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En Autriche, «Vienne la Rouge» veut être
un contre-pouvoir face à l’extrême droite
PAR VIANEY LORIN
ARTICLE PUBLIÉ LE SAMEDI 7 JUILLET 2018
Manifestation pour l’accueil des migrants à Vienne. © Reuters
Alors que l’Autriche, dirigée par une coalition de la
droite et de l’extrême droite, occupe la présidence
tournante de l’UE depuis le 1er juillet, la ville
de Vienne, gérée par les sociaux-démocrates alliés
aux Verts, tente de proposer un contre-modèle à la
politique menée par le gouvernement. Mais le vote
antimigrants connaît aussi une poussée dans certains
quartiers viennois.
Vienne (Autriche), correspondance.– L’ambiance
est studieuse dans la salle de classe du foyer
de Favoriten, arrondissement populaire de Vienne.
Autour de la grande table blanche, une dizaine de
demandeurs d’asile suivent avec attention un cours
d’allemand. Mais on est à peine sorti de la salle
que l’atmosphère s’anime. Dans le hall d’entrée,
on distribue de la nourriture tandis qu’au bout du
couloir, des enfants jouent dans une pièce aménagée
spécialement pour eux par Ute Bock, l’association qui
gère le foyer.
À l’écart, assis à un bureau, Abdullah al-Mukhtar est
concentré sur son ordinateur. Arrivé d’Irak en 2015,
il a obtenu la protection subsidiaire en Autriche.
Technicien informatique de formation, il s’occupe
désormais de la boutique en ligne de l’association. Un
travail quotidien qui l’aide à retrouver un semblant de
stabilité, même s’il n’oublie rien de ses traumatismes
passés : « Je viens de Mossoul. En 2014, la ville s’est
transformée en quelques heures. L’État islamique est
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arrivé. Je ne pouvais presque plus sortir de chez moi,
ma maison s’était transformée en prison. J’ai décidé
de quitter le pays parce que c’était trop dangereux. »
En plus d’offrir des cours d’allemand et des conseils
pour faciliter leur intégration, l’association héberge
ici près de 80 demandeurs d’asile et réfugiés. Ils sont
environ 30 % à Vienne à vivre dans ce type de foyer.
Les autres disposent de leur propre appartement et sont
soutenus financièrement par la ville. Un modèle que le
FPÖ dénonce régulièrement : le parti d’extrême droite,
qui gouverne l’Autriche en coalition, souhaiterait que
les demandeurs d’asile puissent être « concentrés »
dans des centres, selon le terme employé par le
ministre de l’intérieur Herbert Kickl, habitué aux
controverses. L’une des raisons invoquées : cela
permettrait de traiter les requêtes plus rapidement.
« Inacceptable » pour Anita Bauer, directrice du Fonds
social de Vienne, responsable de la prise en charge des
réfugiés et demandeurs d’asile. « Déjà, cela coûterait
au moins deux fois plus cher que l’hébergement
individuel. De plus, nous pensons que l’intégration
doit commencer dès le premier jour d’arrivée en
Autriche. Cela signifie pouvoir vivre normalement,
dans son propre appartement, au milieu des autres
citoyens et pas uniquement avec d’autres réfugiés. »
Ces passes d'armes entre Vienne et le FPÖ remplissent
bien souvent les colonnes des journaux. Car la capitale
est devenue la bête noire du parti d'extrême droite,
accusée de gaspiller l'argent du contribuable. Les
« bleus » – la couleur du FPÖ – rêvent de ravir
« Vienne la Rouge » aux sociaux-démocrates, qui
détiennent la mairie depuis 1919 – exception faite de
la période de l’« austrofascisme » entre 1934 et 1938
et de celle du nazisme, entre 1938 et 1945.
Bastion progressiste, la ville se pose en contre-modèle
du gouvernement fédéral, où le FPÖ possède trois
ministères régaliens. « Nous sommes deux partis
très différents, avec de très fortes divergences dans
presque tous les domaines politiques. Les idées
sociétales portées par la social-démocratie viennoise
sont par exemple très différentes de celles du FPÖ, en
particulier en ce qui concerne le vivre-ensemble ou les
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droits des travailleurs », affirme Michael Ludwig, le
maire social-démocrate de Vienne, dans un entretien à
Mediapart.
Manifestation pour l’accueil des migrants, le 19
mars 2016 à Vienne. © Leonhard Foeger/Reuters
Dans l’État fédéral autrichien, Vienne bénéficie d'un
statut particulier : elle est à la fois municipalité et Land
– une province avec un budget et des compétences
propres, comme le logement ou la protection
de l'environnement. Elle est aussi responsable de
l’application des lois-cadres fédérales. Le maire dirige
donc à la fois l'exécutif municipal et régional. Un poids
politique important, qui permet à la ville de porter la
contestation.
