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Publications de l'École française

de Rome

Anthroponymie et jarâ'id de Sicile : una approche renouvelée de la


structure sociale des communautés arabo-musulmanes de l'île sous
les Normands
Annliese Nef

Résumé
L'étude des jarâ'id siciliens, ou listes de vilains d'origine arabo-musulmane établies à l'époque normande, a porté jusqu'à
présent essentiellement sur leur dimension linguistique. La nature de ces documents exceptionnels permet cependant d'en tirer
des informations sûres et variées qui nous renseignent sur la structure socio-économique des communautés arabo-
musulmanes de l'île à cette époque. Il est, en effet, démontré qu'il s'agit d'une onomastique dont les éléments renvoient à une
réalité sociale. On insiste, d'autre part, sur les signes qui existent peut-être, à la fin de la période, d'une acculturation spontanée
qui n'eut pas sa chance.

Citer ce document / Cite this document :

Nef Annliese. Anthroponymie et jarâ'id de Sicile : una approche renouvelée de la structure sociale des communautés arabo-
musulmanes de l'île sous les Normands. In: L’anthroponymie document de l’histoire sociale des mondes méditerranéens
médiévaux. Actes du colloque international organisé par l'École française de Rome avec le concours du GDR 955 du C.N.R.S.
«Genèse médiévale de l'anthroponymie moderne» (Rome, 6-8 octobre 1994) Rome : École Française de Rome, 1996. pp.
123-142. (Publications de l'École française de Rome, 226);

http://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_1996_act_226_1_5081

Document généré le 17/06/2016


ANNLIESE NEF

ANTHROPONYMIE ET JARÄ'ID DE SICILE :


UNE APPROCHE RENOUVELÉE
DE LA STRUCTURE SOCIALE
DES COMMUNAUTÉS ARABO-MUSULMANES
DE L'ÎLE SOUS LES NORMANDS

L'étude des j ara id siciliens, ou listes de vilains arabo-musul-


mans établies en arabe ou en arabe et en grec sous les Normands,
relève de deux approches. D'une part, elle s'intègre dans le cadre de
la reflexion sur la genèse médiévale de l'anthroponymie moderne en
Europe. On note, en effet, des ressemblances entre l'évolution de
l'onomastique sicilienne et celle du reste de l'Occident au cours du
Moyen Âge. Il s'agit de savoir si ces points de convergence sont le
produit d'une évolution grossièrement parallèle en dépit de la
différence de contextes historiques ou s'ils sont dûs à une influence
extérieure qui se serait exercée sur la Sicile par suite de la conquêtre
normande.
D'autre part, elle permet d'aborder l'onomastique des vilains
siciliens du point de vue de l'histoire sociale.
Des recherches dans ce sens ont débuté depuis maintenant
plusieurs décennies, mais elles ne suivent pas toujours des approches et
des méthodes identiques. Si un effort vers plus d'homogénéité est
repérable pour l'Occident médiéval et Al-Andalus, la Sicile est restée
à l'écart de ce mouvement. L'onomastique sicilienne est
relativement nouvelle venue dans le champ des études historiques et
sociales1. Pendant de nombreuses années, en effet, l'accent a surtout
été mis sur la dimension linguistique de son analyse2. Nous enten-

1 Cf. A. Varvaro, Lingua e stona in Sicilia (dalle guerre puniche alla conquista
normanna), voi. 1, Palerme, 1981. Ses remarques linguistiques générales sont
importantes et ses quelques notations onomastiques utiles. D'autre part, H. Bresc a
également abordé l'étude de l'onomastique de l'île d'un point de vue historique et
social dans divers articles. Pour finir, il faut citer l'article de H. Bercher,
A. Courteaux et J. Mouton qui traite rapidement de ce sujet : Une abbaye latine
dans la société musulmane : Monreale au XIIe siècle, dans Annales E.S.C. , 1979,
p. 52 et sq.
2 Ainsi de G. Caracausi, L'elemento bizantino e arabo, dans Tre milleni di
storia linguistica della Sicilia. Atti del Convegno della Società italiana di glottologia,
124 ANNLIESE NEF

dons montrer ici la richesse des données de l'onomastique de l'île


pour l'étude de l'évolution sociale des communautés musulmanes
sous la domination normande.
Nous n'exposerons ici que les préalables à une exploitation des
informations disponibles dans ces documents en justifiant nos
positions méthodologiques. Nous dégagerons ensuite quelques pistes
exploitables.

Les jarâ'id siciliens : présentation

Les objectifs de l'étude de l'anthroponymie médiévale et les


problèmes méthodologiques qu'elle soulève ont été clairement dégagés
depuis quelques années3. Malgré les problèmes spécifiques que pose
l'analyse des noms regroupés dans nos documents, il nous faut
commencer par définir un corpus dont l'analyse ne présente pas
d'obstacle majeur.
Nos listes4 contiennent les noms de vilains résidant dans
diverses zones de la Sicile : Palerme (pour la cathédrale; février

Pise, 1984, p. 55-103 et Un hapax medievale greco in veste arabo-sicula, dans


Bollettino Centro di studi filologici e linguistici siciliani, 16, 1990, p. 5-18. Ces deux
études portent sur les influences réciproques qui se sont exercées entre les
différents groupes linguistiques siciliens et se basent, notamment, sur nos documents.
Il faut mentionner, du même auteur, l'indispensable : Lessico greco della Sicilia e
dell'Italia meridionale {sec. X-XIV) Palerme, 1990, qui exploite également les
données intéressant ce sujet présentes dans les jaraid siciliens. En tant qu'arabisante
cette fois, A. De Simone a publié : Spoglio antroponomico delle giaride (giarâ'id)
arabo-greche dei diplomi editi da Salvatore Cusa, Rome, 1979. Id., Gli antroponimi
arabo-greci ed il vocalismo dell'arabo di Sicilia, dans Onomastica e trasmissione del
sapere nell'isiam medievale, a. e. di B. Scarcia Amoretti, Rome, 1992, p. 59-90 et
La kunyah negli antroponimi arabi di Sicilia tra metafora e ambiguità dans Studi
linguistici e filologici offerti a Girolamo Caracausi, Palerme, 1992, p. 77-98. Enfin,
les travaux de G. Β. Pellegrini, Nomi arabi in fonti bizantine di Sicilia, dans Bi-
zantino-Sicula. IL Miscellanea di scritti in memoria di G. Rossi Taibbi Palerme
1975, p. 409-423 et Onomastica e toponomastica araba in Italia, VII Congresso
internazionale di scienze onomastiche, Florence, 1963, vol. 3, p. 445-477.
3 Cf. M. Bourin et B. Chevalier, L'enquête : buts et méthodes, dans Genèse
médiévale de l'anthroponymie moderne, et Tours, 1990, p. 7-12.
4 Nous donnons ici les références de ces documents dans l'ordre où nous les
citons. S. Cusa, / diplomi greci ed arabi di Sicilia, Palerme, 1868-1882, 2 vol.,
réimpr. anast. Cologne-Vienne, 1982, p. 1-3; p. 541-549; p. 614-15; p. 472-480;
p. 127-29; p. 34-36; p. 130-34; p. 37-39; p. 134-178; p. 245-286. Ce dernier
document énumère muls et mahallât (cf. infra). Nous avons écarté les renouvellements
concernant les vilains de Catane et Iaci; la désignation «enfants de...» qui
précède chaque nom dans ces listes et le fait que ce dernier est repris le plus souvent
pour Iaci dans la liste de 1095 en rendent l'usage délicat et certainement
«déformant». Nous avons également écarté les donations privées de vilains dont
l'établissement des listes ne présente pas une homogénéité certaine avec celui des
listes établies par les agents du roi.
ANTHROPONYMIE ET JARÂ'ID DE SICILE 125

