Documentos de Académico
Documentos de Profesional
Documentos de Cultura
Velázquez
Guichard Pierre, Lagardère Vincent. La vie sociale et économique de l'Espagne musulmane aux XI-XII siècles à travers les
fatwā/s du Mi'yār d'Al-Wanšarīšī. In: Mélanges de la Casa de Velázquez, tome 26-1, 1990. Antiquité et Moyen-Age. pp. 197-
236;
doi : 10.3406/casa.1990.2565
http://www.persee.fr/doc/casa_0076-230x_1990_num_26_1_2565
INTRODUCTION
1. J.A. Garcia de Cortâzar, El dominio del monasterio de San Millân de la Cogolla (s. X
al XIII). Introducciôn a la historia de Castilla altomedieval, Salamanque, 1969;
A. Barrios Garcia, Estructuras agrarias y de poder en Castilla: el ejemplo de Avila
(1085-1320), Salamanque, 2 vol., 1983-1984.
on sait bien que des fonds documentaires suffisamment riches n'ont pas été
conservés partout, bien loin de là — l'organisation de la société rurale ou
urbaine de plusieurs régions d'Occident au XIe ou au XIIe siècle. Il suffira
de songer, pour s'en convaincre, aux descriptions des relations seigneurs-
paysans dans la société rurale catalane qu'est en mesure de fournir Pierre
Bonnassie, ou, dans un tout autre secteur de l'historiographie, aux analyses
de la démographie florentine à la fin du Moyen Age apportées par
Christiane Klapisch et David Herlihy. Il s'agit sans doute là de régions
exceptionnellement favorisées, mais les connaissances documentaires précises que
l'on possède sur le Moyen Age occidental permettent de reconstituer dans
ses grandes lignes une évolution régionale — on pense aux Castelli e villagi
nell'Italia padana d'Aldo Settia — ou de tenter des synthèses à une échelle
plus vaste comme Georges Duby dans ses Guerriers et paysans.
On est bien loin de pareilles perspectives dans le domaine musulman.
On sait que ces sources d'archives qui sont le fondement essentiel des
travaux occidentalistes y font presque complètement défaut, en dépit de la
fréquence de l'usage de l'écrit dans les sociétés musulmanes médiévales. On
peut sans doute citer l'ensemble exceptionnel que constituent les documents
de la Geniza du Caire, ces textes juifs de toute nature conservés par hasard
dans un débarras muré d'une synagogue et retrouvés au XIXe siècle. Ils ont
permis à S.D. Goitein d'écrire son grand ouvrage sur la société
méditerranéenne des XIe-XIVe siècle2. Mais il s'agit d'une trouvaille malheureusement
unique jusqu'à présent. Sans diminuer en quoi que ce soit l'intérêt de ces
textes, ni la grande valeur des travaux auxquels ils ont donné lieu, on doit
bien observer que les informations que l'on peut en tirer, quelques
significatifs qu'ils puissent être de pratiques ou de faits plus généralement
méditerranéens, ne nous renseignent directement que sur un secteur, essentiel
sans doute puisqu'il touche à la société urbaine et aux relations
méditerranéennes, mais qui ne concerne tout de même que certains aspects de la vie
économique et sociale. Il s'agit par ailleurs de documents issus exclusivement
d'une communauté juive minoritaire, ce qui en limite aussi quelque peu la
portée. Quelque riche que soit cette documentation, enfin, elle ne concerne
pas les campagnes qui restent totalement en dehors des possibilités qu'elle
ouvre aux chercheurs et qui restent l'une des grandes inconnues de l'histoire
médiévale du monde musulman 3.
On s'est interrogé sur les raisons de «l'absence de conservation de vraies
archives pour les six ou sept premiers siècles musulmans». Claude Cahen,
S.D. Goitein, A mediterranean society: the Jewish communities of the arab world as
portrayed in the documents of the Cairo Geniza, Cambridge University Press, 5 vol.
parus depuis 1967.
Voir à ce sujet les réflexions de Claude Cahen dans sa contribution sur «Le monde
musulman médiéval» aux «Recueils de la Société Jean Bodin», XLII (Varsovie, 1975),
sur Les communautés rurales, 3e partie, Paris, 1982.
SOCIÉTÉ ET ÉCONOMIE DE L'ESPAGNE MUSULMANE 199
par des auteurs intéressés par la jurisprudence. L'un des ouvrages les plus
considérables de ce genre intéressant l'Islam occidental est le Micyâr, du
Marocain du XVe siècle al-Wansarïs! 8. Ce volumineux ouvrage en douze
volumes contient des centaines de documents de ce genre émanant de
docteurs andalous et maghrébins des époques antérieures, qui apportent de très
nombreuses informations concrètes, parfois localisées et qu'il est souvent
possible de dater approximativement grâce aux indications concernant le
juriste consulté, sur les institutions et la vie sociale et économique. Il a été
assez largement utilisé par Hady Roger Idris dans sa thèse sur La Berbérie
orientale sous les Zirides (XIe-XIIe siècles), ainsi que dans quelques articles
portant en particulier sur le mariage dans l'Occident musulman 9.
Bien que des analyses — assez abstraites il est vrai — des documents
qu'il inclut aient été publiées dès le début de ce siècle par E. Amar 10, cet
ouvrage très important n'avait, jusqu'à une date récente, pratiquement pas
été utilisé pour éclairer l'histoire socio-économique de l'Espagne musulmane.
Evariste Lévi-Provençal, dans son Histoire de l'Espagne musulmane,
signalait qu'un dépouillement systématique de ce corpus documentaire — qu'il
qualifiait d'«immense» — aurait été susceptible de rendre les plus grands
services, mais il ne l'avait lui-même que très peu utilisé pour dresser son
tableau classique de la civilisation andalouse au Xe siècle11. Les historiens
intéressés par l'Espagne musulmane seront donc particulièrement
reconnaissants à Vincent Lagardère d'avoir commencé à publier, dans un ensemble
d'articles et d'ouvrages déjà nombreux et importants, et en particulier dans
son récent Vendredi de Zallaqa 12, de multiples analyses qui rendent compte
de la richesse et de la diversité des sujets traités dans les fatwâ/s du Micyâr,
et donnent une idée de l'intérêt que présenterait pour l'histoire économique
et sociale d'al-Andalus une publication d'un index détaillé ou d'un catalogue
des documents contenus dans cet ouvrage, maintenant disponible non plus
seulement dans l'ancienne édition de Fès, mais dans les volumes récemment
publiés par le ministère marocain des waqf/s et des affaires religieuses 13.
14. Voir en particulier sur ces problèmes l'ouvrage collectif, résultat des recherches
archéologiques menées dans le cadre des programmes de 11JRA 1225 : A. Bazzana, P. Cressier,
P. Guichard, Les châteaux ruraux d'al-Andalus: l'histoire et archéologie des husûn du
sud-est de l'Espagne, Madrid, Casa de Velazquez, 1988.
