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TIIÉORIE TRANSCENDANTALE

DE LA MÉTHODE
(A 707/B735) (AK. m. 46S) Sije considèrel'ensemble de toute
la connaissance de la raison pure et spéculative comme un édifice
dont nous avons au moins l'Idée en nous, je peux diœ que nous
avons, dans la doctrine transcendantaledes éléments,dressé un devis
des mat6riauxde la construction et détermin6pour quel 6difice, de
quelle hauteur et de quelle solidité, ils sont suffisants. Assurément
s'est-il trouvé que, bien que nous eussions en tête le projet d'une
tour qui devrait s'élever jusqu'au ciel, notre œserve de mat6riauxne
put suffire que pour une maison d'habitation qui était juste assez
spacieuse pour les activités que nous développions sur la plaine de
l'expérience et juste assez haute pour surplombercette plaine; mais
que cette audacieuse entreprise ne pouvait qu'échouer par manque
de matériaux,sans même que cet échec fOtimputable à la confusion
des langues,laquelle devait in6vitablementdiviser les travailleurssur
le plan à suivre et les faire se disperser dans le monde entier pour y
6difier,chacun pour lui-mêmeet à sa guise, son b&timentparticulier.
Désormais, il ne s'agit pas tant, pour nous, des matériaux que du
plan ; et dans la mesure oà nous sommes avertis des dangers qu'il y
aurait à nous aventurer dans un projet arbitraire et aveugle qui pour-
rait éventuellementdépasser tout notre avoir et que nous ne pouvons
pas non plus, pourtant, renoncer à construire une habitation solide,
il nous faut établir le devis d'un b&timenten rapport avec les maté-
riaux qui nous sont donn6s et en même temps appropri6s à nos
besoins.
J'entends donc par théorie transcendantale de la m6thode la
déterminationdes conditions formelles d'un (A 708/B736) système
complet de la raison pure. Dans ce but, nous aurons à nous préoc-
cuper d'une discipline,d'un canon, d'une architectoniqueet enfin
600 TIŒORIE TRANSCENDANTALE DB LA MlmiODB

d'une histoire de la raison pure, et nous mettronsen œuvredans une


perspective transcendantalece que l'on cherche à faire dans les
écoles sous le nom de logique pratique relativementà l'usage de
l'entendementen général,mais dont on s'acquitte fort mal (AK, Ill,
466), parce que, comme la logique générale ne se trouve limitée à
aucune espèce particulim: de la connaissancede l'entendement(par
exemple à la connaissancepure), ni non plus à certains objets, elle
ne peut rien faire d'autre, sans emprunter des connaissancesà
d'autres sciences,que proposerdes intituléspour des mlthodes pos-
sibles et des expressionstechniquesdont on se sert à propos de ce
qu'il y a de systématiquedans toutes les sortes de sciences,et qui
font connai"trepar avance à l'élève des termes dont il n'apprendraà
connai"treque plus tard la significationet l'usage.
Chapitreprepiier
LA DISCIPLINEDB LA RAISONPURE

Les jugements négatifa qui ne sont pas négatifs uniquement


quant à leur fonne logique,mais aussi qumt à leur contenu,ne bén6-
ficient d'aucune estime particulièrede la part de l'appétit de savoir
qu'éprouventles êtres humains; on les considèretout à fait comme
des ennemisjaloux de cette impulsionvers la connaissancequi nous
fait sans cesse rechercherl'élargissementde celle-ci, (A 709/B737)
et il y a presque besoin d'une apologie pour les faire simplement
tolérer, et bien plus encore pour leur obtenir estime et faveur.
On peut certes exprimerlogiquementtoutesles propositionsque
l'on veut sous une forme négative,mals par rapport au contenu de
notre connaissanceen génc!ral,quant à la question de savoir si elle
est élargie ou restreintepar un jugement, les jugements négatifs ont
en propre la fonction simplementd'emplchllr l'erreur. Ce pourquoi
mêmedes propositionsnégativesqui doiventemp&herune connais-
sance fausse là oà pourtant jamais une erreur n'est possible sont
assur6ment!Ms vraies, mais n6anmoinsvides, c'est-à-dire qu'elles
ne sont aucunementadaptéesà leur but, et que de ce fait elles sont
souventridicules- commec'est le cas de la propositionde ce rhéteur
qui disait qu'Alexandre n'aurait pu conquérir aucun territoire sans
armée.
Cela dit, là oà les homes de notre connaissance sont très
étroites,la propensionà juger forte, l'apparence qui se présentetrès
trompeuse et le dommageprovoquépar l'eueur de grande ampleur,
la dimensionnigative de l'instruction,quand bien même elle ne sert
602 nœc>RJE
1RANSCENDANTALE DE LA MËnlODE

qu'à nous préserver des erreurs, possède encore plus d'importance


que bien des enseignementspositifs à travers lesquels notre connais-
sance pourrait se voir accnie. On appelle disciplinela contraintepar
laquelle le penchant constant à s'écarter de certainesrègles se trouve
limité (AK, III, 467) et finalement extirpé. Elle est distincte de la
culture,qui doit procurersimplementune aptinuk, sans en supprimer
pour autant une autre déjà existante. Pour la formation d'un talent,
(A 710/B 738) lequel a déjà par lui-mêmeune tendanceà s'exprimer,
la disciplinene fournira donc qu'une contributionnégative• 151, tan-
dis que la culture et la doctrineen apporterontune qui sera positive.
Que le temp6ramentde même que les talents qui se pennettent
volontiersun mouvementlibre et sans limites (comme l'imagination
et l'ingéniosité d'esprit) exigent à bien des égards une discipline,
chacun en conviendra facilement. Mais que la raison, à laquelle il
incombe proprement de prescrire leur discipline à toutes les autres
propensions,ait elle-mêmeencore besoin d'une telle discipline,cela
peut assurément sembler déconcertant; et de fait a-t-elle même
échappéjusqu'ici à une telle humiliation,précisémentparce qu'à voir
la solennité et la pose majestueuseavec lesquelles elle se pr6sente,
nul ne pourrait facilement la soupçonnerd'avoir la légèreté de jouer
à mettre desimages à la place desconcepts et desconcepts à cc1le
deschoses.
Il n'y a nQIbesoin -d'une critique de la raison dans son usage
empirique,puisque ses principes;confrontésà la pierre de touche de
l'expérience. se trouvent soumis à une épreuve continuelle; (A 7111
B 739) de même ae besoin n'existe+il pas non plus en mathéma-
tique, oà les concepts de la raisondoivent nécessairementêtre aus-
sitôt présentés in concretodans l'intuition pure, chaque élément non
fondé et arbitnùrc devenant par là d'emblée manifeste. Mais là oà
ni l'intuition empirique ni l'intuition pure ne maintiennentla raison
sur une voie bien claire, à savoir dans son usage transcendantal
d'après de simples concepts, elle a un tel besoin d'une discipline
freinant son penchant à s'étendn, au-delà des limites étroites de
l'expérience possible et lui épargnant les excès et les erreurs que

• Je sais bien qu'on a l'habitude, dam le langagede 1'6cole,d'utlliJerle terme


de di.rciplÎIII!comme&juivalantà c:eluid'iaslruc.tionSimplementy a-t-il,ll contre,
d'autrescas si aombœwr.oil la premièreexpression,entendueau seas de drum1e,
est soignell&ellWII.
diatiagu6ede la seconde,compriseau sens d' 11111ei111Bment, et
la naturedes chosesimposememeque l'on ne conservepour cette distinctionque
les expressions pertiatntes En sone que je souhaiteque l'on ne permettejamais
d'utiliser œ lame dB dilllllpllne dalll une autre sipiflcation que la sigaiflcadoa
n6galive.
DJSCJPL1NEDB LA RAISON PURE 603

c:'est même toute la philosophie de la raison pure qui se c:onsacœ


uniquementà cette utilité négative. Aux erreurs particulièreson pent
remédier par la censure,(AK. m,468) et à leurs causes par la cri-
tique. Mais là oà l'on rencontre, c:ommedans la raison pure, tout un
système d'illusions et de fantasmagoriesfortement liées entre elles
et réunies sous des principes c:ommuns,c:'est toute une législation
spécifique,même si elle est certesnégative, qui semble requisepour
instituer sous le nom de discipline,à partir de la nature de la raison
et des objets de son usage pnr, une sorte de précaution et d'examen
de soi-même systématiques,faœ à quoi aucune fausse apparence
sophistiquene saurait subsister,mais ne peut que se trahir immédia-
tement, en dépit de toutes les justifü:ationsgr8ce auxquelleselle peut
se maquiller.
(A 712/B740) Encore faut-il bien remarquerqne, dans cette
seconde partie de la c:rltiquetranscendantale, je ne faia pas porter la
discipline de la raison pure sur le contenu, mais senlement sur la
m6thode de la connaisaanc:epar la raisonpum. Le premierobjectif
a déjà été atteint dansla théorie des élémenta. Mais l'usage de la
raison est à ce point semblable à lui-même, quels que soient les
objets auxquels il puisse etre appliqué,et il eat pourtant, en tant qu'il
doit etre transcendantal,en memetempa si easentiellomentdistinc:t
de tout autre, que, sans les enseignementa n6gatifa par lesquels une
discipline établie spécialementpour c:elanous prodigue ses avertis-
aements,on ne pourrait éviter les eneurs qui doivent nécessaimnent
procéder du respect inapproprié de méthodes convenant certes à la
raison dans d'autres domaines, mais non point, simplement,ici.

Premim, section
DISCIPLINE
DB LA RAISONPUU DANSL'USAGEDOGMA'11QIJE

La mathématiquefonmit l'exemple le plus brillant d'une raison


s'étendant d'elle-même avec:bonheur, sans l'aide de l'expérienc:e.
Les exemples sont contagieux,tout partic:ulièrementpour œ pouvoir
qui se targue naturellementd'avoir dans d'autres cas le même bon-
heur qui lui est éc:hudans uncas partic:ulier.Ce pourquoi la raison
pure espère pouvoir dans l'usage (A 713/B741) transcendantal
a'étendre aussi heureusementet de manière aussi radicale (AK. Ill,
469) qu'elle a pu le faire dans son usage mathématique,notammant
si elle y applique la m8me méthode que celle qui a été ici d'une
aussi évidente utilité. Il nous importe donc fortement de savoir si la
604 nœoRIE TRANSCENDANTALE DE LA MÉTHODE

méthode utilisée pour parvenir à la certitude apodictique, que dans


cette dernière science on appelle mathématique,se confond avec
celle qui sert à la recherche de la même certitude en philosophie et
que dans ce domajne on devrait appeler 4ogmatique.
La connaissance philosophiqueest la connaissance rationnelle
par concepts, la connaissance mathématiqueest la connaissance
rationnellepar constructiondes concepts.Mais construireun concept
signifie le présenter a priori dans l'intuition qui lui correspond. Pour
la construction d'un concept est donc requise une intuition non empi-
rique, laquelle par co~ent, en tant qu'intuition, est un objet sin,.
gulier, mais n'en doit pas moins, comme construction d'un concept
(d'une représentation générale), exprimer dans la représentation une
validité universelle pour toutes les intuitions possibles qui appar~
tiennent au même concept. .Ajnsi vais-je construire un triangle en pr6-
sentant l'objet correspondant à ce concept soit, par la simple imagi-
nation, dans l'intuition pure, soit, d'après celle-ci, également sur le
papier, dans l'intuition empirique, mais dans un cas comme dans
l'autre entièrement a priori,sans en avoir extrait le modèle d'une quel-
conque expérience. La figuresingulière quel' on a dessinée est (A 7141
B 742) empirique, et elle sert pourtant à exprimer le concept llllllll
qu'atteinte soit portée à son universalité, parce que, dans cette intui-
tion empirique, c'est toujpurs sin:iplement l'acte de construction du
concept que l'on considère, auquel de nombreuses déterminations,
comme par exemple celles de la grandeur, des côtés et des angles, sont
totalement indifférentes, et parce que l'on fait donc abstraction de ces
différences qui ne modifient pas le concept du triangle.
La connaissance philosophique considère donc le particulier
uniquement dans le général, la connaissance mathématique le général
dans le particulier, et même dans le singulier, mais cependant a priori
et par l'intermédiaire de la raison, tant et si bien que, comme ce
singulier est déterminé sous certainc;s conditions universelles de la
construction, de même I' oJ:,jet du concept, auquel ce singulier cor-
respond simplement en taµt qu'il en est le schème, doit être pens6
comme universellement déterminé.
C'est dans cette forme que consiste donc la différence essen-
tielle entre ces deux espèces de la connaissance rationnelle, et elle
ne repose pas sur la différence de leur matière ou de leurs objets,
Ceux qui ont pensé qu'il fallait distinguer la philosophie de la math~
matique en disant que la première (AK, m. 470) a pour objet sim-
plement la qualité, alors que la seconde n'aurait pour objet que 1a
quantité,ont pris l'effet pour la cause. La forme de la connaissance
mathématique est la cause du faii que cellerci peut porter exclusi-
DISCIPLINEDE LA RAISON PURE 605

vement sur des quanta. Car seul le concept de grandeur peut se


coœtruire,c'est-à-dire se présentera priori dansl'intuition, alors que
les qualitis (A 715/B 743) ne se peuvent présenterdans aucuneautre
intuition que l'intuition empirique. Ce pourquoi une connaissance
xationnellen'en est possible que par l'intermédiaire de concepts.
Ainsi personne ne peut-il tirer d'ailleurs que de l'expérience une
mtuition qui correspondeau ~t de la r6alité,mais nul ne peut
jamais y accéder a priori à partirde soi-même et antérieurementà
]a conscience empirique qu'il peut en avoir. De 1aforme conique,
on pourra faire un objet d'intuition sansaucune aide empirique,uni-
quementd'après le concept,mais la couleurde ce cône devra d'abord
etredonnée dans telle ou telle expérience.Le concept d'une cause
en génêral, je ne peux le présenter dans l'intuition autrement que
dans un exemple que me fournit l'expérience, etc. Au demeurant,la
philosophietraite de grandeurstout autant que la math6matiqne,par
exemple de la totalité, de l'infinité, etc. La mathématiques'occupe
auisi de la diff6rencedes lignes et des surfaces en les consid6rant
comme des espacesqualitativementdiff6rents,de la continuité de
l'étendue en la traitant commeune de ses qualit6s.Cela, quand bien
m!me, dans de tels cas, philosophie et math6maliqueont un objet
commun, la façon de le traiter parla raison est cependanttout autre
dans la consid6rationphilosophiqueque dans la considérationmathé-
matique.La premières'en tient simplementà des conceptsgénéraux,
alors que la seconde n'aaive à rien avec le seul concept, mais se
bite immédiatementde recourir à l'intuition, oi\ elle considère le
concept in concreto,bien que ce ne soit pas de manièreempirique,
mais simplementdans une (A 716/B 744) intuitionqu'elle a présentée
a priori, c'est-à-dire qu'elle a construite,et oik ce qui s'ensuit des
conditions universelles·de 1aconslnJCtiondoit valoir aussi univer-
sellementpour l'objet du concept construit
Donnons à un philosophele concept d'un triangle, et laissons-
le découvrir à sa façon quel rapport la somme de ses angles peut
bien entretenir avec l'angle droit Il n'a alOJ'Sà sa disposition rien
d'autre que le concept d'une figurequi est compriseentre trois lignes
droites, et dans cette figure le concept du m8menombre d'angles.
Dans ces conditions,il peut bien r6ft6ohirautant qu'il le voudra à ce
concept: il n'en dégagerarien de nouveau.Il peut analyseret expli-
citer le concept de la ligne droite ou celui d'un angle, ou du nombre
trois, mais il ne saurait parvenir à d'autres propriétés (AK, m, 471)
qui ne soient pas du tout inscrites dans ces concepts. Que dès Ion
le géomètreprenneen charge cetœquestion.Il commenced'emblée
par constnlire un trlangle. Puisqu'il sait que deux angles droits ont
606 TIŒORJB TRANSCENDANJ'ALB DE LA Mi!mODE

ensemble exacœment la même valeur que tous les angles adjacents


susceptibles d'être tracés à partir d'un point sur une ligne droite, il
prolonge un côté de son triangle et obtient deux angles adjacents qui
ensemble sont égaux à dellll. droits. Il divise alors l'angle externe de
ce triangle en tirant une ligne qui soit parallèle au côté opposé du
triangle, et il voit qu'il en réiulte ici un angle externe adjacent qui
est égal à un angle interne, etc. Il parvient de cette façon, en enchaî-
nant (A 717IB745) les raisonnements, toujours guid6 par l'intuition,
à une solution de la question qui est pleinement évidente et en même
temps universelle.
Cela dit, la mathématique ne construit pas simplement des gran-
dcuni (quanta), comme c'est le cas en géométrie, mais con&truit aussi
la pure grandeur (quantita.r), comme en algèbre, oà elle fait totale-
ment abstraction de la nature de l'objet qui doit être pensé d'après
un tel concept de grandeur. Elle se choisit alors une manière d'in-
diquer toutes les constructions de grandeurs en général (de nombres),
comme celles de l'addition, de la soustraction, etc., de l'extraction
des racines ; et après avoir aussi indiqué le concept général des gran-
deurs d'après les divers rapports qu'entretiennent ces grandeurs, elle
présente dans l'intuition, selon certaines règles générales, toute opé-
ration produisant ou modifiant la qwintitesz ; quand il s'agit de divi-
ser une grandeur par une autre, elle réunit leurs caractères à l'une et
à l'autre d'après la forme qui sert à indiquer la division, et ainsi, à
l'aide d'une construction symbolique, elle urive tout aussi bien que
la géométrie d'après une construction ostensive ou géométrique (des
objets eux-mêmes) là oà la connaissance discursive ne poumùt
jamais parvenir par l'intennédiaire de simples concepts.
Quelle peut bien etre la canse de ces situations Ili diverses •oà
se trouvent ces deux techniciens de la raison, dont l'un procède selon
des concepts, l'autre selon des intuitions qu'il (A 718/B 746)présente
a priori conformément aux œncepts? D'après les doctrines trans-
cendantales -exposées plus haut, cette cause est claira. La différence
ne dépend pas de propositions analytiques susceptibles d'être engen-
drées par simple analyse des concepts (auquel cas le philosophe
aurait sans doute l'avantage sur son rival), mais à des propositions
synthétiques, et plus précisément à des propoiltions synthétiques qni
doivent être connues a priori. Car je ne dois pas consid6rer cc que
je (AK, m, 472) pense effectivement dans mon concept du triangle
(car il n'y a rien de plus que la simple définition), mais bien plutilt
dois-je le dépasser pour atteindre des propriétés qui ne sont pas ins-
crites dans ce concept, mais pourtant lUi appartiennent Or, cela n'est
pas pos11'ble autrement qu'en d6tenninant mon objet d'après les
DISCIPLINEDB LA RAISONPURE 607
conditions, soit de l'intuition empirique, soit de l'intuiûon pure. La
première démarche fournirait une proposition empirique (par la
mesure des angles du triangle) qui ne contiendraitrien d'universel,
encore moins quoi que ce soit de nécessaiœ,et de telles propositions
il n'est nullement question ici. La seconde démarche est alor&la
construction mathématique,et plus pr6cisénumtici la conatructûm
géométrique,au moyen de laquellej'ajoute, dans une intuition pure
aussi bien que dans l'intuition empirique,le divers qui appartientau
schème d'un triangle en g6néral. par conséquent à son concept, à la
faveur de quoi bien s1lr des propositions synthétiques universelles
doivent se trouver construites.
C'est donc en vain que je philosopheraissur le triangle, c'est-
à-direque j'y r6ftécbiraisde façon discursive, sans avancer par là le
moins du monde (A 719/B747) au-delà de la simple définition,dont
il était pourtant légitime que je dusse partir. Il y a là certes une
synthèse transcendantale accomplie à partir de purs concepts, qui
pour sa part ne réussit qu'au philosophe,mais qui ne concernejamais
rien de plus qu'une chose en général. sous quelques conditions que
la pen:cption de celle-cipt\t appartenir à l'expérience possible.Reste
que, dans les problèmes mathématiques,ce n'est nullement de cela,
ni en général de l'existence, qu'il est question, mais des propriétés
des objets en soi, dans la mesure uniquementoà elles sont unies au
concept de ces objets.
Nous n'avons, dans l'exemple cité, cben:b6 qu'à clarifierquelle
vaste difféœnce il y a entre l'usage discumf de la raison d'après des
concepts et l'usage intuitif par la constructionde ces concepts. Or la
question se pose, naturellement, de savoir quelle est la cause qui
rend nécessaireun tel usage dédoubléde la raison, et à quelles condi-
tions on peut reconnaître si c'est simplementle premier, ou aussi le
second, qui intervient.
Toute notre connaissance se rapporte en définitive pourtant à
des intuitions possibles; car c'est à travers celles-ci seulementqu'un
objet est donné. Cela dit. ou bien un concept a priori (un concept
non empirique) contient déjà en soi une intuition pure, et dans ce
cas il peut être construit ; (AK, ID, 473) ou bien il ne contient rien
que la synthèse d'intuitions possibles qui ne sont pas données a
priori, et alor&on peut sans doute (A 720/B748)grice à lui juger de
manière synthétiqueet a priori,mais seulementsur le mode discursif,
d'après des concepts, et jamais de façon intuitive, à travers la
constructiondu concept.
Or, de toutes les intuitions, il n'en est aucune qui soit donnée
a priori, si ce n'est la simple fonne des phénomènes, l'espace et le
608 nœc>RIB TRANSCBNDANTALB DB LA MÉTHODE

temps, et un concept de ceux-ci, en tant que quanta,se peut présenter


a priori dansJ'intuition, c'est-à-dire constnmc, en meme temps que
leur qualité (leur figure), ou bien encorec'est simplementleur quan-
tité (la simple synthèse du divers dans l'homogène) qui peut 8tre
présentée a priori dans l'intuition, c'est-à-dire construite, par le
nombre. Mais la matière desphénomènes, à travm quoi deschoses
noussont données dansl'espace et le temps, ne peut être représentée
que dansla perception,par conséquent a posteriori.Le seul concept
qui n,présente a priori ce contenu empirique des phénomènes,c'est
le concept de la choseen glnlral, et la connaissancesynthétiqueque
nous en avons a priori ne peut rien fournir de plus a priori que la
simple :règle de la s;yntlàe de ce que la perceptionpeut donner a
posteriori,mais jamais l'intuition de l'objet reel, puisque celle-ci doit
8tre nécessairementempirique.
Des propositionssynthétiquesportant sur des chosesen général,
dont l'intuition ne se pc,utnul1emcnt donner a priori, sont transcen-
dantales. En conséquence,des propositions transcendantalesne se
peuvent jamais fournir a priori par construction des concepts, mais
seulement d'après des concepts. Biles contiennent simplemellt la
:règle d'après laquelle une certaine unit6 synthétique de ce qui ne
peut 8tre représenté intuitivement a priori (A 721/B 749) (des per-
ceptions) doit etre cherchée empiriquement Elles ne peuvent en
revanche présenter a priori,dansun quelconquecas, un seul de leurs
concepts, mais ne peuvent le faire qu'a posteriori,parl'intermédiaire
de l'exp&ience, laquelle ne devient possible au demeurant que
d'après ces principes synthétiques.
Si l'on veut porter sur un concept un jugement synthétique,il
faut sortir de ce concept, et plus precia6mmt se reporter à l':ln~tion
danslaquelle il est donn6. Car si l'on en restait à ce qui est contenu
dans le concept, 1e jugement serait simplement analytique,et il
constitueraitseulement une explicationde ce que l'on pense d'après
ce qui se trouve effectivementcontenu danscette pensée.Cependant,
je peux aller du concept à l':lntuition,pure ou empirique, qui lui
conespond, pour examiner in concretocette intuition et (AK, Ill,
474) parvenirà connaî1re, a priori ou a posœrlorl, ce qui revient.à
l'objet de ce concept Le premier cas COD'CSpolldà la connaissance
rationnelle et rnatb6rnatiquepar la construction'du concept,le second
à la simple cmnaissance empirique (mécanique) qui ne peut jamais
donner des propositions n&esaain:s et apodictiques.Ainsi pomrais-
je analyser mon concept empirique de l'or S8DS obtenir par là rien
d'autre que de pouvoir énumérertout ce que je penseeffeclivement
sous ce terme - ce qui produit certes dansmaCOIID8issance une am6-
DISCIPLINBDB LA RAISON PURE 609

lioration logique, mais ne me fait acquérir aUCUDe augmentationou


addition de cnnnai888JJCle, Simplement,je pnmds la matière qui se
piésente sous ce nom et j'y ajoute des pen:eptionsqui me fournissent
diverses propositions synthétiques,(A 722/B150) mais empiriques.
Le concept rnatbmnetiqucd'un triangle, je Je COD8truirais, c'est-
à--diœque je le présenterais a priori dans l'intuition, et par cette voie
j'obtiendrais une C(fflnajs,umce synthétique,mais rationnelle. Mais
quand m'est donn6 le concept tranllCCDdentel d'une Iéalit6, d'une
substence,d'une force, etc., il ne désigne ni une intuition empirique
ni une intuition pure, mais uniquement la synthèse des intuitions
empiriques (qui ne peuvent donc être données a prion) ; et puisque
la synthèsene peut eccéder a priori à l'intuition qui correspondà ce
concept, il oe peut en proc:6dernonplus aucuneproposition syntbé--
tique déterrnioante, mais seulement un principe de la synthèse•
d'intuitions empiriques posuüles. Donc, une proposition transceo-
deotele est une CODDaissaoce synthétique de la raison d'apœe de
simples concepts, et par conséquent obtenue de façon discursive,
dansla mesureooc'est à partirde là seuJementque devient possible
toute unit6 synthétiquede J• cooo•iSMDCe empirique, sana qu'aUCUDe
intuition soit par là donnée a priori,
(A 723/B751) n y a donc deuxusages de la raison qui, bien
qu'ayant en c:ommuol'univemelitéde la connaissanceet l'engendre-
ment de celle-ci a priori, sont pourtant très difféœnts dansleur pro-
cessus, et cela parce que dans Je pbéonmèoe,en taQt qu'il constitue
ce à travers quoi tous les objets DOUBsont donnés, (AK, m.475) il
y a deux 6Jéments: la forme de l'intuition (espace et temps), qui
peut etre connue et déterminéecomplàtmnenta priori, et la matière
(la dimensionphysique) ou le contenu, déaigoaotun quelque chose
qui se trouve dansl'espace et dans le temps, et qui par cona6quent
contientune exiatcoceet correspond à la sensation.Relativementau
demier 616meot,qui ne peut jamais etre donnéd'une autre DllUlière
qu'empiriquement,oous ne pouvons avoir a priori rien d'autre que
des concepts indétemùoéade la ayndlèsede sensationspossibles,en
tant qu'elles appartiennentà l'unit6 de l'apmœption (dans une expé-
610 mÉORIE TRANSCBNDANI'ALB DE LA MB'll:IODE

rience posst'ble). Pour ce qui concerne le premier, nous pouvons


déterminer a priori nos concepts dansl'intuition, puisque nous nol18
créons dans l'espace et dans le temps les objets eux-mêmespar une
synthèse partout identique à elle-même, en les considérant simple-
ment comme des quanta. La première façon de procéder s'appelle
l'usage de la raison selon des concepts, où nous ne pouvons rien
faire de plus que ramener des phénomènes,quant à leur contenuréel,
sous des concepts, lesquels phénomènesne peuvent être déterminés
qu'empiriquement, c'est-lklire a posteriori (même si c'est confor-
mément à ces concepts en tant que règles d'une synthèseempirique).
La seconde démarche est l'usage de la raison par construction
(A 724/B 752) des concepts, où ces concepts,puisqu'ils s'appliquent
déjà à une intuition a priori, peuvent être aussi, de ce fait même,
donnés de manière déterminée a priori dansl'intuition pure et sans
qu'interviennent des data empiriques. Examiner tout ce qui se pté-
sente (une chose dansl'espace ou dans le temps) pour savoir si et
jusqu'à quel point il s'agit ou non d'un quantum, en quoi une exis-
tence ou une privation doit y être reptésentée,dansquelle mesure ce
quelque chose (qui remplit de l'espace ou du temps) est un substrat
premier ou une simple détermination,si un rapport s'6tablit entreson
existence et quelque chose d'autrecomme cause ou comme effet, et
enfin s'il est, du point de we de l'existence, isolé on en relation de
dépendanceréciproque avec d'autres choses, examiner la possibilité
de cette existence, sa réalité et sa nécessité, ou leurs contraires,tout
cela appartient à la connaissance rationnelle par concepts qu'on
appelle philosophique.Mais déterminer a priori dans l'espace une
intuition (figure), diviser le temps (durée), ou simplementconnaitre
la dimension universelle de la synthèse d'une seule et même chose
dansle temps et l'espace, ainsi que la grandeur,qui en résulte, d'une
intuition en g6n6ral (nombre), c'est wie oplratlon rationnellepro-
cédant par construction des concepts, et on l'appelle mathlmatique.
Le grand succès qu'obtient la raison par l'intenn6diain, de la
math6matique suscite tout naturellement la présomption selon
laquelle (AK. m.476), meme si cette science elle-meme n'obtenait
pas de réussite en dehors du champ des grandeurs, du moins sa
méthode réussirait IIUSlli en ce domaine : elle rapporte en effet tous
ses concepts à des intuitions (A 725/B 753) qu'elle peut foumir a
priori, et elle devient par là, pour ainsi dire, maîtresse de la nature,
alors qu'en .revanchela philosophiepure, avec ses conceptsdiscursifs
a priori, g8che tout, autour d'elle, dansla nature, sans pouvoir faire
intuitionnera priori la réalité de ces concepts et par là leur conférer
du crédit. Aussi semble-t-il qu'aux maîtres versés dans cet art n'ait
DISCIPUNB DB LA RAISON PURE 611

jamais manqué la confiance en eux-mêmes, et que le public n'ait


jamais cessé non plus de concevoir de gmndca espérances en leur
habileté, pourvu qu'ils se missent à la tâche. Dans la mesure, en
effet, oà ils ont à peine philosoph6sur leur mathématique(une dü-
ficile entreprise!), la différencespécifiqueentre un des usages de la
raison et l'autre ne leur vient pas le moins du monde à l'espriL Ce
sont des règles courammentrépandueset empiriquementemployées,
empruntéespar eux à la nûaon commune,qui prennentpour eux la
valeur d'axiomes. Quellea pu être la provenance des concepts
d'espace et de tcmpadont ils s'occupent (commeconstituantles seuls
quanta originaires), ils n'y attachentaucuneimportance,et de même
leur apparaît-il inutile d'explorer l'origine des concepts purs de
l'entendement et de sonder aussi par là l'extension de leur validité:
il leur suffit en fait de s'en servir. Tous points sur lesquels ils font
très bien, à condition simplementqu'ils ne dépassentpas les limites
qui leur sont assign6es.à savoircellesde la nature. Si tel est toutefois
le cas, ils se hasardent, sans s'en rendre compte, hors du champ de
la sensfüilitépour entrer sur le tmain incertamdes conceptspurs et
même transcendantaux,oà le fond qu'ils atteignent(instabilistellus,
innabilis llllda) (A 726/B754)ne leur permet ni de se tenir ferme-
ment ni de nager, et oà ne se peuvent faire que despas rapides, dont
le temps ne garde pas la moindre tnu:e, alors que leur parcoms en
rnathématiqueleur ouvre une voie royale que la postérité la plus
lointainepeut encore emprunter avec assurance.
Puisquenousnous 80ll1lllCII fait un devoirde Mtenniner avecpré-
cision et certitudeles limitesde la nûaon pure dansl'usage transcen-
dantal, mais que ce t;yped'aspimtion possède en soi ceci de particulier
qu'en d6pit des avertissementsles plus pressants et les plus clairs elle
ne cesse jamais, avant que l'on renonce entièrementau projet, de se
laisser abuser par l'espoir d'accéder, au-delà des limites constituées
par les exp6riences,dans les paragesattirants de ce qni est purement
intellectuel, il est nécessaiœ de retirer encore,pour ainsi dire, son
ultime point d'ancrage à une esp6rancefantasmagorique,et de :mon-
trer que l'adoption de la méthode mathématiq,u,danscette sorte de
COIIIUIÎBsance ne pomrait procurerle lll0Îlldl'e avantage,sauf celui de
(AK, III, 477) découvrird'aulant plus clairement les faiblesses que
l'on a: ainsi fant-il montrer que la géométrie et la philosophie sont
deux choses tout à fait diff6mltea. quand bien rn&ne elles se pretent
m11h1c,Uement la main en physique, et que par conséquent les
dénum:hesde l'une ne samaientjamais être imitéespar l'autre.
La solidité des matb6matiquesrepose sur des définitions, des
axiomes,des démonstrations.Je me contenteraide montrer qu'aumm
612 TIŒORIE TRANSCl!NDANTALE DE LA ManiODE

de ces élémentsne peut être ni procuréni imité par la philosophie,


811 sens oà le mathématicienles prend (A 727/B755); que le géo-
mètre, en snivant sa méthode, n'édifierait en philosophie que des
cblteaux de cartes ; que le philosophe,en suivant la sienne dans le
secteur de la mathématique,ne pourrait produire que du verbiage-
et ce, alors même que la philosophie,sur ce terrain, consiste à en
COIIDIIÎll'e les limites, et que le mathématicienlui-même,quand son
talent n'est pas déjà limitépar la nature et bom6 à son domaine,ne
puisse écarta' les avertissementsde la philosophieni se placer au-
dessus d'eux.