1095?); Iaci (pour la cathédrale de Catane; 20 février 1095); Palerme


(pour la cathédrale; 1144); Cefalù (pour la cathédrale; 7 janvier
1145); pour Gualterio Forestal (24 mars 1145); casaux de Ternis et
Futtasini (pour Santa Maria Maddalena de Corleone; mai 1151);
zones de Calatrasi et Corleone (mai 1178); territoire de S. Maria
Nuova de Monreale (avril 1183)5. Elles s'étendent de la fin du XIe à la
fin du XIIe siècle et sont toutes le fruit du travail de l'administration
royale des souverains normands de Sicile6. Elles peuvent être
rapprochées des listes de vilains de l'Occident médiéval et présentent
même une homogénéité plus grande que celles-ci. En effet, leur
fréquentation permet de s'assurer de la similitude des pratiques
présidant à leur établissement. L'introduction de listes puis de
transcriptions rédigées en grec, relativement précoce7, n'apporte pas de
changement fondamental dans les procédés utilisés8.
Leur finalité était de permettre aux seigneurs de réclamer ceux
des vilains à eux concédés qui s'enfuiraient. Seuls les noms y sont
portés. Dans le même temps, il s'agissait d'un instrument
monarchique utilisé afin de contrôler les représentants de la féodalité dans
l'île. Les souverains cherchaient, par ces actes, à préserver l'ordre
établi par les concessions royales et l'équilibre des forces qu'ils
avaient mis en place.
Trois groupes de statut différent sont repérables dans ces listes.
D'une part, les vilains attachés à la terre dont le statut est héréditaire
(njâl al-jarâ'id), de l'autre, ceux qui, bien qu'ils relèvent d'un statut
de vilainage héréditaire, sont susceptibles de se déplacer (tnuls)9.
Seule la troisième catégorie (celle des mahallât) pose problème10.
Nous ne sommes pas convaincus par les explications avancées
jusqu'ici, mais des recherches plus approfondies doivent être menées

5 Cf. carte in F. D'Angelo, / casali di Santa Maria Nuova di Monreale XII-


XIV s. dans Bollettino Centro di studi filologici e linguistici siciliani, XXI, 1973,
p. 333-339.
6 Cf. la thèse encore inédite de J. Johns qui fait le point. Nous ne le suivons
pas dans toutes ses affirmations, mais cet aspect particulier est clairement
argumenté et détaillé par l'auteur : The Muslims of Norman Sicily, c. 1060-c. 1194,
p. 66-87. L'auteur y fait également une mise au point historiographique.
7 Dès 1095, d'après le même travail, p. 66.
8 Nous soulignerons seulement que les transcriptions de S. Cusa et ses aides
ne sont pas toujours homogènes. Ainsi les listes de Catane ne respectent pas,
dans leur transcription, l'ordre d'établissement.
9 Cf. entre autres, I. Peri, Città e campagna in Sicilia. Dominazione
normanna, Palerme, 1953-56, p. 93-129.
10 Littéralement : «gens des campements» ou des «villages»; l'interprétation
traditionnelle de ce statut dans le cadre de la Sicile normande le présente comme
un équivalent des habitants des bourgs et leur attribue les mêmes privilèges qu'à
126 ANNLIESE NEF

avant d'avancer de nouvelles hypothèses. Nous verrons, cependant,


que l'onomastique de ce groupe ne diffère pas fondamentalement de
celle des deux autres, ce qui peut constituer un premier pas vers la
redéfinition de ce statut.

Documents normatifs ou onomastique «vivante»?

Il a été affirmé que les listes de serfs de l'Occident médiéval


étaient à la fois les intruments et une conséquence de la mainmise
seigneuriale sur les paysans11. Cette question nous paraît ici
essentielle. On peut se demander, en effet, quel est le degré de normativité
qui caractérise ces textes et donc dans quelle mesure ils reflètent une
onomastique «vivante» (que nous différencions de l'onomastique
orale et quotidienne, cf. infra). Ce point est fondamental pour qui
veut se livrer à une analyse qui ne soit pas seulement linguistique
des données que l'on peut trouver dans les jarâ'id. Inséparable de ce
problème est la question de savoir si les informations que
fournissent ces noms renvoient à une réalité sociale (ainsi des noms de
métier, etc.).
Les jarâ'id portent la marque de normes formelles précises qui
tiennent aux modalités de leur établissement, comme nous l'avons
dit. Ils visent, en effet, à mettre en place des listes homogènes. Les
autres indices d'une éventuelle normativité «déformante» ont trait
aux structures onomastiques que l'on peut repérer dans ces actes. La
«forme classique»12 prédomine. En dehors de celle-ci, les
dénominations qui comportent un ism auquel s'ajoutent des données
permettant une identification sociale (métier, origine...) aisée sont les plus
nombreuses. Faut-il voir dans cette extrême simplicité des
désignations, qui se distingue de la multiplicité d'éléments qui compose le
nom arabe idéalement complet, un effet de la normativité inhérente
à la nature de nos sources? On pourrait, en effet, avancer que
celles-ci visaient à identifier le plus précisément possible, généalo-
giquement et socialement (métier), des sujets payant taxes. Le grand
nombre d'isms isolés est également remarquable. La vulnérabilité
inhérente à cet élément du nom arabe est, en effet, connue, tout
comme la connotation peu honorable attachée à une dénomination

