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DE LA MÉTHODE
(A 707/B735) (AK. m. 46S) Sije considèrel'ensemble de toute
la connaissance de la raison pure et spéculative comme un édifice
dont nous avons au moins l'Idée en nous, je peux diœ que nous
avons, dans la doctrine transcendantaledes éléments,dressé un devis
des mat6riauxde la construction et détermin6pour quel 6difice, de
quelle hauteur et de quelle solidité, ils sont suffisants. Assurément
s'est-il trouvé que, bien que nous eussions en tête le projet d'une
tour qui devrait s'élever jusqu'au ciel, notre œserve de mat6riauxne
put suffire que pour une maison d'habitation qui était juste assez
spacieuse pour les activités que nous développions sur la plaine de
l'expérience et juste assez haute pour surplombercette plaine; mais
que cette audacieuse entreprise ne pouvait qu'échouer par manque
de matériaux,sans même que cet échec fOtimputable à la confusion
des langues,laquelle devait in6vitablementdiviser les travailleurssur
le plan à suivre et les faire se disperser dans le monde entier pour y
6difier,chacun pour lui-mêmeet à sa guise, son b&timentparticulier.
Désormais, il ne s'agit pas tant, pour nous, des matériaux que du
plan ; et dans la mesure oà nous sommes avertis des dangers qu'il y
aurait à nous aventurer dans un projet arbitraire et aveugle qui pour-
rait éventuellementdépasser tout notre avoir et que nous ne pouvons
pas non plus, pourtant, renoncer à construire une habitation solide,
il nous faut établir le devis d'un b&timenten rapport avec les maté-
riaux qui nous sont donn6s et en même temps appropri6s à nos
besoins.
J'entends donc par théorie transcendantale de la m6thode la
déterminationdes conditions formelles d'un (A 708/B736) système
complet de la raison pure. Dans ce but, nous aurons à nous préoc-
cuper d'une discipline,d'un canon, d'une architectoniqueet enfin
600 TIŒORIE TRANSCENDANTALE DB LA MlmiODB
Premim, section
DISCIPLINE
DB LA RAISONPUU DANSL'USAGEDOGMA'11QIJE
1. Des dl.finitions
2. Des axioml!s
à-dire que des axiomes. Les premiers exigent toujours en outre une
d6duction, dont les demien peuvent totalement se dispenser; et
puisque, précisément pour la même raison, ceux-ci sont évidenta,
(AK, m.481) ce à quoi ne peuvent jamais prétendre les principea
philosophiquesmalgré toute leur certitude, il s'en faut infinimont
qu'une quelconquepropositionsynthétiquede la raison pure et tram-
cendantale soit aussi manüeste (comme on se plaît à le dire avec
morgue) que la proposition: deux fois deux font quatre. J'ai certes
dans l' Analytique,à propos de la table des principes de l'entende-
ment pur, fait mentionaussi de certains axiomesde l'intuition ; tes1e
que le principecité en l'occummce n'était pas lui-mêmeun axiOJDD,
maisne servaitqu'à indiquerle principede la possibilitédes axiomes
en général, et il n'était pour sa part qu'un principetiré de concepta.
Car même la possibilitéde la mathématiquedoit être montrée dans
la philosophie transcendantale. La philosophie n'a donc pas
d'axiomes, et il ne lui est jamais accordéd'imposer de manime aussi
absolue ses principes a priori : bien plutôt lui faut-il (A 734/B762)
se prêter à légitimer par une déduction solidement étayée le droit
qu'elle a d'y recourir.
3. Des dlmonstrations
quée; car elle n'est pas impliquée dans les différends qui portent
iJIU!lédiatement sur des objets, mais elle est instauréepour déterminer
et juger les droits de la raison en g6néral d'après les principes qui
avaientpresidé à son institutioninitiale.
