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...

.
COLLECTION LlTTÉRAIRE ET ARTISTIQUE lNTERNA TJONA iE
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1

LES CIN
CONTINENTS
A NTHO LOGIE MON DI'ALE DE ..
POÉSIE CONTEMPORA I NE
PAR

IVAN GOLL 1

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LA RE.NAIS S A NCE DU LIVRE

. : PAR 1S - 78, B O U LE V A R D S A 1N T - M 1CHE L

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LES CINQ CONTINENTS

© Biblioteca Nacional de España


Ce/te cotlection. est p1.¡.bliée sous la direcfiou. litléraire
de Piene M ac Orlan.

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Q 1 992 47
COLLECTION LITtlR AJRE ET ARTJSTJQUE INTERNATJONALE

L E S C IN Q
CONTINENTS
ANT HOL OGI E MO NDI ALE DE
POÉ SIE CON T EM POR A I NE
PA R

I VA N GO LL
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LA RENAISSANCE DU LIVR E, 1922


PARIS , 78, BOUL EV AR O SAIN T-M ICHE L

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IL A ÉT É TIRÉ DE CET OUVRAGE


QUINZE EXEMPLAIRES SUR PAPIER LAFUMA
NUMÉROTEs DE 1 A 15

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AVANT~PROPOS

Une mappemon de sur une table de travail est le plus


beau jouet et le délassement le plus doux que 1'on
puisse trouver. L 'homme oublie sa tristesse quotidienn e
en parcourant d'un doigt reveur le Globe qui contient
tout. Navigateur de l'infini, pendant cinq minutes, il va
se reposer dans un paysage lointain.
T el devrait etre le sentiment de celui qui, en ouvrant cette
anthologie de poésie mondiale, y trouvera la figure de
quelque pays inconnu, une silhouette dessinée a gros
traits, sans autre détail : ~a et la le pie neigeux d 'un
génie, la brune carcasse de quelque Cordillere, l'éJégie
d'un lac, le serpent tumultueux d'un fleuve, caps
captifs, golfes enchantés, presqu'lles meurtries et ces
iles abandonnées qui, tels des oiseaux, voyagent sur les
océans.
11 faudra que le lecteur ajoute sa propre imagination
aux poemes, de meme que le voyageur apporte sa sen-
sibilité aux contrées qu •¡¡ visite.
Pour découvrir dans des pays inconnus les véritables
valeurs, c'est aux poetes, qui sont des prophetes, qu'il
convient de s'adresser en premier lieu. L'art entrevoit

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6 LES CINQ CONTINENTS

les formes de la vie de la meme fa<;on que nous regardons


cette mappemonde, qui est la, a coté de l'encrier et du
calendrier journaliers.
La derniere vérité a laquelle nous puissions atteindre,
c'est l'art qui nous l'offre. Il découvre son ombre a
coté des réalités, qui ne brillent qu'extérieurement.
Fions~nous a lui ! Nous entrerons plus vite dan:> !'ame
des peuples par la fenetre que l'art nous ouvre que par
les portails maiestueux, telles que les sciences et la poli'-
tique.
L'artiste incarne la conscience du monde : aussi est-il
partout dans le monde. Il est mathématiquement cer-
tain que les poetes de contrées et de langues entierement
di:!férentes se retrouvent tous dans un meme et unique
idéal : la Vie vraie et palpitante.
Que ce livre soit aussi un symbole de ces temps, ou,
grace aux possibilités modernes de vitesse et de mouve~
ment, déja se forme une grande conscience internatio-
nale grace a qui bientot les littératures nationales seront
remplacées par un art mondial. Ici nous en recherchons
simplement les premiers symptomes : nous posons un
questionnaire aux peuples qui répondent par la voix de
leurs poetes.
L'histoire n'a jamais rien fait qui pilt nous rendre un
peu plus heureux. Nous ne voulons pas lire des gram~
maires d'idées, mais des poemes de vie.
La guerre a eu ses répercussions jusqu'au plus lointain
Groenland. Les cinq continents en sont ébranlés. Et les
suites du désastre sont pa1tout les memes. Lentement,
1

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AVAN1-P ROPOS 7

lentement, les peuples se ressaisissent, mais surement .


Un grand mot est inscrit au fronton de tous les pays :

]EUNESSE

ce Recommen~ons toujours », a dit Hérodote.