1. Des dl.finitions

Dljinir, commel'expression même le suggère, ne doit signifier


proprement que présenter originairementle concept détaillé d'une
chose à l'int6rieur de ses limites •. Selon une telle exigence, un
concept empirique ne peut nullement &Iredéfini : il peut seulement
&Ireexplicitl.Dans la mesure. en effet, oà nous ne possédonsavec
lui que quelquesmarques distinctivesd'une certaine espèce d'objets
des sens, il n'est jamais sOrque, sous le mot qui désigne le même
objet, l'on ne pense pas tant6t plus, tantôt moinsde caractéristiques
de cet objeL (A 728/B756) Ainsi.dans le concept de l'or, tel peut,
outre le poids, la couleur,la dureté, penser encore à cette propriété
que possède l'or de ne pas se rouiller, alors qlJCtel 811tre n'en sait
peut-&trerien. On ne se sert de certaines caractéristiquesque pour
autant qu'elles soient suffisantes en we de distinguerl'objet; de
nouvellesobservations,toutefois,font en retirer certaineset en ajou-
ter d'autres, tant et si bien que le concept ne s'inscrit auisijamais
entre des limites assuœes. Et à quoi, 811 reste, pourrait-il servir de
définirun tel concept,puisque, quand par exempleil est questionde
l'eau et de ses propriétés,on ne va pas s'meter à ce que (AK, m,
478) l'on pense par le teone d'eau, mais que l'on procède à des
expériences,et que le mot, avec les quelquescaract6ristiquesqui lui
sont attachées. doit seulementconstituerune désignationet non pas
• PIUc6k:rde /afan dl""1lk slpifte recbe11:ber la clart6 et la BUflil8nœdes
distinctiva: les llmlla 'YÏlellt la pr&:lsion,de façon qu'il n'y ait pas
llllllq1IU
davantagede marquesdistinctivesqu'il n'en apparlieDtau conceptd6lalll6;qwmt
l orlglnalmnent, cela veut diœ que c:c11e~termiDatioadel limita n'mt d&ivœ
.denullepart ailleum,et qu'elle n'a donc pas beaoiDd'une preuve1appl6mentaire,
ce qui nmdrait la pdteDdued6liDltiœillcapable de 1'ÎIIIICIÎl'een tel8 de lDIII les
jugements l1lr un objet.
DJSClPLINE DE LA RAISON PURE 613

un concept de la chose - la prétendue définition n'étant donc autre


chose qu'une d6tennination verbale. En deuxième lieu, on ne peut
même, pour parler avec précision, définir aucun concept donn6 a
priori, par exemple : substance, cause, droit, 6quité, etc. Car je ne
puis jamais être sOrque la représentationclaire d'un concept donn6
(encore confus) a été développée de façon assez détaill6e que si je
sais qu'elle est adéquate à l'objet Comme, toutefois, le concept de
cet objet, tel qu'il est donn6, peut contenir beaucoup de représenta-
tions obscures que nous laissons de c6té dans l'analyse, quand bien
même nous ne cessons de les utiliser dans l'application, le caractère
détaillé de l'analyse de mon conceptest toujours douteux et ne peut
être que rendu probable par un grand nombre (A 729/B757)
d'exemples concordants, sans jamais devenir apodictiquementcer-
tain. Au lieu du terme de déftnition,je préf6rerais employer celui
d'exposition,qui conserve toujours quelque chose de prudent et à
travers lequel le critique peut jusqu'à un certain degré accorder la
d6finitionet cependant demeurer encore réserv6 sur ce qu'elle peut
avoir de détaill6.Dans la mesure,donc, oà ni les conceptsempiriques
ni les concepts donnés a priori ne peuvent être définis, il ne reste
que ceux qui sont pens6s de façon arbitraire sur lesquels cette
manim, de procéder puisse etre tent6e. Je peuxtoujours, dans un tel
cas, d6finir mon concept ; car il faut pourtant bien que je sache ce
que j'ai voulu penser, puisquej'ai moi-mêmeforg6 ce concept déli-
bérément,et qu'il ne m'a été donné ni par la nature de l'entendement
ni par l'expérience : pour autant,je ne puis dire que j'ai par là d6fini
un véritable objet Car si le concept reposesur des conditionsempi-
riques, comme c'est le cas par exemple pour une montre de marine,
l'objet et sa possibilité ne sont pas encore donn6s par ce concept
arbitraire: je ne sais même pas ainsi si ce concept possède quelque
part un objet, et l'explication que j'en donne mérite davantaged'être
appelée une déclaration{de mon projet) que la d6finitiond'un objet
Donc, il ne reste pas d'autres concepts qui soient à même d'être
définis que ceux qui contiennentune synthèse arbitrairepouvant être
construite a priori : par conséquent, seule la mathématiquepossède
des définitions, Car l'objet qu'elle pense, elle le présente aussi a
priori dans l'intuition, et cet objet ne peut certainementcontenir ni
plus (A 730/B758) ni moins de choses que le concept, puisque c'est
par l'explication qu'on en a fournie que le concept de l'objet a été
donné originairement,c'est-à-dire sans en dériver de nulle part ail-
leurs l'explication. La langue allemande (AK, m.479) ne dispose,
pour rendre les expressions d'upoaidon, d'aplicadon, de dsclara-
tion et de définition,que du seul et unique terme d' Erklilnmg; et
614 TIŒORJB
TRANSCBNDANTALBDB LA M!niODB

c'est pomquoi il nous faut d6jà restreindrequelque peu la rigueurde


l'exigence que nous faisions valoir quand nous refusionsaux expli-
cations philosophiquosle titre honorifiquede définitions.En ce sens,
nous limiterons toute cette remarqueà observer que les définitions
philosophiquesne sont instituées que comme des expositions de
concepts donnés, tandis que les définitions mathématiquesle sont
commedes coDStructions de conceptsformés originairement, les pre-
mières analytiquementà la faveur d'une d6composition(dont la
complétuden'est jamais apodictiquementcertaine),les secondessyn-
thétiquementet de telle manière qu'elles constituentdonc le concept
même, alors que les premières ne font que l'expliquer. D'oà il
s'ensuit:
a. Qu'il ne faudrait pas en philosophieimiter la mathématique
en commençantpar poser les définitions,sauf ai c'est seulementà
titre de simples essais. Car puisque de telles définitions sont des
décompositionsde concepts donnés, ce sont ces concepts qui, bien
qu'ils soient encore seulementconfus, viennent en premier, et l'ex-
position incomplète précède l'exposition complète, tant et si bien
qu'à partir de quelques marques caractéristiquesque nous avons
tirées d'une analyse encore inachevée nous pouvons conclure à
d'autres avant d'en etre anivés à l'exposition intégrale,c'est-à-dire
à la définition; bref, en (A 731/B759) philosophie, ta définition,
comme clarification pondérée, doit plutôt clore l'entreprise qu,s
l'inaugurer•. Au contraùe, en mathématique,nous ne disposons
d'absolument aucun concept avant la définition,dans la mesure oà
c'est à travers c:elle-ciseulementque le concept est donné: elle doit
donc néœssairemcnt, et au demeurantelle le peut, toujonrscommen-
cer par là.
b. Des d6finitions mathématiques ne peuvent jamais etre
fausses. Puisqu'en effet (AK, Ill, 480) le concept est donné en
premier lieu par la définition,il contient tout juste ce à quoi la d6fi-
nition veut qu'il soit pensé par ce concept.Mais bien qu'il ne puisse

• La philosophieest imnplie de d6finidODB d6fectuc:uaes, en paniculiarde


définitionsqui conticmneotbien effectivementdea 616menl8 permettantde définir
l'objet, maïapas encoœde façon compl!te SI, dan1 cea condidODB, on ne pouvait
rian entrqnendre avecun conœptj111q11'lcequ'on l'aitd61inl,il aeraltblendifficile
de philo10pher. Maiscommel'on peut,8iloin qu'aillmitles 616menll(de l'analysa),
d'employertœsutilement
en faire toujaumun bon et 10r uaage,il eat pouible IIIIISi
de&d6finido1111 lacunairea,c'est~l-diœ de&6oonca qui ne sont pu encoreà pro-
pn:=t parler des d61inldODB, maïa10nt au demeurant vrala et foumi11entpar
cons6pientde&approximat!ODS de d6finltiODBBnmatb6matique, la d61inidonrelhe
de I'UH ; dallllla pbilOIOphie,du ,,,.u,,,ure nest beau, mail &OIIVllllt
tœadiftil:ile
d'y parvenir Le&jurisleac:heœhent encoreune définilioopourlaar conceptdu dnJiL
DISCIPLINEDB LA RAISON PURB 61S

s'y ttouver rien de faux quant au contenu, il peut pourtant parfois,


quoique ce ne soit que rarement, y avoir des défauts dans Ja forme
(dans Ja façon de les présenter), c'est-à-dire reJativementà Ja pré-
cision. Ainsi la définitioncommune du cercle, consistant à dire que
c'est une ligne courbe dont tous Jes points sont à éga]e distance d'un
point unique (A 732/B760) (du centre), a le défaut d'incJure sans
nécessitéla déterminationde courbe.ndoit en effet y avoir un théo-
rème particulier se déduiBantde Ja définitionet pouvant être facile-
ment démontré, savoir qu'une Jigne quelconquedont tous Jes points
sont à égale distance d'un point unique est courbe (qu'aucune de ses
parties n'est droite). Les définitionsanalytiquespeuvent au contraire
de multiples manières être fausses, soit en introduisanten elles des
marques caractéristiquesqui n'étalent pas comprises effectivement
dans Je concept, soit en n'atteignant pas à cette dimension détaillée
qui constitue l'essentiel d'une définition, parceque l'on ne peut
j81118Îsetre comp~tement certain de la complétude de son analyse.
Ce pourquoi Ja méthode de la mathématiquequant aux définitions
ne se peut imiter en philosophie.

2. Des axioml!s

Ce sont des principes synthétiquesa priori, dans Ja mesure o~


ils sont immédiatementcertains. Or, un concept ne peut etre relié à
un autre synthétiquementet cependant de façon immédiate, parce
que, pour pouvoir sortir d'un concept et alJer au-delà de Jui, une
ttoisième connaissance. procurant une médiation, est nécessaire.
Malscommela philosophieest seulementla connaissancerationnelle
par concepts, il ne se pourra rencontrer en elle aucune proposition
méritant le nom d'axiome. La mathématique, au contraire, est
capable d'axiomes, parce qu'à la faveur de la construction des
concepts dans l'intuition de l'objet elle peut relier immédiatementet
a priori les prédicats de cet objet, par exemple (B 761) que trois
points se trouvent toujours dans un plan. Au contraire, (A 733) un
principe synthétique procédant uniquement de concepts ne peut
jamais etreimmédiatementcertain, par exemple la proposition selon
laquelletout ce qui anive possèdesa cause: cela parce qu'il me faut
prendre en considération un troisième terme, à savoir ]a condition
conespondant dans une expérienceà la détenninatian temporelle,et
que ce n'est pas de façon directe, irnrn&liatementà partir de simples
concepts, que je pourrais connaître un tel principe. Des principes
discursifssont donc tout autre chose que des principes intuitifs,c'est-
616 TIŒORŒTRANSCBNDANTALBDB LA ~ODB

à-dire que des axiomes. Les premiers exigent toujours en outre une
d6duction, dont les demien peuvent totalement se dispenser; et
puisque, précisément pour la même raison, ceux-ci sont évidenta,
(AK, m.481) ce à quoi ne peuvent jamais prétendre les principea
philosophiquesmalgré toute leur certitude, il s'en faut infinimont
qu'une quelconquepropositionsynthétiquede la raison pure et tram-
cendantale soit aussi manüeste (comme on se plaît à le dire avec
morgue) que la proposition: deux fois deux font quatre. J'ai certes
dans l' Analytique,à propos de la table des principes de l'entende-
ment pur, fait mentionaussi de certains axiomesde l'intuition ; tes1e
que le principecité en l'occummce n'était pas lui-mêmeun axiOJDD,
maisne servaitqu'à indiquerle principede la possibilitédes axiomes
en général, et il n'était pour sa part qu'un principetiré de concepta.
Car même la possibilitéde la mathématiquedoit être montrée dans
la philosophie transcendantale. La philosophie n'a donc pas
d'axiomes, et il ne lui est jamais accordéd'imposer de manime aussi
absolue ses principes a priori : bien plutôt lui faut-il (A 734/B762)
se prêter à légitimer par une déduction solidement étayée le droit
qu'elle a d'y recourir.

3. Des dlmonstrations

Seule une preuve apodictique,en tant qu'elle est intuitive,peut


s'appeler démonstration.L'expérience nous enseigne sans doute ce
qui est. mais non point que cela ne pourrait en aucun cas êtreautre-
ment. C'est pourquoi des arguments empiriquesne peuvent fournir
nulle preuve apodictique.Mais à partir de conceptsa priori (dans la
connaissancediscursive)ne peutjamais naî1reune certitudeintuitive,
c'est-à-dire une évidence,si apodlctiquementcertain que puisse bien
être par ailleurs le jugement. Seule la mathématiquecontient donc
des démonstrations,pan:e qu'elle d6rive sa COlllllllssance non de
concepts,mais de la constructionde ceux-ci, c'est-à-dire de l'intui-
tion qui peut être donnée a priori comme conespondant aux
concepts.Même la méthode algébrique,avec ses équationsd'oà elle
fait par œductionsurgir la v6ritéen mêmetemps que la preuve,n'est
certes pas une construction géométrique, mais ëlle constitµe une
constructioncaractéristique,dans le cadre de laquelle, en se servant
des signes,on présente les ~pts dans l'intuition, notammentceux
qui portent sur le rapport entre les grandeurs, et où, sans jamais
considérer la dimension heuristique, on garantit tous les raisonne-
ments contre les erreurs par la DllîDimedont chacun se trouve viSlla-
DISCIPLINBDS LA RAISON PURB 617

tisé.Par opposition, la connaissancephilosophiquedoit se passer de


cet avantage,puisqu'il lui faut toujours considérerl'universel in abs-
,mcto (par concepts), cependantque la matb6maliquepeut examiner
l'universel in concreto (dans l'inmition singulière) et pourtant a
priorià travers une représentation(A 735/B763)pure, à la faveur de
quoi toute d6marcheerronée devient visible. Ce pourquoi je donne-
rais plus volontiers aux preuves philosophiques le nom de preuves
acroamatiques(discursives) que celui de dimonstrations,parce
qu'elles ne peuvent s'op6n:r qu'à travers de simples mots (en évo-
quant l'objet en pensée), (AK, m,482), tandis que les dimonstra-
tions,comme l'expression déjà l'indique, se développent dans l'in-
llJitionde l'objet
De tout cela s'ensuit donc qu'il n'est nullement adapté à la
nature de la philosophie, notamment dans le domaine de la raison
pure. de parader en se donnant des airs dogmatiqueset de se parer
avec les titres et les emblèmes de ta mathématique,puisqu'elle ne
rol&vepas du même ordre que celle-ci, quand bien m8me elle a tous
les motifs de placer ses espoirs dansune union fratemelleavec elle.
Ce sont là de vaines prétentionsqui jamais ne peuvent aboutir,mais
qui bien plutôt doivent faire revenir la philosophie à son dessein de
d6couvrir les illusions d'une raison méconnaissant ses limites et
ramener,par l'inteml6diaire d'une clarifü::ationsuffisante de nos
concepts, la présomption de la spéculation à une connaissance de
soi-mêmemodeste,mais solidementétayée.La raison ne pourradonc
pas, dans ses œntatives transcendantales,regarder devant elle avec
la m8me assurance que si la route qu'elle a parcourue conduisait
dkectement au but, ni compter sur les prmnisses qu'elle a adoptées
pourfondement avec une telle audace qu'il ne lui serait pas néces-
sain, de regarder plus souvent ven l'arrière et de considérer atten-
tivement si d'aventure ne se découvrent pas dansle cours de ses
nisonnemmts des.fautes qui soraientpassées Inaperçues (A 736/
B 764) dans les. principes et qui œndraient nécessaire soit de les
déterminerdavantage, soit d'en changer tout à faiL
Je divise toutes les propositions apodictiques (cela, qu'elles
soient d6montrables ou immédiatement•certaines) en dogmata et
mathemata.Une propositiondirecœmentsynthétiquepar conceptsest
un dogma ; en revanche, une proposition synthétique obtenue par
constructionde concepts est un mathema.Des jugementB analytiques
ne nous apprennent à proprement parler rien de plus çoncemant
l'objet que ce que le concept que nous en 11.VODS contient d6jà en lui,
puisqu'ils n'élargiSBentpas la ~sance au-delà du concept du
•ujet, mais qu'ils se bornent à l'expliciter. Ils ne peuvent donc pas
618 TIŒORIB1RANSCENDANTALBDB LA MÉTIIODE

être pertinemmentappelésdes dogmes (tenue que l'on pourraitpeut-


être transcrire par prkeptes dot;trina,a). Mais, entre les dewt sortes
mentionnéesde propositions synthétiquesa priori, seules peuvent
porter ce nom, selonJa manièrehabituellede parler,cellesqui appar-
tiennentà la connaissancephilosophique,et l'on aurait quelquedif-
ficultéà appeler dogmes les propositionsde l'arithmétiqueou de 1a
géométrie. Cet usage confirme donc l'explication que nous avons
donnée en disant que seuls des jugements par concepts,et non pas
ceux qui procèdent par la constructiondes concepts, peuvent êtœ
appelés dogmatiques.
Or la raison pure tout entière ne contient pas, dansson usage
simplementspéculatif,(AK, m, 483) un seul jugement directement
synthétiquepar concepts.Car par le moyen des Id6es, commenous
l'avons montr6,elle n'est capable de porter absolumentaucunjuge-
ment synthétique susc:epb"bled'avoir une valeur objective, aloœ
qu'en se servant des concepts (A 737/B765) de l'entendementaile
établit assurémentdes principes certains, non pas toutefois dirccto-
ment par concepts, mais toujours simplementde façon indirecte à
travers la relation de ces concepts à quelque chose de tout à fait
contingent,à savoir l'expérience.possible; de fait, quand cette der-
nière (quelquechosecommeobjet d'expériencespossibles)est~
supposée,il est vrai que ces jugementspeuventetœapodictiquement
certains,même si, en eux-mêmes(directement), ils ne peuventjamais
être connus a priori. Ainsi personnene peut-il pen:er jusqu'en son
fond, simplement à partir des concepts qui lui sont donnés, cette
proposition: tout ce qui anivepossède sa cause. Donc, ce n'est pas
un dogme, bien que d'un autre point de we, à savoir dans le seul
champ de son usage possible, c'est-à-dire dans l'expérience, elle
puissefort bien être prouvée,et cela de manièreapodictique.Il s'agit
toutefois d'un principe et non pas d'un théorhns, mêmctsi cette
propositiondoit êtœ démontrée.parcctqu'elle a cette propriétépar-
ticulièrequ'elle œnd elle-mêmepossible,et elle seule, le fondement
même de sa preuve, à savoir l'expérience, et qu'elle doit toujours
s'y trouver présupposée,
S'il n'y a donc pas du tout de dogmes dansl'usage spéculatif
de la raison pure, même quant au contenu, nulle méth~ dogma-
tique, qu'ello soit emprun~ au mathématicieJlou qu'elle doive
constituerune manière spécifiquede procéder,n'est adaptéeà un tel
usage. Car cette méthode se borne à cacher les fautes et les OD'e111'11,
et elle abuse la philosophie,dont le but véritableeat de faire aper-
cevoir dansleur plus vive Iumièœtouœs les démaœhes de la raison.
Cependant,la méthodepeut JQujoursêtre 81Blématiqu. Notre raison
DISCIPLINE DE LA RAISON PURE 619

est en effet elle-meme (A 738/B766) (subjectivement)un sys~me.


quoiquedans son usage pur, par l'intermédiairede simplesconcepts,
elle ne soit qu'une recherche systématiquede l'unit6 d'après des
principes, en we de quoi l'expérience seule peut procurerde la
Jlllllière.De la méthode propre à une philosophietranscendantale, il
n'y a toutefoisrien à dire ici, puisquenous n'avons affaire qu'à une
critiquede nos diverses facultés,en vue de déterminer si nous pou-
vons b8tir quoi que ce soit, et à quelle hauteur nous pouvons élever
notre édifice. à partir des matériaux dont nous disposons (les
conceptspurs a prion').

(AK, III, 484) Dewtimie section


LA DISCIPLINEDE LA RAISONPOU ltELA.11VEMENT
À SONUSAGEPOUMIQUB

La raison doit, danstoutes ses entreprises,se soumettreà la cri-


tique, et elle ne peut par aucun interdit attente.rà la liberté de cette
dernièresana se nuiœ à elle-même et sans attirer sur elle un soupçon
qui lui est dommageable.De fait n'y a-t-il rien de si important,quant
à l'utilité, ni rien de si sacré qui puisse se dérober à cet examenqui
contr6leet inspecta,tout, sans faire exceptionde personne.C'est sur
cette libertéque œpose mêmel'existence dela raison, laquellen'a pas
d'autorité dictatoriale,mais ne fait jamais reposer sa d6cisionque sur
l'accord de libn:s citoyens, dont chacun doit pouvoir exprimer ses
objections,voire son veto (A 739/B767),sans retenue aucune.
Cela étant, si la raisonne peut certes jamais se refuser à la
critique, elle n'a pourtant pas toujoms de motifs de la redouter.
Néanmoins,la raison pmedansson:usage dogmatique(non dansson
usage mathématique)n'ast pas à ce point consciented'observer avec
la plus granderigueur ses lois les plus élevées qu'elle ne doive être
intimidée,et même se départir entièrementde toute l'allure dogma-
tique qu'elle se donne, quand elle comparaitsous le regard critique
d'une raison supérieurequi la juge.
Tout autrement en va-t-il quand elle a affaire non pas il. la
censure du juge, mais aux prétentionsde ses concitoyens,et qu'elle
doit simplement se défendre contre eux. Car, dans la mesure où
ceux-civeulentêtre tout aussi dogmatiquesdansleur négationqu'elle
l'est dans l'affumation, il y a matière alors il. une justification
m:t'âvOpomov, qui la garantissecontre tout préjudiceet lui procure
une possession en bonne et due forme, n'ayant il. redouter aucune
620 llfOORIB TRANSCENDANTALE DB LA Mml:IODB

prétentionétrangère, bien qu'elle ne puisse en elle-mêmeetre prou-


vée suffisamment1Ca't'â.1rj8Elav.
Par usage polémiquede la raison pure, j'entends donc la défense
de ses énoncés contre leurs négations dogmatiques.Il ne s'agit donc
pas ici de savoir si ses affirmationsne pomraient pas aussi, éven-
tuellement, se trouver fausses, mais seulement du fait que personne
ne peut prétendre le contraire avec une certitude apodictique (ni
meme (A 740IB768)avec vraisemblance).Car alors notre possession
n'est pourtant pas accordée de façon purement arbitraire, (AK, :m,
485) si nous avons par-devers nous, pour cela, un titre de propriét6,
même insuffisant, et s'il est entièrement certain que personne ne
poum jamais prouver l'illégitimité de cette possession.
Il se trouve quelque chose de préoccupant et d'humiliant dans
le fait qu'il doive y avoir en général une antithétiquede la raison
pure, et que cette raison pure, qui représente pourtant, vis-11.-visde
tous les litiges, le tribunal supreme,doive entrer en conflitavec elle-
même. Certes, nous avons eu plus haut, devant nous, une telle anti-
thétique apparente de la raison; mais il s'est :rév61équ'elle reposait
sur un malentendu consistant à prendre, confonnément au préjugé
commun, des phénomènespour des choses en soi, et il.revendiquer
ensuite, d'une façon ou d'une autre (au demeuranttout aussi impoa-
sibles l'une que l'autre), une absolue compl6tudede leur synthèse,
ce que l'on ne peut toutefois aucunementattendre de phénomènes.
Il n'y avait donc alors aucune contradiction effective de la raison
avec elle-meme dans ces propositions: la série des ph6nomèœa
donnés en soi a un commencementabsolument premier, et: cettD
série est absolllDlentet en soi dépourvue de tout commencement;
car les deux propositions coexistent parfaitement bien, puisque des
phlnomAnes, dans leur existence(en tant que phénomènes),ne sont
absolumentrien d'en soi, ce qui veut dire qu'ils sont quelque choae
de contradictoire,et que par conséquent leur supposition doit tout
naturellemententraîner avec elle des conséquencescontradictoires.
(A 741/B769) On ne peut toutefois alléguerun tel malentendu,
et ce n'est donc pas par ce biais que le conflit de la raison peut etœ
clos, quand on affirme par exemple, sur le mode du théisme, qu'J1y
a un ltre suprlme, et à l'inverse, commel'athéisme, qu'il n'y a pas
d'ltre suprlme ; ou bien, en psychologie,que tout ce qui pense pos-
sède une unité absolue et· indissoluble, en se différenciantainsi de
toute unité matériello périssable, à quoi quelqu'un d'autre vient
opposer l'affumation que l'llme n'est pas une unité irnrnatériP.lle et
qu'elle ne peut etreconçue comme une exception BU fait que toute
chose est périssable. Car l'objet de la question est ici indépendant
DISCIPLINE Dl! LA RAISON PURE 621

de tout élément étranger qui contredirait sa nature, et l'entendement


n'a affaire qu'à des choses en soi, et non pas à desphénomènes. Il
n'y am:aitdonc ici, de fait, une véritable contradictionque si la raison
pure avait à dire, du côté de la négation, quelque chose qui pOt être
près de constituer le fondement d'une affirmation; car en ce qui
concerne la critique des arguments de celui qui énonce des affir-
mations dogmatiques, on peut très bien l'accorder à son auteur sans
renoncer pour autant à ces propositions qui, en tout état de cause,
ont du moins (AK. m,486) en leur faveur l'intérêt de la raison, ce
que l'adversaûe ne peut aucunement pour sa part revendiquer.
Je ne partage certes pas l'opinion si souvent exprimée par des
hommes remarquables et r6fléchis (comme Sulzer 153) qui sentaient
la faiblesse despreuves ulilisées jusqu'alors - savoir que l'on pour-
rait espérer encore trouver un jour des démonstrations évidentes de
ces deux propositions cardinales de la raison pure : il y a un Dieu,
il y a une vie (A 742/B 170) future. Bien davantage suis-je certain
que cela n'atrivera jamais. œ la raison veut-elle en effet aller
emprunterle fondement de telles affirmationssynth6tiquesne se rap-
portant pas à des objets de l'expérience et à leur possibilité interne?
Mais il est tout aussi apodictiquementcertain qu'il ne surgira jamais
aucun homme qul puisse affumer avec quelque apparence le
contraire, à plus forte raison dogmatiquement. Car, dans la mesure
oil il ne pourrait en tout cas le démontrer que par l'intermédiaire de
la raison pure, il faudrait qu'il entrepdt de prouver qu'un être
suprême est impossible,ou qu'est impossiblele sujet pensant en
nous, CODlDlepure intelligence. Mais oil. va-t-il aller chercher les
connaissances qui l'autoriseraient à prononcer ainsi desjugements
synthétiques à propos de choses dépassant toute expérience pos-
sible? Nous n'avons donc aucun souci à nous faire à cet égard:
personne ne prouvera jamais le contraire, et par conséquent il ne
nous est nullement nécessaire de songer à des preuves en bonne et
due forme, mais nous pouvons toujours admettre ces propositions
qui s'accordent tout à fait bien avec l'intérêt spéculatif de notre rai-
son dans son usage empirique et qui sont en outre l'unique moyen
de le concilier avec l'intérêt pratique. À destination de l'adversaire
(qui ici ne doit pas!tre considéI6 simplement comme critique), nous
avons à notre disposition notre non liquet, qoi doit iJtfaillihlement
tourner à sa confuaion, quand bien même nous ne refusons pas que
le même argumentsoit retoum6 CQntrenous, puiaque noua (A 7431
B 771) avons constamment en reserve la maxime subjective de la
raison, qui nécessairement fait défaut à notre interlocuteur, et que,
622 THÉORIE TRANSCENDANTALE DB LA MmllODB

protégés par cette maxime, nous pouvons considérer calmement et


avec indiff6rencetous ses coups d'épée dans l'eau.
Ainsi n'y a-t-il pas proprementd'antithétiquede la raison pure.
Car le seul terrain o~ elle pourrait trouver à se battre devrait etœ
cherché dans le domame de la théologie et de la psychologiepures ;
mais ce terrain n'est pas assez solide pour supporter un quelconque
combattant avec tout son attirail et des armes qu'il y ait lieu do
craindre. Il ne peut y paraître qu'en recourant à des railleries et à
des rodomontadesdont on peut se moquer comme d'un jeu d'enfant.
C'est là une remarque consolante, qui redonne du courage à la rai-
son : car entre quelles mains pourrait-elle(AK, m, 487) remettre son
sort si, elle qui est la seule à avoir vocation d'écarter toutes lea
erreurs, elle était en elle-même bouleversée au point de ne pouvoir
espérer ni la paix ni la tranquillitéde ses possessions'1
Tout ce que la nal\ll'eelle-mêmeprescrit est bon pour quelquo
fin. Même des poisons servent à triompher d'autres poisons qui se
forment dans nos propres humeurs, et ils ne doivent donc pas faire
défaut dansune collection de remèdes voulant être complète (phar-
macie). Les objections élevées contre les convictionset la présomp-
tion de notre raison purement spéculativesont elles-memesproduites
par la nature de cette raison, et elles doivent donc nécessairement
avoir leur bonne destination et un but positif que l'on ne doit pas
mésestimer. Pourquoi la Providence a-t-elle disposé maints objets,
pourtant associés à notre intérêt le plus élevé, à une hauteur telle
qu'il ne nous est permis,pratiquement.(A 744/B 772) de les atteindre
que dans une perception confuse et dont nous doutons nous-mêmes,
et qu'ainsi le regard investigateurque nous portons sur eux se trouve
davantageexcité que satisfait '1Quant à savoir s'il est utile, vis-l-vfs
de telles perspectives,de s'aventurer à prendre des décisions auda-
cieuses, c'est en tout état de cause fort douteux, peut-être meme
dommageable.Mais danstous les cas et sans aucun doute est-il utile
d'accorder l la raison, aussi bien dans les recherches qu'elle entre-
prend que dans les examens auxquelselle procède,une pleine liberté,
afin qu'elle puisse se soucier sans entraves de son propreint6rêt,
qu'elle favorise autant en imposant des limites à ses vues qu'en les
élargissant, et qui souffre en revanche quand des mains étrangères
viennent se m81er d'écarter la raison de sa marche naturelle en
l'orientant vers des fins qu'on lui imposepar la contrainte.
Laissez par conséquentvotre adversairefaire simplementassant
de raison, et, vous, combattez-leavec les seules armas de la raison.
Au demeurant, ne vous inquiétez pas pour la bonne cause (celle de
l'intérêt pratique}, car elle ne vient jamais en jeu dans le conflit
DISCIPLINE DE LA RAISON PURE 623

