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L’enfant, l’adolescent, la psychose

Editorial .................................................................................................................................................................. 3
Alexandre Stevens Christian Vereecken ........................................................................................................ 3
L’ENFANT, L’ADOLESCENT, LA PSYCHOSE................................................................................................ 4
L’APPEL AU PERE José Cornet ..................................................................................................................... 4
ESTELLE l’état civil d’une jeune schizophrène Philippe Hellebois ................................................................ 5
UN CAS DE PHOBIE Yves Depelsenaire........................................................................................................ 8
MELANIE KLEIN : UNE LECTURE DE FREUD Marcella Errecondo..................................................... 10
WINNICOTT, DU SEIN ... AU SOIN Philippe Stasse .................................................................................. 13
WINNICOTT Bruno de Halleux .................................................................................................................... 15
L’INTRODUCTION DU NOM-DU-PERE Alfredo Zénoni.......................................................................... 16
L’ENTRETIEN .................................................................................................................................................... 21
A PROPOS D’UNE INSTITUTION Antonio di Ciaccia............................................................................... 21
ENTRETIEN AVEC ANTONIO DI CIACCIA Christian Vereecken .......................................................... 23
CONFERENCES.................................................................................................................................................. 27
UN CAS DE PSYCHOSE Robert Lefort Rosine Lefort .............................................................................. 27
SEMINAIRES ...................................................................................................................................................... 36
UNE INTERVENTION AU SEMINAIRE : COMMENT SITUER L’ŒDIPE CHEZ LACAN EN 1953
Pierre Bejster .................................................................................................................................................. 36

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Editorial
Deux textes abordent la question de la structure de la
Alexandre Stevens psychose (un texte sur le Nom-du-Père et la
Christian Vereecken conférence de G. Pommier).
Enfin, dans la rubrique Documents, nous présentons
L’enfant a souvent occupé une place à part dans la un texte de Jacques Lacan, le Discours de clôture
psychanalyse, ceci en particulier dans le droit fil des qu’il a prononcé lors des Journées sur les psychoses,
théories de Mélanie Klein et d’Anna Freud. chez l’enfant en 1967. Ce texte publié initialement
Mélanie Klein en privilégiant une relation d’objet dans la revue Recherches est actuellement
primordiale avec le sein fonde l’analyse d’enfant sur introuvable.
la restauration des avatars qu’a subis cette première
relation. Anna Freud, s’appuyant de la ligne de
tenants du moi-fort, oriente la thérapie d’enfant dans
un sens pédagogique. Quarto a déjà rendu compte de
l’élaboration de théories particulières pour la
psychose de l’enfant situant celle-ci comme un stade
du développement normal (dans la ligne kleinienne,
Tustin – Quarto 14 ; dans celle d’Anna Freud,
Mahler – Quarto 13).

Dans ce fil, la psychanalyse d’enfants s’est souvent

présentée comme une spécialisation dans le champ
de la psychanalyse, spécialisation qui tend alors
généralement à la psychothérapie, voire même
franchement à une visée éducative.
Cette position n’est pas celle de l’enseignement de J.
Lacan. L’enfant est un sujet pris comme tout autre
en la circulation des quatre discours. Aucune
spécialité discursive à son propos.

Dans cette logique, et ainsi que cela s’est affirmé dès

les premiers enseignements de clinique
psychanalytique tenus à Bruxelles il y a trois ans, il
n’y a donc pas de spécialité de la psychanalyse
d’enfants, pas plus qu’il n’y a dans l’Ecole de la
Cause freudienne des "psychanalystes d’enfants" et
d’autres "d’adultes". Tout au plus, peut-on
considérer qu’il y a des particularités techniques
dans une cure psychanalytique avec un enfant.
C’est à cette large problématique que ce numéro de
Quarto entend apporter quelques éclairages sans
toutefois clore la question. Nous présentons ainsi
trois séries de textes. D’abord, quelques études sur
des auteurs qui se spécifient justement de la
psychanalyse d’enfants (M. Klein, Winnicott, F.
Dolto).
Ensuite, quelques fragments cliniques concernant
des cures avec des enfants ou des adolescents (trois
d’entre eux sont présentés dans la première rubrique,
un quatrième est l’objet de la conférence de R. et R.
Lefort) et un travail en institution (L’entretien).

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L’ENFANT, L’ADOLESCENT, LA PSYCHOSE
L’APPEL AU PÈRE
José Cornet
Un psychanalyste est-il autorisé à parler de
l’adolescence, à interpeller les discours et les
pratiques contemporaines sur l’adolescent et
l’adolescente ? Oui, en ce que les adolescents actuels
et futurs se trouvent et se trouveront toujours
davantage pris dans le discours scientifique, et qu’à
ce jour, (hormis la religion), le seul discours que la
science ait rencontré comme répondant au sien, c’est
le discours psychanalytique, inventé par Freud et
formalisé par Lacan. Thèse à démontrer, d’ores et
déjà démontrable. Adolescience eût été un bon titre
pour ces rencontres internationales.
Mais, dira-t-on, ne faut-il pas parler de la
psychanalyse à titre posthume ? Ramenée dans la
conduite de la cure à un american way of life, la
psychanalyse internationalisée a rendu l’âme. Elle
est morte, même si elle ne le sait pas encore, pour
faire place à foison de techniques de manipulations
du corps, de la communication, de la famille, des
groupes, du sexe et tutti quanti ; bref, toutes des
techniques que l’on peut rassembler au nom d’une
unité dans les moyens de leur, fin, celle-ci étant
désignable comme le bien sous forme du bien-être,
la satisfaction sous la forme du plaisir, la fin de
l’incommunicabilité sous la forme de la communion,
grâce notamment à un langage partagé voire
programmé.
Dans ce contexte, faire retour à Freud paraît rétro,
infernal. A nous laisser enseigner à nouveau par sa
découverte, nous revoilà malades de la peste, qu’il
nous avait promise, sur le chemin des Amériques : là
où l’humain se croyait souverain maître, et toujours
'davantage son petit chef à lui, Freud découvre qu’il
n’est même pas maître dans sa propre maison, là où
l’humain se croyait libre d’un voyage soigneusement
organisé, Freud nous le montre jouet à son insu de
pulsions sexuelles qui le mènent par le bout du nez,
là où l’humain se croyait intègre, Freud nous le
découvre taillé dans le bois même des maladies
mentales, là où l’humain se croyait promis au plaisir,
Freud nous le montre travaillant inéluctablement à sa
propre perte, là où l’humain se croyait vivant, Freud
nous le montre à la merci des pulsions de mort.
Mot à mot presque, vous trouvez là les signifiants
qui articulent chaque demande subjective d’un (a)
adolescent (a). La fête finie (celle promise par les
vendeurs de techniques de rêve) recommence,
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lancinante, la question même de ce que c’est qu’une
question. Explicite ou non, elle s’intitule : qu’est-ce
qu’un père ?
Une séquence clinique nous ouvre au vif de cette
question de l’adolescent (e) : "délire psychotique"
est le diagnostic qui précède le premier entretien.
Premiers mots : "Chez moi, tout est faux ; dans ma
famille, ils jouent tous la comédie, mais tout est
faussé ; ils ne parlent que pour faire du remplissage."
" un jour, j’ai une chouette conversation avec mon
père ; à un moment donné, mon père me dit : tu ne
mangeras pas le yoghourt qui est dans le frigo parce
que c’est le dernier ; c’est avec ce dernier qu’on fera
des nouveaux yoghourts dans l’appareil (ferment).
Accord verbal, mais le soir l’envie de yoghourt
prime, je demande à ma mère si je peux en prendre,
j’irai le lendemain en chercher un autre pour le
mettre dans l’appareil. Dont acte, suivi d’une
engueulade du père qui me traite d’égoïste ; or, il n’y
a rien d’égoïste là dedans, mon père ne comprends
rien."
Puis se tournant vers moi : "Est-ce que vous
connaissez l’appareil ?"
Exemple en or d’un adolescent tout normalement
confronté à la question "qu’est-ce qu’un père". Cette
question de "vie et de mort" met en péril tout
l’appareil langagier qui règle les rapports humains,
et le poussera dès lors aux solutions imaginaires et
réelles de ce ratage du symbolique : les idées
obsédantes – "se jeter sur les rails" seront à entendre
comme "se remettre sur les rails, pour ne plus
(craindre de) dérailler", entrer dans les ordres "(pour
pallier au semblant) sera à entendre comme"
chercher invariablement une ouverture via un
système signifiant fermé car son vœu est un "ordre
ouvert".
Tressage d’artiste de questions multiples : différence
père – géniteur, question de l’évanouissement du
sujet, question de la jouissance (ici orale – verbale)
autour de l’interdit, à ramener au désir via la
question de la vérité et l’inscription de ce désir. En
quelque sorte, ramener la question d’un faux en
parole (mon père ment quant au ferment) à celle
d’une inscription vraie à travers son corps. Moment
fécond, dirons-nous, et décisif, de l’adresse au
psychanalyste : connaissez-vous l’appareil ?
Comment ne pas voir s’inscrire maintenant dans le
transfert l’abandon du père tout-sachant (ferment)

pour l’inscription du "savoir" de l’Autre, interrogé,
c’est-à-dire barré, et cette fois non menteur.
Chez les humains, c’est le signifiant qui commande
et fait la loi ; c’est lui qui règle une cohérence dans
les relations avec autrui ; pour majeure partie, tout
ce à quoi un humain va être confronté, va pouvoir
être traité par la voie symbolique, c’est-à-dire dans
le discours Toutefois, il est pour chacun quelques
questions qui ne sont pas symbolisables. Elles ont
nom : la femme, la procréation, la mort.
Électivement, le psychotique prend tout-à-fait au
sérieux la question de la procréation, devant laquelle
il sera pris de court parce que rien dans le
symbolique n’explique le fait qu’un être sorte d’un
autre, rien n’en rend compte : ce qui a cours dans le
symbolique, c’est que rien ne se crée hors du
signifiant ; qu’une créature engendre une autre
créature est impensable dans le symbolique, la
créature est impensable sans une fondamentale
création.
Une modalité de non-réponse à cette question fait le
psychotique (forclusion du nom du père). Une autre
modalité de non-réponse à cette question fait
l’apparente psychose normale de l’adolescence. Elle
crée l’obligation pour le psychanalyste qui veut
éviter les saccages imaginaires, de s’être rompu à
savoir ce que c’est qu’un signifiant, unité comptable
dis langage, et de sa cohorte corps-jouissance-mort.
Freud et Lacan nous y ont plus qu’introduits, de
justifier les moyens dans une fin toujours incertaine.
Appel au père, le terme est de Lacan, poursuivre ce
point de départ, oblige tout écouteur au neuf.
Argument développé dans un atelier Rencontres Internationales sur
l’Adolescence, Bruxelles 21-24 avril 1983.
ESTELLE l’état civil d’une jeune schizophrène
Philippe Hellebois
Dans cet essai clinique, je voudrais aborder deux
questions posées par un cas de schizophrénie.
La première concerne le diagnostic. Je m’attacherai
à justifier celui de schizophrénie, utilisant faute de
mieux un concept peu adéquat vivement critiqué par
Freud et Lacan.
Dans la seconde, j’essaierai de préciser la direction
dans laquelle peut s’engager la cure d’une telle
patiente.
Estelle, jeune fille de 16 ans d’origine italienne, vit
depuis sa douzième année en institution dont les
trois dernières années au centre de psychiatrie
infantile auquel je suis attaché. Il y a un an et demi,
elle se mit à se mutiler quotidiennement. Tout en
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pleurant, elle s’arrachait les cheveux, la peau des
mains, des avant-bras, des jambes, et se frappait le
visage. Ceci à des moments précis de la journée : au
lever, au coucher, à la sieste.
Pendant ces "crises" elle semblait ne rien entendre à
mes questions mais y répondait sans réticence une
fois calmée. Elle me disait alors qu’elle était triste
parce qu’elle pleurait, ajoutant que cela n’avait rien
d’extraordinaire puisque cela arrivait à tout le
monde.
Elle ne pouvait en donner d’autre raison, sinon celle-
ci, "c’est comme ça, c’est une affirmation parce que
c’est vrai". Quand je lui demandais ce que signifie
être triste, elle me répondait : "Pleurer, c’est être
triste, c’est la même chose" en précisant qu’elle
aimait bien pleurer et que cela allait mieux après.
Dès nos premiers entretiens, elle m’adressa de
nombreuses questions, souvent en réponse aux
miennes. "Pourquoi faut-il parler ? – Pourquoi tu me
demandes ça à moi ? – Quand tu étais petit, tu as
déjà pleuré ?" Interloquée par la figure de Jésus-
Christ Superstar entrevue à la télévision, elle me
lança : "Qu’est-ce que le Seigneur ? Est-ce qu’il
parle ?" Aucun fantasme ne succéda à ce
questionnement sur le désir de l’Autre mais sa
propre question sous sa forme radicale. En réponse à
l’une de ses interrogations, je lui demandai un jour
ce qu’elle ressentait quand elle était dans
l’ignorance. Elle ne put que dire "Estelle". Que son
nom soit pour elle une question, d’autres éléments le
confirment :
−Elle disait ne pas supporter mettre un pantalon, la
braguette lui étant intolérable. Dans le même temps,
elle me demandait la date de ses prochaines règles.
−Une question fréquente "Connais-tu d’autres filles
qui s’appellent Estelle ? Mes parents m’ont donné ce
nom-là."
−Enumérant la liste des pensionnaires avec qui elle a
passé le week-end elle rajoute son nom en fin de
série. "J’ai passé le week-end avec un tel, un tel et
Estelle."
−Armée d’un stylo et d’un effaceur, c’est avec ce
dernier qu’elle écrivait son nom sur la page blanche.
Elle le raturait au stylo, ce qui avait pour résultat de
le faire apparaître en négatif. Son seul commentaire :
"J’efface et puis j’écris. C’est comme ça."
Elle affirme avoir commencé à pleurer et à se
mutiler après avoir partagé sa chambre avec une
certaine Marie-Cécile, précisant que celle-ci pleurait
souvent. Lorsque je lui demandai de la décrire, elle
ne put dire qu’une chose : "Elle est elle".
La "crise" terminée, elle en contemplait le résultat
avec intérêt. Soliloquant, elle lançait : "Estelle, tu as

vu tes mains." A peine calmée, elle se plaça un jour
devant un miroir, et me dit regarder "Estelle qui
pleure". Il est intéressant aussi de relever quand et
comment elle s’arrêtait de pleurer. Ayant extrait de
ses yeux toutes les larmes possibles, elle en
recueillait la dernière sur son doigt et la regardait
attentivement. Elle franchit, me semble-t-il, une
étape importante quand elle me montra ce reste et
m’en demanda le nom.
Elle décrivait l’état de ses bras et de ses jambes, en
différenciant les plaies encore fraîches et celles déjà
cicatrisées, et en commentant ces dernières par les
termes "Ça veut dire que je recommence encore".
Qu’elle recommence encore elle essayait de le
mesurer en effectuant de fréquents comptages : "Le
matin, j’ai pleuré El fois". Nombre 8 qui paraît
occuper une place importante quand elle prévoyait
d’avoir 8 enfants, 4 garçons et 4 filles. Nombre
énigmatique aussi quand elle répondait à l’une de
mes questions à ce propos en demandant "Tu as déjà
vu faire le chiffre 1 ?"
Elle s’appliquait aussi à décompter, non pas' les
jours, mais les nuits qui la séparent des fêtes de fin
d’année, de son anniversaire, mais surtout de ses
retours chez sa grand-mère paternelle. En effet, si
ces dates et leur corrélat, le compte à rebours,
scandent véritablement son temps, c’est sous la
dépendance de ce signifiant particulier incarné par
cette grand-mère paternelle. Ainsi, lorsque
l’institution décida pour des motifs que j’ignore,
d’interrompre visites et retours chez celle-ci, sans
préciser de nouvelles dates, la violence et la
fréquence des mutilations augmentèrent
considérablement. Les opérations de comptage
disparurent et Estelle elle-même ne demandait plus
quand elle y retournerait. Au bout du rouleau, elle ne
pouvait plus que dire : "Je ne parviens plus à être
triste. Il n’y a plus de larmes."
De ses mutilations, elle attendait désespérément la
fin. Quand un jour, je me laissai aller à tenir ses
poignets pour l’empêcher de se massacrer, elle me
cria tout en se débattant : "Tiens mon bras." Dès
qu’il fut décidé de réintroduire sa grand-mère dans
son horizon temporel, elle s’apaisa quelque peu.
Seulement alors, elle me repose cette question
"Quand est-ce que je retourne chez ma grand-
mère ?" pour y répondre elle-même et décompter
"les nuits qui restent à dormir".
Il faut signaler aussi que ses retours, elle n’en dit
rien, se contentant d’énumérer quelques activités
dont elle ne dit rien de plus que "J’ai joué avec mes
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jouets. J’ai lu mon livre. J’aime bien." Activités
qu’elle reproduit dans l’institution, et qui consistent
en manipulations ordonnées mais indifférentes
d’objets dépareillés et de vieilles revues, mais qui
montrent l’importance qu’elle accorde au discours
commun qu’elle essaie de reproduire. Sous ce
signifiant familial "ma grand-mère" elle place aussi
son père à propos de qui apparut le premier
néologisme. Le décrivant comme une sorte de
vagabond inconsistant, elle disait qu’il travaille au
"Minchefer" où il fait des trous avec une bêche mais
en vain parce que "ça repousse après". Elle
précisait : "Il habite chez ma grand-mère où il plante
des légumes", pour conclure : "Il va faire des
commissions, puis il va boire un verre. Et alors c’est
fini avec mon père."
Ses autres apparitions dans nos entretiens se
résumèrent pour Estelle par des bruits : "Mon père
vient de faire un prout."
Ce compte-rendu clinique devrait permettre d’abord
de porter un diagnostic raisonné. En disant "Je suis
triste parce que je pleure, c’est la même chose" et
s’arrachant par tous les moyens les larmes qui en
témoignent, Estelle montre comment pour elle se
joue la forclusion du Nom-du-Père et la carence de
l’effet de signification qui en découle. Carence telle
qu’elle ne peut y suppléer qu’en se faisant
réellement pleurer et en se marquant le corps des
stigmates qui d’être triste font signe.
On voit ici, comme le montre Lacan, comment le
"dit schizophrène" se trouve placé devant ce
maniement affolé du langage… qu’il n’arrive pas à
faire mordre sur un corps. "(Quarto, n°10, février
1983, p. 18)
Ou encore cette remarque de l’Étourdit "… de ce
réel : qu’il n’y a pas de rapport sexuel, ceci du fait
qu’un animal a stabitat qu’est le langage, que
d’labiter c’est aussi bien ce qui pour son corps fait
organe, – organe qui, pour ainsi lui ex-sister, le
détermine de sa fonction, ce dès avant qu’il la
trouve. C’est même de là qu’il est réduit à trouver
que son corps n’est pas-sans autres organes, et que
leur fonction à chacun, lui fait problème, – ce dont le
dit schizophrène, se spécifie d’être pris sans le
secours d’aucun discours établi."(L’Étourdit, in
Scilicet, n°4, pp. 30-31).
De même lorsque Freud affirme que dans la
schizophrénie, il y a prédominance de la relation de
mot sur la relation de chose, que le discours
schizophrénique est un langage d’organe, il nous
indique que la combinaison signifiante – la relation
de mot – n’entraîne pas ici un effet de signification –

la relation de chose –, d’où le recours à un langage
d’organe. (Freud, L’Inconscient, in
Métapsychologie, p. 113 et 117).
En commentant ces propositions dans sa conférence
"Schizophrénie et Paranoïa"(J.-A. Miller,
"Schizophrénie et Paranoïa", conférence prononcée à
Bruxelles, le 24 avril 1982, in Quarto n°10), J.-A.
Miller montrait comment ce mode de forclusion
porte sur le sentiment de l’organisme de manière
telle que pour ce sujet, la castration faute de porter
sur le phallus, marque le corps tout entier. Ce dont
Freud témoigne à propos d’un de ses patients dont il
dit que "l’analyse démontre qu’il joue son complexe
de castration tout entier au niveau de sa peau".
(Freud, L’inconscient, p. 115). Pour ce sujet les
trous qu’il a provoqués dans sa peau par l’expression
du contenu de ses comédons représentent réellement
l’organe génital-féminin ce qui signe pour lui la
différence d’avec un symptôme hystérique ou
obsessionnel."Entre l’expression d’un comédon et
une éjaculation du pénis, il n’existe qu’une bien
mince analogie quant à la chose ; elle est encore plus
mince entre les innombrables pores à la surface de la
peau et le vagin ; mais dans le premier cas, de tous
quelque chose jaillit,
Et pour le second, la formule cynique : un trou est
un trou, est valable mot à mot.
C’est l’identité de l’expression verbale, et non la
similitude des choses désignées qui a commandé la
substitution. C’est là où les deux éléments – mot et
chose – ne se recouvrent pas que la formation de
substitut schizophrénique s’écarte de celle des
névroses de transfert. "(Freud, Ibidem, pp. 117-116).
J.-A. Miller remarquait aussi comment la dialectique
du sujet, précédant le statut de l’organisme s’y
trouve biaisée. Le Nom-du-Père manquant à faire
fonctionner la métaphore paternelle, elle-même au
principe de l’opération de séparation, qui permet au
sujet de se doter d’un état-civil, laisse le sujet schizé,
hors-normes.
Estelle montre combien sa question touche cette
notion au plus près. Son existence même comme
sujet paraît à chaque nuit, remise en cause, rien
semble-t-il ne la garantissant suffisamment du
sommeil. Son inscription dans la fonction-phallique,
également, est tellement ténue qu’un pantalon doté
d’une braguette, un retard de menstruation, peuvent
la contester.
De cet état civil hypothétique, elle tente de s’en
réassurer par des séances de mutilation – véritable
opératin d’inscription signifiante mais se déroulant
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dans le réel. Ce processus semble être articulé de la
manière suivante. Elle se mutile pour parvenir à
pleurer, à produire des larmes qui sont les insignes
d’une identité plus solide qu’elle désigne comme
ceci :"Estelle qui pleure".
Elle la rattache à une pensionnaire nommée "Marie-
Cécile", qui avait cette particularité – pleurer très
souvent –, et cette chance –"Elle est elle".
Ces séquences ne peuvent s’achever avant qu’elle ne
se soit extraite une quantité suffisante de larmes, ou
plutôt la dernière larme possible qu’elle recueille sur
son doigt et me demande alors de nommer. On
touche ainsi à la question centrale de la localisation
de la jouissance, dont on peut constater d’emblée
qu’elle a effectivement fait retour dans le corps. Ce
sujet, confronté à la "jouissance pure et désarrimée
de l’objet a"(J.-A. Miller, Schizophrénie et Paranoïa,
montrait que si dans la paranoïa, la jouissance reste
située au champ de l’Autre, dans la schizophrénie
par contre, aucune normalisation phallique de la
jouissance d’objet n’a pu advenir.) attend qu’elle
puisse être reprise dans un discours, semblant
susceptible de la détacher du réel du corps.
Ce dont elle témoigne de plusieurs manières : – en
disant des croûtes et des cicatrices qui marquent ses
jambes et ses bras "ça veut dire que je le fais
encore"-en se plaignant que les cheveux arrachés
repoussent trop vite, en se montrant aussi très
sensible à toute prise dans un discours, fut-il celui du
maître le plus mercantile, des crises et de leurs
stigmates.
Un éducateur inventa le traitement suivant : la faire
payer avec son argent de poche chaque crise avec un
tarif ad hoc par plaie et par larme. Elle se calma
quelque peu, mais pour me demander stupéfaite :"Je
ne comprends pas, des larmes, ça se paie 7". Je ne
pus que lui expliquer que c’était un traitement
inventé pour qu’elle, ne puisse plus avoir la larme à
l’œil 1 Traitement qu’elle n’avait d’ailleurs pas
attendu pour compter ses crises.
Il resterait à préciser le statut de ce signifiant
familial représenté par la grand-mère paternelle.
Signifiant important qui commande la mise en place
des discours qu’elle peut tenir, le décompte des nuits
la séparant des retours chez elle, l’énumération de
ses activités de la journée etc, et dans la dépendance
duquel elle place aussi son père.
La rigueur du témoignage d’une telle patiente quant
à sa position subjective converge avec l’impératif de
Lacan, selon lequel devant la psychose, l’analyste ne
doit reculer en aucun cas. Cette rigueur rappelle
aussi qu’avant tout traitement de la psychose, une

