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CEGECAL,

Centre d'Etudes de Genre et Culture en Amérique Latine


Faculté de Philosophie, Université du Chili.

Traduction de l'espagnol : Pilar Errázuriz Vidal.


Révision : Francoise Hautot.
Correction rédactionnelle : Rocío Consales.
Diagramming et l'art de couverture : Contanza Figueroa.

Paris, 2016.
Santiago du Chili, 2017.
SOMMAIRE

AU SUD DU SUD : PSYCHANALYSE ET GENRE. AVANT 7


PROPOS.
Pilar Errázuriz Vidal

DIVERSITÉ ET CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE. NOTES 11


ET RÉFLEXIONS POUR UN DÉBAT.
Débora Tajer

UNE DIFFÉRENCE TRÈS PARTICULIÈRE : LA FEMME 35


DE LA PSYCHANALYSE.
Ana María Fernández

TRANSGENRE : UNE SYNTHÈSE ET DES OUVERTURES. 49


Eva Giberti

LA SEXUALITÉ MASCULINE. UNE ÉTUDE. 77


PSYCHANALYTIQUE DU GENRE. PREMIÈRE PARTIE.
Irene Meler

LE DÉSIR HOSTILE ET LE JUGEMENT CRITIQUE DANS 101


LA CONSTRUCTION DE LA SUBJECTIVITÉ FÉMININE.
Mabel Burin

L'HOSTILITÉ : DES MODALITÉS DE GÉRENCE PAR LA 109


MASCULINITÉ. PREMIÈRE PARTIE.
Mabel Burin

LE GENRE ET LE SUJET DE LA DIFFÉRENCE SEXUELLE. 123


LE FANTASME DU FÉMINISME.
Martha Rosenberg

LA PSYCHANALYSE ET LES ÉTUDES DE GENRE : UNE 141


LIAISON DE CONVENANCE ?
Pilar Errázuriz Vidal
6•
AU SUD DU SUD : PSYCHANALYSE ET GENRE
AVANT PROPOS
Pilar Errázuriz Vidal 1

Dans le cadre de la Convention pour la Recherche sur les Études


de genre récemment signée entre l'Université Paris 7 et la Faculté de
Philosophie de l'Université du Chili2, je tiens, en premier lieu, à présenter
certains des travaux en Psychanalyse et Genre du groupe de chercheuses
et chercheurs qui constituent ce qu'on connaît comme l'École l'Argentine
de Psychanalyse et Genre, à laquelle j'appartiens à distance depuis 1986
(d'abord étant à Madrid, puis à Santiago du Chili3).
Pour cette publication j'ai choisi une collection de textes
significatifs issus de la recherche sur ce sujet, lesquels j'ai traduit de
l'espagnol en français, tâche délicate pour conserver de la façon la
plus exacte possible la pensée des auteures, traduttore, traditore4.
Ces textes ne sont qu'un échantillon de l'importante production de
pensée publiée en espagnol depuis les années 80.
Le texte de Débora Tajer montre le parcours de l'intégration
des études de genre à la psychanalyse en Argentine pendant les
derniers trente ans. Le Chili est arrivé bien après dans cette ligne
de pensée sauf dans des rapprochements indirects qui n'ont pas
constitué dans le milieu psychanalytique des apports propres
à être considérés. Ce n'est que depuis 2003, lorsque j'ai intégré le
Centre d'Études de Genre et Culture en Amérique Latine5, que,
officiellement la chaire de Psychanalyse et Genre naquit à la Faculté

1 Psychanalyste, directrice du Centre d'Etudes de Genre et Culture en


Amérique Latine (CEGECAL) de la Faculté de Philosophie à l'Universi-
té du Chili.
2 Initiative du CEGECAL.
3 À Madrid entre 1986 et 2001. À Santiago du Chili, depuis 2003 jusqu'au
jour.
4 Je remercie la collaboration de Françoise Hautot qui m'a stimulé à la
rigueur des corrections exhaustives et qui a fait la révision finale de la
traduction des textes.
5 CEGECAL, Centre d'études de genre de la Faculté de Philosophie de
l'Université du Chili fondé en 1991 / 1995 par Kemy Oyarzún avec la
collaboration de Olga Grau.

•7
de Philosophie dans son aspect théorique et clinique. Ceci dit, la
psychanalyse a toujours été considérée par mes collègues féministes
comme une théorie centrale pour comprendre la construction de
la subjectivité, spécialement dans le domaine de la littérature et de
l'histoire des femmes. Aujourd'hui et d'après l'influence de l'École
Argentine susmentionnée, en plus des cours réguliers que je dirige
dans le Master d'Etudes de Genre, et bientôt dans le Doctorat, nous
avons créé en 2014 un groupe d'étude sur le sujet, en collaboration
avec l'Institut Chilien de la Psychanalyse, à l'issu duquel un Diplôme
dirigé aux professionnels/les est délivré.
À mon avis, le rapprochement de la psychanalyse, autant aux
études de genre qu'à la pensée féministe, ne s'est fait connaître que
récemment. Dans ce sens, il faut mentionner l'importance pour ce
domaine disciplinaire du Séminaire de Psychanalyse et Genre dirigé
par Laurie Laufer au sein de l'UFR Paris 7, ainsi que la création de
cette Revue. L'accueil qu'ont offert les Universités de la Sorbonne,
Paris, Cité, au XXIème siècle à la pensée de genre a eu une portée
considérable à un niveau global, de plus, il est fondateur d'une
nouvelle culture. La pensée de genre, héritière de la pensée féministe,
intégrée à l'une des plus prestigieuses Universités du monde dans
le cadre de l'Action Structurante Pluridisciplinaire, Plurigenre,
dirigée par Laurie Laufer et Gabrielle Houbre de L'UFR Paris 7
(Diderot), prend une importance tout à fait spéciale pour nous, les
chercheuses d'Amérique Latine attachées aux apports de la pensée
française, comme le témoigne la bibliographie des textes exposés.
Cette initiative de l'Université parisienne construit une sororité
disciplinaire entre les cultures Nord / Sud.
On trouvera dans les écrits choisis pour cette publication, non
seulement des réflexions sur le panorama actuel de la psychosexualité,
mais aussi des arguments sur la pertinence de l'intégration de la
théorie de genre et de la pensée féministe à la théorie et la clinique
psychanalytique, de même que des critiques à la théorie classique
et de nouveaux apports conceptuels sur la construction de la
subjectivité et du psychisme.
Je remercie l'accueil que ce travail a reçu de la part de Laurie Laufer,
Pascale Molinier, Beatriz Santos et Thamy Ayouch, avec qui j'ai joui de
bons moments d'échanges d'idées et même d'humour à propos des
défis que suppose l'introduction de la pensée de genre dans le milieu
orthodoxe de l'académie et dans « la pensée du maître ».
Nous espérons que cette compilation de la parole des
8•
psychanalystes au sud du sud, constitue pour ceux qui s'intéressent à
une psychanalyse « mise à la page », selon les nouvelles données de la
sexualité, un stimulus pour continuer un débat, certainement critique,
dialectique et interdisciplinaire.

À Paris, mai, 2016.

•9
10 •
DIVERSITÉ ET CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE
NOTES ET RÉFLEXIONS POUR UN DÉBAT 6 7
Débora Tajer 8

Dans ce chapitre, je me suis particulièrement intéressée à


quelques débats actuels autour de la relation entre les subjectivités
sexuées et la clinique psychanalytique. Dans ce sens, j'essaierai de
me focaliser sur les apports possibles de l'articulation entre la psy-
chanalyse et les études de genre, en relation avec divers défis qui se
présentent dans la clinique psychanalytique actuellement.
Nous pouvons lister quelques-uns de ces défis :
a) Les changements produits dans la configuration des féminités
et des masculinités, dans leurs rôles, leurs idéaux et les confor-
mations du désir qui établissent des conflits historiquement
spécifiques.
b) Les transformations dans les relations de pouvoir entre les
genres qui ont construit tout autant de plus grandes libertés,
que de nouvelles formes de souffrance et de plaisirs.
c) L'apparition d'une multiplicité de configurations et de si-
tuations familiales qui mettent en question la relation entre
une formation de couple et la parentalité : les familles recom-
posées : (les miens, les tiens et parfois, les nôtres), l'impact
des nouvelles technologies reproductives, les décisions de
séparation au cours de grossesses, les séparations et la garde
partagée des très petits enfants (en incluant des mineurs de
1 an), la monoparentalité par option, l'homoparentalité, la

6 Tajer, D. « Diversidad y Clínica Psicoanalítica. Apuntes para un debate »,


dans Fernandez, A.M., Siqueira Perez, W. (comp.) La Diferencia
Desquiciada. Géneros y Diversidades sexuales. Biblos, 2013. Un chapitre
basé sur une communication du même nom dans 1º le Symposium
International « Queer Politiques et les Subjectivités » dans le XI Congrès
International de Santé mentale et les Droits de l'homme de l'Université
Populaire des Mères de Place de Mai. Le Buenos Aires, le 20 novembre
2010.
7 Traduction Pilar Errázuriz Vidal, révision Francoise Hautot.
8 Docteure en Psychologie (Université de Buenos Aires), psychanalyste
et le spécialiste en Santé Publique. Professeure Adjointe dans la chaire
Introduction aux Études de Genre, de la Faculté de Psychologie UBA.
• 11
parentalité partagée sans constituer un couple, entre autres.
d) La visualisation du champ des pratiques de la diversité sexuelle,
qui inclut les pratiques de sexualité en dehors de l'hétéro-
normativité et du partage binaire identitaire de genre. C'est-à-
dire tout ce qui depuis le champ de ses propres acteurs se nomme
LGTTB (Lesbiennes, gays, travestis, transsexuels et bisexuels)9.
e) Le nouveau panorama qui s'ouvre au niveau de la procréa-
tion dans l'articulation entre les possibilités des nouvelles
techniques reproductives (la fertilisation assistée, la location
d'utérus, la donation d'ovules et de sperme, entre autres) et les
décisions reproductives : un allongement de l'âge de procréa-
tion chez les femmes, l'option par la monoparentalité et dans le
domaine de la diversité sexuelle, fait qu'il est permis, à présent
de séparer le désir d'enfant de l'existence d'un couple basé sur
la différence sexuelle.
Au-delà du fait que nous essayons de « couvrir le soleil avec les
mains », il y a eu des changements dans la vie quotidienne et sur
les horizons des projets de vie des sujets à l'heure actuelle, qui ont
un impact dans la clinique et établissent de nouvelles demandes et
conflits.
Je poserais une première réflexion, qui, à la manière d'une
précaution aussi bien épistémologique qu'éthique concerne les deux
visages de ces défis.
L'un d'eux prétend ne pas permettre que les préjugés ou les
conceptions antérieurs aux actuels problèmes, nous fassent diagnos-
tiquer comme psychopathologiques per se les dits changements.
L'autre consiste en ce que nous ne renonçons pas non plus à la capa-
cité d'identifier les formes que la psychopathologie pourrait adopter
dans le nouveau panorama.
Différencier ces deux visages de ma problématique est un impé-
ratif éthique pour pouvoir continuer à soutenir ce qui, d'après moi,
est l'engagement fondamental du travail de la psychanalyse avec la
société : travailler avec les formes dans lesquelles le malaise humain

9 À ce sujet il y a beaucoup de discussions, par exemple oui nous serions


en face de quelque chose nouveau en pratiques dans oui ou si le nouveau
est la visibilité et la recherche de légitimation sociale. Nous pouvons
placer ici l'existence des marches de l'orgueil gay et les déroulements
théoriques des Études Queer, rattachés aux Études de Genre, mais qui à
la fois les critiquent pour « trop d'hétéro normatives » les trouve.
12 •
s'exprime, en mettant des mots sur la douleur. Il est très important
que nous faisions de cela notre tâche, pour éviter qu'afin de nous
abstenir de remettre la pensée au travail face aux nouveaux défis,
nous continuons d'être les gardiens de ce qui à un moment donné a
été avant-garde, et aujourd'hui peut se convertir en relique.
Pour entrer dans le vif du sujet, il est précieux de contextuali-
ser, au moyen d'une brève actualisation, comment la perspective de
genre a commencé et quel sens a produit son introduction dans le
travail et la pensée psychanalytique.
Nous pouvons remarquer que dans un premier moment, il s'est
agi de rattacher le statut social subordonné des femmes dans le sys-
tème patriarcal avec les formes du malaise féminin. Cette tâche a
été réalisée en suivant la ligne de pensée que Freud (1930) a proje-
tée dans Le malaise dans la culture, le texte dans lequel il exprime
que nous ne pouvons pas attendre une conformation similaire des
aspects moraux chez ceux qui jouissent le plus des biens sociaux
(il se rapportait aux secteurs les plus aisés de la société, dans les-
quels il s'incluait) et les secteurs les plus pauvres. Il disait que ceux
qui étaient plus heureux pouvaient socialement être plus disposés à
laisser de côté leurs désirs égoïstes pour se soumettre à des idéaux
culturels et sociaux, desquels ils étaient davantage bénéficiaires que
les gens des secteurs subordonnés. De cette façon il entendait que les
secteurs sociaux les plus bas n'étaient pas très disposés aux renonce-
ments pulsionnels en faveur de l'intérêt collectif.
Cette ligne de pensée a été reprise des années plus tard par
Herbert Marcuse (1968) pour exprimer cette demande envers les
secteurs sociaux subordonnés, d'une plus grande exigence d'un
remboursement social en échange, comme la base des relations
capitalistes qu'il analysait en terme de la production d'un supplément
de malaise.
Ces développements ont été repris par les Études de Genre, en
utilisant ces outils pour un groupe qui jusqu'alors n'avait pas été
pensé comme subordonné socialement, c'est à dire les femmes. La
psyché féminine avait été pensée en tant qu'un effet de la différence
sexuelle anatomique. Par conséquent, arracher la féminité du champ
de l'essence (« le » féminin) et de la détermination biologique de la
psychologie (des conséquences psychiques de la différence sexuelle
anatomique) (Freud, 1925), pour lui donner un statut de construc-
tion sociale qui constitue le psychisme, était la tâche entreprise par
les Études du Genre dans le début de son dialogue avec la psychana-
• 13
lyse. Suite à ce nouveau point de départ, immédiatement, il s'est agi
de voir comment la féminité de chaque femme se constituait comme
forme particulière de singularité en relation avec l'historique social
dans lequel les femmes sont le « deuxième sexe », comme Simone de
Beauvoir l'a mis en évidence (De Beauvoir, 1998).
De ces exposés, on peut inférer quelques questions et tâches
pour la théorie psychanalytique :
a) S'enquérir de comment le désir hétérosexuel se constitue chez
les femmes, dans le cadre des relations patriarcales. Puisque
celui-là implique de l'amour non seulement pour celui qui est
de l'autre côté de la différence sexuelle, mais il inclut la mé-
diation des relations de genre, l'amour du maître social et de
celui qui a plus de privilèges, desquels elle ne jouit pas. Emilce
Dio Bleichmar (1985) remarque qu'une partie de ce défi est
en rapport à un désir d'être le « genre dévalué », ce qui inclue
une autre complexité au travail psychique qui propose la réso-
lution œdipienne chez les femmes, au- delà de l'abandon du
premier objet d'amour. Cette spécificité de conformation du
désir hétérosexuel des femmes dans le cadre de relations pa-
triarcales nous place en partie dans les conflits que les femmes
d'aujourd'hui présentent dans une consultation : le désir pour
le maître et le rejet concomitant moral de cette forme de désir
par le système d'idéaux plus égalitaires, que sa propre subordi-
nation répudie.
b) Voir comment nous pouvons commencer à penser la consti-
tution des modalités du désir en dehors du modèle hégémo-
nique hétéro normatif, jusqu'à présent nécessaire socialement
pour pouvoir garantir la reproduction biologique de l'espèce
humaine.
Pour résumer, nous pouvons dire que le défi principal est de
pouvoir penser simultanément comment les psychismes se consti-
tuent par rapport à la diversité des pratiques sexuelles et desrela-
tions asymétriques de pouvoir entre les genres. En prenant comme
base pour le dialogue certains des défis qu'Ana Maria Fernández
propose (2009).
De même, cette question entre en jeu dans les débats sur la réas-
signation de sexe des sujets intersex (XXY) et des sujets trans. Tra-
ditionnellement la psychanalyse est partie de l'idée de ce que tout
psychisme normal et en bon état doit être articulé autour de la re-

14 •
connaissance de la différence sexuelle et que celle-ci se conforme
d'une manière binaire, avec seulement deux catégories : féminin ou
masculin. Cependant, il est possible de penser les diverses formes de
développement de la psychosexualité qui ne sont pas dans une rela-
tion de subalternité avec les « bonnes formes », ni nécessairement
dans le domaine de la psychopathologie, mais qui proposent en acte
un bouleversement de la différence (Fernández, 2009).
Si nous nous focalisons dans l'axe des relations de pouvoir entre
les genres et la construction de la subjectivité féminine dans ce ré-
seau de liens, nous pouvons prendre comme un ensemble les refor-
mulations des conceptions psychanalytiques sur la féminité qu'a fait
la psychanalyse depuis la perspective de genre :
a) Le changement de point de vue de la considération du
masochisme comme étant le noyau de la féminité, à la
conception du masochisme dans la féminité comme un type
de développement d'érogénéité qui se constitue dans le cadre
de relations de domination.
b) La révision de l'idée de l'insuffisance du Surmoi féminin et le
moindre apport supposé à la culture des femmes pour ladite
raison. Concept qui a été spécialement développé par Carol
Gilligan (1993) dans sa révision des manières spécifiques de la
formation de la conscience morale chez des femmes.
c) L'envie du pénis, qui aujourd'hui est considérée comme étant
l'envie de la place sociale masculine, et non pas de l'attribut au
travers duquel l'on imagine.
d) Le changement dans la conception de l'histoire féminine.
D'une idée « du même » comme la forme « normale » d'être
femme, de commencer à la considérer comme une solution de
compromis entre le narcissisme de genre féminin et les pra-
tiques de la sexualité dans le social historique patriarcal. Une
solution en forme de compromis dont la résolution tend à va-
lider un exercice de la séduction de la part des femmes avec
une inhibition de la pratique concrète de la sexualité dans un
temps antérieur à la chute de l'estime des femmes dans le sys-
tème patriarcal : la consommation de la relation sexuelle. Pour
résumer, séduire et ne pas accomplir, pour garder de la valeur.
e) La révision de l'idée de la constitution du désir d'enfant
comme modalité privilégiée de constitution de la maturité
normale chez une femme, qui permet d'une part, de considé-

• 15
rer cette modalité de désir comme un effet imaginaire de la
relation entre la maternité et la féminité construite historique-
ment dans la modernité (Chodorow, 1984 ; Badinter, 1981 ;
Fernández, 1993) ; d'autre part, de rendre visible les diverses
manières d'entrée dans la maturité des femmes qui par option
ou par impossibilité n'exercent pas la maternité.
Un autre des aspects révisés dès le début de la perspective du
genre dans la psychanalyse est l'identification de l'absence d'une
énonciation explicite d'une théorie à propos de la masculinité.
Jusqu'à très récemment, en psychanalyse, le sujet et la « féminité »
ont été théorisés. C'est l'effet de ce que nombre de théoricien/nes
considèrent comme phallocentrisme, soit l'homologation de l'expé-
rience des hommes à celle de tous les êtres humains, au moyen de
la constitution d'un sujet universel. De plus, considérer que ce qui
n'entre pas dans ce paradigme, c'est à dire féminité, sera un mystère,
un continent noir qu'il faudra étudier à part. Cependant, on com-
mence depuis peu à voir certains apports - dans ce champ vacant -
de la part de certains des psychanalystes contemporains de diverses
lignes de pensée10.
De toutes façons, cela n'empêche pas que, même si dans l'œuvre
de Freud il n'y a pas de théorie explicite à propos de la constitu-
tion de la masculinité, des articles peuvent être lus dans ce sens, par
exemple : « Du rabaissement le plus commun de la vie amoureuse »
(Freud, 1912), texte qui marque les manières particulières de l'érotisme
hétérosexuel masculin dans le cadre des relations de domination dans
la modernité patriarcale, en proposant comme « objets » deux types
de femmes : les « mauvaises » pour la jouissance, et les « bonnes »
pour la conjugalité ; ou le texte Totem et Tabou (1913) (relu maintes
fois comme un écrit social et politique qui analyse la constitution
du groupe, mais qui peut aussi être lu comme la construction d'une
fratrie dans le patriarcat, à l'égard d'un père qui se place comme
étant la loi mais à laquelle il n'est pas soumis). De plus, divers cas
cliniques d'hommes qui sont proposés comme exemples psycho-
pathologiques, peuvent être lus comme analyse de la constitution
psychique d'une masculinité « d'une époque » : le cas du petit Hans,
l'homme des rats, l'homme des loups et le « cas » Schreiber (Freud,
1909, 1918, 1911).

10 Michel Tort, Silvia Tubert, Sergio Rodriguez, Ricardo Estacolchic,


Ernesto Sinatra, Silvia Bleichmar, Juan Carlos Volnovich, Mabel Burin
et Irene Meler. Seulement pour citer certains d'entre eux (elles).
16 •
Un autre apport des Études de Genre à la psychanalyse est le
signalement du rapport entre les relations de domination et une
construction des modes de subjectivation (Fernández, 2009). Cette
perspective, en reprenant les apports de Michel Foucault dans le do-
maine de la sexualité et sa relation avec le pouvoir est une tradition
non suffisamment explorée par Freud qui postule depuis le début
de son œuvre (Foucault, 1987) que le sujet du pouvoir est un pro-
blème psychologique, en le plaçant fondamentalement dans l'asy-
métrie entre générations dans les relations entre parents et enfants
(Benjamin 1996). Freud a apporté grandement à propos de l'obéis-
sance face à la crainte de la perte de l'amour de l'autre, apports qui
n'ont pas été suffisamment explorés dans la théorie psychanalytique,
comme les relations de domination qui dépassent le domaine inter-
générationnel, ou bien celles de genre. Cependant, lorsque cette ex-
ploration est tentée, elle nous renvoie constamment à sa similitude
avec les relations de filiation.
Pour autant, deux auteures s'éloignent considérablement de cette
tendance, qui ont fait des avancées spécifiques dans un sujet fonda-
mental au regard des défis que nous nous posons. Dans notre mi-
lieu, Gilou García Reinoso a signalé spécialement comment s'établit
l'amour du maître, les effets dans la clinique de cet amour et la né-
cessité de se défaire de la relation avec l'autre comme maître absolu
(García Reinoso, 1998, pp. 27-32). Aux États-Unis, Jessica Benjamin,
en suivant le cheminement de pensée de Daniel Stern, rend compte
de qu'il en est de la spécificité de la relation entre le pouvoir et la
constitution du psychisme depuis les étapes de vie les plus précoces
dans chaque genre, dans le cadre du social historique hiérarchique
et patriarcal, et son développement postérieur dans la vie infantile et
adulte (Benjamin, o.c.). Elle présente un développement de la consti-
tution des psychismes dans le cadre des relations de pouvoir entre les
genres, en incluant l'asymétrie de pouvoir entre les générations, dans
ce qu'elle dénomme des « liens d'amour ».
En accord avec cet axe de conceptualisation de la constitution
psychique d'hommes et de femmes dans le cadre des relations pa-
triarcales, nous pouvons souligner qu'une grande partie de la tâche
quotidienne dans le domaine de la clinique psychanalytique est di-
rimée dans les termes de ce qu'Ana Maria Fernández caractérise
comme une constitution d'autonomie chez les femmes et une dé-
construction de l'hégémonie chez les homes (Fernández, 2000). Bien
que ces processus s'expriment de manières multiples, bien souvent,

• 17
dans la clinique avec des hommes, il est nécessaire de leur faire re-
marquer que les femmes sont leurs pairs et qu'elles existent comme
semblables. Et dans le cas des femmes, lorsqu'elles se situent subjec-
tivement dans la différence rendue inégale, elles expriment leur désir
de « couper la tête du roi acéphale » (Rosenberg, 1996), il s'agit alors
qu'elles puissent saisir la différence entre l'image de « cet » homme-
là, « le maître dans l'illusion », et la réalité des formes de subjectiva-
tion masculine dans le cadre de l'appartenance à un collectif jouis-
sant d'une plus grande prérogative sociale.
Si nous remontons le cours de l'histoire du dialogue entre le
féminisme et la psychanalyse, nous pouvons identifier quelques
étapes. Une étape fondamentale de dialogue fertile a été ouverte en
1978 avec la publication du livre Psychanalyse et Féminisme, de Ju-
liet Mitchell (1982), qui a désentravé une relation tendue et une mé-
fiance mutuelle entre les deux champs (Tubert, 1988), une tension
qui était venue remplacer une première étape d'illusion des pion-
nières féministes face à la naissance de la psychanalyse. Dans ce pre-
mier moment, la nouvelle discipline dans le domaine du « mental »,
en signalant que la répression en plus de la sexualité comme cause
de la « nervosité moderne », fondamentalement chez des femmes, a
été accueillie comme alliée scientifique pour les revendications des
droits des femmes, et, en fait l'a été dans quelques aspects (Tubert,
2000). Bientôt, cette illusion c'est dissipée après avoir observé que
dans la pratique des analyses de femmes, même si les analystes leur
octroyaient un espace pour le déploiement du récit sur leur psycho-
sexualité, ils les renvoyaient « dans la direction de la cure », c'est-à-dire,
à la reproduction et l'adaptation à leur rôle dans la société patriarcale11.

11 Il y a beaucoup d'évidences de ces effets en pratique. Marie Langer,


l'une des fondatrices de l'Association Psychanalytique de l'Argentine,
rapporte que pendant des années elle avait eu en analyse une femme qui
se débattait sur comment équilibrer ses désirs de consolider un mariage
et la maternité et ses désirs du développement professionnel et du tra-
vail. Après quelques années, d'avoir dérivé cette patiente à un collègue
(*), Marie Langer l'a rencontré quelque temps après la dérivation et elle
lui a demandé à propos des vicissitudes de la patiente à cause de la dif-
ficile articulation des deux courants de désir, à ce que son collègue lui
a répondu qu'il ne se présentait déjà aucun conflit pour elle, puisqu'elle
avait cessé de travailler en s'occupant seulement de sa famille. Voir Lan-
ger, Marie, Cfr. Langer, Marie. Mujer, Psicoanálisis, Marxismo. Contra-
punto, Buenos Aires, 1989. (Compilación J.C. Volnovich, S. Werthein).
(*) N. de la T. : Marie Langer a dérivé sa patiente parce qu'elle quittait l'Ar-
18 •
Le virage qu'a introduit le livre de Mitchell a repris quelque
chose de l' « air du temps » de ce moment-là, après avoir affirmé que
la psychanalyse pouvait être utilisée comme dispositif d'analyse de la
production de la souffrance subjective dans la société patriarcale et
non pas seulement comme reproducteur du même. Ce changement
de perspective a fondé un axe de débats contemporains sur la rela-
tion entre la psychanalyse et le féminisme, qui peut être lue tant dans
le courant de la psychanalyse et du genre (une ligne anglo-saxonne)
que dans le courant de la psychanalyse de la différence sexuelle (une
ligne française).
Dans notre pays12, plusieurs auteurs/es ont abordé ce sujet dans
leurs débats, en constituant ce que l'on connaît comme École Argen-
tine de Psychanalyse et Genre.
Entre ces auteurs/es, se distingue Ana Maria Fernández (1992,
1993, 2009) qui a introduit une contribution spéciale dans l'articu-
lation des relations de pouvoir avec la subjectivité sexuée, soit l'im-
pact de la logique du « privé sentimental » dans la constitution des
psychismes féminins où elle a déployé une forte critique des para-
digmes épistémiques avec lesquels la psychanalyse pense la diffé-
rence sexuelle.
Mabel Burin (1987) a apporté ses développements d'une théorie
pulsionnelle et genre, et aussi elle a déployé le sujet de l'articulation
entre le travail, la famille et les modes de subjectivation. Irene Me-
ler (2012) a fait un apport spécial dans le domaine de la psycho-
pathologie depuis les déterminations génériques. Quant à Martha
Rosenberg (o.c.), orientée vers le domaine de la psychanalyse de la
différence sexuelle, elle a établi des apports locaux dans cette ligne
de pensée théorique. Juan Charles Volnovich les a accompagné avec
son sauvetage des apports de Marie Langer et ses développements
dans le domaine de la masculinité (2000).
Silvia Tubert et Emilce Dio Bleichmar (o.c.), bien qu'elles ré-
sident en Espagne, sont considérée comme intégrées dans ce cou-
rant. La première y a contribué avec des apports dans le domaine
de la maternité, la paternité et les relations historiques entre la Psy-
chanalyse et le Genre, et la deuxième, avec ses interventions dans

gentine pour un bon moment. Cette anecdote elle l'a souvent raconté
pour illustrer des interventions adaptatives aux normatives du genre
que ses collègues pratiquée pour la « cure ».
12 Argentine.
• 19
la relation entre les pratiques de sexualité et de narcissisme dans la
configuration de l'histoire féminine.
En ce qui concerne les dispositifs de transfert scientifique de ces
productions, il faut mentionner le grand apport que constitue l'exis-
tence de la Chaire d'Introduction aux Études de Genre de la Faculté
de Psychologie de l'Université de Buenos Aires, dont la Titulaire est
Ana Maria Fernández. Cette discipline est enseignée sans interrup-
tion depuis 27 ans. À présent, la chaire est dirigée par Débora Tajer,
qui participe à cet article. Cette chaire constitue le premier cursus
de genre enseigné à l'université dans toute l'Amérique Latine. Son
propos est d'introduire les diverses thématiques de genre et de la
subjectivité afin que les psychologues et les diplômés / es de cette
Faculté aient une base pour aborder les concepts de patriarcat et une
construction des subjectivités masculines et féminines de diversité
sexuelle, de la violence de genre, des nouvelles relations affectives et
des nouvelles familles, de la santé et de la santé mentale avec pers-
pective de genre, et une révision de la psychanalyse selon ce point de
vue et celui du genre, dans le monde du travail.
Dans le domaine des Post Degrés, se distingue la création du
Forum de Psychanalyse et Genre l'Association de Psychologues de
Buenos Aires en 1995 et le cours donné suivant la même thématique
crée en 1999. Les deux créés à leur début par Irene Meler et Débora
Tajer13. De la même façon, il faut souligner l'existence dès l'an 2000
du Séminaire de Post grade « Les Hommes, les Femmes. Une sub-
jectivité et un Genre », enseigné par Sandra Borakievich et Débora
Tajer dans le cadre du Programme d'Actualisation dans le domaine
des Problématiques de la Subjectivité dirigé par Ana Maria Fernán-
dez à la Faculté de Psychologie de l'Université de Buenos Aires. De-
puis 2010, à l'Université UCES (Ciencias Empresariales y Sociales /
Des sciences sociales et des entreprises, Buenos Aires) Mabel Burin
dirige un Post-Doctorat en Etudes de Genre. Parallèlement, dans la
même université est enseigné le Master en Études de Genre, dirigé
par Mabel Burin et Irene Meler. Cette dernière a mis en marche un
Cours d'actualisation en Psychanalyse et Genre, à l'Association de
Psychologues de Buenos Aires (APBA).
Repenser ces moments de l'histoire des idées, ces dispositifs lo-
caux de transmission et de pratiques, peut éclairer quelques aspects

13 Quelques textes présentés dans cet espace peuvent se trouver en Meler,


I., Tajer, D. (comp.) 2000.
20 •
des formulations psychanalytiques dans le domaine de la diversité
sexuelle, de façon à ne pas courir le risque de faire de la psychanalyse
un dispositif de reproduction des bases hétéro-normatives de la so-
ciété patriarcale. Sur ce point, les analystes devront choisir entre faire
partie de la « police psychologique », une gardienne des morales do-
minantes, ou bien de s'efforcer de montrer les nouveaux aspects de
l'apparition de la douleur humaine.
Si nous optons pour cette dernière position, nous pouvons com-
mencer à nous interroger à propos de la possibilité de ce que nos
outils et théories soient, dans beaucoup d'aspects, fabriqués fonda-
mentalement pour travailler avec les malaises et les pathologies des
sujets conformés/es dans l'hétéro normativité (Tort, 2005). De plus,
sans le vouloir, nous pourrions agir comme « Le lit de Procuste »,
en adaptant les patients aux dispositifs existants, plus qu'en créant
de nouveaux outils, avec lesquels nous pourrions nous trouver
dans le paradoxe d'être « progressistes » idéologiquement, en ce qui
concerne l'intention, mais non techniquement.
Dans ce sens, il me semble important de remarquer, à l'égard
de la relation entre la psychanalyse et le féminisme, comme un bi-
lan des acquis aujourd'hui, que nous avons avancé en grande partie
dans l'axe de la constitution des psychismes par rapport à l'asymétrie
de pouvoir entre les genres, mais il faut souligner que l'actuel nous
place dans le besoin de mettre plus en tension la matrice de la pensée
binaire qui reste intacte par exemple dans le binôme à partir du-
quel nous pensons encore les genres (masculin / féminin) et le choix
sexuel (homo/hétéro érotique).
En effet, c'est l'un des défis que les Études Queer (ou de la diver-
sité sexuelle) proposent aux Études de Genre dans le domaine de la
subjectivité : cesser de penser la relation entre l'hétéro et l'homo éro-
tique comme un fait discontinu. Quant aux Études de Genre, elles
insistent auprès des Études Queer pour ce que ce virage n'abandonne
pas les avancées accomplies dans le domaine des « différences avec
inégalité » c'est-à-dire dans ce qu'il en est de l'impact des asymétries
de pouvoir entre les genres dans la construction de la subjectivité.
Au sein du domaine spécifique de la psychanalyse, pour pouvoir
avancer dans les nouveaux défis, il faut mettre en question l'un des
« noyaux durs » de cette discipline, qui est la manière dont laquelle
celle-ci pense la différence sexuelle et son statut dans la conforma-
tion du psychisme. C'est-à-dire que nous avons besoin d'installer
une controverse sur les manières de penser la sexuation, de façon
• 21
à inclure les différences culturelles et historiques pour re-concep-
tualiser à l'aune de ces avancées, ce qui en est de la métapsychologie
(Tort, o.c. ; Bleichmar, 2005).
Ce « noyau dur » que nous mentionnons est donné, nous l'avons
dit, par le statut de la différence sexuelle dans la constitution du psy-
chisme. La théorie soutient que la reconnaissance de la différence
sexuelle (l'acquisition de la représentation psychique des deux po-
sitions dans le désir - féminine ou masculine - étayée sur les dif-
férences biologiques), habiliterait l'enfant humain à parvenir à la
construction de ses représentations inconscientes et sur ses origines,
ainsi que l'accès au langage et à la loi. Ces conceptions sont celles qui
empêchent qu'au domaine de la psychanalyse, on puisse avancer, par
exemple, dans le sens d'identifier quelles sont les réalités auxquelles
les enfants de couple gays ou lesbiens depuis ces scénarios concrets et
non à partir d'une psychopathologisation a priori des façons dont ces
couples élèvent les enfants et des désirs de parentalités non basés sur
la dite « reconnaissance » de « la » différence. Ces conceptions tendent
à représenter la paternité et la maternité homosexuelle « comme or-
ganisatrice d'un vrai délire qui compromettrait les processus psy-
chiques fondamentaux, au moyen desquels le sujet peut former la
représentation de sa propre origine, de ses théories sexuelles infan-
tiles » (Tort, 2008).
Une autre manière d'exposer ces problématiques est celle que
propose Rosi Braidotti (2000), en se basant sur l'expérience des su-
jets nomades, et sur la théorie de Deleuze. Elle soutient la possibilité
d'un croisement chez le sujet des modalités du désir et des niveaux
d'expérience, tout en acceptant la responsabilité de la contingence
de leur parcours. De cette façon, l'auteure s'extirpe du binôme « dé-
sir hétéro/homo », ainsi que d'une position unique face à la « diffé-
rence sexuelle ». Elle le fait cependant en reprenant les divers travaux
du féminisme en ce qui concerne les relations de pouvoir entre les
genres. Dans ce sens, elle reprend de façon critique quelques aspects
de l'œuvre de Deleuze après avoir précisé que sa proposition - de
devenir une minorité ou de devenir une femme - n'implique pas un
processus similaire pour lequel, comme point de départ, sa proposi-
tion serait inclue dans une majorité (ou une hégémonie) mais pour
celui qui a pour point de départ l'appartenance à une minorité ou à
un groupe subalterne. Puisque cette deuxième position implique de-
puis le début, d'avoir eu à lutter avec les marques de la subordination
dans la constitution du psychisme.

22 •
À partir des travaux mentionnés ci-dessus, nous, qui travaillons
dans le domaine de la psychanalyse et du genre, nous devons affron-
ter quelques uns des dilemmes des culturalistes, mais aussi, nous
pouvons nous approprier un chemin parcouru dans le développe-
ment créateur sur ce qu'il faut faire avec ces dilemmes pour avancer
dans ce que nous décrivions plus haut, en tant que nos actuels défis
dans ce domaine.
L'une de ces avancées est d'avoir mis en évidence la triade à par-
tir de laquelle nous pouvons penser le genre, le sexe et la sexuation.
Si nous considérons le genre dans le domaine de la théorie sociale,
nous pouvons le placer comme la construction culturelle et sociale
du sexe en tant que l' « ensemble de signifiés contingents que les
sexes assument dans le contexte d'une société donnée » (Lamas,
1996). Cette construction inclut des relations asymétriques de pou-
voir et l'établissement de rôles différenciés entre les sexes dans le
cadre du patriarcat. Quant à placer le genre dans le domaine de la
subjectivité, un consensus existe pour le placer dans les aspects iden-
titaires, en fonctionnant comme l'un des axes de la conformation
des processus d'identification (Bleichmar, 2006). D'autres auteurs/
es avancent dans leurs postulats, en pointant du doigt les instances
qui interviennent dans la conformation des modes de subjectivation
(des destins pulsionnels, une conformation d'idéaux, des formes du
narcissisme, entre autres) (Tajer, 2009).
À son tour, le concept de sexe est régit par l'ordre biologique, ses
spécificités et ses différences. Cependant, cette notion de sexe bio-
logique est questionnée, en principe, par deux facteurs. Le premier
consiste en ce que la notion même du biologique comme un ordre lié
à l'immuable est entré en crise, ces temps derniers, en tension avec
les opérations de réassignation de sexe, les nouvelles technologies
reproductives, l'implantation d'hormones et de divers implants, l'ex-
tirpation des caractères sexuels, etc. Le deuxième est que la réalité de
l'existence de sujets biologiquement intersexuels met en doute le fait
de ce que toute l'humanité est dimorphe divisée uniquement en deux
catégories, masculin et féminin.
Ensuite, on trouverait l'axe de la sexuation. À ce sujet, il y aurait
de même, au moins deux courants a) ceux et celles qui le conçoivent
à l'intérieur du domaine propre à la psychanalytique, en marquant
que la sexuation s'en remet à la pulsion qui habite et détermine l'es-
pace de la réalité psychique, une dimension subjective inconsciente

• 23
tributaire de la différence sexuelle symbolique14 dans laquelle se
constitue le sujet parlant, qui ne doit pas se confondre avec la réalité
du biologique, ni avec la réalité sociale et b) ceux qui considèrent
le genre comme une dimension psychologique et comprennent la
psychosexualité dans le cadre plus large des formes de subjectivation
que nous avons mentionné auparavant.
Quoi qu'il en soit, au-delà des différences marquées, il y a un ac-
cord entre les psychanalystes (autant dans ce qui est en relation avec
la théorie féministe qu'avec les Études de Genre) à considérer qu'au-
cune de ces dimensions ne peut être isolée, ni suffisante par elle-
même pour appréhender les déterminations de la dynamique des
relations entre les sexes et leur subjectivation. Encore moins pour
identifier où se sont produits les changements et comment ceux-ci
affectent cette articulation.
Il faut souligner que l'articulation de ces dimensions est en dan-
ger du fait de la possibilité pour certaines lignes de pensées, de s'in-
cliner à leurs respectifs points de vue réductionnistes :
- Le sociologisme, lorsque la sexuation essaie d'être expliquée
seulement comme un résultat de l'assomption de rôles sociaux
prescrits.
- Le biologisme, qui inclut la naturalisation, la médicalisation et
la dimension behaviouriste du sexuel en ignorant la dimension
inconsciente du désir.
- Le psychologisme, qui considère le système symbolique qui sou-
tient et détermine les lieux sexués comme une structure anhisto-
rique et la domination masculine comme expression invariante
et nécessaire de cette structure (Rosenberg, o.c. pp. 268-9).

