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de Rome
Résumé
L'étude des jarâ'id siciliens, ou listes de vilains d'origine arabo-musulmane établies à l'époque normande, a porté jusqu'à
présent essentiellement sur leur dimension linguistique. La nature de ces documents exceptionnels permet cependant d'en tirer
des informations sûres et variées qui nous renseignent sur la structure socio-économique des communautés arabo-
musulmanes de l'île à cette époque. Il est, en effet, démontré qu'il s'agit d'une onomastique dont les éléments renvoient à une
réalité sociale. On insiste, d'autre part, sur les signes qui existent peut-être, à la fin de la période, d'une acculturation spontanée
qui n'eut pas sa chance.
Nef Annliese. Anthroponymie et jarâ'id de Sicile : una approche renouvelée de la structure sociale des communautés arabo-
musulmanes de l'île sous les Normands. In: L’anthroponymie document de l’histoire sociale des mondes méditerranéens
médiévaux. Actes du colloque international organisé par l'École française de Rome avec le concours du GDR 955 du C.N.R.S.
«Genèse médiévale de l'anthroponymie moderne» (Rome, 6-8 octobre 1994) Rome : École Française de Rome, 1996. pp.
123-142. (Publications de l'École française de Rome, 226);
http://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_1996_act_226_1_5081
1 Cf. A. Varvaro, Lingua e stona in Sicilia (dalle guerre puniche alla conquista
normanna), voi. 1, Palerme, 1981. Ses remarques linguistiques générales sont
importantes et ses quelques notations onomastiques utiles. D'autre part, H. Bresc a
également abordé l'étude de l'onomastique de l'île d'un point de vue historique et
social dans divers articles. Pour finir, il faut citer l'article de H. Bercher,
A. Courteaux et J. Mouton qui traite rapidement de ce sujet : Une abbaye latine
dans la société musulmane : Monreale au XIIe siècle, dans Annales E.S.C. , 1979,
p. 52 et sq.
2 Ainsi de G. Caracausi, L'elemento bizantino e arabo, dans Tre milleni di
storia linguistica della Sicilia. Atti del Convegno della Società italiana di glottologia,
124 ANNLIESE NEF
qui s'y réduit13. Viendrait à l'appui de cette thèse le fait que les textes
notariés siciliens, même lorsqu'ils font intervenir des vilains,
mentionnent une nisba tribale qui est rare dans nos listes. Faut-il,
cependant, comme l'ont fait certains auteurs14, voir là l'effet d'une
notation onomastique propre aux vainqueurs qui nieraient la dimension
tribale des vaincus, motif de fierté, qu'ils le fassent de manière
consciente ou non? Il ne nous semble pas.
La forme des dénominations (cf. infra) est suffisamment variée15
pour que les éléments qui la composent soient ceux qu'utilise le
milieu environnant de la personne nommée pour l'identifier en la
situant socialement16. On sait que, traditionnellement, en milieu
arabo-musulman, c'est la communauté qui nomme et non le
pouvoir. La simplicité même de certaines dénominations (isms isolés)
démontre cette familiarité avec les sujets désignés, leur honneur
étant protégé par la solidarité communautaire. Il est possible, par
ailleurs, que la réduction d'une dénomination à Yism soit l'indice
d'une position située au bas de la hiérarchie économico-sociale qui
structure les communautés rurales arabo-musulmanes de l'île, bien
que rien ne l'indique. Cela n'en ferait cependant pas le produit d'une
influence extérieure.
Ceci nous semble confirmé par ce que l'on sait des modes de
transmission du savoir communautaire. Un certain nombre de
personnes semblent avoir été responsables de la définition et de la
conservation des identités à l'intérieur de chaque communauté. Ce,
en liaison avec la connaissance qu'avaient ces mêmes personnes de
la limite des terrains villageois puisqu'à la fois, ils les replaçaient
dans l'espace et connaissaient l'identité de leurs exploitants. Il est
probable que ce soient ces individus qui aient, ensuite, été chargés
d'informer les administrateurs du roi17. Ce ne serait là qu'un
exemple d'une pratique générale au sein de la civilisation arabo-
musulmane18. Nous pensons donc que malgré la simplification
24 Pour ce faire, nous avons commencé par établir des fiches qui relèvent la
structure globale de chaque dénomination, puis la détaillent élément par élément
(en suivant la grille : statut, éléments honorifiques, origine, fonction, famille,
éléments religieux et culturels). En nous basant sur celles-ci, nous avons
parallèlement dressé des listes (de métiers, d'origines...) qui ont permis une approche
thématique des données recueillies.
