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SOMMAIRE

3 LE LIVRE DE Alain R~riIlet Projet polLr une révolution par Anne Fabre-Luce
LA QUINZAINE à New York

4 ROMANS FRANÇAIS Jacques Tehoul L'amour réduit à merci par Lionel Mirisch
Edith Thomas Le jeu d'échecs par Maurice Chavardès
Eve et les autres
FrançoisSonkin Les gendres par André Dalmas
Jean Freustié Isabelle par Alain Clerval
Robert Lapoujade L'Inadmissible par Anne Fabre-Luce
Michel Déon Les poneys sauva/{es par Alain Clerval

9 LlTïERATURE Malcolm Lowry Sombre comme la tombe par Geneviève Serreau


ETRANGERE où repose mon ami
Raymond Chandler Lettres par Jean Wagner

11 ENTRETIEN Durrell, écrivain et peintre Propos recueillis


par Claude Bonnefoy

12 HOMMAGE Au toscin de l'Histoire par Georges Nivat


14 Un inédit de Soljénitsyne

16 EXPOSITIONS L'Univers de Kienholz par Gilbert Lascaux


17 Le Kunstmarkt de Cologne par Marcel Billot
18 Dans les galeries
Les murs de Brassaï par Roger Grenier

19 HISTOIRE Charles de Gaulle Mémoires d'espoir par Pierre Avri!


20 Jean Baechler Les phénomènes révolutionnaires par Bernard Cazes

21 ETHNOLOGIE Robert JauIin Le paix blanche par Jean Duvïgnaud

23 CINEMA Peter Sasdy Une messe pour Dracula par Roger Dadoun
24 Robert Kramer Un rêve d'insurrection par Louis Seguin

25 THEATRE Witkiewicz par AdoH Rudnicki

26 Lettres à la Quinzaine

François Erval, Maurice Nadeau. Publicité littéraire : Crédits photographiques


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2
1.. I.IY • • D.

Le roman comme jeu


I.A QUINZAIN.

Alain Robbe-Grillet comprendre la complexité, mais à foulées et des passages à l'acte ima-

1 Projet pour une révolution


à New York
Minuit éd., 214 p.
s'y perdre. Dans Projet pour une
révolution à New York, ce jeu se
poursuit dans le sens d'une vérita-
ble propédeutique de la gratuité et
du « désengagement » total pour le
ginaires et irréversibles pour le
voyeur, la femme polarise en tant
que proie toutes les gravitations
irréelles qui s'ordonnent autour de
sa Il facticité» charnelle. L'inter-
Autant et plus encore peut-être lecteur. En raison du poids consi- prétation psychanalytique s'impose
que la Maison de Rendez-vous, ce dérable du système de valeurs avec d'ailleurs devant une symbolique
dernier roman d'Alain Robbe- lequel celui-ci aborde la lecture en aussi insistante et répétitive.
Grillet nous convie à considérer la général, rien ne lui est en effet plus On pourra aussi souligner l'effet
fiction comme une aventure ludi- difficile que de se défaire de ses ha- Il assujettissant » (ramenant au su-

que. Dans UI;le série de scénarios bitudes de juger, de « valoriser » jet) de cette fiction dont le but n'est
construits en abyme, l'auteur est, constamment les éléments de la fic- autre que de renvoyer à elle-même,
en effet parvenu à produire une fic- tion les uns par rapport aux autres donc à un solipsisme caractérisé. Le
tion totalement « irrécupérable» des d'une part, et aussi de les confron- Il matériau» d'où sortent les ima-
points de vue de l'identité du narra- ter sans cesse avec sa propre échelle ges (c'est-à-dire la Il situation initia-
teur ou des personnages, de celui de de valeurs. La lecture de type ordi- le, et les objets qui composent les
la chronologie ou de la « factuali- naire correspond toujours à la scénarios, tels que les objets aban-
té » des événements. confrontation de deux « W eltsans- donnés sur le terrain vague ou les
Comment réussir à faire un texte chaaungen», c'est mon monde accessoires d'un magasin où l'on
duquel aucune vérité ne subsiste contre et par rapport à celui que vend des masques, de faux poi-
après la lecture, et qui rompt avec l'auteur me propose qui se trou- gnards, des mannequins de son,
toutes les amarres de la vie réelle ? vent immédiatement « mis en jeu ». etc. ») est lui-même systématique-
Cela demande un grand talent, un Lire, c'est opérer une série de sai- ment démystifié en vue de la mysti-
point de vue critique incessant et sies des éléments du texte, les enre- fication à laquelle il va contribuer.
une virtuosité dans la « mise à dis- gistrer « comme» vrais ou moins On cherchera en vain la présence
tance» que Robbe-Grillet semble vrais, bons ou mauvais, par rapport d'une conscience angoissée par sa
posséder au plus haut degré. à soi. Tout l'arsenal aristotélicien Dessin de Vasco. finitude, un engagement précis d'or-
Une des clefs possibles de ce livre dont nous avons hérité, les princi- lecteur au niveau du Il juste », dre politique ou humain. Le nar-
où le mixage de type cinématogra- pes de cohérence interne du récit, du Il bien », ou du Il vrai », rateur semble jouer à se faire peur
phique, le brouillage systématique les notions de Il supérieur» et elle vient investir une autre région, par la titillation que procure une
de toute piste amorcée sont égale- Il d'inférieur », les concepts de péri- imagerie savamment orchestrée. Ce
celle du jeu des articulations des
ment soutenus, est une situation fort pétie, de reconnaissance ou de né- variantes proposées pour un évé- livre est donc susceptible de susci·
banale, sorte de « Monsieur le Mar- mésis adhèrent encore puissamment nement dont le contenu est indif- ter, par un retour honique des cho-
quis rentra à huit heures ». En ef- à l'esprit du lecteur contemporain. férent en Soi. ses, un appel à la profondeur qu'il
fet, un homme, le narrateur, atten- D'où sa Il déception» en face d'un veut précisément éliminer.
roman de ce type qui est un anti- Considéré dans cette perspective, Heureusement, un humour éton-
du par sa femme, rentre chez lui, et
dépose ses clefs sur une console récit, se détruisant lui-même au fur Pro jet pour une Révolution à New nant soutient à chaque ligne un ré-
dans l'entrée de la maison. Le ro- et à mesure qu'il s'élabore (comme York est une remarquable leçon de cit qui déborde de toutes parts ses
Il désappropriation » : Le narrateur
man consistera à remplir et à dé- l'indiquait Sartre à propos du Por- frontières. Il met en évidence une
(Il Disons Il je », ce sera plus sim-
ployer au maximum cet événement trait d'un Inconnu de Nathalie Sar- distance critique constante de la
raute). Le lecteur aura, devant l'inu- ple », écrit Robbe-Grillet) est un part de l'auteur - qui commente
initial, essentiellement neutre. Pour
tilité de ce bagage de valeurs, la transfuge délibéré; il assume tour ses propres Il séquences », se fait
ce faire, on utilisera par exemple,
sensation d'être Il joué », alors qu'il à tour l'identité de tous les autres interroger sur les erreurs ou les
les couvertures des romans policiers
devrait entrer dans le jeu de la non- personnages, visant ainsi une Il pa- contradictions de l'histoire. On rit
dont on « visualise » les images sur
valeur et jouir précisément du Il dé- nique des assurances vitales » chez des Il valences » imaginaires et fol-
les rayons de la bibliothèque en haut
lestage » qui lui est proposé. le lecteur qui doit être constamment Ies qu'il accroche insolemment aux
dans la maison. Ces images s'asso-
Il désorien té» et qu'on projette
cieront aisément en tant que « situa- Mais entrer dans le Il ludique» moindres détails. En véritable Il pas-
est infiniment plus difficile que de dans une errance joueuse où se suc- se-muraille» le narrateur traverse
tions» terminales avec l'insertion
suivre les parcours traditionnels : cèdent indifféremment réel et ima- les surfaces pour se et nous retrou-
de la clef dans la serrure et la sym-
c'est aller dans le sens toujours ré- ginaire, sans distinction et sans ver de l'autre côté de distributeurs
bolique phallique qu'elle implique.
voqué ou révocable de toute vérité rupture. de bonbons dans le métro new yor·
Le bruit des clefs que l'on dépose
se convertira en un fracas de vitre comme le tentent certains philoso- Pourtant, l'univers Il facultatif » kais, il se travestit quand le besoin
qu'un agresseur imaginaire vient phes tels que Eugen Fink (Le Jeu ainsi composé peut encore être jugé, s'en fait sentir, ou décolle laborieu-
de briser pour pénétrer jusqu'à la comme symbole du Monde, Minuit, mais seulement de manière globale sement les masques de chair de son
femme qui attend dans la chambre. coll. Il Arguments ») ou Kostas et extérieure : on y verra l'épanouis- visage entre deux scènes. Il semble
Les bris de vitre feront sept petits Axelos (Le Jeu du Monde, Mi- sement complaisant d'un monde de qu'il doive absorber beaucoup de
poignards transparents destinés à nuit, coll. Il Arguments »). Ces fantasmes sadiques, sorte de théâ- Marie-Sanglante pour avoir la force
transpercer la chair offerte d'une pensées vont d'ailleurs beaucoup tre intérieur dans lequel les person- de tenir tous ensemble les innom-
victime ligotée sur un lit, et dont plus loin, qui proposent la tota- nages peuvent être récupérés grâce brables fils de ses marionnettes
l'image est peut-être sur la couver- lité du monde comme jeu, et à la cohérence de leur rôle : la jusqu'au brouillage final dans le-
ture déchirée d'un des romans poli- pas seulement la fiction. Si l'on femme, masochiste, y joue la Il vic- quel tout et tous se confondent.
ciers en question. décide d'acquiescer aux contrain- time », objet d'un plaisir différé et Mais, comme le dit un de ses per-
Ce que Bernard Pingaud disait de tes d'un ludisme radical en matière substitutif. L'homme maîtrise et sonnages (Laura, qui est tantôt sa
la lecture du Nouveau Roman en de roman, force nous est alors de détruit dans cet objet la chair qu'il femme, tantôt une petite fille qui
général demeure vrai: C'est un permettre à la notion de gratifi- hait et qui le fascine par sa virgi- serait sans doute du goût de Ma-
labyrinthe dans lequel le jeu ne cation de changer de lieu et de nité. But du désir et de la haine, thias dans le Voyeur) : Il Pour lt Ile
consiste pas à sortir, c'est-à-dire à sens. Au lieu de se situer ?Our le lieu de résolution des pulsions re- petite vérité, il y a des milliard" et
~

La Quinzaine Littéraire, du ]"' au 15 novembre 1970 3


~ Robbe-Grillet Un langage strict
da milliards de mensonges, alors... banale déchirure de l'absence et de pond à cette vr.swn si forte qui te

1
Jacques Tehoul
vow comprenez... »)- L'amour réduit à merci la souffrance il lit : FNL vaincra, hante au moment même où tu res-
Pour « Monsieur le Marquis ren- Le Seuil éd., 222 p. il découvre Hanoï, Camin, Chicago. sens la violence de l'injustice? La
tra à huit heures », la suite de la Il a perdu, ou brisé, son amour, vieille gravure est toujours exposée
soirée est un délire synonymique mais il paye ainsi pour toutes les dans la vitrine. C'est la page de
de variantes de son emploi du injustices, toutes les tortures, tous garde d'un livre très rare de Ful-
Bien des jeunes romanciers, sem- gosus. Un carton dactylographié :
temps. La Révolution - qui n'est les crimes de l'univers.
ble-t-il, refusent (ou veulent igno- L'Amour réduit à merci. L'amour
heureusement qu'à l'état de projet Ce qui épaissit le roman, lui don-
rer) une certaine dichotomie : celle aveuglé par un bandeau est enchaî-
- est elles aussi une variante de ne à la fois du poids et une certai-
qui conduisait nos auteurs de na- né à {Ln arbre. D'autres personnages
variante - celle de la réunion de
guère à séparer le « privé » du « so- ne opacité. Comme dans les œuvres l'entourent. Tout ceci est très allé-
malades mentaux venus «consul-
cial », la vie des individus de celle très chargées, on manque de lumiè- gorique. La distance ainsi posée dé-
ter» pour une narco-analyse. Le re, on manque d'air. Ce que veut
du monde. Non qu'ils aiment « si- colore un peu la vision. On entend
« narrateur » nous confie d'ailleurs
tuer» leurs héros dans un contexte, d'ailleurs Jacques Teboul, incontes- des cris, mais on ne perçoit qu'un
parfois qu'il ne parvient pas à tablement. C'est pour nous oppresser
professionnel ou autre, trop précis, murmure.
« caser» tous les éléments de ses
mais ils leur imposent une respon- qu'il se bat. Ses pages serrées, sou- Heureusement, ce murmure a la
variantes (manière de nous impli.
sabilité quasi historique, qui dé- vent belles en soi, sont faites pour forme des phrases acérées et arden-
quer dans le jeu) : « Quant à l'es- nous prendre à la gorge. Mais d'où
passe ce qu'a d'accidentel et de tes de Jacques Teboul. Ce langage
calier de fer, j'y pense, dit-il, on vient alors cette relative indifféren-
petit leur propre drame. strict et pourtant musical, brutal
l'utilisera quand même », et force ce du lecteur, cette impression de
nous est de lui faire confiance. Tel est le cas de Jacques Teboul, et pourtant savamment composé,
demeurer à l'écart d'un livre qui s'étage, se replie, se déploie, et l'on
On aimera, je crois, les policiers dont l'Amour réduit à merci est se déroule (armée en marche) loin
sadiques - « mais la vareuse et les « constellé» d'enfants biafrais admire qu'il ne soit jamais inutile.
de lui, sans lui ? Dans l'Amour réduit à merci, si
bottes n'empêchent pas les senti- squelettiques, de cadavres déchique-
ments humains... » - qui se font tés de Vietnamiens, de morts arabes Probablement du parti pris allé- la .fable lasse un peu, le texte de-
servir des sandwiches au jambon de Nanterre... Raymond (en) ap- gorique. Jacques Teboul accumule meure, métal brûlant, compact et
par leurs victimes pendant les pelle (à) Jeanne, qui n'est plus, des bombes qu'il se hâte de désa- sans paille.
« pauses », et qui demandent aux (l'a-t-il tuée ?), mais à travers la morcer. Quel mot chez toi corres- Lionel Mirisch
ravissantes suppliciées de manger
aussi « pour leur inventer des faits
précis et significatifs ». Car il s'a-
, • A
git « d'alimenter» convenablement
ce petit délire oral et spéculaire.
Alors les « vampires de métropoli-
Se creer sOI-meme
tain JI, les hommes en blanc munis
de délicates et précises seringues. Edith Thomas

1
Pour que le bonheur ne déçoive paru chez un autre éditeur en
les jeunes blousons noirs mimant Le jeu d'échecs pas, le mieux est peut-être de le 1952), elle nous offre une huitaine
l'action révolutionnaire seront les Grasset éd., 272 p. créer soi-même, au lieu d'attendre de cours récits - mi-nouvelles mi-
bienvenus pour défoncer les portes qu'autrui vous l'octroie. Aude, par apologues - qui, tout en rajeunis-
en trompe-l'œil, pour incendier len- Eve et les autres exemple, ne pourrait accepter « d'ê-
tement les rousseurs tendres de
mannequins à la chair exquisement
1 Mercure de France éd., 160 p. tre définie» par un homme. Fem-
me, elle veut être sa propre lumière,
sant avec entrain et impertinence
la Bible, mettent les points sur les i
d'un certain féminisme.
blanche. non le reflet d'un mâle; elle déci-
L'auteur prend son bien où il le Une femme dresse le bilan de sa dera d'assumer sa liberté même si
Le ton est donné par cette répli-
que de la femme de Loth à son
trouve - parfois dans ses autres ro- vie. Non que cette vie soit proche cette liberté la voue à la solitude du
époux : « Je te hais pour ce que tu
mans. n propose Edouard Manneret de sa fin, mais parce que le senti- cœur et des sens. Elle aura, volon-
as voulu faire de moi : un être qui
(la Maison de Rendez-vous) comme ment d'échec qu'éprouve Aude de- tairement, un enfant « sans père »,
n'est jamais que le reflet de toi. »
«solution possible» à une action mande à être en quelque sorte véri- un enfant né d'une blessure, pres-
Mme Putiphar, la Femme adul-
irréelle, et décrit avec un plaisir fié. Ce qu'elle a raté, c'est son épa. que d'un désespoir, mais à qui elle
tère, Judith, Marie elle-même qui
qu'on imagine grand une mygale - nouissement de femme, plus préci- s'efforcera d'apprendre le bonheur
- comme l'Aude du Jeu d'échecs
descendante de la scutigère de la sément d'amante. Aucun homme ne et l'espoir, en même temps que la
- se fait faire un enfant naturel
Jalousie, perçant le sein blanc d'une lui a donné ce qu'elle espérait. Et volonté et le courage.
(non sans l'abriter astucieusement
victime, «ravie », extasi~ comme l'amour, un temps partagé, de la Edith Thomas n'a pas attendu
sous la pseudo-paternité de Joseph),
le supplicié chinois qui fascinait jeune et instable Claude a fini dans d'écrire ce livre pour s'intéresser,
toutes ces femmes affirment une
Georges Bataille (et dont la photo- l'amertume. comme elle dit, à « la solidarité
personnalité qui rejette l'empreinte
graphie ne le quittait jamais). Aude s'interroge donc. Pourquoi des femmes entre elles dans un
masculine.
Plus exigeant que le roman tra- cette malchance? Serait-ce inapti- univers qu'elles n'ont pas fait et
ditionnel où l'identification com· tude à s'harmoniser avec autrui ? dont elles ne sont pas responsa- Sans aigreur, mais ironiquement,
plaisante était toujours proposée au Serait-ce maladresse? « Je suis ti- bles.» Plusieurs de ses ouvrages Edith Thomas remet les choses à
lecteur, ce livre nous enjoint de mide et retirée, dit-elle d'elle-même, précédents sont consacrés à celles leur place, taillant, décousant, rac-
transgresser nos frontières et d'as- avec, tout à coup, des flambées de qui ont tenté de changer le monde, commodant l'Ancien et le Nouveau
sumer «pour voir» la totalité de hardiesse. » Du portrait qu'avec un en se changeant padois elles-mêmes, Testament. Le plaisir qu'elle y a
« l'illusoire li de la fiction en tant pointillisme psychologique extrême- de Jeanne d'Arc à George Sand, en pris est évident. On le partage vo-
que tel. Exercice passionnant pour ment habile en brosse Edith Tho- passant par les Pétroleuses, les lontiers, tant ces historiettes sont
qui s'intéresse à ses propres au-delà, mas, il se dégage, en fait et avant Femmes de 1848 et Pauline Roland, vives, adroitement conduites, en·
à ces «variantes D inconnues de toutes choses, la peur de s'illusion- en attendant l'essai annoncé sur jouées. L'intention, cependant, de-
nous-mêmes qui nous attendent de ner : n'être dupe de rien, écrit la Louise Michel. . meure grave.
l'autre côté de nos « vérités D. narratrice, « pas même de l'illusion En publiant une nouvelle édi-
Anne Fabre-Luce du honheur. » tion d'Eve et les autres (qui avait M aunce Chavardès

4
Une satire heureuse
François Sonkin à la mode, de la psychanalyse - ne Marc, enfin dépossédé de tous ses

1 Les Gendres
Coll. Lettres Nouvelles
Denoël éd., 192 p.
peut apporter de remède. Autour
d'eux, la foule des gendres se refer-
me. Ils suffoquent et leurs yeux
sont ternis de buée comme ces mi-
roirs qu'on approche de la bouche
rêves, abandonnera un univers où
l'adolescence même est devenue
suspecte : « Marc acheta une gran-
de poupée, très grande, très bête,
avec de grandes nattes, un très
Le livre de M. François Sonkin des gens presque morts. grand sourire et de grandes cuisses
n'est pas un roman au sens conven- de bébé. Il ne reconnut aucun gen-
tionnel où l'on continue à l'enten- dre parmi les permissionnaires. Il
dre. Ce n'est pas d'autre part l'un Mai 68 regagna la chambre de son hôtel.
de ces ouvrages qui semblent avoir Il fit un ballot de ses vêtements,
pour seule ambition de bouleverser La troisième et dernière partie du ses objets de toilette, son manteau,
pour le rendre plus obscur le mode livre a pour ca9re Paris au mois de sa petite voiture et la poupée. Il ne
traditionnel du récit et de l'écriture. mai 1968, quand l'agitation com- lui restait plus qu'à nouer ses
Il s'agit, je l'écris « toutes pro~u­ mença d'étourdir et quelquefois de draps bout à bout pour s'échapper
tions gardées », d'une tentative dérouter l'ordre établi. L'événement de la prison. »
. originale et fort habilement condui- sépare définitivement la fille, deve- A l'écart on le voit, de tout rap-
te de donner de la civilisation et de nue inhumaine, au sens proRre, pel idéologique, se tenant, par son
l'existence quotidienne que celle-ci invulnérable à toute émotion, de son langage, dans le domaine concret,
IL engendre», une relation qui soit père. Pour lui ce sera comme une si je peux dire, de l'écriture, ce livre
à la fois émouvante, exacte et renaissance, quand, sur les barri- n'est pas un ouvrage de circonstan-
acceptable pour un lecteur, aujour- protecteur de son propre développe- cades il accompagnera Mai, cette ces. Il n'exploite aucune facilité .et
d'hui quelque peu saturé de ces ment - il est l'hermaphrodite ·de jeune fille, si semblable à sa fille ne se permet aucune complaisance
comparaisons. la civilisation qui l'occupe: en mê- adolescente. L'aventure durera jus- dans l'allusion. Disons simplement
me temps policier et victime, direc- qu'à la reconquête, quartier par pour conclure qu'une imagination
teur et dirigé, sujet et objet de toute quartier, de la ville investie par verbale, constamment en éveil, a
activité. l'armée des gendres. Mai, la jeune fait des Gendres une satire heureuse
Un langage L'auteur a divisé son livre en révolutionnaire, se perdra dans la et un divertissement.
trois parties qui correspondent, foule abusée et vaincue, tandis que André Dalmas
Emouvant, exact et ~acceptable, chacune, à trois états concrets, à
ce roman l'est en effet par une trois métamorphoses de ses person-
qualité essentielle, celle du langage.
Sans jamais rien devoir à quelque
mode que ce soit, cette réussite
mérite d'être soulignée, car elle
nages principaux : un père, Marc,
et sa fille Nature. Celle-ci est une
adolescente encore gracieuse, qui
survit aux frontières du monde des
HELENE CIXOUS
n'est pas commune: syntaxe, voca·
bulaire, utilisations facétieuses du
lieu commun, métaphores inatten-
gendres. Cependant constamment
menacée, Nature sera bientôt, en
dépit de la présence de son père,
le troisième
dues, tout cela crée, entre l'écrivain
et son lecteur, une complicité par
quoi l'image la plus dérisoire ou la
attirée, puis absorbée par la marée
civilisatrice. Marc la voit s'éloigner
de lui, changer de formes et de re-
corps
plus cocasse devient l'arme la plus gards, devenir l'épouse, la Femme
sûre. Tel est l'attrait d'un récit
dont l'auteur a su jusqu'à la fin
préserver la grâce naissante.
monotone d'où toute fraîcheur est
désormais absente. Devant elle, en
elle « chaque jour passe et se vide
les commençements
De cet ouvrage, on peut aussi dire comme un sac. fatigué, si mou
qu'il est le livre des métamorpho- qu'elle ne sait par où le saisir. »
ses, ou plus exactement .(pour reve- Elle est Claire, l'attribut du gendre. Le style d'Hélène Cixous Hélène Cixous
nir à son titre) le « lieu» de Quant au père « il se retrouve seul, demeure, puissant, est d'autant plus poète
l'engendrement - de ce phénomène tout est éteint, tout est devenu froid, nombreux, violent. qu'elle saisit
qui fait de l'homme contemporain, soigneusement froid, soigneusement Il est celui le paradis ou l'enfer
non pas un adulte, mais cet être éteint et propre comme une allée "d'un guerrier de la vie", dans les choses
nouveau, cet hybride de l'univers bien ratissée ( ... ) Avec son sang, décidé à vaincre quotidiennes.
mécanique, que l'auteur appelle un son sperme, ses idées, il se sent ses démons intérieurs,
acharné dans sa quête JACQUELINE PlATIER
gendre. Le gendre est un conserva- perdu comme dans un canot pneu- Le Monde
teur, mais d'une espèce inédite: il matique de naufragé abandonné et sa possession du monde
engendre moins l'ordre que la tris- seul dans le néant, entre assis et par le langage.
tesse qui l'accompagne, moins la debout. » On ne peut qu'admirer
propriété que la provocation de l'ampleur du registre,
l'injustice, moins la prospérité que la variété des tons,
l'ennui qu'elle fait naître. La marée La foule des gendres qui va de la colère
des gendres couvre les villes moder- à l'abandon savant,
nes, envahit ses rues, pénètre dans Pour le père et pour la fille, a en passant par l'angoisse,
ses appartements. La seule fonction présent chacun de leur côté, l'insolence, le rire, le sang,
de ces gendres semble être le main- commence la morne navigation de les larmes.
tien des conditions les plu!! favora- l'exotisme, au sein de la pesanteur HELENE DE WIERLYS
bles à leur reproduction. Le gendre croissante des corps, à laquelle nulle La Quinzaine Littéraire
est à la fois devenu l'époux et le thérapeutique - y compris celle,

