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© EPEL, 2012
110, boulevard Raspail, 75006 Paris
epel.paris@wanadoo.fr
www.epel-edition.com
ISSN : 1969-5683
ISBN : 978-2-35427-055-1
Dépôt légal septembre 2012
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Jean Allouch
EPEL
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Introduction
Détours
Détours 7
Détours 9
Détours 11
Détours 13
Chapitre premier
L’ingérence divine,
s’en dispenser en psychanalyse
L’AUTRE DIVINISÉ ?
Les voici bien là, ces fantômes de Dieu, présents,
intervenant d’une façon qui pour être chaque fois
particulière n’en est pas moins réelle. Un des cas
remarquables parmi les quelques-uns qui concernent
l’analyse a reçu le nom de « grand Autre ». À son
propos la question se pose encore de savoir si cet
Autre n’est pas, silencieusement, voire sournoise-
ment, un fantôme du Dieu mort. Elle fut soulevée,
Lacan vivant, en des termes qui ne sont pas exacte-
ment ceux mis en jeu ici même, mais de manière
parfaitement explicite, et venue, en outre, depuis
différents courants de pensée (anthropologie,
marxisme althussérien, littérature, etc.).
Du fait de Lacan qui, n’y étant nullement obligé,
a honnêtement transmis à son auditoire une
remarque que Claude Lévi-Strauss lui fit en privé,
on sait la raison pour laquelle ce dernier récusait le
concept de grand Autre. La teneur de cette remarque
rapportée indiquait déjà que ce Dieu que l’on a tué
était tout à fait capable de réapparaître sous d’autres
formes. Voici :
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Précisions
Cependant, avant d’y venir, sans doute ne sera-t-il
pas inutile d’apporter deux précisions concernant,
toutes deux, la temporalité caractéristique du délais-
sement de l’histoire. Première indication : un tel
délaissement n’est pas donné dans une immédiateté ;
bien au contraire, il est une conquête. Ainsi, de
même que chez Lacan, chez Pier Paolo Pasolini
parlant de son film Salò :
Salò, donc, n’est pas seulement un film sur l’anarchie
du pouvoir, mais aussi un film sur l’inexistence de
l’histoire. En ce sens, je suis en désaccord avec l’idéo-
logie de gauche qui avance toujours le devoir d’être
dans l’histoire. J’y ai cru moi aussi dans les années
1950, mais c’est une illusion. En réalité, tout me
semble clair désormais : ce que nous appelons histoire
est une atroce bouffonnerie ou un merveilleux spec-
tacle, en tout cas pas une chose sérieuse13.
Dont acte. Pour autant, un tel passage d’une
créance d’abord accordée à un délaissement ne
condamne pas comme telle toute démarche histo-
rienne, l’ambition de faire histoire, y compris
« scientifiquement ». Il ne s’agit pas de dire à
quiconque qu’il s’égare en tentant d’envisager sa vie
comme histoire, d’en faire, d’en dire, d’en écrire
l’histoire. Notamment en analyse, ces moments de
13. Entretien avec Dario Zanelli, « Sul set delle Centoventi gior-
nate della città di Sodoma. Pasolini tra Sade e Salò », Il Resto del
Carlino, 12 avril 1975. Cité par Hervé Joubert-Laurencin dans son
très remarquable Salò ou les 120 journées de Sodome de Pier Paolo
Pasolini, Paris, Éd. de la Transparence, 2012, p. 75.
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Éloge du divers
Ce qui ouvre sur la troisième remarque annoncée,
car cet accent mis sur la diversité est très précieux
à bien des égards, notamment quant à l’exercice
analytique côté psychanalyste. En novembre 1973,
à La Grande Motte, près de Montpellier, s’est tenu
un congrès de l’École freudienne qui fut un moment
particulièrement fructueux, heureux, béni, dirait-on
presque, concernant cette école et, notamment, l’un
des points qui étaient alors en débat et que tout le
monde dénommait « passe ». Un indice du caractère
exceptionnel de cette rencontre : Lacan s’y sent un
parmi d’autres, contribuant aux débats au même titre
que les autres intervenants (ce n’était pas tout à fait
exact).
