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Paris, 2016.
Santiago du Chili, 2017.
SOMMAIRE
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de Philosophie dans son aspect théorique et clinique. Ceci dit, la
psychanalyse a toujours été considérée par mes collègues féministes
comme une théorie centrale pour comprendre la construction de
la subjectivité, spécialement dans le domaine de la littérature et de
l'histoire des femmes. Aujourd'hui et d'après l'influence de l'École
Argentine susmentionnée, en plus des cours réguliers que je dirige
dans le Master d'Etudes de Genre, et bientôt dans le Doctorat, nous
avons créé en 2014 un groupe d'étude sur le sujet, en collaboration
avec l'Institut Chilien de la Psychanalyse, à l'issu duquel un Diplôme
dirigé aux professionnels/les est délivré.
À mon avis, le rapprochement de la psychanalyse, autant aux
études de genre qu'à la pensée féministe, ne s'est fait connaître que
récemment. Dans ce sens, il faut mentionner l'importance pour ce
domaine disciplinaire du Séminaire de Psychanalyse et Genre dirigé
par Laurie Laufer au sein de l'UFR Paris 7, ainsi que la création de
cette Revue. L'accueil qu'ont offert les Universités de la Sorbonne,
Paris, Cité, au XXIème siècle à la pensée de genre a eu une portée
considérable à un niveau global, de plus, il est fondateur d'une
nouvelle culture. La pensée de genre, héritière de la pensée féministe,
intégrée à l'une des plus prestigieuses Universités du monde dans
le cadre de l'Action Structurante Pluridisciplinaire, Plurigenre,
dirigée par Laurie Laufer et Gabrielle Houbre de L'UFR Paris 7
(Diderot), prend une importance tout à fait spéciale pour nous, les
chercheuses d'Amérique Latine attachées aux apports de la pensée
française, comme le témoigne la bibliographie des textes exposés.
Cette initiative de l'Université parisienne construit une sororité
disciplinaire entre les cultures Nord / Sud.
On trouvera dans les écrits choisis pour cette publication, non
seulement des réflexions sur le panorama actuel de la psychosexualité,
mais aussi des arguments sur la pertinence de l'intégration de la
théorie de genre et de la pensée féministe à la théorie et la clinique
psychanalytique, de même que des critiques à la théorie classique
et de nouveaux apports conceptuels sur la construction de la
subjectivité et du psychisme.
Je remercie l'accueil que ce travail a reçu de la part de Laurie Laufer,
Pascale Molinier, Beatriz Santos et Thamy Ayouch, avec qui j'ai joui de
bons moments d'échanges d'idées et même d'humour à propos des
défis que suppose l'introduction de la pensée de genre dans le milieu
orthodoxe de l'académie et dans « la pensée du maître ».
Nous espérons que cette compilation de la parole des
8•
psychanalystes au sud du sud, constitue pour ceux qui s'intéressent à
une psychanalyse « mise à la page », selon les nouvelles données de la
sexualité, un stimulus pour continuer un débat, certainement critique,
dialectique et interdisciplinaire.
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10 •
DIVERSITÉ ET CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE
NOTES ET RÉFLEXIONS POUR UN DÉBAT 6 7
Débora Tajer 8
14 •
connaissance de la différence sexuelle et que celle-ci se conforme
d'une manière binaire, avec seulement deux catégories : féminin ou
masculin. Cependant, il est possible de penser les diverses formes de
développement de la psychosexualité qui ne sont pas dans une rela-
tion de subalternité avec les « bonnes formes », ni nécessairement
dans le domaine de la psychopathologie, mais qui proposent en acte
un bouleversement de la différence (Fernández, 2009).
Si nous nous focalisons dans l'axe des relations de pouvoir entre
les genres et la construction de la subjectivité féminine dans ce ré-
seau de liens, nous pouvons prendre comme un ensemble les refor-
mulations des conceptions psychanalytiques sur la féminité qu'a fait
la psychanalyse depuis la perspective de genre :
a) Le changement de point de vue de la considération du
masochisme comme étant le noyau de la féminité, à la
conception du masochisme dans la féminité comme un type
de développement d'érogénéité qui se constitue dans le cadre
de relations de domination.
b) La révision de l'idée de l'insuffisance du Surmoi féminin et le
moindre apport supposé à la culture des femmes pour ladite
raison. Concept qui a été spécialement développé par Carol
Gilligan (1993) dans sa révision des manières spécifiques de la
formation de la conscience morale chez des femmes.
c) L'envie du pénis, qui aujourd'hui est considérée comme étant
l'envie de la place sociale masculine, et non pas de l'attribut au
travers duquel l'on imagine.
d) Le changement dans la conception de l'histoire féminine.
D'une idée « du même » comme la forme « normale » d'être
femme, de commencer à la considérer comme une solution de
compromis entre le narcissisme de genre féminin et les pra-
tiques de la sexualité dans le social historique patriarcal. Une
solution en forme de compromis dont la résolution tend à va-
lider un exercice de la séduction de la part des femmes avec
une inhibition de la pratique concrète de la sexualité dans un
temps antérieur à la chute de l'estime des femmes dans le sys-
tème patriarcal : la consommation de la relation sexuelle. Pour
résumer, séduire et ne pas accomplir, pour garder de la valeur.
e) La révision de l'idée de la constitution du désir d'enfant
comme modalité privilégiée de constitution de la maturité
normale chez une femme, qui permet d'une part, de considé-
• 15
rer cette modalité de désir comme un effet imaginaire de la
relation entre la maternité et la féminité construite historique-
ment dans la modernité (Chodorow, 1984 ; Badinter, 1981 ;
Fernández, 1993) ; d'autre part, de rendre visible les diverses
manières d'entrée dans la maturité des femmes qui par option
ou par impossibilité n'exercent pas la maternité.
Un autre des aspects révisés dès le début de la perspective du
genre dans la psychanalyse est l'identification de l'absence d'une
énonciation explicite d'une théorie à propos de la masculinité.
Jusqu'à très récemment, en psychanalyse, le sujet et la « féminité »
ont été théorisés. C'est l'effet de ce que nombre de théoricien/nes
considèrent comme phallocentrisme, soit l'homologation de l'expé-
rience des hommes à celle de tous les êtres humains, au moyen de
la constitution d'un sujet universel. De plus, considérer que ce qui
n'entre pas dans ce paradigme, c'est à dire féminité, sera un mystère,
un continent noir qu'il faudra étudier à part. Cependant, on com-
mence depuis peu à voir certains apports - dans ce champ vacant -
de la part de certains des psychanalystes contemporains de diverses
lignes de pensée10.
De toutes façons, cela n'empêche pas que, même si dans l'œuvre
de Freud il n'y a pas de théorie explicite à propos de la constitu-
tion de la masculinité, des articles peuvent être lus dans ce sens, par
exemple : « Du rabaissement le plus commun de la vie amoureuse »
(Freud, 1912), texte qui marque les manières particulières de l'érotisme
hétérosexuel masculin dans le cadre des relations de domination dans
la modernité patriarcale, en proposant comme « objets » deux types
de femmes : les « mauvaises » pour la jouissance, et les « bonnes »
pour la conjugalité ; ou le texte Totem et Tabou (1913) (relu maintes
fois comme un écrit social et politique qui analyse la constitution
du groupe, mais qui peut aussi être lu comme la construction d'une
fratrie dans le patriarcat, à l'égard d'un père qui se place comme
étant la loi mais à laquelle il n'est pas soumis). De plus, divers cas
cliniques d'hommes qui sont proposés comme exemples psycho-
pathologiques, peuvent être lus comme analyse de la constitution
psychique d'une masculinité « d'une époque » : le cas du petit Hans,
l'homme des rats, l'homme des loups et le « cas » Schreiber (Freud,
1909, 1918, 1911).
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dans la clinique avec des hommes, il est nécessaire de leur faire re-
marquer que les femmes sont leurs pairs et qu'elles existent comme
semblables. Et dans le cas des femmes, lorsqu'elles se situent subjec-
tivement dans la différence rendue inégale, elles expriment leur désir
de « couper la tête du roi acéphale » (Rosenberg, 1996), il s'agit alors
qu'elles puissent saisir la différence entre l'image de « cet » homme-
là, « le maître dans l'illusion », et la réalité des formes de subjectiva-
tion masculine dans le cadre de l'appartenance à un collectif jouis-
sant d'une plus grande prérogative sociale.
Si nous remontons le cours de l'histoire du dialogue entre le
féminisme et la psychanalyse, nous pouvons identifier quelques
étapes. Une étape fondamentale de dialogue fertile a été ouverte en
1978 avec la publication du livre Psychanalyse et Féminisme, de Ju-
liet Mitchell (1982), qui a désentravé une relation tendue et une mé-
fiance mutuelle entre les deux champs (Tubert, 1988), une tension
qui était venue remplacer une première étape d'illusion des pion-
nières féministes face à la naissance de la psychanalyse. Dans ce pre-
mier moment, la nouvelle discipline dans le domaine du « mental »,
en signalant que la répression en plus de la sexualité comme cause
de la « nervosité moderne », fondamentalement chez des femmes, a
été accueillie comme alliée scientifique pour les revendications des
droits des femmes, et, en fait l'a été dans quelques aspects (Tubert,
2000). Bientôt, cette illusion c'est dissipée après avoir observé que
dans la pratique des analyses de femmes, même si les analystes leur
octroyaient un espace pour le déploiement du récit sur leur psycho-
sexualité, ils les renvoyaient « dans la direction de la cure », c'est-à-dire,
à la reproduction et l'adaptation à leur rôle dans la société patriarcale11.
gentine pour un bon moment. Cette anecdote elle l'a souvent raconté
pour illustrer des interventions adaptatives aux normatives du genre
que ses collègues pratiquée pour la « cure ».
12 Argentine.
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la relation entre les pratiques de sexualité et de narcissisme dans la
configuration de l'histoire féminine.
En ce qui concerne les dispositifs de transfert scientifique de ces
productions, il faut mentionner le grand apport que constitue l'exis-
tence de la Chaire d'Introduction aux Études de Genre de la Faculté
de Psychologie de l'Université de Buenos Aires, dont la Titulaire est
Ana Maria Fernández. Cette discipline est enseignée sans interrup-
tion depuis 27 ans. À présent, la chaire est dirigée par Débora Tajer,
qui participe à cet article. Cette chaire constitue le premier cursus
de genre enseigné à l'université dans toute l'Amérique Latine. Son
propos est d'introduire les diverses thématiques de genre et de la
subjectivité afin que les psychologues et les diplômés / es de cette
Faculté aient une base pour aborder les concepts de patriarcat et une
construction des subjectivités masculines et féminines de diversité
sexuelle, de la violence de genre, des nouvelles relations affectives et
des nouvelles familles, de la santé et de la santé mentale avec pers-
pective de genre, et une révision de la psychanalyse selon ce point de
vue et celui du genre, dans le monde du travail.
Dans le domaine des Post Degrés, se distingue la création du
Forum de Psychanalyse et Genre l'Association de Psychologues de
Buenos Aires en 1995 et le cours donné suivant la même thématique
crée en 1999. Les deux créés à leur début par Irene Meler et Débora
Tajer13. De la même façon, il faut souligner l'existence dès l'an 2000
du Séminaire de Post grade « Les Hommes, les Femmes. Une sub-
jectivité et un Genre », enseigné par Sandra Borakievich et Débora
Tajer dans le cadre du Programme d'Actualisation dans le domaine
des Problématiques de la Subjectivité dirigé par Ana Maria Fernán-
dez à la Faculté de Psychologie de l'Université de Buenos Aires. De-
puis 2010, à l'Université UCES (Ciencias Empresariales y Sociales /
Des sciences sociales et des entreprises, Buenos Aires) Mabel Burin
dirige un Post-Doctorat en Etudes de Genre. Parallèlement, dans la
même université est enseigné le Master en Études de Genre, dirigé
par Mabel Burin et Irene Meler. Cette dernière a mis en marche un
Cours d'actualisation en Psychanalyse et Genre, à l'Association de
Psychologues de Buenos Aires (APBA).
Repenser ces moments de l'histoire des idées, ces dispositifs lo-
caux de transmission et de pratiques, peut éclairer quelques aspects
22 •
À partir des travaux mentionnés ci-dessus, nous, qui travaillons
dans le domaine de la psychanalyse et du genre, nous devons affron-
ter quelques uns des dilemmes des culturalistes, mais aussi, nous
pouvons nous approprier un chemin parcouru dans le développe-
ment créateur sur ce qu'il faut faire avec ces dilemmes pour avancer
dans ce que nous décrivions plus haut, en tant que nos actuels défis
dans ce domaine.
L'une de ces avancées est d'avoir mis en évidence la triade à par-
tir de laquelle nous pouvons penser le genre, le sexe et la sexuation.
Si nous considérons le genre dans le domaine de la théorie sociale,
nous pouvons le placer comme la construction culturelle et sociale
du sexe en tant que l' « ensemble de signifiés contingents que les
sexes assument dans le contexte d'une société donnée » (Lamas,
1996). Cette construction inclut des relations asymétriques de pou-
voir et l'établissement de rôles différenciés entre les sexes dans le
cadre du patriarcat. Quant à placer le genre dans le domaine de la
subjectivité, un consensus existe pour le placer dans les aspects iden-
titaires, en fonctionnant comme l'un des axes de la conformation
des processus d'identification (Bleichmar, 2006). D'autres auteurs/
es avancent dans leurs postulats, en pointant du doigt les instances
qui interviennent dans la conformation des modes de subjectivation
(des destins pulsionnels, une conformation d'idéaux, des formes du
narcissisme, entre autres) (Tajer, 2009).
À son tour, le concept de sexe est régit par l'ordre biologique, ses
spécificités et ses différences. Cependant, cette notion de sexe bio-
logique est questionnée, en principe, par deux facteurs. Le premier
consiste en ce que la notion même du biologique comme un ordre lié
à l'immuable est entré en crise, ces temps derniers, en tension avec
les opérations de réassignation de sexe, les nouvelles technologies
reproductives, l'implantation d'hormones et de divers implants, l'ex-
tirpation des caractères sexuels, etc. Le deuxième est que la réalité de
l'existence de sujets biologiquement intersexuels met en doute le fait
de ce que toute l'humanité est dimorphe divisée uniquement en deux
catégories, masculin et féminin.
Ensuite, on trouverait l'axe de la sexuation. À ce sujet, il y aurait
de même, au moins deux courants a) ceux et celles qui le conçoivent
à l'intérieur du domaine propre à la psychanalytique, en marquant
que la sexuation s'en remet à la pulsion qui habite et détermine l'es-
pace de la réalité psychique, une dimension subjective inconsciente
• 23
tributaire de la différence sexuelle symbolique14 dans laquelle se
constitue le sujet parlant, qui ne doit pas se confondre avec la réalité
du biologique, ni avec la réalité sociale et b) ceux qui considèrent
le genre comme une dimension psychologique et comprennent la
psychosexualité dans le cadre plus large des formes de subjectivation
que nous avons mentionné auparavant.
Quoi qu'il en soit, au-delà des différences marquées, il y a un ac-
cord entre les psychanalystes (autant dans ce qui est en relation avec
la théorie féministe qu'avec les Études de Genre) à considérer qu'au-
cune de ces dimensions ne peut être isolée, ni suffisante par elle-
même pour appréhender les déterminations de la dynamique des
relations entre les sexes et leur subjectivation. Encore moins pour
identifier où se sont produits les changements et comment ceux-ci
affectent cette articulation.
Il faut souligner que l'articulation de ces dimensions est en dan-
ger du fait de la possibilité pour certaines lignes de pensées, de s'in-
cliner à leurs respectifs points de vue réductionnistes :
- Le sociologisme, lorsque la sexuation essaie d'être expliquée
seulement comme un résultat de l'assomption de rôles sociaux
prescrits.
- Le biologisme, qui inclut la naturalisation, la médicalisation et
la dimension behaviouriste du sexuel en ignorant la dimension
inconsciente du désir.
- Le psychologisme, qui considère le système symbolique qui sou-
tient et détermine les lieux sexués comme une structure anhisto-
rique et la domination masculine comme expression invariante
et nécessaire de cette structure (Rosenberg, o.c. pp. 268-9).
A. DE LA PERVERSION
Certains collègues continuent de définir actuellement la perver-
sion comme une diversité de pratiques qui s'écartent de la morale
dominante. La notion de perversion liée aux pratiques non hégé-
moniques et dans une ligne de direction unique à propos du statut
de la différence sexuelle et sa relation avec la castration symbolique
dans la constitution du psychisme, génère per se une perspective qui
empêche de discerner le pathologique du nouveau en transformant,
de ce fait, le nouveau en pathologique.
Dans ce sens, je signale ici deux apports contemporains pour
poser un regard différent sur « le pervers » aujourd'hui. L'un de ces
apports est celui de Louise Kaplan (1995) qui expose l'actuelle arti-
culation entre un genre et une perversion, en marquant que les sté-
réotypes de genre sont « des lieux » dans lesquels on peut cacher, dé-
poser (ou « étayer » ?) les perversions. Pour sa part, Silvia Bleichmar
(o.c.) propose d'identifier le pervers par rapport au statut de l'autre
dans le psychisme, dans l'instance dans laquelle l'autre, au-delà de
la pratique, apparaît comme un objet et non pas comme un sujet
semblable.
• 27
Le fait que des hommes cherchent avoir des enfants tous seuls
n'est pas un phénomène nouveau, il existe des hommes qui veulent
avoir un enfant pour eux-mêmes, au-delà d'avec qui ils le conçoivent.
Ce qui est nouveau de nos jours est la déclaration de ce désir et la pos-
sibilité qu'offrent les techniques reproductives et la location d'utérus
pour matérialiser cette situation. La conséquence du coût élevé des
deux procédés, est que ces pratiques se produisent uniquement chez
des hommes qui jouissent d'un grand pouvoir d'achat. Afin de voir
l'impact chez les enfants et les manières dont ces enfants sont élevés,
nous aurons à observer comment cette tendance évolue17.
D. LA REASSIGNATION DE SEXE
Autour de cette problématique existent différentes positions.
Dans leur communauté, les personnes trans se définissent
comme telles au moment où, à un niveau identitaire et d'une forme
de vie, elles passent d'un genre à un autre, différent de l'assigné so-
cialement en vertu de leur sexe biologique original, ou celui qu'on
assigne aux intersexuels dont le sexe n'est pas bien défini.
D'après la psychiatrie nord-américaine, on considère la réas-
signation de sexe comme un dérangement ou une dysphorie de
genre, un diagnostic à partir duquel l'autorisation est obtenue pour
la chirurgie qui permet le changement légal d'identité de genre (au
moyen de l'homologation classique entre un sexe génital et une iden-
tité de genre). Ce critère avait été répliqué comme modèle dans notre
pays jusqu'à la formulation de la Loi d'Identité de Genre18.
À l'heure actuelle, coexistent certaines personnes qui désirent
faire une chirurgie de réassignation de sexe, qui réalisent des traite-
ments hormonaux et ceux qui sollicitent le changement d'identité de
genre tout en conservant leurs parties génitales d'origine.
La première réflexion est qu'au-delà de tous ceux qui soutiennent
que la question sur l'identité propre est démodée et qu'elle est un
17 Il faut aussi examiner les cas de Ricky Martin (Puerto Rico) et de Ricardo
Fort (Argentina).
18 En Argentine la Loi d'Identité de Genre, N° 26.743 du 2012, postule
le droit au changement d'une identité seulement par auto perception.
Pour ceci, on n'a pas besoin d'autorisation psychiatrique / psycholo-
gique et non plus d'une opération de réassignation préalable de sexe.
C'est un droit à l'identité. Ce qui crée une scénario très intéressant de
demandes et de situations.