purement spéculatif. Le conflit ne dévoile alors rien qu'une certaine


antinomie de la raison qui, étant donné qu'elle repose sur la nature
de cette dernière, doit nécessairement êtreprise en compte et exa-
minée, Ce conflit cultive la raison, en lui faisant considérer son objet
de deux points de vue, et il rectifie son jugement dans la mesure oà
il le restreint Ce qui ici se trouve en litige, ce n'est pas la chose,
maisle ton. Car, quand bien même il vous a fallu renoncer au dis-
cours de la science, il vous reste encore assez de ressources pour
tenircelui, qu'autorise la raison la plus exigeante, d'une foi (A 745/
B 773) solide.
(AK. m, 488) Si l'on avait demandé au flegmatique David
Hume, qui était fait spécialement pour l'équilibre du jugement:
qu'est-ce qui vous a poussé à saper par des objections ruminées avec
tant de peine cette conviction si consolante et si utile pour les êtres
humains selon laquelle la pémStmtion de leur raison suffit pour par-
venir à l'affirmation d'un être auprême et pour s'en forger un concept
détenniné?il aurait répondu: rien d'autre que le dessein de faire
progresser la raison dans là connaissance qu'elle a d'elle-même, et
aussi une certaine indignation face à ce qu'on veut imposerà la
raison quand on fait grand cas d'elle et qu'on l'empêche en même
tempS de proœder avec franchise à l'aveu de ses faiblesses, qui
deviennent manifestes à ses yeux quand elle s'examine elle-même.
Au contraire, demandez à Priestley 154, esprit dévoué uniquement aux
principes de l'usage empirique de la raison et se refusant à toute
spéculation transcendantale, quels ont été ses motifs pour renverser,
lui qui était un pieux et zélé docteur de la religion, ces deux piliers
fondamentaux de toute religion que sont la liberté et l'immortalité
denotre lme (l'espérance de la vie future n'est chez lui que l'attente
d'un miracle de la résurrection) : il ne powra rien vous répondre,si
ce n'est que son motif a été l'intéri!t de la raison, qui se trouve
affiul>lipar la manière dont on veut soustraire certains objets aux
lois de la nature matérielle - seules lois que l'on puisse (A 746/
B 774) connaîtœ et déterminer exactement Il semblerait injuste de
décrier cet auteur, qui sait concilier son affirmation paradoxale avec
le but de la religion, et d'avoir des griefs à l'endroit d'un homme
bien pensant parce qu'il ne peut trouver sa voie dès qu'il s'est perdu
hors du champ de la doctrine de la natum. Mais cette faveur doit
tout autant bénéficier à Hume, dont les intentions ne sont pas moins
bonnes et dont le caractère moml est irréprochable, mais qui ne peut
abandonner sa spéculation abstraite dans la mesure oà il soutient à
bon droit que l'objet de cette spéculation se trouve tout à fait en
624 nmc>RŒ
TRANSŒNDANTALB DE LA MmllODE

dehorsdes lùnites de la sciencede la nature, dans le champ des lcJœa


pures.
Que faire ici dans ces conditions, notamment par rapport llll
danger qui semble menacer,de ce fait, le bien commun? Rien n'est
plus naturel, rien n'est plus juste que la décision que vous avez l
prendre à cet égard. Laissez simplementfaire ces gens: s'ils mani-
festent du talent, une capacitéd'investigationprofondeet neuve. 1111
un mot: s'ils font preuve de raison, c'est toujours un gain pour ]a
raison. Si vous recourez à d'autres moyens qu'à ceux d'une raison
affranchiede toute contrainte,si vous criez à la trahison,si, comme
pour éteindre un incendie,vous appelez à la rescoussele public, qui
n'entend absolumentrien à de si subtils travaux.(AK, m.489) voaa
vous rendez ridicules. Car il n'est pas du tout questionde savoir œ
qui est ici avantageuxou dommageablepour le bien commun,maie
seulementjusqu'o~ la raison peut aller dans sa spéculation(A 747/
B 775) qui fait abstractionde tout intérêt, et s'il faut fonder sur elle
quelque espoir ou plutôt l'abandonner totalementquand il s'agit do
ce qui est pratique.Au lieu donc de vous precipitcrau combat1'6péo
à la main, regardez plutôt avec calme, à partir de la position assurœ
qui est celle de la critique, ce combat qui, pénible pour les combù-
tants, mais distrayantpour vous, doit à la faveur d'une issue qui ne
sera certainementpas sanglante aboutir à des résultats bénéfiques
pour ce que vous avez Clltreprisd'éclairer. Car il y a quelque choae
de fortementabsurde dans le fait d'attendre de la raison un éc1airap
et de lui prescrirepourtant à l'avance de quel côté il lui faut néces-
sairementse diriger.Au reste, la raison est déjà d'elle-mêmesi refr6-
née et maintenuesi fortementdans ses homes par la raison que vous
n'avez nullementbesoin de faire appel à la garde pour opposer une
résistancepublique au parti dont la prédominancevous semble dan-
gereuse. Dans cette dialectique,il n'y a pas de victoire dont vous
ayez des motifs de vous inquiéter.
En fait, la raison a même tout à fait fortementbesoin d'un tel
combat, et il serait à souhaiterqu'il edt été mené auparavantet avec
une autorisationpublique illimitée.Car dans ce cas on serait arrivé
plus tôt à mettre en œuvre une critique mOriedont l'apparition doit
faire se dissoudre d'elles-mêmes toutes ces querelles·en apprenant
aux combattantsà percevoirleur aveuglementet les préjugésqui les
ont divisés.
Il y a une certaine déloyauté dans la nature humaine qui en
définitivedoit pourtant, comme tout ce qui vient de (A 748/B776)
la natmc, contenir une dispositionacheminant vers des fins bonnes
- savoir une inclinationà diasimulerses véritablesétats d'esprit et l
DJSCIPLINEDB LA RAISONPURE 625
en faire apercevoir d'autres que l'on a adoptés et que l'on tient pour
bonset dignes d'honneur. De façon tout à fait ceI1Bine,par l'inter-
médiairede ce penchant qui les conduit aussi bien à dissimulerqu'à
adopterune apparence tournant à leur avantage, les hommes sont,
non pas simplement civili1és, mais peu à peu, dans une certaine
mesure,moralisé,,puce que pets0nne ne saurait transpercer le fard
de la coaection, de l'honorabilité et de la décence : en ce sens,dans
cesexemples prétendument authentiques du bien que l'on a vas
antour de soi, on a trouvé une 6cole de perfectionnementpour soi-
même. Simplement,cette dispositionà se montrer meilleur que l'on
ne l'est, et à exprimer des tournuresd'esprit que l'on n'a pas, ne
sertpour ainsi dire que de façon provisoire, pour dégager l'homme
de sa rusticitéet lui faire au moins adopter,tout d'abord, les manims
du bien qu'il connaît: (AK, m.490) car ensuite, une fois que les
vrais principes ont été développés et sont passés dans le mode de
pensée, tette fausseté doit etre peu à peu puissamment combattue,
étant donné que, sinon, elle corrompt le cœur et ne laisse pas, sous
la mauvaise herbe de la belle apparence, genner les bonnes dispo-
sitions.
Je suis peiné de percevoir cette même fausseté, cette dissimu-
lation et cette hypocrisie jusque daJisles expn,ssions du mode de
pensée spéculatif, oà pourtant les êtres humains rencontnmt bien
moins d'obstacles à faire à bon droit, ouvertement et sans déguise-
ment, l'aveu de leurs pensées, et n'ont (A 749/Bm) aucun avantage
à les dissimuler. Car que peut-il y avoir de plus préjudiciableà la
compréhensionque les hommes ont des choses que de se commu-
niquer réciproquementavec fausseté même de simples pensées, de
cacher les doutes que nous éprouvons vis-à-vis de nos propres affir-
mationsou de donner à des argumi.,ntsqui ne nous satisfontpas nous-
mêmi.,sla tournure de l'évidence? Aussi longtemps cependant que
c'est simpli.,mentla vanit6 privée qui engendre ces artifices secrets
(ce qui est communémentle cas quand il s'agit de jugements sp6-
culatifs, qui ne sont animés par aucun intélet particulier et ne sont
pas aisément suscepn'blesd'une certitudi.,apodictique),la vanit6 des
autres leur oppose cependant une résistance, accompagnéepar
1'approbationpublique, et les choses enviennent finalementau point
oà les auraientconduites,certes bien plus tôt, la plus grandelimpidité
d'esprit et la plus vive loyauté. Mais quand le public considèn, que
d'ing6nieux sophistesne visent à rien de moins 19 qu'à faire vaciller
les bases du bien public, il semble non seulement conforme à la
prudence, mais même permis et tont à fait digne d'être honoré, que
l'on vienne au secours de la bonne cause en faisant valoir desnlsons
626 'IlŒORIB TRANSCENDANTALE DE LA 1tœ'IlfODE

apparentesplutôt que de laisser aux prétendus adversairesde cette


cause ne serait-cc que l'avantage de nous faire baisser le ton en
adoptant la modérationd'une conviction simplementpratique et de
nous forcer à avouer que la certitudespéculativeet apodictiquenoua
fait défaut. Pourtant,je tendrais à penser qu'avec le dessein de~
tenir une bonne causo rien dansle monde ne se laisse sans dOllle
plus péniblementcombiner que la ruse, la dissimulationet la trom-
perie. Que tout doive se passer loyalement dans l' appr6ciatioia
(A 750/B778) des argumentsrationnels mobiliséspar une pure ap6-
culation,c'est bien le moins que l'on puisse exiger.Reste que si l'on
pouvait simplementcompter sur cette attitude, qui est fort peu de
chose, à coup sOr, le conflit de la raison spéculativesur les impor.
tantes questionsde Dieu, de l'immortalitê(de l'lme) et de la libmt6,
ou bien serait tranché depuis longtemps,ou bien (AK, III, 491) se
trouverait très bientôt conduit à son terme. Ainsi la limpiditéselœ
laquelle l'esprit est disposé est~lle souvent en relation inverseavec
la bonté de la cause, et celle.çi a peut-être davantaged'advC1'Sllima
francs et sincères que de défenseurs.
Je présupposedonc·des lecteurs qui ne veuillentpas savoir 1lDD
cause juste défendue avec injustice. C'est pour eux qu'il est d6cid6
maintenantque, d'après les principesde notre critique,si l'on CODSI·
dère, non pas ce qui anive, mais ce qui devrait raisonnablement
anivcr, il ne devraity avoir proprementnulle polémiquede la raison
pure. Commenten effet deux personnespeuvent~lles développerun
conflit sur une chose dont aucune des deux ne peut présenter la
réalit6 dans une expérienceeffective ou même simplementpossible,
et dont chacune médite seulement l'idée pour en dégager quclqua
chose do plus qu'une idée - à savoir la r6alit6 effective de l'objat
lui•meme? Par quel moyen entendent~lles sortir de leur qucrelli,,
puisque aucune des deux ne peut rendre sa cause directement
compréhensibleet sOre,mais seulementattaquer et réfuter celle de
son adversaire? Car c'est là le destin de toutes les assertionsde la
raison (A 751/B779) pure: puisqu'elles vont au.delà des conditions
de tonte expériencepqssible, en dehors desquellesne se peut trouver
nulle part aucun document permettant d'établir la vérité, mals
qu'elles doiventpourtaptse servir des lois de l'entendement,qui sont
destinées simplementà l'usage empirique,et sans lesquelles on œ
peut faire aucun pas dansla pensée synthétique,clics prêtenttoujollll
le flanc à l'adversaire et réciproquementelles peuvent exploiter à
leur profit le flanc que l'adversaire leur prête.
On peut considérerla critique de la raison pure commele véri·
table tribunalpour tons les différendsdans lesquelscelle-ciest impli•
DJSCIPLINBDB LA RAISON PURE 627

quée; car elle n'est pas impliquée dans les différends qui portent
iJIU!lédiatement sur des objets, mais elle est instauréepour déterminer
et juger les droits de la raison en g6néral d'après les principes qui
avaientpresidé à son institutioninitiale.
Sans cette critique,la raison est pour ainsi dire à 1'6tatde nature
et elle ne peut faire valoir ou assurer ses affirmationset prétentions
autrementque par la guerre. La critique,en revanche, qui tire toutes
ses décisionsdes règles fondamentalesde sa propre instauration,dont
personnene peut mettreen doute l'autorité, nous procureJe calme
d'un état légal oà nous ne devons régler notre différend d'aucune
autremanièrequ'en recourant à une procidure-156• Ce qui met un
tmme aux affaires dans le premier cas, c'est une victoire dont les
cJewtpartis se vantent, à laqnellene succède dans la plupart des cas
qu'une paix incertaine, établie par l'intervention (A 752/B180) des
pouvoirs publics venant s'interposer entre les adversah'es(AK, m,
492); tandis que, dans le second cas, c'est la sentencequi, parce
qu'elle touche ici à la SOIJICOm8medes différends,doit garantir une
paix perpétuelle.Aussi les différendsinfinis d'une raison purement
dogmatiquenous contraignent-ilsà chercher enfin le calme dans
quelque critique de cette raison m8ma et dans une législation qui
trouve là ses fondations. Comme l'affinne Hobbes: l'état de nature
est un état de non-droit et de violence, et force est de l'abandonner
pour se soumettre à la contraintelégale qui limite notre liberté uni-
quementpour qu'elle puisse coexister avec la liberté de tout autre et
par là meme avec le bien commun.
A cette liberté appartientdohc aussi celle d'exposer publique-
ment au jugement ses pensées et les doutes que l'on ne peut réduire
soi-même,sans être pour autant décri6 commeun citoyen agité et
dangereux.C'est là un point qui se trouve déjà compns dans le droit
originairede la raison humaine, laquelle ne connaîtpas d'autre juge
qu'à nouveau l'universelle raison humaine, oà chacun a sa voix ; et
dans la mesure oà c'est de cette deruièreque doiventprovenir toutes
les améliorationsdont notre état est susceptible,un tel droit est sacré
et il ne peut y être attenté.Aussi est-il très insens6de décrier comme
dangereusescertaines affirmationsauxquelleson a pu se hasarder ou
œrtames attaques inconsidérémentlancées contre des assertionsqui
ont déjà de leur côté l'approbation de la plus grande et de la meil-
leure part du public; car cela revient à leur conférer une (A 7531
B781) importance qu'elles ne devraient nullement avoir. Quand
j'entends qu'un esprit peu commun aurait ruiné démonstrativement
la liberté de la volonté humaine, les espoirs placés aans une vie
future et l'existence de Dieu, je suis désireux de lire son livre, car
628 TIŒORIB TRANSCENDANTALE DB LA Aœ'rnODE

j'attends de son talent qu'il élargisse mon champ de vision. Je sais


déjil.avec certitude par avance qu'il n'aura rien fait de tout cela: non
pas parce que je croirais pour ma part disposer d'ores et déjil. de
preuves établissant irréfutablement ces importantes propositioDB,
mais parce que la critique transcendantale, qui m'a découvert tout ce
que notre oison pµre tient en réserve, m'a pleinement persuadé qua,
puisque la raison est totalement insuffisante pour produire des asser-
tions affirmatives dansce domaine, elle disposera tout aussi peu et
moins encore du savoil' requis pour pouvoil' énoncer négativement
quelque chose sur ces questions. Car oà le prétendu esprit libre ira-
t-il chercher sa connaissance selon laquelle, par exemple, il n'y a
pas d'être supr6me? Cette proposition se situe en dehors du champ
de l'expérience possible, et par conséquent aussi hors des limites de
toute vision humaine. Celui qui défendrait dogmatiquement (AK, m,
493) la bonne cause contre un ti:1 ennc::mi,je n'aurais nullement
besoin de le lire!,parce que je sais il. l'avance .qu•il n'attaquerait les
arguments apparents de son adversaire que pour ménager une voie
!lUXsiens propres, et qu'en outre une apparence se répétant tous les
jours ne fpurnit en tout état de cause pas autant de matière il. des
remarques neuves qu'une apparence déconcertante et ingénieusemant
conçue. Au contraire, l'adversaire de la religion, dogmatique (A 7541
B 782) lui aussi à sa manière,procurerait à ma critique l'occupation
qu'elle souhaite, et lui donnerait l'occasion de procéder à une rec-
tification plus poussée de ses priilcipes, sans qu'il y ait le moins du
monde quoi que cc soit à redouter de sa part.
Cela dit, la jeunesse qui est confié:c à l'enseignement acadé-
mique doit-ollc cependant être au moins pr6vcnuc contre de œls
écrits, et être tenue éloignée de la connaissance précoce de propo-
sitions si dangereuses, jusqu'à ce que son jugement ait milri, ou
plutôt que la doctrine que l'on veut établir chez les jeunes gens soit
enracinée assez fermement pour pouvoir résister avec vigueur à toute
pc111uasionallant en sens contraire, d'oà qu'elle puisse bien venir '1
S'il fallait en rester 11..la-démarche dogmatique dans les choses
relevant de la raison pure, et que la :réfutation de l'adversaire dO.t
être proprement polémique, c'est-à-dire telle que l'on ftlt contraint
d'engager le combat et de s'armer d'arl\UDeDts susceptibles de jus-
tifier des affiimations opposées, certainmnent -n'y aurait-il rien de
plus avis6 dans l'instant, mais également rien de plus vain et st6Iile
dans la durû, que de placer pour un temps la raison de la jeunesse
en tuœlle, et de lui épargner au m9ins durant ce temps le risque
d'être séduite. MJis si, dans la suite, la curiosité ou la mode de
l'époque viennent à leur mettre entre les mains desécrits de ce type,
DISCIPLINEDB LA RAISON PURB 629
la façon dont on avait pu les convaincre en leur jeune Agetiendra-
t-elle encore le coup ? Celui qui ne mobilise que des armes dogma-
tiques pour résister aux attaques de son adversaire,et qui ne sait paa
dégager la dialectiquedissimuléetout autant (A 755/B783)dans son
propresein que dans celui de la partie adverse, voit dea argumen111
apparentsqui ont l'avantage de la nouveauté intervenir à l'encontre
d'arguments apparents qui n'ont plus cet avantage. mais éveillent
plutôt en lui le soupçon que la crédulité de la jeunesse s'est trouvée
abusée.Il croit alors ne pas pouvoirmieux montrer qu'il s'est éman-
cipé vis-à-vis de la discipline impoée aux enfantaqu'en se plaçant
au-dessusde ces avertissementspertinentsqu'on lui avait adressés;
et, accoutumé au dogmatisme, il absorbeà grandstraita le poison
qui corrompt dogmatiquementses principes.
C'est très exactementle contrairede ce que l'on recommande
ainsi qui doit intervenir dans la formation académique,mais unique-
ment, bien sflr, à la condition préa1abled'un enseignement appro-
fondi en matière de critique de la nûson pure. CAIC. IIl, 494) Car,
pour mettre en œuvre aussitôt que possible les principes de cette
critique et montrer qu'ils suffisent face à la plus grande apparence
dialectique, il est absolument nécessaire de diriger contre la raison
du jeune homme, encore faible assurément,mais éclaùée par la cri-
tique, les assauts qui sont si redoutables pour le dogmatique et de
lui faire accomplir la tentative d'examiner point par point, en lea
confrontant à ces principes, les affirmations sans fondement de
l'adversaire. Il ne peut guère lui etre difficile de les pulvériser, et
ainsi éprouve-t-ilprécocementsa propre capacité à se garantirentiè-
rement contre de telles ill11BÎons pemicieusea,lesquelles ne peuvent
eu d6finitiveque perdre pour lui toute apparence.Quant à savoir si
les memes (A 756/B784) coups qui font s'effondrer l'édifice de
l'ennemi doiventégalementetre tout aussi dommageablesà sa propre
constructionspéculative,au cas où il aurait songé à en ériger une de
ce genre, il n'a du moins à cet égardaucunsouci à sefaire.puisqu'il
n'a nullement besoin de séjourner dans un tel b8timent, mais que
s'ouvre en outre à ses yeux une penpective sur le domaine pratique,
où il peut espérer à bon droit trouver un terrain plus solide pour y
édifier son système rationnel et salutaire.
Ainsi n'y a-t-il par conséquentauetmevéritable polémiquedans
le domaine de la raison pure. Le&deux partis ne font que donner dea
coups d'épée dans l'eau et que se battre avec leur ombre, car ils
sortent des limites de la nature pour aller dans un espace o~ rien
qu'ils puissent saisir et retenir n'offre prise l leur dogmatisme.Ils
ont bien combattu; les ombres qu'ils ont transpercées se :recompo-
630 TJŒORIB TRANSCBNDANTALB DE LA MmHODE

sent en un instant, comme les héros dans le Walhalla, pour qu'ils


puissentde nouveau trouverleur plaisir dans des combatsoù Je sang
ne coule pas.
Cela dit, il n'y a pas non plus à admettred'usage sceptiquede
la raison pure, que l'on pourrait désigner comme le principe de la
neutralitédans tous les diffêrends qu'elle rencontre.Exciter la raison
contre elle-même,lui procurerdes annes des deux côtés, et ensuite
regarder calmementet en se moquant l'ardeur dès assautsauxquels
elle se livre, cela n'a certes pas banne allure d'un point de we
dogmatique,mais manifesteen soi nn esprit méchantet sournois.Si
l'on considèrecependantl'aveuglementet la vanité Jie ceuxqui rai-
sonnantde manièresophistique,qu'aucùDccritique (A 757/B785)ne
parvient11.modérer, il n'y a en tout cas, de fait, pas d'autre issue que
d'O{lposerau bavardagefanfaronnantproduit dans un camp d'autres
fanfaronnadesse reclamant des memes 'droits, afin que du moins la
raison p0t simplementêtre surprisepar la résistance d'un ennemi,de
manière à introduire quelque doute dans aes -prétentionset à prêter
l'oreille à la critique. Néanmoins,faire en aorte que l'on s'en tienne
intégralementà ces doutes (AK, m.495), vouloir recommanderla
convictionde son i_gnmancc et l'aveu de cell&ei,non pas simplement
comme remède ·contre la prélimtion dogmatique, mais en même
temps comme la manière de mettre un terme au conflitde la raison
avec elle-même,c'est un projet entièrementvain et cela n'est aucu-
nement susceptiblede procun,r de repos à la raison, mais c'est tout
au plus seulementun moyen de la réveiller de son doux rêve dog-
matiquepour qu'elle~ son état à un examenplus scrupuleux.
Dans la mesure, cependant, cmcette manière sceptique de se tirer
d'une affaire flcheuse pour la raison semble 8tre pour ainsi dirè le
plus court chemin de parvenir à un apaisement philosophique
durable,et qu'elle constitue en tout cas la voie royale qu'empruntent
volontim ceux qui pensent se donner une allure de philosopheen
méprisant de façon moqueuse toutes les recherches de ce type, je
trouve nécessaire de présenter sous son véritable jour ce mode de
pensée.

(A 758/B 786) De l'impossibilitéde pacifier


par le scepticisJMla raisonpure
en désaccordavec elle-mlrM

La consciencede man ignorance(si celle-cin'est pas en m8me


temps reconnue comme nécessaire), au lieu de mettre fin à mes
DISCIPLINEDE LA RAISON PURE 631

recherches,est bien plutôt la véritablecause qui les provoque.Toute


ignoranceest soit ignorancedes choses, soit ignorancede la déter-
minationet des limites de ma connaissance.Or, quand l'ignorance
est contingente,elle ne peut que me pousser,dans le premiercas, à
iechcrcherdogmatiq11Sment les chosesOesobjets),dans le deuxième,
à œchercher de façon critiq11S les limites de ma connaissancepos-
sible,Mais que mon ignorancesoit absolumentnécessaireet qu'elle
me libère par conséquentde toute recherche ultérieure,cela ne se
peut établir empiriquement,à partirde l'observation,mais uniquo-
ment de façon critique,par ezplDration approfondiedes sourcespre-
mièresde notre connaissance. Bn ce sens,la déterminationlimitative
de notre raison ne peut intervenir que d'après des fondements a
priori; néanmoins,il est possible aussi de connaîtrea posteriori,à
traven ce qui, .malgrétout ce que nous savons,nous reste encoreet
toujours à savoir, sa limitation,bien qu'il s'agisse là simplement
d'une connaissance indétennin6e d'une ignorance impossible à
jamais lever complètement.La premièremanièrede connaîtrel'igno-
rance de la raison, possible uniquementà travers la cdtîque de la
raison elle-même,est donc unescience; la aeconden'est rien qu'une
perception,dont (A 759IB787) on ne peut pas dire jusqu'oà peut
nous conduirepar lui-memece qui s'en conclùt.Sije me œprésente
la surlàce de la Tme (confmmémcntà l'apparence sensible) (AK,
m.496) comme une assiette,je ne peux pas savoir jusqu'oà elle
s'étend. Mais l'expérience m'apprend que, oà que j'aille, je vois
toujoursautour de moi un espaceau sein duquelje peux continuer
de m'avanceri par cODSéquent, je reconnaisles bornes de ce qu'il
en est à chaque fois de ma connaissanceeffectivede la Teiœ, mais
non point les limites de toute deacriptionpossiblede la Teae. Si en
revancheje suis all6 suffisammentloin pour savoir que la Terre est
une sphèreet que sa smfaœ est une swface sphérique,je puis alors,
m8meà partir d'une petite partie de cette surface, par exemple à
partir de la grandeurd'un degré, connaîtrede manièredéterminéeet
selon des principesa priori le diamètreet, par celui-ci, la complète
délimitationde la Tme, c'est-à-diresa surface.
L'ensemble englobanttous les objets possibles offerts à notre
connaissancenous apparaît etreune surlàceplanepossédantson hori-
zon apparent,j'entends par là ce qui en comprendtoute l'étendue -
et cela c:mrespandà ce que nous avons nomm6le conceptrationnel
de la totallt6inconditionnée.L'atteindre empiriquementest impos-
m"ble,et toua les essais monésjusqu'ici pour le déterminera priori
d'après un certain principeont été vains. Cependant, toutes les ques-
tions (A 760/B788) de notre raison pure s'appliquent en tout cas à
632 11ŒORIB TRANSCENDANTALE DB LA MÉ1110DE

cc qui est en dehors de cet horizon ou à ce qui, au plus, se trouve


sur la ligne qui le délimite.
Le célèbreDavid Hume fut l'un de ces géographesde la l1IÏIOII
humaine, qui pensa avoir suffisammentet définidvementréponda à
l'ensemble de toutes ces quesdons en les renvoyant au-delà de cet
horizon de la raison qu'il ne put cependant déterminer. Il a'imera
notammentsur le principe de causalité, et remarquatrès justemèntà
son propos que l'on n'étayait sa vérité (de même que la validit6
objective du concept d'une cause efficiente en gén6ral) sur aucune
vision, c'est-à-dire sur aucune connaissance a priori, et que par
conséquentce n'6tait pas non plus, le moins du monde, la néceasib1
de cette loi, mais une simple possibilitégén6ralede l'utiliser dansJe
cours de l'expérience et une nécessité subjective qui s'en déduit, at
qu'il appelait habitude, qui lui donnaient toute son autorité. C'at
alors que, de l'impuissance de notte raisonà faire de ce principeun
usage dépassanttoute exp6rience,il conclut à la nullité de toutes lea
prétentionsque la raison exprime en g6néral de vouloir aller au-delà
de l'empiriqne.
(AK.Ill, 497) On peut appeler censurede la raison un proœd6
de ce geme, consistant à soumettte les faits de la raison à l'aamen
et, le cas éch6ant, au bllme. Il est indubitable que cette censum
conduit in6vitablementau douteà l'égard de tout usage ttanscendant
des principes.(A 761/B789) Simplementn'est-ce là que le deuxième
pas, qui ne met pas encore un terme, et de loin, à l'ouvrage entrepda.
Le premier pas dans les affaires de la raison pure, qui caractériae
son enfance,est dogmatique.Le deuxième pas, que l'on vient
d'6voquer, est sceptiqueet témoigne de la prudence du jugemant
aiguisépar l'expérience.Mais un troisièmepas est encore nécessaiœ,
qui incombeuniquement à la faculté de juger mtlre et adulte se fun..
dant sur des maximes solides et attest6esdans leur universalité: il
consiste à soumettre à appréciation,non pas les faits de la raison,
mais la raison elle-meme dans tout son pouvoir et dans toute l'ap-
titude qui est la sienne d'atteindre à des connaissancespures a priori.
Cela ne correspondplus l la censure,mais à la critiquede la raison,
grlce à quoi il ne s'agit plus uniquement de déterminerdes homes
de la raison, mais d'en saisir les limites détermin6es,ni seulement
d'en appréhenderl'ignorance sur un point ou sur un autte, mais de
l' 6tablir relativement à toutes les questions possibles d'un certain
type, et cela non pas simplementde manière conjecturale,mais par
une démonstrationtirée de principes. Ainsi le scepticismeconstitue-
t-il un moment de repos pour la raison humaine, oà elle peut songer
à son parcours dogmatique et lever le plan de la région oà elle se
DISCIPLINBDB LA RAISON PURB 633

uouve, afin de pouvoir ult&ieunmientchoisir son chemin avec


daVIIDtlllC de sOreté: en revanche,il ne s'agit pas d'un lieu d'habi-
ratk>D oà la nû.aonpuisse séjoumeravec coll.Stance ; car un tel lieu
peutse trouverque dansune complète certitude, soit vis-à-visde
111:1
Ja conn•ïssancedea objet&eux-m&mes,soit en ce qui concerneles
)bnltcs à l'intérieur desquelles (A 762/B790) se trouve enfermée
to11tenotre connaissanced'objet&.
Notrenû.aonn'est pas, pour ainsi dire, une plaine s'6tendantsur
unespace;,.,tétenninahle,et dont on ne connaitraitles bomes que
de ]JIIUJÏère générale, maïsbien plutôt doit-elleetre comparéeà une
sphère dont le dïmœtrese peut trouver à partir de ce qu'est à sa
smfacela courbme de l'arc (aelonla nature dea propositionssyntbê-
tïquosa prion), tandis que le conteDll et la délimitationpeuventaussi
en etm fournis par là avec certïtnde.Bn dehors de cette sphère (le
champ de l'expérience),il n'y a rien qui pdt constituerpour elle un
olliet; m8mcles questionssur de tels prétendus objet&ne concement
que ce qu'il poumit en etre des principessubjectifsd'une (AK. m.
498) d6ternrinatïnnint6graledes rapports susc:eptl'blea d'intervenir. à
l'int6rleur de cette sphère,entre les concepts de l'entendement
Noua1101DD1e& effec:ti.vementen possessionde cnnuaïsuncessyn-
th6tiquesa priori, comme le montrent les principes de l'enœnde-
numtqui antïcipentl'expédence. Or, si quelqu'unne peut s'en rendre
aucunementcompœbensiblela posai.bilité,il peut certes commencer
par douter qu'elles soient même etfectivementinscrites en nous a
priori, maïsil ne peut pour autant décRter la connaissam:ede ces
principes imposm'ble par les simples fcm:es de l'entendement et
d6c1arernuls et non avenustous les pas que la raison fait sous leur
directive.Tout ce qu'il peut dire, c'est ceci : si nous apercev:ïons
l'origine et l'authenticité de tels principes, nouapoumons déterminer
l'étendue et les limites de notre raison, et avant que cela ac soit
produit, (A 763/B791) toutes les assertions avancéespar elle sont
avmdmées de façon aveugle.Bt ainsi un doute complet serait-il plei-
nomœt fondé à l'égard de toute philosophiedogmatiqueeffectuant
son parcoum 88D8 critique de la nû.aonelle-m≠ simplementne
poumit-on pour autant m'user totalementà la nû.aonune telle ~
greasion, pourvu que cello-ci soit pr6paréeet assuœe par une mml-
Ieumfondatiœ. Car tous les concepts et m8mc Imitesles questions
que la raison pure nous proposene sont pas en quelquesorte conte-
nus dans l'expmence, mais uniquement,à leur tour, dansla raison,
et c'est pomquoi on doit pollvoirles dsoudre, ainsi que comprendre
leur validit6ou leur nullité 151• Nous n'avons pas non plus le droit
d'écarter ces problmœs COJD1DCsi leur solution résidaiteffectivement
634 TIŒORJE
TRANSCENDANTALEDE LA MIITHODE

