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Law Abiding Citizen, Harry Brown

Anomie contre déviance sous-culturelle

Le vigilante movie, et plus largement le film de vengeance, semblent bien se porter depuis le début des
années 2000, époque policée et culturellement hypogonadique qui, dans son désir de châtier tout ce qui
en dépasse, voit souvent ses agents en proie à la tentation de l’expéditif, voire de la barbarie à usage
personnel « parce que je le vaux bien » en oubliant le principe de monopole de la violence légitime à
la base des systèmes républicains, lorsque qu’une tragédie (ou un simple inconfort) les touche
personnellement. Le genre se tenait en effet en hibernation depuis le milieu des années 80, après avoir
connu un âge de grande popularité dans les années 70, d’abord dans l’Italie des années de plomb puis
plus largement dans un occident effrayé par l’insécurité domestique, qui passait du statut de sentiment
à celui de fait social par la grâce conjointe de l’horreur économique et de la surmédiatisation de la
violence. C’est ainsi que sur le terreau redevenu fécond des Deathwish de la grande époque, fleurissent
désormais diverses tentatives plus ou moins concluantes. Des peu convaincants (et manquant
clairement de recul sur leur sujet) Plus Jamais ou The Brave One, au plus intéressant Death
Sentence qui avait le mérite d’interroger la pulsion de belligérance, mais aussi avec les adaptations
risibles du Punisher, la trilogie de Park Chan Wook et bien des charretées de DTV post-Saw, la
vengeance personnelle se porte beau. Pour preuve ces deux « nouveaux » venus qui sortent quasiment
coup sur coup, alors qu’ils ont été produits en 2009 pour l’un et en 2008 pour l’autre (merci les
politiques de distribution, chapeau les mecs) : le thriller pur jus Harry Brown et l’actioner assez
conventionnel Law Abiding Citizen (titré Que Justice Soit Faite de par chez nous, c’est dire si la
com du film se met au diapason du climat ambiant).

Mine de rien, le motif de la vengeance de l’individu envers la société (ou envers des occurrences
corrélables à l’état de ladite société) irrigue toute la culture populaire depuis le début d’une pensée
sociale articulée, c’est-à-dire déconnectée de la politique ou des notions de gouvernance.
Schématiquement, depuis les prémices de la sociologie moderne. Est-ce à penser que dans des
systèmes qui tendent à prendre en charge leurs ressortissants dans toujours plus de domaines de la vie
intellectuelle voire métaphysique, l’irruption de l’envers du décor, ou simplement du monde réel, est
vécue par ces derniers comme un affront personnel qu’il convient de laver, là où la culture classique
mettait plus volontiers en scène des individus occupés à affronter directement ledit monde réel ? Il
s’agirait d’un jugement de valeur qui n’a pas sa place ici, d’autant que les jugement moraux ou
politiques forment très vite une piste merveilleusement glissante quand on prétend traiter du sujet du
vigilante, fut-ce au sens large. On peut néanmoins esquisser, peut-être, un parallèle flou mais
intéressant entre le phénomène de généralisation – et de sacralisation grandissante – de la propriété
individuelle, de la tertiarisation et de la montée des classes dites moyennes, et la résurgence de
l’antique peur du loup, un loup nouveau, à tête d’homme (délinquant, nomade, marginal,
lumpenprolétaire, forçat évadé…), qui rôderait dans des « zones de non-droit » ayant avantageusement
remplacé les bois d’antan. Et qui attaquerait, plus ou moins gratuitement, les croquantes et les
croquants – forcément innocents, eux – comme un mauvais souvenir des âges farouches, appelant
supposément des réponses drastiques à la mesure de leurs incartades.

