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Matemática Educativa
ISSN: 1665-2436
relime@clame.org.mx
Comité Latinoamericano de Matemática
Educativa
Organismo Internacional
Duval, Raymond
Quelle sémiotique pour l?analyse de l?activité et des productions mathématiques?
Revista Latinoamericana de Investigación en Matemática Educativa, núm. Esp, 2006, pp. 45-81
Comité Latinoamericano de Matemática Educativa
Distrito Federal, Organismo Internacional
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Relime, Número Especial, 2006, pp. 45-81. 45
Raymond Duval 1
RESUMEN
Tanto en la enseñanza como en sus prácticas más avanzadas, las matemáticas son el
dominio donde todas las formas de representación semiótica pueden ser utilizadas. Ello
plantea el problema siguiente: ¿las diferentes teorías semióticas permiten analizar la
utilización de imágenes, del lenguaje y de los símbolos en matemáticas? Para comprender
los elementos del problema, se debe no solamente observar cómo estas teorías
distinguen las relaciones que constituyen y diferencian los signos, sino también considerar
las exigencias matemáticas que demanda el recurso de las diferentes formas de
representación semiótica. Su comparación muestra una diferencia considerable entre
las herramientas de análisis semiótico existentes y la complejidad semiótica de todas
las producciones matemáticas. Limitándose al caso de la representación de los números,
se puede poner en evidencia que estas herramientas no permiten analizar la
heterogeneidad semiótica de los diferentes sistemas utilizados. Ahora bien, esta
heterogeneidad semiótica provoca una de las dificultades mayores del aprendizaje de
las matemáticas: pasar de un tipo de representación a otro. El análisis de las producciones
matemáticas exige herramientas de análisis semiótico más complejas y mejor adaptadas
a los procesos cognitivos movilizados en toda actividad matemática. Para poder realizar
esta investigación, tres preguntas son cruciales: una sobre la pertinencia de la distinción
entre significante y significado, otra en torno a la clasificación de los signos, y, finalmente,
otra referente a la comparación entre un análisis funcional y un análisis estructural de
los signos.
ABSTRACT
see how these theories make the distinction between the relations that constitute and
differentiate signs, but we also have to consider the mathematical demands which
necessitate that we make recourse to different kinds of semiotic representation. Their
comparison reveals a considerable gap between existing semiotic tools and the semiotic
complexity found in all mathematical production. Limiting ourselves to the case of the
representation of numbers, we can highlight the fact that these tools do not allow us to
analyze the semiotic heterogeneity of the different systems used. Moreover, this semiotic
heterogeneity brings up one the major difficulties in the learning of mathematics: going
from one type of representation to another. The analysis of mathematical productions
demands semiotic tools of analysis that are more complex and better adapted to the
cognitive practices mobilized in all mathematical activity. In order to undertake this
research, three questions seem to be crucial: that of the pertinence of the distinction
between signifier and signified, that of the classification of signs, and that of the connection
between the functional analysis and the structural analysis of signs.
RESUMO
Tanto no ensino como nas práticas mais avançadas a matemática é o domínio onde
todas as formas de representação semiótica podem ser utilizadas. Coloca-se o problema
seguinte: As diferentes teorias semióticas permitem analisar a utilização de imagens, da
linguagem e dos símbolos em matemática? Para compreender os elementos do problema,
se deve não somente observar como estas teorias distinguem as relações que constituem
e diferenciam os signos, mas também considerar as exigências matemáticas que
demanda o recurso das diferentes formas de representação semiótica. Sua comparação
mostra uma diferença considerável entre as ferramentas de análise semiótico existentes
e a complexidade semiótica de todas as produções matemáticas. Limitando ao caso da
representação dos números, se pode colocar em evidência que estas ferramentas não
permitem analisar a heterogeneidade semiótica dos diferentes sistemas utilizados. Assim,
esta heterogeneidade semiótica provoca uma das dificuldades maiores da aprendizagem
das matemáticas: passar de um tipo de representação a outra. A análise das produções
matemáticas exige ferramentas de análise semiótico mais complexas e melhor adaptadas
aos processos cognitivos, mobilizados em toda atividade matemática. Para poder realizar
esta investigação, três perguntas são cruciais: uma sobre a pertinência da distinção
entre significante e significado, outra em torno da classificação dos signos, e, finalmente,
outra referente a comparação entre uma análise funcional e uma análise estrutural dos
signos.
RÉSUMÉ
Aussi bien dans l’enseignement que dans ses pratiques les plus avancées, les
mathématiques sont le domaine où toutes les formes de représentation sémiotique
peuvent être utilisées. Cela pose le problème suivant : les différentes théories sémiotiques
permettent-elles d’analyser l’utilisation des images, du langage et des symboles en
mathématiques ? Pour saisir les données du problème, il faut non seulement regarder
comment ces théories distinguent les relations qui constituent et différencient les signes,
mais il faut aussi considérer les exigences mathématiques qui commandent le recours
aux différentes formes de représentation sémiotique. Leur comparaison montre un écart
considérable entre les outils d’analyse sémiotique existants et la complexité sémiotique
de toutes les productions mathématiques. En se limitant au cas de la représentation des
nombres, on peut mettre en évidence que ces outils ne permettent pas d’analyser
l’hétérogénéité sémiotique des différents systèmes utilisés. Or cette hétérogénéité
sémiotique soulève l’une des difficultés majeures de l’apprentissage des mathématiques :
passer d’un type de représentation à un autre. L’analyse des productions mathématiques
exige des outils d’analyse sémiotique plus complexes et mieux adaptés aux processus
cognitifs mobilisés dans toute activité mathématique. Pour conduire cette recherche
trois questions semblent cruciales : celle de la pertinence de la distinction entre signifiant
et signifié, celle de la classification des signes, et celle du rapport entre une analyse
fonctionnelle et une analyse structurale des signes.