Sans cette critique,la raison est pour ainsi dire à 1'6tatde nature
et elle ne peut faire valoir ou assurer ses affirmationset prétentions
autrementque par la guerre. La critique,en revanche, qui tire toutes
ses décisionsdes règles fondamentalesde sa propre instauration,dont
personnene peut mettreen doute l'autorité, nous procureJe calme
d'un état légal oà nous ne devons régler notre différend d'aucune
autremanièrequ'en recourant à une procidure-156• Ce qui met un
tmme aux affaires dans le premier cas, c'est une victoire dont les
cJewtpartis se vantent, à laqnellene succède dans la plupart des cas
qu'une paix incertaine, établie par l'intervention (A 752/B180) des
pouvoirs publics venant s'interposer entre les adversah'es(AK, m,
492); tandis que, dans le second cas, c'est la sentencequi, parce
qu'elle touche ici à la SOIJICOm8medes différends,doit garantir une
paix perpétuelle.Aussi les différendsinfinis d'une raison purement
dogmatiquenous contraignent-ilsà chercher enfin le calme dans
quelque critique de cette raison m8ma et dans une législation qui
trouve là ses fondations. Comme l'affinne Hobbes: l'état de nature
est un état de non-droit et de violence, et force est de l'abandonner
pour se soumettre à la contraintelégale qui limite notre liberté uni-
quementpour qu'elle puisse coexister avec la liberté de tout autre et
par là meme avec le bien commun.
A cette liberté appartientdohc aussi celle d'exposer publique-
ment au jugement ses pensées et les doutes que l'on ne peut réduire
soi-même,sans être pour autant décri6 commeun citoyen agité et
dangereux.C'est là un point qui se trouve déjà compns dans le droit
originairede la raison humaine, laquelle ne connaîtpas d'autre juge
qu'à nouveau l'universelle raison humaine, oà chacun a sa voix ; et
dans la mesure oà c'est de cette deruièreque doiventprovenir toutes
les améliorationsdont notre état est susceptible,un tel droit est sacré
et il ne peut y être attenté.Aussi est-il très insens6de décrier comme
dangereusescertaines affirmationsauxquelleson a pu se hasarder ou
œrtames attaques inconsidérémentlancées contre des assertionsqui
ont déjà de leur côté l'approbation de la plus grande et de la meil-
leure part du public; car cela revient à leur conférer une (A 7531
B781) importance qu'elles ne devraient nullement avoir. Quand
j'entends qu'un esprit peu commun aurait ruiné démonstrativement
la liberté de la volonté humaine, les espoirs placés aans une vie
future et l'existence de Dieu, je suis désireux de lire son livre, car
628 TIŒORIB TRANSCENDANTALE DB LA Aœ'rnODE
Troisième section
LA DISCIPLINEDE LA RAISONPURERELATIVEMENT
AUX BYPOTIÙBl!S
contre elles. C'est en tout cas à ce titre qu'il faut les conserver, en
prenant bien garde qu'elles ne s'imposent pas comme si elles étaient
attestéesen elles-mêmeset comme si elles possédaient une validité
absolue, et en évitant qu'elles ne noient la raison sous des fictions
et des inventions fantasmatiques.
Quatrième section
LADISCIPLINE
DE LA RAISONPlJJIEBELATIVEMENT
À SBSPREUVES
Première section
DE LA 11N DERNŒREDE L'IJSAGBPllll DE NOTRE.RàlSON
Deuxième section
DE L'IDML DU SOIJVERAJNBIENCOMMEPRINCIPEPERMKTl'ANT
DE DnERMINERLA.l'IN DERNŒllE
DE LA.RAISONPllRE
l'on ne saumit séparer de l'obligation qui nous est imposée par cette
mêmenison.