La Quinzaine Uttéraire, du }o. au 15 novembre 1970 5


Un regard clair L~hoDlDle foudroyé
ni son goût méticuleux du détail,
sur tous les déportements de ses

1
Jean Freustié
Isabelle personnages. L'auteur mêle au récit
La Table Ronde éd., 320 p. du séjour d'Isabelle des fragments
de roman écrits par Paul où l'auto-
biographie interfère avec les souve·
Cette Isabelle dont le prénom pas- nirs de la jeune fille quand elle
tel fait penser aussitôt à des faveurs était enfant, et l'on voit par l'appro-
d'un vieux rose, à un médaillon fondissement que le récit dans le
ancien" n'a guère de ressemblance récit donne au livre, se dessiner le
avec l'autre Isabelle, la fragile hé· propos subtil de l'auteur : fiction
roÏne du récit de Gide. Nul amour et réalité ont besoin de l'équivoque
brisé ne la rattache à son passé, au et de l'interdit pour se nourrir l'une
contraire, d'une jeunesse éblouis· de l'autre et s'enrichir de toutes les
sante, elle est à l'âge où l'épanouis. nuances subtiles de l'imaginaire.
sement des formes éveille en tout Le brusque surgissement de la jeune
homme, fût-il son père, de troubles fille fait découvrir à Paul, non seu·
pensées et une curiosité au fond très lement les satisfactions ambiguës de
naturelle. Mais, chez Jean Freustié, la paternité, mais surtout le poids
la peinture des passions choisit du temps. Qu'Isabelle non seule·
toujours le détour d'une situation ment ne soit pas fâchée du désir
scandaleuse pour montrer que les qu'elle inspire, mais aille, même,
sens ne peuvent guère trouver un jusqu'à suggérer à Paul de disposer
secours ou un apaisement dans les d'elle si tel est son bon plaisir, peut
conventions, l~ sens du devoir ou du paraître une rouerie ou un jeu

1
péché. pervers, mais pour ces deux' êtres Robert Lapoujade parce qu'il la fait ». Le roman cons·
Paul, divorcé depuis quinze ans, que la vie n'a jamais mis dans le L'inadmissible titue alors une sorte de labyrinthe
n'a guère ,veillé que de loin à l'édu· cas d'être vraiment l'un pour l'au· Denoël éd., 196 p. dans lequel les récits se superposent,
cation de sa fille dont Sonia, son tre un père et une fille, pourquoi Robert Lapoujade, peintre et ci· se succèdent, se remplacent sans
ancienne femme, a la charge. Mais n'en irait·il pas ainsi? néaste, nous apporte dans ce roman transition, selon le pur courant as·
il n'a pu, cette fois, résister au ca· Fût-elle sa fille, aucune femme la présence multipliée dans l'espace sociatif de la conscience imageante.
price de jouer les pères nobles. Il ne peut consentir à voir ses avances, et dans le temps d'une conscience Un pessimisme profond traverse
emmène la jeune fille en vacances ou sa coquetterie demeurer sans foudroyée : celle d'un homme, dé· les différents plÛ"ëow's 'du, rêcit :
dans sa propriété de Haute·Proven· réponse. Isabelle précipite la sépa- puté et historien qui est doublement l'humanité ressemble à un troupeau
ce. Pour un solitaire qui vit à la ration pour échapper à ce père qui, blessé, dans sa propre histoire - par d'éléphants qui s'écrasent les uns
campagne, entre les livres à lire, pour n'être pas un modèle de vertu, la trahison de la femme qu'il ai· les autres dans leur course préci-
ceux à écrire, que ses amours pas· n'a pas eu le courage de commettre mait - et aussi par l'histoire du pitée vers la mort. Pour retracer
sées ont rendu, la quarantaine ve· l'irréparable. En échange, elle lais- monde à laquelle il rattache son l'aventure de :ta confusion humai·
nue, mi·amer, mi·détaché, la pré. se à Paul son amie, la douce et aventure personnelle. Dans ce dou· ne, la voix du narrateur se fait plu-
sence d'une jeune fille de dix.sept paisible Maryvonne qu'il n'a pas loureux éclatement de l'être, devenu rielle : Cf. Ainsi suis· je facilement le
ails, sûre de ses charmes, récemment les mêmes raisons de respecter. Paul infiniment poreux et vulnérable, les témoin, Charlemagne autant que
avertie des dangers et des morsures est un écrivain, il préfère l'imagi. événements d'ordres subjectif et 1acques Relde ou que Lennie.
de l'amour, voilà précisément la me· naire, ses chimères, aux réalités. objectif se mêlent indissolublement Comment trouver le point et pour-
nace qui va bouleverser ses habitu· Isabelle dont il n'a pas su faire sa en une sorte de « bouillie des ori· quoi y attribuer une telle impor-
des, son bonheur tranquille. Ce vo- prisonnière aura seulement réussi gines » où convergent tous les temps tance ? » demande le narrateur. « Il
luptueux qui, comme tous les hom- à relancer douloureusement les sou· et tous les lieux. Le récit est alors me suffit d'attendre et de laisser
mes de plaisir, s'est toujours tiré, venirs, dont il fera la matière d'un comme un immense présent qui se fonctionner les cercles, intervenir
grâce à son scepticisme et sa lassi· nOUVf:au livr.e. dilate et draine indifféremment avec le moins possible. Nous sommes les
tude, des situations compliquées, ou On a l'impression, qu'à l'image soi les alluvions issues du passé, du autres et le néant» (p. 26).
scabreuses, comment cette fois a·t·il de la pure et gracile Isabelle de la présent et de l'avenir. Une prose faite d'interférences
pu sortir de ~ette aventure : rêver première partie du récit, Freustié a L'éclatement de la' conscience dans laquelle se recoupent inlassa-
d'être l'amant de sa fille sans pou· voulu en médecin tirer une deuxiè- met en évidence la faillite de l'homo blement les différents cercles issus
voir, ni se séparer d'elle, ni se résou- me épreuve de la jeune fille où elle me. « Nous étions des émergences d'un pro-jet initial, tel apparaît ce
dre à commettre l'irréparable? apparaît abîmée par la vie. composites, inventant le sublime roOlan qui doit autant aux techni-
Pour Isabelle, Paul, qu'elle n'a ja- C9mme toujours chez lui, le goût et... des paumés» dit Jacques Relde, ques du Nouveau Roman, qu'à celle
mais vraiment connu, est un de sonder les reins et cœurs l'em- le narrateur. Mais n'est·il pas lui- deil images cinématographiques ou
hdmme comme les autres que l'ex· porte sur les rêves et la poésie douce même et au niveau du discours au tachisme vibrant et discontinu de
périence et son mystère, son métier amère. même qui constitue le livre « une la création picturale.
d'écrivain parent d'un prestige Les analystes qui font l'étude du émergence composite inventant le Des personnages émergent cepen·
neuf. cœur humain ont généralement un sublime » ? quand il « présentifie » dant rlu jeu des interférences, et
L'amoralité de ce livre, et l'on y penchant excessif pour l'introspec- délibérément le procès de Jeanne qui évoluent autour de la personne
songe peu tant elle s'exprime avec tion ou le lyrisme. Jean Freustié d'Arc, l'aventure du Gaullisme, du narrateur : sa femme Lennie,
naturel, se marie, d'une manière offre l'exemple fort rare d'un psy- celle de Franco, ou une « liquida. objet de désir et d'amour, devenue
qui fait le charme acide de tous chologue qui met à étudier la poé. tion » planétaire à venir? Pour le la proie éphémère et très klossows-
les livres de Freustié, à un esprit sie du cœur, non la froide passion narrateur, les faits historiques sont kienne de photographes érotomanes,
positif, au regard clair que l'écri- du libertin, mais l'œil critique et le tuf dont toute conscience contem· ses trois enfants disparus eux aussi
vain, médecin de son métier, pose patient du thérapeute. poraine 'se "nourrit. « L'homme est , par un jour de Mai, et dont le nar·
sans jamais perdre son sang-froid, Alain Clerval toujours près de l'histoire, dit-il, rateur croit entendre les' appels dé-

6
Prestiges de J'aventure
1
sesperes. Il semble que la perte de Michel Déon l'opposition entre l'ordre des va-
la femme aimée soit le mobile qui Les poneys sauvages leurs scellées dans l'initiation aris-
pousse son mari à faire converger Gallimard éd., 504 p. tocratique et le règne de la matière
l'Histoire dans ce qu'elle a d'apo- acharnée à blesser l'esprit.
calyptique. Un grand amour qui Le narrateur, un Français, écrit,
finit provoque l'effondrement de Voici un écrivain qui n'a pas à l'aide de confidences et de livres,
toutes les histoires, intérieures" et craint d'écrire un roman qui soit du balcon de Spetsai l'histoire de
extérieures. Mais en généralisant le un roman, avec des destins entre- quatre hommes, Georges Saval,
mal, la douleur, les supplices, en mêlés, le bruit tragique et les lames Horace Mc Kay, Barry Roots et
convoquant l'Histoire, l'amant bles- de fond de l'Histoire des quarante Cyril Courtney, que le hasard
sé s'exerce à assumer sa propre dernières années et le grandisse- d'une année d'études a réunis à
souffrance, et aussi sa viduité. ment mythique que l'action confère Cambridge en 1938, à la veille de
C'est pourquoi, Lennie, c'est aus- aux individus dès lors qu'ils sont la guerre. Au terme de cette année
si. Jeanne d'Arc en butte aux bru- assez doués pour la parer des presti- rendue encore plus merveilleuse par
talités de ses gardiens, subissant les ges de l'esprit ou la relier au sens les prémices de la catastrophe et
insultes de ses juges. Elle peut aussi tragique de la vie, comme au sourd le crépuscule automnal dont la mé-
devenir une reine traînée par son battement de leur sang. moire embellit une société menacée,
nouveau maître, violée dans sa Il s'agit, à travers une large fres- ces quatre hommes, unis dans l'ad·
chair, béante de plnisir et de honte que fertile en rebondissements, qui miration de leur maître d'études,
dans les bras de l'amant. s'ordonne à partir de quatre expé- Dermot Dewagh, se sont prêté un
« Dans notre société coexistent riences d'homme, de montrer le dé· serment d'allégeance mutuelle et
tous les niveaux de conscience, de clin de l'Occident, pour emprunter ont fait le pacte de refuser des des-
l'homme du Moyen Age et même à Spengler les prophéties nihilistes tins médiocres. C'est à l'histoire des
du primate au mandarin. Le passé dont Michel Déon a entrepris d'il- membres de cette confrérie éparpil-
est une sorte de tare que nous trans- lustrer l'exactitude lugubre. On lée à travers le monde au gré des
formons en livres d'images» dit peut, bien sûr, le déplorer, mais, caprices cruels de Clio que Michel
Jacques Relde. Ce sera donc par la seul, un tempérament de droite, et Déon a voulu nous intéresser, et il
multiplication des consciences pos- comme il nous y invite lui-même, il y parvient tant les charmes 'et les
sibles qu'il ,pourra parvenir à « an- faut rattacher l'auteur à une fa- prestiges de l'aventure sont pre-
nuler» Lennie, à la restituer à mille d'esprits", pouvait entrepren- nants.
l'Histoire, à lui conférer sa valeur dre une œuvre de cette ampleur, Tous les événements marquants
mythique. « Telle qu'en elle-même sans craindre d'utiliser le moule des trente dernières années passent
enfin », elle apparaîtra intégrée aux hors d'usage du roman-fleuve, par- tout au long du roman, Munich,
courants multiples de l'aventure hu- ce que sa facture et ses conventions Dunkerque, l'Occupation, la guerre
maine dans le monde, par l'effet de répondent aux propos apologétiques froide, l'Algérie, la Hongrie et la
ce nouveau viol qui consiste pour le ou polémiques, parfois irritants, qui Tchécoslovaquie, les différentes
narrateur à lui imposer son propre sous-tendent le déroulement du crises du Moyen-Orient... pour mar-
vertige qui n'est plus celui de récit. quer de leur empreinte profonde
l'amour mais celui de l'identité. Nous retrouvons ce qui frappe le destin des héros du livre. Ces
Que devient en effet la signification toujours la pensée de droite d'un quatre poneys sauvages - image
d'un amour quand on l'occulte par anachronisme pathétique ou enfan- allégorique d'une vie en liberté, loin
le meurtre d'Henri IV, par l'image tin, c'est-à-dire tous les thèmes sur du béton cellulaire et de la violence,
du feu atteignant le corps blanc et le destin, le dépérissement des civi- sont en effet hantés, malgré ou à
pur de Jeanne, par la vision des lisations, les chevaleries du néant, cause de leur engagement politique,
rites érotiques « communautaires » la décadence ou le fatalisme histo- par la nostalgie d'un retour aux
des groupes « hippie », ou par le rique, car ils se situent toujours, sources d'une nature pacifiée. Par
spectacle de la bombe frappant Hi- hors de ce monde, "dans le ciel in- nécessité romanesque et par goût sé de Russie, désavoué par les siens,
roshima ? temporel de la transcendance et des de la prédication, l'auteur en a fait envoyé dans un camp de travail
Puisque l'amour est révolu qui valeurs éternelles où la dévolution des types qui incarnent une passion forcé. Quant au journaliste Georges
permettait de perdre ensemble la des dons et des fonctions par grâce exemplaire de notre époque, mais Saval, témoin placé au cœur de
notion du temps, puisqu'il n'est d'état ou droit de naissance, fait qu'un principe destructeur, l'air l'événement, il sera pris dans l'en·
plus possible de vivre les moments face à l'irruption scandaleuse d'une empoisonné du temps que nous vi- grenage et le tourbillon aveugle de
uniques « en éclatant de toute part contingence grossière et abusive. vons, a dévoyés. ' l'Histoire, sourdement miné par le
et en conjuguant l'amour, à travers Après tout, si l'on accepte ces don· Ainsi, la foi nationaliste dé Bar- spectacle des horreurs et des men·
un saut infini de deux corps lovés nées et parti pris romanesques ry Roots, pour n'avoir pas su résis- songes, couverts du voile ténébreux
tissant obstinément un creux sans comme les lois du genre, pourquoi ter à l'expérience de l'inhumain de la raison d'Etat ou justifiés par
mesure », il reste à faire l'histoire bouderions-nous le plaisir de ce inhérente à la servitude du rensei- les desseins tortueux de l'idéologie.
du monde à laquelle renvoie cet livre, tant les dons du conteur gnement, glisse dans le communis- N'ayant pu faire éclater la vérité
amour et, ce faisant, « faire le tour s'imposent avec force ? me, voué pour les besoins de la poli- sur le massacre de Katyn et sur la
de soi-même », Et puis, n'y a-t-il pas dans l'œu- tique russe, à une apostasie constan- fameuse entrevue de Gaulle Si·
Avec un style extrêmement vi- vre de Michel Déon une incu"able te pour goûter, sur le tard, aux plai- Salah, il fera retraite en hlande.
suel, une technique de convergence nostalgie de l'enfance, ce royaume sirs des sens dans les bras d'une Le poète Cyril Courtney fauché
parfois inégale, mais pourtant sai- secret habité par le songe, qui bai· mégère du Pirée. Pour avoir suivi en pleine jeunesse sur une plage à
sissante par la violence des images, gne le livre tout entier d'où, en fili- l'itinéraire inverse, agent double au Dunkerque, couvre de son ombre,
l'Inadmissible se propo~ comme grane, le refus désespéré d'être exilé service de sa Gracieuse Majesté, qui comme la mélancolie des espérances
un étonnant kaléidoscope de la du paradis à l'ombre des épées. Le devient espion soviétique, Horace trahies, l'enlisement inexorable des
« contemporanéité », livre de Michel Déon trouve préci- Kay n'en éprouvera pas moins les survivants dans les impostures du
Anne Fabre-Luce siècle. Quant' aux femmes, Sarah,


sément son ressort dramatique dans mêmes humiliations : il sera expul.

La Qulnzalne Uttéralre, du 1" au 15 novembre 1970 7


Giono après mai 68
~ Déon
la mangeuse d'hommes, unie à son LES REVUES
mari, Georges Saval, par un pacte
qui survit aux aventures fugitives
que sa quête d'absolu lui fait re-
chercher avec une espèce de folie,
ou Delia Courtney, la sœur de La Nouvelle Revue Française (n° 214).
Cyril, hantée par la mémoire du - Important et passionnant numéro
poète disparu, ce sont des figures spécial consacré à « Vie ou survie de
la littérature -. Le propos en est défini
nées d'un romantisme échevelé qui par Marcel Arland : «Une confuse
sont moins des caractères romanes- terreur s'est installée dans nos Lettres.
ques que la substance des rêves ou On s'interroge : faut-il faire éclater le
l'idéalisation des concepts que les langage comme on a fait éclater les
genres'? 'ramener l'œuvre à l'illustra-
héros masculins prêtent du fond de tion d'une théorie? se réfugier dans
leur solitude à l'éternel féminin. l'indifférence? - Ou faut-il comme
Un désenchantement que rehaus- le font nos' ~ollaborateurs, garder foi
se le contrepoint romantique de dans le destin de l'écriture et de l'art ?
Chacun d'eux, selon son mode per-
l'aventure et de la passion, court sonnel et s'~s goûts, entend servir
tout au long du livre et lui inspire une cause commune. «Parmi ces col-
sa conclusion : la leçon d'une sa- laborateurs, Jean Grosjean, Jean-Marie
gesse qui ne trouve plus d'apaise- Le Clézio, Pierre Oster, Jean Grenier,
Brice Parain, André Dhotel, Jacques
ment que dans la retraite des grands Réda, Anne Fabre-Luce, Berl1ard Pin-
espaces rendus à l'illusioq 4'un âge gaud, Marthe Robert, Claudë allier,
d'or miraculeusement préservé. Julien Green, Alain' Clerval, etc.
Pourquoi ne serait-on 'pas
tenté, un moment, d~ partager la
morale désabusée de Michel Déon ?
Il est vrai que toutes les causes Critique (n° 281). - Roland Barthes
ouvre' ce numéro avec une étude sur
finissent par se valoir et que de Charles Fourier. Suivent des essais de
droite ou de gauche, il s'est trouvé Philippe Sollers (par Roger Laporte),
depuis un demi-siècle, assez d'hom- Philip Roth (par Pierre-Yves Petillon),
mes pour payer de leur vie le dé- Jean Cocteau (par Claude Hodin) et
la théologie protestante par Hervé
vouement à un idéal trahi par ceux- Rousseau.
là mêmes qui l'inspiraient. L'absur-
dité de l 'Histoire est dans l'horrible
prodigalité de vies humaines immo- Une aes dernières photos de
lées au confort des médiocres. En feuilletant... Le livre de Marcel Ruby comble une Europe (n° 498). - Numéro litté-
Le pessimisme de Michel Déon lacune puisque aucun ouvrage d'en- raire et musical puisqu'il est consacré
est celui d'une génération qui eut Anatole France inédit semble n'a jamais été consacré à no- au bicentenaire de Beethoven. Dans
tre connaissance, à Jean Zay. M. Ruby un sommaire un peu touffu. on notera
vingt ans en 40, connut l'humilia- Le Cercle du Biliophile poursuit avec a dû recourir aux sources les plus les contributions Qe Max-Pol Fouchet,
tion de la défaite, mais aussi vit régularité son édition des œuvres diverses - mémoires, documents d'ar- Franz Hellens, Yves Florenne, Jean de
l'illusion lyrique de la résistance complètes d'Anatole France. Vingt- chives, témoÎgnages - pour recom- Solliers ainsi qu'un inédit de Romain
se consumer dans les incertitudes cinq volumes son1" 'annoncés, le dix- poser ce destin fulgurant : député à Rolland.
neuvième vient de paraître : formant, 27 ans, ministre à 31 ans, assassiné
de la guerre froide, et soudain pros- dans cette présentation reliée, le tome à 39 ans, ' '
pérer sur le terreau des idéologies troisième et dernier de la Vie litté-
raire, il apporte plus de trois cents Un des mérites de Marcel Ruby est
en lambeaux l'opulence des sociétés de pr~senter un tableau exhaustif, du
industrielles si avides de renier leur grandes pages inédites en librairie. Esprit (septembre 1970). - Multi-
Elles ont été exhumées par M. Jacques reste impre'ssionnant, de l'œuvre ac- ples thèmes dans cette livraison : la
héritage. Et les Anglais ont observé Suffel, qui a établi toute l'édition avec corripllépar Jean Zay. Dans le domaine situation de l'Orient (avec Jacques
l'effritement sans gloire de la gran- la science et le tact qu'on lui connaît. de l'enseignement, il a été un infati- Berque), la Yougoslavie (avec Albert
gable mal1ieur d'idées. tl ne s'est pas Meister) , la Colombie (avec Julien
deur impériale. On comprend que contenté de porter la scolarité obliga-
les quinquagénaires d'aujourd'hui
S. Brieux), la politique industrielle fran-
toire à 14 ans. Il a défini les trois çaise (avec Henri Provisor). Mais nous
posent sur l'univ~rs un regard pro- enseignements parallèles - classique, retiendrons surtout un récit de Phi-
fondément dégrisé. Qui ne se sent A paraître en novembre aux éditions moderne et technique - encore en lippe Jacques : «New York, couleurs
du Seuil, le Journal de Californie est vigueur; il a voulu faire de la classe croisées - sur le racisme aux Etats-
à la fois dépossédé de ses mirages de 'sixième une «classe-vestibule»
le fruit d'un séjour de quatre mois Unis.
et à jamais guéri des doctrines qui qu'Edgar Morin vient de faire aux propre à traduire, dans :la vie réelle, les
ont fait tant d'hommes se parjurer Etats-Unis où il a vu vivre la révolution souhaits souverrt exprimés d'assurer
pour rien ? Malgré son pessimisme culturelle dont il étudie les principales une orientation effective des élèves.
un peu trop systématique, le livre manifestations. L'ouvrage de Marcel Ruby se présen-
te ainsi comme une précieuse source Les Temps modernes (n° 289-290). -
de Michel Déon déborde de vitalité La Chine et l'Italie sont les deux pôles
documentaire, à la fois sur Jean Zay
et d'un prodigieux amour des hom- et sur une période passionnée et dra- d'attraction de ce gros numéro des
mes, il nous retient par la peintu- Après Libres enfants de Summerhill, matique de la vie française. Il brosse Temps modernes. A quelques excep-
re d'un univers où le pittoresque, paru récemment au Mercure de France aussi un portrait, à la fois fervent et tions près (dont celle de Charles Bet-
(voir le n° 98 de «La Quinzaine -), sensible, de celui que Jean Cassou telheim). tous les collaborateurs sont
l'exotisme, les couleurs éclatantes, A.S. Neill, répondant aux questions qui italiens : ils relatent en détail les
appelait «le ministre de l'intelligence
les rivages de la Grèce, les sortilèges lui furent posées par ses lecteurs à la française -, depuis son enfance dans luttes sociales de ces deux dernières
de l'Orient déplient l'arc-en-ciel qui suite de la publication de l'ouvrage, les rues ombreuses et fleuries d'Or- années. Quant à la littérature, elle
sert de théâtre à une action admi· précise sa conception d'une éducation léans jusqu'à ce fossé où l'on devait n'est guère représentée que par un
libre et «non dirigée - dans un livre retrouver son cadavre, abandonné par texte sur le langage par le poète Jac-
rablement menée. intitulé la Liberté - p8$ l'anarchie, ques Garelli.
les miliciens, le \22 septembre 1946.
annoncé chez Payot (PëiJte Bibliothè- (Marcel Ruby : La Vie et l'œuvre de
Alain Clerval que Payot). Jean lay). J. W.

