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Culture & Musées

L’art des nouveaux médias : défi et opportunité pour la


muséologie d’art
Pierre-Yves Desaive

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Desaive Pierre-Yves. L’art des nouveaux médias : défi et opportunité pour la muséologie d’art. In: Culture & Musées,
n°16, 2010. La (r)évolution des musées d’art (sous la direction de André Gob & Raymond Montpetit) pp. 113-135;

doi : https://doi.org/10.3406/pumus.2010.1562

https://www.persee.fr/doc/pumus_1766-2923_2010_num_16_1_1562

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Resumen
En los años noventa, nació la noción del arte de nuevos medias, que queda hoy mal definida.
Queda necesario definir de que se trata, y proponer una diferencia entre obras basadas en el uso
de la tecnología numérica, y obras que incluyen otras tecnologías de comunicación. Este «arte-
red» (network art),
prolonga el arte de medias del final de los años sesenta, y transforma las obras en «datas». Esto
cuestiona las prácticas de adquisición, de conservación y de exposición. Así se pueda
comprender que los museos no se interesaron a estas formas de arte. También interviene la
voluntad de artistas de redes de no estar incluidos en el arte contemporáneo. La evolución de
este arte-red fue acompañada por los centros de arte, que se dedicaban a la producción más que
a la conservación. Museos y centros de arte tienen que desarrollar ahora una misma visión para
garantizar la producción y la conservación de obras que corresponden a una revolución

Abstract
First appearing in the middle of the nineties, the notion of new media art today remains quite
uncertain. A redefinition of the concept is necessary in order to create a distinction between work
based solely on the use of digital data, and work that uses new technologies of communication
and information. Network art, which continues the tradition of media art of the late sixties and early
seventies, and which transforms art into a flow of data, raises new questions in terms of
acquisition, conservation, and exhibition. These problems explain in part the reluctance of art
museums with regard to these productions ; to this is added the desire of network artists to not be
attached to the sphere of concontemporary art, even if there have been attempts in this direction.
The evolution of network art has instead been favored by art centers engaged in production rather
than conservation. Museums and art centers must develop a common vision in order to guarantee
on one hand the production, and on the other hand the preservation of works that hail a
technological and sociological revolution.

Résumé
Apparue au milieu des années quatre-vingt-dix, la notion d’art des nouveaux médias reste,
aujourd’hui encore, assez floue. Une redéfinition est nécessaire, qui crée une distinction entre les
oeuvres basées sur la seule utilisation du numérique, et celles qui font appel aux nouvelles
technologies de l’information et de la communication (NTIC). Cet art réseau (network art), qui
s’inscrit dans la prolongation de l’art des médias de la fin des années soixante et du début des
années soixante-dix, et transforme les oeuvres en flux de données, pose des questions inédites
en termes d’acquisition, de conservation et d’exposition. Ces problèmes expliquent en partie le
peu d’intérêt des musées d’art pour ces productions ; à cela s’ajoute la volonté des artistes des
réseaux de ne pas être rattachés à la sphère de l’art contemporain, bien que des tentatives
existent en ce sens. L’évolution de l’art réseau a davantage été portée par des centres d’art,
tournés vers la production plutôt que vers la conservation. Musées et centres d’art doivent
développer une vision commune pour garantir d’une part la production, d’autre part la
préservation, d’oeuvres qui témoignent d’une révolution tant technologique que sociologique.
P i e r r e -Y v e s D e s a i v e

L’ART DES NOUVEAUX MÉDIAS :


DÉFI ET OPPORTUNITÉ
POUR LA MUSÉOLOGIE D’ART

A pparu au milieu des an-


nées quatre-vingt-dix, l’art des
nouveaux médias symbolise
la rencontre entre l’art et la
technologie à l’ère du numé-
rique. Porté par une généra-
tion d’artistes dont la période
de formation coïncida avec le
développement du World Wide
Web, il est étroitement lié à
l’avènement de l’Internet. Té-
moins culturels de l’une des
plus grandes révolutions tech­
nologiques de l’histoire de
l’humanité, les œuvres néo-
médiatiques sont pourtant
peu présentes dans les mu-
sées d’art contemporain. Et si
le courant possède déjà ses
figures historiques, celles-ci
restent quasi inconnues des
amateurs d’art actuel, pour ne
pas parler du grand public.
Les musées sont-ils dépassés
par l’irruption de ces nouvelles
formes de création ?
Au début des années 2000, le Belge Chris Dercon, directeur de
la Haus der Kunst à Munich et connu notamment pour son en-
gagement vis-à-vis de l’art vidéo, s’interrogeait sur l’adéquation de
la réponse fournie par la muséologie face à l’évolution des pra-
tiques artistiques : « La plupart des choses désignées aujourd’hui
comme de l’art ne sont pas susceptibles d’être sélectionnées, acqui­
ses, préservées et entreposées dans un musée, en tout cas pas
d’une manière conventionnelle […] Alors, doit-on étendre le concept
du musée d’art ? Oui, et de toute urgence ! A-t-on déjà des musées
étendus, je veux dire qui soient véritablement différents en
termes de contenus et de relations spatiales ? À peine ! […] La

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remarque de Rubin selon laquelle “le concept de musée n’est pas exten­
sible à l’infini” est maintenant devenue réalité1. » (Dercon, 2002 : n. p.)
Il fait ici référence à un entretien resté célèbre, publié dans Art-
forum en 1974, dans lequel William Rubin s’interroge sur la capacité
du musée d’Art moderne (MoMA) de New York à collectionner des
œuvres issues de l’art conceptuel, de l’art minimal et du land art.
Le titre de l’article, « The museum concept is not infinitely expan-
dable », souligne les positions radicales de Rubin : « Les musées
n’ont jamais été, et ne seront jamais, l’environnement idéal pour les
œuvres d’art. Je ne pense pas que les œuvres d’art se présentent
sous leur jour le plus intéressant quand elles sont coupées du tissu
social. Cela les rend accessibles à un large public, c’est pratique,
c’est une bonne chose pour l’histoire de l’art – en particulier parce
que cela permet leur conservation – mais c’est un compromis […]
Il est certain que des objets tels que de grandes sculptures – mini-
males ou autres – et des diagrammes ou des déclarations impri-
mées de l’art conceptuel, ne sont pas à l’aise dans ces musées.
Toutefois, le MoMA les collectionne et les expose, car cela fait par-
tie de nos missions. Mais je pense que si vous étiez amené à ins-
taller ces objets, vous pourriez vous rendre compte que les œuvres
elles-mêmes sont presque en train de hurler pour bénéficier d’un
environnement différent […] Il ne s’agit pas d’une question de style ;
les défis qu’elles posent sont d’un autre ordre, et impliquent un
changement dans les modes de communication […] Pourquoi étendre
le concept de musée jusqu’à tout embrasser. Il est très possible qu’il
existe un mode de communication propre aux arts visuels, qui se
développe de manière naturelle via votre écran vidéo, dans les
livres ou dans les magazines d’art2. » (Rubin, 1974 : n. p.)
Le directeur du MoMA décrit de manière lucide le paradoxe
qui voit les musées collectionner des œuvres au risque d’en mo-
difier l’intégrité, et ce afin de remplir leur mission première. Et
tout en prenant acte du rôle fondamental joué par l’écrit dans l’art
conceptuel – Seth Siegelaub organise par exemple avec six com-
missaires une « exposition » sur 48 pages de Studio International
en 1970 – il anticipe sur l’avènement de l’art vidéo, alors en plein
développement, en imaginant un mode d’exposition basé sur l’uti-
lisation d’écrans individuels.
Après avoir concerné des formes artistiques particulièrement
rétives à la notion de collection, telles que l’art minimal, l’art concep-
tuel, le land art ou l’art vidéo, c’est à l’art des nouveaux médias
que la réflexion de Chris Dercon pourrait bien devoir s’appliquer.
Pour reprendre les termes de William Rubin, le concept de musée
d’art est-il suffisamment « extensible » pour offrir à ces œuvres le
cadre qu’elles nécessitent, ou de nouvelles formes muséales sont-
elles nécessaires pour les conserver et les exposer ?
La question est d’autant plus difficile à résoudre que le domaine
lui-même reste mal délimité. Qu’est-ce que l’art des nouveaux médias ?