11 Cf. M. Bourin, Bilan de l'enquête : de la Picardie au Portugal, l'apparition du


système anthroponymique à deux éléments et ses nuances régionales, dans Genèse
de l'anthroponymie, op. cit., p. 243. L'auteur résumant le résultat des recherches
livré dans ce volume affirme : « C'est ainsi que l'organisme seigneurial assujettit
le vilain. La nouvelle anthroponymie appartient à ce processus de
normalisation».
12 Nous qualifions ainsi la forme X bin Y, cf. infra.
ANTHROPONYMIE ET JARÄ'ID DE SICILE 127

qui s'y réduit13. Viendrait à l'appui de cette thèse le fait que les textes
notariés siciliens, même lorsqu'ils font intervenir des vilains,
mentionnent une nisba tribale qui est rare dans nos listes. Faut-il,
cependant, comme l'ont fait certains auteurs14, voir là l'effet d'une
notation onomastique propre aux vainqueurs qui nieraient la dimension
tribale des vaincus, motif de fierté, qu'ils le fassent de manière
consciente ou non? Il ne nous semble pas.
La forme des dénominations (cf. infra) est suffisamment variée15
pour que les éléments qui la composent soient ceux qu'utilise le
milieu environnant de la personne nommée pour l'identifier en la
situant socialement16. On sait que, traditionnellement, en milieu
arabo-musulman, c'est la communauté qui nomme et non le
pouvoir. La simplicité même de certaines dénominations (isms isolés)
démontre cette familiarité avec les sujets désignés, leur honneur
étant protégé par la solidarité communautaire. Il est possible, par
ailleurs, que la réduction d'une dénomination à Yism soit l'indice
d'une position située au bas de la hiérarchie économico-sociale qui
structure les communautés rurales arabo-musulmanes de l'île, bien
que rien ne l'indique. Cela n'en ferait cependant pas le produit d'une
influence extérieure.
Ceci nous semble confirmé par ce que l'on sait des modes de
transmission du savoir communautaire. Un certain nombre de
personnes semblent avoir été responsables de la définition et de la
conservation des identités à l'intérieur de chaque communauté. Ce,
en liaison avec la connaissance qu'avaient ces mêmes personnes de
la limite des terrains villageois puisqu'à la fois, ils les replaçaient
dans l'espace et connaissaient l'identité de leurs exploitants. Il est
probable que ce soient ces individus qui aient, ensuite, été chargés
d'informer les administrateurs du roi17. Ce ne serait là qu'un
exemple d'une pratique générale au sein de la civilisation arabo-
musulmane18. Nous pensons donc que malgré la simplification

13 Cf. J. Sublet, Le voile du nom, Paris, 1991, p. 187-194.


14 H. Bresc, De l'État de minorité à l'État de résistance : le cas de la Sicile
normande, dans État et colonisation au Moyen Âge, Lyon, 1989, p. 331-347; p. 338-39.
15 Pour le tableau 2 (cf. infra), il faudrait décomposer la forme X bin Y car
«Y» peut renvoyer à un nom de métier, à une nisba géographique ou tribale, etc.
Nous ne présentons ici qu'une première approche, qui réduit quelque peu une
variété plus grande qu'il ne paraît au vu de ces chiffres.
16 Ceci peut se faire grâce à un certain nombre d'éléments que nous
détaillons infra.
17 Nous avons une idée du processus qui devait aboutir à l'établissement de
ces listes pour ce qui est des limites des territoires communautaires dont les
shaykhs gardaient la mémoire et transmettaient l'emplacement.
18 Cf. C. Cahen pour le Moyen Âge, La communauté rurale dans le monde
musulman médiéval, dans Les communautés rurales (Recueil de la Société Jean
Bodin pour l'histoire comparative des institutions XLII), 1982, p. 9-26 et surtout
128 ANNLIESE NEF

qu'ont pu subir les dénominations ici étudiées si on les compare à


leur forme complète potentielle, les informations qu'elles délivrent
sont fiables. Elles relèvent d'une onomastique «vivante» qui renvoie
à une désignation intra-communautaire.
On pourrait objecter que les jam id ne respectaient pas cet ordre
communautaire dans la mesure où ils émanaient d'un pouvoir
normand, féodal, dont les pratiques se rapprochaient de celles de
l'Occident médiéval à la même époque. Cependant, il a été démontré que
les listes étudiées n'ont pas été introduites par les Normands et ne
relèvent donc pas d'un asservissement généralisé initié par ceux-ci19.
Elles se situent, au contraire, dans la continuité des listes de taxes
musulmanes de l'époque antérieure. D'autre part, le personnel qui
mettait ces listes au point était vraisemblablement le même que
celui qui était employé par l'administration musulmane. Ces
dénominations seraient donc le fruit d'un processus d'identification
communautaire, s'appuyant sur les traits les plus saillants et vivants
de l'identité sociale de chacun.
Cette dernière idée est également fondamentale. On pourrait, en
effet, accorder que ces dénominations sont le produit d'une
élaboration intra-communautaire, tout en soutenant que les éléments qui
les composent n'en sont pas moins hérités pour autant. Nous
contestons cette idée et ce pour deux raisons. Tout d'abord, le nombre
réduit d'éléments utilisés nous amène à penser que la mention d'un
métier ou d'une origine est liée à son efficacité dans les cadres de
l'identification communautaire. Les informations retenues se
rattacheraient donc à des données individuelles réelles. Deuxième
point, nos sources montrent que l'on n'hésitait pas à mettre un bin
devant un élément qui suivait Yism. De fait, les informations qui ne
sont pas séparées de Yism. par un «bin» sont moins nombreuses que
celles qui le sont, ce qui paraît normal dans un milieu privilégiant la
référence généalogique. Nous aurions donc tendance à penser que
les éléments livrés par les listes donnent accès à une réalité sociale
partielle s'ils ne sont pas reliés à Yism par un terme indiquant, au
moins, un rapport de filiation.
Il faut garder à l'esprit, cependant, que tous les éléments qui

p. 23. Pour la période contemporaine, relevant d'une approche anthropologique


contre laquelle C. Cahen met en garde pour aborder la période médiévale, mais
qui n'en présente pas moins le grand intérêt de montrer l'écart qui existe entre la
pratique onomastique et sa théorie : R. Antoun, On the significance of names in
an Arab vittage, dans Ethnology, 1968, p. 158-171.
19 Cf. référence à J. Johns supra. La littérature sur ce sujet est abondante et
la discussion sur les détails n'est pas close. Ce point est, cependant, admis
aujourd'hui unanimement.
ANTHROPONYMIE ET JARA'ID DE SICILE 129

peuvent caractériser la situation sociale d'un individu ne sont pas


retenus pour chaque dénomination. On ne peut donc pas, par
exemple, présenter un schéma global des activités pratiquées dans
une communauté donnée, mais seulement avancer que celles qui
sont indiquées par les dénominations y étaient exercées. Cette
remarque s'applique aux différents éléments du nom arabe
susceptibles de renvoyer à la réalité sociale et historique environnante (cf.
infra).

