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La soi-disant pulsion de mort .
une pulsion sexuelle *

Cette conférence1 prendra successivement trois


formes:
- Une forme historique ou historico-critique. A savoir :
Ia façon dont je comprends l'apparition et Ia fonction de
Ia pulsion de mort dans Ie développement de Ia pensée
freudienne.
- Une forme métapsychologique: quelle position
devons-nous assigner, dans une métapsychoIogie de
I'être humain et de I'inconscient, à ces forces que
S. Freud, de façon inappropriée, a quaIifiées de puI-
sions de mort / puIsions de vie ?
- La troisieme partie apportera queIques indications
concemant une question de psychologie générale: par
quels facteurs pourrait-on expIiquer ces phénomenes
affectifs majeurs que sont l'amour et Ia haine, et ceci sans
adhérer exaetement à Ia conception freudienne ?

* Adolescence, 1997, 15, 2, 205-224.


1. Conférence prononcée le 3 novembre 1995 à Ia Sigmund Freud
Stiftung, Francfort-sur-Ie-Main (Allemagne).
J'éclairerai à I'avance ma démarche par quelques pro-
positions nucléaires. Ces theses sont iei exprimées sous l/NOS PREMIERES CONSIDERATIONS
une forme queIque peu radicaIe2• SERONT DONC D'ORDRE HISTORIQUE
1. Le soi-disant combat originaire entre puIsions de
vie et puIsions de mort n'est absoIument pas une oppo-
sition bioIogique existant dans I'être vivant, ni par Chez S. Freud, comme chez tout grand penseur,
conséquent pertinente pour Ia science bioIogique. « l'histoire des idées ~)n' est pas purement anecdotique
2. Cette opposition trouve sa pIace uniquement et mais se trouve en étroite corréIation avec Ie contenu.
totaIement dans Ie domaine de I'être humain: et ceei, Aussi importantes que Ies découvertes, sont Ies voies
non pas comme une différence entre Ia sexuaIité et une ct les structures de Ia pensée qui tentent de rendre
agressivité non sexuel1e,mais au sein de Ia sexualité el1e- compte des résuItats. Les voies peuvent aussi être de
même. Si l' on devait conserver Ies dénominations freu- fausses voies, et ceci éventuel1ement sous Ia contrainte
diennes, on devrait y insérer I'adjectif « sexueI ~).C'est- de constructions ou préjugés antérieurs. Certains préju-
à-dire : puIsions sexuelles de mort versus puIsions sexuelles gés peuvent même manifester Ieur action des Ie début.
de vie. Comment donc une découverte véritabIe et impor-
3. Bien pIutôt que deux forces bioIogiques hypothéti- tante peut-eIle cependant s'insérer dans Ie contexte d'un
ques, cette opposition conceme deux types de fonction- fourvoiement initiaI ?
nement distincts dans Ia vie de fantaisie de I'homme : Ie Quelle découverte? Mais, tout d'abord queI fourvoie-
processus lié (secondaire) et Ie processus non lié (pri- ment? Le point de départ de ce fourvoiement dans Ia
maire) ; ou pour mieux dire, deux principes : Ie prineipe pensée de S. Freud est, selon moi - vous Ie savez déjà -,
de liaison qui serait réguIateur pour Ies puIsions Ie soi-disant « abandon de Ia théorie de Ia séduction ~)3.
sexuel1es de vie, et Ie principe de déliaison, qui fait auto- Par Ies mots « soi-disant ~),je veux dire que mon inter-
rité pour Ies puIsions sexuel1es de morto prétation de ce toumant important dans Ia théorie est
4. Ce n'est que d'une façon grossiere que ces deux aussi éIoignée de cel1e de S. Freud Iui-même, que de
prineipes correspondent à Ia différence topique du Moi cel1ede ses adversaires. S. Freud - tout comme ceux qui
et du ça. Dans Ie Moi, il y a du tres lié, mais aussi du veuIent revenir à Ia factualité matériel1e de Ia séduc-
moins Iié, de même que dans Ies couches Ies pIus profon- tion - reste prisonnier d'une opposition unique, à savoir
des du Ça, on trouve pIus de délié, mais, en se rappro- cel1e entre Ia réaIité matériel1e et Ia réalité subjective :
chant de Ia surface, des motions qui sont mieux liées. entre ce qu'on nomme « faits~)et ce qu'on nomme « fan-
taisies ~),cel1es-ci étant considérées comme de pures
2. Mes idées sur Ia pulsion en général et Ia pulsion de mort en parti- imaginations subjectives.
culier se développent contimlment depuis 1967. Le travaille plus récent
est : Le fourvoiement biologisant de Ia sexualité chez Freud, Paris, Les empê- 3. S. Freud (1897), Lettre à W. Fliess du 21-9-1897, in La naissance
cheurs de penser en rond, 1993. de lapsychanalyse, trad. franç., Paris, PUF, 1991, p. 190-193.
La soi-disant pulsion de mort: une pulsion sexuelle

Pour mettre en évidence ce qu' on doit entendre 'par


lei, je puis seulement affirmer, sans pouvoir Ie
le concept de pulsion, il n'est pas de meilleures exphca-
démontrer, que S. Freud manqua alors à généraliser sa
tions que celle des Trois essais sur Ia théorie de Ia sexua-
théorie en une théorie de Ia « séduction généralisée »,
lité5. l' entends iei Ia premiere édition du livre, celle
parce que Iui faisait défaut une catégorie majeure une
de 1905, car Ies éditions suivantes comportent b:a~-
troisieme catégorie de Ia réalité, à savoir Ia réali~é de
coup d'ajouts : aussi bien des découvertes que des gene-
I'adresse ou du message, comme provenant, de façon
primaire, de I'autre. ralisations susceptibles de nous fourvoyer.
Les Trois essais sur Ia théorie de Ia sexualité de 1905
Arrêtons-nous un moment pour considérer Ies consé- ., . . d" mme une
quences de ce fourvoiement pour Ia conception de Ia vie présentent ce que J almeralS eSlgner co
« Odyssée de I'instinct ». Premierement l'insti~,ct sexueI
puIsionnelle. Mais pour ceia, il nous faut d'abord clari-
défiguré (< Ies aberrations sexuelles»), deUXle~~~ent
fier et souligner l' opposition entre pulsion et instinct
, ' I'instinct perdu ( « Ia sexualité infantile » ) et, trOISlem~-
comme etant peut-être Ia plus significative pour Ia '· . ' » ? MaIS
théorie psychanalytique. Dans Ia pensée psychanaly- ment ... pourrait-on par 1er d msnnct « retroUve '
qu'est-ce qui est donc retrouvé, avec Ies « remaniements
tique française, cette opposition est connue et pleine-
de Ia puberté » ? A coup súr, dans Ie meilleur de~ cas,
ment élaborée depuis plus de quarante ans. C'est , . 1" 1 et a tra-
J. Lacan qui Ie premier I'a mise en relief, tout en affir- quelque chose comme une gemta lte norma e ,
vers Ie complexe d'CEdipe, un objet hétéroseJ{llel., Et
mant faussement que Ie mot « instinct» n' était jamais
pourtant on ne saurait déceler ici un retour à un tnS-
p:é~ent chez S. Freud. Et pourtant Ie traducteur et spé- , . . , , t qu'un
clahste de S. Freud peut affirmer que celui-ci a beI et tinct véritable et sohde : ce qUI est retrouve n es
faux instinct hésitant et comme imité, habité par toutes
bien utilisé Ies deux concepts, et ceia en un sens qui
Ies perversi~ns infantiles qui, au cours de ce proces, ont
peut être différeneié avec préeision.
Instinct, dans Ia Iangue de S. Freud, signifie toujours été forcément refoulées.
L'objet reste contingent, Iié au hasard; Ie but est
l'incitation à un comportement (ou à un mécanisme)
éloigné de toute conformité naturelle : par exemple, Ies
qui, dans l'individu, est organisé sous une forme plus ou me
voies de Ia procréation sont multiples, chez I'hom
moins fixée, dans I'espece, est préformé de façon stable et
comme chez Ia femme, et elles sont préparées par !es
sté:éotypée, et qui, en ce qui concerne ses visées, est adap-
fantaisies Ies plus compliquées. On ne peut plus ?en
tanf ou conforme à une fm. Par exemple, dans ses
retrouver ici de ce que Ia conception « pop~Ialre »
Leçons d'introduction4, S. Freud souligne que l'homme
admet. Citons Ies premieres Iignes des Trois essatS :
à I'opposé de Ia plupart des animaux, manque d;
« L'opinion populaire se fait des représentations tres
l'instinct qui Iui permettait de survivre.
déterminées sur Ia nature et Ies propriétés de cette puI-

