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La Garantie foncière :
un scandale comme on en fait plus
Première épisode :
« Quand les scandales financiers mobilisaient la rue »
Damien De Blic
GSPM-Université Paris I
Henri Salvador
C’est que la Garantie foncière n’est pas une société comme les autres. Elle partage
avec une quarantaine de ses consœurs le statut de « société civile de placement
immobilier », ou SCPI5. La précision est importante, car à travers le scandale de la
Garantie foncière, c’est en fait le fonctionnement de toutes ces sociétés qui est en
cause.
Les SCPI sont un instrument parfois qualifié de « pierre-papier ». La loi leur attri-
bue en effet une fonction de gestion collective d’une épargne affectée au finance-
6. Nous n’indiquerons plus désormais l’année de parution des articles que lorsqu’elle ne corres-
pond pas à 1971.
7. Ministère de l’Economie et des Finances, « Sociétés civiles de placements immobilier, sociétés de
crédit foncier et fonds communs de créances », Les Notes bleues, 20 juillet 1992, p. 1-12.
8. Un taux d’intérêt de 10 % signifie un doublement du capital investi en six ans.
LE SCANDALE DE LA GARANTIE FONCIERE : PREMIER EPISODE 317
partie également des loyers versés par elle. Pour donner du 10 %, cela supposerait une
rentabilité des capitaux investis de l’ordre de 14 à 15 %, bien peu probable, surtout
pour des locaux commerciaux d’acquisition trop récente pour qu’une indexation ait
pu déjà jouer ; quant aux locaux d’habitation, cela paraît à peu près impossible.
Le même article met de plus en avant certains risques auxquels est malgré tout
soumis le souscripteur : il est en effet personnellement responsable sur la totalité
de ses biens, et non à la hauteur de son apport, des engagements de la société et
les associés sont responsables « à part égale » de toutes les dettes sociales (qu’ils
disposent donc d’une ou de cent parts). Et il ne dispose d’aucun pouvoir de
contrôle : les SCPI ne sont pas tenues de réunir des assemblées annuelles des as-
sociés, ni de leur faire approuver la désignation des membres du conseil de sur-
veillance. Le souscripteur ne dispose de fait d’aucun moyen d’accéder aux comp-
tes, d’autant moins que ces sociétés ne sont pas soumises au plan comptable géné-
ral, contrairement aux sociétés anonymes par exemple.
La Garantie foncière fait partie de ces SCPI qui offrent à leurs associés un rende-
ment supérieur à 10 %. Créée le 31 décembre 1967 pour « acquérir des biens immo-
biliers et les louer », elle réunit 12 800 souscripteurs au moment où le scandale
éclate. L’épargne récoltée lui permet de capitaliser 205 millions de francs en 1971,
entièrement investis dans la pierre. Les rentrées de loyer sont de 6 millions de
francs par trimestre en moyenne. La Garantie foncière représente à elle seule un
cinquième du marché des SCPI, et se situe par le capital et le nombre de clients au
deuxième rang derrière la Civile foncière. Le recrutement des souscripteurs s’est
effectué principalement par des annonces publicitaires parues dans la presse (Pa-
ris-Match et l’Express ont été les principaux supports de cette campagne)9. Un slo-
gan accompagne la campagne : « La pierre est d’or ». La société civile annonce à ses
clients des revenus annuels de 10,25 %. « 10,25 % n’est pas un revenu miraculeux,
précisent les annonces. Mais c’est un revenu sain et très honorable dans le marché
actuel de l’argent (…) Si nous arrivons à verser cette somme à nos associés depuis
deux ans (…) c’est parce que nous savons acheter nos immeubles. En effet, nous
les achetons en fonction des critères de rentabilité suivants : noblesse de l’aspect
extérieur, standing des surfaces locatives et situation dans le centre des affaires. Si
un immeuble ne réunit pas tous ces atouts, nous ne l’achetons pas. Par contre, s’il
les réunit, nous savons qu’il sera recherché par les grandes sociétés qui, en raison
de la pénurie de bons immeubles commerciaux, payeront très cher pour y avoir
leur bureaux ». La Garantie foncière se vante d’avoir des « locataires de renom » :
IBM, Air France…, « ce qui, dit-elle, nous donne la certitude de toujours encaisser
nos loyers. Régulièrement. »
Pour une bonne intelligence du scandale, précisons enfin que dans leurs statuts,
les SCPI n’ont pas le droit de se livrer directement à des actes de commerce, tels
que l’achat de biens immobiliers et leur revente. Leur rôle se limite en fait à drai-
ner les fonds des souscripteurs. Ces fonds sont ensuite remis à une société de gé-
rance, la COFRAGIM dans le cas de la Garantie foncière. C’est cette société de
9. L’encart publié dans l’Express, qui sera postérieurement jugé « scandaleux », est reproduit dans
les annexes de cet article à l’adresse www.secret-public.org.
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gérance qui se charge d’acquérir les immeubles, d’en tirer profit sous forme de
loyers, reversés ensuite à la SCPI (après déduction de frais de gestion, fixés géné-
ralement à un taux qui tourne autour de 10 %, comme l’indique le Figaro dans
l’article cité plus haut). Ce sont ces sociétés de gérance que vont viser plus parti-
culièrement les polémiques, puisque ce sont elles qui disposent de fait du pouvoir
dans la structure.
La décision de la COB attire donc l’attention, en ce mois de juillet 1971, sur les
SCPI en général et sur la Garantie foncière en particulier. Elle permet surtout
d’apprendre qu’une information judiciaire contre X est ouverte contre cette même
société depuis le mois de janvier, sur la demande du procureur général de Paris, à
la suite d’une lettre du ministre de l’Economie et des Finances, Valéry Giscard
d’Estaing10. La plainte vise des délits d’ « abus de biens sociaux, abus de confiance
et autres infractions à la législation ». Un doute naît logiquement : la Garantie
foncière pourra-t-elle tenir ses engagements auprès de ses nombreux clients ? Le
scandale prend immédiatement, et se développe autour de trois controverses qui
orienteront les débats et les critiques jusqu’au procès de 1974 : le rôle du député
gaulliste à la tête de la SCPI, le sort qui doit être réservé aux épargnants floués et
la responsabilité de l’Etat dans la promotion et le contrôle de ces sociétés d’un
genre particulier.