28 •
mirage, nous voyons comment dans le même moment historique
certaines personnes sont disposées à être soumises à une opération
chirurgicale dans leurs organes de plaisir sexuel pour obtenir une
« adéquation » entre leurs parties génitales et une identité de genre.
D'autre part, il existe des personnes qui s'opposent à ces opérations
en remarquant précisément que c'est un prix qu'elles ne désirent pas
payer pour être dans la norme et demandent leur droit à vivre et à
être reconnues dans leur identité sexuelle et de genre sans opération.
Au-delà du respect que toute décision sur le corps propre mérite,
il est pertinent de réfléchir à l'une des dimensions de la chirurgie de
réassignation de sexe comme « une manière d'adaptation à la disci-
pline hégémonique ». Étant donné que parfois, le corps opéré perd
la possibilité d'avoir du plaisir avec ce qu'il a, et acquiert une cavité
ou une prothèse (selon le cas) sans possibilité orgasmique. Ce qui
n'est pas un moindre sujet, puisque par exemple dans le cas de la
construction d'une cavité vaginale, celle-ci serait au service d'une
fonction pénétrative, comme une restauration de la « passivité éro-
tique féminine » que la première psychanalyse remarquait comme
nécessaire pour acquérir la maturité dans la féminité avec le passage
par une zone de jouissance avec lequel on accéderait à la normalité,
une supposition qu'actuellement la majorité de mes collègues consi-
dèrent comme une « sottise d'époque ».
En ce sens, il est intéressant de mentionner comment, dans le film
« XXY », sur une adolescente intersexuée, se pose la décision pour
les parents de ne pas agir dans l'enfance. Cette proposition coïncide
avec ce que les militants intersexuels demandent aujourd'hui. Dans
le cas évoqué dans le film, la protagoniste devient une adolescente
avec une identité féminine de genre, avec les formes pulsionnelles
de la sexuation liées à la poussée de son génital masculin et à l'élec-
tion d'un compagnon érotique hétérosexuel, selon l'identité de genre
et homosexuel conformément au génital. Cet exemple nous montre
comment les catégories éclatent et nous font penser à une réalité
proche de ce que Beatriz Preciado caractérise comme « des multi-
tudes queer ».
De toute façon, cette réflexion n'exclut pas la légitimité des per-
sonnes qui font le pari de la chirurgie de réassignation de sexe comme
une manière d'accéder à l'adéquation entre leur identité de genre et les
formes de leurs corps. Simplement, ceci n'est qu'une réflexion à pro-
pos de la multiplicité de positions que les sujets assument dans leur ex-
périence autour de la relation entre un sexe, un genre et la sexuation.
• 29
Pour résumer, nous devons être avertis au sujet d'une discipline
(ou domaine) telle que la psychanalyse, qui a été pionnière au sens
de disloquer la relation entre le psychosexuel et le biologique, ne
renvoie pas à renouer la sexualité et la biologie en répétant les sché-
mas les plus homophobes de la pratique psychiatrique (Sanz, 2004).
Puisque, sans le vouloir, nous pouvons faire part de la pensée et de la
pratique des conservateurs, qui classifient dans le pathologique per
se toute sexualité en dehors de l'hétéro-normatif. De la même ma-
nière, je peux être partie, sans le vouloir, des groupes qui promettent
de soigner l'homosexualité, la bisexualité, la transsexualité et les per-
sonnes transgenre et travesties.
Peut-être est-il plus honnête d'admettre qu'actuellement les
outils cliniques et théoriques dont nous disposons sont construits
en majorité pour alléger la souffrance humaine, mais depuis
une perspective hétéro-normative avec une naturalisation du
sexe et un essentialisation du genre. Nous savons, par consé-
quent, très peu à propos de comment diagnostiquer pour délier
les aspects de production de subjectivité et de sexuation histo-
rique, du psychopathologique dans le domaine des pratiques de
la diversité sexuelle. Et ceci est l'un de nos défis à l'heure actuelle.
30 •
BIBLIOGRAPHIE
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34 •
UNE DIFFÉRENCE TRÈS PARTICULIÈRE : LA FEMME
DE LA PSYCHANALYSE 19
CHAPITRE 4 20
Ana María Fernández 21
38 •
l'équivalent du pénis) est quelque chose qui devrait attirer l'atten-
tion. Même si ces idées sont actuellement rejetées, la connaissance
qui alimentent aujourd'hui la sexologie et l'érotique, a toujours été un
impensable dans des pratiques érotiques quotidiennes des hommes
et des femmes.
Freud suppose que le clitoris donnera sa sensibilité raffinée au
vagin ; aujourd'hui, nous savons que ce n'est pas ainsi. En termes de
signification, la question est plus complexe ; le fait qu'une significa-
tion soit instituée dépend d'un cadre déjà donné par les significa-
tions de la culture et les effets de sens institués par la singularité des
pratiques de soi.
Que beaucoup de femmes ou une femme « transfère en totalité
ou en partie sa sensibilité », et avec elle sa signification au vagin,
est une chose que, plutôt que de la normaliser, la psychanalyse doit
s'interroger sur l'effet de violence que ceci cause à l'érotisme de ces
femmes. La culture musulmane, menacée par l'autonomie érotique
des femmes à établi des pratiques rituelles de mutilation du clitoris.
La culture occidentale obtient des effets similaires au moyen de stra-
tégies et dispositifs qui, pour être symboliques n'en sont pas moins
violents.
Il ne peut être ignoré que la psychanalyse est aujourd'hui l'un
de ces dispositifs, car ses récits sur la sexuation féminine donnent
à celle-ci une dimension universelle - non pas naturelle, mais in-
consciente— quand, en fait, il s'agit d'un résultat de processus com-
plexes issus d'une violence historique contre l'érotisme des femmes.
En réalité, le passage vers le « changement de zone » est l'un des
principaux soutiens de la monogamie unilatérale ; ceci a une grande
importance stratégique dans la reproduction de la famille patriar-
cale. La « Passivité féminine » est, sans doute, une de ses principales
conséquences27. Il faudra, donc, mettre en question la notion de pas-
sivité comme un stade de la féminité, et, par conséquent, une carac-
téristique universelle de la « normalité ». Il serait plus pertinent de
parler de passivité comme effet de violence symbolique et institu-
tionnelle sur l'érotisme de la femme dans le patriarcat ; il serait alors
27 La question de la « passivité » féminine est développée dans son chapitre
« Identidad de género y sus criterios de salud mental » / « Identité de
genre et ses critères de santé mentale », dans Burin, M. (comp.) 1987,
Estudios sobre la subjetividad femenina. Mujeres y salud mental. / Des
études sur la subjectivité féminine. Les femmes et la santé mentale. Bue-
nos Aires : GEL.
• 39
possible d'analyser ses traces dans la production de la subjectivité
et l'érotisme des femmes (-de toutes les femmes ?) laissées par le ré-
gime social.
À cette fin, il serait utile de faire une recherche généalogique des
catégories « passif-actif ». Élucider comment ces catégories ont été
signifiées à des époques historiques différente permettrait de briser
l'habitude de penser les catégories comme anhistoriques et univer-
selles ; en même temps, il serait utile de trouver les ponts entre leurs
récits théoriques et les dispositifs sociopolitiques qui les soutiennent.
Des analogies, des oppositions dichotomiques, des comparai-
sons hiérarchisées insistent tout au long des textes freudiens. En ce
qui concerne cette question, cette insistance est un véritable « symp-
tôme » du texte. Freud dit en se référant à la femme : « L'Anatomie
est le destin », mais ce qu'il faudrait lire, en fait, est quel est le destin
de l'anatomie sexuelle de la femme dans la théorie ? ou plutôt, recher-
cher quelle anatomie imaginaire fonde la théorie pour les femmes.
En d'autres termes, identifier ce que dans le domaine théorique on
structure comme son visible, pour s'attaquer après à son invisible,
c'est-à-dire aux objets interdits ou déniés.
En ce qui concerne le corps des femmes, le champ théorique
structure son visible compte tenu d'un clitoris qu'elles « doivent ima-
giner et investir libidinalement comme un « petit pénis » d'utilisation
masculine et puis, le laisser de côté, précocement, frustrées, au bénéfice
du vagin, auberge du pénis »28.
Les contributions de la psychanalyse lacanienne marquent, par
la suite, une différenciation de la plus haute importance : l'hypothèse
freudienne de l'existence universelle du pénis dans le stade phallique
rend compte du phallus non seulement comme un symbole du pé-
nis, mais aussi comme une fonction signifiante de la castration et
donc, d'une mise en place des différences entre le masculin et le fé-
minin dans l'univers humain29.
Alors qu'on ne peut pas ignorer que ce qui reste de la signifi-
• 47
48 •
TRANSGENRE : UNE SYNTHÈSE ET DES
OUVERTURES 40 41
Eva Giberti 42
43 Press for Change est un lobby politique et éducatif qui essaie d'obtenir
des droits civil et des libertés pour toutes les personnes transgenre au
Royaume Uni, à travers de la législation et du changement social.
50 •
litique et éducative qui lutte pour obtenir une liberté et des droits
civils égaux pour les gens transgenre au Royaume-Uni, au moyen de
la législation et du changement social. La décision de ceux qui l'ont
créée est concrète : « La Presse pour la campagne du Changement
travaillera jusqu'à obtenir la concrétisation des droits des personnes
transgenre pour vivre dans leur rôle approprié de genre sans souffrir
la poursuite, la bêtise ou la discrimination ».
L'une des organisations qui s'occupe à éclairer la communauté à
propos des personnes transgenre est le Réseau Transgenre de PFLAG44
qui a édité une brochure ; je reproduis ici certains de ses apports :
« Les personnes transgenre sont celles dont l'identité ou l'ex-
pression de genre diffère des expectatives conventionnelles
sur le sexe physique. L'Identité de Genre est le sens interne
que l'un a d'être un homme ou femme, ce qui est communé-
ment communiqué aux autres à travers l'Expression de Genre
(un vêtement, une coupe de cheveux, des gestes). Même si
les personnes transgenre ont toujours fait partie de toutes les
cultures et les sociétés dans l'histoire de l'humanité, c'est tout
récemment que la science médicale a commencé à s'occuper
d'elles. Beaucoup d'enquêteurs médicaux croient mainte-
nant que le transgenre trouve son origine dans les facteurs
complexes biologiques qui sont déjà fixés après la nais-
sance et qu'en conséquence, il ne s'agit pas d'une élection
mais d'un 'dilemme personnel' ».
• 53
leur place comme une partie acceptée de la structure sociale. Ils sou-
tiennent que c'est un mouvement en cours et qu'il est possible d'es-
sayer de prédire son avenir à partir des progrès obtenus au moyen
des étapes spécifiques.
L'antécédent mythique d'habitude débouche sur Tirésias, mais
aussi, d'une autre perspective, la tradition hermétique des gnos-
tiques et des alchimistes illustrait ses textes avec l'Androgyne Pri-
mordial. Cependant, la beauté de l'image n'a pas satisfait les initiés et
les ésotériques qui cherchaient à momifier les sexes dans une Unité
Primordiale, réussite impossible, tandis que la différence se mainte-
nait dichotomique mâle / femelle. Le transgenre semble aller au-delà
de cette métaphysique des hermétiques au moyen de la conception
d'une société dans laquelle ses membres sont construits étrangers à
la dichotomie du féminin / masculin, en se proposant comme des
sujets malléables par eux-mêmes (Giberti 2000).
C'est pourquoi on peut inclure l'analyse de la situation des per-
sonnes transgenre au sein de la bioéthique et c'est d'après cette pers-
pective qu'on aborde le sujet dans ce texte ; il ne s'agit pas simplement
d'une dénonciation indispensable face à l'évidence de la violation de
leurs droits, mais d'une lecture déconstructive des discours qui les
qualifient, des silences et de l'indifférence qui refusent de se com-
promettre avec l'exercice de tels droits. Il s'agit d'utiliser les méri-
diens politico- sociaux et éthiques qui permettent de rendre visibles
et parlants les corps et les voix de ces personnes qui agissent dans les
territoires que la majorité considère étrangers. Il s'agit de re-signifier
l'étrangeté que, en termes de perversion et de dangerosité on leur
adjuge. L'apparition surprenante et inquiétante de nouvelles formes
de vie, inaugurales ou arrachées de l'obscurité clandestine demande
d'autres regards, d'autres écoutes ainsi que la création de tensions
éthiques entre ce qu'on savait, ce qu'on désirait comme souhaitable,
et la présence d'autres ordres joués par des êtres humains qui dé-
fendent leurs droits.
54 •
Je limiterai le développement de cet article à deux énonciations
de ce concept : 1) Judith Butler (1990) a soutenu qu'au-delà des
influences sociales qui contribuent à la construction de nos subjec-
tivités, nous nous construisons nous-mêmes aussi. Le genre est « le
résultat d'un processus au moyen duquel les personnes reçoivent
des significations culturelles, mais elles sont aussi capables de les
innover ». Choisir le genre signifie qu'une personne interprète « les
normes de genre reçues de telle façon qu'elle les reproduit et les
organise à nouveau ». Bourdieu (1980) a pointé à propos de la lo-
gique du genre : « Il s'agit d'une institution qui a été inscrite séculai-
rement dans l'objectivité des structures sociales et dans la subjectivi-
té des structures mentales, donc, l'analyste a toute la possibilité de les
utiliser comme des instruments de la connaissance, des catégories de
la perception et de la pensée qui devraient être considérées comme
des objets de la connaissance. »
C'est-à-dire que la discussion nécessaire à propos de ce qu'on
comprend par genre réclame d'autres analyseurs qui excèdent la
critique - erronée certes - qui le caractérise comme anhistorique et
éloigné de la révision de la pensée binaire qui règle ses contenus.
Comme Bourdieu le signale, il s'agit de requérir l'application des
indicateurs de la perception et de la pensée, historiquement insti-
tués comme matrices du concept genre et non comme des objets de
connaissance, c'est-à-dire qui peuvent être déconstruits et analysés.
Le conflit dont souffrent les personnes trans, conséquence de la
tension entre le genre assigné à la naissance et le genre désiré, déman-
tibule l'ordonnance sociale qui oblige à classer un nouveau-né dans
la catégorie mâle ou femelle. Il en résulte que les créatures nées inter-
sexuelles ne peuvent pas se classer d'après le binarisme excluant ; et,
dans d'autres circonstances, après être arrivés à l'âge de quatre ou
cinq ans, les gens trans reconnaissent que leur désir à la base de leur
condition comme sujet réclame, avec persistance, d'abandonner le
corps et la subjectivité du genre assigné. Donc, à partir de l'étude de
ce qu'est le transgenre, il faut réviser non seulement le concept de
genre, mais les indicateurs - perception et pensée - qui ne dépendent
pas exclusivement d'une imposition sociale oppressive. Lorsque But-
ler soutient « nous nous construisons aussi » (au-delà des signifiés
culturels que nous recevons), elle privilégie en cela le fait que nous
pouvons imaginer et symboliser à partir de ce que nous sommes se-
lon notre expérience du générique, en mettant entre parenthèses le
genre assigné ou anatomique, en demandant alors la reconnaissance
• 55
du désir, peu importe à quelle société nous appartenons.
Ce chapitre se positionne, dans le sujet de la transsexualité, à un
segment du transgenre.
56 •
très grande quantité de données à propos des pontifes du nazisme.
Hirschfeld a continué d'écrire à propos de patients travestis et
a organisé, avec Havelock Ellis et Forel, le Premier Congrès de Ré-
forme Sexuelle, réalisé en 1921 ; les Congrès de Vienne ont suivi, en
1930, et la Fondation de la Ligue Mondiale de la Réforme Sexuelle, a
été accompagnée de la publication de ses premières œuvres à propos
de l'homosexualité (1920), des pratiques sexuelles non habituelles
(1933) et une autre, rapportée aux perversions (1938). Il se propo-
sait d'élaborer une sociologie sexuelle dans laquelle les problèmes
éthiques, criminologiques et législatifs occupaient une place signi-
ficative. En coïncidence avec Forel, il pensait qu'il ne devrait pas
exister de problèmes entre l' « hygiène sexuelle » (ainsi qu'elle était
dénommée à cette époque) et l'éthique sexuelle. Hirschfeld avait fait
un pas de plus : il entreprit une bataille contre l'article 175 de l'an-
cien Code Pénal allemand qui condamnait à cinq ans de prison les
homosexuels.
Entre 1913 et 1918 sont apparues de nouvelles recherches
conjointes à propos de l'homosexualité et du transsexualisme ; ce
dernier était positionné comme le critère qui commençait à diffé-
rer du travestisme que Kraft Ebbing a étudié et dont il a publié les
conclusions en 1923.
Dans les années vingt, H. Benjamin avait administré l'un des
premiers traitements hormonaux à une personne transsexuelle.
En 1931 en Allemagne, a eu lieu la première ou l'une des pre-
mières opérations chirurgicales de changement de sexe, qu'a osé
une jeune peintre, Lili Elbe, qui peu après est décédée des suites
d'une tentative prématurée de création de vagin. De nouveau en
1931, deux fois en 1947, en 1950 et en 1952, on a connu d'autres
cas de création de néo-vagins, jusqu'à ce que Christine Jorgensen,
opérée au Danemark par le Dr. Hamburger, entre 1951 et 1954,
atteigne une notoriété mondiale. Son cas a participé au dévelop-
pement des techniques et des demandes chirurgicales de la trans-
sexualité contemporaine. En 1953, H. Benjamin, dans un article
publié dans le Journal of Sexology, Transvestism and Transsexua-
lism48 a construit scientifiquement le terme transsexuel créé par le
divulgateur médical David Cauldwell, en 1950. Depuis lors, une
sexologie de la transsexualité s'est émancipée, d'où, plus récem-
ment s'est distingué le concept de transgenre. Au préalable, Deve-
L'AUTRE HISTOIRE
Il est nécessaire de connaître comment les personnes transgenre
s'installent et se sont installées dans divers pays et dans des époques
distinctes ; ceci nous conduit à l'anthropologie et aux histoires ra-
contées par certains voyageurs. L'anthropologue Josefina Fernández,
dans sa recherche (inédite) a soutenu : « L'une des sciences qui s'est
préoccupée de montrer le caractère culturellement variable du com-
portement sexuel est l'anthropologie ». Comme remarque Barreda
(1993), les études anthropologiques qui abordent la thématique de
la sexualité essaient de déchiffrer quel est le critère de base dans la
différenciation entre les sexes ; quelles sont les spécificités des repré-
sentations qui orientent les comportements sexuels et comment ces
représentations sont vécues par les acteurs sociaux dans des situa-
tions et des contextes socioculturels concrets.
La même auteure fait référence à Gilbert Herdt (1996), dans son
livre Third Sex, Third Gender. Beyond Sexuel Dimorphism in Culture
and History50, dans lequel elle a compilé un ensemble d'articles sur la
viabilité de la catégorie de troisième sexe ou troisième genre. D'après
elle, il n'y a pas de raison à chercher une relation absolue entre une
62 •
auteure, dont la thèse met en rapport des connaissances d'astrono-
mie et d'archéologie, a systématisé ces perspectives avec les études de
genre. Les données qui se rapportent à l'hermaphrodisme, trouvées
dans les cultures préhistoriques (des sculptures hermaphrodites : la
déesse, personnification du principe masculin et féminin avec fonc-
tion de s'auto-féconder et d'accoucher de toutes choses) (2001) lui
permettent de soutenir :
« L'hermaphrodisme a été représenté métaphoriquement aussi
bien dans les époques préhistoriques que dans les civilisations pri-
mitives de plusieurs manières : dans les sculptures qui représentent
deux sexes ou qui les incluent : elles ont des mamelles féminines
et des parties génitales masculines, ou dans les statues qui ont une
forme allongée phallique avec des attributs manifestement féminins.
