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Sallé Gilles
Haïti :
Enjeu de la reconstruction
Intro :
Le problème d’Haïti n’est pas plus humanitaire que catastrophique, il est de nature
politique. A titre d’exemple, un cyclone qui passe au dessus d’Haïti fait des centaines de
morts, le même quelque jour après à Cuba ne tue que quatre ou cinq personnes. On peut
donc se demander si la reconstruction du pays ne dépend pas d’une refondation totale de
l’appareil politique au service des citoyens et une redéfinition de l’Haïtien.
L’étude qui suit propose une mise en perspective de la question à travers les défis
et enjeux inhérents à la reconstruction en trois points : la refonte de l’État, la sortie du
système de dépendance ressource, et l’implication de la diaspora
1 La refonte de l’État :
Une chose est claire, l’État ne sera pas fort sans leader crédible. Or, l’actuel
Président n’est pas élu selon les règles de la Constitution : il n’a pas atteint la barre des
50%. La communauté internationale a été complice en accordant les votes blancs en faveur
de Préval. Aujourd’hui, face aux fraudes des dernières élections, le prochain Président
aura un problème de légitimité sûr, n’arrangeant en rien les problèmes de l’État.
De plus, le CEP (Conseil Électoral Provisoire) fonctionne comme une agence du
gouvernement et non comme une commission indépendante, ce qui décrédibilise les
responsables politiques et fragilise l’opinion publique. Dans la même logique, la
rationalisation des élections (limitation du nombre de partis et de candidats) permettrait
de gagner en crédibilité. La société pourrait ainsi mieux se retrouver. C’est d’ailleurs une
loi proposée par S. Benoit (ancien député, actuel sénateur) qui n’a pas encore été votée.
L’UCAONG manque en effet de deux choses : d’abord les moyens alloués sont
minimes, ensuite on constate un manque d’implication et de volonté. La loi qui régie le
fonctionnement des ONGs date de 1989 (époque d’un gouvernement militaire) et paraît
désuète par rapport à la complexité de la situation actuel et surtout ne contrôle pas les
activités de ces ONG. Il faudrait réformer cette loi et exiger une transparence des ONGs
quant à leurs activités, mais ce serait impossible sans consensus national et un leadership
fort. Actuellement c’est un capharnäum, chacun fait ce qu’il veut, où il veut et comme il
veut. Par ailleurs, un économiste, L. Péan, propose de sortir du mandat sécuritaire de
l’ONU incluant le départ progressif de la Minustah, et le remplacer par un corps de
développement social et économique.
Le cas haïtien peut être analysé grâce à la théorie de la dépendance ressource [J.
Pfeffer & G. Salancik, 1978] présentée dans l’ouvrage « The external control of
organisations ». En effet, cette théorie part du postulat que des partenariats sont ouverts
entre États ou organisations avec des pays plus pauvres afin que d’une part, ces derniers
aient une alimentation en ressources continue assurée et que d’autre part, les donateurs
affirment ou gagnent en pouvoir au sein de ces pays.
Les Etats-Unis ont souvent joué ce rôle de « bienfaiteur-usurpateur ». Encore au lendemain
du séisme, Ils apparaissent comme les « sauveurs », et s’installe dans le pays. En échange
du maintien de l’ordre, et de l’aide à la réparation des infrastructures d’urgence, du
déblaiement, etc…, on peut imaginer le bénéfice retiré d’un contrôle sur l’espace
maritime entre Haïti et la Jamaïque, via l’axe Guantanamo/Port-au-Prince, dans la lutte
contre les narcotrafics. On imagine le nombre de ces avantages contre contrainte
démultiplié par le nombre d’ONGs, de contrats passés avec les multinationales pour
l’exploitation des ressources et d’émissaires étatiques présents sur le territoire haïtien.
D’ailleurs, dans le domaine de l’aide humanitaire, le besoin prime sur des critères
comme le respect des droits de l’homme, la démocratie ou la bonne gouvernance.
