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Romania

Origine arabe du mot français ogive


Georges-S. Colin

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Colin Georges-S. Origine arabe du mot français ogive. In: Romania, tome 63 n°251, 1937. pp. 377-381;

doi : https://doi.org/10.3406/roma.1937.3849

https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1937_num_63_251_3849

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MÉLANGES

ORIGINE ARABE DU MOT FRANÇAIS OGIVE

Depuis longtemps, la recherche de l'origine du mot « ogive »


a exercé la sagacité des lexicographes, et donné lieu a des dis¬
cussions souvent passionnées. Les historiens de l'art suppo¬
saient en effet que, d'après l'étymologie du mot, ils pourraient
attribuer avec certitude une origine romane, germanique ou
orientale à l'art ogival, c'est-à-dire à l'art « gothique ».
Dès 1863, Viollet-le-Duc écrivait : « Beaucoup de pages ont
été écrites sur l'origine de ce mot, et l'esprit de parti (parti dans
les questions d'art s'entend) s'en mêlant, on en est venu à si
bien embrouiller la matière que toute conclusion semble avoir
été ajournée à des temps plus calmes. » '
De fait, de nombreuses étymologies ont déjà été proposées
pour le mot « ogive », en graphie ancienne « augive ». Littré
énumère les principales : « Ménage le tire de auge : en forme
d'auge. M. Renan soupçonne que dans au ou 0 est l'article
arabe al; mais il ne peut expliquer le reste du mot. M. Scheler
dit, sans prendre parti, que ce mot est tiré de l'allemand Auge,
œil, en hollandais 00g, parce que les arcs des cintres, dans les
voûtes gothiques, forment des arcs curvilignes semblables à
ceux du coin de l'œil. M. Lehéricher. . ., s 'appuyant sur la
forme par au, y voit un dérivé du latin augere , augmenter, cet
arc en diagonale augmentant la force de la voûte et de l'arêtier.
C'est la vraie étymologie, conclut Littré; ogis se trouve dans le
sens d'appui. »
Plus prudent est l'article consacré à ogive par Oscar Bloch

sikh-,
i. Cf.
t. 6,Dictionnaire
p. 421. Paris,
raisonné
1863. de V architecture française du XIe au XV [c
378 MÉLANGES
dans son Dictionnaire étymologique de la langue française (1932) :
« Terme technique d'origine obscure. L'orthographe augive est
due à un rapprochement avec auge, et cette étymologie est
encore admise ; le mot signifierait donc proprement « en forme
d'auge » ; mais cette interprétation ne satisfait pas. »
En effet, on conçoit mal le rapport visuel qui peut exister
entre une ogive, ou une voûte d'ogive, et une auge. D'autre
part, le mot latin médiéval og'is, que Littré considérait comme
Yêtymon de notre augive-ogive, n'existe pas. Mr. Huard a
montré 1 que, dans les deux textes du xme siècle où l'on avait
cru le rencontrer, il fallait lire egis « bouclier ». Il convient
donc de chercher pour ogive une autre origine.
Il semble qu'un détail important ait échappé jusqu'ici aux
chercheurs. C'est que le mot ogive ou augive apparaît d'abord,
aux xine, xive et xve siècles dans les expressions croix d" augive,
croix augivère, croisée à' augive. Or, ces expressions ont un équi¬
valent formel et sémantique dans l'expression espagnole bóveda
de aljibe, litt. « voûte de citerne », que. le Diccionario de Ja lengua
española (Real Academia española, Madrid, 1925) définit ainsi
« voûte déterminée par des voûtes demi-cylindriques se cou¬
pant à angle droit. » C'est donc ce que nous appelons encore
une « voûte d'arête », engendrée par le croisement à angle droit
de deux voûtes en plein-cintre, le coupement de ces deux
voûtes déterminant des arêtes saillantes qui se projettent en
dessous pour se croiser diagonalement au centre de la voûte
d'arête. Lorsque, pour des fins ornementales ou architecturales,
ces arêtes sont renforcées en nervures, on obtient la « voûte
nervée sur arcs entrecroisés » qui est à l'origine de la « croisée
d'ogive ». Par la suite, ces arêtes renforcées en nervures
devinrent l'essentiel des voûtes de ce type et l'expression croisée
d'ogive devint croisée d'ogives.
Si donc l'espagnol bóveda de aljibe ne correspond pas mot-à-
mot au français croisée d'ogive , il correspond exactement à voûte
d'ogive. Et il apparaît que le français augive, ogive n'est autre
que l'espagnol aljibe, en graphie ancienne algibe.

