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l. LES pseudo-problèmes.
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l'intérieur du tube, se dissout en quelque sorte au travers de la
paroi, la chose esprit qui lui est soudée subit un sort semblable, ou
si, se détachant brusquement, elle conserve sa cohésion et continue
son mouvement.
Ces questions, que le sens commun ne résout guère que par des
affirmations sans consistance, derrière lesquelles se découvrent des
imaginations souvent puériles, ce sont celles-là même que rencon-
trent à leur tour toutes les philosophies qui, s'aventurant sur le
même terrain, ne veulent voir dans l'esprit qu'une partie d'un tout,
qu'un fragment du réel, un morceau du monde, et toutes les modi-
fications qu'elles feront subir à la forme comme aux termes du pro-
blème n'en modifieront pas l'allure originelle. Sans doute elles
pourront déclarer à la suite de Descartes que d'une part la pensée
n'a rien de commun avec l'étendue, et que, d'autre part, les pensées
qui s'écoulent dans le temps ne sont pas la substance pensante;
mais en persistant à traiter celle-ci comme une chose la chose qui
pense, elles lasoumettent aux conditions primordialesde l'existence
des choses, qui sont d'être quelque part et pendant un certain temps.
Aussi, de cette chose à qui l'on prétend avoir retiré toute détermina-
tion spatiale, on dira, bravant l'hostilité des termes, qu'elle existe
en dehors de l'espace; on se posera même la question de savoir où
elle se trouve, et l'on essaiera de déterminer en quel point de l'orga-
nisme elle exerce son action; on ira jusqu'à dire qu'elle est dans le
du temps,
corps; de même aussi on l'aura si mal soustraite au cadre
qu'on la qualifiera de permanente et d'immortelle, comme si perma-
nence et changement n'étaient pas des notions corrélatives, comme
si remplir indéfiniment le temps équivalait à s'en évader.
Les philosophies pourront même, tentant cette fois la plus sérieuse
des démarches, aboutir à cette déclaration leibnitzienne que l'étendue
comme le temps ne sont que les aspects sous lesquels nous saisissons,
sans sortir de nous-mêmes, l'infinité des êtres spirituels, ou mieux
encore qu'ils sont l'ordre même que. nous établissons parmi nos
visions confuses ordo coexistentiarum, ordo suceessivorum. Mais elles
n'en continuent pas moins à parler de monades, de substances spiri-
tuelles qui, se substituant aux choses, en ont du moins conservé le
mode d'existence car si chaque monade crée pour son propre
compte et l'espace et le temps, l'ensemble des monades, lui, se con-
tente de les subir; il y baigne comme dans un milieu externe; les
monades sont extérieures les unes aux autres, et cette extériorité
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avoir ici un sens différent de celui que leur accordait le sens commun,
ni soulever des questions plus claires. Seules les attitudes idéalistes
nous permettent de poser en ses termes véritables le problème du
naitre et du mourir.
La réflexion philosophique nous révèle tout de suite que, puisque
le temps n'a d'existence que par l'esprit, les notions de commen-
cement et de fin sont inapplicablesà l'activité spirituelle. Car ce qui
Commence et finit commence et finit dans le temps. Et le temps
préexiste à toute naissance comme il survit à toute mort; si l'on
voulait dire qu'il a lui-même commencé, on ne pourrait le faire sans
se contredire, car commencer ce n'est pas simplement être, mais
bien être après n'avoir pas été, de même que finir ce n'est pas seule-
ment ne pas être, mais ne plus être, c'est-à-dire n'être pas après
avoir été; dans les deux cas il y a succession, devenir, rapport tem-
porel le temps ne peut donc commencer ni finir d'être-, puisque sans
son existence préalable, commencement et fin sont des mots vides
de sens. L'acte qui établit le rapport temporel, qui par là crée les
notions, l'avant, l'après, le commencement et la fin, ne saurait donc
être lui-même soumis à ces formes qui sont son œuvre; il est néces-
sairement hors du temps. Schopenhauer, dont l'idéalisme"" n 'était
pourtant que partiel, a très fortement insisté sur ce point dans ses
considérations sur la mort. « Pour l'être en soi, dit-il, l'opposition
créée par le cerveau entre la naissance et la mort n'existe pas; elle
est dépourvue de toute signification. L'être en soi reste ainsi à l'abri
de la fin temporelle du phénomène temporel, et il ne cesse de con-
server une même existence à laquelle ne peuvent pas s'appliquer les
notions de commencement, de durée et de fin. »
A la condition d'entendre par cette dénomination d'être en soi non
point je ne sais quelle racine de l'activité spirituelle, mais cette
activité elle-même, cette déclaration paraît bien être la claire
expression de la vérité. Mais elle nous révèle aussi qu'il y a lieu de
se méfier des vieilles habitudes réalistes, et qu'il n'est pas facile de
dépouiller complètement l'existence spirituelle de tout caractère
temporel. Affirmer qu'elle subsiste derrière la durée, ou encore
qu'elle se conserve, c'est la replonger dans le temps à l'instant
même où on prétend l'en extraire. Hors du rapport temporel, la
notion de permanence perd toute signification; elle est, au sein du
devenir, et par opposition à lui, la durée de ce qui ne change pas.