10. C’est l’existence de cette information qui justifie l’interdiction de faire désormais appel à la
publicité.
11. Giscard tenu par la solidarité gouvernementale en tant que ministre des Finances semble avoir
délégué à Poniatowski le soin de distiller les « petites phrases » hostiles à l’UDR (cf. S. Berstein, J.-
P. Rioux, La France de l'expansion, t. 2, L'apogée Pompidou (1969-1974), Paris, Editions du Seuil, 1995, p.
79).
LE SCANDALE DE LA GARANTIE FONCIERE : PREMIER EPISODE 319
directeur financier, puis en devient président en mai 1971. La gérance est assurée
par la Compagnie Française de Gestion Immobilière (COFRAGIM), dirigée
d’abord par Madame Frenkel. En parallèle, Robert Frenkel dirige une affaire
d’importation de produits électroniques en provenance du Japon la « National
Trading Company ». On s’accorde à lui reconnaître une « extraordinaire puissance
de travail » mais aussi un « goût effréné de l’argent », voire un « désir de posses-
sion sans limite» », ainsi qu’un « goût du luxe » prononcé : l’Aurore soulignera que
lors de son incarcération, les gendarmes trouvent chez lui « deux pyjamas en la-
mé-or d’une valeur de 5000 F chacun » (9 juillet). Le président de la Garantie fon-
cière semble avoir le sens du commerce, il sait séduire et mettre ses clients en
confiance. Le Monde du 9 juillet raconte ainsi :
Les dirigeants de la société [la Garantie foncière] organisèrent [en décembre 1970] une
« croisière-séminaire » sur le luxueux paquebot Mermoz. Plusieurs centaines de
clients y participèrent et une trentaine de journalistes furent invités et traités à bord
avec des égards dont certains pensaient qu’ils allaient au-delà de la courtoisie et des
bonnes manières. De nombreux cadeaux luxueux leur furent offerts. Au cours de cette
croisière, M. Frenkel, qui n’était pas encore PDG – mais seulement directeur financier
– apparut comme la tête pensante de la Garantie foncière. Il anima des « tables ron-
des » journalistes-actionnaires, expliquant que toutes les garanties étaient prévues
dans les statuts de la société pour protéger les épargnants. Il déclara même à une dame
qui manifestait ses hésitations : « Nous avons parmi nos actionnaires un lauréat du
Nobel… Nous avons en portefeuille des décisions de juges des tutelles qui ont autorisé
à placer des biens de mineurs à la Garantie foncière.
Trois « coups du sort » vont pourtant mettre à mal la réussite des époux Frenkel
en quelques heures et sont immédiatement publicisés du fait de la nouvelle noto-
riété de ces personnages.
Le lendemain même de la décision de la COB, qui vient jeter la suspicion sur la
Garantie foncière, les époux Frenkel sont condamnés par le tribunal correctionnel
de Paris pour une autre affaire : Robert Frenkel se voit puni de 15 jours
d’emprisonnement avec sursis et de 100 000 francs d’amende en tant que prési-
dent de la SPPAPIF, pendant que son épouse est condamnée, en tant que direc-
trice de la COFRAGIM à dix mois avec sursis et 50 000 francs d’amende. Le motif
de ces peines est la perception irrégulière de commissions et l’usage du titre
d’agent immobilier sans inscription réglementaire. Les faits répréhensibles re-
montent aux années 1967 à 1969.
Le 8 juillet, Robert Frenkel et sa femme Nicole sont interpellés à leur domicile, en
vertu d’un mandat d’amener délivré par le juge d’instruction André Chevalier,
cette fois dans le cadre de l’instruction sur la Garantie foncière. Ils sont conduits
au Palais de justice où le magistrat les inculpe pour abus de biens sociaux, escro-
querie, infraction à la législation sur les sociétés et abus de confiance. Ils sont im-
médiatement placés sous mandats de dépôts et écroués. Les époux Frenkel choi-
sissent pour défenseur Maître Victor Rochenoir qui jouera un rôle important par
la suite, mais ce dernier est récusé en raison précisément de son implication dans
la gestion de la Garantie foncière dont il est l’avocat-conseil.
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14 %, ce qui semble peu réaliste. Or, ce type de placements collectifs doit donner
une lourdeur toute particulière à la gestion » (10 juillet).
La sécurité enfin : elle n’est pas complètement remise en cause en ce début du
mois de juillet, mais on mesure mal l’ampleur des fraudes commises au sein des
sociétés incriminées. Toutefois, comme le souligne encore le journaliste du Figaro,
« les sociétés civiles immobilières ont investi dans des immeubles l’épargne
qu’elles ont récoltée. Quelles que soient les difficultés techniques que rencontrent
ces sociétés, ces immeubles existent et leurs occupants – il s’agit souvent de socié-
tés importantes quand les immeubles loués sont des bureaux – continuent à ver-
ser leur loyer ». Ainsi, « si les titres des SCPI sont actuellement difficilement négo-
ciables, nul ne peut affirmer que leur valeur a diminué » conclut-il.
Une distinction est généralement établie entre les SCPI adossées à un groupe ban-
caire (où le risque pour les souscripteurs est limité) et celles qui risquent de
« boire le bouillon ».
Premières interprétations
On observe dans ces jours un moment d’interrogation, très explicite, sur la forme
qu’il convient de donner à l’événement. L’Humanité ne doute pas que « le régime
vient d’accoucher d’un nouveau scandale » (5 juillet). C’est « un temps où les
scandales fleurissent comme en terre bénie », commente l’Aurore. Les interroga-
tions portent en fait sur le qualificatif à adjoindre au terme de « scandale » pour
bien catégoriser les événements en jeu avec la Garantie foncière. Sont ainsi évo-
qués :
− « Un scandale financier » (titre de La Croix du 10 juillet) ;
− « Un scandale financier et immobilier » (titre du Monde du 9 juillet) ;
− « un scandale financier-immobilier » (Les Echos du 22 juillet) ;
− Pour L’Aurore, « c’est un scandale financier et immobilier qui a aussi des re-
lents de scandale politique ». Le Figaro du 21 juillet évoque lui un « scandale po-
litico-financier ».
