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souviens très bien

du jour, un samedi,
je viens de rentrer,
tout est prêt pour
le surlendemain lundi, mes
obligations m’empêchant de chasser
le dimanche.

J et patriote.
Prêtre e suis né à Arcangues
en 1913. Mon père a
fait la guerre de 14-18
et moi celle de 40 ; je suis de la
classe 32, j’ai devancé l’appel
d’un an. Quand Hitler a occupé
la Rhénanie, le service militaire
a été rallongé de trois mois
mais ce changement est entré
en vigueur pour la classe Lorsque mon père qui a guetté mon
suivant la mienne, je n’ai donc retour, me dit :
été appelé sous les drapeaux « Tu peux repartir ramasser tes
qu’une année seulement. A filets, c’est la mobilisation ! »
cette époque, j’étais Nous sommes restés une quinzaine
séminariste. J’ai passé les trois de jours à Bayonne puis nous
premiers mois d’armée à sommes partis en train pour
Bayonne, puis j’ai poursuivi par Saverne, en Alsace. Les deux
un stage d’officiers de réserve éléments les plus marquants de
à Pau. notre tenue sont la capote et
Mes camarades prêtres ont surtout les pataugas. Quel
terminé leur armée en tant que équipement pour partir à la
sous-officier, moi, je n’en suis guerre !
sorti que caporal chef. Je
n’étais pas toujours très bien J’ai été versé dans les
noté en raison de mon caractère infirmiers, comme tous mes autres
un peu rebelle et comme nous camarades prêtres, mais je n’ai
devions assister régulièrement aucune connaissance en la matière.
à des cours du soir, au lieu de Nous sommes une quinzaine de
m’y rendre, j’allais dîner au prêtres, dont l’abbé Ornon et l’abbé
Sacré-Cœur, où se retirent les Larzabal, résistant basque, curé de
prêtres lorsqu’ils sont à la Socoa, qui sera très connu pour son
retraite. dévouement à l’égard des réfugiés
basques-espagnols. Cette
J’ai été mobilisé affectation en tant
à Bayonne, au 49ème qu’infirmiers ne nous plaît
R.I. Ce régiment avait pas du tout, nous avons
été dissout à la fin de demandé à être intégrés
la Première Guerre et dans une unité
reconstitué pour la combattante.
Seconde.
Nous sommes à En ce qui me
la fin du mois d’août concerne, il me faudra
1939 et je suis assez attendre quelque temps
contrarié de devoir avant de voir mon vœu se
partir d’abord parce réaliser.
que la guerre est Nous débarquons donc à
déclarée mais peut-être et Saverne, nous sommes tout un
surtout parce que je suis bataillon sous les ordres du
Etchevéria,
chasseur depuis toujours et qu’à commandant Soulier. Il fait très
Fagoaga et
cette période de l’année, je un prêtre chaud et nous commençons par
« prépare » un terrain, c’est-à- brancardier monter la fameuse côte de Saverne
dire que j’ai étendu un filet pour jusqu’à un petit village Danne-et-
la chasse à la tourterelle. Je me Quatre-Vents, six kilomètres plus
haut. Nous avons très soif et nous

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avons acheté du vin bouché à 3 leur poisson à la table du
Francs la bouteille, ce qui est commandant.
très cher. Nous resterons dans Tout ceci sert plus à nous amuser
ce village deux ou trois qu’à améliorer notre alimentationL’abbé
semaines, histoire de nous car, à ce moment du moins, nous Larzabal
rafraîchir la mémoire des n’avons pas à nous en plaindre. « écrase »
choses de l’armée et d’effectuer le drapeau