Catégorie d'analyse et données

Nous étudions ici un ensemble de 2734 noms répartis ainsi :


Palerme 1095 : 7420; Catane 1095 : 398; Palerme 1144 : 24; Cefalù
1145 : 225; Gualtiero Forestal 1145 : 35; S. Maria Maddalena de Cor-
leone 1151 : 50; Santa Maria de Monreale 1178 : 1198; Santa Maria
de Monreale 1183 : 569 muls; 160 mahallât.
Avant de livrer les résultats obtenus, il nous faut revenir sur la
composition du nom arabe et le choix de nos catégories d'analyse.
On a souvent basé les études d'onomastique arabe médiévale sur
un paradigme du nom arabe complet. Il nous semble, cependant,
que celui-ci a été utilisé, et parfois élaboré, avant tout pour identifier
avec précision des personnages regroupés dans des dictionnaires
biographiques qui ont été les sources les plus souvent exploitées
jusqu'à aujourd'hui pour mener ces études. D'autre part, et ce
malgré les recommandations des manuels notariaux arabes, dans
nombre de documents notariés rédigés en arabe le nom des témoins
et contractants se présente sous une forme abrégée21. En nous
appuyant sur cet exemple et sur l'étude des noms qui constituent
nos listes, nous pouvons dire que les formes onomastiques
socialement utiles reflètent des modalités de désignations effectives et
reconnues par les membres de la communauté au sein de laquelle
elles apparaissent. Elles sont plus ou moins détaillées suivant le
contexte mais diffèrent de celles que rassemblent les sources
biographiques par leur plus grande simplicité. Le système onomastique
arabe doit donc être vu comme un mode de dénomination à
géométrie variable. Tout dépend du groupe par rapport auquel ou à
l'intérieur duquel l'on est identifié et l'on s'identifie par le biais de
l'onomastique, ainsi que du destinataire de cette identification. Ainsi,
dans un acte notarié qui peut circuler hors du cadre communau-

20 Un nombre sans précision renvoie à des rijâl al-jaraid.


21 Cf. les documents arabes publiés par S. Cusa et l'article de M. Gronke, La
rédaction des actes privés dans le monde médiéval : théorie et pratique, dans Studia
islamica, 69, 1984, p. 159-175.
130 ANNLIESE NEF

taire, les dénominations sont plus précises (mais pas


nécessairement plus «vivantes») que celles qui sont retenues dans le cadre
d'une communauté rurale restreinte et solidaire devant l'impôt. Les
membres de cette dernière n'ont, en effet, pas à se définir par
rapport à un groupe extérieur et les informations données par leurs
dénominations n'ont pas à être très précises, puisqu'ils sont
solidaires devant l'impôt22. Aucune de ces deux formes de
dénominations ne nous paraît avoir plus de valeur. Chacune remplit une
fonction propre et renvoie à la réalité sociale selon un angle particulier et
complémentaire de l'autre. Celle de la communauté rurale qui forme
le cadre de vie des vilains qui nous intéressent ici nous paraît plus
exactement reflétée par une onomastique relativement simple pour
les raisons exposées supra.
La forme «idéale» du nom arabe mentionnée plus haut, bien
qu'elle nous semble avoir peu de rapport avec la pratique
onomastique sociale la plus courante, a l'avantage de donner une idée des
multiples éléments qui peuvent constituer un nom arabe. Elle se
présente ainsi :

- Le tecnonyme en bû ou umm vient en tête.


- Uism (partie la plus vulnérable du nom)23.
Celui-ci est précisé par plusieurs nasabs (sous la forme bin =
«fils de»).
- Peuvent suivre un certain nombre d'éléments identifiants :
nom de métier; surnom nisba (en «î» ou «ânî») marquant la relation
d'appartenance et renvoyant à un métier, une origine géographique,
une appartenance tribale, etc.

En fonction de cette composition du nom arabe, nous avons


défini les catégories les plus courantes - nous laissons ici de côté les
dénominations les plus rares, peu représentatives, pour y revenir par
la suite.
La dénomination la plus fréquente dans nos listes, celle que
nous qualifions de «classique», revêt la forme «X bin. Y». Ce qui
revient à dire que l'hérédité est ici présente dans la structure du
nom. Cela nous conforte dans l'idée que l'absence du «bin» révèle la
qualité individuelle, et non familiale, de l'élément adjoint à Yism qui
forme le cœur de la désignation de l'individu. Nous avons ensuite
dégagé les dénominations constituées d'un seul élément, celles qui
sont composées d'un ism et d'un élément identifiant, enfin les
structures plus complexes.

22 Cf. jarïda de Palerme 1095.


23 Cf. supra.
ANTHROPONYMIE ET JARÄ'ID DE SICILE 131

Les listes nous donnent, de plus, des renseignements


supplémentaires inhérents à leur nature : liens familiaux, lieu de
résidence, parfois appartenance religieuse.
Nous avons établi trois tableaux en tenant compte du nombre
d'éléments combinés24.
Commençons par dire que, d'un point de vue onomastique, on
ne peut établir aucune distinction d'ordre chronologique. S'y
opposent l'inégalité des listes et la trop courte période sur laquelle
elles s'étalent. Aucune différence dans le temps ne peut vraiment
être dégagée, même lorsque l'on note des inégalités de structures.
Pour les raisons que nous avons dites, il nous semble qu'il est
impossible de soupçonner le conservatisme de la pratique des
scribes officiels. Il ne peut y avoir de doute que pour la partie des
documents qui était renouvelée à partir d'un acte plus ancien. Ceci
ne peut concerner, pour chaque document, qu'une partie des
dénominations et ne masquer que l'éventualité d'un changement
de nom au cours d'une vie. Comme les renouvellements datables
ont lieu environ tous les cinquante ans, nous pensons que
l'apparition de nouvelles générations en limite l'effet. De plus, la
maladresse des renouvellements établis pour Catane et Aci en 1145
montre ce qui se produisait lorsque l'enquête n'était pas à
nouveau menée. L'impact de ces phénomènes potentiels ne paraît
donc pas pouvoir être déterminant.
Le nombre d'éléments isolés est élevé (21,25%) et plus de la
moitié de ceux-ci est composée d'isms. On pourrait se demander si
ce phénomène a quelque lien avec la première «révolution anthro-
ponymique» de l'Occident médiéval. Cela paraît peu probable,
mais nous renforce dans l'idée qu'un petit nombre d'éléments
suffisait à identifier le paysan musulman vivant dans une
communauté restreinte.
La grande majorité des dénominations repose, cependant, sur
deux éléments (61%), 36% sur un rapport de filiation et 9% sur le
lien familial qui existe entre un individu et un autre précédemment
cité. Outre que ce mode d'identification est un des plus simples dans
le cadre d'une communauté dont les membres héritent de leur
condition, le système onomastique arabo-musulman met en valeur
l'orgueil généalogique de l'individu et de son lignage. Cette fierté n'a