Tableau 1
DÉNOMINATIONS CONSISTANT EN UN ÉLÉMENT U
Rijâl al-jarâ'id
Palerme Catane Palerme Cefalù Gualtiero Santa Maria Corleone et
1095? 1095 1144 1145 Forestal Maddalena Calatrasi T
1145 (Corleone) 1178
1151
Ism (isolé) 30 10 24 28 2 136
40,5% 2,5% 10,5% 80% 4% 11,25% 1
Kunyah (isolée) 5 2 3
7% 0,5% 0,25% 0
Surnom (isolé) 1 8 1 25
1,5% 2% 4% 2% 1
Nisba 1 1 11
géographique (unique ou 0,25% 4% 1% 0
tribale isolée)
Métier (isolé) 3
0,25% 0
Lien de parenté 2 6
(isolé) 0,5% 0,5% 0
Nasab (isolé) 3 33 1 1 119
6,75% 8,25% 0,5% 2% 10,25%
+2 = + 3
parenté esclaves
différente
Élément 1
honorifique (isolé) 2,75%
TOTAL 41 56 2 25 29 3 306
55,5% 14% 8% 11% 83% 6% 25,5% 2
Tableau 2
DÉNOMINATIONS REPOSANT SUR 2 ÉLÉMENT
Rijâl al-jarâ'id
Catane Palerme Cefalù Gualtiero Santa Maria Corleone et
Palerme
1095? 1095 1144 1145 Forestal Maddalena Calatasi TOTA
1145 (Corleone) 1178
1151
Structure 3 180 14 93 3 35 453 785
«classique» 4% 45,5% 58,25% 41,25% 8,5% 70% 38% 39,2
+ 1 + 3
servante esclaves
Ism + surnom 8 17 14 63 102
10,75% 4,25% 6,25% 5,25% 5%
Ism + métier 5 17 1 7 1 88 119
6,75% 4,25% 4% 3% 2% 7,25% 6%
Lien de parenté 5 8 3 6 82 10
avec un nom 6,75% 2% 12,5% 2,5% 6,75% 5,25
précité + ism
Ism + nisba 2 8 1 2 31 44
(géographique ou 2,75% 2% 4% 1% 2,5% 2,25
tribal)
Élément 1 4 4 1 6 16
honorifique + ism 1,25% 1% 1,75% 2% 0,5% 0,75
TOTAL 24 235 19 126 3 37 726 117
32,5% 59% 83,5% 57% 8,5% 74% 60,5% 58,5
Tableau 3
DÉNOMINATIONS PLUS COMPLEXES
Rijâl al-jarâ'id
Païenne Catane Palerme Cefalù Gualtiero Santa Maria Corleone et
1095? 1095 1144 1145 Forestal Maddalena
(Corleone) Calatrasi T
1145 1178
1151
Ism + parent ou 1 12 1 26 40
allié 1,25% 3% 4% 11,5% 3,25% 6
Plus complexe + 1 1 3 1
parent ou allié 1,25% 0,5% 8,5% 0% 0
Ism + nasab + 20 3 1 12
ism + surnom 5,5% 1,25% 2% 1%
Ism + nasab + 1 9
ism + métier 2% 0,75% 0
Ism + nasab ism + 7 16
nasab ism 3% 1,25% 1
Ism + nasab 1 6
ism + nisba 0,5% 0,5% 0
Nasab + «enfants» 14
ou «fils de» 3,5% 0
Autres 7 61 2 36 8 82
9,5% 13% 8% 16% 16% 6,75% 9
TOTAL 9 107 3 74 3 10 166
12,25% 26,5% 12% 32.75% 8,5% 20% 13,75% 1
ANTHROPONYMIE ET JARÂ'ID DE SICILE 135
pas une dimension uniquement tribale. Ce, d'autant plus que nous
sommes dans un contexte où cette dernière perd de son importance,
soit que le regroupement tribal des communautés rende inutile la
mention de la nisba tribale à l'intérieur de celles-ci puisque leurs
membres se reconnaissent un ancêtre commun, soit que l'évolution
sociale ait entraîné le déclin de cette référence identitaire.
