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Printed: 7/10/2014 2:18 PM OCLC In Process Date gt 044102061256 | HO 0 A HARVARD LIBRARY Borrower: HLS Call #: WID WIDLC PQ2097 .R48x Lending String: HLS Patron: Darnton, Robert Location: HLS Journal Title Revue Voltaire. ODYSSEY ENABLED Volume; no 4-5(2004-2005) Issue: eee Month/Year: 2004 Pages: 253-270 Billing Category: Exempt ‘al . Borrowing Library: Article Author: Harvard University - Widener Library Article Title: La Science de la contrefacon Email: Imprint: Via Scan and Deliver Service Notes: 2014 2:15:40 PM Special Instructions: Transaction Date:7/10/201 $&D Processing Notes: Scan & iad TN: 4346548 ILL Number: 4346547 AVANT notas cited Duplicate Multiple articles Exceeds 10% of work Not on shelf on Reserve ‘Too fragile Checked out/on hold Exceeds 100 pages oooooooo0 tnitials:_ —— LA SCIENCE DE LA CONTREFAGON* Lac -spondance des libraires au xvuté sitcle abonde en expletives comme - pirate », « corsaite », « bandit». Aux yeux de la Direction de la librairi = Paris, Neuchatel passe pour un antre de la piraterie, car la Société typogrsphique contrefait couramment les lives imprimés en France. Pourtant. le directeur principal de la STN, Frédéric Samuel Ostervald, n'a rien d'un Jean Bart. Banneret, ancien maftre bourgeois en chef, ancien directeur du College de Neuchatel, homme de lettres, et secrétaite de la Société du jardin ot se rassemble fe gratin de la vill il posséde une belle maison prés du lac et des vignes hors de la ville. Il sort en caléche. Grandl-pere, riche, estimé, on le surnomme « Bouche P’Or » & cause de ses prouesses oratoires ; quand il prend la parole dans les séances du Grand Conseil, du Petit Conseil et des Quatce-Ministrau, il se consacre surtout fa défense des « droits, exemptions et privileges » de la bourgeoisie. Un drdle de pirate, ce bon bourgeois, qui attaque les priviltges en France et les défend chez ui. Ce paradoxe tient & Ja nature de la librairie sous l'Ancien Régime et nous oblige & repenser les notions de contrefagon et de propriété intellecuelle. Le copyright n’existe pas au XVIN® sigcle, sauf en Angleterre (législation de 1710) et au Danemark (1741). Le commerce de livres frangais et allemands est régi en principe par la notion de privilége, qui reléve de Paucorieé souveraine et n'a que faire du génie de Vauteur, malgré les prétentions de Diderot et de Lessing. Le réglement général de la libraisie frangaise du * Une version anglaise de cet article est parue sous le ttre «The science of piracy: acrucial ‘ingredient in eighteenth-century publishing » (SVEC 2003 : 12 p. 329). (DIR) 1 Frédéric Samuel Ostervald, « Devolrs généraux et particuliers du Maitre Bourgeois en Chef Pendant sa préfectue », cahier manuscritrédigé par Ostervald en 1763, Bibliothéque publique et universitaire de Neuchatel, ms 1592, p. 2 Vor aussi le pamphlet conservateur cit par Osterald pendant Tafaire de Ferdinand-Olver Petitperte et les disputes concernant ia doctrine des peines éternelles de ener: Mémoires pour servirde réfutation 4 la brochure inttulée Considérations pour les peuples de Iftat, WMeuchatel, 1761), notamment p, 48-50. Sur Osterald en général, voir Jacques Rychnet et Michel Schiup, ‘Frédérie-Samuel Osterald, homme politique et éditeur», dans Michel Schlup, éd., Biographies neuchateloises, Hauterve, 1996. p.197-202. 30 aotit 1777 est formel :« (..] le privilege en librairie e-. ne grice fondée en justice ». Loin de reconnaitre les revendications des |) ires-éditeurs, le roi refuse de « (...] convertir une jouissance de grice ex xe propriété de droit? ». Le statut Iégal du livre dérive du « plaisir» ds 5, ainsi que le proclament les textes des priviléges imprimés dans chaqu: - rage. Mais la agrice du roi de France na pas de force en Suisse ; son plait e stend pas Neuchatel. Ostervald peut reproduire et vendre les textes ‘+ livres fransas autant qu'il veut sans enfreindre la loi & laquelle il est soums cher lui et sans blesser un droit de propriété done le concept est rejeté par le roi de France les éditeurs francais le traitent de contrefaeteur, ii peut épondre quill travaille pour le roi de Prusse, le souverain de la principauré de Neuchatel et Valangin, tour en faisant un bénéfice honnéte. Les intéréts &conomiques ne se taisent pourtant pas devant les formalités dela jurisprudence. La Direction de la librarie est un jeu de lobbies, oit les gts Eerasent les petits. Au XVIF siele, les grands libraires parisiens ont monopolisé les prviléges ex dominé le monde de T'édition & tel point que les librares de province ont cherché refuge dans le commerce de contrefagons tirées de Vétranger. Tout un systéme dilliances s'est tissé entre les maisons 'édition qui entouraient Ia France et leurs clients, & Pintérieur du royaume’. Au XVIII sitele, Amsterdam et Rouen, Genéve et Lyon, Avignon et Marseille forment des réseaux de production et de distribution dressés contre les grandes ‘maisons qui régnent & la Chambre syndicale de la communauté des ibrares et des imprimeurs de Paris. La censure fait refluer une bonne partie de la production & Pétranger, c'est connu ; mais lessentiel du commerce illégal est composé de contrefagons. Représente-til la moitié des livres diffusés en France entte 1750 et 1789 ? On ne peut pas calculer es proportions des ventes, mais T'Etat reconnait importance des contrefacons par le réglement de 1777 : Ec comme on a représenté au Roi quil existait un grand nombre de livres contrefiis antéricurement au présent art, et que ces livres formant la fortune d'une grande partie des librates de province, qui slavaient que cette ressource pour satisfire & leurs engagements, Sa Majesé a pensé dul Ear de sa bonté de clever les posesseuts desdites contrefagons dela rigueur des peines poreés pa les réglements (1. 