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ou perquisition – sont vécus, en France et à


l’étranger, comme des attaques frontales contre la
Un procureur contre l’information, un
liberté d’informer et le journalisme qui dérange.
pouvoir contre le journalisme
PAR FABRICE ARFI
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 23 MAI 2019

Rémy Heitz, le procureur de Paris, le 12 décembre 2018. © Reuters

Les incriminations juridiques varient selon les


Rémy Heitz, le procureur de Paris, le 12 décembre 2018. © Reuters circonstances. Dans l’affaire la plus récente, la
Une journaliste du Monde est convoquée comme journaliste du Monde Ariane Chemin est convoquée,
suspecte par la DGSI en marge de l’affaire Benalla. mercredi 29 mai, par la DGSI, pour avoir écrit en
Cela fait suite à la tentative de perquisition de février qu’un protagoniste de l’affaire Benalla, le
Mediapart dans le même dossier et aux auditions militaire Chokri Wakrim, qui a brièvement assuré la
comme suspects de journalistes dans le dossier des sécurité de la famille d’un oligarque russe au cœur de
armes françaises au Yémen. À chaque fois, les l’un des volets du dossier, était par ailleurs membre des
enquêtes sont dirigées par le même homme : le forces spéciales, comme l’avait préalablement indiqué
procureur Rémy Heitz. Libération.
Résumons. Une rédaction, celle de Mediapart, a été Le militaire a déposé plainte en vertu de l’article
la cible d’une tentative de perquisition par deux 413-14 du Code pénal, selon lequel la révélation «
procureurs et trois policiers de la Brigade criminelle par quelque moyen que ce soit » de l’identité d’un
dans l’affaire Benalla ; trois journalistes, deux du membre des unités de forces spéciales du ministère de
collectif Disclose et un de Radio France, ont été la défense est passible de cinq ans d’emprisonnement
entendus comme suspects par la Direction générale et de 75 000 euros d’amende.
de la sécurité intérieure (DGSI) pour avoir révélé les Il n’est pas illégitime en soi que le militaire, au regard
mensonges du gouvernement sur les armes françaises des textes de lois en vigueur, se plaigne de la révélation
au Yémen ; une grand reporter du Monde est de son appartenance aux forces spéciales. Mais en
convoquée à son tour comme suspecte par les services choisissant de convoquer comme suspecte, a fortiori
de renseignement dans l’affaire Benalla… par les services de renseignement, une journaliste qui
Ces trois événements, qui ont eu lieu en quelques n’a fait que son métier – il est encore moins illégitime
semaines seulement, ont un point commun : Rémy pour la presse de parler des dessous du contrat russe
Heitz, le procureur de Paris. Il est, à chaque fois, de Benalla au centre d’une enquête pour « corruption
le magistrat qui a l’autorité hiérarchique sur les » –, le parquet de Paris, immanquablement, choisit de
enquêtes préliminaires dont les actes – convocations « criminaliser » l’information vraie et d’intérêt public.
Raison pour laquelle, Le Monde, dans un bref éditorial
signé du directeur des rédactions, Luc Bronner, a parlé,
mercredi 22 mai, d’une convocation « inquiétante ».
Ce n’est pas la première fois que les agissements
du procureur Heitz inquiètent. En effet, ce fut déjà
sous son autorité que deux journalistes du collectif