Cette catégorisation est un enjeu essentiel pour tous les acteurs. La presse
d’opposition cherche en effet à montrer que le scandale, avec la présence de Rives-
Henrys, est fondamentalement politique. Il s’agit pour elle d’impliquer l’ensemble
de l’UDR, et d’obtenir des sanctions également politiques : une démission de Ri-
ves-Henrys, avec la possibilité de récupérer son siège de député, et surtout un
affaiblissement de la majorité. Les accusés (Rives-Henrys et les époux Frenkel)
privilégient également la catégorisation politique, mais pour montrer qu’à travers
eux ce sont des « comptes » qui sont réglés et espèrent ainsi accéder au statut de
victime ou de « bouc émissaire ». La majorité et le gouvernement privilégient en
revanche le confinement du scandale dans une sphère financière, de façon à éviter
toute généralisation de la critique. L’enjeu est parfois très personnel. Albin Cha-
landon, ministre de l’Equipement, déclare à l’Express qu’ « il ne s’agit nullement
d’un scandale immobilier, mais d’un scandale financier » (26 juillet) : en effet, la
tutelle des SCPI relève du ministère des finances et non de celui de l’Equipement…
Les premiers commentaires autour de la Garantie foncière hésitent ainsi entre une
analyse technique qui restreint au maximum l’aire affectée par le scandale et une
interprétation qui voit dans ce dernier les prodromes d’une crise généralisée.
Un problème technique
Les Echos représentent bien la première ligne d’analyse qui voit d’abord dans le cas
de la Garantie foncière un problème économique :
Il faut se poser des questions sur l’avenir de « la garantie foncière » et plus générale-
ment de ce type de société : en effet, les épargnants intéressés par ce genre de place-
ment sont très sensibles aux avatars qui peuvent toucher les sociétés auxquelles ils
ont confié leurs fonds. Si un assez grand nombre d’entre eux retiraient leurs fonds, il
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A titre de solution est proposé le 9 juillet le passage de toutes les SCPI au statut
plus contraignant de Société Anonyme. Mais la presse spécialisée n’a pas le mo-
nopole du souci économique. La Croix élargit par rapport aux Echos le champ de la
critique, mais écarte encore une interprétation trop politique du scandale :
Il y a donc bien un scandale financier dans cette affaire, scandale qui est sans doute
plus large que les fautes éventuelles de M. Frenkel ou d’autres dirigeants de sociétés
civiles. Ce scandale apparaît dans la faille trop longtemps maintenue dans la protec-
tion de certains épargnants. Le scandale apparaît aussi dans le succès d’une forme de
collecte de l’épargne fondée sur la spéculation immobilière. Le scandale d’une publici-
té abusive doit aussi être souligné, mais il n’aurait pas été possible si le système éco-
nomique actuel ne laissait une aussi large place au développement de la spéculation,
indépendamment de toute utilité économique (10 juillet).
Plusieurs titres en profitent pour vanter les mérites de la bourse : le Nouveau Jour-
nal du 10 juillet remarque que les placements en bourse sont eux vraiment dispo-
nibles, que les rendements pourraient y être aussi élevés que ceux proposés par les
SCPI et que les comptes des sociétés cotées sont contrôlés.
Une partie de la presse est tentée de fustiger le comportement « irrationnel » des
épargnants qui « croient aux miracles ». Le Figaro dénonce ainsi, dans les premiers
éditoriaux qui suivent l’éclatement du scandale, la naïveté des souscripteurs. Sous
le titre « L’éternelle illusion », l’éditorialiste Thierry Maulnier affirme ainsi qu’ « il
n’est pas besoin d’être grand clerc en matière économique et financière, pour com-
prendre qu’il est difficile de concilier au plus niveau la sécurité, la rentabilité et la
disponibilité d’un investissement, et que la possibilité fascinante offerte à des
souscripteurs de doubler leur capital en cinq ou six ans implique non pas néces-
sairement un « abus de confiance », mais tout au moins un risque spéculatif » (10
juillet). Ce qui revient à dire qu’il n’y a pas de scandale, mais un mécanisme éco-
nomique : il y avait un risque spéculatif à investir dans les SCPI, et le risque a été
réalisée. Il n’y a d’ailleurs pas eu « préméditation » ni « volonté de tromper ». Les
naïfs n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes : « Les victimes, si victimes il y a, se font
en quelque sorte les complices de leur propre malheur ». Si des reproches peuvent
être faits, ils sont d’ordre techniques et économique : pourquoi avoir autorisé ces
SCPI à diffuser des publicités ? Par ailleurs, si les gens sont attirés pas ces place-
ments spéculatifs, c’est pour compenser la « dégradation générale de la valeur du
capital et des signes monétaires qui le représentent » (c’est-à-dire l’inflation).
Pas de scandale donc, dans cette perspective, mais un problème récurrent, qui est
dans l’ordre des choses, constituant une donnée anthropologique :
Il s’agit là, continue l’éditorialiste du Figaro, d’une forme de l’illusion humaine qu’on
peut dire éternelle, car elle s’apparente en un certain sens à l’attente du miracle, elle
résiste à toutes les déceptions, à toutes les expériences malheureuses, à tous les
LE SCANDALE DE LA GARANTIE FONCIERE : PREMIER EPISODE 325
« scandales »12. Il existe dans tous les hommes les réserves d’une confiance inépuisable
à la disposition de tout ce qui ne la mérite pas.