Ce moment se distingue aussi par un autre trait
propre, lui, à Lacan. Il se trouve alors, peut-on dire,
habité par la lumière. En 1966, il avait logé la publi-
cation de ses Écrits à l’enseigne des Lumières ; c’est
d’autre chose qu’il s’agit en 1973, de la lumière au
sens le plus matériel, physique et indissociablement
spirituel. Cette année-là, après l’avoir longtemps
refusé, Lacan se fait non pas catholique mais catho-
dique : voici Télévision. Au congrès de La Grande
Motte, il voit comme une « étincelle » la rencontre
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23. « Je voudrais faire une remarque, c’est que les sujets d’un
type, hystérique ou obsessionnel selon la vieille clinique, sont sans
utilité pour les autres du même type. Il est plus que concevable, il est
touchable du doigt tous les jours qu’un obsessionnel ne puisse donner
le moindre sens au discours d’un autre obsessionnel. C’est même de
là que partent les guerres de religion. »
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UN DIEU DE LA CASTRATION ?
Le jeu entre mort de Dieu et délaissement de
l’histoire se trouve chez Lacan, qui m’offre ainsi un
appui pour préciser le point où j’interviens dans
cette problématique, comment j’y interviens tout en
restant chez Lacan, et quel en est l’enjeu. Le
16 janvier 1973 (Encore), il est une nouvelle fois
question de Dieu dans un séminaire, « une nouvelle
fois » car – l’a-t-on déjà noté ? – il est beaucoup
question de Dieu dans les séminaires. Il en est ques-
tion au titre d’une thématique ou, plus justement, de
plusieurs thématiques qui se croisent, sinon se rejoi-
gnent ; mais Dieu y est aussi présent sous une moda-
lité plus étrange et qui n’a guère retenu l’attention,
à savoir une sorte de tic de langage qui fait dire à
Lacan, avec une belle régularité, « Dieu sait »,
« Dieu merci », « mon Dieu », ou encore, quoique
plus rarement, « bon Dieu », « grand Dieu », « Dieu
soit loué » (leurs occurrences sont répertoriées en
annexe). Ces mots ne sont d’aucune portée en ce qui
concerne le sens des propos tenus, quand bien
même ils ont le statut d’une marque énonciative24.
Leur insistante profération s’en trouve d’autant plus
notable et vaut donc appel à interprétation.
Le 16 janvier 1973, revisitant une thématique
très présente dans l’ensemble des séminaires, celle
qui lie l’existence de Dieu au langage, qui déporte
cette existence au lieu de l’Autre et, comme on l’a
26. Cette identité féminine de Dieu sera reprise par la suite. Cf.
séance du 18 novembre 1975, ou encore le 16 mars 1976 : « C’est
celui-là qu’on appelle généralement Dieu, mais dont l’analyse dévoile
que c’est tout simplement La femme. » Voir J. Allouch, « Hommage
rendu par Jacques Lacan à la femme castratrice », L’Évolution
psychiatrique, 1999 (également sur jeanallouch.com).