N
quelques sorties, marches ous arrivons à la frontièrenazi.
d’approche etc.. allemande, à Epping, à une
C’est totalement défendu, mais soixantaine de kilomètres au
j’ai quelques camarades nord de Danne-et-Quatre-Vents. Les
basques contrebandiers qui se premiers jours, nous entrons même
chargent de chasser dont en Allemagne puisque nous avons
Fagoaria et Etchevéria. Ce ordre de nous placer devant la ligne
dernier a emprunté un Maginot. Je me souviens d’une
mousqueton et nous sommes usine dans laquelle nous avons
partis à la chasse à la biche. récupéré deux drapeaux allemands.
Nous formons un petit groupe Mon ami Larzabal a jeté ces
et parmi nous, un autre prêtre, drapeaux sur une chaise et je l’ai
aumônier des Marins à Saint- même photographié monté dessus et
Jean-de-Luz, qui a été mobilisé les piétinant. Tout un symbole !
mais dans une unité différente, C’est cela, la « drôle de
en même temps que son frère guerre » : les Allemands ont
prêtre également. Nous avons d’abord été occupés à écraser la
débusqué une biche que nous Pologne et quand ils ont terminé
suivons tranquillement lorsque leur sale besogne et qu’ils se sont
nous entendons au loin, une repliés chez eux, nous avons eu
sonnerie de clairon. Le prêtre ordre d’en faire autant et de nous
nous dit : « C’est le retirer côté français afin de ne pas
rassemblement, vite ! », il fait les provoquer. Je conviens que
demi tour et part en courant. c’était assez surprenant !
Nous nous mettons à rire un
peu, pensant qu’il plaisante, Nous retrouvons donc Epping.
mais dans le doute, nous le Nous sommes maintenant en
suivons sans trop attendre. Il octobre et il fait déjà très froid,
nous faut un peu de temps pour surtout pour nous qui ne sommes
rejoindre la troupe car nous pas habitués au climat. Nous
nous sommes passablement logeons dans une maison équipée
éloignés. d’un énorme poêle à charbon. Une
Nous arrivons tout juste à nuit, pour avoir chaud, nous avons
temps pour rassembler notre chargé le poêle au maximum et nous
paquetage, monter dans le car nous sommes endormis. En ma
et partir. C’était bien le compagnie se trouvent le Dr
rassemblement et sans Stephan, notre capitaine, son
notre ami, nous adjoint médecin auxiliaire et
manquions le départ. mon ami Larzabal.
Les ennuis auraient Heureusement, l’un d’entre
commencé pour nous nous s’est réveillé et a secoué
puisque nous serions les autres, car le tirage était
passés pour déserteurs. défectueux et nous avons
bien failli mourir asphyxiés
Il y a aussi une tous les quatre. Lorsque nous
autre équipe de sommes sortis, nous nous
brancardiers, eux sentions vraiment très mal.
forment l’équipe des

C
pêcheurs ; ils ont ’est aussi
tellement pris de pendant cette
poissons que nous avons période que
l’impression qu’ils ont j’ai été témoin de quelques
vidé le lac environnant. incidents.
Un jour, ils ont même poussé le Nous avons toujours ordre de
culot jusqu’à faire servir de reculer en cas d’attaque allemande
et en compagnie de notre médecin

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chef, je suis allé reconnaître une le commandant s’avance pour
maison plus en retrait et qui parlementer un moment avec celui
pourrait, le cas échéant, nous qui dirige le groupe, puis, sous nos
servir de nouveau poste de yeux ébahis, ils font demi tour et
secours. repartent comme ils sont venus.
Et c’est en revenant, que nous Quand nous nous renseignons, soit
voyons, au loin, ce qui disant qu’ils n’ont pu opérer car le
ressemble fort à un terrain ne se prête pas à ce genre
bombardement important d’attaque. Ce sont d’ailleurs les
provenant du camp français. seuls chars français que j’ai vus
Trois prêtres de chez nous sont durant mon temps passé sur le
en poste à l’observatoire de la front.
division et pendant leur tour de
garde, ont entendu ou cru Si nous n’avons
entendre des bruits de moteur. pratiquement pas eu l’occasion
Il ont alors téléphoné pour d’admirer l’aviation française,
prévenir qu’un déclenchement par contre, l’aviation allemande
d’attaque était en train de se est très présente.
préparer. Ordre est aussitôt Nous avons pris l’habitude de
donné de lancer un feu de voir passer au-dessus de nos têtes
barrage et le bruit se répand, celui qui nous surveille du matin au
comme une traînée de poudre, soir et qui tourne à basse altitude et
que nous sommes attaqués. parfois d’autres, plus gros, volant
La 5ème Compagnie, postée dix beaucoup plus haut et qui, sans
kilomètres en avant et où se doute , rentrent chez eux après
trouve un de mes anciens avoir bombardé un secteur français.
camarades de service militaire,
quitte ses positions et nous Un jour que l’avion de
voyons arriver sur nous tous ces surveillance passait, il est soudain
hommes qui courent, affolés, assailli par trois avions de chasse
exténués, portant comme ils le alliés qui arrivent à haute altitude
peuvent leur chargement. et qui lui foncent dessus en piqué
Le commandant auxiliaire chacun leur tour et l’ abattent en
Arbeletche ordonne de flammes. L’avion se transforme en
constituer un barrage avec tout torche et tombe puis nous voyons
ce que nous pouvons trouver et deux parachutes descendre
d’arrêter les fuyards. En fait, lentement. Les deux pilotes seront
personne ne nous attaque et, certainement cueillis à leur arrivée
dans la nuit, tout le monde peut au sol et fait prisonniers, mais ce
être rassemblé puis sera le seul combat aérien
les hommes priés de auquel j’assisterai.
rejoindre leur position
initiale. Toujours pendant
notre période de base à
Quelques temps Epping, Etchevéria a
après, sur une hauteur ramassé deux vaches
près d’Epping, les laitières qui ont suivi nos
Allemands se sont déplacements un certain
installés et nous temps, les villages
surveillent de la route. frontaliers ayant été
Un avion de surveillance évacués. Grâce à elles, nous avons
allemand nous survole toute la du lait à volonté et l’abbé Larzabal
journée. qui, dans le civil est apiculteur à ses
Le commandant, agacé, heures, a trouvé des ruches et
L’abbé
demande alors l’appui des Larzabal
récolte le miel. Pendant cette
chars, afin de montrer à période, nous avons bu du café au
l’ennemi de quel bois nous nous lait sucré au miel en telle quantité
chauffons et si possible, de les que nous en avions la nausée.
forcer à se replier chez eux.
C’est ainsi que nous voyons Nous occupions une maison
arriver, trois petits chars vide où nous logions avec nos deux
Renault de la guerre 14-18. vaches. Un jour qu’un lieutenant de
Nous les regardons approcher, l’intendance passait l’inspection, il