La moralit6, an elle-même, constitue un système, mais non pas
le bonheur, sauf s'il se trouve réparti d'une manière exactement
confmme il. la moralité. Or cela n'est possible que dans le monde
intelligible, tel qu'il est soumis à la sagesse de celui qui en est
l'auteur et qui le gouverne. La nison se voit donc contrainte d'ad-
metue un tel auteur, en même temps que la vie dans un monde qu'il
nous faut considérer comme un monde futur, sauf il. considérer le&
lois momies commede vaines chimères, puisque ce qui Iésulte n6cea-
llllimnent de ces lois, et que la même (AK, m, 527) nison y relie,
cette ptésupposition. De 1il.vient aussi
ne poumit que disparaitre 11111111
que chacun considère le&lois morales comme des comm1mdm11ml8,
ce qu'elles ne pomraient etœ en revanche ai elles ne reliaient a priori
aux règles qu'alles inoncent des conséquences proportionn6es et
donc ai elles ne véhiculaient avec elles des promesses et des
menaces.Ca que toutefois elles ne poumient faire non plus (A 811/
B 84()) ai elles ne se trouvaient dans un être nécessaire constituant
le souverain bien, lequel seul peut rendre possible une telle unit6
finaliséa.
Leibnit. appelait le monde, en tant qu;on n'y prend en cansi-
dération que les êtres raisonnables et la manière dont ils 11'accordent,
d'après des lois momles, sous le gouvcmement du souverain bien,
le rigM th la gr&:e,et il le distinguait du rigM th la nature,dans
lequel ces êtres sont certes soumis il. des lois momles, mais n'atten-
dent de leur conduite nulle autre cons6quence que celle qui est
confmme il.la façon dont la nature du monde sensible suit son coura.
Se pen:cvoir comme appartenant au règne de la grice oà tout bon-
heur nous attend, sauf si DOUB restreignons nous-mêmes la part que
nous pouvons y prendre par la manière dont nous nous montrons
indignes d'etœ heureux, c'est donc une Idée pratiquement nécessaire
de la nison.
Des lois pratiques, en tant qu'elles sont en même temps des
nisons lllhjectives fondant les actiODS,c'est-à-dire des principes IIUl>-
jectifs, s'appellcnt des maxima. L'appriciatian de la moralité, dans
aa pureté et ses conséquences, s'opère d'après des l~es; l'oblis-
sance à ses lois, d'après des maxima.
n est nécesaaire que toute la conduite de notre vie soit subor-
donnée il.des maximes morales ; mais il est en même temps impos-
sible, que cela se produise si la nison ne œlic pas il. la loi morale,
qui est une simple Idée, une cause efficiente qui ~termine pournotre
conduite d'après cette loi una iame, que ce soit dans cette vie ou
CANON DE LA RAJSON PURE 663
elle a pris son point de départ dans l'ordre moral, comme unité qui
se<trOuvefondée dans l'essence de la liberté et qui n'est pas établie
de façon contingentepar des commandementsextérieurs, rapporte la
finalité de la nature à des fondements qui ne peuvent qu'être insé-
parablementliés a priori à la possibilitéinterne des choses, et ainsi
à une thlologle transcendantale qui fait de l'idéal de la perfection
ontologique suprême un principe d'unité systématique qui relie
toutes choses d'après des lois universelleset nécessairesde la nature,
puisqu'elll'&possèdent toutes leur origine dans l'absolue nécessité
d'un être originaire 1D1ique.
Quel illlage pouvons-nous faire de notre entendement, même
ielativement à l'expérience, si nous ne nous proposons pas de fins ?
Maisles fins supremessont celles de la moralité, et seule la raison
pure peut nous les faire connaitre. Reste que, munis de ces fins et
enles prenant comme fil conductelll',·nousne pouvons faire du savoir
qu'elles nous donnent de la natme elle-même aucun usage consé-
quent 163, du point de we de la connaissance,là oikla nature n'a pas
elle-même(A 817/B.845)inscrit d'unité finalis6e(AK, Ill, 530) : sans
cotte unité, en effet, nous n'aurions pas même de raison, puisque
nous ne disposerionspas polll'elle de ~ école et de cette culture
qui passent par des objets foumissant la Qllll:ièrQnécessaire à de tels
concepts.Or la premièreunité finaliséeest nécessaiœ et fondée dans
l'essence de l'arbitre lui-même; donc, la seconde, qui contient la
condition de l'application de la première in concreto,doit nécessai-
mnent l'être elle aussi, et ainsi la montée en puissance transcendan-
tale de notre connaissance rationnelle ne seraitpas la cause, mais
simplement l'effet de la fµJalité pratigue que la raisonpure nous
impose.