4. S. Freud (1916), Introduetion à Ia psychanalyse, trad. franç. Paris, 5. S. Freud (1905), Drei Abhandlungen sur Sexualtheorie, GW';V.
Payot, 1973.
sion sexuée. Elle devrait s'extérioriser dans Ies manifes- purement biologique et une endogénéité phylogé-
tations d'une attraction irrésistible exercée par un sexe nético-historique ou, plus précisément, phylogénético-
sur 1'autre, et son but doit être I'union sexuée... A Ia mythologique: ou bien Ia spéculation métabiologique
th.éorie populaire de Ia puIsion sexuée correspond par- ct métacosmologique de Jenseits des Lust-prinzips6 ou
faltement Ia fable poétique [c'est-à-dire Ia fable d' Aris- bien Ia mythologie du meurtre du pere dans Totem et
tophane] de Ia partition de l' être humain en deux tabou7•
moitiés - homme et femme - qui aspirent à se réunir Au sein de cette incertitude initiale, une voie rétro-
dans 1'amour ... Nous avons toutes Ies raisons de voir grade restait donc ouverte pour un retour vers Ia
dans ces assertions une image tres infidele de Ia réalité conception préanalytique d'un instinct sexuel chez
effective... })
l'homme. Ce qui veut dire : Ia découverte véritablement
,. Ains~, à. l'instinet. préformé décrit par Aristophane, fondatrice de S. Freud est sans cesse mise en danger par
1mvestlgatlOn freudlenne oppose une sexualité dont Ies une théorisation inappropriée, dans laquelle un déter-
caractéristiques sont Ia perversion (1e polymorphisme) minisme biologique - d'ailleurs plutôt invoqué que
dans Ia relation au but et à 1'objet, 1'autoérotisme, c'est-à- prouvé - repousse au second plan Ia communication
dire 1'obéissance à I'égard des fantaisies inconscientes, interindividuelle.
et finalement l'absence de liaison et, en ce sens, 1'anarchie Nous ferons maintenant un grand saut chronolo-
et même Ia destruction. gique, de 1905 à 1919. Au passage nous ne pouvons
Et pourtant, déjà en 1905, dans Ie mouvement de Ia que mentionner un concept auquel J'ai consacré des
pensée freudienne, Ia puIsion ne peut pas tout à fait élaborations attentives, celui d'étayage: quelque chose
maintenir ses positions, face à une conception instinc- que j'aimerais caractériser comme un concept Iatent ou
tuelle-aristophanesque.
crypto-concept dans l'reuvre de Freud, Par ces mots, je
Ce point a directement à faire avec une incertitude veux dire qu'un tel concept - bien qu'il ne fasse I'objet
concemant l' origine et Ia genese des fantaisies sexuelles d'aucun article particulier ni d'aucune présentation spé-
inconscientes. Ou bien, en effet, celles-ci surgissent au dale - joue un rôle important dans Ia structure du sys-
creur de Ia relation à I'autre adulte, ou bien elles préce- teme, même si ce rôle n'est que provisoire. Le rôle de
dent, d'une certaine façon, cette relation, en étant pré- l'étayage (à savoir l'étayage de Ia pulsion sexuelle sur Ia
formées. Sur ce point, il faut nous référer à nouveau à pulsion d'autoconservation) est une tentative pour
1'ab~ndo? ~e Ia théorie de Ia séduction. Aussitôt que Ia retrouver une certaine auto nomie des pulsions sexuelles
relatlon a 1autre n' est plus maintenue comme facteur par rapport au biologique. Pour couper court à cette
primaire, I'endogénéité reste Ia seule source possible question, trop Iongue dans Ie cadre de cet exposé, je
pour Ia fantaisie. Et ceci, selon deux variantes que
S. Freud et Ies freudiens ne cessent de développer 6. S. Freud, Au-delà du principe de plaisir, in OCF-P, XV, PUF.
I'une apres 1'autre ou simultanément : une endogénéité 7. S. Freud OCF-P, XI, PUF.
proposerai un Witz: da~s le développe~ent de Ia vité pour ainsi dire chimiquement pure, qui n'est que
pensée freudienne, le d~stm du concept d etayage, est faussement nommée sexuelle : « It is unnecessary to give
instances. From time to time the world is shocked by
de rester ... un concept-etayage.
reports of savagely cruel, "bestial" murders committed
by an individual or a group ... in such cases the cruel acts
1919 - Au-delà du príncipe de plaisir are so calculated and worked out in detail that nothing
but an instinctual urge for savage cruelty can be regar-
Un article hautement spéculatif et, à bien des égards, ded as the motive !und purpose ... Strangely enough,
un texte en lambeaux. II faudrait º~mêIer ici ce que le such behaviour is usually regarded as perverse sexuality
texte dit explicitement (bien souvent des c?oses co~tra- and often such crimes are called "sexual crimes" ... The
dictoires), Ia fonction que Ie texte rempht dans I eco- murdered victim of socalled sexual crime does not die
omie des pensées de S. Freud (à mon avis, c'est le plus from a sexual experience, however infantile it may be,
n . " but from the infliction of maximally cruel violence. The
. portant) et enfin, quelles sont Ies mterpretatlons
1m . . sexual aspect of murderer's behaviour may possibly only
apres coup auxquelles Ie texte donnera occaSlOn: mter-
rétations de S. Freud tout comme de ses adeptes. be introduced in order to deceive the victim and so to
p L'interprétation Ia pIus générale, c'est que Ia grande provide the opportunity for theaim of the urge to
découverte qui trouve ici son expres~ion est. celle de cruelty. >}8
l'agression (comme dit S. Freud et aUSSlM. KIem) ou de lci, le retournement kleinien est remarquable, car il
l'agressivité. Une agressivité sauvage, pure, non sexuelle, est poussé jusqu'à l'extrême. Avec S. Freud, on devait
) ce serait Ià ce que Ia « pulsion de mort >) vient marquer de
1 son sceau, en prétendax:t s'impos~r comme un conce?~
insister jusqu'à présent sur le fait que les gens refusent de
remarquer, dans leur comportement, ce qui est sexuel ; i
ici, au contraire, le sexuel ne serait qu'un faux prétexte )
i
\,majeur de nature bioIogtque. Mentlonnon~ ~eulement 1~
assant que bien peu des adeptes et utlhsateurs ulte- pour admettre à l'agression pure de se déchainer I
en P .' On peut remarquer que, lorsque S. Freud compren-
rieurs de Ia soi-disant pulsion d'agresSlOn se SOUVlen-
dront encore que S. Freud avait d'abord à I'esprit une dra apres coup sa pulsion de mort comme pulsion
auto-destruction originelle, et seuIement de façon secon- d'agression, il prétendra mettre en rapport sa décou-
daire une agressivité déviée vers l'extérieur. verte avec Ia clinique du sadisme et du masochisme. Or,
Parmi Ies successeurs les pIus radicaux, il faut comp- cette affirmation de S. Freud est des plus douteuses :
ter Ies kleiniens et je voudrais citer ici quelques mots de d'une part, il avait déjà auparavant mis en valeur et étu-
p. Heimann (dans sa période klein~enne). Dans ~on
rtide « Notes on the theory of the hfe and death ms- 8. P. Heimann (1952), Notes on the theory of the !ife and death
:incts >) elle affirme que ce qui a amené Ia puIsion ~e instincts, in Developments of the psychoanalysis, Londres, Hogarth Press,
mort au premier plan, c'est I'expérience d'une destructl- 1952, p. 328-329.
proposerai un Witz: dans le développement de Ia
vité pour ainsi dire chimiquement pure, qui n'est que
pensée freudienne, le destin du concept d'étayage, est
faussement nommée sexuelle : « It is unnecessary to give
de rester ... un concept-étayage.
instances. From time to time the world is shocked by
reports of savagely cruel, "bestial" murders committed
by an individual or a group ... in such cases the cruel acts
are so calculated and worked out in detail that nothing
but an instinctual urge for savage cruelty can be regar-
Un article hautement spéculatif et, à bien des égards,
ded as the motive .u,nd purpose ... Strangely enough,
un texte en lambeaux. II faudrait <iémêler ici ce que le
such behaviour is usually regarded as perverse sexuality
texte dit expÍieitement (bien souvent des choses contra-
and often such crimes are called "sexual crimes" ... The
dictoires), Ia fonction que le texte remplit dans l'éco-
murdered victim of socalled sexual crime does not die
nomie des pensées de S. Freud (à mon avis, c'est le plus
from a sexual experience, however infantile it may be,
importam) et enfin, quelles sont les interprétations
but from the infliction of maximally cruel violence. The
apres coup auxquelles le texte donnera occasion : inter-
sexual aspect of murderer's behaviour may possibly only
prétations de S. Freud tout comme de ses adeptes.
be introduced in order to deceive the victim and so to
L'interprétation Ia plus générale, c'est que Ia grande
provide the opportunity for the aim of the urge to
découverte qui trouve iei son expression est celle de cruelty. »8
I'agression (comme dit S. Freud et aussi M. Klein) ou de
lei , le retoumement kleinien est remarquable, car .il
r ! l'agressivité. Une agressivité sauvage, pure, non sexuelle,
est poussé jusqu'à l'extrême. Avec S. Freud, on devalt
} ce serait là ce que Ia « pulsion de mort » vient marquer de
insister jusqu'à présent sur le fait que les gens refusent de ,
'I son sceau, en prétendant s'imposer comme un concept
~majeur de nature biologique. Mentionnons seulement ici
remarquer, dans leur comportem~nt, ce qui est se~uel ;)')1
iei, au contraire, le sexuel ne seralt qu'un faux pretexte
en passam que bien peu des adeptes et utilisateurs ulté-
pour admettre à l'agression pure de se déchainer !
rieurs de Ia soi-disant pulsion d'agression se souvien-
On peut remarquer que, lorsque S. Freud compren-
dront encore que S. Freud avait d'abord à l'esprit une
dra apres coup sa pulsion de mort comme pulsion
auto-destruction originelle, et seulement de façon secon-
d'agression, il prétendra mettre en rapport sa décou-
daire une agressivité déviée vers l'extérieur.
verte avec Ia clinique du sadisme et du masochisme. Or,
Parmi les successeurs les plus radicaux, il faut comp-
cette affirmation de S. Freud est des plus douteuses :
ter les kleiniens et je voudrais eiter iei quelques mots de
d'une part, il avait déjà auparavant mis en valeur et étu-
P. Heimann (dans sa période kleinienne). Dans son
article « Notes on the theory of the life and death ins-
tincts » elle affirme que ce qui a amené Ia pulsion de 8. P. Heimann (1952), Notes on the theory of the !ife and death
mort au premier plan, c'est l'expérience d'une destructi- instincts, in Developmems o/ the psychoanaiysis, Londres, Hogarth Press,
1952, p. 328-329.
La soi-disant pulsion de mort: une pulsion sexuelle