C'est la l'éternel refuge de l'homme qui sait pourta nt
qu'il n'y a ríen de nouveau sous le soleil . L'homme qui
pense, l'homme qui, en dépit de l'automne, veut garder
son printemps, a besoin de la poésie. Découvrir la vie quo-
tidiennement régénérée : voici votre tache, jeunes poetes
du monde. Energie et bonté : ces essences primordiales de
l'existence, chantez-les ! Et pas de sentimentalité : évitez
le mensonge de toutes les triviali tés .
Aujour d 'hui, apres 1920, nous exigeons de celui qui
prétend etre la bouche de son peuple, qu'il dise des mots
de vérité el qu'i\ donne des baisers de sincérité. Qu'il soit
un Frere du Monde, avec toutes les responsabilités qui eil
découlent. Nous lui demandons de créer de la vie, el·
nous répudions tout retranchemen t dans un Moi pudique,
tout symbolisme nuageux, tout romantisme fat, tout breu-
vage fade aux crépuscules framboisés.
Et ce ne sont pas les vieux pays de civilisation tradition-
nelle qui répondent le mieux a cette formule. Ce ne sont
plus les vieilles littératures qui se perpét uent. L 'axe de la
pensée 'dans le monde se déplace. Les problemes de la
vie se multiplient journellement, et le poete avec son
cceur-thermometre est la pour enregistrer et pour guider
les actes des hommes. Le poete est prophete : c'est ce
que depuis . des siecles il avait oublié l

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..

8 LES CJNQ CONTINENTS

11 faut un nouvel arsenal de mots, il faut un outillage


de sensibilités modernes pour exprimer ce quí agite
l'homme d'aujourd'h ui et de demaín. Les negres connaissen t
déja le téléphone : attentíon !
T ous les peuples d'Europe ont a déblayer les ruines
d'une antiquité récente. Dans toutes, les lan.:,oues, il y :1
de rudes remparts du moyen age a jeter bas. Et pour
bruler les vieilles grammaires, cambien d' esprits con-
sument leurs feux et leurs forces ! 11 en est ainsi dans tous
les pays latins : c'est en ce moment le grand nettoyage.
Ríen de définitif. Pas un seul grand poete en Europe.
D es recherches partout. Les bases de la Compagnie lnter·
nationale sont encore a l'étude.
D'Italie est partí le premier cri, assez strident, pour
faire lever la tete a l'Europe engourdíe. Bien qu'il ait
a
été víte bout de souffie apres sa premiere envolée en
aéroplane, le futurisme garde encore le titre de champion
de la poésie moderne. Il a été imité partout. En F rance,
le phénomen e sismíque a été enregistré par des esprits
récepteurs tres fins, peut-itre meme un peu trop fins,
qui ont plutot insisté sur les détails que sur les grandes
formes d'ensemble . Seul le surréalisme a été un salubre
parfum contre les pestes qui montaient des champs de
bataille et des comptoirs d'importati on. Le reste des esprits
latins suit simplemen t le pas .
Dans les pays ge1maniques : pareille angoisse dégénérant
en lutte agressive, en crise farouchem ent révolutionnaire.
U, le réveil est si rapide qu'on n'a pas le temps de résoudre
les questions de forme ; tout l'intéret se concentre sur

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AVANT·PROPO S 9

cette idée obsédante : liberté. Aussi l'expressionnisme


n'a-t-il pas meme abouti a une forme d'art : il ne fut
qu'explosion, geste, crampe : un bras convulsé dressé
vers le ciel.
Plus au nord, la Scandinavie reste ~• neutre, meme en
poésie. Glaciers déserts.
Mais certains peuples profitent profondém ent de cette
secousse spirituelle, qui ébranle en ce moment l'Europe :
ce sont les pays presque sauvages, dont le sang commence
a peine de s'éveiller, un sang neuf, pur, fort, incandescent.
Les T cheques, les Yougoslaves, les Hongrois ont une
. poésie autrement jeune, autrement vigoureuse et auda-
cieuse que nos pays de civilisation surannée. C'est chez
eux qu'on ira un jour puiser de la puíssance. lis sont
les negres d'Europe, dont nous avons besoin.
Et puis, pres d 'eux, il y a les Mongols, les jeunes
Russes qui, dans leur poésie, se réclament de la barbarie
la plus féroce, et qui montrent leurs grimaces jaunes aux
nations-snobs, quand elles viennent les toucher avec
des gants beurre--frais. C'est la que se trouve la source
de nouvelles forces, pres de l'Asie heureusement inci-
vilisée.
L 'autre source d'ame thermale et de sang ferrugineux
jaillit en Amérique. Comment en eilt-il été autrement,
apres le passage du puissant Pere des Poetes : Walt Whit-
man ! Son nom plane par-dessus toutes les littératures
a
contemporaines, car c'est lui que nous devons la décou-
verte de !'ame moderne : machine d'airain aux ailes
d 'aigles. Bains de soleil. Villégiatures aux poles. Le front

