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MEMOIRE
Session juin 2004
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INTRODUCTION ET MOTIVATION 2
BIBLIOGRAPHIE 32
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INTRODUCTION ET MOTIVATION
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PREMIERE PARTIE
DOULEUR ET AMPUTATION
Depuis les premières descriptions des chirurgiens Ambroise Paré, Marc-Antoine Petit et du
neurologue Charles Bell, on connaît trois entités cliniques qui peuvent survenir après une
amputation de membre : la sensation fantôme ou hallucinose, qui traduit la présence
obsédante d’un membre ; les douleurs ressenties dans le fantôme ou algohallucinose ; et les
douleurs du moignon qui recouvre plusieurs variétés.
I. Amputation : généralités
Membre supérieur :
14% des amputations
étiologie traumatique (85%)
avant-bras (70%), bras (28%), désarticulation d’épaule (1%)
bilatéral dans 10% des cas
II. Hallucinose
L’hallucinose, quasi-constante dans les suites précoces de l’amputation, se définie par
la perception extrêmement vivace du membre amputé.
Après l’amputation d’un membre, elle est spontanément signalée par les patients dans plus de
90 % des cas.
Pour certains patients, la réalité du fantôme est remarquable. Cette perception peut être source
d’angoisse car la vision qu’ils ont de leur corps contredit les sensations. Chaque fois que cela
est possible, il est par conséquent souhaitable de prévenir les patients de la survenue d’un
membre fantôme et de les rassurer.
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La taille du fantôme est initialement le plus souvent normale, même si l’extrémité distale est
en générale mieux perçue. Par la suite, le fantôme peut rester inchangé (5% des cas), s’effacer
progressivement (20% des cas), ou se raccourcir de telle sorte que l’extrémité distale vienne
télescoper le moignon (75 % des cas), situations fréquentes chez les porteurs de prothèse.
Les sensations intéroceptives, sensations kinesthésiques et sensations de mouvement sont
fréquentes, affectant 75% des patients qui ont une allgohallucinose et 50% de ceux qui n’en
ont pas. La position du fantôme au début tout au moins est identique à celle qu’occupait le
membre juste avant l’interruption des influx, à condition qu’à cet instant, le patient ait été
conscient.
Algohallucinose
Ce terme recouvre les douleurs ressenties dans le membre fantôme, douleurs conséquences de
l’amputation. L’algohallucinose affecte plus de 70% des patients en postopératoire immédiat,
avec une persistance au long cours chez 50% d’entre eux, voire une aggravation pour 5%
d’entre eux. Les douleurs identiques aux douleurs pré-amputation affectent en moyenne 10%
des patients, plus, s’il n’y a eu aucune analgésie préopératoire, en revanche, beaucoup moins,
s’il y a eu une analgésie préopératoire que ce soit par voie orale ou péridurale.
Les douleurs-mémoires ou algohallucinoses correspondent à la réactivation par la section
nerveuse des douleurs préalables à l’amputation et elles sont mémorisées du fait de la
plasticité des voies nociceptives.
L’algohallucinose est un syndrome algique complexe fait de sensations diverses : brûlures,
dysesthésies, crampes, contractures, décharges électriques…Ces douleurs sont rarement
constantes survenant par accès de quelques heures à quelques jours sous forme de fond
douloureux avec paroxysmes spontanés ou provoqués, surajoutés.
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Douleurs référées
Les douleurs référées sont des douleurs ressenties dans le fantôme en raison d’une pathologie
affectant des structures viscérales ou somatiques dont les afférences partagent les mêmes
projections centrales que celles autrefois issues du membre absent : cystite, coxarthrose,
syndrome myofascial du muscle fessier pour un membre inférieur.
Douleurs projetées
Les douleurs projetées sont des douleurs ressenties dans le fantôme du fait d’une irritation des
structures nerveuses issues du membre absent : hernie discale, syndrome thalamique…
Après avoir défini d’un point de vue clinique ces manifestations psycho-
physiologiques, il faut pour une meilleure compréhension de celles-ci, s’attarder à la
physiopathologie de ces phénomènes. Pour se faire, il faut définir l’évolution des théories de
la douleur et s’attachée dans le cas de l’amputation à la théorie de Melzack et Wall sur le
schéma corporel.
L’idée que l’on s’est faite de la douleur a varié à travers l’histoire et au gré des connaissances
disponibles à différentes époques. Ainsi, c’est en 1644 que Descartes présente la théorie de la
plasticité. Le système de la douleur serait une voie directe reliant la peau au cerveau.
L’apport de Descartes à l’histoire de la science a été très important. Plus tard, en 1884,
Goldscheider expose la théorie des patterns.
En 1965, le Dr Melzack, psychologue et son collègue, le Dr Wall, proposent un modèle : la
théorie du portillon. Ils s’appuient sur des données anatomiques et physiologiques, pour
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expliquer les différents types de douleur ainsi que le mécanisme sous-jacent à la modulation
des afférences somatosensorielles. Il existe donc dans les cornes postérieures de la moelle un
mécanisme qui agit comme un portillon qui peut moduler les afférences transmises depuis les
fibres périphériques. Les fibres à gros diamètres (Alpha et Bêta), responsables de la
transmission des afférences non douloureuses, vont inhiber l’activité des fibres à faible
diamètre (Adelta et C), responsables de la transmission de la douleur. Si nous nous référons à
ce modèle, il serait possible de réduire la douleur en stimulant sélectivement les afférences de
gros calibre à seuil bas. Cette prédiction a été largement démontrée par plusieurs études et a
donné naissance à une approche pour traiter la douleur, la stimulation électrique à haute
fréquence et basse intensité (TENS).
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4. Le réseau neuronal, qui est responsable du schéma corporel, est déterminé
génétiquement mais peut être modifié par des expériences sensorielles.