Le comic book (d’un bon vieux Judex à Batman en passant par des palanquées de Punishers plus ou
moins chamarrés), le slasher (le plus souvent basé sur un ancien trauma du tueur), tout un pan du
polar, du krimi et du film de gangster fondent sur la vengeance (ou sur une justice débarrassée du droit
commun) leurs principes moteurs, sans parler de la réactivation des antiques fantômes asiatiques
aveuglément vindicatifs. Pour ce qui est des deux films qui nous occupent, la manière dont cette
vengeance est posée, son objet, son contexte et ses conséquences immédiates posent méchamment
problème. De fait, la question de l’adhésion au propos d’un ouvrage de fiction pour en évaluer la
qualité et l’agrément devient la seule réellement valide, et rend d’autant plus intéressante la vision des
deux films dos à dos. Car bien entendu on va en entendre des vertes et des pas mûres, notamment
concernant Harry Brown et ses partis-pris politiques partouzeurs de droite, de la part de critiques
parlant plus de morale et de politique que du contenu réel des films. Ce qui est intéressant ici, c’est que
le meilleur film des deux est aussi le moins « valide » politiquement, alors que le plus acceptable sous
nos latitudes est aussi assez faible d’un point de vue cinématographique. Esspicassion.
Dans le coin de gauche (haheum) on trouve donc Law Abiding Citizen, qui mise sur les qualités
(relatives) d’emballeur de grands spectacles de F. Gary Gray (Italian Job, Negociator, A Man Apart,
bref des divertissements honnêtes mais pas de quoi se la prendre et se la mordre non plus) et sur son
casting qui ratisse large : Jamie Foxx, la version K-Mart de Denzel Washington, et surtout Gerard
Butler qu’on va tous voir à chaque fois, même dans d’effrayants films pour lectrices de Biba, tirés en
avant qu’on est par le souvenir ému de Leonidas. Quelques vieilles ganaches et une Leslie Bibb
toujours plus transparente de film en film complètent le tableau, pas désagréable mais peu folichon
donc. Partant d’un home invasion totalement gratuit où un bon père de famille (qui est ingénieur de
génie dans le domaine des machines de mort, so they fucked with the wrong guy and this time it’s
personal, tout ça) perd sa femme et sa fille avant de voir l’un des méchants éviter les sanctions légales
via un arrangement à la NYPD Blue, le film nous narre donc une vengeance du papounet envers les
deux tueurs, puis l’avocat responsable de l’arrangement honni, puis le cabinet d’avocats, le juge,
l’administration de la ville… Une joute s’engage alors entre l’avocat, qui défend entre autres sa
famille à lui (où ne manque plus que le gentil labrador), et l’homme de la rue devenu méchant qui a
ourdi un plan de ouf pour se faire justice. Bref, si une ou deux petites péripéties ont le mérite de
surprendre (le coup du portable, les circonvolutions carcérales), on se retrouve dans une version light
de Die Hard With a Vengeance, notamment dans le crescendo proclamé des exactions et de leur
ingéniosité, mais McTiernan en moins, notamment dans la mise en scène très télé de l’ensemble.
Amusant, le film reprend en fait dans son principe le libellé de Saw 3, le plus intéressant de la série car
il posait Jigsaw en pédagogue hardcore plutôt qu’en tueur en série, avec un jeu de piste basé sur la
vengeance contre une décision de justice. Ici, le but ultime de Clyde n’est pas tant de faire pleuvoir
son courroux (coucou) sur les criminels et le système qui les a trop mal sanctionnés, que d’éduquer
son alter ego et néanmoins adversaire quant à sa politique : il l’enjoint donc à choisir l’absolu de
l’esprit de la loi plutôt que les magouilles ayant cours dans les arcanes de la justice effective. Il le fait
en se posant lui-même en méchant, en poussant jusqu’à l’absurde la logique des arrangements avec
des coupables avérés, c’est-à-dire lui-même dans une démonstration ab absurdo. C’est de loin l’idée la
plus intrigante, car elle est tout de même fort discutable derrière son aspect simplificateur, et le film ne
décolle logiquement que dans les séquences centrées sur Butler. Manifestement le seul à y croire à
mort, il s’amuse visiblement beaucoup et on retrouve enfin la lueur de folie dans son œil qu’on attend
de revoir depuis les Thermopiles. ça permet de tromper un ennui qui ne se dément que dans des
séquences joyeusement nimpeuses, dont une de torture dont la retransmission arrache un sourire. Mais
tout ceci est, on l’aura compris, hautement inoffensif mis à part l’évocation des injections létales :
quelques boum-boum-pan-pan-ouais-j’l'ai-eu plus tard, chacun rentrera chez soi la conscience dans les
pantoufles, le mal mordant la poussière et les gentilles familles souriant de toutes leurs dents blanches.

Il va sans dire que Harry Brown possède une tout autre carrure cinématographique, et ce d’abord
parce qu’il a compris un principe de base : là où un bon vigilante movie est forcément un peu malsain,
un grand vigilante movie s’envisage comme un film d’horreur pur et simple.

Ancien militaire tendance Orwell dans Burmese Days, Mr Brown vit dans une crasse cité londonienne
marquée par le délitement social et économique, sans même le passage occasionnel d’une Rolls Royce
princière à saccager pour se défouler. Alors on fait comme on peut, quitte à taper sur l’ensemble des
petites gens du coin. Dont le meilleur ami de Harry, qui meurt sous les coups de divers sauvageons
pires que les autres alors qu’il allait innocemment les menacer d’une baïonnette. Qui plus est
nouvellement veuf, Harry pète les plombs et part en croisade contre la racaille, troquant sa vie
tranquille contre des armes à feu et ses vieux reflexes de commando médaillé jusqu’aux chaussures.

