puisque à moi-même, qui la
connaissait déjà comme nombre
Orientation lacanienne III,
8.
ILLUMINATIONS
PROFANES
Jacques-Alain Miller
Troisième séance du Cours
(mercredi 23 septembre 2005)
III
Oui, bon, je me suis promené loin
d'ici ce matin, dans un congrès où il
y a foule de psychiatres et j'ai parlé
aussi doucement que je le pouvais.
Je leur ai en fait présenté les
perspectives pour ce qui paraîtra en
janvier prochain, à savoir un anti
Livre noir de la psychanalyse, et ça
a été accueilli par un certain nombre
de questions, d'interventions,
auxquelles j’avais laissées place et
qui me faisaient regretter le style
imperturbable de monologues que je
conduis ici quand je n'y invite pas
quelques collègues à me rejoindre.
Je ne peux pas vous cacher que
ce qui m’occupe durant la semaine,
encore, c’est la mise au point du
Séminaire D'un autre à l'Autre, et je
me suis proposé - pour ne pas me
distraire de cette mise au point - je
me suis proposé de vous lire et de
lire avec vous la leçon clinique qui
est la plus fournie de ce Séminaire,
d'entre vous, sa mise au point m'a
fait apercevoir des vérités premières
- comme dit Lacan - que je n'avais
pas dans l’état où je le consultais,
de sténographie, elles ne m’étaient
pas apparues.
Il s'agit précisément de la Leçon
numéro 16 de ce Séminaire, lui-
même seizième, c’est donc comme
ça, et qui présente d'une façon
fulgurante, me semble-t-il, une
clinique de la perversion et c'est ce
dont j'ai intitulé ce chapitre, je l’ai
dit : « Clinique de la perversion », et
je m’en vais vérifier que ça tient,
mon texte, et en même temps, vous
le commenter pendant le temps que
nous avons ici.
Déjà en le relisant tout de même
pour vous présenter ce
commentaire, je me suis aperçu qu'il
faudrait que j'en corrige, j’aurais à
en corriger les petites exergues que
je mets en tête du chapitre et je ne
vise à aucune exhaustivité mais à
donner des repères au lecteur et
une sorte d’aide mémoire.
C'est de même en l’écrivant,
certaines relations du premier coup
ne m’étaient pas apparues et qui
sont pourtant saillantes, que moi-
même j’ai fais saillir dans le texte.
Lacan se propose, dans ce
chapitre, dit-il, d’avancer des vérités
premières. Ce qu'il appelle ici
vérités premières, c'est un terme qui
lui est cher puisque nous le
retrouvons à sa place dans le
Séminaire du Sinthome, aussi un
crincrin de vérités premières, je
l'entends comme ça ici que, alors
que ce Séminaire est chargé d’un
certain nombre de constructions
logiques qui fait référence à la
logique, mathématique, qui
entreprend de structurer le Pari de
Pascal sur le modèle de la théorie
des jeux, ici nous sommes sur le sol
 J.-A. MILLER, - Illuminations profanes - Cours n°3 - 23/11/2005 - 2
freudien, le sol clinique.
« Je vais avancer aujourd'hui des
vérités premières - dit Lacan. Il
apparaît qu’il n'est pas inutile de
retoucher ce sol. Et il semble d’autre
part difficile d'organiser ces champs
de travail complémentaires qui nous
permettraient d'accorder nos violons
avec tout ce qui de contemporain se
produit », nous sommes en 1969,
dans les après-coup de mai 68,
« Tout ce qui de contemporain se
produit, qui est profondément
intéressé par ce que peut avancer
au point où nous en sommes un
certain pas de la psychanalyse. »
Je passe un peu. « J'essayerai -
dit-il - aujourd'hui de marquer la
distance où jusqu'à mon
enseignement la psychanalyse est
restée d’un certain point vif, qu'a
formulé de toute part l'expérience
qui la précède c’est à savoir la
fonction de l'objet petit a. »
Je vous rappelle la petite table
d'orientation que j’ai pu vous donner
la semaine dernière, qui est d'abord
de référer ce Séminaire, D'un autre
à l'Autre, si chargé de logique, au
Séminaire de l'Angoisse.
Ce sont deux abords, distincts,
complémentaires, et même qui
s'emboîtent, de l'objet petit a.
Dans le Séminaire de l'Angoisse,
l'objet petit a est avant tout présenté
à partir du corps, comme les
différents objets petit a apparaissent
comme autant de prélèvements
corporels, alors que ce qui est au
premier plan dans le Séminaire D'un
autre à l'Autre, c’est petit a comme
consistance logique.
Ces deux définitions, on pourrait
les faire valoir comme antinomiques,
ça ne serait pas par leur phase la
plus profonde puisqu'en fait ça
s'emboîte, le prélèvement corporel
obéit à ce que lui impose la
consistance logique que lui construit
Lacan dans ce Séminaire.
Ça va jusqu'à un chapitre qui suit
celui-ci, un peu plus loin, que j'ai
baptisé, parce que c’était son
mouvement le plus profond, « Une
genèse logique de l'objet petit a ».
En fait, de tout le Séminaire, c'est
surtout dans ce chapitre, c’est avant
tout dans ce chapitre « Clinique de
la perversion » où l’on voit la
position relative complémentaire du
prélèvement corporel et de la
consistance logique.
C'est le retour d'abord sur le
concept de sublimation. C'est ce
dont j'ai fait la première partie de
cette leçon, et une situation à
relever de l’œuvre d'art.
Au niveau où Freud s’avance
avec une prudence presque
pataude, il s'oblige lui-même à ne
pouvoir la saisir autrement que
comme une valeur commerciale.
C'est en effet ce qu'on trouve
dans Freud à propos des pulsions et
de la sublimation, au fond la
référence, c'est une référence de
l’œuvre d'art au marché. C'est
quelque chose de prix, qui du prix -
pas p-r-i-s mais p-r-i-x - c’est
quelque chose de prix sans doute
d’un prix à part mais, dès lors qu’elle
est sur le marché, n'est pas
tellement distinguable de tout autre
prix.