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Force est de reconnaître qu’il n’existe pas aujourd’hui de défini-
tion claire du terme. La jeunesse du phénomène, une quinzaine
d’années tout au plus, n’est pas étrangère à cette situation. Mais
l’on constate également que le terme est interprété différemment
d’un auteur à l’autre, ainsi qu’entre les domaines francophone et
anglophone.
Dans cet article, je vais tenter de restreindre le champ d’appli-
cation du terme « art des nouveaux médias », afin d’aboutir à une
définition qui soit utile à son étude sous l’angle de la muséologie.
Dans un deuxième temps, je me propose d’étudier les rapports
qu’entretiennent les artistes des nouveaux médias avec l’art contem-
porain. Enfin, j’aborderai les problèmes spécifiques posés par l’ir-
ruption de ces œuvres d’un genre nouveau dans le champ de la
muséologie de l’art. Ce dernier point, qui fait actuellement l’objet
de mes recherches dans le cadre d’une thèse de doctorat, ne sau-
rait être étudié ici en détail.

Art numérique ou art des nouveaux médias ?

Les deux termes, souvent considérés comme interchangeables,


devraient être distingués l’un de l’autre. Comme en témoigne la
définition proposée par Edmond Couchot et Norbert Hillaire, le
terme « art numérique » couvre un champ très large : « Ainsi toute
œuvre d’art réalisée avec des dispositifs de traitement automatique
de l’information appartient à “l’art numérique”. Les plus courants
de ces dispositifs sont les ordinateurs, petits ou gros, auxquels il
faut associer les nombreuses interfaces qui permettent la commu-
nication avec l’ordinateur et les réseaux, lesquels permettent à leur
tour la communication entre ordinateurs à des échelles locales ou
mondiales. » (Couchot & Hillaire, 2003.)
Trois concepts distincts sont ici réunis : l’utilisation à des fins
artistiques de l’informatique, l’interactivité, et l’interconnectivité
des ordinateurs via des réseaux. D’un point de vue muséologique,
il est important de considérer ces notions séparément : si la na-
ture technologique ou numérique d’une œuvre pose des questions
spécifiques en matière de conservation et d’exposition, son ca-
ractère connectif et interactif en pose d’autres, plus complexes.

L’outil numérique

Auteure de L’Art numérique, Christiane Paul distingue à ce propos


les œuvres basées sur l’utilisation du numérique « comme outil »
de celles qui l’envisagent « comme médium ». À la première caté-
gorie ressortissent des œuvres qui exploitent les possibilités offer­
tes par la technologie numérique pour produire photographies,

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impressions sur papier ou pièces tridimensionnelles – soit des ob-
jets conçus grâce à des programmes informatiques ou « dispositifs
de traitement automatique de l’information ». Ainsi cite-t-elle Robert
Rauschenberg – un artiste a priori peu concerné par la notion d’art
numérique – pour ses collages réalisés au départ d’images scan­
nées puis rassemblées (Appointment, 2000) : « Les artistes, qu’ils
se consacrent à la peinture, au dessin, à la sculpture ou encore à
la photographie ou à la vidéo, sont incontestablement de plus en
plus nombreux à utiliser ces nouvelles technologies comme un
outil dans le cadre de leur production artistique. » (Paul, 2004 : 27.)
Christiane Paul cite encore, parmi tant d’autres, les photomon-
tages de Paul M. Smith dans lesquels l’artiste multiplie son autopor­
trait à l’infini (Artist Rifles, 1997), les expérimentations infographiques
de Dieter Huber (série Klone, 1997-1999), ou les portraits tridimen-
sionnels miniatures de Karin Sander (série 1:10, 1999-2000), en-
tièrement réalisés par une machine au départ de la numérisation
à 360 degrés du modèle. Dans ce dernier cas, elle relève très jus-
tement que « l’objet final est bien une sculpture traditionnelle, mais
il remet en question la notion même de sculpture ». Ces œuvres
illustrent de manière parfois spectaculaire – ce qui n’a rien d’un
critère de qualité – toutes les possibilités offertes par la technolo-
gie numérique dans la manipulation ou la création d’images bi
ou tridimensionnelles : « Une œuvre peut sembler avoir été créée
par manipulation numérique alors qu’elle n’utilise que des tech-
niques traditionnelles tandis qu’une autre apparemment faite à la
main a pu subir un traitement numérique. » (Paul, 2004 : 65.)
Ainsi Jeff Wall – un exemple également retenu par Couchot et
Hillaire – a-t-il eu recours à l’ordinateur pour la réalisation de com-
positions d’apparence très réalistes dès le début des années quatre-
vingt-dix (A Sudden Gust of Wind [After Hokusaï], 1993).

De l’objet au flux

La seconde catégorie définie par Christiane Paul – le « numérique


comme médium » – regroupe des œuvres qui, au-delà de l’utilisa­
tion de la technologie numérique, élaborent une réflexion esthé-
tique vis-à-vis de cette même technologie : « Employer le numérique
comme médium artistique suppose que, de sa production à sa
présentation, l’œuvre n’utilise que la plateforme numérique et
qu’elle en présente et explore les potentialités inhérentes. Le numé­
rique est, entre autres, interactif, participatif, dynamique et custo­
misable, et ces spécificités engendrent une esthétique bien particulière.
Les œuvres créées à partir de ce médium sont extrême­ment va-
riées et souvent hybrides ; elles peuvent prendre la forme d’une
installation interactive, en réseau ou non, d’une création logicielle
écrite par l’artiste, d’un objet de Net Art pur ou d’une quelconque
combinaison des trois. » (Paul, 2004 : 67.)

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Cette définition permet d’établir une distinction entre des œuvres
qui témoignent de la « contamination » par le numérique de la pein-
ture, de la photographie, de la vidéo ou de la sculpture par exemple,
et celles qui élaborent une réflexion vis-à-vis de cette même techno­
logie. Toutefois, elle est encore trop vaste car elle englobe – tout
comme celle proposée par Couchot et Hillaire – les œuvres dont
la seule particularité est de reposer sur l’utilisation de la techno-
logie numérique, et celles en réseau.
La connectivité est pourtant une donnée fondamentale, qui en-
traîne une dématérialisation, mais aussi une délocalisation de l’œuvre.
Celle-ci, pour reprendre l’expression de Sarah Cook, se transforme
en un flux de données : « La connectivité d’un projet Internet, sms
ou télématique signifie que l’art n’est plus un objet, mais un flux3. »
(Cook & Graham, 2004 : 87.)
L’enjeu de cette distinction est crucial pour le musée : si l’acqui-
sition, l’exposition et la restauration d’une œuvre technologique
posent toujours des problèmes spécifiques, qu’en est-il d’une œuvre
qui repose, pour une partie au moins, sur une technologie qui lui
est extérieure (dans le cas d’une œuvre conçue pour l’Internet, la
configuration nécessaire à son expérimentation par exemple) ?
À titre d’exemple, citons la performance Parcelle-Réseau orga-
nisée en 1996 par Fred Forest, qui consista à organiser la mise
aux enchères d’une œuvre constituée d’une image fixe réalisée
exclusivement pour l’Internet, par Maître Binoche à l’hôtel des
ventes Drouot. Cette action visait autant à souligner les particula-
rités de l’art en réseau – alors à ses débuts – qu’à ironiser sur le
marché de l’art dans son ensemble : « En échange de leur chèque
d’acquisition pour Parcelle-Réseau, Bruno Chabannes et Antoine
Beaussant, les heureux bénéficiaires, n’ont eu en retour de leur
règlement… qu’un code confidentiel leur permettant d’accéder à
l’œuvre sur Internet, une œuvre consultable depuis n’importe quel
lieu dans le monde entier, une œuvre, enfin, qui fait l’économie
des contrôles douaniers quand elle se promène d’un pays à l’autre
sans connaître de frontières… » (Forest, 1998 : 162.)
Pionnier de l’art sur Internet dans sa version la plus radicale,
Alexei Shulgin s’est récemment amusé à démontrer par l’absurde
cette dichotomie entre objets d’art numériques et œuvres en ré-
seau. Né à Moscou en 1963, il est emblématique d’une génération
de jeunes artistes issus de l’ancien bloc de l’Est, pour qui l’avène-
ment de l’Internet coïncida de peu avec la chute du mur de Berlin.
Ils furent parmi les premiers à s’en emparer, à la fois comme
moyen de communication et comme outil de création artistique4.
Form est l’une de ses œuvres les plus connues, qui reçut en 1997
le prix Ars Electronica dans la catégorie « Net Art ». Elle se présente
comme un ensemble de cases à cocher, de menus déroulants et
de boutons, avec lesquels l’utilisateur interagit au hasard. La navi­ga­
tion qui s’ensuit est dénuée de toute logique, d’autres menus venant