Toutefois, le devoir absolu de tout acteur humanitaire consiste à atténuer les souffrances
des gens. Il ne faut donc pas viser une « chasse » radicale aux ONGs, mais plutôt assurer la
coordination et un projet commun. L’humanitaire peut dépasser son cadre strict si en
échange de dons, on contraint la population à s’investir dans les activités de
développement (plantation de jardins communautaires, ramassage d’ordures, etc…). Par
ailleurs, il est possible de remplacer l’aide internationale par la diaspora.
Ils sont plus de 2 millions dans le monde et vivant pour la plupart aux USA au
Canada et en République Dominicaine. "Il n'y a pas d'autre solution aujourd'hui qu'une
intégration de la diaspora à la reconstruction", a déclaré M. Bellerive. "Il n'y a plus de
ressources humaines suffisantes pour reconstruire le pays", a-t-il ajouté, avant de
conclure : "Aujourd'hui, la seule ressource qui peut être mobilisée rapidement, (...) c'est
la diaspora. Je n'ai pas, moi, comme chef de gouvernement d'Haïti, d'autre alternative.
(...) On a besoin de vous.« (le Monde 25/01/10)
L'Organisation des Etats américains (OEA) a organisé une conférence de trois jours qui a
rassemblé des Haïtiens vivant à l'étranger à Washington D.C. du 22 au 24 mars. L'objectif
de la rencontre: mettre à profit l'expertise des expatriés de Montréal, de Miami pour
rebâtir leur pays .
Même si la diaspora n’est pas encore intégrée et impliquée dans l’État et à son
développement, une initiative est à saluer de la part de la communauté haïtienne du
Canada. En effet, le Groupe de Réflexion et d’Action pour une Haïti Nouvelle (GRAHN) qui
s’est formé le 20 janvier 2010 et est constitué d’une vingtaine d’organismes et de
personnalités de la communauté haïtienne du Canada, et a récemment édité un ouvrage,
« Construction d'une Haïti Nouvelle, vision et contribution du GRAHN ». Le 3 novembre
écoulé, le Groupe de réflexion et d'action pour une Haïti nouvelle (GRAHN) a procédé au
lancement du livre en présence de plusieurs personnalités politiques. Cette oeuvre de
GRAHN-Monde, réalisée sous la direction de l'illustre professeur Samuel Pierre,
coordonnateur et membre fondateur du GRAHN, avec la collaboration de plus de 120
coauteurs et contributeurs. Il comprend 10 chapitres et 175 propositions dans des
domaines aussi variés que l'aménagement du territoire et l'environnement, le
développement économique et la création d'emplois, les infrastructures nationales, la
reconstruction de l'État et la gouvernance, la santé publique et la population, la solidarité
et le développement social, le système éducatif haïtien, le patrimoine et la culture, les
interventions urgentes et post-urgentes. En plus des recommandations adressées aux
actuels et futurs dirigeants d'Haïti, on y trouve aussi une vingtaine de projets structurants.
De plus, on peut mettre la diaspora à contribution d’un point de vue plus large que
le champ économique. En effet, chaque haïtien résident à l’étranger constitue une voix
potentielle de la démocratie. Si, aujourd’hui, la plupart des candidats sont favorables au
droit de vote de la diaspora, cette mesure n’arrange pas les affaires des fraudeurs : en
effet, la plupart de ces haïtiens du onzième département possèdent une culture
démocratique plus mature, et constituent un poids électoral critique conséquent.
D’ailleurs, Yves Saint Gérard souligne dans son ouvrage « Haïti 1804-2004, Entre mythes et
réalités » [Y. Saint Gérard, 2004] que la culture démocratique trop fragile en Haïti est un
obstacle à son développement. Il préconise une participation de tous les gouvernés à la
nomination des dirigeants dans le cadre d’un système majoritaire, lequel s’adaptera
progressivement aux coutumes locales. Il pense également que les vainqueurs doivent
apprendre à cohabiter.
Conclusion :