NEUROMATRICE
Phylomatrice
Ontomatrice NEUROSIGNATURE Point d’intégration
neuronale
Avant de devenir une expérience sensorielle consciente, les sensations (afférences) seront
comparées avec notre bagage (neurosignature) acquis (phylomatrice) et appris (ontomatrice)
pour être interprétées (point d’intégration neuronales) et transmises vers la conscience.(S.
Marchand,1998).
En résumant de façon synthétique, la réalité du fantôme tient à ce qu’il est généré par les
mêmes mécanismes centraux que ceux qui sous-tendent le schéma corporel d’un organisme
intact, schéma dans la genèse duquel l’accent est mis non seulement sur l’acquis mais aussi
sur l’inné. C’est la neuromatrice du schéma corporel qui génère les expériences sensorielles
du corps. L’amputation ne peut donc pas supprimer la trace du membre mais l’absence
d’influx peut rendre le membre vivace, d’où le fantôme.
Cette théorie, même si elle n’est encore que partiellement documentée sur le plan
neurophysiologique et qu’elle présente certains concepts difficilement vérifiables, comme
l’apport génétique dans la neuromatrice, a au moins l’avantage de présenter une explication
possible pour certains types de douleurs, comme les douleurs du membre fantôme laissés de
côté dans les théories conventionnelles.
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VI. Aspects thérapeutiques
VI.1. Préventifs
Partant du postulat de base que l’intensité des douleurs pré-opératoires dans le membre à
amputer conditionne l’incidence et l’importance des douleurs dans le membre fantôme, aussi
bien en ce qui concerne les douleurs-mémoires que les autres variétés d’algohallucinose, une
prévention peut donc être envisagée chaque fois que l’amputation est programmée.
VI.2. Curatifs
On retrouve de nombreuses propositions thérapeutiques relevées dans la littérature. Faute de
pourvoir toutes les décrire, je vais exposer les principales.
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De nombreux amputés utilisent la palpation ou la percussion du moignon pour soulager les
douleurs du fantôme. Cela plaide en faveur d’un appareillage adapté et précoce. Dans le
même ordre d’idées, l’acupuncture, les ultra-sons, l’applications de chaud ou de frois peuvent
soulager le patient.
Ces thérapeutiques sont souvent dispensées en centre de réeducation où le patient fait l’objet
d’une prise en charge globale.
Traitements médicamenteux
Les médicaments proposés sont les antalgiques de niveau 1 ou 2, les opiacés (par voie
périmédullaire ou non), les antidépresseurs tricycliques, les antiépileptiques. Plus rarement,
les anesthésiques locaux sont utilisés.
-Antalgiques mineurs
Ils sont spontanément utilisés par les patients. Leur efficacité est indéniable pour les douleurs
peu intenses en rapport avec une pathologie du moignon et même sur les douleurs
neuropathiques.
-Antalgiques majeurs
Faibles ou forts, ils restent au centre du débat de la classique opiorésistance des douleurs
neuropathiques, bien que récemment, on ait dit qu’il y avait une certaine efficacité. Dans le
modèle expérimental de désafférentation (section), la morphine a une certaine efficacité
préventive, mais aucune action curative.
-Psychotropes
Ils sont classiquement indiqués dans les douleurs neuropathiques. Les antidépresseurs
tricycliques ont une efficacité rapide, quoique inconstante sur les douleurs continues telles que
dysesthésies et brûlures et parfois sur les douleurs paroxystiques. De faibles doses suffisent.
Les antiépileptiques n’ont pas fait l’objet d’études contrôlées chez les amputés auxquels ils
sont proposés pour les douleurs fulgurantes et paroxystiques du fantôme et du moignon. Le
neurontin®, du fait de sa relative bonne tolérance, a été essayé avec succès.
-Anesthésiques locaux (AL)
Des séries non contrôlées ont signalé l’efficacité des AL per os, de la kétamine per os au long
cours, de la clonidine, de la calcitonine ou des bêtabloquants.
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Infiltrations
L’infiltration anesthésique locale d’un névrome exposé est un appoint utile lorsqu’il constitue
une épine irritative. Les infiltrations péridurales d’anesthésiques locaux et d’opioïdes
présentent surtout un intérêt en périopératoire même si certains patients ont rapporté des effets
durables sur l’algohallucinose.
Stimulation électrique
Classiquement, les douleurs de lésions nerveuses périphériques constituent les meilleures
indications des techniques de stimulation transcutanée. Il s’agit de l’application pratique de la
théorie du Gate Control qui indique que la stimulation des fibres sensitives myélinisées du
tact léger bloque la transmission de l’influx des fibres nociceptives amyéliniques au niveau de
la corne postérieur de la moelle. En pratique, un appareil miniature porté en permanence et
contrôlé par le patient lui procure des paresthésies « confortables » qui masquent la douleur
spontanée.
La stimulation soulage environ 75% des douleurs continues. Chez 70% des patients au moins
initialement, ce soulagement se produit la plus part du temps au niveau des douleurs fantômes
que celles du moignon. Après deux ans, 30-40% des patients utilisent encore la stimulation.
Thérapeutiques chirurgicales
Dans les thérapeutiques chirurgicales on peut proposer une chirurgie du moignon en cas de
présence d’une épine irritative.
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Ces modalités d’intervention thérapeutiques (développées en 2ème partie) permettent d’agir
d’une part sur les facteurs du stress et d’autre part d’éliminer l’anxiété et l’angoisse.
La perte d’un membre altère la mobilité du patient et modifie l’image corporelle. Face au
retentissement important au niveau psychologique, familial, professionnel et social que
représente l’amputation, une prothèse externe peut aider le patient à retrouver son identité.