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APERÇU CLINIQUE
Dans Solaire, un roman de l’auteur nord-améri-
cain Ian McEwan récemment traduit en français30, le
héros, dénommé Michael Beard, est un ancien prix
Nobel de physique qui, après son éminente élection,
mène une existence de minable tant sur le plan
professionnel, où il se contente de siéger dans des
commissions, de donner toujours la même confé-
rence, de participer, dans son laboratoire, à un projet
qu’il sait sans aucun intérêt, que sur le plan
personnel, où est en train de se déliter son
cinquième mariage. Sa vie érotique est faite de
quelques aventures, dont une, plus stable quoique
épisodique, a lieu avec une dénommée Melissa. Un
certain jour, il la rejoint chez elle, pour une brève
visite où, bien entendu, ils vont coucher ensemble,
baiser pour le dire d’une façon plus conforme au
contexte. Seulement voilà, ils commencent à parler,
ils boivent et, surprise, elle lui annonce qu’elle est
enceinte de lui (un enfant dans le dos). Il ne goûte
guère la plaisanterie, il lui fait remarquer qu’il aura
soixante-dix ans quand le gosse en aura dix ; il ne
trouve qu’un léger soulagement quand Melissa lui
déclare qu’elle ne lui demande rien (elle travaille,
gagne de l’argent), qu’elle n’attend rien de lui, qu’il
peut très bien ne pas s’en mêler, qu’il restera quoi
qu’il en soit l’homme de sa vie. Ils se dirigent tout de
35. J. Lacan, Écrits, op. cit., p. 528 (ce texte est de 1957).
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ENVOI
44. « Ce n’est pas de lui [le sujet] que vous avez à lui parler, car
il suffit à cette tâche, et ce faisant, ce n’est même pas à vous qu’il
parle : si c’est à lui que vous avez à parler, c’est littéralement d’autre
chose, c’est-à-dire d’une chose autre que ce dont il s’agit quand il
parle de lui, et qui est la chose qui vous parle [je souligne], chose qui,
quoi qu’il dise, lui resterait à jamais inaccessible, si d’être une parole
qui s’adresse à vous [je souligne] elle ne pouvait évoquer en vous sa
réponse […] » (J. Lacan, Écrits, op. cit., p. 419-420). Confronté au
rapport de Heidegger et Fink à Héraclite, le rapport dont il est ici
question, celui de l’analyste et de l’analysant, présente une similarité
et deux différences. Le trait commun, l’« heideggérianisme » de
Lacan, tient au « fait » que la chose parle. Cependant, Lacan n’envi-
sage pas de purement et simplement rejoindre l’expérience qui aurait
été celle d’Héraclite, de sa chose, ou, dans son cas d’analyste, celle
de l’analysant, de la chose qui parle à travers lui. Il ne suppose pas
donnée cette expérience et, en ce sens, il s’avère donc moins ambi-
tieux que Heidegger et Fink. En un autre sens, il l’est davantage
cependant, en supposant que l’analysant s’adresse à lui, une suppo-
sition absente chez Heidegger et Fink qui n’ont jamais cru
qu’Héraclite s’adressait à eux, et donc également que d’eux, de leur
accueil de la parole de vérité de la chose, dépendait la constitution
elle-même de l’expérience de la chose. Avec cette réserve, cependant,
que ce « lui » de l’analyste, censé ouvrir l’analysant à l’expérience de
la chose, est, par-delà la troisième personne, impersonnel (Lacan ne
délire pas, pas ici).
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Chapitre II
« En effet, Jacques… »
« En effet, Jacques… » 61
« En effet, Jacques… » 63
« En effet, Jacques… » 65
ÉCARTS
La proximité des deux frères est telle qu’une
mince mais consistante feuille de plastique transpa-
rent les sépare ; et c’est elle, cette feuille, qu’il y a
lieu d’apercevoir en dépit de sa transparence.
Comment ? En y inscrivant quelques traits témoins à
la fois de cette proximité et de cette irréductible
distance entre eux. On peut aussi convoquer le cercle
(on parle bien d’un « cercle familial ») et la question
piège qu’il suscite : « Où sont donc, sur un cercle, les
deux points les plus éloignés l’un de l’autre ? »
Spontanément, on répond : « Ce sont des points
diamétralement opposés. » Car on réfléchit en termes
géométriques et non topologiques (en topologie des
surfaces, on parle de « lacets », et c’est à envisager le
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« En effet, Jacques… » 67
« En effet, Jacques… » 69
12. M.-F. Lacan, Dieu n’est pas un assureur, op. cit., p. 132.
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13. M.-F. Lacan, Dieu n’est pas un assureur, op. cit., p. 132.
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« En effet, Jacques… » 71
« En effet, Jacques… » 73
Chapitre III
SITUATION
La proclamation de la mort de Dieu3 en Occident
advient au moment même où Freud invente la
psychanalyse. Pour la première, on retiendra la date
de publication du Gai Savoir, soit 1882. Pour la
seconde, une balise pourrait être, treize années plus
tard, ce jour de 1895 où Freud interprétait son rêve
dit de « l’injection faite à Irma » ou, si l’on préfère,
la publication, la même année, des Études sur l’hys-
térie. Il est surprenant qu’on n’ait jusque-là guère
songé à lier ces deux événements (mort de Dieu,
invention de la psychanalyse), à les faire entrer en
résonance. En effet, on ne lit rien d’un tant soit peu
développé à ce propos ni chez Freud (ce qui reste
largement admissible, il est celui par qui advient la
psychanalyse), ni chez ses successeurs (ce qui
surprend), Lacan inclus.
