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SUR LE NARRATEUR CHEZ FLAUBERT

Author(s): Claudine Gothot-Mersch


Source: Nineteenth-Century French Studies, Vol. 12, No. 3, FLAUBERT: PAPERS
PRESENTED AT THE UNIVERSITY OF WISCONSIN-MADISON SYMPOSIUM
COMMERMORATING THE CENTENNIAL OF THE DEATH OF FLAUBERT, OCTOER, 1980
(Spring—1984), pp. 344-365
Published by: University of Nebraska Press
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/23536544
Accessed: 17-09-2018 21:58 UTC

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SUR LE NARRATEUR CHEZ FLAUBERT

Claudine Gothot-Mersch

L A question du narrateur dans les romans de Flaubert a déjà été tra


à maintes reprises, et notamment par deux des conférenciers du pré
colloque: Victor Brombert, dans Flaubert par lui-même, étudie les m
festations de la "présence de l'auteur" dans Madame Bovary et d
L'Education sentimentale1-, Jean Bruneau, au colloque de London, "
présence de Flaubert dans L'Education sentimentale"2. Ce problème
narrateur est central, d'autre part, dans le Flaubert de Jonathan Cull
Enfin, je m'en suis moi-même occupée dans une communication de 19
que j'avais intitulée "Le point de vue dans Madame Bovary"4, étude a
le titre et le contenu de laquelle je ne suis plus aujourd'hui complètem
d'accord. C'est dire queje vais m'avancer avec appréhension sur un ter
difficile, et miné.
Je commencerai par la critique de mon travail de 1971; je préfè
maintenant, en effet, distinguer nettement le problème du narrateu
celui du point de vue, les questions qui parle? et comment parle-t-on?
questions qui voit? et d'où voit-on?, comme Gérard Genette nous a ap
à le faire5. Je refuse donc de considérer le .personnage focal comme
narrateur implicite, contrairement — par exemple — à Wayne C. Bo
("tout point de vue intérieur soutenu . . . transforme momentanément e
narrateur le personnage dont la conscience est dévoilée"5). Deuxièm
ment, définissant le narrateur comme le sujet de l'énonciation dans
récit, je m'accorde avec Kàte Friedemann7 pour dire que ce qui sépar
récit du genre dramatique, c'est précisément la présence ou l'absenc
narrateur; et je m'écarte de l'opinion selon laquelle les répliques en s
direct introduiraient dans le récit un changement de narrateur, le perso
nage devenant narrateur pour le temps de sa réplique8. Enfin — e
rejoins ici la discussion qui a suivi la communication de Jean Brunea
colloque de London —, je tiens à distinguer nettement le narrateur
l'auteur.
Si le narrateur n'est pas l'auteur, des expressions comme "présence
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l'auteur", "commentaire de l'auteur", "


d'importantes difficultés. Quand Wayne
Prejudice "le narrateur ne s'engage pas
qu'il est possible et dans l'espoir de nou
en secret"9, on peut se demander à qu
bation secrète, et comment il arrive à dé
jugement de l'auteur.
Flaubert lui-même, on le sait, ne par
(et ce terme a pour moi l'avantage de me
organisateur de l'œuvre qui est celui d
promet-il en 1852, "pas de réflexions, pe
lisant La Case de l'Oncle Tom, il affirme
ont irrité tout le temps"11, et il ajoute:
Dans la même lettre, il écrit encore ceci,
lui — comme pour son époque — auteu
forme dramatique a cela de bon, elle a
Cette position appelle quelques rema
xions d'auteur" qui revient comme un
me paraît recouvrir deux idées différ
cille sans toujours les distinguer nette
vain doit se contenter de peindre le m
opinion sur ce qu'il peint: Shakespeare
son œuvre on ne peut deviner ce qu'i
senti"13. Mais la seconde est moins radic
romancier "peut la communiquer, mais j
problème, alors, devient un problème
Deuxième remarque. Puisque, pour n
se distingue pas de l'auteur, il s'ensuit do
opinion, s'abstenir de réflexions, être
imaginer, par exemple, de dissimuler l
derrière un narrateur qui afficherait
Mais, dernière observation, si la person
être invisible, cela ne veut pas dire qu
doive être oblitéré. Sans doute ai-je eu
l'A.I.E.F., de soutenir que l'idéal de Fl
définit Emile Benveniste — par oppos
récit où "personne ne parle", où "les
eux-mêmes"15. Ce n'est pas dans cett
place.
Aussi sera-ce sans faire appel à la notion d'infraction queje reprendrai

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aujourd'hui le problème, et que je relèverai, dans les qu


maturité, ce qui me paraît s'y référer à la situation de disc
ce qui contribue à la création de "quelqu'un" qui raconte
et de "quelqu'un", en parallèle, à qui on les raconte.
On sait que la délimitation de ce qui peut constituer u
présence du narrateur, une manifestation du discours à l'in
n'est pas toujours simple à établir. Qu'il me suffise de r
Figures II où Gérard Genette relève, dans un texte de
niste avait présenté comme l'exemple du récit de type
nombreuses traces de subjectivité, c'est-à-dire de situat
Certains traits ne prêtent pas à discussion: l'emploi d
première et de la deuxième personne, celui du présent
posé, celui des embrayeurs (des "shifters") spatiaux (ic
(maintenant).
Au delà, les choses se compliquent. Benveniste exclut
réflexions et les comparaisons, mais sans en faire des élém
"discours, réflexions, comparaisons" forment la liste de
est "étranger au récit des événements'17; cependant, qu
bas, il définit le discours comme "toute énonciation suppos
et un auditeur, et chez le premier l'intention d'influenc
que manière"18: réflexions et comparaisons ne manifest
intention? Pour Gérard Genette, elles introduisent en effe
du récit, le discours19. Mais le lecteur sent-il, dans tou
présence du narrateur? "il se battit comme un lion" pro
de vue) un effet différent de: "il se battit avec bravo
réflexions, le même problème se pose: dire de Frédéric
"homme de toutes les faiblesses" (E.S. 300), c'est senti
ment porté sur le personnage; dire de Rosanette qu ell
jolie, ou naïve, en est-ce un? Si la réponse est "non
différence? Si elle est "oui", si tout adjectif un tant soit p
être mis au compte du discours, celui-ci finit par se confo
tout entier, et la distinction établie par Benveniste per
nence, du moins son utilité.
D'autres aspects aussi du texte narratif sont générale
par la critique flaubertienne comme étrangers au récit pro
manifestations de doute ou d ignorance du narrateur, les e
fournit au lecteur, l'ironie. Ce dernier point, on le sait
ment délicat. En tant que figure de rhétorique, l'iron
assez facilement localisable; lorsque Flaubert écrit que