C'est ici, enfin, une notation qui
devient simple.
A
.
Si nous représentons encore par
ce cercle le champ de l'Autre,
disons que Freud, ce champ de
l'Autre où il y a les marchés et les
prix, et où il y a aussi les plus-
 J.-A. MILLER, - Illuminations profanes - Cours n°3 - 23/11/2005 - 3
values, l'introduction de l’œuvre d'art
est l'introduction d’une plus-value et
d'emblée dans ce Séminaire Lacan
a construit le statut du plus-de-jouir
sur le modèle de la plus-value
marxienne.
Mais là, le bémol que met Lacan
c'est que, ce bémol qu'il appelle
d'ailleurs un accent : « L’accent qui
est à y mettre, c’est que ce prix, elle
le reçoit d'un rapport privilégié de
valeur à ce que j'isole et distingue
dans mon discours comme la
jouissance. »
A J
(a)
. A
Et donc, nous sommes là dans la
disposition où la jouissance est
extérieure au champ de l'Autre :
« La jouissance est en ce terme qui
ne s’institue que de son évacuation
du champ de l'Autre et par-là même
de la position du champ de l'Autre
comme lieu de la parole. »
Cette définition du champ de
l'Autre par rapport à la jouissance
revient à plusieurs reprises dans ce
Séminaire et est essentielle puisque
ici, cette extériorité d'ensemble de la
jouissance à l'Autre, par rapport à
cette extériorité, le petit a de l’œuvre
d’art apparaît comme, le plus-de-
jouir de l’œuvre d’art, apparaît
comme en infraction sur cet absolu,
extérieur de la jouissance.
« Il est certain - dit Lacan - que la
fonction de l'objet petit a nous
intéresse au niveau de la
sublimation. Si l'objet petit a peut
fonctionner comme équivalent de la
jouissance, c’est en raison d'une
structure topologique. »
J =_ (a)
Et ici nous avons, gardons le
terme que Lacan a employé,
l'équivalent dans son
fonctionnement, l'objet petit a à la
jouissance, c'est-à-dire comme son
ombre portée et son être dans
l'Autre.
La structure topologique, je l'ai
évoqué rapidement la dernière fois,
Lacan l'a représente par un schéma
qu'il faut qu’on déduise, qui
accompagne le signifiant du champ
de l'Autre où il s'inscrit, comme de
multiples enveloppes, dont la
dernière serait constituée par petit a.
A A
S S(S ( a
Ce qu'il appelle structure
topologique, c'est le rapport de cette
vacuole de petit a avec le cercle le
plus extérieur. Et comme il le dit ici :
« Ce rapport laisse intact le lieu où
j'ai inscrit le a. » Laisse intact, il faut
entendre que le a n'est pas une
partie de l'ensemble grand A. Il est
au contraire ici comme résidu et
comme un résidu, et là nous
retrouvons la seconde équivalence :
« il se justifie d’égaler ce résidu,
quoique distinct sous la fonction de
A, au poids de l'Autre dans son
ensemble. »
J= _A
_ (a) =
Là, au fond, c’est la seconde
équivalence entre cette fois-ci petit a
et grand A, et on peut dire, là, ce
Séminaire chemine entre cette
double et apparemment
contradictoire équivalence.
Et nous retrouvons, ici, employé,
ce terme que j'avais péché jadis et
qui n'était prononcé qu'une ou deux
 J.-A. MILLER, - Illuminations profanes - Cours n°3 - 23/11/2005 - 4
fois par Lacan, nous retrouvons ici
le terme d'extime, pour qualifier
cette position du petit a, conjoignant
ce qui est le plus intime de l'Autre à
une radicale extériorité.
J’ai mis à la radicale extériorité.
C'est à savoir que c'est en tant
que l'objet petit a est extime et
purement dans le rapport instauré
de l’institution du sujet comme effet
de signifiant est comme par lui-
même déterminant dans le champ
de l'Autre une structure de bord.
sphère tore crosscap B. de Klein
Ici, nous avons une indication de
Lacan qui n'a pas été, il me semble,
reprise par lui, et qui en parallèle, la
distinction des quatre objets petit a
avec les structures de bord qui
permettent d’écrire les figures
topologiques suivantes : la sphère –
je les écris comme on les écrit, avec
l’indication de bord ; la sphère
susceptible de se réduire à un
point ; le tore où se conjoignent les
deux bords opposés ; le cross cap
qui a un schéma en quelque sorte
circulaire, et la bouteille de Klein qui
combine les deux dernières
possibilités.
Ici la sphère, le tore, le cross cap,
et la Bouteille de Klein. Et nous
trouvons l’indication de Lacan qui
n’est pas développée : « Il est facile
de s'apercevoir de la parenté de ces
quatre structures topologiques avec
les objets petits a. Il y en a quatre
aussi. »
Je dois dire que j'hésite à utiliser,
enfin à définir exactement quels
sont les quatre objets
correspondant, un par un, à cette
quaternité.
Mais le terme de structure
topologique ici employé à propos de
a permet de joindre prélèvement
corporel et consistance logique et
surtout fait reculer l'identification de
l’objet a quelque chose de concret.
Ici, ce que Lacan appelle objet
petit a, on peut dire que c'est un trou
dans l'Autre en tant qu'il a des bords
et que chacun de ces objets impose
une structure topologique distincte à
l’Autre. C’est en cela qu’on peut dire
qu’il a un poids équivalent à celui du
grand Autre puisqu’il y impose une
structure et il nous détache de
considérer l'Autre comme un recueil
où se trouveraient totalisés par
exemple les signifiants.
Au contraire, l'objet petit a est ici,
avant tout, désigné dans sa fonction
de trou ayant un bord. Ça n'est pas
le trou que nous retrouvons dans les
nœuds borroméen.
Pour l’indiquer tout de suite, je n’y
reviendrai que plus tard, Lacan n’est
jamais revenu, à ma connaissance,
sur ce point, qui est très suggestif,
et devrait donner lieu à un
développement, à un essai de
retrouver quel objet répond à quel
type de bord.