15. Voir, dans cette même livraison, p. 163-195.
202 PIERRE GUICHARD - VINCENT LAGARDÈRE
*
* *
Dès l'année 1125, encouragés par les victoires remportées par Alphonse I
le Batailleur, roi d'Aragon, les Mozarabes de la région de Grenade décident
de secouer le joug almoravide: ils envoient des messages, puis des
ambassades auprès du souverain, l'encourageant à reconquérir Grenade, y joignant
un registre renfermant 12000 noms de combattants prêts à rejoindre ses
troupes, et lui indiquer les endroits du pays les moins bien défendus. Ils
l'informent aussi qu'en plus des personnes susnommées et qu'ils
connaissaient bien, car elles demeuraient dans le voisinage de Grenade, il y en avait
bien d'autres qui ignoraient leur démarche, car elles vivaient très éloignées,
mais se manifesteraient dès l'apparition du roi et de son armée. Pour
l'encourager à entreprendre cette expédition, ils excitent sa convoitise, lui
décrivant toutes les qualités de Grenade, sa bonne fortune face aux autres
régions, la qualité de ses fortifications, sa vaste plaine fertile, riche terre à
blé, orge, lin, vigne, oliviers et arbres fruitiers, ses nombreuses sources et
rivières, la puissance de sa forteresse, le bon caractère de son peuple.
Convaincu, le roi d'Aragon met sur pied un corps expéditionnaire de
5000 cavaliers et 15000 fantassins et se met en marche début septembre
1125. Il sort en grand secret de Saragosse en direction d'al-Andalus, suivi
de ses gens ; parmi eux se trouvaient Gaston, vicomte de Béarn, présent lors
du siège de Saragosse, Pedro, l'évêque de cette ville et Esteban, l'évêque de
Huesca. Il atteignit Valence, le mardi 20 octobre 1125; puis se dirigea vers
Guadix. Traversant le Jucar, il attaque Dénia, le 31 octobre 1125, sillonne
le Levante par petites étapes, se lançant à l'assaut des places fortes
rencontrées. Poursuivant sa progression, il traverse le défilé de Jativa, sans
rencontrer de résistance et atteint Murcie. Déviant sa marche vers Vera, il suit
la vallée du fleuve Almanzora, en direction de Purchena. Sans rencontrer
d'ennemi, il s'enfonce vers Baza. C'est alors que fut éventé le complot des
Mozarabes. Al-Andalus était alors gouvernée par Abû-1-Tâhir Tamïm b.
Yûsuf b. Tâsfïn, résidant à Grenade. Dès que l'Arnir al-Muslimïn (Emir des
Musulmans) cAIi b. Yûsuf b. Tâsfïn fut informé de la nouvelle, il envoya
des renforts.
204 PIERRE GUICHARD - VINCENT LAGARDÈRE
Voici la question ayant trait aux biens habous des églises des chrétiens, au sujet
desquels l'émir des musulmans cAfî b. Yûsuf b. Tâsfïn écrivit au juriste et cadi Abû-
1-Qâsim Ahmad b. Muhammad b. Ward et autres jurisconsultes d'al-Andalus. Voici
le texte de sa lettre — Dieu lui fasse miséricorde — dans son intégralité :
De l'Emir des Croyants et Défenseur de la religion cAfi b. Yûsuf b. Tàsfin au
juriste et cadi Abû-1-Qâsim Ahmad b. Ward et aux jurisconsultes du conseil de
Grenade — Dieu les préserve et les assiste de sa force.
Au nom de Dieu Puissant et Miséricordieux, que Dieu accorde son salut à
notre maître Muhammad et à sa famille.
Notre lettre — que Dieu vous préserve, vous assiste de sa force, vous facilite ce
qui lui plait, et qu'il étende sur vous ses bienfaits et ses bénédictions — émane de la
capitale de Marrakech — Dieu la préserve — en ce temps. Les chrétiens tributaires
déportés de Seville à Meknès al-Zaytun — Dieu la préserve — nous ont fait part de
leur souhait que quelqu'un soit envoyé auprès d'eux pour décider avec eux des
conditions de la vente en notre faveur de leurs biens, puisqu'ils ont préféré cette
solution lorsque nous leur avons laissé le choix en cette matière. Et comment
peuvent-ils continuer à observer les rites de leur religion à laquelle ils restent fidèles?
SOCIÉTÉ ET ÉCONOMIE DE L'ESPAGNE MUSULMANE 205
Tel est le texte de ce qu'ils nous disent dans leur lettre. Nous vous demandons une
consultation juridique sur ces deux points ; faites-nous connaître l'enseignement de
la sunna à leur sujet. De même, expliquez-nous la procédure à suivre en ce qui
concerne les biens haboussés au profit des chrétiens et de leurs églises en al-Andalus,
conformément à la volonté de Dieu Puissant et Grand ; qu'ils jouissent d'une paix
profonde, de la miséricorde de Dieu et de ses bienfaits.
De même, nous avons reçu une lettre de notre fils Abu Bakr, que Dieu lui
accorde sa force, nous assurant que des Chrétiens tributaires se sont convertis à
l'Islam à Seville — que Dieu la préserve — et qu'un petit groupe d'entre eux s'est
enfui en territoire ennemi — Dieu l'anéantisse — , poursuivi par la cavalerie, les uns
ont été tués, les autres ont été ramenés à Seville et incarcérés. Faites-nous connaître
les directives de la sunna sur ces deux affaires, conformément à la volonté de Dieu.
De même les chrétiens (installés à Meknès) ont fait valoir que leurs moines
(ruhbàn) et évêques (asâqifa) n'avaient pas d'autres ressources que les revenus des
habous constitués au profit des églises en question. Cela fait partie des points sur
lesquels il est nécessaire de donner une consultation juridique — si Dieu Puissant et
Grand le veut — . Que la réponse nous éclaire à ce sujet.
Le juriste, imam, gardien de la foi, Grand Cadi de Grenade Abû-1-Qâsim
Ahmad b. Muhammad b. Ward — Dieu lui porte assistance — répondit en 521
H/ 1127. (Micyàr, Fès, VII, 39; Rabat, VIII, 56).
jour de la fête des sacrifices (cid al-Adhâ), une foule dense se promenait
dans les rues de la ville. Un des serviteurs d'Abù Bakr décide de mettre la
main sur une femme. Il s'empare d'elle. Ameutant les alentours de ses cris,
celle-ci implore le secours des musulmans qui y répondent nombreux,
occasionnant une grande confusion. L'agitation dure toute la journée jusqu'au
soir, opposant les Cordouans aux serviteurs de l'émir. Les belligérants se
séparent. Les jurisconsultes et les édiles de la ville viennent trouver Abu
Bakr et négocient le retour au calme contre la mort de ce serviteur qui fut à
l'origine des troubles, ce qu'il refuse. La colère monte d'un cran. Le
lendemain, la population en armes, avec à sa tête les jurisconsultes, les édiles,
attaque le gouverneur almoravide, le met en fuite. Il se fortifie dans sa
citadelle devant laquelle le siège est mis. Les échelles sont dressées, les
assaillants parviennent à l'intérieur dont on chasse Abu Bakr. Ils pillent la
forteresse, incendient les maisons appartenant aux almoravides, s'emparent de
leurs biens et les expulsent de la ville sans ménagements. Informé de la
situation qu'il juge grave, cAIi b. Yùsuf b. Tàsfïn intervient avec de nombreuses
troupes Sanhàga, Zanâta et autres Berbères. En 515 H, il se présente devant
Cordoue qu'il assiège. Devant la dureté du combat, les Cordouans envoient
une ambassade au souverain pour régler le conflit.
Suite à cette affaire, Abû-1-Walïd b. Rusd demanda à être déchargé de
ses fonctions du cadiquat suprême, ce qui lui fut accordé.