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pendant ses études de médecine, "appr


chantait aux bienvenues, s'enthousiasm
punch et connut enfin l'amour', et qu'
préparatoires20, il échoua complètemen
pouvons situer un effet de style, et à t
dehors de cas semblables, le "ton ironiqu
hender avec quelque précision: il est par
(Jonathan Culler a fourni un bon exemple
analyse de la phrase de Madame Bovary
On me pardonnera donc, je l'espère, d
festations du discours qui m'ont paru q
accepter les catégories jugement et ironie,
élargissant démesurément son objet, en
J'examinerai d abord l utilisation des p
deuxième personne, établissant dans l'œu
qui dans le texte affirme, accentue la p
rences à l'acte narratif, les références au t
la narration, les manifestations de dout
donc, non pas dans leur rapport avec le po
à l'omniscience —, mais en tant que ré
doute: je doute, donc je suis), les manif
teur par rapport au personnage (l'affirma
et par rapport au lecteur (les explications
formules générales par lesquelles il lui i
une certaine philosophie de l'existence);
sances du lecteur. Cette énumération co
quement tous les emplois du présent.

Pronoms et possessifs de la première e


Donnons d'abord quelques chiffres. En
direct, des lettres et articles de journaux,
la maturité, aucun pronom, ni possessif, d
personne du singulier.
Il y a dans Madame Bovary 15 nous et 2
la deuxième personne du pluriel; dans
tion sentimentale, 4 nous et 3 possessif
Bouvard et Pécuchet, 33 nous, 33 nos o
Une première remarque s'impose: les
premières personnes sont presque aussi

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tale que dans Salammbô. Assez nombreux dans Madame


sont plus encore dans Bouvard et Pécuchet. Mais le statu
fort différent dans ces deux œuvres.
Dans Madame Bovary, 8 nous sur 15, et les 2 nos, sont à mettre à l'actif
de ce narrateur interne que Flaubert a mis en place au début du roman:
"Nous étions à l'Etude, quand le Proviseur entra . . La lecture des
brouillons révèle que le pronom singulier, je, devait à l'origine être égale
ment utilisé: "Je ne me rappelle de lui que son entrée", "Je ne le vis se
fâcher qu'une fois"22.
Outre ces quelques pages à narrateur interne, un autre passage de
Madame Bovary constitue un hapax dans l'œuvre de la maturité: une
apostrophe aux gravures des keepsakes, ou apparaît, à côté du vous, un
nous qui pose narrateur et lecteur en spectateurs supposés: "Et vous v
étiez aussi, sultans à longues pipes ... et vous surtout, paysages blafards
des contrées dithyrambiques, qui souvent nous montrez à la fois des
palmiers, des sapins" etc. (B. 39-40).
Treize pronoms de la première ou de la deuxième personne intervien
nent, dans Madame Bovary, à l'occasion de considérations générales: "le
dénigrement de ceux que nous aimons toujours nous en détache quelque
peu" (B. 288), "une de ces vagues conversations où le hasard des phrases
vous ramène toujours au centre fixe d'une sympathie commune" (B. 87). Il
n'y en aura que 2 dans L'Education sentimentale (dont le fameux: "Il y a un
moment, dans les séparations, où la personne aimée n'est déjà plus avec
nous ", E.S. 423, repris, on le sait, à Novembre, où le pronom était un
vouszi), aucun dans Salammbô, aucun dans Bouvard.
Parmi les vous de Madame Bovary, la moitié exactement — 17 sur 34
— installent le lecteur comme participant fictif dans l'épisode en cours:
"les mêmes yeux, s abaissant devant vous, revenaient se fixer sur les
vôtres" (B. 52, scène du bal), "les ménagères vous heurtaient" (B. 140,
scène des comices). C'est là le rôle des deux vous de Salammbô: "ses
grands yeux fixes vous regardaient" (S. 84), et: "des monstres . . . dont les
prunelles, pour vous regarder, s'épanouissent comme des fleurs" (S.
144)24. Aucun vous de participation dans L'Education sentimentale, mais
on en retrouvera quelques - uns dans Bouvard et Pécuchet: "en entrant,t
une fraîcheur vous surprenait" (B.P. 33), "le mari se levant allait vous
chercher des petits verres" (B.P. 201).
Dans L'Education sentimentale et dans Bouvard et Pécuchet, je relè
verai quelques nous (ou notre) que I on pourrait appeler aussi "de partici
pation", mais dans un sens très différent; il ne s'agit plus de convoquer

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Sur le narrateur chez Flaubert 349

fictivement le lecteur dans le récit, m


personnages appartiennent au même mo
l etat pitoyable de notre flotte" (E.S. 264
particulièrement de ce que nous n'avion
relles" (E .S. 296). Mêmes formules — et
"Ils dénigrèrent... le commerce, les théâ
nous fallait des garanties; autrement no
205). Notre marine, notre influence: celle
(et le vôtre, lecteur ?), à l'époque des év
je vous parle.
Le dernier exemple donné se trouve dans une phrase en style indirect
libre. Si le nous est du narrateur, c'est le comte de Faverges qui formule
l'exigence de garanties: "ils rencontrèrent M. de Faverges, qui leur apprit
l'expédition de Rome. On n'attaquerait pas les Italiens, mais il nous fallait
des garanties" etc. Des cas analogues se trouvent déjà dans L'Education
sentimentale25. Mais dans Bouvard quelque chose de plus troublant ap
paraît, un style que l'on pourrait appeler "direct libre", ou "indirect libre
au présent": "Le spiritisme . . . nous révèle, comme le télescope, les
mondes supérieurs. Les esprits, après la mort et dans l'extase, y sont
transportés. Mais quelquefois ils descendent sur notre globe ... se mê
lent à nos divertissements . . . Cependant plusieurs d'entre nous possè
dent une trompe arómale, c'est-à-dire derrière le crâne un long tuyau qui
monte depuis les cheveux jusqu'aux planètes et nous permet de converser
avec les esprits de Saturne" etc. (B.P. 255). Ce texte n'est pas entre
guillemets, c'est le narrateur qui parle, résumant le discours des livres de
spiritisme et le transmettant, l'expliquant ("c'est-à-dire ") à son lecteur, mis
en cause, comme lui-même, par le nous, qui est sans doute déjà dans les
livres, mais que le narrateur s'approprie tout en lui servant de relais. La
grande majorité des nombreux pronoms et possessifs des deux premières
personnes que j'ai pu relever dans Bouvard appartiennent à des passages
de ce type, qui unissent donc, paradoxalement, à la pensée explicitement
étrangère, la forme la plus personnelle.

