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Textes spirituels d’Ibn Taymiyya.

Nouvelle série
XX. Yazīd, fils de Mu‘āwiya
Il est vrai que le destin n’avait pas favorisé Yazīd. Né après 11/632,
ce n’était pas un Compagnon de Muḥammad. Petit-fils à la fois d’Abū
Sufyān et de Hind bint ‘Utba, non seulement il n’était pas Hāshimite
comme le Prophète et ses descendants mais, beaucoup plus grave pour
d’aucuns, il appartenait à une famille de notables qurayshites ayant
longtemps lutté contre l’Islam naissant et ne s’étant convertie que
juste avant la chute de La Mecque. Prêter allégeance à un tel per-
sonnage, par ailleurs connu pour son amour des filles et du vin4, fut
d’autant plus difficile pour certains qu’il ne manquait pas de candidats
alternatifs au califat, aux titres et mérites plus réels, notamment dans
la descendance directe du Prophète, tel al-Ḥusayn b. ‘Alī. Vu les
susceptibilités religieuses, claniques et, même, régionales – le Hedjaz
et l’Iraq contre la Syrie – un nouveau déchirement de la communauté
était inévitable et se produisit effectivement5.
Comme d’autres ulémas avant lui, le shaykh damascain Ibn
Taymiyya eut à se prononcer sur ces événements dramatiques et leurs
principaux acteurs. Il le fit dans divers fetwas ainsi qu’en d’autres
écrits6. Dans le texte traduit ci-dessous, il s’interroge sur la meilleure
position à adopter au sujet de Yazīd, eu égard à l’histoire comme à la
religion. Il semble avancer dans son propos en trois temps : une
Yazīd devant la tête d’al-Ḥusayn1 typologie des positions des gens concernant ce calife ; puis un examen
Comparé aux vingt années du califat de son père, Mu‘āwiya b. Abī des motifs de ne pas maudire Yazīd, ni de l’aimer, ainsi que de ceux
Sufyān, le règne de Yazīd b. Mu‘āwiya fut bref : de 60/680 à sa mort à de le maudire ou de l’aimer ; enfin, l’évocation autobiographique
moins de quarante ans en 64/683. Ce règne marqua pourtant un d’une conversation sur le sujet avec un général mongol.
tournant dans l’histoire des premiers temps de l’Islam, à plus d’un
égard. D’une part, il consacra la transformation du califat en royauté
héréditaire, Mu‘āwiya ayant organisé lui-même sa succession au profit
de son fils. D’autre part, le massacre d’al-Ḥusayn b. ‘Alī, petit-fils du
Prophète, et de sa famille à Karbalā’ dès l’intronisation de Yazīd
précipita la division de la communauté en proto-Shī‘isme et proto-
Sunnisme. Enfin, l’indifférence avec laquelle l’armée du souverain
syrien, en 63/683, pilla Médine et assiégea La Mecque pour mater la
sécession de ‘Abd Allāh b. Zubayr au Hedjaz préfigura la déchéance Liens familiaux de Yazīd et d’al-Ḥusayn
des deux villes saintes sur le plan politique. Ibn Taymiyya classe les avis des gens sur Yazīd d’une manière qui
Selon l’encyclopédiste égyptien Aḥmad b. ‘Alī al-Qalqashandī lui est familière : la distinction de deux extrêmes opposés, par nature
(m. 821/1418), Yazīd « était brun de peau et de grande taille, avait les déficients, et une via media, plus fidèle à l’Islam7. Les avis d’un
cheveux crépus et de grands yeux d’un beau noir, des marques faites
par la petite vérole sur le visage et une jolie barbe, peu fournie. Il avait
séjourné dans le désert avec sa mère Maysūn, dans la tribu de celle-ci, Mu‘āwiyah. Translated and annotated (Albany: State University of
les Banū Kalb, et avait appris d’eux à bien parler. Il disait de la New York Press, ‘Bibliotheca Persica’, 1990) ; J. E. LINDSAY, Cal-
poésie2. » Les auteurs musulmans classiques sont généralement d’ac- iphal and Moral Exemplar? ‘Ali Ibn ‘Asākir’s Portrait of Yazīd b.
cord sur ce portrait physique de Yazīd, la qualité de sa langue arabe et Mu‘āwiya, in Der Islam, 74, 1997, p. 250-278.
ses dons de poète. Sa personnalité et son comportement, sa foi et sa 4. Le train de vie dissipé du jeune Yazīd était de notoriété publique.
politique font en revanche l’objet des controverses les plus vives et Selon une information rapportée par l’auteur pro-shī‘ite ‘Umar b.
suscitent les jugements les plus tranchés, aujourd’hui comme hier3. Shabba (m. 262/875) au moyen d’une chaîne imparfaite de transmet-
teurs, Yazīd aurait même invité al-Ḥusayn à boire avec lui lors d’une
1. Détail d’un tableau en carreaux de céramique émaillée du couvent rencontre à Médine (en 50/670 ?) ; voir J. E. LINDSAY, Exemplar,
de derviches Moavenalmolk de Kirmānshāh (Iran, XIIIe/XIXe s.). p. 269-272.
Richement vêtu, Yazīd trône devant un trictrac ouvert et deux carafes, 5. « La royauté (mulk) de Mu‘āwiya fut [à la fois] royauté et misé-
signes manifestes de sa vie dissolue. La tête d’al-Ḥusayn est posée sur ricorde. Quand Mu‘āwiya s’en alla – sur lui la miséricorde de Dieu ! –
un plateau près de son genou gauche, symboliquement représentée par et qu’arriva l’émirat de Yazīd, se produisirent* durant celui-ci la crise
un flamboiement. Yazīd est sur le point de la tapoter de la baguette (fitna) du meurtre d’al-Ḥusayn en Iraq et la crise des gens d’al-Ḥarra à
qu’il tient dans la main gauche ; voir M. A. NEWID, Der schiitische Médine. Ils assiégèrent en outre La Mecque, quand ‘Abd Allāh b.
Islam in Bildern. Rituale und Heilige, Munich, Avicenna, 2006, Zubayr se souleva. Yazīd mourut ensuite, et la communauté se divisa :
p. 263. Ce tableau illustre de manière typique la version shī‘ite des Ibn al-Zubayr au Hedjaz, les Banū l-Ḥakam en Syrie, les attaques d’al-
méfaits du calife umayyade après la tragédie de Karbalā’ ; voir aussi, Mukhtār b. Abī ‘Ubayd et d’autres en Iraq ; et cela, durant les derniers
pour comparaison, l’illustration, p. 8 de Y. MICHOT, Textes spirituels temps de l’époque des Compagnons » (IBN TAYMIYYA, MF, t. X,
d’Ibn Taymiyya (Nouvelle série). XIX. Guerre civile (fitan) et refus de p. 356-357). * fa-jarat : wa jarat F
combattre, novembre 2015, sur internet, www.academia.edu ; les illus- 6. Voir notamment les deux fetwas traduits in Y. MICHOT, Textes
trations ci-dessous, p. 4, 8 ; M. A. NEWID, Bildern, p. 259-260, 262. spirituels, N.S. XIX ; IBN TAYMIYYA, MF, t. III, p. 409-414 ; Minhāj al-
2. A. b. ‘A. AL-QALQASHANDĪ, Ma’āthir al-ināfa fī ma‘ālim al- sunnat al-nabawiyya, éd. M. R. SĀLIM, t. IV, p. 472-473, 517-588 ;
khilāfa, éd. ‘A. al-S. A. FARRĀJ, 13 t., Koweit, Maṭba‘at Ḥukūmat al- MF, t. III, p. 409-410.
Kuwayt, 1985, t. I, p. 115-116. 7. Une même classification des positions concernant Yazīd apparaît
3. Voir notamment HOWARD, I. K. A, The History of al-Ṭabarī aussi dans le Minhāj, t. IV, p. 549-550, 553. Sur l’Islam comme
(Ta’rīkh al-rusul wa’l-mulūk). Vol. XIX: The Caliphate of Yazīd b. religion du juste milieu, voir les textes taymiyyens traduits in

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premier type incriminent Yazīd et font de lui un mécréant. Ils l’ac- damascain envisageant une fois de plus les choses selon l’angle défini
cusent d’avoir voulu venger, par le meurtre d’un petit-fils du Prophète, par sa « Règle concernant l’accusation de mécréance » (qā‘idat al-
les membres de sa famille tués par les Musulmans lors de la bataille takfīr) : il n’est pas suffisant d’avoir toutes les raisons d’appliquer une
de Badr et lui attribuent plusieurs vers allant dans ce sens. Pour le norme canonique à un cas particulier ; il faut en outre être capable de
théologien damascain, il s’agit là de la position des Rāfiḍites. À l’op- réfuter toutes les objections qu’il pourrait y avoir à le faire3.
posé, des « exagérateurs » (ghāliya) révèrent Yazīd au point de faire Deuxième point : en se rangeant derrière la position d’Ibn Ḥanbal,
de lui un homme vertueux, un imām juste, un Compagnon ou un Pro- d’al-Maqdisī et d’un de ses aïeux et en déclarant cette position
phète ! Pour Ibn Taymiyya, ces gens sont des égarés et il les situe « modérée », « plus juste » et « meilleure » (ne pas maudire Yazīd et
parmi les Kurdes et les disciples peu fidèles d’un shaykh soufi faisant ne pas l’aimer), Ibn Taymiyya critique implicitement les ulémas
aujourd’hui l’objet d’une vénération toute particulière dans la religion représentant selon lui les deux sous-groupes qui soit maudissent le
yézidie, ‘Adī b. Musāfir (VIe/XIIe s.). deuxième calife umayyade, soit l’aiment. Parmi les noms qu’il cite, il
y a pourtant Abū l-Faraj b. al-Jawzī et Abū Ḥāmid al-Ghazālī, le
premier partisan de maudire Yazīd, le second de l’aimer. Au sein
même de la plus médiane des positions concernant ce calife, c’est
donc dans le sous-groupe central qu’Ibn Taymiyya entend se situer : la
via media de la via media, le juste milieu du juste milieu. Pour ce
faire, il n’hésite pas à prendre ses distances vis-à-vis d’un prédéces-
seur ḥanbalite qu’il apprécie pourtant, Ibn al-Jawzī. Par ailleurs, les
Shī‘ites considérant d’habitude Ibn Taymiyya comme leur pire
adversaire et le vouant aux gémonies4, l’observateur impartial se de-
mandera si ces titres d’infamie ne devraient pas plutôt revenir à al-
Ghazālī, chaud partisan de Yazīd ainsi que noté par Ibn Taymiyya et
confirmé par le fetwa de l’ « Argument de l’Islam » (ḥujjat al-islām)
dont on trouvera la traduction en appendice.