Il est assez largement question de la mort de Dieu
dans L’Éthique de la psychanalyse sans que pour
7. S’impose ici une réserve : dans son Nietzsche (Paris, PUF, 1965)
Gilles Deleuze signale (p. 22) qu’il y a au moins quinze récits de la
mort de Dieu chez Nietzsche – sans dire lesquels, hormis celui serti
dans Le Voyageur et son ombre (repris en annexe de l’ouvrage).
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D’UN REPENTIR
Ayant suivi le parcours du chapitre « Dieu est
mort. Nihilisme I » de L’Être et le Divin, on est
surpris, aussitôt après, d’avoir affaire à ce que
Sichère lui-même appelle un « repentir ». Se reli-
sant, relisant également l’ouvrage de Jean-Luc
Marion L’Idole et la Distance (voir ici même,
chapitre IV), il juge trop fermé sur soi ce qu’il vient
de coucher sur le papier. Il est passé trop vite sur le
vœu nietzschéen de la venue de Dionysos. Oui ! Or,
ajoute-t-il, avec Dionysos, il y a Ariane, seule femme
présente dans l’œuvre de Nietzsche – je dirais plutôt
seule « idée de femme ».
Ce qui est trop fermé sur soi n’est pas seulement
le chapitre susdit, c’est également, chez Nietzsche,
tout au moins à suivre Sichère, le duo de l’homme et
du Dieu mort et qui peut revenir soit sous la forme
de Dionysos, soit, mais comme repoussoir, sous celle
du Crucifié (chez Nietzsche, le Crucifié a aussi un
autre statut). Pour autant, ce n’est pas seulement
avec cette fonction de « tiers médiateur » (un topos
lacanien) qu’intervient Ariane. Nietzsche la
convoque auprès de Dionysos, dieu réservé aux
femmes, précisément parce qu’elle est femme, et il
va s’agir de savoir ce qu’au seuil de son effondre-
ment Nietzsche entend par là.
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ARIANE
Que mes peines ne soient pas perdues !
Garde Ariane auprès de toi, auprès de toi !
BACCHUS
Je me suis enrichi par tes souffrances,
Mes membres sont envahis par une joie divine !
Et les étoiles éternelles mourront
Avant que tu ne meures entre mes bras12 !
MYSTICISMES
« Mysticismes » est ici au pluriel, non seulement
parce que la pléthore des figures mises à cette
enseigne est considérable, que ce soit en référence
aux trois monothéismes ou propres à chacun, égale-
ment dans le polythéisme, mais aussi parce que n’est
pas moins attestée la variété des mysticismes sans
Dieu, dont Michel Hulin a dressé une sorte de
schème commun qu’il dénomme « mystique
sauvage16 ». Plus circonstanciellement, ce pluriel
16. Michel Hulin, La Mystique sauvage, Paris, PUF, 1re éd. 1993,
2e éd. 2008.
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Chapitre IV
SITUATION
Que, selon l’heureuse formule de Jacques
Derrida, la religion soit « la réponse2 », on en trou-
vera difficilement une illustration et confirmation
mieux articulée que celle de Jean-Luc Marion dans
D’UN RENVERSEMENT
Dieu est mort, dit Marion, soit. Mais quel dieu ?
