmée nauale des Turcs, & le cruelſupplicede luy & deſes compagnons. Chap.8 4

Deffaite des Perſespar Muſtaphafils de Mahomet, & leurAmbaſſadeaux Ve


nitiens,les preſens dece Prince Perſan à l'Empereur des Turcs, & lapuiſſante armée
decemeſme Empereurcontre les Perſes :ligue des Chreſtiens contre les Turcs, auecle
Caraman, & les rauages qu'ilsfirent en leur terre. Chapitre 2.
Conqueſtes de Mahometſurles Perſes, victoire du Prince Zaniel Perſan contreles
Turcs,fortification de Mahomet enſon camp le canon des Turcs donnel'eſpouuante en
l'armée des Perſes,fuitte d'Vſunchaſſan, victoire desTurcs. · Chapit. 1o.
Reuoltedufils d'Vſunchaſſan côtreſonpere, lequell'attrappeſubtilement,c9 le fait
cruellement mourirdeſcription de la ville de Capha,ſiege & reddition d'icelle, conque
ſte de la CherſoneſeTaurique, & pays circonuoiſin parles Turcs. Chapit. II.

, Siege de Scodre ou Scutari,ſaſituation, pontſur le Boyan baſtypar les Turc,M0


cenique auſecours des aſſiegex,pas del'eſchelle, vigilance de Lauretan & ſon aduisà
| Mocenique. - C hapit. I2o»

Secoursaux Scutariens, & l'ordre de Soliman Baſſapourl'empeſcher, ilſondeles


† des Scutariens, & la reſponſe de Lauretan : aſſautgeneral à Scutari, & le
grandcourage, tant des aſſiegeans que desaſiegez les Turcs reſpouſſex, le nombre des
morts, tant depart que dautre en cet aſſaut, & lagrande diſette d'eau qu'auoient les
Scutariens,quand Solimanleualeſiege. Chap.13.
LeBruit de laguerre de Hongrie,faict decamper Soliman de deuant Scutari,ſiege
& priſe dufortdeSciauasparle Roy Matthias de HongrieſurlesTurcs. Chap.14.
Senderouieinueſtie & bloquée de troitforts,parles Hongres,les Nopces du Roy
Matthias ruinent les affaires des Chreſtiés, les Troupes d'Alibecqtaillées en pieces par
les Hongres:AMahometſeſert de l'occaſion des nopces du Roy des Hongres,pourpren
drelesforts deSenderouie:grande deffaite desTurcs en Moldauie. Chapitre 15.
Soliman ayantaſiegé Lepanthe,eſtcontrainét deſeretirer,lemeſmeluyaduint de
uant Coccine, où ilfut repouſſéprincipalementparla valeurd'vne ieunefille,la recom
penſe dicelle, & ſamagnanimeintegrité. - Chapit. 16.
Meſcontentemens du Roy Matthias de Hongrie,ſes viéioires contreles Turcs,re
- tire
Y

- - - 1o5
tire ſesgarniſons del'Albanie, & pourquoy : rauages des Turcs ſur les terres des Ve
nitiens,leſquelsfortifientles deuxchaſteaux de Gradiſque & Foliane pourles empeſ
cher. Chapitre 17. -

Bataille de Liſoncecontre les Venitiens, où les Turcsfurent victorieux : frayeur


partoutel'Italie,pour lapertedecette bataille. " Chapit. 18.
Siegedelavillede Croyeen Albanie : les Chreftiens victorieuxperdentkuraduante
gepour s'eſtreamuſezaubutin:grandcourage de Louys de Caſtel, & redditiondela
ville de Croye aux Turcs. Chapit. 19.
Secondſiege de Scutariparles Turcs, leurſommation,& la reſponſe des habitans,
perfidiedesTurcs à ceux de Croye, exhortation du pere Barthelemyaux Scutariens.
Chapitre2o.
Induſtrie des Turcspourletranſport de l'artillerie, inuention de certains boulets,
deſquels on nepouuoiteſteindre lefeu,& leurs effectsadmirables,premieraſſautgene
ralde Scutari : 4oo.hommesſauuent la ville, les Turcs eſtans deſia dedans, qui enfu
rentvaillamment repouſſez. . - Chapit.2I.
Superſtition des Turcs,ſecondaſſautgeneralà Scutari,exhortation du Pere Barthe
lemyaux Scutariens, & cellede Nicolas Monete, courage des femmes Scutariennes,
Mahomet encourage les ſiens qui furentrepouſſex, viſion des Turcs pour le ſecours
des Scutariens. - Chapitre2z.

Conſeilde Acomathſuiuypar Mahomet,priſe deXabiac,& de Driuaſte,grand


carnage desTurcs deuant Scutari, leurs rauages au Frioule9 leursgrands trauauxen
ce voyage. . - - Chapit. 23.
Grande diſette de toutes choſes à Scutari, reddition dicelleauxTurcs parles Ve
nitiens enfaiſant lapaix auecleTurc : le courage des Scutariens ſans exemple, & le
peudedeuoirdes Chreſtiens pour leſecours de cetteplaceſiimportante:priſe deſainčte
, AMaure, Cephalonie, & Zacinthe, & les cruautez quelesTurcs exercerent contre
les Inſulaires. Chapit.24.
Diette à Olmuce, courſes des Turcs en Hongrie,diligence du Roy Matthias, &
friſºde Verbesſurles Turcs,perfidiedel'EmpereurFederic. Chap.25.

:,'ſ,# Mortd'Vſunchaſſan, cruautéexecrable d'IſmaelSophy Roy de Perſe,troisgrâds


diſtins de Mahometqui eſcrit aux Rhodiots, & leur reſponſe, ileftanimépartrois
# "gats auſiege de Rhodes,quelegrandmaiſtred'Ambuſſonfaitfortifier.Chap.26.
4rriuée de Mahomet à Rhodes, trahiſon de Georges Canonnier, laTour de
ſinºt Nicolas furieuſement aſſaillie, granddeuoir des Rhodiots pour la deffence de
ºplace, eg leursproceſſions & prierespubliques. Chapit.27.
Io6
Deſſeins d'Achomatſurlavie dugrandmaiſtre, pont deboi pourbattrela Tour
ſainct Nicolas, aſſautgeneralà Rhodes où les Turcsſont repouſſezauec perte nota
ble,lesprincipaux cheualiers qui eſtoient à ce ſiege, Ambaſſade du Turc aux Rho
diots, & la reſponſe dugrandAMaiſtre,quimetſon eſperanceen DIE v, encourage
les ſiens, dernier aſſaut general à Rhodes , & le nombre des morts durant ceſiege.
Chapitre 28. - | -- - -

Viſion enfaueurdes Rhodiots dont les Turcss eſpounentent, ils leuent le ſiege de
deuant Rhodes, Mahomet fait mourirſonfils Muſtapha pourauoirviolé la femme
d'vnſien Baſſa:ſiege & priſe d'Ottrante, cruautez eſtranges des Turcs,principale
ment à l'endroict de l'Archeueſque,ſecours des Chreſtiens deffaitsparlesTurcs,le Roy
de Hongrie donneſecours à celuyde Naples pour Ottrante. - Chapit. 29.
Grandearmée de Mahomet en Aſie, mort d'iceluyproche de Nicomedie, ioye des
Chreſtiens à lanouuelle de cette mort, meurt de regret de n'auoirpris Rhodes, repriſe
d'Ottranteparles Chreſtiens, Mahomet aimoit la lecturedes hiſtoires, & feignoit
d'aimer la Religion Chreſtienne,mais iln'en auoit aucune, que quelques-vns 077fpenſé
qu'ileſtoitſuppoſé, & non legitimefils d'Amurath. - Chapit. 3o.

- •
CO NT INVATION
D E L HISTOIR E D ES TvRCs,
Liure premier.
# A plus agreable nouuelle que Mahometeuſtpeu
# entendre, & celle qui luy facilitoit & luy ouuroit I
# dauantage le pas à l'accroiſſement de ſon Empire, ©

# mort du genereux & inuincible Ca


#, c'eſtoit
# ſtrioth ou Scanderbecq : ce valeureux & incom
#) parable guerrier, qui § non ſeulement en ſon
# armée plus de dix mille hommes, mais † eſtoit
| #!
, luy ſeullebouleuert de la Chreſtienté, plus craint
& redouté des Othomans, auec ſon Cimeterre à
- | - " * lamain,que toutes les troupes des Hongres,ny des #
* Italiens, comme celuyquiauoit touſiours trauerſé leurs entrepriſes, & leur
auoit faict ſouffrir mille affrons au milieu de leurs plusgrandes proſperitez.
Cemagnanime Prince eſtoit allé receuoir ſon triomphe au ciel,le dix-ſept
ieſme de Ianuier, de noſtre ſalut, mil quatre cens ſoixante-ſept, & de l'E
gire, ou desans de Mahomet872. -

Le Monarque Othoman eſtoit lors de ſeiourà Conſtantinople, quand


, ilentendit ce qu'ilauoittant deſiré;mais ce fut auecvntel tranſport d'aiſe & Ioye exceſſ
de contentement,queſonametouteaux gros bouillons de laioye,rópit les §
digues de toute cette ſeuere grauité & maieſté Imperiale, & tout ce que la † *
diſſimulati6(qu'il tenoit pourlaplus noble de ſesvertus)luy euſt peudon
nerderetenuë entoute autre occurrence, pour laiſſer eſpandre à ſouhait
cedelicieuxplaiſir parmy tous ſes ſentimens, ne pouuant meſmes ſe retenir
deſauteler, & faire desgeſtes indignes & meſſeansà ſa grandeur, & de dire:
Qui peut donc empeſcher maintenant Mahomet de ſerendre Monarque
del'Aſie & de l'Europe ? mettre à feu & à ſangla rebelle Albanie, & la ſu
1 perbe Italie : puis que celuy-là n'eſt plus qui ſeul retardoit le cours de nos
plus hauts deſſeings ? à ce coup prendray-ievne cruelle vangeance de tant -

d'ennuis que ces mutins m'ont tant de fois donnez, puis qu'ils ſont ſans
l ºonduite,&à cette fois ſeray-ie le dominateur du Chriſtianiſme, puis qu'il
- * perdu ſon eſpée & ſon bouclier. Et de faictcroyant quotout fuſt en de
| O ij
1o8 Continuation de l'hiſtoire
ſordre & encombuſtion,ilenuoyanouueaurenfortaux ſiens,quieſtoient
deſia dans l'Albanie : mais le deffuncty auoit mis tel ordre, principalement
à Croye, à Liſte, & à Scodre ou Scutari, ayant laiſſé le Senat de Veniſe
r† pourtuteur &adminiſtrateur deſon fils & de ſon Royaume, † lesTurcs
ayans faictvngrand rauage partoute la prouince, & pris quelques places
banie.

de peu d'importance, ces troisicyleur firentteſte, auec tant de courage &


devaleur, qu'ils furent contraincts pour cettefois, de ſe retirer ſans autre
aduantage,allans deſcharger leur colere ſur les confins de la Caramanie, où
ils prindrent le fort de Giolchiſare, que les Grecs appelloient Rhodopyr
gon, ou Rhodocaſtron, en noſtre langue Chaſteau de roſes : apres lequel
exploict Mahomet ſe retira à Conſtantinople, paſſant preſque toute l'an
veage de née milquatre cens ſoixante neuf, ſoubs le couuert.(toutes-fois Sanſouin
## tient que ce fu ten#mps qu'ilfuten Sorie & en Egypte où ºp#neſ >

† grande victoire qu'il obtint contre ces peuples là, il printles villes de Scan
rentine. dalore & Norrentine.) - : | | |

- Mais comme ſon naturel eſtoit du tout porté à l'action ennemie de re


pos,& que d'ailleurs ſonambitionl'eſguillonnoit ſans ceſſe às'agrandir : les
courſes que les Venitiens firent cependant ſur ſes terres, ſoubs # conduite
de leur capitaine Canalis, luy donnerent encore vn coup d'eſperon, pour
Exploicts des le faire plus promptement ſortir du logis : car s'ils auoient eu quelque ad
y§ uantage au parauant, comme nous raconte Chalcondileau dixieſmeliure,
†" lesTurcs auoient eu depuis leur reuanche ſur leur Prouidadeur Barbaric,
quifuttaillé en piecesauectrois mille des ſiens,ſe voulant emparer de la vil
» ter, le de Patras, & depuis leurAdmiralmeſme,(CapelLauretan)receutincon
[fl5, tinentapresvnelourde ſecouſſe proche de ladicteville,laquelle euſt enco

re eſté ſanglante qu'elle ne † , ſans vn pouſſier qui s'eſleua enl'air, en
forme d'vne nuée toutenoire, quioſtantlaveuë au vainqueur pour pour
ſuiure ſavictoire,en laiſſatoutes-fois aſſezaux vaincus pourſe retirer en lieu
de ſeureté. Depuis ſoubs Iacques le Vegnier & Iacques Lauretan, ils s'e
ſtoienttouſiours tenus ſur la deffenſiue, iuſques au temps de ce Nicolas
Canalis, lequelayant armé quelques vingtgalleres, & pillé quelquesme
ſtairies & bourgades en laTheſſalonie,ilſereſolut de ſe ſaiſirdelaville de .
. . , Lagoſtitia ſurlamer de Patrasabandonnée desTurcs, & de la fortifierprö
†ptement, le lieuluy ſemblantfort à propos pourfaire laguerre,ce qu'il fiſt
* Vºs fort facilement & ſansaucune reſiſtance, il eſt vray que deux mille Turcs
eſſayerent depuis de le ſurprendre, mais ils en furent brauement repouſſez
auecgrande perte. Canalis donc, ayant donné ordre à laville, & laiſſé Iac
ques §y egnierauec ſixgaleres pourlagarde d'icelle, s'en retourna auec le
reſte del'armée à Negrepont, oùl'ayant accreuë d'vnnouueau renfort, il
paſſa à Lemnos, † à Imbros, où il delibera d'attaquer la ville d'AEnus,
priſe de l,vil auecvingt-ſix galeres : & comme ileut commandé de dreſſer les eſchelles
† à lapointe duiour contre les murailles, ceux quilesauoient plantées ayans
recognu les habitans tous effrayez, monterent hardiment deſſus, & deſ
cendus dans laville, rompirent les portes, par où le reſte del'armée entrac
la villepillée,tout futmisàfeu à ſang; ce quieſchappalacruauté du †
a plus
des Turcs, Liure premier. Io9
la plus-part fut faict eſclaues, & lereſte des † , tant hommes que
femmes, fortinhumainement traictez, les lieux ſaincts pollus & propha
nez ſans aucun reſpect du nom Chreſtien(les habitans de cetteville n'ayans
point changé de Religion, bien qu'ils fuſſent à lors ſoubs la domination •
Mahometane)iuſques àvioler & forcer les Religieuſes,auſquelles l'enne
#
myinfidelen'auoit oſé donneratteinte,touché de quelque reſpect.Toutle
butin fut apporté à Negrepont, où legeneral ſe retiraauec deux mille cap
tifs qu'ily mena, leſquels eurent bien-toſtleur reuanche du cruel traicte-, .
ment qu'on auoit exercé contre leurpatrie, en lapriſe de l'Iſle de Negre- # #
pont par le Turc, comme nous verrons incontinent:mais Canalis n'auoit #ºPº
pas arreſté là le cours de ſes victoires; car pourſuiuant ſa pointe,il forcea les
Foglies neufues, & les pilla:ileſperoit bien faire le meſme aux vieilles Fo
glies, mais ilfut repouſſé des murailles,auecgrande perte des ſiens.Ortan
dis qu'il eſtoit empeſché à toutes ces † ; lesTurcs ayans aſſemblé - -

bonnombre devaiſſeaux, prindrentlaville de Coccin en l'Iſle de Lemnos, paſ del, ils


&apresl'auoirſaccagée, emmenerenttousles habitans,& la rendirent tou-† "
te deſerte : Canalisaubruit de cette priſe, s'en alla incontinent à Lemnos,
mais trop tard, l'ennemys'eſtant § retiré, & n'ypouuant faire autre cho
ſe que voir la ruine miſerable des ſiens; les priſes, pertes & pillages ayans
preſque eſté eſgalezainſi de part & d'autre.
Toutes-fois il ſembloit que les Chreſtiens euſſent en cette année del'ad
uantage : car en Albanie Alexis & Nicolas freres, ſurnommez d'Acugins, • #.
eſtans en differentpour la Principauté, Nicolas fut ſecouru des Venitiens
d'enuiron douze cens hommes, quiauoient pour chefIoſeph Barbaric, en
qualité de Prouidadeur, Alexis auoitapp § Turcs à ſon ſecours, quisy
trouuerent iuſques au nombre de mille cheuaux, ce quiluy enflatellement -

le courage, que meſpriſant les forces de ſon frere, ilſevint camper à la ha


ſte auec toute ſa caualerie, aux valées de la montagne noire, ſurlariue de
Drimon, &&dés
futvaincu, le ſes
tous lendemain preſentalabataillea
gens de cheualtaillez ſondeux
en pieces, frere,cens
parexceptez,
lequel il De#e d'Ale
" d'Acugin.
qui ſe ſauuerent auecluyàlafuite.Toutes ces rencontres, dis-ie, bien que
de petite importance pourlagrandeur d'vn ſi puiſſant Monarque, ne laiſ
ſoient pas de letoucher de fort pres,veu meſmes que celaſe faiſoit comme
àſesportes.Etvoyant quela principale retraicte de ſes ennemis eſtoit l'Iſle
de Negrepont, il ſe § de mettre ſus vne ſi puiſſante armée de mer, Reſolution de
† tOUS † efforts de ſes ennemis ne luypeuſſentempeſcher del'emporter: †
ilauoit touſiours œilladé cette Iſle, depuis qu'il s'eſtoit rendu ſeigneur de † -

celle de Methelin: & voyant d'abondant de quellevtilité elle eſtoitauxVe


nitiens,il ſe reſolut encore dauantage àl'emporter; & afin qu'on voye de
† importance elle luy eſtoit, il ne ſera point mal à propos d'en repre
cnter icyla ſcituation.
LIſle de Negrepont, que les anciens ontrecognuë ſoubs le nom d'Eu- III.
bœe,la Prenant en ſalongueur,s'eſtéd depuis le Promontoire Sunie ouCap s ,
deCollonnes , iuſques au pays deTheſſalie,ayant ainſi ſa longueur depuis †#
le Promontoire Cenée, ou Cap de Marteliuſquesau Promontoire Gero-º"
-

- -
O iij -
-

11O Continuation de l'hiſtoire


ſte ou Cap dor, ſalargeur eſtant ineſgale, comme celle quia 15o.milles de
longueur , & quarante de largeur, &ainſi forteſtroicte au reſpect de ſalon
gueur, eſtant ſcituée au milieu du quatricſme Climat, enuironle dixieſme
-

Oll † , elle†regarde
parallele, ayât ſon
longiour de quatorze heures. Du coſté de Calchide
la Bœotie, enuiron lendroict où fut iadis le
port d'Aulide, & où l'Euripefait parade de ſes mouuemens ſimerueilleux,
tellement que vous lavoyez ſe courber & fieſchirvers les terres & regions
. .. quil'auoiſinentau continent, & regarde l'Attique, Locres & Mallée, où
# §" eſtà preſentle Goulphe de Zeiton, au Promontoire Cenée. Quantàlavil.
†º le capitale del'Iſle, queles Atheniens nommerentiadis Calchis,à cauſe de
' l'abondance du cuiure quis'y retrouue, & maintenant Negrepont, elle eſt
aſſiſe envne plaine, preslelieu ou le canal eſt le plus eſtroict, & reſpondant
directement au portancien d'Aulide,les Negrepontainsl'auoientagrandie
du temps qu'Alexandre paſſa en Aſie, enfermans dans leurs § Ca
ueth & l'Euripe,ſur leſquels ilsbaftirentvn Pont,refirent leurs murs qu'ils
|
flanquerent de tours & de pluſieurs bouleuerts,edifians leur principalefor
tereſſe aubeaumilieu du canal, ſurvn rocq, qui le rendoit naturellement
sºººººº imprenable : pour lors elle auoit encore eſté tellement fortifiée, tant par
mer que parterre, que chacunlaiugeoitinexpugnable.
L'EmpereurTurc eſtoitaſſezaduerty de toutes ces choſes,voyla pour
uoyil reſolut de l'aſſieger par mer & parterre, donnant la charge de lar
†"§enl mée de Mer, à ſon grandVizir le Baſſa Machmut, par la prudence & valeur
† duquelil eſtoit deſiavenu à chefde pluſieursgrâdes&notables entrepriſes,
Font " cóme ils'eſt peu remarqueràla ſuite de cette Hiſtoire,lequelauecvne flotte
de trois cens voiles, dontilypouuoit auoir quelques ſix-vingts, que fuſtes
•es forces des que galeres,partit du brasſainct George, tournantlaprouë droict à Negre
| Turcs deuant
Negrepont. pont Legeneral Canalisy eſtoit alorsque les nouuelles vindrent en l'Iſle

v,
que ſonarmée
† le Turc eſtoit auecdeplus
croiſſoit iourdeencent
iourgaleresés enuirons
ce bruitl'ayant de Tenedos,
eſmeu, &
ſans toutes
oisyadiouſtertrop defoy, de peur de ſurpriſe, il s'envint à Lemnos, & de
Teneur pui là à Imbros, où la peurayant ſaiſyles Inſulaires,ilentendoit les choſes bien
†"" plus affreuſes, encore par reputation qu'elles ne l'eſtoient en effect, il eſt
vray que la façon parlaquelle ces Inſulaires ſe faiſoiententendre, eſtoitàla
verité fort effroyable de ſoy-meſme : car ce general n'entendant point leur
- langage nylalangue Latine, & eux quiluy diſoient en Latin le nombre des
Façon de ce, vaiſſeaux qu'il yauoit, voyans que c'eſtoit comme s'ils euſſent parlé à vn
†. ſourd,ils taſchoient entirans leurs cheueux luy faire cognoiſtre qu'il eſtoit
pour ſe faire
† fort grand. - -

† Le Venitien pours'eſclaircir du faict, enuoya dix des meilleures Galeres


-
del'armée recognoiſtrel'ennemy,luy commandant que s'ille iugeoit n'a
uoir point plus de ſoixante† , qu'iltournaſt les proues contre luy, &
qu'il ſeroit incontinent à ſon ſecours auec le reſte de l'armée : mais s'il en
auoit dauantage, qu'il ſe retiraſt ſans s'amuſer à combatre. Lauretan qui
eſtoitle chefde ces vaiſſeaux, pour mieux executer le commandement de
ſongeneral, enuoya deuantvnnommé François Quirin, pour faire ſesaP
- proch CS
- - - --.- 4 -" · • -

des Turcs, Liure premier. III


proches le pluspres qu'ilpourroit de l'armée † , & de luy faire
entendre par certain nombre d'artillerie le nombre qu'ils pourroient eſtre.
Le ſignal donné par Quirin,larmée Venitienne commença auſſi-toſtàre- †
brouſſerchemin, & voguer en haute mer,ce qu'il fiſt fort à propos : car ſi &leu§.
toſt quelesTurcs eurentveu de loinglagalere Venitiéne quifaiſoitladeſ
couuerte, & toutes les autres quila ſuiuoient en queuë, ils firent auſſi-toſt
partir dix galeres du port,leſquelles pourſuiuirent larmée Venitienne iuſ
quesàlanuict, eſparſe çà & ſàpour ſe ſauuer : Canalis vint cependant auec
quatre galeresauport de Paleocaſtre. , : · · ·

uantauxTurcs, ayans perdu de veuë les Venitiens à cauſe del'obſcu


rité de la nuict, ils prindrent la route del'Iſle de Scyros, contre laquelle sero, ſema
ayans désle lendemain braqué leurartillerie, ils la batirent ſi furieuſement * Tº
u'ellc fut contrainte de ſe rendre à la miſericorde du vainqueur : ils s'e
§ arreſtez à cette Iſle qui eſt en l'Archipelague, à cauſe qu'elle leur
ſeruoit, tant pour raffreſchir leurs gens, que pour empeſcher le ſecours de
leurs aduerſaires. Le Venitien yauoit enuoyé dix de ſes Galeres pour laſe
courir,mais elles n'oſerétiamais approcher pour côbatre,taſchans ſeulemét
d'offencer leurs ennemis en tirant de loing,craignans que s'ilsvenoient aux
mains, ils ne fuſſentaccablez parl'armée ennemie, ce quifuſtaduenu ſans
doute, s'ils euſſent commencé la meſlée. LesTurcs donc pourſuiuans leur
pointe, paſſerent del'Iſle de Scyros en celle de Negrepont, où d'arriuée Il force se:
ils forcerent les villes de Stora ou Lora,& celle de Baſilique,toutes les deux ra & Baſilique.
furent pillées & bruſlées. - • . '

Cependant les Venitiens s'eſtoient mis àl'abrya Capmartel, lieu fort,


& duquel nous auons parlé cy-deſſus, & delà enuoya par le canal de Loret,
auant que l'ennemy euſt occupé tousles paſſages, troisgaleres chargées de IIII.
viures à Negrepont, commandant à leurs capitaines dy demeurer pour la
garde de la ville, ſiles Officiers trouuoient qu'il fuſt expedient de ce faire. Les †"
Les viures furentreceus, & lesgaleresrenuoyées à l'armée : on commanda §.
auſſi depuis à IeanTron dy aller auec deuxgaleres, mais tous les paſſages
eſtoient deſia occupez parle Turcaux enuirons de la ville; de ſorte qu'vne
de ſes galeres, dans laquelle ileſtoit, ayanteſté fort eſbranſlée par les coups
À ! de canon qu'onluy tiroit ſans ceſſe,ilfutcontrainct de s'en retourner. Les
choſes s'eſtans paſſées de cette façon, Machmut aueccette puiſſante armée
| demer,voulut faire ſesapproches delaville de Negrepont, capitale de l'Iſ
V
Machºuºº
le,mais par la valeur des habitans & des ſoldats qui eſtoient dans la ville, lant faire ſes
§ ,lesTurcs qui eſtoiét deſia deſcendusde à terre,furentrepouſ-§
- • -

ſez dans leurs vaiſſeaux, § aduintle cinquieſmedel'an §qua-ºrº Iuin,


trecens ſeptante. - | -

· Mais le treizieſme dudict mois, Mahomet eſtantvenuluy-meſme en riue † en ſon cap


perſonne par la Bœotie,auecplus de ſix vingts mille combatans,ilfiſt dreſ-§ #
ſer vn pont † le canal, † àl'Egliſe ſainct Marc, vn mille loing § pont Vn llE

delavi le, ſur equel paſſatoute ſonarmée en l'Iſle, & faiſant apres apro- 1•-- "


cherſ / illefuti
on armée de mer,lavillefutinueſtie de toutes parts, il fiſt ſommer la
-

la §r§ -

our faire
ºdeſe rendre OrcommelesTurcs ont incontinent faict leurs aPPro- §hes
II2 | Continuation del'hiſtoire
ches,pourlamultitude des Gaſtadours & Azapes & Coynaris ou Paſtres
& gardeurs de beſtial, qui ſuiuent ordinairement larmée du grand Sei
· gneur,tant pourfaire les eſplanades & rabiller les chemins paroù cettear
mée doit paſſer, que pour faire les retranchemens du camp, gabions &
autres choſes neceſſaires pourlaſeuretéd'vn ſi grand peuple, & pourſeruir
--
aux ſiegesauſſi quand il en eſt de beſoingA peine eſtoiét ils campez qu'on
†vidauſſi-toſtcinquante cinqpieces de canon braquées contre laville,ſepa
§# rées toutes-fois en diuerſes batteries, ce ne fut as toutes-fois ſans queles
' habitans leureuſſent faictſouuentes-fois ſentir leur courage & leurvaleur:
mais eſtansaccablez parla multitude, ils furent en fin reſſerrez dans leur
ville, & reduicts à la deffenſe de leurs murailles. Toutes-fois Mahomet
ayant deſia eſprouué en maintes rencontres, combien le dernier deſeſ
poir des Chreſtiens auoitcouſté de ſangaux ſiens, iugeant aſſez parles eſ
carmouches precedentes, que ceux-cy n'eſtoient pas pour luy rien ceder,
Le Nsºº tandis qu'ils auroient les armes à la main,illeur fait propoſer quelquesgra
† cieuſes conditions, pour les receuoir à compoſition; mais eux qui ſça
l§ uoiétaſſez que lavoix de cette Panthere contrefaiſoit ſa cruauté ſoubs vne
arole d'humanité,rendus ſages partant de perfidies que les† du Pe
§
auoient eſprouuées, & particulierement ceux de ſaincte Maure,
neluy rendirent autre reſponſe,que d'hommes reſolus à ſouffrir toute ſor
te de miſere, & mourir honorablement pourla deffence de leursautels, &
de leur chere patrie. - ".

|
§Ce quifiſtreſoudre Mahomet,àyfaire donnervn aſſaut general, tant
mer que parterre, auquel il ne gaigna que des coups, auec vne nota
Aſſauts dônez le perte des ſiens le meſme luy arriuaau ſecond aſſault qu'il donnaà quel
:# ques ours de là: mais commele petit nombre des † ne ſe rapportoit
§" pas à la multitude desaſſiegeans, les vns ſe trouuoient bien-toſt harraſſez,
& les autres touſiours vigoureux, p r eſtre raffreſchis à tous momens,
mais tout ce qui §
plus ruinerleurs affaires, c'eſtoit la trahiſon.
Alors commandoit dans la ville pour la ſeigneurie Venitienne,Paul Eri
ze en qualité de Gouuerneur,& Louys Calbe en celle de Capitaine,& auec
eux Iean Badouare, tous trois fortaffectionnez aubien de leur patrie, mais
ſur tous laville auoitvnegrande confiance enlafoy de Thomas Eſclauon,
·r - lequelonauoitfaictchefde cinq cens Fantaſſins Italiens, & auquel pour
† Eſ ſon expenence onauoit donné la charge de General de l'artillerie; ce fut
' toutes-fois de luy que procedatout le malheur, car deſeſperant du ſalut de
Negrepont, les ſiens commencerent premierement à s'enfuirauclair dela
Lune dans le camp desTurcs, & luy-meſme commença ſecrettement à ca
pitulerauec Mahomet,s'offrant deluyrendre laville, pourueu qu'ill'aſſeu
raſt de ſavie & de ſes biens, & du ſalut de ſes citoyens natifs de la ville, ne
ſe ſouciant point des Venitiens, ou autres Latins, quieſtoientauecluyat
tendans § de ce ſiege,mais ils ne pouuoienttomber d'accord, d'autant
- quelegrandSeigneurvouloitbien luy donnerla liberté & ſonbien, mais
# dureſte,ille vouloit auoirà ſa diſcretion. Ortandis qu'ils eſtoient ſur ces
# # contentions,latrahiſonfut deſcouuerte par le moyen d'vne fille, qui vid
- - - · quelques
des Turcs, Liure premier. I13
quelques lettres attachées aux fleches que les Turcs tiroient au quartier
de ce Capitaine Thomas, & en celles auſſi que l'Eſclauon tiroit §
Turqueſque : outre ce on dit qu'onl'auoitveu parlementer de nuict ſur la
murailleauecl'ennemy : ioinct que ſon nepueu Lucas de Cortulie s'eſtoit
ſecrettement deualé delamuraille aueclettres de ſon oncle au Monarque
Turc, ce quele peuple ayant recogneu, il s'alloit fairevnegrande ſedition pºd de
&vngrandmaſſacre danslaville,mais laprudence du Gouuerneury reme-†.
dia, quiauecgracieuſes parolesayantappaiſé le Capitaine,l'inuita à diſner §.
† oüille fiſt poignarder, & pendre apres ſon corps aux feneſtres à -

laveuë de toutlemóde,mais cette execution n'amortit pas la trahiſon, ilne -

la fiſt que ſurſeoir, car Florio de Nardone, quiauoit eſté mis en la place de Autretrahi
Thomas, continuant les menées de ſonpredeceſſeur, ſe deſroba la nuict†º
par deſſus les murailles, & fut trouuer Othoman, Faduertiſſant de pointer -

ſonartillerie contre la porte du Bourche vieille & caduque, & laquelle ne


pourroit iamais ſouffrir le moindre effort de ſon tonnerre, ce qui aduint:
car à la ſeconde vollée de canonayanteſté miſe par terre,elle combla de ſes
ruines les foſſez,iuſques à la hauteur de ſes fondemens.
Durant ce ſiege, l'armée Venitienne conduite par Canalis, & qui ſe - -

tenoit ſur lesaduenuës de l'Euripe, pour prendre l'occaſion à propos de -

donner quelqueſecoursaux aſſiegez, fut contraincte de ſe retirer en Can


diefaute deviures, pour eſtre trop pres deNegrepont, en attendant quel- V.
que ſecours de la Republique, qui ſçachafft de quelle importance luy |
eſtoit cette Iſle, auoit enuoyétoutes lesgaleres qu'elle peut appreſter, les uoyé
-
•♂ de Veni
vnes ſans les autres ſans ceſſerau ſecours de cette place : le Gouuerneur de ſe pour Ne
Candie ſecourut encore cette armée de ſept galeres. grepont.

Quantaux Negrepontins quiauoient deſia ſouſtenu le ſiegel'eſpace de


trente iours, aſſaiſisdetantdemaux , & deſormais recrus par tant de tra
uaux qu'ils ſouffroient iour & nuict, auoientietté l'ancre de leur derniere Extremité de
eſperance ſur le ſecours qu'onleurauoit promis de leurenuoyerdeVeniſe, º"
afin de rompre le pont qui eſtoit ſur l'Euripe, & mettre le feu aux nauires,
car celaaduenant, c'eſtoitfaict ſans aucun doute de l'armée Turqueſque,
cela ſeulementils requeroient les larmesauxyeux, & de cela ſeulement ils
parloient iour & nuict, quand tout à coup ils apperceurent quatorzegale
res & deux nauires de charges à laveuë de la ville, auec leſquelles Canalis
- / ) / N -
Grande
rande ioye
1oye \
auoit deuancé le reſte de l'armée, àlafaueur du flux & de la biſe, eſtantve-d§ .
:f ' nuſur irinopinementaubeau milieu du canal. L'allegreſſe en fut ſi gran- #
de † , que ne pouuant retenir leurioye dans leur enclos, les habi-†""
tansſe § les murailles à crier contre leurs ennemis, pour leurdon
ººrplus de terreur,maisleurreſiouyſſance s'enallaauecles cendres de leurs
feux de ioye. - -

|-; Et de faictle Monarque Othoman eſtonné de cette groſſe flotte qu'il•


ºitdeſcouuerte de loing, ſçachantaſſez que ſes galeres eſtoient deſgar- †.
#deleur Chiourme, † qu'elle eſtoit parlesvillages & caſſines de #
º,& quelesChreſtiens pouuoientàleurayſe romprele pont & ſes vaiſ † † Baſſa Mach

º, eut peur; de ſorte qu'onluyauoit deſiaappreſtévn cheual, des plus "


•^ -- '
l I 4- . Continuation del'hiſtoire
viſtes de ſoneſcurie pourpaſſer le pont, & ſe retirer en diliggence à Con
ſtantinople,ſans le Baſſa Machmut quiluy diſſuadace conſeil, luy repre
ſentant que ſa retraicte eſpouuanteroit tellement ſon armée, que cela
ſeul eſtoit ſuffiſant pour faire perdre, non ſeulement ſon armée de mer,
mais auſſi celle de terre,& le faire deſchoir delagloire & de l'honneur qu'il
M †† auoit acquis entoutes ſes conqueſtes, mais pluſtoſt qu'il donnaſt VIl §

§ § generalàlaville, parmer & parterre,faiſantaduancer ſes vaiſſeaux du ca


" maloùils eſtoient contre les murailles de laville, la donnant au pillage du
ſoldat victorieux,car auſſi bien iuſques icy il ne s'eſtoit ſeruy que de l'vn de
ſes bras, cette belle armée de mer luy demeurant comme inutile.
Ces conſiderations arreſterent Mahomet, & luy firent ſuiure de poinct
en poinct le conſeil de ſon Baſſa: auſſibien les Chreſtiens s'eſtoient-ils mal
approfitez leuraduantage de vent & marée, par la puſilanimité, comme
Laſcheté, de
, l'on tient, du General, quivoulutattendre le reſte de larmée, encore que
- - 1 -

c§" tout le monde luy conſeillaſt de ſe ſeruir de ſon aduantage, & que meſ
†" me les Picemanes freres Candiots, capitainesd'vn nauire de charge deman
daſſent à haute voix de marchercontrel'ennemy, ſe promettans par la for
ce de leurvaiſſeau, duvent & des vagues, de romprele pont;s'eſtimansau
moins bien-heureux d'auoir expoſéleurs moyens & leurvie pour la Repu
blique. Mais le Generalleur deffendit,&à tous autres, de bouger en façon
§ , leurcommandant de ſetenir où ils eſtoient,iuſques à ce que
le reſte del'armée fuſt arriué, laquelleaulieu devenir ſecourir les pauures
aſſiegez, s'amuſoit à pourſuiure les Catalans & Geneuois qui trafiquoient
en cette mer pourlesattireràſeioindre auecleur flotte,laquelle toutes-fois
eſtoit ſuffiſante pour executer cela, pourquoy on l'auoit aſſemblée : mais
quoy! le ſecretdel'eternelle Prouidence en auoit autrement ordonné: de
ſorte que les pauures habitans eurentvne courteioye, carleiour enſuiuant,
# celuy où ils auoientveulesgaleresVenitiennes,Mahomet ſuyuant le con
# º ſeil de ſon Baſſa,fiſt dés la pointe du iour döner le troiſieſme aſſaut general
• • . ) 2

parmer & par terre, en donnanttoute charge à Machmut, lequelcomme


iln'auoitpas moins de creance parmy les § que de valeur & d'expe
rience enl'art militaire, pour les encourager dauantage leur diſoit.
Il eſt temps maintenant, compagnons, que nous prenions noſtre rai
V I. ſon des torts que ces idolatres nous ont fait ſouffrir en la priſe de la ville
d'AEnus, § fut telle qu'ils n'eſpargnerent pas les choſes meſmes
† qu'ils tiennent les plusſainctes; oſtons leur ce qu'ils ont de plus cher,l'hon
ºº neur, la vie & lesbiens : tout eſt envoſtre pouuoir, le Seigneur en a faict
preſent àvoſtre vaillance, auec promeſſes de tres-amples recompenſes à
ceux qui monteront les premiers ſur la muraille, & feront le mieux leur de
uoir,toutes choſes en † ſerótfauorables,labreſche plus queraiſon
•nable,lesaſſiegez ſans ſecours,mattez delonguesveilles, & § de
coour de ceux qui ſont dans leursvaiſſeaux, ayant perdu le temps de nous
•faire † s'ils euſſent ſceu bien vſer de leur fortune : teſmoi
gnage tres-aſſeuré que noſtre ſainct Prophete nous aſſiſte maintenant du
hautdu ciel, pournous faire remportervnglorieux triomphe de noſtre en
trepriſe.
des Turcs,liure premier. 1 I5
repriſe. Courage donc,bons Muſulmans; & queieremarque par voſtre
allegreſſe & promptitude, que voſtre valeurvous fera pluſtoſt emporter
lavictoire, que noſtre multitude : à ces mots chacunayantietté vn grand
& effroyable cryàleurmode, comme ils entédirent queleurS eigneurleur
auoit donné le pillage,chacun à qui mieux mieux, s'encourageansl'vnl'au
tre, commencerentà donneraux pauures Negrepontins, vn rude & cruel
aſlaut.
· Leſquels deſiatous allangouris d'vn continuel trauail,furent encoura- LesNegrepºs
gez parleurs chefsà fairebienleur deuoir,leurs repreſentans leur Religion,† †"
leursautels, leurs femmes, leurs enfans,le ſaccagement, le violement, laº
cruautéinexorable de l'ennemy, & finalement la miſerablè ſeruitude, en
laquelle eux & les leurs ſeroient reduicts à perpetuité: toutes ces choſes les
animerent de ſorte qu'ils ſouſtindrentl'aſſaut vniour & vne nuict ſans rela
che,car Machmut auoit donnévntelordre en cetaſſaut, que rafreſchiſſant
touſiours ſes gésd'heure à autre,ilyauoit touſiours ſurlabreſche de frais &
nouueaux combatans.Mais en finapresauoir ſouuent iettélesyeux vers la
marine, du coſté oü ils auoientveu le iourprecedent les vaiſſeauxVeni P

tiens,pourvoirs illeurviendroitpoint quelque ſecours, & mis ſurla plus ce s .


hautetourvne enſeigne
tremeaffliction noire,
en laquelle pour fairevoiraux
ils eſtoient, leurspriuez
& ſe voyans le deſeſpoir & l'ex-
de tout ſup-" †
potins.
l(; !

#
port, ceux qui eſtoient à la porte Barchiane, où eſtoit le plus rude aſſaut,
# tous couuerts de playes, &accablez de faim & de laveille,abandonnerent
# finalement ſurla ſeconde heure duiour, les muraillesauxTurcs, & ſe reti
# rerent ſurlaplace, où derechefſerrez envnbataillon,ils attendirent reſo
# luëmentleurs ennemis qui eſtoient entrez par cette porte Barchiane, où ſe
# | renouuelavnconflict non moins furieux & cruelque le precedent,iuſques
à ce que leur deſſaillantlavigueur&l'haleinetout enſemble,ils furent preſ
† tous maſſacrez, on dit meſme qu'ence conflict, ſe trouua quelques
emmes armées comme les hommes, parmyle nombre des morts.
Alors on ſe mitau maſſacre des § habitans, tant de perſonna- Priſe de Neº
ges de qualité qu'autres, Leonardle Chauue fut maſſacré au § , Bon- †
domarie en la maiſon de PaulAndreatie, quia eſcritl'hiſtoire de la priſe de †,
Negrepont, & Henriciquis'eſtoit ſaiſy auecquelques-vns, d'vnlieu aſſez ce ville
fort, eſtant ſorty ſoubslafoy de Mahomet,ille fiſt ſcier à trauers le corps,
diſantce perfide, qu'illuyauoitpromis depardonner à lateſte, mais non cruauté de
#s : pasaux flancs : eſtant tellement irrité de ce qu'ily auoit perdu, ſelon quel-"
• ques-vns, plus de vingt-cinqmille combatans, & ſelonlesautres, & parle
rapportmeſme desTurcs, plus de quarante mille, qu'il fiſt faire vn ban,
quetousles hommes depuis vingtans, paſſaſſent parle fil de l'eſpée,& que
celuy ſeroitpuny de mort, qui en ſauueroitvn ſeul paſſé cetaage; d'autres
diſent qu'il commanda que tous les priſonniers engeneral, fuſſent mis en
Pºces, & que cette ordonnance fuſt entretenuë partoutes ſes terres l'eſpa
#deſixmois,les Grecs ſeulement exceptez, qui furent vendus en plein
Bageſtan, pour eſtre menez en perpetuelle ſeruitude.Mais en quelquefa- cºdeeme
ºnqueleschoſesayent paſſé pourceregard, il eſtbien certain qu'on vſa ººººi
Pj
, n6 Continuation de l'hiſtoire
de toutes ſortes de cruautez, d6tcesimpitoyables ſe peurétaduiſer, empal
lans les vns,fendans les autres parle § du corps,oubien les accrauan
tans contre les pierres. Les teſtes des pauures occis furent miſes en vn mon
ceau deuantl'Egliſe ſainct François, en vne grande place, pour ſeruir de
ſpectacle furieux & eſpouuentableaux femmes & aux enfans qu'on laiſſoit
envie, on en fiſt autant deuant le logis des Seigneurs, & deuant celuy du
Patriarche; & quantaux corps, afin que par leur corruption & puanteur
l'airn'en fuſtpointinfecté, Mahomet les fiſtietter dans le canal. Or entre
les plus belles dames de la ville, la fille du Gouuerneur Henrici tenoit à
lors le premier rang, pourles rares perfections qu'on voyoit reluire en el
le, mais encore d'auantage pour ſon incomparable vertu & chaſteté:cette
cy pourl'excellence de ſa beauté ayanteſté preſentée à Mahomet; lequel,
comme ils'eſt peuvoir parce qu'ena rapporté Chalcondile,abien eſtévn
· des pluslaſcifs de la race Othomane, & luy touché au vif par les douxat
traicts de ce beauviſage, taſchaaucômencemét de luygaigner le cœur par
quelques mignardiſes : mais cette genereuſe & pudique Damoiſelle reſi
.† ſtantàtous les ſales deſirs de ce deſbordé perſonnage, voyant qu'il n'en
§ pouuoit faire ſon plaiſir,quelques-vns diſent qu'illa fiſt decapiter, d'autres
# que luy-meſme luy fourra le poignard dans le ſein, tant ce Prince eſtoit
cruel&indigne dunomd'homme. I'ay regret ſeulement que ceux quiont
eſcrit cette Hiſtoire, ne nous ont appris le nom de la fille, pour pouuoir
luy rendre des loüanges dignes de ſa pudicité; & àlaverité elle merite bien
d'eſtre miſe auragde ces eſpouſes celeſtes,qui pour la conſeruation de leur
· chaſteté, ſe ſont volontairement expoſéesaumartyre.
VII. Telle fut donclatotale ruine & deſolation de la plus floriſſante Iſle, plus
# belle & plus commode pour la § , quifuſt § tât pour
† les Venitiens, à qui elle eſtoit, leur ſeruant de paſſage pour ſecourir lesau
chreſtisns tres terres qu'ils poſſedoient en la Grece, mais auſſi pour toute l'Italie,
n'ayantplus de canalny deſtroict de mer, pour arreſter & retenir les entre
priſes de ce puiſſantaduerſaire.Enuiron le meſme temps quelaville fut pri
ſe, les galeres que le General Canalisauoit enuoyé querir, ſur la nuictarri
uerent,quand iln'en eſtoit plus de beſoing, & comme on dit, apres la mort
la medecine : de ſorte que voyans que les enſeignesVenitiennes n'eſtoient
† ſurles tours,& qu'ils recognurent à pluſieurs ſignes tous apparens que
† la ville eſtoit priſe, regardans les larmes aux yeux les triſtes murailles de la
§ º ville,ils ſe retirerentailleurs,ne faiſant pas là trop ſeurpoureux,auec mil
le regrets que leur retardement euſt cauſé la perte de cette floriſſante cité;
& apresauoirrodé quelque temps parles Iſles : finalement reuenuë en ſon
premier ſeiour, elle accruttellement en moins de rien, bien que trop tard,
puifnte a qu'elle n'auoit pas moins de centvaiſſeaux deguerre, ſans toutes-fois faire
†. aucun effect d'vn ſigrandappareil, encore que l'armée Turqueſque quiſe
º cºst retiroit aucc peu de gens, la plus-part eſtans allez par terreauecle grand
Seigneur(quis'eſtoit retiré parla Bœotie,ayant laiſſé vne bonne garniſon à
Negrepont)euſt grande crainte d'eſtre attaquée reco† ſa foibleſſe;
tellement que quelques-vns eſtoient deſia montez ſur des vaiſſeaux fort
- legers,
- #

desTurcs, Liure premier. I17


legers,pour fuir plus próptemét,d'autres eſtás reſolus delaiſſer leurs nauires
prochain riuage,& ſe ſauuerà nage, mais ayâs cogneu quel'armée Veni
ſlll

tienne prenoitautre briſée,partirentincôtinent deChio,& sacheminerent


à Leſbos, pourremplir leurs vaiſſeaux de gens de rame; de Leſbos eſtans
venus au deſtroict, ils eurent encore quelque crainte, que l'armée Veni
tienne ne fuſt àTenedos : & que là ils fuſſent contraincts, vouluſſent ou
non, de combatre; mais ayans entendu Par ceux qu'on auoit enuoyez deſ Les Turcs ſe
couurir, que touty eſtoit paiſible, apres auoir paſſéTenedos, ils s'en alle-†
- - cun deſtour
rentauecvneioye indicible en lieu de ſeureté. Il courutvn bruit que le Ge-º
neraldel'armée Turqueſque, apresauoir trauerſé le deſtroict, ſe tourna
vers les ſiens,leur diſantd'vn viſage tout riant, qu'ils auoienteſté receus des
Venitiens fort courtoiſement, carils les auoient accompagnez depuisTe-# rie contre les
nedosiuſques à Negrepont, & puis derechefdelà iuſques à Chio,auecvn v§.
grand nombre de galeres. Toutes ces choſes eſtoient cauſe que tous d'vn
accord, auoient en hayne larmée & legeneral Canalis : de ſorte qu'ayant
eſté demis de ſa charge, comme il fut de retour à Veniſe, nonobſtanttou
tes ſes iuſtifications, & quelques raiſons vray-ſemblables qu'il mettoit en Canalis gene

auant pourpalier ſa faute, il fut banny à perpetuité auec toute ſa maiſon, # #


† pour retraicte le port de Gruare, ville des Forlans, où pour s'oſter # -

eregret deſapatrie,ilpaſſoit ſontemps àl'eſtude & àla chaſſe,voyla quel-* º


lefutl'iſſue de toute cette guerre.
Mais Mahomet craignant que la conqueſte de cette Iſle n'armaſt contre
luytous les Princes Chreſtiens, & qu'il n'euſtvne dangereuſeguerre à ſup
porter, ſon armée eſtant enaſſez mauuais ordre, pour le grand nombre de
gens qu'ilauoit perdusàlaconqueſte de Negrepont, il voulut eſſayer de -

faire quelque maniere de paix aucc les Venitiens, ou pour le moins par des Prouidence de
pourparlers tirer l'affaire en longueur, eſperant que le temps leur adou- † †
ciroit l'aigreur de cette perte : mais ne voulant pas faire cognoiſtre ſa ºº "
crainte,ils'aduiſa de ſ'aiderdel'entremiſe de ſabellemere fille duPrince des
· Triballes qui eſtoitChreſtienne,laquelleayant ſceu la volonté de ſonbeau
fils, enuoya auſſi-toſtvn de ſes domeſtiques àVeniſe,pouraduertir les Ve
nitiens de ſa part, que s'ils vouloient la paix, qu'ils enuoyaſſent leurs depu
tezauTurc, & qu'elle leurſeroit donnée peut-eſtre à meilleure condition
qu'ils n'eſperoient : & ſur cette eſperance-les Venitiens ayans enuoyé leurs Amtamdene
Ambaſſadeurs, Nicolas Coque & François Capel, qui lallerent trouuer †º
parmer en vn bourg de Macedoine, & de là venus par terre vers Maho- †º
metàConſtantinople, comme les conditions qu'ilsluyauoient propoſées "
neluyeuſſent pas † & que ces deputez fuſſent contraincts de prendre
nouueaux memoires de leurs Seigneurs, toutl'eſté ſe conſomma ſans au
ºuneffect,letemps s'eſtanteſcouléauxallées & aux venues de ces Ambaſ
ſadeurs , & en port de lettres de part & d'autre, qui eſtoit tout ce que deſi
ſoit Mahomet. - -

Maisl'hyuer
ſondetant enſuiuant,
de pertes qu'elle laauoit
Republique
ſouffertesVenitienne
durant neufvoulantauoir ſa rai-
années conſecuti- V III •

º qu'il y auoit qu'elle combatoit contre le Turc, ſans que les Princes
P iij

".
\ V,

I18 Continuation de l'hiſtoire


Chreſtiens ſesvoyſins, ſe ſouciaſſent beaucoup de la ſecourir, enuoya au
· Pape,& au Roy Ferdinand de Naples, pourles prierdevouloirarmerleſté
# prochain , contre leurcommun ennemy , qui pouuoit maintenant venirà
† † ſeureté,iuſqu'à leurs portes,que cette affaire n'auoit pointbeſoin de dela V,
la ſaiſon commençant deſiaàs'aduancer,& le temps fort ropre à ſe mettre
en campagne : cette Ambaſſade eſcoutée de bonne oreille,on leur promiſt
tout ſecours ſelon leurs forces. Leur generalMocenique fiſt par lettres la
meſme perſuaſionau Roy de Cypre & augrád Maiſtre de Rhodes,&tádis
que tous ceux-cyfaiſoient leurs preparatifs, Mocenique auecſaflotte, fiſt
, pluſieurs courſes, & pluſieurs rauages aux Prouinces d'AEolie & de Carie
M†" auecvn fort heureux ſuccez, & commeil ramenoit ſon armée en la Morée,
†º il rencontra pres le Cap de Malée, l'armée de Ferdinand, compoſée de
dix-ſept galeres,& commandée par Rachaienſis,quiapres les acclamations
& reſiouyſſances à la façon des gens de Marine,s'enallerent de compagnie
courſ de, à Rhodes, où ils firentvne explanade de tous les forts, bourgades, & vil
† § que les Turcsauoientfortifiez aux enuirons de la ville, par le moyen
Turc. deſquels ils tenoientles Rhodiens ſi de court,qu'ils n'auoient pas le moyen
ſeulement de ſortir dehors pouramaſſer du bois, ny mettre le nez hors de
leurs murailles,quine fut pas ſans grande peine & grand maſſacre de Turcs,
dont les teſtes, comme dit l'Hiſtoire de Veniſe, furent portées ſans nom
breau General : delà ils s'en allerent encore faire vne § en la Carie, vers
la ville deTabie, où apres auoir faict vn tres-grand butin, & comme ils
eſtoient en l'Iſle Caprarie pour le departir, ils ouyrentnouuelles que le Le
1 méechre gatduPape approchoit auecvingtgaleres,lequeleſtansallez receuoir,ils ſe
†" trouuerent leurarmée compoſée de quatre vingts & cinqgaleres,vingt du
Pape,dix-ſept de Ferdinand,deux des Rhodiens,& quarante-ſix des Veni
tiens,quireſolurent d'aller ſurprendreSathalie,ville de la Pâphilie,laquelle
A r , ils ne peurét prédretoutes-fois faute d'artillerie, ains bruſlerent ſeulement
† les faux-bourgs, &firentle degaſt parla contrée. Ce fut là où l'Ambaſſa
tiens. deur du Roy des Perſes Vſunchaſſanlesvinttrouuer:les Venitiens auoient
faict rechercher ce Roy d'entrer en ligue auec eux contre le Turc, parl'en
tremiſe de leur Ambaſſadeur CatharinZene, mais nous parlerons cy-apres
de cetteguerre, & de cettelegation. -

1 r ... , Or tandis que les Chreſtiens rauageoient ainſi les prouinces de l'Aſie,
† les Turcs ne demeuroientpas les bras croiſſez , car ayans couru & rauage
§"" l'Albanie & la Dalmatie par pluſieurs & diuerſes fois, paſſerent iuſques
dansl'Italie,& ſe vindrent camper ſur le fleuue Sconſin,& ſans la crainte de
la caualerie Venitienne qu'ils auoient deſcouuerte de loing, ils eſtoient
*. pour ſurprendre la ville dVdine,toutyeſtant en fortmauuais ordre & en
| grande confuſion à cette venue inopinée, pour l'aiſe & le grand repos
dont elleauoit iouyſilong-temps: mais lesTurcs, de crainte de quelque
ambuſcade,rebrouſſerent cheminauecgráde quantité de priſonniers & de
S bruſ beſtail.
fT WIIlt b rtl1 . - - - 2 . - - | • -

ſ§ Moncenique enauoit bien d'ailleurs ſa raiſon, car il print & bruſla la


menepillée par
les Chreſtiès. ville deSmyrne, pilla celle de Clazomene, & fiſt ſouffrir vne infinité de
InauX
· des Turcs, Liure premier. I19
maux à tous les peuples maritimes des coſtes d'Aſie, Licie & Pamphilie,
s'en retournans chargez de deſpouïlles hiuerner à Modon, laquelle tandis
qu'ils'amuſoit à la fortifier, vn ieunehomme Sicilien nommé Anthoine,
quiauoit eſté pris priſonnier à la † de Negrepont,levintaduertir qu'on
ne faiſoit aucune garde la nuictàl'armée nauale du Turc, qui eſtoità Galli
oli,auectoutſonattirail, & ſe faiſoit fort d'ymettre le feu, ſi on luyvou
† bailler quelquebarque, & des compagnons fideles : le Venitien gou- . †
ſte cetteouuerture,ambraſſe&faict degrandes promeſſesàceieunehom-§.
me ,lequel ayant emplyſabarque de pommes, paſſales Dardanelles, & de"**
là venu à Gallipoli, § tout le long duiourà ſonviltrafic, &lanuict
ſuyuante mit, comme on dict, le feu à centgaleres, &a tout leurattirail,&
ſans legrand peuple quiaccourut incontinent à la premiere veuë de la fla
-
&> - - -

me,ileuſt mis le feu à tout le demeurant; mais ayant ietté ſon feu mal à
| propos, ſon vaiſſeau futbruſlé auſſi bien que celuy des autres : de ſorte que
taſchant degaigner le deſtroict pour ſe ſauuer, il fut contrainct en fin de ſe
retirer dans # prochaine foreſt,où luy & ſes compagnons ſe retirerent au
plus profond dubois : mais comme les Turcs virent des pommes çà & là
ſurl'eau, & labarque enfondrée là aupres,ils ſe douterentincontinent que
c'eſtoit leurmarchand de pommes quiauoit mis ce feu : de ſorte qu'ils fi
Sa priſe & ſà
rentvnetelle perquiſiti6,qu'enfin layans trouuéauet ſes compagnons, vn rée
r§ à Maho
excepté,quifuttué enſe deffendantvaillamment ils furentenuoyezà Ma InCt.

homet, lequel demandantauSicilien, quil'auoit incité de s'expoſer à vne


ſi§ entrepriſe : Le deſir, reſpondit-il auec grande aſſeurance, de
nuire au commun ennemy des Chreſtiens, que ſi i'euſſe peu auoir autant
d'accez àtaperſonne, comme à tes vaiſſeaux, & te courir ſus l'eſpée à la
main, tune fuſſes pas maintenant en peine de m'interroger, ny moy de te
reſpondre : ce courage reſſentoit ſon RomainSceuola, mais il n'auoit pas
rencontré en Mahometvn Porſena, carbien qu'il admiraſtſa hardieſſe, ſi c ſuplice
eſt-ce qu'il commanda queluy & ſes compagnons fuſſent ſciez par le mi-d§s
lieu du corps : le Senat de Veniſe nel'ayant peurecompenſerſelonſonme-"
rite, marierentſa ſœuraux deſpens du public, & ordonnerentvne penſion
annuelle à ſon frere. - - - -

Or commenousauons dit, l'Ambaſſadeur d'Vſunchaſſan eſtoit venu ·

trouuerl'armée Chreſtienne à Rhodes pouraſſeurer le Pape, les Venitiens, : -

&autres Princes Chreſtiens, du deſir qu'auoit ſon Roy de s'vnirauec eux, "
contrele Prince Othoman, que ſon armée eſtoit deſia entrée dans l'Arme- |
nie,où elle luyauoit pris laville deTocatte, la plus riche de toute la Pro
uince, & quelques autres places d'importance, qu'ils ne manquoient
Pointd'hommes ny de cheuaux, mais qu'ils auoient faute d'artillerie : de
PuiscetteAmbaſſade,le GeneralPerſan nommé Iuſufzes, ou Ioſeph Be- I X.
$useſtantvenu en la Caramanie auec toute ſon armée, Muſtapha fils de ...
Mahomet, qui commandoit à cette prouince, luyvint au deuant, & luy r†
-

Pºnta le combat auec tant de valeur & de conduite, que ſon armée † ":
miſeàvauderoute , il print le Generalmeſme, lequelilenuoya à ſon pere,
Pºlors deſeiourà Conſtantinople,oùils'amuſoità faireforgervneſor
I2 O Continuation del'hiſtoire !
te de monnoye qu'ils appellentaſpres, de la valeur de quelque douze de
niers chacune piece, cecyaduintenuironl'an milquatre cens ſeptâte deux,
& de Mahomethuictcés ſeptâte ſept: cette perteauoit occaſionéle Perſan
Autre Amtat d'eſcrire de nouueau à la Seigneurie deVeniſe, par le moyen de leur am
† baſſadeur Catharin Zene, qui eſtoit lors pres de ſa maieſté, leſquelles let
tiens. tres contenoient les meſmes demandes qu'auoitauparauant faites ſon Am
baſſadeur : auſquelles le Senat Venitien deſirant ſatisfaire, fiſt incontinent
appreſter de toutes parts,grand nombre d'artillerie, quelquesvaſes d'orri
chement elabourez : vne quantité de draps de Verone, & d'eſcarlatins, &
#" hommes
quelques Ducats
Perſe,
auſſi, pourl'artillerie,
pour gouuerner faire preſentſurau leſquels
Roy, & commandoit
outre ce cent ieunes
Tho
mas Hemolaus, & nommerent pour preſenterau Roy ce preſent, Ioſeph
Barbarus,homme deſiaaagé, mais fortentendu en lalangue Perſanne.De
toutes ces choſes ils chargerent trois nauires, quiarriuerent heureuſement
à bon port, commandant outre plus le Senat à Mocenique, de tenir lar
mée preſte au commandement dVſunchaſſan, pour marcherauſſi-toſtoù
il ſeroit mandé par luy. / - >

·# Le Perſan deſormais aſſeuré de ces alliances , afin d entreprendre


cette
homet. guerreauec quelque apparence de iuſtice,auoit enuoyé des Ambaſſadeurs
vers le Monarque Turc auec de fort riches preſens, tirez des threſors des
• Entre,ute, Roys de Perſe, pour le prierdeluyvouloirrendre la Capadoce, & la ville
† deTrebizonde qui luyappartenoitàcauſe de Deſpina ſafemme,qui eſtoit
## fille de Dauid Commene cy-deuant Empereur de Trebizonde , dequoy
§ Mahomet entra envnetelle colere, que pour enauoir ſa raiſon, il fitvneaſ
† ſemblée generale de tous ſesgés deguerre qu'il auoit en l'Europe à ſçauoir
Romelie,Zirfie, Morée, & de la Natolie, Garamanie, de Caſtamone, Sy
nope,Trapezonte, Aladenlie, & autres prouinces del'Aſie : & outre ceux
cy vingt mille Azapes, dix mille Iennitzaires, de ceux qui n'eſtoient pas
d'ordinaires à ſa cour, & dix mille autres qui eſtoient ſtipendiez à ſa porte:
† de ſorte queſelóLeonclauius,ilauoit ſoixante & dix ou quatrevingts mille
§ le combatans,toutes-fois quelques-vns diſent qu'ils eſtoient trois cens vingt
Perſan.
mille combatans; & les autres quatre cens mille, tantilya d'incertitude en
l'hiſtoire : ce qurluy fiſt faire ſigrandeleuée,fut la ligue qu'auoit faicte le
cº† Perſanauecles Chreſtiens : ioinct que les Caramans s'eſtoient liguez auec
#elesTurcs eux tous.Ces Princes eſtoient deux freres,l'aiſnés'appelloit Pyrohamatou
Pyramet, le plusieune Caſſambey, quiauoient depuis quelque temps eſté
deſpouïllez de leur Royaume par Mahomet, auſquels ſeioignit l'armée
Venitienne qui d'vn commun accord aſſaillirent leur commun ennemy
auectant de courage, qu'ayans pris les villes de Sichin, Corie & Seleu
v†º cie, le Caramanrentra dans ſon Royaume, & le Venitien ourſuiuant ſes
ð victoires,vint en la Licie, où ilprintlaville de Miere, tailla en pieces les
*" troupes de Aiaſabethgouuerneur de cette Prouince, & luy-meſmefutoc
. X.
cis en ce combat. -

† Mahomet cependantayantaſſemblé toutes ſes forces, marcha contre


U1ICS

#""Vſunchaſſan,menant auec ſoy ſes deux fils, Baiazeth & Muſtapha : puis
- ayant
des Turcs, Liure premier. I2I

ayant paſſé laPaleſtine & Syrie,trauerſale fleuue Fraat & vintiuſques aulac
d'Argis ou Gelucalat,où il print la ville d'Arſingan, qui n'eſtoit ny forteny
§5lecefutences quartiers là où Aſſambey ou Vſunchaſſäluyvintau de
uátauec ſes forces,ayant ſes enfans enſatroupe,le premiernomé Cululile 2.
Vgurlimehemeth, le troiſieſme Zaniel,toutes-fois quelques-vns tiénent que
Muſtaphale fils aiſné de Mahomet,aſſiſté d'Amurath Baſſa delaRomanie,
ui eſtoit de lafamille des Paleologues,auoit deſia combatupres le fleuue
Euphrates cótre Zanielle ieune fils d'Vſunchaſſan, ieune Princefortvaleu- p†
reux & debonne
phafut & heureuſe
mis en route, conduite
trente mille à la guerre;
de ſesgens en ce combat
furent taillez auec le #º
en piecesMuſta- C3 1 l1IC5•

Baſſa Amurath & pluſieurs autres chefs, car il les auoit pris au paſſage de
l'Euphrate, où lesTurcs ne ſçachans & ne pouuans tenir le gué du fleuue,
ny ſe ſecourir les vns les autres , comme pouuoient faire les Perſ§ , ſe
noyoient,oueſtoient maſſacrez par leurs ennemis. Qu'ily eutapres vnau
tre rencontre de toutel'armee des Turcs contre les Perſes, dedans les mon
tagnes d'Armenie, où nonobſtant leur multitude & bonne conduite, & -
lavaleur des Iennitzaires, quice iour là firenttout deuoir de bons comba- #as
tans,lesTurcs furent comme reduits au dernier deſeſpoir, quarante mille
desleursy eſtans demeurez ſur la place. Quelquesvnsneantmoins ne font
de la ſeçonde & premiere bataille, qu'vne ſeule; encore diſent-ils que le
Turcn'y perdit que dix, & les autres douze mille hommes : quoy que ce
ſoit,Mahometrecognoiſſantlagrande difficulté devaincre la Perſe : à cau
ſe des riuieres, deſerts & montagnes qu'il faut paſſer; &ayant deſiaaſſezeſ
prouué à ſes deſpens, qu'il auoit trouué chauſſure à ſon pied, ſe retiroit
pour attendrevne meilleure occaſion, mais Zaniel tout tranſporté de ge
nereuſe ardeur, & de deſir d'acquerirvn ſecond trophée en la preſence des .
ſon pere, paſſe l'Euphrate pour pourſuiure lesTurcs. - ſeſpoir ils re

Or cette nationa cela de propre, qu'il luy faut pluſtoſt faire vn pont †º
pourlalaiſſerpaſſer, qu'vne § pour l'arreſter # deſeſpoir luy faiſant -

renaiſtre le courage, & laneceſſité luy fourniſſant de nouuelles forces pour |


ſe deffendre.Mahomet donc, vieux routier & fort experimenté en ces af
faires, commeyayant deſiapaſſé en Hongrie, àfçauoir, & enla Valaquie, \
fiſt deux eſcadrons detoutes ſes forces, l'vn deſquels il donna à conduire
au Baſſa Machmut, pour faire teſte & eſmouſſer la pointe de cette ardeur
bouïllante duieune PrinceZaniel, quantàl'autre, § le reſerua,tant pour
ſaſeureté, que pourrompre l'ennemydesja demy laſſé de combatre, car †
ceſtoiticy cóme l'eſlite&lafleur de touteſonarmée.I'ayleu dans quelque ººººº
Autheurqu'ilyauoitvingt cinqmille hommes de cheual quaſi tous Bul
$ares & Thraciens,& vingt§ Iénitzaires.Quant à luyils'eſtoit fortifié
ºumilicucóme dans vne § tres-aſſeurée,s'eſtátfermé d'vne tráchée
de quatremillepas detour,auecvnbonrépart,pres duquelilfiſtmettre çà

& lides chariots liez enſemble auecdes chaiſnes de fer, ſurchacû deſquels †
#oientdeux pieces de campagne, outre ce il y auoit vn grand nombre § §
dattillerie rangée partout, pour deffendre les fortifications, & quinze mil
ºmcs ordonnez toutautour,pourtirerinceſſamment §
Q

:
12 2 Continuation de l'hiſtoire
Les Perſes levindrentattaquer en cet equipage,quine s'attendans point
d'auoiraffaire auecle tonnerre, mais ſeulementauec des hommes, s'aſſeu
roient deſ-jadelaruine totale deleurennemis, veuleurs victoires precedé
tes, & qu'ilſembloit que la perte des hommes euſt faict perdre le courage
auxTurcs quſe retiroient : s'encourageans donc ainſiles vns les autres par
la memoire de leurs beaux faicts, & le meſpris de leurs ennemis, auec vne
Le canon cau

† eſperance d'vnriche butin, & dvne glorieuſe couronne : ilsapprochentde


§" ce retranchement : mais comme ils furent à la portée du canon, les Turcs
commancerent à tirer toutes leurs pieces, qui firent vn tel tintamarre &
vnetellegreſle de boulets & de balles, qui par enſemble tomboient dru&
menu ſureux, qui n'eſtoient point encore § encore moins leurs
cheuaux)à telle harmonie, que ne ſçachans de quelcoſté ſe ranger pourla
fumée eſpoiſſe de la poudre à canon qui leur donnoit dans les yeux perdi
rent tout ordre, & commancerent à ſe debander.
rassdeleu LesTurcs quin'attendoient que cette occaſion,lesvoyans chancelans,
º º º laſcherent incontinent ſureux leursgens de cheual, & en fin tout leureſ
cadron, toutes-fois les Perſes tenoient encore bon, ſiVſunchaſſan n'euſt
luy-meſme pris lafuite, car ſon fils Zanielauoit ramaſſé ſes trouppes, &re
pris nouueau courage : de ſorte que le combat ſe renouueloit plus violent
Fuite d'Vſun u'il n'auoit eſté de tout le iour : mais Vſunchaſſan qui craignoit d'eſtre en
† † par Muſtapha , le fils de Mahomet, printl'eſpouuente, donnant ence
§"" faiſant le gain de la batailleauxTurcs, carles Perſesvoyans leur Roy s'en
fuir, perdirent le cœur; deſorte qu'ils ne penſerent † qu'à minuter leur
retraicte, au contraire des Turcs, qui pourſuiuans la pointe de leur bon
heur, donnerenttant d'affairesàleurs ennemis, qu'ils furentcontraincts de
perdre tout ordre,& ſe mettre enfuite; là ſe fiſtvn fortgrandmaſſacre,en
treautres du Prince Zaniel, auecplus de dix mille des † ; quelques-vns
ont dit qu'il fut pris priſonnier, & que Mahomet le fiſt mourir.Voyla
comment cette bataille fut gaignée par le moyen de l'artillerie; car tous
ſont d'accord en cela, & c'eſt pourquoyle Perſan en demandoitauxVeni
tiens: cartous ces combats eſtoient arriuezauparauant qu'ileſcriuiſtauSe
nat de Vehiſe. Mahomet doncayant obtenuvne ſibelle victoire, & deli
uré pluſieurs des ſiens qui eſtoient priſonniers, entre autres Turacan fils
d'Omar, commença § des courſes par toute la contrée, qu'ilcourut
tout à ſon aiſe (les Perſess'eſtans retirez en des lieux forts)& prit lavillede
# Caratſar, capitale dupays ſubiecteaugouuernement du Prince Zaniel, &
§s le fort Carachiſapem, ou ſelon les Grecs Maurocaſtron, que nous diſons
" Chaſteaunoir,&ſe contentant de cetterafle, & del'honneurd'auoirbattu
& faict quitterla place à ſon ennemy, il ſe retira à la maiſon, pour refaire
auſſi ſonarmée, harraſſéenonſeulement des pertes precedentes, mais en
core plus du chemin,ioint qti'ilredoutoit queles Perſes ſe raſſemblaſſent
& le prinſſent en des deſtroicts à leur aduantage; & ainſi s'en reuint tout
triomphantàConſtantinople.
X I. Où ayant eſté quelque temps, ſon fils Baiazeth, qu'il auoit laiſſé en
Amaſie, luy manda que Vgurlimehemet fils d'Vſunchaſſan s'eſtant re
uolté
|

des Turcs, Liure premier. l 23


uolté contre ſon pere,auoit pris ſur luy la cité de Siras ou Siuas, chef du
Royaume de Perſe, & qu'ayant entendu que le Roy ſon pere luy venoit à
l'encontre,ilauroit pris ſa femme, enfans, meubles & ioyaux, & deſiroit Lefil.avſºn
ſe retirervers luy enſeureté, le ſuppliant de luy faire entendre ſa volonté. †
Mahomet luy manda qu'il vouloitque le ſaufconduit luy fuſt donné,mais ,erse,Baiazeth
- - V 1* - 2

il deffendit à ſon fils de ne ſortir de la cité d'Amaſie, pour alleraudeuant du §
Perſan,auquelilentendoit qu'on fiſt beaucoup d'honneur : mais cepen-"
dant qu'on priſtgarde à ſes actions , de peur de quelque Stratageme & trö
perie : Vgurlimehemeth ſe douta de cette deffiance,pource enuoya ſafem
me & ſes enfans deuant, comme pour oſtages, & luy arriua apresauec
quelques trois cens cheuaux, Baiazeth le receut fort courtoiſement, & le
banquetaauecgrande magnificence, où ayanteſté quelque temps, il s'en
allatrouuer le Monarque Turc, qui luy fiſtencore meilleurviſage que ſon †,
fils,luy promettant de le faire Roy de Perſe, & de deſtruire Vſunchaſſan †
quiluy
luy eſtoit
donna desmortelennemy,& pourl'accompliſſement
forces, auec leſquelles de ſa& promeſſe,il§
il s'en retourna à Siuas, auſſi-toſt ſe Vſunchaſſan.
miſtàfaire des courſes ſur les terres de ſon pere:Mais les Turcs ne firent pas
fort-bienleursaffaires en cetteguerre : car Vſunchaſſan ayant feint d'eſtre
malade de regret que ſon fils l'euſtabandonné,&meſmes qu'ileſtoit mort,
iuſques à en faire celebrer des obſeques par la Prouince : & ceux quiluy
eſtoient les plus affidez ayans mandé par trois diuers meſſagers ſecrets à -

Vgurlimehemeth qu'il ſe haſtaſt devenir àTauriss'emparer delaSeigneu- †


rie deuantſesautresfreres,&
futarriuéàlaville luyadiouſtant
onlemenaincontinét foyàtoutes
au Palais,où ces choſes,côme
il trouua ſon pereſainil fils.
§a
& ſauf, & ſans maladie quelconque, lequelle fiſt empoigner & mettre à -

mortſurle champ, tantl'ambition de regner eſtvne cruelle furie, de faire †


perdre tout ſentiment d'humanité, & violentantlaloy de lanature, de fai- ſo fil " .
re reuolter le fils contre le pere, donneraupere vn cœur pire que le Tigre,
quine peut ſouffrir qu'on luy enleue ſeulemét ſon faó. Lanouuelle de cet -

te mort, & la ruſe precedente deſcouuerte,lesTurcs demeurans ſans con


duite & ſans appuyfurent contraincts de ſeretireraux prochaines terres de
leur Seigneur: equel ſe reſouuenant de labrauade queluyauoient faict les ·

Geneuois de luyauoir denoncé la guerre, comme vous auez peu voir au |

neufieſmeliure de Chalcondile, ne ſe contentant pas de leur auoir oſté la ·


citéd'Amaſtre, il vint mettre le ſiege deuant Capha, que les anciens nom- |

moientTheodoſie,aſſiſe aux Palus Meotides, en la Cheroneſe Taurique,


nonloing du Boſphore, ville ſirenommée de toute antiquité, que Stra-siri.iii.7.
bondit qu'elle eſtoit deſia puiſſante, lors que la Republique d'Athenes
floriſſoit, & qui ſuiuit autres-fois le party de Mithridates contre les Ro
mains. - - -

Cetteville eſt encorebelle, grande, riche, & puiſſante, & en laquelle ſe


fiictlabord de toute ſorte demarchandiſe,auſſi bienà preſent queiamais,
comme eſtantle lieu oûs'addreſſenttous les marchâds qui trafiquent en la e i5 d De

mºrmaiour, elle avne citadelle ſurvn coſtau,laquelle commande ſurtou- la §


ºhcité,&eſt ce fortceint de trois murailles,commeauſſilavilleeſtcloſe
Q_ij
I2 4- Continuation del'hiſtoire
d'vne meſme ſorte, carainſiles Grecs l'auoient fortifiée, les Geneuoisl'a
uoient conquiſe ſurlesTartares, dutemps de l'Empereur MichelPaleolo.
gue, l'an mildeux cens ſoixante ſix, & en auoientiouy iuſques au temps de
| Mahomet, duquelnous parlons : quivoyant combien cetteville luy eſtoit
importante, à cauſe que ſur lamermaiour, leTurc ſe charge † qu'ail
leurs, de bois pour la fourniture de ſes nauires & galeres,ioint labeauté &
fertilité du pays : de ſorte que iadis cette peninſule eſtoit legrenier de la
Grece, & le magazin de l'Orient, il fiſt vne autre armée de mer conduite
par Machmut Baſſa, auquelil donna dix mille Azapes & autant de Iennit
u , , zaires. Or comme ce Baſſa eſtoitfortentendu, non ſeulement pour bien
º M ii conduirevnearmée, mais pours'aider quelques-fois de la peau de Renard
| - Inut.

au deffaut de celle du Lion, ilauoitvne prattique ſecrette en Candie, qui


le faiſoit roder ſur la mer Egée; mais Moceniquegeneral del'armée Veni
tienne ayant deſcouuert cette trahiſon, fiſt aller tous ſes deſſeings en fu
mée par # punition des traiſtres : de ſorte quele Baſſafut contrainct de ſui

ure ſon entrepriſede Capha,aſſiſté qu'il fut encore par la caualerie
que, quirauageoitalors les contrées voiſines, laquelle ſe trouua à ce ſiege
par le commandement de leur Empereur.
# de ca Les Geneuois qui eſtoient lors engrand nombre en cette ville, la plus
partriches marchands, tant en argent contant qu'en marchandiſe, plus en
tendus à tenir vne banque qu'au maniement des armes, comme le mar
chand prefere le plus ſouuent le bienàl'honneur, § auoir reſiſté quel
quesiours aſſez courageuſement, ſe voyans ſans eſperance de ſecours, ils
- preſterent l'oreille à certainaccord, par lequelils pouuoient s'en allervies
# & bagues ſauues : quelques-vns diſent que cette trahiſon aduint pour la
Turcs. haine qu'ils portoient à GaleasViconte, Ducde Milan, pour empeſcher
qu'ellene tombaſt ſoubs ſa domination, ce qu'iltaſchoit de faire par l'en
tremiſe de quelques-vns des leurs : l'inimitié ayanttel pouuoir, qu'elle fait
• perdre toute conſideration de ſalut, d'honneur & de vie, pourueu qu'on
ſevange de ſon ennemy.Les Grecs & Armeniens qui s'oppoſerent à cette
reddition, furent tranſportez à Conſtantinople : les Tartares & Geneuois
ne ſentirentaucun changement de leur condition, ſaufqu'ils n'eurent la
permiſſion de quitter la ville, & moins encore d'en enleuer leurs biens :

a Ch croneſ e preuue de la fidelité des promeſſes Mahometanes.Ainſi Capha ſi long

# temps Chreſtienne, tombaen fin ſoubs la iuriſdiction & croyance de Ma


uoiſin. homet: la priſe de cetteville fut cauſe que toute la CheroneſeTaurique,&
§ des Tartares Cymmeriens, maintenant nommée Gazarie,vint en l'o
eïſlance du Turc † enatouſioursiouy depuis : quelques-vns mettent
cette expedition enl'anmil quatre cens ſeptante-ſix, d'autres laveulentin
continentapres la priſe de † , & deuant laguerre de Perſe, mais
ie penſe qu'on ne ſe trompera pas beaucoupautemps, quand on la mettra
XII.
, enl'année
Ortandis1474. • .
que Machmutfaiſoit la conqueſte de la Cheroneſe, Soliman
-

siege desco Baſſa, Beglierbey de la Romanie & Eunuque, eſtoitallé mettre le ſiege de
" uantScodre ouScutari,laportedelamerionique & Adriatique, leuert
boule
de
à .
desTurcs, Liure premier. I25
uertdel'Italie, & capitale de Macedoine, elle eſtaſſiſe ſur vne montagne
0,
panchante de tous coſtez, & fortmalaiſée en quelques endroicts, ayant du
:
[t
coſté du Ponantvnlac
vn Autheurn'en de quatrevingts
faſſemention) que ceuxmille pas deappellentlelac
du pays tour (encore †
queScu-
pas saſcituation
|. tari, duquel ſortvn fleuuenauigable, nommé Boyan, ſelon Pline la riuie- -

re de Driue couroit du coſté du Leuant, fort pres des murailles de la ville,


dont on peut voir encore le foſſé & lesveſtiges du pont : mais ayant main
tenant changé ſon cours, elle paſſe pres de l'Iſle, & entre par deux bouches
enlamer, à dix mille loing du Boyan: toute cette contrée eſtant ſi fertile,
\ principalement celle qui eſt entre ces deux fleuues, que les habitans du
# pays diſoient,qu'encore qu'oniettaſtdeſſus laſemence ſans cultiuerlater
,- re, toutes-fois elle ne laiſſoit pas de rapporter en abondance , de ſorte
, meſine qu'on eſtoit contrainct de retirerlebeſtail du paſturage, de crainte
,. u'ilnemouruſt de trop degraiſſe. Quant au pays de deuers # 1l1CI , CC I1C Commodites
s, § quaſi que bois taillis, auſquels toutes-fois ils'y peut prendre de bon † †"
º, bois pour baſtirles nauires, ce furent ces commoditez fort conformes au
# • deſſein
de que Mahometauoit
Scanderie, ainſi appellentſurlesl'Italie
Turcsqui luy place,
cette firent entreprendre le ſiege
comme s'ils diſoient
# Alexandrie,pourauoireſté comme on dit,baſtie par Alexandre le grand.
e Soliman donc, qui pour rendrevn † ſeruice à ſon Seigneur, outre
r , huict mille Iennitzaires qu'on luyauoitbaillez, cent ouurlers à fondre l'ar.
# tillerie,& 5oo.chameaux pour porter les matieres propres à cet effect,auoit
# encoregroſſy ſon armée de toutautantd'hommes qu'ilauoit peu tirer des
f# prouinces circöuoyſines ſubiectesàl'Empire desTurcs, & ilauoitbien aſ
- ſembléiuſques à quatre-vingts mille hommes de † : de ſorte qu'ayant
- faict† les deuans à ſes coureurs & caualerie legere, pour fairevnera
fle ſelon leur couſtume, ilarriua incontinent apres auec le gros de ſon ar
mée, enuironnantlaville de toutes parts, & pour s'en § encore da pont ſur le
uantagela priſe,s'eſtant pourueu de † & ſoliues en la foreſt prochai Boy .
ne,ilbaſtitvn pont ſur le Boyan, en lagarde duquelillaiſſale § Ali
becq, auec les forces qu'il auoit amenées de ſongouuernement : cet Ali- |

becq, pour ſa valeur & bonne conduite à la guerre, auoit eu le Sangiacat


&O \
de Bulgarie, & comme les Turcs ſont fort prompts en leurs expeditions,†" )

ild'artillerie,
fiſt auſſi-toſt approcher
& douze autresdesmoindres
muraillespourlabattre
de la ville, quatre groſſes pieces †.
en ruine. l(1Ol1S,

· , LegeneralVenitien Moceniqueaduerty de ce ſiege, comme il ſçauoit


decombien cette place eſtoit importante, non ſeulement à la Republique
c", - • de Veniſe, maisàtoute la Chreſtienté, apresauoir donné ordre,tant àl'Iſ
- - - -

&
l# |. -
le de Corfou, q
-
qu'àlaville de Duraz, &autres pplaces importantesaux
5 > - - -p -
enui
# rons, qui eſtoient encore ſoubs la domination Venitienne luyauecle plus
e,
ſijºſº
deforcesqu'il peutaſſembler, tant des ſubiects de la Republique, que de,Mocenique au
lesconfederez, s'envint camperau temple deſaincteSergie, à laveuë des §
# habitans,à cinqmille toutes-fois de Scutari, & quatorze mille de la mer,º"
) -

#| #ºtre-donnans courage les vnsaux autres,par desſignals & des feux qu'ils
| | · faiſoient reciproquement le ſoir & le matin. Oraudeſſoubs de ce temple,

,| . Q ij
I26 | Continuation del'hiſtoire
commele fleuue Boyan eſtgueable en pluſieurs endroicts, les Galeres &
autres gros vaiſſeaux n'y peuuent voguer enuiron huict mille pas, ioinct
que les hautsrochers qui ſont tant ſurl'vne que ſurl'autre riue le font reſſer
Le pas de l'eſ- rer en deux fort eſtroictes bouches & encolleures, les paiſans du pays ap
•> ſ"
chelle. pellent ordinairement ce deſtroict là le pas del'eſchelle.
- - - -

Or Solyman recognoiſſant aſlez de quelle conſequence luy eſtoit ce


deſtroict, pour empeſcherle ſecoursaux aſſiegez,ilenuoya clorre ces em
boucheures làauecdes chaiſnes de fer & des pieux,pour enfermerlesgale
resVenitiennes, qui euſt à la verité reduit les Venitiens en extreme peril,
Les Venitiens s'ils n'en euſſent eu aduis parvn fugitif, quis'eſtant deſrobé de larmée Tur

§ queſque leur imprimavne telle terreur du dangerauquelils eſtoient, qu'à


#† l'inſtant meſme ils marcherent en bataille pour s'emparer de ce deſtroict,
fugitif. où ils trouuerentlesTurcs tous en ordonnance, & auec reſolution de leur
empeſcher à leur pouuoir; mais les mieux armez eſtans demeurez deuant
Scutari,l'artillerie Venitienne fiſtvn teleſchecſur ces gens demy nuds, &
tous entaſſez, tirantà plomb ſans coup faillir contre cette multitude, qu'ils
1surfs qui furent contraincts de † quitterlaplace,auec la perte de cinq cens hom
† * mes, & vnegrande partie de bleſſez; de ſorte que lesVenitiens victorieux
ayans laiſſé quatregaleres pour la garde du lieu, s'en retournerent en leur
camp pres du temple.
Ces choſes ſe paſſans ainſi ſur le Boyan,Solymanne donnoit cependant
aucun relaſche à ceux de Scutari, & bien que le SeigneurAnthoine Laure
tan quicommandoit dedans en qualité de Prouidadeur pour la Seigneu
† rie employaſttout ſon ſoing & ſon induſtrie pour remparer les breſches,
§ de dreſſant des palliſſades trauerſées de ſoliueaux, y entre-meſlant desais &
" des clayes, euſt enleué derriere la muraille entre-ouuerte, vn rempart de
vingt pieds de hauteur & large de quinze, auec de la terre & du fumier de
cheual, dont ilyauoitabondance en laville, & là deſſus diſpoſant deston
neaux à vinremplis de terre, ils'enaidaſtau lieu de creneaux pour couurir
le ſoldat des perils du combat & de la violéce du canon. Toutes-fois voyât
les ſiens diminuer de ioureniour, le ſiege quiyauoit eſtémis à la my May
ayant deſia duré pluſieurs iours,ilfiſt enforte de faire paſſer au trauers du
† camp ennemy, vn ieune † auec des lettres addreſſantes au General
† des Venitiens, pour leur faire entendre, qu'encore que luy ny ceux de la
' ville ne manquaſſent de courage & de bonne eſperance de voir vne heu
reuſe iſſue de ce ſiege, encore qu'il deuſttireren §gueur, toutes-fois les
euenemens delaguerre eſtans touſiours incertains, & leretardement non
ſeulement d'vn iour, mais bien-ſouuent d'vne heure eſtant ſuffiſant de
donner toutaduantage ſurl'ennemy, & rendre vne affaire deplorée, qui
ſembloit eſtre en fortbon train, qu'iladuiſaſt de bonne heure à leur don- .
ner quelque ſecours, tandis que les courages des Scutariens eſtoient enco
revigoureux, & leurs corps frais & robuſtes, pour ſouſtenir la furie de
l'ennemy, lequel pourroit bien leuernouuelles forces, & faire plus grand ,
appareil, ſi on luy donnoittemps de ſe recognoiſtre, & qu'il viſt aller ſon
cntrepriſe en longueur. -

Ces
des Turcs, Liure premier. I27
Ces raiſons ayans eſmeules Generaux, ils enuoyerentincontinent faire XIII.
haſter Leonard Bulde, que Mocenique auoit † temps auparauant
enuoyé à Catarte,ville de Dalmatie, ſcize augolphe Rizonique,auec qua
tregaleres pour tirer du ſecours de Iuan Cernouich, Prince qui auoit de
l'authorité dans l'Eſclauonie, leur amy & confederé, & qui eſtoit bien
voulu & obey des habitans du lac: ceux-cy donc, n'attendans que le man- s# aux
dement du General, s'acheminerent incontinent.Les trouppes de Cerno- CUlt2I1CI2Ss

uich conduites par George ſon frere, & Leonard ayant, outre les quatre
galeres par luy denouueau fabriquées & miſes en poinct de tout armemét,
ils'eſtoit encore d'abondant pourchaſſé trente barques ou fregates de ri
uiere, & lesayantfretées &armées, les tenoit en flotte preſtes àvoguer.
Or dugolfe des Rizoniens au Boyan, ilya vne montagne continuelle,
ſi pierreuſe ,aſpre & deſrompue, que lesgens de cheual n'y peuuent auoir
aucun accez, cette-cy eſtant en forme de pointe ou promontoire, s'encli
nant droict àScutari,s'enva finir ſur lebord de cette riuiere,George voulât
ſe ſeruir de l'aduantage que luy donnoit la ſcituation du lieu, commença
à monter parle dos de cette montagne verslaville, tandis que Leonardsa
uançoit par deſſus lelac, les communautez desvilles circonuoiſines ayans
fourny § & dixbarques de peſcheurs bien armées, d'autant que cet
teriuiere n'eſtantnauigable,les galeresnepouuoient approcher plus pres
de Scutari. -

Le Baſſa cependant qui eſtoitaux eſcoutes, & quitenoit pour tout aſ ºrdr, du
ſeuré que les Chreſtiens ne laiſſeroient pas prendre cette place ſansy en-†
uoyer quelqueſecours, commeilauoit debons eſpions de toutes parts,il†
deſcouurit auſſi l'entrepriſe des Venitiens : de ſorte que pour empeſcher -

leur deſſeing, il donna la charge de deffendre la montagne à Caſſambey


auec douze mille cheuaux d'elite, &ayantrenforcéles gardes du pont au
deſſus de laville, d'où il attendoit Leonard & ſa flotte, il diſpoſa ſes plus
petites pieces lelong du fleuue,qu'ilcouuzit § & au
tres ſoldats,pour empeſcher la deſcéteaux ſoldats Venitiés.Quantà G,or
ges & ſa trouppe d'Eſclauons, ils n'oſerent deſcendre en la campagne, la
voyans toute couuerte de caualerie, nylesTurcs n'oſoient monter par les
pantes roides & pointues des rochers, de ſorte qu'ils ne ſe peurenteſcar
moucher que de loing. - -

| Leonardauoitfaictauſſivne autre rencontre inopinée qui fut telle : on


auoit accouſtumé de faire en cette contrée vne grande chaſſe & peſcherie
de poiſſon par chacun iour; de ſorte qu'on tient que les Venitiens en ſou
loienttirer tous les ans cinq mille ducats de peage. Or comme Leonard
n'euſt point preueu cette peſcherie, penſant en toute libertéamener ſes
Vaiſſeauxdulac dans lariuiere,illatrouua ſibien cloſe & trauerſée detou- ... ,
tesparts de ces peſcheries, qu'ildemeura arreſté † paſſer outre, § #
commeſideguetà pend on ſe fuſt oppoſéà ſon deſſeing. LesTurcs bien §
*yſesdecetterencontre,les eſcarmoucherent, de ſorte qu'enfin les Veni-† #
ººnsvoyansleur labeur inutile , ſe retirerentaux Generaux de l'armée, leſ- -

quek recognoiſſanslafoibleſſe de leurs forces,à l'eſgard de celles de leurs


128 Continuation de l'hiſtoire
Les Venitiens
† ennemis,reſolurent de ne paſſer point outre, & d'attendre nouueau ren
º ººº fort de la Republique : de maniere que tout leur ſecours n'ayant eſté que
des eſcarmouches, ils furent contraincts de remettre leur eſperance en la
force & ſcituation du lieu, en la valeur & vigilance de Lauretan, & en la
grandeur de courage des habitans : Mocenique eſtant toutes-fois reſolu
de ne point partir du lieu où il eſtoit campé, encore que lapeſtilence ſefuſt
miſe en ſon camp, & devoir la fin du ſiege.
Solyman qui eſtoitbien aduerty de toutes ces choſes, & voyant que
toute eſperance de ſecours eſtoit oſtée auxaſſiegez, fiſt battre laville ſi fu
,. rieuſement & ſans relaſche, que preſque tous les murs allerent par terre,
#" mais commelesTurcs commanceoient deſiaàcrierville gaignée,ils furent
ſauue Scutari
† † eſtonnez de voir auſſi-toſtvn rempart derriere, telque nous auons dit-cy
' quciquc.
†º deſſus, & les Scutariens non moins reſolus à ſe bien deffendre qu'aupara
- - >

uant, fiſtderechefſommerla ville, leur repreſentant qu'eſtant toute de


mantelée, & eux maintenant reduicts àl'eſperance de leurs propres forces,
leurs amis & alliez les ayans abandonnez, il eſtoit impoſſible§ par for
ce & parfamine, iln'en euſt en fin la raiſon, qu'ils ne s'expoſaſſent point à
sºlyman ſon la licence du † mais qu'ayans pitié de leur patrie, de leurs fem
† mes & de leurs enfans, ils ſe ſeruiſſent maintenant d'vne honeſte compo * ,

ſition, dontils ſeroient priuez, quand le vainqueur auroit tout pouuoir,


ilfiſtauſſi offrir particulierement à Lauretan de tres-grandes recompenſes
de la part de ſon Seigneur, auccdcs charges des plus honorables,s'ilſevou.
loit mettre à ſon ſeruice. .
† Mais à celailfiſt reſponſe que les CapitainesVenitiens ne ſçauoient que
§ § c'eſtoît de rendre les places, mais bien de les forcer, & qu'vn Senateur Ve
nitien, comme il eſtoit, auoit apris de commanderaux autres, & non pas
de ſeruir & quant aux habitans, qu'ils eſtoient reſolus de perir dans les
cendres de leurpatrie, ou de la racheterau prix de leur ſang: on dit encore
§ Lauretanadiouſta à cecy ce traict de moquerie, † ce n'eſtoit pas aux
epmes de prendre les villes, mais pluſtoſt elles-meſmes d'eſtre priſes : il
diſoit cecy, d'autant que ce Baſſaayanteſté pris ieune enfant en la conque
ſte de la Boſſine & donné pour ſa beauté à Mahomet, quicn auoit abuſé,
illauoit depuis faictfaire Éunuque, &apres pluſieursgrades,l'auoit enfin
auancé en cette charge apres la mort d'Amurath §, qui auoit finy ſes
iours en laguerre de † commevous auez ouy. Solyman voyant que
toute eſperance de compoſition luy eſtoitoſtée, & picqué d'ailleurs de la
riſée du Venitien, ſe reſolut de faire donner, àla § vnaſſaut general
Ayant doncques faict prouiſion de force clayes pour couurir les ſiens
Aſſaut general
à Scutari. † ilsiroient à l'aſſaut, & garnyſes ſoldats de crocs, de mains de fer, de
aux, & de longues hampes emmanchées, caril n'eſtoit plus beſoingd'eſ
chelles, puis qu'on pouuoit grimper parles ruines
-
† aux rempare
• N - - -
:
mens, il fiſt donner vn cruel & ſanglantaſſaut, mais à bien aſſailly, bien
deffendu. - -

Carles Scutariens tous reſolusàlamort, mais à condition de ſe bien def.


fendre, auoient faict prouiſion d'vne multitude devaiſſeaux longs, faicts
- d'oſiers
l
des Turcs, Liure premier. n9
d'oſiers & decliſſe,frottez & enduicts de bouſe devache, dans leſquels les Grand deuoi
l! habitans ſouloient conſeruerleursgrains,leſquelsils emplirentdeſouffre, §
|
h
de poix & d'eſtoupe,
nemy,garniſſans leursafin qu'y mettans
fortifications delepierres
feu,ilss'en ſeruiſſent
d'extreme contrel'en-
groſſeur; char †ºº
geans leurs canons & plus groſſes pieces, de cailloux & menue ferraille,
our d'vn coup en pointer pluſieurs, tout cecy incommodoit merueil
§ lesTurcs qui eſtoientſurles pendans de la montagne, & auxen
uirons de la ville, fort eſpais & ſerrezl'vn contre l'autre, de † qu'on ti
roitaiſement à plomb contre eux, & s'en faiſoitvn merueilleux carnage.
Toutes-fois comme cette nationreprent cœurau plus grandperil, ils paſ
† ſoient par deſſus les grands monceaux de corps morts,ſanss'eſtonner de la
# pitoyable fin de leurs compagnons, & retournoient àl'aſſaut, auec autant
# de courage commes'ils euſſent deuallerau † ,Solyman ne s'oubliant Courage des
:# pasàles encourager, & àleur repreſenterlebutin, les belles femmes,lare- # º º
QK, compenſe de leur † , & combien la conqueſte de cette place "
t# eſtoit importante au bien de ſes affaires , & à l'accroiſſement de ſon
)0 , Empire. -

s# Lauretan auſſi ramenteuoit aux ſiens leur anciennevertu, tant de fois Lursan en
# eſprouuée contre cesinfideles, leur Religion, leurs femmes & leurs en-†s° "
)# fans, quin'auoient maintenant pour murs queleurs poitrines, & pour def
# fenſeurs que la force deleurs bras : combien degloire & d'honneur ſeleur
# ſeroit à lapoſterité d'auoirrepouſſévnetelle puiſſance, n'eſtans meſmesaſ
ſiſtez de nul,toutes ces choſesſe diſoient en rafraiſchiſſant ceux qui eſtoiét
# las, & faiſantretirerlesbleſſez, enremettantd'autresenleursplaces,le tout †
-%
|! auectant
deuxheuresde deuant
labeur &le iour,iuſquesvers
devigilance, quelelesTurcs ayans combatu
Soleilcouchant,ſans depuis
auoir peu †
§" C

auancervnpas,laſſez &recrus qu'ils eſtoient, commancerentàperdre cou. Les Turcs re


rage, & furentſivertueuſementrepouſſez, † -
ſe retirerenten deſordre: §uſſ§ &
» - ourſuiuis par
de ſorte que ceux de dedans meſmes eurent bien laſſeurance de faire vne †
ſortie ſur eux, & de † iuſques au pied de la montagne, où ils
en firentvn grandmaſſacre,s'en retournans ainſi triomphans dans laville
chargez d'enſeignes & de butin : ontient qu'ilmourut en cet aſſaut, trois
milleTurcs, entre leſquels ilyauoit quatorze des plus notables de leurs Nombre des
- - - morts & des
chefs,&vnnombre infiny debleſſez : des Scutariens il en mourut ſept, & †
cinquante-neufdebleſſez,le lendemain ceuxdelavilleietterent quantité †
\s debois & choſes ſeiches deſſus les corps morts, & puis y mettans lefeu,les º
à| - conſommerent,de craintequeleurs charrongnesn'infectaſſentl'air.
Solyman recogneutaſſez par ce coup d'eſſay, ue la ville eſtoit impre-†º
-

-s nable, & que ceux qui eſtoient dedansauoient plus de valeur qu il ne s'e
## # ltoitimaginé: toutes-fois il eſtoitreſolu delesmatterparlongueur deſie- ... .
## $e5encores que ſelon qu'aſſeurerent depuis les Scutariens,ilmourut, tant #
#:ſ ! ºux aſſauts qu'autres rencontres durant le ſiege, iuſques à ſeize mille Turcs, †:
• º deceuxdelaville enuiron deux mille, tant par la guerre qu'autres acci-lº º cº°.
# densice quilesaffligeoit le plus, c'eſtoit la faute d'eau, de † qu'ils en cºndedie .
, ºnt reduits à telle diſette, que n'en prenans chacun qu'vnbien peu, à ººººººº
#
I3O Continuation del'hiſtoire
grande peine en auoient-ils encore pour trois iours, quand parvne parti
culiereaſſiſtance Diuine, quinevouloit pas encore laiſſer perir cette forte
· place,Solymanleuale ſiege,faiſant charrier ſon artillerie, & s'aèheminant
en Macedoine, apresauoirtenu le ſiege trois mois entiers deuant Scutari,
enl'anmil quatre cens ſeptante quatre : ſi toſt qu'il fut decampé, les Scu
tariens qui auoienttantenduré de ſoif,s encoururent tous en foule à la ri
uiere, où quelques-vns beurent tant d'eau, qu'ils en eſtoufferent ſur le
champ. - · · | : .

XIIII QuantàSolymanileſtoit delogé par le commandement de Mahomet,


lequel eſtant aduerty des grands preparatifs que ce vaillant & genereux
1. b i del, Roy de Hongrie Matthias Coruinus faiſoit contre luy aſſiſté des Veni
gºsº
rie fait#
decä tiens, & autres ſiens confederez : ilarmoit auſſi de ſon coſté & raſſembloit
§e
deuant Scuta toutes ſes forces pour s'oppoſer à l'encontre : car les Venitiens recognoiſ
V

ri. | ſans que les forces ſeules de la Republique n'eſtoient pas baſtantes pourre
ſiſterà celles duTurc,auoient enuoyé deuers ce Prince Sebaſtien Badouai
reauecvnriche preſent, pourle perſuader d'armer contreleTurc, & faire
Les ventien, quelques courſes ſur ſes terres, tandis que la meilleure parie de ſes forces
†"
le Roy Mat- eſtoit occupée au ſiege de Scutari: cettuy-cy ſceutſi dextrement manierle
C)

† cœur decegrandguerrier, qu'ilmiſtincontinentaux champs vne puiſſan


§" tearmée : dequoy Mahometayanteſté aduerty, auoit faict leuer le ſiege à
Solyman, pour ſe tenir preſt d'allerau ſecours de Sciauas, c'eſtoit vn †
ue Mahometauoit faictbaſtir durant les querelles des Hongres, Boemes
siege descia & Poullonnois, ſur le bordau delà du Saue,afin de pouuoir librement cou
†" rir le † des Sirmiens, liſiere de labaſſe Hongrie, mais principalement
pour luy ouurir le chemin partoute la Hongrie & l'Alemagne.
Cette place eſtoittellementfortifiée & munie de prouiſions neceſſaires,
& de § de gens de guerre, quelesTurcs l'auoient nommée Scia
uas, c'eſt à dire, admirable, n'eſperans pas iamais que les Chreſtiens leur
peuſſentoſter cette place des mains, puis qu'àlaveuë de leurs ennemis, &
malgré leur armée qu'ils auoient leuée pour empeſcher le baſtimentde
sciauas fort cette ſentinelle, cela n'auoit peu toutes-fois empeſcher que leur cdificene
†, # vintà ſa perfection Orcomme le Monarque Turctenoit cette place fort
· quoy. chere, pourlaconſequence u'elle luyeſtoit à ſes entrepriſes, encore qu'el
le peuſt eſtre ſecourue par † forces des Prouinces voiſines qui eſtoient
ſoubs ſadomination, ilſe deffioit neantmoins qu'elles ne ſeroient pas ba
ſtantes pourreſiſterà la valeur des Hongres,qui n'entreprendroientiamais

ce ſiege ſans vne puiſſante armée, pouuoiremporter, toute ſa dili
gence toutes-fois n'y ſceut donner le ſecours deſiré. -

Car Matthiasayant pacifiétoutes choſes auec ſesvoiſins, & la Pologne,


Mathiasaſie Boeme,Morauie & Sileſie rédues paiſibles,ilauoit cóuerty ſes forces &ſon
† courage contrel'ennemydun6 § Mais cóme § luy eſtoit
llCI, pour lors la plusimportâte,& quiletenoit le plus engeſne fuſtSciauas,il ſe
reſolutauât toutes choſes del'emporter,& pour ſurprendre l'ennemy, lors
qu'ilypenſeroit le moins, s'en alla camper deuant, durantles plusgrandes
rigueurs del'hyuer, enuironlemois de Decembre, contre l'aduis meſme
de
desTurcs, Liure premier.
- - -
- I3I
- Contre l'adui
de tous les ſiens.Mais comme ce Prince eſtoit fort heureux en toutes ſes §
entrepriſes, & qu'ordinairement les grands chefs ont des ſecrets mouuc
mensinterieurs qui leurs font reuſſirleurs deſſeings contre toute apparen
ce, vint ſe camper ſur le riuage du Saueàl'oppſite du fort de Sciauas, où
ayant faictvnbon retranchement que la riuiere du Sauerempliſſoit, & fai
ſantau dedans pluſieurs bloccus & forts baſtions, qu'il garnit de pluſieurs
groſſes pieces d'artillerie, ilenuironnale tout d'vne cloſture de bois, auec
vne diligence admirable : ayant † ainſi fortifié ſa retraicte, il vint
-

incontinentaux mainsaueclesTurcs,leſquels ayans vaillamment repouſſé


les aſſaillans, tant s'en faut que cela fiſt perdre cœurà ce Roy inuincible,
u'au contraire il l'anima d'auantage à pourſuiure ſon † : de ſorte
que deſirant eſtre parfaictement informé de l'eſtat de cette place, il ſe reſo
lut d'aller luy-meſme la recognoiſtre; & de faict prenant vne petite naſſel-valur meſiae
le, auecvn ſoldat & le batelier, luy en habit auſſi de ſoldat, approche des § #º
remparts, contemple & recognoiſtàl'œil toutes choſes, & de ſi pres que
les ſentinellesTurques l'ayans deſcouuert, tirerent contre labarque & tue
rent ſon ſoldat d'vn coup de mouſquet, ſans toutes-fois que cela l'empeſ
chaſtd'acheuerſon recognoiſſement.Par ce traictd'extreme hardieſſe s'e
ſtant rendu certain de toutes choſes, cela toutes-fois luy fut de peu de pro-, ##
fit, car lavaleur & reſiſtance desaſſiegez, qui ne donnoient aucune priſe ºgºens
ſureux,& quifaiſoient beaucou# ſouffriraux ſiens,luy firent quitterla for
ce ouuerte, pour ſe ſeruir des ruſes, & de quelque braue ſtratageme. Ilen-stratagemed.
uoye doncques vn puiſſant bataillon de caualerie au dos de # fortereſſe, "
s'embuſquer dans vnvallonfort obſcur, & luyauecle ſurplus de ſes forces,
ſurla Diane,illiurevnaſſaut general qu'il entretint toute la iournée, plu
ſtoſt pour laſſer lesaſſiegez, † pour les forcer, & ſurleveſpre,ayant faict
ſonnerlaretraicte, rompantſon campleue le ſiege comme deſeſperé de la
victoire, & d'emporteriamais cette place, ſe retira : ceux de la § laſſez
du combat qu'ils auoient ſouſtenu tout le iour, & des veilles & trauaux
du ſiege,commencerent à ſe rafreſchir, ſe reſiouyſſans de s'eſtre ainſi ſans
ſecours deliurez de leur ennemy ; & comme il arriue ordinairement en
choſes ſemblables, chasun ſe mit à faire bonne chere, mettans ſeulement
quelques gardes du coſté que les Hongres s'eſtoient retirez, & ne ſe ſou
cians pas beaucoup du derriere de la viſe , comme n'ayans que craindre de
ce coſté là : mais comme l'obſcurité de lanuict euſt oſté tout le diſcerne
ment qu'on euſt peu faire des choſes eſloignées, cette trouppe de caualerie
que le Roy Hongre auoit enuoyée ſe retirer dans le vallon, ayant demeuré son sººº
coyetout le iour ſelon qu'illuy auoit eſté commandé, ſortit de ſon embuſ
cade, & auecle plus de ſilence qu'elle peut, elle approcha de la place par
lendroict dont on ſe doutoit le moins, ce qu'elle fiſt auec tant d'adreſ
ſe, qu'elle eſtoit ſur le rempart, auant que la ſentinelle en euſt eu le
Vcnt. -

Le Roy Matthias d'autre coſté, n'auoit pas faict vne bonne lieue qu'il
ºnuoya ſa caualerie legere àl'aſſaut, marchant apres auec ſa gendarme
ºaugrandtror, ceux qui eſtoient ſur le rempart, & qui tenoient deſ ja
- R ij
I32 Continuation del'hiſtoire
vne partie de la place, encouragerentleurs compagnons,leſquels combien
†s euſſent treuué † reſiſtance au commencement, toutes-fois
#º cetaſſautinopiné, & la priſe de leurs remparts lesauoittellement eſtonnez
qu'ils commencerentàfuir de toutes parts, quittans la place & les armes à
· la mercy duvainqueur: là fut faictvngrandmaſſacre : le reſte futaſſeruy.Le
bruit de cette § conqueſte ſi promptement executée & auectant deva
leur & debon-heur, ſe reſpanditincontinent parmyles nations circonuoi
ſines, & chacun enfaiſoit des teſmoignages d'allegreſſe, comme ſiles ceps
& les entraues de la Chreſtienté euſſent à cette fois eſté briſées, non ſans
1eHenge, mettre en ceruelle les alltICS garniſons Turques ſçachans bien que les Hö
# gres ne demeureroient pas là , comme de faict ils vindrent incontinent
"" mettre le ſiege deuantSenderouie, ville tres-forte ſur le Danube, & capi
tale de la Raſlie, ou haute Myſie, conquiſe par Mahomet ſur le Deſpote
Eleazar, commea rapporté Chalcondileauneufieſmeliure de ſon Hiſtoi

re, cetteville eſtoitvnegrande eſpineaupied de la Hongrie : de ſorte que
Matthias tout encouragé parl'heureux euenement de Sciauas, & ne dou
tant point quele Turc viendroit incontinent faire quelque rafle auecvne
puiſſante armée, & reconquerir ce qu'il auoitperdu, deſirant gaigner le
XV.
temps, alla en cette
Or comme diligence
placel'inueſtir.
eſtvn des bouleuerts delaThrace, outre ſa force
s naturelle, Mahomet y laiſſoit touſiours vne puiſſante garniſon, & force
inueſtie munitions &artillerie, pour n'eſtre point † , & ſeruir aux occurren
ces qui pourroient arriuer en lacontrée : De ſorte que voyant combien il
Trois forts eſtoit difficille d'en auoirlaraiſon qu'auec le temps, il fiſt trois forts qui

deuant
rouie.
Scnde boucloient la place : ſi bien qu'il n'ypouuoit entreraucun ſecours que par
le Danube, & yagrade apparéce que les choſes euſſent heureuſemétreuſſy
1-,se .,d, pourles Chreſtiens, s'ils euſſent pourſuiuy leurpointe comme ils l'auoient
† commencée,mais les nopces du RoyMatthias emouſſerent non ſeulement
ruinent les af.