8
Le retour aux sources
.TRANGlam

Malcolm Lowry plus du tout si vous êtes en train de


Sombre comme la tombe vivre un livre ou d'écrire votre vie.
où repose mon ami Donc, Malcolm Lowry a parcouru
Trad. de l'anglais plusieurs milliers de kilomètres vers
par Clarisse Francillon le Sud, depuis sa plage canadienne
Lettres Nouvelles jusqu'au Mexique, et il abrite en
Denoël éd., 300 p. lui au moins trois personnages dIf-
férents qui ne vont pas manquer de
s'entre-déchirer: le vieux Malcolm
Il existe par le monde un (c'est-à-dire le jeune) d'autrefois,
clan secret de lecteurs dont celui qui se saoulait pendablement,
les membres ne se connais- ignominieusement, sans mesure, à
sent pas toujours entre eux. la tequila et au mescal, chaque nuit;
Ils ont en commun les rues, les le Consul, enfermé dans les pages
places, les jardins et toutes d'un manuscrit non encore édité,
les cantinas d'une petite ville et qui n'en finit pas de mourir au
mexicaine, Quauhnahuac. ils fond de la barranca; et enfin le
n'ignorent plus rien des pou- Malcolm d'aujourd'hui, un Mal-
voirs du mescal et de la tequi- colm assagi, qui s'est remarié (avec
la, et ils ont aussi leur mot de Margerie Bonner), a cessé de boire,
passe : • Le gusta este jar- se veut optimiste, sain, heureux.
din que es suyo? (un peu Il est bien évident, pour quiconque
comme • Le presbytère n'a entre dans ce livre, que ce dernier
rien perdu de son charme:.. • Malcolm-là ne va pas tenir long-
de notre enfance). Tous. un temps, que les deux autres auront
jour ou l'autre, sont descen- sa peau et que, probablement, c'est
dus au fond de la barranca cela même qu'il est allé chercher là- ~

Malcolm Lowry, l'année de sa mort.


parmi les détritus et les bas, si loin dans le temps et dans
chiens crevés pour y reconnaÎ- l'espace. cusation. Belle occasion d'ajouter « salut» littéraire - car Lowry,
tre le visage de leur frère le Et il. faut encore .en compter un encore cette culpabilité-là à toutes en dépit des échecs, n'a jamais dou-
Consul. quatrième, Sigbjorn Wilderness, hé- les autres, obscures ou précises, dont té qu'Au-dessolLs du Volcan ne fût
ros de Sombre comme la tombe..., il ne cesse de se torturer. un grand livre. Ce n'est pas l'ami
Les membres de ce clan n'ouvri· frêle déguisement de Malcolm, pro- Non, l'important n'est pas là. Juan Fernando Martinez qu'il est
ront pas sans une extraordinaire jection de lui-même écrivant et L'important, c'est qu'Au-dessous du allé retrouver au Mexique (de tous
émotion ce .livre posthume de Mal- écrit (car tout au long du voyage, Volcan est achevé depuis deux lon- les prétextes invoqués, celui-là est
colm Lowry, où le Consul est deve- il prend fébrilement des notes, en gues années. et que pas un éditeur certes le moins convaincant), c'est
nu pour son createur ce qu'il a tou- ramènera une valise au Canada). n'en veut. Ce manuscrit n'existe, le Consul et lui seul, c'est-à-dire.
jours été pour eux : une ombre fa- Vingt fois, au cours du livre, il dérisoirement, que pour lui et pour Lowry écrivant le Consul, Lowry
milière presente-absente, et plus ter- s'interroge : pourquoi être revenu. sa femme, il ne lui a' servi ni à se saoul, replié dans le chaud ventre
riblement réelle que la plupart des au Mexique? Tournant autour de justifier ni à se faire « reconnaître» noir de l'ivresse pour y mourir et
vivants. la vraie raison; qui lui fait peur~ il ni à communiquer avec qui que ce Y' renaître comme le Phénix mythi.
C'est que quelqu'un est revenu invoque divers prétextes : notre sOit. Donc Lowry retournera à l'en- que, déclenchant les démons de la
en arrière, huit ou neuf ans après, maison sur la plage de Dollarton droit même où cette unique aven- peur et les fantasmes magiques,
sur ses propres traces. Là où il s'é- avait brûlé, dira-t-il. Il est vrai ture littéraire a commencé et où son Lowry décrivant en titubant les cer·
tait passé, voici des années, quelque qu'elle a brftlé, et qu'un manuscrit imagination l'a située tout entière, cles de l'enfer, parce que tel est
chose d'unique. Là où il avait plon- (ln ballast to. the White Sea) a été dans le lieu de sa « damnation» hu- son parcours d'écrivain. Comme
gé suffisamment loin sous le gouf- irrémédiableènt détruit dans l'in- maine qui fut a~i celui de son. tous· ceux que secouent les cyclones
fre du volcan pour atteindre la ra- cendie. Mais lui et sa 'femme en
cine du feu et en faire jaillir une avaient construit une nouvelle, qu'ils
œuvre. Mais, comme le dit un per- laissent derrière eux inachevée pour
sonnage de Beckett : « On ne des- courir au Mexique, lui vouant de
cend pas deux fois dans le même loin en loin au cours du voyage une Vient de paraître
pus », on ne revient jamais sur ses pensée nostalgique et tendre. Com-
propres traces, on en dessine d'au-
tres, même si .par instants, et jus-
me elle est belle, de loin, cette pe-
tite maison, œuvre de leurs mains,
Jacques Prévert
qu'à l'hallucination, votre pas d'au- symbole d'Un paradis (volontaire-
jourd'hui recouvre exactement le
pas de celui d'autrefois - que vous
n'êtes plus.
ment) perdu, d'un paradis dans
lequel Lowry n'a jamais açcepté de
vivre - afin peut-être de pouvoir
Imaginaires
Et tout se complique encore si, le rêver. Il est l'homme de l'enfer
comme ce Malcolm, vous êtes écri- et il le sait bien. Au cours d'une dis- 28 COLLAGES EN COULEURS ET INtDrrs
DE L'AUTEUR
vain et avez fait surgir il y a huit pute durant ce voyage (et il dut y
ou neuf ans un double de vous-mê- en avoir d'affreuses), Primerose-
Dans tout~ librairies Il a été tiré à part
me, un certain Geoffrey Firmin, Margerie exaspérée ira jusqu'à Volume broch~ 16.5 x 21.5 cm 1000 exemplai~es num~rolés
Consul, qui s'est mis à vivre sa dire: « C'est toi qui as mis le feu couvenure ac~lalu. F 35.- reliés pleine peau
propre vie dans une aventure de lan- à natTe maison », Elle n'a' sans
gage où vous vous trouvez si étroi- doute pas tout à fait tort, et c'est
tement impliqué que vous ne savez Lowry lui-même qui transcrit l'ac-

La QuiDza1ne Uttéralre, du 1" au 15 novembre 1970 9


~ Lowry Pour les fans
de l'imagination, il installera en lui- figurant aussitôt en symbole le Ce sont deux de ces fanatiques,
même son théâtre où délires et ter- sens de cette expérience : en pas- Dorothy Gardiner et Kathrine Sor-
reurs jouent un ballet sans nom mis sant, il a visité les anciens locaux de ley Walker qui ont compilé les
en scène par un régisseur ivre. Mais la Banque Ejidal (où il a connu nombreuses lettres écrites par Chan-
pour que le jeu fascinant continue, Fernando) et n'a plus retrouvé dler pour composer ce recueil inti-
il ne faut pas que la mort réelle (la qu'une façade morte derrière la- tulé Chandler Speaking, devenu en
vraie, la mort bête, physique) inter- quelle a explosé une végétation français tout simplement Lettres.
vienne. Un soir, cependant, Sigb- luxuriante d'arbustes et de buissons C'est bien la première fois qu'un
jorn-Lowry tentera sans y croire de en fleurs. La mort a perdu son ai- éditeur consacre un ouvrage à la
se suicider. Il est ivre, il saisit son guillon, la Banque Ejidal, en rui- correspondance d'un auteur dit de
rasoir et, « pour voir» se coupe le nes, est devenue un jardin. Pous- second rayon. Livre instructif, non
poignet. Primerose-Margerie accourt sant un peu plus loin l'image, c'est seulement pour les membres de la
à son appel et les choses rentrent tout le pays d'Oaxaca qu'il voit famille (pour ceux-là, il est une mi-
rapidement dans l'ordre. Erreur de transformé (grâce aux prêts de la ne), mais pour tous ceux qu'intrigue
parcours, l'affaire est racontée ra- Banque, et donc à Fernando) en un le mystère de la création littéraire.
'pidement par Lowry, presque furti- immense jardin. « Le gusta este jar- C'est une aventure singulière que
vement - ses pages les plus inten- din que es suyo? Evite que sus celle de Chandler. Taquiné par le
ses il les réserve à des cauchemars hijos lo destruyan!» Nous voici démon d'écrire pendant son ado-
infiniment plus habités. Se suicider revenus à la petite phrase clef qui lescence, il avait publié des poèmes
c'est renoncer à tout et même au traverse le Volcan. Phrase inno- dans des revues londoniennes avant
royaume de la mort, renoncer à cente, devenue dans l'esprit délirant de se lancer dans lcs aHaires. Jus-
vivre sa mort au long des jours - du Consul: « Nous expulsons ceux qu'au jour où, aux alcnlours dc la
ce que sait si bien faire Lowry. qui détruisent ». Du jardin de quarantaine, il découvrit Dashiell
l'Ejidal, comme de tous les autres Raymond Chandler Hammett dans la revue « Black
Malgré tout, suivant le fil qui (y compris, bien sûr, du Jardin Lettres Mask ». Il sentit quc le schéma for-
doit le mener à Juan Fernando, d'Eden), Lowry. n'est-il pas sans Trad. de l'américain mel inventé par Hammett était celui
Sigbjorn se heurte réellement, sans cesse, et par vocation, exclu? L'on par Michel Doury qui lui convenait. Contrairement à
pouvoir l'éviter, à la mort. Oui, ce sait comment s'acheva ce voyage, Préf. de Philippe Labro ce qu'on a dit, il ne copia pas Ham-
Fernando, apprend-il, (l'un des mo- quelques jours après la visite à Christian Bourgois éd., 372 p. mett. Il infléchit ce schéma en lui
dèles du Dr Vigil du Volcan) a été Oaxaca : Lowry, pris dans une cas- imprimant ses propres préoccupa-
tué, voici deux ans, d'un coup de cade de malheurs burlesques ou tions. On ne trouve chez lui nulle
couteau alors qu'il était borracho, dramatiques, se fit expulser du Raymond Chandler appartient à trace de dénonciation sociale et mê-
oui il a été enterré à tel endroit, oui Mexique par la police. La vision pa- cette race d'écrivains qui ont des me politique comme dans la Mois-
on l'aimait bien et on le regrette à cifiée qui clôt le livre n'est en fait fanatiques et qui, en même temps, son Rouge ou la Clé de verre. Ce
la Banque Ejidal dont il était un qu'une brève respiration entre deux n'ont pas droit aux recensements of- qui intéressait Chandler, c'était
efficace employé. Avec un luxe cauchemars, et toute l'aventure de ficiels. Dans leurs histoires de la l'homme cherchant sa vérité dans
inaccoutumé de détails concrets, ce retour mexicain demeure, comme littérature amencaine contempo- une marche au cœur d'un monde
Lowry retrace la scène : les em- en témoigne le titre, sous le signe de raine, M. Dommergues n'en souffle pourri. Son héros, il l'a choisi dé-
ployés de la banque, leur gentillesse, la mort tragique, de l'angoisse : mot tandis que M. Jacques Cabau tective privé parce que le détective
les locaux tout neufs, la place des Sombre comme la tomhe où repose... se contente de le citer comme disci- privé est un homme qui cherche :
bureaux et des fenêtres, et, face à ce pas seulement mon ami, mais ma ple de Dashiell Hammett. Mais cet « C'est un homme solitaire et fier et
décor neutre dénué pour une fois de jeunesse gâchée, où repose le « écrivain de polars », comme il il attend de vous que vous le trai-
toute angoisse, Sigbjorn-Lowry stu- Consul ivre, où je me vautre, moi, s'intitulait lui-même, a réussi à atti- tiez en homme fier, sinon vous se-
pide butant contre l'évidence. Ainsi, écrivain raté, incapable d'amour, rer autour de ses quelques livres rez désolé de l'avoir jamais rencon-
Fernando est mort et la foudre n'est ivrogne tournant en rond dans de toute une famille, ceux que Labro, tré. Il parle le langage d'un homme
pas tombée, le monde ne s'est pas vains délires, malade de solitude, dans sa préface, appelle les chandle- de son temps - c'est-à-dire avec un
écroulé. La réalité a toujours quel- iinpuissant depuis toujours à com- rophiles. Nous nous reconnaissons humour brutal, un sens vivant du
que chose d'incroyablement simple. prendre le sens de mon propre des- (parce que le signataire de ces li- grotesque, le dégoût de la vulga-
Comme disent les morts de Genet tin. Jamais constat d'échec ne fut gnes ne se cache pas d'en être) par rité, le mépris de la peiitesse. Notre
au moment de crever les « para- plus désespérant que celui dont est cent signes qui sont autant de mots histoire est l'aventure de cet hom-
vents» du Grand Passage : « Eh tissé ce roman. de passe et il suffit de prononcer me à la recherche d'une vérité ca-
bien... C'est ça... Et on fait tant Faut-il ajouter qu'il n'est pas le nom de Philip Marlowe, le détec- chée et ce ne serait pas une aven-
d'histoires ». Lowry est comme dé- fait, que les trois liasses (elles for- tive privé créé par Chandler pour ture si elle n'arrivait pas à un
livré d'une possession. Doux som- ment ensemble 700 pages) d'où que nous nous sentions en pays homme fait pour l'aventure. »
nambule, il erre dans Oaxaca, délié Margerie Lowry et Douglas Day ont connu. Ce qui frappe quand on lit ces
pour un temps de ses cauchemars, tiré le présent ouvrage n'étaient en- Ce culte touche toutes les clASses lettres, c'est le souci constant de
capable d'atteindre à une intelligen- core que trois essais, jugés sans dou- sociales: un docte professeur d'Uni- Chandler d'être' un écrivain véri-
ce sereine de la vie et des choses. te à demi ratés par leur auteur, que versité, Philip Durham a consacré table s'exprimant à travers un
Peut-être, précisément à cause de Lowry les eût certainement travail- une thèse à l'auteur de la Dame moyen populaire. Il avait délibéré-
cette mort, la vie est-elle devenue lés durant des années avant de les du Lac, Jean-Luc Godard le cite ment choisi un genre dit mineur
possihle? La vie ne se nourrit-elle livrer au puhlic, et qu'on n'a peut- dans Pierrot le fou et Labro racon- mais, à l'intérieur de ce moyen mi-
pas tout naturellement, sans aucun être pas le droit· de violer ainsi les te qu'après une émission de télévi- neur, il v.oulait avoir sa propre
tragique, de la -mort? C'est un processus de la création ? Les mem- sion sur Chandler, il reçut « quel- écriture, comme il avait son propre
Lowry en état second qui rédige bres du « clan» ne peuvent, mal- que vingt lettres dont une d'une univers. On le voit sans cesse par-
(trop rapidement il est vrai et gé tout, que s'en réjouir. Quant aux dame vivant dans un château de ler de la magie des mots. Ses pr~­
comme s'il craignait que la vision autres... province et qui (lui) disait que cupations premières sont d'ordre
ne tienne pas) les dernières pages Chandler faisait partie de sa fa- stylistique: « Au bout du compte,
de Sombre comme la tombe..., trans- Geneviève Serreau mille... » si peu qu'on en parle ou qu'on y

10
Durrell, écrivain et peintre
pense, ce qu'il y a de plus durable, Une librairie-galerie est le lieu'
c'est le style; et c'est le meilleur naturel de rencontre des pein-
investissement qu'un écrivain puis- tres et des écrivains. Aussi
se faire de son temps (n.) On n'y Marthe Nochy prépare-t-elle pour
parvient pas en essayant, car le le 4 novembre, dans sa boutique
style auquel je songe est une pro- du 93, rue de Seine, deux mani-
jection de la personnalité, et avant festations conjointes : un ver-
de pouvoir projeter une personna- nissage et une signature. Côté
lité, il convient d'en avoir une. jardin, Oscar Epfs présentera
Mais si c'est le cas, on ne peut la ses tableaux. Côté cour, Lawren-
projeter sur le papier qu'en pensant ce Durrell dédicacera son der-
à autre chose. » Et les lecteurs de nier roman, Nunquam qui viendra
Chandler se sont souvent aperçus juste de paraître chez Gallimard.
qu'en plein milieu d'une enquête Mais quelques jours aupara-
policière, on trouve une description vant, qui trouvait-on au sous-sol
patiemment fignolée. Le tour de réservé à l'exposition, en train
force vient de ce qu'elle n'a rien de choisir les toiles, d'ordonner
à voir avec l'histoire et qu'elle s'y l'accrochage? Lawrence Durrell.
intègre parfaitement. Oscar Epfs, sans doute, devait
corriger les épreuves de Nun·
quam.

Mais qui est Oscar Epfs ?


Un romantisme
émouvant L. D. Le chef de gare du Mont
Athos.
Et puis l'on découvre un homme,
un homme fin et intelligent, plein Vous le remplacez parce qu'il
d'humour et de ~nsihilité. Ses pages n'a pas pu abandonner son poste.
sur sa femme sont sl'un romantisme
émouvant. A 67 ans, lorsque sa L. D. Evidemment, puisqu'il n'y
femme (elle avait dix-huit ans de a pas de gare au Mont Athos.
plus que lui) mourut, il écrivit à un
ami : « Pendant trente ans, elle fut peut rappeler Constantinople, Mais je suis trop faible en tech-
Donc...
le battement de mon cœur. Elle un peu comme si je faisais de nique pour que cela soit visible.
était cette musique que l'on entend l'illustration.
L. D. Lors de sa première
au bord de l'inaudible. Mon plus exposition, il y a quelques an· Vous exposez ici des œuvres
grand regret, maintenant inutile, Avant de devenir Oscar Epfs, de deux sortes, des peintures à
nées, les gens ont d'abord cru à
est de n'avoir jamais rien écrit di- étiez-vous un grand amateur de l'huile représentant des paysa-
son existence. Mais on a fini
gne de son intérêt, de ne pas avoir peinture? ges ou des personnages plus ou
par.savoir qu'Oscar, c'était moi.
fait un livre à lui dédier. l'y avais Alors, pour la seconde, je ne moins schématisés et des goua-
songé, mais je ne l'ai jamais écrit. peux plus me· cacher derrière L. D. Oui. Mais je ne vous ches très fluides, presque abs-
Peut-être n'aurais-je pas pu l'écrire. Oscar. dirai pas quels sont les peintres traites, avec un caractère oniri-
Peut-être comprend-elle maintenant que j'admire. On pourrait croire que ou surréaliste. D'une tech-
que j'ai essayé, et que le sacrifice Mais vous gardez le nom. qu'ils m'ont influencé.' Peut- nique à l'autre, le style change,
de plusieurs années d'une carrière être même m'ont-ils influencé. est-ce l'effet d'une évolution?
littéraire assez insignifiante m'a L. D. J'aime bien Oscar Epfs.
semblé un bien petit prix à payer, L'ŒUVRE POETIQUE DE
si j'ai pu la faire sourire quelques Comment êtes-vous venu à la
fois de plus. » Et, comme Marlowe, peinture? TCHICAVA U TAM·SI
son héros, c'était un homme d'hon-
neur qu'on aurait voulu avoir Pour L. D. Pour moi, c'est d'abord ARC MUSICAL
ami. un excellent délassement. Je ne précédé de ~PITOM~
« Il aurait pu, comme Proust, dit peux pas taper plus de deux
Avec une IntroGuetlon de CI.lre CM. un recueil Inddlt et 1.
Philippe Labro dans sa préface, heures par jour. Mais après avoir nlédltlon du recueil qui valut A l'outeur le Grand Prix de
écrire que la seule impression qui écrit, je peux peindre.
_'e du Fo.tl.ol mondl.I cleo Arta n6gre. lM. Collection
• P.J.O.• Poche. 5.00 F
lui restait de la vie était de la tris-
tesse dominée par la fatigue.» Les deux activités vont de
Proust-Chandler : la comparaison pair, mais est-ce que l'écrivain LE MAUVAIS
paraîtra à certains irrévérencieuse.
Mais en ces temps où la littérature
influence le peintre, et récipro- SANG
quement? suivi de FEU DE BROUSSE et A TRICHe..CŒUR
se rapproche de plus en plus des la r66dltlon dans la collection
a L'aube dissout les monat:ru •
des trois premlor. recuella, depuis longtemps Introuvablu,
jeux de rhétoriqueurs, aux heures L. D. Quand on travaille sur du POke alrlcaln le plue , _ de la _110 ~
12.00 F
de découragement, ce sont ceux-là un sujet, on a naturellement
qu'on relit. Après tout, n'est-ce pas l'esprit occupé par ce sujet. Si CATALOGUE
et commende. directe.
là le premier but de la littérature : le roman m'emmène à Constanti· Edltl••• P.J. O•••ld
11. ""' das C.p.cl••• 14-Hoo"•• r
aider à vivre ? nople et si je le laisse pour C.C.P. Wllln 2.201.05 V.
~. ~ 1.M4SPERO
Jean Wagner peindre, ce qui vient sur la toile

La Quinzaine Littéraire, du 1" au 15 novembre 1970 11


~: Durrell Au tocsin
l. D. J'ai commencé par la Cette Aphrodite, qui est-elle? Jamais peut-être la recon- une interrogation plus anxieu-
gouache. Je m'y sentais à l'aise, naissance n'est venue si vite se que jamais sur le sens de
et je m'y sens toujours à l'aise. L. D. C'est une femme inven- à un grand écrivain.' En sa l'action humaine. Et que, parti
Je travaille très librement sur tée, plus exactement fabriquée paradoxale situation d'écri- du même absurde cruel et
papier buvard. artificiellement, à l'image d'une vain «inexistant -, exclu de clos où nous enferment Kafka
morte. Mais cette créature née la littérature de son pays, et Beckett, il ne s'est pas
Encore un matériau d'écrivain. de la technique est si semblable Soljénitsyne vient de recueil- laissé emmurer. Et pourtant,
à l'autre qu'elle aussi veut sa lir l'hommage le plus presti- de quel total dénuement Sol-
l. D. Qui me convient parfaite- liberté. Elle se révolte contre la gieux qui soit. Peut-être parce jénitsyne nous est venu!
ment. Et le format qui est celui civilisation technique, mais que son œuvre répondait à
des buvards de ma papeterie de d'abord contre le monde extrê-
Provence est la dimension idéale, mement structuré de la société
celle où je m'exprime le mieux. Merlin.
Avec la gouache surtout, j'avais,
j'ai encore, le sens de la naïveté. « Cet hiver-là, j'arrivai à T ach- sur la nuit, introduit la lumière au
Qui tenait une place importan- kent presque mort. Oui, je venais là plus noir du vingtième siècle. Nous
Avec l'huile, j'ai découvert de te dans Tunc.
nouvelles difficultés, et je l'ai pour y mourir... Mais on me ren- tous, les lecteurs de Soljénitsyne,
perdu. L'huile donne envie de voya à la vie, pour un bout de temps avons été bouleversés par le fait
L. D. Oui, mais cette fois, tout encore. » (la Main droite). brut de ce témoignage. Mais nous
dessiner, mais vous prive de la ce qui concerne cette société
- merveilleuse liberté de la goua- Ainsi renvoyé à la vie « pour un n'en avons pas tout de suite compris
est éclairé et son mystérieux bout de temps encore », cet homme le sens, ni le message.
che. Et quand on essaye de des- directeur, Julian, vient sur le
siner on est littéralement cruci- a décidé de porter témoignage sur Il faut dire que toute l'œuvre
devant de la scène. son voyage au bout de la mort. connue de Soljénitsyne se préS«fJlte,
fié parce qu'on devient conscient
de ce qu'il faudrait et de ce Témoignage obstiné, inflexible, en apparence, comme un récit do-
Retrouve-t-on les mêmes dé- cruel, mais qui, loin de déboucher cumentaire. Qu'il s'agisse de l'énor-
qu'on ne peut pas faire. cors et des lieux aussi pittores-
ques que le bordel d'Athènes?
Mais vous nous présentez une
-exposition très cohérente, très L. D. Cette fois, ce serait plu-
intéressante. tôt des casinos. Tout est axé sur
le climat impersonnel, inhumain
l. D. Je vous remercie. Je le d'une grande société industriel-
souhaite. En tout cas, elle était le dont les activités ont pour
nécessaire. Mes toiles avaient cadre Londres, New York, Cons-
envahi le garage. Le voilà débar- tantinople. D'où le trouble de
rassé et je vais pouvoir remettre l'inventeur, prisonnier de ses in-
ma voiture à sa place. ventions, et qui pour pouvoir
les réaliser doit accepter d'uti-.
Le jour du vernissage, vous liser les laboratoires, les possi-
signerez votre roman. Comment bilités techniques de la société,
le situez-vous dans votre œu- de travailler dans un milieu où
vre? la liberté n'a pas de sens. D'où
la révolte de la femme.
l. D. Nunquam est le deuxiè-
me volet, le complément de
Tune. D'un livre sur l'autre, je Avec cette femme; vous êtes
pense avoir fait le même enjam- presque dans la science-fiction.
bement que dans le Quatuor.
Devant Tune, les critiques ont L. D. D'une certaine manière,
souvent été gênés parce qu'il y on est poussé à en faire. Tout
avait beaucoup de points d'inter- le monde écrit si bien aujour-
rogation et peu de réponses. d'hui qu'un écrivain doit faire un
Celles-ci se trouvent dans Nun- effort pour attirer le lecteur,
quam.· En fait,. l'ensemble est sans pour autant trahir ce qu'il
.comme un seul volume en deux veut dire. Quelquefois, les criti-
parties. C'est maintenant seule- ques ont reproché à mes bou-
ment que le lecteur pourra juger quins un côté mélodramatique.
de la structure du récit et si Mais c'est donc qu'ils ne sont
cette structure tient le coup. pas si éloignés de la vie quoti-
dienne. Voyez les journaux. Cha-
Cela n'empêche point sans que jour ils nous racontent des
doute l'apparition de thèmes mélos. En fait, plus que de la
nouveaux. science fiction, le ton de Nun-
quam se rapprocherait de Poe.
l. D. Le thème central de Mais avec une ·action très rapide
Nunquam, c'est la révolte et un peu macabre.
d'Aphrodite contre la civilisa-
•tlon. On retrouve ici ce que les Propos recueillis
Grees nommaient l'Ubris. par Claude Bonnefoy .

