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Les moines de Tibéhirine avant le martyre.

Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois


s'attache à décrire la vie de ces hommes d'Eglise à l'intérieur comme à l'extérieur de leur
monastère de Kabylie, en Algérie. Les jours se suivent et se ressemblent dans ce film qui a reçu
cette année le grand prix du jury du Festival de Cannes.
Devant la puissance hypnotique de rituels et de chants magnifiques, dont la répétition fait naître
une forme de paix intérieure, on pense à la sobriété du cinéma japonais. La paix n'est pourtant
guère à l'ordre du jour. Tiraillés entre l'armée régulière prête à assurer leur sécurité manu militari
et les extrémistes armés, les moines doivent faire le point sur leur engagement religieux et
humain.
Des émotions d'une grande pureté
Une séquence de repas où ces hommes écoutent Le Lac des cygnes de Tchaïkovski engendre des
émotions d'une intense pureté. L'amour fraternel et la force d'un engagement au péril de sa vie
ont rarement été montrés avec une telle simplicité au cinéma. Pas besoin d'être croyant pour
partager ce moment de grâce. Ce que saisit Xavier Beauvois tient davantage de l'humain que du
divin.
Le choix judicieux de ne pas montrer le décès des religieux comme de ne pas insister sur les
détails de leur enlèvement permet au réalisateur du Petit Lieutenant de ne pas succomber au
mélodrame. Acteurs éblouissants (Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Olivier Rabourdin…) et
mise en scène épurée ne laissent ainsi aucune place à l'esbroufe. A la fois rigoureux et accessible,
Des hommes et des dieux fait partager pendant deux heures les joies simples, les doutes
poignants et les décisions douloureuses d'une poignée d'hommes. Le film renvoie le spectateur à
ses propres interrogations, faisant de chacun de nous un de ces moines.
Le film évoque le destin tragique de sept moines de Tibéhirine qui ont été enlevés dans la nuit de
26 au 27 mars 1996 alors que la guerre civile frappait l'Algérie. Le kidnapping a été attribué au
Groupe islamique armé (GIA). Les têtes des moines décapités furent découvertes deux mois plus
tard, mais on ne saura jamais si les religieux ont été abattus par les extrémistes ou s'ils ont été
victimes d'une bavure de l'armée algérienne qui les aurait mitraillés en les prenant pour des
terroristes.
En adaptant librement l’affaire de l’assassinat des moines de Tibhirine en
Algérie, qui dans les années 1990 furent enlevés puis assassinés sans que le
mystère de l’identité de leurs meurtriers ne soit élucidé, Xavier Beauvois
confirme l’impressionnant virage artistique amorcé il y a cinq ans avec Le
Petit Lieutenant. La révolte sincère mais maladroite des premiers films s’est
définitivement effacée au profit d’un cinéma libéré de toute pesanteur
scénaristique. Au plus près de ses personnages, Beauvois sonde le conflit
moral, politique et religieux d’une communauté déchirée par le doute et
apaisée par la foi, sans prosélytisme ni militantisme.
L’affaire fit grand bruit : en 1996 à Tibhirine, en Algérie, sept moines cisterciens sont enlevés ;
on ne retrouvera leurs têtes que quelques jours plus tard. Officiellement attribués au GIA, les
meurtres ne furent jamais vraiment élucidés : plusieurs thèses s’affrontent encore aujourd’hui,
l’une d’entre elles mettant en cause une bavure de l’armée algérienne. Des hommes et des dieux,
cinquième long-métrage de Xavier Beauvois, s’inspire librement de ce drame qui causa une vive
émotion à l’époque et continue de susciter de nombreuses interrogations. Pourquoi les moines, se
sachant menacés, ne sont-ils pas rentrés en France, malgré l’insistance des gouvernements
français et algériens ? Quels étaient leurs rapports avec les terroristes et avec l’armée
algérienne ?
