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Abstract
Ibn Rushd' s treatise on theriac
Averroes inherited a long tradition about theriac. He examined its nature, quality and utilization as an antidote of poisons or
venoms and as a treatment of diseases. He stated that if the electuary, as antidote, was beneficial to the patient and to the
physician, it might be dangerous as a regular and repeated medication of desease since it could transform the human nature
and render it poison-like. Averroes 's purpose was to analyse the advantages and drawback of theriac. He aimed at inducing
physicians to more caution. He conducted a medico- philosophical and ethical reflexion on the validity of the medication and he
advised against its prophylactic use.
Résumé
Le traité sur la thériaque d'Ibn Rushd (Averroes)
Héritier d'une longue tradition, Averroes examine la nature et la qualité de la thériaque et considère son utilisation comme
antidote des poisons et des venins ainsi que comme traitement des maladies. D indique que, dans le premier cas, son
administration est bénéfique pour le malade et pour le médecin et que, dans le second cas, elle peut s'avérer dangereuse si elle
est régulière et répétée. L' électuaire peut alors, en effet, transformer la nature humaine et la rendre semblable à la nature des
poisons. Averroes a pour propos d'analyser avantages et inconvénients de la thériaque, incitant le médecin à la prudence. Il
mène une réflexion médico-philosophique et déontologique sur le bien-fondé de la médication dont il déconseille l'emploi
prophylactique.
Ricordel Joëlle. Le traité sur la thériaque d'Ibn Rushd (Averroes). In: Revue d'histoire de la pharmacie, 88ᵉ année, n°325, 2000.
pp. 81-90.
doi : 10.3406/pharm.2000.5039
http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2000_num_88_325_5039
Communication présentée lors de la réunion du Club d'histoire de la chimie - Société française de la chimie
le 25 juin 1999
Les quelques points que nous venons d'exposer sont un raccourci qui ne
laisse pas apparaître la complexité du sujet. On pourrait disserter longuement
sur ce thème aussi bien pour ce qui concerne les « inventeurs » des premiers
antidotes et premières thériaques, sur la composition, l'utilisation, le temps de
vieillissement, etc. Gilbert Watson I5, dans l'ouvrage qu'il a consacré à ce
seul sujet, ne peut lui-même tout expliquer ni tout détailler. Nous nous
appliquerons seulement, à travers le traité qu'il a rédigé sur la thériaque, à suivre
le raisonnement d'Ibn Rushd, Averroes pour les Latins.
Ibn Rushd est andalou. Nous venons de célébrer, au mois de décembre
1998, le huitième centenaire de sa mort. Il est né à Cordoue, en 1126, dans
une famille de juristes. Il acquiert lui-même cette formation en même temps
que celle de médecin mais c'est avant tout un philosophe. La dynastie almo-
hade, venue du sud du Maroc règne alors sur Al-Andalus. Cette dynastie, très
intransigeante et rigoriste sur le plan religieux, a pour but déclaré de
restaurer l'unité du territoire andalou face à l'avancée des Chrétiens qui
conquièrent peu à peu les cités musulmanes. Ibn Rushd va mettre sa science au
service des trois premiers souverains almohades. Il exercera ses fonctions de
juriste en tant que Cadi de Seville puis se verra confier la charge de Grand
Cadi de Cordoue. En 1182, il assumera aussi les fonctions de médecin
personnel du souverain almohade Ya'kub Yûsuf puis servira le troisième
souverain de la dynastie Ya'kub al-Mansûr. En 1195, soit trois ans avant sa mort,
celui-ci le fera dépouiller de ses dignités et le reléguera dans une petite
localité andalouse, Lucena, avant de le rétablir, deux années plus tard, dans ses
prérogatives et de le rappeler auprès de lui. Les raisons de ces sanctions sont
vraisemblablement d'abord d'ordre politique et religieux. Ibn Rushd est mort
à Marrakech, à peine un an après son retour en grâce.
Ibn Rushd est avant tout un philosophe et c'est à ce titre qu'il est justement
célèbre. Au plan médical, on pense qu'il a peu pratiqué la médecine. Son ouvrage
principal al-kulliyât 16, traduit en latin sous le titre le Colliget, livre des
généralités médicales, reste avant tout très théorique. Il en entreprit vraisemblablement
la rédaction à la demande de son ami, le médecin andalou Ibn Zuhr (Avenzoar).