Et, tout d’abord, la notion d’un dieu qui peut dispa-
raître n’est-elle pas contradictoire avec l’idée même
de Dieu ? Dieu n’est mort que s’il peut mourir. De
quel(s) concept(s) de dieu use l’athéisme, interroge-
t-il ? Il faudrait à l’athéisme, pour prononcer la mort
de Dieu, récuser tous les concepts de dieu. En outre,
ces concepts sont-ils, comme tels, susceptibles de
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DIONYSOS ET ARIANE,
NON PLUS LE PÈRE ET LE FILS
Qu’est-ce donc qui ici fait problème, qui empêche
tout un chacun d’entrer dans cette ronde ? Quelle
figure du Père se dessine avec Son retrait ? Marion
ne s’en tient pas au trait distinctif du retrait. La scène
à laquelle renvoie son texte présente un père des plus
étrange à vrai dire, « tératologique » même, si toute-
fois il convient d’inscrire sa paternité au sein des
structures élémentaires de la parenté : sans femmes
(épouse, maîtresse, fille), sans père ni mère, ni
frère(s) ni sœur(s), sans rival quant à l’exercice de sa
fonction paternelle, sachant, seigneurial (sa volonté
prend corps dans un projet précis, une père-version
selon Lacan), autoritaire (le dernier mot de L’Idole et
la distance est « autorité du Père » – où l’on retrouve
la trique). Ce père est aussi le bourreau de son unique
fils, car, autre marque de son étrange paternité, il n’a
qu’un seul fils (qui ne le fera jamais grand-père).
Sur la paternité, plus terre à terre, la psychana-
lyse a pris un autre départ en offrant la parole à des
femmes (juives, pour certaines d’entre elles) qui ont
résolument prié le médecin de se taire et de les
entendre. Cependant, ce ne serait pas lire Marion
que de lui reprocher d’avoir négligé le point de vue
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désir
demande
@
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Chapitre V
Point gamma
ENVOI
En quoi cette lecture de l’Adieu de Bailly à Dieu
et aux dieux éclaire-t-elle l’analyse selon Lacan ?
Trois points valent d’être notés. Ainsi en va-t-il :
1) de la dispense, de l’abstention requise par
l’analyse de tout grand Récit. Freud, on le sait, s’est
adonné à une telle écriture, non sans noter que
c’était de sa part une extension très osée des acquis
de l’analyse16. Lacan aussi, mais de manière erra-
tique et multiple, sans jamais forcer le trait. Dans
l’analyse, il n’est d’autre récit que celui qu’à l’occa-
sion apporte l’analysant, et ne l’apporte que pour en
jouir d’abord, mais ensuite s’en départir ;
Chapitre VI
THÉORÈME
Théorème opère (performe) une transmutation de
la réalité, et sans doute cet effet est-il en partie dû au
fait que film et récit provinrent eux-mêmes d’une
transmutation d’une pièce en vers, écrite quelques
années auparavant. « Transmutation » plutôt que le
trasumanar (transhumaniser) que Pasolini reprend
de Dante, car cette humanisation est aussi bien une
déshumanisation – comme lorsqu’on qualifie d’« in-
humaine » une action qui, justement, est tout ce qu’il
y a de plus humain. Cette transmutation opère non
seulement chez les personnages qui vont, tous, ou
plus exactement chacun, se laisser toucher par
l’hôte, en subir l’effet bouleversant, mais également
chez le spectateur du film et chez le lecteur du
roman, car film et roman sont l’hôte. Comme l’hôte,
ils sont, pour le spectateur ou le lecteur, des opéra-
électriques, eux aussi très présents. Ils ne font pas partie d’une même
réalité mais de deux différentes réalités. Sur le « plier » on pourra se
reporter avec grand profit aux remarques de Gloria Leff dans Portraits
de femmes en analyste. Lacan et le contre-transfert (Paris, Epel, 2009),
où est convoqué le jeu du plier et du séduire dans la comédie d’Olivier
Goldsmith She Stoops to Conquer et… dans l’exercice analytique.
22. Hervé Joubert-Laurencin réfère ce dernier plan au poème
« L’étranger » de Baudelaire : « Qui aimes-tu le mieux, homme énig-
matique, dis ? Ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?/– Je n’ai ni
père, ni mère, ni sœur, ni frère./– Tes amis ?/– Vous vous servez là
d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu./– Ta
patrie ?/– J’ignore sous quelle latitude elle est située./– La
beauté ?/– Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle./– L’or ?/– Je
le hais comme vous haïssez Dieu./– Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordi-
naire étranger ?/– J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-
bas… là-bas… les merveilleux nuages ! » Voir, de Pasolini, le film
Che cosa sono le nuvole ?