Références à l'acte narratif


On en trouve fort peu chez Flaubert. Aucune dans Salammbô, quel
ques - unes, assez discrètes, dans L'Education sentimentale et dans Bou
vard et Pécuchet. C'est dans Madame Bovary qu'elles sont les plus nom
breuses et les plus évidentes.
La principale se situe au début de la deuxième partie: "Depuis les

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événements que l'on va raconter, rien n'a changé à Yonv


narrateur se pose explicitement en narrateur. Des forme
de cette annonce du récit à venir peuvent se retrouver dan
comprirent ceci" (B.P. 267), ou; "ils se livrèrent aux réfl
(B.P. 256).
Parmi les autres allusions à l'acte narratif, je relèverai
comme "en un mot (B. 121), "pour parler mieux" (B. 1
dit" (B.19), références à la façon de parler du narrateu
lesquels le narrateur annonce qu'il abrège le récit: "Alo
pharmacien de l'endroit pour savoir quel était le chiffre de
distance où se trouvait le confrère le plus voisin, com
gagnait son prédécesseur, etc." (B.70); on en trouve
Bovary, 10 dans L'Education sentimentale, 7 dans Bouva
plupart servent à interrompre, avec un effet de désinvo
d'un personnage.
On peut aussi considérer comme mettant en évidence l a
passages où le narrateur se reprend pour plus de justes
fatigué plutôt" (B .99), "Emma priait, ou plutôt s'efforçait
J'ai relevé 5 cas semblables dans Madame Bovary, 2 dan
dans Bouvard. Egalement les formules annonçant que
donner des exemples à l'appui de ses affirmations: "Emm
cette facilité de satisfaire tous ses caprices. Ainsi2'\ elle vo
la donner à Rodolphe, une fort belle cravache" (B.194)
dizaine de cas de ce type dans Madame Bovary, 4 dans l'
Bouvard, 2 dans Salammbô.
Enfin, j'ai retenu, dans Madame Bovary, la phrase su
comment elle s'y prit pour obtenir de son époux la perm
ville, une fois la semaine, voir son amant" (B.266); claus
"Je viens de vous raconter comment elle s'y prit".

Temps du narrateur et de l'acte narratif.


Le temps que vit le narrateur, celui où il raconte l'histoi
désigné dans les romans de Flaubert de façon directe:
"aujourd'hui", "cet hiver", "hier", "à présent ". Il peut auss
référence indirecte; si nous lisons: "Cet article . . . ex
comme elle était comprise à l'époque" (B.B.lll), cela im
tenant" où la question est comprise autrement.
Le temps du narrateur peut entretenir avec le temps
racontés plusieurs types de relations. J'en distinguerai

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Sur le narrateur chez Flaubert 351

Le premier consiste à faire s'interpén


temps de la fiction, la fin de l'histoire
l'acte narratif. Artifice réaliste tradition
Madame Bovary, discrètement L'Educat
comment se serait, de ce point de vue
Dès le début de Madame Bovary, le n
moment présent où il raconte l'histoir
son condisciple: "Il serait maintenant
rien rappeler de lui" (B.9). Le nous disp
texte. Mais au début de la deuxième parti
le présent de l'acte narratif est de nouve
du récit; le passage le plus intéressant po
avoir signalé que les objections du curé
dans le cimetière paroissial ont arrêté
du bedeau, le narrateur continue en c
core21, il continue la culture de ses tu
aplomb qu'ils poussent naturellement"
temps de l'acte narratif se situe dans le p
mort d'Emma: "Il appartenait ... à c
parue, de praticiens philosophes" (B.33
récit renoncent aux temps de l'histoir
pour ceux du discours (présent et pass
tion du passé simple a eu lieu quelques pa
qui juxtapose hardiment les deux systè
où il est devenu garçon épicier" (B.350)
passé simple au présent d'habitude: "ce fu
est pauvre et l'envoie . . . " et du pass
ponctuelle, contemporaine de l'acte n
suite battus en brèche. ... Il vient de recevoir la croix d'honneur."
De ce point de vue, le narrateur de début est dans une relation
parfaitement cohérente avec le narrateur de la suite: le contemporain de
Charles, après la mort prématurée de celui-ci, parle encore au présent des
autres habitants du village, mais évoque la disparition des hommes d'une
génération nettement antérieure: celle du professeur Larivière. Les ama
teurs de logique peuvent donc, je crois, récupérer le narrateur de Madame
Bovary, à première vue mal conçu, en expliquant les choses de la façon
suivante: il emploie le "nous" au début du livre pour évoquer une scène à
laquelle il a assisté, puis le "nous" s'efface quand sa destinée et celle de son
héros se séparent; c'est bien ainsi que nous raconterions, par exemple, la

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352 Nineteenth-Century French Studies