Il est également auteur dans ce domaine d'un commentaire du poème sur la
médecine d'Avicenne 17 et de différents commentaires des textes de Galien.
Enfin, il a rédigé un Discours sur la thériaque dans lequel il expose ses propres
conceptions sur le bien-fondé de l'utilisation de la médication.
Dans ce court traité, Ibn Rushd répond à une demande qui lui a été faite
« d'établir de quelle façon s'est construit le raisonnement médical, ce qu'en
ont dit les médecins vivant là où la thériaque était employée et quelles en sont
les utilisations ».
Ibn Rushd se place donc sur un plan théorique. Nous ne trouverons pas
dans ce texte une recette, une formule pour composer une thériaque. La liste
LE TRAITÉ SUR LA THÉRIAQUE D'IBN RUSHD 85
n'est pas devenu poison, il est alors devenu semblable aux médicaments qui
soumettent les poisons. Son avis personnel est que cet état est anti-naturel.
Le problème se pose alors de savoir si la thériaque doit être donnée pour
« préserver la santé », c'est-à-dire de façon prophylactique. Ibn Rushd se
réfère à Ibn Sînâ qui indique que par sa chaleur naturelle la thériaque est
fortifiante. Il s'en rapporte aussi à Galien qui donne l'exemple des rois qui
prenaient de façon habituelle, parfois plusieurs fois par jour, la médication.
La réponse serait donc oui, mais, tenant compte de la nature de la thériaque
entre médicament et poison et de l'aspect anti-naturel de ce traitement, Ibn
Rushd considère que l'emploi de la thériaque de façon préventive et
répétitive est néfaste pour la santé. Il en veut pour preuve que les médecins
traitants des califes ne prescrivent pas à leurs glorieux malades, l'emploi
habituel de la thériaque.
Par ailleurs, Ibn Rushd, en marge de ce mode souhaitable de prescription,
consacre un chapitre au mûrissement et à la péremption de la préparation.
Il rappelle qu'avant quatre ans, l'effet de l' électuaire composé n'est pas
perceptible. La thériaque reste jeune jusqu'à vingt ans, pleinement efficace entre
vingt et quarante ans. Puis son activité commence à décroître et elle ne vaut
plus rien après soixante ans.
Enfin, peut-être en raison du caractère anti-religieux de la place du vin
dans la thériaque, Ibn Rushd traite à part sa justification dans la formule.
L'utilisation du vin était déjà mentionnée dans les textes grecs. Face au
problème du vin, les musulmans ont eu des attitudes variées. Al-Râzî, par
exemple, ne trouve pas d'objection à cet usage. La position d'Ibn Rushd est
que le médecin doit consulter un fakih, docteur de la loi islamique, et
déterminer avec lui la dose licite en se basant sur le texte du Coran. On peut
trouver en effet au verset 119 de la sourate VI « al-anvâm » une indication :
« Il vous a déjà été indiqué ce qui vous était interdit à moins que vous ne
soyez contraints d'y recourir. » Il s'agit donc de réfléchir sur l'utilité de
l'utilisation du vin pour rester en accord avec la lettre du Coran. Cette réserve
d'Ibn Rushd vis-à-vis du vin est, sans doute, à mettre en relation avec la forte
pression religieuse que la dynastie almohade exerçait alors sur les esprits.
Notes
1. Les propos sur la thériaque d'Ibn Rushd ont été publiés en arabe par C. Anawati, S. Zayed,
Rasa 'il Ibn Rushd al- tibiyya [les traités médicaux d'Averroès], Le Caire, 1987, et par M. Vasquez
Benito, Commentaria Averrois in Galenum, Madrid, Consejo superior de investigaciones Miguel
Asîn, 1984.
2. Hunayn Ibn Ishak (808-877) appartient aux milieux nestoriens deHîra sur le bas Euphrate.
Il vient apprendre la médecine à Bagdad et devient le médecin personnel de plusieurs califes.
Il parle couramment le syriaque et l'arabe, ses langues naturelles, et a fait l'apprentissage du grec.
3. Hunayn Ibn Ishak, Kitâb al-masâ 'il fi al-tibb li-l-mufallimîn, Dâr al-djâmi'ât al-misriyya,
1978.