celui des forces conservant Ia vie que Ieur mise en évi-


dié de faço~ extensive Ies manifestations du sadisme et dence directe devient tres difficile. »9
du masochlsme sans faire appel à une puIsion spéciale . 3. Dans « Au-delà » qu'est-ce qui finit par être effecti-
yon
et ~'.autre ~art, si examine Au-delà du principe d; vement posé, au moyen de cette spéculation ? Ce n' est
plazszr, ~n s aperçolt que I'observation du sadisme et du pas exactement Ia puIsion de mort, mais I'opposition
masoc~lsme (et encore moins l'observation de cette des puIsions de vie et de morto Donc, deux types de pul-
cruaute pure et non sexuelle que P. Heimann met en sions. Cependant. .. ces forces sont-elles vraiment des
~:ant) n'e~t jamais invoquée comme motif initiaI pour puIsions, au sens psychanalytique que nous Ieur avons
1mtroductlOn de Ia puIsion de morto assigné plus haut? Avec Ieur aspect grandiose, ne
De quoi s'agit-iI donc, pour I'essentiel dans « Au- seraient-elles pas plutôt des instincts: c'est-à-dire des
delà du principe de plaisir » ? ' types généraux de comportement qui sont prédéter-
. 1. De Ia contrainte de répétition, qui est caractéris- minés aussi bien par rapport à Ieur passé qu'en relation
t~que du mode de fonctionnement des processus incons- avec Ieurs buts\o.
Clents. Cette contrainte des « prototypes inconscients » Nous savons bien ce à quoi vise, prétendument, Ia
est propre à l'ensemble de Ia vie puIsionnelle et n'est puIsion de mort: à l' état originaire de Ia matiere sans
aucunement l'apanage de Ia puIsion de morto vie, état ou toutes Ies forces tendent à une égalisation
2. D'une s~éculation ?iologique ou métabiologique, terminale. Bien plus intéressant pour nous est Ie but
se rattac~ant a Ia contramte de répétition : que répete final, et en même temps Ie prototype, des puIsions de
donc Ia Vleen généraI ? Pour aider à Ia réponse, des rai- vie. En effet, c'est à deux reprises, dans toute son
s~nne~ents. abstraits aussi bien que des expérimenta- reuvre, que S. Freud a utilisé Ie mythe d' Aristophane. Et
tlOns ~loIogtques sont appelés à Ia rescousse ; tout ceci
en ~resup~osant que Ia these à prouver est Ia suivante : 9. S. Freud, Jenseits des Lust-prinzips, OCF-P, XV, p. 322. C'est là
Ie VlvantVlent apres Ie non-vivant et, par voie de consé- un argurnent que Freud lui-rnêrne avait rejeté dans « Pour introduire le
qu~nce, Ie vivant ne peut que tendre vers Ia mort narcissisrne cornrne étant sans portée et spéculatif. « 11peut bien se faire
>)