Sanctuaire yézidi du shaykh ‘Adī à Lālish (Kurdistan iraqien)1 Le shaykh damascain souligne lui-même l’importance d’un dernier
point : « ce qu’il y a à réellement saisir », explique-t-il, est que la
À la différence de ces deux positions « vaines » ne se rattachant à
décision de maudire Yazīd ou tout Musulman pécheur, de les aimer,
aucune des autorités sunnites reconnues, la via media prônée par Ibn
ou de ne faire ni l’un ni l’autre, est laissée à tout un chacun. Elle peut
Taymiyya allie modération et réalisme historique : Yazīd fut un roi et,
en effet faire l’objet d’interprétations variées, résulter de divers efforts
comme tous les rois, eut de bons et de mauvais côtés. Les partisans
de réflexion canonique (ijtihād). Il peut même arriver qu’un individu
d’une telle position peuvent alors être divisés en trois sous-groupes :
soit à la fois à louer et à blâmer, ou que, de points de vue différents,
des gens qui maudissent Yazīd (ou l’insultent), des gens qui l’aiment,
on invoque Dieu pour et contre lui. De cette prise en compte réaliste,
et des gens qui ne font ni l’un ni l’autre2. Ces derniers comptent non
et indulgente, de la complexité du vécu des hommes découle selon Ibn
seulement Ibn Ḥanbal et Abū Muḥammad al-Maqdisī mais un aïeul
Taymiyya la coutume sunnite de prier pour tous les défunts musul-
d’Ibn Taymiyya même. Leur position modérée lui semble « la plus
mans, qu’ils soient pieux ou dépravés, et l’idée qu’ils finiront par
juste et la meilleure ».
arriver tous en paradis. Et le théologien de conclure cette deuxième
Reste alors au théologien à énoncer les motifs que les tenants de partie de son exposé en redisant qu’à toutes choses égales, s’abstenir
chacun des trois sous-groupes distingués ont de se situer comme ils le de maudire et d’aimer est une position « plus médiane et plus juste ».
font vis-à-vis de Yazīd. Il s’y emploie dans la deuxième partie de son
Dans un passage autobiographique de sa Risāla Qubruṣiyya5, Ibn
exposé en commençant par les derniers – et meilleurs – d’entre eux :
Taymiyya rappelle brièvement comment, durant l’occupation mongole
ceux qui ne maudissent pas Yazīd ni ne l’aiment. On pourra lire dans
de Damas en 699-700/1300, il obtint du général tatar Būlāy (ou, aussi,
la traduction le détail de ces motifs et on se contentera ici de mettre
« Moulaï », « Būlayh », etc.) la libération de captifs musulmans et
trois points en exergue.
chrétiens. Que la conversation entre le théologien et le chef mongol
Il y a d’abord la différence qu’Ibn Taymiyya fait entre malédiction concerna en outre la religion, dont la question de la malédiction de
générale et malédiction d’un individu particulier. Entre maudire Yazīd, est rapporté par divers historiens de leur époque tels le syrien
l’ivrognerie et maudire un ivrogne d’identité précise (mu‘ayyan), sans Quṭb al-Dīn Abū l-Fatḥ Mūsā l-Yūnīnī (m. Ba‘labakk, 726/1326),
aucune autre considération, il y a un pas que des traditions du l’égyptien Abū Bakr b. al-Dawādārī (m. après 736/1335), le copte
Prophète découragent de franchir. Le théologien envisage alors les Mufaḍḍal b. Abī l-Faḍā’il (m. après 658/1259), et un auteur Z,
choses sous l’angle plus large de la différence à faire entre condamner anonyme, dont la chronique s’arrête en 709/13096.
la malfaisance en général et envoyer un malfaiteur concret en enfer.
« Il se peut en effet, » précise-t-il en une expression quelque peu
scolatisque mais remarquablement idoine, « que ce qui est exigé 3. Sur cette règle fondamentale de la pensée d’Ibn Taymiyya, trop
manque à l’appel de ce qui l’exige du fait d’une opposition souvent ignorée par maints orientalistes ou Shī‘ites comme dans l’isla-
prépondérante. » En d’autres termes, la mise en œuvre d’un jugement misme radical se réclamant indûment de lui, voir Y. MICHOT, Textes
de type absolu, son application à un cas concret, ne sont pas des spirituels, N.S. XIX, p. 1, et les références y données, n. 2.
processus mécaniques, automatiques, mais peuvent être rendues 4. Voir Y. MICHOT, Ibn Taymiyya’s Critique of Shī‘ī Imāmology.
invalides par une série d’autres paramètres devant immanquablement Translation of Three Sections of his Minhāj al-Sunna, in The Muslim
aussi être pris en considération. Et Ibn Taymiyya d’identifier certains World, 104/1-2, jan. - avril 2014, p. 109-149 ; p. 109-110.
de ces paramètres : le repentir, les bonnes œuvres, des malheurs 5. Voir Y. MICHOT, IBN TAYMIYYA. Lettre à un roi croisé (al-Risālat
expiatoires, des intercessions… Voilà donc le théologien-mufti al-Qubruṣiyya). Traduction de l’arabe, introduction, notes et lexique,
Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia - Lyon, Tawhid, « Sagesses
Y. MICHOT, Pages spirituelles II et, plus généralement, IBN TAYMIYYA. musulmanes, 2 », 1995, p. 174-175.
Against Extremisms. Texts translated, annotated and introduced. With 6. Sur ces quatre historiens, voir D. P. LITTLE, An Introduction to
a foreword by Bruce B. LAWRENCE, Beyrouth - Paris, Albouraq, Ṣafar Mamlūk Historiography. An Analysis of Arabic Annalistic and Bio-
1433 / janvier 2012. graphical Sources for the Reign of al-Malik an-Nāṣir Muḥammad ibn
1. La tombe du shaykh ‘Adī est sous la pyramide centrale, celle du Qalā’ūn, Wiesbaden, Fr. Steiner, « Freiburger Islamstudien, II »,
shaykh Ḥasan (voir infra, p. 5, n. 4) sous la pyramide de droite ; voir 1970, p. 10-24, 32-38, 57-61. Les éditions utilisées pour les quatre
R. KHODABAKHSH, Pilgrimage to Lalesh, novembre 2008, sur www. textes sont, dans l’ordre : LI GUO, Early Mamluk Syrian Historio-
peacock-angel.org/lalish.pilgrimage.htm. graphy. Al-Yūnīnī’s Dhayl Mir’āt al-zamān, 2 t., Leyde, E.J. Brill,
2. Sur ces sous-groupes, voir aussi IBN TAYMIYYA, MF, t. III, p. 413. « Islamic History and Civilization: Studies and Texts, 21 », 1998, t. I,

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Les récits que ces quatre sources offrent des échanges entre Ibn
Taymiyya et Būlāy comportent diverses variantes qu’il n’y a pas lieu
de détailler ici. Les plus circonstanciés, ceux d’al-Yūnīnī et de l’auteur
Z, sont eux-mêmes lacunaires en un endroit mais peuvent heureu-
sement être complétés grâce à Ibn al-Dawādārī. Voici la traduction de
la version, restaurée, de l’auteur Z :
« Le jeudi [2 Rajab 699 / 24 mars 1300], le shaykh Taqī al-Dīn [Ibn
Taymiyya] se rendit au camp de Būlāy à cause des captifs, pour les
libérer, [Būlāy] ayant avec lui beaucoup de monde. [Ibn Taymiyya]
resta auprès de lui durant trois nuits. Būlāy s’entretint aussi avec le
shaykh Taqī al-Dīn au sujet de Yazīd b. Mu‘āwiya, [en lui demandant]
notamment :
– Est-il obligatoire de l’aimer ou de le haïr ?
– Nous ne l’aimons pas ni ne le haïssons, lui dit Taqī al-Dīn.
– Il est obligatoire de le maudire ! dit [Būlāy].
Le shaykh réalisa qu’il y avait chez [Būlāy] du sectarisme1 et il lui Tombeaux de Compagnons et de membres de la famille du Prophète,
parla donc de manière à ce qu’il reste de bonne humeur. Damas, cimetière de Bāb al-Ṣaghīr5
– Ces gens de Damas, dit [Būlāy], ce sont eux qui ont tué al- Dans la Risāla Qubruṣiyya, Ibn Taymiyya ne dit rien de la com-
Ḥusayn ! posante religieuse de ses entretiens avec Būlāy. Il l’aborde par contre
Le shaykh lui dit que nul d’entre les gens de Damas n’avait été avec un certain détail dans la dernière partie du présent texte, sous la
présent au meurtre d’al-Ḥusayn et qu’al-Ḥusayn avait été tué dans le forme d’un dialogue.
territoire de Karbalā’, en Iraq. Un premier intérêt de la chose est de fournir un terminus post quem
– C’est exact, dit [Būlāy]. Les Umayyades étaient des califes de ce de la rédaction de cet écrit : Rajab 699 / mars 1300, date des entretiens
bas-monde et ils aimaient habiter la Syrie2 ! du théologien et du général mongol. Ceci pourrait paraître de peu
– {Et qu’est-ce que cela a à voir avec les meurtriers d’al-Ḥusayn ? d’importance. Vu l’imprécision dont souffre encore la chronologie de
dit le shaykh. Cette Syrie est encore une terre bénie et le pays (maḥall) la plupart des écrits taymiyyens, chaque avancée, toute minime soit-
des Amis [de Dieu] et des vertueux, après [avoir été celui des] elle, est bienvenue.
Prophètes – sur eux les prières de Dieu ! Un second intérêt est relatif à la manière dont al-Yūnīnī, Ibn al-
Le shaykh ne cessa pas [de parler d’une manière] telle que} la Dawādārī, Ibn Abī l-Faḍā’il et l’auteur anonyme Z rapportent le
colère3 de [Būlāy] contre les gens de Syrie s’apaisa. Il mentionna qu’il contenu de l’échange Ibn Taymiyya - Būlāy concernant Yazīd. Chez
était d’origine musulmane et du Khurāsān. Beaucoup de paroles furent Ibn al-Dawādārī et Ibn Abī l-Faḍā’il, le début de cet échange est ainsi
échangées entre lui et le shaykh4. » résumé : « Moulaï s’entretint avec le shaïkh au sujet de Yazid, fils de
Mo‘awiya ; il lui demanda s’il convenait de faire suivre son nom de la
formule : « Qu’Allah le maudisse ! », ou non6. » En introduisant le
p. 163-164 ; t. II, p. 124 (sigle Y) ; IBN AL-DAWĀDĀRĪ, Kanz al-Durar thème de l’amour et de la haine de Yazīd avant la question de sa
wa Jāmi‘ al-Ghurar. IX : al-Durr al-Fākhir fī Sīrat al-Malik al-Nāṣir malédiction, le récit de l’auteur Z traduit plus haut et celui d’al-
- Die Chronik des Ibn ad-Dawādārī. Neunter Teil : Der Bericht über Yūnīnī, bien que lacunaires par la suite, s’avèrent mieux informés que
den Sultan al-Malik an-Nāṣir Muḥammad Ibn Qala’un. les deux autres historiens. « Nous n’insultons pas Yazīd ni ne
Herausgegeben von Hans Robert ROEMER, Le Caire, Sami al-Khandji, l’aimons » : telle est en effet la réponse que, dans le présent texte, Ibn
« Deutsches Archäologisches Institut Kairo. Quellen zur Geschichte Taymiyya écrit avoir apportée à la première question de Būlāy.
des Islamischen Ägyptens, 1 i », 1960, p. 36 (sigle D) ; IBN ABĪ L- Ce que le shaykh damascain rapporte de sa conversation sur Yazīd
FAḌĀ’IL, Mufaḍḍal, Histoire des Sultans Mamlouks. Texte arabe avec le général mongol illustre fidèlement les idées développées dans
publié et traduit par E. BLOCHET, in R. GRAFFIN & F. NAU (éds), les deux premières parties du texte traduit ci-dessous, en reprend
Patrologia Orientalis, Paris, Firmin-Didot, t. XIV, 1920, p. 668-669 certains traits et n’y ajoute qu’un double élément : une confirmation
(sigle M ; aussi in Y. MICHOT, Roi croisé, p. 174, n. 24) ; K. V. de son amour – d’ailleurs obligatoire – pour la famille du Prophète et
ZETTERSTÉEN, Beiträge zur Geschichte der Mamlūkensultane in den une condamnation de quiconque en haïrait les membres.
Jahren 690–741 der Higra, nach Arabischen Handschriften heraus- Quant aux questions de Būlāy, elles trahissent un parti pris
gegeben, Leyde, E.J. Brill, 1919, p. 78-79 (sigle Z). résolument pro-shī‘ite de la profondeur duquel Ibn Taymiyya lui-
1. walā’ ZY : muwālāt DM. E. Blochet (M, p. 668) traduit erroné- même semble avoir été surpris. À une tierce personne, non identifiée,
ment « Le shaïkh comprit que Moulaï était bien disposé pour lui ». il écrit en effet avoir demandé la raison de l’intérêt du général pour
Une erreur similaire apparaît dans la traduction de la version D de Th. Yazīd « alors que c’est un Tatar ». La réponse fournie, à savoir que
RAFF, Remarks on an anti-Mongol Fatwā by Ibn Taimīya, publication Būlāy avait entendu parler d’une hostilité des habitants de Damas
privée, Leyde, 1973, p. 25 : « The Sheikh then realized that there was envers ‘Alī, ne fut assurément pas la raison principale du conflit de
goodwill withim him. » Comme muwālāt, walā’ a ici le sens de « fidé- 699/1299-1300 entre l’īlkhān Ghāzān et le sultanat mamlūk. Elle
lité », « allégeance », « dévotion » à des convictions ; d’où « secta- mériterait cependant d’être notée dans la mesure où elle pourrait
risme ». ajouter à ce conflit une coloration confessionnelle intra-musulmane.