C'est pomquoi nous trouvons aussi dans l'histoire de la raison
humainequ'avant que les concepts morauxeussent été suffisamment
6pmés et déterminés, et que l'unité systématique des fins etlt été
apeiçue d'apms ces conce,pts,et plns précisément d'après des prin-
cipesnécessaires,la connaissancede la nature et même la manière
dont la culture de la raison avllÏtatteint un dc,gréconsidérabledans
maintesautres sciences en partienepurentproduire que desconcepts
grossiers et titonnants de la divinité, en partie laissment subsister
une trop étonnanteindifférence, en gén~, rellmvementà cette ques-
tion. Une plus grande élaboration des Ic;léeamorall'&,rendue néces-
saire par la loi morale extremementpure qui caractéril!enotre reli-
gion, aiguisa la raison v.iJ..à-visdo cet objet par l'intermédiaire de
l'int&êt qu'elle la força à y pœndn,; et sans que des connaissances
de la nature plus étendues, ni des conceptions transcendantales
666 TIŒORIE TRANSCENDANTALEDE LA MÉ11fODE
Troisièmesection
(A 820/B848) DE L'OPJNION,DU SAVOIRET DB LA CROYANCE
solide, est le pari. Souvent quelqu'un exprime ses énoncés avec une
hardiesse si remplie d'assurance et si intraitable qu'il semble avoir
écarté entièrementtoute crainte d'erreur. Un pari le déconcerte.Par-
fois, il s'avère certes qu'il est assez persuadé pour pouvoir évaluer
sa persuasionà un ducat, mais non pas à dix. Car le premier ducat.
il le risque encore volontiers,mais quand la mise se monte à dix.il
commenceà prendre conscience(A 825/B853) de ce qu'il ne remar-
quait pasauparavant,à savoir qu'il serait pourtantbel et bien possible
qu'il se soit trompé. Si nous nous représentonspar la pensée que
nous devrions parier là-dessus le bonheur de toute notte via, DOlœ
jugement lriomphant disparait totalement, nous devenons exttem1>
ment hésitants, et nous commençons alors à découvrir que notœ
croyance ne nous conduit passi loin. Ainsi la croyancepragmatique
possède-t-elleuniquementun degré, qui, selon la différencedes int6-
rêts qui s'y trouvent en jeu, peut être grand ou petit
Cela dit, puisque, même si, relativement à un objet, nous ne
pouvons entreprendreabsolumentrien, la créance étant donc simpll>
ment théorique, nous pouvons cependant, dans de nombreux eu,
concevoirpar la pensée .et imaginer une entreprisepour le choix de
laquellenous pensons avoir des raisons suffisantessi nous dispoaiona
d'un moyen d'établir la certitude de l'affaire, il y a dans les jup-
ments simplement théoriques quelque chose d'analogue aux juge-
ments pratiques à la creance desquels s'applique le terme de
croyance,et que nous pouvons nommer la crayancedoctrinale.S'il
était possible de décider de la chose par quelqueexpérience,je pariD-
rais volontiers tous mes biens (AK, m, 535) qu'il y a des habilalllB
au moins dans quelqu'une des planètes que nous voyons. Ce polll'-
quoi je dis que ce n'est pas simplementune opinion, mais une forœ
croyance (sur la justesse de laquelleje 'risqueraisd'ores et déjà beau-
coup d'avantages de la vie), qui me fait penser qu'il y a aussi des
habitants dans d'autres mondes.