que I'énergie sexuelle, Ia libido - au fin fond des choses - ne soit qu'un
pUls,q~e celle-ci I'a précédé. Et Iorsque Ies épreuve~ produit de différenciation de l'énergie qui est à I'reuvre par ailleurs dans Ia
expenmentales semblent prouver que Ie vivant, par ses psyché. Mais une telle affirrnation ne tire pas à conséquence. Elle
concerne des choses qui sont déjà si éloignées des problérnes que pose
p:opres forces, ne tend qu'à une chose : se maintenir en notre observation, des choses qui ont si peu de contenu scientifique qu'il
Vle,,a~orss. Freu~. balaye d'un geste toute cette biologie est tout aussi vain de Ia cornbattre que de l'utiliser... Toutes ces spécula-
expenmentale qu 11 a Iui-même appelée à I'aide, et ceci tions ne nous rnénent à rien >), GW', X, 114; Pour introduire le narcis-
sisrne, in La vie sexuelle, trad. franç, Paris, PUF, 1969, p. 86.
au profit de forces latentes, hypothétiques et en fm de 10. Je ne veux pas dire que ces deux pulsions ne puissent être conçues
c~mpte .purement ~étaphysiques : « Les forces de puI- (cornrne le veut Freud) que cornrne des rnécanisrnesbiologiques. L'une et
sl~n qu~ ve~Ient, falre passer Ia vie dans Ia mort pour- I'autre s'appuient sur des fantaisies: Ia fantaisie de Ia rnatiére inter-
stellaire inanirnée d'un côté, et, de I'autre, le scénario rnythologique
ralent blen etre a I'reuvre en eux aussi des Ie début, et
d' Aristophane.
pourtant Ieur effet pourrait être à ce point recouvert par
nous voiei en présence de Ia seconde occurrence : « En par point. La premiere est auto-érotique, morcelée et
e.ffet, ~u tem~s jadis, no~re nature n'était point iden- morcelante, son seul but est Ia satisfaction par Ia voie Ia
tIque a ce qu elle est mamtenant, mais d'autre sorte ... plus courte, elle n'a aucune considération pour I'indé-
Tollt dans ces êtres humains était double; ils avaient pendance de I'objet, IequeI est dans une Iarge mesure
don~ quatre mains et quatre pieds, deux visages, des échangeable. L'Éros au contraire est synthese et aspira-
partles honteuses doubles, etc. Zeus se décida alors à tion à Ia synthese, il est totalement orienté vers l'objet,
partager chacun de ces êtres humains en deux comme I'objet total; sa visée est de maintenir celui-ci, de
on coupe Ies cormes pour en faire des conserves [...]. Le l'améliorer et de I'agrandir : il aime I'objet tout comme
corps etant coupé en deux, une nostalgie poussait Ies iI aime le Moi Iui-même, comme premier objeto
deux moitiés à se rejoindre. S'empoignant à bras Ie Il serait donc erroné de penser que I'Éros a repris à
corps, e~Iess'enlaçaient l'une à I'autre, dans Ia passion son compte I'ancienne sexualité freudienne, alors qu'iI
de ne faIre qu'un. )}II
est si exactement en contradietion avec elle. Mais il
Que! magnifique modele : aussi bien celui de Ia pré- serait, d'autre part, tout à fait Iéger d'affirmer que
fOrmatlOn que celui d'une vie amoureuse harmonieuse S. Freud aurait tout simplement changé d'avis à l'égard
accomplie et ?ien adaptée! Chacun doit, par nature: de Ia sexualité dans son ensemble, faisant retour à
retrouver son ame-sreur, ou, pour dire plus exactement I' « opinion populaire )}et adoptant désormais Ies vues
son « corps-frere )}. '
préformistes et instinctuelles proposées par Ie mythe
Mais ce qui est troublant, pour Ie Iecteur attentif d' Aristophane ; des vues qu'il avait définitivement réfu-
c.'~st ceci: dans Ies Trois essais sur ta théorie de ta sexua~ tées dans Ies Trais essais.
lzte, S. Freud avait uti~isé Ie mythe d' Aristophane, Le seul point de vue fructueux est, à notre avis, de
nota~ent cette expreSSIon concentrée de I' « opinion considérer I'ensemble de Ia modification comme struc-
populalre )},comme un repoussoir, afin de faire valoir sa turelle, c'est-à-dire de se souvenir qu'un changement en
pr?pre conception de Ia vie sexuellel2• Or voiei que ce un point d'un systeme de pensée ne peut se produire
meme mythe, dans « Au-delà )},est donné comme Ie sans qu'interviennent des changements en d'autres
modele originaire, prototype de I'Éros ! Il est pourtant points.
cert~in qu'entre I'activité sexuelle décrite dans Ies Trois Dans te cadre d'un fourvoiement - c'était notre hypo-
essazs et Ia puIsion de vie entendue comme Éros dans these - une authentique découverte se trouve insérée.
« ,Au-delà du principe de plaisir )},il y a plus que des dif- Nous avons insisté sur Ie fourvoiement. Mais alors,
ferences de détails : l'une et I'autre sont opposées point quelle est donc Ia grandiose découverte qui a imposé un
teI remaniement? Ce n'est pas I'agressivité, puisque
. 1~. ~e Banq~et de ~la~on, cité par S. Freud, in Jenseits des Lust- celle-ci avait déjà été discutée à fond par S. Freud .
pnnzlps, Au-dela du pnnclpe de plaisir, in OCF-P., XV, p. 331-332. La découverte, affirmons-nous, c' est celle du narcis-
12. Cf. plus haut, p. 194.
sisme, tel qu'il est introduit dans I'article de 1914, « Pour
introduire Ie narcissisme »13. Selon cette these profondé- dans Ia mesure ou iI a Iui-même prêté Ia main à une telle
mem nouvel1e, il faut admettre qu'à côté de Ia sexualité hégémonil:l;:
anarchique, auto-érotique et non Iiée, iI en existe aussi Cet Érbs, narcissique tout autant qu' objectaI, est en
une autre, soIidement Iiée dans I'amour d'objet. voie de tout s'incorporer : iI occulte, tout en Ies vica-
Encore un pas de plus : Ie premier objet dans Iequel riam, Ia présence persistame de mécanismes biologiques
on peut rencomrer cette liaison, Ie premier objet total ... autoconservatifs14 ; mais, ce qui est pire encore, il ne
c'est Ie Moi Iui-même: le Moi constitué comme une permet plus de prendre en compte Ies aspects destrUc-
totalité et par I'action duquelles puIsions partielles peu- teurs et déstabilisants du sexuel en soi. Cette proposition
vent confluer en une unité plus ou moins complete. dont S. Freud n'a pas démordu jusqu'au bout : - il y a
Pour introduire le narcissisme, est Ie premier grand dans I'essence de Ia sexualité quelque chose de contraire
texte sur I'amour, et même sur Ia passion amoureuse. et d'hostile au Moi - ne peut plus être entendue, à partir
Ce qui veut dire : sur Éros et non sur l'érotique. Le Moi du moment ou Ie sexueI psychanalytique se trouve
unifie Ies puIsions sexuelles, il est Iui-même Ie prototype ramené à I'étemeI péan de I'amour universeI, IequeI est,
d'un objet unitaire. 11 reprend aussi à son compte, justement, conforme au Moi. ,
en grande partie, Ies intérêts des fonctions d'auto- Face au danger menaçant d'une victoire de l'Eros
conservation : je ne mange plus, dit Ie petit être humain, narcissique hégémonique, surgit - aussi bien dans Ia vie
en vue de survivre, mais pour l' amour de l' amour - en réelle que dans Ie développement de Ia pensée freu-
raison de l'amour pour Ia mere, mais aussi en raison de dienne - un besoin impérieux de réaffirmer Ia puIsion
I'amour pour Ie Moi, qui est Iui-même objet d'amour sous sa forme Ia plus radicale : sous sa forme « démo-
pour Ia mere. niaque », n'obéissant qu'au processus primaire et à Ia
C'est donc ici que se situe Ia grande découverte. Mais elle contrainte de Ia fantaisie. Dans cette perspective, Ia soi-
se produit à partir d'une érotique qui est mal assurée sur disant pulsion de mort ne serait rien d'autre que Ia
ses bases. Elle est mal assurée en ce qui conceme ré-instauration du pôle indompté de Ia sexualité ; et s'il
I'origine et l'essence du monde de Ia fantaisie, qui en est fallait encore parler d'une polarité, ce serait cel1e des
Ie support essentiel. Si bien qu'un danger apparait, à pulsions sexuelles de mort et des pulsions sexuelles de vie.
savoir que I'amour, I'Éros ne devienne Ie tout, comme Ceci pourtant non sans précautions, et en se souvenant
pulsion unique, absorbam indument I'érotique. que Ies mots « vie» et « mort» ne désignent pas ici Ia
Dans Ie différend avec C. G. Jung, qui ne veut accep- mort biologique ou Ia vie biologique, mais Ieurs
« analoga» dans Ia vie d'âme et dans Ie conflit psy-
ter, avec Ie terme de « libido », que Ie concept d'une
énergie vitale, S. Freud n'a pas une position tres ferme, chique. C'est Ià Ie sens ultime que j'ai voulu donner au

