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Actes de la recherche en

sciences sociales

Le modèle économique américain à l'épreuve de la comparaison


Monsieur Richard B. Freeman

Citer ce document / Cite this document :

Freeman Richard B. Le modèle économique américain à l'épreuve de la comparaison. In: Actes de la recherche en sciences
sociales. Vol. 124, septembre 1998. De l’État social à l’État pénal. pp. 36-48;

doi : https://doi.org/10.3406/arss.1998.3263

https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1998_num_124_1_3263

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Resumen
¿Résiste la comparación el modelo económico norteamericano ?
El propósito de este artículo es examinar las principales divergencias que existen entre las economías
europea y estadounidense, evaluando al mismo tiempo los éxitos y fracasos de ambos modelos
económicos e intentando mostrar de que manera Europa podría utilizar la experiencia de los Estados
Unidos, donde se han obtenido excelentes resultados en materia de creación de empleos. Los altos
niveles de desempleo asociados a los « Estados benefactores » desarrollados, como los que existen
en Europa, por un lado, y el alto nivel de desigualdad que coexiste con un oneroso sistema de justicia
criminal y una omnipresente pobreza en la población infantil, como los que se observan en los Estados
Unidos, por el otro lado, son dos modelos de muy alto costo en terminos socioeconómicos. En este
artículo se hace hincapié en el hecho de que no existe forzosamente una solución de compromiso
(trade-off) entre los mejores resultados económicos de los Estados Unidos en materia de creación de
empleos y los mejores resultados de Europa en materia de limitación de la pobreza y las
desigualdades. En los Estados Unidos, en efecto, la creación de puestos de trabajo ha sido más
beneficiosa para las mujeres, cuyos salarios aumentaron, que para los nombres con escasa
calificación profesional, que vieron disminuir sus salarios. Ni Europa ni los Estados Unidos han
descubierto la « adecuada » dosificación de medidas institucionales y políticas que logre asociar
creación de empleos a condiciones de vida aceptables para las personas más menesterosas. Esto no
significa que no sea posible descubrir tal dosificación, tomando en consideración las realidades
económicas, tanto europeas como norteamericanas.

Zusammenfassung
Das amerikanische Wirtschaftsmodell im Vergleich.
Ziel dieses Artikels ist, die zwischen dem amerikanischen und dem europäischen Wirtschaftssystem
bestehenden, wesentlichen Unterschiede im einzelnen zu begutachten, dabei die jeweiligen Vor- und
Nachteile der beiden ökonomischen Modelle einer Bewertung zu unterziehen, und zu versuchen
aufzuzeigen, welche Lehren fur Europa aus den Erfolgen der Vereinigten Staaten auf dem Gebiet der
Arbeitsbeschaffung zu ziehen sein könnten.
Das mit einem entwickelten "Wohlfahrtsstaat" korrelierte hohe Niveau an Arbeitslosigkeit, wie Europa
es kennt, und das von einem teuren System der Kriminaljustiz und einer allgegenwärtigen Kinderarmut
begleitete hohe soziale Ungleichheitsniveau in den Vereinigten Staaten sind beide aus
sozialökonomischer Sicht äußerst kostenaufwendig.
Der Artikel hebt hervor, das nicht notwendigerweise ein Kompromiß (trade-off) zwischen den
amerikanischen Erfolgen im Bereich der Schaffung von Arbeitsplätzen und den besseren Ergebnisse in
Europa bei der Begrenzung von Armut und Ungleichheit gefunden werden kann. Denn in den
Vereinigten Staaten haben von der Beschäftigungszunahme eher die Frauen profitiert, deren Löhne
angestiegen sind, wohingegen die Löhne schwach qualifizierter Männer sanken. Weder Europa noch
den Vereinigten Staaten ist es gelungen, die geeignete Dosierung politischer und institutioneller Mittel
zu finden, um die Schaffung von Arbeitsplätzen mit akzeptablen Lebensbedingungen für die am
meisten Benachteiligten in der Gesellschaft zu vereinen, was jedoch nicht besagen will, daß in
Anbetracht der europäischen, wie amerikanischen ökonomischen Realitäten eine solche Dosie rung
nicht vielleicht doch existiert.

Abstract
Divergent Performances : Job Creation and Income Determination in the EU and the US.
This essay reviews the major divergences between the European and US economies, assesses the
successes and failures of the two economic models and speculates on the lessons that Europe might
draw from the US for meeting its greatest problem, high unemployment.
There is no clear case for preferring US outcomes to European outcomes or vice versa. High
unemployment with an expensive welfare state, as in Europe, and high inequality with an expensive
criminal justice system and extensive child poverty, as in the US, are both costly to the economic
success of society.
The second theme is that there is no necessary trade-off between the superior US economic
performance in job creation and the superior European performance in limiting inequality and poverty.
Job growth in the US has been concentrated among women whose wages have risen rather than among
the low skill men whose wages have fallen. And while neither the US nor Europe has found the « right » mix
of institutions and policies to combine job creation with acceptable living conditions for the low-paid, there is
no reason to believe that such a mix cannot be found beginning from either european or US economic
reality.

Résumé
Le modèle économique américain à l'épreuve de la comparaison.
Le but de cet article est de passer en revue les divergences majeures existant entre les économies
européenne et américaine tout en évaluant les succès et les échecs respectifs de ces deux modèles
économiques et en essayant d'indiquer quelles leçons l'Europe pourrait tirer des performances des États-
Unis en matière d'emploi.
Les hauts niveaux de chômage corrélés à des « États-providence » développés, tels qu'ils existent en
Europe, et le haut niveau d'inégalité accompagné d'un système de justice criminelle onéreux et d'une
pauvreté omniprésente parmi les enfants, tels qu'ils s'observent aux États-Unis, sont tous deux fort coûteux
en termes socio-économiques. L'article souligne qu'il n'existe pas nécessairement de compromis (trade-off)
entre les performances économiques supérieures des États-Unis en matière de création d'emplois et les
performances supérieures de l'Europe en matière de limitation de la pauvreté et des inégalités. Car la
croissance de l'emploi aux États-Unis a profité aux femmes, dont les salaires ont augmenté, plutôt qu'aux
hommes faiblement qualifiés dont les salaires ont baissé. Ni l'Europe ni les États-Unis n'ont découvert le «
bon » dosage de mesures institutionnelles et politiques capable d'associer la création d'emplois à des
conditions de vie acceptables pour les plus démunis - ce qui ne veut pas dire qu'un tel dosage ne puisse
être découvert compte tenu des réalités économiques tant européennes qu'américaines.
Richard B. Freeman

LE MODELE ECONOMIQUE

AMÉRICAIN À L'ÉPREUVE

DE LA COMPARAISON

l'expansion de l'emploi féminin et de l'emploi dans les


services, ainsi que la diffusion accrue du capitalisme
populaire via les fonds de pension et les distributions
d'actions. Le marché de l'emploi américain diffère très
fortement de ses homologues européens et il n'est pas
envisageable que l'Europe puisse « importer » en bloc
la législation du travail américaine. Quand bien même
elle en aurait la possibilité, cet emprunt ne résoudrait
pas le problème du chômage sans que le problème de
la pauvreté de masse ou l'une ou l'autre des diverses
difficultés qu'affrontent régulièrement patrons et
travailleurs américains soient introduits du même coup
sur le continent européen, puisque la demande de
main-d'œuvre dérive de la demande de biens et
services, il faut accorder plus d'importance aux politiques
qui promeuvent l'expansion du marché des produits,
en particulier dans les services privés, qu'à celles qui
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prétendent modifier les règles d'emploi. En vérité, les
Européens exagèrent l'ampleur de la dérégulation du
marché du travail américain, en oubliant par exemple
que ce marché est amplement régulé par les lois
nationales et qu'il est fréquent que des salariés américains
poursuivent des firmes en justice pour des litiges
professionnels qui seraient arbitrés en Europe par des
comités d'entreprise ou par des conventions
collectives.
Les politiques européennes qui paraissent les moins
souhaitables sont les plans de retraites anticipées, qui
grèvent lourdement les caisses de retraite les plans de
;