Cette prothèse est fabriquée à la dimension du moignon après quelques semaines. Elle est
moulée sur le moignon. C’est la raison pour laquelle elle ne peut être installée que lorsque le
volume du moignon s’est stabilisé et que la peau est totalement cicatrisée. Cela prend
généralement cinq semaines.
Avant de pouvoir installer une prothèse, il faut préparer le moignon. Une rééducation va
permettre cette préparation. Cette rééducation débute dans les jours qui suivent l’amputation.
Pendant cette période, le masseur-kinésithérapeute fait travailler les articulations et les
muscles afin de préparer le patient à mieux utiliser sa prothèse.
Lorsque le moignon est prêt, il est moulé avec des bandes plâtrées. Ce moulage permet à
l’appareilleur de fabriquer une emboîture parfaitement adaptée au moignon. Il faudra des
essayages pour que l’emboîture et les différents éléments de la prothèse conviennent
parfaitement. Entre les essayages, la prothèse est travaillée à l’atelier. Il faut environ 8 jours
pour obtenir une prothèse provisoire. Celle-ci sera essayée une semaine à domicile avant
d’être « habillée » pour prendre son aspect définitif proche d’un membre normal.
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DEUXIEME PARTIE
SOUFFRANCES PSYCHIQUES DU SUJET AMPUTE
La douleur a une autre dimension que celle purement physique et on ne peut pas négliger sa
dimension psychologique qui est souvent mal ou peu prise en compte dans la pratique
médicale quotidienne.
« L’existence de l’homme s’inscrit dans un cheminement. Un « événement de vie » peut créer
à un endroit du chemin une difficulté, un drame, une « rupture de vie », une cassure dans la
continuité » (J.Dufour, 1995)
L’amputation peut représenter cette « rupture de vie ». Elle touche douloureusement le
malade dans son intégrité physique, elle bouleverse sa manière de vivre : son activité
quotidienne, ses études, son métier ou ses loisirs. Le corps est atteint, blessé et le rapport avec
celui-ci, sa relation aux autres sont totalement modifiés. L’individu est confronté à cet
événement d’une façon globale à la fois sur le plan corporel et psychique.
I. Le vécu du patient
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Sur le chemin que représente la vie, l’amputation est une autre route que le malade va devoir
prendre et pour laquelle il ne pourra revenir en arrière. A travers cet acte chirurgical, le
malade va vivre différentes émotions : la tristesse, le désespoir, la colère, l’agressivité, la
peur, la terreur.
Le patient hospitalisé arrive dans un univers inconnu. Il est séparé de son environnement
habituel et perd tous ses repères. Même si la prise en charge est rassurante, le changement est
souvent facteur de stress et de déstabilisation. Le malade doit alors faire face à cet événement
de vie que représente l’amputation et cette dernière peut être vécue comme insupportable
quand :
-les transformations corporelles l’obligent à vivre dans un corps qu’il n’accepte pas,
-cette expérience dépasse son imagination et que la douleur est tellement importante qu’il en
est réduit à un corps douleur,
-la vision de la plaie est intolérable et angoissante au point que certains sujets, après quelques
jours d’hospitalisation se refusent encore à la regarder,
-le temps semble long, interminable, et qu’il est rythmé que par les pansements et la douleur.
Toute cette dimension humaine n’est malheureusement pas toujours prise en compte.
L’équipe médico-chirurgicale a besoin de prendre conscience de tous ces éléments pour entrer
dans une relation thérapeutique de bonne qualité. Elle doit être attentive et repérer tous les
signes qui pourraient montrer une décompensation psychique.
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- Dans une deuxième phase, le malade, confronté à des modifications intérieures, corporelles,
et psychiques va vivre une remise en question très profonde. Des questions, facteurs de stress
et d’angoisse concernant sa propre existence, le sens de sa vie ou encore comment vivre dans
un corps atteint, handicapé, vont envahir son esprit.
Comme nous l’avons vu précédemment, le vécu du sujet est subjectif et chacun va essayer de
s’adapter au mieux à la réalité.
- « le travail de deuil » représente la dernière phase de la crise. Soit le sujet va intégrer cet
événement et celui-ci va être source de renouveau, d’une nouvelle vie pour le patient et à
travers la prise de conscience de ce corps, la crise va être dépassée, soit, elle ne se résout pas.
Dans ce cas, les douleurs vont représenter la seule expression possible dans la nouvelle
histoire du sujet. Il peut s’inscrire dans un statut de malade qui va lui donner une nouvelle
identité et les relations qu’il entretient avec les autres et lui-même peuvent changer.
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expériences de notre corps propre sont d’une extraordinaire diversité : on boit, on mange, on
voit, on touche, on entend, on goûte, on sent.
Habituellement, nous avons conscience que notre lien avec le corps est beaucoup plus fort que
celui avec tous les autres objets : quand nous courons, nous mangeons ou nous nous
réjouissons, nous sommes le corps qui court, mange et se réjouit.
Cependant, nous vivons parfois notre corps comme un objet physique, non différent des autres
objets que nous pouvons utiliser et dominer et auquel, finalement, nous pouvons même nous
aliéner et c’est justement cette ambiguïté que nous retrouvons dans la maladie.
« La maladie est une expérience qui nous rappelle à notre condition physique d’êtres
charnels puisque nous sommes malades quand notre corps est malade. A travers l’expérience
de la maladie, le corps nous manifeste la souffrance : il n’y a pas seulement une douleur qui
touche notre corps, car c’est nous qui éprouvons la douleur et souffrons à travers notre corps
malade. » (Maria Michela, 2002) Suite à cette citation, il me vient à l’esprit l’exemple du
ressenti de l’amputation.