2. Cette remarque du général tatar se veut négative ainsi que bien D’un point de vue historique aussi bien que théologique, ces pages
perçu par Th. RAFF, Remarks, p. 26, dans sa traduction de D : « Cor- taymiyyennes sont passionnantes. Contre les affabulations et les
rect. The Omayyads were the caliphs of worldliness and they used to
cherish the inhabitants of Syria ! »
3. ghayẓu-hu M ap. cr. Y : ghayḍu-hu Z ghaḍabu-hu D Remarks, p. 25-26 ; J. CALMARD, Le chiisme imamite sous les ilkhans,
4. K. V. ZETTERSTÉEN, Beiträge, p. 78-79. Le passage entre {} est in D. AIGLE (éd.), L’Iran face à la domination mongole, Téhéran,
l’extrait de D utilisé pour combler la lacune de Z, qui a seulement Institut Français de Recherche en Iran, « Bibliothèque iranienne, 45 »,
« … ils aimaient habiter la Syrie, celle-ci étant la contrée des Pro- 1997, p. 261-292 ; p. 281 ; D. AIGLE, The Mongol Invasions of Bilād
phètes et des savants. La colère… » MY sont semblables à Z. al-Shām by Ghāzān Khān and Ibn Taymīyah’s Three “Anti-Mongol”
Depuis la traduction de M par E. Blochet en 1919, ce sont cette Fatwas, in Mamlūk Studies Review, XI/2, Chicago, 2007, p. 89-120 ;
version ou la version D de l’entretien Ibn Taymiyya - Būlāy qui appa- p. 106.
raissent surtout reprises ou évoquées dans les études concernant 5. Photo Y. Michot, été 2010.
l’occupation de Damas en 699-700/1300 ; voir notamment Th. RAFF, 6. M, trad. Blochet, p. 668 ; voir aussi D, p. 36.

— 3 —
calomnies de mollahs aussi ignares et fanatiques qu’avides de gains de son [grand]-oncle maternel al-Walīd b. ‘Utba8 et d’autres
faciles, contre les simplismes et les caricatures de nouveaux orienta- d’entre ceux que les Compagnons du Prophète – Dieu prie sur
listes plus soucieux de gloriole médiatique que de rigueur académique,
ces pages confirment une fois de plus la modération avec laquelle leur lui et lui donne la paix ! – avaient tués par la main de ‘Alī b.
auteur approche certaines des questions les plus controversées de Abī Ṭālib9 et d’autres le jour de Badr10 et en d’autres [occa-
l’histoire religieuse de l’Islam et sa volonté d’unir plutôt que de sions]. « C’étaient là, » dirent-ils, « des haines remontant à
diviser. Les quelques lignes par lesquelles le shaykh damascain Badr et des vestiges de l’Âge de l’ignorance » et il déclamèrent,
termine un autre texte concernant Yazīd auraient aussi pu lui servir de [en parlant] pour lui :
conclusion aux pages ici présentées : « Il est obligatoire d’être bref à
ce sujet et d’éviter de mentionner Yazīd b. Mu‘āwiya, [d’éviter] aussi Quand ces palanquins apparurent et qu’au dessus des col-
de mettre les Musulmans à l’épreuve (imtiḥān) à son propos. Ceci est lines de Jayrūn11 surgirent12 ces têtes,
en effet d’entre les innovations allant à l’encontre des gens de la Un corbeau croassa. « Que tu te lamentes ou non, » dis-je,
Sunna et de la communion (jamā‘a). À cause de cela, des gens d’entre « voilà remboursées les dettes qu’avait envers moi le Pro-
les ignorants croient en effet que Yazīd b. Mu‘āwiya est d’entre les phète13. »
Compagnons et qu’il est d’entre les plus grands des vertueux et les
imāms de la justice ; or c’est une erreur manifeste1. » [Ces gens] disent aussi que [Yazīd] cita le poème qu’Ibn al-
Zab‘arī14 avait déclamé le jour d’Uḥud15 :
Ah, si mes aînés de Badr avaient vu la frayeur des Khazraj16
quand les pointes des lances s’abattirent. [482]
Nous tuâmes un grand nombre de leurs aînés, l’ajustant au
[nombre de nos tués] de Badr, et justice fut faite.
et d’autres choses de ce genre…
Dire de telles choses est aisé pour les Rāfiḍites17 qui traitent
Abū Bakr18, ‘Umar1 et ‘Uthmān2 de mécréants et [pour qui]
of Muḥammad. Translation with Introduction and Notes by A. GUIL-
LAUME, Londres, Oxford University Press, 1955, p. 299, 337. Yazīd
est son arrière-petit-fils par sa grand-mère paternelle Hind bint ‘Utba ;
voir l’arbre généalogique ci-dessus, p. 1.
7. Shayba b. Rabī‘a (m. 2/624), frère de ‘Utba, qurayshite païen tué
par Ḥamza b. ‘Abd al-Muṭṭalib en combat singulier à Badr ; voir IBN
ISḤĀQ, Sīra, trad. GUILLAUME, Life, p. 299, 337.
8. Al-Walīd b. ‘Utba b. Rabī‘a (m. 2/624), fils de ‘Utba, qurayshite
païen tué par ‘Alī en combat singulier à Badr ; voir IBN ISḤĀQ, Sīra,
Yazīd devant le coffret contenant la tête d’al-Ḥusayn2 trad. GUILLAUME, Life, p. 299, 337.
9. ‘Alī b. Abī Ṭālib, cousin et gendre du Prophète, un des premiers
TRADUCTION3 Musulmans, quatrième calife (r. 35/656-40/661) et premier imām du
Trois approches de Yazīd Shī‘isme duodécimain, notamment célèbre pour sa bravoure lors des
Le Shaykh de l’Islam – Dieu lui fasse miséricorde ! – a dit [ce batailles menées par le Prophète ; voir L. VECCIA VAGLIERI, EI2, art.
qui suit]. Les gens se sont divisés en trois groupes au sujet de ‘Alī b. Abī Ṭālib ; Y. MICHOT, Textes spirituels, N.S. III, p. 5-6.
10. Badr Ḥunayn, au S.-O. de Médine, lieu de la première grande
Yazīd4, le fils de Mu‘āwiya b. Abī Sufyān : deux [groupes] des
bataille entre le Prophète et les Mecquois, en Ramaḍān 2 / mars 624.
extrémités et un groupe médian. 11. Nom du fondateur légendaire de Damas ou de la ville elle-
Un des deux groupes des extrémités a dit que [Yazīd] était un même ; voir YĀQŪT (m. 626/1229), Buldān, t. II, p. 231-232 ; n° 3407.
mécréant, un hypocrite, et qu’il avait entrepris de tuer le petit- 12. ashraqat : ashrafat F
fils5 du Messager de Dieu par vindicte à l’encontre du Messager 13. Diverses sources anciennes et modernes, shī‘ites et autres, affir-
de Dieu – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – et comme ment que Yazīd récita ces vers en voyant arriver à Damas les mem-
revanche à son encontre, pour venger le sang de son [arrière]- bres de la famille d’al-Ḥusayn faits prisonniers à Karbalā’. Il en existe
diverses versions ; voir notamment Muḥammad Bāqir AL-MAJLISĪ
grand-père ‘Utba6, du frère de son [arrière]-grand-père Shayba7, (m. 1110/1698), Biḥār al-anwār, 111 t., Beyrouth, Mu’assasat al-
Wafā’, 1403/1983 ; t. XLV, p. 199 ; ‘Abd al-Razzāq AL-MUQARRAM
1. IBN TAYMIYYA, MF, t. III, p. 414 (sigle F). (m. 1391/1971), Maqtal al-Ḥusayn - Martyrdom Epic of Imām al-
2. Extrait du film de Bāsil al-Khaṭīb, Mawkib al-ibā’ - The Caravan Ḥusayn. Translated from the Arabic and Edited by Y. T. AL-JIBOURI,
of Pride (Syrie, 2005) ; sur internet : www.youtube.com/watch?v=z3I Talee, 2014, p. 603.
AwNElF-A. 14. ‘Abd Allāh b. al-Zab‘arī b. Qays… al-Sahmī, poète de Quraysh
3. IBN TAYMIYYA, MF, éd. IBN QĀSIM, t. IV, p. 481-488. opposé au Prophète et devenu musulman après la conquête de La
4. Yazīd b. Mu‘āwiya, deuxième calife umayyade (r. 60/680-64/ Mecque ; voir IBN AL-ATHĪR, Usd, t. III, p. 159-160.
683), au début du règne de qui al-Ḥusayn et sa famille furent mas- 15. Mont juste au Nord de Médine, site d’une victoire des Mecquois
sacrés à Karbalā’ ; voir G. R. HAWTING, EI2, art. Yazīd (Ier) b. sur les Musulmans en 3/625, un peu moins d’un an après leur défaite
Mu‘āwiya ; Y. MICHOT, Textes spirituels, N.S. III, p. 6. de Badr ; voir C. F. ROBINSON, EI2, art. Uḥud ; le poème d’Ibn al-
5. À savoir al-Ḥusayn b. ‘Alī, petit-fils du Prophète par sa mère Za‘barī est cité par IBN ISḤĀQ, Sīra, trad. GUILLAUME, Life, p. 408.
Fāṭima bint Muḥammad et troisième imām shī‘ite (Médine, 4/626 - 16. Une des deux tribus principales de Médine, ayant composé avec
Karbalā’, 61/680). Il s’opposa à Yazīd et fut massacré avec sa famille ; l’autre tribu – les Aws –, les Auxiliaires (anṣār) du Prophète ; voir
voir L. VECCIA VAGLIERI, EI2, art. (al-)Ḥusayn b. ‘Alī b. Abī Ṭālib ; W. MONTGOMERY WATT, EI2, art. al-Khazradj.
Y. MICHOT, Textes spirituels, N.S. III, p. 6. 17. Appellation péjorative des Shī‘ites refusant les trois premiers
6. ‘Utba b. Rabī‘a (m. 2/624), qurayshite païen du clan des Banū califes.
‘Abd Shams tué à Badr par ‘Ubayda b. al-Ḥārith ; voir IBN ISḤĀQ 18. Le premier calife (r. 11/632-13/634), surnommé « le véridique »
(Médine, c. 85/704 - Baghdād, 151/768), Sīrat Rasūl Allāh - The Life (ṣiddīq) ; voir W. MONTGOMERY WATT, EI2, art. Abū Bakr.

