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dit une complainte du temps qui roule sur ses infortunes. Un jour ses
amis du Caveau, s’inspirant peut-être de la comédie de Brécourt : le
Jaloux invisible, qui repose sur une donnée analogue, parvinrent à
convaincre le crédule petit homme qu’il pouvait se dérober aux
regards, en se frottant le visage d’une certaine pommade fournie par
un philosophe cabalistique. Il se soumet à l’opération, et reçoit avec
extase les coups de poing, les verres de vin qu’on lui jette à la figure,
les assiettes qu’on lui lance dans les jambes, persuadé que ce sont
là autant de preuves de l’efficacité de la pommade. Il fallut, pour le
désabuser, que son père, chez qui il s’était introduit, oint du précieux
baume, pour dévaliser son secrétaire, lui démontrât à coups de
bâton qu’il n’était pas suffisamment invisible [51] .
[51] Journal de Favart.
C’est encore là une mystification, qui n’est pas sans rapport avec
celle de Poinsinet, mais qui tourne beaucoup trop au tragique pour
qu’il nous soit possible d’en rire. S’il fallait absolument s’amuser de
quelqu’une de ces farces, non-seulement bêtes, comme les
appellent les Mémoires de Bachaumont, mais encore plus ignobles
et plus humiliantes, nous choisirions, malgré sa cruauté, celle dont
Barthe fut victime en 1768.
L’auteur des Fausses Infidélités était un homme aussi poltron
que violent, orgueilleux et égoïste. « Ayant eu une querelle littéraire
dans une maison avec M. le marquis de Villette, la dissertation a
dégénéré en injures, au point que le dernier a défié l’autre au
combat, et lui a dit qu’il irait le chercher le lendemain matin à sept
heures. Celui-ci, rentré chez lui et livré aux réflexions noires de la
nuit et de la solitude, n’a pu tenir à ses craintes. Il est descendu chez
un nommé Solier, médecin, homme d’esprit et facétieux, demeurant
dans la même maison, rue de Richelieu, et lui a exposé ses
perplexités et demandé ses conseils. « N’est-ce que cela ? Je vous
tirerai de ce mauvais pas : faites seulement tout ce que je vous dirai.
Demain matin, quand M. de Villette montera chez vous, donnez
ordre à votre laquais de dire que vous êtes chez moi et de me
l’amener. Pendant ce temps, cachez-vous sous votre lit. » Le
lendemain, on introduit M. de Villette chez M. Solier, sous prétexte
d’y venir chercher M. Barthe : « Il n’y est point, mais que lui veut
monsieur le marquis ? » Après les difficultés ordinaires de
s’expliquer, il conte les raisons de sa visite : « Vous ne savez donc
pas, monsieur le marquis, que M. Barthe est fou ? C’est moi qui le
traite, et vous allez en voir la preuve. » Le médecin avait fait tenir
prêts des crocheteurs. On monte, on ne trouve personne dans le lit ;
on cherche dans tout l’appartement. Enfin, M. Solier, comme par
hasard, regarde sous le lit ; il y découvre son malade : « Quel acte
de démence plus décidé ? » On l’en tire plus mort que vif. Les
crocheteurs se mettent à ses trousses, et le fustigent d’importance,
par ordre de l’Esculape. Barthe, étonné de cette mystification, ne sait
s’il doit crier ou se taire. La douleur l’emporte : il fait des hurlements
affreux. On apporte ensuite des seaux d’eau, dont on arrose les
plaies du pauvre diable. Puis on l’essuie, on le recouche, et son
adversaire ne peut disconvenir que ce poëte ne soit vraiment fou. Il
s’en va, en plaignant le sort de ce malheureux. Du reste M. Barthe a
trouvé le remède violent, surtout de la part d’un ami [54] . » Je le crois
sans peine. Il fallait, ce me semble, avoir bien piètre opinion d’un
homme pour entreprendre de le sauver ainsi.
[54] Mémoir. secrets, t. IV, p. 28.
Un lazariste inflexible,
Ennemi de tout repos,
Prend un instrument terrible,
Et l’exerce sur son dos…