considérable et souvent peu discuté : des experts, celles des enseignants et celles
comment les décrire, comment les des élèves y compris ceux de l’enseignement
analyser et comment les situer par rapport primaire. Car toutes les productions
aux démarches mathématiques ? mathématiques mettent en jeu des
représentations sémiotiques. Or, les types
Le problème, en effet, n’est pas d’analyser de représentations que l’on trouve chez les
la variété des représentations sémiotiques uns ne sont pas ceux qui sont privilégiés par
en fonction des concepts et des les autres. Peut-on les considérer comme à
connaissances mathématiques qu’elles peu près équivalents ou interchangeables
permettent d’exprimer, de traduire, de tant du point de vue de leur fonctionnement
contextualiser, etc. Cela conduit, en fait, à sémiotique que du point de vue
les dissoudre dans une analyse faite en mathématique? En d’autres termes, peut-on
termes de « savoirs » relatifs à des ou non passer facilement d’un type à un
contenus mathématiques particuliers. Le autre, ou au contraire ce passage de l’un à
problème est d’abord de savoir déterminer l’autre ne cache-t-il pas une rupture? Ensuite,
ce que sont des « signes », ce qu’ils il y a le problème du rôle des signes et des
évoquent ou représentent et comment ils représentations sémiotiques dans le
le font, quelles fonctions ils remplissent ou fonctionnement de la pensée. On peut
ne remplissent pas dans une démarche de l’aborder de manière très générale sans se
connaissance. Certes, ces questions référer à aucun domaine particulier de
semblent avoir trouvé une réponse claire connaissance, c’est-à-dire à la manière
dans les différentes théories sémiotiques spécifique dont on a accès aux objets de
qui ont été élaborées depuis les Stoïciens connaissance dans chaque discipline
et, plus particulièrement, avec Peirce, scientifique. Mais on peut aussi l’aborder en
Saussure, et aussi Frege. Mais cette prenant en compte les exigences propres au
apparente clarté s’évanouit vite si on développement de la connaissance
compare ces différentes théories entre mathématique. Dans ce cas, il faut tenir
elles et, surtout, si on considère la variété compte de la situation épistémologique
considérable et hétérogène des particulière des mathématiques par rapport
représentations sémiotiques utilisées en aux autres domaines de connaissance. Les
mathématiques et dans l’enseignement représentations sémiotiques jouent-elle le
des mathématiques. Les quelques même rôle en mathématiques qu’en
« concepts » et classifications élaborés botanique, qu’en géologie, qu’en géographie,
dans les théories sémiotiques et auxquels qu’en astronomie, etc.? Enfin, cela concerne
beaucoup de travaux didactiques se les variables cognitives à prendre en compte
réfèrent, apparaissent alors insuffisants et dans les apprentissages. Peut-on considérer
parfois non pertinents pour analyser que certains types de représentation facilitent
l’activité mathématique et ses productions. l’entrée dans les démarches mathématiques
Et c’est là que surgit la question suivante : ou, au contraire, en brouillent la visibilité ?
quelle sémiotique pour analyser l’activité Les changements de type de représentation
et les productions mathématiques ? constituent-ils une variable didactique
cruciale ou au contraire une variable
Cette question est essentielle à un triple secondaire ?
titre. Tout d’abord, il s’agit de disposer d’un
outil d’analyse suffisamment adapté et Le propos de cet article n’est pas de
discriminant pour étudier l’activité présenter ici une autre approche
mathématique et ses productions : celles sémiotique pour analyser l’activité et les
Quelle sémiotique pour l’analyse de l’activité et des productionsmathématiques? 49
Fonction cognitive:
évoquer ou remplacer
(1)
QUELQUE CHOSE QUELQUE CHOSE
D’AUTRE
Figure 1. Les deux éléments constitutifs caractérisant les signes et toutes les représentations
Les trois définitions suivantes en sont une conduit à ne pas confondre une
parfaite formulation : représentation avec ce qu’elle représente
(Platon République, 509e-510b). Car, sans
— Le signe est une chose qui, outre la forme le respect de cette exigence, il n’y a plus de
perçue par les sens, fait venir à partir signe ou de représentation. Le respect de
d’elle la pensée de quelque chose cette exigence peut sembler trivial ou
d’autre .... (Signum est enim res, praeter immédiat lorsqu’il s’agit de choses
speciem quam ingerit sensibus, aliud matérielles, comme, par exemple une chaise.
aliquid ex se faciens in cogitationem On ne confondra jamais la chaise en bois
venire). (Augustin 1997, p. 136 ) sur laquelle on peut s’asseoir et la
— Un signe ou représentamen est photographie de cette chaise ou encore un
quelque chose qui tient lieu pour dessin de cette chaise. Cela ne l’est plus pour
quelqu’un de quelque chose d’un certain les représentations sémiotiques utilisées en
point de vue ou realtivement à une mathématiques, comme, par exemple les
compétence (A sign, or representamen, multiples représentations possibles des
is something which stands to nombres, car on ne peut pas accéder à ces
somebody for something in some objets mathématiques sans mobiliser des
respect or capacity ). (Peirce 1978, p.121 représentations sémiotiques (Duval 2006b).
(2.228)). Mais, surtout, cette définition est inutilisable
— Les « représentations » sont car la fonction cognitive consistant à
« l’évocation d‘objets absents » (Piaget « évoquer » ou à « se tenir lieu de quelque
1968a, p.305 ; 1968b, p. 8). chose » ne précise pas comment cette
fonction cognitive peut être remplie.
Malgré une apparente évidence, toutes ces Autrement dit, cette définition, qui caractérise
définitions sont à la fois inutilisables et les signes par leur seule fonction, ne dit rien
incomplètes. Elles sont tout d’abord de la relation qui, structuralement, permet à
incomplètes parce qu’elles laissent implicite quelque chose d’évoquer quelque autre
l’exigence épistémologique fondamentale qui chose.
Quelle sémiotique pour l’analyse de l’activité et des productionsmathématiques? 51
La comparaison du troisième dessin avec les image devient schématique lorsque tous les
deux premiers montre l’intérêt de la définition éléments composant l’image deviennent
de Bresson. Elle permet de voir ce qui fait la homogènes et perdent donc tout caractère
différence entre une image figurative (à droite), d’iconicité (Duval 2003, p. 39-40).
qui est une «copie » plus ou moins fidèle d’un
visage, et une image schématisée ou abstraite Regardons maintenant ces figures qui suivent.