1.2
de J'histoire par Georges Nivat

me fre!qUe du Premier Cercle ou toire, notre, culture et change même


de l'humble récit de Matriona, le la notion ancienne d'héritage cultu·
discours de Soljénitsyne a toujours rel. Grotowski aussi a, dans son
l'air d'être une simple narration : théâtre, cette intuition centrale et
une journée d'Ivan Denissovitch, obsédante que tous les héritages an·
.ou bien deux journées de la prison ciens doivent être révisés depuis
des savants. Mais cette simplicité Auschwitz et Dachau. Chez Soljé-
est trompeuse... Il faut voir d'abord nitsyne ce renversement est total :
que cette œuvre, d'emblée, débute ni la Russie, ni la poésie, ni Pouch.
par un chef-d'œuvre extrêmement kine, ni le courage des Décembris-
riche, empli de résonances : le Pre- tes, ni les souffrances d'Anna Karé-
mier cercle. nine n'ont plus le même sens
Œuvre extraordinaire à plus d'un après l'enfer aux sept cercles (dont
titre. D'abord par l'immensité de la six nous sont épargnés...) Ceux qui
fresque sociale comparée à l'exi- reprochent à Soljénitsyne d'en reve-
guïté du, temps de la narration : mi- nir toujour5 au même thème ne
nistres, juges, diplomates, écrivains, comprennent pas, ou ne veulent pas
policiers, bagnards de toutes origi- comprendre: Soljénitsyne part tou-
nes, moujiks illettrés ou savants de jours du même thème parce que
premier ordre, tous ordonnés en pour lui toute notre histoire contem-
deux cercles superposés, et symbo- poraine, et ce que nous léguerons à
liquement rassemblés, au centre" du nos enfants, part de là : ce dénue-
roman, en deux banquets symétri- ment total où l'homme a été replon.
ques : celui des repus, apparem- gé. Mais tout renaît aussi à partir
ment « libres» mais rongés par de là et Soljénitsyne, à sa façon,
l'angoisse et déjà harponnés par nous redonne le monde.
l'absurde, celui des bagnards, ap- « Je me sentais étreint d'une
paremment soumis, mais au fond pitié déchirante, sans bien savoir
libres par le fait même de leur de qui j'avais pitié... Etait-ce de mes un poème où, au-delà du dénuement dîne, le saint malgré lni, précipité
absolu dénuement... Et ces deux contemporains, ceux qui étaient total, Soljénitsyne rend manifeste, du confort de l'épicurien dans la
cercles superposés sont reliés par morts de froid dans le district de par toute la construction symbolique nuit de Kafka...
le fil de l'angoisse et du choix mo- Damiansk, ceux qu'on avait brûlés de son œuvre, la naissance de cette Cette poésie de la sainteté, ene
ral : Innocent Volodine, le saint dans les fours d'Auschwitz, ceux conscience non personnelle mais col- anime, ou illumine, awm bien Ivan
malgré lui, rejoint dans sa chute qu'on avait «redressés» au Djez- lective. Ce n'est pas fortuitement Denissovitch que l'admirable Ma-
vertigineuse les héros de l'abnéga- kazgan, ceux qui achevaient de qu'il a mis au centre de son roman triona ou le communiste Gratchi-
tion que le premier cercle rejette mourir dans la taïga - et pour qui le symbole mystique du Saint Graal. kov. Elle se retrouve en les deux
vers les ténèbres du septième. à jamais ces jeunes filles resteraient Ce Graal que peint en secret Kon- doctoresses du Pavillon da Cancé-
Œuvre extraordinaire aussi par inaccessibles - ou bien peut-être drachov, que contemple Nerjine reux et plus encore dans le doux et
la fermeté absolue du jugement était-ce d'elles que j'avais pitié, de apl'ès l'épreuve du revoir avec sa résigné Sighatov. Mais avec le Pa-
porté sur une histoire qui obsédait ces jeunes filles qui ne sauraient femme, ce Graal dont a rêvé le villon l'art de SoljéQitsyne se diver-
encore nos esprits : le stalinisme, jamais, et à qui jamais on ne pour- Moyen Age mystique et qui a méta· sifie et s'épanouit. n ne s'agit plus
cette ombre immense portée sur la rait raconter? » Ainsi s'exprime le morphosé les chevaliers batailleurs de montrer la « rupture » elle-mê-
révolution russe et tout notre XXe narrateur du court récit de la Main en héros du renoncement, c'est, dit me, mais ses lointains effets, les rui-
siècle. Soljénitsyne fait plus que droite, exilé loqueteux, usé par dix Soljénistsyne, « un instant qui peut nes et les cauchelllBJ'!l causés. Le
récrire une histoire si opaquement ans de camp et par tous les poisons survenir dans la vie de c1wque hom- monde social décrit s'épaissit, l'en-
camouflée : ill~ rejuge comme à un que le cancer et les drogues déver- me, lorsque tout à coup, Ü aperçoit chevêtrement des discours semi-in-
Jugement Dernier, il nous fait en· sent dans son organisme. Ce texte l'image de la Perfection. directs (si partieulier à Soljénitsyne)
tendre ce « toscin muet» qui hante nous rappelle que Soljénitsyne, Autre symbole central à toute nous donne de cette chambrée de
les rêves de son héros Nerjine et homme et écrivain tellement russe, l'œuvre, celui de l'Arche, l'Arche malades une vision vraiment pluri-
que seule Anna Akhmatova aura su, aurait eu à dire, en tout autre point invisible qui regroupe les héros et angulaire. Toujours présent, le ca-
si différemment, faire entendre à de notre planète, un message à peu les emmène vers la plus grande taclysme des temps modernes hante
l'égal de lui. près similaire. Car cette rupture liberté intérieure. Ces symboles veu- les cauohelllBJ'!l dantesques de Rous-
Cette force extraordinaire s'expli- dans l'héritage des valeurs et des lent dire que seul le Nouvel Age sanov, les yeux hagards d'Ephrem,
que ainsi: d'emblée, dès sa première cultures vaut aussi pour nous, est chrétien offre un précédent compa- les remords de Chouloubine. Mais à
grande œuvre, l'écrivain a trouvé aussi en nous. rable de cataclysmes vécus, de nau- présent tout renaît sur les ruines
la clé de son œuvre et son message « Même à nos époques de perver- frages absolus des cultures héritées, anciennes. C'est véritablement «le
aux hommes. L'histoire des hommes sion massive, quand la question se et de nouvelle création absolue des premier jour de la création D. Parce
vient de basculer comme un iceherg. pose : Pour qui donc faut-il œu- valeurs. Par ces signes venus du qu'Oleg, le véritable héros soljénit-
L'homme d'après les camps n'est vrer ? pour qui donc se sacrifier ? XIIIe siècle, Soljénitsyne veut nous synien, en dépit de ses épreuves et
plus le même, l'Histoire post-concen- On doit répondre avec assurance : guider dans le chaos qu'il décrit. de ses rancœurs, sait écouter la voix
trationnaire n'est plus la même, ne pour la justice. Elle n'est PAS DU Nerjine, ce chercheur du vrai, ne du renoncement et de la contempla-
peut plus avoir le même sens qu'a- TOUT RELATIVE, tout comme la trouvera ni auprès de l'incorruptible tion. n n'aura pas Zoé; Véga, il
vant. Non que le mal n'ait existé conscience. D'ailleurs elle est la Rouhine, ni auprès du limpide le sent, lui est interdite ; il retour-'
auparavant, bien sûr, mais jamais conscience, mais non point person- Sologdine, ni même auprès du tou- nera au paradis pierreux d'Ouch-
auparavant il n'avait été scientifi- nelle, de toute l'humanité en même chant, fruste, et merveilleux Spiri- Terek, mais il sentira renaître en
quement concentré avec tant de per- temps ». (Lettre à trois étudiants, don. Mais par l'effet de cette poésie lui le monde en sa fraîcheur pre-
versité. Cette lumière noire qui Octobre 1967). de la sainteté qui sous-tend toute mIère : «Il palpait et n'osait pœ
monte des camps irradie notre bis- En un sens, le Premier Cercle est l'œuvre, il rejoint Innocent Volo- encore .;roire à son bonheur : le.~
~
La Quinzaine Littéraire, du 1" au 15 novembre 1970 13
~ Soljénitsyne Un inédit de
objets existaient bel et bien, et ses préalable. « Pourquoi -. on pour-
yeux recommençaient à voir... » rait poser la question à Dieu ou
Par-delà la minutie réaliste, par·
delà les cauchemars et les supplices
La lumière qui est en toi à ...
SINBARD. - Doucement, n'al-
du remords, Soljénitsyne nous lons pas y mêler le Bon Dieu.
conduit à ces instants de re-naissan- TERBOLM. - La religion est
ce qui sont pleinement mystiques. La lumière qui est en toi est lippe, et comme lui un ancien
une pièce écrite par Soljénitsy- bagnard, tout en étant fasciné chose ridicule, toute le monde
Ils étaient déjà dans le Premier le sait. Alors on pourrait poser
Cercle, dans Ivan Denissovitch et ne en 1960. L'action se passe par cette science nouvelle,
dans un pays anglo-saxon ima- s'obstine à poser certains pro- la question à nos parents.
dans la Maison de Matriona, mais ALEX. - Mais nous-mêmes
ici ils sont véritablement les som- ginaire, dans un milieu' de sa- blèmes moraux, qui sont tout
vants occupés à résoudre des simplement ceux auxquels Soljé- sommes des parents. Donc,
mets : dans un monde recouvré, pourquoi donnons-nous la vie?
presque enfantin, où la lente sa- problèmes de cybern6tique. A nitsyne confronte le camionneur
l'Institut de Philippe on cherche Ephrem Poddouïev dans le Pa- TERBOLM. - Voilà, de cette
gesse ouzbek symbolise le paradis façon-là, ça devient possible.
ancien, Oleg parcourra la vieille à remodeler le psychique de l'in- villon des Cancéreux, lorsqu'il
dividu, tandis que Terbolm étu- lui met dans les mains le petit Ou bien encore : dans la me-
ville et il trouvera dans le dédale sure où nous sommes déjà au
ombreux des ruelles et la merveille die l'application de la cyberné- conte de Tolstoï intitulé fi De
tique à la science sociale et à quoi vivent les hommes?» monde et où nous sommes déjà
rose de l'ouriouk en fleur et le cou- devenus des êtres conscients,
rage de renoncer, de repartir. la politique. Alex, un ami de Phi- G. N.
quel but nous fixons-nous per-
sonnellement? Ou bien alors,
nous ne nous en fixons aucun
Une conquête et flous vivons par amère néces-
La scène se passe chez Philippe que je laisse tomber. Je ne sais sité.
sur la mort Radagaïs, dans le grand salon de sa pas encore. Pour moi la ques- ALEX. - Eh alors, Sinbard?
villa. Ses amis et collaborateurs sont
tous rassemblés, tandis que dans une tion essentielle dans la vie a Votre but? Et le but de vos en-
Sans l'absolu dénuement expéri- pièce cachée de la maison, la femme toujours été le pourquoi? Car fants à venir?
menté au camp, ces yeux ne ver· de Philippe, malade d'un mal incurable, enfin, dans le moindre de nos SINBARD. - Le bonheur, bien
raient rien, cet ouriouk ne signifie. achève son existence douloureuse et actes ... je sors de chez moi, je sûr, quelle question naïve?
rait rien. La poésie grave et solitaire.
sais toujours où je vais et pour- ALEX. - Bon, mais qu'est-ce
contemplative de Soljénitsyne est TERBOLM. - Et elle, pendant quoi, j'achète quelque chose, je que le bonheur?
toute conquise sur l'absurde et sur ce temps, elle est couchée, les sais toujours pourquoi... Dès TERBOLM. - Bon, admettons
la mort. Elle est aussi, par ces éclats yeux au plafond, sous l'éclat cru qu'il s'agit d'un acte important, que le bonheur ce soit la pléni-
de lumière qu'elle dérobe aux ténè- des lampes. Le moindre change- on admet de ne pas savoir, de tude spirituelle. Celui qui éprou-
bres, l'annonce et l'acceptation de ment de position est douloureux ne pas réfléchir. Tenez, je tra- ve la plénitude de sa vie, celui-là
la mort que le monde moderne pré. pour elle. Et nous, ici, nous som- vaille chez Radagaïs depuis six est heureux.
tend si naïvement nier. mes tous au courant, et nous mois déjà et je pose la question ALEX. - Vous y êtes presque,
« C'est seulement lorsque le train, échangeons des sourires, com- à droite et à gauche : pourquoi mais ce n'est pas encore cela.
après une secousse, s'ébranla que, me si nous ne savions rien. Le est-ce que nous faisons tout ce- La sensation de plénitude, les
là où se trouve le cœur ou bien monde est ainsi fait : il nous la? Personne ne peut me ré- bons motifs peuvent la donner
l'âme, quelque part à l'endroit est donné de nous réjouir en- pondre. Pourquoi la science en autant que les mauvais. La vie
essentiel de la poitrine, quelque semble, mais pour souffrir, pour général? On me répond: c'est du savant est remplie, celle
chose se serra... Le train roulait et mourir, on est seul. (Une lon- intéressant, c'est un processus d'une petite vieille solitaire qui
les bottes de Kostaglotov, comme gue pause). Koriel! Sérieuse- qu'on ne peut arrêter, elle 0st soigne des chats malades... Mais
privées de vie, dodelinaient au-des· ment, venez travailler chez nous. liée aux forces productrices ... celle du salaud aussi qui s'enri-
sus du couloir" les bouts tournés ALEX. - A parler franche- Mais tout de même : pourquoi? chit sur le compte des autres,
vers 'le bas. Un méchant homme ment, Terbolm, ce n'est pas seu- De toutes parts on nous refile celle de la chenille aussi, qui
avait jeté du tabac dans les yeux du lement la cybernétique sociale, des buts pour le moins étran- ronge l'arbre fécond. Si tout cela
macaque rhésus. Pour rien... sim· mais aussi la science en géné- ges : il faut travailler pour le c'e~t le bonheur, alors peut-on
plement comme ça... » rai qui ne m'inspire aucune travail, il faut vivre pour la so- en faire un but? Ne faudrait-il
Ainsi Oleg, bercé dans sa mort, confiance. La science a prouvé ciété. pas faire une distinction entre
au terme de tant d'épreuves devient- qu'elle savait se mettre au ser- SINBARD. - C'est un but éle- ces bonheurs-là?
il enfin et « une miette de son peu- vice des tyrans. vé, grandiose. En quoi vous dé- SINBARD. - Oui mais qui va
ple », et une miette de l'universel. TERBOLM (après un moment plaît-il ? faire la distinction? Vous? Moi?
Car c'est là, incontestablement, quc de réflexion). - Ce n'est pas ALEX. - Grandiose? Ce n'est Pourquoi votre- critère du bon-
conduisent les cycles soljénitsyniens. la science qui engendre les ty- pas un but. ' heur serait-il plus juste que le
Ce sont des cycles de la rédemption. rans. Aux époques barbares, SIN BARD. - Et pourquoi pas? mien ou le sien?
Qu'on se rappelle les derniers mots dans les pays incultes, ils sont ALEX. - Mais voyons, si je ALEX. - Ni le mien, ni le
de Chouloubine à Oleg : « Parfois plus nombreux encore. vis pour vous et que vous viviez vôtre, mais celui ,de la loi mo-
je sens avec tant de clarté que ce ALEX. - Oui mais la science pour moi, nous voici en circuit rale intérieure! Etre heureux,
qu'il y a en moi n'est pas encore aussi a déjà su leur être utile. fermé. De toute façon, ça ne d'accord, mais pas en contra-
tout moi. Il y a quelque chose de TERBOLM. - Bien sûr. Des répond pas à la question: « pour- diction avec cette loi !
très indestructible, quelque chose de mains sans scrupules s'en sont quoi vivons-nous? -. SINBARD: - Quoi encore?
très très haut. Quelque chose comme saisie! C'est pourquoi il faut TERBOLM. - Oui mais quand Une loi morale intérieÜre? In-
un éclat de l'Esprit Universel. Vous créer une société idéalement vous dites «pourquoi vivons- née peut-être (il rit aux éclats).
ne le ressentez pas ? » Cet éclat, ou régularisée où la science ne nous -, vous posez mal le pro- Etudiez la médecine! Dans no-
cette « lumière qui est en toi» saurait plus être employée à blème. Nous ne sommes pas tre organisme il n'y a tout bon-
(Saint Luc) est le terme du poème. mal. nés d'un acte de notre propre nement pas d'organe où se-loge-
Georges Nivat ALEX. - Il est fort possible volonté et avec une intention rait une loi morale intérieure.

14
PRIX
Soljénitsyne NOBEL
permanente de la mort. L'obsta-
cle permanent devant nous, 'la
1970
mort. Vous pouvez .. étudier la
cybernétique, les galaxies azu-
rées, il reste que vous ne pou-
SOLJENITSYNE
vez pas sauter à pieds joints
par-dessus la mort !
SINBARD. - Le temps vien-
dra où nous le pourrons!
ALEX. - Jamais! Tout est
mortel dans l'univers, même les
étoiles! Et nous sommes con-
traints d'élaborer notre philoso-
phie en fonction de la mort
aussi ! Afin d~y êtr.e préparés!
SINBARD. ~ J'en ai soupé des
leçons de morale funèbres! On
s'en sert pour étouffer la vie
vivante, bouillonnante! Combien
de temps nous prend-elle, cette
fichue mort, un instant nu de
renoncement! C'est un infime
facteur annexe, en regard de
notre vie longue, variée, haute
en couleur!
ALEX. - C'est vite fait, mais
ce n'est pas vite dit quand il
.

s'agit de lui trouver un sens. Ne


li
vous cachez pas, elle vous trou-
vera bien!
TERBOLM. - Nous parlons de'
la mort comme si ce n'était pas
PIIEMIER
nous mais quelqu'un d'autre qui
devait mourir.
SINBARD. - Nous parlons de
la mort comme si nous devions
mourir tous les jours! le globe
terrestre est vaste! Des hom-
li
mes, il y en a trois milliards.
C'est quasiment improbable qu'à un
ALEX. - Je connais votre
théorie : expliquer tout l'hom-
pres parents quand ils sont
vieux, est-ce bien ou mal? Allez
tout instant donné, par cette
porte (il indique celle de droite),
là, tenez, je me tourne sans
chef d'œuvre
me, Raphaël et Chopin y com-
pris, par les hormones.
poser la question à Kabimka!
Il existe des tribus où c'est
crainte de ce côté, que par cette
porte donc, pénètre la mort de
incontesté
SIN BARD. - Oui! Vous de- bien, où c'est humain! quelqu'un. (Tous se tournent
vriez 'étudier la vie hormonale! TERBOLM. - Alors peut-être • le premier romancier soviétique à la
vers la porte, attendent un ins- dimension d'un Tolstoï, d'un Dostoïevski.
Et la morale absolue, c'est un que la loi existe et ne s'éclaire tant. Personne n'apparaît. Sin- CL Rey (le NooveI Observateur)
conte de bonne femme. La vé- pour nous qu'au long des millé- bard émet un petit· rire. Profi-
rité est toujours concrète! La naires! Peut-être qu'elle est en tant de la pause, Alda, qui s'est • Un grand roman: un document tragique.
lIIclu S_issanl (La Croix)
morale est toujours relative! outre sujette à une programma- rapprochée d'Alex par derrière,
ALEX. - Il Y a quelque chose tion complémentaire dans cha- lui touche la main. Il se retour- • Une admirable méditation sur la c0ndi-
qui cloche dans votre histoire que société? ne). Et mieux encore, regardez, tion et la grandeur de l'homme, capable
de résister à l'enfer dont, à l'instar de
de morale relative! Elle vous SIN BARD. - Vous en avez je vais même jeter un coup d'œil Dante, l'auteur décrit ici le premier cercle.
permet de justifier n'importe encore pour longtemps à va- dans l'entrée (il regarde). Per- Hélèlle za••ysa (le Monde)
quel crime! Violer une petite souiller comme ça? 11 n'existe sonne là non plus !
• Un très grand livre.
fille c'est toujours mal,dans pas de morale absolue! Et il ALDA. - Tu es encore en llalll'lce ....._
n'importe quelle société! Et n'existe pas de loi morale inté- train de discuter? Tu n'en as (la lluinzaine littéraire)
battre un enfant aussi ! Et chas- rieure ! Et quand bien même elle pas assez? C'est sinistre.
ser une mère de sa maison! Et existerait, aucune force ne pour-
répandre la calomnie! Et man- rait nous obliger à en tenir Traduit par Alfreda Aucouturier,
e
quer à sa parole! Et abuser de
la confiance d'autrui!
SINBARD. - Bobards! Gali-
matias que tout cela!
compte!
(Alda apparaît. Ils ne le
remarquent pas).
ALEX. - Une telle force exis-
extrait du
Cahier SoIjénitsyne
qui paraîtra prochainement
aux Editions de l'Herne
100 mille
ALEX. - Comment? Il se peut te! sous la direction
que tout cela soit bien? SINBARD. - Nommez-là! de Michel Aucouturier ROBERT.a LAFFONT
SINBARD. - Et tuer ses pro- ALEX. - La mort! L'énigme et de Georges Nivat

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 novembre 1970 15


EXPOSITIONS

L'univers de Kienholz
ne réalisera pas son tableau-
concept The black leather chair,
s'il ne peut pas acheter, aux
Noirs qui la possèdent, la chaise
faite par un maître blanc avec la
peau de leur arrière grand-père.
Il ne montre que des objets uti-
lisés, usés : traces de gestes
disparus. Pour produire son bar,
il achète les vieilles tables de
l'établissement et le bar « réel»
cesse de se ressembler pour
permettre à son image de mieux
le reconstituer : curieux détour-
nement du réalisme!
Les rapports des œuvres et de
leur producteur constituent un
autre problème. Kienholz appa-
raît, au premier abord, comme la
réalisation parfaite d'un mythe
américain: celui du pionnier ha-
)ile et honnête. Il a fait plusieurs
métiers; il sait tout installer dans
son exposition comme dans sa
maison (l'une des dernières fer-
mes près de Los Angeles) ; lui-
même se définit autant comme
chasseur que comme artiste :
« Dis seulement, précise-t-il à
Gilbert Brownstone, que je suis
un tireur d'élite et qu'à 200 mè·
Un « environnement» de Roxy's. détail.
tres je fais mouche ». Mais ce
Roxy's (1961) : tapis usés jus- tique apparent. Chacun se perd remarques modestes et dis- pionnier est hanté par les failles
qu'à la trame, meubles démodés, dans les détails, dans la multipli- persées. de la société; il montre les
objets venus des marchés aux cité des objets, en un théâtre de Il faut d'abord noter que, selon vieillards abandonnés, les cou-
puces et qui s'accumulent. Sous la désolation. Le rideau s'ouvre les environnements, les modes ples désaccordés, l'accouche-
une image du général Mac Ar- sur une scène à la fois banale et d'appréhension sont différents. ment douloureux, la guerre, les
thur, c'est un immense et vieil- déroutante où nous devons pé- On entre dans Roxy's et on malades battus; et le temps qui
lot bordel. Un crâne de porc nétrer. On pense aux premières s'égare dans ses accumulations ronge tout : l'horloge est le vi-
constitue la tête de l'imposante lignes du Souffleur de Klossows- poussiéreuses. On s'installe à sage des habitués du bar; elle
mère-maquerelle. Une fille nue, ki, prélude aux étrangetés éroti- une table au fond du bar surpeu- trouve aussi une place sur le
plus ou moins démembrée, la tê- ques : « Soudain la lumière s'é· plé The Beanery (1965), plein pubis d'une prostituée du Roxy's.
te rejetée en arrière, victime et teignit, les chuchotements .se tu- de bruits et d'odeurs; les clients Aux yeux du chasseur, fort de
appeau, est couchée sur une rent dans la salle, le rideau se ont une horloge comme visage. sa bonne volonté, la société est
machine à coudre; ou bien peut- leva sur la petite scène. On re- D'autres œuvres ne nous enve- un vaste bordel où nul n'est mé-
être cette machine à coudre (qui connaissait une chambre aux loppent pas, mais se situent en prisable, mais où il est difficile
attend, comme dans la phrase de papiers verts assez sordides; face de nous: la voiture où s'em- d'être heureux, et où la mort est
Lautréamont, un parapluie et la dans l'angle, un évier, auprès du- brassent deux êtres à tête à l'horizon.
copulation) fait-elle partie de quel un réchaud à gaz allumé, commune de The Back Seat Cette reconstitution du monde,
son corps. Une rose transperce sur lequel fumait une bassine... » Dodge' 38 (1964) ou l'horreur si elle se fait avec une violence
son cou, un écureuil a fait son Il est trop faci le de refuser véhémente de l'avortement critique, refuse d'apparaître
nid dans sa poitrine. Asseyez- cette complexité et, sans regar- (1962). Nous exclut davantage comme une dénonciation sim-
vous dans un des tristes fauteuils der les œuvres, de définir l'ef- The State Hospital : à travers pliste. Il convient de lui appli-
du Roxy's et, pour les autres vi· fort de Kienholz comme une vio- une petite fenêtre nous aperce- quer la définition négative que
siteurs de l'exposition, vous de- lente agression contre l'ameri- vons un malade mental nu, lié, donne Michel Leiris du dernier
. venez un client dépaysant de can way of Iife. Nommer la vio- marqué par les coups et les pri- livre de P. Guyotat : «Ce n'est
l'effarante et réaliste maison- lence est une manière de limiter vations, et son double; leurs pas un enfer, non plus d'ailleurs
close. les perturbations que les œu- têtes sont formées de bocaux qu'un paradis D. De tels univers
Une telle description (d'ail- vres provoquent en nous. Mieux où nagent des poissons. Le Mé· visent à rendre impossibles les
leurs incomplète) montre la vaut ne pas se hâter d'interpré- morial de guerre portable (1968) manichéismes, les oppositions
complexité des univers de ter. Il est d'ailleurs vain de par- impose une autre manière en- élémentaires du bien et du mal,
Kienholz (1). Complexité des Ier, à propos d'une œuvre, de core de saisir l'œuvre : ni éga- du vrai et du faux, du beau et
formes; des sensations; des transgression, d'attaque ou de rement, ni perception globale, du laid. Ils veulent « dissoudre ..
affects et des idées qu'ils éveil- déconstruction, si l'on ne préci- mais lecture dirigée de gauche ces notions elles-mêmes.
lent. Cette complexité est un se pas aussitôt les modalités et à droite. C'est un livre d'images Gilbert Lascault
déclencheur de perturbation. Il les fonctions de ces violences. contre la guerre.
(1) Exposition organisée par l'A.R.C.
n'y a pas de message précis, Pour ne pas diminuer la force de On s'interrogera aussi sur le et le C.N.A.C. au C.N.A.C.. 11. rue
de forme simple, d'ordre esthé- Kienholz, on se contentera de besoin de vérité de Kienholz. Il Berryer, du 13-10-1970 au 16-11-1970.