(A 826/B854) Or, il nous faut convenirque la doctrine del'eiü&-
tence de Dieu relève de la croyancedoctrinale,Car, bien que, du point
de vue de la connaissancethéoriquedu monde,je n'aie rien à dlcriter
qui suppose nécessairementcette pensée comme condition de mes
explicationsdes phénomènesdu monde, mais que je sois bien plutAt
obligé de me servir de ma raison comme si tout était simplemDDl
nature, l'unité finalisée est cependant une si grande condition de
l'application de la raison à la nature que je ne peux pas du tout la
laisser de côté, dans la mesure, au demeurant,oil l'expérience m'en
fournit à profusion des exemples. Or, pour ce qui est de cette unit6,
je ne connais pas d'autre conditionqui pOt en faire pour moi un fil
CANONDE LA RAISONPURE 671
• L'esprit humain prend (commeje croill cela inévitablepour tout &ni rai-
sonnable)un int&et naturel l la monilit6,bien que ce ne soit point un mt6I!tBIDI
CANON DE LA RAISON PURE 673
pas d'homme qui soit détaché de tout intérêL Car, bien qu'il puisse
être coupé de l'intérêt moral par le manque de bonnes dispositions,
il reste pourtant, même dans ce cas, assez de ressources pour faire
en sorte qu'il craigne un être divin et un avenir. Car tout ce qui est
requis pour cela, c'est qu'il ne puisse en tout cas mettre nullement
en avant la certitude qu'il ne se trouve aucun Dieu ni aucune vie
future, laquelle certitude exigerait, puisque ces deux points ne
devraient être prouvés que par la simple raison, par conséquent de
manière apodictique, qu'il pQt démontrer l'impossibilit.6de l'un et
de l'autre - ce qu'assurément nul homme raisonnable ne peut entre-
prendre. Ce serait une croyance négative qui ne produirait certes ni
de la moralité ni de bonnes dispositions, mais en tout cas quelque
chose qui leur serait analogue, c'est-à-dire qui pourrait·retenir puis-
samment les mauvaises dispositionsde faire irruption.
Est-ce donc là, dira-t-on,tout ce qu'obtient la raison pure, quand
elle ouvre des perspectivesau-delàdes limites de l'expérience ? Rien
de plus que deux articles de foi ? Assurémentl'entendementcommun
en aurait-il lui aussi fait autant (AK, m, 538) (A 831/B 859) sans
avoir besoin de prendre sur ces questions l'avis des philosophes.!
Je ne veux pas c6lébrerici le service que la philosophiea rendu
à la raison humaine par les efforts pém"blesqu'elle a consacrés à sa
critique, quand bien meme le bénéfice obtenu, au terme, ne devrait
être que négatif; car à cet égard interviendraencore quelque obser-
vation dans le chapitre suivant. Mals est-ce à due que vous exigez
qu'une connaissance concernant tous les hommes doive dépasser
l'entendement commun et ne vous être dévoilée que par les philo-
sophes7 Ce que vise votre reprocheconstitue la meilleure confir-
mation que ce que l'on a affirm6jusqu'ici était exact, dans la mesure
oikse trouve ainsi mis à découvert ce que l'on pouvait apercevoir
initialement, savoir que la nature, dans ce qui tient à cœur indiffé-
remmentà tous les hommes, ne peut se voir reprocher aucune répar-
tition partiale de ses dons, et que la philosophiela plus 6levée, du
point de vue des fins essentielles de la nature humaine, ne saurait
conduire plus loin que ce n'est le cas sous la direction qu'elle a
accordée tout autant à l'entendement le plus commun 1111•
suite d'une Idée (oà la raison fournit les fins a priori et ne les attend
pasempiriquement)fonde une unité architectonique.Ce n'est pas de
manièretechnique, du fait de la similitude présentée par le divers,
ou de l'usage contingent de la connaissancein concretopar rapport
à toutes sortes d'objectifs extérieurs arbitraires, mais c'est unique-
ment de manièrearchitectonique,en raison de l'affinité des parties
et de leur dérivation à partir d'un unique objectif suprême et interne
qui seul rend possible le tout, que peut naîlre ce que nous appelons
science, dont le scht:medoit contenir les contours (monogramma)et
l'articulation du tout (A 834/B862) en ses membres confonnétnent
à l'Idée, c'est-à-dire a priori, et distinguercelui-ci de tous les autres
avec certitude et d'après des principes.