Une seule notion affranchit vraiment l'existence de tout caractère
Rev. Meta. T. XXVII (n° 4, 1920). 34
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j'en prends, si penser, c'est savoir que je pense, ou encore si la forme
de la première personne est inséparable du contenu même du L'ogito,
alors en effet l'esprit n'est que la somme des faits conscients, et le
temps ne peut plus être, comme tout le reste, qu'un fait de con-
science, dont tout l'être est d'être senti. Il devient le sentiment de la
succession, une qualité des choses celles-ci sont successives comme
elles sont étendues, résistantes, rouges, vertes. Mais alors nous nous
trouvons au sein d'un réalisme phénoméniste, d'un humisme, qui va
susciter, à propos du problème qui nous occupe, les mêmes ques-
tions factices que soulevait déjà le réalisme du sens commun.
Ces faits de conscience sentis comme successifs sont loin, en etfet,
d'épuiser toute succession; quand ils finiront de se succéder les uns
aux autres, quelque chose leur succédera; de même il faut bien
admettre que leur succession a eu un commencement. En faisant de
la succession une qualité des faits de conscience, en refusant d'y
voir un acte spirituel néces-aire, une catégorie, on le condamne donc
inévitablement à subir le sort de tout fait, quel qu'il soit, qui est
d'être dans le temps. La succession-fait prend place, en compagnie
de tous les faits, d ins la succession-cadre, dans la nécessité spiri-
tuelle de l'avant et de l'après. Et comme on persiste à refuser de
reconnaître cette nécessité comme logique, sans parvenir cependant
à s'en affranchir, comme on persiste à réduire tout acte de pensée
à la conscience pure et simple, on en vient à placer la succession-
fait dans un temps qui ne peut être qu'en soi; on passé malgré soi
du réalisme phénoméniste au réalisme tout court; on conçoit
le monde comme une juxtaposition de séries conscientes qui en
elles-mêmes et par elles-mêmes commencent, durent et finis-
sent.
Mais nous éviterons ce recul, cette chute sur un plan déjà dépassé,
si nous savons nous évader du point de vue étroit du subjectivisme,
et ne pas faire de la personne l'exact équivalent de l'être. La
réflexion d'ailleurs, sincèrement poursuivie, nous l'interdit. La con-
science n'est pas un donné indéfinissable, ni le terme ultime de
toute régression. La réflexion y découvre une opposition vivante
l'opposition du sujet à l'objet, du moi au non-moi. Les post-kantiens,
sous des formes d'ailleurs très différentes, ont bien mis en lumière
cette dualité.fondamentale dont la conscience'est l'unité; l'idéalisme
contemporain a su nous faire voir en outre que ces termes opposés
ne sauraient avoir de réalité antérieurement à cette opposition même,
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qu'en elle seule et d'elle seule ils tiennent 'leur double et antithé-
tique existence'/
Pourtant cela ne saurait signifier, comme on pourrait être tenté
de le croire, que cette antithèse soit le terme au delà duquel il est
interdit à la réflexion de progresser. Si d'une part, en effet, on ae
peut l'accepter comme un fait pur et simple^ comme un donné, sans
la momifier, sans la transformer en la simple juxtaposition de
deux contraires, si en un mot, rejetant tout phénoménisme, nous
n'acceptons pas la conscience du dehors, comme un: produit qui se
serait élaboré ailleurs, si d'autre part il est impossible aussi bien
d'affirmer que c'est le non-moi qui pose le moi que d'émettre
l'opi-
nion inverse, ces deux opinions supposant l'antériorité logique de
l'un des termes au rapport qui cependant est leur seule raison d'être,
il faut bien- convenir que l'opposition du sujet à l'objet a sa source
dans un acte spirituel qui ne se confond ni avec l'un ni avec l'autre
des deux termes, et qui fonde du-même coup la personne-et le monde.
Et sans doute, puisque nous sommes des personnes, c'est encore
à travers la conscience et même dans la conscience que nous sai-
sissons l'acte qui l'amène à l'être; mais nous n'en avons pas à pro-
prement parler conscience il ne tient pas tout entier sous notre
regard; ce dont nous avons conscience, c'est l'impossibilité de le
suivre sans cesser d'être nous-mêmes, d'être des personnes; c'est
l'infranchissable limitation du moi individuel; c'est le fait que la
conscience n'épuise pas la totalité de l'acte créateur.
Et d'ailleurs, si elle l'épuisait, si l'activité spirituelle n'était que
conscience, il faudrait dire alors que pour une affirmation, un juge-
ment, un raisonnement, un acte moral, être affirmation, jugement,
raisonnement et acte, n'est autre chose qu'être conscients; il fâu-
drait leur supprimer à tous leur être propre pour ne leur garder que
le commun vêtement de la conscience. Mais comment ne pas voir
qu'il est impossible de ne pas distinguer dans une affirmation cou-
sciente entre l'acte affirmatif qui est son êlre même, et la conscience
qui le recouvre, et qui est non pas le fait que cet acte est un acte et tel
acte, mais le fait tout différent qu'il existe pour lui-même. Assu- °
rément l'existence pour soi accompagne l'acte spirituel dans toutes
ses manifestations perceptives, logiques, affectives, morales; elle
est même toute manifestation, maissel!e n'est aussi que cela. Elle
est, sj l'on peut dire, le comment de l'activité spirituelle; elle n'en est
pas le quoi; elle estle vêtement permanent de l'acte, non l'acte même.
LA NAISSANCE ET LA MOUT. 513
G. SIMÉON.
Georges Siméon.