(à gauche) mais qui ressemble encore à un En quoi se distinguent-elles des premiers
visage. Dans l’image figurative, les éléments dessins ci-dessus ? Peut-on les considérer
sont différents et ont chacun une ressemblance comme relevant de la même catégorie que les
de contour avec une partie du visage. Une images ci-dessus ?
52 Relime
I Ia Ib II iiI
Figure 3. Quatre ou cinq figures géométriques ?
On peut noter une première différence. donne : « Soit x... ». Dans ce type de
Une figure géométrique ne se dessine pas situation on parle le plus souvent de
à main levée mais se construit à l’aide « notation mathématique » (Freudenthal,
d’instruments, tandis qu’un dessin ne se 2002).
construit pas mais se compose à main
levée. Mais, d’un point de vue sémiotique, L’opération de désignation est beaucoup
cette différence a peu d’importance. La plus complexe dès qu’elle se fait par des
question suivante demeure : une fois mots. Un mot, seul, ne désigne jamais
construite ou dessinée, une figure un objet, sauf si on lui assigne un statut
géométrique s’analyse-t-elle en termes de de nom propre. La désignation d’un objet
ressemblance avec ce qu’elle par un nom commun exige toujours une
représente ? quantification. Autrement dit, la désignation
linguistique se fait par la combinaison d’un
nom commun et d’un déterminant. Mais,
2. Une relation de « référence » comme aucun lexique ne comporte jamais
autant de mots que d’objets à désigner, la
Cette relation, que Frege (1971) appelait construction syntagmatique doit articuler
la Bedeutung (dénotation) des signes ou plusieurs noms en une seule expression :
de leur combinaison en une expression, « le point d’intersection des hauteurs d’un
exclut toute possibilité de ressemblance triangle ... ». Russell considérait ce type de
entre les signes et ce dont ils sont les construction syntagmatique, comme une
signes. Elle concerne surtout deux types « description ». Il est caractéristique du
de signes très différents : les symboles et langage mathématique (Duval, 1995a). Et
les mots. La relation de référence d’un on le retrouve dans tous les énoncés de
signe ou d’une combinaison de signes définition ou de théorème ainsi que dans
à un objet résulte d’une opération les énoncés des problèmes ! Cette
discursive de désignation. C’est de opération de désignation, qui crée la
cette manière que les lettres en algèbre, référence à un objet, est soumise à une
les mots, ou les constructions condition d’unicité pour qu’il n’y ait pas
syntagmatiques de mots dans un énoncé, d’ambiguïté dans la communication sur
réfèrent à un objet. Cette opération peut l’objet qui est ainsi désigné (Ducrot, 1972).
paraître simple lorsqu’il s’agit de lettres ou En mathématiques, les expressions qui
de symboles, puisque généralement on introduisent une notation articulent en fait
les associe à quelque chose qui est visible deux opérations discursives de
graphiquement : les sommets ou les points désignation : l’une littérale et l’autre
d’intersection sur une figure géométrique, linguistique : « l’écriture a/b) désigne (le
ou un ensemble de nombres que l’on se quotient de a par b ». ( Deledicq 1979, p.
Quelle sémiotique pour l’analyse de l’activité et des productionsmathématiques? 53
Aucune valeur de position mais des Principe positionnel de l’abaque: la valeur dépend de
arrangements configuraux possibles la colonne où se trouve la marque
| | | | | | | | | | 10 100
ou ( | | | | | | | | | | )
Nous sommes ici en présence de deux par leur seule trace matérielle, la réalité
genres radicalement différents de signifiante des chiffes est déterminée par
représentation. L’un consiste en des leur seule valeur d’opposition alternative à
marques unités qui sont indépendantes les d’autres chiffres, et non pas par leur trace
une des autres et qui ne peuvent être matérielle. En ce sens, il ne peut pas y avoir
assemblées que sous forme d’une de lexique ne comportant qu’un seul
collection. L’autre est un système terme : « 1 » ne fonctionne comme signe
sémiotique dans lequel les chiffres, d’un nombre que par son opposition soit à
analogues aux termes d’un lexique, « 0 » dans le système binaire, soit à neuf
dépendent les uns des autres selon deux autres signes dans le système décimal,
principes de composition. dont évidemment « 0 ». Par conséquent
« 1 » ne représente le nombre UN, comme
— un principe organisationnel de position la marque unité « l », que par son
qui permet de combiner opposition à « 0 », et sous la condition
systématiquement les chiffres entre eux qu’il occupe la première position en partant
pour écrire de nouveaux nombres. de la gauche.
Chaque chiffre a ainsi une valeur de
position qui correspond à une élévation, Ces deux types de représentation des
à une puissance. Ce principe détermine nombres sont hétérogènes. De l’une à
un algorithme de calcul pour les l’autre, il y a un saut sémiotique et cognitif.
opérations arithmétiques. Lorsque nous comparerons ces deux types
— un principe de choix lexical qui de représentations sous le point de vue des
correspond à la base n. Cette base opérations qu’elles permettent, nous
détermine le nombre d’oppositions verrons que les marques unités
alternatives pour le choix des signes fonctionnent comme des pseudo objets
numériques. manipulables concrètement et non pas
comme des signes opératoires (infra 2.1).