Personne ne tente de c:onstruùeune science sans prendre pour
fondementune Idée. Simplement,dans l'élaboration de cette science,
le schème et meme la définition que l'on donne dès le début de sa
science correspondenttrès rarement à son Idée ; car celle-ci est ins-
crite dans la raison comme un germe oà toutes les parties sont
cachées,encore à l'état forœmentenvelopp6et d'une manièreà peine
discernable par l'observation microscopique. En vertu de quoi,
puisque les sciences sont pourtant toutes conçues à partir du point
de vue d'un certain intaret universel, elles se doivent élucider et
détennincr, non pas d'après la descriptionque leur auteur en donne,
mais d'après l'Idée que, partant de l'unité naturelle des parties (AK,
m, 540) que cet auteur a rassemblées, l'on trouve fondée dans la
raison elle-m8me.Car il se découvre alors que l'auteur, et souvent
meme ses plus lointains successeurs, s'égarent à propos d'une Idée
qu'ils n'ont pas su se rendre claire pour elllt-m8mes,Incapablesdès
lors qu'ils ont été de déterminer le co.ntenupropre, l'articulation
O'unité systématique)et les limites de la science.
Il est regrettable que ce ne soit qu'après avoir consacré bien du
temps à rassembler de façon rhapsodique,en suivant les indications
fournies par une Idée cachée en nom, beaucoup de connaissancesse
rapportant à cette Idée et utilisées comme des matériaux, et après
avoir surtout passé un bien long temps à les agencer entre elles
(A 835m 863) de manièretechnique, qu'il commence alors à noDB
etre possible d'apercevoir l'Idée sous un jour plus clair et de tracer
architectoniquementles contours d'un tout d'après les fins de la rai-
son. Les systèmes semblent s'l!tre constitués, tels des vers, par une
generatioaequivoca,i\ partir de la simple conjonction de concepts
accumulés: d'abord tronqués, ils se sont complétés avec le temps,
bien qu'ils eUBsenttous globalement possédé leur schème, comme
un germe originaire, dans la raison, telle qu'elle ne ferait ainsi que
676 TIŒORIE TRANSCENDANTALE DE LA MÉTHODE
porter aussi subjectivementce nom que si elles ont 6té puisées aux
sources (A 837IB865) généralesde la raison.d'oà peut provenir
aussi bien la critique,et meme le rejet de ce que l'on a appris, c'est-
à-diresi elles ont été puisées à des principes.
Or, toute connaissancede la raison est ou bien connaissancepar
conceptsou bien connaissancepar constructionde concepts; la pre-
mière s'appelle philosophique,la seconde math6matique.De la dif-
férence intrinsèqueentre les deux, j'ai déjà traité dans le premier
chapitre. Une connaissancepeut donc être objectivementphiloso-
phique et cependant subjectivementbistmiquc, comme c'est le cas
chez la plupart de ceux qui SODten traind'apprendre et chez tous
ceuxqui ne voientjamais au-delàde l'école et restenttoute leur vie
durant des écoliers. Mais il faut remarquerpourtant que la connais-
sancemath6matique,telle qu'on l'a apprise, peut avoir aussi, sub-
jectivement,la valeur d'une connaissancerationnelle,et que la dis-
tinction évoqu6e n'a pas lieu d'8tre,vis-à-vis d'elle, au mêmetitre
que vis-à-visde la connaissancephilosophique.L'explicationen est
que les sourcesde connaissance,oà le maître seul peut puiser, ne
résidentnulle part aillcms que dans les principesessentielset v6ri-
tables de la raison, et que par conséquent ils ne peuvent 8tre
empruntésailleurs par l'élève, ni de quelque manière contestés- et
cela, en v6rité,parœ que l'usage de la raiSOD ne s'effectue ici qu'in
concreto,bien que néanmoinsa priori,à savoir dans l'intuitionpllRI,
telle qu'elle est, pour cela memc, infaillible, et qu'il exclut toute
illusion et toute erreur. On ne peut donc, parmi toutes les sciences
rationnelles (a prior{) apprendre seulement que la mathématique,
mals jamais la philosophie (AK, Ill, 542) (si ce n'est historique-
ment) : en fait, pour ce qui concernela raison, on ne peut apprendre
tout au plus qu'l phUosoph4rno.