Xavier Beauvois apporte quelques pistes de réflexion qui peuvent éventuellement étayer le débat
mais n’en fait aucunement la colonne vertébrale de son film. La fibre militante du réalisateur, qui
par le passé a été d’une certaine façon sa marque de fabrique (dans Nord, N’oublie pas que tu vas
mourir ou Selon Matthieu) est toujours bel et bien présente, mais beaucoup plus en retrait. Elle
n’est plus un manifeste en soi, mais un élément intrinsèque du récit. Comme dans le beau Petit
Lieutenant, le discours politique n’est plus affiché en étendard mais transpire dans les choix des
personnages, leurs modes de vie et leurs actions. Si Beauvois choisit encore, ici dans un échange
entre vieux catholiques et musulmans, là dans la confrontation entre le chef de la communauté
des moines et le leader du groupe terroriste, de faire passer un certain nombre de messages, il
laisse plus que jamais le soin à la caméra de balayer tous les discours, parfois avec un certain
sens de l’ironie : ainsi, un jeune terroriste blessé par balles devient, allongé sur la table d’examen
du moine-médecin incarné par Michael Lonsdale, un Christ descendu de sa croix auquel le
religieux prodigue soin et attention. Les silences, chez Beauvois, sont des modèles de mise en
scène : c’était déjà le cas dans le bouleversant dernier plan du Petit Lieutenant, c’est tout aussi
vrai ici − sans révéler la teneur de la dernière scène, on peut affirmer sans crainte que peu de
cinéastes français savent aussi bien clôturer leurs films que Xavier Beauvois.
Aux discours, Beauvois préfère donc une mise en scène apaisée, dépouillée de toute fioriture, qui
s’attarde sur les nombreux rituels religieux qui font le quotidien de ces moines, mais également
sur les tâches qu’ils accomplissent en faveur des habitants de la région. Médecins, agriculteurs,
écrivains publics et même confidents : les membres de cette petite communauté, totalement
intégrés dans une culture pourtant si étrangère à la leur, apportent une aide matérielle et
spirituelle salvatrice. Avec finesse, Beauvois n’élude pas les interrogations sur les dérives
colonialistes et prosélytes que l’action des moines pourrait poser, sans pour autant se perdre dans
d’interminables justifications sur le regard qu’il pose sur ses personnages. L’équilibre est fragile,
mais impeccablement tenu : dévorés par la peur et par le doute, les moines affichent un visage
terriblement humain, loin de la compassion béate que des réalisateurs moins inspirés auraient pu
faire passer pour un héroïsme de pacotille.
À force de tailler dans le vif pour révéler les conflits qui gangrènent la communauté, puis chaque
moine de façon individuelle, Beauvois s’interroge sur l’essence même de cette foi qui a poussé
ces hommes à s’engager dans une terre aussi reculée, puis à faire face à l’adversité et à la menace
d’une mort probable. Les angoisses et les dilemmes posés par chacun sont autant d’épreuves qui
transcendent l’aspect religieux pour atteindre une quête de vérité universelle. Le film s’élève
ainsi au-delà du simple débat politique ou religieux et s’attache à sonder le cœur de ces hommes
qui, derrière l’habit, ont une famille, un passé et, par conséquent, le choix de revenir en arrière,
ou de continuer. Ce choix presque impossible est le nerf du film, et son aspect le plus
bouleversant. Beauvois le matérialise dans une scène sublime de dîner où, d’une succession de
gros plans accompagnés du Lac des Cygnes en fond sonore, le cinéaste offre une galerie de
visages marqués par la peur, puis par la joie. Les comédiens, tous extraordinaires, s’offrent à la
caméra et à leurs personnages comme les moines ont, semble-t-il, fait don de leur vie à un certain
idéal. On ne saurait leur rendre plus bel hommage.
Fabien Reyre
Des hommes et des dieux (France, 2010).
Durée : 2h. Réalisation : Xavier Beauvois.
Scénario : Étienne Comar, Xavier Beauvois.