Dans la douleur, je suis en face d’une partie de mon corps, par exemple ma jambe. Celle-ci
me fait mal, elle m’accable, elle s’impose à moi. Le corps que l’on découvre alors dans la
maladie se révèle ainsi différent de celui que l’on pensait connaître. Ce corps devient une
réalité qui s’impose insidieusement et qui refuse de se faire oublier.
En somme, quand nous sommes malades et que nous souffrons, nous sommes obligés de
comprendre que nous sommes notre corps qui souffre et qui est malade. Cependant si nous
pouvons chercher à nous en éloigner mentalement, nous ne pouvons pas nier les sensations
que notre corps malade nous donne et qui nous empêche de vivre comme nous vivions avant.
Depuis le début de ce travail, j’ai pu noter que la notion de corps était scindée en deux entités.
En effet, je retrouve d’un côté le savoir médical, qui s’adresse à un corps machine qu’il va
traiter et guérir sans s’occuper du fonctionnement psychique de l’individu. De l’autre côté, je
m’attache à penser le corps comme un corps vécu, un corps qui est rattaché à un sujet avec
son histoire, son identité.
Mais la réalité clinique me rattrape et m’ oblige à penser le corps de façon plus complexe et
intriquée que cette dichotomie simplificatrice. En effet, entre la réalité neurologique du
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schéma corporel et la réalité psychique de l’image du corps, il y a un va-et-vient nécessaire,
car il est impossible de rompre artificiellement l’unicité de l’individu.
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Cette image peut à tout moment être modifiée. Elle peut s’éprouver solide ou détruite, désirée
ou rejetée, car elle est liée à l’épreuve du narcissisme et à la vie relationnelle. Dans le cas de
l’amputation d’un membre, l’image du corps va être touchée, blessée, détruite.
Cette évènement traumatique va atteindre et perturber les représentations corporelles du
malade et le confronter à la perte et à un travail de deuil.
V. L’expérience du deuil
En 1915, Freud publie son article « deuil et mélancolie » et tente d’éclairer la mélancolie à
partir du deuil. Il y étudie dans leur similitude et leur différence, deuil normal et deuil
pathologique et mélancolie, et définit le deuil comme « la réaction habituelle à la perte d’une
personne aimée ou d’une abstraction mise à sa place, la patrie, la liberté, un idéal, etc. »
Il y a aussi des deuils qui ne sont pas liés à la mort mais à la perte et dans le cas de
l’amputation, il s’agit d’une perte concernant le corps.
Le deuil ne survient jamais pour la première fois ; il est toujours une répétition car dès le plus
jeune âge chacun fait l’expérience de la perte et est confronté au manque.
Le traumatisme du deuil se vit dans l’histoire de chacun. La perte d’un membre, pour le sujet
amputé, événement de vie important et douloureux, va inscrire une discontinuité dans le cours
de l’histoire à la fois personnelle et familiale du malade. Pour accepter les modifications que
cette perte va induire en lui, il va être nécessaire de faire un travail psychique, un travail de
deuil qui vient après la perte. C’est donc un processus psychologique lent et douloureux dont
le but final est de surmonter la perte. Il est normal, physiologique et la douleur qui
l’accompagne est extrêmement douloureuse.
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actuel. Il peut y avoir déni de la réalité, mais aussi déni de leur bouleversement intérieur. Le
sujet ne semble pas réagir à sa mutilation, son handicap. Il y a coupure par rapport aux affects
et c’est pour le sujet la seule adaptation possible à ce moment là.
Pour Freud, le deuil constitue une perte objectale et le travail du deuil peut être reconstitué de
la manière suivante :
-idéalisation de l’objet perdu
-introjection de cet objet idéalisé qui va de pair avec un désinvestissement de la réalité
externe au profit de cette identification massive. Le sujet repense à cet objet disparu pour
arriver à s’en débarrasser. Bien qu’il sache que cet objet ne soit plus là, dans son psychisme, il
continue à exister.
-résolution. Le sujet se détache de l’objet perdu qui continue à être investi mais une grande
partie des investissements est de nouveau libre et peut être réinvestie sur d’autres objets.
Je vais à présent prendre l’exemple de l’amputation d’un membre et m’attacher à décrire le
problème de la perte à travers l’option psychologique pour illustrer la compréhension de celle-
ci à un niveau somatique.
La perte du membre s’exprime d’abord par une douleur. Puis le membre est remplacé par une
sensation de membre fantôme : il y a une intériorisation de l’objet perdu, considéré comme un
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objet fantôme. Pour le malade, c’est une façon de recréer la partie du corps perdue qui se
manifeste sous forme de fantôme, un corps imaginaire. Peu à peu, le malade va se détacher de
cet objet intériorisé jusqu’à ce que celui-ci finisse par disparaître. Ce temps de résolution
serait comparable au rétrécissement graduel de la partie du corps fantôme.
A la fin de ce travail de deuil, le malade peut accepter la perte et donc ce nouveau corps
amputé. Je m’aperçois que pour comprendre ce mécanisme, les notions d’image du corps et
de schéma corporel sont importantes. Le problème ne se situe pas uniquement au niveau
d’une perte physique mais aussi au niveau du corps imaginaire.
Au début de cette deuxième partie, une question importante concernant le lien entre
psychologie et douleur a été exposée : le travail psychique, le travail de deuil a t-il une
répercussion sur les douleurs physiques ?
Après ce cheminement, je ne peux pas affirmer une réponse mais je peux tout de même
m’apercevoir de l’importance du rôle de ce travail de deuil dans les sensations du membre
fantôme. Le deuil pathologique pourrait d’ailleurs être un élément de réponse à cette question
car on sait qu’il peut entraîner des syndromes douloureux et des dépressions. Cette réflexion
sera reprise lors de la discussion (p31)
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VI. Cas cliniques
Au cours de ce stage, j’ai donc eu quelques entretiens auprès de patients amputés. Pour la
rédaction de ces deux cas cliniques, je me suis intéressée à la réaction de chacun face à la
perte corporelle. Mais compte tenu du contexte de l’hospitalisation et de la population choisie,
mon travail clinique a été limité. En effet, les malades amputés ne font qu’un court séjour à
l’hôpital (environ 2 semaines) car la rééducation doit être commencée au plus vite.