vie d'un homme célèbre dont le hasard aurait fait, à l'école, notre
condisciple.
Dans L'Education sentimentale, l'interférence du temps de la narra
tion avec le temps de la fiction n'est évidente que dans un seul passage,
mais situé de façon privilégiée; ce sont les premiers mots de l'épilogue;
"Vers le commencement de cet hiver" (E .S. 424); les deux courbes tempo
relles se rejoignent à la fin du livre, comme dans Madame Bovary. Au
début du roman, un adverbe temporel peut être interprété de la même
façon: la mère de Frédéric, dit le narrateur, "appartenait à une famille de
gentilshommes, éteinte maintenant" (E.S. 10). Ce "maintenant" peut
renvoyer au moment de l'acte narratif; mais il peut aussi renvoyer au
moment de l'action, être un équivalent de "à l'époque où se situe le récit"
(on en verra d'autres exemples plus loin); c'est en cela que le cas diffère de
celui de la génération "maintenant disparue" du docteur Larivière, où
"maintenant" ne peut désigner que le moment de l'acte narratif.
Bouvard et Pécuchet présente un tout autre type de rapprochement
entre temps de la narration et temps du récit. Il est lié à l'emploi du style
direct libre: "Les fougères d'autrefois sont identiques aux fougères d'à
présent" (B.P. Ill), "1 Immaculée Conception est d'hier" (B.P. 317), "On
dirigera les nuages comme on fait maintenant de la foudre" (B .F. 216-217).
Il ne s'agit plus là de marquer le point du temps où se rejoignent la vie des
personnages et l'acte narratif. Par un saut brusque, tout le récit (qui est,
classiquement, au passé) se ramène au présent: l'Immaculée Conception
est d'hier à la fois, et de la même façon, pour Pécuchet et pour le narra
teur28— donc, par rapport au temps de la narration, celui de la fiction est,
à la fois, présent et passé (puisque le récit continue ensuite au passé).
Revenons à des procédés plus traditionnels. Si le texte flaubertien
connaît le mouvement qui attire vers le présent du narrateur l'histoire des
personnages, il peut aussi, à l'inverse, mettre l'accent sur le décalage
temporel: "Ces élégances, qui seraient aujourd'hui des misères pour les
pareilles de Rosanette, l'éblouirent" (E.S. 117. Cet "aujourd'hui" est la
troisième et dernière référence au présent du narrateur que j'ai trouvée
dans L'Education sentimentale). J'ai relevé les occurrences des expres
sions qui peuvent marquer ce décalage: alors (dans le sens de "à cette
époque-là"), à l'époque et à cette époque, en ou dans ce temps-là. Les
résultats de la recherche sont intéressants en ceci qu'ils partagent nette
ment les quatre romans en deux groupes: on ne trouve aucune de ces
expressions dans Madame Bovary29, ni dans Salammbô-, il y en a 10 dans
L'Education senti?nentale, 8 dans Bouvard, évoquant des modes ("Le

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Sur le narrateur chez Flaubert 353

public des courses, plus spécial dans ce t


vulgaire; c'était l'époque des sous-pieds, des
blancs E .S. 204), des engouements arti
gens distingués recherchaient les vieux
"affaires" célèbres ("ce procès, la fureur
l'affaire Lafarge), des problèmes politiq
que", glose le narrateur à propos du "droit
B.P. 197). Tout ceci fait apparaître ces d
témoignage sur une période.
Dans Madame Bovary, au contraire, l'a
s'accorde, me semble-t-il, avec le caract
"occulte soigneusement", selon l'expres
et 184830. Quant à Salammbô, roman hi
du terme, on y trouve cette coupure absol
dont Benveniste fait précisément le critèr
discours-, ni interférence, ni opposition
aucune commune mesure entre temps
fiction.
Il me reste à signaler la présence, dans les quatre romans, de très
nombreux shifters détournés de leur fonction — c'est-à-dire qui ne ren
voient pas au moment de l'acte narratif, mais au moment des faits racontés:
des maintenant qui veulent dire alors, des aujourd'hui pour ce jour-là,
etc. Cela se présente dans le texte narratif: "Le père Rouault, debout
maintenant, allait et venait" (B. 22); dans l'indirect: "Arnoux parla d une
cuisson importante que l'on devait finir aujourd'hui, à sa fabrique" (E.S.
127); dans l'indirect libre: "Qui donc écartait à tant de distance, le matin
d'avant-hier et le soir d'aujourd'hui?" (B. 58) — l'indirect libre, chez
Flaubert, omet fréquemment de transposer les expressions temporelles31.
Il arrive même que le narrateur reprenne à son compte le mot du person
nage: " — Ce sera pour demain! se disaient-ils; et demain se passait (S.
311).

Lieu du narrateur et de l'acte narratif.


Le shifter ici n'apparaît que dans Madame Bovary. Un premier cas me
semble devoir être écarté; il s'agit de la description d'Yonville, au début de
la deuxième partie: "On est ici sur les confins de la Normandie, de la
Picardie et de l'Ile-de-France" (B. 72); le texte se poursuit en effet par un
"C'est là que ..." qui suffit à montrer qu'ici désigne seulement le lieu du
récit (comme certains maintenant, nous venons de le voir, désignent

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354 Nineteenth-Century French Studies

l'époque du récit). Le second et dernier cas apparaît


troisième partie: "Auprès d'une Parisienne en dente
clerc, sans doute, eût tremblé comme un enfant; mais ic
port" etc. (B. 237). Ici peut très bien avoir, dans ce cas,
propre: "en ce lieu d'où je vous parle" (je renvoie à ce que
sur les rapports entre narrateur et fiction dans Madam
Ce cas est unique dans l'oeuvre de la maturité. Mais
quent, c'est la description des lieux au présent, qui a pour e
monde commun au récit et au narrateur, et de rapprocher
et temps de la narration: les choses sont encore, au m
narratif, ce qu'elles étaient au moment du récit.
Dans L'Education sentimentale, ce sont — bien sûr —
qui sont décrits au présent: le collège de Sens, Creil, la S
château et la forêt de Fontainebleau, le cimetière du Pè
parfois un petit détail qui manifeste la participation du
personnage à un même monde, leur familiarité avec les
"ils prirent . . . par le quai de Billy, où l'on remarque u
jardin" (E .S. 203). A l'autre extrême, la très longue descrip
de Fontainebleau, souvent au présent, est accompagnée
narrateur aussi bien que des réactions de Frédéric: "Mais la
leur chaos fait plutôt rêver à des volcans, à des délu
cataclysmes ignorés. Frédéric disait qu ils étaient là dep
ment du monde" (E .S. 326); une communauté de vis
s'installe ainsi entre le narrateur et le héros, méditant
paysage — déjà là, encore là.
Dans Madame Bovary, le présent apparaît à plusieurs
s'agit de peindre Rouen, mais c'est, à chaque fois, de fa
contraire, on le sait, il s'installe pour plusieurs pages da
d'Yonville-l'Abbaye, lieu fictif auquel il contribue à don
réalité, comme d'autres procédés avec lesquels il se com
exemple, qui consiste à décrire le village à partir de ses
bout à l'autre jusqu'à la sortie, procurant ainsi au lecteu
visite. Même effet de réel dans cette phrase: "il y a, de To
six bonnes lieues" (B. 13); le lieu fictif, la ferme des Bertau
fois de son évocation au présent et de sa mise en relation a
Dans Bouvard et Pécuchet, outre quelques présents
tion des églises, châteaux et villages (réels) que visitent
au chapitre IV, on ne trouve guère que la phrase suiva
canal, entre les maisons que séparent des chantiers, le