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dit à Etchevéria : « Vous avez là rapports du
deux vaches que je viendrai capitaine au
prendre demain , elles général et qui
serviront à l’alimentation de la est mort lors
troupe ! » d’un
Non loin de là, nous avions
aussi trouvé un cochon.
Etchevéria répond alors de son
accent très particulier, il avait
des difficultés avec le masculin bombardement.
et le féminin : « Non, Monsieur, De temps à autre, nous
tu n’auras pas le vache, prends subissons quelques petites attaques
la cochon si tu veux, mais pas le allemandes, mais sans grandes
vache ! » conséquences.
Le lieutenant, levant les yeux au
ciel, repart mais quand il se Puis, nous reculons encore,
présente à nous le lendemain, toujours à pied, nous marchons
plus de vaches, elles se sont toute la nuit pour revenir presque à
littéralement envolées. Il a beau notre point de départ puisque nous
fouiller le rez-de-chaussée de la nous arrêtons finalement dans un
maison et les alentours, plus de village non loin de Phalsbourg. Nous
vaches. Il finit par abandonner passons l’hiver à cet endroit. Nous,
et n’a jamais su ce qu’étaient les infirmiers sommes hébergés par
devenus ces animaux. En fait, des religieuses qui nous gâtent
Etchevéria les avait cachés à beaucoup, le reste de la troupe est
l’étage : logé dans le village.
il a Cet hiver est très rigoureux, la
réussi à température descend jusqu’à –28°.
leur Le matin, nous avons de la glace sur
faire le visage, c’est la vapeur de notre
monter respiration qui gèle.
Il n’y a aucun combat, par
contre, le travail ne manque pas
au poste de secours, il faut faire
face à une épidémie de grippe.
Nous possédons peu de
médicaments :de l’aspirine et des
ventouses . Nous sommes vraiment
l’escalier et les a parqués dans peu experts dans l’application de
une chambre. ces dernières et nous faisons
Lorsque nous avons quitté souvent souffrir les malades quand
Epping pour partir au front, il nous les leur posons.
les a confiés à un copain basque
dont nous avons croisé la troupe Nous passons Noël chez les
qui revenait des lignes quand religieuses qui nous ont préparé un
nous y montions. repas splendide. C’est à cette

N
Jean occasion que j’ai fumé le second
ous avons eu ensuite Babaquy cigare de ma vie. Un de mes anciens
ordre de nous rendre pendant
l’hiver 39- élèves du petit séminaire m’avait
devant la ligne Maginot, envoyé un colis contenant diverses
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pour construire des avant choses dont ce cigare que j’ai
postes : il s’agissait d’abris faits savouré à la fin du repas de Noël. Ce
de rondins de bois. fut le second et le dernier de mon
Cette période étant existence car j’ai tellement été
relativement calme pour les malade que j’en ai été dégoûté à
infirmiers, l’un d’entre nous a jamais.
pris l’habitude de rester en Comme il y a beaucoup de
faction au poste de secours neige, nous occupons nos journées à
pendant que les autres aident faire de la luge.
au montage de ces fortins. Tous les matins, je vais chercher le
Un tué est lait dans une ferme du village et
malheureusement à déplorer : tous les matins je salue le fermier
le motocycliste qui porte les qui ne me répondra jamais ni ne
Un
brancardier
devient
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responsable
d’une
mitrailleuse.
m’adressera la parole une seule défense anti-aérienne, comme rien
fois. ne se passe de particulier, nous
cassons la croûte tranquillement,