En fonction des toilettes des patients, des séances de kinésithérapie, du nettoyage des
chambres, j’essayais une à deux fois par semaine de me créer un emploi du temps spontané de
façon à avoir un entretien avec les malades que je suivais.
L’entretien était semi-directif dans le sens où mes questions permettaient au sujet de
s’exprimer librement en fonction de ses propres ressentis sur le moment. Mon attitude face
aux malades était plus celle d’un accompagnement psychologique que celle d’un travail
thérapeutique. Par conséquent, mes données cliniques sont pauvres mais avec du recul, je vais
essayer de faire une analyse psychologique plus poussée par l’intermédiaire d’hypothèse.
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Madame L
Madame L est hospitalisée dans le service de chirurgie pour une amputation suite à un
ostéosarcome, un cancer de l’os se situant au niveau de la jambe gauche et pour lequel elle a
déjà subit de nombreuses opérations. Face aux douleurs intenses ressenties par Madame L, le
service décide de prendre contact avec l’équipe mobile de façon peut être à revoir ou réajuster
le traitement médicamenteux.
Quand elle parle d’elle, Madame L se décrit comme une femme qui aime prendre soin de son
apparence physique. Elle aime être bien coiffée et ses cheveux sont d’ailleurs toujours bien
accrochés sous la forme d’une natte. Avant son alitement, elle était très active et ne restait
jamais sans rien faire.
Seule, elle a élevé deux enfants de pères différents : une fille née d’un père alcoolique et un
garçon né d’un père américain décédé après la naissance de ce dernier. Après son amputation,
au fil des entretiens, Madame L m’a beaucoup parlé de ses enfants. Les yeux remplis de
bonheur elle me décrit son fils comme un « garçon merveilleux, intelligent, affectueux, c’est
un ange descendu du ciel. Il n’est pas marié, mais aucune femme ne peut le mériter » En
revanche, les yeux larmoyants et le visage à la fois attristé et tendu, elle me parle de sa fille,
cette fille qui lui donne tant de peine et qui l’a fait tant souffrir.
J’ai rencontré Madame L quelques jours avant son amputation. Mentalement, elle n’était pas
préparée et prête à subir une telle perte corporelle. Bien que le Professeur lui ait rendu visite
pour lui parler de ce geste chirurgical et malgré l’approbation de Madame L, la veille de
l’opération, elle ne souhaitait plus se faire amputer. La situation était délicate car cette
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patiente partait au bloc opératoire avec l’idée qu’on lui ferait juste un simple curage de sa
tumeur.
Trois ou quatre jours après l’amputation, en rentrant dans la chambre, je n’étais plus face à
cette personne âgée rencontrée peu de temps avant. Elle n’était plus souriante, son visage
laissait apparaître une grande tristesse et la douleur physique semblait être plus intense
qu’avant l’opération. Madame L venait de subir un traumatisme physique et moral important.
Cette femme, âgée, alitée depuis un an et qui espérait un jour remarcher était à présent privée
et coupée de ce rêve. Amputée non seulement de la jambe mais de toute l’articulation de la
hanche, il n’était pas question de prothèse dans le cas de Madame L.
A travers cette perte, Madame L perdrait une identité. Le constat était fait, elle savait qu’elle
ne remarcherait pas ou alors avec l’aide d’un fauteuil roulant. Cette vision de l’avenir lui était
insupportable et souvent elle amenait les pleurs : « je pleurs de plus me sentir comme tout le
monde. Avant, je ne restais jamais sans rien faire, maintenant… » Les mots sont trop durs
pour cette dame et porteur de tellement de sens. Cette perte signifierait pour elle, une perte de
l’autonomie, de l’indépendance. Cette année passée dans son lit à ne rien faire l’avait
beaucoup marquée « vous ne pouvez pas comprendre comme c’est difficile de vivre ça » et
peu à peu elle prenait conscience que plus jamais elle ne serait cette femme active qu’elle a
été.
La détresse de Madame L était intense car elle était touchée, blessée au plus profond d’elle-
même. L’aspect physique, auquel elle donnait tant d’importance paraissait à présent négligé,
mis de côté. Son identité féminine, était perdue et son corps était à présent morcelé, éclaté. Ce
corps actuel, madame L le refusait, elle ne réagissait plus à cette perte. Ce corps étranger,
auquel elle ne pouvait s’identifier ne faisait plus partie d’elle et elle opérait un réel clivage :
« je fais comme si j’étais quelqu’un d’autre, j’ai pas envie de voir. » Symboliquement,
Madame L expulsait à l’extérieur ce qui à l’intérieur était insupportable et source d’angoisse.
Ce mécanisme de défense nommé projection ce fait surtout chez le bébé envers sa mère
(M.Klein). Cette dernière, grâce à son espace psychique et à sa capacité d’élaboration, lui
renverra de façon intégrable ce qui avait été source d’angoisse. Devant le discours de Madame
L, je devais justement essayer de l’aider à élaborer cette angoisse.
« je fais comme si j’étais quelqu’un d’autre »
« ça vous aide quand vous me dite ça ? »
« oui, ça me protège »
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Cette non reconnaissance d’elle-même marquait chez Madame L une blessure narcissique
importante et celle-ci réactivait à mesure des traumatismes anciens sources de souffrance et de
déstabilisation. En effet, cette perte corporelle avait fait renaître le souvenir de la mort de son
deuxième mari et elle ne cessait de me parler de sa fille et des difficultés qu’elle avait eu pour
l’élever. Mais malgré des sentiments affectifs différents à l’égard de ses enfants, cette patiente
semblait tenir beaucoup à sa fille.