14 Comme on l'observera, cette affirmation est au moins controversée et


fait partie des réflexions féministes qui s'articulent avec l'école laca-
nienne de psychanalyse. Depuis ma perspective, ici nous pouvons pla-
cer précisément l'un des problèmes qui ont besoin d'un plus grand tra-
vail et d'un débat pour que nous ne nous trouvions pas enfermés dans
des concepts fabriqués dans le cadre du paradigme hétéro normatif à
l'heure de penser les défis que la diversité sexuelle pose à la psychana-
lyse. Donc, comme nous faisons remarquer, quelques théories qui nous
permettent de penser les pratiques hétérosexuelles, pourraient mettre
un obstacle à la pensée du divers, sans le pathologiser. Comment penser
les pratiques que les excèdent ce qui est normé ? Et comment penser les
nouvelles pratiques et les modes du désir qui se constituent à mesure
que le monde n'est plus si « rose ou bleu clair » ?
24 •
Après ces réflexions introductrices sur les débats en vigueur,
nous verrons au travers de quelques exemples comment ces ques-
tions agissent sur et dans le quotidien :

A. DE LA PERVERSION
Certains collègues continuent de définir actuellement la perver-
sion comme une diversité de pratiques qui s'écartent de la morale
dominante. La notion de perversion liée aux pratiques non hégé-
moniques et dans une ligne de direction unique à propos du statut
de la différence sexuelle et sa relation avec la castration symbolique
dans la constitution du psychisme, génère per se une perspective qui
empêche de discerner le pathologique du nouveau en transformant,
de ce fait, le nouveau en pathologique.
Dans ce sens, je signale ici deux apports contemporains pour
poser un regard différent sur « le pervers » aujourd'hui. L'un de ces
apports est celui de Louise Kaplan (1995) qui expose l'actuelle arti-
culation entre un genre et une perversion, en marquant que les sté-
réotypes de genre sont « des lieux » dans lesquels on peut cacher, dé-
poser (ou « étayer » ?) les perversions. Pour sa part, Silvia Bleichmar
(o.c.) propose d'identifier le pervers par rapport au statut de l'autre
dans le psychisme, dans l'instance dans laquelle l'autre, au-delà de
la pratique, apparaît comme un objet et non pas comme un sujet
semblable.

B. LE DESIR D'ENFANT CHEZ LES COUPLES DU MEME SEXE


L'homoparentalité commence à être un sujet de discussion
dans la société en général et dans la sphère « psy » en particulier.
Entre les collègues qui se soucient de l'impact chez les enfants éle-
vés dans ce cadre du désir, il y a ceux qui se demandent s'ils présen-
teront une pathologie mentale, du fait d'être élevés par un couple
qui renie la « différence sexuelle ». D'autres, craignent que parmi ces
enfants il y aurait plus d'homosexuels/les que chez ceux conçus par
des couples hétéro15. Certains collègues parlent d'un « mal mineur »
à l'égard de l'adoption d'enfants plus grands sous la supposition « qu'il
15 Ce qui est très probable qui arrive, étant donné la chute de l'ordre hétéro
normatif, nous serons témoins possiblement d'un panorama général de
plus grande diversité sexuelle. La question est ici si cela constitue néces-
sairement un problème. Et au cas où il serait ainsi : pour qui serait-il un
problème ?
• 25
vaut mieux qu'ils soient dans ce cadre-là qu'institutionnalisés / es ».
Voyons quelques particularités que nous avons observées au-delà des
traits communs, qui se présentent selon les modalités de conforma-
tion du couple, c'est à dire par des femmes ou des hommes.
Les Maternités lesbiennes : le fait d'une articulation spéciale
entre certaines revendications de la diversité et certaines conceptua-
lisations de l'école française de psychanalyse (Torres Arias, 2005, pp.
86-92), qui apprécie le droit des lesbiennes de concevoir un enfant
dans le couple, mais qui, en même temps, met en avant la recherche
d'un homme significatif (non nécessairement un compagnon) qui
officie en tant que « tiers », attire notre attention. Depuis notre pers-
pective, et en reprenant les apports de Michel Tort dans La fin du
dogme paternel, c'est payer le prix fort à l'autel du dogme. Tort nous
invite à penser le Père comme une construction historique, solidaire
des formes traditionnelles de la domination masculine qui assure
aux pères le monopole de la fonction symbolique (Tort, 2008). Par
conséquent, la fin d'un père, celui du patriarcat occidental, est la fin
d'un monde, mais non la fin du monde. Les formes de devenir un
sujet et l'exercice des fonctions qui participent à cela sont historiques
et constituent le lieu des relations de pouvoir entre les genres.
La Paternité gay : l'idée de l'homosexualité comme perverse
en soi s'accentue lorsqu'elle est masculine16. Par ailleurs, une idée
existe dans l'imaginaire de ce qu' « il n'est pas désirable » que les
hommes manipulent le corps infantile (pensée qui surgit d'après
une représentation de la sexualité masculine comme quelque chose
d'imparable et dépourvue d'une éthique, ce qui pervertirait le corps
infantile après les soins primaires donnés par un homme) (Volno-
vich, 2000). Cet auteur remarque que les hommes, pour générer de
nouvelles pratiques de paternité, comme historiquement l'ont fait les
femmes, devront faire face à la non-imposition de la sexualité adulte
dans les corps infantiles. Une imposition qui, dans les cas où cela se
produit, introduit dans le psychisme infantile un supplément impos-

16 C'est un échantillon de cette forme de penser comment cette idée s'infiltre


dans l'actuel débat à propos de la visibilité de l'énorme incidence d'abus
sexuel dans l'Église Catholique. Dans ce cas le Papa propose comme l'une
des solutions possibles l'incorporation de psychologues pour la détection
de candidats homosexuels, au lieu d'examiner, comme quelques prêtres
moins réactionnaires le posent, l'impact du dispositif du célibat et de
l'éducation d'enfants aux mains de ces célibataires dans la prolifération de
ce type de pratiques.
26 •
sible à élaborer et qui faciliterait l'installation traumatique (Bleich-
mar, 2005). Par conséquent, la méfiance générale qui existe encore à
propos de l'effet négatif chez les enfants lorsque les hommes adultes
réalisent les soins primaires, additionnée au fait que l'on doute dou-
blement des hommes homosexuels, est un sujet à débattre pour
avancer sérieusement dans la compréhension de ces nouvelles pra-
tiques. Ceci amène à penser à nouveau au point central de ce travail,
qui est la différenciation critique entre une pathologie, les préjugés
et les résistances.

C. UN DESIR D'ENFANT HORS DU COUPLE


Les Femmes qui cherchent avoir des enfants toutes seules : nous
savons bien qu'il y a toujours eu des femmes qui ont élevé toutes seules
ces enfants – ce qui est nouveau consisterait en ce qu'aujourd'hui ce
choix de maternité/parentalité apparaît comme manifeste. Depuis la
matrice patriarcale, il est possible de confondre ce qui pouvait être
un acte d'autonomie avec du narcissisme. J'aimerais partager à ce
sujet que l'un de mes premiers apprentissages dans le domaine de la
psychanalyse dans la perspective du genre a été d'identifier que les
femmes narcissiques qui décident d'avoir un enfant seulement pour
elle mêmes, peuvent exister chez des familles « extérieurement nu-
cléaires et hétérosexuelles », dans lesquelles l'homme est seulement
évalué comme inséminateur et peut-être comme un pourvoyeur. Ce
qui n'empêche pas que bien que nous pouvons être politiquement
en faveur du fait qu'une femme décide d'avoir un enfant toute seule,
nous identifions le pathologique que l'on peut se représenter dans la
dite situation lorsqu'elle apparaît. Je peux citer le cas d'une femme
qui m'a consultée pour que je la soutienne psychologiquement dans
le cours d'une fertilisation assistée qu'elle voulait réaliser pour avoir
un enfant toute seule ; tout en sympathisant avec son projet, j'étais
disposée à l'accompagner professionnellement. Dans le cours des
consultations, pour identifier le cadre de travail, j'ai remarqué chez
elle, de sérieuses difficultés pour entreprendre un processus de ma-
ternité dans n'importe quelle situation qui pouvait se présenter. Je
lui ai exprimé la possibilité d'un accompagnement de ma part, mais
dans le cadre d'une thérapie plus profonde, conformément à ce que
j'avais pu observer de ses difficultés, ce à quoi, très honnêtement, elle
m'a répondu qu'elle n'en voulait pas et qu'elle n'était pas disposée à
la soutenir.

• 27
Le fait que des hommes cherchent avoir des enfants tous seuls
n'est pas un phénomène nouveau, il existe des hommes qui veulent
avoir un enfant pour eux-mêmes, au-delà d'avec qui ils le conçoivent.
Ce qui est nouveau de nos jours est la déclaration de ce désir et la pos-
sibilité qu'offrent les techniques reproductives et la location d'utérus
pour matérialiser cette situation. La conséquence du coût élevé des
deux procédés, est que ces pratiques se produisent uniquement chez
des hommes qui jouissent d'un grand pouvoir d'achat. Afin de voir
l'impact chez les enfants et les manières dont ces enfants sont élevés,
nous aurons à observer comment cette tendance évolue17.

D. LA REASSIGNATION DE SEXE
Autour de cette problématique existent différentes positions.
Dans leur communauté, les personnes trans se définissent
comme telles au moment où, à un niveau identitaire et d'une forme
de vie, elles passent d'un genre à un autre, différent de l'assigné so-
cialement en vertu de leur sexe biologique original, ou celui qu'on
assigne aux intersexuels dont le sexe n'est pas bien défini.
D'après la psychiatrie nord-américaine, on considère la réas-
signation de sexe comme un dérangement ou une dysphorie de
genre, un diagnostic à partir duquel l'autorisation est obtenue pour
la chirurgie qui permet le changement légal d'identité de genre (au
moyen de l'homologation classique entre un sexe génital et une iden-
tité de genre). Ce critère avait été répliqué comme modèle dans notre
pays jusqu'à la formulation de la Loi d'Identité de Genre18.
À l'heure actuelle, coexistent certaines personnes qui désirent
faire une chirurgie de réassignation de sexe, qui réalisent des traite-
ments hormonaux et ceux qui sollicitent le changement d'identité de
genre tout en conservant leurs parties génitales d'origine.
La première réflexion est qu'au-delà de tous ceux qui soutiennent
que la question sur l'identité propre est démodée et qu'elle est un
17 Il faut aussi examiner les cas de Ricky Martin (Puerto Rico) et de Ricardo
Fort (Argentina).
18 En Argentine la Loi d'Identité de Genre, N° 26.743 du 2012, postule
le droit au changement d'une identité seulement par auto perception.
Pour ceci, on n'a pas besoin d'autorisation psychiatrique / psycholo-
gique et non plus d'une opération de réassignation préalable de sexe.
C'est un droit à l'identité. Ce qui crée une scénario très intéressant de
demandes et de situations.
28 •
mirage, nous voyons comment dans le même moment historique
certaines personnes sont disposées à être soumises à une opération
chirurgicale dans leurs organes de plaisir sexuel pour obtenir une
« adéquation » entre leurs parties génitales et une identité de genre.
D'autre part, il existe des personnes qui s'opposent à ces opérations
en remarquant précisément que c'est un prix qu'elles ne désirent pas
payer pour être dans la norme et demandent leur droit à vivre et à
être reconnues dans leur identité sexuelle et de genre sans opération.
Au-delà du respect que toute décision sur le corps propre mérite,
il est pertinent de réfléchir à l'une des dimensions de la chirurgie de
réassignation de sexe comme « une manière d'adaptation à la disci-
pline hégémonique ». Étant donné que parfois, le corps opéré perd
la possibilité d'avoir du plaisir avec ce qu'il a, et acquiert une cavité
ou une prothèse (selon le cas) sans possibilité orgasmique. Ce qui
n'est pas un moindre sujet, puisque par exemple dans le cas de la
construction d'une cavité vaginale, celle-ci serait au service d'une
fonction pénétrative, comme une restauration de la « passivité éro-
tique féminine » que la première psychanalyse remarquait comme
nécessaire pour acquérir la maturité dans la féminité avec le passage
par une zone de jouissance avec lequel on accéderait à la normalité,
une supposition qu'actuellement la majorité de mes collègues consi-
dèrent comme une « sottise d'époque ».
En ce sens, il est intéressant de mentionner comment, dans le film
« XXY », sur une adolescente intersexuée, se pose la décision pour
les parents de ne pas agir dans l'enfance. Cette proposition coïncide
avec ce que les militants intersexuels demandent aujourd'hui. Dans
le cas évoqué dans le film, la protagoniste devient une adolescente
avec une identité féminine de genre, avec les formes pulsionnelles
de la sexuation liées à la poussée de son génital masculin et à l'élec-
tion d'un compagnon érotique hétérosexuel, selon l'identité de genre
et homosexuel conformément au génital. Cet exemple nous montre
comment les catégories éclatent et nous font penser à une réalité
proche de ce que Beatriz Preciado caractérise comme « des multi-
tudes queer ».
De toute façon, cette réflexion n'exclut pas la légitimité des per-
sonnes qui font le pari de la chirurgie de réassignation de sexe comme
une manière d'accéder à l'adéquation entre leur identité de genre et les
formes de leurs corps. Simplement, ceci n'est qu'une réflexion à pro-
pos de la multiplicité de positions que les sujets assument dans leur ex-
périence autour de la relation entre un sexe, un genre et la sexuation.
• 29
Pour résumer, nous devons être avertis au sujet d'une discipline
(ou domaine) telle que la psychanalyse, qui a été pionnière au sens
de disloquer la relation entre le psychosexuel et le biologique, ne
renvoie pas à renouer la sexualité et la biologie en répétant les sché-
mas les plus homophobes de la pratique psychiatrique (Sanz, 2004).
Puisque, sans le vouloir, nous pouvons faire part de la pensée et de la
pratique des conservateurs, qui classifient dans le pathologique per
se toute sexualité en dehors de l'hétéro-normatif. De la même ma-
nière, je peux être partie, sans le vouloir, des groupes qui promettent
de soigner l'homosexualité, la bisexualité, la transsexualité et les per-
sonnes transgenre et travesties.
Peut-être est-il plus honnête d'admettre qu'actuellement les
outils cliniques et théoriques dont nous disposons sont construits
en majorité pour alléger la souffrance humaine, mais depuis
une perspective hétéro-normative avec une naturalisation du
sexe et un essentialisation du genre. Nous savons, par consé-
quent, très peu à propos de comment diagnostiquer pour délier
les aspects de production de subjectivité et de sexuation histo-
rique, du psychopathologique dans le domaine des pratiques de
la diversité sexuelle. Et ceci est l'un de nos défis à l'heure actuelle.

30 •
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• 33
34 •
UNE DIFFÉRENCE TRÈS PARTICULIÈRE : LA FEMME
DE LA PSYCHANALYSE 19
CHAPITRE 4 20
Ana María Fernández 21

Dans ce chapitre, nous travaillons la question épistémologique


de la différence à l'intérieur de la théorie freudienne.
On essaie de parvenir à une élucidation critique de certains textes
freudiens sur la sexualité féminine. On s'interroge de savoir à partir
de quel domaine épistémique est conçue la différence sexuelle dans
la psychanalyse. Nous allons reprendre les notions qui définissent
l'Épistémè du même.

LA LOGIQUE DE CE QUE L'ON APPELLE L'EPISTEME DU


MEME EN PSYCHANALYSE
La sexualité féminine se conçoit dans les textes freudiens à partir
de l'a priori du même, avec ses implications correspondantes. Il s'agit
de l'homologation du générique humain avec le masculin et d'un
classement cohérent où la différence n'est pas visible, elle est déniée,
elle est considérée comme un complément du générique au moins
équivalent, mais pas dans sa spécificité. Un système, en bref, qui perd
la positivité de la différence. Pour cela, on doit payer le prix de dire :

19 Chap. 4 du livre de Fernández, A.M. (1994). La Femme de l'illusion : des


accords et des contrats entre hommes et femmes. Buenos Aires : Paidós.
20 Traduction de Pilar Errázuriz Vidal, revisión Françoise Hautot.
21 Docteure en psychologie, psychanalyste. Membre fondateur du Centre
d'Etudes de Femmes en 1979. Professeure responsable depuis 1987 de
« L'introduction aux Etudes de Genre », à la Faculté de Philosophie de
L'Université de Buenos Aires (UBA)  : elle a été la première en Amé-
rique Latine à introduire la perspective sexe-genre dans les études supé-
rieures. Elle appartient au Comité Consultatif du Forum de Psychana-
lyse et Genre de l'Association des Psychologues de Buenos Aires, depuis
sa fondation en 1995.
Ses publications les plus cotées parmi d'autres sont : La femme et la vio-
lence invisible (Ed. Sudamericana, 1989), Les femmes dans l'imaginaire
collectif (Ed. Paidós, 1992), La femme de l'illusion (Ed. Paidós, 1993) Les
logiques sexuelles (Ed. Nueva Vision, 2009), Des jeune à une vie grise
(Ed. Nueva Vision, 2013) et La différence dérangée (Ed. Biblos, 2013).
• 35
« femmes... le continent noir... » En fait il semble que le fameux conti-
nent noir forme une géographie qui est au-delà de l'image de miroir
dont l'homme a besoin pour concevoir une femme afin d'être en me-
sure de représenter sa propre sexualité. Noir, inintelligible : c'est ainsi
toutes les régions de la femme qui se situent au-delà du miroir22.
La différence sexuelle pensée à partir de l'apriori du même im-
plique d'organiser des instruments conceptuels tels que des analo-
gies, des comparaisons hiérarchiques et des oppositions dichotomiques.
L'ensemble de ces procédures logiques permettra ce que Luce Iri-
garay appelle l'illusion de la symétrie23, pour se référer à l'obstacle
conceptuel issu du fait de penser la sexualité des femmes à partir
des paramètres masculins. Peut-être qu'un exemple de ceci se trouve
dans les mots d'un patient qui, pour justifier ses doutes en ce qui
concerne le plaisir sexuel des femmes dit, inquiet : « et comment
vont-elles jouir si elles n'ont rien pour pénétrer... »
Les instruments conceptuels désignés ci-dessus sont tous conçus
d' après une logique binaire dont la prémisse affirme que « si l'homme
est au complet, la femme a quelque chose en moins »24. À partir de
là, que les enfants aient accès à la différence des sexes signifie, par
un glissement de sens, pas de pénis = pas de sexe. C'est-à-dire que
ne pas considérer la positivité d'un autre, le même devient un seul et
unique référant.
On peut observer que les significations sociales à travers les-
quelles l'imaginaire collectif - y compris les scientifiques – qui pré-
sentent « la » femme comme un homme inachevé, ne sont pas ré-
centes : nous trouvons leurs origines, au moins en ce qui concerne
ces formes discursive-scientifiques dans les discours médico-philo-
sophiques de l'antiquité.
Toute une lignée de penseurs entre Hippocrate et Galien, ren-
forcée par Platon et Aristote, a acquis une configuration discursive
de plus en plus consolidée. Entre les hommes et les femmes il n'y
a pas seulement une différence quant aux organes, mais aussi une
différence d'essence : les hommes, en tant que ‘secs et chauds', seront
supérieurs aux femmes, qui sont ‘froides et humides'. Dans le mythe
des origines, Platon décrira les femmes comme des individus infé-
22 Irigaray, L. 1974 Speculum, Madrid : Saltes.
23 Ibidem.
24 Lémoine-Luccioni, E. (1982) La Partición de las mujeres. / La partition
des femmes. Buenos Aires : Ed. Amorrortu.
36 •
rieurs, puisque c'étaient des hommes punis. À l'origine, le démiurge
crée un homme, mais certains hommes qui étaient des lâches, en
une seconde naissance, vont se transmuer en femmes25. Tout d'abord
chez Aristote, puis avec Galien se renforcera la notion de la femme
comme un homme manqué, incomplet, inachevé et donc inférieure.
Cette infériorité c'est ce qu'a voulu le créateur, qui l'a faite « impar-
faite et comme mutilé ». À cette époque on a estimé que sa mutila-
tion était due à ce que les organes génitaux des femmes n'ont pas
été en mesure de descendre, - pourquoi n'ont pas été capables de
descendre ? En raison du manque de chaleur du corps féminin.
Comme vous pouvez observer, les significations imaginaires à
partir desquelles on « voit » le clitoris comme un « petit pénis » sont
antérieures à la conceptualisation freudienne. Ce n'est pas par ha-
sard que Freud ne peut penser cet organe qu'à partir de certaines
équations symboliques de la différence : Homme = homme et Diffé-
rent = inférieur.
C'est-à-dire que face à cette « différence » féminine – le clitoris
– il doit logiquement la localiser comme un équivalent de un attri-
but masculin, mais moindre. Il ne peut pas être considéré dans sa
spécificité.
À cet argument on répond généralement que la psychanalyse dé-
crit un phénomène qui existe dans l'inconscient chez l'enfant : pas
de pénis = pas de sexe. Freud décrit ce qui est dans les discours des
enfants ; le problème est : –que veut dire « décrire » dans une dis-
cipline telle que la psychanalyse, qui a toujours mis en difficulté les
épistémologues positivistes ? Description, objectivité sembleraient
être des termes parfois étrangers à une discipline si conjecturale
comme l'est la psychanalyse ; –d'où vient, dans le champ du désir,
un tel glissement vers un réalisme ? –Pourquoi faire appel à la réalité
sur ce point précis ?
Plutôt que description, c'est une construction. C'est une
construction théorique et elle a le droit de l'être, à condition de ne
pas transgresser son propre domaine, c'est-à-dire, des suppositions
et jamais celui d'une appréhension efficace de cette réalité... Reve-
nons au texte freudien26 :

25 Platón, « El Timeo », 1976, dans Diálogos, / Dialogues, México : Porrua.


26 Freud, S. (1933) « La Féminité », dans Nouvelles conférences sur la psy-
chanalyse. — N.R.F. Gallimard, édit., Paris (collect. Les essais), 1952, pp.
153-185.
• 37
« Dès le début de la phase phallique, les similitudes sont infini-
ment plus marquées que les divergences. Nous devons admettre que
la petite fille est alors un petit homme. Parvenu à ce stade, on le sait,
le garçonnet apprend à se procurer, grâce à son petit pénis, de volup-
tueuses sensations et cette excitation est en rapport avec certaines
représentations de rapports sexuels. La fillette se sert, dans le même
but, de son clitoris plus petit encore. Il semble que chez elle tous les
actes masturbatoires intéressent cet équivalent du pénis et que, pour
les deux sexes, le vagin, essentiellement féminin, ne soit pas encore
découvert. D'aucuns parlent, il est vrai, de sensations vaginales pré-
coces, mais il semble assez malaisé de différencier celles-ci des sen-
sations anales ou vestibulaires et elles ne sauraient, en nul cas, jouer
un grand rôle. Nous pouvons être certains que, durant la phase phal-
lique, c'est bien le clitoris qui constitue la zone érogène prépondérante.
Mais cet état n'est pas stationnaire : à mesure que se forme la fémi-
nité, le clitoris doit céder tout ou partie de sa sensibilité et par là de
son importance, au vagin. C'est là justement une des deux difficultés
que la femme est obligée de surmonter pendant son évolution, tan-
dis que l'homme, plus favorisé, n'a qu'à continuer durant sa maturité
sexuelle ce qu'il a ébauché pendant la période de sa première éclo-
sion sexuelle. »
L'italique est destiné à souligner l'insistance de ces instruments
conceptuels qui recherchent des identités - même si elles sont for-
cées - parlant, par exemple du clitoris comme équivalent, moindre,
du pénis ; en dehors de l'embryologie, discipline qui est loin de notre
domaine - de quelle autre façon ces organes peuvent-ils être équiva-
lents ? Peut-être, que ce n'est qu'une illusion de symétrie... –Est-ce
que la seule chose strictement féminine est le vagin ? Uniquement
dans une conception de la sexualité pour laquelle l'axe principal de la
femme est la reproduction et non pas le plaisir. –Pourquoi seulement
le clitoris acquiert l'énonciation ? –tout simplement parce que c'est le
pénis similaire ou son équivalent ? Puisque ils n'ont pas équivalents
masculins, la vulve, lèvres, majeures et mineures, etc. ne peuvent pas
avoir un nom pour être énoncés ?
Alors qu'en fin de compte c'est l'organe fantasmatique qui défi-
nira la caractéristique directrice et non pas un organe anatomique ;
inscrire le clitoris comme organisateur fantasmatique serait très peu
probable de le faire à partir d'un profil imaginaire d'un petit pénis.
Que l'on ait imaginé en clé phallique le clitoris, les pratiques avec le
clitoris et/ou les fantaisies érotiques associées (c'est-à-dire comme

38 •
l'équivalent du pénis) est quelque chose qui devrait attirer l'atten-
tion. Même si ces idées sont actuellement rejetées, la connaissance
qui alimentent aujourd'hui la sexologie et l'érotique, a toujours été un
impensable dans des pratiques érotiques quotidiennes des hommes
et des femmes.
Freud suppose que le clitoris donnera sa sensibilité raffinée au
vagin ; aujourd'hui, nous savons que ce n'est pas ainsi. En termes de
signification, la question est plus complexe ; le fait qu'une significa-
tion soit instituée dépend d'un cadre déjà donné par les significa-
tions de la culture et les effets de sens institués par la singularité des
pratiques de soi.
Que beaucoup de femmes ou une femme « transfère en totalité
ou en partie sa sensibilité », et avec elle sa signification au vagin,
est une chose que, plutôt que de la normaliser, la psychanalyse doit
s'interroger sur l'effet de violence que ceci cause à l'érotisme de ces
femmes. La culture musulmane, menacée par l'autonomie érotique
des femmes à établi des pratiques rituelles de mutilation du clitoris.
La culture occidentale obtient des effets similaires au moyen de stra-
tégies et dispositifs qui, pour être symboliques n'en sont pas moins
violents.
Il ne peut être ignoré que la psychanalyse est aujourd'hui l'un
de ces dispositifs, car ses récits sur la sexuation féminine donnent
à celle-ci une dimension universelle - non pas naturelle, mais in-
consciente— quand, en fait, il s'agit d'un résultat de processus com-
plexes issus d'une violence historique contre l'érotisme des femmes.
En réalité, le passage vers le « changement de zone » est l'un des
principaux soutiens de la monogamie unilatérale ; ceci a une grande
importance stratégique dans la reproduction de la famille patriar-
cale. La « Passivité féminine » est, sans doute, une de ses principales
conséquences27. Il faudra, donc, mettre en question la notion de pas-
sivité comme un stade de la féminité, et, par conséquent, une carac-
téristique universelle de la « normalité ». Il serait plus pertinent de
parler de passivité comme effet de violence symbolique et institu-
tionnelle sur l'érotisme de la femme dans le patriarcat ; il serait alors
27 La question de la « passivité » féminine est développée dans son chapitre
« Identidad de género y sus criterios de salud mental » / « Identité de
genre et ses critères de santé mentale », dans Burin, M. (comp.) 1987,
Estudios sobre la subjetividad femenina. Mujeres y salud mental. / Des
études sur la subjectivité féminine. Les femmes et la santé mentale. Bue-
nos Aires : GEL.
• 39
possible d'analyser ses traces dans la production de la subjectivité
et l'érotisme des femmes (-de toutes les femmes ?) laissées par le ré-
gime social. 
À cette fin, il serait utile de faire une recherche généalogique des
catégories « passif-actif ». Élucider comment ces catégories ont été
signifiées à des époques historiques différente permettrait de briser
l'habitude de penser les catégories comme anhistoriques et univer-
selles ; en même temps, il serait utile de trouver les ponts entre leurs
récits théoriques et les dispositifs sociopolitiques qui les soutiennent.
Des analogies, des oppositions dichotomiques, des comparai-
sons hiérarchisées insistent tout au long des textes freudiens. En ce
qui concerne cette question, cette insistance est un véritable « symp-
tôme » du texte. Freud dit en se référant à la femme : « L'Anatomie
est le destin », mais ce qu'il faudrait lire, en fait, est quel est le destin
de l'anatomie sexuelle de la femme dans la théorie ? ou plutôt, recher-
cher quelle anatomie imaginaire fonde la théorie pour les femmes.
En d'autres termes, identifier ce que dans le domaine théorique on
structure comme son visible, pour s'attaquer après à son invisible,
c'est-à-dire aux objets interdits ou déniés.
En ce qui concerne le corps des femmes, le champ théorique
structure son visible compte tenu d'un clitoris qu'elles « doivent ima-
giner et investir libidinalement comme un « petit pénis » d'utilisation
masculine et puis, le laisser de côté, précocement, frustrées, au bénéfice
du vagin, auberge du pénis »28.
Les contributions de la psychanalyse lacanienne marquent, par
la suite, une différenciation de la plus haute importance : l'hypothèse
freudienne de l'existence universelle du pénis dans le stade phallique
rend compte du phallus non seulement comme un symbole du pé-
nis, mais aussi comme une fonction signifiante de la castration et
donc, d'une mise en place des différences entre le masculin et le fé-
minin dans l'univers humain29.
Alors qu'on ne peut pas ignorer que ce qui reste de la signifi-

28 Freud, S. (1925). « Quelques conséquences psychiques de la différence


anatomique entre les sexes », ibid.
29 Pour une analyse critique de la pensée lacanienne, se référer à Dio
Bleichmar, E. « Los pies de la ley en el deseo femenino » / « Les pieds
de la loi dans le désir féminin », dans Fernández, A.M. (comp.) 1992,
Las mujeres en la imaginación colectiva / Les femmes dans l'imagination
collective, Buenos Aires : Paidós.
40 •
cation littérale ne disparaît jamais, qu'elle reste plutôt déniée30 - le
phallus n'est pas le pénis -, il est intéressant à cet égard de considérer
l'opinion de G. Rubin31 :
« Freud parle du pénis, de l' « infériorité » du clitoris, des
conséquences psychiques de l'anatomie. Les lacaniens, par
contre, soutiennent que Freud est inintelligible si ses textes
sont pris à la lettre et qu'une théorie complètement non anato-
mique peut être déduite comme étant son intention. Je pense
qu'ils ont raison : le pénis circule trop pour prendre son rôle
au pied de la lettre. La divisibilité du pénis et sa transforma-
tion en fantasme (par exemple pénis-selles-enfant-cadeau)
appuie vigoureusement une interprétation symbolique. Mais
je crois que Freud n'était pas aussi cohérent comme nous La-
can et moi nous le désirerions et il devient nécessaire de faire
quelque geste envers ce qu'il a effectivement dit, en même
temps que nous jouons avec ce qu'il peut avoir signifié »32.
Nous reprenons la proposition freudienne, si le champ théorique
définit les visibles du corps féminin : un petit pénis-clitoris et un va-
gin, auberge du pénis – quels seront ses invisibles ? – quels seront ses
objets déniés ? quels seront ses énoncés sans formulation ?

DES INVISIBILITES NECESSAIRES. DES SILENCES DE


L'ENONCE
Cette section tente de souligner certains invisibles possibles des
corps des femmes et de leurs pratiques, dans le corps de la théorie.
Ainsi, par exemple, « on sait » que les femmes et les filles produisent
un imaginaire et un investissement libidinal de toute leur anatomie
sexuelle ; cependant, il n'y a aucune mention dans les textes freudiens
de vulve, lèvres, majeures et mineures. Il ne s'agit pas simplement
d'une absence de référence à une région anatomique, mais le fait que
de cette manière la théorie omet (ou dénie ?) une source importante
de plaisir et d'investigation active des femmes et des filles ; Cette ac-
30 Bourdieu, P. 1983, Campo de poder, campo intelectual, / Domaine du
pouvoir, domaine intelectuel. Buenos Aires : Folios.
31 Rubin, G. (1975). « Tráfico de Mujeres : notas sobre una economía polí-
tica del sexo » / « Le marché aux femmes », dans Revista Nueva Antro-
pología, vol. VIII, n° 030, México : Universidad Nacional Autónoma de
México, novembre. 1986.
32 Rubin, G. Ibidem.
• 41
tivité fait également partie des pratiques courantes chez les femmes
et n'est pas limitée à la phase phallique.
Il n'y a pas non plus de référence à l'imaginaire et à l'investisse-
ment libidinal des seins, comme zone érogène. C'est très intéressant
à cet égard l'exploration qui font les filles des seins de sa mère, non
pas dans sa fonction maternelle et nourricière mais dans son rôle
érogène. Une véritable « connaissance » qui les guide pour imaginer
que là il se joue quelque chose de cruciale de l'érotisme féminin.
Le clitoris est considéré par les textes freudiens, mais il y est ins-
crit selon une économie du plaisir fantasmatique virile ; sans exclure
que les filles et les femmes jouent parfois avec son clitoris avec ces
mêmes fantasmagories, on ne peut que signaler la grande impor-
tance dans l'érotisme féminin qui a son inscription dans une écono-
mie du plaisir fantasmatique propre, d'accord à sa positivité, comme
lieu d'irradiation d'extrême sensibilité. 
On pourrait aussi dire en ce qui concerne le vagin imaginé non
seulement comme auberge du pénis, mais comme un lieu structu-
rant des fantasmagories proprement féminines comme, par exemple
et entre autres, un accès à l'intérieur du propre corps.
Des pratiques de plaisir sont investies à partir des images décrites
ci-dessus, les quelles ne semblent pas trouver son pareil chez l'homme,
de façon symétrique. Luce Irigaray a souligné à cet égard que le tou-
cher des lèvres un avec l'autre, forment un double, où toucher / être
touché se fondent en une seule sensation, puis se dédoublent, pour
se fondre à nouveau et ainsi de suite33. Cet argument a été criti-
qué par J. Baudrillard34, qui a fait valoir que, sur ce sujet, cette
auteure ne peut échapper à la fameuse question de « l'anatomie est
le destin ». Plusieurs auteurs d'orientation kleinienne ont souligné
l'importance de la rétention urinaire et fécale dans les jeux de ré-
tention-expulsion et dans les explorations vaginales chez les filles
dès son jeune âge. La conceptualisation de la notion de « période
de latence » a permis de mettre en visibilité la permanence de ces
activités menées tout au long de la vie érotique des femmes.
En tout cas, on sait que l'auto stimulation du clitoris ne prend
pas habituellement chez les femmes le simulacre de l'auto stimula-
tion pénienne, mais elle est organisée dans les pratiques de stimula-
33 Irigaray, L. (1985). Ese sexo que no es uno / Ce sexe qui n'en est pas un.
Madrid : Saltés.
34 Baudrillard, J. (1984). De la séduction / De la séduction. Madrid : Cátedra.
42 •
tion diffuse et indirecte. Sans aller plus loin, aussi bien la possibilité
d'orgasmes multiples comme celle des orgasmes déployés par la sti-
mulation des zones non génitales, seulement peuvent être effectives
que par le biais d'évoquer des images et pratiques de soi, non symé-
triques avec celles des hommes (du moins, de ceux de notre culture).
Cet exposé prétend montrer à l'aide de quelques exemples que
les pratiques et l'imaginaire des femmes, ne sont pas les mêmes que
celles des hommes. Mais, pourquoi faire remarquer leur existence ?
Leur importance réside, au-delà des pratiques elles-mêmes, du fait
même de leur existence qui parle des lieux psychiques pas symétriques
avec l'homme qui les rendent possibles. Quelqu'un pourrait considé-
rer que son approche est une question pertinente a l'érotique ou à la
sexologie et non pas pour la psychanalyse. Cependant, on considère
ici sa pertinence à ce domaine, car avec leur invisibilité est omis le
processus inconscient de l'imaginaire de ces zones et de leurs pra-
tiques. Avec ceci il est également balayé le travail psychique de l'in-
vestissement et de l'inscription symbolique qui soutient toute cette
activité psychique.
Mais, il y a encore plus : alors que corps, pratiques, imaginaires,
investissements et inscriptions symboliques (non symétriques avec
l'homme) restent dans l'invisibilité, sont donc des silences de l'énon-
cé dans le corps théorique. Celui-ci, ou plutôt les institutions, sont
contraintes d'exercer une forte violence symbolique qui fait obstacle
à l'émergence du dénié (ou renié ?). C'est éloquent à cet égard, la
résistance des institutions psychanalytiques à s'ouvrir à l'intégration
de ce que d'autres disciplines pourrait offrir dans cette rubrique.
Ainsi mis en place une zone de puissantes impensables théoriques,
laquelle, à ce stade, ne peut que se référer qu'à ceux qui sont des croi-
sements « politiques » de ces silences.
Les croisements politiques dans la mesure où aucun question-
nement ne s'ouvre à ces impensables le corps théorique et ses ins-
titutions font partie, au-delà des intentions des acteurs, des straté-
gies de production et reproduction de la différence hiérarchisée des
sexes et de genre. Insensiblement, son objectif initial a changé : du
fait d'essayer de rendre compte de la sexuation féminine processus
psychiques il glisse efficacement pour rejoindre une des nombreuses
stratégies dont le but est d'affirmer la passivité des femmes comme
étant légitime et constitutive de la féminité.
À partir de cet emplacement les a priori de la différence indiqués
plus haut délimitent leurs impensables et produisent leurs énoncés ;
• 43
ainsi, par exemple, est théorisée l'envie de pénis comme naturelle et
immuable (le roc biologique de Freud35), étant donné que, comme
tout ce qui précède appartient au domaine de l'invisible du corps
théorique, constituant ses objets interdits ou déniés, la théorie reste
sans possibilité pour être conceptualisée d'une autre manière, de
telle sorte qu'il devient nécessaire et pas fortuit, qu'elle soit théorisée
comme étant naturelle et immuable.
Si, comme il est apparu, on essaie de réarticuler la théorie, c'est-
à-dire, si on met en jeu ces objets interdits ou déniés de celle-ci, com-
bien plus limitée serait la place de l'envie de pénis. Pour ceux qui
détiennent encore la notion de « stade », le stade phallique pourrait
n'être qu'un moment ou un stade du désir de la petite fille et non
pas le seul organisateur à cette âge. Ni primaire, ni irréductible, elle
pourra l'abandonner à partir des supports narcissistes qui lui four-
nissent l'imaginaire et les investissements de ses zones érogènes
« proprement féminines », les pratiques plaisantes de celles-ci,
l'économie de représentation non phallique concomitante et, les
liens du désir avec la mère fantasmée, l'aiderons pour le surmonter36.
Maintes fois la notion de l'envie de pénis a empêché l'écoute de
certaines souffrances dont parlent les récits de patientes. Une femme
de 40 ans disait : « étaient tellement nombreuses les différences qui
existaient chez moi... mon frère pouvait descendre pour jouer dans
la rue, je devais rester enfermée à la maison. On lui a acheté un vélo,
pendant que je devais aider ma grand-mère. Je le haïssais. J'ai beau-
coup pleuré de ne pas être un garçon ».
Lorsque on met l'accent sur la positivité à partir de laquelle sont
vécues les différences « et non pas la différence », on n'exclut pas la
femme du régime du manque. De même que chez l'homme la pos-
session du pénis ne l'exclut pas de la poursuite sans relâche de la
complétude narcissique, la femme est également inscrite dans la
poursuite de sa complétude illusoire ; c'est l'un des identiques pour
les deux sexes, tous deux, étant sous le régime du manque.
En effet, placer le sexe féminin au positif n'exonère pas la femme

35 Freud, S. (1937). « Análisis terminable e interminable » / « Analyse termi-


nable et interminable », Madrid : Ed. Biblioteca Nueva, tomo III, 1967.
36 Il reste encore inexplorée une zone de recherche : l'articulation entre la
production de l'envie phallique dans la subjectivité et les significations
imaginaires collectives que notre culture donne au féminin et au mas-
culin.
44 •
du régime du manque, mais cela l'inscrit dans une économie du désir
propre. À son tour, cette inscription implique un lieu psychique en-
core absent dans la théorie, mais non pas chez les femmes. Lieu psy-
chique où les femmes imaginent et investissent leur anatomie sexuelle
à partir de laquelle se structurent des pratiques de plaisir fantasma-
tiques qui permettront l'accès à différentes formes de l'érotisme fémi-
nin. Dans la mesure où cet état de choses est un silence théorique,
un ‘non visible', on ne peut, donc que « percevoir » la femme en tant
que vierge, envieuse et même frigide. Mais - qui est cette femme ?...
L'hystérique ?37

QUELQUE CHOSE DE PLUS SUR LA DIFFERENCE


Il a été soulevé précédemment que ce que l'on a appelé le conti-
nent noir était composé de ces territoires situés au-delà du miroir ;
c'est-à-dire, des territoires trouvés à l'extérieur des symétries38. Des
territoires que, cependant, Freud n'a pas oublié, et que, vers la fin
de sa vie, encore une fois - éternel retour du refoulé - apparaîssent
lorsqu'il demande : « - que veux une femme ? ». Mais, assujetti à l'a
priori du même, il ne pourra que accorder au différent une catégorie
soit de complément, soit de supplément. Pour penser la différence
sexuelle, le champ freudien institue comme visible une seule écono-
mie représentationnelle de la différence, même si les formes varient,
tout est toujours soumis à une économie représentationnelle unique
- phallique -, ce qui persiste, cependant, est hétérogène, diverse et
multiple.
Lorsque le champ psychanalytique ouvrira les catégories de la
différence pour sa reformulation, on pourra rendre compte de la
sexualité féminine et de l'intelligibilité de beaucoup de ses mystères.
Mais, tant que les paramètres logiques renvoient à une seule réfé-
rence, à savoir le pénis, le phallus, ou n'importe quel autre signe, il
laisse en dehors du champ de vision le réseau complexe des inscrip-
tions d'où les hommes et les femmes construisent leurs identités et
leurs différences ; il lui « faudra » donc, énoncer une sexualité fémi-
nine essentiellement inconnaissable39.
37 Dio Bleichmar E. (1985). El feminismo espontáneo de la histeria. Ma-
drid : Adotraf.
38 Irigaray, L. Spéculum, op. cit.
39 Montrelay, M. (1979). 'Investigaciones sobre la feminidad' / 'Des re-
cherches sur la féminité' dans Acto psicoanalítico / Acte psychanalytique,
• 45
D'autre part, les corps des hommes et des femmes non seulement
soutiennent leurs différences sexuelles mais, également supportent /
soutiennent en elles les fantasmes sociaux qui viennent de l'imagi-
naire social et qui se constituent à cet égard en garants de viabilité
des discours idéologiques respectifs et diverses. C'est en ce sens que
la psychanalyse, la plupart des discours théoriques, lorsqu'ils croient
rendre compte de la différence sexuelle sont en réalité ‘parlés' par le
discours social.
Les questions soulevées jusqu'à présent sont loin d'épuiser le
problème annoncé. Elles visent seulement à offrir une première - et
certainement provisoire - tentative d'ouvrir de nouvelles formula-
tions exigées par la question de la sexualité féminine. De nouvelles
formulations qui rendront nécessaire certains questionnements
épistémologiques, lesquels permettraient la mise en place d'autres lo-
giques de la différence qui surpassent les paramètres que l'épistémè du
même a produits. Une autre logique de la différence qui donnerait la
possibilité de créer des outils conceptuels pour contenir la pluralité
d'identiques et de diverses différences.
Freud inaugure une nouvelle connaissance : le domaine de l'in-
conscient. Toute nouveauté crée un problème théorique et, à son
tour, produit des conditions de changements successifs. Que ceux-ci
soit plus rapides ou plus lents, dépendra non seulement de la pro-
duction et de la légitimité du corps théorique nouvellement ouvert,
mais aussi des pratiques et des conjonctures sociales dans lesquelles
s'inscrit cette discipline. Une lecture qui pourrait ouvrir des réponses
aux questions sur l'inertie de l'approche phallocentrique soutenant la
production théorique psychanalytique de la sexualité féminine, de-
vra rendre compte, tel que Foucault le revendique, des « spirales de
sexe, de connaissance et de pouvoir », dans lesquelles s'inscrit la
psychanalyse. Cette autre lecture, comme toute lecture que rend
visible des objets interdits ne pourra pas éviter la sanction due à sa
« transgression ».
Pour atteindre cet objectif, cette autre lecture devra récupérer
l'intention de son fondateur, afin que l'on soit capable de soutenir
cette position freudienne par laquelle, plutôt que d'essayer de légiti-
mer ce que l'on sait déjà, essayons de savoir comment et où il serait
possible de penser différemment.