dans la nature des choses, mais en recourant au prétexte que folll'-


niralt notre impuissance,et de nous refuser à poursuivrei\ leur propos
toute recherehe : c'est en effet la raison qui seule, en son sein, a elle-
mêmeproduit ces Idées, sur la validité ou sur l'apparence dialectique
desquelleselle est donc tenue de rendre des comptes.
Toute polémique sceptique n'est dirigée proprementque contœ
le dogmatique qui, sans faire preuve de méfiance à l'égard de a
premiersprincipes objectifs, c'est-à-dire sans critique, poursuit avec
gravit6 son parcours: simplement s'agit-il de troubler ses conœp-
tions et de le conduire à la connaissancede lui-m!me. En sol, une
telle polémique n'6tablit rigoureusementrien en ce qui concerœ ce
que nous pouvons et au contraire ne pouvons pas savoir. Toutes les
tentativesdogmatiquesoà la raison a échou6 (A 764/B792) sont des
faits qu'il est toujoU1'11
utile de soumettn:à la censure.Cela, touœfoia.
ne peut rien décider touchant les espoirs que la raison place en un
meilleur résultat de ses efforts futurs, et les prétentionsqu'elle a d'y
parvenir : la simplecensurene peut (AK, Ill, 499) doncjamais meuœ
fin au différend sur les droits de la raison humaine.
Dans la mesure oà Hume est peut-être le plus subtil de toua les
sceptiques et, inconteatablement,le plua remarquable en ce qui
concernel'influence que la démarche sceptique peut avoir sur l'ina-
tauration d'un examen fondamental de la raison, ce n'est pas peine
perdue que de pr6senter,autant qu'il convientà mon propos,le COUl'II
de ses raisonnementset ce qu'ont été les erreurs d'un homme 8llll8i
pénétrant et estimable- des meurs qui n'ont surgi toutefois que 8Q1'
le chemin de la vérité,
Hume avait peut-être dans l'esprit, bien qu'il n'etlt jamais
complètementdéveloppé sa pensée sur ce point, le fait que, dans les
jugements d'une certaine espèce, nous sortons de notre conceptde
l'objet J'ai appel6 synthétiquesles Jugements de cette espèce. La
manière dont je peux par l'intermédiaire de l'expérience sortir du
conceptdont j'étais en possessionjusqu'alors n'est soumiseà 81IC1llle
difficulté.L'expérience est elle-memeune synthèse des perceptlona.
qui augmente au moyen d'autres perceptions venant s'y ajouter Je
concept que je possédais déjà par l'intermédiaire d'une perœption.
Simplement croyons-nous aussi pouvoir sortir a priori de notre
concept et (A 765/B793) élargir sur ce mode notre connaissance.
Cela, nous tentons de le faire soit par l'entendement pur, via-à-via
de ce qui peut du moins !tre un objet de l'explrience, soit même par
la raison pure, vis-à-vis de propriét6sdes choses, voire de l'exiatence
d'objets qui ne peuvent jamais intervenir dans l'expérience. Notre
scepdque ne distingua pas ces deux espèces de jugements comme il
DISCIPLINE DE LA RAISON PURE 635

aurait pourtant dO le faire, et il tint diœctement pour impossibles


sans la fécondation par l'expérience cet accroissement des concepts
à partird'eux-mêmes et. pour ainsi dire, l'autoengendrement de notre
entendement (en même temps que de notre raison) : il considéra par
conséquent comme des fictions tous les prétendus principes a priori
de l'entendement et de la raison et trouva qu'ils n'étaient rien d'autre
qu'une habitude issue de l'expérience et de ses lois, donc des Iègles
simplement empiriques, c'est-à-dire en soi contingentes, auxquelles
nous attribuons une nécessité et une universalité pnSsumées. Reste
que. pour affinncr cette étonnante proposition,il se Iéfémit au prin-
cipe universellement reconnu du mpport de la cause à l'effet. Car,
dans la mesure oà aucun pouvoir de l'entendemen~ ne peut conduire
d'un concept d'une chose à l'existence de quelque chose d'autre qui
soit par là universellement et nécessairement donné, il crut pouvoir
en conclure que, sans expérience, nous n'avons rien qui soit suscep-
b"ble (AK, III, 500) d'accroître notre concept et de nous autoriser à
6noncer un tel jugement s'accroissant lui-même a priori. Que la
lumière du soleil, en écimant la cire, en même temps la fasse fondre,
(A 766/B794) alors qu'elle durcit l'argile, aucun entendement ne
poumût le deviner, bienmoins encorele conclurecommes'il s'agis-
llllÏt d'une loi, à partir des concepts que nous avions auparavant de
ces choses, et seule l'expérience poUIIBit nous enseigner une telle
loi. Au contraire avons-nous w dansla Logique transcendantaleque,
bien que nous ne puissions jamais aller immédiatementau-delà du
contenu du concept qui nous est donné, nous pouvons toutefois
ÇODl]81"1re entièrementa priori, mais par rapport à un troisièmeterme,
à savoir une expérience possible, doncbel et bien a priori, la loi de
la liaison entre des choses diverses. Quand donc la cire, qui aupa-
mvant était solide, se met à fondre, je peux connaitre a priori que
quelquechose, nécessairement, a dClpr&:éder(par exemple la chaleur
du soleil), par rapport à quoi cela s'est ensuivi selon une loi
constante, quand bien même sans expérience je ne poUIIBis certes
(l(lllllllÎtre a priori et, sans l'enseignement de l'expérience, d'une
manièreditenninée ni la cause à partir de l'effet ni l'effet à partir
de la cause. Hume conclut donc faussement à partir de la contin-
gence de notre activité de déterminationd'après la loi à la contin-
gence de la loi elk-""1M, et il confondit l'acte consistant à sortir
du concept d'une chose pour passer à l'expérience possible (ce qui
s'effectue a priori et constitue la Iéalité objective de ce concept)
avec la synthèse des objets d'une expérienceeffective, laquelle est
en vérité toujours empirique ; de ce fait, à partir d'un principe de
l'affinité qui a SOD siège dans l'entendement et énonce une liaison
636 nmc>RIB TRANSCENDANTALE DB LA Mm'HODB

nécessaire,il élaboraune règle de l'association qui ne se trouve que


dansl'imagination (A 767/B795) reproductrice.et ne peut présenter
que desliaisons contingenteset nullementobjectives.
Cela dit, les erreurs sceptiques de cet homme par ailleurs si
pénétrantprocédèrentprincipalementd'un défaut qu'il avait pourtant
en commun avec tous les dogmatiques,à savoir qu'il n'embrassait
pas syst6matiquement du regard toutes les espèces de la synthèse a
priori de l'entendement Car dansce cas, pour ne pasfaire mention
ici desantres principes,il aurait trouv6 que par exemple le principe
de la permanenceest un principe qui, tout autant que celui de la
causalité, anticipe l'expérience. Par là il aurait pu assigner aussi à
l'entendement,tel qu'il se déploie a priori, et à la raison pme des
limites d6terminécs. Mais dans la mesure oil il ne fait que borner
notre entendement sans lui imposer des limites, et qu'il instaure
certes une défianceg6n6ralisée,mais ne produit aucune connaissance
déterminée de l'ignorance qui est pour nous inévitable; dans la
mesure cm il soumet à censure quelquesprincipes de l'entendement,
(AK. m, 501) sans mettre cet entendement,dans la totalité de son
pouvoir, à 1'6preuvede la critique, et qu'en lui déniant ce qu'il ne
peut effectivementpas fournir il va plus loin et lui conteste tout
pouvoir d'étendre a priori ses connaissances,sans tenir compte du
fait qu'il n'a pas évalué ce pouvoir tout entier, il lui arrive ce qui
fait toujours s'effondrer le scepticisme,à savoir qu'il est lui-même
mis en doute, puce que ses objectionsreposent uniquementsur des
faits, lesquels sont contingents, mais non pas sur des principes
(A 768/B796)qui pourraientrendre nécessaireque nous renoncions
au droit de produire des assertionsdogmatiques.
Puisque Hume, en outre, ne reconnaît aucune différenceentre
les droits bien fondés de l'entendementet les pr6tentionsdialectiques
de la raison, contre lesquelles cependant ses assauts sont principa-
lement dirig6s, la raison, dont par là l'impulsion tout à fait spécifique
n'a pasle moins du monde été abattue, maiss'est trouvée seulement
entravée, sent que l'espace oà elle poumit s'étendre ne s'est pas
refermé, et elle ne peut jamais être entièrement détournée de ses
tentatives,malgré les harcèlementsqu'elle subit ici ou là. Car, contre
des attaques, on s'équipe pour se défendre et on relève encore
d'autant plus fièrement la tête pour appuyer ses exigences. En
revanche,une estimationcomplètede tout son pouvoir et la convic-
tion qui s'en dégage de posséder en toute certitude un petit avoir,
malgré la vanité de prétentionsplus élevées, supprimenttout litige
et incitent à se contenter d'une propriété limit6e, maisincontest6e.
À l'encontre du dogmatiquefaisantl'économie de toute critique,
DISCIPLINE DE LA RAISON PURE 637
qui n'a pas mesuré la sphère de son entendement,n'a par conséquent
pas détenniné selon des principesles limites de sa connaissancepos-
sible, et ne sait donc pas d'avance ce dont il est capable, mais pense
le découvrir par de simples essais, ces attaques sceptiques sont non
seulement dangereuses, mais elles le conduisent même à sa perte.
Car, s'il est pris en défaut sur une seule affirmation qu'il ne peut
(A 769/B 797) pas justifier, mais dont il ne peut pas non plus expli-
citer l'apparence à partir de principes, le soupçon s'abat sur toutes
ses affinnations, si persuasives qu'elles puissent être par ailleurs.
Et ainsi le sceptique est-il celui qui impose une discipline au
raisonneur dogmatique, en le conduisant à une saine critique de
l'entendement et de la raison elle-même.Une fois qu'il y est arrivé,
il n'a plus à redouter aucune agression; car il distingue alors sa
possession et tout ce qui se trouve totalement en. dehors d'elle, sur
quoi il n'élève pas de prétentionet ne peut plus s'impliquer dans des
litiges. Ainsi la démarche sceptique n'est-elle (AK, Ill, 502) certes
en elle-mêmenUllementcapable d'apaiser les questionsde la raison,
mais constitue-t-ellepour la raison un exercice préparatoire, afin
d'éveiller sa prudence et de lui indiquer des moyens radicaux lui
permettantde s'assurer dans ses légitimes possessions.

Troisième section
LA DISCIPLINEDE LA RAISONPURERELATIVEMENT
AUX BYPOTIÙBl!S

Puisque, grllce à la critique de notre raison, nous savons enfin


que, dans son usage pur et spéculatif, nous ne pouvons en fait rien
savoir du tout, ne devrait-elle pas ouvrir un champ d'autant plus
vaste à des hypothèsesoi't il nous serait permis, sinon de procéder à
des affirmations,du moins d'inventer et d'avoir des opinions7
(A 770/B798) Pour que l'imagination n'aille pas s'exalter, mais
pour qu'elle soit à même d'inventer sous la stricte surveillancede la
raison, il faut toujours que quelque chose, auparavant, soit pleine-
ment certain, et ne constitue pas une invention ou une simple opi-
nion : cet élément correspond à la possibilité de l'objet même. Dans
ce cas, il est bien permis de recourir à l'opinion pour ce qui concerne
la réalité effective de cet objet : reste que cette opinion, pour ne pas
être sans fondement, doit être reliée, comme principe d'explication,
à ce qui est effectivementdonné et qui est par conséquent certain,
et elle s'appelle alors une hypothèse.
Étant donné que nous ne pouvons pas nous faire a priori le
638 11ŒORIBTRANSCENDANTALEDB LA Mm'HODE

moindre concept de la possibilitéde la liaison dynamiqueet que la


catégorie de l'entendement pur sert non pas à en forger la pensde,
mais à la comprendrelà oà elle se nmcontre dansl'expérience,noua
ne pouvons inventer originairement,en conformité avec ces cat6-
gories, un seul objet doté de propri6tésnouvelles et ne pouvant etie
données empiriquement,ni faire de cette possibilité le fondement
d'une hypothèse autoris6e; car cela 6quivaudrait à soumettre à la
raison des chimèresvides de contenu,au lieu des conceptsde choses,
Ainsi n'est-il pas permis de fabriquer par la pens6e de quelconques
facultésoriginairesnouvelles,par exempleun entendementqui serait
capable d'intuitionner son objet sans les sens, ou une force d'attœc-
tion sans aucun point de contact,ou une nouvellesorte de substances,
par exempleune sorte de substancesqui serait présentedans l'espace
sans être imp6n6trable,ni par cons6quentdes relations (AK, m.503)
entre les substances qui seraient distinctes (A 771/B799) de toutea
celles que l'exp6rience fournit: aucune pr6sencen'est imaginable,ai
ce n'est dans l'espace, aucune durée, si ce n'est dansle temps. En
un mot : la seule possibilit6,pour notre raison, est d'utiliser les condi-
tions de l'exp6riencepossible comme conditionsde la possibilitédes
choses, mais elle ne peut nullement,en toute ind6pendancepar rap-
port à ces conditions,pour ainsi dire se cr6er elle-mêmedes choses,
puisque de tels concepts,bien que sans contradiction,seraientcepen-
dant aussi sans objeL
Les concepts de la raison sont, comme il a été dit, de simples
ld6es et n'ont en v6rité aucun oqjet dansune quelconqueexpérience,
mais ne d6signentpas pour autant, néanmoins, des objets imagin6s
qui seraient en même temps admis comme possibles.Ils sont pens6a
seulement de façon probl6matique,pour fonder, par rapport à eux
(comme fictions heuristiques), des principes r6gulateurs de l'usage
systématique de l'entendement dans le champ de l'expérience. Si
l'on va au-delà, ce ne sont plus que des êtres de raison, dont la
possibilitén'est pas démontrable,et qui par conséquentne peuvent
pas non plus, à la faveur d'une hypothèse, être placés au fondement
de l'explication de pb6nomènes effectivementréels. Penser l'llme
comme simple est tout à fait pemûs, en we de donner pour principe,
d'après cette Idée, à notre appréciationde ses ph6nomènesintérieurs
une unité complète et nécessairede toutes les forces de l'esprit, bien
qu'on ne puisse l'apercevoir in concreto.En revanche, admettreque
l'âme est une substancesimple (ce qui correspondà un concepttrans-
cendant), ce serait une proposition non seulement (A 772/BBOO)
indémontrable(commec'est le cas d'un certain nombre d'hypothèses
physiques),mais aussi totalementarbitraire et risqu6eà l'aveuglette,
DISCPLINB DE LA RAISON PURE 639

parceque le simple ne peut se présenter dans absolumentaucune


cxp6rlenceet que, si l'on entend ici par substancel'objet permanent
de l'intuition sensible,la po881Dilitéd'un 'phlnomine simple ne peut
nullementêtre apeiçue.Des êtres purement intelligibles,ou des pro-
pri6t6spurementintelligiblesdes choses du monde sensible, ne se
peuvent admettre à titre d'opinions avec aucune autorisationde la
raisonqui soit fondée, quand bien m8me(parce que l'on ne dispose
d'aucun concept de leur possibilitéou de leur impossibilité) aucune
manièrede voir présuméemeilleurene permet d'en nier dogmati-
quement l'existence.
Pour expliquer des pb6nolnmlesdonn6s, on ne peut all6guer
d'autres choses et d'autres principes d'explication que ceux qui ont
étéposés·enliaison avecceuxet celles qui 6taientd6jàdonnés,selon
des lois déjà connuesdes p116nommes. Une hypotlwsetranscendan-
tale oà l'on se serviraitd'une simpleIdœ de la raisonpour expliquer
les choses naturelles ne serait donc (AK, m.504) nullmmmtune
explication,pan:e que ce que l'on ne compnmdpas 1111ffisamment à
partir de principes empiriques connus serait alors expliqué par
quelque chose dont on ne comprend rien. Aussi le principe d'une
telle hypothèsene servirait-il propœmentqu'au contentement de la
raison, et non pas à favoriser l'utilisation de rentendement œlati-
vement aux objets. L'ordre et la finalité présents dans la nature
doiventêtre expliquésà leur tour par des raisons d'êtm naturelleset
d'après des lois de la nature, et (A 773/B801) ici m8meles hypo-
thèses les plus grossièœa,du moment qu'elles aont de nature phy-
sique, sont plus supportablesqu'une hypothmèhyperphyaique,c'est-
à-dlle que l'appel à un auteur divin que l'on psiaup,PCHC à cette fin.
Car ce serait un principede la raison pan,sseuse(ignava ratio) que
de laisser de c6té tout d'un coup toutes les causes dont la réalité
objective,du moins quant à la possibilité, peut nous etm apprlsepar
la pounuite de l'expérience, pour se œposer dans une simple Idée,
qui convienttresbien à la raison.Pour ce qui concerne,en œvanche,
l'absolue totalité à laquelleprétendraitle principed'explicationdans
la série des causes,cela ne peut en aucun cas constituerun obstacle
par rapport aux objets du monde, puiBque,commeceux-ci ne sont
rien que des phénomènes, il n'y a jamais rien d'achevé dans la syn-
thœ des séries de conditionsqui s'y puisse espém.
Que l'usage spéculatif de la raison fasse intervenir des hypo-
thœs transcendantales,et qu'elle prennela libert6, pour suppléerau
manquede principes physiquesd'explication,de se sarvir, à défaut,
d'hypothœs hyperphysiques, on ne peut nullement l'admettre, en
partie parce que la raisonne fait par 1à1IUCIIJIprogrês,mais intmompt
640 111ÉORŒ TRANSCBNDANTALB
DB LA MÉ111ODB

bien plut6t tout le proceasusoà elle se trouvait utilisée, en partie parce


que cetta licence lui ferait perdre en définitivetous les fruits du travail
accompli sur son propre sol, c'est-à-diœle sol de l'cxpmence. Car ai
l'explicstionmduœlle nous est ici ou là difficile, nous avons toujoum
sous la main un prlncipe1l'lmCfflldantd'explicstionqui nousdispense
de cette rechen:he (A 774/B802)et vientclore notre investigation,non
par une vision clairedes choses, maispar la totaleincompr6bensibit6
d'un principe qui 6tait d6jà conçuà l'avance de telle .manimequ'il
renfermit nécessaiœmcntle conceptde l'absolumentpremier.
Le deuximne él6ment requis pour que l'on pdt admettre une
hypothèse est qu'elle soit suffisantepour déterminer a priori à partir
de là les cons6quencesqui sont données. Si l'on est contraintà œtœ
fin d'appeler en renfort des hypothèses auxiliaires,elles dmmcut
prise au soupçon (AK, Ill, SOS)d'8tres de pures fictions,puisque
chacuned'elles a besoin en soi de la m8mejustificationqu'exigeait
déjà la pens6e prise pour fondement,et qu'en conséquenceelle œ
peut nullement appmter un tmnoignage pertinent. Si, par la suppo-
mtiond'une .cause dont la perfection serait sans limites, on ne
manque certes pas de principes d'explication en ce qui concemB
toute fiDalit.6,tout ordre. toute grandeur qui se trouvent dans 1D
monde.cette suppositiona pourtant besoin, face aux abenations et
aux défauts qui. du moins selon nos concepts, s'y manifestent, de
nouvelleshypothèses pour échapper aux objectionssusceptiblesd'en
8tre tirées. Si la simplicit6et l'autonomiede l'lme humaine, que l'on
a pos6es llli fondement de ses phénomènes, sont mises en causepar
les difficult& proc6dant du fait qu'elle pr6sente des pb6nomm,s
semblablesau changement d'une madère Oedéveloppementet l'af-
fiu1Jlissement), il faut appeler à l'aide de nouvelleshypotbàes, qui
sans doute ne sont pas 88D8 apparence,maissont pourtant dépourvues
de tout œdit, à l'exception de celui que leur accordel'opinionpdse
pour (A 775/B803) fondement, alOiaqu'il leur faut pourtant inter-
c6der en faveur de cette opinionmême,
Si les usertions de la raison prises ici pour exemple (l'unit6
incmpoœlle de l'lme et l'existence d'un 8tre suprême) doivent
valoir, non comme des hypothèses,maiscommedes dogmes pmuv6s
a priori,il n'est das 101'8 plus du tout questiondeparler d'hypothèses.
Mais, dans pareil cas, il faut 8tre attentifà ce que la pœuve polllède
la certitude apodictiqued'une démonstration.Car vouloirœndre sim-
plement vraiaemblablela téalité effective de telles Id6es est un projet
absurde, e:uctement comme ail'on pensait à fournirune preuve sim-
plementvraisemblablDd'une propositionde la g6om6trle.La nison
qui s'est isolée de toute expmenœ, ou bien peut tout connatlœmd-
DISCIPLINE DE LA RAISON PURS 641
quement a priori et avec une dimension de nécessité, ou bien est
incapablede la moindreconnaissance; il en résulte que son jugement
n'est jamais une opinion, mais qu'il est ou bien une abstentionvis-
rt-visde quelque jugement que ce soit, ou bien une certitude apodic-
tique. Des opinionset des jugements vraisemblablessur ce qui appar-
tient aux choses ne peuvent intervenir qu'en tant que principes
d'explication de ce qui est effecûvement donné, ou comme des
conséquencesproc&lant selon des lois empiriques de ce qui, à titre
de réalitéeffecûve, sert de fondement, par cons6quent uniquement
dans la série des objets de l'.expérience.En dehors de ce champ,
émettreune opinionéquivaut à jouer avec des pensées, sauf à croire
qu'à suivre un chemin mal assuré le jugement puisse être à même,
éventuellement,d'y trouver la vérité.
(A 776/B804) Cela dit, bien que, dans les questions simplement
spéculativesde la raison pure, n'aient pas à intervenir d'hypothèses
sur lesquelles on fonderait des propositions, les hypothèses sont
cependant tout à fait acceptables s'il s'agit simplement de les
défendre, bref : (AK, III, 506) dans un usage non pas dogmatique,
mais polémique.J'entends toutufoisp..- une telle défensenon la mul-
tiplicationdes arguments venant à l'appui de son affirmation,mais
au contraire Ja simple mise·en échec des connaissancesapparentes
grâce auxquellesl'adversaire doit détruire notre propre assertion. Or
toutes les propositions synth6tiquesissues de la raison pure ont en
elles-memesceci de particulier que, si celui qui affinne la réalité de
certainesIdées n'en sait jllDll!Ïssuffis111D111ent
pour rendre certaine sa
proposition,de l'autre c6téradver&airen'est pascapable d'en savoir
davantagepoµr affirmer le contraire.Le sort identique auquel la rai-
son humaine est voqée de part et d'autre ne favorise certes aucun
des deux camps dans la COIIJJaissance spéculative, et là se trouve
même un véritable champ de bataille pour des combats qui ne ces-
serontjamais. On indiquera toutefoisdans la suite que cependant,du
point de vue de l'usage pratique,la raison possède un droit d'ad-
mettre quelque chose qu'elle n'était aucuneméDtautorisée à suppo-
ser, en l'absence d'arguments suffisants,·dans le domaine de la
simple spéculation, pan:e que toutes les suppositions de ce type
nuisent à la perfection de la spéculation,dont en revanche l'intétêt
pratique ne se soucie pas du tout Dans le registre pratique, elle a
donc une possession dont elle n'.apas besoin de démontrerla 16gi.-
timité, et dont au demeurant elle ne pourrait pas non plus (A ml
B 805) produirela preuve. La chargede la preuve est donc à l'ad-
versaire. Dans la mesure, toutefois, o~ celui-ci, à propos de l'objet
1111rlequel porte le doute, sait tout aussi peu de chose que celui qui
642 TIŒORŒ
TRANSCENDANTALB
DB LA Mm'HODB

en affinne la réalité effective, un avantagese manüeste donc ici du


côté de celui qui affirme quelque chose à titre de suppositionnéces-
saire du point de vue pratique (ml!liorest conditiopossirkntis).De
fait, il est h'bre,comme en état de légitime défense, de recourir pour
défendre la bonne cause aux mêmes moyens que l'adversaire utilise
contre celle-ci,c'est-à-dire aux hypothèses,lesquellesne doiventnul-
lement servir à en renforcerla preuve, mais seulementà montrerque
l'adversaire a une compr6hensionbien trop insuffisantede l'objet du
différend pour pouvoir ae flatter d'avoir sur nous un avantage en
matière de CODDBÎssance spéculative.
Des hypothèsesne sont clonepermises,dansle domaine de la
raison pure, qu'à titre d'armes de guerre, non point pour y fonder
un droit, mais seulementpour le défendre. Mais l'adversaire, il noua
faut ici toujoursle cbcn:beren nous-memes.Car la raison spéculative
dansson usage ttanscendantalest en soi dialectique.Les objections
qui poumüent être à redouter se trouvent en nous-mêmes. No111
devons aller à leur recherche en les considérant comme des préten-
tions anciennes, mais qui ne sauraient jamais être prescrites, pour
fonder sur leur anéantissementune paix perpétuelle. (AK. m. 507)
Un repos extérieur n'est qu'une apparence.Le germe des hostilités,
qui riside dansla nature de la raison humaine, doit être extirpé ;
mais comment pouvons-nous(A 778/B806) l'extirper si nous ne lui
donnonspas la liberté, voire la nouniture qu'il lui faut pour monter
en graine, afin que, venant ainsi à ae découvrir,il soit possibleensuite
de l'macher avec sa racine? Songez donc vous-memesaux objec-
tions auxquellesn'en est encore venu aucun adversaire,et allez jus-
qu'à lui pt8ter des armes ou acc:oidez-luile tcmin le plus favorable
qu'il puisse souhaiter I Il n'y a ici rien à craindre, maisbien davan-
tage à espérer -j'entends : espérer faire l'acquisition d'une posses-
sion qui ne poUD'B plus jamais, à l'avenir, vous être disputée.
De votre armement complet font donc partie aussi les hypo-
thèses de la raison pun, qui, bien qu'elles ne soient que des armes
de plomb (puisqu'elles ne sont trempées par aucune loi issue de
l'expérience), ont pourtant toujoUISautant d'efficacit6que celles dont
un adversairequelconquepeut se servir contre vous. Si donc, contre
la manière dont vous admettez (d'un point de we autre, non spé-
culatif)une nature de l'lme qui serait immatérielleet ne se trouverait
soumiseà aucun changementcorporel,la difficultévous est objectée
que l'expérience semble pourtant prouver que le développement
aussi bien qui;:la diminution de nos facultés spirituelles coma-
pondent simplement à des modificationsdiverses de nos organes.
vous pouvez affaiblir la fon:e de cette preuve en acceptantque notre
DISCJPLINEDE LA RAISON PURE 643

corps ne soit rien que le phénomènefondamentalauquel se rapporte


comme à sa condition, dans son état actuel (dans la vie), tout le
pouvoir de la sensibilité et, avec lui, toute pensée. La s6paration
d'avec le corps serait la fin de cet usage sensible de votre faculté de
connaître et le début (A 779/B807) de son usage intellectuel. Le
corps ne serait donc pas la cause de la pensée, mais il en constituerait
une condition simplement restrictive: par conséquent, il devrait
certes être consid6r6comme une instance favorisant la vie sensible
et animale,mais d'autant plus aussi comme un obstacle à la viepure
et spirituelle,et la d6pendancede la première par npport à la natme
corporellene prouveraitrien qui aille dans le sens de la dépendance
de toute la vie à l'égard de l'état de nos organes. Vous pouvez tou-
tefois aller encore plus loin et faire surgir des doutes entièrement
nouveauxqui n'avaient pas encore été formulésou qui n'avaient pas
été poussés suffisammentloin.
La contingence des procœationa, qui, chez les 8tœs humains
commechez les créatures dépourvues de raison, d6pend de l'occa-
sion, mais en outre souvent aussi de la manièrede se nomrir, de la
façon de conduire sa vie, avec ses humeurs et ses caprices, souvent
m8medu vice, constitueune grande difficultéà l'endroit de l'opinion
(AK. m.508) qui consiste à attnlruerune durée allant jusqu'à l'éter-
nité à une créature dont la vie a commencé d'abord dans des cir-
constancessi misérables et à ce point abandonnées entièrement à
notre liberté. Bn ce qui concerne la duœe de toute l'espèce (ici, sur
Terre), cette difficulté a en l'occmrence peu de poids, parce que ce
qu'il y a de contingent dans le particuliern'en est pas moins soumis
à une règle dans le tout ; mais, relativement à chaque individu, il
semble assnrément délicat d'attendre de causes si minces un effet
d'une telle ampleur.Contre quoi vous pouvez toutefois alléguercette
hypothèse transcendantale que toute vie n'est proprement (A 780/
B 808) qu'intelligtôle,qu'elle n'est aucunementsoumise aux caprices
du temps, et qu'elle n'a pascommencé avec la naissance ni DC se
tennine avec la mort; que cette vie n'est rien qu'un simple phéno-
mène, c'est-à-dire une représentationsensible de pure vie spirituelle,
et que le monde sensible tout entier est une simple image qui flotte
devant nous, compte tenu de notre mode actuel de connaissance,et
qui, comme c'est le cas d'nn songe, ne possède en soi aucune réalité
objective; que, si nous étions à même d'intuitionner les chosestelles
qu'elles sont, y compris nous-m&mes,nous nous veniona dans un
univers de natures spirituellesaveç laque}nos seules véritablesmla-
tions n'ont pas commencé à la naissanceni ne ce•seront à la mort
du corps (en tant qu'il s'agit là de simplllsphénomènes),etc.
644 TIŒORJETRANSCENDANTALEDE LA MÉTHODE

Bien que nous n'ayons pas Je moindre savoir de ce que nous


avançonsici hypothétiquementpour nous prémunir de l'attaque lan-
cée contre nous, et que nous ne l'affirmions pas s6rieusement; bien
que tout ce qui se trouve ainsi mobilisé ne soit pas même une Idée
de la raison, mais corresponde simplement à un concept inventl à
des fins d6fensives,nous procédons pourtant ici en la matière d'une
façon pleinement conforme à la raison, dans la mesure ot, à l'ad-
versaire qui pense avoir anéanti toute possibilité en faisant valoir
faussement le manque des conditions empiriques d'une telle possi-
bilité pour une preuve de la totale impossibilité de ce que nous
croyons, nous montrons seulement qu'il ne peut pas davantage, à
travers de simples lois de l'expérience, embrasser tout le champ des
choses possibles en soi que nous ne pouvons acqu6rir en dehors de
l'expérience, pour notre raison, quoi que ce soit qui pilt être fond6,
Celui qui exploite de tels moyens hypothétiquesde défense (A 781/
B 809) contre les prétentions d'un adversaire qui assumeavec assu-
rance sa position négatrice ne doit pas pour autant être considéœ
comme s'il voulait s'approprier ces instruments comme constituant
ses véritables opinions. Il les abandonne dès qu'il a écarté la ~
somptiondogmatiquede l'adversaire. Car, si modeste et modéréque
l'on ait à se montrer quand on proœde simplement, vis-à-visd'af-
firmations étrangères, à leur refus et à leur négation, dès que l'on
veut faire valoir ces objections que l'on élève comme des preuves
du contraire,la prétention dont on fait alors preuve n'est pas moins
(AK, m, 509) mogante et imaginaire que si l'on avait adopté le
parti de l'affirmation et son assertion.
On aperçoit donc ainsi que, dans l'usage spéculatifde la raison,
les hypothèses n'ont pas de valeur comme opinions en soi, mais
uniquement par rapport aux prétentions transcendantes formulées
dans le camp opposé. Car le fait d'étendre les principesde l'exp6-
rience possible à la possibilité des choses en gén6raln'est pas moins
transcendantque celui d'affirmer la realité objective de concepts qui
ne peuvent trouver lenrs objets nulle part, si ce n'est en dehors des
limites de toute expérience possible. Ce sur quoi la raison pure
énonce desjugements assertoriquesdoit 8tffl nécessaire (comme tout
ce que la raison connaît), 011 bien n'est absolument den. En consfr
quence,elle ne contient en fait pas la moindre ophûon. Maïa les
hypothèses mentionnées sont seulementdes jugements probl6ma-
tlques, qui du moins ne peuvent etre r6futés,bienqu'assur6mentrien
ne puisse les prouver,et elles (A 782/B810) sont donc de pures opi-
nionspriv6es,m8me si elles ne peuvent pas décemmentse soustraim
(y compris pour la tranquillité int6rieme) aux scrupules soulevés
DISCIPLINE DE LA RAISON PURE 645

contre elles. C'est en tout cas à ce titre qu'il faut les conserver, en
prenant bien garde qu'elles ne s'imposent pas comme si elles étaient
attestéesen elles-mêmeset comme si elles possédaient une validité
absolue, et en évitant qu'elles ne noient la raison sous des fictions
et des inventions fantasmatiques.