4. Abu Dâwûd Sulaymân Ibn Hasân Ibn Djuldjul al-Andalusî serait né, en 943-944, à Cordoue
où il aurait vécu. Il a été contemporain des deux plus grands califes omeyyades d'Occident, "abd al-
Rahmân HI et son fils al-Hakam U, calife à partir de 976, dont il fut le médecin personnel.
5. Ibn Djuldjul est l'auteur d'un traité sur la thériaque. Les théories mathématiques qu'il
développent à ce propos ont fait l'objet d'une communication présentée lors de la réunion de la Société
d'histoire de la pharmacie, le 17 mars 1999 par J. Ricordel. Le texte arabe utilisé pour cette analyse
a été publié par I Garijo, Ibn Djuldjul : Makâlafi adwiya al-tiriyâk, Côrdoba, 1992.
6. Sur les origines de la thériaque et son évolution, voir G. Watson, Theriac and mithridatium :
a study in therapeutics, 1966.
7. Ier siècle av. JC.
8. 131- vers 201 ap. JC.
9. Le texte arabe a été édité par Lutz Richter-Bernburg, Eine arabische Version der
pseudogalenishen Schrift de Theriaca ad Pisonem, Gôttingen, 1969. Sur les problèmes
d'authenticité, voir : V. Nutton, Galen on theriac : problems of authenticity, p. 133, in A. Debru,
Galen on pharmacology, Vth international Galen colloquium de Lille, Brill, 1997 ;
A. Touwaide, Galien et la toxicologie, A.N.R.W., II, 37, 2, New York, 1994, 1895-1986.
10. Op. cit., p. 200.
11. S. Hamarneh, « Origins of arabic drug and diet therapy », Physis, 1 1, 1969, fasc 1-4, 267-
286.
12. M. Levey, « Medical arabic toxicology », American Philosophical Society, vol. 56, part 7, 1966.
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13. La lecture du Calendrier de Cordoue nous apprend, à la date du 5 juin, que « Ce jour et les
suivants conviennent à la chasse aux vipères dont on fait des boulettes entrant dans la thériaque ».
Voir R. Dozy, Le Calendrier de Cordoue, Brill, 1961.
14. G.C. Anawati, « Le traité d'Averroès sur la thériaque et ses antécédents grecs et arabes »,
Quaderni di studi arabi, V-VI, 1987-1988, p. 39.
15. Op. cit.
16. Ibn Rushd, Kitâb al-kuliyyât, edicion crîtica, M. Forneas Beistero, C. Alvarez de
Morales, Madrid, Consejo superior de investigaciones cientîficas. Escuelas de estudios arabes de
Granada, 1987.
17. H. Jahier, A. Noureddine, Poème de la médecine, édition texte de la version latine et
traduction en français, Paris, 1956.
18. Op. cit.
19. Al-Kindî (801-866).
20. Il a vécu à la fin du XIe et début du XIIe siècles sous le règne des Banû Hûd de Saragosse.
Résumé
Le traité sur la thériaque d'Ibn Rushd (Averroes)- Héritier d'une longue tradition, Averroes examine
la nature et la qualité de la thériaque et considère son utilisation comme antidote des poisons et des
venins ainsi que comme traitement des maladies. D indique que, dans le premier cas, son
administration est bénéfique pour le malade et pour le médecin et que, dans le second cas, elle peut
s'avérer dangereuse si elle est régulière et répétée. L' électuaire peut alors, en effet, transformer la nature
humaine et la rendre semblable à la nature des poisons. Averroes a pour propos d'analyser
avantages et inconvénients de la thériaque, incitant le médecin à la prudence. Il mène une réflexion
médico-philosophique et déontologique sur le bien-fondé de la médication dont il déconseille
l'emploi prophylactique.
Summary
Ibn Rushd' s treatise on theriac- Averroes inherited a long tradition about theriac. He examined its
nature, quality and utilization as an antidote of poisons or venoms and as a treatment of diseases.
He stated that if the electuary, as antidote, was beneficial to the patient and to the physician, it
might be dangerous as a regular and repeated medication of desease since it could transform the
human nature and render it poison-like. Averroes's purpose was to analyse the advantages and
drawback of theriac. He aimed at inducing physicians to more caution. He conducted a medico-
philosophical and ethical reflexion on the validity of the medication and he advised against its
prophylactic use.
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