Buenos Aires  : Ed. Nueva Visión. (Montrelay pose la question d'un


continent noir inexplorable, p. 206)
46 •
BIBLIOGRAPHIE

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política' del sexo », dans Revista Nueva Antropología, vol. VIII,
nº 30, novembre. México : Universidad Nacional Autónoma de
México.

• 47
48 •
TRANSGENRE : UNE SYNTHÈSE ET DES
OUVERTURES 40 41
Eva Giberti 42

« Nous éprouvons le besoin irrésistible, et ceci depuis notre


tendre enfance, d'être quelqu'un d'autre que celui dont le
rôle nous a été assigné par la Nature, les parents, le monde...
D'être une autre, celle qui reste cachée au fond de nous de-
puis si longtemps, d'être reconnue pour telle, d'être appréciée
comme telle. »
« Alors, ensuite, laissez nous vous préciser tout de suite que,
contrairement à ce que vous avez pu penser quelquefois,
malgré tout ce que d'autres ont pu vous répéter pour vous
dévaloriser, vous humilier, vous 'corriger', vous n'êtes ni une
malade, ni une perverse, ni une cinglée, ni rien de tout ce qui
s'y rapproche : vous êtes une personne, avec le droit d'être
qui vous êtes, le droit d'être aimée, comprise et estimée pour
ce que vous êtes[...]
Alors, soyez vous-même aussi différent : laissez s'exprimer le
gentleman qui sommeille en vous ! »

« Quelques précisions » de Michèle Anne. Travesti Québec.

Les circonstances qui ont ouvert la voie à la présence et l'exhi-


bition de personnes transgenre dans les médias ont été créées peu à
peu, presque par inadvertance, en déduisant quelques sorties intem-

40 Chapitre du livre, Maffia, D. (comp.) (2003). Sexualidades migrantes,


género y transgénero : síntesis y aperturas. pp. 31-58. Buenos Aires : Fe-
minaria.
41 Traduction Pilar Errázuriz Vidal, révision Françoise Hautot.
42 Psychologue, Travailleuse sociale, docteure Honoris Causa en Psico-
logía (Université de Rosario y Université de Entre Rios, Argentine).
Professeure universitaire en Argentina y dans de divers pays d'Amé-
rique Latine. Depuis les années 80 elle a publié plusieurs textes sur des
personnes transgenre qui lui ont consulté. Elle dirige à présent le Pro-
gramme des Victimes contre les Violences au Ministère de Justice et des
Droits Humains, d'Argentine. Elle a publié plusieurs livres sur le sujet
de genre.
• 49
pestives épiscopales ou glaisières. Ces protagonistes ont gagné un
terrain médiatique et plus tôt que tard ont été légalisés par le texte
juridique : d'une part les transsexuels qui ont modifié leur anatomie,
de l'autre, les travestis qui réclament l'abrogation des lois qui mettent
en risque leur vie quand la police les arrête. La reconnaissance du
droit à la différence s'est assise dans une législation Internationale ;
ce qui n'implique pas dissoudre la capacité humaine de discrimina-
tion (Giberti, Et. 2002). Cela se développe et s'étend dans une géo-
graphie aux détours multiples, l'un d'eux étant celui de la discrimi-
nation sexuelle. Le fait de discriminer s'installe dans la volupté de
celui qui discrimine, comme une planification qui produit en lui des
effets temporels et spatiaux, parce qu'il se sent satisfait non seule-
ment par le pouvoir qu'il exerce, mais aussi par la persistance de ses
effets dans les discriminés.
Ceux qui discriminent dans les territoires du sexuel jouissent de
la persistance de leur propre volupté : la proximité n'est pas volup-
tueuse. Le pouvoir qui imprègne son exercice semble joyeux, relatif
à l'expansion du Moi que lui propose le sujet discriminant. Comme
s'il essayait d'obtenir l'agrandissement d'un espace psychique pour
que le Moi, qui se sait dépourvu et douteux dans son désir et dans
son imaginaire sexuel, puisse être approvisionné. Au-delà des cri-
tères psychothérapeutiques ou psychanalytiques destinés à étudier
ou à accompagner les comportements et les discours qui peuvent se
trouver ou s'imaginer chez ces personnes qui mettent en évidence leur
différence par rapport à celui qui se considère « normal », il faut attirer
l'attention à propos de l'usage fréquent du vocable « pervers » quand
on essaie de réfléchir à propos des différences déterminées. Il s'agit
des pensées fixées dans des catégories monolithiques et universa-
listes, au contraire de la pensée multiple et de la logique du paradoxe
qui réclame son inclusion dans la manière d'inscrire et de traiter les
autres.

QU'EST-CE QUE C'EST, UNE PERSONNE ?


C'est la question par laquelle s'initie l'un des textes que présente
la Presse pour le Changement (Press for Change43) qui est éditée en
Angleterre. Cette publication est un chapitre de l'organisation po-

43 Press for Change est un lobby politique et éducatif qui essaie d'obtenir
des droits civil et des libertés pour toutes les personnes transgenre au
Royaume Uni, à travers de la législation et du changement social.
50 •
litique et éducative qui lutte pour obtenir une liberté et des droits
civils égaux pour les gens transgenre au Royaume-Uni, au moyen de
la législation et du changement social. La décision de ceux qui l'ont
créée est concrète : « La Presse pour la campagne du Changement
travaillera jusqu'à obtenir la concrétisation des droits des personnes
transgenre pour vivre dans leur rôle approprié de genre sans souffrir
la poursuite, la bêtise ou la discrimination ».
L'une des organisations qui s'occupe à éclairer la communauté à
propos des personnes transgenre est le Réseau Transgenre de PFLAG44
qui a édité une brochure ; je reproduis ici certains de ses apports :
« Les personnes transgenre sont celles dont l'identité ou l'ex-
pression de genre diffère des expectatives conventionnelles
sur le sexe physique. L'Identité de Genre est le sens interne
que l'un a d'être un homme ou femme, ce qui est communé-
ment communiqué aux autres à travers l'Expression de Genre
(un vêtement, une coupe de cheveux, des gestes). Même si
les personnes transgenre ont toujours fait partie de toutes les
cultures et les sociétés dans l'histoire de l'humanité, c'est tout
récemment que la science médicale a commencé à s'occuper
d'elles. Beaucoup d'enquêteurs médicaux croient mainte-
nant que le transgenre trouve son origine dans les facteurs
complexes biologiques qui sont déjà fixés après la nais-
sance et qu'en conséquence, il ne s'agit pas d'une élection
mais d'un 'dilemme personnel' ».

QUI SONT LES PERSONNES TRANS ?


Les personnes transgenre incluent les transsexuels (ceux qui
sentent qu'ils ou qu'elles sont nés/es avec un sexe physique er-
roné, soient pré ou post-opérés/es ou non opérés/es ; les cross-
dressers (appelés autrefois des travestis/es), ceux qui utilisent
les vêtements du sexe opposé afin de mieux exprimer une iden-
tité intérieure de crossgender 45 ; des personnes intersexuelles
(autrefois appelés hermaphrodites) et beaucoup d'autres identi-
tés trop nombreuses pour les énumérer ici46.

44 N. de la T. : PFLAG, Parents, Families, and Friends of Lesbians and Gays


(Parents, familles, et amis des lesbiennes et des gais).
45 N. de la T. : Transgenre. À la lettre : genres croisés.
46 Dans cet article je n'aborde pas les sujets relatifs aux personnes her-
• 51
Il est important de tenir compte du fait que le terme « transgenre »
décrit un grand nombre de groupes de personnes différentes mais
en relation entre elles, qui utilisent une variété d'autres termes pour
s'auto-identifier. Par exemple, bien des transsexuels/les se voient
eux-mêmes (elles- mêmes) comme un groupe séparé, ils (elles) ne
veulent pas être inclus(es) sous le terme de transgenre. Bien des
transsexuels/les post-opéré/es ne se considèrent pas comme trans-
sexuels/les. Uniquement certains/es des transsexuels/les non opérés/
es s'identifient comme des personnes transgenre. Au-delà de cette
variation dans la terminologie, la majorité des gens ‘trans' seraient
d'accord de dire que leur auto-identification est un droit personnel
important, ce que nous appuyons résolument.

QUI SONT LES CROSSDRESSERS ? 47


C'est la majorité des personnes transgenre. Bien que la majorité
soit des hommes hétérosexuels, il y a aussi des hommes bisexuels
et gays, ainsi que des lesbiennes, des femmes bisexuelles et hétéro-
sexuelles qui s'habillent avec les vêtements du sexe opposé. Certains
sont mariés et certains ont des enfants. La grande majorité vit sa
tendance ‘trans' en secret. Au contraire des transsexuels/les, les cross-
dressers ne désirent pas changer leur sexe physique.

QU'EST-CE QUI CAUSE LA TRANSSEXUALITE ?


Personne ne le sait réellement, mais il y a beaucoup de théories.
Cela pourrait être causé par le bain du fœtus dans des hormones du
sexe opposé dans l'utérus, ou peut-être par un changement génétique
spontané, qui est aussi l'une des théories de l'origine de l'homosexua-
lité. Les personnes transsexuelles peuvent passer d'une femme vers
un homme (FàH) ou les plus connues, d'un homme vers une femme
(HàF). Grâce à l'intensité de leur dysphorie de genre, ces personnes
commencent à sentir qu'elles ne peuvent pas continuer de vivre dans
le genre associé à leur sexe physique (celui de leur naissance).

maphrodites et aux personnes évaluées comme androgynes.


47 N. de la T. : Travestis : ceux qui traversent les codes vestimentaires. Ap-
pellation en anglais que signifie littéralement « celui qui s'habille croi-
sé ».
52 •
LA TRANS-CONSCIENCE
L'usage des termes pour se référer à ces personnes diffère et a
évolué au cours des années en conformité avec une sophistication
croissante de la trans-conscience des gens ; la trans-conscience est
un fait politique significatif qui constitue un indicateur des change-
ments qui s'inscrivent actuellement dans les conceptions culturelles.
L'apparition du terme transgenre a fourni une place pour ceux qui se
sentent dans une dimension autre que celle comprise dans le binôme
homme / femme. Lorsqu'à Virginia Prince - un transgenre militant
qui a mis à la mode l'expression transgenre - on demandait si elle
était un homme ou une femme, il(elle) répondait « un homme ou
une femme consiste un peu en ce qui se forme entre les jambes, mais
ce que l'on est réellement, surgit entre les oreilles, dans le cerveau ».
Les gens trans incluent ceux (celles) qui, en exprimant leur
sens d'identité, entrent en conflit avec les normes de genre selon
les conventions contemporaines qui règlent les comportements de
chaque société. Le transgenre, en substantivant l'expression, tend à
se moquer ou à déstabiliser - comme une procédure défiante et pro-
vocante - ces prescriptions destinées à dogmatiser des règles de coha-
bitation. Le transgenre s'oppose à toute classification psychiatrique
ou clinique qui considère ses conduites comme pathologiques ou dé-
viées - puisque les personnes transgenre soutiennent que ces critères
scientifiques essaient d'annihiler n'importe quelle forme d'ambiguïté
sexuelle et d'en imposer les modèles adaptatifs, en étouffant les dé-
sirs, les sentiments et les expériences de chaque sujet.
Lorsqu'en 1996, l'Association Psychiatrique Américaine a réalisé
sa réunion annuelle, en face de l'édifice où ses membres se réunis-
saient, des groupes transgenres se sont autoconvoqués en portant des
panneaux où ils accusaient les professionnels en les associant à une
« Pathophilie de Genre ». Ils se rapportaient « à ceux qui ne peuvent
pas faire abstraction de la nécessité de pathologiser n'importe quelle
conduite de genre qui lui cause une agitation ». Il s'agirait de l' «
amour de la pathologie » au dire de José Antonio Nieto (1998).
Quelques auteurs, comme James E. Elías, Verónica Diehl, L. Car-
mel, du Département de Sociologie du Center for Sex Research, State
University of Californa, considèrent que le transgenre est un mou-
vement social émergent, réformiste, semblable aux mouvements
de libération des femmes et aux mouvements gays et lesbiens. Ils
l'évaluent comme un effort des communautés qui essaient de définir

• 53
leur place comme une partie acceptée de la structure sociale. Ils sou-
tiennent que c'est un mouvement en cours et qu'il est possible d'es-
sayer de prédire son avenir à partir des progrès obtenus au moyen
des étapes spécifiques.
L'antécédent mythique d'habitude débouche sur Tirésias, mais
aussi, d'une autre perspective, la tradition hermétique des gnos-
tiques et des alchimistes illustrait ses textes avec l'Androgyne Pri-
mordial. Cependant, la beauté de l'image n'a pas satisfait les initiés et
les ésotériques qui cherchaient à momifier les sexes dans une Unité
Primordiale, réussite impossible, tandis que la différence se mainte-
nait dichotomique mâle / femelle. Le transgenre semble aller au-delà
de cette métaphysique des hermétiques au moyen de la conception
d'une société dans laquelle ses membres sont construits étrangers à
la dichotomie du féminin / masculin, en se proposant comme des
sujets malléables par eux-mêmes (Giberti 2000).
C'est pourquoi on peut inclure l'analyse de la situation des per-
sonnes transgenre au sein de la bioéthique et c'est d'après cette pers-
pective qu'on aborde le sujet dans ce texte ; il ne s'agit pas simplement
d'une dénonciation indispensable face à l'évidence de la violation de
leurs droits, mais d'une lecture déconstructive des discours qui les
qualifient, des silences et de l'indifférence qui refusent de se com-
promettre avec l'exercice de tels droits. Il s'agit d'utiliser les méri-
diens politico- sociaux et éthiques qui permettent de rendre visibles
et parlants les corps et les voix de ces personnes qui agissent dans les
territoires que la majorité considère étrangers. Il s'agit de re-signifier
l'étrangeté que, en termes de perversion et de dangerosité on leur
adjuge. L'apparition surprenante et inquiétante de nouvelles formes
de vie, inaugurales ou arrachées de l'obscurité clandestine demande
d'autres regards, d'autres écoutes ainsi que la création de tensions
éthiques entre ce qu'on savait, ce qu'on désirait comme souhaitable,
et la présence d'autres ordres joués par des êtres humains qui dé-
fendent leurs droits.

TRANSGENRE INCLUT L'ACCEPTATION DE GENRE


Le concept de genre a été trop vulgarisé et bien que nous conti-
nuons à l'utiliser parce qu'il constitue un code partagé qui permet
une officialisation nécessaire pour intégrer diverses constructions
(politiques, sociaux, psychanalytiques), il sera nécessaire d'ajuster sa
portée.

54 •
Je limiterai le développement de cet article à deux énonciations
de ce concept : 1) Judith Butler (1990) a soutenu qu'au-delà des
influences sociales qui contribuent à la construction de nos subjec-
tivités, nous nous construisons nous-mêmes aussi. Le genre est « le
résultat d'un processus au moyen duquel les personnes reçoivent
des significations culturelles, mais elles sont aussi capables de les
innover ». Choisir le genre signifie qu'une personne interprète « les
normes de genre reçues de telle façon qu'elle les reproduit et les
organise à nouveau ». Bourdieu (1980) a pointé à propos de la lo-
gique du genre : « Il s'agit d'une institution qui a été inscrite séculai-
rement dans l'objectivité des structures sociales et dans la subjectivi-
té des structures mentales, donc, l'analyste a toute la possibilité de les
utiliser comme des instruments de la connaissance, des catégories de
la perception et de la pensée qui devraient être considérées comme
des objets de la connaissance. »
C'est-à-dire que la discussion nécessaire à propos de ce qu'on
comprend par genre réclame d'autres analyseurs qui excèdent la
critique - erronée certes - qui le caractérise comme anhistorique et
éloigné de la révision de la pensée binaire qui règle ses contenus.
Comme Bourdieu le signale, il s'agit de requérir l'application des
indicateurs de la perception et de la pensée, historiquement insti-
tués comme matrices du concept genre et non comme des objets de
connaissance, c'est-à-dire qui peuvent être déconstruits et analysés.
Le conflit dont souffrent les personnes trans, conséquence de la
tension entre le genre assigné à la naissance et le genre désiré, déman-
tibule l'ordonnance sociale qui oblige à classer un nouveau-né dans
la catégorie mâle ou femelle. Il en résulte que les créatures nées inter-
sexuelles ne peuvent pas se classer d'après le binarisme excluant ; et,
dans d'autres circonstances, après être arrivés à l'âge de quatre ou
cinq ans, les gens trans reconnaissent que leur désir à la base de leur
condition comme sujet réclame, avec persistance, d'abandonner le
corps et la subjectivité du genre assigné. Donc, à partir de l'étude de
ce qu'est le transgenre, il faut réviser non seulement le concept de
genre, mais les indicateurs - perception et pensée - qui ne dépendent
pas exclusivement d'une imposition sociale oppressive. Lorsque But-
ler soutient « nous nous construisons aussi » (au-delà des signifiés
culturels que nous recevons), elle privilégie en cela le fait que nous
pouvons imaginer et symboliser à partir de ce que nous sommes se-
lon notre expérience du générique, en mettant entre parenthèses le
genre assigné ou anatomique, en demandant alors la reconnaissance

• 55
du désir, peu importe à quelle société nous appartenons.
Ce chapitre se positionne, dans le sujet de la transsexualité, à un
segment du transgenre.

DES ANTECEDENTS HISTORIQUES


Pourquoi introduis-je une synthèse qui inclut une bibliographie
des productions scientifiques sur les travestis/es, les transsexuels/
les, les hermaphrodites ? Parce que cette documentation met en évi-
dence comment a été construit- et on continue de construire - un
segment de la réalité conçu conformément aux conventions sociales
et à partir de logiques puissantes, aristotéliques. En omettant de
mentionner l' « autre histoire », dans laquelle ils avaient été « per-
dants » ou inconnus.
Les logiques dénommées « puissantes » ont soutenu la pensée bi-
naire qui institua l'opposition /complémentarité ‘homme / femme' ; à
partir de cette ordonnance, toute diversité a été consignée comme
une déviation, une perversion, un vice, une dégénérescence, un pé-
ché, un danger social. La bibliographie au terme de ce texte, expose
et synthétise les contenus de pensée d'un monde académique et re-
présentatif dudit segment.
En 1910 Alfred Adler a écrit « Les hermaphrodismes psychiques
dans la vie et dans la névrose, Progrès de la médecine », où il a décrit
la protestation virile analysée dans l'ambivalence sexuelle. Freud a
utilisé certains de ses concepts dans le cas Schreiber.
Hirschfeld, un médecin allemand, sexologue et chercheur, avait
écrit dans la même année, une étude des travestis et de leurs rêves
érotiques en utilisant un vaste matériel casuistique et historique. Un
an après, Edward Carpenter a appliqué pour la première fois l'expres-
sion « cross-dressing ». Toujours en 1910, Freud s'est occupé d'un cas
de démence paranoïde (« Une métamorphose sexuelle d'ordre psycho-
tique »). Et la même année, V. E. Magnan, et S. Pozzi, ont initié une
discussion à propos d'une histoire d'homosexualité comme effet psy-
chique de l'hermaphrodisme, qui a constitué la version française d'un
« cerveau d'homme dans un corps de femme ». En 1918, Magnus Hir-
schfeld a fondé à Berlin l'Institut des Recherches Sexuelles ; ledit Ins-
titut qui conservait des histoires cliniques et des recherches, disposait
aussi d'une bibliothèque qui contenait plus de 20.000 volumes spécia-
lisés en sexualité. Tout ce matériel a été détruit par les étudiants
nazis en 1933. Selon les rumeurs, ces archives contiendraient une

56 •
très grande quantité de données à propos des pontifes du nazisme.
Hirschfeld a continué d'écrire à propos de patients travestis et
a organisé, avec Havelock Ellis et Forel, le Premier Congrès de Ré-
forme Sexuelle, réalisé en 1921 ; les Congrès de Vienne ont suivi, en
1930, et la Fondation de la Ligue Mondiale de la Réforme Sexuelle, a
été accompagnée de la publication de ses premières œuvres à propos
de l'homosexualité (1920), des pratiques sexuelles non habituelles
(1933) et une autre, rapportée aux perversions (1938). Il se propo-
sait d'élaborer une sociologie sexuelle dans laquelle les problèmes
éthiques, criminologiques et législatifs occupaient une place signi-
ficative. En coïncidence avec Forel, il pensait qu'il ne devrait pas
exister de problèmes entre l' « hygiène sexuelle » (ainsi qu'elle était
dénommée à cette époque) et l'éthique sexuelle. Hirschfeld avait fait
un pas de plus : il entreprit une bataille contre l'article 175 de l'an-
cien Code Pénal allemand qui condamnait à cinq ans de prison les
homosexuels.
Entre 1913 et 1918 sont apparues de nouvelles recherches
conjointes à propos de l'homosexualité et du transsexualisme ; ce
dernier était positionné comme le critère qui commençait à diffé-
rer du travestisme que Kraft Ebbing a étudié et dont il a publié les
conclusions en 1923.
Dans les années vingt, H. Benjamin avait administré l'un des
premiers traitements hormonaux à une personne transsexuelle.
En 1931 en Allemagne, a eu lieu la première ou l'une des pre-
mières opérations chirurgicales de changement de sexe, qu'a osé
une jeune peintre, Lili Elbe, qui peu après est décédée des suites
d'une tentative prématurée de création de vagin. De nouveau en
1931, deux fois en 1947, en 1950 et en 1952, on a connu d'autres
cas de création de néo-vagins, jusqu'à ce que Christine Jorgensen,
opérée au Danemark par le Dr. Hamburger, entre 1951 et 1954,
atteigne une notoriété mondiale. Son cas a participé au dévelop-
pement des techniques et des demandes chirurgicales de la trans-
sexualité contemporaine. En 1953, H. Benjamin, dans un article
publié dans le Journal of Sexology, Transvestism and Transsexua-
lism48 a construit scientifiquement le terme transsexuel créé par le
divulgateur médical David Cauldwell, en 1950. Depuis lors, une
sexologie de la transsexualité s'est émancipée, d'où, plus récem-
ment s'est distingué le concept de transgenre. Au préalable, Deve-

48 N. de la T. : Sexologie, travestisme et transsexualisme.


• 57
reux G. en 1937 avait surpris les chercheurs en introduisant son
étude Institutionalized Homosexuality of the Mohave Indians49.
Les changements anatomiques chez les personnes transsexuelles
avaient commencé à être réalisés et à partir de 1950, le sujet a com-
mencé à être connu et à être débattu au-delà des domaines scienti-
fiques. « L'évolution jurisprudentielle est restée ébauchée dans l'af-
faire Nadine S. - selon l'analyse de Vincent G, (1990) - : Nadine veut
que l'on juge son appartenance au sexe masculin et demande à chan-
ger son nom pour celui de Michel » . La valeur de sa demande a été
mésestimée. Le Tribunal a conclu : « Un état d'abandon psycholo-
gique ne constitue pas d'intérêt légitime qui autorise un changement
d'état ». Malgré les interventions chirurgicales auxquelles elle s'était
soumise, « la demanderesse continue d'être du sexe féminin », selon
la sentence de 1983. Malgré cette erreur de la Cour de Cassation,
quelques années avant, en 1979, un autre Tribunal (dans une autre
juridiction) a affirmé : « Le transsexualisme n'est pas un caprice ».
En 1981 le Procureur de la République (France), en autorisant l'in-
tervention chirurgicale, disait : « La loi ne définit pas le sexe ». De
nombreuses histoires sont issues de ce précédent. Le transsexuel ne
sollicite pas de changement mais une rectification, a affirmé Vincent,
non pas un changement mais une constatation.
En 1928, Virginia Woolf a produit son œuvre Orlando avec le
sujet transgenre comme alternance du masculin et du féminin, de
la jeunesse et de la maturité ; la même année, Havelock Ellis a repris
son concept d'éonisme pour se rapporter aux travestis.
Depuis une autre perspective et sans que Freud se soit spécifi-
quement occupé des transgenres, il a proposé sa théorie sur la bi-
sexualité humaine, inspirée de la thèse de son ami Fliess. Il a soutenu
la bisexualité psychique comme une donnée constituante des êtres
humains dans plusieurs textes de son œuvre. Et, dans une opposition
avec d'autres auteurs, dans une note de bas de page des « Trois essais
sur la théorie de la sexualité » (1905) il a soutenu qu'il n'existe pas
de différence de base entre les hétéros et les homosexuels(les). Dans
deux de ses œuvres, il a mentionné l'hermaphrodisme sans que le
sujet ne constituât un motif prioritaire de ses apports. Pour sa part,
R. Stoller dans son essai « Faits et Hypothèses » (1973), après avoir
révisé le concept freudien de bisexualité psychique a remarqué que
celle-ci constitue un référant pour l'homosexualité, au sujet du plai-

49 N. de la T. : Homosexualité institutionnalisée chez les indiens Mohave.


58 •
sir produit par le coït hétéro et homosexuel, et pour la capacité que
certaines cellules et certains tissus ont de changer d'apparence et de
fonction, en passant de ce qui est caractéristique d'un sexe à ce qui
est caractéristique de l'autre. Stoller, qui a considéré certaines erreurs
chez Freud dans l'analyse de la bisexualité, a écrit le texte mentionné
en se proposant d'examiner, dans un contexte biologique, l'utilisa-
tion freudienne dudit concept, en essayant de l'enrichir par les dé-
couvertes des vingt dernières années.
Otto Fenichel a analysé ce qu'il a dénommé une « psychologie du
travestisme » et Gutheil, E. a publié Analysis of a Case of Tranvestism.
En 1931 Fairbairn, W. a présenté le premier cas d'une analyse avec
un patient intersexuel : Features in the Analysis of à Patient with à
Physical Genital Abnormality. Des psychanalystes qui appliquaient
les contenus de sa théorie à l'analyse des personnes transgenre(s?),
en 1954 ont publié deux travaux : Deutsch, H. : A case of Transves-
tism, mais en réalité il s'agissait d'un transsexuel. Mais aussi, en 1954,
Gutheil, E. a fondé la théorie psychanalytique du transsexualisme
comme une psychopathologie propre issue d'un conflit névrotique,
bien qu'en admettant l'intervention chirurgicale convenue avec le
patient.
En 1956, J. M. Alby a présenté sa thèse « Contribution à l'étude
du transsexualisme », en s'opposant aux interventions chirurgicales
et en diagnostiquant la transsexualité dans le domaine de la perver-
sion. L'apport d'Israël, L. et Geissmann, P. (1960) a insisté sur le fait
qu'il s'agit de personnes homosexuelles qui anticipent un dénoue-
ment psychopathique.
Dans des années suivantes, Lacan a amené divers apports à ce
sujet. En 1971 il a soutenu : « le transsexuel ne veut rien savoir » et
dans la même année, il publie son texte : « D'une question prélimi-
naire à tout traitement possible de la psychose », puis, par la suite,
son apport à propos de « Joyce, le Sinthome » (1977) et le Séminaire
XX, Encore (1981). À Green, on doit le concept de psychose trans-
sexuelle (1973) en même temps que l'introduction de l'idée d'expé-
riences psychotiques normales (1975). En 1975, Potamianou s'est
occupé d'un transsexualisme féminin tandis que Chasseguet-Smir-
guel a réfléchi au sujet du délire transsexuel de Schreiber. Celui qui a
introduit le contraste entre sexe et genre et une identité sexuelle a été
Fauro-Oppenheimer (1980).
Entre 1955 et 1971, Money a proposé la relation sexe / genre à
partir de la séquence du développement ; il a soutenu que la forme
• 59
dans laquelle se rattachent l'inné et l'acquis ainsi que le biologique
et le social - culturel chez les personnes hétéros ou homosexuelles
(différenciation), forment des catégories qui ne sont pas séparées
mais qui font partie d'une continuité. La découverte d'altérations
hormonales prénatales (syndrome de Klinefelter) s'est incorporée
à sa conception du sexe comme une donnée biologique, alors que
les altérations du genre se sont constituées dans ce qu'il a catégorisé
comme une identité et un rôle de genre.
En 1981 M. Safouan a édité la Contribution à l'analyse du Trans-
sexualisme, et dans la même année Piat a publié Aspects du Trans-
sexualisme. En 1983 L. Lothstein a avancé depuis des critères com-
batifs : non seulement il a soutenu que l'intervention chirurgicale et/
ou le changement de sexe comme tel est un passage à l'acte, mais il
s'est rapporté aux compagnies d'assurances qui prennent en charge
la réassignation chirurgicale de sexe mais n'assument pas le paie-
ment de la psychothérapie, qu'il estime fondamentale pour les per-
sonnes transsexuelles. De même, il a suggéré la responsabilité des
professionnels/les qui recourent à la décision des chirurgiens sans
se décider à chercher de nouvelles formes de psychothérapie pour
traiter les transsexuels/les, et a dirigé ses critiques aux groupes de
défense des personnes transsexuelles en tant qu'ils poussent à l'in-
tervention chirurgicale, mais qui n'évaluent pas prioritairement la
discrimination que ces personnes supportent. Cet auteur a affirmé
que les transsexuels/les, en fait, sollicitent une aide psychologique.
Sa lecture psychanalytique s'oriente vers la relation avec la mère et
à ce qu'il nomme « altération du système psychique qui organise le
soi-même ». Après s'être occupé de l'enfance et du transsexualisme,
C. Chiland (1988) a récupéré (repérer ?) la distinction entre un
transsexualisme primaire et secondaire.
L'énonciation de ces apports scientifiques essaie de focaliser,
sommairement, les paramètres par lesquels les personnes transgenre
ont commencé à circuler lorsqu'il a été possible de se risquer à men-
tionner ce qui se classait alors comme une déviation et une maladie.
Ils (elles) supportaient l'accablement d'être porteurs /ses d'un mal-
heur infini et de la honte concomitante.
Mais dès 1992, selon les travaux de Fort. Pfäfflin, et A. Junge,
quand les diagnostics sont corrects, aussi bien que les traitements, il
est possible de changer ou de traiter les patients comme des clients/
es de chirurgie plastique. Un critère en discussion puisqu'il est in-
terprété comme un débordement libertaire. Dans des mots de P. H.
60 •
Castel, (1996) au moyen de cette action directe sur le corps ils (elles)
subvertiraient les stéréotypes sexistes et, donc, les transsexuels/les
constitueraient l'avant-garde d'une réappropriation absolue de soi et
de son corps. Une affirmation qui vient s'ajouter au débat à propos
de différentes études que les personnes transgenre génèrent dans la
psychanalyse où les différences théoriques sont articulées : sommes-
nous face à des personnalités borderline ou psychotiques ? Jusqu'aux
divers niveaux d'analyse qui se confrontent et s'excluent réciproque-
ment, c'est-à-dire, si l'interprétation et une lecture du sujet s'égrènent
d'après les droits de l'homme ou d'après la psychopathologie, ou en-
core d'après l'anthropologie mais aussi d'après le militantisme et la
perspective politique, qu'elles que soient les lectures, toutes peuvent
déboucher sur la nécessité d'une intervention psychothérapeutique
et/ou sur une intervention chirurgicale exclusive. L'on voit bien que
l'empreinte de la bioéthique est nouvelle, cependant, elle acquiert
une importance significative à partir des consultations qui se di-
rigent vers les comités de bioéthique des services hospitaliers.

L'AUTRE HISTOIRE
Il est nécessaire de connaître comment les personnes transgenre
s'installent et se sont installées dans divers pays et dans des époques
distinctes ; ceci nous conduit à l'anthropologie et aux histoires ra-
contées par certains voyageurs. L'anthropologue Josefina Fernández,
dans sa recherche (inédite) a soutenu : « L'une des sciences qui s'est
préoccupée de montrer le caractère culturellement variable du com-
portement sexuel est l'anthropologie ». Comme remarque Barreda
(1993), les études anthropologiques qui abordent la thématique de
la sexualité essaient de déchiffrer quel est le critère de base dans la
différenciation entre les sexes ; quelles sont les spécificités des repré-
sentations qui orientent les comportements sexuels et comment ces
représentations sont vécues par les acteurs sociaux dans des situa-
tions et des contextes socioculturels concrets.
La même auteure fait référence à Gilbert Herdt (1996), dans son
livre Third Sex, Third Gender. Beyond Sexuel Dimorphism in Culture
and History50, dans lequel elle a compilé un ensemble d'articles sur la
viabilité de la catégorie de troisième sexe ou troisième genre. D'après
elle, il n'y a pas de raison à chercher une relation absolue entre une

50 N. de la T.  : Troisième sexe, troisième genre, au-delà du dimorphisme


sexuel dans la culture et l'histoire.
• 61
orientation sexuelle et un troisième sexe ou un troisième genre : « Les
catégories homme et femme - basées sur des critères anatomiques -
ne sont ni universelles, ni des concepts valides pour un système de
classification de genre. La catégorie du troisième sexe et du troisième
genre en vient à contester le dimorphisme sexuel. C'est une tentative
orientée pour comprendre comment dans des endroits et des mo-
ments historiques déterminés, les gens construisent des catégories
non seulement sur la base d'un corps naturel mais aussi sur la base
de ce que Garfinkel (1967) nomme « parties génitales culturelles ». Il
s'agit des individus qui dépassent les catégories d'homme / femme,
masculin / féminin. Ces individus sont groupés dans des catégories
ontologiques, des identités, des tâches, des rôles, des pratiques et des
institutions divergentes, lesquelles ont été classifiées, à la fin, dans
deux types des personnes ; « c'est ce que les occidentaux classeraient
comme deux sexes (un homme et une femme) et deux genres (mas-
culin et féminin) [...] ».
Selon Roscoe, il n'est pas nécessaire de croire qu'il doive exister
trois ou plusieurs sexes physiques pour que le genre multiple ait lieu.
« Dans un paradigme de genre multiple, les marqueurs du sexe
sont vus comme tout autant arbitraires que les élaborations socio-
culturelles du sexe dans la forme d'identités de genre et des rôles
de genre. Les cultures ne reconnaissent pas toutes les mêmes mar-
queurs anatomiques et toutes ne perçoivent pas les marques ana-
tomiques comme naturelles et opposées à un domaine différent du
culturel. Dans de nombreux cas, connaître les parties génitales qu'un
individu a, est moins important que connaître comment les corps
sont culturellement construits et quels traits et processus particuliers
se considèrent compromis avec le sexe ».
On peut trouver d'autres informations dans certains mythes
provenant d'époques archaïques, dans certaines cultures indigènes
et cultures de peuples asiatiques :

LES MYTHES ARCHAÏQUES


L'incorporation des données qui se trouvent dans certaines re-
cherches archéologiques et anthropologiques des époques archaïques
a été possible grâce à l'observation méticuleuse de chercheurs et
chercheuses. Ceux que j'énumère ensuite sont parmi les exemples
multiples qui se trouvent dans les apports que la chercheuse Fran-
cisca Martin-Cano Abreu a réalisé. (1999, 2000, 2001, 2002). Cette

62 •
auteure, dont la thèse met en rapport des connaissances d'astrono-
mie et d'archéologie, a systématisé ces perspectives avec les études de
genre. Les données qui se rapportent à l'hermaphrodisme, trouvées
dans les cultures préhistoriques (des sculptures hermaphrodites : la
déesse, personnification du principe masculin et féminin avec fonc-
tion de s'auto-féconder et d'accoucher de toutes choses) (2001) lui
permettent de soutenir :
« L'hermaphrodisme a été représenté métaphoriquement aussi
bien dans les époques préhistoriques que dans les civilisations pri-
mitives de plusieurs manières : dans les sculptures qui représentent
deux sexes ou qui les incluent : elles ont des mamelles féminines
et des parties génitales masculines, ou dans les statues qui ont une
forme allongée phallique avec des attributs manifestement féminins.
Elles présentent les caractéristiques fusionnées des deux sexes : des
mamelles, une vulve, des grossesses où extérieurement la figuration
est phallique [...] ou des figures féminines qui, selon l'angle d'où on
les regarde attentivement, représentent les parties génitales mascu-
lines [...]. Par la suite, ce type de figure a été divisée en Paire Divine
des deux sexes ou a été changée en divinités masculines ».
Francisca Martin-Cano Abreu dessine, en les copiant, chacune
des statuettes trouvées, elle les décrit visuellement et, grâce à son
talent de dessinatrice, permet de constater la variété et la quantité
de conceptions qui, dans diverses cultures, a positionné le sujet de
l'hermaphrodisme comme une dimension socioculturelle éminente,
associée à la divinité et aux cultes.
Par exemple, à Chypre, en se rangeant entre les cultures préhis-
toriques et dans l'Âge de Bronze, on a trouvé une grande quantité
d'amulettes relatives à la fertilité, des colliers en terre cuite en forme
de festons ; un type cruciforme avec les bras étendus comme des ailes
que l'auteure rattache à la constellation du cygne et la croix du Nord,
des jambes fléchies et une fente entre celles-ci, un long cou avec une
tête en forme de gland, le nez étant l'orifice urétral, clairement her-
maphrodite.
Les recherches de la même auteure informent, à propos des
cultures africaines, qu'au Cameroun et au Gabon apparaissent les
sculptures universelles doubles, la représentation de la dualité de
déesses trouvées depuis le paléolithique. Par exemple, la dualité des
Fang, deux figures adossées avec des mamelles qui ont à la fois une
forme phallique et des têtes en forme de gland, allusives à leur her-
maphrodisme. Au Congo (Zaïre) le peuple Dogón, héritier des Tel-
• 63
lem, on trouve un grand nombre de sculptures de l'esprit ancestral
Nommo. Il se présente tantôt dans des images féminines, tantôt mas-
culines mais aussi hermaphrodites. La divinité ancestrale Nommo,
est elle aussi hermaphrodite, avec une barbe rituelle, un corps et des
mamelles féminins, des traits faciaux et des cheveux masculins.
Au Nigeria les Dzukun / Jukun, les Ashantis de Ghana et les Lobi
du Cameroun produisent des cônes anthropomorphiques de terre
cuite destinés à être placés dans les tombes ; ce serait une évolution
des monolithes archaïques « Ekoi », des concrétions de l'esprit ances-
tral hermaphrodite, objectivé dans ces sculptures arborant les attributs
des deux sexes ou en forme d'une figure de pierre / betilo / ónfalos,
qu'on vénère dans les bois sacrés, comme le « Ekoi » / « Akwanshi »
du XVIe siècle, taillé dans une pierre par un artiste du peuple Ekoi
/ Ejagham.
En Italie, au paléolithique, une idole apparaît dans la stéatite verte
du Lac Trasimeno, celle-ci présente sur son devant des mamelles et
des parties génitales féminines et de dos, simule les parties génitales
masculines, dont les extrémités sont achevées en pointe (cette pièce
est décrite plusieurs fois par les chercheurs/ses). À la même époque,
on trouve la représentation de la déesse hermaphrodite de Grimaldi.