Je peux peut-être alors penser que les jambes de madame L pourraient représenter
symboliquement ses deux enfants, la fille et le garçon, soit l’unification d’une famille. En ce
sens, en perdant l’un de ses membres, Madame L perd un membre de sa famille. Cette
hypothèse s’instille à partir du discours émis par cette personne. Lors de nos rencontres, elle
me fit part d’une émotion négative ressentie envers sa fille. Cette fille, décrite par Madame L
comme le mauvais « membre » (de la famille) n’est pas souvent présente et donc « utile »
pour elle. Par conséquent, se pourrait-il alors que cet état psychologique soit transposé vers
l’extérieur : la jambe perçue comme le mauvais objet.
De plus, cette perte corporelle pourrait être la conséquence d’une rupture identitaire. En effet,
comme dit précédemment, cette patiente perdrait le statut de mère qu’elle aurait tenu pendant
plusieurs années. N’ayant plus un corps unifié (à savoir ces deux jambes), elle en vient
inconsciemment à percevoir une désunification de sa famille. La perte d’un membre qui serait
la perte de sa fille, d’où émotion négative ressentie envers cette dernière, entraînerait Madame
L vers une rupture identitaire.
En somme, n’avoir plus de statut de mère qui la définissait comme un être existant auprès de
l’Autre (enfants) ce serait n’avoir plus ou en tout cas perdu son identité de mère et peut-être
de femme.
Au fil des jours, les sentiments éprouvés par Madame L face à la perte changeaient. Elle était
passé de la tristesse (les pleurs) à des moments de colère (« je pleurs par rage »). Mais cette
colère a été brève car elle a vite laissé place à un état dépressif. Les douleurs de Madame L
étaient nettement atténuées par la PCA morphine mais la blessure psychique était toujours là.
Elle avait des difficultés pour dormir, elle mangeait moins et son discours était de l’ordre de la
plainte.
« Au plus je pense au moins je me porte.»
« Vous pensez à quoi ? »
« A tout, tout ne va pas. »
« C’est quoi ce « tout » ? Qu’est-ce qu’il y a dans ce tout ? »
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« Tout : ça (elle me montre tout son côté amputé), la paralysie dans le lit et ma fille… »
Les jours passaient et il n’y avait que peu d’amélioration. Cependant, un matin, en rentrant
dans la chambre, je vois Madame L assise sur un fauteuil. Ecoutant de la musique, à nouveau
les cheveux attachés par l’infirmière, elle souriait. Elle ne me cacha pas que cette position
était un peu douloureuse mais elle était tellement contente d’être assise qu’elle supportait cette
douleur. Ce jour là, il s’était passé quelque chose. Madame L venait de prendre conscience
qu’elle avait la possibilité de ne plus rester dans son lit. Assise dans ce fauteuil par
l’intermédiaire de la kinésithérapeute, elle abandonnait pour quelques heures ce statut
handicapé qu’elle n’acceptait pas. A ses yeux, elle retrouvait cette femme qu’elle était il y a
encore un an, qui aimait prendre des moments pour lire et écouter de la musique. Par cet
investissement du monde extérieur à travers la lecture et la musique, Madame L retrouvait du
plaisir et on pouvait facilement le lire sur son visage.
Cette nouvelle joie de vouloir enfin vivre était traduite de façon physique. En effet, elle
désirait à nouveau se faire belle. Cette coquetterie passait par des moments de plaisir vécu il y
a quelques années, tels se coiffer.
Cet acte signifierait peut-être qu’elle commençait à s’accepter. Il s’opérait peu à peu une
restauration narcissique et son estime de soi était revalorisée. A la fin de son hospitalisation,
Madame L entamait de façon positive ce long chemin qui allait la mener vers une acceptation
future de son état physique et psychologique.
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Monsieur S
La rencontre avec Monsieur S s’est faite de façon inopportune, sans qu’une demande émane
de sa part. En effet, l’équipe mobile et moi-même l’avons rencontré pour des douleurs du
membre fantôme. Sa réaction face à la perte de sa jambe était positive. Ainsi, je lui ai proposé
d’en discuter.
Monsieur S est âgé de 55 ans. Atteint d’une maladie orpheline des veines encore mal connue,
il ne supporte aucun pontage ce qui entraîne des lésions importantes au niveau de sa jambe
gauche. Ayant déjà subit de nombreuses opérations sur cette jambe, des amputations
progressives (orteil, pied) mais sans réels résultats, Monsieur S se retrouve donc hospitalisé
pour une amputation de cette jambe.
Au fil des années, il a apprit à vivre avec ses douleurs mais à mesure le mal mental a prit le
dessus et il ne pouvait plus le gérer : « Le problème de la douleur c’est qu’à un moment on
peut plus la gérer. Je l’avais apprivoisé mais là je ne pouvais plus. »
Dans ces propos tenus par Monsieur S, il est intéressant de relever le verbe « apprivoiser ».
Ses paroles reflètent l’état inconscient que ressent le sujet avant d’être délivré de la souffrance
physique. Il considère que cette souffrance, cette douleur ne doit plus faire partie de lui. Il doit
réussir à la maîtriser. Pour cela, elle devient alors l’objet qu’il doit apprivoiser. Par
l’utilisation de ce verbe nous pourrions constater que le patient est bien dans une forme
d’élaboration mentale. Il conçoit qu’une partie de son corps est malade et non l’ensemble de
son être physique. Ainsi, par cette prise de conscience, il en vient peu à peu à regarder la
douleur comme un élément étranger à lui.