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remplacer les précédents, dans une combinaison apparem­ment
infinie. Form possède toutes les caractéristiques du Net Art telles
que résumées par l’artiste et théoricien Joachim Blank en 1996 :
« Le Net Art fonctionne uniquement sur le Net, et choisit le Net ou
le “mythe du Net” comme thème5. »
L’œuvre est en effet conçue dès l’origine pour l’Internet ; il se-
rait certes possible de la faire migrer vers un support fixe, afin de
« mimer » son fonctionnement en ligne, mais cela équivaudrait à
lui ôter sa finalité : le but poursuivi par Shulgin est de souligner,
sur le mode de l’ironie, le formatage subi par l’information véhi-
culée sur l’Internet, ou encore de relativiser l’étendue des « choix »
qui s’offrent à l’internaute lorsqu’il passe d’une page à une autre.
L’existence de l’œuvre est donc conditionnée par la maintenance
de la technologie (logiciels, réseaux, serveurs…) qui en a permis
la création, et qui la rend visible.
Mais la pratique de Shulgin a évolué de manière aussi specta-
culaire qu’inattendue avec son projet « Electroboutique : Media
Art 2.0. », élaboré en collaboration avec Aristarkh Chernyshev et
Roman Minaev. Bien loin de ses premières expérimentations avec
l’Internet, Shulgin déclare aujourd’hui : « Nous produisons des ob-
jets en édition limitée (comme Ferrari) et les vendons à des prix
abordables (comme Sony). Nous y parvenons grâce à des solu-
tions électroniques robustes que nous avons nous-mêmes déve-
loppées, et donc indépendantes des technologies informatiques
généralistes et excessivement complexes. Chaque œuvre a son
numéro d’édition unique et porte les signatures certifiées de ses
auteurs. Nous offrons aussi une garantie sur toute la durée de vie
de nos produits. » (Shulgin, Chernyshev & Minaev, 2008 : 122-123.)
Paraissant sortir tout droit d’une brochure promotionnelle, le
propos n’est pas dénué d’ironie et comporte une critique à peine
voilée de la marchandisation de l’art. La question de la garantie
en particulier devrait retenir l’attention, Shulgin ayant déclaré – à
l’occasion d’une conférence à la foire d’art contemporain de
Bruxelles en 2008 – que, tout comme l’on n’attend pas d’une voiture
de luxe qu’elle dure indéfiniment, une œuvre basée sur la techno­
logie numérique et coûtant le même prix a, elle aussi, une durée
de vie limitée.
Sa critique de la société de consommation s’exprime clairement
dans l’une des œuvres de cette série, Commercial Protest (2007),
qui renvoie au spectateur son image transformée en une accumu-
lation de logos de marques issues de la grande distribution. Compte
tenu de l’engagement passé de Shulgin avec l’Internet, Electrobou-
tique apparaît assez naturellement comme une démarche humo-
ristique et critique  : «  En pénétrant dans son Electroboutique
plastic chic installée dans un coin de la Transmediale à Berlin,
on a cru à une plaisanterie. Œuvres aux couleurs vives, sculptures
design, esthétique pop et clinquante, des pièces vendeuses qui
feront sensation dans tout salon bourgeois. » (Lechner, 2008.)

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Il n’empêche : les œuvres en vente à Electroboutique le sont
aussi, très sérieusement, par la galerie d’Alexei Shulgin (XL Gallery),
sous l’appellation electronic media objects. Notons que XL Gallery
n’a rien d’une institution orientée « numérique », et vend également
des huiles sur toile ou des photographies. Shulgin s’amuse à déve­
lopper les avantages que présente la réification de son travail : « Et
pour ne pas effrayer le client avec des interfaces complexes, la
boutique propose des œuvres “tout en un, plug and play”, prêtes
à être consommées sans nécessiter d’installation ou de maintenance
complexe. “C’est «user friendly», nous n’utilisons pas d’ordinateur,
ça ne crashe pas, c’est joli, on peut l’accrocher au mur”, dit-il, soit
l’exact opposé de l’esthétique instable, chaotique, définitivement
non amicale du Net Art. » (Lechner, 2008.)
Les problèmes de conservation que posent ces pièces ne sont
certes pas à sous-estimer ; mais contrairement à ceux rencontrés
par les œuvres créées auparavant par Shulgin pour l’Internet, ils
portent exclusivement sur les composants intrinsèques de l’objet,
et non sur un ensemble de paramètres – accès au réseau, débit, type
de connexion, maintenance et disponibilité des serveurs… – sur
lesquels le propriétaire ne peut qu’exercer, dans le meilleur des
cas, qu’un contrôle limité.
Il me semble donc nécessaire de distinguer, au sein de l’art nu-
mérique, une famille typologique qui rassemble les œuvres dont
l’existence est liée à celle des réseaux, eux-mêmes développés au
départ des nouvelles technologies de l’information et de la com-
munication (ntic). Mais cette distinction dépasse la seule typolo-
gie  : outre son influence sur l’exposition, l’acquisition et la
conservation, la nature connective de l’œuvre a des conséquences
sur son esthétique. Ainsi que le formule très justement l’artiste
Rachel Baker, les outils nécessaires à son élaboration se confon-
dent avec son contenu et le contexte qui l’a vue naître : « La tech-
nologie de l’œuvre d’art est à la fois la méthodologie, l’outil, le
contenu et le contexte6. » (Cook & Graham, 2004 : 86.)
Pour désigner cette famille d’œuvres, « art des nouveaux mé-
dias » me semble être le terme le plus approprié. Fondateur de
Rhizome.org – l’une des plus importantes plateformes de promo-
tion de l’art en réseau –, Mark Tribe décrit l’art des nouveaux mé-
dias comme « un sous-ensemble de deux catégories plus générales :
Art et technologie et Art des médias » (Tribe & Jana, 2006 : 7). Il
me semblerait plus pertinent de restreindre cette définition pour
l’envisager comme un croisement entre l’art numérique et l’art des
médias, ces deux derniers étant englobés dans la catégorie plus
vaste de l’art technologique. En effet, tandis que l’art technologique
n’implique pas l’utilisation du numérique – la vidéo analogique
par exemple –, l’art des nouveaux médias y est indissociablement
lié. Déjà en 1998, Steve Dietz, alors directeur du département New
Media Initiatives du Walker Art Center, faisait de la programmabilité

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et de la connectivité deux conditions préalables à l’existence des
nouveaux médias – l’interactivité, souvent centrale dans les objets
d’art numérique tels que ceux conçus par Alexeï Shulgin par exemple,
passant au second plan : « Ce sur quoi je reviens constamment,
ce que je considère être les caractéristiques particulières des nou-
veaux médias sont simplement la programmabilité, la connectivité
et (peut-être) l’interactivité7. » (Dietz, 2004 : 77.)
Mais ainsi que le relève Mark Tribe, le terme est aussi le mieux
à même de tracer la filiation entre ces projets et les expérimenta-
tions artistiques menées avec – et souvent contre – les médias de
masse (presse, télévision, publicité…) dès la fin des années soixante.
Le détournement à des fins artistiques des nouveaux modes de
transmission numérique de l’information – de l’Internet à un lec-
teur de code-barres, un réseau de téléphonie mobile, un gps ou une
puce rfid – s’inscrit dans la même logique critique et activiste8.