DES INDIGENES AMERICAINS


Chez les Nord-Américains indigènes Crow, l'anthropologue
Lowie, R. (1937) a fait un rapport de l'existence des berdaches, ces
personnes qui étaient génétiquement hommes et qui cessaient d'effec-
tuer des activités masculines comme chasser, lutter dans les guerres
et assumaient un rôle ambigu : ils s'habillaient et parlaient comme
des femmes, se laissaient pousser les cheveux comme les femmes et
s'occupaient de la cuisine et de la couture. Ils étaient alors des ho-
mosexuels travestis et cette caractéristique était interprétée comme
une différence spirituelle : Dieu les a faits ainsi. Ils étaient aussi de
puissants chamans ; certains d'entre eux prenaient des hommes pour
époux et étaient respectés dans la communauté. Quelques femmes
se convertissaient en chamans puissantes et prenaient épouses. Ils et
elles connaissaient ainsi une « double compétence sociale » qui leur
garantissait leur pouvoir. Le berdache constituait un apport détermi-
nant en pratiques sociales et culturelles : il avait des responsabilités
thérapeutiques, rituelles, politiques et économiques c'est-à-dire qu'il
était inscrit dans la totalité du système. Quant aux berdaches Navajo,

64 •
le dénommé nadle était reconnu comme homme et comme femme.
Sa présence constituait un bon augure pour sa famille parce qu'il
(elle) était destiné/e à se convertir en chef. Il était chargé de préparer
la nourriture, de tisser, de soigner les brebis et d'accompagner les
accouchements.
Classer les berdaches comme des homosexuels/les institutionna-
lisés (es) serait une erreur. Fulton et Anderson, en 1992 ont éclairé la
situation : les berdaches ne demandent pas de changement d'identité
de genre, ce qui les assimile à certaines des personnes transgenre. Ils
possèdent une double compétence sociale, manipulent socialement
la double identité à la fois féminine et masculine, traversent les fron-
tières symboliques entre les deux genres et sont particulièrement
éminents, en tant que chamans pour traverser les frontières entre les
êtres humains et les esprits, entre les vivants et les morts.

DES CULTURES DE L'ASIE DE L'ORIENT


Une autre perspective et philosophie, est celle des Katoeys en
Thaïlande, un pays où les transsexuels/les sont des héros / héroïnes.
La Thaïlande est chaque année le siège du concours de Miss Univers
des transsexuels, elle a les meilleurs chirurgiens du monde pour des
opérations de changement de sexe et a créé une société dans laquelle
les Katoeys, le nom avec lequel on reconnait les travestis, accaparent
le rôle principal dans les programmes de télévision, dans les pro-
ductions cinématographiques et les danses de cabaret disséminées
dans tout le pays. Les calculs les plus conservateurs supposent qu'un
minimum de 10.000 transsexuels vivent dans la capitale, Bangkok, et
que se réalisent plus de 1.500 opérations de changement de sexe par
an (implantation de poitrines et changement des organes génitaux).
Cependant, les transsexuels thaïlandais ne sont pas reconnus légale-
ment, ils continuent d'être hommes dans leurs cartes d'identité et ne
peuvent pas se marier. Cependant, leur succès a été si grand que les
autorités sanitaires de l'une des principales destinations touristiques
du pays, l'île méridionale de Phuket, ont commencé à promotionner
la région avec l'offre de « paquets touristiques » qui incluent soleil,
plage et changement de sexe. (D. 'Preecha Tiewtranon'. Un reportage
du Journal El Mundo51).

51 N. de la T. : Journal espagnol.


• 65
Vargas Llosa, dans un article publié par El País52, a rapporté sa
visite en Polynésie, où il s'est occupé des mahu, nom que donne la
langue maorie à un homme/femme, une variante des êtres humains
qui existaient depuis les temps immémoriaux dans les cultures du
Pacifique.
« Pour preuve de cela, sont les tableaux que Gauguin a peint du-
rant ses neuf années de vie à Tahiti et dans les Marquises, d'êtres
humains de genre incertain, qui partagent de la même façon le fé-
minin et le viril avec un naturel et une désinvolture semblable à la
manière dont ses personnages éclairent leur nudité, fusionnent avec
l'ordre naturel ou se livrent à l'oisiveté. Le mahu peut pratiquer l'ho-
mosexualité ou être chaste. Ce qui le définit n'est pas comment, ni
avec qui, la personne fait l'amour, mais le fait que, d'être né avec les
organes sexuels de l'homme, il choisisse la féminité, généralement
depuis l'enfance, aidé par sa famille et la communauté, et qu'il se soit
converti en femme, dans sa façon de s'habiller, de marcher, de parler,
de chanter, de travailler, mais pas nécessairement, d'aimer ».
De nos jours en Inde, grâce à la continuité culturelle de ses com-
munautés, l'existence des hijras53 perdure ; elles sont traditionnelle-
ment socialisées et protégées, bien qu'elles vivent dans des condi-
tions de marginalité. Elles partagent la vie de petites communautés,
presque conventuelles, sous la garde de l'une d'elles plus âgée. Elles
gagnent leur vie dans le service domestique ou la prostitution, mais
aussi avec des revenus rituels, puisqu'il est considéré qu'elles trans-
mettent de la chance aux mariés ou aux nouveau-nés, elles sont donc
invitées aux mariages et aux naissances. Dans la rue, elles déam-
bulent dans le respect général o ù elles sont continuellement ap-
prochées par les passants q u i leur demandent une imposition des
mains ou une bénédiction. Dans les degrés inférieurs de l'échelle so-
ciale du Pakistan, des eunuques - travestis, les hijras souffrent d'une
dure existence. Elles gagnent leur vie comme mendiantes, danseuses
et prostituées. Hijra signifie hermaphrodite, mais la majorité des
homosexuels sont travestis, certains d'entre eux sont passés par un
changement de sexe. Les hijras vivent dans des communautés de per-
sonnes transgenre et de personnes de condition d'intersexualité - en
majorité des hommes qui ont été châtrés – ils sont présents dans tout

52 N. de la T. : Journal espagnol.


53 N. de la T.  : Hijras ou jishra. Ce sont des eunuques, en General des
hommes, mais ils sont nominés au féminin.
66 •
le sud de l'Asie. Les kothis sont des hommes qui ont une sexualité
avec des hommes et qui se définissent eux-mêmes comme féminins
dans leurs relations sexuelles. L'Islam, non pas du point de vue moral
- qui a hérité de l'intransigeance des préjugés - a été plus tolérante en
tant que corps social.

UNE VIGNETTE EUROPEENNE


On pourrait se souvenir des exemples pris de la Grèce, de Rome
et des civilisations qui ont entouré la Méditerranée. Ce qui nous in-
téresse de cette histoire est le triomphe de la morale de Yahvé qui a
supprimé durant un millénaire et demi n'importe quelle reconnais-
sance publique de ces manifestations, reléguées à une clandestinité
la plus absolue, corrélée à d'épouvantables sentiments de faute, ou
même promise aux flammes des bûchers inquisitoriaux. C'est à peine
si l'on se souvient des noms dans la haute société française du Che-
valier d'Eon et de I 'Abbé de Choisy, et dans la tradition espagnole,
celui d'un aventurier de la péninsule et l'Amérique comme Antonio
de Erauso ('la religieuse sous-lieutenant') transgenre au masculin54.

UN SOUVENIR DANS NOTRE PAYS 55


L'histoire de Mariela Muñoz (Giberti, Et 1993) a constitué un
paradigme. Dans l'article que j'ai écrit à l'époque, j'ai soutenu :
« La pulsion scoptophilique s'est nouée autour d'une actualité
qui articulait des données inquiétantes et bouleversantes : un
homme ou une femme ? Elle fonctionnait en tant que mère
dans une double transgression : le changement d'identité des
créatures à sa charge, inscrites comme enfants biologiques, et
l'intervention chirurgicale destinée à modifier sa propre ana-
tomie ».
La transsexualité s'est instituée alors comme sujet de débat pu-
54 N. de la T.  : Appelé «  La monja Alférez  » («  La religieuse sous-lieute-
nant »), de nom de naissance Catalina Erauso y Pérez Galarrag. Cette
fille née en Espagne (XVIe siècle), s'est travesti en garçon dès l'âge de 15
ans et elle a réussi à joindre l'armée, puis, à faire partie des expéditions
en Amérique du Sud avec le degré de Lieutenant. S'installa au Mexique
ou elle est morte à l'âge de 65 ans, après de multiples voyages et aven-
tures. Entre les divers noms sous lesquels elle a voyagé et travaillé, un
c'était Antonio de Erauso.
55 N. de la T. : Argentine.
• 67
blic, au-delà des curiosités que celui- ci a réveillées, en incluant,
comme donnée dominante, la dimension de l'amour maternel. Les
radios et les chaines de télévision ont vite ouvert des enquêtes des-
sinées à mesurer l'opinion publique : les créatures devaient-elles
retourner avec Mariela Muñoz ou devaient-elles être adoptés par
une « famille normale » ou encore rendues aux mères d'origine qui
avaient cédé les enfants à Mariela ? Il semblait difficile d'inférer ce
que serait la tendance des réponses puisque ce qui était en jeu - et
en vue – c'était l'image d'une personne transsexuelle qui avait choisi
l'intervention chirurgicale pour « arranger » sa sexualité. Qu'est-ce
que la communauté pouvait sentir et penser face à ce qui se détachait
de quelque chose de si valorisé ?
On écoutait, exceptionnellement, les voix de professionnels du
Droit ou de la Psychologie qui émettaient des commentaires disqua-
lifiants. Mais on n'observait pas de réaction d'horreur ou de rejet
devant l'amputation des parties génitales de Mariela. Peut-être que
l'idéalisation du maternage - propre aux cultures patriarcales - a été
plus forte que la frayeur que la castration produit. Comme s'il était
possible de « lui pardonner l'aberrant de sa folie » au nom d'une
maternité spectaculairement montrée et défendue par elle. C'est-à-
dire, il s'était converti à un nouveau sexe, non pour être transsexuel
mais parce qu'il (elle) aimait. Une personne transsexuelle montrait
ses affects dans une dimension inespérée pour ceux qui considèrent
les trans comme pervertis ou fous. L'amour qu'elle portait à ces
créatures qu'elle changea en filles, après avoir élevées en tant que
telles d'autres enfants56. L'amour entre ceux-là « encore demande de
l'amour, le sollicite sans cesse » dira Lacan (1981). Je ne suis pas très
sure à propos de cette citation.
Dans un autre niveau d'analyse chez les cultures tehuelches et
puelches57, les chamans travestis sont documentés comme absents
au XVIIIe siècle, selon Sanchez Labrador, bien qu'ils apparaissent au
début du XXe siècle. De la même façon, le chamanisme araucan était
représenté par des homosexuels habillés comme femmes.
« Chez les araucans des pampas argentines, un jeune de
constitution délicate qui agissait plus comme une jeune fille
que comme quelqu'un promis à un avenir guerrier n'était pas

56 N. de la T. : M. Muñoz, éleva 17 enfants et compte aujourd'hui 30 'grands


enfants'.
57 N. de la T. : Des peuples originaires du sud de l'Amérique du Sud.
68 •
pour cela méprisé, ni un objet de moquerie. Ses tendances
étaient stimulées puisque on l'habillait comme une femme ;
une apparence efféminée était, chez un homme, la marque ex-
térieure de sa vocation chamaniste ».
Retournons maintenant aux mots avec lesquels la science a caté-
gorisé le sujet du transgenre : Les dysphories de genre.
L'expérience clinique actuelle a permis de raffiner les idées origi-
nelles à propos desdits désordres de la sexualité, du sexe et du genre.
Ainsi a t-on inclus la dysphorie de genre (gender dysphoria, traduit
comme malaise) qui se rapporte à la non-conformité avec le « propre »
sexe et le désir de posséder le corps du sexe opposé et de regarder celui
qui a le même sexe comme étant du sexe opposé.
La création du concept de dysphorie de genre, selon certains
auteurs, appartient à Stoller (1985), mais Bodlund et Alter (1993)
soutiennent que c'est Fisk qui l'a créé en 1974. Il a marqué une dis-
tinction entre sexe et genre et a fait de même entre transsexuels, tra-
vestis et homosexuels. Ces nouveaux critères ont permis d'inclure la
« nature » des transsexuels positionnés comme étant une dysphorie
extrême si ladite transsexualité a eu une durée minimale de deux
ans (selon la nomenclature du DSM-III-R-1987). Alors que le traves-
tisme, initié entre la puberté et l'adolescence, q u i consiste habituel-
lement à s'habiller avec les vêtements de l'autre sexe (habituellement
des hommes avec des vêtements de femme), constitue une modalité
qui s'accompagne d'une excitation sexuelle - considérée comme une
dysphorie légère. Une analyse focalisée sur le travestisme peut se
trouver dans Giberti, Et. 2001 et 2002.
La dysphorie du genre, qui peut causer une tension, ne s'asso-
cie pas nécessairement aux classifications psychopathologiques, on
a l'habitude de la considérer comme une réponse normale devant
l'incongruité expérimentée par la personne, entre le genre, identifié
comme propre, « inséré dans le cerveau » et le genre assigné confor-
mément au sexe physique.

UNE VISION MINIMALE HISTORIQUE DE LA DISCRIMINATION


La persécution des travestis ainsi que des transsexuels et des per-
sonnes transgenre, trouve en général ses origines dans diverses règles
établies contre les homosexuels, imposées par la religion chrétienne
au bas Moyen Âge. À ce sujet, l'œuvre de J. Boswell (1973) est éclai-
rant. Les documents publiés dans la revue Transgéneros : une synthèse

• 69
et des ouvertures 5158 permettent d'évaluer l'histoire de l'homosexua-
lité durant cette période. Quant à Phillip Aries (1987), il se rapporte
à l'époque dans laquelle l'homosexualité se reconnaît comme une
maladie ou une perversion et il la situe entre le XVIIIe siècle et le
début du XIXe. Durant cette période, la notion de l'homme homo-
sexuel était associée avec celle du travesti et du pédophile, critère qui
selon Pollak (1987) aurait été modifié au XXe siècle.
Dans notre pays, ce sont les médecins qui ont adhéré à la cri-
minalisation et la judiciarisation des homosexuels et par extension
des travestis : on les a classés comme « inversés » et on a compté sur
la police pour les arrêter, sans qu'il fût nécessaire qu'ils provoquent
« un scandale dans la rue » ou qu'ils s'offrent à la prostitution. Le
critère persiste – il suffit de se rappeler la bataille légale provoquée
autour du Code de Cohabitation sanctionné par la Législature de la
Ville Autonome de Buenos Aires - bien que ces personnes ne soient
pas désignées comme des inversés59.
Dans n'importe laquelle des descriptions juridiques, dérivées
d'une médecine légiste ou de la psychiatrie, l'habitude est de classi-
fier celui que l'on considère l'homosexuel passif - travesti ou non –
par rapport à celui qui est considéré actif. À partir de cette différen-
ciation élémentaire, on a pris l'habitude d'avancer idéologiquement
dans la caractérisation d'un délit ou d'une pathologie.
La peur, face au différent, en prenant comme paradigme de la
normalité la classification binaire homme / femme, se convertit
communément en actes agressifs, discriminatoires, et caractérisés
par la haine envers les victimes.

LA SPIRITUALITE
La défense des droits des personnes transgenre, comme je l'ai
énoncée dans mes travaux antérieurs (Giberti, Et. 2002 et al.), a be-
soin d'une énumération soigneuse qui doit inclure aussi bien les pro-
blèmes qu'elles peuvent trouver dans leurs emplois comme James
Green l'a décrit, jusqu'à l'usage de cartes de crédit. À ce niveau, une
coalition démocratique est indispensable pour habiliter les pratiques
qui sont nécessaires afin de dénoncer les violations de ces droits et

58 N. de la T. : Revue argentine. Trangenre : une synthèse et des ouvertures,


n° 51.
59 N. de la T. : Au début des années 2000.
70 •
pour en même temps en soigner la diffusion et l'éclaircissement des-
tiné aux communautés.
Cette attitude n'est pas antagonique avec l'évaluation de
conduites de certaines personnes transgenre, ainsi que l'utilisation
de catégories cliniques qui permettent d'observer avec un critère
diagnostique les structures psychiques diverses desdites personnes.
Les différences dans la structuration du psychisme ne semblent pas
indiquer l'existence d'une modalité commune et partagée entre les
personnes transgenre. Parmi celles-ci, il est possible de trouver des
dérangements et des modalités dépressives, schizoïdes, paranoïdes,
hystériques et, pour le dire d'une autre manière, des équilibres de
coexistences (ceci n'est pas une catégorie nosologique, mais consti-
tue un critère qui, bien que dangereux, s'avère très utile pour éclairer
certains des cas). De la même façon qu'il arrive dans les univers non
– transgenre.
Ma pratique clinique m'a permis de remarquer une coïnci-
dence entre les personnes homosexuelles et transsexuelles avec qui
j'ai maintenu une relation professionnelle. Par ailleurs, la révision
bibliographique m'a conduit à un apport de Jed Chandler qui dé-
bouche sur la même observation, et non par hasard, puisqu'il cite
l'auteur-même auquel j'avais pensé lors d'une révision de mes ré-
flexions cliniques où apparaissent des entrevues avec des personnes
transgenre. Je parle ici de Jan Morris, écrivain et journaliste trans-
sexuel, dont la biographie rappelle que, lorsqu' il avait cinq ans, il
s'est rendu compte qu'il devait être une petite fille et non pas un
garçon. Cette donnée semblerait être systématiquement partagée
par les personnes transgenre et ceci nous renvoie à l'interprétation
psychanalytique qui localise dans la première enfance les proces-
sus d'identification à la mère. Pourtant, celle-là n'est pas la coïnci-
dence que je veux souligner, mais l'apparition, durant les interviews
ou dans certaines des biographies écrites par des transsexuels, d'un
discours qui tend vers la spiritualité. C'est-à-dire, non seulement la
marque d'une différence « superficielle » des personnes transgenre,
associée à une spiritualité illuminée, mais l'intervention divine dans
leurs actes. Jan Morris, après s'être rapporté à sa double expérience
sexuelle l'associe avec ses voyages en Orient et avec les descriptions
qui sont assimilées à un désir d'initiation. Il synthétise ses expé-
riences en mentionnant un 'higher path', trajectoire supérieure des-
tinée à surpasser le sexe et le genre comme une expérience dont ces
personnes pourraient disposer ou essayer d'atteindre. Je reproduis

• 71
un segment de Conundrum60 dans lequel Morris décrit les moments
antérieurs à son intervention chirurgicale : « James Morris Sort, Jan
Morris entre, par la médiation de la technologie médicale de la fin du
XXe siècle, dans cette histoire merveilleusement 'orientale', presque
religieuse de transformation ». J'ai personnellement écouté des ex-
pressions semblables, ainsi que des dires des diverses cultures dans
lesquelles les personnes transgenre sont choisies comme des cha-
mans et des guides spirituels. Dans ceux qui ainsi se positionnent, le
genre acquiert une vigueur tutélaire qui s'étend au-delà de l'identité
transgenre (particulièrement chez les transsexuels). Tutélaire dans
le sens de disposer d'une intuition (d'un regard) qui les différencie
des autres gens et les positionne dans l'aspiration d'une initiation
spirituelle dérivée de leur état transgénérique. Soit que ces personnes
comptent sur des expériences de pureté et de bonté associées à une
souffrance qu'on peut qualifier de spirituelle et qui ne semblerait pas
être étrangère à une inclusion personnelle dans un monde sacré, soit
la perception d'elles-mêmes et du monde, en tant que nous consi-
dérons la perception comme objet de connaissance, qui inclue une
dimension qui, selon d'autres catégorisations, aurait les manifesta-
tions du délire. Millot, C. (1984) a apporté dans ce même sens son
écrit « Le sacré il(elle) se trouve au centre de l'énigme transsexuelle ».
Cependant, si on a recours à d'autres lectures nous devrons nous
introduire à ce que Jung a dénommé le coincidentia oppositorum,
la réconciliation des opposés, qui rétablirait, dans la tradition her-
métique l'Unité primordiale. La dite Unité ne pourrait pas être
construite si les êtres humains ne réussissaient pas à surpasser le
partage des deux principes opposés, du féminin et du masculin. Pas-
ser continuellement par l'alternance femme / homme comme cela
arrive chez les personnes transgenre (et même chez celles qui ont été
opérées chirurgicalement) peut-être actualise, non seulement le « sa-
voir à propos de l'autre sexe », mais aussi génère la prétention d'une
position supérieure comparée à la vie des gens hétérosexuels. Cette
position est celle que l'on adjuge à l'Androgyne Primordial.
La présence d'androgynes et d'hermaphrodites dans les textes
ésotériques et dans les paroles des hermétiques, en plus de l'icono-
graphie préhistorique antérieurement citée, nous autorise à penser
à l'existence de ces personnes dans les civilisations antiques, ainsi

60 Cunundrum est le nom utilisé au Tibet, comme partie de l'histoire des


Lamas : Karmapa Conundrum, The Budda Cries, L'Enigme du Karma-
pa.
72 •
qu'au caractère de registre perceptuel qui était mis en jeu pour coha-
biter avec elles.
Alors, au-delà des apports pourvus par la clinique (qui ne consti-
tuent pas le sujet de ce travail) et des politiques militantes, il est pos-
sible d'ajuster le discours initial à propos des personnes transgenre
lorsqu' on disait qu'elles étaient des femmes avec corps d'homme et
vice versa. Je reprends les mots de Castel :
« Il s'agit, simplement d'une certitude, dans un premier moment
négatif, de ne pas être à sa place dans son corps à laquelle il s'ajoute
comme construction effective et sans doute par suppléance, des
identifications intenses avec des images sexuées très aimées. De là
la convenance de séparer les sentiments de non-appartenance à son
sexe de naissance (d'être hors-sexe) et ces sentiments d'appartenir
au sexe opposé ».
Changer de sexe serait une manière « raisonnable » de sur-
passer un malaise beaucoup plus profond et radical, qui touche la
propre existence inscrite dans le corps. Ce critère pousse à raffiner
les pensées et les perceptions d'après une perspective bioéthique à
propos de cette catégorie humaine qui renvoie à l'existence du sujet.
En même temps, cela éclaire une plus grande question : pourquoi
penser que nous-mêmes, ces personnes que nous inscrivons avec
des lettres majuscules dans le Livre de la Vie61, nous synthétisons,
concentrons et représentons l'univers du possible ? Les personnes
transgenre ne sont-elles pas inscrites dans ce Livre ? Ou peut-être
leur nom a t-il été supprimé ? Pourquoi déduisons-nous que la dis-
cipline qui prétend embrasser l'explication, le diagnostic et le traite-
ment recommandable pour vivre ensemble avec les personnes trans-
genre peuvent prendre possession et clôturer la compréhension et la
connaissance de ce que sont les personnes transgenre ? Au lieu de
telles inférences, il faudrait inclure la certitude de nos ignorances au
sein de l'ontologie.

61 Le Livre de la Vie : dans la tradition juive le salut dans Rosh Hashaná


consiste « En ce que tu sois inscrit pour du bon dans le Livre de la Vie »
et lors du yon kipur « que tu sois signé pour du bon dans le livre de la
vie ». Et à l'Apocalypse ('Jean' 3:5) : « Celui qui arrivera à échéance sera
habillé de vêtements blancs ; et je ne bifferai pas son nom du livre de la
vie, et je confesserai son nom devant mon père, et devant ses anges ».
• 73
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Note *2001 Gender Education and Advocacy, Inc. GEA est une orga-
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76 •
LA SEXUALITÉ MASCULINE.
UNE ÉTUDE PSYCHANALYTIQUE DU GENRE. 62
PREMIERE PARTIE 63
Irene Meler 64

CADRE THEORIQUE
Notre cadre théorique reconnaît dans la construction de la sub-
jectivité, l'effet conjoint des structures de pouvoir et d'érogénéité des
corps. Il s'agit d'une relation complexe, qui ne peut pas être réso-
lue en rajoutant seulement de nouveaux concepts. Du point de vue
intersubjectif, je me réfèrerai au désir d'une manière différente de
ce qui était habituel dans les premières études psychanalytiques,
lesquelles ont pris comme clé pour leur compréhension l'érotisme
zonal et partiel considéré hors contexte. Le désir surgit au sein des
liens avec autrui, dont le mot et le regard des autres significatifs en-
registrent leurs marques particulières sur les corps sensibles. À leur
tour, les liens d'intimité se développent dans un environnement so-
cial et historique où se déroulent des pratiques collectives réitéra-
tives. C'est bien là où l'on partage, on discute les représentations et
les valeurs concernant les plaisirs et le pouvoir qui circulent dans les
rapports entre les gens. Les inscriptions qui créent des particularités
désirantes de chaque sujet, se produisent ensuite, dans un contexte
interpersonnel qui peut être caractérisé par des relations de pouvoir
et de la résistance circulant à ce propos.

62 Texte extrait du Chapitre 4 : Burin, M. et Meler, I. (2009) Varones (Les


Hommes), Buenos Aires : Paidós..
63 Traduction Pilar Errázuriz Vidal, révision Francoise Hautot, 2016.
64 Docteure en Psychologie, coordinatrice du Forum de Psychanalyse
et Genre de l'Association de Psychologues de Buenos Aires (APBA)
depuis vingt ans. Directeure du Séminaire d'Actualisation en Psycha-
nalyse et Genre (APBA et Université John F. Kennedy en Argentine).
Chercheuse dans des universités argentines et latin américaines. Entre
ses plus connues publications se trouvent : Burin, M ; Meler, I. Famille
et Genre, 1998 / 2000, Paidós : Buenos Aires ; entre autres. Son dernier
livre, Recomenzar, amor y poder después del divorcio, Recommencer  :
Amour et Pouvoir après le divorce, 2013, Paidós : Buenos Aires, réédité
en 2016.
• 77
Le système de genre peut être considéré comme un dispositif
social qui intervient et définit la constitution première de la subjec-
tivité. On ne peut pas se référer à un enfant neutre, d'autant plus
que, même avant la naissance, il y a un réseau d'expectatives ou des
projets identificatoires préparés par les parents, se polarisent selon le
sexe. Les destins des pulsions ont tendance à se différencier pour les
femmes et pour les hommes, ainsi que les modalités défensives que
le Moi produit, le caractère des idéaux proposés pour le Moi et les
sanctions émanant de la conscience morale ou Surmoi.
La reconnaissance de cette tendance qui organise les subjec-
tivités, n'implique pas de ne pas connaitre la spécificité de chaque
être humain. Notre pensée est constamment tiraillée entre des an-
tinomies qui sont à la fois nécessaires et limitatives. Le général et le
particulier étant l'une d'elles constitue une fausse opposition, parce
que la particularité du sujet ne peut pas empêcher la description des
tendances dominantes ni la formulation de principes généraux.
D'après ces considérations, il est possible de prendre comme ob-
jet d'analyse l'exercice de la sexualité masculine, puisque le magma
pulsionnel partiel de l'enfant s'organise d'une manière préétablie par
les représentations collectives sur la masculinité et la féminité, repré-
sentations qui sont, à l'heure actuelle, dans un processus de muta-
tion. N'oublions pas que Freud s'est débattu inutilement en essayant
de définir la féminité. Quant à la masculinité, il ne s'est même pas
posé la question de son analyse. Dans ce cas-là, il a manqué de la
distance nécessaire pour construire un nouvel objet de recherche.
Aujourd'hui, nous considérons que la féminité et la masculinité
sont des constructions collectives qui condensent l'expérience des
générations passées, et qui contiennent un réseau complexe de pres-
criptions et proscriptions pour la subjectivité et le comportement de
chaque sexe. Ces régulations construisent des réalités qu'elles croient
décrire, à travers d'un processus réitératif de la vie quotidienne qui a
été appelé par Judith Butler (1993) « caractère itérable et citationnel ».
Les systèmes de genre ont été marqués jusqu'à présent par la domi-
nation masculine, et ce mode de relation entre les genres a contribué
à façonner des subjectivités.
Donc, nous voyons que, en ce qui concerne la sexualité des
femmes, l'acculturation dans la subordination s'est mystifiée sous
les étiquettes de dévouement, de donation et d'amour romantique ;
dans la sexualité masculine, l'association entre le plaisir et la position
d'emprise est clairement manifestée, restant en latence, bien que tou-
78 •
jours présente, la possibilité de jouir érotiquement de la passivité, de
la dépendance et de la soumission.
La dénomination d' « abject », élaborée par Judith Butler pour
désigner les corps qui se trouvent dans la marge nécessaire à l'ordre
symbolique, est particulièrement appropriée pour ceux qui re-
noncent au privilège de la validation et qui souhaitent paradoxa-
lement de jouir dans une position dégradée. Cependant, ceux qui
ont étudié les rapports de domination érotique dans une perspec-
tive psychanalytique de genre, (Benjamin, 1995 ; Kaplan, 1996), ont
souligné qu'il y a une identification réciproque entre les deux par-
ticipants de la scène, et qu'il y a une jouissance par identification
projective avec le « partenaire », par lequel la polarité générique est
subvertie et se révèle finalement comme étant illusoire.
L'ombre de la claudication et la peur d'une disqualification, sans
cesse menacent le parcours de la sexualité masculine, et les sanctions
implicites constituent une tentative pour rassurer tout le monde
quant à l'efficacité de la puissance attribuée aux hommes. Il circule
un avertissement menaçant de l'attente de sanctions sociales pour
ceux qui ne méritent pas de rester dans le collectif dominant. Cela
peut se comprendre si l'on pense que la masculinité et la féminité ont
été construites depuis un processus collectif de scission entre les ten-
dances infantiles et les tendances adultes, vulnérabilité et force. Pour
cette raison, les aspects scindés contiennent une menace constante
de réunification.
Nous pouvons considérer que ce qui a été dissocié ne répond
pas aux caractéristiques féminines ou masculines reconnaissables,
mais plutôt, à un mode imaginaire de la distribution entre les sexes,
d'un côté la détresse de l'enfant et de l'autre, la puissance attribuée
aux adultes.

LA SEXUALITE MASCULINE HEGEMONIQUE


Joseph Vincent Marqués est l'auteur d'un livre intitulé « Qu'est-
ce qu'il fait le pouvoir dans ton lit ? »65 (1987), où par le biais de
prose désinhibée et transgressive, il explore les représentations et les
pratiques collectives qui sont déployés dans le domaine de la sexua-
lité. Je vais prendre son texte comme guide pour la première partie
de ma réflexion, puisque c'est un discours d'homme. C'est en fait un
65 Traduction à la lettre du titre en espagnol : ¿ Qué hace el poder en tu
cama ?
• 79
homme dont la pensée s'inscrit au sein des critiques de la masculi-
nité hégémonique traditionnelle. Par conséquent, il trahit le « code
d'honneur » viril en quelque sorte, lorsqu'il met en mots les aspects
tacites de celui-ci. Sa description correspond à mon expérience en
tant que psychanalyste, et je trouve qu'il est préférable de parler d'elle
au lieu d'abuser des vignettes cliniques.
Les hommes sont décrits comme pris au piège dans un réseau de
discours contradictoires, où le sexe d'une part est considéré comme
un péché et d'autre part, où ils sont incités à une pratique sexuelle
compulsive manquant d'affection, avec le but de rassurer leur virilité.
Je crois que ce régime contradictoire est commun à tous les su-
jets contemporains, puisque coexistent en nous les restes des anciens
impératifs ascétiques du moyen-âge avec la version post-moderne
d'un Surmoi qui demande instamment à jouir, scénario utilisé pour
l'identification avec le Moi Idéal.
L'impératif de la jouissance reflète l'intronisation du sujet et l'an-
goisse face à la mort. Ne croyant pas à la récompense de l'au-delà, dé-
couragé face aux pronostics douteux des efforts professionnels et édu-
catifs, le sujet postmoderne a de la peine à construire des idéaux pour le
Moi et cherche, au contraire, des raccourcis sur la voie de la consécra-
tion narcissique. Mais il est également nécessaire de reconnaître qu'il y
a une répartition inégale de l'impératif de jouissance et de la censure.
Les femmes, même les plus modernisées, subissent un processus où la
censure de l'expression de pulsions est stimulée. Les hommes font une
récompense du plaisir sexuel par l'exposition virile et en même temps
un emblème de son appartenance au groupe dominant. Censure et inci-
tation ont donc une répartition inégale selon le genre.
En raison de son association avec la domination, l'une des ca-
ractéristiques de la sexualité masculine est de se vanter. Les mâles
mentent ou exagèrent pour maintenir leur prestige devant leurs
pairs. Dans de nombreux cas, le récit fait partie du plaisir. Dans une
perspective psychanalytique, nous pensons qu'ils convoquent des tiers
à la place des exclus dans la scène primordiale, y déposant la privation
et la douleur de l'enfant face à l'union sexuelle des parents, pendant
que le sujet, lui, se situe à la place de son père, admiré et envié. Ce qui
est clair, c'est qu'il s'agit d'une scène érotique très colorée par le nar-
cissisme, où la femme fonctionne presque comme un prétexte pour
déclencher la convoitise des autres et gagner leur admiration.
Il y a une certaine nuance homo érotique, car, plus que l'amour

80 •
de la femme ou le plaisir partagé avec elle, ils aspirent au plaisir
obtenu dans le groupe des amis hommes à travers l'évocation des
rencontres sexuelles. Les activités de masturbation collective qui se
produisent parfois dans certaines bandes d'adolescents, à l'aide de
revues pornographiques (Lafont, 1987), sont des exercices qui ré-
vèlent de la même ambiguïté. Avec cela, je ne suggère pas que ce sont
des situations comparables avec les pratiques homosexuelles, mais
que ce sont des situations dans lesquelles on registre un investisse-
ment du Moi, du pénis et de l'activité sexuelle même, tout comme
de ses pairs. Le désir hétérosexuel est insuffisamment établi dans ces
cas-là et la femme fonctionne comme alibi et objet de décharge pour
ce qui est du désir, donc une pratique, définitivement, auto et homo
érotiques.
David Maldavsky (1980), dans une discussion au sujet des carac-
tères masculins chez les femmes, désigne le célèbre roman de Daph-
ne Du Maurier, Rebecca, une femme inoubliable. Il interprète les
confidences que Rebecca fait à la femme de ménage, Mme. Danvers,
sur ses aventures érotiques, comme étant l'expression d'une fidélité
homosexuelle entre elles deux, où les hommes fonctionnent comme
intermédiaires. Les scènes ‘glorifiées' entre hommes expriment le
même type de lien et constituent un lieu commun de la masculinité
traditionnelle.
Emilce Dio Bleichmar, dans une communication personnelle, a
exprimé que de son point de vue, on comprend mieux ces pratiques
et ces attitudes à partir du référant au narcissisme du genre. Je crois
qu'il est nécessaire de réfléchir quel est le sens que nous accordons à
la notion de « narcissisme ». Si l'on se réfère à l'investissement éro-
tique de l'image de soi, qui est accompagné par un sentiment d'élé-
vation de l'estime de soi, nous pouvons articuler les notions de nar-
cissisme et d'érogénéité.
Il est nécessaire d'ajouter une autre réflexion. Quand je pense que
dans ces groupes de rencontres entre adolescents mâles, il y a un inves-
tissement libidinal dirigé vers le propre Moi et ses pairs, je ne suggère
pas que toute relation homo érotique soit par définition narcissique, un
argument que je récupérerai plus tard. Il est possible de trouver une ex-
trême incapacité à reconnaître l'altérité dans le contexte des liens hété-
rosexuels et il y a des rapports homosexuels dans lesquels on est arrivé
à une connexion intersubjective satisfaisante et au développement de
l'empathie. L'expression « auto investissement de l'image de soi » est
peut-être la plus précise pour caractériser ce phénomène.
• 81
Le revers obscur du fait de se vanter, est la peur de l'individu
d'être défavorisé par rapport aux autres mâles. L'envie du pénis est
masculine, étant donné que souvent les hommes perçoivent leur pé-
nis comme étant petit par rapport à ce qu'ils ont observé chez leur
père, leurs frères ou leurs amis. Fait intéressant, la comparaison et
l'affichage du pénis s'intensifie dans la sous-culture homosexuelle
masculine, où les transactions érotiques sont établies dans de nom-
breux cas sur la base de l'affichage de la puissance érectile dans le do-
maine des urinoirs. Apparemment, le désir de dissiper tout soupçon
d'efféminement par les homosexuels qui se vantent de tenir le rôle de
celui qui pénètre, (« miches » au Brésil, « coccinelles » au Mexique,
etc.), ce qui hypertrophie la glorification virile.
L'obsession de la performance est un autre emblème de la mas-
culinité hétérosexuelle « normale » qui s'exécuter même sans désir,
pour ne pas décevoir les attentes des femmes, se motiver par des
images fantasmées lorsque la réalité est décevante, penser à l'an-
nuaire téléphonique pour retarder l'orgasme, etc., constituent la
contrepartie des orgasmes forgés de toutes pièces par les femmes qui
jouent leur rôle dans la comédie érotique.
Marqués dit :
« Dans quelle mesure la répression de la masturbation encou-
rage-t-elle une envie d'éjaculer à l'intérieur de la femme, qu'il
ne faut pas confondre avec d'autres facteurs qui incitent l'obses-
sions du coït ? Que se passe-t-il physiquement et psychologi-
quement chez l'homme qui pense maintenant qu'il sera très mal
évalué s'il ne réalise pas le coït ou au moins s'il n'éjacule pas ? ».
Cette hypothèse coïncide avec la position de Luce Irigaray
(1974) : l'homme aime son pénis et utilise les femmes pour le pro-
téger de la menace de la castration. C'est pourquoi l'Auteure expli-
cite que l'impératif freudien du changement de zone érogène chez
les femmes, c'est-à-dire le déplacement de l'érogénéité du clitoris au
vagin, coïncide avec la proscription de l'auto érotisme masculin en
raison de la menace de la castration.
Performance sexuelle canonique qui conjure les fantasmes
d'inceste, de châtiment et d'impuissance qui affligent les hommes.
L'investissement narcissique du pénis et de l'excitation sexuelle
masculine, est une priorité en ce qui concerne la relation avec les
femmes, puisque, comme le soulève Emilce Dio Bleichmar (1985),
notre culture n'a pas encore installé une représentation collective de