(A 838 / B 866) Cela dit, le systèmede toute connaissancephi-
losophiqueest la phUosophle.Force est qu'on la prenne objective-
ment, si l'on entend par Il le modèle qui pmmet d'apprécier toutes
les tentativesfaites pour philosopher,selon une appréciationqui doit
servir à juger toute philosophiesubjective,dont l'édifice est souvent
si diversifiéet si soumisau changemenLSur ce mode, la philosophie
est une simple Idée d'une sciencepossfüle,qui n'est nulle part don-
née in concreto,mais dont c:incherche l s'approcherpar divers che-
mins, jusqu'l ce que soit découvertl'unique sentier servant de voie
avait finipar effacer,et que l'on parvienne,
d'accès, que la senst1Jilit6
autant qu'il est possible l des hommes, l rendre la copie, jusqu'ici
manquée, semblable à l'original. Tant que l'on n'en est pas Il, on
ne peut apprendreaucune philosophie; car oà est-elle7 Qui ]a pos-
678 nŒORIE 1RANSCENDANTALB DE LA MITIHODE
et qui examine tout, en tant qu'il est (et non pas ce qui doit être), à
partir de concepts a priori, se divise donc de la façon suivante.
Ce qu'on appelle la métaphysiquean sens restreint du terme se
compose de la philosophietranscendantaleet de la physiologiede
la raison pure. La première considère seulement l'entendementet la
raison eux-m8mes,dans un systèmede tous les conceptset principes
qui se rapportent à des objets en général, sans admettre des objets
qui seraient donnés (ontologia); la seconde considère la nature,
c'est-à-dire l'ensemble des objets donnés (qu'ils soient donnés aux
sens ou, si l'on veut, à une autre sorte d'intuition), et elle est donc
une physiologie(bien que seulement rationalis).Cela étant, l'usage
de la raison, danscette considérationrationnellede la nature, est soit
physique, soit byperpbysique.ou mieux : soit immanent,soit trans-
cendant.Le premier porte sur la natuœ, en tant que saconnaissance
peut être appliquée dans l'expérience (in concreto),Je second sur
cette liaison des objets de l'expérience qui dépasse (A 846/B874)
toute expérience.Cette physiologietranscendantea donc pour objet
S9itune liaison interne,soit une liaison externe,mais qui vont tout.es
deux au-delà de l'expérience powl>le: dansle premier cas, elle est
la physiologiede la nature dans sa globalité, c'est-à-dire la connais-
sance transcendantaledu monde.tandis que, dans le deuxièmecas,
elle est celle de la relation qui unit la nature dans sa globalité à un
être situé au-dessusd'elle. c'est-à-dire la connaissancetranscendan-
tale de Dieu. ·
La physiologie immanente considère au contraire la nature
commel'ensemblequi inclut tous les objets des sens, par conséquent
telle qu'elle nous est donnée,mais (AK, Ill, 547) selon des condi-
tions a priori sous lesquelles elle peut nous être donnée en général
Mais il n'y a que deux sortes d'objets des sens: 1. Ceux des sens
externes, par conséquent l'ensemble de ces objets, la nature corpo-
relle; 2. L'objet du sens interne, rame, et, d'après les conceptsfon-
damentauxde l'Bme en général,la naturepensante.La métaphysique
de la nature cOipOrellese nomme physique, mais, puisqu'elle doit
contenir seulement les princil)C& de la connaissance a priori de la
nature corporelle,physiquerationnelle.La métaphysiquede la nature
pensante se nomme psychologie, et, pour la même raison que l'on
vient d'indiquer, il n'y a lieu d'entendre ici que la connaissance
rationnellede l'lme.