Image : Caroline Champetier. Montage :
Marie-Julie Maille. Production : Why Not
Productions, Armada Films, France 3
Cinéma. Distribution : Mars Distribution.
Interprétation : Lambert Wilson (Christian),
Michael Lonsdale (Luc), Olivier Rabourdin
(Christophe), Philippe Laudenbach
(Célestin), Jacques Herlin (Amédée), Loïc
Pichon (Jean-Pierre), Xavier Maly (Michel),
Jean-Marie Frin (Paul), Sabrina Ouazani
(Rabbia)... Sortie : 8 septembre 2010.
Ce film au mouvement lent, prenant, est un choc. On y rencontre quelque chose de soi : la
question de la foi et de la nécessité de cette interrogation que chacun, un jour, a dû affronter. Que
faire ? Quel sens donner à sa vie ? On est pris par la manière dont Xavier Beauvois, dont j'ai
toujours aimé les films, se fond dans le rythme de la vie des moines de Tibéhirine. Il a réuni des
comédiens qui donnent le sentiment qu'ils ne jouent pas, mais qu'ils sont des religieux dans la
méditation et le recommencement des jours, des tâches humbles qui sont les leurs, dans
l'ouverture vers les autres. La simplicité de leurs rapports avec les habitants du village, femmes,
enfants, vieillards, ces habitants, tous musulmans, qui les ont acceptés comme des frères, des
protecteurs, est traduite sans discours. L'image, signée Caroline Champetier, est pure et
troublante. C'est très bien joué. Il y a des comédiens que je connais, bien sûr : Lambert Wilson,
Michael Lonsdale, magnifique « toubib », tellement vrai. Il y a des comédiens que je ne
connaissais pas, comme celui qui est frère Amédée, Jacques Herlin, tellement touchant et fragile
qu'on a envie de le protéger. Et les autres, très justes, très émouvants sans en rajouter jamais : -
Philippe Laudenbach, Olivier Rabourdin, celui qui a peur, Loïc Pichon, Jean-Marie Frin, Xavier
Maly. Cette distribution est pour beaucoup dans la force du film, qui reprend la tragédie des
moines de Tibéhirine mais ne cherche pas à donner une version des circonstances exactes et des
raisons de leur assassinat. Pour moi, il y a une scène exceptionnelle, qui fait basculer le film dans
l'extraordinaire, le miraculeux en quelque sorte, c'est la scène du Lac des cygnes, vers la fin. Un
frère en visite, Olivier Perrier, leur a apporté du vin. Ils sont dans le réfectoire, ils boivent un peu
de ce vin en écoutant Le Lac des cygnes… La caméra tourne autour d'eux, saisit les visages,
l'ensemble de cette communauté qui communie par le vin, la musique de Tchaïkovski tellement
inattendue dans un monastère de Kabylie et l'approche, non pas consentie mais acceptée comme
une réalité qui menace, de la mort… Je ne peux me défaire de ce moment.
Des hommes et des dieux, Drame de Xavier Beauvois. avec : Lambert Wilson, Michael
Lonsdale, Philippe Laudenbach, Olivier Rabourdin, Loïc Pichon, Jacques Herlin, Xavier Maly,
Olivier Perrier, Sabrina Ouazani et Abdelhafid Metalsi. durée : 2 h.
Plantant son décor dans les montagnes du Maghreb pendant les violences terroristes des années
90, Des Hommes et des Dieux s'inspire librement de la vie des moines cisterciens
mystérieusement disparus en 1996. Filmant avec simplicité le quotidien monastique, Xavier
Beauvois saisit les doutes de ces hommes brutalement confrontés au chaos politique et mis face à
leur choix de vie. Si l'austérité formelle pourra en rebuter plus d'un, la tension dramatique gagne
peu à peu en puissance pour ne plus nous lâcher grâce à une mise en scène pleine de grâce. Que
l'on décèle ou non des dieux dans ce récit remarquablement écrit, on ne pourra rester insensible
aux hommes qui l'habitent, tous sans exception interprétés par un casting inspiré.