1 - Tout au long de cet article, les pays de l'Europe occidentale


appartenant à l'Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE) ou membres de l'Union européenne seront désignés
par le terme « Europe »
.
Le modèle économique américain à L'épreuve de la comparaison 37

partage du travail, qui préservent parfois l'emploi dans par habitant, de PIB par salarié et de PIB par heure
certaines entreprises (Volkswagen, par exemple) sans ouvrée. Entre 1980 et 1995, le niveau de production par
pour autant résorber le chômage au niveau national habitant était plus élevé aux États-Unis que dans les
(R. B. Freeman, 1995) ; et les programmes d'emploi qui pays de l'Union européenne, même si l'avantage
n'ont pas été soumis au test du rapport coût-bénéfice. américain s'est réduit. Mesurées à l'aune du PIB par salarié,
Contrairement à de nombreux analystes, toutefois, ces données font apparaître une très nette diminution
j'estime que le haut niveau de protection sociale de la supériorité américaine en matière de productivité.
européenne (assurance maladie nationale, allocation De fait, en termes de PIB par heure ouvrée, ce même
chômage, aide au logement, etc.) est un atout dans la lutte document indique que les États-Unis et l'Europe ont
contre le chômage en ceci qu'il pourrait permettre des actuellement des taux de productivité similaires, le
réductions sélectives des salaires ou des charges sociales pays le plus performant sur ce plan étant l'Allemagne.
liées à l'embauche de la main-d'œuvre faiblement On s'aperçoit, autrement dit, que les avantages
qualifiée afin de créer des emplois tout en évitant la pauvreté énormes des États-Unis en matière de productivité
que les bas salaires tendent à générer parmi les horaire se sont évaporés entre les années 1970 et les
Américains les plus mal payés. années 1990 à mesure que la productivité s'est accrue
plus rapidement en Europe.
La comparaison des niveaux de productivité à partir
Les divergences majeures du PIB et des heures ouvrées annuelles d'économies
entières est statistiquement problématique puisque le
S'il est vrai que les résultats économiques concept de PIB comprend, non seulement les activités
américains et européens diffèrent notablement, leur des administrations publiques (secteur qui, comme on le
différenciation ne tient aucunement à cet indice ultime de la sait, occupe une grande place dans nombre de pays
réussite économique que constitue le taux de européens) à propos desquelles on ne dispose pas de
croissance de la production par habitant. Selon que l'on bonnes mesures de la production, mais aussi les secteurs
choisit telle ou telle année de référence, les pays de de services (prédominants aux États-Unis), où la
l'Union européenne ont connu une croissance tantôt croissance de la productivité a été lente pour des raisons qui
aussi forte, tantôt plus rapide, que celle des États-Unis. tiennent en partie à la difficulté intrinsèque d'y mesurer
De 1973 à 1996, le PIB par tête s'est accru plus vite dans la production. Les heures ouvrées annuelles référées à
l'Europe de l'OCDE qu'en Amérique, la croissance une économie entière sont par ailleurs imprécises du fait
ayant été d'abord plus marquée en Europe dans les des aléas des autodéclarations (quand quelqu'un
années 1970, puis à peu près égale sur les deux travaille chez lui le week-end, cette activité doit-elle être ou
continents du début des années 1980 jusqu'au milieu des non comptabilisée comme temps de travail?) 3. Il est
années 1990, et enfin un peu plus prononcée aux États- toutefois indéniable que la production horaire a crû plus
Unis à partir de la deuxième moitié de la décennie vite en Europe qu'aux États-Unis dans le secteur
I99O 2. La divergence principale entre ces deux types manufacturier où la production et la durée du travail sont plus
de capitalismes tient à la distribution de la croissance précisément mesurées. Il y a trente ans environ, les pays
de la production entre l'emploi et les revenus. Aux européens étaient largement à la traîne de l'Amérique
États-Unis, le PIB par tête s'est élevé surtout grâce à
une augmentation des heures ouvrées par personne,
2 - Les Statistiques historiques de l'OCDE pour la période 1960-1990
accompagnées d'une faible amélioration de la (Paris, 1992) montrent que le PIB réel par habitant s'est accru de 2% par
productivité, d'une stagnation des salaires réels et à la an dans l'Europe de l'OCDE entre 1973 et 1979, ce chiffre pouvant être
croissance des inégalités de rémunération. En Europe, comparé au 1,4% de croissance annuelle enregistré dans le même
temps aux États-Unis. Mais des taux de croissance plus voisins sont
l'accroissement du PIB par tête a découlé d'une attestés par d'autres comparaisons si on le mesure en unités de «
parités de pouvoir d'achat» [purchasing power parity units, NdT], le PIB
:

amélioration de la productivité qui s'est accompagnée


d'une baisse des heures ouvrées elle-même doublée par habitant de l'Europe de l'OCDE correspondait en 1980 à 63% de
celui des États-Unis et à 64% en 1993, évolution qui suggère que des
d'une hausse des salaires réels et d'une inégalité des taux de croissance similaires furent atteints ici et là tout au long de ces
revenus relativement faible. année (voir l'U.S. Bureau of the Census [Agence du recensement
américaine, NdT], Statistical Abstract 1995, table 1374).
Le tableau 1 résume à des fins comparatives les
3 - En 1996, l'OCDE a procédé à une révision considérable de ses
performances macroéconomiques des États-Unis, de estimations des heures de travail annuelles américaines (sur l'incertitude
l'Union européenne et de l'Allemagne en termes de PIB de cette statistique, voir Employment Outlook, 1996).
Richard B. Freeman

I. PRODUCTIONS PAR HABITANT ET PAR HEURE OUVREE, COMPAREES A CELLES DES ETATS-UNIS
PIB (unités p.p.a.)/habitant I980 PIB (unités p.p.a.)/habitant: I995
1.2 1.2-r

:
1- 1 1- 1
0.8- 0.71 0.8 0.71 0 78
0.67
0.6- 0.6

•■
!
I
0.4- 0.4

:
I
0.2- 0.2
0
États-Unis Union Allemagne États-Unis Union Allemagne
européenne européenne
PIB/salarié: I995 PIB/heure: I995
1.2 1.2 1.1
1- 1 1 1.02
0.68 0.88
0.8- 0.8-
0.6- 0.6
0.4 0.4
0.2
États-Unis Union Allemagne* États-Unis Union Allemagne*
européenne européenne
Sources
PIB par habitant, 980, I993, United States Statistical Abstract 995, table 374.
:

PIB par habitant, I995, OECD Main Economie Indicators, août I996, p. 92- 95.
1

1 1

Chiffres de l'emploi, OECD, Employment Outlook, I996, tableau A adapté à la population de l'OCDE pour la population en âge de travailler, Labour
1

Force Statistics.
Chiffres horaires, OECD, Employment Outlook, I996, tableau C.
* Estimé par l'auteur en supposant des nombres d'heures similaires à ceux de l'Union européenne,

pour ce qui est du niveau de vie. Aujourd'hui, les perfor- dans l'Europe de l'OCDE. Sachant que le taux américain
manees économiques globales de l'Europe et des États- tournait autour de 5% en 1997, on voit mal comment le
Unis se situent sur le même plan. fossé qui s'est creusé en ce domaine entre les deux
continents pourrait être comblé avant la fin du xxe siècle.