On trouve également là un indice de la solidité de la structure
familiale arabo-musulmane dans l'île. Elle est confirmée par les
mentions de frères et d'enfants uniques ou multiples (visiblement en
âge de payer taxe) au même niveau qu'un ism (5,5% des mentions)25.
C'est là, en effet, un indice du maintien en Sicile d'un dâr large
formant la base de l'organisation communautaire des groupes arabo-
musulmans à l'intérieur de l'île.
11,75% de ces dénominations doubles reposent sur l'adjonction
d'un élément ayant la forme d'un surnom à un ism. Sobriquets et
noms de métier se partagent à part à peu prés égale cette
proportion.
Enfin les 17,75% de dénominations plus complexes nous
renforcent dans l'idée qu'il faut rejeter une conception trop uniformisa-
trice de l'établissement de ces listes.
2) Théophores :
par les sunnites comme par les shi'ites, le reste des isms et kunyas
montre une relative égalité numérique des isms ayant une
connotation shi'ite et sunnite. Il est clair que ce trait, dans une île sous
domination fâtimide de l'île, reste sujet à interprétation.
Il faut noter quelques isms courants dans les pays arabo-musul-
mans et nombreux en Sicile : Ahmad ou 'Ammâr, par exemple. À
noter également, l'importance de certains isms d'origine biblique :
Isa, Khalîl, Ibrahim ou Mûsâ. Autres isms nombreux : Makhlûf,
Maymûm ou Yûsuf.
La présence d'un nombre non négligeable de terminaisons en
«un» peut s'expliquer soit par une influence nord-africaine, soit par
une évolution du dialecte sicilien parallèle à celui d'Afrique du Nord.
Dans le même ordre d'idées, certaines formes sont indubitablement
berbères (Bâdîs, Zammîta,...), d'autres devraient faire l'objet de
recherches (Samûja, par exemple).
- 'Abd Allah Farjûn (Cefalù 1145; p. 475, col. 2); 2e élément : «joie»; forme
maghrébine ou hispano-arabe.
- 'Abd Allah Qâbisî (1183; p. 259, lre liste, col. 1); 2e élément : nisba
renvoyant à la ville de Gabès.
- Abd al-muhsin Jalîha (1183; p. 250, col. 1); 2e élément : «sublime» (fém.).
- Abd al-mughîth T. rûnish (1178; p. 170, col. 1); 2e élément non identifié.
- Abd ar-rahman Mu'addib (1183; p. 276; lre liste; col. 1); 2e élément = nom
de métier («instituteur»).
- Abd ar-rahman Shinî (1183; p. 253, col. 1); 2e élément non identifié.
- Abd as-salam Mu'addib (1183; p. 276, lre liste, col. 1); 2e élément = nom de
métier ( « instituteur » ) .
- Abd as-salam Sûfiyah (1178; p. 170, col. 1); 2e élément = nom propre
féminin d'origine grecque.
- Abd al-wahab Fulq (1178; p. 176, col. 2); 2e élément = nom commun
(«aube»).
- Abu al-futûh Karnaba (?) (1178; p. 159, col. 1); le 2e élément semble une
déformation du nom commun «choux»; surnom figé?
- Abu al-futûh Qanbala (Cefalù 1145; p. 477, col. 1); 2e élément d'origine
latine (transcrit «kampalla»).
- Abu Bakr Jurdân (1178; p. 156, col. 1); 2e élément = nom propre d'origine
latine (Jordanus).
- Abu Bakr K.rkân (Iaci 1095; p. 544, col. 1); 2e élément non identifié.
- Ahmad Dibânû (1183; p. 253, col. 2); 2e élément non identifié.
- Ahmad Mulafaz (1183, p. 276, 1er liste, col. 1); non attesté, mais la racine
existe en Arabe; sens peu clair.