A rt des nouveaux
médias et art
contemporain

L’ art des nouveaux médias doit-il être consi-


déré comme un nouveau champ de l’art contemporain, ou ses
caractéristiques intrinsèques nécessitent-elles au contraire de l’en
distinguer, et de lui désigner un domaine à part entière ? L’enjeu
est d’importance, puisqu’il détermine la réponse que peut appor-
ter la muséologie à l’acquisition, à l’exposition et à la conservation
de ces œuvres complexes. Par leur dimension souvent critique, mais
aussi parce qu’elles constituent des témoins tangibles d’une véri-
table révolution culturelle à la fin du xxe siècle – la cyberculture –,
les œuvres néomédiatiques devraient a priori avoir leur place dans
les musées, expositions, foires ou galeries dédiés à l’art contempo­
rain – ce qui est actuellement loin d’être le cas.
Dès 1997, Catherine David offre dans le cadre de Documenta X
un espace spécifique à l’art des nouveaux médias, dans une sec-
tion intitulée « Hybrid Workspace ». On y retrouve Heath Bunting,
membre fondateur du collectif Irational.org et figure embléma-
tique de l’art sur Internet, ainsi que le duo jodi (Joan Heemskerk
et Dirk Paesmans), qui figurent parmi les premiers « net activistes »
du réseau. Mais la description par ces derniers de leurs rapports
avec le comité organisateur de Documenta X est symptomatique
du malentendu qui s’installe dès cette époque entre l’art des nou-
veaux médias et l’art contemporain. À la question de savoir s’ils
ont été consultés pour déterminer les modalités d’exposition de
leur travail, les jodi répondent par la négative : « Non. Au départ,
nous avons entendu dire que les œuvres de Net Art seraient au-
dessus des escaliers, dans la Documenta Halle (l’espace d’exposition

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“documenta hall”). Ils ont changé ce plan une semaine et demie
avant l’ouverture. Maintenant la salle avec le Net Art se trouve en
bas derrière un café, et ils ont demandé à des designers de conce-
voir les murs en bleu et un étrange mobilier. Il n’y a jamais eu le
moindre contact avec les artistes à ce propos. D’autres artistes n’ont
pas apprécié la manière dont la salle Internet était placée, à côté
du café, de la librairie et de la salle de conférence. Vu comme cela,
cela donne l’impression d’une gigantesque ère de loisirs, en gros.
Quand vous entrez dans cette caverne, vous avez intérêt à être
vraiment intéressé par le Net Art. La salle n’a rien d’accueillant, elle
ressemble à une salle d’exposition pour ibm. Nous avons parlé à
beaucoup de gens qui restaient à l’entrée. Quand ils ont vu la scé-
nographie, ils se sont dit : “Ça n’est pas pour nous, c’est le monde
des ordinateurs9”. » (Baumgärtel, 1997 : 2.)
Le cas de Documenta X illustre toute l’ambiguïté qui peut naître
du catapultage d’œuvres conçues spécifiquement pour l’Internet
au cœur du système de l’art contemporain : assimilation d’une part
– comme le souligne finement Baumgärtel, les membres de jodi
semblent ignorer que le « designer » auteur de « l’étrange mobilier »
de la salle qui leur est réservée n’est autre que l’artiste Franz West –,
ghettoïsation de l’autre – une salle distincte du parcours d’expo-
sition, reléguée derrière la cafétéria. Mais surtout, une totale mécon­
naissance de la part des organisateurs des enjeux du travail, dans
la mesure où les ordinateurs utilisés pour montrer les œuvres d’art
Internet… n’étaient pas connectés au réseau. La réaction de Vuk
Cosic, un autre artiste activiste, qui consista à « voler » le site officiel
de Documenta X pour en faire un clone placé sous son contrôle,
peut apparaître comme une réaction à cette désinvolture.
On objectera que les faits se déroulaient aux débuts de l’Internet
grand public ; mais dix ans plus tard, l’art des nouveaux médias
apparaît plus que jamais comme détaché de l’art contemporain
auquel on tente pourtant de l’assimiler, comme en témoigne l’or-
ganisation à Bruxelles de l’exposition Holy Fire – Art of the Digital
Age (imal, du 18 au 30 avril 2008). En intégrant cette manifesta-
tion dans le parcours des activités annexes à la foire d’art contem-
porain de Bruxelles (Art Brussels) qui se tenait au même moment,
le but avoué des organisateurs, Yves Bernard et Domenico Qua-
ranta, était de démontrer que la frontière entre art des nouveaux
médias et art contemporain n’avait plus de raison d’être – soit, pour
reprendre la formule de Régine Debatty10 dans le catalogue de
l’exposition : « Oubliez le “nouveau”, laissez tomber le “média”,
appréciez l’art. » (Bernard & Quaranta, 2008 : 113.) Une motivation
similaire semble avoir animé les organisateurs d’Art Brussels qui,
en partenaires de l’événement, avaient prévu au sein de la foire
une conférence au titre explicite : « Holy Fire : Exhibiting and
Collecting New Media Art11 ». L’événement suscita une discussion
passionnée sur Rhizome.org, dans le cadre du forum «  The

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L’art des nouveaux médias : défi et opportunité pour la muséologie d’art
Desaive P.-Y. – 113-135 – 2e sem. 2010
CU LT U R E & M USÉE S N° 16
Rematerialization of Art  » initié par le critique Ed Halter  : en
mai 2008, la discussion totalisait 78 messages, et avait été vue plus
de 3 300 fois – dans les deux cas, un record absolu de popularité
sur un site devenu référence incontournable de la communauté
des artistes œuvrant avec les nouveaux médias.
Deux messages postés sur ce forum permettent de résumer les
enjeux du débat, le premier rédigé par le commissaire de l’expo-
sition, le second par l’une des artistes exposées, Olia Lialina :
« Commentaire de Domenico Quaranta, 3 Avril, 2008 6 h 23 :
“(…) À propos des artistes présentés. L’exposition n’aide pas à
étendre le dialogue à propos de leurs œuvres. Ils sont ici simple-
ment parce qu’ils travaillent avec des galeries, ou parce qu’ils ont
vendu leur œuvre à des collectionneurs privés. ceci, d’après moi,
aide à éten­dre le dialogue à propos de leurs œuvres, en les pla-
çant dans un panorama plus large, face à un public plus étendu12.”
Commentaire de Olia Lialina, 3 Avril, 2008 4 h 38 : “(…) Mais
il y a quelque chose que j’aimerais faire également en étant pré-
sente dans les débats à Art Brussels. Je suis très, très opposée à
l’émergence des nouveaux médias sur la scène de l’art contempo-
rain. Je pense que cette position, adoptée par Regine Debaty – ou-
bliez les médias, laissez tomber le «nouveaux», appréciez l’art – est
assez réactionnaire. Je n’apprécie pas l’art, j’apprécie certains nou-
veaux médias, particulièrement le World Wide Web, et je trouve
que c’est la spécificité des médias qui est la chose la plus intéres-
sante. Et donc je me réjouis vraiment de faire cette déclaration à
la foire d’art contemporain13.” »
Ces commentaires illustrent le double regard porté par les ac-
teurs du milieu de l’art sur l’art des nouveaux médias : volonté
d’une part de l’assimiler à l’art contemporain, réticences de l’autre,
au nom de la conservation de sa spécificité.
Pour le théoricien des nouveaux médias Lev Manovich, il ne
fait aucun doute que ceux-ci constituent un champ distinct, ainsi
qu’il le formule dans un texte-manifeste publié pour l’édition 2003
de Ars Electronica. Si l’évolution de l’art contemporain depuis les
années soixante se caractérise par un détachement progressif de
la notion de médium ou de technique pour se focaliser sur le concept,
c’est le contraire qui se produit avec l’art des nouveaux médias,
indissociable de l’utilisation de l’informatique et de la technologie
numérique : « Dans la mesure où il est fermement centré sur son
médium plutôt que sur des concepts libérés des médiums, “l’art
informatique” ne peut pas être considéré comme faisant partie de
l’art contemporain. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est
effectivement exclu par le monde de l’art. Les logiques d’“art contem-
porain” et “art numérique” sont fondamentalement à l’opposé l’une
de l’autre, et je ne vois aucune manière aisée de contourner cela14. »
(Manovich, n. d. : 7.)
Cette exclusion se perçoit également dans le domaine de la cri-
tique, ainsi que le relève Marc Jimenez dans son texte « Le défi