13. Pour introduire le narcissisme, in La vie sexuelle, op. cit., p. 81- 14. Même s'il est vrai que ceux-ci ne participent pas comme tels au
105. conflit psychique.
titre d'un de mes premiers livres: Vie et mort en aucune véritable consonance, mais une hétérogénéité \1
psychanalyse15• qui ne profite ni à Ia psychanalyse ni à Ia philosophie.
« Pulsion de mort »est donc un concept qui ne trouve
Comme vous I'avez compris, mon intention n'est pas
sa position correcte qu'à un moment déterminé du de prêter Ia main à une quelconque spéculation méta-
drame de Ia découverte freudienne. En dehors de ce physique; elle n'est pas non plus de vouloir sauver cha-
contexte, elle devient une formule vide ... cun des moments de Ia pensée freudienne, jusque dans
Plus elle est vide, pourtant, plus elle est attractive ! son moindre moto « Faire travailler Freud » veut dire lui
« rendre justice » dans ses découvertes, mais aussi dans
Chacun, en effet, peut en faire ce qui lui convient.
Dans le systeme kleinien, Ia pulsion de mort est ses erreurs et, plus encore, dans Ia démarche de sa
I'extrême de Ia fureur destructrice, celle qu'on trouve pensée. Cependant, une fois que Ia coque est brisée et
par exemple dans Ia position paranoide. Chez S. Freud, que le noyau est devenu accessible, faut-il continuer à
pourtant, on trouve éventuellement I'exact contraire: sauvegarder les morceaux de cette écorce défensive qui
Ia pulsion de mort comme tendance au Nirvâna. a favorisé tant de contresens ?
Non plus Ia mort par Ia pulsion, mais Ia mort de Ia pul- Une fois située Ia véritable opposition, comme étant
sion, le non-désir. C'est dans cette direction que nous celle des formes liées et non liées de Ia libido qui sont à
entraine I'expression « silence de Ia pulsion de mort» I'reuvre dans le conflit psychique, ne peut-on tenter
qui évoque, de nouveau, le silence des galaxies. Mais d' exprimer les choses dans une métapsychologie
qu'y a-t-il de commun entre le démonisme de M. KIein rénovée ? Et puis alors, comme on dit familierement,
et I'image de Ia matiere inanimée, avec sa paix « jeter » tout simplement Ia pulsion de mort ?
étemelle?
Je n'ai fait qu'évoquer ce qui se passe à l'intérieur du
cercle de pensée des psychanalystes. Mais, qu'en est-il
au-dehors ? Dans Ia pensée commune des gens cultivés,
Ia pulsion de mort devient un theme idéologique com-
L' origine de l'opposition déliaisonlliaison ne se
mode. Pensons, par exemple, à Ia prétendue interpréta-
tion psychologique des maladies mortelles, cancer ou trouve nulle part ailleurs que dans le proces du refoule-
sida. Mais, plus encore, souvenons-nous de Ia philo- ment lui-même.
sophie, ou Ia pulsion de mort trouve un écho trop facile C'est en effet le refoulement qui crée l'inconscient, et
dans « l'être-pour-Ia-mort» de Heidegger ou dans Ia c'est par Ia nature spécifique de ce processus qu'il
dialectique hégélienne. Je ne perçois là, à vrai dire, convient d'expliquer les particularités de l'instance du
Ça, telles que S. Freud les décrit : absence de Ia contra-
diction; aucune communauté ou coordination des
15. ]. Laplanche, Vie et mort en psychana1yse, Paris, Flammarion,
1970.
motions; aucune négation et - il faut le souligner -
aucune représentation négative comme celle de Ia mort duelle >), c'est-à-dire morceau par morceau; ou bien,
ou de Ia castration ; intemporalité. pour mieux dire, c'est le refoulement qui met en mor-
Dans ma façon de concevoir les choses tous ces traits ceaux ce qu'il traite, sans prendre en considération les
sp~cifiques de l'inconscient sont à expli~uer par Ia ten- liaisons préexistantes, qu' elles soient celles du contexte,
tattve de traduction et de temporalisation que le petit de Ia grammaire ou de Ia signification. Or, c'est précisé-
d'homme doit sans cesse mettre en reuvre face aux mes- ment Ià l' effet du processus de traduction, en ce qui
sages qui lui arrivent de l'autre adulte, Une traduction conceme ce qu'iI néglige. La traduction s' efforce de faire
to~t d'abord embryonnaire, pour ainsi dire, qui doit passer (c'est le sens de tra-duire : trans-ducere) un mes-
tralter en premier des adresses non verbales (des gestes, sage cohérent en queique chose qui ne soit pas moins
par exemple). La traduction est « mise en ordre >), « mise cohérent. Mais ce qui ne « passe >) pas, ce qui est « laissé
en roman >), « mise en temps >) et, finaIement « mise en tomber >) n'est pas un second message - un message
Moi >). Mais il faut affirmer que le refouleme~t n'est pas inconscient de l'émetteur, prétendrait-on - qui se
une traduction, mais pour le dire dans les termes de retrouverait directement dans l'inconscient du récep-
S. Freud, un échec (Versagen), un refusement (Versa- teur. Ces déchets ou résidus de traduction sont des
gu~g - Lett~e 52-112 à W. Fliess) de Ia traduction qui restes isolés, déformés, des réminiscences des adresses
dOlt transcnre (umschreiben) le message dans une langue des adultes dispensant leurs soins à l'enfant, des élé-
d'~ n~veau supérieur, dans un autre code. Ce n'est pas ments extraits du contexte, apparemment arbitraires et
arbltralrement que j'ai repris et extrait le modele traduc- sans signification.
tif de quelques lignes de Ia correspondance Freud- Pour rendre pIus clair ce que je veux dire, permettez-
Fliess, ceci pour rendre compte des particularités du moi d'amener une comparaison que je tire du domaine
proces du refoulement. de Ia traduction spécialisée (verbale). Supposons que je
Pris dans son ensemble, le processus de traduction doive traduire en allemand Ia phrase suivante : « L' éta-
peut être compris, ou bien comme un travail spécialisé Ion court dans Ia ferme. >) Pour tout bon traducteur, cela
le passage d'un langage verbal à un autre, ou bie~ donnera en allemand : « Der Zuchthengst laujt im Hoje. »
c?mme une opération plus générale, qui fait passer de Mais vous savez sans doute que « ferme >) et « étalon >)
n Importe quel mo de d'expression à n'importe quel ont aussi, dans d'autres contextes, d'autres significa-
autre.
, Des qu'il y a une adresse, il y a aussi, du côté du tions. « Étalon >), c' est aussi une mesure de référence,
recepteur, une tentative de traduction, c'est-à-dire un par exemple : I'étalon-or ; et « ferme >), dans Ie Iangage
mode déterminé d'appropriation. Parmi ces différents technique des charpentiers, signifie une piece maitresse
« langages >), je mets l'accent principal sur le langage ges- de Ia charpente, qui « tient ferme >) l'ensembIe.
tuel dans les soins matemels ou parentaux. Ainsi, spontanément et naturellement, notre inter-
Revenons-en au refoulement. Son proces, dit prete aura Iaissé tomber d'autres significations, ou pour
S. Freud, travaille toujours de façon « hautement indivi- mieux dire d'autres aspects de ces deux mots, aspects
La soi-disant pulsion de mort : une pulsion sexuelle