D'apres quoi le système tout entier de la métaphysique se
compose de quatre parties principales: 1. l'ontologie; 2. la physio-
logie rationnelle; 3. la cosmologie rationnelle; 4. la théologie
rationnelle.La seconde partie, c'est-à-dire la doctrine de la natuœ
ARCHITECTONIQUEDB LA RAISONPURE 683
duite par l'entendement pnr que n'assisterait aucun des sens, les-
quels, selon leur opinion, ne feraient que perturberl'entendement
2. Relativementà l'origine des connaissancespures de la raison,
il s'agissaitde savoirsi elles sont dérivéesde l'expérienceou si, indé-
pendammentd'elle, elles ont Jeur sourcedans la raison. Aristotepeut
être considér6comme le chef desempiristes,tandis que Platonest le
chef des noologistes.Locke, qui, dans les Temps modernes,suivit le
premier,et Leibniz,qui suivit le second (bien qu'en s'éloignantassez
fortementde son systèmemystique),n'ont cependantpas pu davan-
tage conduirece débat à une décision.Du moins Épicureprocédait-il
pour sa part de façon bien plus conséquentedans son systèmesen-
sualiste(car à travers ses raisonnementsil n'allait jamais au-delàdes
limitesde l'expérience)qu'Aristoteet Loctœ. surtout par rapportà ce
dernier, qui, apres avoir dérivé de l'expérience tous les conceptset
tous les principes,en pratiqueun usagequi le conduitjusqu'à affirmer
que J'on peut démontrerl'existence de Dieu et l'immortalitéde l'lme
(alors même que ces deux objets se situent totalementen dehors des
limites (A 855/B 883) d'une expériencepossible) avec la même évi-
dence que pour un quelconquethéorèmemathématique.
3. Relativementà la méthode. Si l'on veut donner à quelque
chose le nom de méthode,il faut que ce soit une démarcheprocédant
d'apres des principes. Or on peut diviser la méthode aujourd'hui
prédominantedans ce domainede la rechercheen méthodenatura-
liste et méthodescientifique.Le naturalistede la raison pure prend
pour principe qu'à suivre la raison communedépourvuede science
(ce qu'il appellela raison saine),on peut parvenirà de bien meilleurs
résultats,relativementaux questionsles plus élevéesconstitutivesdes
problèmesde métaphysique,que par la spéculation.Il affirmedonc
(AK, m.552) que l'on peut déterminerla grandeurde la Lune et la
distance à laquelle elle se situe plus sOrementd'un coup d'œil que
par le détourmathématique.C'est là une simplemisologie,érigée en
principe, et, ce qui est le plus absurde, le renoncementà tous les
moyenstechniques,célébrécomme une véritablemétlwde pour élar-
gir sa connaissance.Car, en ce qui concerne ceux qui sont natura-
listes par difaut d'une conceptionplus vaste,on n'est en rienjustifié
à mettrequoi que ce soit à leur charge.Ils suiventla raison commune
sans se vanter de leur ignorancecomme d'une méthodequi devrait
contenir le secret pennettant de tirer la vérité du puits profond de
Démocrite.Les vers de .Perse:
Quod sapio sati, est mihi ; non ego euro
Esse quod Arcesi/ar aerumnosiqueSolones 175
688 TIŒORIB TRANSCBNDANTALB
DB LA Mm'HODB