2. «At du Conse é'Etat du Ro, portant églement sul durée desprivildgesen bare. 30 0081777 »,ctationsdaprésie texte imprimé dans 'Almanach de libra, Pais, 178% 167768. 3. Henr-lean Marti, « 'éiton parisenne au xvt sitcle : quelques aspects économiques» ‘Annales: Economies, sciéts, civilsctons, 7 Guilt septembre 952),p. 303-38. 4 Almanach del bra, op. cit, 9.173. Le iemene permet aux libraires de vendre leurs stocks de contrefagons ¢ estampiller par l'adjoine d’une Chambre syndicale, C'est légaliser sl coup tous les livres contrefaits avant le 30 ade 1777, rout en prop cat de confisquer sans pit roduits apres certe dare. Le gine se donne comme but « [...] de fate cesset la rivalité qui divise la libs: de Paris et celles des provinces® », en redressant la balance en faveur des vinciaux. Il n'a pas réussi ~ est un sujet compliqué, qui mériteraie tune sere étude ~ mais il en die long sur les rapports économiques et légaux 2 librairie de PAncien Régime. Les archives de la STN nous permettent d'étudier ceux-ci de prés, parce quien contrefaisant des livres, les Neuchatelois se placent au point stratcgique, oi Voffre rejoint la demande et oii le marché liteéraire se laisse analyser avec une précision particuliére. Quand un éditeur imprime un livre sur manuscrit, i fait un pari ; mais quand il réimprime un ouvrage qui existe, il peut se renseigner sur sa vente, sur le nombre d’éditions déja parues, et méme sur celles envisagées par ses concurrents, grice & des informareurs bien placés. Il sagit en effec de « market research», une véritable science économique enseignée aujourd'hui dans des écoles de commerce ; science peu exacte mais exigeante, puisque le contrefacteur étudie Je marché ceux rigoureusement en pesant toutes sortes informations. La STN tire Fessentiel de son information de sa correspondance, qui est «Pame du commerce » d'apres les professionnels Les lettres arrivent a flots, expédiées par des libraices établis dans toutes les villes de France. Ayant recucilli les demandes de leuts clients, les libraires envoient commissions sur commissions, accompagnées souvent de commentaires. Parfois ils conseillene 2 ba STN de réimprimer les livres qui ont le meilleur débic chez eux. ‘Quelques-uns vont jusqu’a s'engager par avance & acheter un certain nombre des ouvrages qu’ils recommandent. Ainsi, Antoine Périsse Duluc, un des libraires les plus importants de Lyon, propose d'entrer dans « [..] des marchés particuliers pour de gros nombres de certains lives dont nous vous aurions conseillé 'impression relativement au débit qu’ils ont en France’ ». I] est vrai que les avis se contredisent et qu’un live qui se vend bien & Moncpellier peut étre un « four » & Bordeaux et un « garde-magasin » Lille. wr. 3058e junior la Société typographique de Neuchatel, 25 fErier 1772, Archives dela typographique de Neuchatel ctéeschaprés comme STH) &la Bibliotheque publique ct universitaire de Neuchatel, ms 1359. 7. Antoine Périsse Duluc la STH, 21 septembre 1776, ms 1193. Mais la STN sonde les marchés régionaux au moyen de com: °s voyageurs, invitant des agents astucieux & lui envoyer des rapports + * le marché parisien. Aprés plusieurs années d'exercice, elle arrive & tar ct tous ces renseignements et & se faire une idée assez exacte de la demande» ieérature. Diaprés Abram Bosset Deluze, lassocié principal d’Osterval: ia STN se dirige par «le calcul, science démonstrative? » La contrefagon est donc une véritable science au XVIII sigcle. cere ne me parait pas déplacé ni anachronique. J'rais plus loin, Je - is que le contrefacteur du XVII sidcle fuisaic le méme travail que certains 'oriens de la lieérature aujourd'hui. Il cherchait une réponse & la question «osée ily @ Tongtemps par Daniel Mornet : Que lisaient les Francais ? La téponse n'est pas facile, hélas, parce qu'elle est dispersé> dans les 25 000 lettres des archives de la STN ; et quand on les a ues dans leur toralité, on a du mal & en dégager une vue d’ensemble, Mais certains dossiers ouvrent une perspective révélatrice, puisqu’ils nous permetcent de suivre le dialogue entamé entre le contrefacteur et le libraire qui lui sert de consciller ; et les débats épistolaires aboutissent parfois & des conclusions. ‘On peut donc reconstruire le raisonnement qui mene & une décision ~ conttefaite ou ne pas contrefaire ? ~ et de cette fagon cerner la logique derritre l'édition d'un livre, Penchons-nous sur un dossier exceptionnel, celui de Pierre Gosse Junior et Daniel Pinct, libraires grossistes 4 La Haye. C’est une maison importance qui fournit d'autres libraires en France, aux Pays-Bas et en Grande Bretagne. Gosse, qui tient la plume, connait le marché comme sa poche, ayant traité depuis trente ans avec les éditeurs les plus importants, de Gabriel Cramer & Genive & Mare-Michel Rey & Amsterdam. Il est assez conservateur dans ses jugements, puisqu’ll pense deja & prendre sa retraite en 1769, mais il sait Alairer une bonne affair, et n’hésite pas & conseiller la STN quand elle lui demande son avis. Ostervald le fait réguliérement, parce que lors de la fondation de la STN, en 1769, il n'est qu'un novice dans le métier. Il a besoin du conscil dun libraire chevronné — et aussi d'un client qui peut commander les exemplaires par centaines. Aussi amorce-til sa demande avec un appat: si Gosse acceprait d’acheter les livres de la STN en nombre, celle-ci lui donnerait lexclusivité de la vente de ces livres, & prix réduit, pour les Provinces-Unies, les Pays-Bas autrichiens et la Grande Bretagne. Gosse ne rechigne pas, et il en résulte non seulemenc une alliance commerciale mais {8 Abram Bosset de Luze 3 la STN, 15 fevrler 3780, ms 1189. ausy dialogue confidentiel, oit l'on peut distinguer les éléments les plus imj ants de la stratégie d'un contrefacteur, car