— 4 —
traiter Yazīd de mécréant est donc encore beaucoup plus aisé ! Shaykh ‘Adī était des Banū Umayya6 et c’était un homme
Le deuxième groupe, à l’extrémité [opposée], est d’opinion vertueux, dévot (‘ābid), éminent. Il n’a pas été retenu à son
que [Yazīd] était un homme vertueux, un imām de justice, et sujet qu’il ait invité [les gens] vers autre chose que la Sunna
[affirme] que c’était un des Compagnons nés à l’époque du dont d’autres que lui parlaient, tel le shaykh Abū l-Faraj al-
Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! –, que celui-ci Maqdisī7. Son credo correspondait en effet au credo de ce
avait porté de ses deux mains et qu’il avait béni. Certains dernier. [Les gens], cependant, ajoutèrent à la Sunna des choses
d’entre eux lui reconnaissent parfois plus d’éminence qu’à Abū mensongères et égarées : des ḥadīths inventés et du vain assi-
Bakr et à ‘Umar. Parfois aussi certains d’entre eux font-ils de milationnisme (tashbīh) [de Dieu aux créatures], de l’exagéra-
lui un Prophète. Ils disent, [en parlant] pour le Shaykh ‘Adī3, ou tion au sujet du shaykh ‘Adī8 et de Yazīd, de l’exagération dans
pour le Ḥasan mis à mort4 – mensongèrement en ce qui le le dénigrement des Rāfiḍites – [l’idée] que leur repentir serait
concerne –, que les visages de septante Amis [de Dieu] se inacceptable – et d’autres choses.
détournèrent de la qibla du fait de leur réserve (tawaqquf) vis- Chacune de ces deux positions (qawl) apparaîtra d’une nature
à-vis de Yazīd. vaine à quiconque possède les moindres intelligence et savoir
Voilà ce que disent les exagérateurs (ghāliya) d’entre les des affaires et des biographies de nos devanciers. Voilà pour-
‘Adawīs5, les Kurdes et leurs pareils d’entre les égarés. Le quoi [ces positions] ne sont attribuées à aucun des savants
reconnus de la Sunna, ni à aucune personne possédant de
1. Le second calife (r. 13/634-23/644), à l’origine de la première
l’intelligence, parmi les hommes d’intelligence ayant un avis et
expansion territoriale de l’Islam, assassiné par un Chrétien ; voir de l’expertise. [483]
G. LEVI DELLA VIDA & M. BONNER, EI2, art. ‘Umar (I) b. al-Khaṭṭāb. La troisième position9 est que [Yazīd] fut un roi, d’entre les
2. ‘Uthmān b. ‘Affān, le troisième calife (r. 23/644-35/656), assas- rois des Musulmans, avec de bonnes œuvres et des mauvaises10.
siné pour raisons politiques ; voir G. LEVI DELLA VIDA & R. G.
KHOURY, EI2, art. Uthmān b. ‘Affān.
3. ‘Adī b. Musāfir al-Umawī l-Hakkārī (m. c. 557/1162), shaykh alors, que ni Dieu ni Son Messager n’aiment » (IBN TAYMIYYA, MF,
mystique pour qui Ibn Taymiyya a beaucoup d’estime ; voir A. S. t. III, p. 410). * ‘Adī b. Musāfir, non pas son deuxième successeur,
TRITTON, EI2, art. ‘Adī b. Musāfir. « Le shaykh ‘Adī – Dieu sanctifie ‘Adī b. Abī l-Barakāt (m. 618/1221).
son esprit ! – était d’entre les plus éminents des serviteurs vertueux de Dans mon Against Extremisms, p. 21-22, n. 3, la traduction anglaise
Dieu et les plus grands des shaykhs suivant [la voie prophétique]. Il d’une phrase de ce passage – « About shaykh Ḥasan… say about
avait, en fait d’états [spirituels] purs et de hauts mérites, des choses Yazīd » – doit être corrigée en : « About shaykh Ḥasan b. ‘Adī, they
bien connues des gens qui possèdent la connaissance de telles relate [that he used to say] this: “[Yazīd] was such and such a Friend
[choses]. Dans la communauté, il [jouit] d’une grande célébrité et on [of God] and those who waver about him will be held over the Fire
se souvient de lui comme étant une langue véridique. Dans le credo because of what they say about him.” »
qui est préservé de lui, il ne se détacha pas du credo des shaykhs qui 6. C’est-à-dire un Umayyade ; voir l’arbre généalogique, p. 1.
l’avaient devancé et sur le chemin de qui il cheminait, tel le shaykh, 7. Abū l-Faraj ‘Abd al-Wāḥid b. Muḥammad… al-Anṣārī l-Shīrāzī,
l’imām vertueux, Abū l-Faraj ‘Abd al-Wāḥid b. Muḥammad b. ‘Alī l- ou al-Maqdisī (m. Damas, 486/1093), juriste ḥanbalite. Il étudia à
Anṣārī de Shīrāz, puis de Damas, et tel le Shaykh de l’Islam al- Baghdād avec le cadi Abū Ya‘lā b. al-Farrā’, habita Jérusalem puis
Hakkārī et leurs semblables » (IBN TAYMIYYA, MF, t. III, p. 377) ; voir s’établit à Damas ; voir Kh. D. AL-ZIRIKLĪ, A‘lām, t. IV, p. 177 ;
aussi les références bibliographiques données in Y. MICHOT, Against Y. MICHOT, Against Extremisms, p. 21, n. 3.
Extremisms, p. 21-22, n. 3. 8. Le shaykh ‘Adī b. Musāfir est considéré par les Yezidis comme le
4. Ḥasan b. ‘Adī b. Abī l-Barakāt b. Ṣakhr b. Musāfir, troisième principal réformateur de leur religion et dit être de nature divine. Sa
successeur du shaykh ‘Adī b. Musāfir, exécuté en 651/1254 par le tombe à Lālish (Kurdistan) est leur plus important lieu-saint. Voir les
souverain de Mossoul, Badr al-Dīn Lu’lu’ ; voir Y. MICHOT, Against références bibliographiques in Y. MICHOT, Against Extremisms, p. 21,
Extremisms, p. 22, n. 3. n. 3, et l’illustration supra, p. 2.
5. Les disciples du shaykh ‘Adī b. Musāfir. Ibn Taymiyya est 9. C’est-à-dire la position « médiane » du début du texte.
conscient de la mutation de l’enseignement du shaykh ‘Adī b. Musāfir 10. « [Yazīd] fut un roi d’entre les rois des Musulmans, comme le
qui se produisit à partir de l’époque de son troisième successeur, reste des rois des Musulmans. Or la plupart des rois ont de bonnes
Ḥasan b. ‘Adī. Il critique cette mutation, notamment en relation à œuvres et des mauvaises, leurs bonnes œuvres étant énormes et leurs
l’importance qui fut alors donnée au calife Yazīd b. Mu‘āwiya en mauvaises œuvres énormes. Quelqu’un qui incrimine l’un d’entre eux
réaction aux accusations shī‘ites le rendant responsable de la mort sans [incriminer] ses pairs est donc soit ignorant, soit injuste. Ces
d’al-Ḥusayn à Karbalā’. [rois] ont droit à ce à quoi le reste des Musulmans ont droit. Il en est
« Des groupes de gens croient que Yazīd était un imām juste, gui- parmi eux dont les bonnes œuvres sont plus nombreuses que les mau-
dant bien et bien guidé, qu’il était d’entre les Compagnons ou les plus vaises et il en est parmi eux qui se sont repentis de leurs mauvaises
grands des Compagnons, et qu’il était d’entre les Amis (walī) du Dieu œuvres. Il en est parmi eux que Dieu a absous et il en est parmi eux
Très-Haut. Parfois même certains d’entre eux croient qu’il était d’entre qu’Il fera peut-être entrer dans le Jardin. Il en est parmi eux qu’Il
les Prophètes et disent : « Quelqu’un qui suspend son jugement au châtiera peut-être pour leurs mauvaises œuvres et il en est parmi eux
sujet de Yazīd, Dieu le suspendra au dessus du feu de la Géhenne. » pour qui Dieu acceptera peut-être l’intercession d’un Prophète ou d’un
Du shaykh Ḥasan b. ‘Adī ils relatent [qu’il disait] que [Yazīd] était un autre intercesseur. Attester qu’un de ces [rois] est dans le Feu est donc
Ami [de Dieu] comme ceci et comme cela, et que ceux qui suspen- d’entre les dires des adeptes des innovations et de l’égarement. Sem-
daient leur jugement au sujet de Yazīd seraient suspendus au dessus du blablement, viser de sa malédiction l’un d’entre eux en particulier (bi-
Feu en raison de ce qu’ils disaient à son sujet. À l’époque du shaykh ‘ayni-hi) n’est pas d’entre les actions des vertueux et des pieux » (IBN
Ḥasan, [les gens] ajoutèrent [à cela] des choses vaines, en poésie et en TAYMIYYA, MF, t. IV, p. 473-474).
prose, et dirent au sujet du shaykh ‘Adī et de Yazīd des choses exa- « Yazīd b. Mu‘āwiya naquit sous le califat de ‘Uthmān b. ‘Affān –
gérées contraires aux vues qui avaient été celles du shaykh ‘Adī – Dieu soit satisfait de lui ! Il ne vécut pas à l’époque du Prophète –
l’aîné*, que Dieu sanctifie son esprit ! Sa voie avait en effet été saine Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! Il ne fut pas d’entre les Com-
et n’avait comporté aucune de ces innovations. [Mais] ils avaient pagnons – il y a là-dessus accord des ulémas – et il ne fut pas d’entre
souffert des attaques des Rāfiḍites envers qui ils avaient été hostiles et les gens célèbres pour leur religiosité et leur vertu. Il était d’entre les
qui avaient tué le shaykh Ḥasan, des dissensions (fitan) se produisant jeunes (shābb) des Musulmans et ce ne fut ni un mécréant ni un libre

— 5 —
Il ne naquit que sous le califat de ‘Uthmān et n’était pas un échange]. Et Abū Muḥammad al-Maqdisī7 de dire, quand il fut
mécréant. À cause de lui se produisit cependant ce qui se interrogé au sujet de Yazīd : « D’après ce qui m’a été commu-
produisit – la mort au combat d’al-Ḥusayn. En outre, il fit ce niqué, il ne sera ni insulté ni aimé. » Il m’a par ailleurs été com-
qu’il fit aux gens d’al-Ḥarra1. Ce n’était pas un Compagnon et muniqué que notre aïeul Abū ‘Abd Allāh b. Taymiyya8 avait
il n’était pas d’entre les Amis vertueux de Dieu. Voilà ce que été interrogé au sujet de Yazīd et avait dit : « On ne soustraira
dit le commun des adeptes de l’intelligence et du savoir, de la ni n’ajoutera [rien]. » Ceci est la plus juste et la meilleure des
Sunna et de la communion (jamā‘a). Ils se divisent ensuite en choses dites à son sujet et au sujet de ses pareils. [484]
trois groupes : un groupe qui le maudit, un groupe qui l’aime et Malédiction ? Amour ?
un groupe qui ne l’insulte (sabba) pas ni ne l’aime. C’est cette Pour ce qui est de s’abstenir d’insulter [Yazīd] et de le
[dernière position] qui est textuellement rapportée de l’imām maudire, c’est basé sur [I] le fait qu’il n’est pas établi qu’il était
Aḥmad [b. Ḥanbal]2 et c’est elle qu’adoptent les modérés (muq- d’une perversité (fisq) qui exigerait qu’on le maudisse, ou c’est
taṣid) d’entre ses compagnons et d’autres [personnes] parmi basé sur [II] [l’idée] qu’on ne maudit pas un pervers d’identité
l’ensemble des Musulmans. précise (mu‘ayyan) en particulier, qu’il s’agisse de prohiber ou
– J’ai dit à mon père, a dit Ṣāliḥ b. Aḥmad3, que des gens d’écarter. Dans le Ṣaḥīḥ d’al-Bukhārī, [ceci] est établi d’après
disaient qu’ils aimaient Yazīd. ‘Umar au sujet de l’histoire de Ḥimār, lequel buvait du vin de
– Ô mon fils, dit-il, quelqu’un qui croit en Dieu et au Jour manière répétée et était [alors] fouetté : quand un des Compa-
dernier aimera-t-il Yazīd ? gnons le maudit, le Prophète dit – Dieu prie sur lui et lui donne
– Ô mon père, dis-je, pourquoi alors ne le maudis-tu pas ? la paix ! : « Ne le maudis pas, car il aime Dieu et Son Mes-
– Ô mon fils, dit-il, quand as-tu vu ton père maudire quel- sager9. » Que [le Prophète] a dit « Maudire le croyant est
qu’un ? comme le tuer10 » est [un ḥadīth] sur lequel il y a accord [d’al-
Muhannā4 aussi dit avoir interrogé Aḥmad [b. Ḥanbal] au Bukhārī et de Muslim]. Ainsi [en va-t-il] alors même qu’il est
sujet de Yazīd b. Mu‘āwiya b. Abī Sufyān : établi au sujet du Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la
– C’est lui, dit-il, qui fit à Médine ce qu’il fit ! paix ! – qu’il a maudit le vin et celui qui en boit. Il est donc
– Que fit-il ? dis-je. établi que le Prophète a maudit de manière générale (‘umūman)
– Il tua des Compagnons du Messager de Dieu – Dieu prie sur quiconque boit du vin mais a interdit, dans le ḥadīth authen-
lui et lui donne la paix ! – et fit… tique [mentionné ci-dessus] de maudire ce [buveur] d’identité
– Que fit-il encore ? dis-je. précise (mu‘ayyan).