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10 •. ES CI!\Q co¡.;TINEN1'S

nu irradié d'étoiles. Poe te de nos jours, citoyen du monde,


frere de chacun, il tuto ie les présidents de répu biiques
en leur parl ant de vérité, de force, de dynamisme, de
lumiere ! C'es t au pay s du Niagara et du Panama que s'es t
ouverte une immense écluse, et que des mers de nouvel
amo ur ont déb ordé sur l'hu man ité.
Il n'en est pas de mem e en Am ériq ue du Sud , cett e pro-
vince spirituelle d'un e Eur ope vieillott e, toute empoi ~
sonn ée de symbolisme franc;ais . Il est désolant de trouvcr
des sonnets hérédien s dan s cett e vaste natu re, oi1 l'échim:
bru ne des Andes, est tend ue com me un are vers le ciel,
symbole inoubliable de puissance, ou I'Am azone tumul~
tueux, éternell ement amoureux, n'a pu encere réveiller
!'esp rit endormi des races immigrées. Cep end ant, on
trouve des poetes qui aim ent !'incendie jaun e des prairies,
les bufHes anti ques se prob lant derr iere les plantations
de café, de la natu re vraie.
Vien nen t les pays orientaux, avides gardiens de la pure té
des vieilles langues, dan s lesquelles pou rtan t !'esprit
mod erne a fait de nombreuses breches. En mem e tem ps
que le cost ume national du Japon et la tresse chinoise,
les rigides formules de poésie ont cédé a une mod e euro-
péenne, qui n'es t d'ailleurs pas nécessairement meilleure.
Les formes du « Tan ka » et du « Hokku », for~ant le poete
a ne don ner qu'u ne liqu eur subtile de son sent ime nt,
con tiennen t assurément dan s leur laconisme une aussi
puissante vision des choses que les vers libres Ímportés
d 'ouest.
Aux lnde s ct chez tous les M usulmans, la "moder-

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,\V ANT- PRO POS 11

nité a moins d'em prise : peut~etre cela vaut~il mieu x?


Ont été réservés en dernier lieu les chants des peuples
qui n'ent rent dans aucu n des groupes établis pour cette
anthologie. Les juifs , le peuple le plus vieux en litté~
rature, s'e.xprime nt aujourd'hui, ou qu'ils se trouvent,
a Odessa, a New~y ork Otl a ]affa , que ce soit en hébreu,
en yiddisch ou en telle langue moderne, par les memes
rythmes ·d'angoisse et de douleur. Ils sont le peuple de
la terre qui a souffert le plus, et la qualité de leur poésie
en témoigne.
Apres eux, la poésie plus naive des Negres et des
lndiens. Voici l'enfance de l'hum anité et de la poésie.
lnstincts qui se réveillent et qui vivent sous un jour
cru, c'est~a-dire vrai. Simplicité massive et symbolique.
Amour réel. asentimental des choses, des couleurs, de
toute la nature. L es betes des premiers jours de la création
sont leurs compagnons de vie. Poésie directe, intense, vraie.
Nous tous, peuples civilisés, devons aller a leur école. Car
la vraie, la grande poésie ne se compase pas de visions ou
de sentences, mais du simp le et profond amou r de la
nature. Plus que tous autres, les sauvages sont pres de la
terre et de la vérité. Eux aussi sont de grands freres du
monde.

!VA N GOLL.