Elles présentent les caractéristiques fusionnées des deux sexes : des
mamelles, une vulve, des grossesses où extérieurement la figuration
est phallique [...] ou des figures féminines qui, selon l'angle d'où on
les regarde attentivement, représentent les parties génitales mascu-
lines [...]. Par la suite, ce type de figure a été divisée en Paire Divine
des deux sexes ou a été changée en divinités masculines ».
Francisca Martin-Cano Abreu dessine, en les copiant, chacune
des statuettes trouvées, elle les décrit visuellement et, grâce à son
talent de dessinatrice, permet de constater la variété et la quantité
de conceptions qui, dans diverses cultures, a positionné le sujet de
l'hermaphrodisme comme une dimension socioculturelle éminente,
associée à la divinité et aux cultes.
Par exemple, à Chypre, en se rangeant entre les cultures préhis-
toriques et dans l'Âge de Bronze, on a trouvé une grande quantité
d'amulettes relatives à la fertilité, des colliers en terre cuite en forme
de festons ; un type cruciforme avec les bras étendus comme des ailes
que l'auteure rattache à la constellation du cygne et la croix du Nord,
des jambes fléchies et une fente entre celles-ci, un long cou avec une
tête en forme de gland, le nez étant l'orifice urétral, clairement her-
maphrodite.
Les recherches de la même auteure informent, à propos des
cultures africaines, qu'au Cameroun et au Gabon apparaissent les
sculptures universelles doubles, la représentation de la dualité de
déesses trouvées depuis le paléolithique. Par exemple, la dualité des
Fang, deux figures adossées avec des mamelles qui ont à la fois une
forme phallique et des têtes en forme de gland, allusives à leur her-
maphrodisme. Au Congo (Zaïre) le peuple Dogón, héritier des Tel-
• 63
lem, on trouve un grand nombre de sculptures de l'esprit ancestral
Nommo. Il se présente tantôt dans des images féminines, tantôt mas-
culines mais aussi hermaphrodites. La divinité ancestrale Nommo,
est elle aussi hermaphrodite, avec une barbe rituelle, un corps et des
mamelles féminins, des traits faciaux et des cheveux masculins.
Au Nigeria les Dzukun / Jukun, les Ashantis de Ghana et les Lobi
du Cameroun produisent des cônes anthropomorphiques de terre
cuite destinés à être placés dans les tombes ; ce serait une évolution
des monolithes archaïques « Ekoi », des concrétions de l'esprit ances-
tral hermaphrodite, objectivé dans ces sculptures arborant les attributs
des deux sexes ou en forme d'une figure de pierre / betilo / ónfalos,
qu'on vénère dans les bois sacrés, comme le « Ekoi » / « Akwanshi »
du XVIe siècle, taillé dans une pierre par un artiste du peuple Ekoi
/ Ejagham.
En Italie, au paléolithique, une idole apparaît dans la stéatite verte
du Lac Trasimeno, celle-ci présente sur son devant des mamelles et
des parties génitales féminines et de dos, simule les parties génitales
masculines, dont les extrémités sont achevées en pointe (cette pièce
est décrite plusieurs fois par les chercheurs/ses). À la même époque,
on trouve la représentation de la déesse hermaphrodite de Grimaldi.
64 •
le dénommé nadle était reconnu comme homme et comme femme.
Sa présence constituait un bon augure pour sa famille parce qu'il
(elle) était destiné/e à se convertir en chef. Il était chargé de préparer
la nourriture, de tisser, de soigner les brebis et d'accompagner les
accouchements.
Classer les berdaches comme des homosexuels/les institutionna-
lisés (es) serait une erreur. Fulton et Anderson, en 1992 ont éclairé la
situation : les berdaches ne demandent pas de changement d'identité
de genre, ce qui les assimile à certaines des personnes transgenre. Ils
possèdent une double compétence sociale, manipulent socialement
la double identité à la fois féminine et masculine, traversent les fron-
tières symboliques entre les deux genres et sont particulièrement
éminents, en tant que chamans pour traverser les frontières entre les
êtres humains et les esprits, entre les vivants et les morts.
• 69
et des ouvertures 5158 permettent d'évaluer l'histoire de l'homosexua-
lité durant cette période. Quant à Phillip Aries (1987), il se rapporte
à l'époque dans laquelle l'homosexualité se reconnaît comme une
maladie ou une perversion et il la situe entre le XVIIIe siècle et le
début du XIXe. Durant cette période, la notion de l'homme homo-
sexuel était associée avec celle du travesti et du pédophile, critère qui
selon Pollak (1987) aurait été modifié au XXe siècle.
Dans notre pays, ce sont les médecins qui ont adhéré à la cri-
minalisation et la judiciarisation des homosexuels et par extension
des travestis : on les a classés comme « inversés » et on a compté sur
la police pour les arrêter, sans qu'il fût nécessaire qu'ils provoquent
« un scandale dans la rue » ou qu'ils s'offrent à la prostitution. Le
critère persiste – il suffit de se rappeler la bataille légale provoquée
autour du Code de Cohabitation sanctionné par la Législature de la
Ville Autonome de Buenos Aires - bien que ces personnes ne soient
pas désignées comme des inversés59.
Dans n'importe laquelle des descriptions juridiques, dérivées
d'une médecine légiste ou de la psychiatrie, l'habitude est de classi-
fier celui que l'on considère l'homosexuel passif - travesti ou non –
par rapport à celui qui est considéré actif. À partir de cette différen-
ciation élémentaire, on a pris l'habitude d'avancer idéologiquement
dans la caractérisation d'un délit ou d'une pathologie.
La peur, face au différent, en prenant comme paradigme de la
normalité la classification binaire homme / femme, se convertit
communément en actes agressifs, discriminatoires, et caractérisés
par la haine envers les victimes.
LA SPIRITUALITE
La défense des droits des personnes transgenre, comme je l'ai
énoncée dans mes travaux antérieurs (Giberti, Et. 2002 et al.), a be-
soin d'une énumération soigneuse qui doit inclure aussi bien les pro-
blèmes qu'elles peuvent trouver dans leurs emplois comme James
Green l'a décrit, jusqu'à l'usage de cartes de crédit. À ce niveau, une
coalition démocratique est indispensable pour habiliter les pratiques
qui sont nécessaires afin de dénoncer les violations de ces droits et
• 71
un segment de Conundrum60 dans lequel Morris décrit les moments
antérieurs à son intervention chirurgicale : « James Morris Sort, Jan
Morris entre, par la médiation de la technologie médicale de la fin du
XXe siècle, dans cette histoire merveilleusement 'orientale', presque
religieuse de transformation ». J'ai personnellement écouté des ex-
pressions semblables, ainsi que des dires des diverses cultures dans
lesquelles les personnes transgenre sont choisies comme des cha-
mans et des guides spirituels. Dans ceux qui ainsi se positionnent, le
genre acquiert une vigueur tutélaire qui s'étend au-delà de l'identité
transgenre (particulièrement chez les transsexuels). Tutélaire dans
le sens de disposer d'une intuition (d'un regard) qui les différencie
des autres gens et les positionne dans l'aspiration d'une initiation
spirituelle dérivée de leur état transgénérique. Soit que ces personnes
comptent sur des expériences de pureté et de bonté associées à une
souffrance qu'on peut qualifier de spirituelle et qui ne semblerait pas
être étrangère à une inclusion personnelle dans un monde sacré, soit
la perception d'elles-mêmes et du monde, en tant que nous consi-
dérons la perception comme objet de connaissance, qui inclue une
dimension qui, selon d'autres catégorisations, aurait les manifesta-
tions du délire. Millot, C. (1984) a apporté dans ce même sens son
écrit « Le sacré il(elle) se trouve au centre de l'énigme transsexuelle ».
Cependant, si on a recours à d'autres lectures nous devrons nous
introduire à ce que Jung a dénommé le coincidentia oppositorum,
la réconciliation des opposés, qui rétablirait, dans la tradition her-
métique l'Unité primordiale. La dite Unité ne pourrait pas être
construite si les êtres humains ne réussissaient pas à surpasser le
partage des deux principes opposés, du féminin et du masculin. Pas-
ser continuellement par l'alternance femme / homme comme cela
arrive chez les personnes transgenre (et même chez celles qui ont été
opérées chirurgicalement) peut-être actualise, non seulement le « sa-
voir à propos de l'autre sexe », mais aussi génère la prétention d'une
position supérieure comparée à la vie des gens hétérosexuels. Cette
position est celle que l'on adjuge à l'Androgyne Primordial.
La présence d'androgynes et d'hermaphrodites dans les textes
ésotériques et dans les paroles des hermétiques, en plus de l'icono-
graphie préhistorique antérieurement citée, nous autorise à penser
à l'existence de ces personnes dans les civilisations antiques, ainsi
• 75
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Note *2001 Gender Education and Advocacy, Inc. GEA est une orga-
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76 •
LA SEXUALITÉ MASCULINE.
UNE ÉTUDE PSYCHANALYTIQUE DU GENRE. 62
PREMIERE PARTIE 63
Irene Meler 64
CADRE THEORIQUE
Notre cadre théorique reconnaît dans la construction de la sub-
jectivité, l'effet conjoint des structures de pouvoir et d'érogénéité des
corps. Il s'agit d'une relation complexe, qui ne peut pas être réso-
lue en rajoutant seulement de nouveaux concepts. Du point de vue
intersubjectif, je me réfèrerai au désir d'une manière différente de
ce qui était habituel dans les premières études psychanalytiques,
lesquelles ont pris comme clé pour leur compréhension l'érotisme
zonal et partiel considéré hors contexte. Le désir surgit au sein des
liens avec autrui, dont le mot et le regard des autres significatifs en-
registrent leurs marques particulières sur les corps sensibles. À leur
tour, les liens d'intimité se développent dans un environnement so-
cial et historique où se déroulent des pratiques collectives réitéra-
tives. C'est bien là où l'on partage, on discute les représentations et
les valeurs concernant les plaisirs et le pouvoir qui circulent dans les
rapports entre les gens. Les inscriptions qui créent des particularités
désirantes de chaque sujet, se produisent ensuite, dans un contexte
interpersonnel qui peut être caractérisé par des relations de pouvoir
et de la résistance circulant à ce propos.
80 •
de la femme ou le plaisir partagé avec elle, ils aspirent au plaisir
obtenu dans le groupe des amis hommes à travers l'évocation des
rencontres sexuelles. Les activités de masturbation collective qui se
produisent parfois dans certaines bandes d'adolescents, à l'aide de
revues pornographiques (Lafont, 1987), sont des exercices qui ré-
vèlent de la même ambiguïté. Avec cela, je ne suggère pas que ce sont
des situations comparables avec les pratiques homosexuelles, mais
que ce sont des situations dans lesquelles on registre un investisse-
ment du Moi, du pénis et de l'activité sexuelle même, tout comme
de ses pairs. Le désir hétérosexuel est insuffisamment établi dans ces
cas-là et la femme fonctionne comme alibi et objet de décharge pour
ce qui est du désir, donc une pratique, définitivement, auto et homo
érotiques.
David Maldavsky (1980), dans une discussion au sujet des carac-
tères masculins chez les femmes, désigne le célèbre roman de Daph-
ne Du Maurier, Rebecca, une femme inoubliable. Il interprète les
confidences que Rebecca fait à la femme de ménage, Mme. Danvers,
sur ses aventures érotiques, comme étant l'expression d'une fidélité
homosexuelle entre elles deux, où les hommes fonctionnent comme
intermédiaires. Les scènes ‘glorifiées' entre hommes expriment le
même type de lien et constituent un lieu commun de la masculinité
traditionnelle.
Emilce Dio Bleichmar, dans une communication personnelle, a
exprimé que de son point de vue, on comprend mieux ces pratiques
et ces attitudes à partir du référant au narcissisme du genre. Je crois
qu'il est nécessaire de réfléchir quel est le sens que nous accordons à
la notion de « narcissisme ». Si l'on se réfère à l'investissement éro-
tique de l'image de soi, qui est accompagné par un sentiment d'élé-
vation de l'estime de soi, nous pouvons articuler les notions de nar-
cissisme et d'érogénéité.
Il est nécessaire d'ajouter une autre réflexion. Quand je pense que
dans ces groupes de rencontres entre adolescents mâles, il y a un inves-
tissement libidinal dirigé vers le propre Moi et ses pairs, je ne suggère
pas que toute relation homo érotique soit par définition narcissique, un
argument que je récupérerai plus tard. Il est possible de trouver une ex-
trême incapacité à reconnaître l'altérité dans le contexte des liens hété-
rosexuels et il y a des rapports homosexuels dans lesquels on est arrivé
à une connexion intersubjective satisfaisante et au développement de
l'empathie. L'expression « auto investissement de l'image de soi » est
peut-être la plus précise pour caractériser ce phénomène.
• 81
Le revers obscur du fait de se vanter, est la peur de l'individu
d'être défavorisé par rapport aux autres mâles. L'envie du pénis est
masculine, étant donné que souvent les hommes perçoivent leur pé-
nis comme étant petit par rapport à ce qu'ils ont observé chez leur
père, leurs frères ou leurs amis. Fait intéressant, la comparaison et
l'affichage du pénis s'intensifie dans la sous-culture homosexuelle
masculine, où les transactions érotiques sont établies dans de nom-
breux cas sur la base de l'affichage de la puissance érectile dans le do-
maine des urinoirs. Apparemment, le désir de dissiper tout soupçon
d'efféminement par les homosexuels qui se vantent de tenir le rôle de
celui qui pénètre, (« miches » au Brésil, « coccinelles » au Mexique,
etc.), ce qui hypertrophie la glorification virile.
L'obsession de la performance est un autre emblème de la mas-
culinité hétérosexuelle « normale » qui s'exécuter même sans désir,
pour ne pas décevoir les attentes des femmes, se motiver par des
images fantasmées lorsque la réalité est décevante, penser à l'an-
nuaire téléphonique pour retarder l'orgasme, etc., constituent la
contrepartie des orgasmes forgés de toutes pièces par les femmes qui
jouent leur rôle dans la comédie érotique.
Marqués dit :
« Dans quelle mesure la répression de la masturbation encou-
rage-t-elle une envie d'éjaculer à l'intérieur de la femme, qu'il
ne faut pas confondre avec d'autres facteurs qui incitent l'obses-
sions du coït ? Que se passe-t-il physiquement et psychologi-
quement chez l'homme qui pense maintenant qu'il sera très mal
évalué s'il ne réalise pas le coït ou au moins s'il n'éjacule pas ? ».
Cette hypothèse coïncide avec la position de Luce Irigaray
(1974) : l'homme aime son pénis et utilise les femmes pour le pro-
téger de la menace de la castration. C'est pourquoi l'Auteure expli-
cite que l'impératif freudien du changement de zone érogène chez
les femmes, c'est-à-dire le déplacement de l'érogénéité du clitoris au
vagin, coïncide avec la proscription de l'auto érotisme masculin en
raison de la menace de la castration.
Performance sexuelle canonique qui conjure les fantasmes
d'inceste, de châtiment et d'impuissance qui affligent les hommes.
L'investissement narcissique du pénis et de l'excitation sexuelle
masculine, est une priorité en ce qui concerne la relation avec les
femmes, puisque, comme le soulève Emilce Dio Bleichmar (1985),
notre culture n'a pas encore installé une représentation collective de
82 •
la castration symbolique, et cela se traduit par le fait que demeure
en vigueur l'attribution imaginaire de toute-puissance pour l'un des
genres. Dans chacun de leurs actes quotidiens, beaucoup d'hommes
s'efforcent de soutenir cette illusion.
Pour Marqués, la rigidité sexuelle de beaucoup d'hommes, qui
répètent une conduite stéréotypée avec des femmes différentes, ré-
fère à ce qu'ils ont eu des relations sexuelles précédées de la sensation
de « faim » et marquée par l'obsession inconsciente de l'accomplis-
sement d'un rôle.
L'initiation avec des prostituées, qui existe toujours chez nous,
marque un jalon important dans l'apprentissage du comportement
sexuel masculin, où les garçons apprennent que la sexualité est une
chose au sujet de laquelle on ne parle pas beaucoup, mais qu'ils
doivent pratiquer en cachette et qu'on attend d'eux un accomplisse-
ment adéquat pour démontrer qu'ils ne sont plus des enfants et qu'ils
ne sont pas des homosexuels ; que les femmes sont des objets utili-
sables pour des fins narcissiques et que les rapports sexuels sont des
conduites clandestines qui augmentent l'estimation du mâle tandis
qu'elles rabaissent la femme.
L'association entre sexualité masculine et sadisme anal est très
forte, car elle est révélée par la grande diffusion des blagues obscènes
et pornographiques. Les auteurs de la Nouvelle Recherche, (Chasse-
guet-Smirguel, 1977) mettent en rapport les difficultés féminines
pour aboutir à l'orgasme avec le contre-investissement du sadisme
anal, ce qui explique le référant à la culpabilité féminine, la crainte
d'endommager l'objet d'amour, l'idéalisation du père lors du change-
ment d'objet, etc. Il est possible d'observer que souvent les femmes
idéalisent les hommes et se laissent elles-mêmes de côté pour leur
faire plaisir, renonçant donc à toute demande érotique spécifique.
Mais pour quelle raison les mâles ont-ils du plaisir parfois à dominer
et dénigrer les femmes ?
Si nous cherchons des fondements familiaux et subjectifs pour
comprendre la propension masculine à une certaine violence et dé-
gradation de la sexualité, nous pouvons nous référer au besoin géné-
ralisé de se détacher de l'identification avec la mère et la dépendance
primaire à celle-ci. Comme nous l'avons vu, Stoller (1968) considère
que le nécessaire processus de dés-identification à l'égard de la mère,
décrite par Greenson (1995), est le principal déterminant de la dif-
fusion d'un style de masculinité misogyne, homophobe, sadique et
pervers. L'absence d'un modèle de masculinité précoce, qui est due à
• 83
la distance habituelle du père en ce qui concerne les jeunes enfants,
stimule l'hypertrophie des différences et la construction d'une for-
mation réactionnelle contre la féminité.
Il y a un lien structurel entre éducation maternel exclusif, avec
la stimulation qui en découle de l'identification initiale des nour-
rissons avec leur mère, et les pratiques que les institutions dans des
périodes ultérieures de la vie stimulent en tant qu'attitudes viriles
(Chodorow, 1984). C'est une résolution spasmodique du dilemme
soulevé entre la régression à la dépendance versus la nécessité de
développer des attitudes d'indépendance et de courage. C'est comme
si les groupes humains cultivaient la fusion pour la déchirer par la
suite avec cruauté, générant une sorte de paradis perdu enfantin et
vaguement déshonorant. L'homme violent et obscène est une figure
réactive par rapport à ce qui est doux et aux « bonnes manières » de
l'école maternelle.
Freud (1931) se réfère à un certain mépris masculin normal pour
les femmes, - ces créatures sans pénis-, dérivé de l'angoisse de castra-
tion et dit que lorsqu' il est accentué, il peut déterminer un choix ex-
clusif homosexuel. La masculinité telle qu'elle a été construite dans
les sociétés traditionnelles produit une relation trouble et non réso-
lue en ce qui concerne l'homosexualité, qui n'est parfois que l'expres-
sion exacerbée de certaines attitudes mâles hétérosexuelles. Entre un
mâle qui a besoin de s'exciter en étant dominant et dégradant envers
sa compagne, et celui qui trouve les femmes écœurantes, d'un point
de vue érotique, il y a qu'un pas.
Víctor Seidler (1995) se rapporte au dégoût que beaucoup
d'hommes expérimentent après un rapport sexuel, et que certains
textes médicaux ont appelé « aversion pour le couple », conséquence,
peut-être, de l'angoisse de la perte de contrôle rationnel impliquant
l'excitation sexuelle. Cette expérience est rejetée, dit l'auteur, en
raison de la tradition culturelle du siècle des lumières, qui valorise
avant tout la rationalité et le contrôle comme faisant partie de leur
masculinité sociale, en projetant la sensibilité et la corporéité dans le
genre féminin. J'ai l'impression que c'est un phénomène beaucoup
plus vaste.