question préliminaire se pose. De son examen
dépend l’orientation de la cure. Son ressort, que
Lacan qualifie d’efficacité explicative est dirigé vers
la recherche de la causalité et de son objet. Estelle
n’est pas sans l’indiquer."Pourquoi est-ce que je fais
ça ?" me lance-t-elle à propos de ses cicatrices. Elle
montre aussi ce qu’elle attend, que ces marques
multiples qui indexent son corps puissent être prises
dans un discours propre à assurer son existence de
sujet et à capitonner sa jouissance en l’arrimant à un
semblant. Néanmoins, la carence irréparable dont sa
structure fait preuve, ne veut pas dire qu’un discours
quelconque fera l’affaire, même s’il entraîne des
effets. Il importe d’articuler celui qui convient.
UN CAS DE PHOBIE
Yves Depelsenaire
O surprise, on découvre depuis quelque temps qu’il
y a une clinique lacanienne. On découvre que loin
d’être, comme il fut trop longtemps réduit (par un
malentendu dont on ne peut d’ailleurs tenir quitte
certains de ses élèves), un poète ou un philosophe de
la psychanalyse, Lacan n’avance rien qui n’ait son
assise et ses conséquences dans la clinique. Près de
trente ans après sa tenue, la parution récente du
Séminaire "Les Psychoses"(Les Psychoses, Le
Séminaire, Livre III, Le Seuil, 1981) fait date à cet
égard : on mesure mieux à sa lecture l’extraordinaire
méconnaissance dont cet enseignement n’a cessé
d’être frappé.
Certes, il n’y a pas chez Lacan, hormis le cas Aimée
dans sa thèse de psychiatrie (La paranoïa dans ses
rapports avec la personnalité, Le Seuil), de compte-
rendus cliniques exhaustifs à la manière des cinq
psychanalyses de Freud. Il y a par contre une lecture
systématique, inégalée, et qui les renouvelle de ces
cinq cas princeps. S’agissant du Président Schreber,
on en trouvera précisément l’exemple dans le
Séminaire III.
L’année suivante, dans le séminaire encore inédit
intitulé "La relation d’objet", c’est sur le cas du petit
Hans que Lacan fait retour.
De ces deux années d’enseignement, résultera l’écrit
"D’une question préliminaire à tout traitement
possible de la psychose"(in Écrits, Le Seuil, 1966).
Dans ce texte Lacan étaye sa théorie de la forclusion
d’un signifiant primordial dans la psychose de
Schreber (Le Nom-du-Père) à l’aide de la clinique
de la phobie. D’avoir démontré en effet que la
phobie du petit Hans n’a d’autre fonction que de
faire pièce à une carence du père, Lacan est amené à
faire de cette entité une plaque tournante entre
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névrose, perversion et paranoïa. En ce qui concerne
le petit Hans, l’issue promise est suggérée par Lacan
en un éblouissant parallèle étrangement proche de la
perversion délicate de Léonard de Vinci.
Le cas de phobie que je rapporte dans ce qui suit a
contribué à m’éclairer cette analyse qui est à
proprement parler le point de départ de la clinique
lacanienne comme telle, en tant qu’elle répartit les
entités à partir de la place qu’y occupe ou pas, la
fonction paternelle, et de ses modes de suppléance. 1
Diderot a décrit dans ses délicieux "Bijoux,
indiscrets" la sidération d’une société où la parole
était venue aux organes sexuels des dames de la
cour. Les théories s’affrontaient dans les académies
pour expliquer le phénomène.
Un commerçant, avisé fit fortune avec l’invention de
muselières. Nul pédagogue par contre ne se fit fort
de savoir comment enseigner le discours aux bijoux
encore muets ! La parole était, il est vrai, encore
fleur de rhétorique avant que d’être instrument de
communication, et l’éducation sexuelle encore à
venir.
Il suffit pourtant que la parole vienne tout
simplement à la bouche pour produire parfois un
étonnement comparable. Je n’étais pas loin de
l’éprouver dans le cas que je vais rapporter. Il s’agit
d’un garçon d’une quinzaine d’années, que je
prénommerai Jean Claude. Diagnostiqué
psychotique à son entrée, il était depuis un an et
demi pensionnaire dans un centre
psychothérapeutique où j’étais censé vaguement
écouter, ce qui n’y était pas très aisé, pour des
raisons que je n’ai pas à détailler ici mais qui
m’avaient amené à cette époque précise à y
présenter ma démission. Je n’avais pas prémédité
d’en avertir Jean Claude, pour la bonne raison que
l’évitement du dialogue apparaissait exactement
comme son symptôme, et que j’avais nulle idée de
l’anneau magique qui y couperait court. Mais venant
à le croiser un matin, je lui dis à peu près ceci :"je
vais partir d’ici quelques semaines, sans même avoir
su au juste pourquoi tu te trouvais ici, c’est quand
même étrange." Sur cette parole lancée au hasard, il
se précipite aussitôt vers la porte du local, mais, à
ma surprise, c’est pour en fermer le verrou, et
revenir s’asseoir à mes côtés. Commence alors une
longue conversation pendant laquelle il insiste
particulièrement, ce n’est pas sans ironie, sur deux
souvenirs "du temps où il ne parlait pas encore". Le
1
Ce cas a fait préalablement l’objet d’un exposé au cours d’une séance
publique de l’enseignement de Clinique psychanalytique organisé à
Bruxelles à l’égide de l’École de la Cause Freudienne.

premier est la vision d’une femme nue,
immobile,"peut être bien ma mère" dit-il. Le second,
l’ouverture subite, brutale, de portes et de fenêtres. Il
n’établit pas de rapport entre ces deux scènes, sinon
qu’il les date l’une et l’autre de sa petite enfance, et
les qualifie d’images "traumatisantes".
Ce caractère traumatisant de la vision en tant que
telle, Jean Claude ne va pas cesser de l’évoquer au
cours de la dizaine d’entretiens qui suivra : horreur
de regarder et d’être regardé qui culmine dans
l’appréhension de voir surgir un œil dans un miroir,
et qui l’amène à tenir en permanence à son front une
main prête à se rabattre sur un côté de son visage,
cependant qu’il ferme l’œil opposé.
Précaution bien insuffisante pourtant, puisque c’est
dans le noir de la nuit que la menace est la plus
sensible, du moins lorsqu’il se trouve dans la maison
de son père. Dès que le soir tombe, il lui faut alors
couvrir d’un drap la "maison maudite", comme il a
baptisé le grand miroir qui se trouve dans sa
chambre. Mais se trouve-t-il dans son lit, il craint
alors de voir pulluler au pied de celui-ci quantité de
petits êtres sans yeux, poussant des cris d’animaux.
Dans cette chambre où il a longtemps dormi en
compagnie de sa grand'mère, il redoute maintenant
que n’ait pénétré un homme invisible ou une
créature de l’au-delà. Il ne peut alors supporter d’y
rester seul, et il arrive qu’il doive pousser à son tour
des "cris d’animaux" pour appeler son père ou sa
grand-mère.
La maison maudite, c’est ainsi qu’il nomme aussi la
demeure elle-même :"je déteste cette baraque. Tout
y est toujours ouvert. Elle est sans défenses contre
les voleurs. Mon père s’en fiche. C’est un con. Il
laisse tout tomber. Il s’est laissé marcher sur les
pieds par sa femme. Il a foutu sa miroiterie en l’air.
Et il s’en fout de son fils."
Ce père inconsistant, cet "imbécile", il arrivait
autrefois à Jean Claude de l’imaginer soudain
transformé en un monstre énorme et sans yeux,
poussant, des cris d’animaux en haut d’un escalier.
A cette époque, lui-même, dit-il, était un "imbécile
qui croyait en Dieu et autres sornettes" que sa
grand'mère lui avait "mises dans la tête". Mais cette
"stupidité"(l’image du monstre dans l’escalier)
s’empare encore parfois de son imagination,
aujourd’hui qu’il ne croit "plus à rien". Il s’applique
alors à compter, à dessiner, à boire de la bière, pour
Chasser cette pensée qui semble l’avoir
particulièrement harcelé après la séparation de ses
parents, soit exactement après la naissance de sa
sœur.
9
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Celle-ci de cinq ans sa cadette, n’était pas du père de
Jean Claude, mais d’un amant avec qui la mère est
allée vivre alors. Après cette séparation, Jean Claude
a vécu le plus souvent avec son père et sa
grand/mère paternelle."Mon père, raconte-t-il,
voulait bien poursuivre la vie commune lui. Ma
mère le trompait, elle se foutait de lui, et il se laissait
encore marcher sur les pieds. Ma mère, je la déteste.
C’est une salope, une putain ; c’est elle qui m’a
traumatisé. Mais je me vengerai. Un jour, je la
tuerai. Je ne serai pas heureux avant d’avoir tué
beaucoup de monde."
Peu après le départ de son épouse, le père de Jean
Claude semble bien s’être dégagé de toute
responsabilité sociale. Pour l’éducation de son fils, il
se repose entièrement sur la grand'mère, et les
orientations d’un oncle maître d’éco le. Il a de plus
renoncé à l’exploitation de la petite entreprise
familiale :"il a foutu sa miroiterie en l’air".
Jean Claude tient assurément cet acte pour la marque
la plus nette de la défaillance de son père, mais
celle-ci ne se pointe-t-elle pas déjà dans ce souvenir-
trauma de l’ouverture subite de portes et de
fenêtres ? Ouverture sur tout ou rien, sur ce qui ne
saurait se voir – une femme nue, un fantôme
phallique – la castration plus tard multipliée et
déniée en l’image de mille petits membres galopant
à l’aveuglette.
Dans la maison paternelle, ouverte à tous vents, Jean
Claude se trouve bientôt en proie à une angoisse
débordante : il se sent à la merci des voleurs et de
créatures de l’au-delà. A son père, sans amour-
propre, aussi incapable sans doute de s’opposer à ses
tendances érotiques ou sadiques envers sa mère et sa
sœur qu’à le protéger, il substitue un père tout
puissant, hyperphallique, monstrueux animal qui
l’épouvante au même degré que ses propres
impulsions meurtrières. S’il jubile en effet souvent à
évoquer sa haine pour sa mère et son concubin, sa
petite sœur et finalement le monde entier, il avoue
aussi être saisi de temps à autre d’une véritable
phobie de l’impulsion criminelle.
Dans la maison paternelle, la "maison maudite",
miroir d’une miroiterie à l’abandon,"tout est
ouvert" : il n’y a limite ni au désir, ni à l’angoisse.
Le miroir, qu’il désigne des mêmes termes, lui aussi
est ouvert. Un organe peut y flamboyer soudain dans
l’obscurité, abjecte cause de son désir, inscrit au lieu
d’émergence de la pulsion scopique.
Dernier venu dans la série monstre sans yeux –
homme invisible – petits êtres sans yeux, l’œil y

occupe à l’évidence une place particulière. Parmi ces
objets, les trois premiers semblent jouer assez
efficacement le rôle de suppléants des signifiants de
la castration.
L’œil échoue à tenir ce rôle. Ce n’est que pour une
part qu’il se trouve, pour reprendre la formule de
Lacan,"élevé à la dignité d’un signifiant" en
inscrivant la castration au lieu même où elle lui a
manqué, soit dans la maison paternelle, et au sein de
celle-ci dans ce qui la représente non sans malice : le
miroir drapé comme pour un deuiL. L’œil signe en
effet aussi le retour dans le réel de ce qui se trouvait
littéralement énucléé des objets précédents : le
regard.
Tout se passe comme si cet objet qu’il lui faut éviter
à tout prix, dont il cherche à se déposséder, lui
renvoyait sans ménagement, sur un mode
paranoïaque même, la question principielle de la
phobie :"que me veut l’Autre ?", soit "à quoi suis-je
identifié ?"
L’émergence de cet objet disloque le cadre déjà
précaire et vacillant du fantasme, le lieu où
s’imaginait le sujet – en l’occurrence les Etats-Unis
où il se rêve volontiers "hors-la-loi" ! Le monde
sensible se vide alors de tout objet, y compris de son
imago déjà compromise ("mon père laisse tout
tomber","il s’en fout de son fils".)
Expérience de mort, évanouissement du peu de
réalité de la représentation d’une autre phobie, celle
de l’empoisonnement par les microbes d’un
semblable, tente vaille que vaille de localiser. Vaille
que vaille puisque ces microbes sont presque aussi
invisibles que l’autre redouté.
C’est donc en somme à l’échec de toute la
construction phobique que nous assistons. Échec qui
le pousse soudain sans doute à rompre avec le
symptôme d’évitement de la parole, cohérent
jusqu’alors avec les autres conduites d’évitement, et
qui désignait sans bruit par où le "traumatisme"
comme il dit, s’était au fond installé, soit par
l’absence d’une parole, celle du père. Prévenu de
mon départ prochain, ce n’est pourtant que, dans
l’espace clos par avance de quelques entretiens qu’il
a cessé de s’en satisfaire. S’il m’a, à mon grand
étonnement, fait dépositaire de ces paroles, ce n’est
malgré tout qu’après avoir soigneusement posé le
verrou qu’il me les a adressées. Retournera-t-il à
présent, tels les bijoux de Diderot, à la discrétion la
plus absolue ? A mon invitation à poursuivre, hors
de l’institution où nous nous sommes rencontrés, nos
entretiens, il n’a en effet point répondu, de sorte
10
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qu’il n’est pas impossible finalement que je sois
devenu le plus assuré de ses objets phobiques.
"Qui promène qui ?" interrogeait Lacan à propos de
la promenade fameuse du petit Hans et de son père.
Question qu’au fond je puis à mon tour me poser
quant à ce cas, par lequel je suis mené à la place
d’où le sujet, ce traumatisé du désir, se réassure de
son symptôme.
MELANIE KLEIN : UNE LECTURE DE FREUD
Marcella Errecondo
Mélanie Klein s’est toujours maintenue très proche
des concepts freudiens. Elle même l’affirme. En
même temps elle prétend dépasser Freud et
continuer ainsi ses découvertes. Mais, Mélanie Klein
arrive à soutenir un texte qui est une réplique du
texte de Freud, un double dans la mesure où elle cite
des concepts freudiens, mais un 'double inversé qui
finit par dire autre chose.
A propos du moi et de l’objet
Les notions du moi et de l’objet sont corrélatives ;
l’apparition de l’un implique celle de l’autre. "Selon
Mélanie Klein, il existe dès la naissance un moi
capable d’éprouver de l’angoisse, d’employer des
mécanismes de défense et d’établir des relations
primitives d’objets dans le fantasme et dans la
réalité. Ce point de vue n’est pas entièrement en
désaccord avec celui de Freud. Quelques uns de ses
concepts semblent supposer l’existence d’un moi,
qui se forme très têt. Freud décrit aussi un
mécanisme de défense apparaissant à la même
époque, à savoir la déviation de la pulsion de mort,
qui se place au début de la vie, et son concept
d’accomplissement hallucinatoire de désir présume
un moi capable de former une relation d’objet
fantasmée."(1)
"Bien que Freud n’ait pas présumé l’existence du
moi depuis le début, il a attribué à l’organisme une
fonction qui, à mon avis, ne peut être remplie que
par le moi".(2) Pour Freud, il n’y a pas de moi
depuis la naissance et d’ailleurs il dit que c’est une
hypothèse nécessaire à faire qu’une unité
comparable au moi ait à se développer. Ce qui est
primordial ce sont les pulsions autoérotiques. La
pulsion sexuelle n’est pas centrée : elle manque
d’objet et elle nit pas dans le sujet, mais c’est ce
décentrement même qui fonde la subjectivité.
"Quand la toute première satisfaction sexuelle était
encore liée à la nutrition, la pulsion sexuelle avait un
objet en dehors du propre corps : le sein maternel.
Elle le perdit plus tard, sans doute à l’époque où

l’enfant a pu former la représentation globale de la
personne à qui appartenait l’organe qui lui donnait
de la satisfaction" (3)
Selon Freud, au début il n’y a pas d’objet : le sujet
coïncide avec de qui est agréable et le monde
extérieur avec ce qui est indifférent. (4) Il considère
que le sein c’est l’enfant jusqu’à ce qu’il le perde. Il
n’y a pas de rapport logique avec le sein puisque il
n’y a pas de sujet et d’objet, ni même deux sujets.
Pour Freud, l’objet (une fois perdu) est introduit
dans la phase anale : c’est là qu’il parle du sein
comme objet. Avant d’introduire l’amour d’objet,
Freud introduit le concept du narcissisme, concept
de l’unification : "il faut que quelque chose vienne
s’ajouter à l’autoérotisme, une nouvelle action
psychique pour que le narcissisme se constitue". (5)
Dans "Le moi et le ça", Freud dit qu’il y a une phase
préalable au choix d’objet : l’identification,
"première identification de l’individu avec le père,
directe et immédiatement antérieure à tout choix
d’objet". Elle sera une première forme ambivalente
utilisée par le moi pour distinguer un objet. Mélanie
Klein parle d’une fonction de l’organisme qui serait
une fonction de moi, celle d’expulser à l’extérieur
tout ce qui est désagréable. Elle s’appuie sur les
défenses énoncées par Freud : transformation en son
contraire et retour sur la personne même, pour les
considérer comme activités du moi.
Selon Freud, les défenses (destins de la pulsion) sont
antérieures au refoulement (7); la transformation en
son contraire implique le retour d’une pulsion de
l’activité à la passivité, et le changement même de
son contenu. Il montre ici les paires antithétiques :
sadisme-masochisme et voyeurisme-exhibitionisme
(4) … "Ce sont les pulsions sexuelles les plus
connues qui, se présentent comme ambivalentes. En
général, nous pouvons dire d’elles qu’elles agissent
de façon autoérotique, c’est-à-dire que leur objet
s’éclipse derrière l’organe qui en est la source et
qu’il coïncide généralement avec celle-ci. L’objet de
la pulsion de voir c’est aussi d’abord une partie du
corps propre et pourtant ce n’est pas l’œil même ;
dans le sadisme, l’organe fort, qui est probablement
la musculature capable d’action, vise d’une manière
directe un objet autre même s’il se situe dans le
corps même". (4)
Freud signale que l’opposition actif-passif ne doit
pas se confondre avec l’opposition entre moi-sujet et
dehors-objet. Le sujet agit oisivement vers
l’extérieur et activement vers l’intérieur. Tout
d’abord, le moi-sujet coïncide avec l’agréable et le
monde extérieur avec l’indifférent. En accord avec
le principe du plaisir, il accueille dans son intérieur
les objets qui sont offerts dans la mesure où ils sont
11
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source de plaisir. L’expérience de satisfaction
(fondement du désir) établirait le rapport entre une
représentation et une perception. L’image du corps
permet de situer ce qui est du moi et ce qui n’est pas
du moi et donc une rencontre d’objet qui
corresponde à la représentation d’un objet
satisfaisant et perdu. La forme du moi viendrait à
pallier ce manque (8 et 11).
Mélanie Klein oublie l’importance de la pulsion
scopique et de l’image du corps-forme du moi si
bien qu’elle maintient ses descriptions au niveau du
sadisme-masochisme. Mais c’est à partir du concept
d’unification qu’on peut penser les rapports entre le
moi et les objets, et à partir de là que Freud introduit
le deuil de l’objet d’amour ; ainsi, la libido en
abandonnant l’objet retombe sur le moi comme
identification. (6) Mélanie Klein reprend cette notion
d’objet mais de façon différente à l’usage qui en est
fait dans les Trois Essais où l’objet a un caractère
variable, coordonné par la pulsion et où la recherche
de la satisfaction (recherche de l’objet) vise à
retrouver l’objet marqué par les traits du
narcissisme.
Chez Mélanie Klein l’évolution du moi se fera grâce
à des introjections successives du bon objet, ce qui
permettra finalement par le moyen de l’amour et de
la réparation de restaurer l’unité perdue, de mitiger
l’envie et de réduire le clivage. L’objet est le sein,
non pas réel mais fantasmé à partir d’une expérience
réelle du sein. Mais bien que ce que le sujet attribue
au sein ne soit fondé sur aucune expérience concrète,
la pulsion s’articule néanmoins différemment selon
l’expérience réelle du sein.
En transposant à la scène analytique ces
conceptions, on verra qu’il y aura des effets
imaginaires produits, tels que le psychanalyste se
met en position du savoir. De plus, selon Mélanie
Klein, il y a un rapport entre un sujet qui a besoin de
quelque chose de spécifique et l’autre, sa mère, qui
non seulement sait mais possède cet objet. Mais, si
la mère essaye de satisfaire son enfant,
l’insatisfaction revient toujours. Donc, à côté de la
satisfaction et de la frustration externes, Mélanie
Klein introduit la satisfaction et la frustration
internes rattachées à l’envie.
A propos de l’Œdipe
Mélanie Klein considère l’Œdipe comme une
structure qui organise le sujet et rend compte des
symptômes. La discussion a souvent porté sur l’idée
d’un Œdipe précoce. Or, ce qui différencie l’Œdipe
de Mélanie Klein et celui de Freud ce n’est pas que
l’Œdipe soit précoce ou non mais que chez Freud
l’Œdipe a une référence phallique alors que chez