qui sont pourtant inhérents aux potentialités de Ia comme refoulement - et en premier comme refoule-
langue française, dans laquelle ils rendraient éventuelle- ment originaire -n' est pas autre chose qu'une exclusion
ment possible un calembour. active hors de ce proces continu d'unification, de théori-
Ce n'est là qu'un exemple, ou modele, qui pourrait sation et de temporalisation qui est d'abord à l'reuvre à
. facilement prêter à confusion si on le prenait pour Ia l'égard des messages de l'extérieur, et ensuite à l'égard
/ chose elle-même, à savoir si on négligeait les différences. de ce qui vient de l' « autre » intérieur. C'est pr~cisé-
! Celles-ci sont de deux sortes. Premierement, Ia traduc- ment une telle exclusion qui rend compte des partlcula-
! tion spéeialisée, qui présuppose les codes fixes des lan- rités de l'inconscient : le « non-cohérent », le « non-lié »
gues naturelles, n' est pas identique au proces de traduc- ou le « dé-lié », l'intemporel.
tion généralisé, qui se situe largement au-delà du niveau Dans ce sens, Ia soi-disant pulsion de mort est effecti-
verbal. Deuxiemement, ce qui est latent, dans les mes- vement cette « culture pure » d'altérité, que nous détec-
sages adressés à l'enfant et provenant de l'adulte, n'est tons dans les couches les plus profondes de l'in-
pas de Ia même espece que ce qui est latent dans une conseient. Également, il est indubitable que ces restes
langue naturelle ; le premier, en effet, est de Ia nature de demiers dans l'inconscient ont une parenté intime avec
J'inconscient sexuel refoulé. le sadomasochisme. lei (par exception) on devrait adhé-
Les messages des adultes ne se maintiennent pas à un rer à cette idée kleinienne selon laquelle le par-
seul et même niveau, celui des soins et de Ia tendresse. tiel _ comme ce qui venant de l'objet n'est pas lié, ou
Tout particulierement dans cettesituation, les fantaisies qui est même mis en ruines - va de pair avec l'attaque,
sexuelles des parents sont réveillées et elles se pressent Ia destruction et Ia persécution.
ou s'insinuent au creur de Ia relation d'autoconservation. Cela assurément, dans les couches les plus inaccessi-
Les messages sont « compromis » - au sens psychanaly- bles du ça. Car tres tôt, sous l'action du Moi et avec
tique du mot - et ceci d'une façon qui est inconsciente l'aide du monde culturel, apparaissent des fragments de
pour I'émetteur lui-même. L'enfant qui tente de domi- scénario, des morceaux de séquences fantasmatiques,
ner ces messages énigmatiques va les accueillir dans les lesquels viendront progressivement s'insérer dans. ces
codes dont il dispose. Des codes et rien d'autre, voilà en grands organisateurs que sont les complexes : ffidlpe;
effet ce que S. Freud désigne comme « théories sexuelles castration.
infantiles »: des mythes, des petites histoires, des Les forces psychiques de liaison ne sont pas moins
romans - fUt-ce sans mots - que le tout petit utilise pour sexuelles que les autres. Néanmoins, el1es tirent tou-
sa propre autothéorisation et autotemporalisation. jours leur source de certaines totalités : totalité du pro-
Une conseience - en ce sens (et peut-être au sens de chain comme être unifié, totalité du Moi, de sa forme et
Regel) - bien plutôt qu'on ne sait quel faisceau de aussi de ses idéaux, pour ne pas dire de ses idéologies.
lumiere, ne serait rien d'autre qu'un Moi cohérent et Ainsi, dans l'opposition grandiose des pulsions de vie
qui se temporalise. Ce que nous devons désigner et de mort, il n'y a rien de mystérieux ni de métaphy-
La soi-disant pulsion de mort: une pulsion sexuelle

sique.l'opp
Il s'agit Moi peut éprouver de 1'amour) et d'autre part il répugne
dont ., de deux p~C1pes,
" . ,
haIson et déliaison à considérer Ie renversement de I'amour en haine - si fré-
animique. OSIUonse poursUIt à I'intérieur de I'appareil quent dans 1'observation - comme autre chose que
comme une apparence17. Cette polarité interdisant tout
En premier lieu pour Ie ' ,
maitriser par Ia traductio I nournsson, ,tI s'agissait de véritable passage de l'un à l' autre se trouve encore ren-
matiques de I' d Ines mes~ages seducteurs énig- forcée avec l'apparition de Ia dualité puIsion de vie / pul-
,. , a u te, sans autonser une tr
dehaIson de stimuIus P I' op grande sion de mort, qui clarifie Ies choses, au point de les
liaison d ' : ar a sUlte, Ie combat pour Ia rendre purement abstraites. Dans Ia lignée kleinienne,
à-dire co~:r:el'~~~~~~~';eentCOetntre
l'a~térité interne, c'est- toute Ia psychologie des passions se trouve simplifiée,
ses reJetons.
puisque l' opposition des deux grands instincts se
retrouve à tOUSles niveaux. Désormais les phénomenes
concrets sont expliqués par des mélanges ou des dialecti-
ques simples, en une sorte de logomachie manichéenne.
Comment ne pas souligner ici l'ennui qui exsude des
textes kleiniens, dont Ia comparaison avec les reuvres si
nuancées et si perspicaces de grands Menschenkenner
J'aimerais, pour mon dernier d'
der une question de h 1 ,eveloppement, abor- comme StendhaI ou Proust serait bien peu charitable.
, psyc o ogIe concrete . A mon avis, seule une conception « génétique» et
trouver dlrectement son r' ' qUI peut
clinique. Dn point de app Ica~lOn,dans l'observation métapsychOlogique des forces complexes en jeu pourra
peut bien le dire d p~ychologIe genérale, discuté, on permettre d'esquisser des solutions qui tiennent mieux
, epUISque l'hom 'fi' hi
a~q:uel Ia psychanalyse se doit d' me re ec, t, ~ais compte du vécu.
declsif. 11 s'agit de Ia psych I ' ~pporte~ un eclalrage Dans ma tentative métapsychologique, je propose de
ment de I'amour et d I hO~gIe es paSSlOns,nommé- poser I'existence, au niveau du sexuel inconscient,
e a ame do t d'" E '
faisait une opposiu'on 1: d ' n eJa mpedocle d'une opposition, qui est aussi superposition :
J.on amentale
S. Freud
et apres d
s'estP souvent préoc cupe' e Ia questlon, avant
1919 ' _ sexualité non liée (érotique) ;
. ar exemple dans T; , b d ' _ sexualité liée (narcissique erlou objectale).
sale!6 ou 1'1e'tud' 1 ne e un Tnebschick-
, Ie onguement l' ,,
rielle » amour-h' P ,OpposltlOn dite « maté- Je dois insister sur une chose : cette opposition est
, ame. our dire Ies choses d' ,
VOltdans ces passions des h' , , un mot, tI purement humaine, c'est-à-dire qu'elle est complete-
Moi (on ne peut dire ' p eno~enes dependant du ment informée et orientée par Ia vie fantasmatique. En
qu une puIslOn « aime » : seul le
17, 11faudrait faire entrer ici en considération 1ecas Schreber, avec les
fameux renversements de la formule « Je l'aime)} (d'un amour homo-
16. sq.
p. 163 S. Freud (1915) ' Pu t'SIOUS et destins de putsions, in OCF-P, XIII,
sexuel).
Entre séduction et inspiration : l'homme