† la pointe de toute cette armée, mais ils'y fiſt encores outre ce tant de pom
& - - -

§ pes & de magnificences que leurs treſors eſpuiſez,ils ne peurentapres four


| nir aux frais de la guerre.
- V,

Mais pour reuenir à Mahomet, toutes ces entrepriſes luy auoient faict
* rappeller Solyman de deuant Scutari, lequel auoit enuoyé au ſe †
cours, mais comme ilfutarriuétrop tard, il eſtoit allé faire vne rafle auec
Les trouppes :1 - - - - -

d† quatre mille cheuaux au terroirTemiſunarien, pour faire quelque dom


†, mage à ſes ennemis, EmericNifor & Ceplanus gouuerneurs de Belgrades
†. enaduertirent le Deſpote de Myſie, & les capitaines de la garniſon de Te
†" miſunare,à ce qu'ils peuſſentarreſterAlibeqau paſſage lors qu'il penſeroit
S'en retOurner
- §
debutin,& quât à euxayans aſſemblé ce qu'ils peurét !
, de forces delabaſſe frôtiere ſortirét de Belgradeauecleurcaualerie,&ayâs
paſſé le Danube, s'allierentauecle Deſpote, & vindrent attendre de pied.
ferme lesTurcs au piedd'vne montagne, paroùils auoient eu aduis qu'ils

d'Alibeq tail . deuoient
" paſſer,oùlesTurcs furentſimal-menez quela plus-parttaillée en ;
) - : l- --• •

lie pieces pieces, l'autretaſchant ſe ſauuer à nage,futabyſmée dans les eaux, Alibeq
-- quiauoit faict venir des vaiſſeaux de Senderouie par le Danube, voyant :
".
[OlltCS
-

º- - • *

- des Turcs, Liure premier. l33


-

#
toutes choſes deplorées pour luy, ſe ſaûua dans vne naſſelle; & cecy arriua /

| º
#
quelques mois deuant les nopces du Roy Matthias, auſquelles ſe faiſoit
comme vne aſſemblée generale de toute la Hongrie, Valachie & Tranſſil- ##
uanie, perdans ainſi vne ſi belle occaſion que DIE v leur mettoit en la # occa
main, pour deliurer tant de pays d'vne miſerable ſeruitude,ſurl'eſpouuen " -
tCIIlCIlt † auoit lors ſaiſy les Turcs.Au contraire Mahomet, de qui le

principal plaiſir eſtoit la ruine de ſes ennemis, voyant vn ſi beau moyen -

d'auoirſareuanche ſur les Hongres, & de deliurer Senderouie, encore que †


ce fuſt au mois de Decembre,leua en diligence vne armée de quarante mil "
le cheuaux, leſquels fauoriſez de la ſaiſon quiauoittellement glacé le Da
nube, qu'onypouuoit paſſer à pied ſec, & les foſſez des forts qui eſtoient à
l'entour de Senderouie : de ſorte que venansaux mains, la multitude des #
aſſaillans forcerétlagarniſon de ces forts à ſe rendre,vie & baguesſauues,& †
quitterleurs forts quifurentincontinent raſez; & tout d'vne meſme poin-rouis. -

te paſſerent en la Moldauie, qu'ils rauagerent de bout à autre, comme ils


voulurent,le Vaiuode,ayanteſté contrainct delaiſſerpaſſer cet orage, & ſe
retirer dans les deſerts.iuſques
ſelon quelques-vns, Les Turcsy firent vntres-grand'butin,
au nombre emmenans,
de quarante mille ames de tous †º
§. a
aages & ſexes, en vnemiſerable captiuité.
: Leonclauius enſes Annales,tient que Solyman apres auoirleuéle ſiege
de Scutari, auoitfaictvne courſe en la Moldauie, oü le Vaiuodeles atten
dit de pied ferme, & qu'il ſe donna entre-eux vne grande bataille : mais
quelesTurcs laſſez § de Scutari, du chemin, & ſurtout de lagrande
§ u'il faiſoit lors en ces quartiers-là: cela auoit tellement rallen
laviuacité de leurs courages, § ne peurentrèſiſter à lavaleur du Molda
ue frais & repoſé : de ſorte qu'ils'en fiſtvn grand eſchec, en l'an de noſtre . , . , ..
ſalutmil quatre cens ſeptante cinq, & de Mahomet huict cens ſeptante †
neuf, durant laquelle année aduint tout ce que nous auons dit cy-deſſus "
mais cette deffaicte de Solyman en Moldauie, n'empeſche pas ce rauage |
que nous venons de dire, carl'vneſtoit deuant le ſiege de Senderouie, & |

lautre depuis que les forts des Hongres furent mis par terre. De maniere
qu'ilſembloit que les Chreſtiens auoient eu l'aduantage en beaucoup de
lieux durant cette année, & queſionlesauoit aſſaillis,aumoinss'eſtoient- *

ils courageuſement deffendus. -

Cebon-heurleurcontinua encores à Naupacte, auiourd'huy Lepante, XVI,


aſſiſeſurlegolfe de Corinthe,& iadis fort renommée entre lesvillesd'Eto- -

lie,mais auecbien meilleur titre, depuis cette memorable victoire que les
Chreſtiensy obtindrent contre Sultan Selim, comme nous dirons en ſon
lieu, contre cetteville Solyman menavnearmée de trente mille hommes, solyman des
eſperantdel'emporter ſans beaucoup de reſiſtance : mais Lauretan † peuº
de iours auparauant y eſtoit arriué auec vne puiſſante armée nauale, #
rompit bien ſes deſſeings, car nonobſtant qu'ily tint le ſiege deuantl'eſ
Pºce de quatre mois,labonne garniſon qui eſtoit dedans,& larmée nauale * •

- Venitienne qui eſtoit au port, & quifourniſſant lesaſſiegez deviures,d'ar- • •

ºs&degens,leurfaiſoit faire à tous propos desſorties ſur lesTurcs, où #º


R iij
134- Continuation de l'hiſtoire
ilsauoient le plus ſouuentl'aduantage, de ſorte qu'eſtans, par maniere de
· dire plusaſſiegez qu'aſſiegeans, perdant toute eſperance de la prendre,&
laſſé de cetteguerre,il decampa poursenallerietter dansl'Iſle de Lemnos,
où ayant aſſiegé la ville de Coccine, &ayant deſiafoudroyé toutesſes
Reçoit meſme IIlUl-,

#" railles : il s'en fuſtrendu maiſtreinfailliblement, ſans la prompte vigilance


de Lauretan, qui fatalà Solyman pour luy empeſcherle ſuccez de ſes en
trepriſes , ayant laiſſéquatregaleres à Lepante, s'envintaueclereſte del'ar
mée à Phara Iſle deſerte,fort proche de Lemnos, mais il n'oſa de premier
abordattaquerleTurc, d'autant quela plus-part de ſes ſoldats eſtoientma
lades & allittez. Mais ayant touteautre penſée de ce retardement, s'imagi
nant que ce dilayement † uenoit de ce que toute ſon armée n'eſtoit pas
† encores arriuée, & qu'il attendoit le reſte de ſes forces pour luy liurer la
§ bataille, prenant l'eſpouuente mal à propos, il fiſt § en haute mer,
tl l C. & ſe retira.

Entretous les habitans & ſoldats de la garniſon, qui furent tous loiiez
& eſtimez par Lauretan, on luy preſentavneieune fille nommée Marulle,
le percdelaquelle eſtant mortàla porte Coccine,combatantvaillamment,
courageuſe elle accourutauſſi-toſt, &ayant empoigné l'eſpée & le bouclier du mort,
† †s ſouſtint toute ſeule l'impetuoſité des Turcs forçeans deſia la porte, puis •,

† " aidée des ſiens , auoit repouſſé les ennemis iuſques dans leurs vaiſ
· ſeauxauecgrand meurtre : de ſorte que le communbruit eſtoit que la ville ----

auoit eſté principalement ſauuée par ſa valeur : auſſile General luy donna
il double paye, & les Prouidadeurs & tous les Capitaines des galeres luy
firent preſent d'vn eſcu chacun : luy eſtant outre plus donné #e chois de -

prendre de tous lesvaillans Capitaines, celuy qu'elle voudroit pour mary:


, Lauretan luy promettant de luy faire aſſigner douaire public, à ces gran
-

† des offres, elle fiſt encore dauantage paroiſtre la magnanime grandeur de


ſon courage & ſon integrité, diſant qu'il ne falloit pasauoir §
àlafor-,
ce ſeulement, mais auſſi la preud'hommie, & partant qu'elle ne ſe marie
roit iamais, qu'ellen'euſt exactement recogneu qui ſeroit celuy qu'elle de
uoitauoir pour mary: action auſſi remarquable que † vne autre de l'anti
quité, qui eſgale vn Horace Cocles, & deuance de bien loing Valerie &
Cœlie Romaines, cette-cytenant encore dugrandcourage de Hypſiphil
le & autres Lemniennestant celebrées autres-fois : & ce quine ſe doit §
# † paſſer ſans quelque remarque, cette-cyviuoit enuiron le temps de noſtre
ºpº Ieanne la pucelle; comme ſience §. là les femmes euſſent deu comba
tre contre les hommes, pourle prix de vallance & de magnanimité.
Durant que toutes ces choſes ſe paſſerent ainſi, le Roy Matthias, qui
auoit eſpuiſélameilleure partie de ſes finances, comme nousauons dit,aux
XVII. pompes & magnificences de ſes nopces,voyant que c'eſtoit luy qui por
Meſ ººº le faix de laguerre contre leTurc , & que c'eſtoit ſur ſes terres, &
§y ſur ſes principales places que ſe faiſoit le plusgrand rauage, ſe reſolut de ſe
†# tenir ſeulemét ſur # deffenſiue, de munir & fortifier ſes § & laiſſer
- -
faire lesautres nations à leurfantaiſie.Il ſouloittirer tous les ans de la cham
*

breApoſtolique, centmille ducats; les Venitiens luy faiſoient auſſi quel


que
· des Turcs, Liure premier, 135
queforme de penſion pour ſubuenir aux fraiz de la guerre , mais le tout
luyauoit eſtéretranché en la guerre Germanique ou Auſtrienne qu'il eut
contre l'Empereur Ferdinand, les Italiens s'eſtans partialiſez pour l'Em
pire. . · · · -- · · · ' .
a -

Ce fut cettemalheureuſeguerre ſifauorableaux Turcs, & quiluyfaci- c .,


lita le
-
† de ſes conqueſtes : car tandis que les Princes Chreſtiens, rable
• " • - - -
#
- * -pour les -

eſtoientacharnezlesvns contre les autres,ilaccroiſſoittouſiours ſon Em* r #


ireàleurs deſpens, & ne perdoit aucune occaſion pour bien faire ſes af.
§ : de ſorte qu'il ſeroit bienmalaiſé de dire qui de l'Empereur, ou du ..
Hongre, du vaincu ou duvainqueurreceutplus de perte en cette guerre, ,
car Fredericdevray perdit pluſieurs places, & fut contrainct de mandierla .
paix à ſon ennemy, mais auſſi toutes les Prouinces de Matthias furent ra
uagées parle Turc, ce qu'il n'euſtiamais faicts'il euſttourné ſes forces con
trel'infidele, ayantaſſez faictparoiſtre parſix notables batailles qu'il leur
a liurées,& deſquelles l'honneur & le champ luy eſt demeuré: # ce Prin †
ceauoit tant d'heur & de conduite,qu'ileſtoit du tout inuincible, comme ºº
ila eſté iuſques à la mort, & quevaincre & combatreluy eſtoientvnemeſ
me choſe, mais telle eſt l'ordinaire des Chreſtiens, delaiſſer labergerie au ſtabli
- - » 2
Qui ſe veute
- -

loup, tandis que les chiens ſe mangentl'vnl'autre; ceux qui eſtans les pro-†
tecteurs & conſeruateurs de cette ſaincte Republique, eſtans bien-ſou-† ' ſuccombe en

uentlesvſurpateurs & deſtructeurs d'icelle : & ce qui eſt le plus remarqua-†


ble, c'eſt que cette guerre Auſtrienne ayanteſté cauſe d'empeſcher l'entie- #º•
reliberté †ð en toutes ces marches là, ellea eſté cauſe non ſeu
lement del'eſtabliſſement desTurcs, mais en finl'oragemeſme eſt tombé
ſur leur teſte, eſtans tous les ioursaux mains pour deffendre leur pays.Mat
thias doncques qui ſevidaſſailly de la neceſſité & du manquement de fi
nances, qu'ilredoutoit plus que les armées du Turc, bien qu'on luy euſt
eſcrit § † , tant de Rome que de Veniſe ; luy ne prenant
point tous ces diſcours pourargent cótent,il retire ſous mainlesgarniſons .. , ..
qu'ilauoit, tant enl'Albanie, qu'autres terres des Venitiens, & rompt l'al- †
liance qu'ilauoitaueceux, indigné principalement de ce qu'ilsauoient fa-f†
§ ennemy,auſſine fut-ce pas ſans leurfaire entendre combien ſon Pºurquer
ſecoursleurauoiteſtévtile, & combienilleur eſtoit important de l'auoir
Pour amy. -

Ce diuorce apportavn preiudice notable à l'eſtat vniuerſel des Chre- . ::::


ſtiens, mais particulierementaux Venitiens, qui ſe reſſentirent bien-toſt
dela perte d'vne ſibonne eſpée; carle Turcvoyant le pas ouuert à la Dal
matie.lesgardes s'en eſtans retirées,& l'ardeur du Hongre refroidie, ilreſo
lutdeſefrayerlechemin du Liſonce, queles prouinces circonuoiſines de
lºThraceprenoient ordinairement pourentrerenl'Italie: ce fleuue coupe
lesfrontieres du terroir Aquileenauecvn cours ſiviolent,qu'ileſtgueable . -

ºnbien peu d'endroicts : Alibeq eut la charge de faire cette deſcouuerte # †


ºcquinzemille cheuaux qu'ilramaſſa de l'Eſclauonie, Bulgarie & Mace-# # ..
doine,ayant paſſé les monts Dalmatiens & Carmiens,& courula Carinthie †
*hStitie, auecvne celerité eſmerueillable, ſans que la profondité des"
- -

'•
)
136 Continuation del'hiſtoire
riuieres, nyl'aſpreté des montagnesleurpeuſt empeſcherle paſſage & de
ſtourner de leur deſſeing; ils vindrent tumultuairement ſe ietter dans le :
Frioul, ou marqueTreuiſane iuſquesaufleuue Liſonce, rauageans de ſor
te tous les bourgs & villages par où ils paſſerét, qu'vne profonde paixauoit
rendus riches & opulens, qu'ils en emmenerent au moins vingt mille a
mesauecvnegrande quantité de butin, cette courſe ayant apporté telle
, frayeuràtoutel'Italie, que pluſieurs changerent de demeure, pour aller
cherchervne retraicte envn pais de plus grande ſeureté, cela fut cauſe auſſi
reusaie , que les Venitiens firent clorre & remparer de groſſes leuées, tout ce qui
† courtderiuieregueable de fleuue de Liſonce, entre le pont Gorician §
radiique » - - - -

§ mareſtsd'Aquilee, faiſansfortifierles deux chaſteaux de Gradiſque & de


Foliane, auecvne petite citadelle,visàvis du Pont Gorician, mettans en
tous ces lieux bonne & forte garniſon, & eſperans par ce moyen arreſter
l'impetuoſité † , & donner quelque ſeureté à leur pays.
Mais à peine ces choſesauoient-elles eſté paracheuées, qui toutes-fois
s'executerent auec beaucoup de diligence, que lors qu'on y penſoit le
moins, Homar Sangiac de la Boſſine,auecvnearmée, comme ontient, de
† quinze mille cheuaux d'eſlite, ſe fiſt ſentir ſurle † de delà du fleuue
#io§ Liſonce, cette deſcouuerte ſe fiſt ſur le tard, empeſchant ainſi les vns les
autres deveniraux mains, mais le lendemain Homar quiauoit deſſeing de
s'emparer du fort qui commandoit au pont, fiſt § brune prendre le
tourà quelques trouppes des ſiens, qui enuironnans cette fortereſſe, ſur
† prinrenttellement lagarniſon, que ſansy perdre beaucoup des leurs, ils ſe
#rº rendirent maiſtres de la place. / - -

- Les Venitiens quiauoient ramaſſé toutes leurs forces, s'eſtoient cam


pez à quatre mille de ce fort, reſolus d'attaquerl'ennemy de quelquecoſté
Ne r• # il voudroit tirer. Ils furent quelque temps ignorans quele fort du pont
§ fuſt entre les mains desTurcs, & meſmes ne voulurent pas croire ceux qui
†" leurenapporterent les nouuelles, tant nous prenons plaiſir §
† Pº choſes quinous ſont deſagreables,ounous peuuent porterpreiudice : cela
donnaloiſir à Alibegou Omarbeg (car ondonnetous ces deux noms à ce
general) de dreſſervne embuſcade de mille cheuaux enlieu commodeaſ
ſez pres du pont pour ſe tenir engarde, & eſtre attentifs de courir ſus l'en
.stratageme nemyau ſignal quileur ſeroit donné, puisvers la poincte du iouril fiſt
* ſerla riuiere àvne trouppe de cheuaux, pouraller faire la deſcouuerte,leur

enioignant d'alleriuſquesaucamp de l'ennemy,s'ils ne trouuoient rencon
tre enchemin, & de donnerauecfurie dans leurs portes, pourlesattirerau
combat, mais ils ne furent pointencette peine, car ayant rencontré Hie
XVIII. º ſme Nouellus,le chefdes forces Venitiennes, ils commencerent auſſi
' toſtlameſlée, où chacun de part & d'autrefaiſoit paroiſtre ſavaleur. Mais
BºilledeLi lesTurcs,
ſence,
quiauoienteſté
de reculerau inſtruictscedequi
plus fort du combat, ce qu'ils deuoientfaire,feignirent
accreut encore le courage des
Chreſtiens, croyans que ce fuſt vne veritable fuite; ſi bien que toute la
ieuneſſeVenitienne les ſerroit de fort pres, contre meſme la volonté de
Nouellus, quivouloit qu'on arreſtaſt cette pourſuite, voyant les Turcs
\ - fuir
des Turcs, Liure - t - à

premier. 137
fuir trop lentement pour des gens eſpouuentez; mais l'ardeur du combat
&le deſir de la victoire,l'empeſchoit deſtre obey,iuſques à ce qu'ils fuſſent
arriuez en des chemins fourchus fort ſerrez & ſuſpects de toutes parts : car
alors les Chreſtienss'eſtans retirezau ſon de la retraicte; les Turcs au con
traire reuindrentàla charge,renforcez d'vne autre trouppe qu'onauoit en Lambuſade
uoyée à leurſecours,iuſqu'à tant que tout le reſte de l'armée arriua,&lors le †
combat
repouſſezrecommença plus furieux
iuſques à Graman, quetorrent
c'eſt vn deuant,de ſorte que
qui court les Turcs
à trauers furêt †
les vallées IC1I1CIlS,

| Pygortanes. Mais comme le Venitien tenoit quaſilavictoire en ſa main, ·

.
Alibegdonnant le ſignalà ceux de l'embuſcade du ſommet dumont Lici
niſie, qui eſtoit à maingauche des combatans, ils vindrentfondre auecvn
S, tel bruit & telle furie ſur les Venitiens, qu'eux qui ne s'attendoient rien
#
moins qu'àcette recharge,& qui pour eſtre tropattentifs au combat,igno
#.
roient le nombre de ce nouueau ſecours, commencerent à reculer & pren
#
dre en fin telle eſpouuente,qu'ils ſe mirenttous enfuitte.LesTurcs cepen
dant les pourſuiuans à toute bride, en firent vn grand maſſacre iuſques à Les Tures vi.
# | Moſſa, & vn peu plus auantoùilss'arreſterent,legeneralHieroſme Veni-† rád maſſacre
#
T#
tienyfuttuéauecſon fils,& pluſieursautres notables perſonnages,ſans que º º
#
parmy vn ſigrandnombre de morts, comme dit l'Hiſtoire de Veniſe, on
llſ !
peuſttrouuer le corps d'vn ſeulTurc, bien que cela ſoit certain que plu
ſieurs y finirent leurs iours, comme ils'eſt peu remarquer† ce diſcours:
# deſorte qu'ilyagrande apparence qu'Homar les fiſt amaſſer en vntas, &
# bruſler,pour oſterauxChreſtiens la cognoiſſance de la perte qu'ils yauoiét
27
faicte, ruſe qui luy ſeruit à courirenaſſeurâce, & rauager toutes les meſtai
jv
ries,bourgs & villages qui eſtoiét entre les fleuues Liz6ce & Taillamét, où
ilmiſtle feud'vnbout à autre, ce qui donnavnetelleterreurà tout le pays
circonuoyſin, qu'à peine eſtoit-onaſſeuré dans les villes,& non content de
cette rafle là,feignant des'en aller,ilss'eſloignerentbiévne iournée du fleu-secsdes gsi.
ue Lizonce; de maniere que partoute la prouince, comme on les croyoit †
auoirquitté le pays, on fut tout eſtonné qu'on les ſentit de retour auecau
tant de furie & de cruauté qu'au precedent, acheuans debutiner ce qu'ils
auoiétlaiſſé,ſeretiransainſi enla Boſſine chargez degloire,de toutes ſortes e ..
de deſpouïlles, & d'vne multitude de captifs,non moindre que la premiere #§
fois qu'ilsauoientrauagé cette contrée, telle futl'iſſuë de labataille de Li-† our la per
te de cette ba

zonce, qui apporta telle frayeuràvn chacun, que iuſques à Veronne on "
, tremblade peur,auſſivid-on de la haute tour de Veniſe, le feu des meſtai
ries quibruſloient la nuict. - v

Ce fut lelepremier
deſaſtre; effect
ſecondfut de l'alliance
le ſiege rompue
& la priſe auecle
de Croye, Hongre qui cauſa
parleSágiacHaly, ce XIX,
cette , I -

ville † reſiſté par † , à des armées de trois cens millehö- siege de la


mes,ſoubs la conduite de ces puiſſans & redoutezMonarques Amurath & º
Mahomet,duviuant de ce grand PrinceScanderbeg, maintenantvn petit -

$ºngiac,aſſeuré qu'ellen'auroit autre ſecours que des Venitiens, promet à


ſonPrince de la † rendre ſienne auecdix mille hommes ſeulement, &
defaicts envint camper deuant Croye enl'année 1474. àlors eſtoit Proui
S
" e • " 2, • ^ s

138 Continuation del'hiſtoire


dadeur de la Dalmatie François Contarin, lequel ayant conioinct à ſes
forces la compagnie de Louys Ducagin,de Doſla,Pierre de Cartage,Louys
de Caſtel,Carlin, & pluſieurs autres compagnies Italiennes; ilsvindrent
tous enſemble ſe camper à Tiranne : Haly quiauoit eſté aduerty de leurar
riuée parſes eſpies,s'eſtoit embuſquéau dos d'vne montagne, nonguere
eſloignée deTiranne : de maniere qu'ilfutpreſque auſſi-toſt ſenty qu'ap
erceu des Chreſtiens, toutes-fois eux qui ſçauoient n'eſtre pas loing de
#ennemy,auoient donnétel ordre à leurs affaires, qu'ils ſouſtindrent non
ſeulement cette premiere pointe,mais combatirent meſmes pluſieurs heu
resauectant de courage & de valeur, quelesTurcs mis en fuitte, ſoit par
crainte ou par artifice(carl'vn &l'autre ſe peutiuger)leur camp fut pris, &
les forts & bloccus conſtruicts àl'entour de Croye,abattus & mis parterre:
de ſorte quele Venitientenant la victoire toute aſleurée, s'eſtoit rué ſurle
Leschreâiºns Pillage, conſultant s'il deuoit paſſer la nuict en ce camp ennemy, leiour in
§ clinant deſia fort ſur leveſpre,mais tandis que tousles ſoldats eſparts,quiçà
†. # † là & chargez de pillage,le Turc qui reprent ordinairement cœur apres
† ne
ſoncroyans
tin.
eſpouuente,iugeantbien que les Chreſtiens s'amuſeroiétainſi au butin
rien moins que cette recharge,ilexhortales ſiés à recóquerir ce
qu'ils auoient perdu, l'hóneur de lavictoire, à ſçauoir, & leurbagage, ioint
l'eſperance aſſeurée de la priſe deCroye,s'ils tailloient en pieces ſon ſecours.
Ces trois puiſſantes perſuaſions leur ayans remis le cœur au vétre,ils tour.
, nerét viſage contre les Chreſtiens auectant d'aſſeurance,qu'ils furent incó
tinentau dos de leurs † trouuerétentel deſordre,que les vns,
$ ;- à ſçauoir les Turcs,n'eurent que la peine de tailler en pieces, & prendre des
priſonniers,& lesautres às'enfuir où ils peurentà la faueurdelanuict,Con
tarin entre autresfut pris & eut la teſte trâchée,le Ducagien, Doſſa, & Pier
re de Cartage mis à rançon,Carlin & quelques autres ſe ſauuerent : mais la

Caſtel.
magnanime conſtance de Louys du Caſtel & de ſa compagnie eſt digne de
toute loüange & admirationà la poſterité, cevaillant homme voyant qu'il
luy eſtoit du tout impoſſible de fendre la preſſe des ennemis,& lagrandeur
de ſon courage ne pouuants'abaiſſeriuſques àſe rendre à leur mercy, il ſe
, reſolutauec # ſiens, devendre bien cherement leur vie, & mourirlesar
mes à la main:Il rangeatous les ſiens envn petit cercle , la croupe de leurs
cheuaux l'vne contrel'autre, & lalance en #arreſt,faiſantainſiteſte de tou
tes parts àl'ennemy : cette hardie reſolution cauſant tant de merueilles aux
Turcs, qu'encore qu'ils fuſſentvictorieux & maiſtres du câp des Chreſtiés,
toutes-fois pasvn ne les ozaattaquer,de ſorte qu'ils demeurerét en cet eſtat
iuſques à ce qu'eux & leurs cheuaux vaincus parlalaſſitude, tomberent à la
fin parterre:Halytoutes-fois admirantleurvertu,ne permiſt qu'onleurfiſt
aucun mal, ains les print à rançon, & depuis ils furent deliurez des deniers
Cauſe de la de. duSenat Venitien. • /

§ Ortoute cette perte, commevousauez ouy, n'eſtantarriuée que par le


*" peu de preuoyance des chefs,Haly,quirecognut incontinentàquiilauoit
affaire, retournaauſſi-toſtau ſiege de Croye, laquelle en finayant ſouffert
leſiegevnanentier,les habitans voyans toutesſes prouiſionsluy manquer
CIlCOIe
des Turcs, Liure premier. , 139
, encore qu'ils euſſent mis hors les femmes, enfans, vieillards & autre menu
peuple inutile aux armes,voyant toute autre eſperance de ſecours leur eſtre
oſtée, preſſez qu'ils eſtoient de la faim, & meſmes eſpouuentez de l'ef
froyable armée que Mahomet amenoit enl'Albanie, ils ſe rendirent à la Ceux deCroye
diſcretion de§ yayant laiſſébonne & puiſſante garniſon,s'enal. ſe rendent à
la tout de ce pas auecle reſte de ſes forces, inueſtir Scutari : Solymanyarri diſcretion.
ua quelques quatre ioursapres, qui campa du coſté de Leuant, auec vne
armée de ſoixante & dix mille hômes quelques autres diſent que cettuy cy
s'appelloitTaüt Gaiola, Beglierbey dela Romelie, puis le gouuerneur de
la Natolie Muſtapha, auec † peu moins de forces, que celuy de Ro- .
meli : enfin le 15. de Igin de l'année milquatre cens ſoixante & quatorze le +

Monarque Turcy arriua en perſonnc,auectous ſes Iénitzaires &autres gés Second ſiege
de ſaporte & famille : quant à Haly, apres l'arriuée de ſon Seigneur, il s'en de Scutari.
allacamperau delà du Bolian. Quant à l'eſtat de laville, il y auoit dedans
milſix cens habitans, & deux cens cinquante femmes, ils auoient mis de
hors toutes les autres bouches inutiles auant lavenuë de l'ennemy; outre
ceux-cy, ilyauoit encores ſix cents ſoldats mercenaires, ſoubs la charge de
Carlin, d'Anthoine Corton, de François Sanſerobar, de MichelSpalatin
&de pluſieurs autresgrâds capitaines,Anthoine Legghey eſtoit en qualité
de Prouidadeur & degouuerneur auecce petit nombre les Scutariens ſou
ſtindrent le ſiege contre tant de milliers de perſonnes.
Auſſi-toſt doncques que Mahomet fut arriué, l'artillerie fut inconti XX.
nétbraquée pourbattre les murailles.Toutefois le Turcſeló ſa couſtume,
fiſt† ſommerlaville de ſerendre, deſirant dubon du cœur,qu'el. Scutari ſom
le vouluſtentendre à quelque honneſte compoſition,ayantaſſez eſprouué # # º
au premier † le courage & lareſolutioninuincible des Scutariens : mais "
b

il eſperoit qu'ils ſeroient doreſnauant laſſez delaguerre,& eſpouuentez de


la multitude qu'ils pouuoientvoiràl'entour de leurville, car ceux qui fu
rent à ce ſiege ont laiſſé parmemoire, quel'armée Turqueſque y eſtoit en
ſi grand nombre, qu'en laplaine, aux montagnes,aux coſtaux, & partout
où laveuë ſe pouuoit eſtendre au long&au large, on ne voyoit que tentes
& pauillons.Toutes-fois les habitans quiauoient intention de ſouffrir plu
:
ſtoſttoutes ſortes de fatigues & de miſeres, que d'entendre à la perte de Reſponſe des
-

,•
leur liberté, firent reſponſe † n'euſſent point tant perdu de leurs ci-sºutiriens.
toyens,ny ſoufferttant deme aiſes durant & depuis le premier ſiege, s'ils
., « *
# euſſent eu quelque volonté de ſe ranger ſoubs l'Empire des Othomans,
'.
• •
\ ^
) qu'ils n'eſtoient pointignorans de ſa puiſſance, & du bon-heur de celuy
::t #^ , |
I
quiregnoit pour lors, mais qu'ils s'aſſeuroient de combatre pourvneque
& telle ſiiuſte, qu'ils fondoient plus leurappuy ſur le ſecours diuin, que ſur
nkº#) la puiſſance humaine, & parainſi qu'ils eſtoientreſolus de reſpâdre iuſques
sdº | àla derniere goutte de leurſang, pour leursautels & leur chere patrie.A ce
1 !
: .
#
cylesTurcsadiouſterent encores deux ruſes, l'vne ſe fut de § deux
gepº desleurs quiparloient Italien, en habillement marineſque, & les enuoye-† pour corrom
ºntdeuant les murs delaville,faiſans accroireaux Scutariens qu'ils eſtoiét §.
des galiots fraiſchement arriuez & deſcendus des galeres, qui auoient"
S ij
[

- - - 3 - --

I4O . Continuation del'hiſtoire


abordé depuis peu au Bolian, & amené l'Ambaſſadeur que les Venitiens
auoient enuoyeaugrandSeigneur, pour traitter de paix auec luy : de ſorte
qu'ils conſeilloient aux habitans de ne rien craindre, les aſſeurans qu'ily
auoitgrandeapparence d'vn bon accordauec le Turc, & par conſequent
qu'ils n'auoient que faire de tanttrauailler à la fortification de leurs murail
les, veulacertitude de la paix, & que les infideles n'auroient iamais laſſeu
rance de s'arreſter deuantvnetelle place. -

, ... , Cela fut ditd'vnefaçon ſigauffe & auecſipeu de ſuitte & d'apparence,
g§ comme lesTurcs ſont naturellement mal-propres à toutes ces negotiatiós
# " qui deſirentvn eſprit plus delié quele leur, que les habitans recogneurent
- ayſement cette inuention eſtre venuë du Baſſa de Romeli, lequel pour
eſtre campéau deſſus d'vne coline (quia eſté ſurnommée la coline du Baſſa)
de laquelle on † ayſement voir ce qui ſe faiſoit dans la ville, il auoit
recogneu que les Scutariens trauailloient iour & nuict à fortifier leur ville
de forts & puiſſans remparemens,ce qu'ilvouloit empeſcher par cette ruſe,
& de fait ces entremetteursyfuſſent demeurez pour § ne ſefuſſent
Au ie, ſauuez par la fuite. L'autre ruſe ce fut que les habitans de Croye s'eſtans
# rendusvie & bagues ſauues,la plus-part d'entre-eux contrelafoy promiſe,
§ de fut miſe à la chaiſne parleSangiac, & enuoyez à Mahomet, par ſon com
" mandement furentincontinentamenez aux portes de Scutari, & à force
de menaces forcez d'admoneſter ceux de cette ville, de ſe mettre à lamer
des Turcs, deſquels ils ſe pouuoientaſſeurer d'auoirtout bon & fauorable
· traictement. Mais la voix tremblante, & les ſouſpirs interrompus de ces
† miſerables leur faiſoient aſſez iuger qu'on § auoit plus forcé la
- angue que le cœur, ſi bien † tant s'en faut que cela peuſt eſbranlerleur
reſolution, qu'au contraireils remarquerent de plus en plus la perfidie du
. . , Monarque Turc, quicontre ſafoy promiſe,tenoit captifs, & forceoit des
T§ gens, qui parleur capitulation deuoient eſtre en pleine liberté, & toutes
† fois ils apprindrent depuis qu'onlesauoitmisàrançon,& que ceux quin'a
† º uoient eulemoyen de la payer,& tombez depuis entre les mains des Turcs
auoient neantmoins eſté cruellement maſſacrez, apresauoir eſté deſpouïl
lez, & les autres qui n'auoient point eu le moyen de ſe racheter, auoient
eſté enuoyez deçà & delà,pourpaſſerleurvie envne perpetuelle ſeruitude.
| De ſorte qu'au lieu quelesTurcs eſperoient par cesinuentions d'eſmouſ
ſerla pointe des courages des Scutariens, ils les fortifierent de plus en plus
pour ſouffrir toutes ſortes de fatigues & de perils, pluſtoſt § de ſe ren
· dre à la mercy de celuy, en la parole duquel il y auoit ſi peu d'aſſeu
IaIlCC. • '

Cela ſeruit auſſi de ſubiect à vn pere Barthelemy de l'ordre des freres


Preſcheurs, & Epirote de nation, de faire vne exhortation à tousleshabi
tans, afin d'auoir meilleur courage, & nes'ennuyer point de lalongueur du
.. ſiege,leur rameriteuátle Roy † Boſſine ſicruelleméttraicté, les Princes
# Raſciens aueuglez : le ſeigneur de Metelliniuſticié,l'Empereur de Trebi
†º zonde & ſes enfans maſſacrez,ceux de Conſtantinople miſerablemét tour
mentez de ſangfroid, les grandes cruautez contre ceux de ſaincte Maure,
allCC
-

\ des Turcs, Liure premier. I.4 I


auecvne infinité d'autres exemples, le tout contre la foy promiſe, iln'ou
· blioit pas auſſi la ruine detant de floriſſantes citez, qui s'eſtoient volontai
rement rendues ſoubs ſa domination, tant au Peloponeſe qu'aux autres"
prouinces conquiſes,comme ſil'armée de ces infideles euſt eſté comme vn
feu quifiſtvne raſe partoutes les terres paroù il paſſoit, teſmoing de freſ
che date, la floriſſante Iſle de Negrepont : que ces gens eſtans enuoyez
de l'abyſme commefleaux du monde, s'eſtoient deſpouïllez de toute hu
manité & miſericorde, ne ſe ſoucians que d'emplir leurs bourſes & aſſou
uir leur cruauté, & partant quelecourage & l'audaceleur creuſt,puis qu'ils
auoient à faire contre des gensſi deteſtables, que cela les deuoit † tI'CIIl
blervoirement, d'auoiraffaire àvn ennemy cruel, mais que cela les deuoit
, aſſeurer, de ce qu'il ne pouuoit eſtre fauoriſé du ciel, ſieux-meſmes n'a
uoient fermé le canal de ſes douces influences par leurs iniquitez : qu'ils
commençaſſent donc à nettoyer leurs ames, pour les fortifierapres d'vne
nouuelle eſperance de l'aſſiſtance diuine, puis qu'il eſt tout certain que s'e
ſtans donnez entierement à DIE v, iamais ſa maieſté ne laiſſoitles † alll

beſoing: que ſiapres cette ferme croyance, il falloit ietter la veuë †


moyens humains, ne deuoient-ils pas conſiderer la ſituation de leur ville
imprenable, la force de leurs murailles & remparemens, leurs munitions
d'armes, de poudres, d'artilleries, & de toutes ſortes deviures en abon
dance ? que ſi le nombre de leurs ſoldats eſtoit petit en comparaiſon de
lennemy, qu'au moins deuoient-ilsauoir cette conſolation qu'iln'yauoit
plus d'habitansinutiles danslaville, & que ſi ce qui eſtoit reſté ne vouloit
nonplus manquer de courage que de force; ils'aſſeuroit quel'ennemyau
roitla honte deleuerle ſiege,& ſe retirer ſans rien faire. Que chacun donc
ques ſe miſt en deuoir de bien obeyr & debien combatre; car parces deux
choſes ils auroient le deſſus del'ennemy. Cebon Religieux,outre la crean
ce que les habitansauoient en luy, diſoit ces choſes & autres ſemblables
auectant dezele & d'affection † ſon diſcours ne fut pas de petite impor
tance, pourmettre de plus en plus le cœurauventre des Scutariens, qui en
eurent bonbeſoinincontinent apres.
Car Mahometvoyant que toutes ſes ruſes luy eſtoientinutiles, & qu'il XXI.
n'auroit iamais laraiſon de cesgens-cy que parla force, il delibera de don
nervnaſſautgeneralàlaville. Orles Turcs faiſans ordinairement de fort
longsvoyages, l'attirail de l'artillerie leur ſeroit auſſi infiniement incom Ir duſtrie des
mode
'il
† tirerayſement pays, & faire leurs caualcades
- - , • N il
en telle
- l
diligence †
ilſ tranſport de
qu 1lS IOIlt : II1aIS pour ClI1tCI a CCt embaraſſement, 11S portent e metal llſ l artiiierie,
des chameaux, &puis fondent les pieces ſur le lieu, quelques-vnes excep
tées, qui marchent pour la deffence du logement du grandSeigneur.En
CCſiege donc,le Baſſade Romeli, auoit faitvenir douze mille chameaux
chargez de metail pour fondre del'artillerie, mais entre lesautres pieces
qui§ le plus de dommageaux habitans,c'eſtoitvn double canon,qu'ils
, : appelloient † canon du Prince, pour auoir eſté fondu en ſon nom, ils di
',
ſoient que laSultane auoir enuoyé le metail pour le faire, afin que celaluy
Peuſtſeruirauſalut deſonamc, car cette maxime eſtant tenue pourverita
- | S iij
-

142 \
Continuation de l'hiſtoire
- -

- - -

ble entre-eux, que celuy quifait le plus de malaux Chreſtiens en cettevie,


c.si.aae-eſtaPresſº mort le plus aduancé au paradis de Mahomet Cette Princeſſe
# #ºuoit creu qu'elle feroit preſque autant mourir de Chreſtiens parl'impe
§s tuoſité de cette piece, que la meilleure parie des ſoldats n'euſt ſccu faire,
" admirable inuention de pieté, & digne de labeatitude, non pas de cel
le qu'a inuentée ce faux Prophete , mais de celle qu'il iouyt à pre
ſent. -

Or les Turcsauoientſouuent menacé les Chreſtiens de cette machine,


† |
ils pointerentauecvne infinité d'autresgroſſes & petites contre la
- -

Inuention de ville, mais entre autres ilyauoit deux mortiers qui incommodoient fort
certains bou
·§
On nC † les habitans : car les boulets queiettoient ces machines deſſus les toicts de
†"| àScutarieſtoient
feu.
d'vne telle
peine le pouuoit-on compoſition,
eſteindre : de ſorte qu'apresque
que le feu ſeleprenant
feusy eſtoit pris,
aux toicts -•

des maiſons, quin'eſtoient en quelques endroicts que de bardeau, cela


euſtfaictvn merueilleux rauage, & mis tous les pauures habitans en deſor
dres car c'eſtoit pour ce ſubiect que lesTurcs auoient trouué cette inuen
tion; &afin que celareuſſiſt mieux ſelon leur deſir, ils ne les tiroient ordi
nairement que de nuict; mais les Scutariens ayans deſcouuertl'artifice,de
puterent quelques-vns d'entre-eux pour auoir l'œil à ces tonnerres, qui
donnerentvn tel ordre parleur diligence, que la ville en receut fort peu
d'incommodité. Vn de ces mortiers fut plantéau pied de la colline versle
Septentrion,au deſſus de l'Egliſe ſainct Blaiſe, duquel ialliſſoitvne pierre
de douze quintaux peſante, qui s'eſlançoit neantmoins enl'air d'vne telle
† viſteſſe & impetuoſité,auecvnbruit & ſoufflement ſi eſtrange, qu'on ne
º l'euſt pas iugée autrementqu'vnveritabletonnerre; car onlavoyoitrouler
fort haut dans le ciel, puis tout à coup fondre auecvne telle violence, que
- tout ce quivenoitàlarencontre eſtoitbriſé,fracaſſé & enfoncé, que ſielle
donnoit en pleine terre, elley entroit douze palmes de profond, & cho
" quant à † groſſe pierre, elles'y fichoit comme en quelque matiere
tendre & molle : Étlors qu'onlavoyoit enl'air, onl'euſt priſe pour quel
ue comete cheuelue, pour la queuë flamboyante
elle.
§ trainoit apres
Toutes ces bombardes enſemble tiroientſi continuellement & ſans re
- , laſche, & voloit vne telle quantité de pierres & de boulets ſurlateſte des
habitans, que ſouuent elles ſe choquoient enl'air & briſoient les ſagettes
# & letraict : ſi bien qu'ils ne trouuoient le couuert qu'auec grande difficul
té, les murs eſtans preſque abbatus rez pied rez terre, & leurs remparts
riens.

& terre-pleins à demy ruinez, eſtans contraincts de ſe creuſer des cauins


deſſoubs terre pour ſe cacher,tantils ſe voyoient accablez de toutes parts
par lesballes & le traict, lesvns accrauantez en leurs maiſons par les mor
tiers, autres mis en pieces§ l'artillerie en pluſieurs endroicts de la ville,
d'autres percez d'arquebuſades & de fleches ſurlamuraille, de ſorte qu'ils
• ſevoyoient preſque reduictsau dernier deſeſpoir.Toutes-fois ils auoient
§ tellement mis leur eſperance en l'aſſiſtance Diuine, qu'au lieu de perdre
"º cœur, ils trouuerent leurconſtance & magnanimité rafermie au de ºu
CllIS
desTurcs, Liure premier. I43
leurs afflictions, & leur courage tellement fortifié auec vne genereuſe ar
deur de combatre, qu'oublians leur miſere & calamité, comme ſi on leur
euſt enuoyé nouueau ſecours,ou commes'ils euſſent trouué du rafraiſchiſ
ſement dansleurs trauaux,ils ſe preſenterentau premieraſſautgeneral, qui
| fut liuré auectant de violence, & repouſſéauectant de valeur, qu'ilfutre
| pris par trois-fois, ilyauoitvn endroict de la ville, du coſté de la colline,où premieraſſut
elle s'eſtendoit aſſez doucement ſur la plaine, & rendoit cette aduenuëaſ general
†. de

ſez ayſée, mais en recompence que le lieu eſtoit trop acceſſible de ſoy, #
l'artificel'auoit renduimprenable † deux tres-fortes tours, qui le flan- -

quoient de toutes parts : & ſiles habitans,quiſe defioient de ce quiaduint,


à ſçauoirque l'artillerie leurreduiroittout en poudre,auoientfaict au der
riere de fortes leuées, & larges remparemens, mais par dehors cet endroict
ſembloittouſiours le plusfoible, voyla pourquoy les Turcs s'y oppinia
ſtrerent d'auantage, & où les pauures Scutariens eurent le plus à ſouffrir.
Maisleurvaleureuſe audace eſtant le plus fortbouleuert de leurville, ils ſe Grand cour

deffendent courageuſement de tout, reſiſtent à tout & repouſſent tout: §


LeſtendartMahometandeux fois plantéſurle rempart deScutari, & deux "
foisarraché, finalement la troiſieſme, Mahomet quiregardoit le tout, qui
menaçoit, & quianimoitles courages abattus † raſſemblant toutes
ſesforces deuerslagrande porte, fiſt donner dedans auectelle furie, que la
villes'en alloit expoſée à la cruauté du victorieux, quandvne trouppe de
quatre censhommes, toute la fleur & l'eſlite des Scutariens qu'on tenoit † †
iour & nuictenbataille ſurla place pour ſubueniraux endroicts les plus af- †
foiblis, & quienauroient § , à la clameur de ceux qui crioient que †
le Turceſtoit dans laville,accoururentauecvnetellelegereté & aſſeuran-†
ce qu'à leurarriuée ayantarrachél'enſeigne Mahometane & planté celle de le -

ſainctMarcpatron des Venitiens,le combat fut renouuelé en cet endroict


toutainſi que ſi les vns & les autres n'euſſent cóbatu de tout le iour.LeTurc
toutes-fois bien plus recru, mais le Scutarien, plus frais pour auoir repris
· haleine, ſceutſibienvſer deſonaduantage, qu'auecfeux artificiels, maſſes
depierres, tonneaux pleins de terre,fardeaux & autres choſes ſemblables,
dont on ſe ſert ordinairement à la deffence des places, ils arracherent des
poings de leurs ennemis,leurs drapeaux, les chaſſerent & menerentbat- vaillammeut
les Ture,
tans, non toutes-fois ſiloing qu'ils ne ſe peuſſent promptement ranger †
| ſoubs le couuert de leurs murailles ;ontient qu'ilmourut à cetaſſaut douze cre
- †º d'iceux,
milleTurcs, & des Scutariens 4oo. & tout le reſte bleſſé, chacun ayant
vouluauoir partaugaſteau : Mahomet quiauoitveule tout, & qui tenoit
la priſe de cetteville pourtoute aſſeurée, voyant la chance tournée, & que
devainqueuril eſtoit vaincu, ne pouuant pas ſouffrir cet affront auec la
conſtance requiſe àvngrandchefdeguerre, qui † laviciſſitude des
choſes, nyregarder (parlant comme le vulgaire) la fortune d'vn meſme
œil,on dit qu'ilſe renferma ſeul dans ſa tente, ſans vouloirrien communi
queraux principaux de ſon armée.
"
Orlesiours de cette ſolitude, de bonne aduenture pour les Scutariens, XXII!
eſtoient aux derniersiours dela Lune, durant leſquels les Turcs ne don- †"
*,
144- Continuation del'hiſtoire
nent point de combatgeneral qu'ellene ſe ſoit renouuelée,ils eurent donc.
ques cinqiours de relaſche, durant leſquels ils ſe rafraiſchirent vn petit de
leurs labeurs, & firent panſer leurs bleſſures, pour en receuoir bien-toſt de
nouuelles : caraubout de ce temps Mahomet commanda aux principaux
de ſon armée de ſetenir preſts pourvn ſecondaſſaut, ne ſe pouuant perſua
der, diſoit-il, qu'apres tant d'eſcarmouſches, de ruines, de meurtres, de
· bleſſures, deveilles, de fatigues, & parauenture de neceſſité, que lesaſſie
† # recrus de tant de miſeres, ne § enfinforcez de ſerendre, ou pour
§ le moins ne manquaſſent de force pourreſiſteràvne ſi puiſſantearmée que
†** laſienne,ſiſes capitainesvouloientauoir de lavigilance & de la conduite,
& ſes ſoldats de la hardieſſe & de la valeur, chacunayant approuué ſon di
re ( comme en choſes moins vray-ſemblables les Monarques Turcs ne
ſont pas ſouuent contredicts des leurs) & auecgrandes promeſſes de luy
sesoa aºut faire paroiſtre ſon courage & ſon affection, à l'accroiſſement de ſa gran
† * deur, l'artillerie delaſchée deuantiour pour ſignal del'aſſaut, lesTurcs fu
rent incontinent preſts pour aſſaillir, & les Scutariens pour ſe bien def
fendre. - -

Cette petite ſurſeance d'eſcarmoucher & combatre continuellement,


leurauoit donné quelque relache, encore que l'artillerie & les mortiers de
l'arméeTurqueſque euſſenttouſiours tiré durantcetemps, leurs chefs les
Autre ener alloient exhortans de toutes parts, mais particulierementlebon§ Bar
†º thelemy, duquelnous auons parlé, leur repreſentant qu'ils ne ſçauroient
§s ſouffririamais miſere plusgrande, que d'eſtre àla ſubiection duTurc, qui
ne leur oſteroit pas † lesbiens, l'honneur & la vie, mais qui
prendroit leurs pauures enfans, leſquels apres auoirſacrifiez à mille §
mesvoluptez, ils ſacrifiroient encoreau diable, leur faiſant renoncer leur
Religion, qu'ils ſe gardaſſentbien de ſe laiſſergaigner à toutes leurs per
ſuaſions car ce n'eſtoient quebelles paroles ſans § ou pleines detrópe
ries,leſquelles tant plus elles ſe trouuoientcouuertes d'vne eſpece de liber
té,elles menaçoient auſſid'vne plus griefue & plus cruelle ſeruitude,queſi
les Saguntinsauoientautres-fois mieuxaymés enſeuelir dans laurscendres
que de fauſſerleurfoyaux Romains, & tomberentre les mains del'enne
my, combien plus le Scutarien deuoit-ileſtre fidele au Venitien, duquel
ilsauoient receu & receuoient tant d'aſſiſtance ? & combien le Chreſtien
deuoit-ils'expoſer entoutes ſortes de perils pourſa Religion, & pour ſes
choſes ſainctes qui ſeroient en peu de temps foulées aux pieds parl'infide
· le,s'ils ne faiſoient des remparts de leurs poictrines, & qu'ils ne cóbatiſſent
dauantage parl'ardeur de leurcourage, que parlesfeux artificiels, ou celuy
de leur † feux,diſoit-il,quevo"auezveus cette nuictſurlapoin
te de vos piques, que penſez-vous qu'ils veulent dire autre choſe, §
quevoſtre ſalut eſt envoſtre propre courage?Souuenez-vous que les ſol
dats de Licurgus eſtoient couronnez d'oliuier, & enſeuelis dans des bran
ches d'oliuier, carleurs traicts & leurs iauelots eſtans faicts du bois de cet
arbre, s'ils eſtoientvainqueurs, c'eſtoit leur gloire, s'ils eſtoient vaincus,
ceſtoit leurſepulchre,tout de meſme devoſtrevaleur, quivous rendravo
ſtre
-

des Turcs, Liure premier. I 4-5


ftreville, vos femmes & vos enfans , ſivous reſiſtez courageuſement à la
furie de l'ennemy, mais quivous enſepuelira dans vos cendres,ou dansl'eſ
clauage, ſi elles'eſpouuente de leur multitude & de leurimpetuoſité. Ilal
loittoutàcheualdeçà & delà parlaville diſant ces choſes, tandis que Nico- .
las Monete, qui commandoit aux gens de cheual, leur ramenteuoit d'vn Autre exhor
autre coſtélaglorieuſevictoire qu'ils auoient emportée au premier aſſaut, †
& combienilsauoient honteuſement repouſſél'ennemy, qui eſtoient les -

meſmes hommes, mais non les meſmes courages, carils penſoientaupara


| uant combatre contreleursinferieurs, & maintenantils ſçauentbien qu'ils
ontaffaire à leurs maiſtres; qu'vn chacun doncques ait bon courage, mes
amis, ils n'aurontiamais d'auantage ſurnous, car ie m'aſſeure que DIE v
eſt pournous : Ils alloientainſi l'vn & l'autre exhortans leurs gens, tandis
quel'aſſaut ſe donnoit † furieux & plus cruel qu'auparauant; de ſorte
u'ils ne ſçauoient quelle † pluſtoſt, & pour le mieux il falloit courirau
§ , tanttout eſtoit plein de trouble & de diuerscris,Mahomety eſtât
luymeſme en perſonne, qui donnoit courageaux ſiens; mais le lieu où ils
auoient le plus d'affaire, & où le Turçauoitpointé toute l'eſlite de ſonar
mée, c'eſtoità cette grande porte, de laquelle nousauons parlé,où les Scu
tariens firenttant d'armes & tant de deuoir de ſe bien deffendre, que mal
gré† lavaillance & la multitude des Turcs, ils les repouſſe- -

rent pluſieurs-fois, ayans meſmes deſia gaigné les remparts, les fem- Les femmes
mes auſſi s'expoſans à toutes ſortes de perils, & combatans àl'enuy des †
hommes : de ſorte que quelques-vnes furent tuées de l'artillerie ſur le †º"
rempart.
Mahomet quivoyoit tout ce combat, & admirantle courage des aſſie
gez,fiſttoutes-fois publier que chacun cuſtàſe rallier ſoubs ſon enſeigne, Mºlent •.
& faire la derniere preuue de ſa force & de ſon induſtrie, pour ſubiuguer #s º
cette place, & comme le Chreſtien & le Turc eſtoient maintenant peſle-"
meſle, cela ne ſe doit pas paſſer ſoubs ſilence, que le grand deſir que ce
Prince auoitd'emporter cette place,luy faiſoit tirer sócanon auſſi toſtcon
tre les ſiens, que contre les Scutariens, ne ſe ſouciant pas de perdre ſes ſol
dats, pourueu que quelque Scutarien fuſt emporté † & eux. Mais
comme ce conſeil eſtoit deſeſperé, auſſi ne reuſſit-il qu'à ſon domma
ge,carlesTurcs eſpouuentez de toutes parts commencerentàchanceler, #
& les Scutariens à § ourſuiure auec vn tel courage, qu'apres pluſieurs §uſe †
charges & recharges,ils les repouſſerentiuſques dans leurs tranchées, re-"
tournans triomphans dans laville, † de maintes deſpouïlles, force Les #ºº
enſeignes, & teſtes Turques, qu'ils enleuerent au bout des piques deſſus "
leurs remparts. On dit que lesTurcs dirent depuis, qu'ils auoientveu du
rant le combat,ſur les murailles des Scutariens, des hommes d'vne figure viſio» des
& d'vn port plus auguſte & venerable que l'humain, & qui excedoient la †" ſecours des

forme des autres hommes en grandeur & maieſté, leſquels batailloient sºuariº
pour lesaſſiegez contre les aſſaillans, auſſi auoient-ils eſté en continuelle
priere aux heures qu'ils pouuoient auoir quelque relaſche durant ce
ſiege. -

T
-- !
I 46 Continuation del'hiſtoire
XXIII Ce futicyle dernieraſſaut quel'Empereur Turc fiſtliurer à cette place,
car Acomath, duquel nous parlerons § , voyant lopiniaſtreté des
aſſiegez,luyconſeilla defaire faire des forts &terraſſes tout àl'entour, l'aſ
ſeurant qu'eſtant ainſi blocquée de toutes parts, ils ſeroient en fin con
c r, traincts de luyvenir crier mercy la corde au col, & que ſa hauteſſe pour
co§ roit prendre les places circonuoiſines, & apres ſe retirer en ſa Royale cité,
" ſans reſſentirl'ennuy & le trauail de cette guerre. Ce conſeil fut pris de ſi
bonne part de Mahomet, qu'ille ſuiuit de poinct en poinct,lelaiſſant luy
meſme auecquarante mille hommes, comme on dit, pour acheuerl'exe
cution de cette entrepriſe, & enuoya ſurprendre Xabiac & Driuaſte, qui
luy auoitfaict beaucoup d'ennuy durant le ſiege de Scutari, ayant choiſy
le temps que la meilleure partie des gens de guerre eſtoit ſortie de Xabiac
ſelon leur couſtume,pour luy donner quelque eſtrette : ily mit le ſiege,la
faiſant battre d'vne telle furie, qu'aubout de ſeize iours, n'ayans point de
| | gens aſſez pour ſe deffendre,ils furent contraints de flechir ſoubs le vain
d§ queur quitaillatout en pieces, trois cens exceptez, leſquels amenez deuant
"º | Scutari, paſſerent tous de ſang froid par le fil del'eſpée, les Turcs nete
noient pas toutes-fois encore le chaſteau de Driuaſte;carcét ſoldats reſolus
· EtDriuaſte par ſe fortifierent dedans & leur firent teſte fort longuemét, maisen fin preſſez

§ dela faim, ils furent contraincts de ſe rendre, moyennant vne honorable


"" compoſition, laquelle leureſtant tres-malobſeruée, ils furent conduicts
· deſſoubs les murs de Scutari,là où ils coururent la meſme fortune que leurs
compagnons. -

Ces places conquiſes, Mahometlaſſé de tant de fatigues, & ennuyé de


la perte qu'ilauoit faicte deûant Scutari, (car ontient qu'ily perdit plus de
caquite mil cinquante mille hommes: & celuy quia eſcritl'hiſtoire de ce ſiege,dit qu'il
# fut
tari.
tiré&dans
terre, la ville
qu'elles ſi grandeplus
y eſtoient quantité
d'vne defleches, qu'elles les
palme de hauteur, ionchoient la
cordes des
cloches en eſtoient couſues, de façon qu'ellesneſe voyoient point, & ſi
en fut trouué en quelques endroits de § l'vne dansl'autre, tellement
† qu'vn mois entier, § ne firent feu d'autre bois pour la cuiſine, &
rcés dans Scu
† pour les fours , qui faict aſſeziuger de la grande multitude qu'il y auoit là
§ deuant;)ſe retira à Conſtantinople apres auoir mis le feu à la ville de Lyſſe
" qu'il trouua deſerte,les habitans s'en eſtans fuis à ſon arriuée.Et pour oſter
toute eſperance aux pauures Scutariens du ſecours de la Seigneurie Veni
†ºs tienne,ildeſp eſchaleSangiac de la Boſſine auectrentemille cheuaux,pour
' allerfaire vnrauageau Frioul, par la meſme piſte des mois paſſez, & qu'a
pressy eſtre entretenus quelque temps, tournâs bride ils reprinſſent la vol
te d'Albanie,& ſereioigniſſent à Acomath.
Homarexccutant le mandement de ſon Seigneur, vint aux fortereſſes
Foliane & Gradiſque, leſquelles fort à proposle Senat Venitien auoit faict
refaire & fortifierauec meilleure forme qu'elles ne l'eſtoient auparauant,
.taſchans d'attirer les Chreſtiens au combat, mais eux faicts ſages par leur
miſere paſſée, ſe retindrent dans leurs remparts, en ordonnance toutes
fois, pour eſtre touſiours preſts au combat, & defaict ils ſortirentvn †
2l l l
des Turcs, Liure premier. I4 7
à la campagne, & firent de tous leurs hommes d'armesvnbataillon en for
me de coing, àlamaniere des anciens Romains, les Turcs auſſi-toſtd'aller
à eux pour les combatre, mais ils venoient à s'enfiler dans les lances des trainčts
Les Turcs c6,
dc
Chreſtiens, leſquelles ils tournoient contre leurs ennemis, ſans ſe deſor quitter le
donner, & § ne les pouuans mettre hors de rang, & moins les attirer Frioul.

hors de leurs files, ils n'oſerent ſe reſpandre en courſes & pilleries, de crain
te que les Venitiens les prenans par derriere, n'en tiraſſent quelque reuan
che àleurintereſt, & sallerentruerſurlaprochaine frontiere d'Alemagne,
au pas de Cador, où on dict quelesTurcs firent des actes ſi †
ſurpaſſent toute croyance, careſtans paruenus auecgrandtrauail aux ſom trauaux
Merueilleux

mets plus pointus des montagnes, † deſcendreàlaplaine,ils attachoiét Turcs pourdesvn


leurs cheuaux àleurs robbes ou caftans, les deualans de deſſus le front des peu de butin.

precipices, de haut enbas & devallée en autre, parfois la plus part de leur
caualerie, comme ils'eſt peuremarquer à la trace qu'ils en auoient frayée,
s'eſtant comme precipitée en de ſi baſſes fondrieres, qu'à la longueur de
plus de deux cens pas il eſtoit impoſſible non ſeulement de cheminer à
pied, maisyarreſter meſmeslaplante, ſans ſ'accrocher à quelques racines
ou arbriſſeaux. - -

Cecyn'eſt pas encore moins digne de remarque, qu'ayans ſurmontéles


cimes de ces monts, & atteint les confins boſſus de la marche Treuiſane, &
qu'on les euſtaduertis que les Montagnars auoient occupé le ſommet de
lamontagne de la Lance (ſeul paſſage ouuert pour la Germanie) ſans s'e
ſtonner de cette hauteur demeſurée, laquelleporte ſa teſte preſqu'au deſ
ſus des plus hautes nuées, ny de ſa roideur aſpre & difficile infiniement à
eſcarper, ilsygrimperent toutes-fois, en s'appuyans deſſus leurs targes, &
' arriuerent où eſtoient leurs ennemis.Ceux quigardoientle pas, eſtonnez
deleur hardieſſe ſemirent enfuitte, les laiſſans piller & rauager àleuraiſe:
de ſorte qu'ilss'en retournerentriches de toute † de butin au camp de
leurgeneral: tantl'homme metvn peu de gain à haut prix, que le marchâd L'homme pre
en meſpriſe les mers & les orages,le ſoldat les difficultez, voire ſa vie pro fere le gain à
pre, & la plus-part des § , leur propre conſcience, pourueu † toute choſe.

s'enrichiſſent, & puiſſentſerrer enleurs coffres cette paſture delarouïlle,&


cette rouïlle de leursames.
Ortandis que ces exploicts ſe faiſoient au Frioul, les Scutariens furent XXIIII.
reduicts à telleneceſſité, quehors mis le pain & l'eau, toutes choſes leurs
deffailloient, eſtans meſmes contraincts à la fin de manger tout ce qu'ils
† trouuer, cheuaux, chiens, chats, meſmes qu'ils faiſoient cuire
eurs peaux auecdel'eautoute pure, lesaſſaiſonnans d'vnpeu de vinaigre, Gråde diſette
les rats auſſi y
furent vendus bien cherement; les fricaſſées de trippes de de toutes cha
chien: mais finalementapresauoirſoufferttoute ſorte de miſere, l'eſpace ſes à Scutari,
depres de quinze mois, Benedict Treuiſan Ambaſſadeur Venitien con
cludla paixauecle grand Seigneur, en Auril mil quatre cens ſoixante &
dix-huict,auecconditions toutes-fois fort deſaduâtageuſes pour les Chre
ſtiens, à ſçauoir quelagarniſon ſeretireroitbagues ſauues, auec ceux des
citoyens, quinyvoudroientfaire reſidence, que Scutari ſeroit conſigné
- - T ij . "
I48 Continuation del'hiſtoire
s. .. entre les mains du SangiacauecTenare Promontoire de Laconie, & l'Iſle
§ de Lemnos, payans en outre tous les ans au Chaſna du Monarque Turc
†" huictmille ducats, auec condition que le trafic de la mer maiour ſeroitli
bre aux Venitiens, & àleurs ſubiects, quelques autres diſent qu'il fut pro
1.,ve , mis cent mille eſcus payables endeux ans par les marchands qui voudroiét
# iouyr du benefice dela negociation du Leuant: on reſtablitauſſi le Baïlo,
§ office exercée parvn Gentil-homme Venitien, pouradminiſtrer la iuſtice
†** entre les marchands Venitiens , & cognoiſtre des differens qui ſe pour
- roient mouuoir entre-eux de cette capitulation.Les habitans ayans eſtéin
continentaduertis, & ſpecialement qu'eux, leurs femmes, enfans & leurs
,# biens ſe pourroient tranſporter où bon leur ſembleroit, ou demeurer ſous
† l'EmpireTurc, cesgenereux Chreſtiensaimerentmieux abandonner leur
à inepie chere patrie, pour la deffence de laquelle ils auoient reſpandutant de ſang,
& ſoufferttant d'incommoditez, que de flechir ſoubsleiouginfidele, à
perſuaſion principalemét de Florius Ionime,capitaine duguet de Scodre,
qui leur repreſentaamplement le miſerable eſclauage des Chreſtiens ſous
· les Mahometans.
e ... s . De ſorte qu'ayans emporté ce qu'ils peurét dans les vaiſſeauxVenitiens,
§ qui eſtoient à quelques cinq mille pas de Scutari,eux,leurs femmes & leurs
§ enfans, s'y en allerent incontinent apres embarquer, ſans qu'il en reſtaſt
| † vn ſeul dans la ville, ſe retirans ſur les terres des Venitiens, qui les receurent
des Turcs & les traicterent humainement & honorablement, comme meritoit leur
vertu & fidelité, telle qu'à laverité, il ſe trouuera peu de peuples enl'anti
Le courage quité quil'ayent eſgalée, & c'eſt en cela quela perte de cette place eſt d'au
† tant plus deſplorable: que ſila Republique Venitienne euſt eſtéaſſiſtée de
quelque ſecours des Princes Chreſtiens, pour faire leuer le ſiege apres le
depart de Mahomet, commeil n'eſtoit pas peut-eſtre trop malaiſé,iamais
Scutarin'euſt eſté Mahometane, du viuant pour le moins de cet Empe
peu de deuoir reur. Mais tandis que le Pape Sixte, le Roy Ferdinand de Naples, les Flo
# rentins & les Milannois ſe chamaillentl'vnl'autre,à quiruineroit ſoncom
** pagnon; le Turc tandis peſchant en eau trouble, leurapprit que c'eſt vn
' grandſigne de mort, quand le maladetire ſurl'eſtomach toute la couuer
ture, & laiſſe ſes pieds & ſesiambes deſgarnies, & luy quifaiſoit ſon profit
de toutes choſes, recognoiſſant leur foibleſſe, cauſée par leur diuiſion,
· il les miſtincontinentapres entelle deſtreſſe, qu'ils ne ſçauoient de quel
coſté ſe tourner. -

p ... Mais pourlepreſent, pourſuiuantſapointe, ils'emparaſans coup frap


a§ per des Iſles Leucade, ou ſaincte Maure, Cephalonie & Zacynthe, Iſles
#* de la mer Io nique, car LeonardTaucie quiles poſſedoit àlors, & quiauoit
' eſpouſé la fille de Ferdinand d'Aragon Roy de Naples, ayant entendu
qu'on enuoyoit contre luy vne puiſſante armée de mer, pour n'auoir pas
payé,commeildeuoit, cinq cens ducats à vn Sangiacſien parent, quieſtoit
Le Prince de alléàSauina ou Larta, § goulphe Ambracien,ſelon ce quiauoit eſté
† capituléauecluy, & auſſi qu'on luy obiectoit d'auoir aſſiſté les Venitiens
†" " en laguerre de l'Albanie, & autres choſesſemblables, ſe voyant #
211CZ
#
des Turcs, Liure premier. - 149
aſſezmal-voulu des ſiens pour ſatyrannie, print ſa femme & ſes plus pre
# tieux & riches meubles, ſe retira ſur le Royaume de Naples, §
#. quelques chaſteaux & heritages en Calabre : demaniere qu'Acomath, qui
|
#. eſtoit celuy quine
auoit la charge de cette
#
#
s'eſtoit ſauué, pardonna à pas vn deguerre, de deſpit
ſes officiers : & que ce rauagé
ayant Prince Inſulaires.
Miſere de ces
|#
tous lesbiens des Inſulaires, enuoya toutes leurs familles à Conſtantino
h, ple, contre leſquels Mahometinuentavnenouuelle eſpece de cruauté: car
#: il forcea tous les hommes, tant mariez qu'autres, à peine de lavie, d'eſpou
# ſer des Ethiopiennes, & aux Grecques, de prendre en mariage des Ethio
# piens, voulant de ce meſlange tirervne race d'eſclaues bazanez, où il ſe
# fiſtvnmerueilleux maſſacre,tous ceux quiauoientla crainte de DIE v, &
# quiaimoientl'vnſa femme &l'autreſon mary, deteſtans cette diſſolution Dºble a.
# & abhorrans cette pollution, contre † tout ce qui ſe peut imaginer †
# de cruelfut exercé contre eux, pour les forcer de contenter l'abominable §.
S# inuention de ce cruel Prince, lequelcóme ſon ambition le portoit àl'Em- -

# ire del'vniuers, auoitauſſi des deſſeins de toutes parts, où il penſoit faire


l§ ſesaffaires.
| Ileut donc aduis quel'on tenoitvne Diete à Olmuce,cité de Morauie #:
entre les Roys de Hongrie & de Boheme, & iugeant par là que la Hon-c .
grie eſtoit deſgarnie degens, & principalement de ſon chef, qu'il redou
toit plus quetous les Hongres enſemble, il commanda à Homar de faire
vne caualcade en cette prouince, luy donnant pour cet effect trente mille
cheuaux d'eſlite, quitrouua toutes choſes ſifauorables, cette année ayant
eſtéfort ſeiche,le fleuue du Saue eſtoit gueable en pluſieurs endroicts, car
l'vne & l'autre Pannonie ſont enuironnées d'vn coſté du Saue, & de l'autre #
duDraue, & d'vn autre endroict du Danube, ces trois fleuues eſtans ſes"º
principauxbouleuerts contre les inuaſions desTurcs : mais à lors le Saue
, " eſtantgueable, & le Draue ſe laiſſant paſſer à pied ſec, lesTurcs moyen Tout leur eft
nantlesguides qu'ils trouuerent à force d'argent, entrerent ayſement dans fauorable.
la Prouince, oüils firentvnrauage nompareil : de ſorte qu'arriuez iuſques -

au chaſteau Ferté, ils coururent la Styrie, & Racoſpurge, où ayans tout #"
mis à feu & à ſang, ils ſeretirerent en la Boſſine chargez debutin, & enleué
comme on dit, plus de trente milleames raiſonnables. Le Roy Matthias Diligence du
ayant entendu ce rauage, rompit incontinent l'aſſemblée, & ayant faict RoºNiºuhia .
trefues auecl'Empereur Frederic,ilaſſembla en diligence le plus de forces
qu'il peut,&nelesayant peu ratteindre ſurſesfrontieres, illes pourſuiuit
trois iournéesau delà de Iaicze, envn champ appellé Greben, d'où il de
Peſcha ſeize mille cheuaux des plusviſtes de ſon armée, pourauoirauſſi ſa
reuanche ſur la plus prochaine contrée appartenante àl'Othoman, mais ils
Paſſerent outreiuſques à Verbes,groſſe & puiſſanteville d'Eſclauonie, où pºiſ deve,.
ayans ratteints les Turcs, ſurprindrent & entrerent de nuict dans la ville, † "
où peſle-meſle,Turcs & habitans, quines'attendoient nullement à cette "
ſerenate,ilsmiréttout àfeu & à ſang,demeurâstrois iours entiersaupillage
de cette Place,aubout deſquels ſe voulans retirer à Iaiczeauec leurbutin,
T iij
15o Continuation de l'hiſtoire
Omarquis'eſtoitſauué lors que Verbes fut ſurpriſe, & ayant rallié le
reſte de ſes forces eſparſes parlesvilles & villages circonuoyſins, leur vint
donner ſur la queue, où de premier abordilfiſtfort bienſesaffaires, car les
Chreſtiens qui ſe retiroient ſans aucune deffiance,veul'eſchec qu'ilsauoiét
faictdesTurcs à Verbes, & eſtans eux-meſmes tous chargez de butin, il
eſtoitmalaiſé de ſebien deffendre parmy cet embarraſſement, au contrai
re desTurcs quitous à deliure & pouſſez du deſir devangeance & de s'en
richir, s'enalloient ſans doute mettre les Hongres à vau de route, & leur
faire plus reſpandre de ſang que les habitans de Verbes n'auoient eſpan
ché de larmes à la priſe de leur ville : mais vne trouppe de trois censche-'
uaux Crouaces, quiàl'improuiſte leurvindrent donner parles flancs,arre
† ſterent leur impetuoſité, car les iugeans plus grand nombre qu'ils n'e
† ſtoient, tandis qu'ils troublent leurs rangs † faire teſte § Hon
gres ſe deſambarraſſent & reprennent cœur, de ſorte qu'ils forcerent les
Turcs detournerle dos, & ſe mettre enfuite : & le victorieux à le pourſui
ure auecvnnotable degaſt partout ce qu'il rencontra en l'Eſclauonie eſtre
de l'obeyſſance Turqueſque, faiſanttout paſſerparle fer & par le feu à tren
. . .. te mille àla ronde deſon camp: que ſi l'Empereur Frederic euſt gardé les
#." trefues qu'ilauoitiurées, & ne ſe fuſt pointietté ſur la contrée laurienne,
*ºriº tandis que le Hongrepourſuiuoit l'ennemy commun, ilyauoit grandeap
parence † deuoit affranchir l'Illirie del'Empire des Othomans : mais
cette perfidiel'animatellementàlavangeance,que laiſſant là tous ſesdeſ
, ſeings contre les Turcs, il conuertit ſes armes contre Frederic; reſolu d'y
Le Chreſtien V 1v - - N
§" perdre ſa couronne, où d'oſter l'Auſtriche à ſon ennemy : voyla comment
† apresla mort de Caſtrioth DIE v nous auoit ſuſcité vne nouuelle eſpée
cours d'ëhaut

†. pour nous deffendre de la fureur de noſtre ennemy, ſi noſtre ambition


§ deteſtable ne nous en euſt faict tourner la pointe dans noſtre propre
# que flanc.
XXVI. Mais pour reuenir à Mahomet durant le ſiege de Scutari, il auoit eu
Mort d'Vſun- nouuelles de la mort dVſunchaſſan, ſon grand ennemy, ce † luy auoit
chaſſan. faict entrer dans la penſée pluſieurs hautes entrepriſes, car il ne doutoit
point qu'il n'y euſt quelque remuemeſnage chez les Perſes apres cette
mort, oû il ſe preſenteroit occaſion de bien faire ſesaffaires, & pour le
moins que s'ilvouloit entreprendre ſurles autres Prouinces, qu'il n'auroit
.. .. plus à dos vn ſi puiſſant ennemy, & de faict ilnefutpoint deceu de ſon
§ opinion, carles enfans d'Vſunchaſlanſe ruinansl'vnl'autre, ils donnerent
† lieuàSecatdarquiauoit eſpouſé vne de leurs ſœurs, & qui preſchoit vne
lache aux en

† nouuelle interpretation delaloy de Mahomet, des'eſtablir, en ſorte qu'il


dar pour par
# #. laiſſatoutes choſes preparées à ſon fils Iſmael Sophy, & à ſes ſucceſſeurs,
Perſes. pours'emparer de la Monarchie des Perſes, de laquelle ils iouyſſent encore
à preſent, en priuantainſiles deſcendans d'Vſunchaſſan, qu'Iſmaelexter
cruautéere minaiuſques au dernier,faiſant meſmes ouurirlesventresaux femmes en
#. ceintes, pour enarracher le fruict, & maſſacrer cruellement,tant cette mi
ſerable ſecte eſt priuée de toute eſpece d'humanité, mais de cecy plusam
plement cy-apres.
Cette
des Turcs, Liure premier. I5I
Cette mort doncques dVſunchaſſan, que quelques-vns veulent eſtre
aduenuë enl'année milquatre cens ſoixante & dix-ſept, & les autres 1478.
ayant oſté toute crainte à Mahomet que quelque puiſſantvoyſin luypeuſt
troubler en ſon abſence le repos de ſes prouinces, fiſt vne § de trois
cens mille hommes, tant de pied que de cheual, deux censgaleres, & trois -

cens autres voiles quarrées & latins pour trois grands deſſeings qu'il vou- #
loit entreprendre toutàlafois,l'vne d'aſſieger Rhodes,l'autre de dompter †
l'Italie, & la troiſieſme
plus à propos de conqueſter
de commencer parla priſel'Egypte, mais
de Rhodes, ilsilimaginoit
penſa qu'ilqueeſtoit
c'e- †º
gs.

ſtoitvnegrande honte à luy, quis'eſtoit rendule dominateur de laterre &


de lamer, devoir cette Iſle au milieu de ſes ſeigneuries, commandee par
vne petite troupe de gens luytenir teſte toutes-fois,& ne flechirpoint ſous
ſadomination, carilauoittaſché de ſe les rendre tributaires, en leureſcri
uant des lettres qui contenoient, qu'encore qu'il fuſt aſſez informé qu'ils
fortifioient leurville,& l'enuironnoiét d'vne triple muraille pour la rendre † crit aux Rho

imprenable & reſiſter


Conſtantinople,le à ſa puiſſance, toutes-fois s'ils& ſel'Albanie,
Peloponeſe,Leſbos,Negrepont ſouuenoient que §"
n'auoient † ſc

ſceureſiſteraux efforts de ſon bras inuincible, qu'ils ſe deuoient aſſeurer


d'encourir bien-toſt meſme fortune, s'ils ne vouloient recognoiſtre ſa
randeur: que de deffendre ſa patrie eſtoit vneaction à la verité digne de
§ & d'honneur, mais qu'illavaloit mieux conſeruer entiere, enre
cognoiſſant le plus fort, que delavoirreduite encendre par ſon opiniaſtre
té: mais les Rhodiots, ſans s'eſtonñer luy reſpondirent brauement, que
Les Soldans de Babylone & d'Egypte, quin'eſtoientpas moins puiſſans que les Turcs, Leur reſponſe.
auoientſouuentattentéſurleur Iſleſans en auoirrien emportéque des coups, & quela
ruinede leurs voyſins leur auoittellementaccreulecourage,qu'ils s'aſſeuroient que leurs
retranchemensſeroient le tombeau deſonarmée, & qu'en touteuenement,ils aimoient
mieux s'enſeuelirdans lescendres de leurville ruinée, que ſains & ſauf la liurer en
tiereentre les mains deleurennemy.
Ayantreceu cette reſponce toute autre qu'il ne l'eſperoit, cela lanima -

encore d'auantage:maisce quil'eſguillónale plus,& luy fiſt pourſuiure ſon gats


† animent

§
deſſeing, ce furent trois renegats
Meligabe Rhodiotqu'ilauoit
de nation,pres de ſa perſonne,l'vn
& defort bonne maiſon,nom- †
le-#" Rho

quel ayant follement deſpendu tous ſes biens, ſe retiravers leTurc, luy
donnant la deſcription du plan, edifices,fortereſſes & autres choſes con
tenuës,tant enlaville qu'enl'Iſle de Rhodes. Le ſecond & celuy quiytint
lamain,fut Acomath Baſſa : deſcendu del'illuſtre famille des Paleologues, #
lequel ayant faict banqueroute à la Religion Chreſtienne, s'eſtoit faict § §
| Turc, à cettuy-cys'eſtoit addreſſé le Rhodiot,luyfaiſant remarquer par la ##.
carte qu'ilenauoit dreſſée, les endroicts les plus foibles, queles cheualiers †
enrefaiſans leurs murailles, n'auoient point fortifiez, & que la ville ſeroit de Rhode .
ayſée à prendre par ces coſtez-là: le troiſieſmeboute-feu pour ce ſiege, fut
vn Negrepontin appellé Demetrius Sophonie, grand Negromantien,
quis'eſtoit retiré à Rhodes, apres que Mahomet eut pris l'Iſle de Negre
Pont, & lequel depuis ſe faſchant contre les Chreſtiens, ſeretira vers le
º - M.

(
152 Continuation del'hiſtoire
Turc, &futcirconcis tous cestrois cy furentla cauſe principale du ſiege
par leurs fauſſes inſtructions, le Baſſarapportant au grand Seigneur l'eſtat
de la ville, non telle qu'elle eſtoit depuis † l'Illuſtriſſime grand maiſtre
Pierre d'Ambuſſon de la nation de France l'auoit reparée, ains telle qu'elle
† eſtoit lors † les fugitifs lauoient quittée, ledit Seigneur grandmai
C3lI

† ſtrel'auoit eaucoup fortifiée, remparee, fianquée, foſſoyée & enuitail


ſ§. lée, yayant mis outre ſes cheualiers qu'ilauoit raſſemblez de toutes parts,
vne bonne trouppe de ſoldats ſouldoyez, pour le ſecours de ſa trouppe:
car encore que Mahomet fiſtgarder tous les ports & paſſages de lamer, &
villes de trafic,de peur que les Rhodiots ne ſe defhaſſent de cette grandear
mée quiſeleuoit en l'Aſie, & quelesTurcs euſſent faictcourirlebruit que
Mahomet eſtoit mort,& qu'on faiſoitbien devray quelqueleuée enAſie,
mais que ce n'eſtoit que pour obuier aux troubles qui euſſent peu s'y eſle
uer. Tout cela dis-je, donnapluſtoſtdela defianceau grandmaiſtre, qu'il
ne l'aſſeura: de ſorte qu'il miſt de fortes garniſons à ſainct Piérre, Linde,
Heracle & Monelet, places aſſiſes en terre ferme, & de la ſeigneurie de
l'Iſle, & fournit tout de viures, artillerie, & toutes autres munitions qui
ſont neceſſaires à laguerre, commandant aux femmes & au ſimple peuple
† de ſe retirer à Rhodesauecleurs meubles, & les deſpartit par les forts, &
ºpº d'autres parlesvillesvoyſines de l'Iſle qui luy eſtoient amies, fiſt encores
arracher les bleds, qui n'eſtoient point encore meurs, afin quel'ennemy
ne s'en ſeruiſt, & que les ſiens les faiſans ſeicher, peuſſents'en ayder ſi la
neceſſité le requeroit, car il eſtoit toufaſſeuré queleTurcne faiſoit point
de ſigrands appreſts,ſans vngrand deſſein.
XXVII. Et le faitle vingt&vnieſme de May,lan de noſtre ſalut mil quatre cens
quatre vingts, celuy qui eſtoità Rhodesàl'eſchauguette ordinaire du môt
Armes de Ma qui regarde le Ponant, donnaaduertiſſement de la venuë del'armée Tur
†º queſque, & qu'à pleines voiles elle tiroit droict à l'Iſle de Rhodes : cette
- § montoit § our lors à cent voiles, qui auoit eſté enuoyée
deuant pour receuoirles § qui arriuoient de la Lycie (à preſent Bri
quie) quil'attendoient à Phiſchio, ville aſſiſe ſurvn goulphe, & †
regardel'Iſle de Rhodes, laquelle vint ſurgir & deſcendre au mont ſainct
Eſtienne, où elle campa, & parles coſtaux quil'auoyſinent, mettans les
Turcs leurartillerie ſur le port, au lieu où les eaux s'eſcoulent en la mer,
que ceux de la villene pouuoientvoir, empeſchez par cette colline : & le
troiſieſme iourd'apres, on planta &affuſta trois groſſes pieces d'artillerie
auxiardins de § ſainct Eſtienne, pour battre le fort de ſainct Nico
lasvoyſin de là, & aſſis ſurvn coupeau de montagne, couurans & armans
Siege de Rho- le lieu où eſtoit leurbatterie, de palliſſades & forts,faicts de boys, mais les
- - - - - - 2

des. Chreſtiens aſſirent trois canons au iardin du Palais des cheualiers d'Au
uergne, & lors Georgesmaiſtre canonnier duTurcſe preſenta ſur le bord
du § quiregardoit le palais du grandmaiſtre, en intention de luy eſtre
preſenté, mais il penſa eſtre § & l'euſt eſté ſi on ne l'euſt oſté des
mains de lafureur populaire.
· Ce George eſtoitAlemand,beau de ſtature & aſſez eloquent, mais fin
- & cauteleux
desTurcs, Liure premier. I53
& cauteleuxaupoſſible, car ayant renoncéſa Religion, il ſe retira vers le r
Turc, quiluy donna de grandsgages : de ſorte ques'eſtant marié,ils'eſtoit G§ .
N.
- - - - I2h11O1l

nonnier cötre
habitué à Conſtantinople , c'eſtoit vn des inſtrumens Royaux deſquels †
Mahomet ſe ſeruoit à prendre lesvilles,carill'enuoyoit dedans,ſoubs pre-ººººº
texte qu'il ſe vouloit faire Chreſtien: & luy cependant faiſant ſemblant de
s'ayder de ſonart (auquelil eſtoit fort expert) pour le bien des habitans,
recognoiſſoit tout ce qui eſtoit de fort & de foible, pour en aduertir ſon
† des lettres tirées auecdesfleches : que ſilesTurcs ne pouuoient
prendrelors cetteville,ilenſortoitle ſiege leué, & donnoit aduis de tout
ce qui s'y eſtoit paſſé, & de toutl'eſtat d'icelle, c'eſt ainſi qu'il envouloit
vſerà Rhodes, toutes-fois comme le camp desTurcs eſt compoſé de plu
§
ſieurs nations & diuerſitez de Religions, enauoit lors qui euſſent eſté
bien marriz qu'il fuſtarriuémal à cette ville : voyla pourquoy ils tiroient
des lettres § de leurs fleches, parleſquellesilsaduertiſſoientles habi
tans de ſegarder de cegalant: mais le ſeigneurgrand Maiſtre luyayant bail- Deſcouuerte
lédes gardes pourl'eſpier,onle recogneutà la fin pour tel qu'il eſtoit, & « §
ayant eſté mis à laqueſtion,il confeſſatout ce que ie viens de dire, de ſorte
qu'il fut condamnéàla mort,& pendu & eſtranglé. .
Cependant les Turcs battoient ſans relaſche la tour de ſainctNicolas,
careſtant aſſiſe, comme nous auons dit, ſurvn coſtau, quelques trois cens
pasauant dans lamer, & faiſant vnport fort commode, du coſté qui re
gardel'Occident, dedanslequelilne peut entrer qu'vnegalere de front, à rendeſ a
cauſe que de tous coſtezl'entrée eſtcloſe d'vn fort rocher, & ſur la pointe #e
§ eſtaſſiſe latour dont eſt queſtion; ils mettoient tous leurs efforts †º
pour la pouuoiremporter, eſtant ſiforte & detelle conſequence pour le
ain du reſte de laville; & defaict cette batterie fut ſi bien continuée, que
# grandes &groſſes pierres, qui reueſtoient le mur d'icelle, s'en allerent
parterre, mais le dedans & moëllon de la muraille eſtoit ſi bien cimenté
qu'ilfutimpoſſible detellementle demolir, § la † de la tourne
# demeuraſt debout, aſſez ſuffiſante pour empeſcher le Turc de venir à l'aſ .
: ſaut. Ce ne fut pas neantmoins ſans donner beaucoup d'eſtonnement à

# ceux de dedans quivirentvnetelle piece par terre, laquelle n'eſtoit pluste
#: nable comme ilſembloit, toutes-fois legrand Maiſtre recognoiſſantlana
ture du ciment,la fiſt reparer, &reſolu de la tenir mit quelque cornette
decaualerie àl'auant-mur qui tiroit de la tourſainct Pierrevers le Mandra
|
#
che,afin d'empeſcher qu'on ne vintàl'aſſaut, comme auſſi aubas du Mo
le, il fiſt vn choix de † meilleurs ſoldats pour ſecourir les autress'ils en †
auoient beſoing:làmeſme onmiſt de l'artillerie pour battre les vaiſſeaux †
Turqueſques : § preparer des mortiers,grenades, pots à feu,lä- Nicolas.
ces & autres materiaux pour ietter dans les vaiſſeaux des Turcs, leſquels
cependant ayans le vent à gré, vindrent du mont ſainct Eſtienne vers le
promontoire Saburne pouraſſaillir cette tour, ſonnans leurs tambours &
nacaires pour eſtonner dauantage les Chreſtiens, deſquels ils furent re
cueillisauectant d'aſſeurance, qu'ils furent contraincts de ſe retirer. Mais Ann & re
Acomath voyant le peu d'aduancement qu'il faiſoit contre cette tour, †º U -
154, Continuation de l'hiſtoire
changeace deſſeing, & ſereſolutd'abatre le Mole, † ſonartillerie vis
àvis du mur qu'on appelle des Iuifs, deuant lequel on affuſta huict gros
doubles canons, & vne groſſe bombarde de l'autre coſté du Molevers le
Septentrion, ſurvn tertre oùl'on conduiſoit ordinairementau dernierſu :

· plice, les condamnez à la mort.


& # Le grandMaiſtre vovant les deſſein #del'ennemy, apres auoir par pro
#. ceſſions & prieres publiques inuoqué l aſſiſtance Diuine, fit abattre les
- maiſons des Iuifs, iointes à la muraille, fit dreſſervn beau rempart, & de
grandes tranchées, n'y ayant Prieurs, Cheualiers, Freres ſeruans, citoyens,
hommes ny femmes qui à l'enuy n'aydaſſentà porter ce qui eſtoit neceſ
ſaire pour l'acheuement de cette beſongne; car les Turcs faiſoient vntel
tintamarreauec leurartillerie, qu'il ſembloit que quelque terre-tremble
Tousles Rho euſt eſmeules fondemens de la ville : ce qui en les eſtonnant,les faiſoit auſ
† ſi penſer àleur deffence, cariln'yauoit perſonne quifuſtaſſeuré enſamai
la main a la be


leur deffence ſon, tant les mortiers faiſoient de degaſt à tous leurs edifices, c'eſtoit de
#ºus
femmes.
ſes mortiers dont nous auons parlé au ſiege de Scutari. Ce † fut cauſe
' que le grand Maiſtre fit mettre les femmes & petits enfans le long des
- murs de la fortereſſe, qui eſtoient deffendus de groſſes poutres, leſquelles
† ces pierres ne pouuoientaccabler,& le reſte ſe cachoités lieux ſouſtetrains:
† & pource onſeretiroités Egliſes poury dormir,ou contre quelque portail
· où lesaiz fuſſent eſpais, ou aux maiſons voûtées, de ſorte que peu de per
ſonnes ſe reſſentirent de cette ruine. -

XXVIII En ces entre-faictes le Baſſa,quiauecſa Religionauoit mis ſoubs le pied


- CCttC generoſité , quiaccompagne ordinairement ceux qui ſont iſſus d'vn

illuſtre ſang, & ne ſe ſouciant pas s'ilgaignoit Rhodes commevn regnard


ou comme vn Lion, ayant changé ſa nature Royale à celle d'vn eſclaue,
tel qu'il eſtoit, iliugeoitbien quele plus fort bouleuert de Rhodes & le
p ... Plusindomptable,& † lequel demeurant † touſiours la
eſſeins d'A- * .11 . » - - - -

§ ville imprenable, c'eſtoitle grand Maiſtre, cela luy fit faire deſſeing ſur ſa
†º" vie & de pointercontreluy, non ſon artillerie, mais de meſchans garne
mens qu'ilattitra pour s'allerietter comme fugitifs danslaville,feignans de
† conuertir au Chriſtianiſme, & quitter la loy de Mahomet, &
cependantauecintention d'empoiſonner le grand Maiſtre,mais le premier
de ſes fugitifs eſtant pris pour vn eſpion, & ſes reſponces aux queſtions
u'on luy faiſoit eſtanstergiuerſantes & malaſſeurées, on luy donnala que
ſtion en l§ il confeſſa tout, aduertiſſant le grand Maiſtre de ſe tenir
ſur ſes gardes, veule perilauquelileftoit, y en ayant pluſieurs qui auoient
faictvne ſemblable entrepriſe. - -

Le Turc cependant § le quartier des Italiens, où il dreſſa ſur le


borddufoſſé des remparts & leuées pour donner ſur les Rhodiots, mais
ayant eſté repouſſé, il reprint ſon premier deſſeing de battre la tour
ſainctNicolas auecplus de furie qu'il n'auoit point encore faict, & pour
# pouuoirvenir plus § àl'aſſaut, il fit § vn pont de bois qui ſe
#s Nº- tour.
dreſſoit
• Ceenpont
haut,eſtoit
& s'eſtendoit de la chapelle
faict de diuerſes ſainct
pieces de Anthoine
bois, eſquifs iuſques à la
& barques
ioincts
des Turcs, Liure premier. I55
ioincts enſemble ayans de front aſſez d'eſpace pour tenir ſix ſoldats com
batans,& de longueur d'vnbordàl'autre du mole,où ils ſe deliberoiét dele
conduire,mais ily eutvn nautonnier quipromitaugrád Maiſtre de deffai-#va
IC CC § ce qu'il fit, car s'eſtant mis † s l'eau, il deſliales cordes de l'an
2• - > - - » Il2UltOIlIllCI,

chre,leſquelles ſe ſeparans çà & là firent qu'auſſi les vaiſſeaux ſe deſunirent,


& que le pontfutſans nul effect. Le nautonnierfut recompencé dugrand
Maiſtre ſelonle merite d'vn ſiſignalé ſeruice, mais les Turcs ne laiſſerent

pas de refaire le pont, & de donnervnaſſaut generalà laville, s'efforceans
ſurtout d'emporter cettetour,laquelle ils recognoiſſoient eſtre la deffence
#
ou la ruine des aſſiegez : & parainſi ayans conduictleur pontà force de ra
mes,lanuict du dix-ſeptieſme de Iuin,ils cômencerent d'attaquer la place Aſſhut general
auec toutes leurs forces, & dura cet aſſaut depuis minuict iuſques à dix à R§.
heures du matin, mais lesTurcs n'y gaignerent rien que des coups, plu
ſieurs d'entre-euxayans eſté precipitez dans l'eau, de ſorte qu'à pluſieurs
iours delà on voyoit encores des corps flotter ſur les ondes, auſſi tient-on
que la perte ne ſemontoit pas à moins de deux mille cinq cens hommes de †
guerre, & des meilleurs qui fuſſententout leur camp, ce qui cauſa beau- cé a laut
coup d'ennuyau Baſſa, voyant vne telle perte pourvne ſeule tour, & ſur
laquelle encore il n'auoit ſceu rien gaigner : neantmoins cela ne le peut
empeſcher de pourſuiure ſa pointe, reſolu de s'attaquer à tous les murs de
la ville, afin qu'iceux abattus, & donnant l'aſſaut par diuers endroicts,
les Chreſtiens fuſſent ſi empeſchez qu'il leur fuſt impoſſible de ſe ga
IaIltII. -

Mais le ſieurgrand Maiſtre & ſes cheualiers recognoiſſans que leurs foſ
ſez remplis de toutes matieres, par la ruine de leurs murailles, les Turcs -

pourroient venirayſementaux mains, & voyans l'importance de cet affai- #


re, ils inuenterent des trebuchets, & diuerſes machines, auec leſquelles †
onlançoit des pierres de grandeur demeſurée, leſquelles § en- aux mains.
gins dreſſez parlesTurcs, pour l'effect de leur entrepriſe : ceux de la ville
meſme emportoient de nuict & àcachettes, les pierres que leurs ennemis
auoient preparées pour emplir le foſſé, en fin ſi l'vn auoit de l'inuention
Pour entreprendre,l'autre n'enauoit pas moins pourſe deffendre, chacun
y contribuantſapeine & ſon inuention. Entre les autres cheualiers, ceux
cy ſe rendoient les plus recommendables, le frere du SeigneurgrandMai
ſtre Anthoine d'Ambuſſon, le ſieur de Montelieu, le grand Prieur de
France Bertrand de Cluys & ſon nepueu, le ſieur de Paumy, Louys de Co
éton Auuergnac, Claude § Bordelois, Louys Sanguin Pariſien,
Guillaume Gomat Sainctongeois, Charles le Roy de Dijon , Matthieu , Principaux.
Baugelaire Perigordin, § de Montelon Authunois, Benedict de la ##
Scaleauccſatrouppequ'ilauoitamenée de Veronne & vne infinité d'au-†"
tres cheualiers de toutes nations, quimeriteroientbien chacun vne loüan
geparticuliere qui ſçauroit leurnom, puis que chacun fiſt tout deuoir de
genereux § homme. -

Acomath faiſoit auſſi ietter pluſieurs lettres dans laville, menaçant les
habitans d'vne extreme ruine,s'ils s'opiniaſtroient dauantage, & au con
V ij
" « • " 1 12 1 • ^ •.
:
#
•º
156 Continuation del'hiſtoire
traire leur faiſant pluſieurs belles promeſſes,s'ils ſevouloient rendre à com.
†poſition,
diots-
mais à tout cela on fiſt la ſourde oreille; il enuoya auſſi vn Grec
qui s'eſtoit faict Turc vers l'Egliſe noſtre Dame pour parler à ceux qui
eſtoientauguetſurles remparts,leurfaiſantentendre quele Baſſa deſiroit
d'enuoyer vn Chaous augrand Maiſtre, pourueu qu'onluy donnaſt ſauf
conduit, ce que luy ayant eſté accordé, commeil n'euſt parlé que de la
grandeur du Monarque Turc, & du grandbien que ce ſeroit aux Rho
diots d'auoir paix auecluy,ſansyadiouſter les conditions, leſquelles tou
tes-fois eſtoient facilesàcomprendre, c'eſtà ſçauoir en ſe rangeant ſoubs
Reſtºnes du ſon obeyſſance,le grand Maiſtre le renuoyaaueccette reſponce, que ceux
† quiportoient la Croixpour enſeigne,ne pouuoient moins faire que ſe def.
† des ennemis d'icelle. Que ſi Mahomet auoit deſir de la paix, qu'il
dc.

retiraſtſesforces, &à lors on en pourroit traicter tout à loyſir, mais de pen


ſerles ſurprendre par de belles promeſſes, oules eſtonner par desbrauades,
qu'ils n'eſtoient point de la †
de ceux qui ſe laiſſoient emporterà
choſes ſemblables, ny pour faire choſe qui donnaſt quelque atteinte à
leur honneur, ou qui derogeaſt aucunement à la Religion qu'ils ſer
UlO1CI1t. -

Cette reſponſe ayanteſté rapportéeau Baſſa,il commença de foudroyer


les murs de la nouuelleville, ceux de l'ancienne eſtans preſque tous demo
lis, mais ceux-cy eſtoient fort eſpais & de matiere tres-ſolide, ayans des
fauces brayes & des tours, remparts & bouleuerts qui la flanquoient de
toutes parts, contre ces murs furent tirez en moins de rien trois mille cinq
† cens coups de canon, tellement que tout y eſtoit ſi eſbranlé qu'vn grand
ville. . pan de mureſtant parterre pluſieurs belles maiſons,tant des Seigneurs que
des citoyens, furentauſſiruinées; de ſorte que laville auoit peu de ſonan
cienne † & ne parroiſſoit plus celle que iadis.Dequoy pluſieurs ſe trou
uans eſtomnez, le †
Maiſtre quiauoit mis en DIE v ſa principale eſ
perance, & quiſe fioit en laprotection de latres-ſaincte Vierge, & du †
rieux ſainct Iean Baptiſte, le patron & protecteur de leur ordre, repreſen
Lsgia Mai.ºººux plus timides, qu'ils n'euſſent ſceu perir plus miſerablement que de
#e met ſ§ tomberentre les mains desTurcs infidelesà DIE v & aux hommes, auec
#" leſquels onnepouuoitiamais traicter en aſſeurance, qui faiſoient mourir
§ leurs amis que leurs ennemis, teſmoing le Baſſa Machmut, ce
Il encourage vaillant homme † auoit rendu de ſi † ſeruices à Mahomet, & le
* ºsas " quelneantmoins ſousvne fauſſeimpreſſion qu'ils'eſtoit figurée qu'ilfauo
Mahome et riſoit les Chreſtiens,l'auoit non ſeulement faictmaſſacrer,mais mettre §
† Pieces en ſa preſence, ioinct le tribut des Azamoglans, pire que la plus
"principal Baſ- "A • | | > - - -

ſi mort : & à ceux en quil'honneureſtoit aſſez puiſſant pour leur faire


ſa ſous v cruelle
'fimple conie- - - - - - •- / -

Cture. meſpriſerlavie, illeur ramenteuoit leurs bellesactions paſſées, & lagloire


que ce leurſeroit d'auoirauecleurs ſeules forces, reſiſtéàlapuiſſance d'vn ſi
puiſſant Monarque: de ſorte qu'illeurmiſtàtous ſibien le cœurauventre,
†º
hºd§.
qu'indifferemment chacun ſe preſentaàladeffence de labreſcheaudernier
aſſaut general que les Turcs donnerent le vingt-ſeptieſme Iuillet. Cette
breſche eſtoit du coſté delaruë des Iuifs, oùil yauoitvne deſcente, # c •
· des Turcs, Liure premier. 15z
le le grand Maiſtre fiſt incontinent deſmolir, repouſſant quelques Turcs
ui eſtoient deſia entrez par cet endroict; mais nonobſtant toute la vigi
lance dugrand Maiſtre, il ne peut empeſcher que pres de trois mille Turcs Enſeigue lu
ne gaignaſſentlehautdelabreſche, & qu'ils ne vinſſentaux mainsauec ſes † #
† qui firenttant d'armes (ſuiuis des habitans qui deſiroient imi-ſº Rºdi .
terleur proüeſſe) qu'enfin ils gaignerent la grande enſeigne Lunaire du
Turc, qu'ilsauoientarborée ſur le rempart (cette enſeigne eſtoit d'or &
d'argent & fort enrichie) & repouſſerent les Turcsauec grande furie iuſ
ques enleur camp,où il enfut faict encore vn grandmaſſacre,ſibien qu'on
comptaſur les murs, enlaville, & le long du port, trois mille cinq cens Nombre de,
corps morts : lesTurcs ayans perdu, comme on tient durant ce ſiege plus # ºnt
de neufmille bons Soldats, ſans les bleſſez, & les pionniers quinevaloient ge,

gueres mieux † morts, qui ſe montoient à quinze mille.


Breindebach, quiaparticulierement eſcrit de ce ſiege, & Sabellicus en
lhiſtoire de Veniſe,diſent que lesTurcsracontoient que ce qui leur auoit
faict quitterles murailles de Rhodes ne fut point § valeur desaſſiegez,
(carils ne máquoient pas de gens pour mettre à la place de ceux qui eſtoiét XXIX.
morts ou harraſſez) qu'vneviſion qui leurapparut, eſtans ſur les remparts
de Rhodes, quileur donnavnetelle eſpouuante, qu'eſtans preſtsd'empor.
terlaplace, iſs furent contrainctsde ſe retirer, la force & le courage leur
manquans, de ſorte qu'ils ſe laiſſoient battre tout ainſi † s'ils n'euſſent
pointeulesarmes enla main, & que cela aduint lors que le grand Maiſtre
commanda qu'ondeſployaſtvneſtendart, auqueleſtoient † les .
images denoſtre Seigneur IE svs-CHRI sTcrucifié,delaglorieuſevier- †º
ge Mere de D1Ev, & de ſainct Iean Baptiſte, & l'enſeigne croiſée de †'#
Hieruſalem, & diſoient quele ſigne quiapparutau Ciel,futvne Croix de #.
couleur d'orquiflamboyoit,&aupres d'icellevne Viergeayantvne eſpée †
&vnbouclier en ſa main,laquelle eſtoit ſuiuye d'vn hommeaſſez malve
ſtu, qui eſtoit coſtoyé d'vn trouppe tres-luiſante & magnifique. Diſent
dauantage, que tousles ſoirs on voyoit deux hommes ayans vne conte- _viſion des
IlaIlCc # de plus grande maieſté que n'ont ordinairement les autres, "

§ tant que durale ſiege, ne faillirent defaire laronde auecdeslumi


nairesàlamain, pardeſſus les murailles : &àlors que laville penſa eſtre pri
ſe,ils ſe preſenterentauecl'eſpéeau poingmenaçans les Turcs, tellement
† ſe retirerent tous effrayez.Sab† dit que c'eſtoient les Apoſtres
inct Pierre & ſainct Paul : mais en quelquefaçon que cette choſe ſe ſoit --
#
† iln'ya nul doute que lesTurcs eſtans deſia en ſigrandnombre dans
ville, & les Rhodiotsſi peu de gens, ilafallu qu'elle aytreceuvne par
ticuliere aſſiſtance du ciel pourſa deffence, puis queleſecours des Princes
terriens luy manquoit. -

Les Turcs voyans doncques que tous leurs efforts eſtoient inutiles, &
ayans entendu parle moyen de deux galeres quele Roy Ferdinand de Na
ples enuoyoit, dontl'vne entra à pleines voiles dans le port, l'autre fut #
ſtée parleur canon, & toutes-fois nelaiſſa pas de paſſer le lendemain, leſ
§ portoientnouuellesaux Rhodiots,quele Pape leur enuoyoit vn
v iij -#
158 Continuation de l'hiſtoire
tcl ſecours, qu'il ſuffiroit à faire leuer le ſiege, & à liurer le combataux
le Turcs,s'ilsles vouloientattendre, & cette nouuelles'eſtant portée iuſques
n, le
† º au camp desTurcs, cela haſta encore leur depart : ſi bienqueleuans leſie
gele troiſieſmemois apresqu'ils commencerentd aſſaillir la ville,ils reprin
drentlaroute de Lycie, & delà s'en allerent à Conſtantinople, ſansauoir
riengaigné que des coups, toutes-fois deuant que de partirils pillerent &
· mirent le feu aux maiſons champeſtres, vignes & logis de ſeiour voyſins
de Rhodes, & où iuſques à lors, ils n'auoient faict dommage quel
conque. -

Oren meſme téps que Meſith ou Mozethaſſiegeoit Rhodes,Mahomet


auoit depeſchévne flotte de cétvoiles, ſurlaquelleil mit 15 milbóshómes,
leurs donnant pour conducteur le fils d'Eſtienne iadis Deſpote de Boſſine:
c'eſtoit le BaſſaAchomat,ou Achmet,ſurnómé Bidice, duquel nous auons
parlé,qui eſtoit lors engrandereputati6 entre les braues § po1te,duquel
Spandugin racontevnetelle hiſtoire. Comme cettuy-cy euſt vne femme
d'vne excellente beauté, Muſtapha fils de Mahomet, eſtantvne-fois venu
à la Cour de ſon pere, pourluy † la main, & pouraffaires qui concer
noient ſa charge, car #eſtoit Gouuerneur d'Amaſie, en deuint eſperduë
mentamoureux : de ſorte qu'ayant eſpié le temps qu'elle alloitaubain, à la
façon desTurcs,ilyalla auſſi, & l'ayant trouuée toutenue la viola.Ach
met extremement indigné de cet outrage, s'en alla trouuer le grand Sei
gneur, & luy racontant cette hiſtoire aueclarmes & ſouſpirs, il deſchira
enſapreſence ſesveſtemens & ſonTulban, ſupplianttres-humblement ſa
maieſté de luy faire iuſtice, & le vanger de cette iniure. Mahomet ſans luy
faire paroiſtre qu'il fiſt cas de cet outrage, au contraire,auecvnviſage ſeue
re & rabarbatif, le reprint de toutes les pleintes qu'il faiſoit, luy deman
dant s'il ne ſçauoitpasbien qu'ileſtoit ſon eſclaue : que ſiſon fils Muſtapha
auoit eu la compagnie de ſa femme, ce n'eſtoit touſiours qu'àl'eſclaue de
Mahomet fait ſon pere qu'il auoit eu affaire, & neantmoins ilne laiſſa pas cette meſchan
† " ccté impunie, car l'ayant premierementaygrement repris, ille chaſſa de ſa
† preſence, & puis ſe repreſentant qu'ils'ayderoittoufiours pluſtoſt de ſon
#ºº authorité, pour ſatisfaire à ſa † qu'à la iuſtice, à trois iours
- delà ilenuoyavnChaous quil'eſtraglaauecla corde d'vnarc, exempleno
· table d'vnerigoureuſe, & toutes-fois equitable iuſtice, d'vnpere enuers
ſon enfant, lequel encore qu'il tint ceux quiauoient les premieres charges
enſon Empire pour de tres-vils eſclaues, ilapprint toutes-fois à ſes autres
enfans qu'ils ne deuoient rien entreprendre d'iniuſte, s'ils vouloient con
ſeruer leurvie & leur domination : quelques-vns diſent toutes-fois que ce
Prince mourut à la chaſſe; & les autres que ce fut pour eſtre trop addonné
àl'actevenerien; maisl'hiſtoire que nousvenons de raconter,n'eſt pas ſans
| grande apparence. -

, Mais reprenans le fil du diſcours interrompu par cette hiſtoire,


† cette flotte s'en vint ſurgir aux confins de la Pouïlle & de Calabre, au
" pays des Salentins, là oûvn petit deſtroictd'eau diſtingue la mer Ionique
delaSicilienne, àl'opoſite de la Valone, de laquelle elle n'eſt diſtante que
du
º b

des Turcs, Liure premier. I59


du traiectd'vne ſeule nuict : en ce lieu eſt ſituée la cité d'Ottranteiadis Hy
drunte,& proche delaquellel'armée Turqueſquevint prendre terre, ſans
aucune reſiſtance; carle Monarque Turcauoit pris ſon temps que Ferdi
nand, lors Roy de Naples, eſtoit occupé en laguerre qu'ilauoit contre les
Ferrarois & Venitiens : deſorte quel'Italie eſtoit toute partialiſée en ſoy
meſme : ayant doncques Achomat couru & rauagé le territoire Ottrantin
cinquante millesaulong&au large, & faictvne explanade aux enuirons
de la ville, il ſe delibere del'aſſieger,aſſeuré qu'ill'emporteroit s'ilvſoit de siege roui.
† , veule peu de forces qui eſtoient dedans, & le peu d'apparence "
qu'ilyauoit qu'ils deuſſent eſtre promptementſecourus, & de faict ayant
braqué ſon canon & faictvnebreſcheraiſonnable;ilvintàl'aſſautgeneral,
qui fut liuré auec tant de furie que les pauures habitans, qui n'eſtoient
oint encores prattiquez aux carreſſes Mahometanes, ne peurentreſiſter
à cette impetuoſité; de ſorte que quittans leurs deffences, eux & leur chef -
FrançoisZurle, que le Roy Ferdinandyauoit enuoyé pour gOuucrncur, Et priſe d'icel- A

" . furent contraincts de s'enfermer dans l'Egliſe cathedrale, quittans la ville †º


à leurs ennemis : Quine ſe ſoucians pasbeaucoup de laſaincteté du lieu,les
taillerent tous en pieces ſans miſericorde. L'Archeueſque deſia toutvieil & d
Grande cruau
· caduq, fut pris habillé de ſes ornemens Pontificaux, & tenant en ſes mains †
de la § Croix, & en cet † e fut ſciéautrauers du corps d'vne ſcie† de l'Archeueſ

debois,les preſtres & autres Eccleſiaſtiqucs furent maſſacrez deuant lesau


tels:Le reſte du peuple, les femmes & les enfans furent enuoyez en Grece
poury eſtrevendus. |
Ces nouuelles eſtans rapportées à Ferdinand, il faict venir incontinent .
ſon fils Alfonce ducde Calabre, quiauoit lors fort grande reputation en
tre les Italiens, & aſſemblant le plus de force qu'il peut, tant par mer que
parterre, ils'envint camper vn peu loing del'ennemy, faiſant fortifier ſon Secours des
&D . |» T !

camp
Turcs,de foſſez & leuées,n'oſantaffronter
qu'il ſçauoit de ſipresl'audaee
meſmes eſtre bien garnis d'artillerie,&pour
la fiereté des #
eſmou- c§ apres

cherceux quiles voudroiét viſiter de plus pres que la portée de leur canon,
ce n'eſt pas toutes-fois qu'ils neliuraſſent ſouuent maintes eſcarmouches,
& que lesTurcs ne les ſouſtinſſentbrauement, faiſans pluſieurs ſorties ſur
eux, où ils auoient ordinairement l'aduantage, Ferdinandy ayant per
du les meilleurs de ſes chefs, entre autres le Compte Iules d'Aquauiua, p.,a, p .
pere du feu Ducd'Atri, lvn des plus renommez en cettearmée, ce qui fit #
perdre tout courage àl'infanterie quiſe miſtenfuite à ce rencontre. i§
Louys de Capoue leurColonnel pourguarantir ſa vie & ſauuerla meil
leure partie de † gens, ſe ietta dans vne touraſſez bonne & forte & non
trop eſloignée d'Ottrante, ſevoyant † de la Caualerie Turqueſ
que, laquelle paruenuë deuant la place, l'enuironna, & ſe§
de matieres pour y mettre le feu, ſi bien que les pauures aſſiegez fu
rent contraincts de ſe rendre, leſquels furent tous amenez priſonniers à
Otttante, ils eurent encores depuis pluſieurs rencontres aufquelles les
Turcs eurent touſioursl'aduantage,&auſquelles Ferdinand perdit le Sei
gneurMatthieudeCapoue,le Compte Iules de Piſe & autres chefs ſigna :
•!
I6O Continuation de l'hiſtoire
lez, ſibien quelaville d'Ottranteregorgeoit des priſonniers qu'on y em
menoit de iour en iour.
En fin le BaſſaAcomathayantfaict envain conſommeraux Chreſtiens,
1.,rate, leſté toutentier, & puis apres lautomne deuant cette place , les gelées &
# l'hyuer les contraignit de ſe retirer en garniſonaux villes d'alentour, tan
§ dis que luy & les ſiens coururent tout le reſte de la Poüille, iuſques au
† mont ſainct Ange, où ils ruinerent Beſtia, tres-ancienne ville du mont
Gargan, & firent de grands rauages par toute cette Prouince. Or Aco
math deſirant s'aboucher auec ſon!Souuerain deuant}la venue du Prin
Autre armee temps, laiſſaàlagarde
&b d'Ottrante huict mille hommes d'eſlite, & la place
- - - - - - - -

† paſſantauec
fournie pourſadix-huict
en la Natolic flotte à la mois
Valonne,ſe rendit parartillerie
de victuailles, terre à Mahomet qu'il: &
& munitions trou
re
ua en Conſtantinople preſt de paſſer en la Natolie, en faueur de ſon fils Ba
iazeth, enapparence,lequelauoit eu quelque priſeauecle Caraman, con
federé du Sultan d'Egypte, où il auoit eſté rompu auec notable perte de
ſes gens : onyadioultoit encore deux choſes, l'vne qu'il auoit outragé ſes
Ambaſſadeurs quivenoient de trouuerVſunchaſſan, l'autre que le Sultan
exigeoitvntributſur lesTurcs qui paſſoient ſur ſes terres, pour aller enpe
lerinage à la Mecque : mais en effect c'eſtoit pour s'emparer de l'Egypte, ſi
vtile & neceſſaire à ſes pretentions. - -

Maistandis qu'Acomath faiſoit ſon voyage de Conſtantinople, le Roy


de Naples ayant demandé ſecours à ſongendre le Roy de Hongrie, il luy
1.s en enuoya deux mille cheuaux deſlite, ſoubs laconduire de Magior Blaiſe, &
g do Nagy Ianus, deux vieux routiers de guerre, & † auoient eu maintes
cours au Ro
§" fois priſe aueclesTurcs : & de faictces Hongres,à leur arriuée ayans enleué
"º deviue force vne tour quelesTurcsauoientfort bien remparée, cela repri
matellementl'audace Turqueſque, qu'ils ſe retindrent delà en auant dans
l'enclos de leurs murailles, ne faiſans plus de ſorties comme ils ſouloient
XXX.
faire auparauant ,*

· Sur ces entrefaictes, Mahomet eſtant paſſé en Aſie auec vne armée ef
cand.,me froyable de trois cens mille combatans, & deux cens galeres, comme
#ºº ilfuſtproche de Nicomedie,ville de Bithynie, & duvillage de Geiuiſen,
· en vn lieu § les Turcs appellent † Tzair, il fut ſurpris d'vne
†: colique paſſion,quiletourmentaauec telle violence qu'il mourutaubout
#º de quatreiours, non ſans ſoubçon de poiſon.La nouuelle de cette mort
- ſe reſpanditincontinent par toutel'Aſie & l'Europe, & futtant agreable à
#de pluſieurs peuples, & ſurtout aux Italiens †
en firent des feux de ioye:
†# Il mourut le troiſieſme, & ſelon d'autres, le quatrieſme iour de Mars,l'an
† de grace milquatre cens quatre-vingts & vn, & del'Egire huict cens qua
*" tre vingts cinq Seant à Rome, Sixte quatrieſme,tenantl'Empire, Frede
ric troiſieſme du nom, & Archiduc d'Auſtriche, & regnant en France
Louys onzieſme, ayantregnétrente deuxans, non du tout accomplis, &
Meur des veſcucinquante trois. - - -

## · On tientauſſi qu'il printvntel ennuy de n'auoirſceu dompter les Rho


Knºde diots,&s'aſſubiectirce puiſſant rempartdelaChreſtienté,que ſe conſom
- - - IIlaIlt
desTurcs, Liure premier. · I6I
mant de triſteſſe, celaluyaduança ſesiours, & de faict en mourantil mau
dit troisfoisRhodes, caraudemeurantileſtoit de fort bonnetéperature &
nullement maladif: toutes-fois Philippes de Comines, dit qu'au retour de
leſté, touslesans l'vne de ſesiambes s'enfloit ſi demeſurement, qu'elles'e-Enſure deme
†peuſt
à la groſſeur du corps, & ſe deſenfloit au bout d'vn temps, ſans que #
'on ſçauoir la cauſe de ce mal, laquelleceiudicieux perſonnagerap-"
porte à ſa gourmandiſe ( comme à la verité il eſtoit exceſſif en toutes
ſortes de deſbau-hes) & àvne punition de DIE v : on pourroit bienauſſi
adioulter à cela que ce pourroit eſtre du coſté meſme qu'il receut ce co up
de couſteau par Draculafrere de Bladus Prince de Valachie, comme nous
arecitéChalcondile auneufieſme liure de ſon Hiſtoire, toutes-fois il dit
V - - - > - - -

que ce fut à la cuiſſe, mais laiambe s'en pouuoit bien reſſentir, quant à ſa
| ſtature, & ſes bonnes ou mauuaiſes inclinations, elles ſe pourront voir
dans ſon Eloge.
Philippes de Comines adiouſte qu'il mourut ſoudainement, toutes
fois qu'il fit ſonteſtament, lequelilditauoirveu, & qu'eniceluy ilfaiſoit
conſcience d'vn impoſt qu'ilauoit mis nouuellemét ſur ſes ſubiects,& ſou -
ſtient ledictteſtament eſtre vray : ce qui eſtàlaverité fort notable pour les
Princes Chreſtiens, qu'vn ſi cruelhomme, & fiabſoluëment ſouuerain en
ſes terres, ayt § eu regret à la fin de ſes iours, d'auoir chargé ſon
peuple d'vne ſimple impoſition, attribuant celaà ſa ſeule faute, d'autant
que la plus-part de ſesactions,illes conduiſoit plus parluy-mefme & de ſa
teſte, que par ſon conſeil; auſſi vſoit-il plus de ruſe & de cautelle que de
·vaillance & de hardieſſe, dit le meſme Autheur. Quelques-vns ontvoulu
dire qu'il eſtoit plus porté à la Religion Chreſtienne, tant à cauſe de ſa
mere, qui eſtoit Chreſtienne, que de ce precepteur que nous venons de
dire,aueclequelil conferoit, ioinct qu'iltenoit pres de ſoy, auec lampes •
allumées, certaines Reliques quiluy eſtoientvenuës entre les mains, & les
reueroit : toutes-fois ſavie deſbordée,& les traicts de mocquerie qu'ildon
noit à tous propos, tantànoſtre Religion qu'à la ſienne, faict croire que
ce qu'il faiſoit en cela n'eſtoit que pure hypocriſie, pour vendre mieux les
choſes ſainctes aux Chreſtiens, & qu'il n'auoit point dutout de Religion:
il ſe trouue vne epiſtre deluyau Pape Pie douzieſme, & vne autre fort lon
gue que le meſme Pape luyreſcrit, où il l'appelle Morbiſan, comme faict
auſſi Monſtrelet, & taſche de le cathechiſer en la Religion Chreſtienne,
mais cette oreille eſtoit trop ſourde pour entendre de ſiloing, il prenoit
bien plus grand plaiſird'ouyrles canonades que les ſiens faiſoient retentir
enl'Italie, que tous les diſcours † quieuſſent peuvenir de Rome.
Cecy ne doit pas eſtre auſſi paſſé ſoubs ſilence, qu'on tient qu'il eſtoit ille
gitime & ſuppoſé, car apres la priſe de Conſtantinople, quelques Chre
ſtiens ſe ſaiſirent de Mahomet, fils legitime d'Amurath, & le donnerent
auPape Nicolas cinquieſme, quile fit nourrir en la Religon Chreſtienne,
&aux bonnes lettres : Apreslamort de ce Pape, il ſe retira versl'Empereur,
& puisvers Matthias Coruin Roy de Hongrie : & ſachant la diſpute †
eſtoit entre Baiazeth & Zizim, il fit entendre au grand maiſtre que les
162 Contin. del'hiſt. des Turcs, Liure I.
pretentions del'vn & de l'autre eſtoientvaines : ſi on ſe fuſt ſeruy de cette
occaſion au commencement, cela euſtbien troublé Mahomet, & empeſ
ché le cours de ſes conqueſtes.
- Reuenant doncques au ſiege d'Ottrante, ſi roſt que les Princes Chre
- $b - -

orttante re ſtiens furentaduertis de cette mort, ils preſſerentles aſliegez de ſi pres, que
†. deſiatous eſpouuentez pourlamort de leurS eigneur, il ſe rendirent à tel
º le compoſition, que leursvies ſauues, eux,leur butin,artillerie & toutau
tre bagage ſeroient ſeurement reconduits à la Valonne, eû ils trouuerent
† auecvingt cinqmille hommes qu'ilauoitamenezauecluy pour
les rafreſchir, tant cette reddition fut faicte à propos pour les Chreſtiens.
Mais Acomathvoyant qu'il auoit perdu la place, & ſachant bien qu'il y
auoit de grands changemens chez les Turcs,ilpenſa que c'eſtoit le plus
ſeur de ſe retirer.Le corps de Mahomet fut conduit à Conſtantinople, &
tres-ſomptueuſementinhumé en vne chapelle à coſté du grand Marath
Erieale de Parluy cdifié,& mirent ſurſon ſepulchre vn epitaphegraué enlettresTur
Mahomet queſques, contenant les noms detous les Empereurs, Roys & Princes par
luyvaincus,& les Prouinces & citez qu'ilauoit cóquiſes.Et ce qui eſt de re
marquable en ce Prince, c'eſt qu'encore qu'il fuſt ſi grand guerrier, qu'il
ne pouuoit demeurer en repos, toutes fois ilaimoit les lettres, & ſur tout
A , .. les hiſtoires, qu'il ſe faiſoit § par Scolarius Religieux Chreſtien,homme
# # degrande doctrine : meſmement aux lettres ſacrées, & quifutau Concile
de Florence,lequelilauoitpris pour ſon precepteur.Apres ſes funerailles
-

les Iennitzaires pillerentlaville de Conſtantinople, & y firent pluſieursin


ſolences, ſelon qu'il arriue ordinairement, quand les Sultans viennent à
deceder.