P
uis, l’hiver se termine quand nous levons la tête et voyons
enfin et pour Pâques j’ai un gros avion de bombardement qui
une permission. C’est à nous survole très bas. Nous
cette occasion que je vais pouvons même « admirer » sa
connaître une modification « croix » noire mais au bruit
dans mon statut militaire. inhabituel qu’il produit, nous
Je rentre sans encombre pensons tout de suite que cet
de ma permission, mais avec appareil est touché.
quarante huit heures de retard Notre commandant se met à hurler :
puisque j’ai accepté d’aider le « Vite, à vos postes ! »
prêtre de ma paroisse à assurer D’un bond je m’installe derrière ma
les messes et confessions des mitrailleuse et c’est la seule fois où
fêtes pascales, ce qui me vaut je tire réellement. Et nous tirons
une convocation chez le tous et malgré le bruit infernal,
lieutenant qui remplace notre j’entends le commandant qui
capitaine. Il me signifie que ce continue à s’époumoner : « Mais ils
retard entraîne une sanction et ne l’auront pas, ils le l’auront pas ! »
qu’il me détache de l’infirmerie Effectivement, nous ne l’avons pas
pour m’envoyer vers une unité touché.
combattante, en clair il me Nous sommes passés en unité
confie deux mitrailleuses. Je ne d’infanterie alpine et nous nous
suis toujours pas très expert en attendions à être envoyés dans les
la matière mais loin de Alpes puisque l’Italie était entrée
m’ennuyer, cela exauce enfin en guerre aux côtés de l’Allemagne.
mon vœu de me battre pour de En fait nous ne sommes pas partis si
bon. loin.

N
Un jour où nous sommes ous avons été renvoyés au
encore une fois postés sur une front toujours à pied, à
hauteur en surveillance, nous Wissembourg, à une
voyons de nouveau passer des centaine de kilomètres au nord est,
bombardiers allemands qui à la frontière allemande.
rentrent après avoir accompli A partir du 10 mai, les choses
leur funeste mission. Puis, plus changent. Les évènements se
tard, vers 17 heures, nous durcissent, les Allemands sont
repérons trois avions qui volent devenus vraiment agressifs. Nous
assez bas. marchons nuit et jour, sac au dos.
Je crie : «A vos Nous transportons tout notre
mitrailleuses ! ». A côté de nous matériel et pour cela nous avons
sont postées des batteries de troqué nos quelques chariots contre
canons anti-aériens . Nous nous des mulets.
mettons à tirer sur ces avions Un des conducteurs de mulet
comme des malades mais est un camarade juif, un bijoutier de
lorsque je regarde autour de Bayonne, un homme très gentil, très
moi, je m’aperçois que nous fin. Le regarder accompagner le
sommes les seuls à tirer, mulet me fait mesurer l’incongruité
l’artillerie ne suit pas. Soudain, de notre situation. Il est vrai
un lieutenant qui dirige une qu’aucun d’entre nous n’est à sa
autre batterie se met à hurler : place et je me demande quel est
« Arrêtez le tir, ce sont des le plus curieux : un bijoutier
avions français ! » acheminant du matériel
C’était en réalité trois militaire à dos de mulet ou un
avions anglais et c’est sur les prêtre tirant à la mitrailleuse ?
seuls et uniques avions alliés de Je dis souvent à mon ami : « Toi, ce
toute la journée que nous avons n’est pas toi qui conduit le mulet,
fait feu, sans en toucher aucun, c’est le mulet qui te mène ! »
heureusement. Et nous allons toujours à
pied, à marcher sans prendre
Puis un autre après-midi, beaucoup de repos. A certains
nous sommes toujours en moments, nous nous arrêtons, nous