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L’art des nouveaux médias : défi et opportunité pour la muséologie d’art
Desaive P.-Y. – 113-135 – 2e sem. 2010
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esthétique de l’art technologique » (1999). Publiée à la fin d’une
décennie qui a vu naître, surtout en France, un vif débat sur la
« crise » de l’art contemporain, la réflexion de Jimenez est parti-
culièrement intéressante en ce qu’elle relève très justement que
l’art technologique a d’office été exclu du champ de cette discus-
sion : « Il est assez remarquable que les controverses sur l’art ac-
tuel, sur sa validité, sur l’existence ou non de critère d’évaluation,
ne font guère mention de l’art technologique [...] le fait que la ré-
flexion esthétique du temps présent ignore ou occulte les formes
les plus actuelles de la création, ouvertes sur un avenir évidem-
ment inconnaissable et largement expérimental, est un paradoxe,
voire un contresens. »
Le constat établi par Marc Jimenez est plus que jamais d’actua-
lité aujourd’hui. À l’image d’Olia Lialina, pionnière de l’art sur In-
ternet, les garants d’un art des nouveaux médias comme domaine
autonome de création semblent largement l’emporter, tant la pré-
sence d’œuvres numériques ou des nouveaux médias dans le
champ de l’art contemporain – musées, presse spécialisée, foires,
expositions, galeries… – continue de faire l’effet d’une curiosité15.
Parallèlement, l’on assiste à une multiplication des centres d’art
consacrés exclusivement à l’art des nouveaux médias, et au déve-
loppement d’un circuit d’expositions et d’événements qui ne doit
rien à celui, très balisé, de l’art contemporain.
À quoi tient cette exclusion ? La proposition de Manovich d’un
art numérique trop focalisé sur son médium pour s’inscrire dans
le champ de l’art contemporain est certes intéressante d’un point
de vue théorique, mais difficile à appliquer. Car comment expliquer
dans ce cas que la question ne se pose pas avec l’art vidéo – lui
aussi, entièrement dépendant d’un médium très spécifique ? Dans
la pratique, l’on s’aperçoit que cette exclusion est principalement le
fait des artistes eux-mêmes. Produit de la cyberculture16, l’art des
nouveaux médias obéit à une logique de développement et de pro-
motion qui n’est pas celle de l’art contemporain. Ainsi que le faisait
ironiquement remarquer Alexei Shulgin lors du débat qui accom-
pagnait l’exposition Holy Fire à Bruxelles, les artistes croisés dans
les événements liés à l’art des nouveaux médias sont généralement
des enseignants et leurs étudiants, engagés dans une forme de com-
pétition dont l’enjeu est une maîtrise toujours plus grande de la
technologie. Le but poursuivi par ces artistes n’est pas la reconnais-
sance institutionnelle que procure l’entrée dans une grande collec-
tion publique ou privée, mais bien celle de leurs pairs, à l’image de
ces hackers anonymes lorsqu’ils parviennent à pirater un site ré-
puté inviolable. Quant à la reconnaissance que procure l’accès aux
hautes sphères du marché de l’art, elle est inexistante. L’on cher-
chera en vain l’équivalent des excentricités d’un Damien Hirst ou
d’un Wim Delvoye, autoproclamés hommes d’affaires de l’art contem-
porain, dans le domaine des nouveaux médias. En intitulant son

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L’art des nouveaux médias : défi et opportunité pour la muséologie d’art
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blog « We Make Money Not Art », rendez-vous incontournable de
tous les amateurs d’art des nouveaux médias, Régine Debatty sem-
ble ironiser sur la célèbre maxime d’Andy Warhol : « Making money
is art, and working is art and good business is the best art17. »

Q uel musée pour


l’art des nouveaux
médias  ?

M ais cette volonté affichée par les artistes


œuvrant avec les nouveaux médias de se tenir à l’écart du monde
de l’art contemporain ne saurait expliquer à elle seule la désaffec-
tion des collections publiques (et, dans une très large mesure, des
collections privées) à leur égard. Cette attitude s’explique par les
questions inédites en termes de conservation, d’acquisition et d’ex-
position que posent ces œuvres d’un genre nou­veau.

Exposition

Du point de vue de l’exposition d’abord : l’art technologique


produit des œuvres dynamiques avec lesquelles le public peut in-
teragir, et qui requièrent une muséographie spécifique. Cette ca-
ractéristique est soulignée dès 1997 dans le cadre du colloque « Le
statut esthétique de l’art technologique » organisé à l’initiative de
l’Observatoire Leonardo des arts et des techno-sciences (Olats)18.
Le spectateur devient « spectacteur » : « Ce nouveau rôle physique-
ment actif du spectacteur, qui modifie l’œuvre d’art technologique,
conduit à un art interactif. Habituellement, l’art se présente sous
forme d’objet achevé (tableau), créé par l’artiste et qu’il donne à voir,
à écouter, rarement à toucher, par un spectateur. Dans l’art interac-
tif électronique au contraire, ce qui est offert au spectacteur, c’est
un système ouvert, un dispositif qu’il pourra manipuler, modifier,
bref sur lequel il pourra agir, et qui, inversement, agira sur lui. » (Fré-
miot, Malina & Mandelbrojt, 1998.)
Mais ainsi que le relève Steve Dietz, cette composante interac-
tive est moins cruciale à l’art des nouveaux médias que la connec-
tivité. Un exemple des conséquences de cette nature connective
sur l’exposition de l’œuvre est fourni par l’événement conçu au
banff New Media Institute par Sarah Cook et Steve Dietz en 2005,
The Art Formerly Known As New Media. Comment exposer le travail
du groupe Irational.org dans sa globalité et sa complexité, sachant
que tous les projets possèdent des ramifications à la fois dans le
monde virtuel et dans le monde réel ? Les commissaires de l’expo­
sition ont axé leur présentation sur… un tableau vert, du genre de
ceux utilisés dans les écoles, sur lequel ils ont tracé à la craie une

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forme d’arbre généalogique des nombreuses activités des « iratio-
nalists », révélant visuellement les connexions entre les différents
projets ; des vitrines contenaient divers documents, et un ordina-
teur permettait d’accéder directement à leur site.
Dans une optique très différente, citons le collectif Etoy.com et
son action Digital Hijack, qui prit place entre mars et juillet 1996.
Après avoir identifié plusieurs centaines de termes correspondant
aux recherches les plus fréquentes dans les principaux moteurs de
recherche de l’époque, les activistes d’Etoy ont placé en ligne des
milliers de pages référencées avec les termes en question. Une re-
cherche sur « Porsche » dans Yahoo ! par exemple renvoyait une
réponse telle que « The Best of Porsche ». Si l’internaute cliquait sur
ce lien, il se trouvait envoyé sur un site d’Etoy, accueilli par un
message agressif lui signalant qu’il avait été « numériquement kid-
nappé ». Un lien annonçant « Welcome to the Internet-Underground »
donnait alors accès à un site plus complet, affichant diverses in-
formations concernant le projet et ses auteurs, ainsi qu’un plaidoyer
en faveur du célèbre pirate informatique Kevin Mitnick. Digital
Hijack est un jalon important dans la vie de l’Internet, et pose des
questions, toujours d’actualité, sur le fonctionnement du réseau,
son public, et le piratage informatique. Reproduire ce projet de l’ère
pré-Google – qui reçut le prestigieux prix Golden Nica du festival
Ars Electronica en 1996 – serait aujourd’hui tout simplement im-
possible, compte tenu de l’évolution des moteurs de recherche.
Mais pour en assurer la pérennité, les membres d’Etoy ont créé le
site www.hijack.org, qui permet à l’internaute d’expérimenter le
détournement tel qu’il a été conçu en 1996 – une page reprodui-
sant celle du moteur de recherche Altavista, avec une requête pré-
définie, et les liens renvoyant vers le site d’Etoy.com. L’œuvre est
certes figée, mais son exposition est rendue possible – du moins
tant que le site sera maintenu en fonction par les artistes.
Enfin, il faudrait encore mentionner la particularité d’un art qui
se contenterait d’une existence non pas seulement virtuelle, mais
véritablement imaginaire. À l’occasion de sa présentation pour
Transmediale 07, Olia Lialina s’interrogeait sur le développement
des blogs dédiés à l’art numérique, qui présentent des œuvres dont
la finalité semble de rester à l’état de projet : « Art pour blog, ou blog
art, ce sont de curieux objets numériques, principalement des gad­
gets, qui sont équivalents à leur description ou à leurs images pro-
motionnelles. Apparaître sur un blog tel que “We Make Money Not Art”
ou Rhizome.org est le sommet dans l’existence de beaucoup de ces
œuvres d’art. Être présent sur un blog connu ne constitue pas un
pas en avant dans la direction d’une vraie exposition, bien qu’il soit
souvent question de véritables objets. Ces œuvres d’art ne sont pas,
en soi, un sujet intéressant, mais les blogs qui deviennent des pla-
teformes principales d’exposition à la fois pour l’art en ligne et hors
ligne constituent certainement un sujet pour les nouveaux médias19. »