· ' -
FIN Dv PREMIER LIVRE.
^---,

| CONSIDERATIoNs
- SV R L ES ACT I O NS P L VS -

# | SIGNALEES Q V I RESTOIENT A
l - deſcrire de la vie de Mahomet2. du nom, contenués en cepremier
|. Liure de la Continuation del'hiſtoire des Turcs, & parleſ
# - quelles la iuſtice & prouidence de DIE v, *

peuuent eſtre remarquées.

º) A vie de Scanderbeqauoit eſté touteadmirable,


# ſa fin le rend digne detout honneur, le bruict des cup r,

Q - canons & des armes n'auoit peu troubler cet eſ


# prit qui eſtoit conduit du bon eſprit, courageux
$# aux combats, reſoluàlamort, prudent & aduiſé
#) en la guerre, ſage & fort grand politique en la
paix. Cetautre Moyſe § Tout-bonauoit en
uoyé pour deliurer ſon peuple de la captiuité d'E
#AS gypte, & de cet autre Pharaon encore plus cruel
" que luy : ie veux dire que les Turcs & Mahomet,
& qui auoit eſté deputé pour la deffence de toute la Republique Chre
ſtienne, ne peut ſeruir toutes-fois qu'à ſon pays, auquelenmourantil don
na vn tel ordre qu'il fiſt aſſez cognoiſtre à ſes plus grands ennemis qu'il
pouuoit plus qu'vn Alexandre, dont il portoit le nom, s'ileuſtiouy de ſa
puiſſance & de ſon authorité : mais n'eſtoit-il pas raiſonnable que les Chre
ſtiensrecogneuſſent à leurs deſpens quelle fauteils auoientfaicte, en refu
ſans de ſecourir vntel chef vousauez veu qu'il ne ſceut iamais tirer vn
ſeulhomme del'Italie, auvoyage qu'ily fiſt † qui en eſtoit l'eſpée, &
ſon pays le bouleuert, mais Mahomet leur en fera bien trouuer par force
doreſnauant : car les routes deuant Patras ne ſont que les auants-coureurs
de leurs miſeres à venir.
Quelle
geance desplus †
ſacrileges &preuue
cruautezdeque
iuſtice Diuine peut*onauoir
lesVenitiés pour
auoient exercées van- z.., • 3.4.5.6
à AEnus, 4.5.6 !

• que de la priſe de Negrepont, où tout le butin de cette pauure ville auoit


» eſtéamené? D1Ev permettant quele iugement de Canalis fuſt troublé,
ne donnant point de ſecours à vne place ſiimportante, luy quienauoit
X ij
164 Conſiderations ſur
tant de moyens en la main, nevoulant pas † celuy quiauoit commistant
demeſchansactes fuſtle liberateur d'vneville qu'ilauoitluy-meſme polluë
de ſes ſacrileges, car à quoy peut-on rapporter toute ſalaſcheté & poltron
| nerie, ſinon àvne punition diuine : luy quiau demeurant eſtoit bon chef
de guerre, s'il euſt voulu mener les mains.
s. 8.9.10.
Mais ce feu de la iuſtice de D I E v ayant eſté eſteint par les larmes des
Negrepontins, & peut-eſtre par les interceſſions de cette bien-heureuſe
martyre fille du Gouuerneur Henricy, qui luy auoit conſacré ſavie & ſa
virginité, ilfauoriſeles armcs de Mocenique, & donne vn coup d'eſpe
ronaux Chreſtiens, pour ſe reueiller deleur ſomme,mais ils s'y conduiſent
fort lentement & fort foiblement : de ſorte qu'ils firent bien quelquera
uage dans les terres de leur ennemy, mais ils ne firent pas § petite
breſche à ſa domination, & aulieu de chercher en eux-meſmes ce qu'ils y
euſſent peu prendre puiſſamment , s'ils euſſent eſté vnis : ils vont chercher
vn Prince de lameſme ſecte tant ennemie du Fils de DIE v, & fontallian
ce auccques luy, comme s'il n'y auoit point de DIE v en Iſrael pour les
ſauuer, il permitauſſi que leur alliance fuſt la premiere ruinée, ie parle de
celle d'Vſunchaſſan.
ues'ilsauoientenuie de s'en ſeruir en politiques,que ne trauailloient
ils doncques leurennemyauecvne puiſſantearmée,pendant qu'il eſtoit en
l'Aſie , ruinans ſes affaires en Europe non encores bien eſtablies, & luy
donnans tant de trauerſes de toutes parts; que s'ils nel'euſſent ruiné, pour
le moins l'euſſent-ils bienharraſſé? mais ils ſe donnoient du repos, tandis
que luy eſtoit à la conqueſte du CherſoneſeTaurique, & à la priſe de Ca
pha,& à laverité puis qu'il poſſedoit le reſte de la maiſon (i'entends la Gre
ce)il falloitbien qu'en finil iouyſt du grenier, puis qu'on auoit nommé
ainſi cette ville,laquelle comme vousvoyez, ſe perdit ſans eſtre ſecouruë,
lors que les Chreſtiens ſembloient faire feu & fiammes, eux qui ſça
uoient qu'elle n'eſtoit deffenduë que par des marchands, qui ne ſe ſou
cioient pas à quel maiſtre ils fuſſent, pourueu qu'ils entretinſſent leur
trafic.
C. II. Voicyvne tragedie quiſeioue cependant en Perſe, où la iuſtice Diuine
paroiſt de toutes parts,iuſtice en ce qu'Vſunchaſſaneſttroublé par les ſiens
propres, luy quiauoitvſurpé cette Monarchie ſur les deſcendans deThe
mir ou Tamerlam, ſon fils apres qui ſe reuolte en eſt cruellement
chaſtié. - " .

C. I.2. I.3. Quantau ſiege de Scutarien quelle action eſt-ce que la Prouidence di
uine, & ſa particuliere aſſiſtance ne reluit pas à ne deuoient-ils pas ſuccom
ber ſoubs le faix d'vnetelle & ſi effroyable puiſſance ? pourquoy les Turcs
qui n'auoient point craint de venir à vn ſi furieux aſſaut, & qui meſmes
eſtoientmrontezvictorieux ſurlabreſche,prennent-ilsl'eſpouuente,eſtans
deſia au milieu de la ville, & perdent le cœur voyans quatre cens hommes
leurvenir àl'encontre; eux qui eſtoient à milliers : D'où penſez-vous que
leur vint ce haut courage de ſouffrirtant de meſaiſes, ſinon qu'ilss'eſtoient
du tout remis ſoubs la protection du Tout-puiſſant ? ne voyez-vous pas
qu'il
l'hiſtoire des Turcs. | 165
qu'ilveut eſtre ſeulleur protecteur, & ne veut pas permettre qu'ilyvienne
du ſecours (où en paſſantil fautremarquer combien il faut regarder à tou
tes choſes à laguerre, puis qu'vn ſi petit accident que la peſcherie, empeſ
cha lors vn ſi bon effect)voulant faire voirauxTurcs qu'ils ne pouuoient
vaincre qu'en leur laſchant la bride, & aux Chreſtiens qu'ils ſurmonteroiét
tant qu'ilsl'auroient pour appuy: & qu'ainſineſoit, ne voulant point ſe c. 14.15.16 .
ſeruir d'autres que desaſſiegez § faire teſte à ſes ennemis, & voyant en
uelle neceſſité ils eſtoient, il faict leuer le ſiege aux Turcs, lors qu'in
§ ilstenoientlaville entre leurs mains, ſoubs vn ſeul §
de guerre.
Mais cela n'eſt-il pas remarquable de dire que lesTurcs penſans prendre
le bouleuert de la Chreſtienté de ce coſté là en prenant Scutari,onprendle
leur qu'ils auoient baſty du coſté de la Hongrie ? DIE v beniſſant les ar
IIlCS † & la main de celuy qu'il nous auoit encores donné pourno
ſtre deffence, à ſçauoir le Roy Matthias : mais au lieu de nous ſeruir de ſon
bon-heur, nous nous amuſonsàluy faire la guerre, employans toutes nos
puiſſances pour le ruiner, commeilſeverra cy-apres. Mais quand ie parle
du Roy Matthias,ie n'entends point parlerſimplement du Roy de Hon
rie & du fils de Huniade, mais d'vn grand Capitaine que DIE v auoit
donnéaux Chreſtiens pour leurdeffence : car pourſa § ilafaictau
tant de fautes que les autres,teſmoingſes nopcesau §
ayant mis à nonchaloir la Republique Chreſtienne,autemps
fort de la guerre,
§ auoit
deſigrandesaffaires, & vn ſi † ennemy, DIE v l'ayant miſe, s'ilfaut
dire, entre les bras de luy ſeul, & cependantils'amuſoit à faire nopces, où
il deuoit penſer que ſa Royauté eſtoit vne publique calamité : car il y a
grande apparence que ſon pays ne luy euſt point eſleué ſans ſon extreme
neceſſité, cependant cetraictfut ſiimportant qu'il luy fit perdre tout l'ad
uantage § acquisauectant de labeurs, car ſans cela ils eſtoient en
termes de prendre Senderouie, & de fairebeaucoup de malauxTurcs, qui
redoutoient ſavaleur & ſonbon-heur, & principalement cette année où
toutes choſes proſperoientaux Chreſtiens de toutes parts, tant en Molda
uie, qu'à Lepanthe & Coccine. ' . -

Mais cebon-heurne leur duraguere, & le tout parleur faute, car ilsai c. 17. 18,
merent mieux eſpouſer le party de Frederic, quine combatoit que pour
ſon intereſt particulier, que de continuer ce petit appointement qu'ils
donnoient à ce Prince : petit à la verité, veu § auquel il auoit
affaire, carils pouuoient bien penſer que ce n'eſtoit pas le moyen de l'en
tretenir & le § expoſeràvne entrepriſe ſi § , que de combatre la
puiſſance du Turc, que deluy retrancherſes commoditez, mais ils en re
ceurent tous le chaſtiment, car Fredericfut vaincu & contrainct de men
dier la paix,les Venitiensyperdirent l'Albanie, & le reſte de l'Italie,lavil
le d'Hoſtie, car comme vousauez peuvoir par l'exemple du ſiege de Scu
tari,le Turc n'euſt pas faict de nouuelles entrepriſes, tant qu'il euſt veule
oy - Hongrelesarmes enlamain contre luy, la bataille de Lizonce & les raua
J5 # i
ges quelesTurcs firent en la Poüille ſont des effects de cette ſeparation.
X iij
quº ;
t
I66 Conſiderations ſur
Iamais l'homme de guerre ne fit grand effect, qui aſpire plus au butin
u'au profit, n'eſt-ce pas vn eſtrange aueuglement de s'amuſer à ramaſſer
des deſpouïlles, & auoir encores ſon ennemy ſus-pied ſi fort & ſi puiſſant,
car cette ſeule choſe fit rendre Croye, & fit aſſieger Scutari, d'autant que ,

ſilesTurcs euſſenteſté pourſuiuis, outre ce qu'ils ne fuſſent point retour


nez deuant Croye, ils euſſent redouté la valeur des Chreſtiens, mais que
deuoient-ils craindre puis qu'ils les battoient de toutes parts.
C. 20• 2 I. 22 .
Quantau ſiege de Scutari, iyvoy vne continuation d'aſſiſtance diuine,
23.24 .
† lebon ordre que chacunyapporte; caraulieu que vous auez veu tous
· les autres peuples ſe troubler quand les Turcs les ont aſſaillis, ceux-cyre
prennentnouuelles forces; les autres craignent de perdre leur patrie, & ce
pendant n'ont pas le courage de la deffendre, & ceux-cy ſouffrent toutes
ſortes d'incommoditez pour conſeruerlaleur, & toutes-fois quandilss'en
voyent priuez parla reddition de leurs Superieurs, & non de leur conſen
tement, ils aiment mieux la quitter que deviure ſoubs le ioug de leur en
nemy. Mais ne voyez-vous pas que durant ce ſiege ils s'efforcent & ſe met
tent en deuoirpour implorer le ſecours d'enhaut, & que les autres peuples
mettent leur eſperance en leurs armes : auſſi eſt-il arriué vne choſe peut
eſtre auſſi particuliere qu'à pas vn autre ſiege, c'eſt qu'encores que le canon
euſt abatu & foudroyé toutes leurs murailles, & qu'ily euſtbreſches de
toutes parts,aux aſſauts toutes-fois que les Turcsy ont donnez, ils n'y ont
iamais gaigné que des coups, ſansauoir peu fonder vne ſeule petite eſpe
rance de ſe pouuoir rendre les maiſtres de cette place que parla longueur
du temps, encores qu'ils euſſentvne ſi puiſſante armée deuant, pourtail
ler tout en pieces, & tant de canons pourlareduire, & prendre ceux qui
eſtoient ſi peu de gens pour la reſiſtance : ainſi DIE v ſauua ces bons ci
toyens,&laiſſa perdre la ville, carpuis que ceux quiyauoiêttant d'intereſt
· ne ſe ſoucioient pas de la ſecourir,ileſtoit bien raiſonnable de leur en laiſſer
faire à leurvolonté, oncores fut-ce parreddition & nonparviolence,com
me ſi on euſt ditaux Chreſtiens, vous n'aurez point d'excuſe ſur le temps,
car vous enaurez plus que ſuffiſamment pourvous preparer, mais perſon
ne ne mitlamain à la beſongne, aimans mieux ſe ruiner les vns les autres,
& laiſſerles portes de la maiſonàla mercy de leurennemy.
©. 2j. 26. uant à cette Diete d'Olmuce, encores qu'elle fuſttenuë pour les dif
ferens que les Chreſtiens auoient les vns contre les autres, au lieu d'em
ployer ce parlement à conſulter des moyens pour rembarrer l'ennemy
commun,toutes-fois DIE v auoit donnételle benediction aux armes de
Matthias Roy de Hongrie, que ſilesTurcs rauageoient & faiſoient quel
que butin comme picoreurs,luy à ſon arriuée mettoittout enfuite, defai
ſoit & tailloit en pieces leurs trouppes, & prenoitleurs villes comme celle
de Verbes. . -

C'.27. 2 ?,
Le ſiege de Rhodes au demeurant ſemblera tout miraculeux à qui le
voudra conſiderer, ſoit enſon commencement, à ſon progrezou à ſa fin:
caroutre la puiſſante armée qui eſtoit deuant, & le peu de forces de ceux
qui eſtoient dedans, les trahiſons qu'ils euiterent, le peu de ſecours qu'on
leur
l'hiſtoire des Turcs. 167
leur donna : le bon ordre qu'ils mirent à toutes choſes, leurgrand courage
& magnanime conſtance, iuſques là que les Turcs ne peurent pas auoir
ſureux l'aduantage d'vne ſeule tour, les viſions qui apparurent à leurs en
nemis,& finalement leur deliurance, toutes ces choſes dis-je,monſtrentaſ
ſez que DIE v lesauoit pris en ſa protection.
Au contraire de celle d'Hoſtie, laquelle encores qu'elle fuſt ſecouruë,
ne peut toutes-fois eſtre deffendue, priſe auſſi-toſt qu'aſſaillie, & toute l'I
talie qui s'employoit pour ſa deliurance, ne fut pas aſſez puiſſante pour
chaſſervn petitSangiac qui eſtoit dedans, & ſi encore n'euſt-elle pointeſté
deliurée ſans le ſecours de Matthias Roy de Högrie, qui vint tout à temps
pour oſter cette eſpine du pied, & rompre les ceps & les entraues qui te
noient la pauure Italie en ſubiection. - '
C. 30.
".

Le chaſtiementaureſte que Mahomet fit de ſon pro§ fils, non pour


ſonintereſt particulier, mais pour vangerl'iniure d'vn ſien ſubiect, mon
ſtre qu'encores qu'il fuſtnaturellement cruel,ſieſt-ce qu'il eſtoit auſſi fort
grandiuſticier, car il vous peut bien ſouuenir que ce Muſtapha eſtoitvn
fort vaillant Prince, quiauoitfaict preuue de ſon courage en laguerre des
C)

Perſes, où ilauoitgaignévnegrande bataille contre-eux, ioinct que toute


ſon offence eſtoit ºn violentepaſſion d'amour. Ne trouuez donques pas
eſtrange ſi la iuſtice diuine auoit mis és mains de ſon pere ſon couſtelas
pourprendre vangeance de ſi mauuais enfans que luy eſtoient les Chre
ſtiens : car celuy-là meritoit cette commiſſion qui ne pardonnoit pas les
offences de ſes propres enfans. - -

Mais cette grande ioye de tous les Chreſtiens nc teſmoigne-elle pasvi


ſiblement leur foibleſſe & leurlaſcheté, de ſe reſiouyr ainſ dela mortd'vn
homme, comme ſitout leurbon-heureneuſtdeſpendu ? & toutes-fois ils
ſentirentbienincontinent apresque leur ſalut deſpendoit d'enhaut & non
de la terre : car la ſuite des temps aaſſez faict remarquer que tant qu'ils con
tinueroient enleurs vices, DIE v fauoriſeroit auſſi continuellement leurs
ennemis.
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| 169
l,
S O N E L O G E, O V
S O M M AIR E D E S A V I E. l

E mortel poiſon qui ſe gliſſe inſenſiblement


dans les eſprits plus releuez, & qui dans lob
| ſºuritédes cœurs rongeles plus belles vertus : ce
# cruel tyran du repos, qui par ſes vanitez,eſ
ueille en ſurſaut les plus reſolu , c5 dont les
f idées imaginaires inquiettent perpétuellement
2 ) les plus nobles penſées, n'auoit garde de laiſſer
# en repos les deuxfreres Othomansapres letreſ
- pas de Mahomet, il falloit qu'auperil de leur
eſtat, du ſang de leurs ſubiecfs, & de leur propre vie, ils viſſent à
qui demeureroit la ſouuerainetéde la Monarchie.Orparl'ordonnan
cedel'eternelle Prouidence, la couronneeſcheut à Baiazeth, lequelpar
la valeurde ſon Baſſa Acomath defitſon frere Zizim en troisdiuer
ſes batailles, & le contraignit deſe retirer vers les Chreſtiens, premie
rement verslegrand MaiſtredeſRhodes, où ilfut quelquetemps, &
depuis enuoyéen France, cg delà à Rome,foubs les Papesfnnocent &
Alexandreſixieſme; qui leliura au R oy de France Charles8. empoi
ſonné, comme on dit, & mourutà Tarracone.T)urant les guerres que
Baiaz.etheutcontreſon frere, on mitſonfils Corchut en ſa placecom
me Empereur, lequel cèda àſonpere la ſouueraineté,ſitoſt qu'ilfut de
retour,s'eſtant donc rendu le maiſtredeſon frere, ilconqueſta la Cara
manie, & extermina la race des Caramans, fit vn grand degaſt en
la Moldauie,où ilprint la ville de Chillumauecle chasteauparla tra
hiſon de Mamalac Chaſtelain, & celle de Moncaſtre, ou Neſtoralbe
capitaledela Prouince. Il ſe voulut apres vanger des Egyptiens qui
auoientſecouruſon frere, mais ily fitfort-malſes affaires, ayant touſ
iours eſtébattu enſes lieutenans, aux trois expeditions qu'i(fit contre
eux, vn de ſes Baſſats entre-autres mené en triomphe au Caire : les
Egyptiensfaiſans cependant vngranddegaſtſurſes terres, aueclapri
ſe des villesd'Adene & de Tharſe. Dauut Baſſa aſſubieétit les Oac
cenſes, qui ſe reuolterent auſſi-toſt, tandis que Baia Kethtraiéfoitauec
les Chreſtiens,pourfaire empoiſonnerſon frere. Le Prince d'Aladeul
s'eſtant liguéauec l'Egyptien, tlen voulut prendre ſa raiſon, mais ce
fut encoresàſesdeſpens,carilperdit vne grande bataillecontrece Prin
ce, aydéquileſtoit de ſon allié: deffit les Hongres par la valeur d'vn
· • Y
,| 17o Eloge.
ſien Sangiacnommé#acup, tandis que luyacheuoit de dompter l'Al
banie : prend Lepanthe, Modon, Coron & Junqueſurles Chreſtiens
i •
qu'il deffit en vn combat naual, comme en recompence les Venitiens
reconquirentſurluy Legine, & l'/(le de Samothrace, toutes-fois ilsfu
--

rent contraincts de le rechercher de paix & de luy quitter l'iſle de ſain


•:
éte Maure. Qaelqaes ſeditieux qui tenoient l'opinion du Sophy de
Perſe, ayanspris les armes &)faiét vngranddegastpartoute la Na
tolie, & principalement à Tekel Kiſulcaia, & encores en la Cara
manie,deffont le Beglierbeydela Prouince,ilenuoya côtre-eux le Baſſa
Haly,quineſachantpasvſerdeſon bon-heur, perdit ſon aduantage
auecques ſa vie, e5 donna lieu àſes ennemis deſeretireren lieu de ſeu
reté,toutesfoisleSophy de Perſéenprint la vangeancepour BaiaXeth,
lesfaiſant taillartous en pieces.Finalement la derniere bataille qu'il li
ura cefut contreſon proprefils Selim, de laquelle il obtint la vtéfoire,
mais non pas de la dispute qu'ileut contre les Iennitz,aires, voulant
reſigner l'Émpire à ſon fils Achmet qu'il aimoit, car ils le contraigni
rent de quitter le ſceptre es'ſes treſors entre les mains de Selim qu'il
hayſſoit. Tant qu'il regna ceux-cyluyfurent touſîours contraires, &
faiſoient à tous propos quelque ſedition, trois entre autresfort nota
bles : l'vne quand ils luy tirerent deforct la nuict dans fon Serraille
Baſſa Acmeth qu'il vouloitfaire mourir, l'autre quandileut deſſein
deles exterminer, & qu'ils firét bandeàpart le quittans là: d0 la troi
ſieſme quand auec toutes ſortes de menaces & d'inſolences ils leforce
rent de renoncer à l'Empire : il eut hutét fils, troit qui moururent de
uant luy de leur mortnaturelle, deux qu'il fit empoiſonner, & les troit
- qui reſterent. Selim leplus ieune, lefit mourir, & puis apres ſes deux
freres, à ſauoirAchmet éf)(orchut. Princed'vn eſprit aſſez peſant
c9 dutoutportéàl'oyſiuetée9 a la volupté: on dit toutes fois qu'ileſtoit
#
addonné à l'eſtude, & ſur tout à la lecture d'Auerroes : mais quoy
que ce ſoit, ſa negligence au maniement de ſes affaires, apporta de
| · grands troubles enſon eſtat, chacun ſe licenciant de faire à ſa fantai
ſie, &'faiſant milleiniuſtices &'extortions qui luyacquirent la mal
veillancedeſes ſubiects, es donna vn pretexte aux Iennitzaires deſe
pleindre, & d'entreprendrecontreluy : car ſa ieuneſſe, ou pluſtoſtles
premiers ans deſon Empire ayans eſtépaſſez en desdesbauches, tleſtoit
malaiſe qu'il retintlesſiensenſaplus peſante vieilleſſe, quiluy rendit
leſprit tout vacillant e5'irreſolu, comme il teſmoigna quandilcom
manda à ſon fils Corchut de ſeretirerde Conſtantinople, es puis le
lendemain voyant que les fennitzaires s'y oppoſoient, il luy enuoya
des preſens, auec commandement à chacun de le receuoir. Enfin ce
-:

- Monarque
-

:,
'! . . -2 Eloge. 17I
•, Monarque qui auoitſ ſouuerainement gouuerné l'espace de trente
| ans vn ſi grand nombre de prouinces, ſe vid reduit à telle neceſſité,
qu'ildemanda vn lieu àſonfilspourſeretirer, & luy qui diſpoſott de
# la vie &'dela mortd'vn chacun, nepeut conſeruer laſienne qu'elle ne
/7- luyfuſtrauieparl'execrablemeſchancetéde celuy à qui il l'auoit don
# née, qui corrompitſon medecin,en quiilauoit toute confiance, lequel
|. lempoiſonna, commeilſeretiroità Damotique,auvillage de Tzura
#. lo, le dix-neufieſmedumoisd'Octobre, l'an degrace milcinqcensdou
# ze,es de Mahomet neufcens, ayant veſcu quatre-vingts ans, & re
# #
gnétrente, &'quelquepeu d'auantage.
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| LIVRE SECO ND DE
LA C O NT IN VA T I O N DE
L'H I S T O I R E D E S T V R C S.
S O M MAIR E DES CHEFS P RIN C IP AV X
| i COIltCIlllS CI1 CC preſent liure.
:

|
|
--
·
-
Partialitez entre les Baſſats pourchoiſirvn ſucceſſeurà Mahomet, Corchutmit
en laplace de ſon pere Baiaxeth, en attendant ſon arriuée : menées de Zizim pour
-
j -
-
paruenir à l'Empire. Chapitre I. -

-
r
- la -

: Baiazeth va attaquerſonfrereiuſqiies chez luy, premierebataille d'entre les deux


' !
Freres 2 Baiazeth c9° Zizim 2 lequel encourageſes ſoldats, &9" Acomath lesſienspour
|!
º
#

le party de Baiazeth : hiſtoire notable de Baiazeth & d'Acomath : le Caraman ſe
1
| 4
- ,l ioinétà Zizim, ſecondebataille où les Zizimites ſont taillezen pieces, cº Zizim
contrainéi deſe retirer à Rhodes. Chapitre2.
|

' -
-,-- Lettre de Zizim à Baiazet,ſareception à Rhodes, il vient en France, deſiré de
·! | pluſieurs Princes & pourquoy, crainte de Baiazeth, & les grandes penſions qu'il
: | ! '
+ | | |
donnoit de crainte qu'il ne fuſt deliuré, on le rend en finau Roy de France Charles
| | | huictieſme, mais empoiſonné,ſamort & ſon eloge. Chapitre 3.
-

-
- -
'
:| e .
-

, Baiazethviſite les Prouinces d'Aſie,ilappaiſevneſedition des Iennitzaires,mort


. || i pitoyable d'Acomath,ſelon les annalesTurques : hiſtoire d'iceluyſelon Haniualdan;
-

i . -
|
| feſtin de Baiazeth à ſes Baſſats, cº le crueltraiéiement qu'onfit à Acomath, qui a
, : : la vieſauueparle conſeildel'Aga,ſedition des Iennitzaires à ſon occaſion, qui le ti
rent des mains de Baiazeth contre ſon eſperance, ſa prudence, ſes remonſtrances
# i aux lennitzaires, & finalementſamort. Chapitre 4.
'il ; ,
| --
Deſſein de Baiazethcontreles Iennitzaires empeſchéparles Micaloges,les lennit
zaires en ont le vent & ſe mutinent,rapaiſezpar Haly Baſſa, & toutes-fois refu
ſent de camper auec leur Empereur : les Baſſats leurcertifient le diredeleurSeigneur,
conqueſtes des Turcs en la Carabogdanie, le pouuoirdes lennitxaires plus grandque
celuy desſoldats Pretoriens. - Chapit.5.
• Conqueſte

|
|
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-

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# 1 : !
| ||
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Sommaire. 173
Conquefte de la Caramanie & extermination de toute la race des Caramans !
baftimens de Baiazethà Andrinople, embraſement en icelle, grande eclypſe de So
leil, armée des Turcs en 44oldauie, priſe de Chillum & de Moncaſtre, entrepriſe
des Turcsſur l'Egypte, les Måmelus eſgau xenforce & diſcipline aux Iennitzaires:
4 bataille des Egyptiens contre les Turcs, priſe d'Adene & de Tharſe parles Egyp
tiens:ſeconde bataille où Themirchefdes Egyptiens animelesſiens aucombat,le Be
glierbey del'Europefaiét lemeſmeaux Turcs quiperdent la bataille, grandmaſſacre
d'iceux, & le Baſſa Herzecoglimenéen triomphe au Caire, autre armée des Turcs
contre les Egyptiens , les V.accenſes aſſubiettis aux Turcs. Chapit. 6.

Pourquoy le Baſſa Dauut fut reuoqué del'Egypte, aduertiſſement du Pape Ale


xandre à Baiazeth,remerciement d'iceluy, & lespreſens qu'il luy enuoya, pris par
Iean dela Rouere.Dautio AmbaſſadeurTurc,benignemétreceuparle Ducde Man
toue:hiſtoire du Seigneur de Baxe & ſa cruauté: feſtin magnifique de Baiazeth à la
dedicace d'vn Imaret. Chapitre7.

Troiſieſmeentrepriſe des Turcs contreles Mammelus, leur plaiſante rencontre,


où chacun penſant eſtre vaincu s'enfuit deſon compagnon, ſtratageme des Egyptiens
chacunpille lecamp de ſon ennemy.les Vaccenſesſe reuoltent,Halycontremandépar
Baiazeth. · Chapitre8.

LesTurcs veulenteſtremenez à laguerreparleur Prince, expedition contre Ala


deul, bataille des Turcs contre ce Prince qui demeure victorieux, & refuſe ſabonne
fortune, le Soudan d'Egypte recherché depaix, Baiazeth quila refuſe, & eſtcauſe
de pluſieurs rauages en la Caramanie, grand embraſement à Conſtantinople & à
Pruſſe, & grandepeſtilence, paix entrelesTurcs & les Egyptiens. Mort du Roy
Matthias de Hongrie, & combien ileſtoit redouté de Baiazeth. Chapitre 9.
Deſſeings de Baiazethcontre la Hongrie & contre les Albanois, couſtumes cgº
meurs des habitansd'vnecontrée de l'Albanie, grand courage des Turcs, vn Reli
gieux Turcveut aſſaſſiner Baiazeth, ileſtſauuéparvn de ſes Baſſats : Iacup Saniac
de la Boſine contre les Hongres,grande armée d'iceux, leur mauuais ordre & leur
deffaitepar lesTurcs,grande cruauté de ceux-cy, leurs rauages & butins, les Chre
ſtiens à leurſolde, " Chapitre1o.
Baiazethperſuadépar Louys Sforce Ducde Milanàfaire la guerre aux Veni
tiens, Ambaſſade des Venitiens vers le Turc,fineſſe de Baiazeth, Gritti Venitien,
eſtant à Conſtantinople, donne aduis aux ſiens de ce quiſepaſſe, eſtpru priſonnier:
Baiazethenperſonne enl'armée contre les Venitiens,ſecours des François pour les
Rhodiens,combatnaualdesTurcs & des Venitiens, dont les Turcs eurentl'aduan
tage: Armerius tres renommé Pilote,aime mieux effreſciéparle milieu, que de re
noncer à la Religion Chreſtienne. Chapitre II.
· % -
· '

Les François auſecours des Venitiens, leſquelsapuyez deceſºn ;5 veulent atta


- Il]
174- · Sommaire.
querlesTurcs, leurſtratageme inutile, le ſiege & priſe de Lepanthepar les Turcs,
leur rafle au Frioul: Zancanigeneral Venitien, releguépour trois ans, pour n'auoir
pasfaiéiſon deuoir, Ambaſſade des Venitiens à Baiazethe ſa reſ#once, les Turcs
i repouſſex de deuant Napoly, & dedant Iunque, combat naual, où les Turcs eurent
-

laduantage, priſe de Modon par les Turcs, par la faute des Modenois, lunqueſe .
-
rendauxTurcs. - Chapit.I2.
|. -

Coron ſe rendauxTurcs, ils ſont repouſſez encore vne-fois de deuant Napoly,


LeginerepriſeſurlesTurcsparles Venitiens, l'Iſle de Samothraceſe rend à eux,ſe
cours qu'ils receurent du Roy d'Espagne, prennent enſemble Cephalonie, & Iun
quequifut repris bien-toſt apres, ſiege de Metellinparles Chreſtiens, à laquelle ils
liurerent huičt aſſauts, & en fin contrainéts de ſe retirerpar leur mauuaiſe intelli
:º gences quandlese Azapesfurentpremierementenroollez . Chapitre 13.
•.--

Ligue du Pape & des Venitiens auecques Ladiſlas Roy de Hongrie contre les
i Turcs,paix entre-eux & les Venitiens, ruſes de Baiaxeth ſur cette paix, Ladiſlas
Roy de Hongrie en prolonge la reſolution :trefues entre les Turcs & le Sophy,
---
l'Iſle deſainéie Maure renduë aux Turcs. Chapitre14.

, Hiſtoire notable dvnTaliſman,qui s'expoſa volontairementaumartyre pour la


foy de IE s vs-CHRIsT, autre hiſtoire dvn Royde Perſe empoiſonnéparſa fem
me,la grande confuſion qui en aduint, Imirze Prince de Perſes'effant retiré deuers
Baiazeth,eſt redemandépoureſtre Roy,refuſéparBaiaxeth, e9 les excuſes qu'ildon
naenpayement à cet Imirze, qui deſcouurant les conceptions de Baiazeth,ſe retire
malgréluyauecl'aide du Baſſa Dauut, & arriueen Perſeſans empeſchement,Am
baſſade de meſmeàſon beaupereredemandant ſa femme, & ſecours contre ſes ſub
-

-
iecis, deſquels ilfut maſſacré, ſa femme ramenée à Conſtantinople, e9 Dauut em
-
poiſonné. - Chapitre 15.
-

Grandtremblement de terre à Conſtantinople, ſedition des Caſſelbas, leurs diſ


cours, victoires qu'ils obtindrentſurles Turcs, courroux de Baiazeth contreſes Baſ
ſats fortification du camp des Caſſelbas,precipitation d'Halygeneraldes Turcs contre
les Caſſelbas, cauſe deſa perte, & de l'honorable retraiéte des autres qui pillent vne
--
| Carauane du Sophy,lapunition qu'ilprint deux, Scitan Culi,c'eſt à dire eſclauede
à
Satan, chefdes Caſſelbas. Chapitre 16.
Origine des Caſſelbas,procedures de Sechaidar,ſeſaiſit de la ville de Derbent, ſa
deffaite & ſamort, ſes enfans s'enfuyent, nourritured'IſmaelSophy à Arriminy,ſes
menées c9-premiere entrepriſe,iltrouuevntreſor,ſespretextes,prendSumachiaſecou
ru des Georgians,ſa victoire contre Alumut,prendla ville de Tauris,ſacruauté,tant.
enuers les viuans qu'enuers les morts faictmourirſapropremere. Chapitre 17.
- -

| Le Sultan de Bagadet, s'oppoſe aux proſperitez du Sophy, bataille entre ces -

deux Princes, en laquelleleSophy demeuravičiorieux, ſescourtoiſiesà lendroictdes


Turcs quiprenoientſon party, luy-meſmecontre les Aliduliens & ſes victoires, iltue .
- - - - - - - - - - - Alumut
- -- - -
Sommaire. 175
Alumutiadisſon Prince deſapropre main : ſeconde expedition contre le Soudan de
Bagadet que le Sophymet enfuitte. Le Sophycontre le Roy de Serman, & priſe de
· Sumachie, l'amour desſoldats Sophiens vers leur Prince, qui l'honorent comme vn
D I E V. -Chapitre 18.

Baiazethfaictmourir deux deſesfils,ſubtilitédel'vn d'iceux, lequel fut empoi


ſonné par vn ſien ſecretaire par le commandement de ſonpere : Baiazeth veutfaire
tomber l'Empire entre les mains deſonfils Acmeth, & taſche de gaigner les Iennit
zaires. Chapitre 19.
Selim ſe fortifie contreſonpere,ſon allianceauecleTartare, ridicule Ambaſſade
de Murteza ſeigneurde Precop, en Pologne, Selimpaſſe lamerà Capha : Baiazeth
ſe veutſeruirdela reuolte des Caſelbas.poureſtablirſonfls Achmet en l'Empire:ſon
inſtruction au Baſſa Halye9 àſonfils Achmetſurceſubieét :les Iennitzaires refu
'ſent de loger c-Achmet au milieu deux, Selim paſſe en Europe en intention deſeſai
ſirdel'Empire. Chapitre2o.
Baiazethenuoye versſonfils Selimpourlefaire retirer: reſponce de Selim, ç les
offres de Baiazethſur ce ſubieét, lettres qu'il eſcrit àſon fils & reſponce à icelles : Se
limpourſuitſon entrepriſe,faiſantpartoutaéte deſouuerain. Chapitre2I.
Selimſer ſout defaire laguerreàſonpere, lequels'eſtonneaux nouuelles qu'il en
Conſtantinople , & ſe remet entre les
eut,e37° ſesapprehenſions ,ſe refout deſe retirer à

mains de D1 E v : batailledufils contre lepere lequeldemeure vainqueur:Selimſeſau


uepar le moyen deſon cheual, qu'il faict honorablement enterrer : hiſtoire du Baſſa
Herzecoglis,paſſion demeſuréed'vnpereenuersſabellefille. Chapitre22.
Baiazeth retient les plusgrands aupres de luy & lesgaigneparpreſens, pour faire
declarer Achmetſonſucceſſeuren vne aſſembléegeneralle qu'iltint harangue du Beg
lierbey de Romelyen cette aſſemblée, le Caſtaſcherdeſonaduis, reſolution de ce con
ſeil,que c'eſt que le Tachten Turquie. I Chapitre 23.
Sedition des lennitzaires & leurs inſolences aux maiſons des Baſſats, viennent
au SerraildugrandSeigneur, & s'en fontpar force ouurirles portes : propos de Ba
iazethaux Iennitzaires & leur reſponce : deſcription de leſtatauqueleſtoit reduict à
lors l'Empire des Othomans, pluſieurs reparties des Iennitzaires à leur Empereur:
grand courage & heureuſe conduite du Vaiuode Baſſara : les Iennitxaires aucune
ment touchez des remonſtrances de leurſouuerain, s'excuſent, Chapit.24.
Baiazeth veut encoreſonderles Iennitzaires pour Achmet, maiten vain, ils deman
dent Selim, qu'ilne leur veut point accorder, mais enfin importunéparſes Baſſats ily
conſent, & leuren expedie des lettres parforce : ils demandent lestreſors pour le meſ
meSelim, on leur refuſe, mais enfin ils les obtiennent, miſerable condition de Baia
· xeth, quelques conſiderations ſurcette tragedie, Baiazeth enuoye de largent à
Achmet. - - Chapitre 25.
•• ••!
176 Sommaire.
Les Iennitzaires depeſchent des couriers à Selim , la reſonce qu illeurft, ſa pru
dencepourſeconduire en cette affaire,les autres viennent au deuant deluy Chap.26.
Corchut arriue à Conſtantinople, ſonpere luy commandant deſeretirer, les Ien
mitzaires le deffendent c9 lempeſchent : legereté & inconſtance de Baiazeth, cauſe
.
del'arriuée de Corchut à Conſtantinople , & ce qu'ileſperoit des Iennitzaires, porté
à leſtude, s'accommode au temps & change de langage : treſors qu'enuoyoit Baia
zeth à Achmet pris par Corchut. Chapitre 27.
Corchut va audeuant de Selim, lequelvaloger au quartier des Iennitzaires, e9 le
lendemain baiſer les mains àſonpere, propos de Baiazeth à ſon fils Selim, lequel de
- grand Monarque qu'ileſtoit, eſtcontrainét de demander vne retraiéie à ſon fils. Re
|
|
citdel'hiſtoire precedente,ſelon PaulIoue. Chapitre 28.
|

Baiazethrenuoyeſon fils Corchut enſon Saniacat, lequel auoit demandé ſcours -

· en Egypte, & aduertySelim des deſſeings deſon pere, parricide execrable de Selim,
#|! -·
le Medecin de ſon pere corrompuparluypour l'empoiſonner, & ſelon d'autres, le
l4,
Baſſa Ionuſe, il vient au Serraildes Othomans, murmure des Iennitzaires,pour n'a
uoirpas obſeruélescouſtumes, ilfaict eſtrangler vn Iennitzaire, qui alloit vers ſon
" , frere Achmet. | Chapit. 29.
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,
| | |
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|
Baiazeth empoiſonnépar ſon medecin qui ſe retire vers Selim, lequel luy faict
•!
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-- trancherlateſte:Selimapresauoirfaictmourirſonpefe,luyfaict defort ſuperbesfu
' ;
#.
nerailles. Chapitre 3o.
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LIVRE SECOND DE
L A CONT INVAT I ON D E
L'H I S T O I R E DE s T v R cs.
L eſt ſi difficile d'arreſter le cours des affections
immoderées del'ambition, que le Soleil creature
inſenſible obeïroit pluſtoſt à la voix humaine,
que l'homme ambitieux ne fleſchiroit au com
mandement de la ſaincte Diuinité. Mahomet II.

| Empires, douze Royaumes, & d'vne infinité de


HEIVA villes & Prouinces ;auoitlaiſſé ſon treſor plein de
•'º
•A
©SS laº$ #és richeſſes des deſpoüilles de la meilleure partie de
j:;º
later s,Teſtoit rendule fleau & laterreur de l'Vniuers , & ne laiſſant que
, deux enfans apres ſamort pouriouir de ſes conqueſtes, richeſſes & repu
tation ;cette Monarchie n'eſt pas toutesfois encores aſſez grande pour eux
q ne peuuent ſouffrir de plus grand, ny de compagnon : D1E v par ſa
iuſtice tres-remarquable, ayant permis que cette cruelle beſte d'ambition
º atantreſpandu de ſanghumain, quelque domeſtique qu'elle ſoit des L'ambition tft
9thomans, vange ſur leur race propre les cruautez †exercent ſurtant le fleau de fv
niuers.

°nations, conuertiſſant la tyrannie de ſon pouuoirſur ſes propres entrail


º, exterminantiuſques àvn, tout ce qu'elle rencontre de ſon propre ſang:
a faute de cecy eſtant principalement arriuée du premier Othoman, le
ºelmourut ſans faireaucune ordonnance qui ſeruiſt àl'aduenir pourbri
derl'inſolence des enfansdeſa famille, endeclarant qui deuroit eſtre l'he
Iltier preſomptif, & par laquelle il euſt obuié à tant de meurtres, leſquels
ºnt depuisarriuez à cette race Royale, eſtant à preſent comme ncceſſaire
ºueceluy qui vientà la couronne,s'il veut donner quelqucaſſeurance à ſon
authorité,faſſemourir ſes propres freres. - .

Mahomet doncques ayant finy ſesiours, comme nousvenons de dire,


ſon corps porté à Conſtantinople & mis autombeau,les Baſſats ſetrouue
Partialitez en .
tre les Baſſats
ºntpartialiſez, pour faire tomber la Monarchie chacun entre les mains pour choiſir ,
dºccluyqu'ilaffectionnoitleplus,car legrandVizir Mahemed Baſſa,fauo vn ſucceſſeur
à Mahome t.
riſoit ſortZizim, & de faictilluy enuoya vn courier pourl'aduertir de dili
#ºterſonretour, mais ilfut ſurpris par Cherzecogli,qui tenoitle party de
-^

|
178 Continuation de l'hiſtoire
Baiazeth, & luy fut fort fidele iuſques à la fin, encores qu'il ſceuſt qu'il
eſtoit malvoulu des Iennitzaires:& Cherſed Baſſa & Beglierbey de Rome
· liportoit le party de Baiazeth ,ayant de ſon coſtéles Iennitzaires de lapor
decºre #ls te, leſquels durantl'abſence de Baiazethnommerent Empereur Corchut
Baiazeth - - N -

§ fils de Baiazeth, iuſques à ce que ſon pere fuſt venu, lequel eſtoit lors en
† Capadoce:ſaluans ainſi cet enfant pour leur Prince,ſous le nom & fortune
de Baiazeth, lequeladuerty de tout ſe mit en chemin, ne ceſſant nuict &
iour d'aller en diligence, iuſques à tant qu'il arriua à Conſtantinople, où
-
chacunl'attendoit engrande deuotion, caril eſtoit aimé des ſoldats & du
peuple,le dixneufieſme du mois Rebiuleuel, que nous diſons le mois de
Mars, l'an mil quatre cens quatre vingts & vn : Mais Zizim ou Gemen
-
auoit les grands pour luy,leſquels taſchoient d'eſmouuoir des ſeditions,&
-
deſleue le peuple contre Baiazeth, pour le chaſſer & appeller Zizim, fai
ſans courir le bruit quelamort de Baiazeth ſeroit cauſe du bien & liberté
de l'Empire, où au contraire luy viuant, tout ſeroit en ſeruitude; ioinct
qu'encores que Baiazeth fuſt l'aiſné & Zizim le cadet, ſi eſt-ce que cet
tuy-cy ſe diſoit fils d'Empereur, par ce qu'il eſtoit né durant le regne de
Mahomet, & Baiazethauparauant. Baiazeth ſçauoit auſſi que ſon frere Zi
†" zim eſtoit homme d'entrepriſes & de grandcœur, lequel ſi toſt qu'il ſeroit
-
aduerty de ce quis'eſtoit paſſé à Conſtantinople, laiſſeroit bien-toſt l'en
,: trepriſe de Syrie, où ſon pere l'auoit enuoyé contre le Sultan du grand
- Caire, & s'enviendroit auecſes forces,le pluſtoſt qu'illuy ſeroit poſſible,
& meſmesonluyauoit donnéaduis que † armée eſtoit deſia en la Na
tolie, ayant occupéla Bithynie, comme ſi partageant l'Empire auecques
Baiazeth, illuy euſtlaiſſél'Europe pour partage, & ſe fuſt rendu Monar- .
II.
que de l'Aſie.
Voyant doncques qu'ilfalloit marcher en ſon faictautant de ruſe que
de force, il ne fit pas du commencement grande leuée de gens deguerre
pour n'irriterſes ſubiects, mais ſeulementautant qu'illuy en falloit pour la
garde & deffence de ſa perſonne envntemps ſidangereux, puis faiſant vne
O

eſlection des plusvaillans de tous les regimens de la Grece, par le conſeil


d'Acomath, quis'eſtoit rangé de ſon §ty , & luyauoit amené les vingt
cinqmille hommes, que feu ſon pere enuoyoit au ſecours d'Ottrante, il
mitincontinentſus-pied vne groſſe & puiſſantearmée : à lors chacun s'ap
perceutà quoyil tendoit, & que c'eſtoit pour oppoſeraux forces de Zi
|
Reſºlution de zim ſon frere, contre lequelilreſolut, non ſeulement de ſe deffendre, mais
# auſſi de l'aſſaillir iuſques chez luy, ſçachant qu'il eſtoit plus à propos pour
† le bien deſesaffaires, d'allerattaquer ſon ennemyhors de la Grece, que .
ſouffrir qu'ilpaſſaſt en Europe, que ſi l'autrevenoit pres de Conſtantino
|
• pleilyauroit danger que ſes partiſans ne fiſſent † choſe contre luy:
-

| il haſta ſon paſſage le plus qu'il peut, donnant la charge de ſon armée à
Acomath, le plus ſage & vaillant capitaine de ſon temps, ſi bien que
# mettant en route les forces † Zizim auoit miſes ſurlesaduenues pour
- | | - - - A,

f# * Zizim
- •
luyempeſcher
-
de paſſerenAſie,
s'eſtoit campé, il vintiuſques
& où ilauoit choiſi le ſiegeſurle terroirde
de ſon Empire,Burſe, ou
àl'imita
- t1OIl
desTurcs, Liure ſecond. 179
tionde ſes anceſtres,&aubout de dixiours, ils ſe donnerent la bataille en -

laplaine de Geniſcheher pour voir à qui deuoit demeurerl'Empire,ſibien


queZizina, encoresqu ils'eſtimaſt&plus vaillant & plus homme de bien #e bas
ue ſon frere, toutesfois n'eſtant pas ignorant dela valeur des ſoldats de #.
l'Europe, ilalloit encourageant les ſiens d'eſcadron en eſcadron, leur re-º
monſtrant l'aduantage que ce leur eſtoit que leur ennemy fuſt venu iuſ- ".

ques chez eux,ſans qu'ils euſſent la peine d'allerapres luy, que là ilsauoient zizir
encou
toutes choſes fauorables, viures, places, ſecours & toutes ſortes de com-" les ſiens. .
moditez , au contraire de ce tyran, quiayant prislevert & le ſecà ſon ayde: ©

-
ſivne-fois ileſtoit rompu, ils ſe † aſſeurer de la poſſeſſion des bel.
les Prouinces de l'Europe, qu'il n'eſtoit pas temps de leur declarer par le
-"
menu, les amis qu'ilauoitaux terres de ſon obeyſſance,mais qu'illeurdon
noit parole que Baiazethauoitlaiſſé d'auſſi dangereux ennemis à la maiſon
qu'ilen auoit en la Natolie : que puis qu'ils l'auoient choiſy pour leur Prin
ce, qu'il y alloit du leurauſſi à le maintenir, mais ce qui eſtoit le plus im
portant, c'eſt que ſi Baiazeth anoit l'aduantage, ils ne deuoient attendre
-- autre choſe qu'vne cruellevangeance qui tomberoitſur leurs teſtes, pour
- s'eſtrebandez contre luy.Que cette meſme valeur doncques,leur diſoit-il,
- - † vous animoit cy-deuant contre le Soudan d'Egypte, laquelle n'eſtoit
-- ondée que ſurl'obeyſſance quevous deſiriez rendre au grand Mahomet,
ſoit celle-lameſme qui deffende auiourd'huy, non ſeulement la couronne
- * · &leſtatàſon fils, mais vos propresvies, voſtre honneur & voſtre pays.
· Aucontfaire GeducesAcomathtoutbouillant d'ardeur de côbatre & tout
- plein dezele & d'affectionenuers ſon Prince, alloit diſant aux ſiens : Pen-†le party de Ba
ººVous, compagnons que nous quiauonstant de
vaillantes nations de l'Europe, quiauons ces iours paſſez couru, rauagé & ºi"°
fois battu & vaincu ces #º 2ll

r, domptéla plus belle Prouince d'Italie, deuiós craindre ces effeminez Aſia
- tiques quine recognoiſſent autre milice que la volupté,ny d'autre camp
- que leurs demeures delicieuſes : & leur chefn'a il pas faict paroiſtre auſſi
† il eſtoitindigne de vous commander, nes'eſtant point § de l'occa
ºn d'vne ſibelle armée qu'ilauoit en main pour paſſer en Europe, lors
que lesaffaires du Seigneur n'y eſtoient pas encores † aſſeurées? au con
ºire, penſant que touty eſtoitgaigné pour luy, ils'eſt laiſſéarreſter parles
elices,neſe ſouciant plus devaincre, depuisqu'ila eſté dompté par layſe
& le plaiſir.En queleſtat d6ciroit noſtre Empire,s'il en eſtoitle ſouuerain?
† trophées emporteroient ſurnous les nations nouuellement conquie
$quád olles nousverroiét les armes bas & puis n'eſt-ce pas vous quiauez
sileu Baiazeth & quiauez reietté Zizim, qui malgré les menees des plus
grands de la† eſleué ſur le troſne de ſon pere, c'eſt à vous à luy
maintenir & conſeruer en celal'authorité, diſoit-il, parlât aux Iennitzaires,
que vous vous eſtes acquiſe de longue-main : & ces trouppes que vous
| Voyez deuantvous,quin'ont oſévous reſiſterau † ezvous qu'ils -

* ºyentl'aſſeurance de vous attendreaucombat,ie les voy deſia tous chance- '


: lans redoutans voſtre valeur; que chacun donctirant ſon eſpée, s'aſſeure
dauoirvnecouronnetriomphale à lamain, carietiens cette victoire auſſi
: - Z ij · · · ,
- - ) - a - " ^

18o Continuation de l'hiſtoire
,

a , certainePour nous » que la recompenſe vous eſtaſſeurée de la part de ce


, § luy pour qui vous combatez, les ſoldats luy reſpondirentauecvnegrande
|i -
*** acclamation & tous d'vnevoix que ceiour leur Empereur ſeroit ſeigneur
del'Aſie & de l'Europe, ou qu'ils y perdroient tous iuſques àla derniere
| -,
goutte deleur ſang, & là deſſus donnerent dedans leurs aduerſaires auec
; telle hardieſſe & impetuoſité, qu'apres auoir tenu teſte quelque temps
-

• il fallut qu'ils cedaſſentàlavaleur, à la ſageſſe & prudente conduite d'Aco


•!
, . math, & meſmesZizim ayant peur de tomber entre les mains de ſon frere,
t, | s'enfuitenCaramanie, où craignant encorcs de n'eſtre pas en ſeureté, il ſe
-

retiravers le Sultan dugrand Caire poury ſauuer ſavie, & ce par le conſeil
meſme du Caraman luypromcttant deioindre ſes forces aueccelles de l'E
º gyptien pourtenterencore vne autre fois lehazard du combat s'en eſtant
doncallé en pelerinage àla Mecque, & delà trouuer le Sultan, il entiravn
viaoire d'A. fortgrandſecours. On tientauſſi que les ſoldats de Zizim, quand ils ſceu
† rent qu'Acomath eſtoit arriué en larmée, entrerentenvnegrande frayeur,
i # & que Zizim meſmes s'eſcria parlant de Balazeth, Hay cachpezené(c'eſtà
-
§les§iºn dire) Haº fils de putain, d'où eſt-ce que tu nous as faict venir cettuy-cy?
--
*º tant ce grandguerrier eſtoit redouté, meſmes parmy lesTurcs. -

En cette guerreiladuintvne choſe quine doit pas eſtre paſſée ſoubs ſi


| lence.C'eſt que du téps que Mahometauoit laguerre contre Vſunchaſſan,
Baiazeth qui eſtoit encores ieune & peu † ayant toutesfois
commandement en cette armée, comme Mahomet en la derniere bataille
qu'ildonna contre le Perſan,fiſt lareueuë de toutes ſes trouppes '& vitle
mauuais ordre qui eſtoitaubataillon de ſon fils Baiazeth,ily enuoyale Baſ
ſa Geduces Acomath afin de reſtablirletout ſelon leur diſcipline,lequel à
, ſonarriuée voyant cette confuſion, ne ſe peuttenir de dire auec vne façon
de reprimende, Eſt-ce ainſi qu'il faut rangervne bataille & diſpoſer ſesgés
au combat? & auecquelques paroles cncore plus aigres; ilirritatellement
Baiazeth, qu'illuy promiſt de l'enfaire repentir en temps & lieu, auquel
*
Acomath reſpondit, & que me feras-tuiete prie ? Ie teiure, dit-il, que ſitu
paruiens àl'Empire, ie ne ceindrayiamais eſpéeà mon coſté.Or Achmet ſe
-
reſouuenant touſiours de ces choſes, quand Baiazeth arriua aucamp, Ach
met luyallant baiſerlamain,ilauoit pendu ſon cimeterreàl'arçon de ſa ſel
| le, & ſoudain on luy amena ſon cheual, ſurlequelilmonta, Baiazeth com
prenant bien ce que cela vouloit dire, luy§ bout de ſon baſton
· (que les grandsSeigneurs portent pourmarque d'authorité) en ſigne defa
ueur,luy dit, Mil , (mon protecteur) tute ſouuiens de loing, mais com
mc ce temps la eſt paſſé,cettuy-cyrequiert maintenant que nous-nousrapa
trions enſemble & faſſions vne mutuelle ſocieté aumaniementdesaffaires,
' remets doncton eſpée à ton coſté & oublie toutle paſſé. I'ay remarquéce
cypour ce quiaduint depuis à cét Aconath,& pour mieuxrecognoiſtre la
!
-
nature de ce Prince. - " .

III Reuenant donc à noſtre hiſtoiretandis que Zizim aſſembloit nouuelles


-
Le§ ( forces,le Caraman cependant quine dormoit pas, & quideſiroit ſe ſeruir
- †"
& pourquoy. de cette occaſion pour recouurer la Cilicie, que Mahomet, le pere deZi
- -

º Z1IIl

--
| | des Turcs, Liure ſecond. 181 -

zim luy auoitvſurpée, auoit aſſemblé le plus de gens qu'ilauoit peu, ſeve
nansrencontrer tous enſemblevers le mont Taurus, où Acomath les vint · · ,

trouuer auecvnearmée de deux cens mille hommes, l'inegalité des forces seconde bas taille de Zizim
fit trembler Zizim, & donna du courage àl'arméc de Baiazeth qui ſurpaſ contre les for

ſoitl'ennemy envaleur, en nombre & en conduite,auſſi eut-ellel'honneur † grand carnage


delavictoire, faiſantvngrád carnage des Zizimites, & en print grâd nom-desz .
bre de captifs, leſquels cómeileuſt faict venir deuant ſoy, & qu'il fuſt tout
preſtà les deliurertous ; Achmetl'en empeſcha, luy diſant qu'il eſtoitne
ceſſaire d'imprimervneterreur de luy, dansl'eſprit de ſes ennemis pour les
ramener à la raiſon, il le creut & leur fit à tous trancher la teſte. Quant à
leurchef, il fut forcé de s'enfuir, lequel ne ſçachant plus de quelbois faire
fleche, voyant toutes choſes luy eſtre contraires & n'eſperant plus de ſe
cours des Princes ſes confederez, il reſolut,del'aduis meſme du Caramä,de
ſeietter entre lesbras des Chreſtiens, poury chercher quelque ſecours,en
uoyant ſa femme & ſes enfans, au Soudan d'Egypte, & de faict s'en vint àZizinn ſe zetiic
Rhodes. .
rendre à Rhodes,mais deuant que de s'embarquer, on dit qu'il tira vne fle
cheſur le prochainriuage,aubout de laquelle eſtoit liéevnelettre de telle
ſubſtance. N
- -

z Iz IM Roy , A B AI Az ET H s o N
- · tres-cruel frere.

# mondeſiràviurepaiſible
Et'auois demâdécequieſtoitiuſte,tum'aspayé d'inhumanité, & i'auois borné
en lafrontiere, mais ton ambition deteſtable n'a peu
Lettre de . .
zin à b2 , .
zeth
ſoºffrirtonfrereen repos dans vneparcelle d'vnſigrand Empire, ieſuis doncques con
trainé#, pourſauuerma vie, d'auoir recours au nom Chreftien, & auxplus grands
ºemis de noſtrepuiſſante maiſon, nonpour le meſpris de la Religion de mes ance
ſtres,mauforcépartacruauté,puisque monplusgranddeſirſeroit deſeruirDIE vſe
lon les ceremonies de noſtre loy: ileſtvrayque ie n'ayquefairede te parler de D1 Ev
mydenoſtreſainct Prophete, puisque tu meſpriſe l'vne & l'autre loy, & que tu t'es
ºſbouillédetoute humanité.Noſtre pere s'eſt efforcétouteſaviedeſleuer la maiſon des
9thomans,& tuprens plaiſiràla deſtruire : mais la iuſtice diuine me vangeravniour
ºfa meſchanceté, & permettra queſitu regnes quelque temps par tyrannie, la fin
- deton Empireſeraplus tragique que le commancement n'en a eſtéfortuné . Adieu, &°
te lnuuiene au'
'ſouuiens qu'on exercera quelquesfois contretoyc tes enfans, ce que tuentreprends
-

ºntremoy & les miens.

, Apres la lecture de cettelettre, on tient que Baiazeth demeura deux


loursretiré ſans eſtreveu, pourl'extreme deſplaiſir qu'ilauoit que ſon fre Triſteſſe de
reſefuſtretirévers lesChreſtiens, & principalementvers les cheualiers de lecture
Baiazeth à la
de cet°
Rhodes ſes plusgrands ennemis. - A.
te lettrc.

" Ce Prince fut receu à Rhodes le 24. Iuillet, mil quatre cens quatre
Vingts & deux,legrand Maiſtre luy enuoyant Aluaro de Stauiga, Prieur
deCaſtille, aueclesgaleres de l'ordre pourleconduire, & luy vint au de
. "antaucctous ſes cheualiers,non ſans l'eſbahiſſement de Zizim, qui s'e
# · s - Z iij
I -- |

-/

| | " |
º . •> - - - -

182 Continuation del'hiſtoire


| | | | i |
· Reception de ſtonn oitdevoir qu'on luy faiſoittant d'honneurs envne ville que ſonpe
| , ' !
- ll
, , !' !
| | | 2§ re auoit voulu
couſtumé ruiner,Princes,
de faireaux & comme il ditonaux
luycheualiers
faiſoit l'eſſay, comme on
qui eſtoient presa ac
de
| llt |, • ! | |

|
|
|
|
| | -

des,

luy : Ie n'euſſepoint expoſémavie entre vos mains, ſii'euſſe eu deffiance deſibraues


t
|
| • |
| | |
| | |
| |
', | & genereux cheualiers, ie vy parmy vous icy, comme perſonne priuée, non com
: i, ." *• ' !
| . -
|
|
me Roy. -

ii: , 1 |.
| # -

| LegrandMaiſtre eſcriuit auſſi-toſt à tous les Princes Chreſtiens, pour


| | | -

-
#. •i + · les perſuader de ſe ſeruir d'vne ſibelle occaſion pour diuiſer l'Empire des
|
La partialité O § & parle moyé de Zizim retirer les eſtats † leurauoitvſur
-

| ' ! ,
| |

i . " | i
† pez : mais la Chreſtienté eſtoit à lors tellement partialiſée, & l'Italie ſi di
| | :
| †º uiſée, Le Pape,les Venitiens, les Geneuois & les Siennois eſtans liguez
| careſ , cótre le Roy Ferdinand de Naples,les Florentins & le Duc de Milan: l'Em
·
1
|· · ·
° . |
' - : .
| | | | | pereur quiauoit des deſſeings ſur la Hongrie, qu'on ne tira aucun profit
| | | : i d'vn ſibeaumoyen que DIE v nous mettoit entre les mains : & de faict Ba
| · · ·
i | | iazethauoit ſigrande crainte qu'on le miſt en liberté, qu'il paya tous les
|| | Zizim viêt en
ans, quarante mille ducats auTreſorier de la Religion, trente cinq mille
|
1 •
|
Fsancc. pour le train & l'entretenement de Zizim, & dix mille pour reparer le de
| - -
º * , gaſt que Mahomet ſon pere auoit faictau ſiege de Rhodes, & ce par ac
|
cord qu'il en paſſa auec le grand Maiſtre, le huictieſme Decembre mil
|!
» |
|
#

! ,
- i
|
. ,
,
† cens quatre vingts & deux.Auſſi-toſt que ce Prince fut à Rhodes,il
| | | t paroiſtre qu'ilauoit enuie d'aller en France, & de ſe ietter entre les bras
,! à -
-

: du Roy, & de faict le grand Maiſtre l'y enuoya, & ſe retira en Auuergne.
- i '
1 , - Toutesfois quelques-vns ont eſcrit que depuis le grand Maiſtre le donna
1 ! |
# † au Pape Innocent huictieſme, qui penſoit s'en ſeruir contre lesTurcs pour
| *º le bien de la Chreſtienté, & apresla mort duquel, qu'eſtant venu entreles
# : " - "
. mains d'Alexandre ſixieſme, Baiazcsh enuoyoit tous les ans au Pape, ſoi
xante mille ducats pour le tenir en vne priſon perpetuelle.
| # · · ·
• . : ,! )
º

-
Matthias Coruin, cegrand Prince, duquel nousauons parlé,le deſiroit
-

·
-

|
::
·
-

|
fort, & le fit demanderau Pape, & yauoit grandeapparence que ſi on luy
i " _º -

euſt donné, il euſtbienbrouillé par ſon moyen,les affaires de Turquie, du


| || coſté de la Hongrie, de ſorte que Baiazeth entrant en plus grande crainte
|
|
:
, | - !
• 4
-
# que deuant, luy enuoya faire offre de deux cens mille ducats, de laquelle
-

promeſſe Georges Buciarde Eueſque natif de Gennes, en fut le meſſager,


·· ,
#
· 3 !
.
1
|,
!
i
#
|
r. i
Zizim.

à fin de le tenir plus eſtroictement, lequely auoit eſté enuoyé par ce Pape
i : # !
| || |
|

| º| -
, 1 a prº Alexandreauec Camille Padon, quiy deſpeſchoitauſſile RoyAlphonce
- '
i º # de Naples, demandansl'vn & l'autre ſecours contre les François : cela tou
: | 4
F ois tesfois ſe traictoit ſecrettement, dit Guicciardin, quiadiouſte que ces Am
· baſſadeurs furent exceſſiuemét honorez par Baiazeth, & preſqueauſſitoſt
-
depeſchez, qui rapporterent degrandes promeſſes de ſecours : Mais(com
· bien qu'elles fuſſent confirmées vn peu apres parvn Ambaſſadeur que Ba
-
z,ialiure, iazeth enuoya à Naples) ou pour la diſtance des lieux, ou pour ce quele
· † Turc ſe deffioit des Chreſtiens, ellesneſortirentaucuneffect Finalement
i | ſonné.
Charles huictieſme du nom Roy de France,apres ſa conqueſte du Royau
me de Naples,le demanda au Pape, qui leluy refuſa du commencement,
toutesfoissyvoyant comme forcé ille luyliura mais ſelonle dire de Guic
ciardin

l' u
des Turcs, Liure ſecond. 183
ciardin, cmpoiſonné: de ſorte qu'il mourut à quelques iours de là à Tar
racone : ce Prince Turceſtoithomme modeſte, ſage & de fort gentil eſ Mººd.zi
prit, qui porta fort prudemment & patiemment ſa captiuité: il eſtoit au #ººº
commencement fort grand obſeruateur de ſa Religion, ſi bien qu'il en
troit en furie quand il voyoitvn Turc yure,ilbeuuoit de l'eau ſuccrée, &
quelquesfois du vin, pourueu qu'il fuſtmeſlé d'eſpiceries & d'autres li
queurs, diſant que ce meſlangel'alteroit entelle ſorte, que ce n'eſtoit plus
Nun, tantl'homme ſçait bienaccommoderla Religion à ſes appetits. On
dittoutesfois qu'ilfut depuis baptizé à Rome, & qu'ilmourut bon Chre
ſüen. FedericRoy de Naples enuoya ſon corps à Baiazeth, pour luy faire
vn preſent bien agreable de luy donner mort, celuy qu'il n'auoit iamais
ſceu Prendre envie,voyla commét nous ne deuons point accuſer le ciel de
noſtre miſere, puisque nous ne pouuons tirer le fruict du bien qu'ilnous
preſente, mais pluſtoſt dire hardiment, que nous portons dans noſtre
flanc,comme vne autre Hecuba,le flambeau de noſtre propre ruine,& que
nous ne periſſons que par nous-meſmes. - 4

Quant à Baiazeth, apres la victoire obtenuë contre ſon frere, il viſita IIII.
les peuples de l'Aſie, printles foy & hommages, y mit desgarniſons, & -

changcalesgouuerneurs que ſon frerey auoit mis, diſpoſant en fin des , .


Prouinces de laNatolie, comme auoient faict ſes predeceſſeurs, & de là #
s'en retourna à Conſtantinople. Mais nonobſtanttoutes ces choſes, les †º
Iennitzaires ne ſe contentoient point de ſongouuernement, & vouloient -
-

àtouteforce faire reuenir Zizim, deſorte qu'ils vindrentvn iour tous en


furie iuſques à la porte de ſon Serrail, mais illes adoucit de belles Pº, s ..
leur accordant ce qu'ils luy demandoient, les recompenſant accroiſſant l§
leurnombre, & leur ordonnant des gages & penſionsannuelles, pourles #º
encourager de mieux en mieux àluy faire ſeruice:& les ayant parce moyen
rendus contens, il ſe ſaiſitapres des chefs de la ſedition, qu'il fit mourir.
Delà à quelque temps,ilfiſtauſſi àAndrinoplevn feſtin § ilin
uitaſes Baſſats & les plus ſignalez perſonnages de ſa cour, en ce ſouper il
#uoitfaict preparertout ce que lesTurcs eſtiment de plus delicieux, on y '"
beutauſſiduvin iuſques bienauant enlanuict qu'illicentia la compagnie,
donnant par honneur à tous ceux quiauoientaſſiſté à ce feſtin vne robe, •
, excepté à Acomath, cegrandguerrier lequelluyauoit ſeruy, non ſeule
mentd'eſchele pour monterau troſne Imperial, mais encore d'vn ſeur &
inuincible appuy pours y bien eſtablir, quiauoit dompté ſes ennemis,mis
enfuiteſonfrere, & rendu paiſible § de la petite Aſie : à cettuy
#y, dis-je, pour recompence de ſes ſeruices, ſinotables & ſi ſignalez, au
lieu de luy enuoyer vne robe, commeaux autres, on luy fit preſent d'vn
cordeau, aueclequelilfut eſtranglé, d'autres diſent qu'il letua de ſa pro-Mort piteya.
Premain: il ſe doutoit qu'ilauoit changé d'affection, & qu'il auoit quel-†º
que deſſeingpour ſon § Zizim, & meſme qu'il s'eſtoit entendu auec -

leslennitzaires lorsdela reuolte, dont nous venons de parler, car on les •--

auoitveusaller & venirſouuent chezluy. - -

Toutesfoisvoicycomme Haniualdan, qui a eſcrit cette hiſtoire plus


-
I - | | --

184 Continuation
- - - ' |) º • -

de l'hiſtoire
-
| , amplement laraconte.Achmet ou Acomath,car on ditl'vn & l'autre,ayant
† eſpouſélafille d'Iſaac Baſſa, de laquelle Muſtapha fils du Sultan Mahomet
ii " s'eſtoit enamouraché, & ſesamours luy auoient couſté la vie, comme on
- a peuvoircy-deſſus,l'auoit pour cette cauſe repudiée, ce quiauoit engen
| |#.|
drévnetelle inimitié entre-eux, qu'Iſaacne cherchoit que les occaſions de
le ruiner de biens & devie, mais Achmet auoit le courage ſi haut, que tant
s'enfaut qu'ilſe ſouciaſt des menées d'Iſaac qu'illes meſpriſoit : mais l'autre
) #ſprit ſoupçö- quicognoiſſoitl'eſprit ſoupçonneux de Baiazeth,luydonnatant de mau
- - - - 2 D

†" uaiſes impreſſions & de ſubiects de meſfiances en l'abſence d'Achmet,


-

qu'eſtant de retour de la guerre contre Zizim, il ne cherchoit que les


> - - V. - - - *

reſtin de p, moyens de s'en deffaire.Ayant doncquesvn iour inuité tous les ſeigneurs
| Baſſats.
† * º comme de ſacourtàvnfeſtin,
les autres, où qu'ils font traictez
ils furent ordinairement le ſoir,ilyinuita
auec toutes Achmct,
ſortes de delices, &

Vn Baſſa le abondance de toutes choſes, vn ſeul Haly Michalogle, ſupplia le Sultan


| ſur§ denele contraindre point à boire duvin,n'en ayantiamais beu toute ſavie,
† ce queluyayanteſté accordé, les autres ſe mirent tous à boire iuſques bien
vin, auant dans la nuict, & au ſortir du feſtin, Baiazeth ſelonlacouſtume, & |
pour monſtrer ſamagnificence,leur fit apporter à tous des robes de diuer
j•
ſes couleurs,leur faiſantauſſi donnerà chacun d'euxvne taſſe d'argent doré
pleine de pices d'or.Au ſeul Achmet, il fitietter deuant luy vne robe noire
, entre-tiſſue d'or : Achmet faiſant vn mauuais augure de cette couleur, &
. preſageant ce que cela vouloit dire, tout plein de colere & de fureur, il
Paroles iniu commença àluy dire, Fils de putain pourquoy me contraignois-tu deboi
| -
† re du vin impurpuiſque tu machinois § choſe contre moy} puis auſſi
--
" · toſtiettant les yeux contre terre, ils'aſſit.Les autres ſeigneurs tous chargez &o

| devinayansbaiſélaterre, & rendugraces àl'Empereur, ſelon la façon des


, | Turcs ſe retirerent, pas vn toutesfois ne s'en alloit qu'il ne ſe fuſt premie
#ºn
Turcs de remét venuietteraux pieds de Baiazeth,& qu'il ne luy en euſt demâdéper
prenäs * -

§ § miſſion,& demâdé & obtenu pardon de ce qu'ils auoient beu trop de vin.
" Mais eſtantbienayſe de les voirtousyures,illes enuoya reconduire à che
ualpar ſes Capigy ou portiers, alors Geduces Achmet voulut ſortir com
- - - -

meles autres, mais Baiazeth luy deffendantluy dit : Milala, oumontuteur,


-

| · demeure au lieu auquel tu es maintenant aſſis, car i'ay quelque choſe à


traicter auec toy. - - -

Tous les autress'eſtans doncques retirez,onſe ſaiſitincontinent d'Ach


---
cruel traiae met,quifutfort miſerablement accómodé par ceux quile prindrent, mais
†º Baiazeth non contét de tant de coups qu'on luy dônoit, cómandoit qu'ils
le fiſſent mourir, quand l'Aga qui eſtoit Eunuque & qu'ilaffectiónoitfort
| - r r† levint ſupplier de ne rienprecipiter en cette § vnbon & meur c6
:
-
--
#
-

ºº ſeil Netehaſtepoint,luy diſoit ilSeigneur,de faire mourir celuy que tous


--
les Iénitzaires deta porte aiment & honorent,ilfaut premierementvoir ce
t, si, Ash qui ſuccedera de cette affaire : cettuy-cyayant de cette façon là empeſché
# qu Achmet ne fuſt tué, il fut caché pour quelque temps. Or durant que
ces choſesſe paſſoient dansleSerrail, les Seigneurss'eſtans retirez chacun
chez eux,le # d'Achmetvoyant que ſon pere ne reuenoit point, entra en
- quelquc

--
desTurcs, Liure ſecond. 185
quelque doute, & ce ſoubçon luy fit aller demander aux autres des nou
uelles de ſon pere,leſquels luyayâs dit ce quis'eſtoit paſſé deuâteux,& qu'il
auoit eſtéarreſté par Baiazeth pourle faire mourir,onluy dit auſſilemeſ
meau Serrail : ceieune homme tout tranſporté de dueil & de fureur tout
enſemble,ne ſçachant à quiauoir recours pour tirer ſon pere d'vn tel dan
ger , alloit courantaumilieu de la nuictaux retraictes & corps de garde des
Mennitºires, où aueccris, & d'vnevoixlamentable illeur diſoit.
Las1moy miſerable que iefuis,mes chers c6pagnons d'armes,le Seigneur P1
- - - - 2 - d fi]
aretenu mon pere en ſon Serrail; &ieviens tout maintenant d ap prendre †
' qu'il le veut faire mourir: permettrez-vous excellens ſoldats, qu'on com- les
† incitant à
mette vnetellemeſchanceté à l'endroict de celuyaueclequel vous auez tât ſedition.
de fois mangé dupain & du ſel} Les Iennitzaires tous eſtonnez de ces nou
uelles, & recognoiſſans le dangerauquel eſtoit Achmet, redoublans leur -

Bre, Bre, comme ſinous diſions,alarme,alarme, ils s'aſſemblerent tous en :

ros, & garnis qu'ils eſtoient de leurs armes & de leurs cimeterres, tous †
† plein ſautils allerentauSerrail du Sultan, où ayans trouué les portes #†
ferrmées,comme c'eſt la couſtume de les fermerlanuict,ils commencerent §
• N 1 • > - • ' leur Seigneur.
auec grands cris à dire qu'on leur ouuriſt; Baiazeth voyant la fureur de ſes
lennitzaires, & de grande crainte qu'ilauoit qu'ils n'attentaſſent quelque :
choſe de pis, commanda malgré luy que la porte du Serrailleurfuſtouuer ,
te, luy cependant montant àvne feneſtretreilliſſée,qui eſtoit deſſus la por- e# #
te, ayantſonarc enſamain & vne fleche,illeur dit : Quevoulez-vous compa-"
gnons,que deſirez-vous
ande furie, & venansdemoyº
aux commeilsl'ouirentparler,ils ſemirent
iniures : Tu le verras tout maintenant, en plus iazeth
reſpondi- prerosauxIen
de B.
nitzaires. :
ſºnt-ils, ynrongnede Philoſophe, digne dubaſton & dufouètcomme tu es, & t'ap- -

prendrons à eſtreſobre: Eſt-ce ainſiquetu abuſes de la dignité Royalle dont tu portes †"
letiltre?où eſt Geduces Achmet?où eſt-il?deſpeſche, fais le nous amener tout main-º
ºnant, autrement tuſentiras ce que nousſauonsfaire. Or l'appelloient-ils Phi- E,ineh ,i.
loſophe,àcauſe qu'ils addonnoitàlalecture & aimoitleslettres Luy donc † "º
Voyantlafureurde ces courages, & recongnoiſſant enleurs propos côbien
ilseſtoientanimez contre luy, commença à filerdoux : &bien,dit-il, com
Pagnons que celane vous anime point d'auantage,ſivous voulez auoirvn n fleſchit à la
peu de patience ievous rendraycontens, Achmeteſt à laverité dans mon §ie§
Serrail, que ie vous ferayamenertout preſentement : & auſſi-toſt on le fit "
veniràla porte du Serrailenfort piteux equipage, tant pour les tourmens -

qu'onluyauoitfaicts ſouffrir, que † eſtre nue teſte & nuds pieds, & †
n'ayant ſurſoy qu'vne petite chemiſette, les Iennitzaires voyans vn telper-
ſonnage § indignement ſelon ſes merites, arracherent les Tulbans
-

des domeſtiques de Baiazeth, & en mirentvn ſur la teſte d'Achmet, com- .


mandans qu'on apportaſt en diligencevne robe, laquelle ayans iettée ſur
ſeseſpaules, ils l'emmenerent hors du Serrail, & l'accompagnerentauec '
beaucoup d'honneur iuſques chez luy. . | |
Achmet ſe voyant contreſon eſperance- †
pé d'vn tel danger, & †
- eſperance d'vn
dailleurs les Iennitzairestous triſtes,lesincitoitàſe reſiouyr, puis que leur reconforte
† les

ºntrepriſeauoitſiheureuſementreuſſi, mais toy-meſme,reſpondirent-ils, i§


· · · -- - Aa
-

| 186 Continuation del'hiſtoire


en queleſtateſttaſanté?&là deſſus ſe ſouuenans des outrages qu'on luy
auoitfaicts,ils entrerententelle furie contre Baiazeth,qu'Achmetiugeant
#i
r Prudence parleurs changemens de couleur, qu'ils ne conceuoient rien de bon con
" treluy, craignant ques'ils faiſoient pis,le ſort tombaſt apres ſur luy-meſ
-

•ii - : me, comme principale cauſe de la § , les ſupplia de luy faire cette
|
race de ſe contenter de ce qu'ils auoient faict, & d'appaiſertout cetumul
te : Baiazeth, diſoit-il, eſtnoſtre Prince & ſeigneur, & quoy u,m'aye
-,:ii
indignementtraicté, ſi eſt-ce que ie luy dois touſiours rendre †
·
|
| parauenture que moy-meſmeayfaict quelque faute en ma quila . †
ainſiaigry contre moy. Les Iennitzaires admirans laſageſſe de cet homme,
• •!
· luypromirent de faire tout ce †
voudroit, auecproteſtationtoutesfois
que Baiazeth ne tenoit la vie & l'Empire que de luy. Si bien que le lende
Mºrt d'Ach main toutes choſes eſtans pacifiées, Achmetretint touſiours la dignité de
† grandVizir
rir. minuées pour qu'ilauoit, ſes grades
tout ce qui & ſes penſions
cſtoit arriué. ne luyſon
Toutesfois ayans pointennemy
ancien eſté di
#
Iſaacayantinuenté de nouuelles calomnies quelque temps apres, & faict
-

| · reuiure parce moyenlahayne de Baiazeth quis'en alloit comme eſteinte:


il print vne nuict ſon temps plus à propos qu'il n'auoit faict l'autre-fois,
† & le fitmourir envnvoyage qu'il fit à Andrinopolis, temps apres †
§z qu'il eutfaictmouriràConſtantinople Caigub Schachus fils de ſon frere
; Zizim. -

Orpour reueniraux Iennitzaires,nonobſtanttout ce que leurauoit peu


, dire Achmet, ils ne laiſſerent pas d'eſtre fortirritez contre Baiazeth,lequel
i : Deſsin de d'ailleurs ſe ſouuenant de ce qui s'eſtoitpaſſé, & auecquelle audace furieu
† ſe & irreuerenceilss'eſtoient portezà l'endroict de la maieſté Imperiale,
2aires. le danger auquel il s'eſtoit veu, & la mauuaiſe conſequence que c'eſtoit
-|

-
pourl'aduenir : ilreſolutd'exterminer tous les Iennitzaires, & pour ce fai
reil enuoya de part & d'autreles plus mutins de ſesOfficiers,les vns en leurs
- Timarioths ou poſſeſſions, & les autres ſoubs couleur de quelque charge,
- faiſantcependant ſoubs-main cómandementaux Saniacs & gouuerneurs
des Prouinces de s'en deffaire, & les faire mourir oü ils les pourroient ren
contrer. Mais comme toutes choſes ſe deſcouurent, ceux de ſa cour enfu
-
Iceux
le dedela ſonà rent incontinentaduertis, qui fut encore occaſion de nouueaux remue
- - - A

§ " mens de ſorte que Baiazeth fut contrainct de faire entendre aux plus grâds
-
: -
de ſon eſtat †
auoitvne entrepriſe en l'eſprit qu'il deſiroitd'executer, &
-:

|
| | †
leurvouloit communiquer. Les ayant doncques faict venir chacun
· ſeparement & en ſecret,illeur declara qu'ilauoit deſſeing de faire mourir
-r
tous les Iennitzaires iuſquesàvn, leur demandantàtous s'il ſe pouuoit aſ
. ſeurer de leuraſſiſtance en cette entrepriſe, & s'ils iugeoient que la choſe ſe
# † peuſt effectuer.Que pour cefaire ilauoitfaictvneleuée ſecrette d'Accangi
-
-
-

† º (ce ſont auantcoureurs oucheuaux legers) parle moyen deſquels il †


KC8,

beroit de s'en deffaire, leur commandant à tous de tenir ce conſeil ſecret,


: -
· de crainte qu'il ne vintiuſques aux oreilles des Iennitzaires. .
-

•:
Comme ces choſes ſe traictoient ſecrettement, les Iennitzaires qui
--
· · · voyoient les Seigneursaller & venirainſiſiſouuentvers leSultan,contre la
-

· · · · - - - - - - - - couſtume
". -

, -·

i
r - ,- - : - *»

des Turcs, Liure ſecond. 187


couſtume, entrerent en deffiance, & comme ils ſe ſentoient coulpables
- pource qu'ilsauoient faictau paſſé, la conſcience les fit apprehender que
§ous ces conſeils ne fuſſenttenus cótre-eux & pour leurruine : enfin toute
laffaire fut deſcouuerte, & côbien que tousles autres Seigneurs fuſſent de . .
meſme aduis que Baiazeth,toutesfois Haly& Iſehenderles Michaloges re # †
§erentfort
ia n'aduienne&queferme
tu àmette
ce conſeil O tres-heureux
en execution Empereur,
vne entrepriſe diſoient-ils,
ſi eſloignée de, à§
ce deſſein &
leur reunon -
- ſtrance à Baia
toute raiſon : poſons le cas † tous les Iennitzaires qui ſont à Conſtanti-ººº
nople ayent paſſé parle fildel'eſpée,ne ſçais-tupas que toutes tesfrontie
res,tes munitions, tes places fortes, & toute ta puiſlance eſt entre les mains
des Iennitzaires ? que penſe-tu qu'ils doiuent faire apres qu'ils auront ſceu .
que tu auras maſſacré leurs compagnons à en queldangermets-tuton Em- .
pire non encores du tout bien eſtably Et quelle infamie ſera-ce pour ta
memoireàlapoſterité, d'auoirruiné par mauuais conſe lvne ſi puiſſante
domination ? Ie metais, diſoit Haly, de ce que ie ne croy pas que cela puiſ- -

ſearriuer, car ce ſont tous hommes de mainbien armez, & qui vendront,
iem'aſſeure bien cherement leur peauaux Accangi, s'ils ont iamais laſieu
rance de lesattaquer, ce que ie ne croy pas, car chacun ſçait l'inegalité de la
valeur & de la dexterité aux armes des vns & des autres. Ce ſera doncques
bien le plus ſeur pour toy ſi tu donnes congé à vne ſi dangereuſe en- .
trepriſe. - - - elºiſie per- - I| -

Baiazeth prenant de bône part les raiſons & les conſeils des Michaloges, †
chagea de deſſein,l'execution duquel deuoitinfailliblement réuerſertout §
l'EmpireTurc,tât pour les ſeditiôs qui en feuſſent arriuées,que pourauoir
perdu ſaprincipaleforce & ſonbras droict:comme doncques Halyſortoit " - .

d'auec le Sultan, les Iennitzaires, qui auoient eule vent de cette menée, Les ennitzai
commencerent àl'appellerflateur & Brekioflheor ou Scatofage, comme § " le
cltant de ceux quiconſeilloient de les maſſacrer#mais Haly ſanss'eſtonner
&aueclameſme magnanimité & prudence qu'ilauoit parlé à ſon maiſtre
Pourle diſſuader, il ditàceux-cy, mes compagnonsievous iure† l'ame
demon pere, qu'il ne vous arriuera rien de tout ce que vous penſez, oſtez · .
ces ſiniſtres o pinions de vos fantaiſies, car ce ſont toutes imaginations
Vaines de penſer que le Seigneurvouluſt faire vne entrepriſe qui §y ſeroit *

ſi preiudiciable, n'adiouſtez doncques iamais de foy à tous ces faux rap- La remora,.
| ports, carievous donne mateſte engage, qu'il ne vous arriueraiamais au-†.
cunEmpire
· cet mal de ce
luycoſté-là, les chefsdesarmées
conſeilloient de faire quelque&expedition
les principaux
pourSeigneurs
appaiſer de
le †ºº Cl CllQll .

: courage des Iennitzaires, & conſeruertouſiours en haleine leur vertumi


litaire & leur milice : Et de fait il nous a donnéaduis que chacun ſe tint
:
,-#

Preſt pour la guerre , car il auoit reſolu de leuer vne fort grande
armée. - - - 4 i

· Cecy haſta encores Baiazeth d'aller à Andrinople, où il auoit donné le #


rendez-vous, mais
Part, ne voulans quand
auoir rienſevint à camper,
de commun les Iennitzaires
auecle firent bande
Sultan (car ceſtleur à††
ordi-# d'auec
*
cur Sultan,

naire deſecamper toutàl'entour de ſa tente, leurbataillon eſtant ainſi au


» f • •, -

*, A a ij
-
- -
-

- - - - 5) | « * • . T

.. I88 Continuation del'hiſtoire


milieu de tout le camp) ne voulans point, diſoient-ils, s'expoſer à la miſe
ricorde de ſa cruauté,&attendre qu'onlesvint maſſacrer tout contre luy. ·
i
-
-|
-
Alors Baiazeth s'approchant d'eux; & quoy, dit-ilcompagnons, oü ſont
--"
vos places? quelchangement eſt cettuy? voulez-vous ſubſtituervnenou
• uellemilice : ne rendrezvous iamais d'obeyſſance ? faut-ilque ie ſois touſ
-- ioursaux priſes auecques vous ? A cela les Iennitzaires commencerent à
| criertous d'vne voix, Nous ſommes contraincts d'en vſer ainſi, car tu as
r
conſpiré contre noſtrevie, & nous veux faire tous perir : mais que ceux à
quitu as donné cette commiſſion viennent maintenant, car nous voicy
tous preſts à les receuoir : &là deſſus faiſans bruire leurs armes & les mon
Troiſieſme ſe- ſtransauxyeux de Baiazeth, ils faiſoientaſſez paroiſtre parleurs geſtes, la
•º § ferocité de leurscourages, & que leur ſangcouſteroit bien cher à qui leur
-
i .
" voudroitfaire perdre : mais luypour pacifier ces eſprits irritez & regaigner
leurbien-veillance leurreſpondit : Qui vous met ces impreſſions-là dans
lateſte à tants'en faut quei'aye ce deſſeing, que ie vous tiens pour mesaiſ
les & pour mon appuy, & vous iure parla ſaincte ame de mon pere, qu'il
, ne vous arriuera iamais ce que vous ſoupçonnez : tous mes conſeils deſ
quelsvous eſtes entrez en deffiance, ont eſté ſurvne guerre que i'ay entre
· priſe, & enlaquelle i'ay beſoin devoſtre valeur & ſecours : & vous voyans
à chaque bout de champ animez contre moy, ie conſultois les moyens
commentievous pourrois regaigner le cœur, afin devous employer apres
auecaſſeurance. - - - -

tes ºaſ #
A ces paroles les Baſſats & autres chefs & ſeigneurs du Diuan approche
† † rent pourfaire foyaux Iennitzaires, que Baiazeth n'auoit rien decretécon
† tre-eux à leurpreiudice, & qu'il n'yauoit aucune menée ny conſpiration
gncur. contre-eux, & partant qu'ils pouuoiét, en touteſeureté retournerau camp
prendre leur place ordinaire, & faire comme ils auoient accouſtumé, ce
u'ils firentàl'hcure meſine, receuans Baiazeth au milieu d'eux : ce fut lors .
, : # qu'ils'enalla en la Carabogdauie, & qu'ayant paſſé le Danube, il print le
- ||. - c§. chafteau de Kilim, & la fortereſſe d'Acgiramé, apresl'auoir tenuevn mois
· aſſiegée, tout cecy eſtantarriué enuiron lanmil quatre cens quatre vingts
deux & quatrevingts trois, & del'Egire, huict cens quatre vingts & huict,
" - Le rouuoir tres-remarquable à laverité, tant pourl'hiſtoire, quapour remarquer le
|
† pouuoir que les Iennitzaires ont en cet Empire, plus meſmes en quelques
res plus grand
† choſes, que les ſoldats Pretoriens à Rome du temps des Empereurs. Baia
Turqueſque
-

† zeth toutesfois ſe deffit par apres de tous ceux quilesauoient fauoriſez,en


§ tre
de autres
toutes de
ll111llS, ſescet Iſaac, dont nousauons parlé cy-deſſus, lequelil deſpouïlla
charges. " •

V I. · Mais l'année ſuiuante Caſſan le fils du Caraman qui eſtoit nourry à la


porte de Baiazeth, toute la reſſource de cette famille, eſtant mort, Baia
-
,zeth deſiroit infiniement, ſe vanger de cettuy-cy, qui auoit donné ſe
† cours, & ayde àſonfrere, & qui depuis ſa fuitte,s'eſtoit emparé de la Cili
† cie champeſtre, & des pays d'Armenie, & Cappadoce,iuſquesaumont de
1tion ded toute - » • r

§.a. Taur : mais voyant qu il ne pouuoit pas rentrer dans les pays conquis ſans
- - -

fIl1I1S . vne notable perte des ſiens, ayant penetré iuſques dans la Pamphilie, il
taſchoit

--------
-

· des Turcs, Liure ſecond. . 189 .


aſchoit de ſurprendre le Caraman, lequel ſe fiant trop à la force de ſon
pays & de ſonarmée,ilne ſe donnagarde que Baiazethl'ayant ſurpris à ſon
aduantage , il luy liura la bataille, en laquelle il fut vaincu
& oscis, & le
Turc pourſuiuant ſa pointe, exterminatout ce qu'il peut rencontrer de la
race Caramane, ſe faiſant ſeigneur de toutes les terres qu'elle poſſedoit, &
ce fut lors que la Caramanie deuint Prouince Turque.Apres cette conque
ſteil retourna à Conſtantinople, & fit baſtir à Andrinople vn Imaret, ou Baſimens de
hoſpital
lades pourhebergerles
& bleſſez, pelerins
queles Turcs paſſans,
appellét & vn &
Imarhane, autre
vn pour panſer
college pourlesenſei-
ma-§aA
drinople.
-
† les enfäs,mais tâdis qu'ils'occupoit à faire de nouueaux edifices,le feu
uygaſtoit le reſte de laville, quibruſlatout le marché des fripiers, qu'ils -

appellent Bitbaſar, & la place des TachtalCaula, ou Charlatans & ioueurs Gand embr,.
- - - - - 2 • || . ^ A

de paſſe-paſſe, oû les marchands auoient accouſtumé de porter ce qu'ils


- - · · "†drinople. *
auoient de plus pretieux,leſquels lieuxauecques toutes les marchandiſes,
furentreduites en cendre, cecy eſtant arriué enuiron le téps de cette grande
cclypſe de Soleil,quiaduintleneufieſmeiour du mois de Septembre qu'ils -

· appellent Muharan,
dit que les deux enl'ahnée
partsfurent milobſcurcies.
toutes quatre cens quatre vingts cinq, car on deGråde eclypſº
ſoleil. :
N

Quant à Baiazeth,ayantfaictreparer le degaſt que le feu auoit peufai


re, partit d'Andrinople pour alleren Moldauie, ilauoitfaictallianceauec Grandearmée
les Tartares, pourauoirplus ayſement laraiſon duVaiuode : de ſorte qu'a-§#
ucc vne multitude innumerable, tant de gens de picd que de cheual, &"
#* · vne flotte de trois cens cinquante vaiſſeaux, ilvintenuahir cette Prouince,
où il mittout à feu & àſang, printlaville de Chilliumauecle chaſteau, par . .
latrahiſon de MamalacChaſtelain, quilarédit toutesfois à condition que †
les habitans ſortiroient ſi bon leur ſembloit, vies & bagues ſauues : mais †
cette foy leur fut ſimalgardée, qd'outre ce qu'on leur fitmille indignitez,
Baiazeth en enuoya à Conſtantinople plus de cinq cens familles, ſans ceux
qu'emmenoient les Tartares : & delà † Turcs & les Tartares allerent de
compagnie mettre le ſiege deuant Moncaſtre,ville capitale de la Prouince,
que quelques-vns appellent Neſtoralbe, Kilim & Chermen, qu'ils prin
drent auparauant que le ſecours des Hongres, quele Vaiuodeauoitde
mandé au Roy Matthias, fuſtarriué: & tandis que les Roys Matthias de
Hongrie & Caſimir de Polongne ſont en different, à ſçauoir lequel des
deuxla Moldauie deuoit recognoiſtre pour ſouueraih, ils laiſſent perdre
cependant la Beſſarabic, des deſpendances de la Moldauie, où eſtoitaſſiſe A , .
cetteville de Moncaſtre,ſurles confins de la Tartarie vers le pont Euxin,& ge #
oùle Danubevient rendre ſontribut à lamer. L'année ſuiuante Haly Baſſa # " ºu -
Beglierbey de Romely,auecques grand nombre des ſoldats de l'Europe, |
des lennitzaires de la porte,Selictars,Spaoglans & Akenzisy firent encore
vne autre incurſion, d'où ils retournerent ſans auoir faict aucune rencon
treàAndrinople auecvnfort grandbutin : cela fut cauſe que le frere de ce
| BaſſaScender Michaloge,aſſiſté d'Haly Malcozogle y retournerent deux
&trois-fôis, la coururentauleng&aularge ſans eſtre empeſchez d'aucun,
& en rapporterent touſiours de grandes & riches deſpouïlles, & mirent
- Aa iij

> •

|:
º

19o . Continuation de l'hiſtoire


tout à feu & à ſang, tant les Princes Chreſtiens eſtoient lors occupez à leurs
querelles particulieres, & tantils auoient peu de ſoing du bien de la Chre
ſtienté. . • . -

--ii---"
-:

Baiazeth cependant s'eſtoit retiré à Conſtantinople, où apresauoir paſ


., ſé quelque temps en repos, il ſe reſolut de prendre ſa § du Soudan
# d'Egypte, qui par deſſus les vieilles querelles, auoit encore aſſiſté ſon frere
| º d'vne puiſſantearmée contre luyiilen donna doncquesla charge à Muſa &
à Ferhates Baſſa ſongendre,leſquels prenans † Soubaſſis & Tima
Mºgene - riots de la Natolie,aſſemblerent detres-grandes forces, & ſe vindrentcam
' rhates
§ per deuant la ville d'Adene proche deTharſe, en la Caramanie, oùl'armée
† du Soudan, quiauoit eule vent des appreſts de Baiazeth eſtoit deſia arri
*º" uée; en laquelle commandoient Diuidare (le grand conſeiller de Cati ou
Caith, ainſis'appelloit le Soudan ) & Tem quelle ſe trouuoit compo
ſée d'Egyptiens & de ceux d'Alep & de Damas. Les Turcs qui auoient eu
-
le deſſus des Egyptiens cn laquerelle de Zizim, croyoient qu'ils enauroiét
ayfement la raiſon, mais ils ne ſe ſouuenoient pas qu'ils combatoient alors
| 4
Les Mimelus pour autruy, & pour faire acquerirvn Empire à'vn autre. Au contraireil y
† alloit en cette guerre de leur vie & de leur eſtat : ioinct que la valeur & la
| |
† ſance
conduite
ICS.
d'Acomath n'eſtoitpasauxtous
des Mammelus,Circaſſiens, chefsTurcs,ny pour reſiſter
Chreftiens reniez à la puiſ
auſſi bien que
i
# les Iennitzaires, & deſquels les Soudans d'Egypte faiſoient leur principale
force, auſſi bien queles ſeigneurs Othomans faiſoient de ceux-là;auſſi n'e
| ſtoient-ils pas moins adroicts ny prattiquezaux armes qu'eux.Ceux-cyde
. , ſireux infiniemét de faire ſentiraux Turcs la force & roideur de leurs bras,
T† & d'effacerpar quelque ſignalé faict d'armes la honte qu'ils auoient receue
# † auecle Caraman, pour laquerelle de Zizim, ſans qu'il fuſt beſoing de les
--

ºvaincus. encouragerau combat, ſeruerentauectºlleimpetuoſité ſur leurs ennemis


-
t1C CC § tout ce qu'ils peurent faire que de ſe mettre en dcffence & les

• § , de ſorte que leur armée fut miſe en route, & la plus-part taillée
•º
- en pieces,entre autres le Baſſa Ferhatesgédre de Mahomet, & Muſa l'autre
priſe d.dene chef, auquelils trancherent la teſte, l'armée toute en deroute, & auecvne
† plusgrande confuſion,
& Tharſe furent
tiens. le prixd'autantqu'elle
du victorieux,eſtoit
qui demeurée ſans&chef,
furent pillées Adene
toutes de
--
· molies. - - -

, Baiazeth envne extreme colere, non tant pour la perte qu'il auoit faite,
i
† † pour ſevoir vaincu par celuy qu'il auoit meſpriſé, leue de nouuelles
§ forces
Egyptiens.
ſoubs laayant
Herzecogli, cqnduite
donnédeàMahomet
MahometHizir
toutesAga ſon gendre,
les forces & Achmet
qu'il peut tirer de
-

| : |!
l'Europe,le SultanCathiayant donné la charge de la ſienne àTemur Beg,
-
&àVſbeg: Ce Temur encorestout fier de la premiere victoire, & comme
Temur chef aſſeuré de la ſeconde,ne ſe pouuoittenir de direaux ſiens : Quelle preſom
:
d§ ption a cetterace d'Othomans, ou pluſtoſt quelle ambition deſeſperée eſt
|
# cette-cy, devouloir s'efforcer d'vſurper le bien d'autruy encore qu'il yaille
Turcs. de leur perte toute euidente, & mettre au hazard leurvie,leur honneur &
· • ' leur Empire, eux que nous tenons pour les plus vils & abiects de tous les
hommes

l,' º ' !
"
|
|
- | i
des Turcs, Liure ſecond. 191
hommes contre les Circaſſes Mammelus, les plus redoutez de l'vniuers?
c'eſt mettre enteſtevnloup deuant vn lion ;vngoujat à vn capitaine , ou
pluſtoſt, n'eſt-ce pas faire voir qu'ils ſont ennuyez de viure, puis qu'ils ex
poſent leurvie à ſibon marché? nousauons battu leur maiſtre deuant qu'il
paruint à ſa telle quelle domination, les contraignans de retirer cette
grande armée, qui ſembloit ſuffiſante pour faire tremblerl'enfer,& depuis
peu de iours deuantla ville d'Adene, n'auons-nous † taillé en pieces cet
teracaille d'eſclaues, & mis à mortleurs chefs, dontl'vneſtoit des plus che
. ri de Baiazeth,comme eſtantſongendre?&toutes-fois envoicy encorevn
autre queievoycourir lameſme fortune,&quiſeruira de nouueautrophée
ànoſtrevaleur.Si vous-vous ſouuenez que voicy deuâtvoºlalye de toutes
nosarmées, quiayans ſecoué le ioug de noſtre domination (ayans ſilong
temps combatu ſoubs les enſeignes de noſtre grandAladin,le pere de leur -

bonne fortune)veulent
ſtres, ains maintenants'eſgaler,
meſmes lesveulent non ſeulement
chaſſer de leur domination, à leurs mai-
& s'emparer de Ildiſoitcecy
cauſe de ce
'
qui a eſté re
leur heritage, eux qui encores ne ſont que baſtards d'Amurath, comme †
tiennent ceux quiſçauent le plus ſecret de leurs affaires.Allons doncques, #
mes amis, donner dedans cette racaille, & qu'iln'en reſtevn ſeul pour en
aller dire des nouuelles à ce caſanier d'Empereur, qui n'oſeroit ſortir de
Conſtantinople, pourvenir deffendre les ſiens : i'ay ſeulementregret qu'il
nous faille employernosarmes contre deſiviles creatures, carie voy bien , -

que le baſtonyſeroitplus propre quel'eſpée, ſi ce n'eſt pour les extermi-† mur ou Temir

ner, carie m'aſſeure que ce ſera-làvoſtre plusgrandtrauail,n'ayans pas laſ †º


ſeurance de ſouſtenir les premiers efforts de voſtrevaleur, ny # fureur de †
voſtre regard:
que chôſe que ſiàtoutcequeieviens
dumien,lenomdeTemur de dire,leurruine,
eſtfatalà i'y dois adiouſter quel-§
& particuliere- ruina l'Empits
des Turcs,
mentaux Baiazeths. - - -

Mais Mahometle Beglierbey de l'Europe,quideſiroit effacer la honte


deſonpredeceſſeur, & † § acte de proüeſſe ſignalée, faire paroi
ſtreàſonbeau-pere qu'iln'auoitrien deſicherque lagrandeur & la gloire
deſamaieſté, alloit remonſtrantaux ſiens qu'ilfalloitaumoins à cette fois
reParer les fautes paſſées, & par vne genereuſe emulation, faire en ſorte
† leur ſei gneur creuſt que la perte de l'autrebataille venoit de la mauuai
econduite des chefs, & non de leur courage, auſſin'yauoit-il nulle appa- • • •

rence queleſoldat del'Europe fuſtvaincu de l'Egyptien,le Iennitzaire du . '


Mammelu : que ceux qui auoient vaincutant d'années, pris tant de villes, #
receutant
enforce &de recompenſes
envaleurà vne de leurgrand
poignée Mahomet,
d'Egyptiens, cedaſſent
plus maintenant
empeſchez à com- †º { OIA A1IIl©º»

:
batrelesondes duNil, &à recognoiſtre ſes cataractes, qu'à repouſſer &
: combatrevnearmée, ou bien à la conduire : Qu'ils combatoient encores .
commandezparvn Mahomet, bien diſſemblable à laverité de grandeur,
demaieſté & de bon-heur, de cet inimitable qui iouyſſoit lors de toute
felicitéauecle † Prophete, mais quienzele, en affection, en obeyſ
ſance&en vigilancenevoudroitceder à pas wn des mortels pour exalter la
#ºsſede ſonfils,quepuisqu'ils combatoientſoubs meſmes enſeigncs
- - i ·

l" |
i •
| | | 192 Continuation de l'hiſtoire
" n - - |

: # ,
|
, & ſoubs meſmesauſpices, qu'ils'aſſeuroit (ſi chacun d'eux vouloit com
: r | batre)d'acquerir encore plus d'honneur qu'Acomath Geduces,quilesme
·# #tit *| nabattant comme il voulutàlabataille du mont Taurus, car ſa fideliténe
à
.
| :
| -
,
dura que pourvn temps,&laleur dureroit iuſques au tombeau : & ſiaude
, : l, * ſir, qu'ils'aſſeuroit qu'ils auoient de faire preuue de leur valeur, ils vou
J " ,
#-
|
loient conioindre l'eſpoir de la recompence, qu'ils ſe ſouuinſſent qu'il y
: -

| 1 - auoit autant de difference du pillage en la conqueſte de l'Egypte, & en la


· !
' ,
1
-- . '
# •
priſe de lagráde cité du Caire, entre toutes les Prouinces #auoient iuſ
· · | ques alors conquiſes, commeilyauoit de la Prouince de la Pouïlle à celle .
||
| -

· de la Grece, & delaville d'Ottrante à celle de Conſtantinople. Or legain


* , de cette bataille ouuroitles barrieres & leur donnoitvne ſeure entrée dans
|| | -
cetteriche contrée, & qui plus eſt donnoit à leur Seigneur l'Empire ſur
| | tousles Muſulmans, n'yayant que les Sultans en ce temps là qui leurs tinſ
| | | | | | ſentteſte, & quiayans ſuccedéaux Califes, ſe diſoient les chefs de la Reli
| |
gion : de ſorte que cette victoire apportoit aux Turcs le plus grand hon
| | | neur qu'ils euſſentiamais ſceu obtenir, les rendans ſouuerains aux choſes
| | |
" •
" . ſpirituelles, comme ilsl'eſtoientaux temporelles.
Toutes ces belles raiſonsanimoient aſſez le courage des ſoldats tandis
| j | qu'on les leur diſoit, & les fit parauenture plus longuement opiniaſtrer
' ,! -
· | contre les forces des Mammelus: mais les nations de l'Aſie, contre leſquel.
'.
1.
"

#|• les ils s'eſtoient premierementaddreſſez, n'ayans peureſiſteràlafureurdes


-
-

| Egyptiens (comme elles ſont ordinairement plus molles & plus effemi
4 !
| |
-

|
|

1er ,rs nées)s'eſtansmiſes enfuite, donnerentl'eſpouuente àtoutlereſte, ſe ve


-
4 -

§ ## nans ietter dans les trouPpes Europeannes , qui n'auoient point encores
|
d s ile confonduleurs rangs, car la frayeureſtant la plus prompte, la plus ſubtile
La frayeur,va- &la † vapeur qui puiſſe courir dans vne armée, & qu'il ne
† faut 1en ſouuent qu'vn poltron pour faire perdre tout le reſte : ceux-cy
--

| | | ·-- mée. oſterent tellementtoute cognoiſſance à leurs compagnons, que chacun


|
prenant la fuite, ils ne penſerent plus qu'à ſe ſauuer, les vns deçà les autres
i i ! delà, mais ce ne fut pas ſans vn grand maſſacre, & ſans que pluſieurs des
, ! |
#
|

. † leur dcmeura
2ecogli mené 1etlr # nnierIS §ennemv,
demeuraſſenttprilonn1 my, entre autres le Baſſa Herzeco
CO

- '! e 1
--
†" gliquitomba de ſon cheual, & quifutportéàVſbeg, & depuis mené en
., , ... triomphe au grand Caire auccques vne fort grande quantité de butin :
| | |
- i,
†" on dit que de centmilleTurcs qu'ilyauoit en cette armée, il n'en deºeura
# . -

| :
, |
. ,
- pas le tiers : -- . : · • ·
"a

t -
- |
A ... , Baiazethtoutesfois quine ſe pouuoittenirpourvaincu,delibera deten
l
c§ § E terencoresvne autre-fois le hazard du combat,& pour cet effectilleuevne
-

º" troiſieſmearmée , de laquelleilfit chefDauid Baſſaſon grandVizir,&au


| .. quelilbailla quatre mille Iennitzaires,& toutes les autres gardes Pretorien
! #t : ! nes,(ainſi appelle je ceux de laporte)enreſeruant vn bienpetit n6bre pour
# luy, † il ioignit la meilleure partie des forces de l'Europe, &
pluſieurs milliers de § dela Natolie, & Haly Baſſa Eunuque & Be
glierbey de l'Europe pourcompagnon en cette guerre, leſquels ayans paſ
ſéle deſtroict de Gallipoliauecleurartillerie, & vne infinitéd'autres armes
offenſiues,arriuerentſurlesconfinsdelArabie en la contrée des Negres
Qb !