24 Pour ce faire, nous avons commencé par établir des fiches qui relèvent la
structure globale de chaque dénomination, puis la détaillent élément par élément
(en suivant la grille : statut, éléments honorifiques, origine, fonction, famille,
éléments religieux et culturels). En nous basant sur celles-ci, nous avons
parallèlement dressé des listes (de métiers, d'origines...) qui ont permis une approche
thématique des données recueillies.
Tableau 1
DÉNOMINATIONS CONSISTANT EN UN ÉLÉMENT U
Rijâl al-jarâ'id
Palerme Catane Palerme Cefalù Gualtiero Santa Maria Corleone et
1095? 1095 1144 1145 Forestal Maddalena Calatrasi T
1145 (Corleone) 1178
1151
Ism (isolé) 30 10 24 28 2 136
40,5% 2,5% 10,5% 80% 4% 11,25% 1
Kunyah (isolée) 5 2 3
7% 0,5% 0,25% 0
Surnom (isolé) 1 8 1 25
1,5% 2% 4% 2% 1
Nisba 1 1 11
géographique (unique ou 0,25% 4% 1% 0
tribale isolée)
Métier (isolé) 3
0,25% 0
Lien de parenté 2 6
(isolé) 0,5% 0,5% 0
Nasab (isolé) 3 33 1 1 119
6,75% 8,25% 0,5% 2% 10,25%
+2 = + 3
parenté esclaves
différente
Élément 1
honorifique (isolé) 2,75%
TOTAL 41 56 2 25 29 3 306
55,5% 14% 8% 11% 83% 6% 25,5% 2
Tableau 2
DÉNOMINATIONS REPOSANT SUR 2 ÉLÉMENT
Rijâl al-jarâ'id
Catane Palerme Cefalù Gualtiero Santa Maria Corleone et
Palerme
1095? 1095 1144 1145 Forestal Maddalena Calatasi TOTA
1145 (Corleone) 1178
1151
Structure 3 180 14 93 3 35 453 785
«classique» 4% 45,5% 58,25% 41,25% 8,5% 70% 38% 39,2
+ 1 + 3
servante esclaves
Ism + surnom 8 17 14 63 102
10,75% 4,25% 6,25% 5,25% 5%
Ism + métier 5 17 1 7 1 88 119
6,75% 4,25% 4% 3% 2% 7,25% 6%
Lien de parenté 5 8 3 6 82 10
avec un nom 6,75% 2% 12,5% 2,5% 6,75% 5,25
précité + ism
Ism + nisba 2 8 1 2 31 44
(géographique ou 2,75% 2% 4% 1% 2,5% 2,25
tribal)
Élément 1 4 4 1 6 16
honorifique + ism 1,25% 1% 1,75% 2% 0,5% 0,75
TOTAL 24 235 19 126 3 37 726 117
32,5% 59% 83,5% 57% 8,5% 74% 60,5% 58,5
Tableau 3
DÉNOMINATIONS PLUS COMPLEXES
Rijâl al-jarâ'id
Païenne Catane Palerme Cefalù Gualtiero Santa Maria Corleone et
1095? 1095 1144 1145 Forestal Maddalena
(Corleone) Calatrasi T
1145 1178
1151
Ism + parent ou 1 12 1 26 40
allié 1,25% 3% 4% 11,5% 3,25% 6
Plus complexe + 1 1 3 1
parent ou allié 1,25% 0,5% 8,5% 0% 0
Ism + nasab + 20 3 1 12
ism + surnom 5,5% 1,25% 2% 1%
Ism + nasab + 1 9
ism + métier 2% 0,75% 0
Ism + nasab ism + 7 16
nasab ism 3% 1,25% 1
Ism + nasab 1 6
ism + nisba 0,5% 0,5% 0
Nasab + «enfants» 14
ou «fils de» 3,5% 0
Autres 7 61 2 36 8 82
9,5% 13% 8% 16% 16% 6,75% 9
TOTAL 9 107 3 74 3 10 166
12,25% 26,5% 12% 32.75% 8,5% 20% 13,75% 1
ANTHROPONYMIE ET JARÂ'ID DE SICILE 135

pas une dimension uniquement tribale. Ce, d'autant plus que nous
sommes dans un contexte où cette dernière perd de son importance,
soit que le regroupement tribal des communautés rende inutile la
mention de la nisba tribale à l'intérieur de celles-ci puisque leurs
membres se reconnaissent un ancêtre commun, soit que l'évolution
sociale ait entraîné le déclin de cette référence identitaire.
On trouve également là un indice de la solidité de la structure
familiale arabo-musulmane dans l'île. Elle est confirmée par les
mentions de frères et d'enfants uniques ou multiples (visiblement en
âge de payer taxe) au même niveau qu'un ism (5,5% des mentions)25.
C'est là, en effet, un indice du maintien en Sicile d'un dâr large
formant la base de l'organisation communautaire des groupes arabo-
musulmans à l'intérieur de l'île.
11,75% de ces dénominations doubles reposent sur l'adjonction
d'un élément ayant la forme d'un surnom à un ism. Sobriquets et
noms de métier se partagent à part à peu prés égale cette
proportion.
Enfin les 17,75% de dénominations plus complexes nous
renforcent dans l'idée qu'il faut rejeter une conception trop uniformisa-
trice de l'établissement de ces listes.

Stock onomastique et problèmes propres aux jarâ'id de Sicile :


influences linguistiques et onomastiques

Le stock onomastique sicilien

L'étude des stocks onomastiques propres aux différentes régions


de l'Occident musulman est peu avancée. On a cependant montré
l'intérêt que celle-ci présenterait26, puisqu'elle permettrait de
systématiser une approche comparative et globale de l'onomastique de
cette zone. Nous avons donc établi une liste des isms repérables
dans nos documents, les kunyas ayant été étudiées, du point de vue
linguistique, par A. De Simone (cf. note 2)27.

25 Forme : «X et son frère».


26 Cf. M. Marin, Onomastica arabe en Al-Andalus : ism 'alam y kunya, dans
Al-Qantara, IV, 1983, p. 131-149. L'auteur, cependant, étudie quant à elle des
dictionnaires biographiques différents de nos sources. Il reste à espérer que le
champ de ces relevés s'élargira à des milieux ruraux en al-Andalus.
27 D'autre part, nous avons laissé de côté les formes onomastiques qui
relèvent de la kunya et qui pourraient être utilisées comme isms, dans la mesure où
il n'y a pas de critère sûr dans ce domaine.
136 ANNLIESE NEF