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Acquisition et conservation

Les questions liées à l’acquisition et donc à la conservation sont


différentes selon que l’œuvre est connectée ou fonctionne en cir-
cuit fermé. Les problèmes rencontrés pour la conservation des
« objets médias électroniques », pour reprendre l’expression de
Shulgin, sont circonscrits à l’institution qui les abrite, tandis qu’une
œuvre en réseau verra son existence conditionnée par des para-
mètres sur lesquels le musée n’exerce qu’un contrôle limité. Ainsi
une institution peut-elle donner accès à une œuvre en ligne dans
les meilleures conditions, sans pouvoir contrôler la qualité de la
configuration utilisée par l’utilisateur-spectateur final. Le sens de
« connecté » ne doit pas être limité à l’Internet. Sans doute la no-
tion de « distribution » est-elle plus apte à décrire l’insertion de
l’œuvre dans un réseau au sens le plus général du terme, comme
le suggère Sarah Cook : « De plus, l’art des nouveaux médias est
intrinsèquement d’une nature distributive ; l’œuvre est partagée et
exposée avec les mêmes moyens que ceux utilisés pour la pro-
duire20. » (Cook & Graham, 2004 : 86.)
Dans cette optique, la particularité de l’œuvre néomédiatique
est de voir sa conservation liée davantage à une évolution – celle
de la technologie qui en a permis la réalisation – qu’à une dégra-
dation. Prenons à titre d’exemple l’œuvre de Fred Forest évoquée
ci-dessus, Parcelle-Réseau : « De nature graphique et plastique,
elle s’incarne, électroniquement, sous forme d’un certain nombre
de pixels. Elle est conçue pour un affichage en 16,7 millions de
couleurs à la résolution 1280 x 1024 (avec 4 Mo de vram). »
Comme le relève Jon Ippolito dès 1998, l’évolution de la techno­
logie – en l’occurrence, la résolution des écrans d’ordinateurs con­
nectés au réseau – a des conséquences directes sur une œuvre de
ce genre : « La plupart des projets artistiques qui sont maintenant
conçus pour le Web ne reposent pas simplement sur une collection
spécifique d’informations verbales ou quantitatives, mais sur un de-
sign visuel soigneusement contrôlé, ou sur un jeu avec le médium
dans lequel ils s’incarnent. Qu’arrivera-t-il à un fichier bitmap conçu
par l’artiste pour être visualisé précisément en 800 x 600 pixels, si
la résolution des écrans bondit à 10 000 000 x 10 000 000 ? Il sera
réduit soit à une petite image au milieu d’un écran blanc, ou à
une grande image avec une résolution extrêmement basse21.  »
(Ippolito, 1998 : 18-19.)
Dans le cas précis de Parcelle-Réseau, le choix en 1996 d’une ré-
solution 1280 x 1024 en 16 millions de couleurs, ce qui correspon-
dait alors à un standard élevé (sxga), témoigne d’une bonne
compréhension des enjeux à long terme de l’art des nouveaux mé-
dias, cette définition d’écran étant la plus répandue aujourd’hui, plus
de dix ans après la réalisation de l’œuvre. Mais compte tenu de
l’évolution des standards de résolution (3200 x 2400 pour le quxga),
couplée au développement d’écrans de plus en plus grands, il est

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vraisemblable que, dans une décennie, il soit devenu difficile de
visualiser l’œuvre de Fred Forest dans les conditions voulues par
l’artiste ; il s’agit là du « viewing problem » tel que défini par Howard
Besser : « Tandis que le problème pour un artefact physique est de
perdurer (ou de se détériorer avec lenteur en plusieurs stades), le
problème pour les objets électroniques est de devenir inaccessible
à moins que quelqu’un ne prenne immédiatement des mesures
proactives pour le sauver. Par conséquent, nous pouvons décou­
vrir et étudier des peintures rupestres ou des céramiques vieilles de
3 000 ans (bien que la poterie puisse être fragmentée, et que l’on
doive recoller les morceaux), mais nous sommes incapables de dé-
chiffrer le moindre contenu d’un fichier électronique sur une disquette
8 pouces d’il y a seulement vingt ans22. » (Besser, 2001 : n. p.)
Plusieurs études ont été consacrées à ces problèmes spécifiques :
« Museums and New Media Art », réalisée pour la Fondation Rocke­
feller par Susan Morris en 2001, ou encore « Net Art et institutions
artistiques et muséales : Problématiques et pratiques de la conser-
vation », par Anne Laforêt et Jean Davallon en 2004. Anne Laforêt
relève que les avis des uns et des autres en la matière peuvent être
très tranchés : à la position de Frederik Leen, conservateur de la
collection d’art moderne et contemporain aux Musées royaux des
beaux-arts de Belgique, qui considère « irresponsable d’investir de
l’argent public dans la conservation d’objets culturels qui ne peu-
vent être préservés », elle oppose celle de Jon Ippolito, alors conser-
vateur en nouveaux médias du Guggenheim Museum : « Vu la
vitesse vertigineuse des avancées technologiques, certains avancent
que les sites Web et autres projets en ligne sont éphémères de ma-
nière inhérente et ne peuvent pas être collectés et collectionnés.
Néanmoins, le problème avec cette politique est que cela encou-
rage les musées à fétichiser les objets les plus conventionnels que
le marché a déjà approuvés, tout en laissant les travaux les plus ra-
dicaux “glisser entre les fissures” de l’histoire de l’art. Cela en soi
ne rendra pas nécessairement les musées obsolètes, mais proba-
blement vraiment ennuyants. » (Laforêt & Davallon, 200423.)

Musées et centres d’art

La décision d’exposer et/ou de collectionner l’art des nouveaux


médias revient aux responsables des institutions muséales. L’on
constate toutefois que le défi a été très tôt relevé par plusieurs
grands musées, en particulier aux États-Unis. Dès 1995, la Dia Art
Foundation lance un programme d’acquisition et d’exposition
d’œuvres exclusivement conçues pour Internet ; la même année,
le Whitney Museum of American Art de New York est le premier
musée à faire l’acquisition d’une œuvre conçue exclusivement
pour l’Internet, The World’s First Collaborative Sentence (1994) de
Douglas Davis ; en 1997, le Walker Art Center de Minneapolis

