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Numéro 5 (1985)
Identité culturelle et appartenance régionale
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Isac Chiva
George Henri Rivière : un demi-siècle
d'ethnologie de la France
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Référence électronique
Isac Chiva, « George Henri Rivière : un demi-siècle d'ethnologie de la France », Terrain [En ligne], 5 | 1985, mis en
ligne le 23 juillet 2007. URL : http://terrain.revues.org/index2887.html
DOI : en cours d'attribution
Isac Chiva
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fois centre de recherche, conservation, documentation, et, par ses expositions et présentations,
établissement éducatif à l'intention des publics les plus variés — G.H. Rivière étudiera dès
cette époque les formes possibles d'une institution jumelle consacrée, non plus aux mondes
exotiques mais à la France.
3 Les liens étaient alors étroits, sur la scène parisienne, entre les protagonistes de la naissance de
l'ethnologie française moderne, et les avant-gardes créatrices, critiques et subversives, parmi
lesquelles le surréalisme occupait la première place. Le « populaire », au même titre que le
« primitif », y était célébré et l'ethnographie faisait, comme maintenant, les frais d'utilisations
et interprétations diverses. L'objet — celui des ethnographes et des collectionneurs, celui qui
inspirait les peintres — se voyait conférer vertus et fonctions multiples, détourné et réinventé,
à la fois signe et émotion cristallisée. C'est l'influence conjointe du positivisme biométrique
d'un Paul Rivet, de l'enseignement d'un Marcel Mauss, comme du bouillonnement surréaliste
qui allait marquer simultanément et à jamais G.H. Rivière.
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également des travaux scientifiques. Les services de recherche allaient se voir consacrer une
existence formelle en 1966, sous le titre de « Centre d'ethnologie française », laboratoire
associé au CNRS, lequel avait déjà, dès l'avant-guerre, fourni au Musée une aide substantielle
en personnel et moyens d'enquête.
13 Ce sens des liaisons nécessaires, cette volonté parfois impérialiste de fédérer concours et
compétences, allaient conduire G.H. Rivière à faire du Musée, en 1947, mais ce n'était pas là
une pratique récente, le siège de la nouvelle Société d'Ethnographie française et de sa revue : il
anima l'une et l'autre pendant de longues années. Les contacts avec les centres universitaires se
multiplièrent également, qui allaient conduire le Musée et son conservateur en chef à devenir,
à partir des années 60, maîtres d'œuvre de grandes enquêtes collectives multidisciplinaires,
dont il sera question plus loin.
14 G.H. Rivière restera jusqu'en 1967, deux ans avant l'installation dans les nouveaux locaux, à
la tête de ce musée qu'il aura conçu, organisé, aimé, animé, considérablement enrichi. Dans
ces fonctions il aura proposé une pratique et formulé une réflexion muséologiques dont on
est loin de mesurer l'impact, le plus souvent positif, parfois négatif, dans le reste de la France
comme à l'étranger.
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ethnologique, dès sa création en 1980, jusqu'en 1984, terme du mandat, et participera avec
son assiduité et sa fougue habituelles à tous les travaux et débats jusqu'à son hospitalisation
en 1983.
Le muséographe
19 C'est sans aucun doute dans ce domaine que G.H. Rivière aura connu les plus beaux succès et
fait son œuvre la plus originale. De l'exposition la plus temporaire à la conception même d'une
institution muséale indissolublement liée à la recherche, de l'enseignement muséographique
à la sociologie du public des musées, il n'est pas un seul aspect qu'il n'ait abordé, pratiqué,
réinventé, analysé, marqué de sa griffe. Sa leçon est capitale en ce moment surtout, où
la recherche ethnologique tend de plus en plus à s'incorporer à la sphère universitaire, en
divorçant des musées qui l'ont cependant vue naître, au risque de se couper du grand public.