Sur le front de l'emploi 2. RATIOS EMPLOI/POPULATION AUX ETATS-UNIS,


DANS LES PAYS EUROPÉENS MEMBRES DE L'OCDE
Le contrecoup de la croissance plus forte de la ET EN ALLEMAGNE, 1973-1995
productivité en Europe réside dans la plus faible croissance 1973 1995 Changement
de l'emploi et du nombre d'heures ouvrées par personne
Population globale
dans les pays de l'Union. Le tableau 2 illustre la
divergence spectaculaire des deux continents sur le front de États-Unis 65,1 73,5 8,4
l'emploi en 1973, le rapport emploi/population âgée de Europe de l'OCDE 65,1 60,1 -5,0
Allemagne 68,7 65,1 -3,6
:

15 à 64 ans était rigoureusement identique (65%) aux


États-Unis et dans l'Europe de l'OCDE ; en 1995 ce
Hommes
rapport était passé à 73,5% aux États-Unis et retombé à États-Unis 82,8 80,3 2,5
60,1% parmi les membres européens de l'OCDE - Europe de l'OCDE 86,7 71,3 - 15,4
soit 13,4 points d'écart. Et, même si la proportion Allemagne 88,8 74,6 - 14,2
emploi/population est demeurée plus élevée en
Allemagne que dans le reste de l'Europe de l'OCDE pendant Femmes
cette période, la différence entre les États-Unis et États-Unis 48,0 66,7 18,7
Europe de l'OCDE 43,2 48,2 5,0
l'Allemagne n'en reste pas moins significative. Pendant plus Allemagne 49,7 55,3 5,6
d'une décennie, le taux de chômage américain a été
inférieur de 3% environ au taux de chômage enregistré Source OECD, Employment Outlook, juillet 1996, tableau A.
:
LE MODÈLE ÉCONOMIQUE AMÉRICAIN À L'ÉPREUVE DE LA COMPARAISON 39

Qui sont les principaux bénéficiaires de la « (qui travaillent plus rarement que leurs homologues
formidable machine à emplois des États-Unis » ? Les analystes américains), et du recours plus large à la retraite
critiques de l'expérience américaine arguent que la anticipée en Europe. Il reste que le «miracle de l'emploi»
plupart des postes récemment créés aux États-Unis sont des américain repose avant tout sur la multiplication des
petits boulots mal payés et faiblement qualifiés du genre emplois féminins. Si, entre 1973 et 1995, le niveau
«serveur de fast food». À l'inverse, les thuriféraires du d'emploi de la population féminine américaine ne s'était
modèle économique américain allèguent que l'essor accru que des 5% gagnés par les femmes européennes,
récent des emplois aux États-Unis s'est appuyé le taux d'emploi global de la population des États-Unis,
principalement sur les activités les plus fortement rémunérées. hommes et femmes confondus, serait resté de l'ordre de
Ces deux appréciations contiennent chacune une part de 65%o. Toutes choses égales par ailleurs, l'accès accéléré
vérité de tous les secteurs d'activité, la création des Américaines à des emplois largement constitués par
:

d'emplois américaine s'est surtout faite dans le domaine des des activités à temps plein a ajouté 9 points au taux
services, notamment dans le commerce de détail — où les global d'emploi américain en 1995, soit les deux tiers du
rémunérations sont moindres que dans le secteur différentiel de 13,4 points entre les États-Unis et
manufacturier. Par contre, au niveau socioprofessionnel, ce l'Europe cette année. Du fait de la chute brutale du taux
sont les postes de cadres et les professions libérales qui d'emploi masculin en Europe, les taux d'activité entre
ont connu les plus fortes créations d'emplois. On peut les deux continents auraient été notablement différents
dire, par conséquent, que la croissance de l'emploi aux en 1995, mais l'écart n'aurait résulté dans ce cas que de
États-Unis s'est faite à la fois parmi les professions la stabilité relative du taux d'activité américain,
hautement qualifiées et rémunérées et par la multiplication comparée à la baisse du taux européen. Le gain américain en
des postes sous-qualifiés à bas salaires4. matière d'emploi féminin s'est en outre accompagné
Mais ces deux appréciations sont également d'une augmentation appréciable des salaires réels
trompeuses à d'autres égards. En effet, quel mal y a-t-il, perçus par les femmes et par une réduction des inégalités
après tout, à exercer un emploi faiblement rémunéré ? relatives entre hommes et femmes. Tout ceci contredit
Si un adolescent ou un nouveau venu sur le marché du l'interprétation simpliste du « boom » de l'emploi
travail, dont la famille dispose d'autres sources de américain selon laquelle la réduction de salaire est le levier de
revenus, consent à faire cuire des hamburgers ou à la création d'emplois.
empaqueter des provisions pour se faire de l'argent de poche, Les performances des États-Unis en matière de
pourquoi de telles activités devraient-elles être création d'emplois ont aussi pris la forme d'une
socialement réprouvées ? Le problème à ce niveau n'est pas augmentation spectaculaire des heures ouvrées. Les États-Unis
dans le nombre excessif de petits boulots sous-qualifiés étaient naguère les champions du monde de la
offerts aux plus jeunes il est que ceux qui exercent ces réduction du temps de travail ils ne le sont plus aujourd'hui
:

emplois ne disposent pas de possibilités de promotion puisque les salariés américains travaillent entre 200 et
ou de mobilité vers des postes mieux rémunérés quand 400 heures de plus par an que les salariés européens -
ils prennent de l'âge. De même, l'évolution progressive soit cinq à dix semaines de 40 heures de plus Dans son
!

des profils d'activité vers les professions libérales et les rapport sur l'emploi de 1996, l'OCDE notait ainsi que les
postes d'encadrement, à mesure que la main-d'œuvre Américains avaient fourni, en 1995, 1 952 heures de
améliore son éducation et ses qualifications, est un travail par an contre 1 559 pour les Allemands, 1 631 pour
phénomène qui n'a rien de nouveau, et les États-Unis n'ont les Français et 1 397 pour les Néerlandais 5. Les salariés
modernisé la structure de leur population active ni plus
ni moins rapidement que les autres pays avancés
(S. Allen et R. B. Freeman, 1997). 4 - Ainsi que le Committee for Economie Development (commission qui
regroupe des hommes d'affaires unanimement respectés) l'a fait
Ce sont les femmes qui ont été les principales observer dans son étude intitulée American Workers and Economie Change.
bénéficiaires de la croissance des emplois américains (voir le 5 - Ces chiffres sont très supérieurs aux nombres d'heures de travail que
tableau 2), puisque le niveau d'emploi de la population les précédents Employment Outlooks de l'OCDE avaient assignés aux
féminine est passé de 48% en 1973 à 66,7% en 1995- À États-Unis. À mon avis, l'OCDE a d'abord sous-estimé la durée du travail
américaine dans ses rapports antérieurs, puis elle a trop compensé ces
l'inverse, le niveau d'emploi masculin a décliné durant erreurs par la suite. Selon les estimations précédentes, les salariés
cette même période, même si ce déclin est beaucoup américains fournissaient environ 200 heures ouvrées de plus que les
Européens, et cette différence est passée à 400 heures dans les chiffres
moins accentué qu'en Europe en raison de révisés. La différence actuelle devrait plutôt tourner autour de 300 heures
l'augmentation considérable du nombre des étudiants européens (L. Bell et R. B. Freeman, 1996).
40 Richard B. Freeman