7
--

|
\ f> 3
" • des Turcs, Liure premier. ,
-

I93
où Aladulvn Prince Mahometan, ſeigneur de cette contrée que lesTurcs ..de
appellent Dulgadir Dulcadir » encloſe entre les montagnes deCapado-l, Situation
-

O ll
-

#*
ce,ayant du coſté de la Syrie, qui obeyſſoitau Sultan du Caire, laville de "
Halep, vers les Perſesl'Armenie mineur, deuers le rure Amaſie , deuers la
Caramanic Adene & Tharſe. Ce Prince ayant aſſemblé les forces de ſon Les Vaccenſes

ays , ſeioignit au Baſſa Dauut ou Dauid, afin d'aller de cópagnie enuahir §


† Mores : Quantaux Egyptiens ayans laiſſé là Halep, ils ſe retirerent plus †"
auant dans leurs confins, mais comme les Turcs ſe diſpoſoient à la con
queſte du pays, Dauutreceut vn commandement de Baiazeth, de quitter
cette guerre, & que licentiant ſon armée, il ſe retiraſt deuers luy, toutes
fois ce fut en s'aſſubiectiſſant auparauant les Vaccenſes, qu'on appelloit
Piſides, nation fort farouche & barbare, adonnée au pillage & au larcin,
ſur laquelle auoit autre-fois commandé Turgut, duquel fait mention
Chalchondile au cinquieſmeliºre ayant eſté des deſpendances de la ſei
gneurie du Caraman, reduite lors en prouince, &appellée desTurcs Ca
ragoſe, & n'ayant peuſe rangeriuſquesalors ſoubsl'EmpireTurqueſque.
Le Baſla Dauuts'eſtant ſaiſi des † & plusgrands d'entre-eux qu'il
mit en priſon, ils'accordaaueclereſte dupays,ce qu'ayant faict, ils'enre
tournatrouuer Baiazeth, quiaumoisSceual, s'enalla à Andrinople, où il
demeura quelque temps.
C r de § pourquoy il reuoqua ſf promptement ce Baſſa lors meſme
- -

VII.
qu'il eſperoit de faireles plus belles choſes par le moyen de ſa nouuelle al
liance,ilſeroit peut-eſtrebien-malaiſé de le particulariſer, car ilauoit faict
Paix auecles Moldaues : en cette meſme ſaiſon, dit Leonclauius enſesan-r. e,s,
nales, & toutes choſes eſtoientaſſez paiſibles partoutes ſes ſeigneuries, ſi †
cen'eſtoit qu'ilredoutaſt encores ſonfrere, car ſelon le dire de Comines, §.
ce Baiazeth avant
y eſté homme de nulle Vvaleur , & qqui n'entreprenoit
5 p la queſtes.
†"
guerre † regret, il eſtoit en perpetuelle crainte : car comme nousauons
dit,ſonfrere ayanteſté ramené de France à Rome,le Pape Innocentl'ayant
demandéau grand maiſtre d'Ambuſſon, à la charge de luy donnervn cha- Le passiºns
Peau de Cardinal : cela auoittellement mis en ceruelle Baiazeth,qu'il auoit !#º
ºugmenté la penſionau Pape qu'ilbailloit augrand Maiſtre, & comme il †
auoitdes
ſonfrere,eſpions detoutes
mais encores parts
pour pourveiller,non
s'enquerir ſeulement
des deſſeings de touslesactions de "
les Princes § Zizima

qui pourroient fauoriſer ſon party : ſçachant l'entrepriſe du Roy Charles


VIII.ſurle Royaume de Naples, & que de là on donneroitſurla Grece,il
aimamieux ſe deporter pourl'heure de la conqueſte de l'Egypte,&n'auoir
† deux ſi puiſſans ennemis ſur les bras, car pour luy augmenterſà peur Aduertiſſe
e Pape Alexandre, qui auoit ſuccedé à Innocent, & qui auoit quelque § #
particuliereinimitié contre les François luyauoit mandé par cet Eueſque †**:
#uciardo, que toute leurintentionn'eſtoit, apres s'eſtre emparez de l'Ita
lie,de paſſerauſſi-toſt en la Grece : que quant à eux ils n'auoient faute ny
deſoldatsny denauigage,ains ſeulement d'argent, queſiluyvouloit four,
mirauxfrais de la guerre, qu'il ſe pouuoit aſſeurer apres d'auoir la ville de
Rome, & le Royaume de Naples pourrempart à la ſeigneurieBb des Otho •-,*
|

· I94 . Continuation del'hiſtoire


· mans : Baiazeth remerciale Pape, de ce queluy quitenoit le plus haut de
ré de la Chreſtienté, l'euſt toutes-foisaduerty de ſibonne heure de cho
ſes de telle importance, luy qui eſtoit eſtranger & de croyance ſi contraire
-
† àlaſienne, qu'il luy feroit tenir argent par Daiitio ſon Ambaſſadeur, &
; ---
§ luy feroit quelques deſpeſches ſecrettes : ſur ce ſubiect Paule Ioue dit,
qu'entre-autres charges & inſtructions ilyauoitvne lettre eſcrite en Grec,
par laquellel'Empereur Turc perſuadoit fort artificiellement au Pape de
faire empoiſonner ſon frere, à la charge de luy faire vn preſent de deux
Et les preſens cens mille ducats, illuyauoitmeſme enuoyé deſia auparauant, le fer de la
"" lance,auecques lequelle coſté denoſtreseigneur fut percé, & l'eſponge
| & leroſeauaueccondition de ne prendre iamais les armes contre les Chre
| , ſtiens, s'il n'y eſtoit fort contrainct. -

| |
i t - º
- G † & Daütioayans heureuſement nauigé ſur la mer Adriatique,
lors qu'ils prenoient port pres d'Ancone, leurs vaiſſeaux furent pris par
: 1

† Iean dela Rouerefrere du CardinalIulian, qui s'eſtoitmis en embuſcade à


| | | ,
§ la Sinigaglia, place de ſon domaine, ſoubs pretexte de quelque argent que
l, -
" le Papeluy deuoit, lequelextremement indigné de cette iniure, le mena
çoit de ruine de corps & d'ame parſes excommunications, & par la raiſon
| | | qu'il deſiroit luy en eſtre faicte par les Venitiens, comme eſtant de leur de
| | | | uoir que lesTurcs ne fuſſent outragez ſurtoute cette merlà; toutes-fois il
1 ! t 1 ne recouurarien de cet argent, Roueretenant le party François, & s'aſſeu
, # rant ſurleur ſecours,ſe retiroit ſur les marches d'Ancone en attendant leur
|

: - -

arriuée en Italie.Quantà DaütioTurc,ils'enfuit à piedà Ancone, & delà


'
| , | |
montant contre le Pau ſurvnebarque, ilfut conduit à Franceſque Gonza
-- -

† gue, Marquis de Mantouë qui le renuoya en la Grece l'ayant receu be


| | | †º nignement, donné del'argent, & reueſtu d'vne robe pretieuſe, à cauſe dit

, •
| : Paul Ioue, delamitié qu'ilauoit contractée auec Baiazeth,parmutuelleliberalité de
-- # ,
i ; | pluſieurs preſens. Cecy, dis-je, pourroit bien auoir incité Baiazeth, à retirer
'
4 - #! . .! ce Baſſade ſon entrepriſe.
Mais il n'auoit que faire d'entrer en apprehenſion, car les Chreſtiens
| i faiſoient bien mieux ſesaffaires qu'il ne les faiſoit pas luy-meſme : car les
| | | | Grecs, Sclauons, Albanois, & autres qui gemiſſoient ſoubs le faix de la
- |! -

*
, | |
tyrannieTurqueſque, voyans les heureux ſuccez de noſtre RoyCharles
huictieſme en Italie, que tout flechiſſoit deuant, & que d'ailleurs ce grand
-

|| |
Prince aſpiroitàl'Empire de Conſtantinople,le ſollicitoientauecquesim
|
" patience à ſon entrepriſe, laquelle l'auoit faict opiniaſtrer, en traiétant
| | |
auecle Pape Alexandre, d'auoir en ſa poſſeſſion Zizimfrere de Baiazeth,
| | # ! mais la mort ſoudaine d'iceluy eſtant arriuée, comme nous auons dict, le
Royne changea pastoutes-fois de deſſeing, ains enuoya en la Grecel'Ar
cheueſque de Durazzo, Albanois d'origine, pour conduire & faire reuſſir
vne entrepriſe qu'on auoit ſur Scutari, auecle S † Conſtantin Grec
-1*
|i !
1 * º . -

i , |

# # | Eau pris , de nation,& depuisgouuerneurde Montferrat,leſquelsauoientintelligé


- §. çe dans laville : mais ceux qui deuoientle plusfauoriſer cette entrepriſe, &
| les Venitiens
pour leurintereſt particuliery preſterayde & faueur(ie parle des Venitiés)
# ,
"e furentceux quivoulansgratifier Baiazeth, & luy donnerlespremiersl'ad
· . - uis
|
# ! 1

# |
|
| | |
| | | !
+
|
A"

- des Turcs, Liure ſecond.. I95


: uis de la mort de ſonfrere, deffendirent † paſſaſt lanuict entre
les deux chaſteaux qui fontl'entrée dugo phe de Veniſe. Orfirent-ils cet
te deffence la nuict meſme en laquelle l'Archeueſque deuoit partirauet .
! | force eſpées,boucliers, iauelines & autres armes, pourarmer ceux dont il · * , * ,
·
auoit parlé : de ſorte qu'il fut pris & reſerré dansl'vn deſdicts chaſteaux, & .
ſes papiers fouïllez, parleſquels lesVenitiens informez dufaict, enuoye
rentaduertirles garniſons du Turcaux placesvoyſines.. . | 3
En ce meſme tempsvnſeigneur Hongrois, quelesTurcscppellent Ia
choſchie ou Iachſogli, fut enuoyé en Ambaſſade par le Roy Matthias vers
| Baiazeth; cettuy-gy eſtoit ſeigneur de Baxe, aſſiſe ſur le Danube, cette fa
mille des Baxes eſtanttenue entreles illuſtres en Hongrie, Baiazeth le re
ceut & le traictafort honorablement, & le congediant luy fit preſent de ri
ches robes de drap d'or, & d'vne bonne ſomme d'argent : cettuy-cy eſtant
party d'Andrinopoli, comme il fut proche de Senderouie, il fut ratteint ..
par vngendarme Turcnommé Gazes Muſtapha, qui ſe tenoit en ces quar- d†
tiers là, lequel monté àl'aduantage, courut à toute bride contre luy, luy"º
donnanttant de coups ſurleviſage & en la teſte, qu'il en mourut ſur la pla- .
ce, commeauſſi Gazes fut mis en pieces parles gens de l'Ambaſſadeur; on
dit que la querelle vint de ce quc quelques années auparauant cetAmbaſſa
deurauoit pris priſonniers Gazes & vn ſien frere, puis ayant faict arracher
toutes les dents à Gazes,ilauoit tranſpercé le frere d'vne broche defer, &
contraicct Gazes de tourner cette broche au feu, tant l'homme eſtvne -

cruellebeſte,quandletranchant delaraiſoneſtmanié parlapaſſion. Bon-#.#


finius toutes-fois ne faict aucune mention de ce Iachoſchie, de ſon Am-§.
baſſade,ny detoute cette hiſtoire,bien qu'ilait eſcrit amplementl'Hiſtoi
re de Hongrie, cela neantmoins eſt rapporté parlesannalesTurques. Ce
futauſſi ence temps que Baiazeth fitla dedicace de ſon Imaret qu'il faiſoit feſtin magni
à Andrinople, parlacelebration d'vnfeſtin, où ſe tinttable ouuerte, à ri- †
ches, pauures, ſains, malades, mendians, vlcerez, & enfin toutes ſortes "
de perſonnesy furent les bien-venus, tant bons que mauuais, ſelon leur :
couſtume les Turcs appellent cela Conocluc,deuant cet hoſpitalilyauoit
des œconomes & adminiſtrateurs des œuures pieuſes, qui receuoient vn
chacun, mais principalement les malades & les † conduiſoient
aux lieux quileurauoient eſté deſtinez tout cecyaduintlan de grace 1489.
& de Mahomet893. . -

Quant à Baiazeth ils'en retourna dans ſa ville de Conſtantinople enſon y I I


reposaccouſtumé, ne ſe ſouciant que de la chaſſe, & paſſant ainſi le reſte 0

de cetteannée: mais au commencementdela ſuiuante,ne pouuant oublier -

les pertes qu'il auoit receuës des Mammelus, il leuavne § belle & puiſ #
ſante
Haly armée
Baſſa, qu'il n'auoitfaict
pourmarcher encore
contre auparauant,
le Sultan, de laquelle
cettuy-cy il fit general
ayant ramaſſé gens # ºl006lU15,

de toutes parts, employa cette année, & la ſuiuante à forcer quelques


places que le Sultanauoit priſes ſurlesTurcs, entre autres il mit garniſon
enlavilled'Adene de laquelle ilrebaſtit le chaſteau, & continuant ſes vi- . -
ctoires,ilprintſept fortereſſes ſur les Egyptiens. Quant à eux ayans paſſé
- - - Bb ij
| 196 · Continuation del'hiſtoire
-
lamontagne que lesTurcsappellent Barcas, ouleTaurus de la Cilicie, ils
rencontrerentaudeuant des nauiresTurques les voulans deuancer, mais
Rencontre l'armée desTurcs leur voulant empeſcher le paſſage,ilsvindrétaux mains:
-|


† oû durant leur combat, il s'eſleuavn vent ſi violent que les vaiſſeaux s'e
- § E§e ſtans froiſſezles vns contre les autres, pluſieurs ſe briſerent, & lesautres pe
---

rirent du tout. L'Egyptien eſtant doncques party de là, ſon armée ayant
•! - choiſy lieu plus propre pour venir affronter leurs ennemis, ils paſſerent
j deux grands fleuues à nage; & le huictieſme iour du mois Ramadan qui eſt
le mois de May, vn Vendredy, ils vindrent ſurprendre les Turcs, non de
front, mais à coſté del'aiſle droicte, ce qu'ils faiſoient afin de mettre plus
ayſement enroute les trouppes Caramanes, en cette aiſle eſtoientauſſiles
|
- ſoldats de la Natolie. - , ' , ' , ' -

| Ceux-cy auec le Beglierbey, comme ils ne peuſſent faire front aux


Egyptiens,nyreſiſter à leur impetuoſité, rompirent tous leurs rangs & ſe
mirent enfuite taſchansd'euiter la fureur de l'ennemy, auec telle eſpou
· - uente, qu'vne trouppe ne regardant pas où alloit l'autre, chacun en ſon
\o

# Autre rencon particulier taſchoit à ſe ſauuer: de là les Maures vindrent attaquer l eſca
nb • 1 " - - -

§ § dron Turc, mais les Iennitzaires le ſouſtindrent auecques beaucoup de


| , †
combatu cha - courage & de valeur : ceux-cynyles ſoldats de l'Europe,quoy qu'ils viſſent
ºp#s leurs auxiliaires malmenez auoient touſiours tenu ferme,toutes-fois ſans
|
vaincu ſans l'e
| § bouger par laruſe des Egyptiens, leſquels auoient donné ordre d'aſſem
| # º"?*
blervn grand nombre de cheuaux qu'ils auoient rangez en forme d'eſca
Ruſe & ſtrata- dron, auſquels ils baillerent des lances & de grandes platines de cuiure, ac
§ commodées d'eſtain : de maniere que le ſoleilvenant à rayonner deſſus, ils
· Ptiens.
paroiſſoient de loing des hommes armez, comme auſſi les Turcs qui les
croyoient eſtretels, n'oſoient branſler, craignans que cette trouppe de ca
-

-
ualerie ne vint ſeruerſureux, mais quandſevintàbon eſcicnfau combat,
les Egyptiens trouuerent bien d'autres courages & d'autres armes, Haly
Baſſa, & tous les ſoldats de la porte ayansvaillamment combatu iuſques à
deux heures apres midy. - -

Les Egyptiens voyans qu'ils ne pouuoiétrópre,& † n'auoiét encore


obtenu aucun aduantage ſur eux,ains au cótraire, qu'ils ſe môſtroientauſſi
frais que s'ils n'euſſent combatu de toutleiour,ils § la retraicte, &
- ſeiettans à nage dans le fleuue, ils paſſerentàl'autreriue, & vindrent à leur
: | camp qu'ils trouuerentvuide de chariots & bagage, car ceux qu'ilsauoient
laiſſezaucamp, voyans les deux armées aux mains, & craignans que ceux
deleurpartyne fuſſent les plus foibles, penſans à leurſalut, & de ſe met
º tre en lieu deſeureté,ſe retirerent delà: ces Maures doncques fugitifs, eſtás
'" arriuez au bord de la mer, rencontrerent l'armée de mer, car il n'y auoit
·
moyen quelconque de paſſer par vn autre endroict ; mais les Turcs qui
Le bagage des - -

·
§ eſtoient dans les nauires,voyans & recognoiſſans les chariots & le bagage
fIlCUIIC auX
-

Turcs. de l'ennemy, ſortans de leurs nauires ſe vindrent ruer ſur eux, leſquels in
continent mis enfuite, quelques-vns d'entre-euxpaſſerent parle fil de l'eſ
pée, mais au moins le butin y demeura. Quant àl'armée des Egyptiens,
que nous auons dicte s'eſtreretirée enſon camp, layant trouuévuide, &
la

-|.:
:
l.l 1 ;
des Turcs, Liure premier. 197
· la fuite de leurs compagnons, ne ſçachans ce qu'ils en deuoientiuger,com
· mencerent à conſulter dela fuite. " • • • • - - -

Le Baſſa Haly d'autre coſté, & les principaux de l'armée desTurcs,pen


ſerent pourlieu,
que le plus ſeurence
ſter pluslongtémps eux,eſtoit pluſtoſt
& afin de n'eſtredepoint
deſloger, que de duba-§
embarraſſez s'arre- # † 4l à ..

gage,& pouuoir faire


tes & leurartillerie & ſeleurretraicte plus facilement,ils
mirent enchemin, laiſſerentleursten-
laiſſans des garniſons & choſes . • ••

neceſſaires aux chaſteaux qu'ilsauoient pris en cette contrée, & ainſi che
minans toute lanuictiuſques aumatin ſans qu'ilendemeuraſtvn derriere,
ilsaduancerent pays tant qu'ils peurent les Mores euſſentauſſifaict le ſem- .
blable, ſansl'aduis qu'vnVaccenſe leur donna que les Turcs ſe retiroient
en deſordre, ce qu'ayans ſceu, ils monterent incontinent à cheual dés le
poinct du iour, diſcourans entre-eux que cela vouloit dire, & eſtans en
grande peine, ſi ce n'eſtoitvne ruſe & vn ſtratageme de l'ennemy, demeu- Le camp des
rans en cet eſtat plus de trois bonnes heures, qu'ils n'oſoient paſſer au delà T§ #
du fleuue, iuſques à ce qu'ils euſſentenuoyé pluſieurs eſpies, leſquels ayans †º
diligemmentrecogneu toute la contrée,& n'ayans faict rencontre d'aucun
ennemy, vindrent en faire le rapportaux leurs, leſquels ayans hardiment
paſſéau delà,allerenr en aſſeurâce au câp des Turcs,& trouuerent leurs ten
tes toutes vuides, où ils demeurerét trois iours, ſans qu'ils peuſſent deſcou
urir oû lesTurcs s'en eſtoient fuis, faiſans bonne chere des prouiſions que
les Turcs yauoient laiſſées : ils s'en allerentà la prochaine ville qu'ils fou
droyerentauec ſon chaſteau, de leur canon &artillerie. Les Turcs cepen
dant quifuyoientauecques le Baſſa, & les plus grands de cette armée, arri- -

uerent enfin ſur les confins des Vaccenſes, deſquels ilne ſe peut direcom-†"
bien ils receurent d'affronts & d'iniures, eſtans deualiſez & mfaſſacrez par #º
eux, plus cruellement qu'ils n'euſſenteſté de leurs propres ennemis, bien º
que ceux-cyleurs fuſſent confederez : finalement ils arriuerent à Ereglia,
cité de la Carie, iadis Heraclée, où s'arreſtans pour quelque temps, ce fut
lors qu'ils recogneurent combien leurarmée eſtoit debilitée & diminuée:
ce futauſſi là qu'ils receurentvn commandement de Baiazeth, par lequel
il commandoit au Baſſa,&aux chefs de l'armée delevenirtrouuer,ce qu'ils -
·!

firent; &l'arméeayant encores demeuré quelques iours à Ereglia, fut fina-H , conu -
lementlicentiée : c'eſt ainſi que Leonclauius raconte que cette guerre ſe #º•
paſſaſoubs Haly Baſſa, toutes-fois quelques-vns ont dit que Haly mit les "
Egyptiens en route, † voulut pas permettre à ſes ſoldats de les
† , de crainte quele deſeſpoir leur fit reprendre lesarmes, & que
onbon-heur ſe changeaſt, penſant s'eſtre acquis aſſez de gloire, d'auoir A -
.
mis ſon ennemy enfuite, de ſorte que remuant ſon camp de là, il ramena
ſon armée en la maiſon. Or en § façon que cette affaire là ſoit paſ
ſée,HalyBaſſan'yacquitpasgrand honneur: carl'Egyptien voyant larmée
des Turcs rompuë, & qu'il n'y auoit plus rien en la campagne quiluy fiſt
teſte, il mitleſiege deuantlaville d'Adene, qu'il print bien peuapres.
Baiazeth parmy toutes ces deffaites, ne partoit point de ſon Serrail à IX.
Conſtätinople que pouralleràla chaſſe, mais maniät toutes ſesaffaires par
- Bb iij
-
-

i".
-

|
-

- © © - - ) © - e .. Tº

198 Continuation del'hiſtoire -

ſes Lieutenans, cette guerre contre les Egyptiens luy ſuccedoit aſſez mal:
carlesTurcs ne vont iamais debon-cœurà la guerre, que lors quel'Empe
||
i|-'
| LesTurcs veu
reur marche quant & eux, ſi ce n'eſt quelques courſes & rauages qu'ils font
arles Prouinces, mais on aveu rarement qu'ils ayent faîct de grandes con
- l
lent eſtre con -
duicts à la
queſtes ſans leurSouuerain, & ſans vne armée Imperiale,ſice ne ſont quel
#§ par leur ques petites villes oubiquoques de petite conſequence, mais la nature de
IlllCC»
cet Empereur eſtant toute† au repos & à la volupté,voyla pourquoy
- ,: | il ne combatoit que parl'eſprit, & par les bras d'autruy, toutes-fois ayant
ſceu qu'Aladeuls'eſtoit rangé du party deſonaduerſaire,il péſa qu'il pour
roitbien auoir la raiſon de ce petit compagnon : & pour cetteraiſon ilde
-

† peſcha Budac Saniac de la Caramanie, Mahomet Baſſa fils de Hizir, &


- § Scender Micalogle , Saniac de Caiſarie, auecques vne tres-belle armée,
ruiner entierement ce petit Roytelet,auparauant que ſon confederé
†oureuſt
|

donner ſecours.Et cóme au premier cóbat que rendirent les gens


Les Turcs ar
d'Aladeul,les Turcs euſſent pris ſon fils priſonnier, ils luy arracherent les
rachët lesyeux.
au fils d'Ala
yeux; ce quelepere ſçachant,il fut tellement irrité, qu'employant le verd
deul. & le ſec, il ſe reſolut de vanger cette barbarie au peril de ſa vie & de ſon
-
, eſtat; & ayanttiré du ſecours des Egyptiens, illiuravnc tres-cruelle bataille
aux Turcs, en laquelle luy & les ſiens ſe comporterent ſi valeureuſemcnt
|
Autre bºuille ºlº les Turcs en deſroute, Budacfut contrainct de tourner le dos,Scender
! § Micalogle eſtant pris priſonnier & mené au Caire, cecy aiuint l'an mil
contre Ala .
i• §tre quatre cens quatre vingts dix.
"sº" | Laperte de cette bataille fit trembler lesvoyſins d'Aladeul, de crainte
qu'ils auoient qu'il ne ſeiettaſtſureux, & ne s'emparaſt de ce qui eſtoit en
ces contrées là ſoubsl'obeïſſance desTurcs, lequel Aladeul, bien qu'il en
Aladeul refuſe cuſt la penſée, laiſſa perdrel'occaſion de ſa grandeur, & n'entreprint rien

-
-
ſa bonne for
tllIlC,
d'auantage, & ſe retira enſon pays. Mais le Soudan ſe ſeruant de cette de
route, enuoyaſonarmée en la Caramanie; & toutes-fois comme il eſtoit
--

homme paiſible, & quine deſiroit ſeulement que conſeruer le ſien, en


º
· nuyé d'vne ſilongueguerre, encores qu'ileuſt touſiours eu l'aduantage : il
#
gypte recher-
aima mieuxtraicter de paix comme vainqueur, que de la demander com
- 2 - -

- # § à me vaincu; de ſorte qu'il enuoya vn Ambaſſadeur à Baiazeth pour cet


(oh aduâtage. effeét.

Luy ſe voyant recherché par ſon ennemy, iugea que quelque grande
-- neceſſitéleforceoitàcetaccord,voylapourquoyne voulant point enga
ger ſa parole, de crainte que quelqucbonne occaſion ſe preſentaſt, de la
quelle il ne peuſt ſe ſeruir, renuoya cette Ambaſſade, ſans vouloir ſeu †
Miuu dºi, lement donneraudience,auecvnfortgrandmeſpris,laquelle s'enretour
† navers le Soudan : quiindigné de cerefus, commeilauoit ſonarmée toute
"rº preſte ſurles confins de la Caramanie, entrabien-auançdans le pays, où il
fittout paſſerparle feu & parle fer, ces nouuelles furentrapportées à Baia
zeth,qui eſtoit lors à Conſtantinople ſe donnant du bontemps: mais com- .
meilyauoitgrande apparence quel'ennemyayantſibeauieu, ne s'arreſte
" .|.4 ºu ºtmée
contre les roit pas dans ces limites, ilfut contrainctdele preuenir parvne autre armée
2• -

#§ qu'ilmitencore deſſus, enuoyant ſesmandemens de toutes parts,les nou


- - - - | uelles

: ,
º | 11

|
desTurcs, Liure ſecond. · 99
uelles venansiuſques aux Eg ptiens des grands preparatifs qu'ilfaiſoit, luy
cependant ſeretira à Bazictaſi,vnlieu qui eſtaſſis enl'Europe,au deſſus du cand, en:
Boſphore deThrace, à † milles de Galata, & commeileſtoit preſt de †#.
partir de celieu pourpaſſer en Aſie,vngrand orage ſuruint ſur Conſtanti-& Fuſe
nople,auec tonnerres & orages fortviolens, le foudre tomba ſurl'arſenal
& deſſus vncertaintemple, où ongardoit de la† d'artillerie, qui en
leuaauſſi-toſt ce temple enl'air, lequelſe diuiſaapres en pluſieurs pieces,
ſur deux outrois places, où pluſieurs hommes furent accraſez des pierres
quitomberentſur eux, commeauſſienuironlemeſmetemps le feu ſe mit
à Pruſe auecques tellevehemence, que preſque toute la ville en fut con
ſommée. -

Cela donna occaſionaux principaux de l'armée de deſtourner Baiazeth


de paſſer enlaNatolie, diſans que le temps eſtoit trop contraire, qu'il y
| auoitgrande cherté deviures en toutes ces contrées, que ſes forces ne s'e
ſtoient point encoresaſſemblées, & finalement qu'ils auoient eu nouuel- on perſuade
les § Mores ou Egyptiens s'eſtoient retirez : ces conſeils n'eſtoient †
pointdeſagreables à Baiazeth, qui ſe laiſſant volontairement aller à leurs ºr"
perſuaſions,ſe retira à Andrinople,allant de montagne en montagne pour
prendre ſonplaiſir, carilnepouuoit pas demeurer long-temps en vn lieu
pour lagrande peſtilence quicouroit cette année-là, & de faict ilfutcon- # rº
trainct de quitter Andrinople, & s'enaller à Ypſale, où il s'amuſa à baſtir "
vn Cazilario Bairam,ouvn Hoſpital de Religieux, pour recueillir les pe
lerinsqui ont faict vœu d'aller à la Mecque, viſiter le ſepulchre de Ma d

homet. Ortandis qu'ils'amuſoit à ſes deuotions, les Egyptiens firent en- #


core de nouuelles courſes enlaCaramanie, & prindrentlaville de Larende""
quin'eſt pas guere eſloignée de Cognc ou Iconiun, & toutesfois en la Li
caonie, pluſtoſt qu'enla Caramanie : En ces quartiers-là eſtoit pour Baia
zeth, Iacupl'vn de ſes gendres (carilena eu cinq) Ferhates, Hetzecogli, cinq rend .
Vſgur, petit fils de cetVſgurbeg, qui ſe trouua en labataille de Coſobe, ºººººº
Dauut, duquelila eſté § cy-deſſus, & Iacup duquel nous faiſqns men
tion, § eſtoit fils du Roy de Perſe Vſunchaſſan,lequelà ce conteau
roit eu deux fils nommez Iacup,l'vn quiluyſuccedaau Royaume, & l'au
tre qui ſe retiravers Mahomet, & depuis fit la cour à Baiazcth. Ce Iacup
doncques ſçachant le degaſt que les Egyptiens faiſoient aux terres de ſon
beau-pere, & deſirant de recouurer la ville de Larende, il aſſemblatout ce
qu'il peut de forces pour † les Egyptiens qui # retiroient chargez Route de Ias
cu P. •
· debutin, mais il ne fut † plus heureux qu'auoienteſté ſes deuanciers,car
/ -

toutes ſes trouppes taillées en pieces, luy-meſme demeura ſur la place, & :
toutesfois le Soudánelaiſſa pas d'enuoyer vn autre Ambaſſade à Baiazeth,
lequelayanteſté fort-bien receu, & renuoyé auecques force beaux pre
ſens, le Monarque Turc enuoya auſſi quant & luy vn Ambaſſade de ſa
part,afin detraicter de la paix entre luy & le Soudan d'Egypte, laquellefut p , ..
finalementconclue enl'année milquatre cens quatre vingts & vnze, & de #
| l'Egire huictcens quatre vingts ſeize, à condition § le Soudanrendroit #
auTurc, lesvillés d'Adene,deTharſe,&tousles chaſteaux & places for-"
A
'|

0 - - t

2 OO Continuation de l'hiſtoire
tcS qu'il auoit priſes aux enuirons, chacun rentrantainſi dans ſon ancien
ne poſſeſſion, ce qui aduint la meſme année que deſſus.Ce fut vn peu
Mert du Rºy auparauant que mourut cet inuincible Roy de Hongrie Matthias Coruin,
# " d'vne apoplexie, qui fut vn redoublement de ioye à Baiazeth, comme
† ayant perdu le plus redoutable,le plusinuincible, le plus heuretix & le plus
de baineth grandennemy qu'euſſent lors les Othomans : ilſçauoit que ſoubs la con
· duite de ce grand Capitaine,la Chreſtienté pouuoitterraſſer leurtyrannie,
& que ſi on luy euſt mis ſon frere Zizim entre les mains, qu'il eſtoit pour
faire rendre aux Chreſtiens,ce qu'Amurath & Mahomet leurauoient vſur
pé: & defaictill'auoit recherché d'accord, & cela eſtoit la cauſe de cet Am
baſſade que le Roy Hongreluyauoit enuoyée, tant l'Empereur Turc re
§ de la prudence & bon droict de Zizim auec la valeur &
hardieſſe de Matthias, mais l'eternelle Prouidence en auoit autrement
ordonné. -

X. A ce changement de Seigneur, Baiazeth croyant que toutes choſes lu


ſeroient plus fauorables, aſſembla toutes ſes forces, tant de l'Aſie que de
† l'Europe, enuoyant Achmet Sophie ſur les frontieres de la Bulgarie, &
Dauut BaſſaàVſcopie, auecques Iochia Baſſa, & toute lagendarmerie de
la Romelie.Quantàluy il ſe retira à Monaſtire ou Moneſtir, toutesfois ils
n'oſerent pour cette-fois rien entreprendre ſur la Hongrie, mais quant à
Bainsi cºue luyil ſerua ſur l'Albanie, auxappartenances de Iean fiſ de Caſtrioth , &
: " afin de prendre tous les Albanois comme dans vn retz, ilauoit enuoyé des
nauires & autres vaiſſeaux partous les enuirons pour les enfermer de tou
Meurs & cou
tes parts : on tient que les habitans de cette contrée de l'Albanie eſtoient
· § fort ruſtiques, peufideles à ſes Princes, quine vouloient payeraucun tri
bitans d'vne
" contrée de
-
but, n'auoient q
2 •
qu'vn ſeullangage
- - $ 8 : quandilleurſuruenoit quelque guerre
- - / - - J)

ººº qu'ils ſe retiroientaux lieux forts, où ayans retiré les leurs,ils combatoient
apres contrel'ennemyauec de groſſes pierres qu'ils faiſoientrouler du haut
de leurs rochers contrel'ennemv;ilsauoient
y ;1Isa de certains dards faicts en for
me de langue de ſerpent qu'ils lançoient, leurs arcs eſtoient de bois , &
leurs fleſches garnies de fer, aſſerées & trempées dans duvenin.Ces mon- .
tagnes au demeurant ſont ſi difficiles, qu'à peiney peut-on aſſeoirle pied,
#fles pantes en eſtans ſivnies qu'elles ne iettent pas vne ſeule petite corne
#" poursy prendre. Toutesfois aumilieu de toutes ces difficultez, les Turcs
ne laiſſerent pas de $'encourager l'vnl'autre, & bien qu'ils receuſſent vne
· · fort grande incommodité de ces ſagettes enuenimées, ayans paſſé leurs
giaºuºge rondaches lunaires enleursbras, & ſe portansl'vnl'autre en grimpantauec
"" vn courageinuincible,arriuerent finalementauſommet, où ils taillerent
en † tOllS CCllX † trouuerentlesarmesàlamain, le reſte femmes & ,
enfans reduicts en ſeruitude, ils mirent le feu en tous les bourgs & vil
lages circonuoyſins, acheuans ainſi de ruiner & perdre cette pauure
contrée. -

| | | Quant à Baiazeth, il ſeretira à Monaſtire, où ſur le chemin luy vint à la


• rencôtrevn Deruis ou ReligieuxTurc, de la ſecte, ſelon quelques-vns,des
"" Calenders, & ſelonles autres desTorlaquis, cettuy-cyfeignant d'aller en
- - pelerinage

|
-
· des Turcs, Liure ſecond. 2OI

derinage à la Mecque, & de demanderl'aumoſneau grand Sºigneur,on v s .


lelaiſle approcher, lequelen diſant ſon Allahitſchi, c'eſt à dire en deman-#
dantau nom de D1E v, il tire de deſſoubs ſa robe de feutre vn cimeterre, †" "
auecvne telle fureur, que le cheual de l'Empereur Turc, tout eſpouuen
$ téſe cambratout reculantenarriere,faiſantainſi cuiter le coup de † mort à
ſonmaiſtre, lequel toutesfois ne laiſſa pas d'eſtre bien bleſſé,car il futaban
doné de ſes pages qui eſtoientàl'entour de luy, & euſtcouru fortune de
ſavie ſans le Baſſa Schéder, quiauecquesvn Baſdogun ou maſſe de fer qu'ils Il eſt ſauué
|- portent
que ſon ordinairement, auecques
corps & ſa ceruelle eux illuy
tomberent donna
parrerre en vn tel coup
meſme parlateſte,
inſtant, †
& Ba- ſats.
#. iazeth le mit apres luy-meſme en † Cela fut cauſe que ce Prince eut en p
- telle horreur ces Torlaqui, qu'illes bannit non ſeulement de Conſtanti
. nople, mais de tout ſon Empire, & cela fut cauſe que depuis quand quel
que eſtrangerveut approcher du grandSeigneur, les Capigis, ou portiers
7 leſaiſiſſentparlamanche,meſmes les Ambaſſadeurs,& les conduiſentainſi
commevnhomme attachéaux pieds de leur maiſtre. Baiazeth ayant apres
cela demeuré quelquesiours à Monaſtire, il s'en alla à Andrinople, enl'an
mil quatre cens quatre vingts & treize, où durant ſon ſeiouril deſpeſcha
Iacup Cadun ou Eunuque, Saniac de la Boſſine pouraller en la Hongrie,
ce qu'ayantfaict publier par la Romanie,il ſe trouua à ſa ſuite vn fort grand
nombre d'Accangis, quitous enſembles'en allerent ruer ſurles Hongres, lacupsanise
leſquelsayans eſté aduertis de ce deſſeing, leuerent auſſivne fort bellear-†"
mée, ſoubs la conduite des Bans du pays, entre autres d'Emericus Dren-ºgº
zenus, Ban, ou Direnziles, c'eſtà dire Ban de Cilie, qui fut la cauſe de leur | \
perte; cars'eſtans aſſembleziuſques à quarante mille cheuaux, il y auoit
grande apparence, qu'ils deuoient donner beaucoup de peine à leurs en
nemis, & toutes-fois les Turcs eurent l'aduantage, parle mauuais aduis de
ºernard Frangipan Romain, qui tenoit le premierrangen cette armée, & c ., .
lequelvoulut combatre contre l'opinion de ce Drenz ſus-dict, & toutes-#
fois fut le premier à fuir, auecques les autres Bans ou Princes de Hongrie, #º
9roacie & Sclauonie : car Iacup voyant les Hongres reſolus à ſe bien def
fendre,s'eſtoitretiréaumontſurnommé du diable , lequelſepare la Croa
ºie, d'auecques
Pourvne fuite, lelapourſuiuirentiuſques
Corbanie, mais les Chreſtiens prenans cette
au fleuue Moraue, aſſezretraicte
mal en § viaeiredes les

ordre, comme gens quitenoient § victoire toute aſſeurée, où Iacup


ºnfitvn fortgrand carnage, & print Dranzile envie,lequelilenuoya tout
ºnchaiſné parles pieds à Baiazeth; &afin qu'il cogneuſt mieux combien
- grande & ſignalée eſtoit cettevictoire, il fit couper le nez à tous les corps Gºde cruau
morts, & en enuoya de pleins chariots à Conſtantinople, çette victoire ***
• ºPportavn merueilleux côtentement à Baiazeth,y ayant deſia longtemps -

qu'onneluy rapportoit que de mauuaiſes nouuelles. Ce Iacup, que quel


ques-vns§ encore Marcofodi,fit encore des courſes iuſques à Za
gabrie, auecques huict mille cheuaux ſeulement, non ſans donner vn grad Grand rauage
#roy & eſtonnement à tout le pays, chacun penſant auoir deſia toutes les § #
- - - - - Turcs,
forcesdesTurcs ſurles bras : caril pilla & rauagea tout, & emmena plus de "
- - - Cc -

|
v.

2o2 Continuationde l'hiſtoire


1ºchrºniens quarante milleames en captiuité,s'en retournant chacun chezſoy riche de
†" toutbutin,à ſçauoir IſmaelSaniacdelaSeruie, & le Vaiuode de Carnilie,
- car deſiales Chreſtiens eſtoient à la ſolde des Turcs. -

XI. Baiazeth cependant eſtoit de loyſir à Conſtantinople, lequel toutes
· fois ne laiſſoit pas de minuter laguerre contre les Venitiens, encores qu'il
E, el, mi y euſt paix entre-eux, mais il ſe pleignoit de ce quela Seigneurieauoitaſſi
† ſtéle Prince Iean enl'Albanie, plus la deffence de Catarre, pour le Comte
# & ſes Cernouich,lequel nousauons dit cy-deſſusauoir donné ſecours à Scutari,
" outre ceildiſoit qu'ilsauoientdeſniéleurfaueurà ſon armée nauale,quand
paſſant pres del'Iſle de Cypre, çlle faiſoitvoile en Syrie,refuſans leurs ports
& leurs havres : mais le principal inſtigateur, & le plus puiſſant flambeau
1 , sf - de cette guerre, fut Louys Sforce Duc de Milan, qui faiſantla guerre aux
† † Venitiens, & voyant ſes affairesaller de mal en pis, les vouloittellement
§ § embeſongner chez eux, qu'ils n'euſſent pasleloyſir de penſer en luy, per
†" dantainſi ſa propre patrie pour ſevangerde ſes ennemis. :
Les Venitiens doncques ſçachans les entrepriſes qui ſebraſſoient contre --

Antºi.dede, º à Conſtantinople, deputerent vn dés leurs appellé Zancani, lequel à


§ ſon arriuée ſceut qu'ilyauoit deſia deux cens vaiſſeaux tous preſts à faire
** voile , toutes-fois il ne laiſſa pas d'eſtre fort courtoiſement receu, ſans que
Baiazeth fiſtaucune demonſtration qu'il eſtoit offencé, car ſon intention
·- eſtoit d'endormir les Venitiens par cette belle apparence, & cependant
- leur courirſus lors qu'ils ſeroient occupez en Lombardie contre les forces
Fineſſe de Ba
iazeth. de Ludouic, qui leur deuoit faire la guerre en meſme temps. Zancani
doncques le prie de vouloir renouueler l'alliance † la † • "

ce qu'illuy accorda fort promptement,& luy en fitbailler lesarticles eſcrits


en Latin : mais André Grittigentil-homme Venitien, qui eſtoit fortverſé
aux loix & couſtumes desTurcs, pour le long-temps qu'il auoit deſia ſe
# iourné à Conſtantinople, & qui eſtoitfauoriſé de cette nation pour ſali
† beralité,l'aduertit que les Turcs ne tenoient rien de ce qu'ils promettoient,
#
cn leur lague.
s'il n'eſtoit eſcrit en leur langue, luy donnant quelque eſperance de le pou
uoir obtenir par ſa faueur, ce que toutes-fois il ne peut faire, & fut con
trainct de s'en retourner à Veniſe, auecques ces articles eſcrits en Latin,
ſans declarer toutes-fois ce ſecret, de crainte qu'on ne iugeaſt ſon ambaſſa
de inutile. - -

| L'Ambaſſadeur Venitien congedié, Baiazeth continue ſon appareil, &


† met ſusiuſques à deux cens ſoixante & dix voiles. André Gritti, duquel
# nous venons de parler,donnant aduis de tout parvn certain chiffre augou
# uerneur de Lepanthe, & des deſſeings que les Turcs auoient contre ſa pa
† ' trie; ce quiluy couſtabien-cher, car Baiazeth l ayant deſcouuert , fit ſaiſir
†" tous les Venitiens qui eſtoient lors à Conſtantinople,&autres lieux, & luy
- principalement plus eſtroittement ſerré que les autres, & s'en fallut bien
,†" peu qu'ilneluy fiſtpaſſerle pas : celafut cauſe auſſi qu'onne deſcouurit pas
† apres ſes deſſeings ſiayſement, carvenant en perſonne en cette armée, &
·
§ le ve partant d'Andrinople,ilvint
niticns.

à Negrepont, & de là à la Romagne,
ſans qu'on ſceuſtà quoy il ſe vouloitattaquer:ſibien que legrand Maiſtre
de
• (

· des Turcs, Liure ſecond. 2o3


de Rhodes apprehendant qu'il en vouluſt à ſon Iſle, ſupplia le Roy de l

France, Louys douzieſme du nom, de luy enuoyer quelque ſecours, ce s , de


qu'il fit deſpeſchant vingt-deux galeres, leſquelles armées en Prouence, †*.
#cheminerent pourvenirà Rhodes. Les Venitien; cependantaſſemble- ©

rent iuſques à quarante ſix galeres, dix-ſeptgrands nauires de marchands,


quarante d'autres communs, auecautant debrigantins, ou autresvaiſſeaux , \
legers, & ſe tenoientàl'anchre à Modon,à cettearmée commandoit com
me generalAndré Grimani,lequel ſçachant † le Turc eſtoit deſlogé du
port du pont du coq, & s'approchoit deluy, fitvoile auecques toute ſon #
1) - - - - - - TC1Cnt OC •
armée versl'Iſle de Sapience,quieſtvisàvis de Modon:où il mit ſonarmée paſion de leur
, en bataille, & ordonna de ceux † deuoient commencer la charge, & des † ſur
- - - d
les Turcs.
autres quileur deuoient donner ſecours, s'aduançant quantàluyauecques
† galeres pourrecognoiſtrel'armée desTurcs,laquelle ne paſſant pas
ort loing delà, il pouuoit aſſaillirauecques le vent à ſouhait, & toutesfois
differanttouſiours la bataille,ils'en
fut vne de ſes premieres fautes. retourna ſans rien faireà Modon, qui
v , -

LesTurcs cependantcherchansleur aduantage, rodoientaux enuirons


ſibien que Grimanilaſſéàlafin de leurs promenades, ſe reſolut de les atta
quer, y eſtant meſmes incité par André Loretan, lequel auecques vnze Combat
- - - co, naual
- -

brigantins, & quatregrands


laRepublique, toute larméenauires eſtoit
fut fort ayſeaccouru, diſoit-il,tant
de ſon arriuée, au ſecours de #
pourſon des Venitiens.

courage &vaillance, que pourſon experience aufaictdelamarine : Alben


Armeriusvnautre renommé pilote, quicommandoitàl'vn des grands na
uires du General, eut charge de luy d'attaquerleplus grand nauire des en
nemis, & Loretan que Grimani auoit auſſi faict monter ſur vn de ſes
grandsvaiſſeaux, l'autre d'apres, ſur lequelcommandoit Budach Rais,le
quelayantatteint Loretan † chaauecques des mains de fer, pourve- ſ

niraux mains plusàl'ayſe,lemeſme fitauſſi Armerius, ſibien que Budach


cnuironné de ces deux, faiſoit merueilles de ſe bien deffendre : mais le
Chreſtiens ne voulans pas perdre leur aduantage, ietterent dedans du feu .
artificiel, lequelenflammé, & levent pouſſantàl'oppoſite,ilfut auſſi-toſt
Porté dans lesvaiſſeaux des Chreſtiens quibruſlerententierement.Cetac- ... S
cident apportant plus de dommage auxVenitiens qu'au Turc, qui ſecou- # # -

rut facilement ſon vaiſſeau auec d'autres plus petits : & au contraire ceux "º
desChreſtiens ne peurent eſtreguarantis à temps:ſibien que tous ceux de
dedans perirent,excepté quelques-vns que Thomas Duoderecourutauec
Vnebarquette qu'ilenuoya de ſonnauire; Armerius fut toutes-fois ſauué
desTurcs, lequelconduitàConſtantinople, & ſommé par Baiazeth de ſe
aire Mahometan, & qu'on luy ſauueroit lavie, preferant l'eternelle à la , .
temporelle,ilaimamieux ſouffrir conſtammentd'eſtre ſcié(commeilfut) †
Parlemilieu, que deviure en delicesayantfaictbanqueroute
ºntainſilavieplusglorieuſementàla ville, qu'il n'euſt faictà au
ſa foy;per-
com †. p
at3 milieu que de
- - - - » n 1 d«

*remportantvne couronnetoutetriomphante & immortelleau lieud'v-§


nevainegloire † † s'il euſt deſconfit ſon ennemy par les ar-"
euſt
ºs , comme il en eſtoit lors victorieux par ſa vertu & magnanime
) •
4
,! - | . Cc ij
2O4 Continuation del'hiſtoire
fidelité: ô heureux pilote, d'auoir conduit ſon vaiſſeau ſi heureuſement
danslaterre des viuans QuantaugeneralVenitien, il ſe trouua tellement
troublé de la perte qu'ilauoitfaicte, que ſans plus rien hazarder, il ſe retira
enl'Iſle de Podrouie, l'armée Turqueſque au contraire ne bougea de là
, pour l'heure. · ·
# † Rhodes,
Orles François
tiens . & voyanseſtansallez, eomme
que cette Iſle nousauonsdedit,
n'en † pour levindrent
beſoing, ſecours de
ſe
· XII. ioindre, parle commandement du Roy,àl'arméeVenitienne,ſibien †
l'armée nauale de cette Republiqne renforcée encores d'vn ſi bonnombre
de vaiſſeaux, ſe trouuerent tous à Zante, reſolus d'attaquer l'armée des
Turcs qui eſtoient àTornes, mais comme ils furent approchez plus pres,
& voyans que les vaiſſeaux des ennemis auoient la pouppe fort pres de ter
re, & la proüetournée vers lamer, prindrent ſix vaiſſeaux inutiles à laguer
re & les remplirent d'eſtoupes & d'autre matiere bien ſeicheauecques de la
a † poudre parmy pourles enflammer, & les enuoyer par le moyen du vent,
inutile. toutes ardentes contre les ennemis, mais cela n'ayant pas reuſſi comme on
penſoit, & ce ſtratagemeayant pluſtoſtaduertyles Turcs de ce qu'ils de
| uoient faire, que leur cauſer †
dommage, Grimanicontrainct deſe
-
ºtim# ge retirer, perdit vne autre-foisl'occaſion de les combatre & de les vaincre,
l dcs Ve. . » . - - - -

§ quifut cauſe qu'il fut demis de ſa charge, & cité au conſeil des Pregati. Les
†" Turcs doncques voyans le peu de courge de l'ennemy, qui leur laiſſoit
la mer libre pourlacourir au long&au large, prindrent la route de Lepan
the ou Einebachte, iadis Naupacte, les habitans de laquelle firent tout
deuoir de ſe bien deffendre, & les Turcs de bien aſſaillir, mais labatterie
sisses priſe fut ſiviolente, & les aſſauts tellement redoublez, que les pauures Lepan
- #. thois n'eſtans pas baſtans pour reſiſter à ſi grande puiſſance, furent con
traincts de ſe rendre à compoſition. Cecyaduintl'an milquatre cens qua
· tre vingts & dix-neuf, & de l'Egire neuf cens trois Les nouuelles de la
priſe de cette place eſtans preſque arriuées au meſme temps que celles du
ſiege,tant ces Grecs furent deſcouragez,ayans veuvne ſibelle armée s'eſtre
retirée ſans rien faire. , -

Ces choſes ſe paſſans ainſi par mer, la caualerie Turqueſque couroit ce


Rafle des endant ſur les confins de Zara, & trouuansle Frioulſansgarde, les habi
T§ § rent
tans ne
Frioul.
ſe doutans nullementd'vntelinconuenient,
& bruſlerentiuſques ils le coururent,
à Limenée, où ils prindrentvn pille
fort grand nom
bre de priſonniers,ils pouuoient eſtre lors quelque ſeptmille † qui
cſtoient venus à la file par vn tres-meſchant chemin iuſques à Hiſtrie, &
ayans paſſé le fleuue de Limenée,ils ſe vindrentcampertout pres de Gradiſ
que, oüZancanile capitaine des Venitiens s'eſtoit retiré, & voyans qu'il
- craignoit la touche, deux mille cheuaux d'entre-euxallerent courir & raua
z,
v - gerle pays, & mirentlefeu à toutes les maiſons des champs, tant duTre
† uiſan que du Padouan, ſans trouuer aucune reſiſtance que de trois cens
§ cheuaux Albanois, qui deffirentenuiron cent des leurs; mais quant à Zan
† cani, iln'oſaiamais paroiſtre en la campagne, encores qu'ileuſt des forces
" baſtantes, pour leur faire beaucoup de deſplaiſir, s'il euſtvouluſeioin
dre
-

-,

º -
-

· des Turcs, Liure ſecond. 2o5


dreaux Albanois, auſſi en fut-ilaccuſé à Veniſe, & relegué pour trois ans
à Padouë. - - - -

Durant que ces choſes ſe paſſoient ainſi, quelques-vns des plus fauo- -
rits de Baiazeth auoient faict direaux Venitiens que s'ils enuoyoient vn -

Ambaſſadeur vers luy, qu'ils ſe pourroient remettre engrace, & obtenir


Vncpartie de ce qu'ils deſireroient:celaconioinct à la neceſſité où les auoiét
redui&ts les guerres paſſées; voyans leurs treſors, tant publicqs que parti
culiers tous eſpuiſez, & combien leurs efforts eſtoient debiles & foibles
contre vn ſi puiſſantennemy,leur fit donner cette charge à Louys Mauenti •
ſecretaire du conſeil des dix, pour remonſtrer à l'Empereur Turc, qu'ils †
n'auoient enfaçon quelconque
auparauantauccques ſa hauteſſe enfrainctletraicté
: & neantmoins que deſes
paix contractée
armées peu † pºut
lesauoient paix.

ourſiaiuis, comme mortels ennemis, qu'ils la ſupplioient de mettre enli


§ leurs marchands qu'on auoit mis priſonniers par ſon commandemét
& leur rendre Lepanthe, comme n'ayant eſté priſe de bonne guerre : & fi
nalement s'ilne † vouloit accorder cela, qu'au moins il renouuelaſt la
paix & alliance auecques eux, mais Mauenti † entierement eſconduit de †
tout ce qu'ilauoit charge de demander, & n'eutautre reſponce ſinon que, º Ambaſſade
ſilesVenitiens deſiroient la paix, qu'ils luy quittaſſent Modon,Coron &
Napoli,troisvilles qu'ils tenoient en la Morée, & qu'ils luypayaſſent com
me ſes tributaires, centliures d'or tous lesans, ſibien que ſur cette reſpon
cele Venitien fut contrainct de ſe retirer ſans rien faire, & auſſi-toſt Baia
zeth arma en diligence, & vint en perſonne pour ſurprendre cesvilles qu'il
demandoit. - - . /

Les Venitiens d'vn autre coſté qui furentaduertis de ce grand prepara


tif, armerent dix groſſes galeres & quatre grands nauires, enuoyans en di
ligence des gens, desviures & del'artillerie à Napoli, d'autant qu'vn cha
cun croyoit que ce ſeroit là où le Turcdonneroit premierement : & defait
ſon armée qui eſtoit de plus de deux cens vaiſſeaux, vint ſurgir aux confins
deNaples, ayant enuoyé deuantvne partie de ſa caualerie par terre, pour . _ .
*irevneraffe aux enuirons delaville maisily auoit bien iuſquesaunom-†
- pouſſez de de -
bre de quinze cens cheuaux dedans laville, leſquels firentvne ſortie ſi fu-† †
- 3- - auec grand
ºuſecontre-eux, qu'ils les deffirent preſque tous, cette deffaite fut cauſe maſſacre.
qu'ils changerent de deſſein, & quelaiſſans Napoli ils s'envindrent à Mo
don, d'oû Baiazeth enuoya aſſieger Iunque, chaſteauaſſis en lieu eminent *
ºuccques vn portau deſſous à dix milles loing de Modon, mais ceux de de
dans ayans eſté ſecourus peu auparauant de viures & de gens par Hieroſme Demºſmede- .
- - - - - - - " uant Iunque..
2 •

· Contarin Prouidadeur,les repouſſerenthardiment, de ſorte qu'ils furent


contraincts de ſe retirer à Modon.
Contarin quiauoit deſia eſprouué le courage des ſiens, & comme ils
ºuoient heureuſement combatu par deux-fois, ſe reſolut de pourſuiure ſà
Pointe, & d'aller attaquer les Turcs iuſques dans leur camp, & ſecourir
°eux de Modon, lesTurcs eſtoient lors és enuirons de l'Iſle de Sapience,
quilesvoyansſortir du port de Iunque, les receurent auecques cent gale
º, où apresvnlong& cruelcombat, les Venitiens commençoient d'a
- | Cc iij •
2o6 Continuation del'hiſtoire -
- .
uoirbeaucoup d'aduantage : de ſorte que lesTurcs eſtoient meſme envo
Combat naual
entre les Vcni

†,lonté de donner au trauers du riuage & de s'enfuir : mais durant la plus


†ºtº grande ardeur du combae,levent ceſſatout à coup, de maniere que lesna
"º uiresde charge furentarreſtées tout court, lesgaleres meſmes ne pouuans
ioindre qu'auecques difficulté; ce que lesTurcs ayans recogneu (comme
illeurfaut ordinairement peu de choſe pourlesranimeraucombat, quant
ils ſe voyent reduicts au deſeſpoir)reprindrent courage, & recommence
rentlabataille, qui duraiuſques à la nuictl'eſpace encore de trois heures,
4- & là deſſusvnegrande galere des Venitiens ayant eſté miſe en fonds,& vne
autre priſe, quiauoitle plus valeureuſement reſiſté, la meilleure partie de
ceux quieſtoiét deſſus demeurez morts ſur la place,celle du General percée
& § cau, il fut contrainct de ſauter dans vne autre & ſe retireràZante
auecques ſa flotte pour Fhabiller ſes vaiſſeaux qui eſtoient fort incommo
dez, ce qu'ayant faict, auecques toute la diligence quiluy fut poſſible, ilſe
cº# #- haſtaderetourner à Modon,depeur queles habitans deſeſperez de ſecours
" ne ſe rendiſſentàl'ennemy,ayant doncques choiſy cinq galeres, & lesayât
remplies de tout ce qui eſtoitneceſſaire pourle rauitaillement de cette pla
Cc, † aduertitlesaſſiegez parle moyend'vne petitefregate,quipaſſa par
le milieu du câp desTurcs en plein midy, ſans qu'on luypeuſt faire aucun
deplaiſir; quatre deſquelles galeres eſtans † auecques beaucoup de
v difficulté, & la cinquieſme contraincte de ſe retirer enl'armée Venitienne
pour eſtre trop chargée, & n'auoir peu paſſer de viſteſſe comme les
alltICS.

Orles Modenoisaduertis d'vn ſibonſecours receurentvne telle ioye,


qu'oublians la deffence de leurville & de leurs murailles, ils ſe reſpandirent
incontinent tous ſurle port,pourreceuoir &apporter danslaville, ce qui
leur eſtoitle plus de beſoing, ceux meſmes qui eſtoient àla deffence de la
rºſed.Meis breſche & des muraillesy coururent comme les autres, ce que les Turcs
§ # # ( quiauoient l'œilauguet ayans recogneu)ils planterent diligemment les
ººººººº eſchelles & entrerent dedans, apres auoirtué quelque petit nombre qui
syvoulut oppoſer,aucry deſquels les habitans & les ſoldats de la †
commencerent d'accourir, & combatirent courageuſement & longue
mentaumilieu delaville,taillans en pieces pluſieurs de leurs ennemis, mais
la multitude d'iceux croiſſant de plus en plus, & toutes les rues leur eftans
bouchées pourlaretraicte,ils furent preſque tous taillez en pieces, & ceux
quieſchapperent de ce rencontre, ils mirent le feu à la ville, & s'y bruſle
• , rent dedans auecques toutes leurs hardes, en telle maniere que les Turcs
s'emparerent de Modon demyebruſlée, parle mauuais † des habitans.
Entre les priſonniers fut pris auſſi le Magiſtrat Venitien,lequel tout lié
#
aux Turcs ſans
Baiazeth fitmenerà Iunque pour eſtremonſtré à ceux de dedans, leſquels
§"layans veu, ſe rendirentvie & bagues ſauues; mais il en couſta depuis la
vie au capitaine de la place Charles Contarin, pourauoir rendu cette place
· (tres-forte d'aſſiette & d'artifice) à la premiere ſemonce,ſansyauoir eſté
contrainctparvn ſiege. - - !

XIII. L'armée Venitienne quicepédanteſtoitàl'anchreàZante, comme elle


. • CI1
N -
des Turcs, Liure ſecond. | 2o7
en penſà deſloger, fut tellementagitée parla tempeſte, que timons, ante- -

nes, & tout autre attirail briſe & mis en pieces, les vaiſſeaux les porterent
deçà & delà en des iſles eſloignées, & meſmes iuſques en Candie : ce qui
donna dauantage d'aſſeuranceaux Turcs d'alleraſlieger Coron, laquelle à
lapremiere ſemonce ſerendit,intimidée par la ruine de ſa voyſine, & per- †
ſuadée parles honneſtes offres qu'on luy fit : dé ſorte que les remonſtran
ces des Magiſtrats ny des capitaines, qui ſe mettoient deſiaen deuoir de ſe
bien deffendre,ne peurent loger enleur cœurl'aſſeurance de s'oppoſer ſeu- >
lementàl'ennemy. Baiazeth cependant eſperoit bien de faire le ſemblable
à Nap oli, meſmes parl'induſtrie de PaulContaren, lequelilauoitfaictve
nir de Coron, pour † ceux de cette ville, & les perſuader à ſe ren
dre; mais luyau lieu de ce faire,s'eſtoit ſubtilement gliſſé dedans, & les ani
ma tellement à ſe bien deffendre, qu'ils firent pluſieurs heureuſes ſorties Les Turcs re
contre lesTurcs,leſquels ayansamené toute leurarmée deuant pour lesin-§.
timider, ilsbouſcherent leurs portes & les fortifians, ſe deffendirent con-"º
ſtammentainſi renfermez; mais ils ne demeurerent pas long-temps en cet
| eſtat, car Benoiſt de Pezare, Generaldes Venitiens, ayant ramaſſé ſonar
mée, diſperſée comme nousauons dict, à laquelleiladiouſta encore plus
devingtnauires qu'ilauoitarmez cn diligence, s'eſtoit reſolu d'aller faire
leuer le ſiege, & d'attaquer l'armée Turqueſque, mais Baiazeth en ayant
entendules nouuelles,partit dés le lendemain, ramenant ſonarmée à Con '
ſtantinople. P - - ' .

Pezare quiauoit enuoyé deſcouurir les deſſeings del'armée ennemie, , ..


ayant ſceu comme elle eſtoit decampée,s'achemina à Legine qu'il reprint, #
† parle fildel'eſpée tous lesTurcs qu'ily † ſeulement †" Wº
eCapitaine qu'il retint priſonnier, remettant l'Iſle ſoubs l'obeyſſance de
laSeigneurie, qui eſtoit venue ſoubs lapuiſſance des Turcs peu de iours
auParauant; § ayant mis le feu àTenedos, il fittelle diligence qu'ilioi
- gnit larmée Turqueſque ſur l'entrée du deſtroict qui s'enfuyoit, ſurla
quelleilprint p§ vaiſſeaux & beaucoup de priſonniers, leſquels il fit
Pendre ſur les confins de l'Europe & del'Aſre,ayant faict dreſſer des poten- .
ºsaux deux riuages, & ſe mitapres à courir la campagne, rempliſſant tout
de crainte & de frayeur. - | N

LIſle de Samothrace obeyſſoit lorsauxTurcs, mais auecques beaucoup Line de sa.


de § , cela fit penſerà Pezare, qu'on les pourroit ayſement prattiquer, #.

&defaicty enuoyavnVenitien nommé Louys Canalis, lequelconduiſit "


cetteaffaire ſi dextrement, que ceux de l'Iſle conſentirent d'eſtrc gouuer
nezparvn Gentil-homme Venitien,luybaillans la dixieſme partie de leur
ºuenu pour ſon entretien : de làl'armée Venitienne ayant ſaccagé Cariſte,
ºnretourna à Napolichargée de gloire & de butin,ce fut ence retour que
Pezare paſſant deuant Iunque,fit trancher la teſte à Charles Contarin ſur la
Pºoiie de ſagalere,pourauoir rendu cette place ſans faireaucune reſiſtance,
ºomme nousauons dit. -

En ce temps le Roy d'Eſpagne auoit enuoyé vne armée nauale au ſe- s.cesr, d«
ºursdesVenitiens, ſoubs la charge de FerdinandConſalue, qui les vint † aux Venitiens,
* ſ
-
\.
• , • ©. % | • ° •

, 2o8 Continuation de l'hiſtoire


trouuer à Zante, où ils ſe reſolurent de reprendre Modon , mais pour
autant qu'il leur falloit grand nombre de vaiſſeaux, ils enuoyerent en la
Cephalonie tous les ouuriers qu'ils auoient pour abatre des arbres : Tou
§ ſetrouuans de loyſir, & que ce leur euſt eſtévnetropgrande honte
de voir les Turcs poſſeder la ville de Cephalonie ou Leucade, & que deux '
armées Chreſtiennes n'euſſent oſé les attaquer, ils reſolurent de les aſſaillir.
ayans doncques enuoyé recognoiſtre la place, ils apprindrent qu'il n'y
auoitpas danslaville plus de trois cens hommes de defience,celales encou
ragead'auantage d'aſſaillir cette †
, deuant laquelle ayans faict braquer
leur artillerie & faictbreſcheraiſonnable,ilss'aſſeuroient del'emporterau
premier aſſaut, mais les Turcs ſe deffendirent auecques tant de courage,
qu'ils repouſſerentvaillamment leurs ennemis, & les contraignirent de ſe
# ienne prend
retirerauecques grand nombre de bleſſez : mais les autres ayans faict vne
/ - - - - -

§ grandeleuée qui battoit en caualier leurs deffences, & de laquelle on deſ


†" couuroit tout ce qui ſe faiſoit dans cette place, ils leurliurerent vn ſecond
aſſaut, auquellesVcnitiens & les Eſpagnols firent vn tel deuoir à l'enuy
les vns desautres, qu'ils forcerent les Turcs de ſe retirer dedans le fort, le
quel toutes-fois ils rendirent incontinentapres aux Eſpagnols, craignans
de tomber entre les mains des Venitiens, deſquels ils s'eſtoient ſouuent
mocquez, & les auoient grandement offencez, & pour comble de bon
heur,l'armée des Chreſtiens, durant le ſiege de Cephalonie, reprint la
· fortereſſe de Iunque, parl'entremiſe d'vn Demetrius de Modon, qui prat
Repriſe de # tiqua cela auecquesvn Albanois ſienamy, qui| eſtoit de la garde de cette
que par lesVe- :--- : - à
§" place, de ſorte qu'apres auoir mis à mort quelques cinquante Turcs †
2 - - - -

, y eſtoient en garniſon, & contrainct les autres de ſe ſauuer par deſſus les
murailles,ils s'en rendirent les maiſtres, & la rcconquirent preſqueauſſi fa
, cilement † leur auoit eſté oſtée.
Baiazeth toutes-fois faiſant peu de cas de toutes
ces petites aduentures,
voyant ſon ennemy commander ſur la mer † le nombre de ſes vaiſſeaux,
faiſoit faire † galeres àla Preueſe, à la ſtructure deſqueſ on auoit

re,areſ rend faict telle diligence, qu'vne partie d'icelles eſtoit deſia ſur l'eau,dequoy Pe
†eres que les zare eſtant aduerty,auecques quatorze galeres qu'il print quant & luy, il
- - © - - -

#ient
faict baſtir.
3
fitvntel effort, que quelque reſiſtance que les Turcs y peuſſent faire, il
- · 2 . - \ • N - - -

s'en rendit le maiſtre, & les tirant de là,ſe retira à Corfou. Orauoit-ilenuie
de bruſlerlesgaleres que lesTurcsauoient à l'entrée du fleuue de Boyan,
& ſon entrepriſe eſtoit preſte d'eſtre miſe en execution, mais lesTurcs en
ayans eſtéaduertis & craignâs qu'ilne leuraduint comme à Preueſe, retire- .
rent leurs vaiſſeaux quatorze milles en dedans la riuiere, ſi bien que la plus
| | . .. part de ceux quilesallerentattaquerfurentprins ou tuez,&au meſme †
· #rº reprindrent ſur les Venitiens, la fortereſſe de Iunque. Orauoient-ils deli
beré deietterincontinent enmer les vaiſſeaux qu'ilsauoient ſur le Boyan,
mais Pezare y enuoya quelques galeres des ſiennes pour garder le pas,
s'en allantauecques le reſte repeupler Cephalonie,toutes ces choſes eſtans
arriuées § années milquatre cens quatrevingts & dix-neuf,& cinq
" cens, &lan9o6. de Mahomet. / -
L'année
des Turcs, Liure ſecond. - 2o9
L'année ſuiuante les Venitiens furent encore ſecourus de l'armée Fran
- çoiſe, conduite par Philippes Raueſtan,le ſeigneür d'Aubigny,& l'Infant
deNauarre, toute cette flotte contenantenuiron quinze cens bons hom
mes, qui vint moüiller lanchre àZante, tandis † l'armée de Ferdinand
Roy d'Aragon & de Sicileabordoit à Corfou,leſquels vindrentioindre les 4

Venitiens, & tous enſemble de compagnie, s'en allerentaſſieger Metellin.siege de Mes


Les nouuelles enfurent auſſi-toſtportées à Conſtantinople, où en diligen-†"
ce on preparavnearmée pour le ſecours, s'aſſeurant bien que cette iſle ſe -

erdant, elle ne ſeroit pas la derniere quiſe reuolteroit & retourneroit en


a domination des Chreſtiens, celaleur fit faire vne leuée fort à la haſte de
tout ce qu'ils peurent trouuer: de ſorte que ſelon Leonclauius, ce fut la
premiere foisqueles Azapesfurét enroollez & toucherent la paye, n'ayans QuºdlesAza
eſté † qu'auanturiers & volontaires, mais la neceſſité du tmps & §
des affaires ayant contrainct de les mettre au rang des ſoldats, ils y ſont erent d'eſtre
cn roollez.

touſiours demeurez depuis. -

L'armée Chreſtienne s'eſtant doncques campée deuant Metellin, &


lartillerie ayant faiétbreſche de toutes parts, ils liurerent huict aſſauts, à
tous leſquels ils trouuerentvne ſibraue reſiſtance de ceux de dedans, qu'a
pres auoir ſouffert pluſieurs pertes, ils furent contraincts de ſe retirer ſans
rien faire, auparauant meſme que le ſecours de Conſtantinople fuſtarriué, repouſſez
†" de
lequel ayant
les chefs trouué
eurent les choſes
donné en meilleur&eſtat
mille loüanges
- - - -
qu'il n'eſperoit,
d'amples
>
recompences apres que apres
à ceux § auoir l1 - li- -,

- &b - uré huict aſ


quiauoient le plusvaleureuſement combatu, reparé les breſches & les rui-"
nes que le canon ennemy auoit peu faire, & raffreſchyles habitans de ce Rauiaillems
qu'ils auoient le plus de beſoing, ils ſe retirerentàlamaiſon,comme lesau- # †.
tres auſſiſe diſſiperent ſans aucun effect, confirmans cette croyance, qu'on
pouuoit bien faire ſouffrir quelque eſtrette aux Turcs, mais qu'en gros
ilseſtoientinuincibles, par l'ambition & querelles ciuiles des noſtres, cha
cunaſpirant pluſtoſtà ſurprendre &deſpoüiller ſon côpagnon, qu'àvain
#e &ruiner #ennemy commun, comme peuuent ſçauoir ceux quiont leu
iſtoire de ces temps-là des guerres que ces nations là auoient les vnes †
ºntreles autres en Italie, ſi que les Venitiésauoient ſouſtenu plus heureu- §
lementtousſeulslefaix de cette guerre, qu'auecques leurs confederez.
> - &b - - • .

Car l'année d'auparauant toutes ces choſes, ils auoient premierement


- faictligue & confederationauecques Ladiſlas Roy de Hongrie,aprestou- XIIII.
tes-foisvne longue pourſuite, parlaquelle le Roy eſtoit tenu faire laguer- * v

#eauecques toutes § auTurc, & les Venitiens eſtoient obligez de †


luy payer en trois termes, trois mille liures d'or Le Pape eſtant meſmes §
"ntenuenu à cette conuention, & enuoyé vn Cardinal pour Legat, auec # #
Promeſſe de bailler tousles ans quatre cens liures d'orau meſme Roy l'e-"
ſpace de trois ans, & depuis ils firent encore vne nouuelle ligueauecques
#François & Eſpagnols, & toutes-fois ils furent contraincts de †
cher de paix Baiazeth.ſi peu d'intelligenceilyauoit entre ces peuples qu'ils
#roienttrouuer plus de foy enl'infidele, qu'en ceux qui § pro
ºſiiondefidelité, encore ſe fit ellepar l'entremiſe des François, car ce fut
Dd
2Io · Continuation del'hiſtoire
- enuiron ce temps § Baiazeth eſcriuit à noſtre Roy Louys XII. pour
## reſponce àvne Ambaſſade que ce bon Roy luyauoit enuoyée, par laquel
# le onvoid qu'il ſe plaignoità luy de ce qu'il auoit enfrainct l'alliance qu'il
auoit auecques les Venitiens,mais cettuy-cy luy fitvoir du contraire,& luy
A monſtra qu'eux-meſmes, aydez du grand Maiſtre de Rhodes, l'eſtoient
venu attaquer, luy ſoubs qui flechiſſoient les plus grands Royaumes de
l'vniuers, & toutes-fois qu'il les auoit faict aduertir pluſieurs-fois de ſe
maintenir en leur deuoir : mais ſelon, dit-il, leur accouſtumée perfidie,
dontluy & les ſiens en auoient aſſez reſſentyles effects les années dernieres,
ils ne laiſſoient pas de continuer leursinuaſions,ſi qu'ilauroit eſté contraint
de ſe deffendre, mais qu'il auoit deliberé de le faire auecques vne tel
le puiſſance qu'il leur renuerſeroit leur ville & leur Republique de fonds
en comble pour chaſtiment de leurtemerité, ſans le reſpect de ſes Ambaſ
· ſadeurs qui auoient aucunementadoucy ſon ire & flechy ſa volonté à leur
pardonner. De ſorte que ſi les Venitiens vouloient entendre aux condi
tions quileurauoienteſté baillées par ceux de ſon conſeil, qu'il incline
roitfacilement à la paix, deſirant entoutes choſes le gratifier, & pour luy
fairevoir côbienſonAmbaſſadeluy auoit eſté agreable,ilrenuoyoit quant
& elle deux des ſiens, afin qu'il fuſt plus particulierement § de ſa
grandeur & magnificence,de la force redoutable & inuincible de ſon eſtat,
& de ſa nompareille felicité, deſirant faire vne alliance & confederation
auecques ſamaieſté, & que le trafic fuſt libre en toutes leurs terres, auec
loix communes pour ce regard ſans dol ny fraude aucune, la lettre eſt eſ
. crite du camp d'Iperala, le quatorzieſmeiour dumois d'Auril, l'an de no
ſtre ſalut 15oo. ,

-- • Or cette paix d'entre Baiazeth & les Venitiens eſtoit negotiée par vn
† nommé André Gritti, lequeleſtant ſorty de priſon, où il auoit eſté mis,
" commevous auez peuvoir cy-deſſus, apportoit des lettres du Baſſa Ach
. met, addreſſantes au Senat, par leſquelles il leur faiſoit entendre que s'ils
vouloient mettre fin à cette guerre, qu'ils enuoyaſſentvn des leurs à Con
ſtantinople pourtraicter des conditions de la paix, & qu'illeur ſeroit fauo
rable. C'eſtoitvne ruſe de Baiazeth, car cóme il voyoit toute la Chreſtien
Raſ des .. té en armes, bien que ce fuſt contre elle-meſme, toutes-fois il craignoit "&>

# fort qu'ens'accordas les vns auecles autres,la deſcharge tóbaſt ſur luy pour
# § le payement des fraiz. Et comme il eſtoit homme de plaiſir, & quiaimoit
" " l'ombre &le couuert, maniant preſque toutes ſes guerres par ſes Lieute
nans,ilapprehendoit autant la fatigue, & de mettre le pied àl'eſtrié, que
la perte qui luy euſt peu arriuer, toutes-fois comme lesTurcs ſçauentor
· dinairementbien prendre leur temps, il ſembloit qu'il euſtalors quelque
aduantage ſur eux, & partant leur pouuoit donner telles conditions qu'il
luyplairoit, & les deſtourner encore en ce faiſant des entrepriſes qu'ils euſ
2 ſent peu faire contre luy.
· Le Senat doncques ne refuſant point cette occaſion, mande à leur Ge
neral Pezare, de licentier toute ſon armée, excepté vingt galeres qu'ilde
uoitgarder pres de luy, & qu'ileſcriuiſtauRoy Ladiſlas de Hongrie, & luy
enuoyaſt
desTurcs, Liure ſecond. 21 I
enuoyales lettres d'Achmet, qu'ils auoient quant à eux deputé à Conſtan- ' -

--

tinople vn des leurs pour entraicter, le priant d'en vouloir faire demeſme, Ladd, Re,
afin que la paix ſe peuſt concluré plus ſolemnellement. Ladiſlas approuua #
† urpropoſition, mais iltenoit toutesfois cette affaire là enlongueur, paix.
de crainte de † la ſomme qu'il tiroit tous les ans dela Republique, s'il
n'yauoitquelque nouuelle conuention entre-eux : de ſorte que les Am
baſſadeurs Venitiens qui eſtoient en Hongrie recognoiſſàns ſonartifice,&
craignans que ce retardemét fiſt perdre l'occaſion de † bon accord -

auecques lesTurcs, ils accorderent que les trois mille liures d'or qu'ils luy
payoient tous les ans pourlaguerre; fuſſent (aduenant la paix)reduictes à
trois cens liures d'or, tant que Baiazeth viuroit; à quoy s'eſtant accordé,
comme ils penſoient que toutes choſes fuſſent reſoluès, Baiazeth quiauoit
auſſi faict voyant
menie,ſe trefues auecques
deliuré deletoute
Sophy, qui lechangea
crainte, trauailloit ſurles confins
de langage, d'Ar-
faiſant Trefues des
di- #" le

re par Achmet, qu'il ne vouloit point d'accord auecques eux, s'ils ne luy
rendoient l'Iſle de ſaincte Maure qu'ils auoient priſe quelque temps aupa
rauant ſur luy : de ſorte que les Venitiens, pour ne ſeconſommerd'auanta- Liſie de fin
ge en fraiz parlacontinuation de la guerre, furent contraincts de luy ce-†
der cette Iſle de ſaincte Maure, & ſecontenter de celle de Cephalonie : & parce traicté,
auecques ces conditions il iura la paix entre les mains de l'Ambaſſadeur -

desVenitiens,& luy enuoyavnChaoux afin de le faire iurerau Prince de la · s

Republique. -

Maisie ne puis icypaſſer ſoubs ſilence ce que raconte Tubero en l'Hi


ſtoire de ſontemps: c'eſt qu'vn certainTaliſman, c'eſt à dire vn Preſtre en
laloy Mahometane, ayant long-temps leul'Alcoranautemple de ſaincte
Sophie, vniour qu'illiſoit cette loy en la preſence de Baiazeth & de tout l

lepeuple,ilietta parmeſpris le liure contre terre,& ſe retournantversl'Em- Hiſtoi


pereur,diuinementinſpiré, il commença àluydire qu'ils'eſtonnoit com-§ blo d'vn Taliſ

·mentvn Princeſiſage & ſiaduiſé, eſtoit encore à recognoiſtrelavanité de † oſa volontai

lerreur de Mahomet, & lestr6peries deſquelles ce fauxlegiſlateur s'eſtoit #


ſeruyeneſtabliſſant ſa ſecte,nyayantrien de Diuinenelle, nyrien encores #º
quipeuſt conduire àvne vie heureuſe,eſgalant lavie future des hômes, & "
rendätleurfelicitéſemblable à celle desbeſtes.Deſorte que cetimpoſteur
Voyantla Religion de IE s vs-CHRIsT eſtre fondée ſurvne puretéd'e
ſprit&vnecontemplation deverité, & qu'elle reluiſoit partout degrands
miracles,ilvoulut munir ſa ſecte de force & deviolence, deux moyens fort
efficaces pour complaire aux affections humaines : voyla pourquoy il .
croyoit que la† Chreſtienne eſtoit la ſeule & vraye Religion; & |
que CHRIsT , ſelon que luy-meſme l'aſſeure, eſtoit la Vie, la Voye & ·.

laVerité, ce qu'iln'eut pas pluſtoſt dict, que Baiazeth, comme il eſtoit


ortportéaux ſuperſtitions Mahometanes, commanda de le prendre & de
°mettre cruellement à morthors les portes du temple, ce quifutfaict :
ºmmandant toutes-fois ſoubsgriefues peines, que cela fuſt tenu ſecret,
maisle grand Monarque des Roys,quiveut touſiours que la verité ſoit co- . -

#ºué, & principalement oùilyva de ſon honneur, & de céluy ſesſer #

| | | | * • * ------ --
- d> - % | • « ^ '

2 [2 Continuation de l'hiſtoire
uiteurs, permit qu'vn Turc Illyrien de nation, raconta ce diſcours à vn
Chreſtien du meſme pays, & à la verité cette hiſtoire merite bien eſtre
ſceue partous les Chreſtiens, puis que ceTaliſman, nullement initié aux
myſteres de noſtre Religion, eut toutes-foisl'aſſeurance de la deffendre
publiquement, & de s'expoſer courageuſement au martyre pour la ſou
ſtenir, action peut-eſtre auſſi magnanime, qu'aucune autre de l'anti
quité. ' -

Quelque temps apres Baiazeth, iouyſſant de ſes voluptez accouſtu


XV. mées , & ayant mis ſoubs le pied tout le ſoing des affaires, Imirze Beg, pe
tit fils d'Vſunchaſſan Roy de Perſe s'envintrefugier chez luy pouryne tel
le occaſion. Iacup quiauoit ſuccedé à Vſunchaſſan, auoit eſpouſé la fille
du ſeigneur de Sammutra,autantimpudique qu'autre femme de ſa qualité,
laquelle deuenuë amoureuſe & extremement paſſionnée de labeautéd'vn
icune ſeigneur des mieux apparentez du pays, & quiauoitmeſme quelque
affinité au ſang Royal, n'aſpirant pas ſeulement à contenter ſa lubricité
· poûrvntemps, mais cherchant les moyens d'eniouyr à touſiours : voyant
, , , que ſon mignon eſtoit aſſezapparenté pour pouuoir parueniràla couron
†º ne auecques tant ſoit peu de faueur qu'on luy pourroit faire, elle ſe reſolut
#, †º de ſe deffaire de ſon mary, ce qu'elle delibera auecques ſonamant, & trou
rººº ººº uerentenſemble quele plus ſeur eſtoit de l'empoiſonner.Ayant doncques
compoſé vn poiſon fort ſubtil & dangereux pourvenir à chefdeſon entre
priſe plus ſecrettement, elle fit dreſſervnbain fort odoriferant, ſelon leur
couſtume, où elle yinuita le Roy Iacup, lequely vint auecques ſon fils,
aagé de ſept à huictans, qu'ilauoit eu de cette deſnaturée Princeſſe, Iacup
fut fort long-temps dans le bain, puis s'envenantauSerrail des dames,elle
qui ſçauoitque ſon mary ſouloit boire ſortant dubain,luyvintau deuant
tenant en ſa mainvnvaſe d'or, dans lequel eſtoit lebreuuage de ſa mort,
· auccques vne contenance plus gaye † de couſtume, & toutes-fois auec
vnviſage plus paſle, la conſcience la forçant de donner quelque indice par
l'exterieur du crime qu'ellealloit commettre. Le Royvoyant ſa contenäce
r. --*ſonviſage ſe rencontrer ſimal , entra en ſoupçon de quelque mauuaiſe
d§ intention : cela fut cauſe qu'il la forcea d'en faire l'eſſay, ce que n'ayant oſé
†" refuſer, elle enbeut, puis le Roy, lequelen donna auſſià ſon fils : de ſorte
· que tous trois ne veſcurent que iuſques à minuict,ſiforte & violente eſtoit
cette mixtion : ce qui donnavngrandeſtonnement & confuſion à toute la
cour, voyans les Princes & Seigneurs vne mort ſi ſoudaine, laquelle cauſa
candecenſ degrands troubles partout le Royaume de Perſe, quivint comme encon
†# † & partage entre les plus forts, ceux qui eſtoient du ſang d'Vſun
de cePrince chaſſans vſurpans les Seigneuries qui eſtoientle plusàleurbienſeance, ce
que voyant Imirze,il ſe retiravers Baiazeth : mais en fin les plus grands Sei
gneurs de Perſe,laſſez de tous ces troubles, & voyans que leur Monarchie
#e prince s'en alloiteſteinte parce deſmembrement,ils reſolurent de deputer les plus
#. apparents d'entre-eux, pouraller en Conſtantinople, afin de redemander
zeth. Imirzembeg, d'autres l'appellent Iulauer, & diſent qu'iln'eſtoit que nep
ueu d'Vſunchaſſan. -
Ces
des Turcs, Liure ſecond. 213
Ces Ambaſſadeurs eurent charge premierement de demander à Baia
, zeth vn de ſes fils pour regner
$ ſur eux, luy remonſtrans qu'il auoit aſſez
d'autres enfans § luy ſucceder; mais Baiazeth qui auoit d'autres deſ Ambaſſadeurs.
7 *: l -- » -

$ b en la pen ée, leurfitreſponce qu'iln'auoitgarde de mettre vn de ſes # #


ſeings
enfans à la mercy degens ſimutins & ſeditieux, & beaucoup moins enco-§ Imirze.
res le legitime heritier auquel ilauoit donné ſa fille en mariage
&b
il n'y auoit
pas long-temps:car toutainſi que les Perſes pour euiter les entrepriſes qu'il
· euſt peu faire ſur leureſtat,luyauoient faict vne offre ſi honorable, luy auſ-†
iazeth retient

· ſipourvne meſme conſideration leur fit le refus, eſperant de pouuoirayſe-Imirze


ment conquerir ces grandes Seigneuries & ſelesaſſubiettir, violantainſi le
· droictdesgens, & priuant de la ſucceſſion de ſesayeuls, celuyauquelmeſ
&b

· mes il auoit donné ſa fille, & quis'eſtoit retiré de bonnefoy chez luy,
Auecques cette reſponce, ces Ambaſſadeurs eſtans retournez vers les
leurs, § enuoyaderechefvers luy pour luyfaire vneautre propoſition,
à ſçauoir que puis qu'illeur denioitvnde ſes enfans,qu'au moins illeurren-Autre Ambat
diſt leurlegitime heritier, adiouſtans que la paix s'entretiendroit mieux†"
entre les EmpiresTurc & Perſan, quand ceux quicommanderoientſurles º -

Perſes, ſeroient deſcendus du coſté des maſles du grandVſunchaſſan, &


de par ſa fille de la tres-noble & tres-illuſtre famille des Othomans.
Imirzebegayanteſté informé de la legation de ces Ambaſſadeurs, vint
luy-meſme prier Baiazeth de luy permettre non ſeulement d'aller recou- Imirze luy d
urer ce quiluyappartenoit, mais auſſi de luy donner forces ſuffiſantes pour †
pouuoirplus honorablement & plus ſeurement s'eſtablir ſur le troſne de †
ſes ayeuls : Mais Baiazeth qui n'auoitnulle volonté de le ſecourir, luy re-º
mit en auant les ſeditions † Perſes, & le peu de fidelité de cette nation,
qu'il ne ſeroit pas à peine arriuélà, qu'à la moindre rumeurils le mettroient
en pieces : Qu'ildemeuraſt doncauecques luy, & †
n'expoſaſt point ſa
femme & fille deluy,à deſimanifeſtes dangers,qu'il ſe preſenteroit des oc
caſions moins dangereuſes & plus certaines pour recouurer la Perſe qu'en
ce temps-là, où tout eſtoit en deſordre & combuſtion, que ſi cela arriuoit
il l'aſſeuroit de ne manquer iamais à tout ce qu'vn pere peut faire pour
lhonneur de ſa fille, & àtout ce qu'vngendre bien-aimé peut eſperer de
ſonbeau-pere. - - |
| Parce langage Imirze recogneutaſſez que Baiazeth ne luy Permettroit peſeuure le,
iamais des'en
qu'il falloit aller, de
ſe ſeruir & diſſimulation,
penetrant à peu&pres
puisdans
apresſesd'inuention.
conceptionsFeignant
il penſa †**
Baiazcth.

doncques de trouuer ſes conſiderations § à propos, & qu'elles luy ren


doient touſiours vne plus grande aſſeurance de l'affection qu'il luy auoit
teſmoignée iuſques alors, d'auoirvnſigrand ſoingde ſa conſeruation, &
de le retenir pres de ſa perſonne. Il trouua doncques moyen de gaigner
Dauutle grandVizir, lequelluyauoitdeſia donné parole, qu'au cas qu'il Faict toutes
n'obtinſt permiſſion de Baiazeth de s'enretourner en ſon pays & en ſon fo§
Royaume, qu'illuy faciliteroitlesmoyens de ſe retirer, pourcefaire il luy #"
auoit donné vne ceinture & vne ſorte de poignard quelesTurcs appellent †,
Hantzara,l'vn &l'autre enrichide pierreries de tres-grand prix que feu ſon "°rº
·· · - · Dd iij
-
2 I 4- Continuation de l'hiſtoire
pere luy auoit laiſſée : Et pour euiterles courſes qu'on euſt peu faire apres
Imirzebeg,s'enfuyant parle conſeil de Dauut, il mit des cheuaux par tou- .
· tes les hoſteleries par où il deuoit ſeiourner, afin d'en auoir touſiours de
frais en maniere de poſte ou de relais, de ſorte qu'ileut incontinentgaigné
les confins de la Perſe, ſansauoir trouuéaucun empeſchement.Auſſi-toſt
que le bruit de ſon arriuée fut eſpandu par le pays, les principaux ne failli
rent point à levenir trouuer, & luypreſter le ſerment de fidelité, comme
1tariue ſºns au legitime heritier de leur Prince, auſſi ilaſſembla incontinent apres par
† leurayde & conſeil vne puiſſante armée, afin de pouuoir reduire § ſa
† † puiſſance les Prouinces quine l'auoient point encores recogneu pour ſou
riuée uerain : de ſorte que deiour à autre vneaffluence de nobleſſe, le venoient
- trouuer, & recognoiſſoit-ondeſia en ſa cour le luſtre de la maieſté des an
ciens Roys de Perſe. -

paruenuàla couronne des Perſes en la maniere que vous auez


Imirze
entendu, enuoyavnAmbaſſade à ſon beau-pere Baiazeth pour le rendre
a†, certain de l'heureux ſuccez de ſes affaires, & comme il auoit eſté reſtabl .|

" dansl'Empire de ſes maieurs, ſoubslappuy toutes-fois de l'heureuſe for


· tune de ſonbeau-pere,duquelauoit deſpendu toutſonaduancement,qu'à
laverité la plus grande part de ſes ſubiects l'auoient recogneu,mais † CIl

reſtoit encores quelques-vns qu'il ſe falloithaſter de ramener à la raiſon,de


crainte qu'ils ne ſeruiſſentapres de retraicte à ceux qui voudroient peut
eſtre faire les mauuais, comme ilarriue ordinairementenvnenouuelle do
mination, qu'il auoit en cela grand beſoing de ſon ayde , eſtant priué,
commeilſçauoit, des commoditez neceſſaires pour faire la guerre, eſtant
venuau Royaume pauure commeileſtoit; Partant qu'ille ſupplioitautant
n la demºis " il eſtoit poſſible, †
n'abandonnaſt point ſon gendre CIl VIlC affaire ſi
§ § importante, veu qu'il eſtoit ſi preſt devoir la fin de ſes affaires, & qu'ils'aſ
§ #" ſeuraſtd'auoir touſiours luy & ſon Royaume en ſa puiſſance & deuotion,
- qu'illuy enuoyaſt doncſa femme & del'argent pour ſubuenirà ſesaffaires,
& ranger les rebelles ſoubs ſon authorité.
Baiazeth ayant entendu l'eſtat de la bonne fortune de ſon gendre, &
qu'il ſembloit par ſes diſcours qu'il n'euſt aucun reſſentiment de ce qu'il
luy auoitvoulu empeſcher le retour en ſon pays (comme auſſi Imirze, qui
s , .. eſtoitvn Prince fort diſſimulé, n'auoit garde deluy faire paroiſtre) il luy
§ 3 mariage,
· Imirze.
enuoyaincontinent ſafemme, ſomme
auecquesvnegrande à ſçauoir ſa fille qu'il
d'argent, & deluy auoit
forts donnée
riches en
preſens,
taſchantainſi de reparer ſa faute par quelque notable bien-faict. Mais tan
dis que la Sultane s'acheminoit auecques fort grande compagnie vers
ſon mary Imirze, quiauoit plus de memoire pour ſe vanger des mauuais
offices que les grands du pays luyauoient rendus autres-fois, que dereſſen
".

timent des bons ſeruices tous fraiſchement receus, cherchoit quelque in


Mauusi, con uention pourles pouuoir tous aſſembler envnlieu, & là les faire tous paſ
† ſerparle fil de §
, voulantimiterce qu'auoit autres-fois faict Achmet
# Baſſa, vn autregendre de Baiazeth,lors qu'ilaſlubiectitlaCaramanie, caril
s'eſtoitformé cette opinion qu'il ne regneroit iamais en repos, tant qu'il
l · , euſt
des Turcs, Liure ſecond. | 215
euſt exterminétous ceux quipouuoientauoirdel'authorité,ilpenſa donc
que cecy ſeroit fort à † pos, ſi faiſant ſemblant de s'eſtre reconciliéauec
eux, & d'auoir mis ſoubs le pied toute hayne, pour marque qu'il ne s'en
vouloit plus reſſétir,illes inuita tou$en vn feſtin tres-magnifique qu'illeur
vouloit faire, qui deuoit neantmoins eſtre le dernier de leurvie, mais il fut
) • /
prisaupiege qu illeurauoit luy-meſme prepare : car vn des domeſtiques Trahy par vn
- - - - - -

d'Imirze,auquelilauoit
» q toute confiance,
.2 & quiauoit eu communication ºº ººº
" * ſtiques.
:) • . /-•

de ce conſeil, preferant lagrandeur de la recompence † il en eſperoit, à la


elité qu'il deuoit à ſon maiſtre, alla deſcouurir tout le ſecretaux autres
fidelitéq :) :)
[. leſquels
quels donnerent fibon ordre àleursaffaires,» G|
-
que lors q
qu'Imirzeles p
pen
ſoit tenir tous dans ſes filets, ils ſe ruerent tous enſemble ſur luy, ſe van- Maſſieréras
geansainſi de ſa perfidie, parvne infinité de coups mortels qu'ils luy don-†
nerent.Dequoy eſtansaduertis parle cheminceux quiconduiſoient la Sul
taneſafemme, & l'argent que luy enuoyoit Baiazeth, ils aduiſerent dera Sa femme & le
- C)

| mener le tout à leur maiſtre ſans paſſer plus outre, prenans meſmes quel- iazeth
§
† Saniacs & de nouuelles forces, de crainte des embuſches & mauuai-§ ſe reti

· ſes rencontres qu'on leur euſt§ faire, ils retournerent en toute ſeureté à "Pº .
Conſtantinople.Telle fut la fin de ce pauure & mal conſeillé Prince, qui
auoit trouué plus de ſecoursaux eſtrangers, qu'en ſes plus proches, & qui •
apresauoir courutant d'aduentures, vint finir ſesiours en ſon† , iuſte
ment &de
comble miſerablement
ſes felicitez. aſſaſſiné par les ſiens, lors qu'il penſoit eſtre au
- , • ºf

La nouuelle de cette mort rapportée à Baiazeth, on luy racontaauſſi


parquels moyens Imirze s'eſtoitretiré enlaPerſe : ces choſeslàne ſe pou
uans pas celer, meſmes apres la mort de celuy qui pouuoit faire taire ceux
quien euſſent voulu diſcourir : ce que ſçachant Baiazeth, & meſmes que
Dauutauoit pris pourrecompence cette riche ceinture & le Hantzar dont
/ Dauut empoi
nousauons parlé, luy qu'iltenoit cherpar deſſus tous, & en qui il auoit ſa # cómandement
, principale confiance,illuyoſta premierement ce que Imirzeluyauoit don §
né,&apreslefit empoiſonner, ce quiarriua landenoſtre ſalut 15o6.& de
l'Egire 912. -

Troisans apres, durant lequeltemps Baiazeth demeura en Conſtanti- XVI.


nople en ſon oyſiuetéaccouſtumée,le ſixieſme du mois de Zuinaſuil Eucl
lis,apresle IudſuNamazi, ou prieres qui ſe font entre le Soleil couchant
&laminuict, & que les Turcs ontaccouſtumé d'app eller la ſeconde heu- Iudſ Nami
redelanuict,ilvintvn ſigrandtremblement de terre en cetteville de Con-†.
ſtantinople, qu'ilabatit ſe ſomme de ou ioignantes aux Moſquées, les de la nuict.
tours de la ville,les cheminées des maiſons, pluſieurs eſtans § ſoubs cana estis
laquantité des pierres quitomboient de toutes parts, & des maiſons qui †°
eftoient bouleuerſées,ſique chacun penſoit eſtrearriué à ſa derniere heu-§.
re, & perſonne ne vouloit dèmeureren ſa maiſon; chacun cherchant les
lieux deſcouuerts, les vns danslesiardins, & les autres emmy les champs,
La premiere nuictilfiftſiimpetueux que pas vn ne peut clorre l'œil, mais
† d'horreur & de frayeurdelamort, chacûſemiſtà faire des prieresſe--
ohleurmode attendant ſa derniere heure.Ce terre-tremble dura quarante

4
'216 Continuation de l'hiſtoire
iours continuels, durant leſquels ilne ſe paſſaheure, ſoit denuictſoit de
iour qu'on n'en euſt quelque reſſentiment, qui fut cauſe que Baiazeth
voyantvnetelle ruine arriuée en ſa ville, il manda de toutes parts qu'on
euſtàluy enuoyer des Architectes, rºçons , charpentiers & maneuures:
de ſorte qu'ilenaſſemblabien iuſques à quatre vingts mille qui vindrent
tous en cette ville là, & les mit-on ſoubs la conduite de l'Architecte de
† Gonſtantinople que les Turcs appellent Meimarem, lequel mettoit en
sº œuuretantlesingenieurs Italiens qu'autres ouuriers, & par deſſus tous l'A
ga des Iennitzaires qu'on † elloitIunexes,pour yauoireſgard.Quant à Ba
iazeth tandis qu'on trauailloit à Conſtantinople, ils'enallaſeiournerà An
drinople. - -

Enuiron ce tempsiladuint enlaNatolie, en la Prouince de Tekelen la


† Phrygie, contrée quiauoiſine l'Armenie mineur & la Lydie, en vn
ieu qu'on appelle Kiſulcaia, c'eſt à dire pierre rouge : deux ſectateurs de
# dº Sechaidar,ſurnommé Harduel, pere d'Iſmael Sophy Roy de Perſe,duquel
*" nousauons faict quelque mention en la vie de Mahomet, l'vn deſquels
* -- s'appelloit Chaſan chetif, & l'autre Schach Culi, auecques vn ſeruiteur
qu'ils auoient, machinoient pluſieurs nouueautez dans la Prouince : ceux
* cyauoienteſté reclus quelques années dans vne cauerne, & Baiazeth leur
enuoyoit tousles ans † ou ſept millcaſpres, penſant faire vne choſe fort
1eurhypocri. agreable à DIE v, eſperant par leurs prieres de ſe le rendre plus fauorable,
carils eſtoient engrandereputation de ſaincteté enuers luy, mais ilyauoit
auſ d'autres Perſes de leur § ui venoient là auec eux.En fin comme
ils eurent diſpoſe leurs affaires ſelon leur deſir, & faict vngrandamas de
leurs ſectateurs,ils les inciterentàlareuolte, leur remonſtrans que le Sul
tan Baiazeth, reſſembloit doreſnauantàvntronc, ayant perdu toutes les
forces de ſon corps & l'vſage de tous ſes membres pour la podagre qui le
mangeoit. Que † enfans contre les loix de la charité fraternelle ſe man
† les vns les autres, & que parmy ces querelles inteſtines l'Empire
e deſmembroit: de ſorte † ne pouuoit pas longuement durer. Quant
à moy, diſoit Sceich ou Schach, vne eſpée m'a eſté diuinement enuoyée
du ciel pour eſtablirvnnouueau regne enlaterre : que ceux doncques qui
voudront paſſerheureuſementleursiours me ſuiuent, carie les combleray
de toutes † de richeſſes,ſibien que parces diſcours, & autres illuſions
illes perſuada de ſorte qu'ilsleuerent l'enſeigne & ſe mirentàle ſuiure, en
leur trouppe ſeioignitvnSubaſſinommé Vſtuziogli, que Caragoſſe Be
glierbey de la § , auoit non ſeulement priué de ſon office, mais en
cores de ſa penſion & reuenuannuel de Timar; cettuy-cy ſe vint ioindre
incontinent àSchach Culi, prenant cette occaſion pourſevanger de Cara
- oſſe, & auecquesvnegrande multitude quis'y eſtoit confuſement amaſ
# , & coniointe à ceux-cy, ils s'envindrentenuahirlaville d'Antalie,iadis
Attalie : Haniualdanl'appelle Cutaia, la reſidence du Beglierbey, vn iour
de marché & lorsque † eſtoit empeſchéà ſon trafic, la ſaccagerent,
& prindrentle Cadis ouiuge du lieu, qu'ils firent cruellement mourir, &
mirent ſon corps en quatre quartiers, leſquels ils pendirentauxtours des
- Moſquées,
des Turcs, Liure ſecond. 217
Moſquées.Puis enuoyerentaduertirceux deleurſecte,à ſçauoirles Caſſel
' bas,ou teſtes rouges (car c'eſt ce que ce mot ſignifie) qu'ilsauoient obtenu Diſcours de
2• - - - $o -

lavictoire & qu'ils vinſſent en di 1gence leurayderà pourſuiure leurbon ces impoſteurs
nefortune, ce que lesautres firent en diligence : de ſorte qu'ilss'aſſemble
rent bien iuſques à dix mille hommes, auecques §ils ioignirent
ceux qu'ilsauoiét peuramaſſer de la ProuinceTekel, pourſuiuâs leur poin
teauectantd'heur, qu'ils defirent Caragoſſe Baſſa, Beglierbey delaNato
lieenbataille, &l'ayans pris priſonnier,le monterent ſurvnaſne, & leme Vičtoire des
nerent partout leur camp,auecques toute ſorte d'ignominie, & puisapres Caſſelbas ſur

† ; faiſans cependant vn merueilleux degaſt par oü leur armée les Turcs.

paſſoit, ayans bien cette preſomptionmeſmes de mettre bas la gloire des


Oſmanides, ainſi appelloient-ils les Turcs, & de les deſpouïller de leur
Empire. - - , ' .