20 Mariant la « recherche du temps perdu » et celle du « temps présent » dans sa volonté de faire
du musée ethnographique la traduction fidèle, sensible, belle et signifiante en même temps
des sociétés, de leur passé, de leur inscription dans la nature, ce « moderne » s'est néanmoins
attaché pendant longtemps à illustrer la civilisation rurale française à son apogée, qu'il situait à
juste titre à la charnière du xviiie et du xixe siècle. Ses expositions se voulaient des événements,
à même de saisir le visiteur par un effet de réalité nouvelle, de lui rendre sensible l'expérience
reconstruite de styles de vie, de modes de pensée, de périodes révolues, qu'il s'agisse de mondes
exotiques ou familiers. Son traitement de l'objet ne contribuait pas pour peu à bousculer les
automatismes de perception du visiteur. Car, pour lui, l'explication intellectuelle offerte au
visiteur du musée et qu'il souhaitait construite sur « de grandes notions simples prélevées dans
la vie même et, par là-même, familières au grand public », n'était pas séparable de l'émotion
que celui-ci éprouvera à la vue des objets, des images qu'on lui proposait.
21 G.H. Rivière aura ainsi créé et imposé un style muséographique qui marquera de façon
indélébile bon nombre des conservateurs actuels. A la recherche de ce qu'il appelait « une
sorte de fonctionnalisme muséographique », il s'efforçait de « purifier » l'objet, de se libérer
des « routines » telle celle de la symétrie axiale, d'imposer aux présentations des « rythmes
dynamiques », en ménageant des vides et des pauses. La construction muséographique devait
cependant rester aussi proche que possible du programme scientifique. Toute présentation
devait être conçue pour permettre des modifications élément par élément et, par là, rester
évolutive. Il préconisait, enfin, l'emploi systématique, massif, des techniques audiovisuelles.
A l'École du Louvre d'abord, dans deux universités parisiennes à partir de 1971, et jusqu'à ces
toutes dernières années, il n'aura cessé de diffuser ses idées surtout à travers l'enseignement
de la muséologie, le seul vers lequel les ethnologues pouvaient alors se tourner.
22 Mais cette pratique comme cette réflexion sur l'institution muséale seront sans cesse remises
en question, pour aboutir, à partir de 1966, à un nouveau concept : l'écomusée. Si Hugues de
Varine a forgé le nom, son contenu et le mouvement qui s'ensuivit doivent leur originalité
et leur substance à G.H. Rivière. « L'écomusée n'est pas musée » disait-il ! Le point de
départ de sa réflexion, coïncidant avec la création des premiers parcs naturels régionaux,
fut une fois de plus fourni par l'architecture rurale et les choix qu'elle impose en matière de
conservation. L'aboutissement : une institution créée à la suite d'initiatives locales, dotée d'un
territoire variable, parfois morcelé, porteur de biens naturels, reflet d'une histoire, habité par
une population censée s'y reconnaître. A la conservation et aux recherches en tous genres sur
l'homme, son passé, son milieu, ses possibilités de subsister, s'ajoute la volonté de faire de
l'écomusée une école, un lieu d'activités culturelles et d'expérimentation sociale, un miroir
tendu à la population locale avant tout.
23 A concept muséal nouveau, malléable, évolutif par définition, mode d'organisation original :
pouvoirs locaux et organismes d'État sont associés, mais surtout est recherchée la participation
active, organisée, de la population concernée à la gestion de l'écomusée. Plus même : on
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de la mosaïque des micro-sociétés rurales. Dans son étude, G.H. Rivière — exprimant en cela
la pensée de toute l'équipe — récuse toute intention esthétisante qui aurait risqué de nourrir par
la suite pastiche ». En même temps il refuse l'analyse formelle, qui procèderait du « classement
exclusif par formes », comme de celui par « éléments architecturaux ». L'accent est en revanche
mis sur les rapports entre formes et fonctions.
30 C'est par là, pourrait-on dire, que la maison paysanne devient l'objet le plus constant, le
plus provocant aussi dans la réflexion de G.H. Rivière sur l'art populaire et ses propriétés
esthétiques. Renouvelée, non dénuée de reprises, de retouches, de contradictions, empruntant
parfois à l'esprit du temps, cette réflexion sur l'esthétique du populaire porte d'ailleurs à la
fois sur la maison, le costume, le mobilier, le décor et les objets usuels. Elle est sous-tendue
par une prise en compte des traits d'ensemble de la société rurale, de sa dynamique, de ses
décalages. Poursuivie à propos de l'architecture, à travers de nombreux textes, elle se veut
aussi objective que possible, relevant décorations, proportions, ordonnances architectoniques,
rapports harmoniques ou désordre du dessin, rapports avec les formes de l'architecture
savante : la volonté scientifique réussit presque à l'emporter sur la sensibilité profonde de cet
authentique amateur d'art. C'est cette démarche qui lui a permis de combattre la confusion
naïve entre art populaire et pittoresque, comme le mépris longtemps voué par les historiens
de l'art à l'encontre de cet « art populaire », en une période où la production esthétique
vernaculaire s'évanouissait, alors que les contrefaçons réputées populaires se multipliaient.