1) Isms non théophores, ni liés aux fondateurs de l'Islam


en ses différents courants :28

Vj.lûn : 1 Bazm : 1 Hassan : 1


Abbâd : 3 Bilâl : 1 Hassûn : 5
'.wa : 1 Burha : 2 Hayra : 1
Abbâs : 3 Dahmân : 11 Hulwa (?) : 1
Abdûn : 1 Dâwûd : 7 Hâshim : 10
Abîd : 4 Dhahaba : 2 Hilâl : 12
Addâd : 1 Dîbâj : 1 Hirmân : 1
âfiyya : 3 Faddâla : 1 Ibrahim : 56
Ahmad : 67 Faraj : 5 Ilwa : 1
'Ajamî : 3 Farh : 5 Ilyâs : 1
Allai : 1 Farha : 1 Irâfah : 1
Aliali : 8 Fâris : 1 'Isa : 35
A lì : 1 Farjiyya : 1 Isbah : 1
'Aliyya : 2 Farjûn : 3 Ismâ'îl : 5
Allûn : 8 Far'ûn : 3 Isûn : 1
Allûsh : 3 Fatata (?) : 2 Iwad : 1
'Alwân(?) : 1 Fattishhâ : 1 Iyâd : 9
Amina : 1 Fâtimah : 3 Iyyâsh : 3
Ammâr : 20 Fattâh : 12 Jabbâra : 1
'Amrûn : 1 Fawz : 1 Jâbir : 6
Antar : 1 Fityân : 11 Jabr : 2
Aqîl : 5 Furât : 3 Jabrûn : 11
Ardiyya : 2 Furfûr : 1 Ja far : 24
Arûsa : 1 Futûh : 1 Jallûl : 10
'Askar : 3 Ghafrûn : 1 Jalwa : 1
Ashîra : 23 Ghâlib : 3 Jamâ'a : 1
Atiq : 16 H.l.q : 1 Jamîla : 2
Atiyya : 16 Hafs : 1 Jâtî : 1
Ayyûb : 6 Hajjâj : 5 Jâtû : 1
Azîza : 1 Hakîmah : 2 Jawâd : 6
Azzâz : 1 Hakkûm : 1 Jawhar : 1
Azzûz : 11 Halîmah : 3 Jurjur : 1
Bâdîs : 4 Ham.d : 1 Khabîb : 3
Badiyûn : 1 Hamdan : 2 Khalaf : 21
Banât : 3 Hamdîs : 1 Khalafa : 5
Barâ' : 1 Hamdûn : 2 Khâlid : 1
Baraka : 10 Hamîd : 1 Khalîl : 21
Barq : 1 Hammâd : 6 Khallûf : 2
Barq al-layl : 1 Hammûd : 41 Kharûf : 1
Bârûn : 1 Hamzah : 5 Kharûsh : 1
Bashâsha : 1 Harzûn : 1 Khâtim : 3

28 Je tiens à remercier vivement A. De Simone pour sa relecture des


transcriptions et ses utiles suggestions. Nous ne les avons pas toutes suivies, même si
nous l'avons fait pour la plupart. Les erreurs sont donc nôtres.
ANTHROPONYMIE ET JARÄ'ID DE SICILE 137

Khâtima : 1 Na'îma : 2 Sittûna (?) : 1


Karrâm : 1 Nasr : 3 Siwâr (?) : 5
Kasbura : 1 Ni ma : 24 Sulaymân : 16
Kawkab : 1 Nu'mân : 2 Surûr : 4
Kulliya : 3 Qamta : 2 Shaddâd : 2
Lâhiya : 1 Qarâba : 2 Shamsa : 1
Mahdî (?) : 2 Qadûr : 1 Shamuwâl : 1
M.'m.r : 1 Qa'fûr : 1 Sharaf : 1
Ma'dila : 3 Qa id : 2 Shatta : 1
Mahfûz : 1 Qâsim : 23 Shubbân (?) : 1
Mahîb : 6 Qirwân : 1 Shu'ayb : 2
Majjân : 1 Rabîd : 1 Tâhir : 11
Majûd : 2 Rahmûn : 2 Tâhira : 2
Makhlûf : 61 Rajâ : 2 Tammâm : 2
Makhlûfa : 2 Ramadan : 7 Tamîm : 8
Makkî : 2 Raqîq : 1 Tarif : 1
Malâk : 2 Râ's : 1 Tâ'ûs : 4 fois sans
Mâlik : 3 Rashîd : 1 emphatique.
Mansûr : 2 Râtiba : 1 Tayyib : 1
Mâriya : 2 Ridwân : 12 Thâbit : 8
Maryam : 2 Rûdû' : 1 Thammâm (?) : 2
Marzûq : 3 Rûma : 3 Ullayqa : 1
Mâsaytû : 1 S?lâba : 3 TJmrân : 9
Mas'ûd : 8 S?nâna : 1 Urwa : 1
Maymûn : 76 Sa'âda : 4 Wadî'a : 1
Maymuna : 1 Sabîb : 1 Wâlî : 7
Mazrûq : 3 Saddâd (?) : 2 War?dân : 1
Ma'zûz : 1 Sadaqa : 1 Wârith : 7
Miftâh : 1 Sadaqa : 15 Wasîf : 1
Mijâd : 4 Sa'diyah : 1 Yabqâ : 4
Milâh : 2 Sahlûn : 1 Yahyâ : 29
Mîlah : 3 Sahtûn : 1 Yaftan : 1
Mu'âwiya : 4 Sa'îd : 6 Ya'îsh : 2
Mubarak : 2 Sa'îda : 4 Yakhkaf : 7
Mufarrij (?) : 7 Sajjiba : 1 Yakmâ : 2
Muhbâra : 1 Salâm : 21 Ya'lâ : 14
Muhlal : 3 Salâma : 3 Yanâr : 1
Muhriz : 13 Sâlim : 5 Ya'qûb : 8
Mujâhid : 6 Salmân : 8 Yâsîn : 2
Muqaddim : 1 Sammûd : 4 Yâsîr : 2
Muqâtil : 9 Samûja : 1 Yunbit : 1
Musâ : 35 Sandiq : 2 Yûnus : 5
Musâfir : 1 Saqallî : 9 Yûsuf : 68
Muslim : 1 Sâra : 1 Zikrî: 2
Muswâdda : 1 Sawdân : 14 Zakiyya : 1
Muwaffaq : 1 Saydâ : 1 Zammîta : 1
Muzaffar : 2 Sayyid : 1 Zanûna : 1
Muzâhim : 1 Sayyid ahlihi (?) : 13 Zayd : 2
Na'âm : 1 Sayyûd : 1 Zayda : 1
138 ANNLIESE NEF

Zaydân : 1 Zirdûn : 1 Ziyâda : 1


Zaydûn : 11 Zirwâl : 1 Zurayqa (?) : 2
Zaytûn : 4 Ziyâd : 1

2) Théophores :

Abd al-a'lâ : 2 Abd al-jalîl : 3 Abd ar-rajâ : 5


'Abd al-'âlî : 7 Abd al-kabbâr : 1 Abd ar-razzâq : 7
'Abd al-'âlîm : 4 Abd al-kabîr : 1 Abd rida : 9
Abd al-'azîm : 2 Abd al-kâfî : 6 Abd as-sâdiq : 1
Abd al-'azîz : 14 'Abd al-karîm : 15 'Abd as-salam : 14
Abd al-bâqî : 1 'Abd al-kathîr : 6 Abd as-salâm : 1
Abd al-bârî : 6 Abd al-Allâh : 71 Abd as-samad : 10
'Abd al-ghaffar : 1 Abd al-mawlâ : 12 Abd as-sayyid : 16
Abd al-ghâfir : 3 Abd al-mughîth : 4 Abd al-wahhab : 1
'Abd al-ghanî : 3 Abd al-muhsin : 9 Abd al-wahid : 1
Abd al-hâdî : 2 Abd al-mum'im : 4 Abd al-wâhid : 6
Abd al-hakîm : 1 Abd al-mu'tî : 13 'Abd al-wârith : 1
Abd al-hamîd : 9 'Abd an-nûr : 5 Haraz Allah (2) : 1
Abd al-haqq : 15 Abd al-qâdir : 1 Khalaf Allah : 8
Abd al-hayy : 1 Abd al-qawî : 4 Mann Allah : 4
Abd al-hukm : 1 Abd ar-rahîm : 1 Rizq Allah : 5
Abd al-Jabbâr : 3 Abd ar-rahmân : 20 Ziyâdat Allah : 1