Comme nous l'avons vu, Godelier décrit chez les Baruya de
Nouvelle-Guinée66 des angoisses diverses associées à des relations
86 •
En fait, ces régimes ressemblent curieusement à des propositions
concernant la nouvelle sexualité du couple hétérosexuel avec le mo-
dèle lesbien. J'entends par là le modèle de comportement qui s'affiche
lorsque les lesbiennes se libèrent de l'impératif de l'envie phallique, qui
consiste à représenter le rôle sexuel des hommes ; elles fournissent par
la suite un autre modèle pour les liens érotiques et émotionnels.
Bien que ces tendances innovatrices progressent, pour élaborer
un projet de reformulation symbolique de la sexualité culturelle,
une étape essentielle consiste à analyser attentivement le modèle hé-
gémonique actuel, afin de déceler sa structure et ses aspects para-
doxaux. Aujourd'hui, il y a différentes masculinités. Au sein de ceux
qui ont théorisé sur ce sujet, nous trouvons les hommes repentants,
des mâles qui se plaignent de leur sort, les néo-misogynes, aussi bien
que les hommes solidaires et démocratiques. Ce que je décris se ré-
fère au stéréotype traditionnel hyper masculin qui est objet d'exa-
men et de discussion, mais qui fait retour de manière presqu'inaper-
çue malgré les meilleures intentions.
L'image de l'homme comme un sujet toujours excitable, obsédé
par le sexe, est liée à la domination. N'oublions pas le vieux parte-
nariat établi entre la pénétration sexuelle et la domination sociale
(Foucault, 1986). Pénétrer dans le corps des autres, qu'ils soient ado-
lescents, autres hommes, ou femmes, était un équivalent imaginaire
du pouvoir citoyen.
L'hypersexualité va de pair avec la promiscuité. L'école fran-
çaise de psychanalyse a fait écho à des usages et des coutumes de
bon sens, disant que « l'homme », - conçu de manière essentialiste
et universelle – veut posséder toutes les femmes une par une, tandis
que la « femme » est contrariée quand elle est montrée comme dé-
sirante sexuellement puisqu'elle aspire à garder son image en tant
que n'ayant autre désir que celui de l'amour (Torres Arias (1992).
Ces attitudes font partie des féminités et des masculinités tradition-
nelles et elles sont le corrélat subjectif de la double morale sexuelle.
Son élévation à des archétypes universels met en évidence une po-
sition psychanalytique solidaire avec des valeurs et des représenta-
tions conservatrices et traditionalistes en ce qui concerne les rôles
du genre.
Pourquoi les mâles traditionnels sont plus enclins à la promis-
cuité ? Une perspective psychanalytique du sexe peut faire référence
à ce modèle de comportement aux facteurs suivants : chez les peuples
« primitifs », le mâle dominant est celui qui a accès à plus de femmes.
• 87
Séduire les femmes peut être un moyen plus facile d'acquérir du
prestige dans les grandes villes, plutôt que d'entrer en concurrence
pour de l'argent et le pouvoir. Ce serait alors une sorte de raccourci
pour obtenir la consécration narcissique.
Une autre raison réside dans l'angoisse de castration. Le vagin
est perçu comme un site potentiellement castrateur, en raison de la
projection des désirs de l'enfance vorace en ce qui concerne le corps
de la mère. À cela s'ajoute la perception démentie sur la destructivi-
té impliquée dans la représentation masculine des femmes comme
étant châtrées, imagerie développée par l'homme afin de se réaffir-
mer comme supérieur. Étant donné ces inquiétudes, rien de mieux
pour fuir un vagin qu'un autre vagin !
Le concept d'angoisse de castration a donné lieu à des dévelop-
pements très intéressants, où se distingue en plus de l'aspect punitif,
la perte nécessaire d'une jouissance archaïque pour accéder à la sym-
bolisation (Montrelay, 1979). Cette question est d'une grande com-
plexité en soi, mais il me semble nécessaire de souligner que nous
devons distinguer au sens large, la dénomination de « castration » de
celle utilisée dans le cadre théorique de l'école française de psycha-
nalyse, comme un point de vue général qui comprend des hommes
et des femmes, de la modalité spécifique d'anxiété masculine, asso-
ciée à la préservation de la toute-puissance virile imaginaire.
Freud (1910) nous offre une troisième raison pour justifier de
la promiscuité masculine. La fixation en ce qui concerne la mère
comme objet d'amour, favoriserait l'insatisfaction masculine. Au-
cune femme n'est satisfaisante, ce n'est pas « elle ». Par conséquent,
ce type de mâle se lance dans une longue série de relations où la
femme est soupçonnée d'infidélité, ou qu'elle est mariée, ce qui réé-
dite la scène œdipienne, contestant l'interdiction paternelle pour s'y
conformer ensuite en changeant d'objet. Il est intéressant de noter
que le si fameux « enterrement » du complexe d'Œdipe n'est pas aus-
si généralisé qu'on le voudrait.
Le complexe d'Œdipe et la menace de castration sont le fond
musical de ce périple. C'est comme si l'individu mâle se disait a lui-
même : « si je suis libertin, je suis puissant, et si je suis un dragueur,
je ne dépends pas d' une seule femme avec le risque d'affaiblissement
que cela implique ; si je pratique la promiscuité, je ne suis pas impli-
qué dans une relation que je peux perdre, car c'est moi-même qui les
substitue et, de cette façon, je me protège de revivre des souffrances ;
si je suis un dragueur je pourrais 'la' trouver, si je suis un libertin, je
88 •
suis de sexe masculin aux yeux de mes semblables ». En cette der-
nière occasion, je fais allusion au rôle que joue, dans ce lien de confi-
guration, l'imaginaire collectif sur la masculinité.
Quelle est la contre-figure de la promiscuité masculine ? C'est la
jalousie. Tout homme est un prédateur potentiel de la femme consi-
dérée comme propriété de l'autre, non seulement parce qu'il la dé-
sire, mais parce que son accès à cette femme est l'équivalent d'un
triomphe sur un rival détesté et même de sa position homosexuelle.
L'infidélité féminine a été classée comme un crime contre la
propriété du titulaire de la femme et, dans une certaine mesure
elle l'est encore. Dans notre code civil, cet état de fait a persisté
jusqu'à il y a peu de temps dans la figure désuète de « crimes contre
l'honnêteté » c'est à dire les abus contre les femmes, que les avocats
féministes ont proposé de remplacer par « atteintes à la liberté ou à
l'intégrité physique des femmes ». Si la victime d'un abus ou d'une
infraction voyait blessée son « honnêteté » c'est parce qu'elle était la
propriété de son maitre légitime. Les femmes fonctionnent imagi-
nairement comme les aspects « féminins » de l'homme, lequel se sent
dégradé par d'autres hommes qui auraient eu accès à eux à travers de
la porte ouverte par sa femme.
Freud (1922) mit en rapport la jalousie avec la paranoïa et l'ho-
mosexualité. La jalousie projetée implique l'attribution à la femme de
ces propres aventures extra conjugale. Othello disait (Shakespeare,
1968) : « si j'ai été avec d'autres femmes, pourquoi ne serait-elle pas
avec d'autres hommes ? ». Le crime de Desdémone fut de se soustraire
à l'autorité parentale incitant leur père dire par dépit : « surveille la,
Moro, si tu as des yeux pour voir. Elle a trompé son père et elle peut
aussi te tromper toi ». La fin de Desdémone fut celle qui correspon-
dait à une femme qui avait l'intention de revendiquer son autonomie
sexuelle, dans un système symbolique où elle était un bien à mar-
chander, et où elle n'était pas considérée comme un sujet. Othello
finalement par le biais de la criminalité, se montre sous une forme
paradoxale comme un exposant fidèle des règles sur les droits de
propriété des femmes, réclamées par les mâles.
Bien que Freud (1931) ait attribué aux femmes un potentiel supé-
rieur de jalousie, comme transformation de l'envie phallique, l'obser-
vation clinique ne confirme pas cette hypothèse. La jalousie masculine
est plus évidente et plus violente, car l'infidélité menace la domination.
Derrière la projection (jalousie projetée) apparaît toujours le fantasme
de l'homosexualité, car si la dame retourne la gentillesse, expose à son
• 89
possesseur au risque d'être soumis par un autre mâle, perdant ainsi
son statut socio - symbolique. Les « trente-quatre coups de couteau »69
que raconte un tango argentin à propos du meurtre d'une femme sur-
prise en adultère, exprime sous forme aberrante un acte suprême de
possession et de réaffirmation virile, mais aussi un amour homosexuel
qui excuse son rival, d'après la lecture d'un de ces vers : « l'homme n'est
jamais coupable dans ces cas-là ».
Les récits tant vantés n'excluent pas que les hommes sont singu-
lièrement peu expressifs sur leur sexualité. Contrairement à Freud,
qui, avec Jones (1926), reprochait à la femme de parler peu de sa
sexualité, Marqués croit que sont les hommes qui parlent peu. Cette
disparité entre ces deux auteurs doit dépendre du fait qu'ils com-
prennent différemment la communication. Les hommes parlent,
mais pour élaborer des histoires qui ressemblent à l'idéal du genre
masculin. Les femmes sont encore plus prudentes, mais nous avons
atteint un meilleur niveau de communication entre amies, ou dans
les thérapies que nous avons souvent tendance à demander dans le
but d'exprimer nos sentiments les plus intimes. Les hommes peuvent
difficilement exprimer leur insatisfaction dans un rapport sexuel où
ils ont obtenu l'orgasme. Le sentiment du devoir accompli obscurcit
l'inconfort subjectif.
Une autre caractéristique du rôle dominant est la prétention de
tout savoir sur le sexe, conforme au rôle d'initiateur qui est attendu
de l'homme. Ce qui reste oublié dans cette figure, c'est que le mâle a
été lui-même initié. La prostituée, qui a souvent fonctionné comme
initiatrice, ou la femme plus âgée, sont reléguées dans l'oubli. Bien
sûr qu'aujourd'hui il y a des initiations réciproques entre jeunes amis
qui explorent la sexualité ensemble.
Mais il est très possible que les jeunes femmes se sentent secrète-
ment abandonnées lorsque le mâle déplace la recherche sur d'autres
femmes, car elles sont encore prisonnières de l'illusion de consacrer
leur estime de soi par le biais d'être choisi comme « l'unique », donc,
vérifier qu'elles ont été « une de plusieurs », les dévalue à leurs yeux.
Cela peut donner lieu aujourd'hui à une identification hostile avec
le mâle, en assumant un comportement pseudo masculin. En re-
vanche, les garçons sont consacrés lorsqu' « ils l'ont fait » (le sexe),
si bien qu'il existe des cas où le tendre amour renforce des jeunes
• 93
de ce qu'on appelle tendancieusement le « plaisir préliminaire », sans
oublier de mentionner le plaisir ultérieur. Le modèle masculin de la
réponse sexuelle est celui de la performance et de la décharge avec
débranchement ultérieur. Dans le cas des homosexuels, on a décrit
un déinvestissement de l'objet et une cérémonie d'investissement du
self et en particulier de leurs propres organes génitaux, à savoir une
rétraction narcissique (Freud, 1914). Toutefois, lorsque l'homme hé-
térosexuel courant est douloureusement conscient de son érection,
il s'implique réellement dans une scène auto-érotique, par laquelle il
se met en rapport avec son propre pénis par le biais de la femme qui
devient une intermédiaire.
Le prix de la socialisation pour la domination est la dépendance
narcissique de l'image idéale du mâle humain que l'homme croit de-
voir incarner. À cette fin, il met en œuvre son corps comme celui de
sa partenaire. Marqués affirme que l'homme doit apprendre à vivre
la sexualité avec le corps et non seulement comme une alliance si-
nistre entre le cerveau et le pénis.
Comme l'on observe, l'étude de la sexualité est étroitement liée
à l'analyse des relations de pouvoir qui traversent le corps social. Les
rapports de pouvoir entre les genres expliquent mieux certaines ca-
ractéristiques observables dans les attitudes sexuelles des hommes
ordinaires, que toute référence universaliste à l'érogénéité des corps
ou à des caractéristiques invariables des liens de l'enfant avec ses pre-
miers objectés d'amour.
L'articulation entre la perspective psychanalytique et les contri-
butions des études sociales de genre, n'autorise pas une simple jux-
taposition, mais elle encourage un examen approfondi des postulats
épistémologiques de toutes les disciplines impliquées.
Il est nécessaire d'insister que la description faite dans ce texte se
réfère au stéréotype masculin, encore très fréquent, et qui est présent
chez les adultes mâles contemporains avec des intensités diverses.
Cependant, la subjectivité sexuée est en train d'évoluer parce qu'elle
ne répond pas à des essences transhistoriques, mais à des struc-
tures variables au fil du temps, qui sont les modes de production,
les contrats pour la reproduction et les valeurs et représentations de
l'univers culturel hégémonique.
De même que l'on parle aujourd'hui de « nouveaux parents »,
on verra sans doute des « hommes nouveaux », qui, comme les
nouvelles femmes, combinent chez eux, d'une manière non pas
94 •
forcément harmonieuse, des aspects subjectifs et relationnels in-
novateurs avec d'autres où l'empreinte traditionnelle montre sa ré-
sistance au changement.
• 95
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• 99
100 •
LE DÉSIR HOSTILE ET LE JUGEMENT CRITIQUE DANS LA
CONSTRUCTION DE LA SUBJECTIVITÉ FÉMININE 70 71
Mabel Burin 72
y Cooper, 1992 ; Carr Rufino 1991 ; Lynn Martin, 1001) pour se référer
au travail des femmes (Martin, 1991) et c'est M. Burin qui l'a développé
du point de vue de la subjectivité féminine.
102 •
nous voulons souligner est que, dans la mesure où l'hostilité en tant
que développement affectif cherche sa décharge sous différentes
formes, le désir hostile, en revanche, déclenche de nouvelles charges
libidinales, ré-investit des représentations et favorise l'appareil psy-
chique à poursuivre de nouvelles recherches d'objets libidinaux. Ce
serait une sorte de désir dont l'application dans la construction de la
subjectivité féminine offrirait les meilleures garanties pour provo-
quer des fissures dans le « plafond de verre ».
Je vais faire un bref exposé sur le jugement critique en tant
qu'outil disponible dans la configuration subjective des femmes per-
mettant des transformations sur le « plafond de verre ». Le Jugement
critique est un des processus logiques qui opèrent dans l'appareil
psychique dans les situations de crise vitale. C'est un mode de pen-
sée qui surgit dans la petite enfance, lié au sentiment d'injustice. Ce
type de procès est initialement constitué pour dominer un trauma
par la rupture d'un jugement précédent qui est le jugement d'iden-
tification. Le jugement identificatoire fonctionne d'après les règles
imposées par le narcissisme, où il n'y a pas de différenciation entre
soi et non-soi par lesquelles « je / l'autre, c'est la même chose ». De
l'expérience de déplaisir-douleur psychique, commence une rupture
du lien d'identification, en même temps que le jugement identifi-
catoire concomitant commence à perdre de son efficacité. Dans ces
circonstances, l'appareil psychique de l'enfant expulse de soi ce qui
est du déplaisir et qui cause de la douleur psychique, en le plaçant en
dehors de soi, comme un non-soi. À partir de cet acte d'expulsion,
où nait la différenciation du Soi / non Soi, ce qui est expulsé ouvre
un nouvel emplacement qui contiendra les désirs hostiles par l'ex-
pulsion de ce qui est désagréable et / ou inefficace.
Par la suite, nous trouvons de nouvelles émergences du jugement
critique en cas de crises vitales chez les femmes, par exemple dans
l'adolescence où dans la « crise de la quarantaine ». J'ai décrit com-
ment, dans la petite enfance, les jugements sur lesquels est construite
la subjectivité féminine, basée sur l'attachement à la mère, forment
les jugements identificatoires. En arrivant à la puberté, la nécessi-
té de réglementer les similitudes et les différences avec la mère met
en branle un processus de séparation à travers le désir hostile diffé-
renciateur. Il s'agit d'un processus long et complexe, qui implique
d'autres types de jugement, ceux d'attribution et de des-attribution,
liés aux objets primaires d'identification, des objets fondateurs de la
constitution de la subjectivité. La rupture du jugement critique et
• 103
le processus de détachement des figures originaires donnent lieu à
une réorganisation, qui établit les bases pour un jugement critique à
l'adolescence.
Certaines études concernant des adolescentes suggèrent que la
période de puberté peut constituer une circonstance vitale cruciale
pour la re-signification et le point de départ du désir hostile, qui avait
déjà été préfiguré dans la petite enfance comme un des constituants
de la subjectivité féminine.
Dans la crise de l'âge mûr des femmes, le jugement critique
émerge, lié au sentiment d'injustice. À cet âge-là, son exercice est lié
à l'efficacité avec laquelle il a travaillé auparavant, dans l'adolescence,
sous la forme de jugements d'attribution et de des-attribution. Quels
sont les processus d'attribution et de désattribution qui apparaissent
dans la crise de l'âge mûr chez les femmes ? Le jugement attributif
suppose des qualités positives-négatives, bonnes-mauvaises, aux ob-
jets ou valeurs auxquels il se réfère. Le jugement attributif qui assigne
la valeur positive à l'identité féminine = mère est celui qui engendre
le sentiment d'injustice dans la « crise de la quarantaine » chez les
femmes. Quand la femme entre dans ce genre de crise et fonctionne
avec des jugements critiques, elle met en jeu les procès des désat-
tribution, c'est-à-dire, se dépouille de la qualification donnée à sa
condition de sujet femme = mère. Le jugement désattributif se réa-
lise sur la base du désir hostile différenciateur.
J'ai soutenu que le sentiment d'injustice est configuré en tant que
moteur de la crise de cette période de la vie, de la même façon que,
dans la petite enfance et plus tard à l'adolescence, l'étaient les sen-
timents de rébellion ou d'opposition. Ces sentiments, qui préfigu-
raient déjà l'injustice, sont les supports sur lesquels devra prendre
forme le jugement critique des femmes d'âge mûr.
J'ai aussi suggéré qu'au départ des crises vitales - adolescence,
« crise de la quarantaine » – ce qui intervient fondamentalement,
c'est la souffrance, conséquence de la douleur psychique. Une des
destinations possibles de la sensation de douleur fonctionne comme
un générateur de désir hostile, mené par le sentiment d'injustice.
Dans ces circonstances, le sentiment d'injustice serait organisé, non
seulement par les catégories impliquées dans le concept freudien de
« narcissisme des petites différences », mais aussi par « les grandes
différences », qui attaque le narcissisme des femmes74 et que dans
74 Dans ce sens l'étude faite par E. Dio Bleichmar est remarquable (1985).
104 •
notre analyse, nous avons attribué au discours de la culture patriar-
cale, qui positionne et symbolise la femme surtout dans le lieu social
de sujets-mères.
Le « plafond de verre » dans la carrière professionnelle des
femmes en tant que surface invisible difficile à dépasser, est une ré-
alité sociale décevante pour les professionnels / les qui travaillent
dans le domaine de la santé mentale des femmes. L'analyse de la
construction sociale de la subjectivité féminine pourrait contribuer à
ce qu'on dispose de meilleurs outils épistémologiques pour opposer
de la résistance au dispositif social. Nous avons suggéré que l'élargis-
sement des désirs féminins avec la mise en marche du désir hostile
et du jugement critique, pourrait être utile à ces fins. Ceci suppose
de mettre en question les paradigmes traditionnels qui jusqu'à pré-
sent ont construit les discours sur la féminité. Nous insistons sur la
nécessité de faire des études interdisciplinaires pour enrichir la pers-
pective sur la construction de la subjectivité féminine.