Une interrogation demeure sur la véritable cause de cette révolte
populaire. S'est-il agi d'une histoire de mœurs, comme le suggère le récit
précédent, ou d'une affaire plus complexe de remise en cause des ventes des
biens des Banù cÂmir, des Banû cAbbâd, des Banû Sumàdih dont
l'annulation aurait gravement lésé, au dire d'Ibn Hamdïn, les intérêts du peuple?
Abû-1-Walïd b. Rusd avait traité dans son opuscule intitulé Kitâb al-kafâra,
du caractère licite ou illicite de l'acquisition des biens, du statut des biens
indûment acquis et des diverses fraudes et spoliations rencontrées dans ce
genre de transactions, problèmes ayant causé ces remous politiques.
Ibn al-Hagg" répondit : Ceux qu'Allah a placés à la tête des Musulmans doivent
être vigilants et défendre scrupuleusement le Trésor public (Bayt al-mâl). On ne doit
aucunement réprouver les attributions d'un gouverneur placé par l'émir des
Musulmans à la tête d'un district (mawdic), car elles sont vraisemblablement générales et
toute vente (conclue par lui) est valable, surtout s'il est avéré qu'il se conduit bien et
gouverne comme il faut en étant très ferme en général. Les ventes faites par les
Banû cAbbâd, régulières et conformes aux intérêts du Trésor public, ne peuvent en
aucune façon être annulées d'autant plus qu'elles remontent à bien des années et que
208 PIERRE GUICHARD - VINCENT LAGARDÈRE
personne n'y a fait opposition. Ce qui constitue une preuve déterminante pour qui
possède l'un de ces biens et qui ne saurait être inquiété à ce sujet.
C'est peut-être à cette question qu'ont fait allusion al-cUqaylï et Ibn al-Sayrafï,
en parlant d'Ibn Rusd et autres juristes contemporains, qui, avec lui, ont rendu des
fatwâ/ s à la demande de l'Emir des Musulmans sur les exigences du rite malikite et
de ses adeptes concernant les biens des Banû cÂmir et des Banû Sumâdih; Ibn
Hamdïn écarta d'eux les furieux que réprima l'Emir des Musulmans All b. Yûsuf b.
Tâsfîn. Par la suite, leur innocence apparut dans une longue exposition. (Micyàr,
Fès, VI, 71 ; Rabat, VI, 97-98).
LA MONNAIE
VALENCE XIe siècle. IBN CABD AL-BARR (m. à Jativa en 463 H/ 1071)
Le faqJh Abu cUmar b. cAbd al-Barr a émis une fatwâ au sujet de quelqu'un
qui a loué une maison ou un hammam pour une somme de dirhams du type qui
avait cours parmi les gens au moment du contrat (caqd). Puis on remplaça les
dirhams par d'autres meilleurs que les anciens. Le locataire doit se libérer en pièces
ayant cours au moment de l'échéance (qadâ') et non en pièces ayant cours au
moment du contrat. C'est arrivé ici à Valence, lorsque les dirhams courants mis en
circulation par al-Qaysï, lesquels valaient 6 dinars le mhqâl d'or, ont été changés
pour d'autres pièces dont la valeur est de 3 dinars le mitqâl. Ibn cAbd al-Barr a pris
parti pour la nouvelle monnaie, arguant que le sultan a retiré l'ancienne et interdit
de s'en servir. Or c'est une fatwâ erronée. Abû-1-Walïd al-Bàgï a rendu une fatwâ
selon laquelle tout débiteur ne doit se libérer qu'en monnaie ayant eu cours au
moment du contrat. (Micyâr, Fès, VI, 116; Rabat, VI, 164).
héritiers. Est-ce que l'on peut admettre leurs dires en ce qui concerne la somme
rendue (radd) et exiger du défunt (de la succession) ce qu'il doit aux prisonniers,
alors que cela ne nous est connu que d'après leurs dires? Précisez-nous votre opinion
dans cette affaire — que Dieu vous préserve — en tant qu'appui pour les choses
civiles et religieuses et que vous soyez bénéfiques à l'élite et au peuple des
musulmans.
Il répondit en inversant la question : s'il s'avère que les prisonniers ont emprunté
de l'or de bon aloi et en rendant du moins bon, ils ne seront pas quittes en en
rendant du moins bon, même si l'administrateur qui a consenti le prêt les a acquittés,
car il a donné ce qui ne lui appartenait pas. Tout prisonnier affirmant qu'il a rendu
autant qu'il a pris, ou moins en valeur et plus en nombre de pièces, ne sera pas cru
s'il ne produit de preuve testimoniale à l'appui de son dire. Tout ceci, sous réserve
que la gestion de l'administrateur a été irréprochable, sinon il sera tenu pour
responsable de ce qu'il aura dilapidé. (Micyâr, Fès, VII, 108-109 ; Rabat, VII, 161-162).
Pour les impôts légaux, il y a lieu de distinguer entre ceux dont sont
redevables les Musulmans et ceux qui frappent exclusivement les tributaires.
On doit de même considérer d'une part les impôts sur la propriété mobilière,
exigibles en numéraire ou en nature; d'autre part, ceux qui s'appliquent à
la propriété foncière. Aux termes de la législation religieuse, le musulman
est tenu de s'acquitter d'une aumône légale (sadaqa), en remettant à la
communauté le dixième de ses troupeaux, de ses récoltes et de ses
marchandises. Cette dîme (cusr, ou zakât) concerne les biens meubles.
A cet impôt correspond pour les tributaires de l'Islam, appartenant à
une religion révélée, une taxe personnelle de capitation (gizya), due par
chaque adulte du sexe masculin. D'autre part, les tributaires, dans les
régions passées au pouvoir de l'Islam en vertu d'un traité de capitulation,
conservent l'usufruit de leurs domaines, mais doivent s'acquitter d'un impôt
foncier, le harâg dont le taux est fixé tous les ans. Bientôt s'institue la règle
que le harâg sera dû au fisc, même si les occupants du sol renoncent à leur
statut de tributaires et se convertissent à l'Islam.
Aux impôts légaux s'opposent les taxes illégales. En Andalus elles ont
toujours été fort mal vues. Pour en mieux saisir le sens et le poids
économique, nous pouvons les regrouper sous diverses rubriques. Il y a les droits
de passage, droits de transit, douane, péage, octroi qu'ils soient perçus aux
ports (cusr, hums, zakât cuyûn, curûd al-tigâra), sur les fleuves, à la chaîne
(ma'âsir), sur les routes (rasd, arsâd), à l'entrée des villes ou des funduq
(qabâla). Les droits de vente ou droits de transaction seraient des taxes
levées sur les métiers pour droit d'exercice de profession: lawâzim, malâ-
zim, mazlama, halqa, samsara ... Venons-en aux droits du sol. L'Etat se
considère propriétaire du sol des marchés, que ce soit sùq, qaysâriyya, hân
ou funduq, et le loue aux marchands moyennant une taxe de stationnement
pour vente. Il s'agit d'un impôt sur la terre assimilable au harâg.