82 •
la castration symbolique, et cela se traduit par le fait que demeure
en vigueur l'attribution imaginaire de toute-puissance pour l'un des
genres. Dans chacun de leurs actes quotidiens, beaucoup d'hommes
s'efforcent de soutenir cette illusion.
Pour Marqués, la rigidité sexuelle de beaucoup d'hommes, qui
répètent une conduite stéréotypée avec des femmes différentes, ré-
fère à ce qu'ils ont eu des relations sexuelles précédées de la sensation
de « faim » et marquée par l'obsession inconsciente de l'accomplis-
sement d'un rôle.
L'initiation avec des prostituées, qui existe toujours chez nous,
marque un jalon important dans l'apprentissage du comportement
sexuel masculin, où les garçons apprennent que la sexualité est une
chose au sujet de laquelle on ne parle pas beaucoup, mais qu'ils
doivent pratiquer en cachette et qu'on attend d'eux un accomplisse-
ment adéquat pour démontrer qu'ils ne sont plus des enfants et qu'ils
ne sont pas des homosexuels ; que les femmes sont des objets utili-
sables pour des fins narcissiques et que les rapports sexuels sont des
conduites clandestines qui augmentent l'estimation du mâle tandis
qu'elles rabaissent la femme.
L'association entre sexualité masculine et sadisme anal est très
forte, car elle est révélée par la grande diffusion des blagues obscènes
et pornographiques. Les auteurs de la Nouvelle Recherche, (Chasse-
guet-Smirguel, 1977) mettent en rapport les difficultés féminines
pour aboutir à l'orgasme avec le contre-investissement du sadisme
anal, ce qui explique le référant à la culpabilité féminine, la crainte
d'endommager l'objet d'amour, l'idéalisation du père lors du change-
ment d'objet, etc. Il est possible d'observer que souvent les femmes
idéalisent les hommes et se laissent elles-mêmes de côté pour leur
faire plaisir, renonçant donc à toute demande érotique spécifique.
Mais pour quelle raison les mâles ont-ils du plaisir parfois à dominer
et dénigrer les femmes ?
Si nous cherchons des fondements familiaux et subjectifs pour
comprendre la propension masculine à une certaine violence et dé-
gradation de la sexualité, nous pouvons nous référer au besoin géné-
ralisé de se détacher de l'identification avec la mère et la dépendance
primaire à celle-ci. Comme nous l'avons vu, Stoller (1968) considère
que le nécessaire processus de dés-identification à l'égard de la mère,
décrite par Greenson (1995), est le principal déterminant de la dif-
fusion d'un style de masculinité misogyne, homophobe, sadique et
pervers. L'absence d'un modèle de masculinité précoce, qui est due à
• 83
la distance habituelle du père en ce qui concerne les jeunes enfants,
stimule l'hypertrophie des différences et la construction d'une for-
mation réactionnelle contre la féminité.
Il y a un lien structurel entre éducation maternel exclusif, avec
la stimulation qui en découle de l'identification initiale des nour-
rissons avec leur mère, et les pratiques que les institutions dans des
périodes ultérieures de la vie stimulent en tant qu'attitudes viriles
(Chodorow, 1984). C'est une résolution spasmodique du dilemme
soulevé entre la régression à la dépendance versus la nécessité de
développer des attitudes d'indépendance et de courage. C'est comme
si les groupes humains cultivaient la fusion pour la déchirer par la
suite avec cruauté, générant une sorte de paradis perdu enfantin et
vaguement déshonorant. L'homme violent et obscène est une figure
réactive par rapport à ce qui est doux et aux « bonnes manières » de
l'école maternelle.
Freud (1931) se réfère à un certain mépris masculin normal pour
les femmes, - ces créatures sans pénis-, dérivé de l'angoisse de castra-
tion et dit que lorsqu' il est accentué, il peut déterminer un choix ex-
clusif homosexuel. La masculinité telle qu'elle a été construite dans
les sociétés traditionnelles produit une relation trouble et non réso-
lue en ce qui concerne l'homosexualité, qui n'est parfois que l'expres-
sion exacerbée de certaines attitudes mâles hétérosexuelles. Entre un
mâle qui a besoin de s'exciter en étant dominant et dégradant envers
sa compagne, et celui qui trouve les femmes écœurantes, d'un point
de vue érotique, il y a qu'un pas.
Víctor Seidler (1995) se rapporte au dégoût que beaucoup
d'hommes expérimentent après un rapport sexuel, et que certains
textes médicaux ont appelé « aversion pour le couple », conséquence,
peut-être, de l'angoisse de la perte de contrôle rationnel impliquant
l'excitation sexuelle. Cette expérience est rejetée, dit l'auteur, en
raison de la tradition culturelle du siècle des lumières, qui valorise
avant tout la rationalité et le contrôle comme faisant partie de leur
masculinité sociale, en projetant la sensibilité et la corporéité dans le
genre féminin. J'ai l'impression que c'est un phénomène beaucoup
plus vaste.
Comme nous l'avons vu, Godelier décrit chez les Baruya de
Nouvelle-Guinée66 des angoisses diverses associées à des relations

66 N. de la T. : L'auteure se réfère à l'étude anthropologique fait par Godelier


sur la culture Baruya à Papouasie, Nouvelle Guinée entre 1967 et 1988.
84 •
sexuelles qui sont considérées comme polluantes. Les femmes ont
tendance à être perçues comme épuisantes et extractives en ce qui
concerne le sperme qui représente l'énergie et en même temps
comme des êtres qui polluent avec leur féminité, alors que cette
culture est loin de tout éclaircissement ou attitude rationaliste.
Un film argentin de Eliseo Subiela ; « Le côté obscur du cœur », pré-
sente une image fantastique de ce qu'il appelle « le lit aux piranhas »,67
c'est-à-dire un lit qui jette dans un gouffre le partenaire sexuel fe-
melle après un rapport sexuel. Il est facile de comprendre qu'il s'agit
d'un renversement défensif des craintes imaginaires d'être l'englouti
dans le corps de la femme. Cette crainte peut être liée au rejet de
la tentation régressive. N'oublions pas que les désirs régressifs sont,
selon David Gilmore (1990), une condition rejetée par l'impératif
social de la masculinité.
La pseudo hypersexualité constitue un autre emblème masculin.
J.V. Marqués dit : « ...ils étaient des hommes et se sont fâchés de ce
que quelqu'un doute du fait que la sexualité les amusait… ».
Dans notre régime contemporain de la sexualité c'est bien tout
cela qui se produit. Il est possible que dans les temps où l'ascétisme
chrétien a été une valeur très élevée, on supposa une insensibilité
érotique, ou du moins la possibilité d'une résistance au désir sexuel.
En revanche, le désir érotique satisfait est aujourd'hui un emblème
masculin narcissique. Comme nous l'avons vu au chapitre II, Gil-
more (1990)68 se rapporte aux hommes des différentes cultures qu'il
a comparé, et il conclut que tous sont évalués par leur puissance
sexuelle et par la capacité d'imprégner les femmes. Je crois que dans
les cultures avec des économies de subsistance, qui dépendent pour
leur survie de maintenir leur population au-dessus de certaines li-
mites, la capacité d'insémination élève l'auto-estime virile. Dans les
grandes villes super peuplées, ceci n'est pas l'emblème principal, ce
qui n'empêche en rien la souffrance des hommes infertiles puisqu'il
existe une association imaginaire entre infertilité et impotence. La
prédisposition désirante et la capacité pour soutenir une érection

67 N. de la T. : Les piranhas ce sont des petits poissons carnivores qui de


trouvent dans la rivière de l'Amazonie.
68 N. de la T. : David Gilmore a fait des études comparatives de la masculi-
nité dans diverses cultures : dans les pays méditerranéens, au Japon, en
Amérique du Sud et du Nord, à l'Inde, Chine, Océanie, Afrique de l'Est
et dans la Grèce antique.
• 85
jusqu'à obtenir l'orgasme féminin, maintient aujourd'hui leur place
comme demande sociale pour les hommes.
Cette association imaginaire entre l'érection et l'orgasme fémi-
nin n'est pas validée par l'expérience : certaines études, en particulier
celle de Masters et Johnson (1966) révèlent le rôle du clitoris dans
la résolution de l'orgasme chez les femmes. Néanmoins, c'est une
croyance qui est responsable de l'abandon de la sexualité génitale de
beaucoup d'hommes d'âge mûr. En avertissant qu'ils ne peuvent pas
maintenir une érection, ils s'éloignent de tout contact sexuel pour
éviter les déceptions, et de ce fait ils se soumettent et soumettent
leurs épouses à une privation sensorielle pathogène.
Il y a quelques modèles alternatifs, tel que celui proposé par John
Moore (1994), qui, après avoir décrits ses propres troubles - ceux de
la plupart des contemporains mâles d'âge mûr – face aux change-
ments des rôles de genre, propose une sexualité décentrée de l'or-
gasme et du coït. Ces pratiques sexuelles alternatives se fonderaient
sur la tendresse, sans chercher à obtenir une résolution compulsive,
créant un climat érotique qui, peut-être, à un moment donné, se ter-
mine par un orgasme, soit par pénétration ou par une stimulation
mutuelle par le biais de caresses. Cette proposition est attachée chez
l'auteur à d'autres sphères de l'existence, tel que remplacer la volonté
de progrès technologique par une analyse de la subjectivité et ré-
soudre le chômage à travers l'auto-emploi créatif. Nous voyons qu'il
y a une recherche de restructuration face à l'impact du chômage, de
la libération des femmes et du vieillissement. Ceci nous informe sur
le coût subjectif qu'impliquent la masculinité traditionnelle et l'exis-
tence d'une crise profonde à l'heure actuelle.
Marqués a aussi accepté une proposition de modification des at-
titudes très répandues chez les hommes, qui prend comme modèle
pour la sexualité masculine, la sexualité féminine :
« Donc elle est allée voir la féministe et celle-ci lui expliqua que
les femmes avaient vu leur sexualité d'abord niée et ensuite in-
terprétée strictement comme le désir de faire ce que l'homme
voulait faire avec elle. Elle lui a expliqué que l'orgasme fémi-
nin était fondé sur le clitoris, mais qu'on ne devait pas faire
une grande chose de l'orgasme, et ce qui finissait bien, était
bien. Cela sembla à Jeannette une bonne explication, mais
elle se demanda si cela était de la sexualité féminine, ou de la
sexualité, féminine ou pas. »

86 •
En fait, ces régimes ressemblent curieusement à des propositions
concernant la nouvelle sexualité du couple hétérosexuel avec le mo-
dèle lesbien. J'entends par là le modèle de comportement qui s'affiche
lorsque les lesbiennes se libèrent de l'impératif de l'envie phallique, qui
consiste à représenter le rôle sexuel des hommes ; elles fournissent par
la suite un autre modèle pour les liens érotiques et émotionnels.
Bien que ces tendances innovatrices progressent, pour élaborer
un projet de reformulation symbolique de la sexualité culturelle,
une étape essentielle consiste à analyser attentivement le modèle hé-
gémonique actuel, afin de déceler sa structure et ses aspects para-
doxaux. Aujourd'hui, il y a différentes masculinités. Au sein de ceux
qui ont théorisé sur ce sujet, nous trouvons les hommes repentants,
des mâles qui se plaignent de leur sort, les néo-misogynes, aussi bien
que les hommes solidaires et démocratiques. Ce que je décris se ré-
fère au stéréotype traditionnel hyper masculin qui est objet d'exa-
men et de discussion, mais qui fait retour de manière presqu'inaper-
çue malgré les meilleures intentions.
L'image de l'homme comme un sujet toujours excitable, obsédé
par le sexe, est liée à la domination. N'oublions pas le vieux parte-
nariat établi entre la pénétration sexuelle et la domination sociale
(Foucault, 1986). Pénétrer dans le corps des autres, qu'ils soient ado-
lescents, autres hommes, ou femmes, était un équivalent imaginaire
du pouvoir citoyen.
L'hypersexualité va de pair avec la promiscuité. L'école fran-
çaise de psychanalyse a fait écho à des usages et des coutumes de
bon sens, disant que « l'homme », - conçu de manière essentialiste
et universelle – veut posséder toutes les femmes une par une, tandis
que la « femme » est contrariée quand elle est montrée comme dé-
sirante sexuellement puisqu'elle aspire à garder son image en tant
que n'ayant autre désir que celui de l'amour (Torres Arias (1992).
Ces attitudes font partie des féminités et des masculinités tradition-
nelles et elles sont le corrélat subjectif de la double morale sexuelle.
Son élévation à des archétypes universels met en évidence une po-
sition psychanalytique solidaire avec des valeurs et des représenta-
tions conservatrices et traditionalistes en ce qui concerne les rôles
du genre.
Pourquoi les mâles traditionnels sont plus enclins à la promis-
cuité ? Une perspective psychanalytique du sexe peut faire référence
à ce modèle de comportement aux facteurs suivants : chez les peuples
« primitifs », le mâle dominant est celui qui a accès à plus de femmes.
• 87
Séduire les femmes peut être un moyen plus facile d'acquérir du
prestige dans les grandes villes, plutôt que d'entrer en concurrence
pour de l'argent et le pouvoir. Ce serait alors une sorte de raccourci
pour obtenir la consécration narcissique.
Une autre raison réside dans l'angoisse de castration. Le vagin
est perçu comme un site potentiellement castrateur, en raison de la
projection des désirs de l'enfance vorace en ce qui concerne le corps
de la mère. À cela s'ajoute la perception démentie sur la destructivi-
té impliquée dans la représentation masculine des femmes comme
étant châtrées, imagerie développée par l'homme afin de se réaffir-
mer comme supérieur. Étant donné ces inquiétudes, rien de mieux
pour fuir un vagin qu'un autre vagin !
Le concept d'angoisse de castration a donné lieu à des dévelop-
pements très intéressants, où se distingue en plus de l'aspect punitif,
la perte nécessaire d'une jouissance archaïque pour accéder à la sym-
bolisation (Montrelay, 1979). Cette question est d'une grande com-
plexité en soi, mais il me semble nécessaire de souligner que nous
devons distinguer au sens large, la dénomination de « castration » de
celle utilisée dans le cadre théorique de l'école française de psycha-
nalyse, comme un point de vue général qui comprend des hommes
et des femmes, de la modalité spécifique d'anxiété masculine, asso-
ciée à la préservation de la toute-puissance virile imaginaire.
Freud (1910) nous offre une troisième raison pour justifier de
la promiscuité masculine. La fixation en ce qui concerne la mère
comme objet d'amour, favoriserait l'insatisfaction masculine. Au-
cune femme n'est satisfaisante, ce n'est pas « elle ». Par conséquent,
ce type de mâle se lance dans une longue série de relations où la
femme est soupçonnée d'infidélité, ou qu'elle est mariée, ce qui réé-
dite la scène œdipienne, contestant l'interdiction paternelle pour s'y
conformer ensuite en changeant d'objet. Il est intéressant de noter
que le si fameux « enterrement » du complexe d'Œdipe n'est pas aus-
si généralisé qu'on le voudrait.
Le complexe d'Œdipe et la menace de castration sont le fond
musical de ce périple. C'est comme si l'individu mâle se disait a lui-
même : « si je suis libertin, je suis puissant, et si je suis un dragueur,
je ne dépends pas d' une seule femme avec le risque d'affaiblissement
que cela implique ; si je pratique la promiscuité, je ne suis pas impli-
qué dans une relation que je peux perdre, car c'est moi-même qui les
substitue et, de cette façon, je me protège de revivre des souffrances ;
si je suis un dragueur je pourrais 'la' trouver, si je suis un libertin, je
88 •
suis de sexe masculin aux yeux de mes semblables ». En cette der-
nière occasion, je fais allusion au rôle que joue, dans ce lien de confi-
guration, l'imaginaire collectif sur la masculinité.
Quelle est la contre-figure de la promiscuité masculine ? C'est la
jalousie. Tout homme est un prédateur potentiel de la femme consi-
dérée comme propriété de l'autre, non seulement parce qu'il la dé-
sire, mais parce que son accès à cette femme est l'équivalent d'un
triomphe sur un rival détesté et même de sa position homosexuelle.
L'infidélité féminine a été classée comme un crime contre la
propriété du titulaire de la femme et, dans une certaine mesure
elle l'est encore. Dans notre code civil, cet état de fait a persisté
jusqu'à il y a peu de temps dans la figure désuète de « crimes contre
l'honnêteté » c'est à dire les abus contre les femmes, que les avocats
féministes ont proposé de remplacer par « atteintes à la liberté ou à
l'intégrité physique des femmes ». Si la victime d'un abus ou d'une
infraction voyait blessée son « honnêteté » c'est parce qu'elle était la
propriété de son maitre légitime. Les femmes fonctionnent imagi-
nairement comme les aspects « féminins » de l'homme, lequel se sent
dégradé par d'autres hommes qui auraient eu accès à eux à travers de
la porte ouverte par sa femme.
Freud (1922) mit en rapport la jalousie avec la paranoïa et l'ho-
mosexualité. La jalousie projetée implique l'attribution à la femme de
ces propres aventures extra conjugale. Othello disait (Shakespeare,
1968) : « si j'ai été avec d'autres femmes, pourquoi ne serait-elle pas
avec d'autres hommes ? ». Le crime de Desdémone fut de se soustraire
à l'autorité parentale incitant leur père dire par dépit : « surveille la,
Moro, si tu as des yeux pour voir. Elle a trompé son père et elle peut
aussi te tromper toi ». La fin de Desdémone fut celle qui correspon-
dait à une femme qui avait l'intention de revendiquer son autonomie
sexuelle, dans un système symbolique où elle était un bien à mar-
chander, et où elle n'était pas considérée comme un sujet. Othello
finalement par le biais de la criminalité, se montre sous une forme
paradoxale comme un exposant fidèle des règles sur les droits de
propriété des femmes, réclamées par les mâles.
Bien que Freud (1931) ait attribué aux femmes un potentiel supé-
rieur de jalousie, comme transformation de l'envie phallique, l'obser-
vation clinique ne confirme pas cette hypothèse. La jalousie masculine
est plus évidente et plus violente, car l'infidélité menace la domination.
Derrière la projection (jalousie projetée) apparaît toujours le fantasme
de l'homosexualité, car si la dame retourne la gentillesse, expose à son
• 89
possesseur au risque d'être soumis par un autre mâle, perdant ainsi
son statut socio - symbolique. Les « trente-quatre coups de couteau »69
que raconte un tango argentin à propos du meurtre d'une femme sur-
prise en adultère, exprime sous forme aberrante un acte suprême de
possession et de réaffirmation virile, mais aussi un amour homosexuel
qui excuse son rival, d'après la lecture d'un de ces vers : « l'homme n'est
jamais coupable dans ces cas-là ».
Les récits tant vantés n'excluent pas que les hommes sont singu-
lièrement peu expressifs sur leur sexualité. Contrairement à Freud,
qui, avec Jones (1926), reprochait à la femme de parler peu de sa
sexualité, Marqués croit que sont les hommes qui parlent peu. Cette
disparité entre ces deux auteurs doit dépendre du fait qu'ils com-
prennent différemment la communication. Les hommes parlent,
mais pour élaborer des histoires qui ressemblent à l'idéal du genre
masculin. Les femmes sont encore plus prudentes, mais nous avons
atteint un meilleur niveau de communication entre amies, ou dans
les thérapies que nous avons souvent tendance à demander dans le
but d'exprimer nos sentiments les plus intimes. Les hommes peuvent
difficilement exprimer leur insatisfaction dans un rapport sexuel où
ils ont obtenu l'orgasme. Le sentiment du devoir accompli obscurcit
l'inconfort subjectif.
Une autre caractéristique du rôle dominant est la prétention de
tout savoir sur le sexe, conforme au rôle d'initiateur qui est attendu
de l'homme. Ce qui reste oublié dans cette figure, c'est que le mâle a
été lui-même initié. La prostituée, qui a souvent fonctionné comme
initiatrice, ou la femme plus âgée, sont reléguées dans l'oubli. Bien
sûr qu'aujourd'hui il y a des initiations réciproques entre jeunes amis
qui explorent la sexualité ensemble.
Mais il est très possible que les jeunes femmes se sentent secrète-
ment abandonnées lorsque le mâle déplace la recherche sur d'autres
femmes, car elles sont encore prisonnières de l'illusion de consacrer
leur estime de soi par le biais d'être choisi comme « l'unique », donc,
vérifier qu'elles ont été « une de plusieurs », les dévalue à leurs yeux.
Cela peut donner lieu aujourd'hui à une identification hostile avec
le mâle, en assumant un comportement pseudo masculin. En re-
vanche, les garçons sont consacrés lorsqu' « ils l'ont fait » (le sexe),
si bien qu'il existe des cas où le tendre amour renforce des jeunes

69 N. de la T. : Le nom du Tango est 'Amablemente', « Aimablement » c'est


un Tango-Milonga de Rivero y Diez.
90 •
couples, parfois la confirmation de la volonté de la puissance virile
par le biais de la collection d'expériences diverses, est plus puissant
que l'attachement affectif et érotique. On peut supposer que, dans ces
cas-là, la tendresse est inhibée et fait l'objet d'un traitement défensif.
L'ignorance est aussi objet de refoulement et cette situation est
causée par le fait qu'il y a une censure culturelle sur le non-savoir
masculin. Les fantasmes masculins au sujet d'une émission séminale
femelle, projection issue de leur propre expérience corporelle, c'est
un exemple de comment se construit pour un homme une femme
imaginaire basée sur la représentation spéculaire de lui-même.
J'ai déjà évoqué précédemment, la tendance au dénigrement des
femmes. Marqués dit : « le paradoxe de l'hétérosexualité masculine
est qu'ils n'aiment pas les femmes comme des personnes ».
Cela se produit lorsque les valeurs patriarcales dominent, ce qui,
d'après D. Winnicott (1985), n'aurait pas été toujours le cas, puisqu'à
l'époque où la féminité était idéalisée, il y aurait eu des hommes dé-
sireux de se conformer à un idéal féminin. Depuis cette perspective,
les « folles » ou gays efféminés, maintiendraient l'idéalisation préœ-
dipienne de la mère phallique et se dégraderaient uniquement dans
leur esprit où dominent les codes œdipiens.
La conception freudienne de la féminité comme une « énigme »,
est une expression de cette tendance masculine à ignorer les femmes,
jugées incompréhensibles parce qu'elles ne sont pas pareilles qu'eux-
mêmes. Cela témoigne de l'hégémonie d'une position narcissique
phallique, dont la continuelle réitération met en évidence le carac-
tère projectif de l'attribution que réalise Freud d'un plus grand nar-
cissisme chez les femmes (1914). Ce que les hommes considèrent
actuellement « le savoir sur les femmes » implique une connaissance
dans l'art de la séduction et de l'érotisme, lesquels ne manquent pas
d'ingrédients manipulateurs et instrumentaux.
Dans la perspective de Laplanche (1988), cette situation s'ex-
plique par la reconnaissance de la primauté de la logique binaire de
la phase phallique, logique qui ne tient pas compte de la diversité
et crée une pseudo-différence, lorsque la paire antithétique surgit
entre le phallus et son absence (Luce Irigaray, 1974). Le « phallo-
gocentrisme » freudien et lacanien est continuellement révisé  ;
cette ligne de discussion a été reprise par Ana María Fernán-
dez (1993). C'est dans le cadre de ce régime symbolique que « le
manque » est attribué aux femmes. Le savoir masculin est souvent
une construction imaginaire destinée à donner une légitimité aux
• 91
représentations et aux pratiques du domaine intergénérique.
L'activité des hommes, a été cultivée par le biais de l'attribution
du rôle de l'initiateur du cortège et puis, de l'initiateur sexuel. L'im-
pératif vers l'activité, conduit à un manque de son propre désir aussi
bien que celui de sa compagne éventuelle. Les deux désirs dispa-
raissent sous la pression de la réussite. Donc il y a une dimension de
violence implicite dans la sexualité masculine, qui est évidente dans
les comportements de violence ou de viol, mais cela implique aus-
si la violence sur soi-même. Il est également nécessaire de préciser
que tout élan n'est pas abusif, et qu'il peut être maintenu comme un
symbole masculin aujourd'hui, pourvu que cela ne signifie pas l'in-
terdiction des initiatives des femmes. Les mesures juridiques pour
éviter le harcèlement au travail ou à l'école, de même que d'autres
abus, ne devraient pas paralyser toute initiative du sexe masculin, ce
qui serait certainement une conséquence très malheureuse.
Ces mises en garde faites, la question reste ouverte : pourquoi
est-ce que le comportement sadique représente un aspect exacerbé
de l'activité des hommes ?
Je ne trouve nullement satisfaisante la construction évolution-
niste des discriminations polarisées dont parle Freud et le fait qu'il
considère que le binôme activité / passivité est le précurseur des re-
présentations sur la masculinité et la féminité. Il faudrait identifier
les raisons par lesquelles le discours psychanalytique tend à homo-
loguer la féminité avec la passivité, malgré toutes les tentatives faites
par Freud (1931-1933) pour se soustraire de cette assimilation ima-
ginaire. En fait, durant les premières périodes de la vie, l'enfant est
encore très immature et dépend tout à fait de sa mère (ou de son
équivalent), et il ne peut manquer de la percevoir comme étant puis-
sante et active. Il est plausible de penser que l'attribution de la pas-
sivité aux organes génitaux féminins et, par extension, aux femmes
en général, est un renversement imaginaire de l'angoisse de l'enfant
produite par l'impuissance initiale et la dépendance absolue à une
mère que, pour cette raison, on a tendance à éprouver comme terri-
fiante (Chasseguet Smirgel, 1977).
L'obligation de prendre l'initiative implique un degré d'exposi-
tion au rejet qui entraine des souffrances pour les hommes (Seidler,
o.c.). Marqués, toutefois, signale qu'ils ont aussi peur de l'initiative fé-
minine parce qu'ils craignent de ne pas réussir la performance, c'est-
à-dire l'érection, la pénétration et l'obtention de l'orgasme simulta-
né avec la femme. Ces craintes des hommes ordinaires dérivent du
92 •
fait que lorsqu'ils sont confrontés à des demandes sexuelles, ils ne se
sentent pas autorisés à les refuser. L'auteur considère que, de même
que la libération sexuelle féminine a été confondue avec le fait que
‘les femmes ne pouvaient plus se refuser au sexe', la libération mascu-
line devrait être que les hommes, eux, puissent se le permettre.
La revendication du désir personnel au-delà des impératifs de
virilité, est un slogan qui unifie les nombreux partisans de la nou-
velle masculinité.
La répression de l'affectivité est donc le corrélat forcé d'une
sexualité qui est associée à la domination et à la performance. De
même que la mystification de l'amour a servi parfois aux femmes
pour leurs fins personnelles, telles que l'obtention d'une position so-
ciale plus élevée grâce à l'alliance conjugale, les hommes sont entraî-
nés à affirmer leur domination par l'idée de « ne pas tomber dans le
piège ». Víctor Seidler (1997), a considéré que les émotions sont une
menace pour l'identité masculine. La vie des hommes serait pauvre
en raison de l'impératif de se déconnecter de leur corps et leurs af-
fects.
Si on cherche la genèse de cette attitude très répandue dans la
masculinité dominante ou hégémonique, dans certaines des condi-
tions psychiques associés au modèle d'apprentissage ou éducation
de l'enfance, on trouve la peur, toujours présente, de la perte de la
virilité dans les bras enveloppants de la mère primitive, c'est-à-dire,
la peur envers les femmes et la peur d'être une femme. Il convient de
préciser que la levée de la répression des affects ne fait pas d'eux né-
cessairement une version monotone de l'amour éternel, mais qu'elle
ouvre la possibilité d'expérimenter et d'exprimer des sentiments di-
vers, qui peuvent inclure une amitié amoureuse.
Selon nous dit Marqués, il est possible pour un homme d'avoir
des rapports sexuels avec une femme qu'il déteste, ou à l'égard de
laquelle il éprouve des sentiments négatifs, ce qui s'explique par l'as-
sociation entre la sexualité masculine et l'agressivité. Il décrit égale-
ment l'étrange coexistence entre un idéal esthétique féminin très exi-
geant et l'acceptation de n'importe quel « trou », ce que les pratiques
de la zoophilie ou de l'homosexualité dans les navires, les armées ou
les prisons rendent compte.
Il y existe une obsession pour le coït, comme je l'ai déjà commen-
té. Cette obsession est responsable de grossesses non désirées, de la
propagation de maladies sexuellement transmissibles et de la perte

• 93
de ce qu'on appelle tendancieusement le « plaisir préliminaire », sans
oublier de mentionner le plaisir ultérieur. Le modèle masculin de la
réponse sexuelle est celui de la performance et de la décharge avec
débranchement ultérieur. Dans le cas des homosexuels, on a décrit
un déinvestissement de l'objet et une cérémonie d'investissement du
self et en particulier de leurs propres organes génitaux, à savoir une
rétraction narcissique (Freud, 1914). Toutefois, lorsque l'homme hé-
térosexuel courant est douloureusement conscient de son érection,
il s'implique réellement dans une scène auto-érotique, par laquelle il
se met en rapport avec son propre pénis par le biais de la femme qui
devient une intermédiaire.
Le prix de la socialisation pour la domination est la dépendance
narcissique de l'image idéale du mâle humain que l'homme croit de-
voir incarner. À cette fin, il met en œuvre son corps comme celui de
sa partenaire. Marqués affirme que l'homme doit apprendre à vivre
la sexualité avec le corps et non seulement comme une alliance si-
nistre entre le cerveau et le pénis.
Comme l'on observe, l'étude de la sexualité est étroitement liée
à l'analyse des relations de pouvoir qui traversent le corps social. Les
rapports de pouvoir entre les genres expliquent mieux certaines ca-
ractéristiques observables dans les attitudes sexuelles des hommes
ordinaires, que toute référence universaliste à l'érogénéité des corps
ou à des caractéristiques invariables des liens de l'enfant avec ses pre-
miers objectés d'amour.
L'articulation entre la perspective psychanalytique et les contri-
butions des études sociales de genre, n'autorise pas une simple jux-
taposition, mais elle encourage un examen approfondi des postulats
épistémologiques de toutes les disciplines impliquées.
Il est nécessaire d'insister que la description faite dans ce texte se
réfère au stéréotype masculin, encore très fréquent, et qui est présent
chez les adultes mâles contemporains avec des intensités diverses.
Cependant, la subjectivité sexuée est en train d'évoluer parce qu'elle
ne répond pas à des essences transhistoriques, mais à des struc-
tures variables au fil du temps, qui sont les modes de production,
les contrats pour la reproduction et les valeurs et représentations de
l'univers culturel hégémonique.
De même que l'on parle aujourd'hui de « nouveaux parents »,
on verra sans doute des « hommes nouveaux », qui, comme les
nouvelles femmes, combinent chez eux, d'une manière non pas

94 •
forcément harmonieuse, des aspects subjectifs et relationnels in-
novateurs avec d'autres où l'empreinte traditionnelle montre sa ré-
sistance au changement.

• 95
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• 99
100 •
LE DÉSIR HOSTILE ET LE JUGEMENT CRITIQUE DANS LA
CONSTRUCTION DE LA SUBJECTIVITÉ FÉMININE 70 71
Mabel Burin 72

Les descriptions sur le « Plafond de verre » dans la carrière pro-


fessionnelle des femmes insistent à remarquer les facteurs cultu-
rels invisibles qui produisent certaines conditions discriminatoires.
Nous pouvons également souligner les facteurs de constitution de
l'appareil psychique féminin qui, avec son invisibilité, contribue à la
formation du « Plafond de Verre »73. Je me réfère à la constitution du

70 Texte extrait du chapitre « Du genre et de la psychanalyse : des subjecti-


vités féminines vulnérables » dans l'ivre, Burin, M. et Dio Bleichmar, E.
(1996). Le genre, la psychanlyse et la subjectivité, Buenos Aires : Paidós.
71 Traduction Pilar Errázuriz Vidal, révision Francoise Hautot. 2016.
72 Psychanalyste, Licenciée en Psychologie, Universidad de Buenos Aires
(UBA), Docteur en Psychologie, Université de Belgrano (U.B.), 1993,
Buenos Aires, Argentina. Spécialité : Subjectivité et Genre. Directeure
du Programme postdoctorale d'Etudes de Genre, Université de Sciences
des Entreprises y Sociales (UCES). Buenos Aires, Argentina. Directeure
du Diplôme Interdisciplinaire d'Etudes de Genre (UCES) en conven-
tion avec l'Université de Valence, Espagne. Directeure du Programme
d'études de genre et subjectivité (UCES) en convention avec l'Univer-
sité National Autonome du Mexique, (UNAM) et le Centre Régional
des Recherches Multidisciplinaires (UNAM). Directeure des recherches
dans le Département des Investigations (UCES) de Genre et Politique.
Elle a publié des 1987 sur psychanalyse et genre. Son premier livre Des
études sur la subjectivité féminine, femmes et santé mental, a établi une
ligne de recherche en Argentine et en Espagne de clinique psychanaly-
tique des femmes et par la suite institue una recherche plus amjple sur
les études de genre, de la famille, avec des nombreuses publications dont
la dernière avec Dr. Irene Meler, Varones, (Hommes) sur la subjectivité
masculine en 2009.
73 N. de la T. : 'Plafond de verre' en est un concept utilisé par Mabel Burin
pour se référer à une surface invisible qui empêche les femmes d'am-
bitionner des postes professionnels ou de pouvoir. Ce serait un man-
dat de genre, internalisé par les femmes, à partir de la subordination et
ségrégation féminine matérielle et symbolique dans l'espace publique.
Cependant, cette internalisation ne serait pas possible s'il n'y avait chez
les femmes une constitution de son appareil psychique qui contribue au
dit phénomène. Tel que le signale Burin dans un autre texte, ce concept
a été décrit par des sociologues anglo-saxons (Holloway, 1993 ; Davison
• 101
désir hostile et du jugement critique dans la subjectivité féminine.
Je me suis intéressée à analyser dans la théorie classique freu-
dienne (Freud, 1915) les vicissitudes qu'ont subi les pulsions chez
les femmes : certaines sont devenues des désirs et d'autres sont de-
venues des affects. En ce sens, nous proposons un développement
de la notion de désir à partir des pulsions qui investissent des re-
présentations, c'est-à-dire qui produisent des charges libidinales
ayant tendance à effectuer des transformations sur ce que l'on désire.
Cependant, nous savons que pour les femmes, ces représentations
n'ont pas été toujours disponibles dans nos systèmes culturels. À cet
égard, je tiens à souligner la nécessité d'analyser l'émergence et la
mise en œuvre du désir hostile, que nous décrirons comme un désir
de différenciation, dont la constitution et le déploiement permettent
la création de nouveaux désirs, par exemple, du désir de savoir (Mé-
nard, 1993 ; Tort, 1993) et la volonté de puissance. J'ai décrit dans
un texte précédent (Burin, 1987) le désir hostile qui émerge dans la
petite enfance, comme fondateur de la subjectivité féminine. C'est
un désir qui, pour la femme dans notre culture, a surtout été une
cible de la répression. Pourquoi ? Parce qu'en mettant l'accent sur les
différences et en stimulant la rupture des liens, il constitue un désir
qui menace le lien fusionnel : n'oublions pas que le désir d'amour,
contrairement au désir hostile, est propice aux expériences de jouis-
sance et de satisfactions libidinales maximales dans l'attachement à
l'identification mère-enfant. Le développement du désir hostile im-
pliquerait un danger pour les systèmes culturels qui identifient les
femmes avec les mères.
Il est également nécessaire de distinguer entre un affect comme
l'hostilité et un développement des désirs, comme celui du désir hos-
tile. Lorsque nous nous référons à l'hostilité, nous nous référons à un
affect complexe, conséquence d'un état de frustration d'un besoin
(Freud, 1895, 1915, 1923) : c'est un affect qui, selon son intensité,
provoque un mouvement de décharge pour la tension insatisfaite,
sous la forme d'explosions émotionnelles (de la colère ou du ressen-
timent, par exemple) ou même de certaines vicissitudes de transfor-
mations affectives (par exemple, sa transmutation en altruisme) ou
de leur recherche de décharge à travers des représentations dans le
corps (par exemple une cérémonie d'investiture d'organe). Ce que

y Cooper, 1992 ; Carr Rufino 1991 ; Lynn Martin, 1001) pour se référer
au travail des femmes (Martin, 1991) et c'est M. Burin qui l'a développé
du point de vue de la subjectivité féminine.
102 •
nous voulons souligner est que, dans la mesure où l'hostilité en tant
que développement affectif cherche sa décharge sous différentes
formes, le désir hostile, en revanche, déclenche de nouvelles charges
libidinales, ré-investit des représentations et favorise l'appareil psy-
chique à poursuivre de nouvelles recherches d'objets libidinaux. Ce
serait une sorte de désir dont l'application dans la construction de la
subjectivité féminine offrirait les meilleures garanties pour provo-
quer des fissures dans le « plafond de verre ».
Je vais faire un bref exposé sur le jugement critique en tant
qu'outil disponible dans la configuration subjective des femmes per-
mettant des transformations sur le « plafond de verre ». Le Jugement
critique est un des processus logiques qui opèrent dans l'appareil
psychique dans les situations de crise vitale. C'est un mode de pen-
sée qui surgit dans la petite enfance, lié au sentiment d'injustice. Ce
type de procès est initialement constitué pour dominer un trauma
par la rupture d'un jugement précédent qui est le jugement d'iden-
tification. Le jugement identificatoire fonctionne d'après les règles
imposées par le narcissisme, où il n'y a pas de différenciation entre
soi et non-soi par lesquelles « je / l'autre, c'est la même chose ». De
l'expérience de déplaisir-douleur psychique, commence une rupture
du lien d'identification, en même temps que le jugement identifi-
catoire concomitant commence à perdre de son efficacité. Dans ces
circonstances, l'appareil psychique de l'enfant expulse de soi ce qui
est du déplaisir et qui cause de la douleur psychique, en le plaçant en
dehors de soi, comme un non-soi. À partir de cet acte d'expulsion,
où nait la différenciation du Soi / non Soi, ce qui est expulsé ouvre
un nouvel emplacement qui contiendra les désirs hostiles par l'ex-
pulsion de ce qui est désagréable et / ou inefficace.
Par la suite, nous trouvons de nouvelles émergences du jugement
critique en cas de crises vitales chez les femmes, par exemple dans
l'adolescence où dans la « crise de la quarantaine ». J'ai décrit com-
ment, dans la petite enfance, les jugements sur lesquels est construite
la subjectivité féminine, basée sur l'attachement à la mère, forment
les jugements identificatoires. En arrivant à la puberté, la nécessi-
té de réglementer les similitudes et les différences avec la mère met
en branle un processus de séparation à travers le désir hostile diffé-
renciateur. Il s'agit d'un processus long et complexe, qui implique
d'autres types de jugement, ceux d'attribution et de des-attribution,
liés aux objets primaires d'identification, des objets fondateurs de la
constitution de la subjectivité. La rupture du jugement critique et