P. S.- Cet avant-propos ressemble lt une profession de foi? C'en


est une.
On est habitu é de considérer une anthologie comme un aper~u

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12 LES CJNQ CONTJNENTS

objectif d'une littérature, ou le compilateur s'cst simplement dlorcé


de réunir les meilleures pieces, sinon les moins mauvaises.
Mon but a été autre : je n'ai point voulu présenter ici un catalogue
complet, objectif, documenté de toutes les poésics du monde : un tel
travail exigerait trente ans d'elforts, et non trois ans, comme celui-ci.
JI me parait non seulement impossible, mais superflu, de compiler
dans un certain nonbre de tomes, qui peut varier entre douze et cent,
toutes les émanations poétiqucs de tous les peuples de la terre, ou
meme toutes celles qu'on appellera contemporaines.
j'ai sciemment fait un ouvrage subjectif, unilatéral. qui ne satisfera
ni les historiens, ni les littérateurs, ni les politiciens, qui tous auraient
un intéret a une documentation complete. j'ai uniquement pensé a un
lecteur de nos jours, qui. a Paris ou a Montréal, cherchait la poésie
de l'homme contemporain, des émanations de vie, des cris de la
terre : rien d'autre.
Aussi suis-je certain d 'avoir été injuste envers des gloires, des
réputations multiples ; j'ai bien souven t passé sous silence des
~ contemporains • dont le style est parfait, la renommée mondiale,
l'influence incontestable. Mais je n'ai pas trouvé leurs vers du gout
de cet Européen de 1923 que je me représente achetant ce livre dans
une gare. Ces pages n'ont nulle ambition de ligurer dans des sémi-
naires philologiques : leur unique souci est d'etre vivantes, jeunes
et impulsives.
Cependant, ie n 'ai pu etre tout a fait indépendant dans mon
choix : pour la plupart des pays, dont j'ignore la langue, j'ai du me
confier a mes distingués collaborateurs et traducteurs, qui ont bien
voulu me seconder pour cet elfort, et me fournir les lunettes grace
nuxquelles j'ai pu connaitre les poésies étrangeres.
Je rends hommage a toutes les personnes : poetes, éditeurs, traduc-
teurs, diplomates et amis, qui ont bien voulu me preter leur concours
et les remercie sincerement de leur collaboration a une entreprise qui
n 'est encore que mise en chantier. et nullement accomplie,comme ces
cathédrales, qu 'il faut éterncllemcnt recommencer sans qu'elles soicnt
iamais achevées. Ce n'est qu'a Paris. au cceur du monde, que la pre-
miere base d'une Anthologie Mondiale pouvait etre établie ; et ce qui

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AVANT· PROPOS 13

excusera toutes les imperfections de ce livre. c'est qu'il n'est que le


premier essai de réaliser, dans le plus petit espace possible, une
collaboration simultanée de toutes les "races intéressant tous les
individus.

París, 21 juillet 1922.

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U. S.A.
r-
\
CARL SANDBURG.

. \

CH!CAGO

Charcuterie du Monde,
Fabrique d'Outils, Empilcmcnt de Blé,
Jcu de Voies ferrées, Traite des Marchandiscs de la Nation :
Cité tempcte: enrouée, braillarde,
Cité aux larges épaules.

Un me dll que tu es pervetse el ¡e le crois, car j'at vu les lemmes far-


dées sous les réverberes aguicher les gars de la campagne.
Et on me dit que tu es canaille et je réponds: Oui, c'est vrai, j'ai vu
l'homme au revolver tuer et laissé en liberté pour recommencer a
tucr.
Et on me dit que tu es brutale et je réponds: Sur le visage des femmes
et des cnfants j'ai vu les marques de la faim effrénc!e.
Et ayant ainsi répondu, jc me tourne encore une fois vers ceux qui
mépriscnt cctte cité, ma cité, ct jc leur rends lcur mépris et leur
<lis :

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1
1
18 -
LES_..CI NQ CONTINEN'fS

Venez me montrer une autre cité qui chante la tete haute, aussi liere j
d'etre vivante et grosse et forte et rusée.
Avec ses jurons magnétiques lancés tout en peinant d'entasser besogn c
sur besogne, voila une grande luronne donneuse de gnons qui tranchj
sur les petites villes rumollies ;
Féroce comme une chienne a la langue tirée pour l'action, rusée comnc
un sauvage avec le désert comme adversaire,
Nu-tete, 1
1 Remuant a la pelle.
~
1
Brisant,
Proietant,
Batissanl, démolissant, rebatissanl.
Sous la fumée, la bouche toute poissée de poussiche, riant a b!anches
dents,
Sous le faíx terrible de la destinée, riant comme rit une femme jeune,
Riant comme rit un lutteur ignoran! qui n ·a j.1mais perdu dans un
combat,
fanfaronnant, riant de ce que sous son poignet es! le pouls et sous ses
cotes le creur du peuple,
Riant !
Riant du rire en tempete de la )eunesse, enroué, braillard, ademi-nue,
suant, fiche de Charcuter, Fabriquer les Outils, Empiler le Blé,
Jouer avec les Voies ferrrées et Traiter les Marchandises de la Nation.