Lors de cet entretien, j’étais face à un homme qui semblait être lucide, conscient de son état :
« je suis assez logique, je ne me laisse pas surprendre, j’ouvre les yeux assez vite. » En effet,
Monsieur S était certain que l’amputation définitive de sa jambe était la meilleure solution et
il ne s’agissait pas pour lui d’une perte mais plutôt d’une délivrance : « Ma jambe n’en
pouvait plus, ça a été une délivrance pour mon membre mais aussi pour moi et maintenant on
sait où on va. »
Comme dit précédemment, une fois de plus je constate que dans le discours de Monsieur S, sa
jambe semblerait séparé de son corps. Il fait la différence entre la partie atteinte et le reste du
corps.
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Lorsqu’il évoque le fait que « sa jambe n’en pouvait plus », nous pourrions entendre que le
patient personnifie son membre. Celui-ci ne ferait plus partie de lui. C’est seulement son
membre et rien que sa jambe qui n’en pouvait plus. Par ailleurs, ce genre d’utilisation du
pronom à la 3ème personne est employé une nouvelle fois lorsqu’il finit sa phrase par « une
délivrance pour mon membre mais aussi pour moi » et par « maintenant on sait où on va »
Dans cette phrase il y a attribution de deux sujets : le moi et le toi. Pour Monsieur S, le « on »
représenterait symboliquement « 2 personnes » : la jambe et lui.
Enfin, je remarque que lorsque Monsieur S parle de la douleur, douleur qui semblerait
mentale, il emploie le « je » - en parlant de la douleur – « je l’avais apprivoisé mais là je ne
pouvais plus » contrairement à la douleur physique où dans ce moment là il utiliserait la 3ème
personne du singulier.
Ainsi, cette remarque hypothétique me ramènerais à ma 1ère pensée, dans le sens où sa jambe
et le reste de son corps sont bien séparés et donc qu’une partie de son corps malade est bien
un élément étranger, voire extérieure de sa personne.
Grâce à la prothèse, Monsieur S pouvait à présent envisager un avenir. Certes, pas celui qu’il
aurait imaginé mais il était prêt à vivre cette nouvelle expérience : « avec l’appareillage,
j’aurais une vie tout à fait normale, je ne vois pas le problème.»
Cet aspect serein que dégageait Monsieur S face au futur était du au fait qu’il c’était depuis
longtemps préparé à cette perte. Sans l’aide d’un psychologue mais entouré de sa famille, il
avait longuement parlé avec eux de cette échéance.
Aujourd’hui il est guérit et il est au bout de ce chemin qu’il l’a amené à s’accepter
différemment. Sa vie qui continue, Monsieur S l’a compare à un livre. L’ancienne page,
illustrée d’un homme attaché à sa douleur était tournée et elle laissait place à une page
représentant la délivrance d’un homme : « je suis guéri, il faut le voir de cet œil là, c’est un
livre. »
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Le cas de monsieur S présente beaucoup de différences par rapport à celui de Madame L.
Même si l’expérience de la perte est unique, comme unique est l’histoire des relations
qu’opéraient ces deux patients avec l’objet perdu, il existe cependant des distinctions
importantes qui vont jouer un rôle dans le travail de deuil.
-La perte d’un membre n’est jamais vécue de la même façon chez une femme que chez un
homme. Le sexe va avoir une grande importance car la femme prête beaucoup plus d’intérêt à
son aspect physique.
-L’âge de la personne est aussi à prendre en compte. Les répercussions psychologiques ne
seront pas les mêmes chez un sujet jeune que chez un sujet âgé. Plus on est vieux, plus les
difficultés à se représenter l’avenir sont difficiles.
-Le contexte et les circonstances de la perte jouent un rôle crucial. Si le patient s’était préparer
à cette échéance depuis longtemps, l’impact sera moins important que pour une personne qui
n’était pas préparé et qui ne s’y attendait pas (amputation dans le cas d’un accident par
exemple.)
-Les représentations et l’importance de l’investissement libidinal sur ce qui a été perdu vont
influencer le processus de deuil. Pour le cas de Monsieur S il s’agirait plutôt d’une délivrance
physique et psychique où enfin il recommence à vivre. En revanche pour Madame L il
s’agirait d’une mort lente dans le sens où tous ses espoirs de remarcher sont perdus.
-L’appareillage, la prothèse aide à envisager une vie future et dans le cas inverse, aucune
projection positive ne peut s’opérer.
-Nos croyances, notre religion peut également nous aider à penser la perte. Une patiente
algérienne amputée sur le départ en maison de rééducation m’a dit : « Vous savez la religion
ça m’aide, je prie beaucoup. »
Ces deux cas cliniques m’ont permis d’exposer l’exemple de deux réactions différentes face à
la perte corporelle. Même si ce sont deux extrêmes, le cas de Madame L nous montre une
facette du désordre psychique que peut provoquer ce type de chirurgie. Par conséquent, le rôle
de l’équipe médico-chirurgicale dans les périodes pré et post-opératoire va être important. Ce
rôle ne sera pas seulement médical mais aussi psychologique.
-importance de la communication, de la parole, de l’écoute.
-contenir l’expression des sentiments par la verbalisation : angoisse, peur, tristesse, colère.
-connaître les phases du deuil et savoir les reconnaître chez le sujet.
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-savoir donner une place juste d’une part au médicament, d’autre part à la parole.
Le soignant devra aussi veiller à ne pas entrer dans la plainte qui devient le moyen relationnel
privilégié car la douleur peut devenir chronique, elle a une fonction identifiante pour la
personne qui ne la lâche plus. De plus, repérer les personnalités fragiles est nécessaire de
façon à mettre en place dès l’hospitalisation, parfois avant l’intervention chirurgicale, un
cadre particulier pour pouvoir traiter leurs troubles dès qu’ils apparaissent, sans les laisser
évoluer.