L'entrecroisement des hypothèses psychanalytiques, comme la
stagnation pulsionnelle, avec les hypothèses du genre, tels que les
phénomènes de marginalisation des femmes dans certains espaces
sociaux, pose quelques questions. L'une d'elles qui nous concerne
très fortement, se réfère à la dépression chez les femmes d'âge moyen.
L'entrecroisement théorique entre psychanalyse et genre nous offre
quelques réponses qui élargissent nos horizons : jusqu'ici, l'une des
conclusions fondamentales consiste à articuler la détention pul-
sionnelle avec une autre hypothèse psychanalytique, celle d'un Moi
chez les femmes construit sur la base de ses identifications (de la
fille avec la mère). Nous avons liés ces hypothèses psychanalytiques
avec celles des modèles de genre qui impliquent la construction d'un
Elle soutient que la féminité en tant qu'identité de genre n'est issue que
du discours culturel. À partir du concept de genre, à la fois que les re-
lations symboliques de la féminité s'établissent, se développe « une re-
présentation privilégiée du système patriarcal ». Basée sur l'étude du
système narcissiste chez la fille, des idéaux et des valeurs qui la guident
pendant l'enfance et l'adolescence, l'auteure trouve « le déficit profond
narcissiste dans l'organisation de la subjectivité de la future femme »
du à ce qu'elle appelle « la perte de l'idéal féminin primaire ». Elle se
demande « comment fait une fille pour désirer devenir femme dans
un monde paternaliste, masculin et phallique ? Quelle serait, donc, la
prouesse que les femmes réussissent pour construire l'idéal, non pas
de la mère phallique- illusion de la dépendance anaclitique, mais de la
mère et de la femme dans notre culture ? ».
• 105
sujet femme dans notre culture sociale dont la position est fonda-
mentalement définie selon le sexe dans les rôles propres au domaine
privé. Cette découpe d'espaces selon le genre serait, en même temps,
une composition subjective construite principalement sur une base
pulsionnelle qui conduit vers le développement des désirs d'amour
au détriment des désirs hostiles et leurs dérivés (par exemple, le désir
de savoir (pulsion épistémologique) et la volonté de pouvoir (pul-
sion d'emprise) ) (Burin, 1987). Chez les femmes d'âge mûr, les rôles
de genre déployés dans l'espace privé qui avaient développé une sa-
tisfaction maximale, soudain n'ont plus le sens psychique et social
qu'ils avaient eu jusqu'alors. Il semblerait que les nouveaux défis gé-
nérationnels auxquels nous sommes confrontés à l'aube de l'année
2000 impliquent de reconsidérer si vraiment ces idéaux de la mo-
dernité, comme ils ont été décrits dans ce texte, ont expirés ou ont
été recyclés, sous la forme des nouveaux besoins de configurer les
familles et des nouveaux exercices de la maternité pour les femmes.
L'intense débat sur les nouvelles techniques de reproduction (Tubert
1991) suggère de questionner ces problématiques.
La question « Qu'est-ce qu'une femme ? » et sa réponse auto-
matique dans le cadre de la culture patriarcale, « être une femme
c'est être mère », semblent exiger de nouveaux questionnements, de
même que le débat actuel moderne – postmoderne sur la subjectivi-
té féminine. Ce positionnement dans le genre (Alcoff, 1989) semble
avoir contribué à obstruer les questions concernant la condition
féminine. Au seuil du troisième millénaire les femmes, à nouveau,
nous posent les mêmes questions, déçues en partie par les réponses
données jusqu'à présent, mais avec un espoir renouvelé, grâce à nos
mises en question, du maintenir vivants nos désirs.
106 •
BIBLIOGRAPHIE
• 107
108 •
L'HOSTILITÉ : DES MODALITÉS DE GÉRENCE PAR LA
MASCULINITÉ 75
PREMIERE PARTIE 76
Mabel Burin 77
• 111
recherches (Godelier, 1990) qui démontrent que les mâles plus forts
n'ont pas nécessairement la meilleure capacité de reproduction ou
ne protègent pas mieux leurs enfants. En outre, l'approche sociobio-
logique trouve un obstacle beaucoup plus grave : elle ne parvient
pas à intégrer l'intelligence humaine, qualitativement aussi loin de
celle des Primates avec lesquels ont été faites ces recherches. Dans
la pratique, les êtres humains sont intelligents, créatifs, produisent
des changements dans leur environnement et également utilisent
des outils. Cela a conduit à la disparition progressive des instincts
en faveur de l'apprentissage chez les êtres humains. Les critiques à
ces analyses remarquent que plus un organisme est complexe, plus
il dépend des conditions sociales et environnementales et beaucoup
moins des aspects naturalistes et du déterminisme biologique.
Dans ces théories on pourrait inclure d'autres observations, tels
que le développement considérable d'hostilité qui exige un affichage
quotidien de la prétention de supériorité non seulement en ce qui
concerne les femmes et les enfants, mais aussi d'autres mâles. Cette
lutte pour la suprématie est une caractéristique de la masculinité
sociale. D'après V. Seidler (1997) cette manifestation d'hostilité ne
pourrait pas forcément impliquer une confrontation franche, surtout
dans les sociétés démocratiques dans lesquelles préserver les liens est
important, cependant elle suppose une tension constante sur le lien
avec autrui, prête à être résolue par la violence lorsque la tension
est insoutenable. Selon les recherches d'E. Macobby, ceci peut être
observé dans les études sur le développement de l'agressivité chez les
enfants. Il y a des études qui montrent que la fréquence avec laquelle
un enfant attaque ou dérange les autres enfants dépend directement
du résultat de leurs premières tentatives. Lorsque le comportement
agressif est réussi, il est répété. Si l'enfant tente de s'emparer par la
force d'un jouet d'un autre enfant et il l'obtient, la probabilité de ré-
péter sa tentative avec la même victime ou avec une autre augmente
considérablement. Des graphiques montrent comment un enfant
paisible devient agressif jour après jour selon l'histoire de ses ren-
contres avec d'autres enfants, et selon les succès obtenus par ses actes
d'agression. E. Maccoby conclut que « sans aucun doute, la lutte est
un mode de comportement qui s'apprend ». Mais encore une fois,
la question se pose : si les filles et les garçons sont également sen-
sibles à apprendre l'agression, pourquoi chez les garçons l'agression
atteint des pourcentages plus élevés que chez les filles ? E. Maccoby
suggère qu'il est possible que « même si le comportement est appris,
112 •
les garçons sont biologiquement plus disposés à apprendre », mais
précise qu'une prédisposition biologique n'est pas suffisante en soi
pour provoquer un comportement. « Dans un environnement où
les comportements agressifs ne reçoivent pas de récompenses, les
enfants ne se battre pas trop », explique la chercheuse. Dans cet as-
pect nous pourrions mettre en évidence certaines subtilités, comme
par exemple, des environnements dans lesquels le comportement
agressif est décidément désapprouvé, mais secrètement, il est ac-
cepté comme une forme d'expression masculine. Dans ce cas-là il
n'y a aucune condamnation en bloc, mais de façon sélective. Chez
les adultes, par exemple, il y a la disposition de faire « justice par
leurs propres mains », quand arrive des événements tels que la vio-
lence urbaine où on justifie les faits de la contre-violence en tant que
« légitime défense », avec des limites très subtiles et diffuses sur ce
qu'on doit défendre (par exemple lorsqu'il y a des vols de propriétés
ou de voitures). E. Maccoby rapporte des études comparatives des
garçons qui ont su s'occuper de plus jeunes enfants, par rapport aux
garçons qui n'avaient jamais été responsables de plus petits. Lorsque
les deux groupes étaient libres de toute responsabilité envers les en-
fants plus jeunes, ceux qui avaient l'habitude de traiter des enfants
étaient moins agressifs et plus compatissant avec leurs pairs que ceux
qui n'avaient pas eu cette expérience. Maccoby conclut : « ce que
nous considérons important et nécessaire pour réduire le niv eau
d'agressivité de la société moderne, ne voudrait pas dire qu'il serait
sage de faire participer les hommes à la garde des enfants même si,
dans un sens, cela ne leur correspond pas « naturellement » comme
c'est le cas chez les femmes ? Même si je pense que cette approche
suggérée comme une ressource unique est naïve lorsqu'elle prétend
réduire l'hostilité comme une forme de comportement des hommes,
cela pourrait être un bon moyen où commencer ».
Des études comme celles récemment testées mettent l'accent sur
l'importance du déploiement de l'hostilité dans les sociétés à prédo-
minance masculine : les hommes guerriers prêts à se battre comme
un instrument de conquête et de domination. Cela implique culti-
ver une agressivité croissante chez les hommes qui sont destinés à
défendre le champ de bataille, avec un trait distinctif de sa virilité.
En outre, plus une culture stimule les fonctions patriarcales, plus on
fera un étroit rapport entre masculinité et l'incorporation de la vio-
lence comme un axe pour l'identité masculine. Ceci sera naturalisé
à travers des croyances, des mythes ou des disciplines scientifiques
• 113
qui tendent à valider l'hypothèse que le corps masculin est naturel-
lement prédisposé à la pénétration, la conquête, la domination par
sa force physique et son appareil musculaire supérieurs en compa-
raison avec les femmes, ou par la quantité de testostérone. Mais il y
aurait aussi un autre ordre d'explications à ces phénomènes, telles
que celles axées sur les modes économiques de production, qui, à
son tour, impliquent des modes de construction des subjectivités.
En ce sens, les études sociologiques, les analyses économiques et an-
thropologiques comme la division sociale du travail et la division
sexuelle du travail ont créé certains membres producteurs et pro-
priétaires de biens matériels, des biens de production et des biens de
destruction, comme le dit Godelier (1986).
Selon la division sexuelle du travail, les mâles seraient en posi-
tion d'être des membres producteurs et propriétaires, tandis que les
femmes seraient subordonnées à ceux qui sont dans une telle posi-
tion et, selon Godelier, elles seraient subordonnées matériellement,
politiquement et symboliquement. « Qui dit subordination d'un sexe
à l'autre dit différentes formes de violences exercées par le sexe qui
domine sur l'autre : les violences physiques (coups et blessures) et
psychologiques (affronts, insultes, etc.) »
Les rituels d'initiation ont été largement analysés dans différents
chapitres de ce livre, tant en ce qui concerne les initiations des mâles
comme des femelles humains, c'est « la machine qui produit la domi-
nation des uns et le consentement des autres », c'est-à-dire les straté-
gies précoces d'intimidation pour induire la peur du comportement
agressif chez les filles et les garçons. Mais alors que les enfants at-
tendent le moment de se positionner en tant qu'adultes dans la so-
ciété et de pouvoir exercer des exercices hostiles contre les autres,
les filles auront un destin différent : la répression de l'hostilité et sa
transformation dans un autre type de comportement, notamment
sa transformation en amour pour autrui, altruisme, générosité, et la
prise de soin des autres.
Une rapide lecture psychanalytique de ces traits des compor-
tements permettent d'apprécier que tandis que les hommes auront
l'occasion sociale de faire activement à d'autres ce qu'ils ont pas-
sivement subi, les femmes n'ont que des opportunités sociales de
développer certains mécanismes de défense contre des griefs nar-
cissiques, tels que le déni, la dissociation, la transformation dans le
contraire, la sublimation ou bien, retourner contre elle-même l'hos-
tilité subie. L'idéal maternel, avec ses mandats et ses exigences, serait
114 •
le corollaire social de cette destination pour les femmes. L'exercice
de la violence, visible et invisible, est une corrélation nécessaire et
non pas contingente (Fernández, M. A., 1988) pour la distribution
des biens telle que je l'ai soulevée dans cette perspective.
Outre les formations économiques et socioculturelles qui va-
lident la domination masculine à travers l'hostilité et la violence, il
existe quelques hypothèses telles que celles trouvées dans les textes
freudiens sur l'émergence de l'hostilité pour la construction de
la subjectivité et les processus difficiles qui se produisent chez les
hommes ou chez les femmes. Sur le « Pourquoi de la guerre », S.
Freud (1932) écrit à Einstein où, selon lui, il serait adéquat de rem-
placer le terme de pouvoir « parle plus dur et plus retentissant terme,
la force », et que « la Loi et la force sont deux termes antagonistes »,
mais que la nécessité du droit a surgit de l'imposition de la force «
dans les origines archaïques de l'histoire de l'humanité ». Cela signifie
que, « en principe, les conflits d'intérêts chez les hommes sont résolus
par la force ». S. Freud fait l'hypothèse, dans ce texte, que « au début,
dans la petite Horde humaine, une plus grande force musculaire était
ce qui décidait qui s'appropriait de quelque chose et quelle volonté
devait être obéie. Peu de temps après que la force musculaire a été
renforcée et remplacée par l'utilisation des outils, a triomphé celui qui
possédait plus d'armes et qui a su s'en servir avec plus de talent. Avec
l'adoption d'outils ou d'armes, la supériorité intellectuelle va prendre
la place de la force musculaire brute, mais le but ultime reste le même :
les dégâts infligés sur un autre, l'anéantissement de ses forces, feront
qu'il doive abandonner ses prétentions ou son opposition ». On peut
tuer – celui qui a été battu-, ou on peut le garder en vie sous la peur,
et l'utiliser pour effectuer des services utiles, c'est-à-dire au lieu de
le tuer on l'asservit. Il dit que la grande force d'un individu peut être
compensée par une association avec les plus faibles : la violence est
vaincue par l'union. La puissance des individus unis représente alors
le droit, par opposition à la force d'un individu isolé. C'est-à-dire ce
que le droit représente pour S. Freud, car « la loi n'est autre que la
puissance d'une communauté », c'est-à-dire d'un groupe permanent
et significatif qui aurait des intérêts communs78.
« Lorsque les membres d'un groupe de personnes reconnaissent
cette communauté d'intérêts, il se construit parmi eux des liens af-
fectifs, des sentiments grégaires qui constituent le fondement réel
78 Je reprendrai plus tard cette proposition freudienne. N. de la T. : entre
parenthèse dans le texte et non pas au pied de page.
• 115
du pouvoir », dit Freud. Mais il admet qu'il y a dans la communauté
des éléments divers : les hommes et les femmes, les parents et les
enfants, parmi lesquels figurent des intérêts parfois opposés. Ceux
qui ont acquis un plus grand pouvoir également acquièrent une plus
grande autorité, ou bien ils peuvent influencer de façon péremptoire.
Dans cet article, Freud s'étonne qu'Einstein se demande « pourquoi
il est si facile d'exciter les hommes pour la guerre et soupçonne qu'il
y a quelque chose, un instinct de haine et de destruction, qui facilite
cet élan » et il affirme que cet instinct a été étudié longuement par
la psychanalyse dans ses manifestations. Il explique qu'il y a deux
catégories d'instincts humains : ceux qui ont tendance à conserver et
à unifier, appelés « érotiques » ou « sexuels », ou bien les instincts ca-
ractérisés par cette hypothèse comme des « instincts de destruction
ou agressifs », tel que l'antithèse de l'amour et la haine.
Selon Freud, un instinct est aussi essentiel que l'autre, et « de leur
action commune ainsi qu'antagoniste surviennent les manifestations
de la vie ». Un de ces instincts apparaît toujours lié, fusionné, avec
certains composants de l'autre, par exemple, « l'instinct d'amour
objectal a besoin d'un complément de l'instinct de possession pour
s'emparer de son objet ». Lorsque l'agression est dirigée vers l'inté-
rieur du sujet, peut surgir la conscience morale, mais si elle acquiert
une ampleur excessive « elle est directement nocive pour la santé »
(il fait allusion à ces individus qui sont constamment harcelés par
soi-même par le biais de diverses ressources, retournant l'hostilité
contre soi sous la forme de sentiments persistants de culpabilité ou
de manifestations psychosomatiques) « alors que l'orientation de ces
énergies instinctives à la destruction dans le monde extérieur sou-
lage l'être vivant, et doit se traduire par un bénéfice ». Nous pouvons
remarquer qu'à ce stade, le texte devient étrangement normatif, en
ce sens que le déploiement d'hostilité vers l'extérieur soulage, mais il
n'est pas dit comment doit être traitée cette agressivité déchargée. De
ceci, S. Freud conclut que seraient inutiles les propos pour éliminer
les tendances agressives chez l'homme, même au sein des endroits
où la nature est prodigue et pourvoit tout pour sa subsistance, ou
bien dans des sociétés de providence où les besoins matériaux sont
satisfaits, En ce sens il ne coïncide pas avec les observations faites
par la scientifique politique islandaise Jonasdottir A. (1993), qui fait
valoir que dans les sociétés où l'égalité formelle entre les citoyens a
été réussie - ses études correspondent aux pays d'Europe du Nord,
avec les sociétés de providence - l'inégalité entre les sexes persiste
116 •
comme une forme de violence. Elle qualifie de violent le phénomène
que même au siècle XXI dans ces sociétés, les femmes sont encore
chargées des soins des autres et des liens affectifs, et leur puissance
ne peut que se développer que dans des domaines exclusivement fé-
minins, tandis que le genre masculin pourrait exploiter, à leur profit,
cette « disposition naturelle » des femmes.
Pour revenir au texte freudien, par rapport à ceci, dans cet as-
pect où il insiste : « il ne s'agit pas d'éliminer les tendances agressives
humaines, mais on peut essayer de les détourner », faisant appel à
son antagoniste, Eros : « tout ce qui crée des liens affectifs chez les
hommes doit agir contre la guerre ». Ces liens affectifs peuvent être
de deux types : par amour, ou par ce genre de liaison émotionnelle
qui s'appelle identification. Étant donné que Freud participe d'une
certaine culture rationaliste, il suggère qu'on pourrait éduquer une
couche supérieure d'hommes dotés d'une sorte de pensée indépen-
dante, inaccessibles à l'intimidation, et qu'ils soumettent leur vie
pulsionnelle à « la dictature de la raison », bien qu'il s'agisse d'« un
espoir utopique ». Mais il se demande, pourquoi donc « vous et moi
et beaucoup d'autres nous sommes écœurés par la guerre ? », « parce
que nous ne pouvons pas faire autrement. Nous sommes des paci-
fistes, parce que par des raisons organiques nous devons l'être ». Il
établit sa position sur certains arguments intellectuels : il soutient
que depuis les temps immémoriaux il se développe dans l'humani-
té, le processus d'évolution culturelle, qui a produit des modifica-
tions psychologiques, telles que le déplacement progressif des buts
instinctifs et une restriction croissante des tendances instinctives, y
compris l'internalisation des tendances agressives. Ces attitudes psy-
chiques sont niées par la guerre et c'est pourquoi nous les rejetons,
nous ne la tolérerons pas. À ce stade, il se demande combien faut-il
encore attendre pour que les autres aussi puissent devenir des paci-
fistes ? Il espère bien que ceci « ne soit pas un espoir utopique » et
que l'influence de ces deux facteurs - attitude culturelle et la peur
des conséquences - mettent fin aux conflits armés. Ce texte freu-
dien révèle clairement comment pour l'auteur une hostilité affichée
contre tous - la guerre - appartient à des tendances humaines ins-
tinctives, en faisant une équivalence entre l'humanité et les hommes,
puisque dans l'histoire de l'humanité ceux qui ont porté les valeurs
de la guerre et les ont organisées, ont été des mâles. Dans la période
récente la première ministre britannique M. Thatcher dans la guerre
des Malouines (1982) fait l'exception.
• 117
Cette tendance instinctive surtout masculine serait compensée
par la tendance de l'Eros, l'amour, qui ferait office d'identification,
ce qui porterait à l'union, aux liens entre les sujets et à la préserva-
tion de la vie, des attributs « dits » incarnés par les femmes. L'hy-
pothèse sur la pulsion hostile est que qu'il s'agit d'une tendance ou
d'une impulsion de laquelle on ne peut pas échapper, elle est inévi-
table, et elle demande de l'appareil psychique un travail qu'inclue la
motricité. Quand la théorie psychanalytique se réfère à la pulsion
hostile, il fait allusion à une partie de la pulsion de mort dirigée vers
l'extérieur avec l'aide spéciale de la musculature. Parmi les destins
dans la constitution de la subjectivité, j'ai analysé comment ceux-ci
peuvent être déchargés sous la forme d'affects, soit se transformer
sous la forme de désirs, parmi des multiples destinations possibles.