3. CONTRIBUTION DES VACANCES/JOURSFERIES ET DES HEURES HEBDOMADAIRES AUX DIFFERENCES

Différences d'heures avec les E-U


Pays Heures Vacances/jours Heures par Total Dues aux Dues aux
annuelles fériés/semaines semaine vacances/ heures
de 5 jours jours fériés
États-Unis 904 4,6 40,0 _ _ _
France 763 7,0 39,0 141 94 48
1 1 1 1 1 1 1 1

Allemagne 643 8,5 37,6 261 147 114


Italie 764 8,1 40,0 140 140 0
Pays-Bas 709 8,3 38,9 195 144 52
Norvège 718 6,4 37,5 186 68 119
Suède 784 7,6 40,0 120 120 0
Royaume-Uni 769 6,6 38,8 135 78 57
Moyenne européenne
non pondérée 736 7,5 38,8 168 113 57
1

Source Disposé en tableau à partir de L. Bell et R. B. Freeman (1995), document 5.2 reprenant les données de la Fédération des syndicats patronaux
allemands.
:

des États-Unis ne prennent que deux semaines de compte des heures supplémentaires, qui jouent un rôle
vacances annuelles en moyenne au lieu des quatre à essentiel sur le marché de l'emploi américain. Mais ce
cinq semaines qui sont la norme en Europe. Et l'on tableau n'en fait pas moins apparaître des écarts de
pourrait citer d'autres données encore 6% des actifs temps de travail qui vont de 120 heures (soit trois
:

américains exercent un second métier, 18% travaillent semaines pleines) à 26l heures (soit 6,5 semaines
à domicile après les heures de bureau, beaucoup font pleines) si l'on compare par exemple les États-Unis et
des heures supplémentaires et assez peu (si on l'Allemagne. Ces écarts tiennent surtout aux durées
les compare aux Européens) travaillent à temps différentes des congés et des jours fériés, même si le nombre
partiel. Les chiffres de l'OCDE pour le Japon (qui ne plus bas d'heures de travail hebdomadaires
tiennent pas compte des plus petites entreprises de ce normalement accomplies par les salariés de l'industrie allemands
pays) indiquent même que la durée du travail est plus et norvégiens enlève trois semaines à la moyenne
élevée aux États-Unis que dans l'archipel nippon. européenne.
Enfin, les Américains se déclarent plus désireux Pourquoi les Américains effectuent-ils plus d'heures
d'effectuer des heures supplémentaires que les Européens de travail que les Européens, et que les Allemands en
ou les Japonais et affirment travailler plus dur et particulier? La dévotion américaine au travail peut
sacrifier plus volontiers leurs activités familiales à leur s'analyser à la fois comme une réponse des salariés aux
travail que les Européens (L. Bell et R. B. Freeman, très grandes inégalités de salaires (L. Bell et R. B.
1995). Freeman, 1995) et à l'insécurité de l'emploi qui caractérisent
Le tableau 3 montre comment les congés, les jours les États-Unis, et comme une réponse patronale au coût
fériés et la durée du travail hebdomadaire concourent à particulièrement élevé des assurances maladie financées
produire l'écart des heures annuelles ouvrées effectuées par les entreprises (D. Cutler et B. Madrian, 1996). Du
par les salariés à temps plein des secteurs point de vue de l'offre, on peut espérer, en travaillant
manufacturiers européen et américain. Comme pour les chiffres de dur, compenser la distribution hautement inégale de la
productivité, les données horaires sont plus précisément masse salariale en accroissant ses revenus personnels ;
mesurées dans le secteur manufacturier que dans les en n'effectuant que peu d'heures de travail, on risque au
autres branches de l'économie. L'échantillon de contraire de perdre son emploi ou de chuter dans la
référence n'étant constitué que par les salariés à temps grille salariale. Du point de vue de la demande de
plein, les différences observables en la matière entre les travail, le coût fixe élevé des assurances maladie incite à
États-Unis et l'Europe sont moins importantes que les multiplier les heures de travail aux dépens de l'emploi.
décomptes de différences horaires incluant les Les salariés américains, dont les plans d'assurance santé
travailleurs à temps partiel, lesquels sont plus nombreux sont financés par leur entreprise, ont nettement accru
en Europe. De même, ces données minimisent le leurs heures ouvrées (D. Cutler et B. Madrian). Au total,
différentiel entre l'Europe et les États-Unis en ne tenant pas le produit marginal des heures de travail supplémen-
LE MODÈLE ÉCONOMIQUE AMÉRICAIN À L'ÉPREUVE DE LA COMPARAISON 41

taires est aussi élevé pour les employeurs que pour les en Allemagne et de pourcentages comparables dans les
salariés. autres pays européens. Le tableau B du document 4
Le temps de loisirs étant un bien, la différence passe des évolutions des salaires horaires réels aux
observée entre les heures ouvrées et les heures de niveaux de rétributions réelles des ouvriers « de
loisirs en Amérique et en Europe autorise à penser que les production » les chiffres étant ici convertis en unités

,
chiffres du PIB par habitant exagèrent le différentiel communes en évaluant les indices de prix via la méthode
Europe/États-Unis. Si le PIB par habitant de l'Europe dite des «parités de pouvoir d'achat». En 1995, les
est rapporté aux temps de loisirs supérieurs des coûts des rétributions mesurés en unités p. p. a. étaient
Européens, les différences entre les performances approximativement identiques aux États-Unis et dans
économiques des deux continents se trouvent l'Union européenne, mais les ouvriers allemands
considérablement réduites (L. Bell et R. B. Freeman, 1996). De fait, étaient quand même mieux payés que leurs
on peut douter que l'expérience des Américains en homologues américains. Le niveau plus élevé des
matière de temps de travail séduise beaucoup rémunérations horaires allemandes est par ailleurs congruent
d'Européens. Il serait d'ailleurs intéressant de demander aux avec le taux supérieur de productivité horaire révélé
Américains et aux Allemands quelle valeur ils attribuent par le tableau 1

.
au fait de bénéficier ou non de deux semaines de La capacité des statistiques gouvernementales à
vacances en plus. mesurer précisément l'évolution salariale réelle des tra-

4. COMPARAISON DES SALAIRES RÉELS


DU CÔTÉ DES SALAIRES DANS LE SECTEUR MANUFACTURIER,
ÉTATS-UNIS ET ALLEMAGNE, 1980-1995
S'il est un domaine où les marchés du travail
européens ont surpassé le marché du travail américain, c'est
celui de la croissance des salaires réels. Ceux qui 40
critiquent les économies européennes oublient trop 30-
souvent le succès de l'Europe pour ce qui est de la hausse □ États-Unis
des salaires, comme si la bonne santé économique se 20- El Allemagne
mesurait uniquement à l'aune de l'emploi. En outre, 10-
ceux qui critiquent le modèle américain oublient pour 3
leur part que les États-Unis ont connu vingt-cinq ans de n-
I

croissance salariale léthargique ou stagnante, A. Variation des salaires réels en pourcentage pour tous
les travailleurs du secteur manufacturier, 980- 994.
notamment pour les travailleurs masculins. Pondérés par
1
1

l'indice des prix à la consommation, les salaires horaires 1


des ouvriers de production du secteur manufacturier 22.05
20-
aux États-Unis ont nettement diminué des années 1970 17.2
à nos jours, à l'instar du salaire médian des hommes. Il 15-
□ États-Unis
en résulte que les salariés américains gagnent 10- □ Allemagne
actuellement à peu près autant que les salariés des pays
européens économiquement avancés, et moins que les 5-
travailleurs de plusieurs de ces pays. Au tableau A du n-
document 4 figure la croissance des salaires réels des B. Niveaux de rémunérations horaires pour les ouvriers de
travailleurs des secteurs manufacturiers américain et production, I995, en unités de «parités de pouvoir
allemand pour les années 1980-1994. Durant cette d'achat» de I995 (dollars américains).
période, les salaires réels des ouvriers de production
ont baissé de 5% aux États-Unis selon les estimations Sources
Tableau A US Statistical Abstract 996, choix d'indices pour l'activité
:

du Bureau of Labor Statistics (voir Y Economie Report of manufacturière.