Mélanie Klein il est oral. Il y a une promotion telle
de la phase orale que la polyphonie perverse
freudienne se réduit à un sadisme d’incorporation –
destruction de l’objet. Les pulsions sont ce qui n’a
pas évolué et donc toute l’évolution de l’enfant se
fera vers une maturation des pulsions et leur
unification autour d’un objet total. "Pour Mélanie
Klein les psychoses et l’analyse d’enfants sont la
même chose, l’enfant pervers polymorphe de Freud
est remplacé par le petit criminel à cause de la
promotion de la phase orale. (9)"
Mélanie Klein se base sur K. Abraham qui divise la
phase orale en une phase précoce (suce ibn) et une
autre sadique (morsure) avec l’apparition des dents
et les sentiments de culpabilité qui surgissent dans la
phase suivante (premier stade anal-sadique).
"L’enfant désire détruire et dévorer l’objet libidinal.
A cause de ceci surgit l’angoisse, et l’objet introjecté
devient une instance qui punit les tendances
œdipiennes qui se sont éveillées ; l’enfant craint un
châtiment correspondant à l’offense."
Freud dit que les tendances pulsionnelles amènent
les sentiments de culpabilité, mais il les situe après
la période de latence. Chez Mélanie Klein, il s’agit
de dévorer à la mère alors que chez Freud il s’agit de
la dévoration du père. La relation au père y
détermine après coup la relation avec la mère alors
que chez Mélanie Klein c’est la relation avec la mère
qui détermine en forme linéaire une relation avec le
père : il n’y a pas là de fonction paternelle.
"Mais à cause des angoisses persécutrices et
dépressives vécues par l’enfant par rapport à la mère
et au sein, le pénis du père devient bientôt, pour la
petite fille et pour le petit garçon, un objet alternatif
de désir oral, qui tout en les attirant vers lui les
détourne du sein". (1)
"L’aspiration à récupérer la relation initiale au sein
se transforme en un désir d’union génitale, et des
sentiments dépressifs à propos du tort que l’enfant
sent avoir causé au corps et au sein de la mère
stimulent le développement de tendances génitales
accompagnées du désir de restaurer le corps de la
mère"(1)…"pour la femme, le mari représente
toujours et en même temps, la mère qui donne ce qui
est désiré et l’enfant bien aimé"(2)
Chez Freud, le pénis devient un élément de réunion
et de séparation avec la mère ; l’enfant est une partie
d’elle et une partie séparée d’elle. Chez Mélanie
Klein, le pénis attaque et détruit la mère et ensuite
engage un processus de réparation par la satisfaction
et par le don d’un enfant au lieu de ce dommage.
Chez Freud, les fèces sont un cadeau que l’enfant
fait à sa mère, pour Mélanie Klein, ce sont les armes
sadiques anales qu’il a pour détruire sa mère : "Nous
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concluons qu’au début l’enfant décharge son
agressivité surtout en évoquant des sentiments et des
sensations d’ordre agressif. Par exemple, c’est là que
prend naissance, à notre avis, l’énorme, importance
psychique des excréments comme agents de
l’hostilité et moyens de décharger l’agressivité".
C’est que pour Freud l’envie a un rapport au pénis et
elle se base sur la prémisse universelle du phallus et
sa signification narcissique :… pour le petit garçon
ou la petite fille c’est impossible de se représenter
une personne semblable au moi sans cette partie
constitutive essentielle ". (3) A partir d’ici, il dérive
la castration et son impact dans le narcissisme, la
castration donnant sens, rétroactivement, aux pertes
successives vécues auparavant : la perte du sein
maternel, l’expulsion de fèces, la séparation du corps
maternel à la naissance
Pour Mélanie Klein l’envie a un rapport au sein,
l’envie du pénis est tout à fait niée et c’est ainsi que
la castration apparaît différemment. Dans
"Contributions à la Psychanalyse" elle dit :"Bien'
que l’envie du pénis et le complexe de castration ont
un rôle important chez la fille, ceux-ci sont renforcés
par la frustration de ses désirs œdipiens positifs" ; et
même si dans une certaine période la fille présume
que sa mère a un pénis comme attribut masculin, ce
concept n’a pas le rôle si important dans son
développement que Freud croyait."Ses désirs oraux
pour le pénis du père se mélangent avec ses premiers
désirs génitaux de recevoir un pénis. Mélanie Klein
considère l’envie du pénis par ce qui concernerait
ses origines orales. Le pénis y est comparé au sein,
et l’envie est reculée jusqu’à l’envie du sein
maternel.
A propos du transfert
La polémique entre Anna Freud et Mélanie Klein a
comme point central la question de la possibilité ou
non de mener une psychanalyse avec de jeunes
enfants. En s’opposant à Anna Freud, Mélanie Klein
affirme qu’on peut analyser des enfants puisque du
point de vue de l’inconscient les enfants ne sont pas
différents des adultes.
Pour éviter l’angoisse liée à la parole, Mélanie Klein
introduit la technique du jeu, en considérant que la
difficulté des enfants pour s’exprimer par la parole
concerne plutôt l’angoisse qu’un manque de
connaissance du langage. Le jeu permettra
l’interprétation mais son but est d’arriver à la parole.
Les symptômes et les inhibitions sont liés au
 Accueil
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langage, mais aussi au jeu, et ceux-ci avec le Ce travail a été basé sur :"Existe un psicoanalisis del infans ?" dans
"Psicoanalisis : una politica del sintoma" de German L. Garcia, Alcrudo Editor,
complexe d’Œdipe. 'Zaragoza, 1980.
Dans le "Colloque sur l’analyse d’enfants", Klein 1 SEGAL, Hanna : "Introduction à l’œuvre de Mélanie Klein"
signale : "dans l’analyse des enfants aussi bien que 2 KLEIN, Mélanie :"Envidia y gratitud"-Obras Completas, Paidos. Buenos
dans l’analyse des adultes, nous les faisons remonter Aires. "Les stades précoces du conflit Œdipien"
jusqu’à l’objet originel. 3 FREUD, S. : "Très essayos para una teoria sexuel"
En nous servant du matériel analytique, nous 4 FREUD, S."Las pulsiones y sus destinos"
pouvons grâce à la perlaboration de situations 5 FREUD, S."Introducion del narcisismo"
antérieures, reconstruire les sentiments éprouvés par 6 FREUD, S."Duelo y Melancolia"
le patient à l’égard du sein maternel, lors de sa 7 FREUD, S."El yo y el Elle
première enfance."
8 FREUD, S. "La Negacion"
Mélanie Klein suppose que l’analyse récapitule dans
9 GERMAN GARCIA : "Existe la psicoanalisis del infans ?"
le transfert les phases de l’évolution, de telle façon 10 FREUD, S. : "Sobre la transmutaciones de los instintos"
que la parole est remplacée par son équivalent 11 LACAN, J. , Seminario I
allégorique, en partant d’un centre imaginaire formé
par la relation entre la bouche et le sein, scène de WINNICOTT, DU SEIN ... AU SOIN
multiples et mutuelles attaques provoquées par Philippe Stasse
l’envie excessive du sein, les possibles réparations
postérieures, l’amour et la haine. On fait du
Le développement de l’enfant dans la pensée
symbolisme l’instrument interprétatif du fantasme.
winnicottienne s’étire suivant un schéma strictement
Ainsi, en transposant à la scène psychanalytique
linéaire dans lequel la : mort intervient comme fin
nous trouvons la gratitude ou l’envie, la culpabilité
temporelle et non comme pulsion. L’enfant y est
ou la réparation produites par le même sein.
objet des soins de la mère dans une relation
Mélanie Klein parle des patients qui peuvent être
exclusivement duelle. A ce couplage mère-enfant
satisfaits avec une interprétation comme s’il s’agit
s’articulent chez Winnicott des notions telles
d’un repas ou d’une tâtée, et qui produit un bien être,
l’intégration, le processus de maturation, la
ou bien le contraire.
frustration d’un objet réel, la régression dans la
Le fantasme y est "sensoriel", il faut le traduire : "Le
réalité. Notions qui ne sont pas sans conséquences
patient envieux ne marque qu’à contrecoeur son
quant à la conception de la psychose infantile.
accord avec l’analyste et l’aide que l’analyste
apporte se trouve détériorée et dévalorisée du fait de
"On peut utiliser ce terme, le moi, pour décrire la
la critique envieuse ; il lui devient impossible
partie de la personnalité humaine en cours de
d’introjecter l’analyste en tant que bon objet ou
développement qui, dans des conditions favorables,
d’accepter et d’assimiler ses interprétations avec une
tend à s’intégrer pour devenir une unité."
conviction suffisante réelle."
(Winnicott, Processus de maturation, p. 9).
On pourrait se demander ici de quel registre parle
Winnicott considère le moi comme une instance
Mélanie Klein quand elle désigne l’acceptation
d’intégration des pulsions, venant du ça. Son
"avec une conviction suffisante, réelle" alors que
développement s’établit suivant un triple processus :
Freud nous a dit dans la Dénégation que
1. L’intégration dans l’espace et dans le temps :
l’acceptation consciente ne lève pas le
primitivement, il n’existe qu’une relation à des
refoulement."Le symbolisme constitue la base de
objets partiels (par ex, le sein). C’est l’intégration
toute sublimation et de tout talent, puisque c’est au
graduelle de la personnalité du nourrisson en une
moyen de l’assimilation symbolique que les choses,
unité qui lui permet, de sentir que l’objet partiel fait
les activités et les intérêts deviennent les thèmes des
partie d’une, personne.
fantasmes libidinaux."'Elle transforme le fantasme
Cette intégration se réalise par deux types
en l’inconscient. Le, passage du fantasme au langage
d’expériences : la technique des soins infantiles, et
ne se produit pas, chez le patient mais est introduit
les expériences instinctuelles qui rassemblent les
par l’analyste au moyen de l’interprétation dite
éléments de la personnalité et en font un tout.
intégrative. Mélanie Klein tire ce qu’elle écoute de
2. La personnalisation : développement que l’on a de
la théorie, elle n’arrive ainsi pas à ce symbolisme
sa personne et de son corps.
que Freud nous dit être des hiéroglyphes à
3. La réalisation : relation primaire à la réalité
déchiffrer, mais au contraire elle part d’un
extérieure ou instauration de la relation d’objet.
symbolisme à priori pour expliquer la parole.
Celle-ci ne peut s’établir que si l’environnement
offre les objets de telle façon que l’enfant crée

13

l’objet. Le nourrisson se trouve donc dans un état
d’attente face à la mère qui, lorsqu’elle est
"suffisamment bonne", offre un objet qui satisfait les
besoins de l’enfant. Celui-ci commence alors à
éprouver le besoin de ce que sa mère lui offre.
Lorsqu’il n’y a ni carence, ni privation (lorsque
l’environnement est suffisamment bon), l’objet, tout
d’abord phénomène subjectif, devient un objet perçu
objectivement. A ce stade, l’environnement
favorable permet au nourrisson d’avoir une
expérience vécue de "l’omnipotence".
"Omnipotence", dit Winnicott, état de non
frustration (principe de plaisir) précédant le
"désillusionnement progressif" (principe de réalité)
où l’enfant apprend à se passer de sa mère. Il
existerait donc pour Winnicott dans la réalité de
bonnes et de mauvaises conditions permettant le
développement de l’enfant.
En perdant le sein maternel, l’enfant perd donc la
mère (le sein étant celui de la mère et non de
l’enfant). De là, dans cette conception, l’absence de
toute idée de soustraction (castration) ; de là aussi le
mythe du retour à une expérience de satisfaction
première pour expliquer la jouissance. Celle-ci n’est
pas marquée de l’idée d’une déperdition ; elle se
sous-tend d’un retour à une expérience fusionnelle et
ne provient donc pas du fait même de cette
castration.
Self
Il y a chez Winnicott l’idée d’un self qui n’est pas le
moi-je, mais le moi en tant qu’il est travaillé par le
processus de maturation. Le moi du nourrisson
progresse vers un état dans lequel les exigences
instinctuelles sont ressenties comme faisant partie du
self et non de l’environnement. Ce self central est
susceptible d’être influencé par des traumatismes, ce
qui provoque la mise en place de défenses, et donne
ainsi naissance au faux-self (traumatismes dus aux
carences de l’environnement). Le faux-self prend
alors la place du vrai self. Le faux-self, c’est ce qui
ramasse toutes les expériences négatives dues aux
traumatismes venant des carences de
l’environnement.
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"La mère suffisamment bonne"… Une théorie du
soin
Selon Winnicott, cette mère répond à
"l’omnipotence" du nourrisson. Elle témoigne d’une
acceptation presque totale des besoins de l’enfant, et
assure ainsi la continuité du développement affectif.
Avec le temps, cette adaptation se fait de moins en
moins sentir, cette diminution étant fonction de la
capacité croissante qu’acquiert l’enfant de faire face
à la défaillance maternelle.
Si l’adaptation de la mère est suffisamment bonne, le
nourrisson commence à croire à la réalité extérieure.
Il peut progressivement renoncer à l’illusion de la
création et du contrôle omnipotent. Entre le
nourrisson et l’objet (l’objet partiel maternel) se
constituent les fondements de la relation
symbolique.
Lorsque l’adaptation de la mère n’est pas
suffisamment bonne, l’adaptation de la mère aux
hallucinations et aux pulsions spontanées de l’enfant
est déficiente. La fonction qui aboutit à la formation
symbolique est bloquée. Il y a séduction du
nourrisson qui en vient à se soumettre. La mère fait
défaut au nourrisson au lieu de répondre à son geste.
A la place, elle y substitue le sien propre qui n’aura
de sens que par la soumission de l’enfant. C’est dans
cette inadaptation de la mère à ressentir les besoins
de l’enfant que Winnicott situe l’origine du faux
self.
A la recherche de l’objet perdu… le mythe
winnicottien du rapport sexuel possible
Dans la relation mère-enfant chez Winnicott l’objet
vient obstruer ce qui manque à l’enfant. Il vient
boucher un trou ; ce qui permet la réunion avec la
mère après le "traumatisme de la naissance". C’est
un objet qui comble, et permet une rencontre
heureuse dans laquelle le manque n’a pas de place. Il
n’existe donc aucune dialectique dans la relation du
sujet à l’objet puisque cette rencontre ne laisse
aucune place au manque – (objet que Lacan a
comparé au fétiche en ce qu’il dispense de dire ce
qui manque à la mère).
Chez Freud, au contraire, le rapport du sujet à l’objet
est profondément conflictuel. L’objet est
irrémédiablement perdu, et sa recherche est marquée
du signe d’une répétition impossible. On ne trouve
donc pas de trace chez Winnicott d’une notion
essentielle, la notion du manque de l’objet. Les
relations restent éminemment duelles, calquées sur
le développement de la relation primitive mère-
enfant, nous dit Lacan, et il ajoute : "Cette relation

problématique demeure incompréhensible tant qu’on
l’interprète en termes de réalité, de frustration d’un
objet réel. Entre la mère et l’enfant, Freud a introduit
un troisième terme, un élément imaginaire, dont le
rôle signifiant est majeur : le phallus". (Lacan,
Séminaire sur la relation d’objet).
Jamais n’interviendra donc chez Winnicott la
fonction symbolique du père (Winnicott ne parle du
père qu’en termes de soutien matériel de la mère ou
de mère de rechange), fonction du père qui introduit
un écart entre les trois termes de la relation mère-
enfant-phallus, et insère le manque d’objet dans une
nouvelle dialectique.
L’identification à la mère, chez Winnicott, est donc
une identification à une mère pleine, non châtrée,
mère qui n’a pas de référence au nom du père. Et
Jacques-Alain Miller de conclure : "Demandons-
nous – pourquoi chez Freud le Nom du Père avait
émergé, demandons-nous si dans toutes les théories
sur la psychose qui sont répandues dans les
institutions d’appartenance winnicottienne qui se
suffisent de la conception du soin, est-ce qu’on ne
fait pas que répandre une propédeutique perverse. A
l’horizon de toutes ces thérapeutiques du soin, il y a
la figure de l’Autre non barré, voire de la mère non
châtrée, de 'la mère phallique".
(Jacques-Alain Miller, Problèmes Cliniques pour la Psychanalyse, in Quarto
n°1).
WINNICOTT
Bruno de Halleux
"Naturellement si ce que je dis comporte une parcelle de vérité les poètes en
auront déjà traité".
Parler de la psychose chez Winnicott est une
entreprise hasardeuse car sa théorie, 'd’un abord
facile, est pour le moins confuse et parfois même
embrouillée.
Reprenant donc certaines idées maîtresses bien
connues de Winnicott, j’ai essayé d’en approfondir
certains aspects pour finalement conclure sur
l’analyse Winnicottienne avec des psychotiques.
L’origine de la psychose
L’origine de la psychose, nous dit Winnicott, est à
trouver dans les avatars de ce processus d’illusion-
désillusion aboutissant à la formation du self, soit
que la mère n’aie pas été suffisamment bonne ou
qu’elle ait été trop stricte à son adaptation. Ce
processus d’illusion-désillusion est la pierre d’angle
pour le devenir de l’enfant.
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– Illusion où la mère est proche d’un état
pathologique que Winnicott appelle la préoccupation
maternelle primaire, état d’hypersensibilité de la
mère qui donne l’illusion à l’enfant de trouver son
objet ; c’est d’ailleurs ce que Winnicott entend par la
mère suffisamment bonne, c’est-à-dire suffisamment
adaptée aux besoins de l’enfant afin que celui-ci ait
le sentiment continu d’exister, et qu’il puisse nourrir
l’illusion que ce qu’il crée existe réellement.
– Désillusion où la continuité des soins vient se
rompre et où l’enfant peut progressivement faire
face à la frustration.
Le point délicat ici s’aperçoit dans les termes mêmes
que Winnicott utilise : tout y est question de dosage
et de quantité.
Là, adaptation trop stricte aux besoins de l’enfant, et
le self ne se développera jamais ; ici, une mère pas
suffisamment bonne peut engendrer chez l’enfant
une menace d’annihilation qui consiste en une
expérience traumatique survenue à ce stade
d’illusion, trace qui ne peut être fixée comme un
souvenir (appelant une restitution, une compensation
ou un renoncement) mais qui laisse une angoisse
impensable (qui n’appelle pas une réparation).
Dans un article tardif ("Fear of breakdown", paru
dans l’International Review of PsychoAnalysis,
1974, n°1 ; et traduit dans la Nouvelle Revue de
Psychanalyse, n°11), Winnicott considère l’affection
psychotique d’abord comme une organisation
défensive liée à une agonie primitive. La psychose
est alors un aménagement élaboré de défenses dont
l’objet est de prévenir la répétition de la
désintégration. Winnicott nous indique que la crainte
clinique de l’effondrement (break-down) qui mine la
vie du patient a déjà eu lieu, mais dans un lieu
particulier ;
"C’est un fait qu’il porte caché dans l’inconscient.
L’inconscient dont il est ici question n’est pas
exactement l’inconscient refoulé de la
psychonévrose ; ce n’est pas non plus l’inconscient
de la formule freudienne, cette partie de la psyché
qui est très proche du fonctionnement
neurophysiologique ; ce n’est pas plus l’inconscient
de Jung… Dans le contexte particulier dont je parle,
l’inconscient signifie que l’intégration du moi n’est
pas en mesure d’englober quelque chose. Le moi est
trop immature pour rassembler tous les phénomènes
dans le champ de la toute puissance personnelle".
(Fear of breakdown)
C’est donc "la crainte de cette agonie originelle qui a
causé l’organisation défensive que le patient
manifeste sous la forme d’un syndrome de maladie."