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établissons une ligne de pas trop vite, laissez les approcher
résistance pour permettre au au maximum ».
reste des troupes de se replier Pendant que nous sommes là à
aussi. Nous pouvons nous attendre, je me dis que dégoûtants
reposer quatre, cinq heures au comme nous sommes tous, ce serait
plus et nous repartons en embêtant s’il devait nous arriver
arrière. quelque chose, de mourir sales. Je
Je me souviens que nous nous trouve alors un petit ruisseau et je
arrêtons dans un petit village, à me lave les pieds. « Au moins, si on
Thaon-les-Vosges, à cent me trouve, j’aurai les pieds
kilomètres en retrait. propres ! » pensé-je.
Puis nous apprenons que les
Notre adjudant nous a Allemands arrivent par le Nord, face
demandé de passer la nuit dans à nous, les Polonais nous protégeant
les maisons du village. Nous par la gauche. Nous sommes
sommes entrés dans l’une continuellement surveillés par un
d’elles et je revois encore le avion qui tourne au dessus de nous
regard affolé du couple qui et qui doit renseigner l’ennemi sur
allait nous héberger. nos positions.
Il faut dire que nous avons
débarqué chez eux, sans Nous sommes assez peu au
prévenir, avec nos mitraillettes, courant de la situation, si ce n’est
il y avait de quoi avoir peur ! Je qu’au cours de notre retraite, en
m’adresse alors à eux : traversant un village, des habitants
« Monsieur et Madame, ne vous qui possèdent un poste de radio
inquiétez pas, les allemands ne nous disent que les Allemands sont
vont pas arriver et si par arrivés à Calais, qu’ils ont aussi pris
malheur, ils bombardent, j’ai vu Dijon, qu’ils s’approchent de Paris
que votre maison comportait et que Pétain a demandé l’armistice.
une cave, vous n’aurez qu’à Nous ressentons un grand
vous y réfugier, vous ne risquez découragement : nous nous sentons
rien, ne vous inquiétez pas ! » seuls, mal préparés, fatigués, mal
Et le lendemain, nous sommes équipés. Nous sommes résignés et
repartis. pensons que nous n’en avons plus
pour longtemps. Nous ne nous
Nous avons fini par faisons aucune illusion quant à la
atteindre Gondrexon, petit suite des évènements.
village situé à 30 km à l’est de Puis nous apprenons que les
Lunéville. Nous marchions Polonais ont battu en retraite. Les
depuis dix jours nuit et jour ordres ont été donnés ainsi : si nous
sans nous changer ni nous laver. nous sentons trop menacés, il faut
Nous sommes arrivés en fin de immédiatement se replier vers la
journée pour nous établir à la route.
lisière d’un petit bois. Nous Le matin du 19 juin 1940
entrons dans les fourrés et nous arrive, il est 8 ou 9 heures, nous
découvrons, tous les cinq buvons tranquillement notre café.
mètres environ, des vestiges, Les Allemands sont arrivés sur notre
des restes d’obus rouillés et des secteur sans que nous en ayons été
trous, datant de la guerre 14- avertis. Ils se sont doucement
18. Je trouvais cela approchés et arrivés à la ligne de
extraordinaire de nous chemin de fer, il s’abattent sur nous
retrouver exactement à la en hurlant tels une meute de chiens
place qu’avaient occupée nos enragés et la fusillade commence
aînés, vingt cinq ans plus tôt sur notre gauche.
et malheureusement pour les Le combat s’avère inégal :
mêmes raisons. nous sommes installés après avoir
fait une très longue marche et nous
Nous nous sommes avons en face de nous des gens
installés face à la ligne de armés comme il le faut et qui sont
chemin de fer, en défense et j’ai arrivés sur les lieux en camions. De
dit à mes camarades : « Si nous plus, leur manière de se ruer en
sommes attaqués, ne ripostez hurlant n’arrange pas les choses.