16
Le <Kunstmarkt de Cologne
Dans les galeries
Le Kunstmarkt de Cologne a Gravures pour le mur
été institué en réaction à Doku-
menta par une association de Deux artistes, Florlnl et Louttre, ont
réalisé des bols gravés en taille douce
galeries de "Allemagne fédérale qui «transposent à l'échelle monumen-
que la ville de Cologne, laquelle tale. (2 X 3 m) les qualités essen-
se pose volontiers en rivale de tielles de la gravure en creux. Dans
Dusseldorf dans le domaine de cette différence de dimensions appa-
raît clairement l'ambiguïté sémantique
l'art, accueille à la Kunsthalle du mot gravure : procédé certes, mais
chaque année en octobre durant aussi estampe, c'est-à-dire objet pré-
six jours. cieux prédestiné au carton à dessin
C'est donc avant tout une ou au sous-verre. Par référence à la
fonction, on pense à des tapisseries
manifestation de caractère (avec la même ambiguïté, mais en
commercial et la chère Iris Clert sens inverse) mais la matière ne
qui tout au long de la journée suit pas... Il s'agit donc d'éléments
battait la semelle près de son décoratifs tout à fait nouveaux
Galerie Jeanne Bucher, 53, rue de
camion "off Kunstmarkt -, n'a Seine.
fait qu'enfoncer des portes ou-
vertes en le dénonçant dans la
. presse locale. Ses véhémentes Hamisky
déclarations traduisaient en fait
l'ennui qui se dégageait de l'en- La galerie Arnaud présente la qua-
Ursula : Pfelz-Haus. trième exposition personnelle d'un ar-
semble de ces galeries dont pas tiste de 27 ans. Sculpture? peinture?
une ne semble défendre ou im- Zwirner qui exposait l'année masqué par des bandelettes, qu'importe! Pendant quatre années de
poser qui que ce soit. Ennui que dernière à cette époque vêtu d'un blouson de cuir, est silence, Hamisky a mûri une mise en
les organisateurs ont senti puis- Fahlstrôm! Zwirner se trouvait assis le front reposant sur le question (séditieuse et non dénuée
d'humour) tant de l'espace tradition-
qu'ils envisagent d'inviter des ainsi dans la lignée de la Galerie dossier de la chaise, les mains nel de la peinture que du côté rassu-
galeries étrangères l'an pro- Baukunst, laquelle ne pèche pas ligotées dans le dos, devant une rant de la géométrie. Car ces beaux
chain. Il serait bon en effet de par des excès avant-gardistes, demi-douzaine de personnages objets de bois, magnifiquement réali-
secouer les collectionneurs rhé- se plaisant plutôt à rassembler aux crânes nus, vêtus de man- sés, sont en fait pleins de subtiles et
déconcertantes transgressions. Le ca-
nans - et le public qui les suit des valeurs consacrées autour teaux de cuir, imperturbable- dre, le châssis sont là, mais gauchis,
en se ruant sur les multiples - . d'un thème, " Œuvres de la ma- ment anonymes. leur continuité de «bons rectangles.
qui ronronnent depuis des an- turité -, cette année. La seule On retrouve cette demi-dou- n'est qu'apparente, voire rompue. Et si
nées dans le pop, le cool, le justification de ce genre d'expo- zaine de personnages, mais la planéité de la toile peinte ou le
vrai relief de la sculpture nous sont
minimal, le new realism, etc.; sition est la qualité et on doit cette fois l'absence du torturé familiers, combien déconcertent et mê-
car ce sont encore Rauschen- reconnaître en l'occurrence que les rend assez anodins, à Aix- me inquiètent ces surfaces apparem-
berg, Warhol, Donald Judd, de Baumeister à Vieira da Silva la-Chapelle, dans la collection ment sages mais qui ont la ferme
Rosenquist et leurs épigones en passant par Bonnard, Jaw- du Dr Ludwig, ce chocolatier volonté de ne pas le rester...
Galerie Arnaud, 212, boulevard Saint-
allemands qui tiennent la corde lensky, Klee, Léger, Monnet et mécène dont il faut dire deux Germain (jusqu'au 14 novembre).
à côté des vedettes nationales trois esquisses de Nolde pour mots, car il se pourrait bien qu'il
Beuys, Ueker, Wunderlich dont des tableaux qui ne furent ja- soit le responsable involontaire
l'œuvre ressortit de plus en plus mais peints, on l'y trouve à un de la monotonie du marché alle- Sculpture et acier
à la fabrication, et Bernard très haut degré dans la centaine mand remarquée au Kunstmarkt.
Schultze qui, au contraire, ap- d'œuvres accrochées. En quelques années Ludwig a Un précédent de taille dans le mi-
lieu industriel : à l'occasion d'un
profondit sans cesse sa recher- Parmi les expositions particu- rassemblé la plus prodigieuse Congrès International de sidérurgistes
che. lières, c'est assurément celle de collection de l'art des années 60 à Paris, la Chambre Syndicale de la
La nouveauté, on espère la Rafael Canogar à la Galerie qui soit, exposée en permanence Sidérurgie Française a organisé pour
trouver à côté de la Kunsthalle, Klang qui est la plus satisfai- à Cologne et à Aix-la-Chapelle. huit jours, dans le patio de l'Hôtel
Inter-Continental où se tenait le
sur la place où la ville de Colo- sante. Une dizaine de tableaux Il est le pactole pour les mar- congrès, une exposition de sculptures
gne a dressé une immense tente présentent des silhouettes iso- chands et les artistes dont il en acier. Le cadre, récemment rénové
pour abriter toutes les petites lées ou des scènes de foule aux- trouve chaque matin dans son par l'architecte Olivier Vaudou qui, non
galeries habituellement contes- quelles sont intégrées des mou- courrier des dizaines de lettres sans humour, en a fait un espace
contemporain, se prêtait à ce rassem-
tataires du Kunstmarkt afin lages de bras et de mains ou des l'invitant à venir voir leurs œu- blement d'une exemplaire qualité. L'or-
d'éviter toute manifestation per- vêtements plastifiés qui drama- vres. Comment connaissant ses ganisateur, François Wehrlin, avait vi-
turbatrice. L'atmosphère y est tisent le geste ou l'attitude goûts, ne chercherait-on pas sé un panorama éclectique, où s'In-
assez excitante, c'est vraiment dans un dessein incontestable- alors à le séduire? Dieu merci, tégraient même des œuvres de pein-
tres, tel Vasarely (qui n'étaient d'ail-
la foire, mais c'est la foire aux ment politique avec une force, il semble assez éclairé, même leurs pas parmi les meilleures).
croûtes, aux bijoux de trottoir, une violence contenues tout à s'il commet parfois d'impardon- Davantage, la Chambre Syndicale de
aux gadgets pornos. fait convaincantes. Dans son nables erreurs comme l'immon- la Sidérurgie avait commandé pour la
En ville, l'impression serait sous-sol Klang présente des de Allen Jones d'Aix-Ia-Chapelle, circonstance deux œuvres à van Thie-
nen : un mobile, subtil, aérien, d'une
plus favorable, sans doute parce personnages d'un jeune Alle- A Aix, dans les salles rococo grande intelligence poétique, destiné à
qu'une exposition particulière mand, Siegfried Neuenhausen. de la Neue Galerie, on préparait la pelouse; et, à Claude Viseux, un
établit mieux un contact qu'un L'influence de Segal, de Kienholz une manifestation Wostell avec bar. Pour réaliser ce splendide objet
amoncellement disparate sur les y est manifeste, mais il s'y pylône de ligne haute-tension et qui exprime sa double vocation de
sculpteur et d'architecte, celui-ci 'a eu
trois parois d'un stand. Il n'y a ajoute une cruauté froide qui enclos empli de terre dans la- la libre disposition de moyens techni-
cependant pas de quoi pavoiser fai.t frémir. Il faut dire que le quelle étaient plantées une ving- ques qui ne lui avaient jamais été
et l'on est assez déçu de voir les lieu, le sujet, la mise en scène taine de pelles destinées, j'ima- accessibles : l'expérience est convain-
peintures de Max Ernst pour la accentuent cette impression : gine, à en modifier la surface au cante.
maison d'Eluard à la Galerie un homme torturé, le visage gré des visiteurs. Il y avait N. Blschower.
~
La Quinzaine Littéraire, du 1"' au 15 novembre 1970 17
Les murs de Brassai'
• Cologne
également Ursula dont j'avais épilogue inattendu à l'aventure
vu à Cologne un étonnant por- des graffiti. Brassaï photogra-
trait de Mark Moyens, Ursula phie les murs depuis 1930,
qui exposait sa • pfelz-Haus -, comme en témoignent de vieux
œuvre aussi délirante qu'ambi- numéros du • Minotaure -. Ses
tieuse. Imaginez la tente de La photos de graffiti sont trop
Dame à la Licorne à l'usage de connues pour qu'il soit la peine
la Gloria Swanson de • Sunset d'insister. Brassaï a déchiffré
Boulevard» : au milieu d'un jar- les murs écorchés comme un ré-
din fait de pierres peintes tail- seau de signes, les traces d'une
lées dans la mousse de plastique civilisation, et les aveux d'Un
d'où jaillissent des plumes de inconscient individuel ou collec-
paon, et de têtes de mannequins tif. ft Brassaï est un révélateur
p,eintes et fardées d'or, ornées de microcosmes inconnus dont
à profusion de pacotille, se dres- le temps accumule invisiblement
se une sorte de kiosque rond les vestiges, écrivait Mauriac.
entièrement fait de fourrure et Ainsi la photographie a révélé
surmonté d'un faisan aux ailes sur le Saint Suaire de Turin
déployées. L'intérieur est meu- l'empreinte du Fils de l'Homme.
blé d'une coiffeuse et d'un fau- Ainsi l'empreinte de l'homme
teuil. Tout, naturellement, y est apparaît vaguement sur le sor·
fourrure meubles, lampes, dide mur de Brassaï.»
radio, coffret à bijoux et autres Avec ces photos couleur tout
accessoires; et sur les parois change, Ce sont toujours des
multicolores car Ursula a marié murs, mais il ne s'agit plus d'hu-
la fourrure acryl ique aux peaux manisme. L'important dans la
naturelles les plus diverses : couleur, dit Brassaï, c'est la cou-
vison, guépard, singe etc., àu leur. Tout au plus J'artiste s'est-
milieu d'éclats de miroir dissé- il amusé à suggérer par des ti-
minés, un tableau, pas en four- tres quels dessins évoquent
rure mais un vrai et de la meil- pour lui les écorchures, les
leure veine d'Ursula, • Homma- boursouflures des murs : pas
ge à Beardsley -, ce qui est tout de deux, farandole, vieille Chine,
naturel... Mais tout cela n'est Apocalypse ... Mais ce n'est q'un
pas aussi aimable qu'on pour- jeu, comme de voir des figures
rait le croire, car il s'y glisse dans les nuages. Découpée par
d'innombrables babioles qu'Ur- le regard du photographe, dans
sula dénature d'une manière in- le cadre de son viseur, voici
sidieuse qui est loin d'être tou- en fait une éblouissante galerie
jours confortable et s'il s'agit de tableaux non figuratifs.
bien ici d'un enchantement, c'est Il y a de quoi être pris de ver-
au sens premier du mot qu'il tige et répéter, comme dans une
faut J'entendre. scène fameuse : • Petit pan de
mur jaune, petit pan de mur jau-
Marcel Billot Morceau de mur, par Brassaï. ne. - Seulement ce n"est pas
Bergotte, ici, qui est en danger
de mort. C'est J'art abstrait tout
fIj Il.
Brassaï se fait rare, en France
tout au moins. Plus occupé à
entier. Combien de tableaux
modernes, usant de terre, de sa-

~ M..- faire qu'à se faire valoir, il pho- ble, de goudron, imitent à grand
tographie, sculpte, écrit. New peine le mur, tandis qu'ici le mur
o;;. VW.
Daw
York lui a rendu hommage en
1968, au Museum of Modern
arrive à égaler les plus beaux
tableaux. Bien sûr, si l'art abs-
Art. Mais à Paris, nous n'avions trait n'avait jamais existé, le
• _serit un ahon_t photographe ne le verrait pas
pas vu d'exposition depuis celle
N 0 d'un an 58 F 1 Etranger 70 F de la Bibliothèque Nationale, en sur les vieux murs. Ce n'est pas
~, 0 de six mols 34 F 1 Etranger 40 F 1963. Une nouvelle galerie, ou- la nature qui a inventé l'art. Je
W fè«lement joint par verte par les éditions Rencon- veux simplement diré que, pour
S=s= 0 mandat postal 0 chèque postal tre (1) et qui se destine à J'art peu que nous apprenions à re-
o chèque bancaire de la photo, a eu J'heureuse garder, elle l'imite avec une ha-
idée, pour son inauguration, de bileté stupéfiante. Elle a pour
Renvoyez cette carte. elle le temps, artisan incompa-
j La Quinzaine
nous ramener Brassaï. Un Bras-
saï nouveau, d'ailleurs : le maî-
tre du noir et Llanc, le premier
rablement patient et laborieux,
et aussi, cette fois, J'œil de
~ 43 rue du .~~:~. Paria •.
photographe de la nuit se voue
ici à la couleur.
Brassaï.
Roger Grenier
• • •- ,• • • • • • •c•.•C.,fl• .•15.,.SS.1•.5.3.p.a.ris• • • • • • • •_ Les morceaux de murs qu'il a (1) 40. rue du Cherche-Midi, du
photographiés constituent un 7 octobre au 7 novembre,

18
HISTOIRE

La Ve vue par de Gaulle


« Quelle puisse être l'interprétatwn de ruse. Mais on lui passe tout cela « aux réparations qUt eussent pu
Charles de Gaulle que l'on veuüle donner à tel ou tel et même il en prend plus de relief nous procurer les moyens d'indus-

1 Mémoires d'espoir
T. 1 Le Renouveau (1958-1962)
Plon éd., 314 p.
article, c'est vers de Gaulle en tout
cas que se tournent les Français... »
(p. 284). On y découvre aussi un
tableau familier de la vie à l'Elysée
qui est peut-être la partie la plus
s'il s'en fait des moyens pour réali-
ser de grandes choses ». Une fois
« les grandes choses » réalisées, leur
accomplissement efface rétroactive-
ment les « moyens» et l'œuvre
trialiser notre pays» (p. 173) et il
rappelle enfin les propositions fai·
tes à Staline en 1944 : ramener le
peuple allemand « à la structure
politique qui lui était naturelle »,
« Vous qui aimez la gloire, soi- attachante du livre parce que la seule demeure. Bien plus, il expli- ce qui eût permis « de prélever à
gnez votre tombeau; couchez-vous plus naturelle. Quel dommage que que candidement à Nixon en leurs sources les réparations dont
y bien; tâchez d'y faire bonne figu- le Général n'ait pas renoncé à ne 1960 : « Comme beaucoup de pro- l'Allemagne était redevable»
re, car vous y resterez. » présenter de lui-même qu'un por- fessionnels de la politique et de la (p. 239). Il ne s'agit pas tant de
Chateaubriand trait en majesté! Il ne se départit presse ne conçoivent pas l'action confronter, ces bonnes intentions,
qu'à la fin de sa roideur, faisant publique sans tromperies et renie- que l'on connaissait, à la réconci-
allusion aux attaques qui l'incitent ments, ils ne voient que de la ruse liation avec « mon ami Adenauer» :
Il n'est pas facile de parler briè- à se répéter, comme Octave « Quoi ! dans ma franchise et ma sincérité » le pragmatisme du général de Gaulle
vement du général de Gaulle. Il tu veux qu'mi t'épargne et n'a rien (p. 258). sait tirer un trait sur les occasions
suscite des sentiments vifs et contra- épargné! » (p. 312). Gaston Mon- Ces rapprochements entraînent perdues, on l'a vu pour l'Algérie et
dictoires : admiration et exaspéra- nerville est même pardonné, semble- toutefois des questions. S'il savait il expose aussi pour l'Outre-mer.
tion, dévotion et fureur, dont il faut t-il (p. 292)... vraiment dès le début qu'il « n'y Il s'agit plutôt de la vision histori·
soigneusement dévider l'écheveau que persistante que ces propos dé-
afin de parvenir à se rendre « agaul- voilent au lecteur stupéfait. En
liste» - comme Merleau-Ponty se 1970, témoigner tant de nostalgie
voulait acommuniste. Pareil effort pour les calembredaines de « l'Alle·
de détachement, on le verra plus
Une composition un peu froide parfois, franchement magne paiera»! Et que dire du
loin, est toujours utile quand on lit ennuyeuse, et dépourvue de la verve sarcastique que le reproche fait aux Anglo-Saxons
les Mémoires d'espoir, bien que la Général mettait si volontiers dans ses interventions... concernant « l'arrêt hâtif des
passion ne soit guère excitée par combats qui, le U novembre 1918,
cette composition un peu froide survenait au moment même où nous
parfois, francbement ennuyeuse, et allions triomphalement cueillir les
généralement dépourvue de la verve fruits de la victoire ». (p. 179) ?
sarcastique que le Général mettait Sommes-nous devant des convic-
si volontiers dans ses interventions : Il n'y a pas d'illusion à se faire avait plus d'issue (... ) en dehors du tions de jeunesse, des idées reçues
C'est un monument qu'il élève pour sur la' chance qu'a ce vœu d'être droit de l'Algérie à disposer d'elle- dans le milieu militaire des années
la postérité. entendu pour le prochain volume. même» (p. 150), comment expli- vingt, qui resurgissent au soir de
Le livre souffre de ce caractère Comme t'?us les commentaires qui quer que la guerre ait duré encore la vie ou, plus sérieusement, devant
solennel qui fige l'histoire. Pour ne relèvent pas de l'adhésion incon- près de quatre années? La respon- une sorte de faille que l'âge révèle
tout dire, on éprouve un sentiment ditionnelle, celui-ci ne manifeste-t- sabilité en serait imputable à « l'in- en l'accusant? Entre un univers
un peu fade, de « réchauffé» après il pas « l'aigreur, la critique et la certitude collégiale » et aux « ambi- anachronique, peuplé de Gaulois,
les Mémoires de guerre et après les ratiocination» de la « coalition tions rivales des dirigeants du de Germains, d'Ibères et de Lusita-
allocutions et conférences de presse hostüe des amitiés et des stylogra- F.L.N.» (p. U8) qui n'ont pas niens, où la France accomplit « les
de la décennie écoulée; l'espoir, phes »? On aurait pourtant bien compris qu'ils auraient dû déposer gestes de Dieu », et l'extraordinaire
précisément, n'est plus là pour en- aimé connaître les cheminements de les armes comme l'appel de la intuition des courants contempo-
lever l'auteur, ni l'événement pour sa pensée, mais la présentation qu'il « paix des braves» les y invitait dès rains si souvent constatée, le
inspirer à l'orateur ces bonheurs en donne exclut le doute et l'indéci- l'automne de 1958 et que le reste contraste constitue l'un des mystè.
d'expression qui rendait inimitable sion. D'emblée, il avait vu juste, et (c'est-à-dire les conditions qu'ils res gaulliens. Loin d'en livrer la
un style d'autre part si visiblement si les événements n'ont pas répondu finirent par arracher au général) clé, les Mémoires d'espoir l'obscur-
emprunté aux grands modèles. Il plus vite, ou mieux, à la clairvoyan- leur aurait été donné par surcroît... cissent encore.
lui arrive même de commettre un ce de son dessein, la faute en in- La reconstruction de l'histoire « Sur la pente que gravit la
solécisme : « J'ai convenu avec combe aux autres. Ainsi de l'Algé- surprend par son impavidité, mais
René Coty des détails de la transi- France, ma mission est toujours de
rie. Quand il prononce, le 4 juin elle n'est pas nouvelle. Déjà le la guider vers le haut, tandis que
tion » (p. 32) (l). 1958, le fameux « je vous ai com- 13 mai, qualifié de « sursaut natio- toutes les voies d'en bas l'appellent
pris », il jette à la foule « les mots nal » sur le moment devait se trans- sans cesse à redescendre. » La for-
Le fonctionnement apparemment spontanés dans la former en « entreprise d'usurpa-
du régime mule, qui -termine le Renouveau,
forme, mais au fond bien calculés, tion» quatre ans plus tard; les évoque irrésistiblement celle des
Dix-sept mois après son départ, dont je veux qu'elle s'enthousiasme dénégations répétées du livre (pp. Mémoires d'Outre-Tombe « le
Charles de Gaulle livre donc l'in- sans qu'ils m'emportent plus loin 21 et 27 notamment) visent simple- voulais, moi, occuper les Français
terprétation authentique (c'est-à- que je n'ai résolu d'aller ». On en ment à exorciser, une fois pour tou- à la gloire, les attacher en haut »,
dire par l'auteur lui-même) de ses conviendra volontiers, mais le tes, le « péché originel» de la mais Chateaubriand ajoutait: « es-
actes. Disons tout de suite qu'il est « Yive l'Algérie française! » de Mos- ye République. Plus étranges sont sayer de les mener à la réalité par
un point qui ne provoquera ni sur- taganem? Il signifie simplement les pages sur l'Allemagne et la poli- les songes... » Et si le général de
prise ni controverse : ce sont les que « le jour viendra où la majo- tique étrangère. Gaulle s'était, en fin de compte,
pages sur le fonctionnement du ré- rité d'entre eux (les Algériens) Au passif de la IYe République persuadé de la réalité des songes'?
gime. Elles confirment pour l'essen- pourra choisir le destin de toUS» (et des « Anglo-Saxons »), le Géné-
tiel ce que l'on savait déjà, illus- (p. 53). On saisit ici le procédé qui ral retient la réunification des trois Pierre Avra
trant en particulier cette autorité illustre l'affirmation du Fil de zones d'occupation en 1949 et
personnelle que j'avais proposé, l'Epée : « l'homme d'action ne se l'abandon de la Sarre (p. 14), puis
dans le Régime politique de la ye conçoit pas sans une forte dose il remonte vingt-cinq ans en arrière (l) Signalons à la même page u~e
inexactitude de détail : Jean Berthom
République, d'appeler le Principat: d'égoïsme, d'orgueü, de dureté et pour déplorer qu'on ait renoncé n'était pas député mais sénateur.