Contre ce retour, le sujet peut se protéger, mal, par
une psychose de défense.
Octave Manonni (dans un article de la revue "L’Arc"
n°69, consacrée à Winnicott) nous fait remarquer
d’une part qu’on peut rapprocher cette thèse de celle
de la forclusion chez Lacan. Ce quelque chose qui
n’a pas de lieu pour y être englobé va réapparaître
dans le réel (la crise psychotique). D’autre part,
Winnicott ajoute une idée originale en croyant à la
guérison de la psychose si un patient peut
s’effondrer réellement (régression dans le réel).
(Laing est passé à l’acte en créant Kingsley Hall).
Mais Winnicott reste prudent : "Pourtant cette
solution n’est pas suffisamment bonne… et en fait,
bien des patients auxquels je pense sont des
personnes estimables qui ne peuvent se permettre de
s’effondrer au sens d’aller à l’hôpital psychiatrique."
(Fear of break-down) En dehors de l’hôpital, le
patient ne peut guérir que s’il se rappelle cet
effondrement, c’est-à-dire qu’il ait pour la première
fois l’expérience de cette chose passée dans le
présent. Cela ne peut s’effectuer que dans le transfert
avec une compréhension profonde de la part de
l’analyste et du patient.
Self et faux self
Pour avancer dans la compréhension de la psychose
chez Winnicott, il m’a paru utile de s’arrêter sur
cette notion de "Self" et de "faux-self" qui est en
filigrane dans toute son élaboration théorique sur la
psychose ; ce "Self" ne correspond pas au sujet, ni à
la personnalité, ni encore à l’EGO des Anglo-
saxons. Winnicott ne définit d’ailleurs l’idée d’un
vrai "Self" que pour tenter de comprendre le "faux-
self", car, dit-il, le vrai "Self" ne fait guère plus que
rassembler dans ses détails l’expérience liée au fait
de vivre. (Processus de maturation chez l’enfant, –
PB Payot, p. 126).
Au départ, le "Self" est proche du biologique : il est
lié à l’idée du processus primaire, il " provient de la
vie des tissus corporels et du libre jeu des fonctions
du corps, y compris celui du cœur et de la respiration
"(ibid.) Puis, ce" Self "acquiert vite de la complexité
et établit des rapports avec la réalité extérieure au
moyen de processus naturels, processus qui se
développent chez chaque nourrisson au cours de son
évolution." Le "Self" est donc à comprendre dans
son mouvement ; il est le noyau du moi en ce qu’il
assume "le sentiment continu d’existence". Il abrite
ce qui est vivant chez le sujet, son potentiel de vie
psychique créative, ce qui est à la source de ce que
nous appelons la spontanéité, ce qui nous donne le
sentiment chez l’autre de l’authenticité. Dans une
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évolution normale, le nourrisson parvient peu à peu
à se libérer du soutien de la mère et à se différencier
en un "Self" personnel séparé.
Jacques-Alain Miller considère qu’avec le mot de
"Self", Winnicott s’est approché du signifiant
lacanien. Ce terme dénote l’opacité fondamentale de
la vie ; il le traduit par sujet de la vie. Par opposition,
le "faux-self" est ce qui résulte des carences
d’adaptation de la bonne mère, de l’environnement.
Le "faux-self" est cette façade, cette carapace pour
affronter le monde, défense destinée à protéger le
vrai "Self". Jacques-Alain Miller rapproche le "faux-
self" de la fonction imaginaire du moi. Winnicott
met en garde les analystes de ne traiter qu’avec le
"faux-self", parole vide, qui risque de prolonger
indéfiniment l’analyse.
La position de l’analyste se doit de ressembler aux
soins maternels. Ce qui est recherché avant tout,
c’est la "communication seeking", l’établissement
d’un transfert qui semble n’être qu’une répétition de
la dépendance avec la mère. Dès lors, l’analyste ne
peut s’identifier qu’à la bonne mère, la mère
réparatrice, la mère du soin. La cure privilégie la
relation du soin qui guérit aux dépens de
l’émergence du signifiant. Ce qui ici est premier,
c’est l’action du thérapeute qui doit modifier la
situation elle-même. Puisque la psychose est
rapportée à la faillite du soin de la mère, l’analyste
va se mettre à la place ale l’objet perdu en tant qu’il
l’est lui-même et risque de viser ainsi un rapport
sexuel possible. Mère non châtrée, non désirante,
point aveugle d’où Winnicott a tiré les meilleures de
ses intuitions.
L’INTRODUCTION DU NOM-DU-PÈRE
Alfredo Zénoni
Suivre le cheminement du séminaire sur, les
psychoses ne me paraît pas avoir seulement l’intérêt
historique d’examiner les matériaux qui ont préparé
les formulations à la "Question préliminaire", mais
surtout l’intérêt de redonner à ces formulations tout
le relief de leur nouveauté par rapport à une
problématique en impasse dans le champ
psychanalytique. "Trop connue", la forclusion du
Nom-du-Père risque de se ravaler au rang d’une
étape que l’enseignement ultérieur de Lacan ne ferait
que dépasser, quand nous savons que ses derniers
séminaires n’ont pas cessé d’y faire allusion et d’en
reprendre l’écriture, comme s’il s’agissait là d’un
point foncièrement problématique de la structure.

Un défaut dans le signifiant
L’accident dans le registre de la chaîne signifiante
où Lacan désigne le défaut qui donne à la psychose
sa condition essentielle (Écrits, p. 575) est approché
tout le long du séminaire par deux voies
relativement distinctes et qui se croisent, sorte de
point de capiton du séminaire lui-même, sur un
paradoxe apparent.
D’une part, l’accent est mis par Lacan sur un défaut
de la relation du sujet à un ordre dont il isole ici pour
la première fois le caractère d’indépendance, voire
d’antinomie par rapport à la signification, relation à
l’ordre du signifiant comme tel. C’est dans ce
séminaire que se trouve formulé, surtout dans la
séance du 11 avril, le caractère asémantique du
signifiant, sa différence par rapport à un signe en
tant que précisément comme signifiant, il ne veut
rien dire. C’est ce que montrent aussi les
développements sur la métaphore, dont l’effet de
sens ne se produit pas comme l’expression sous une
forme imagée d’une signification préalable, mais
bien comme la position d’un signifiant justement
séparé de ses connotations habituelles. C’est d’être
choisi pour ce qu’il ne veut pas dire, comme pour la
première fois dans le contexte, qu’il polarise toutes
sortes de significations – sans que l’addition de ces
significations ne puisse donner lieu à la signification
dont le signifiant métaphorique serait l’expression,
puisque c’est le signifiant qui les détermine, d’être
choisi sans signification.
Or, le défaut essentiel qui donne à la psychose sa
structure concerne la relation du sujet au signifiant
ainsi spécifié.
D’autre part, ce défaut est rapporté par Lacan à un
point privilégié de l’ordre signifiant, à un signifiant
spécial ou "primordial", pas à un signifiant
quelconque – alors que tout signifiant est
quelconque au regard de l’effet de signification
déterminé par son articulation. Malgré donc le
caractère asémantique du signifiant comme tel,
Lacan développe l’hypothèse d’un trou, dans le
symbolique qui se trouve situé par les significations
qui y sont connotées autour. Une zone du signifiant
se trouve ainsi privilégiée par le réseau de
significations qui sont approchées dans les
conjonctures où le rapport au signifiant comme tel
vient à faire défaut. Ce qui est rejeté ou retranché
pour le sujet est tantôt référé à la menace de
castration, à la bisexualité, la forme féminine, tentât
au signifiant mâle primordial, à la procréation,
jusqu’à se préciser dans l’"être père".
Ces deux lignes du séminaire viennent donc
converger sur un point de croisement entre les
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significations et le signifiant, là où précisément les
significations essentielles pour le sujet sont celles
mêmes qui ne rencontrent dans le signifiant rien qui
puisse en répondre. Ce qui fait support ou
détermination du sujet dans son existence,
concernant son sexe et sa contingence dans l’être – à
savoir qu’il est homme ou femme, qu’il pourrait
n’être pas – rencontre donc le signifiant dans une
primauté par rapport à la signification qui est en
même temps son manque de réponse, son manque de
garantie. (Les psychoses, p. 202 ; Écrits, p. 549.)
C’est donc là du à propos de significations
fondamentales se produit le croisement avec le
manque de fondement du signifiant, que le sujet
s’effectue comme rapport au signifiant comme tel,
soit comme signification qui a la forme d’une
question.
A la lumière de cette convergence, il est déjà
possible de tirer une première conclusion quant à la
différence entre névrose et psychose, sur la voie de
l’approche du défaut fondamental que Lacan
épinglera du terme de Verwerfung du signifiant. Les
significations en jeu dans la psychose sont les
mêmes que celles qui s’articulent comme question
pour tout sujet. Ce ne sont pas les significations qui
sont inaccessibles à un sujet psychotique, mais c’est
leur dépendance par rapport à quelque chose qui
n’opère que de ne pas trouver en lui-même le
fondement ou la garantie de ce qu’il détermine, donc
leur dépendance par rapport au signifiant comme tel,
qui n’est pas opérante dans la psychose. Détaché du
signe et réduit à son état asémantique, de pur trait
différentiel, le signifiant est ce qui ouvre la
dimension de la vérité, là où précisément il est en
lui-même sans signification propre et foncièrement
énigmatique. (Les psychoses, p. 216, 225).
Ce qui identifie un vivant pris dans la parole ne peut
le faire que dans la dimension de la vérité, donc dans
un ordre radicalement chiffré, énigmatique,
impliquant déjà le langage parlant du langage. Et
c’est pourquoi les significations que déterminent ces
signifiants, comme homme ou femme, vivant ou
mort, ne peuvent fonder un sujet qu’à se moduler
radicalement comme question. C’est à sa question
que se résume un être dans le symbolique. (Les
psychoses, p. 196, 202, 215 ; Écrits, p. 549). A
l’approche de ces significations, le sujet psychotique
rencontre aussi ce qui les formule radicalement
comme question, mais sans qu’il ait le support, de la
question. Ce qui lui fait défaut, ce n’est pas la
réponse, mais précisément qu’il n’y a pas de réponse
dans le signifiant : il approche du trou que comporte
le symbolique, mais dans un symbolique qui ne
comporte pas de trou, qui ne fonde pas la

signification de rien d’autre que de ce qui lui donne
sa forme fondamentale de question.
Rappelons-nous la différence que Lacan marque
nettement entre ce cas d’hystérie traumatique où il
s’agit du signifiant fondamental, d’une question : qui
suis-je ? un homme ou une femme ? et suis-je
capable d’engendrer ? et le cas du jeune homme
dans la vie duquel il est arrivé tout d’un coup
quelque chose et il n’est pas capable d’expliquer
quoi.
Ce n’est pas que l’apparition de la fille de son
partenaire ait été sentie par lui comme incestueuse et
qu’il s’en soit défendu. Au contraire, il butait là
devant quelque chose dont, la question lui faisant
défaut, "il était allé se mettre trois mois sur son lit,
pour s’y retrouver. Il était dans la perplexité". (Les
psychoses, p. 228)
Qu’est-ce qu’être père ?
L’accident de la chaîne signifiante, qui détermine
que les significations ne soient pas situées comme
un effet de ce qui leur confère forme de question, est
progressivement approché par le séminaire à la
convergence de ces mêmes significations autour de
"qu’est-ce qu’être père ?" Question et référence qui
n’ont cours que dans la réalité humaine et qui
résument l’ordre signifiant en tant que sur ce point
se dégage la pure fonction d’un symbole, d’un trait,
d’une nomination, en tant que distincte des
significations qui peuvent se polariser autour. Les
pages où émerge la fonction primordiale de ce que
peut vouloir dire être père, non pas dans le faisceau
culturel impliqué dans ce terme, mais bien au sens
de procréer, sont aussi les pages où l’accent est mis
sur la primauté et l’autonomie radicale de "père" par
rapport à l’ordre de faits ou de significations qui
pourrait le fonder (copuler avec une femme, qu’elle
porte ensuite quelque chose dans son ventre et que
ce produit finisse par être éjecté). Remarquons
l’antinomie : d’une part, il ne s’agit pas de l’image
du père, de son rôle, ou de sa fonction idéale dans
l’éducation de l’enfant – nous n’avons pas ici le
portrait du père qu’il faudrait en négatif du père
carent du psychotique – mais bien de "être père" au
sens de procréer. Mais, d’autre part, Lacan fait
remarquer que les connotations signifiantes qui
accompagnent cette notion à travers toutes les
traditions linguistiques sont très loin de se confondre
avec celles du génital : "invoquer le père (…) est
tout à fait autre chose que de se référer purement et
simplement à la fonction génitrice" (Les psychoses,
p. 359). Dans la fonction "être père" viennent se
conjoindre dans une disjonction radicale l’ordre des
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significations naturelles et l’ordre du signifiant :
"père" ne se nomme que par rapport à la procréation
(et non par rapport à des significations pédagogiques
ou législatives qui le fonderaient) mais ce n’est qu’à
se distinguer de l’ordre biologique de la génération
pour supporter un ordre de nomination qui précède
et qui subsiste au delà de la vie, qu’il se Posera,
comme signifiant, avec les connotations de loi ou
d’autorité, sur lesquelles il ne se fonde pas.
D’être asémantique, le signifiant ordonne la
signification, lui donne sa loi, il la précède.
Ces connotations accompagnent la paternité en ceci
précisément qu’elle se résume à ce qui de la
paternité est pur signifiant, "irréductible à toute
espèce de conditionnement imaginaire" (op. cit., p.
355).
Mais ce n’est que comme signifiant qu’elle les
induit, et non pas à s’en faire l’expression. Comme
dans une métaphore, le signifiant vient d’autant plus
jouer sa fonction qu’il est indépendant d’une
signification préalable, alors que, une fois posé, il
polarise des significations sans résulter, de leur
addition ; de même "père" viendra d’autant plus
signifier la marque du signifiant dans l’univers des
significations qu’il se distinguera des significations
mêmes qui le connotent. Il s’agit d’un "c’est comme
ça" sans preuves, qui implique l’annulation de son
énoncé à l’instant même où il vient fonder l’ordre du
symbolique sur sa non justification. "Tout énoncé
d’autorité n’y a d’autre garantie que son énonciation
même, car il est vain qu’il le cherche dans un autre
signifiant, lequel d’aucune façon ne saurait
apparaître hors de ce lieu (de l’Autre). (…) C’est en
imposteur que se présente pour y suppléer le
Législateur (celui qui prétend ériger la Loi). Mais
non pas la Loi elle-même, non plus que celui qui
s’en autorise." (Écrits, p. 813).
Place du père en tant que déjà mort, en tant que du
seul fait qu’il est celui qui articule la loi, sa voix ne
peut que défaillir derrière. Le père comme…
signification se résume au nom, pas même au mot de
"père" ou au patronyme du père du sujet, mais à ce
que Lacan nomme pour la première ') fois dans le
séminaire "Nom-du-Père" pour en dégager la
catégorie de signifiant.
Nom-du-Père et parole
Le repérage de ce signifiant "primordial" ne
constitue pas une butée du séminaire comme s’il
s’agissait là d’avoir trouvé le fondement de l’ordre
symbolique dans un signifiant qui en serait en
quelque sorte l’englobant. Il en constitue la butée

dans la mesure même où un tel signifiant n’est
précisément qu’un signifiant qui assume pour ainsi
dire en "premier" le fait de ne pas pouvoir se
signifier lui-même, en faisant de la vérité un ordre
qui ne se fonde que de sa disparition en acte.
Ce moment paradoxal du signifiant père sera
toujours au point de gravitation de l’enseignement
de Lacan, depuis la "Question préliminaire" en
passant par le titre même du séminaire qu’il ne put
tenir : "Les noms-du-père" – comme si l’énoncer au
singulier c’était déjà trop en dire, en manquer la
dimension d’élision en acte – jusqu’aux derniers
développements des formules de la sexuation. Mais
il est déjà sensible dans le séminaire, non seulement
dans la forme en chicane de son trajet, comme j’ai
essayé de le montrer, mais également dans les
chapitres terminaux où l’émergence du signifiant
père se fait dans une référence constante à ces
moments de la parole (l’appel, la prise de parole, la
parole fondatrice) où la dimension du signifiant se
détache d’autant mieux sur son fond de béance qu’il
ne s’agit pas de ce qui pourrait se présenter comme
une dimension "descriptive" du langage, mais de sa
dimension "vocative".
Là donc où l’on attendrait que Lacan nous parle du
père et nous déploie les significations de la fonction
paternelle, il nous parle de la parole et spécialement
de ces moments où elle s’avère radicalement
dépendre de rien d’autre que de son acte
d’énonciation : non pas la parole comme expression
mais comme constitutive de la signification à
l’instant même de ne pas pouvoir s’y fonder. "Tu es
celui qui me suivras" : toutes sortes de significations
pourront être accrochées à cette parole (je suis prêt,
je suis dominé, je suis influencé…) sans que la
portée signifiante de cette annonce ne s’y réduise ou
même ait quelque chose à voir avec elles. "La
plénitude que le tu confère à l’autre, et qui est aussi
bien ce qu’il en reçoit, est essentiellement liée au
signifiant" (Les psychoses, p. 319).
Qu’est-ce dire d’autre sinon que cette délégation ou
élection ne pourra se situer dans sa pleine
signifiance que si appel y est fait au signifiant
comme tel, et non pas à l’être qui le fonderait ?
Constatation ou prévision se distinguent ici du
mandat ou de l’élection selon qu’à cette parole il est
répondu par une question – qui est appel au
signifiant – ou par une signification. "Tu es celui qui
me suivras", "tu es ma femme", "tu es celui qui seras
père" : que suis-je pour l’être, si tant est que je le
sois ? Loin de décrire ce que je suis ou ce que je
serais, une telle parole me fait plutôt autre que je ne
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suis, sans que cette altérité ne se soutienne que de
l’indétermination même de celui qui m’annonce ce
que je vais être. "Le je a une nature essentiellement
fuyante, qui ne soutient jamais totalement le tu". (op.
cit., p. 323) Car si c’est d’un "tu es…" que le sujet
invoque celle ou celui à qui il s’adresse dans la
parole la plus librement donnée – comme Lacan
l’écrit dans "La direction de la cure" – sans déclarer
ce qu’il est, lui, ce n’est pas par un accord de retour
qu’il pourra recevoir la reconnaissance de son désir
autrement qu’à se réduire à un statut. Une telle
réponse, loin d’effacer la dépendance du sujet par
rapport à l’Autre, fixerait l’être même qui vient s’y
proposer dans un énoncé – mari ou élève, par
exemple – qui redoublerait la marque que le sujet
reçoit de son propos, en en annulant l’énonciation
(comme si, mari ou élève, il l’était – sur le mode
d’un constat) (Écrits, p. 634).
Or, sur ce point où la parole et le symbole ne sont
fondateurs que de ne pas être précédés par les
significations auxquelles ils ne se réduisent pas, que
peut-il se produire si dans le symbolique la structure
du symbolique ne se trouve pas symbolisée comme
telle, si le signifiant ne comporte pas l’appel à sa
propre condition de signifiant, soit au manque de
garantie qui le fonde (dimension de la bonne foi et
aussi de la tromperie) ? C’est là que prend toute son
importance l’examen de la phrase vocative ou de la
parole fondatrice pour situer la connexion entre le
registre de la paternité – en tant que relevant du
signifiant comme tel – et l’ordre du signifiant
comme celui où le sujet est appelé à assumer les
significations de son existence, là où il n’y a rien qui
puisse en répondre, là où la vérité d’une parole ne
précède pas son énonciation. C’est sur ce point que
se produit, par exemple, pour Schreber le
phénomène des phrases interrompues avec le
passage de la scansion sur le plan de l’énoncé –
scansion qui joue sur les propriétés du signifiant,
avec l’interrogation implicite qu’elle comporte – et
avec la certitude d’une signification qui pourtant se
dérobe comme un trou vers lequel le sujet se sent
aspiré (Les psychoses, p. 295, 319). C’est de ce
point aussi que procède, comme le remarque Lacan
cette absence étonnante dans le rapport de Schreber
à son Dieu, du TU, qui est le signifiant de l’Autre
dans la parole (Écrits, p. 575576). Ce type de
manifestations liées à la structure du signifiant
permettent en retour de situer le Nom-du-Père
comme corrélatif du point où cette structure même
s’avère se fermer sur une faille interne. Il ne s’agit
pas du terme plus important, disons, du code, mais
d’un terme quelconque au regard de la fonction

primordiale qu’il assume de capitonner le rapport
code-message dans l’élision même du terme qui la
fonderait.
Le signifiant auquel il est fait appel dans certaines
conjonctures, appel auquel ne répond pas pour le
psychotique le signifiant qu’il n’y a pas de réponse,
ce signifiant est au point de convergence de tout
l’ordre signifiant en tant qu’il assume en acte la loi
du signifiant : qu’il n’y a pas de point de
convergence sur un premier signifiant qui porterait
en soi l’accent de sa primauté, ou le sens de son
sens. Scansion interne au signifiant, en tant qu’il
s’élide lui-même à se poser comme tel, et dont le
mode sera opérant pour un sujet selon que le
signifiant comportera en lui cet "accent" de
signifiant ou pas, "selon que la partie signifiante
aura été par lui conquise et assumée, ou au contraire
verworfen, rejetée" (Les psychoses, p. 318).
Sans être automatiquement lié à un signifiant, et
précisément de ne pas l’être, en acte, le Nom-du-
Père est ce qui permet à l’ensemble du signifiant de
comporter le trou que le signifiant comme ensemble
20
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comporte. Est-ce un signifiant qui assume de
signifier ce manque en s’excluant de lui-même, ou
est-ce l’ensemble du signifiant comme tel qui
comporte en lui-même sa propre impossibilité ?
L’indécidabilité même de cette question tient à la
nature même du moment qu’elle indique : moment
"aléatoire", qui détermine le signifiant comme
signifiant (par opposition au signe, par exemple) et
que la structure du signifiant "exige" pour
s’ordonner comme telle. Cette "exigence" ne sera
connotée ou sous-entendue que dans l’acte même
par où elle s’exclut de tout ce qui pourrait en faire un
élément de l’automaton signifiant, qu’elle fonde
pourtant.
Ce point de tuché, dans sa dépendance à
l’impossible qui se cerne dans le signifiant dès qu’il
est mis en rapport à lui-même, ne cessera pas de
travailler l’écriture du Nom-du-Père par Lacan, dans
des séminaires et des écrits où ne manquent pas les
références explicites au séminaire sur les psychoses
et à la "question préliminaire".