Quatrième section
LADISCIPLINE
DE LA RAISONPlJJIEBELATIVEMENT
À SBSPREUVES

Les preuves des propositions transcendantaleset synthétiques


ont en soi ceci de particulier,parmi toutes les preuves d'une connais-
sance synthétique a priori, que la raison, par l'intermédiaire de ses
concepts, ne doit pas s'y appliquer directement à l'objet, mais doit
au contraire d6montrerd'abordla validité objective des concepts et
la possibilité de leur synthèse a priori. Ce n'est pas là simplement,
pour ainsi dire, une regle nécessairede prudence, mais cela concerne
l'essence et la possibilit.6des preuves elles-mêmes.Si je dois sortir
a priori du concept d'un objet, c'est impossible sans un fil conduc-
teur particulier se trouvant en dehors de ce concepL (AK. m,510)
En mathématique,c'est l'intuition a priori qui conduit ma synthèse,
et ici tout ce à quoi parviennentles raisonnementspeut être rapporté
immédiatementà (A 783/B811) l'intuition pure. Dans la connais-
sance transcendantale. aussi longtemps qu'il ne s'agit que de
concepts de l'entendement, cette nonne est l'expérience possible.
Autrement dit, la preuve ne montre pas que le concept donné (par
exemple. celui de ce qui arrive) conduit directemenl à un autre
concept (celui d'une cause)-car un tel passage constitueraitun saut
qui ne se pourrait aucunementjustifier : la preuve montre en fait que
l'exp6rienceelle-meme,par conséquentl'objet de l'expérience,serait
impossible sans une telle liaison. Donc, la preuve devait en même
temps établir la possibilité de parvenir synth6tiquementet a priori à
une certaine connaissancedesc}losesqui n'était pas contenue dans
leur concept. Sans cette tttention, les preuves, telles des eaux qui
sortent violemmentde leurs bçrges et se répandent à travers champs,
se précipitent là ot les emporte au hasard la pente d'une association
cachée.L'apparence de la conviction,qui repose sur des causes sub-
jectiv«:11de l'association et qui est tenue pour la connaissanced'une
affiniténaturelle, ne peut nullementfaire contrepoidsaux doutes qui
doivent logiquement se faire jour à propos d'un pas aussi osé. Ce
pourquoi aussi toutes les tentatives entreprisespour prouver le prin-
646 1ll&>RIE TRANSC!!NDANTALEDB LA !'.ŒTHODE

cipe de raison suffisanteont été vaines,de l'aveu même des connais-


seurs; et, avant qu'apparOt la critique transcendantale,on aimait
mieux, comme l'on ne pouvait pas en tout état de cause abandonner
ce principefondamental,se Iét!rer audacieuaementau sens COIDDlllll
(un recours qui prouve (A 784/B812) toujours que la cauae de la
raison est douteuse),plutôt que vouloir tenter de nouvellespreuves
dogmatiques.
Cela dit, si la propositiondont il faut produire la preuve est une
assertion de la raison pure et si je veux même, en recourant à do
simplesld6's, dépasser mes conceptsempiriques,il faut encorebien
davantage que la preuve contienne en soi, en tant que condition
nécessaire de sa force démonstrative,la justification d'un tel pas
accompli par la synthèse (à supposer au demeurant qu'il fOt pos-
sible). De si belle apparence,donc, que soit la prétendue preuve de
la nature simple de notre substance pensante à partir de l'unit6 de
l'aperception, elle affronte pourtant une difficulté que l'on ne peut
écarter: étant donné que la simplicitéabsolue n'est en tout cas pas
un concept qui puisse être rapportéimmédiatementà une perception,
mais qu'elle doit etre simplementconclue au terme d'un raisonne-
ment commeune Idée, on ne peut voir commentla simpleconschmce
qui est contenue dans toute pensle, ou du moins peut l'être, (AK,
III, 511) devrait me conduire,bien qu'elle ne soit, en tant que telle,
qu'une simple représentation,à la conscience et à la connaissance
d'une chose danslaquellela pensée seule peut etrecontenue.Quand.
en effet,je me representela force de mon corps en mouvement,mon
corps est pour moi, en tant que tel, une unité absolue et la représen-
tation que j'ai de lui est simple; par conséquent,je peux exprimDr
cette force aussi par le mouvementd'un point,parce que son volume,
ici, ne change rien à l'affaire et c_:iu'
on peut le penser, sans diminution
de la force, comme aussi petit qu'on le veut, et donc même CODllJID
compris (A 785/B813) dans un point D'oh je ne vais pourtant pas
conclureque, si rien ne m'est donné que la force motrice d'un corps,
le corps peut être pensé cormne substance simple, du fait que sa
représentationest abstraite de toute grandeurdu contenu spatial, et
donc est simple. Or, parce que le simple dans l'abstraction est tout
à fait distinct du simple dans l'objet, et que le Moi, qui, dans le
premier sens, ne contient en roi absolumentaucune diversit6,peut
etre, dans le second, oil il signifie l'Bme meme, un concept très
complexe,autrement dit contenir et désigner rous lui une pluralit6
de choses,je découvreun pmalogisme.Simplement,pour le condam-
ner à l'avance (car si l'on ne faisait au préalableune telle conjecture,
on ne concevraitabsolumentaucun doute à l'encontre de la preuve),
DISCIPLINE DB LA RAISON PURE 647

il est absolument nécessaire d'avoir à sa disposition un critérium


peananent de la possibilit6 de telles propositions synthétiques qui
doiventprouver davantageque ce que l'expérience peut donner: ce
cdt6riumconsiste en ce que la preuve n'est pas appliquée directe-
ment au prédicat désiré, mais seulement par l'intermédiaire d'un
principe de la possibilit6d'étendre a priori notre concept donnéjus-
qu'àdes Id6eset de réaliserces dcmières. Si l'on recourait toujours
à cette précaution, si, avant de chercher encorela preuve, on exa-
minait d'abord sagementpar-deverssoi comment et avec quel motif
d'espérance on pourrait bien s'attendre à une telle extension par la
raisonpure. et d'oà J'on pourrait tiœr, dans ce genre de cas, ces
observations(A 786/B814) qui ne peuvent pas etre développées à
partirde concepts, ni non plus anticip6esen relation à l'expérience
possible, on s'épargnerait beaucoup d'efforts pénibles et cependant
stériles,puisqu'on n'attribuerait à la raison rien qui dépassemani-
festement son pouvoir, ou plutôt qu'on la soumettraità la discipline
de la sobriété,elle qui, dans les excès ool'entraîne son désir d'6lar-
gissementspéculatif,ne se laisse pas volontiers imposer de limites.
La premUrerègle est donc celle-ci : ne tenter aucune preuve
tnmscendantalesansavoir préalablementréft6chiet sans avoirjustifié
vis-à-visde soi-mêmela 110U1Ceoo(AK, m.S12) l'on entendpuiser
les principessur lesquels on songe à construireces preuves, et établi
de quel droit on peut en attendrele bon résultat de ses raisonnements.
Si ce sont des principes de l'entendement (par exemple, celui de la
csusalit6),c'est alors en vain que l'on cherche à atteindre par leur
interm6diaiœdes Idées de la raison pure; car de tels principes ne
valentque pour des objets d'llDeexpérienceposs1ôle.S'il doit s'agir
de principesissus de la raison pme, toute peine est à nouveau d6pen-
s6e vainement Car la raison possède certes de tels principes, mais,
en tant que principesobjectifs,ils sont tous dialectiqueset ne peuvent
en tout état de cause avoir de valeur que commeprincipesrégulateurs
de l'usage systématiquementstructuré de l'expérience. Si toutefois
de telles prétenduespreuves sont déjà alléguEes,opposezà la convic-
tion abusive (A 787/B815) le non liquet que prononce votre mOre
facult6de juger ; et, bien que vous ne puissiez pas encore en percer
rillusion, vous avez pourtant pleinementle droit d'exiger la déduc-
tion des principes qui s'y trouvent utilisés - ce qui ne vous sera
jamais fouini s'ils doivent être tirés de la simple raison. Et ainsi
n'avez-vousjamais besoin de vous charger de développeret de réfu-
ter chaque apparence d6pourvœ de fondement: vous pouvez au
contraire écarter d'un seul coup; en bloc, toute dialectique et ses
648 nmoRIE TRANSCBNDANTALBDE LA Mm'HODE

artifices inépuisables, en les faisant comparaître devant le tribunal


d'une raison critique qui exige des lois.
La deuxiime caractéristique propre aux preuves transcendan-
tales est que, pour chaque proposition transcendantale,on ne peut
trouver qu'une seule preuve. Si ce n'est pas l partir de conceptsque
je dois conclure, mais l partir de l'intuition correspondant l un
concept, qu'il s'agisse d'une intuition pure, comme dans la math6-
matique, ou d'une intuition empirique,comme en physique,l'intui-
tion adoptée comme fondementme fournit une matière diverse pour
des propositions synthétiquesque je peux relier entre elles de plus
d'une façon : dans ce cas, puisqueje peux partir de plus d'un point,
c'est par divers chemins que je puis parvenir l la même proposition.
En revanche,toute propositiontranscendantalepart uniquement
d'un seul concept et exprimela conditionsynth6tiquede la possibilll6
de l'objet d'après ce concept Il ne peut donc y avoir qu'un unique
argument, parce qu'en dehors de ce concept il n'y a plus rien par
quoi (A 788/B816) l'objet puisse etre détenniné et que la preuve ne
peut donc contenir rien de plus que la déterminationd'un objet an
général d'après ce concept, qui est lui aussi unique. Noua avions par
exemple, dans l' Analytiquetranscendantale,tire ce principe : tout ce
qui arrive a une cause, de (AK, m, 513) l'unique condition de la
possibilitéobjectived'un concept de ce qui anive en général- savoir
que la déterminationd'un événementdansle temps, par conséquent
cet événement comme appartenant l l'expérience, serait imposllible
sans être ~IDDÎB à une règle dynamique de ce type. Or tel est auaai
l'unique argumentpossible; car ce n'est que dansla mesure oi\,pour
le concept, un objet se trouve déterminépar l'inœrm6diairede 1aloi
de la causalité que l'événement reprdsonté possède de la validit6
objective,c'est-l-dire de la vérité. On a certes tenté encore d'autœa
preuves de ce principe, par exempleà partir de la contingence; sim-
plement, quand on examine en pl~ lumière 1apreuve qui fait n!f6-
rence à cette dernière, on ne peut trouver nul autre signe caract6ria-
tique de la contingenceque lefait de survenir,c'est-à-direl'existence
que précède un non-être de l'objet, et ainsi en revient-on toujours à
l'argument déjà évoqué. Si doit être prouvée la proposition selon
laquelle tout ce qui pense est simple,on nè s'en tient pas au divm
de la pensée, mais on s'arrête simplementau concept du Moi qui eat
simple et auquel est rapportéetoute pensée.De même en est-il de 1a
preuve transcendantalede l'existence de Dieu, qui repose unique-
ment sur le caractère réciprocable (A 789/B817) des concepts de
l'être suprêmementIéel et de l'etre nécessaire, et qui ne peut nul-
lement être tentée d'une autre manière.
DISCIPLINEDB LA RAISON PURE 649

Grlce à cette remarque faisant fonction d'avertissement,la cri-


tique des affinnationsde la raison est réduite à tiès peu de chose.
Là oà la raison accomplit son opération avec de simples concepts,
une unique preuve est possible, si du moins il peut y en avoir une
qui le soit. Ce pourquoi,dès lors qu'on voit le dogmatiques'avancer
avec dix preuves, on peut croire avec certitude qu'il n'en a vérita-
blement aucune. Car s'il en disposait d'IDlequi (comme cela doit
etredans les choses de la raison pure) opérlt apodictiquementsa
démonstration,pourquoi aurait-il besoin des autres 'l Son intention
est la même que celle de cet avocat au Parlement: disposer de tel
argumentpour celui-ci,de tel autre pour celui-là,cela en we de tour-
nerà son avantagela faiblessede sesjuges qui, sansse donnerla peine
d'approfondiret pour se débauasserbien vite de l'affiüre, s'empan,nt
du premierargumentqui les frappe et d6cidentd'apres lui.
La troisièmeœgle spécifiquede la raison pure, quand elle est
aoumiseà une disciplinerelativementaux preuvestranscendantales,
est que ses preuves ne doiventjamais être apagogiques,mais tou-
jours ostensives.La preuve directe ou oatensiveest, dans toute sorte
de connaissance,celle qui combinela convictiondans la vérité et la
vision des sources de celle-ci; la preuve apagogique,au contraire,
(AK. m, 514) peut assurementproduire de la certitude, mais non
pas la compréhensionde la vérité du point de we de son articulation
avec les fondementsde sa possibilité.(A 790/B818) Ce pourquoiles
preuves de ce dernier type sont davantageun expédientde secours
qu'un procédé satisfaisantIDus les objectifs de la raison. Pourtant,
elles ont, quant à l'évidencé, un avantagepar rapport aux preuves
dùectes, en ce que la contradictionentraîne toujours davantage de
clarté dans la .représentationque le meilleur enchainement,et ainsi
se rapprocheplus de la dimensionIntuitived'une d6monstration.
Le véritable motif pour lequel on utilise des preuves apago-
giquesdans diversessciencesest le suivant: quandles principesdont
une certaine connaissancedoit être déduite sont trop divers ou trop
profondémentcachés, on cherchesi l'on ne poumût pas y arriverpar
les conséquences.Or le modusponens, qui consiste à conclureà la
v6ritéd'une connaissanceà partir de la vérité de ses conséquences,
ne serait permis que si toutes les conséquencespossibles en étaient
vraies; car, dans ce cas, par 18pport à ces conséquences,il n'y a
qu'un uuique fondement possible, qui est donc aussi le vrai. Mais
cette démarche est impraticable,parce qu'il est au-dessus de nos
forces d'apercevoir toutes les consEquenccspossibles d'une quel-
conquepropositionque l'on a admise ; pourtant, on se sert de cette
façon de raisonner, bien que cc soit assurémentavec une certaine
650 nœoRJBTRANSCENDANTALE DB LA MÉTHODB

tolérance, quand il s'agit de prouver quelque chose simplement à


titre d'hypothèse, en accordant le raisonnementpar analogie scion
lequel. si toutes les conséquences que l'on a jamais cherchées
concordent parfaitement avec un principe qui a été admis, toutes
les autres conséquencespossibles concorderontaussi avec lui. En
vertu de quoi, par (A 791/B819) cette voie, jamais une hypothèse
ne peut être transformœ en vérité démontrée, Le modus tollena
des raisonnements syllogistiques qui concluent des conséquences
aux principes constitue une preuve, non seulement tout à fait
rigoureuse, mais aussi extremementaisée. Car si même une seule
et unique conséquence fausse peut être tirée d'une proposition,
cette proposition est fa~se. Or, au lieu de parcourir dans une
preuve ostcnsive toute la série des principes qui peut conduire à
la vérité d'une connaissance par l'intermédiaire d'une vision
complète de sa possibilité, si l'on peut ll'OUverune unique consé-
quence fausse panni celles qui découlent du contraire de cette
connaissance,cc contraire est fawr.lui aussi, et par conséquent la
connaissanceque l'on avait à prouver est vraie.
Le mode apagogiquede la preuve ne peut toutefoisêtre autoris6
que dansles sciencesoà il est impossiblede substituerla dimension
subjectivede nos représentationsà leur dimension objective, c'cst-
à-direà la connaissancede cc qui esi dans l'objet, (AK, III, 515) En
revanche,là oà une telle possibilitéde substitutionrègne, il doit ae
produire fr6quemmentque le contraire d'une certaine proposition
contredisesimplementaux conditionssubjectivesde la pensée, mais
non pas à l'objet, ou bien que les dewr.propositionsne se contredi-
sent l'une l'autre que sous uneconditionsubjectivefaussementtenue
pour objective,et que, puisguela conditionest fausse, toutes les deUll
puissentêtre fausses sans que,de la faussetéde l'une, il soit poss1'ble
de conclure à la vérité de l'autre,
(A 792/B820) En mathérnal_ique, cette subreption est impos-
sible ; par conséquentest-cc là que les preuves apagogiquestrouvent
aussi leur véritableplace. En physique, parce que tout s'y fonde sur
des intuitionsempiriques,cette subreptionpeut certes, dansla plupart
des cas, l!tre évitée par un nombre importantd'observationscompa-
ratives ; mais, ml!me là, cc type de preuve est néanmoins, le plus
souvent,de peu de poids. Pour ce qui est des tentativestranscendan-
tales de la raison pure, elles sont toutes menées dans le médium
propre de l'apparence dialectique,c'est-à-dire dans la dimensiondn
subjectif,lequel s'offre, ou ml!mcs'impose, à la raison commeobjec-
tif dans ses prémisses. Or, ici, en cc qui concerne les propositions
synthétiques,il ne peut nullement l!tre permis de justifier ses affi1'-
DISCIPLINEDB LA RAISONPllRB 651

mations en procédant à la réfutation du contraire. Car. ou bien cette


réfutationn'est rien que la simple représentationde la contradiction
entre l'opinion contralœ et les conditions subjectives pennettant à
notre raison de parvenir à une compr6hension,ce qui ne sert abso-
lument à rien pour rejeter la chose elle-m8me (comme c'est le cas
par exemple quand la nécessit6inconditionnéedansl'existence d'un
etre ne peut pas du tout être conçue par nous, et que cela s'oppose
donc à bondroit, subjectivemsnt,à toute preuve spéculatived'un être
suprêmenécessaire, mais de façon illégitimeà la possibillt6d'un tel
etre originaireen sm) ; ou bien les deux parties, tout autant celle qui
affirmeque celle qui nie, prennent pour fondement, abuséesqu'elles
sont par l'apparence transcendantale, un concept impossible de
l'objet, et (A 193/B821) dansce cas s'applique la règle: non entis
nulla sont praedicata.c'est-à-diœ qu'aussi bien ce que l'on énonce
affirmativementque ce que l'on énonce négativementde l'objet est,
d'un côté comme de l'autre, inexact, et que l'on ne peut parvenirde
façon apagogique, par la réfutation du contraire. à la connaissance
de la vérité. Ainsi, par exemple, si l'on suppose que le monde sen-
sible est en soi donné selon sa totalité, il est faux qu'il doit être ou
bien infini dans l'espace. ou bien fini et limité, parce que les deux
6nonc6ssont faux. Car des phénomènes (en tant que simples repré-
sentations) qui seraient pourtant donnés en soi (en tant qu'objets)
sont (AK, m.S16) quelque chose d'impossible, et l'infinité de ce
tout imaginé serait certes inconditionnée.mais contredirait (puisque
tout, dans les phénomènes,est conditionn6)la d6termlnationincon-
ditionnée de la quantitéqui est pourtant supposée dansle concept.
Le mode apagogique de la preuve est en outre la véritable illu-
sion par laquelle ont toujoms ét6 lemréa ceux qui admirentla solidité
de nos raisonneuradogmatiques: cette preuve évoque pour ainsidire
le champion qui entend prouver l'honneur et le droit incontestable
du parti auquel il s'est rallié en se faisant fort de lutter avec qui-
conque voudrait en douter, même ai à la faveur d'une telle fanfaron-
nade rien n'est établi concernant la choae elle-m8me,mais qu'elle
ne conduise qu'à déterminer les forces respectives des adversaires,
et même, à vrai dire, Wiiquementcelles qui se trouvant du côté de
l'agresseur. Les spectatems, quand ils voient que chacun (A 794/
B 822) est tour à tour tant& vainqueur, IBntfttvaincu, se saisissent
souventde l'occasion pour se mettre à douter, sur le mode sceptique,
de l'objet même du conflit Du moins n'ont-ils pas de motif pour
cela, et il suffit de leur crier: non defensoribusistis tempus eget.
Chacun doit plaider sa cause par l'intmn6dlalre d'une preuve légi-
time qui soit développée par la déductiontranscendantaledes argu-
652 nŒORIE 1RANSCENDANI'ALE DE LA MÉ1HODE

ments, c'est-à-dire de façon directe. afin que l'on aperçoive ce que


les prétentionsde sa raison peuvent avancer en sa faveur. Car si son
adversaires'appuie sur des principes subjectifs,il lui est assurément
facile de le réfuter, mais sans aucun avantage pour le dogmatique.
qui est communément tout aussi attaché aux motüs subjectifs da
jugement et qui peut donc de la même manière se trouver accnlépar
son adversaire. Si les deux parties procèdent toutefois uniquement
de façon directe, ou bien elles remarquerontd'elles-mêmesla diffi.
culté, voire l'impossibilité, de trouver le titre permettant d'étayer
leurs assertions, et elles ne pourront finalementfaire appel qu'à la
prescription; ou bien la critique découvrira facilement l'apparence
dogmatiqueet coptraindrala raison pure à renoncer à IICSprétenti.ODB
trop haut placées dans l'usage spéculatif et à se retirer à l'intédeor
des limites du terrain qui lui est propre, à savoir celui des principes
pratiques 1".

(A 795/B 823) (AK, ID, 517). Chapitre Il


LE CANONDE LA RAISON PURE

Il est humiliant pour la raison humaine de ne parvenir à rien


dans son usage pur et même d'avoir besoin encore d'une discipline
pour contenir ses débordementset éviter les illusions qui en pro-
viennent Mais, d'un autre côté, ce qui la relève et lui donne
confiance en elle-même, c'est qu'en,: peut et doit elle-même exer-
cer cette discipline, sans admettre une autre censure au-desllUI
d'elle - à quoi s'ajoute en même temps le fait que les bomOB
qu'elle est contrainte d'imposer à son usage spéculatiflimitent tout
autant les prétentionsratiocinantes de n'importe quel adversaire,et
que par conséquent elle peut mettre en sOreté contre toutes les
attaques tout ce qui peut encore lui rester de ses exigences aupa-
ravant excessives. La plus grande et peut-êti;e l'unique utilité de
toute philosophiede la raison pure est donç sans doute uniquement
négative: de fait, elle n'est pas un organonpermettant d'étendre
les connaissances,mais une discipline servllJJ,tà en déterminer les
limites, et au lieu de découvrir la vérité, elle a le discret mérite
d'éviter les erreurs.
Cependant,il doit y avoir quelque part une source de connais-
sances positives qui appartiennentau domaine de la raison pore et
qui ne fournissentpeut-être que par malentendul'occasion d'em:urs
CANON DB LA RAISON PURB 653

(A 796/B824), mais qui en fait constituent le but que poursuit la


raison-Car à quelle cause, sinon, attribuer l'irrépressible désir de
troUVet quelque part de quoi poser un pied ferme absolument au-
delàdes limites de l'expérience? Elle soupçonnequ'elle va y trouver
des objets possE.dantpour elle un grand intérêt. Elle empruntela voie
de la spéculJltionpure pour s'approcher de ces objets; mais ils fuient
devant elle. Probablementconvient-il d'espérer pour elle davantage
de réussite sur la seule voie qui lui reste encore, à savoir celle de
l'usage pratique.
J'entends par canon l'ensemble des principesa priori de l'usage
J6gitime de certains pouvoirs de connaî'lreen général. Ainsi la
logique générale constible-t-clle,dans sa partie analytique,un canon
pom l'entendement et pour la raison en général, maia uniquement
quant à la forme, puisqu'elle fait abstraction de tout contenu. Ainsi
]'Analytique transcendantale était-clic le canon de l'entendement
pur; car celui-ci seul est capable de véritables connaissancessyn-
thétiques a priorL Mais là où aucun usage 16gitimed'une (AK, m.
518) faculté de connaîlre n'est pouible, il n'y a pas de canon. Or,
d'après toutes les preuves produiteajnsqu'ici, toute connaissance
synthétiquede la raisonpure dans aon usage spéculatif est intégra-
Jmnentimpossible.Donc, il n'y a nul canon de l'usage sp6culatifde
la raison (car un tel usage est de part en partdialectique),mais toute
logique trllnllceJJdantalen'est à cet égard rien d'autre qu'une disci-
pline. Par conséquent,s'il y a (A 797/B825) quelque part un usage
légitimede la raison pure, auquelcasil y en a aussi.nécessaiœmcnt,
un canon,celui-ci ne concemerapu l'usage spéculatif, maial'usage
pratique,u la raison,lequel nous allons donc mainœnantrechercher.

Première section
DE LA 11N DERNŒREDE L'IJSAGBPllll DE NOTRE.RàlSON

La raison est pouss6e par une propenaion de sa natureà aller


au-delà de son usage empirique, à s'aventmer, en un usagepur et
par l'intermédiaire de simples Idées, jusqu'aux plus extrêmeslimites
de toute connaissance.et à ne trouver de repos que si elle a achevé
de pamourirsa sphère, sous la forme d'un tout systématique possé-
dant par lui-même sa consistance. Or cette tendance est-elle fondée
simplementsur aonint&et spéculatif, ou œ l'est-elle pasplutôt, uni-
quement, sur son intéret pratique ?
Ie vais à présent laisser de c6té le sucœs qu'obtient la raison
654 TIŒORIB TRANSCBNDANTALB DB LA MmliODE

pure du point de we spéculatif, pom ne m'interroger que sur les


problœies dont la solution constitue sa fin dernière, qu'elle puisse
ou non l'atteindre, par rapport à laquelle toutes les autres fins po.-
sèdent simplement la valem de moyens. Ces fins suprêmes devront
posséder, d'apès la nature (A 798/B826) de la raison, à leur tour
lem unité, pom favoriser en commun cet intéret de l'humanité qnl
n'est submdmmé à aucun autre qui lui soit supérieur.
Le but :final auquel parvient en définitivela spéculation de la
raison dans l'usage transcendantal concerne trois objets: la libert6
de la volonté, l'immortalité de l'Ame et l'existence de Dieu. Vis-
à-vis de tous les trois, l'intérêt simplement spéculatif de la raison
n'est que très :restreint, et en vue de lui sans doute est-ce difficilement
(AK.Ill, 519) que l'on entreprendrait un travail fatigant, rencontrant
sans cesse des obstacles, comme celui de l'investigation ~scen-
dantale, puisque l'on ne peut faire, de toutes les découvertes sus-
ceptibles d'intervenir en la matière, en tout cas aucun usage qui
en prouve l'utilité in concreto, c'est-à-dire dans l'étude de la
nature. Quand bien même la volonté serait libre, cela ne saurait
concerner, quoi qu'il en soit, que la cause intelligible de notre
vouloir. Car, en ce qui concerne les phénomènes qui constituent
des expressions de ce vouloir, c'est-à-dire les actions, nons
sommes tmws, selon une maxime fondamentale inviolable sans
laquelle nous ne pomrions exercer aucun usage empirique de notre
raison, de ne les expliquer jamais autrement que tous les autres
phénomènes de la nature, c'est-à-dire d'après des lois immuables
de celle-ci 19 • Quand bien même, deuxièmement, la nature spiri-
tuelle de l'Ame (et avec elle son immortalité) pomrait être aperçue,
on ne saurait pourtant prendre cela en compte ni comme principe
d'explication vis-à-vis des phénomènes de cette vie ni (A 799/
B 827) relativement à la nature particulière de l'état futm, parce
que notre concept d'une nature incorporelle est seulement négatif
et qu'il n'élargit pas le moins du monde notre connaissance ni ne
fomnit quelque matière disponible pom en tirer d'autres consé-
quences que celles qui ne peuvent avoir qu'une valem de :fictions,
mais que la philosophie ne peut accorder. Quand bien m8me, troi-
sièmement, l'existence d'une supr!me intelligence serait prouvée,
nous rendrions certes ainsi compréhensible ce qu'il y a de :finalisé
dans l'aménagement et dans l'ordre du monde en général, mais
nous ne serions aucunèment autorisés à en dériver une quelconque
disposition et un quelconque ordre particuliers, ni non plus, là oà
nous ne les percevons pas, à avoir l'audace de conclure à leur
présence: c'est en effet une règle nécessaire de l'usage spéculatif
CANON DE LA RAISON PURE 65S

de la raison que de ne pas laisser de côté les causes naturelles et


de ne pas renoncer à ce que peut nous enseigner l'expérience, pour
d6river quelque chose que nous connaissons de ce qui dépasse
entièrement toute notre connaissance. En un mot, ces trois pro-
positions restent toujours transcendantes pour la raison sp6culative
et elles n'ont aucun usage immanent, c'est-à-due aucun usage qui
soit acceptable pour des objets de l'expérience et donc utile pour
nous de quelque manière ; bien au conlJ'aire, si on les considère
en elles-mêmes, elles correspondent à des efforts tout à fait vains
et qui plus est, de ce point de vue, extremement pénibles de notre
raison.
Si donc ces trois propositions cardinales ne nous sont nullement
nécessaires pour le savoir,et si pourtant elles noussont RlCOmman-
dées avec insistance par notre raison, leur (A 800/B828) importance
ne poum concerner proprement que la dimensionpratique.
(AK, m,520) Est pratique tout ce qui est posaible par liberté.
Mais si les conditions d'exercice de notre libre arbitre sont empi-
riques, la raison ne peut y avoir qu'un usage régulateur et y servir
qu'à mettre en œuvre l'unité de lois empiriques; ainsi, par exemple,
dans la doctrine de la prudence, la réunion de toutes les fins qui nous
sont proposées par nos inclinations en une fin unique : le bonheur et
la combinaison des moyenspour y parvenir constituent tout l'ou-
vrage de la raison, laquelle ne peut fournir à cette destination que
des lois pragmatiquesde la libre conduite, en vue d'atteindre les fins
qui nous sont recommandéespar les sens, et non pas, par conséquent,
deslois pures, déterminées complètement a priori. En revanche, des
lois pratiques pures, dont la fin qu'elles énoncent serait donnée
complètement a priori par la raison.et qui ne cc,mmanderaicntpas
de manière empiriquement conditionnée, mais absolument, seraient
desproduits de la raison pure. Or de ce type sont les lois morales ;
par conséquent, elles seules relèvent de l'usage pratique de la raison
pure et autonsent un canon.
Tout l'appareillage que met en place la raison dans le travail
qu'on peut appeler philosophie pure n'est donc en fait dirigé que
vers les trois problèmes mentionnés. Mais ceux-ci répondent eux-
memes,à leur tour, à un objectif plus éloigné, à savoir déterminer
ce qu'il faut faire si la volonté est h'brc, s'il existe un Dieu et un
monde futur. Or, dans la mesure oà il s'agit ici de no.tre (A 801/
B 829) conduite relativement à la fin supreme, l'intention ultime de
la nature, dans le sage souci qu'elle a denotre sort en disposant notre
raison, n'est orientée que vers la dimension morale.
Cela dit, puisque nous faisons porter notre regard sur un objet
656 TIŒORIB TRANSCENDANJ'ALB DB LA MÉI'HODB

qui est étranger à la philosophie transcendantale160 •, beaucoup de


prudence est nécessaire pour ne pas s'égarer dans des épisodes et
porter atteinte à l'unité du système, de même qu'il en faut allSIÎ
beaucoup, d'un autre c:Oté,pour ne rien perdre en clarté ou en per-
suasion en disant trop peu à propos de cette nouvelle matière. J'œ-
père m'acquitter de cette double exigence en me tenant aussi pœa
que possible do (AK, JII, 521} transcendantal et en laissant totale-
ment de c6té ce qu'il poumût y avoir dansce registre de psycholo-
gique, c'est-à-dire d'empirique.
Et à cet égard il est donc à remarquer tout d'abord que je ne
me servirai dorénavant du concept de liberté que dans le sens pm-
tique, et que je laisse ici de c6té, comme une question traitée plus
haut, ce concept entendu danssa significationtranscendantale,lcqoel
ne peut pas être supposé empiriquement comme un principe d'ex-
plication des phénomènes,(A 802/B 830) mais constituelui-mêmeun
problème pour la raison. Un B1"11i.tre,en effet, est simplementanimal
(arbitriumbrutum) s'il ne peut être déterminé autrement que par dca
impulsions sensibles, c'est-à-dire pathologiqlll!ment.En revanche,
celui qui peut être déterminé indépendammentdes impulsions_sen-
sibles, p_arconséquent par des mobiles que seule la raison peat se
représenter, s'appelle le libre arbitre (arbitrium liberum},et tout ce
qui s'y relie, que ce soit comme principe ou comme conséquence,
est appelé pratique. La liberté pratique peut être démontrée par
l'expérience. Car ce n'est pas simplement ce qui attire, c'est-à-dire
ce qui affecte immédiatement les senll, qui détennine l'arbitre
humain, mais nous disposons d'un pouvoir de surmonter,gr!ce à dca
représentationsde ce qui, meme d'une façon plus éloignée•, est utile
ou nuisible, les impressions produites sur notre pouvoir sensiblede
désirer : ces réflexions sur ce qui est désirable relativement à tout
notre état, c'est-à-dire sur ce qui est bon et utile, reposent toutefois
sur la raison. Celle-ci fournit donc aussi des lois qui sont des impl-
ratifs, c'est-à-dire des lois objectives de la liberté, et qui disent ce
qui doit arriver, bien que peut-être cela n'arrive jamais, et se dis-

• Tous les conœplll p1111iques portent aur des objelll de satisfaction ou de


désa~menl, c'est-à-clln:de plamr et de ~plaisir, par cooa6quen1,au molna Indi-
rectement,sur des nbjelllde notre sentiment D10&la me&lllll, toutefoll, oil œ dm--
ruer n'est pas une facul~ 111prûentant1111 choses, mai&111!JOuveen dah0111 de la
facul~ da connaitre tout entierc, les él6menlllde nos jup:menlll qui se mpportml
au plaisir ou au ~laisir. par œoa6quent de&jugemenlllpœtiques, n'appartiennent
pas à l'ensemble global de la philosophietranacendanlale,laquelle n'a affaire uclu-
sivement qu'à de pures colllllliasanœsa priori.
L l'remlm 6lition : " meme d'une façon Bolgn6e•·
CANON DB LA RAISON PURB 657

tïnguenten cela des lois dll la nature,qui ne traitent que de ce qui


arrive,ce pourquoielles sont aussi appelées des lois pratiques.
(A 803/B831) Pour ce qui conceme toutefois la question de
savoirsi la raison elle-même,dans ces actes par lesquelselle prescrit
des lois, n'est pas à son tour déterminéepar des influenceseii:té-
rieures à elle, et si ce qui s'appelle liberté vis-à-visdes impulsions
sensiblesne poumit pas être à son tour nature vis-à-visde causes
plus 6lev6eset plus éloignées,cela ne no1JSimporte en rien dans le
domainepratique,dans la mesureoi\ nous nous bornonsici à deman-
der avant tout à la raison de prescrirela conduite.C'est Il, en fait,
une question simplementspéculativeque nous pouvons mettre de
côté aussi longtempsque notre objectif se situe dans la définitionde
ce qu'il faut faire ou ne pasfaiœ. Nous connaissonsdonc la liberté
pratique par expériencecomme constituantl'une des causes natu-
relles, à savoir une causalitéde la raison dans la détenninationdu
vouloir, cependant (AK, m, S22) que la liberté transcendantale
requiert une indépendancede cette raison elle-même(du point de
vue de sa capacité d'inaugurer causalementune sérte de phéno-
mènes) vis-à-vis de toutes les causes déterminantesdu monde sen-
sible, et qu'en tant que telle elle semble être contraireà la loi de la
nature, par conséquentà toute expériencepossible,et donc demeure
un problème.Reste que, pour la raison, ce problèmene s'inscrit pas
dans l'usage pratique,et qu'en ce sens,dans un canon de la raison
pure, nous n'avons affairequ'à deux questionsqui concernentl'in-
térêt pratique de la raison pure et vis-à-visdesquellesun canonde
son usage doit être possible: Est-ce qu'il y a un Dieu? Est-ce qu'il
y a une vie future ? La questionportant sur la libertétranscendantale
concerneuniquementle savoir sp6culatif,et nous pouvonsla mettre
de c6té comme tout à fait indifférentequand il s'agit du (A 804/
B 832) pratique, et comme une question sur laquelle nous avons
fourni déjà des explicationssuffisantesdansl' Antinomiede la raison
pure.