Pourſuyuans doncques leur pointe, ils preſenterent encores à Caragoſſe


vne autre bataille,laquelle il perdit, toute ſon armée miſe en route & lu
côtrainct de ſe retirer en lieu de ſeureté,mais ilsluy chauſſerentles eſperons desAutre defaite
Turcs.
deſipres qu'il fut pris & mené à Cutaia, où ils l'empalerent à la veuë de la
cité, bien qu'il fuſt d'vne excellente beauté, & le mirent, † l'Hiſtoire
Turque aurang des Sehides ou des ſaincts,au nombre deſquels ils mettent
ceux qu'ils diſent mourir engens debien; d'ailleurs les Saniacs de la Nato
lie ſe trouuerent bien empeſehez, voyans qu'ils ne pouuoient reſiſter à
lennemy; car les forces de ces Caſſelbas augmentoient de iouren iour, &
partout oûleur cruelPrince pouuoitmettre le pied, il mettoittoutà feu &
àſang, eſtant deſia paruenu iuſques à la Prouince. - -

Cependant Corchut fils de Baiazeth (on luyauoit donné ce nom pour


imprimervne terreur) mandatoutes ces choſes à l'Empereur ſon pere, &
en queleſtat eſtoiétſesaffaires ences quartiers là.A ces nouuelles Baiazeth
ſecolera fort contre ſes Baſſats, principalement contre Haly & Achmet
Herzecogli, de ce qu'apres tant de pertes receuës par les Caſſelbas, ils ne Courreuxcon de
luy enauoient pas dictvn ſeul mot, & craignant qu'il arriuaſt pis, il en Baiazeth
tre ſes Baſſats.
uoya en diligence Haly Baſſa auecques commandement de faire en ſorte
qu'iltiraſt raiſon de ces meſchans, autrement qu'ils'aſſeuraſt qu'il le feroit
eſcorchertoutvif. Haly fit ce qu'illuy eſtoit commandé; & venant en la
Natolie auecques le SultanAchmet fils de Baiazeth, conioignans enſem
bleleurs armées, outrevne multitude de gens deguerre, tant des Iennit
zaires de la porte que de pluſieurs endroicts,leſquels Haly mena par le mi
lieu delaNatolie, s'arreſta à Kiſulcaia, où § conſpiration des Caſſel
bas auoit eſté tramée, comme auſſi le Sultan Achmet partant d'Amaſie
auecvn de ſes fils, ſevint ioindre à luy, oùils firent quelque temps repoſer
& raffreſchir leurs ſoldats. · •

Cependant les Caſſelbasauoient pris leur chemin deuers la Caramanie, Autre viétoire -

delaquelle Prouince eſtoit Beglierbey Haidar Baſſa, & ZindiChelibe ou des Caſſelbass
Gladiateur (car c'eſt ce que # nifie ce mot) qui eſtoit vn des Saniacs,
leſquels leurs ayans liuré le combat,ilsyfurent ſipcufortunez que leurs te
ltcsydemeurerent pourlesgages. Delàles § pourſuiuâs touſiours
Ee -
A"

218 Continuation del'hiſtoire


leurs conqueſtes,arriuerentàvne certaine plaine qu'on appelleZibuc Oua
ou le champ des Vierges, ſituée entre la Caramanie & la Caiſarie, de la
quelle elle eſt diſtante de quelque quarante ſix milles, & de Sebaſte de ſoi
xante & cinqmilles.Haly eſtant aduertydeleur depart,ne fut pas peutrou
blé enſon eſprit, maisvoyant que le ſonger n'yvaloitrien, il commençaà
dire aux ſiens : Quim'aime, monte à cheual & me ſuiue : ce qu'ils firent en
.. toute diligence,ne ceſſans de courirtant qu'ils fuſſent arriuez à Zibuc Oua.
# Les Caſſelbasaduertis
deſpeſcher
Caſſelbas.
que lesTurcs
ceux-cy commeils eſtoient
auoient faict lesfort proches,
autres, s'aſſeurans
toutes-fois afin de
de
n'eſtre pointſurpris, ils fortifierentleur camp,mettans à l'entourleurs cha
meaux,& au § leurs munitions & bagage,laiſſans vn aſſez notablein
teruale entre les portes, afin de pouuoir faire des ſorties pour combatre
leurs ennemis, attendans de cette façon les Turcs en fort bonne de
uotion. -

D'autre coſté Haly Baſſaauoit aſſemblé vn fort grand nombre d'hom


mes,mais la plus partharraſſez pourauoir eſté quinze iours ſurles chemins,
& venus à § grandes traictes, ſi bien que preſque tous leurs cheuaux
eſtoientrecºus & encaſtelez, & toutes-fois luy qui bouïlloit d'ardeur de
Bºn de combatre, voulut faire auſſi-toſt marcher ſes gens contre l'ennemy. En
" cette armée eſtoit Caramuſa,leKihaia ou Lieutenant des ſtipédiaires qu'ils
appellent Olofegi, homme d'experience & de valeur, lequel ne pouuant
approuuer cette precipitation, diſoit qu'il eſtoit plus à † pos d'attendre
les forces quileursvenoient à dos, & laiſſer reprendre haleine à ceux-cy,
que † quel'ennemys'eſtoit arreſté, que c'eſtoit à demy gain de § :

car il ne leur pourroit eſchapper qu'ils n'en tiraſſent la raiſon, & ſi n'auroiét
point la peine de courir apres luy, pourle moins deuoient-ils attendre en
cores deuxiours : Mais Haly Baſſa, que lagrandeur de cette charge auoit
aliené de ſon bon ſens, plein de preſomption, & de bonne opinion de
ſoy-meſme, le regardant de trauersluy dit : Mais qui es tu fils de Ramaſan,
†º quinous viens icy conteroollerº penſe ſeulement à bien combatre, & là
ºº gºeral deſſus range ſes gens enbataille,& les faictmarchercontrel'ennemy.Tout
au commencement de ce conflict, Chaſan Helifes chef des Caſſelbas fut
parvn cas d'auenture navré à mort d'vne fleche, de laquelle bleſſeure ilex
pira ſur le champ : ce quiapportavn † trouble & vne grande rumeur
† dans le camp des Caſſelbas.Haly d'ailleurs ſans autre conſideration,oubliât
§ le rang qu'il tenoit, & laneceſſité de ſa perſonne en ſon armée,voyant cet
†. te confuſionne ſe peut tenir que donnant des eſperons ilne couruſt à tou
# #º * te bride contrel'ennemy : & comme il eſtoit plus emposté de fureur que
de conduite,il ſe trouua tellement enuironné des Caſſelbas,qu'auparauant
que de pouuoir eſtre ſecouru des ſiens, il y finit miſerablement ſes iours,
ayant perduvneſibelle occaſion de deffaire ſes ennemisiuſques àvn, ſans
courir aucune riſque, & ſevanger des pertes qu'ils auoient faict ſouffrir
aux Turcs, mais cette vangeance eſtoit reſeruée à vn autre, & voicy
COIIlIIlCIlt. -

. LesTurcsapresla mortd'Haly,ſetrouuans ſansconduite,commence


- TCI1t
des Turcs,
- ©
-
-
-

\
À

Liure ſecond. 2 I9
· rentà ſe debander, de maniere que les Caſſelbas eurent toute commodité
de ſonnerlaretraicte, & s'enalleriuſques aux confins de la Perſe ſansaucun #
empeſchement.Comme ils approchoient deſia de la ville de Trebis,iadis†"
Tauris, & qu'ils venoient de tendre leurs pauillons, voicyvne Carauane º `
qui leurvintàl'encontre; ces Carauanes ſont vne multitude de toutes ſor
\
tes de gêns qui ſe mettentenſemble de compagnie, quandils ont †
grandvoyageà faire, pour euiterles dangers des chemins, &allerplus ſeu
rement parpays. Orcette Carauane appartenoità Iſmael Sophy, Schach .
des Azemiens ou Roy des Perſes : ceux-cy doncques, ſans s'enquerirà qui Le caſ ta,
· celaappartenoit, ſe ruent deſſus, tuenttoute cette multitude d'hommes † rauame cauſe
&pillent leurs marchandiſes. De là leurs chefs penſerent qu'ils auoient be de leur ruine
ſoing des inſinueraux bonnesgraces du Sophy, deſquelles ils ſe faiſoient
forts, comme tenans ſon opinion enlaloy de Mahomet, celales fit ache
miner àTrebis, où le Sophyreſidoit pour lors. Ceux-cy eſtans introduits
· en ſa preſence, illeur demanda par quelle authorité ils auoient occis les
Baſſats de ſon pere adoptif, ainſi appelloit-ilBaiazeth parvne maniere de
parler § , car ilneluyvouloit point débien : ceux-cy reſpondi
rent que c'eſtoit à ſon occaſion, & pour deffendre ſa querelle, & chaſtier )

les Iezideos ou Heretiques.Etpourquoy doncques,ditalors le Roy,auez -

vous maſſacré ceux de la Carauane ? & pourquoy auez vous vollé leurmar
chandiſe ? A cecy eſtans ſurpris, carils ne penſoient pas que cela fuſt venu
iuſques aux § du Sophy, & nepouuans que reſpondre, le Sophy di- La punition
§ toute cettetrouppe de ð aux Seigneurs de ſa Cour, en don- † fit le So
nant àl'vn dix & àl'autre vingt; & quantaux chefs,illes mit entre les mains
- de ſes Cordeziler ou ſtipendiaires pour les faire tous mourir. Telle fut la
fin de cette guerre des Caſſelbas, en la Cataſtrophe de laquelle, comme
ditSpandugin, cecy eſt digne de remarque, à ſçauoir quel'vn des chefs de
ces ſeditieux, quis'appelloitSchach Culi, c'eſt à dire eſclaue du Roy de
Perſe, fut pris parle meſme Roy de Perſe, qui parvnloüable exemple d'v Scitan Culieſ
· neſeuere iuſtice, le fit bruſler tout vif: les Turcs auoient ſurnommé ce claue de Satan
· Schach Culi, ſeruiteur du Roy de Perſe, Scitan Culi, c'eſt à dire Eſclaue , †
des Caſſelbas.
de Satan.
Mais puis que nous ſommes ſur les entrepriſes des Perſes Sophians, &
que doreſnauant toute cette hiſtoire ſeraremplie des guerres quelesTurcs
ont euës à demeſler auecques cette nation, ilne ſera peut-eſtrepas hors de
propos pourl'eſclairciſſement de cette hiſtoire, d'en diſcourirvn peu plus
-
aulong, que nous n'auonsfaictenlavie de Mahomet. - -

Du temps doncques d'VſunchaſſanRoy de Perſe, vn Seigneur dupais XVII.


nommé Sechaidar, que quelques-vns tiennent auoir eſté parent de Haly Origine
-
, des
· gendre & nepueu de Mahomet le faux Prophete, auquel pour la reputa- c§
tion qu'ilauoitd'eſtre ſainct & ſçauanthomme, & ſurtout bien entendu ,
%:. enſaloy & enl'Aſtrologie,Vſunchaſſanauoit donnéſa fille à femme.Cet
/ » - -

\$ tuy-cyappuyé de l'alliance Royale , & ſe voyant en grande #PutºnPar p ...


toutle pays,ramaſſa tous ceux qui eſtoient eſpars deçà & delà qui ſuiuoiét †
| ſonopinion, & le reueroient comme vn ſainct homme. Or ſa premiere""
Ee ij
2 2 G) Continuation de l'hiſtoire
· demeure eſtoit à Ardouil, cité aſſiſe non gueres loing du lac deVaſthan,
où il preſchoit ſa doctrine au peuple apres la mort de Iacup, & en tiroit
pluſieurs à ſon party,ſe monſtrant mortelennemy des Chreſtiºns.Etcom
' me toutelaloy Mahometane eſt fondée ſur lesarmes, auſſi-toſt qu'ilſevid
des forces ſuffiſantes pourtenir la cápagne, il ne faillit pas auſſi à courir ſur
ſesvoyſins, § ſur les Circaſſes, leſquels ſe trouuerent telle
mentinquietez parles Sophians, qu'ils furent contraincts d'auoir recours à
Alumut pour lors Roy de Perſe,le priansd'auoirpitié d'eux,& de leur pays
· quis'enalloit ruiné parla tyrannie desSophians. -

|ville
s ſaiſide dela
Der-
, Durant ces choſes Sechaidar ſe fit ſeigneur de Derbent,ville aſſiſe ſurla
- - - -

· § " " mer Caſpie, & ſeruant de paſſage & deffence pouraller de pays en autre,
n'y ayant qu'vn deſtroict, Alumut eſtoitlors à Tauris quandonluyappor
tales nouuelles; ce qui le fit haſter de ſecourirles Circaſſiés:& de faictilen
uoya contre-eux vne † armée qui les arreſta court au progrez de
, , leurs conqueſtes, par la perte d'vne bataille, où ces Sophians furent preſ
# * que tous mis en pieces, & meſmes Schaidary fut occis, & ſa teſte coupée
º & donnée aux § pour la deſchirer,ce ne fut pas toutes-fois ſans ſe bien
deffendre, & ſans fairemourir plus de quatre mille Perſans. Les enfans de
Sechaidarquieſtoient ſix, trois maſles & autant de femelles, s'enfuirent,
l'vn en la Natolie,l'autre en Alep, & le troiſieſme qui s'appelloit Iſmael,
† s'en alla envne Iſle nommée Armining, ſituée ſurle lac de Vaſthan ou Ge
lucalac; cettuy-cy n'auoit encores atteint que l'aage de treize ou quatorze
ans, beau à merueille,gentil & courtois, & qui promettoit en §
quel
que choſe de grand à l'aduenir. Cet enfant eſtant tombé entre les mains
d'vn PreſtreArmenien, fort grand Aſtrologue & ſçauant en la iudiciaire:
& commeileuſt †
coniecture que cet enfant deuoit vniour parue
| , nirà quelque grande ſeigneurie, il eſtoit d'autant plus ſoigneux de l'eſle
† uer & le tenoit ſecret, à cauſe qu'on le cherchoit pour le faire mourir : ce
preſtre taſchoit de l'endoctriner en la loy Chreſtienne, à † ( peut
eſtre) euſtilgaigné quelque choſe, ſi l'ambitionn'euſtrauy le cœur de ce
ieune Prince, lequelne ſe ſoucioit de Religion, ſinon en tant qu'il voyoit
qu'elle luypourroit ſeruir pourl'execution de ſes deſſeins. Cettuy-cypar
uenu àvnaage plus grand, & bruſlant de deſirde ſe faire paroiſtre, deman
Armining lieu da congé à ſon maiſtre &gouuerneur qu'iltenoit au lieu de pere (comme
#
re du Sophy. toute ſavieilreſpectale lieu d'Armining, ſemonſtrantaſſez fauorable aux
- N -

Chreſtiens)&s'en alla à Chilun chezvn orfevre,grandamy de la ſecte So


phiane, & affectionné ſeruiteur à la maiſonde Sechaidar, où il ſe ferma
Moeurs d'Iſ.
pourvn temps, & de là eſcriuoit à ſes amis qui eſtoient à Ardouil, auec
maël-
ques leſquels prattiquantainſi parlettres & ſecrets meſſages, illes fit en fin
reſoudre devanger la mort de leur Prophete Sechaidar, & la deffaicte des
· Sophians faicte à Dcrbent par les ſoldats d'Alumut.. -

Sa premiere La premiere entrepriſe d'Iſmaelfut ſurle chaſteau de Maumutaga, aſſis


c§ ſurlamer Caſpie, qu'il emporta parſurpriſe, perſonne ne penſant à luy,
& comme c'eſt l'ordinaire en vne pleine paix : il n'y auoit en cette place
qu'vne bien petitegarniſon, encore les gardes ne ſe tenoiét ils pasaux por
- - tcS
2 © - -

desTurcs, Liure ſecond. 22l


, tes pour lesgarder : Ce chaſteau leur ſeruant de retraicte apres qu'ilsauoiét
)! faictleurs courſes, comme eſtantenlieu imprenable, & ayans tout moyen
l deſefournir de viures parlamer,à cauſe que tousles vaiſſeaux quivoguent
: le long de la mer Caſpie, abordent encet endroict là. Or voulut le bon- -

# heur d Iſmael, qu'au † urgaſſis au deſſoubs du chaſteau, il trouuavntre-r. ,


#. ſor de prix ineſtimable, par le moyen duquel il fitvnegrandeleuée deſol- par Iſmael.
# dats, & outre ce pluſieurs pratiques,enuoyant des preſensaux plusgrands,
, pour paruenirà ſes deſſeings : de ſorte que luy qui n'auoit que deux cens
hommes de guerre lors qu'il printlechaſteau ſuſdict, en moins de rienilſe
# · vid cinq ou ſix mille Sophians à ſa ſuite, auecques leſquels il commença .
, de courirplus hardiment les terres d'Alumut, prenant ſon pretexte qu'il
#. eſtoit fils de la fille d'Aſſambegou Vſunchaſſan, & que cettuy-cy n'eſtoit
# pointiſſu du ſang Royal de Perſe. -

: | Alumutvoyant d'ailleursl'impoſſibilité de prédre & forcer Maumuta- #


# † qu'Iſmael auoitfortifiée & munie de toutes choſes neceſſaires, aueevne - --

# onne & fortegarniſon, penſa que c'eſtoit choſe inutile & perte de temps
# que de † ils'imaginoit auſſi qu'Iſmael ſe contenteroit de cettepie
# ce, & que ſe laiſſant endormir en ſa proſperité,ilnegligeroit de ſetenir ſur
#r ·ſes § ſurprendroitlors qu'ily penſeroitle moins.Mais Iſmael qui
- n'auoit pas faict deſigrands remuemens pour ſi peu de choſe qu'vne for
(. tereſſe, bien que cloſe & renfermée de toutes parts, ne pouuoit pas arre
ſter là le cours de ſon ambition,nyle progrez de ſes conqueſtes. Se voyant -

- doncques vne retraicte aſſeurée, & que le Roy negligeoit de s'oppoſer à sisses priſe
- ſes efforts,ilaſſemblalaplus puiſſante armée qu'il peut & s'envint aſſieger #º
-*i la cité de Sumachia, ville grande & capitale du Royaume,aſſiſe entre les Ar. phiant
: meniens & les Medes, nonloing § Caſpie ; Sermangoli Royd'icel
#. le, & tributaire du Roy de Perſe, ſe voyant trop foible pour tenir teſte
# aux Sophians, quittalaville & s'enfuit au chaſteau'de Caliſtan, place im
: renable, ſi bien que ſans reſiſtance Iſmael ſe rendit maiſtre de cettegran
: de ville, où il fit vn merueilleux butin de toutes ſortes dericheſſes, enri
· · · chiſſantainſi ſon arméeaux deſpens de ſes ennemis, & luy-meſme leurfai
sº, ſoit pluſieurs largeſſes pour lesattirer: de ſorte qu'il courut de luy cettere
putation preſque partoute l'Aſie, qu'il eſtoit le plus ſage, vaillant & cour
· tois & liberal Prince qui fuſt pour lors : ce qui fut cauſe d'en faire rendre Renommêe |

, pluſieurs Sophians, pour participer ſeulement à ſes butins & con-§


:- queſtes. - -

4 | Cependant Alumutvoyant l'heureux ſuccez de ſon ennemy, aſſemble


ſes forces detoutes parts : & le Sophy faict le ſemblable de ſon coſté, en
- uoyantvers les Roys d'Iberie ou Georgeanie (qui eſtoient trois pourlors)
º à ſçauoir Schender,Gurguran & Mirzam, leur demander ſecours, auec
quesgrandes promeſſesd'affranchir les Chreſtiens par toute la Perſe (car Les Georgians
les Georgians font encore àpreſentprofeſſion de la Religion Chreſtien-† †
ne)ceux-cyluy firentiuſques à trois mille cheuaux, & ſix mille hommes "# -

'de pied, tous vaillans hommes & hardis combatans, comme ils ſont en
-, core à preſentdesmeilleurs de tout l'Orient : ceux-cy venans trouuer Iſ
•• • - · E e iij .
ſ- - - - º - - 5 | • -

| 222 Continuation del'hiſtoire


maelà Sumachia,furentreceusauecquestoute lacourtoiſie qu'ils euſſent
ſceu deſirer,leur faiſant part des richeſſes qu'ilauoit butinées à Sumachia,
pour les affectionner d'auantage à ſon ſeruice. Alumut cependant ayant
pris reſolution de le combatre print la route de Sumachia, auecques vne
grande & puiſſante armée, Iſmael n'auoit que ſeize mille hommes en ſon
camp, mais tous gens d'eſlite, & fort bons combatans, auecques leſquels
ils'en vint trouuer ſon ennemy entreTauris & Sumachia, à l opoſite d'vn
grandfleuue qui ſeruoit de barriere à tous deux. Mais le Sophy qui eſtoit
plus experimentéauxaffaires & plus vigilant que ſon ennemy, fit en ſorte
. qu'il entrouualegué,& fit paſſer ſes gens toute lanuict ſans empeſchemét;
mais ſur la pointe duiourilvint donner vne camiſade ſi verte au camp de
ſes ennemis, qu'auant preſque qu'ils fuſſent tous eſucillez,ilenauoit taillé
C1l † la plus grâde partie:de ſorte qu'Alumutfit beaucoup pour luy de

Renc5tre d'A ſe
auuer auecquesvn fort petitnombre des ſiens, & de ſe retireràTauris,
- -

† †, toutlereſte futmis au fil de † Iſmael apres vne ſi grande deffaicte,



rent l'auâtage. voyant ſes ſoldats harraſſez des longues traictes & du combat, les raffreſ
chitl'eſpace de quatre iours, riches qu'ils eſtoient des deſpouïlles de leurs
ennemis,aubout deſquels ils'acheminaversTauris, où il entra ſans reſi
ſtance; la ville n'eſtant point pourreſiſteràvne armée, eſtant ſans cloſture;
priſe de l,,il. & ſes habitans malpropres pour la guerre. En la priſe de cette ville Iſmael
* º exercea des cruautez du tout indignes del'homme, principalement contre
la race de Iacup, de laquelle il ne laiſſa pasvn ſeul envie, ains faiſoit ouurir
les ventres aux Dames enceintes, pourentirerle fruict : il fit auſſi maſſacrer
en ſa preſence quatre cens de ceux qui eſtoient d'ordinaire à la ſuite d'Alu
†" mut,&à trois cens femmes de ioye quiſetenoient à Tauris, pour s'acque
'rirvnereputation de continence : on ne ſçaitauſſi pourquoy il fit tuer tous
e , e, ſi les chiens qui eſtoient dans la ville de Tauris, & non content de s'acharner
uans ſur les viuans,il fit encore chercher le corps de Iacup & autres Seigneurs,&
ſurtout de ceux quis'eſtoient trouuezenlabataille de Derbent,oüSechai
Eauer les darſonpere
MI10ILS • que : mais cefut
quioccis, les toute
ſurpaſſe oſſemens deſquels ilfitbruſler
inhumanité,fut en lamourir
d'auoirfaict place publi
ſa pro
Fairmourira premere, fille (commenousauons dit) dVſunchaſſan & ſœur de Iacup.
º" La cauſe de cettemortaduint(comme on dit) de ce que cette Dame eſtant
du ſang Royal, & encore ieune quand ſon premier mary fut occis,s'eſtoit .
La cauſe de ce
remariée àvngrandSeigneur de Perſe, qui s'eſtoit trouué à la bataille de
matricidc. Derbét,carilfaiſoit delàvne coniecture qu'elle n'auoit point aimé Sechai
dar, & qu'elle auoit en hayne ce qui en eſtoit ſorty, & partant qu'elle auoit
pris cetautre afin quele fruict qui en prouiendroit paruint à la couronne,
& en depoſſedaſtles enfans dupremier lict, fibien qu'il fit trancher late
ſte à cette pauure Princeſſe danslaville deTauris, vnautre Neron reſſuſci
té en ce temps là, ayant eſté auſſi cruel qu'autre quiait eſté deuant luy, &
toutes-fois c'eſt luy quiſe ditle plus reformé enlaloy de Mahomet,voyez
quels doiuent eſtre les autres, puis que les plus reformez d'entre-eux, &
celuy qui a eſté le fondateur principal de cette reformation , a eſté ſi
depraué. - - -

,. * - Ses
| des Turcs, Liure ſecond. 223
* Sesvictoires,&
faiſoient
-

teſte, fut lacauſe


-
rigueur de laquellegrands
† pluſieurs ilvſoitſeigneurs
enl'endroit de ceuxluy
vindrent
-
quiluy ,.
faire XVIII. - - - -

hommage, & prenoient le Caſſelbas ou Turban aubout rouge, la propre


# † des Sophians, comme faiſans profeſſion de ſa ſecte : quoy quede
dans le cœur ils euſſentvne opinion toute contraire; & y eut fort peu de -

Princes en Perſe qui refuſaſſent d'accepter le Caſſelbas craingnans ſa force †


•. & ſa fureur.Ortandis qu'il ſe tenoitàTauriss'eſiouyſſant auecques ſes capi- †"
- - - - - - a -

taines pour ſa victoire obtenuë, MuratchanSultan de Bagadet, ſorty du "


ſang d'Aſſambey, redoutant ſes proſperitez luyvint faire la guerre : cela -

mit fort enceruelle le Sophy, lequeltoutes-fois ne perdant point courage


pourlapuiſſance de l'autre, exhorte ſes ſoldats, leurrepreſente que la vi-
- 2• - - - 2 -
LeC Sultan d
$ ) ll1t2 In G1C

ctoire qu'ils auoient obtenuë contre Alumut, n'eſtoit que la porte de leurs §
proſperitez, mais que s'en eſtoit icy l'eſtabliſſement, que cettuy-cyvaincu †º
tout flechiroit ſoubs leur domination : Qu'ilfalloiteſteindre la race de ces º°Pºy
heretiques (ainſi nommoient-ils ceux † tenoient l'opinion contraire)
- - " - | * - v • -

quifaiſoient deshonneuràlaloy de leur ſainctProphete.Au contraire Mu- Le sophy en


handiſoitaux
ratcnan ſiens qu
diloitaux 11ens qu'ilil e1toitay1e
eſtoitavſé devenira
deveniràbout de ce
bout de ce ſeditieux, ſes †º"
1editieux, 1es ſiens.º
affaires eſtans encore ſimaleſtablies : que ſil'Empire des Perſes apartenoit
legitimemét à quelqu'vn, que c'eſtoitàluy qui eſtoit deſcendu de ce noble
ſangd'Aſſambey, qu'au demeurât il ne pouuoitauoir rien de fauorable, ny º

leur Prophete,contre laloy duquelil combatoit,y donnât vne interpreta-s†


-

Sultan de Ba 2 • - -

tion frauduleuſe, nyle peuple qu'ilauoit ſi cruellement traicté, ny DIE v #


- courager ſcs
) • " - • • 1 ^ . "

meſme, ayant commistant d'indignitez contre ſon Prince, contre ſa na-§


tion, contre ſon ſang,voire contre ſa propre mere; que c'eſtoit cettemeſ
me Diuinité quileurauoit mis lesarmes à la main, pour prendre lavangeä
ce d'vnſi execrable Matricide,quimeritoit pluſtoſtd'eſtreietté dans vn ſac
enl'eau, que de s'aſſeoir ſur le troſne Royal : le courage qu'ils donnerent
de part & d'autre à leurs gens, les animerent detelle ſorte au combat, qu'il
dura tout le long du iour, & tient-on, que depuis Darius quicombatit pºuille da
côntre Alexandre iuſques alors, il ne s'eſtoit point veu en l'Aſie vne ſi † † †
cruelle bataille ny § où il ſe ſoitfaictvn plus grand maſſacre, toutes- § § §.
fois la victoire en demeuraau Sophy, & Muratchans'enfuit en Babylone. †
Cette defaicte eſtantaduenuë enuironl'an mil quatre cens quatre vintgs º"
dix-neuf,.Iſmael n'ayant pas encores atteint l'an dix-neufieſme
aage. - ·-
de ſon1 Sophy.
-
viaoire du - · · , -

Aprescecy Iſmaelſe reſolut de reduire ſoubs ſapuiſſance la Prouince de


Diarbech oudes
domination Meſopotamie qu'ilqui
Roys de Perſe, ſçauoitauoir
eſtoit poureſté
lorsdeſoubs
tout temps ſoubs de
la puiſſance la tºmie.
† po°

pluſieurs particuliers,entre autres de Sultan Calib,Seigneur d'Azanchif,le- . Seigneur


queladuerty des deſſeings d'Iſmaelvint de ſonmouuement & auparauant rend #
† d'en eſtre ſemond pourl'obliger d'auantage à la bien traicter, luy bai-§ ſon ſub
ſer la main, print le Caſſelbas, & s'offrit pour luy eſtre bon & fidele ſub
iect & ſeruiteur, ce qu'Iſmael eut ſi agreable qu'illuy confirma ſon eſtat, &
luy donna ſa ſœur en mariage : il vſa encores de beaucoup de courtoiſie à
lendroictde quelquesTurcsvenus de laNatolie qui luypreſenterentleur
224 Continuation de l'hiſtoire
1. .. ſeruice, & prindrent le Caſſelbas,le principal deſquelsauoit nom Vſtagia
† lu AMamutbegauquelle Sophy donnale gouuernement de Diarbech, ſauf
# les citez d'Azanchif & Amide qui demeurerent à ſon beau-frere Sultan
ººº Calib,lequelayantpaſſé lesbornes † luyauoient eſté limitées par le So
phy, comme on enfaiſoit courir le bruit, on luy fit commandement de
quitter ces citez à Vſtagialu, auquelauſſi on mâda quebien que Calib fuſt
beau-frere du Roy, ſieſt-ce queſamaieſté entendoit qu'il euſt la ſuperin
tendance de toute la Prouince:quifut cauſe que Calib refuſantd'obeïràce
Le serby ac mandement(pour ce que les Curdes, de la nation deſquels il eſtoit, obeiſ
† ſent fort malvolontiers aux Sophians)fut pourſuiuy parVſtagialu, quele
†º Sophyauoitauſſihonoré du mariage d'vne autre ſienne ſœur, qu'illuy oſta
•rºººº la plus-part de ſa ſeigneurie, & le tout parles menées du Sophy, qui le fai
ſoit exprez pourruiner tous les Princes naturels du pays quiluy pouuoient
- faire teſte,aſſeuré que les eſtrangers par luyaduancez n'auroient moyen de
long-temps deluy faire reſiſtance. - -

Le pays de Diarbech reduit ſoubs ſon obeyſſance,ilaſpira incontinent


Le sºphycon à celuyy des Aliduliens,, peup
peuples de la petite Atmenie,» Gl
-
qui auoient vſurpé
P
†"" quelques terres du viuant de Iacup, aſſembla de grandes forces lan mil
cinq cens dix,Vſtagialu qu'ilyauoit enuoyéauparauant n'y ayant ſceu rien
, faire, ilyvint doncques en perſonne, & fit vn † grandamas de gens de
- guerre que de couftume, non qu'il en fuſt de beſoing pour ruiner ceux à
qui on auoitaffaire, ains ſeulement pour ce qu'il craignoit que le Turc ou
l'Egyptienn'entreprinſſentla deffence de celuy qu'ilvouloit chaſtier.Auſſi
enuoya-ilàl'vn & àl'autre les prier de ne ſe meſler point des affaires de l'A
Ses viſtoires. liduli, & quantà luy il proteſtoit de ne rien entreprendre ſur quel que ce
fuſtde ces deux Princes,ayant cette aſſeurance il courut le païs d'Aliduli,
qu'ilconquiſt:pourla plus grande partie, occit † des cnfans
Royaux, & fitvngrandmaſſacre de ce peuple, mais à la finilfallut qu'il ſe
retiraſtà cauſe desgrandes & exceſſiues froidures qu'il faict en ce païs, mais
en s'en allantil printlaville de Caſirie ou Ceſarée, deffendue par Becarbey
fils d'Aliduli, quoy que ce Prince fuſt bien accompagné, & que la place
fuſt fournie de toutes choſes neceſſaires, en laquelle s'eſtant ſaiſi de ce ieu
rue ſoaRe, ne Prince, il print plaiſir de luy trancherla teſte de ſapropre main, comme
# PºPº ilfitauſſiincontinentapres à ſon predeceſſeur Alumut, carayanteſtétrahy
par Amubey,auquelilauoit toute confiance,ſitoſt qu'ilfutamené deuant
Iſmael,illetua de ſa propre main, mais nous parlerons tout maintenant
de cetteguerre d'Aladeul, lorsquenous reprendrons le fil de l'hiſtoire de
Baiazeth. - -

Or eſtoit-il d'vn naturel du tout impatient de repos, cela fut cauſe que
ayant mis finàla guerre d'Aliduli, & voyant que le Sultan de Babylone
Muratchan, dont nous auons parlé cy-deſſus, luy pouuoit quereller ſa
Autrerºstr. couronne, ilreſolut de le ruiner dutout, & print ſon ſubiect, ſur ce que
† cettuy-cy, apreslamort d'Alumuts'eſtoit mis en poſſeſſion de la grande
*zºº cité de Siras, chef& metropolitaine de la Perſe, comme ſe diſant le plus
proche du ſang Royal des enfans ſortis d'Vſunchaſſan : Tous les deux
,: Princ eS
r -
des Turcs, Liure ſecond. . 225
Princes auoiét grand nôbre de peuple, mais Iſmaelauoit les plusvaillans,&
Muratchans'eſtoit plus fortifié, en forceât plus ſes ſubiectsàle ſuiure, que
de bonnevolonté qu'ils euſſent de marcher ſoubs ſon enſeigne,ſereſouue
nans que l'autre-fois § Muratchanauoit bataillé cQntre le Sophypres de .
Tauris,de 3o.mille côbatans qu'ils eſtoient,il ne s'en ſauua preſque vn ſeul.
Cette contrainte de ſes gens luy dónavne mauuaiſe eſperance de la victoi
Ye, pource enuoya-ilvers Iſmael, le prier de le receuoir pour ſon vaſſal, †
mais
auoitIſmael recognoiſtre
deſir defitletrancher les teſtes auxſeigneur,
pour meſſagers, diſant
il fuſt queluy-meſme
venu ſi Muratchan
luy fil du sophr. \ •

preſenter ſon ſeruice, ſans luy en enuoyer d'autres pour ce faire : cecy en
tendu par Muratchan, & craignant qu'il ne luy en aduint comme au Ro
Alumut, ſe deſroba de ſon camp, & prenant trois mille hommes choiſis, Fuite de Mu

entre ceux qu'ilpenſoit luy eſtre plus fideles,s'enfuit en Alep : mais eſtant §" -

arriuéaufleuue Euphrate, il fitrompreles ponts, dont bien luy en print:


car le Sophy le faiſant pourſuiure auecques vne fois autant de gens de Entre .
lu#
*

guerre, iln'eut pasſitoſtpaſſélefleuue, qu'ilſevidà dos les Sophians qui #


# s'en retournerent parce moyen ſans rien faire, & Muratchan ſe ſauua en § "
#t Alep, où auecques Aliduliilfuttraicte & entretenu aux deſpens duSou -
# dan d'Egypte. -

#: Lesaffaires du Sophyproſperansainſi, il commença d'eſtre redoutable


:I(! à ſesvoyſins : de ſorte que le Cham des Tartares qu'ils appelloient Ieſelbas,
à cauſe qu'ils portent le Turban verd, voulant deſtourner le cours de ſes courſes des
T# Tartares &
#
'
† - - - - - - -

courirſurle païs deCoraſan, & print pluſieurs belles villes § de quel


5#
t
e long de la mer Caſpie, telles que ſont Eré,Straui, où ſe font de fort bon- †
,!
ºº,
nes ſoyes, Amixandaran & Saré, ce quifutcauſe que le Sophy vint ſur ſes ºrºr.

u* frontieres, pour empeſcher leTartare de paſſeroutre, commeil fit, enco
res que leTartaretaſchaſt de le ſurprendre, feignant d'allerviſiter le ſepul-
chre de ſon Prophete Mahomet, & faire le § de la † mais '
•:

le Perſan n'yvoulut oncentendre.Apres cecy comme Sermandoli Roy de #


Seruan, qui eſt le pays des Medes, euſtrompul'accord faict entre luy & Iſ-seruan.
mael,le Sophycourut ſur luy, ruinale pays & luy oſtala ſeigneurie, & de
là paſſa en Carabac, où il choiſit deux capitaines,l'vnappellé Dalabey, &
lautre Bairabey,auſquelsillaiſſala
u'ilsprindrêt charge
ſans aucune reſiſtance, cômedeauſſi
la fut
conqueſte de lechaſteau
pris depuis Sumachia, §# les

e Calaſtan,& tous les forts qui ſont depuis le mont de Taur,iuſqu'au plus
haut recoingdelamer Caſpie, & à la cité de Derbent : fibien que tous les -
Seigneurs de ce pays prindrentle Caſſelbas, & firenthommageauSophy: Gººd me•.
lequeleſtoit entellereputationparmyles ſiens, que peus enfalloit que ſes †
§ ne l'adoraſſent,ayanstelle confiance enluy, qu'ils alloient pourl'a Pº
mour deluyàlaguerre ſans aucunesarmes deffenſiues, & combatansauec
la poictrine & l'eſtomach à deſcouuertils crioientSchiac,Schiac, qui ſigni- .
fie en langue Perſienne
de leurbonne DIEc'eſtoit
volonté. Or v, D1Eau Sophy
v, comme l'appellans
que ce à teſmoing
nom de Schiac eſtoit †º - -

rapporté: car encores en ſes titres auiourd'huy on l'appelle Schiach Iſmael, "
&enſamonnoyeilauoitfaictgrauer d'vncoſté ces mots, La Illahe #llallaha
· · - | -
"
Ff
226 . Continuation del'hiſtoire
Muhammedun reſul allahe, c'eſt à dire, il n'y a point de Dieux qu'vn ſeul
Ses ſoldats - -
|
rh§ D1E v, & Mahomet eſt meſſager de DIE v : & au reuers il y auoit ces
ººº mots, Iſmail balife hillahe, c'eſt à dire Iſmael eſt vicaire de D1Ev : que ſi
° quelqu'vn vouloitbienprier, iln'vſoit point d'autres termes, dit Leoncla
- N - | uius,Schachaccompliſſeton deſir, & qu'il ſoit fauorable à tes entrepriſes.
Ilchangeaauſſi la forme des prieres que Mahometauoit inſtituées,&en fit
, d'autres toutes differentes : voyla cómét que pourl'amour de luy les Perſes
prindrent en hayneles autres ſectateurs de Mahomet. De ſorte que celuy
- - quiauoit commistant de cruautez,& fait mourir ſa propre mere,qui eſtoit
heretique en ſaloy, & auoit remply ſon pays de flammes & de ſang, fut
-- - neantmoins tenu parles ſiens cómevn DIEv, & luy-meſme ſouffrit qu'on
| · le nommaſtainſi,tantl'eſprit de l'homme ſe laiſſeayſement tranſporter par
| - la preſomption, & tant nousauons vn groſſier & lourd ſentiment de Di
uinité, de la rapporter à choſes ſibaſſes & ſi imparfaictes : voyla doncques
ſommairementl'origine des Sophians, & comme ils ſont paruenus à la
grandeur de laquelle ils iouyſſent à preſent : il eſt vray que lesTurcs leurs
en ont bien eſcorné, comme auſſi bien ſouuentils donnent beaucoup d'af.
" faires aux Turcs, mais cecy ſe pourravoir plusamplementà la ſuite de l'hi
ſtoire. -

XIX. Pour doncquesreuenirà Baiazeth, durant ces remuemens des Caſſel


· bas, ou pourle moins peu de temps auparauant, ſes affaires domeſtiques
eſtoient bien en plus mauuais termes : Il auoit eu huict enfans maſles, à
ſçauoir Abdula, Alem,Tzihan, Achmet, Machmut,Corchut, Selim, &
Mahomet, deſquels illuy en reſtoitcinq, le premier Achmet, qui tenoit
ſa cour en § maintenâtTocat,anciennement Cappadoce : Corchut
Zelebis, ainſi appellent-ils entre-eux les ieunes PrincesTurcs, à la façon
Eºſºns de Ba- tres-nobles
iazeth. des Romains(car
& des Grecs, quiappelloient
Zelebisveut dire lameſme les enfanscettuy-cy
choſe) de leurs gouuernoit
Empereurs
la Prouince Aidin-Ili, que quelques-vns appellent Aldinel,faiſans vn nom
de deux, car Aidin-Ili veut dire la contrée du Duc d'Aidin, autres-fois la
Carie,cettuy-cyauoitſa principale reſidence enlaville de Maniſſa, ancié
nement Magnèſie : le troiſieſme filss'appelloitTzihan ScachZelebis, qui
commandoità Donguſli,ville de la Carie, & qui eſttoutes-fois compriſe
#
quelques fois dans les appartenances de la Caramanie, le quatrieſme,le SultanSelim qui
-

§ gouuernoit la Prouince Tarabozane, ou Trapezunte, de quelques-vns


† Trebizunte,c'eſtl'ancienne Colchide,& Sultan Mahomet quicómandoit
•. ' à Cofe ou Capha : or entre tous ceux-cyTzihan & Mahomet ſe gouuer
nerentauecques tant d'exactions & de tyrannie, que le pere § d'vne
iuſte douleur pour les plaintes qu'on luy enfaiſoit, les fiſteſtrangler, &
† donna au fils de Tzihan'le gouuernement du pere, & à Sultan Solyman,
fils de SultanSelim celuy de Mahomet : on dict que ce Mahomet eſtoit
· fortſubtil, & cauteleux à merueilles; de ſorte qu'ilſe deſguiſa ſouuent en
mendiant, pour eſpierce qui ſe faiſoit en la cour de ſon pere, & en celle de
/ ſes freres, auſquels il parlaſouuentes-fois, eux ne le cognoiſſans point, &
que Baiazeth entrant à cauſe de cela en de grandes inquietudes, il en
/
-
uoya
des Turcs, Liure ſecond. 227 Subtilité de
uoyaàvn ſecretaire de Mahometvne lettre, dupoiſon, & degrandes pro- Mahomet fils
meſſes de recompence pour faire mourir ce pauure Prince : ce ſecretaire * º
quin'eſtoit pas trop affectionné à ſon maiſtre, prenant l'occaſion vn iour
de feſte, qu'il ſe promenoit en ſes iardins & qu'il demandoit à boire, illuy
deſtrempa ce poiſon en ſon breuuage, dontilmourut en peu d'heures. # #
Baiazeth en ayant eul'aduis en poſte, quoy qu'autheur de cette mort, ne ſon ſecretaire,
peut toutes-fois s'empeſcher de plorer, il commanda à tous ſes courtiſans -

d'en porter le dueil, & qu'on fit des prieres & aumoſnes pour ſon ame, le
faiſant ſolemnellement enſepuelir à Burſe,auecques ſesanceſtres, & fitri
- - - - ] Punition de ce
/ - V

goureuſement chaſtier le Secretaire quiluyauoit donné le poiſon, à lafa-§


- - - - - , · , ·

çon des Princes, & ſingulierement des Othonians,quiaiment la trahiſon,


& qui hayſſent les traiſtres. - |

Mais Baiazeth ſentant ſes forces luy deffaillir, & que ſon long aage le
rendoit doreſnauantinhabileaugouuernement d'vnſigrand Eſtat, com
meilaffectionnoit plus ſon fils aiſné Achmet que pas vn des autres,il deſi
roitauſſi del'eſleueràl'Empire, & d'y donner de bonne heure vntel ordre Baiazeth
. veut
- -

que ſon deſſeing peuſt † ce faire il ſe delibera de gaigner le cœur §mber


- - - -

des Iennitzaires à force de preſens, afin de les diſpoſer à receuoir Achmet l'Empire
§ entre
ſon fils Ach° -

pour leur Empereur, mais nonobſtant tous ſes artifices, il ne leur ſceutia-†
mais faire changerl'inclination qu'ils auoient à Selim, car ils trouuoient
Achmettrop gros & trop gras, & parconſequent mal propre au gouuer
nement de grandes affaires, mais ils eſperoienttous que Selim releueroit
fort la maieſté de cette Monarchie : de ſorte qu'ils chantoient publique
ment ſes loüanges,& luy ſouhaitoienttoutbon-heur & felicité,iln'yauoit
ue le ſeulBaiazeth qui vouluſtdubien à Achmet, ſi bien que par la per
miſſion du pere iliouyſſoit de la Natolietranſmarine auec pleine puiſſance
& auctorité
re Royale,gouuernantles
ne l'en empeſchant point. prouinces & entirant le reuenu,le pe
r - - -

Comme doncques Baiazeth ſe fuſt long-temps efforcé de conuertir les


courages des Iennitzaires, il ſe reſolut de fairevn effort, & de les attirer à e, aſae de
luyparquelqueinſigne liberalité, de ſorte qu'illeurfiſt offririuſqu'à mille # §
aſpres chacun, pourueu qu'ils vouluſſent receuoir Achmet dáslaville & le §
recognoiſtre pour Empereur, mais ils perſiſterent opiniaſtrement en leur
opinion, & reſpondirentreſoluement qu'ils ne flechiroient iamais ſoubs
l'Empire d'Achmet. \ - -

Ces choſes ſe traictansainſi à Conſtantinople, cela ne ſe peut faire ſiſe- XX.


crettement que Selim n'en fuſt fort particulierement aduerty, lequel co- -

† l'intention de ſonpere n'eſtre point portée à ſon aduancement,


uy qui eſtoitd'vn haut courage,& qui eſtoit d'ailleursaſſeuré d'auoir pour
luy tous les gens de guerre, penſadeneperdreaucune occaſion, & de ſe sein fefou.
ſeruir des places qu'iltenoit, & de ſon gouuernement pour fortifier d'a- # ſon
uantage ſon party : mais craignant encores de n'eſtre pas aſſez puiſſant par "
ſoy-meſme pourſe reuoltercontre ſon pere, il fit alliance auecques Maho
metCanTartare, que Haniualdanappelle Murteza, non pas qu'ilaiteſ
pouſé luy-meſme la fille de ce PrinceTartare, ou de Precop, car c'eſt de
Ff ij
228 . Continuation del'hiſtoire -

sen,lianes ceux-là que i'entens parler, maisilla fiança à ſon fils Sultan Solyman, au
# ºrº quelBaiazethauoit baillé le gouuernement de Cofen,comme nous auons
dit, & parle moyen de cette alliance, il tira vngrand ſecours que luy don
A
naleTartare, auquel commandoit ſon fils, que les hiſtoriens appellent
Chanoglan, commeſion diſoit,fils de Chan : c'eſtoit ce Murteza quiauoit
enuoyé des Ambaſſadeurs en Pologne, en laſſemblée qui ſe tenoit pour |

l'eſlection d'vn Roy, enlaplace d'Eſtienne nouuellement decedé,leſquels |


A tarde i auoient charge de propoſer principalementtrois choſes aux Eſtats.La pre- #
# # miere de repreſenter ſa grande puiſſance, & combien il pouuoitnourrir de |
§ en milliers de cheuaux enſes terres pour la deffence de la Pologne. La ſeconde |

" , deleur donnervn Roy fort ſobre, lequel meſpriſant les feſtins & ſomp- | :
· ptueux banquets, pour s'acquerir vne perpetuellerenommée, s'amuſaſt
ſeulement à entretenir de beaux & bons harats Et quant à ce quitouchoit #

la Religion, Ie veux, dit-il, que ton Pontife, ſoit mon Pontife, & ton Lu- :
thermon Luther. Laquelle Ambaſſade fut receuë auecques grande riſée, | "
· selim paſſe la mais celaaduint quelquetemps apres l'entrepriſe de Selim, lequel fortifié |
# de ce ſecours,ſe haſta de paſſer lamer noire à Capha, choiſiſſant ce paſſage -

tant pourauoir cette place à ſa deuotion, que de crainte de trouuer de l'ob- |


§ # ſtacle, s'ilfuſt allé par l'Aſie mineur, ayant en teſte ſes freres Achmet & :
I1CUlT, Corchut: Eſtant doncquesarriué à Capha,la premiere choſe qu'il fit ce fut
de ſe ſaiſir de tout le domaine, tributs, impoſitions qui pouuoient eſtre - -

deus à Baiazeth, s'en emparant entierement, ſans permettre qu'il en fuſt


porté vn ſeul denier à ſon pere. - -

Lequel cependant auoittouſiours dans la fantaiſie de laiſſer ſon Empire -

à Achmet, mais ſon eſprit eſtant doreſnauantauſſi peſant que ſon corps, |
Baiaveh ſe il ne ſçauoit par quel filildeuoitcommencer à deuider cettefuſée. Quand
veut ſeruir de
|
† cette reuolte des Caſſelbas ſuruint, laquelle fut cauſe de remettre encore
† cette affaire ſur le tapis, car il penſa qu'il pourroit faire d'vne ſeule pierre |
§ deux coups. Ilauoit donné, comme vous auez entendu quatre mille Ien-
l'Empire. - - - • -
- -

nitzaires à Achmet, † aller contre Schach Culi, auecques pluſieurs |

compagnies de Spahilars ougens de cheual,aduertiſſant cependant enſe


cret Haly de faire en ſorte que ce qu'ilauoit tant deſiré peuſt reuſſir, à ſça
se, a as uoir de reſigner l'Empireà Achmet. Qu'illuy mandaſt doncques ſecrete
#º º ment †
euſtàaſſemblerle plus de forces qu'il pourroit,comme pouray
' der à chaſſer & pourſuiure les rebelles, & cependant qu'il ioigniſt ſes for- -

cesaux ſiennes, & ne fiſſent qu'vn meſme camp: à la miennevolonté, luy


reſpondit-il, queie puiſſe rendre en cela du ſeruice ſelon mon deſir, & que
nous puiſſions tirertous quelquefruict de toninuention.
| Baiazeth ne ſe contenta pas d'enauoirainſitraictéparticulierementauec
†! Haly, mais il eſcriuit les meſmes choſes à ſon fils, enuoyant les lettres en
mçt. poſte,afin qu'iltinſt ſes forcestoutes preſtes pour venir à temps donnerſe
cours à Haly contre les ſeditieux, la fin de tout ce ſecret eſtoit de le fairere
cognoiſtre Empereur par cette armée : pour à quoy paruenir, auſſi-toſt
que Haly ſceut ſonarriuée, ils'en allaau deuant de luy, ſoubs pretexte de
ioindre leurs forces enſemble, mais principalemcnt pour executer ce qui
- allO1Vſ
· des Turcs, Liure ſecond. 229
auoit eſté deſigné, où Halyſe conduiſit fort fidelement, & auecquesbeau Couſtume des
coup de peine & d'induſtrie. C'eſt la couſtume, entre les Seigneurs Otho ſeigneurs ,O
thomans de ſe
mans, de campertouſiours au milieu de leurarmée, mais à eux ſeuls eſtre loger au mi
lieu de leurar
ſerué ce priuilege, à cauſe de la puiſſance & maieſté § repreſente ce lieu mée.
là.Or Haly penſa que s'il pouuoitgaigner cela ſur ſes ſoldats, d'y fairemet
tre Achmet, que ce ſeroit vn ſecret conſentement de l'aduouer pour leur
Empereur, mais voyant qu'ils'en faiſoit deſia † rumeuraucamp, il
aſſemblales Iennitzaires auſquels il dict, Sultan Achmet eſt noſtre Roy &
noſtre Empereur, parquoy vous ferez fortbien (mes compagnons) ſiſe
lon la couſtume de nos maieurs, vous le receuez au milieu de vos armées.
A quoy les Iennitzaires reſpondirent, que pourſon regard deluy (parlans
de Haly)qu'ils ſçauoient bien qu'illeurauoit eſtébaillé pour chefpar Baia
zeth en cette expedition, & comme tel, qu'ils vouloient luy rendre obeyſ
ſance, mais que tant que Baiazeth ſeroit envie, qu'ils ne recognoiſtroient Les Iennitzai
res refuſent de
iamais perſonne pour Souuerain : Qu'il iouyſtdoncques maintenant du loger Achmet
lieu & del'authorité queleSeigneur luyauoit miſe en main, ſans laliurerà aud'eux. milicu

vn autre, que quant à eux ils n'eſtoient point deliberez de receuoir aucun
au milieu d'eux, & qu'ils'aſſeuraſt qu'en cette choſe les Iennitzaires ne luy
§.
*
obeiroient iamais.Ayans dit cecyils refuſerent entierement de receuoir
,.
+

Achmet, commeils en auoienteſté requis : de ſorte qu'il fut contrainct


# de ſeparer ſes trouppes & ſe camper à part : choſe eſtrange, que l'opinion,
# quand elle a pris racine dans la teſte d'vne commune, car il n'eſt pas poſſi
ble de les mettre en gouſtd'vne choſe qu'ils auront premierement meſpri
* ſée : il eſtvray que ſelon qu'y procedoit'Achmet, ilmonſtroitbien n'auoir
ny cœur ny courage, d'auoir le conſentement de ſon pere, les forces à la
main, & le chefde l'armée à ſa deuotion, & ceux-cy n'eſtre que quatre
mille hommes, & auecques toutes ces choſes eſtrel'aiſné des enfans. Ilya
del'apparence ques'ileuſt luy-meſmetraicté auecques eux, & ſe fuſt faict
valoir en cette armée, qu'il leureuſt peugaigner le cœur, & puis quandil
euſtvoulu faire le mauuais, que luy en cuſt-il peu arriuer, eſtant commeil Laſcheté
eſtoitle plus fort, & ayant la ſouueraineté en mainparla ceſſion que luy en rAchmet cau
faiſoit ſon pere,duquelle ſouuerain contentement eſtoit de le voir regner,ſea par ſ
apres de
ruine. .
& qui plus eſt, ileuſt touſiours pris ſes freresau depourueu, qui pour lors
n'auoient pas encores des forces baſtantes pour luy reſiſter; mais au con
traire, ilſetenoit quoy, commes'il euſt eſté en tutelle, ſans oſer remuer,
luy qui eſtoit toutaſſeuré que s'iladuenoit faute de ſöpere, celuy de ſes fre
res qui demeureroitle maiſtre, ne ſemonſtreroit pasſipaiſible en ſon en
droict, ains taſchcroit des'aſſeurer de l'Empire par ſa mort. On dit que la
cauſe de cette grande hayne des Iennitzaires enuers Achmet, vint de ce
qu'apres que ſon pere l'eut deſigné pour ſon ſucceſſeur, les Iennitzaires
l'enuoyerentſupplier d'augmenter leur paye & qu'ils ſeroient de ſon coſté
' & le fauoriſeroient en toutes choſes, & que luy reſpondit arrogamment
qu'ilnevouloit pointacheptervn Empire qui luy eſtoit deſia donné,du
quelil pouuoit iouyr malgré qu'ils en euſſent : ce qui anima tellement les
> ?
\
lennitzaires contre luy, que dés l'heureils ſe tournerent du party de Selim,
,º
•°
\

'.
Ff iij
| --
- - - à -

- t -

, 23o Continuationde l'hiſtoire


& encores que Baiazeth leur promiſtau nom de ſon fils cinquante mille
| ſultanins : toutes-fois on ne leur peut iamais changer leur mauuaiſe vo
lonté. - '

Cependant Selim eſtoit à Capha, comme nous auons dit cy-deſſus, le


quel ayant entendu comme ſon pere auoit enuoyé Haly Baſſa auecques
uatre mille Iennitzaires pour ſeioindre à ſon frere Achmet, cela le fitre
selim paſſe en † à partir delamaiſon pourvenir trouuer ſon pere, & paſſant en Eu
† rope du coſté de la Romelie, il vint à Kiliou Chehe, ville aſſiſe ſur les ex
† º" tremirez de la Moldauie,vers le pont Euxin, des anciens tenue pour Achi
lée,&s'approcha d'Acgiramen, ville ſur les confins de la Ruſſie & Molda
uie, appellée des Alemans Neſtoralbe, & des noſtres Belgrade, des Vala
ques Moncaſtre : ie dy tout cecy pour fairevoir que ce n'eſt pas cette Bel
grade de Hongrie, qui eſt maintenant, & qui n'eſtoit pas alors ſoubslado
mination du Turc. - -

Baiazeth doncquesaduerty de l'arriuée de ſon fils, & iugeant bien que


XXI. ce n'eſtoit pourrien de bon,ilenuoya au deuât de luySari Greſem, Cadis ou
Preteur de Conſtantinople,& Sermen ouSeguanem Baſſa,c'eſt à dire celuy
quia la ſuperintendance ſur les Iumens de charge (dont les Turcs s'aydent
en leurs armées)& ſurtout ceux quiconduiſent cet attirail, ceux-cy luy di
eau ºh ºn " qu'ils eſtoientvenus de la part de ſon pere pour luy dire qu'il euſt às'en
§ retourner en ſon Saniacat,de crainte que ſes freres à ſon imitationne laiſſaſ
† ſentainſileurs Prouinces,& que cela ne fuſt cauſe de quelques remuemens
- · enl'Empire des Muſulmans,deſiaaſſeztrauerſé d'ailleurs parlesſeditieux.A
cela Selim ſe ſeruant delapieté pour couurir ſon ambiti6,ditque c'eſtoitvn
Reſpense de tend
Selim.
diuinſelon
precepte
laloyque
de chacun
Mahomet)&le 3.ouque
4.an,
meudeuoit
de ceallerviſiter
commandemét, les ſiés(cela s'en
il vouloit
allervoir ſon pere,tádis qu'il eſtoit encore envie,& puis qu'ils'en retourne
roit en ſon gouuernemêt.A cela cesAmbaſſadeurs firét pluſieurs reparties,
& taſcherent de legaigner parbelles † , mais tout cela ne luy peutfai
rechanger ſa deliberation,ſibienqu'ilss'en retournerent à Baiazeth,lequel
les renuoya ſur le champ pour luy offrir legouuernement de Semendrie,vil
- le de la Seruie, aſſiſe ſur le Danube, proche de Belgrade, que Chalcondile
seconde Am aPPelleSpenderouie,& ceux du pays Sendrevv, parvne corrupti6 de langage,
# " comme s'ils vouloientdire ſainct André, du nom duquel cetteville auoit
eſté nommée. Or Baiazeth auoit intention de le faire reculer en arriere
* par ce preſent, car Selimauoitfaict courir le bruit par artifice,qu'apres qu'il
or , de p, ſeroit venurendrel'honeurà ſon pere,qu'ils appellent baiſer la main,ilcon
## uertiroit incontinent ſes armes contre les Chreſtiens, ce qui eſtoit fort
r§ § plauſibleaux Iennitzaires & autres ſoldats de la † , pour le deſir qu'ils
auoient d'accroiſtrel'Empire, voyla pourquoy le pereauoit tout à propos
: choiſy ce Saniacat, comme s'illuy euſt dit, puis que tu as ſi grande enuie
· de combatre contre les Chreſtiens,voicy Semendrie qui eſt voyſine des
-

- Hongres que ie t'offre,faictsyta demeure,il ſe preſentera aſſez d'occaſions


pour l'execution de ton deſir. Haniualdan adiouſte encores à Semandrie
Nicopolis & Alattzechiſare, tous beauxgouuernemens & fort riches, &
- - que
des Turcs, Liure ſecond. . 23I
/
que ſonpere luy en enuoya les patentes toutes expediées (qu'ils appellent -

leBarat)afin que ſes ſubiects luy rendiſſent toute obeyſſance.Ietrouue vne ".

| lettre de Baiazeth à Selim, quicontient à peupres cecy en ſubſtance.


gºrzâ E m'eſtonne de ſgauoir que tu ſois en Europe, la guerre de Zechel & des Leure, des,
Perſes n'eſtantpointencores appaiſee, & que de ton propre mouuement tu †
veuilles entreprendre laguerre contre les Hongres, nationſîbelliqueuſe e9 ſi Baiareth.
difficileà dompter: tu tedeuois repreſenter ton aieul Mahomet, dequile bon-heurc9
lesarmes ontfaicttremblertoute la terre, & lequel toutesfois s'en eſt retiré ſans ad
uantage: ilſepouuoitpreſentervne occaſionplus commode, & auecvnplus meurcon
ſeili'embarraſſerencette entrepriſe, toutesfois afin quele touttepuiſſe reuſirheureu
ſement, & que l'honneurde la victoireſoit de ton coſté, nous t'enuoyons argent, ar
mes, veſtemens & autres munitions neceſſaires pourton camp, afin que de quelque co
ſtéquelesaffaires ſepuiſſent tourner, celaſeruetouſiours àton armée, mes Ambaſſa
deursteferont plus particulieremententendrema volonté.

· On dit que Selim reſpondit ainſi à cette lettre

,I & E ne voypointquevouiayexſigrandſubieét de vous eſmerueiller demonpaſ


# ſaged'Aſieen Europe, veuque vousſauex lesentrepriſes 69" mat4tiat3 offices
de monfrere Achmetcontremoy, ioinétqueienepuispaspaſſer toute maieu
- neſſedans vn ſiſterilegouuernement que celuy d'Hiberie, ny parmy les rochers &
- les montagnes de Colchos. Quant à ce que vous craignez mon entrepriſe contre les
| Hongres, les difficultez que vous me repreſentez, ſont maintenant changées en des
• occaſions tres-propres pour dilater voſtre Empire, & m'acquerirdel'honneur, lava
'- leurdes Hongres s'eſtantamortieparlamort de leur chef, & le changement de Prin
- cemypromettant tout bon-heur,la valeure9 lexperience de Ladiſlaseſtant bien dif
- èrente de celle de Matthias : Ioinct queles euenemens de laguerreneſont iamaisſem
# blables, & que leſecours de DIE v & des hommes ne manque iamaisàceluy qui a
º vngrandcourage: deſtce qui m'afaiétreſoudre de donnervn nouueauluſtre à madi
* gnité, que vous auexcomme eſteinte, parlatropgrande puiſſancequevous donnez à
- mesfreres, & d'agrandirvoſtre Empire, ou par vnemort honorable faire viurema
# memoire dans leternité, afin queſiieſuis le dernierde lamaiſon des Othomans, ie ne
- ' leſoispas engloire & envertu. Quantauxpreſenstres-grands que vous m'enuoyez,ie
vous enrends mille actions degraces,auecques toutel'humilité qu'ilm'eſtpoſſible.
· Etſurce qu'ilauoit misenauant que ce quil'amenoità Conſtantino#
n'eſtoit que pourle deſir devoir ſonpere,ontrouue encore vne autre let
tre, comme ſiacquieſçantàlavolonté du pereileuſt voulu s'enretourner à
Trapezunte,oûildit. -

·
à
#E retrouuantforteſloigné
#naturel, devoſtre
depouuoireſtre encores hauteſſe,
vne-fois & incitéparlabontéde
embraſſé de vous, ie n'ay peumon
me
e ".
| -°
#. *retireràTrapezunte,ſans iouyrencores decebonheur,decraintequevoſtre
#} grandaagemoſtepouriamais lacommodité de ce contentement, cela me ſemble auſſi
| 232 Continuation de l'hiſtoire
appartenir au repos de toute l'Aſie, & à lapacification des differens que i'ay auec
v,
monfrere Achmet, car n'oſant commettre à lafidelité de mesſeruiteurs ce que ie vous
pourray dire de bouche,i'ayinfiniement deſiré cette conference & d'auoirl'honneurde
vous baiſer la main,afin que l'authoritépaternelle,ſoit le commun arbitre de nos diffe
rens. C'eſt de quoy ie laſupplie en toute humilité,& que voſtremaieſténe refuſe point
lagrace à ſon fils, qu'ellefaict ordinairemeut au moindre deſes amis, ducamp deuant
. Andrinople.

Baiazeth toutesfois quiſçauoit où tendoit tout cet artifice, luy reſcriuit


preſqu'en ces termes. -

4? E ne puis aſſez reprendre ton audace d'auoiramené des forces en vn autre


gouuernement queletien : de ce que tu demandes de conferer auec ton pere
-|
les armes en la main, & de ce que tu abuſes auecquestant d'inſolence de no
. ſtrepatience & bonté : celuy-là ne doitpaseºpererdepaix, qui enuironné d'vnepuiſ
ſantearméefaict laguerreſans le conſentementdeſonpere & deſon Empereur, rem
pliſſant les Prouinces des tres-fideles ſoldats des Othomans. Partant ſçaches que tu
feras tres -bien ſitu quittes laThrace & l'Europe, & que tu t'en retournes auecques
ton exercite en tongouuernement du Pont, queſ tu le fais ainſi, tu eſprouueras ma
bien-veuillance & ma liberalité, maisſ tuperſiſtes en ce que tu as commencé,ſoisaſ
ſeuré que iene te recepuraypointpourfils, mais quete ie pourſuiuraycommeennemy,
& queriennememanquera pourprendre la vangeance que ieferay de ta perfidie.

C'eſt ce que ietrouueauoir cſté eſcrit parl'vn & l'autre, qu'ilm'a ſemblé
à propos de rapporter icy, pour contenter la curioſité du Lecteur : mais
pourreprendre le filinterrompu de de noſtre hiſtoire, Selim refuſant tou
tes ces choſes qui luy auoient eſté offertes auparauant qu'il euſt baiſé la
main de ſon pere, pourſuiuit ſon chemin, faiſant le plus de diligence qu'il
ssiimpeurſ luy fut poſſible, ſi qu'ilvintauecques les ſiens à Zagora, ville de Thrace,
"Pº anciennement nommée Debette, ou Deuelte, à quelque ſoixante milles
d'Hadrianopoli, oùilcampaauecques les ſiens, eſcriuant par tous les can
tons de la Romelie Europeanne, oûil ſçauoityauoir des hommes vaillans
& experimentez, pour † perſuader à levenirtrouuer, leur promettant
toutes ſortes de prouiſions, & de tres-amples penſions : ilnelaiſſoit pas en
† cores auecques ceux-cy, de prendre des ſoldats qui eſtoient ſans reputa
#ººº tion, & meſme desvoleurs &bandoliers, quineviuotoient que de leurs
larrecins qu'il enroolla parmy les ſiens, & leurfittoucherlapaye ordinaire,
-

chacun ſelon ſavertumilitaire, de ſix, huict, neuf& dix aſpres par iour:
de ſorte que par cette inuention il eutincontinent aſſemblé vne armée de
vingt mille hommes : & afin que la paye ne manquaſt point à ſes ſoldats,il
ſe ſaiſit des mines d'or & d'argent qu'il peut trouuer en cette Prouince, &
outre ce de tous les tributs,gabelles & reuenus des Prouinces & des villes,
#† les decimes de toutes choſes, & en fin s'appropria tout ce qui appartient
" " de droictaux Empereurs Turcs, ou quel'onaaccouſtumé de leuer enleur
nom, enuoyant gens exprez pour faire cette leuée, & lafaire amener ſeu
- ICIIlCIlt

-
desTurcs, Liure ſecond. , 233
rement en ſon camp,vſant en toutes choſes d'vne ſouueraine authorité,ſe
ſaiſiſſant de toutes les places & fortereſſes, tant de la haute que baſſeregion
qui conduit à Andrinople, mettant partout bonne garniſon,enchargeant
# auxſiens de ſe ſaiſir de tous ceux qui paſſeroient parleurs deſtroits,de quel
que part † peuſſentvenir, & pour quelqueaffaire & negociation qu'ils †º Selim pour
euſſent, afin que les luy ayansamenez,& qu'il ſe ſeroitinformé d'eux & de nouuclles.
#es
leurs deſſeings,ilen
à ſuiure ordonnaſtapres
ce quileur ſeroit commandé.commeiladuiſeroit,& qu'eux euſſent
· •

[t
Ayât donnételordre à ſes affaires, ce meſchant & deſnaturé fils ſe reſolut XXII.
defaire laguerre àſonpere,&le deſpouïllerde ſon Empire,afin ques'eſtant -

defait de Baiazeth ſon pere,ilpeuſtapresauoir meilleure raiſon de ſonfrere †"


Achmet,
faire quand il n'auroit&plus
parueniràl'Empire, afin ce
quebon
ſes pere,
ſoldatsqui s'eſtoittant
fuſſent efforcéà de
plus propres le Parc.
bien #*º
combatre, & qu'ils ſurpaſſaſſent meſmes en quelque façon ceux de ſonpe
re, ilcommanda qu'on euſtàfaire prouiſion de toutes ſortes d'armes, &
principalement de piques & iauelines ferrées, qu'ilfaiſoit porter en quan
tité dans des chariots, afin que ſans aucun trauailles ſoldats les trouuaſſent
ſurle lieu où il eſperoitlesarmer & liurer le combat, duquel ils'attendoit
remporter l'honneur. -- ' -

Cependant que cettuy-cyfaiſoitainſiſesappreſts, taſchant par ſavigi


lance de ſurprendre ſon pere, on rapporta à Baiazeth les meſchans deſſeins ſtöne
Baiazeth s'e
aux nou
de ſon fils recouuerts d'vne apparence d'humanité & de courtoiſie; lequel§.
s'eſtonnafortau premier recit de ces nouuelles : le miſerable vieillard tout †º*"
fils, .
languiſſant, & les forces de ſon corps deſia toutes vſées, auoitl'eſprit mer
ueilleuſementagité de ſoings & de ſolicitudes, car comme ilauoitfort peu ·
de forcesautour de ſoy, & bien eſloignées de celles de Selim,encores crai
gnoit-il que ſon fils ne les luy volaſtparſes artifices, & les attiraſt de ſon se persº :
party : car les Iennitzaires, & les autres gens deguerre qu'ilauoit donnez à º
Haly, n'eſtoient pas encore deretour,auſquels il ſçauoit bien que conſi
ſtoit ſa principaleforce. Sevoyant doncques accablé d'affaires, & n'auoir r -

point de remede en main pour y remedier, il vidbien qu'il n'eſtoit pas à


propos d'attédre Selim à Andrinople,mais tout malade qu'il eſtoit, & fort -
tourmenté de lagouttcaux pieds,il commâda qu'on le miſtenvn carroſſe,
& prenant auecſoy toute ſa cour, & le peu de gens que le temps luy peut se reſolut de
offrir : il printla route de Conſtantinople,oüilvouloitarriuer premier que †.
ſon fils, pour rompre par ſa preſence les pernicieux deſſeings d'iceluy : le- Pº
quelayant entendu lafuite de ſon pere, il le pourſuiuit auecques ſon ar
mée enla † grande diligence qu'illuy fut poſſible,&n'aduança pas beau- selin , le,
coup qu'il rencontrales eſpies, & les deſcouureurs de larmée de ſon pere †
qu'onauoit laiſſez derriere, pour donner aduis,auſquels Selim comman-†**
daqu'oncouruſt ſus, & qu'on les taillaſt en pieces. . "

Baiazeth eſtoit lors arriué envneville de Thraceappellée Vizen,quand


-

T^ plorel'aſſiſtan
onluyrapporta ces nouuelles, par leſquelles apprenant que ſon fils auoit voyât
#
leuéle † , & s'eſtoit declaré tout ouuertement contreluy, ſe voyant § deſpour
humains, ^
leplusfoib e en toutes choſes, ilne ſceut faire autre choſe que d'implorer
* Gg
234 Continuation
• - ") , • -

del'hiſtoire
l'aſſiſtance diuine, contre lameſchanceté execrable de ſon fils,à la maniere à

de l'homme, qui commence touſiours à rechercherce ſouuerain remede,


lors qu'il n'en peut plus † d'ailleurs, au lieu de commencer ſes entre-
-

.
priſes parl'inuocation de ſon ſainctnom, & remettre tout ſon bon-heur
en l'appuy de ſon ſecours : & cependant fit trouſſer bagage pourgaigner
| Conſtantinople, coſtoyât touſiours la Propontide : maisSelim qui ſçauoit l. "

de quelle importance luy eſtoit cette arriuée, tant pour ſe rendre le maiſtre |
- destreſorsgardez au chaſteau de Iedicula, ou des ſept tours à Conſtan- -
. . tinople, que pours'emparer del'Empire, fit telle diligence, qu'il le vint
rencontreraumilieu du chemin, ne donnant pas meſmes leloyſiràl'armée #
paternelle de camper, ſi bien qu'ils ſe trouuerent au milieu d'vne plaine,
| proche d'vne certaine meſtairie qu'ilsappellent Sirtkiui, voiſine de la ville
† de Tzorlen, que lesanciens appelloient Tzurule & Buſbeq Chiurli, di
taille. ſtante de Selybrée, enuiron ſix heures de chemin. Là chacun ayant rangé
ſes gens en bataille, on vint incontinent aux mains, où le ſoldat du pere
animé par cette inſigne meſchanceté du fils, commençavn cruel & furieux
combat, Baiazeth n'ayant que faire de les animer, puis que d'eux-meſmes
ils ſe portoient à ce qui eſtoit de leur deuoir. -

- . du fils.
Bataille Voyant doncques le Sultan, qu'il eſtoit contrainct à combatre, il fitar
•, 2 - • > • - -

§ reſter ſon chariot,& deſployerl'enſeigne qu'ils appellent de leur Prophete


Mahomet : le ſoleil auoit deſia paracheué la moitié de ſa courſe qu'ils
eſtoientau plus fort du combat, ſemonſtrans chacun des deux parts ſifort
acharnezlesvns contre les autres, qu'à peine pourroit-ontrouuçr dans tou
tes les hiſtoires de l'antiquité, vne bataille où on ait combatu auecques
, plusd'opiniaſtreté & d'animoſité,le courage croiſſant d'heure à autre aux
Opiniaſtremêt - - - - -

§" ſoldats de Baiazeth, forcez paraduenture parlaiuſtice de la cauſe de leur


Empereur, & aſſiſtez commeils eſtoient, parvne ſecrete faueur diuine, |
† es aſſeuroit & excitoitles courages pourvanger le meſpris de la puiſ- b |
ance & authorité de la patrie, leur voulans fairevoir que la multitude n'a
uoit point de pouuoir contre la iuſtice, nyles fauteurs des ſeditieux parri
cides contre lavaleur des bons & obeyſſans ſoldats : au contraire des autres,
1, a - de quila mauuaiſe cauſe & l'inhumaine impietébourreloit de ſortelacon
†sºº- ſcience, qu'en finapresauoir longuement pluſtoſt deffendu qu'aſſailly, ils
- rindrent finalement l'eſpouuente, & commencerent à ſe rompre & à fuir
à val de route, la meilleure partie d'entre-eux tuée, au plus fort meſme du
combat, vne autre priſe priſonniere, auſquels on fit vne fort mauuaiſe
guerre; deſireux † eſtoit devanger parvne maniere inuſitée,vn crime
" extraordinaire de leſe maieſté : ſi qu'ils furent auecques toute ſorte d'igno
minie maſſacrez & mis en pieces. Quant à Selim ilgaigna le haut, laiſſant :
arriere ſes treſors & tout autre empeſchement, & le plus viſte qu'il peut, "

| auecques fort peu de gens, pour couurir plus facilement ſa fuite, & cuiter
de tomber entre les mains de ſon pere, comme de faict la peur luy donna
de ſibonnes aiſles, qu'il arriuaauvillage Mydieaubord de lamer noire,où
il trouua vn vaiſſeau ſur lequel il paſſa heureuſemét le traiect de la mer noi- -
re, & retournaà Capha, mais ſurtoutilfut ſauué parle moyen de ſon che- ,
ual, :
des Turcs, Liure ſecond. 235
ual qu'ilappelloit Carabul, commes'ileuſt dit noire nul, lequelen recom
pence d'vn ſibon ſeruice, ilne voulut plus que † le cheuauchaſt, sºinſ nue
ne luy donnant pointd'autre harnois qu'vne ſeule couuerture d'ortiſſu, & † †
lefitmeneriuſques en Perſe, & toſtapres en Egypte, & en fin quand ce †
cheualfut mort,illuy fiſt baſtirvn ſepulchre pres de Memphis, dit Paul #º
Ioue àl'exemple d'Alexandre legrand. Et ſon § Baiazeth à Conſtanti- .
nople, apresvne ſi ſignalée victoire, mais deſplorable toutes-fois, & con
† nature. Ce malheureux combatd'entre le pere & le fils eſtant
arriué enl'an de grace mil cinq cens vnze, & de l'Egire, ou des ans de Ma- .
homet 917. . - - -

Ce fut en cette bataille que PaulIoue dit que le Baſſa Herzecoglis fit le Hiſtoire de
lus paroiſtre ſa fidelité, eſtât ſeul entre † Baſlats,quide cœur & d'af- #. º -
† vn fidele ſeruice à ſon maiſtre & beau-pere, car ilauoit eſpou
ſéla fille de Baiazeth, & eſleué en toutegrandeur & richeſſe contre ſon eſ
perançe : car comme il fuſt fils de Cherſech † de Monteuero en
Sclauonie,ayât fiācé la fille du Deſpote de Seruie,belle entre les plus belles
de ſon temps. Leiourde ſes nopces le pere l'ayant regardée d'vn œil plus
laſcif, que † modeſtie & la continence paternelle ne requeroit, en deuint
eſperduëmentamoureux,ſique ſa paſſion ſurmontant tout reſpect & tou-r,r . .
tehonte, le rendittellement
contradictions eſclaue de ſadelaprendre
des parens,ilnelaiſſapas volonté, que malgré
pour toutes les
luy-meſme, &§ - la

del'arracher quaſi d'entre les bras duieune homme, lequel touché iuſques
auvif, parvne ſi notable iniure, & l'amour luy oſtant tout iugement &
- - l| " - - - - SD -

toute conſideration, ils'enalla rendre aux plus prochaines garniſons des


Turcs, & delà à Conſtantinople, oü Baiazeth luy fitfort bon viſageauec
promeſſe de l'aduancer. L'ambition layât depuis porté à des deſirs de plus
grandes choſes, il renonça à ſa Religion, de Stephan qu'onl'appelloit,il ſe
fitnommer Achomat, & paruintàla dignité de Baſſa, & à eſtregendre de h
Baiazeth : toutes-fois ilauoittouſiours de l'affectionvers noſtre Religion, # †
ayant grand deſir d'y retourner, de ſorte qu'il adoroit de nuict ſans teſ-"
moings,vne image de noſtre Sauueur IE s vs-CHRI s T, encloſe en la
plus ſecrete partie de ſa chambre,laquelleilmonſtra à Iean Laſcaris, com !
meàſonbonamy, & depuis à la priſe de Modon, ilſauuales Gentils-hom
mes Venitiés dumaſſacre quis'y fit à force de prieresvers Baiazeth, il deli
uraauſſi André Gritti,quiauoit eſté mis priſonnier à †
ila eſté dit cy-deuant, & quieſtoit deſtiné à finir ſesiours parquelqueſup
plice,celuy qui fut depuis le moyenneur de la paix entre lesVenitiens & les
Turcs, & † temps apreseſleué àVeniſe à la dignité de Duc : il ra
chepta auſſi pluſieurs Chreſtiens eſclaues desTurcs,tant par ſon authorité
que par ſon argent, & obtint des lettres patentes de Baiazeh en faueur de
Laſcaris, perſonnage tres-docte entre les Grecs,à ce quiluyfuſt permis de -

viſite toutesles Bibliothecques qui ſe retrouuoient encores en la Grece, § #


º ſuiuant le commandement qu'il en auoit receu du Pape Leon dixieſme, de pelºn de
ȼ - - - rechercherpar
- -

fairevne recherche de tous les liures anciens: c'eſt ce que Paul Ioue dit de #
# - CS DOI1S llWlIC3»

# ce grand perſonnage. - ,

» . - . Gg ij
| | 236 Continuation del'hiſtoire
XXIII. - Orl'hyuer ſuiuant, tous ceux quiauoient charge en la Romelie d'Eu
rope, Saniacs,Subaſſi, Cadis & autres des plus apparents de la Prouince,
ſe trouuerent à Conſtantinople, où Baiazeth les retenoit, & ne leur vou
Baiazeth retiët
† loit † permettre de retourner enleurs charges, car la rebellion de Se
€ 1U

§ limluy ayantaugmentél'affection qu'il portoit deſia † à ſon fils


aupres de luy

- · quis'eſtoit monſtré touſiours fort †


en toutes choſes : ille vouloit
eſtablir de ſonviuant, & luy remettre ſon Empire entre les mains, en quoy
tous les Baſſats, Beglierbeys, Subaſſi & autres ſe monſtrerent §
à
luy obeyr, les ayant premierementgaignez par preſens, & leurayant don
:
- né à tous des robes d'honneur, leur fit à tous preſterle ſerment qu'il auoit
faictrediger pareſcrit, quicontenoit en ſubſtance, †
iuroient de ren
- dre toute obeyſſance & fidelité à Baiazeth, & d'employertoute leur puiſ
† ſance & induſtrie pour faire tomber l'Empire entre les mains d'Achmet
reſens &
.,

## ſon fils aiſné, ils adiouſterent encore qu'ils reſpandroient leurſang & leur
vie pour cette querelle, & que tant qu'ils ſeroient viuans ſur terreils ne
manqueroientiamais à cette promeſſe. Baiazeth ſe voyant aſſeuré par ces
promeſſes,d'auoirtous les plus grands del'Empire de ſon party,ilſongeoit
aux moyens qu'il pourroit tenir pourſe concilier la bien-veuillance de ſes
Iennitzaires,voyant que par dons ny par prieres, ny par recompence, ilne
lesauoitiamais peufaire changer de reſolution: afin doncques de ſurmon
# ter cet empeſchement, & rompre cette barriere qu'il voyoit s'oppoſer di
§ rectement à ſes deſirs : ilaſſemblavniourtous ceux-cy quiluyauoient deſ
moyens d'eſta ;
§ ia preſté le ſerment de fidelité, afin qu'ils aduiſaſſent entre-eux comment
† il pourroitgaignerles Ignnitzaires, & les faiteflechirà ſes intentions, ou
Iennitzaires. - - - - -

ien trouuer quelqueinuention cómentil pourroit malgré euxfairevenir


N »
ſonfilsAchmet,& luymettrelaſouueraine puiſſance entre les mains à cela
tous les Baſſats & ceux du conſeil ne ſceurét que reſpondre pourla triſteſſe
1 &affliction d'eſpritenlaquelle ils eſtoient,devoirvneſigrande deſobeyſ
ſance,& vne § ſi opiniaſtre,contrevn Prince quine leurauoit
iamais fait de deſplaiſir le ſeulChaſăBaſſa Beglierbey de Romeli,quiauoit
Plus d'ardeur & de courage que les autres, commença de les animer en
cette ſorte. - -

Ie m'eſmerueille certainement, dit-il, de cet eſtonnement voſtre, & de


† ## cette frayeur & baſſeſſe dontievoyvos eſp rits ainſi ſaiſiss Qui ſontie vous
† Prie les Iennitzaires † nous endeuions auoirtant de ſoingº n'auons nous
' pas nous autrestout le commandement par deuers nous ? pourquoy faut
ilmeſler en nos conſeils la Republique des Iennitzaires à peuuent-ilsauoir
quelque pouuoir enl'Empire, ſinon entant que nous vouli6s negliger ce
luy de noſtre dignité: A ces mots le Caſiaſcher, c'eſt à dire celuy qui iuge
ſouuerainementaux armées,à peu prés comme nous dirions vngrandPre
Le caſaſcher
uoſt,ſe leuât dit, tuas fortbien parlé Chaſan,& ſuis en toutes choſes de ton l'|
de ſon aduis. aduis,come auſſile Niſchanzis Baſſa, celuyàſçauoir quialacharge du ſeau,

- lequelaunomd'Achmetauoitfaicttoutes les diſtributions.Alors tous les
autres animez par l'aſſeurance de ceux-cy, reſolurent d'enuoyer des hom
mesvaleureux & vigilans qui amenaſſent par force Achmetà Conſtanti
» nople,
des Turcs, Liure ſecond. 237
t, nople,afin que malgré meſmes les Iennitzaires, ils le peuſſent eſleuer à la
# † d'Empereur.Or encore que ces choſes euſſenteſtétraictées encon-m. ,
# - ſeilſecret, toutes-foisvn certain traiſtre, duquelon n'a point ſceule nom, courage
# en ce

:#. fitſçauoircettereſolutionaux Iennitzaires, à ſçauoir que bon gré malgré §


u'ils en euſſent, Achmet deuoit ſuccederà ſon pere, & que parl'aduis de § leur dura
U1CICS,

# Chaſan Baſſa, duCaſiaſcher,& del'vnanime conſentemét de touslesgráds # .

# de la porte on deuoit enuoyer querir Achmet & le fairevenir à Conſtanti- † *


#. nople pourl'eſtablirſurleTacht(qu'ils appellent)outroſne & ſiege Royal, ... ſt |

#: (ce quine ſe doit pas entendre toutes-fois à la maniere des autres nations, $º# †
i.. veuque lesTurcs n'ont point accouſtumé de ſe ſeoirdans des chaires mais "
#, quand leursEmpereurs † en public,& faire quelqueaction
:- de maieſté Royale, ils ſont aſſis en vn lieu fort eſleué, de celuy d'où ils .
#: donnent l'audience, par le moyen de pluſieurs tapis & couſſins) que le
# ere ſe deuoit demettre de ſa dignité, & la reſigner entre les mains de ſon
# _ fils,luy donnantvnelibre &abſolue puiſſance ſurtoutes choſes : & de fait
# , Achmet vint incontinent apres iuſques à Iſcudar ou Scutari voyſin de Achmet apro2
$ Conſtantinople, aſſis au § du Boſphore, autrement Chryſopolis, & # -

#. nonpas Chalcedon, comme Minaden eſtd'opinion, carelle eſt diſtante à †


# dix milles de Conſtantinople, à l'emboucheure du ſein Nicomedique,†ºº
lſ . Achmetvint donc envnvillageappellé Mulcepen, c'eſt à dire la m6tagnç "
#: desricheſſes,le pere cómuniquant de là de toutes choſes auecſon fils : mais
# cecyn'eſtoit qu'vne trahiſon pour plus facilement eſtablir Selim.
I# , Les Iennitzairesaduertis de ce conſeil,coururéttoute cette nuictauxar-XXIII I.
# . ' mes,& firentvnfort grâdtumulte partoutelaville, ne plus ne moins qu'v- -

[:# ne meragitée,dont les vagues quis'entreheurtét, fontvnbruiſſement con- l†"


# fus, ſans qu'on puiſſe proprement diſcerner ce que c'eſt : ainſi cette inſo-"
# lentemultitude ayant rompu les reſnes de la crainte & du reſpect, courroit
# deçà & delà s'excitans les vns les autres, & s'animans à la ſedition par leurs †
ſi heurlemens & leur Bre, Bre, mot dontils vſent touſiours quandils ſont en de Bºſiau.
# fureur. S'excitans doncques ainſi lesvns les autres, ils vindrent degrande
#. furie ſeietterſurla maiſon de Chaſan Baſſa, qu'ils inueſtirent & forcerent

auecques telleviolence & promptitude, que ce fut tout ce † peut faire
que § ſauuer de leurs mains, entrez qu'ilsy furent ils pillerent tout ce
quis'y trouua, or, argent, pierreries, riches meubles, & tout ce qu'il y
pouuoitauoir dans vne maiſon riche & opulente, d'vn des plus grands &
des plusaduancez d'vn ſigrand Empire: delàilsallerentàlamaiſon duCa- -

ſiaſcher, où pouſſez de meſme rage, ils rompirent les portes, pilleunt &
rauagerenttout ce quis'y trouua, continuans toute cette nuict d'aller ainſi
pillans & ſaccageans tout par les maiſons des autres Baſſats & plus appa
rensperſonnages, exceptécelle d'Achmet Herzecogli Baſſa, àlaquelleny
àtous ceux qui eſtoient dedans ils ne firentaucun dommage.Lelendemain
A
dugrandmatin,
mun conſentement & comme leiourcommença
ils accoururent aux portesà paroiſtre,
du"Serrail tous d'vn com
de leurSouue
# rain, &ſelancerent contre auecques grande violence, commes'ils les euſ
$» ſentvoulu enfoncer,& auecques des voix confuſes entremeſlées de mena
· - · G g iij
- 238 Continuation
º •, - - -
9 g • a "

del'hiſtoire
ces, ils commanderent qu'on euſt à leur ouurir : car leurs eſprits effrenez
leurs faiſoientvſer de toute choſe par commandement, ayansreietté enar.
riere toute crainte & toute honte,n'eſtás plus retenus parle reſpect de leur
º . Seigneur, comme ilarriue ordinairementaux ſeditions populaires de cet
Viennent a0
te ſorte de gens de guerre.Cependant ceux quieſtoientauecques Baiazeth
Serrail de leur n'eſtoient pas moins eſtonnez de leur rumeur que deleurs menaces, &
#pleins de crainte & de terreur, ſe rendoient les plus tardifs qu'il leur eſtoit
font par force
ouurir la por , poſſible àl'ouuerture des portes.Mais cette trouppe de Iennitzaires ne re
-

" culoit pasſeulement d'vn pas, & ne donnoitaucun relaſche, mais ſans ceſ
· ſe heurtoient à ces portes, & preſſoient qu'on euſtà leur ouurir : de ſorte
que le Sultan Baiazeth voyant qu'il n'y auoit aucun remede pour reprimer -

· leur furie & adoucir leurcolere, auparauant que leur fureur les euſt pouſ
ſez à entreprendre quelque choſe de pis, il commanda † leurouuriſt
les portes,leſquelles ſitoſt qu'elles furent debarrées,ils ſeietterentincon
tinent en foule & en confuſion dans le Serrail, & vindrent droict dans
l'enclos où eſtoit Baiazeth, & comme ils n'euſſent pas moins de ferocité,&
· d'aſſeurance à comparoiſtre deuant leur Prince, luy ſans s'eſtonner de cette
· impudence, comme ilarriue ordinairement que ceux qui ont longuement
commandé prennent malaiſement l'eſpouuente de ceux qui ont accouſtu
mé de leur § eyr,encores qu'ileuſtaſſez grand ſubiect de crainte, il com
mença de leur parlerainſi. -

, , Queveut doncques dire cecy, compagnons ? d'où vous vient ce depit


· ſi ſanglantº pourquoy vous animczvous ſifurieuſement contre moy? que
deſirez-vous que ievous face, ce que vous demanderez vous ſera donné,
† ce que vous requerrez vous ſera accordé, declarez moy vos intentions.
§ Alors ceux-cyauecquesvne brauade extraordinaire luy dirent : nousauons
-

beſoing d'vn Seigneur quiregiſſe le timon de cet Empire, & quine puiſſe
pas ſeulement gouuerner la Republique auecques equité, mais quila puiſ
ſe auſſi deffendre pararmes : Nous remarquons partoutvne tres-miſerable
face à cet eſtat,l'oppreſſion des ſubiects n'apoint de fin, toutva ſans deſſus
deſſoubs, les loix ſainctes ſont foulées aux pieds, & nous ne ſommes pas
nous-meſmes envn moindre meſpris,laviolence eſt venuë àvn tel excez
†" que ceux qui demeurentaux Prouinces,ſont arriuez bien prés de leur der
de l'eſtat au- - - - -

» # # niere fin: ces meſmes Prouinces eſtans deſtitueés de bonsgouuerneurs,qui


§ # curieux dubien de la Republique,vouluſſents'efforcer de conduire le tout
• des Othomäs.
auecques equité: l'Empire ſe conſomme & ſe§ vniuerſellement par le
luxe des Baſſats & des Saniacs, toutes choſes ſont expoſées à la volupté,
& àla deſbauche des plus grands, & n'ya perſonne quiarreſte le cours de
tous ces maux, ny qui apporte quelque remede à ces playes, qui preſte la
main, & donne quelque ſecours aux oppreſſez, ny qui prenne la querel
le de cet eſtat, qui eſt tout preſt de rendre les derniers abbois : car quant à
ce quitetouche, ce ſeroit envain que nous eſpererions ce remede de toy;
voicy tantoſtla trois ôu † année que lapodagrete tourmente, &
· queton lict, comme de fortes murailles tetientrenfermé, perſonne n'aac
cés à toy, tu n'entends les pleintes nypubliquesny priuées d'aucun,& ne
/ - - - tc
- des Turcs, Liure ſecond. 239,
# te ſouciç pas comme les choſes ſoientgouuernées, ilya deſia long temps .
l# que tune tires aucun profit des Prouinces de la Natolie,& que les contrées
# de la Romelie Europeanne n'apportentaucun tribut au treſor public; de
, ' làvient que le fiſq eſt tout denué, & de la procede la pauureté publique
# uenous voyons naiſtre touslesiours : cela eſt cauſe que par vn meurcon
$! § nous nous voulós efforcer de ranimer cette langueur que nous voyons
# de toutes pârts, & luy redonnervnnouueau feu, ſinous voulons preſer
lt # uer cet Empire. - - - · · · |

# A cela Baiazeth leur demanda,que vousſemble-il doncques que ie doi


# ue faire à quoy ils reſpondirent,non ſans s'eſcrier:Nous auons beſoin d'vn
# chefque nous ſuiuiosaux entrepriſes belliqueuſes,quiait la force &lapuiſ .
# ſſance de ſupporter les trauaux de laguerre, pourquoy demeurons-nous ſi
# l6gtéps ſans rien fairc & pourquoy nous engourdiſſons nous dasl'oyſiue
#. , té,fortvolontiers certainement, reſpondit Baiazeth,vous donneray-ievn
# chef, & quigouuernera meſmes cet Empire, dittes moy ſeulementvoſtre
# volonté,afin que ie ſçache quivous voulez eſleuer ſur le troſne Imperial:A
# lors tous les Iennitzaires reſpondirétreciproquemét: nous ne demandons pluſ ..
e , nyne deſirons point d'autre Roy que toy, nous deſirons que ta dignitéde-†#
# meure ſaine & ſauue,& que tant que tu viuras ſur terre, & que cetien corps seigne , ten
lz ſerale domicile de t6ame,que ton Empire te demeure ſain & ſauue,noſtre #
| intentiön'eſt point de te depoſſederny de tetroubler enlaiouyſſance de ta"
:: # domination:carapres toute ces choſes, ton Empire nenous ſera pointen
• ' nuyeux,pourueu quetuno accordes vne ſeule choſe,à ſçauoirquetes for
# ces & tamaladie ne te permettans plus de marcher deuant nous & nousc6
#ſ# duireauxbatailles,que tu no"bailles vnchefquinous tire de l'ombre & du
j# repos pour nous mener à la poudrc & au Soleil côtre nos ennemis publics,
{ f- afin que nous puiſſions reprimer l'audace qui s'eſt engendrée en eux par
# . noſtre longue pareſſe. I'enſuis content, dit Baiazeth, ie vous baillerayle
# quelil vous plaira de mes Baſſats, mais les Iennitzaires reſpondirent qu'ils
sié ne vouloient plus marcher ſoubs les Baſſats : & bien, reſpondit Baiazeth,
# vous ne marcherez plus ſoubs mes auſpices,mais ie vous ſèruiray moy-meſ
a medeconduite, au contraire,luy dirent-ils, apress'eſtre diſtraict des exer
a · cices militaires depuistant d'années, maintenant que tu es affligé de mala
#- die, malaiſement pourrois tu ſupporter les trauaux duchemin. Si 1ay mal
, aux pieds, dit Baiazeth, ne me puis-ie pas faire porter dans vn chariot à Ils
, * repliquerent qu'vn Roy ouvn § ne pouuoit iamais ſatisfaire à ſon de
: uoir, quand bien il voudroit, qui en temps de guerre ſe faiſoit traiſner dans
# · vn chariot.A celaildiſoit que la force corporelle n'eſtoit pas tant requiſe
pour la conduite des armées, quelavigueur del'eſprit, qu'ils priſſent pour -

exemple le Palatin de Valaquie, le Vaiuode Baſſara, lequel bien qu'il fuſt # e & heureuſe
d'vne autre Religion que celle des Muſulmans,nelaiſſa pas en la plus f gran-§

• | - ! - -

de debilite deſes forces, ſe conduire fort prudemment, & toutes-fois † Vaiuode


-

ſara.
Baſ

$
\ l'eſpace de ſeptans, il fut comme vn troncattaché touſiours ſurvn vn cha
gºº
riot,ſefaiſant tranſporterainſi où il ſçauoit eſtre neceſſaire, lequeltoutes
foisgouuerna cette Republique des Valaques auecques vngrand conten
ſl $ % -
-
-

-
º ,
- - -
. | " 4 ,
| - 1 - - - )1 • - - -

| | | | | · 24O Continuation del'hiſtoire , s


i | 1 , | " tement de tous ſes ſubiects,quelques inconſtâs & muables qu'ils fuſſent,&
| , | | | | | que les habitans de ces Prouincesſoient deſireux de choſes nouuelles, tOll
· # · || | - · tes-fois l'infirmité & la maladie de leur Prince ne les auoit point deſbau
- || | chez de l'amour & de l'obeyſſance qu'ils luy deuoient rendre, ſon eſprit & |

: # : , ſon experience leur ſemblant aſſez ſuffiſante pour les conduire †


| |
|
| | -
| - ment,& ſagement. Qu'il ne pouuoit aſſez s'eſmerueiller que des hommes
-- ! ſi graues & ſi magnanimes† ux, & qui depuis tant de ſieclesauoient em
ſi
|
† cette loüange par deſſus toutes les nations de la terre, de rendre de
'obeyſſance & de la fidelité à leurs Princes, & en qui la conſtance auoit
| touſiours reluy par deſſus tous les mortels, euſſent voulu maintenant en
|

i (! ' -
• treprendre contre leurSouuerain, & ne pouuoit aſſez s'imaginer qui au
- - - -

, - | ! · · · · - roit peu inciter des eſprits ſi forts & ſi genereux, contre la couſtumê de
| | | . : * leurs maieurs, parvne notable infidelité, & ſans ſubiectny occaſion quel
| " | | -
- - conque (car tout ce qu'ils diſoient n'eſtoient que des pretextes) comment -

• , | : | -
|| ils n'apprehendoient point d'encourir vne note d'infamie, & d'imprimer
- ", - - - - - - -

:
ſur eux cette grande tache d'huile,quiſouïlleroit & perceroit àiourleurre
' - ! nommée dans l'eternité.
- º diſcours ne toucha pas petitement les eſprits & les courages des Ien
C3 1Cfll)1tZ11• - - - - - -

J' § § nitzaires, c'eſt pourquoy pour ſe iuſtifier au moins par paroles de leur in
des remon
† ſtabilité & meſchante perfidie ils luy dirent : Quât à nous tants'en faut que
† nous deſirions ſecouer le ioug de ton authorité, que nous te confeſſons
| | | · · # pournoitre legitime Prince, & celuy auquelnous deſirons rendre toute
| § obeyſſance,ſans que nosvolontez s'alienentiamais de ce deuoir,pour preu :
|| |
l
-
| || |
| -

ue dequoy nous deſirons que toy ſeulayes le maniement & le gouuerne


- · , · # ! · ment de tout l'Empire, & ne deſirons enfaçon quelconque diminuer cet
' , : | | | te authorité, au contraire, quiconque te ſera deſobeyſſant, nous ſerons
· | | | les premiers à le chaſtier ſeuerement ſelon ſon merite : à toy ſeul donc- -

· · · | | | | ques ſoit le commandement & l'authorité, pourueu que ſoubs icelle nous . |
| | | | | || | ayons quelqu'vn quinous puiſſe maintenir en deuoir, & qui ſoit le condu
- | i · #| | | cteur des armées de la race des Othomans, lequel outre la vigueur de l'eſ
: | | | prit, ſoit accompagnéd'vne force corporelle, afin que ſoit en paix ſoit en
, , " | | | | | | guerre, il puiſſe regirle timon de la Republique Muſulmane, & face croi- .
l " ! ' | || | , ſtre de ioureniourſa renommée engloire & enſplendeur. -

| | | | | | XXV. Comme doncques Baiazeth vid cette ferme reſolution des Iennitzai- .
, , ! · · | Y res tendre à ce § ſubſtituaſt durant ſavie quelqu'vn de ſes fils en ſa place
-
| ·
| |
| | | |
| | |
|
- ·
'

-
§ del'Empire,ilvoulut encoresvnefois eſprouuerce
† ilauoitdeſiatentétant defois, &quieſtoitla principale cauſe delapre
- # , | . ' ente ſedition, eſperant que leurs eſprits ſeroient parauenture plusadoucis
- | • | | | | · (commeil eſtoit malinformé de ce quis'eſtoit paſſé hors ſonSerrail,&que
' , h | ' . ſa ſecrete reſolutionleur euſt eſté reuelée, quilesauoit portez à cette inſo
: | | | ,: ! |; lence, tant il eſt neceſſaire àvn Prince de § ce qui ſe paſſe parmy ſes
: | · · · | ·| | | | | † ſubiects, & principalement qui ſont proches de ſa perſonne)certainement
| | | | | - | † dit-il, ie ne penſe pas mieux pouruoir la Republique, ny que vous-meſ
· | |!| | || | · | § pour
mes puiſſiez
V31Il,
fairearmées
chefen vos vnmeilleur
: mais choix
euxau que de recepuoir
contraire, mon fils
luy refuſerent Achmet
tout à plat,
· | # # ; - *
-
". luy
| | | | | | | | -

1
| | | . | | | : || |
: -
-

l, | |! · ' ! - | | | |

' ,! | | | | | | . •

-
· · · - •
·
.
, #i -
'
· des Turcs, Liure ſecond. 241
luy declarans qu'ils 11C recognoiſtroiét iamais Achmet
- . c ' .

-
S eigneur
V

ny pourgeneraldans leurs exercites : Quoy, diſoient-ils, ce fils là que tu


nous veuxbailler, il eſt quant au corps,tout ſemblable à toy, car.ce n'eſt
qu'vntronc & vn poids inutile ſurlaterre,où il n'ya ny gentilleſſenycou
rage, mais ſeulementvn gros corps tout rond, deforce qu'il eſt chargé de
graiſſe. Quant à nous, il nqus en faut vn qui ſoit † prompt & ſan
guinaire, afin queparſa ſeuerité,ilpuiſſe dompter les Prouinces,& les peu
ples,&ramenerles gouuerneurs enleur † parvn haut & releué
courage puiſſe entreprendre debelles & grandes choſes, qui face viure ſa
memoire & la noſtre. - - .
Baiazeth ſe voyant fruſtré de ſon eſperance, &bien dit-il, lequeleſt-ce
quevous deſirez, Alors tous d'vne voixils commencerent à s'eſcrier, nous Ils demandent
Selim. *.
demandons ton ſecond fils Sultan Selim, car luy ſeul eſt digne de cet Em
pire, & à luy ſeul †partient de conduire des armées, & d'auoirvne ſouue
raineauthorité ſur les exercites des Seigneurs Othomans.Maisl'Empereur
opiniaſtre en ſa premiere reſolution, ne pouuoit en quelque façon que ce Il les refuſe,
mais enfin im

fuſt, conſentir à la demande des Iennitzaires, quand les Vizirs, & les plus ſes
portuné par
Baſſats il ſe
grands qui eſtoientalors† de ſa perſonne, quivoyoient n'auoir plus laiſſe vaincre.
depuiſſance ſur eux-meſmes, & qui tenoient leurvie comme deſeſperée,
cette propoſition leurayant faictreuenirleurs eſprits deſia tous eſgarez, &
laforce de la neceſſité qui les preſſoit,leurayant donnévnevoix plus libre
pour exprimer leurs conceptions à leurſouuerain : le prierent & ſupplie
rent à ioinctes mains d'accorder aux Iennitzaires ce qu'ils demandoient
pour euitervnplus grandmal. Mais luy au contraire : ievous aſſeure mes
amis, queiene ſuis pointreſolu de quitterainſilibrement mon ſceptre au
contraires'eſcrierent-ils tous d'vnevoix,perſonne ne penſe à cela,ains ta di
gnitéte ſera conſeruée ſans eſtrealterée en façon quelconque, & l'admini
ſtration & legouuernementt'en demeurantentier & abſolu comme aupa Baiazeth fle
rauant Alors Sultan Baiazeth ſevoyantforclos de tous expediens, & que · téchitdeà laſesvol5
le ſeul remede au mal preſent eſtoit de flechir ſoubs la volonté de ſesſu iects. ſub
biects, la demande des Iennitzaires ne ſe pouuant refuſer ſans peril. Puis
doncques qu'il eſt impoſſible autrement de vous contenter, ſoit faict ce
quevous deſirez : que mon filsSelim ſoit chef& conducteur des armées.
Mais les Iennitzaires ne ſe contentans pas de cela, pourſuiuirent leurpoin
te, & demanderent que le Barat ou mandement leur en fuſt mis entre les
mains, où fuſt faicte mention de la conceſſion que Baiazeth faiſoit à ſon
filsSelim de ce magiſtrat : quantau mandement que vous demandez, dit
Baiazeth, c'eſt à dire§ ie vous l'auray liuré, qu'il faut que ie Illeur accorde
Selim, & cux
me deſpouïlle del'Empire: mais c'eſttout aurebours dirent-ils,car ſi Selim enuoirveulent
des let

n'auoit ce mandement là en main, il ne pourroit auoir iamais d'authorité tres expediées


dans lesarmées, ny commandement ny obeyſſance, & partant † eſtoit
tres-neceſſaire que ce mandement là leur fuſt liuré, demeuransfermes ar
reſtez en § , & Baiazeth s'oppiniaſtrant à leur refuſer. En
finleslennitzaires preſſerent de ſorte, diſans que tout ce qu'ils auoient fait
eſtoit inutile s'ils n'auoient cette piece là en main, qu'en fin Baiazeth
Hh

:,7
-

-,

-
-
-:"

|
--

· |-| 2 4.2 Continuation del'hiſtoire


--

: |
-
conſentit qu'on leur liuraſt des patentes, en foy de ce qu'il leur auoit
|#-|
| , accordé. -

Alorsayans ce qu'ils auoient demandé, ils commencerent às'eſcrier de


-#
- nouueau qu'il eſtoit neceſſaire que le Princeliuraſt ſes treſors à ſon fils Se
n,a lim pour en diſpoſerà ſavolonté, ſoit pourpayerles gens de† , ſoit
--
les pour les autres neceſſitez† Cefuticy que Baiazeth ſe voyant re- .
--
duit au petit pied, tout plein d'indignation & de colere commença à s'eſ
| " crier qu'il falloit doncques baillerle Royaume à Selim, carilne voyoit pas
| . - comment il pourroit conſeruer ſa Royale dignité, ſi on luy oſtoit les
: -

moyens del'entretenir, & partant qu'il eſtoit fort reſolu de ne liurer enfa
|! . çon quelconque ſes treſors à ſon fils, ains de lesgarder pourſoy : mais les
|
| - - -
º . Auee furie & Iennitzaires † vn viſage & vne parole toute pleine de fureur, com
| | | †" ment Sultan,ne ſçais tupas que cestreſors dont nous diſputons ſont no
- ſtres : & qu'en quelque lieu que ſoient les armées qu'il eſt neceſſaire dy
garder les treſors pour payer nos gages & nos munitions : partant ne t'en
mcts point d'auantage encolere, & nous rends de bonne volonté ce qui
-- ·
4 |,
eſt deſia noſtre; iurans de ne point partir delà qu'ils n'euſſent obtenu ce
- | - · qu'ils demandoient : Baiazeth proteſtoitd'ailleurs qu'il ne ſe defferoit ia
- - mais de ſes treſors : mais euxauecques vn plus† tumulte commence
| rentàs'eſcrier qu'illes bailleroit, & que s'il refuſoit d'auantage de ce faire,
i
: -| qu'il s'aſſeuraſt de ne pouuoir euiter trois choſes, à ſçauoir la perte du
Royaume, ſes treſors, & parauenture la vie.
Parquoy ce pauure Prince ſe voyantbattu de tant d'orages, & qu'iln'y
auoit nul moyen d'adoucir ces courages ſi deſeſperement furieux, meſmes
· · Miſerable es qu'ils envenoient de plus en plus aux menaces,craignâs qu'ils ne paſſaſſent
· † outre, il ceda à leurviolence, & malgré qu'ilen euſt, quitta ſestreſors à ſon
rand Monar- -

§ filsselim , & promit de les luy liurer. Choſe deſplorable à laverité, devoir
-

- . - § # vn Prince n'agueres ſifloriſſant & ſi redouté, duquel la puiſſance eſtoit ſi


· - abſolue ſur ſes ſubiects qu'ilauoit peu oſterlavieaux plusgrands à ſon ſim
* ple mandement, eſtre contrainct de flechir ſoubs la volonté de quelque
nombre de chetifs ſoldats tous ſes eſclaues : ſe demettre de ſon Empire, &
de toutes ſes richeſſes entre les mains de ſon mortelennemy(bien qu'ilfuſt
ſon fils) comme on a peu voirau diſcours de cette hiſtoire, mais plus de
plorable encores, devoir ce pauure Prince affligé d'vne ſi cruelle maladie
| depuis tant d'années,tout chenu & accablé devieilleſſe cederà ſes ſubiects
| |
"i

| : | - #ºn faueur de celuy qu'il haiſſoit,pour ſe reſeruerencor quelque peu devie,


- | | | - # qu'ilperdit bien-toſt apres vn grandcouragebiéaſſis euſt perdu lavie auec
- - | | a couronne, car il n'eſtoit pas ignorant de laloy des Othomans, quine
|| -
!
| - peuuent ſouffrirauçun ombrage à leur Royauté,& ſe pouuoit ſouuenir du
",
- traict qu'Amurath fit à Mahomet, duquelSelim ſe donnneroit degarde,
- (en ayant l'exemple tout recent) ce qui luy eſtoit tres-facile, ayant ainſi
toutes choſes ſi diſpoſées à ſa volonté. On ne peut encores paſſer ſoubs
'! ſilence, que ceux-cy quiauoientſivaillamment combatucy-deuant pour
| |
| | |
|| | | | -

Baiazeth contre Selim, obtiennent ſeditieuſement pour luy, & lors qu'il
n'ypenſoit plus,la meſme choſe qu'il demandoit les armes en la main,vou
|| | |
-
:
-
-

i | :
|
· - ·
-
lans
·! #
1 :
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--

—ur ---- sii


-

, desTurcs, Liure ſecond. | 243


)
lans bien levoir Empereur,pourueu qu'il leur fuſt obligé de l'Empire,auſſi
yailgrádeapparence que depuis le combat qu'ilauoit eu contre ſon pere, Metal.se
ilauoitfaict pluſieurs menées dans cette trouppe militaire,carencore qu'ils † §.
entrent dans le Serrail tumultuairement, & qu'ils parlent à leur Empereur †º
ſeditieuſement,qu'il ſemble encores qu'ils ayent eſté principalement ani- .
mez à cette violence pour le meſpris qu'on auoït faictd'eux : ſieſt-ce que
tout cecy deuoit eſtre premedité de longue-main,la ſuite deleurs demâdes
& l'ordre qu'ils y obſeruent, teſmoignantaſſez qu'ils auoient pris cettere
ſolution en leurs aſſemblées ſecretes,carileſtoit impoſſible dy mieux pro
cederpour faire reuſſir leur entrepriſe, ny plus maliuger & ordonner tou
tes choſes, que firent ceux qui auoient le gouuernement des affaires en
main, fortbraues envncon † , mais forttimides àl'execution & à la pre
uoyance qu'ils deuoient auoir pour faire reuſſir leur deſſeing, veu qu'ils
n'eſtoient pas ignorans du poutoir des Iennitzaires, & que parmy vn ſi
grand nombre, comme celuy qu'ils eſtoient ence dernier conſeil,ileſtoit
bienmalaiſé detenir la choſe ſi ſecrete qu'elle ne fuſtdiuulguée, & qu'iln'y
euſtentre-eux quelque confident amy de cet ordre, duquel leurs Empe
reurs meſmes recherchent lesbonnesgraces, & ainſi pouuoienty apporter
# quelques expediens,mais de cecyplusparticulierementaux Obſeruations
quiſeront àla fin delavie de cet Empereur. Quantà Achmet, voyanttou
: . tes choſes deplorables pour luy,il ſe retira en ſa Prouince : quelques-vns Biºshka
ont dit que le pere luy enuoya alors fortgrande ſomme d'argent, & que ce #.
fut celle-là que rencontra ſon frere Corchut, comme nous dirons cy- -

apres. \ * - .

Pour doncques reueniraux Iennitzaires,ſitoſt qu'ils eurenttiré parfor- XXVI,


: cececonſentement de leur Empereur, de deliurer ſestreſors à ſon fils,auec
les patentes qu'ils auoient, du pouuoir qu'il luy donnoit, ils ne peurent
diſſimulerleurioye plus longuement, mais en la preſence meſme du pere - -

ils commencerentàs'eſcriertousd'vne voix : LoNG v E ET HE vREv s E #


vIE A SvLTAN SE LIM, auecques pluſieurs vœux & ſupplications †
qu'ils firent pour ſa proſperité, & mille loüanges qu'ils reciterentàſon hö- ºiºt
neur, pour redoubler encores les afflictions à ce pauure vieillard,enuoyans
ſur le champ pluſieurs courriers les vns apres les autres pour luy porter ces
ioyeuſes nouuelles, & le preſſer de viue voix de ſe haſter devenir à Con
ſtantinople, & luy dire qu'ils n'auoient pas ſeulement obtenu de ſon pere
apres pluſieurs differens & diſputes fort aigres, qu'ileuſt à luy cederl'Em
ire, mais encores qu'ils enauoient les lettres expediées,auecques promeſ -

es de luy remettre tous les treſors entre les mains, il ne reſtoit plus autre. †
2 • 1 • ' • - • - , | des couſtriers
| T _ ._ . _ . "

choſe ſinon qu'il vintiouyr de cet inſignebien-faict de tous les Iennitzai- § s §


res,tres-deuots &affectionnez à ſon heureux nom : que toutesaffaires ceſ- -

ſées,ils'efforçaſt doncques devenir ſans aucun delay à Conſtantinople, &


ſemiſten diligence en chemin, pour ne perdre point l'occaſion de ce qu'ils
auoient obtenu. · * _ - !

$.
, Apres que ces poſtillons eurent apporté ces ioyeuſes nouuelles à Selim, †
ilsletrouuerent tout autre & bien eſloigné de ce qu'ils deſiroient, carilne tiers2
# ººº
. H h ij
/. )
!