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Sur le narrateur chez Flaubert 355

découpait" (J3.P. 1); phrase banale, mai


mières lignes du roman rend importante p
événements racontés et le temps que vit
Bouvard ni le souci de documentation g
tainebleau) ni celui de création d'un mon
(description d'Yonville): Etretat, pas plu
qués au présent.
Dans Salammbô, enfin, j'ai relevé quatr
Trois d'entre eux concernent des paysages
travers les siècles: collines ("les collines
Carthaginois étaient venus ", S. 111; "l
Hippo-Zaryte', S. 236) ou isthme ("ils pr
de terre jaune qui, séparant le golfe du
S. 214). Mais les noms employés sont de
tude à l'époque où la langue qu'il utilise no
Dans le quatrième exemple, la difficulté
contrée d'Agazymba, qui est à quatre m
253): ici, il ne s'agit plus seulement d'u
géographique des peuples, et de la duré
présent impose comme les mêmes au t
l'époque de l'acte narratif. C'est dire que
qu'aucun système ne la reliait à celle d
ment indécidable33.

Doute et ignorance du narrateur.


J'aborde ici une série de traits qui font
chose que la voix transmettant le récit: un
qu'elle raconte, qui manifeste ses opinio
Les expressions qui marquent l'hésitat
qui proposent une alternative entre les
narrateur ne choisit pas (ou, ou bien) sont
les trois premiers romans que dans le dern
dans Salammbô, 46 dans L'Education se
Bouvard et Pécuchet. La très grande ma
pensée consciente ou inconsciente des p
sur leurs motivations psychologiques. Ceci
phénomène dans Bouvard, mais les chiff
alors assez étonnants.
Lorsque le doute porte sur des faits matériels, ils sont généralement de

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356 Nineteenth-Century French Studies

peu d'importance: "il entendait peut-être, mais il ne d


voir" (Binet aux Comices, B. 150). Par un effet étroitement
vue choisi, l âge des protagonistes est un de ces détails
volontiers, au moment de leur entrée en scène, l'hésitat
"il avait dix ans peut-être" (Hannibal, S. 271); même eff
dans Bouvard: "un gamin d'une douzaine d'années, et s
avait peut-être dix" (B .P. 314). Mais on ne trouve p
l'oblitération, par le procédé du doute, de toute une p
narrateur n hésite pas — ni le lecteur, par conséquent —
passé dans le fiacre de Madame Bovary. Il émet volontiers,
hypothèses sur ce qui aurait pu arriver si les circonst
différentes: "Le Grand-Conseil aurait faibli, peut-être,
exigence plus injurieuse que les autres" (S. 65); cec
toutefois le cadre d'une phrase.
Je relève encore quelques marques d'hésitation dans
d une idée générale: "un de ces bonheurs complets, n'a
doute qu'aux occupations médiocres" (B. 312); il sem
réserve du narrateur renvoie à celle de l'auteur lui-mêm
dans ces deux cas où il s'agit de questions de fait: l'origi
"dernier échantillon des nourritures gothiques, qui rem
siècle des croisades" (B, 305), le nom des conducteu
Carthage: "des Indiens (d'après les premiers, sans d
Indes)" (S. 103).
Enfin, je noterai que les marques d'ignorance, tout comm
vont souvent par séries: "quelque grande fillette de quat
leur cousine ou leur sœur aînée sans doute" (B. 27); "et peu
dans sa défection une rancune contre Mâtho, soit à cau
ment ou de son ancien amour" (S. 233).

Supériorité du narrateur sur le personnage.


J'ai dit les raisons pour lesquelles je ne tenterai pas d
jugements du narrateur sur le monde du récit: le tex
passerait. Je me suis donc bornée à l'examen des passag
affirme explicitement que son personnage se trompe su
oublie telle ou telle chose. Ici encore, la majorité des i
situent dans le domaine psychologique, que le personna
les autres, comme Mâtho qui croit à une ruse de Hanno
trompait; Hannon était dans une de ces extrémités où

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Sur le narrateur chez Flaubert 357

plus rien (S. 328); ou qu il se trompe sur


Rodolphe, "s'offrir à ce qui l'avait tantôt si
moins du monde de cette prostitution" (6. 3
signaler qu'à l'exception d'une seule (qui
"erreurs sur soi" dont j'ai remarqué la d
concernent le personnage d'Emma: Jules de
le fait de se tromper sur soi-même, un tra
L'adoption des idées reçues est égalem
ment dans Bouvard et Pécuchet: "tous les li
sexes et les tempéraments leur semblèren
(B .P. 122), à l'occasion aussi dans Madam
sentimentale.

Explications fournies au lecteur.


De nouveau, le corpus est malaisé à délimiter. Il n'est pas simple de
distinguer "information et "explication", et la même tournure peut, dans
un autre contexte, produire une impression différente; nous sentons que le
narrateur nous donne une explication dans cette phrase: "A droite était la
salle, c'est-à-dire l'appartement où l'on mangeait et où l'on se tenait" (B.
33), bien plus que dans cette autre: "elle ne se rappelait point la cause de
son horrible état, c'est-à-dire la question d'argent (B. 319).
Je me contenterai donc, ici encore, de relever les types d'explication
qui me paraissent les plus nets. D'abord, les formules du "c'était. . à
propos de l'Alhambra: "c'était un bal public ouvert récemment au haut des
Champs-Elysées, et qui se ruina dès la seconde saison, par un luxe préma
turé dans ce genre d'établissements" (E .S. 95). Ensuite, le renseignement
que j'appellerai "didactique" — le renseignement qui n'est pas indispens
able pour la compréhension du récit: "parmi les poules et les dindons
picoraient dessus cinq ou six paons, luxe des basses-cours cau-choises"
(B. 15). Egalement, bien sûr, les passages où le narrateur déclare ouverte
ment qu'il traduit parole ou regard du personnage à l'intention de son
lecteur: "Tu crois?" demande Emma à sa servante; le narrateur glose ainsi
la question: "Et cette interrogation voulait dire: Toi qui connais la maison
par le domestique, est-ce que le maître, quelquefois, aurait parlé de moi?"
(B. 307).
Je signale enfin l'importance de la parenthèse; isolant un segment de
texte, elle l'arrache à la narration et accentue ainsi un côté informatif qui,
sans cela, ne serait peut-être pas évident: "une des dames se leva (la

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358 Nineteenth-Century French Studies

Marquise elle-même)" (B. 49). Même des explications en


forme se renforcent d'une parenthèse: c'est le cas de
l'Alhambra, citée plus haut.