Les modalités d’intervention thérapeutiques proposés aux patients peuvent être la relaxation
thérapeutique et la psychothérapie verbale.
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DISCUSSION
Pour étudier ce thème de mémoire sur l’amputation, il m’a fallu dans un premier temps me
documenter sur les phénomènes d’hallucinose et d’algohallucinose. Cette première partie
médicale était importante car elle m’a permis de mieux connaître ces manifestations
physiques et le mécanisme physiopathologique des douleurs du membre fantôme. De plus,
nous pouvons constater qu’il existe de nombreux aspects thérapeutiques pour faire face à ces
douleurs : une bonne prévention en préopératoire, des traitements médicamenteux adaptés et
si cela s’avère nécessaire des infiltrations et de la stimulation électrique.
Cependant, même si cette douleur physique est bien prise en charge, tout au long de ce travail
nous avons pu noter l’important désordre psychologique qu’une telle atteinte corporelle
pouvait produire. En effet, l’amputation représente pour le malade un véritable
bouleversement pour sa vie future. L’événement traumatique crée chez le sujet une crise
existentielle à laquelle il va devoir faire face.
Par ailleurs, comme dit précédemment (p20), il me convient d’aborder maintenant la question
du travail du deuil et de sa répercussion sur les douleurs physiques.
Au travers des deux cas cliniques analysés dans ce mémoire, j’ai pu constater que le rapport
psychique/physique jouait un rôle important sur l’état psychique du sujet. En effet, la mise en
place d’un travail de deuil chez Madame L a pu permettre à cette femme de diminuer ses
douleurs physiques. Ceci étant, suite à son discours j’ai pu relever que son état mental pouvait
être influencé par son état physique. Elle m’a souvent dit : « j’ai des hauts et des bas. » Des
hauts quand elle ne pensait plus à sa jambe, ce qui entraînait une baisse des douleurs et des
bas quand la douleur se réveillait et qu’elle lui rappelait qu’elle était amputée.
Cependant, je m’interroge sur le rapport de cause à effet entre le travail de deuil et les
douleurs physiques, à savoir le travail de deuil influence t-il sur les douleurs physiques ou
inversement ?
Ainsi, concernant le cas de Madame L, j’en viens à penser qu’il pourrait y avoir un
phénomène de réciprocité entre les deux entités physique et psychique.
Par ailleurs, concernant Monsieur S, le lien établi entre le travail de deuil et les douleurs
physiques semblerait ne pas être défini en fonction d’un phénomène de réciprocité
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contrairement à Madame L. En effet, si dans une première approche réflexive, j’ai pu
« entendre » chez ce patient une évolution de son état, il convient à présent de remarquer qu’il
s’agirait en fait d’une mise en place de divers mécanismes de défense. L’impossible capacité
d’élaboration psychique ne peut permettre à ce patient d’amoindrir ses douleurs physiques. De
ce fait, son état n’a pu s’améliorer dans le temps contrairement à Madame L.
Pour conclure, cette hypothèse, ce lien existant entre travail de deuil et douleurs physiques et
son éventuel rapport de cause à effet doit faire l’objet d’une étude approfondie auprès de
nombreux malades pour pouvoir être affirmée.
Se sont A.Sirigu et P.Giraux qui sont à l’origine de cette fantastique promesse pour l’avenir.
Cette expérience s’inscrit dans le cadre des recherches sur la plasticité du cerveau. « Le
principe consiste à présenter au patient une image de son intention du cerveau de bouger le
membre lésé en mouvement, de sorte qu’il est l’impression de lui commander de nouveau. »
explique A.Sirigu. Grâce à un dispositif vidéo, les trois sujets ont donc visualisé l’image de
leur membre lésé en train de réaliser une centaine de mouvements, depuis l’ouverture et la
fermeture de la main jusqu’à la saisie d’objet. Au terme de cette rééducation, la douleur s’est
estompée chez deux sujets, respectivement de 40 et 80%. Ils ont donc arrêté leur traitement à
base de morphine et six mois après l’expérience, l’effet analgésique durait encore.
Au départ, le but 1er des chercheurs n’étaient pas de développer un traitement pour la douleur
fantôme. Ces derniers s’intéressaient en réalité à la plasticité cérébrale, cette capacité qu’a
notre cerveau pour reprogrammer son activité par exemple après une lésion. Ils voulaient
savoir si au niveau cérébral, une simple image du membre lésé en mouvement pouvait avoir
les mêmes effets qu’une greffe. Ils se sont donc aperçus que pour les deux patients pour qui la
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douleur avait été atténuée que les images IRMF relevaient une réactivation du cortex moteur
commandant le membre lésé.
Ils ont donc démontré qu’il suffit de tromper le cerveau avec une illusion visuelle pour qu’il
réorganise son activité et que cela suffit à soigner la douleur fantôme.
Comment une simple illusion cérébrale parvient à diminuer la douleur fantôme ?
Pour le moment, les scientifiques estiment que l’activation particulière du cortex moteur
inhibe les régions impliquées par la douleur. Cependant, une question reste en suspens :
pourquoi la douleur n’a t-elle pas diminué chez le troisième patient ? « Peut être parce que sa
lésion est plus ancienne (cinq ans contre six mois et deux ans pour les deux autres. Sa
rééducation nécessite sûrement plus de temps pour déclencher le remodelage au niveau de
son cerveau… » avance A.Sirigu.
Le succès de cette méthode même partiel suscite un réel espoir chez les quelque 240000
personnes amputées en France et l’on peut imaginer une nouvelle façon de traiter les maladies
liées à une dégénérescence des neurones ou encore les pertes de mémoire liées au
vieillissement.
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BIBLIOGRAPHIE
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