:

the President, 1997', table B-45), bien que les revenus Tableau B Rémunérations horaires tirées des International Comparisons of
Hourly Compensation Costs For Production Workers in Manufacturing, 995,
:

de l'ensemble des salariés eussent augmenté de 3% Washington, DC, US DOL, Bureau of Labor Statistics, septembre 996.
1 1

selon cette même source. Dans le même temps, les Unités de «parités de pouvoir d'achat» issues des OECD Main Economie
revenus de l'ensemble des salariés augmentait de 40% Indicators, mai I997, p. 2I9, Paris, OCDE, I997.
42 Richard B. Freeman

vailleurs américains ne fait pas l'unanimité aux États- décennie 1990, après que les États-Unis eurent relevé
Unis. Le débat tourne autour du taux d'inflation le montant de leur salaire minimal et réussi à faire
permettant de calculer les salaires réels selon que l'on se passer leur taux de chômage au-dessous des 5%.

:
réfère à l'indice des prix à la consommation pour Une mesure statistique courante de la distribution
l'ensemble des consommateurs urbains (CPI-U) ou à des revenus au sein d'une population consiste à
l'indice des prix à la consommation corrigé des coûts de calculer le rapport entre les rémunérations des individus
l'accession à la propriété au moyen d'équivalences situés en haut de distribution (par exemple, aux 10%
locatives (CPI-U-X1), les salaires réels des ouvriers du supérieurs) et celles des personnes situées en bas (par
secteur manufacturier et des travailleurs masculins en exemple, à la médiane ou entre les 1er et 10e centiles).
général ont soit baissé, soit stagné. Certains analystes Si ce ratio s'accroît, c'est que l'inégalité s'est creusée.
arguent ainsi que l'indicateur CPI surestime l'inflation Or, les deux premières lignes du tableau 5 montrent
réelle d'environ 1% par an (Boskin Commission, 1996). justement que, entre 1979 et 1995, les rémunérations
Il est évident que si l'on ajoute un point de réelles des travailleurs appartenant au quintile
pourcentage par an à la croissance des salaires réels, les supérieur de l'éventail des revenus américains se sont
performances américaines en la matière deviennent plus élevées plus rapidement que celles des travailleurs du
satisfaisantes. Un autre problème tient à ce que d'autres quintile inférieur, les hommes les moins bien payés
séries statistiques sur les salaires font état d'une subissant les pertes les plus importantes et les femmes
croissance des salaires réels plus forte que les chiffres les mieux rétribuées bénéficiant des gains les plus forts.
fournis par les études auprès des entreprises du secteur Cette hausse de l'inégalité salariale américaine a
manufacturier ou des ménages. Par exemple, les deux composantes elle découle à la fois d'une

:
salaires annuels estimés de l'ensemble des travailleurs augmentation de la « prime à la qualification » , qui creuse
américains, cols blancs et cols bleus réunis, auraient les écarts de rémunération entre les travailleurs selon le
légèrement progressé en termes réels d'après les niveau de qualification, et d'un accroissement des
comptes de la nation (National Income and Product inégalités salariales au sein d'une même catégorie
Accounts), même si cette progression est nettement socioprofessionnelle. Historiquement, les écarts de
inférieure aux taux observés dans les périodes salaires entre les travailleurs selon le niveau d'éduca-
précédentes.
Mais les problèmes de mesure qui affectent le taux 5. ÉVOLUTIONS SALARIALES EN POURCENTAGE PAR NIVEAU
d'inflation et les estimations des revenus aux États-Unis DE QUALIFICATION, 1979-1995
se retrouvent du côté européen. En tout état de cause, Hommes Femmes
les comparaisons entre les États-Unis et l'Europe,
fondées sur les indices de « parités de pouvoir d'achat », ne Travailleurs du quintile supérieur 21
Travailleurs du quintile inférieur - 17 -8
1

risquent pas, elles, d'être biaisées. Force est donc de


conclure que l'Europe a largement surpassé les États- Diplômés de l'enseignement supérieur 20
Diplômés de l'enseignement secondaire - 17 -4
1

Unis pour ce qui est de l'élévation des salaires, de


Niveau d'étude inférieur au baccalauréat -27 -
même que les Américains ont beaucoup mieux réussi
11

que les Européens en matière de création d'emplois. Professions libérales 6 18


Encadrement administratif
(personnels de bureau) - 14 2
Travailleurs sur machines - 16 -9
La grande machine à inégalités Manœuvres -21 )
Diplômés de l'enseignement secondaire
Le marché du travail américain a produit des débutants -27 - 19
résultats sensiblement différents de ceux des marchés du Diplômés de l'enseignement secondaire
expérimentés -21 4
travail européens pour ce qui est de la distribution des
revenus. L'éventail des revenus des Américains s'est en Diplômés de l'enseignement supérieur
débutants - Il
effet fortement élargi depuis 1980, de sorte qu'on peut
presque dire que les rémunérations des travailleurs les Source Calculé à partir de L. Mishel, A. Bernstein et J. Schmidt,
moins qualifiés et les plus faiblement rétribués sont tables 3.5, 3.7,3.8,3.19, 3.20, 3.22.
:

tombées en chute libre pendant deux décennies. Cette NB Les travailleurs débutants ont entre et 5 ans d'expérience
chute brutale ne s'est achevée que vers le milieu de la professionnelle; les travailleurs expérimentés entre 16 et 22 ans.
:

I
LE MODÈLE ÉCONOMIQUE AMÉRICAIN À L'ÉPREUVE DE LA COMPARAISON 43

tion ou d'expérience sont allés en se réduisant, tant aux en 1993. Le ministère du Travail relève l'existence
États-Unis qu'en Europe. Dans les années 1980 et 1990, d'énormes inégalités en la matière selon le niveau de
par contre, les différences de rémunérations selon les rémunération en 1993 36% des salariés gagnant moins