Maximes et réflexions générales.


De maximes proprement dites, il n'y en a pas beaucou
D'où le relief qu'elles acquièrent; quel familier de l'écr
quelques-unes de ces formules? "Il ne faut pas touch
dorure en reste aux mains" (B. 288); "Il y a un moment dan
où la personne aimée n'est déjà plus avec nous" (E .S. 4
relevé 5 ou 6 dans Madame Bovary et dans Bouvard et
dizaine dans L'Education sentimentale, mais aucune dan
lement, dans chacun des trois romans modernes, quel
générales qui ne prennent pas la forme canonique de l
plongeant dans la personnalité des autres, il oublia la sie
seule manière peut-être de n'en pas souffrir" (E.S. 185)
C'est dans L'Education sentimentale que ce discours p
l'amour, la mort, la souffrance, les relations avec les au
constant et le plus net.

Références à une connaissance du monde commune au


lecteur.
La maxime impose au lecteur une vision du monde. Le
que j'étudierai pour terminer font appel à sa connivenc
Je commencerai par une tournure de phrase qui m'
fréquence d'abord, ensuite parce que Gérard Genette y
que d intervention du narrateur et d'allocution au lecteur,
pris à témoin"35, et Jonathan Culler l'exemple même d'
de la prose balzacienne"36; il s'agit des formules où un
pagné d'un démonstratif est suivi d'une relative au pré
coiffures d'ordre composite . . . dont la laideur muette
d'expression comme le visage d'un imbécile" (B. 4.). J'ai
stylistique 41 fois dans Madame Bovary, 21 dans L'Ed
tale, 5 dans Salammbô, 2 fois seulement dans Bouvard
portionnellement au nombre de pages, cela veut dire qu
de ce genre dans Madame Bovary pour 2 dans L'Educati
le procédé est pratiquement abandonné dans Bouvard. C
dans le détail du style que l'on voit Flaubert se détach
modèle balzacien.

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Sur le narrateur chez Flaubert 359

La formule en question peut être présent


plus simple ("ces trous entourés d épine
sillons", B. 14), ou longuement développé
l'hôtel de la Croix-Rouge: "C'était une d
a. . . " etc., qui ne comporte pas moins d
ments sont un peu moins longs dans L'E
sieurs dépassent les 5 lignes. Dans les deu
vont souvent par série: jusqu'à 5 ou 6 à la f
nent, notamment des pronoms de la premi
(sans compter les on, substitut évident d
sentiments . . . que I on cultive parce qu
affligerait plus que la possession n'est ré
ces formules sont très fréquemment imbr
titre de comparant (l'œil de Léon semble
beau que ces lacs de montagne où le soleil s
("ce calme parfait dont se recouvrent c
résignéesB. 319).
Si quelques-uns de ces passages concernent des objets matériels (na
turels et artificiels: lacs ou saisons; coiffures ou machines à café), si quel
ques autres servent à la description des personnages ("ce teint de camélia
que donne aux chairs féminines la lassitude des grandes chaleurs", E .S.
88), la grande majorité "d'entre eux sont, une fois de plus, le support de
considérations philosophiques ou psychologiques: "ces préparatifs où la
tendresse des mères se met en appétit" (B. 90-91), "cet allongement de
perspective que le souvenir donne aux objets" (B. 105), etc.
Trois des 5 passages relevés dans Salammbô sont de ce type: "cette
prudence que donnent les ambitions plus hautes" (S. 100), "une de ces
extrémités où l'on ne considère plus rien" (S. 328), "un de ces abîmes où le
monde entier disparaît sous la pression d'une pensée unique, d'un souve
nir, d'un regard" (S. 351). Les deux autres servent à la description psycho
logique des Barbares: "cet embarras que la rencontre des murailles inspire
toujours aux Barbares" (S. 99) et "avec cette obstination de Barbare que
rien ne rebute" (S. 309). Il est bien évident, ici, qu'il ne s'agit pas de
rappeler au lecteur un fait de lui connu, mais de lui apprendre — mine de
rien — quelque chose. A y bien réfléchir, le cas est fréquent dans Madame
Bovary et dans l'Education. Qui a déjà vu "une de ces coiffures d'ordre
composite dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le
visage d'un imbécile"? Et quand Flaubert écrit de la Vatnaz: "Elle était
une de ces célibataires parisiennes qui, chaque soir, quand elles ont donné

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360 Nineteenth-Century French Studies

leurs leçons, ou tâché de vendre de petits dessins, de p


manuscrits, rentrent chez elles avec de la crotte à leurs
dîner, le mangent toutes seules, puis, les pieds sur une
lueur d'une lampe malpropre, rêvent un amour, une fam
leur manque" (E.S. 299) — que fait-il d'autre que d'infor
sur un aspect de la société parisienne au milieu du XIX
bien vrai que le "lecteur'' dont l'image apparaît dans u
lecteur fictif, qu'il faut distinguer du lecteur réel'7: le t
trairement dans le temps, et décide de ses connaissance
Le modèle stylistique que je viens d'étudier connaît un
démonstratif, ce qui rend l'appel au lecteur plus discret; m
semble-t-il, qu'une question de degré: "sur toute sa pe
l'indéfinissable splendeur de ceux qui sont destinés au
prises" (S. 271. Il s agit du jeune Ilannibal); l'emploi du
changerait pas grand-chose à l'effet produit. Un pas d
l'article défini seul (sans relative explicative) qui joue ce
aux connaissances du lecteur: "c'était la fusillade du Bou
cines" (E.S. 285). Les mêmes coups de force peuvent se m
cas. "Il connut la mélancolie des paquebots. . . ": le lecteu
peut-être pas le sentiment que la vie des paquebots
mélancolie.
Le second procédé que j'ai retenu comme faisant appel aux connais
sances du lecteur, c'est la comparaison, dont le principe même est de
ramener l'inconnu au connu. Pour Benveniste, je l'ai dit, la comparaison
est en dehors du système de l'histoire, sans faire partie, à proprement
parler, des éléments du discours. Aussi me suis-je bornée à relever les
comparaisons qui comportent l'emploi d'un verbe au présent, c'est-à-dire
une marque linguistique du discours (marque qui peut en entraîner
d'autres: "elle le repoussait, à demi souriante et ennuyée, comme on fait à
un enfant qui se pend après vous", B. 36). J'ai compté 40 comparaisons au
présent dans Madame Bovary, 38 dans Salammbô, 20 dans L'Education
sentimentale, 6 seulement dans Bouvard et Pécuchet .
Je n'entreprendrai pas d analyser les différents domaines où puisent
ces comparaisons: le travail a été fait par Don Demorest"4. Qu'il me suffise
d'une impression d'ensemble: les nombreuses comparaisons de Madame
Bovary39 et de Salammbô sont volontiers empruntées au domaine de la
nature et de la vie campagnarde, ce qui me paraît correspondre à une
tendance lyrico-épique commune à ces deux œuvres. Beaucoup moins
nombreuses dans 1 Education, elles y sont plus souvent, je crois, franche