31 Mais observer l'architecture traditionnelle ne suffisait pas. Il fallait que les résultats de la
recherche facilitent la rénovation et la transformation du bâti, instrument essentiel de la vie
rurale, en conciliant besoin de restauration et « souci de garder au paysage français sa valeur
culturelle unique ». Il fallait aussi en faire le fondement d'une action de conservation. G.H.
Rivière y reviendra sans cesse, en proposant des formules successives variées, en tournant
autour de l'imposante, difficile solution du « musée de plein air », en arguant du péril de
la disparition de ce patrimoine pour plaider sa préservation in situ dans toute la mesure du
possible. Pour une bonne part, la formule de l'écomusée, on l'a vu, tentera d'apporter une
réponse à ce souci.
32 A ces grandes enquêtes collectives, normalisées grâce à des instructions détaillées et à des
questionnaires, passe-partout, succéda une autre forme de recherche à l'animation de laquelle
G.H. Rivière s'est consacré à partir des années soixante. Il s'agira alors de saisir, par un effort
concerté de chercheurs aux formations les plus diverses, une région ethnologique, historique,
géographique en tant qu'entité sociale, culturelle et territoriale. L'identification de celle-ci se
combinait avec l'éclairage convergent fourni par les multiples sciences de la société et de la
nature, pour tenir lieu de projet théorique ou de corps d'hypothèses.
33 D'abord l'Aubrac, région montagneuse, archaïque du sud du Massif Central : sociologues,
économistes et agronomes, géographes, historiens, dialectologues et surtout ethnologues s'y
succédèrent entre 1963 et 1966. La moisson d'objets, enregistrements, photos, films sonores
fut aussi abondante que les écrits dont la publication s'achève à peine.
34 Une étude ethno-historique y éclairait les causes du déclin économique et les mouvements
migratoires originaux, comme elle informait utilement les propositions d'une recherche
appliquée. Ensuite, entre 1966 et le départ de G.H. Rivière à la retraite, la recherche sur le
Châtillonnais, partie septentrionale de la Bourgogne, choisie sur une suggestion de C. Lévi-
Strauss. Ensemble contrasté par rapport à l'Aubrac sur de nombreux points, cette région qui
connut une industrie précoce, et de nombreuses mutations démographiques et économiques,
fit l'objet du même type d'investigation multidisciplinaire que l'Aubrac, au fil conducteur peut-
être plus ferme. Mais les équipes se sont dissociées et les publications ont été faites en ordre
dispersé, à l'image des inspirations : l'ethnologie de la France entrait dans un nouvel âge.
La communication voulue et activement prônée entre participants par G.H. Rivière, comme
le choix des analyses spécialisées, conduites tantôt à grande, tantôt à petite échelle, ont-ils
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abouti, dans l'expression finale de ces vastes entreprises, à autre chose qu'à des chapitres
parallèles ? A transformer en réalité épistémologique le principe de l'interdisciplinarité ?
A mettre en évidence ce que A. Leroi-Gourhan appelle les « lignes de construction de la
société considérée » ? On peut se le demander, et les réponses varieront selon la rigueur et
le recul de l'interrogation. Il n'en reste pas moins que dans l'une et l'autre recherche, comme
dans ses entreprises antérieures, G.H. Rivière sut rendre la quête du passé et l'étude du
particulier inséparables des bouleversements récents comme de la préparation des inévitables
et indispensables modernisations que devaient connaître les campagnes françaises.
35 Surtout, en remplaçant l'observation des objets et traits culturels isolés, par la saisie de ces
faits sociaux totaux que sont les groupes et territoires régionaux, cet animateur hors pair aura
marqué, dans la connaissance de la société française, le passage du folklore à l'ethnologie.