SOCIÉTÉ ET ÉCONOMIE DE L'ESPAGNE MUSULMANE 211
On interrogea Ibn cAttâb au sujet d'un percepteur de dîme Cassâr) qui inspectait
à la porte de la ville les Musulmans qui y entraient, scrutait leurs chargements, leurs
marchandises et les provisions qu'ils y introduisaient. Alors qu'il fouillait un homme
en présence d'un groupe de personnes, et qu'il le mettait dans l'embarras, excédé
l'un d'eux lui lance: «Pourquoi le harceler! Tu agissais de la même manière à
Grenade, puis par la suite, je t'ai vu mendier et tu retomberas dans la mendicité, s'il
plaît à Dieu!». Et le percepteur de répondre: «Si j'ai mendié, le Prophète — Dieu
lui accorde son salut et sa bénédiction — en a fait autant». Et il dit aussi: «Si j'ai
été ignorant (ou ignoré?), le Prophète l'a été également». Un groupe de Musulmans
a témoigné à ce sujet contre lui, tandis qu'il niait ce qu'on lui reprochait. Deux
personnes équitables parmi les témoins instrumentaires, se présentèrent chez le cadi.
L'un d'eux rapporta le témoignage d'un autre homme après que le cadi l'ait interrogé
à son sujet. Leurs témoignages étaient justes et équitables. Un homme a affirmé
l'avoir entendu dire à un individu dont il inspectait les bagages: «Paie ce que tu
dois et plains-toi au Prophète !». Le percepteur de dîme nia l'ensemble de ces
accusations. Sommé de se justifier, il n'avança rien pour sa défense. (Micyâr, Fès, II,
254; Rabat, II, 326).
Mon maître Abu cAbd Allah al-Saraqustï fut interrogé au sujet de quelqu'un
qui remet une chose à un courtier pour la vendre aux enchères ; après l'avoir vendue,
le courtier se soustrait à la taxe (ma'gram) dont il partage le montant avec le
marchand (acheteur) et le vendeur de la marchandise. Est-ce que cela leur est permis ou
non? Est-il licite pour quelqu'un de soustraire quelque chose à l'impôt (magârim)l
Explique-nous cela.
Il répondit: On ne fait face aux besoins de défense des marches frontières
musulmanes, dont les habitants sont sans cesse inquiétés par les incursions de
l'ennemi — que Dieu le détruise — et à l'insécurité des routes, que grâce aux taxes des
marchés (magârim al-aswâq) instituées de longue date par les autorités (ahl aï-hall
wa-I-caqd: ceux qui lient et délient) dans ce but, parce que le trésor public (bayt
al-mâl) ne peut faire face à ces besoins. Il convient de les conserver, et de charger
des gens sûrs et de confiance de les percevoir et d'en utiliser convenablement le
produit, auquel cas leur activité est louable, et quiconque les détourne et ne les
utilise pas à bon escient est fraudeur et injuste ; et tel est le cas des gens des souks
qui devraient les payer mais les retiennent et ne les versent pas. (Micyâr, Fès, V, 25 ;
Rabat, V, 32).
8. Harag sur une métairie
Le juriste Abu Ishàq Ibrahim b. Fatûh a été consulté par les gens d'une localité
(qarya), qui avaient prévu pour celui qui exercerait chez eux la fonction d'imam
dans leur qarya un salaire déterminé, dont chacun paierait sa quote-part à égalité.
Trois personnes refusèrent de payer, et s'abstinrent d'accomplir la prière commune
du vendredi avec eux. Doivent-ils être contraints de payer la part qui leur a été
SOCIÉTÉ ET ÉCONOMIE DE L'ESPAGNE MUSULMANE 213
imposée? Cet imam est-il tenu au même titre que les autres habitants du village de
contribuer aux impôts lorsqu'on leur a imposé une contribution étatique (farda
mahzaniya) ou taxe financière (wazïfmâlï) ou non?
Il répondit : Ces trois personnes doivent se conformer aux obligations des autres
habitants de la qarya, car l'établissement d'un imam est une obligation. L'imam doit
percevoir ce qu'ils lui donnent, s'il n'est pas jugé indigne de cet emploi. Quant aux
impôts qui frappent les gens de la qarya, ils lui incombent comme ils leur incombent
à eux-mêmes, puisqu'il fait partie de la population de cette qarya. (Micyâr, Fès, I,
135; Rabat, 1,156).
à Tolède ; elle s'adressa au cadi de la ville Abu Zayd b. al-Hassâ et lui présenta la
clause figurant dans le contrat de mariage, puis prononça la triple répudiation de la
femme épousée par son mari à Calatrava. Le cadi de Tolède en avisa celui de
Calatrava, Muhammad b. Bukayr, qui prononça la séparation d'Ibn al-Gâsil et de
Sams qu'il avait épousée à Calatrava, conformément au message que lui avait adressé
Ibn al-Hassâ à la requête de cAzïza se fondant sur la clause en question. Il lui
enjoignit de prononcer la triple répudiation après lui avoir demandé de s'expliquer
auprès de lui. Le mari s'opposa à cette décision en se fondant sur la répudiation
qu'il avait prononcée contre celle qui invoquait contre lui la clause dont elle était
bénéficiaire. Ensuite il rentra à Tolède et se prévalut auprès du cadi de cette ville
Abu Zayd de l'acte de répudiation qu'il avait fait dresser (contre cAzïza). Il consulta
les juristes sur cet acte. Le temps passa. Certains émirent une fatwâ selon laquelle il
devait faire serment de n'avoir pas cohabité avec cette femme après sa répudiation,
à titre de garantie. Le mari prêta serment sur l'injonction du cadi ; elle confirme son
serment. Il demeura après son serment à Tolède près de deux mois. Mais pendant
ce temps là Sams, à Calatrava, se libérait de son lien matrimonial après avoir produit
au cadi Ibn Bukayr un acte lui accordant ce droit si son époux s'absentait, de son
propre gré ou obligé de le faire, pendant plus de six mois. (Micyâr, Fès, III, 320-
322; Rabat, 111,417^18).
12. Répudiation
13.'
On l'interrogea au sujet d'une femme qui veut consacrer les 200 dinars qu'elle a
reçus en dot, à l'achat d'une maison ou d'une servante ou de tissu d'ameublement.
Son époux l'en empêche, lui disant d'acheter avec cet argent, des vêtements pour
eux deux. Faut-il retenir les dires du mari ou pas ?
Il répondit : Sache que l'obligation pour la femme d'utiliser sa dot en
complaisant à son mari, est une question sans fondement dans la doctrine et qui ne relève
que de la coutume. La plupart des gens s'opposent à nous à son sujet; certains
malikites andalous du temps passé ne rendaient pas de fatwâ/s l'imposant. Mon
opinion en cela, est que la femme ne doit s'imposer en cette matière que les
obligations coutumières les plus répandues. (Micyâr, Fès, VIII, 52; Rabat, VIII, 77-78).
Abu Muhammad b. cAttâb fut consulté sur le cas d'un individu qui vend à sa
femme ou à sa concubine mère, la moitié d'une maison lui appartenant, 150 mitqâls
cabbadides et fait entériner par des témoins instrumentaires qu'il a touché l'intégralité
de cette somme. Il décède. Après sa mort, son frère conteste la validité de cette
opération faisant valoir une contre lettre spécifiant que le vendeur habiterait la
maison vendue jusqu'à sa mort, et un autre acte établissant que le défunt avait de
l'inimitié pour lui; de son vivant il disait que son frère n'hériterait pas le moindre
dirham de lui.
Il répondit : Selon Abu Muhammad b. cAttâb et Asbag b. Muhàmmad (m. 505
H/ 1 1 1 1), si le défunt a bien spécifié qu'il habiterait la maison jusqu'à sa mort, la
vente est nulle ; la femme n'a aucun droit sur la maison, ni sur sa valeur, car il a eu
en vue d'en faire don. (Micyàr, Fès, VI, 57-58 ; Rabat, VI, 79).