TUEURS

Je vais vous e han ter


,f Doucement ~omme parle un hommc qui a un enfant mort ;
~1
Durement comme un homme qui a les menottes,
Retenu la d'ou il ne peut bouger.

Sous le soleil
11 y a seize millions d'hommes
Choisis pour lcu•·s dents brillantes,

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1 CROUPE ANCLO-SAXON 19

Yeux vifs, jambes fermes,


Et le sang chaud qui coule jeune a leurs poignets.
Et une seve rouge coule sur l'herbe verte :
E1 une seve rouge trempe le sol foncé.
Et les seize millions sont la a tuer ... tuer, tuer.

] e n\ les oublie jamais nuit et iour :


lis m~ martellent la tete pour que je m 'en souvienne,
lis me broient le cceur, et mon cri leur répond,
A leurs foyers, leurs femmes, leurs songes et leurs jeux.

]e m' éveille dans la nuit et sens les tranchées,


Et entends le faible bruit des c;lormeurs en lignes -
Seize millions de dormeurs et guetteurs dans le noir :
11 en est qui depuis longtemps dorment pour toujours,
11 en est qui tombent et demain dormiront pour toujours,
Fixes dans la drague de la navrance du monde,
A rnanger et boirc, peiner... a la besogne interminable de tuer.

Seize millions d'hommes.

FUMfES ... ACIER



(FRACMEN T).

Une chose, les charnps qui fument au printemps,


Une autre, les feuilles qui fument en automne.
Les toits d'une aciérie qui fument ou la cheminée d'un cuirassé.
C'est de la fumée qui monte droit d'une souche
Ou se tord ... dans la torsion lente ... du vent.

Quand s'éleve le vent du nord, la fumée file au sud,


Quand s'éleve le vent d'ouest, la furnée file a l'est.

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20 LES CINQ CONT!NENTS
1
A ce signe
toutes les fumées
se reconnaissent les unes les autres.
1
Fumée des champs au printemps et des feuilles en automne,
Fumée de l'acier fini, refroidi et bleui,
1
Par le serment de l'ceuvre elles jurent : « ]e te reconnais ».

Chassé, soufflé du centre


Au fin fond du temps iadis ou Dieu nous refit,
Au fin fond sont les cendres dont nous sortimes -
Toi et moi, et nos tetes fumeuses.
.. . . . . . . . .
T elles des fumées que Dieu jeta sur la tache
T raversent le ciel pour compter nos ans
Et chantent dans les secrets de nos nombres ;
Chantent leurs aubes, chantent leurs soirs,
Chan tent une vieille chanson de bucher :
T ournez la clef par ci
T ournez la clef par la,
La fumée monte dans la cheminée tout pareil.

Fumée d'un horizon de grande ville au couchant,


Fumée d'un horizon aux champs a la brune -
Elles traversent le ciel pour compter nos ans.

J . . . . . . . . . . . . . . . . .
F umée de poussiere rouge brique
Qui serpente en spirale
Vomie par les cheminées,
Vers une lune qui se cache, puis risque un coup d'ceil,
<;:a, dit l'atelier de fer en barres au premier laminoir
C'est le iargon du charbon et de l'acier.
L'équipe de jour le passe a l'équipe de nuit,
L'équipe de nuit le repasse.
Du bégaiement en ce jargon -
Comprenons-le a de mi.

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CROUPE ANCLO·SAXON 21

Dans les laminoirs et toleries


Dans les hauts fourneaux qui grognent et grondent,
La fumée change son ombrc
Et les hommes changent leur ombre ;
Un noir, un ltalboche, un Slovaque changent.
Une barre d'acier - ce n 'est que
De la furaée au fond, de la fumée et le sang d'un homm e.
Course du feu qui est entré, sorti, filé ailleurs,
Et partí - de la fumée et le sang d'un homm e
Et voila l'acier fini, refroidi et bleui.

Ainsi entre, sort, relile ailleurs le feu,


Et la barre d'acier est un canon, une roue, un dou, une pelle,
Un gouvernail sous la mer, un volant dans le ciel ;
Et touiours obscur au fond et partout,
De la fumée et le sang d'un homm e.
Pittsburg, Youngstown, Gary font leur acier avec de l'homme.