– Il la livra au pillage ! dit-il.
– Rapportera-t-on des ḥadīths d’après lui ? dis-je.
– On ne rapportera pas de ḥadīth d’après lui, dit-il.5
Ainsi le cadi Abū Ya‘lā6 et d’autres mentionnent-ils [leur

penseur (zindīq). Il fut investi du pouvoir après son père, certains des
Musulmans haïssant la chose et certains en étant satisfaits. Il y avait en
lui du courage et de la noblesse (karam) et il ne se livra pas en public
aux turpitudes (fāḥisha) ainsi que ses adversaires le racontent » (IBN
TAYMIYYA, MF, t. III, p. 410).
1. Terrain couvert de roches basaltiques, au Nord-est de Médine, où
une importante bataille se déroula en 63/683. Une armée umayyade
commandée par Muslim b. ‘Uqba al-Murrī y mata une révolte des Buveur et musicien11
Médinois contre le régime de Damas. Les trois jours de pillage de la
ville qui suivirent avaient, d’après diverses sources, été autorisés par le 7. Taqī l-Dīn Abū Muḥammad ‘Abd al-Ghanī b. ‘Abd al-Wāḥid l-
calife Yazīd ; voir L. VECCIA VAGLIERI, EI2, art. al-Ḥarra. Maqdisī l-Jammā‘īlī (m. 600/1203), uléma, biographe et traditionniste
2. Aḥmad b. Ḥanbal (m. Baghdād, 241/855), théologien, juriste et ḥanbalite ; voir Kh. D. AL-ZIRIKLĪ, A‘lām, t. IV, p. 34.
traditionniste, éponyme d’une des quatre écoles de jurisprudence 8. Fakhr al-Dīn Abū ‘Abd Allāh b. Abī l-Qāsim Muḥammad… b.
sunnite ; voir H. LAOUST, EI2, art. Aḥmad b. Ḥanbal. Taymiyya (Ḥarrān, 542/1148-622/1225), juriste ḥanbalite, commen-
3. Ṣāliḥ b. Aḥmad b. Muḥammad b. Ḥanbal al-Shaybānī (Baghdād, tateur du Coran et sermonnaire, oncle paternel de Majd al-Dīn Abū l-
203/818 - Iṣfahān, 265/878), fils d’Aḥmad b. Ḥanbal et transmetteur Barakāt ‘Abd al-Salām… b. Taymiyya, le grand-père de notre théolo-
de son œuvre ; voir Kh. D. AL-ZIRIKLĪ, A‘lām, t. III, p. 188. gien-mufti ; voir IBN RAJAB, Dhayl, t. IV, p. 119-127, n° 274 ;
4. Abū ‘Abd Allāh Muhannā b. Yaḥyā l-Sulamī, un des principaux H. LAOUST, Essai, p. 7-8.
compagnons d’Aḥmad b. Ḥanbal et transmetteur de son œuvre ; voir 9. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Ḥudūd (Boulaq, t. VIII, p. 158-159).
IBN ABĪ YA‘LĀ, Ṭabaqāt al-Ḥanābila (suivi d’IBN RAJAB, al-Dhayl Ḥimār, c’est-à-dire « l’âne », était le surnom de cet ivrogne. Al-
‘alā Ṭabaqāt al-Ḥanābila), 4 t., Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, Bukhārī rapporte son vrai nom, ‘Abd Allāh, et ajoute qu’il avait
1417/1997, t. I, p. 317-339, n° 496 ; sur cette citation, voir p. 319. l’habitude de faire rire le Prophète.
5. Contrairement à l’iraqien Ibn Ḥanbal, l’historien syrien Ibn 10. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Aymān (Boulaq, t. VIII, p. 133) ;
‘Asākir (m. 571/1176) voit en Yazīd un transmetteur valide et fiable MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Īmān (Constantinople, t. I, p. 73).
de la tradition prophétique et cherche à le présenter ainsi dans la 11. Miniature du MS British Libray, Or. 14140 du Kitāb ‘ajā’ib al-
biographie qu’il donne de lui ; voir J. E. LINDSAY, Exemplar. makhlūqāt wa gharā’ib al-mawjūdāt - Livre des merveilles des créa-
6. Muḥammad b. al-Ḥusayn Ibn al-Farrā’, plus connu sous le nom de tures et des étrangetés des existants de Zakariyyā’ b. Muḥammad al-
cadi Abū Ya‘lā (380/990-458/1066), théologien et biographe ḥanbalite Qazwīnī (m. 682/1283), fol. 102 v. (Iraq, c. 700/1300) ; voir www.qdl.
de Baghdād ; voir H. LAOUST, EI2, art. Ibn al-Farrā’. qa/en/archive/81055/vdc_100023586788.0x000001. J’ai restauré digi-

— 6 —
[III] Ceci est semblable au fait que les textes de la menace ce qui avait émané de lui comme actions permettant de le mau-
[divine] sont généraux pour ce qui est de dévorer les biens des dire. [I] En outre, peut-être disent-ils que c’était un pervers et
orphelins, du fornicateur et du voleur, et que nous ne les que tout pervers sera maudit. [II] Peut-être aussi disent-ils de
invoquons pas de manière générale (‘āmmatan) à l’encontre de maudire l’auteur d’un acte de désobéissance quand bien même
quelqu’un d’identité précise (mu‘ayyan) pour affirmer qu’il est il n’est pas jugé être un pervers, comme les combattants7 de
d’entre les compagnons du Feu. Il se peut en effet que ce qui Ṣiffīn8 se sont maudits les uns les autres dans les invocations
est exigé manque à l’appel de ce qui l’exige du fait d’une faites debout durant la prière (qunūt). Dans ces invocations de
opposition prépondérante (jawāz takhalluf al-muqtaḍā ‘an al-
muqtaḍī li-mu‘āriḍ rājiḥ) : soit un repentir, soit des bonnes Sibṭ b. al-Jawzī rapporte notamment comment son « grand-père Abū
œuvres effaçant [les mauvaises], soit des malheurs expiatoires, l-Faraj maudit [Yazīd] alors qu’il [préchait] en chaire (minbar) à
Baghdād, en présence de l’imām [calife] al-Nāṣir et des plus grands
soit une intercession acceptée [par Dieu], soit d’autres choses
des ulémas », avec la conséquence qu’un « groupe de gens grossiers se
encore ainsi que nous l’avons affirmé ailleurs1. Voilà donc trois levèrent de son assemblée et s’en allèrent. »
motifs2 (ma’khadh). Parmi ceux qui maudissent [Yazīd], il y en « Un de nos shaykhs, » ajoute Sibṭ b. al-Jawzī, « m’a raconté à pro-
a qui considèrent que s’abstenir de le maudire est comme pos de ce jour-là qu’un groupe de gens ayant interrogé mon grand-père
s’abstenir du reste de ce qui est permis comme paroles ex- au sujet de Yazīd, il [leur] dit : « Que direz-vous d’un homme qui a
régné pendant trois ans et qui, la première année, a tué al-Ḥusayn ; la
cessives, et non pas dû à une aversion pour le fait [même] de
seconde, a terrifié Médine et en a autorisé [le pillage] ; la troisième, a
maudire. tiré sur la Ka‘ba avec des mangonneaux et l’a détruite ? » – « Nous le
Quant à s’abstenir d’aimer [Yazīd], c’est parce qu’il n’y aura maudirons, » répondirent-ils. « Maudissez-le donc ! » dit [mon grand-
d’amour particulier que pour les Prophètes, les véridiques, les père] » (SIBṬ B. AL-JAWZĪ, Tadhkira khawāṣṣ al-umma bi-dhikr kha-
martyrs et les vertueux ; or [Yazīd] ne fut aucun d’entre eux. Le ṣā’iṣ al-a’imma, Téhéran, Maktabat-e Nīnovī, s. d., p. 291-292). Un
extrait plus long est traduit en anglais sur le site internet ballandalus.
Prophète a dit – Dieu prie sur lui et lui donne la paix : « Un
wordpress.com/2014/09/02/sibt-ibn-al-jawzi-d-1256-on-yazid-ibn-mua
homme est avec qui il aime3. » Quelqu’un qui croit en Dieu et wiya-d-683/.
au Jour dernier ne choisira donc pas d’être avec Yazīd, ni avec « Abū l-Faraj b. al-Jawzī a un livre concernant la liberté (ibāḥa) de
ses pareils d’entre les rois qui ne sont pas justes (‘ādil). [485] Il y maudire Yazīd dans lequel il a réfuté le shaykh ‘Abd al-Mughīth al-
a deux [autres] motifs de s’abstenir d’aimer [Yazīd]. Ḥarbī, qui prohibait de le faire. Quand, dit-on, il fut communiqué au
L’un est que, s’agissant d’actions vertueuses, rien n’émana de calife al-Nāṣir que le shaykh ‘Abd al-Mughīth prohibait de [maudire
Yazīd], le calife se rendit chez lui et l’interrogea à ce sujet. ‘Abd al-
lui qui obligerait de l’aimer. Il est resté un des rois imposant Mughīth savait que c’était le calife mais ne laissa pas paraître qu’il
leur pouvoir (musalliṭ) ; or aimer des individus de cette espèce l’avait reconnu et dit : « Ô untel, mon objectif est que les langues des
n’est pas prescrit par la Loi (mashrū‘). On croit en ce motif – gens cessent de maudire les califes des Musulmans et leurs gou-
de même qu’en celui de quelqu’un pour qui la perversité (fisq) vernants. Sinon, si [575] nous ouvrions cette porte, le calife de notre
de [Yazīd] n’est pas établie4 – en interprétant (ta’wīl) [les époque mériterait [encore] plus d’être maudit car il fait des choses
répréhensibles plus graves que ce que Yazīd a fait. En effet, ce calife-
choses]. ci fait ceci et il fait cela… » Et il se mit à énumérer les injustices du
Le deuxième [motif] est que quelque chose émana de [Yazīd] calife, à tel point que celui-ci lui dit « Invoque [Dieu] pour moi, ô
qui impliqua nécessairement qu’il était injuste et pervers dans shaykh ! » et s’en alla » (IBN TAYMIYYA, Minhāj, t. IV, p. 574-575).
sa manière de vivre (sīra), de même que l’affaire d’al-Ḥusayn 6. ‘Imād al-Dīn Abū l-Ḥasan ‘Alī b. Muḥammad… al-Harrāsī (450/
et l’affaire des gens d’al-Ḥarra. 1058-504/1110), juriste shāfi‘ite et théologien ash‘arite, condisciple
d’al-Ghazālī ; voir G. MAKDISI, EI2, art. al-Kiyā al-Harrāsī ; IBN
Ceux d’entre les ulémas qui maudirent [Yazīd], tels Abū l-
KHALLIKĀN (m. 681/1282), Wafayāt al-a‘yān wa anbā’ abnā’ al-
Faraj b. al-Jawzī5, al-Kiyā l-Harrās6 et d’autres, c’est du fait de zamān, édition I. ‘ABBĀS, 8 t., Beyrouth, Dār Ṣādir, 1397/1977, t. III,
p. 286-290, n° 430.