23. P. P. Pasolini, Théorème, op. cit., p. 94.
24. Ibid., p. 102. Selon ce qu’elle déclare elle-même, Lucie
accueille la proposition de l’hôte comme une exhortation, via l’inceste,
à « mettre la vie hors d’elle-même,/pour la maintenir, une fois pour
toutes, en dehors de tout ordre et de tout lendemain,/faisant de tout
ceci la seule norme réelle ». Cet « hors de tout lendemain » reste plus
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que jamais d’actualité (cf. Lee Edelman, No future, Queer Theory and
the Death Drive, Durham, Duke University Press, 2004, voir note 8,
chap. I, ainsi que Jean Allouch, Contre l’éternité, Paris, Epel, 2009).
25. Enzo Siciliano, Pasolini. Une vie, traduit de l’italien par
Jacques Joly et Emmanuelle Genevois, Paris, Éd. de la Différence,
1983, p. 46.
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28. P. P. Pasolini, Théorème, op. cit., p. 61. L’acte sexuel qui s’en-
suivra ne sera pas moins pur, et on versera ici au compte fort bien
pourvu de la bêtise (Jacques Brel) l’idée selon laquelle baiser contre-
vient à la pureté.
29. Hervé Joubert-Laurencin me signale que ce bleu est celui de
Chagall, et Mayette Viltard qu’il s’agit aussi de ce bleu qu’entourent
les boucles de Ninetto, ange-Chagall.
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DIEU À PARIS
(OCTOBRE-NOVEMBRE 2011)
Durant l’été 2011 au festival d’Avignon, l’artiste
spécialement invité était le metteur en scène et plas-
ticien italien Romeo Castellucci, dont un des deux
spectacles présentés s’intitulait Sul concetto di volto
nel Figlio di Dio (« Sur le concept du visage du Fils
de Dieu »). Fin octobre, ce spectacle fut repris à
Paris par le Théâtre de la Ville, où j’ai pu y assister.
Si, en Avignon, certains crièrent à l’escroquerie,
d’autres au sublime, si d’autres se battirent à la
sortie, si d’autres encore oscillèrent entre l’atroce et
le merveilleux, ou les deux, à Paris on a parlé
d’« événements graves ». Je les qualifierai plutôt de
réjouissants, même si depuis Genet et ses Paravents,
je n’étais plus jamais entré dans un théâtre en ayant
à franchir un cordon de CRS. Ce n’est certes pas cela
qui était réjouissant, mais le fait qu’à la différence de
ce qui s’est passé partout ailleurs où la pièce fut
présentée, à Paris, les réactions ont pris une dimen-
sion politique, culturelle et… cultuelle. Une
demande d’interdiction du spectacle a été déboutée
par le tribunal de grande instance, des manifestants
sont montés sur scène, y déployant un panneau où
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Conclusion
ANNEXE
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Annexe 185
40
35
30
25
20
15
10
5
0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27
TABLE
INTRODUCTION
Détours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
CHAPITRE PREMIER
L’ingérence divine,
s’en dispenser en analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
L’Autre divinisé ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
Vers la fin de l’histoire-récit (Geschichte) . . . . . . . . . . . . 24
Plus de passé ni d’avenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Précisions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
Éloge du divers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Un dieu de la castration ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
Dieu dans les séminaires : survol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
Aperçu clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Quel biais pour la chose ? Retour sur le divers . . . 48
Envoi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
CHAPITRE II
« En effet, Jacques… ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
De quelques traits dérangeants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Écarts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
Qui parle en premier ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
CHAPITRE III
D’un autre sans appel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
D’un Dieu pas si mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
Mysticismes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
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CHAPITRE IV
Une réponse chrétienne à la mort de Dieu :
Jean-Luc Marion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
D’un renversement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
Dionysos et Ariane, non plus le Père et le Fils . . . . 117
CHAPITRE V
Dieu enfin mort ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
L’adieu à Dieu et aux dieux
de Jean-Christophe Bailly . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
Lacan et la mort de Dieu
(vue depuis l’Adieu de Bailly) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
Envoi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
CHAPITRE VI
Quand Dieu est un garçon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Dante, Lacan, Pasolini . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
Théorème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
D’un nouveau Dieu. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
Dieu à Paris (octobre-novembre 2011) . . . . . . . . . . . . . . . . 170
CONCLUSION
Du même côté que la religion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
ANNEXE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
TABLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187
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