Deuxième section
DE L'IDML DU SOIJVERAJNBIENCOMMEPRINCIPEPERMKTl'ANT
DE DnERMINERLA.l'IN DERNŒllE
DE LA.RAISONPllRE

La raison nous a conduits,dans son usage sp6culatif, à travers


le champ des expériences.et, puisqu'il n'y a pom elle jamais de
satisfactioncomplètequi s'y puisse tmnver, elle nous a conduitsde
658 TIŒORIE TRANSCENDANTALEDE LA MÉJ'HODE

là à des Idées spéculatives,lesquelles toutefois nous ont finalemont


à leur tour ramenés à l'expérience et ont donc rempli leur objectif 111
d'une façon assurément utile, mais qui n'a nullement été conforme
à notre attente. Cela dit, il nous reste encore une tentative à mener,
autour de la question de savoir s'il se peut trouver aussi une raison
pure dans l'usage pratique, si elle nous conduit, dans cet usage, à
des Idées qui atteignent les fins suprêmes de la raison pure, telles
que nous venons de les évoquer, et si elle ne po1llTllÎt donc pas, da
point de vne de son intérêt pratique, nous procurer ce qu'elle D0118
refuse totalement et résolument du point de we de l'intérêt spécu-
latif.
Tout intérêt de ma taison (aussi bien spéculatifque pratique)se
rassemble dansles trois questions suivantes: (A 805/B833)
1. Quepuis-je savoir?
2. Q,4edois-jefaire ?
3. Que m'est-ilpennis d'espirer?
(AK, m,523) La premièrequestion est simplementspéculative.
Nous avons épuis6 (commeje m'en flatte) toutes les réponses pos-
sibles à cette question et trouvé enfin celle dont la taison doit en
vérité se satisfaire et dont elle a même, quand elle ne considèrepas
la sphère pratique, des motifs d'être satisfaite: néanmoins,vis-à-vis
des deux grandes fins visées proprement par tout cet effort de la
raison pure, nous sommes restés tout aussi loin de les atteindre que
si, par négligencenonchalante,nous nous étions dès le début d6robés
devant ce travail. Si c'est donc du savoir qu'il s'agit, du moins est-
il assuré et d6cidé que, par rapport à ces deux problèmes, nous ne
sauronsjamais y avoir part.
La deuxième question est· simplement pratique. Elle peut,
comme telle, appll,ltenircertes à la raison pure; elle n'est cependant
pas pour autant transcendantale,mais morale : par conséquent,elle
ne peut en elle-même préoccupernotre critique.
La troisième question, à savoir : si je fais èe que je dois, que
m'est-il alors permis d'espérer'? est pratique et théorique en m!me
temps, en telle façon que le pratique ne conduit que comme un fil
conducteur l la solution de la question théorique et, quand celle-ci
s'élève, à celle de la question spéculative. Car tout espoir vise le
bonheur, et il est, relativementau pratique et à la loi morale, ce que
le savoir et la loi de la nature sont par rapport à la connaissance
théorique (A 806/B 834) des choses. L'espoir aboutit en d6finitiveà
la conclusion que quelque chose est (qui d6termlnela dernière fin
possible),parce que quelquechosedoit arriver; et le savoir, à cette
CANON DE LA RAISON PURE 659
conclusionque quelque chose est (qui agit comme cause suprême),
parce que quelque chose arrive.
Le bonheur est la satisfaction de toutes nos inclinations (aussi
bien e.xtensive,à l'égard de leur variété, qu'inten.rive,quant à leur
degré, et même proten.rive,du point de we de leur durée). La loi
pratique qui prend pour mobilele bonheur,je l'appelle pragmatique
(règle de prudence) ; en revanche, celle qui, dans la mesure oà il en
est une, ne prend pour mobile que le/ait d'8tre digne du bonheur,
je l'appelle morale (loi morale). La première .indiquece qu'il nous
faut faire si nous voulons prendrepart au bonheur ; la seconde
commande comment nous devons nous conduire pour simplement
devenir dignes du bonheur. La première se fonde sur des principes
empiriques; car je n'ai pas d'autre moyen que l'expérience ni de
savoir quelles sont les inclinations qui veulent être satisfaites,
(AK, III, 524) ni quelles sont les causes naturelles qui peuvent pro-
duiœ leur satisfaction.La seconde fait abstractiondes inclinationset
des moyens naturels de les satisfaire, et considère uniquement la
liberté d'un être raisonnable en général, ainsi que les conditions
n6cessairessous lesquelles seulement elle s'accorde, selon des prin-
cipes, avec la distribution du bonheur, et en ce sens elle peut du
moins reposer sur de simples Idées de la raison pure et être connue
a priori.
(A 807/B 835) J'admets qu'il y a effectivementdes lois morales
pures qui déterminement complètement a priori (sans prendre en
considération les mobiles empiriques, c'est-à-dire le bonheur) ce
qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire, c'est-à-dire l'usage de la
liberté d'un être raisonnableen général; j'admets aussi que ces lois
commandentde manièreabsolue (et non pas simplement de façon
hypothétique,sous la supposition d'autres lois empiriques) et donc
qu'elles sont nécessairesà tous égards. Propositionque je peux sup-
poser à juste titre, non seulement en me réclamant des preuves des
moralistes les plus éclairés, mais aussi du jugement moral de tout
homme dès lors qu'il veut se représenter clairement uue loi de ce
type.
La raison pure contient donc, non pas certes dans son usage
spéculatif, mais pourtant dans un certain usage pratique-,à savoir
l'usage moral, des principes de la possibilitéde l'expérience,c'est-
à-diœ d'actions qui, conformémentaux prescriptionsmorales,pour-
raientêtre trouvées dans l'histoire de l'être humain. Car, étant donné
qu'elle commande que de telles actions doivent se produire, il est
nécessaireaussi qu'elles puissent se produire, et il faut donc que soit
possible une sorte particulière d'unité systématique,à savoir l'unité
660 TIŒORJE
TRANSCENDANTALEDB LA MÉTHODE

morale, alors que l'unité systématiquede la nature ne pouvait 8tre


prouvée d'après des principes spéculatifsde la raison, parce que la
raison possède certes une causalitévis-à-vis de la liberté en général,
mais non point à l'égsrd de la nature dans son ensemble,et que les
principesmorauxpeuventcertesproduiredes actionslibres, mais non
pas les lois de la nature. (A 808/B836) En cons6quence,les principes
de la raison pure dans son usage pratique, c'est-à-dire dans l'usage
moral, ont une téalité objective.
Le monde,en tant qu'il seraitconformeà toutes les lois morale&
(tel qu'il peut donc être d'après la liberté des êtres raisonnables,et
tel qu'il doit être d"après les lois nécessaires de la moralité),je
l'appelle un monde moral Sous ce rapport, il est simplementpenaé
comme monde intelligible,puisqu'il y est fait abstractionde toutes
les conditions(des fins) de la moralitéet même de tous les obstacles
auxquels elle se heurte dans ce monde (faiblesse ou impuretéde la
(AK, m, 525) nature humaine). Il est donc en ce sens une simple
Idée, mais cependantune Idée pratiquequi peut et doit exercereffec-
tivement son influence sur le monde sensible,pour le rendreautant
que poss1'bleconformeà cette Idée. L'Idée d'un inonde moral a par
conséquentde la Iéalité objective,non pas commesi elle serapportait
à un objet d'une intuition intelligible(nous ne pouvons aucunement
nous forger la pensée de tels objets),mais en tant qu'elle se rapporte
811monde sensible. du moins au sens où il constitue un objet de la
raison pure dans son usagepratiqueet un corpus mysticumdesêtres
i;aisonnablesen lui, en tant que leur libre arbitre, sous des lois
morales,possède en soi une unité systématiqueintégrale,aussi bien
avec lui-mêmequ'avec la liberté de tout autre.
Telle était la réponse à la première des deux questions de la
raison pure qui concernaientl'intéret pratique: fais ce par quoi tu
peu devenirdigne (A 809/B837) d'ltre heureux.La seconde ques-
tion est alors de savoir comment,si je me conduis ainsi de manièœ
à ne pas 8tre indigne du bonheur,je peux aussi espérer être par là à
même d'y prendrepart. Pour y r6pondre,il importe de savoir si les
principes de la raison pure qui prescrivent a priori la loi y relient
aussi avec nécessité cette espérance.
Je dis donc que, tout comme les principes moraux sont néces-
saires,selon la raison, dans son usagepratique,il est nécessaireaussi
d'admettre, selon la raison dans son usage thlorique, que chacun a
desmotifs d'espérer le bonheur811même degre où, dans sa conduite,
il s'en est rendu digne, et qu'en ce sens le système de la moralit6
est inséparablementlié à celui du bonheur, mais uniquementdans
l'Idée de la raison pure.
CANON DB LA RAISON PURB 661

Or, dans un monde intelligible, c'est-i\-dire moral, pour le


concept duquel on fait abstractionde tous les obstacles s'opposant à
la moralité Oesinclinations),un tel système du bonhenr, oà celui-ci
serait proportionnellementlié i\ la moralité, se peut aussi penser
comme nécessaire, puisque la libert6, en partie mue, en partie ies-
treinte, par des lois morales, serait elle-même la cause du bonhem
universel, et que les &res raisonnables seraient donc eux-m8mes,
sous la direction de tels principes, les auteurs de leur proprefélicité
constante, en même temps que de celle des autres. Reste que ce
système de la moralité se récompensant elle-mime n'est qu'une
(A 810,B 838) Idée, dontla mise en œuvœ n,pose sur cettecondition
(AK. m,526) que chacunfasse ce qu'il doit, c'est-i\-direque toutes
les actions des êtres raisonnablesse produisent comme ai elles ~
cédaient d'nne volonté supl'êmecomprenanten elle ou sous elle tout
arbitreprivé. Mais, dans la mesure oà l'obligation résultant de la loi
morale continue de valoir pour tout uaage particulier de la liberté
quand bien mime d'autres ne se conduiraientpas conformémentl
cette loi, ni la nature des choses du monde ni la causalitédes actions
elles-mêmeset leur rapport i\ la moralité ne déterminentce qu'il en
est de leurs conséquencespar rapport au bonheur ; et le lien néces-
saire, évoqué ci-dessus, rattachant l'espérance d'être heureux i\
l'effort constant pour se rendre digne du bonheur ne peut etre
reconnu par la raison si l'on prend simplementpour fondement la
nature: au contraire n'est-il permis d'espérer nn tel lien que ai nne
suprime raison qui commande selon des lois morales se trouve en
même temps, comme cause de la nature, prise pour fondement.
L'Idée d'une telle intelligence,oà la volonté moralementla plus
parfaite,associ6eà la suprt!mebéatitude,est la cause de tout bonheur
dans le monde, en tant qu'il est dans nn rapport d'exacte proportion
avec la moralité (c'est-i\-direavec ce qui rend digne d'l!tre heureux),
je l'appelle l'idtal du souvemin bien. Donc la raison pure ne peut
trouver que dans l'idéal du souverain bien originairele fondement
du lien pratiquement nécessaire entre les deux (A 811/B839) éJ6.
ments du souverain bien dérivé qui correspond l nn monde intelli-
gible, autrement dit moml. Or, puisque nous devons nécessairement
nous représenternous-mêmespar la raison comme appartenantà nn
tel monde, bien que les sens ne nous présentent rien d'autre qu'nn
monde de phénomènes,force nous sera aussi d'admettre ce monde
intelligiblecommeune conséquencede notre conduitedans le monde
sensible et, dans la mesure oà ce dernier ne nous fomnit pas un tel
lien, comme un monde futur pour nous. Dieu et une vie future sont
donc deux présuppositionsque, selon les principes de la raison pnre,
662 111ÉORIE TRANSCENDANTALE DE LA MÉillODE

l'on ne saumit séparer de l'obligation qui nous est imposée par cette
mêmenison.
La moralit6, an elle-même, constitue un système, mais non pas
le bonheur, sauf s'il se trouve réparti d'une manière exactement
confmme il. la moralité. Or cela n'est possible que dans le monde
intelligible, tel qu'il est soumis à la sagesse de celui qui en est
l'auteur et qui le gouverne. La nison se voit donc contrainte d'ad-
metue un tel auteur, en même temps que la vie dans un monde qu'il
nous faut considérer comme un monde futur, sauf il. considérer le&
lois momies commede vaines chimères, puisque ce qui Iésulte n6cea-
llllimnent de ces lois, et que la même (AK, m, 527) nison y relie,
cette ptésupposition. De 1il.vient aussi
ne poumit que disparaitre 11111111
que chacun considère le&lois morales comme des comm1mdm11ml8,
ce qu'elles ne pomraient etœ en revanche ai elles ne reliaient a priori
aux règles qu'alles inoncent des conséquences proportionn6es et
donc ai elles ne véhiculaient avec elles des promesses et des
menaces.Ca que toutefois elles ne poumient faire non plus (A 811/
B 84()) ai elles ne se trouvaient dans un être nécessaire constituant
le souverain bien, lequel seul peut rendre possible une telle unit6
finaliséa.
Leibnit. appelait le monde, en tant qu;on n'y prend en cansi-
dération que les êtres raisonnables et la manière dont ils 11'accordent,
d'après des lois momles, sous le gouvcmement du souverain bien,
le rigM th la gr&:e,et il le distinguait du rigM th la nature,dans
lequel ces êtres sont certes soumis il. des lois momles, mais n'atten-
dent de leur conduite nulle autre cons6quence que celle qui est
confmme il.la façon dont la nature du monde sensible suit son coura.
Se pen:cvoir comme appartenant au règne de la grice oà tout bon-
heur nous attend, sauf si DOUB restreignons nous-mêmes la part que
nous pouvons y prendre par la manière dont nous nous montrons
indignes d'etœ heureux, c'est donc une Idée pratiquement nécessaire
de la nison.
Des lois pratiques, en tant qu'elles sont en même temps des
nisons lllhjectives fondant les actiODS,c'est-à-dire des principes IIUl>-
jectifs, s'appellcnt des maxima. L'appriciatian de la moralité, dans
aa pureté et ses conséquences, s'opère d'après des l~es; l'oblis-
sance à ses lois, d'après des maxima.
n est nécesaaire que toute la conduite de notre vie soit subor-
donnée il.des maximes morales ; mais il est en même temps impos-
sible, que cela se produise si la nison ne œlic pas il. la loi morale,
qui est une simple Idée, une cause efficiente qui ~termine pournotre
conduite d'après cette loi una iame, que ce soit dans cette vie ou
CANON DE LA RAJSON PURE 663

dans une (A 813/B 841) autre, correspondant exactement à nos fins


suprêmes. Par c:onséquent,88D8 un Dieu et 88D8 un monde qui n'est
pas actuellement visible pour nous, mais dans lequel nous plaçons
notre espoir, les grandioses Idées de la moralité sont certes objets
d'approbation et d'admiration, mais non point des mobilesde l'in-
tention et de l'cffectuation, parce qu'elles ne remplissentpas entiè-
rement la fin qui est assignée à tout euemisonnable de façon natn-
rèlle et a priori précis6mentpar cette tn8me raison pure.
u, bonheur, à lui seul, n'est pas pour notre nüson, tant s'en
faut, le bien complet. Elle ne l'approuve pas commetel {si fortement
que l'inclination puisse le BOUbaiter), à moinsqu'il ne soit associé à
ce qui nous rend dignes d'être heureux, c'est-à-dire à la bonne
conduite morale. Reste que la moralité et, avec elle, le simple fait
d'ltre digne du bonheur ne constituent pas encore non plus à eux
seuls, et de loin, le (AK, m.528) bien complet. Pour fain, accéder
celui-ci à la compl6tude, celui qui s'est conduit de façon à ne pas
être indigne du bonheur doit pouvoir espérer y avoir part. Même la
raison, qui est libre vis-à-vis de tout objectff personnel, ne peut pas
juger autrement, quand, sanspn,ndreen compte pour cela aucun
intâet particulier, elle s'est mise à la place d'un etre qui aunit à
dlstnlmer aux autres tout bonheur : car dans l'Idée pratique les deux
él6mentssont liés par essence, même si le lien s'établit 8\11'un mode
tel que c'est la disposition morale qui, comme condition, rend
d'abont posâible la participation au bonheur,et non pas. à l'inverse,
la pmpective du bonheur qui rend posstüle la disposition morale.
Dans le dernier cas, la disposition, en effet, ne acrait pas morale,et
elle ne serait donc pas (A 814/B 842) non plus digne de tout le bon-
heur qui, devant la raison, ne c:onnaftpas d'autle limitation que celle
qui resulle de notre propreconduite immorale.
Le bonheur, dans la proportion exacte qui le-relie à la moralité
des êtres raisonnables, par quoi ils en sont dignes, constitue donc
seul le souverainbien d'un monde o'9selon les préceptesdé la ralson
pure. mais pratique, il nous faut absolwnent nous situer et qui n'est
en vérité qu'un monde intelligible, puisque le monde BeDS1Üle ne
nous promet pas, à partir de la nature des choses, une telle unité
systématiquedes fins : un monde, en outre, dont la r6alité ne peut
etrefondée sur rien d'autle que sur la pr6suppositiond'un souverain
bien orlginaire, oà une raison autonome, dot&, de tout ce qu'a de
suffisant par soi-même une cause aupr8me, fonde, maintient et
accomplit, selon la plus parfaite finalité,l'ordre qui œgne universel-
lement dans les choses, bien qu'il nous soit, dans le monde sensible,
~ profondément disslmul6.
664 TlœORJETRANSCENDANTALEDE LA MÉ'111ODE

Cette théologiemorale a dès lors cet avantagespécifiquesur la


théologiespéculativequ'elle conduit immanquablementau concept
d'un etrcoriginaireunique,souverainementparfait et raisonnable,
sur lequel la théologiespéculativene nous fournit pas mêmed'in-
dicationsprovenantde fondementsobjectifs,et à propos duquel,a
/oniori, elle ne pouvait nous convaincre.Car nous ne trouvonsni
dansla théologietœnscendantaleni dans la théologienaturelle,IUBIIÏ
loin que la raison puisse ici nous conduite,un seul motif non n6g)i-
geablede n'admettre (A 815/B 843) qu'un être uniqueque nouspour-
rions placer en amontde toutes les causesnaturelles.et duquelnOQS
aurions en mêmetemps une raison suffisantede faire dépendre en
tout point ces causes. Au contraire,quand nous nous interrogeona,
du point de we de l'unité morale comme constùuantune loi n6cea-
saiie du monde,sur la cause capablede donnerà cette loi l'effet gui
lui correspond, par conséquentaussi, pour nous, une force d'obli-
gation,il faut que ce soit unevolontésuprêmeunique,qui compnmœ
toutesces lois en (AK, m.529) elle. Car commententendrions-noua
trouver entre diverses volontés une unité parfaite des fins '1 Cette
volontédoit n6cessaiiementetrctoute-puissante,pour quo la natuœ
entière et sa relationà la moralitédans le mondelui soient soumises;
omnisciente,afin qu'elle connaisse ce qu'il y a de plus intime dans
les dispositionset leur valeurmorale; omniprésente,pour êtreimm6-
diatementdisponible vis-à-viade tout besoin que fait surgir Je sou-
verainbien ; étemelle,pour que cet accordde la natureet de la liberl6
ne vienne à faire défaut on aucun temps, etc.
Cela étant,cette unité systématiquedes fins, dans ce mondedes
intelligencesqui, bien que,comme simple nature, il puisse unlqœ-
ment être appelémonde sensible,peut recevoir,en tant qu'il consti-
tue un système de la li~ le nom de monde intelligible,c'eat-
à-diremoral (resnumsratiae),conduitiQunanquablement aussi, pour
toutes les choses compoBBDt ce grand tout, à une unité fina1ia&,
d'après des lois universellesde la rumue, tout comme la premièœ
unité s'établit d'après des lois morales uiûverselleset n6cessairea:
elle réunit ainsila raison pratique à la raiSonsp6culative162• Il faut
se représenterle mondecommeprovenant(A 816/B 844) d'une Id&,
s'il doit s'accorder àVecl'usage de la raison sans lequel nous DDUS
conduirionsnous-m8mesd'une façon indigne de la raison, à savoir
l'usage moral, dans la mesure oà ce derniern:poae absolumentsur
l'Idée du souverainbien. C'est par là que toute investigationde la
nalUœ .reçoitune orientationqui la conduit vers la forme d'an sys-
tème des fins, et qu'elle devient,dansson supremedéveloppement,
une théologiephysique.Mais celle-ci,dans la mesureen tout cas œ
CANON DB LA RAISON PURE 665

elle a pris son point de départ dans l'ordre moral, comme unité qui
se<trOuvefondée dans l'essence de la liberté et qui n'est pas établie
de façon contingentepar des commandementsextérieurs, rapporte la
finalité de la nature à des fondements qui ne peuvent qu'être insé-
parablementliés a priori à la possibilitéinterne des choses, et ainsi
à une thlologle transcendantale qui fait de l'idéal de la perfection
ontologique suprême un principe d'unité systématique qui relie
toutes choses d'après des lois universelleset nécessairesde la nature,
puisqu'elll'&possèdent toutes leur origine dans l'absolue nécessité
d'un être originaire 1D1ique.
Quel illlage pouvons-nous faire de notre entendement, même
ielativement à l'expérience, si nous ne nous proposons pas de fins ?
Maisles fins supremessont celles de la moralité, et seule la raison
pure peut nous les faire connaitre. Reste que, munis de ces fins et
enles prenant comme fil conductelll',·nousne pouvons faire du savoir
qu'elles nous donnent de la natme elle-même aucun usage consé-
quent 163, du point de we de la connaissance,là oikla nature n'a pas
elle-même(A 817/B.845)inscrit d'unité finalis6e(AK, Ill, 530) : sans
cotte unité, en effet, nous n'aurions pas même de raison, puisque
nous ne disposerionspas polll'elle de ~ école et de cette culture
qui passent par des objets foumissant la Qllll:ièrQnécessaire à de tels
concepts.Or la premièreunité finaliséeest nécessaiœ et fondée dans
l'essence de l'arbitre lui-même; donc, la seconde, qui contient la
condition de l'application de la première in concreto,doit nécessai-
mnent l'être elle aussi, et ainsi la montée en puissance transcendan-
tale de notre connaissance rationnelle ne seraitpas la cause, mais
simplement l'effet de la fµJalité pratigue que la raisonpure nous
impose.
C'est pomquoi nous trouvons aussi dans l'histoire de la raison
humainequ'avant que les concepts morauxeussent été suffisamment
6pmés et déterminés, et que l'unité systématique des fins etlt été
apeiçue d'apms ces conce,pts,et plns précisément d'après des prin-
cipesnécessaires,la connaissancede la nature et même la manière
dont la culture de la raison avllÏtatteint un dc,gréconsidérabledans
maintesautres sciences en partienepurentproduire que desconcepts
grossiers et titonnants de la divinité, en partie laissment subsister
une trop étonnanteindifférence, en gén~, rellmvementà cette ques-
tion. Une plus grande élaboration des Ic;léeamorall'&,rendue néces-
saire par la loi morale extremementpure qui caractéril!enotre reli-
gion, aiguisa la raison v.iJ..à-visdo cet objet par l'intermédiaire de
l'int&êt qu'elle la força à y pœndn,; et sans que des connaissances
de la nature plus étendues, ni des conceptions transcendantales
666 TIŒORIE TRANSCENDANTALEDE LA MÉ11fODE

exactes et .fiables(lesquellesont fait d6faut (A 818/B846) de tout


temps), y eussent conlribu6,ces Idées morales mirent en place de
l'instance divine un concept que nous tenons désormais pour le
conceptjuste, non parce que la raison sp6culativenous persuadede
sa justesse,mais parce qu'il s'accordeparfaitementavec les principes
moraux de la raison. Et ainsi est-ce en tout cas, .finalement,toujours
à la seule raison pure,mais uniquementdans son usage pratique,que
revient le mérite de relier à notre intérêt suprême une connaissance
dont la simplespéculationpeut se faire illusion,mais qu'elle ne peut
rendre valide, et d'en faire ainsi, non point certes un dogme
démontré,mais pourtant une présuppositionabsolumentnécessaire
dans ses buts essentiels.
Cela dit, quand la raison pratique a atteint ce point culminant,
j'entends: le concept d'un être originaireunique comme constituant
le souverain bien, elle ne peut nullement avoir l'audace de faire
commesi elle s'était élevée au-dessusde toutes les conditionsempi-
riques de son applicationet comme si elle avait pris son envoljus-
qu'à atteindrela connaissanceimm6diatede nouveauxobjets, pour
partir de ce concept (AK, III, S31) et en d6duire les lois moralea
elles-mêmes.Car ces lois 6taiontjustement ce dont la nécessitépra-
tique inteme nous avait copduits à la suppositiond'une cause auto-
nome ou à un sage gouverneurdu mondepour donnerà ces lois leur
effet ; et par conséquentnous ne pouvonspasensuite les consid6rer
à leur tour comme contingenteset COIDJll8 d6duites de la simple
volonté,tout particulimment d'une volontédont (A 819/B847) nous
n'aurions aucun concept si nous ne l'avions forg6 conformément à
ces lois. Aussi loin que la raison pratique ait le droit de nous
conduire,nous ne tiendronspas nos actions pour obligatoiresparce
qu'elles sont des commandementsde Dieu, maisles considérerons
COIDJll8 des commandementsdivins parce que nous y sommesint6-
rieurement oblig6s164• Nous étudierons la libert6 comprise sous
l'unité finale d'apres des principes de la raison, et ne croirons nous
confonner à la volonté divine que dans la mesure oà nous tenons
pour sacrée la loi morale que la raison nous enseigneà partir de la
nature des actionselles-mêmes,de même que nous ne croironsservir
cette loi qu'en faisant progresserle bien du monde en nous et dans
les autres. La th6ologie morale est donc simplement d'un usage
immanent,à savoir celui qui nous permet d'accomplir notre desti-
nationici-bas,dana le monde, en prenantnotre place dansle système
de toutes les fins, et non pas d'abandonner,en proie à une exaltation
de l'esprit 1115ou même en nous laissantaller à une tém6ritécoupable,
le fil conducœurd'une raison moralement16gislalricedans la bonne
CANON DB LA RAISON PURE 667

conduite de notre vie, afin de le relier immédiatementà l'Id6e de


l'être suprême- ce qui constitueraitun usage transcendant,mais qui,
tout comme celui de la simple spéculation,ne peut que renverseret
faire échouer les fins dernières de la raison.