« Avant d'être possible sous la
forme que nous avons tout à l'heure
qualifiée de commerciale, l'objet
petit a est à des niveaux
précisément exemplifiés par la
clinique en posture de fonctionner
comme lieu de capture de la
jouissance. » Nous tenons à la fois
que petit a impose une structure
topologique à l'Autre, et il est un trou
ayant des bords et en même temps
il est ici comme attirant, condensant,
capturant – c’est … ici – capturant la
jouissance que, dans le Séminaire
Encore, il n’hésitera pas à dessiner
comme informe.
 J.-A. MILLER, - Illuminations profanes - Cours n°3 - 23/11/2005 - 5
A çà, ça vérifie la proposition de
J Borges qu’un texte s'améliore au fur
(a) .
Petit a, c’est tout trou avec un
bord qui impose une forme à la
jouissance.
Ce point de départ, il faut bien
dire, reste dans la ligne des
constructions de Lacan et ici c’est
très sensiblement une construction
inachevée mais dont il décolle pour
retrouver le sol clinique.
Et s'il y a une structure clinique
qui est dans ce Séminaire mise en
valeur, dans ce chapitre,
précisément, ça se retrouve dans un
autre plus brièvement, c'est
précisément la perversion.
Et donc là, Lacan fait le saut :
« Très vite dans les énoncés
théoriques de Freud le rapport entre
la névrose et la perversion s'est vu
produit. » Pensons aux Trois essais
sur la théorie de la sexualité.
Comment a-t-il forcé l'attention de
Freud, ce rapport ?
Alors, ici, je peux lire quelque
chose de très précis, en même
temps il me semble plus simple à
suivre : « Freud s'introduisait dans
ce champ – bon, s’introduisait dans
le champ de la perversion ; oui, ce
champ c’est pas formidable ; oui,
Freud s’introduisait dans… oui ça
serait dans son champ, dans son
champs d’expérience. Mais enfin, il
faut que je vérifie comment c’est
dans la sténographie et si je
change, je vous passe c’est ce
champ.
« Freud s’introduisait dans ce
champ au niveau de patients
névrotiques sujets à toutes sortes
de troubles – vous voyez le mot
trouble est là - et dont les récits… -
et à mesure du temps, vous voyez
qu’ici, en 1969, Lacan dit troubles et
ça passe inaperçu alors que pour
nous, qui sommes de l'époque des
TCC, du DSM IV, le mot de troubles
a déjà toute une autre valeur que ce
qu’il pouvait avoir à l'époque - « …et
dont les récits tendaient plutôt à
l’amener sur le champ d’une
expérience traumatique comme il lui
apparu tout d'abord. »
Ça, c'est marqué que l'expérience
propre de Freud, ce sont les
patients névrosés - d'abord
hystériques - qui l’ont conduit à sa
théorie de la séduction, c'est-à-dire
à élaborer comme réel le
traumatisme de la sexualité.
« Néanmoins ce qui accueillait
cette expérience chez le sujet
apparemment traumatisé fit
problème. Et la question - on peut
penser que ce qui accueillait cette
expérience chez le sujet
apparemment traumatisé et qui fit
problème - on peut penser que c'est
l'émergence du transfert - et la
question s'introduisit du fantasme,
qui est bien en effet le nœud de tout
ce dont il s'agit concernant cette
économie pour laquelle Freud a
produit le mot de libido. »
Ce rappel a la valeur, il est
sensible que là où Freud a été,
conduit à introduire le terme de
libido, Lacan fonctionne avec un
concept de la jouissance qui n'a pas
le même régime.
Mais la thèse Lacan c'est : si
Freud partant de l'expérience avec
les névrosés a été conduit à
s'intéresser à la perversion et au
rapport névrose/perversion, c'est
parce que sa théorie de la séduction
s’est effondrée et qu'il a fallu qu'il
s'intéresse au fantasme qui
comporte des éléments pervers.
Et donc l’accent que met Lacan
 J.-A. MILLER, - Illuminations profanes - Cours n°3 - 23/11/2005 - 6
est sur ce point que Freud n'aborde
la perversion que de façon médiate,
à partir de l'expérience des
névrosés.
Et donc ce qu'il faut dire, dans les
Écrits par exemple, il accrédite cet
abord, il ne le conteste pas, alors
qu'ici au contraire il va tenter dans
cet étonnant chapitre « Clinique de
la perversion », tenter en quelque
sorte un abord direct de la
perversion c'est-à-dire la rencontre
du sujet pervers.
C'est passé de mode, ce terme
de perversion, je ferai simplement
remarquer que c'est passé de mode
et il faut bien dire les
psychanalystes s’y étaient
accrochés et ils ont été forcés de
s’en décrocher par des mouvements
sociaux, si je puis dire, mais que
dans ce chapitre « Clinique de la
perversion », il n'est aucunement
question de l'homosexualité, il est
question des perversions, il est
question en fait des pulsions
étudiées par Freud, il n'y a pas un
mot dans ce chapitre « Clinique de
la perversion » qui concerne
l’homosexualité.
Alors « Devons nous encore -
c'est-à-dire vraiment de nos jours -
devons nous encore nous fier
entièrement au fait que ces
fantasmes de névrosés nous
permettraient de reclasser la
perversion, de la remanier du
dehors à partir d'une expérience
non issue des pervers ? »
Voilà le point, je vérifie en vous le
lisant que ça se lit très bien, il m’a
fallu pour ça détordre un certain
nombre de phrases mais enfin on y
reconnaît mon Lacan au moins.
Oh ! Vous savez je ne prétends
pas à autre chose, il y en a
beaucoup qui s'essayent à, pas de
ceux qui sont ici, mais ailleurs, c'est
une discipline qui a lieu, de prendre
une leçon de Lacan et puis de la
trafiquer comme moi je fais, avec
différentes considérations sur la
mienne ; ce qui serait vraiment
probant, je l'ai indiqué, c’est que on
compare ce que devient un
Séminaire de Lacan passé dans
mes mains et passé dans les mains
d'autres ; mais enfin je vais peut-
être avoir à la fin de la semaine
certaines indications là-dessus.