• 103
le processus de détachement des figures originaires donnent lieu à
une réorganisation, qui établit les bases pour un jugement critique à
l'adolescence.
Certaines études concernant des adolescentes suggèrent que la
période de puberté peut constituer une circonstance vitale cruciale
pour la re-signification et le point de départ du désir hostile, qui avait
déjà été préfiguré dans la petite enfance comme un des constituants
de la subjectivité féminine.
Dans la crise de l'âge mûr des femmes, le jugement critique
émerge, lié au sentiment d'injustice. À cet âge-là, son exercice est lié
à l'efficacité avec laquelle il a travaillé auparavant, dans l'adolescence,
sous la forme de jugements d'attribution et de des-attribution. Quels
sont les processus d'attribution et de désattribution qui apparaissent
dans la crise de l'âge mûr chez les femmes ? Le jugement attributif
suppose des qualités positives-négatives, bonnes-mauvaises, aux ob-
jets ou valeurs auxquels il se réfère. Le jugement attributif qui assigne
la valeur positive à l'identité féminine = mère est celui qui engendre
le sentiment d'injustice dans la « crise de la quarantaine » chez les
femmes. Quand la femme entre dans ce genre de crise et fonctionne
avec des jugements critiques, elle met en jeu les procès des désat-
tribution, c'est-à-dire, se dépouille de la qualification donnée à sa
condition de sujet femme = mère. Le jugement désattributif se réa-
lise sur la base du désir hostile différenciateur.
J'ai soutenu que le sentiment d'injustice est configuré en tant que
moteur de la crise de cette période de la vie, de la même façon que,
dans la petite enfance et plus tard à l'adolescence, l'étaient les sen-
timents de rébellion ou d'opposition. Ces sentiments, qui préfigu-
raient déjà l'injustice, sont les supports sur lesquels devra prendre
forme le jugement critique des femmes d'âge mûr.
J'ai aussi suggéré qu'au départ des crises vitales - adolescence,
« crise de la quarantaine » – ce qui intervient fondamentalement,
c'est la souffrance, conséquence de la douleur psychique. Une des
destinations possibles de la sensation de douleur fonctionne comme
un générateur de désir hostile, mené par le sentiment d'injustice.
Dans ces circonstances, le sentiment d'injustice serait organisé, non
seulement par les catégories impliquées dans le concept freudien de
« narcissisme des petites différences », mais aussi par « les grandes
différences », qui attaque le narcissisme des femmes74 et que dans

74 Dans ce sens l'étude faite par E. Dio Bleichmar est remarquable (1985).
104 •
notre analyse, nous avons attribué au discours de la culture patriar-
cale, qui positionne et symbolise la femme surtout dans le lieu social
de sujets-mères.
Le « plafond de verre » dans la carrière professionnelle des
femmes en tant que surface invisible difficile à dépasser, est une ré-
alité sociale décevante pour les professionnels / les qui travaillent
dans le domaine de la santé mentale des femmes. L'analyse de la
construction sociale de la subjectivité féminine pourrait contribuer à
ce qu'on dispose de meilleurs outils épistémologiques pour opposer
de la résistance au dispositif social. Nous avons suggéré que l'élargis-
sement des désirs féminins avec la mise en marche du désir hostile
et du jugement critique, pourrait être utile à ces fins. Ceci suppose
de mettre en question les paradigmes traditionnels qui jusqu'à pré-
sent ont construit les discours sur la féminité. Nous insistons sur la
nécessité de faire des études interdisciplinaires pour enrichir la pers-
pective sur la construction de la subjectivité féminine.
L'entrecroisement des hypothèses psychanalytiques, comme la
stagnation pulsionnelle, avec les hypothèses du genre, tels que les
phénomènes de marginalisation des femmes dans certains espaces
sociaux, pose quelques questions. L'une d'elles qui nous concerne
très fortement, se réfère à la dépression chez les femmes d'âge moyen.
L'entrecroisement théorique entre psychanalyse et genre nous offre
quelques réponses qui élargissent nos horizons : jusqu'ici, l'une des
conclusions fondamentales consiste à articuler la détention pul-
sionnelle avec une autre hypothèse psychanalytique, celle d'un Moi
chez les femmes construit sur la base de ses identifications (de la
fille avec la mère). Nous avons liés ces hypothèses psychanalytiques
avec celles des modèles de genre qui impliquent la construction d'un

Elle soutient que la féminité en tant qu'identité de genre n'est issue que
du discours culturel. À partir du concept de genre, à la fois que les re-
lations symboliques de la féminité s'établissent, se développe « une re-
présentation privilégiée du système patriarcal  ». Basée sur l'étude du
système narcissiste chez la fille, des idéaux et des valeurs qui la guident
pendant l'enfance et l'adolescence, l'auteure trouve « le déficit profond
narcissiste dans l'organisation de la subjectivité de la future femme  »
du à ce qu'elle appelle « la perte de l'idéal féminin primaire ». Elle se
demande «  comment fait une fille pour désirer devenir femme dans
un monde paternaliste, masculin et phallique ? Quelle serait, donc, la
prouesse que les femmes réussissent pour construire l'idéal, non pas
de la mère phallique- illusion de la dépendance anaclitique, mais de la
mère et de la femme dans notre culture ? ».
• 105
sujet femme dans notre culture sociale dont la position est fonda-
mentalement définie selon le sexe dans les rôles propres au domaine
privé. Cette découpe d'espaces selon le genre serait, en même temps,
une composition subjective construite principalement sur une base
pulsionnelle qui conduit vers le développement des désirs d'amour
au détriment des désirs hostiles et leurs dérivés (par exemple, le désir
de savoir (pulsion épistémologique) et la volonté de pouvoir (pul-
sion d'emprise) ) (Burin, 1987). Chez les femmes d'âge mûr, les rôles
de genre déployés dans l'espace privé qui avaient développé une sa-
tisfaction maximale, soudain n'ont plus le sens psychique et social
qu'ils avaient eu jusqu'alors. Il semblerait que les nouveaux défis gé-
nérationnels auxquels nous sommes confrontés à l'aube de l'année
2000 impliquent de reconsidérer si vraiment ces idéaux de la mo-
dernité, comme ils ont été décrits dans ce texte, ont expirés ou ont
été recyclés, sous la forme des nouveaux besoins de configurer les
familles et des nouveaux exercices de la maternité pour les femmes.
L'intense débat sur les nouvelles techniques de reproduction (Tubert
1991) suggère de questionner ces problématiques.
La question « Qu'est-ce qu'une femme ? » et sa réponse auto-
matique dans le cadre de la culture patriarcale, « être une femme
c'est être mère », semblent exiger de nouveaux questionnements, de
même que le débat actuel moderne – postmoderne sur la subjectivi-
té féminine. Ce positionnement dans le genre (Alcoff, 1989) semble
avoir contribué à obstruer les questions concernant la condition
féminine. Au seuil du troisième millénaire les femmes, à nouveau,
nous posent les mêmes questions, déçues en partie par les réponses
données jusqu'à présent, mais avec un espoir renouvelé, grâce à nos
mises en question, du maintenir vivants nos désirs.

106 •
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• 107
108 •
L'HOSTILITÉ : DES MODALITÉS DE GÉRENCE PAR LA
MASCULINITÉ 75
PREMIERE PARTIE 76
Mabel Burin 77

L'hostilité est l'un des comportements les plus controversés


quand nous essayons de mettre en rapport une hypothèse psychana-
lytique avec les théories sur la construction sociale de la subjectivité
masculine : la première met l'accent sur le mouvement des pulsions
et leurs destins, les autres mettent l'accent sur les formations cultu-
relles qui affectent la construction de genre chez les mâles et la façon
de mener leur hostilité, telles qu'ont révélé les diverses études et pu-
blications que nous mentionnons tout au long de l'article, décharges
musculaires violentes et d'autres manifestations hostiles, comme
une forme d'expression classifiée comme masculine, sont facilement
vérifiables à tout moment et tout au long de la plupart des cultures.
Quelles explications peut-on donner à ces phénomènes  ? Plu-
sieurs théories s'appuient sur des arguments de type biologique
pour caractériser l'homme comme génétiquement doté d'une plus

75 Texte extrait du chapitre 5, Burin, M. et Meler, I. (2009). Varones (Les


Hommes), Buenos Aires : Paidós.
76 Traduction Pilar Errázuriz Vidal, révision Françoise Hautot.
77 Psychanalyste, Licenciée en Psychologie, Universidad de Buenos Aires
(UBA), Docteur en Psychologie, Université de Belgrano (U.B.), 1993,
Buenos Aires, Argentina. Spécialité : Subjectivité et Genre. Directeure
du Programme postdoctorale d'Etudes de Genre, Université de SCiences
des Entreprises y Sociales (UCES). Buenos Aires, Argentina. Directeure
du Diplôme Interdisciplinaire d'Etudes de Genre (UCES) en conven-
tion avec l'Université de Valence, Espagne. Directeure du Programme
d'études de genre et subjectivité (UCES) en convention avec l'Univer-
sité National Autonome du Mexique, (UNAM) et le Centre Régional
des Recherches Multidisciplinaires (UNAM). Directeure des recherches
dans le Département des Investigations (UCES) de Genre et Politique.
Elle a publié des 1987 sur psychanalyse et genre. Son premier livre Des
études sur la subjectivité féminine, femmes et santé mental, a établi une
ligne de recherche en Argentine et en Espagne de clinique psychanaly-
tique des femmes et par la suite institue una recherche plus ample sur
les études de genre, de la famille, avec des nombreuses publications dont
la dernière avec Dr. Irene Meler, Varones, (Hommes) sur la subjectivité
masculine en 2009.
• 109
grande quantité d'agressivité. Elles ont fait appel à des explications
qui mettent en évidence leur plus grande masse musculaire, ce qui
donnerait une plus grande force physique à la décharge de cet élan,
de même, elles se réfèrent aussi aux effets de la testostérone, l'hor-
mone mâle, qui conduirait à ce que les hommes soient plus agres-
sifs que les femmes. Voici les perspectives réductionnistes pour la
compréhension du phénomène de l'agressivité chez les hommes :
elles réduisent des phénomènes complexes tels que l'agressivité à un
seul mode d'explication, tradition qui fait appel aux phénomènes du
corps biologique pour comprendre les problèmes humains.
Sans négliger les facteurs tels que celui de la plus grande masse
musculaire ou l'effet des hormones sur ce type de comportement –
qu'on peut considérer comme de facteurs prédisposant je vais passer
en revue d'autres facteurs concomitants qui font ouvertement des
manifestations hostiles un mode d'expression dans le genre mascu-
lin. Autrement dit, j'offrirai d'autres modèles théoriques qui consi-
dèrent que cette forme d'hostilité masculine est construite dans des
contextes sociaux et familiaux que je mettrai en évidence comme des
facteurs qui précipitent les manifestations d'hostilité.
Une recherche à l'Université de Stanford, aux États-Unis, dirigée
par Eleanor Maccoby (Sullerot, 1979), qui, en étudiant la psycholo-
gie différentielle entre garçons et filles, s'est interrogée sur les diffé-
rences observables en ce qui concerne le comportement agressif. Elle
dit que lorsqu'elles jouent, les filles se battent très peu, alors que les
garçons déclenchent plus de combats, répondent en retour immé-
diatement si un autre garçon les agresse, et que leurs victimes ont
tendance à être des enfants qui pleurent ou s'enfuient lorsque qu'ils
sont attaqués. Tandis que les filles sont moins préoccupées par la
question de la domination. Les garçons, même les petits, essaient
d'établir des hiérarchies de dominance dans leurs jeux. Aussi dans
les rapports avec les adultes, les garçons sont plus en conflit, avec
une plus grande tendance à vouloir les dominer, et ils sont moins
disposés à satisfaire leurs souhaits. Alors que les garçons génèrent
davantage de conflits avec des adultes, les filles semblent avoir des
formes de négociation et de conciliation moins conflictuelles.
La question que se pose cette recherche est la façon dont les pro-
grammes génétiques mises en action par les hormones sexuelles,
contribuent à produire ces comportements. Est-ce que ceci veut dire
qu'il existe pour chaque sexe certains traits de personnalité qui ap-
paraîtront inévitablement quel que soit l'environnement social ? Dif-
110 •
férents contextes culturels, historiques et sociaux, au sein desquels la
masculinité n'était pas nécessairement associée à l'expression de la
violence ou de décharge d'hostilité par exercice de domination sont
décrit tout au long de ce livre. Il semblerait que même si des facteurs
prédisposant existent pour chaque sexe d'après leur disposition gé-
nétique, des facteurs précipitants sont nécessaires dans le contexte
culturel et historique où ils sont déployés.
D'autres recherches, telles que celles de la sociobiologie comme
celle de Steven Goldberg (Sullerot, 1979) font valoir qu'une posi-
tion dominante dans une hiérarchie est conquise par l'agression. Les
hiérarchies de dominance seraient nécessaires pour les sociétés hu-
maines comme un appareil de régulation de l'irruption de la violence
au sein du groupe. Étant donné que les hommes sont naturellement
plus agressifs et plus enclins à construire des hiérarchies de domina-
tion que les femmes, selon cet auteur, ils finiront, inévitablement, à
tous les postes de direction et de pouvoir qu'offre une société.
Si nous suivons cette perspective d'analyse, nous pouvons sup-
poser que chaque société très hiérarchisée, avec des différences mar-
quées entre ses membres, qu'elles soient de classe, de genre, ethnique
et autres, mèneront à des hiérarchies établies de la domination de
certains groupes sur d'autres, surtout de ceux qui se considèrent
dans une position hiérarchique plus élevée contre ceux qui sont pla-
cés dans des positions hiérarchiquement inférieures. Cette approche
signifierait que dans des sociétés plus égalitaires et démocratiques
n'existeraient pas des hiérarchies de dominance et par conséquent
ne poseraient pas de conflits d'agression et de violence. S'il s'agissait
de sociétés hypothétiquement neutres en ce qui concerne les hié-
rarchies de domination de genre, l'hostilité masculine n'aurait pas
de sens et ne s'exprimerait pas sous les formes habituelles. D'autres
études de la sociobiologie décrivent le mâle de l'espèce humaine
comme un être ayant une agressivité innée, bien qu'avec certaines
subtilités qui viendraient raffiner l'image des instincts masculins :
la tendance à coopérer avec d'autres mâles ferait partie de l'héritage
mâle, de même que leur tendance à se battre et à tuer, qui, selon ces
hypothèses, sont qualifiées d'instinct grégaire et l'instinct de lutte.
En outre, il est considéré comme « naturel » que les femmes soient
sexuellement attirées par les hommes dominants, puisque l'espèce
tirera profit de ces mâles plus forts qui auront les meilleures capa-
cités de reproduction et de la protection de l'élevage. Ce principe
de déterminisme naturel et biologique a été contrasté avec d'autres

• 111
recherches (Godelier, 1990) qui démontrent que les mâles plus forts
n'ont pas nécessairement la meilleure capacité de reproduction ou
ne protègent pas mieux leurs enfants. En outre, l'approche sociobio-
logique trouve un obstacle beaucoup plus grave : elle ne parvient
pas à intégrer l'intelligence humaine, qualitativement aussi loin de
celle des Primates avec lesquels ont été faites ces recherches. Dans
la pratique, les êtres humains sont intelligents, créatifs, produisent
des changements dans leur environnement et également utilisent
des outils. Cela a conduit à la disparition progressive des instincts
en faveur de l'apprentissage chez les êtres humains. Les critiques à
ces analyses remarquent que plus un organisme est complexe, plus
il dépend des conditions sociales et environnementales et beaucoup
moins des aspects naturalistes et du déterminisme biologique.
Dans ces théories on pourrait inclure d'autres observations, tels
que le développement considérable d'hostilité qui exige un affichage
quotidien de la prétention de supériorité non seulement en ce qui
concerne les femmes et les enfants, mais aussi d'autres mâles. Cette
lutte pour la suprématie est une caractéristique de la masculinité
sociale. D'après V. Seidler (1997) cette manifestation d'hostilité ne
pourrait pas forcément impliquer une confrontation franche, surtout
dans les sociétés démocratiques dans lesquelles préserver les liens est
important, cependant elle suppose une tension constante sur le lien
avec autrui, prête à être résolue par la violence lorsque la tension
est insoutenable. Selon les recherches d'E. Macobby, ceci peut être
observé dans les études sur le développement de l'agressivité chez les
enfants. Il y a des études qui montrent que la fréquence avec laquelle
un enfant attaque ou dérange les autres enfants dépend directement
du résultat de leurs premières tentatives. Lorsque le comportement
agressif est réussi, il est répété. Si l'enfant tente de s'emparer par la
force d'un jouet d'un autre enfant et il l'obtient, la probabilité de ré-
péter sa tentative avec la même victime ou avec une autre augmente
considérablement. Des graphiques montrent comment un enfant
paisible devient agressif jour après jour selon l'histoire de ses ren-
contres avec d'autres enfants, et selon les succès obtenus par ses actes
d'agression. E. Maccoby conclut que « sans aucun doute, la lutte est
un mode de comportement qui s'apprend ». Mais encore une fois,
la question se pose : si les filles et les garçons sont également sen-
sibles à apprendre l'agression, pourquoi chez les garçons l'agression
atteint des pourcentages plus élevés que chez les filles ? E. Maccoby
suggère qu'il est possible que « même si le comportement est appris,

112 •
les garçons sont biologiquement plus disposés à apprendre », mais
précise qu'une prédisposition biologique n'est pas suffisante en soi
pour provoquer un comportement. « Dans un environnement où
les comportements agressifs ne reçoivent pas de récompenses, les
enfants ne se battre pas trop », explique la chercheuse. Dans cet as-
pect nous pourrions mettre en évidence certaines subtilités, comme
par exemple, des environnements dans lesquels le comportement
agressif est décidément désapprouvé, mais secrètement, il est ac-
cepté comme une forme d'expression masculine. Dans ce cas-là il
n'y a aucune condamnation en bloc, mais de façon sélective. Chez
les adultes, par exemple, il y a la disposition de faire « justice par
leurs propres mains », quand arrive des événements tels que la vio-
lence urbaine où on justifie les faits de la contre-violence en tant que
« légitime défense », avec des limites très subtiles et diffuses sur ce
qu'on doit défendre (par exemple lorsqu'il y a des vols de propriétés
ou de voitures). E. Maccoby rapporte des études comparatives des
garçons qui ont su s'occuper de plus jeunes enfants, par rapport aux
garçons qui n'avaient jamais été responsables de plus petits. Lorsque
les deux groupes étaient libres de toute responsabilité envers les en-
fants plus jeunes, ceux qui avaient l'habitude de traiter des enfants
étaient moins agressifs et plus compatissant avec leurs pairs que ceux
qui n'avaient pas eu cette expérience. Maccoby conclut : « ce que
nous considérons important et nécessaire pour réduire le niv eau
d'agressivité de la société moderne, ne voudrait pas dire qu'il serait
sage de faire participer les hommes à la garde des enfants même si,
dans un sens, cela ne leur correspond pas « naturellement » comme
c'est le cas chez les femmes ? Même si je pense que cette approche
suggérée comme une ressource unique est naïve lorsqu'elle prétend
réduire l'hostilité comme une forme de comportement des hommes,
cela pourrait être un bon moyen où commencer ».
Des études comme celles récemment testées mettent l'accent sur
l'importance du déploiement de l'hostilité dans les sociétés à prédo-
minance masculine : les hommes guerriers prêts à se battre comme
un instrument de conquête et de domination. Cela implique culti-
ver une agressivité croissante chez les hommes qui sont destinés à
défendre le champ de bataille, avec un trait distinctif de sa virilité.
En outre, plus une culture stimule les fonctions patriarcales, plus on
fera un étroit rapport entre masculinité et l'incorporation de la vio-
lence comme un axe pour l'identité masculine. Ceci sera naturalisé
à travers des croyances, des mythes ou des disciplines scientifiques

• 113
qui tendent à valider l'hypothèse que le corps masculin est naturel-
lement prédisposé à la pénétration, la conquête, la domination par
sa force physique et son appareil musculaire supérieurs en compa-
raison avec les femmes, ou par la quantité de testostérone. Mais il y
aurait aussi un autre ordre d'explications à ces phénomènes, telles
que celles axées sur les modes économiques de production, qui, à
son tour, impliquent des modes de construction des subjectivités.
En ce sens, les études sociologiques, les analyses économiques et an-
thropologiques comme la division sociale du travail et la division
sexuelle du travail ont créé certains membres producteurs et pro-
priétaires de biens matériels, des biens de production et des biens de
destruction, comme le dit Godelier (1986).
Selon la division sexuelle du travail, les mâles seraient en posi-
tion d'être des membres producteurs et propriétaires, tandis que les
femmes seraient subordonnées à ceux qui sont dans une telle posi-
tion et, selon Godelier, elles seraient subordonnées matériellement,
politiquement et symboliquement. « Qui dit subordination d'un sexe
à l'autre dit différentes formes de violences exercées par le sexe qui
domine sur l'autre : les violences physiques (coups et blessures) et
psychologiques (affronts, insultes, etc.) »
Les rituels d'initiation ont été largement analysés dans différents
chapitres de ce livre, tant en ce qui concerne les initiations des mâles
comme des femelles humains, c'est « la machine qui produit la domi-
nation des uns et le consentement des autres », c'est-à-dire les straté-
gies précoces d'intimidation pour induire la peur du comportement
agressif chez les filles et les garçons. Mais alors que les enfants at-
tendent le moment de se positionner en tant qu'adultes dans la so-
ciété et de pouvoir exercer des exercices hostiles contre les autres,
les filles auront un destin différent : la répression de l'hostilité et sa
transformation dans un autre type de comportement, notamment
sa transformation en amour pour autrui, altruisme, générosité, et la
prise de soin des autres.
Une rapide lecture psychanalytique de ces traits des compor-
tements permettent d'apprécier que tandis que les hommes auront
l'occasion sociale de faire activement à d'autres ce qu'ils ont pas-
sivement subi, les femmes n'ont que des opportunités sociales de
développer certains mécanismes de défense contre des griefs nar-
cissiques, tels que le déni, la dissociation, la transformation dans le
contraire, la sublimation ou bien, retourner contre elle-même l'hos-
tilité subie. L'idéal maternel, avec ses mandats et ses exigences, serait
114 •
le corollaire social de cette destination pour les femmes. L'exercice
de la violence, visible et invisible, est une corrélation nécessaire et
non pas contingente (Fernández, M. A., 1988) pour la distribution
des biens telle que je l'ai soulevée dans cette perspective.
Outre les formations économiques et socioculturelles qui va-
lident la domination masculine à travers l'hostilité et la violence, il
existe quelques hypothèses telles que celles trouvées dans les textes
freudiens sur l'émergence de l'hostilité pour la construction de
la subjectivité et les processus difficiles qui se produisent chez les
hommes ou chez les femmes. Sur le « Pourquoi de la guerre », S.
Freud (1932) écrit à Einstein où, selon lui, il serait adéquat de rem-
placer le terme de pouvoir « parle plus dur et plus retentissant terme,
la force », et que « la Loi et la force sont deux termes antagonistes »,
mais que la nécessité du droit a surgit de l'imposition de la force «
dans les origines archaïques de l'histoire de l'humanité ». Cela signifie
que, « en principe, les conflits d'intérêts chez les hommes sont résolus
par la force ». S. Freud fait l'hypothèse, dans ce texte, que « au début,
dans la petite Horde humaine, une plus grande force musculaire était
ce qui décidait qui s'appropriait de quelque chose et quelle volonté
devait être obéie. Peu de temps après que la force musculaire a été
renforcée et remplacée par l'utilisation des outils, a triomphé celui qui
possédait plus d'armes et qui a su s'en servir avec plus de talent. Avec
l'adoption d'outils ou d'armes, la supériorité intellectuelle va prendre
la place de la force musculaire brute, mais le but ultime reste le même :
les dégâts infligés sur un autre, l'anéantissement de ses forces, feront
qu'il doive abandonner ses prétentions ou son opposition ». On peut
tuer – celui qui a été battu-, ou on peut le garder en vie sous la peur,
et l'utiliser pour effectuer des services utiles, c'est-à-dire au lieu de
le tuer on l'asservit. Il dit que la grande force d'un individu peut être
compensée par une association avec les plus faibles : la violence est
vaincue par l'union. La puissance des individus unis représente alors
le droit, par opposition à la force d'un individu isolé. C'est-à-dire ce
que le droit représente pour S. Freud, car « la loi n'est autre que la
puissance d'une communauté », c'est-à-dire d'un groupe permanent
et significatif qui aurait des intérêts communs78.
« Lorsque les membres d'un groupe de personnes reconnaissent
cette communauté d'intérêts, il se construit parmi eux des liens af-
fectifs, des sentiments grégaires qui constituent le fondement réel
78 Je reprendrai plus tard cette proposition freudienne. N. de la T. : entre
parenthèse dans le texte et non pas au pied de page.
• 115
du pouvoir », dit Freud. Mais il admet qu'il y a dans la communauté
des éléments divers : les hommes et les femmes, les parents et les
enfants, parmi lesquels figurent des intérêts parfois opposés. Ceux
qui ont acquis un plus grand pouvoir également acquièrent une plus
grande autorité, ou bien ils peuvent influencer de façon péremptoire.
Dans cet article, Freud s'étonne qu'Einstein se demande « pourquoi
il est si facile d'exciter les hommes pour la guerre et soupçonne qu'il
y a quelque chose, un instinct de haine et de destruction, qui facilite
cet élan » et il affirme que cet instinct a été étudié longuement par
la psychanalyse dans ses manifestations. Il explique qu'il y a deux
catégories d'instincts humains : ceux qui ont tendance à conserver et
à unifier, appelés « érotiques » ou « sexuels », ou bien les instincts ca-
ractérisés par cette hypothèse comme des « instincts de destruction
ou agressifs », tel que l'antithèse de l'amour et la haine.
Selon Freud, un instinct est aussi essentiel que l'autre, et « de leur
action commune ainsi qu'antagoniste surviennent les manifestations
de la vie ». Un de ces instincts apparaît toujours lié, fusionné, avec
certains composants de l'autre, par exemple, « l'instinct d'amour
objectal a besoin d'un complément de l'instinct de possession pour
s'emparer de son objet ». Lorsque l'agression est dirigée vers l'inté-
rieur du sujet, peut surgir la conscience morale, mais si elle acquiert
une ampleur excessive « elle est directement nocive pour la santé »
(il fait allusion à ces individus qui sont constamment harcelés par
soi-même par le biais de diverses ressources, retournant l'hostilité
contre soi sous la forme de sentiments persistants de culpabilité ou
de manifestations psychosomatiques) « alors que l'orientation de ces
énergies instinctives à la destruction dans le monde extérieur sou-
lage l'être vivant, et doit se traduire par un bénéfice ». Nous pouvons
remarquer qu'à ce stade, le texte devient étrangement normatif, en
ce sens que le déploiement d'hostilité vers l'extérieur soulage, mais il
n'est pas dit comment doit être traitée cette agressivité déchargée. De
ceci, S. Freud conclut que seraient inutiles les propos pour éliminer
les tendances agressives chez l'homme, même au sein des endroits
où la nature est prodigue et pourvoit tout pour sa subsistance, ou
bien dans des sociétés de providence où les besoins matériaux sont
satisfaits, En ce sens il ne coïncide pas avec les observations faites
par la scientifique politique islandaise Jonasdottir A. (1993), qui fait
valoir que dans les sociétés où l'égalité formelle entre les citoyens a
été réussie - ses études correspondent aux pays d'Europe du Nord,
avec les sociétés de providence - l'inégalité entre les sexes persiste

116 •
comme une forme de violence. Elle qualifie de violent le phénomène
que même au siècle XXI dans ces sociétés, les femmes sont encore
chargées des soins des autres et des liens affectifs, et leur puissance
ne peut que se développer que dans des domaines exclusivement fé-
minins, tandis que le genre masculin pourrait exploiter, à leur profit,
cette « disposition naturelle » des femmes.
Pour revenir au texte freudien, par rapport à ceci, dans cet as-
pect où il insiste : « il ne s'agit pas d'éliminer les tendances agressives
humaines, mais on peut essayer de les détourner », faisant appel à
son antagoniste, Eros : « tout ce qui crée des liens affectifs chez les
hommes doit agir contre la guerre ». Ces liens affectifs peuvent être
de deux types : par amour, ou par ce genre de liaison émotionnelle
qui s'appelle identification. Étant donné que Freud participe d'une
certaine culture rationaliste, il suggère qu'on pourrait éduquer une
couche supérieure d'hommes dotés d'une sorte de pensée indépen-
dante, inaccessibles à l'intimidation, et qu'ils soumettent leur vie
pulsionnelle à « la dictature de la raison », bien qu'il s'agisse d'« un
espoir utopique ». Mais il se demande, pourquoi donc « vous et moi
et beaucoup d'autres nous sommes écœurés par la guerre ? », « parce
que nous ne pouvons pas faire autrement. Nous sommes des paci-
fistes, parce que par des raisons organiques nous devons l'être ». Il
établit sa position sur certains arguments intellectuels : il soutient
que depuis les temps immémoriaux il se développe dans l'humani-
té, le processus d'évolution culturelle, qui a produit des modifica-
tions psychologiques, telles que le déplacement progressif des buts
instinctifs et une restriction croissante des tendances instinctives, y
compris l'internalisation des tendances agressives. Ces attitudes psy-
chiques sont niées par la guerre et c'est pourquoi nous les rejetons,
nous ne la tolérerons pas. À ce stade, il se demande combien faut-il
encore attendre pour que les autres aussi puissent devenir des paci-
fistes ? Il espère bien que ceci « ne soit pas un espoir utopique » et
que l'influence de ces deux facteurs - attitude culturelle et la peur
des conséquences - mettent fin aux conflits armés. Ce texte freu-
dien révèle clairement comment pour l'auteur une hostilité affichée
contre tous - la guerre - appartient à des tendances humaines ins-
tinctives, en faisant une équivalence entre l'humanité et les hommes,
puisque dans l'histoire de l'humanité ceux qui ont porté les valeurs
de la guerre et les ont organisées, ont été des mâles. Dans la période
récente la première ministre britannique M. Thatcher dans la guerre
des Malouines (1982) fait l'exception.

• 117
Cette tendance instinctive surtout masculine serait compensée
par la tendance de l'Eros, l'amour, qui ferait office d'identification,
ce qui porterait à l'union, aux liens entre les sujets et à la préserva-
tion de la vie, des attributs « dits » incarnés par les femmes. L'hy-
pothèse sur la pulsion hostile est que qu'il s'agit d'une tendance ou
d'une impulsion de laquelle on ne peut pas échapper, elle est inévi-
table, et elle demande de l'appareil psychique un travail qu'inclue la
motricité. Quand la théorie psychanalytique se réfère à la pulsion
hostile, il fait allusion à une partie de la pulsion de mort dirigée vers
l'extérieur avec l'aide spéciale de la musculature. Parmi les destins
dans la constitution de la subjectivité, j'ai analysé comment ceux-ci
peuvent être déchargés sous la forme d'affects, soit se transformer
sous la forme de désirs, parmi des multiples destinations possibles.
Lorsque la pulsion hostile cherche sa décharge, elle deviendra hos-
tilité. Lorsque la pulsion hostile arrive à se transformer en désir, elle
deviendra désir hostile. La différence entre hostilité et désir hostile
consiste en ce que la première, l'hostilité ou l'agressivité, tel que le
développement des affects, a une tendance seulement à la décharge,
alors que le désir hostile, comme développement de désirs, recharge
l'appareil psychique, l'investit des représentations, ce qui a la capa-
cité intéressante de produire de nouveaux désirs. J'ai parlé à d'autres
occasions (Burin, M. 1987, 1996), des modalités selon lesquelles le
désir hostile peut donner lieu au désir de savoir, sur la base de la
transformation de la pulsion épistémophilique et le désir de pouvoir,
ayant comme point de départ la pulsion d'emprise lorsqu'il se pro-
duit une interaction de ces pulsions partielles.
Généralement, nous pensons que dans une situation de tension
des besoins non satisfaits, la frustration génère hostilité qui tend à
être déchargée. Ce déchargement d'hostilité va produire un soula-
gement immédiat, mais il n'est pas efficace pour la résolution des
conflits, puisque le même conflit reviendra encore et encore. C'est
pourquoi nous disons que la résolution des conflits par la guerre et
par la domination ne parvient pas à anéantir tous les soi-disant en-
nemis, mais à peine à les battre temporairement jusqu'à de nouveaux
combats. Il semblerait que ces destinations pulsionnelles apparaissent
plus chez les hommes que chez les femmes dans nos systèmes cultu-
rels traditionnels. L'exigence pour la décharge de l'hostilité est d'une
certaine manière, une action motrice, plus proche des modes de dé-
veloppement chez les garçons que chez les filles.
Le sociologue espagnol, Josep Vincente Marques (1991) sou-

118 •
ligne à cet égard qu'un mâle peut être potentiellement plus ou moins
agressif ; tout d'abord il sera éduqué à promouvoir son agressivité et
après, indépendamment du quantum d'agressivité obtenue, il sera
considéré comme s'il avait vraiment l'agression que la société attri-
bue au prototype masculin. Ce système n'a pas toujours réussi à faire
des hommes comme prévu, de sorte qu'il est possible qu'un sujet
particulier soit endommagé par ces conditions, dans la mesure où
il est exigé d'avoir une qualité qu'il ne posséderait pas ; mais il sera
protégé par cette attribution des qualités même s'il ne les a pas at-
teint. En outre, que les mâles aient 50 % de plus de force musculaire
que les femelles humaines ne signifie pas que chaque homme est
plus fort que n'importe qu'elle femme. Nous savons qu'aujourd'hui,
les femmes qui sont généralement formées dans les gymnases et les
activités sportives peuvent acquérir la même force physique que les
hommes. Cependant, la culture patriarcale interdit aux femmes cer-
taines activités qui sont autorisée aux hommes, indépendamment de
la force d'une femme ou de la faiblesse d'un homme en particulier.
Pour revenir aux mouvements pulsionnels qu'énonce la théo-
rie freudienne, lorsque les pulsions peuvent être développées sous
forme de désirs, nous nous trouvons face à des désirs amoureux et
à des désirs hostiles. Il semblerait que dans les systèmes patriarcaux
traditionnels, notre développement culturel propose aux filles une
prédominance des désirs amoureux, qui, comme je l'ai expliqué,
construisent des liens, des connexions intersubjectives, des identi-
fications avec autrui, c'est-à-dire, le type de désirs appropriés pour
soutenir l'idéal maternel, et l'emplacement subjectif et social des
femmes en tant que sujets-mères. En revanche, dans cette distribution
il semblerait que correspond aux mâles le développement du désir
hostile, une sorte de désir qui favorise la différenciation, la distinction
et l'opposition à l'autre pour affirmer la subjectivité. Cela semble être
un point d'inflexion dans le développement de l'hostilité : son des-
tin dans la gestation du désir hostile différenciateur, qui découpe le
self, favorise la position d'affirmation de soi, mais n'implique pas
nécessairement l'exercice de l'action hostile susceptible de nuire à
l'autre. Dans le développement générique précoce des filles et des
garçons, la coïncidence de la recherche de l'affirmation de soi avec le
déploiement de l'hostilité envers les autres est typique de l'évolution
des garçons, tandis que les observations des filles révèlent que leurs
mouvements d'affirmation de soi deviennent dissociés de l'exercice
de l'hostilité. Le destin de la pulsion hostile serait lié, d'une part, avec

• 119
le développement de la motricité – lequel, dans la culture patriarcale,
est un type de développement autonome des garçons, avec un moteur
actif qui met en jeu les masses de gros muscles - et d'autre part avec
les types d'érogénéité disponibles pour chaque sujet au singulier, c'est-
à-dire, ces investissements érogènes propres de chaque stade du déve-
loppement psychosexuel, aussi appelés phase orale, anale, phallique et
génitale. L'interaction entre tous ces facteurs donne une complexité
particulière à ces hypothèses psychanalytiques.
Cette répartition classique inégale des conditions de subjecti-
vation des hommes et des femmes est en cours de révision. À pré-
sent, les femmes, dans le collectif féminin, font la promotion du
désir hostile, de sa reconnaissance et de son déploiement ; tandis
que les hommes réclament à présent et favorisent la création d'une
nouvelle valeur de la masculinité. Ces nouveaux critères d'évaluation
en ce qui concerne la construction de la subjectivité masculine gé-
nèrent, à leur tour, des nouveaux répertoires des désirs, comme par
exemple, la gestation de la volonté aimante, comme je l'ai mentionné
dans le chapitre concernant la construction de la subjectivité mascu-
line grâce à des idéaux du Moi, parmi lesquels se pose une nouvelle
constituante de leur subjectivité : être empathique et sensible. L'im-
plication des nouvelles conditions historiques et sociales n'est pas
étrangère à ces nouvelles conditions de subjectivation.
Plusieurs auteurs ont analysé la condition postmoderne actuelle de
la position générique des hommes et des femmes, dans une perspective
féministe (Butler, J. 1992 ; Lin, J., 1995 ; Cornell, D. et Thurschwell, 1990)
révélant une chute des idéaux anciens qui induisaient la construction
appelée « traditionnelle » des subjectivités féminines, et leur remplace-
ment progressif, qui s'étend de plus en plus chez les femmes, par des
subjectivités « innovantes ». J'ai utilisé cette catégorisation ci-dessus,
pour décrire les groupes de femmes qui font face à l'existence du « Pla-
fond de Verre »79 dans leur carrière professionnelle. (Burin, M., 1996).
79 N. de la T. : 'Plafond de verre' en est un concept utilisé par Mabel Burin
pour se référer à une surface invisible qui empêche les femmes d'am-
bitionner des postes professionnels ou de pouvoir. Ce serait un man-
dat de genre, internalisé par les femmes, à partir de la subordination et
ségrégation féminine matérielle et symbolique dans l'espace publique.
Cependant, cette internalisation ne serait pas possible s'il n'y avait chez
les femmes une constitution de son appareil psychique qui contribue au
dit phénomène. Tel que le signale Burin dans un autre texte, ce concept
a été décrit par des sociologues anglo-saxons (Holloway, 1993 ; Davison
y Cooper, 1992 ; Carr Rufino 1991 ; Lynn Martin, 1001) pour se référer
120 •
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au travail des femmes (Martin, 1991) et c'est M. Burin qui l'a développé
du point de vue de la subjectivité féminine.
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122 •
LE GENRE ET LE SUJET DE LA DIFFÉRENCE
SEXUELLE. LE FANTASME DU FÉMINISME 80
Martha Rosenberg 81

« Ce schéma [...] qui utilise subrepticement comme modèle


un des termes de la différence des sexes qu'il s'agit de fonder,
régit, à ciel ouvert et bien avant la psychanalyse, les représen-
tations traditionnelles de la différence des sexes et va de pair
avec l'universalité de la domination masculine ».
Michel Tort, « le différend », 1989.

« De mon point de vue, la priorité semble être la manière de


se battre pour l'égalité dans l'affirmation de la différence. »
Rosi Braidotti, « The Politics of Ontologicla Difference », 1989.