Troisièmesection
(A 820/B848) DE L'OPJNION,DU SAVOIRET DB LA CROYANCE

La créance, qui consisteà tenir qnelquechose pour vrai ••, est


un fait qui, dans notre entendement,peut reposersur des principes
objectifs,mais requiert aussi aes causes subjectivesdans l'esprit de
celui qui, alors, effectue le jugement. Quand le fait de tenir en sa
Cléancepossède unevaliditépour chacun,cmtant qu'il a simplement
de la nüson, ce sur quoi il se fonde est objectivementsuflisant,et la
Cléances'appelle dèslors c:onvlction. (AK, m, 532) Si la Cléancese
fonde uniquementdans la natureparticulièredu sujet, elle est appel6e
penuasion.
La persuasionest une simpleapparence, parce que le fondement
du jugement, qui :résideuniquementdans le sujet, est tenu pour
objectif. Ce pourquoi un jugement de ce type n'a en outre qu'une
valeur personnelle,et la créancene se peut c:ommuniquer.Mais la
vmtérepose sur l'accord avec l'objet, via-à-vis duquel par consé-
quent les jugements de tout en1endementdoivent l!tre d'accord
(consentientiauni tertioconsentiuntinterse). La pierre de touche de
la créance,pour reconnaître s'il s'agit d'une conviction ou d'une
simplepersuasion,est donc, de façon ext6deure,la possibilitéde la
communiquer,et de trouverque la créancepossède une validitépour
la raison de chaque être humain; car, dèslors, du moins est-ceune
présomptionque la raison d'l!tre de l'accord (A 821/B849) de tous
les jugements, indépendammentde la divemit6des sujets entre eux,
reposera sur le fondementcommun, à savoir l'objet, avec lequel ils
s'accorderontpar conséquenttous,·prouvant ainsi la vérité du jugo-
ment 167.
La persuasionne peut donc en v6rit6 8tre distinguée subjecti-
vement de la conviction,si le sujet CODBidère la créancesimplement
comme un phénmœnede son esprit propre; n6anmoina,la manière
dont on met à !'Epreuve,sur l'entendement d'autres personnes,les
fondementsde cette créancequi pour noua possèdentune valeur, afin
de d6terminers'ils {troduisentsur une raison 6trangmeexactement
le ml!meeffet que sur la n6tre, est pourtant un moyen, certes seu-
668 TIŒORIE TRANSCENDANTALE DB LA Mm'HODB

lement subjectif, non pas bien sOr de produire la conviction,mais


néanmoinsde découvrir la validité simplementpersonnelledu juge-
ment, c'est-à-dire quelque chose qui en lui relève de la seule per-
suasion.
Si l'on peut en outre expliciter les causes subjectivesdu juge-
ment, que nous prenons pour des raisonsobjectives de ce jugement,
et par conséquent expliquer la créance trompeuse comme un évé-
nement se produisant dans notre esprit, sans avoir besoin pour cela
de la nature propre de l'objet, nous dépouillonsalors l'apparence de
ses voiles et nous n'en seronsplus abusés, bien que nous puissions
toujours éprouver vis-à-vis d'elle, jusqu'à un certain degré, encore
une tentation, si la cause subjective de l'apparence tient à notre
nature.
Je ne peux qf/irrMr, c'est-à-dire exprimer commeun jugement
valant nécessairementpour chacun, que cc qui (A 822/B850)produit
une conviction. Ma persuasion, je peux la garder pour moi, si je
m'en trouve bien, mais je ne peux ni ne dois vouloir la faire valoir
hors de moi.
La créance, autrement dit : la validité subjective da jugement
relativementà la conviction (qui en même temps a unevaleur objeo-
tive), possède (AK. m, 533) les trois degrés suivants : opinion,
croyanceet savoir.L•opinionest unecréanceconsciented'êtreinsuf-
fisante subjectivementtout autant qu'objectivement. Si la c:réance
n'est suffisanteque subjectivementet est en mt!metemps tenue pour
objectivementinsuffisante,elle s'appelle croyance.Bnfin,la c:réance
qui est suffisante aussi bien subjectivementqu'objectivement s'ap-
pelle le savoir. La suffisance subjective s'appelle conviction(pour
moi-m&me),la suffisanceobjectives'appelle certitude(pour chacun),
Je ne m'arrêteraipasà clarifierdes conceptsaussi aisémentcompr6-
henSI"bles.
Je ne peuxjamais m'aventurer à avoir une opinionsans savoir
au moins quelque chose par l'intermédiaire de quoi le jugement en
soi simplementproblématique acquiert une liaison à la vérité qui,
bien qu'elle ne soit pas complète, est pourtant davantage qu'une
inventionarbitraire.La loi r6gissantun telle liaison doit en outre t!tre
certaine. Car si, vis-à-vis de cette loi, je n'ai égalementrien qu'une
opinion, tout n'est plus qu'un jeu de l'imagination, sans la moindre
relation à la vérité. Dans les jugements qui procèdent de la nùson
pure, il n'est nullement permis d'avoir des opinions.Car, puisqu'ils
ne sont pas appuyés sur des fondements empiriques, (A 823/B851)
mais que, là oà tout est nécessaire, tout doit être connu a priori,le
principe de la liaison requiert l'universalitéet la nécessité,par cons6-
CANON DE LA RAISON PURE 669
quent une complète certitude, étant donné que, dans le cas contraire,
rien ne se peut trouver qui conduise à la vérité. Ce pourquoi il est
absurde de former des opinions dansla mathématiquepure : il faut
savoir ou s'abstenir de tout jugement. De même en est-il avec les
principesde la mOflllité,où l'on n'a pas le droit de risquer une action
surla simple opinion que quelque chose est permis, mais où il faut
savoir que c'est le cas.
Dans l'usage transcendantalde la raison en revanche, l'opinion
est en vérité trop peu exigeante,maisle savoir l'est trop. D'un simple
pointde we spéculatif, nous ne pouvons donc ici nullementjuger,
puisque des fondements subjectifs de la cr6ance, comme ceux qui
peuvent prodwrela croyance, ne mériœnt dansles questions spécu-
latives aucun aœueil favorable, dansla mesure où ils n'ont pas de
consistanceindépendamment de tout accoursempirique et ne se
peuvent communiqueraux autres au même degré.
Ce n'est jamais, cependant,que sous le rapportpratiqueque la
créance insuffisante sous l'angle théorique peut être nomm6e
croyance.Or, ce point de we pratique est oµ bien celui de l'habileté,
ou bien celui de la moralité: la prmqièrecorrespond à des tins arbi-
train:s et contingentes,tandis que la seconde correspond à des fins
absolumentnécessaiœs.
Une fois qu'une fin est proposée, les conditions permettant de
l'atteindre sont hypothétiquement nécessaires. Cette nécessité est
(AX, m, 534) subjective, mais elle n'est pourtant suffisante que
(A 824/B852) par comparaisonsi je ne connais pas du tout d'autres
conditions sous lesquelles la fin se pourrait atteindre; en revanche.
elle est absolument suffisante et pour chacun, si je sais de façon
certaine que personne ne pourrait connaître d'autres conditions
conduisantau but proposé.Dans le premie,;cas, ma suppositionainsi
que la créance que je place en certaines conditions constituentune
croyance simplementcontingente,alors que dansle second cas elles
constituent une croyance nécessaire. Il faut que le médecin fasse
quelque chose pour un malade qui est en danger, maisil ne connaît
pas la maladie; il considère ies phénomènes et il juge, parce qu'il
ne sait rien faire de mieux, que c'est la phtisie. Sa croyance est,
même dansson proprejugement, simplementcontingente, un autre
pourraitpeut-être mieux trouver la maladie.J'appelle croyance prag-
matiqUIIune telle croyance .qui, bien que contingente,sert de. fon-
dement à l'utilisationeffective des moyens pour certaines actions.
La pime de touche rornrnruaémentemployée pour détcnniner
si quelque chose que quelqu'un affinne est une simple persuasion,
ou du moins une conviction subjectiv!', c'est-à-dire une croyance
668 THÉORIE TRANSCENDANTALE DE LA Mm'HODE

lement subjectif, non pas bien sdr de produire la conviction, mais


néanmoins de découvrir la validité simplement personnelle du jng&,
ment, c'est-à-dire quelque chose qui en lui relève de la seule per-
suasion.
Si l'on peut en outre expliciter les causes subjectives du jup.
ment, que nous prenons pour des raisonsobjectives de ce jugement,
et par conséquent expliquer la créance trompeuse comme un é\16-
nement se produisant dans notre esprit, sans avoir besoin pour œ1a
de la nature propre de l'objet, nous dépouillons alors l'apparence de
ses voiles et nous n'en serons plus abusés, bien que nous puissions
toujours éprouver vis-à-vis d'elle, jusqu'à un certain degré, encore
une tentation, si la cause subjective de l'apparence tient à notre
nature.
Je ne peux affi~r, c'est-à-dire exprimer comme un jugement
valant nécessairementpour chacun, que ce qui (A 822/B 850) produit
une conviction. Ma persnasion, je peux la garder pour moi, ai ji,
m'en trouve bien, mais je ne peux ni ne dois vouloir la faire valoir
hors de moi.
La créance, autrement dit : la validité subjective du jugemant
relativement à la conviction (qui en même temps a Wle valeur objec:,.
tive), possède (AK, m, 533) les trois degrés suivants : opinion,
croyanceet savoir.L'opinionest une créance consciente d'être insuf-
fisante subjectivement tout autant qu'objectivemenL Si la créance
n'est suffisante que subjectivement et est en même temps tenue pour
objectivement insuffisante, elle s'appelle croyance.Enfin, la Ciéance
qui est suffisante aussi bien subjectivement qu'objectivement s'ap-
pelle le savoir. La suffisance subjective s'appelle conviction(pour
moi-même),la suffisance objective s'appelle certitude(pour chacun).
Je ne m'arrêterai pas à clarifier des concepts aussi aisément compr6-
hensibles.
Je ne peuxjamais m'aventurer à avoir 1D1e opinionsans savoir
au moins quelque chose par l'intermédiaire de quoi le jugement en
soi simplement problématique acquiert une liaison à la vérité qui,
bien qu'elle ne soit pas complète, est pourtant davantage qu'une
invention arbitraire. La loi régissant un telle liaison doit en outre 8tre
certaine. Car si, vis-à-vis de cette loi, je n'ai également rien qu'une
opinion, tout n'est plus qu'un jeu de l'imagination, sans la moindœ
relation à la vérité. Dans les jugements qui procèdent de la raison
pure, il n'est nullement permis d'avoir des opinions.Car, puisqn'lls
ne sont pas appuyés sur des fondements empiriques, (A 823/B 851)
mais qne, là oQ tout est nécessaire, tout doit être connu a priori,hl
principe de la liaison requiert l'uuiversalité et la nécessité, par conad-
CANON DB LA RAISON PURE 669
qucnt une complète certitude, étant donné que, dans le cas contraire,
ricDne se peut ttouver qui conduise à la vérité. Ce pourquoi il est
absurdede former des opinions dans la mathématique pure : il faut
savoir ou s'abstenir de tout jugement De ml!me en est-il avec les
principesde la moralité, oà l'on n'a pasle droit de risquer une action
surla simple opinion que quelque chose est permis, mais oà il faut
savoir que c'est le cas.
Dans l'usage transcendantal de la raison en revanche, l'opinion
estenvérité b'op peu exigeante, mais le savoir l'est b'op. D'un simple
pointde wc spéculatif, nous ne pouvons donc ici nullement juger,
puisque des fondements subjectifs de la créance, comme ceux qui
peuvent produiie la croyance, ne méritent dans les questions spécu-
latives aucun 81lCUcil favorable, dans la mesure oà ils n'ont pas de
consistance indépendamment de tout secours empirique et ne se
peuvent communiquer aux autres au même degré.
Ce n'est jamais, cependant, que sous le rapportpratiqueque la
créance insuffisante sous l'angle théorique peut etrenommée
croyance.Or, ce point de vue pratique est 011bien celui de l'habileté,
011biencelui de la moralité: la pnmiière correspondà des fins mbi-
tnûreset contingentes, tandis que la seconde correspond à des fins
absolumentnécessaires.
Une fois qu'une fin est proposée, les conditions permettant de
l'atteindre sont hypothétiquement nécessaires. Cette nécessité est
(AK, m, 534) subjective, mais elle n'est pourtant suffisante que
(A 824/B852) par comparaison si je ne connais pas du tout d'autres
conditions sous lesquelles la fin se polJlTBitatteindre ; en revanche,
elle est absolument suffisante et pour chacun, si je sais de façon
CCllaineque personne ne polJlTBitconnaî1re d'autres conditions
c:ondnisantau but proposé. Dans le premiercas, ma supposition ainsi
que la créance que je place en certainesconditions constituent une
croyance simplement contingente, alors que dans le second cas elles
constituent une croyance nécessaire. Il {aut que le médecin fasse
quelque chose pour un malade qui est en danger, mais il ne connaît
pas la maladie; il considère ies phénomènes et il juge, parce qu'il
ne sait rien faire de mieux, que c'est la phtisie. Sa croyance est,
m8medans son proprejugement, simplC11Dent contingente, un autre
pomrait peut~ mieux trouver.la maladie.J'appelle croyance prag-
matiqru,une telle croyance .qui, bien que contingente, sert de fon-
dement à l'utilisation effective des moyens pour certainesactions.
La piem, de touche COllUl1DDémcnt employée pour déterminer
si quelque chose que quelqu'un affirmeest une simple persnasion,
ou du moins une conviction subjective, c'est-à-dire une croyance
670 nŒORŒTRANSCBNDANTALBDB LA r.ŒTHODB

solide, est le pari. Souvent quelqu'un exprime ses énoncés avec une
hardiesse si remplie d'assurance et si intraitable qu'il semble avoir
écarté entièrementtoute crainte d'erreur. Un pari le déconcerte.Par-
fois, il s'avère certes qu'il est assez persuadé pour pouvoir évaluer
sa persuasionà un ducat, mais non pas à dix. Car le premier ducat.
il le risque encore volontiers,mais quand la mise se monte à dix.il
commenceà prendre conscience(A 825/B853) de ce qu'il ne remar-
quait pasauparavant,à savoir qu'il serait pourtantbel et bien possible
qu'il se soit trompé. Si nous nous représentonspar la pensée que
nous devrions parier là-dessus le bonheur de toute notte via, DOlœ
jugement lriomphant disparait totalement, nous devenons exttem1>
ment hésitants, et nous commençons alors à découvrir que notœ
croyance ne nous conduit passi loin. Ainsi la croyancepragmatique
possède-t-elleuniquementun degré, qui, selon la différencedes int6-
rêts qui s'y trouvent en jeu, peut être grand ou petit
Cela dit, puisque, même si, relativement à un objet, nous ne
pouvons entreprendreabsolumentrien, la créance étant donc simpll>
ment théorique, nous pouvons cependant, dans de nombreux eu,
concevoirpar la pensée .et imaginer une entreprisepour le choix de
laquellenous pensons avoir des raisons suffisantessi nous dispoaiona
d'un moyen d'établir la certitude de l'affaire, il y a dans les jup-
ments simplement théoriques quelque chose d'analogue aux juge-
ments pratiques à la creance desquels s'applique le terme de
croyance,et que nous pouvons nommer la crayancedoctrinale.S'il
était possible de décider de la chose par quelqueexpérience,je pariD-
rais volontiers tous mes biens (AK, m, 535) qu'il y a des habilalllB
au moins dans quelqu'une des planètes que nous voyons. Ce polll'-
quoi je dis que ce n'est pas simplementune opinion, mais une forœ
croyance (sur la justesse de laquelleje 'risqueraisd'ores et déjà beau-
coup d'avantages de la vie), qui me fait penser qu'il y a aussi des
habitants dans d'autres mondes.
(A 826/B854) Or, il nous faut convenirque la doctrine del'eiü&-
tence de Dieu relève de la croyancedoctrinale,Car, bien que, du point
de vue de la connaissancethéoriquedu monde,je n'aie rien à dlcriter
qui suppose nécessairementcette pensée comme condition de mes
explicationsdes phénomènesdu monde, mais que je sois bien plutAt
obligé de me servir de ma raison comme si tout était simplemDDl
nature, l'unité finalisée est cependant une si grande condition de
l'application de la raison à la nature que je ne peux pas du tout la
laisser de côté, dans la mesure, au demeurant,oil l'expérience m'en
fournit à profusion des exemples. Or, pour ce qui est de cette unit6,
je ne connais pas d'autre conditionqui pOt en faire pour moi un fil
CANONDE LA RAISONPURE 671

conducteur de l'exploration de la nature que de supposer qu'une


suprême intelligence a aout ordonné ainsi d'après les fins les plus
18ge&. Par con&équent,faire la supposition d'un sage cr6ateur du
monde est condition vis-l-vis d'un objectif qui est certes contingent,
maisn'est cependant pas d6nu6d'importance, à savoir: disposerd'un
principe directeur dans l'exploration de la nature. L'issue de mes
recherches confirme au reste si souvent l'utilité de cette supposition
et il est tellement exclu qu'on puisse 6lever contre elle la moindre
objectiond6cisiveque ce serait direbeaucouptrop peu sije choisissais
d'appeler ma cr6anceune simple opinion: bien au contraire peut-on
dire, même sous ce rapport th6orlquc,que je crois fermement en un
Dieu, auquel cas d~ lors cette croyance n'est pourtant pas pratique
au sens strict, mais _doitêtre appel6e une croyance doctrinale, que la
(A 827/B855) thlologiede la nature (th6ologiephysique) doit néces-
sairement susciter partout Sousl'angle de cette même sagesse, à
prendre en comptela façondont la nature a été excellemmentpourvue
et la manière dont la brièveté de la vie est si mal accord6eavec cette
excellence, on peut tout aussi bien trouver une raison suffisante plai-
dant pour une croyance doctrinaledans la vie futurede l'&mehumaine.
Le terme de croyance est dans de tels cas une expression de
JDOdestiedu point de we objectif,mais cependant, en même temps,
il exprime du point de we subjectifla solidité de la confiance.A sup-
poser même que je veuille ici œ d6signer la cr6ancesimplement
théorique que comme une hypothèse que j'aurais le droit d'admettre,
ainsime ferais-je d6jà fort de posséder,sur la nature d'une cause du
monde et sur celle d'un autre monde, un concopt (AK, Ill, 536)
contenant davantage que cc que je puis effectivement indiquer ; car,
quoi que j'admette simplement à titre d'hypothèse, il me faut du
moins en connaître les proprlét6s dans une mesure telle que ce soit
non pas son concept,mais seulementson existencequ'il me faille
imaginer. Cela dit. le terme de croyance s'applique seulement à la
façon dont une Idée me foumit un principe directeur, et à l'influence
subjective qu'elle cxen:esur le d6veloppcmentdes actes de ma rai-
son, qui renforce mon adh6sion à cette Idée, bien que je ne sois pas
en état d'en rendre compte du point de vue spéculatif.
Reste que la croyance simplement doctrinale a en soi quelque
chose de chancelant ; on en est souvent expuls6 par des difficultés
qui surgissent dans la spéculation, (A 828/B856) bien que l'on y
revienne toujours immanquablement
Tout autrementen est-il de la croyancemorale.Car là il est abso-
lument nécessaire que quelque chose se produise, c'est-à-dire que je
suive en IOutpoint la loi morale. La fin est ici inconlOurnablement
672 TIIÉORIE TRANSCENDANTALE DE LA MFI'IIODE

fixée, et il n'y a, selon tout ce que je sais, qu'une seule conditionpoa-


sible sous laquelle cette fin parvient à former avec toutes les autres
fins un ensemble cohérent et possède dès lors une valeur pratique, à
savoir qu'il y ait un Dieu et un monde futur ; je sais aussi de façon
tout à fait certaineque personnene connaît d'autres conditionscondui-
sant à la même unité des fins sous la loi morale. Dans la mesure,tou-
tefois, où le précepte moral constitue en même temps ma maxima
(puisque la raison commande qu'il le soit), je croirai immanquablo-
ment à 1'existence de Dieu et à une vie future, et je suis silr que rien
ne peut rendre chancelantecette croyance,parce que cela renvenierait
mes principes moraux eux-mêmes,auxquelsje ne peux renoncer sana
être à mes propres yeux digne de mépris.
De cette façon, malgré l'effondrement de tous les dessein&
démesurémentambitieux d'une raison tâtonnant au-delà des limites
de toute expérience, il nous reste encore assez de ressources pour
avoir ainsi, du point de vue pratique, des motifs de satisfaction.Assu-
rément personne ne peut-il se vanter de savoir qu'il y a un Dieu et
une vie (A 829/B 857) future ; car, si quelqu'un le sait, il est justo-
ment l'homme que je cherche depuis longtemps. Tout savoir (s'il
concerne un objet de la simple raison) peut être communiqué,et je
pourrais donc moi aussi espérer voir mon savoir élargi dans des
proportions tellement étonnantes par ce qu'il pourrait m'apprendre,
En fait, non: la conviction n'est pas une certitude logique, mala
morale, et comme elle repose sur des fondements subjectifs (la dis-
position morale), (AK, m, 537) je ne dols pas même dire : il eat
moralementcertain qu'il y a un Dieu, etc., mais : je suis moralement
certain, etc. Autrement dit : là croyance en un Dieu et en un autre
monde est à ce point liée à ma disposition morale que, tout 8Ulllli
peu suis-je exposé à perdre cette disposition, tout aussi peu ai-je à
craindre de pouvoir jamais me voir ravir cette croyance.
Le seul point délicat qui intervient à cet égard, c'est que cette
croyance rationnelle se fonde sur la présupposition de dispositions
morales. Si nous écartons cette présupposition et envisageons un
homme qui serait totalement indifférent relativement aux lois
morales, la question que la raison soulève devient simplementun
problème pour la spéculation,et sans doute peut-elle alors s'appuyer
encore sur de puissantes raisons issues de l'analogie, mais non point
sur des raisons devant lesquelles le besoin le plus opiniitre de douter
doive céder*· Reste que, dans ces questions, (A 830/B 858) il n'y a

• L'esprit humain prend (commeje croill cela inévitablepour tout &ni rai-
sonnable)un int&et naturel l la monilit6,bien que ce ne soit point un mt6I!tBIDI
CANON DE LA RAISON PURE 673
pas d'homme qui soit détaché de tout intérêL Car, bien qu'il puisse
être coupé de l'intérêt moral par le manque de bonnes dispositions,
il reste pourtant, même dans ce cas, assez de ressources pour faire
en sorte qu'il craigne un être divin et un avenir. Car tout ce qui est
requis pour cela, c'est qu'il ne puisse en tout cas mettre nullement
en avant la certitude qu'il ne se trouve aucun Dieu ni aucune vie
future, laquelle certitude exigerait, puisque ces deux points ne
devraient être prouvés que par la simple raison, par conséquent de
manière apodictique, qu'il pQt démontrer l'impossibilit.6de l'un et
de l'autre - ce qu'assurément nul homme raisonnable ne peut entre-
prendre. Ce serait une croyance négative qui ne produirait certes ni
de la moralité ni de bonnes dispositions, mais en tout cas quelque
chose qui leur serait analogue, c'est-à-dire qui pourrait·retenir puis-
samment les mauvaises dispositionsde faire irruption.
Est-ce donc là, dira-t-on,tout ce qu'obtient la raison pure, quand
elle ouvre des perspectivesau-delàdes limites de l'expérience ? Rien
de plus que deux articles de foi ? Assurémentl'entendementcommun
en aurait-il lui aussi fait autant (AK, m, 538) (A 831/B 859) sans
avoir besoin de prendre sur ces questions l'avis des philosophes.!
Je ne veux pas c6lébrerici le service que la philosophiea rendu
à la raison humaine par les efforts pém"blesqu'elle a consacrés à sa
critique, quand bien meme le bénéfice obtenu, au terme, ne devrait
être que négatif; car à cet égard interviendraencore quelque obser-
vation dans le chapitre suivant. Mals est-ce à due que vous exigez
qu'une connaissance concernant tous les hommes doive dépasser
l'entendement commun et ne vous être dévoilée que par les philo-
sophes7 Ce que vise votre reprocheconstitue la meilleure confir-
mation que ce que l'on a affirm6jusqu'ici était exact, dans la mesure
oikse trouve ainsi mis à découvert ce que l'on pouvait apercevoir
initialement, savoir que la nature, dans ce qui tient à cœur indiffé-
remmentà tous les hommes, ne peut se voir reprocher aucune répar-
tition partiale de ses dons, et que la philosophiela plus 6levée, du
point de vue des fins essentielles de la nature humaine, ne saurait
conduire plus loin que ce n'est le cas sous la direction qu'elle a
accordée tout autant à l'entendement le plus commun 1111•

partageni pratiquementprépond6rant Renfün:ezet ~eloppcz œt iDf6et, et VOIII


1n>uvmez la raison tœs doc:ileet mêmeplus 6c:hme pour rdunirmime à l'intâet
pratiquel'intéi!t sp6culatif En n:vancbe,Bivous ne VOU1BOIICÏIIZ
pas de n:adre
auparavant,au moins l nù-chemin,lea hommesbo111,vo111ne ferez jamais IICIII
plu&daa hommessinœlmleat croyanll.
674 THÉORIE TRANSCENDANTALE DE LA MÉlllODE

(A 832/B 860) ChapitreIll


L'ARCHITECTONIQUEDB LA RAISON PURE

J'entends par architectoniquel'art des systèmes. Puisque l'unit6


systématique est ce qui, simplement, transforme une connaissance
commune en science, c'est-à-dire ce qui, d'un simple agrégat, fait
un système, l'architectonique est donc la doctrine de ce qu'il y a de
scientifique dans notre connaissance en général, et elle appartient
ainsi, nécessairement, à la méthodologie.
Sous le gouvernement de la raison, nos connaissances en géné-
ral n'ont pas la possibilité de constituer une rhapsodie, mais elles
doivent au contraire former un système, au sein duquel seulement
elles peuvent soutenir et favoriser les fins essentielles de la raison.
Cela dit, j'entends par système l'unité des diverses connaissances
sous une Idée. Cette dernière est le concept rationnel de la fomm
d'un tout, en tant que. à travers ce concept, la sphère du divers aussi
bien que la position des parties les unes par rapport aux autres sont
détenninées a priori. (AK, m, 539) Le concept scientifique de la
raison contient donc le but et la fonne du tout qui est congruent avec
ce but. L'unité du but auquel toutes les parties se rapportent et dans
l'Idée duquel elles se rapportent aussi les unes aux autres fait que
l'absence de chaque partie peut être (A 833/B861) repérée à partir
de la connaissance des autres, et qu'aucun ajout contingent ne peut
y trouver une place, ni aucun quantumindéfini de perfection qui ne
possède ses limites déterminées a priori. Le tout est donc articulé
(articulatio),et non pas produit par accumulation (coacervatio);
assuJément peut-il croi"'trede l'intérieur (per intussusceptionem),mais
non pas de l'extérieur (per appositionem),comme un corps animal
auquel la croissance ne vient ajouter aucun membre, mais rend
chaque membre, ~ modifier les proportions, plus fort et mieux
adapté l ses fins.
L'Idée a besoin, pour être mise en œuvre, d'un schème, c'est-
l-dire d'une diversité et d'un ordre intrinsèques des parties qui soient
détenninés a priori l partir du principe de la fin. Le schème qui n'est
pas forgé selon une Idée, c'est-à-dire à partir de la fin principale de
la raison, mais empiriquement, selon des objectifs se présentant de
manière contingente (dont on ne peut savoir par avance le nombre),
procure une unité techniq11e,tandis que celui qui ne surgit qu'à la
ARCIDTECTONJQUEDB LA RAISON PURB 675

suite d'une Idée (oà la raison fournit les fins a priori et ne les attend
pasempiriquement)fonde une unité architectonique.Ce n'est pas de
manièretechnique, du fait de la similitude présentée par le divers,
ou de l'usage contingent de la connaissancein concretopar rapport
à toutes sortes d'objectifs extérieurs arbitraires, mais c'est unique-
ment de manièrearchitectonique,en raison de l'affinité des parties
et de leur dérivation à partir d'un unique objectif suprême et interne
qui seul rend possible le tout, que peut naîlre ce que nous appelons
science, dont le scht:medoit contenir les contours (monogramma)et
l'articulation du tout (A 834/B862) en ses membres confonnétnent
à l'Idée, c'est-à-dire a priori, et distinguercelui-ci de tous les autres
avec certitude et d'après des principes.
Personne ne tente de c:onstruùeune science sans prendre pour
fondementune Idée. Simplement,dans l'élaboration de cette science,
le schème et meme la définition que l'on donne dès le début de sa
science correspondenttrès rarement à son Idée ; car celle-ci est ins-
crite dans la raison comme un germe oà toutes les parties sont
cachées,encore à l'état forœmentenvelopp6et d'une manièreà peine
discernable par l'observation microscopique. En vertu de quoi,
puisque les sciences sont pourtant toutes conçues à partir du point
de vue d'un certain intaret universel, elles se doivent élucider et
détennincr, non pas d'après la descriptionque leur auteur en donne,
mais d'après l'Idée que, partant de l'unité naturelle des parties (AK,
m, 540) que cet auteur a rassemblées, l'on trouve fondée dans la
raison elle-m8me.Car il se découvre alors que l'auteur, et souvent
meme ses plus lointains successeurs, s'égarent à propos d'une Idée
qu'ils n'ont pas su se rendre claire pour elllt-m8mes,Incapablesdès
lors qu'ils ont été de déterminer le co.ntenupropre, l'articulation
O'unité systématique)et les limites de la science.
Il est regrettable que ce ne soit qu'après avoir consacré bien du
temps à rassembler de façon rhapsodique,en suivant les indications
fournies par une Idée cachée en nom, beaucoup de connaissancesse
rapportant à cette Idée et utilisées comme des matériaux, et après
avoir surtout passé un bien long temps à les agencer entre elles
(A 835m 863) de manièretechnique, qu'il commence alors à noDB
etre possible d'apercevoir l'Idée sous un jour plus clair et de tracer
architectoniquementles contours d'un tout d'après les fins de la rai-
son. Les systèmes semblent s'l!tre constitués, tels des vers, par une
generatioaequivoca,i\ partir de la simple conjonction de concepts
accumulés: d'abord tronqués, ils se sont complétés avec le temps,
bien qu'ils eUBsenttous globalement possédé leur schème, comme
un germe originaire, dans la raison, telle qu'elle ne ferait ainsi que
676 TIŒORIE TRANSCENDANTALE DE LA MÉTHODE

se désenvelopper; et c'est pourquoi, non seulement chacun d'eux


est, pour ce qui le concerne, articulé suivant une Idée, mais en outre
ils se trouvent tous à leur tour Qnis entre eux de façon finalisée dans
un système de la connaissance humaine, çomme les membres d'un
tout, et pennettent une architectonique de tout le savoir humain qui,
maintenant que beaucoup de matériaux ont d'ores et déjà été ras-
semblés ou peuvent être dégagés des ruines d'antiques édifices qui
se sont effondrés, ne serait pas simplement possible, mais ne serait
même guère difficile à construire. Nous nous contentons ici d'ache-
ver notre entreprise, c'est-à-dire uniquement d'esquisser l'architec-
tonique de toute connaissance procédant de la raisonpure, et nous
partons du point où la racine globale de notre faculté de conruu"tre
se divise et développe deux branches, dont l'une est la raison.
J'entends toutefois ici par raison l'ensemble tout entier du pouvoir
supérieur de connaître, et j'oppose donc le rationnel à l'empirique 1611•
Si je fais abstraction de tout contenu de la connaissance consi-
dérée objectivement, toute connaissance est subjectivement (A 8361
B 864) ou bien historique ou bien rationnelle. La connaissance his-
torique est cognitio ex datis, tandis que la connaissance rationnelle
est cognitioex principiis.Une connaissance peut bien être originai-
rement donnée, d'où que ce soit: elle est en tout cas historique, chez
celui qui la possède, s'il ne détient sa connaissance que dans la
mesure où, pour autant, cela lui a été donné d'ailleurs, que èe soit
par une expérience immédiate ou par un récit, ou encore par un
apprentissage (des co~aissances générales). De là vient que celui
(AK. m, 541) qui a proprement appris un système de philosophie,
par exemple celui de Wolff, quand bien même il aurait en tête tous
les principes, toutes les définitions et démonstrations, en même temps
que la division de tout cet édifice doctrinal, quand bien même il
pourrait tout dénombrer sur ses doigts, ne saurait pourtant avoir
d'autre connaissance de la philosophie wolffienne qu'une connais-
sance historiquecomplète : il ~e sait et ne juge que ce qui lui a ét6
donné. Contestez-lui une définition : il ne sait pas où il doit aller en
n
chercher une autre. s'est fonné d'après une raison étrangère, mais
le pouvoir d'imiter n'est pas celui de créer, c'est-à-dire que la
connaissance n'a pas procédé chez lui de la raison, et bien qu'elle
soit par ailleurs assurép:1.entune connaissance rationnelle, elle est
pourtant, d'un point de vue subjectif, uniquement historique. Il a bien
saisi et bien retenu, c'est-à-dire qu'il a bien •PPris, et il est la tcpl'O-
duction d'un homme vivant Les connaissances de la raison qui sont
objectivement telles (c'est-à-dire qui .ne peuvent provenir originai-
rement que de la propre raison de l'homme) ne peuvent dès Ion
ARCHITECTONIQUEDE LA RAISON PURB 677

porter aussi subjectivementce nom que si elles ont 6té puisées aux
sources (A 837IB865) généralesde la raison.d'oà peut provenir
aussi bien la critique,et meme le rejet de ce que l'on a appris, c'est-
à-diresi elles ont été puisées à des principes.
Or, toute connaissancede la raison est ou bien connaissancepar
conceptsou bien connaissancepar constructionde concepts; la pre-
mière s'appelle philosophique,la seconde math6matique.De la dif-
férence intrinsèqueentre les deux, j'ai déjà traité dans le premier
chapitre. Une connaissancepeut donc être objectivementphiloso-
phique et cependant subjectivementbistmiquc, comme c'est le cas
chez la plupart de ceux qui SODten traind'apprendre et chez tous
ceuxqui ne voientjamais au-delàde l'école et restenttoute leur vie
durant des écoliers. Mais il faut remarquerpourtant que la connais-
sancemath6matique,telle qu'on l'a apprise, peut avoir aussi, sub-
jectivement,la valeur d'une connaissancerationnelle,et que la dis-
tinction évoqu6e n'a pas lieu d'8tre,vis-à-vis d'elle, au mêmetitre
que vis-à-visde la connaissancephilosophique.L'explicationen est
que les sourcesde connaissance,oà le maître seul peut puiser, ne
résidentnulle part aillcms que dans les principesessentielset v6ri-
tables de la raison, et que par conséquent ils ne peuvent 8tre
empruntésailleurs par l'élève, ni de quelque manière contestés- et
cela, en v6rité,parœ que l'usage de la raiSOD ne s'effectue ici qu'in
concreto,bien que néanmoinsa priori,à savoir dans l'intuitionpllRI,
telle qu'elle est, pour cela memc, infaillible, et qu'il exclut toute
illusion et toute erreur. On ne peut donc, parmi toutes les sciences
rationnelles (a prior{) apprendre seulement que la mathématique,
mals jamais la philosophie (AK, Ill, 542) (si ce n'est historique-
ment) : en fait, pour ce qui concernela raison, on ne peut apprendre
tout au plus qu'l phUosoph4rno.
(A 838 / B 866) Cela dit, le systèmede toute connaissancephi-
losophiqueest la phUosophle.Force est qu'on la prenne objective-
ment, si l'on entend par Il le modèle qui pmmet d'apprécier toutes
les tentativesfaites pour philosopher,selon une appréciationqui doit
servir à juger toute philosophiesubjective,dont l'édifice est souvent
si diversifiéet si soumisau changemenLSur ce mode, la philosophie
est une simple Idée d'une sciencepossfüle,qui n'est nulle part don-
née in concreto,mais dont c:incherche l s'approcherpar divers che-
mins, jusqu'l ce que soit découvertl'unique sentier servant de voie
avait finipar effacer,et que l'on parvienne,
d'accès, que la senst1Jilit6
autant qu'il est possible l des hommes, l rendre la copie, jusqu'ici
manquée, semblable à l'original. Tant que l'on n'en est pas Il, on
ne peut apprendreaucune philosophie; car oà est-elle7 Qui ]a pos-
678 nŒORIE 1RANSCENDANTALB DE LA MITIHODE