Ostervald parle de ses pro; vee une franchise rarement rencontrée dans les lettres d'affaires. V. par exemple, une demande typique trée d'une lettre en date du fo 21770: devoir bien agréable que nous nous sommes imposés favoic onneur de vous communiquer non seulement nos entreprises mais ‘ore nos vues et nos projets selon que vous nous Pavez permis, joint au distingué que nous fsons de vos sages conseis, qui sont notre susole, ne nous permettent pas de vous Lasser ignorer quayant appris I parassaie depuis peu 3 Pars un ouvrage interessant et que Ton assure vets bon sous le titre de Thaité des bétes laine, [un] volume in-quarto ve figues ; et considérant d'un cbté qu'un tel ouvrage est d'une wtlieé nérale et de Pare que le haue prix de Pédicion de Paris ne permet qua «os petie nombre de personnes den fire acquisition, nous serions inclines 3 le eimprimer tout de suite en format octavo ow in-douze et sans figures «dont nous ctoyons que l'on peut bien se passer pour des objets que chacun « jourmellement sous les yeux. Mais comme nous rentreprenons tien sans avoir pris vorre avis, nous vous prions, Messicurs, de vouloir bien nous marquer dans quelle mesure vous voudlie y enter. est ainsi que sexprime un « pirate » du XVI siécle. Sous la rhétorique fleurie on distingue le raisonnement commercial. Ostervald ne vise pas une ceuvre magistrale par un Voltaire ni un Rousseau, mais un livre pratique destiné au grand public. Afin de réussir son coup, il propose une édition bon marché, en petit formar, et sans illustrations. Ex pour se couvrir du cbxé des frais de production, il veut s'assurer par avance d'une bonne commande. Gosse est capable de commander 100, 500 voite 1 000 exemplaires d’un ouvrage & la fois. Il a acheré les trois-quarts de Encyclopédie d’'Yverdon que Fortuné-Barthélemy de Félice tire a2 500. Mais le Traité des bétes a laine ne Vintéresse pas: « Nous ne pensons point par sa nature qu'il sera de grand debit », répond-il. « Ec vous dire vrai nous ne pouvons point vous conseiller d'en faire la réimpression. Nous pensons au moins que vous n'y trouverez point votre compte. » Pourtant, il se laisse tenter par un autre livre que la STN lui propose en méme temps : « Nous sommes charmés d'apprendre que "Histoire de Charles-Quint [par William Roberson, traduction de A. Suard) ne rardera point & vous parvenir. Ce sera certainement une excellence entreprise?. » 9) Gosse dla STN, 16 octobre 1770, ms 159, En discucant des projets d’édition, on saute vite d'un y.- A.un autre. La préoccupation essentielle est de flairer la demande. Dans série de letres cexpédiges encre février et mars 1770, Ostervald demands. is de Gosse sur sept contrefagons envisagées par la STN; et la gam genres en est énorme : un traité sur inoculation ; une traduction de: ons to Young Women pat James Fordyce ; une Histoire de la pocsie vole par Louis Joseph Velasquez ; un traité de jurisprudence, le Droit ss par Emer de Vartel ; et deux recueils littéraires, « une collection 4s les auteurs dramatiques du théétre francais depuis Comeille jusqu’s © ours » et «une autre collection de tous les meilleurs contes moraux ct p!- »phiques,fite avec gotte sous le titre d’amusements de société" », En les passant en revue, Gosse pése chacun, puis se pron sans ambages. Ine veut plus de livres sur Vinoculation, parce que le maz en est inondé depuis longtemps. Les sermons de Fordyce, par contre, !.i paraissent de «bon debit»: il en prendra 250 exemplaires. Il refuse de passer une commande pour Ie livre sur la poésie espagnole, puisqu’il ne le connait pas, et «nous ne voulons point acheter chat en poche ». Le traité de Vattel est excellent, mais « Comme les libraires de Leyde ont acquis par impression de lh premitre édition ce que nous appelons ici le droit de copie et non le privilege, que nous respectons saintement entre nous dans [a librairie d'Hollande ce droit de copie, nous n’en pouvons point faire entreprise en ce pays. » Gosse est prét 2 collaborer 4 la contrefagon de livtes imprimés en France, mais il respecte les droits de ses collégues en Hollande, oit le concept de proprieé intellectuelle n’ese pas le méme. Quant aux deux reculs il les déconseille {Lon vient de donner a Lidge une jolie édition en dix volumes petit in-douze des millers contes en vers et en prose. Deus éitions d'un tel ouvrage serait op. Ainsi, Messieurs, nous vous conseillons d’en renoncer. On @ donné en ce pays plusieurs reeucls des pitees de théitre, et aucun ne sest bien vendu. Nous ne pouvons donc point encore conseiller den faire entreprise. Vous pouvez bien certainement mieux employer vos presses". Résultat: la STN abandonne routes ces entreprises, sauf les sermons de Fordyce dont la commande 4 Pavance de 250 exemplaires fait pencher la balance en faveur d’une édition. Puis Ostervald continue & lancer des projets de contrefagons. Que pense Gosse du Vayage en Sibérie pat Pabbé Chapt, un 20 STW Gosse, 9 avil1770, ms 1095. a1 Gosse dla STH, 4 mai1770, ms 1159. «qui peut plaire & rout Je monde» et qu’on peut réduire de 4 2 slumes en retranchant les détails savants!?? Gosse ne mord pas, mais cervald revient & la charge, en insistant sur «Ja description curieuse et svelle qu'il donne rane de la Sibérie et duu Kamstchatka que des moeurs et syes des Russes[...] Ne vous paraicil pas comme & nous que, vu surtout il est aujourd'hui tant question des Russes, un tel livre se vendraie au uux!? ?» Gosse convient qu’Ostervald raison, mais il refuse de passer une mande, parce que Marc-Michel Rey, son allié & Amsterdam, a fait une tion du méme livee en quatre volumes octavo. La solidarité des grands sires hollandais se dresse comme une barritre contre les spéculations des sses. L'édicion neuchateloise du Voyage en Sibérie est morte. ais Ostervald déborde