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La fusillade commence sur Je parcours environ cent
notre gauche, nous n’avons mètres quand j’avise un fossé et
qu’une crainte, être pris en derrière ce fossé est caché le
tenaille si d’autres arrivent du motocycliste et le side-car du
côté opposé. Nous ne sommes commandant. Je n’ai jamais douté
pas de taille à l’emporter. qu’il y ait une providence, mais là
Suivant les ordres, nous j’en avais la preuve !
rassemblons notre matériel et « Que fais-tu là et qu’est-ce qui
nous nous replions vers la t’arrive ? » me demande t-il. Et il
route. A gauche, se trouve un voit ma tête et le pansement
petit sentier, nous nous y sanguinolent. « Allez, monte, je vais
engageons et pointons nos t’emmener au poste ! » Je grimpe
mitrailleuses sous un déluge de dans le side-car et arrivé au poste
balles. Toutes les feuilles du de secours régimentaire, je retrouve
taillis où nous sommes réfugiés l’abbé Larzabal qui est toujours à
frissonnent sous « l’averse ». son poste d’ infirmier.
Je bondis et je cherche un Je ne peux plus parler et mon visage
renfoncement pour m’installer. ensanglanté doit donner à penser
Nous sommes couchés sur le que je n’en ai plus pour longtemps,
sol. Je fais un mouvement de il me donne l’absolution, histoire
tête pour appeler mes d’être en paix avec le Bon Dieu.
camarades et c’est à ce Et moi, pendant ce temps, je
moment qu’une balle ricoche pense : « Il me croit fichu, mais
sur le sol et vient se ficher dans non, je suis costaud, je vais m’en
ma figure. Elle me traverse le tirer ! »
visage de part et d’autre du nez Au moment où j’ai été blessé et
et me fracture la mâchoire pendant quelques secondes, j’ai
supérieure. appelé du fond du cœur la
A côté de moi se trouve l’abbé miséricorde de Dieu, je me suis
Ornon. Je me retrouve à genou, abandonné et j’ai ressenti une
lui aussi et il me dit : « Pauvre grande paix. Je me suis alors
Babaquy, pauvre Babaquy ! ». demandé : « Comment est-ce de
Fébrilement, je tâtonne pour l’autre côté ? » Sans aucune
trouver mon masque à gaz. Je appréhension, j’ai fait don de ma
sais que j’y ai placé un personne et puis j’ai ouvert les yeux
pansement. J’abandonne mes et j’ai alors compris que j’étais
deux musettes et mes pellicules vivant. Pendant un court instant, ce
photo. J’attrape le pansement et fut une terrible déception. Puis
je le plaque sur mon visage. l’instinct de survie a pris le dessus,
L’abbé Ornon me fait un ce qui explique que lorsque l’abbé
bandage et le lieutenant Moras m’a donné l’absolution, cet état de
m’ envoie directement au poste grâce était passé et je savais que je
de secours de Gondrexon. me battais pour vivre.
Seulement, pour se rendre à Nous sommes partis au poste de
Gondrexon, il faut y aller par la secours divisionnaire où l’abbé
route et sur la route la bataille Verges m’a changé mon pansement.
fait rage. Les Français sont Cela m’a mis en colère car il m’a
postés tout le long , tirent sur bandé les yeux en même temps que
les Allemands qui le leur le reste du visage. Et de là, en
rendent au centuple, la voie est compagnie d’autres blessés, nous
balayée par les balles. J’essaie montons dans un camion chargé
de passer par le fossé mais il est d’explosifs et on nous expédie vers
rempli de ronces. Impossible de Raon-l’étape, à 35 km au sud est de
s’aventurer ! Lunéville, non loin de Baccarat. En
C’est alors qu’un coup de cours de route, à un croisement,
folie me prend : je me relève, c’est un soldat allemand qui réglait
me précipite sur la route et je la circulation qui a indiqué la
me mets à courir, à courir. Je direction à notre chauffeur.
n’ai qu’une idée en tête : aller Je resterai un mois à Raon-
me faire soigner au plus vite. l’étape. J’y suis opéré et l’on
Mes copains hurlent : « Viens m’extrait un morceau de fer.
ici, Baba, tu vas te faire L’hôpital est à l’origine deux écoles
descendre, reviens ! » qui ont été réquisitionnées. Nous

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sommes une centaine de bombardement. Pauvre homme,
blessés. comme le temps a dû lui sembler
long, qu’a-t-il pensé pendant cette