L’ENTRETIEN
A PROPOS D’UNE INSTITUTION
Antonio di Ciaccia
En préliminaire à l’entretien d’Antonio Di Ciaccia sur l’Antenne 110, nous
publions ci-dessous le texte de son intervention au colloque de la section
clinique à Prémontré (25-26 juin 1983) qui portait sur le même sujet.
Mon propos aujourd’hui est celui de rendre•compte
brièvement du travail d’une équipe qui s’occupe
d’enfants dits psychotiques dans une institution
appelée l’Antenne, qui a commencé à fonctionner
en 1974. Le nombre d’enfants est passé au fil des
années de 4 à 13 et le nombre des adultes de
l’équipe de 3 à 10. La plupart des enfants sont
internes pendant la semaine. L’âge des enfants se
situe entre 4 et 14 ans. Du point de vue diagnostic,
l’Antenne accueille, sauf rares exceptions, des
enfants qui ont un diagnostic d’autisme ou de
psychose infantile, établi par des autorités
médicales. L’Antenne n’accueille pas des enfants
souffrants de troubles organiques lorsque ces
troubles sont clairement établis.
Mon intention n’est pas de faire l’historique de
l’Antenne, mais d’essayer de donner quelques
éléments qui ont guidé notre pratique. Cette
réflexion se veut aussi un nouveau point de départ
ou bien une épitaphe, l’existence de l’Antenne
étant actuellement menacée pour des raisons
administratives.
Dès le départ, notre intention a été celle de nous
référer à l’enseignement du Dr Lacan. Mais le peu
d’indications explicites à ce sujet, et surtout notre
ignorance, nous ont contraints à une recherche
pleine d’erreurs et pourtant pleine d’initiatives.
D’emblée, dans notre démarche, nous avons évité
de prendre en considération les idéologies
dominantes, au moins en Belgique, dans ce
domaine ; idéologies que je résumerai au nombre
de trois, mais qui se mélangent souvent dans la
pratique institutionnelle. La première oppose au
milieu familial supposé pathogène, un milieu
institutionnel thérapeutique ; la deuxième applique
la stratégie de laisser vivre les symptômes et offre à
chacun la liberté de vivre sa folie ; et la troisième
favorise chez l’enfant une régression, prélude d’un
nouveau commencement au développement,
21
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suivant les stades du couple imaginaire Freud-
Piaget.
Si nous n’avons pas pris en compte ces idéologies
dominantes, nous avons dû prendre position par
rapport à une idéologie syncrétique, qui était
implicite dans l’institution dont l’Antenne est une
section. Cette idéologie se résume ainsi l’enfant est
naturellement bon, s’il est handicapé, c’est l’autre
qui en est responsable ; pour réparer le handicap, il
suffit d’être un autre meilleur que l’autre parental
et l’enfant se développera harmonieusement. La
bonté étant la clé de la thérapeutique, il ne faut
recourir à aucune contrainte, mais attendre que le
désir de l’enfant naisse et faire alors avec lui de
chemin de l’épanouissement.
On ne fait rien avant d’avoir constaté la naissance
du désir. Or, si quelque chose peut se passer avec
des enfants qui ne sont pas psychotiques, au moins
dans la casse et la révolte, avec l’enfant
psychotique force est de constater qu’on peut
toujours attendre. En plus celui qui a fonction de
thérapeute, se trouve sommé par l’institution de
répondre à la demande des parents, d’éduquer
l’enfant-hors-norme à la norme de l’enfant normal.
Dans ce contexte, notre projet de travail a été celui
d’essayer de repérer le préliminaire à tout
traitement. Ce préliminaire nous l’avons emprunté
à l’enseignement de Jacques Lacan ; nous sommes
partis du fait que l’enfant psychotique – comme
tout autre – est dans le langage.
S’il est exclu du discours qui fait le lien social, il
est pourtant dans le langage. Inutile de lui coller un
lien social analytique qui lui est encore plus
étranger que le discours du Maître.
Mais si l’enfant psychotique n’est pas dans le
discours, peut-on dire qu’il est dans le langage et
qu’il y est comme produit des lois du langage ? Le
premier effet des lois du langage est la production
d’un sujet. Mais le fait que le langage est déjà là,
n’implique pas nécessairement que le sujet soit
constitué, au moins en tant que sujet barré (S).
Pour que le sujet soit constitué ainsi, il faut qu’un
signifiant vienne le représenter pour un autre
signifiant.
Il y a donc un choix radicalement différent entre le
choix du sujet qui choisit de se faire représenter par
un signifiant auprès d’un autre signifiant, du choix

du sujet qui ne choisit pas le manque-à-être-dans-
le-langage.
Bien que beaucoup de choses nous les ayons
comprises après coup et d’autres pas du tout, nous
nous sommes mis à la tâche de mettre en œuvre un
dispositif qui puisse produire la paire signifiante
minimale pour qu’un sujet surgisse comme barré
dans la chaîne signifiante.
Notre travail se développera suivant une double
stratégie : l’une visant l’entourage familial et
l’autre l’organisation de vie des enfants.
Cette organisation est centrée sur au moins deux
axes, articulés entre eux. Le premier axe concerne
la parole. Je n’entends pas ici la parole comme ce
par quoi il y a reconnaissance. Reconnaître un
enfant dont rien ne prouve qu’il soit à même d’être
reconnu, nous paraît peine perdue. Il nous semble
qu’une telle voie n’aurait pu nous amener qu’à une
mystique de la reconnaissance, très confortable
pour celui qui n’est pas fou, mais pas assez pour
celui qu’il est. Si l’asile n’est pas une réponse à la
question que la psychose infantile pose, la
mystique non plus.
Avant tout, j’entends par parole le fait de parler
normalement à l’enfant psychotique, comme à
n’importe qui. Non pas pour l’obliger de donner
une réponse, mais pour lui signifier que sa non-
réponse est déjà une réponse. Ensuite dans ce
contexte est entendu comme parole tout cri –
quelquefois même des gestes – émis par l’enfant.
Non pas pour lui coller une interprétation, mais
pour lui signifier qu’on est à l’écoute de quelque
chose qui doit avoir pour lui une signification,
même si pour nous ça n’a pas de sens.
Pour souligner l’importance accordée à la parole,
les enfants participent à plusieurs réunions
hebdomadaires, appelées réunions de parole. Ici on
traite la parole comme un objet, mais comme cet
objet particulier, dont la présence est toute faite
d’absence. Les enfants abandonnent leurs objets
habituels pendant le temps de la réunion, et enfants
et adultes font circuler la parole. Nous accordons
plus d’importance au déplacement de cet objet
"parole" qu’au contenu des propos ou des silences
tenus par les participants. Je dois avouer que je fus
bien étonné le jour où un enfant psychotique me
demanda de pouvoir être président de la réunion et
d’être ainsi à l’origine de cette passation de la
parole, travail qu’il accomplit avec beaucoup de
dignité, mais mon étonnement a été encore plus
22
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grand lorsque des autistes ont réclamé ce rôle
qu’ils ont tenu avec beaucoup de plaisir.
Le deuxième axe concerne le rôle des adultes.
A l’Antenne, les adultes s’adonnent à des tâches
diverses, mais dans des cadres qui restent fixes et
qui sont bien connus par les enfants. A l’intérieur
de ces cadres les adultes, seuls ou par paire,
animent des travaux pédagogiques, des ateliers
manuels, des occupations artistiques et n’importe
quoi. Le but poursuivi est celui de rendre présents
les adultes aux enfants. Les adultes travaillant,
chacun selon leur style, pour qu’il y ait une
ébauche de relation imaginaire. Nous avons
constaté que toujours quelque chose se passe dans
ce domaine. Mais avec une destinée différente.
Dans certains cas, cette relation est destinée à être
la première d’une série. Le rapport à l’autre est
dans ce cas susceptible d’être imaginarisé par
l’enfant et peut alors devenir objet d’un discours.
Dans d’autres cas, au contraire, l’enfant reste
arrimé à un seul adulte ou à plusieurs, mais un à la
fois. L’enfant est ici en situation de manque de
mobilisation et de chevauchement de ses relations,
imaginaires. L’arrimage à l’adulte a pourtant sa
consistance indéniable qui persiste après le départ
de l’enfant de l’institution et qui lui offre un point
de repère assez stable.
Ces relations entre enfants et adultes donnent
consistance à des foisonnements imaginaires mais
elles pourraient chavirer vers des situations duelles.
A cet effet nous avons instauré un déplacement
constant vers un tiers qui empêche que la relation
enfant-adulte tombe dans un court-circuit. Ce
recours au tiers est nécessaire à l’adulte pour
maintenir son désir dans un lieu autre. L’enfant
psychotique au contraire insiste pour que désir et
demande coïncident.
Il réactualise inlassablement dans la réalité, le
schéma dont il souffre, schéma où il est patent qu’il
est prisonnier de l’autre dont il détient la clé de la
jouissance. Ce schéma est par ailleurs souvent
repérable dans la parole des parents. Ce tiers est
donc nécessaire aussi à l’enfant qui le demande en
même temps qu’il le refuse. Ce tiers peut être
l’autre adulte présent, ou mieux l’autre adulte
absent, ou mieux encore la réunion des adultes.
Dire à l’enfant qu’on parlera de lui et ensuite lui
confirmer qu’on a parlé de lui à la réunion des
adultes, sans ajouter aucune référence surmoiïque,
a toujours eu un effet pacificateur.

La deuxième partie du travail concerne l’entourage
familial.
Ici nous avons tout simplement renversé les
données en ce qui concerne la demande. Au lieu
que l’institution réponde à la demande d’aide des
parents pour éduquer l’enfant è la norme, nous
exigeons – pour que l’enfant soit inscrit à
l’Antenne – que les parents acceptent une série de
conditions assez strictes et contraignantes. Une de
ces conditions concerne l’obligation d’entretien
avec une personne désignée par l’équipe. Cette
personne décide des modalités de ces entretiens,
par exemple, de voir les parents seuls ou ensemble,
avec ou sans l’enfant, à l’Antenne ou ailleurs, etc.
Le but de ces entretiens n’est pas de faire l’analyse
des parents ; qui d’ailleurs ne sont pas
demandeurs ; ni de faire de la thérapie familiale,
dont le but est celui de répartir les rôles dans la
constellation familiale ; ni celui de distribuer des
conseils ou de pacifier des angoisses.
En premier lieu le but recherché est celui de faire
causer les parents de leur enfant psychotique.
Grâce à la présence de cette tierce personne les
parents articulent en histoire ce qui est pour eux un
enchaînement des évènements supposés
traumatiques. Ils construisent pour l’enfant une
mythologie, en donnant consistance au roman
familial.
Bernard dira "Je" pour la première fois à la suite
d’un récit pareil. C’était la période pendant laquelle
Bernard blessait son corps pour y faire des trous,
jusqu’au sang, je le voyais avec son père et sa mère
plusieurs fois par semaine. Il arrivait avec la chaise
sur la tête, chaise qu’il ne quittait jamais, même
dans son lit. Il se mettait en position fœtale sur le
divan, Éon derrière tourné vers moi, la chaise sur
lui et il écoutait les récits de sa mère et de son père
à son propos : sa naissance, la rencontre de ses
parents, l’histoire de son grand-père, etc. Il
repartait à la fin de la séance en poussant des cris,
comme à l’arrivée, tandis qu’il restait silencieux
pendant la séance en regardant tête en bas celui qui
parlait.
Quelques mois plus tard, à l’Antenne, pendant une
réunion des adultes à laquelle il assistait avec
d’autres enfants, il s’approcha d’une femme de
l’équipe et lui parla. "Il n’y a plus de petit bébé, il
n’y a plus de petit bébé" disait-il. "Où est-il le petit
bébé ?" demanda l’adulte. "Je suis là", répondit
l’enfant.
Le deuxième but recherché dans ces entretiens avec
les parents est de placer une énigme là où il y a
23
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certitude. Presque toujours cette certitude est
entérinée par la science médicale. La science
médicale se prête facilement à rendre vrai ce qui
est de l’ordre de la réalisation du fantasme.
Je n’aborderai pas plus loin – aujourd’hui au moins
– ce chapitre, celui du fantasme où l’enfant
psychotique est pris. Fantasme qui est central dans
cette affaire, si l’on croit les propos de Jacques
Lacan aux Journées sur la psychose chez l’enfant.
Pour l’instant je vais simplement vous raconter
quelque chose qui concerne un des derniers enfants
inscrits à l’Antenne. Rose avait 4 ans lorsqu’elle
est arrivée. Je la vois avec ses parents. Pas un
regard ne m’est destiné. Vissée dans les bras de son
père, elle n’écoute pas la mère qui parle.
La mère dit qu’ils ne comprennent pas : pour eux,
il n’y pas de problèmes. C’est vrai que Rose
n’obéit pas, qu’elle est sale, qu’elle se balance,
qu’elle ne regarde jamais personne et qu’elle ne
parle pas non plus. Si. Un seul mot. Un mot entre
papa maman bonbon. La mère, candide, me dit que
Rose l’appelle papa et qu’elle appelle son père,
maman. Je demande pourquoi ils l’ont appelée
Rose. A l’Antenne, on avait remarqué que Rose
allait souvent se mettre dans le coffre à jouets,
On aimait bien ce nom, c’est la réponse. Quelques
mois plus tard la mère me dira que dans son
enfance elle avait toujours appelé Rose toutes ses
poupées. Côté père, la chose est plus compliquée.
Au moins en ce qui concerne la place de l’enfant
dans le fantasme. Mais je n’en dirai pas plus.
Deux mots comme conclusion.
Le travail des adultes de l’équipe, soit en individuel
ou en collectif, n’est donc pas celui de faire de la
thérapie, si par ce terme on entend que la mise en
œuvre de techniques visant la guérison ; ni de faire
de la psychanalyse, qui est la mise en œuvre d’un
discours bien défini ; mais plutôt la mise en forme
d’un dispositif, en partie artificiel, qui essaie de
rendre opératoires les lois du langage.
Ce dispositif nous paraît apporter quelques
éléments de réponse par rapport à la question
soulevée par Lacan au sujet du diagnostic. Les
références imaginaires ou phénoménologiques
auxquelles la psychiatrie fait recours pour
déterminer le diagnostic, nous paraissent être
remises en cause par la constatation d’après coup
des effectuations des lois du langage : des enfants
ayant le même' comportement et apparemment les

mêmes symptômes ont évolué d’une façon
différente dans la mise en acte de ce dispositif.
Je pense que ces éléments peuvent permettre une
ébauche de diagnostic différentiel.
ENTRETIEN AVEC ANTONIO DI CIACCIA
Christian Vereecken
Christian Vereecken (C.V.). Comment as-tu été
amené à t’occuper d’enfants psychotiques ?
Antonio Di Ciaccia (A). Par hasard, je cherchais un
travail pour payer mon analyse. C’est comme cela
que je suis arrivé dans une institution qui m’a
proposé de m’occuper d’enfants psychotiques. J’ai
alors demandé la liberté de former une équipe.
Je n’avais jamais fait avant de la thérapie d’enfants
psychotiques. Une fois dans l’institution, on m’a
mis dans une salle avec un enfant psychotique et on
m’a dit : "Voilà, vous faites la thérapie", alors que
lui, ne demandait absolument rien. C’est en partant
de cette séance là que j’ai dit aux deux autres
membres de l’équipe qu’il fallait faire autre chose.
Actuellement, je peux très bien souscrire à cette
décision, c’est-à-dire que la question de la
demande n’est presque jamais correctement posée
dans les institutions et que l’on confond le discours
analytique avec le fait que l’humain est – de toute
façon – dans le langage.
C.V. C’est sans doute qu’on ne repère pas, comme
tu le dis dans ton texte, que l’enfant peut être dans
le langage en tant qu’objet, mais que s’il n’y est
pas comme sujet, il n’est pas dans le discours ?
A. Oui, c’est cela. D’emblée, à l’Antenne, nous
nous sommes fixés une ligne de conduite – de
parler à l’enfant psychotique comme à n’importe
qui –, et ce qui est étonnant, c’est qu’il répondait.
On avait pris l’habitude, tous les matins, de faire
une réunion avec les enfants. Or, ces réunions se
passaient assez mal ; c’est-à-dire, les enfants
restaient chacun dans leur coin en se balançant, et
nous, on essayait de tenir une conversation et
d’intéresser l’un ou l’autre. Un jour où on était en
retard, nous n’avons pas trouvé les enfants ; on les
a finalement trouvés au lieu de la réunion, assis en
silence. C’est alors qu’on s’est dit : "Ils ont
compris quelque chose".
On les a provoqués à donner une réponse qui
n’était pas la réponse de la parole, c’était une autre
réponse. Mais j’ai été étonné de constater
qu’ensuite, cela ait débouché dans la parole. Dans
24
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les réunions d’enfants, on en a vu de toutes les
couleurs. Par exemple, on donnait à un enfant la
parole – on la lui donnait comme on donnerait un
objet – et l’enfant ne savait que faire avec la parole
que l’autre lui avait donnée. Alors on a vu des
enfants se lever et se mettre à danser, d’autres se
lever, regarder autour d’eux en se demandant ce
qu’ils devaient faire ou se lever pour aller donner
une bise à quelqu’un… C’était une idée toute
simple et je dirais même que le reste aussi était tout
simple ; c’est-à-dire qu’on a immédiatement
demandé à l’institution de nous donner les choses
nécessaires pour pouvoir vivre avec les enfants :
par exemple, la cuisine, faire les courses, s’occuper
enfin de la vie quotidienne. Tout le monde sait que
si dans une cuisine on demande à un enfant autiste
de donner du sel, il ne donnera pas de sel mais il
donnera bien quelque chose.
C.V. Ce qui me frappait en lisant ton texte, c’est
que ce n’est pas du tout une idée de traitement, de
réparation, de rafistolage.
A. Un collègue m’a fourni le mot après-coup : c’est
un traitement préliminaire.
C.V. Même préliminaire du diagnostic…
A. C’est cela. La plupart du temps, le diagnostic est
basé sur des aspects phénoménologiques ou
psychologiques vagues qui n’apprennent rien des
possibilités de changement.
C.V. Peux-tu dire un mot de ton rapport à la
littérature sur la psychanalyse d’enfants ?
A. Je l’ai étudiée après. Souvent, on l’a étudiée
avec toute l’équipe. Je dois dire que je reste assez
insatisfait, chez les anglo-saxons, parce que je
n’arrive pas bien à saisir de quoi ils parlent
lorsqu’ils parlent d’enfants autistes ou
psychotiques. Je reste insatisfait lorsque je suis
dans la littérature lacanienne au sens large, c’est-à-
dire dans les auteurs qui se réfèrent à Lacan, parce
que les repérages diagnostics sont encore plus
vagues. Evidemment, c’est encore plus difficile
chez Lacan, parce qu’il fait très rarement référence
à ces questions.
C.V. N’y a-t-il pas beaucoup de malentendus à
propos de la psychanalyse d’enfants ?
A. Je pense que l’on a pris l’analyse du petit Hans
comme une analyse d’enfant tandis que c’était la
preuve pour Freud de la sexualité infantile, et on a
pris l’analyse des cas de Mélanie Klein comme des
analyses d’enfants psychotiques, tandis que c’était
la preuve que l’enfant déjà avait des fantasmes.
J’ai eu des expériences assez étonnantes avec des
enfants de deux ans où les choses ont marché avec
une ou deux séances, mais je serais très prudent sur
le nom à donner à cela.

Ce n’est pas une analyse, ce n’est pas une thérapie
non plus. C’est une remise en chaîne d’un discours
ou quelque chose comme cela.
C.V. Quel rapport avec le discours parental ?
A. À l’Antenne, c’est mon travail de voir les
parents. Je l’ai fait seul pendant très longtemps. Je
ne considérais pas que du fait que des parents
avaient un enfant psychotique, ils étaient
automatiquement susceptibles d’une thérapie de la
part d’un autre (c’est le péché mignon de la plupart
des institutions : vous venez avec un enfant
psychotique, donc, on vous envoie faire une
thérapie).
C.V. La fameuse théorie de l’enfant symptôme.
A. La demande par rapport à l’enfant est prise
simplement si ils acceptent de venir me parler de
l’enfant ; c’est-à-dire, ce que j’attends d’eux, en
premier lieu, c’est une reconstitution mythologique
de l’enfant. L’enfant souvent n’est pas présent mais
je fonctionne comme le trait d’union, c’est-à-dire
que l’enfant sait que je suis l’oreille pour cette
mythologie et les parents savent que je peux les
rapporter à l’enfant. Ces entretiens avec les parents
ont évolué vers une position transférentielle, mais
c’est très, très rare. Ce qui m’a étonné, c’est qu’ils
n’étaient pas à même de pouvoir faire ce travail
ailleurs.
C.V. Sans discours, pas de symptôme, donc ici il
faut le reconstruire, ce symptôme.
A. Il faut le construire, il faut même le faire
"
mousser". D’emblée, nous avons pris parti de ne
faire ni la thérapie ni la psychanalyse des enfants
c’est-à-dire que tout rapport individuel avec
l’enfant sous l’enseigne de la thérapeutique a été
mis à l’écart ; même le travail de logopédie ou de
psychomotricité… ce qui ne veut pas dire que nous
fassions du groupe. Comme je l’ai dit, c’est une
démarche préliminaire qui s’appuie au contraire sur
la valeur de la présence des adultes et sur les
affinités imaginaires que les enfants trouvent
auprès des adultes. Quelque fois cette relation
imaginaire a pu susciter une demande d’analyse –
qui a été recevable, bien sûr – ailleurs, auprès
d’analystes. Mais en fait il n’y a eu que deux ou
trois enfants de l’Antenne, en dix ans, qui ont
demandé une analyse.
C.V. Il s’agit de ne pas rater ce temps préliminaire.
A. La plupart des thérapies d’enfants psychotiques
que l’on fait, sinon toutes, relèvent tout simplement
de l’application du discours analytique alors que la
question est de rendre possible le discours
analytique. Nous avons essayé de le rendre
possible par ce temps préliminaire.
C.V. Vous faites aussi des ateliers ?
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A. Tous les ateliers sont importants et bidons en
même temps. Ce n’est pas ce que les adultes y font
qui est important, ce qui compte c’est de faire
courir les désirs de l’enfant derrière les désirs des
adultes. Il n’y a pas d’autre but et bien sûr, cela n’a
aucune valeur pédagogique.
C.V. Quelle est la durée, du séjour des enfants ?
A. — En bien, dans le cas d’enfants pseudo-
psychotiques, selon notre diagnostic, la durée du
séjour est extrêmement courte. Pratiquement, cela
peut se résoudre en quelques mois, mais il faut le
porter à un an pour des raisons scolaires. Nous
avons beaucoup d’enfants pseudo-psychotiques
(grosso modo, la moitié des enfants qui sont passés
à l’institution). Quelques-uns de ces enfants ont pu
être intégrés dans une école normale et ils y sont
restés.
C.V. Pseudo-psychotique, je suppose, désigne les
enfants à qui on a collé à tort un diagnostic de
psychose ?
A. Oui. Je me rappelle d’une petite fille qui était
muette. Après peu de temps à l’Antenne, où je
faisais des séances avec un frère et un singe auquel
elle s’identifiait, elle s’était mise à parler comme
tout le monde.
C.V. Vous tombez, je suppose, de temps en temps,
sur des enfants que vous considérez vous aussi
comme psychotiques ?
A. Bien sûr, mais alors c’est beaucoup plus dur. La
seule chose que l’on ait pu faire c’est de créer me
référence stable, mais qui s’appuie toujours sur une
personne déterminée.
Mais une fois que l’enfant est parti de l’institution,
il se référera souvent à cette personne, mais il ne
voudra pas la voir ni la rencontrer.
Ce qui nous intéresse c’est cette énigme de l’enfant
psychotique qui serait irrationnel mais qui en
même temps est très intelligent, et souvent, très
doué.
C.V. C'est-à-dire ?
A. Par exemple, je pense à un enfant qui avait
un gobelet sur la tête et qui allait sur sa balançoire
avec son gobelet sans le laisser tomber. C'est
quelque chose d'étrange : le rapport avec la réalité
est différent. Par exemple, un jour où il y avait
du verglas et que les éducateurs s'accrochaient car
ils glissaient, eh bien, les enfants psychotiques
marchaient normalement. Il y a un aspect de leur
intelligence qui m'a toujours frappé : je crois que
c'est une énigme à laquelle il faudrait attacher
beaucoup d'importance; c'est la perception des
désirs de l'autre par un signifiant qui est
normalement fermé. Tous les stagiaires, par
exemple, éprouvent le sentiment d'être mis sur
 Accueil
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la sellette par les enfants psychotiques, et plus

un enfant est psychotique, plus il est capable de
percevoir là où la castration fait défaut chez l'autre.
Cela se vérifie avec les parents aussi.
Je pense que souvent des psychiatres interprètent
les difficultés rencontrées par les parents des
enfants psychotiques à cause de la lucidité de
leur enfant comme un révélateur qu'il y a de l'"a-
normal" chez les parents. Malheureusement, les
psychiatres ne sont pas assez humbles pour se lais-
ser tester par les enfants psychotiques ...