3) Isms en rapport avec les fondateurs de l'Islam et leurs parents

Abû-al-husayn : 25 Hasan : 88 'Umar : 85


Abu Bakr : 113 Husayn : 71 'Uthmân : 98
■Alî : 178 Muhammad : 108

Le stock d'isms siciliens que nous avons pu identifier avec


certitude29 est donc riche et varié. Nous ne ferons ici que quelques
remarques rapides.
On y note le poids de la tradition religieuse. Ainsi, on relève 50
théophores différents (11,5% du stock) soit 352 en position «ism»,
même si les plus classiques restent les plus nombreux (Abd Allah :
20,5%). De même, les fondateurs de l'Islam ont une part importante
dans ce stock (26%). Si l'on considère que Muhammad est reconnu

29 Entre 200 et 250 noms restent imperméables à une lecture sûre.


ANTHROPONYMIE ET JARÂ'ID DE SICILE 139

par les sunnites comme par les shi'ites, le reste des isms et kunyas
montre une relative égalité numérique des isms ayant une
connotation shi'ite et sunnite. Il est clair que ce trait, dans une île sous
domination fâtimide de l'île, reste sujet à interprétation.
Il faut noter quelques isms courants dans les pays arabo-musul-
mans et nombreux en Sicile : Ahmad ou 'Ammâr, par exemple. À
noter également, l'importance de certains isms d'origine biblique :
Isa, Khalîl, Ibrahim ou Mûsâ. Autres isms nombreux : Makhlûf,
Maymûm ou Yûsuf.
La présence d'un nombre non négligeable de terminaisons en
«un» peut s'expliquer soit par une influence nord-africaine, soit par
une évolution du dialecte sicilien parallèle à celui d'Afrique du Nord.
Dans le même ordre d'idées, certaines formes sont indubitablement
berbères (Bâdîs, Zammîta,...), d'autres devraient faire l'objet de
recherches (Samûja, par exemple).

Quelques problèmes propres aux jarâ'id de Sicile :

II faut mentionner ici deux phénomènes distincts. Tout d'abord,


la présence de prénoms grecs ou latins intégrés dans la structure du
nom arabe et leur transcription en langue arabe. Celle-ci est l'indice,
d'une part, de la présence de mozarabes30 ou de «Grecs»31 dans l'île
et, d'autre part, d'une interpénétration linguistique perceptible dans
le champ onomastique. Le deuxième phénomène touche à la
structure du nom et semble révéler une influence de l'onomastique
occidentale telle qu'elle évolue à la même époque (bien que d'autres
hypothèses puissent peut-être être avancées). Nous ne traiterons en
détail ici que du second, le premier fera l'objet d'un développement
dans une étude à paraître.
Au cours de notre recherche, nous avons relevé l'existence de
dénominations reposant sur la réunion de deux éléments non reliés,
ne serait-ce que par la présence d'un article. Il nous semble que leur
nombre non négligeable interdit de penser à des erreurs, ce d'autant
plus que d'ordinaire le nom arabe inclut la présence de l'article.
Nous y verrions volontiers l'influence de l'onomastique occidentale
de l'époque. Nous en fournissons ici une liste.

30 Voir un article à venir, rédigé en commun avec Henri Bresc, à paraître


dans des Mélanges à la mémoire de L. R. Ménager.
31 Nous désignons ainsi les indivifus qui avaient des références culturelles
grecques et utilisaient, au moins en famille, la langue grecque. Ce qui ne les
empêchait pas de vivre dans un milieu arabo-musulman et de parler l'arabe.
140 ANNLIESE NEF

- 'Abd Allah Farjûn (Cefalù 1145; p. 475, col. 2); 2e élément : «joie»; forme
maghrébine ou hispano-arabe.
- 'Abd Allah Qâbisî (1183; p. 259, lre liste, col. 1); 2e élément : nisba
renvoyant à la ville de Gabès.
- Abd al-muhsin Jalîha (1183; p. 250, col. 1); 2e élément : «sublime» (fém.).
- Abd al-mughîth T. rûnish (1178; p. 170, col. 1); 2e élément non identifié.
- Abd ar-rahman Mu'addib (1183; p. 276; lre liste; col. 1); 2e élément = nom
de métier («instituteur»).
- Abd ar-rahman Shinî (1183; p. 253, col. 1); 2e élément non identifié.
- Abd as-salam Mu'addib (1183; p. 276, lre liste, col. 1); 2e élément = nom de
métier ( « instituteur » ) .
- Abd as-salam Sûfiyah (1178; p. 170, col. 1); 2e élément = nom propre
féminin d'origine grecque.
- Abd al-wahab Fulq (1178; p. 176, col. 2); 2e élément = nom commun
(«aube»).
- Abu al-futûh Karnaba (?) (1178; p. 159, col. 1); le 2e élément semble une
déformation du nom commun «choux»; surnom figé?
- Abu al-futûh Qanbala (Cefalù 1145; p. 477, col. 1); 2e élément d'origine
latine (transcrit «kampalla»).
- Abu Bakr Jurdân (1178; p. 156, col. 1); 2e élément = nom propre d'origine
latine (Jordanus).
- Abu Bakr K.rkân (Iaci 1095; p. 544, col. 1); 2e élément non identifié.
- Ahmad Dibânû (1183; p. 253, col. 2); 2e élément non identifié.
- Ahmad Mulafaz (1183, p. 276, 1er liste, col. 1); non attesté, mais la racine
existe en Arabe; sens peu clair.
- 'Alî Z.ndâb (Cefalù 1145; p. 477, col. 2); 2e élément non identifié.
- Bû Bakr Iblîs (1183; p. 251, col. 2); 2e élément = le Diable.
- Bû Bakr Qawsirî (1183; p. 258, liste 2, col. 2); 2e élément : nisba de l'île de
Pantelleria.
- Bû jam'ah Ghazâra (1183; p. 264, col. 1); 2e élément : «luxuriance».
- Bû jam'ah Harîrî (1183; p. 266, liste 2, col. 2). 2e élément : nom de métier.
- Bû jam'ah K.l.mûn (Iaci 1095; p. 544, col. 2); sens du 2e élément peu clair
mais forme maghrébine ou hispano-arabe.
- Bû-1-Qâsim Harîrî (1183; p. 255, liste 3, col. 2). Cf. supra.
- Bû-1-Qâsim H.r.n(?).f (1178; p. 167, col. 1).
- Dahman Murmî (1183; p. 266, lre liste, col. 2); 2e élément non identifié.
- Hammûd bin ukht Yûsuf Qisîs (1183; p. 266, lre liste, col. 2); 2e élément =
nom de fonction («prêtre»).
- Husayn Bushbûsh (Palerme 1144; p. 615, col. 2); 2e élément non identifié.
- Husayn Jikâra (1178; p. 169, col. 2); 2e élément non identifié.
- Husayn Sûfiya (1178; p. 179, col. 1); cf. supra.
- Ibrahim Diyûsâl (?) (Churchuro, 1161; p. 34); 2e élément non identifié.
- Ibrahim Jinnar (1183; p. 242, 2e liste, col. 2); 2e élément = artichaut
(surnom figé?).
- J.r.brûh Umar (1178; p. 175, col. 1); le 1er élément pose problème.
- Makhlûf Qarâmidî (1183; p. 263, lre liste, col. 2); 2r élément = nom de
métier («qui fabrique des tuiles»).
- Muhammad Jurdân (1178; p. 155, lre liste, col. 1); 2e élément = nom propre
d'origine latine (Jordanus).
ANTHROPONYMIE ET JARÂ'ID DE SICILE 141