sède ? Et à quoi se peut•elle reconnaîtœ ? On peut seulement


apprendre à philosopher, c'est-à-dire à exercer le talent de la raison
dans la mise en œuvn: de ses principes universels à la faveur de
certaines tentatives qui se présentent, même si se trouve toujolJIB
réservé le droit qu'a la raison d'examiner ces principes eux-mêmes
quant à leurs sources, pour les confirmer ou les rejeter.
Jusque-là en tout cas, le concept de la philosophie n'est qu'un
conceptscolastique,savoir celui d'un système de la connaissancequi
n'est recherché que comme science, sans qu'on ait pour but quelque
chose de plus que l'unité systématiquede ce savoir, par conséquent
la perfection logique de la connaissance.Il y a encore cependant un
concept cosmique (conceptuscosmicus)qui a toujours servi de fon-
dement à cette dénomination,notammentquand, pour ainsi dire, on le
personnifiait (A 839/B 867) et se le représentait comme un modèle
dans l'idéal du philosophe. Dans cette optique, la philosophie est la
science du rapport entre toute connaissanceet les fins essentiellesde
la raison humaine (teleologiarationishumanae),et le philosophen'est
pas un artiste de la raison, mais il est le législateur de la raison
humaine.Selon une telle acception,il serait trèsv&Uµteux de se donner
à soi-mêmele nom de phijosophe et de se faire fort d'être parvenu à
rejoindre le modèle, lequçl ne réside que dans l'Idée.
Le mathématicien,le physicien,le logicien, si remarquablesque
fussent les progrès obtenus par les uns en général dans la connais-
sance rationnelle et les autres en particulier dans la connaissance
philosophique,ne sont pourtant que des artistes de la raison. Il y a
encore un maître dans l'idéal qui les mobilise tous, et les utilise
comme instruments pour favoriser les fins essentielles de la raiaon
humaine. (AK, Ill, 543) Celui-là seul, nous devrions l'appeler le
philosophe; mais dans la mesure où lui-même n'existe en tout cas
nulle part, alors que l'Idée de sa législàtion se trouve partout, dans
chaque raison humaine, nous nous en tiendrons uniquement à cette
dernière, et nous détermineronsavec davantage de précision ce que
la philosophie, d'après ce concept cosmique*, prescrit du point de
vue des fins (A 840/B 868) pour l'unité systématique.
Des fins essentielles ne sont pas encore pour autant les fins
suprêmes, desquelles il faut dire qu'il ne saurait y en avoir qu'une
seule (résidant en une unité systématiqueparfaite de la raison). Par
• Le concept çomûque s'entend ici au llellS de œlui qui concerne ce qui
int6n:sse n6:essain:mcnt chacun; par coméqucnt, je dc!lenDÎllc l'objectif d'111111
science d'après des canct1ptsscalastiquu quand je ne la considènl que COIIIDle
l'une des compétencesrequises en vue de certains objectifs amitrairemcnt dc!ter-
mlnts.
ARCHlTBCTONIQUB
DB LA RAISONPURE 679

conséquent,elles sont ou la fin finale111, ou des fins subalternesqui


se rattachentnécessairementà celle-cià titre de moyens.La première
fin n'est autre que la destinationcomplète de l'être humain, et la
philosophieportant sur cette destinations'appelle morale, C'est en
vertu de cette prééminenceque possède la philosophiemorale vis-
à-vis de toute autre aspirationde la raison que, chez les Anciens,on
entendaitaussi,sousle nom de philosophe,toujoursen mêmetemps,
et prioritairement,le moraliste; et l'apparence extmeure de la maî-
trise de soi par la raison fait même que l'on appelle, encore
maintenant,quelqu'un philosopheen vertu d'une certaine analogie,
en dépit de ce que son savoir peut avoir de borné.
La législationde la raison humaine (philosophie)a, cela dit,
deux objets : la natureet la liberté ; et elle CJ)lltient
aussi bien la loi
de la natureque la loi morale,d'abord en deux systèmesparticuliers,
mais finalementen un systèmephilosophiqueunique.La philosophie
de la nature porte sur tout ce qui ut ; la philosophiedes mœurs.
uniquementsur ce qui doit itre..
Mais toute philosophieest ou bien une connaissanceproc6dant
de la raison pure ou bien uneconnaissance rationnelleprovenantde
principes empiriques. La première s'appellephilosophie pure, la
secondephilosophieempirique.
(A 841/B 869) La philosophiede la .raisonpure ou bien est une
propédeutique(un exeICicepréliminaire)qui examinele pouvoirde
la raison relativementà toute connaissancepure a priori, et elle
s'appelle critique; ou bien, en second lieu, elle est le systèmede la
raison pure Oa science), toute la connaissancephilosophique(aussi
bien vraie qu'(AK, m.544) apparente)provenantde la raisonpure,
selon un agencementsyst6matiquede l'ensemble, et elle s'appelle
métaphyaique- bien que ce nom puisse aussi être donné à la phi-
losophiepure tout entière,en y incluantla critique,pour réuniraussi
bien la recherchede tout ce qui peut jamais être connu a priori que
la présentationde ce qui constitueun systmnede connaissancesphi-
losophiquespures de ce genre,mais se dis~e de tout usage empi-
rique de la raison, en même temps que de son usage rnathématiq1JC.
La métaphysiqueso diviso en métaphysiquede l'usage ,plcu-
latif et métaphysiquede l'usage pratiquede la raison pure, et aimi
est-elle ou bien une métaphy,iqueds la nature ou bien une méta-
physiquede, mœur,. La premièœcontienttous les principespurs de
la raison procédantde simples concepts (donc, à l'exclusion de la
mathématique)et portant sur la connaissanceth4oriquede toutes
choses; la seconde contientles principesqui déterminenta priori et
rendent nécessairesle faire et le ne pas faire. Or la moralité est
680 TIŒORIE TRANSCENDANTALE DE LA Man!ODE

l'unique légalitédes actes qui puisse etre dérivéeenlib'cmenta priori


de principes.Ce pourquoila métaphysiquedes mœursest proprement
la moralepure, oi\ nulle anthropologie(nulle condition(A 842/B870)
empirique)ne se trouve prise pour fondement.La métaphysiquede
la raison spéculativeest alors ce que l'on appelle habituellement.au
sens plus restreint, métaphysique; mais dans la mesure oi\ la pure
doctrinedes mœurs appartienttout de même à la brancheparticulière
de la connaissancehumaine, et plus précisémentphilosophique,qui
provient de la raison pure, nous lui garderons cette dénomination,
bien que nous la laissions ici de côté en tant qu'elle ne se rattache
pas pour le moment à notre objectif 172•
Il est de la plus extrêmeimportanced'isoler des connaissances
qui sont distinctes d'autres connaissancespar leur genre et par lear
origine, et de veiller scrupuleusementà ce qn'elles ne viennentà se
ml!leret à se confondreavec d'autres auxquàlles,dansl'usage, elles
sont habituellementassociées.Ce qu'effectue le chimisteen séparant
les matières,ce que fait le mathématiciendans la doctrine pure des
grandeurs,il incombe bien davantageencore au philosophede l'ac-
complirpour pouvoir détermineravec certitudela part qu'une espèce
particulière de la connaissancepoasêde dans l'usage titonnant de
l'entendement, sa valeur et son influence propres. Ce pourquoi la
mlson humaine,depuis qu'elle s'est mise à penser, ou plutôt à réfl6-
chir, n'a jamais pu se dispenser d'une métaphysique,meme si elle
n'a jamais été capable de la présenter en l'épurant suffisammentde
tout élément étranger. L'Idée d'une telle science est tout aussi
ancienneque la raison ipéculativede retre humain ; et quelle railOD
ne spécule pas, que ce soit (AK, m.545) à la manière scolastique
ou à la façon populaire7 Force est cependant de convenir que la
distinction des deux sorte& d'(A 843/B871) éléments de notre
connaissance,dont les uns sont complètementa priori en notre pon-
voir, les autres peuvent seulementetœ tir6s a posteriori de l'exp6-
rience, resta seulementtrès peu claire, même chez des penseurs de
métier, et qu'elle ne put par conséquentjamais mettre en place la
déterminationlimitatived'une espèce particulièrede la connaissance,
ni par conséquentla véritable idée d'une sciencequi a si longtemps
et si intensément occ.upéla raison humaine. Quand on disait : la
métaphysiqueest la science des premiers principes de la connais-
sance humaine, on ne mettait pas en relief par là une espèce tout à
fait particulière,mais seulementun rang dans l'ordre de l'universa-
lité, par quoi elle ne pouvait donc 6tre distinguée nettement de
l'empirique ; car, même parmi les principes empiriques,il y en a
certains qui sont plus universels et par conséquentplus élevés que
ARCHITECTONIQUEDE LA RAISON PURE 681

d'autres, et dansla série d'une telle subordination(oà l'on ne dif-


férencie pas ce qui est connu complètementa priori de ce qui est
connu seulement a posterion), oü doit-on pratiquer la coupure qui
distinguela premièrepartie de la dernière et les membressuprêmes
des memlm:asubordonnés? Que dimit-on si la chronologiene pou-
vait d6signerles époques du monde qu'en les divisant en premiers
siècles et en siècles suivants? Le V" siècle, le X" siècle, etc., appar-
tiennent-ilsaussi aux premiers? De la même manière, je demande:
Le concept de ce qui est étendu appartient-ilà la métaphysique?
Vous répondez: Oui I Soit, mais celui du corps aussi? Oui I Et celui
du corpsfluide? Vous (A 844/B872)commencezà &re déconcertés,
car si l'on continue ainsi.tout va apparterurà la métaphysique.Par
oü l'on voit que le simple degré de la subordination(le particulier
sousle gén6ral) ne saurait détemùnerles limites d'une science,mais
que dans notre cas cela requiertl'hétérogénéitétotale et la différence
dans l'origine. Mais ce qui obscurcissaitencored'un autre c6té l'idée
fondamentalede la métaphysique,c'était qu'elle témoigne,comme
connaissancea priori, d'une certaine similitude avec la mathéma-
tique. En ce qui concernel'origine a priori, il y a bien, assurément,
une similitude qui les apparentel'une à l'autre; mais pour ce qui
touche au mode de connaissancepar concepts,dans l'une, comparé
avec la manièredont, dans l'autre, le jugementprocède par construc-
tion des concepts a priori, et par conséquentpour ce qui tient à la
différenceentre une cnnnaissancephilosophiqueet la connaissance
mathématique,il se révèle une hétérogénéité si marquée qu'au
demeurant on l'a toujourspour ainsi dire sentie,sansjamais toutefois
pouvoirla rapporter à des critèresévidents.De ce fait, il s'est produit
que, dans la mesure oi\ les philosophes(AK, m.546) eux-mêmes
ne réussissaientpas à développerl'idée de leur science, ce qu'ils
élaboraientne pouvait avoir aucunbut déterminéni aucunprincipe
directeur certain, et qu'à partir d'un plan si arbitrairementconçu,
ignoranttout de la voie qu'ils avaientà prendre,et toujoursen conflit
sur les découvertesque chacunprétendait avoir faites sur sa propre
voie, ils rendirent leur science méprisable d'abord aux yeux des
autres, et finalementmême à leurs propresyeux.
(A 845/B873) Toute connaissancepure a priori constituedonc,
en vertu du pouvoirde connaitreparticulieroà elle seule peut trouver
son siège, une unité particulière,et métaphysiqueest la philosophie
qui doit présenter.une telle connaissancedanscette unitésystéma-
tique. Sa partie spéculative,qui s'est tout particulièrementapproprié
ce nom, à savoir celle que nous appelonsmétaphysiqW!! de la nature,
682 TRANSCENDANTALEDE LA MÉl'HODE
TIŒORJE

et qui examine tout, en tant qu'il est (et non pas ce qui doit être), à
partir de concepts a priori, se divise donc de la façon suivante.
Ce qu'on appelle la métaphysiquean sens restreint du terme se
compose de la philosophietranscendantaleet de la physiologiede
la raison pure. La première considère seulement l'entendementet la
raison eux-m8mes,dans un systèmede tous les conceptset principes
qui se rapportent à des objets en général, sans admettre des objets
qui seraient donnés (ontologia); la seconde considère la nature,
c'est-à-dire l'ensemble des objets donnés (qu'ils soient donnés aux
sens ou, si l'on veut, à une autre sorte d'intuition), et elle est donc
une physiologie(bien que seulement rationalis).Cela étant, l'usage
de la raison, danscette considérationrationnellede la nature, est soit
physique, soit byperpbysique.ou mieux : soit immanent,soit trans-
cendant.Le premier porte sur la natuœ, en tant que saconnaissance
peut être appliquée dans l'expérience (in concreto),Je second sur
cette liaison des objets de l'expérience qui dépasse (A 846/B874)
toute expérience.Cette physiologietranscendantea donc pour objet
S9itune liaison interne,soit une liaison externe,mais qui vont tout.es
deux au-delà de l'expérience powl>le: dansle premier cas, elle est
la physiologiede la nature dans sa globalité, c'est-à-dire la connais-
sance transcendantaledu monde.tandis que, dans le deuxièmecas,
elle est celle de la relation qui unit la nature dans sa globalité à un
être situé au-dessusd'elle. c'est-à-dire la connaissancetranscendan-
tale de Dieu. ·
La physiologie immanente considère au contraire la nature
commel'ensemblequi inclut tous les objets des sens, par conséquent
telle qu'elle nous est donnée,mais (AK, Ill, 547) selon des condi-
tions a priori sous lesquelles elle peut nous être donnée en général
Mais il n'y a que deux sortes d'objets des sens: 1. Ceux des sens
externes, par conséquent l'ensemble de ces objets, la nature corpo-
relle; 2. L'objet du sens interne, rame, et, d'après les conceptsfon-
damentauxde l'Bme en général,la naturepensante.La métaphysique
de la nature cOipOrellese nomme physique, mais, puisqu'elle doit
contenir seulement les princil)C& de la connaissance a priori de la
nature corporelle,physiquerationnelle.La métaphysiquede la nature
pensante se nomme psychologie, et, pour la même raison que l'on
vient d'indiquer, il n'y a lieu d'entendre ici que la connaissance
rationnellede l'lme.
D'apres quoi le système tout entier de la métaphysique se
compose de quatre parties principales: 1. l'ontologie; 2. la physio-
logie rationnelle; 3. la cosmologie rationnelle; 4. la théologie
rationnelle.La seconde partie, c'est-à-dire la doctrine de la natuœ
ARCHITECTONIQUEDB LA RAISONPURE 683

de la raison pure. contientdeux (A 847/B875) divisions: la physica


rationalis* et la psychologiarationalis.
L'idée originaire d'une philosophiede la raison pure prescrit
cette division elle-même; elle est donc architectonique,conforme
aux fins essentiellesde celle-ci, et non pas simplementtechnique,
établie d'après des affinitésperçues de manièrecontingenteet pour
ainsi dire au petit bonheur,et c'est bien pourquoielle est également
immuableet a valeur de législation.Il se trouve toutefoisà cet égard
quelquespoints qui poumùent susciter des objectionset affaiblirla
convictionplacée en sa légitimité.
Tout d'abord, comment puis-je attendre une connaissancea
priori, par conséquentune métaphysique,procédant d'objets, dans
la mesure oil ils sont donnés à nos sens, donc a posteriori? Et
comment est-il possible de connaître la nature (A 848/B876) des
choses d'après des prinçipes a priori, et de parvenir à une physio-
logie rationnsUe? La réponse est la suivante: nous ne prenons de
l'expérience rien de plus (AK, Ill, S48) que ce qui est nécessaire
pour nous donnerun objet, soit du sens externe, soit du sens interne.
Cela s'effectue, d'un c6té, à travers le simple concept de matière
(étendueimpén6trableet sans vie), de l'autre, à travers le concept
d'un être pensant (dans la représentationempirique interne: Je
pense) 173• Au reste devrions-nous,dans toute la métaphysiquede ces
objets, nous abstenir entièrementde tous les principes empiriques
qui pourraientajouter au conceptencore une quelconqueexpérience
en we de porter un jugement sur ces objets.
En second lieu : quel lieu demeure donc pour la psychologie
empirique,qui a depuis toujours revendiquésa place dans la méta-
physique,et de laquelle on a attendu à notre époque de si grandes
chosespour la clarificationde celle-ci,après avoir perdu l'espoir de
parvenira priori à aucunrésultat exploitable? Je réponds: elle vient
là oil doit être placée la doctrinede la natureproprementdite (empi-
rique), c'est-l-dire du c6té de la philosophieappliquée,en vue de
• Qu'on n'aille pas penserque j'entends par Jl œ qu'œ appelle COIIIDIWl6-
mmt phylica gensalis, et qui est davantage la malMrnatiqgeque la pbllosopble
de la ll8ture Car la m6taphyllquede la D8lUrese diilinguetotalementde la 11181h6-
matique,et bien qu'elle &Oitloin d'avoir l offdr des wes auaaiem:k:hiasanœaque
ceJhH:I,elle eat n6anmoins1là importantedu point de WC de la crilique de la
connaissancepuœ de l'entendementen pamI dans BDD applicationl la D8lUre: l
d6fautd'une tellemétaphysique,memeles madt6maticiens, en s'attachantl certains
conceptscommuns,maie en fait mEtaphyslques, ont 88DS s'en apercevoirlest6la
doctrinede la natme d'llypollmses qui dlapamiaseatl la faVIIUI'd'une critique de
ces pdnclpes,118111 q11'ilIOit fait pourtant par Il le moina dll IJllllldeIOJl l l'lltili-
lBIÎDD (tout à fait indiapensab)e) de la mllb6maliquedana œ dollllline
684 nœc>RJE
TRANSCENDANTALEDB LA ~ODE

laquelle la philosophie pure contient les principes a priori, devant


ainsi entretenir un lien, certes, avec la philosophie appliquée, mata
sans être confondue avec elle. La psychologie empirique doit donc
être totalement bannie de la métaphysique,et elle s'en trouve déjà
entièrementexclue par l'idée de cette science. Cependant,forcesera
de continuer, selon l'usage scolaire,à lui accorderlà tout de même
encore une petite place (bien que ce soit uniquementà litre d'épi.
sode), (A 849/B877), et cela pour des motifs de nature économique,
parce qu'elle n'est pas encore assez riche pour constituerà elle seaJo
une étude et qu'elle est pourtant trop importantepour que l'on puisse
l'expulser entièrement ou la rattacher à autre chose avec quoi elle
rencontreraitencore moins d'affinité qu'avec la métaphysique.Elle
n'est donc qu'une étrangèreadmisedepuis bien longtemps,à laquelle
on accordeun séjour temporaire,jusqu'à ce qu'elle puisse transpmœr
son domicilepropre dans une anthropologiedétaillée (qui constl.bJo.
rait le pendant de la théorie empirique de la nature) 174•
Telle est donc l'idée généralede la métaphysique.On a d'abmd
attendu de cette disciplinedavantageque ce que l'on pouvaitraison.
nablement en exiger,puis on s'est délecté pour un temps des pen.
pectives agréables qu'elle ouvrait, et finalement,dans la mesure oà
l'on a été trompé dansses espérances,elle est tombéedans un mépris
général. Bo suivant tout le cours de notre Critique, on se sera suffi.
sammentconvaincuque, bien que la métaphysiquene puisse pas être
le soubassementde la religion, elle doit pourtant en demeurer tou•
jours comme le rempart, (AK, m, 549) et que la raison humaine,
qui est déjà dialectiquepar l'orientation de sa nature, ne peutjamaja
se passer d'une telle science, qui vient la brider et qui, gr8ce à une
counaissance scientifique et pleinement éclairante de so\-m8me,
écarte les dévastationsque, sinon, une raison spéculatived6pollMIO
de lois susciterait tout à fait immanquablementaussi bien dansla
morale que dans la religion. On peut en ce sens être sQr que, si
acerbes et si méprisantsque soient ceux qui ne savent pas apprécier
(A 850/B878) une science d'après sa nature, mais uniquement
d'après ses resultats contingents, on retournera toujours à la méta-
physique comme à une bien-aimée avec laquelle on s'est brouill',
parce que la raison, dansla mesureoù il s'agit ici de fins essentielle&.
doit travaillersans rel8che,soit à acquérir une conceptionsolidement
étayée, soit à renverser des conceptionsavantageusesqui existaient
déjà.
Ainsi la métaphysique, celle de la nature comme celle des
mœms,et notamment,à titre d'exercice préparatoire(propédeutiqœ)
qui la précède, la critique de la raison s'aventurant à voler de ses
HISTOIRE DE LA RAISON PURE 685

propres ai1es, constituent-eues proprement, et elles seules. ce que


nous pouvons nommer, au sens vrai du terme, philosophie. CeUe-ci
rapporte tout à ]a sagesse, mais par la voie de la science, la seule
qui, une fois qu'elle a été ouverte, ne s'efface jamais et ne permet
aucune emmce. La mathématique,la physique, même ]a connais-
llBllCCempirique de l'homme ont une haute valeur comme moyens
pour des fins dans la plupart des cas contingentes de l'humanit6,
même si, au bout du compte, ce peut être cependant pour des fins
n6cessaireset essentielles-mais dans ce cas ce n'est que par l'in-
termédiaired'une connaissance de la raison procédant de simples
concepts,qui, de quelquenom qu'onl'appelle, n'est proprementrien
que de la métaphysique.
C'est justement pourquoi la métaphysique constitue aussi, pour
toute culturede la raison humaine, un achèvementqui, meme si on
laisse de côté son influence, en tant que science, sur certaines fins
d6tennin6es,est indispensable. (A 851/B 879) Car elle considère la
raison d'après ses éléments et ses suprêmes maximes, lesquelles
doivent être au fondement de la possibilité de quelques sciences et
de l'usage de toutes. Qu'elle serve davantage, comme simple spé-
culation. à écarter les erreurs qu'à élargir la connaissance, cela ne
porte pas atteinte • sa valeur, mais au contraire lui donne bien plutôt
de la dignité et du prestige, en ce sens qu'elle remplit une fonction
de censure qui assure l'ordre et l'entente générale, voire la pros-
périté de la république scientifique,et qui retient ses travaux auda-
cieUf et féconds de s'éloigner de leur fin principale: le bonheur
univ,èrsel.

(~ Ill, 550) (A 852/B 880) Chapitre IV


HISTOIREDB LA RAISONPURE

Ce titre n'intervient ici que pour indiquer un espace qui


demeure, dans le système, et qui doit être rempli à l'avenir. Je me
contente, d'un point de vuç simplementtranscendantal,c'est-à-dire
du point de vue de la nature de la raison pure, de jeter un regard
rapide sur l'ensemble des travaux qu'elle a entreprisjusqu'ici: 1Dl
ensemble qui offre bien à mon regard des édifices,mais simplement
en ruine.
Il est assez remarquable, quoique naturellement cela ne p1lt
uriver d"une autre manière, que les êtres humains, dans l'enfance
686 nmc>RIE TRANSCENDANTALE DE LA Mm'HODE

de la philosophie, aient pris pour point de départ ce par quoi


maintenant, plus volontiers, nous terminerions, à savoir, d'abord,
étudier la connaissance de Dieu et l'espérance ou même la nature
d'un autre monde. Si grossiers que fussent les concepts religieux
introduits par les anciennes pratiques subsistant encore de l'état
sauvage des peuples, cela n'empêcha cependant pas la fraction la
plus éclailée de se consacœr à de libres rechcrehes sur cet objet,
et l'on s'aperçut aisément qu'il ne saurait y avoir de manière plus
radicale et plus fiable de plaire à la puissance invisible gouvernant
le monde, afin d'être heureux du moins dans un autre (A 8531
B 881) monde, que de bien conduire sa vie. La théologie et la
morale furent donc les deux mobiles, ou mieux les deux points
d'application de toutes les rechen:hes rationnelles et abstraites aux-
quelles on se consacra ensuite de tout temps. Ce fut cependant
proprement la première qui poussa peu à peu la raison simplement
spéculative veni une entreprise qui est ult6rieurement devenue
célèbre sous le nom de métaphysique.
Je ne veux pas ici distinguer les époques cmsurvint en méta-
physique tel ou tel changement, mais uniquement présenter en une
brève esquisse la diversité de l'idée qui suscita les principalesnSvo-
lutions. Et à cet égard je trouve un triple objectif par rapport auquel
furent impulsés les plus remarquableschangementssm ce champde
bataille.
l. Relativementà l'objet de toutes nos connaissances ration-
nelles, certains furent simplement des philosophes sensualister,
d'autres simplementdes philosophes intellectualistes.(AK, III, 551)
Épicure peut être mentionné comme Je plus notable philosophe de
la sensibilité, Platon comme le plus notable philosophe de ce qui
relève de l'intellect Cette différence des écoles, si subtile qu'elle
soit, avait cependant déjà commencé dans les temps les plus primi-
tifs, et elle s'est maintenuelongtempsde manièreininterrompue.Les
tenants de la première école affinnaientqu'il n'est de réalité effective
que dans les objets des sens, que tout le reste est imaginaire ; les
tenants de la seconde disaient au contraire que dans les sens (A 854/
B 882) il n'est rien qu'apparence, que seul l'entendement connaît le
vrai. Pour autant, les premieni ne déniaient cependant pas toute rea-
lité aux concepts de l'entendement, mais cette réalité n'était à leurs
yeux que logique,alors que pour les autres elle était mystique.Ceux-
là admettaientdes concepts intellectuels,mais n'acceptaient que des
objets sensibles. Ceux-ci désiraient que les vrais objets fussent sim-
plement intelligibles, et affianaient la possibilitéd'une intuitionpm-
JDSTOIREDE LA RAISON PURE 687

duite par l'entendement pnr que n'assisterait aucun des sens, les-
quels, selon leur opinion, ne feraient que perturberl'entendement
2. Relativementà l'origine des connaissancespures de la raison,
il s'agissaitde savoirsi elles sont dérivéesde l'expérienceou si, indé-
pendammentd'elle, elles ont Jeur sourcedans la raison. Aristotepeut
être considér6comme le chef desempiristes,tandis que Platonest le
chef des noologistes.Locke, qui, dans les Temps modernes,suivit le
premier,et Leibniz,qui suivit le second (bien qu'en s'éloignantassez
fortementde son systèmemystique),n'ont cependantpas pu davan-
tage conduirece débat à une décision.Du moins Épicureprocédait-il
pour sa part de façon bien plus conséquentedans son systèmesen-
sualiste(car à travers ses raisonnementsil n'allait jamais au-delàdes
limitesde l'expérience)qu'Aristoteet Loctœ. surtout par rapportà ce
dernier, qui, apres avoir dérivé de l'expérience tous les conceptset
tous les principes,en pratiqueun usagequi le conduitjusqu'à affirmer
que J'on peut démontrerl'existence de Dieu et l'immortalitéde l'lme
(alors même que ces deux objets se situent totalementen dehors des
limites (A 855/B 883) d'une expériencepossible) avec la même évi-
dence que pour un quelconquethéorèmemathématique.
3. Relativementà la méthode. Si l'on veut donner à quelque
chose le nom de méthode,il faut que ce soit une démarcheprocédant
d'apres des principes. Or on peut diviser la méthode aujourd'hui
prédominantedans ce domainede la rechercheen méthodenatura-
liste et méthodescientifique.Le naturalistede la raison pure prend
pour principe qu'à suivre la raison communedépourvuede science
(ce qu'il appellela raison saine),on peut parvenirà de bien meilleurs
résultats,relativementaux questionsles plus élevéesconstitutivesdes
problèmesde métaphysique,que par la spéculation.Il affirmedonc
(AK, m.552) que l'on peut déterminerla grandeurde la Lune et la
distance à laquelle elle se situe plus sOrementd'un coup d'œil que
par le détourmathématique.C'est là une simplemisologie,érigée en
principe, et, ce qui est le plus absurde, le renoncementà tous les
moyenstechniques,célébrécomme une véritablemétlwde pour élar-
gir sa connaissance.Car, en ce qui concerne ceux qui sont natura-
listes par difaut d'une conceptionplus vaste,on n'est en rienjustifié
à mettrequoi que ce soit à leur charge.Ils suiventla raison commune
sans se vanter de leur ignorancecomme d'une méthodequi devrait
contenir le secret pennettant de tirer la vérité du puits profond de
Démocrite.Les vers de .Perse:
Quod sapio sati, est mihi ; non ego euro
Esse quod Arcesi/ar aerumnosiqueSolones 175
688 TIŒORIB TRANSCBNDANTALB
DB LA Mm'HODB

constituent leur devise, avec laquelle ils peuvent vivre contents et


mériter les applaudissements(A 856 / B 884) sans se soucier de )a
science ni en perturber les op6rations.
Quant à ceuxqui observentune mlthode scientifique,ils ont ici
le choix entre la méthode dogmatiqueet la méthode sceptique,mals
dans tousles cas ils ont du moinsl'obligation de procéder def°'on
systématique.Si je nomme ici, en ce qui concerne la première
méthode,le célèbn:Wolff et, pour la seconde,DavidHume,je peux.
par rapport à mon présent objectif, ne pas en citer d'autres. La vole
critiqueseule est encore ouverte. À supposer que le lecteur .1Jit en
l'obligeance et la patience de la parcouriren ma compagnie, il lai
est loisible maintenantde juger si, au cas oà il lui plaimit d'apporter
sa contributionpersonnelle à la transfonnationde ce sentier en voie
royale, ce que tant de siècles ne purent effectuer risque encore do
s'accomplir avant la fin de celui-ci: satisfaire entièrementla raison
humaine dans ce qui a de tout temps occupé sa curiosité, mais jus-
qu'ici en toute vanité.
NOTESDU TRADUCTEUR

l Kant cire le No11um Orramunde Bacon, qui, dans l'édition originale de


1620, porle sur son frontispicea!Mgorique(oQ, symboledes progrès de la science
humaine, une caravelle franchit les colonnes d'Hen:ule) le titre d'ln.rtaunllio
Magna (GrandttRttstauralion)Le J)81188erelenU par Kant figuiDl la fin de la
Pr6face(77ur Work.i'of Frœu:l.sBat:on,Londœ&,1858, LI, 6d. par J. Spedding,
RE Ellis et DD Healh, p 132-133): «De nous-m!me,nous ne disons rien;
mals pour notre entreprise,nous demandonsque les bommésla c:onsidàentnon
commeune opinion,malscommeune œo'lll8 ; et qu'ils tiennent pourc:ertaiDque
1I01IS bltissons les fondementsnon d'une que1c:onque secte ou doctdne, malsde
l'utilil6 et de la grandeur humalnea Puiaaent-ilsensuire, llleDlifs l leurs pioprea
aV1Dlages[ • ], prendre en compte l'inl6rêt COIIIIDIIII [ ] et puissent-ilseux ausi
pœndrepart aux traVIWlqui reslent l acc:limplirDe plus, qu'ils llient bon espoir
et n'imaginent pas en leur esprit que notre Reslalltation œpœsenle une liche
Infinie et &u-dCISUS des mortels ; alor&qu'en v6rit6 elle met l6gitimementfin et
renneà IIDII emurinfinie. (tnd par M.Ma1hedJcet J -M Pouaaeur,Paris, PUF,
Spimélh6e.1986, p. 73-74)
2 Le baron KA von Zedlltz (1752-1830),ministre de la Justice, puia de
l'~uc:ation durant le œgne de Flfdéric le Grand, fut un partisan œsolu des
Lumlmeset un proleefellr fidàle de Kant Pratiquant le despotianœ 6c:Ialr6
cher l
Frlléric Il, il avait en 177S inrerdit que 1'on continult d'enseigner l l'univenité
de Kllnipberg la philosophiejugée par lui d6iuèle de Crusius,disciple de Wolff;
il proposameme à Kant, en 1777, la prestigia11111 cbabe de philnsopbiede Halle,
qui avait autrefois él6 celle de ChristianWolff Kant, plus pr&,ccupéd'achever la
Critiquedtt la rai.sonpun que de fahe canim, nlllsa J'allie (et le sa1ahetrip~
qui s'y associait), mais œsta 1Duch6 par l'lntélet que le ministreavait port6 l sa
pens6e En 1788, le œmplacementde 2'ollitz par J.L.Wllllner, IIOIIS le lê811ede
Frédéric-GuillaumeD,devait 111111quer un cbangernBPtde politique qu'illusllênmt
les déboiresdu philosopheavec la œnsuœlOlllde la publicationde la &ligion
daM les limllu dtt la simple 1Dison(1793)
3 • Propositionfondamentale» traduitGnaubatz, tandisque« principe» cor-
respond l Prinzlp Sar ceae distinction technique chez Kant, souvent ~
(mais DODayatémaliquement) dans la Critique û la ,aûan plll'I, voir DOlalDmllllt
A 3()().301Prindp est le lel'IDe sén&fquepour touteproposiliond'ob se d6rivent
logiquement des c:ODl6qumoes:panni les • princlpa&»,les Gl'llllllslllt.e coma-

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