Alors, du coup, Lacan amène ce
qui est contemporain de Freud, à
savoir les écrits qui visaient
directement la clinique des sujets
pervers.
« À la même époque, ai-je besoin
de rappeler les noms de Krafft-
Ebing et Havelock Ellis, on
présentait d’une façon descriptive le
champ dit des perversions
sexuelles. » Ici, c'est un pas en
avant sur Freud, formule Lacan, et
qui tient à sa façon.
Là, une notation : « Ce premier
abord était déjà après tout d'ordre
topologique puisqu’on disait la
perversion être l'envers de la
névrose. Je ne sais quoi déjà se
pressentait comme l'annonce de ces
surfaces qui tant nous intéressent
de ce qui survient quand une
coupure les tranche. »
La névrose était donc présentée
par Freud, peut-être un peu vite,
comme une fonction étagée au
regard de la perversion, comme à
tout le moins refoulant celle-ci - la
perversion – pour une part comme
étant une défense contre la
perversion.
Mais bien vite la chose parut
n’être aucunement résolue, à être
ainsi simplifiée. N'est-il pas clair, ne
l'a-t-il pas été tout de suite ? que
nulle résolution ne saurait être
trouvée de la seule mise en
évidence dans le texte de la névrose
d’un désir pervers. »
Au fond, nous avons ici la
distinction faite entre le désir
 J.-A. MILLER, - Illuminations profanes - Cours n°3 - 23/11/2005 - 7
pervers présent ou soutenu par les
fantasmes de névrosés et
l'expérience comme telle du sujet
pervers.
Il faut bien dire que, néanmoins,
Lacan écrira un peu plus tard dans
l'année, dans son compte-rendu de
« L'acte psychanalytique », que
l'issue de la cure de névrosés ne se
conçoit pas sans l'accès, la
permission donnée à la jouissance
tenue pour perverse. Vous trouverez
ça dans les Autres écrits page 380,
la notation du solde cynique obtenu
éventuellement par le névrosé à la
conclusion de la cure.
C'est d'ailleurs, c'est là que Lacan
corrige ce qu’il dit ensuite, puisqu’il
dit « Si cela fait partie de l’épelage,
du déchiffrage de ce texte, si un
désir pervers peut faire partie de
l'épelage du déchiffrage du texte de
la névrose, il n’en reste pas moins
qu'en aucun cas ce n’est sur ce plan
que le névrosé dans la cure trouve
sa satisfaction. » Et peut-être que la
notation de la page 380 des Autres
écrits corrige cette phrase.
« De même, à aborder la
perversion elle-même il est bien vite
apparu qu'elle ne présentait au
regard de la structure pas moins de
problèmes et de défenses à
l'occasion que la névrose. »
Alors il y a ensuite un passage,
qui paraît moins essentiel, où Lacan
se réfère à son graphe du désir et je
concentre mon attention sur cette
partie de ce qui concerne le fameux
grand S de A barré.
« C'est le signifiant par quoi
apparaît l'incomplétude foncière de
ce qui se produit comme lieu de
l'Autre. » Je trouve ça faible au point
où on en est dans le Séminaire
puisque on a déjà parlé de son
inconsistance, néanmoins
incomplétude foncière renvoie à la
décomplétion de A, du grand Autre,
par cet objet petit a que nous allons
voir ensuite présenté dans
l'expérience clinique.
« Le lieu de l'Autre comme
évacué de la jouissance n'est pas
simplement place nette, rond brûlé,
place ouverte au jeu des rôles, mais
quelque chose qui de soi-même est
structuré de l'incidence signifiante.
Ceci est très précisément ce qui y
introduit ce manque, cette barre,
cette béance, ce trou, qui peut se
distinguer du titre de l'objet petit a. »
Là vous avez rapprochée cette
indication tout à fait claire ce trou qui
peut se distinguer du titre de l'objet
petit a.
Le petit a, quand il est désigné
comme structure topologique et
comme consistance logique a la
substance du trou et c'est ensuite
des pièces détachées du corps qui
viennent se mouler sur cette
absence. Et d’ailleurs on trouve au
moins une fois dans ce Séminaire
une indication de Lacan qui
rapproche le petit a son trou d'un
moule : « C’est ce que j'entend vous
faire sentir par des exemples pris au
niveau de l'expérience qui est celle
à laquelle recourt Freud lui-même
quand il s'agit d'articuler ce qu'il en
est de la pulsion. »
Et donc là commence la troisième
partie de ce Séminaire où nous
allons voir mis en scène, il faut dire
d'une façon plus simplifiée que ces
quatre bords topologiques, mais
nous allons quand même voir mis
en scène l'objet petit a comme trou,
et ce qui vient le combler.
« Freud a énormément souligné
dans l'expérience l’importance de la
pulsion orale et de la pulsion anale.
Prétendue ébauche dite pré-génitale
de quelque chose qui viendrait à
maturité en comblant je ne sais quel
mythe de complétude préfiguré par
l’oral, je ne sais quel mythe de don,
d’émission de cadeaux préfiguré par
l’anal. »
 J.-A. MILLER, - Illuminations profanes - Cours n°3 - 23/11/2005 - 8
N'est-il pas étrange - dit Lacan -
qu'après avoir mis tant d’accent sur
ces deux pulsions fondamentales, il
s'en éloigne tout au loin, du moins
en apparence - Lacan pense ici au
texte de Freud « Les pulsions et
leurs avatars », … - « il s’en éloigne
tout au moins du moins en
apparence, que ce soit à l’aide des
pulsions scoptophiliques et sado-
masochistes qu’il aille articuler le
montage de la source, de la
poussée, de l'objet et de la fin. »
Là, nous avons, dans ce
rapprochement, que Lacan ne fait
pas dans le Séminaire XI, une
indication très précise ; moi-même
j'ai répété que Lacan ajoutait à la
liste des objets freudiens le sein,
l’objet oral, l'objet anal, qu'il ajoutait
la voix et le regard. Mais ce qu'on
découvre ici, avec un tout petit peu
d'attention, c'est précisément ce
qu'amène Freud lui-même, sous le
nom de pulsions scoptophiliques, la
pulsion à voir et Lacan fera la
démonstration dans ce chapitre que
ce qui est au centre du sadisme et
du masochisme, c'est la voix.