Un père pauvre doit à sa femme un salaire d'un quart de dinar (mhqâl) par
mois pour allaiter son enfant; et pour l'entretien de ce dernier et par mois: 1/4
SOCIÉTÉ ET ÉCONOMIE DE L'ESPAGNE MUSULMANE 217
moins 1/16 (de dinar) de farine, 1/8 moins 1/16 (de dinar) d'huile et 3 fagots de
bois ; et pour le vêtir, chaque année : 2 chemises de lin, une douillette et une bande
de lin; et comme literie: une demie couverture, la moitié d'un drap et un petit
matelas de laine dans un berceau, une pièce de cuir pour être mise sur le petit
matelas, un oreiller bourré de laine et une courte pointe bourrée de coton. Ces
dispositions sont fonction de la fortune du père. Selon une opinion de certains,
quiconque répudie une femme qui allaite, lui doit le salaire de l'allaitement et la
vêture du nouveau-né, sans fournir d'huile ou autre choses. Il n'y a pas divergence
sur ce point dans la doctrine et les fatwâ/s sont rendues dans ce sens à Cordoue.
(Micyâr, Fès, IV, 34; Rabat, IV, 44).
17. Réserve d'une chambre par une femme après le mariage de sa fille
On interrogea Abu Muhammad b. Dahhûn au sujet d'une femme qui fait don
à sa fille qui se marie avec son époux, d'une maison dont elle excepte une chambre
où elle demeurera jusqu'à sa mort ; après quoi cette pièce représentant moins du
tiers de l'immeuble fera partie intégrante de celui-ci.
Il répondit : Cette donation est viciée parce qu'elle comporte un aléa. Elle n'est
pas licite, car une donation de ce genre, fondement d'un contrat de mariage est
assimilée à une vente. (Micyâr, Fès, III, 313-314; Rabat, III, 409).
18. Succession
Ibn cAttâb fut consulté sur le cas dibn Sadîqî. Celui-ci a, par testament, attribué
le tiers disponible de sa fortune en faveur de personnes désignées nommément et le
restant à sa concubine mère Salwan dont la part consistait en la maison qu'il habitait
à l'intérieur de la ville de Cordoue. Il a reconnu devoir à un tiers 200 mitqâls. Il
atteste reconnaître la dette de cette somme qui lui a été versée sans engagement
d'affermage. Il a chargé de l'exécution de son testament, sa concubine mère Salwân
et le juriste Muhammad b. Abî Zacbal en leur imposant de consulter le vizir Abû-1-
Waïïd Muhammad b. Gahwar et de ne rien faire sans son avis. Il a, en outre,
désigné comme ses héritiers, sa fille et sa sœur cÀ'isa. (Micyâr, Fès, IX, 297 ; Rabat,
IX, 400).
On lui soumit le cas d'une personne décédée, qui par testament lègue 5 dinars
pour qu'on fasse des récitations (coraniques) hebdomadaires sur sa tombe. Le
légataire ignore ces dispositions. Un récitateur est engagé pour moins de 5 dinars. Faut-
il lui transmettre l'ensemble de la somme ou pas? (Micyâr, Fès, VIII, 48; Rabat,
VIII, 70).
218 PIERRE GUICH ARD - VINCENT LAGARDÈRE
On l'interrogea au sujet d'un quidam qui prend une maison en location pour
un certain temps à raison de 8 grains d'or almoravide par mois. Il entend verser 8
grains valant chacun l/76e de mitqâl au propriétaire qui exige des grains valant
1 / 72e de mitqâl. Il répondit : Le locataire doit au propriétaire un loyer mensuel de
l/9e de mitqâl (c'est-à-dire de 8 grains de 72 au mitqâl conformément à l'exigence
de ce dernier). {Miyâr, Fès, VIII, 197; Rabat, VIII, 316-317).
Ibn Sahl rapporte d'après cAbd Allah b. Mûsâ al-Sârafî que, d'après Ibn
Dahhûn et Ibn al-Saqqâf, il n'est pas permis à quelqu'un de prendre en location à
10 dinars pour un an ou un mois, une maison qu'il achète ensuite 20 dinars avec
exonération du loyer. Ibn Dahhûn ajoute ceci: si l'exonération du loyer est une
condition de l'acte et si le vendeur l'a rétablie après l'établissement de l'acte de
vente, cela est licite. (Micyâr, Fès, VIII, 145-146; Rabat, VIII, 314).
Ibn Rusd fut consulté sur une bourgade (qarya) comprenant un bon nombre de
quartiers (hawâ'ir, pi. de hârat) dont chacun porte le nom d'un groupe (familial?
qawm) et est connu comme étant leur patrimoine et celui de leurs pères. Les
habitants de l'un de ces quartiers sont entrés en contestation avec ceux d'un autre
quartier. Ils revendiquent comme étant leurs, certains biens fonciers et ont décidé
ensemble d'en référer à leurs instances juridiques. Chaque groupe a constitué un
mandataire général, habilité à signer un accord, à désavouer une procédure, à contester
une décision ou à refuser la confiance. Il s'est emparé de l'affaire et de toutes les
attributions contenues dans la procuration générale, en tant que telle.
Chaque mandataire des deux quartiers fit une déposition au nom de son
mandant. Le mandataire des accusés dit au mandataire des demandeurs : «Dis à tes
constituants que s'ils prennent possession de ce qu'ils revendiquent et confirment
cette appartenance par des serments, cela leur sera acquis». Il leur fit contracter un
contrat de libre consentement avec leurs serments, concernant l'attribution de ces
biens. Au moment de prendre possession des biens en litige, les demandeurs
déclarèrent : «Certains sont notre propriété commune, tandis que d'autres appartiennent à
un tel et à son frère un tel, qui ne sont pas en procès avec nous, et n'ont pas donné
SOCIÉTÉ ET ÉCONOMIE DE L'ESPAGNE MUSULMANE 221
On interrogea Ibn Rusd au sujet des habitants d'une localité rurale (qarya) qui
possèdent une canalisation (sàqiya) dont ils utilisent l'eau pour irriguer leur terre,
leurs vergers et jardins, chacun d'eux disposant d'une part déterminée d'eau. La
canalisation traverse une terre appartenant au Sultan et le terrain de l'un d'entre
eux. Chacun d'eux dispose de sa part d'eau certains jours fixés, conformément aux
usages de leurs pères et de leurs aïeux, sans que se soit jamais élevé à ce sujet le
moindre différend. Depuis une dizaine d'années, l'homme qui avait une partie de la
canalisation sur son terrain, entra en rapport avec le Sultan, construisit a novo, un
hammam en contre-bas de la canalisation, alors que pareille installation n'y avait
jamais existé, et l'alimenta avec l'eau de la canalisation. Puis il y établit un moulin,
ouvrant et modifiant la canalisation afin de l'alimenter, alors que cette canalisation
n'était prévue par ses propriétaires que pour canaliser l'eau nécessaire à l'irrigation
de leur terre et de leurs vergers et que l'eau ne parvenait pas auparavant à l'endroit
où est installé le moulin hydraulique. Est-il licite pour cet homme — que Dieu
t'assiste — d'utiliser cette eau pour son hammam et son moulin, amenée par cette
canalisation? Ses associés, usagers de cette séguia, qui sont ses cousins, s'opposent à ce
captage. Le Sultan ignore tout de cette affaire, personne ne l'ayant mis au courant,
bien qu'une partie de la canalisation soit située sur sa terre.