L
e 21 juin, les Allemands atroce demi-heure ?
prennent possession de la Puis nous sommes transportés
ville. Je me souviens d’un à Saint-Dié, plus au sud, à laSt Dié :
caserne
soldat blessé arrivant, son fusil caserne Scherren-Kellermann Scherren-
à l’épaule, complètement affolé transformée en hôpital. Je me Kellermann,
et hurlant : « Si vous le pouvez, souviens , non loin de nous, sont le matériel
foutez le camp , ils tuent tous rassemblés des prisonniers françaisfrançais
« confisqué »
les prisonniers, surtout les qui souffrent de dysenterie. Une
par les
prisonniers de guerre ! corde les sépare des autres blessés. Allemands.
Dans l’état de faiblesse où nous Je m’ approche d’eux malgré tout
nous trouvons, que pouvons car j’ai reconnu un de mes
nous faire ? Dans le courant de compatriotes d’Ustaritz. Aussitôt la
la journée, un officier allemand sentinelle allemande bondit et
nous rend visite, accompagné aboie : « Raus ! »
d’une infirmière. C’est un grand Dans cette caserne-hôpital est
bonhomme qui nous fait le entreposé beaucoup de
salut militaire, nous regarde, se matériel confisqué par
tourne vers l’ infirmière et lui les Allemands à leurs
dit : « Ces draps sont sales, prisonniers. Pendant
vous les changerez ! » Il fait mon séjour à Saint-Dié,
demi tour et il sort. Je suis dans je retrouve l’abbé
un drôle d’état, mon œil droit Etchémendy, blessé à la
suppure beaucoup, mon jambe, que j’ai connu au
pansement est changé, une fois séminaire. Chaque jour,
de plus. nous mettons au point
Le 22 ou le 23 juin, ensemble, des plans
l’hôpital est bombardé par les d’évasion que nous ne
Polonais. Bien qu’ils aient failli concrétiserons jamais.
nous tuer ce jour là, je tiens à Puis je passe une
leur rendre hommage. J’estime visite médicale et on m’avertit que
qu’ils ont manifesté un courage je vais être transféré dans un camp
exemplaire ; ces soldats en en Allemagne. Je suis incapable de
voulaient vraiment et n’étaient manger, je ne peux ingurgiter que
Jean Babaquy
pas prêts à renoncer. Ils avaient des aliments liquides. Je me défends est appareillé
déjà tant souffert chez eux, leur du mieux que je peux compte tenu
pays était détruit, ils n’avaient de ma blessure, en arguant que je
plus rien à perdre. En ce sens, suis loin d’être guéri. Je dois être
et à cette époque, c’était pour convainquant, car le médecin me
nous une leçon. fixe un rendez-vous pour le
Les Allemands ont disposé lendemain afin de m’examiner plus
trois canons à côté de l’hôpital en détail et de me passer à la radio.
et ripostent. Nous sommes au Il s’aperçoit alors qu’il me reste un
centre de la bataille. Une aile morceau de balle au-dessus de la
est touchée, quelques blessés gencive supérieure. Il me faut être
tués. La nouvelle se répand opéré de nouveau , selon les
dans l’hôpital : « Vite, les médecins, cela équivaudra, pour
Allemands bombardent, moi, à une extraction de dent. Les
descendez à la cave ! » médecins ne sont pas d’accord entre
Dans la salle où je repose, eux : l’un pense que le morceau se
nous sommes une trouve à l’intérieur du
dizaine de blessés sinus, l’autre à
et dans l’extérieur.
l’affolement L’intervention a
général, l’un lieu, sans succès. Ils
d’entre nous, décident alors de me
touché à la colonne trépaner. Je serai sous
vertébrale, est anesthésie locale et
oublié et reste seul pendant l’intervention,
dans la chambre j’entends, en plus du
pendant tout le bruit des instruments :