La Quinzaine Littéraire, du 1"' au 15 novembre 1970 19


"Sociétés et révolutions
Jean Baechler nu entièrement déterminé par ses mais l'élite, le peuple et la canaille:

1 w phénamènes révolutionnaires
Coll. «Le sociologue »
P.U.F., 260 p.
propres exigences» (p. 17); dans
le même temps, aucun sous-système
n'a vocation à déterminer l'ensem-
ble du système social auquel il
appartient.
Les précisions fournies sur le conte-
nu de chacun de ces termes éclai-
reront, je pense, ceux qu'un tel
vocabulaire pourrait indisposer (ou
réjouir prl.maturément). Ils n'ont
Sur un sujet aussi rebattu que 4. Le dernier niveau est celui des en tout caS llUcun caractère norma-
brûlant, il semblait difficile de faire « cas », autrement dit « l'étude des tif. L'élite regroupe tous ceux qui
œuvre tant soit peu originale. La événements, que nous définissons s'approprient « une proportion plus
mrprise est donc totale, en lisant ces comme des réalisations de possi- grande» (p. 194) des biens rares,
260 pages sur les phénomènes révo- bles» (p. 19). mais aussi - sont-ce les mêmes ?
lutionnaires, de découvrir une pen- C'est ce schéma que J. Baechler - ceux qui « dans une activité
sée rigoureuse, exigeaq,te envers va appliquer à son objet, qu'il en- déterminée, se révèlent les plus
elle-même, et formulée au surplus tend dans un sens large «(
toute aptes» (p.143). Le peuple se parta-
dans un langage d'une clarté assez contestation de l'ordre qui fait in- ge ce qui reste des biens rares, et la
rare de nos jours. tervenir la violence physique d'un canaille le li: Lumpen-Proletariat »
Les esprits méfiants soucieux de côté et/ou de l'autre» - p. 43), de Marx, comprend ceux qui sont
cataloguer n'auront pas ici la tâche beaucoup plus large donc que les rejetés à la périphérie du système
facile. Que Jean Baechler soit histo- révolutions stricto sensu. Partant social. Quant aux groupes sociaux,
rien mais se réclame des sciences en effet de ce qu'il appelle p. 58 il alimentent dans des proportions
sociales risqUe de les laisser indiffé- « l'essence du phénomène révolu- variables les trois « acteurs» ci-
rents car en France, les controverses tiOnnaire, à savoir une lutte à dessus.
méthodologiques entre histoire et mort pour le pouvoir », il propose Jean Baechler est bien conscient
sociologie sont à peu près inexistan- tation; d'autre part, la rareté du "de retenir au niveau 2 trois grands que toute tentative d'analyse systé-
tes; qu'il s'avoue peu convaincu pouvoir, des richesses et du prestige, types : les marginalités, passives matique se heurte à ce qu'il appelle
de la rentabilité scientifique de inégalement répartis entre les mem- (suicides, crimes, maladies menta- les « problèmes de devenir », ou si
certaines hypothèses du marxisme bres d'une collectivité. Au premier les) ou actives (guerres paysannes, l'on préfère l'intégration des chan-
fera davantage tiquer, mais une facteur correspond l'exigence de serviles, etc.) qui ne visent guère le gements qui se manifestent sous
lecture attentive du texte montre liberté, au second, celle d'égalité. Et pouvoir; les contre-sociétés soit forme de l'apparition de types nor-
qu'ici l'adage « qui n'est pas avec c'est lorsque l'ordre social concret d'évasion, soit agressives (sectes, maux ou de modifications dans le
est contre» ne s'applique point (et par lequel s'incarne cet arbitraire et "brigandage, mafias, millénarismes), poids relatif des variables explica-
d'ailleurs Baechler a consacré son cette rareté n'est pas accepté que qui visent le pouvoir Il mais sans tives. Il répond à cela deux choses.
précédent livre, paru chez A. Colin, les phénomènes révolutionnaires possibilité objective de l'emporter »; D'al>ord que l'on peut essayer de
à une élucidation de la politique viennent à l'existence. enfin les révolutions proprement constituer une science particulière
de Trotsky); le parti adopté par L'auteur a pris la peine d'expli- dites où le pouvoir est visé et effec- axée sur les phénomènes de muta-
l'auteur de n'étudier les phénomè- quer en tête du livre la démarche tivement conquis, et qui fait l'objet tion (pp. 30-31), comportant elle
nes révolutionnaires que par réfé- qu'il a suivie pour étudier ces d'une typologie particulière - voir aussi les quatre niveaux précités.
rence à l'ordre social qu'ils nient le phénomènes, démarche suffisam- notamment le tableau très suggestif Ensuite que toute démarche scien-
fera peut-être classer parmi les ment générale au demeurant pour des pp. 154 - 155, qui croise cinq tifique ne peut manquer de s'inter-
"structures-fonctionnalistes, ce qui s'appliquer à n'importe quel objet catégories de révolutions et neuf roger sur les changements suscepti-
aux yeux de certains n'est pas un d'investigation. Elle se déroule en (1 descripteurs » diversement combi. bles d'intervenir dans son champ
compliment (1), mais l'accusé pour- quatre étapes ou plus exactement nés dans chacune d'elles. d'investigation. L'auteur s'y est
ra répondre à juste titre que loin sur quatre niveaux, qui sont : Si l'on passe au niveau des corré- essayé pour sa part en conclusion,
de vouloir démontrer que les « bons 1. La recherche des caractères lations fondamentales, on nOlera - en esquissant une « prospective »
systèmes sociaux se reconnaissent à communs à tous les objets étudiés au risque de simplifier grossière- des phénomènes révolutionnaires où
ce que leurs régulations homéostati- (par exemple la « racine » des révo- ment un raisonnement fort subtil il prévoit une tendance à la multi-
ques les préservent» de toute per- lutions, la logique de leur dynami- - que chez J. Baechler il se dessine plication des types 1 et 3 dans les
turbation sérieuse, il se borne à que, et des fonctions qu'elles rem- une sorte de hiérarchie des varia- régîmes politiques monopolistes,
énoncer que l'on ne saurait com- plissent). bles explicatives dans laquelle les tandis que les contre-sociétés se·
prendre une institution quelconque, 2. La recherche des différences, variables économiques se trouvent raient plutôt la marque des régimes
ou l'essence d'une société, « tant qui se traduit par la construction dans une position assez mineure (les pluralistes.
que l'on n'a pas détecté et analysé d'une typologie des phénomènes arguments fournis à l'appui sont Bien sûr, cela se discute, comme
ce qui les nie » (p. 85). révolutionnaires, pour déboucher d'ailleurs convaincants), et que les" on dit. Mais grâce au livre de J.
ensuite, dans les cas les plus favora- variables primordiales semblent être Baechler, la discussion pourra se
bles (la linguistique par exemple), d'ordre politique (2) - celles qui mener d'une manière plus ordon·
Deux traits permanents sur une systématique et une combi- ont trait au pouvoir - et éthique - née, plus honnête et plus fructueu-
natoire. terme qui s'applique aux comporte- se que s'il n'avait pas existé. On
Bien plus : il ressort de ce livre 3. L'étude des corrélations fon- ments faisant intervenir des juge- souhaiterait pouvoir écrire cela plus
qu'aucun système social n'est damentales, c'est·à·dire la quête des ments de valeur ou découlant d'une souvent.
exempt de phénomènes révolution- variables explicatives (politiques, décision arbitraire. Bernard Cazes
naires, car au cœur de tout système économiques, sociales et éthiques) Quant aux variables sociales, (1) Voir par exemple le compte rendu
concevable il y a deux traits perma- qui rendent compte de l'existence c'est-à-dire au rôle des groupes que Thomas Bottomore a consacré au
nents générateurs de conduites de des différents types dégagés au sociaux dans la détermination des politicologue américain Lipset dans le
N-Y Review of Books du l~r octobre
refus : d'une part, L'arbitraire des niveau 2, travail accompli en par- phénomènes révolutionnaires, elles dernier.
institutions et des valeurs, en vertu tant d'une double hypothèse: cha- jouent par le biais d'une tripartition (2) Le poids des variables politiques
pourrait tenir au fait qu'elles intervien-
duquel chaque société ne représente que ordre de phénomènes est mar- distinguant, non point comme chez nent à la fois du côté de l'arbitraire des
qu'un possible parmi d'autres, et qué par ce qui se passe dans d'autres Dumézil ceux qui prient, ceux qui conventions régissant la vie en société,
et de la contrainte de ra..eté, celle qui
prête de ce fait le flanc à la contes· sous-systèmes et Il n'a pas de conte- combattent et ceux qui travaillent, regarde la distribution du pouvoir.

20
ETHNOLOGIE

Les Blancs en accusation


Robert J aulin Or cette unité est fausse: l'Occi-
La Paix blanche dent et la pensée européenne ne pré-

1 Introd. à l'ethnocide
Coll. « Comhats »
Le Seuil éd., 424 p.
sentent point cette unité ahstraite,
toute dominée qu'elle est encore par
des instances qui correspondent à
des régions mal connues ou simple-
ment cachées à son regard actuel.
«Je me souviens de deux Le mélange des cultures dont l'Occi-
Africains qui, en 1955, étaient dent se croit l'heureux résultat n'est
venus au Musée de l'Homme, qu'un bouillon de cultures encore
protester contre l'ethnologie. agissantes. Si bien que le regard
Ils ne toléraient point qu'on porté sur l'autre risque fort d'être
les prît comme objets de faussé par ce simple fait que Feth-
science : ils se sentaient dés- nographe est déjà, sans le dire ou
humanisés. Leur colère, ain- sans le savoir, autre par rapport à
si traduite, m'avait surpris D. lui-même : comment prétendrait-il
A cette époque, Robert Jau- observer objectivement alors qu'il
lin apprend le métier dont il n'a point lui-même réglé les contra-
partage évidemment les va- dictions ou les déchirements qui
leurs et les préjugés. Il n'a Robert laulin sur «le 'terrain ». composent sa réalité vivante?
découvert encore ni les popu- Il ne lui reste donc qu'une issue
lations du Tchad (1) ni les même. Or, cette objectivité est prendrait-elle ce désintéressement? - celle de feindre la réconciliation
Indiens Bari de Perija aux cc liée à la non-insertion de l'ethno- Là nous trouvons les pages les pour assurer l'intégration, s'enfer-
'confins colombo-vénézuél iens. logue à la société indigène, elle plus fortes et les plus neuves du mer dans un « scientisme» pour
« ne consiste qu'en une insertion livre de Robert J aulin, si riche par dominer et réduire, postuler une
négative pour cette société, celle qui ailleurs : la civilisation blanche- inégalité de développement pour dis-
exprime la négation culturelle européenne-capitaliste ou socialiste tribuer les sociétés diverses suivant
TI s'étonne : l'anthropologie pa- commise par notre civilisation face moderne se donne pour objective et une ligne .unique dont l'origine se
raît sûre d'elle-même, délivrée des à tout autre. » cc libérée» parce qu'elle postule perd dans la « sauvagerie » et l'is-
illusions de sa jeunesse (Levy-BruW) Négation inaperçue par le savant, sans le dire sa propre supériorité. sue dans « notre civilisation» -
ou de ses rêveries littéraires (attri- impensée même et d'autant plus D'où lui vient cette supériorité? fût-elle dédaignée par l'obsérvateur.
buées à Griaule). Elle se constitue malsaine ou dangereuse qu'elle reste De ce qu'elle estime avoir dominé, En fait, Robert Jaulin esquisse
en science positive. L'œuvre de masquée : ne renvoie-t-elle pas à concilié et ramené à l'unité les di- ici un renversement (une révolution,
Claude Levi-Strauss est là, massive, une volonté informulée d'intégra- verses tendances à partir desquelles si l'on veut!) analogue à celui
suhtile, envahissante. Qui a résisté tion et de possession des cc autres » elle s'est constituee au cours du qu'accomplit la nouvelle physique
au structuralisme des années 50- par notre culture, de réduction de la temps. au début du siècle : pas plus que la ~
60 ? (2). complexité cc en soi » à mi système
Puis, Robert Jaulin découvre ce admis sans discussion comme cc nor-
mal » - pour ne pas dire cc natu-
LALIBRAIRIEHACHETTE ETCLAUPETCHOU
qu'on appelle cc le terrain », la vie
au milieu d'hommes de culture et rel» !
de rationalité différentes, rencontre
la toujours cachée mais vivante
Ici se situe le long débat et la
longue observation de Robert J au-
Présentent:
LBS USUBLS
revendication à l'existence que mas- lin. Les pages que la Paix blanche
quent les rites, les c( systèmes de consacre à la vie quotidienne des
, •• volume
croyance », les diverses relations Indiens Bari sont d'une force indis-
traduisibles en signes mathémati- cutahle, et cela d'autant plus que nouveau
ques, voire traductibles en langage l'auteur ne tente pas de ramener
d'informatique. les aspects multiples de la vie des dictionnaire
villages où il vit à un cc modèle » :
Chez les Indiens Bari des marges
amazoniennes, Indiens en proie aux chercher à redistribuer la variété de
de
la vie apparente et masquée dans la
missionnaires, aux « savants » venus
des pays industriels « avancés »,
aux aventuriers de tout poil, Robert
trame du langage, notre langage,
n'est pas chose simple.
citations francaises

par PierreOster
Jaulin au cours de longs séjours Du moins, à travers cette analyse,
16000 citations du XI· au XX· siècle
découvrira autre chose : que l'an- Robert Jaulin découvre-t-il que la
thropologie masquait un piège. Plus vie collective des Indiens (comme
précisément, et le sachant ou non, celle des Mricains de la Mort Sara)
2· volume
il parcourt le cheminement critique mérite plus qu'une observation ou
qui, au siècle dernier, avait conduit même une connaissance européenne, nouveau
Nietzsche à la contestation radicale que l'ethnologue ne peut, sans trahir
de la philosophie occidentale. ceux dont il partage la vie, devenir dictionnaire
Et d'abord s'agissant de l'objecti- la sentinelle avancée du monde des
vité... Objectivité armaturée d'ob- occidental.
servations multiples, de constats
partiels, de mesures, d'analyse sé-
mantique. Objectivité sûre de soi,
L'ethnologie, entre l'évangélisa-
tion des missionnaires et l'évangéli-
sation des trafiquants; se donne
difficultés du francais

par Jean-Paul Colin
comme la « raison » de l'époque des pour ce qu'elle n'est pas, une
toua Iss secrets d'J bon UIlllQS
« lumières» pouvait l'être d'elle- connaissance désintéressée.' D'où

La 0UInzalne Uttéraire, du 1" au 15 novembre 1970 21


COLLECTIONS

~ "autin

lumière ne peut servir de milieu cain, aujourd'hui très· connu, étu· Cercle du Bibliophile nement à la collection de poche Gar-
homogène puisqu'il faut tenir comp- diait les « cultures » de ces peuples nier-Flammarion. Certains titres, déjà
publiés, bénéficieront de cette nou-
te de sa vitesse ~t de ses variations, misérables. Survient l'invasion japo- • Les grandes heures de l'histoire- velle présentation. Parmi les premiers
notre connaissance scientifique ne naise qui prive les Alliés du caout· est le titre d'une nouvelle collection volume.s annoncés : les Fleurs du mal,
peut constituer un point de réfé- chouc de Malaisie. " du Cercle du Bibliophile : des histo- Eugénie Grandet, le Rouge et le noir,
rence pour analyser l'autre :" la Fort de la connaissance qu'il a riens, des biographes nous y présente- Madame Bovary, l'Odyssée. Les livres
ront une série de témoignages directs seront vendus au prix de 10 F.
diversité des sociétés humaines. prise des paysans misérables du sur tel ou tel épisode de l'histoire
« La civilisation occidentale », Nord-Est, l'ethnologue leur parle, universelle qu'ils s'attacheront à faire
écrit Robert Jaulin en conclusion de les fanatise, les exalte. TI les entraî- revivre, quelle que soit leur optique
son livre « réunit des SQciétés origi- " ne dans une immense croisade à particulière, selon les méthodes des P.-J. Oswald
naires d'horizons bien distincts, et grands reportages contemporains. Pre-
travers le désert et la forêt vers les miers titres : la Révolution russe, par François-Noël Simoneau dirige, aux
ces lignes d'horizon ne sont jamais anciennes plantation$ de caoutchouc Richard Kohn; l'Expédition d'Alger éditions Pierre-Jean Oswald, une nou-
absolument détruites mais plutôt tombées en désuétude voici cin- 1830, par Henri Noguères; le Collier velle série consacrée à • La poésie
occultées, lors même qu'elles inter- quante ans et que la guerre réani- de la Reine, par France Mosslker; les des pays scandinaves - et qui sera
viennent dans des définitions sans Cent jours, par Emmanuelle Hubert. constituée d'anthologies et d'œuvres
me. Longue marche soutenue par la Chez le même éditeur, où l'on annon- parmi les plus marquantes d'une litté-
cesse nouvelles que l'Historicité de passion ethnologique du nouveau ce une réédition en 10 volumes des rature encore mal connue en France.
cette civilisation élabore ~). Texte prophète. A l'arrivée, sur deux mil· Œuvres de Gustave Flaubert, préfacées Le premier titre, Et maintenant, nous
capital - et qui remet en question liers d'hommes, il en survit à peu par Maurice Nadeau, nous sera propo- permettra de découvrir Goran Sonnevi,
l'idée d'une histoire unique (sur sée une collection des chefs-d'œuvre qui est le chef de file de la nouvelle
près une centaine. de Romain Rolland, qui comprendra poésie suédoise contestataire.
laquelle vivent également complices Image extrême, sans doute, mais 21 volumes abondamment illustrés et
'"Capitalistes et communistes) et celle comhien symbolique. Ailleurs, sans précédés d'une introduction générale
"d'une distrihution hiérarchisée des le vouloir et sans le chercher, l'an- due à Jean Guéhénno, auxquels vien-
dront s'ajouter les 6 tomes du Journal
Chez Laffont
sociétés. thropologue se fait l'instrument
des années de guerre 1914-1919, pré- Deux nouveaux titres dans la collec-
Idée dangereuse aussi (1). Ne d'une pénétration et d'une assimi- facé par Louis-Martin Chauffier. tion • L'écart -, inaugurée récemment
met-elle pas en cause l'ensemhle lation là où il devrait aider des dif- chez Robert Laffont avec la Deuxième
des'sciences de 'l'homme? Certes, férences à s'affirmer - fût-ce personne, de Jean Bouvier-Cavoret
Robert Jaulin n'est pas tendre lors· contre lui-même. Le grand intérêt ·(voir le n° 103 de .La Quinzaine-) et
qu'il analyse les « mœurs universi- du livre de Robert Jaulin est de dont la vocation,. rappelons-le, est
taires» dont il montre la mesqui- nous rappeler que le rapport de Chez Seghers strictement littéraire : l'Ile mouvante,
premier roman d'Alain Gauzelin qui
nerie et dont il dénonce les intérêts l'observateur et de l'observé est une Deux nouvel·les collections, ce mois- nous plonge dans l'univers onirique
composés (en ce sens, cela ne va relation de domination, que la réa· ci, aux éditions Seghers; sous le titre d'un enfant fasciné par une femme au
guère mieux en sociologie, on peut lité vivante de l'ethnologie serait des. Maîtres modernes -, la première, point de chercher à s'identifier entiè-
dirigée par Jean-François Revel, se pro- rement à elle; la Femme éparpillée,
s'en assurer tous les jours!) Mais d'aider les sociétés examinées ou par Laudryc, qui, dans ce nouveau ro-
pose de présenter, sous un éclairag~
ce n'est pas seulement la vie des rencontrées à affronter leurs pro- qui n'aura rien de conventionnel, les man, met en scène une femme de
laboratoires qui est menacée, c'est pres mutations, à s'imposer à hommes qui, par leur pensée, leur notre temps dont il se plaît à nous
le principe d'une connaissance qui elles-mêmes, même par la violence œuvre ou leur action, contribuent de révéler l'intimité la plus secrète.
remplace la différence par le sys- qui est la marque de leur dynamis. façon profonde à façonner l'esprit de
notre temps. Premiers titres : Mar-
tème, la structure, l'appareil de me. Eliminons ici tout souci politi- cuse. par A. Mac Intyre, une ét.u~e Garnier
signes. que : derrière la réflexion de Robert très critique; Lévi-Strauss, par
Les règles que nous décelons chez Jaulin apparaît une sorte de guéva- E. Leach, monographie sur un Jmaître Dans la collection • L'évolution de
les autres ne sont·elles pas les pro- risme scientifique : pulsion qui de la pensée moderne par l'un de ses l'humanité - d'Albin Michel, où la
adversaires; Frantz Fanon, par David réimpression prochaine de deux titres
jections suhlimées ou désespérées de n'est. point étrangère à la science Caute. récemment parus : la Cité grecque,
nos conflits insurmontés? Ne puisqu'il s'agit d'aider des sociétés La deuxième collection annoncée par G. Glotz et la Société féodale, par
~onduirait-elle pas à" contester vio- vivantes à exister non plus comme chez Seghers et dont le titre n'a pas Marc Bloch, doit être saluée comme
lemment aussi la tentative aujour- objet de contemplation ou de discus- encore été fixé; sera inaugurée par un beau succès commercial, compte
une étude de Marc Saporta sur le ro- tenu de la difficulté d'accès des ou-
d'hui" générale (comme le fut le sion scientifique, mais comme agent man américain : Histoire du roman vrages et de leur tirage initial qui est
structuralisme des années 50) pour dynamique de création collective. américain. de 35000 exemplaires, on annonce la
réduire l'existence au langage, à En ce sens, le livre de Jaulin est parution de deux volumes inédits
la linguistique, à la sémiologie? Le comparable à l'Histoire de la folie consacrés à l'histoire de Byzance : la
fOl:malisme contemporain n'est-il Civilisation byzantine et les Institu-
de Michel Foucault: le fou comme tions de l'Empire byzantin, :par Louis
pas, lui aussi, une tentative « néo- le sauvage ne sont-ils pas le résidu Chez Albin Michel Bréhier.
coloniale », mais dirigée contre no- des fantasmes d'une civilisation Deux nouveaux titres également
tre propre réalité ? européenne, souffrant d'elle-même • Les critiques de notre temps. est dans la collection • Cités d'art - du
Or, l'important est de traiter la le titre d'une nouvelle collection de même éditeur, avec Cités de l'Inde
et des autres ? mongole, illustré par de tr-ès belles
Garnier présentant des textes criti-
différence pour elle-même, d'admet- lean Duvignaud ques significatifs, consacrés à des photographies de W. Swaan ainsi que
tre cette différence en dépit de la (1) La Mort Sara (<< Terre humai· auteurs célèbres. Elle sera inaugurée de reproductions de miniatures et
complaisante· et confortable idée qui ne »), Plon. ces jours-ci par trois premiers ouvra- d'objets d'art disséminés dans des col-
nous assure que l'humanité est uni- époque, Faut·il
(2) rappeler qu'à cette ges : Claudel, qui regroupe des textes lections européennes ou américaines,
et tout à fait seul, G. Gurvitch de Claude Roy, Ionesco, Pierre Emma- et Cités flamandes, par William Gaunt.
verselle : différents sont les sauva- reprochait au concept de structure nuel, et de nombreuses critiques sur Enfin, dans la collection • L'art dans
ges et différentes entre elles les d'immobiliser les sociétés observées l'œuvre de l'écrivain, avec une pré- le monde -, paraît un ouvrage de Da-
dans une figure figée, réductible" à niel Schlumberger où, tenant compte
sociétés et les types qu'ils représen- l'idée que l'observateur se faisait de sentation d'André Blanc; Malraux, pré-
. tent. l'histoire - et de l'avenir? senté par Pol Gaillard et commenté des progrès les plus récents des fouil-
(3) Nous savons ce qu'il en coûte par André Breton, Trotsky, Gaëtan Pi- les archéologiques, l'auteur s'est ef-
On relate encore aujourd'hui d'avancer de telles suggestions pour con, Pompidou, Sartre, etc.; Camus, forcé de comprendre quel a été le
dans le Nord-Est brésilien, dans l'avoir fait dans un sens très voisin, recueil de textes critiques de Nathalie destin de l'art grec au-delà des fron-
l'Etat de Céara, l'aventure survenue sinon dans les mêmes termes, voici
dix ans dans Pour entrer dans le XX·
Sarraute, Robbe-Grillet, Sartre, Bar- tières de l'empire romain, c'est-à-dire
thes, etc., présentés par Jacqueline en Syrie, en Mésopotamie, dans l'Iran,
à des paysans pauvres de cette siècle (Grasset). Comme le disait déjà dans l'Inde : l'Orient hellénisé - L'Art
Levi-Valenski.
. _région .d\ll'ant la dernière guerre. Nietzsche, l'Université et la science Signalons d'autre part qu'une nou- grec et ses héritiers dans l'Asie non
sont les institutions les plus intolé-
Alor.!! jeune, un ethnologue améri- rantes. velle série reliée va s'ajouter prochai- méditerranéenne.

22
CIN~IIA

Un Dracula travailliste
Une messe pour Dracula comme on le VOit, la rencontre surpre-

l (Taste the blood of Dracula)


Film anglais, 1970, de Peter Sasdy,
avec Christopher Lee
(Le Triomphe, v. o.)