Dans cette notice (p. 287), Ibn Khallikān rapporte qu’al-Kiyā « fut
talement l’image, surtout le haut du visage du musicien et le bas de sa interrogé au sujet de Yazīd b. Mu‘āwiya et dit qu’il n’avait pas été
tunique. d’entre les Compagnons, étant donné qu’il était né à l’époque de
1. Voir Y. MICHOT, Textes spirituels, N.S. XIX, p. 4, où Ibn ‘Umar b. al-Khaṭṭāb – Dieu soit satisfait de lui ! Quant à ce que les
Taymiyya énumère dix points à considérer avant de condamner Anciens (salaf) ont dit, il y a deux choses dites à son sujet par Aḥmad
quiconque à l’enfer. [b. Ḥanbal] – une allusion et une déclaration explicite –, deux choses
2. C’est-à-dire trois motifs de s’abstenir d’insulter Yazīd et de le dites par Mālik [b. Anas] – une allusion et une déclaration explicite –,
maudire. Ils ont été numérotés I, II, III dans la traduction. deux choses dites par Abū Ḥanīfa – une allusion et une déclaration
3. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Adab (Boulaq, t. VIII, p. 39) ; MUSLIM, explicite –et, [enfin], une seule chose dite par nous, explicite, non pas
Ṣaḥīḥ, Birr (Constantinople, t. VIII, p. 42) ; IBN ḤANBAL, Musnad par allusion ! Comment n’en serait-il pas ainsi alors que ce [Yazīd]
(Boulaq, t. I, p. 392). était un joueur de trictrac, quelqu’un qui chassait avec des cheetahs et
4. Ce quelqu’un s’abstenant alors d’insulter [Yazīd] et de le mau- était accro au vin ? Sa poésie concernant le vin est bien connue. Il a
dire ; voir p. 6, motif [I]. notamment dit :
5. ‘Abd al-Raḥmān b. ‘Alī b. Muḥammad, Abū l-Faraj b. al-Jawzī « Je dis à des compagnons que la coupe a rassemblés,
(Baghdād, 510/1116-597/1200), savant ḥanbalite, polygraphe et ser- Alors que chante qui invite aux amours de la passion :
monnaire fécond ; voir H. LAOUST, EI2, art. Ibn al-Djawzī. La ma- « De bonheur et de plaisir saisissez une portion !
lédiction de Yazīd par Abū l-Faraj b. al-Jawzī est amplement La chose prît-elle longtemps, tout passera.
documentée par son petit-fils Shams al-Dīn Abū l-Muẓaffar Yūsuf b. À demain ne laissez donc pas un jour de joie.
Kızoğlu, dit Sibṭ b. al-Jawzī (m. 654/1256), dans son ouvrage intitulé Peut-être demain amènera-t-il ce que point on ne sait. »
Message rappelant à l’élite de la communauté les caractéristiques des 7. Littér., « les gens ».
Imāms ; voir Cl. CAHEN, EI2, art. Ibn al-Djawzī, Shams al-Dīn ; 8. La bataille de Ṣiffīn (37/657) opposa le calife ‘Alī, basé en Iraq, et
Y. MICHOT, Ibn Taymiyya’s Critique of Shī‘ī Imāmology, p. 121, Mu‘āwiya, le gouverneur de Syrie. Elle se termina par l’acceptation
n. 40-41. d’un arbitrage par ‘Alī ; voir M. LECKER, EI2, art. Ṣiffīn.

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la prière, ‘Alī et ses compagnons maudirent des hommes L’un est que [Yazīd] était musulman, détenteur du com-
d’identité précise parmi les gens de Syrie et, semblablement, les mandement (walī amr) de la communauté à l’époque des Com-
gens de Syrie [les] maudirent aussi. [Cela], alors même que nul pagnons et que ceux d’entre eux qui restaient lui avaient prêté
d’entre les auteurs d’interprétations autorisées qui se com- allégeance5, qu’il y avait en lui des qualités louables et qu’il
battent – les justes et les impudents – n’est [par là] un pervers. s’était livré à une interprétation personnelle (muta’awwil) con-
[III] Peut-être encore [Yazīd] est-il maudit du fait de ce qui lui cernant les affaires – al-Ḥarra, etc. – qui lui sont reprochées. «
était propre de ses grands péchés, alors même que le reste des C’est, » disent-ils, « quelqu’un qui se livra à un effort de
pervers n’est pas maudit. Ainsi le Messager de Dieu – Dieu prie réflexion canonique (mujtahid) erroné. » Ils disent aussi que ce
sur lui et lui donne la paix ! – maudit-il [diverses] espèces sont les gens d’al-Ḥarra qui avaient rompu leur serment d’allé-
d’auteurs d’actes de désobéissance et [divers] individus d’entre
les désobéissants alors même qu’il ne les maudit pas tous
ensemble. Ce sont donc là trois motifs de maudire [Yazīd]1. sulman de perversité ou de mécréance sans vérification » (A. Ḥ. AL-
GHAZĀLĪ, Iḥyā’ ‘Ulūm al-Dīn, 4 t., Le Caire, ‘Īsâ l-Bābī l-Ḥalabī,
1377/1957, t. III, p. 121). Un extrait plus long est traduit en anglais sur
le site internet ballandalus.wordpress.com/2014/09/03/abu-hamid-al-
ghazali-d-1111-on-the-evils-of-cursing-lan/.
4. Cet « al-Dastī » n’a pas pu être identifié. Dans une page relative à
Yazīd, l’uléma shāfi‘ite Ibn Ḥajar al-Haytamī (m. 974/1567) écrit : « Il
n’est pas permis de maudire Yazīd, ni de le juger mécréant, étant
donné qu’il était d’entre les croyants. [On remettra] son affaire au bon
vouloir de Dieu : s’Il veut, Il le châtiera et, s’Il veut, Il l’absoudra.
Ceci a été dit par al-Ghazālī, al-Mutawallī et d’autres qu’eux » (IBN
ḤAJAR AL-HAYTAMĪ, Kitāb al-Ṣawā’iq al-muḥriqa fī l-radd ‘alā ahl
al-bida‘ wa l-zandaqa, Le Caire, al-Maṭba‘at al-Wahbiyya, 1292/
[1876], p. 197). Al-Dastī est-il une transcription corrompue d’al-
Mutawallī ? Le docteur visé par Ibn Taymiyya serait alors le shāfi‘ite
ash‘arite Abū Sa‘īd ‘Abd al-Raḥmān b. Ma’mūn al-Naysābūrī, dit al-
Mutawallī (m. 478/1085), un temps professeur à la Niẓāmiyya de
Baghdād et auteur de divers ouvrages concernant les fondements de la
religion ; voir Kh. D. AL-ZIRIKLĪ, A‘lām, t. III, p. 323.
Dans le passage suivant, al-Mutawallī ne parle pas expressément de
Yazīd mais des premières générations de Musulmans : « Les inno-
vateurs ont multiplié les invectives à l’encontre des imāms des Com-
‘Ubayd Allāh b. Ziyād et la tête d’al-Ḥusayn2
pagnons alors que ce qui est obligatoire pour chacun, c’est de croire
Quant à ceux qui autorisèrent d’aimer [Yazīd] ou l’aimèrent, qu’ils furent les meilleurs des hommes et les plus éminents d’entre
tels al-Ghazālī3 et al-Dastī4, ils avaient deux motifs. [486] eux. Le Coran a en effet parlé de leur intégrité (‘adāla) et de leur
éminence là où Il dit [al-Tawba - IX, 100] « Les précurseurs, les
1. Pour la clarté, ces trois motifs ont aussi été numérotés I, II, III dans premiers d’entre les Émigrés et les Auxiliaires, et ceux qui les suivent
la traduction. en bienfaisance, Dieu est satisfait d’eux et ils sont satisfaits de Lui » et
2. Scène de l’exposition Karbalā’ parle (Karbalā’ tatakallam), tem- dans d’autres versets. Et le Messager de Dieu – Dieu prie sur lui et lui
ple shī‘ite de Bneid al-Qar, Koweit (Photo : ‘U Abū ‘Umar, 2009) ; donne la paix ! – de témoigner de leur éminence et de leur intégrité en
voir www.dd-sunnah.net/forum/showthread.php?t=77548. L’inscrip- disant : « Les meilleurs des hommes sont ma génération, puis ceux qui
tion est formelle, l’individu représenté en train de tapoter la tête d’al- les suivent.* » Il a aussi dit – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! :
Ḥusayn de sa canne est ‘Ubayd Allāh b. Ziyād, pas le calife Yazīd. « N’insultez pas mes Compagnons ! Par Celui en la main de Qui mon
3. Abū Ḥāmid al-Ghazālī (m. 505/1111), théologien ash‘arite et âme [se trouve], si l’un de vous dépensait en or [sur le chemin de
maître soufi majeur ; voir W. MONTGOMERY WATT, EI2, art. al- Dieu] l’équivalent du [mont] Uḥud, il n’atteindrait l’étendue [des
Ghazālī ; Y. MICHOT, Textes spirituels, N.S. XI, p. 3-5 ; An Important mérites] d’aucun d’entre eux, ni même sa moitié.** » Ce qui est
Reader of al-Ghazālī : Ibn Taymiyya, in The Muslim World, janvier obligatoire, c’est d’appeler la miséricorde [divine] sur eux [190] et de
2013, p. 131-160 ; Al-Ghazālī’s Esotericism According to Ibn Tay- croire en leur éminence. Nous n’entreprendrons pas de poursuivre
miyya’s Bughyat al-Murtād, in G. TAMER (éd.), Islam & Rationality. leurs mauvaises actions ; bien plutôt, nous suivrons leurs belles actions
The Impact of al-Ghazālī. Papers Collected on His 900th Anniversary, en les mentionnant et en les prenant pour modèles. Le Dieu Très-Haut
t. I, Leyde - Boston, Brill, 2015, p. 345-374. nous a en effet assigné de le faire en disant : « … et ceux qui les
Al-Ghazālī consacre à la malédiction de Yazīd un fetwa dont Ibn suivent en bienfaisance. » Nous garderons le silence sur ce qui s’est
Khallikān inclut le texte dans sa notice sur al-Kiyā l-Harrāsī en produit à leur époque et en renverrons [le jugement] au Dieu Très-
soulignant la nature opposée des avis des deux savants. Ce fetwa est Haut, du fait qu’il est rapporté d’al-Zuhrī – Dieu lui fasse misé-
intégralement traduit infra, dans l’appendice. Al-Ghazālī aborde ricorde ! – qu’il dit, quand il fut interrogé à ce sujet : « Il s’agit là de
également le sujet dans sa Revivification des sciences religieuses, sangs dont [191] Dieu a gardé nos mains pures et dont nous ne
Livre XXIV : Les méfaits de la langue, Huitième méfait : Maudire : souillerons pas nos langues. » Nous disons ce que le Dieu Très-Haut a
« – Est-il permis de maudire Yazīd puisqu’il est le meurtrier d’al- dit [al-Ḥashr - LIX, 10] : « Notre Seigneur, pardonne-nous, ainsi que
Ḥusayn ou le commanditaire du [meurtre] ? Si cela nous est dit, nous nos frères qui nous ont précédés dans la foi, et ne mets pas en nos
dirons que ceci n’est fondamentalement pas établi. Il n’est donc pas cœurs de l’amertume à l’encontre de ceux qui ont cru. Notre Seigneur,
permis de dire qu’il l’a tué ou a ordonné de le [tuer], tant que ce n’est Tu es compatissant et miséricordieux » (A. S. AL-MUTAWALLĪ, al-
pas établi ; et, a fortiori, pour ce qui est de le maudire. Il n’est en effet Ghunya fī uṣūl al-dīn, éd. ‘I. al-D. A. ḤAYDAR, Beyrouth, Mu’assasat
pas permis d’accuser un Musulman d’un péché majeur sans véri- al-Kutub al-Thaqāfiyya, 1407/1987, p. 189-191). * Voir AL-BUKHĀRĪ,
fication (taḥqīq) [des faits]. Oui, il est permis de dire qu’Ibn Muljam Ṣaḥīḥ, Faḍā’il (Boulaq, t. V p. 2) ; MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-ṣaḥāba (Cons-
tua ‘Alī et qu’Abū Lu’lu’a tua ‘Umar – Dieu soit satisfait d’eux tantinople, t. VII, p. 184-185). ** Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il (Boulaq,
deux ! Cela est en effet établi par des sources abondamment récur- t. V, p. 8) ; MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-ṣaḥāba (Constantinople, t. VII, p. 188).
rentes (mutawātir). Il n’est [par contre] pas permis d’accuser un Mu- 5. bāya‘a-hu : tāba‘a-hu F l’avaient suivi

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geance en premier, Ibn ‘Umar1 et d’autres le leur reprochant. maudit le dépravé en lui-même (‘ayn) ou en son espèce, la
Quant au meurtre d’al-Ḥusayn, [Yazīd] ne l’avait pas ordonné première situation est néanmoins plus médiane et plus juste
et il n’en avait pas été satisfait. Il était au contraire apparu (awsaṭ wa a‘dal).
manifestement peiné de son meurtre et avait blâmé celui qui
l’avait tué. La tête d’[al-Ḥusayn] ne lui avait pas été amenée
mais avait seulement été amenée à Ibn Ziyād2.