d'autres projets : Un Dictionnaire des animauec? Non, dit Gosse, «C'est une entreprise que nous vous déconsellons rbsolument'4, » — Une Description des glacitres de Suise? Non plus: « C’est un ouvrage bien curieux mais que peu de personnes achétent aujourd'hui = Une réfutation du Systime de la nature pat Jean de Castillon ? Gosse s'ese déja fourni de 'édition de Berlin, qui s'est mal vendue, ecil n'en veut plus, puisque « nous jugeons suivant notre débit ». Dailleurs, « Ceux qui achétent ces sorte de livres ne se soucient point des réfutations'6 » ~ Le Voyage autour du monde par Bougainville ? «Une trés bonne et excellente entreprise », reconnait Gosse ; mais prendra que 50 exemplaires, parce que « [..]lalibrairie va si mal aujourd'hui partout, par la mistre des temps!” », = Une Histoire du maréchal de Saxe et le Supplément au Roman comique, ou vie de Jean Monnet, directeur des troupes de comédiens? Non et encore non. «Ce sont de ces ouvrages qui ne se vendent aujourd'hui que dans la premiére nouveauté et dont il ne convient point de remplir nos magasins'®. » 12 STWA Gosse, zo juillet 3770, ms 1095. 13, STI Gosse,2 dt 3770, 51095. M4 Gosse a STH, 17 20813770, ms 159. 35 Gosse a STN, 33 a0dt 1770, ms 159. 36 Gosse 8STN, 22 novembre 1771s 1159. 17 Gosse aSTN, 25 feter 1772, ms 1159. 18 Gosse STN, 3jullt 1772, ms 159. Gosse semble peur-étre excessivement négatif; Monsicur Vein réalité, est un libraire astucieux, qui délie sa bourse aussitét qu'il scr ine bonne affaire, Le probléme existe du cété d’Ostervald, qui est un hom. de lettres, ccertes, mais un débutant comme éditeur, ainsi qu’il Tavou: si-méme: « Nous ne sommes encore peut-étre qu’apprentis », éerit-il en jor 1771. Gosse, par contre, est un professionnel qui connait bien le marc’: en parle d'une fagon strictement commerciale: « Il est trés nécessait. _iessieurs, aujourd'hui de suivre le got du siécle, le god du public, dans 1 reprises. ‘MM. les savant s'y trompent trés souvent. Un libraire, quia é “it, juge plus sGirement du god du public qu’un savant puisse le faire”. Diailleurs il existe beaucoup de problémes du été de la prod. on, parce quien 1770 et 171, Patelier des Neuchatelois est encore en rod, tls n’ont pas un prote expert, une équipe bien assortie d’ouvriers, des font... ‘e bonne qualité. Les directeurs ne savent pas se défendre contre le: :ourberies innombrables des papetiers et ne connaissent pas tous les secrets de 1a mise ¢n page & la frangaise. Pis encore, ils ne réussissent pas & organiser le cravail de maniére que les livres paraissent au temps conven ~ cest-i-dite avant les contrefagons des concurrents. En fin de compre, Cest le temps qui détermine Je succts d'un contrefacteur, car la contrefagon est une course contre la montre. Gosse le dit clairement dans ses plaintes & Ostervald : « Les ouvrages que vous nous proposez, Messieurs, sont bien stirement bons et excellents, ‘mais nous vous dirons franchement que les ouvrages que vous contrefaites sur Paris nous viennent trop tard et bien aprés que les Parisiens en ont rempli ce pays-ci er "Angleterre, par oit il arrive que ce que nous pourrions prendre de vous ne fait que remplir nos magasins?!, Pour mieux cerner le jeu de tous ces facteurs — la demande, les problémes de production, Ia concurrence et le temps ~ on peut étudier de plus prés Thistoire d'une contrefagon, Pédition neuchateloise des Questions sur Encyclopédie de Voltaire, celle qu'elle parait dans la correspondance entre la STN et Gosse”?, 19. STN Gosse, 1 janvier 3771, ms 1095. 20 Gosse 8 STN, 2 octobre 3770, ms 3159 21 Gosse la STN, 5 novembre 1771,ms 159. 22 Une partie de cette correspondance a été imprimée par Theodore Besterman dans son ction des ues de Voltaire : The Complete Works of Voltaire. :20-1221V 120-122] mals Fela cite e'aprés les manuserits de a STN. Charly Guyot a uilisé ces manuscrits dans un bel article un des premiers sur la STN :« Voltaire et dition neuchiteloize des “Questions Sut Encyclopédie” », Musée neuchdtelos, 1969, p. 12333. «te spéculation importante, 9 volumes in-octavo, domine les affaires de STN pendant les premires années de son existence, et Cest le dernier ad ouvrage de Voltaire. En 'annongant & Gosse en mars 1770, Ostervald {hic comprendre que la STN ferait une premitre édition, imprimée sur le cuscrit fourni par Voltaire fui-méme. Ebloui par cette nouvelle, Gosse ond par une lettre qui, au contraire de celles citées ci-haut, respite hhousiasme d'un libraire devant la perspective d'un best-seller certit Nous y avons vu avec surprise que M. de Voltaire, & Tage de soixante-dix ans travalle avec une diligence et une assiduté inconcevable A un ouvrage considérable, qui agit d'une nouvelle Encyclopédie 3 la Voltaire, corrgeant celle qu’on a et renfermant tout ce que sat et pease auteur (...] Vous souhaitez, Monsieur, savoir ce que je pense d'une rele cntreprisc, 4 quoi j'ai Phonncur de vous eépondre que C'est une entreprise dor et que jamais de la vie la Société rven pourra point en faire une si bonne, ni meilleure [...] Je vous dirai de plus que dis & présent, nous voulons bien vous assurer que nous nous engageons den prendre un grand nombee [...] Certainement, Monsieur, comme vous le dices bien, cet ouvrage contiendra des choses nouvelles, cutieuses et ‘extrzordinairement fortes, et sera enlevé a tout prix au moment de son apparition (.. Ily aura des défenses & craindre, et Touvrage ne pourra aude étre vendu publiquement, mais le débit en sera plus prompe ec plus considérable[...] Infiliblement la Société fera un grand coup, I sagit pourtant d'une contrefigon de T'édition originale que Gabriel Cramer est en train de mettre sous presse & Gendve. Ostervald se garde bien de mentionner cet aspect de I'affaire, puisqu’il veut que Gosse s'approvisionne & Neuchatel ; mais il ne ment qu’a demi, parce que Voltaire se préte son jeu. Au début de mars, Ostervald s'est rendu a Ferney en quéte de copie. A cette époque Voltaire ne cherche plus a tirer de l'argent de ses livres ; mais connaissanc toutes les fourberies des éditeurs, il n’hésite pas & les mettre au profit d'une cause qui lui tient & coeur: répandre les Lumitres, eraser l'Infaime. Il accepte donc de remertre la STN un texte des Questions sur VEncyclopédie cortigé et augmenté d’apriés les épreuves de Cramer, pourvu que la manceuvre se fasse discrérement et sans que I’éditeur genevois en sache quelque chose. Voltaire est prét, pour ainsi dire, & se contrefaire Jui-méme. C'est une maniére de multiplier limpact de ses écrts, rout en renforgant leuts audaces pat des recouches qu'il peut désavouer. Bt par-dessus 25 Gosse la STW, gmars 1770, ms 1159. le marché, il propose que la STN public une nouvelle édition «5 ceuvtes completes en 40 volumes in-octavo. Les détails de cet arrangement n’apparaissent que petit & pe. dans les lettres expédiges par Ostervald & Gosse. En avril il demande Pavis' libraire sur la rentabilité d'une nouvelle édition des ceuvres ‘Tout ce qu'on a déja vu sera retouché, diverses pitces parses ont rassembléss, et un grand nombre d'autres qui mone point enco™ ru seront trdes du portefeulle méme de Tauteur, qui désire rendre coe cette collection [...] Vous avez bien raison, Monsieur, d’étre surpr. sn hhomme de lettres, igé de 77 ans, puisse encore travailler 12 ho» et au-dela chaque jour, dans son lit, avec une application, une pce esprit et un ton de gaieté admirable, écrivant, causant, et dietan: “0! 8 la fois, entouré de livres et de papiers. Cela passe les forces ordine:»~ de Thumanité, etl fut avoir vu pour pouvoir le croire® Mais Gosse a déja vu tant d’ecuvres complétes de Voltaire, que la perspective d'une nouvelle édition ne Penthousiasme pas : Cela ne finit poine. Lédition in-quarto de M. Cramer n'est pas encore achevée. Voila M. Grasset et Compagnie [Frangois Grasset de Lausanne] qui traaillent déja A une nouvelle édition in-octavo, Pour moi, je pense qui faur que vous commenciez d'abord par Touvrage en question, de prendre tout pour une nouvelle edition de routes ses ceuvres qu'il voudra vous donner, mais qu'il convient d'étre prudene et de [ne] commencer cette édition quiaprés sa mort [...] Nrayane plus d'autres éditions plus completes 2 craindre aprés la vowe, vous ferez la meilleute entreprise quon [aid jamais faite dans Ia librairi, et bien certainement nous pourrons vous en prendre un nombre bien considérable [... Les libraires se méfient de Voltaire, parce qu’en modifiant ses écrits et en multipliane les éditions il dégotite leurs clients. Personne ne veut acheter une nouvelle édition, Iégerement retouchée, d'un livre qu’on a déja payé cher. Toute la librairie attend donc avec impatience la mort du grand homme, qui mettra fin & cette instabilité facheuse des textes mais n'adviendra que huit ans plus tard. Ostervald se plie au conseil de Gosse, et la STN concentre toutes ses forces sur les Questions. Combien d'exemplaires Gosse veut-il commander par 24, STN Gosse, 9 vil 1770, ms 1095, 25 STNAGosse, 19 vil 1770, ms 1095- 26 Gosse 8 la STH, 4 mai 1770, ms 1159. Cing cents, répond-il. Que cing cents? Ostervald semble décu, mais crit la commande au Livre des commissions, et il annonce en aodt qu'il snd le premier volume « corrigé par l'auteur ». L'édition de la STN doit saitre peu aprés celle de Cramer « [...] sur laquelle elle aura la supérioricé » ‘ce qui est encore plus beau, Ostervald vient de recevoir deux Feuilles preuves qui conticnnent le mot Dieu : « La matiére y est tr’s bien traitée, c sagesse, avec force et entiérement sur le ton que cet homme célébre sait aner & tout ce quill écrit. Dés demain ces deux feuilles seront sous presse, vous en aurez des premiers. Ce sera un échantillon de notte édition pour le ier et le caractére, et cela peut se vendre séparément comme une rchure??, » “est de bonne publicieé, mais le message en cache un autre: il s'agit d'une votrefagon ! Gosse répond avec indignation : « Nous étions dans la ferme rsuasion que vous imprimeriez cet ouvrage seul sur le manuscrit. Iei est n différenc, Cramer sera le premier en date, til convient bien absolument aque vous fassiez grande diligence pour que votre édition suive de bien prés celle de Cramer, sans quoi ce serait moutarde apres diner. » Il n’annule pas pour autant sa commande. D’ailleurs l'édition neuchatcloise cote beaucoup moins cher que celle de Genéve ~ un sol la feuille ou 23 sols 6 deniers pour le tome I contre 35 sols demandés par Cramer. Ostervald le rassure : Ja STN peut travaller ausi vite que Cramer, et [.-] notre Edition a sur celle de Genéve Favantage d'etre revue, corrigée et augmenrée par Vauteur, qui a fait sur notre copie des changements assez considérables. » D'ailleurs, Cramer a, dit-on, placé toute son édition & Paris ~ et « [...] qu’est-ce qu'une édition d’un ouvrage de ce genre sortant de la plume du plus fameux écrivain de notte sitcle”? ? » Ostervald ne pense plus & une édition des ceuvres completes. I a dé quoi soccuper avec la production des Questions, cat V'atelier, toujours en rodage, marche mal, et plusieurs ouvriers le quittent pour trouver de meilleures conditions & Lausanne et & Genéve. Enfin, apris treize semaines de travail assidu a la casse ec & la presse, la STN termine le premier volume ec Vexpédie le 9 décembre par Vintermédiaire de Luc Preiswerck, son commissionnaice & Bile. La route du Rhin est effcace, malgré un excts de péages, mais les deux balles ne sont pas encore & La Haye six semaines plus tard, quand les comes et 1 de Cramer sont déja en vente cher d'autres libraires en Hollande. 27 STN Gosse, 20 208t 1770, ms 1095. 