, ,

24-4- Continuation de l'hiſtoire .


vouloit pas adiouſter foy,ny donnervne croyance inconſiderée à ces meſ
ſagers, § combienvne multitude eſtinconſtante, & redoutant que
# ce fuſt vn ſtratageme de ſon propre pere † lattraper plus facilement,
, †
ayant nagueres à ſes deſpens que les Iennitzaires s'eſtoient por
tez fidelement à la deffence de la dignité de leur Empereur, & luy contre
ſon eſperance auoit eſté reietté: ſi bien que reuoquant toutes choſes en
doute, & demeurant en ſuſpends s'il deuoit embraſſer cette occaſion oula
uº refuſer, il fit reſponce à ces meſſagers, que perſonne ne luy pouuant pas
# l,
oſterfacilement cet Empire, il attendroit en repos les moyens certains &
aſſeurez de l'acquerir. Qu'il ne ſe vouloit point embrouïller dans leurs ſe
L, reſenes ditions, n'y s'approcher de leurs bandes tumultuaires. Eux voyans ce refus
º tous eſtonnezluy reſpondirent : Que dis-tu,Seigneurº eſt-ce que tu refu
ſe l'Empire ? eſt-ce ainſi que tute deffies & tiens pour ſuſpecte la foy de
|| tes Iennitzaires, nous quiauons eutant déſoing de ton regne & felicité?
Ton pere eſt ſi languiſlant devieilleſſe, & auecques le grandaage ſivſe de
† # maladies, qu'ilattend la mort deiouràautre, & quitter# ſoing des affaires
§ humaines:ne dois tu pas doncqueste haſter dauantage devenir à Conſtan
† tinople,afin qu'auecques layde de cette trouppe de gens deguerre qui t'eſt
pire. ſi § , tu t'eſtabliſſes dans la † de l'Empire durant la vie
| -

##
de ton pere, ſans attendre qu'ilait rendul'eſprit
Selim ayant bien conſideré ces raiſons, s'y laiſſaperſuader, Iugeant †
§ les Iennitzairesauoiçntfort ſagement ordonné de ces affaires, toutes-fois
- |
-:
†º- qu'ilne falloit pointvſeràl'eſtourdy de cettebelle occaſion, ny lareietter
auſſi, mais pluſtoſt la prendre auec l'vne & l'autre main, c'eſt pourquoy
· · ·
afin desyacheminer en equipage de Prince, & ne ſe rendre point neceſſi
-

teux à ſes partiſans : outre les gens deguerre qu'ilmenoit d'ordinaire quant
- † &luy,il print encorestrois milleTartares à ſa ſolde qu'ilioignit à ſes troup
· §s§. pes, & commença ainſi ſon entrepriſe : quelques compagnies des Iennit
zaires luyvindrentauſſi à la rencontre. ' -

-*

XXVII. Orcependant que Selim eſtoit en chemin, & que tous les Iennitzaires
. · luyauroient eſté au deuant, Corchutl'autre fils de Baiazeth & frere de Se
corchut art. lim, eſtoitarriué parmer à Conſtantinople, pres de petites maiſonnettes
!| †" des Iennitzaires qu'ilsappellent Zauias, comme ſion diſoit, maiſons de
, tinople.
ſollitude, & eſtant entré dans vntemple ilsyarreſta, n'ayant auecques luy
---
† homme qu'ilaimoit, & quiauoit eſténourryauecques luy dés
à ieuneſſe, ce n'eſt pas toutes-fois qu'il fuſt venu de ſon gouuernement
auecques ſi peu de trouppe, comme ilſe iugeracyapres, ayant pris parle
† chemin les treſors que ſon pere enuoyoitàſon frere Achmet, mais il ſe de
§ guiſoit ainſiafin de mieux faire ſes menées, car ilauoit eu des picques par
" ticulieres contre Achmet,à cauſe de quelques ſiens ſeruiteurs qui auoient
eſtétroublez enleurs poſſeſſions par ceux de ſon party,& ainſi bienayſe en
# toutesfaçons de luy pouuoir faire deſplaiſir delaquelle arriuée les Iennit
:

† de cor #airesayans eſté aduertis, & que meſmesileſtoit envn temple proche de
" leurretraicte, ilsy coururentauſſi-toſt pour luy baiſer la main.Mais quand
, ſon pere Baiazeth entendit qu'ileſtoitarriué,il commanda auſſi-toſt qu'on
| s'enquiſt
- 0

des Turcs, Liure ſecond. 24 5


#
s'enquiſt de luy quelle occaſion l'incitoit de venir à Conſtantinople, & †
qu'onluy enioigniſt de ſe retirer ſans aucun retardement enſa Prouince. ºº
Les Capitzilars ou portiers luy annoncerent ces choſes auec pluſieurs
menaces en preſence des Jennitzaires,leſquels eſimeuz de pitié prindrent la Les lenniºai
parole contre ces Capitzilars,leur demandans ce qu'ils vouloientàvn R,py-§.
telet, quis'eſtoit caché ſoubsvnc ronce, faiſans alluſion à ce petit oyſeau †
qu'onappelle auſſi Trochille, qui ſe trouuant le plus petit des autres, veut
quaſi toutes-fois s'eſgaller à l'Aigle en ſon vol, commes ilaſpiroit à eſtre le
Roy des autres oyſeaux,auſſi c'eftoitl'intention de Corchut,ainſi que vous 1 .
entendrez cy-apres, mais ilyvenoit en Philoſophe, que meſpriſoient ces co .
lennitzaires, & non pas enguerrier comme ils le deſiroient. Le lendemain
ſon pere Baiazeth luy enuoya trente ſacs d'aſpres, & commanda qu'on euſt
àleloger partout où ilſe retireroit : de ſorte que les mareſchaux des logis Legereté &
luy marquerent la maiſon du Caſiaſcher ou grand preuoſt, tant qu'il ſe- †.
iourneroit à Conſtantinople, voyla comment cet Empereur Baiazeth ſe
vouloit auoir par la force, & quiconque vouloit tirer quelque choſe de
luy, ilfalloitluyfaire peur, qui monſtroit aſſez ſa nature laſche & volage,
- - - ) » b

laquelle recogneue parles Iennitzaires, leurauoit donnél'audace d'entre


prendre ceqºils firent contre luy : car c'eſtoit † grandelegereté d'eſ
prit, de precipitamment faire iniure & offencer ſoudainement ce ſien fils
ſans ſubiect, & puis auſſi-toſtluy faire des preſens hors de ſaiſon,& le bien
venir dans ſaville, de laquelle ill'auoitvoulu chaſſer, & ſabaſſeſſe & abie
I#. ction,ence qu'il flechit à la moindre menace qu'on luy faict,ileſtvray qu'il
Il falloit en cecy excuſerlavieilleſſe & la longue maladie quil'auoient rendu
foible en toutes choſes. - - |

Or ce quiauoit faictvenir Corchut à Conſtantinople, eſtoit qu'il eſpe-cauſe de lar,


roitd'eſtre preferé à tout autre en l'Empire par les Iennitzaires, car il vous †
: peut ſouuenir qu'incontinent apres la mort de Mahomet ſecond du nom,"rº
aieul de Corchut, il auoit eſtéeſleuéàl'Empire ſoubs le nom de ſonpere,
: qui diſputoitlors du ſceptre auecques ſon frere Zizim, & de crainte qu'eu
# rentles Iennitzaires que Baiazeth ne ſuccombaſt,ils auoient touſiours eſle
# uécettuy-cy(encores enfant) ſurle troſne, de crainte d'obeyr à Zizim,le
quelayant eſté deffaict & contrainct de ſe retirervers les Chreſtiens, Cor
chut auſſi remitl'Empire entre les mains deſonpere. Orauoit-ilpremiere-ce qu'il eſºs.
ment eſperé que ſon pere, ſelon la promeſſe qu'illuyauoit faicte, lors qu'il†º
ſe demiſt de cette dignité pourl'enreueſtir, qu'ille prefereroitàtout autre: -

mais voyant qu'il vºuloitaduancer ſon frere Achmet à ſon preiudice, cela
l'auoitfaict venir à Conſtantinople, croyant § les Iennitzaires ſeroient
memoratifs des promeſſes de ſon pere, & qu'ils luy ayderoient à recouurer
ſa dignité, mais il arriuoit trop tard, car les Iennitzaires auoient deſiaen
uoyé des courriers à Selim, qui enleur nom luyauoient preſté le ſerment,
qu'ils ne pouuoient & nevouloient rompre,carleur inclination eſtoit bien
plusportée du coſté de Selim, comme eſtant vn homme belliqueux, & corºnt re :
cettuy-cyaddonné au repos & àl'eſtude de la Philoſophie Mahometane.º # ºsºude .
|l
A>

Eſtans doncques bien ayſes de le pouuoirlegitimement º#


ils luy 4

§#
- Hh iij
-

| 246 Continuation clel'hiſtoire



|

1 diºA la verité, Prince, ſitu fuſſesarri téicyilyaneufou dix iours,nous


§ § t'euſſions preſeré à tout autre, mais mailatenant que nous auons enuoyé
# °" vers ton frere,nous ne pourrions pas retracter(noſtre honneur ſauf)ce que
nous luyauons deſiapromis, cela eſtant v ne † grande tache à noſtrere
putation,voyla pourquoy nous ne ſçauoils quel remedeny quelconſeilte
donner. -

:
·
*
Ce qu'entendant Corchut,& recognoiſſant aſſez par ce diſcours en quel
, eſtat eſtoient pour lors lesaffaires, comme il ne manquoit pas d'entende
† ment,ilvidbien qu'ilfalloit changer de la ngage & d'entrepriſe, cela luy fit
# * reſpondre : Puis qu'il eſt ainſi, Iennitzair es, que vous auez enuoyé vers
" mon frere Selim, pour traicter de ce que vous dittes, ie ne deſire plus,ny
| , ne pretends plus rienàl'Empire, maisie iuge que vous l'auez deu preferer
à moy, car pour en dire laverité, la principale cauſe qui m'auoit faictvenir
icy eſtoit que i'auois entendu que mon pere auoit donné la ſucceſſion à
mon frere Achmet, ce que ie voulois empeſcher de tout mon pouuoir,
Treſors que
voyant ſon affection ſi extraordinaire enſon endroict, melaiſſantenarrie
| p † re, moy quiluyauoit rendu deſigrands teſmoignages de ma fidelité, & à
† qui ſa promeſſe lauoit particulierement obligé, iuſques à luy enuoyer de
,
†" . grandes ſommes d † par ſes largetſes & corruptions il peuſt
· attirer à ſoyles volontez des principaux del'Empire, afin de nous le rauir
d'entre les mains, leſquels treſors i'ay trouuez par le chemin, comme on les
conduifbit, & les ay pris & ſaict § de: rendre vains les deſſeins
de mon pere & de mon frere, & conuertir leur intention à mon ad
uantage. - -

Ce que diſoit icy Corchut de cestreſors, n'eſtoit pas vne choſe inuen
tée, car Baiazeth auoit enuoyé à Achmetvnefort # rande quantité de ſacs
Il en fait lar- pleins d'argent,apres cette reſolution priſe au conſeil qu'iltint pour luy re

- g§ ſigner ſon Empire, leſquels Corchutauoit rencontr ez, & forcé ceux qui
-
" les portoient,de les luy liurer, & les ayans faictapporter parles ſiens à Con
ſtantinople, il en fitvnelargeſſe aux Iennitzaires, de deux censaſpres pour
1 . teſte. .
XXVIII Les choſes eſtans en cet eſtat, Selim pourſuiuoit touſiours ſon chemin
& s'approchoit de Conſtantinople, ce que ſçachant Corchut, ilalla auſſi
Corchut va · toſt audeuant de luyiuſques à Zecmegen, ou aupetit pont,vn lieu que les
-
#ºt dess Grecsapp elloientComepolichnion,ou petitbourgceint de pluſieurs IIllI
- railles, en vnlieu où s'eſtendent deuxgrands ſeins du Propontis, & oü ſe
† † deſgorge le fleuue Athyras, où les deux freres ſe rencdhtrerent tout à che
# ual, & ſe ſaluans mutuellement, ioignans leurs dextres les vnes aux au
tres, ils ſe rendirent enapparence toutes ſortes de teſmoignages d'amitié,
& de bien-veuillance. De là s'en eſtans retournez enſemble en laville de
compagnie,ilss'entretindrent de pluſieurs diſcours,& † eſtre entrez en
icelle, & qu'ils ne fuſſent pas loing de la retraicte de Selinn, s'eſtans dere
Selim va loger chefſaluez , & ditadieul'vnàl'autre, Corchut ſe retira en ſon logis accou

† ſtumé. Toute la trouppe alors des Iennitzaires ayans enuironne S elim,
l'emmenerentaueclesſiens en leur quartier, qu'ils appellent Genibacza,
c'eſt
•.

/
-

• T - | - -

des Turcs, Liure ſecond. 2 47 .


•. c'eſt à dire nouueau Iardin, où Selim ſe retira, ſoubs la tente qui luyauoit
# eſté preparée. - | . • p ' :: • : ; ·
# Le lendemain le meſme Selim s'en alla trouuerſon pere, auquelil baiſa n,abaiſe les
#
t :
lamain, de
reſiouys & le
cepere
queleparlantà
Royaumeluy :t'eſt
Certainement mon
eſcheu, & ty fils,tout
deſire luy bon
dit-il,heur &# ••
ie me,
- proſperité: en verité nous pouuons inferer par de tres-grands indices que Propos de Ba
#
# cette dignité
en cette reſtoit
ſublime deue & deſtinée,
grandeur, parmy tant & que DIE v te vouloit colloquer § #
d'obſtacles qui ſe ſont preſentez fils Selim.

# pour en empeſcherl'effect, d'vne choſe ſeulement te prieray-ie, c'eſt que


º ie puiſſe encoresicy demeurer quelque temps,itiſques à ce quei'aye faitre
#
I#
parer Dimoſtique (lieu de plaiſance qu'ilauoit proche d'Andrinople, où ,
ſe font ces excellensvaſes & ſi bien elabourez, dont les MonarquesTurcs #
-

# &autresgrands Seigneurs du pays ſe ſeruent à table, qui auoit eſté rainée †


:#: arce grandtremblement deterre,dontila eſté parlé cy-deſſus)afin quete † # re
#. - § la iouyſſance de ce lieu cy, ie puiſſe paſſer là en paix le reſte de mes #ºs • ºº
# iours, & cependant tu te retirerasaux iardins Genibacziens,vngrand châp
#, à ſçauoir , qui eſtoit clos de murailles, fort propre pour dreſſer pluſieurs
º,. tentes & pauillons, à la façon desTurcs,proche du corps de garde des Ien
s# nitzaires. - ·

sk, Toutes-fois PaulIoue eſt de contraireaduis à tout ce quia eſté dict cy


mt01: deſſus, carilveut qu'Achmet, qu'ilappelle Achomat, apres eftre venu à
s, Conſtantinople par le commandement de ſon pere, ſe ſoit apres reuolté
m# contre luy, s'eſtant declaré Roy de l'Aſie, & ſaiſi d'vn ſiennepueu nommé
Mahomet & ſonfrere, enfans de Scianciasl'vn des fils de Baiazeth,& faict Recit de l'hi
ſ : trancherlateſte au principal des Ambaſſadeurs que ſon pere luy auoit en- †:
# #. uoyez, & aux autres le nez & les oreilles; & § deſſus Baiazethgrande- †
# mentirrité, le fit declarerennemy. Iladiouſte apresque les Baſſats & les
(cliº plusgrands de la porte, & principalement Machmut, perſuaderent Baia
#iº zeth d'eſlire Selim chefde laguerre contre ſon frere Achomat, excepté le
# Baſſa † , & que Selim eſtantvenuà Conſtantinople ſur le man
| dement qu'onluy en auoitfaict : auſſi-toſt qu'ilfut arriué,ilfut trouuerſon
dic § ,auquelilbaiſa en toute humilité les pieds : Baiazeth apres luy auoir
# aict quelqueremonſtrance,luypardonnantlesfautes paſſées, & l'incitant
# àſebien conduireàl'aduenir, mais comme on euſt publié l'aſſemblée des
# gens deguerre pour eſlirevn chef,les Iennitzaires le recogneurent non ſeu
# f§ pour § cette guerre, mais pour Prince ſouuerain, & que là deſ
# ſusle Baſſa Muſtapha, ſoit par le commandement de Selim, ou par ſon -

(#
# · propre mouuement,
eſtant entré vint aduertir
envne merueilleuſe Baiazeth
colere, de ce qui
& reprochant à ſesſeſubiects
paſſoit,leurin-
lequel • -

:
#º gratitude
& Aiax, au&lieu
infidelité,
de faire cettuy-cy,
rapportau àpublic
ſçauoirduMuſtapha auecques
iuſte courroux Roſtanes
de leur Prince, N

# ils vſerent de cesmots : Baiazeth renonce à la Seigneurie, & ordonne Selim,au


sº quelles Dieux & les hommes ont preſenté la Seigneurie pour ſon ſucceſſeurs & là
#º deſſus layantmonté ſur yn cheual, le menerentpar les plus celebres places
#º &ruësdelaville, & ſalué pour Empereur parl'acclamati6 de tous.Quantà
· 248 Continuation del'hiſtoire
Corchut qu'il eſtoit arriué à Conſtantinople deuant Selim, & qu'il auoit
parlé à ſon pere; & luyauoit fort ramentu le deuoir auquel il s'eſtoit mis
quandilluy cedal'Empire, queſonpere luyauoit promis alors de le faire
ſuccederà ſes Seigneuries : & notamment apres la reuolte d'Achomat :
| mais que ce qui ſe paſſa apres pourSelim rompittellement tous les deſſeins
de Baiazeth, qu'ilfutcontrainct de renuoyer Corchut en Aſie auecquesaſ
ſeurance de trouuer moyen de ſe depeſtrer de Selim & des Iennitzaires,
· * quiluy eſtoient ſi contraires en cette guerre d'Achomat, & qu'en leur ab

ſence,ilaccompliroit la promeſſe qu'illuy auoit faicte,ce que i'ay bien vou
lurapporter,afin que chacunait ſoniugement libre pour diſcerner ce qui
luy ſemblerale plus rapporter à la verité.
, XXIX. Or durant que Baiazeth faiſoit ſes preparatifs pour ſe retirer à Dimoſti
ues Corchut faiſoit les ſiens pour † à ſon Saniacat, lequel on aug
menta del'Iſle de Leſbos ouMetellin, & ce par l'aduis de Selim, lcquel
, cera º.levºulºit † parce preſent,ilne † ſoubs main de
# #- perſuader on pere de le renuoyer, pour obuier, diſoit-il,aux diſſentions.
zeth en ſon
Saniacat. mais c'eſtoit pour la crainte† auoit qu'en ſon abſence, il ne s'emparaſt
del'Empire:& defait Baiazeth qui n'eſtoit plus le maiſtre,fut contrainct de
luy complaire & de le renuoyer Mais Paul Ioue dit qu'eſtant monté ſur ſes
galeresils'en retourna à Phocée, où de † de ſe voir fruſtré de ſon eſ
perance,oupour la crainte delamort.Tuberon enl'Hiſtoire de ſontemps
Corchut de- dit, que ce Corchut ſe voyant priué du Royaume,parl'inclination que ſon

m§s pere portoit à Achmet ſon frere, s'eſtoit retiré en Egypte, pourtaſcher de
"º tirer quelque ſecours de ce Prince, pour obtenir de ſon pere par la force,ce
qu'il ne pouuoit auoir de bonne volonté : que Baiazeth en ayant eſtéad
uerty, luy enuoya pluſieurs grands preſens pourle retirer de là, ce qu'il fit
du conſentement meſmes del'Egyptien, & que delàs'en eſtanralléen Ly
die, ayant changé d'aduis, iliuravne eſtroite amitiéauecquesSelim : de
Itadaetit se ſorte † ce fut luy quil'aduertit des deſſeings que Baiazeth ſon pere auoit
lim des deſ- - )• / 1

† † pour ſon frere Achmet, & meſmes qu'ilauoit enuoyé le Baſſa Haly auec
perc.
qucs vnebelle armée, † l'eſtablir plus facilementau Royaume,y eſtant .
d'autât plus incité qu'ilauoit receuvne deſroute par ces ſeditieux Sophiás,
- : tantilya de contrarietez dans touslesAutheurs, & tantil eſt difficile de les
:
concilier : mais quant à moyie croyrois qu'Achmetauroit cſté le mignon
dupereiuſques àla fin, ques'ilfit quelque decret cótre luy, ce fut lors qu'il
n'auoit plus de puiſſance ſur ſoy-meſme. Que Selim fit voirement le bon
valetà ſon arriuée,mais qu'ilvſa àl'inſtant d'vnpouuoirſouuerain,&quant
conciliation à Corchut, i'adiouſterois plus de foy à ce qu'en diſentlesannalesTurqueſ
"" ques, qu'àtout le reſte, ſans toutes-fois reietter ce qu'en ditTuberon, car
celane ſe contredict point que Corchutne ſoit venu deux-fois à Conſtan
tinople, l'vne auparauant la guerre des † & que de là il s'en ſoit
allé en Egypte, l'autre quand Baiazeth voulut fairevenir Achmet pour luy
reſigner #pire. . - - - -

rºi … * choſes s'eſtans paſſées ainſi pourleregard de Corchut,Selim 1ettoit


§ cependant les fondemens d'vne execrable meſchanceté.Son pere § VIl
lim.
Medecin

desTurcs, Liure ſecond. 249


Medecin que les vns nóment Vſtarabin,les autres Hamen, en quiilauoit -

vne fort grande confiance, & auquelil promit de donner mille aſpres par #
iour,qui peuuent reuenir à neufmilleTalers à quarante aſpres pour † #ºpºs
qui ſeroit quelque dix-huictmilleliures de penſion, cettuy-cy corrompu
par vne ſigrande eſperáce de recompence, luy promit de prendre le temps "
& l'occaſion pour executer ce qu'il deſiroit: car Selim craignoit que cepen
dant qu'il iroit faire laguerre à ſes freres, commeil deliberoit, qu'il ne luy
print enuie derentrer dans ſa domination,côme iadis à ſonaieul Amurath,
ioinct que Baiazeth, au rapport de Paul Ioue, emportoit quant & ſoy,for
cevaiſſeaux d'or & d'argent, auecques grande quantité d'argent monnoyé,
plus des eſcrins tous pleins de perles & pierreries fort riches & precieuſes Richeſſe, que
qu'il auoit tirées du treſor, & des innumerables richeſſes que ſes aieulx luy #
auoientlaiſſées, ce quivint fort à propos à Selim pour les largeſſes qu'il luy & ſo .
falloit faire incontinentapresaux Iennitzaires, qui luy auoient eſté cauſe
en vne heure de tant de biens.
Cela eſtantarreſté, & toutes choſes eſtans preſtes pourle partement de
Baiazeth,il dit les derniersadieux à ſon fils Selim,& montant dans ſon cha- †
riotilvoulut que Ionuſes Baſſa l'accompagnaft,
quesluyiuſquesàlamort,carill'aimoit & qu'il toutes-fois
par deſſus tous(& demeuraſt auec-
quel-*#aºne
c.

ques-vns ont dit qu'il auoit eſté gaigné par Selim, & que ce fut luy qui
donnale poiſon à Baiazeth, deuant meſmes qu'il † de Conſtantino-1?nuſº Baffa
• || chery de Baia
||»

ple.) Quantaux autres Baſſats, & autres grands de la porte, ils l'accompa-# gºgº
gnerent iuſques horslaville, non toute fois guere loing : tandis Selim ne # #
voulant pas s'enallerauSerrail parlemeſme chemin que tenoit ſon pere, †§.
qui ſortoit par la porte d'Andrinople, il laiſſa lesiardins Genecbazeens, *
ours'en vênir à Acſerai Bazarum, c'eſtàdire au marché du blanc Palais,
& delà deſcendant par la place qu'on appelle lalongue,ilarriua àl'Hippo
drome, qu'ils appellent Atmeidan, & delà auSerraildes Sultans.Tandis †
ceux qui eſtoientallez accompagner ſon pere eſtans de retour, ils auoient ayeulx,
reſolu de le conduire auecques vne pompe Royale en ſon Serrail, & le fai
re ſeoir ſur le troſne de ſes maieurs:mais eſtansarriuez auxiardins Genibac
zeens, & nel'ayans plus trouué,cclales offença fort, & murmurerent tout
haut qu'ils ne pouuoient qu'ils ne ſe reſſentiſſent du meſpris que Selim
faiſoit des couſtumes de ſes anceſtres, d'eſtre receu à ſçauoir à l'Empire Murmure des
auecques ſolemnité : mais Selim ne fit non plus de cas de tous leurs diſ §
(. , cours ques'ils n'euſſent rien dict,tant le reſpect & la creáce qu'ona en †
†º,
&. qu'vna de pouuoir ſurvne populace, car il ſembloit qu'il deuſt fiechir à ºs"
ſ# tout ce qu'ilsvoudroient, & cependant ce ſont eux qui flechiſſent & font
2º 2 ^

iougàl'obeyſſance : car commeileſtoitfort haut à la main, ne redoutant
plusſonpere par ſon execrable parricide, & ne faiſant point d'eſtat de ſes
freres,ilvſatout dés le commencement d'vn pouuoir ſouuerainementab
ſolu: deſorte meſme que le lendemain qu'il fut arriué à Conſtantinople, il - . -

#ºſtiangleràvnarbrevndes Iennitzaires,quiportoitlacoiffure d'or fai- †


ººnforme d'eſcofion, à ſçauoir des ſtipendiez & plus apparens, qu'ils †.
% appellent Vlefetzilar, à cauſe qu'il auoit decouſtume d'aller & venir vers Aº
ºtcomme eſpie,pour luy dire ce qui ſe paſſoit, cette ſeparation du
/ - | I1
1 |

25o Continuation de l'hiſtoire


pere & du fils eſticy rapportée ſelonce qu'en a eſcrit Haniualdan. Toutes
fois dans les annales Turques ie trouue que Selim accompagna ſon pere
• ' ! iuſques hors la porte d'Hadrianople, les volets du chariot eſtans hauſſez,
| # & que le long du chemin le pere donna à ſon fils pluſieurs conſeils & bons
#" preceptes pour bien &iuſtement regner,& que s'eſtansdit adieu l'vnàl au
tre,le perearriué au fleuue Chapſen ou Saſlidere, c'eſt à dire riuiere pleine
-
deioncs, qu'il rendit là l'eſprit, à quoy ſe rapporte Haniualdan, qui dit
u'il mourut au milieu du chemin, & cela encore ſelon ceux qui veulent
que le Baſſa Ionuſesl'ait empoiſonné, toutesfois ietrouue plus d'apparéce
: - - - allX alltI'CS qui diſent que Selim n'accompagna point ſon pere, carencores
· n'ya-ilNeron ſi cruel quine ſe ſente emouuoir le cœur de pitié, devoir ſon
-
perevieillard, qu'il depoſſedoit & banniſſoit de ſa ville, & de ſa Royale
| . | maieſté, & lequelencoresilauoit faict empoiſonner: mais ceux qui diſent
que ce fut le Medecin, voicy commeils racontent cette mort.
XXX. | Baiazeth eſtant arriuéàTzurulo, vn villageaſſez proche d'Andrinople,
· le Medccin ayant deſia preparé ſa mortifere boiſſon, s'en vint trouuer le
matin Baiazeth qui eſtoitfort endormy, & commeil l'auoit deſia le iour
de deuant diſpoſé à prendre medecine, la purgation luy eſtant neceſſaire
--J' apres tant de triſteſſes, ils'approcha de § puis l'ayant reſueillé, il luy
Baiazeth em
dit que l'heure propre à prendremedecine eſtoit preſque paſſée, & luy de
poiſonné par manda s'il eſtoit envolonté de la prendre ce matin, ou bien d'attendre au
ſon medecin.
- lendemain.Baiazeth qui n'euſtiamais penſé que ſon medecin luy euſtvou
: luiouer d'vn tour ſi laſche & ſimeſchant,luy dit qu'ileſtoit content, & là
deſſus le Medecin la luy ayant apportée, en fit l'eſſay ſelon la couſtume,
mais cela n'auoitgarde de luy faire mal, s'eſtant prcalablement muny d'vn
contre-poiſon, & le pauure Princel'ayant priſe,le perfide Iuifcommanda
-
aux valets de chambre de ne luy bailler point du tout à boire, mais ſeule
ment qu'ils le couuriſſentbien, iuſques à ce qu'il peuſt ſuer. Cela faict,luy
qui ſçauoit lavertu de ce poiſon eſtre telle que Baiazeth n'en releueroitia
|
-- # mais,s'envint haſtiuement à Conſtantinople en aduertir Selim, s'atten
§ dant de receuoir de luy vne ample recompence.
-
, - †º Mais Selimiu geant que ſil'occaſion ſe preſentoit, où quelqu'vn luy of
| :
- friſt del'argent pourl'inciter à l'empoiſonner, qu'il luy en pouuoit bien
--
| faire autant, commanda ſurl'heure meſme, qu'on luy coupaſt la teſte,di
gnerecompence de ſa deſloyale meſchanceté.Voyla comment cet infor
tuné Empereur,ayant miſerablement languy quelques heures, renditl'e
ſprit parmy de tres-grandes douleurs,lan de grace milcinq cens douze, &
de Mahomet neufcés dix huictle dix-ſeptieſme iour du mois de Safar ou
Sefer, c'eſt noſtre mois d'Octobre, ſeant à Romele Pape Iules ſecond, en
France le Roy Loys douzieſme, & en Alemagne l'Empereur Maximilian,
& lors que ſe donnoit, ſelon quelques-vns, la bataille de Rauenne, ayant
, -

veſcupres de quatre-vingsans, & regnétrente & † peu dauantage,


quelques-vns encores ont dit qu'il eſtoit mort de vieilleſſe, & de longue
-

maladie , plus attenué toutes-fois d'ennuis que d'aage : neantmoins


- PaulIoue dit qu'Antonio d'Vtri Ligurien qui eſtoit de ſa chambre,a eſcrit
quelques
des Turcs, Liure ſecond. 25I
quelques commentaires de ces choſes au Pape Lcon, & dit qu'illuy reci
toit quelques-fois qu'il apperceut en ſon corps des ſignes indubitables de
oiſon lors qu'il expiroit. Prince plus addonné au repos qu'au trauail, & à
§ qu'à la guerre : auſſi dit-on qu'ilauoit ſoigneuſement eſtudié ſon
Auerroes, aux ſubtilitez duquel il eſtoit fort verſé. Son regne a eſté fort
tragique, car dés le commencement la ſouueraine authorité auoit eſté
longtemps enbranſle à qui elle demeureroit à ſon frere ou à luy. Depuis il
y eut § entrepriſes ſur ſon eſtat, & des prattiques entre les ſiens : de
ſorte qu'il fut contrainct d'en venir à la cruauté, voire meſmes contre ſes
propres enfans:& de ceux quiluy reſterent, encores n'en fut-il pointaimé,
celuy qu'il fauoriſoit le plus, s'eſtant ſelon quelques-vns, reuolté contre
luy : &le dernier de tous, qui le depoſſeda non ſeulement de l'Empire,
, mais quile priua devie, & † ce moyen le Prince le plus mal-heureux de
la race des Othomans, car il ne peut s'acquerir la bien-veillance de ſes ſub
iects, qui ſebanderent contre luy à la fin de ſes iours, & luy firent quitter
l'Empire, qu'ils penſerentrenuerſer parleurs factions, ny ſe conſeruerl'au
thorité & l'amitié de ſes propres enfans, ayant finy tragiquement ſa vie,
ſes guerres furent la plus part conduictes par ſes Lieutenans, qui
furent aſſez mal-heureux en toutes leurs entrepriſes, excepté §
Chreſtiens, mais leur Empereur fut heureux en cela, qu'encore que ſes en
nemis euſſent de l'aduantage ſur luy, ils le rechercherent toutes-fois touſ
iours de paix, n'en ayant pointtrouué de plus dangereux à combatre que
ſes domeſtiques. Les Chreſtiens eurent de ſon temps quelque relaſche,car
comme il eſtoit homme † s'il entreprint quelque choſe contre
eux, c'eſtoit plus pour contenterles ſiens & enſon corps deffendant, que
pour deſir qu'il euſt de guerroyer. -

Ceux quile conduiſoient à † , le ramenerent apres'ſamortà


Conſtantinople, où ſon fils Selim le fit magnifiquement inhumer en la
Zume ou Temple de ſon nom, proche de l'Imaret ou hoſpital qu'il auoit
faictbaſtir de ſonviuant, où Paul Ioue dit qu'il y eſtablit des feux perpe
tuels, & vne ſepulture d'ouurage fort ſuperbe & magnifique, afin §
quil'auoit priué de la Seigneurie & de la vie, ne ſemblaſt auſſi luy enuier
les derniers honneurs. - - -

FIN Dv , SECoND LIVRE.

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SV R L ES A CTI ONS PL V S
| | · : · | | | | SIGNA LEES DE BAIAZET H SECOND
- -

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du nom, contenues en ce 2. liure de la Continuation de l'Hiſtoire
-

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des Turcs, par leſquelles la Iuſtice & Prouidence de
• . -

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- - -

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DIE v, peuuenteſtre remarquées.
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-

| | ET T E Verge veillante du Prophete Hieremie,


| J' cette Sentinelle desſentinelles, qui remet chacun
•! | | |
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) en ſon deuoir, & le reueille du profond ſomme
: , # deſes iniquitez, qui depuis le plus grand matin
.. . - # iuſquesàlanuict cſt § en garde pour le ſa
:! |! •
# ! t - | lut des ſiens. Cet œil poſé ſur ce ſceptre, ſelon les
-
* |
Hieroglifes des Egyptiens, qui à la Royale gou
:
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uernevniuerſellement, & void en vn inſtant de
· : , !
uant & derriere ce qui doit arriuer à ſes creatures,
' , , |
-
| | vouloit bien en Roy Tout-puiſſant chaſtier ſes
| | · · · · · ·! meſchans ſubiects, quis'eſtoient tant de fois reuoltez contre la grandeur
-

-
• ! º | | ;
- :
-! - , , : de ſamaieſté, mais comme pere demiſericorde, & D IE v de toute con
* -
| | |
| | | ſolation, illeur offrit des occaſions pour ſe liberer, non ſeulement de la
| ;| "
|
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|
|
|
·
ſeruitude, mais derendre meſmes lapareille à ceux qui lesauoienttant fait
, , " i ; • i ſouffrir.
- | 1 ,
| 3 Car incontinentapreslamort de Mahomet ſecond,les partialitez d'en
- , | Chapitre 1.
:. |! i ! -º tre les plus grands del'EmpireTurcº& les guerres ciuiles que les deux fre
| · |· |· · .
| | | res,Baiazeth & Zizim ſe faiſoientles vns contrelesautres,eſtoientvngrand
| | |
, -
|
| | -
moyen aux Chreſtiens, s'ils ſe fuſſent bien entendus, de rentrer dans la
" | | | | meilleure partie de leurs terres, toutes les forces des Othomans eſtans lors
|
en Aſie, & ne reſtoit en † † quelques garniſons, mais les Chre
- · · .. ! |
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| | h i :
ſtiens eurentbien le cœur de ſereſiouyr de la mort de leur ennemy, mais ils
·· · · · ,
n'eurent pas l'induſtrie ny l'aſſeurance, ou pluſtoſt la bonne intelligen
- , -
| | 1 -
• "
| ce, enſemble de courir à ſes deſpouïlles, s'amuſans à faire des feux de
,| | | ,!| i , ioye chez eux au lieu de les aller faire ſur ſes terres, & dans ſes propres
-

villes. -

|
| | | | | | Chap. 2.3.
l | | | | Ce que ie viens de dire fut vn beau moyen, mais cettuy-cy n'eſt pas
| | | : - i
1 ! 4- : moindre, car que n'euſt-on pointfaictauecquesl'ayde de Zizim, ſuppor /
1 , :-- º
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|

- Conſiderations ſurl'hiſtoire des Turcs. 253


té & fauoriſé des ſiens comme il eſtoit ? & quand on euſteſté contrainct de
le remettre enlaiouyſſance de ſon Empire, n'ya-il pas grande apparence .
qu'il euſt quittéaux Chreſtiens la meilleure partie des terres qu'il tenoit en
l'Europe, comme s'eſtoit autres-fois reſolu de faire vn des fils du premier
Baiazeth?Mais ils n'auoientgarde de courirſus au loup, puis qu'ilsauoient
intelligenceauecques luy, le recherchoient & luy donnoientaduis contre
les ouailles,& ce qui eſt de plus deplorable par ceux-meſmes qui deuoient
auoir le plus grand ſoing de la bergerie, fauoriſans l'ennemy commun,
pour retarder le cours des proſperitez du plusgrand Roy de la Chreſtien
té. Cela arriuant toutes-fois iuſtement, car l'Italie & les Prouinces circon
uoyſines n'eſtoient pas dignes d'vn ſigrandbien, touty eſtant plein de ty
rannie & de volupte. - -

Chap. 4.f.
Voicy encores pluſieurs occaſions toutes de ſuite, propres pourlapro
ſperité desaffaires des Chreſtiens,carparmy tant de ſeditions des Iennitzai
res, & ſi peu d'affection qu'ils portoient à leur Empereur, comme il ſe
† voir parces tres-grands remuëmens qu'ils firent : on pouuoit prendre
'opportunité pourfaire pluſieurs menées dans cet eſtat tout troublé, veu
quel'eſprit del'Empereur quiregnoitalors,n'auoit la capacité pourreſiſter
à tant d'affaires, ny l'inclination à la guerre pour la pouuoir longuement
ſupporter, ſon courage timide & ſon eſpritirreſolu, le faiſant entendre à
toute ſorte de compoſition quand il eſtoit preſſé de pres. Or comme les
Chreſtiens nourriſſoientleurs inimitiez,tant plus la bonté Diuine leurteſ
moignoit de miſericorde. Cettemeſmebóté infinie quine marche iamais
ſansſonbras gauche, ne voulut pas permettre la ruine de l'Empire Turc
parluy-meſme, commeil fuſtarriué ſans doute, ſi Baiazeth euſtfaictreuſ
· ſir ſon deſſeing exterminant les Iennitzaires,les nerfs & laforce de l'Empi
re Turqueſque, maisille voulut conſeruer en ſa force, afin que ſes rebel
les enfans luyvoyanstouſiours en la mainlesverges & le baſton preſt à deſ
charger ſurleurs eſpaules,ſeretinſſent dauantage en leur deuoir, mais leur
obſtination eſttrop grâde pouryvoir du changement,ſi parvne grace ſpe
ciale luy-meſme ne le faict.
De tousles ſept Princes quiauoientaſſiſté Aladin en ſes conqueſtes, il Chip. 4.7.
nereſtoit plus que le Caraman, tous les autres ayans eſté ſubiuguez & ex
terminezparlesTurcs.Orſemble-ilque ladiuine Prouidence les euſt vou
lu conſerueriuſques alors, pour deux raiſons, l'vne que ſi Mahomet ou
vnautreauparauant luy l'euſt conquiſe, ilſe fuſt rué tout à ſon ayſe ſur la .
Perſe qui eſtoit encores toute diuiſée : les Roys de laquelle n'auoient pas le
pouuoirqu'ils acquirent depuis ſoubsVſunchaſſan & ſoubs IſmaelSophy:
mais cette Monarchie auoit beſoing de maiſtre, & d'eſtre deſia forte &
puiſſante pourfaire teſteauxTurcs, & la Caramanie leurſeruoit debarrier
res.Or du temps de Baiazeth Iſmael Sophy eſtoit en la ſplendeur de ſes
conqueſtçs, quinetoucherentgueres le cœur du Mônarque Othoman,
quiaimoit trop ſonayſe & le † pour le troubler : l'autre c'eſtoit pour
ººnertoufiours quelquerelache aux Chreſtiens,carle Caraman,perpe
ºnnemydesothomans,ſeruoit touſiours ſurleurs terres quand il en
:
- - - Ii iij
254- . Conſiderations ſur
| eſtoit eſloigné: de ſorte qu'ils eſtoient contraincts de quitter à tous pro
pos leur entrepriſe pouraller deffendre leur pain:mais le Perſe y eſtant §
plus§ pre à cela que l'autre, tant pour ſa grande puiſſance que pour le
.
|, -
ſchiſme qu'ila apporté en la Religion Mahometane, le Caraman eſtant
deſormais inutile, veumeſmes qu'il eſtoit temps que toutes les Satrapies
d'Aladin fuſſent reduites en la Monarchie desTurcs, puis qu'ils portoient
d'oreſnauant le titre d'Empereurs, ayans conquisl'Empire Grec : car pour
#-# . : le regard des Princes Caramans,leur vie § tyrannique, auecques
leur fauce religion, meritoitaſſez ce chaſtiement, onattendoit ſeulement
ue la meſure fuſt pleine pour la renuerſer. Quant aux entrepriſes des
Turcs ſur les Egyptiens,leurs deſſeings n'auoient garde de reuſſif,sycon
duiſans comme ils faiſoient,car Baiazeth n'euſt pas eſtétrop bon pour def.
faire vn ſi puiſſant Prince, ſans en donner la charge à des Baſſats, qui pen
-
ſoient les Mammelus n'eſtre que de paille, mais ils les trouuerent # fer, &
-
cela touſiours pour donner occaſionaux Chreſtiens de faire leurs affaires,
& ſe liberer de ſeruitude : car qui voudra diligemment conſiderer tout ce
# qui aduint durant trente ans que Baiazeth regna, il verra que l'occaſion
ſe preſentoit plus qu'elle n'auoitiamais faict de rentrer dans ce qu'on leur
| auoitvſurpé, ſoit par leurs propres forces, ſoit enſe ſeruans des armes des
Perſes, qui ne demandoient pas mieux, & leurs euſſent touſiours aſſez
donné d'affaires parmyleurs diſſentions,quandils les euſſent trauerſez d'vn
coſté, tandis que ceux-cyles euſſentattaquez del'autre, mais ils n'auoient
: -
garde de leur faire du deſplaiſir, puis qu'ils les aduertiſſoient & les rece
uoient de toutes parts ſi courtoiſement, & quant à ce ſeigneur de Baxe,
voicy vn notable chaſtiement de ſa cruauté lors qu'ily
que celuy n'cſt pas eſchappé quitraineſonlien.
§• .
le moins, &

Chap. 8.9. Ie ne puis cependant paſſer la faute d'Haly, d'auoirattaqué ſitemeraire


mét les Egyptiens,ſansauoirfaictladeſcouuerteauparauant,& d'auoir pris
- l'eſpouuéte ſans aucun ſubiect, car de lafaçon qu'on nous raconte cette hi
ſtoire, il y a grande apparence qu'ilfaiſoit toutes choſes à lavolée, car s'il
euſt enuoyé des auant-coureurs pour s'eſclaircir des choſes, ils l'euſſentin
: formé comme le tout s'eſtoit paſſé, & n'euſt pas faict les fautes qu'il fit
il apres, cauſe de la deffaicte de ſon armée.Aladeulfit auſſi la meſme faute,
perdant vne ſibelle occaſion d'entreprendre ſur ſon ennemy, comme auſſi
i i Baiazeth refuſe la paix auecques beaucoup de vanité, ayant touſiours eſté
, battu, comme ilauoit eſté, & ſon ennemy eſtant le plus fort, & ayant les
-

armes à la main, auſſien arriua-illa ruine de la Caramanie: remarquez ce


pendant par cette peſte combien les hommes qui ſe chamailloient de tou
,
-
tes parts, eſtoient incitez à la conuerſion : mais ſur tout la mort de cegrand
Matthias Coruin Roy de Hongrie, ſiredoutableauxTurcs, & ſi heureux
en ſes entrepriſes, qui eſtoit vn tres-fort rempart aux impetuoſitez des
Turcs, & qui ſçauoit auſſi bienaſſaillirque ſe deffendre : les Hongres reſ
ſentirent bien toſtaprescombienilleur eſtoitvtile.
Chap. 1o. II. L'hypocriſieabeau ſe'deſguiſer, elle eſt touſiours recogneuë, ces loups
rauiſſansveſtusd'vne peau debrebis, qui ſoubs pretexte d'vne fauce ſain
éteté

:
- -
' | 4l
l'hiſtoire des Turcs. 255
cteté, taſchoient d'acquerir parmyles hommes vne reputation de preu
d'hommie, en fin deſcouuerts pourtels qu'ils ſont, teſmoing ceux-cy qui
enpatirent,car Baiazeth les chaſſa ſans en plusvouloirvoiraucun, eſtant
quantàluy reſerué pour vn chaſtimét plus exemplaire.Les Högres cepen
dant qui ſouloient eſtre la terreur de cesgrands Princes Amurath & Ma
homet, fuient deuantvn ſimple Saniac, & ne ſe ſçauent pas mettre enor
dre, tantl'homme faict malſesaffaires, quand il eſt abandonné d'enhaut,
ce qui luy arriue lors qu'il a le premier delaiſſél'aſſiſtance du Souuerain,
comme ceux-cyauoient faictaſſez de fois, ainſi qu'on a peuvoir cy-deſſus.
Touſiours quelque Prince Chreſtien eſt cauſe de mettre les armes en chap. 12:
la main dênos ennemis : Baiazeth'qui n'aimoit quela chaſſe & les maiſons
de plaiſance, eſt tirécomme par force par ce Duc de Milan, pour faire la
guerreauxVenitiens, en laquelle il fit fort-bien ſes affaires, carpour mon
ſtrer queles iniquitez des Chreſtiens ne meritoient aucunegrace, c'eſt que
Baiazethauoit touſiours perdu quandilauoit côbatu contre les autres peu
ples,mais contre lesChreſtiens il fut touſiours victorieux,le feul pilote Ar
merius ſe renditinuincible,ayant auecques ſavieſiiuſtemét& ſainctement
côſacré & remporté vne couronne triomphale, quiluyaacquis vn Royau
: me eternel. - · . | .

Toutes ces priſes devilles au demeurant,qu'on litences chapitresmon-cºp º


ſtrent aſſez combien les Chreſtiens pour auoir negligé les occaſions qui
s'eſtoient offertes à eux, manquerentapres de prouidence en leurs affaires,
car voûsy remarquerez par tout du deffaut de conduite & de bon aduis,
comme de penſer à rauitailler Modon, lors que l'ennemy y vint mettre
le ſiege,vne place frontiere comme elle eſtoit,ne deuoit-elle pas eſtre touſ
iours ſur ſes gardes, munie de tout ce qu'illuy falloit L'imprudence apres
des habitans d'abandonner leurs murailles àl'ennemy eſtant à leurs portes:
- l'eſpouuente de ceux de Coron & de Iunque mal à propos : le ſiege apres
de Metellin qu'ils furent contraincts de leuer, & ſurtout la ligue qu'ils fi
rent quand ils n'en pouuoient plus, & laquelle leur fut inutile par §
de Baiazeth, qui rompit dextrement ce coup, ſoubs le pretexte d'vn pour
parler de paix, laquelleluy fut fort honorable puis qu'il ygaigna en la fai
ſant, l'Iſle de ſaincte Maure. Car quant aux conqueſtes de Samothrace &
Legine, cela n'approche pas des pertes qu'ils firent ailleurs.
Quant à l'hiſtoire de ce Taliſman, §e eſt fort notable, tant pourla per cise , r.
$ ſonne que pour le lieu où ſe fit cette profeſſion de foy, noſtre Seigneur
# ·. IE sv sfaiſant reluire ainſi au milieu deſes ennemis la maieſté de ſon ſainct
# nom, & la ſaincteté de ſa Religion, & cette autre de ce Roy de Perſe, Prin
-2
z- • "
cºde fort mauuaiſe vie , & ainſiiuſtement punit la femme, qui ſouffrit par
A
ſv*
elle-meſme, le chaſtiment qu'elle meritoit. Imirze cependant qui auec
† tant d'heur eſtoit paruenu à cette couronne, ſe trouue enueloppe en
· uincs'exerce
ſatrahiſon, &enfinit
toutmiſerablement
lieu. •
ſavie, afin qu'on voye quela iuſtice di
' - v '

Laſedition des Caſſelbas, & l'aduantage qu'ils eurent ſur les armées de char e. .
ºhfaictencore mieux voirle peu de courage des Chreſtiens,carceux
#

-z
«
256 · Conſiderations ſur
.
cy qui n'eſtoient qu'vne poignée de gens & encoresAſiatiques, firent non
ſeulement teſte à ce grand Monarque, mais encores prirent ſes villes &
ſaccagerent ſon pays, & toutesfois celuyquiauoit pris les armes contre ſon
Prince, nonobſtanttous ſes pretextes,yperdit le premier lavie, & les au
tresfurent chaſtiez de meſme, par celuy du nom duquel ils ſe vouloient
ſeruir, à ſçauoir Iſmael. - -

Chap.17.18.19. L'origine de la ſecte des Sophians, & le progrez de la fortune du So


phy,quidetres petits commencemens paruintenvninſtantenynſigrand
Empire, monſtre aſſez que DIE v permettoit toutes ces choſes pour vn
ſoulagement des ſiens, faiſant naiſtre ce nouuel Orient pour tenir teſte à
ceux quideuoientrauager tout en Occident,auſſivoyezvous que toutluy
proſpere, ſoit contre Alumut,ſoit contre le Soudan de Bagadet,non pour
ſa bonne vie : car c'eſtoit, comme vous voyez vn tres-meſchant & cruel
perſonnage,mais parce qu'il failloitvntelinſtrument que luy pourfonder
cette Monarchie, celan'empeſcha pasapres qu'il ne ſentiſt la main peſante
duTout-puiſſant,& que ce balayne fuſtietté au feu.
Ch. 2o, 21.22.
:| Quellemanie poſſedoit lors cet eſtat Turqueſque, qu'il falloit auoirà
tout propos l'eſpée à la main,tantoſt le fils † pere, ou le pere con
| tre les enfans, & quelregret deuons-nous auoir maintenant d'auoir perdu
| tant de belles occaſions , mais les Italiensquiſçauoient bienfaire alors vne
ligue pour depoſſedervn Roy de France de ce qui luy appartenoit legiti
mement, ne la peurenttoutes-fois iamais faire bien à propos pour rentrer
| dans ce quel'ennemy du nom Chreſtien leur auoitvſurpé, aimans mieux
perdrevne bataille à Rauenne, que de s'efforcer d'engaignervne en la Gre
ce, comme il y a grande apparence qu'ils euſſent faicts'ilsy fuſſent allez
- tous enſemble auecques bonne intelligence. Mais la cruauté de cette race
-
des Othomans n'eſt-elle pas toute beſtiale de ſe faire mourir ainſi les vns
les autres à chaque bout de champ ? & defaict on trouuera plus deparrici
: des, matricides & fratricides en cette ſeule famille enl'eſpace de trois cens
n ans, que toutel'antiquité ne nous ena remarqué dans toutes les hiſtoires
qu'elle nousalaiſſées § eſcrit,& ce enl'eſpace de plus de quatre milleans.
-
Quant à Selim qui ſe fortifie & ſemble par ſa prudence vouloir malgré le
cielvenir à chefde ſes entrepriſes, on luyaapris quelegrand DIE v ne fa
uoriſoitiamis desarmes ſiiniuſtes,ſibien queluy qui eſtoit ſi grand guer
:
rier,& quis'eſt aſſubiecty de ſigrands & ſi puiſſans Princes, & qui d'abon
•.
dant eſtoitle plus fort en cetteguerre qu'il entreprenoit contre ſon pere, a
cſté vaincu § vn pauure vieillard malade,quine pouuoit cheminer & qui
| n'auoit meſme § quaſi perſonne de ſon party, les Iennitzaires
eſtans duparty de ſon ennemy,neantmoins laiuſticeDiuine leur donna au
| combattant de courage que cet enfantcruel & denaturé fut contrainct de
#- s'enfuir & laiſſerl'honneur de lavictoire à ſon pere. - -

Chap. 23. Et quant à ce conſeil § tint Baiazeth,ilyauoit entre ſes Baſſats la plus
grandeimprudence qu'ileſtoit poſſible,car puis qu'ils deſignoient de mai
-

ſtriſer les Iennitzaires,ils deuoientyapporter tel ordre que lesautres n'euſ


ſent point faitl'affront qu'ils firent àleur Empereur & à eux-meſmes : ioint
-
que
2 , • º\ s "

l'hiſtoire des Turcs. 257


que choſes de ſigrande importance,ſi elles ſe doiuent propoſer,au moins
ne ſe doiuent-elles pas reſoudre en vne ſigrande aſſemblée,quine peut gar
dervn ſecret de ſigrande importance,ioinct qu'àl'inſtant de la ſedition,ils
perdirent le cœur,ſans qu'aucun d'eux euſt vne ſeule inuention pour deli
urer leur Empereur de la peine où il eſtoit, fuſt en le tranſportafft hors du
Serrail parlamer, pourlaiſſer paſſer cette furie, oubié parlataux Iénitzaires
pourlesappaiſer,carquâdils les virétà l'entrée des portes,ils pouuoiét bien
iugertout ce qui en deuoit arriuer; mais iamais pas vn n'eut le courage de
arlerà eux,ains tous tremblans de peur,ne peurent faire ne dire autre cho
e,ſinon de perſuaderàce pauure vieillard,de ſe démettre de ſon Empire.
Cette ſeditionau demeurant des Iennitzaires eſt fort notable, car peut Cha. 24 25.26
eſtre ne s'en eſt-iliamaisveuvne pareille , pour le moins pour ſemblable
ſubiect; vn beau pourtraict à laverité, pour les Princes & Potentats de la
terre,& qu'ils deuroient conſiderer ſouuent, devoir que ceux-cy,qui ſelon
leurcouſtume & leur diſcipline rendent vne ſi eſtroicte obeyſſance à leurs
ſuperieurs, qu'on les voye maintenant ſecouerle iougſi hardiment, & ſe
preſenter ſi effrontementàleurſouuerain pourle contraindre de quitter ſa
couronne, qui rendbien cette ſentenceveritable, que c'eſt choſehorrible
que de tôberentre les mains du D1Eyviuant, & que depuis qu'ilefface le
caractere de la maieſté qu'ilimprime ſur la face de ceux à quiilcómunique
le cómandement,quetoute la cruauté,la tyrânie,la prudence & les artifices
-n'ont pas beaucoup de puiſſance pour maintenirles ſubiects à leur deuoir.
Reſte maintenant la cataſtrophe de cette tragcdie,digne de remarque à #ºº.
iamais pourla poſterité,vn Prince † al'aage de quatre-vingtsans, & qui 9.39.
ſelon le cours de la nature,& les maladies qu'ilauoit, ne pouuoit viure en
coresvnan ou deux, apresvn cómandement de trente années, tout à coup -

eſtre contraint de reſigner ſon Em† à celuy qu'il hayſſoitle plus au mon- ,

de, lequelilfut contraint de ſupplier deluy donnervneretraicte,& lequel


encore ne peutauoirlapatience de luylaiſſer finir ſes iours en paix, mais les
luyaduança parvn violent poiſon au milieu du chemin, ou pourle moins
envne maiſon eſtrangere & paſſante, & de penſer apres que celuy qui a
commis ce meſchantacte eſtvn fils, quiapres auoir deſpouïllé ſon pere de
· ſonbien,luyrauit encoreslavie, cela donne de l'horreur & de laterreur:
Mais quádonvoidce parricide execrable,finir ſavie en reſpâdantſon ſang
aulieu propre oûilauoitvoulu oſter celle de ſonpere, comme il ſe verra
enſon hiſtoire, cela apporte de la conſolation. Et quantau pere qui auoit
regné ſivoluptueuſement, quiauoit fait mourir ſes propres enfans, & qui
s'eſtoit monſté ſi plein d'ingratitude & de cruauté, principalementenuers
Corchut,lequelauoit eſté cauſe de luyfairetomber, non ſeulementl'Em
ire entre les mains, mais meſmeslyauoit eſtably, & qui depuis oublia
† qu'illuyauoitfaite,auquels'iln'auoit del'obligation,au moins
lautreauoit-ilrenduvngrand teſmoignage de ſon 2ffection, & plus que
tousſesautresfreres,nous faitaſſezvoir que toſtoutard nous ſommes †
ºzdenos crimes,& que ſi on nous retardelapunition, que le chaſtiemét
ººncſtpas moins ſeuere.
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--
±------------- – — ± *===- --------|-----·- :·-- --------!”→ ·!- :،
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----→ • •------ :)•----
des Turcs, Liure troiſieſme. 259
soN E LoGE, ov soMMAIRE DE SA vIE.
#]Oicyvnemauuaiſémined'homme & qui ne prometrien
#de bon : cefröt de Tarquin tout renfrongné, cet œilde Ne
#ron toutgräd &'affreux, ce viſagedeSeythed'vnepaleur
{liuide, e5 ces mouſtaches de Tigre toutes heriſſonnées c3º
retortillées iuſques vers le oreilles;quenouspeuuent-ellespreſagerautre
choſe qu'vne rigueur & cruautéinexorable & impitoyable ? vneopi
niaſtre reſolution enſes entrepriſes, vne exceſſiueambition & deſirim
morteldevangeance?Mais auectoutel'apparencede ces grands vices,
ilyauoit vn contre-poidsd'excellentes vertur, carileſtoit fort prudent
&'aduiſéparmyles dangers, enduroit lechaud & lefroid indifferem
mét,neſelaſſoit iamais pour quelque trauail qu'ilpeuſt endurer, präpt
& vigilät enſes entrepriſes,& d'vn courage toutinuincible. Son buire
es ſon mangereſtoit meſurédudeſirč9appetit naturel,non de la volu
pté,fortpeuadonnéauxfemmes és encoresmoinsaux maſles, contre
lordinaire des Othomans, grand iuſticier, car encoresqu'il fuſt fort
cruel,ſieſt-ce qu'il eſtoit quelquesfoispouſſed'vn & ele deuuſtice,fort libe
ral, & qui donnoit volontiers ce qu'ilauoitdepluspretieux pourgai
gnerle cœur desſiens, qui n'espargnoit point ſa perſonne aux affaires
d'importance, e5 quinefutiamais vaincu depuisqu'ilfut Empereur,
my par les difficultez preſqueinſupportables, par leſquelles ilfutcon
traint de paſſer, ny par ſes ennemis : adonnéà la lecturedes hiſtoires,
cg meſme à fairedesversenſa langue,expert en lapeinture,teſmoin la #
bataillequ'ileutcontreleSophy,qu'ilenuoyapeintedeſa main aux Ve
nitiens, qui nemanquoitpointd'eloquencequandilluyfalloit encou
ragerlesſiens, quineſeſoucioitpoint delapompe aux veſtemens, nyde
cesadorations qu'on a accouſtuméderendreauxſeigneurs Othomans,
, ains au contraireilnepermettoitpoint qu'on ſetettaſt contreterrepour
parlerà luy,ny qu'ô luyfiſt la reuerèce àgenoux.Deſorte queſion veut
bien conſidererſesactionsquiſont les plus condénées, elles ſont verita- .
blement cruelles en apparence, mais enfonds qui aboutiſſent à vnegrä
deambition deregner, laquelle le porta à faire empoiſonnerſonpere,
estrangler deux deſesfreres,(apres auoir vaincu laiſnéd'iceux nom
mé.Achomat, quifutſa premiere victoire) huict deſes nepueux, e5°
autantdeſesprincipaux Baſſatsquil'auoientlemieux ſeruy, & qu'il
penſoit contrarieràſon authorité, toutſon regne n'ayant eſté qu'vne
continuelle effuſion de ſang, tantost ſurlesſiens, ores ſur les eſtrangers.
4pres auoir ſouffert infinies incommoditez ſurlechemin de la Perſe,
i'gagna vneſignalée bataille contreleSophya Zalderane,printTau
º &'à ſon retourla ville de Keman, ſe rend maiſtre de l'Aladulie,
- - - Kk ij

::
-
º

26o | Continuation del'hiſtoire


-|
apres auoirvaincu & faictmourirle Roy Ostagelu, paſſe en la Syrie
où ildefit Campſon Gauri Sultan du Caire, en vne grande bataille
|#i
| proched'Alep qui ſe rendà luy, Damas & tout le reſte de la Surie, &
de là s'en allant en Hieruſalem, conquit toute la Paleſtine, par la va
|- 4 - leur de Sinan Baſſa,qui gaigna vne memorable victoire pres de Ga
-
za.Delà Selim ayantpaſſéles deſerts de l'Egypte, donne vne grande
|--
bataille à Thomam-beypres de Matharée, & le contrainét deſereti
i: - rerdans le Caire, où ilſedonna vne autre bataille, la plus memorable
denoſtretemps, ayant durétrois iours & trois nuicts en continuelcom
: l '
|

kat, l'honneur toutes-fois en demeurant à Selim, qui contraignit les


" . - . Mammelus de luy quiter la ville, leſquels ayans recouuert nouuelles
-

forces, & preſentéencoreslecombataux Turcs, ilsfurententierement


-1
deſconfits, leSultan Thomam-bey prupriſonnier, lequel apres auoir
· i eu la queſtion, Selimfit pendre & eſtranglerà vnedesportes du Caire,
exterminant toute la race des Mammelus, autant qu'il en peut trou
uer.Il donne lepillagedu Caire à ſes ſoldats trois iours durant, & le
deſpouille de tout ce qu'il auoit de rare pour en orner Conſtantinople,
prendAlexandrie, Damiette, Tripoly & toutlereſtedel'Egypte & de
: : l'Arabie, chacun venant à l'enuy recognoiſtreſon ſceptre, & s'aſſubiet
# tirà ſa domination, ſon fmrehor Baſſa obtenant durant cetemps vne
notable victoire contre les Perſes, ilreduit l'Egypte en Prouince,y laiſ
#
-

fant pourgouuerneur Cait-beg, qui auoit ſoubs Campſon le gouuer


nement d'Alep, au lieu du Baſſa Ionuſes qu'ilfitmourir par la calom
nie decettuy-cy.fls'en retourne en Surie, oùillaiſſe GaKellipourgou
- uerneur:tous-deux toutesfois Mammelua, mais reuoltez : ayant don
-

º
métant de combats,faict vnſi long voyage, à9aſſubietty deſi #
e9 puiſſantes Prouinces en moins de deuxans.Mais comme il penſoit

s'en retournertriomphant en la maiſon, il tomba malade par le che
- min d'vne grandefieure,quiſe conuertit en vn cancer, lequels'vlcera
deſorte, ſans qu'on y peuſt donner aucun remede, auecques vne telle
puanteur, qu'ileſtoitpreſque inſupportable, cela luy gaignant peu à
peu lepoulmon & les inteſtins,ſique voulant allerà Andrinople,com
-
meilfut arriuéà (hiourly, au lieu meſme où ilauoit liuré le combat à
ſonpere, & voulu oſter la vie à celuyquiluyauoit donnée,parvn iu
ſteiugement de D1 Ev, ilyperdu laſienne,eſtantde là apportéà Con
ſtantinople, où ilfutenſepulturédansla Moſquée qu'ilauoitfaict ba
ſtir, le ſeptieſme iourdumois deSeptembre, l'an degracemilcinq cens
vingt,ödel'Egireneufcens vingt ſix,deſon aagele quarante-ſeptieſ
me, & lehuictieſme deſon regne.

,
| DE LA CONTIN VATION
| - DE L HI s T o IRE D E s T v R cs.
| s o M MAIRE DES CHEF s P R IN c IP Avx
contenus en ce preſent liure.

, Selimfaictvneſuperbeſepultureàſonpere, & empriſonner ceux qui portoient le


deuildeſamort : ſa largeſſeaux Iennitxaires : guerre contreſonfrere Achomat, Am :
baſſade des Venitiens vers luy, & de luy vers eux : les Hongres renouuellent la trefue
qu'ils auoientauecSelim. · · · · - Chapitre I.
Inquietudes d'Achomat, ilſeretire à Derenda, & demandeſecourspartout où il
paſſe: cruauté de Selim à lendroiét de ſes nepueux : perfeétions de Mahomet nepueu
deSelim, lespropos qu'illuy tint & lareſponcedeſon oncle. · Chap. 2.
Remonſtrance d'Amurathàſonpere Achmet, & la reſponce dudié# Achmetruſe
de Selimpourleſurprendre, la tropgrande credulité duquelcauſeſa ruine, ilſurprend
les trouppes de Selim, & eſt trahypar Muſiavn deſes confidens, qui eſt cauſe qu'il
eſt abandonné deſesgens,ſalaſcheté,ſafuite,ſa capture,& finalementſamort. Ch. 3.
| Hiſtoire du Baſſa Muſtapha,quiſe reſoutd'empoiſonner Selim par le moyen d'vn
barbier, & d'vneboule deſauon, ſon conſeil à Achmet, ſa cruauté faict deſcouurir
ſatrahiſonparſon meſſagerquiladeclare à Selim, mort du barbier, quoy qu'inno
, cent, & du Baſſa Muſtapha. | -- Chap.4.
Cruels deſſeins de Selim,ſon ingratitude enuersſon frere Corchut,aſſembléegene
# rale qu'ilfit desplusgrands deſon Empire,ſes intentions,prendluy-meſme la charge
f#º defairelaguerreàſonfrere Corchut, le Serrailduqueleſtenuironné par les gens de
ºbſº Selim. - " , , , -' Chap.5.
Corchuttaſche deſeſauuerà Rhodes ou en Candie, trahyparvnſien eſclaue,ſon
frerelefaicteſtrangler:ſubiectdes vers que Corchuteſcriuit à Selim,grandeforce de
Muſtapha nepueu de Selim, lequellefaiéteſtrangler : Corchut & Muſtapha regre
*Rdes Turcs,Selim chaſtie les meurtriers de Corchut,pluſieurs Ambaſſadeurs vien -
ºuuerSelim,lespreſens des Perſiens, malreceus deluy, & ceux qu'il enuoya
ºkurPrince. - - · * Chap. 6.
| - - Kk iij '
-

-"

262 Continuation de l'hiſtoire


Legation de Hongrieà Selim,ſaſuperbe reſponce à l'Ambaſſadeur,& lapruden
ferepartie del'autre: Selim enuoye vers les Hongres leur demandertribut : ſes deſſeins
| contre les Hongres, & l'Italie, Ambaſſade de Maximilianvers luypour le perſua
"

*.-- derà laguerre contre les Venitiens. , , ,, · · , · Chap.7.


-
: Guerre contreles Perſes, Amurathfils d'Achmettire ſecours du Sophycontre ſon
# --
oncle, ileſpouſeſafille,ordre d'Iſmaelpour laguerre qu'ilentreprenoitcontrelesTurcs,
--:
-

:
| courſes d'Amurath en Amaſie, le Baſſa Chendeme s'y oppoſe , les preparatifs que Se
-i

limanoit faicis contre les Chreſtiens, luyſeraentcontre les Perſes, lesgrandes forces
qu'il auoit. ) - º - Chapit.8.

Paſſe auecques touteſon armée à Scutari,ſa colere & reſolution à pourſuiure les
-
Perſes : conſiderations de Chendeme à Selim, qui ſont priſes de luy en mauuaiſepart,
& cauſes de la ruine del'autre & deſamort ! - * -- Chapit. 9.
Ambaſſade de Selim aux Armeniens c9 Aladuliens, leurreſponce,le chemin que
tenoit Selim allant contre les Perſes, mont Paryardé tres-renommé & pourquoy : le
Sophyſepreparepourreceuoir Selim,le longtemps que lesTurcsfurent en ce chemin,
les Armeniens quittent leur contrée & pourquoy, l'Aladulten quitte le party de Se
lim. - · | Chap. IO.
» . "

Selim enfortgrande R#ne , qu'ildiſſimule dextrement, fait chercher dauresgui


des pourſuiureſonchemin : lesTurcs voulans paſſerle fleuue Araxé, ſont empeſchez
par Amurath nepueu de Selim. - · Chap. II. -

à , Iſmaelfaiéilaguerreaux Coraxens ,ſon arriuée à Chois,Ambaſſadeurs d'Iſmael


à Selim, ſa reſponce, Iſmaelſe reſoult à la bataille, Selim eſt ſolicité par les ſubiects
d'Iſmaeldeveniren Perſe. - | Chap. 12.

-
-

-
| Bataillede Zalderane,l'ordre des deux armées,Selim harangueſesſoldat . Ch.I3.
Iſmaelanime les ſiens au combat,plaiſanterencontre en la bataille de Zalderane,
les Perſes ont au commencement l'aduantage, mais les Turcs reprenans courage tuent
Vſtazi-ogligeneraldel'armée des Perſes d'vne harquebuſade, Selim encourage les
-
Iennitxaires, quirefuſent le combat. . " Chapit. 14.
L'honneurde la victoire deu à Sinan Baſſa, valeurdes Malcoxogles qui bleſſent
le Sophyaumilieu desſiens,troisſortes de ſoldats en larmée des Perſes, la retraiéie
d'Iſmael,premiere cauſe deſa deffaicte, la ſecondel'artillerie de Selim, deffaiéte des
Perſes, & fuite d'Iſmael:butin des Turcs, arreſt de Selimſurce qu'onferoit des fem
| mes Perſes captiues,ſaruſe pourretenirtous les biens des habitans de Tauris, quiluy
ouurent les portes, reſtablit les Moſquées abatues par le Sophy, & faict ſon entrée
triomphale dans leurville. - . Chapit. 15.
Selim veut hyuerneren Perſe, conſeilde Muſtaphaſurcet hyuernement,pourle
quelSelim lefaictchaſſerauecques ignominie les lennitzaires prennent laparolepour
| luy, leurpleinte hardie, contrainct Selim de ſeretirer, ildeſpouille ceux deTauris de
leurs biens & de leurs ouuriers. - - , Chapit. 16.

, Iſmaelpourſuit Selim,quipaſſel'Euphrateauecques peine,vhepartie deſonbaga


des Turcs, Liure troiſieſme. 263
ge & deſon artillerie demeurantſurleriuage.Selim contre les Georgianiens , contre
la volonté des Iennitzaires : leur Prince engoye deuers luy,ſes pleintes & la respon
cede Selim, auquell'autre enuoye des viures & autres prouifions. Chapit. 17.
Selimhyuerne en Amaſie, prendlaville de Kemachſur Iſmael: ce quiauoitani
méprincipalementSelimcontre les Perſes, quifontmourir SultancAmurath. Autre
opinion decetteguerre de Perſe. • Chapit. 18.
Selim contre l'Aladulien, ſacruauté en la ville de Kemach, ruſes detAldu
lien, ſa priſe, ſa mort, & conqueſte de ſon pays que Sinan Baſſa reduit en Pro
uince. - Chapit. 19.
Expeditiondes Turcs en Hongrie, & conqueſte de lonuſes en la Boſine,les Hon
gresdeuantSemendrie : leSaniacen aduertit Selim, quimerordrepour faire leuer le
ſiege, ce quifutexecuté,grande confuſion en larmée Chreſtienne, mais en recompen
ce leur bel ordre en leur retraiéie & ſans confuſion, on aduertit Selim de cette vi
étoire. - - Chapit.2o.
'Secondrauage des Turcs en la Boſine:ſedition en Hongrie, rauage des ſeditieux,
leur Roypris vif,ſonſupplicecruel, & celuy deſes.ſoldats,ſedition des lennitzaires
quipillentlamaiſon de Pyrrus Baſſa, ils s'humilient à Selim quifaict mourir les chefs
de laſedition & pluſieurs Baſſats. Chapit. 2I.
Seconde entrepriſedesTurcs contreles Perſes,l'Imrehor Baſſageneraldecettear
mée, qui s'en alla ſaiſir des frontieres, mais Selim veut luy-meſme conduire legros.
L'ordre qu'ildonnaaux Prouincesdel'Europedeuantſonpartement lestat des Prin
ces Chreſtienslorsduvoyage de Selim : conſideration del'EmpireTurc. Chap.2z. .
#
Les Egyptiens en deffiance de l'armée des Turcs, fontalliance auecques les Per
ſes, Ambaſſade de Selim à Campſon GauriSultan du Caire & ſa reſponce, diuer
ſes narrations ſur ce ſubiect, lettre de Selim à Campſon, & de e"#à Se
lim. | | Chapit.23.

Ruſe de Selim feignant marcher contre les Perſes pour abuſer les Egyptiens, il
perſuade les ſiens à ſupporterles incommoditez decetteguerre : les Turcs rauagent la
Comagene, peudepreuoyance de Campſon,ſes inquietudes,ſes regrets, cº le conſeil
qu'ilprenddes ſiens. , º \ Chap. 24.
Aduis de Gazelli à Campſon, les Mammelus luycontrediſent ſuſcitexpar Cait
beggouuerneur d'Alep, Campſonſerange de leurcoſté: couſtume des Sultans dEgy
pte,leurvanité, trahiſon de Cait-begquiſe rendàSelim,auquelilenuoye des oſta
gespourlaſſeurance de ſon infidelité, & ſes inſtruétions aupreiudice de ſon Roy &*
deſa patrie. -
-
| - - Chap. 25.
Selim reçoit Cait-begdu nombre desſiens, & ce qu'il deſiroit de luy, lieu de lapre
"ierebatailled'entreles Turcs & les Egyptiens : quels eſtoient les Mammelus, leur
"dre& police, le plus chetifeſclaue d'entre-eux pouuoit paruenir à la Seigneurie
º
264- Continuation del'hiſtoire
MahometfilsdugrandSultan Cait-bey, s'empare de la Seigneurie, tuéparvn Cir
caſſe, quifuteſleuSultan, quandla domination des Mammelus commença, combien
' elle eſtoit tyranntque.
- Chapit. 26.
Ordonnance de labataille de Campſon, conſiderations particulieres des deuxar
mées, Campſon exhorteſesſoldats, & les anime au combat, Selim faict le ſembla
ble aux ſiens. Chapit. 27.
:
Trahyſon de Cait beg, les Mammelus eurent du commencement laduantage en
-
cette bataille, Sinan reſtaure le combat,l'artillerie des Turcs cauſe du gain de la ba
taille, mort deCampſon, & desgouuerneurs de Damas & de Tripoly, les Mam
-
melusſe retirent au Caire,grands remuemens en Egypte. Chapit. 28.
Nombredesmorts depart & dautre en cettebataille, ſtratageme de Selim. Alep
ſerendà luy, & ſacourtoiſie àl'endroit des habitans, ceux de Damasfontleſembla
ble, & reçoiuentpareil traiéiement, ilfaicfreformerleſtat de la Religion Maho
metane en la Surie. Chapit. 29.
Armée des Turcs en Iudéeſoubs laconduite de Sinan Baſſa, les Mammelus eſli
ſent vn autre Soudan, Ambaſſade du grand Maiſtre de Rhodes à Thomam-bey,
principauxpoincts de la lettre qu'il eſcriuoit au Sophy, Selim faictpaſſer ſon armée
de merdeuant Rhodes & pourquoy : ceux de Gaxaſerendent à Sinan, & ne laiſ
ſent pas de donner des aduisaux Mammelus, comme auſſi ceux de Suriefont le ſem
blable à Sinan : rencontre des Turcs & des Mammelus pres de Gaza, où les Turcs
eurent la victoire. - Chapit.3o.
: Ceux de Gazapillent le camp des Turcs, les Arabes donnent beaucoup d'affaires
|.

| auxTurcs, auſquelsl'artilleriefuttres-vtile, bel ordre de Selim marchantpar pays,


• * . i engrandepeinepourSinan Baſſa, ildonne de largent aux Preſtres du ſainct Sepul
-
*
.

!
chreen Hieruſalem, vient à Gaza oùilchaſtielesrebelles,grandheurde larmée des
,
|

!
Turcs à leurarriuée en Egypte. Chapit. 3I.
--

|

Ambaſſade de Selim au sultan du Caire,aſſembléegenerale des Mammelus, &
: #
laharangue du Sultan Thomam-bey, conſiderations des Mammelus contre l'aduis
deleurSultan, leurreſponceàl'Ambaſſade deSelim, qui celebrele Bairamà Gaza,
|
& faiéteſtranglervn deſes Baſſats, quilauoitfidelement conſeillé Chapit. 32.
|
Baumes de Matharée, de Genezareth & de Iudée, en quel lieu la VIE R G E
MAR 1E ſeretira en Egypte,deſſeings & ſtratagemes deThomam-bey deſcouuerts
par des traiſtres, origine de Sinan, & comme ilparuint à la dignité de Baſſa, Tho
mam-heyſe voyant trahychange denouueaux deſſeings, ce qu'ilditàſes ſoldats,ſur le
deſordre quiſuruint à ce changement. . | | Chapit. 33.
-

Diſpoſition de lapremiere bataille de Selim contreThomam-bey,ſaharange à ſon


armée, le canon des Egyptiens tout enrouille de vieilleſſe leur nuit, celuy des Turcs
|
tres-vtile, ayant de bons canonniers : mortdeSinan Baſſa,bataille de Matharée tres
ſignalée,de laquelleles Turcs ontl'aduantage, nombre des morts. Chapit. 34.
', Thomam-bey
des Turcs, Liure troiſieſme. 265
Thomam-beyramaſſeſes forces, ſes deſſeings, trahy de rechefpar quelques-vns
· desſiens, conſeildes Mammelus à leur Sultan, lequel donne ordre au Caire, encou
rage les habitans,ſes ſoldats & les Mammelus, la populace ennemie des Mamme- .
lus, deſcription de la ville du Caire, grandes richeſſes au tombeau d'vne parente de
Mahomet, lacfort plaiſant au Caire, richepalaisd'vne Sultane, Selim decore Con
ſtantinople de la deſpouille du Caire. Chap. 35.
Le Baſſa Ionuſes enuoyé au Caire par Selim, qui exhortelesſiens au combat dans
le Caire,auquel les Turcsſe trouuent accablex de toutes parts, eſtrangeconfuſion dans
cette ville là: Selimyfaict /726ºtt Yº lefeu : les Mammelusprennentleſfouuente & s'en
fuyent. - - Chapit. 36.
Brauereſiſtance de quelques Mammelus en vne Moſquée , mais en fin Selim les
attrape, & tous les autresſoubs vnepromeſſe d'aſſeurancepublique , premierpillage
des Turcs ſurles Egyptiens,Thomam-beyraſſemblenouuelles forces,enuoye vn Am
baſſade à Selim,lequelluyrendlapareille,ſes Ambaſſadeursaſſaſſinezparles Mam
melus,Thomam-beyſereſout de venirà vn dernier combat. Chapit. 37.
Propoſitionsdu Sultan Thomam-bey au dernierconſeilque tindrent les Mamme
lus, les Turcsfont vnpontſurle Nil, grande eſpouuente en leur camp eſtans ſurpris
parles Mammelus, propos de Selim en colere, ordre que donne Selim pour arreſter
l'ennemy, deſſeings de Thomam-beyauſquels s'oppoſe Muſtapha, lequelbaſtitvnſu
perbepontſurlariuiere de Strymon, Selim à lateſte deſon armée cauſe du gain de la
victoire, les Mammelus enfuite,priſe du Sultan du Caire,ſamort tragique & igno
minieuſe. * fº Chap. 38.
· Les habitans du Cairepillezparles Turcs, troſne de Ioſeph, Gazelli ſe rend à
Selim,quiſefaictapporter les treſors, tant du Caire que des autres villes, ilfaiéive #
nir duſecours de Conſtantinople, ſes lettres à Pyrrus Baſſa & à Solymam ſon fil,
trôiscens vaiſſeaux chargez deſoldats menezà Alexandrie, quiſe rend à Selim, la
ville de Damiette, les Arabes & les nations voyſines, le tout volontairement:flotte
des Egyptiens contre les Portuguais, les chef de cette armée en diſſention,quiſe rend
enfin à Selim, quivareceuoirſon armée en Alexandrie, & vuidant ſes vaiſſeaux de
ſoldats,les remplit desdeſpouilles des Egyptiens qu'il enuoya à Conſtantinople , le Sei
gneurdela MecquevientrecognoiftreSelim, qui le reçoit honorablement, robbe du
· Prophetequ'eſt-ce. | |. -- - Chapit. 39.
Selimfaictles departemens delEg|ypte, ialouſe c9 calomnie de Cait beg contre
, Ionuſes Baſſa,Selim augmente lapaye à ſes ſoldats en côſideration de leurs trauaux, les
»º pºpeuſes deſpences de Ionuſes cauſes deſa ruine,Selim luy fait trâcher lateſte Cha,4o.
Guerrecôtreles Perſesſoubs laconduite de lImrehor Baſa Iſmaelperſuadeſesgens :
devenir attaquer lesTurcs, route d'iceuxparles Perſes, AMahomet-beg raſſeure les
ºges desſiens,ſaruſepourdauantage eſpouuenterſes ennemis,quiſont deffaiéts &
taillez en pieces, ſeigneurs demarque occu ence combat, ſepulchre d'Aly endre de
Mahomerfort renommé,ſix milleſoldats occis en ce confliét. Chapit. 41,
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Selim hyuerneen Alep, enuoye querir nouueau ſecours à Conſtantinople, laiſe


| - | · º. l' ,
Gazelli gouuerneur en Syrie, & Pyrrus Baſſa proche de Sebaſte, tandu que luy
HE * | | | #a
s'achemine vers Conſtantinople, il deuient maladeparle chemin d'vn cancer, armée
| demercontre les Rhodiots, lapeſte qui s'y mit cauſe de la rompre, il congedie larmée
|
| | •º
- |·
| | |· :· -
| | | 4

: i, " *• ' !| | | qu'ilauoit en Aſie, grandtremblement deterre à Rhagouſe. Chapit.42.


#- | | :
-

| | º . - | -
Lèmalaugmente à Selim,quifuyant leſeiourde Conſtantinople, & s'en allantà
- - 2 - N • - - V

. - , " • | | º
Andrinople,fut contrainct de s'arrefteraumeſme lieu où ilauoit donné la bataille à
·· ·
,ii| | *| | | | |
· | | | ſonpere, ſamort cruelle maistres-iuſte, quelques meditations ſur cette mort,ilrecom
|
|
| mandeſon filsà Pyrrus Baſſa. . Chapit.43.
'
| i | | | | -

| 4t - | | , Ferhat Baſſacele lamort deSelim à tout le mondefors à Solyman, lequeldoutede


|
| | * . - ,
| | | "
' -
lalettre du Baſſa, ſecondaduis quiluy fut donné confirmé par les autres Baſſats, il
s'achemine à Conſtantinople, l'Aga & les Iennitxaires vont au deuant de luy, qui
| | - , : •
| | -

| | • -
lerecognoiſſentpourſeigneur,funerailles de Selimenterré dans la Moſquée qu'ilauoit
1
'.
# ! |
| faict baſtir, versgrauezſurſon tombeau, quelques conſiderations ſurſavie,ſes ver
, - -
tueuſes inclinations, aimoit la lecture des hiſtoires, & eftoit ſçauant en lapeintu
4 : º .
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. i, 7'º. - Chapit. 44
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des Turcs, Liure troiſieſme.
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D E L H I S T O I R E D E S T V R C S.

A ) A folie, diſoitvnAncien,eſtinnocente aux hom


mes de baſſe condition, d'autant qu'ils ne font
#s point de mal, par ce qu'ils ne peuuent : comme és
# mauuais ſonges, ilya ie ne ſçay quoy de douleur
# quifaſchclame,quâdelle ne peutpasveniràbout
#) d'executer ſes cupiditez: mais quand la puiſſance
# eſt coniointe auecques la malice, elle adiouſte
auſſi douleur à ſes paſſions & affections, car le vi
ce prenantalors ſacourſe par la carriere dela puiſ
ſance, pouſſe & preſſe toute violente action,con
uertiſſant vne colere envnmeurtre; &vne inclfnation guerriere en cruau
té,laquelle les Egyptiens ſouloiétautresfois deſigner parl'Hyppopotame,
&fort à Propos carcomme cetanimalſe remplitauidement de la ſubſtan
ced'autruy,ſe voyant trop chargé degraiſſe,ilvient ſur le bord du Nil, &
choiſiſſant quelquepieubien pointu,ſe heurtevneveine qu'ila en la cuiſſe -

contie iceluy,laquelleayât coupée en cette façon, ilvuide vne grâde abon Comparaiſon
dance de ſon ſang, & apres bouche ſa playeauecques du limon. Que s'ily detamel'Hyppopo
à Selirn,
aiamais eu Prince cruelà qui cecyſe doiue rapporter, ce doit eſtre à Selim, •. #

† s'eſtant gorgé du ſang de tant de peuples, ſe rua contre le ſien propre,


aiſantmourir pere, enfans, freres & nepueux, heurtant ſa cruauté contre
lambition, & le toutpour poſſedervne piece de terre qu'il appliquoit à ſa
bleſſure, ſi que tout ſon regne, qui n'a pas eſté fort long, n'a eſté qu'vn per
Petuelmaſſacre,& vne continuelle effufion de ſan $
Selim eſtant doncques paruenu à l'Empire par les moyens que vous
auez entendus, & deſguiſé laioye qu'ilauoit de la mort de ſon pere par la
&5

† des funerailles, &lariche ſepulture qu'illuy fit faire, penſant


ººh ſon parricide par cette hypocriſie,il n'atoutesfois iamais ſceu colo Sclim fait fairç
vne sſuperbe
rertellement ſa meſchanceté qu'elle n'ait eſté à la fin deſcouuerte. Or ſon ſepulture à
Pº!oit emmené quant & ſoy cinq cens ſoldats, & cinqieunes hommes ſon pere,
quilaffectionnoit,l'vn deſquels eſtoitvn Menauin Geneuois, quia eſcrit
CcttC hiſtoire,qui tous ramenerent le corps à Conſtantinople,lequelayant -

Llij
• - - - —T

,
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- - e - - - >1 • •

--
268 Continuation del'hiſtoire
mis en ſa derniere demeure,les cinq cens furentrenuoyez chacun chezſoy
: auecques continuation des meſmes gages qu'ils ſouloient auoir : mais
, quant aux cinq qui pour le regret deſ mort de leur maiſtre s'eſtoientve
--- † ſtus de noir, Selim de colere les fit mettre tous priſonniers, deſquels il en
#. *
, - ;
## fit mourir deux, & les troisautres furent tirez du peril parl'interceſſion de
| ... ! † des
ſes filles
filQIt• robes,& des
illesBaſſats,
mit hors&deleur
ſon faiſant payer
Serrail,les leurs gages
mettant ſous laſans leurduSulaf.
charge donner
| |
•" •
| º
|
#.
·
-' | tarbaſſi, & ſuiuirent touſiours depuis l'armée qu'il fit paſſer incontinent
• apres en la Natolie, mais ayantauparauant viſité ſestreſors, il fitvnelargeſ
: | " ſeaux Iennitzaires de deux millions d'or,pour leurteſmoigner la grandeur
* ,
Largeſſe de de ſon courage & ſa liberalité, augmentant outre cela la paye de ſes gens
- | | • Selimºuxien- de cheual, de quatre aſpres pour homme, & de deux pour les gens de pied:
i
"


| -

:
| | | " il n'oublia pas auſſi les Baſſats & autres grands de la porte qu'il recogneut
luy eſtre vtiles, pour les rendre par ces preſens d'autant plus fideles & plus
| !| | | § à ſon ſeruice.
* | Ayant doncques ainſi donné ordre à ſes affaires à Conſtantinople,ilfut
1 1
| l4
|
# # bien- toſt reſoluà la guerre contre ſon frere Achomat, car cettoit celu
' là quiluypouuoit le plus troubler ſon repos, & lequelil hayſſoit le plus,
| j | comme ayanteſtéſon competiteur à l'Empire, il deſiroit toutes-fois s'aſ
· · · | | | - ſeurerauparauant desarmes des Chreſtiens,afin que cependant qu'il ſeroit
i |
fort eſloigné dans l'Aſie, ils ne donnaſſent ſur ſes terres,& le priſſentaudeſ
- • pourueu, mais comme il auoit le cœur grand & ne vouloit pas rechercher
• --
, : autruy, ilſetrouuoitfort empeſché commentily deuoit proceder. Quand
à

- † lesVenitiens, quiredoutoientl'ambition & lahardieſſe de Selim, ſevoyás


i
luy. aſſeztrauaillez d'ailleurs, & craignans que s'ilvenoità entreprendre ſur eux,
leurs moyens & leurfoibleſſe ne peuſt s'oppoſer à ſa grandeur (comme cet
,

, || || |
tC † ſe conduit touſiours † grande prudence & pre
# ! :
uoyance enſes affaires)ils penſerent qu'il falloit s'accommoder au temps,
• | | | -

-
& ſereſolurent de ſel'acquerirpouramy.ils deputerent doncques à cesfins
Anthoine Iuſtinian,pourſereſiouyrau nom de la Republique de ſonheu
| º
| reuxaduenement à l'Empire, & des deſirs d'vne longue & permanente fe
# * # ! , licité, pour confirmerauſſi de nouueaul'ancienne amitié & alliance qu'ils
- |! -

auoientauecles Monarques O thomans.


·
|
l 1 L'AmbaſſadeurVenitienfutreceu fort honorablement par Selimenla
* 1 . . !

• :1 . :4 ville d'Andrinopoli, oüileſtoit pourlors auecques ſon armée qu'il prepa


- -

1 -
# ºttpour paſſer en Aſie & voyant que ce qu'ilauoit tant deſiré luy eſtoit
| | || §" liberalement offert, il embraſſa de bon cœur l'amitié des Venitiens, pro
- mettant de la garder à iamais inuiolable, ſoubs les meſmes conditions
qu'elleauoit eſté auparauant traictée auecques Baiazeth: & pour plusgran
deaſſeuranceilenuoya Alibegpour Ambaſſadeur auecques Iuſtinian qui
s'en retournoit à Veniſe, pour faire ratifier le tout au Prince & au Senat,
† leureſcriuant encores particulierement pour dauantage les gratifier, & les
-
•itiºns exhorteràla conſeruation de ſonamitié, qu'ilneleur manqueroitpoint de
-:

ſa part. L'Ambaſſadeur Turc arriué à Veniſe, & introduict au Senat, le


-|
-: , Prince Loretanratifia, tant enſon nom qu'en celuy de la Republique,tout
CC
, -

··

|
| des Turcs, Liure troiſieſme. 269
ce que Iuſtinian, leur Ambaſſadeur, auoit accordé & ſigné. D'ailleurs les
Roys de P ologne & de † eſtans entrez en meſme frayeur que ceux
de Veniſe,ſçachans aſſez quels auoienteſtéautresfois les deſſeins deSelim, Les Hongres
rechercherentauſſiles meſmes voyes que le Senat Venitien,faiſans renou & Pollonnois renouuellent
ueler la trefue qu'ils auoientaueclesTurcs, ce quileur fut auſſi facilement la trefue qu'ils
accordé par Selim, lequel ſe voyant par ce moyen hors de crainte de la Selim.
§nt auee -

uerre du coſté de l'Europe, tourna toutes ſes penſées vers l'Aſie contre
ſonfrere Achomat. - -

II.
Lequel voyanttoutelagendarmerie, touslesMagiſtrats & officiers, &
eneralementtout l'Empire Turcflechir ſoubs les commandemens de Se Inquietudes
† & luy auoir preſté le ſerment de fidelité, comme à leur Souuerain, d'Achemat.
ayant encores d'ailleurs, pouraccroiſſement de ſa miſere, perdu ſon pere,
auquel conſiſtoit ſaprincipale eſperance, & duqueliltiroit touſiours quel
ue ſecours, ſinon d'hommes,au moins d'argent, dont ilſetrouuoit aſ
† deſgarny , pour pouuoir ſupporter le fais d'vne ſi longue guerre, &
eſtant aduerty des grands preparatifs † ſon frere faiſoit pour le ruiner,
cognoiſſant bien ſes forces n'eſtre pas baſtantes pours'oppoſeraux ſien
nes, & qu'il y alloit de ſa vies'iltomboitentre les mains de ſon ennemy,
ayant pris ſonargent, & tout ce qu'ilauoit de plus precieux, il choiſit les
' • &o - - - -

meilleurs hommes de toutes ſes trouppes, & ceux auſquelsilauoit la plus Il ſe retirc à
grande confiance, il ſe retira à Derenda ſur les confins de l'Arabie, c'eſt à D§ -

dire en la Caramanie, quiconfine la Sultanie du Caire, oûilfortifialaCili


cie, coniurant en paſſant la fidelité des peuples par où il paſſoit, dit Paul
loue, & demandant armes, argent & tout le ſecours qu'il pouuoit à des Demande ſe
cours par tout
gens toutesfois quin'eſtoient pas de grand effect,auſſileurpuiſſance eſtoit où il paſſe.
elle troP foible pour le ſecourir contre celle de Selim : qui cependant eſtoit
arriué à Angory,iadis Ancyre, où ayant appris des nouuelles de la fuite de #
| ſonfrere, il depeſcha MachmutZelebim ImrehorBaſſa, ou ſon grand eſ
cuier, qui eſtoit lors Saniac de Bruſſe, auecques vne puiſſante armée pour Burſe
Le Baſſa de
contre
lepourſuiure auecques la plus grande diligence qu'illuy ſeroit poſſible, & Achomat.
faire en ſorte qu'il ſe ſaiſiſt de ſa perſonne : mais quelque diligence qu'il
ſceuſtfaire,& quelque effort qu'ilmiſt à accomplir ce qu'on luyauoitcom
mandé, il ne peutiamais ſuiure à latrace Achmet, & beaucoup moins la
border, ou luy liurer quelque bataille à luy ou aux ſiens, ſi bien qu'il s'en Qui ſe ſauuºi
ºtourna versſonmaiſtre ſans auoir rien faict, mais il prenoit ſon pretexte,
ſurcº qu'eſtant deſiafortauant en l'hyuer,ileſtoitcontrainct de diſtribuer
le ſoldat Parles garniſons pourhyuerner. - - -

CePendant Selimſe ſaiſit des Prouinces que tenoitſon frere y eſtabliſ


ſantpar tout des Saniacs à ſa deuotion : de là ayant retiré ſes forces, quand
ºriué à Burſe, il donna puiſſanceaux Iennitzaires de s'enaller hyuer
º#eux ayans leurcongé,ſe retirerentàConſtantinople : quantàluy il cruauté de Se
Pººn hyuer à Burſe, où eſtantarriuéilfitvne cruelleboucherie de ſept lim à l'endroit .
ºhzadeorum, eeſtàdire enfansdela lignée Royale, ainſiles appel de ſes neueux,
lentles Turcs, tous fils deſesfreres, entre-autres MahometZelebis fils de
Tzihan Sehachou Sciancias,lequelapreslamort du pereauoit eu ſongou
- - Ll iij .
•--
| 27o Continuation del'hiſtoire
*- uernement de Donguſli en la Carie, qué depuis ſon oncle Achmet luy
auoit oſté de force, & l'ayant luy-meſme pris vif, l'auoit touſious depuis
s
1,
|
|
| fort ſoigneuſement gardé, mais la fuite d'Achmet luyauoit auſſi donné
| | - commodité d'eſchaper : ſi qu'il ſe vint, comme fugitif, preſenterà ſon au.
·# 1 -

* !
|. * tre oncle Selim, ieune hommeau demeurant d'vne excellente beauté, &
# ! quitout belliqueux & vaillant, attiroit à ſoy les yeux d'vn chacun, qui
- -
eſtoit outre ce d'vne richetaille, bien proportionné de tous ſes membres,
-
| | *!
· l , in * ! | rafate ds ayant vne force du tout conuenable à ſabeauté, qui ne manquoit point
- !
# ! |
-
-

† d'eſpritliberalite
ueu de Selim. grande & deiugement,
deſorteadiouſtant à ſon
qu'auecques entregentbening
tant & affable,vne
de graces corporelles & ſpiri
| |
a , , tuelles, ils'eſtoit conciliéles cœurs & labien-veillance d'vn chacun, mais
|· |· · •· non pas celuy de Selim, qui eſtoit trop plein de ſang pour y pouuoirrete
nir quelque belle image pour l'affectionner. Toutes-fois commeil eſtoit
| | |
| tres-aiſe de ſon arriuée, le releuantd'autant de peine de le faire chercher,il
le receut d'vne façon fort affable, & comme § deſiré de le tenir fort
| | |
| | | | | |
i
† cher : on dit que ce Prince eſtantarriuédeuant ſon oncle, vſa à peu pres de
4 :# | | | † ces paroles : Eſtant ſorty d'vne priſon forcée de mon oncle Achmet,ieren
l,
- ·- 4
tre maintenant dans vne volontaire, en me donnant à voſtre hauteſ
|
,' || |
' ſe, n'ayant qu'vne requeſte àluy faire, c'eſt qu'elle me donne la vie, puis
,!
| | |
|| | |. Propos de Ma- #uei'ay reſolu de la ccſ/ſacreràiamais à ſon ſeruice, & me tenir l'eſclaue de
• ) • N. -

|
-
§ ſon ſagrandeur que i'accompagneray touſiours, ſoit à ſabien-heureuſe porte,
•e ouailleurs où il luy plaira de ſe tranſporter: Selim à cela luy reſpondit qu'il
' !
, ! '
'
:
|
-

Reſponce de
deuoitauoirb6 courage, & † ne deuoit auoiraucune crainte, & afinde
#
.!
Selim. . luy oſtertout doute, & luy faire auoirvne entiere confiance en ſon oncle,
Selim le faiſoit manger à ſatable parvnefaueur toute extraordinaire, mais
-

|. - 1 s'eſtoit pour s'aſſeurerd'auantage de ſa perſonne. -

| | |
· · · · Ces choſes ſe paſſans ainſi à Burſe, Achmetamaſſe des forces, & ſetrou
i - º , -
III. uant autour deluyvne aſſez puiſſante armée, commença des'approcherde
| | | | Selim, pour decider parvne bataille à qui ſeroit le ſouuerain moderateur
de toutes choſes. Or Achmetauoit deux fils fort biennourris & d'vne fort
| | |
-

| grande eſperance, entre leſquels Amurath ſe rendoit le plus recommen


|
|.
|.
, .
| | |
|
-
† dable pourſamagnanimegeneroſité. Cettuy cyvoyant ſon pere reſolu à
!
-
#ººº combatre, pourl'en diſſuaderilluy dict: Alaverité,monpere,ſivous pre
"
,
-
nez en cette affaire vnbon conſeil, vous ne demeurerez iamais en ce pays,
l | i
" .
4 - -
1
4
mais vous chercheriez quelque contrée plus ſeure,qui parlesloix del'hoſ
. | pitalité vous laiſſaſt paſſer vos iours enſeureté, car iln'ya pas d'apparence
que vous puiſſiez retenir cet Empire, tout flechiſſant ſoubs la puiſſance &
| | |
| lauthorité de Selim comme ilfaict, vos forces n'eſtans pas baſtantes pour
-
| | |
l : t,
|
i
ſuppediter les ſiennes, eſtant le ſuperieur entoutes choſes, & vous ſonin
1" ·li h -
| Reſponce ferieur.A cela ſon peré luy reſpondit,mais où iray-iemon fils? ouchez qui
| d'Achmet.
' !
-----
me retireray-ie : ſiie quitte la domination des Othomans, & que i'aille à
| | | | | | \ , refuge chez quelque Prince eſtranger, quandbien ilm'endonneroitquek
. . !
i || | que coingpour ma retraicte, ne ſerois-ie pas touſiours ſoubs ſa puiſſance,
. |
| reduictàvne perpetuelle captiuité à & qui eſt-ce qui pourroit viure envne
|

-
ſigrande incertitude de l'euenement de ſes affaires, & demeurer touſiours
- C[i

-:
• | ,,, ! .
desTurcs, Liure troiſieſme. 27i -

enſuſpends,ſousl'arbitre & leiugement d'autruy.Ne vaut-il pasbiémieux | | -

ueie m'expoſe tout d'vn coupau hazarddesarmes, & par quelque acte
§ , ic rachete ou perde vie, que desherité du Royaume paternel
II12 -
"

-
.

eſtre agité iour &nuictd'vne continuellecrainte de la mortº Ces raiſons # # | !

toutes fois nepleurent point à Amurath & ne pouuoit approuuer ce con-ſ " - ",
ſeil,car il ſçauoitaſſez leſtendue des forces de ſonpere,& n'eſtoit pas igno- -

rantde la grande puiſſance deSelim.