Autrement dit, la liste freudienne des
pulsions inclut déjà même non
dégagés l'objet scopique et l'objet
vocal.
Alors Lacan, qui ne s'escrime pas
à commenter - évidemment quand
on commente on banalise un petit
peu, j’essaye de le faire le moins
possible – « J'avance tout à trac que
la fonction du pervers, celle qu'il
remplit, est loin d'être fondée sur
quelque mépris de l'autre, du
partenaire, comment on l’a dit
longtemps, comme on n’ose plus le
dire depuis quelque temps. Et
principalement à cause de ce que
j'en ai énoncé. Cette fonction est à
jauger d'une façon autrement riche.
Pour le faire sentir j'articulerais que
le pervers est celui qui se consacre
à boucher le trou dans l'Autre. »
C'est une définition qui est restée
et qui prend la valeur de ce que
nous avons ; quoi nous admettons
que ce trou dans l'Autre a la
structure de l'objet petit a et qu’il va
qu’il va capturer la jouissance sous
cette forme là.
« Pour mettre ici les couleurs qui
donnent aux choses leur relief, je
dirais qu'il est jusqu’à un certain
point du côté de ce que l'Autre
existe. C'est un défenseur de la
foi. » C’est resté aussi dans nos
anales que le sujet pervers assure
la consistance de l'Autre, ce qui
prend tout son relief de toute la
première partie de ce Séminaire qui
démontre sa défaillance à l’Autre,
son inconsistance.
« Aussi bien, à regarder d'un peu
près les observations à cette
lumière qui fait du pervers un
singulier auxiliaire de dieu - bon,
disons que là, Lacan appelle l'Autre
consistant par son nom de Dieu - on
verra s'éclairer des bizarreries qui
sont avancées sous des plumes que
je qualifierais d'innocentes. Nous
pouvons voir par exemple dans un
traité de psychiatrie, ma foi fort bien
fait au regard des observations qu’il
collationne, qu’un exhibitionniste ne
se manifeste pas dans ses ébats
seulement devant les petites filles, il
lui arrive aussi de le faire devant un
tabernacle.
Ce n'est pas certes pas sur des
détails semblables que quelque
chose peut s'éclairer, il faut avoir pu
d'abord repérer la fonction isolable
du regard dans tout ce qu'il en est
du champ de la vision à partir du
moment où ces problèmes se
posent au niveau de l'œuvre d’art. »
Et ici nous allons donc, appuyer
sur le fait que cette fonction a déjà
été dégagée comme telle dans le
Séminaire de l'Angoisse et surtout
dans le Séminaire XI, nous allons
avoir une pathologie logique
 J.-A. MILLER, - Illuminations profanes - Cours n°3 - 23/11/2005 - 9
comparée de l'exhibitionniste et du
voyeur.
regard voix
exhib. masochiste
a scoptophillique dont vous qualifierez
voyeur sadique
Et un certain rapport, non
symétrique, établit entre eux deux
ce que j'aurais dû marquer dans les
exergues, il faudra que je les corrige
donc sur épreuves, je suis en train
de le faire, c'est que nous avons
dans ce chapitre un parallèle établit
entre, disons les deux perversions
qui comportent le regard et selon
Lacan les deux qui ont comme objet
la voix chez le masochiste et chez le
sadique. Mais autant Lacan
s’attache à souligner qu’il n’y a pas
de symétrie entre exhibitionnisme et
voyeurisme et entre masochisme et
sadisme. Néanmoins le rapport qu’il
établit entre exhibitionnisme et
voyeurisme, ce rapport est parallèle
à celui du masochiste et du sadique.
Et ce qu'il fait apparaître, c'est la
fonction tournante de l'objet petit a
que nous trouvons singulièrement
situé de la même façon par
l'exhibitionniste et par le masochiste
tandis qu'une seconde manœuvre
est celle du voyeurisme et du
sadisme.
Nous avons en fait un schéma
quaternaire extrêmement précis et
qui n'apparaît que quand le texte est
débarrassé de ses scories et qu’on
y a cherché sa logique interne.
Pour dire très rapidement les
choses - je ne sais pas si je vous les
dis rapidement d’ailleurs, on peut les
suivre chez Lacan – « Il n'est pas
facile de définir ce que c'est qu'un
regard, - etc. - on s'interroge sur les
effets d’une exhibition, à savoir si ça
fait peur ou non au témoin qui paraît
la provoquer. On se demande si
c'est bien dans l'intention de
l'exhibitionniste de provoquer cette
pudeur, cet effroi, cet écho, ce
quelque chose de farouche ou de
consentant. Mais ce n’est pas là
l'essentiel de la pulsion
la face comme vous voudrez, active
ou passive, je vous en laisse le
choix. En apparence elle est passive
puisqu'elle donne à voir.
L'essentiel - bon c’est pas toute la
pulsion scoptophillique c’est sa
forme exhibitionniste, en fait –
« L'essentiel, c'est proprement et
avant tout de faire apparaître au
champ de l'Autre le regard. » Donc
là, on saisit que l’opération propre
de l'exhibitionnisme, c'est de
réaliser, de combler le trou dans
l'Autre en faisant apparaître le
regard au champ de l'Autre et c’est
à distinguer de la mise en place du
voyeurisme.