Autant la psychanalyse que le féminisme construisent leurs


théories pour tenter d'expliquer les symptômes qui parlent – à leur
manière – du malaise qu'implique pour les femmes et les hommes
de soutenir les formes publiques et privées de la division de l'espace
et du travail social. Alors que le but de la pratique psychanalytique
est d'éclairer - dans les conditions singulières de chaque individu – le
mode dont chacun construit sa souffrance, mettre à sa disposition
les éléments subjectifs qui lui permettent d'accepter ou de rejeter son
destin dans le monde qu'il habite, celui du féminisme est la transfor-
mation sociale radicale de l'ordre sexuel qui construit les femmes
comme subordonnées. Si nous faisons une comparaison sous la
forme d'une antinomie classique - déjà émoussée -, le féminisme
bouleverse l'espace public avec ce que la psychanalyse garde dans
l'espace privé.
Le concept sociologique de genre82 parle de la construction

80 Traduction Pilar Errázuriz Vidal, revision Francoise Hautot.


81 Psychanalyste, féministe, membre de la Campagne nationale pour le
droit à Legal, Coffre-fort et l'avortement libre et Forum sur les droits
reproductifs.
82 Au départ, j'ai écrit cette note pour un dossier de la revue, « Actuali-
té Psychologique » dont l'en-tête était « Féminisme et psychanalyse ».
Face à la décision éditoriale de changer « Féminisme » pour « genre »,
• 123
culturelle et sociale du sexe comme « l'ensemble des significations
contingentes que les sexes assument dans le cadre d'une société don-
née » (Scott, 1988) ; Il désigne une position culturelle, un ensemble
de rôles intériorisés par les individus par le biais de pratiques so-
ciales, qui reproduisent les valeurs de la formation sociale dans la-
quelle elles sont établies, comme identité sexuelle stable et adéquate.
Ce concept est pertinent au discours de la sociologie, dans lequel
il évoque la division sexuelle de l'espèce humaine. Il est différent du
concept de sexe, correspondant au discours biologique, aussi bien
qu'à celui de la sexualité, dénomination psychanalytique de la pul-
sion qui habite et détermine l'espace de la réalité psychique, dimen-
sion subjective inconsciente de la différence sexuelle symbolique
dans laquelle s'institue le sujet parlant, qui ne se confond pas avec la
réalité du biologique ou la réalité sociale (Adams cité dans Brennan,
1989) ...
Aucune des dimensions entrelacées dans ce nœud n'est suffisante
en soi (si elles pouvaient être isolées) pour appréhender les détermi-
nations de la dynamique des relations entre les sexes et leur subjec-
tivation. De plus, chacune d'entre elles donne lieu à leurs approches
réductionnistes respectives, à savoir : a) la sociologisation qui vise à
expliquer la sexuation seulement par le biais de la prise en charge des
rôles sociaux prescrits ; b) la naturalisation, la médicalisation et la
conception behavioriste du sexuel, qui ignore la dimension du désir
inconscient et c) la considération du système symbolique qui sou-
tient et détermine les places sexuées comme une structure anhisto-
rique de la domination masculine en tant qu'expression invariante et
nécessaire de cette structure. Pour la notion de genre, bien qu'ayant
été produite comme un outil politique de la théorie féministe, il n'est
pas nécessaire ni évident qu'il existe un sujet politique en jeu. Sauf
que nous simplifions la question et considérons comme tel le collec-
tif masculin qui, dans le système actuel de sexe/genre exerce le pou-
voir (Rubin, 1975). Le « Sujet politique » se réfère au terme utilisé

je me suis interrogée sur la signification de cette substitution. La chute


du terme « féminisme », qui a une connotation politique très claire et la
substitution par le terme « genre » - catégorie d'analyse sociologique et
anthropologique imposée et diffusée dans notre milieu universitaire et
intellectuel – est un témoignage et une conséquence paradoxale de la pra-
tique politique et théorique féministe, qui semble maintenant obligée de
s'effacer de son titre, nom originel avoir une place dans notre « actualité
psychologique ».
124 •
en science politique pour désigner des agents de l'action collective
publique, qui se disputent le pouvoir de la formulation des normes
réglant la coexistence.
Les dénommés nouveaux mouvements sociaux qui, en même
temps qu'ils entraînent encore des définitions traditionnelles du poli-
tique, transforment les conceptions dont ces définitions sont fondées
et l'identité de ses membres, provenant de divers secteurs sociaux. La
redéfinition des domaines de la politique, à son tour modifie l'iden-
tité personnelle des individus qui les composent (de Lauretis, 1986).
Ceci est évident chez les mouvements de femmes. C'est évident dans
le mouvement féministe, puisque se déclarer femme appartenant à
un mouvement social modifie l'identité précédente et ajoute la note
de l'auto reconnaissance publique dans un collectif générique, même
si cette étape n'est pas encore strictement politique. Pour parler de
« sujet politique » il est impératif que son action déplace les rap-
ports de force existants entre les sexes. Dans de nombreux cas, tou-
tefois, les « discours du genre » sont énoncés à partir de positions qui
confirment les dispositifs de savoir / pouvoir établis par la culture
dominante phallocentrique, tel que le signale Linda Gordon (cité par
de Lauretis, 1986) :
« Ils existent des traditions de pensée féminine, d'une culture de
femmes et d'une conscience féminine qui ne sont pas féministes [...]
Le féminin c'est nous-mêmes, notre corps et notre expérience so-
cialement construite. Ce n'est pas la même chose que le féminisme,
qui n'est pas une sécrétion « naturelle » de cette expérience, mais
une interprétation politique polémique et une lutte, en aucune fa-
çon universalisable à toutes les femmes » (p. 5). (Citation de David
Ménard p. 4).
« Le féminin » est ce que la femme représente dans les cultures
dominées par les représentations hégémoniques de l'imaginaire
masculin. La perspective de genre risque de cristalliser les femmes
lorsqu'elles s'occupent de « leurs affaires » définies comme telles par
l'imaginaire commun. Par exemple, l'intégration dans les universi-
tés - dans l'espace de la connaissance limitée par les Etudes de la
Femme - s'effectue sans le corrélatif d'une stratégie institutionnelle
consciente de son intention de modifier la structure des rapports de
pouvoir « du genre » dans le domaine spécifique de la politique uni-
versitaire à tous les niveaux. Donc, de cette façon les effets de disloca-
tion obtenus « à l'extérieur » du reste des programmes d'études uni-
versitaires, au niveau du contenu des connaissances sont diminués.
• 125
Quelque chose de semblable peut être dit de l'intégration d'un grand
nombre de féministes « cadres » dans les structures gouvernemen-
tales et dans les organismes nationaux et internationaux, dont l'effet
doit être analysé à la lumière de leurs résultats, en termes de voir si
leur insertion construit subjectivité politique de genre (féminin) ou
se limite à augmenter le pouvoir de certaines femmes pour l'impo-
sition de politiques (de développement ?) qui nécessitent le soutien
et la participation des femmes, mais qui reproduisent les relations
de domination. Dans ces cas-là, le risque (et la caractéristique de
la situation actuelle) est l'abolition de la distance critique et l'appui
extraterritoriale nécessaire au déploiement des activités culturelles
autonomes qui élargissent et approfondissent -en faveur des luttes
anti sexistes- les lacunes qui s'ouvrent dans l'immense pseudo-homo-
généité de l'univers postmoderne.
Il n'y a toujours aucune preuve que « la logique culturelle du ca-
pitalisme tardif » (Jameson, 1991, p. 79) ne soit pas en mesure de dé-
sarmer et de résorber les expressions contre-culturelles qui, dans la
mesure où elles ne peuvent pas prendre de distance avec le système,
peuvent être considérées comme en faisant partie.
Linda Alcoff (1989, p. 13) emprunte à Teresa de Lauretis une
autre définition du genre :
« Le genre n'est pas un point de départ dans le sens d'être quelque
chose de déterminé, mais par contre, il est une position ou une
construction, formalisable d'une façon non pas arbitraire par une
matrice d'habitudes, de pratiques et de discours. De plus, c'est une
interprétation de notre histoire au sein d'une constellation discursive
particulière, une histoire dans laquelle nous sommes les sujets de, et
assujettis à la construction sociale » (de Lauretis, 1989).
Le non recouvrement entre le discours du féminisme et le dis-
cours « du genre » est la conséquence de la pluralité des interpréta-
tions existantes. Le discours féministe considère les relations entre
les sexes basées sur la domination et la subordination sociale des
femmes en tant qu'une construction historique-politique et non pas
un fait naturel, il convoque à une pratique politique qui vise à chan-
ger ces relations d'une manière intégrale. Le féminisme prône et pré-
voit dans son discours et son action, une représentation de la femme
non soumise à l'hégémonie masculine. La femme féministe décon-
struit/reconstruit le féminin et, dans une relation différente avec le
masculin, propose une nouvelle économie de la différence sexuelle.
Rosi Braidotti (1989), à ce sujet a dit :
126 •
« Nous, féministes, nous pouvons alors adopter une stratégie vi-
sant à qualifier de « femme » le stock de connaissances accumulées,
les théories et les représentations du sujet féminin. Cette appropria-
tion n'est pas gratuite parce que « moi, femme » je suis le référent
empirique direct de tout ce qui a été théorisé de la féminité, du sujet
féminin et du féminin. « Moi, femme » je suis touchée directement
et dans ma vie quotidienne par ce qui a été fait du sujet femme ;
j'ai payé dans mon propre corps pour toutes les métaphores et les
images de la femme que notre culture a jugé bon de produire. Les
flux de métaphorisation se nourrissent de mon corps, dans un pro-
cessus de « cannibalisme métaphysique » lesquels la théorie féministe
contribue à expliquer ».
Sur ce point, Braidotti se demande : quel est le lien entre « la
femme en moi » et « la féministe en moi » ? Penser en tant que femme,
au-delà du contenu que l'on pense, met en acte une possibilité de li-
berté qui est éthiquement incorporée comme une contradiction avec
ce qui a été naturalisé (et, par conséquent, impensable) du fait d'être
une femme. Pour la féministe (assumée ou non), c'est de penser le
déni de l'essence historique de la notion de femme reconnue dans
la totalité des définitions des femmes qui ont été effectivement ré-
alisées, construites comme un fantasme masculin, subsidiaires des
rapports de production et de reproduction qui subordonne l'être des
femmes -c'est- à- dire leur existence concrète dans un réseau social
déterminé- aux besoins réels, imaginaires et symboliques de la do-
mination masculine. Braidotti continue :
« [...] la femme qui pense en ce sens sait que penser a quelque
chose à voir non seulement avec la lumière de la raison, mais aus-
si avec les régions sombres de l'esprit dans lequel la colère et la ré-
bellion, par les réalités sociopolitiques liées au statut des femmes,
sont combinées avec l'intense désir de faire des changements. Donc,
quelque chose dans le cadre féministe résiste au discours dominant,
mais, en même temps, quelque chose dépasse l'identité féministe
dans le fait d' 'être une femme' ».
Le projet de donner structure à cet « excès », qui, (à la grande joie
des analystes lacaniens) dans notre - très phallocentrique-culture est
également constitutif de l' « identité féminine », devient un projet
qui cherche à redéfinir la subjectivité féminine au sein de la théorie
féministe.
Dans la confrontation avec l'identité féminine, non plus scindée
mais fragmentée par des conflits antagonistes ayant une potentialité
• 127
incontestablement pathogène, le féminisme interpelle la psychana-
lyse. Et en l'interpellant, tous deux entrent dans une interaction qui
tire parti de leurs contributions, en même temps qu'elle montre ses
limites, et il se produit un questionnement mutuel fructifère.
Telle qu'elle est construite, la différence sexuelle dans la théorie
psychanalytique, conçue comme la position subjective inconsciente
déterminée par la différente signification socio-culturelle du corps
sexué, est un antécédent important du concept de genre, cependant :
« [...] le fait qu'un des termes, le masculin, sert de modèle à
l'autre ; que ce modèle tend à s'identifier purement et simplement
à la « culture », au « symbolique », en naturalisant le féminin ; que
ce modèle se présente à la fois comme anhistorique et étranger à la
différence des sexes, puisqu'il la pose » (Fraisse, David-Ménard, Tort
et al., 1993, p. 6) fait que la psychanalyse ait été vue par le féminisme
comme agent d'une opération sophistiquée pour soutenir les formes
actuelles de relation entre les sexes.
Le Féminisme surgit en tant que mouvement social, ancré dans
la tradition moderne, faisant partie de l'ensemble des luttes pour la
justice d'autres secteurs sociaux subordonnés, avec lesquels il est lié
de façon objective et avec lesquels il doit s'articuler dans la pratique
pour atteindre ses buts de changement social. La représentation de
la fin des relations de subordination, étant son objectif, installe :
« ... une éthique de « discipline utopique », qui consiste à bou-
leverser les perspectives habituelles, la liberté stratégique, l'indé-
pendance des schémas culturellement ancrées, aussi bien éthiques
que théoriques. » (Schnait, 1980). Le signifiant féminisme évoque
alors - presque immédiatement - une tradition politique de gauche,
comprise au sens large de questionnement des rapports sociaux à
partir d'une proposition égalitaire. Et c'est cela même qui passe dans
la substitution de ce signifiant par celui de genre (voir note 1) indi-
quant clairement une incontestable perte de sens, déterminée par
l'échec des projets d'émancipation radicaux qui prétendaient à la ré-
volution socialiste et par la fragmentation sociale inhérente à l'agen-
da néo-conservateur et l'hégémonie idéologique de l'individualisme
postmoderne, qui en est le trait culturel caractéristique.
Le fait que, en essayant de conjuguer aujourd'hui psychanalyse
et féminisme, le « féminisme » a déchu en faveur du « genre » nous
pose des questions sur comment la psychanalyse s'articule avec les
luttes des femmes contre la domination masculine, qui réclament
une théorie de la construction subjective de la féminité (Rose, 1985).
128 •
Si le féminisme bouleverse les habitudes, les idées et les lois qui
régissent les rapports sociaux de sexe, la psychanalyse doit rendre
compte de la subjectivation de ces modifications, qui incluent et qui
concernent sa pratique et ses fondements théoriques.
La différence sexuelle ne ressort pas d'une définition simple,
mais de l'ensemble des stratégies discursives, réciproques et non
complémentaires, qui organisent les échanges sexuels dans les so-
ciétés. Ainsi, les différentes manières dont les représentations de la
différence des sexes apparaissent sont susceptibles d'historisation, et
postuler de son historicité, change l'image de la différence (Fraisse,
1993).
L'inclusion des femmes dans la pratique et la théorie psychana-
lytique et ses effets ont été contemporains du boom des luttes des
femmes pour le suffrage et des changements sociaux provoqués par :
« [...] la première guerre mondiale, dans lequel les femmes ont
été recrutées en grand nombre dans les usines pour remplacer les
hommes appelés à combattre. On oublia, alors, la distinction des rôles
masculins et féminins et le principe de la mère au foyer, des crèches
pour garder les enfants ont été mises en place pour permettre aux
femmes de s'acquitter de leur rôle professionnel (Michel, 1988) ».
Les rapports entre les sexes sont reformulés lorsque la société change
de régime politique, tel qu'il advient dans les révolutions, les guerres,
etc. La tension est alors très évidente et sa logique - entre la volonté
de l'émancipation et la reprise de l'oppression – est clairement visible
(Fraisse, 1993). C'est dans le cadre historique mentionné - qui per-
met la possibilité d'apercevoir une culture alternative non patriarcale
- où se déchaine la controverse théorique sur la sexualité féminine,
connue comme la controverse Jones-Freud. Dénomination sympto-
matique, car c'est Karen Horney qui la déclenche en 1924 lorsqu'elle
écrit « La Genèse du complexe de castration chez la femme », en
réponse à l'article de Freud « L'enterrement du Complexe d'Œdipe ».
Ce travail a été suivi par bien d'autres : Helene Deutsch, Jeanne
Lampl-de Groot, Ernest Jones, Melanie Klein, Joan Rivière - parmi
les plus connus - exprimant des positions diverses : de l'accord ab-
solu avec le Maître, à la dissidence, en passant par le biais de divers
niveaux de questionnement, comme réponse aux arguments contro-
versés de certains auteurs et auteures sur le rôle directeur de l'envie
du pénis dans la constitution de la sexualité féminine et la recon-
naissance des contributions faites par d'autres (que je ne peux pas
reprendre ici). Freud publia en 1931 « Sur la sexualité féminine » ; texte
• 129
clé et contradictoire – duquel il en a beaucoup d'excellentes analyses,
donc, je ferai seulement des commentaires sur certains effets insti-
tutionnels.
Sans cesse, Freud traite sa découverte de l'importance du lien
exclusif de la fille à la mère dans la phase préœdipienne avec le ton
de la surprise et de l'étrangeté :
« La pénétration dans la période préœdipienne de la petite fille
nous surprend comme, dans un autre domaine, la découverte de la
civilisation minoen-mycénienne derrière celle des Grecs. Tout ce qui
touche au domaine de ce premier lien à la mère m'a paru difficile à
saisir analytiquement, blanchi par les ans, semblable à une ombre à
peine capable de revivre, comme si elle avait été soumise à un re-
foulement particulièrement inexorable. Mais peut-être n'ai-je cette
impression que parce que les femmes qui étaient analysées par moi
pouvaient conserver ce même lien au père dans lequel elles s'étaient
réfugiées pour sortir de la phase préœdipienne en question. Il appa-
raît en vérité que des femmes analystes – comme Jeanne Lampl de
Groot et Héléne Deutsch – ont pu percevoir plus aisément et plus
clairement cet état de choses parce que leur venait en aide, chez leurs
malades, le transfert sur un substitut de mère approprié ». (Freud,
1931, les italiques sont miennes).
La difficulté pour saisir et « revivre » ce lien primaire et la surprise
montrée par Freud ici et dans d'autres passages de l'article évoquent
immédiatement – si on a recours à sa métaphore du refoulement
comme enterrement – la levée d'une censure, opérant aussi bien dans
l'élaboration théorique que dans la pratique freudienne, imposée par
la conception naturalisée du désir féminin. L'absence théorique de
cette phase se révèle solidaire de sa difficulté à accepter, par transfert,
ce lien à la mère et aussi à l'irréductibilité de son contre-transfert
paternel, qui lui avait déjà coûté l'échec thérapeutique de l'analyse
de Dora et de la jeune homosexuelle. Au-delà de la capacité extraor-
dinaire et l'honnêteté intellectuelle de Freud, je pense que la levée
de cette censure n'est pas un mouvement purement autonome. On
pourrait penser qu'il a été provoqué par la présence et l'action d'une
communauté objective et non intentionnée de femmes psychana-
lystes qui – dans le cadre culturel androcentré de la psychanalyse
- transgressent la position féminine de l'obéissance silencieuse au
père. Il faut se rappeler que chacune d'elles, en tant qu'intégrantes de
la deuxième génération d'analystes, étaient dans des transferts com-
pliqués avec lui. Elles engagent, donc, un dialogue avec le maître,
130 •
mobilisent d'autres frontières et de nouvelles censures, découvrant
elles-mêmes ou permettant à d'autres de découvrir de nouvelles
questions, d'autres vérités. Ces femmes psychanalystes questionnent
la théorie et proposent des hypothèses ; elles se constituent comme
interlocutrices légitimes de Freud, à son gré ou malgré lui. Certaines
d'entre elles sont citées pour la première fois dans l'ouvrage men-
tionné et elles entrent dans la communauté scientifique en tant que
théoriciennes polémistes en même temps qu'en tant que femmes,
permettant que quelque chose de leurs expériences comme mères
et filles s'inscrive dans les discours théoriques qui fondent leur pra-
tique clinique. Se constitue alors, non seulement une communauté
scientifique vraiment mixte, mais aussi une communauté de femmes
- qui ne participe pas comme un collectif, mais selon sa spécificité
dans l'élaboration des paradigmes fondamentaux de la psychana-
lyse. Avec ceci, devient évidente l'incidence de la position sexuelle
consciente et inconsciente dans l'élaboration théorique et le manque
de garantie d'une vérité scientifique, ce qui implique perdre de vue la
partialité du point de vue masculin, mimetisé neutralité. Une lecture
actuelle insisterait sur la nécessité pour la psychanalyse de prendre
en considération les apports théoriques féministes.
Le bouleversement de la construction freudienne est tel, avec la
découverte de l'importance de la phase préœdipienne de la femme
et la reconnaissance à la contribution de ces psychanalystes femmes,
que le Maître dit : « Comme cette phase permet toutes les fixations et
tous les refoulements auxquels nous ramenons l'origine des névroses,
il semble nécessaire de revenir sur l'universalité de la thèse selon la-
quelle le complexe d'œdipe est le noyau des névroses » (Freud, 1931).
Puis, il est obligé de mentionner (il l'avait déjà fait dans « Le Moi et le
Ça ») et d'inclure en tant que complexe d'Œdipe négatif le lien mère-
fille qu'auparavant il avait nommé « préœdipien ».
Cela confirme bien que la construction œdipienne a comme ef-
fet de poser en négatif la relation avec la mère. Enterrement préalable
à celui du complexe, son archéologie remue les positions soutenues
dans son ignorance et permet leur entrée dans l'histoire. Plus tard,
face à une question épistolaire de Edouardo Weiss sur le sens de cette
expression, Freud répondit : « Je ne sais pas à quoi je pensais ». Re-
connaissance d'un trébuchement qui ne sera pas analysé, d'un dia-
logue suspendu, d'un cours théorique qui n'a pas pu être approfondi.
Non seulement y a-t-il dans ce texte un intérêt théorique pour la
sexualité féminine mais une préoccupation institutionnelle que Tril-

• 131
ling (1990) a appelé « la nouvelle donne » apportée par les femmes
[...] « Cette répression inexorable, c'est-à-dire qui résiste à la prière,
donc à la parole et à la psychanalyse, marquera donc une limite [...]
qui ne serait dépassée que par les femmes ? ». Question appropriée,
étant donné la difficulté que Freud expérimente et admet à accepter
le transfert maternel de ses patientes, sans être menacé par une fé-
minité qu'il craint83.
Malgré le fait que son mandat est transgressé depuis son inté-
rieur et même en dehors, l'institution psychanalytique interdit de lire
les textes freudiens (ou lacaniens) avec une autre attitude qui ne soit
pas la révérence et la supposition d'infaillibilité. D'autant plus si la
lecture est sensible aux effets de la position sexuée de l'auteur comme
limite de sa pensée théorique, qui biaise son approche des problèmes
de la différence sexuelle comme un compromis permanent entre la
perspective inédite qu'ouvre sa découverte de l'inconscient et l'idéo-
logie patriarcale dominante. Ces effets sont ambigus ou asymptoma-
tiques jusqu'à ce qu'ils soient révélés par une pensée qui ne lui est pas
absolument fidèle, comme celle de Melanie Klein. Inexorablement
exclue de la référence freudienne jusqu'à son travail de 1931 (Klein,
1964), elle ose abandonner une approche objectiviste du pénis envié
en faveur d'une conception fantasmatique du pénis chez la mère, qui
remplacera le sein – de celui dont on a déjà expérimenté la réali-
té frustrante – comme une source inépuisable de satisfaction orale.
Avec elle, en outre,
« ... font irruption sur la scène les figures tragiques mais entières
du mythe œdipien [...], la barbarie de l'instinct de mort, la destruc-
tion originaire. Ici règne ce qui est partiel, morcelé, le clivage, ce qui
est saisi, dévoré, etc. À la soi-disant « horreur » ressentie à la vue du
sexe féminin fait place l'horreur – plus plausible celle-là – que l'on
pouvait éprouver devant les désirs de mort, morcellement et des-
truction qui hantent désormais les verts paradis de nos chers petits
(Trilling, 1990).
Le point de vue « féminin » ruine donc la seule scène freudienne
libre d'ambivalence : la relation mère-enfant. Cela ne serait-il pas aller
trop loin ? Cette évocation historique est simplement une illustration de
la puissance subversive (je ne trouve pas de remplacement pour ce mot si

83 Pour une révision du cas Dora avec une perspective féministe, se référer
à Charles Bernheimer et Claire Kahane, Dora's case, Freud, Hysteria
–feminism, London, Virago Press, 1985.
132 •
usé et discrédité) de l'audace intellectuelle des premières psychanalystes.
L'asymétrie sexuelle, le rejet de la féminité (qui dans la théorie de
Freud apparaît comme une structure invariante de la vie humaine),
est résolu socialement par le biais de l'infériorisation des femmes.
Ceci :
« [...] s'inscrit souvent sur un corps mythique de représentations
que reconnait aux femmes un pouvoir antérieur qu'elles ne surent
pas conserver : dans ces temps mythique, elles se révélèrent inca-
pables d'assurer la régularité sociale, péchant souvent par excès ou
par un comportement contraire (blessant leurs hommes au lieu de
blesser les ennemis, par exemple) [...] elles se firent alors dépouiller
par les hommes des secrets et d'objets sacrés qui leur conféraient le
pouvoir [...] ce premier échec fatal [...] fonde mythiquement l'infé-
riorité des femmes et leur nature dangereuse qui, dès lors, nécessite
leur subordination au nom du bien-être de la société ». (Copet-Rou-
gier, E. 1989) (La parenthèse est mienne).
L'asymétrie sexuelle, le rejet de la féminité (qui dans la théorie de
Freud apparaît comme une structure invariante de la vie humaine),
est résolu socialement par le biais de l'infériorisation des femmes.
Le protagonisme de la femme dans le processus de gestation et de
l'accouchement (et, en plus, l'allaitement et le maternage) est la cause
du fantasme d'antagonisme qui peut être inscrit dans la dynamique
phallique : un sexe et non pas l'autre. Cette exclusivité (autant réelle
biologique, qu'imaginaire fantasmée et symboliquement assignée)
ne donne pas à la femme une garantie, toutefois, du maintien de la
domination sur la descendance ; tout au contraire, ceci l'affaiblit et la
destine à l'expropriation, en soulignant la valeur sociale des enfants
et, par conséquent, de la fertilité. Du point de vue du fils et de la
fille, les femmes sont le premier siège réel et imaginaire du pouvoir,
mais aussi les premières qui - inévitablement et ostensiblement - le
perdent, de manière réelle et symbolique. Elles n'ont pas « su » gar-
der le pouvoir ; mais elle « savent » comment le perdre. Elles ont dû
renoncer à l'immédiateté de la fusion du corps et accéder à la dis-
tance sociale, qui révèle qu'un seul sexe est incapable de maintenir la
continuité et la régularité de la vie sociale.
« Dans toutes les sociétés, la sexualité est mise au service du
fonctionnement des multiples réalités, économiques, politiques, etc.,
qui n'ont rien à voir directement avec les sexes et la reproduction
sexuée. Les rapports de parenté, par contre - et c'est là leur impor-
tance -, sont le lieu même où s'exerce directement et dès la naissance,
• 133
un contrôle social de la sexualité des individus, aussi bien celle qui
les pousse vers des personnes de sexe opposé que celle qui les attire
vers les personnes du même sexe. Cette subordination de la sexualité
individuelle n'est pas celle d'un sexe à l'autre ; c'est la subordina-
tion d'un domaine de la vie sociale aux conditions de reproduction
d'autres rapports sociaux. C'est la place de ce domaine à l'intérieur
de la structure de la société, au-delà même de tout rapport personnel
entre les individus concrets, [...] cette subordination impersonnelle
de la sexualité, qui imprime dans la subjectivité la plus intime de
chacun, dans son corps, l'ordre ou les ordres qui règnent dans la so-
ciété et qui doivent être respectés si celle-ci doit se reproduire. Par
des représentations du corps, la sexualité non seulement témoigne
de l'ordre qui règne dans la société, mais aussi témoigne sur le fait
que cet ordre doit continuer de régner. Non seulement à donner un
témoignage de, mais à témoigner pour (et parfois contre) l'ordre qui
règne dans la société et dans l'univers, puisque l'univers même est
divisé en masculin et féminin. » (Godelier, 1993 [MR1]).
Pour les femmes, se penser en tant que femme c'est-à-dire en
prenant son appartenance au sexe féminin comme condition de sa
réflexion et déterminant de leur pensée sur elles-mêmes et sur le
monde - mis à jour une possibilité de liberté qui est éthiquement
incorporée comme un conflit (témoigner pour/de/contre) entre ce
qui est imaginairement vécu comme une donnée naturelle opaque
(représentations du corps) et ce qui peut être pensé, connu, et pour
être accessible à la conscience, transformé. C'est à ce moment-là
que peuvent survenir - paradoxes de la pensée, le déni de la no-
tion de « femme » construite historiquement comme fantasme mas-
culin, subsidiaire des rapports qui la subordonnent. Il n'y a aucune
« femme » qui résiste –ni en tant que fantasme masculin ou fan-
tasme féminin – à un projet d'une pensée marquée par la sexuation.
Mais cette pensée construit des femmes qui ne sont plus les mêmes.
Elles ne sont pas disposées à une validation aveugle d'une vision du
monde qui les met, sans retour, dans la position d'être objet d'appro-
priation (ensuite, d'échange), objet de pensée, objet de désir et même
de vénération, afin de se prêter à la manipulation qui vise à les figer
dans une objectalité opaque, qui fait obstacle à leur accès à la subjec-
tivité. Par le fait de se situer à proximité immédiate de l'expérience
vécue, la pensée féministe est définie comme une pensée risquée et
la théorie féministe, comme un modèle de relation entre la pensée
et la vie.

134 •
La sexualisation et la corporéité du sujet sont des notions clés
dans ce qu'on pourrait appeler « épistémologie féministe » [ces idées]
fournissent des outils conceptuels et les perceptions spécifiques de genre
qui régissent la production de la pensée féministe (Braidotti, 1989).
De cette façon, on met en relief le rôle de l'affectivité dans ce qui
motive quelqu'un à vouloir penser, c'est à dire l'épistémophilie in-
hérente à la redéfinition du Moi corporel. La dette théorique avec la
psychanalyse, dans lequel le corps est construit comme un « horizon
limitant notre pensée et notre discours, et non pas comme identité
intrinsèque ou signification essentiel qui signifie » (Moi, T. 1989).
Comme le souligne Freud, (1931) dans l'une de ses rares références
polémiques aux « féministes parmi les hommes, mais aussi nos
femmes analystes » à propos de la performance culturelle inférieure
de la femme comme être social, la psychanalyse - arme à double
tranchant - ne permet pas de résoudre la question que Freud-même
prévoit ancrée dans le complexe de virilité chez l'homme.
Ambiguïté de la théorie psychanalytique qui, en même temps
qu'elle permet de démontrer que le genre sexuel est effet d'un mon-
tage symbolique, construit la femme autour du phallus comme un
signe. Opérant de cette façon, une réduction du signifiant à une si-
gnification fixée, naturalisée et élevée au paradigme (de l'humain)84
(Wright, 1989).
Produire contradictoirement, en même temps que la reconnais-
sance du sujet, son assujettissement, est caractéristique des systèmes
symboliques. « L'effet de contrainte de la différence sexuelle est iné-
vitable » comme je l'ai dit dans un précédent travail ; « le problème
est la tendance psychanalytique à ne pas penser la différence sexuelle
au sein de la théorie, mais de prétendre déjà pensé ce qui est la simple
reproduction des valeurs sociales » (Rosenberg, 1987).
Le système symbolique hégémonique - qui nous détermine - est
phallique. Quoique son phallocentrisme soit atténué par la négativa-
tion symbolique du phallus comme signifiant du manque commun
à tous les êtres parlants, il est encore marqué par leur dépendance au
réel des rapports de domination masculine du système sexe / genre.
Il n'y a pas de « femme » hors du système, il n'y a pas des genres hu-
mains, mais seulement le sexe biologique, c'est-à-dire une abstrac-
tion. En même temps que le phallocentrisme du système symbolique
dans lequel nous nous constituons et qui nous reconnait en tant que

84 Ce qui est ajouté entre parenthèse m'appartient.


• 135
femmes, le phallocentrisme de la théorie fait de la domination mas-
culine une donnée « naturalisée » de l'ordre symbolique. Comme
le dit dans son ouvrage « D'un sexe à l'autre » M. Tort : « Il semble
que fasse partie intégrante du fonctionnement de certains systèmes
symboliques l'impossibilité de mettre en cause leur propre effet d'as-
sujettissement (référence biblio) ». Et ailleurs :
« Le déni de ces effets par le sujet lui-même pose le problème
capital de ce que Reich ne s'embarrassait pas pour nommer le ma-
sochisme social. Il ne s'agit pas d'imputer à des sujets singuliers l'ac-
ceptation d'un système entier, mais de considérer le système comme
dominé par le sadomasochisme » (Tort, 1989).
La dissociation entre le symbolique et le phallique est le résultat
d'un travail à produire (en réalité, déjà en production depuis plus
de trois décennies) par la pensée théorique féministe et sa pratique
politique. Un « travail d'énonciation et l'énonciation par le travail,
qui, objectivant le réel, combine la production réciproque de l'ob-
jet et la réalité » (de Santos, 1994). La place de la psychanalyse en
ce qui concerne ce processus civilisateur dépend de l'ampleur que
les hommes psychanalystes ou les femmes se sentent interpellés par
les changements historiques et culturels dans les relations entre les
sexes.
Pour répondre avec une production théorique et clinique qui dé-
veloppe une permanente critique et auto critique culturelle et tant
que trait constitutif de sa meilleure tradition, on peut citer Michel
Tort (1989) lorsqu'il dit :
« Les 'castrations symboliques' sont donc un objet d'analyse et
non un objectif de l'analyse [...] À bien des égards, le mouvement
de l'analyse n'aurait d'autre finalité, ni d'autre contenu que de faire
rejoindre au sujet sa place dans les variétés de l'ordre symbolique.
Mais il faudrait éclaircir alors pourquoi l'efficacité symbolisante sup-
posée de cet ordre n'y a pas suffi. Doit-on voir dans la psychanalyse
l'invention d'un dispositif de rattrapage des symbolisations ratées ?
C'est-à-dire une supplémentation scientifique de l'ordre patriarcal
? en un sens tout le malentendu du « symbolique » est là. Ne faut-il
pas supposer que le champ du symboliser analytique introduit avec
l'inconscient une toute autre dimension. » (Tort, 1989).
En effet, ce domaine de la symbolisation analytique ne l'introduit
pas spontanément, mais par le démontage de la répétition transfé-
rentielle dans laquelle on trouve la hantise de toutes les significations

136 •
traditionnelles transmises d'une manière « phylogénétique ».
Même si la psychanalyse peut rendre compte de la subjectiva-
tion individuelle des systèmes symboliques actuels, en agissant sur
le « malaise dans la culture », se déplaçant a posteriori des modifica-
tions sociales. La supposition de la neutralité exempterait ses prati-
ciens d'être impliqués dans les changements du système symbolique
promus par le féminisme en tant que mouvement politique. Toute-
fois, le grand paquet théorique du « malaise dans la culture » inclue
des malaises qui ne sont pas inhérents à l'hominisation de l'espèce,
mais qui résultent des conditions dans lesquelles se sont établies les
relations de domination dans le passé, dont l'actualisation en tant
qu'invariante structurelle est une opération politique que ne doit pas
être ignorée comme telle.
De cette manière, on substitue l'éclaircissement des conditions
matérielles historiques dans lesquelles ces relations se produisent et
prennent leur signification. Leur connaissance pourrait débloquer
les croyances sur l'éternité et la fixité des malentendus sexuels et le
constituer, pour les deux sexes, comme un espace de déploiement
créatif des rapports non oppressifs de sexe /genre.
En revanche, dans certains discours féministes peut être entendue
l'aspiration à construire « un monde commun des femmes » (Collectif
N° 4 à Milan, 1990) comme figure de l'exclusion des hommes-mêmes
et non pas du « monde des hommes », construit par l'homo-socialité
masculine qui maintient l'alliance patriarcale. Par ce renversement
en miroir, l'application de ce monde des femmes (si bien que c'est
un fait historique avéré que dans certaines circonstances, l'ouver-
ture du mouvement, peut être une tactique appropriée à construire
une identité de genre qui permet l'action politique) apparaît avec
les contours d'une stratégie d'expulsion du composant masculin de
l'humanité, plutôt que de se livrer à une élaboration critique de la
masculinité actuelle. Enfermée dans la dichotomie sexuelle qu'elle
dit combattre, cette politique ne garantit pas (mais plutôt menace) la
réalisation démonstrative de la capacité symbolique féminine pour
générer un monde égalitaire pour tous les humains, quel que soit
leur sexe.
Comment conserver dans la pensée la marque d'une expérience
sexuée, non idéalisée ou reniée, qui l'enrichisse et lui permette la
production d'un ordre social non oppressif ? (Rosenberg, 1993).
C'est- à-dire, comment à partir des identités au sein des rapports
actuels de domination sexuelle, nous construisons, nous pensons –
• 137
je dis cela en opposition à nous sommes – en prenant une distance
idéale et réelle des déterminations qui nous soumettent, notre sortie
vers une des-identification des lieux imaginaires des oppresseurs et
des opprimées. Comment à partir d'un endroit nécessaire à la struc-
turation qui nous soutient, nous pourrions organiser de nouveaux
lieux de liberté et non pas de nouvelles versions du même ?
Les risques – quoique non obligatoires – sont évidents : la dou-
leur, la solitude, la maladie, la folie et la mort. Les aboutissements
– même s'ils sont multiples - jamais ne correspondent à l'image uto-
pique qui nous mobilise. Le « comment faire » se révèle aujourd'hui,
la question fondamentale de la politique. Nous savons déjà que les
formules connues (réforme/révolution) ne parviennent pas à pro-
voquer les changements structurels qui nous semblent nécessaires.
« La crise des idéologies », scepticisme informé (ou non), résignation
reniée pour assurer la continuité de la vie dans l'opacité quotidienne.
Ceux dont la vie quotidienne compromet la survie, sont-ils les seuls
qui peuvent constituer une force (parfois dissociée de la réflexion
stratégique des conséquences) pour produire des liens sociaux plus
libres et plus égalitaires ?
Comment transformer la « passion de la différence » (Muraro,
1987) en pensée et action politiques ? Personne ne peut épargner –
aux femmes/féministes – le travail de l'énonciation qui fonde en acte
la dimension dialogique de la différence sexuelle, en interlocution
avec un discours masculin – et non pas soi-disant neutre – qui met
en scène deux sujets différemment sexués et non pas un seul et à son
fantasme.