Jean Boissonnat dans la Croix du 11 juillet opère toutefois une transition en main-
tenant une ligne économique dans l’explication et les enjeux du scandale, tout en
introduisant le thème des « mauvais liens » entre l‘argent et la politique. Ses inter-
rogations portent d’abord sur le sort des épargnants : « Le scandale de la Garantie
Foncière fait rebondir de vieux débats : comment éviter l’exploitation des « go-
gos » par des financiers sans scrupules ? Que faire de ses économies lorsqu’on a
épargné sur ses revenus ? » Mais il s’agit aussi de comprendre « quels sont les liens
réels entre le monde de l’argent et celui la politique » :
Naturellement, la politique s’en mêle. Les financiers sans scrupules sont toujours à la
recherche de couvertures honorables : un député de la majorité vaut mieux pour cela
qu’un député de l’opposition (quelle que soit la majorité…) Le pouvoir de son côté,
corrompt toujours quelque peu […] Autrefois, quand les partis se succédaient au pou-
voir, chacun avait sa part. Aujourd’hui, que la même majorité règne depuis treize ans,
elle se taille la part du lion. On ne saurait en prendre son parti, car la nation a été assez
secouée depuis trois ans pour éviter de la traumatiser davantage par de pareilles sus-
picions. Le gouvernement doit donc veiller à ce que rien ne reste dans l’ombre ; on lui
reprochera davantage un scandale étouffé qu’une négociation manquée.
Dans ce texte, les politiques ne sont finalement que des « couvertures » pour des
opérations financières douteuses. Mais on peut les voir au contraire comme les
personnages principaux, dont les escrocs ne sont alors que les « comparses ». C’est
cette configuration que présente l’Humanité.
Le combat de L’Humanité
L’organe du PCF est la pointe du combat pendant toute la durée du scandale.
C’est d’abord Rives-Henrys qui est au centre des dénonciations, et c’est par lui
que vont circuler des critiques qui vont en se généralisant.
Les premières démonstrations visent à montrer qu’à travers Rives-Henrys, c’est
toute la majorité politique qui est atteinte. Les premiers portraits le mettent en
scène cumulant les marques d’indignité : « Cet aristocrate, qui habite dans le Sei-
zième et possède un château en province, met rarement les pieds dans le quartier
populaire dont il est député » (5 juillet). La légitimité de son mandat est donc
d’emblée contestable. Elle devient franchement douteuse avec le scandale : « Pour-
quoi M. Rives-Henrys de Lavaysse, qui présida une société à laquelle on reproche
de graves agissements, est-il encore député de Paris ? » (6 juillet). L’Humanité veut
de plus montrer que son cas n’est pas isolé et dresse à cet effet une liste de per-
sonnages mêlés à l’affaire de la Garantie foncière et tous liés à la majorité politi-
que : le notaire chez qui sont déposés les statuts de la SCPI en décembre 1967,
Jean-Pierre Delarue, fut le suppléant de Michel Junot, candidat giscardien aux
élections législatives de 1968 et chef de file de la majorité dans le dix-neuvième
arrondissement de Paris lors des récentes municipales. Les époux Frenkel, asso-
Le scandale est permanent et dépasse de loin les quelques péripéties dont on veut
bien, parfois, nous entretenir [suit une liste d’affaires et de scandales]. On pourrait
parler de tant de choses ; et d’ajouter que M. Pompidou n’est pas le seul en cause, en
dépit de ses pouvoirs exorbitants. Car le mal est plus profond et ce n’est pas le mal du
siècle. Ce mal a un nom : capitalisme. A ce mal, il y a un remède : le socialisme. Le peu-
ple médecin ne pourra, certes, pas l’appliquer en un jour. Mais il faudra bien qu’il y
parvienne (9 juillet).
LE SCANDALE DE LA GARANTIE FONCIERE : PREMIER EPISODE 327
Cette seconde phase est marquée par une double extension du scandale de la Ga-
rantie foncière. Extension de l’affaire elle-même, d’une part, qui connaît de nou-
veaux développements, et extension d’autre part à l’ensemble des sociétés civiles
de placement immobilier.
Le 11 juillet, la presse révèle qu’une autre SCPI, le Patrimoine foncier, fait l’objet à
son tour d’une instruction pour publicité mensongère. Le Patrimoine foncier fait
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partie des sociétés civiles les plus importantes, puisqu’elle a recueilli au 10 juillet
1971 140 millions de francs, et propose à ses souscripteurs un rendement annuel de
10,40 %. L’affaire ressemble étrangement à celle de la Garantie foncière. L’un des
animateurs du Patrimoine foncier est en effet un ancien député gaulliste, André
Roulland, qui fût chargé de mission au cabinet de Georges Pompidou lorsque ce-
lui-ci était Premier ministre. Le dirigeant principal est un homme d’affaires nom-
mé Claude Lipsky, dont le parcours dans le monde des affaires évoque celui de
Frenkel. Mais dans son cas, l’argent des épargnants n’aurait pas tant servi à assu-
rer le rendement promis qu’à renflouer les autres sociétés de son groupe. Autre
point commun avec la Garantie foncière : les sociétés de Lipsky recourent au ser-
vice du même conseiller juridique, Maître Victor Rochenoir.
La Garantie foncière connaît par ailleurs un important développement, puisque
s’ouvre au même moment un nouveau volet du scandale, dit « affaire Agache-
Willot ». Cette péripétie marque les premières répercussions de l’affaire de la Ga-
rantie foncière en dehors de son secteur propre d’activité (l’épargne collective).
Ce nouvel épisode affecte le domaine de la grande distribution et des grands ma-
gasins parisiens. Les nouveaux protagonistes de ce dossier sont les frères Willot
(Bernard, Antoine, Jean-Pierre et Régis), détenteur de la holding Agache-Willot.
Les Willot viennent de racheter (au milieu de l’année 1970) le magasin le Bon
Marché, et pour se procurer les fonds nécessaires à cet achat, auraient cédé plu-
sieurs immeubles à la Garantie foncière. On apprend par la même occasion que les
frères Willot sont inculpés depuis le mois d’avril pour infraction aux lois sur les
sociétés et abus de biens sociaux. La COB avait réclamé cette enquête pour re-
chercher les conditions dans lesquelles la holding Willot s’était procurée les capi-
taux nécessaires à la prise de contrôle de diverses sociétés en 1968 et 1969.