Du point de vue strictement cinégénique, Harry Brown est un fist avec une mitaine cloutée. Sans la
moindre trace d’humour ou de distanciation avec son sujet, le film vogue bille en tête du cafardeux au
glaçant pour mieux revenir vers le cafardeux. Londres, à ce propos, continue de remplir son rôle de
ville officielle des fins du monde dans le cinoche récent, sans doute pour sa personnalité fin-de-siècle,
sa part victorienne qui reste prépondérante. Harry Brown évolue dans un monde d’après
l’apocalypse, une apocalypse qui a eu lieu non dans une explosion mais dans un soupir. L’anomie
totale y est accomplie. Les agresseurs, délinquants et sauvageons acculturés qui tiennent les quartiers y
sont d’une certaine manière déjà retournés à l’animalité, vivant un présent perpétuel fait de
consommations (drogues, artefacts du consumérisme, autres êtres humains) d’esprit de meute et de
dominance purement gratuite, avec la procréation comme seule perspective métaphysique (voir la
trajectoire décrite par Noel Winters, la plus saillante des petites frappes : le père était une petite frappe,
flambeau qu’il a depuis repris et risque de repasser aux résidus de ses putatives grossesses
adolescentes). Un monde en apparence intact mais peuplé de fantômes qui s’entredéchirent par la
griffe et la dent. La mise en scène, au 2.35 très statique, semble attester de ce monde spirituellement
mort. Dans cet univers, Harry oppose le passé, les vieilles éthiques (on le voit tantôt exhumer des
souvenirs, tantôt inhumer des proches, ce qu’il est le seul à faire, ses victimes crevant littéralement
comme des chiens, à même le sol et sans sépulture), un sens presque anachronique de la responsabilité
dans un tel contexte. Ayant tout perdu, il se permet de réactiver le passé pour se changer en spectre et
hanter les fautifs. Il suffit de voir le gunfight dans le passage souterrain, où il se cache dans l’ombre et
frappe de là, ou les divers surgissements et ouvertures de champs dans le dos de protagonistes pour
voir définitivement le personnage comme un croquemitaine. L’ambiguïté du traitement de Harry se
situe là : placé d’emblée comme seul être humain à part entière (avec une histoire, un discours
prééminent à l’action, etc.) du métrage avec la jeune inspectrice, il est aussi posé comme une force
primaire qui s’abat sur les coquins de manière quasi-surnaturelle (voir la rapidité de ses reflexes, ou
ses résurrections successives). Le jeu incroyablement nuancé de Caine, qui passe de l’émotion la plus
empathique à une froideur de machine à tuer parfois dans le même plan, brouille encore un peu les
pistes.
La police ? elle joue strictement un rôle de choeur antique, montrée comme presque parfaitement
impuissante à faire évoluer la situation, que ce soit dans les enquêtes successives (sur la mort de Len
puis celles des voyous) ou l’opération armée de démantèlement de la criminalité dans la cité, qui se
solde sur une émeute à grande échelle. Le « bon » ne peut donc compter que sur lui-même contre les
« mauvais », dans un système strictement binaire qui pose un gros problème. Impossible de cautionner
le discours du film, qui tend à justifier les milices de proximité et l’autodéfense : Harry ne sera jamais
puni de son hubris (il n’est frappé ni de mort ni de folie – il aura tout de même commis quelques
homicides en chemin) et est même validé in extremis dans ses actes par la voix off qui en fait
carrément un porte-parole de la « majorité silencieuse » qui aurait lavé le monde plus blanc par ses
exactions ! La trop grande volonté de boucler le récit sur lui-même, en entretenant des relations qui
confinent au deus ex machina entre les persos principaux, implique la théorie de l’hérédité des
caractères, le criminel n’engendrant, ici, que le criminel… Cette manière de subvertir la construction
du vigilante interroge. On finit le film avec un goût métallique dans la bouche, mais qui n’est pas dû
qu’à cette vision, disons, peu nette des enjeux politiques du récit. Car c’est avant tout la qualité de ce
qu’on pourrait appeler un film d’épouvante sociale qui fait cet effet. Caine est majestueux comme à
son habitude et le lien qu’on développe avec son personnage dans certaines séquences résulte d’une
caractérisation solide et d’une mise en valeur de l’univers très opératique et maitrisée : la longue scène
des trafiquants d’armes est d’un putride qu’on ne voit pas si souvent. On s’y sent presque poisseux, on
y sent presque les odeurs, et c’est tout le prix de ce film, dont l’implacabilité force l’admiration que
s’aliènent les thèses qu’il développe.

Bien entendu, s’il faut n’en choisir qu’un, ce sera Harry Brown haut la main. Nombre de
spectateurs, perdus devant un discours pas assez lissé pour eux, traiteront le film de réac et par
conséquent de navet. Si le premier argument peut à la rigueur s’entendre, s’en servir pour
justifier le second sera la marque d’imbéciles, ni plus ni moins. Doit-on adhérer pleinement au
discours d’un film pour en apprécier les qualités ? Ou ne va t-on au cinoche que pour se voir
remettre des certificats de bonne pensée citoyenne ? Your Call.

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