Ici, donc, l’exhibitionniste est
comme happé par la jouissance de
l'Autre à laquelle il veille. Qu'est-ce
qu’il fait ici ? Mirage, illusion, il
suggère la pensée qu'il y a mépris
du partenaire. C'est l'oubli que au-
delà du support particulier que celui-
ci donne à l’Autre, est un petit a, au-
delà du rapport particulier que le
partenaire donne à l’Autre, il y a la
fonction fondamentale de ce grand
Autre qui est toujours là, fonction
bien présente chaque fois que la
parole fonctionne.
C’est au niveau de ce champ,
champ de l'Autre en tant que
déserté par la jouissance que l’acte
exhibitionniste se pose pour faire
surgir le regard.
Et donc, au fond, ce schéma
fonctionne sur ce que j'ai appelé
l'extériorité radicale de la jouissance
par rapport à l'Autre, une capture de
la jouissance au champ de l'Autre
par l’opération de l'exhibitionniste.
Je relève, je serais tenté de
 J.-A. MILLER, - Illuminations profanes - Cours n°3 - 23/11/2005 - 10
donner une pleine valeur à ce terme
de l'acte exhibitionniste, qui n'est
pas indifférent à Lacan, ce mot
figure dans le Séminaire qui a juste
précédé D'un autre à l’Autre, le
quinzième, l'Acte psychanalytique,
et c’est un acte si l'on veut, dans la
mesure où on peut dire : il réalise
une épiphanie de l'objet petit a,
comme regard.
Et, d’où la différence avec le
voyeur, qui est là aussi bien connu,
le voyeur essaye, interroge dans
l'Autre ce qui ne peut se voir.
Et, ici, alors, la description faite
de ce qui peut être le support de cet
impossible à voir, à savoir le corps
grêle, un profil de petite-fille, c'est
très précisément ce qui fait l'objet du
désir du voyeur, c'est précisément
ce qui ne peut s’y voir, qu’à ce que
le support de l’insaisissable même
d'une simple ligne où manque le
phallus.
Alors, c'est aussi bien ce qui
démontre d'abord que nulle pulsion
n’est simplement le retour d'une
autre, qu’elles sont dissymétriques.
Qu'est-ce que ça veut dire
exactement ici cette dissymétrie ?
C'est que dans l'opération
exhibitionniste, en présentant l'objet
ridicule ou l'objet glorieux, il s’agit
d’obtenir la présence, l'apparition, la
révélation de l'objet petit a au
champ de l'Autre alors que, à
l'occasion, ça s’obtient dans une
posture d'immobilité du sujet alors
que le voyeuriste, le voyeur, lui,
apporte son regard, c'est lui qui
également réalise cette opération de
bouchage mais en apportant, en
prélevant sur lui, en payant le prix
de son regard.
Donc, là, Lacan évoque ensuite
le voyeur sartrien, comme il a fait,
comme souvent, des critiques à
Sartre, il lui rend hommage pour le
voyeur regardant par le trou de la
serrure.
« Le pas suivant n'a pas moins
d’intérêt. Quel est donc l'objet petit a
dans la pulsion sadomasochiste ? »
Lacan garde le terme freudien
mais en fait, il opère une scission de
la pulsion sadomasochiste, et il y
démontre le même rapport que nous
avons trouvé, en forçant à peine la
chose mais on trouve de quoi dans
la suite qui le justifie, ici on fait surgir
au champ de l'Autre, ça vaut pour
l’exhibitionniste et pour le
masochiste, tandis que pour le
voyeur et le sadique, c’est prélevé
sur le sujet lui-même.
regard voix
exhib. masochiste
a
voyeur sadique
Alors, voilà, Lacan fait attendre
son auditoire avant d'apporter l’objet
voix, récuse d’abord que la clé du
sadomasochiste soit le jeu avec la
douleur. On se rétracte aussitôt et
on dit qu'après tout ce n'est
amusant que si la douleur ne va pas
trop loin. Cette sorte d’aveuglement,
d’effroi, de chatouillage de la
question, reflète en quelque sorte le
niveau bref tout ce qui peut se
pratiquer dans le genre. N’est-ce
pas en fait le masquer grâce à quoi
échappe ce qu'il en est de la
perversion sadomasochiste ?
Il faut entendre que tout de même
Lacan récuse cette néo-formation
de sadomasochiste, justement toute
son analyse est faite pour distinguer
les deux versants. « Ne vous
semble-t-il pas que mettre en valeur
l'interdit propre à la jouissance doit
là aussi nous permette de remettre
à sa place ce dont il s'agit ? »
Donc il récuse l’expérience de
ses auditeurs en disant que rêver de
la perversion peut servir, ce n’est
 J.-A. MILLER, - Illuminations profanes - Cours n°3 - 23/11/2005 - 11
pas parce que vous rêvez de la
perversion que vous êtes pervers,
etc., c'est une remarque fréquente
chez Lacan. « Il suffit de pratiquer
un exhibitionniste pour savoir qu'on
ne comprend rien à ce qui en
apparence je ne dirais pas le fait
jouir puisqu’il ne jouit pas, mais il
jouit quand même à cette seule
condition de faire le pas, à savoir
que la jouissance dont il s’agit, c’est
celle de l'Autre. »
Retour sur le pervers, sur
l’exhibitionniste, je laisse ça de côté.
« Revenons à nos
sadomasochistes qui justement sont
toujours séparés. » Ça, bien sûr, il
faut le faire valoir pour tout ce qui
dans le texte maintient l’expression
freudienne.
« Au niveau de la pulsion
scoptophillique, il y en a un qui
réussit ce qu'il a à faire, à savoir la
jouissance de l'Autre, c’est
l’exhibitionniste, et un Autre qui n'est
là que pour boucher le trou avec son
propre regard. Ça, c'est le
voyeuriste. C'est de là qu’il faut
partir pour comprendre ce
schématisme que j'ai mis au
tableau, cette phrase qui là est
parfaitement balancée. « L’un réussi
ce qu'il a affaire, à savoir la
jouissance de l'Autre, l'Autre n'est là
que pour boucher le trou avec son
propre regard. Sans faire que l’Autre
n’y voit ne serait-ce qu'un peu plus
sur ce qu'il est. C’est à peu près la
même chose dans les rapports entre
le sadique et la masochiste. »
Voilà le passage clé de cette
« Clinique de la perversion », que
j'ai mis avec ce quaternaire, qui
demande qu’est-ce que je vais
pouvoir mettre comme exergue sans
dépasser la concision à laquelle je
m'oblige.