La forêt originelle - celle qui ouvre


nante de l'horreur et du commerce,
Peter Sasdy s'est assuré à bon compte
une certaine originalité; laissant alors
de côté les hypothèses de travail dra-
culéennes, ou horrifiques, il se livre,
complaisamment et plaisamment, à une
description critique de la bourgeoisie
le film et qui s'ouvre pour le film, et puritaine anglaise: on sort de l'église
qui est aussi "espace-matériau dési- en famille, on rentre éans une maison
gnant une primitivité du monde, un cossue, on consigne sa fille dans sa
Urwelt - ne montre pas beaucoup ses chambre parce qu'elle a parlé à un
feuil'Iages; les troncs noirs, épelés garçon, on est sévère, autoritaire, cha-
comme des notes, traversent panora- .ritable - mais, derrière la mission de
miquement l'écran pour donner forme charité où des misérables se restau-
à quelque lointain inquiétant. La calè- rent, se tient un boréel de luxe où le
che noire venue d'ailleurs arrive jus- bourgeois-type, M. Hargood et ses deux
qu'ici, jusqu'à nous, pour nous • met- compères se livrent à tous les plai-
tre dedans -, puis s'éloigne et se perd sirs: strip-tease d'une danseuse enve-
dans les profondeurs obscures - dans loppée d'un serpent phallique, prosti-
LA profondeur, spatiale ou psychique, tuée adolescente chevauchant l'honora-
c'est tout un, que son mouvement, par ble bourgeois, champagne versé par
son inscription entre les cylindres un homosexuel enfariné... La lubricité
noirs et silencieux des fûts, figure. ira jusqu'au satanisme : on paie mille
Ainsi, deux objets (la forêt, la calè- guinées pour obtenir du commerçant
che) ou plutôt deux formes combinées les dépouilles de Dracula et recevoir,
(un espace, un mouvement) nous diri- du Prince des Ténèbres ainsi acheté,
gent, d'emblée, en quelques plans sté- de nouvelles et plus affolantes sensa-
réotypés, vers le mythe, vers le fan- tions. Mais les bourgeois, couards, re-
tasme. culent devant le geste ultime : goûter
Mais comme il faut, dans tout film au sang de Dracula (tel est le titre an-
de série, introduire de nécessaires glais) ; dans une chapel·le en ruines,
variations, le réalisateur d'Une messe un jeune lord ruiné, qui a servi d'inter-
pour Dracula, Peter Sasdy, joue à nous médiaire pour les tractations, reconsti-
• dérouter, : la route de la calèche se tué et absorbé le sang draculéen,
perd définitivement dans l'ail·leurs, em- s'écroule, dévoré du dedans par "ef-
portant un père menaçant et son fils froyable liqueur; trompés sur la mar-
idiot; et surtout, au lieu des person- chandise et en même temps terrori-
nages traditionnels, maléfiques ou char- sés, les bourgeois s'acharnent sur lui
mants, c'est un voyageur de commerce, à coups de bottes et coups de canne et
gras, transpirant, mastiquant et loquace le tuent.
qui occupe l'écran; et lui qui cherche Troisième partie : retour de Dracula,
à écouler sa petite camelote, c'est vengeance de Dracula. Le réalisateur,
devant une sacrée • marchandise - sociologue moralisateur, convoque Dra-
qu'il va bientôt se trouver, après avoir cula pour punir les méchants bour-
été éjecté de la calèche. Cette première geois. Convocation, et non invocation :
• fausse entrée, est en effet suivie invoquer eût été laisser libre jeu à la
d'une seconde, qui est, à sa manière, dynamique du fantasme, régler dis- ment du mythe, ressasse ment du fan- ble si l'on peut dire, l'image horrifique
une • sortie, : sortie d'un précédent crètement le déroulement des • chaî- tasme, que le film d'horreur offre avec perd de sa force d'impact; et les ré-
film d'horreur, le Dracula et les fem· nes signifiantes', faire résonner les une rare évidence. sonances mythiques (les ténèbres, le
mes, de Freddie Francis, dont la der- sortilèges du mythe. Peter Sasdy est D'où vient que les objets draculéens démon, la résurrection, etc.) s'affai-
nière séquence est reprise ici, sous trop raisonneur, trop préoccupé de (cape, anneau, plaque, sang) ne par- blissent pour laisser apparaître, en fili-
les yeux exorbités du commerçant : vraisemblance, de narrativité, de réa- viennent pas à composer ici une grande grane, quelque chose comme une idéo-
traqué par les croix du Christ, Dracula lisme; là où s'imposaient des climats forme fantasmatique - s'il est vrai logie travailliste (les riches, tyranni-
tombe d'une église en ruines et s'em- horrifiques, la palpitante alternance que la figure de Dracula renvoie à ques et méchants et finalement punis)
pale dans une énorme croix dressée des apparitions-disparitions, des pré- l'angoisse de castration (cf. Freud, « le rehaussée d'un cerne luthérien (riches-
parmi des rochers; il se vide de son sences-absences, il offre des gestes Fétichisme '), au motif de la mère se = lubricité = satanisme).
sang - il se vide, littéralement simplement horribles, trop explicites, archaïque • mauvaise, (Dracula enve- Tel est le pouvoir du fantasme qu'il
(comme l'inconscient, le film d'horreur, sagement disposés sur la ligne uni- loppe ses victimes et les. vide -), à perce néanmoins à travers ces mora-
et c'est une des racines de l'horreur, voque du récit et non pas éclatés dans l'intrication ténébreuse d'Eros et de lités et ces calculs, et provoque quel-
prend tout à ·Ia lettre), il n'en reste l'espace polyvalent du fantasme: Alice Thanatos, etc. ? Film commercial, c'est- ques excès significatifs : le sang dé-
rien (Dracula, c'est précisément le tue son père (qui voulait voluptueuse- à-dire fabriqué pour répondre à une moniaque, filmé en très gros plan, ne
Rien comme fonction, comme forme ment la fouetter) d'un coup de crava- demande précise et contraignante du déborde pas seulement des verres, il
opérante), rien sinon son enveloppe, che au visage; Lucy tue son père à marché, le film de Peter Sasdy présen- déborde du Cidre réaliste de l'écran,
l'immense cape noire doublée de rou- coups de pieu ; Jérémie tue son père te ce remarquable avantage d'inscrire il vient, dans la nausée, solliciter l'in-
ge, des breloques, son anneau et sa d'un coup de poignard. A chaque fois, en lui-même, comme • en abyme " sa conscient; et surtout, dans les premiè-
plaque, c'est-à-dire son nom, et enfin Dracula surgit pour compter les points: propre commercialité; de même que res images, le sang de Dracula qui
ce matériau de choix pour toute re- et d'un, et de deux, et de trois. Le le film' en tant qu'objet fini intitulé coule, puis se fige, puis grandit dans
constitution fantasmatique, une mou- Prince des Ténèbres transformé en jus- Une Messe pour Dracula est vendu un long travelling avant pour devenir
ture impalpable de sang, du Dracula· ticier calculateur! On comprend qu'il aux spectateurs, de même, dans le un grandiose paysage qui se minéra-
en-poudre. Chacune de ces dépouilles y mette peu de conviction; et Chris- film, le personnage Dracula en tant que lise, rappelle que l'une des vocations
vise à ·nommer ce rien, à désigner topher Lee, inamovible détenteur du sujet est vendu à des consommateurs; principales du cinéma, assumée avec
l'être de Dracula comme un manque rôle, parvient sans se forcer à faire ce Dracula 1970 se voit dès lors mar- franchise par le film d'horreur, n'est
essentiel; la cape repliée nomme l'ab- passer ce manque de conviction - ré- qué d'une espèce de style mercantile pas de s'essouffler après une illusion
serice du corps, l'anneau l'absence du servant ses meilleurs effets pour la ou • consommatoire. assez piquant : de réalité, mais bien de • déréaliser "
doigt-sexe, ,la plaque l'absence de séquence finale où Dracula, à nouveau le commerçant surmonte son horreur de saper et de subvertir les principes
l'identité qui assure la permanence traqué, assiégé par les croix, gravit pour emporter les pièces de Dracula de réalité qui fondent notre saisie du
substantielle de tout être, et le' sàng . son • chemin de croix, jusqu'au vi- en prévision d'une future vente; et au monde - fonction de subversion que
minéralisé, véritable perte matériali- trail où une croix de verre le brûle et cours de la reconstitution emphatique la culture hégémonique désamorce
sée, nomme l'absence du sang biolo- l'anéantit : chute, écrasement, décom- du sang, dans la chapelle, 'les trois avec succès en traitant l'horreur par
gique, de cette matière qui se retrouve position; Dracula redevenu néant, mou- bourgeois, sagement alignés le verre à le discrédit, le mépris, ou ,le rica-
incessamment dans sa propre circula- ture de sang, la boucle est bouclée, et la main, espèrent fermement en avoir nement.
tion et qui fait la Vie. l'amorce esquissée pour une prochaine pour leur argent... Traitée ainsi sur un
En provoquant, assez laborieusement, boucle, un prochain film : ressasse- mode opératoire, pragmatique, compta- Roger Dadoun

La Quinzaine Littéraire, du 1 er au 15 novembre 1970 23


99
"ice
par Louis Seguin
, de Kralller
provoquer l'inquiétude. Et la morale

1
Robert Kramer Il est arrivé que lce soit apprécié
Un rêve d'insurrection décalque sur la permanence du style comme une critique du • révolutiona-
Racine. sa propre continuité. S'il est normal risme., ou tout au moins comme un
d'évoquer encore John Huston ce n'est tremplin intelligemment préparé pour
pas seulement eu égard à la présence le développement de cette critique, et
Ice appartient d'abord, et c'est un d'un même pessimisme relatif (Kramer admiré en tant que tel..On joue pour
aspect qui surprend en un film qui veut termine son film sur une note d'espé- cela sur les scrupules même du film,
être marginal par les circonstances de rance assez problématique) mais parce en • devinant. une énumération de
sa fabrication comme par les voies de que, dans l'œuvre de l'Irlandais, se velléités dans ce qui n'est qu'un souci
sa diffusion, à la tradition la plus habi- succèdent coup sur coup We were d'énumérer des possibles. Bien que
tuelle. Cette aventure d'un groupe de strangers et Asphalt Jungle. les insur- Kramer ait dit : • Nous commençons
révolutionnaires qui exécutent le pré- gés de Ice sont les nouveaux étran- à voir qui et ce que nous sommes.,
lude de leur insurrection est contée gers de la jungle urbaine. on lui fait gloire de refuser ce début
selon les recettes les mieux éprouvées de reconnaissance. Il devient alors
du film noir. la construction du scéna- Certaine faveur critique rencontrée possible de s'en tenir aux plus super-
rio, rigoureuse et ternaire, est des par le film de Kramer s'explique ficielles explications psychanalytiques
plus classiques. les insurgés fomen- d'abord par cette familiarité. Pour et d'identifier la castration de l'un des
tent .leurs plans, les exécutent et se l'amateur de Daves, Hawks, Huston, héros, joué par le metteur en scène
replient en trois moments de durées Siegel. Hathaway et autres - je mêle . lui-même, avec une mise en question
presque égales. le décor est le champ à dessein des talents très divers - la de l'aventurisme.
clos de l'Asphalt Jungle, la forêt urbai- vision de Ice est une plongée dans un
ne des immeubles fantômes et des monde connu et apprécié. Et cette
rues luisantes, des ponts et des aéro- reconnaissance doit être inscrite à Ce commentaire hâtif rappelle les
ports, où mûrit la sauvagerie des son avantage. Il s'agit certes d'un hom- gloses les plus bourgeoises du mou-
affrontements. leur pittoresque n'est mage mythologique mais on ne saurait vement de mai et jusqu'à cet article
pas seulement aussi éprouvé qu'ingé- le condamner au nom de ce recours. peintre use du glacis et avive la cou- de Minute, voici quelques mois, où
nieusement recréé, il renvoie aux mê- l'usage réfléchi du mythe peut relever leur aux dépens de la touche. l'on assurait que Fidel avait été châ-
mes anciens principes des pionniers. du souci de se faire entendre et non tré par la police de Batista et que cette
la ville cruelle et corrompue est pas d'une mystification idéaliste. diminution physique, prétexte en outre
confrontée à l'innocence de la nature. l'idéologie, et c'est le point le plus à un calembour subtil, expliquait la
la retraite champêtre, dans la pureté important, est, elle aussi, volontaire- férocité et l'imbécillité de sa révolu-
de la neige, qui, à la fin du film, est ment occultée. Passé l'affirmation
l'un des thèmes dominants s'éloigne
Une fable politique d'une lutte violente nécessaire contre
tion. Cette interprétation malhonnête
pèche par son caractère partiel. Kra-
peu, pour n'en rester qu'au cinéma et l'Etat, affirmation étayée de quelques mer, en effet, non seulement condam-
sans remonter à Thoreau, des conclu- péroraisons et inscriptions dont les ne le vaincu pitoyable qu'il incarne et
sions de Murnau, dans L'Aurore,' ou Car Ice est une fable politique et sentences, plus morales que politiques, anéantit mais complète sa propre cri-
bien de Huston même si Kramer, son récit veut avoir une force démons- sont d'ailleurs l'aspect directement tique en introduisant non seulement
comme I·e second, prenant du recul trative, sinon pédagogique. Il fait assis- militant du film, la stratégie de l'insur- des héros plus positifs mais un autre
devant la vieille tentation, montre que ter à la préparation, l'exécution et à rection apparaît, dans lce, comme un personnage qui, en se perdant à la
le refuge est peu sûr, semé de mena- la conclusion provisoire d'une • offen- curieux mélange de foco, de blanquls- fin dans le désespoir de sa propre
ces diffuses et pièges anesthésiants. sive régionale., d'une insurrection ré- me et de bakouninisme, une sorte de analyse, assigne des limites à toute
la distribution suit les règles ~u volutionnaire dont la portée est volon- Journal de Bolivie rêvé et fort peu critique possible de l'entreprise dé-
système. Elle s'organise autour de tairement limitée.' Projetée dans un marxiste. Le remarquer n'est pas oppo- crite. lce veut être un film sur la
trois héros principaux à qui sont attri- avenir • à peine. fictif, elle est un ser à une utopie de l'insurrection une nécessité pressante, immédiate, de
bués des rôles sans surprise. Il y a essai de porter, aux Etats-Unis, la lutte méthode, disons plus léniniste, ou plus l'action et d'une action insurrection·
le héros d'hier, le héros d'aujourd'hui révolutionnaire à un niveau plus élevé. maoïste, mais bien lui rendre sa colo- nelle, par-delà l'attentat individualiste
et le héros de demain, dont sont dé- Elle veut être l'équivalent yankee de ration de pur projet. lce est une hypo- de son précédent film On the Edge.
crits l'abandon, l'aventure et le mûris- l'attaque cubaine de la Moncada. Ce thèse, non une expérience, et ne veut
sement, mais il y a aussi les compar- discours politique recherche à la fois pas être plus, mais à partir de cette
ses soigneusement étiquetés et clas- la précision et la souplesse, la rigidité résolution première, et de la constata-
sés, dont l'abondance et la diversité et la ,fluidité. le cadre historique est tion d'insuffisance qui en découle La nécessité d'un choix
complètent et compliquent ce que délimité avec soin : les Etats-Unis, nécessairement, Kramer a cherché à
l'élaboration primitive peut avoir escaladant un nouvel échelon de l'im- mettre le plus possible d'atouts dans
de trop linéaire. Apparaissent donc périalisme, sont entrés en guerre avec son jeu. A aucun moment il ne s'adon- l'un des propos du film est de
les séides, les confidents, les mar- le Mexique. Le lieu et la technique de ne aux joies tentantes d'un aventurisme pousser à bout ses divers protagonis-
ginaux, les témoins, les victimes l'action : occuper des groupes d'im- du récit. Cette multiplicité des per- tes, de les acculer jusqu'à ce qu'ils
et les lâches, toutes les silhouettes meubles et s'y livrer à un travail de sonnages secondaires, qui étaye le trio apprennent, de la bouche même de
qui, depuis longtemps, sont à l'arrière· sabotage et d'agitation, sont, eux aussi, central des héros, est un aspect de la Nécessité, à quel bord Ils appar-
plan la substance même du • cinéma minutieusement retracés. A partir de cette prudence. Chacun représente une tiennent. lce est, encore, un film moral
américain •. là Kramer ombre son trait. Car ce jeu possibilité d'action ou de réaction, parce qu'II insiste sans jamais se las-
classique et reconnaissable qu'il s'est positives ou négatives, devant le projet ser sur la nécessité du choix. Il faut,
distribué, il cherche dans un second ou l'événement. Une jeune fille nom- répète-t-II, abandonner le jeu, ce jeu
le style, lui-aussi, renvoie à la tradi- temps à le brouiller, pour en rendre mée Linda incarnera, par exemple, les même auquel Il participe et qu'il décrit
tion. le vocabulaire, sans doute, a l'usage moins facile, moins évident. Il faiblesses de ce que l'auteur nomme en même temps sans complaisance,
changé mais la fonction demeure. voile les portraits de ses héros et la • fausse conscience., abandonnant, dans cette scène par exemple où les
l'élégance impersonnelle des grands estompe les lignes de l'action et freine peut·être trahissant, ses camarades personnages discutent et bavardent
chefs opérateurs des années quarante du même coup les identifications et tout en énumérant les raisons du • il de façon ouvertement théâtrale, à la
et cinquante, leur photographie grise les repérages trop aisés. Les masses, faut bien vivre. ordinaire. Les contacts limite de la parodie. La morale, une
et glacée, les cadrages distants de la auxquelles seul le dialogue, et quel- avec l'extérieur se gardent, pour les fois encore, rejoint la polUique puis-
mise en scène, ont cédé la place à un ques personnages épisodiques, font mêmes raisons, de tout enthousiasme. que, loin d'être une mimique de l'aven-
langage plus direct, où l'appareil est allusion, ne forment, Armée de libéra- . Au cours de leur investissement, les turisme, elle se donne comme un plai-
tenu à la main, où l'on traque les per- tion Noire ou classe ouvrière, qu'un Insurgés ne découvrent qu'un agglomé- doyer pour la pratique et pour la pra-
sonnages pour les abandonner avec un arrière-plan brumeux. L'ennemi lui- rat passif, manifestement peu ouvert tique la plus violente, par-delà le
même arbitraire apparent et où il est même, la Security Police, mi-police à l'information comme à la provocation. désespoir et la peur. L'aube qui se
joué sur l'âpreté même de l'imperfec- politique mi-groupe d'extrême droite, Cette indifférence, ou ailleurs la peur, lève, au dénouement, n'est pas le
tion. Mais l'effet, donner au specta- est environné d'un certain mystère, lorsque des parents affolés et igno- signe d'un espoir facile, mais elle n'est
teur un semblant de réel, une vérité encore que l'on puisse facilement bles veulent se débarrasser de leur pas non plus si désespérée que d'au-
Immédiate, presque tactile, du récit, l'identifier comme un composé de fille blessée qui pourrait les compro-' cuns pourraient, ou voudraient, le
reste le même. Seules les règles de Minutemen et de' C.lA. Mais dans cet mettre, sont le refus de projeter dans croire. Elle .est l'indice d'une lucidité
l'illusion ont changé en s'adaptant. le effort même de dissimulation, Kramer l'avenir un optimisme mystificateur. qui veut faire équilibre au rêve.
dynamitage de la chaufferie d'un im- utilise encore une tradition formelle Ce pessimisme méthodique, hustonien
meuble est, aujourd'hui comme hier la plus qu'il ne la combat. Il ne polit les justement, est conséquence normale,
fracture d'un coffre-fort, conté avec une aspérités du pittoresque et des péri- lucide, du caractère fondamentalement Si finement ciselée soit-elle, la
minutie tatillonne, avec un semblable péties que pour forcer l'accès à un hypothétique de lce, qui, par ailleurs, médaille n'en a pas moins son revers.
souci de ménager l'attention et de discours plus essentiel, comme un semble avoir été fort mal compris. Hypothèse d'une in~urrection et invi-

24
THflATRE

Witkiewicz
par Adolf Rudnicki

tation à l'action, lee laisse après lui De nouveau, je m'en suis me là Witkiewicz est impuissant.
d'autres regrets que les repentirs convaincu : la force de Wit- Il ne sait pas, il ne peut pas fai-
méthodiques fournis par sa propre
réflexion. Car, au-<lelè de l'exaltation kiewicz est sa langue, le jargon re certaines choses, il ne peut
facile, et qu'il rejette, d'un public d'un élève enfermé dans sa pas s'écarter de sa stylistique
intellectuel, c'est sa nécessité politi- chambre, répondant à coups de particulière si caractéristique.
que qui, en fin de compte, pose un citations d'une lecture riche, Le théâtre de Witkiewicz est
problème. La prospective, comme on
dit, si sincère et scrupuleuse soit-elle,
bien que d'un volume réduit, ap- bien le théâtre de Witkiewicz.
est, en l'occurrence, d'un maniement plicables à quelques problèmes D'un dramaturge raté. D'un
fort dangereux. Il ne semble pas que définis, faciles à cerner, qui peintre raté. D'un philosophe
Kramer ait été suffisamment conscient l'empêchent de vivre et dont il raté. Toutefois qui ne ressemble
du risque inhér~nt à sa méthode.
s'est enivré. à personne d'autre et qui est
Qu'a-t-i1 voulu faire? Proposer un
manuel idéologique et pratique de l'in-
Qui sont: 1 - L'Etre. Pourquoi, . grand dans son infirmité.
surrection? Qu bien, dans une suppo- pour quelles raisons vivons- D'ordinaire, je suis le premier
sition plus favorable, clarifier par le nous? La rareté de telles ques- à rire à son théâtre. Il m'est un
filtre de la fiction des données trou- tions dans notre littérature sur- jour venu à l'esprit que Boy, le
bles et confuses ? L'un et l'autre pro-
pos paraissent également discutables.
prend. Il y a là vraisemblable- critique chagrin, devait être
La fiction en effet ne peut manquer ment une conséquence de la pré- vraisemblablement aussi le pre·
d'inviter à une dangereuse abstraction. carité permanente de l'Etat, de mier à rire. Mais j'appartiens
Kramer a bien insisté sur la proximité notre indépendance, de mal- également à ceux dont le rire
nécessaire de la vérification expéri- passe le plus vite. Dans un
mentale, mais cette proximité qu'il
heurs nationaux incessants qui,
veut infinie, jusqu'au point ou l'hyper- paraissant plus brûlants, mas- compte rendu, un autre critique,
bole rejoint l'asymptote, il la donne, quent tous les autres (pour être Irzykowski reproche à Witki~­
du même mouvement, comme indéfi- juste, nous n'avons pas non plus wicz de s'amuser à bon compte.
nie. Les remarques que, dans la revue un seul vrai roman d'amour, ni Dans les années vingt, on pou-
Que faire?, Dennis Berger alignait à
propos du livre de Neuberg, l'Insurrec- un. seul personnage de femme vait le déchiffrer de la sorte,
tion armée (n° 3, p. 61), on peut les « modèle -). 2 - Le catastrophis- bien que ce ne soit pas là la
adresser au film de Kramer, ·et les me; il renforce l'actualité de preuve d'une oreille par trop mu-
aggraver. Trop appliqué, l'exorciste l'écrivain; c'est aujourd'hui seu- (<< il ne savait pas vivre -). Au sicale, au contraire; il fallait
supprime l'exorcisé et, du même coup,
il devient possible de lui faire, en par- lement que nous avons compris fond, c'est toujours le théâtre être et très sourd et très sûr de
tie, grief, des interprétations douteu- ce qu'était la menace d'une ex- d'un seul et même homme qui soi - sourd et sûr de soi
ses de son film, si injustes soient-elles. termination totale. 3 - Le sexe; ne réussit jamais à se libérer de comme on ne peut l'être que
La pesée et la défense d'une pratique bonnes femmes, femmelons, fe- soi, ne serait-ce que le bref ins- face à ses contemporains -
future, faossement tenues pour une
négation de cette pratique, s'y font à melliums, mégamatres payant de tant qu'il faudrait pour voir le pour ne pas entendre dans les
coup sûr cette fois aux dépens de la fausse monnaie, emprisonnant monde autrement que de son re- textes de Witkiewicz quelque
pratique présente. Sa rêverie minu- les victimes qu'elles chassent gard intérieur particulier. chose de très surprenant et
tieuse, si scrupuleuse soit-elle, n'en en enfer, de véritables «pieu- Il se donne toujours pleine- qu'aucune analyse ne saisit.
arrive pas seulement à s'étouffer sous
le poids des précautions oratoires. vres -; Witkiewicz est chez ment. Qu'il ne puisse se permet- Il n'y a pas là de tournure
Elle prend le pas sur l'analyse de nous le seul auteur ayant senti tre de s'éloigner de lui-même bien policée, fignolée autour
l'aujourd'hui. la force et l'odeur du sexe; il d'un pas, cela se voit précisé- d'une bonne table (chose que
En refusant, par une pudeur aussi n'y a rien en lui du maître d'éco- ment dans sa langue. Indépen- Witkiewicz m'a dite un jour à
estimable que l'on voudra, de donner le jouant des coudes, non seule- damment de la personne qui par- propos de Conrad), mais on en-
corps dans son film à la lutte de
masse, l'auteur finit par en résoudre ment dans la critique, un domai- Ie, de ce qu'elle dit, du temps et tend le son d'une authentique
la réalité tactique. Insidieusement, in- ne que l'on pourrait après tout du lieu, nous entendons presque folie. Aujourd'hui, cela ne fait
volontairement, une substitution s'opè- abandonner aux pourceaux, ce toujours la même chose. Il est plus aucun doute : son flair de-
re. A l'heure où la lutte s'organise qui serait tout de même un mal- de ceux qui doivent élever cha- vait percevoir des odeurs aux-
d'abord, aux Etats-Unis, autour de
l'exploitation et de la révolte noires, heur, mais aussi dans les lettres. que affaire jusqu'à un rythme quelles les autres étaient insen-
il fait un film blanc, même s'il parle à 4 - L'art et le génie. déterminé, une « kacha -, une ri- sibles. Dans la folie qu'il attri-
l'occasion et avec toute la sincérité tournelle qui seule satisfait buait si généreusement à ses
souhaitable, des frères d'une Armée l'oreille. Tous, chez lui, slmt sou- personnages, sa propre folie se
de Libération Noire, extrapolation du Trop de préoccupations
mis à ce rythme, à cette mélo- mêlait à la folie du monde, sortie
Black Panther Party et de la League à la fois die. Les personnages morts de- à l'évidence aujourd'hui seule-
of the Revolutionary Black Workers.
La rupture avec l'équipe de Newsreel, puis longtemps et qui remontent ment.
qui participa au film et par ailleurs Ces quatre problèmes sont en scène pour leur costume, la Ce n'était pas une folie imagi-
s'occupe de cinéma militant • ici et
maintenant. n'a sans doute pas d'au-
toujours mêlés pour une même couleur, parlent comme les née, comme le jugeaient ses
tres raisons. Le cinéma, dans lee, appa- bouillie que l'on retrouve dans autres. contemporains, plats dans leur
raît à plusieurs reprises dans le ciné- chacune ou presque des répli- lucldité, sinon il n'aurait pas
ma. Des actions y sont filmées. On y ques de chaque personnage. usé du poison dans cette petite
monte, discute et montre des films Grand dans son
Malgré cela, ce n'est pas pour ville frontière, ce matin de sep-
destinés à l'agitation. Qr il est symp-
autant un théâtre de problèmes
infirmité tembre 1939. Il lui semblait que
tomatique qu'au dénouement, tandis
que l'on tire quelques leçons éparses qui n'apparaissent jamais à l'état la catastrophe qu'il avait prophé-
et cependant que les slogans du film pur. Cet écrivain, rêvant de la Même lorsque la langue de- tisée était survenue et il sortit
se durcissent et s'abstraient de plus à sa rencontre. Il était prêt à
en plus, s'éloignant du combat prati-
pureté, de la Forme Pure, n'a ja- vient une question d'être ou de
que, soit intégralement montrée et mais grandi jusqu'à elle; il en non-être, comme dans le cas de l'accueillir. Il s'avéra que ce
commentée une toute nouvelle tenta- est la négation. Il ne présente Jean Mathieu Charles Lenragé, n'étaient pas des trucs de style.
tive de ce cinéma, parfaitement bavar- non plus jamais de drame, et un paysan parvenu à la Présiden- Et c'est maintenant que l'on en-
de, esthétisante et confuse. L'une des même ne comprend pas bien ce tend le couinement des rats qui
moindres originalités de lee n'est pas
ce de la République qui ne peut
de renouer, par ce biais imprévu, avec que c'est; il est écartelé par se libérer de la couleur de son l'avaient poursuivi toute sa vie,
le cinéma de Jean-Luc Godard. trop de préoccupations à la fois langage; ce qu'il reconnaît, mê- jusqu'à l'atteindre enfin.