- 'Alî Z.ndâb (Cefalù 1145; p. 477, col. 2); 2e élément non identifié.
- Bû Bakr Iblîs (1183; p. 251, col. 2); 2e élément = le Diable.
- Bû Bakr Qawsirî (1183; p. 258, liste 2, col. 2); 2e élément : nisba de l'île de
Pantelleria.
- Bû jam'ah Ghazâra (1183; p. 264, col. 1); 2e élément : «luxuriance».
- Bû jam'ah Harîrî (1183; p. 266, liste 2, col. 2). 2e élément : nom de métier.
- Bû jam'ah K.l.mûn (Iaci 1095; p. 544, col. 2); sens du 2e élément peu clair
mais forme maghrébine ou hispano-arabe.
- Bû-1-Qâsim Harîrî (1183; p. 255, liste 3, col. 2). Cf. supra.
- Bû-1-Qâsim H.r.n(?).f (1178; p. 167, col. 1).
- Dahman Murmî (1183; p. 266, lre liste, col. 2); 2e élément non identifié.
- Hammûd bin ukht Yûsuf Qisîs (1183; p. 266, lre liste, col. 2); 2e élément =
nom de fonction («prêtre»).
- Husayn Bushbûsh (Palerme 1144; p. 615, col. 2); 2e élément non identifié.
- Husayn Jikâra (1178; p. 169, col. 2); 2e élément non identifié.
- Husayn Sûfiya (1178; p. 179, col. 1); cf. supra.
- Ibrahim Diyûsâl (?) (Churchuro, 1161; p. 34); 2e élément non identifié.
- Ibrahim Jinnar (1183; p. 242, 2e liste, col. 2); 2e élément = artichaut
(surnom figé?).
- J.r.brûh Umar (1178; p. 175, col. 1); le 1er élément pose problème.
- Makhlûf Qarâmidî (1183; p. 263, lre liste, col. 2); 2r élément = nom de
métier («qui fabrique des tuiles»).
- Muhammad Jurdân (1178; p. 155, lre liste, col. 1); 2e élément = nom propre
d'origine latine (Jordanus).
ANTHROPONYMIE ET JARÂ'ID DE SICILE 141
- Muhriz bin Ahmad Karârim? (1183, lre liste, col. 2); 2e élément non
identifié.
- Ni'mah bin Bû bakr Jabbâd? (1183; p. 264, lre liste, col. 1); 2e élément non
identifié.
- Sayyid Ahlihi (?) Birbûsh? (1183; p. 258, 2e liste, col. 1); 2e élément non
identifié.
- 'Umar B.r.l.? (Cefalù 1145; p. 476, col. 1); 2e élément non identifié.
- Umar Mashût bin Sulayman (Cefalù 1145; p. 478, col. 2); 2e élément =
participe passé («brûlé») ou id. = Mushawwat («ennivré»), surnom figé?
- Umar Mashâraqad? (1183, p. 277, lre liste, col. 2); 2e élément non identifié.
- "Umar Sh.m.hûr.sh (1178; p. 143; 2e liste, col. 1). Id.
- Uthmân Kuhayl (1183, p. 247; 2e liste, col. 1); 2e élément = nom de métier
(«occuliste»).
- Yahyâ B. rbîs? (1183, p. 258, lre liste, col. 2); 2e élément non identifié.
- Yahyâ Gharfî (1183; p. 257, 2e liste, col. 2); 2e élément non identifié.
- Ya'qûb Qanbala (Cefalù 1145; p. 476, col. 2); 2e élément cf. supra.
- Yûsuf Ubbî (Cefalù 1145; p. 475, col. 2); 2e élément de sens peu clair.
- Yûsuf Naghnûgh (1183; p. 252, lre liste, dernier nom); 2e élément = adjectif
(«sot»); surnom figé?
Conclusion
Annliese Nef
3233 Même
9 mentions.
si la présence de certains noms de métiers dont on a des traces de
l'existence, sans en avoir de la pratique par ailleurs, dépasse ce cadre
chronologique pour montrer un relatif monopole arabo-musulman au sein d'une
activité.