A la différence des marques unités L’apparition du symbole « 0 », irréductible à
(colonne de gauche) qui sont constituées toute représentation concrète, c’est-à-dire
Quelle sémiotique pour l’analyse de l’activité et des productionsmathématiques? 55
non représentable par des marques unités, avec les nombres et non pas avec le
traduit déjà la rupture qui se produit quand nombre, c’est-à-dire avec une définition du
on passe d’un type de représentation à nombre, celle donnée par exemple par
l’autre. Peano, ou celles qui ont été discutées lors
du débat entre Poincaré et Russell. De ce
point de vue, l’ouvrage de Piaget sur La
5. Quel est l’autre terme de ces genèse du nombre chez l’enfant (1941) a
relations fondamentales ? introduit des glissements terminologiques
qui ont été néfastes pour la réflexion
Ces relations fondamentales sont autant de didactique concernant les processus de la
modes différents par lesquels «quelque pensée.
chose », appelé « signe» ou
« représentation », peut remplir la fonction Un objet, réalité matérielle ou idéalité, peut
cognitive d’évocation de « quelque chose être le terme de plusieurs relations
d’autre » (Figure 1). Quel peut être cet autre sémiotiques fondamentales. Ainsi, une
terme que les définitions purement chaise peut être à la fois le terme d’une
fonctionnelles désignent comme aliud aliquid relation de ressemblance dans une
ou something else et qui, d’un point de vue photographie, d’une relation de référence
épistémologique ne doit jamais être confondu dans un énoncé descriptif, et d’une relation
avec son signe ou sa représentation ? d’effet à cause, s’il reste une trace de cette
chaise, sur un sol meuble par exemple. Cela
C’est cet « autre chose » du signe ou de la permet de composer des juxtapositions
représentation qui est important. C’est paradoxales comme nous le verrons plus
pourquoi il a été considéré comme «l’étant loin. Au contraire, à la différence d’une chose
véritable » (Platon), comme la res, comme matérielle, une réalité idéale ne peut pas être
la « chose elle-même», c’est-à-dire comme le terme d’une relation de ressemblance.
l’objet de connaissance. La notion d’objet est
celle qui s’est imposée dans toutes les Cependant, il y a des situations où les signes
analyses philosophiques et ne tiennent pas à la place des objets qu’ils
phénoménologiques de la connaissance évoquent, mais remplacent d’autres signes.
comme la notion fondamentale (Duval 1998, C’est le cas, par exemple, des codes
p.167-168, 196). L’objet peut être soit une alphabétiques qui commutent l’émission
chose matérielle, accessible perceptivement orale d’un discours en une suite visuelle de
comme une chaise, comme les plantes dans caractères, ou encore des lettres en algèbre,
une forêt ou comme le soleil que l’on les lettres remplaçant une liste de valeurs
reconnaît être « le même » qui se lève numériques possibles. Dans le premier cas,
chaque matin, soit une réalité idéale les codes apparaissent comme un
accessible uniquement par des démarches marquage formel de signes, les marques
de pensée mobilisant justement des signes, formelles appelant un décodage pour
comme par exemple les nombres. Ainsi les retrouver la réalité des signes, c’est-à-dire
représentations « III », « 3 », « 39/13 », ou l’une ou l’autre des cinq relations
encore une configuration triangulaire de fondamentales. Aristote, qui avait déjà
points, renvoient au même nombre comme remarqué cette situation, en avait conclu à
à un même objet. On ne parle jamais du une plus grande distance de l’écriture par
nombre « trois » comme d’un concept et du rapport à la pensée que celle de la parole à
nombre « quatre » comme d’un autre la pensée (De l’interprétation, 16a 1-10). Le
concept. En mathématiques, on travaille second cas est différent. Il répond à une
56 Relime
Soit elle correspond à la distinction entre Nous verrons plus loin (4.1) que cette
l’élément qui remplit une fonction d’évocation distinction n’a pas de sens pour les signes
et cet autre chose qu’il évoque. Dans ce cas, purement visuels, notamment pour les
la distinction est redondante par rapport aux notations mathématiques.
définitions classiques du signe (Figure 1) :
« signifiant » est alors synonyme de signe
et « signifié » synonyme de l’objet évoqué ! 7. Conclusion : le problème de l’analyse
Soit elle porte sur ce qui serait la structure et du rôle des signes dans l’activité
interne de l’élément qui remplit la fonction cognitive.
cognitive d’évocation. Dans ce cas, la portée
de cette distinction se limite aux langues Ce rapide panorama de la diversité des
humaines qui remplissent une fonction de relations constitutives de la « signifiance »
communication orale, c’est-à-dire aux des signes (Benveniste 1974, p .45, 51)
systèmes linguistiques à base permet de faire les trois observations
phonologique. suivantes.
qui permettent qu’un élément remplisse la que s’il peut être substitué à d’autres signes
fonction d’« évocation ». Seule la relation pour effectuer des opérations (Condillac,
cause → effet, caractéristique du signal, ne 1982). Ce ne sont donc pas les
remplit pas cette fonction, mais une fonction représentations qui sont importantes, mais
d’instruction ou de commande, comme on les transformations des représentations.
peut le voir dans le fonctionnement de tous Cette exigence a commandé le
les systèmes automatisés ou non conscients. développement d’un symbolisme spécifique
aux mathématiques, avec la représentation
Dans une approche sémiotique, on ne peut des nombres, avec l’algèbre, avec
pas faire appel aux phénomènes l’analyse... Elle traduit le fait que la fonction
d’association (Russell, 1969). Car cela primordiale des signes et des
concerne un autre problème, celui de représentations, en mathématiques, n’est ni
l’apprentissage des signes et plus la communication, ni « l’évocation d’objets
particulièrement de celui d’une langue. Or, absents », mais le traitement d’informations,
pour expliquer cet apprentissage le recours c’est-à-dire la transformation intrinsèque de
au processus d’association relève d’une leurs représentations en d’autres
théorie plus que discutable et démentie par représentations pour produire de nouvelles
les observations (Boysson-Bardies 1999). informations ou de nouvelles
Nous verrons plus loin que ce qu’on appelle connaissances.
association relève en fait d’une opération
discursive de dénomination complexe. Ce serait cependant une erreur que de limiter
cette exigence au symbolisme
Aucune théorie sémiotique existante ne mathématique et donc au calcul. Cette
permet de prendre en compte toutes ces exigence mathématique concerne aussi
relations, mais chacune tend à en privilégier l’utilisation de tous les types de signes
une ou deux. Autrement dit, aucune théorie culturellement communs, comme les
ne couvre la diversité et la complexité des langues naturelles ou les représentations
phénomènes sémiotiques. figurales, lesquelles donnent, en géométrie
par exemple, des possibilités purement
Maintenant la question n’est pas seulement visuelles de transformation. L’originalité et
de savoir quelles sont les relations les plus la puissance de la pensée mathématique
pertinentes pour analyser les activités et les viennent de ce qu’elles jouent sur la variété
productions mathématiques, elle est surtout des registres sémiotiques et sur les
de savoir si les relations que l’on estime possibilités spécifiques de transformation qui
pertinentes sont suffisantes. sont propres à chaque système. Pour
illustrer cela, nous allons prendre deux
exemples : la variété sémiotique de la
II. ÉXIGENCE ET PRATIQUE représentation des nombres et les
MATHÉMATIQUES CONCERNANT LES représentations figurales en géométrie.