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Sur le narrateur chez Flaubert 361

ment satiriques: la colère de la Vatnaz es


torrent d'eau de vaisselle cjui charrie de
presque absentes de cette épure qu'est le
Rassemblons rapidement les résultats
elles appris sur la technique des quatre
Madame Bovary est celui où la personne
discours ont le plus d'importance: plus de
deuxième personne, plus d'allusions à l'a
dirai "partiellement interne", un rapport
et celui de la narration, un appel plus fréq
Bref, un roman encore assez proche, il m
ce plan comme sur d'autres.
Au sujet de L'Education sentimentale,
London avait fait apparaître des impressio
roman était présenté comme celui où l'imp
bas; mais de l'autre, on objectait qu'il c
directes que les œuvres précédentes. M
que aliment à la controverse. Elle en appor
n'avais pas écarté les jugements, car ceu
dans l'Education ("Frédéric, homme de
maximes (où s'étale l'opinion du narrateu
mise en scène sont de toutes façons plus n
sans doute plus caricaturales dans l'ense
du narrateur n'a guère de lien avec l'histoi
plus rares. Bref, je dirais que le commen
la situation de discours est dissimulée d
Dans Bouvard et Pécuchet, la plupart
fient: guère d'appels à la connivence du
commun au narrateur, au personnage et
au présent, pas d'ignorance du narrateur.
un trouble profond dans le domaine qu
libre, il est encore possible de distingue
d'un maintenant de narrateur, le direct
d'une voix définitivement non assignab
chapitre de l'Histoire: "Nous aurions de
gétorix avait écrit ses commentaires"
lecteur, le livre d'Histoire au sien (qui
Bouvard et Pécuchet l'un à l'autre? La d
citation est subvertie — de même que l

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362 Nineteenth-Century French Studies

narration / temps et lieu de la fiction. La situation de


ment affichée, mais la personne du narrateur se r
transparence: il prête sa voix (aux bonshommes, aux
cemment, bien sûr; mais ceci m'entraînerait trop lo
Salammbô se distingue aussi, mais d'autre façon.
raître un lien évident avec Madame Bovary, abondan
comparaisons au présent, ou de manifestations de
inattendues dans un roman où les préoccupations psych
secondaires: on serait presque tenté d'y voir la trans
procédés parfaitement justifiés dans la conception d
Mais les différences m'intéressent davantage. Je r
séparation totale du temps de la narration et du temps
rapprochement (Flaubert n'invente pas, ce qu'il aura
teur contemporain des faits), mais pas de signe d'élo
césure totale. Ensuite, l'absence de maximes et de réf
là encore, cela ne va pas de soi; si Flaubert a proclam
d'observations personnelles dans Salammbô40, il pre
en ce qui concerne Madame Bovary ou L'Educatio
l'enfreint cependant: faut-il donc croire que les lo
contrainte plus puissante que la volonté de l'auteur
présente, du point de vue théorique, l'avantage de
ment en évidence certains truquages (distribution
tumes présentées comme éternelles), ce qui nous a
aussi dans les romans modernes, où ils sont moins a
distance (temporelle, géographique, sociale, psychol
lecteur de 1 époque mise en scène est beaucoup moi
du même ordre (faire croire à la pérennité des cou
différents (faire mine d'en appeler aux connaissanc
teur pour lui apprendre, en fait, quelque chose).
Je voudrais, pour terminer, poser très brièveme
l'auteur, que j'ai évacuée au début de cet exposé. Flau
ne distingue pas l'auteur du narrateur, il parle fréquem
d'auteur : faut-il croire qu'il fait du narrateur son
tenté de répondre "oui": l'abondance des remarque
semblent venir du fond d une expérience vécue, la d
de lieux que Flaubert a personnellement fréquentés
bleau), les ici qui interviennent à deux reprises dan
Normandie, les ignorances du narrateur qui sont au
l'auteur (l'origine des cheminots), l abondance des s

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Sur le narrateur chez Flaubert 363

passages dont on a toute raison de croire q


coeur à Flaubert lui-même (le portrait d
d'indices d'un accord narrateur/auteur
chez ce proche successeur de Balzac. L'im
se confirmer: pour dissimuler l'auteur, Fla
derrière le narrateur; il se contente d em
dance, et trop ouvertement.
Et cependant . . . Quand on lit, dans
"Sénécal — qui avait un crâne en point
tèmes" (E.S. 58), on voit le narrateur établ
on sait d'ailleurs, par de multiples témoign
un instant. Le narrateur, ici, se dissocie
ne pas s'y fier.
Dans Bouvard et Pécuchet, les choses s
soit une science sérieuse, ce n'est plus s
teur, c'est un fait: les bonshommes, aya
déclarent musicien, et cela se révèle exa
idées reçues dénonce l'opinion selon laq
pour être en réalité le père de son filleul4
révélera bel et bien être son père (B.P.
entre Gustave Flaubert et le narrateur de Bouvard et Pécuchet un auteur
implicite, lui aussi indigne de confiance? On n'a pas fini de découvrir le
caractère retors du texte flaubertien.

Claudine Gothot-Mersch
Facultés Universitaires
Saint-Louis
Brussels, Belgium

Sigles adoptés: B. = Madame Bovary; S. — Salammbô; E.S. = L'Education


sentimentale; B P. = Bouvard et Pécuchet.
Les romans de Flaubert sont cités dans l'édition des Classiques Garnier (éd.
Gothot-Mersch pour Madame Bovary, éd. Maynial en un volume pour les trois
autres romans). C'est en effet l'édition de référence des Concordances établies par
Charles Carlut, Pierre H. Dubé et J. Raymond Dugan (New York: Garland Refe
rence Library of the Humanities, 1978-1980), vol. 109, 125, 148 et 206, que j'ai
utilisées avec profit pour une partie de mes dépouillements. La Correspondance
est citée dans l'édition Conard (Paris: Louis Conard, 1926-1954), 13 vol.