28 Gosse dla STN, 322081 1770, ms 159. 2g STN Gosse, 20 septembre 1770, ms 1095, Gosse est furieux. TI se sent joué> ; et quant & la brochure / -~ il en fait peu de cas: « Cette brochure n’étant que de deux feuilles, .- manquera point d’étre d'abord contrefaite par quelques jeunes libraires ‘ce pays*!.» Crest dire que la contrefagon se pratique & plusieurs niveav 4 c6té des grandes entreprises 4 échelle du marché international, les raires plus modestes contrefont les petits ouvrages ~ les « nouveautés » - cermes du métier ~ en vue du débit sur les marchés locaux, Il y a des co efagons de contrefagons. Le terme parait peut-ttre déplacé dans le cas des Questic saree que ‘Cramer ne paie pas de droit d'auteur & Voltaire et, loin de pos + un droit cexclusif de reproduire le texte il n'a pas regu autorisation de ubliet. Le Consistoire de Geneve ira jusqu’a le censurer en mars 1772 cause des impités du livre, tandis que Voltaire, de son cbté, ironise : « Powis & tout libraite d'imprimer mes sottises vraies ou prétendues & ses risqucs, périls et fortunes® ». Mais Voltaire se sent lié moralement avec son éditeus, et refuse de se compromettre avec lui en collaborant ouvertement & une contrefagon. Diailleurs, il n’hésite pas & utiliser le mot en écrivant & Cramer : « On ne vous contrefera point quand vous aurez bien pris vos mesures, et vous pourrez ‘mettre au second rome un avis qui discréditera les contrefagons?®, » En fait, Cramer sait parfaitement bien qu'il sera contrefait. Il ne vise qu’ éerémer la demande par une premitte édition, car limportant dans cette sorte de commerce est dartiver le premier sur Je marché. C'est pourquoi Gosse s¢ plaint cant du retard des envois de la STN. Ostervald répond aux reproches par une lettre pleine d’excuses, tout en ‘envoyane des téprimandes & Preiswerck, car le tome I n'est pas encore arrive La Haye au début de mars, presque trois mois aprés son expédition de Neuchitel. Heureusement, T'imprimerie commence & _fonctionner correctement & cette Epoque, et Ostervald parle du métier de contrefacteur avec une certaine fierté: « Nous sommes fermement résolus d'un cOté de rendre nos réimpressions égales autant que possible quant au format, papiet et caracttres aux éditions originales, et d’un autre cété de nous arranger toujours de maniére que nos ouvrages soient achevés et puissent paraftre au temps prescrit et convenu, ce que de fréquentes désertions d'ouvriers nous 30 Gosse Ala STN, 18 janvier 4773, ms 1159. 31 Gosse Bla STN, 2 octobre 1770, ms 159, 32 Voltaire & Cramer, c.15 fevrier 1771 (0 37024). Volt aussi des remarques analogues dans une lett de Voltaire & Cramer sans date : D 16466. Les documents concernant la censure du Consistoire se trouvent dans O app. 356 (V 122). 33 Voltzite Cramer, 39 fetes 1770 (0 36363). font « iquefois empéchés de faire précédemment™, » Au printemps de 1771, Ace A de nouveaux arrangements avec les voitutiers, les batliets et les com: ionnaites, les expéditions vont mieux, non seulement par le Rhin mais si a travers le Jura, direction Lyon, oit la Veuve Reguilliat recoit 500. nplaires des trois premiers volumes en juin?®. Ma les que les problémes sont en crain de se résoudre du céré de la dist’ ion, une difficulté surgit issue de la production : la copie n’arrive plus. ur déjouer les contrefacteurs, Cramer 2 décidé de livrer plusieurs volu: % la fois, gagnant ainsi du temps pour la vente de son édition pen’ que ses concurrents sont occupés par la production des leurs. Il retic. “anc les tomes 1 & II et les expédie ensemble aux libraires ses clients, qui, . cnc les débiter bien avant Varrivée des tomes imprimés 4 Neuchétel = et. ‘cats, car le bruit court qu’on prépare des contrefagons & Lausanne, Ams: ‘am et Bedlin, Cor. manceuvre ne géne pas Ostervald, qui se procure sa copie en forme deprs.ves envoyées directement de Ferney, grice & des arrangements combiisés avec le personnel de la maison ob il a éé introduie par Elie Berssod, Je confident de Voltaire et oncle de Jean-lie Bertrand, co-divecteur de la STN et beau-fils d'Ostervald. Voltaire feine dignorer ces ruses. Il accepte méme dajouter quelques notes aux épreuves : de Ia les «corrections et augmentations » dont Ostervald s'est vanté dans sa correspondance avec Gosse. Mais Ostervald en parle de la méme fagon dans une lettre circulaire envoyée fe 3 septembre 1770 aux clients de la STN. ‘Crest transformer une entente secréte en une campagne publicitaire dont Cramer est bient6t informé, Cramer s'en plaint 4 Voltaire ; Voltaire désavoue toute complicité avec les Neuchitelois et le flot de la copie s'arréte brusquemenc®, Désespéré, Ostervald envoie letere sur lectre & Ferney ~ & Voltaire ;& son seerétaire principal, Jean-Louis Wagniére, qui se déclare prét & faire suivre les épreuves si on le récompense par douze exemplaires gratuits; & Joseph-Marie Durey de Morsan, autre secrétaire qui fonctionne comme espion ; au pére Adam, le compagnon de Voltaire qui intervient du cété de Mme Denis ; ec 4 Mme Denis elle-méme, la nitce et a favorite de Voltaire, ‘qui penche en faveur des Neuchatelois sans oser trop insister auprés de son 34 STN Gosse, 29 mars 177, ms 1095. 35 Veuve Reguiliat et sta STN, 17 juin 1771, ms 1204. 