L’apparition du nom d’Agache-Willot parmi les grands groupes textiles français
remonte en fait à 1966, date à laquelle la société Willot et Cie, fondée pour déve-
lopper un produit nouveau, la bande Velpeau, fusionne avec les établissements
Agache, vielle société lilloise de filature. Le groupe Agache-Willot développe deux
pôles d’activité, le textile et la distribution (sur le modèle de l’intégration verti-
cale). Et c’est avec la Garantie foncière que les frères Willot ont effectué la plu-
part de leurs transactions immobilières : quatre ventes d’immeubles pour un mon-
tant de 51 750 000 francs. Or ce n’est pas à cette valeur que les immeubles sont
inscrits dans la comptabilité de la Garantie foncière, qui les enregistre dans ses
comptes à hauteur de 82 millions de francs, soit 58 % de plus que leur valeur
d’achat. L’opération n’est pas anodine quand on sait que les immeubles en ques-
tion représentent 51 % du patrimoine de la SCPI. Autre lien entre le groupe Aga-
che et la Garantie foncière : les deux sociétés ont recours aux services du même
avocat, maître Rochenoir, qui apparaît ainsi peu à peu comme le quatrième prota-
goniste central de l’affaire.
Les frères Willot commencent par affirmer (le Monde du 14 juillet) ne pas connaî-
tre la Garantie foncière, puis ils publient un communiqué de presse dans lequel ils
expliquent : « Nous n’avons rien avoir avec la Garantie foncière. Certes, le groupe
Agache-Willot a bien vendu des immeubles à des sociétés dépendant de la Garan-
tie foncière », mais ils dégagent leur responsabilité pour tout ce qui a pu se pro-
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duire dès les actes de vente conclus. « Après la vente d’une voiture, expliquent-ils,
le vendeur n’est plus responsable des accidents que peut causer le nouveau pro-
priétaire ». « L’inculpation des frères Willot vient compliquer le dossier de l’affaire
de la Garantie foncière » titre le Monde du 15 juillet.
Outre ces nouveaux dossiers, la polémique autour de la Garantie foncière
s’organise dans le cadre des révélations que suscite le déroulement de l’enquête
judiciaire. On apprend ainsi que des alertes sur la santé financière de cette société
avaient été lancées dès 1969. Outre la procédure lancée par la COB, l’Association
Professionnelle des Dirigeants et Gérants des Sociétés Immobilières (APDGSI)
avait, d’après son président, attiré l’attention du ministre des Finances dès octo-
bre 1969 sur la gestion de la Garantie foncière.
D’autres fraudes sont suspectées autour de la Garantie foncière, dont la surévalua-
tion des immeubles rachetés à Agache ne serait qu’un exemple. Une majoration
systématique du prix des immeubles achetés semble avoir été pratiquée. Le sché-
ma est toujours le même : les biens immobiliers sont d’abord acquis par une socié-
té-écran contrôlée par les époux Frenkel qui les revendent à la Garantie foncière
avec une plus-value substantielle. La SPPAPIF déjà citée est l’une de ces sociétés
écran. La COFRAGIM dirigée un temps par Rives-Henrys aurait ainsi acquis pour
le compte de la Garantie foncière des immeubles à un prix bien supérieur à celui
du marché, jusqu’à trois fois le prix semble-t-il. L’Express résume ainsi : « quand la
SPPAPIF achetait un immeuble 10 millions, elle le revendait 15 à la Garantie fon-
cière, qui le faisait payer par ses souscripteurs. M. Frenkel disposait de la diffé-
rence » (18 juillet).
La question de l’évaluation du patrimoine de la SCPI se pose donc avec encore
plus d’acuité : de combien est-il surévalué ? Les propos rassurant des jours précé-
dents ne sont plus de mise. Les bénéfices ont pourtant toujours été versés aux
souscripteurs au taux annoncé (10,25 %). Comment la société civile a-t-elle pu
tenir ses engagements dans ces conditions ? D’abord, comme on l’a dit, grâce à
l’arrivée de nouveaux souscripteurs, dont le capital n’est pas investi mais immé-
diatement redistribué à l’ensemble des porteurs de parts. L’opération est égale-
ment rendue possible grâce à la société de gestion, la COFRAGIM, qui assure par
contrat à la Garantie foncière une forte rentabilité mais pour une courte période,
généralement deux ans, contre une forte rémunération. La SCPI pouvait ainsi te-
nir ses engagements à l’égard de ses souscripteurs, auxquels il n’était pas précisé
que de tels taux n’étaient que provisoires.
L’affaire commence ainsi à s’éclaircir. S’il y a escroquerie, elle repose sur trois ty-
pes d’opérations :
a) les rentes versées aux souscripteurs ne correspondent pas aux loyers générés
par les investissements, mais sont prélevés sur l’apport des nouveaux entrants ;
b) les dirigeants de la Garantie foncière se sont enrichis en jouant sur deux ta-
bleaux : comme agents immobiliers, en revendant à haut prix à la société de gé-
rance de la Garantie foncière des immeubles achetés beaucoup moins chers, la
plus-value ainsi réalisée l’étant au détriment des épargnants ; comme gérants en
prélevant à la Garantie foncière des frais de gestion très importants.
LE SCANDALE DE LA GARANTIE FONCIERE : PREMIER EPISODE 331
c) les comptes sont au final illisibles, tant ils sont manipulés et tant les actifs sont
surévalués.
Il est essentiel d’affirmer la séparation entre charge publique et fonction élective d’une
part, intérêts financiers ou économiques d’autre part. Le développement économique
du pays doit être une préoccupation constante des élus et des gouvernants et parce
que l’intervention de l’Etat à tous les degrés de ce développement est constante, la
confusion entre l’exercice de la puissance publique et certaines activités privées est un
risque permanent. Il est probable que les incompatibilités édictées par nos textes sont
insuffisantes ou appliquées de manière incomplète. Je demande donc au premier mi-
nistre de faire étudier les dispositions législatives qui devraient être prises pour les
renforcer dans l’intérêt de tous et en particulier de tous les élus qui ne doivent pas se
voir soupçonnés dans leur honneur par suite de faiblesses ou d’erreurs isolées.
Le jour même (21 juillet), l’UDR met en congé de groupe et de parti le député Ri-
ves-Henrys.