138 •
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140 •
LA PSYCHANALYSE ET LES ÉTUDES DE GENRE :
UNE LIAISON DE CONVENANCE ? 85 86
Pilar Errázuriz Vidal 87

Le concept de « genre » et « système sexe-genre » a été théorisé


par un médecin psycho- endocrinologue américain, John Money en
1955, en extrapolant le terme de la grammaire à la psychologie pour
désigner « mâle et femelle ». Après une étude rigoureuse sur des pa-
tients nés hermaphrodites ou avec un sexe ambigu et traités par lui
pour leur procurer un sexe défini. Il a observé, après des années de
suivi de ces patients, a trouvé que, indépendamment de la génétique,
des gonades et des hormones, définir leur identité comme appar-
tenant à l'un ou à l'autre sexe était étroitement lié à l'attribution du
sexe que des adultes significatifs avaient projeté sur eux. Il a appelé
ceci le « système sexe-genre ». Plus tard, le psychanalyste américain
Robert Stoller, a défini « le genre » et « l'identité sexuelle de base »
(core gender identity), en tant que « le sentiment précoce et intime de
se percevoir en tant que fille ou garçon » (Burin et Meler, 2009 : p.
49). Stoller, professeur de psychiatrie à Université de Californie, Los
Angeles, a travaillé avec la diversité sexuelle et le transsexualisme,
non seulement dans l'analyse clinique, mais aussi dans la recherche
ethnographique.
85 Re-édition de l'article publié dans la Revue Gradiva, ICHPA, Chili,
20015, sous le titre de « L'inconscient, a-t-il un genre ? ».
86 Traduction Pilar Errázuriz Vidal (qui souscrit cet article), révision
Francoise Hautot.
87 Psychanaliste, Psychologue U. René Descartes, Sorbonne, Paris ; Doc-
teure en Etudes des Femmes, U. de Valladolid, Espagne. Á présent, Di-
rectrice du Centre de Genre et Culture à la Faculté de Philosophie de
l'Université du Chili. Chargée de Psychanalyse, genre et les sciences so-
ciales au Master en Etudes de Genre, Faculté de Philosophie, U. du Chili
Directrice du Diplôme en Psychanalyse et Genre à l'Université du Chili
avec la collaboration de l'Institut Psychanalytique du Chili. Chercheuse
en clinique psychanalytique et genre (Madrid- Santiago du Chili) dès
1986 à présent. Exercice de la psychanalyse clinique dès 1980 à 2002
(Madrid). Elle a publié plusiserurs articles et chapitres de livres, et des
livres, les plus relevant sont « Misoginia romántica, psicoanálisis y sub-
jetividad femenina », 2012, PUZ, España, « Misogynie romantique, psy-
chanalyse et subjectivité féminine », et « Filigranas Feministas », Elipse,
Chili, « Des filigranes féministes ».
• 141
Le concept de « genre » et de « système sexe-genre » est devenu
un des objets d'étude des sciences humaines et sociales, assimilé à la
construction culturelle de la masculinité et la féminité à partir de la
différence sexuelle biologique. Aussi bien, la désignation du genre et
de ses normes, est constitutive de la construction de la subjectivité
et des identifications (conscientes (et) inconscientes), et de ce fait
devrait faire partie du champ de la psychanalyse. Cependant, la ma-
jorité des psychanalystes confine ce terme à la sociologie, et résiste
même à le considérer comme objet de discussion. Nous pensons que
l'assimilation de la notion de genre par la psychanalyse est très perti-
nente, surtout si nous revenons à son origine lorsque cette discipline
a découvert que le psychisme, la subjectivité et la différence sexuelle
ne sont pas donnés d'emblée mais constituent un processus dialec-
tique du sujet avec l'ordre symbolique et imaginaire de la culture,
un système binaire quant aux sexes et à la sexuation. D'autant plus
que la psychanalyse assure qu'il y a un ordre symbolique relevant du
Droit du Père qui « range » la sexuation en faisant des hommes et des
femmes des sujets « assujettis » au dit ordre, à la différence entre les
sexes et des générations. Freud rend compte de la suprématie du père
comme l'organisateur de la culture et comme maître de cérémonie
du processus de subjectivation.
L'interdiction imposée par le processus de construction de
soi, avec la fameuse phrase « là où était le ça, le moi doit advenir »
(Freud, 1933 / 1981, p. 3146) s'ouvre la complexité avec laquelle on
doit combiner la première et la deuxième topique. Comme le sou-
ligne Freud, « de toute évidence le ça ne connait pas de jugements de
valeur ; ne connaît pas ni le bien ni le mal » (p. 3143) moral. « Des
motions [pulsionnelles] contradictoires habitent côte à côte sans se
supprimer l'une de l'autre ou se soustraire l'une de l'autre, mais qui
se fondent sous la contrainte économique dominante, dans des pro-
duits transactionnels pour la dérivation d'énergie » (p. 3142).
Jusqu'ici le réservoir pulsionnel est à son aise, mais, comme nous
le savons, ce sera l'avènement du Moi dans le territoire du Ça, avec
ses contenus conscients, préconscients et inconscients, ce dernier
imprégnant en coulisses la scène psychique. Le principe de réalité
en vient à rendre le scénario plus complexe encore, établissant des
limites au principe du plaisir : s'installe le (Surmoi) constitué par
intériorisation des exigences et des interdits des parents (donc, de
la culture), en délimitant un territoire de l'Idéal du Moi, produit
aussi par des idéaux d'exemplarité des parents (et de leurs généa-

142 •
logies), et pourquoi pas, aussi de leurs expectatives conscientes ou
inconscientes du sujet en processus de devenir. Ces règles qui assu-
jettissent l'être humain, qui le rendent sujet proviennent d'un ordre
symbolique dont la fonction paternelle est celle qui assure cette
construction ; en citant Michel Tort (2008) : « la psychanalyse iden-
tifie dans la fonction du père le ressort de « la loi », qui garantit l'ins-
titution du sujet (en un mot, ce qui nous rend des sujets) », (p 13).
Où ces règlements sont-ils nés ? Ces règlements sont nés des normes
patriarcales, du système patrilinéaire avec l'interdiction de l'inceste,
l'exigence de l'exogamie et de l'imposition de l'hétérosexualité obli-
gatoire afin de reproduire l'espèce.
Tout ceci est bien connu, mais on le relève ici pour montrer que
ce que les études féministes et du genre on bien souligné depuis sa
constitution en ce qui concerne le système patriarcal, avec ces carac-
téristiques phallocrates, apparaît naturalisé tout au long du travail
de Freud et Lacan. Qu'ils n'aient pas mis en question le système en
tant que construction historique, ne veut pas dire que le champ psy-
chanalytique ignore la question du genre. Elle y est implicite, même
si un grand nombre de psychanalystes ne veulent pas le reconnaître.
Cela ne veut pas dire qu'une seconde lecture des textes psychanaly-
tiques freudiens et lacaniens ne le rende évident.
Lorsque Lacan se réfère aux études de Lévi Strauss sur la
construction du système de parenté, il lie la réflexion freudienne
de la sexuation avec une dimension anthropologique et historique.
C'est-à-dire qu'à la théorie freudienne d'un début de l'humanité sous
l'emprise d'un père tout-puissant, dérivant en une fratrie également
dominante sur les femmes, Lacan a ajouté la législation de la parenté.
Qui dit loi, règlement, interdiction, modèles, se réfère au « pouvoir »,
comme Judith Butler nous le fait savoir (1997) : « le processus de de-
venir sujet assujetti, [...] et cette sujétion implique une dépendance
radicale » (p. 95). La loi du père est le pouvoir exercé par le père. Père
symbolique qui s'exprime dans la filiation existant dans notre civili-
sation : c'est seulement le nom de famille (l'inclusion dans la lignée
du père) qui nous rend reconnaissable aux yeux de la jurisprudence,
la mère n'a aucun nom de famille, elle porte le nom de son père.
C'est-à-dire que notre filiation est celle de notre père unie avec
celle du père de notre mère. Elle vérifie une fois de plus l'échange
entre les hommes, le père / gendre, pour la procréation humaine
en accord légal et citoyen du système de parenté que Lévi Strauss a
décrit. Les hommes sont les sujets des échanges et les femmes, de-
• 143
viennent les objets échangés. À ce propos, Michel Tort (Tort, 2008)
souligne que : « l'utilisation d'un nom de famille apparaît environ au
même moment dans tous les pays occidentaux, autour du XIe siècle »
(p. 348) et ajoute « en l'espace de deux siècles, les droits des femmes
sont réduits progressivement car ils venaient perturber la logique de
la lignée qui a été mise en œuvre » (p. 348) et continue « le nom
renvoie clairement à une idéologie du sang, race, car il transmet les
vertus de classe de mâle à mâle » (p. 348). C'est à dire, le système
patrilinéaire qui se mondialise dans l'histoire de l'humanité à un mo-
ment donné et qui survit jusqu'à ce jour.
La théorie psychanalytique (le développement du complexe de
Œdipe et de castration), est basée sur la lecture des singularités et
des diverses façons d'accommoder / de s'accommoder aux normes
civilisatrices qui organisent le psychisme, selon les modèles patrili-
néaires. La théorie psychanalytique intersubjective (issue de la pen-
sée de Winnicott) soutient que ces mandats et les normes relatives
à la différence sexuelle, à l'hétérosexualité obligatoire, au destin des
hommes et des femmes selon le mythe du « héros » et de la « mère
nourrice » respectivement, soit l'organisation à l'intérieur des canons
du genre, sont transmis au nouveau-né par l'institution de la famille
d'un système plus ample que Castoriadis a appelé « l'imaginaire so-
cial » et Bourdieu, « les institutions du symbolique ». Ni plus ni moins
que ce que découvre Freud sur l'identification précoce, l'Œdipe et la
construction de la différence sexuelle, le surmoi et les idéaux du moi.
En d'autres termes, le processus de subjectivation installe le sujet sur
les rails des genres, ce qui se passe sous la vigilance des institutions,
la première d'entre elles, étant la famille. Ceci ne se réfère point à ce
qu'on appelle « les rôles de genre » ce qui concernerait la psychologie
sociale, mais, au « sentiment intime de se reconnaître masculin ou
féminin » c'est-à-dire, de l'identité sexuelle qui est l'apanage de la
psychanalyse et donc, des caractéristiques établies dans le système
symbolique et dans l'imaginaire social pour chaque genre en fonc-
tion du sexe anatomique.
Quand ce « sentiment intime » s'installe-t-il chez le sujet ? Pour
l'école anglaise du dualisme sexuel, d'après Ernest Jones « Dieu les
a créés homme et femme », et en cas d'échec, si cette création di-
vine échoue, ce serait dû à une résistance défensive de s'assumer
homme ou femme. Selon la théorie intersubjective contemporaine
(Dio Bleichmar, 1997), au temps de la gestation, connaissant déjà
le sexe de la créature, les prochains lui assignent un genre en ac-

144 •
cord avec son sexe biologique. Néanmoins, faut-il bien se référer à
ce que Freud signale, en 1905 de manière catégorique et avec une
certaine ironie :
« Nous trouvons la meilleure interprétation de la notion po-
pulaire de pulsion sexuelle dans la légende pleine de poésie selon
laquelle l'être humain fut divisé en deux moitiés — l'homme et la
femme — qui tendent depuis à s'unir par l'amour. C'est pourquoi
l'on est fort étonné d'apprendre qu'il y a des hommes pour qui l'ob-
jet sexuel n'est pas la femme, mais l'homme, et que de même il y a
des femmes pour qui la femme représente l'objet sexuel. On appelle
les individus de cette espèce : homosexuels, ou mieux, invertis, et
le phénomène : inversion. Les invertis sont certainement fort nom-
breux, encore qu'il soit souvent difficile de les identifier » (Freud,
1905 / 1981) (pp. 1172, 1173).
Nous pouvons donc penser que l'assignation mécanique de pro-
jeter / assumer le genre correspondant au sexe biologique n'est pas
toujours coïncidente, tel que Money l'a découvert en 1955. Quelles
sont les forces inconscientes en jeu dans une assignation de genre
« déviante » ou « erronée » lorsqu'elle ne correspond pas avec le
sexe biologique ? Désirs contradictoires dans la famille ? Généalo-
gies dysphoriques ? Y a-t-il, donc, un champ de l'inconscient qui
échappe à la Loi, ou au moins à la différence sexuelle pour ce qui est
du genre en tant que « sentiment intime » d'appartenance terme à
terme au sexe biologique/anatomique ?
Lorsque Freud propose le monisme sexuel, c'est-à-dire une li-
bido unique (masculine = active) pour hommes et femmes, indif-
férenciée pour les deux sexes, et lorsqu'il décrit le parcours de sub-
jectivation (soumission à des normes symboliques et matérielles qui
organisent l'espèce humaine), il fournit un fait intéressant en faisant
référence à la construction de la féminité et l'entrée des femmes dans
le complexe œdipien, en d'autres termes, comment transformer cette
libido « masculine = active » c'est-à-dire le désir chez les humains
commun à tous, a une position féminine (non plus « active ») selon
les normes du système patriarcal :
« Le complexe de castration de la fillette naît aussi à la vue des
organes génitaux de l'autre sexe. Elle s'aperçoit immédiatement de la
différence et en comprend aussi, il faut l'avouer, toute l'importance.
Très sensible au préjudice qui lui a été fait, elle voudrait bien, elle
aussi, avoir un machin comme ça ». (Freud, 1933 / 1981, p. 3172).

• 145
Il dit plus encore :
« Le complexe de castration, loin de détruire le complexe
d'Œdipe, en favorise le maintien ; le désir du pénis pousse la
fillette à se détacher de sa mère et à se réfugier dans la situa-
tion œdipienne comme dans un port. » (Freud, 1933 / 1981,
p. 3174).
Et ajoute :
« Seuls les rapports de mère à fils sont capables de donner à la
mère une plénitude de satisfaction, car de toutes les relations
humaines, ce sont les plus parfaites et les plus dénuées d'am-
bivalence. La mère peut reporter sur son fils tout l'orgueil qu'il
ne lui a pas été permis d'avoir d'elle-même et elle en attend
la satisfaction de ce qu'exige encore le complexe de virilité. »
(Freud, 1933 / 1981) : (p. 3177).
Dans cet article, le Maître se réfère aux femmes qui acceptent le
destin normatif de la féminité, donc à celles qui assument le « genre
féminin ». Il ne se réfère pas à « l'être humain femme », c'est-à-dire
à « toutes les femmes », car, d'après lui, certaines femmes peuvent
avoir de toutes autres destinées : le renoncement à la sexualité ou
bien, continuer avec le complexe de virilité, c'est- à-dire avec l'envie
d'un attribut masculin (pénis) signe « d'importance ». Donc, Freud,
sans utiliser le terme « genre », nous parle du genre en faisant la dif-
férence entre sexuation de la femme féminine, celle qui assume « son
genre » et la sexuation des autres femmes, celles qui suivent d'autres
destins. Enfin, si garçons et filles naissent alimentés tous les deux
par une même libido (désir), dans le cas de devenir « femme fémi-
nine » et d'abandonner la « virilité » qui a été installée dès le départ,
le psychisme de la fille requiert des opérations bien plus subtiles et
complexes que celui du garçon. D'après la psychanalyste argentine
Mabel Burin, la petite fille, qui suivra le développement normatif
de la féminité, pour entrer dans l'Œdipe devra renoncer à la pulsion
d'emprise et au désir de puissance, refouler ce dernier partiellement
ou totalement (1987).
Le destin de la maternité sera pour les femmes le territoire le
plus approprié pour, de façon active, accomplir leur investissement
libidinal et le canaliser en produisant un fils (de préférence un gar-
çon en possession du signe privilégié, le pénis). Cette théorie sur le
désir d'enfant et donc, d'être mère, a aussi de l'intérêt pour les études
de genre, car Freud ne considère pas la maternité et le désir d'enfant

146 •
chez les femmes comme étant un phénomène « naturel », génétique,
ou un destin biologique universel. Le désir d'enfant est construit à
partir d'une frustration (ne pas naître mâle), il serait donc, plutôt
un désir de compensation, d'après la célèbre équation pénis=enfant,
qu'un but per se, la preuve étant qu'il existe des femmes qui ne dé-
sirent pas d'enfant, et suivent les autres destinées décrites dans la
théorie. Freud marque un point pour détruire la croyance sur « l'ins-
tinct maternel » et nous montre comment la validation des femmes
dans un psychisme qui a été construit par un système symbolique où
ne pas être mâle est moins considéré, peut s'obtenir en renforçant le
narcissisme en étant mère (d'un mâle).
Une importante partie du matériel freudien se réfère aux ef-
fets de subjectivation produits par le système de sexe/genre phal-
locentrique. Freud nous renvoie également à l'origine de la civilisa-
tion comme étant absolument sous la puissance du père et puis de
la fratrie virile (Totem et Tabou). Cependant il se réfère à l'existence
d'un autre ordre symbolique antérieur au patriarcal, lorsque dans
son article « Moïse et le monothéisme » en pied de page il assure que
l'humanité avait besoin d'un Dieu volcanique, Zeus, pour remplacer
les divinités maternelles de « ces temps sombres ». Il assure que « En
Crète on adorait dans le temps, et probablement dans tout le monde
égéen, la grande mère des dieux. » (1934-8 / 1981, p. 3266). À ce
propos Freud nous dit ce qui suit :
« Il est presque certain qu'en ces temps obscurs, la divinité fe-
melle fut remplacée par des dieux mâles (peut-être originellement
par ses fils). Le destin de Pallas Athéné est particulièrement impres-
sionnant, car cette déesse était certainement une forme locale de la
déité mère. Le bouleversement religieux la réduisit à l'état de déité
fille, elle fut privée de sa propre mère et frustrée pour toujours, du
fait d'une virginité imposée, de tout espoir de maternité » Et voilà.
Le changement au système patriarcal est reconnu comme étant une
construction historique non pas originaire comme il le prétendait
dans Totem et Tabou. Aussi se réfère-t-il dans le même article :
« Un processus plus tardif se présente à nous sous une forme
bien plus tangible : sous l'influence de conditions extérieures qu'il ne
nous appartient pas d'étudier ici et qui d'ailleurs ne sont pas toutes
bien connues, une organisation patriarcale de la société succéda à
l'organisation matriarcale, ce qui naturellement provoqua un grand
bouleversement des lois alors en vigueur. » (Freud, 1934/1981, p.
3309).
• 147
Dans un autre paragraphe du même article, il précise que :
« Les dieux mâles furent d'abord représentés comme des fils
aux côtés de leurs puissantes mères et c'est plus tard seule-
ment qu'ils empruntèrent la figure paternelle. Les dieux mâles
reflètent les conditions de l'époque patriarcale : ils sont nom-
breux, doivent se partager l'autorité et obéissent parfois à un
dieu encore plus puissant qu'eux. Un pas de plus et nous voilà
en face du sujet qui nous occupe ici : le retour à un dieu père,
seul, unique, omnipotent. » (Freud, 1934 / 1981, p. 3291).
Ces réflexions freudiennes s'avèrent tout à fait pertinentes pour
les études féministes et de genre quant à un système symbolique
construit et non pas ‘naturel'. Freud même reconnait (malgré sa
théorie de Totem et Tabou) l'apparition du système patriarcal à un
moment historique donné, donc transitoire, de même que tous les
cycles historiques, parfaitement remplaçable dans le futur car ce sys-
tème phallocentrique ne serait pas « spontané » ou « naturel » à l'hu-
manité, mais construit d'après un processus croissant de domination
masculine. Aussi, les réflexions de Freud à ce propos nous rappellent
la thèse de Bachofen sur l'existence antérieure d'un matriarcat inca-
pable et inefficace pour conduire l'humanité et qui dut être renversé
pour établir un ordre autre, l'ordre des Patriarches. Il soutient même,
avec des données certaines, qu'il existe encore dans le présent des
« traces du droit maternel ».
Malgré ces réflexions si peu flatteuses sur la conduction de l'hu-
manité par les femmes, la théorie psychanalytique et l'anthropologie
reconnaissent bien l'existence d'un ordre symbolique antérieur au
Patriarcat historique, un ordre issu du droit maternel et de la ma-
trilinéarité qui –d'après des recherches archéologiques et anthropo-
logiques récentes- a existé au moins en Europe méditerranéenne et
centrale pendant plus de 7000 ans avant l'établissement complet du
nouveau système de domination virile qui se situe aux environs de
l'année 1100 av. JC. À cette date en Crète non seulement on adorait
encore la Déesse Mère (la Potina) mais les femmes y jouissaient d'une
reconnaissance sociale, politique, économique et religieuse certaine.
Tout ceci pour dire que Freud n'ignorait pas qu'il y ait eu un com-
mencement historique plutôt récent du système phallocentrique (ces
derniers 4000 ans) et que la filiation uniquement masculine et l'im-
position de la loi du père ait été un fait arbitraire, historique et non
pas naturel ni originaire. Comme l'indique le psychanalyste français
Michel Tort (2008) « en effet, dans la « fonction universelle » du père
148 •
on trouve le schéma de la Sainte Famille, où le père fait la Loi de la
mère » (p. 15) et remarque de manière ironique que : « on voit alors
que ce que les psychanalystes ont identifié dans le fonctionnement
psychique comme un transitoire « primat du phallus » transformé en
la primauté du « principe phallique », n'aurait pas comme il paraît,
aucune relation avec la domination masculine, et serait un pur fait
de l'inconscient hors de l'histoire » (p. 15).

PERVERSION, SUBVERSION OU RÉSISTANCE ?


De quel territoire de l'inconscient « en dehors de l'histoire »,
parle-t-on à propos du « principe phallique » ? Certainement pas du
Ça, puisque, comme nous l'avons vu, « de toute évidence le Ça ne
connait pas de jugements de valeur ; ne connaît pas ni le bien ni le
mal » Freud, 1933/1981, p. 3143), et on peut ajouter qu'il ne connaît
pas non plus la contradiction, voire la différence. C'est-à-dire que
c'est le territoire de l'inconscient, hors la Loi. Il serait donc igno-
rant des opposés, c'est-à-dire de la différence binaire de sexe/genre
et, surtout des contraintes sur la pulsion sexuelle qui n'a pas d'ob-
jet fixe. Est-ce alors la construction du Moi (une partie du Ça) qui
accueille la primauté du principe phallique et le conserve dans son
inconscient ? Mandats et idéaux ? si le Moi est né du Ça, ne garde-
rait-t-il pas aussi dans son inconscient des rudiments de l'ignorance
de la Loi ? Ses rudiments ne se faufileraient-t-ils pas quand même au
sein de l'intériorisation des mandats du système patriarcal ? Ou bien,
faut-il penser que le principe phallique ‘anhistorique' constitue le roc
biologique sous-jacent du psychisme ?
On est bien surpris de lire un dernier article de Freud, qui, ap-
paremment est contradictoire avec un grand nombre de ses propos
sur la bisexualité humaine, sur les pulsions et leur liberté d'élection
d'objet, sur le processus de sexuation, enfin de tout ce qu'il a refusé
de la sexologie du XIX siècle :
« Chez l'homme, la tendance virile existe depuis le début
et se trouve parfaitement conforme au Moi. [...] Chez la
femme, l'aspiration à la virilité reste aussi, pendant un temps,
conforme au moi, à savoir pendant la phase phallique, avant
le développement de sa féminité. Plus tard, cependant, cette
aspiration subit le remarquable processus de refoulement de
l'issue duquel, comme nous l'avons plusieurs fois répété, dé-
pendent le destin de la féminité ».

• 149
Autant dans le même article, le Maître s'opposant à une hypo-
thèse de Fliess à propos de ce refoulement chez la femme, signale
que « je ne ferai ici que de renouveler mon refus de sexualiser de
telle manière le refoulement, c'est-à-dire d'en fonder l'origine sur des
bases biologiques et non psychologiques », il soutient le contraire
plus loin et pour en finir avec cette dernière hypothèse :
« Le refus de la féminité ne peut être qu'un fait biologique, une
partie du grand mystère de la sexualité ». N'oublions pas que ce refus
de la féminité apparaît comme généralisé à l'espèce humaine comme
le propose cette dernière hypothèse freudienne, constituant le com-
mun entre homme et femme. (Freud, 1937, 1981, pp. 3633-4).
Nous savons que Freud n'ignorait pas la préhistoire lorsque
le « principe féminin » était objet de culte... La Venus d villendorf
(25.000 ans av. JC.) a été découverte à Vienne en 1908. Lui-même re-
connait un processus de transformation sociale et politique du droit
maternel à la loi du père qui ne s'achève que tardivement dans l'his-
toire (de) l'Occident, voire dans l'année 1100 Av JC. Donc, le refus
de la féminité n'est peut-être qu'une conséquence de la domination
virile qui survint à un moment donné dans l'histoire de la civilisation
occidentale avec le développement culturel d'une violence symbo-
lique envers les femmes qui ne pouvait qu'être issue des stratégies
de colonisation, avec, comme conséquence, une valeur amoindrie.
Que ce refus de la féminité ait été intériorisé par des hommes et des
femmes, est peut-être possible puisque tout ce qui ressemblait au
« féminin » devenait subjugué, dévalorisé, soumis, donc un attentat
au narcissisme des sujets hommes et femmes qui n'étaient pas très
solides quant à des identifications puissantes.
Même si Freud nous a appris à regarder l'histoire de l'humanité
et à conclure des effets du temps passé dans la construction de la
psychologie des humains, les psychanalystes en général résistent à
faire de même. La conséquence de ceci pour la théorie et la clinique
est la naturalisation de ce qui a été construit, voire des normes de
genre acquises ou imposées qui brouillent les découvertes premières
de la psychanalyse quant à la complexité de la sexuation, le kaléidos-
cope du désir, et la définition pathologique des « déviations » de ces
normes. Normes construites par un système qui s'est joué pour une
biopolitique de domination de sexes, de classes, de races, etc. exer-
çant un contrôle permanent des sujets comme l'indique Foucault.
Mais la naturalisation n'est pas présente chez Freud ni chez
Lacan. Ces textes rendent parfaitement compte du système sexe-
150 •
genre patriarcal, du pouvoir phallocentrique. S'ils ont été considérés
comme un renforcement du patriarcat par les féministes, une deu-
xième lecture de ceux-là nous permet d'entrevoir une analyse des
subjectivités très cohérente avec la suprématie masculine, donc, aus-
si très pertinente au regard des études de genre.
L'ordre patriarcal, néanmoins, a été bel et bien (été) admis par
Lacan, en 1936/38 dans son article « Les Complexes Familiaux (pu-
bliée dans l'Encyclopédie sous le nom de La Famille) il écrit ce qui
suit, qui peut être extrapolé au développement théorique freudien »
(Roudinesco, 2000, p. 221).
« Selon cette référence sociologique, le fait du prophétisme par
lequel Bergson recourt à l'histoire en tant qu'il s'est produit éminem-
ment dans le peuple juif, se comprend par la situation élue qui fut
créée à ce peuple d'être le tenant du patriarcat parmi des groupes
adonnés à des cultes maternels, par sa lutte convulsive pour mainte-
nir l'idéal patriarcal contre la séduction irrépressible de ces cultures.
À travers l'histoire des peuples patriarcaux, on voit ainsi s'affirmer
dialectiquement dans la société les exigences de la personne et l'uni-
versalisation des idéaux : témoin ce progrès des formes juridiques qui
éternise la mission que la Rome antique a vécue tant en puissance
qu'en conscience, et qui s'est réalisée par l'extension déjà révolution-
naire des privilèges moraux d'un patriarcat à une plèbe immense et à
tous les peuples ».
Tout l'article de Lacan est une reconnaissance explicite de la di-
mension historique du patriarcat en tant que système construit et
non pas donné d'emblée, se rapprochant des théories développées
par Gayle Rubin anthropologue, qui sur la base des études de Lévi
Strauss combinées avec les découvertes de Money et Stoller sur la
féminité et la masculinité, a fini par fonder la théorie féministe et
les études du genre. Elle signale la domination masculine du fait de
l'échange des femmes entre hommes d'un groupe familial à un autre.
Dorénavant les normes du patriarcat et la constitution de la subjec-
tivité deviendront inséparables du système symbolique qui nous or-
ganise d'après la loi du père. Même si la théorie psychanalytique
constate ces normes sans s'interroger d'une manière critique sur
leur occurrence, dans ses textes elles sont omniprésentes. Donc le
déni farouche semble saugrenu de la part d'un grand nombre de
psychanalystes de considérer valable les études féministes sur la
constitution de genre chez les sujets à partir de ce qui est institué
symboliquement.
• 151
La théorie psychanalytique montre que dans la toute petite en-
fance, il existe chez les sujets, commune aux filles et aux garçons
une « perversion polymorphe », plus proche du territoire du Ça
et du principe de plaisir. L'article de Freud en 1905, installe la no-
tion de sexualité infantile, remplace celle de « dégénérescence » et
suggère l'existence possible d'un hermaphrodisme psychique qui
coexiste avec les restes anatomo-biologiques du sexe opposé qui se
manifestent dans le corps. Si nous prenons au sérieux l'hypothèse
freudienne d'une bisexualité originaire, d'une libido non différen-
ciée pour les deux sexes, le désir de maternité non pas issu d'une
impulsion génétique mais d'une compensation pour n'être pas né
garçon, un inconscient où « les passions inférieures » y trouvent une
« arène » propice, comme Freud l'explicite dans le « Moi et le Ça »
(1923/1981, p. 2709), nous pouvons considérer l'existence primor-
diale d'une perversion sexuelle, tels que Laplanche et Pontalis (1974)
à ce propos expriment :
« On pourrait même aller plus loin dans ce sens et définir la
sexualité humaine comme « perverse » en son fond, dans la mesure
où elle ne se détache jamais tout à fait de ses origines qui lui faisaient
chercher la satisfaction, nos dans une activité spécifique, mais dans
le « gain de plaisir » attaché à des fonctions ou activités dépendant
d'autres pulsions » (p. 287).
Avec l'usage et l'abus du terme « perversion » on a perdu de vue
l'origine de ce terme qui viendrait du latin vertere et pervertere, qui
signifie retourner ou « tourner à l'envers », et qui donne naissance
aux concepts de diversité, de la controverse, polyvalent, selon le dic-
tionnaire des origines des mots (GB Ayto, 1990, p. 557). À son tour,
ce terme latin provient de l'indo-européen wert, dont le nom se dé-
rive en anglais en « weird » (bizarre) qui, curieusement, est synonyme
de queer, terme que les études de genre ont donné à un courant de
pensée et à une politique d'action prônant la subversion des man-
dats du genre qui limitent et subordonnent les sujets par la censure,
leur empêchant la réalisation d'autres facettes de la subjectivité. (Di
Segni, 2013). Autrement dit, la « perversion » (inverse de la névrose
d'après Freud, permanence dans l'ordre imaginaire, selon Lacan) ne
serait qu'un retour à ce territoire avant la réglementation par la Loi
patriarcale de la différence sexuelle. Judith Butler (2001), écrit que
« l'inconscient résiste toujours à la normalisation, par laquelle tous
les rituels conformément aux mandats des civilisations supposent
payer un prix, qui produit des résidus pas socialisés qui s'opposent à

152 •
l'émergence du sujet de ceux qui obéissent (à) la loi » (p. 100). C'est-
à-dire que cette résistance produit une béance dans la construction
du psychisme par laquelle s'infiltre une complexité baroque de la dy-
namique du désir, y compris la compulsion à la répétition qui rend
compte d'un noyau de résistance puissante de base dans lequel Eros
et Thanatos jouent un match serré. Cette résistance du psychisme,
où se trouve-t-elle ? Surgit-elle de « l'absence de commune mesure
entre le psychisme et le sujet » comme l'affirme Butler ? (p. 100). De
quelle région du psychisme parle-t-on ? De ce territoire inconscient
qui n'a pas été assujetti à la norme par les règles de la civilisation
? N'est-ce pas l'activité onirique parfois tellement multiple quant à
l'érotisme ou à la violence, par exemple, qui rend compte de l'exis-
tence d'un territoire inconscient sans foi ni loi ? Freud dans l'article
sur les « Rêves » (1916 / 1981), suggère cette vie kaléidoscopique
de l'inconscient en disant « pourquoi la vie psychique ne dort-elle
jamais ? Quelque chose, bien sûr, s'oppose à son repos » (p. 2172).
C'est précisément dans le domaine de l'inconscient où tout co-
existe, la loi et la transgression, la soumission et la subversion, l'obéis-
sance et la résistance. Peut-être qu'une des raisons par lesquelles la vie
psychique ne dort jamais est la poussée de ce « fond » pervers dont
parlent Laplanche et Pontalis, qui mène un jeu jouissant sans fin entre
Eros et Thanatos hors portée du principe de réalité ou des contraintes
surmoïques. Un retour à un équilibre mercurien échappé à la castra-
tion symbolique du sujet, un repos dans un magma qui résiste la su-
bordination et qui est nécessaire à la vie psychique tel un vestige de la
« liberté » sartrienne. D'après Jacques Derrida, « Freud nous dit que le
désir du rêve se lève, pousse, surgit (erhebt, sich) au point plus dense
de ce Geflecht, de cet enchevêtrement, comme un champignon de son
mycélium. Le lieu d'origine de ce désir serait alors là où l'analyse doit
s'arrêter, un lieu qui devrait être laissé dans l'obscurité (muss man in
Dunkel lassen). Et ce lieu serait un nœud ou un tissu enchevêtré, en un
mot, une synthèse pas analysable » (Derrida, 2005, p. 31).
Nous pensons, au contraire, que justement ce territoire de ré-
sistance à la loi, aussi bien dans son versant pulsionnel de mort que
dans son versant érotique, est l'objet d'étude de la psychanalyse et
qu'il lui incombe de rendre compte de son existence, non pas pour
expliquer l'inexplicable, mais pour dévoiler l'énorme richesse de la
complexité humaine et du désir.

• 153
NARCISSE ET ŒDIPE
La psychanalyse ne perd rien à faire une réflexion sur la loi inté-
riorisée dans la subjectivité qui est envahie par les forces du Ça que
le Moi ne parvient pas à contrôler. Elle ne peut pas ou ne veut pas le
faire...Ainsi, Elisabeth Roudinesco (2003) fait remarquer que la pre-
mière institution qui accueille l'arrivée d'un nouvel individu dans le
monde, c'est-à-dire la famille, est aujourd'hui en « désordre », ce qui
est de l'ordre de la perversion pour la psychanalyse hégémonique.
Aujourd'hui en Occident, la « perversion » pénètre les logiques de la
famille et de la filiation, instituant de nouvelles alliances familiales
même si la lignée patrilinéaire reste la même, en questionnant le
mandat normatif de l'hétérosexualité. Selon Michel Tort (2008), « la
prétendue éternité psychique de l'inconscient », le conservatisme
de sa dynamique et la nature historique de la parentalité seraient
mises en échec par « la contingence des rapports de genre et de
sexe » (p. 81). Freud nous assure que « le Moi est d'abord un être cor-
porel » (1923 / 1981, p. 2709), un corps réglé par un discours phal-
locentrique, comme le soutient Foucault. On se pose la question de
savoir comment ce corps communique avec l'Eros qui se trouve, sans
discrimination, dans le Ça ? Butler (2001) demande « Existe-t-il une
partie du corps qui reste sans être sublimée ? » et ajoute « on peut
se demander si la possibilité de la résistance contre une puissance
constituante du sujet peut être dérivée de ce qui est dans le discours
où elle fait partie « du » discours » (p. 105). Avec la psychanalyste ar-
gentine Ana Fernández (1974), on peut penser que l'exalté contient
ce qui est dénié tout autant que sa propre dénégation. C'est à dire le
fait même que la loi contienne en son sens inverse « la non loi », ce
qui est tout à fait évident, quand on sait que la loi doit s'imposer sur
ce qui n'est pas organisé d'emblée, et parce qu'il n'est pas ordonné tel
quel. De cette façon, le Moi contiendrait le mandat et son inverse, la
transgression.
À l'heure actuelle, à l'émergence des nouvelles techniques de re-
production, avec la légalisation d'autres formes d'unions maritales
entre personnes et les constructions « en désordre » des familles,
nous pensons avec Tort (2008) que ce qui se passe est une « dé-sym-
bolisation » des parentalités (p. 81). Science et technologie ont abou-
ti aujourd'hui à une révolution qui défie la théorie psychanalytique.
L'insémination artificielle, fécondation in Vitro, l'emprunt d'utérus,
le transsexualisme, rendent compte d'une réalité psychique non as-
sujettie à la Loi du Père, c'est-à-dire une intervention volontaire sur

154 •
le siège du Moi qui est le corps humain. Dans la plupart des pays oc-
cidentaux, même les règles juridiques de l'actuel système sexe-genre
ont été modifiées et permettent l'avortement, le mariage homo-
sexuel, le changement de sexe dans le registre d'état civil, la chirurgie
à ce propos, les adoptions d'enfants par des couples du même sexe,
bref, tous les comportements qui s'écartent de l'ordre patriarcal éta-
bli depuis des siècles.
Le principe d'organisation de la réalité des subjectivités n'est
plus, donc, l'ordre œdipien. L'ordre symbolique est vacillant. Mais
les adeptes de Lacan nous disent que « n'est pas nécessaire la fi-
gure du père pour mettre en place le refoulement originaire et le
sujet de l'inconscient, puisque le langage s'en charge » (Tort, 2008,
p. 496). Bien que cette pirouette pour attribuer au langage le rôle
de législateur et de passeport pour devenir sujet soit acceptable du
fait que le langage provient du système phallocentrique, apparem-
ment, elle n'est pas suffisante, à moins de considérer, comme eux,
que les interventions dans le corps anatomique (transsexualisme,
par exemple) sont comme des « passages à l'acte » qui témoignent
d'une prépsychose ou personnalités border line. Roudinesco d'après
Kohut dit que « si l'Œdipe avait été pour Freud le héros en conflit
d'un pouvoir patriarcal en déclin, Narcisse incarne désormais le
mythe d'une humanité sans interdictions, fascinée par la puissance
de son image : une identité en véritable désespoir » (Roudinesco,
2003, p. 173). Par exemple, le choix narcissique d'autrui semblable
chez les adultes, l'immersion dans l'imaginaire, les incursions sur le
réel, parlent à de nombreux psychanalystes d'une féminisation de la
culture. Les « nouvelles pathologies », de cette société néolibérale de
consommation qui ne laisse pas de place à l'émergence du désir et de
la castration car elle répond immédiatement à la demande des sujets
(« non assujettis ») sont même référées comme issues de l'existence
d'un nouveau maître : la jouissance. (Tort, 2008).
La suppression de la différence sexuelle, les dysphories de
genre, le changement d'identité « à la carte », c'est-à-dire les soi-di-
sant « nouvelles pathologies », la rébellion du sujet soumis au sys-
tème sexe-genre, parlent d'elles-mêmes d'une réalité psychique puis-
sante de résistance chez les sujets. Si la puissance du père décline,
si la reproduction de l'humanité devient indépendante des rapports
hétérosexuels, si la maternité n'est pas universellement « désirée », si
la structure de la cellule familiale est devenue « désordonnée », si les
femmes n'ont pas cessé de revendiquer leur place de sujets politiques

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depuis plusieurs siècles, n'est-ce pas finalement à la psychanalyse,
aux psychanalystes de réfléchir la dessus et de remettre en question
leurs universels ? Remettre en question aussi le processus œdipien
interminable des filles / femmes ? Se demander si l'envie du pénis
n‘est qu'une revendication d'une position de sujet face à celle d'objet
qui l'est assigné par la « féminisation normative » ? Est-ce que la
théorie orthodoxe de la psychanalyse des secteurs plus conservateurs
n'a pas accédé à la pensée postmoderne ? Sans aller plus loin, car
nous dit encore Tort (2008) « c'est à la psychanalyse d'interpréter les
raisons inconscientes de l'inégale division des sexes qui a fonction-
né comme une donnée de base de l'organisation politique, justifiant
le monopole masculin du pouvoir » (p. 518). Ce que souligne Tort,
c'est que la psychanalyse n'a jamais fait une lecture de l'état de la
question. À présent, la déconstruction évidente du système qui passe
par le biais de pratiques autres que celles commandées par la loi du
père, sonne à la porte des psychanalystes pour attirer leur attention.
Ce ne sont pas les revendications séculaires des femmes pour avoir
leur autonomie et l'égalité avec les mâles qui ont obtenu une écoute
sur les divans des psychanalystes traditionnels sans être interprétées
comme « l'envie du pénis » où bien étiquetées d'hystériques.
Aujourd'hui, les revendications du transsexualisme et de l'ho-
mosexualité, venant surtout des mâles, auront-elles le même sort de
rejet, de silence et de stigma ? Il nous semble que la parole virile pour
conquérir un laissez-passer par l'indulgence du père et bien plus près
que celle des femmes d'atteindre leur but. Le risque que court une
certaine psychanalyse de ne pas pouvoir mettre de la distance avec le
dogme de la loi du père comme immuable, tel que le signale Derri-
da, contribue à renforcer la résistance à la théorie et à sa pratique et,
peut-être, à son déclin, comme cela est en train d'arriver à présent au
système patriarcal même. Serait-ce ceci que souligne Tort ? :
« Si aujourd'hui on a défini et établi d'autres formes d'Alliance et,
éventuellement, d'affiliation, ce ne serait pas à cause d'une question
politique, au nom de l'étiquette contre la position homophobe do-
minante, mais plutôt sous l'émergence, en l'an de grâce 2000 d'un
« inconscient homosexuel », qui a une relation différente avec le père
inconscient que celui de la névrosé ordinaire » (p. 17).
Ceci nous fait penser à la note de bas de page écrite par Freud en
1921 à propos de l'intolérance du père de la horde primitive : « On
peut également admettre que les fils, chassés et séparés du père,
ont franchi l'étape de l'identification et s'étant élevés à l'amour ho-
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mosexuel ont conquis la liberté qui leur a permis de tuer le père ».
(Freud, 1920/21 p. 2597).
Si on met en rapport ce que soutient Tort dans l'actualité et la
théorie freudienne de la cohésion de la fratrie homosexuelle qui fit
possible l'assassinat du père, on peut penser que ce sont les hommes
qui sont les interlocuteurs compétents pour défier le père et sa loi,
c'est-à-dire, la confrontation œdipienne du mythe originaire de So-
phocle : père et fils se retrouvant face à face sur un chemin étroit où
il n'y a pas de place pour les deux.
Ce ne sont donc pas les femmes, avec toutes ces transgression
au niveau du corps (du Moi) aux mandats de genre du XX siècle :
contraception, avortement, ligatures de trompes, insémination ar-
tificielle, émergence du féminisme, revendication du lesbianisme,
accès des femmes à des postes de pouvoir (sans remord « d'envier
le pénis ») qui ont été reconnues comme une des causes de l'éro-
sion du système sexe-genre. C'est bien les hommes du XX-XXIème
siècle, avec – paradoxalement - le féminin mis en valeur par cer-
tains philosophes mâles et par les hommes en dysphorie de genre qui
choisissent de changer de sexe, soit en image ou en anatomie, aussi
bien qu'au niveau politique le pouvoir rose, en majorité conduit par
des hommes, qui finalement obtiennent une reconnaissance et une
écoute dans le système symbolique et imaginaire.
Une fois de plus, la théorie de Freud relative au genre s'avère juste,
du moment qu'il pense l'homosexualité masculine comme étant une
source de puissance pour défier le père. Donc, ne pas considérer que
la psychanalyse a beaucoup à dire dans un dialogue avec les études
de genre, et même avec la pensée féministe, est un symptôme de la
sclérose d'une discipline qui, précisément, s'est caractérisée à ses ori-
gines comme une pensée révolutionnaire et novatrice autant en ce
qui concerne la sexualité que ce qui intéresse l'identité sexuelle. Aux
psychanalystes actuels d'y réfléchir.

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BIBLIOGRAPHIE

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