Le deuxième motif est qu’il est établi dans le Ṣaḥīḥ3 d’al-
Bukhārī, d’après Ibn ‘Umar, que le Messager de Dieu – Dieu
prie sur lui et lui donne la paix ! – a dit : « Il sera pardonné à la
première armée qui mènera une expédition contre Constan-
tinople. » Or la première armée à avoir mené une expédition
contre elle, le commandant (amīr) en avait été Yazīd.
Ce qu’il y a à réellement saisir (taḥqīq), c’est qu’à propos de
ces deux choses qui ont été dites4 il est permis de se livrer à un
effort de réflexion canonique. Maudire quelqu’un qui commet
des actions de désobéissance est en effet d’entre les choses à
propos desquelles se livrer à un effort de réflexion canonique
est permis. Et ainsi aussi en va-t-il de l’amour pour quelqu’un
qui accomplit de bonnes oeuvres et des mauvaises. Bien plutôt
même, ce n’est d’après nous pas une contradiction en soi qu’en
un [même] homme la louange et le blâme se retrouvent réunis,
ainsi que la récompense et la punition. Semblablement, ce n’est
pas non plus une contradiction en soi qu’on prie sur lui et Shaykh et militaire mongol8
invoque [Dieu] pour lui et, par ailleurs, qu’on le maudisse et
Les questions d’un chef mongol
l’injurie aussi, en considérant deux points de vue.
Il y a accord des gens de la Sunna sur le fait que même s’ils Telle fut ma réponse au chef des Mongols, Būlāy9, quand ils
entrent dans le Feu ou méritent d’y entrer, les pervers d’entre arrivèrent à Damas durant la grande crise (fitna) et que des
les adeptes de la religion (milla) [de l’Islam] entreront imman- échanges prirent place entre moi, lui, et d’autres10. Parmi les
quablement dans le Jardin, la récompense et la punition se choses qu’il me demanda, il y eut cette demande :
retrouvant réunies en eux. Les Khārijites5 et les Mu‘tazilites6 – Que dites-vous de Yazīd ?
rejettent cependant cela et considèrent que quelqu’un qui mérite – Nous ne l’insultons pas ni ne l’aimons, dis-je. Ce ne fut pas
d’être récompensé ne mérite pas d’être puni, de même que un homme vertueux, au point que nous l’aimerions. Nous, [par
quelqu’un qui mérite d’être puni ne mérite pas d’être récom- ailleurs], nous n’insultons aucun des Musulmans en lui-même.
pensé. La question est bien connue et il en est traité ailleurs. – Ne le maudissez-vous pas ? dit-il. N’était-il pas un injuste ?
[487] Qu’il soit permis d’invoquer [Dieu] pour un homme ou
Ne tua-t-il pas al-Ḥusayn ?
contre lui, cette question est explicitée là où on [parle] des – Nous, dis-je, quand il est fait mention des injustes tels al-
funérailles. On prie en effet sur les morts des Musulmans – les
8. Miniature du MS Munich, Bibliothèque d’État de Bavière, Cod.
pieux d’entre eux et les dépravés (fājir)7. Si, en plus de cela, on arab. 616 de Kalīla wa Dimna d’Ibn al-Muqaffa‘ (m. c. 139/756), fol.
23 v. (Égypte, c. 710/1310) ; voir www.wdl.org/fr/item/8933/. Image
restaurée digitalement.
1. Fils du second calife (m. 73/693) ; voir L. VECCIA VAGLIERI, EI2,
9. « Būlāy » ou « Mūlāy », etc., selon les sources (m. 707/1307) ;
art. ‘Abd Allāh b. ‘Umar b. al-Khaṭṭāb.
voir R. AMITAI, Mongol Raids into Palestine (A.D. 1260 and 1300), in
2. ‘Ubayd Allāh b. Ziyād (m. 67/686), fils de Ziyād b. Abīhi, Journal of the Royal Asiatic Society of Great Britain & Ireland, 119/2,
gouverneur umayyade de Baṣra, puis aussi de Kūfa (60/679-64/683), Londres, 1987, p. 236-255 ; p. 244 ; D. AIGLE, Invasions, p. 105, n. 82.
surtout connu pour sa férocité vis-à-vis des Khārijites et son rôle dans Ce général de l’armée de l’īlkhān Ghāzān participa à l’invasion de la
les événements ayant conduit au massacre d’al-Ḥusayn et de sa Syrie en Rabī‘ I 699 / décembre 1299 - Sha‘bān 699 / mai 1300,
famille ; voir C. F. ROBINSON, EI2, art. ‘Ubayd Allāh b. Ziyād ; qu’Ibn Taymiyya appelle ici « la grande crise » (fitna) ; sur cette inva-
Y. MICHOT, Textes spirituels, N.S. XIX, p. 8-9. sion, voir Y. MICHOT, Roi croisé ; R. AMITAI, Whither the Ilkhanid
3. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Jihād (Boulaq, t. IV, p. 42). Le ḥadīth Army? Ghazan’s First Campaign into Syria (1299–1300), in N. DI
est rapporté d’après Umm Ḥarām, non pas d’après ‘Abd Allāh COSMO (éd.), Warfare in Inner Asian History (500–1800), Leyde,
b. ‘Umar ainsi qu’indiqué par Ibn Taymiyya. Brill, 2002, p. 221-264.
4. C’est-à-dire soit maudire Yazīd, soit l’aimer. 10. Après la défaite mamlūke de Wādī l-Khazindār (27 Rabī‘ I
5. Premiers schismatiques de l’Islam, massacrés par ‘Alī à 699 / 23 déc. 1299), Būlāy mena un contingent mongol jusqu’en Pales-
Nahrawān (38/658) ; voir G. LEVI DELLA VIDA, EI2, art. Khāridjites. tine avant de revenir à Damas avec un grand nombre de prisonniers.
6. Courant théologique rationaliste, imposé comme doctrine offi- C’est alors qu’Ibn Taymiyya le rencontra, en se rendant à son camp le
cielle par le pouvoir califal de 213/833 à 234/848 ; voir D. GIMARET, 2 Rajab 699 / 24 mars 1300. Durant les trois jours qu’il y passa, il
EI2, art. Mu‘tazila. obtint la libération de captifs et eut la conversation rapportée ici ; voir
7. « Nous le savons, la plupart des Musulmans commettent imman- supra, p. 2-3 ; Y. MICHOT, Roi croisé, p. 44, 46, 81, 174-175 ; Textes
quablement des [actions] injustes. Si donc on ouvrait cette porte, il spirituels XII, p. 25, n. 1 ; R. AMITAI, Raids, p. 245 ; J. SOMOGYI, Adh-
serait permis de maudire la plupart de leurs morts. Le Dieu Très-Haut Dhahabī’s Record of the Destruction of Damascus by the Mongols in
a commandé de prier sur les morts des Musulmans. Il n’a pas 699-700/1299-1301, in J. SOMOGYI & S. LÖWINGER (éds), Ignace
commandé de les maudire » (IBN TAYMIYYA, Minhāj, t. IV, p. 572). Goldziher Memorial Volume, Budapest, 1948, t. I, p. 353-386 ; p. 379.

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Ḥajjāj b. Yūsuf1 et ses semblables, nous disons quelque chose – Et quelqu’un qui hait les gens de la maison [du Prophète] ?
de pareil à ce que Dieu a dit dans le Coran – « N’est-ce pas que dit le chef (muqaddam) [mongol].
la malédiction de Dieu est sur les injustes2 ? » – et nous n’ai- – Quelqu’un qui les hait, dis-je, « sur lui la malédiction de
mons maudire personne en lui-même. Certains des ulémas ont Dieu, des anges et de l’ensemble des hommes ! Dieu n’accep-
maudit [Yazīd] et ceci est un sujet (madhhab) à propos duquel tera de lui ni pratique obligatoire (ṣarf), ni pratique suréro-
il est permis de se livrer à un effort de réflexion canonique. gatoire (‘adl). »
Dire ce [que nous disons] a cependant notre prédilec- Je dis ensuite au vizir (wazīr) mongol9 :
tion et est meilleur. Quant à celui qui a tué al- – Pourquoi [Būlāy] a-t-il parlé de Yazīd alors
Ḥusayn, ou a aidé à le tuer, ou a été satisfait que c’est un Tatar ?
de ce [meurtre], « sur lui la malédiction de – On lui a dit, dit-il, que les habitants de
Dieu, des anges et de l’ensemble des Damas étaient des gens hostiles [à ‘Alī]
hommes ! Dieu n’acceptera de lui ni (nāṣib) 10.
pratique obligatoire (ṣarf), ni pratique – Celui qui dit cela ment ! dis-je
surérogatoire (‘adl)3. » d’une voix haute. Et quelqu’un qui dit
– Vous n’aimez pas les gens de la cela, sur lui la malédiction de Dieu !
maison [du Prophète], dit-il. Par Dieu, il n’y a pas de gens hostiles
– Les aimer, dis-je, est chez nous un [à ‘Alī] parmi les habitants de Damas !
devoir, une obligation, pour laquelle il Je ne connais personne d’hostile [à
y a une récompense. De Zayd b. ‘Alī] parmi eux et, si quelqu’un se
Arqam4 il est en effet établi chez nous, montrait hostile11 à ‘Alī à Damas, les
dans le Ṣaḥīḥ5 de Muslim, qu’il a dit : « Le Musulmans se lèveraient contre lui. Cer-
Messager de Dieu – Dieu prie sur lui et lui tes, anciennement, quand les Umayyades
donne la paix ! – nous fit un prêche près d’un étaient les gouvernants du pays, certains d’entre
marais (ghadīr) appelé « Khumm6 », entre La Mecque et eux montrèrent de l’hostilité envers ‘Alī. Aujourd’hui, il ne
Médine, et dit : « Ô les gens ! Je laisse parmi vous les deux reste cependant plus aucun de ceux-là !
choses de poids : le Livre de Dieu… » Il mentionna le Livre de APPENDICE : FETWA D’AL-GHAZĀLĪ SUR YAZĪD12
Dieu et nous incita à le [suivre], puis il dit : « … et ma famille, L’imām Abū Ḥāmid al-Ghazālī – le Dieu Très-Haut lui fasse
[488] les gens de ma maison. Je vous rappelle Dieu concernant
miséricorde ! – fut interrogé au sujet de quelqu’un maudissant
les gens de ma maison. Je vous rappelle Dieu concernant les explicitement Yazīd. Jugera-t-on que c’était un pervers ou [le]
gens de ma maison. » maudire ainsi sera-t-il admis ? Voulut-il le meurtre d’al-Ḥusayn
– Nous, dis-je [aussi] au chef (li-muqaddam) [mongol]7, nous – Dieu soit satisfait de lui ! – ou son objectif était-il de se
disons chaque jour dans notre prière : « Mon Dieu, prie sur défendre ? Est-il permis de demander [à Dieu] de lui faire
Muḥammad et sur la famille de Muḥammad comme Tu as prié miséricorde ou vaut-il mieux se taire à son sujet ? Puisse
sur Abraham8. Tu es digne de louange, glorieux ! Mon Dieu, [l’imām nous] faire la faveur de dissiper la confusion [entourant
bénis Muḥammad et la famille de Muḥammad comme Tu as ce sujet], récompensé qu’il sera !