de i.cette
Cf. indication
Bulletin des
à M.Antiquaires
R. Thouvenot,
de France,
conservateur
193 3, p. des
96. antiquités
— Je suisà redevable
Volubilis
(Maroc).
ORIGINE ARABE DU MOT FRANÇAIS OGIVE 379
Le passage de al à au est normal en français médiéval Le
g/j doux de l'espagnol n'est devenu une spirante vélaire sourde
que vers la fin du xvie siècle. Enfin, le passage du b espagnol
(spirant ?) à v français ne fait pas difficulté.
Mais, en espagnol, algibe-aljibe n'est pas un mot d'origine
romane, c'est un emprunt arabe. Comme on l'a reconnu depuis
longtemps, son prototype arabe est al-gubb d'où dérivent direc¬
tement le castillan alchup et le portugais aljube. Cependant,
dans certains parlers arabes de la péninsule ibérique, la voyelle
u avait dû passer à i, sans doute sous l'influence de la prépa¬
latale g 2 ; d'où une forme dialectale arabe *al-gibb, attestée par
les emprunts algibe-aljibe (cast.), algibe (port.). La réduction
de la géminée arabe est courante dans les emprunts effectués
par les langues romanes. Quant au e terminal, qui apparaît en
espagnol et en portugais, il représente la voyelle disjonctive
externe que l'arabe hispanique prononçait après un groupe de
consonnes en fin de mot 3. L'étymologie : ar. al-gubb esp.
algibe-aljibe étant établie 4, la généalogie de notre mot « ogive »
s'établit à son tour comme suit : franc, augive, ogive <C esp.
algibe
« citerne
, aljibe
». <i ar. hispanique al-gibbe <C ar. classique al-gubb

***

i. Notamment, comme c'est le cas pour augive , quand il s'agit de l'article


arabe al-dans des mots d'origine arabe empruntés à l'espagnol : au/orge
al-horg , aumasor al-man$ôr, aufage <C al-hâgg, auferrant <ial-faras , auber¬
gine <C_ al-b . . . , etc.
2. A l'intérieur même de l'arabe hispanique, on relève de nombreux
exemples du passage de a (et de u) à i au contact de g : banafsig « violette »,
barndmig « catalogue », kausig « imberbe », sausig « rhamnus », kurrig
« cheval de bois », lâhtarig « fumeterre », gidr « racine », gi\âf « en bloc, en
gros ». D'autre part, dans des toponyines espagnols d'origine arabe, le mot
arabe gobai « montagne » est toujours représenté par gibr-.
3. Cf. G. S. Colin, Les voyelles de disjonction dans l'arabe de Grenade nu
XVs siècle, in Mémorial Henri Basset, 1928, I, p. 211.
4. C'est à tort que le dictionnaire de l'Académie espagnole, voulant expli¬
quer le i intérieur et le e final de aljibe rattache ce mot au -pluriel arabe
classique de al-gubb : al-gibdb ou, en prononciation dialectale, al-gibèb. Si
l 'espagnol aljibe avait une telle origine, il aurait conservé l'accent arabe sûr
la dernière syllabe. D'ailleurs, le pluriel d' al-gubb, en arabe hispanique,
n'était pas al-gibdb mais al-agbdb.
380 MÉLANGES
Toutefois, du fait que le français ogive a pour origine —
lointaine
des conclusions
— un intéressant
mot arabe, l'histoire
il ne paraît
de l'art
guèreet prudent
de naturedeà fixer
tirer
l'origine de l'art ogival.
D'abord, il paraît assuré que le français n'a pas emprunté le
mot à la langue arabe directement mais à travers l'espagnol J.
Par ailleurs, algibe / al-gubb ne signifie — en espagnol et en
portugais,
ment « cachot
comme
souterrain
en arabe ».— C'est
que «seulement
citerne » du
et, fait
secondaire¬
de son
emploi dans l'expression technique espagnole « bóveda de aljibe »
qu'il
Sansa donné
doute naissance
les citernesà ou
notre
les cachots
terme architectural
étaient-ils couverts
ogive. . cou¬
ramment en Espagne d'une voûte d'arêtes. Les citernes monu¬
mentales, de construction romaine ou musulmane, y étaient
nombreuses ; les plus célèbres, chez les auteurs arabes, sont
celles d'Alméria et de Cadiz. D'autre part, on connaît l'exemple
d'un autre mot arabe-hispanique signifiant à la fois « cachot
souterrain » et « voûte » ; c'est matmôra dont le sens premier
est « silo ». Dans son Arte para ligeramente saber la lengua ara-
uigá (ire éd., Grenade, 1505), Pedro de Alcala distingue algibe
de agua — ar. gubb, et algibe presión = matmôra ; mais, sous
boueda « voûte », il donne à la fois qubba, qui est le mot arabe
propre, et aussi matmôra. On a donc pour ce dernier mot, dans
l'arabesuivante
sens grenadin: Iodu« xve
silo siècle,
», 20 l'attestation
« cachot souterrain,
de l'évolution
prison de
»,
30 « cave m voûté, voûte ». Un chemin parallèle a dû être
suivi par al-gubb.
Enfin, l'expression bóveda de aljibe, telle qu'elle est définie
par le Dictionnaire de l'Académie espagnole, ne paraît s'appli-