:
qualifications se sont accrues massivement, portant la de 5 dollars de l'heure travaillaient pour un employeur
« prime à l'éducation » à un niveau sans précédent qui leur proposait un plan d'assurance maladie et 14%
depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. seulement étaient effectivement couverts par ces plans ;
Cet élargissement de l'éventail des revenus 62% des salariés gagnant entre 5 et 7,50 dollars de
américain n'est pas seulement dû à un changement de la l'heure travaillaient pour un patron qui leur proposait
distribution des qualifications de la main-d'œuvre. Car un plan et 35% de ces derniers étaient couverts. Dans
l'éventail des revenus s'est élargi non seulement d'un les tranches supérieures, en revanche, 92% des
niveau de qualification à l'autre, mais aussi au sein de employeurs de salariés gagnant plus de 15 dollars de
groupes de même qualification. Parmi les travailleurs l'heure proposaient un plan d'assurance santé et 83% de
qui exercent la même profession aussi bien que parmi leurs salariés disposaient d'une couverture médicale.
ceux qui ont accompli un même nombre d'années
d'études et appartiennent à une tranche d'âge similaire
ou à l'intérieur d'une branche d'activité donnée, les La comparaison avec l'Europe
individus les mieux payés ont vu leurs rémunérations
s'accroître beaucoup plus que leurs homologues moins Un haut niveau d'inégalité est une constante de
bien payés. En 1979, par exemple, le ratio entre les l'histoire des États-Unis, mais cette constante ne
rémunérations perçues par les titulaires d'un diplôme s'explique ni par l'hétérogénéité ethnique de sa
universitaire appartenant au décile supérieur et celles population, ni par l'augmentation récente de l'immigration
des diplômés de l'enseignement supérieur relevant du issue des pays moins développés, qui a gonflé les
décile inférieur n'était que de 3,46. En 1995, ce ratio effectifs des travailleurs les moins bien rémunérés. En
s'élevait à 4,22 soit une hausse de 66%^. L'inégalité s'est effet, l'éventail des revenus demeure
accrue pour la plupart des catégories professionnelles exceptionnel ement ouvert au sein de tous les groupes ethniques
:

chez les menuisiers, les ingénieurs et les employés, américains les salaires sont aussi inégalement
:

notamment, les écarts de rémunération entre les mieux distribués chez les Noirs que chez les Blancs ou chez les
payés et les plus mal payés sont plus grands aujourd'hui Hispanophones.
que parle passé. La très forte inégalité des revenus aux États-Unis tient
L'accroissement de l'inégalité est encore plus patent surtout au fait que les montants des rémunérations
aux États-Unis si l'on prend en compte les avantages perçues par les Américains sont déterminés par les lois du
sociaux fournis par l'employeur (congés payés, marché plutôt que par telle ou telle institution chargée
couverture médicale, retraite, etc.) dont tous les salariés d'établir des conventions collectives, de réguler les
européens jouissent par le truchement de 1'« État salaires minimaux, etc. De fait, les distributions des
providence». Parmi les hommes, les salariés américains les revenus fixés par la négociation sont invariablement plus
moins qualifiés étaient « moins » susceptibles de égalitaires que celles des revenus régis par les marchés 7.
bénéficier de tels avantages dans les années 1990 qu'au cours L'intervention d'institutions de régulation limite la liberté
des décennies antérieures en 1979, 57% des titulaires des entreprises de verser des salaires qui s'écartent de la
:

d'un diplôme de fin d'études secondaires et 39% de moyenne nationale, ainsi que la latitude des patrons de
ceux qui n'avaient pas achevé leur cursus secondaire faire varier les niveaux de rémunération d'un travail
cotisaient pour une retraite fournie par leur employeur ; donné. Dans certains pays tels que la Norvège, la Suède
en 1993, ces chiffres n'étaient plus que de 45% pour les ou l'Italie, des politiques salariales élaborées au plan
premiers et de 21% pour les seconds, bien que le national ont délibérément cherché à réduire les écarts
pourcentage des diplômés de l'enseignement supérieur
disposant de retraites n'eût que peu changé entre-temps. Il 6 - Calculé d'après Mishel, Bernstein et Schmidt, table 3-23.
en va de même pour la couverture médicale assurée par 7 - Pourquoi ? Une raison importante en est que les institutions
les employeurs 78% des titulaires d'un diplôme de fin dépendent des scrutins électoraux en règle générale, plus de 50% des
:

d'études secondaires et 58% des salariés sans diplôme votants (parmi lesquels peuvent figurer des syndicalistes) sont
:

bénéficient d'une couverture médicale en 1979 ; ces constitués par des travailleurs qui perçoivent des salaires inférieurs à la
moyenne et bénéficient par là même de la compression des éventails
taux n'étaient plus que de 62% et 35% respectivement de rémunérations déterminés par le marché.
44 Richard B. Freeman

salariaux, et elles y sont parvenues. Bien qu'aucune loi minimes - elle a même baissé en Allemagne, en
économique ne stipule que les marchés tendent Belgique et en Norvège.
inéluctablement à induire une inégalité croissante (pendant D'autres comparaisons internationales autorisent à
plusieurs décennies, l'équilibre entre l'offre et la demande a penser que de telles statistiques doivent être maniées
eu tendance au contraire à réduire les inégalités), c'est avec prudence. Selon ces données de l'OCDE, le
bien ce qui s'est produit du début des années 1980 niveau d'inégalité aurait été plus élevé au Canada
jusqu'au milieu des années 1990, pour des raisons qui ont qu'aux États-Unis en 1979, observation qui va à l'en-
été largement débattues (F. Levy et R. J. Murnane). contre de la plupart des autres études comparatives
Néanmoins, et compte tenu précisément de cette entre ces deux pays (voir R. B. Freeman et Needels).
distribution plus inégale des revenus, qui différencie les Les économistes néo-zélandais contestent l'idée que
États-Unis des autres pays économiquement avancés, l'inégalité s'est fortement accrue dans leur pays en
on aurait pu s'attendre à ce que l'inégalité y progressât arguant que cet accroissement est plus patent dans le
moins vite qu'ailleurs au cours des années 1980. S'il est domaine de la durée des heures de travail
vrai qu'une économie postindustrielle de type « hebdomadaires que dans celui des rémunérations horaires.
informationnel » appelle des écarts de salaires plus grands
qu'une économie industrielle classique, force est de 6. NIVEAUX ET CHANGEMENTS DE L'INEGALITE
constater que les États-Unis ont été les premiers à SALARIALE DANS LES PAYS AVANCÉSDE L'OCDE.
s'engager dans cette voie. Les autres pays auraient donc dû MESURÉS À PARTIR DES SALAIRES MASCULINS
accroître leur niveau d'inégalité pour les « rattraper » , de COMPRIS ENTRE LE 90 ET LE 10 DÉCILE
POUR LA PÉRIODE 1979-1995.
la même manière qu'ils ont suivi leur exemple dans le
domaine de la technologie, de la consommation et de 1979 ou autre 1995 ou autre Changement
année année annuel
la culture. antérieure* antérieure*
Le tableau 6 utilise les estimations du salaire
hebdomadaire par l'OCDE pour comparer les niveaux Inégalité fortement
accentuée
d'inégalité des États-Unis et de divers pays européens tels Nouvelle-Zélande 2,72* 3,16* 0,044
qu'ils s'établissaient en 1979 (ou à telle autre date à
'

États-Unis 3,18 4,35 0,027


partir de laquelle l'OCDE publie des données Italie 2,29 2,64* 0,025
comparatives) et en 1995 (ou la dernière année prise en compte Canada 3,46* 3,74* 0,021
par l'OCDE). L'inégalité est ici mesurée en calculant le Royaume-Uni 2,45 3,31 0,020
rapport entre les rémunérations perçues par les 10% de Inégalité modérément
salariés les mieux payés et celles des 10% de accentuée
travailleurs les moins bien payés. Les chiffres présentés ne Australie 2,74 2,94 0,013
portent que sur les salariés masculins, mais l'évolution Japon 2,59 2,77* 0,012
des salaires féminins va dans le même sens. Autriche 2,61* 2,77* 0,009
Pays-Bas 2,51* 2,59* 0,009
Ce tableau est frappant à deux égards. Il en ressort 2,20*
Suède 2,1 0,008
d'abord qu'en 1995, la distribution des revenus était 2,44* 2,53*
1