236 Onpeut suivre cesintrigues de prés en examinantlacorrespondance de Voltaire Voirsurtout ‘Antoine Adam a Elie Bertrand, 1 juin 1770 (0 16407): Marie-Louise Denis & lie Bertrand, 12 juln 1770 (D 16420); Voltaire & Cramer, 0 septembre 1770 (0 16641): STN a Voltaire, 45 septembre 1770 (D 16650) et Voltaire & Elie Bertrand, 25 septembre 1770 (016664). oncle”. Femney est une sorte d'usine infernale ois out le ode se torture pour tirer profit du « Nestor », comme Voltaire est appelé p> es secrétaires. Pour sa part, le Nestor n’ignore pas ces intrigues, mais il » «isse courtiser par les agents de la STN en 1770-1771, parce qu'il est més ont du travail de Cramer. Préoccupé par la production d'une nouvelle én in-folio de Encyclopédie, Cramer néglige son édition des ceuvres “Voltaire et surveille mal impression des Questions. Voltaire trous:) . it de fautes typographiques dans les crois premiers tomes des Ques: qui éerit, « Nouvelle Edition soigneusement purgée des fautes typog:::~ ues dont les autres fourmillent » & la téte des épreuves du tome IV et les partir pour Neuchatel®®. La STN reprend done son travail et s‘efforce d’apaiser Gos. jai se plaint des délais, de la mauvaise vente et aussi du produit, parce «°°, malgré les assurances ’Ostervald, il ne trouve pas de différences impos:sotes entre la contrefacon et lédition originale®. Arrivé au tome Vill, Oste-vsid annonce que ouvrage touche & sa fin, puisqu'l n'y aura qu’un dernier tore & faire, et il se félicive d'une note manuscrite& Varticle « Superstition » qui ne se trouve pas dans le texte de Cramer. Mais Gosse ne se laisse pas impressionner «Nous sommes fichés d’apprendre que M. de Voltaire ne finie point les Questions avec le tome VII et qu’il y aura encore un neuvitme volume. Cet ouvrage devient pesant, et jusques ici nous en sommes, Messieurs, bien ‘mauvais marchands, ayant encore plus de 450 exemplaires en magasin®». La mauvaise humeur de Gosse ne se limite pas & la vente des Questions parce que ses leteres expriment un dégott croissant du commerce de lives en général. En mai 1772 ill annonce qu'il va prendre sa retraite : « La librairie est aujourd'hui sur un pied, le débit des bons livres est si chétif, que nous ne savons plus ce qui convient. Les bons livres restent souvent en magasin, et les bagatelles se débicent. » Les Questions sur UEncyclopédie appartiennent 37 La Cople deletes tenue parla STH (ms 1095) ne mentionne qu'une pate de cette correspondance, et cela souvent en résumé. ins une référence une lettre au Pre Adam v3 mats 1774: « On lu écrit purl rier de nous procure parle moyen de Mime Denisles 4,5, 26 volumes des Questlans. » Mais on peut suive la plpart des manaeures pales lets imprimées dans la Correspondance. Voir surtout Antoine Adam & Oster 37 mars a7 (037096); STN a Wegnitre, 3 ail x771 (Dsyi2a): SIN 3 Vota, 29 avi 3771 (017363); STW 8 Wapnre, 27 juin 177s (017263); STN & Cramer, 4 septembre 3771 (017353); STW 8 Wagniére, 6 septembre 1771 (017352): STN 2 JosephMarie Durey de Morsan, 17 septembre 1771 (17373); Durey Ele Bertrand, 3 décembre 1771 (017490 et Votre ie Bertrand, 0 décembre 177310 37507) 38 SIN A Gosse, 3 javier 1771,ms 1095. 39 Gosse la STN, 5 novembre 3773, m5 1359. 40 Gosse ala STN, 25 fier 1772, ms 59 Jubitablement & la catégorie des bons mais, insiste Gosse, « cet ouvrage, vique du grand Voltaire, n’a peu ou point de débie, » Il egle son compre ‘retire du commerce en décembre 1773. rn dépit d'une connaissance hors pair du marché du livre, le jugement de vsse entré dans la vieillesse parait s'étre quelque peu obscurci, alors que n fils Pierre Frédéric, qui lui succéde, reprend la librairie dans de roue es dispositions. Les lettres du fils respirent l'énergie d'un jeune homme { veut pousser ses affaires. Il vend toutes les Questions et en commande vantage: 6 exemplaires en février 1775, 6 en mars, et 30 en mai. La mande pour le livre ne s'est donc pas épuisée, malgré les jérémiades de se pire, et V'édition des contrefacons reste rentable, ainsi qu'on peut le nstater en examinant les dossiers dautres édiceurs suisses. I en existe aucoup dans les archives de la STN, beaucoup trop pout en parler de son adéquace ici. Mais si on consulte la correspondance de la Sociéeé cypographique de Lausanne et celle de la Société typographique de Berne, on peut apprécier & quel degré fa contrefagon est devenue une industrie de pointe dans les années 1770. Les deux sociésés typographiques voisines travaillene de la méme fagon que lh STN. Malgeé quelques particularités — les Bernois s‘orientent vers TrAllemagne et les Lausannois commercent beaucoup en Italie — ils approvisionnent les mémes marchés de livres idenciques. La concurrence devient si rude que les sociéeés suisses pensent & sallier au liew de se battre. Elles échangent couramment leuss livres de fond, et elles se consultent parfois pour éviter de contrefaire le méme ouvrage. En avril 1774 les sociécés typographiques de Lausanne et de Neuchatel signent une convention pour combiner leur production et leur débit de contrefagons. L'accord ne résste pas aux malentendus, ct les Lausannois sont attirés progressivemenc & Berne, notamment par une spéculation montée conjointement sur lédition in-octavo de I’ Encyclopédie. Mais a partir d'aoit 1777, les trois maisons se sentent menaeées par un danger commun, la campagne contre les contrefagons en France, et se résolvent & sallier d'une maniére definitive. D'aprés un craité formel signé 4 Neuchatel en mai 1778, elles créent une «Confédération » fondée sur Vobligation de partager risques et bénéfices. Chaque société s'engage & accepter le choix des livres & contrefaite, & imprimer un tiers de la production commune, & vendre les éditions par le moyen de son propre réseau de clients, et & régler équitablement les bénéfices Ala fin de l'année. Elles envisagent méme d’embaucher un homme de lettres 41 Gosse la STN, 29 mai 3772, mss. a Paris qui fournirait des renseignements sur les publica’. courantes, et forment un stock commun tiré des livres de fond de chaqi ison. La Confédération donne lieu & des débats passionnane «la lireérarure » dire dans le contemporaine, car chaque société typographique a son choix des livres & contrefaire, Une correspondance triang. se développe entre Ostervald et Jean-Elie Bertrand de la STN, Jean-t) ~ Heubach et Jean-Pierre Bérenger de la Société