SIGNES : LES POSSIBILITÉS DE
TRANSFORMATION DES 2.1 Quel rapport entre les signes et les
REPRÉSENTATIONS. opérations dans la représentation des
nombres et/ou des grandeurs ?
En mathématiques, une représentation
n’est intéressante que dans la mesure où Nous avons analysé plus haut les
elle peut se transformer en une autre différences entre deux types de
représentation. Un signe n’est intéressant représentation des nombres (Figure 3).
58 Relime
Les principes
d’organisation Pas de principes Des principes d’organisation déterminent
suivent les lois d’organisation l’EMPLOI des signes et leurs
d’organisation pour l’emploi COMBINAISONS en unités de sens
perceptive des marques (expressions)
Si on regarde ces quatre types de par une relation de référence (supra 1.3).
représentations sémiotiques en Mais une telle analyse ne nous conduit pas
fonction des relations fondamentales, loin et elle n’apporte pas grand chose. En
les types I et II peuvent être considérés revanche, tout change si on regarde ces
comme iconiques puisqu’ils ressemblent quatre types de représentations des
soit aux objets représentés soit à des nombres en fonction des opérations de
collections de jetons, de cailloux. Les types transformations qu’ils permettent (ligne
III et IV doivent être considérés comme 2 du tableau). On voit alors qu’il faut
symboliques bien qu’ils ne relèvent pas de distinguer trois classes de représentations.
la même relation fondamentale : III est Elles sont séparées par un trait double
déterminé par une relation d’opposition entre les colonnes. Chacune de ces trois
alternative (supra 1.4) et IV est déterminé classes de représentation donne
Quelle sémiotique pour l’analyse de l’activité et des productionsmathématiques? 59
Les opérations que l’on peut effectuer avec Les dessins schématisant des objets
les représentations de type I ou II (Figure 5) présentent des caractéristiques qui les
sont totalement extérieures à ces rapprochent de ces marques unités. A la
représentations : on peut les compter en les différence des marques unités, ils
pointant du doigt, les regrouper par paquets, présentent l’inconvénient majeur de ne pas
ou les disposer sur deux rangées parallèles pouvoir être répétés à loisir comme les
pour les mettre en correspondance, etc. Ce marques unités. Cela devient vite trop
sont ces opérations que Piaget a coûteux.
presqu’exclusivement considérées dans son
étude sur La genèse du nombre (1941). 2.1.2. Représentation ou signes
Dans les épreuves piagétiennes, les jetons constitués par un principe d’organisation
sont le strict équivalent des marques unités. interne qui détermine des algorithmes de
Celles-ci sont un simple support, matériel ou calcul
graphique, pour des opérations. Elles
fonctionnent plus comme des pseudo objets Les écritures numériques (III, Figure 5) ne
que comme des signes. Les opérations peuvent pas être considérées comme un
effectuées sur ce matériel n’entraînent à simple support pour des opérations de
proprement parler aucune transformation de calcul. L’effectuation des opérations est ici
ces représentations. Se pose alors la entièrement subordonnée aux possibilités
question de savoir s’il est utile de représenter et aux contraintes des principes
les opérations faites et comment les d’organisation du système numérique
représenter. utilisé. Pour l’écriture des nombres, les
algorithmes des différentes opérations
Les marques auxquelles on recourt arithmétiques dépendent à la fois du
généralement dépendent entièrement du principe de position et de la base. Par
choix de celui qui les utilise. Ainsi on peut exemple, les valeurs de position permettent
jouer uniquement sur la disposition spatiale un déplacement à droite ou à gauche,
des marques unités (les séparer en paquets correspondant à une élévation ou à une
puis les regrouper) comme l’a fait par diminution de la puissance de la base, et,
exemple Wittgenstein (1983, p.143), ou bien pour chaque position, un dépassement des
les entourer comme dans les diagrammes possibilités de choix offertes par la base
de Venn. On peut également utiliser des traits conduit à un déplacement à gauche avec
plus longs pour matérialiser des paquets, etc. report. Ce système est évidement
De toute manière elles viennent se surajouter extensible avec l’adjonction d’un
aux marques unités et elles ne sont que des séparateur (virgule ou point), et cette
indices des opérations faites. extension permet de calculer avec d’autres
60 Relime
nombres que les nombres entiers. Pour les d’ailleurs la trace dans l’explication que
mêmes opérations sur les mêmes nombres, Lacroix donnait des signes algébriques :
les algorithmes changent si, au lieu d’une « ...la détermination du nombre inconnu par
écriture décimale, on adopte une écriture le moyen des nombres donnés » (Lacroix
fractionnaire. 1820, p. 1). Cependant, c’est avec la
substitution de lettres à des mots
2.1.3 Représentations ou signes ouvrant à désignant différents types de grandeurs
l’intégration des calculs dans des que les lettres comme signes se sont
opÉrations DISCURSIVES : l’algèbre. véritablement constituées. Ainsi, pour ne
combiner dans le calcul que des grandeurs
L’écriture littérale (IV, Figure 5) crée une homogènes, Viète a classé les grandeurs
nouvelle rupture sémiotique avec les selon deux critères : le critère géométrique
précédentes représentations des nombres des genres (planus, solidus..) et le critère
et elle ouvre la voie à de nouvelles numérique d’un produit scalaire (quadratus,
opérations. Cette rupture apparaît sur deux cubus ..). Et pour pouvoir définir
points. Tout d’abord, une différenciation entre systématiquement et brièvement les règles
la sémantique des signes (l’interprétation des de composition des opérations selon la
lettres) et leur syntaxe (les règles nature des grandeurs, Viète a abrégé par
déterminant l’ordre des opérations et leur des lettres les mots qui désignaient les
portée sur les symboles associés dans différents types de grandeur. Cette
l’expression) devient nécessaire. Avec cette substitution systématique de lettres à des
différenciation, l’interprétation des lettres ne mots référant déjà à des types de grandeur
dépend plus directement des choix offerts conduit, chez Descartes, à l’écriture
par un système sémiotique (supra 1.4) mais d’équations et à la notation des puissances,
d’une opération discursive de désignation lesquelles ont ouvert la voie à la notion de
(supra 1.2). Ensuite, il y a la possibilité de polynôme (Serfati, 1987). Et cela s’est fait
construire des unités syntagmatiques par en fonction d’une exigence cognitive
l’organisation de plusieurs signes autour d’un d’économie que Descartes a formulée dans
symbole dominant (un symbole d’égalité ou la règle XVI des Regulae. Il faut condenser
d’inégalité). Cette possibilité conduit à des en un seul signe tout ce qui intervient dans
opérations de substitution d’expressions ou la résolution d’un problème, c’est-à-dire tout
de transfert d’expressions salva veritate, ce que Viète avait bien pris soin de séparer
c’est-à-dire salva suppositione. C’est ce qui pour les calculs : les quantités connues ou
fait l’originalité du calcul algébrique. inconnues (res) et les deux genres de
grandeur, géométrique (solidus) ou scalaire
Pour illustrer cette rupture, nous nous (cubus).