- Muhriz bin Ahmad Karârim? (1183, lre liste, col. 2); 2e élément non
identifié.
- Ni'mah bin Bû bakr Jabbâd? (1183; p. 264, lre liste, col. 1); 2e élément non
identifié.
- Sayyid Ahlihi (?) Birbûsh? (1183; p. 258, 2e liste, col. 1); 2e élément non
identifié.
- 'Umar B.r.l.? (Cefalù 1145; p. 476, col. 1); 2e élément non identifié.
- Umar Mashût bin Sulayman (Cefalù 1145; p. 478, col. 2); 2e élément =
participe passé («brûlé») ou id. = Mushawwat («ennivré»), surnom figé?
- Umar Mashâraqad? (1183, p. 277, lre liste, col. 2); 2e élément non identifié.
- "Umar Sh.m.hûr.sh (1178; p. 143; 2e liste, col. 1). Id.
- Uthmân Kuhayl (1183, p. 247; 2e liste, col. 1); 2e élément = nom de métier
(«occuliste»).
- Yahyâ B. rbîs? (1183, p. 258, lre liste, col. 2); 2e élément non identifié.
- Yahyâ Gharfî (1183; p. 257, 2e liste, col. 2); 2e élément non identifié.
- Ya'qûb Qanbala (Cefalù 1145; p. 476, col. 2); 2e élément cf. supra.
- Yûsuf Ubbî (Cefalù 1145; p. 475, col. 2); 2e élément de sens peu clair.
- Yûsuf Naghnûgh (1183; p. 252, lre liste, dernier nom); 2e élément = adjectif
(«sot»); surnom figé?

Nous sommes ici en présence d'un phénomène minoritaire (46


dénominations) qui pourrait attester les débuts d'une acculturation
spontanée conduisant à l'émergence de noms de famille de type
«occidental» dans le milieu arabo-musulman de l'île. Les éléments
identifiables sont ceux qui, dans tout l'Occident médiéval, se
détachent avec la même fonction à la même époque : noms de
métier (7), noms d'origine (2), noms propres (5), noms communs ou
surnoms figés (11). Ce, d'autant plus que la grande majorité de ces
exemples se situe dans les listes les plus tardives. Le caractère
obscur de nombreux seconds éléments semble renforcer l'hypothèse
d'une influence extérieure, mais celle-ci reste hypothétique. Il
conviendrait de comparer ce point avec la situation en al-Andalus.

Les informations fournies par les jarâ'id : un programme de


recherches sur la structure sociale des communautés musulmanes
de Sicile sous les Normands

Les éléments qui composent le nom arabe rendent possible une


analyse sociale poussée si l'on donne une valeur effective aux
informations qu'ils fournissent. En effet, les noms de métier permettent,
avec les éléments honorifiques, de retracer une hiérarchie sociale
qui démontre la vigueur et la diversité interne de ces communautés
dans l'île. Ils montrent que la diversification économique à
l'intérieur de la société rurale était loin d'être négligeable. On peut
également, grâce à ceux-ci, avoir une idée de la solidité des cadres
communautaires (notamment pour ce qui a trait à la scolarisation,
grâce, par exemple, à la mention de mu'addibs ou instituteurs).
142 ANNLIESE NEF

De même, les nisbas géographiques et tribales permettent de


dégager une géographie des provenances des vilains. Elles montrent
qu'une mobilité interne à l'île existait malgré l'interdiction de se
déplacer inhérente à leur statut. D'autre part, on peut confirmer
ainsi que l'origine prédominante des arabo-musulmans résidant en
Sicile est l'Afrique du Nord et que ce mouvement de migration se
poursuit jusque sous les Normands.
Il faudrait également revenir sur la quasi-absence de nisbas32
tribales dans ces listes. Elle révèle l'affaiblissement de cette indication
comme référence identifiante dans le cadre insulaire (cf. les deux
hypothèses avancées supra).

Conclusion

Ce ne sont là que quelques pistes. Nous avons surtout tenu à


définir la nature exacte du matériel onomastique à notre disposition
dans les jarâ'id siciliens. Leur homogénéité et les modalités de leur
établissement en facilitent l'exploitation. Us se présentent, en effet,
comme le miroir écrit d'une pratique onomastique rurale et
communautaire. Pratique perméable à une acculturation spontanée dont la
réalisation lente ne se fit pas, l'État optant, finalement, pour la
violence. Parallèllement, ils apparaissent comme le reflet d'un
carrefour onomastique qu'expliquent la position de l'île et son rôle. Ce
sont ces caractéristiques qui permettent de renouveler
profondément l'approche de la situation sociale des communautés arabo-
musulmanes de l'île sous les Normands. Cette analyse doit,
cependant, ne pas errer hors de certaines limites : il s'agit de données
situées précisément dans le temps33; celles-ci, d'autre part, ne livrent
pas une «photographie» exhaustive de la situation des groupes
arabo-musulmans pendant cette période. Les résultats obtenus
doivent donc être confrontés avec les informations disponibles par
ailleurs. Il faudra, à l'avenir, établir des parallèles avec al-Andalus
dont l'onomastique a été bien plus exploitée de ce point de vue.

Annliese Nef

3233 Même
9 mentions.
si la présence de certains noms de métiers dont on a des traces de
l'existence, sans en avoir de la pratique par ailleurs, dépasse ce cadre
chronologique pour montrer un relatif monopole arabo-musulman au sein d'une
activité.

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