Au sa ng des hommes et l'encre des chcminées,


Les nuits de fumée inscrivent leurs serments :
F umée changée en acier, sang changée en acier ;
Homcstead, Braddock, Birmingham font leur acier avec de l'homme.
Sang et fumée, c'est le mélange de l'acier.

Les hommes-oiscaux bourdonnent


dans !'azur ; c'est l'acier
qu 'un moteur chante et vione.
.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Fil d 'acicr barbelé autour de l'Usine,
Canons d'acier daos les fontes des hommes de garde aux portes de
I'Usine.
Minerai d 'acier amené par batelées, arraché de la terre par des grilles
d'acier, soulevé et trainé par des bras d'acier, chanté en route par
les diquetants coquillages.
Tantot courant, tantot maniant, c'est l'acie.r: lui qui creuse, agrippe

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22 lES CJNQ CONT JNENTS

et remorqu e ; lui qui hisse ses joints automatiques d'un ouvrage


u l'autre ; c'est l'ade r fabriquant l'acier.
Feu, poudre et air luttent dans les fourneaux ; la coulée est réglée,
les rondins se tortillent ; le mach efer est mis au tas :
Paquebots sur mer, gratte-ciel sur !erre ; acier en plongée dans 1"
mer, acier e11 montée au ciel.

Ceux qui trouv ent dans le noir, toi, Steve, avec une gamelle, ton pas
IOllrd sur les trottoirs a la brune, avec un journal du soir pour la
femme et les gosses, toi Steve qui te demandes en ta tete ou nous
finirons tous -
Ceux qU'i trouvent dans le noir, Steve : j'agrafe mon bras en manches
a machefer ; nous descendons la rue ensemble ; e 'est tout pareil
1 pour nous ; toi, Steve, et nous autres linirons sur les m emes planetes ;
nous porterons tous chapcau en enfe r ensemble, en enfer ou au
paradis.

Nuits de fumée a présent, Steve.


Fumée, fumée perd ue dans les cribl es d'hie r;
1 Redéposée aux creux et croes aujourd 'hui.
Fum ée comme les horloges et les sifAets, toujours.
Nuits de fumée a présent.
Demain autre chose.

Des lunes paraissent, disparaissent :


Cinq hommes nage nt dans une potée d'acier rouge.
Leur s os sont pétri s en pain d'acier :
Leurs os sont martelés en bobines et enclumes,
Et les cylindres aspirants des turbines en bataille contre la mer.
Cherchez-les dans les entrelacs d'un poste de sans-fil.

Ains i se cachent des fantomes dans l'acier comme des homm es aux
bras forts dans des miroirs .

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C!\OUP& ANCLO•SAXON 2.)

Se montrenl, se dérobcnt - ombrcs qui dansent en de~ tombes ou


l'on rit,
lis y sont toujours et iamais ne répondent.

Dit l'un d'cux : « J'aimr mon boulot, la compagnie me tr;;ite bien;


l'Amérique est un pays merveilleux. "
Dit l'autre : « jésus, j'ai mal aux os ; la compagnic menl ; ce pays de
liberté cst un enfer !
D it l'autrc : • j'ai pris femme, une perl e ; nous économiserons el
prendrons une fermr. pour clever des porcs et etre nos proprcs mni·
tres. "
Et les aulres étaieul de rudes ga1 s qui chantaient bir n loin de chez
eux.
Cherchez-les derriere l'acier d'une porte de souterrain.

Le prix, ils s'en n•oquenl.


lis élevent les hommes-oiseaux dans l'azu1 ;
C'esl l'acier qu'un moteur chante ct vione.

Dans les fouisseuses ct caissons du tunncl,


Dans les ,ents forelS hydrau iques, dans la boue ou le sable,
Sous les arbres des dynamos, dans les toi les d'araignées des induits,
Ombres qui dansent et se moquent du prix.

Les fours édairen t un dome rouge.


Des bobines de feu s 'cnroulent, roulent,
Cramoisis des rectangles crachent.
Les cils du marron a l'agonie s'abaissent.
Le feu et le vent emportent les scories.
A jamais les scories sont emportées dans le feu et le vent.

Voici l'hymnc appris par l'acier :


f ais ,.a ou aie faim.
Cherchez notre rouillc sou~ une charruc .

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