La COB ne reste pas inactive et propose à son tour de nouvelles règles en vue de
réguler le secteur des SCPI et d’éviter ainsi la multiplication des scandales suscep-
tibles de ruiner la confiance de l’ensemble des épargnants. Elle adresse le 17 juillet
aux quarante présidents de SCPI ainsi qu’aux commissaires aux comptes de ces
sociétés un communiqué pour les informer des règles comptables qu’ils devront
dorénavant observer, dans l’attente de l’élaboration d’un plan comptable définitif,
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annoncé pour l’année suivante. Il s’agit essentiellement de mettre fin aux prati-
ques de surévaluation du rendement des placements effectués par ces sociétés.
On peut citer parmi les nouvelles directives l’obligation de constitution de provi-
sions pour grosses réparations, la réévaluation annuelle du patrimoine immobilier,
sous le contrôle du commissaire aux comptes, ou encore la publication impérative
en annexe des pièces comptables officielles : prix d’achat hors taxe des immeu-
bles, coût hors taxe des travaux, mode d’évaluation des immeubles… Faute de res-
pecter ces directives, les sociétés civiles immobilières ne pourront obtenir le visa
de la COB désormais nécessaire à l’exercice de leur activité.
Moins de quinze jours après l’éclatement du scandale, on voit donc se dessiner
aussi bien les premières sanctions - puisque les principaux protagonistes sont
inculpés et livrés à l’opprobre par leur propre camp- que des amorces de rétablis-
sement de l’ordre par la rénovation des dispositifs défectueux.
Le terme de « scandale financier » s’impose définitivement et tend de plus à deve-
nir une rubrique à part entière dans la presse (c’est le cas du Monde qui réserve
quotidiennement dans son service « France » une page aux « scandales »).
L’impossible défense
Dans cette seconde phase de l’affaire, l’idée d’une stricte localisation du scandale
n’est donc plus guère défendue que par les accusés.
La volonté de sectorisation reste ainsi au cœur de la défense de Rives-Henrys, qui
se justifie publiquement dans une interview donnée à Paris-Jour le 20 juillet. Le
député y explique que c’est par Maître Rochenoir, avocat-conseil de la Garantie
foncière qu’il a connu Robert Frenkel, en 1968 ; qu’à cette époque, il s’était enquis
de l’honorabilité de Frenkel : « cette preuve m’a été apportée. M. Frenkel m’a pré-
senté une attestation de non-faillite de la chambre de commerce de Paris » ajoute-
t-il ; que les attaques dont il fait l’objet ont pour origine la malveillance des socié-
tés concurrentes. Le député estime en effet qu’ « une déclaration de l’Association
professionnelle des organes de gestion des sociétés civiles de placement immobi-
lier (APROGI) demandant l’an passé au ministre des Finances une enquête sur la
Garantie foncière a causé le scandale ». L’affaire ne serait donc, en définitive,
qu’une banale histoire de concurrence. La conclusion de ce discours c’est que
« dans cette histoire, l’homme politique n’a rien à voir et que seul l’homme
d’affaires est concerné. On a voulu mélanger les deux choses et s’en servir comme
plate-forme. » Et Rives-Henrys ajoute à propos du cumul des statuts de député et
d’administrateur de société qu’il y a été obligé parce que « la politique ne [lui] a
jamais permis de [s]e nourrir ». Les arguments sont repris par Tixier-
Vignancour qui cherche à montrer que rien n’est finalement prouvé, que les inté-
rêts ont toujours été servis normalement aux déposants et que derrière le scan-
dale, il faut rechercher la malveillance des concurrents : « on voit se profiler
l’ombre des requins ».
L’idée qu’il s’agit d’un problème strictement sectoriel est aussi soutenue, pour
quelques temps encore, par certains représentants de la majorité parlementaire.
LE SCANDALE DE LA GARANTIE FONCIERE : PREMIER EPISODE 333
La Nation, hebdomadaire de l’UDR, peut ainsi écrire le 16 juillet qu’il ne faut voir
dans le scandale des SCPI que « des cas d’escroqueries localisés, qui relèvent du
fait divers, inévitable en période d’urbanisation et de modernisation. Le reste est
manœuvres politiques. » L’hebdomadaire se félicite de plus du caractère « rigou-
reux et impitoyable » que prend la lutte « contre la spéculation immobilière et
financière » qui vient d’être lancée par le gouvernement à l’occasion de l’affaire de
la Garantie foncière. L’affaire ne doit pas faire oublier l’ « ennemi bien plus insi-
dieux » qu’est l’inflation, qui menace l’ensemble des « petits épargnants » qui en
sont « trop souvent les premières victimes ». Au total, « il n’y a pas de gaullisme
immobilier » : « L’affaire de la Garantie foncière est une affaire d’ordre financier »
ajoute encore la Nation (« les sans-grade de l’épargne », 27 juillet). Mais au vu des
réactions du reste de la presse, le propos paraît sonner dans le vide.
Un nouveau Panama ?
Les aventures de la Garantie foncière ont pris une telle ampleur qu’il est désor-
mais possible de parler de « L’Affaire » ou du « Scandale » sans autre précision.
Les premières mises en série sont réalisées. Le Figaro du 21 juillet dresse ainsi la
liste des scandales politico-financiers depuis l’affaire de Panama, en précisant
que« dans [cette] énumération ont été volontairement écartées des affaires où la
politique seule jouait un rôle sans lien aucun avec les milieux financiers ou
d’affaires, et c’est le cas, par exemple, pour l’affaire des fuites. De même certains
scandales ont été laissés de côté, parce que le monde politique n’y tenait aucun
rôle direct ou déterminant… en dépit du soin qu’apportent certains milieux à en-
rôler des hommes en vue pour assurer la respectabilité de leurs affaires. »
Le Figaro rappelle de même que si le député Rives-Henrys est passible des
condamnations édictées par l’article 263 du Code pénal (qui réprime l’usage pu-
blicitaire du titre de député), c’est grâce à la loi du 30 décembre 1928 votée à la
suite du scandale de la Gazette du franc, et rappelle que « la France reste encore
traumatisée par des affaires comme celle de Marthe Hanau et d’Alexandre Stavis-
ky » (16 août).