Présenté au Festival de Cannes 2010, Des hommes et des Dieux a créé la surprise en remportant
le Grand Prix décerné par un Jury présidé par Tim Burton. Le film nous emmène dans les
montagnes du Maghreb dans les années 90, au moment des violences perpétrées par des groupes
de terroristes islamistes, et se penche plus particulièrement sur la disparition mystérieuse des
moines cisterciens de Tibhirine en Algérie, en 1996. Plutôt que de retracer de manière factuelle
les événements politiques, le réalisateur Xavier Beauvois (N'oublie pas que tu vas mourir, Le
Petit Lieutenant) choisit d'adopter une approche subjective des événements, à travers le point de
vue des moines qui mènent une existence paisible aux côtés des villageois musulmans, avant de
se retrouver brutalement confrontés au chaos politique. Tandis que la tension devient de plus en
plus palpable, le doute envahit peu à peu les moines mis soudainement face à leur choix de vie et
au sens même de leur existence. Certes le film ne prend aucun risque sur le plan idéologique,
mais les intentions de Xavier Beauvois sont tout autres.
Des Hommes et des Dieux nous invite à être les témoins du quotidien des moines cisterciens, un
mode de vie reposant sur le silence, la contemplation mais aussi l'hospitalité envers les plus
démunis. Entre scènes de prière, moments d'intimité dans les cellules, échanges avec les
villageois et balades en solitaire au cœur de la nature, Xavier Beauvois filme l'austérité de la vie
monastique avec une économie d'effets et une simplicité de tous les instants. Sublimées par le
travail sur la photographie, les contrées splendides environnantes frappent par leur ampleur et
leur luminosité, offrant un contraste saisissant avec le dépouillement et la modestie du monastère
et conférant au film une portée spirituelle. Face à ce rapport de l'homme à la nature, la terreur qui
gangrène le pays apparaît d'autant plus brutale, d'autant plus absurde. Une terreur que Beauvois
choisit tour à tour de suggérer, à travers de faits rapportés et des regards lourds de sens, ou de
montrer par le biais des intrusions des terroristes ou de la pression opérée par les militaires. Des
Hommes et des Dieux est un film engagé contre la violence la plus universelle, quand les
conflits politiques viennent troubler et mettre fin à des années d'harmonie.
Tout comme les moines cisterciens, le film n'aspire à aucun prosélytisme. Que l'on décèle ou non
des dieux dans ce récit remarquablement écrit, on ne pourra s'empêcher d'être ému par les
hommes dont les portraits s'ébauchent discrètement, par petites touches. Et si l'on ne pourra nier
au film une certaine austérité, la puissance dramatique atteint son point culminant lors d'un repas
accompagné par Le Lac des Cygne de Tchaïkovski, une scène plus que jamais habitée par la
force, la vulnérabilité, l'humanité des personnages. Lambert Wilson délivre une composition tout
en profondeur et il est loin d'être le seul au sein d'un casting inspiré qui participe pleinement à
conférer à ce drame puissant et humaniste une grâce inespérée.
Date de première publication : 21 mai 2010 à 16h39

Prix du jury très mérité au dernier Festival de Cannes, Des


hommes et des dieux retrace le parcours des moines de
Tibéhirine pendant les mois qui ont précédé leur assassinat
en 1996, depuis le moment où ils sont devenus la cible des
extrémistes du GIA jusqu'à celui où ils ont été enlevés, avant
de disparaître dans des circonstances qui restent aujourd'hui
encore à élucider. Leur cheminement spirituel est le sujet de
ce long-métrage, le cinquième de Xavier Beauvois, à qui l'on
doit Nord, un premier film d'une âpreté poignante, puis
d'autres comme N'oublie pas que tu vas mourir ou Le Petit
Lieutenant.