tant que teI~e, elle est Ia seule dont s'Occupe Ia pratique prier ce qu'il possede, I'humilier, Iui causer des dou-
psychanalytlque, Iaquelle n'a pas d'autre point d'impact Ieurs, Ie martyriser et Ie tuer. )18 Et, bien imprudem-
que Ie fantasme.
ment, S. Freud avance I'idée que Ies « atrocités» de
Mais. on ne peut ignorer que cette opposition vient I'histoire des peuples « dévoilent dans I'homme Ia bête
recouvnr, et, ~n même temps vicarier, reprendre à son sauvage ».
comP.te ~n I elevant au rang fantasmatique, un niveau Posons-nous donc Ies questions simplement, en fonc-
plus znstz~ctuel (c'est-à-dire préformé), celui de l'auto- tion de ce que nous savons par l'observation - profane
~~n~ervatlon. Même s'iI faut maintenir fermement ou scientifique - de Ia vie animale.
Ildee .que Ies~mécanismes biologiques sont, chez Ie petit Le loup - celui qui a presque disparu de notre Europe
hu~aIn, extremement débiles et incapables d'assurer sa occidentale - te Ioup réeI, est-iI « un Ioup pour
SUMe, on ne saurait nier Ia préexistence de certains I'homme) - et si oui, en queI sens? Prenons ici
montages psychophysiologiques. Mais Ie propre de I'homme pour ce qu'iI est simplement pour Ie Ioup : un
I'homme est précisément que ces montages SOnt animal d'une autre espece - à respecter et à fuir s'iI est
d'emblée envahis par Ies messages énigmatiques de plus fort - à attaquer et à dévorer si c' est une proie pos-
l'autre.
sible... et si Ie Ioup a faim. Tres peu de destructivité, et
On aurait donc un triple niveau de facteurs : aucun sadisme, dans Ie comportement de I'animaI pour
- autoconservation (tendresse et agressivité natu- sa proie. Le guépard choisit une jeune antilope du trou-
relle) ; peau, Ia saigne de quelques coups de crocs, Ia dévore
- érotique; tranquillement avec ses petits. Pas de plaisir à faire souf-
- sexualité liée. frir ; pas de velléité de massacrer tout le troupeau dans
un quelconque holocauste ! Telle est - schématique-
Les deux seconds niveaux constituant à proprement ment et maIgré quelques exceptions -I'agressivité natu-
parler Ie conflit psychique, dont s'occupe par excellence relle, autoconservatrice, animale. Non, Ie loup n'est pas
Ia psychanalyse.
pour I'homme, ni pour d'autres especes, un « loup ) au
Je n'entamerai pas ici cette description et analyse tri- sens du monstre hideux de Hobbes.
factorielle de l'amour et de Ia haine.
Le loup - cependant - serait-il un « loup » cruel pour
A titre de stimulation, je proposerai seulement un Ie loup? Les comportements d'agression intraspécifi-
commentaire critique du fameux adage Homo homini ques sont bien connus, étudiés par Ies éthologistes. Le
lupus, ~ue S. Freud reprend de Hobbes et de Plaute Ioup ne tue pas Ie loup pour se nourrir. Parfois deux
pour. stl~atiser explicitement Ia cruauté de I'homme :
« Satl~falre sur [Ie prochain] sa propre agression,
~xp!~lter sans dédommagement sa force de travaiI, 18. S. Freud (1929), Das Unbehagen in der Kultur, GW, XIV,
p. 471 ; Le maIaise dans Ia cuIture, in OCF-P, XVIII, Paris, PUF, 1994,
I utlhser sexuellement sans son consentement, s'appro- p.297-298.
. . pulsion sexuelle
La soi-disant pulswn de mort. une