Leque ſentant le Printemps approcher , raſſembla ſes forces de toutes
partsdes lieux où ellesauoient hyuerné, & partit de Burſe pour mettre fin
toutd'vn coup à cette guerre, caril craignoit fort que ſon frere Achmet
fuyant de lieu en autre, euitaſtle combat, ou qu'auecletemps ilamaſſaſt de
grandes forces. C eſt pourquoy il fit coº# des lettres qu ilfit ſemer #
en pluſieurs endroicts, partie eſcrites par des Vizirs & Baſſats,partie par des §
lennitzaires & autres gens de la porte, parleſquelles ils ſe plaignoient des -

outrages que leurfaiſoit Selim, que cet homme colerique & de nature de
feu eſtoit incompatible, au contraire de luy qu'ils ſçauoient eſtre d'vne
douce & benigne nature enuers ſes ſubiects, qu'il vint doncques ſans re
tardement, & qu'il ne doutaſt plus de la foy de ceux qui luy eſtoient ſi
parfaictement acquis, car on n'auroit pas pluſtoſtveuſes enſeignes, que
tout le mondeabandonneroitSelim. En fin ces lettres eſtoient d'vn ſtyle
fortartificiel, repreſentant à la veritéla nature de Selim, afin qu'Achmet -
--

eneuſt moins deſoupçon, &yadiouſtaſtfoy plus facilement, & dit-on r .


qu'il en fitietter enuiron cinquante,auſquelles le pauure Achmet croyant #
pluſtoſt à ces trompeurs artifices qu'au conſeil de ſes amis, qui auoient †º
quelquel coniecture delatromperie,ils'enfila dans les rets de ſon ennemy,
&ſe rencontrerent tous deux en la plaine de Geniſcheher ou de la cité
neufue, & peut-on direveritablementàlalettre qu'il tomba dans les filets, #
car Selim fit ellementenuironnerle pavs de toutes parts pour empeſcher
qu'Achmetne ſe peuſt ſauuer, qu'il falloit de toute neceſſité qu'il periſt
dans cette enceinte s'il perdoit i§ , & luyau contraire, en tout eue
nementauoittouſiours lacampagne libre, tenant les aduenues de toutes
parts.
Arriué doncques encelieu de Geniſcheher, non proche de Burſe,cóme
quelques-vns ont penſé mais enlaCaramanievoiſine de l'Arabie,carAch- , | -

ººtsy eſtoit retiré, & auoit choiſy4tte Prouince, cóme eſtant proche de · · · |.
lEgypte & du Caire,afin d'en pouuoirtirer plus promptement du ſecours. - -

Yºa qui diſent que la retraicte qu'auoitfaictSelim l'anprecedent,Ach- -

º#qui s'eſtoit caché dans les montagnes,voyant ſon ennemy ſe retirer en · ·


deſordre cöme gens quin'auoient point de crainte,prenantſonaduantage, † | |
ºndre ſur eux ſi heureuſement,que les ſurprenant au depourueu,ilen † -

ºnegrande partie en pieces,& print grandn6bre de priſonniers,&en- - | - |

ºes'Muſſia, vn de leurs chefs,lequelilreceutapresau nombre de ſes


plus chers amis,& quifut parapresvne des cauſes de † ruine : car cettuy-cy ,#iſºººº
- -

ºgºbien que quele pouuoir d'Achmet n'eſtoit ppas baſtant ppour terraſſer †"
le p -)
| |
† de Selim, & panchant du coſté où il penſoit auoir plus d'aduantage, IICC.
-
-

-
-

|
mT H* - :

272 Continuation de l'hiſtoire


il fit party auecques trois autres des plus inſignes des trouppes de ſonmai.
ſtre, qui tous enſemble ſe retirerent au camp de Selim, qui furent fort bien
:
receus de luy. Ceux-cy luy conſeillerent de preſenter la bataille à ſon fre
rele pluſtoſt qu'il pourroit, l'aſſeurant que ſes forces eſtoient fort debiles,
-
| -
& que iamais iln'auroit commencé le combat, qu'il ne le viſt abandonné
- desſiens, Selim les creut, & comme luyauoient predict ces fugitifs, les
-
Les gësd'Ach- † d'Achmetnefaillirent point de ſe retireràlafile enſon camp, ſi que

†º le pauure Prince ſevoyant trahy, & † s'eſtoit luy-meſme precipité dans
e- *
, des embuſches quil'enuironnoientalors de toutes parts, il commença de
perdre courage, & la crainte commença de le ſaiſir: de ſorte qu'encores
qu'illuy reſtaſtaſſez bon nombre d'hommes, ſinon pour vaincre au moins
pourvendre ſa vie bien cherement à ſon ennemy, ſi eſt-ce qu'ayantſoneſ
laſcheté perance toute confuſe , comme il eſtoit naturellement mal propre à la
º" guerre, le cœur luy faillit : de ſorte qu'il ne ſceut ny choiſir †
du
combat,ny rangerſonarmée en § ny donner ordre à ſa retraicte, ou
faire aucun acte de capitaine, non pas meſmes de s'enfuir à propos pour
ſauuer ſavie, tant le fentiment de ceux ſurleſquels la diuine ordonnance
r†º veut
† exercerlesſatrouppes
puiſſanced'Achmet§
deuient en vn inſtant mouſſela&premiere
elles ſouffrir hebeté, ſiimpe
bien
---

§" tuoſité de celles de Selim, qu'elles ſe mirentincontinent en fuite, bien peu


ayans rendu du combat, les Selimites pourſuiuirent les fuyards, deſquels
ils tuerentiuſques à enuiron cinq mille : Achmetvoyant toutes choſes de
ſeſperées, depeur qu'il ne peuſt eſtre remarqué entre les fuyans : ilsaduiſa
: --
Achmet en mais bien tard, d oſter ſon veſtement, & prendre celuy d'vn ſimple ſol
# # dat: carcommeilfaiſoit ce changement Cialapan Ducagin, vn des chefs
-
de l'armée de Selim quiy ſuruint, le recogneut qui le print vif, ſans qu'il
fiſt beaucoup de reſiſtance.
-
º

Eſtant doncques amené deuantSelim,afin queluy-meſme le peuſtvoir


& recognoiſtre, il pria qu'on le fiſt approcher plus pres de ſon frere, afin
de pouuoir parleràluy, ce qu'eitant rapporté à Selim, il fit reſponce qu'il
-
n'eftoit point beſoin de diſcours, & qu'illuy falloitbailler vne Satrapie di
º gne d'vn fils de Roy : c'cſtoit le mot du guet de ſamort. Ceux doncques
#º quiauoient cette † layans vn peu deſtourné desyeux de ſon frere,le
ſtranglerentauecques la corde d'vn arc : ſon corps priué devie fut honora
blement enſeuely ſelon lacouſtume dºsTurcs, & porté à Pruſeaumonu
ment de ſes anceſtres. Telle fut la find'Achmet, que ſon pereauoit non
-

ſeulementiugé digne del'Empire, mais qu'ilauoit preferé à tous ſes autres


enfans, † conſtituerà la dignité Imperiale,& auquel toutes-fois vous
pouuez remarquer vn courage tropbas & troplaſche pourgouuernervn
· tel eſtat que celuy des Turcs, qui ne reſpire que le ſang & les con
queſtes. - - > -

IIII. Mais auparauant que finirle diſcours d'Achmet , il ſera bien à propos de
:
§ la rapportericy vne hiſtoire que Tuberon recite fort particulierement, &
†. † netrouue ny dans les AnnalesTurquesnyailleurs que chez luy. Il
-

CIOD, it doncques qu'au meſme temps qu'Achmet deffit quelquestrouppes de


/ ſon

- a - - —
* -4

A" t , ! .

des Turcs, Liure troiſieſme. . 273


ſonfrere, comme nous auons dictcy-deſſus, & qu'il print Muſſia, qu'il y · .
auoit au Prºº de Selim vn perſonnage de fort grande authorité pres de luy, -

& de ſes premiers Baſſats nommé Muſtapha, non celuy dontil ſera parlé , •

cy-apres » carceluy-là eſtoit Dalmate , & cettuy-cy eſtoit de laville de Ser - ,


reuſe pro che d'Amphipolis, fils d'vn Preſtre Grec(car ſelon l'o pinion des - .
Grecs, lcs Preſtres ſont mariez) lequel ayant remarqué que l'Empereur - -

Othornan eſtoit fort irrité contre ceux quidutemps de ſon pere auoient
vſé de concuſſions en leur Magiſtrat, comme cettuy-cy eſtoit fortaddon
né à l'auarice, & qu'il craigniſt que le ſort tombaſtſurluy, il penſa qu'il
eſtoit plus à propos de faire tomber l'Empire entre les mains d'Achmet,
quin'y re garderoit pas de ſipres que cettuy-cy, hôme fortactif & remuât.
ôriugeoit ilbiéquenylaforcenyles prattiquesne pouuoientreuſſirpour | |

ce regard, Selim eſtant trop bon homme de guerre, & les Iennitzaires <. !

trop affectionnez enſon endroict.Il ne voit doncques pas meilleur moyen •. ha ſe -

de s'en deffaire que par poiſon, ne reſtant plus que de trouuer vne occa-r§ § -

ſionlaquelle ſe preſenta
que Selim auoit donnéfort à propos
charge qu'onceluyluycherchaſt
ſembloit;quelque
car ayant entendu
beau ieune #ºnnºrss | v
.
|#

homme barbier qui euſtaſſez d'experience pour le pouuoir ſeruir en ſon


art, il ne penſa pas trouuer meilleure oportunité.Ayant doncques eſcrit † . » -

des lettres à Achmet Othoman, illes luy enuoya par vn de ſes ſeruiteurs "
plusaftidez,auquelil donnavne inſtructionparticuliere de ce qu'il deuoit 4

dire à Achmet, & commentil ſe deuoit conduire en cette affaire : Achmet ,†º*
ayant en tendu la conception de Muſtapha, trouue ſon aduis fort bon, & - ,
faict en ſorte qu'ilacheptevn eſclaue barbier (carlesTurcs tranſportans la
plus grande partie des eſclaues Chreſtiens en Aſie, ily en a là auſſi de
tousmeſtiers) qui eſtoit en toutes choſes accomply ſelon les deſirs de Se- oui luyenen.
lim,qu'iI enuoya ſecretement à Muſtapha: orceieune homme auoit eſté*" -
#
•ſibien achepté par perſonne interpoſée, que ny luy-meſme, ny perſonne •

delaCour de Selim n'euſtſceu iuger qu'il venoit de la part d'Achmet. |

Muſtaphaayant doncques cettuy-cy en main,il compoſa vneboule de


ſauon Pour frotter les parties du corps que les Turcs ont accouſtumé de
ſefaire raſer. Or cette boule eſtoit compoſée de pluſieursaromates,parmy †
leſquels ilauoitmeſlé duveninſi ſubtil qu'ilfaiſoit incontinent mourir la §
perſonne uien eſtoit frottée : cela eſtantainſi diſpoſé,ill'enferma dans vn
petiteſtuy de corne, diſantauieune barbier, deuant qu'ill'euſt donnéàSe
lim, & qui eſtoit ignorant de tous ces conſeils, que c'eſtoit vne compoſi
tion fort excellente, de laquelle il ſe deuoit ſeruir ſeulement quandilraſe- †.
foitle Poildu Roy : l'ayant ainſi bien inſtruict,ille preſenta § ſeigneur, †"
°quelle receut de fortbon cœur, en eſperance des'enſeruirà la premiere
ºccaſion : cependant Muſtapha auoit enuoyé vn meſſager vers Achmet
laduer tir de tout ce qu'ilauoit faict, & luy conſeilloit d'approcher ſonar
º Plus pres de Pruſe qu'il pourroit, & ſur tout de ſe deffaire du meſſa-†
8º » !1 tO ſt qu'il auroit § lettres, de crainte qu'il n'en deſcouuriſt quel- † - ".

que choſe,car c'eſtoit luy-meſme quiauoit deſia faitl'autre meſſage, &afin


uela choſefuſtplus ſecrete,ilenuoya ſes lettres enfermées dans duplöb.
- Mm |

!
274- Continuation del'hiſtoire
Celuyquiles deuoit portervoyant vne façon ſi inuſitée de cacheter des let
tres, penſa incontinent qu'il portoit là dedans quelque choſe de tres-gran
· de importance, & comme la nature a cela de propre ( quoy qu'ignorante)
- d'entrer en ſoupçon des choſes qui luy doiuent porter preiudice, il entra
enapprehenſion d'eſtre le porteur de ſon mal-heur, ce quile preſſa deſor
-

†te n'eut point de repos qu'iln'euſtrompuce plomb, deffaictcette en


s trainte fait ueloppe & leules lettres, où il trouua ce qu'ilne deſiroit pas, & ce dequoy
:|• *
-,

†" "il s'eſtoit douté, eſtant doncques hors de ſoupçon, il demeuralongtemps


en balance de ce qu'il deuoit faire, ny quel conſeil il deuoit prendre,
penſant diligemment tout ce que la crainte & l'eſperance luypouuoient
ſuggerer.
-•
Car, diſoit-il, pourſuiuray-ie mon chemin ? & iray-ie executer le com
º mandement demon meſchant maiſtre quime veut faire perdre lavie pour
†" recompence de ma peine & de ma fidelité & me laiſſeray-ie maſſacrerſans
de Muºth lauoirmerité? encores ſiieſtoisaſſeuré qu'Achmet euſt quelque pitié de
moy & me vouluſtretenir pres de ſaperſonne enrecompence d'vn ſi bon
· ſeruice, i'aimerois mieux m'acquiter de mon deuoir, mais d'ailleurs cela
m'eſtincertain, & ie ſuis tout aſſeuré qui ſiie retourne à Pruſe,& queiede
clare cecy à Selim, encores qu'il voye que i'auray eſté plus forcé à cela par
, -
la § que parla fidelité que ie luy deuois, cela nel'empeſchera pas de

;
m'en ſçauoir bon gré, & de m'en donner quelque notable recompence:
carie puis dire que ma principale intention, quandi'ay ouuertleslettres de
-
mon maiſtre, n'a eſté que pour voir ſi on n'entreprenoitrien contre ſon
| ſeruice, & queie les luy euſſe touſioursapportées, quand bien on euſtrien
machiné contre moy : l'eſclaue ayant donques diligemment confideré en
ſon eſprit la recompence de ſa trahiſon, & qu'il ſe fut repreſenté deuantles
yeux lesgrandsbiés,les richeſſes,& la faueur c"'il auroit,&en quelque faç6
# † que ce fuſt qu'il ſe vägeroit delamalice & cruauté de ſon maiſtre, & qu'en
† cores qu'il ne tiraſtaucune recompence de Selim, au moins ſauueroit-ilſa
vie & ſe tireroit de danger : il rebrouſſa chemin, & s'en reuint à Burſe, où
. eſtoit pour lors Selim, oùilarriua de nuict ſecretement & à cachetes, de
mandantauxgardes d'eſtre introduictauSeigneur, pour choſe quiluyim
ce qu'ufia portoit de lavie : entré qu'ilfut au pauillon del'Empereur,il commence à
reciter par ordre les entrepriſes que Muſtapha machinoit contre ſa vie,
pour preuue dequoyil preſentales lettres eſcrites de la propre main de ſon
maiſtre; car comme vousauez peuvoir, il ſçauoit tout le progrez de cette
Trouble de hiſtoire : Selim ouyt ce diſcours & leut ces lettres auecquesyngrandtrou
† " ble d'eſprit, voyant de ſigrandsindices d'vnetelle & ſi ſubtile meſchance
té: ayant doncques commandé de lierle delateur, il paſſala nuict à reſuer
ſurvne occurrence qui luy eſtoit ſi importante, & leioureſtantvenu,ilfit
--

: Le # venir le criminel, lequel on n'euſt iamais penſé qu'il ſe fuſt perſuadé de


, # pouuoirpar des nouueautez eſtablirvne meilleure fortune,eſtantparuenu
# à la grandeur en laquelle il eſtoit, & qu'il euſtvoulutacher ſa reputation
# Pº d'vn tel crime, encores que ſonviſage paſle & ſa parole tremblante teſmoi-.
" gnaſſentaſſez qu'il eſtoit coulpable de ce qu'onl'accuſoit : mais commeon
- vid

|
des Turcs, Liure troiſieſme. 275
vidque les menacesny la veuë des tourmens qu'onluy repreſentoit, & deſ
ucls on le menaçoit ne luy pouuoient faire aduouer ſon crime, parl'aduis tet , les
delaccuſateur on fitvenir le ieune barbier, lequel eſtant interrogé com- † ,

ment iI eſtoit venu entre les mains & en la puiſſance de Muſtapha, il dict †"
ſans heſiter, ſans s'eſtonner, & ſans donner aucun teſmoignage †
euſt
ourſon regardaucune intelligence, que cela eſtoit arriué par le moyen
d'vn hommc particulier , mais qu'iln'auoit receu commandement de per
ſonne de faire du malàl'Empereur & qu'il eſtoit du tout innocent & igno
rant de cela. Et à laverité ce poiſon, comme nous auons dit, auoit eſté
compoſé à ſon deceu : car Muſtapha n'auoit pas voulu ſe fier d'vne choſe
de telle importance à ceieune homme mal-aduiſé:mais afin de rendre tou
tes choſes plus claires(car Selim vouloitentierement eſclaircir cette affaire) †
qn fitvenirvn chien, auquel onbaillavn morceau de cette paſte, mais il § " .
mourut incontinent: de ſorte que l'autre tout manifeſtement conuaincu,
& Selim ayant reproché auecques toute l'aigreur qu'vn homme coleré, &
i
offencé comme ileſtoit, & qui outre cela auoit ſouueraine puiſſance, l'in- Maaarha e;
grateperfidie &trahiſon de Muſtapha,ilcommanda dele mettre entre les ſtranglé.
mains des bourreaux pourl'eſtangler, ce qu'eſtant faict on eſtrangla auſſi
ſes enfans, ſes biens declarez acquis & confiſquezau Seigneur. Quant au Etle barbier.
pauure barbier, d'autant qu'il deuoit eſtre le miniſtre d'vne telle meſchan
ceté, il ne laiſſa pas de paſſerle pas comme les autres : maisàl'accuſateur,fut
laiſſé ſeulement lavieſauuc ſans aucune recópence, d'autant qu'ayant ſceu p,cesſiteur ,
vntemPs toutel'affaire iln'enauoit pointaduerty ſon Royſans vn extreme #
danger de ſaperſonne, telle futl'iſſuë de cette trahiſon, apres laquelle le
meſme autheurtient que Sdflmfit ce grâd maſſacre des enfans, tant d'Ach
met que cle ſes autres § Lequelayanteſté depuis deffaict, pris & exe
cuté en la maniere que vousauezentendu, ſes enfans qu'ilauoit de reſte, - #
(toutes-fois plus aduiſez que luy) s'eſtpient ſubtilement retirez, l'vn à
ſçauoir A murath, chez les Perſes, deux versleSultand'Egypte, & le qua
trieſme S elimle fit mourir. -

Mais ilyena
Muſtapha quicontent
voyantquc Selim cette
faiſoithiſtoire
mourird'vne
tous autre ſorte, &encores
ſes nepueux, diſent que
que Autre
#t erinion de

leconſeil vinten partie de luy,toutes-fois vnie ne ſçay quel regret & natu -

relle pitié l'ayanttouché devoir reſpandre tant de ſang Othoman,iladuer


ºretement les deux enfansd'Achmet, Amurath à ſçauoir & Aladin,
des deſſeings que leuroncle auoit contre leurvie, carils eſtoient encores en Pourauoir .
la Natolie , &attendoient l'euenement de la guerre contre leur pere, mais #º
- Sºlimayantdeſcouuertſatrahiſon , & qu'illesauoit conſeillez de ſe retirer
ºontagnes, bien que cela n'euſt pas eſté bienverifié contre luy,ille fit
toutes-fois eſtrangler, ayant bienmerité
cette recompence pour la trahi
ºdont ilauoitvſé enuersſonmaiſtre & ſon ſeigneur Baiazeth,carilauoit
ºe Party de Selim contreluy.
Le Principal emulateur de l'Empire Othoman eſtoit bien eſteinct en
- - -

V.
ºet,mais à vn eſprit ſoupçonneux comme celuy de Selim,& àvn Prin
ceſeuere & ſanguinaire comme luy,toutluy faiſoit peur,ilentendoit
A - Mm ij quel
4 276 Continuation del'hiſtoire
, ques-foisie ne ſçay quelmurmure parmy les gens deguerre quiluy fitpen
ſCruelsdeſſeins ,!
-
» - - - - - || - )»

§" ſerplus d'vne-fois † ſon Empire ne ſeroitiamais bien eſtably, tant qu'il
y auroit pas vn de la race Othomane envie, à la façon des Princes cruels,
qui cimentent leur domination le plus ſouuent auecques le ſang de leurs
lus proches, & fomentent leur cruauté parla perte de lavie de ceux qui la
- † ont le plus conſeruée.Ie dycecy pour Corchut, lequel eſtoit reſtéſeul
de tous ſesfreresauecques S elim, & auquelilauoit faicttant de bons off•
ces, tantoſt l'aduertiſſant de ce qui ſe paſſoit contre luy, & s'offrant luy
--:
† meſme en perſonne de le ſecourir, tantoſtrenonçant volontairement à
§corchu l'Empire,quiluyappartenoit mieux qu'à nulautre, puis qu'ilenauoit deſia
legitimement iouy, & qu'illuyauoit eſté promis par le pere pour luyauoir !
ſi fidelement remis entre les mains, comme ona peuvoir en l'hiſtoire de
, Baiazeth , nonobſtant dy-ie, toutes ces choſes, & quel'Eſprit de Corchut
- s'occupaſtd'auantage & print plusgrand plaiſir à feuilleter vn liure, qu'à
|!
† rangervne armée en bataille, ne ſe ſouciant que d'eſtudier en la Philoſo
# " phie Mahometane : toutes-fois cet eſprit deffiant de Selim, à † la crain
|
te de ſes actions donnoit toutes ſortes d'ombrages, ne peut ſouffrir plus
: long-temps ce pauure Prince en vie, toutes-fois en hypocrite, il voulut
faire le conſcientieux ſurvne choſe qu'ilauoit deſia toutereſoluë, & com
, · mes'il euſt faict conſcience de l'entreprendre ſans conſeil, il fit venir les
s# demido-le Fakiches & Menlanas (ce ſont des ſages docteurs de leurloy) & aſſemblez
aduis aux - - - -

§ | le
loy,
comme
plus à en vn conſeil
propos de faireQue vouscinq,
mourir ſemble, dit-il,de cette
huict,voire queſtion,lequeleſt
iuſques à dix §
ou de ſouffrir que tous les peuples du Royaume diuiſez & affligez, tout
† s'en aille en telle confuſion qu'il ne ſoit pas ſaiſ$ dägerd'vne extremeruine
tCS, Certainement, reſpondirent-ils, tous d'vne voix, Il eſt plus vtile que huict
| ou dix periſſent que toute la Republique ſoit en diuiſion à leur occaſion,
sslim f .,ne ayant receu cetaduis, il fit auſſi-tgſtaſſembler tous les Officiers de la porte,
#. #° Iennitzaires & autres gens de guerre, commes'il euſt voulutenir des co
# mices & des Eſtats generaux, où on recueille les voix & les ſuffrages d'vn
· § chacun, où eſtans tous aſſemblez il leur demanda s'ils ne vouloient pas

"" tous obeyr à ſes commandemens, & s'ils obeyſſoient à regret, tous les
courtiſans alors tous d'vne voix (qui ſelon leur couſtume n'auoient garde
' de reſpondre autrement qu'au plaiſir de leur maiſtre) certainement, Sei
gneur, ta demande eſt en celabien ſuperflue, puis que noſtre fidelité deſia
, tant de fois eſprouuée, te doit faire croire que nous te rendronsàiamais
La ponce tout deuoir & obeyſſance, & ſile paſſé n'eſt ſuffiſant, tu en peux faire en
† cores eſpreuue pourl'aduenir : Ferez-vous doncques,leur diſt-ilalors,ce
***" laoüie vous enuoyeray? commande, reſpondirent-ils, & tu verras ſi tu
- n'es pas promptement obey : Ie veux,adiouſtaS elim, que vous commen
ciez de cette heure, àvous mettre en queſte de mon frere Corchut, & de
-
ni a " les enfans † IllCS freres OIlt laiſſez apres eux, afin qu'eſtans trouuez
§ & prisvous me les ameniez incontinent : queſivous y manquez apreºvº
ſtre promeſſe, & que vous en laiſſiez eſchapperyn ſeul,vous ſentirezàvo
ſtre dommage quelle vangeance ieſçay prendre des refractaires & ##
- - cs, , x ---

;
/ desTurcs, Liure troiſieſme. . 277
ſides. ce qu'ayans entendu ,chacun auecques les Iennitzaires, ſe diuiſe- . - | , l'

rent par trouppes & s'eh coururent tous, meſmes volerent quaſi dllX
lieux oui ils penſoient trouuer Corchut, & les enfans des freres de leur -

Seigne LII - - | - • !

isselim
Mais S quiiugeoitbien
q 8 quele pplus $grandmall qquipourroit
q p arriuer - Il prend luyS- - -

àl'Empire, & les remuemens qu'on y pourroit faireviendroient pluſtoſt †


de lapart de ſon frere que des autres, il print ſur luy la charge de ſe ſaiſir de †
Corchut : il commanda doncques que dix mille hommes de cheualfuſſentº
preſts dans trois iours,par ce qu'ilvouloitfairevne courſe ſans eſtre deſcou
uert, entre leſquels dix mille, Menauin quia eſcrit cette hiſtoire, dit qu'il
en eſtoit vn. Aubout de troisiours, comme ils eugent vn peu cheminé ils
deſcouurirent qu'ils tiroiét VcI'S la Mangrelie,oùCorchut s'eſtoit retire,ne †" "
penſant rié moins qu'a ce que Selims maginoit,ny às'em parer de l Empi- e Corchut. r

re, mais paſſant ſon téps àl'eſtudeauoitmisſous le pied toutes ces vanitez,
saſſeurāt que ne remuant point, ſonfrere Selimle laiſſeroit viure en repos,
mais ſi ſa croyanceauoit eſté legere,ſon eſtonnement fut encores plus ſou
dain, quandvnſeruiteur d'vn des Baſſats de Selim, le vint trouuer en la --"

†lusgrande diligence
eſtoit fort proche quiluy
de là, enfutintention
poſſible pourl'aduertir
de ſe ſaiſir de ſa que ſon frere
perſonne Se- on laiserie
: ce que A*
-

ayantentendu, apresauoir faict vn bon preſent à celuy quiluy donnoit †


cet aduis, il ſemit enfuite auec vn ſien Baſſa auparauant qu'il peuſt eſtre ſa perſonne |

ioinctPar les trouppes de Selim,quiarriuerentauecleur Seigneur le lende


mainau Irmatin, &auſſi-toſt enuironnerentle Serrail & rompirent les por-1s, gourres
tes, croyans de le trouuerencoresaulict, puis ayans pris pluſieurs courti-†
ſans & E unuques, & les ayans misàla queſtionpourleur faire confeſſer où # cº
:
cſtoitCorchut, ils firent tant qu'ils ſceurent qu'ileſtoit partyla nuict pre- "
cedente, 1mais qu'ils ne pouuoient pas dire oü il eſtoit allé,bien ſçauoient
ils qu'vn ieune hommel'eſtoitvenu aduertir, & que celal'auoit faict met
tre enfuite : Selimſevoyant deceu de ſon entrepriſe, enuoya des eſpions perquiſien
partoute la contrée, pour deſcouuriroüil ſe pourroit eſtreretiré, & cepen-†" .
dantfit ſaiſirtoutes les richeſſes qu'il trouuaau Serrail, & chargerſurſesga
lºres, Puis enuoya le tout à Conſtantinople, mettantmille hommes en
ganiſon dans le Serrail auecques vn chef pour ſe prendre garde de la
cité, luy cependant ſe retira à Burſe penſant que Corchut ſe fuſt retiré
en Italie..
Lºquelau ſortir
ºººCandie de ſon Serrail
ſoubsvnhabit auoitmais
deguiſé, bientous
taſché de ſe ſauuer
les paſſages à Rhodes
eſtans clos, & V I. •

leº8ºoiſſant que ſon cruelfrereauoitmisdes eſpies de toutes parts pour corchºtº


ſurPrendre , & qu'il luy eſtoit impoſſible de ſe ſauuer où il deſiroit, il #
º Par les ſolitudes desmontagnes & profond ſilence des foreſts, où""
So
ºVºo1t de
_N
racines d'herbes & de miel ſauuage, & en fin ſeretira envneca
- - - - - - -

§ °tivnTurc,
quifutcauſe ditdeſcouurir
de le faire Menauin, : luy
-
portoitàmanger
toutes-fois -
le matin
ily ena d'autres
- -
le ſoir, #
qui& adiou-2
. ſuit#r d432 !<z! ::
- • - » -
-

-
à
V

ººey
ºntla de la trahiſon,
mercouuerte & diſent
d'eſpions pourqueſurprendre
BoſtangiceBaſſa, gendre
Prince, de Sclim,
fit publier · ſaº» ;
que † 2 & rºi , -' "
jº - ·/ Mm iij
A # º

/
#

* | ºt; ,
-

)
-
- , • - b *. -

278 Continuation de l'hiſtoire


† diroit le lieu où eſtoit caché Corchut, ou le meneroit vifàSe
lim, ou luy en porteroitla teſte,ſeroit recompenté d'vngrand & riche pre
Tab, par va ſent, vnmeſchant eſclaue de ce deſaſtré Prince l'alla deſcouurir, aueuglé
*º d'auarice,pour le moins parl'eſperance,car d'ordinaire les Seigneurs Otho
II1aI1S ilC § point tels traiſtres impunis ayans ce qu'ils demandent,

Les ſeigneurs oſtans du monde vnmeſchant homme, & ſauuans


Othomans ne )
qu'ils promet †
§ tent, qu'ils ne † ent que fort rarement, & veu que cela eſt, commeil ſe
†" void par toute l'hiſtoi hiſtoire, ie m'eſtonne comment ils peuuent trouuerdes
§ de leurs cruautez, & c6ment les derniers venus ne prennétpoint
exemple ſurleurs deuanciers, tantl'argentaueuglelaraiſon,qu'iln'ya pe
ril, ne difficulté,ny meſchanceté où nous ne nous expoſions, & que nous
ne voulions commettre pour en amaſſer. -

Selim aduerty A peine Selim eſtoit arriué à Burſe quandon luy rapporta ces nouuelles
§ qui luy donnerent vn merueilleux contentement, ſe voyant deliuré de
" beaucoupp de pein
- peines & de ſoucis, ſi ſonfrere ſe fuſtretirévers les Chreſtiés
) r

& à laverité, veules guerres qu'il eut depuis, tant en Perſe qu'en Egypte,ſi
on euſt euvn chefducoſté de l'Europe, on luy cuſtbien § de labeſon
gne, pourueu que les Chreſtiens euſſent pluſtoſt choiſy de tirer le ſangde
eurs ennemis que le leur, mais de toutes ces choſes l'eternelle Prouiden
ce en auoitautrement ordonné. -

Selimayant la proye qu'ilauoit tant pourchaſſée, rebrouſſe chemin, &


sºin eaueye commeilfut proche de luy, il enuoya † il deuoit arriuerlama
†" tinée ſuiuante,vn ſien capitaine, que le commentaire Verantian appelle
ºº ººº Kirengin-oglans, ſurnommé Chiorſemal, c'eſtàdire quialaveuë detra
uers, & que celuy qui le trouua dans la cauerne s'appelloit Caſumes Ca
· pitzi Baſſa, lequcleſtantarriué dans ſa cahuette, ſur la quatrieſme heure de
-
† nuict, & le reueillantluyapportaletriſte meſſage de ſamort, à quoy le
-

'
deſaſtré Prince ne ſçachant quel remede apporterſinon de ſubir à ce cruel
† arreſt, en tirant vnprofond ſouſpir de ſon eſtomac, il pria humblement
§ le capitaine deuant que de le faire mourir, qu'il luy donnaſt quelque peu
#rºººººº de temps, pour pouuoir eſcrire ſeulement vne petite lettre à ſon frere: ce
- . que le capitaine luy ayant volontairement accordé, comme il eſtoithom
me d'vne grande & profonde doctrine,ileſcriuit des vers ſur le champcon
tre Selim de telle ſubſtance.

| Subiect des
A cruauté m'a faiét apprendre ce que i'ignorois encore, ayant trouué plus
vers de Cor
chut.
# dhumanitéparmy les beſtes les plus cruelles que dedans ton cœur : le t'auois -

cedé l'Empire, & tumechaſſes de mamaiſon, & t'ayantpreſeruélavie, tu


me donnes la mort. Quand i'ay veſcu parmyles miens, tous m'ont aimé e9 reſpe
ſ
*

cié: ſiieſuis venu dans les deſerts toutcequt eſtoit deplus agreſte & ſauuages eſt don
/ - - - - 2 -

né à moypour meſeruirdenourriture: Iln'ya que toy, ingrat & barbare, de quiiaye


receu du deplaiſir.Mais, dymoy,leplus ſanguinaire detous les hommes,en quoytº
uoit peu offencer Corchut pour luyaduancerſes iours, apres s'eſtre demis de toutceqº
- eſtoitſien,& s'eſtre retiré dans la ſolitude deſacontemplation, ſansſemeſler dautrº
• affaires, que de celles deſatranquilité, content dupeu de reuenu queſonpereluy auoit
laiſſé?
/

| des Turcs, Liure troiſieſme. 279


liſéePourquºyperfide luyauois-tu iuré vneſifraternelle amitié, puisqu'au milieu de , !

tes plus eſtroicts embraſſemens tu deſirois, comme le Poulpe, te repaiſtre deſoncaur?


E cance de vipere, quias mis à mort celuy qui t'auoit engendré, pourquoy veux-tu
tei lre deſangle Sceptre venerable des Othomans, qui ont choiſy lacouleur blanche
pourmarquedeleur candeur & purete # Furieinfernale,tu taſches darracher cette il
luſtreplanrepartoº inexorable cruauté, mau le DIE v tout-puiſſant qui la eſleuée à
ynetelle hauteſſe, la conſeruera, & leſanginnocent de mon frere, de mes nepueux
grlemien reialiſſantiuſques au troſne deſamaieſté, impetreront deſaiuſtice, que toy
quiesſiauide duſang de tes proches, periras toutplongé dans le tien, & labourrellerie
§ntinuelle que tuferas, tant des autres peuples que de tes propres ſubieéts, tranchera
lecours de ron regne, auparauant que dauoirgouſté detes conqueſtes, faiſant finir tes
iºurs au milieud'vne hayne publique , eh laiſſant apres ton ame dans despeines qui
n'auront iamais defin.

| Telle fut la fin des deux freres de Selim, Achomat & Corchut, pitoya
bleàlaverité, principalementpour le regard de Corchut, Prince tout pai
ſible, & duquel l'eſpritvuide d'ambition, n'aſpiroit qu'à paſſer ſa vie enre
pos,ſans ſe meſlerde toutes cesvanitez, quibouffiſſent & ruinent ordinai
rement Ies plus grands courages, & neantmoins il ne laiſſa pas de † ſous
-
le glaiue ſanglant de Selim auſſi-bien qu'Achomatquiauoit pris les armes
contre luy - Or ſelon quelques-vns, Selim fit mourir ſes nepueux lors qu'il#
hyuernoit à Burſe deuant que d'auoir terminé laguerre contre Achomat,
lesautres diſent que ce fut à Conſtantinople que fut priſe cette delibera
tion, il y a de l'apparence en l'vn & en l'autre , mais comme cela n'eſt pas -

beaucouP important, tantya que les annalesTurques ſontd'accord qu'en


vnmeſme temps on conta ſept de lamaiſon Othomane,que Selim fitain #
ſicruellennent mourir, entre-autres Muſtapha, le fils de Tzihan Scach, .
† nousauons faictmention cy-deſſus, lequel Menauin dit auoir eſté #
deſig#de force, que ſon oncle luyayantenuoyé le bourreau pourl'eſtran †º
gler,illuy baillavntel coup de poing qu'illuy rompit le bras,&àvnautre "
quieſtoit venu à ſon ſecours,illuy donna vn telcoup d'vntranche-plume,
ditl'hiſtoire (ſi ce n'eſt pluſtoſtvn petit poignard que nous appellons vn
ſtilet) † demeuramort ſur la place : de ſorte que Selim quivouloit con
rageuſe deffence de ceieuneſoncœurd'vn
ºesyeux,&repaiſtre ſicruel
Prince, enuoya deuxſpectacle, voyantla
des plus forts cou #º
hommes C ) CllIIl. ,

,
l !
»!

† ileuſt, leſquelsapresauoir luitté quelquetemps contre luy, finalement
#ºuuerent moyen de le lier puis l'eſtranglerent. Ces deux, à ſçauoir
Corchut & Muſtapha furent fort regretez de tous les Turcs en general: de
ººque toute crainte & diſſimulation miſe ſoubs le pied, ils ne ſe pou- cºrchu &
ºººempeſcher deles pleindretout haut, & de dire qu'on ne les auoit #
Pºre mourir qu'auecques vnnotable danger delaRepublique,leurin-º
ºººe, leurbonnevie, & les raresvertus dont ils eſtoient accomplisme
ºººbien dereceuoir quelque priuilege à la couſtume ſanglante de leur
maiſon, Puis qu'ils n'eſtoient tous deux portez qu'au bien & àl'accroiſſe
mentd'icelle , & que tous deuxrendoientſivolontaire obeyſſance àl'Em
-

•ai i =ii --
7

|
28o , Continuation del'hiſtoire
pereur : ſi queleurs † eſtans paruenues iuſques à ſes oreilles,lanature
| 1,me, le non le naturel, luy força deiettervne abondance de larmes, & defairefai
crocodile re des prieres pour eux quelque eſpace de temps, ce qu'ilfaiſoittoutcsfois
- comme ie penſe, de bon cœur & non ſans quelque contentement,aſſeuré
t,
: que ceux-cyne le † plus troubler & à la verité ſi nous pouuons
: -
en quelque façon faire vn rapport des choſes modernes aux anciennés, ie
trouue ce Prince plus ſanguinaire, & plus cruel que Neron quicommanda
|

e bien le mal, mais qui n'ena iamais eſté le ſpectateur, & en a touſiours de
ſtournéſesyeux, toutes-fois pour faire bonnemine il commanda à toute
ſa cour d'en porter le deuil, & meſmes ayant deſcouuert quinze de ceux
† quiauoient† Corchut, illeur fit à tous trancher la teſte, & ietter leurs
--,

, | decorchue corps dans la mer : diſant que ſi la mauuaiſe fortune le contraignoit vn


iour de s'enfuir,ilauroit pareillement à ſe craindre d'eux,tantilfaiſoit mau.
-
uais auoirà faire à ce Tyran, carle refuſant, ou executant ſes commande
-

mens, ilyalloit touſiours de la vie.


·- S'eſtant doncques ainſi deffaicttant de ſes freres que de ſes nepueux,&
s'eſtant emparé des Prouinces qu'ils poſſedoient, il mit par tout des San
iacs à ſa deuotion, mais ſurl'Amaſie, ou Capadocc, où commandoitAch
, met,ily cômit Chemdem ou Chendenem, puis ilvint paſſerl'Heleſpont
- i

au deſtroit de Galipoli, & de là s'envint à c§ , s'exerceantàla


pluſieur, Am. chaſſetout le long du chemin. Arriué qu'il fut à Conſtantinople, il trou
,
« † uapluſieurs Ambaſſadeurs, quiaunomdeleurs Princes, ſe venoientcon
Selim. iouyrauecques luy, tant de ſon aduenement à la couronne, que de l'heu
- reux ſuccez de ſes guerres & de ſes affaires, n'ayant plus d'oreſnauant de
competiteur quile †
troubler en ſa domination, entre les autres Am
, baſſadeurs eſtoit celuy du Sultan du Caire ou d'Egypte, que Selim reccut
auecquesvn fortbonviſage, auquelayant donné vn fort riche acouſtre
mentille renuoyafort honorablement.Apres cettuy-cyſe preſenta celuy
preſ du Roy du Roy des Perſes IſmaelSophy, lequelau nom de ſon Roy, venoit prc

†"* ſenter à Selimvnfortgrand Lion,Selim qui comprenoit aſſez que ce Hie
roglyfè le vouloit taxer de cruauté, ſemit en fort grâdecolere contrel'Am.
soi - baſſadeur: Pourquoy,dit-il, ce Prince là qui nous eſt ſi contraire & ſigrand
-

luy. enncmy, parvne certaine profonde malice nous enuoye-il des bcſtes fa
rouches quine ſont propres †
deſchirer & mettre en pieces les paſſans?
E. , de grand
†º d'autant, reſponditl'Ambaſſadeur,
& Royal qu'il eſt bien ſeant de preſenter à vn
courage comme le tien, la beſte la plus courageuſe & la
--,--:-|,--

lus Royale de toutes. Au contraire, dit-il, ſon ſeul deſſeinga eſté de me


faire du deſplaiſir, & là deſſus le renuoya ſans aucun honneur, nyſans en
Selim enuoye faire cas, meſmes iuſquesànele vouloir pas regarder, & ſi quand ilfut de
# ºtou en ſon logis, il luy enuoya quelques grands chiens quiauoient la
-
' bouche toure enſanglantée pour les emmener quant & ſoy en Perſe, & en
-
--

faire preſent au nom de Selim à Schach Iſmael, commandant


# mentaux ſiens quel'Ambaſſadeur Perſien euſt ſans aucun delay, à ſe reti

§ra§ §e il
| ſortir.
rerſeroit
deuers ſon maiſtre,
arriué & †
paſſé les bouches ce
en Aſie, onl'accompagnaſtiuſquesà duqu'ilfuſt
Boſphore,comme
dehors des
-:-

terICS

"
:
des Turcs, Liure troiſieſme.. 281
# terres des Othomans, comme fut renuoyé cet Ambaſſadeur,Selim voulut
# auſſiouyr tous les autres Ambaſſadeurs auſquels ilſatisfit & leurayant don
né reſponce à tous , les renuoya deuers leurs Princes.
Ilne reſtoit plus que celuy des Hongres, qui eſtoitvenu dela part d'V- vII. - 1

ladus Roy de Hongrie, dela famille des Iagellons, lequeleſtant introduit -

deuant S elim, illuy demnndapour quel ſubiectilvenoit à la Royalle por


tedes O thomans à l'autre luy reſpondit que ſon Prince le Roy des Hon- LAmbaſſider
gresayant entendule treſpas'd'heureuſe memoire Baiazeth le grand mo-#e †
#erateur de l'Empire Turc, auecques lequel il auoit euevne † §#
alliance & amitié l'auoit enuoyé, tant en ſon nom qu'en celuy de tous*"
les peuples de la Pannonie, teſmoigner à ſa grandeurl'extreme COj]te1]te
Imc1lt qu'ils receuoient tous de ſafelicité, & là deſſus deduiſit particulie-.
-

rement les articles & les pactions del'alliance que les Hongres auoient euë +
· cy-deuant auecques ſon pere Baiazeth, & leſquelles ds eſperoient conti
nueràl'aduenir par pluſieurs années, voire à touſiours s'ill'auoit agreable,
qu'ils eſperoient que ſa maieſté feroit garderauſſi religieuſement & auec-, 4

ues autant de fidelité les conditions de cetaccord,commeauoit touſiours


§ ſonpere, & que toutes-fois s'ily vouloit adiouſter ou diminuer
quelque choſe, qu'il eſtoit venu auecques tout pouuoir, tant de ſon Roy Superbe reſ.
que des Eſtats dupays pour negocier cette affaire : Selim reſpondit aſſez § §
inſolemnnent & ſuperbement : ô Gauré (c'eſt vn nom que les Turcs don- †º
nentaux Chreſtiens, comme ſi on diſoit Payen ou infidele) ce vieillardº
toutchargéd'ans, qui afaict alliance & contracté amitié auecques vous, | .
duquel tºi tevantes tant, & que tu loües pour l'auoir ſi long-temps & ſi
ſainctement gardée eſt mort, & par vn droict de ſucceſſion ſon Empire
m'eſtlegitimement deuolu,ſibien que celadepend maintenant de mavo
lontéd'entretenirles pactions qu'ilafaictesauecques vous ou de les reuo- -

quer, ce que ie feray ſans doute, ſi de troisans en troisans vous ne me ren- - |

deztribut , que ſivous envſez ainſi, vous ferez fort bien, mais ſi vous fai
' ctesautrennent, preparez-vous hardiment à la guerre; car ie vous aſſeure -
quevous ne m'aurez ſitoſtrefuſéletribut, que vous ne latrouuiezincon
tlnenta vOS portes. -

LAmbaſſadeurayant entendu
ondit-il - -
ces choſes, quant à cela, Sire, luy reſ
V - - ſm / .
..L'Ambaſſadeur
, .,
p , ie ne puis que reſpondre àvoſtre maieſté, car comme maprin-§
cipalelegati6,&la principale cauſe de mon arriuée en ce pays ſoit pourluy †º"
partic. . -
rendre teſmoignage dela ioye que mon Prince & ſon peuple areceu de ce * - | |
que le redoutable ſceptre des Othomás eſtoit tóbétrouueroit
eſc ºr quelque clauſe que peut-eſtre ſa hauteſſe
entreſes mains,& pour
trop obſcu
re.Mais
eſtdeu
Cfl
quätau §
ounon,&eeſt àluy àſeulquiatout pouuoit ſur nous,ſ,ait s'illuy
ſe † en luy-meſme,s'il en doit payer
augrád M onarque Othomâ, en ayât premieremét deliberé auecles Eſtats
duPays : mais voicy que pourra faire voſtre hauteſſe, qu'elle enuoye vn
Ambaſſadeur auec moy, quiface en ſon nom cette demande à mon Roy, #
*aux Potentats du Royaume, & lors elle pourra facilement cognoiſtre de ſes mains.
Tº ſera leur reſolution Selim fortſatisfaictdel'honneſte reſponce de ·
Nn

:
:
-

-|I

i
*
282 | Continuation del'hiſtoire
| | | cet Ambaſſadeur, enuoyant auecques luy vnTzanſio, c'eſt à dire, vn des
s avoy. plus nobles courtiſans quel'Empereur Turca de couſtume d'enuoyer en
# # pluſieurs & diuerſes commiſſions, & principalement d'Ambaſſades vers
-
- †º
but.

tanPrinces,
Othoman, demander
pourmais ce tributau Roy
les Hongresauoient de Hongrie,
le cœur au nomduSul
trop noble & trop bien
-
: aſſis, pour s'allerainſi rendre tributaires aux Turcs ſans cou # ferir, ſibien
qu'ils'en retourna ſans rienfaire, & cependant Selim s'en alla à Andrino
ple, où il paſſaſon hyuer. ·
##: - -

Ce quiluy faiſbittenircelangage,venoit de ce qu'ils'imaginoit deſiala


Deſſeins de Se- conqueſte del'vniuers commeilſevid paiſible poſſeſſeur & parfaictement
§ eſtably enſon Empire, & deſiroit infiniement de dompter les Hongres,
- |

†º
tre l'Italie. ſçachant qu'eſtans la porte dulogis du Chriſtianiſme, il entreroit comme
illuyplairoit apres dans la maiſon, mais iln'auoit pas moins de deſſeingſur
l'Italie, où il commença à tourner toute ſa penſée, ſe perſuadant de la
- | † facilementſubiuguer, la trouuant foible & fort trauaillée par les
ngues guerres paſſées : mais ce qui ſeruit encores d'eſguillon à ſon ambi
| --

Ambºº * tion, c'eſt qu'ily eſtoit incité parl'Empereur Maximilian, qui ne penſoit
mpereur.
† autre choſe, § de Veniſe, qu'à la ruine des Venitiens : de ſorte
• || ) - - • ^ • - > N | • - -

|
, † qu'il enuoyavnAmbaſſadeuràConſtantinople, pourremonſtrer à Selim
† la † commodité qu'il auoit d'aſſaillir l'Eſtat maritime de cette Re
" publique,tandis qu'auecques ſonarmée illes attaqueroitpar terre : celafut
, cauſe que ſur cette attente Selim fit armer pluſieurs vaiſſeaux & en refai
, re d'autres durant qu'il hyuerna: mais comme ilauoitl'eſprit àvne guerre,
on luy en preparoit vne autre, & lors qu'il penſoit occuper le bien
d'autruy, on le força de ſe mettre ſur la deffenſiue pour conſeruer le
ſien. -

-
VIII. Carl'Ambaſſadeur des Perſes eſtantretourné vers Iſmael, & luyayant
Guerre eontrc raporté le traictement qu'il auoitreceu de Selim , il entra en ſi grande cole
-
§" re qu'il iura de s'en vanger à quelque prix que ce fuſt, & deſ ici comme
-,
· leur alliance n'eſtoit que ſimulée, & en attendant quelque occaſion de
prendre ſon compagnon à l'aduantage, il ne falloit pas vn grand outrage
i
º
our denoüer ce nœud, & aliener des volontez, qui n'auoientiamais eſté
§ reunies. Toutes-fois Iſmaelnevoulant point qu'on creuſt qu'il euſt
| -

eſté le principal autheur de cette guerre, ny le premier qui euſt violé la


Amurath fils † ils'aydad'vnautre moyen qu'ilauoit en main, c'eſtoit Amurath Ze

# lebi, le fils duSultan Achmet, qui s'eſtoit retiré à refuge chezluy, pour
§ ſºn obtenir quelque ſecours contre ſon oncle. Or Iſmaelauoit tenuiuſques
| " ' alors ſesaffaires en longueur : mais cet affront qu'ilauoit receu de Selim en
| ſon Ambaſſadeur,luy futvn coup d'eſperon pour ayder plus promptemét
à ce pauure Prince derentrer dans ſon heritage.L'ayant doncquesfaitvenir
& conferéauecques luy des affaires des Othomans, il le trouua en toutes
·
choſes ſiaduiſé, qu'il eutvnegrande eſperance qu'il conduiroit heureuſe
n q ſ a pourl'encourager
fille.
ment cetteguerre, d'auantage,
& donneroitbeaucoup d'affaires aux Turcs, ſibien que
& pourauoirluy-meſmevnfondementde
' plus grandeapparence pourleſecourir, illuy donna ſafille en mariage, &
auſſi-toſt .
- V.

des Turcs, Liure troiſieſme · 283


auſſi-toſtl'enuoyaauecques dix mille cheuaux ſe ruer ſurla Natolie, & luy
A §ſeillant de paſſerl'Euphrate, pres d'Arſenga, pour entrer par là dans la
capadoc°, commandant à Vſtaogli ouVſtagelu-ogli, capitaine fortre
§mmé entre les Perſes, de ſuiure Amurath à vneiournée pres ſeulement
j de I'autre, luy donnant la meilleure partie de ſon armée, & quant à fa
erſonne, ilſe retira auecques le reſte en Armenie, de crainte que les mu- oris qu'Iſ
nitions
•!
luy failliſſent,l'armée ayant à paſſer par des lieux ſteriles
/ - • •• A > « - v i{l -
A^.
&< non fre-†
-
döneu'ilàlaguer
- C -

· quetezz ſi elle euſteſté ſigroſſe,ioinct qu'il eſtoit là ſur lesaiſles, tât pour ſe §
§urir 1es ſiens, en cas qu'illeurarriuaſt †
deſaſtre, que pour ſurue-ſ§.
nitaux neceſſitez de larmée. Ayant donné tel ordre à cetteguerre, Amu
# tath ſuiuant le conſeilde ſonbeau-pere, entraàl'improuiſte parl'Armenie
# mineur, ſurles marches de Capadoce, Qù il ſe rendit maiſtre de quelques courſes d'A
m
#
villes par la pratique de ſesamis, & de pluſieurs autres qu'il mit à feu & à † ""
#. ſang: cela donna telleterreur à toutelacontrée, que la meilleure partie des
euples ſe venoientrendre volontairement à luy, ſibien qu'il ſe fuſt rendu
§ de toutel'Amaſie, ſi Chendeme, perſonnage excellent au faict
de laguerre, quiauoit le gouuernement de cette Prouince,& duquelnous #y
· auons parlé cy-deſſus, n'euſtraſſembléle plus de forces qu'il peut & ncfuſt e# #.
, allé au deuant de luy, iuſques à Sebaſte ou Siuas. · - -

| Or auoit-il deſia donñéaduis de ce remuëment à Selim, quand ilreco


gneut Par ſes eſpies que les Perſes auoient paſſé l'Euphrates auecques
Amurath, mais que le bruit eſtoit fortgrand que le Sophy venoit en per
ſonne, ce qui auoit apporté pluſieurs nouueautez par toute l'Aſie : de #º
ſorte qu'onvoyoit tout † lafoy des peuplesbranſler pourl'in-§.
clination particuliere qu'ils auoient à l'endroict du Sophy, qu'ils hono-*hy. .
roient & deſiroient bien plus en leur cœur que leur naturel ſeigneur. Ces *

#
• *
· nouuelles firent bien corriger le plaidoyé de Selim, il eſt vray que les deſ ?.

ſeings qu'il auoit contre les Chreſtiens luy ſeruirent beaucoup en cette 1esprepaº
guerre
auoit-ildes Perſes : car comme il auoit pluſieurs grandes entrepriſes, auſſi auoit
Pluſieurs # faits cö

uoya don cques engrands preparatifs,


diligence qui par
des courriers luyvindrentfort à props.
tous les cantons de ſonIlen-§.
Em-† ſer
tlCfl t COIltIC

pire, & Principalement en la Romelie Europeanne & Aſiatique, qu'il ºº


auoitvne grande expedition à faire, qu'il deſiroit executer promptement,
& partant qu'au commencement du Printemps qu'ils ſetinſſent preſts à -

marcher, & fiſſent prouiſion de toutes choſes neceſſaires pour continuer # |


, lºguerrevnandurant. Ils'eſtoittoutes-fois declaré à ſes Baſſats auecques te parts
ſerment de prendre ſi rigoureuſevangeance de ces Caſſelbas,qu'il en ſeroit
ºoire à iamais, & qu'il neceſſeroit de la pourſuiure qu'il ne fuſt arriué seſ ution de
àTebriſe ouTauris,ville capitale des Azemiens, & reduit Iſmacl à telle º
extremité, que deſpouïllé de toute commodité, & de ſon propre Royau-,
me,il ne ſeeuſt plus de quelcoſtéſetourner: & defaict il aſſembla, diſent
les annales Turqueſques ,iuſques à quatre cens mille hommes : Paul Ioue †
n'en dit que la moitié, & outre le grandappareil qu'il fit de toutes choſes, i les perſº .
il fit ºcores conduire auecques luy de fort grands treſors pour fournir
ºs delaguerre : quelques-vnsadiouſtent encores qu'il fit trainer en
- Nn ij"

,
|

© e - • -\ º *

284 " Continuation de l'hiſtoire


--
cette guerre deux cens pieces de canon ſur rouë, & cent autres moindres
portées par des Chameaux, Dragoman dit par huict cens chariots, & qu'il
auoit trois cens mille hommes. . . · · · ·
** Ayant doncques quitté AndrinopleilvintàConſtantinople, oûayant
,-
l
aſſél'emboucheure du Boſphore à Scutari, que les Anciens appelloient
Paſſeauee ºu Chryſopolis, & lesTurcs Vſcudarim, il entra dans la Natolie, où toutes
§" les forces qu'ilauoit faictaſſembler en Aſie levindrent trouuer, & ſeioin
| dreaux ſiennes, qui ſe trouuerent ſigrandes que les annales tiennent que .
i, |
iamais Prince Othoman n'auoit faict vne ſigrandeleuée auparauant luy.
|
--
-
Amurathaduerty par quelques priſonniers, & par ſes anciens vaſſaux, que
cette effroyable puiſſance venoit fondre ſur luy, rauagca & embraſa tous
# les lieux par où elle deuoit paſſer, afin de tant plus l'incommoder, & s'il
# † eſtoit poſſible l'affamer, § grande enuie de combatre Chendeme,
| mais craignant la diligence de Sclim, & qu'il le ſurprintau deçà du mont
Selim.
l

Taurus, il s'en retourna vers Vſtageluogli : & de faictle Monarque Turc


, donna ſi peu de relache à ſon armée, †
fit, ſelon Paul Ioue, que tren
|. te repoſades de camp, ou ſelon les autres, ſoixante iournées iuſques à Ar
# ſanga, où ilvintioindreChendeme. Làvoyant legrand degaſt que l'en
† nemy auoit faict partoutes ſes terres, & † ſe retirant il auoit rompule.
--
pont de deſſus l'Euphrate, plein de douleur & de colere, il ſe reſolut de
· pourſuiure les fuyans à la trace, & d'entrer luy-meſme dans la grande Ar
·e , menie, mais pour ce faireil ſe preſentoit de grandes difficultez, comme
§ ceux qui cognoiſſoient les regions le ſçauoient par experience : ioinct qu'il
,i -#º fallôit que les ſoldats qui eſtoient venus à pied en Capadoce d'Illirie, de
† Myſie, d'Albanie & de Macedoine euſſent à ſouffrir nouueaux labeurs, &
ſouffriſſenttantoſt defort grandes froidures ſur lemontTaurus, & de tres
vehementes chaleurs en la plaineauecques la faim & la ſoif, & preſque vn
- extreme deſeſpoir de toutes choſes, pour le degaſt que les Perſesauoient
faict partous les champs & villages en s'en retournans. A tout cela onad
Rey d'Arme iouſtoit qu'on laiſſoit derriere les Roys de la petite Armenie, & les Aladu
† liens § eſtoient ſecretement ennemis, & toutes-fois c'eſtoit de l'Ar
- #* † pouuoient eſperer ſecours de munitions, que l'Aladulien
- | auoit de bons hommes de guerre & bien aguerris, dauantage tous les
deſtroicts & aduenues qui conduiſent de la Capadoce en Armenie, & en
Perſe eſtoient toutes commandées par des fortereſſes, qu'il auoit remplies
defortes & puiſſantes garniſons:cartous les Montagnards luy obeïſſoient,
§ ſeigneurie le long de l'eſchine du mont Taurus, depuis les
ra , Scordiſces, quiconfinent à lamer, iuſques au mont Aman, par lequel la
ſ§ie
Aladuliens.
de Cilicie ſe conioinct à la Surie. Ces difficultez eſtoient repreſentées par
". - • A •* » V ». - -

Chendeme à Selim pourle diſſuader d'vn ſilongvoyage, oùs'il arriuoit du


-
deſaſtre,ilnevoyoit point de ſecours pour mettre ſuspiedvne autrearmée,
ny pourreſiſteraux Chreſtiens s'ils ſe venoient ietter ſur les Prouinces de
l'Europe, qu'ilne craignoit pas les Perſes, mais qu'il redoutoit que lafati
gue & les meſaiſes d'vn ſilong chemin fiſſent plus mourir de ſoldats, que
'l'eſpée del'ennemy,& qu'ilvalloit mieux conſeruerleſien que ſe perdre en
-

- , • conqueſtant
-

,#
des Turcs, Liure troiſieſme. 285
conqueſtantl'autruy : maisSelim qui ſurmontoit toutes ces difficultez par
º la grandeur de ſon courage, & par vne ſienne propre & particuliere felici
té,voulant toutes les affaires eſtregouuernées par ſon conſeil & conduite, -

# commeileſtoitd'vne humeur ruſtique & maltraictable,ne printpoint de † #


' :-, bonne part lesremonſtances de Chendeme, encores qu'il viſt la plus gran- §
# de partie des ſiens eſtre de cetaduis, & luy-meſme repenſant plusd'vne-fois #cº
| ce qu'on luyauoit dit, mais la choſe l'Qffençoit d'autant plus qu'illa reco
l ·gnoiſſoitveritable, & toutes-fois contraire à ſon deſir : ſi bien que ſortant
# tout en furie du conſeil, il dit, que par terre amie ou ennemie, par che
· minsayſez ou difficiles, qu'iliroit prendre ſaraiſon des outrages qu'ilauoit
.. .. receus, & en remporteroitlavictoire, encore que ce vieillard pour le ſoin
# · de ſavie, craigniſtvne ſiglorieuſe mort. - · ' . -

: Les Courtiſans qui penſent que la plus grande vertu ſoit d'adherer aux
| humeurs du Prince, de ſe transformer en ſes volontez, & de luy manquer
- de foyauecques le changement de ſa fortune, commencerentincontinent
# de hautloüervneſitriomphante armée, & compoſée de tant de milliers #
# d'hommes comme la ſienne, mais encores plus ſon haut courage, quineſe sº"
: # pouuoit faire paroiſtre en de petites & legeres entrepriſes : que celle-cy
#. eſtoit difficile à laverité, mais puis qu'ils ne deuoient point ſeulement mar
cher ſoubs ſesauſpices, mais appuyez & enuironnez de ſa meſme felicité,
# qu'ils ne penſoient pas † des deſerts, ny des rochers peuſſenteſpouuen
a ter des ſoldats, qui dés leur plus tendre ieuneſſe eſtoient accouſtumez à r ,. .
ſ. - combatre la meſme neceſſité Pourquoy eſt-ce doncjues maintenant que chend#
cet homme ſivaillant & ſans peur,quiatant d'experience & de cognoiſſan- # : º
Jº,- ce desaffaires de cet Empire,vient-il eſbranler desvolontez deſia reſoluës
# au combat, & planter dans nos courages l'ignominie & la laſcheté ſoubs .
••# " vne couuerture de feintes&imaginaires difficultez?Que ce n'eſtoitpas cela ·
· • quile menoit, mais † aimoit mieux la conſeruation d'Amurath, que la
| " - proſperité deSelim: ils diſoient de
primerdeluyquelqueſoupçon tout cecy dedans
trahiſon ce pauurevieillard poureſtans
l'eſprit de Selim, im- §Leurs impe
pe

| enuieux de le voir ſiaduancé pres de leur Prince; & non contens de ces diſ
cours, leurmalice paſſaſiauant qu'ils ſubornerent desaccuſateurs,leſquels A

aſſeuroient qu'ilauoitreccu del'argent d'Amurath, pour retarder le parte


ment déſonarmée,luy donnant le temps de ſe retirer à ſauueté, à quoySe
limadiouſtafoy fortaiſement,ſibien qu'ille fit mettre à mort ſans l'ouir:
ce fut la recompence que ce vieilſeruiteurreceut de tant de ſignalez ſer- s, … an,
· -

- uices † auoitrendusà ce cruel Prince, qui s'eſtoit touſiours ſeruy de ſon eſtis°ºr.
1
conſeil & de ſavaillance, durant laguerre †auoit euë contreſonpere,&
-- depuis contre ſes freres , & toutes-fois cela ne l'empeſcha pas de le faire
• mourirpour luy auoir predit la verité & remonſtré ce qui eſtoit le plus ne- ·

• ceſſaire pour ſonbien, labataille qu'il gaigna contre les Perſes luy ayant . -

: apporté plus de perte que de profit, mais iflefaiſoit pour donner exemple Intention de
# - auxautres, afin que pas vn n'euſt la hardieſſe de luy contredire, voulant † #.
. ſº oſterlacouſtume d'vne ſemblable liberté de parler, & qu'on tint pour ora "
". de, ou pour quelque choſe diuine, ce qu'ilauroit reſolu de faire, ſe pri
j: -
, | \
- , -

Nn iij
/'
-

•.
•' e -, 15 1 . -

286 Continuation del'hiſtoire


uant par ce moyen du ſeul bien dontiouyſſentles Prinçes, qui leur arriue
:
- ſiconſeiller.
rarement qu'ils doiuent tant deſirer, à ſçauoir d'auoir vn bon & fidele
| • " " ·· ·

X.
à

Pourſuiuant doncques ſapoincte en la façon qu'ilauoit reſolu, il fitad


| uancer ſonarmée & paruint ſur les frontieres des Armeniens &Aladuliens,
-
· A tamaeae & afin d'auoir toutes choſes plus fauorables, il leur enuoya ſes Ambaſſa
-

-
# deurs, pour les ſemondre de faire une ligue & ſeioindreauecques luy con
meniens & A

, i§ tre les Perſes, chacun s'employant en cette guerre à frais communs & ar
† mes communes,pourles
re finie, depoſſeder
chacun partageroit de lagrande
la deſpouïlle, Armenie, & que
& particulierement euxlaguer
quiau
,#i -|
oit.

roient la region voyſine d'eux quandilsl'auroient ſur l'ennemy: †


• | mais ces Roys n'auoientgarde d'entendre à cette capitulation; car comme
-

| ils hayſſoient eſgalement Selim & Iſmael, redoutans des Princesſi puiſſans
- : - pour leurs † , &ayans leurs terres ſituées au milieu des leurs comme
- · elles eſtoient, ils ne pouuoient qu'ils n'en fuſſenttouſiôurs foulez,comme
: : les foibles ont accouſtumé de l'eſtre des plus forts : auſſi luy firent-ils reſ
# . ponce que s'ilsauoient aſſemblé quelques trouppes, que ce n'eſtoit que
, · Leur reſp6ce pour la deffence de leur contrée, & non pour ſe rendre ennemis l'vn ou
, l'autre Roy, qu'ils n'eſtoient pas tels, qu'ils deuſſentiuger quant à eux, le
quel de deux ſi puiſſans Princes auoit la plus iuſte querelle, toutes-fois
ſi ſonarmée vouloit paſſer comme amie, & ſans faire aucuns actes d'hoſti
i -

lité, qu'ils luy donneroient paſſage aſſeuré, & quand il ſeroit entré en la
# grande Armenie, qû'ils luy fourniroient de munitions,autant que l'abon
-- | ° ! - dance du pays le pourroit porter:Selim s'eſtonnavn peu de cette reſpon
· ce, car il auoit eſperé qu'ils luy ayderoient de toutes choſes, & ſeioin

droientauecques , comme à laverité c'euſt eſtévngrand bien pour ſon
| se # armée d'auoir ces pays là à ſoû commandement : maisvoyât qu'il ne pqu
mode au tépº,
-- § uoit mieux, il penſa qu'ilfalloits'accommoderàl'eſtat preſent de ſes affai
† " res, & diſſimuler le reſſentiment de ce refus, de crainte que s'ils ſe decla
| | - roient ſes ennemis, ils ne luy fiſſent quelque rauage ſur ſes terres, tandis
ºr | -
: · qu'ilentendroit à laguerre d'Iſmael, & meſmes ne luy donnaſſent à dos
quandl'occaſion s'en preſenteroit.
ischeminque Eſtant doncques party du pays des Scordiſques, montagnes qui ſont à
:
| †,
Perſes.
la derniere
bout & plus Septentrionale
de huictioursaux partie du que
monts Moſchiens, mont de Taur,
le fleuue il paruint
Euphrates au
entre

-", - coupe, & † ſeparent la pctite Armenie de la Capadoce,continuans leurs
| croupes iuſques à Iber & Colchis, s'ouurans & donnans paſſage dans la
| | . | grande Armenie du coſté de Leuant, & de là mena ſon armée contre
• · mont le fleuue, qu'il coſtoya touſiours de crainte qu'i auoit d'auoir faute
d'eau, dreſſant tellement ſon cheminvers l'Orient, qu'il laiſſoit la petite
| | | | Armenie à la maingauche, & les frontieres des § & le fleuue Eu
| | Mont Paryar. phrates à la droicte,iuſques à ce que larmée paruintaumontParyardé,tres
- # # renommé, tant à cauſe que deux fleuuestres-fameus prennent leur ſource
mé & pour- » N •' » / N - || - - - - > 2

quoy. de luy : l'Euphrate à ſçauoir & l'Araxé, à trois lieues loing l'vn de l'autre:
# encores que d'autres diſent que ce ſoitdumont Abon, à cauſe que le Pa
-
ryardé

· :

-
des Turcs, Liure troiſieſme. 287
ryardé flechit vers cet Abon, l'Euphrate prenant ſa courſe vers le Ponant,
& l'Araxé à l'Orient, courant entre les deux le fleuue Tygris tout d'vne
meſme montagne, & diuiſant la campagne paſſe entre ces deux riuieres,&
prend ſon cours vers le Midy, s'allant engoulpher au ſein Perſique : mais
ce qui donne encores plus
tilité,voylapourquoy ceuxdedupaysl'ont
reputationauappellé
Paryardé, c'eſtàc'eſt
Leprus, cauſe de ſapor-p†
à dire fer- ellè Lé: - -

tant fruict: ces deux fleuues que nous venons de nommer, annobliſſans -

tellement cette region par la multitude deleurs canaux,que de champeſtre


& ſeiche qu'elle ſeroit naturellement, ils la rendent tres-fertile en toutes
ſortes de fruicts.
Or cependant que Selim diſpoſoit ainſi ſes affaires, & aduançoit ſon -

chemincontre ſon ennemy,le Perſienne dormoit pas,lequeladuerty que #


les Turcs auoient †en Aſie § vne ſi grande multitude de gens #º I
r
de guerre, & qu'il auoiſinoit deſiales confins de ſon Empire, il enuoya
force courriers partoutes les terres de ſon obeyſſance,auecques comman
N © - - V

dement expres à tous gens de guerre, & autres qui eſtoient propres à por
terlesarmes, de le venirtrouuer; à quoyayans promptement obèy, il ſe
trouua entre les mains,vnebelle & puiſſante armée, & pour donner plus
d'affaires & d'incommoditez auxTurcs, il fit faire le degaſt par toutes les
terres où ils deuoient paſſer ; afin que la crainte delafamine † conduiſiſt
à vnautre chemin, où ils euſſent encores pis rencontré: car c'eſtoient de
grâds & vaſtes deſerts, où leurarmée ſe fuſtinfailliblement perduë & diſſi-seniatentien.
pée ſans côbatre, à quoyiltendoit le plusd'autant † ce ſont lieux ſi arri
des qu'on n'y trouueaucune nourriture,ny pourles hómes nypour les che
| uaux : ce conſeilfutaſſez heureux à Iſmael, & s'il ſe fuſt tenuferme en ſàre
ſolution, àl'auenture la fin de cette guerre euſt-elle reuſſi ſelon qu'il ſel'e
ſtoitimaginé; d'autant que Selimpenſa perir de neceſſité parmyces ſolitu
des allanteriant de coſté & d'autre, ſi bien qu'eſtant party de Conſtantino-,
ple àlanouuelle Lune du mois Rebiuleuel, il n'arriua ſur les confins de la #
Perſe qu'auſecondiourdumois Rezeb, ſibien qu'ilfut quatre mois à faire º".
ce chemin. - -

Ayant doncques ainſi long-temps tracaſſé parmy ces vaſtes ſolitudes, sºlimayantet
ſans auoir euaucunes nouuelles de l'armée d'Iſmael, depuis qu'elle s'eſtoit †:
retirée de la Capadoce, il ſe campa pres la fonteine du fleuue, enuoyant †"
quelque nombre de cheuaux des plus legers pour eſpier & deſcouurir de
toutes parts quelle eſtoit cette contrée où ils eſtoient arriuez, & prendre
, parmeſme moyen quelques priſonniers quiles peuſſentinſtruire de l'eſtat
§
& des deſſeings de l'ennemy.mais les Armeniens,tant pourla crainte qu'ils
& auoientdel'arriuée desTurcs, que parle commandement d'Iſmael,auoiét
\º #
abandonné toute la contrée, par où ils penſoient qu'ils deuſſent paſſer, & , . .
encores partous les enuirons, ayans deuant que partir rourtagé iuſques à #
2

cººº lherbe & aux paſturages, emporté & bruſlé tout ce qui peut eſtre neceſſai- # &
zºº
;( repourlavie, & abandonné leurs maiſons : ſibien que ce qui ſouloiteſtre -

ſº
peuplé,n'eſtoit plus qu'vn deſert.Ces gens de ch § eſtans de retour, ſans
:º auoirpeuſurprendre perſonne,encoresqu'ils euſſent battu la contrée deux
#

|
-

, , ii i-ri-
-

º - - - , -

, 28.8 Continuation del'hiſtoire


iours entiers, ils rapporterent ſeulement la nouuelle de ce degaſt general
| || de tous biens, & qu'iln'yauoit que de fort larges campagnes, où on ren
t; . Rapport de, controit vne immeſurable ſolitude, par laquelle on ne pouuoit remarquer
†" aucune trace d'hommes ny de cheuaux, & qu'ils eſtimoient que leurs gui
j':
i *
- des qui eſtoient Armeniens, les euſſent trahis & les euſſent eſgarez de pro
, " " posdeliberé,les faiſans cheminer parvn pays où ils eſtoient hors d'eſpcran
|-
1 . ce de repaiſtre nyeux ny leurs cheuaux : cette peur s'augmenta encores à
cauſe des deux Princes qu'ils auoient à dos, & auecques leſquels ils n'a
# ' " .
uoient pas trop bonne intelligence : l'Aladulien à ſçauoir & l'Armenien:
• mais principalement l'Aladulien, carayant encores larmée des Turcs ſur
, ſes frontieres,ilauoitfourny larmée de munitions pourles premiers iours,
:, º 1 Aidalien mais quandilles vid entrez vn peuauant dansl'Armenie, il ſe rangea tout
l'
†º auſſi-toſt du party du Sophy, ne croyant pas que lesTurcs peuſſentiamais
-
ſe retirerauecleur honneur de cette entrepriſe, & qu'ils ne ſuccombaſſent
ſoubslebon-heur d Iſmael, qui par ſes armes inuincibless'eſtoit rendure
doutable à tout l'Orient. •
| X I.
- - - 0 N (
Ces choſesapportoient beaucoup d'ennuy à Selim, recognoiſſant par
- -

s§fort experience tout ce que le vieillard Chendeme luy auoit predict de cette
i, -
grande peine
qu'il ſçait deſ- contrée : toutes-fois il ne laiſſoit de monſtrer vn fortbon viſage, & d'en
#
ment à ſes ſol courager ſes ſoldats à ne ſe point eſtonner de leurs trauaux,les hautes &
dats. grandes entrepriſes , eſtans touſiours accompagnées de difficulté, mais
i,
- · qu'auccques vn peu de patience, il ſe promettoit vn heureux ſuccez, &
|
, d'emportcrvne glorieuſe victoire de leurs ennemis,s'ils auoientl'aſſeuran
: ritchercher ce de paroiſtre, cómeille falloit de neceſſité qu'ils fiſlent à la fin, & ſur cela
d'autres gui
#
† ayant fait rechercher de bons guides de toutes parts, ceux qui eſtoient les
5
#ººº † CX†
- - - -

aſſeurerét que ſur la main droicte outre Paryardé,eſtoit


-

| | a plus feitile partie de l'Armenie, ce qui le fit remuer ſon camp, & ayant
# : ! paſſé les commancemens dumont du coſté qui regarde vers la Biſe,iltour
: - l !
|
:
: navers le fleuue Araxé, au dcſſus de laville de Choïs,iadis Artaxata, ſelon
:
-

Caſſin Armenien de nation, qui fut en cette guerre, dit Sanſouin, où il fit
i paſſer ſa caualerie à gué, & ſoninfanterie ſur †
petits ponts dreſſez
i .
pourcela, car deuant qu'Araxéait receu dans ſon ſeinles riuieres qui ſour
1. .. dentdes palus de Paryardé, ſon eau eſt baſſe, & ſes riuages faciles à mon
-
§ § & ter. Mais Amurath qui eſtoit ſurl'autre riue, les print à fon aduantage, &
|'
"º les repouſſa,ſelon quelques-vns, ſi furieuſement, que pluſieurs ayans eſté
|
taillez en pieces,vne bonne partie fut contraincte de ſe ſauuer à nage,pour
- ſeioindre au demeurant de leurarmée, carlesTurcs qui n'auoient point
† à cette rencontre, †
-

l . 1., r , encores veu l'ennemy, & quine s'attendoient


tr§a ſoient cette riuiere en aſſez mauuais ordre, ſi bien que cette ſurpriſe leur .
reſiſtance au

· h· . § apporta
raxé.
auſſi d'auantage
Selimvoyant d'eſpouuente.
ce deſordre, & ne ſçachant comment eſcarter les Perſes,
-

| !
-

fit promptement braquer & tirer contre eux touteſonartillerie, qui mena
| . vn ſieſpouuentable bruit, que les cheuaux non encores accouſtumezàce
, | i ;.

|| | - tintamarre, ſeiettoienreſperduëment dans lariuiere; noyans pluſieurs de


t; ' ceux qui eitoient deſſus, le reſte ſe retira en la partievlterieure de lamonta -

gn$,
' !

•: !
,

i ) º
|

|
| des Turcs, Liuretroiſieſme. . 289
gne, les Turcs paſſans parce moyenla riuiere tout à leur aiſe, puis qu'il
n'yauoit plus de reſiſtance. Paul Ioue faict mention de cette premiere ren
contre, mais il dit que ce fut apres que les Turcs eurent paſlela riuiere, & Amurºih, &
qu'ils ſe furentcampez, Amurathayant ioinct ſes forces à celles de Vſtage-†
lu ogli, lequel craignoitlaperte de laville de Choïs,deſarmée & ſans def-º
&b

fence comme elle eſtoit, car cette ville eſt la retraicte des Roys de Perſe vne
grande partie de l'Eſté, à cauſe de l'abondance des fruicts qui ſont en cette
* contrée,pourlatemperie de l'air qui rend cette ville fort delectable & rem
" plie de tres-beaux edifices, eſtant encores arrouſée de fleuues & de fontei
nes, & quia de fort riches habitans, & V † ne vouloit pas que ,
cette ville, dit-il, ſi celebre, ſe perdiſt à ſaveuë ſans luy donner quelqueſe
cours, & que lesTurcs affamez, ſe vinſſent remplir & gorger des richeſſes † †
de cettecité: mais il ne faictpointmention d'artillerie, ny que lesvns ou §"
les autres ayent pour lors rendu quelque combat. -

- † qui ſur les rapports qu'on luyauoit faicts du chemin que tenoiét XI I.
lesTurcs, ne les croyoit pas ſi pres, ny qu'ils fuſſent entrez ſi auant dans
l'Armenie, auoit enuoyé la meilleure partie de ſes gens contre les Cora
xeens, qui habitoient ſur les riuages de lamer Hircanienne, & quiauoient #:
faict quelques remuemens au pays; mais à la nouuelle qu'il receut de l'ar-§ §
mée desTurcs, voyant qu'ilauoitaffaire àvn homme qui ſurmontoit tou- #.
te difficulté parlagrandeur de ſoncourage,ilraſſembla en diligence toutes "
ſes forces, que lesannales diſent n'auoirpas eſtémoindres de quatre vingts
mille hommes de cheual, non pas armezàlalegere comme les Turcs ont †
accouſtumé, mais armez de pied en cap à la façon des Europeens, ou plu- ſiours bien ar
ſtoſt ſelon les anciens hommes d'armes Perſes, de † ilya grande appa-† temps. "
· rence que nous l'ayons appris, & † ayent tou iourºentretenu leurs
anciennnes façons de faire. Vſtagelu-ogli s'eſtoit campévisà vis delavil
le, eſtant encores en cette opinion de retarder le combat le plus qu'il luy
ſeroit poſſible, s'aſſeurant que cette grande armée des Turcs ſe deſtrui
roit
danspar elleſans
le pays meſme, ſi elle demeuroie
ſe raffraiſchir, pluſieurs encores quelque
d'entre-eux eſtanspeu
deſiadeperis
temps Bºº aduis de
de Vſtagelu-ogli.
meſaiſe & de neceſſité. .
Mais Iſmaelquinevouloit pas eſtre ſurpris, eſtantvenuauecques toute
&O †
la diligence qui luy fut poſſible , vint ſe ioindre ſiens qui Armée
eſtoient deuant Choïs, les auant-coureurs des Turcs deſcouurirent auſſi maeſà Chois.
d'Iſ

· toſt cettearmée parvne nuée eſpoiſſe de pouſſiere qu'ils virent de loing,


| & par le henniſſement des cheuaux, ſi qu'ils iugerent quel'ennemy eſtoit
§ qu'ayans rapporté au camp, chacun auecques grands ſignes d'al-onfereſioºs
-
egreſſe, commencerent à s'eſcrier que le iour qu'ils auoient tant deſiré # º
eſtoitvenu, auquel ils auroient à combatre contre des hommes, & non
† contre la faim ny contre la diſette de viures. Et à la verité il y auoit 1 , ,
eaucoup de miſere par toute cette armée; car les gens de cheual, ou- # 2

ue que leurs perſonnes auoient ſouffert beaucoup d'incommoditez, §


leurs cheuaux auoient encores paty dauantage, ne trouuans rien de-º
Oo /
| ,

•,| - - \- • )1 • . -

--
| |

-,*-|
:
29o , Continuation del'hiſtoire
, -
quoy les pouuoir repaiſtre, pour le moins fort peu , & cependant ne
laiſſoient pas de faire degrandes traictes, & auoir touſiours la ſelle ſur le
· dos : mais principalement ceux de l'Europe; & quantaux Azapes ou gens
-
|
de pied, ils eſtoient laſſez du long chemin, & malades du flux de ven
·
-
tre par contagion , pour ce qu'il y auoit long-temps qu'ils ne viuoient
-

||
† de tourteaux faicts de farine & de vin-aigre, & de quelques frûicts
-
auuages, aux plus grandes ardeurs de l'eſté. Mais l'ennuy les accabloit
i, º,
plus que tout le reſte, de ſe voir perir parmy tant de miſeres, ſans auoir "
-
|, peu ſeulement voir l'ennemy , chacun doncques s'aſſeurant qu'ils pour-'
-
roientbien-toſtvenir au combat,repritnouuuelles forces & nouueaucou.
rage, eſperansau moins d'ymourir vaillamment, s'ils n'en remportoientla
, ,
,
"

| |
.,


viétoire.
uantà
-

Iſmael, il enuoya des AmbaſſadeursàSelim, pour ſe pleindre -

# * † paix auecques luy, neantmoinsilvenoit à main armée enuahir



- ſur luy des terres, ſur leſquelles nyluy ny les ſiens n'auoient iamais pregen
|
---,
du aucun droict; mais ſi c'eſtoit ſeulement ſon ambition qui le portaſt à
-
diſputer pour l'Empire, qu'il eſtoit preſt de luy faire voirque lebon-heur .
du Sophy ne cederoit iamais à celuy de Selim, ny le gendarme Perſien au
: Turcs Selim reſpondit là-deſſus,que les outrages queluy & les ſiés auoient
| · receus de ſesanceſtres, & depuis parluy-meſme en cette derniere guerre,
-† * prenant le party de ſon nepueu, & luy aydant de forces & de moyens
| - #tes d'Ir pourruiner
mael. §
voyage,ſonpour
pays,l'auoient incitéd'enque
luy faire cognoiſtre prendre la raiſon,&&larvaleur
le bon-heur de faire vnſi
deſ
1* pendoient plus de la main que de la langue, & de la bonne conduite que
/ - Y - - b • " ».

de lavanité: PaulIoueadiouſte qu'il dit, que toutes-fois s'illuy vouloitre- -

· mettre Amuratlfentre les mains, qu'il retireroit ſon armée. Or en quel


que façon que la choſe ſoit paſſée,il eſt bien vray qu'Iſmael n'auoit enuoyé
: · · #º º ces Ambaſſadeurs que pour faire bonne mine, & pour auoir meilleur
-
- moyen de deſcouurir les affaires deSelim,carilles auoitaccôpagnez de per
i :
|
,º •
ſonnesaffidées
s'il ſe pouuoit pour recognoiſtre
deſcouurir h grâdeur de
leurs intentions; & leurarmée,leur
defaict tous cesartillerie,&
pourpar
- - lers ſenallerent enfumée, & chacun ſe prepara à la bataille, car Iſmael ſe
-
fiant, tant à la valeur de ſes gens qu'à ſa bonne fortune, qui ne l'auoit
f
#
-

Iſmael ſe re- f .
† àlors abandonné, ſe reſolut à la bataille, qui eſtoit tout le
»
, § bien qu'euſt ſceu deſirer Selim, car le nombre de ſes gens diminuoit, ſes
- - /" - - -

l - - •- †" munitions luydeffailloient, hors d'eſperance d'en recouurer que par la "
| | | | | | - - pointe de leur eſpée. Vne choſe ſeulement luy donnoitbeaucoup de pei
| | | ne, c'eſt qu'il ne pouuoit rienapprendre des affaires de ſon ennemy, quel
| : -
|" |- | | -
. nombre ils eſtoient, ny de quelle ſorte d'armes ils vſoient, car tant eſtoit
» " > •

|
• 1 • | | *- | : † † l'amour & la reuerence des ſoldats enuers Iſmael leur Roy, qu'il ne
Ll ll ll• - - - -

| | | | | | , # § ſe trouua pasvn ſeulPerſefugitifaucamp de Selim,encoresque pluſieurs


· · i|| | | Turcs s'allaſſent rendre tous les iours aux Perſes, comme on recogneut
* || | | | |. -
| |
•' - apres par le moyen des priſqnniers, mais c'eſtoit principalement le com
- - -

-
- l' -
|
t
:

- - mun peuple, les plus grands du pays luy eſtans conpraires : car on tient
- -

| | |.
• 1
! # ! -

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| | | | | ·
| || | | | | |
: | | | | - - 4 ° -

• * | | , -
- | • | * * • |. |

| :
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| | | | -
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#! , ,
-

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-
des Turcs, Liure troiſieſme. . 291 :
que quelques Seigneurs qui eſtoient ſoubs ſonobeyſſance, & ſur les fron
tieres des Turcs, auoient mandé ſecretement à Selim, que s'il venoit
en Armenie auecques vne puiſſantearmée, qu'ils luy donneroient paſſage sclim fellicits
parleurs terres, cependant que le Sophy eſtoit empeſché contre lesTar-†.
tares de Coraxen Mais ſurtoutilauoit eſté ſollicité parlesCurdes, quiſe -

tiennentaumont Bittis, n'eſtimans pas quele Sophy deuſt iamais eſchap


per de la main des Tartares, & à laveritéilyagrande apparence que Selim
ne ſe fuſtiamais aduenturé d'ypaſſer ſans telsaduertiſſemens,ayant touten
nemyautour de luy. -

Oreſtoient ces deuxgrands Princes campez dans la plaine que lesanna- XIII.
les appellent Zalderane, & Paul Ioue Calderane, proche de la ville de
Chois, où Selim diſpoſa ainſiſabataille; il donna à Caſſem Baſſa Beglier-†Zalderane,en
| ment,
bey del'Europe, le coſté droictauecques les trouppes de ſon gouuerne-§
& l'aiſlegauche à Sinan Baſſa, Beglierbey de la Natolie auecques la & les Perſes. -
|
caualerie de l'Aſie, deuant leſquels marchoient les Accangis ou cheuaux
legers,volontaires, quinevont à la guerre qºe ſoubs l'eſperance dubutin,
au milieu eſtoient les pietons Azapes, les plus vils & mal armez, leſquels
eſtoient à la teſte, comme enfans perdus, pour emouſſerlapointe del'en
nemy, & lefaire laſſeraumaſſacre de ces pauures miſerables, que lesTurcs Diſpoſition de
ne reçoiuent en leur armée que pour cette conſideration, eſtans gens de † "
nulle valleur, apres les Azapes, il braqua ſon artillerie de front, à laquelle
il donna quatre mille cheuaux pour eſcorte. Quant à luy il choiſit pour la
ſeureté de ſa perſonne, & pour le ſecours, toutel'eſlite de ſa caualerie, &
auecques tous ſes Iennitzaires, ſemit en vnlieuvn peu releué, s'eſtantrem
† toutàl'entourd'vne double enceinte d'artillerie & de bagage (ſelon
a couſtume) de chameaux baſtez & liez enſemble d'vne lon§ſuitte de
, chaiſnes, celavenant à eſgalervne puiſſante fortification; ſi qu'il pouuoit,
comme dvne roque & fortereſſe, auecques la fleur de ſes ſoldats donner
ſecoursaux endroicts les plus neceſſaires. Il auoit auſſi donné le motaux
Azapes de s'ouurir & ſeparer leurbataillon en deux ſi toſt qu'ils verroient Stratageme de
arriuer la gendarmerie de l'ennemy, afin de laiſſer vne § Selim. -

pour tirer † & à la verité c'eſtoit vn tres-bon aduis, principale


ment contre les Perſes, qui ne ſe ſeruoient point alors de ces foudres de
guerre, leſquels eſtoient à couuert ſoubs ce grosbataillon, carcela eſtoit
ſuffiſant de leurfaire prendre l'eſpouuente du premier coup,& donner vne
victoire aſſeurée aux Turcs, ſans aucun § , mais les fugitifs auoient #

inſtruict Iſmael de tous ces deſſeings : c'eſt pourquoy il auoit aduerty ſes
s
capitaines de ce ſtratageme, afin qu'auſſi-toſt qu'ils verroient le batail
lon des Azapes ſe mypartir, qu'eux fiſſent auſſi le meſme ſans trou- Duqueliſmae,
$ bler leurs rangs : gar en ce faiſant ils rendroientl'artillerie de leurs aduer- #º
, |jº ſaires inutile, qui n'eſperoient pas cette contre-batterie , & cependant 1

pourroient faire vn effort notable contre des gens qui ne s'attendoient


a.ſº
): º
pointà combatre, mais qui croîroient n'auoir affaire qu'à pourſuiure les
fuyans. - - - - ·

· Quant à Iſmael, quin'auoitque de bonshommes enſon armée & fort
# Ooj


lij ;

1 -

· · · · ·
'292 Continuation de l'hiſtoire
| l | -
| |
|

aguerris† tant deguerres,& contre de ſifortes & puiſſantesnations qu'il


i : -

#º auoit reduictes ſoubs ſon obeyſſance , comme il auoit vne grande expe
| | | | |
| • | - |

†" rience enl'art militaire, & qu'il eſtoit de ſa perſonne fort courageux &vail
|ºii , - · • lant,ildiuiſa ſon armée en deux, dontilbailla vne partie à conduire à Vz
º | | | | tazi-ogli, duquelnousauons parlécy-deuant, &l'autre auecques toutela
# * | | | -! · fleur &l'eſlite de ſes gens,illa retint pour luy; quant à cetVztazi, il eſtoit
#. - • - -
iſſu de cette illuſtre famille des § , qui entre lesAzemiens eſt encore
1 . -

# • | | + pourleiourd'huyengrandereputation: mais lesTurcs, pour ſe mocquer


#. ! deluy,l'appelloientVſtazi-ogli, c'eſtà dire, fils d'vn petit Medecin, ou de
|

| , | |
quelque petit Docteur,faiſansvne alluſióſur ce mot de Iſtizelu en Vſtazi.
|
- • ! '
l
ogli. Les troupesainſi diſpoſées dans cette grande plaine,chacunanimaſes
|
-


-
ºt -*
| - "
- gens au combat,Selimprincipalement quivoyoit en ſes ſoldatsie ne ſçay
l' # quellenonchalance & vn courage allangoury par la neceſſité & les miſeres
|
-
-

|
qu'ils auoiét ſouffertes en ce long & penible voyage,ioinct qu'ilsvoyoient
| | ' · ces Perſes des hommes de fer, armez de toutes pieces, contre leſquels ils
• | | auoient à combatre. . -
Selim anime
a
d
ſès gens au
COIIlb38,
Cela fut cauſe que Selim alloit d'vn coſté & d'autreleur remonſtrant
• - º
que l'heure eſtoit maintenant venuë qu'auecques gloire & honneur ils
i pouuoient tirer la recompence de leurs labeurs : car par le gain de cet
-

,º -
" te bataille, leurs eſtoient acquiſes toutes ſortes de richeſſes, & vne af
| | | |
i | | | | - : fluence de tous biens, cetteville que vous voyez deuantvous, diſoit-il,le
| , ſeiour & les delices des Roys de Perſe, n'eſtrienau regard de celle deTau
, ris,quivous ouuriraauſſi-toſt les portes ſivous demeurezvictorieux pour
:
4 -

quoy vousvoy-ie doncques les triſtes & les contenances mornes?
| i redoutez-vousvn bandolier, vn vſurpateur, vn heretique, quine regne
i
: , , ,
º
! · que† tyrannie, & qui eſt § parles plus grands de ſes pays,
i | i s qu'ils ne cherchent queles occaſions de ſecouerle ioug,commevousauez
peu ſçauoir que ça eſté à leur ſemonce & priere que nous ſommes entrez
- ·! -

# ence pays ?voyez dauantage de combien noſtre puiſſance ſurpaſſe la ſien


| º - ne en multitude, envaillans ſoldats, enartillerie, de laquelle ils n'ont vne
| | # | ſeule piece:afin queie ne parle point de moy,iſſu de cette illuſtre & redou
· |
' -

| | | | | | < tablefamille des Othomans, que vous auez ſicordialement chery, ſi par
| º | | |
# .. il || ticulierement choiſy pour voſtre capitaine, & qui ay rendu le iugement
i : s ! quevousauiez faict de moy ſiveritable, que iuſques icy ie me ſuis rendu
| | |
1"
|
" , º inuincible:Queſitoutes ces choſesnevous peuuenteſmouuoir,& ſil'hon
: | |
" |
:
neur des Muſulmansquis'eſt conſerué plein de gloire au milieu des plus
ſuperbes nations de l'Europe, qu'ils ont touſiours batues, vaincues &
| | | § ſoubsleioug de noſtre bien-heureux Empire, ne vous touche
| | ..| |
" |
|| || point, ſivousauez perdu dans ces deſerts que nousauons paſſez,lamemoi
i|
· h , -
|
•º
re de ce que vous eſtes, ſouuenez-vous au moins de conſeruervosvies, car
| -*
, -
# de toutes partsvous eſtes icy entourezd'ennemis,ſivous perdezlabataille,
iln'ya point de retraicte pour vous de quelque coſté † vous vous puiſ
| | | || | ſiez tourner, vous trouuerez des peuples quiont conſpirévoſtre ruine, &
|
qui vous feront perir miſerablementſivous ne vous faictes ouuerture par
: | lagrandeurdevoſtre courage, &letranchant devoſtre cimeterre: ceux-là
| : -· |
- - peuuent
| -

| |

i.i
* º ! "

i
à
• des Turcs, Liuretroiſieſme. 2 93
peuuent bieneſtre craintifs & laſches, quiont moyen de ſeretirer, & qui
ſont aſſeurez d'eſtre receus enleur pays, fuyans par des voyes aſſeurées &
ſans danger, maisàvous il eſt neceſſaire d'eſtre vaillans iuſques au bout &
de vaincre, rompans parvn certain deſeſpoir, tous deſſeings, & toute eſ
perance des choſes qui peuuent eſchoir entrelavictoire & la mort,oubien
ſifuyant.
la fortune vouloit, ſe deliberer de mourir pluſtoſt au combat qu'en
• -

· Ie deſire à laverité pour la tranquilité de vous autres, & le bien de mon


eſtat, rauoirle traiſtre Amurath, qui eſtvenu enſanglanter ſes mains dans
ſa propre patrie, & mevanger § mort des outrages & durauage qu'il a
faict en mes Prouinces: i'ay grand ſubiect encores de tirer maraiſon de ce
chetifCaſſelbas, qui ſe deuoit pluſtoſtamuſerà interpreter ſon faux Alco
ran, qu'à § party & donner du ſecours à ce perfide, qui teſmoi
-

gne bien par ſesactions,qu'iln'eſt point de cette race des Othomâs,dont il


ſe dit eſtre iſſu:mais ce qui m'incite encore le plus,c'eſt que nous péſons fai.
revn ſignaléſeruice à noſtre ſainct Prophete, de combatre ſes ennemis, &
d'exterminer ces ſeducteurs, qui ſe ſont penſé acquerirdela reputation par
leurfauſſe interpretation; c'eſtainſi † honorer ce ſainctlegiſlateur,
combien penſez-vous, que ce long & peniblevoyage luy ſera agreable, ſi
vousvous portez à cette intentionine † que ce qu'il deſirele plus
de nous, ce ſoitd'allerviſiter ſon ſepulchre, ou chanter en nos Moſquées:
Son † c'eſt que nous faſſions multiplierſa loy, que nous
continuions d'eſtre ſeuls entre tous les peuples Mahometâs quifaſſions le
plus reſplendirſonnom parl'vniuers, que ieremarque doncques † quel
que cry d'allegreſſe, que ce ne ſera point ſeulement le gaing, ny la crainte
devosvies quivous animerontaucombat, mais le deſir de rendre voſtre
Empereur§ & triomphant de ces ſuperbes nations,le faiſans ſeoir,
comme vn autre Alexandre, ſur le troſne des Azemites dans la ville de
Tauris, & faire voirà ces impoſteurs heretiques, par l'iſſue de ce combat,
uèleurs armes,quandbien elles ſeroient plus puiſſantes queles noſtres,ne
§ iamais fauoriſées d'enhaut, combatans contrevnenation plusva
leureſe & plus fidele qu'eux.De tels ou ſemblables diſcoursSelimanimoit
les ſiens, lefquels recognoiſſans queleur Empereurauoit beaucoup de rai
ſon en tout ce qui leur diſoit, ilss'eſcrierent tous d'vne voix, qu'ils n'au
roientiamaisvie que pourſon ſeruice; & les Iennitzaires principalement,
quil'aſſeurerent que ſileuraffection leurauoit faict perdre tout le reſpect
u'ils deuoient à l'Empereur Baiazeth pour luy aquerir la couronne Im
periale des Muſulmans, que leur valeur luy en acquerroit ce iour vne
triomphale , qu'ils le rendroient glorieux ſur tous ceux qui l'auoientde
| uancé.

Mais Iſmael auoit affaire à des gens-d'armes qui eſtoient encorestous xIIII,
eſmeus&bouïllans des combats qu'ils venoient de donner contre tant de
Peuples, & tous fiers de leursvictoires, voyla pourquoy il n'eut pas beau i
coupdepeine à les perſuader : toutes-fois comme la voix d'vn general en
Vº°armée eſt proprementlame & le premiermouuant qui pouſſe les ſol
Oo iij
· · · 294 Continuation del'hiſtoire "
dats aux plus genereuſes actions, principalement ſi c'eſtleur Souuerain,
| Iſmaelcreut qu'ilne deuoit pas donner le mot du combat ſans leur donner
| quant & quantvn coup d'eſperon pour marcher auecques plus de vigueur
- j
Iſnaelfia le & d'animoſité contre l'ennemy. Ily-a deſia tant d'années, diſoit-il, com
ſemblable cn
† pagnons, que nous combatons enſemble,yayant commencédés maplus
| | tendre ieuneſſe, qu'ilme ſemble queie ſuis pluſtoſtvoſtre nourriſſon que
voſtre capitaine, & voſtre compagnon que voſtre Souuerain, de ſorte que
º
',., • - vous cognoiſſans tous, comme vous me cognoiſſez. Il me ſemble que de
# -

quelque coſté queietourneles yeux,que ie voy tout eſtre plein d'vn grand
courage,& d'vn deſirmagnanime de combatre furieuſement pourl'amour
· | de la patrie, & de vousvanger de ces harpies qui nous viennent troubler
' • au plus heureux progrez de nos conqueſtes, puis que ſans eux nous nous
fuſſions rendus les maiſtres des Tartares, & nous nous fuſſions ouuert le
1

· pas à la conqueſte des plus riches Prouinces de l'Orient. Contre cette na


-
tion, dis-je pleine de toute cruauté & fiere outre-meſure, qui veut que
tout ſoit en ſa puiſſance & diſpoſition, qui penſe par ſa multitude faire
trembler tout l'vniuers & l'aſſubietir à ſa domination, mais ſivous les con
ſiderez de pres,vous trouuerez qu'ilyabeaucoup d'hommes, mais peu de
ſens de § voyez-vous pas tous dehalez,demy nuds & deſarmez,
-|#

ayans plus de beſoing d'vnbon logis que d'vn champ de bataille à tous di
| - . uiſez entre-eux, & principalement contre leur chef,lequelilshayſſentau
:
tant qu'ils l'ontaymé,& ne ſont pas à ſe repentir à cauſe de ſacruauté, dela
uoir eſleué à cette dignité : au contraire de nous, qui bien armez, bien
· aguerris & bienvnis enſemble, leur ferons ſentir, ſivous m'envoulez croi-'
re, quel'homme d'armes de Perſe, ne redoutera iamais vn malotru d'Ac
cangis, vn chetifTimariot, voire meſmevn eſclaue de Iennitzaire. Mais
ce qui nous doit plus animer contre-eux, c'eſt qu'eux-meſmes ont com
: mencé de nous offencer, ayans meſpriſé nos Ambaſſadeurs, & nous ſont
| venus attaqueriuſques dans noſtre pays, pour auoir donné quelque ſe
cours au nepueu de leur Empereur qui le veut desheriter, & là deſſus ont
|
· ºr
employétoute leur puiſſance pour nous inquieter, mais c'eſt en cela queie
iuge noſtreauâtage,carils ont employé le vert & le ſec,venez à bout de cet
-
| - te armée,vous eſtes aſſeurez d'eſtre les maiſtres de tout ce qu'ils tiénent en
'
|- s, | :
l- -
Aſie,aubruit de leur deffaicte vous verrez les p
5 peuples
p ſe ſoubſleuer,&
> ceux
|
.
| | | · qu'ils tiennent les plusaffidez ſe ranger ſoubs noſtre obeyſſance : n'auez
| | i . vous pas encores la memoire toute freſche de ce que leur fit ſouffrir Scach
, • Culi, ce diſciple de Harduel, en la Prouince de Tekel? que feront-ils con
:
-
| -
- tre nous s'ils n'ont peuſe rendre les maiſtres de ceux qui n'auoient iamais
: | manié les armes, & quiauoient paſſé toute leur vie en contemplation dans
· - , vne cauerne: Les ingrats qu'ils ſont, ils les auroient encores à preſent à leurs
# ,
, , portes ſans nous qui les deliuraſmes par noſtre bonté, de cette eſpine qui
• ! · -
| | , leurauoit deſia faict rendre tant de ſang, & au lieu de nous § pareil
i à le par quelque notable ſecours, ilsviennent rauager nos Prouinces,& nous
|| || troublernoſtre repos; mais faiſons leur ſentir que ſi noſtre eſpée tranche
- pour nos amis, qu'elle peut exterminer nos ennemis : ils ſe fient ſur leur
artillerie,


#

desTurcs, Liure troiſieſme. 2 95


#
#
artillerie, inuention ſortie du creux des enfers, & indigne du tout d'eſtre
|
miſe en prattique par des hommesgenereux, qui fondent leurprincipale
force ſur la hauteſſe de leur courage, & ſur laroideur de leurs bras, & ceux
cy qui y mettentleur principale eſperance rendent aſſez teſmoignage de
leur laſcheté. - " -

Mais ſivous me voulez croire, iln'y faut qu'vn peu de dexterité pour en
euiter la fauceté; l'artillerie en vnearmée faictbeaucoup de tintamarre, &
bien peu de mal, mais vn grand courage ne s'eſtonne pas pour le bruict,
entrez furieuſement dans † bataillons lors queleur artillerie aura ioué,
& vous verrez que laroideur devoslances & le tranchant de vos eſpées fe
rabien vn autre eſchec dans leur armée, que leurs canons n'auront faict
dans la noſtre. Car quelle reſiſtance vous peuuent faire des Azapes &
des Accangis, gens ramaſſez de toutes pieces & demy nuds, vous trou ||
uerezpeut-eſtre quelquepeud'obſtacle aux Iennitzaires que vous voyez
renfermezlà haut de forcebarricades, de peur d'eſtre ſurpris, & n'ayez pas
peur qu'ilsviennent les premiers à l'aſſaut: carilsne combatent iamais †
d'artifice, &attendent touſiours que la force ſoit toute emouſſée parlalaſ
ſitude, d'auoir maſſacré ceux que ievous viens denommer, afin d'envenir
ainſiayſementàbout, & ſe donner la gloire qu'ils n'ont pas meritée, &
quant à leurmaiſtre,il ſetientaumilieu d'eux caché, le plus ſouuent dans
ſon pauillon, commevn ſerpent dans ſataniere : mais faiſons leurvoir que
nous auons encoresl'haleine plus longue qu'ils ne ſçauroientauoir §
cheté, & quelalaſſitude ne ſe peut iamais emparer d'vn courage inuinci
ble, qu'auecques la perte dela dernieregoute de ſon ſang Ie vous ay faict
- voirlebien qui doit ſucceder de cette victoire, maintenant ie veux que
vous ſçachiez auſſi les mal-heurs qui nous peuuent arriuer, au cas qu'il :
#'
nous aduint de manquer à noſtre deuoir, car ſur le moindre aduantage
qu'ils auront ſur nous, vous les verrez comme hannetons s'eſpandre par
· toutes nos contrées, & broutertout ce que nousaurons de plus delicieux.
C'eſticyvn des plus poignans aiguillons que DIE v ait donné aux hom
mes pourvaincre, à ſçauoirlaconſeruation de leur patrie & de leurs famil
les, à quoy ie puis encoresadiouſter qu'ilyva de noſtre Religion; car ces
opiniaſtres cy aheurtez à vne vieille opinion toute moiſie d'antiquité,
. nous voudroient faire croire qu'il n'ya qu'eux qui ayent l'intelligence de
noſtre ſaincteloy, parce qu'ilss'arreſtentàvnevieilleroutine : mais faiſons
leurvoir maintenant que celuy qui ſçait le mieux manier les armes, eſt ce
luyquiala meilleureintelligence de laloy du Prophete Mahomet. Que ſi
eecy eſt fortement imprimé dans vos cœurs, & ſi vous auez cette ferme
croyance, aſſeurez-vous d'vnevictoire infaillible, & que le Turcne plan
tera iamais dans Conſtantinople, les lauriers que ſa valeur luy aura faict
cueillir dans la Perſe. A

Plaiſante renº
Lesdeux chefsayansainſi parléàleurs armées, & les courages des ſol Turcs, & des
contre des

datseſtans enflambez d'vne part & d'autre par ces exhortemens,onvintin Perſes en laba
continentaux mains, mais d'vne façonfort plaiſante, carles Azapes auſſi taille de Zale
CIARG,

ºſtqu'ilsvirentlacaualerie des Perſes preſte à donner dans leur bataillon,


-
"III

| 296 Continuation de l'hiſtoire


: #
s'ouurirent comme on leur auoit commandé, & les Perſes qui eſtoient,
| | | | comme nous auons dit, aduertis de ce ſtratageme, firent le ſemblable, ſi
| #i , bien que cette premiere rencótre n'ayant pas reuſſi ſelon le deſir des Turcs,
|

:

|$ º
-,

,
l'artillerie ayant faict peu d'effect à cette fois, chacun ſe deffendit par le co
ſté† eſtoit aſſailly, le combat commença del'aiſle gauche, où les deux
2 " ! chefs Sinan Baſſa pourlesTurcs, & Vſtazi-ogli pourles Perſes, firenttous
#
leurs effortsdebien combatre. Mais apres que les trou pes de la Natolie eu.
·
:
:
| iii ! " rentreſiſté quelque temps,finalement Vſtazi-oglis'eſtant faictvoye parle
·!
|
|
-

|
milieu de leur eſcadron,ſevint ruerauecques telleimpetuoſité ſur les Aza.
| |
1 | -
| † , que dela meilleure partie d'entre-eux, les vns furent taillez en pieces,
. . , les autres pillez parles pieds des cheuaux, ſi bien qu'on oyoit là vn terrible
|| sº, † † tintamarre confus, de voix, de cris, & de gemiſſemens, de cliquetis d'ar
| | | Turcs. mes, de henniſſemens de cheuaux, & parmy celaletonnerre del'artillerie,
i | | | carles canonniers & les maiſtres qui eſtoientàlamire, auoient deſchargé
* i -
| | -
-,

, i: leurs pieces àl'eſtourdy, comme ordinairement en tels affaires on ſe trou


ble facilement, ſibien que la ruine eſtoit aduenuë autant ſur leurs gens
i ! .
-
º
que ſurleurs ennemis.Les Perſes toutes-fois nelaiſſerent point de paruenir
-

iuſques à eux, les faiſans paſſer § le fildel'eſpée : puis pourſuiuans leur


J' pointe, ils euſſent mis en route laiſle droicte, ſans Sinan Baſſa, qui ayant
sianBahre remonſtré ſiens que leur laſcheté ſeroit cauſe de la ruine de toute lar
allX

. l' † * meº, que deſial ennemyauoit donné iuſques au logis du Seigneur, tous
| i ' preſts de faucer ſes gardes, ques'ils vouloient ſeraſſeurer & ne point pren
il
1-
-

# drel'eſpouuente pour cette premiere furie, qu'il les rendroit victorieux,& |


| 4 " donneroient à bon eſcient la chaſſe à ceux, quiauoient ce leur ſembloit, ſi
©- . † aduantage. Illes encouragea de ſorte, que venans donner à dos ſur
&O - - • *, 2 •

variegli les Perſes, quine faiſoient plus † pourſuiure les fuyans, qu'ils les con
| | | | # traignirent de tournerviſage, & ſe deffendre àbon eſcient, en ceſte rechar
- # , ſelon quelques-vnsVſtazi-oglifut tué d'vn coup de harquebuſe, mais .
| esannalestiennent † eſtébleſſé, il fut pris parSinan Baſſa, quiluy
, , - -

· E, leia,aie fit couperle haut de la teſte. -* -

| | mºs°rºr IſmaelSophy n'auoit pas faict cependant vne moindre execution, car
* · · #
routainſi qu'ilauoit affaireaux plus vaillans des trouppes de Selim, auſſi
conduiſoit-ill'eſlite de toute la caualerie des Perſes, mais comme ſa preſen
· |
ce donnoitvigueur & force à ſes ſoldats plus que n'euſt ſceu faire vn lieu
• •
# !
. |
tenant, quelque reſiſtance qu'euſſent ſceu faire les trouppes Europeannes,
|| | | • | ' illeur donnatant d'affaires, qu'ayant troublé leurs rangs elles commence
-

- - - -
©
|

| #
|
† rentà chanceler & puis incontinent à ſe diſſiper, ayans veu la mort de leur
º, #ººº- generalChaſſan Baſſa quiy demeuraſurlaplace, & cefutalors que ſuruint
| | | Vſtazi-ogli, lequel pour les acheuer,leurvint donner ſurles flancs,ſibien
••*
|
··
, là ...
,!
- # quene ſçachansde † coſtéſetourner,ilss'envindrentietter verslegros
|
-

| §." des Iennitzaires. Selimquivoyoit la ruine manifeſte de ſes gens, fit deſlier
|| i
|| lesattaches du charroy, & faire ouuerture en deux endroicts, par leſquels
il fit ſortirvne partie de la caualerie de ſagarde,& ſe retournantvers les Ien
nitzairesilleur dit : c'eſt maintenantàvous, compagnons, à fairevoſtre de
| uoir, &à ſecourir nos ſoldats quienontſigrand beſoing, le moindrefort
ef
-.

, des Turcs, Liure troiſieſme. - 297 · · · !


fort nous dohnera la Victoire, car les ennemis & leurs cheuaux fondent · • · . ·
| tous en ſueur ſosbs le peſant faix de leurs armes : que ie puiſſe doncques " - - | | - y

moy-meſme,
† que voschers Gaſilars(ouvaillans
dextres ſoldats)rendrehommes,ilhes
ſontinuincibles,monſtrez-vous vn aſſeuré teſmoi-
en - | 1
|
-
· • · · · ·-
-

preſenteraiamais vne ſi belle occaſion, ny pour ceux qtii feront le mieux - · • . i


vne plus belle & plus honorable recompence, mais les Iennitzaires alle- | -

rent ſi laſchement en beſongne, que les Perſes auoient tout loiſir de bien . - - |
faire leurs affaires : & de faictau rapport de Paul Ioue, Fabritio diCarrecto, # e, * - , -

grand maiſtre des Cheualiers del'ordre ſainct Iean de Hieruſalem, auquel §" le com
toutes ces choſes furent tres-diligément rapportées, eſcriuit au Pape Leon,
que les Iénitzaires ne voulurant obeyrau comandement de Selim, & qu'ils - - - -

ne peurent eſtre induits paraucunes prieres,à donheraydeaux Europeens . • . |

àcombatre
leur dernier
auxbeſoin, carils
ennemis, voyoientvnetelle
aimans force
mieux attendre & vne telle ardeur de
l'euenemcntdouteux de ·
· , +

, •'

la bataille en lieu de ſeureté,que de s'expoſer envnmanifeſte perilà la mer. »


- -

cy du coutelas
Laffaire des caualiers
eſtant doncquesPerſes. . aux triariens, leſquels encores
ainſi reduite · ·
XV. •' -

aimoient mieux tout perdre que de prendre ſur eux vne partie du peril, -

touts'eiialloit en route,ſans Sinan Baſſa, qui raſſemblant ce qu'il peut des , -

ſiens, fitvn teleſchec, que la chanſe tourna bien-toſtapres du coſté des a #


Perſes; car on tient § delavictoire de cette iournée en eſt deu † " . . ! " . ·

à ſa valeur & bonne conduite, & à l'aſſeurance des deux freres Malcozo-"º - -

gles ou Malcozides,l'vn nommé Alibeg, & l'autre Mahomet Beg & ſur- | -

nommez Thur, comme ſi on diſoit les forts, qui eſtoient, ſelon Paulſo- Malcozogles
- - N - - -
.Valeur des. - -
- "
.

ue, eſgaux ennobleſſe de ſang à la famille des Othomans, & quiauoient "º - -

aſſez rendu dê teſmoignage qu'ils eſtoient iſſus de ce genereux Malcozi | | | .


quiauºit tant faict de mal'aux Vénitiens & Carniens. Ces deux freres cy** , - - --
,
voyans les choſes ainſi deſeſperées,penſerent que le gain de la bataille con- -

ſiſtoit en la perte d'Iſmael, & que s'ils pouuoient l'aborder, qu'ils ſ'aſſeu
roient que la valeur des Perſes ne les pourroit iamais empeſcher de leur Ils ataºuent
deſſeing : deuouans doncques ainſileurs vies pour le ſalut de leurarmée & le # † . -

de leur Empereur, ils firenttant par leurvaleur, qu'aydez de quelques-vns # ſes • . " -

des leurs quiles ſuiuirent admirans leur courage, qu'ils paruindrent iuſ
quesaulieu où le Sophy combatoit, & le bleſlerent aſſez profondement:
PaulIoue dit que ce futd'vn coup d'harquebuſe dans l'eſpaule, mais com Et le bleſſenti - - -

me ceux-cy eſtoientgens de cheual, il y a plûs d'apparence que ce fut de - -

quelque coup de cimeterre, mais les Cordzilers qui eſtoient autour du | - · · · ·


Prince, ſe ruerentincontinent ſur eux quiles mirent à mort : ces Cordzi- # - - - -

lers ſont les gardes des Roys de Perſe, car ils ſe ſerueni de trois ſortes de # - |
. gens enleurs armées, lesTarcomans, qui ſont ceux qui ont des fiefs, & quiº .
doiuentvenir ſeruir le Prince quand illeur mande, à peu pres comme no- , , • * , |
· ſtreban &arriere-ban, les ſeconds ſont les Corixxi,'Coridſchi, ou Cord- : . | | : '
Kilers (car on leur donne tous ces nomîs ) qui ſont ſtipendiez , & ſont † - -

delagarde du Prince les troiſieſmes ſont les auxiliaires des Prouinces,à ſça- †º
uoirqui leurſont confederez, comme Artmenens,Georgians & autes. " -

| - - Pp
- . I.

| |
.-
: 4 , - - 0 -

•|
298 « , Continuation del'hiſtoire |

l, ºna - º Malcozzides † ſur la place, & Iſmael qui


-

| |
|
# .-

: | ai§ ſe ſentoitbleſſé, nevouloit point toutes-fois quitter le «ombat, mais la


l
, # , |
ll » ,
†" crainte que les ſiensauoient de ſa perſonne, le perſuaderenttant qu'ilſere
tira, ce qui fit en partie perdre courageau reſte de larmée,qui §
• 1 -

: i , à quel deſſeing ce faiſoit cepte retraicte, ſi bien qu'ils laiſſerent la victoire


2 " !
-
† aſſeurée pourſuiure leur Seigneur, ayât faictviſiter ſa playe, †
· l - & nel'ayant point trouuée ſi dangereuſe qu'ill'eſtimoit, reuintau combat,
| | | s ricº ily trouua bien du changement, car outre ce que Selim auoit faict
# !
§ § qu'eux-meſmesiouer ſon artillerie, qui auoit
ſe fuſſent deſiafaict vn merueilleux
aucunement eſchec
eſbranlez par des
ſon Perſes,
eſloigne&
| . • ' camp.
i !
' ,
ment,iltrouua que celuy qu'ilaimoitle plus,& duquelilfaiſoit le plus d'e
|
:
1
| •,
|
-
-

.ſtat , comme le plusvaillant homme de ſon armée auoit eſté occis, à ſça
| | | os , uſine # Vſtazi-ogli, cela l'attriſta fort, & luy renouuelalereſſentiment de ſa
| |i | #
d'Vſtazi-ogli.
bleſſure, toutes-fois il ne laiſſoit pas encores de tenirferme, ſon haut cou
,
- -
º -
, | rage ne pouuant ſ'abaiſſer † quelque accident quiluy euſt peu arriuer .
|
| | ! · ſi que depuis l'heure qu'ils appellent Cuſlaci, enuiron les huictouneuf
|
a

heures, iuſques à celle qu'ils appellent Ikindi, à ſçauoir trois heures
, •
i
apres midy, ou vers le veſpre, il auoit touſiours tenuferme, ſans qu'on
peuſtremarquer quelesTurcs euſſent aucun auantage quileur peuſt don
| ) , nerl'honneur de la victoire. -

,l'. ,
*.
|

- Mais Selim qui ſans eſtre embarraſſé dans le combat, iugeoit des coups
† à couuert,ſe ſeruoitbien àpropos des fautes que faiſoient ſes ennemis, de
º
, ! - † ſorte que pour leur donner †ouuente entiere, & les mettre du tout en
º :
# -
|
| deſordre, il fittant tirer d'artillerie, & fairevne telle ſcopeterie, que les
.. .. hommes & les cheuaux Perſes, nonaccouſtumezàvnetelle harmonie(qui
· , †º * faute
Perſes, d'experience en telles affaires) leur faiſoit Pperdre vnebonne parti
aute d - partie -

;
| -

-
des meilleurs & plus courageux d'entre-eux, ils eommencerentà minuter :
| | leur retraicte, & Iſmaelmeſmes, qui pourſuiuy de pres, fut contraihct de
· ſeſauuer dans vnmareſt tout fangeux ;car voyant ſes forces extremement
#elſº#us
cn vn mareſt. diminuées, & de combien elles eſtoient ineſgales à celles des Turcs qu'il
- - N • • | º • - - - T " - - -*

| " voyoit croiſtre àveuë d'œil(carles Iennitzaires faiſoient lors feu & flâme,
| | -
, & s'eſtoientraſſemblez en vngrosbataillon quivenoit fondre contre luy:)
s ! !
iliugea que ſa reſiſtance ne ſeruiroit qu'à le faire perdre,ilſe retira auecques
-
-|
-

#
† ques trouppes,dont la meilleure partie demeura dans le mareſt pour
| - Et de là à Tau uiuie comme elle eſtoit, maisluy qui eſtoitmonté àl'aduantage, ſe retira
- 1 | is où il - - N • • V - - 2»

† auccques quelques-vns à Tauris, où ne iugeant pas encores qu ilfuſt en


meure , lieu de ſeureté, il partit de cettevillelàauecques quelques quinze ouvingt
| • hommes, & s'enalla envneville appellée Sultanie aux derniers confins de
: . · la Perſe, &à ſixiournées ou enuiron de celle de Tauris, que quelques-vns
| ont penſéauoir eſtébaſtie des ruines de Tigranocerte.
ch a t - LesTurcs ayans mis leurs ennemis enfuite,les pourſuiuirentviuement,
"
º #
font au cam ſi qu'ils'en fitvngrand carnage de toutes parts, & commeils n'eurent plus
§" que craindre, ilsſevindrentruer ſur leur camp, oûils ſe ſaiſirent de tout
ce qu'ilsytrouuerent, & entre autres des treſors Royaux, de la robbe &
- -

º - du troſne Royal, & comme ils furent paruenus à leur Horde ou place du
- - • - marché,
-
- -

||

·- -
-


-
des Turcs, Liuretroiſieſme. - 299
marché, ilsytrouuerent vne ſigrande quantité de beurres & de miel, que
l'œil, dit Epiphonemate (quia eſcrit cette hiſtoire) n'eſtoit pas capable de -
lespouuoir conſiderer; en outre toutes ſortes de prouiſions, de beſtiaux,
de chameaux, de mulets,d'armes, de cuiraſſes à la façon des Perſes, & vn
grandnombre de priſonniers, dont quelques-vns furent maſſacrez parles
Turcs,apres meſmesl'ardeur du combat,tant ya que durant la bataille, &
apres, il ſe fitvn tel maſſacre & deluge de toutes choſes, que l'Autheur ſus
allegué dit, qu'entre les iours les plus cruels, cettuy-cy reſſembloit le
iour du Iugement : c'eſt vne maniere de parler que les Turcs ont fami
liere, & de
d'horrible.
† ils vſent, quandils veulentrepreſenter quelque choſe
- -

Selim cependanteſtoit deſcendu de cheual, & s'eſtoit retiré en ſon pa


uillon pourvoir les plusbelles & riches deſpouïlles qu'on luy apportoit de -

toutes parts, or, argent & tout ce qu'ilyauoit de rare; le reſte fut laiſſé àl'a- #
bandon des ſoldats, où il y en auoit en telle abondance, qu'apres auoir †
chargé tout ce qu'ils quin'eſtoitpas
lefeuaudemeurant peurentſurleurspetit,
chariots, Selim ordonna
ne voulant qu'on
pas que cela miſt †t
retour-"
naſt enlapuiſſance de l'ennemy. Oryauoit-ilgrande quantité de femmes
qui auoient ſuiuy leurs maris à laguerre, & commeles ſoldats fuſſentve- Aduis du cae
nus demanderà leur Empereur, ce qui luyplaiſoit qu'on en fiſt, il fit ap-§
pellerle Caſſi-aſcherougrand Preuoſt, pour luy demander qu'on deuoit †.
faire des femmes des Perſes qu'ils tenoientlors captiues. Laloy Mahome-ºººº
tane, dit-il, ne permet point de les tenir, nypour ſeruantes ny pour eſcla
ues, & ce ſeroit encoresvn plus grand crime de lesfaire mourir. Selim ſur -

cet aduis donna ſonarreſt, qu'ilslesdeſpouïllaſſent doncques deleursve-Ana , s..


ſtemens, & de tousleurs ornemens, & principalement § chaiſnes & lim ſur ce.ſub
pierreries,
p >
& apres
p qu'ils les renuovaſſentaux
y ſiens.toutes-fois.
2 >
dit-il.5 aux l'. #.
ſoldats, nous laiſſons le tout envoſtre diſpoſition, & pour envſer comme
bon vous ſemblera,ſaccommodant en cefaiſant au deſirdeſareligion, &
à lavolonté de ſes ſoldats, toutes-fois il retint la femme d'Iſmael, qui fut
† auſſi entre les captiues, qu'il donna pourfemmeau NiſſanziBaſſa, ce- #
uy qui eſt commevn Chancelier, qui ſigne & ſeelle les deſpeſches & ex- -

peditions qui ſe font à la porte des Monarques Othomans.Ayant bien ob


tenuvne victoire auſſi ſignalée que celle qu'Alexandre obtint iadis con- |
tre Darius, mais nel'ayant pas imité enſa continence & magnanimité,auſſi
les effects ne luy en † as de meſme.Telfutle ſuccez de cetté
† bataille de la campagne Zalderane, qui fut donnée l'an de noſtre
alut mil cinq cens quatorze, quelques autres diſent mil cinq cens treize,
& del'Egireneufcens dix-neuf, levingt-ſixieſme iour d'Aouſt Selim fit †
auſſiruiner tous les Serrails & lieux de plaiſance de là àl'entour, & la ville †
meſme de Choïs de fonds encomble,diſantà ſes ſoldats qu'iln'auoit point l§"
reſolu de ſe garder aucune retraicte pour retourner de cette expedition, !
· qu'ilne ſe fuſt premierement rendule maiſtre de Tebriſe ou Tauris, ville
capitale des Azemiens, c'eſt pourquoy obeyſſans au commandement de
lºurSouuerain, quittans les § où s'eſtoit donné le † ils prirent
Pp ij . ,*
IrT

" 1

l' º - *l *,!
3OO Continuation del'hiſtoire
| | incontinentle chemin deTauris, que Ptolomée appelle Terua, ou plu
|
:
#i
| | |
|
|
|
. ſtoſtTeura, par tranſpoſition de lettres, & que Paul Ioue, non ſans gran
: - 4
deraiſon, penſe eſtre † ville que les Hebreux appellent Suſe: mais comme
| | ils commençoient à approcher de la ville,Selim ſe doutant bien que lesTe
' ! - Ruſe de Selim briſiens aduertis des grandes forces victorieuſes qu'ilamenoit quant& ſoy,

·# # * § deſtourneroient tout ce qu'ils auoient de plus beau & de meilleur, &


· ·
#
'
# #. qu'eux-meſmes ſe retiransaux lieux forts,emporteroient quant & eux tout
| "*" ce qu'ils pourroient, & principalement de toutes ces merceries, dont cette
1
iº ' |
-
|
º
| | ville eſt la plus abondante, † del'Orient, & qu'ayans faict le degaſt
"
d
par tous les enuirons, qu'ils laiſſeroient la ville & le pays deſert. Pour donc
- º 1 - | | .
ſe conſeruer pour ſoy toute cette abondance, & redonner quelque aſſeu
|
rance à ces eſprits eſpouuentez, il enuoya vn herault pour leur dire de ſa
-
i1 | *
|
1t "
||
-
part : QuelesTebriſiens n'auoientaucun ſubiect de ſe retirer de leur ville
| | | |: 1
pour crainte de luy, qu'il ne leur vouloit faire aucun deſplaiſir, ny prendre
-
| | | |
| | aucune de leurs facultez, ny moins ſouffrir que le ſoldat y fiſtaucune inſo
.
| | | |
Leso#es qu'il lence, il leur demandoit ſeulementvne choſe, c'eſtqu'ils euſſent le ſoin
| | | # de faire des prouiſions quifuſſentaſſez fuffiſantes pour bailler ce qui ſe
|
1| -
#| -

*
-

|
-

roit neceſſaire à ſon armée, & fiſſent en ſorte qu'ils n'euſſent faute de
: rien. -

»
LesTreuiſiens ayans entenduſon intention, & apres auoir appris par
| | |! | ceux quilesallerent trouuer, †
eſtoit auſſi curieux obſeruateur de ſapa
: role, qu'il eſtoitreligieux conſeruateur de ſa Religion; ſe fians à ce rapport
i
-

† ils penſerent qu'il eſtoit plus à propos pour eux de ne ſortir point de lavil
· 1 º
: º
..
:
. !