26

CONFERENCES
UN CAS DE PSYCHOSE
Robert Lefort
Rosine Lefort
Nous allons essayer de saisir certains points
particuliers, plus exactement un point, qui est le
rapport du réel et du signifiant dans la psychose, par
l’intermédiaire du cas de l’enfant au loup. Ce dossier
de l’enfant au loup, qui est un dossier très
volumineux, – Rosine Lefort, à l’époque, notait très
soigneusement, chaque soir le compte rendu des
séances – était resté en attente d’une lecture
théorique.
On aurait peut-être pu le faire plus tôt, enfin on le
fait maintenant, et c’est certainement quelque chose
qui peut éclairer beaucoup justement ce qui est là en
question,, dans ce rapport entre le réel et le
signifiant.
Pour beaucoup, la question peut paraître un peu
spécialisée, mais je crois que si on n’arrive pas à
cette articulation, on ne pourra pas, surtout, mettre
en évidence la spécificité de ce qui se passe dans la
psychose. Il faut bien dire que, quand on s’adresse
au psychotique, ou quand on entend l’enfant
psychotique, n’est-ce pas, on a tendance – c’est ce
qui s’est souvent fait – à aplatir un peu ce qu’il y a
de spécifique dans ce qui se passe dans, la psychose,
étant donné une certaine apparence, qui rappelle
beaucoup ce qui se passe chez l’enfant… non
psychotique, disons, ou chez le sujet non
psychotique. Il faut donc aller quelquefois y voir de
près pour s’apercevoir que ce qui est en cause, ce
n’est pas seulement le phénomène, mais bien la
structure, justement ce statut du signifiant, et ce
statut aussi des registres que Lacan a promu dans
son enseignement : les trois registres du symbolique,
de l’imaginaire et du réel ; c’est donc par rapport à
ces critères, ces points de repère, qu’on va essayer
de définir, finalement ce qui en est de ce signifiant,
de ce dire du psychotique. Alors pour cela, on va
prendre une sorte d’exemple : un morceau du
traitement de "l’enfant au loup".
Je passe la parole à Rosine.
Je vais d’abord rappeler en quelques mots qui est
l’enfant au loup. C’est un petit enfant qui n’a pas
tout à fait quatre ans, qui est arrivé dans ce dépôt de
l’assistance publique pour diagnostic avant un
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internement à l’asile psychiatrique. On m’a confié
l’observation de cet enfant.
La description en est faite dans le séminaire de
Lacan, je pense que vous la connaissez, je ne vais
donc pas la reprendre, à part que les seuls mats qu’il
hurlait sans arrêt, c’était "Madame ! Madame !"
Quand un enfant criait, il se précipitait pour le faire
taire, ou il lui donnait tout ce qui était à lui. Pour ce
qui était de lui-même, il ne savait pas marcher, il ne
savait que courir – il n’avait commencé à marcher
qu’à trois ans, c’est-à-dire très tard – il ne savait que
courir d’un bout de la pièce à l’autre en hurlant. Pour
prendre un objet, s’il ne l’atteignait pas du premier
coup, il fallait qu’il recommence son geste depuis le
départ, il ne savait pas du tout accommoder. Les
deux seuls mots savait dire c’était "oui", "non", mais
"oui-non" accolés l’un à l’autre, c’est-à-dire qu’il
disait les deux en même temps. Il n’était pas
question de savoir s’il disait oui ou s’il disait non.
Le 6 février apparut un mot, un signifiant : "Loup".
Il est apparu hors séance, lorsqu’il m’a amené pour
me faire vider dans la cuvette où on vidait tous les
pots du jardin d’enfants et qu’il m’a demandé d’y
vider son pipi. A ce moment-là, terrorisé, il a crié :
"loup !", en montrant le trou des W.C. Ce mot loup,
ce signifiant, qui est, dans le fond, le représentant de
la destruction, car il avait été détruit par tous les
contenus de son corps, aussi bien ceux qui rentraient
que ceux qui sortaient, va être l’objet d’une certaine
dialectique pendant à peu près quatre mois –
dialectique de ce qui rentre dans son corps, de ce qui
en sort, de ce que ça détruit, et s’il peut en garder.
Je vais vous lire les séances telles qu’elles ont été
écrites à l’époque (ce traitement a été fait avant
l’enseignement de Lacan). C’est une description,
très minutieuse, avec ce que j’en ressors à chaque
fois comme impression de ce qui se passe dans ces
séances ; je suis donc amenée à employer des mots
qui sont pipi, caca et lait – on a peu l’habitude, dans
un discours analytique, d’entendre employer ces
mots-là, n’empêche que lorsqu’on a affaire à un
enfant psychotique paranoïaque – car il était de
structure paranoïaque – de quatre ans, c’est cela qui
est en cause, ce sont les contenus du corps, dont la
dénomination pour lui, a toujours été entendue avec
ces mots-là. Ce sont donc ces mots que j’emploie et
d’ailleurs, quand on lit les mémoires de Schreber, on
se rend compte qu’il est question de la même
dialectique pour l’intérieur du corps. Mais
évidemment, il n’emploie pas les mêmes mots, parce

que lui, il est président du Tribunal et qu’il a
cinquante ans. Cela n’empêche pas qu’il en est
revenu exactement au même endroit que cet enfant.
Alors, dans les séances qui ont suivi il m’est arrivé à
situer le "loup" dehors, en essayant que le loup ne
soit pas dedans. Je dis "Le loup" parce que c’est plus
pratique, mais lui né l’appellera le loup que plus
tard. Pour le moment, c’est uniquement un cri :
"loup", tout seul.
"Loup", dehors c’était ce qu’il y avait au-delà de la
fenêtre, ce qu’il y avait au delà de la porte, mais qui
n’était pas à l’intérieur de la pièce, c’est-à-dire à
l’intérieur du transfert. Il le disait très clairement en
regardant la fenêtre : "Loup dehors". Et nous allons
voir que ce progrès qu’il a fait est tout de même très
précaire.
Ce jour-là, le 19 février, quand je suis arrivée, il
s’est serré dans mes bras, en disant "maman" pour la
première fois. Arrivant en séance, il mange le
chocolat – oui, alors je dois signaler tout de suite
que, pour ces enfants, c’est la petite Nadia qui me
l’avait appris, il y a de la nourriture réelle en
séance ; Nadia avait treize mois et un jour, j’ai
appris par une infirmière, après six semaines de
traitement, qu’elle avait réclamé son petit déjeuner
au biberon ; je me suis donc dit à l’époque : c’est
qu’elle avait donc des choses à dire dessus, j’en ai
donc mis en séance, pas du tout dans l’idée qu’elle le
boirait, mais dans l’idée que c’était un objet de
discours et qu’il fallait qu’elle ait l’objet réel pour
pouvoir en dire quelque chose. Ce qui fait que pour
les enfants, les petits, je met toujours en séance du
lait, un biberon, et puis d’autres choses selon ce qui
est nécessaire.
Alors, Robert a donc commencé par manger le
chocolat, et il a regardé les jouets plus longuement
que d’habitude. Car le regard de cet enfant était très
impressionnant par sa mobilité permanente, et en
même temps sa fixité. On avait l’impression qu’il ne
voyait pas, qu’il ne regardait pas. Et ce jour-là, pour
la première fois, il a regardé un peu longuement les
objets qui étaient autour de lui.
Il a vidé le biberon de son lait et puis il a mis à la
place un peu d’eau, qu’il m’a fait boire – un petit
peu – puis il en a bu, l’a rempli à nouveau, m’a fait
remettre la tétine, en disant "'étine", et a reposé le
biberon sur la table.
Ce biberon était représentant de deux choses.
Ce n’était pas un représentant oral comme on
pourrait le penser ; la bouteille du biberon
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– c’est pour cela la sépare toujours – représente le
pénis, et la tétine seule représente l’oral.
Alors là, il me fait remettre la tétine sur le biberon,
en disant : "'étine". Pendant qu’il remplit ce biberon
d’eau, il fait pipi accroupi dans sa couche – car il a
quatre ans, mais il a toujours une couche, à
l’assistance publique c’est comme cela – et il
termine son pipi debout, mais toujours à travers la
couche, et à la fin, il le nomme, il dit "pipi". Il met
différents objets dans une boîte, se fait retirer sa
couche mouillée, dépose sur mes genoux la boîte et
le biberon, met le biberon dans la boîte, et la tétine à
côté. Toujours, la séparation, de nouveau.
Sans rien annoncer, il s’assied sur le pot, pousse et
fait caca. C’est la première fois, en séance. En se
relevant, il le regarde, ce caca, me le montre, mais
toujours sans rien dire, alors qu’il avait nommé
"pipi" tout à l’heure. Son attitude et son expression
semblent vouloir dire "je l’ai fait de moi-même,
parce que j’ai voulu et que tu es là, j’en suis content,
mais je ne le dis pas parce que j’aurais peur que cela
me détruise."… C’est ce que j’avais écrit à ce
moment là. "La vertu destructrice du mot."
Je ne dis rien de ce qui touche à sa peur s’il disait le
mot. Il se fait retirer ses chaussures et ses
chaussettes, prend le livre, me fait ouvrir et refermer
la fenêtre, pendant le moment où elle est ouverte, il
dit "dehors, loup", serrant son livre contre lui, puis
après me l’avoir fait refermer, il vient s’asseoir près
de moi, par terre, très calme, regarde pour la
première fois depuis le début, le livre posé sur mes
genoux, avec les autres objets ; il tourne les pages ou
me les fait tourner, s’exclamant à certaines images.
Deux fois au cours de cette scène, très calme, son
regard posé sur moi perd alors brièvement
l’expression bizarre que je lui avais remarquée dès
les premiers jours. Ce n’est qu’un bref éclair ;
cependant, cela m’a bouleversée, car c’est vraiment
un regard.
Cette scène calme aurait peut-être duré plus
longtemps, si la personne qui habite dans la pièce à
côté ne rentrait. Il entend un bruit de clé dans la
serrure, une porte qui s’ouvre, une porte qui se
referme ; alors Robert s’affole, se précipite à la
porte, l’ouvre, regarde, referme vite en me disant
affolé, "pot, pot". Il va prendre ce pot, ouvre la
porte, le dépose à toute vitesse devant la porte de la
voisine, referme vite, très agité, en hurlant "loup,
loup". Il est de plus en plus agité, vérifie que la porte
est fermée, toujours criant "loup" ou "pot".
La manière dont il a déposé le pot, cette agitation, et
sa peur, plus "loup", tout cela m’évoque un geste

propitiatoire qui reviendrait à dire : "j’étais calme,
en sécurité, quelqu’un m’a dérangé", j’ai eu peur de
perdre Rosine, et je serais encore détruit, alors
j’offre, pour conjurer le sort, ce caca qu’on a
toujours exigé de moi. Je dois le faire pour calmer la
colère des autres. Alors, je pourrai peut être rester là,
puisque j’ai fait ce qu’on exigeait de moi, et ne plus
changer ". Ce qu’évoque toujours" loup ", c’est aussi
les changements qu’il a subis. Je lui dis tout cela, il
m’écoute très attentivement, ses yeux dans les
miens, appuyé contre mes genoux ; il se calme peu à
peu. Et il a suffisamment compris ce que je lui ai dit
pour aller rechercher le pot, le remettre près de ma
chaise, refermer la porte en la claquant, et en disant
contre elle :" loup ! ".
Mais évidemment, une certaine peur subsiste, et se
manifeste par plusieurs "a pu" qu’il disait de temps
en temps dans les séances précédentes ; il déchire les
pages du livre pour en recouvrir le caca, et me fait
ensuite une toilette agressive et brusque.
Quand il recouvre son caca, il dit plusieurs fois le
mot :"caca", de plus en plus détendu à mesure qu’il
rajoute les pages du livre par dessus. Il me donne le
poupon qui était sans couche, et un bout d’étoffe, en
me disant sur un ton suppliant :"couche". Il me passe
les épingles de sa propre couche, je ne dois en mettre
qu’une parce que l’autre, retournant le poupon sur le
ventre, il la lui enfonce plusieurs fois dans le
derrière, de plus en plus violemment, à travers la
couche. J’ai l’impression qu’il se punit à travers ce
poupon car si on l’a dérangé tout à l’heure, c’est
qu’il est coupable, mais je lui dis juste qu’il se fait
mal parce qu’on lui a fait mal. Il retire alors
l’épingle de la couche du poupon, la met avec l’autre
dans le biberon qu’il referme avec la tétine inversée,
c’est-à-dire invaginée. Deux fois de suite, il les vide
dans sa main, les remet dedans ; quelques gouttes
d’eau tombent, il met la tétine dans la boîte, remplit
le biberon et me verse de l’eau sur la main ; alors, il
commence à me faire une toilette agressive, tapant
sur ma main mouillée. Il vide en définitive le
biberon sur ma main, la paume en l’air, très excité,
et il me frotte, et il jouit, évidemment de me tremper.
J’ai l’impression qu’il décharge sur moi par cette
scène de toilette agressive, comme il a dû en
connaître beaucoup, l’agressivité déclenchée par
l’angoisse, et le sentiment de culpabilité provoqué
par le retour de la voisine.
Ensuite, il me fait boire agressivement, et je mets fin
à la séance. En retraversant la cuisine, pour la
première fois, il me réclame deux tartines de pain
qu’il enveloppe pour monter dans sa chambre.
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Le lendemain, (je dis les deux séances à la suite),
j’apprends que la nuit a été agitée, et qu’on a dû lui
donner un calmant. Dès qu’il est entré dans la pièce,
il dit "pipi", et comme il n’a pas de couches, il
s’assied tout de suite sur le pot et la fait. Il mange le
chocolat, et je lui redis le rapport entre les deux, car
depuis quelque temps, s’il fait pipi, il boit tout de
suite après, et je lui ai déjà dit que quand quelque
chose sortait, al remettait quelque chose dedans.
Puis, il vide le lait du biberon sur le plancher, avec
une certaine jouissance, d’abord avec la tétine, puis
sans. Cette jouissance cela me fait penser que depuis
le début, il y a eu évolution. Alors pour ce mot
"jouissance", je vais dire quelque chose. C’est que si
j’ai employé ce mot, cela devait être très fort,
l’expression de jouissance chez cet enfant.
Maintenant, on l’emploie, on parle beaucoup de
jouissance en psychanalyse, mais à l’époque on n’en
parlait pas ; Lacan n’en avait pas parlé, puisqu’il
n’avait pas encore enseigné, il fallait donc que je
sente beaucoup cette jouissance pour que je puisse le
dire.
Cette jouissance me fait penser que depuis le début,
il y a eu évolution en trois étapes. D’abord, il se
débarrassait du lait avec terreur, parce qu’il fallait
que le lait et le biberon soient séparés. Ensuite, il ne
vidait le lait que pour le remplacer par l’eau. Par
contre, il y a liaison du vidage du lait et du
remplissage par l’eau… par la jouissance, ïl remplit
donc le biberon, me fait remettre la tétine, embrasse
la bouteille. Il retire cette tétine pour introduire dans
le biberon le crayon qu’il prend dans ma poche, et
un autre qu’il trouve dans une boîte. Puis il me
confie le biberon sur les genoux, s’assied sur le pot
pour faire caca. Il le fait, il me le montre très vite, et
surtout, il vient regarder le biberon en croquant un
biscuit, s’assurant que les crayons sont bien toujours
à l’intérieur du biberon.
Je lui dis qu’il a fait caca, qu’il se remplit, et que
pour bien s’assurer que lui existe toujours, il regarde
si les crayons sont toujours dans le biberon, qu’il les
sort et les rentre, dans le biberon, comme pipi et
caca sortent de lui, s’assurant ainsi que son corps est
toujours là, pour se remplir et faire de nouveau. Je le
lui dis. Il embrasse les crayons à travers le verre,
mais à ce moment il entend la voisine (la même
scène que la veille), qui rentre dans sa chambre. Il
court à la porte, l’ouvre, va à la porte de la voisine, –
il n’a pas sorti le pot – l’ouvre pour la refermer en la
claquant, revient dans la pièce, et en revenant, en
refermant la porte de la pièce, il s’appuie contre elle,
de nouveau en disant "loup". Mais il a beaucoup

moins peur qu’hier, car il a été actif pour enfermer le
"loup" dehors. Il n’a pas emporté le pot avec le caca,
mais il est allé refermer la, porte de la voisine. Elle
est chez elle, c’est ce qui se spécifie : dehors, c’est
"loup" et moi, ici, avec toi. Mais il a eu peur, on l’a
dérangé, donc puni, donc il est coupable, alors il
ressort du biberon les crayons, casse la mine du
mien, qu’il remet dans ma poche, et remet l’autre
intact dans le biberon. De nouveau, il regarde
brièvement les images du livre, retire le crayon du
biberon, pour le mettre dans une boîte et le remplace
par une épingle de couche.
Il refait de nouveau caca sur le pot, tenant en main
un petit objet, et un petit pot, les appuyant l’un
contre l’autre. Quand il se relève, il dit le
mot :"caca", en me le montrant avec un air ému et
joyeux. Pour la première fois, je sens qu’il y a dans
ce "caca" l’intention de me faire un cadeau de plus
du caractère conjuratoire habituel. Il avait ce désir
mais je lui avais dit (et le lui dirai très longtemps)
qu’il n’était pas encore temps pour lui de faire un
cadeau, que pour faire un cadeau sans en être mutilé,
il faut d’abord avoir reçu, et qu’il n’en était pas
encore à avoir reçu pour pouvoir donner. Mais là, ce
jour là, il a donné, il y avait eu le désir, quand
même, de me donner quelque chose, et il avait lutté,
donc, contre sa peur d’être détruit pour le faire. Je
lui dis juste qu’il a été content de me faire ce cadeau,
et que comme je suis là, il a pu sentir la joie de faire
caca ainsi et de me le montrer, avec un visage
heureux pendant une seconde. Il appuie le pot contre
ma chaise, met un peu d’eau dans le biberon, remet
la tétine, me fait boire, boit ensuite calmement, une
gorgée. Je lui dis qu’après avoir fait caca, il peut me
faire boire et boire lui – même calmement de l’eau
qu’il a mise lui-même dans le biberon. Le lait, c’est
évidemment encore trop difficile, mais je ne le lui
dis pas.
Il va chercher un poupon dans le berceau, qui n’est
pas le poupon habituel, il est violent avec lui, il
essaye de lui arracher un bras et me le jette sur les
genoux. J’ai l’impression que cette fois-ci, le poupon
est à la fois les autres enfants (entre autres Maryse la
petite fille que j’ai prise en traitement avant lui le
matin, et qu’il a déjà essayé deux fois d’étrangler, et
Nadia l’autre petite fille), mais aussi la partie de lui
qui doit être punie. Il sépare nettement ces deux
parties, il se coupe en deux, entre le dehors et le
dedans, de même qu’il coupe en deux le poupon. Il
prend ensuite une épingle sur ma blouse, l’enfonce
dans le derrière du poupon. Il met alors tout dans le
lit, puis me demande ce poupon, le laisse tomber de
haut dans le lit, me fait ouvrir la fenêtre, dans le but,
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le fond, de me la faire refermer, pour dire :"loup,
dehors". Il cherche une place pour le berceau, dans
le lit, à ses pieds, enfin par terre ; il me fait mettre de
l’eau dans le biberon pour le vider par terre, et ainsi
trois fois de suite avec un air excité. Il descend
ensuite remplir le biberon lui-même, pour d’abord
m’en faire boire agressivement, m’essuyer la
bouche, et en asperger les murs. Il est agité, mais son
angoisse est un peu moins vive. A la fin, il remplit le
biberon en le maintenant couché sur le fond de la
cuvette, trépignant et sautant, frappant le peu d’eau
qui reste avec le plat de la main, pour éclabousser
tout autour.
Alors, il finit de vider la cuvette par terre. Pour
descendre, il met tous les objets dans la cuvette vide,
'il n’arrive pas à la porter, et je dois donc le porter,
lui, d’un côté, et la cuvette avec ses objets de l’autre.
C’est la première fois que je peux porter ses objets.
Voilà.
Alors maintenant, nous allons essayer de faire un
commentaire sur ces deux séances très importantes,
justement sur le réel et le signifiant.
Qans la première partie de la première séance, il a
fait un, pas de plus dans une tentative d’articulation
de l’objet oral et de son pénis. (Le biberon et la
tétine). Certes pas au niveau des signifiants, mais
des représentants de son corps, et surtout dans le
transfert. D’entrée de jeu, il manifeste l’importance
de son rapport à moi plus intensément que
d’habitude, non par un appel pathétique, ni en
cherchant refuge non plus contre quelque danger,
c’est plus une reconnaissance qui le laisse plus libre
ensuite et capable, en allant en séance, de passer
d’une maison à l’autre, alors qu’il fait nuit, sans
avoir peur, puis de monter l’escalier à pied, en me
donnant la main. Cette tonalité se poursuit dans la
pièce, où il ne se précipite pas sur les jouets, mais,
pour la première fois, les regarde longuement en
mangeant un bout de chocolat.
Successivement, alors, il fait cinq choses qui
s’articulent, et qui vont culminer vers le nouveau
regard dont je vous ai parlé tout à l’heure.
Premièrement, s’il vide le biberon de son lait, qu’il
remplace par un peu d’eau, c’est pour m’en faire
boire doucement, et en boire lui aussi. Alors, après
avoir rajouté de l’eau, il me fait mettre la tétine, et
pour la première fois il en dit le mot. Ensuite,
deuxièmement, en même temps qu’il remplit le
biberon, il fait pipi dans sa couche, d’abord
accroupi, puis debout, et il dit, le mot. Donc, dans
ces deux premiers temps, il fait le lien entre d’une
part l’eau qu’il met dans le biberon, et le pipi qui