Il répondit : si le propriétaire du hammam n'a pas de droit sur l'eau qui ne fait
que passer sur sa terre pour aller sur d'autres (terres), il ne peut rien en prendre sans
l'agrément des propriétaires, puisque sa source leur appartient. Dieu est garant de
notre réussite (dans cette fatwa). (Micyâr, Fès, VIII, 253-254; Rabat, VIII, 407-408).
On interrogea Ibn Sirâg au sujet d'un bois situé dans les environs de la localité
(qarya) de Qrtba, du district (camal) de Comares (Qamâris) (on penserait à la localité
de Cartama, encore existante, non loin de Malaga, mais Comares se trouve
sensiblement plus à l'est, bien que dans la même région). Il a été haboussé depuis plus de
cent ans au profit de la mosquée située dans la dite qarya. La dite mosquée n'en
ayant jamais retiré le moindre profit, les habitants de la qarya désirent le vendre
pour en affecter le prix à la restauration de la mosquée, prix qui atteint 7 dinars
d'argent à 10 dirhams au dinar. Est-ce que la vente est licite ou pas?
Il répondit : Si ce qui est mentionné est établi, la vente du bois est licite, et l'on
peut en affecter le prix pour subvenir aux besoins de cette mosquée. (Micyâr, Fès,
VII, 103; Rabat, VII, 153).
222 PIERRE GUICHARD - VINCENT LAGARDÈRE
On lui soumit le cas d'un individu qui avait haboussé une part d'un moulin à
huile aux défenseurs de Vélez-Mâlaga contre les chrétiens et un champ à ceux qui la
SOCIÉTÉ ET ÉCONOMIE DE L'ESPAGNE MUSULMANE 223
gardent la nuit et couchent dans ses remparts. Il s'est dégagé de ces biens, les a
remis à un administrateur désigné par lui. Celui-ci les a gérés comme on le lui avait
spécifié et en a conservé la gestion pendant une dizaine d'années, au cours desquelles
il en a perçu les revenus. Mais on ignore s'il en a dépensé quoi que ce soit à son
profit. Vu qu'en ce moment les musulmans (de Vêlez) n'ont besoin ni de défenseurs,
ni de vigiles la nuit, on lui demande d'affecter le produit et les revenus de ces biens
à l'acquisition d'un autre bien dont le revenu serait affecté à la même destination. Il
refuse cela et l'interdit. Il est l'intendant de ces biens par devant la personne qui les
a constitués en habous, comme il est précisé. Faut-il le destituer pour les raisons
mentionnées, lui demander des comptes et lui réclamer l'ensemble des revenus qu'il
a perçus ? Eclaire-nous sur la décision à prendre. {Micyâr, Fès, VII, 98 ; Rabat, VII,
145).
Ibn cAttâb et Ibn Qattân furent consultés au sujet de la vente de la moitié d'un
troupeau de moutons à un prix déterminé, payable à échéances fixes, l'acheteur
s'engageant à faire paître pour le propriétaire l'autre moitié du troupeau pendant
toute la durée du crédit accordé. Après conclusion de la transaction, l'acheteur
SOCIÉTÉ ET ÉCONOMIE DE L'ESPAGNE MUSULMANE 225
accorde au vendeur, que lui-même pourra à son gré exiger le partage du troupeau et
lui verser alors le prix convenu ou le reliquat dont il sera encore débiteur à ce
moment là. Puis le vendeur réclame le partage que refuse l'acheteur et exige alors le
paiement du reliquat de sa créance.
Réponse d'Ibn cAttâb et d'Ibn Qattan : On accordera au vendeur le partage et
l'acheteur sera tenu d'acquitter sur le champ le prix de sa part de mouton et le
reliquat de sa dette. Ibn Sahl dit : «Je réprouve cette fatwâ et la réponse qu'ils y ont
apportée. J'en ai discuté avec Ibn Malik qui estime que l'acheteur ne doit pas
s'acquitter sur le champ du reliquat de sa dette puisque ce n'est pas lui qui a réclamé le
partage des moutons. Je me range à ce dernier avis et entreprends Ibn cAttâb sur sa
réponse. Je finis par le convaincre de dire que l'acheteur ne doit pas s'acquitter sur
le champ du prix, puisque ce n'est pas lui qui a demandé le partage de ce qui lui est
nécessaire. Je convainc aussi Ibn Qattan, mais al-Matîtï approuva la réponse initiale».
Ce que Ibn Sahl estime être une erreur évidente. (Micyâr, Fès, VI, 161-162; Rabat,
VI, 230-231).
On lui soumit le cas d'un berger gardant des moutons et payé à l'année 10
dinars. Au cours de l'année, le propriétaire des moutons vend son troupeau ou
décide d'en prendre soin lui-même. Le berger ne demande pas à ce propriétaire de
lui confier d'autres moutons et le propriétaire des moutons ne lui en propose pas.
Mais il demeure sans travail ou il loue ses services à un autre propriétaire pour le
restant de l'année. L'année étant écoulée ou avant qu'elle ne s'achève, le berger vient
trouver le propriétaire des moutons et lui réclame les 10 dinars. Le propriétaire des
moutons lui rétorque : «II ne te revient que le salaire correspondant à la période où
tu as gardé mes moutons du fait de ton absence le restant de l'année. Tu n'as pas
accompli le travail que je t'avais confié». Il lui versa ce qui correspondait à son
temps de présence chez lui. {Miyâr, Fès, X, 66 ; Rabat, X, 88).
Abu cUmar al-lsbïli a été questionné au sujet d'un propriétaire qui donne une
terre à cultiver en association agricole (muzâraca) contre la moitié de la récolte;
celle-ci est de 5 wasq-s de blé.
Il répondit : En l'espèce nul n'a à verser de zakât pour tout revenu inférieur au
minimum imposable. (Micyâr, Fès, VIII, 92; Rabat, VIII, 142-143).
On l'interrogea sur le cas d'un propriétaire qui remet à des gens une terre
inculte pour qu'ils y cultivent du millet. Ces gens la défrichent, la labourent. Le
propriétaire leur propose de prendre la semence, mais ils refusent de l'accepter. Après
la moisson, les exploitants veulent donner au propriétaire le tiers du millet récolté;
ce dernier les prie d'accepter la semence (qu'il leur avait offerte) et de lui remettre la
moitié de la récolte.
Il répondit: S'il a donné sa terre en métayage, il a droit à la moitié du millet
récolté, après déduction de la semence. (Micyâr, Fès, VIII, 112; Rabat, VIII, 175).
36. Sirka
Le cadi Abû-1-Fadl cIyâd fut interrogé sur quelqu'un qui remet à un autre
individu un bœuf pour labourer sa terre dans sa localité en vue d'une association
(sirka).
Le second (propriétaire de la terre) fournit un autre bœuf, tout le matériel de
labour, et la semence, et travaille de concert avec le propriétaire du premier bœuf.
Après l'achèvement des travaux, celui qui a fourni la semence dit à son associé:
«Rends-moi la moitié du grain que j'ai semé». L'autre refuse et ne lui donne rien.
Fais-nous connaître clairement — que Dieu t'assiste — le licite de cette association.
Il répondit: Toute la récolte revient à celui qui a apporté la semence, mais il
doit défrayer le propriétaire du (premier) bœuf qui a travaillé avec lui. (Micyâr, Fès,
VIII, 105; Rabat, VIII, 164).