Lorsque la pulsion hostile cherche sa décharge, elle deviendra hos-
tilité. Lorsque la pulsion hostile arrive à se transformer en désir, elle
deviendra désir hostile. La différence entre hostilité et désir hostile
consiste en ce que la première, l'hostilité ou l'agressivité, tel que le
développement des affects, a une tendance seulement à la décharge,
alors que le désir hostile, comme développement de désirs, recharge
l'appareil psychique, l'investit des représentations, ce qui a la capa-
cité intéressante de produire de nouveaux désirs. J'ai parlé à d'autres
occasions (Burin, M. 1987, 1996), des modalités selon lesquelles le
désir hostile peut donner lieu au désir de savoir, sur la base de la
transformation de la pulsion épistémophilique et le désir de pouvoir,
ayant comme point de départ la pulsion d'emprise lorsqu'il se pro-
duit une interaction de ces pulsions partielles.
Généralement, nous pensons que dans une situation de tension
des besoins non satisfaits, la frustration génère hostilité qui tend à
être déchargée. Ce déchargement d'hostilité va produire un soula-
gement immédiat, mais il n'est pas efficace pour la résolution des
conflits, puisque le même conflit reviendra encore et encore. C'est
pourquoi nous disons que la résolution des conflits par la guerre et
par la domination ne parvient pas à anéantir tous les soi-disant en-
nemis, mais à peine à les battre temporairement jusqu'à de nouveaux
combats. Il semblerait que ces destinations pulsionnelles apparaissent
plus chez les hommes que chez les femmes dans nos systèmes cultu-
rels traditionnels. L'exigence pour la décharge de l'hostilité est d'une
certaine manière, une action motrice, plus proche des modes de dé-
veloppement chez les garçons que chez les filles.
Le sociologue espagnol, Josep Vincente Marques (1991) sou-
118 •
ligne à cet égard qu'un mâle peut être potentiellement plus ou moins
agressif ; tout d'abord il sera éduqué à promouvoir son agressivité et
après, indépendamment du quantum d'agressivité obtenue, il sera
considéré comme s'il avait vraiment l'agression que la société attri-
bue au prototype masculin. Ce système n'a pas toujours réussi à faire
des hommes comme prévu, de sorte qu'il est possible qu'un sujet
particulier soit endommagé par ces conditions, dans la mesure où
il est exigé d'avoir une qualité qu'il ne posséderait pas ; mais il sera
protégé par cette attribution des qualités même s'il ne les a pas at-
teint. En outre, que les mâles aient 50 % de plus de force musculaire
que les femelles humaines ne signifie pas que chaque homme est
plus fort que n'importe qu'elle femme. Nous savons qu'aujourd'hui,
les femmes qui sont généralement formées dans les gymnases et les
activités sportives peuvent acquérir la même force physique que les
hommes. Cependant, la culture patriarcale interdit aux femmes cer-
taines activités qui sont autorisée aux hommes, indépendamment de
la force d'une femme ou de la faiblesse d'un homme en particulier.
Pour revenir aux mouvements pulsionnels qu'énonce la théo-
rie freudienne, lorsque les pulsions peuvent être développées sous
forme de désirs, nous nous trouvons face à des désirs amoureux et
à des désirs hostiles. Il semblerait que dans les systèmes patriarcaux
traditionnels, notre développement culturel propose aux filles une
prédominance des désirs amoureux, qui, comme je l'ai expliqué,
construisent des liens, des connexions intersubjectives, des identi-
fications avec autrui, c'est-à-dire, le type de désirs appropriés pour
soutenir l'idéal maternel, et l'emplacement subjectif et social des
femmes en tant que sujets-mères. En revanche, dans cette distribution
il semblerait que correspond aux mâles le développement du désir
hostile, une sorte de désir qui favorise la différenciation, la distinction
et l'opposition à l'autre pour affirmer la subjectivité. Cela semble être
un point d'inflexion dans le développement de l'hostilité : son des-
tin dans la gestation du désir hostile différenciateur, qui découpe le
self, favorise la position d'affirmation de soi, mais n'implique pas
nécessairement l'exercice de l'action hostile susceptible de nuire à
l'autre. Dans le développement générique précoce des filles et des
garçons, la coïncidence de la recherche de l'affirmation de soi avec le
déploiement de l'hostilité envers les autres est typique de l'évolution
des garçons, tandis que les observations des filles révèlent que leurs
mouvements d'affirmation de soi deviennent dissociés de l'exercice
de l'hostilité. Le destin de la pulsion hostile serait lié, d'une part, avec
• 119
le développement de la motricité – lequel, dans la culture patriarcale,
est un type de développement autonome des garçons, avec un moteur
actif qui met en jeu les masses de gros muscles - et d'autre part avec
les types d'érogénéité disponibles pour chaque sujet au singulier, c'est-
à-dire, ces investissements érogènes propres de chaque stade du déve-
loppement psychosexuel, aussi appelés phase orale, anale, phallique et
génitale. L'interaction entre tous ces facteurs donne une complexité
particulière à ces hypothèses psychanalytiques.
Cette répartition classique inégale des conditions de subjecti-
vation des hommes et des femmes est en cours de révision. À pré-
sent, les femmes, dans le collectif féminin, font la promotion du
désir hostile, de sa reconnaissance et de son déploiement ; tandis
que les hommes réclament à présent et favorisent la création d'une
nouvelle valeur de la masculinité. Ces nouveaux critères d'évaluation
en ce qui concerne la construction de la subjectivité masculine gé-
nèrent, à leur tour, des nouveaux répertoires des désirs, comme par
exemple, la gestation de la volonté aimante, comme je l'ai mentionné
dans le chapitre concernant la construction de la subjectivité mascu-
line grâce à des idéaux du Moi, parmi lesquels se pose une nouvelle
constituante de leur subjectivité : être empathique et sensible. L'im-
plication des nouvelles conditions historiques et sociales n'est pas
étrangère à ces nouvelles conditions de subjectivation.
Plusieurs auteurs ont analysé la condition postmoderne actuelle de
la position générique des hommes et des femmes, dans une perspective
féministe (Butler, J. 1992 ; Lin, J., 1995 ; Cornell, D. et Thurschwell, 1990)
révélant une chute des idéaux anciens qui induisaient la construction
appelée « traditionnelle » des subjectivités féminines, et leur remplace-
ment progressif, qui s'étend de plus en plus chez les femmes, par des
subjectivités « innovantes ». J'ai utilisé cette catégorisation ci-dessus,
pour décrire les groupes de femmes qui font face à l'existence du « Pla-
fond de Verre »79 dans leur carrière professionnelle. (Burin, M., 1996).
79 N. de la T. : 'Plafond de verre' en est un concept utilisé par Mabel Burin
pour se référer à une surface invisible qui empêche les femmes d'am-
bitionner des postes professionnels ou de pouvoir. Ce serait un man-
dat de genre, internalisé par les femmes, à partir de la subordination et
ségrégation féminine matérielle et symbolique dans l'espace publique.
Cependant, cette internalisation ne serait pas possible s'il n'y avait chez
les femmes une constitution de son appareil psychique qui contribue au
dit phénomène. Tel que le signale Burin dans un autre texte, ce concept
a été décrit par des sociologues anglo-saxons (Holloway, 1993 ; Davison
y Cooper, 1992 ; Carr Rufino 1991 ; Lynn Martin, 1001) pour se référer
120 •
BIBLIOGRAPHIE
au travail des femmes (Martin, 1991) et c'est M. Burin qui l'a développé
du point de vue de la subjectivité féminine.
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122 •
LE GENRE ET LE SUJET DE LA DIFFÉRENCE
SEXUELLE. LE FANTASME DU FÉMINISME 80
Martha Rosenberg 81
• 131
ling (1990) a appelé « la nouvelle donne » apportée par les femmes
[...] « Cette répression inexorable, c'est-à-dire qui résiste à la prière,
donc à la parole et à la psychanalyse, marquera donc une limite [...]
qui ne serait dépassée que par les femmes ? ». Question appropriée,
étant donné la difficulté que Freud expérimente et admet à accepter
le transfert maternel de ses patientes, sans être menacé par une fé-
minité qu'il craint83.
Malgré le fait que son mandat est transgressé depuis son inté-
rieur et même en dehors, l'institution psychanalytique interdit de lire
les textes freudiens (ou lacaniens) avec une autre attitude qui ne soit
pas la révérence et la supposition d'infaillibilité. D'autant plus si la
lecture est sensible aux effets de la position sexuée de l'auteur comme
limite de sa pensée théorique, qui biaise son approche des problèmes
de la différence sexuelle comme un compromis permanent entre la
perspective inédite qu'ouvre sa découverte de l'inconscient et l'idéo-
logie patriarcale dominante. Ces effets sont ambigus ou asymptoma-
tiques jusqu'à ce qu'ils soient révélés par une pensée qui ne lui est pas
absolument fidèle, comme celle de Melanie Klein. Inexorablement
exclue de la référence freudienne jusqu'à son travail de 1931 (Klein,
1964), elle ose abandonner une approche objectiviste du pénis envié
en faveur d'une conception fantasmatique du pénis chez la mère, qui
remplacera le sein – de celui dont on a déjà expérimenté la réali-
té frustrante – comme une source inépuisable de satisfaction orale.
Avec elle, en outre,
« ... font irruption sur la scène les figures tragiques mais entières
du mythe œdipien [...], la barbarie de l'instinct de mort, la destruc-
tion originaire. Ici règne ce qui est partiel, morcelé, le clivage, ce qui
est saisi, dévoré, etc. À la soi-disant « horreur » ressentie à la vue du
sexe féminin fait place l'horreur – plus plausible celle-là – que l'on
pouvait éprouver devant les désirs de mort, morcellement et des-
truction qui hantent désormais les verts paradis de nos chers petits
(Trilling, 1990).
Le point de vue « féminin » ruine donc la seule scène freudienne
libre d'ambivalence : la relation mère-enfant. Cela ne serait-il pas aller
trop loin ? Cette évocation historique est simplement une illustration de
la puissance subversive (je ne trouve pas de remplacement pour ce mot si
83 Pour une révision du cas Dora avec une perspective féministe, se référer
à Charles Bernheimer et Claire Kahane, Dora's case, Freud, Hysteria
–feminism, London, Virago Press, 1985.
132 •
usé et discrédité) de l'audace intellectuelle des premières psychanalystes.
L'asymétrie sexuelle, le rejet de la féminité (qui dans la théorie de
Freud apparaît comme une structure invariante de la vie humaine),
est résolu socialement par le biais de l'infériorisation des femmes.
Ceci :
« [...] s'inscrit souvent sur un corps mythique de représentations
que reconnait aux femmes un pouvoir antérieur qu'elles ne surent
pas conserver : dans ces temps mythique, elles se révélèrent inca-
pables d'assurer la régularité sociale, péchant souvent par excès ou
par un comportement contraire (blessant leurs hommes au lieu de
blesser les ennemis, par exemple) [...] elles se firent alors dépouiller
par les hommes des secrets et d'objets sacrés qui leur conféraient le
pouvoir [...] ce premier échec fatal [...] fonde mythiquement l'infé-
riorité des femmes et leur nature dangereuse qui, dès lors, nécessite
leur subordination au nom du bien-être de la société ». (Copet-Rou-
gier, E. 1989) (La parenthèse est mienne).
L'asymétrie sexuelle, le rejet de la féminité (qui dans la théorie de
Freud apparaît comme une structure invariante de la vie humaine),
est résolu socialement par le biais de l'infériorisation des femmes.
Le protagonisme de la femme dans le processus de gestation et de
l'accouchement (et, en plus, l'allaitement et le maternage) est la cause
du fantasme d'antagonisme qui peut être inscrit dans la dynamique
phallique : un sexe et non pas l'autre. Cette exclusivité (autant réelle
biologique, qu'imaginaire fantasmée et symboliquement assignée)
ne donne pas à la femme une garantie, toutefois, du maintien de la
domination sur la descendance ; tout au contraire, ceci l'affaiblit et la
destine à l'expropriation, en soulignant la valeur sociale des enfants
et, par conséquent, de la fertilité. Du point de vue du fils et de la
fille, les femmes sont le premier siège réel et imaginaire du pouvoir,
mais aussi les premières qui - inévitablement et ostensiblement - le
perdent, de manière réelle et symbolique. Elles n'ont pas « su » gar-
der le pouvoir ; mais elle « savent » comment le perdre. Elles ont dû
renoncer à l'immédiateté de la fusion du corps et accéder à la dis-
tance sociale, qui révèle qu'un seul sexe est incapable de maintenir la
continuité et la régularité de la vie sociale.
« Dans toutes les sociétés, la sexualité est mise au service du
fonctionnement des multiples réalités, économiques, politiques, etc.,
qui n'ont rien à voir directement avec les sexes et la reproduction
sexuée. Les rapports de parenté, par contre - et c'est là leur impor-
tance -, sont le lieu même où s'exerce directement et dès la naissance,
• 133
un contrôle social de la sexualité des individus, aussi bien celle qui
les pousse vers des personnes de sexe opposé que celle qui les attire
vers les personnes du même sexe. Cette subordination de la sexualité
individuelle n'est pas celle d'un sexe à l'autre ; c'est la subordina-
tion d'un domaine de la vie sociale aux conditions de reproduction
d'autres rapports sociaux. C'est la place de ce domaine à l'intérieur
de la structure de la société, au-delà même de tout rapport personnel
entre les individus concrets, [...] cette subordination impersonnelle
de la sexualité, qui imprime dans la subjectivité la plus intime de
chacun, dans son corps, l'ordre ou les ordres qui règnent dans la so-
ciété et qui doivent être respectés si celle-ci doit se reproduire. Par
des représentations du corps, la sexualité non seulement témoigne
de l'ordre qui règne dans la société, mais aussi témoigne sur le fait
que cet ordre doit continuer de régner. Non seulement à donner un
témoignage de, mais à témoigner pour (et parfois contre) l'ordre qui
règne dans la société et dans l'univers, puisque l'univers même est
divisé en masculin et féminin. » (Godelier, 1993 [MR1]).
Pour les femmes, se penser en tant que femme c'est-à-dire en
prenant son appartenance au sexe féminin comme condition de sa
réflexion et déterminant de leur pensée sur elles-mêmes et sur le
monde - mis à jour une possibilité de liberté qui est éthiquement
incorporée comme un conflit (témoigner pour/de/contre) entre ce
qui est imaginairement vécu comme une donnée naturelle opaque
(représentations du corps) et ce qui peut être pensé, connu, et pour
être accessible à la conscience, transformé. C'est à ce moment-là
que peuvent survenir - paradoxes de la pensée, le déni de la no-
tion de « femme » construite historiquement comme fantasme mas-
culin, subsidiaire des rapports qui la subordonnent. Il n'y a aucune
« femme » qui résiste –ni en tant que fantasme masculin ou fan-
tasme féminin – à un projet d'une pensée marquée par la sexuation.
Mais cette pensée construit des femmes qui ne sont plus les mêmes.
Elles ne sont pas disposées à une validation aveugle d'une vision du
monde qui les met, sans retour, dans la position d'être objet d'appro-
priation (ensuite, d'échange), objet de pensée, objet de désir et même
de vénération, afin de se prêter à la manipulation qui vise à les figer
dans une objectalité opaque, qui fait obstacle à leur accès à la subjec-
tivité. Par le fait de se situer à proximité immédiate de l'expérience
vécue, la pensée féministe est définie comme une pensée risquée et
la théorie féministe, comme un modèle de relation entre la pensée
et la vie.
134 •
La sexualisation et la corporéité du sujet sont des notions clés
dans ce qu'on pourrait appeler « épistémologie féministe » [ces idées]
fournissent des outils conceptuels et les perceptions spécifiques de genre
qui régissent la production de la pensée féministe (Braidotti, 1989).
De cette façon, on met en relief le rôle de l'affectivité dans ce qui
motive quelqu'un à vouloir penser, c'est à dire l'épistémophilie in-
hérente à la redéfinition du Moi corporel. La dette théorique avec la
psychanalyse, dans lequel le corps est construit comme un « horizon
limitant notre pensée et notre discours, et non pas comme identité
intrinsèque ou signification essentiel qui signifie » (Moi, T. 1989).
Comme le souligne Freud, (1931) dans l'une de ses rares références
polémiques aux « féministes parmi les hommes, mais aussi nos
femmes analystes » à propos de la performance culturelle inférieure
de la femme comme être social, la psychanalyse - arme à double
tranchant - ne permet pas de résoudre la question que Freud-même
prévoit ancrée dans le complexe de virilité chez l'homme.
Ambiguïté de la théorie psychanalytique qui, en même temps
qu'elle permet de démontrer que le genre sexuel est effet d'un mon-
tage symbolique, construit la femme autour du phallus comme un
signe. Opérant de cette façon, une réduction du signifiant à une si-
gnification fixée, naturalisée et élevée au paradigme (de l'humain)84
(Wright, 1989).
Produire contradictoirement, en même temps que la reconnais-
sance du sujet, son assujettissement, est caractéristique des systèmes
symboliques. « L'effet de contrainte de la différence sexuelle est iné-
vitable » comme je l'ai dit dans un précédent travail ; « le problème
est la tendance psychanalytique à ne pas penser la différence sexuelle
au sein de la théorie, mais de prétendre déjà pensé ce qui est la simple
reproduction des valeurs sociales » (Rosenberg, 1987).
Le système symbolique hégémonique - qui nous détermine - est
phallique. Quoique son phallocentrisme soit atténué par la négativa-
tion symbolique du phallus comme signifiant du manque commun
à tous les êtres parlants, il est encore marqué par leur dépendance au
réel des rapports de domination masculine du système sexe / genre.
Il n'y a pas de « femme » hors du système, il n'y a pas des genres hu-
mains, mais seulement le sexe biologique, c'est-à-dire une abstrac-
tion. En même temps que le phallocentrisme du système symbolique
dans lequel nous nous constituons et qui nous reconnait en tant que
136 •
traditionnelles transmises d'une manière « phylogénétique ».
Même si la psychanalyse peut rendre compte de la subjectiva-
tion individuelle des systèmes symboliques actuels, en agissant sur
le « malaise dans la culture », se déplaçant a posteriori des modifica-
tions sociales. La supposition de la neutralité exempterait ses prati-
ciens d'être impliqués dans les changements du système symbolique
promus par le féminisme en tant que mouvement politique. Toute-
fois, le grand paquet théorique du « malaise dans la culture » inclue
des malaises qui ne sont pas inhérents à l'hominisation de l'espèce,
mais qui résultent des conditions dans lesquelles se sont établies les
relations de domination dans le passé, dont l'actualisation en tant
qu'invariante structurelle est une opération politique que ne doit pas
être ignorée comme telle.
De cette manière, on substitue l'éclaircissement des conditions
matérielles historiques dans lesquelles ces relations se produisent et
prennent leur signification. Leur connaissance pourrait débloquer
les croyances sur l'éternité et la fixité des malentendus sexuels et le
constituer, pour les deux sexes, comme un espace de déploiement
créatif des rapports non oppressifs de sexe /genre.