-
## le, & de ne ſe point retirer ailleurs , faiſans ſeulement de grandes prou

|
# |
·
i
:
| | |
-

|
| -ſions commeilleurauoit eſté commandé; & de faict Iſmaelen ſa retraicte
paſſant par Tauris,auoit conſeillé meſmes aux habitans, de ſe rendre à Se
- : • |
-
lim, & luy ouurir les portes ſans reſiſtance, de crainte que leur opiniaſtreté
, |i .
| : º| ' . fuſt cauſe de leur totale ruine : ſi bien que les plus notables habitans, & qui
-

• - i ! •!
1 | "
-
-
eſtoient les plus riches d'entre-eux,allerentaudeuant de luy, auecques of
• i · ·
·
; fres de toutes ſortes d'aſſiſtances, de ſecours & d'obeyſſances. Apres donc
+ ·
· qu'ils curcnt, à cette premiere rencontre qu'ils firent aſſez loing de la ville,
| | | | rendu des teſmoignages (ſelon la couſtume) de toutes ſortes de ſubmiſ
| | | | | | ſions, & s'eſtre reſiouys en apparence de ſon bon-heur & de la victoire
, - ! | ... " # slim veut qu'ilauoit obtenuë, comme ilsl'euſſentaccompagné aſſez pres de la ville,
· " † § auecques ſon armée en vnegrande plaine proche de Tauris, où
i , :
:
·
| 1
,
,
ººPºº lesTurcs dreſſerentleurs tentes & pauillons, & luy-meſmeylogea,faiſant
| , ! crier à ſon de trompe partout ſon camp, que nul ſurpeine delavie, n'euſtà
, |
|
faire aucun outrage auxTreuiſiens, & qu'ils ne leurs oſtaſſent pas de force
iuſques à vn ſeulgrain; que ſi quelqu'vn vouloitauoir quelque choſe qui
· · · · luy fuſt neceſſaire, qu'illuy eſtoit permis d'aller dans laville, & de l'ache
| la ... i :
, º , . i
ter, mais que rienne ſe printautrement : & que ſilesTreuiſiens alloient en
i ' . , leur camp, qu'ils peuſſent debiterleurs denrées en toute ſeureté, & s'ente
-

-
| ·
l - , l
i
-
|
tourner dans laville, ſçachantbien qu'ilauroit le tout quandilluy plairoit,
-

-
- | de ſorte que les Treuiſiens, par cette inuention, luy firent pluſieurs pre
# |
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| | | || ſens, leurs permettantàtous les vns apres les autres, de luy aller baiſer la
1 ! " .
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des Turcs, Liure troiſieſme. 3OI
main, & quand le Vendredy futvenu, que les Mahometans ſolemniſent
toutes les ſepmaines, comme nous faiſons le ſainct Dimanche, Selim en-s .
uoya à Tauris
autres-fois faictreſtablir les en
conſtruire Temples & là,
cetteville Moſquées qu'Vſunchaſſan
& que depuis auoit †
le Sophy Iſmael § Pay

auoit conuerties en eſtables & engreniers, auecques deffences d'yplus ce


lcbrer le ſeruice Diuin. - | -

Illes fit doncques repurger & luſtreràla maniere des Muſulmans, pour
ſeruir de là enauant à leur ancien vſage, & au plus grand Temple que le
meſme Vſunchaſſanauoitfaictbaſtir, il commandaaux Mueſſins Hozza-†
lars Preſtres Mahometans, qui ont accouſtumé de monterau ſommet de §
certaines
d'yaller, &tours qui ſont
l'appeller à l'entrée
à haute des Moſquées, pourcóuoquer
voixàl'oraiſon.Iſmaelayant le peuple
abolytoutes †
ces leurs charges :

façons, & auecl'interpretation de laloy,ayant apporté nouuelles ceremo


nies, & luy meſme Sultan Selim eſtant alléaubain, & s'eſtant purifiéſelon !

· laloy de Mahomet, il entra au temple le meſme Vendredy, & aſſiſta aux


prieres publiques, leſquelles eſtansparacheuées, on luy fit enla ville, vn
fort pompeux & magnifique triomphe, † trompettes, fiffres, clai
rons, & autresinſtrumens militaires : outre celales plus groſſes pieces d'ar-†
phale de Selim ,
tillerie ſe deſlaſchoient, auecques la ſcopeterie de toute linfanterie Tur-dansTauris
que; ce qui eſpouuentoit tellement les Azemiens, qui n'eſtoient pointac
couſtumez à tout ce tonnerre, qu'ils ne ſçauoient ce qu'ils faiſoient, car
cettemultitude de pieces § envn meſmetemps auoit rendu vne
· ſieſpoiſſefumée, quel'airtoutoffuſqué, le ſoleilne ſembloit plus qu'vn
diſque ouvne plaque de cuiure attachée au ciel, diſent les annales Tur- Apres laquell
ques, & apres toute cette Royale magnificence, il ſortit de la ville & ſere-†
tira en ſon camp. · foncamp.
· OrSelimauoit enuie d'hyuerner en cette contrée,& penſoit deſiacom- XV I
mentilferoit ſes departemens,pour cefaireil commanda qu'on aſſemblaſt :
ſon conſeil, & les † grands de ſon armée, auſquels ayant faictentendre †
que ſon intention eſtoit de paſſer l'hyuer en cette region, de n'en ſortir #ºsarº
point qu'ilnel'euſt aſſubiectie, & reduite entierementſoubs ſa puiſſance,
& qu'ayantrecogneu qu'entre les Prouinces qui ſont ſoubs la domination º

Perſique,lacontrée de Carabug, qui eſtaſſiſe au deſſus de la Prouince Ga


lane † uellea eſté ainſi nommée à cauſe des raiſins noirs qu'elle rapporte,
region § fertile en toutes choſes, tant pour la nourriture de l'homme,
que pour les paſturages,&lanourriture des cheuaux,ileſtoitreſolu d'yen- #
suoyer hyuernerſonarmée,puis qu'ils auroiét là toutes les cómoditez qu'ils § #
§ deſirer : les Baſſats, Vizirs, & autres gens de la porte cognoiſ
- - - - - - &b
ans l'humeur du Prince à † ils auoientaffaire, qui ne vouloit eſtre con
tredict de rien,trouuerentbon tout ce qu'il diſoit,auoüans qu'iln'euſt ſceu
choiſirvngmeilleure retraicte : mais le Baſſa Muſtapha,fils deTuruis, qui †#
auoitàpeu pres recogneules volontez des Iennitzaires n'eſtre nullement §
diſpoſées à demeurer plus long-temps en la Perſe, dit qu'il n'eſtoit'point
mauuais d'ouyr là-deſſus l'aduis de ceux de lagarde, pour ſçauoir ce qu'ils
cſtoientreſolus de faire ſur cet hyuernement : Selimalors extremement en
• • | Pp iij

|
3o2 Continuation del'hiſtoire
colere luy reſpondit,que dis-tu doy-ie doncques prendre conſeil de mes
es,gºs eſclaues fais-tu lus de cas d'eux que demoy, & leurveux turendre obeiſ
|||

i Biscoºtrelºy. ſance, comme ſi mon authorité & la tienne deſpendoit de leur pouuoir?
-
eſt-ce † là la recompence de tant de dignitez & de penſions dont
ie t'ay rendubien-heureux iuſques icy? que doy-ie dire,iete prie, ou que
i -
- : doy-ie faire & ordonner de toy ? ayant dit celad'vne fureur toute extraor
· dinaire, illuy oſta ſur le champlacharge de ſon Vizirat, c'eſt à dire lachar
#
chaſtier auec ge de conſeillerd'eſtat, & commanda qu'on le chaſaſt auecques ignomi
i, § nie de ſa preſence, & enuoya apres luyvn fol, pour luy couperla croupiere
- -

: | - , de ſon cheual, ce qui eſt entre-euxvn tres-grand affront,lequelvenantpar


|
-
derriere, luy fit ce qu'on luyauoit commandé.
| º
Les Iennitzai
- - Les Iennitzaires qui virentainſi traittervnſigrand perſonnage, s'eſtans
| †" enquis de la cauſe, & ayansappris à la verité comme les choſes s'eſtoient
uy. paſſéesau conſeil, & qu'on eſtoit reſolu de les faire hyuerner en Perſe,tous
| | -
| en furie commencerent à s'eſcrier Qu'a doncques commisvn ſigrandper
# | ſonnage que Muſtapha, pour le chaſtierauecques tant d'ignominie?eſt- .
| | | ce pourauoirpris noſtre querelle,& pour ce †
eſt d'aduis contraire àno
# ſtre Sultan qui penſe nous faire hyuerner ſur les terres de nos ennemis ? &
Leur pleinte s'addreſſans à luy-meſme ils luy diſoiét,que le Sultan Selimreſolue de faire
J' |
† ce qui luyplaira de nous approcher ou eſloigner de luy, mais quantànous,
# # nous t'aſſeurons de partirau pluſtoſt de cette terre ennemie , que ſi cela
,
' t'eſt deſagreable, tu en feras àtavolonté, mais veilles ou non, ſi ſommes
º
| nous reſolus de nous retirer en noſtre pays. N'auons-nous pas mis no
+

##. ſtrevie envnextreme dangerpour toyº n'auons nous pas gaigné vne glo
rieuſevictoire ſurton ennemy ? que deſires-tu d'auantage de nous? pour
: quoy veux-tu que ſans profit nous demeurions ainſi vagabons dans cette
- terre eſtrangereº Ceſſe doncques maintenant d'abuſer de noſtre patience,
- & ne penſe point que nous voulions poſt-poſer nos fouiers à vn deſert
-
| ennemy, & nous faire paſſer icy l'hyuer par force, ayans dit ces choſes,
-
º
ilsrefuſerententierementd'obeyràlavolonté de Selim : de ſorte queluy
-

r voyant leur opiniaſtreté, & qu'il n'y auoit point de raiſon qui leur peuſt
| ! s ... perſuader d'hyuerner en ces quartiers là,ilfutcontrainct de deſloger mais
: º ! # deuant que de partir, il ſe fit fairevneſtat du reuenu de tous les habitans de
- ; -

§ Tauris, tant des pauures que des riches, & dit-on qu'il taxa chacun ſelon
||
:
-

i
#, ſes facultez,&ſefitapporter † ſomme de deniers enſon camp,com
lé les Tauri

, , richeſſes.
· · ,
-
meilnepouuoit autrement, laville eſtanttres-riche & marchande,&ou
, " - Et de la tre ce,ilenleuabien iuſques à trois mille ouuriers ou enuiron, des plus ex
' ! .. °º cellens en leurs meſtiers qui fuſſent alors à Tauris, pour les emmener à
: i. .
Conſtantinople,car toutes les belles inuentions,les mignardiſes & lesgen
: tilleſſes enviennent,lesTurcs ayans l'eſprit trop groſſier, & naturellement
maladroictaux choſes ſpirituelles : & auecques toutes ces deſpouïlles il
-
f
|.
,
- -
s'enalla deTauris, apresyauoirdemeuré dixiours, ſelon Paul Ioue,&ſe
|| s ... , lonles relations de Perſe de PierreTechere, ily fut quinze iours.Mais
| # * PaulIoueallegue vne raiſon de ce depart, qui n'eſt peut-eſtre pas hors de
| | | -

|| | | - propos, c'eſt qu'ilcourut vnbruit qu'Iſmaelauoit ramaſſéſes trouppesdu


| | '. debris
· ::
- !
. !
:: | !
· · · ·
, * º
-

". ! " |
desTurcs, Liure troiſieſme. - 3o3 · · ·
debris de ſavictoire, & pluſieurs autres gens de cheual, Iberiens, Alba
niens & Parthes, qui s'envenoientletrouuer, & ſe ſouuenantcombien de
eine il luy auoit donné en cette derniere bataille, ilcraignoitvn ſecond
choc, & meſmes de peur de rencontrer les Iberiens,il print ſon chemin par ,
laregion Hobordene, & Baliſene, encores que ce fuſt ſon plus longche- # †
min, car il ne voulut † retourner vers Araxé, ne circuir le mont Pa- retour.
ryardé , d'autant qu'il auoit appris qu'ils tenoient ce chemin, ains s'en
· vint par Naxuuane , d'autant que la contrée eſtoit fort fertile, & cette
ville abondante en toutes ſortes de biens, & capable de nourrirvne grande
armée. - - - - | -

Iſmaeladuerty de ſonchemin,le ſuiuit en queue en la plus grande di- XVII.


ligence qu'il peut, afin qu'en cette pourſuitte illuy fiſt laiſſer ſon bagage, · .
mais Selim auoitvne telle aduance deuant luy, que l'arriere garde eſtoit #rº
deſia arriuée au fleuue Euphrates, deuant que de lauoir peu ratteindre, le
quelil† toutes-fois auecques aſſez de peine, carilfut deuxiours à faire
paſſer ſoninfanterie ſur des radeaux, toutesfois pource qu'ils ne poutoient sslim raſſe
ſuffire à ſigrande
& de boucs multitude,pluſieurss'appuyans
enflées, paſſoient le fleuue à nage, & ſurdes peaux de
d'autresayans chieures
rompu des † Peince

chariots de propos deliberé, ſe ſeruoient de leur bois pour paſſer. Selim


luy-rneſme fut portéſurvne petitebarque, & parce que la caualerie entra
dans l'eau toute envne ſeuletrouppe, pourarreſterlaforce du cours enluy
reſiſtant, cela diminuale perilaux pietons, & donna plus ayſé paſſage au
V, :) - - - -

· charroy de l'artillerie, aux chameaux, & au reſte des beſtes de ſomme.


Neantmoins les auât-coureurs des Iberiens eſtans deſiaarriuez à laveuë de Les ſiens s'ef
· larmée, ils'en eſleuavn ſigrand tumulte, & vne telle confuſion pour la f†
† cette confuſion on §
crainte qu'ils auoient d'eſtre ſurpris en ee
arriuée des

dit qu'ily demeura bien deux mille hommes † enoyerent dans le fleu- *
uº, & la plus part dubagage, & du chartoy del'artillerie eſtoient arreſtez v. ..
dans des gaizlimonneux,auecques ce que le fleuue tout plein de gouffres † §
leur oſta vne partie du bagage , pluſieurs autres choſes s'eſtoient auſſi §"
arreſtéesaux riues & aux gaiz, leſquelles onattiroit à bord auecques des
cordes ſans grand trauail. Celafut cauſe quetant les Iberiens que les Per- • '
ſes ceſſerent de plus chaſſer,ſe contentans de de quiauoit eſté delaiſſé: mais
cºqui rendoit Iſmaelle plus content, c'eſtoit pour ce qu'ilauoit pris quan-. Entre autre
tité d'artillerie, par laquclle il auoit receu tant de dommage, qu'elle luy"
auoit eſté cauſe dela perte de la bataille, touges-fois les annales Turques
nefont pointdemention de toute cette § desPerſes,queiene croi- *
foiss'pastoutes-fois eſloignées de laverité, elles diſent ſeulement que Se-†
lim - A7 - - tient Selim à

ims'envintauecques ſon armée enlaville Naxuuanum, ne prenant pas le §


· · chemin qu'il auoit tenu à ſon arriuée, mais allant par cette ville là, d'au Perſe ſelon les
annales Tur
tant que la contrée eſtoit fort fertile, & qu'il y auoit abondance de * . "
tout delà ilsvindrent envngrandchamp qu'ils appellentTzodan.. . - -

· OrSelim auoitgrande enuie de donner en paſſant ſur les Gurtziniens, s . "


ou Georgianiens,& cognoiſſant à peu pres que les ſiens † contrediroient
c°voyage,illeur fit degrandes menaces, voulant à quelque prix que ce " l§ "•

-
A | | | | - "

--
| · 3o4 : Continuation de l'hiſtoire
-|
1 - - fuſt que cela ſe fiſt. Les Vizirs & autresgrands de la porte, quiauoientveu
| | - | - - - · par † de Muſtapha,côbien il faiſoitdâgereux luy cótredire, eſtoient
engrande peine,car ſçachans côbien les ſoldats eſtoient recrus&laſſez d'vn
| |
| |
||

· ·
| | |
,
·
ſilongvoyage, & qu'ils ne cherchoient qu'à ſe raffreſchir, ſçauoient bien
.. qu'ils n'iroientiamais de bon cceur en cette § , contre des peuples en
l --

, - - ! | | core ſibelliqueux que ceux-là, & auccques leſquels, s'ils ſevouloientopi


| | | niaſtreràla reſiſtance, il n'y † des coups àgaigner. Or n'oſoient
---

- . - - , ils luy dire leurs raiſons, ſi bien qu'ils ne ſçauoient comment ils ſe deuoient
# · | •
| -
-
-
conduire
entendu ceendeſſeing,
cette affairc, les ſeulsde
reſolurent Iennitzaires de leur
luy en parler, mouuement,
mais comme ils leayans
co
| , · f - gnoiſſoient homme maltraictable & entier en ſes opinions, ils penſerent
. - qu'il falloittaſcher de le gaigner par douceur, & d'yvenir auecques plus de
| - modeſtie qu'ils n'auoient eſté deuant Tauris. Ils luy diſoient doncques, Il
| | | | | 4
yatantoſt neufmois, Séigneur, que nous ſupportons les fatigues de cette
| i : # # guerre, & qu'auecquestres-grands labeurs nous auons oulé iuſques icy:
" · | | | § # | Nous auons combatu contre vn ennemy tres cruel & belliqueux, & en
§ ſommes retournez victorieux, mais ce n'a pas eſté ſansy perdre †
· · | - • de noſtre ſang, & ſansy ſouffrir toutes les ſortes d'incommoditez qui ſe
- · · peuuent imaginer, ſi bien que nos forces ſe ſontteliement diminuées, que
,
, nous n'auons pas le pouuoir de nous ſoubſtenir : les armes meſmes nous
· · · deffaillent, & les autres choſes neceſſaires pour cette guerre que tuveuxen
treprendre : nos veſtemens ſont tous vfez, & ſommes venus à telle pauure
' , 1 té, que nous ſommes contraincts de porter à nos pieds des Tzariques ( ce
· |! | - · ſont des chauſſures de payſans) d'autant qu'il nous faut perpetuellement
\
cheminer : c'eſt pourquoy nous te prions & coniurons, Seigneur, quetu
ne nous veilles point affliger parvne nouuelle guerre, &tlue voyant le mi
:
• ſerable eſtat de nos affaires, tune nous expoſes, deſia tous languiſſans, à
-
* - · la mercy duglaiue de nos ennemis, quine ſçachans pas noſtre debilitére
-
douteront de nous attaquer, mais ſi nous les reduiſons à la deſſenſiue, ils
-
-
º-
- | cognoiſtrontbien à nos deſpens,combien nos forces ſont impuiſſantes,en

-
1 -

-
danger meſmes qu'il y aille de ton honneur & deta reputation. Maistou
· · · - - tes ces raiſons & ces raiſonnables pleintes eurent bien peu de pouuoir ſur
| | | !|
|
| l'eſprit opiniaſtre de Selim,darencore qu'ils luy euſſent dicttoutesces cho
i
|
, ſes auecques le plus d'humilité qu'illeurfut poſſible, cela ne le fit qu'en
· durcir d'auantage., & rendre plus entier en ſareſolution, leur reſpondant
selimentieren º" ilne ſe pouuoit faire autrement, qu iln'allaſtattaquer les Gurtziniens,
†, & qu il n'entraſt en leur pays à guerre ouuerte. Pour cet effect, diſoit-il, ſi
L1OO 2U r - - - - - -

-
" - § les munitions
pourſuit ſon ſ ſi
vousbeſoin
manquent,
d'
ie donneray ordre
d
que vous en aurez
fi
à foi
I1C - - -

§" lon, fi vous auez beſoin d'armes ie vous en donneray, & en fin vous
| ·
:
. . manquerez de rien, de tout ce qui vous ſera neceſſaire. ·
| - . · Ayant dit cela, il donna chargeau Baſſa Capitzilar, ou chefdes portiers
| -
- & luycommanda de prendre auecques luy trois mille ſoldats, auſquclsil
-

' ! enioignit de faire vne † par les bourgs & villages de la Prouince
des Carandins, & ouurirle pas à l'armée, qû'illeur promit de faire ſuiure de
-
- 4 -
| -
- - fort pres.Cettuy-cyobeyſſant au commandement qui luy eſtoit faict en-

: - - - - CT4

-
l
- *
-

- |
des Turcs, Liuretroiſieſme. 3o5
tra dans cette contrée,où il fitvn fortgrandrauage & vngrandmaſſacre de . ſeigneurs
payſans , ce que les Seigneurs du pays ayans entendu, ils vindrent ſur leurs †
frontieresſe deffendre, où ils firent paroiſtre aux Turcs qu'ils ſçauoient #
bien remuer les mains : ſi bien que lesvns nyles autres ne s'en retournerent
pas fort contens du combat.Mais le Prince des Gurtziniens quivoyoit que .
ſans aucune ſienne faute, on le pourſuiuoit neantmoins commevn mortel -

ennemy, il enuoya ſes Ambaſſadeurs à Selim luy remonſtrer que, Quant -

àluyillerecognoiſſoit, &l'auoit touſiours


gneur ſouuerain des Oſmanides,ſans recogneu
s'eſtre rendu pour
partial Prince
pour & Sei-
ceux quiluy Leur Prince
-

enuoye vers

auoient voulu troubler le repos de ſon illuſtre couronne, qu'il ne penſoit ##º
point auoir euiamais aucune inimitié auecques ſa hauteſſe, ny celle de ſes
predeceſſeurs. Qu'iln'ignoroit pointlagrandeur de ſes forces,& combien
ſapuiſſance eſtoit redoutable, & encores maintenant plus queiamais, qu'il
le ſçauoit auoirvne fort puiſſante & victorieuſe armée, qu'il n'auoit donc- .
ques garde d'allerau deuant, ny de rien entreprendre auecques de ſi petites
trouppes que les ſiennes. Que cela eſtoit hors de doute que Selim eſtoit
vn tres-grand, tres-puiſſant & tres-heureux Empereur, & qu'il eſtoitbien .
difficileau Prince des Gurtziniens, ou autre de ſa qualité, de luy ofer & en
cores moins de luy pouuoirfaire du deſplaiſir; Et partantqu'il n'auoit qu'à #:

dire ce qu'il demandoit, ou ce qu'il vouloit eſtre faict, car auſſi-toſt qu'il
auroit commandé, ilſeroit incontinent obey.Telleeſtoit la reſolution du
Prince des Gurtziniens & de tout ſon peuple, d'executer les commande
mens deSultanSelim, & de luy complaire en toutes choſes, quandilsau
roientrecogneuſavolonté.Selim voyant l'humilité de ce Prince, & auec- - 1

ques quellemodeſtieil ſe ſubmettoit, il reſponditaux Ambaſſadeurs que Selim.


†º**
leur Princelerendroit content,pourueu qu'illuy promiſt d'oreſnauant de
, luy obeyr en toutes choſes, & que pour le preſentiltinttoutes ſortes de
Prouiſions preſtes pourl'armée.Ce qu'ayant entendu ce Prince, il enuoya "

incontinentaucamp desTurcs huict cens bœufs,& quatre mille moutons


auecques autant de farine & d'orge, qu'il eſtoit neceſſaire pourfaire du
Pain Pour mangerſigrande quantité de chairs,ayant encores donné char- †
$ca ceux qui † ces prouiſions, de dire à Selim, qu'il ſe diroit § '
§ ſeruiteur & ſon § l'amy de ſes amis, & l'ennemy de ſes #
ºnnemis, ce qui luyfutſi agreable, qu'il ſortitauec ſonarmée, des confins †º
des Gurtziniens,& leurfitrendre les eſclaues & priſonniers qu'ilauoit pris
en leur contrée. - -

· De là il pourſuiuittouſiours ſon chemin ſanss'arreſter,iuſques à ce qu'il XVIII. 4

fuſt arriué ſur les terres de ſon Empire, mais ce ne fut pas ſans que les ſol- .
dats ſouffriſſent beaucoup de peine & de difficultez, auecques vne grande -

nºceſſité de toutes choſes,ſique les cheuauxyperirét preſque tous de faim; cºu.c,


ioinct laſaiſö en laquelle ils eſtoiét,carl'hyuer n'eſt pas petit ences cótrées. § #
Tanty-aquel'armée eſtant de retour à la maiſon, ſe trouua de beaucou †
diminuée,& ce quireſtoit encores,fort malpropre àla† : ce quifut ſe,tät
- † en allant
cauſe qu'illacongediatoutauſſi-toſt qu'ilfutarriué ſur ſes terres,n'enrete-ººº
nant que quelques-vns pour ſagarde,enuoyant les trouppes Europeannes ,

Q_q |
- l,

3oo Continuation del'hiſtoire


Selim hyuerne
- & les Iénitzaires paſſer leurhyuer chacun chez ſoy,| » choiſiſſant quantàluy
- 2 - 2 -

§ & toute ſa Cour,la ville d'Amaſie, ville d'Armenie, & tout au commence.
: †"" ment duPrintemps, partantd'Amaſie ils'en allamettre le ſiege deuantKe,
|| mach
4
Prent Kemach leil enl'Armeniemineur,
iſit ſoubs ſ quieſtoit des appartenances d'Iſmael,laquel
-

- s †" le ilreduiſit ſoubs ſa puiſſance.


Telfutle ſuccez de la guerre de Selim contre les Perſes, où quand tou
-,

tes choſes ſerontbien conſiderées, on trouuera qu'il y eut fort peu d'ad
uantage pourlesTurcs; car encores qu'ilsayent emporté la victoire enba
- taille† , ſieſt-ce que cela aduint pluſtoſt† laviolence del'artillerie,
9uelque, c5- de laquelle lesautres eſtoient deſgarnis, qu'à force de valeur, mais celane
†" les empeſcha pas de reſſentirtoutes les incommoditez, que peuuentſouf
cette guerre
frir ceux qui ſontvaincus, & m'aſſeure que le butin du camp des Perſes,&
· de Perſe.
-
l'impoſt que Sclim miſtſurlaville deTauris, ne pouuoient pas eſgalerles
grands frais qu'illuyconuint faire pourvn ſilong & penible voyage.Auſſi
i
comme vous auez peuvoir partoute cette hiſtoire, Selimy eſtoitpluspor.
---
- - té de paſſion que deiugement: mais ayant deſia vne grande puiſſance qu'il
| auoit preparée contre les Chreſtiés, il ſe voulut vanger duSophy quiauoit
#i: ·ce qui ani- retiréſoñ nepueu,auecques ce qu'on adiouſte vne autre particularité, c'eſt
-
--

† qu'apres la priſe de Conſtantinople,les ſeigneurs Othomans ſe donnerent


i§e ſe le
macl. quetitre de Hunker
Ceſar ou Hunggiar,
Auguſte,ayans quiveutleànomauecques
voulu prendre peu pres direvne meſme choſe
la dignitéd'Em.
: | , pereur. Or Iſmaelquifaiſoit le reformé en ſa Religion, ſe voulant moc
:
.. .. querdeleurambition, & quant & quant de leur ſuperſtition, de ce qu'ils
† n'oſoient manger de chair de pourceau, ilauoitaccouſtumé de nourrirvn
†" porcfort gras, qu'il nommoit du nom de l'Empereur Turc quiregnoit
· alors, auecques cette †
ete de Hunker, comme du temps de Baiazeth
il enauoitvn qu'ilappelloit Hunker Baiazit,& du temps de Selimvnquil
nommoit Hunker Selim, toutes ces choſes enſemble l'auoient animé à
-

Le perſe font cette guerre. Les relations de Perſe de Texiere, diſentauſſi que ce fut du
†" rantl'année de cette guerre, que les Caſſelbas firent ſhourir SultanAmu
rath, en Dierbek ou Meſopotamie, & en apporterent la teſte à Iſ
mael. . - * -

| Quelques-vns voulu dire auſſi ques elim fut vaincu, maisie perſe
Autre opinion OIlt

# qu ils ont eu pluſtoſt eſgardà la perte qu'ilauoitfaicte par le chemin, qu'à


-
§" quelque aduantage que ſes ennemisayent eu ſur luy : toutes-fois pour le
contentement du lecteur,i'enraconterayſuccinctement ce qu'ils endiſent.
:--:
Ils preſuppoſent doncques que ces deuxgrands Princes ſe ſont rencontrez
deux fois, l'vne en la bataille de Zalderane, & l'autre pres de Tauris, &
qu'incontinent apres la premiere Selim fit haſter ſon armée le plus qu'il
peut, afin de pouuoirſurprendre ceux deTauris, auparauant qu'ils euſ
-

ſent eule vent deſavictoire:mais Iſmaelayant ramaſſé gens de toutes parts,


, auoit ( outre ceux qui eſtoient demeurez du premier combat) encores
dixmille cheuaux tousfrais,qui pourn'auoirſenty encores aucune †
1
ne demandoient qu'à voir l'ennemy. Iſmael doncques voyant la reſolu
tion desſiens, & le deſir qu'ils auoient de combatre, futcontent detenter
-
cnCOICS

: ,
-
/

des Turcs, Liure troiſieſme. 3oz


| encores le hazard, mais il commandaà ſes gens de fuir quandilsverroient ºr
les Turcs,leſquels auroient opinion que ce ſeroit ceux-meſmes des iours diſ !
precedens qu'ils auoient mis en route, & parainſi qu'ils les auroientà meſ
pris, & ſe mettroientà les pourſuiure en confuſion, & luy cependant diſ
poſa des embuſches en pluſieurs endroicts, par leſquels les Turcs ſeroient
contraincts de paſſer par neceſſité. Les Perſes faiſans tout ainſi † leur
auoit eſté commandé, n'apperceurent pas ſitoſtlesTurcs, qu'ils ſe mirent
enfuite, & toute la caualerie desTurcsd'vn autre coſté qui croyoit que c'e
ſtoit par laſcheté, ne ſoupçonnans rien de mauuais,veu ce quis'eſtoit deſia
paſſé, & penſans que dés le iour meſme ils pourroient enleuer la ville de
Tauris, les pourſuiuirentàbride abatuë, & pour vſer d'vne plus grande
diligence, § tOllt leur bagage cn arriere, & leurs munitions de Qui luy reuſſie
uerre : mais auſſi-toſt que lesTurcs eurent paſſél'embuſcade,les Perſesſe -
§ , & taillerent toute leur infanterie en pieces, & outre cela pille :

rent tout le butin qui eſtoit enleur camp, & ſe firent maiſtres des treſors
de Selim, & de toute ſon artillerie, lequelayant entendu tout cet eſclan-Les perſes ſ .
dre, & comme ilauoit ſes ennemis enqueue, rebrouſſachemin. Mais lors n†
ien maiſtres

cette caualerie des Perſes, quifeignoit de fuir deuant luy, tourna bride; ſi # #
•º

bien que Selim attaqué de toutes parts, fiſt vne notable perte de ſesgens, #
& fut contrainctauecques ce quiluyreſtoit de ſe ſauuer # fuite, pourre
cucillir ſes trouppes diſperſées de toutes parts, &ayant paſſélariuiere de
romPre le pont equelilauoitfaict, de peur que les Perſesn'euſſentmoyen
dele ſuiure & del'endommager: mais il n'ya nulleapparence que cela ſoit
arriué de la ſorte, cartous ſont d'accord que Selim entra dansTauris, & y
ſeiourna,ce qu'iln'euſt ſceu faire ſi cette victoire eſtoitveritable : auſſi ne
lesannalesTurques,nyles memoires de Verantiann'enfont aucune men #
tion, ileſtvray que c'eſt Menauinquile dit, comme yayant eſté preſent.
Que ſi Iſmaela eu quelque aduantage ſurlesTurcs, ça eſtélors qu'ils ſere
tirerent, comme nousauons ditcy-deſſus, maisie ſuis touſiours bienayſe \

de ra porter ce que diſent les vns & les autres; carencores que bienſou- -

uºnt les Autheurs ſemblent ſe contredire, c'eſt bien ſouuent pour aduan
cerles actionslesvnes deuantlesautres,ioint que § iesTurcs
ont teuce qui a eſté à leur deſaduantage.
Selimlaiſſa doncques paſſer cet hyuer pour donner quelque relaſche à XIX.
ſesſoldatsharraſſez, mais auſſi-toſt que le Soleil commença à retourner ſur -
---

noſtre horiſon, luy à qui la froideur des glaces n'auoit ſceu refroidirl'ar
deur de ſon ambition, & encores moins le deſir de la vangeance, ſe reſolut
daller attaquer l'Aladulien, lequel non content de luy auoir manqué de Selim contr
ſecours lors qu'il paſſa en Armenie contre le Sophy, & de luy auoir refuſé †º
des munitions à ſon plus grand beſoing, il auoit encores faicteſpier ſes
trouPpes pres de l'Anti-taurus, car meſpriſant Selim pourvoir ſes ſoldats LesAladºlien,
cn ſimauuais equipage, ilauoitfaict cacher des plus courageux de ſes ſub-†
icctsaux montagnes, dans des retraictes, qui ne peuuent eſtre cogneuës mºntagnes.
que de ceux du pays, lesTurcs ſe trouuoient ſurpris à tous propos par ces
gººtteurs de chemins en de certains deſtroicts, principalement la nuict,
• Q_q ij
- . -
-

•!º

| -

- -
-

* , , ! - - © ,- *) | • -

· 3o8 · Continuation de l'hiſtoire


uifaiſoient ſur eux vntres-bonbutin, & quelques-fois ces montagnards
- l
# mettans&enquand
malaiſez, trouppe lesvenoient
ils auoient aſſaillir
faict leur coup,parilsdes chemins raboteux
ſe retiroient en leurs ca&
---
· - uernes,ſe † vanger delamort de ſon fils,carce Prince Aladuliensap.
-

l, , | - pelloit Vſtazel, qui auoit eſté occis, comme vous auez entendu, enlaba
| taille de Zalderane. -

| | || Orencores que tout cecy ſe fiſt par le commandement de l'Aladulien,


A toutes-fois ils'en excuſoit, diſant que c'eſtoient certains payſans du pays,
# · : accouſtumez à voler & brigander,leſquels illuy eſtoit impoſſible de dom
| | pter,toutesfois qu'il en feroitvnetelle recherche qu'il puniroit les autheurs
| - de telles meſchancetez, & là-deſſusluy donnoit quelques viures en ſigne
, - d'amitié, mais lanuictilne laiſſoit pas d'enuoyer des trouppes pourlesde
-

·| · ·
|' !
- · ·
-
Selim diſſimu- ſtrouſſer; auſquels maux, Selim ny tout ſon conſeil, ny meſmc la valeur

iuſques en vn - -
-

# de ſes ſoldats n'auoit ſceu trouueraucun remede, ſinon de diſſimulerpour


» " - • • •
-

-
, § lors cette iniure qui ne leur eſtoit que trop cogneuë iuſques envn autre
| -
temps; eſperant Selim que s'il pouuoit auoirvnpeu de temps pour raffreſ
chirſonarmée, qu'il entireroit la raiſon, à quoyil ne faillit point. Cartout
- au commencement du Printemps, il depeſcha Sinan Baſſa auecques des
,
-
forces ſuffiſantes pourauoir raiſon de ce Royteletapres qu'il eut pris com
me nous auons dit, la ville de Kemach ou Keman, qui eſtoit ſur les fron
tieres, & des appartenances du Roy de Perſe,& qu'ill'euſtiointe à ſon Em.
pire; en cetteville on print & emportatout ce quis'y trouua(deſchargeant
c tt de ainſi ſa colere ſurleshabitans de cette pauureville ) & tous les maſlesiuſ
| -
# ques à vn,furent paſſez parle fil de l'eſpée parle commandement de Selim,
le de Kcman- - - - Y - -

| dans laquelle il eſtablit par † de fortesgarniſons, & l'ayant faictforti


" -- '- · fierillamunit de toutes choſes neceſſaires pour reſiſteràl'ennemy.
,
:
- LeS T
De là Sinan Baſſatourna toutes ſes forces contre l'Aladulien,l'intention
- - - - A* 2 •
| '
-
-
- - § " toutesfois de Selim eſtoit de le ſuiure de pres pour luy döner ſecours s'il en
| auoit beſoin, mais ilfut releué de cette peine. CarVſtazel,ainſis'appelloit
| : | ce Prince, que les annalesappellent Dulgadir-ogli, c'eſt à dire fils dVlga
- | | dir, ayant entendu le bruit que lesTurcs venoient à deſſeing de le ruiner,
ayantaſſemblé ſes forces, illes diſperſa parles deſtroicts & lieux forts deſa
- , Prouince, qui eſttoute montagneuſe & enfermée du Taur & de l'Anti
taur, il eſperoit de les attraperaux paſſages, eux qui ne craindroient point
- - les ruſes du nyne ſ'attendroient pas à telle ſurpriſe, de ſorte qu'il auroit taillé ceux-cy
† en pieces auparauât queSelim les euſt peuioindre, maisilauoit affaire àvn
-
# hommetrop fin & tropaduiſé pour § Ie parle de Sinan †
Baſſa, lequelayanteſté aduerty des deſſeins de l'Aladulien par des †
-

qu'ilauoit de toutes parts, fit tourner toutes ſes ruſes contre luy-meſme,
-•.--

4
| carſçachant la retraicte des ſiens, & comme ils eſtoient diuiſez, illes ſceut
-
- paſ « • Prendrº tellemét à ſonaduantage,les enuironnantde toutes parts,qu'ayans
" . §
dulien.
eſtétaillez
nan en pieces,leur&Prince
fit trancherlateſte, àtroismeſmey
autres filsdemeurapriſonnier, auquel Si
qu'ilauoit,leſquels tomberent
conqueſte de auſſi entre les mains desTurcs. Cela eſtantainſi heureuſement reuſſi,tou
" te la Prouince ſe renditincontinentàSinan, l'Aladulie deuenant de cette
-
façon
-
-
-

:
:

-
des Turcs, Liure troiſieſme. 3O9
façon vne Prouince Turque. Cetteguerre ayant eſté auſſi-toſt acheuée que
commencée
liens,le auecques
tout contre l'extermination
l'eſperance de toute
d'vn chacun & delaSelim
race des Princes Aladu- #º
meſmes,quines'at- sinus Ban
du

tendoit pas que cette entrepriſe ſe deuſt terminerauecques tant de facilité,


veu la force de la Prouince, & la† que ce petit Royteletluyauoit don
née à ſon voyage de Perſe, tantily-a de certaines entrepriſes à la guerre qui
rcuſſiſſent ſans peine & à ſouhait, & d'autres que la force nyl'induſtrie hu
maine ne ſçauroientaduancer d'vn pas, le tout dependant de la Prouiden
ceeternelle, qui diſpoſe de toutes choſes ſelon qu'elles luy ſont cogneues,
pour le bien & repos del'vniuers, comme nous remarquerons cyapres.
Apres doncques cette conqueſte, Sinan fut laiſſéau pays pour ordonner
- de toutes choſes ſelonles couſtumes desTurcs, eſtablir les cens & les tri
buts; de ſorte qu'on peuſtiuger cöbiécette Prouince deuoit rendre paran, ,

faiſant en cela tout ce qui eſtoit du deuoir de ſa commiſſion, recompen -


ſant meſmes ſes ſoldats de preſens & de penſions qu'ils appellent du Ti
mar,en ſorte qu'ils'acquiſt labien-veuillance d'vn chacun d'eux,toutesfois
ie trouue ailleurs que cette guerre ſe paſſatout autrement, & qui ſemble
eſtre la plus veritable hiſtoire. -

'On tient doncques que l'Aladulienayantaſſembléiuſques à quinze mil


le cheuaux, & grande quantité d'infanterie,attendit de piedferme l'armée
de Selim envne combe d'aſſez large eſtenduë qui ſe retrouue parmy les
montagnes, au ſommet deſquellesilauoit logé ſesgens de pied de part &
d'autre, & luy auccques ſa caualerie s'arreſta en la plaine, oùilſe fiſtvne † -

fort rude meſlée, qui du commencement tournoit au deſaduantage des # # -


-

Turcs, encores que pour cette fois les trouppes de l'Europe euſſent enta- †º -

mé le combat, ſoubs la conduite de Sinan Baſſa, qui en eſtoit lors le Be- .


glierbey parlamort de Chaſſan. Mais Selim quivoyoit fondre toute cette
infanterie de montagnards ſur les ſiens, leſquels
eſtoient ſi ſerrez dans ce
cul deſac, que leur multitude & leur § eſtoit inutile,ilenuoyavn
grand nombre de harquebuſiers au ſecours, qui firentvne telle ſcopeterie
&vn teleſchec des Aladuliens, qu'ils furent contraincts de ſe retirer dans
lesdeſtroicts plus inacceſſibles de ces montagnes, Selim les pourſuiuant
l'eſpace de ſeptiours.Mais en fin craignant d'affamerſonarmée parmylaſ
Preté de ces rochers, ils'arreſta; & s'enqueſtantaux montagnards (qu'on
Peut attraper)des deſſeings de l'Aladulien, iltrouua † auoitfaict ſortir
des villages tousles payſans, deſquels il en auoit choiſyl'eſlite pour ſonin
fanterie auecques lafleur de ſa caualerie,& qu'il auoit planté ſon camp pres
dvne roche poury ſejournerl'eſté, où ilauoit aſſemblévnegrandeabon
dance de munitions, euitant le combatautant qu'illuy eſtoit poſſible,tant
qu'ils euſſent amené les Turcs en quelques deſtroicts fort aduantageux.
Cºquile rendoit encores plus craintif, c'eſtoit qu'ilſoupçonnoit legene
ralde ſa caualerie Saxouar-ogliſon parent,
duquelilauoit faict mourir le
Pcrcquelque temps auparauant, commeaſpirantà ſa couronne, & meſme
† auoit remarqué qu'à la derniere bataille, la fuite auoit commécé par
LlV.
y - -

Q q iii
•, 31o Continuation del'hiſtoire
il Ces choſes entenduës par Selim, il fit deliurer ces priſonniers, & leurs
faiſant quelques preſens,&pluſieurs belles promeſſes,les renuoyaaucamp
de leurRoyauecqueslettresaddreſſantes à Saxouar-ogli, par leſquelles il
luy mandoit que le temps eſtoitvenu, s'il vouloit, de ſe vanger delamort
--

--
: deſonpere, & de paruenir au deſſus de ſes intentions, car outre ce qu'il
, s'acquerroit ſes bonnes graces, qu'il deuoit reputer pour le comble de ſa
felicité, ill'inueſtiroit encores du Royaume de l'Aladulie, pourueu qu'il
trouuaſtlesinuentions qu'ilpeuſt tirer raiſon de ſon ºnncmy. Les §
ayans communiqué cette menée à Sinan Baſſa, comme il leurauoit eſté
commandé, & faict diligence d'arriuer au camp des leurs, ils declarerent
- le toutàSaxouar-ogli, auquelil ne fallut pas beaucoup tirer l'oreille, car
ily eſtoit deſia tout diſpoſé, mais il auoit affaire àvn Prince fort deffiant,
& qui eſtoit touſiours en garde, ſi bien que recognoiſſant qu'auecques
beaucoup de difficulté pourroit-illuy faire tout ce qu'il deſiroit, il penſa
| | que le plus prompt moyen cſtoit de ſe retirer luy meſme auecques le plus
-
randnombre de caualerie qu'il pourroit versSelim, ce qu'il pourroit ay
† faire pour la grande authorité qu'ilauoit entre-eux, auſſile §
execution, & fitvne telle menée parmy toutel'armée de ſon Prince,ſoubs
l'eſperance des grandes promeſſes & recompences qu'illeurfit,auecquesle
§
auquel il les auoit laiſſez de ſortiriamais de cette guerre qu'auec
la ruine totale de leur pays, que tous les iours les Aladuliens venoient ſe
rendre au camp desTurcs. AE ce pauure Roy ſe voyantaccablé de tant
de malheurs, ne trouua pas plus prompt remede à ſa miſere que la fuite:
mais comme ilalloitfuyant de montagne en montagne, & ſe cachant dans
les creux les plus ſecrets, ſe voyant pourſuiuy par Sinan, & parSaxouar
r† ogli : finalement les ſiens † le trahirent, & allerent deſcouurir à ſes
-

-
#"º ennemis le lieu de ſaretraicte,leſquelsl'ayans prisvif,lemenerentàSelim,
-
, quil'ayantgardé quelques iours priſonnier, luy fiſttrancherlateſte,qu'il
-

4
commanda d'eſtre portée par tous les pays circonuoyſins de l'Aladulie, &
meſmcsiuſquesàVeniſe, comme ſiles Chreſtiens euſſent deu ſe reſiouyr
,r de ſes victoires; mais c'eſtoit pluſtoſt pourles retenir paiſibles voyanspro
. ſpererainſiſes affaires de toutes parts.Apreslaquelle victoireil reduiſitl'A
--
- ladulie en Prouince, de laquelle il fit trois Saniacats, & Saxouar oglipar
deſſus tous, comme illuy auoit promis, & toutes-fois Sinan Baſſa y de
meura tout le reſte del'eſté pour ordonner de la Prouince, c'eſt ainſi qu'on
: raconte la conqueſte de l'Aladulie, où ie trouue plus d'apparence qu'à ce
qu'en racontent les annales Turques, quifont la choſe trop facile pour
· vne Prouince de ſi difficile abord, & pour eſtre alors gouuernée par vn
Prince qui auoit lors les armes en la main, l'vn des fils duquel s'enfuit
en Egypte vers le Soudan, les trois autres paſſerent par la fureur du ci
- mctcrrc. -

--

X X. En cette meſme année, tandis que Selim faiſoitbien ſesaffaires en l'Aſie,


|
•.us .. les ſiens ne les faiſoientpasmoins en Europe Le Baſſa Ionuzes tenoitalors
§ le Saniacat de laBoſſine,homme vaillant deſa perſonne & de † expe
#xis- rience : cettuy-cy deſirant de s'inſinueraux bonnes graces de ſon ſeigncur,
-

&
desTurcs, Liure troiſieſme. 3II
& luy fairevoir enſon abſence quelques effets deſonaffection à ſon ſerui
ce, il ſe reſolut defairetous ſes efforts pour ſe rendre le maiſtre de quelques
dix-huict chaſteaux & places fortes que les Högres poſſedoient encore en %
ſa ProIIince,& leſquelles ſon predeceſſeur n'auoit peu dompter,leſquelles .
ayant reduites ſous la dominati6 desTurcs,ilentra parapresayſement auec I† onuſes en la

ſes trouppes
Socole dans la Hongrierauageâttoutes
, & Cotoroſme, lesfrontieres,
places fortes & d'importance & ioignit
qu'il printTeſna,
à ſon †º gr1e.

Saniacat, ordrefort remarquable entre les Turcs, que celuy quia quelque
gouuernement ſur les frontieres, puiſſe par ſavaleuraugmenterſa reputa
tion & ſon reuenu, & enfin parueniraux plus hautes dignitez, ce qui leur
eſt vn bien vifaiguillon pour les inciter aux actions les plus genereuſes. Bd ordre en
Cettuy-cypourſuiuant § fortune, ſe ſaiſitencores de pluſieurs au- "s lºTurss.
tres places & petits chaſteaux où les Hongres ſouloient hyuerner. Ce que
le Roy de Hongrie Vladiſlaus(qui regnoit pour lors)ne pouuât ſupporter,
amaſſa le plus de forces qu'il peut, deſquelles il donna la charge à Batori
Iſphan, † , c'eſt à dire, à Eſtienne fils de Batori, homme bel
liqueux, & quiauoitfaictdeſia pluſieurs fois preuue de ſavaleur, luy com
mandant de s'enaller caperaudeſſous de Semendrie,afin que tenant toutes
lesauenuës,ilprintapres ſon temps & l'occaſion de ſe §r de laville pour
cefaire ily fitapres conduire del'artillerie pourl'aſſieger, ſi bien qu'ils eu -

rent le temps defaire leurs retranchemens, & de commencer à battre les Le Hergre,
fortifications de laplace, auant quelesTurcs ſe fuſſent mis à bon eſcient †**
en deffence : car Aliſbeg, fils de Iachia Baſſa, quiauoit lorsleSaniacat, &
gouuernement de cette place, n'auoit pas donné ordre aſſez à temps à ſes -

affaires pour § venuë des Hongres, & deffendre ſes frontieres †


> > -

s'aduiſant,mais ſeulementàl'extremité, qu'ilsen vouloient à ſa ville, la-* #


quelle ils eſtoient pour emporter, ſi elle n'eſtoit promptement ſecouruë,
ouſieux-meſmesyvenoient auecques les forces requiſes pour emporter
vne telle place, & veniraudeuant du ſecours qu'elle deuoit auoir infailli
blºment s'ilsne ſe diligentoient.Celaluyfit enuoyer en diligence descou-n. s.
riers à Selim, pourl'aduertir del'eſtat deleurs affaires, qu'ilvoyoit en mau- †s°
uais termes,s'iln'eſtoient promptement ſecourus. Selim eſtoit lors en Aſie "
au ſiege de Kemach, lequelayant receuces nouuelles, il entra engrande
crainte que les Hongres n'euſſentfaictvneligue auecques les autres Prin
cesChreſtiens, & quetandis qu'ileſtoit eſloigné, ilsvinſſent s'emparer de
ſes terres, & donnaſſent des § à ſes gens qui tenoient leurs frontieres,
s'ils n'eſtoient promptement ſecourus. † fiſtaſſembler ſon conſeil,
Pour ſçauoir commentil ſe deuoit comporter en cet affaire, & s'il deuoit
faire marcher les forces qu'ilauoit en Aſie, & donner la charge à quelque #
chefparticulier,
ſe inopinée
comme Sinan Baſſa ouautre,pourreprimerparvne cour § "
de caualerie les deſſeings des Hongres, ou bien ſi on deuoit,
ſansrientroubler, & ſans changer de deſſeingſe ſeruir des forces meſmes :
delaProuince, pour faire leuerle ſiege de deuantSemendrie, & faire reti
rerles Hongresaulogis.Cetaduisſembla le meilleur; ſibien qu'on manda
$

W. - - - | | . - -

à Aliſbeg, qu'endiligenceilenuoyaſtpartoutes les Prouinces circonuoy


-

| 3I2 · Continuation de l'hiſtoire


1| , ſines, pouraſſemblerlesSaniacs, & ceux qui eſtoient demeurez enla Ro
· · melie, & que Selim n'auoit point menez quant & luy en ſon †
| - - de Perſe, afin qu'auecques leurs forces ils euſſent à promptementallerdon.
| : ! - oidre que# ner ſecours à Semendrie, ce qu'Alys fitle plus diligemment qu'il luy fut
| . l '
- †
grie.
poſſible,ſibien
enla contrée desqu'il aſſembla
Zirfiens les Saniacs
ou Seruiens, celuyded'Iuorne
Nicopolis,
en lad'Alatzechiſare,
Boſſine, d'Ich
" ! timane,quieſtauſſi enlaZirfie, que les Grecs ſouloientappellerSteuima
i - . '
che,auecques
ſans les § le Saniac de la Boſſine,
Accangis, leſquels
qui ſuiuent tousvindrent
les armées Turquestrouuer Aly,
ſans aucune
- paye, ains ſeulement ſoubs # erance dubutin; car auſſi-toſt qu'ils ſceu
rent que laguerre eſtoit denoncée en Hongrie, ils ne faillirent pas dyac
• courir de tous coſtez, mais celuy qui fut le plus prompt à donnerceſe
|| - cours, fut Muſtapha Beg, le Saniac d'Iſuorne, comme auſſiles Valaques
.
1e,Tures,ac firentvne grande diligence à venir au ſecours d'Aly, qui auoit aſſemblé
† tout ce qu'ilauoitpeuduterritoire deSemendrie : comme doncquestous
4
l'
--

| | #-lesautres Baſſats ſefuſſentaſſemblezauecques Baly,ilsallerenttousenſem


-

- " ble donner ſecoursaux aſſiegez.


Deſiales Chreſtiehsauoient, comme nousauons dict,faict leurs retran
j -

-
chemens & braqué leurartillerie, & par vne baterie continuelle auoient
Les efforts des - - - »

-
-

§ tellement §
les murailles & lesbouleuers de Semendrie, qu'ilsente
-
-,
#" noientlapriſe preſque pourtouteaſſeurée,ilsauoient enleurarméevneaſ
-
ſez belle infanterie pour lagarde de l'artillerie, quis'eſtoit remparée & re
tranchée d'vn bon & large foſſé, & le reſte de l'armée eſtoit diſpoſé en
|, -

ſorte qu'elle eſtoit enuironnée de chariots enforme quarrée; lesTurcsap


-l

pellent cette forme de fortification Iſtabor, qu'ils pourroient bien auoir


|. tirée des Venedes ou Pruſſiens, quiappellentvnc deffence & fortification
Thabor,ayans toutes-fois laiſſé des ouuertures à propos pour pouuoiren
--":
trer & ſortir dans le camp quand bon leurſembloit.Enfincontre toute eſ
peranceonfut eſtonné qu'onvidce grandſecours quivenoit pourlesaſſie
Il,.a. nº 8º , mºis ſur toutvn bruitinopiné quifeſpandit parmy ceux qui eſtoient
--
º--
#º munitions quelesTurcsapprochoient, & ceux-cyvenansa donnerau
§ meſme tempsauecquesvne grandeimpetuoſité, cela dis-ie les eſpouuen
† ta deſorte, que n'ayans pas,nyle temps nyl'eſprit raſſis pour auoirrecours
à leurs armes, ils quitterent toutes leurs deffences, & mirent en oublytou
*
\ , tes leurs munitions, mais ſeulement penſerent de ſeſauuer dans cet enclos
A de chariots, que nous auons dit cy-deſſus, où eſtoit le reſte de l'armée.
Mais ſi ceux-cyauoientfuy pour desauant-coureurs, ils s'eſtonnerenten
, coresbien dauantage quand ilsvirent les trouppes d'Alyſbeg, qu'ils n'a
| | gradecoaſ - uoient point entendues eſtre ſi proches d'eux, car vne telle terreur ſaiſit
· # alors toutel'armée Chreſtienne, qui pour ſon imprudence auoit eu trop
-
, ii de confiance en elle-meſme, & n'auoit pas preueu ce qui pouuoit arriuer,
| - que faute d'yauoir donné l'ordre requis en telles affaires, quand ils ſe vi
rent ſurpris, ils ne firent plus rien qu'en confuſion, ſe preſſans les vnsles
autres, & ſe demandans d'où pouuoit eſtre ſorty'ſigrande multitudede
-:
Turcs. - \

· 1 Toutesfois
|,

--
des Turcs, Liure troiſieſme. . 313
· · Toutes-fois il n'y eut que le Saniac d'Iſuorneauecques ſes forces, & les
Ianaci, ce ſont des Ieunes hommes fort vaillans & courageux, que les †
Turcs nommentainſi de la ferocitéde leurs courages,auccqueslesgens de #
pied Valaches de la Prouince de Semendrie, qui ſe ioignirent enſemble,**
&qui vindrent † les Chreſtiens,lereſte demeurantarreſtez ſansre
muer les mains, faiſans ſeulementvoir de loingleurs trouppes aux Chre
ſtiens. Que ſi Alyſbeg euſt deſployé l'enſeigne , & ſonné la trompette
our vncombatgeneral, faiſant àl'inſtant de l'eſpouuente marcher toutes
ſes trouppes, ils euſſent ſans difficulté mis en route larmée Chreſtienne. †
Laquelle voyant que lesTurcs ſe diuiſoient, & que les vns venoient ſeule- §
ment au combat, & les autres faiſoient eſtat de ne bougerd'vne place, ils †
ſeraſſurerentvn peu, ſi qu'ils ordonnerent quelques-vns d'entre-eux pour
tenir teſteaux Turcs, ou pluſtoſtpour reſiſter & reprimer leurimpetuoſi- Bel ordre des
té, & cependant ayans emmené aueceux leurs chariots, ils ſe retirerent #º
dans leurs confins.Ce quileurreuſſitaſſezheureuſement; carfaiſans mar-§ .
cher leurs chariots les derniers, ils ſe mocquoientayſement de tous les ef-†"º
forts desTurcs, auecques leſquels ils neceſſerent d'eſcarmoucheriuſques
àcequ'ils fuſſent proches de Bellegrade. Entreles plusgenereux Turcs,vn Duel d'vn
Danudes Balys capitaine d'Azapes, & qui marchoit ſoubs l'enſeigne de r§ §
· Muſtapha Beg, cettuy-cyayantacquisvne grandereputation par tout le †
Royaume de la Boſſine, donne des eſperons à ſon cheual, & s'aduançant "sº
bienloingdeuantles autres, appelloit quelque Chreſtien qui vouluſt ſe
battre en duel contre luy, à condition que levainqueurtrancheroit lateſte
auvaincu ; ce qu'ayanteſtéaccepté parvn d'entre-eux, on le fit ſortir de la |
cloſture, & lors prenans du champautant qu'il eſtoit neceſſaire pour don
nercarriere àleurs cheuaux, qu'ils laiſſerent courir à toute bride, & met
tans la lance enl'arreſt, ils faillirent d'atteinte, mais ils ſe heurterent ſi fort i

l'vncontrel'autre, que le Chreſtien plus foible que le Turc, fut renuerſé


† terre, & l'autre deſcendit auſſi-toſt de cheualquiluy couppalateſte, & Recomsºnet
emporta vers les ſiens, & la monſtra apres au general Alyſbeg, lequel §
layant fort honoré pour ſavaleur, le recompenſa encoresd'vn bon pre-"
ſent.Tant y-a que cetteaffaire ſe paſſa
en ſorte, que beaucoup de Chre
ſtiens demeurerent, ou morts ou priſonniers , ils receurenttoutes-foisvne

grandeloüange de leurs ennemis meſmes, de ce qu'ils ne troublerentia- .


mais leur ordre enleur retraicte, non ſeulement au partir de Semendrie,
º encores qu'on les pourſuiuiſtviuement à dos, ils continuerent tou
ºfois leurcheminſi ordónement, qu'il ne paroiſſoit nullementvnefuite, Leschrenºns
iuſques à ce qu'ils euſſent paſſé le fleuue de Saue, & qu'ilsfuſſent paruenus à †
lamaiſon. | .
cte ſans con
fuſion.

Pelautre coſtélesTurcs ayans obtenu fipromptement & fi facilement


º Victoire, Alyſbeg emporta quant & ſoy tout ce que ſes ennemis
ºnt laiſſé,ſes ſoldats n'yfaiſanspasvn petit § le reſte fut laiſſé dans TurcsButinau cáp
la fºrtereſſe de Semendrie, où deux outrois cens Hon
des
gres, caron dictl'vn §#
& lautre , furent menez enchaiſnez en vne chaiſne, ayans chacun aux
º des menottes defer, pour paſſerle reſte de leurvie en ſeruitude. Le
·Rr
"IrT

| 314 , Continuation de l'hiſtoire


meſme Alyſbegayant pris quatre ou cinq enſeignes ſurles Hongres ,apres '
-
,* enauoirfaict renuerſer la pointe,ſelon lacouſtume desTurcs,illes enuoya
*# !
à SultâSelim pour marques perpetuelles de ſa victoire,auecques pluſieurs
teſtes de Chreſtiens qu'ils auoient occis, & pluſieurs eſclaues qui auoient
-

-
eſté pris en cette expedition. Mais afin que Selim en euſt plus prompte
mentlesnouuelles pourl'oſterde la crainte en laquelle ileſtoit(carcecyne
Alyſbeg en- luy eſtoit pas de petite importance :) illuy cnuoyavn courier expres pour
† laſſeurer de cette victoire, & raconter de poinct en poinct comme toutes
# # choſes s'eſtoient paſſées, & que tout eſtoit paiſible & aſſeuré en ces con
nöcer les nou
uelles de ſa vi trées-là.Ces bonnes nouuelles furent receuës de Selim auecvne tres-gran
ctoire,
deioye,ce quifut cauſe qu'il donnavne robbe forthonorableau meſſager,
· · & l'ayant faict rembourcer de la deſpence qu'ilauoitfaictelelongdeſon
| | | | La recompen V9Yº8° » illuy donna encores outre ce trente mille aſpres , qui peuuentre
· · · · · # à uenir à quelque cinq cens eſcus couronne, & outre cel'office de Subaſſi,
ce couricr. - - " - - - - - -

i :
·
| comme ſi on diſoit Preuoſt de camp,ouiuge criminel, quelques-fois auſſi
--
| | comme vn commiſſaire des viures. -

-- XXI. En ce meſme temps Ionuſes Baſſa, duquel nousauons parlé cy-deſſus,


-· qui auoitle Saniacat de la Boſſine, ayantaſſemblé toutes les forces decet
|# | | -
te Prouince, vouluttaſcher de recouurer ce que le feu Roy Matthiasauoit
conquis ſur les Turcs enicelle, du temps meſmes de Mahomet; & entre
i
| -
autresil deſiroitrauoirlafortereſſe de Pozziga, ou Poſtchega,ſituéeenla
# Secöd rauage plainevoyſine du fleuue de Saue 2 laquelle ayantaſſiegée auecques toutes
§ ſes forces, & toute l'artillerie † il peut ramaſſer en ſon gouuernement, il
|

| † laprint &ylaiſſabonnegarniſon, &s'enallaauecques ſon armée faire vn


-

| º
#
|
-
# de degaſt partoute la contrée, † eſtaux enuirons de la ville de Iaitze, me
| | | . ' tropolitaine du Royaume de la Boſſine, quiappartenoit encores pourlors
,.
au Roy de Hongrie, faiſant vn rauage & vne ruine nompareille partout
où il paſſoit, de champs, devignes, de iardinages, ne pardonnantpasaux
|
|
,
| . ::
| - § plus inanimées, & s'en retournant riche d'honneur & de deſ
pouïlles en la maiſon. •. -

| Or Ionuſes pouuoitbien faire ſes expeditiós entoute aſſeurance, carles


Hongres eſtoient aſſez empeſchez chez eux pourvne grande ſedition qui
|
| Sedition en s'eſtoit eſmeuë par tout le Royaume : car comme le Cardinal de Strigo
Hongrie. º nia,pourreſiſteraux Turcs quifaiſoientàtQus † les degaſts que vous
$b

---

| ,! auez ouys euſt preſchévne Croiſade, & que pluſieurs milliers d'hommes
# ſe fuſſent
auoit deſiaenroollez,Vladiſlaus
enuoyé vn Ambaſſade à Selim(qui
pourregnoit
pouuoirpour lors la
obtenir enpaix;
Hongrie)
mais
| | | d-

| | | pour cela ceux quiauoiét deſia pris lesarmes,nelesvoulurét point quitter,


, , ,
: | ains eſlearent pour Roy ſur eux vn certain Georges Zeck,quiauoitautres
"
· · fois heureuſement combatu contre lesTurcs, & s'eſpandans par toutela '
|. | Rauages des Hongrie,ils firentàlamaniere desſeditieux vnrauage nompareil, pillans
ſeditieux.
& maſſacranslesnobles du Royaume, leurs femmes & leurs enfans,abba
i i | tans leurs chaſteaux & iuſques aux Monaſteres & lieux de Religion, vio
lans les ſainctes vierges, & en fin laiſſans des marques par tout où leur fu
| | |
º - | reur ſe peut eſtendre, ils empalerentmeſmes l'Eueſque de Chone au Prº
uers
| | :

| | | | ,

| | | | | |
-

| | | *
#
t ,
, : !
. !
| |
'. · | 2
- - - - , • - · • - - :
des Turcs, Liuretroiſieſme. 315 | ·
ucrs du corps en vn pal debois,menaçans d'en faire de meſme àl'Archeueſ . i ' , •

que deStrigonie & auxautres P relats Eccleſiaſtiques.Pour reprimer ces fu- - - · · · · · ·


rieux le Roy Vladiflaus depeſchale Vayuode Iean, âuecques les meilleurs Hiſtoire cronolo-
&plus fideles hómes qu'il peutamaſſer,quifirentvn teldeuoir, que toute # •
- · · · · #
· ,
-

rie ,, recueillie
grue
cettearmée de Zekians(ainſi les appelloit-on à cauſe de leur chef) miſe en # # ·! - · · , • *

rout e, & lameilleure partie taillée en pieces, ou priſe priſonniere,leur Roy *** · · · • . · · - º "
meſi12 e tombavifentre les mains duvainqueur, lequelon fit mourir d'vne
mort auſſi cruelle, qu'autre dont onaytiamais ouy parler, caronle cou- - • - ut
ronna d'vne couronne de ferardente,apres cela on luy coupales deux vei-. Leur
> - -
§ Royy Ppris - -
-
-
| -- . '

nesdes deux bras, que l'on fit ſuccer à ſon frere LucZeck, en outre on laiſ- - - ' .
ſa trente payſans trois iours entiers ſans manger choſe quelconque, afin - . · . ||
·
- †uecontraignirent
la violence de la faimles forceaſt de faire ce qu'on voudroit, leſquels
de ronger & deſchirer auecques les dents le ventre & les Son ſuplice
-
:
r • • •
5 l .
-
|

-
autres parties de ce pauure Roy (quieſtoit encores tout plein de vie ) & de cr &§.
-
-

-
l,
-
- - | |
|

" s'enrepaiſtre,luycependant ſouffranttoutes ces choſes auecques vne con- - - |


|

- ſtance incroyable,ſanss'eſtonner de la cruauté de ce tourment, nymeſmes ' -


# ' • n **
ſans ſe plaindre, priant ſeulement qu'onpardonnaſtà ſon frere Luc, qui ,
-

x , ,
-

, º" .
n'auoit pris les armes & ne s'eſtoit portéàcette guerre qu'à ſa perſuaſion. . • -

Côme donc ſes membres euſſenteſté tous deſchirez, ilsl'euétrerent, & iet- . ' t.
4 - · · · ·

terent ſes entrailles, puisl'ayans mis par morceaux, ils enmirétvne partie à · · · ·
labroche, & le reſte dans des pots,& le firent mangerà ſes ſoldats,leſquels \ | | | | - ·

ayans eſtérepeus dvnſi ſanglat & barbarefeſtin,ils firent mourir auecques \ ' | , "!

Luc Zeck
uenter de pluſieurs ſortes
: cruautéàlaverité deſuplices,
inouye, les plus
& qui faict cruels cheueux
dreſſerles qu'ils peurentin- ete , deſ ,
à la ſeule ſºldats · · •
| ·
-
· ,
| |
| !
| | -

#
penſée, devoirl'homme ſiacharné contre ſa propre nature, & ſibarbare
ment cruel contre ſoy-meſme, quandilvſe vnefois du tranchant de larai |
| #
ſon, n'ayant peu paſſer cette hiſtoire ſoubs ſilence, veu meſmes qu'elle " | i

ſert pourfairevoir à quoy les Hongres eſtoient employez durant qu'on | | | | - · · ·


faiſoitvntèlrauage ſurleurs terres; ſi bien que toute cette année, que les - , | | | | |
Annales diſent eſtre de noſtre ſalut milcinq cens quatorze; & de l'Egire · | | |
ncufcens vingt, fut fort heureuſe pour Selim, tant enlaNatolie qu'en ' . | | |
lEurope, en laquelle ilreuint paſſerſon hyuer à Andrinople, quifut fort s |
† cette annéelà; & toutes-fois Andrea Cambini Florentin,tient qu'il lenniuaires., -
| | |
-
|
| •
-

-1
·
, 1: .
· , ·

º Paſlà à Iconium ou Cogni, & que là ſe fit vne autre ſedition des len- | | | | | | |
nitzaires, que le CommentaireVerantian dit eſtre arriuéc à Amaſie. • i l | -

Car Selimayant deſſeingde retourner contre le Sophy, deſiroit d'hy- ( . - | | | |


ºmer ences contrées là afind'auoir ſonarmée plus prompte & plus diſpo. | - , ' . - -

ſºquandſeviendroit le Printemps. Or tous les Iennitzaires redoutoient - * - | | | |


la #ºrre de Perſe, plus que choſe dumonde, voyans bien qu'il n'y auoit · | | | |
ººgaigner que des coups, refuſoientd'hyuernerailleurs que chez eux. . · , i -
* Selim s'eſtant rendu plus opiniaſtre, accouſtumé deſia à toutes , -- . - | | | · 1

ºcrieries,ioinct qu'il s'en eſtoitrendule maiſtre la derniere-fois,quand - - - -


-
-

| :
·
- - - - - - | | -
-
-
| -

ºutfaire laguerreaux Georgianiens, ils ſe roidirent auſſi contre ſon ' ! · · · · · · ·


ºPºſtreté,& luy direntreſoluèmétque s'ilne les vouloitremener, qu'ils º - | - | .
ºººourneroient bien
• º | eux-meſmes, qu'ils ne manqueroient
* - R r ijpoint
, ' de -
- -

| · · - | | | ,| |
"- -
-
- -

- -
- -
|
-


- d|

- - 4 : - . . | |
-
*

|
:
:
*III '

316 Continuation del'hiſtoire


--
chef, ny à qui pouuoir obeyrtant que ſon fils Solyman viuroit. Ces der
nieres paroles troublerentfort Selim, & le firent entrer en ſi grand ſoup
l,
çon(ceux quitiennentle ſceptre des Turcs ne pouuansviure qu'eninquie.
tudes,s'ils ont quelque enfantvn peu grand, ou quelque autre prochepa
-

l 4 ' piilent la mai rent) ayantveu meſmes que les Iennitzaires eſtoient allez en la maiſon de
-· § Pyrius Pyrrus Baſſa, qu'ilsauoientenuironnée, forcéeà cheual,
& pillée, ſelonVerantian,
-

* Baſſa. que lanuictſuiuanteilſe deſguiſa,& montant auecques fort peti


| :+
te compagnie, cheuauchant iour & nuict tant qu'il arriua à Scutari, où
ayant paſſé le deſtroict ſans ſe donner à cognoiſtre,ilvint dans ſon Serrailà
| Conſtantinople, où ilfuttroisiours renfermé ſans vouloir donneraudian
|
· , c un i ce
nople.
à perſonne,
(toutesfois ie neiuſques à ce que
puis croire quecettuy-cyen
le meſme Pyrrus Baſſa, &laſuitte
ayt eſté,côme le Caſſiaſcher
de cette
:
hiſtoire le fera voir) luy demanderentlaraiſon d'vne ſi profonde triſteſſe.
Mais#'en ay-ie pas ſubiect, dit-il, puis queie ne ſuis plus rien en cet Empi

i |
re : ne ſçauez-vous pasauecques quel audace, les Iennitzaires ont reſiſtéà
mes intentions : & que (non contens de m'auoir deſobey) ils memena-,
i cent de ſe ranger ſoubs vn autre chef, mais ces deux-cy firent en ſorte
- · qu'ayans deſcouuert les autheurs d'vn tel deſordre, ils rendirent la choſeſ
• , criminelle àtous les autres Iennitzaires, qu'ils allerent eux-meſmes querir
Les Icnnitzai
-

§ lescriminels, & lesamenerent à Conſtantinople, les mains liées par der


†riere, leſquels eſtansarriuez à la porte du Serrail, commencerentà crier mi
*
" P" ſericorde,remettans toute cette ſeditionſur leurs chefs,le prians de pren
-

dre ſur ceux-làvne punition ſiſeuere, qu'elle ſeruiſt d'exemple àl'aduenir.


† Selim receut leurs excuſes & leurpardonna, faiſant mourir tous les chefs
i§ de la ſedition. ' .
Ce quiapportavnetellefrayeurà ſon fils Solyman, que craignant qu'il
soigna cºins euſt quelque mauuaiſe impreſſion de luy, pour les propos qu'en auoient
†º tenuz les ſennitzaires, que venant baiſer les pieds à ſon Pere, il taſcha de
ait vne mau
†. luy faire voir auecquestoute la ſubmiſſion qui luy fut poſſi ble, ſon inno
vie § cence, & que les Iennitzairesauoientaduancé tout ce qu ils auoient dit de
leur propre mouuement, ſans qu'il en fuſt participant d'aucune choſe.Se
lim ne fit point en cela de demonſtration qu'ileuſt quelque doute delafi
-

delité de ſon fils, mais comme il eſtoit Princefort cruel, & qui ne cher
| |
choitque les occaſions de reſpandre leſang,ils'imagina que le toutvenoit
parles menées d'Achmet Baſſa, ou pluſtoſtilfutbien ayſe de trouuercette
couuerture pours'en deffaire auecques quelque apparence de iuſtice : caril
selim fia ſe ſouuenoit combien on auoit trouué mauuais qu'il euſt faictmourir les
#a Baſſats
Vizir.
Chendeme & Muſtapha.
Cet Achmet cy eſtoit Epirote, de la famille des Ducagins, de laquelle
ila eſté parlé en la vie de Mahomct ſecond, il eſtoit alors grand Vizir la
ſouueraine dignité apresl'Empereur, quin'atoutes-fois aucungouuernc
ment, mais ne bouge de Conſtantinople (comme celuy qui doit manier
& conduire le timon de ce grand Empire) ſi ce n'eſt que l'Empereuraille
ailleurs, ou qu'il veuille luy-meſme ſe trouuer enſes armées, carilſuit touſ
iours la Cour; quelques-vns ont dit qu'il le fiſt mourir pourſes concuſſi6s,
-
-
- - ſe
-

---

-:
( - , • - |

desTurcs, Liure troiſieſme. 317 |.

º - ſerapportâs peut-eſtre à ce que dit Paul Ioue,qu'il eſtoit fortauare,fortam- · · ·


bitieux & perfide,eſtantvn de ceux quiauoiéttrahyle deffunct Empereur. - · · · | | |
Car enfin le temps, cóme vous auez peuvoir,a faict cognoiſtre la perfidie - - ' • : #
de rous les principaux officiers de la cour de ce pauure Prince,& que ce que - ·
firent les Iennitzaires ne fut pas vne ſimple emotion, mais vne conſpira- - - · · · · ·
tion , laquelle meſchanceté retomba ſur la teſte de tous ceux qui enfurent . - | -,
COLI pables. Mais reuenant à Achmet, le Commentaire Verantian, tient - · · · , •

que Selimmit
res, en auant
ſe ſouuenant qu'ilauoit
peut-eſtre de ce eſté
qu'ilcauſe de ce murmure
auoitfaict autres-foisdespourluy,
Iennitzai-
& cauſe de ſa II}OIU . · · · · · ,!
-

- craignant qu'ilne luy enarriuaſtautant qu'ilenauoitfaict à ſonpere, parle | - -

moyen de ſon fils, & que pour cetteraiſonille fit mourir: Ce que Leon- |' | |. ".
-

clauius tient pour le plus veritable. Pourlemeſine crime,ouſoubs lemeſ-e...resder , | | |


' me Pretexte, il fit auſſi mourir Iſchender Baſſa qui eſtoit ſongendre,Tat-§
- - - - - - ſats. | | -
| | -- -

zi-zaden, c'eſtàdire de la famille des Tatzis, que nous dirions en noſtre " : : · |

- langue des Leuriers, lequelauoit la charge alors de Caſſiaſcher ou Cadfleſ- , " . - ·


|

· cher, & c'eſt ce qui m'a faict dire cy-deſſus, que ie ne pouuois croire qu'il |
1
- euſt eſté trouuer Selim, car il n'auoit pastant de familiarité pour ce faire,
- ioinct quel'Empereur ſe deffioit de luy,le quatrieſme fut Balgemezes,c'eſt
à dire quine mange point de miel, cettuy-cyauoit la charge de Senuen ou
Segnan Baſſa, comme ſion diſoit celuy quiala ſuperintendance ſurtoutes
lesbeſtes devoiture, & ſurtous ceux qui les conduiſent, il en fit encores -

· mourir quelques autres, mais nous dirons chacun enleur lieu, tout cecy \ - | : |
- cſtant arrriuéen cette année 1514. · · |. - '. - -

: Ayant doncques faicttous ces maſſacres, il deſiroit infiniment d'auoir XXII. - | | | |


ſaraiſon des † car commeila eſté dit, s'il les auoit vaincus, il auoit Sec6de entre- -

trop reſpandu de ſang pour s'en glorifier, & les meſaiſes & les neceſſitez§ t #
queles ſoldats auoient ſouffertes par le chemin,faiſoient qu'ils employoiét †"
- pluſtoſtle temps à ſe pleindre qu'à conter leurvaillance&leurs beaux faits; -

ſibien que ce n'eſtoit qu'vn peu de vent quileur faiſoit dire qu'ils auoient 7 | | | | | |
battu les Perſes, mais le reſſentiment de leurs douleurs leur faiſoit croire # - | | | | -

† eſtéfortmal-menez : cela doncques les portoit à deux paſ-† - -

ions diuerſes : car ſi Selimdeſiroity retourner pour ſe vanger, les ſoldats - | | |


redoutoient ce voyage de crainte desyperdre,voyans bien qu'iln'yauoit - - 1 . " | r
rienàgaigner que des coups, toutes-fois il falloit marcher, car la pleinte · · } · · · · · ·
qu1auoit eu quelque apparence en temps d'hyuer, n'eſtoit point receua- . . - ·
le au Printemps, où toutes choſes ſe preſentoient à eux à ſouhait, main- . - · ·
ºnt meſmes qu'ils auoient ſubiugué les Aladuliens, & qu'ils auoient M , ss - · · ||
Pºurarriisles Georgians, car de quelque coſté qu'ils euſſent voulu mar-†. | | · · |
cn r,ils ne pouuoient manquer de prouiſions.Ces meſmes corfſiderations § #. - | - -- ' . '

-

†slettresaddreſſantes
Selim dauantage, & luy firent enuoyer par tout des cou-"
riersau à tous gouuernèurs, de Prouinces, For-
-

| · ·, ·
|

|
· -

, tereſſes ou ourgades,tant dela Natolie que del'Europe,àtous autres qui - | | |


• tiroient g ges ou penſions de luy,à ce qu'ils euſſentà levenirtrouuer.Tou- # ' ; - | | |
§† gis & les Spahisdel'Éurope, quin'auoient pointvaillant "gº
plus de dix milleaſpres,illeurpermit de demeureràlamaiſon, & les exépta
- º

|
|
|
|
| |
v
4 | Z
* ,
- - - R r iij - | | | |

|
|
| |

| |
| |
| l
318 | | Continuation del'hiſtoire
de cette guerre, pour de certaines grandes conſiderations, & quant aux
| #it 1i, autres plus noblesAccangis quivindrent pour cette expedition,ilendon
·
| nala conduite à Chaſſanbeg fils de Omarbeg, eſleuant Ionuſe qui eſtoit

|
|$ -

, · Saniac de la Boſſine, à la dignité de Beglierbey de Romeli, & Muſtapha


| | | || fils de Muſtapha Iuruis, quiauoit eſté en la guerre contre le Sophy, & que
2
|
Selim auoit § mourirenla place de l'autre, outre ceux-cy tous les †
dats de la Romelie, qui de leur mouuement vouloient marcher à cette
e ! ··
# guerre, & les Ianacs que nous auons dit eſtre leur plus courageuſe ieuneſſe,
· qui eſtoientbien montez,illes receut en ſonarmée,& leur donnaà chacun
-

| douze aſpres leiour. Commeil ſe vidauoiramaſſé iuſques à quatre mille


1 Imrehors.cbons cheuaux ou enuiron, illes enuoya deuantauecques deux mille Ien
--
†. nitzaires aux villes de Carahenude, que les anciensappelloient Anude,&
lºº de Keman, qu'ilauoitnagueres conquiſes ſurles Caſſelbas, leur donnant
| |
, -
pour chefl'Imrehor Baſſa, à ſçauoir ſongrandeſcuier, & non ſeulement"
ſur ceux-cy, mais ille declarageneral de toute l'armée, ſi bien que lesSan
:| •,
iacs levenoientaborder de toutes parts, &autre grande quantité de gens
1., , , , dºgºrres ſi qu'il aſſembla en moins de rien, plus ou moins de cinquante
§"" mille hommcs, leſquels il enuoyavers les contrées plus Orientales, pour
| ,'
fortifier ſes frontieres, & les munir de toutes choſes neceſſaires contre la
--

- †
du Sophy, tandis qu'il feroit plusgrande aſſemblée, &s'eniroit
# luy-m eſme leurſeruir de conducteur, afin qu'ils combatiſſent doreſnauant
:
-
§ non ſeulementſoubs ſes auſpices, mais auſſi ſoubs ſa conduite, nes'envou
i| *** lant pas fier envngeneral,faiſantvngrandiſſime appareil de toutes choſes,
-
| entre les autres, d'autant qu'ilſcauoit qu'il ne pouuoit apporter d'auanta
ge de terreurà ſon ennemy que par la ſcopeterie, outre le nombre ordinai
re qu'il ſouloitauoir d'harquebuſiers,ilenleua encores quatre mille ou en
roriiie ſonºr uiron, qu'il faiſoit touslesiours luy-meſme exercer pour leur donnerda
mée d'harque- - » . • -\ - / . ſ" • V

-:
†" uantage de courage & d'experience. Or toute cette aſſemblée ſe faiſoit à
Andrinople, commeilviddoncques tout ſon equipage en bon ordre, il
amenatoute ſonarmée à Conſtantinople, oùilne fit pas long ſeiour qu'il
ne paſſaſtincontinentapres à Scutari, † deſtroict du Boſphore § S'en
aller en Aſie, où il ne fut pas pluſtoſt arriué, qu'vne grande multitude de
gens de guerre ne le vinttrouuer de toutes parts, qu'ilioignitauec celles
qu'ilauoit amenées quant & luy:Mais deuant que partirvoicy l'ordre qu'il
donna enl'Europe. . - - · :
-:

ordrequese Ilauoit, comme nousauons dit,faict paixauecques lesVenitiens; mais


† ilſçauoit que Maximilian Empereur,Vladiſlaus Roy de Hongrie,& Sigiſº
Prouinces de
#
ue de s'ache- mond
- Roy de Polongne, auecques pluſieurs autres puiſſans Princes du
- - - - - - -

† Septentrion,auoient tenuvne diette &aſſemblée fort celebre, pour per


"* ſuaderlcs Alemans, les Hongres & les Polonnois à luyfairela guerre,àce
| qu'on diſoit, celaluyauoitfaict enuoyergens de toutes parts, qu'il entre
tenoit à grands frais, pourhanterles Cours des Princes Chreſtiens,&s'en
## querir § gemment detour ce qui s'y paſſoit leſquels luv ayans rapporté 5

§† - qu'ayans diligemment eſpié toutes choſes ils n'auoient ceu rien appren-,
2

dre de toutes ces aſſemblées des Chreſtiens, ſinon demagnifiques haran


- 2 . - , - gucs,
· des Turçs, Liure troiſieſme. 319
#. gues, & de ſomptueux feſtins, que les Roys & grands ſeigneurs s'eſtoient - -

§its àl'enuy lesvns des autres, ſans rien conclure de ce pourquoyils eſtoiét \ ·

aſſemblez.Alors deliuré de toute crainte,iltourna ſes penſées vers l'Orient,


car il ſçauoit que Sigiſmondauoit pour lors aſſez d'affaires à bien deffen- .
dre la Lituanie contre les Moſcouites, que Vladiſlaus peſant de ſoy-meſ- .. , .
me, à cauſe deſagraiſſe, eſtoit encorestoutmaladif, & quant à Maximi-r# nces Chre
lian, qu'ilauoittous
n'aſpirant ſes deſirs en Italie,parlamortoportune
qu'à nouuellesguerres,ſoitcontre de Ferdinand,
les François ou contre †
lesVe- #c
> «

nitiens, ayant meſmes faict de grandesleuées pour cet effect.Toutes-fois


craignant qu'il ſuruint quelque changement en ſon abſence, les Chre- |

ſtiens changeans peut-eſtre d'aduis, & ſe ſeruans de cette occaſion pour - l

bien faireleurs affaires, ilaſſeura premierement lesProuinces voyſines de


deux bonnes & fortes garniſons,laiſſant à Andrinople, ſon fils Solyman •

Prince alors detres-grande eſperance (& quifitaſſez paroiſtre apres ſava- - · º.


leur aux deſpens de la Chreſtienté) auecques des forces aſſez puiſſantes
pour reſiſteràvne armée,& pour deffendre la Grece & les autres Prouinces Quels gouuet.
que lesTurcs tenoient
gouuerneurPyrrus oncapitaine
Baſſa, Europe,degrand
&à Conſtantinople ilyeſtablit
conſeil, & ſinguliere pour #
vaillan- Par 1esPlaces.
|
ce, qui eſtoit ſelon Paul Ioue Cilicien, iſſu de parºns Mahometiſtes, cho |.

ſerare toutesfois entre les Turcs,quin'eſleuentiamais aux charges del'Em


pire, que des renegats enfans de Chreſtiens, toutes-fois illaiſſaauſſi à Bur-. | · · |
· ſe le Baſſa Herzec-ogli, auquel il auoit vne grande confiance, auecques · ..
forces baſtantes pour la deffence de cette contrée, laiſſant § general de
lamarine le BaſſaZafer Eunuque.Ce queie particulariſe,a n qu'on remar-
- - | |
que auecques quellegrande prudence cet Empire eſt gouuerné, & com- - | |

# bien d'ailleurs il eſt puiſſant, puis qu'en vn meſme temps il peuttenirſi -

grandesforces,non ſeulement † conſeruation de ſes Prouinces, mais


pour s'oppoſer à ceux qui voudroient entreprendre quelque choſe à l'en
contre , & outre ce mener en vn pays loingtain, & d'vn chemin peni
ble & de ſigrande deſpence,vne ſi puiſſante armée contre vnſigrandPrin- †
ce
tant& de
ſi redoutable
fatigues &ennemy comme eſtoitle
faict deſigrandes Sophy,
deſpences, yayant encores
iln'yauoit receu §
qu'vne année Turc.

entre deux, outre celle qu'il luy auoit fallu faire pour ſon armée de mer
qu il remitſus fortſuperbe, & equipée de tout ce qu'ily eſtoit de beſoing,
car iln'auoit pas de petis deſſeings contre les Chreſtiens, ſi DIE v luy euſt
|
| Prolongéſesiours, & ſelon quel'eſtat des affaires de la Chreſtienté eſtoit
Pºurlors, ilyauoitgrandeapparence ques'il euſt faict fondre toutes ſes
forces làcontre l'Italie, † donné de grandes affaires aux Princes
9hreſtiens,tous diuiſez & en guerre comme ils eſtoientles vns contre les -

*ºs : mais la miſericorde diuine deſtournaſurles Perſes & ſur les Egyp- | º •

ºse grandorage, quiàla verité euſtfaictvn merueilleux rauage, puis · - - -

que Solyman fit de ſi grandes choſes ayant trouué ſes armées


deſgarnies" - -

de bons ſoldats.Carencores que le MonarqueTurcen puiſſeaſſembler en - -

ºº tempsvne tres-grande multitude, toutes-fois la † ſont gens •

de Peu d'effect, mais en ces deux guerres, de Perſe & d'Egypte, ils ren
-
- . •

| •.

32O Continuation de l'hiſtoire


-"
contrerent des hommes de main, auſquels il falut mettre en teſte toute
la fleur des meilleurs hommes de l'armée Turque pour en auoir la
raiſon. - - - -

| ---

· · xxIII. Selimayant donnél'ordre que nous venons de dire en ſes affaires, &
- paſſé qu'ilfut en Aſie, il print ſon chemin par les frontieres de l'Aladulie,
où il futaduerty que Campſon Gauri, Sultan du Caire, † commandoit
Les Egyptiens
# lors en Egypte & en Surie, & les Circaſſes, qu'on appelle vulgairement
† Mammelus, ayans eſté aduertis des grandes forces que lesTurcs faiſoient
qméedesTurcs. 8o - - -

- paſſer en Aſie,voyans queles années precedentesilauoit deffaict les Perſes,


· pris Tauris, conquis l'Aladulie, & mis à mort le Prince d'icelle, ils com
mencerent à redouter la puiſſance de Selim, & à iuger quel'ambition d'i
- rontalliance celuy ne ſeroit iamais remplie tant qu'il pourroit trouuer des terres à con
º querir. Orauoient-ils eſté priez par les Perſes d'vnir leur uiſſance pour
reſiſter àl'ennemy commun, & de faict ils auoient faict alliance enſem
- , ... ble. Outre ce le Prince Aladin, fils d'Achmet & nepueu de Selim, qui
- † s'eſtoit retiré, comme nous auons dit en Egypte, tant pour euiter †
†reur de ſon oncle, que pourrentrer en ſon heritage, eſtoit inceſſamment
º aux oreilles de Campſon,pour le ſolliciter d'empeſcherles heureux ſuccez
,,
de cet hommeremuant,diſantlemeſmeaux Mammelus en labonne grace
# deſquels il s'eſtoitfort infinué.Toutes ces choſes, disje,lesfirent penſer à
-
leurs affaires,ſibien qu'ilsaſſemblerent degrandes forces,tant de l'Egypte
|
1

-
que de la Iudée & Surie, & s'envindrent à Alep, ville de Surie qui eſtoit
lors de leur domination. - • "

- Orie trouue icyvne grande contrarieté entre les Hiſtoriens, car Paul
, · cºntrariº Ioueveut que Selimayant à la teſte de dompter le †
, & voulant deſu
cntre les.Au
thcurs. nir ces deuxgrands Princes,le Perſe & l'Egyptien, afin d'enauoir meilleu
- - reraiſon ſeparement, commeilentenditlesgrandsappreſts de Campſon,
-
- qu'ils'arreſta à Agogna, depeur que cet ennemy ſivoyſinne luy donnaſtà
-:
| | · dos, parle montAman, & qu'iln'entraſtenAſie, deſnuée en cet endroict
|
• de deffence, s'il paſſoit outre versl'Euphrates (car les Mammelus ſe van
toient de donner dans laCilicie,ſi IſmaelSophyleurallié eſtoitaſſaillypar
· les armes des Turcs) enuoyant cependant en Ambaſſade vers Campſon
4

Ambaſſade de
entre autresTachisſon Cadileſcher, † le meſme Autheur dit auoireſ
ila tousleus traduicts en Italien.Le
Selim deuers crit quelques liures de cette guerre, qu
| - | ºrº ſommaire de leur charge eſtoit qu'ils ſuppliaſſentle plus humblementqu'il
leur ſeroit poſſible le SultanCampſon,à ce qu'il ſe vouluſt deporter de cet
teguerre, & luy laiſſer prendre lavangeance d'Iſmael quiauoit apporté de
| • telles & ſigrandes calamitez partoute l'Aſie,enintroduiſant de nouuelles
Poinctsdeprin
cipaux ce
-
† ſuperſtitions , deprauant & corrompant les textes ſaincts de la loy Maho
- ' metane, faiſant que cette loy quiauoit eſté en ſi grand honneur par tant
- de nations, ſeruoit maintenant de riſée pour la multitude des opinions
- " qu'on rencontroitaux ordonnances meſmes du Legiſlateur. Que ſi Cam
| | pſon perſiſtoit & ne pouuoitcſtreattiré de ſon party par nulles conſidera
.

;
tions, qu'ils † & recogneuſſent fortparticulierement les deſſeins
- · & les forces d'iceluy, & qu'ils retournaſſentversluy le plus Promptement
qu'ils

|
'i ! ' !

|
-
'•

des Turcs, Liure troiſieſme. 32 I


qu'illeurſeroit poſſible. Or Campſons'eſtant mis deuant lesyeux, les en
trepriſes de Selim, &les conſiderations que nousvenons de dire, outrel'i
nimitié qu'illuy portoit pour ſa cruauté, auoit bien enuie de s'oppoſer à
ſa puiſſance, mais ſon grandaagel'en empeſchoit, & luy faſchoit devoir
ſon eſtat troublé, qui eſtoit lors en ſa fleur, aymant mieux le conſeruerpar
la paix que de l'agrandirparlaguerre. Mais le fils du Prince Aladulien, qui
apreslamort duperes'eſtoit retiréau Caire,auoit tellementanimé les cou
rages de tous les plus grands contre Selim, que les Mammelus de leur pro- .
pre mouuement allerenttrouuer Campſon pour le ſupplier d'entrepren
dre cette guerre, que ſi ſa vieilleſſe le rendoit impuiſſant & mal portatif
pourvnetelle entrepriſe, qu'eux-meſmes la conduiroient en ſorte, qu'ils
s'aſſeuroient deveniraudeſſus d'vn ſimeſchant homme, ioinct que lesvi --

ctoires qu'ils auoientcy-deuant obtenues ſous Caitbey, du temps de Baia


zethpere de Selimleur enfioient tellement le courage, & lesrempliſſoient
de tant devanité, qu'ils ne croyoient pas queiamais les Turcs fuſſent pour
leur reſiſter, eux qui croyoient eſtre ſeuls entre les hommes qui ſceuſſent
lemeſtier de la guerre, & qui ne penſoient pas que iamais homme les
peuſt ſurmonterpararmes, c'eſtainſi qu'en parle PaulIoue. -

Mais les annales Turques rapportent cecy tdut autrement, car elles di
ſent queSelim eſtantparty des confins del'Aladulie,s'enalla droictàAlep, Autre narrati5
& qu'aupartir d'Alep, il alla ſur les frontieres de Damas, qu'ils appellent ſtoire
de cette Hi
ſelon lcs
maintenantSchain, diſans qu'ellea eſté appellée ainſi, cóme ſion vouloit Turcs.
annales des

dire vnſac,à cauſe que c'eſt le lieu où Cain tua ſon frere Abel. Or le Sultan
Campſonayant entendu, non ſeulement les grands † eparatifs de Selim,
mais encore qu'ilfaiſoit marcherſes trouppes contieluy, qu'illuy enuoya
des Ambaſſadeurs pour luy remonſtrer qu'il y auoit touſiours euvne al
liance fort conſtante entre les Sultans Cairins & O thomans,que cette paix .
auoit eſté fort longuement gardée ſans eſtre troublée † aucune iniure
qu'ils ſe fuſſent faicte lesvnsauxautres qui euſt eſté cauſe d'en engendrer Ambaſſade de
vne inimitié, que ce que ſon predeceſſeurauoit faict, n'auoit eſté qu'en ſe Selim.
Campſon à

deffendant, & quel'origine de cette querelle eſtoit touſiours vn teſmoi


gnage d'affection que lesEgyptiens portoient aux Princes Othomans; &
pour ſonregardildeſiroit de rendre à Selim, non ſeulement de l'affection
& des deuoirs, mais auſſi desobeyſſances, & que ce ne ſeroit iamais luy
qui commenceroit à rompre cette ſacréealliance cependant qu'il eſtoit en -

vnmerueilleux doute, comme celuy qui eſtoit ignorant des conſeils de Se


lim, où pouuoient tendre ſes armées, & pour quelſubiectilauoitfaict vn ſi
grandappareil.Qu'il deſiroitinfiniment ſçauoirs iln'eſtoit pas reſolu d'en
tretenir leurs anciennes pactions,que s'ilvouloit meſme quelque choſe de
luy, qu'ildiſtlibrement ſavolonté, & qu'il mettroit peine de luy ſatisfai
re & de luy obeyr, commeil deſiroitdefaire entoutes choſes : que pour Poincts prin
ſon regard qu'il n'auoit autre pretention, ſinon qu'on ne viſt aucune alte cipaux de cet
teambaſſade.
tation ou changement enleur amitié, puis qu'elle eſtoitſiancienne,qu'elle
† pas eſté faicte ſeulement auecques ſon pere, mais encoresauecques
| ſon aieul, comme ſilaneceſſité par ce tres-ferme lien euſt allié enſemble
Sſ
|

|
---

«
322 Continuation del'hiſtoire
:
-·--

· les Oſmanides & les Egyptiens. Qu'illuy ſembloit donc bien plus à pro
pos,s'ille trouuoit bon, que parvnenouuelle paction ils s'alliaſſent plus
eſtroictement entre-eux, que de rompre lancienne ſur de fauſſes impreſ
ſions. -

Le Sultan Egyptienauoitfaict dire toutes ces choſes en ſon nom à Se


lim, dit cctte hiſtoire, pour faire paroiſtreauxTurcs, vn exemple ſignalé
de modeſtie envn Roy d'vne telle gloire & puiſſance que luy, cette Am
baſſade ayant eſté enuoyée deuant que Selim fiſt acheminer ſon armée.
- Mais depuis qu'il eutentédu qu'il eſtoit entré enla Surie, & qu'il ſe vid ſur
ra pris contre ſon eſperance, lameluy faillitenla teſte, cóme diſent ordinai
- † rementlesTurcs, c'eſt à direqu'ilfut merueilleuſement troublé, & eſton
:i --

§selin néd'vne choſe ſi inopinée;c'eſt pourquoyil ſortit en fort grande diligence


" de ſon Royaume d'Egypte, &s'envint à Schain de Surie Del'autre coſté
Selim meſpriſantl'Ambaſſade de Campſon, & tout ce que luy auoit peu
dire ſon Ambaſſadeur,illuy reſpondit ſeulement que ſon intention eſtoit
† de fairela guerre à celuy quil'auoit enuoyé, & partant qu'ils'en retournaſt
" à ſon Prince, l'aduertir qu'ils'armaſt ſibonluy ſembloit, pour reſiſter à ſa
puiſfance, car il ſeroit aupluſtoſt en ſon pays, c'eſt ainſi qu'en parlent les
Commentaires de Murat Dragoman, lequel ne s'eſloigne pas trop de ce
, qu'en diſent ceux de Verantiani Quiveut que la cauſe qui fit changer le
Opinion de deſſeing des elim, fut de ce que les Egyptiens eſtonnez d'vne ſigrandear
v§n mée, & craignans quelesTurcs feignans de ſe ruer ſurles Perſes,ne ſe vinſ
i'! -- ſent ietter dans la Surie, comme ordinairement on ſetient ſur ſes gardes,
quahdvn puiſſantvoyſin arme & paſſe encores ſon armée ſur les frontieres
de ſon autrevoyſin , ioinctles differens qu'ils auoient eus quelques années
auparauant, & de ce qu'ils tenoient les deux Princes chez eux , auecques
º

-
l'alliance qu'ilsauoient faicteaueele Sophy. -

| | Toutes ces choſes dis-ie, les firent venir en Alep, auecques le plus de
Ce qui fit pri forces qu'ilspeurent pour lors amaſſer, ce que ſçachant Selim, tournatou
- qui t prin
† tes ſes armes contre-eux, yvoyant peut-eſtre vn bel aduantage, ceux-cy
à†
Selim, côuer eſtans ſurpris. I'adiouſte que ce luy eſtoit vne plus belle commodité de
§ combatre cnla Sürie, que d'aller courir enla Perſe parmy des deſerts; car
mes contre les . " • 2 » T V

§" il falloit de deux choſes lvne, ou quele Sophyvint à la deffence & au ſe


cours de ſonallié, & parainſi il pourroitauoir raiſon en vn meſme temps
de ces deux Princes, l'Egyptien eſtant deffaictdeuant quel'autre l'euſt peu
ioindre, s'il donnoit promptementvne bataille, en laquelle il ne pouuoit
auoir que tout † , eſtant plus fort que le Sultan, ou bien ſile Perſe
nevenoit point, outre la honte que celuy ſeroit d'auoir delaiſſé ainſi ſesal.
liezaubeſoin,ilauroit encores perdu la moitié de ſes forces, n'y ayant plus
perſonneauecques quiileuſt peu faire alliance,pour ſ'oppoſer à la puiſſan
ce desTurcs, leſquels entreprendroient encores plus courageuſement cet
te guerre Perſienne, quandils verroient tout flechir ſoubs leurs armes. Ie
croyrois doncques que ces conſiderations là, auecques celles qui ont eſté
dittes cy-deſſus, l'auroient faictchanger de deſſeing; & ſur cela il me ſem
bleroitbien plusàpropos de preſuppoſer que Campſonauroit enuoyé des .
- Ambaſſadeurs
*.
|
, " desTurcs, Liure troiſieſme. 323
, Ambaſſadeurs à Selim, pourſe pleindre de ce que ſans autrement denon
cerlaguerre,lesTurcs entroient à main armée dans ſes Prouinces, que cet
tuy-cyenuoyaſtvers l'autre, car † que Campſon, au veu & au ſceu de
Que Selim
tout le monde retenoit chez ſoy les ennemis de Selim, & auoitfaict allian n'euoya
ce auecques celuy contre quilaguerre eſtoit declarée, il † à Campſon, &
- - . point
pourquoy.
ques quelque iuſtice,ille pouuoitattaquer letrouuât les armes enla main,
&y auroitbien plus d'apparence que l'Egyptien euſt enuoyé vers Selim,
maisie trouue ſonAmbaſſade trop humble & trop ſumiſe pourvn ſigrand
Prince, quin'auoit pas encores ſubiect de craindre les Turcs, toutesfois
l'opinion de Paul Ioue ſemble eſtre fortifiée par deux lettres qui ſe trou
uent,l'vne de Selim, enuoyant ſon Cadileſcherà Campſon , l'autre eſt la
reſponce du meſme Campſon à Selim,de telle teneur.
# Et'enuoyemon Cadileſcherpour cAmbaſſadeur, afin que tupuiſſeentendre
Lettre de ses
de luy ce qui nous incite à laguerre contre les Perſes, & nepuis conceuoir lim à Campsö,
comment tute mets enpeine de m'empeſcher depourſuiure Iſmael,quiparſes
nouuelles ſuperſtitions a eſté cauſe de tant demiſeres & de calamitez par toute l'Aſie,
& qui s'efforce par de certaines loix quilinuente, dedeprauer & de deſtruire en
tierement la loy de Mahomet, ie deſire au demeurant que tu adiouſtes foyen toutes
choſes à ce mien Ambaſſadeur,t aſſeurant que nous tiendrons pourferme & ſtabletout
ce qu'ilnegocieraauectoy. -

A cela on dit que Campſon fittelle reſponce.

| x25 , 'Eſt vne tres-ancienne couſtume que les Sultans Califès tiennent lieu de Campſon
Reſponce de
à Se
| Princes en la Religion, & comme tels qu'ils s'efforcent d'entretenir la paix lim.
entre les Roys & peuples Mahometans, celam'afaiét venir armé en ma
| Prouince de Syriepour teleperſuader, mais ſi tu continues cetteguerre auecques opi
niaſtreté, & que tu veuilles attaquer Iſmaelquinous eſt eſtroittement allié, ſçaches
que nous vſerons dupouuoir de noſtre dignité, qui veut que nous ne ſouffrionspoint
que parlinſolenteambition d'vn ſeul homme, les choſes diuines & humaines ſoient
ainſimeſlées en confuſion : Ilya deſia longtemps que ie conſidere ton eſprit, combien il
eſt vain,cruel & turbulent, apres auoirmis à mort tontres-bonpere, tesfreresd'vne
ſiexcellentevertu,ſeptdetes nepueux, ieunes Princes deſigrande eſperance,auecques
tant deſages & vaillants capitainesque tu as faiétinhumainement maſſacrer,nemet
tantaucunes bornes à ton audace & cruauté.Enfin nous deſirons que tu ſçaches que
|
voicylaſeule condition depaix que nous voulons auoir auecques toy, c'eſt que tu t'ab
ſtiennes des Prouinces d'Iſmael, & que turendes le Royaume que tu as vſurpéaufils
du Prince Aladulien, quiatouſîours eſtéennoſtreprotection & ſauuegarde. Queſitu
lefais, outre ce † tut acquerras noſtregrace & bien-veillance, qut ne te ſerapas peu !
- 2 - • -

degloire & debon-heur,tut acquerras touſîours plus d'honneurparvnepaix aſſeurée


queparvneguerredouteuſe. .
'cettelettreeſtainſicouchéau longdansvnrecueil delettresTurqueſ XXIIII.
- -
- - - - -
*

ques qu'afait Reuſuer, qui ſeroitbienlecontre-pied de ce que nous auons


-
S ſ ij
--
324 Continuation del'hiſtoire
--rº

rapporté des Annales, & nepuis me perſuader que le Sultan du Caire ait .
· entrepris d'eſcrire auecquestant d'inſolence àvn ſi puiſſant Monarque,car
| -i

#,
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-
iln'ya gueres d'apparence d'aller preſcher les loix à ceux qui ont les armes
, à la main, auſſieſt-il vray qu'en quelque façon que cette affaire ſe ſoit paſ
| ſée (que i'ay voulu rapporter au longpourle contentement du Lecteur)
-
* Selim fit ſi peu de cas desarmées, ny des menaces des Egyptiens, qu'au lieu
- Ruſe desslim qu'ilauoit intention de s'acheminercontre les Perſes, il marcha contre les
f! | †. Égyptiens,toutesfois ilfeignitaucomencement de continuer ſon chemin
| | | † contreles Perſes,enuoyantdeuantſonbagage,& partie de ſes gés,afin que
§ ſur cette apparence le bruit en couruſtiuſqu'au camp de Campſon,& que
· cela fuſt cauſe de le faire moins tenir ſur ſes gardes. En tournant donc †
- chemin ſur la main droicte,il ſe reſolut de paſſer luy & ſon armée par deſſus
--
le mótTaurus,afin qu'entrât parlà dans la Comagene,il peuſt ſurprédre ſes
, ennemis au deſpourueu. Pour ce faire il encouragea toute ſon armée, &
† # principalement les Iennitzaires, auſquels il repreſentoit que les E gyptiens
† enyurez des delices que charrie ordinairemét quant & ſoyvne l6gue paix,
#º gº n'eſtoient
•-- deſormais plus
tous ceux qu'ilsauoient
confits ouydire du
envoluptezauoient temps de
tellement Caitbey,
oublié ceux-cy
leur ancienne
diſcipline, que les Mammelus ne vouloient rendre obeyſſance à perſon
4 |
ne, ſe reuoltans àtous propos contre leurſouuerain, que ce n'eſtoit point
icyles deſerts d'Armenie, ny les ſoldats de Perſe contre qui ils auroient à
14 combatre,gens de fer & d'acier, auſſi difficiles à vaincre au combat qu'à la
fuite, mais que ceux cytous eneruez de voluptez, ſi toſt † verroient
vne ſipuiſſante armée dans leur pays,penſeroient pluſtoſt à la retraicte qu'à
la reſiſtance. Qu'à la verité illes euſt bien conduits par vn chemin plus
doux & plus facile, mais commeilleur euſteſté plus ayſé, auſſi leur euſt-il
rſtémoinsſeur, que l'ennemy croyoit qu'ils pourſuiuoient leur chemin
dans la Perſe, cela eſtoit cauſe qu'ilne ſetenoit point ſur ſesgardes, & qu'il
pourroit eſtre ayſement ſurpris, s'ils vouloientauoir vn peu de Peine pour
-- quelques iours, mais qu'en recompence la victoire leur ſeroit toute aſſeu

rée, qu'ilfalloitfaire diligence, car en cela ſeulement conſiſtoit tout leur
: aduantage, de crainte quel'ennemy,qui auoitvne armée toute preſte, deſ
couurant leur deſſeing,nevint leur empeſcher la deſcente de ces monta
gnes, & perdiſſentainſi par laſcheté ce qu'ils auoient acquis auecques vn
† de trauail, qui leur ſeroit encores de peu de durée. Que §
, lagerilauoit faict recognoiſtre trois routes par des gens de montagne, &
ſou

ceux dupays,leſquels meſlez † les Azapes,feroient la premiere ou


uerture, mais qu'il falloit que tous les autres miſſent la main à la beſongne
† faire les explanades,& parer les trois chemins,poury pouuoir charrier
artillerie,& pourles autres plus aſpres paſſages,il eſtoit de beſoin de les ap
,
-

- planir, en ſorte qu'onypeuſtmener lesbeſtes de ſomme, promettant en


--

coresvnelargeſſeaux ſoldats quiſeroient extraordinairement employez à


-
-
menerl'equipage de l'artillerie. Ce quileur donnavntelcourage, que les
· Pieces qui eſtoient de la moindre ſorte & quineportoient point plus gros
| calibre qu'vne pomme d'orange, furenttirées & pouſſées auecques les eſ
Paules

•| |
* | tº ·
- des Turcs, Liuretroiſieſme. 325
paules des ſoldats, iuſquesau ſommet des montagnes, ne demeurans que
cinqiours ence labeur.Aubout deſquels ils arriucrentau plus haut de ce
mont, auqueleſtansarriuez, Selim leur fit voir par tout au long & aular
ge detres-opulentes Prouinces quileur eſtoient expoſées en proye parcet
teguerre,leur diſant qu'ils ne montoient pas ſeulement alors ſurles murail. -

les de laSurie, mais ſur celles meſmes de la ville du Caire, que d'oreſnauant · •

tout leur ſeroitayſé, que le tout ne conſiſtoit qu'en vne bataille ou deux,
leſquelles gaignées, tout ce grandEmpire flechiroit ſoubs leur domina- | -

tion, ce qui encouragea tellement toute cette armée, qu'ils ne firent plus .
que courir depuis ce mont Aman, ainſi s'appelle cet endroit du mont de
Taur, lequel eſt aſſis preſque au milieu d'entre l'Euphrate, qui tranche
les monts de Taur, & d'entre le golphe Iſſie, auiourd'huy Aiazzo.
Saxouar-ogli fut celuy qui fit le rauage partoute la contrée qui eſt au
pieddumont Aman & deTaurus(cettuy-cyauoit trahyl'Aladulien,com »
me nous auons dit cy-deſſus) où il ſceut parles priſonniers qu'il print, en
quelle part Campſons'eſtoit retiré † ſon armée, mais de peur que Lºrrarat
le bruitdel'arriuée de larmée des Turcs luy en fuſt portée,il mit desgensà †
touteslesaduenuës des paſſages, ſi bien que Campſon Gauri, à ſçauoir le § iaco
Sultan du Caire, ne ſceut point que ſes ennemis euſſent paſſé les ſommets "
dumontTaurus, qu'onluyvint dire qu'ils eſtoient à deux iournées deluy
auecques cent mille combatans, ſelon quelques-vns,les autres veulent da
uantage. Or † grand cœur qu'euſſentles Mammelus, & †
euſ- .
ſent aſſez faictfanfarerauparauantleurs vanitezaumeſpris & deſauantage peu . #º
desTurcs,ſicommencerent-ils à s'eſtonner: Campſon entreautres,de qui †"
lavieilleſſe refroidie luyauoitfaict perdre & emouſſé cette pointe de com- - -

batre; &conſiderant le peu de preuoyance qu'ilauoit euë en cette guerre,


s'eſtant trophaſté, pours'eſtre ſi mal muny, commença de mettre ſes for
ces àlabalance auecques celles de ſes ennemis,& recognoiſſantaſſez la foi
bleſſe des ſiennes, il entroit en vne merueilleuſe perplexité. Iladmiroit ce † -

grand cœur de Selim, & l'obeyſſance de ſes ſoldats, d'auoirpris vn chemin Pº -

ſi penible pour laborder plus portement, & voyoit bien que ceux qui
auoient bien oſé, non ſeulement combatre les difficultez de la nature, mais
quiles auoient ſurmontées, ne tarderoient guere àl'attaquer, & à venir
aux mains contre luy, quin'auoit pas alors beaucoup de forces, lameilleu
re'partie de ſesgens eſtans encores diſperſez parla Iudée & parla Surie. Il
regrettoit les fautes qu'ilauoitfaictes, l'vne de s'eſtre ſi toſt declaré qu'il -

n'euſt attendu quelesTurcs euſſent entrébienauant en la Perſe; car outre Sesregrets


ce qu'ileuſtamaſſéſes forces tout à ſon ayſe, il euſt encores donné quand
ileuſtvoulu, ſur la queuë de ſon ennemy, & luy euſtrauagé ſes Prouinces
auſquellesil § peu de garniſon; l'autre qu'il nes'eſtoit ſaiſy de ſes
paſſages, † ſon ennemy occupoitpour lors, & leſquels,s'ils euſſenteſté
diſputez, luy euſſent au moins donné du temps pour ſe rendre le plus
fort dans ſon pays. Mais voyant que tous ces maux eſtoient ſans remede,
ilaſſemblales ſiens deuoient,
tante, àſçauoirs'ils enconſeil, pour prendreaduis
§ envne affaire
de leursanceſtres, ſi impor- desPrentconſeil
combatrel'en- ſiens,

- , S f iij
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| 326 · Continuation de l'hiſtoire


nemy à ſon arriuée, & iouer pluſtoſt dureſte de leur eſtat † de perdre
-
· | vn pouce de la gloire & reputation qu'ils s'eſtoient acquiſe depuis trois
|- | | censans, ou bien ſis'accommodans au temps, ils deuoient laiſſer vne for
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