Ainsi, quand le gouvernement présente sa réforme
du revenu minimum, Vienne s’oppose et menace
d’en appeler à la Cour constitutionnelle : « Quand le
gouvernement promulgue une loi-cadre, Vienne peut
décider de ne pas l’appliquer et d’entrer dans un
conflit ouvert. C’est ensuite à la Cour constitutionnelle
de trancher. Si elle rejette la loi, alors cela fragilise
le gouvernement. Vienne peut ensuite se présenter
comme le rempart contre une coalition qui ne veille
pas au respect du droit », analyse Tamara Ehs,
politologue et spécialiste du droit constitutionnel.
À chaque élection, qu'elle soit présidentielle,
législative ou municipale, Vienne vote généralement
plus à gauche que le reste du pays. Son électorat urbain
a d'autres priorités que celles de l'électorat rural, aux
opinions plus conservatrices. Dans un pays composé
en grande majorité de régions rurales, Vienne fait
donc figure d’exception, accusée par certains d’être
déconnectée de la « réalité » des Autrichiens.
Ce phénomène n'est pas isolé en Europe, où les
grands centres urbains votent différemment du reste
du territoire, à l'image de Paris, Londres (qui a voté
majoritairement pour le maintien dans l'UE lors du
vote sur le Brexit en 2016) ou encore Barcelone
(dirigée par la gauche alternative depuis 2015). Lors
du second tour de l’élection présidentielle en 2017,
Marine Le Pen n’avait ainsi obtenu que 10 % des
voix dans la capitale française, contre près de 34 % au
niveau national.
Singulière, Vienne l’est aussi par sa population : ici,
un habitant sur deux est étranger ou a un parent né
à l’étranger : « Ils font partie de l’identité de notre
ville. Si vous vous promenez dans la rue, vous verrez
de nombreux bâtiments construits par des ouvriers
venus de l’ex-Yougoslavie ou de Turquie, ils ont
beaucoup contribué à faire de Vienne ce qu’elle est
aujourd’hui. La créativité et l’innovation sont toujours
amenées par les nouveaux arrivants, c’est essentiel
pour le bien-être culturel et économique d’une ville »,
défend Ursula Struppe, chargée de l’intégration et de
la diversité à la mairie.
« La campagne pour l’élection municipale de 2015
reste d’ailleurs l’un des symboles de notre opposition
au FPÖ. » Au cœur de la crise des réfugiés où
l’Autriche reçoit plus de 88 000 demandes d’asile
en une année, l’ancien maire, Michael Häupl, fait un
choix audacieux. Alors talonné dans les sondages par
l’extrême droite, portée par les craintes liées à l’afflux
de réfugiés, le maire axe sa campagne sur l’accueil
et rappelle les valeurs d’ouverture de la capitale. Il
l’emporte largement.
Mais la campagne de 2015 a laissé des traces et les
murs de la forteresse sociale-démocrate se fissurent.
Le FPÖ progresse de 5 % par rapport à la précédente
élection et arrache la mairie d’arrondissement de
Simmering, quartier populaire. Le vote ouvrier n’est
plus acquis aux sociaux-démocrates, les arguments de
l’extrême droite se font plus audibles. Le SPÖ est
secoué.
Symbole de ce changement d’époque : en mai dernier,
Michael Häupl, qui dirigeait la ville depuis près de 24
ans, passe la main. Son successeur, Michael Ludwig,
est décrit dans les médias comme un représentant
de « l’aile droite » du SPÖ. Parmi ses promesses :
donner la priorité aux Viennois installés de longue

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date, comme il l’a déjà fait avec l’attribution des
logements sociaux. Les nouveaux arrivants devront
attendre « comme dans les queues au supermarché ».
Objectif : la reconquête de l’électorat populaire attiré
par le FPÖ, avec en ligne de mire les prochaines
élections municipales et régionales de 2020. « En
tant que président de la social-démocratie viennoise,
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j’ai commandé un programme visant à regagner
Simmering. Nous devons nous concentrer davantage
sur les gens, les écouter, les impliquer », détaille
Michael Ludwig. S’il ne craint pas de s’aventurer sur
le terrain de l’extrême droite, il a cependant exclu
une coalition avec le FPÖ. Pour en décider, il faudra
toutefois sortir en tête des élections, quitte à imprimer
à « Vienne la Rouge » quelques nuances de bleu.
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