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364 Nineteenth-Century French Studies

1 Victor Brombert, Flaubert par lui-même, Paris, Editions


vains de toujours", 1971, pp. 57-58 et 113.
2 Jean Bruneau, "La Présence de Flaubert dans L'Education
dans Langages de Flaubert, Actes du Colloque de London (Can
Vlinard, "Lettres Modernes", 1976, pp. 33-42.
3 Jonathan Culler, Flaubert, The Uses of Uncertainty (Lon
"Novelists and Their World," 1974).
I Claudine Gothot-Mersch, "Le Point de vue dans Madame Bo
de l'Association Internationale des Etudes Françaises, mai 197
259.
5 Gérard Genette, "Discours du récit", dans Figures III, Paris, Editions du
Seuil, "Poétique", 1972, pp. 203-206.
(i Wavne C. Booth, "Distance et point de vue. Essai de classification , Poéti
que, 197Ó, n°4, p. 523.
7 Voir Françoise Van Rossum-Guyon, "Point de vue ou perspective narrative.
Théorie et concepts critiques", Poétique, 1970, n"4, p. 488.
8 C'est la position que semble adopter notamment Mieke Bal (Narratologie,
[Paris: Klincksieck, 1977], p. 35: "le narrateur intradiégétique devient extradiégé
tique par rapport au nouveau récit, formé par le discours direct, hvpo-diégétique,
dont le personnage-sujet devient le narrateur"). Je m'écarte aussi de la position de
Tzvetan Todorov, lequel considère qu'il y a un narrateur dans le roman par lettres
("Les catégories du récit littéraire", Communications, 1966, n"8, pp. 144-147).
9 Booth, "Distance et point de vue", p. 520.
10 Correspondance, t. 3, 361.
II Correspondance, t. 3, p. 61.
12 Correspondance, t. 3, p. 61. C'est moi qui souligne.
13 Correspondance, t.l, 386.
" Correspondance, t.5, 396.
15 Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale (Paris: Gallimard,
NRF, "Bibliothèque des sciences humaines"), 1969, p. 241.
16 Gérard Genette, "Frontières du récit", dans Figures II (Paris: Editions du
Seuil, "Tel quel ", 1969), pp. 66-67.
17 Benveniste, Problèmes de linguistique générale, p. 241.
18 Benveniste, Problèmes, p. 242.
19 Genette, Figures II, p. 67.
20 C'est moi qui souligne.
21 Culler, Flaubert, pp. 191-194.
22 Bibliothèque Municipale de Rouen, ins g 2231, f)s 20 et 21. Voir aussi les f>s
17, 18, 23, 24, et le ms autographe (ms g 221), f' 13.
23 "Il y a un instant, dans le départ, où par anticipation de tristesse, la personne
aimée n'est déjà plus avec vous" (Flaubert, Oeuvres complètes, [Paris: Editions du
Seuil, "l'Intégrale", 1964], t.l, 270).
21 On aura remarqué que ces deux passages mettent en scène la perception
d'un regard. Il en va de même pour 6 des 17 cas relevés dans Madame Bovary.
Nouveau trait à verser, peut-être, au dossier concernant 1 importance des regards
chez Flaubert; mais, curieusement, alors que le rayonnement des yeux de Ma
dame Arnoux est un motif récurrent dans L Education sentimentale, on ne trouve
plus dans ce roman aucun passage analogue.
25 "Nous avions sacrifié la Hollande ... La Prusse avec son Zollverein nous
préparait des embarras" (E.S. 263).

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Sur le narrateur chez Flaubert 365

2<i C'est moi qui souligne.


27 C'est moi qui souligne.
23 Et pour l'auteur du manuel fictif dont l
direct libre.
23 Le "vers cette époque" de la p. 72 renv
moment du récit, c'est-à-dire à l'arrivée des
30 Jacques Seebacher, "Chiffres, dates, écr
Bovary", dans La Production du setis chez F
UGE, 10/18, 1975), p. 292.
31 Curieusement, la question de la transpo
dans le style indirect libre n'est pas abordée d
Style indirect libre, [Paris: Pavot, 1926]), qu
table à l'étude de Flaubert.
32 Hippo-Zaryte, par exemple, est devenu Bizerte.
33 L'effet est le même lorsque Flaubert utilise le présent pour décrire comme
éternelles des coutumes ou des croyances depuis longtemps disparues: "ils ava
laient . . . tous les vins grecs qui sont dans des outres, les vins des Cantabres que
l'on apporte dans des tonneaux" (S. 4); ou: "il consulta l'un après l'autre tous les
devins de l'armée, ceux qui observent la marche des serpents, ceux qui lisent dans
les étoiles, ceux qui soufflent sur la cendre des morts" (S. 32-33). A opposer au
présent dans la description des œuvres d'art, en principe impérissables: "dès le duo
récitatif où Gilbert expose à son maître Ashton ses abominables manœuvres etc.
(B. 230).
34 Jules de Gaultier, Le Bovarysme. La Psychologie dans l'œuvre de Flaubert
(Paris: Léopold Cerf, 1892).
35 Genette, Figures IL p. 66.
3I' Culler, Flaubert, p. 83.
37 Voir par exemple Todorov, "Les catégories du récit littéraire", p. 147, et
Wolfgang Kayser, "Qui raconte le roman?", Poétique, 1970, n" 4, p. 502.
33 D. L. Demorest, L'expression figurée et symbolique dans l'œuvre de Gus
tave Flaidiert (Paris: Les Presses Modernes, 1931).
3!' "Je suis dévoré de comparaisons, comme on l'est de poux, et je ne passe mon
temps qu'à les écraser; mes phrases en grouillent" (Correspondance, t.3, 79).
40 Correspondance, t.4, 246.
41 Voir -— déjà — Passion et Vertu, dans Oeuvres complètes, 1.1, 114.
42 Dictionnaire des idées reçues, article Parrain (voir Bouvard et Pécuchet,
[Paris: Gallimard, "Folio", 1979], p. 546).

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