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lance le programme « Gallery 9 » d’acquisition et d’exposition
d’œuvres des nouveaux médias ; la biennale du Whitney inclut
l’art Internet en 2000, et crée son portail Artport d’exposition d’art
Internet, doublé d’un programme d’acquisition ; il est suivi peu
de temps après par le Guggenheim Museum, qui acquiert et ex-
pose quatre œuvres réalisées pour l’Internet ; citons encore le SF-
MoMA, qui organisa en 2001 l’exposition Art in Technological
Times, toujours accessible en ligne.
D’une manière générale, ces initiatives n’auront pas d’effet
durable sur la position de la communauté muséale : aujourd’hui,
l’irruption de l’art des nouveaux médias dans le cadre d’un musée
d’art continue de faire figure d’événement. Citons pour exemple
l’exposition e-art en 2007 au musée des Beaux-Arts de Montréal
pour les dix ans de la Fondation Daniel-Langlois, ou encore Synthe-
tic Times au National Museum of China – avec, dans ce dernier
cas, l’exploit que représentait le fait d’exposer des œuvres conçues
pour l’Internet dans un pays où celui-ci fait l’objet d’une censure
constante. L’ouverture de quelques musées à des œuvres en ligne
coïncida avec l’engouement des débuts de l’Internet grand public,
qui diminua sensiblement après l’éclatement de la « bulle ».
Le passage à l’âge adulte de l’art des nouveaux médias aura
bien davantage été porté par des institutions fonctionnant sur le
modèle du centre d’art que celui du musée : le zkm de Karlsruhe
– Zentrum für Kunst und Medientechnologie, créé en 1991 –, l’icc
de Tokyo – InterCommunication Center, 1997 –, V2 à Rotterdam
– Institute for the Unstable Media, 1998 dans sa forme actuelle –,
fact à Liverpool – Foundation for Art and Creative Technology, dès
1988 –, Mains d’œuvres à Paris, Ars Electronica Center à Linz (1996),
Fondation Daniel-Langlois pour l’art et la technologie à Montréal
(1997), etc. Moins rigides et plus ouvertes que les musées d’art,
gérées par des personnes issues d’une génération en phase avec
la révolution numérique et qui cumulent un intérêt pour l’art et la
technologie, ces institutions offrent un cadre très adapté à l’art des
nouveaux médias – rhizomique, pluridisciplinaire et international.
Le modèle muséal classique est-il pour autant inadapté à l’art
des nouveaux médias ? Il est significatif que tant le zkm – « Mettre
ensemble les arts et la technologie des nouveaux médias tant en
théorique qu’en pratique24. » (Royal Academy of Arts, 1991 : 73) –
que le Ars Electronica Center se désignent aujourd’hui comme des
« musées » – avec, dans le cas du zkm, une distinction entre son
musée d’art contemporain et son musée des médias –, avec les
contraintes que cela suppose vis-à-vis de la conservation des
collections. De même, fact a lancé en 2005 un programme de
réflexion sur l’archivage et la conservation des projets d’art des
nouveaux médias soutenus depuis plus de dix ans par l’institution.
C’est précisément dans ce domaine que le musée est susceptible
d’apporter son expertise : l’expérience acquise avec, entre autres
exemples, l’art vidéo ou le land art, peut se révéler très utile lors­qu’il

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s’agit de traiter de conservation de l’art des nouveaux médias. Une
application concrète de ce type de collaboration est fournie par
le Réseau des Médias Variables, créé à l’initiative du Guggenheim
Museum et de la Fondation Daniel-Langlois. Les questions posées
par la conservation de l’art vidéo, de l’art minimal ou de l’art
conceptuel sont mises en parallèle avec celles que soulè­­­­vent
des œuvres conçues avec des médias numériques : « Le Réseau
des Médias Variables associe des artistes à des musées et des
conseillers-médias afin de susciter une comparaison entre des
œuvres d’art reposant sur des médiums éphémères25. » Les exemples
retenus par le Réseau englobent la photographie – Jan Dibbets,
A White Wall, 1971 –, la vidéo installation – Nam June Paik, tv Gar-
den, 1974 –, ou le Net Art – Mark Napier, Net Flag, 2001.
L’incapacité dans laquelle se trouvent la plupart des musées
d’art aujourd’hui à élaborer une politique cohérente en matière
d’acquisition, de préservation et de promotion de l’art des nou-
veaux médias, s’explique en grande partie par la méconnaissance
de ses enjeux, tant esthétiques que techniques. Cette désaffection
est d’autant plus inexplicable que la culture issue des médias nu-
mériques est un incontournable phénomène de société, qui fait
se rencontrer des formes d’expression très variées. Le musée d’art
est-il condamné à observer le phénomène de l’extérieur, considé-
rant que l’art vidéo représente l’étape ultime dans l’évolution de sa
collection, au risque de se scléroser jusqu’à devenir un objet de
rejet pour les jeunes – et moins jeunes – générations de visiteurs,
comme le pronostique Jon Ippolito ? Un scénario plus optimiste
serait que centres d’art spécialisés dans les nouveaux médias et
musées développent des relations étroites, les uns pour garantir
les moyens de productions adéquats, les autres afin de mener une
réflexion à long terme sur la conservation et l’exposition de ces
nouvelles formes d’expression. Il appartient également au musée
d’assurer un rôle dans la compréhension de ces nouvelles formes
d’art, en portant sur elles un regard documenté à long terme, en
les replaçant dans une perspective historique – liens avec l’art des
médias initié dans les années soixante, avec l’art conceptuel, avec
l’art sociologique… – et en effectuant des choix significatifs dans
la masse en constant développement de l’art des nouveaux médias.
Le musée doit toutefois se donner les moyens d’en respecter les spé-
cificités : la solution pourrait venir de la création de départements
consacrés spécifiquement à l’art technologique, qui permettent de
replacer toutes ces démarches dans une perspective plus large.
P.-Y. D.
Université de Liège-Musées royaux des beaux-arts de Belgique

Manuscrit reçu le : 14 juin 2007.


Version révisée reçue le : 27 février 2009.
2e version révisée reçue le : 7 décembre 2009.
Article accepté pour publication le : 12 décembre 2009.

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NOTES voir également à ce sujet : Renata
Sukaityte (2007). Cf. bibliographie.
1. « Much of the stuff nowadays labelled 5.  « Net Art functions only on the net
as art, is not suitable for selection, ac- and picks out the net or the “netmyth”
quisition, preservation and storage in as a thème. » (Blank, 1996 : n. p.)
a museum, at least not in conven- 6. « The technology of the work of art is
tional ways […] So, do we need to ex- at once the methodology, the tool, the
pand the concept of art museum ? Yes, content and the context. » (Cook &
urgently ! Do we have already ex- Graham, 2004 : 86.)
panded museums, I mean truly dif- 7.  « What I keep returning to what I
ferent in terms of contents and spatial consider to be the distinctive char-
relationships ? Barely so ! […] Rubin’s acteristics of new media are simply
remark “the Museum concept is not computability, connectivity, and
infinitely expandable” is now ram- (perhaps) interactivité.  » (Dietz,
pant. » (Dercon, 2002 : n. p.) 2004 : 77.)
2.  « Museums never were, and never 8.  On citera notamment la Television
will be, the absolutely right environe- Gallery fondée en 1969 à Berlin par
ment for works of art. I don’t think Gerry Schum, qui visait à utiliser la
works of art are at their most inter- télévision aux heures de grande écoute
esting when separated from the pour diffuser des œuvres conçues
whole fabric of life. It makes it pos- pour le petit écran. À la même époque,
sible for more of the public to see Fred Forest combine une intervention
them, it’s convenient, it’s good for dans la presse (Le Monde du 12 jan-
art history – especially as it preserves vier 1972) et à la télévision publique
them – but it’s a compromise […] (intervention de 60 secondes au jour-
Certainly such objects as huge sculp- nal télévisé de la deuxième chaîne
tures – Minimal or otherwise – and française le 22 janvier 1972) pour son
Conceptual diagrams or printed œuvre Space Media (1972).
statements are often not very com- 9.  « No. At first we heard that the Net
fortable in them. To be sure, moma Art works would be upstairs in the
collects them and we exhibit them documenta Halle (the exhibition space
because it’s part of our reportorial “documenta hall”). They changed this
purpose. But I think that if you were plan one and a half week before the
installing these materials you would opening. Now the room with the Net
realize that the works themselves are Art is downstairs behind a cafe, and
almost crying our for some different they asked some designers to make
kind of ambiance […] It’s not a mat- blue walls and strange furniture. There
ter of style ; the challenges they pose was never any contact with the art-
are challenges of a differente (sic) ists about this. Other artists also didn’t
order and involve a change in the like the way the internet room is cor-
modes of communication […] Why nered, next to the cafe, next to the
strech the museum conception to bookshop, next to the lecture hall. This
comprehend everything. Isn’t it per- way you have one gigantic recreation
fectly possible there might be a mode area, basically. When you enter this
of communication in the visual arts cave, you really have to be curious
which is much better served and about Net Art. The room is not invit-
more natural on your home video ing, it looks like an ibm show room.
screen, in books or art magazines. » We talked to many people standing
(Rubin, 1974 : n. p.) in the entrance. When they saw the
3. « The connectivity of the internet, sms, set-up, they said : That’s not for us,
or telematic projects means that the that’s some computer world. » (Baum­
art is not an object but a flow. » (Cook gärtel, 1997 : 2.)
& Graham, 2004 : 87.) 10. Voir le site Internet de Régine De-
4. Rossitza Daskalova souligne notam- batty : Publication en ligne : < www.
ment le rôle joué par la Fondation we-make-money-not-art.com. > [Page
Soros dans ce développement (2001) ; consultée le 10 août 2010.]