En revanche, dans certains discours féministes peut être entendue
l'aspiration à construire « un monde commun des femmes » (Collectif
N° 4 à Milan, 1990) comme figure de l'exclusion des hommes-mêmes
et non pas du « monde des hommes », construit par l'homo-socialité
masculine qui maintient l'alliance patriarcale. Par ce renversement
en miroir, l'application de ce monde des femmes (si bien que c'est
un fait historique avéré que dans certaines circonstances, l'ouver-
ture du mouvement, peut être une tactique appropriée à construire
une identité de genre qui permet l'action politique) apparaît avec
les contours d'une stratégie d'expulsion du composant masculin de
l'humanité, plutôt que de se livrer à une élaboration critique de la
masculinité actuelle. Enfermée dans la dichotomie sexuelle qu'elle
dit combattre, cette politique ne garantit pas (mais plutôt menace) la
réalisation démonstrative de la capacité symbolique féminine pour
générer un monde égalitaire pour tous les humains, quel que soit
leur sexe.
Comment conserver dans la pensée la marque d'une expérience
sexuée, non idéalisée ou reniée, qui l'enrichisse et lui permette la
production d'un ordre social non oppressif ? (Rosenberg, 1993).
C'est- à-dire, comment à partir des identités au sein des rapports
actuels de domination sexuelle, nous construisons, nous pensons –
• 137
je dis cela en opposition à nous sommes – en prenant une distance
idéale et réelle des déterminations qui nous soumettent, notre sortie
vers une des-identification des lieux imaginaires des oppresseurs et
des opprimées. Comment à partir d'un endroit nécessaire à la struc-
turation qui nous soutient, nous pourrions organiser de nouveaux
lieux de liberté et non pas de nouvelles versions du même ?
Les risques – quoique non obligatoires – sont évidents : la dou-
leur, la solitude, la maladie, la folie et la mort. Les aboutissements
– même s'ils sont multiples - jamais ne correspondent à l'image uto-
pique qui nous mobilise. Le « comment faire » se révèle aujourd'hui,
la question fondamentale de la politique. Nous savons déjà que les
formules connues (réforme/révolution) ne parviennent pas à pro-
voquer les changements structurels qui nous semblent nécessaires.
« La crise des idéologies », scepticisme informé (ou non), résignation
reniée pour assurer la continuité de la vie dans l'opacité quotidienne.
Ceux dont la vie quotidienne compromet la survie, sont-ils les seuls
qui peuvent constituer une force (parfois dissociée de la réflexion
stratégique des conséquences) pour produire des liens sociaux plus
libres et plus égalitaires ?
Comment transformer la « passion de la différence » (Muraro,
1987) en pensée et action politiques ? Personne ne peut épargner –
aux femmes/féministes – le travail de l'énonciation qui fonde en acte
la dimension dialogique de la différence sexuelle, en interlocution
avec un discours masculin – et non pas soi-disant neutre – qui met
en scène deux sujets différemment sexués et non pas un seul et à son
fantasme.
138 •
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140 •
LA PSYCHANALYSE ET LES ÉTUDES DE GENRE :
UNE LIAISON DE CONVENANCE ? 85 86
Pilar Errázuriz Vidal 87
142 •
logies), et pourquoi pas, aussi de leurs expectatives conscientes ou
inconscientes du sujet en processus de devenir. Ces règles qui assu-
jettissent l'être humain, qui le rendent sujet proviennent d'un ordre
symbolique dont la fonction paternelle est celle qui assure cette
construction ; en citant Michel Tort (2008) : « la psychanalyse iden-
tifie dans la fonction du père le ressort de « la loi », qui garantit l'ins-
titution du sujet (en un mot, ce qui nous rend des sujets) », (p 13).
Où ces règlements sont-ils nés ? Ces règlements sont nés des normes
patriarcales, du système patrilinéaire avec l'interdiction de l'inceste,
l'exigence de l'exogamie et de l'imposition de l'hétérosexualité obli-
gatoire afin de reproduire l'espèce.
Tout ceci est bien connu, mais on le relève ici pour montrer que
ce que les études féministes et du genre on bien souligné depuis sa
constitution en ce qui concerne le système patriarcal, avec ces carac-
téristiques phallocrates, apparaît naturalisé tout au long du travail
de Freud et Lacan. Qu'ils n'aient pas mis en question le système en
tant que construction historique, ne veut pas dire que le champ psy-
chanalytique ignore la question du genre. Elle y est implicite, même
si un grand nombre de psychanalystes ne veulent pas le reconnaître.
Cela ne veut pas dire qu'une seconde lecture des textes psychanaly-
tiques freudiens et lacaniens ne le rende évident.
Lorsque Lacan se réfère aux études de Lévi Strauss sur la
construction du système de parenté, il lie la réflexion freudienne
de la sexuation avec une dimension anthropologique et historique.
C'est-à-dire qu'à la théorie freudienne d'un début de l'humanité sous
l'emprise d'un père tout-puissant, dérivant en une fratrie également
dominante sur les femmes, Lacan a ajouté la législation de la parenté.
Qui dit loi, règlement, interdiction, modèles, se réfère au « pouvoir »,
comme Judith Butler nous le fait savoir (1997) : « le processus de de-
venir sujet assujetti, [...] et cette sujétion implique une dépendance
radicale » (p. 95). La loi du père est le pouvoir exercé par le père. Père
symbolique qui s'exprime dans la filiation existant dans notre civili-
sation : c'est seulement le nom de famille (l'inclusion dans la lignée
du père) qui nous rend reconnaissable aux yeux de la jurisprudence,
la mère n'a aucun nom de famille, elle porte le nom de son père.
C'est-à-dire que notre filiation est celle de notre père unie avec
celle du père de notre mère. Elle vérifie une fois de plus l'échange
entre les hommes, le père / gendre, pour la procréation humaine
en accord légal et citoyen du système de parenté que Lévi Strauss a
décrit. Les hommes sont les sujets des échanges et les femmes, de-
• 143
viennent les objets échangés. À ce propos, Michel Tort (Tort, 2008)
souligne que : « l'utilisation d'un nom de famille apparaît environ au
même moment dans tous les pays occidentaux, autour du XIe siècle »
(p. 348) et ajoute « en l'espace de deux siècles, les droits des femmes
sont réduits progressivement car ils venaient perturber la logique de
la lignée qui a été mise en œuvre » (p. 348) et continue « le nom
renvoie clairement à une idéologie du sang, race, car il transmet les
vertus de classe de mâle à mâle » (p. 348). C'est à dire, le système
patrilinéaire qui se mondialise dans l'histoire de l'humanité à un mo-
ment donné et qui survit jusqu'à ce jour.
La théorie psychanalytique (le développement du complexe de
Œdipe et de castration), est basée sur la lecture des singularités et
des diverses façons d'accommoder / de s'accommoder aux normes
civilisatrices qui organisent le psychisme, selon les modèles patrili-
néaires. La théorie psychanalytique intersubjective (issue de la pen-
sée de Winnicott) soutient que ces mandats et les normes relatives
à la différence sexuelle, à l'hétérosexualité obligatoire, au destin des
hommes et des femmes selon le mythe du « héros » et de la « mère
nourrice » respectivement, soit l'organisation à l'intérieur des canons
du genre, sont transmis au nouveau-né par l'institution de la famille
d'un système plus ample que Castoriadis a appelé « l'imaginaire so-
cial » et Bourdieu, « les institutions du symbolique ». Ni plus ni moins
que ce que découvre Freud sur l'identification précoce, l'Œdipe et la
construction de la différence sexuelle, le surmoi et les idéaux du moi.
En d'autres termes, le processus de subjectivation installe le sujet sur
les rails des genres, ce qui se passe sous la vigilance des institutions,
la première d'entre elles, étant la famille. Ceci ne se réfère point à ce
qu'on appelle « les rôles de genre » ce qui concernerait la psychologie
sociale, mais, au « sentiment intime de se reconnaître masculin ou
féminin » c'est-à-dire, de l'identité sexuelle qui est l'apanage de la
psychanalyse et donc, des caractéristiques établies dans le système
symbolique et dans l'imaginaire social pour chaque genre en fonc-
tion du sexe anatomique.
Quand ce « sentiment intime » s'installe-t-il chez le sujet ? Pour
l'école anglaise du dualisme sexuel, d'après Ernest Jones « Dieu les
a créés homme et femme », et en cas d'échec, si cette création di-
vine échoue, ce serait dû à une résistance défensive de s'assumer
homme ou femme. Selon la théorie intersubjective contemporaine
(Dio Bleichmar, 1997), au temps de la gestation, connaissant déjà
le sexe de la créature, les prochains lui assignent un genre en ac-
144 •
cord avec son sexe biologique. Néanmoins, faut-il bien se référer à
ce que Freud signale, en 1905 de manière catégorique et avec une
certaine ironie :
« Nous trouvons la meilleure interprétation de la notion po-
pulaire de pulsion sexuelle dans la légende pleine de poésie selon
laquelle l'être humain fut divisé en deux moitiés — l'homme et la
femme — qui tendent depuis à s'unir par l'amour. C'est pourquoi
l'on est fort étonné d'apprendre qu'il y a des hommes pour qui l'ob-
jet sexuel n'est pas la femme, mais l'homme, et que de même il y a
des femmes pour qui la femme représente l'objet sexuel. On appelle
les individus de cette espèce : homosexuels, ou mieux, invertis, et
le phénomène : inversion. Les invertis sont certainement fort nom-
breux, encore qu'il soit souvent difficile de les identifier » (Freud,
1905 / 1981) (pp. 1172, 1173).
Nous pouvons donc penser que l'assignation mécanique de pro-
jeter / assumer le genre correspondant au sexe biologique n'est pas
toujours coïncidente, tel que Money l'a découvert en 1955. Quelles
sont les forces inconscientes en jeu dans une assignation de genre
« déviante » ou « erronée » lorsqu'elle ne correspond pas avec le
sexe biologique ? Désirs contradictoires dans la famille ? Généalo-
gies dysphoriques ? Y a-t-il, donc, un champ de l'inconscient qui
échappe à la Loi, ou au moins à la différence sexuelle pour ce qui est
du genre en tant que « sentiment intime » d'appartenance terme à
terme au sexe biologique/anatomique ?
Lorsque Freud propose le monisme sexuel, c'est-à-dire une li-
bido unique (masculine = active) pour hommes et femmes, indif-
férenciée pour les deux sexes, et lorsqu'il décrit le parcours de sub-
jectivation (soumission à des normes symboliques et matérielles qui
organisent l'espèce humaine), il fournit un fait intéressant en faisant
référence à la construction de la féminité et l'entrée des femmes dans
le complexe œdipien, en d'autres termes, comment transformer cette
libido « masculine = active » c'est-à-dire le désir chez les humains
commun à tous, a une position féminine (non plus « active ») selon
les normes du système patriarcal :
« Le complexe de castration de la fillette naît aussi à la vue des
organes génitaux de l'autre sexe. Elle s'aperçoit immédiatement de la
différence et en comprend aussi, il faut l'avouer, toute l'importance.
Très sensible au préjudice qui lui a été fait, elle voudrait bien, elle
aussi, avoir un machin comme ça ». (Freud, 1933 / 1981, p. 3172).
• 145
Il dit plus encore :
« Le complexe de castration, loin de détruire le complexe
d'Œdipe, en favorise le maintien ; le désir du pénis pousse la
fillette à se détacher de sa mère et à se réfugier dans la situa-
tion œdipienne comme dans un port. » (Freud, 1933 / 1981,
p. 3174).
Et ajoute :
« Seuls les rapports de mère à fils sont capables de donner à la
mère une plénitude de satisfaction, car de toutes les relations
humaines, ce sont les plus parfaites et les plus dénuées d'am-
bivalence. La mère peut reporter sur son fils tout l'orgueil qu'il
ne lui a pas été permis d'avoir d'elle-même et elle en attend
la satisfaction de ce qu'exige encore le complexe de virilité. »
(Freud, 1933 / 1981) : (p. 3177).
Dans cet article, le Maître se réfère aux femmes qui acceptent le
destin normatif de la féminité, donc à celles qui assument le « genre
féminin ». Il ne se réfère pas à « l'être humain femme », c'est-à-dire
à « toutes les femmes », car, d'après lui, certaines femmes peuvent
avoir de toutes autres destinées : le renoncement à la sexualité ou
bien, continuer avec le complexe de virilité, c'est- à-dire avec l'envie
d'un attribut masculin (pénis) signe « d'importance ». Donc, Freud,
sans utiliser le terme « genre », nous parle du genre en faisant la dif-
férence entre sexuation de la femme féminine, celle qui assume « son
genre » et la sexuation des autres femmes, celles qui suivent d'autres
destins. Enfin, si garçons et filles naissent alimentés tous les deux
par une même libido (désir), dans le cas de devenir « femme fémi-
nine » et d'abandonner la « virilité » qui a été installée dès le départ,
le psychisme de la fille requiert des opérations bien plus subtiles et
complexes que celui du garçon. D'après la psychanalyste argentine
Mabel Burin, la petite fille, qui suivra le développement normatif
de la féminité, pour entrer dans l'Œdipe devra renoncer à la pulsion
d'emprise et au désir de puissance, refouler ce dernier partiellement
ou totalement (1987).
Le destin de la maternité sera pour les femmes le territoire le
plus approprié pour, de façon active, accomplir leur investissement
libidinal et le canaliser en produisant un fils (de préférence un gar-
çon en possession du signe privilégié, le pénis). Cette théorie sur le
désir d'enfant et donc, d'être mère, a aussi de l'intérêt pour les études
de genre, car Freud ne considère pas la maternité et le désir d'enfant
146 •
chez les femmes comme étant un phénomène « naturel », génétique,
ou un destin biologique universel. Le désir d'enfant est construit à
partir d'une frustration (ne pas naître mâle), il serait donc, plutôt
un désir de compensation, d'après la célèbre équation pénis=enfant,
qu'un but per se, la preuve étant qu'il existe des femmes qui ne dé-
sirent pas d'enfant, et suivent les autres destinées décrites dans la
théorie. Freud marque un point pour détruire la croyance sur « l'ins-
tinct maternel » et nous montre comment la validation des femmes
dans un psychisme qui a été construit par un système symbolique où
ne pas être mâle est moins considéré, peut s'obtenir en renforçant le
narcissisme en étant mère (d'un mâle).
Une importante partie du matériel freudien se réfère aux ef-
fets de subjectivation produits par le système de sexe/genre phal-
locentrique. Freud nous renvoie également à l'origine de la civilisa-
tion comme étant absolument sous la puissance du père et puis de
la fratrie virile (Totem et Tabou). Cependant il se réfère à l'existence
d'un autre ordre symbolique antérieur au patriarcal, lorsque dans
son article « Moïse et le monothéisme » en pied de page il assure que
l'humanité avait besoin d'un Dieu volcanique, Zeus, pour remplacer
les divinités maternelles de « ces temps sombres ». Il assure que « En
Crète on adorait dans le temps, et probablement dans tout le monde
égéen, la grande mère des dieux. » (1934-8 / 1981, p. 3266). À ce
propos Freud nous dit ce qui suit :
« Il est presque certain qu'en ces temps obscurs, la divinité fe-
melle fut remplacée par des dieux mâles (peut-être originellement
par ses fils). Le destin de Pallas Athéné est particulièrement impres-
sionnant, car cette déesse était certainement une forme locale de la
déité mère. Le bouleversement religieux la réduisit à l'état de déité
fille, elle fut privée de sa propre mère et frustrée pour toujours, du
fait d'une virginité imposée, de tout espoir de maternité » Et voilà.
Le changement au système patriarcal est reconnu comme étant une
construction historique non pas originaire comme il le prétendait
dans Totem et Tabou. Aussi se réfère-t-il dans le même article :
« Un processus plus tardif se présente à nous sous une forme
bien plus tangible : sous l'influence de conditions extérieures qu'il ne
nous appartient pas d'étudier ici et qui d'ailleurs ne sont pas toutes
bien connues, une organisation patriarcale de la société succéda à
l'organisation matriarcale, ce qui naturellement provoqua un grand
bouleversement des lois alors en vigueur. » (Freud, 1934/1981, p.
3309).
• 147
Dans un autre paragraphe du même article, il précise que :
« Les dieux mâles furent d'abord représentés comme des fils
aux côtés de leurs puissantes mères et c'est plus tard seule-
ment qu'ils empruntèrent la figure paternelle. Les dieux mâles
reflètent les conditions de l'époque patriarcale : ils sont nom-
breux, doivent se partager l'autorité et obéissent parfois à un
dieu encore plus puissant qu'eux. Un pas de plus et nous voilà
en face du sujet qui nous occupe ici : le retour à un dieu père,
seul, unique, omnipotent. » (Freud, 1934 / 1981, p. 3291).
Ces réflexions freudiennes s'avèrent tout à fait pertinentes pour
les études féministes et de genre quant à un système symbolique
construit et non pas ‘naturel'. Freud même reconnait (malgré sa
théorie de Totem et Tabou) l'apparition du système patriarcal à un
moment historique donné, donc transitoire, de même que tous les
cycles historiques, parfaitement remplaçable dans le futur car ce sys-
tème phallocentrique ne serait pas « spontané » ou « naturel » à l'hu-
manité, mais construit d'après un processus croissant de domination
masculine. Aussi, les réflexions de Freud à ce propos nous rappellent
la thèse de Bachofen sur l'existence antérieure d'un matriarcat inca-
pable et inefficace pour conduire l'humanité et qui dut être renversé
pour établir un ordre autre, l'ordre des Patriarches. Il soutient même,
avec des données certaines, qu'il existe encore dans le présent des
« traces du droit maternel ».
Malgré ces réflexions si peu flatteuses sur la conduction de l'hu-
manité par les femmes, la théorie psychanalytique et l'anthropologie
reconnaissent bien l'existence d'un ordre symbolique antérieur au
Patriarcat historique, un ordre issu du droit maternel et de la ma-
trilinéarité qui –d'après des recherches archéologiques et anthropo-
logiques récentes- a existé au moins en Europe méditerranéenne et
centrale pendant plus de 7000 ans avant l'établissement complet du
nouveau système de domination virile qui se situe aux environs de
l'année 1100 av. JC. À cette date en Crète non seulement on adorait
encore la Déesse Mère (la Potina) mais les femmes y jouissaient d'une
reconnaissance sociale, politique, économique et religieuse certaine.
Tout ceci pour dire que Freud n'ignorait pas qu'il y ait eu un com-
mencement historique plutôt récent du système phallocentrique (ces
derniers 4000 ans) et que la filiation uniquement masculine et l'im-
position de la loi du père ait été un fait arbitraire, historique et non
pas naturel ni originaire. Comme l'indique le psychanalyste français
Michel Tort (2008) « en effet, dans la « fonction universelle » du père
148 •
on trouve le schéma de la Sainte Famille, où le père fait la Loi de la
mère » (p. 15) et remarque de manière ironique que : « on voit alors
que ce que les psychanalystes ont identifié dans le fonctionnement
psychique comme un transitoire « primat du phallus » transformé en
la primauté du « principe phallique », n'aurait pas comme il paraît,
aucune relation avec la domination masculine, et serait un pur fait
de l'inconscient hors de l'histoire » (p. 15).
• 149
Autant dans le même article, le Maître s'opposant à une hypo-
thèse de Fliess à propos de ce refoulement chez la femme, signale
que « je ne ferai ici que de renouveler mon refus de sexualiser de
telle manière le refoulement, c'est-à-dire d'en fonder l'origine sur des
bases biologiques et non psychologiques », il soutient le contraire
plus loin et pour en finir avec cette dernière hypothèse :
« Le refus de la féminité ne peut être qu'un fait biologique, une
partie du grand mystère de la sexualité ». N'oublions pas que ce refus
de la féminité apparaît comme généralisé à l'espèce humaine comme
le propose cette dernière hypothèse freudienne, constituant le com-
mun entre homme et femme. (Freud, 1937, 1981, pp. 3633-4).