limiterons à la seule émergence des lettres
en rappelant comment, avec Viète et L’autonomie sémiotique des signes qui s’est
Descartes, elle s’est inscrite dans la ainsi imposée en algèbre s’est donc faite au
constitution de l’écriture algébrique (Serfati, prix d’une réduction-condensation des
1987). différents types d’objets représentés. En
d’autres termes, l’autonomie sémiotique des
L’émergence des lettres comme symboles signes en algèbre s’est faite au prix d’une
algébriques a longtemps été réduite à la neutralisation de leur fonction cognitive
désignation d’une quantité inconnue, laquelle d’évocation (supra Figure 1) et, par la suite,
fut appelée res ou cosa pour faciliter la de toutes les relations fondamentales. Seul
résolution d’un problème. On en retrouve importe ce que Husserl a appelé leur
Quelle sémiotique pour l’analyse de l’activité et des productionsmathématiques? 61
« signifié opératoire », c’est-à-dire les règles peuvent évoquer un mouvement, une action
d’emploi (règles de priorité, de ou une opération. Et en ce qui concerne la
substitution...). On comprend alors la géométrie, les opérations sont généralement
question du sens des signes algébriques que associées à des propriétés qui ne peuvent
Leibniz soulève dans un texte de 1684, donc être mobilisées qu’en fonction d’hypothèses.
peu après la constitution de l’écriture Par conséquent, le contenu visuel d’une
algébrique moderne : «... cette pensée là, figure géométrique ne remplirait que l’une
j’ai coutume de l’appeler aveugle ou encore des fonctions suivantes : soit une fonction
symbolique... ; c’est celle dont nous usons d’illustration pour faciliter la compréhension
en algèbre et en arithmétique.. » (Leibniz d’un énoncé soit un support pour des
1972, p. 152-153). opérations commandées par le
raisonnement et non pas par le contenu
2.2 Peut-il y avoir des transformations visuel de la représentation2.
figurales purement visuelles ?
Cependant, et contrairement à cette opinion
Il semble plus difficile d’associer des commune, il est important de remarquer que
représentations figurales, que ce soit des les représentations figurales suggèrent
« images », des schématisations ou des ou induisent des opérations qui sont
figures géométriques, à des opérations. internes au contenu visuel de la
Bresson (1987) soulignait qu’une figure représentation. Nous nous limiterons ici à
représente un état et que la représentation un exemple très simple. Le dessin d’un
d’une transformation exige la représentation quadrilatère concave induit plusieurs
de deux états, l’un initial et l’autre final. Ce transformations visuelles possibles, comme
sont les différences entre deux figures qui on peut le voir ci-dessous :
A. Deux complémentations
successives
B. Partage symétrique
C. Complémentation
figurative ou iconique
2 « Deux rôles au moins, peuvent être attribués aux figures en géométrie : d’une part, elles illustrent les situations
étudiées, d’autre part elles servent de support à l’intuition au cours de la recherche en faisant apparaître sur un objet
visible des relations ou des hypothèses de relations qui ne sont pas clairement évidentes dans un énoncé verbal »
(Bessot 1983, p.35). La distinction entre dessin et figure reprend cette opposition entre ce qui est visuel, donc particulier,
et l’ensemble des propriétés qui le sous-tendent et qui en font un dessin parmi d’autres.