Vous voyez j’avais mis « La
capture de la jouissance », qui
paraît en effet cette opération que
j'ai écrite ici, soutenir l'ensemble de
cette élaboration, « L'extimité de
l'objet » parce que l'apparition du
terme extime est tellement rare chez
Lacan qu’il faut lui faire un sort, elle
désigne bien le principe de la
structure topologique.
Maintenant, quand on voit dans le
dictionnaire, enfin, un dictionnaire
un peu élucubré on le trouve,
extime, mais c’est rapporté à Michel
Tournier, l'écrivain qui a produit un
journal Extime il y a quelques
années. Évidemment, l'emploi par
Lacan de l'extime, de l'extimité est
plus ancien mais fugace, perdu
dans son Séminaire, et moi j’ai fais
un Cours jadis qui s'intitulait Extimité
mais je l’ai gardé dans l'intimité de
ce Cours, donc vous voyez qu'il y a
déjà, la filiation lacanienne du terme
n’est pas archivée dans le
dictionnaire.
Alors c'est donc ici, oui attendez,
de l'Autre barré au petit a. C'est
assez saisissant, en effet, de voir
dans ce chapitre que la barre sur le
grand Autre est incarnée par le trou
de l'objet petit a. « Le pervers
défenseur de la foi », je le met pour
sa nouveauté, et son allure de
provocation, et vraiment ce que
j'avais mis en cinquième était
vraiment faible : « Ce qui ne peut se
voir ».
Je le dis que dans mes lectures
précédentes, je n'avais pas lu aussi
clairement cet impeccable
quaternaire ; comment je peux
mettre ça en quatre, cinq mots. Si je
mets le quaternaire pervers, je ne
suis pas sûr que ça aidera
beaucoup le lecteur à recomposer
ce schéma. Bon, eh bien vous
verrez ce que j'aurai trouvé.
Mais enfin, après tout ça vous
donne une petite idée du soin, de
l’attention que j’essaye de mettre
dans cet établissement de textes.
Ça me paraît, il faut bien dire,
 J.-A. MILLER, - Illuminations profanes - Cours n°3 - 23/11/2005 - 12
c'est ce paragraphe qui est quand
même éclairant, qui oppose bien,
faire surgir l'objet petit a dans l'Autre
et assurer sa jouissance et tandis
que l'Autre, au fond, n’est pas
qu’une pièce détachée de soi mais
ne fait que boucher le trou.
Alors, c'est là que Lacan
s’avance à faire deviner que c'est
l'objet voix qui équivaut dans le
supposé sadomasochiste.
« C'est assez d’actualité. Il est
étrange qu’on ne s’aperçoive pas ici
d’une fonction essentielle alors que
nous vivons à une époque où nous
avons en sommes très bien
ressuscité toutes les pratiques de la
question. »
Les pratiques de la question, il
faut l'entendre dans sa valeur
archaïque, c'est la torture pour
obtenir l’aveu ou l’information.
Quand Lacan parle en 1969 ce qui
est encore proche c'est, plus proche
que maintenant, c’est la guerre
d'Algérie et c’est en particulier le
livre qui est resté dans les mémoires
de Allègue sur La Question, d'Henri
Allègue sur la torture, d’un livre qui
s'appelait La Question.
Et donc il fait deviner à son
auditoire à partir de là que ça a
rapport avec le parole. « Il fut un
temps où la question jouait un rôle
dans les mœurs judiciaires à un
niveau élevé. On laisse ça
maintenant à des opérateurs qui la
pratiquent au nom de je ne sais
quelle folie dans l’intérêt de la patrie
ou de la troupe. »
Il faut penser que nous avons
été, l'opinion mondiale a été
révulsée par ce qu'elle a pu
apprendre de la porte ouverte à la
torture caractérisée par les forces,
les puissances qui est aujourd'hui
majeure, la majeure sur la planète.
« Déjà après la guerre, la
dernière dans le genre, où il s’était
déjà passé pas mal de choses, on
avait prolongé un peu le plaisir sur
les planches en nous en montrant
des simulacres, quelques petits jeux
de scène. » Là je crois que c'est une
allusion à ce qu'on trouve, si mon
souvenir est bon, dans une pièce de
Sartre d'après-guerre, je crois que
c'est Morts sans sépulture – je n’ai
pas l’impression que c’est très lu
encore - où on voit représentée,
bien sûr condamnée, enfin la
torture, mais on la montre sur la
scène, et Lacan l’interprète comme :
on veut garder encore le frisson. « Il
est étrange qu’on ne s'aperçoive
pas de la fonction essentielle que
joue à ce niveau la parole, l’aveu. »
Et donc, en évoquant la torture, il
dit : ceux qui pratiquent la torture,
quelles que soient les bonnes
raisons majeures, le font parce que
leur jouissance y est intéressée.
C'est comme ça que je traduis ce
que je vais vous lire : « Les jeux
sadiques, ce n'est pas simplement
intéressant dans les rêves des
névrosés, on peut tout de même voir
ce qu'il en est, là où ça se produit.
Et il y a beau y avoir toujours des
raisons de faire ceci ou cela, nous
savons très bien ce qu'il faut penser
des raisons, elles sont secondaires
auprès de ce qui se passe dans la
pratique. Cela tourne toujours
effectivement autour de quelque
chose où il s'agit de peler un sujet.
De quoi ? De ce qui le constitue
dans sa fidélité, à savoir sa parole. »
C’est très précis, n'est-ce pas,
c'est que indépendamment des
raisons majeures, c'est toujours
pour le bien, le beau, le vrai, dans la
pratique, d’une part c'est pratiqué
par les sadiques et qui essayent
d’arracher au sujet la …, le pacte de
parole sur lequel il est entré dans un
certain nombre de relations.