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11. Modéré par Patrick Licthy, membre la 49e Biennale de Venise, avec leur
du groupe activiste Yes Men et profes­ virus informatique Biennale.py.
seur au Columbia College de Chicago, Concernant la presse, le magazine
le débat rassemblait, outre les deux Art Press consacra un numéro spécial
commissaires, des artistes (Alexeï Shul­ à l’art sur Internet en 1999 ; l’art des
gin, Olia Lialina) et galeristes actifs nouveaux médias n’est pas exclu des
dans le champ des nouveaux médias colonnes de Art Press, mais toujours
(Steve Sacks de Bitforms, Stéphane traité comme une catégorie à part.
Maguet de Numeriscausa, Wolf Lie- 16. À ce sujet, voir Pierre Lévy (2001).
ser de dam). L’unique institution mu- Cf. bibliographie.
séale était représentée par Philippe 17. Mais paradoxalement, Régine De-
Van Cauteren, du musée d’Art con­ batty considère que la distinction art
temporain (smak) de Gand. des nouveaux médias / art contem-
12. « (…) About the artists in the show. porain n’a plus de raison d’être.
The exhibition doesn’t help to expand 18.  Fondation des Treilles, Tourtour,
the dialogue around their work. They France, du 3 au 9 mars 1997.
are here just because they are work- 19. « Art for blogs or Blog Art is curious
ing with galleries, or sold their work digital objects, mainly gadgets, that
to private collectors. this, in my opin- are equal to their description and
ion, helps to expand the dialogue promo photos. To appear in a blog like
around their work, setting them in We Make Money Not Art or Rhizome.
a “wider pool”, in front of a wider org is the highest point in the existence
audience. » Publication en ligne  : of many artworks. Being featured on
<  http://rhizome.org/editorial/fp/ a prominent blog is not just a step on
blog.php/590»\l «comment-51698». > the way to real exhibitions, though it
[Page consultée le 10 août 2010.] is about real objects. Those artworks
13. « (…) But there is something I’d like are not such an interesting subject by
to achieve as well by being present themselves, but blogs as the exhibition
at the debates at Art Brussels. I’m platform number one for both online
very much against the merge of the and offline art is obviously a topic for
new media into the contemporary New Media. »
art scene. I think that position, spo- 20.  « Furthermore, new media art is in-
ken by Regine Debaty – forget media, herently distributive; the work is
drop new, enjoy art – is sort of reac- shared and exhibited through the
tionary. I don’t enjoy art, I enjoy same means by which it was pro-
some of the new media, especially duced. » (Cook & Graham, 2004 : 86.)
www and I find media specificity to 21. « Most art projects now being made
be the most exiting thing. So I’m re- for the Web rely not just on a specific
ally looking fwd to make this state- collection of verbale or quantitative
ment at the art fair. » Publication en information, but on a carefully con-
ligne : < http://rhizome.org/editorial/ trolled visual design or play on the
fp/blog.php/590» \l «comment-51721». > medium that enframes them. What
[Page consultée le 10 août 2010.] will become of an artistes precisely
14.  « Since it is firmly focused on its rendered 800 x 600 pixel bitmap if
medium rather than medium-free screen resolution jumps to 10,000,000
concepts, “software art” cannot be con- x 10,000,000 ? It will degenerate into
sidered “contemporary art”. This is one either a tiny image in the middle of
reason why it is indeed excluded by an otherwise blank screen, or a big
the art world. The logics of “contem- image with appallingly low resolu-
porary art” and “digital art” are fun- tion. » (Ippolito, 1998 : 18-19.)
damentally at odds which each other, 22.  « While the default for physical arti­
and I don’t see any easy way around facts is to persist (or deteriorate in slow
this. » (Manovich, n. d. : 7.) increments), the default for electronic
15. A titre d’exemple, on citera la remar­ objects is to become inaccessible un-
quée – et remarquable – intervention less someone takes an immediate
du groupe 0100101110101101.org à pro-active role to save them. Thus,

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we can discover and study 3,000 year RÉfÉrences bibliographiques
old caves paintings and pottery (even
though the pottery may be in shards Baumgärtel (Tilman). 1997. « We Love
that we need to piece together). But our computer ». Telepolis, « The Aes-
we’re unable to even decipher any of thetics of Crashing Browsers : Inter-
the contents of an electronic file on view with jodi ». Publication en ligne :
an 8-inch floppy disk from only 20 years < http://www.heise.de/tp/r4/artikel/
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Résumés

A pparue au milieu des années quatre-vingt-


dix, la notion d’art des nouveaux médias reste, aujourd’hui encore,
assez floue. Une redéfinition est nécessaire, qui crée une distinc-
tion entre les œuvres basées sur la seule utilisation du numérique,
et celles qui font appel aux nouvelles technologies de l’informa-
tion et de la communication (ntic). Cet art réseau (network art),
qui s’inscrit dans la prolongation de l’art des médias de la fin des
années soixante et du début des années soixante-dix, et trans-
forme les œuvres en flux de données, pose des questions inédites
en termes d’acquisition, de conservation et d’exposition. Ces pro-
blèmes expliquent en partie le peu d’intérêt des musées d’art pour
ces productions ; à cela s’ajoute la volonté des artistes des réseaux
de ne pas être rattachés à la sphère de l’art contemporain, bien
que des tentatives existent en ce sens. L’évolution de l’art réseau
a davantage été portée par des centres d’art, tournés vers la pro-
duction plutôt que vers la conservation. Musées et centres d’art
doivent développer une vision commune pour garantir d’une part
la production, d’autre part la préservation, d’œuvres qui témoi-
gnent d’une révolution tant technologique que sociologique.
Titre : L’art des nouveaux médias : Défi et opportunité pour la
muséologie d’art.
Mots-clés : Art des nouveaux médias, art numérique, art réseau.

F irst appearing in the middle of the nineties,


the notion of new media art today remains quite uncertain. A re-
definition of the concept is necessary in order to create a distinc-
tion between work based solely on the use of digital data, and work
that uses new technologies of communication and information.
Network art, which continues the tradition of media art of the late
sixties and early seventies, and which transforms art into a flow of
data, raises new questions in terms of acquisition, conservation,
and exhibition. These problems explain in part the reluctance of
art museums with regard to these productions ; to this is added the
desire of network artists to not be attached to the sphere of concon-
temporary art, even if there have been attempts in this direction.
The evolution of network art has instead been favored by art cen-
ters engaged in production rather than conservation. Museums and
art centers must develop a common vision in order to guarantee
on one hand the production, and on the other hand the preserva-
tion of works that hail a technological and sociological revolution.
Title : New Media Art : A challenge and an opportunity for art
museology.
Key words : New media art, digital art, network art.

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E n los años noventa, nació la noción del arte
de nuevos medias, que queda hoy mal definida. Queda necesa-
rio definir de que se trata, y proponer una diferencia entre obras
basadas en el uso de la tecnología numérica, y obras que incluyen
otras tecnologías de comunicación. Este « arte-red » (network art),
prolonga el arte de medias del final de los años sesenta, y trans-
forma las obras en « datas ». Esto cuestiona las prácticas de adqui-
sición, de conservación y de exposición. Así se pueda comprender
que los museos no se interesaron a estas formas de arte. También
interviene la voluntad de artistas de redes de no estar incluidos
en el arte contemporáneo. La evolución de este arte-red fue acom-
pañada por los centros de arte, que se dedicaban a la producción
más que a la conservación. Museos y centros de arte tienen que
desarrollar ahora una misma visión para garantizar la producción
y la conservación de obras que corresponden a una revolución
tecnológica y sociológica.
Titulo : El arte de nuevos medias : Desafío y oportunidad para
la museología de arte.
Claves : Arte de nuevos medias, arte numérico, arte-red.

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