L'homme et son institution auront ainsi réellement joué un rôle décisif dans le processus de
formation de l'ethnologie moderne de la France : un processus dans lequel, comme à mi-
chemin entre la fusion et la juxtaposition, aux apports et compétences des anthropologues
proprement dits vinrent s'ajouter ceux des folkloristes et des historiens, des géographes et des
sociologues.
36 Il y a un demi-siècle, le folklore se développait surtout en province, affaire d'érudits et
d'amateurs éclairés de bonne volonté, extérieurs au milieu universitaire. Mais la jeune science
ethnographique des années trente, tout comme la sociologie auparavant, était avant tout
parisienne et proche des pouvoirs. G.H. Rivière a su utiliser cette situation. Mêlé aux modes
et aux événements du jour, sachant les créer aussi, il tirera parti de toutes les ressources
possibles en moyens comme en idées, pour construire son institution et son image : en somme
l'essentiel de son œuvre. C'est à Paris qu'il liera des amitiés, des compagnonnages, dont certains
durèrent toute une vie, alors que d'autres se brisèrent en brouilles ou malentendus. Parmi les
premiers, parce qu'ils marqueront, par la fréquentation, et par une osmose intellectuelle, des
temps forts dans la démarche, rappelons-en trois : l'amitié avec Michel Leiris ; le lien, avec
Claude Lévi-Strauss, dont bien des idées vinrent inspirer le programme muséographique de la
galerie culturelle du Musée des Arts et Traditions populaires ; André Leroi-Gourhan, associé
de près à l'ample moisson de l'Aubrac.
37 Pour vraiment rendre compte de cette œuvre en représentation que forment la vie et la carrière
de G.H. Rivière, il faudrait, au préalable, reconstituer l'histoire intellectuelle et artistique,
mondaine et politique du Paris des deux après-guerres et des années 1940-45. Il faudrait aussi
rassembler la mosaïque éparse de ses innombrables écrits — articles et lettres, notes de travail,
programmes d'expositions et préfaces de catalogues, instructions techniques et synthèses
provisoires, circulaires et notices d'exposition — dont émergent les deux monumentaux
volumes des « Arts populaires des pays de France » qu'il signa avec A. Desvallées et D.
Glück. Il faudrait enfin mieux saisir et raconter un caractère, un tempérament faits de mille
traits singuliers, contradictoires, et d'une énergie inépuisable qui n'a cessé de démentir son
apparente fragilité physique et de consommer toutes les heures de cette vie si rarement privée.
Alors seulement pourra-t-on prendre une vue claire des lignes de force comme des sinuosités
d'une pensée qui traitait les théories et les concepts comme des objets muséaux, et ces derniers
comme des idées sensibles. Alors aussi décèlera-t-on clairement les inspirations absorbées
comme les marques imprimées par ce personnage à tous égards hors du commun.
38 Inventeur incessant, partisan résolu d'une ethnologie de notre temps, G.H. Rivière n'en aura
pas moins — et il semble bien qu'en fin de compte ce fut là son choix décisif — donné une
prééminence certaine à l'étude ethnologique de la civilisation traditionnelle, en son essence et
en ses produits. A témoin voici ce que, appelé à imaginer le musée des Arts et des Traditions
populaires de la fin de ce siècle, il écrivait en 1967 : « Dans toute la galerie culturelle et
dans les vitrines de la galerie scientifique, conserver à tout prix là prédominance des objets
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traditionnels, trésor incomparable, message d'un monde disparu, qui feront un Louvre de notre
musée. »
39 Ne confirmait-il pas ainsi la vocation et la mission de sauvetage, « au crépuscule d'une très
vielle civilisation », qu'il assignait à l'ethnographe en 1943 ? « Tâche analogue — écrivait-
il alors, dans un texte co-signé avec M. Maget — à celle menée jadis, au profit de la haute
culture, par les moines attachés à sauver de la ruine les vestiges éclatants de civilisations et
de pensées parfois éloignées de leur propre conception du monde ». En faisant ce choix, G.H.
Rivière a su cependant concevoir un monde dans lequel le passé éloigné de sa sensibilité vient
éclairer notre présent.
À propos de l'auteur
Isac Chiva
Directeur d'études à l'EHESS
Droits d'auteur
Propriété intellectuelle
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