62 Relime
Registre de la visualisation :
un jeu de réorganisations ARTICULATION Registre du discours :
visuelles selon la forme ou selon par le codage des mise en œuvre d’énoncés de
le nombre de dimension des sommets avec des propriétés et de dérivation déductive
unités figurales reconnues lettres des énoncés
Transformation d’une représentation en une autre du même genre par des OPÉRATIONS
Externes aux signes pris Dépendant de principes d’organisation d’un système sémiotique
isolément
Opérations de reconfiguration portant sur Opérations discursives dans une
des formes ou sur des positions langue naturelle ou formelle
Sémantique Syntaxique Formation
Spatialcontinu discret (référence à d’expression et
des objets) d’énoncés
Ecriture algébrique
Marques unités Figures en Système numérique (ouverte à l’intégration de
géométrie de position quantificateurs)
Lorsque les transformations sont externes définition fonctionnelle (Figure 1), mais une
aux signes utilisés, c’est-à-dire lorsque ces très grande diversité de représentations
derniers ne remplissent qu’une fonction de possibles pour un même objet. On connaît
support, elles peuvent être réalisées la célèbre photo intitulée « une et trois
matériellement d’une manière équivalente chaises ». Celle-ci juxtapose, dans un
à une transformation symbolique. En même montage, une chaise, une photo de
revanche, si certaines transformations cette chaise et la description verbale de
sémiotiques peuvent être reproduites cette chaise. Mais un autre montage aurait
matériellement, elles deviennent pu tout aussi bien permettre de faire une
cependant très vite impossibles à réaliser, photo « une et cinq chaises » en ajoutant
non seulement pour des raisons de coût des schémas ou un plan de montage de
mais surtout parce qu’elles ne sont pas la chaise à partir de morceaux livrés en
concevables en dehors de la kit. En réalité, il y a autant de
représentation symbolique qui les permet. représentations possibles d’un objet qu’il
On peut d’ailleurs remarquer qu’il n’y a y a de systèmes différents producteurs de
souvent aucune congruence entre la représentations (Duval, 2006b). Et cela
réalisation matérielle d’une opération et sa vaut aussi bien pour les représentations
réalisation symbolique. C’est l’une des non sémiotiques que pour les
difficultés, dans la représentation des représentations sémiotiques. Le problème
nombres, lors du passage des marques cognitif que pose cette diversité de
unités au système décimal. Et c’est aussi représentations possibles est celui de la
l’une des difficultés en géométrie où reconnaissance du même something else
l’articulation des énoncés avec les figures (ou aliud aliquid ), c’est-à-dire du même
exige la déconstruction dimensionnelle des objet, dans les contenus différents de
formes visuelles reconnues (Duval, 2005). chacune de ses multiples représentations
possibles.
De la représentation iconique ou matérielle
des petits nombres à leur représentation Ce problème est crucial pour
systématique dans une écriture décimale, l’apprentissage des mathématiques dont
binaire, etc., le saut sémiotique et cognitif la situation épistémologique est totalement
à faire est considérable. Mais ce n’est là différente de celle des autres disciplines.
qu’un exemple parmi d’autres de ce qui En effet, dans les autres domaines de
constitue l’obstacle spécifique à connaissance, les objets et les
l’apprentissage des mathématiques : phénomènes étudiés sont accessibles
passer d’un type de représentation perceptivement ou à l’aide d’instruments
sémiotique à un autre. (microscope, télescope, etc..) qui
augmentent soit le champ de la perception
soit les capacités de détection (les sondes
III. LE PASSAGE D’UN TYPE DE spatiales pour cartographier la planète
REPRÉSENTATIONS SÈMIOTIQUES A Mars). On peut alors ancrer chaque type
UN AUTRE : PROBLÈME CLÉ DE de représentation dans une expérience
L’APPRENTISSAGE. perceptive directe ou instrumentalement
médiatisée. Cela n’est pas possible pour
Le phénomène le plus important les mathématiques. Car les objets
concernant les représentations est qu’il n’y mathématiques ne sont pas accessibles
a pas une seule représentation pour un perceptivement et, en mathématiques,
objet, comme pourrait le laisser croire la l’attention se porte toujours sur tous les cas
Quelle sémiotique pour l’analyse de l’activité et des productionsmathématiques? 65
possibles et non pas seulement sur ceux deux représentations du même objet, si on
qui sont réellement observés ou n’a pas la possibilité d’avoir une
observables. L’accès aux objets expérience de cet objet en dehors de ces
mathématiques passe nécessairement par deux représentations? On peut se référer
des représentations sémiotiques, à une autre troisième représentation
rudimentaires ou complexes. C’est dans supposée plus familière. Mais, c’est
cette situation épistémologique très simplement déplacer le problème. Là, se
particulière que le problème cognitif de trouve le seuil de compréhension que
la diversité des représentations beaucoup d’élèves ne franchissent pas.
sémiotiques devient crucial.
Il ne s’agit pas, ici, de présenter les
Rappelons tout d’abord l’un des méthodes d’observation et les résultats qui
phénomènes les plus caractéristiques de mettent en évidence la relation entre les
l’activité mathématique : la mobilisation, échecs pour passer d’un type de
simultanée ou successive, de plusieurs représentation à un autre et les difficultés
types de représentations sémiotiques y est rencontrées par les élèves en
constante. D’une part, toute activité mathématiques (Duval 1996, 2006a).
mathématique exige que l’on puisse passer L’intérêt d’une approche sémiotique est
d’un type de signe et de représentation à plus théorique. Il est d’analyser comment
un autre type, c’est-à-dire que l’on puisse fonctionne chacun des systèmes
convertir la représentation d’un objet en sémiotiques utilisés en mathématiques et
une autre représentation du même objet d’expliciter le saut cognitif considérable
dans un autre système sémiotique, afin de que le passage de l’un à l’autre exige. Cela
se donner d’autres moyens de traitement est important pour comprendre la
ou de contrôle. D’autre part, la pratique de complexité des apprentissages. Car, quels
l’enseignement des mathématiques tend à que soient les contenus et les objectifs
juxtaposer des représentations visés, l’enseignement des mathématiques
sémiotiques différentes comme si cela implique nécessairement l’introduction de
devait rendre l’accès aux objets nouveaux types de représentation et il
mathématiques plus facile. Il suffit d’ouvrir exige que les élèves puissent passer
n’importe quel manuel à n’importe quelle spontanément de l’un à l’autre.
page pour le constater. Et le recours à
l’informatique permet de développer cette Pour illustrer les sauts existant entre des
stratégie. systèmes de représentation hétérogène,
sauts qui sont au cœur des tâches
Or, tout cela présuppose que les élèves mathématiques demandées aux élèves,
puissent comprendre ce passage d’un type nous pouvons garder l’exemple des
de représentation à un autre, et surtout différents types de représentation des
comprendre comment il se fait. Car, comment nombres (Figure 5). Ce qui est demandé
reconnaître que deux représentations, dont aux élèves peut alors se traduire dans les
les contenus sont différents , puissent être trois séries de flèches suivantes :
66 Relime
Figure 9. Ruptures sémiotiques dans la représentation des nombres et/ou des grandeurs.