Nous savons que Freud n'ignorait pas la préhistoire lorsque
le « principe féminin » était objet de culte... La Venus d villendorf
(25.000 ans av. JC.) a été découverte à Vienne en 1908. Lui-même re-
connait un processus de transformation sociale et politique du droit
maternel à la loi du père qui ne s'achève que tardivement dans l'his-
toire (de) l'Occident, voire dans l'année 1100 Av JC. Donc, le refus
de la féminité n'est peut-être qu'une conséquence de la domination
virile qui survint à un moment donné dans l'histoire de la civilisation
occidentale avec le développement culturel d'une violence symbo-
lique envers les femmes qui ne pouvait qu'être issue des stratégies
de colonisation, avec, comme conséquence, une valeur amoindrie.
Que ce refus de la féminité ait été intériorisé par des hommes et des
femmes, est peut-être possible puisque tout ce qui ressemblait au
« féminin » devenait subjugué, dévalorisé, soumis, donc un attentat
au narcissisme des sujets hommes et femmes qui n'étaient pas très
solides quant à des identifications puissantes.
Même si Freud nous a appris à regarder l'histoire de l'humanité
et à conclure des effets du temps passé dans la construction de la
psychologie des humains, les psychanalystes en général résistent à
faire de même. La conséquence de ceci pour la théorie et la clinique
est la naturalisation de ce qui a été construit, voire des normes de
genre acquises ou imposées qui brouillent les découvertes premières
de la psychanalyse quant à la complexité de la sexuation, le kaléidos-
cope du désir, et la définition pathologique des « déviations » de ces
normes. Normes construites par un système qui s'est joué pour une
biopolitique de domination de sexes, de classes, de races, etc. exer-
çant un contrôle permanent des sujets comme l'indique Foucault.
Mais la naturalisation n'est pas présente chez Freud ni chez
Lacan. Ces textes rendent parfaitement compte du système sexe-
150 •
genre patriarcal, du pouvoir phallocentrique. S'ils ont été considérés
comme un renforcement du patriarcat par les féministes, une deu-
xième lecture de ceux-là nous permet d'entrevoir une analyse des
subjectivités très cohérente avec la suprématie masculine, donc, aus-
si très pertinente au regard des études de genre.
L'ordre patriarcal, néanmoins, a été bel et bien (été) admis par
Lacan, en 1936/38 dans son article « Les Complexes Familiaux (pu-
bliée dans l'Encyclopédie sous le nom de La Famille) il écrit ce qui
suit, qui peut être extrapolé au développement théorique freudien »
(Roudinesco, 2000, p. 221).
« Selon cette référence sociologique, le fait du prophétisme par
lequel Bergson recourt à l'histoire en tant qu'il s'est produit éminem-
ment dans le peuple juif, se comprend par la situation élue qui fut
créée à ce peuple d'être le tenant du patriarcat parmi des groupes
adonnés à des cultes maternels, par sa lutte convulsive pour mainte-
nir l'idéal patriarcal contre la séduction irrépressible de ces cultures.
À travers l'histoire des peuples patriarcaux, on voit ainsi s'affirmer
dialectiquement dans la société les exigences de la personne et l'uni-
versalisation des idéaux : témoin ce progrès des formes juridiques qui
éternise la mission que la Rome antique a vécue tant en puissance
qu'en conscience, et qui s'est réalisée par l'extension déjà révolution-
naire des privilèges moraux d'un patriarcat à une plèbe immense et à
tous les peuples ».
Tout l'article de Lacan est une reconnaissance explicite de la di-
mension historique du patriarcat en tant que système construit et
non pas donné d'emblée, se rapprochant des théories développées
par Gayle Rubin anthropologue, qui sur la base des études de Lévi
Strauss combinées avec les découvertes de Money et Stoller sur la
féminité et la masculinité, a fini par fonder la théorie féministe et
les études du genre. Elle signale la domination masculine du fait de
l'échange des femmes entre hommes d'un groupe familial à un autre.
Dorénavant les normes du patriarcat et la constitution de la subjec-
tivité deviendront inséparables du système symbolique qui nous or-
ganise d'après la loi du père. Même si la théorie psychanalytique
constate ces normes sans s'interroger d'une manière critique sur
leur occurrence, dans ses textes elles sont omniprésentes. Donc le
déni farouche semble saugrenu de la part d'un grand nombre de
psychanalystes de considérer valable les études féministes sur la
constitution de genre chez les sujets à partir de ce qui est institué
symboliquement.
• 151
La théorie psychanalytique montre que dans la toute petite en-
fance, il existe chez les sujets, commune aux filles et aux garçons
une « perversion polymorphe », plus proche du territoire du Ça
et du principe de plaisir. L'article de Freud en 1905, installe la no-
tion de sexualité infantile, remplace celle de « dégénérescence » et
suggère l'existence possible d'un hermaphrodisme psychique qui
coexiste avec les restes anatomo-biologiques du sexe opposé qui se
manifestent dans le corps. Si nous prenons au sérieux l'hypothèse
freudienne d'une bisexualité originaire, d'une libido non différen-
ciée pour les deux sexes, le désir de maternité non pas issu d'une
impulsion génétique mais d'une compensation pour n'être pas né
garçon, un inconscient où « les passions inférieures » y trouvent une
« arène » propice, comme Freud l'explicite dans le « Moi et le Ça »
(1923/1981, p. 2709), nous pouvons considérer l'existence primor-
diale d'une perversion sexuelle, tels que Laplanche et Pontalis (1974)
à ce propos expriment :
« On pourrait même aller plus loin dans ce sens et définir la
sexualité humaine comme « perverse » en son fond, dans la mesure
où elle ne se détache jamais tout à fait de ses origines qui lui faisaient
chercher la satisfaction, nos dans une activité spécifique, mais dans
le « gain de plaisir » attaché à des fonctions ou activités dépendant
d'autres pulsions » (p. 287).
Avec l'usage et l'abus du terme « perversion » on a perdu de vue
l'origine de ce terme qui viendrait du latin vertere et pervertere, qui
signifie retourner ou « tourner à l'envers », et qui donne naissance
aux concepts de diversité, de la controverse, polyvalent, selon le dic-
tionnaire des origines des mots (GB Ayto, 1990, p. 557). À son tour,
ce terme latin provient de l'indo-européen wert, dont le nom se dé-
rive en anglais en « weird » (bizarre) qui, curieusement, est synonyme
de queer, terme que les études de genre ont donné à un courant de
pensée et à une politique d'action prônant la subversion des man-
dats du genre qui limitent et subordonnent les sujets par la censure,
leur empêchant la réalisation d'autres facettes de la subjectivité. (Di
Segni, 2013). Autrement dit, la « perversion » (inverse de la névrose
d'après Freud, permanence dans l'ordre imaginaire, selon Lacan) ne
serait qu'un retour à ce territoire avant la réglementation par la Loi
patriarcale de la différence sexuelle. Judith Butler (2001), écrit que
« l'inconscient résiste toujours à la normalisation, par laquelle tous
les rituels conformément aux mandats des civilisations supposent
payer un prix, qui produit des résidus pas socialisés qui s'opposent à
152 •
l'émergence du sujet de ceux qui obéissent (à) la loi » (p. 100). C'est-
à-dire que cette résistance produit une béance dans la construction
du psychisme par laquelle s'infiltre une complexité baroque de la dy-
namique du désir, y compris la compulsion à la répétition qui rend
compte d'un noyau de résistance puissante de base dans lequel Eros
et Thanatos jouent un match serré. Cette résistance du psychisme,
où se trouve-t-elle ? Surgit-elle de « l'absence de commune mesure
entre le psychisme et le sujet » comme l'affirme Butler ? (p. 100). De
quelle région du psychisme parle-t-on ? De ce territoire inconscient
qui n'a pas été assujetti à la norme par les règles de la civilisation
? N'est-ce pas l'activité onirique parfois tellement multiple quant à
l'érotisme ou à la violence, par exemple, qui rend compte de l'exis-
tence d'un territoire inconscient sans foi ni loi ? Freud dans l'article
sur les « Rêves » (1916 / 1981), suggère cette vie kaléidoscopique
de l'inconscient en disant « pourquoi la vie psychique ne dort-elle
jamais ? Quelque chose, bien sûr, s'oppose à son repos » (p. 2172).
C'est précisément dans le domaine de l'inconscient où tout co-
existe, la loi et la transgression, la soumission et la subversion, l'obéis-
sance et la résistance. Peut-être qu'une des raisons par lesquelles la vie
psychique ne dort jamais est la poussée de ce « fond » pervers dont
parlent Laplanche et Pontalis, qui mène un jeu jouissant sans fin entre
Eros et Thanatos hors portée du principe de réalité ou des contraintes
surmoïques. Un retour à un équilibre mercurien échappé à la castra-
tion symbolique du sujet, un repos dans un magma qui résiste la su-
bordination et qui est nécessaire à la vie psychique tel un vestige de la
« liberté » sartrienne. D'après Jacques Derrida, « Freud nous dit que le
désir du rêve se lève, pousse, surgit (erhebt, sich) au point plus dense
de ce Geflecht, de cet enchevêtrement, comme un champignon de son
mycélium. Le lieu d'origine de ce désir serait alors là où l'analyse doit
s'arrêter, un lieu qui devrait être laissé dans l'obscurité (muss man in
Dunkel lassen). Et ce lieu serait un nœud ou un tissu enchevêtré, en un
mot, une synthèse pas analysable » (Derrida, 2005, p. 31).
Nous pensons, au contraire, que justement ce territoire de ré-
sistance à la loi, aussi bien dans son versant pulsionnel de mort que
dans son versant érotique, est l'objet d'étude de la psychanalyse et
qu'il lui incombe de rendre compte de son existence, non pas pour
expliquer l'inexplicable, mais pour dévoiler l'énorme richesse de la
complexité humaine et du désir.
• 153
NARCISSE ET ŒDIPE
La psychanalyse ne perd rien à faire une réflexion sur la loi inté-
riorisée dans la subjectivité qui est envahie par les forces du Ça que
le Moi ne parvient pas à contrôler. Elle ne peut pas ou ne veut pas le
faire...Ainsi, Elisabeth Roudinesco (2003) fait remarquer que la pre-
mière institution qui accueille l'arrivée d'un nouvel individu dans le
monde, c'est-à-dire la famille, est aujourd'hui en « désordre », ce qui
est de l'ordre de la perversion pour la psychanalyse hégémonique.
Aujourd'hui en Occident, la « perversion » pénètre les logiques de la
famille et de la filiation, instituant de nouvelles alliances familiales
même si la lignée patrilinéaire reste la même, en questionnant le
mandat normatif de l'hétérosexualité. Selon Michel Tort (2008), « la
prétendue éternité psychique de l'inconscient », le conservatisme
de sa dynamique et la nature historique de la parentalité seraient
mises en échec par « la contingence des rapports de genre et de
sexe » (p. 81). Freud nous assure que « le Moi est d'abord un être cor-
porel » (1923 / 1981, p. 2709), un corps réglé par un discours phal-
locentrique, comme le soutient Foucault. On se pose la question de
savoir comment ce corps communique avec l'Eros qui se trouve, sans
discrimination, dans le Ça ? Butler (2001) demande « Existe-t-il une
partie du corps qui reste sans être sublimée ? » et ajoute « on peut
se demander si la possibilité de la résistance contre une puissance
constituante du sujet peut être dérivée de ce qui est dans le discours
où elle fait partie « du » discours » (p. 105). Avec la psychanalyste ar-
gentine Ana Fernández (1974), on peut penser que l'exalté contient
ce qui est dénié tout autant que sa propre dénégation. C'est à dire le
fait même que la loi contienne en son sens inverse « la non loi », ce
qui est tout à fait évident, quand on sait que la loi doit s'imposer sur
ce qui n'est pas organisé d'emblée, et parce qu'il n'est pas ordonné tel
quel. De cette façon, le Moi contiendrait le mandat et son inverse, la
transgression.
À l'heure actuelle, à l'émergence des nouvelles techniques de re-
production, avec la légalisation d'autres formes d'unions maritales
entre personnes et les constructions « en désordre » des familles,
nous pensons avec Tort (2008) que ce qui se passe est une « dé-sym-
bolisation » des parentalités (p. 81). Science et technologie ont abou-
ti aujourd'hui à une révolution qui défie la théorie psychanalytique.
L'insémination artificielle, fécondation in Vitro, l'emprunt d'utérus,
le transsexualisme, rendent compte d'une réalité psychique non as-
sujettie à la Loi du Père, c'est-à-dire une intervention volontaire sur
154 •
le siège du Moi qui est le corps humain. Dans la plupart des pays oc-
cidentaux, même les règles juridiques de l'actuel système sexe-genre
ont été modifiées et permettent l'avortement, le mariage homo-
sexuel, le changement de sexe dans le registre d'état civil, la chirurgie
à ce propos, les adoptions d'enfants par des couples du même sexe,
bref, tous les comportements qui s'écartent de l'ordre patriarcal éta-
bli depuis des siècles.
Le principe d'organisation de la réalité des subjectivités n'est
plus, donc, l'ordre œdipien. L'ordre symbolique est vacillant. Mais
les adeptes de Lacan nous disent que « n'est pas nécessaire la fi-
gure du père pour mettre en place le refoulement originaire et le
sujet de l'inconscient, puisque le langage s'en charge » (Tort, 2008,
p. 496). Bien que cette pirouette pour attribuer au langage le rôle
de législateur et de passeport pour devenir sujet soit acceptable du
fait que le langage provient du système phallocentrique, apparem-
ment, elle n'est pas suffisante, à moins de considérer, comme eux,
que les interventions dans le corps anatomique (transsexualisme,
par exemple) sont comme des « passages à l'acte » qui témoignent
d'une prépsychose ou personnalités border line. Roudinesco d'après
Kohut dit que « si l'Œdipe avait été pour Freud le héros en conflit
d'un pouvoir patriarcal en déclin, Narcisse incarne désormais le
mythe d'une humanité sans interdictions, fascinée par la puissance
de son image : une identité en véritable désespoir » (Roudinesco,
2003, p. 173). Par exemple, le choix narcissique d'autrui semblable
chez les adultes, l'immersion dans l'imaginaire, les incursions sur le
réel, parlent à de nombreux psychanalystes d'une féminisation de la
culture. Les « nouvelles pathologies », de cette société néolibérale de
consommation qui ne laisse pas de place à l'émergence du désir et de
la castration car elle répond immédiatement à la demande des sujets
(« non assujettis ») sont même référées comme issues de l'existence
d'un nouveau maître : la jouissance. (Tort, 2008).
La suppression de la différence sexuelle, les dysphories de
genre, le changement d'identité « à la carte », c'est-à-dire les soi-di-
sant « nouvelles pathologies », la rébellion du sujet soumis au sys-
tème sexe-genre, parlent d'elles-mêmes d'une réalité psychique puis-
sante de résistance chez les sujets. Si la puissance du père décline,
si la reproduction de l'humanité devient indépendante des rapports
hétérosexuels, si la maternité n'est pas universellement « désirée », si
la structure de la cellule familiale est devenue « désordonnée », si les
femmes n'ont pas cessé de revendiquer leur place de sujets politiques
• 155
depuis plusieurs siècles, n'est-ce pas finalement à la psychanalyse,
aux psychanalystes de réfléchir la dessus et de remettre en question
leurs universels ? Remettre en question aussi le processus œdipien
interminable des filles / femmes ? Se demander si l'envie du pénis
n‘est qu'une revendication d'une position de sujet face à celle d'objet
qui l'est assigné par la « féminisation normative » ? Est-ce que la
théorie orthodoxe de la psychanalyse des secteurs plus conservateurs
n'a pas accédé à la pensée postmoderne ? Sans aller plus loin, car
nous dit encore Tort (2008) « c'est à la psychanalyse d'interpréter les
raisons inconscientes de l'inégale division des sexes qui a fonction-
né comme une donnée de base de l'organisation politique, justifiant
le monopole masculin du pouvoir » (p. 518). Ce que souligne Tort,
c'est que la psychanalyse n'a jamais fait une lecture de l'état de la
question. À présent, la déconstruction évidente du système qui passe
par le biais de pratiques autres que celles commandées par la loi du
père, sonne à la porte des psychanalystes pour attirer leur attention.
Ce ne sont pas les revendications séculaires des femmes pour avoir
leur autonomie et l'égalité avec les mâles qui ont obtenu une écoute
sur les divans des psychanalystes traditionnels sans être interprétées
comme « l'envie du pénis » où bien étiquetées d'hystériques.
Aujourd'hui, les revendications du transsexualisme et de l'ho-
mosexualité, venant surtout des mâles, auront-elles le même sort de
rejet, de silence et de stigma ? Il nous semble que la parole virile pour
conquérir un laissez-passer par l'indulgence du père et bien plus près
que celle des femmes d'atteindre leur but. Le risque que court une
certaine psychanalyse de ne pas pouvoir mettre de la distance avec le
dogme de la loi du père comme immuable, tel que le signale Derri-
da, contribue à renforcer la résistance à la théorie et à sa pratique et,
peut-être, à son déclin, comme cela est en train d'arriver à présent au
système patriarcal même. Serait-ce ceci que souligne Tort ? :
« Si aujourd'hui on a défini et établi d'autres formes d'Alliance et,
éventuellement, d'affiliation, ce ne serait pas à cause d'une question
politique, au nom de l'étiquette contre la position homophobe do-
minante, mais plutôt sous l'émergence, en l'an de grâce 2000 d'un
« inconscient homosexuel », qui a une relation différente avec le père
inconscient que celui de la névrosé ordinaire » (p. 17).
Ceci nous fait penser à la note de bas de page écrite par Freud en
1921 à propos de l'intolérance du père de la horde primitive : « On
peut également admettre que les fils, chassés et séparés du père,
ont franchi l'étape de l'identification et s'étant élevés à l'amour ho-
156 •
mosexuel ont conquis la liberté qui leur a permis de tuer le père ».
(Freud, 1920/21 p. 2597).
Si on met en rapport ce que soutient Tort dans l'actualité et la
théorie freudienne de la cohésion de la fratrie homosexuelle qui fit
possible l'assassinat du père, on peut penser que ce sont les hommes
qui sont les interlocuteurs compétents pour défier le père et sa loi,
c'est-à-dire, la confrontation œdipienne du mythe originaire de So-
phocle : père et fils se retrouvant face à face sur un chemin étroit où
il n'y a pas de place pour les deux.
Ce ne sont donc pas les femmes, avec toutes ces transgression
au niveau du corps (du Moi) aux mandats de genre du XX siècle :
contraception, avortement, ligatures de trompes, insémination ar-
tificielle, émergence du féminisme, revendication du lesbianisme,
accès des femmes à des postes de pouvoir (sans remord « d'envier
le pénis ») qui ont été reconnues comme une des causes de l'éro-
sion du système sexe-genre. C'est bien les hommes du XX-XXIème
siècle, avec – paradoxalement - le féminin mis en valeur par cer-
tains philosophes mâles et par les hommes en dysphorie de genre qui
choisissent de changer de sexe, soit en image ou en anatomie, aussi
bien qu'au niveau politique le pouvoir rose, en majorité conduit par
des hommes, qui finalement obtiennent une reconnaissance et une
écoute dans le système symbolique et imaginaire.
Une fois de plus, la théorie de Freud relative au genre s'avère juste,
du moment qu'il pense l'homosexualité masculine comme étant une
source de puissance pour défier le père. Donc, ne pas considérer que
la psychanalyse a beaucoup à dire dans un dialogue avec les études
de genre, et même avec la pensée féministe, est un symptôme de la
sclérose d'une discipline qui, précisément, s'est caractérisée à ses ori-
gines comme une pensée révolutionnaire et novatrice autant en ce
qui concerne la sexualité que ce qui intéresse l'identité sexuelle. Aux
psychanalystes actuels d'y réfléchir.
• 157
BIBLIOGRAPHIE
158 •
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Cultura Económica.
Tort, M. (2008). Fin del dogma paterno, Buenos Aires : Paidós.
Tubert, S. (2000). Sigmund Freud, Madrid : Edaf.
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160 •
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