C’est sur ce thème que l’extrême-droite se saisit de l’affaire. C’est pour Rivarol que
Lucien Rebatet prend la plume, appelant à ranimer le mot d’ordre de février 1934,
« A bas les voleurs ! » (22 juillet). Il dénonce le « pourrissement général » dont sont
responsables aussi bien « les « gaullistes orthodoxes » que les « giscardiens » car
« tous appartiennent à la même détestable majorité. »
Il faut s’arrêter un instant sur la rhétorique développée par l’extrême-droite dans
la mesure où elle marque, avec la Garantie foncière, les derniers feux d’un antipar-
lementarisme qui s’est toujours nourri des scandales financiers en en faisant le
signe par excellence de la corruption du régime qu’il entend dénoncer : « Panama,
Stavisky, Garantie foncière… Les Républiques se suivent et se ressemblent.
L’argent est roi. Fripouillards et politicards s’attirent comme l’aimant attire la
limaille » se déchaîne Rivarol. Le même journal, réactive toute une série de thèmes
préférentiellement liés aux scandales, dans un article du 5 décembre intitulé
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« Stabilité dans la pourriture » dans lequel est évoqué « le flot de boue » représenté
par les affaires immobilières, lequel « peut bien se transformer en torrent ». Le
texte est accompagné de deux dessins, une « Marianne V » maquillée et boursou-
flée dont on nous dit qu’elle « dure et pue depuis 1958 » et un sans-culotte appuyé
sur une pile de dossiers portant des noms de scandales (« affaire Ben Barka », « af-
faire Markovic », « La Villette etc. », jusqu’à « la Garantie foncière ») et qui vomit
un flot de croix de Lorraine ainsi qu’un chéquier qui rappelle la figure des « ché-
quards » de Panama13. Pour Rebatet, « le scandale s’étend, avec ses odeurs de ma-
récage » (Rivarol, 12 août)14.
Aspects de la France, « hebdomadaire d’action française », ravive à son tour le souve-
nir des années trente :
En 1934, ce n’était pas le minable Stavisky que visait la campagne déclenchée par
l’Action française. C’était ses complices, les Bonnaure, les Dalimier, d’autres seigneurs
du régime. Il fallait montrer que l’affaire était une affaire politique, et qu’elle devait
avoir des conséquences pratiques. Elle en a eu : Daladier, Chautemps... ont été chassés
du pouvoir. Aujourd’hui de même, Frenkel ne nous intéresse que parce qu’il est un
maillon de la chaîne. Une chaîne qui par Rives-Henrys, député UDR, par Rochenoir,
grand pontife de l’UDR, nous conduira aux véritables responsables : ceux qui ont ren-
du l’escroquerie possible. L’affaire de la « Garantie foncière » est une affaire politique ;
elle doit avoir des conséquences politiques (« Qui a « étouffé » les mises en garde de la
COB ? », 19 août 1971).
Non, ce n’est pas le régime capitaliste ou pseudo-capitaliste qu’il faut accuser, mais la
république elle-même. La République qui, théoriquement, repose sur la « vertu » des
citoyens et de leurs mandants encourage, en fait, tous les abus. Le « développement
économique » sert de prétexte à confondre ce qui devrait être séparé, et la centralisa-
tion étatique oblige les chefs d’entreprise à solliciter constamment l’aide ou
l’intervention de l’Etat. Il se crée ainsi un tissu politico-financier, une imbrication de
services rendus d’autant plus forte que le même parti demeure longtemps au pouvoir,
comme c’est le cas du parti gaulliste depuis 1958. Les entreprises ont besoin de l’Etat
mais le parti dominant a aussi besoin de soutiens financiers car il ne peut pas, avec les
seules cotisations de ses militants, subsister et faire face aux dépenses de plus en plus
importantes des campagnes électorales […] Un bon moyen de remédier à la confusion
qu’affecte de déplorer le Président de la République consisterait à soulager les entre-
prises de la tutelle contraignante de l’Etat. Aussi leurs dirigeants ne seraient-ils plus
obligés de quémander ses faveurs. […] Il conviendrait aussi de mettre fin à la « profes-
13. Ce dernier dessin est reproduit dans les annexes de cet article à l’adresse www.secret-
public.org.
14. Cette rhétorique n’est cependant pas l’apanage de la presse d’extrême droite. Le Nouvel observa-
teur, évoquant « la gravité et l’ampleur de la crise morale et psychologique » générée par le scandale
de la Garantie foncière, parle à son tour de la « pierre pourrie » et dénonce « la mauvaise haleine »
de la cinquième République (19 juillet). Témoignage chrétien dénonce un « pourrissement » qui étend,
« loin, ses manifestations » (12 août) et pour l’Aurore, la Garantie foncière constitue un « abcès »
malodorant qu’il faudra bientôt crever (20 juillet).
LE SCANDALE DE LA GARANTIE FONCIERE : PREMIER EPISODE 335
sion parlementaire » qui livre la direction du pays à des partis soucieux de tirer de
l’exercice du pouvoir le maximum d’avantages […] (3 août).
Tout le monde s’accorde à dire en tout cas dès la deuxième quinzaine de juillet et
la révélation de l’autre scandale du Patrimoine foncier que le régime est atteint
par le scandale, opinion qui peut aller jusqu’à la dramatisation, dont joue Combat
par exemple :
Cette subite révélation d’une vérité scandaleuse frappe la masse des Français dans leur
conscience, dans leur sens de la justice et dans leurs intérêts. C’est ainsi que naissent
souvent les grands désarrois nationaux, c’est ainsi qu’en démocratie naissent les crises
politiques. Car le problème est politique. Le régime serait-il totalement étranger à ces
affaires ? Et l’est-il dès lors que certains de ses militants et même de ses dignitaires
sont plus ou moins impliqués dans le scandale ? [...] Tant d’habitudes sont prises, tant
d’intérêts engagés et liés, tant de gages échangés, tant de dettes contractées qu’on
peut penser qu’il est trop tard (14 juillet).