Finlande 0,006
beaucoup plus inégale aux États-Unis que dans tous les Danemark 2,14* 2,17* 0,003
autres pays économiquement avancés le ratio entre France 3,39 3,43* 0,002
:

les hauts et les bas salaires était de 4,35 en Amérique,


3,43 en France et 3,31 au Royaume-Uni (deux pays Inégalité en baisse
Belgique 2,29* 2,25* 0,004
européens où l'inégalité est la plus grande) et de 1,98 2,05* 1,98*
Norvège 0,006
en Norvège (pays d'Europe où l'inégalité est la plus Allemagne 2,38* 2,25* 0,013
faible). La colonne de droite de ce tableau indique la
variation annuelle de cette mesure d'inégalité elle Source: Calculé à partir de l'OECD, Employment Outlook de 1996,
table 3.1. Les chiffres autrichiens de 1994 sont calculés à partir de
:

montre que si l'inégalité s'est accrue dans la plupart des variations des données statistiques afférentes aux déciles 80/50 qui ont été
économies avancées au cours des années 1980-1990, reportées dans le tableau en supposant que le ratio salarial du décile 90/80
n'a pas évolué de 1989 à 1994. Les chiffres belges tiennent compte du
les pays anglo-saxons viennent largement en tête en ce changement du mode de comptabilité qui est survenu entre 1988 et 1989.
domaine, les États-Unis n'ayant été devancés que par la I. Cette hausse énorme de l'inégalité propre à la Nouvelle-Zélande est
Nouvelle-Zélande. Dans la plupart des autres pays, par contestable. Selon le ministère du Travail de ce pays, l'évolution de la durée
du travail hebdomadaire aurait joué un plus grand rôle que le changement
contre, l'inégalité s'est accrue dans des proportions très des rémunérations horaires.
LE MODÈLE ÉCONOMIQUE AMÉRICAIN À L'ÉPREUVE DE LA COMPARAISON 45

7. SALAIRES HORAIRES RÉELS DES HOMMES riés américains et européens n'ont des niveaux de vie
DES DÉCILES INFÉRIEURS équivalents (tout en achetant des marchandises
différentes) que quand ils appartiennent à la tranche des
revenus moyens, seuls les plus aisés des Américains
l'emportant à cet égard sur les Européens.

Moins de travail
pour les moins qualifiés

Si la chute des salaires perçus par la main-d'œuvre


américaine la moins qualifiée s'était accompagnée de
créations d'emplois abondantes pour eux, on pourrait
légitimement arguer que l'inégalité accrue et la baisse
États-Unis Allemagne des rémunérations ont en fin de compte profité à ces
types de travailleurs, mieux valant travailler à bas prix
Source: R. B. Freeman, 1995, p. 13, fondé sur les chiffres de salaires aux États-Unis qu'être au chômage en Europe. Mais
horaires dans l'OCDE, 1993. l'emploi des salariés américains faiblement qualifiés ne
NB Le ratio salaire du 10e décile/salaire moyen est de 38 aux États-Unis, s'est amélioré ni en termes absolus, ni en termes relatifs
de 59 au Royaume-Uni, de 68 dans les pays européens économiquement si on le compare à celui des travailleurs les plus
:

avancés et de 71 en Allemagne. qualifiés. Le volume d'emplois offerts aux salariés


américains peu qualifiés s'est réduit alors même que leurs
L'« énigme» que les économistes du travail rémunérations s'affaissaient. Les travailleurs les moins
néo-zélandais et australiens s'appliquent à résoudre est de savoir payés sont les « oubliés » du « miracle de l'emploi »
pourquoi la dérégulation néo-zélandaise n'a pas induit américain. À preuve la statistique du nombre d'heures
des rémunérations horaires plus inégales, et non pas annuelles ouvrées des adultes de sexe masculin d'après
pourquoi l'inégalité se serait accrue si rapidement chez leur position sur l'échelle des revenus (R. B. Freeman,
eux, ainsi que les données de l'OCDE l'indiquent. Mais 1995) de 1970 à 1990, les heures annuelles ouvrées
:

le contraste général entre les États-Unis et les pays de effectuées par les travailleurs masculins situés au bas de
l'Union européenne, qui ressort du tableau 6, n'en est l'échelle des salaires ont décliné alors même que les
pas moins corroboré par toutes sortes d'études heures ouvrées accomplies par les salariés du haut
nationales. de l'échelle restaient stables ou augmentaient (voir
La combinaison de ce niveau d'inégalité à la fois le tableau 8). Cette inégalité croissante en matière
haut et croissant et de la stagnation des salaires horaires d'heures ouvrées a concouru à accroître les inégalités
réels indique qu'en dépit de la hausse du PIB par de rémunérations annuelles en se conjuguant à des
habitant aux États-Unis, les salariés américains les plus mal salaires horaires plus inégaux.
rétribués gagnent « beaucoup moins » que les Que font les Américains sans qualifications s'ils ne
travailleurs les moins bien payés des pays de l'Union travaillent pas? Nombre d'entre eux commettent des
européenne. Le tableau 7 confirme cette hypothèse à propos crimes qui se soldent par l'emprisonnement en 1995,
:

des travailleurs masculins à temps plein (en utilisant la 1,5 million d'hommes de nationalité américaine étaient
méthode dite des « parités de pouvoir d'achat »), les 10% détenus dans des prisons d'État ou locales. La grande
des travailleurs les moins bien payés des pays majorité des détenus n'ont pas achevé leurs études
européens gagnent en moyenne 44% de plus que leurs secondaires et la moitié environ sont d'origine afro-
homologues américains (et les travailleurs allemands américaine. Pour cent Américains qui travaillent, deux
122% de plus). Sur ce plan, l'écart entre les États-Unis et sont incarcérés et cinq autres sont en liberté surveillée
les pays avancés de l'Union européenne n'est comblé ou conditionnelle, soit un total de 7% sous tutelle
qu'aux alentours du troisième décile, ce qui implique pénale. Près de 3% des hommes de 25 à 34 ans et 12%
que le tiers inférieur des travailleurs américains gagnent des individus de cette tranche d'âge dépourvus de
moins en termes de « parités de pouvoir d'achat » que le diplômes sont actuellement incarcérés. Pour les Noirs,
tiers inférieur de leurs homologues européens. Les ces pourcentages atteignent 12% et 34% respective-
46 Richard B. Freeman

8. HEURES DE TRAVAILANNUELLES ACCOMPLIES type de travailleurs, même si les rémunérations


EN MOYENNE PAR LES TRAVAILLEURS MASCULINS SELON beaucoup plus élevées initialement accordées aux Européens
LEUR DÉCILE SALARIAL, 1970-1990 dotés de faibles niveaux de qualification peuvent
Décile salarial 1970 1990 Variation en % atténuer la pertinence de l'expérience américaine. Des
1970-1990 baisses du salaire réel pratiquées à l'échelle d'une
0-10 2 133 693 -21 économie entière (par exemple, via une dévaluation ou
10-20 2 268 940 - 14 sous l'effet d'une restriction générale des augmentations
20-30 2 293 1 12 026 - 12 de salaires consécutive à une poussée inflationniste)
30-40 2 192 2 076 -5 pourraient certes provoquer une hausse généralisée du
40-50 2 204 2 096 -5 niveau d'emploi. Des diminutions ciblées du coût du
50-60 2 170 2 132 -2
60-70 2 146 2 100 _4 travail dans des professions où la demande est très
70-80 2 085 2 085 0 élastique ou des baisses de salaire des jeunes travailleurs ou
80-90 2011 2 066 3 des chômeurs de longue durée pourraient effectivement
90-100 742 766 2 relever le niveau d'emploi de groupes spécifiques. Mais
1