, 1 1 avait deux
animaux - deux mâIes de Ia horde - s'affrontent en un Mon apparente digresslOn sur e oup e fois pour
comportement qui tient de Ia paradel9, une Iutte qui se objectifs: d'abord et avant tout marquer. uo sadique de
dérouIe seIon un ritueI relativement stéréotypé et qui toutes l'absoIue hétérogénéité de,l'ag:~sslon Ia guerre
, t ammahte' noO,
aboutit rarement à Ia mort, mais bien pIutôt, d'or- I'homme, par rapport a.tou e 1 Cambodge ne peuvent
dinaire, à Ia mise à mal du vaincu, à son humiliation et à de Trente ans, Auschwltz o~ e . usoLe can-
'1' o 'mal blOIoglque })en no
sa fuite. être rapportes a « am 1 pot nouS
• ifi' des soldats de Po
o ,
Si j'appelle désormais Lupus Ia figure embIématique nibalisme tntraspecz que ,. 'nt pour cent
de Hobbes, je ne puis que conclure : non Ie Ioup, à devons nous persuader qu l~ ~st a ce
I'égard de I'autre Ioup, ne se conduit pas en Lupus. humain. « Humain trop humam.})
Il ne reste donc rien, dans Ia bioIogie sur Iaquelle , réalité, à situer
S. Freud voudrait se fonder, de ce comportement cruel, aine refusé à prendre en compte. La ('bête ,)n est pas, en
r , . I 1
sadique, destructeur pour Ie seul pIaisir de Ia destruc- du côté qu'on supposalt
"
. d
bl t s'accor er pour
fa!1"
e remonter a
b) Les préhlstonens sem en , d 40e millénaire. Ne pour-
tion, qui caractérise I'être humain. C'est uniquement :/
domestication du loup en c lei' "
h' n aux envlrons u .
n extraordinaire chvage. un
D'
I'homme qui est pour I'homme un Lupus. Une conclu- rait-on penser qu'à partrr de a s opere u ell'homme est Iié d'un atta-
côté le bon loup, le chien, compagnon ,au'f1.l; . que dans cette expres-
sion qui annihiIe toute déduction bioIogisante, voire chement éminemment narcissique (specu alre JUsb s en écho : le chienl
zooIogique de Ia puIsion sexuel1e de mort, comme sion, symptomati~ue par le re~oubl~~e~:~:sl::l;~n~bres de l'altérité, le
d'ailleurs de toute puIsion en généraP021. chien à sa mé/mere.,,). Et pUlS,re)ete th du Gévaudan, loup-
mauvais loup, le lupus, bête des Ca~a es .o~ un remarquable paral-
garou, etc. 11y.a là, dans l'évolutlon de 1hUdmanlted~ction_refoulement : le
19. lci, serait à corriger I'idée que le comportement narcissique spé- d" me processus e tra I
leIe à ce que Je ecr~scom 'het de Ia traduction sera le ~pus.
culaire serait présent seulement chez I'être humain. loup est traduit en chlen, et le de.c ) U 'de interrogatlon sur Ia
20. Entre mille exemples, cf. André Green opposant au pôle de Ia c) Le cas du loup est-il UnIque . nel raPhl 1 est instructive: le
(,socialisation» I'autre pôle du conflit primordial qui serait ('ce qu'on , d I'homme» e ceva, . 1
seconde grande ('conquete e ""1 as dans plusleurs an-
pourrait appeler Ia naturalité du sujet humain -I' animal humain, c'est-à- prototype de l'animal hantant. no~ nUlt~n est-l du ~el E. Jones a ouvert
dire le sujet pulsionnel,) (Le mythe : un objet transitionnel collectif, in Le gues Ia « cavale de nuit '),le nlghumar~ a pr:os rthqPress, 1931 ; Le cau-
Temps de Ia réflexion, 1, Paris, Gallimard, 1980, p. 99-131, 109). Ce qui tant 'de pistes (On the ni?htmare, Lon ;esLe ~~:val sauvage, tout comm~
m'oppose à Ia pensée freudienne, bien représentée ici par Green, c'est chemar trad. franç., Pans, Payot, 19).
7 t xuel (Ullincube) et, qUl
l'idée que Ia pulsion n'est pas une « naturalité ') originelle, mais une véri- le lou;, s'est c1ivé,avec un reste ?u:,e~e~en seailleurscorrobore.r:'id.ée
table (,seconde nature ,)déposée en I'homme par les effets du rapport au lus est un reste fémlnIn. Ce qUlV!en.ralt pard Ia seJ{ualitéonglnalre
P , ," 1
socius adulte. d'une essence (,femlnIne ,) de" Ia pu Slon et . e, Paris pUF, 1995) .
21. Le thême du loup et de son double mythique et fantasmatique est (cf J André, Aux origines fémmme~ de Ia sexu~l:te, com~unication analy-
immense. II a été notoirement déblayé par de nombreuses recherches .d) 11y a fort longtemps (c'étalt ma pr~mlereit distinguer, parrni les
bien documentées. « L'homme aux loups ,)de Freud n'est qu'une infime ti'que) , )"ai avancé (sans être 'entendu) qu 11falIa e'tait d'emblée une
I' imal d'angOlsse
partie de ce dossier. hobies d'animaux, celIes ou an ., . t ici avec une argumen-
Pour ne pas surcharger mon exposé, j'ajouterai briêvement quelques Pfigureemblématique, culturelIe. Cette Idee r.eV!en 'me préparés cultu-
I vale de nuzt sont com 1d
autres amorces de développement : tation plus solide : le lupus o~ a ca 1. 11' le processUSculture e
a) L'homme n'est-il pas un loup (ou plutôt un lupus) pour les ani- relIement à figurer l'attaque mteme pU SlOnne~ a'tl'on du mauvais) a une
. . du bon / antasmatls f I
maux, ses frêres ? La dénonciation de Ia cruauté humaine envers I'animal leur genêse (dome~t1c~tl°d~ 'duelIe de I'objet-source pulsionne .
se fonde sur des observations que I'on s'était, jusqu'à I'époque contempo- affinité avec Ia genese m IV!
Ma seconde VIsee était de nous orienter dans une de Ia rivalité identitaire, de Ia rage devant « I'autre moi-
analyse trifactorielle des comportements dits agressifs. Il
même ». J. Lacan reprend ici à son compte Ia dialectique
y aurait d'abord Ie niveau de Ia simple affirmation de
spéculaire du maitre et de I'esclave chez Hegel. Il cite
soi, comme individu vivant et agissant. C'est, si 1'0n
aussi un passage exemplaire de saint Augustin : « J'ai vu
vem, ce que Ia Iangue et Ia civilisation américaines nom-
de mes yeux, et j'ai bien connu un tout petit, en proie à
ment une agressivité salutaire22, une qualité qui pourrait
Ia jalousie. 11 ne parlait pas encore et déjà il contemplait,
être exigée comme facteur de réussite. On prétend que
tout pâle et d'un regard empoisonné, son frere de
ce niveau serait sans fantasme, en tout cas sans Iait. »24
I'imagination ni Ia considération de Ia souffrance de
Sur l'autre versant, celui de l'amour et de Ia passion
l'autre, sans violence inutile ni cruauté.
amoureuse Ie probleme mériterait d'être, lui aussi,
Mais mentionner ce niveau ne devrait pas signifier débarrassé des ambigu'ités ou S. Freud l'a entrainé,
a.dhérer à I'alibi idéologique selon IequeI il pourrait per-
notamment en superposant, sans Ies distin~er, une
slster de façon autonome : il n'est à vrai dire observable
théorie de Ia sexualité et une mythologie de I'Eros.
que chez I'animal. Chez I'homme, iI ne peut être que
Les trois niveaux entrant en jeu sont les mêmes que
postulé, puisque Ia psychanalyse constate, au contraire,
ceux qui ont été mis en évidence pour I'agressivité : au
que l'autoconservation est vicariée tres vite, et de façon
niveau du fonctionnement autoconservatif, il convient
extensive, par Ies motivations sexuelles.
de situer Ia tendresse (S. Freud) ou, selon un terme plus
Le second niveau est celui ou se déploie, au con-
englobant des psychologues modemes, l'attachement25 ;
~ra~e, Ia puIsion sexuelle de morto La visée intrinseque à
le second niveau est celui de I'érotique, décrite depuis
mfhger de Ia douleur à l'autre (et à soi-même) ne saurait
Ies Trois essais; Ie troisieme enfm, est celui de I'amour
être niée, même si elle est camouflée. C'est même cette
de I'objet total, l'Éros indissociablement narcissique et
prise en considération de Ia souffrance de l'autre objectal.
qui caractérise, selon S. Freud, Ie sado-masochisme
Je me contenterai de noter ici de surcroit qu'une tc:lle
sexueF3. Comment ne pas voir, dans cette prise en
psychologie plurifactorielle de l'amour et de I~ hame
considération de Ia subjectivité de I'autre, Ia marque
devrait permettre une approche plus concrete du
~'.'ersée. de I'origine de Ia puIsion à partir du message
fameux « renversement dans le contraire ». Dn probleme
entgmatlque provenant de l'autre ?
que S. Freud n'a cessé de soulever, mais pour Iequel il a
Le troisieme niveau enfin, celui de Ia relation narcis-
toujours nié qu'il s'agissait d'une véritable inversion au
sique spéculaire, a été souligné par J. Lacan ; c' est celui
niveau puIsionnel.
22: ~ombativité selon le terme proposé par Denise van Caneghem
Agresslvué et combativité, Paris, PUF, 1978. ' 24. Cité par J. Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 114..
23. Cf. S. Freud, Pulsions et destins des pulsions, op. cit., et mon ana- 25. lei encore ce niveau n'est bien observé que chez l'ammal car,
lysede ce texte dans Vie et mort en psychanalyse, op. cit., éd. 1989, p. 137 sq. chez l'homme, il ~st d'emblée envahi par Ia sexualité, véhiculée par le
socius adulte.
Je m'en tiendrai aux indications suivantes :
Au niveau de l'autoconservation et dans Ia psycho-
logie animal e, ou les modes de comportement et les
visées sont bien flXés, il n' existe pour ainsi dire pas
de possibilité de renversement. Dans l'érotique, en
revanche, agression et plaisir sont d'emblée mêlés,
comme on peut parfaitement le voir dans le sadomaso-
chisme. Enfin, Ia relation spéculaire est le domaine ou un
véritable renversement trouve par excellence sa place.
Soudainement et comme immédiatement, l'amour spé-
culaire pour l' « autre moi » peut se transformer en haine
spéculaire, Ia fascination en exclusion. « Lui et moi »
sont, dans Ie miroir, une seule et même chose, une pro-
position qui peut aussitôt s'énoncer : « ou lui, ou moi ».

Pour terminer, je résumerai Ia façon dont j'ai tenté de


débIayer Ie terrain :
en liquidant l'opposition métaphysique trop facile
Éros/ Thanatos ;
en proposant une théorie de l'inconscient et des puI-
sions qui tienne compte de Ia genêse des forces en
conflit dans I'être humain, une genêse ou Ia relation
primordiaIe est Ia relation à l'autre adulte, émetteur
de messages ;
- en proposant une théorie du conflit psychique ou
c'est cette relation à I'autre externe qui se poursuit,
dans une tentative incessante pour contenir I'autre
interne.

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