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Disclose, Geoffrey Livolsi et Mathias Destal, ont été L’origine de cette perquisition, que Mediapart a
entendus, le 16 mai, comme suspects par la DGSI, à depuis décidé de remettre en cause devant la
la suite d’une plainte du ministère des armées. justice, avait en réalité pour origine un simple courrier
Leur crime ? Avoir rendu public dans plusieurs de Matignon au parquet de Paris, envoyé après
médias, dont Mediapart, un rapport classifié de des questions posées par… l’hebdomadaire d’extrême
la Direction du renseignement militaire (DRM) droite Valeurs actuelles.
faisant l’état des lieux exhaustif des armes françaises Le journalisme n’est pas au-dessus des lois, mais il y
employées au Yémen par l’Arabie saoudite et les a un cadre légal pour le juger devant les tribunaux. Il
Émirats arabes unis dans un conflit dramatiquement s’agit de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la
meurtrier pour les populations civiles. presse, le code de la route des journalistes.
La révélation de cette note de la DRM a été Or, toutes les enquêtes du parquet de Paris contre
capitale : elle est venue pour la première fois les journalistes dans l’affaire Benalla ou dans le
contredire matériellement les déclarations récurrentes dossier des ventes d’armes au Yémen prennent le
du gouvernement qui assurait jusque-là que les armes soin méticuleux de contourner ladite loi de 1881.
vendues à Riyad et Abou Dhabi n’étaient utilisées Conséquence : en plus de tenter d’intimider ceux qui
que de manière défensive et « pas sur une ligne ne font que leur métier, ces enquêtes – quelle que
de front ». D’innombrables ONG internationales soit leur issue – donnent un cadre procédural et une
ont depuis apporté leur soutien aux journalistes de légitimité judiciaire pour traquer les sources de la
Disclose, ainsi qu’à un reporter de Radio France, presse, sans lesquelles l’information ne serait pourtant
Benoît Collombat, également entendu dans les mêmes que communication.
conditions. S’indigner des tentatives de perquisition ou des
En résumé, les trois journalistes sont accusés d’avoir convocations par les services de renseignements
compromis le secret de la défense nationale là où le contre des journalistes n’est donc pas un
gouvernement a compromis la vérité et l’éthique de la sursaut corporatiste. C’est la défense d’un droit
parole publique. fondamental des citoyens : découvrir, connaître,
savoir, comprendre. Et c’est un fait : le métier de
journaliste consiste, parfois, si ce n’est souvent, à
obtenir des informations auprès de gens qui ne sont pas
censés les donner. D’où – la boucle est bouclée – le
secret des sources.
Les attaques récurrentes du parquet de Paris contre la
presse ne pourraient être que la marque des dérives
© Reuters
d’un homme. Malheureusement, la situation est plus
Début février, le nom du procureur Heitz avait déjà complexe. Dans le paysage institutionnel français, le
fait le tour du monde (voir par exemple les articles procureur n’est pas n’importe qui ; et dans le paysage
du New York Times ou du Washington Post) après la de l’actuel pouvoir, Rémy Heitz non plus.
tentative de perquisition de la rédaction de Mediapart, Magistrat central du jeu judiciaire – c’est lui qui
décidée par le parquet de Paris dans l’affaire Benalla. décide de l’ouverture des enquêtes et de la délimitation
Cette fois, le prétexte était une soi-disant « atteinte des champs d’investigation –, le procureur de la
à la vie privée », sans qu’aucune plainte préalable République de Paris est, comme tous les procureurs,
n’ait été alors déposée en ce sens, après la révélation soumis hiérarchiquement au pouvoir exécutif qui le
d’enregistrements compromettants pour Alexandre nomme, le mute et le promeut ; ou pas.
Benalla et l’Élysée.

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Or, dans le cas de Rémy Heitz, ses conditions de • Le gouvernement et la majorité actuels, plusieurs
nomination, qui ont fait sursauter une bonne partie fois stigmatisés pour leur rapport complexe au réel
de l’appareil judiciaire, ne peuvent que susciter le (voir l’enquête de Mediapart), n’ont-ils pas fait
soupçon sur son manque d’indépendance vis-à-vis du voter une loi « anti-fake news » qui, au mieux, ne sert
gouvernement qui l’a fait prince de Paris. Rémy Heitz à rien et, au pire, pourra être un instrument contre les
est en effet arrivé là où il est après qu’Emmanuel informations qui dérangent ?
Macron a retoqué d’un trait de plume les trois • Ce même pouvoir n’a-t-il pas également fait voter
postulants qui avaient été retenus par le ministère de une loi sur le secret des affaires, créant un nouvel
la justice et le Conseil supérieur de la magistrature instrument juridique aux mains des entreprises
– Rémy Heitz n’en faisait pas partie. Ce dernier fut par pour empêcher la révélation d’informations d’intérêt
conséquent le choix du Château, donnant au bout du général, comme cela a pu être observé dans le cadre
compte le sentiment que le procureur était moins un du scandale des Implant Files?
magistrat autonome qu’un préfet judiciaire. Interrogée par Mediapart sur les attaques contre la
Les procureurs, « parce qu’ils sont porteurs d’une presse dans l’affaire Benalla et le dossier du Yémen, la
politique publique définie par notre gouvernement présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM,
[…], s’inscrivent dans une ligne de hiérarchie », majoritaire), Céline Parisot, confie : « C’est étonnant.
avait d’ailleurs justifié la ministre de la justice, Nicole Je ne sais pas d’où viennent les instructions. Mais
Belloubet, en pleine polémique. Quant au premier c’est clairement inédit. Je n’ai pas souvenir d’un
ministre, Édouard Philippe, il a dit assumer être mouvement similaire. »
intervenu, avec le président de la République, dans la Jaloux de l’image de la France – et surtout de la
nomination de Rémy Heitz, voulant « être certain » sienne – à l’étranger, Emmanuel Macron semble faire
qu’il serait « parfaitement à l’aise » avec le nouveau
peu de cas du rang du pays qu’il dirige, à la 32e place
procureur de Paris.
du dernier classement mondial de Reporters sans
Cela tombe bien. Il semblerait que le gouvernement frontières (RSF) sur la liberté de la presse, derrière
et le procureur de Paris soient en effet très « à l’aise la Namibie, la Lettonie ou le Liechtenstein. Il y a
» pour partager une vision particulièrement restrictive fort à parier qu’entre l’affaire Benalla et les ventes
de la liberté d’informer. d’armes au Yémen, l’année 2019 donne des arguments
Trois exemples. pour rétrograder un peu plus la France dans cette triste
• Emmanuel Macron n’est-il pas ce président de la géographie.
République qui, dans une merveilleuse antiphrase,
a accusé la presse, au début de l’affaire Benalla,
de « ne plus chercher la vérité », cette vérité que,
précisément, l’Élysée a voulu cacher au public ?

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