Ibn al-Hâgg fut consulté au sujet d'une terre haboussée. Peut-elle être donnée
en bail à complant ?
Il répondit: La terre haboussée ne peut être donnée en bail à complant, car
cela conduit à en distraire une partie. (Micyâr, Fès, VIII, 110; Rabat, VIII, 171).
39. Musâqât
On interrogea Ibn al-Hâgg au sujet d'une femme qui fait don à son mari d'un
bien foncier dans un magsar. Il le donne en bail partiaire (musâqât) par un acte
testimonial, sans le témoignage de sa femme en question. Il excipe d'un autre acte
aux termes duquel il avait la disposition du dit bien et le cultivait.
Il répondit : La donation est valable et le bail partiaire vaut prise de possession.
Le second acte est lui aussi valable ; l'un d'eux suffit. (Micyâr, Fès, IX, 84 ; Rabat,
IX, 125).
228 PIERRE GUICHARD - VINCENT LAGARDÈRE
On interrogea Ibn Rusd sur un champ de blé (zarc) qui subit la gelée alors qu'il
est en herbe, puis la sécheresse. L'exploitant doit-il en payer le loyer (kir&).
Il répondit: Si la sécheresse s'est prolongée au point qu'elle aurait anéanti la
culture si elle avait échappé à la gelée, l'exploitant ne paiera pas de loyer du champ.
(Miyâr, Fès, VIII, 106; Rabat, VIII, 165).
41. Kirà'(b)
Al-Saraqustî fut consulté au sujet d'une terre louée sous réserve qu'en cas de
calamité de toute espèce, le loyer sera diminué. En cas de mauvaise récolte pour une
autre raison que la sécheresse, le préjudice peut-il être supporté par le propriétaire ?
Il répondit : Le locataire de la terre ne doit rien distraire de l'intégralité de son
loyer, si la récolte est compromise par autre chose que la sécheresse, par exemple la
pluie, le froid, les oiseaux ou les sangliers, etc.. Ni en faire subir le préjudice au
propriétaire, qui ne diminuera en rien le loyer à cause de cela. (Micyâr, Fès, V, 208 ;
Rabat, V, 237).
Question posée à Ibn cAttâb et Ibn Qattân au sujet d'une personne décédée. Sa
femme et deux de ses enfants nés d'une autre femme, se saisirent de son héritage.
On attesta qu'ils s'étaient absentés de Cordoue pendant près de trois ans, pour vivre
dans le Levante (Sarq al-Andalus), sans confirmation de témoins instrumentaires.
SOCIÉTÉ ET ÉCONOMIE DE L'ESPAGNE MUSULMANE 231
Sa veuve reconnaît que son époux a laissé à sa mort, dans la maison qu'il habitait
avec elle, 12 paires de meules dressées sur leurs socles (asirratihâ) et que depuis son
décès, remontant à dix mois, elle les a louées moyennant des redevances qu'elle a
perçues. Elle a parfaitement reconnu cela. Se présente alors chez le cadi, un
demandeur qui produit un acte aux termes duquel il a remis à Mufarrag, l'un des fils du
défunt, 10 mitqâls d'or ancien de bon aloi, pour tisser 40 pièces de soie écrue, ayant
chacune 60 motifs, 4 empans de large et 16 coudées de long, et d'une façon convenue
entre eux. Mufarrag" devait exécuter cette création, avec le financement et selon les
normes d'exécution du demandeur. Il dit que Mufarrag ne lui avait pas effectué ce
travail, et demande le remboursement de la somme qu'il lui a versée, par prélèvement
sur la part d'héritage de ce dernier, portant sur les meules et le montant de leur
location perçu par la veuve. Cette dernière fait valoir qu'elle a assumé la dépense
afférente à leur entretien pendant la période où elle en a tiré profit. (Micyâ~r, Fès, X,
66; Rabat, X, 88).
Le fermier (mutaqabbil) d'un moulin qui a été submergé par une inondation,
désire le réparer de ses propres deniers et bénévolement pour parfaire son fermage.
Le propriétaire s'y oppose et désire annuler le contrat.
Il répondit : Le propriétaire aura gain de cause et c'est en ce sens qu'il en a été
jugé à Tolède.
Ibn al-Fahhâr répondit : Le fermier peut procéder à la réparation ; il sera tenu
de verser tout le montant du fermage et, en cas d'expulsion, il sera indemnisé de la
valeur intrinsèque de ce qu'il aura construit. (Micyâr, Fès, VIII, 178; Rabat, VIII,
285).
Les juristes de Cordoue ont été consultés au sujet d'un acte conclu par le sayh
Abu Muhammad b. Dahhûn, dans lequel il est dit : un tel fils d'un tel a pris à ferme
pour deux ans un moulin d'un tel qui en possède une part en propre, le reste
constituant celle de ses deux fils un tel et un tel. Le fermier consent à verser telle
somme aussitôt après conclusion du contrat. Il sait que ce moulin ne fonctionne
qu'en été et chôme en hiver.
Al-Qurasî répondit: le rendement du moulin n'étant pas garanti, le fermage
n'en est pas admis.
Ibn Farag répondit : le fermage est admis et le rendement du moulin est garanti ;
au fermier de le faire produire pendant les mois d'hiver et d'été.
Ibn cAttâb répondit: Un moulin ne peut être affermé en stipulant qu'une
certaine somme sera versée au comptant et d'avance. Le fermage d'un moulin n'est
permis que si son rendement est garanti, s'il n'est pas garanti, cela n'est pas licite du
fait de l'introduction d'un aléa, pas plus que sa location, ni le paiement d'avance.
232 PIERRE GUICHARD - VINCENT LAGARDÈRE
On lui présenta aussi le cas des locataires à ferme des fondouks et des moulins.
Si des fondouks manquent de gens venant s'y faire héberger, et des moulins de blé
apporté pour y être moulu, peut-on considérer cela comme une calamité justifiant
une réduction du loyer à la charge de ceux qui les ont affermés.
Réponse. Si la clientèle des fondouks loués diminue par suite de troubles (Fitna)
ou de l'insécurité des routes, etc.. et si les moulins loués ne fonctionnent guère par
suite d'une mauvaise récolte, etc., il s'agit d'un vice et le locataire peut à sa guise
conserver sa location ou la résilier. S'il ne dit rien en temps voulu, il sera tenu de
payer l'intégralité du loyer et n'en sera dispensé que si la population évacue l'endroit,
les moulins ne fonctionnant plus et les fondouks demeurant vides. Le locataire ne
peut pas, si ses revenus s'amenuisent, déduire de son loyer le manque à gagner de
ses recettes, sans agrément. Il revient donc au fermier de choisir selon ce que nous
avons proposé. (Micyâr, Fès, 304 ; Rabat, 452).
En Andalus, il est de règle que tout travail qui n'est pas de nature
essentiellement agricole ou n'a pas pour objet l'exploitation du sous-sol ou
de la végétation spontanée soit un travail urbain. Ce fait s'explique d'autant
mieux que les villes et les bourgades sont particulièrement nombreuses.
L'agglomération urbaine doit non seulement pourvoir aux besoins de ses
habitants en objets manufacturés et à leur ravitaillement quotidien, mais
aussi servir de lieu d'échange à la population rurale du canton environnant.
C'est pourquoi les descriptions des géographes, si brèves soient-elles, sont
en général axées sur la vocation de chaque ville andalouse à servir de marché
à la région qui l'entoure.