sort de lui. Ce n’est pas le pipi qu’il fait dans le pot
selon le surmoi, lié aussi à la crainte et au loup, mais
le pipi de la couche, c’est-à-dire celui de son
symptôme d’énurésie, lié au plaisir et qu’il introduit
pour la première fois en séance avec moi. Si je parle
maintenant du symptôme d’énurésie, à l’époque je
ne le savais pas ; je ne saurai qu’il était énurétique
que lorsque l’énurésie sera terminée, c’est-à-dire à
peu près dans six semaines.
Ensuite, il lie à moi le biberon-pénis et la tétine,
objet oral, qu’il met côté à côte, dans une boite sur
mes genoux. Après le biberon et la tétine, il peut lier
de même à moi le caca, comme je vous l’ai dit –
l’ébauche d’un don qu’il me fait – et surtout, je ne
lui fais pas remarquer qu’il n’a pas dit le mot, et
moi-même, je me garde bien de prononcer le mot.
On saisit là comment, pour Robert, donner à l’objet
le mot qui le représente, redonnerait à cet objet le
caractère de destruction surmoiïque, là où le mot est
plus destructeur que le moi réel, parce qu’il est ce
réel lui-même, et ne participe en rien au symbole.
De tout ce qui précède, on peut déduire que Robert,
dans le transfert, s’approche d’une signification qu’il
n’a jamais connue et cela n’est pas la moindre
contradiction, qu’il doive alors sauvegarder cette
amorce du don symbolique en dissociant l’objet du
signifiant qui le représente.
Et qui le représentait jusqu’à maintenant. Mais je ne
lui dis rien.
Robert conclut de lui-même la scène en me faisant
ouvrir et refermer la fenêtre, en disant "dehors,
loup". Sans savoir d’ailleurs que bientôt, c’est du
dehors que le loup va revenir dedans. En attendant il
vit avec moi, comme je vous l'ai dit, appuyé sur mes
genoux, dix minutes de grand calme, avec le livre, et
c’est à ce moment que je suis bouleversée par son
regard. Pour la première fois, donc, le loup, il est
vraiment dehors.
Toute la deuxième partie de la séance explicite
pourtant la fragilité de l’équilibre que Robert vient
d’atteindre avec moi, puisqu’il suffit d’un bruit, pour
que refasse irruption le danger mortel que représente
"le loup", et le fracas qu’il provoque chez Robert.
Tout spécialement lié à la destruction anale. Le fait
brut, je vous l’ai dit, c’est la voisine qui rentre, des
bruits de clés, des bruits de porte. Robert s’affole,
prend le pot qui contient le caca, va le déposer
devant la porte de la voisine, en même temps qu’il
crie :"pot, pot, loup", revient dans la pièce,
complètement affolé. Et ce qu’il avait pu se
dispenser de me donner selon le surmoi (ce qu’il
avait fait avant en évitant le signifiant caca), le bruit
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des clés de la voisine lui impose le retour de ce
signifiant, sous la forme d’abord de pot, lié à loup.
Et le signifiant provoque alors la perte de l’objet
c’est-à-dire sa mutilation, à lui. Mais il est un aspect
non moins frappant, c’est le caractère propitiatoire
de son geste. C’est-à-dire au sens propre, un geste
qui a pour but de rendre bien disposées à l’égard des
puissances extérieures – c’est la définition –
surnaturelles, le plus souvent. Tel est l’effet du
surmoi, qui définit pour Robert le monde extérieur
comme tellement redoutable. Je lui dis d’ailleurs
qu’il fait cette offrande pour calmer la colère des
autres, j’aurais pu dire : la colère des dieux, réels de
par leur nature signifiante, dans de telles pratiques.
Je ne manque pas cependant de lui dire aussi le but
positif : que c’est fait pour me garder.
Alors, il revient un peu à la situation antérieure.
Il va rechercher le pot – il en est capable – le met
près de moi, claque la porte, crie de nouveau loup
vers l’extérieur. Mais il ne suffit pas cependant de la
porte pour le rassurer, car il va reprendre, dans la
deuxième partie de la séance, les éléments de la
première, mais cette fois avec un caractère persécutif
et destructeur. Il dit plusieurs fois "a pu". Cet "a pu",
je lui avais interprété trois semaines avant, dans le
sens où il n’avait plus jamais eu le lendemain ce
qu’il avait eu la veille. C’est un enfant qui avait eu
au minimum vingt-quatre changements en dix huit
mois. Et étant donné qu’il s’agissait de services
hospitaliers, avec les trois fois huit, vous voyez le
nombre de personnes qu’il avait eues pour s’occuper
de lui.
Donc, je lui avais interprété comme cela. Et il l’avait
lié avec le danger du monde extérieur au-delà de la
porte. Aujourd’hui, il y ajoute un sens d’effacement
et d’annulation comme le prouve le fait qu’il déchire
les pages du livre, qu’il en recouvre le caca d’une
part, en disant plusieurs fois "caca", et se détendant
au fur et à mesure qu’il rajoute des pages. En même
temps que d’autre part il me fait une toilette. Car
cacher l’objet, boucher mon regard) pourrait faire
penser que c’est l’objet en soi qu’il vise. Mais le fait
qu’il retrouve à ce moment le mot "caca" qu’il avait
soigneusement évité lorsqu’il avait fait dans le pot,
donne à penser que loin de réussir cette annulation,
il est pris encore une fois au piège du signifiant dont
l’effet réel de destruction qu’il avait évité fait retour.
On peut noter cependant qu’il a mis l’objet réel à
l’abri, ce qui fait la contre-épreuve d’une séparation
du réel et du signifiant, mais cette séparation est
illusoire, car loin que le signifiant le protège du réel,
il le livre encore plus au danger, puisque ce

signifiant, c’est le réel dangereux par excellence,
celui des autres, et du surmoi, celui auquel est
attaché le caractère propitiatoire que n’avait pas
l’objet réel en soi. D’où peut-être la détente de
Robert, lorsqu’il cache ce dernier. Mais il est loin
d’être rassuré, il est poussé inéluctablement vers
l’autopunition, d’abord au travers du poupon, et
ensuite au travers de moi. Au travers du poupon, il
reprend la question de la couche liée à son plaisir
dans l’énurésie, mais cette fois il plante une épingle
de la couche dans le derrière du poupon, comme s’il
devait se faire mal parce qu’on lui a fait mal. Quand
il retire l’épingle du poupon, il la met avec l’autre
dans le biberon, ferme celui-ci avec la tétine
invaginée – à l’envers –, dont on a vu bien des fois
le sens d’éviration.
Cette tétine est le seul objet qu’il écarte du jeu
suivant, en la mettant à l’abri, dans la boîte du début.
Il semble que ce qui se passe ensuite soit induit par
le fait que quand il retourne le biberon pour avoir les
épingles, quelques gouttes d’eau tombent dans sa
main. Alors c’est comme un frayage qui fait que
passant de sa main dans la mienne, il vide de l’eau
du biberon sur ma main qu’il maintient paume en
l’air, de plus en plus violemment et jouit de me
tremper, c’est-à-dire qu’il me met à sa place quand il
est trempé par l’énurésie. Il se débarrasse ainsi sur
moi de sa culpabilité déclenchée par le retour de la
voisine, et en même temps il me rajoute un bout de
peigne, un objet, entre ma manche et mon bras, le
remettant quand il tombe, c’est-à-dire qu’il insiste
pour m’attribuer "un en plus", un pénis.
Le lendemain, après une nuit agitée, la séance
comporte deux parties, et comme la veille, la limite
en est l’arrivée de la voisine. C’est ça qui coupe la
séance en deux. Mais ses réactions sont différentes
en fonction de nouvelles liaisons qu’il a établies
entre des objets et le corps.
S’il arrive à les faire, c’est que depuis le début du
traitement, un changement très important s’est
produit dans son rapport au biberon et à son contenu.
En effet, je vous ai dit, qu’au début de cette séance,
j’avais noté pour moi les trois étapes de sa relation
au vidage compulsionnel du biberon, qu’il fait
depuis le début, depuis la première séance. D’abord,
il l’a fait avec terreur, parce qu’il devait se séparer
du lait, ensuite il a pu remplacer le lait par de l’eau,
(parce que la charge affective était sur le
remplissage d’eau, soit par lui, soit par moi) mais
aujourd’hui, j’ai l’impression d’une certaine
jouissance, qui couple et lie le vidage du lait et le
remplissage par l’eau. Comme si Robert avait acquis
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une certaine maîtrise de la substitution de l’un par
l’autre, désamorçant à la fois sa terreur du lait et son
horreur du vide.
Cette maîtrise, si elle a affaire avec la jouissance que
je sens, c’est qu’elle met entre parenthèses, en partie,
le réel des objets au profit de son acte, vidage et
remplissage. C’est-à-dire une certaine dimension
signifiante où la jouissance est bien là en tant que
rencontre du réel et du signifiant. Qui dit rencontre
dit articulation possible, voire mutation, et non pas
(comme on l’a vu à plusieurs reprises) remplacement
d’un signifiant réel par un signifiant non moins réel.
Mais où peut se passer une telle ébauche
d’articulation sinon, bien évidemment dans le
transfert et par le transfert, c’est-à-dire que c’est
parce que son acte s’adresse à moi qu’il y trouve sa
valeur de signifiant, débarrassé de sa dimension
réelle de surmoi d’une part, et d’autre part, que le
signifiant dans le transfert, il ne doit pas encore
l’articuler pour qu’il soit de l’Autre. Et non pas des
autres ou du surmoi. Il y a d’ailleurs dans ce
vidage/remplissage du biberon comme l’esquisse
d’un don qui viendrait de moi à lui, où le biberon-
pénis se compléterait de la tétine orale qu’il me fait
remettre. Alors il embrasse la bouteille de lait.
Il s’assure ensuite de la permanence de ce biberon,
en y introduisant mon crayon, et un autre qu’il
trouve, mines intactes. C’est assez dire que le
biberon est loin d’être un don symbolique qu’il
aurait reçu de moi et qui le confronterait dans la
possession de son pénis, car les deux crayons, le sien
et le mien, se retrouvent dans l’un de ce biberon,
comme s’il pouvait ne pas perdre son pénis que
parce que je l’ai, et qu’il m’en fait même la
gardienne lorsqu’il me confie le biberon sur mes
genoux, avant d’aller sur le pot faire caca.
S’il me montre qu’il a fait, il vient surtout regarder
le biberon, en croquant un biscuit.
Il croque les crayons, les remet ainsi que la tétine. Je
lui interprète la permanence de son corps en dépit de
ce qui en sort, parce qu’il peut se remplir et peut
s’assurer que ce corps existe toujours du fait que les
crayons sont toujours dans le biberon. Ainsi, je lui
dis le circuit de son corps.
Ce qui est flagrant dans cette séquence, c’est la
liaison nouvelle qu’il a pu faire entre le biberon-
pénis et le caca, biberon que je garde pendant qu’il
est sur le pot. (Il me l’a confié.) Donc qu’il n’est pas
mutilé par ce caca. La liaison caca-pénis permet leur
séparation.

Telles sont les prémisses de la deuxième partie de la
séance, qui encore une fois, commence lorsqu’il
entend la voisine rentrer chez elle. Mais cette fois,
contrairement à la veille, il ne va pas déposer, dans
l’affolement, le don propitiatoire. C’est un acte qu’il
fait, au sens symbolique : il va rouvrir la porte de la
voisine, pour la refermer énergiquement – la claquer
– revient, et s’appuyant sur la porte de la pièce après
l’avoir refermée, il dit : loup ! Certes, il a eu peur,
mais la coupure qu’il vient de faire entre l’extérieur,
où il a activement enfermé le loup, et l’intérieur,
c’est-à-dire l’espace de transfert, va conditionner et
éclairer les réactions qu’il va avoir et qui n’auront
rien, à voir avec l’autodestruction massive et globale
de la veille, où l’irruption de la voisine l’avait retiré
globalement de cet espace de transfert.
Seule mon interprétation l’y avait ramené, et cela
n’est pas sans étonnement que d’une part, on a pu
voir combien la veille il avait entendu ce que je lui
disais, et combien d’autre part, l’effet en est
persistant aujourd’hui, c’est-à-dire qu’il peut rester
dans ce champ de la relation avec moi qui le défend
des autres et du surmoi.
Aussi, ce n’est pas lui qu’il punit d’abord, comme la
veille. Mais mai. Il m’agresse. Sous la forme de mon
crayon, dont il casse la mine avant de le remettre
dans ma poche comme si ne n’avais pas pu le
protéger du monde extérieur hostile. Il laisse l’autre
crayon intact dans le biberon, mais il est inquiet sur
le sort de ce crayon, et après avoir regardé un, peu
les images du livre, comme pour m’amadouer, étant
donné leur valeur médiatrice, il retire le crayon du
biberon, le met dans une boite, où il avait mis la
veille biberon et tétine. Cette fois, dans cette boite,
ce n’est pas avec la tétine qu’il lie le biberon, mais
avec d’une part une épingle de couche, et d’autre
part, un objet oral, un biscuit.
Le troisième temps de sa réaction est de faire de
nouveau caca sur le pot, de se relever en disant
"caca" en me le montrant, avec un air ému et joyeux.
Si j’ai l’impression à ce moment qu’il me fait un
cadeau, je ne méconnais pas le caractère
propitiatoire de ce cadeau. Mais la différence est
considérable entre la propitiation qui s’adresse aux
autres (petits autres), qui est destructrice, sans espoir
d’aucun bénéfice autre que de ne pas mourir, et cette
propitiation qu’il atteint là, dans le champ du
transfert avec moi et qui est celle du prix à payer,
que tout enfant connaît quand il répond à la demande
de sa mère pour garder son amour et sa présence.
C’est à peu près ce que je lui dis. Alors, il appuie le
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pot contre ma chaise : et interroge un peu ce qui lui a
toujours manqué pour le fonctionnement du cadeau
anal, c’est-à-dire un objet oral articulable, donc
possible.
Mettant un peu d’eau dans le biberon, puis la tétine,
il me faire boire et boit lui-même calmement une
gorgée. Nous sommes évidemment loin d’une
demande orale, celle du lait, qui viendra, mais plus
tard, dans la cure.
Est-ce qu’il se demande plus ou moins confusément
s’il y a une demande que je satisfais pour tous les
autres enfants, Maryse et Nadia, mais pas pour lui ?
C’est en tout cas ce qui expliquerait le déchaînement
de son agressivité à la fin de cette séance : d’abord,
il agresse le poupon, représentant ces autres enfants.
Veut-il le détruire ou l’exclure pour être seul avec
moi comme pourrait l’indiquer son "loup dehors"
qu’il dit après m’avoir fait ouvrir et fermer la
fenêtre ? C’est possible. Mais son comportement
semble renvoyer à tout autre chose dans le jeu d’eau
agressif qui suit avec vidage réitéré du biberon après
me l’avoir faire remplir. Débordement de la marmite
dans le lit qui n’en finit plus. Il me fait boire ensuite
agressivement, m’essuyé, asperge les murs en
sautant et en trépignant. Puis il couche le biberon
dans le fond de la cuvette et frappe l’eau avec le plat
de sa main. Disons que nous sommes loin de la peur
qu’il montrait au début devant la tache d’eau qu’il
avait faite en soulevant un peu cette cuvette. Il
descend d’ailleurs pour la première fois en
emportant la cuvette vide…
Alors, nous allons essayer de conclure maintenant
sur le don propitiatoire et ce qu’il implique chez le
psychotique dans son rapport au réel et au signifiant.
Robert nous a démontré dans ces quelques séances
que le don anal même chez le psychotique n’est pas
mutilation, destruction en soi. Il faut en effet, et il
suffit qu’il isole l’objet réel sans le lier au signifiant
"caca" pour que l’effet qu’il en ressent ne soit
nullement destructeur. L’affolement, la terreur et la
destruction surgissent seulement et uniquement avec
le signifiant. C’est ce que j’ai senti le 19 février,
quand j’ai noté la vertu destructrice du mot. Il faut
peu de chose, cependant, pour que ce signifiant qu’il
a évité par son silence en me montrant son caca sans
rien dire fasse irruption. Un simple bruit de clé, au
niveau du son entendu, c’est-à-dire dans la sphère
spécifique du signifiant lui impose le retour de ce
signifiant "caca".

Certes, on voit bien dans la différence de' ses
réactions entre les deux séances que toute la
question est de savoir où ce signifiant réside, ce qui
le fait pratiquement changer de nature, selon les cas.
Dans le premier cas, l’entendu du bruit l’a coupé de
moi, et le signifiant vient du monde extérieur avec
toute sa menace là où pour le moment, il place le
loup :"loup, dehors".
Monde extérieur hostile, monde de bruit et de fureur.
Le signifiant, sous quelque forme, qui vient de ce
monde-là, est un signifiant réel plus dangereux que
le réel de l’objet.
C’est le monde des religions archaïques qui
réclament des sacrifices et des destructions.
Ce monde dont le signifiant est le seul vrai
représentant, c’est celui des dieux. Pour nous, c’est
celui de l’effet fantastique du surmoi, d’un surmoi
en quelque sorte déifié, où aucun amour ne vient
tempérer sa violence. C’est en ce sens que le monde
de la psychose est celui d’un signifiant déchaîné,
parce que c’est un signifiant qui vient de nulle part,
sans chaîne, et qui ne fait pas chaîne, encore moins
nœud. Pour que le signifiant cesse d’être le véhicule
d’un tel surmoi, il faut qu’il soit enchaîné. C’est-à-
dire qu’il vienne de quelque part. Pour tout dire,
qu’il vienne de l’Autre. Avec un grand A. C’est
parce que cette fonction de l’Autre est défaillante
que le psychotique est soumis aux ravages du
signifiant, mais c’est aussi parce que l’homme parle
qu’il est seul capable d’atteindre à ce qu’on appelle
une psychose, c’est-à-dire une déviation qui fait
qu’il devient beaucoup plus qu’un réel : un
signifiant. Par pour un autre signifiant, mais un
signifiant égaré. Aucun symbole vrai n’émane d’un
tel signifiant, parce qu’il reste de nature réelle, le
réel lui-même, et qu’il ne peut dans ces conditions
faire trou dans le réel, c’est-à-dire amorcer une
structure, celle du signifiant.
Même au niveau des représentants des objets de
corps, Robert montre, dans la deuxième de ces
séances, comment il arrive tant soit peu à lier ses
représentants comme pour en ébaucher une chaîne.
En même temps, il s’adresse à moi pour me faire la
gardienne de ses représentants. Faute que je sois le
lieu des signifiants en tant qu’Autre, au moins suis-
je déjà le lieu de ses représentants, et mon efficacité
s’en trouve établie pour le protéger. Non pas tant du
monde extérieur que du signifiant de nulle part, celui
du surmoi.
Et là, Robert indique la source du signifiant en tant
que telle, source d’un signifiant complètement
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différent du signifiant de nulle part : le signifiant qui
vient de l’Autre, celui qui montre la voie, celui qui
fonde la loi, mais l’amour aussi, celui qui enchaîne
l’homme et ne le détruit pas. Voilà.
Robert Lefort
Je voudrais rajouter quelques mots à propos des
nœuds, des espèces de chaînes, de figurations qui
permettraient de voir où se trouve ce réel qui envahit
tout dans la psychose. Je crois que vous avez dû
l’entendre ; il vient du fait que le signifiant est un
signifiant du surmoi ; et que dans le surgissement du
signifiant qui s’adresse au psychotique, il y a
toujours cette notion de commandement,
d’impératif, cette notion de contrainte. Et cette
contrainte – c’est bien évident pour cet enfant dont
vous venez d’entendre parler, c’est tout aussi évident
pour Schreber, vous n’avez qu’à relire ce qu’il
raconte de ses voix, ses rayons, c’est une véritable
contrainte permanente, qu’il en reçoit…
Rosine Lefort
… je veux juste dire un mot de la contrainte pour cet
enfant, je ne l’ai pas dit au début, mais enfin, dans
l’état de démence dans lequel il était, de ce désordre
moteur, entre autres, avoir obtenu de lui qu’il mange
assis à une table avec une cuiller, normalement, qu’il
soit propre sur le pot, et qu’il dorme comme un
plomb, eh bien il fallait un sacré commandement
pour qu’il y obéisse.
Robert Lefort
C’est cela, au fond, c’est un véritable dressage, avec
une pression considérable, étant donné qu’il était
explosif, dans son agitation. Avec quoi est lié ce
surmoi ? Pourquoi ces signifiants, ces
commandements viennent-ils, sinon parce que c’est
mis au compte de ce que l’Autre veut. Cet Autre là,
se réfère tout de suite à quelque chose, je veux dire
le champ de la jouissance.
Ce système de la jouissance, c’est un système, au
fond, de nulle part. Il intime. C’est vrai ! C’est bien
pour cela d’ailleurs que d’une façon paradoxale le
surmoi a un commandement très particulier que
Lacan a dès longtemps mis en évidence : jouis ! Ce à
quoi le sujet répond J’ouis, (J apostrophe). Et de
nulle part, cette jouissance – parce que de
l’émergence du signifiant et du savoir qui y est
appendu, la jouissance est exclue. Comme réel. On
ne peut pas dire, d’ailleurs, que même chez le sujet
normal, lorsqu’elle se pointe, même au travers du