La Quinzaine Uttéraire, du l or au lS novembre 1979 25


Lettres
Avec le premier article de blié cette réponse de Bourgea- zaine son ridicule pamphlet a existe des impostures « scienti-
Pierre Bourgeade : Littérature 70 de. Aurions-nous dû censurer osé affirmer que les linguistes fiques ., ici. Et là-bas comme ici,
(la Quinzaine n° 100), nous pen- Bourgeade, ou lui fermer la bou- tchèques ou soviétiques étaient, il existe des Bourgeade pour
sions ouvrir une intéressante che? Ces habitudes, d'un cer- contre les écrivains et les poè- jouer le rôle traditionnel des
discussion sur l'état de la litté- tain journalisme, ne sont pas les tes, du côté des policiers. C'est calomniateurs et des délateurs.
rature aujourd'hui. Tel Quel, visé nôtres. Et puisque Jean Pierre
dans cet article, nous a fait Faye était lui aussi pris à partie surtout ce dernier point qui m'a-
tenir une réponse que, .naturel- par Bourgeade, va pour la ré- mène à lui répondre finalement. Que tout nous sépare de Tel
lement, nous avons publié inté- ponse de Jean Pierre Faye. Que M. Bourgeade ignore tout Quel - à quoi Bourgeade feint
gralement. Cela dit, nous pensions fai- de la grande amitié inventive qui de nous amalgamer, et qui vient
re profiter nos lecteurs d'une liait poètes et linguistes juste- encore d'aboyer à nos talons de
C'était le droit de Pierre Bour- discussion, non d'un règlement façon burlesque, dans la presse
geade de répondre à son tour de comptes. Puisqu'il paraît im- ment - Khlebnikov, Maïakovski,
et Jakobson, Brik, Polivanov, à suisse ... - c'est fort clair pour
aux attaques dont il était l'objet possible de s'expliquer sans qui n'est pas aveugle. Quand on
de la part de Tel Quel. Nous avoir recours d'un côté comme Petrograd; Nezval, Seifert, et
Jakobson encore, et Teige, à Pra- sait comment, de Samarcande,
avons publié également sa ré- de l'autre, à l'attaque ad homi-
ponse. Mais où les choses se nem, nous déclarons, pour ce gue - qu'il choisisse d'ignorer Polivanov écrivait à ses amis du
gâtent, c'est quand les amis de qui nous concerne, le débat clos. tout cela, c'est son affaire. Que Cercle de Prague les messages
Tel Quel (à preuve la lettre ci- Nous le reprendrons, sur d':m- Polivanov, grand linguiste et chiffrés d'un appel au secours -
dessous de François Wahl à l'un tres bases, et peut-être d'aut~es révolutionnaire, fondateur de messages que la Gestapo allait
des directeurs de la Quinzaine) interlocuteurs, quand l'occasioll saisir plus tard au domicile de
l'Union des Ouvriers Chinois, ait
nous morigènent pour avoir pu- sera plus favorable. Roman Jakobson - on ne se
été fusillé au cours de la répres-
sion stalinienne, Bourgeade pou- sent aucun appétit pour les peti-
vait l'ignorer - du moins avant tes tentatives actuelles de ceux
la parution de CHANGE 3 préci- qui voudraient redonner à Jdanov
Une lettre de Paule Thévenin sément. S'il n'a même pas ouvert et à Staline une certaine «ac-
ceptabilité., toute parisienne.
ce numéro, qu'il se taise à son
sujet. au niveau de la mode littéraire.
Mon cher Maurice, fréquents et approximatifs. L'étude à
partir du Retour d'Artaud, le mômo,
Rendre à la critique de Marx sa
S'il l'avait ne serait-ce que force entière est tout autre
Dans la réponse de M. Bourgeade à qui a été publiée dans Tel Quel est
Philippe Sollers, parue dans le dernier le résultat d'un travail de vingt an- feuilleté, il aurait lu dès la pa- chose.
numéro de La Quinzaine littéraire, par- nées sur les textes d'Antonin Artaud. ge 5, que ce volume est un hom-
mi des allégations fantaisistes dont le Que l'on ne soit pas d'accord sur mage à Prague. Et cela, qui fut Et si nous venons de traduire
saugrenu suffit à dénoncer l'irréalité, l'approche de lecture que j'ai tentée, publié en Août 69, prend un sens
je relève, concernant Tel Quel, ceci : je puis l'admettre, mais qu'à son pro- dans CHANGE 6 un admirable
• On utilise les dépouilles d'Artaud-. pos on puisse écrire la phrase que
précis à l'heure où les linguistes texte de Polivanov, ce n'est pas
Il ne peut d'évidence s'agir de la j'ai relevée dans la réponse de de Prague, survivants ou disci- simplement pour honorer une
Parole soufflée, par Jacques Derrida, M. Bourgeade, et employer, s'agissant ples du Cercle et lointains des- victime des répressions. C'est
ni de la Pènsée émet des signes, par d'Antonin Artaud, un terme aussi mal- cendants du Cercle de Moscou,
Philippe Sollers, parus il y a cinq ans venu que ·celui de • dépouilles -, cela, parce que la théorie de la poé-
sont destitués, privés de leur sie y est aussi rigoureuse que
déjà, devenus textes de référence et non. J'ai produit au jour un certain
cités, d'ailleurs, dans les colonnes travail, c'est tout. A ce compte, on enseignement et de leur salaire, neuve. A un moment où la mode
mêmes de la Quinzaine Littéraire. Seu- pourrait dire que, dans S/l, Roland jetés à la rue. Ce scandale de- s'est emparée de la « théorie • ;
le, donc, ma récente collaboration à Barthes. utilise les dépouilles de Bal- vrait mobiliser la gauche révo-
Tel Que/-peut. être visée. zac -.
où les littérateurs de tout genre
lutionnaire et marxiste, tout en- en imitent de façon moliéresque
Vous savez, pour avoir été il y a Quant à • l'utilisation - du nom d'An-
plus de vingt ans l'un des premiers tonin Artaud, du concept de théâtre tière, ici. les tics et les jargons sans le
à défendre l'œuvre d'Antonin Artaud, total ou de théâtre de la cruauté à Bourgeade (tout comme ceux moins du monde en soupçonner
le prix que j'y attache. Vous savez propos de quelque repr~sentation que
aussi qu'il ne peut m'être reproché de ce soit, à Paris ou à l'étranger, d'au-
à qui il fait mine de s'opposer) les enjeux, les méthodes et la
publier à tort ou à travers des ren- tres s'en chargent. ignore ou feint d'ignorer que la fondamentale probité, il est for-
gaines de souvenirs ou des travaux Paule Thévenin. lutte pour la pensée libérée se tifiant de reprendre appui sur ce
poursuit sur tous les plans. Pen- qui a eu lieu à Petrograd dans les
dant l'ère stalinienne, l'impos- années vingt, à Prague dans les
ture de Nicolas Marr en linguis- années trente, et qui demeure
Réponse de Fay.e à Bourgeade tique comme celle de Lyssenko
en biologie ont fait régner la.
pour nous contemporain. Le fol-
'Pore culturel de Paris en vit
répression et la régression dans depuis dix ans sans le dire, sans
M. Bourgeade n'arrête plus il n'est pas regardant sur l'idéo- leurs domaines propres. Réglant même le savoir, et voici déjà
d'être occupé à chatouiller logie. Dans le Figaro il injuriait les questions de la science à qu'il commence (voir certains
l'avant-garde. Marx, dans la Quinzaine il le re- coups de dénonciations idéologi- articles risibles, et délateurs, de
Pour nous qui nous soucions vendique. Dans le Figaro il assu- ques. La science soviétique s'est la revue «Cinéthique.) à re-
bien peu de cette étiquette su- rait à son public que le numéro 3 frayé un chemiil difficile et grand prendre à son compte, par pur
rannée et militaire, nous n'avons de CHANGE i sur le Cercle de à travers la délation et la calom- bluff. les dénonciations jdano-
pas mis de hâte à répondre à Prague était tout simplement nie - et aussi appuyée par des viennes qui visaient alors la
ses continuelles polémiques. l'apologie des blindés du maré- solidarités courageuses. Mais grande et géniale constellation
Celles-là, il les place où il peut: chal Gretchko... Dans la Quin- ce n'est pas son privilège : il russo-tchèque.

26
à la Quinzaine
Quant à nous - nous, collee- titudes basses de la calomnie ment publiés. elle rIsque de glisser damentalement, sur la question de sa-
tif CHANGE - notre projet pro- personnelle: au style Action ver s un scepticisme hautement voir si, oui ou non, les pensées de
condamnable, etc. Enfin, ., chacun de Georges Bataille et d'André Breton
pre est tout autre, mais on ne le Française. ceux qui se sont séparés de Marx ou sont,' à la base, antagonistes : ques-
résumera pas ici pour les be- Nous rions des catéchismes de Freud., renoncent Ipso facto ., à tion théorique à laquelle, malgré l'agi·
soins de Bour~ade. Nous n'a- pseudo-théoriques, ou para- toute rigueur ". On pourrait répondre tation qu'elle provoque, nous donnons,
vons pas comme d'autres, un scientifiques, comme des can- que tous ceux qui ne se sont pas la réponse : oui. Pour ma part, j'ai
suffisamment rapprochés de Tocque- écrit (Tel Quel 42), et je répète,
gadget à célébrer: plus tard on cans de café. Nous pensons tous
vll/e ou de Wittgenstein.... mais à • qu'aucune a u t 0 rit é intellectuelle
verra l'espace que nous aurons-- que l'invention, dans la science, quoi bon? En Invoquant ainsi des noms n'égalait. à mes yeux celle de Ba--
dessiné et jalonné. Mais nous se fait à de tout autres niveaux. augustes. on arriverait à un magnifique taille. Il me semble que cette formu-
avons en commun d'être tout Comme le risque de la poésie. ;eu de société. à la façon du fameux lation est claire.
particulièrement méfiants à Pour finir, Bourgeade, inquiet, questionnaire de Marcel Proust. Je J'ajoute que le style. plaintif. n'est
trouve que ce type d'argumentation pas mon genre, pas plus que la re-
l'égard d'un certain mixage en- couvre Sollers de fleurs. Et n'est pas sérieux. cherche des • bonnes grâces. de qui
tre le «style artiste - et la nous formons un vœu : que F. E. que ce soit, étant saris dieu et sans
« théorie -. Et aussi, à l'égard Pierre Bourgeade, à force d'en maîtres. Si je' proteste à nouveau,
d'un certain renouveau des avoJr le désir, entre à Tel Quel c'est contre une campagne de presse
qui tend obstinément, et sans fonde-
écritures arrogantes à la Mon- et qu'il y soit heureux. Une lettre' ments, à présenter Tel Quel ou moi·
therlant, dans le genre Bourgers- même comme • staliniens. ou • jda-
ou Sollade. Du retour aux pla- Jean Pierre Faye de. Philippe Sollers noviens.. Cette calomnie, à laquelle
nous répondrons tou;ours avec netteté,
comporte son envers projectif et mé-
Le 19 octobre 1970 caniquement diffamatoire, chez cer-
C'est en vain que Marguerite Bon- tains : celle, proprement ignoble, de
net, dans son article sur Alain Jouffroy • fascisme.. Rien ne justifie contre
U ne lettre de François Wahl: paru dans le dernier numéro de la
Quinzaine, .prête à Tel Quel - au
nous ce vocabulaire, ni dans nos actes,
ni dans nos écrits. Et' l'on peut se
contraire de notre pratique qui consis- demander quelle est la fonction de
Lorsqu'on collabore à un journal, on que Marx ou Freud aient toujours,
te à poser et à maintenir dialectique- diversion idéologique de telles accu-
doit d'abord se demander s'il n'a rien dans chacune de leurs proférations,
ment des contradictions - l'intention sations répétées, mensongères, au mo-
publié dont on ait à se désolidariser fait le choix que le savoir reconnaî-
saugrenue de • sauver Aragon' d'un ment où la répression policière s'ac-
absolument. C'est une étrange aven- trait COmme définitif; mais il est sai-
rapprochement compromettant.. L'es- centue dangereusement dans notre
ture de vous avoir fait confiance, à sissant que chacun de ceux qui se
sentiel de la polémique entamée contre pays.
Maurice Nadeau et à vous, à la nais- sont séparés de Marx ou de Freud
.-.' sance-ue --L-a- -'Quinzaine~--et-de"-' se"·-~ait.- aU'iTlême"lnstantr -renoncé à-toute IJOIll.l...PM....I.lw.f.f,oy .pQC1e....en effet.JOJl~. Philippe Sol/ers.
trouver aujourd'hui avoir publié en rigueur. Il est déjà assez clair que
ce lieu où paraît le dernier texte de c est le même processus, exactement,
Bourgeade. Car de cela vous êtes
comptable à tous. ceux, iecteurs et
qui se répète pour Lacan. Sollers a
bien de la chance (c'est-à-dIre qu'il la
,QUE DEVIENT LA LITTERA TURE?
collaborateurs, qui ont travaillé avec mérite bien) : tout semble indiquer que dans
vous. Pardonnez-moi de vous le dire, ses ennemis sans exception ne peu-
mais être directeur de journal, cela
se mérite aussi.
vent le combattre· sans commencer
de finir de penser.
"LA SECONDE MORT DE JEAN PAULHAN'"
Raciste à sa façon, fasciste dans Tant pis. par
sa procédure imagière, produit typique François Wahl.
d'un ressentiment de cancre contre un André DALMAS
(1) Là-dessus, Il y aurait beaucoup Il dire de
travail où il enrage de .n'avoir pas sa l'évolution de • La Quinzaine. dans son ensem-
place, ordurier de bout en bout (et ble, Il commencer par ce numéro où s'étale un
Le Clézio dont Maurice Nadeau est bien le
c'est bien le seul Intérêt de ce mor-
ceau que de faire revenir dans le
seul Il dire qu'II n',alt jamais déçu. pendant
qu'on parle, comme en passant, et d'un effleu-
rement vague d'Hélène Clxous et de Guyotat.
LE NOUVEAU
réel ce que l'écriture, et celle d'abord
de Sollers, ne peut, comme telle, que
contourner) : ce serait déjà assez
pour engager la responsabilité de qui
le,publie.
Mals il y a beaucoup plus grave, à
Réponse de F. Erval
Cette lettre a été adressée à mol
CO-MMERCE'
Cahier 17 vl~nt de paraitr.e! '
longue échéance : car ce qui se joue par François Wahl. Je voudrais donc
à travers tous ces textes de Bour- a;outer quelques remarques person-
geade, à La Quinzaine et ailleurs, c'est nelles. et un texte redoutable
le refus de la discipline du théorique, Je ne partage pas la ma;eure partie
c'est-à-dire de la science là ou elle des options littéraires ou politiques de
est possible et de la rigueur partout. Pierre Bourgeade. mals 1/ m'a semblé LE MANUEL DES INQUISITEURS
En ce point, à cette marque, s'effec- que son article dans le numéro 100 -
tue le partage radical sur quoi nous précédé d'all/eurs d'un ., chapeau. de
de Nicolas EYMERIC
devons tous nous compter. J'attendais la rédaction - permettait une discus-
de vous que vous n'y trébuchiez sion qui ne devait pas dévier néces-
pas (1). sairement vers des attaques person- Les œuvres complètes de Rpger Munier, Viviane Forrester,
Pour finir, et si vous alléguez de nelles. Denis Roche, Louise Herlin, Jean Ricardou et Pierre Pachet ,
quelque scepticisme (à quoi quiconque Pour revenir à la lettre. ;e m'étonne
fait profession d'efforts intellectuels de son ton ml-eommlnatolre, mi-apoca-
n'a aucun droit), je ferai seulement lyptique. ., La Quinzaine Littéraire.
cette remarque qui ne laisse pas de
En vente ...... tou~. lit' bonnes librairies, 'e cahier: 15 F
n'est pas méritante si elle ne partage
me stupéfier quant au devenir, sim- pas toutes les opinions de François ABONNEMENTS: Nouveau Quartier latin, 78,- bel St-M1chel, Parl~
plement, du débat : il n'est pas sOr Wahl sur quelques romans récem·

La Quinzaine Uttéraire, du ]"r au 15 novembre 1970


21·
Livres publiés du 5 au 20 oct.
Julliard, 304 p., 20,90 F Julliard, 256 p., 19 F ' des • Années-Lula ~ Joffre, l'impératice Franz VVeyergans
L'aventure d'une dizaine Par l'auteur de (voir les nO' 36 et 59 Eugénie, etc. On dira, cet hiver...
ROMANS d'hommes dans le • La Sensitive ". de la Quinzaine) . Julliard, 256 p., 19 F
FRANÇAIS désert africain, pendant Marie Susini Un très jeune couple
la seconde guerre Bernard Ponty Rezvani C'était cela notre amour d'aujourd'hui.
mondiale. Le séquestre La voie de l'Amérique Seuil, 192 p., 16 F
Gallimard, 208 p., 15 F Ch. Bourgois, 528 p., Une belle et poignante Jean Yvane
Jean Anglade
Claude Louis-Combet Un roman qui a pour 25,60 F histoire d'amour et Les pèlerines
Un front de marbre Denoël, 208 p., 14 F
Julliard, 288 p., 20,90 F Infernaux paluds cadre un collège t'3nu Une condamnation sans doute le meilleur
Flammarion, 240 p., par les Jésuites. et qui sans appel de notre roman de l'auteur de Par l'auteur d' • Un
Une épopée burlesque
18,50 F nous montre le trouble monde américanisé • Plein soleil" • Un cow-boy en exil "
sur un thème funèbre (voir le n° 82 de la
la guerre. L'itinéraire d'un homme suscité par le monde et mercantile pas d'homme" et • La
en prise avec les mots, moderne dans le célèbre Fiera ". Quinzaine).
Lucie Faure avec son enfance et ordre religieux. Rezvani
Le malheur fou avec les interdits. Les américanoïaques Jean Vuilleumier
Julliard, 352 p., 20,90 F • N. Ouentin-Maurer Ch. Bourgois, 160 p., Le rideau noir ROMANS
Par l'auteur de • B Poirot-Delpech Portrait de Raphaël 17,10 F Collection de • L'Aire" ETRANGERS
• L'autre personne ", La folle de Lithuanie Gallimard, 160 p., 12,70 F Où l'on voit deux Coopérative Rencontre,
la radioscopie d'un Gallimard, 232 p., 20 F L'histoire d'une passion, clochards décidés à 164 p., 17,85 F
couple qui se détruit. Voir le n° 104 de la d'un pur amour entre rétablir par eux-mêmes Un livre singulier sur James Baldwin
Quinzaine. deux adolescents. une justice que l'ambiguïté des relations L'homme qui meurt
Patricia Finaly l'Amérique bafoue, humaines, par le Trad. de l'anglais
Le gai ghetto Rezvani lancés dans une rédacteur littéraire de par Jean Autret
Gallimard, 192 p., 16 F Clarisse Nicoïdeski étonnante aventure. la • Tribune de Genève" Gallimard, 456 p., 32 F
La mort de Gilles 1 Coma
L'aventure, racontée Ch. Bourgois, 160 p., A travers l'histoire
avec un humour féroce. Mercure de France, d'un acteur noir
176 p., 16 F 17,10 F Michel Robida Paul VVerrie
d'une petite fille juive Une autobiographie sous Le dragon de Chartres La souille américain, l'image d'une
sous l'occupation et (Seuil) . société déchirée par la
forme de roman de Julliard, 352 p., 23,70 F Mercure de France,
après. (Voir la Quinzaine politique fiction, Oil l'on Second tome de haine et par la peur.
296 p., 22 F
n° 104) retrouvera les • Un monde englouti ", Un premier roman qui
René Havard personnages et les souvenirs à peine a pour thème la fuite Chester Himes
Albert Kantoff Michèle Perrein l'atmosphère des romancés d'une enfance d'un homme traqué au L'aveugle au pistolet
Les enfants de chœur La chineuse • Années-Lumière ., et où revivent Clemenceau, moment de la Libération. Trad. de l'anglais par

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28
Livres publiés du 5 au 20 oct.
Henïi Robillot Par l'auteur des Ch. Marchellonizia Le premier ouvrage
Préface de M. Duhamel • Ouvriers. P.U.F., 216 p., 22 F d'une nouvelle série
Gallimard, 272 p., 22 F
Par l'auteur de • La
Reine des pommes. et
(Mercure de France)
une reconstitution
passionnante et
Ecrit entre 1933 et 1936,
ce livre rassemble les
quinze premiers
de la collection • Sup • :
• Littératures
anciennes •.
Gilles
de tant d'autres romans
policiers, un pamphlet
passionnée de la vie
et de l'œuvre du Che.
chapitres d'un ouvrage
que Trotsky comptait
consacrer à Lénine.
Marc Saporta
Histoire du roman
Sandier
TBIITBI
sur le ghetto noir de
New York où nul n'est G. Girod de l'Ain américain
épargné. Joseph Bonaparte 24 p. d'illustrations
Librairie Académique REEDITIONS Seghers, 392 p., 29,50 F
• Joseph Roth
La toile d'araignée
Trad. de l'allemand
Perrin, 478 p., 30,10 F
Une biographie étayée
sur des correspondances
CLASSIQUES Une étude très
complète du roman
américain traité par IT
par M.-F. Charrance
Gallimard, 224 p., 17 F
Publié en Allemagne,
sous la forme d'un
en grande partie inédites
et qui jette un jour
nouveau sur la
personnalité du frère
Colette
L'entrave
Flammarion, 240 p., 8 F
Auguste comte
grands courants
parallèles et que
complètent un tableau
des correspondances
aO.BIT
feuilleton, en 1923, et
redécouvert en 1966, la
aîné de Napoléon. Système de politique
positive ou traité
chronologiques, un
répertoire
bio-bibliographique,
Regards
première œuvre de
l'auteur de
Marcel Jouhandeau
Journaliers XV
de sociologie
Œuvre complète,
une sélection
bibliographique et
sur
• Hôtel Savoy.
(voir le n° 69 de la
Quinzaine) •
Confrontation avec
la poussière
octobre 1963-février 1964
du tome VII au tome X
Editions Anthropos,
un index. le
Gallimard, 208 p.,
14,75 F.
2600 p., 192,40 F
les 4 vol.
Vincent Therrien
La révolution de théâtre
POESIE
C. Pasquel Rageau
Zola
Les Rougon-Macquart
Gaston Bachelard
en critique littéraire
2 pl. hors texte
actuel
Ho Chi Minh Tomes V et VI
Michel Bataille 16 hors-texte Présentation et notes
Klincksieck, 417 p., 40 F Un bilan passionné
Editions Universitaires, Les fondements,
Le cri dans la mer
192 p., 18,50 F
de Pierre Cogny les techniques et la et polémique,
Julliard, 152 p., 19 F Préface de portée d'une méthode
Une minutieuse étude J.-C. Le Blond-Zola qui a été à l'origine
à l'image
• Jacques Roubaud biographique, complétée 86 illustrations (t. V)
Mono no aware d'une bibliographie 90 illustrations (t. VI)
d'un nouvel esprit de son auteur,
1ittérai re.
Le sentiment des critique et d'une
chronologie synoptique.
Seuil, 720 et 704 p., combattant et militant
choses 20 F le volume.
Gallimard, 272 p.,
Paulette Trout de ce qui constitue
Jules Romains La vocation
21,25 F romanesque aujourd'hui
Cente quarante-trois Amitiés et rencontres CRITIQUE
Flammarion, 240 p., 24 F de Stendhal
poèmes qui ont pour
Un recueil de souvenirs HISTOIRE Editions Universitaires, le théâtre viva1J,t.
point de départ un 366 p., 49,95 F
poème japonais ancien fourmillant de portraits LITTERAIRE
et d'anecdotes Une étude approfondie
et témoignent de la complétée par une
fascination exercée sur
l'auteur par la poésie
japonaise.
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considérablement SOCIOLOGIE éditeur
MEMOIRES Sieyès penseur, juriste augmentée PSYCHOLOGIE
et diplomate. (voir le n° 103 de la
CORRESPONDANCE Quinzaine) .
• Alexis de Tocqueville A. Ancelin-
Œuvres complètes Jacqueline Leiner Schutzenberger
Maurice Barrès t. lX Le destin littéraire Précis de psychodrame africaine • Hélène Deutsch
Charles Maurras Correspondance d'Alexis de Paul Nizan et ses Editions Universitaires, Eléments d'une La psychanalyse des
La République ou le roi de Tocqueville avec étapes successives 280 p., 29,95 F recherche névroses et
Correspondance inédite Pierre Paul Royer·CoUard 9 pl. hors texte Réédition revue interdisciplinaire autres essais
1888-1923 et avec Jean-Jacques Klincksieck, 301 p., 28 F et augmentée. Payot, 336 p., 31,70 F Payot, 324 p., 35,70 F
réunie et. classée par Ampère Une importante Jean-Marie Aubry L'Africain et la négritude Réédition d'un
H. et N. Maurras Texte établi, annoté et contribution à "étude face aux problèm$S • classique - de la
Commentée par préfacé par du mouvement Yves Saint-Arnaud et aux réalités psychanalyse,
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