Ce qui est scandaleux, c’est qu’il [Rives-Henrys] n’ait pas donné sa démission de dé-
puté le jour où il s’est aperçu que sa fonction privée l’avait amené à couvrir une opéra-
tion délictueuse - que, du reste il avait le devoir de dénoncer sur-le-champ.
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Ce qui pourrait être scandaleux - mais la preuve n’est pas acquise - c’est que les activi-
tés répréhensibles du parlementaire en cause aient été suspectées, voire connues, de
certaines autorités et que l’on ait tant hésité avant de les mettre au grand jour.
Ce qui serait demain scandaleux, c’est qu’une fois lancée avec éclat, l’instruction ne
soit pas vigoureusement poussée, quels que puissent être ses prolongements directs
(éditorial du 21 juillet).
La liste des scandales du régime s’allonge. A chaque coin de voile levé sur la face ca-
chée du royaume pompidolien apparaît une parcelle du mal qui ronge notre pays : la
pourriture de l’argent. Et toujours l’UDR a ses représentants dans la curée. Du gouffre
de la Villette aux tours de passe-passe des sociétés immobilières, les milliards valsent
et l’UDR tient une place de premier plan dans la danse […] Dans toutes ces affaires
immanquablement, une ficelle vous conduit vers des hommes du parti dominant. Et
leurs frères giscardiens, leurs cousins centristes ne sont pas en reste. Les uns se font
leurs lois pour trafiquer, spéculer, ramasser des milliards en toute tranquillité ; les au-
tres, pendant ce temps, vous parlent de « nouvelles sociétés » et même de « socia-
lisme ». L’insolence capitaliste s’étale dans toute sa splendeur, amis aux chômeurs, aux
smicards révoltés par le spectacle, l’UDR et ses alliés parlent de liberté. […] En fait,
c’est tout le système lui-même qui devient intolérable. Et la multiplication des scanda-
les le fait apparaître aux yeux de travailleurs encore trompés, sous son vrai visage : ce-
lui des magouilleurs.
Ce travail de mise en évidence des liens entre les individus inculpés et la corrup-
tion de l’ensemble du régime est repris par le PCF lui-même. Après que Giscard
déclare à la presse le 15 juillet que les républicains indépendants qu’il préside sont
« innocents » du problème des SCPI, le PCF répond, par la Fédération de Paris :
Lors des élections législatives de 1968, M. Junot, vice-président des indépendants gis-
cardiens de Paris, candidat dans le XIXe arrondissement, choisit comme suppléant M.
Jean-Pierre Delarue, notaire à Pantin, dépositaire des statuts de la Garantie Foncière
et depuis suspendu de ses fonctions pour infraction à la législation sur les chèques.
Par ailleurs, M. Junot, qui conduisait la liste Paris-Majorité aux élections municipales
de mars 1971, n’hésitait pas à se faire parrainer par M. Rives-Henrys de Lavaysse, alors
président de la Garantie foncière.
toirs de la Villette, marquant ainsi le lien entre les différents scandales qui affec-
tent le régime. Combat souligne la justesse de l’opération : « Reconnaissons en effet
que de M. Rives-Henrys à la Villette en un quart d’heure de marche, cela fait
beaucoup pour un seul et même pouvoir. » La manifestation contribue donc à af-
fermir l’idée qu’il s’agit bien d’un problème politique : le lieu choisi n’est pas le
siège de la Garantie foncière, mais un lieu emblématique d’exercice du pouvoir
politique.
La dénonciation du capitalisme est également assumée par le tout nouveau Parti socia-
liste. Dans un communiqué du 26 juillet, la Fédération de Paris du PS dénonce « une tare
de la société capitaliste » :
Dans un système où le profit est roi, l’argent vénéré, la confusion entre l’exercice
de la puissance publique et certaines activités privées est une réalité permanente,
le scandale de la Garantie foncière, venant après d’autres (La Villette) et dans le-
quel est impliqué un député UDR (dont on s’étonne qu’il le soit encore) ne peut
nous surprendre. Et pour nous ce scandale ne résulte pas seulement des agisse-
ments de quelques individus, mais il est une conséquence du système capitaliste
et de la politique foncière des gouvernements de la Ve république.
Et les victimes ?
Le Comité de défense continue pendant ce temps à s’organiser. Ses deux diri-
geants, Rosy Kajman (secrétaire-trésorière) et Robert Cazilhac (président) affir-
ment disposer de plus d’un millier de demandes d’adhésions au 20 juillet (30
francs de droit d’entrée sont demandés et 30 francs de cotisation). « Nos buts les
plus immédiats [en attendant la tenue d’une assemblée générale prévue en sep-
tembre] sont d’avoir un maximum d’adhérents, d’éviter la panique et d’essayer de
nous faire payer les intérêts qui auraient dû nous être versés le 15 juillet. »
Le comité de défense ne peut cependant pas se porter partie civile, puisqu’il n’existait pas
au moment des faits qui ont motivé l’ouverture de l’instruction, mais il envisage de de-
mander à quelques uns de ses membres de se porter partie civile à titre individuel : c’est le
cas de M. Cazilhac, suivi par d’autres souscripteurs. Les premiers témoignages de sous-
cripteurs sont recueillis par la presse :
« Je suis désespéré, dit M. P… L…, un porteur de parts que nous avons rencontré hier
devant le siège social de la GF, rue Jasmin (XVIe). Je suis retraité et j’ai absolument
besoin de ces revenus que me procuraient mes quarante parts pour vivre, car avec ma
seule retraite, ce n’est pas possible. Je sais bien que la vente des immeubles peut cou-
vrir les frais, mais va-t-elle se faire un jour ?
« Je suis porteur de 15 parts, dit un autre, j’ai été trompé de la façon la plus claire qui
soit car M. Frenkel m’a assuré que je pourrais les revendre quand je voudrais. Je dois
en effet acheter un appartement en janvier prochain, et je comptais sur la revente de
mes parts. Je suis vraiment extrêmement gêné » (l’Aurore du 21 juillet).
Prochain épisode :
« L’automne du scandale »