signifiant, elle n’est pas en quelque sorte la caution
du système symbolique même qui l’exclut. Je veux
dire qu’il peut y avoir la dimension du réel et du
symbolique, et que c’est bien par la jouissance que
le réel revient. Ce réel qui est inclut dans le
symptôme. Parce qu’il y a bien évidemment un type
de jouissance qui est toujours là, prête à
fonctionner : c’est la jouissance masochique.
Lacan a rapproché ces trois termes : – la jouissance
en tant qu’elle est exclue, – l’Autre comme lieu où
cela se sait, – et le petit (a) comme effet de chute qui
en résulte.
L’enjeu de l’affaire, disait-il, résulte de ceci que
dans le jeu du signifiant, c’est pourtant la jouissance
qui est visée. Et en effet, il avancera (ce n’est pas le
moindre des paradoxes) :"le signifiant est la
substance jouissante".
Mais revenons à ce que vous venez d’entendre pour
bien souligner, justement, ce caractère de nulle part,
ce caractère de réel qui vient avant le symbolique,
qui vient avant qu’il y ait des autres registres,
imaginaires et symbolique qui fonctionnent, bien
évidemment impensables dans l’état psychotique.
Donc, le réel ? Eh bien le réel, c’est justement cette
jouissance. Et qu’est-ce qui la véhicule, sinon
justement le signifiant. Cela vous explique comment
le signifiant est là, réel, est plus pesant que le réel,
dans la mesure où c’est lui le véhicule et le support
de cette jouissance.
Cette jouissance de l’Autre, qui est imposée au
psychotique, à laquelle il se prête, à laquelle il se
dévoue, comme Schreber se dévoue pour que Dieu
existe, et, dit-il,"quand je cesse de penser, – je n’ai
pas la liberté de penser, à rien – car si je cesse de
penser, Dieu s’éloigne et il est menacé."
C’est l’existence de Dieu
Et il l’a comment ? en s’en faisant l’objet de sa
jouissance ; en se faisant l’objet de la jouissance 'de
Dieu. Et, ajoute-t-il,"s’il m’en revient une petite
part, cela ne sera que justice." Mais ce qui compte…
Oui ?
Rosine Lefort
Bon, Schreber dit cela, mais un petit enfant de six
ans et demi dit quelque chose de tout à fait
extraordinaire, qui est très explicatif, qu’il se sentait
obligé de passer avec certains objets devant sa mère
pour que sa mère fasse des réflexions sur lui. C’était
effectivement agressif. Et j’ai été amenée à lui faire
remarquer que, à chaque fois, il fallait qu’il passe
devant elle et que cela le troublait beaucoup.
Et il a répondu :"mais… il faut bien que je fasse cela
pour elle, pour qu’elle existe, ma mère, sinon moi
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j’existerais pas." Il fallait qu’il fasse des choses pour
qu’elle, elle existe, afin que lui, il existe,… et il a six
ans et demi.
Robert Lefort
Oui. Je ne sais pas si finalement Schreber arrive
jusqu’à cet état de conscience. En tout cas, il ne le
dit pas. Il y a incontestablement là un effet de
symétrie qui n’a rien à voir avec l’identification…
Un état de symétrie qui conduit d’ailleurs à ces
phénomènes que l’on rencontre dans les psychoses,
où il y a beaucoup plus une tendance à prendre la
place de l’Autre. Parce que là je ne peux pas vous
donner l’épisode, ce serait trop long,"L’enfant au
loup" en train d’essayer de s’approprier les insignes
et la place de l’Autre. Mais dans Schreber, c’est tout
à fait typique, quand il a cessé de faire tout ce qu’il
peut pour que l’Autre – Dieu −existe, de par sa
jouissance, de par le fait qu’il prend la place de
l’objet de la jouissance de l’Autre, ou l’objet du
fantasme de l’Autre,− ce qui équivaut à la même
chose –, c’est-à-dire de prendre la place du petit (a)
de l’Autre, eh bien il passe ensuite à la place de
Dieu. C’est-à-dire qu’il y a une oscillation (mais pas
par identification) entre cette place de l’objet de
l’Autre ou de la place de l’Autre.
Bon. Je termine sur le fait de ce poids qui surcharge
le signifiant dans la psychose. Il est effectivement, je
vous le rappelle, le plan de ce support de la
jouissance de l’Autre. C’est dans ce sens que le
signifiant est réel, et pèse plus lourd que ce réel.
Voilà.
Cette conférence a été transcrite par Bernard Lambert.
Elle a été donnée à Bruxelles le 19 mars 1983.

SEMINAIRES
UNE INTERVENTION AU SÉMINAIRE :
COMMENT SITUER L’ŒDIPE CHEZ LACAN
EN 1953 ?
Pierre Bejster
Lacan rapproche "Le mythe individuel du névrosé"
et les textes de Lévi-Strauss en note, page 72 des
Écrits (De nos antécédents) : il y fait allusion aux
conférences qu’il donna au Collège
philosophique :"Nous y produisîmes entre autres un
mythe individuel du névrosé, initium d’une
référence structuraliste en forme (le premier texte de
Claude Lévi-Strauss sur le mythe)".
Après avoir résumé le texte, je dégagerai quelques
commentaires fragmentaires que je tenterai
d’éclairer à partir du travail de cette année sur
l’Œdipe. Tout dans ce texte possède son poids de
signification spécifique et à la fois se trouve
intimement concaténé dans la logique de l’ensemble,
cependant j’introduirai quelques séquences.
Le mythe individuel du névrosé s’ouvre sur un
préambule où Lacan annonce qu’il va traiter quelque
chose de nouveau issu tant de son expérience
analytique que de son enseignement.
On notera que le texte est organisé en quatre parties
(cf., ci-dessous) et que sa dynamique se déploie en
trois temps :
1. Lacan pose un point théorique (il y a du mythe
dans l’Œdipe)
2. Il l’explicite dans deux exemples (l’homme aux
rats, Goethe)
3. Il conclut en intégrant un savoir issu de la
confrontation des exemples à son point de départ
théorique, et qui lui permet alors de produire une
nouvelle avancée théorique.
1. Le mythe et le complexe d’Œdipe
D’emblée Lacan définit la psychanalyse par rapport
à l’ensemble des sciences et des arts. Il ne s’agit ni
d’une science ni d’un art au sens actuel, mais bien
d’un art dans l’acception de ce terme au Moyen-âge
quand on parlait des arts libéraux."La psychanalyse
est actuellement la seule discipline peut-être qui soit
comparable à ces arts libéraux", en ce sens que les
arts libéraux maintenaient au premier plan un
rapport fondamental à la mesure de l’homme.
Il donne ensuite deux définitions du mythe en
psychanalyse et les noue au complexe d’Œdipe.
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« … Il existe au sein de l’expérience analytique
quelque chose qui est à proprement parler un mythe.
Le mythe est ce qui donne une formule discursive à
quelque chose qui ne peut pas être transmis dans la
définition de la vérité, puisque la définition de la
vérité ne peut s’appuyer que sur elle-même, et que
c’est en tant que la parole progresse qu’elle la
constitue. La parole ne peut pas se saisir elle-même,
ni saisir le mouvement d’accès à la vérité, comme
une vérité objective. Elle ne peut que l’exprimer – et
ce, d’une façon mythique. C’est en ce sens qu’on
peut dire que ce en quoi la théorie analytique
concrétise le rapport intersubjectif, et qui est le
complexe d’Œdipe, a une valeur de mythe "(292)
Lacan parle alors de "mythe œdipien" : "… la
théorie analytique est toute entière sous-tendue par
le conflit fondamental qui, par l’intermédiaire de la
rivalité au père, lie le sujet à une valeur symbolique
essentielle – mais ce, vous allez le voir, toujours en
fonction d’une certaine dégradation concrète, peut-
être liée, à ces circonstances spéciales, de la figure
du père." (292-293) Il propose "… la définition du
mythe comme d’une certaine représentation
objectivée d’un, épos ou d’un geste exprimant de
façon imaginaire les relations fondamentales
caractéristiques d’un certain mode d’être humain à
une époque déterminée, si nous le comprenons
comme la manifestation sociale latente ou patente,
virtuelle ou réalisée, pleine ou vidée de son sens, de
ce mode de l’être, alors il est certain que nous
pouvons en retrouver la fonction dans le vécu même
d’un névrosé." (293)
2. L’homme aux rats
Je condenserai ce que Lacan en dit en cinq points.
a – Le mythe
Lacan avance les notions de mythe familial, de
constellation du sujet qu’il définit : "… la
constellation originelle qui a présidé à la naissance
du sujet, à son destin, et je dirais presque à sa
préhistoire, à savoir les relations familiales
fondamentales qui ont structuré l’union de ses
parents…" (295)
Le père de l’homme aux rats, militaire très "sous-
officier", avait fait un mariage avantageux en
délaissant une jeune fille pauvre mais jolie. Il avait
d’autre part dilapidé au jeu les fonds de son régiment
et avait dû son salut à l’intervention d’un ami gui lui
a prêté la somme, ami qu’il n’a pas pu rembourser.

Lacan observe ici les éléments essentiels du
déclenchement de la névrose obsessionnelle qui
s’actualiseront pour le sujet dans un schéma
équivalent à la situation originelle. "Le conflit
femme riche/femme pauvre s’est reproduit très
exactement dans la vie du sujet au moment où son
père le poussait à épouser une femme riche…"
(296). La dette non remboursée par le père trouve
écho dans celle que l’homme aux rats contracte à la
poste pour la réception d’une paire de lunettes,
b. Le fantasme
Le fantasme de l’homme aux rats se présentifie à
travers le récit fait par un collègue officier d’un
supplice "… qui consiste dans l’enfoncement d’un
rat excité par des moyens artificiels, dans le rectum
du supplicié." (294) Lacan note : "C’est sa première
audition de ce récit qui provoque chez le sujet un
état d’horreur fascinée, qui non pas déclenche sa
névrose mais en actualise les thèmes, et suscite
l’angoisse." (294)
Mythe et fantasme convergent vers la névrose et
mettent l’homme aux rats dans l’impossibilité de
rembourser ses lunettes,
c. Le scénario fantasmatique
L’homme aux rats élabore alors un scénario qui lui
permettrait de dénouer la situation. "Ce scénario
Fantasmatique se présente comme un petit drame,
une geste qui est précisément la manifestation de ce
que j’appelle le mythe individuel, du névrosé." (298)
"Il met en scène une cérémonie qui reproduit plus ou
moins exactement la relation inaugurale qui s’y
trouve comme cachée." SIl la modifie dans le sens
d’une certaine tendance. "(298) L’homme aux rats
croit devoir payer le prix de ses lunettes à un
lieutenant A. Or, il doit payer au lieutenant B. Mais,
en fait, c’est à la dame de la poste qu’il doit l’argent.
La crise se déclenche autour de l’idée de
remboursement : "ne pas payer A "devient" payer A,
à tout prix ".
Lacan observe que "Tout se passe comme si les
impasses propres à la situation originelle se
déplaçaient en un autre point du réseau mythique,
comme si ce qui n’est pas résolu ici se reproduisait
toujours là."(299)
Le scénario construit par le sujet est impossible à
réaliser. Il prend alors le train pour Vienne, va se
confier à Freud et envoie "tout bonnement" un
mandat à la dame de la poste,
d. L’analyse
Si le mythe et le fantasme confluent vers la névrose,
ils se rejoignent dans l’analyse. L’homme aux rats
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imagine que Freud veut lui donner sa fille, qu’il
idéalise et représente sous la forme d’un personnage
pourvu de lunettes de crottes. Lacan remarque :"Le
mythe et le fantasme ici se rejoignent et l’expérience
passionnelle liée au vécu actuel de la relation avec
l’analyste, donne son tremplin par le biais des
identifications qu’elle comporte, à la résolution d’un
certain nombre de problèmes."
e. Le quatrième terme
Lacan envisage la situation du névrosé par rapport à
un quatrième terme."… il y a chez le névrosé une
situation de quatuor, qui se renouvelle sans cesse,
mais qui n’existe pas sur un seul plan."
… à chaque fois que le névrosé réussit, ou tend à
réussir, l’assomption de son propre rôle l’objet, le
partenaire sexuel, se dédouble…"(300)" D’autre
part, un personnage se présente qui dédoublé le
premier, et qui est l’objet d’une passion plus ou
moins idéalisée poursuivie de façon plus ou moins
fantasmatique, avec un style analogue à celui de
l’amour-passion, et qui pousse d’ailleurs à une
identification d’ordre mortel."(300)
"C’est sous cette forme très spéciale du
dédoublement narcissique que gît le drame du
névrosé, par rapport à quoi prennent toute leur
valeur les différentes formations mythiques." (300)
3. Goethe. "Poésie et vérité"
Le récit fait par Goethe dans "Poésie et vérité" de ses
démarches amoureuses auprès de Frédérique Brion
sert à Lacan de second exemple pour illustrer la
structure mythique qu’il met en évidence dans ce
texte.
4. Le système quaternaire
Lacan fait trois remarques qui chacune mettent en
évidence un élément quart dont le commun
dénominateur est la discordance, a. Pour le père
Lacan 'observe que, dans la famille moderne, le père
se trouve l’incarnation d’une fonction symbolique
essentielle. Il avance que "L’assomption de la
fonction du père suppose une relation symbolique
simple, où le symbolique recouvrirait pleinement le
réel."(305) Et il ajoute :"Il y a toujours une
discordance extrêmement nette entre ce qui est perçu
par le sujet sur le plan du réel et la fonction
symbolique. C’est dans cet écart que gît ce qui fait
que le complexe d’Œdipe a sa valeur – non pas du
tout normativante, mais le plus souvent
pathogène."(305) b. Pour la relation narcissique
La relation narcissique introduit le quart élément. En
ce sens que "le sujet a toujours une relation anticipée
à sa propre réalisation.

C’est en quoi dans toutes ses relations imaginaires
c’est une expérience de la mort qui se
manifeste."(306)
Lacan ajoute : "Si le père imaginaire et le père
symbolique sont le plus souvent fondamentalement
distingués… il est très fréquent que le personnage du
père par quelque incident de la vie réelle, soit
dédoublé (ami)" (306).
"Tout cela aboutit au quatuor mythique." (306)
c. Le quart élément
Lacan nomme ce quart élément : la mort. La mort est
ici conçue comme un élément médiateur. Lacan
précise : "… c’est en effet de la mort, imaginée,
imaginaire, qu’il s’agit dans la création narcissique.
C’est également la mort imaginaire et imaginée qui
s’introduit dans la dialectique du drame œdipien, et
c’est d’elle qu’il s’agit dans la formation du
névrosé." (306)
Voici maintenant six observations ponctuelles
situées sur deux plans :
I Le mythe individuel
1) Mythe et complexe
2) Mythe et individualité
3) Mythe et psychanalyse
II Questions adressées au séminaire "Or l’Œdipe…
pose un problème"
1) Visée anthropologique : science, mythe et
société
2) La mort
3) La circulation de la lettre
I. 1. Mythe et complexe
Lacan ne semble pas proposer ici d’abandonner
l’expression "complexe d’Œdipe" en faveur du
"mythe d’Œdipe".
Il définit le mythe de la manière suivante ; "C’est
précisément la démarche analytique dans la mesure
où elle concrétise le rapport intersubjectif (et qui est
le complexe d’Œdipe. C’est" une certaine
représentation objectivée ". Ensuite, il avance le
concept de mythe œdipien en tant qu’il est au cœur
de l’expérience analytique. Le mythe œdipien (soit
un discours) serait donc la part du complexe
d’Œdipe (soit une structure) qui peut être
concrétisée, représentée objectivement dans le
travail analytique.
Il serait peut être intéressant de voir dans quelle
mesure Lacan emploie l’expression "mythe
d’Œdipe" dans ses écrits postérieurs à 1953, et si cet
usage tend à montrer une équivalence des deux
formulations ou si le mythe d’Œdipe est employé
par extension, c’est-à-dire dans une optique
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métonymique. (N.B. Lacan utilise les termes "mythe
œdipien" dans la Proposition d’octobre.)
1. 2. Mythe et individualité
La notion de mythe, difficile à conceptualiser hors
de la culture, de la société, de l’anthropologie, est
pourtant rapportée par Lacan comme concept à la
famille en parlant•de "mythe familial"(296).
Mais lorsqu’il place son lecteur face au concept d’un
mythe individuel, il suscite la question de savoir si
c’est par analogie qu’on parlerait d’"Œdipe
individuel" ou s’il n’y a pas ici redondance ? Lacan
répond dans le texte en donnant une indication : il
rappelle que, selon Freud,"chaque cas doit être
étudié dans sa particularité, exactement comme si
nous ignorions tout de la théorie."(295)
Il illustre ceci en notant qu’en géométrie un cas
particulier "peut avoir une éblouissante supériorité
d’évidence par rapport à la démonstration", et cela
dans son rapport à la vérité.
J’avancerais que lorsque Lacan parle de mythe
individuel, il désigne ce qu’il en est de la part de
mythe contenue dans l’Œdipe de chaque névrosé
pris dans sa particularité, et comme ce qui peut en
être saisi par le travail analytique. Je voudrais
ajouter une nuance sur les rapports entre le collectif
et l’individuel, basé sur ceci que J.-P. Gilson a
explicité dans son séminaire :"le discours de
l’inconscient comme étant la part qui subsiste du
mythe quand le discours de la science s’en empare."
De cela, je m’autoriserai à supposer une
correspondance suffisante entre mythe et inconscient
pour citer un extrait du Séminaire II, où, dans le
chapitre "L’univers symbolique", Lacan fait
précisément référence à Claude Lévi-Strauss et
dit :"La question que je lui posais n’impliquait
nullement un inconscient collectif, comme il en a
prononcé le terme. Quelle solution pourrait-on bien
attendre du mot collectif en cette occasion, alors que
le collectif et l’individuel, c’est strictement la même
chose ? Il s’agit de la fonction symbolique."(43)
1. 3. Mythe et psychanalyse
Dans la seconde définition du mythe (293) :
« … une certaine représentation objectivée…
exprimant de façon imaginaire les relations
fondamentales caractéristiques…", Lacan fait
référence à l’imaginaire.
L’analyse ne trouve pas, me semble-t-il, son assise
dans le même registre que le mythe. Je citerai deux
extraits du texte "… ou pire" qui figure au début du
numéro 5 de Scilicet. "

(6)la création du dispositif dont le réel touche au
réel, soit ce que j’ai articulé comme le discours
analytique."
(7)"Ce que nous apporte l’expérience disposée de
l’analyse, c’est que le moindre biais du texte des dits
de l’analysant, nous donne une prise là-dessus
(Lacan parle de l’inconscient en tant qu’il s’avère
comme savoir) plus directe que le mythe qui ne
s’agrée que du générique dans le langage :
Rappelons" Le mythe individuel "où Lacan situe
l’analyse comme le lieu où le mythe et le fantasme
se rejoignent. (299)
II. 1. Visée anthropologique : science, mythe et
inconscient
Dans "Le mythe individuel", Lacan distingue
l’analyse des sciences en soulignant qu’"elle
préserve ce rapport de mesure de l’homme à lui
même". (291)
Il parle de "sujet moderne", de "l’attitude
existentielle typique de l’homme moderne"(306).
Il emploie aussi l’expression "le déclin de notre
histoire"(293). En même temps, il propose que l’on
envisage la doctrine analytique à travers
"l’anthropologie générale" qui s’en dégage.
L "Homme moderne" ne serait-il pas celui de la
civilisation technocratique et "le déclin de notre
histoire" est-il une interrogation sur la survie de
l’inconscient menacé par le discours de la science ?
Ceci semble rejoindre le séminaire "Or l’Œdipe…
pose un problème" lorsqu’il y a été question du
discours de l’inconscient comme étant la part qui
subsiste du mythe quand le discours de la science
s’en empare. Également, lorsque à propos du chien
et de la charogne, J.P. Gilson a évoqué l’apparition
du discours du maître dans la civilisation, avec pour
conséquence, la disparition du mythe et l’apparition
de la science. De même, lorsqu’il a exprimé que le
mythe d’Œdipe était à situer par rapport à ce qui
reste du mythe lorsqu’il est barré par le discours du
maître.
II. 2. La mort
Dans "Le mythe individuel" Lacan désigne la mort
comme le quart élément. Il précise que t’est la
relation narcissique qui y introduit, le sujet et qu’il
s’agit de la mort imaginaire.
Il en parle également comme d’un élément
médiateur.
Un éclairage particulier peut être produit par ce qui a
été avancé au séminaire "Or l’Œdipe…" et ce, sur
trois points :
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1. Par rapport à "La pensée sauvage" : où un rapport
a été introduit entre la mort et la
jouissance :"Introduction de la mort par rapport à ce
qui se produit quand deux choses viennent à se
coller dans un nom propre. Nom propre : ce qui
relève à la fois de la lettre et du signifiant, qui sont
mis dos à dos dans leur rapport à la mort en tant
qu’elle signe l’entrée du vivant dans la jouissance."
2. Par rapport à la circulation de la lettre, où
l’homme, la mort et le symbolique ont été mis en
rapport :"on n’échappe pas à la loi, et la mort est
toujours présente au rendez-vous des humains et du
symbolique".
3. Par rapport à l’hystérie : "Une économie de la
jouissance nommée par Freud le mythe
d’Œdipe"(Lacan parle de la mort comme d’un
élément médiateur).
II. 3. En rapport avec les commentaires des deux
scènes de la Lettre Volée et de Dora dans ses
relations avec son père, avec Monsieur K…
Dans le séminaire "Or l’Œdipe… pose un
problème", J.P. Gilson rappelle que le schéma L
peut avoir forme d’enveloppe où il a inscrit :
– pour la Lettre Volée, une circulation de la lettre
– pour Dora, une circulation de Dora, comme objet
d’échange.
Dans le Mythe individuel, on trouve, dans le
scénario fantasmatique de l’homme aux rats, une
circulation de la somme d’argent, plus précisément,
de l’adresse de la dette représentée par cette somme :
le lieutenant A, le lieutenant B, la dame de la poste.
Cette situation présente des similitudes avec celles
évoquées pour la Lettre volée et Dora.