Le commerce des marchandises de vente courante, aussi bien que celui
des objets de luxe et des articles d'exportation, donnaient nécessairement
lieu à une circulation importante entre les diverses régions d'al-Andalus et à
un trafic routier qui ne ralentissait qu'à la mauvaise saison. Le reste du
temps, les convois de bêtes de somme sillonnaient les principales voies de
communication, se dirigeant vers Cordoue et les autres grandes villes ou
vers les ports d'exportation, Algéciras, Malaga et Alméria.
La commandite (qirâd) est une convention en vertu de laquelle un
particulier ou un groupe d'investisseurs confie de l'argent ou des marchandises
à un agent qui l'exploite et restitue ensuite au propriétaire le capital et une
part du bénéfice convenue d'avance, retenant pour rémunération de son
travail le surplus de ce bénéfice ; en cas d'insuccès de l'affaire entraînant une
perte, l'agent n'est en aucune manière tenu de restituer le capital perdu et
ne subit que le préjudice du temps et des efforts prodigués sans résultat
ainsi que le manque à gagner, le capitaliste supportant seul en définitive la
perte financière effective.
234 PIERRE GUICHARD - VINCENT LAGARDÈRE
On le consulta au sujet d'un maître disant à son esclave : «Commerce pour moi
pendant sept ans au bout desquels tu me donneras 50 dinars». Quand l'échéance
approche, il veut récupérer son capital. S'agit-il d'une espèce d'affranchissement
contractuel ou d'une transformation de la redevance due par un affranchi
contractuel ou d'un affranchissement à terme?
Il répondit: Ce genre d'affranchissement relève de deux principes et peut être
décrit de deux manières. Il s'agit là d'un cas typique d'affranchissement à terme. Si
c'est ainsi, le maître ne peut récupérer son capital à l'approche de l'échéance, c'est-à-
dire environ un mois avant elle. (Micyâr, Fès, VIII, 50 ; Rabat, VIII, 74).
Les juristes de Cordoue ont été consultés au sujet d'un quidam soldat Hazima
qui avait vendu un cheval à Seville. Par la suite, l'acheteur le revendit à une autre
personne. Or l'émir Sïr le reconnaît à une marque sur sa cuisse. Il s'en empare par
une fatwâ des juristes.
Ils répondirent à la déclaration de l'acquéreur. Celui-ci gagna Cordoue avec
l'acte d'achat de ce cheval fait au garde (hasaml = al-Hasam désigne la garde
constituée en 464 H/ 1071-1072 par FAmoravide Yûsuf b. Tâsfîn), et le jugement
portant sur l'acquisition de ce cheval. Il ne revendiquait pas le cheval. Le cadi Abu
cAbd Allah b. al-Hâgg s'accorda avec eux pour que le garde en verse le prix de sept
mitqâls. (Micyâr, Fès, IX, 452; Rabat, IX, 585).
On l'interrogea sur le cas de quelqu'un qui ayant acheté deux mudds de blé
pour deux mitqâls moins un quart de mitqâl, verse deux mitqâls au vendeur sans
que ce dernier lui rende la monnaie sur-le-champ.
Il répondit : Pour que la vente de blé soit conclue entre eux, il faut que
l'acheteur verse au vendeur deux mitqâls et que celui-ci lui rende la monnaie d'un quart
de mitqâl. Or l'acheteur lui a versé l'argent et le vendeur ne lui a pas rendu la
monnaie du quart de mitqâl immédiatement, selon ce que tu as mentionné. La vente
est viciée, elle n'est pas licite. L'acheteur doit rendre le blé au vendeur et récupérer
son or. Il ne leur est pas licite à tous deux de conclure cette vente, ni à l'acheteur de
recevoir du blé pour un quart de mitqâl. (Micyâr, Fès, VI, 135-136 ; Rabat, VI, 194).
SOCIÉTÉ ET ÉCONOMIE DE L'ESPAGNE MUSULMANE 235
Le Grand Cadi Abû-1-Qasim b. Sirâg fut confronté au problème posé par des
armateurs dans l'impossibilité de faire naviguer leurs bateaux, faute de trouver des
marins à gages fixes. En Andalus, personne ne voyage à gages. Qui désirait le faire
et engager pour cela du personnel, en tentant de modifier les usages, n'y parviendrait
pas ou difficilement. Ils procèdent actuellement de la façon suivante : on arme des
navires pour des voyages aller et retour; ce que l'on y charge de grain, beurre,
chevaux, mulets, sert à la nourriture de l'équipage qui procède au partage de ce qui
reste, en gardant pour lui une partie, la moitié ou le tiers, l'autre revenant aux
propriétaires du navire. Faut-il interdire cette pratique à cause de l'inconnu qu'elle
renferme ou de l'impossibilité de naviguer à gages fixes? Comment faire, alors que
le pays d'al-Andalus a besoin de blé dont la majeure partie lui parvient par mer.
Beaucoup de gens de bien voudraient armer un navire et participer à ce genre
d'opération, mais en sont empêchés par l'irrégularité du mode de location sus
mentionné. L'état du pays n'échappe à personne, non plus que la nécessité où il est de se
ravitailler de cette façon. Cette manière de procéder ne serait-elle pas moins douteuse
si l'on ne pourvoyait pas à la subsistance des membres de l'équipage, abandon qu'une
augmentation de leur quote-part pourrait compenser?
Il répondit: Si l'affaire est conforme à la description qui en est faite dans la
question, vu la nécessité invoquée, on peut donner un navire en location contre
quote-part de la cargaison, la moitié, le tiers, le quart ou telle autre fraction. Car le
rite de Malik tient compte de l'intérêt général en cas de nécessité inéluctable. (Micyâr,
Fès, VIII, 142-143 ; Rabat, VIII, 224).
54. La commandite
Ibn al-Hagg" — que Dieu lui fasse miséricorde — fut consulté sur une question
de commandite (qirâd) à laquelle il apporta une réponse éclairante. Il répondit par
la formulation suivante: j'ai réfléchi à ta question — que Dieu nous fasse miséri-
236 PIERRE GUICHARD - VINCENT LAGARDÈRE
corde — et j'ai arrêté une décision: Trois modalités vicient un accord de commandite
entre le possesseur du capital et l'agent. La première serait de conclure une
commandite pour un temps limité. La deuxième, de la conclure sans limitation de temps,
mais en stipulant que l'agent qui reçoit le capital ne versera au capitaliste que 2
mitqâls par mois. La troisième porterait sur la stipulation de la part de bénéfice
devant revenir à chacun, avec obligation pour l'agent de verser en sus les deux
mitqâls au capitaliste, ce qui est tout bénéfice pour le détenteur du capital et non de
l'agent. Si la commandite conclue entre eux l'a été sur le premier modèle, elle est
viciée. L'agent y rend une commandite semblable et remet son bien au capitaliste.
La deuxième modalité n'est pas du domaine des commandites viciées, mais interdite
et très condamnable, car elle s'identifie à une location d'or. Elle stipule que l'agent
doit rendre au possesseur du capital l'argent qu'il lui avait confié, tout le profit de
cet argent revenant à l'agent. Quant à la troisième modalité, elle est aussi du domaine
de la commandite viciée, si ce n'est que l'agent rend une commandite semblable à
celle qu'il a reçue et l'ensemble des gains revient au capitaliste. (Micyàr, Fès, VIII,
133; Rabat, VIII, 210-211).