D'abord plongés dans le chaos par la peur qu'a engendrée chez chacun la perspective de sa propre
mort, et qui a d'abord fait chanceler la cohésion du groupe, ces sept hommes ont finalement pris
collectivement la décision de ne pas plier devant la violence. Refusant de piétiner l'idéal de
fraternité auquel ils ont voué leur vie, ils ont choisi de rester dans le monastère plutôt que de
rentrer en France comme on les poussait à le faire, certains en ayant d'ailleurs eu la tentation. Ils
n'ont pas davantage accepté la protection que leur proposait l'armée.
Les dieux étant nombreux, ce qui intéresse le cinéaste dans cette tragédie relève moins du
martyre des moines, que de la conscience - éthique, politique - des hommes qu'ils sont, et des
questions existentielles que pose leur confrontation avec cette force armée qui piétine tout ce en
quoi ils croient. Comment éprouver la liberté ? Qu'est-ce qu'une communauté ? Peut-on être soi
en niant l'existence d'autrui ?
On peut, on doit, même, envisager ce film comme une profession de foi. Mais c'est dans le
cinéma que Beauvois a toujours placé la sienne, et qu'il la place ici plus que jamais. Confiant
dans le talent de sa chef opératrice, Caroline Champetier, dans celui de ses acteurs dont il a
visiblement obtenu une adhésion totale, il signe une mise en scène puissante et dépouillée,
délibérément lyrique, en s'inspirant du mode de vie hyperritualisé de l'ordre cistercien-trappiste
auquel appartenaient les moines de Tibéhirine.
Maestria soufflante
La prière, les chants à l'unisson, les réunions au cours desquelles se prennent, à l'issue d'un tour
de parole et d'un vote, les décisions engageant la vie de la communauté, et qui témoignent ici de
la réduction progressive des antagonismes vers une communion spirituelle, structurent le film.
Mais la place est faite, aussi, aux moments partagés avec les villageois (travail de la terre,
dispense de soins, fêtes familiales...), dans le respect de l'islam.
Ou encore à des tête-à-tête, comme celui dans lequel Frère Luc, le médecin (Michael Lonsdale, à
son meilleur), explique à Frère Christian, le chef de la communauté (Lambert Wilson, qui révèle
dans ce film un charisme totalement inédit), qu'il ne craint nullement la mort. Au moment de
quitter la pièce, la voix étouffée dans un petit sourire malicieux, il a cette phrase merveilleuse qui
est aussi bien le programme du film : "Laissez passer l'homme libre..."
Les plans parlent d'eux-mêmes, chaque détail enrichissant le récit sans qu'il soit besoin de
commentaire. Le partage d'un plateau de frites, la lecture à haute voix d'une chronique de
L'Equipe, ou celle, pour soi, des Lettres persanes, suffisent à poser une atmosphère, une idée,
une personnalité. Cette même économie narrative permet de donner leur place à sept personnages
principaux - ce n'est pas rien -, sans parler des autres, les villageois, ou les terroristes du GIA
dont l'irruption rompt brutalement l'harmonie ambiante.
Après avoir ordonné à tous les étrangers de quitter le pays, après avoir égorgé, aux abords du
village, un groupe de Croates, ils frappent à la porte du monastère une nuit de Noël, exigeant de
Frère Christian qu'il mette son médecin à leur disposition. Le refus que celui-ci leur oppose, et
qu'il redouble en n'acceptant pas non plus de leur donner les médicaments destinés aux
villageois, signe, il le sait, son arrêt de mort et celui de ses frères, à court ou à moyen terme.
S'en remettant à la majesté aride des paysages de l'Atlas (marocain pour le tournage), à l'épure
laiteuse des robes des moines, à la rythmique du rituel, Xavier Beauvois joue avec les travellings
avec une maestria soufflante, fait le grand écart entre Sergio Leone, Coppola et Pasolini,
conduisant son film vers un final extravagant, à multiples détentes.