Source Disposé en tableau à partir des données publiques des accroître l'inégalité globale en diminuant encore les
recensements de la population américaine de 1970 et 1990. Le nombre des salaires des travailleurs les moins bien rémunérés ne
:

observations est de 121 078 pour l'échantillon de 1970 et de 135 434 pour celui paraît pas de nature à procurer des emplois aux salariés
de 1990. faiblement qualifiés, si l'on en juge d'après l'expérience
ment. D'ici l'an 2000, la population carcérale américaine.
américaine devrait augmenter de 50% environ, de sorte que La comparaison entre les taux d'activité respectifs de
le nombre des détenus américains égalera le nombre la frange la moins qualifiée des travailleurs américains
des chômeurs (si le taux de chômage restait stable). Ces et européens fait apparaître de surcroît que les moins
chiffres sont dix fois supérieurs aux statistiques éduqués des salariés américains n'ont guère bénéficié
comparables des autres pays. du « miracle de l'emploi » (au moins jusqu'en 1996-1997,
La baisse des heures de travail ouvrées par les salariés quand le niveau de chômage est descendu à 5%
américains les moins qualifiés et le taux de criminalité environ). Au début des années 1990, le taux d'emploi des
élevé constituent une réponse rationnelle de l'offre à la jeunes de 20 à 24 ans (à l'exclusion des étudiants) était
réduction des salaires. Pourquoi travailler si le travail est plus bas aux États-Unis que dans la plupart des pays
économiquement moins rentable que le crime ? Dès lors européens économiquement avancés de l'OCDE, en
que le marché du travail légal n'offre que des bas salaires dépit des plus faibles salaires relatifs américains (OECD,
réels qui vont en diminuant au fil des années, ne vaut-il Employment Outlook, 1994, table 1.20). La population
pas mieux essayer de gagner de l'argent illégalement ? Si masculine américaine ayant quitté l'école en troisième
l'on privilégie cette interprétation, les baisses de salaires avait moins de chance de trouver un emploi que
subies par la main-d'œuvre masculine déqualifiée, qui les Européens dotés d'un niveau d'éducation
auraient pu créer des emplois pour les moins éduqués, a comparable (OECD, Employment Oultook, 1989, chapitre 2,
simplement fait passer le problème des salariés les moins annexes 2A et 2B). Ces données sous-estiment d'autant
qualifiés du versant « demande » du marché à son versant plus les difficultés des jeunes Américains peu éduqués
« offre » Une autre interprétation avance à l'inverse que que les statistiques américaines ne tiennent pas compte
.

même les énormes réductions de salaires que les du grand nombre d'entre eux qui sont incarcérés.
Américains déqualifiés ont subies ne sont pas parvenues à
créer une demande suffisante de jeunes travailleurs peu
qualifiés. Dans cette perspective, les taux d'emploi et les Pas de solution miracle
niveaux de rémunérations observés resteraient très
éloignés de la courbe effective de l'offre de travail. Quelque En somme, les États-Unis ont mieux réussi que
interprétation que l'on préfère, l'expérience américaine l'Europe à certains égards - niveau d'emploi élevé et
montre cependant que «les réductions massives de croissant, possibilités plus larges offertes à la main-d'œuvre
salaires ne résolvent pas les problèmes d'emploi des féminine - et moins bien qu'elle sur d'autres plans -
moins qualifiés ». Ce qui donne à penser que réduire inégalité accrue et baisse des bas salaires, faible hausse
globalement les salaires des Européens les moins qualifiés de la productivité et temps de loisir de plus en plus
ne suffirait pas « en soi » à faire reculer le chômage de ce réduit.
LE MODÈLE ÉCONOMIQUE AMÉRICAIN À L'ÉPREUVE DE LA COMPARAISON

9. OUI A PROFITE DE LA CROISSANCE ECONOMIOUE. rieure à celle de l'Europe, où les dépenses de santé
1979-1994? (EN DOLLARS AMÉRICAINS) sont pourtant beaucoup plus basses- qu'aux États-Unis
Accroissement moyen du revenu familial 4 419 (elles ne représentent que 9% des PIB européens). Les
Accroissement moyen jusqu'aux 5% supérieurs 87 295 États-Unis doivent également se préparer à affronter le
Accroissement jusqu'aux 5% supérieurs/toutes familles 4 365 problème épineux du financement du régime des
Pourcentage d'accroissement jusqu'aux 5% supérieurs 99 retraites ; les dépenses carcérales sont de plus en plus
Source: R. B. Freeman, «Rising economic disparity: Achilles' heel of élevées en 1995, l'État de Californie a consacré plus de

:
the American economy? », à paraître dans The Growth of Income Disparity in crédits à ses prisons qu'à ses universités.
the United States, Washington, DC, National Policy Association, 1998. Toutefois la tendance la plus inquiétante aux États-
Unis réside dans l'augmentation de la pauvreté chez
les enfants en 1970, la proportion des jeunes

:
Le tableau 9 prouve sans conteste que les États-Unis Américains vivant sous le seuil de pauvreté était de 15% et
n'ont pas de sésame économique à offrir aux autres baissait; en 1993, ce taux s'élevait à 22%, chiffre
pays. Il montre la répartition de l'accroissement du PIB supérieur à ceux enregistrés dans tous les autres pays
entre 1979 et 1994 parmi les ménages. Durant ces économiquement avancés. Les enfants américains nés
quinze années, le PIB américain s'est accru de dans les familles appartenant au quintile inférieur de
1 100 milliards de dollars (en dollars constants de 1992) l'échelle des revenus sont plus pauvres en valeur
pour un gain moyen par ménage fort respectable de absolue (mesurée par la méthode de « parité de
4 419 dollars. Mais la quasi-totalité de ces gains sont pouvoir d'achat ») que les enfants les plus défavorisés de
revenus aux 5% des ménages américains les plus riches quinze autres pays avancés. À l'autre bout de
de sorte que « les revenus de 95% des familles l'échelle, les jeunes Américains nés dans les familles
américaines n'ont pas progressé ». Si l'on se réfère à d'autres du quintile supérieur disposent de revenus réels
années ou à d'autres catégories, ou si l'on utilise beaucoup plus importants que ceux des enfants des
d'autres mesures du revenu, la répartition différentielle familles riches de ces autres pays (L. Rainwater et
de la hausse du PIB se modifie quelque peu, mais le T. Smeeding, 1995)- La réforme de l'aide sociale
résultat reste fondamentalement le même depuis une promulguée par le Congrès en 1996 est assurée de faire
:

quinzaine d'années, l'essor de l'économie américaine a monter la pauvreté parmi les enfants et risque de
profité largement, voire exclusivement, aux plus riches. causer une crise majeure si jamais l'économie nationale
En termes de viabilité fiscale, du fait même du rôle entrait en récession.
mineur des dépenses sociales, les États-Unis affichent On peut donc conclure que, contrairement aux
des déficits moins élevés que la plupart des pays de représentations les plus répandues, les États-Unis ne
l'Union européenne et sont même en passe de parvenir sont guère parvenus à une sorte de nirvana économique
à un niveau de déficit budgétaire proche de zéro vers - sauf en ce qui concerne les ménages les plus riches. Il
2002 (après quoi il devrait augmenter à nouveau). Mais n'est pas souhaitable pour l'Europe - si tant est que cela
ils doivent faire face au renchérissement du coût de était faisable - d'imiter en bloc le « modèle » américain.
l'assurance maladie et du système médical, qui
absorbent 13% du PIB pour une couverture médicale Traduction de Christian Cler.
48 Richard B. Freeman

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