béni la famille d’Abraham. Tu es digne de louange, glorieux ! »
9. Le 20 Rabī‘ II 699 / 14 janvier 1300, Ibn Taymiyya fut reçu en
1. Abū Muḥammad al-Ḥajjāj b. Yūsuf… al-Thaqafī (al-Ṭā’if, c. 41/
audience par les deux vizirs de l’īlkhān Ghāzān, Sa‘d al-Dīn al-Sāwajī
661 - Wāsiṭ, 95/714), célèbre gouverneur umayyade de l’Iraq puis de (m. 711/1312) et celui qu’il appelle « un Juif philosophant », le célèbre
tout l’orient musulman. D’origine modeste, il s’illustra rapidement par historien Rashīd al-Dīn Faḍl Allāh (m. 718/1318) ; voir Y. MICHOT,
ses capacités autant administratives que militaires, sa sévérité et son Roi croisé, p. 42, 173 ; Textes spirituels XII, p. 27-30. Quand, le 12
éloquence ; voir A. DIETRICH, EI2, art. al-Ḥadjdjādj b. Yūsuf ; Jumādā I / 5 février 1300, Ghāzān se retira de Damas vers l’Iraq et
Y. MICHOT, Textes spirituels, N.S. XIX, p. 10. laissa à son général Quṭlūshāh le commandement de l’armée tatare en
2. Coran, Hūd - XI, 18. Syrie, il est permis de penser que ses deux vizirs l’accompagnèrent ;
3. Voir notamment AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, I‘tiṣām (Boulaq, t. IX, surtout Rashīd al-Dīn Faḍl Allāh, le plus important des deux et, par
p. 97) ; MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Ḥajj (Constantinople, t. IV, p. 114) ; IBN ailleurs, son confident, médecin et cuisinier ; voir R. AMITAI-PREISS,
ḤANBAL, Musnad (Boulaq, t. I, p. 6). New Material from the Mamluk Sources for the Biography of Rashid
4. Zayd b. Arqam al-Khazrajī, Compagnon Auxiliaire, proche de al-Din, in J. RABY & T. FITZHERBERT (éds), The Court of the Il-khans,
‘Alī (m. Kūfa, 68/687-8) ; voir IBN AL-ATHĪR, Usd, t. II, p. 219-220. 1290-1340, Oxford, Oxford University Press, « Oxford Studies in
5. Voir MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-ṣaḥāba (Constantinople, t. VII, Islamic Art, XII », 1996, p. 23-37 ; p. 25. La conversation d’Ibn Tay-
p. 122-123) ; AL-DĀRIMĪ, Sunan, Faḍā’il al-Qur’ān (Beyrouth, t. II, miyya et Būlāy étant postérieure de plusieurs semaines au départ de
p. 432) ; Y. MICHOT, Textes spirituels, N.S. XVII, p. 19. Ghāzān, l’identité de cet autre « vizir mongol » mentionné ici reste un
6. De retour du pèlerinage, dit « d’adieu », qu’il accomplit quelques mystère.
mois avant de mourir, le Prophète fit halte en ce lieu le 18 Dhū l-Ḥijja 10. Nāṣib, pl. nawāṣib, désigne les adversaires déclarés de ‘Alī, de sa
10 / 15 mars 632 et s’adressa aux pèlerins qui l’accompagnaient ; voir famille et de ses partisans, tels al-Ḥajjāj ; voir Y. MICHOT, Textes
V. VECCIA VAGLIERI, EI2, art. Ghadīr Khumm ; Y. MICHOT, Textes spirituels, N.S. III, p. 3.
spirituels, N.S. XVI. 11. naṣaba : tanaqaṣṣa F
7. On s’attendrait à avoir li-l-muqaddam avec l’article, « au chef », 12. IBN KHALLIKĀN, Wafayāt, t. III, p. 288-289. Ce fetwa est
ou li-muqaddam al-mughul, « au chef des Mongols », comme au debut mentionné mais non repris par M. M. ABU-SWAY, The Fatāwā of
de cette dernière section du texte. En tout état de cause, c’est bien de Imam al-Ghazzālī (450-505 A.H./1058–1111 C.E.). Critically edited
Būlāy qu’il s’agit. Idem pour la fin du paragraphe suivant. with introductions and notes, Kuala Lumpur, International Institute of
8. La calligraphie a le sens du début de cette invocation. Islamic Thought and Civilization, 1996 ; voir p. xxii.

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– Il n’est fondamentalement (aṣlan) pas permis, répondit [al- passé ? Comment saura-t-on cela dans le cas d’un [meurtre]
Ghazālī], de maudire un Musulman. Celui qui maudit un Mu- s’étant passé il y a près de quatre cents ans en un lieu lointain,
sulman, c’est lui qui est le maudit. Le Messager de Dieu – Dieu le fanatisme (ta‘aṣṣub) ayant déformé les faits et les traditions
prie sur lui et lui donne la paix ! – a en effet dit : « Le Musul- provenant des [divers] côtés s’étant multipliées à leur sujet ? Ce
man n’est pas quelqu’un qui maudit1. » Comment serait-il sera une affaire dont on ne connaîtra fondamentalement pas la
permis de maudire un Musulman alors qu’il n’est pas permis de réalité. Or, s’il n’y a pas de connaissance, il est obligatoire
maudire les bêtes, ceci ayant été prohibé ? Selon un texte du d’avoir une bonne opinion de tout Musulman de qui il est pos-
Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! –, l’inviola- sible d’avoir une bonne opinion.
bilité (ḥurma) du Musulman est plus grande que l’inviolabilité
de la Ka‘ba2. Or il est vrai que Yazīd était musulman, tandis
qu’il n’est pas vrai qu’il ait tué al-Ḥusayn – Dieu soit satisfait
de lui ! –, ni qu’il ait ordonné de le [tuer], ni qu’il ait été
satisfait de ce [meurtre]. Puisque cela n’est pas vrai à son sujet,
il n’est pas permis d’avoir cela comme opinion à son sujet.
Avoir une mauvaise opinion d’un Musulman est aussi interdit
(ḥarām) ! Le Très-Haut a en effet dit : « Évitez beaucoup d’opi-
nions : certaines opinions sont un péché3. » Et le Prophète de
dire – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! : « Le Musulman,
Dieu a frappé d’un interdit son sang, ses biens, son honneur, et
qu’on ait de lui une mauvaise opinion4. »
Il convient qu’on le sache, quelqu’un prétendant que Yazīd
ordonna le meurtre d’al-Ḥusayn – Dieu soit satisfait de lui ! –,
ou en fut satisfait, est d’une stupidité (ḥamāqa) extrême. Si l’un
Assassinat du vizir Niẓām al-Mulk6
des notables, des vizirs, des sultans, est tué du temps de cet
De surcroît, s’il était établi contre un Musulman qu’il a tué un
[individu] et que celui-ci veuille savoir qui a réellement ordon-
Musulman, la doctrine des gens de la Vérité (ahl al-ḥaqq) est
né son meurtre, qui en a été satisfait et qui a détesté la chose, il
que ce ne serait pas un mécréant. Un meurtre, en effet, n’est pas
n’en sera pas capable, alors même qu’il aura été tué dans son
de la mécréance mais, bien plutôt, un acte de désobéissance. Et
voisinage, à son époque, et que lui-même en aura été témoin5.
quand le meurtrier meurt, peut-être meurt-il après s’être repenti.
Comment dès lors en ira-t-il, [a fortiori,] si [le meurtre] a eu
Si un mécréant [289] se repentait de sa mécréance, il ne serait
lieu dans un pays lointain et à une époque ancienne, dans le
pas permis de le maudire. Comment dès lors en ira-t-il, [a
fortiori,] de quelqu’un se repentant d’un meurtre ? Et comment
1. Voir AL-TIRMIDHĪ, Sunan, Birr (éd. ‘A. R. M. ‘UTHMĀN, t. III, p. aura-t-on connaissance que le meurtrier d’al-Ḥusayn – Dieu
236, n° 2043) ; IBN ḤANBAL, Musnad (Boulaq, t. I, p. 405). soit satisfait de lui ! – mourut avant de se repentir ? [Dieu] est
2. Voir IBN MĀJA, Sunan, Fitan (éd. ‘ABD AL-BĀQĪ, t. II, p. 1297,
n° 3932) ; AL-TIRMIDHĪ, Sunan, Birr (éd. ‘A. R. M. ‘UTHMĀN, t. III, p.
Celui qui accepte le repentir de Ses serviteurs.
255, n° 2101). Il n’est donc pas permis de maudire quelque mort que ce soit
3. Coran, al-Ḥujurāt - XLIX, 12. d’entre les Musulmans et quelqu’un qui maudit [Yazīd] est un
4. Voir MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Birr (Constantinople, t. VIII, p. 11) ; ABŪ pervers, quelqu’un qui désobéit au Dieu Très-Haut. S’il était
DĀ’ŪD, Sunan, Adab (éd. ‘ABD AL-ḤAMĪD, t. IV, p. 270, n° 4882) ; IBN permis de le maudire et qu’on se taise, on ne serait pas déso-
ḤANBAL, Musnad (Boulaq, t. II, p. 277) ; IBN MĀJA, Sunan, Fitan (éd. béissant – il y a là-dessus consensus. Bien plus même, si, sa vie
‘ABD AL-BĀQĪ, t. II, p. 1297, n° 3932).
durant, quelqu’un ne maudissait pas Iblīs, il ne lui serait pas dit,
5. Le 10 Ramaḍān 485 / 14 octobre 1092, un assassin déguisé en
soufi poignarda à mort le vizir Niẓām al-Mulk alors qu’il se rendait le Jour de la résurrection : « Pourquoi n’as-tu pas maudit
d’Iṣfahān à Baghdād avec le sultan saljūq Malikshāh. Celui-ci même Iblīs ? » À quelqu’un maudissant [un autre], il sera [par contre]
mourut, vraisemblablement empoisonné, trois semaines plus tard, le 1 dit : « Pourquoi [le] maudis-tu et d’où tires-tu la connaissance
Shawwāl / 4 novembre. En 487/1094, ce fut le jeune calife al-Muqtadī qu’il est banni, maudit ? Le maudit est en effet l’éloigné du
qui trépassa dans des circonstances suspectes ; voir F. GARDEN, The Dieu Puissant et Majestueux. Or [le fait que quelqu’un soit
First Islamic Reviver. Abū Ḥāmid al-Ghazālī and his Revival of the
Religious Sciences, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 20-22, ainsi éloigné de Dieu ou non] est inconnaissable (ghayb) : on
25, 185, n. 39. Quand Niẓām al-Mulk fut assassiné, al-Ghazālī ensei- n’en a connaissance qu’à propos de quelqu’un qui meurt mé-
gnait à la Madrasa Niẓāmiyya de Baghdād où le vizir l’avait nommé créant, ceci étant enseigné par la Loi (shar‘).
un an plus tôt (484/1091). La date du présent fetwa n’est pas connue. Quant à appeler la miséricorde [divine] sur [Yazīd], c’est
Est-il postérieur à ces décès et est-ce à eux que le présent passage fait permis ou, plutôt même, c’est préférable (mustaḥabb) ou, bien
allusion ? Il pourrait alors être de nature autobiographique. Ainsi que
K. Garden le remarque dans une communication privée (10/12/2015) plus encore, c’est inclus dans ce que nous disons à chaque
dont je le remercie, « il est difficile d’imaginer que quelqu’un d’autre prière : « Mon Dieu, pardonne aux croyants et aux croyantes ! »
qu’[al-Ghazālī], écrivant dans des circonstances historiques diffé- C’était en effet un croyant. Et Dieu est plus savant.
rentes, choisisse ces mêmes victimes d’un assassinat hypothétique Yahya M. MICHOT (Hartford, Rabī‘ I 1437 - Décembre 2015)
pour illustrer le fait que déterminer l’identité de l’assassin est presque
impossible. Ces assassinats et le chaos qu’ils causèrent le marquèrent 6. Dessin de Bob Moulder (digitalement retouché) reproduisant une
[…] Il me semble que l’importance historique de ce fetwa est miniature du MS Istanbul, Topkapi Hazine 1653, fol. 360 v. de
d’impliquer que, pour lui, les meurtres de Niẓām al-Mulk et de l’Histoire universelle - Jāmi‘ al-tawārīkh de Rashīd al-Dīn Faḍl Allāh,
Malikshāh ne pouvaient pas être définitivement éclaircis. » Tabrīz, 714/1314.

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