typographique de Lau, et Pfiehler Tainé de la Société typographique de Berne. Ils discus... des qualiés liteéraires des livres, des gouits du public, des genres en vor: = des aureus, du papier, des problémes de production et de la politiques suivie par la Direction de la librairie en France. Ils se querellent, se réconcilien, font et défont de nouvelles alliances pendant sept ans, et publient une quantité impressionnante de contrefagons. Raconter l'histoire de cette Conltdération helvétique dépasse les limites de cet essai ; mais signaler son existence, c'est confirmer une conclusion qui siimpose & la lecture des centaines de dossiers dans les archives de la STN: loin d’étre une activité marginale poursuivie par des aventuriets 42. Pour suivre histo des rapport entre les trois sociétés typographiques faut Etude les dossiers suivants dans les archives de la STW : Jean-Pierre Heubach, ms 1267 ; Jean-ier® Bérenger, ms 1120; Société typographique de Lausanne, ms 1219 et Société typographiaue de Berne, ms 1221-1222. Le texte de la convention entre les Lausannois ot les Neuchatelis ¢ trouve avec la lettre de la STL ala STN en date du 6 avril 1774, Le traité defi de a Contédération de 1778 m’existe pas dans les papers de la STN, mals une eédaction quas finale est incluse dans une lettre du 3 mai 1778 envoyée par la STB & la STN. lle est ctée chaprds en annexe. 43 A titre d'exemple, voici une discussion entre Bérenger et Ostervald& propos du projet contrefare Histoire de Philippe 1, roi d’Espagne pat Robert Wason, traduction de l®. Durval et du comte de Mirebeau, Amsterdam, 1777, 4 vo. Dans une lettre du 28 ule 1778 (ons 1120), Bérenger recommande la contrefacon aint: ei lu histoire de Philippe. Elle im'a paruinfrieure & Charles v [History of the Reign of Charles v par Willam Robertson, traduit par J-B. A. Suard] et ete cependant un ouvrage estimable. M. Mt. [probablement Jacques Mallet du Pan] mien avait donné une idée peu avantageuse. Elle nétat recommandable que parle style; les fits étaient inexact, et. Un autre de mes amis qui avait demeuré quatre ans chez le Greffier Fagel& La Haye et tes insirult de histoire des Provinces-Unies en avait porté un jugement tout contrat. Je all. auteur ma semblé ‘moins penseur que Robertson, et son traducteur, le fil du marquis de Mirabeau,n'avait i Félégance ni exactitude du style de M. Suard, Mais Fouvrage est bon, Il est nstructf,on le litavec plaisir, et sous ce point de vue, je pense quil serait bon den aire une conrefagon.» Dans sa réponse, en date du 3 a00t 3778 (ms 1105), Ostervald note: « U'Histore de Philppe nme para tre moins histoire de ce prince que celle des événementsartvés sous lerégne duait, et comme i s'est passé dans ce temps-Id beaucoup de choses intressantes, on en le écitavecplatsr Je remarque que auteur ne cite jamais que leshstores générales et no” ‘quelques mémoicesparticulers qui auraient pu lui fourir des dstalls sur ta vie partiultre de ce prince, les intrigues dela cour, ete. On pourralt quant & cet ouvrage user d'un moyen {que nous avons quelquefois employé avec succes. Cest den réimprimer le titre et de Venvoyer & nos correspondants respectfs en leur demandant combien chacun deux en prendrait d'exemplaires, ce qui pourat nous driger quant aenreprise et au debit.» r sbolesques, fa « piraterie» de livres est une industrie importante, menée + in par des professionnels qui étudient le marché de faon systématique « _Tapprovisionnent d'aprés une connaissance profonde des lois de Voffte ta demande. La contrefagon est une science, une science appliqués, et son application que les Francais doivent Pessentil — une moitié ?— des n circulation & la veille de la Révolution. Robert Darnton, Princeton University ANNEXE : LA CONFEDERATION TYPOGRAPHIQUE DE 1778 Le texte définitif du eraité qui lisit les Sociésés rypographiques de Neuchatel, de Lausanne et de Berne n‘exste pas dans les archives de la STN, mais la STB en a composé une version quasi finale qui a servi de base au traté signe par les directeurs des trois sociétés lors d'une réunion & Neuchétel en mai 1778. Cette rédaction se trouve dans une lettre envoyée par la STB & la STN le 3 mai 1778 (ms 1221). 1. Nous imprimerons de concert et chaque maison som tiers de chaque owurage choisi par le suffrage unanime des intéressés au nombre et de la manitre convenus. 2. En cas que Pune ou Pautre maison imprimerait quelques feuilles de plus que les autres, on lui tiendra compte de ses déboursé, outre six livres de France Pour usure de caractéres, encre, etc., etc, 3. L’achat des papiers sera soigné réciproquement par l'une ou l'autre ‘maison, et on aura toujours un certain nombre de rames en magasin, 4qu'enfin les ouvrages soient imprimés sur le méme papier, pour ne rien laiser désicer 4 nos correspondants quant & Vexécution rypographique. 4. La vente et 'écoulement des impressions de cette nouvelle société sera soigné (sie] par les intéressés en compte commun pour la seule et méme masse au prix d'un sol de France la feuille. Et on se rendra réciproquement compte] des ventes faites, soit dans le courant de Pans ou de six mois. Celle qui aura debieé le plus fournira son billet & six mois . me en payant de 6 9 pour les fais de l'expédition, etc. 5. Si l'une ou Pautre maison avait pris des engagemen*. - ec des libraires rangers pour n’en fournir qu'un seul dans la méme vil’. .: pays, on sien informera & temps et les autres deux maisons seron’ ‘sligées de s'y conformer. 6. Il ese séservé que les articles ci-dessus du préser contrat auront ‘uniquement pour objet les impressions faites en commun « sans s'érendre sur les autres entreprises grandes ow originales que les incéressés pourraient faire en particulier et pour leur propre compte.

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