« On pourrait peut-être se dire
tout de suite que cela a quelque
chose à faire dans le problème. Je
 J.-A. MILLER, - Illuminations profanes - Cours n°3 - 23/11/2005 - 13
vous le dit tout de suite ce n’est pas
la parole qui est ici l'objet a, c’est
une approche faite pour vous mettre
sur la voie. Néanmoins aborder la
question sous ce biais est très
favorable à malentendu car cela
tend à instituer ce que je repousse,
à savoir une symétrie entre le
masochiste et le sadique. Il est
certain que le masochiste, le beau,
le vrai, Sacher-Masoch lui-même,
organise toutes choses de façon à
n’avoir plus la parole. » La
démonstration de Lacan qui, là, ne
repose pas sur le texte, littéraire
même, celui à qui on a emprunté la
catégorie clinique, Sacher-Masoch,
qu'est-ce qui l’intéresse à n’avoir
pas la parole ? C’est de la laisser à
l'Autre, et d’y faire apparaître la voix,
quatrième des objets petit a.
« Éclairons notre lanterne, ce
dont il s'agit c’est de la voix, que le
masochiste fasse de la voix de
l'Autre à soi tout seul, ce à quoi il va
donner le garant d’y répondre
comme un chien. Voilà quel est
l'essentiel de l’agent, de
l'opération. »
Et donc ici, il s'agit de faire surgir,
d’obtenir que surgisse chez l'Autre,
qu'apparaisse la voix et plus elle
sera froide, arbitraire, plus elle sera
accordée à l'arbitraire et plus le
sujet soutirera sa jouissance.
Seulement, donc là vous avez
une référence que je passe, qui est
celle que vous rencontrez dans
L'Angoisse, précisément, une
allusion à ces petits crustacés qui
s'envoient de la grenaille dans le
tube, quelques grains de sable dans
le tube, histoire que ça le chatouille
là-dedans.
Donc là, nous avons
effectivement comme le témoignage
que ce développement réponds à ce
que nous trouvons dans le
Séminaire de L'Angoisse.
Donc, la fonction référée au
surmoi, « Il est strictement
impossible de concevoir ce qu’il en
est de la fonction du surmoi – c’est
aussi à ce propos que Lacan
introduit cet exemple dans
L'Angoisse – si l’on ne comprend
pas ce qu'il en est de la fonction de
l'objet a réalisé par la voix en tant
que support de l'articulation
signifiante, la voix pure en tant
qu'elle est oui ou non instaurée au
lieu de l'Autre, d’une façon qui est
perverse ou qui ne l’est pas.
Un certain masochisme moral ne
peut être fondé que sur cette pointe
de l'incidence de la voix de l'Autre. À
la façon dont nous avons vu tout à
l'heure que jouit l’exhibitionniste,
l’axe de gravité du masochiste -
donc là le parallèle est tout à fait
explicite – l’axe de gravité du
masochiste joue au niveau de
l'Autre et de la remise à lui de la
voix comme supplément. Non sans
que soit possible une certaine
dérision qui apparaît dans les
marges du fonctionnement
masochiste. »
C'est-à-dire qu'il sait que c'est lui
qui obéit comme un chien, et c’est
en même temps lui qui construit
cette configuration, d'où la dérision.
C'est un maître qui se fait donner
par un maître, par une maîtresse,
mais c'est lui qui tire les ficelles de
la scène.
« Disons-le, il suffit d’avoir vécu à
notre époque pour savoir qu'il y a
une jouissance dans cette remise à
l'Autre de la fonction de la voix et ce
d'autant plus que cet Autre est
moins valorisable, qu’il a moins
d’autorité. »
Si on s’était arrêté à la première
partie on dirait donc c’est la voix, la
voix qu’on écoutait au poste de
radio terrifié dans les années 33 et
la suite, mais enfin, l'Autre moins
d’autorité ça n'est pas….
« Il n’en va certainement pas de
 J.-A. MILLER, - Illuminations profanes - Cours n°3 - 23/11/2005 - 14

même pour le sadique. Il essaye lui lieu à l'amphi II qui se trouve où ? À

aussi mais de façon inverse – pas l’accueil, ça sera indiqué.
symétrique - de compléter l'Autre en
lui ôtant la parole et en lui imposant
sa voix. » Là, disons, c'est lui qui Applaudissements.
paye le prix de cette pièce détachée
qu’est sa propre voix. Mais en
général ça rate. « Qu'il suffise à cet
égard de se référer à l'œuvre de
Sade où il est vraiment impossible
d'éliminer de la parole de la
discussion, du débat, la dimension
de la voix. »
« Le jeu de la voix trouve ici son
plein registre, il n’y a qu’une chose, Fin du Cours III de Jacques-Alain
c’est que la jouissance ici - c'est-à- Miller du 23 novembre 2005
dire chez le sadique - exactement
comme dans le cas du voyeur –
c’est vraiment insistant en fait -
échappe. Sa place est masquée par
cette domination étonnante de
l'objet petit a, mais la jouissance,
elle, n'est nulle part. Il est clair que
le sadique n’est ici que l'instrument
du supplément donné à l'Autre mais
dont, dans ce cas, l’Autre ne veut
pas - il ne veut pas mais il lui obéit
quand même -.
Telle est la structure de ces
pulsions pour autant qu’elles
révèlent qu’un trou topologique peut
fixer à soi seul toute une conduite
subjective. »
Voilà le troisième terme qui était à
trouver, entre prélèvement corporel
et consistance logique, le trou
topologique.
« Vous voyez que tout ce qui
peut être forgé autour de
prétendues … - de sentiments, de
sensibilité - mérite éminemment
d’être relativisé. »
Je laisserai de côté la fin de cette
Leçon où c’est le problème du
névrosé qui est abordé.

Je vous donne rendez-vous pour

la semaine prochaine, en tenant
compte de ceci que j'ai été averti
que le Cours du 30 novembre aura