tés
l'intermédiaire
livresques,
diaire
s'agît
Égypte)
Orient
ferme
scientifiques.
i.enLes
des
:leà i°)
Afrique
pendant
travers
vocabulaire
traductions
mots
effectués
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mots
leNord
etl'argot
turc
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latines
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empruntés
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après
militaire.
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médiévales
sont,
1830
l'espagnol
Croisades
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et
Les
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; introduits
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par
général,
autres
; oude
d'ouvrages
2°)
le l'italien
mots
français
de
mots
en
des
dans
mots
arabes
Orient
emprunts
arabes
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l'arabe
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langue
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Palestine,
ou
que
emprun¬
rares.
moins
ren¬
par
ou
enIl
FRANÇAIS CHEVRIN 38 I
quer qu'à la simple « voûte d'arête » qu'ont connue les Anciens
et les Orientaux. Or, ce qui constitue la caractéristique de l'art
ogival, c'est la « voûte sur croisée d'ogives » ; dans celle-ci,
les arêtes saillantes projetées en dessous par la « voûte d'arête »
ont été renforcées ; elles deviennent des « nervures » qui, se
croisant diagonalement, finissent par constituer une armature
de pierre indépendante, une « croisée de nervures », qui sup¬
porte les segments de voûte et permet la construction de « cou¬
poles nervées ».
Comme on le voit, si, étymologiquement, l'origine arabe du
mot « ogive » est assurée, le secret de l'origine de la voûte sur
croisée d'ogive demeure à peu près entier.
En terminant, je tiens à indiquer que j'ai été mis sur la piste
de l'étymologie indiquée ci-dessus par mon collègue et ami
Marcel Cohen, qui, sur cette même question, a déjà com¬
muniqué une notule à la Société de Linguistique de Paris
(cfr. jBull. S.L.P., 1934, t-35> asc- P- xiii).
Georges S. Colin.

UN DOUTE DE LEXICOLOGUE : FRANÇ. CHEVRIN

Parmi les nombreuses hantises du lexicologue, une des


pires est la peur d'admettre un mot inexistant. En effet, il ne se
àpasse
tel ou
presque
tel mot
pas ou
de au
jourmoins
où il ànetelle
doive
ou demander
telle nuance
les séman¬
papiers
tique enregistrée par les grands dictionnaires. Que les lecteurs
de
un seul.
la Romania me permettent de lui soumettre un de ces cas,

Le Larousse du XXe siècle a inséré l'article que voici : « chevrin


n. m. (du vx. franc, chever, creuser). Cavité profonde sous les
rives des cours d'eau, où le poisson va déposer son frai et se
réfugier ». En principe le Larousse s'est engagé à avertir le
lecteur quand un mot n'appartient plus à la langue moderne.
En ce cas il fait suivre l'article d'un (peu us.) ou d'un (vieux), etc.
Puisqu'il n'y a rien après l'article chevrin nous sommes invités
à y voir un mot en usage de nos jours. En remontant la lignée
des Larousse nous trouvons le mot déjà dans le Grand Larousse
du xixe siècle, à peu près avec la même définition. Mais au-

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