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« Qu’est-ce que cela pisse ! » Je d’Hasparren, Guillaume Etcheverse
ne me sens pas que je n’ai jamais revu depuis et qui
particulièrement rassuré. se trouve dans le même service. Je
Pour terminer, je repasse une reste huit mois, tout l’hiver 40-41.
radio encore une fois et grâce à Nous passons nos journées à jouer
cette dernière les chirurgiens aux dames avec l’abbé Mathieu,
réussissent à extraire la balle. prêtre vosgien. Les Sœurs qui
Je reste entre la vie et la mort, travaillent à l’hôpital nous ont
la plaie est très infectée. Pour affublé d’une soutane. C’est tout ce
finir, j’attrape la dysenterie. Je qu’elles ont pu trouver mais cela
dois partir pour Nancy, dans un nous permet de nous déplacer dans
service maxillo-facial et à cause une tenue plus correcte que le
de cette maladie, je pense que pyjama.
mon départ sera retardé. Les L’abbé Bréhamet, jeune séminariste
brancardiers viennent tout de mais plus âgé que nous du fait de sa
même me chercher et un vocation tardive, aumônier des
médecin me conseille : « Partez, « Gueules
c’est votre seule chance, où Cassées », nous
vous finirez dans un camp promène dans
allemand ! » Paris et s’occupe
Nous partons donc pour de l’animation du
Nancy, cinq ou six blessés service. Comme
conduits par un chauffeur mon œil est
allemand et escortés par un toujours infecté,
soldat, mitraillette au poing. je vais à l’hôpital
Là-bas, je suis placé dans une Cochin me faire
unité de soins des cancéreux de soigner le canal
la gorge. Une doctoresse, lacrymal.
assistée d’une religieuse Mais nous sommes toujours
s’occupe de moi. Je me fais prisonniers des Allemands et
connaître auprès de la lorsque je suis guéri, un médecin
religieuse qui appelle à mon autrichien fait passer une visite
chevet une chirurgienne médicale à une centaine de blessésL’abbé
spécialiste qui me dit que et les libère tous. Sauf moi, que l’on
Bréhamet
l’intérieur de mon nez est très a oublié de présenter. (à gauche)
aumônier
abîmé mais qu’elle peut des
m’opérer. A mon réveil, je Quelques temps après, je suis
« Gueules
souffre beaucoup, j’entends la envoyé à Issy-les-Moulineaux où Cassées
se ».
religieuse qui me veille me trouve un centre rassemblant tous
dire : « Mon pauvre petit, est-ce les prisonniers de guerre rentrant
que vous souffrez, mon pauvre en France et en instance d’être
petit ? » Je n’ai jamais su si je le libérés. Nous sommes une
pensais ou si je m’exprimais multitude qui attendons, je suis
tout haut, mais j’avais toujours vêtu de ma soutane. Je
l’impression de crier : « Fichez décide d’y aller au culot, j’entre
moi la paix, mais fichez moi la sans faire la queue dans le bureau
paix ! » d’un sous-officier qui me demande
Je resterai ainsi huit jours de lui présenter des papiers que je
à Nancy puis je n’ai pas. Il me donne
suis transféré, alors une adresse où je
toujours escorté me rends, dès le
par des soldats lendemain et où l’on
allemands, à me conseille de revenir
l’hôpital Civil de avec une attestation du
Neuilly, dans un médecin de l’hôpital
grand service certifiant que je n’ai
maxillo-facial , jamais été prisonnier.
dans une aile Le Dr Virenque me la
réservée aux rédige sans problème
Le docteur et je la porte à
blessés de la face.
Virenque
Je suis soigné par le Dr (2ème à partir l’officier qui me verse au Val de
Virenque. J’y retrouve un de la gauche) Grâce comme infir-mier. Là-bas,
ancien copain de collège et les artistes tous les infirmiers de la classe 32
qui nous
distraient.

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sont libérés, je le suis donc supportable. Ma vocation de prêtre
aussi et le soir même, je suis et mon rôle militaire ont cohabité en
libre et mes papiers en règle. Je bonne entente.
rentre alors chez moi par le Dans mon esprit, les choses
train. étaient claires : mon pays était en
danger, je le défendais, j’étais
prêtre mais patriote tout de
L même.

orsque je fais le
bilan de cette
période du début
de la guerre, je
m’estime assez
privilégié car,
mis à part
l’assaut
allemand, le jour
où j’ai été blessé
et où nous étions
vraiment sous les
balles ennemies,
tous les combats auxquels j’ai
assisté ne se passaient pas juste
devant nous, notre rôle a
surtout été un rôle de
surveillance. Je n’ai donc
jamais vraiment eu peur. Et
puis, nous étions jeunes et un
peu inconscients, assez mal
informés de la situation de la
France. En fait, nous ne nous
rendions pas compte de la réelle
gravité des évènements. Par
contre, j’en veux
particulièrement à nos
dirigeants politiques de
l’époque, Blum et les autres.
Tous savaient ce que Et puis, je n’avais pas le choix, à
manigançait Hitler, depuis moins de déserter, mais ce n’était
1932-33 et ils ont été incapables pas dans mon état d’esprit.
de préparer le pays à ce qui J’
allait arriver. Ils étaient plus espère avoir néanmoins soulagé les
préoccupés de politique sociale quelques hommes à qui j’ai donné
que de politique étrangère, à ce l’absolution et que nous avons
niveau tous furent lamentables. perdus lors des attaques.
Je ne cesserai de dire que notre
préparation militaire n’avait de La vie en général, et cette
préparation que le nom, nous période en particulier, m’ont
n’avions aucun équipement conforté dans cette opinion : il
correct, nous avions repris les existe toujours un côté positif à
armes de la guerre 14-18 pour toutes choses, même les plus noires,
nous battre, alors qu’en face car Dieu du mal tire toujours le
les Allemands possédaient une bien.
armée moderne. Que pouvions
nous faire ? Personnellement,
cet épisode ne m’a pas semblé Abbé Jean Babaquy.
aussi pénible qu’on pourrait le
supposer. Par Marie-Dominique DEPREZ,
Hôpital de
Sortant du Séminaire où la vie Neuilly : un Ecrivain Privé
et la discipline étaient si dures, groupe de
Mémoiries
la vie de soldat m’a paru très blessés de
la face et
de la tête.

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