3.1 Des dessins schématisant des rien de commun avec des manipulations
objets matériels jusqu’à l’écriture libres sur des marques unités. Et il marque
algébrique : un ordre d’introduction comme une première ligne d’arrêt, souvent
progressif aveugle aux ruptures ? masquée par une fausse familiarité avec
l’usage culturel du système décimal dans
Les passages représentés par les flèches l’apprentissage des mathématiques.
(1) (2) et (3) dans le tableau ci-dessus sont
souvent considérés comme un ordre, aussi Voici deux exemples de difficultés classiques
bien génétique qu’historique, d’apparition. et récurrentes auxquelles l’apprentissage se
C’est un tel ordre que l’enseignement suit heurte. Ceux-ci soulignent la complexité
de la Maternelle jusqu’au début du Collège. sémiotique, irréductible et trop souvent sous-
Or, c’est évidemment le passage (3) qui estimée, de la représentation décimale des
retient le plus l’attention en raison du passage nombres.
de l’arithmétique à l’algèbre, tandis que le
passage (2), celui de marques unités Le premier exemple est emprunté à une
manipulables comme des objets matériels à enquête d’évaluation nationale sur les
un système d’écriture de position, n’est pas décimaux chez des adultes et porte sur
considéré comme un saut sémiotique des situations de la vie courante (Leclère,
important parce qu’il s’agirait toujours des 2000 ) :
mêmes objets, les nombres entiers !
Pourtant, ce changement de représentation « Les adultes que nous avons observés ont
affecte le sens des opérations3, car il introduit entendu ou retenu : «multiplier par 10, c’est
des algorithmes d’opérations qui n’ont plus rajouter un zéro! »
3 Il y a deux types d’interprétation des signes mathématiques qu’il est capital de ne pas confondre. L’un est interne aux
démarches mathématiques et l’autre concerne l’application d’opérations ou de modèles mathématiques à des situations
de la réalité physique, économique ou quotidienne, dont il faut sélectionner des données (Duval, 2003). En ce sens, il y a
une sémantique mathématique et une sémantique commune, celle correspondant à la pratique commune du langage et
à la culture d’un milieu ou d’une société. Pour pouvoir justifier les mathématiques, l’enseignement tend à rabattre la
sémantique mathématique sur la sémantique commune ! Cela se révèle catastrophique pour l’analyse des problèmes
d’apprentissage. Car nous sommes là devant deux types de problèmes très différents.
Quelle sémiotique pour l’analyse de l’activité et des productionsmathématiques? 67
7 x 5 = 35
7f. 7f. 7f. 7f. 7f.
5
7 + 7 + 7 + 7 + 7 = 35
2
Elle a dépensé 35 F. Elle a dépensé 7 Francs Elle a dépensé 35 F.
Sébastien Mélanie Cécile
s ηµαινοµενον
l'entité manifestée
par le signe matériel
t υγχανον
(immatériel ) Dénotation la chose réelle, physique
Signification
σηµαινον {sonore)
On peut tout de suite faire trois remarques : (Freudenthal 2002 ; Weyl 1994).
Le mot « symbole » est employé Il y a, d’une part, tous les types de signes
également pour une variété considérable progressivement créés pour le calcul
de signes : les notations mathématiques, numérique et algébrique, mais il y a
les sigles, et même des fragments de également les figures en géométrie, qui
l’objet représenté. Peut-on aussi l’utiliser peuvent ressembler à des dessins
pour caractériser les mots de la langue ? schématisés, mais qui ne le sont pas, et il
L’opposition « antithétique », soulignée y a aussi tous les graphes et enfin la langue
par Benveniste (1974), entre l’approche naturelle qu’il ne faut pas oublier. Car la
de Peirce et celle de Saussure, vient de langue naturelle continue de jouer un rôle
ce que le premier avait cherché à prendre essentiel en mathématiques: sans elle, il
en compte la diversité des signes, au ne pourrait pas y avoir d’énoncés, c’est-à-
risque de perdre la spécificité des langues dire de définitions, de théorèmes ou même
naturelles, et que le second s’était au d’énoncés de problème.
contraire limité à la langue en en faisant
le système sémiotique par excellence, 4.2.2 Selon quels critères distinguer et
c’est-à-dire celui dont les autres pouvaient classer la variété des signes et des
être dérivés. Mais qu’y a-t-il de commun représentations ?
entre les mots d’une langue et les
notations mathématiques ? Pour classer la variété des signes, Peirce
a pris comme critères deux des cinq
relations fondamentales que nous avons
Si maintenant nous regardons les distinguées plus haut : la relation de
mathématiques, nous sommes devant une ressemblance (1.1) et la relation
situation encore plus complexe, car les cause → effet (1.3.1 ). Avec ces deux
mathématiques utilisent une gamme très relations, il a établi la partition
étendue de signes et de représentations. trichotomique suivante :
RESSEMBLANCE CAUSALITÉ
On remarquera qu’il n’y a pas de rapport entre les deux relations retenues par Peirce.
En effet, dans la première relation, les signes et les représentations sont caractérisés
comme étant des representamen à partir de leur seul contenu. Dans la seconde relation,
les signes et les représentations sont considérés comme étant le résultat, ou l’effet du
phénomène ou de l’objet qu’ils évoquent. Ce peut être un effet direct comme la fumée.
Mais ce pourrait être aussi bien un effet indirect médiatisé par un système physique (un
74 Relime
4 Rappelons que le principe de position de l’abaque génère une règle de composition des signes qui permet de désigner
systématiques et sans confusion n’importe quel nombre entier, la seule limitation étant celle du coût temporel et spatial.
En ce sens le principe de position de l’abaque génère un ébauche de syntaxe.
Quelle sémiotique pour l’analyse de l’activité et des productionsmathématiques? 75
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Raymond Duval
Université du Littoral Côte d’Opale(ULCO)
France
E-mail: ray@wanadoo.fr