Deux scènes en particulier, qui figurent l'aboutissement de la communion spirituelle des moines
en icône de la résistance, témoignent d'une audace peu commune dans le cinéma français
d'aujourd'hui. La puissance qui s'en dégage conduit à se demander si, à l'heure des échanges
mondialisés, il n'y a pas un effet libérateur à raconter des histoires qui s'affranchissent des
frontières hexagonales.
Succès populaire et critique, donné grand favori de la 36e cérémonie des César, le film de
Xavier Beauvois "Des Hommes et des Dieux" a effectivement été consacré vendredi soir lors de
la grand-messe du cinéma français, au théâtre du Châtelet, sous la présidence de l'actrice
américaine Jody Foster.
Le drame consacré aux moines de Tibéhirine, enlevés et assassinés en 1996 en Algérie, a
remporté le César du meilleur film, celui de la meilleure photo décerné à Caroline Champetier et
du meilleur second rôle, attribué à Michael Lonsdale, alias Frère Luc.
Sous les acclamations du public, l'acteur pour la première fois "césarisé" à l'aube de ses 80 ans a
accueilli la récompense d'un "Ah petit coquin, tu en as mis du temps, mais mieux vaut tard que
jamais".
Dans un tout autre registre, très politique, le cinéaste Xavier Beauvois également nommé pour le
César du meilleur réalisateur, finalement décroché par Roman Polanski, a profité de l'occasion
pour lancer un appel à la "fraternité" envers les "Français musulmans".
Recevant le prix décerné à "Des Hommes et des Dieux", le réalisateur a expliqué que cette
oeuvre visait à délivrer "la parole d'intelligence" des moines martyrs, "une parole qui dit qu'il ne
faut pas avoir peur des autres", qu'"il faut juste se parler".
"C'est un message d'égalité, de liberté, de fraternité" a-t-il déclaré reprenant la devise de la
république avant de dénoncer des "choses immondes" qu'il a pu entendre en France ces derniers
temps, "des choses sournoises comme Zemmour ou des choses intolérables comme Hortefeux".
"Le cinéma français est comme la France, il est riche, il est divers, je n'ai pas envie que
pendant la campagne électorale qui arrive, on dise du mal des Français musulmans. J'ai
envie qu'on soit avec eux, c'est la leçon de ce film" a poursuivi Xavier Beauvois.
Nommé pour la septième fois de sa carrière, pour sa performance dans ce même film, Lambert
Wilson est une fois de plus passé à côté du César du meilleur acteur, remporté par Eric
Elmosnino pour son rôle dans "Gainsbourg, vie héroïque".
Autre grand vainqueur de la soirée, ce long métrage signé de l'auteur de BD Joann Sfar a aussi
été couronné du César du meilleur premier film et du meilleur son.
Parmi les autres films attendus, le "Nom des gens" a quant à lui remporté deux trophées, celui de
la meilleure actrice pour Sara Forestier et du meilleur scénario original pour le couple Baya
Kasmi et Michel Leclerc, qui, récupérant le César, a remercié le travail des acteurs, dont Lionel
Jospin, tout sourire dans le public du théâtre du Châtelet.
A noter encore, le premier César du meilleur film d'animation, revenu à "L'Illusionniste", de
Sylvain Chomet qui l'a notamment emporté sur une production de Luc Besson et le triomphe de
Polanski, qui loin de ses déboires judiciaires est donc reparti auréolé de quatre César, celui du
meilleur réalisateur pour "The Ghost Writer", monté alors qu'il était en résidence surveillée en
Suisse, de la meilleure adaptation, de la musique et du montage.
Plus consensuel, le cinéaste américain Quentin Tarentino, César d'honneur, a promis "de ne pas
avoir la grosse tête à cause de ce César qui restera profondément ancré dans [s]on coeur" et a
quitté la scène en s'écriant "Vive le cinéma", comme il l'avait déjà fait au Festival de Cannes.

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