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Entretien pour la revue Kažin (vol.

VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

LES
INTELLECTUELS
ÉVINCÉS
Entretien avec Dr. Drago Braco Rotar
et Dr. Taja Kramberger.

Propos recueillis par Marko Gavriloski.


Photos par Denis Zupan et al.

On serait extrêmement injuste envers tous les deux si l’on veut décrire Dr.
Rotar et Dr. Kramberger dans quelques phrases sèches – on serait contraint
de passer sous silence beaucoup des choses importantes. Leur œuvre riche
créée au cours de quelques décennies témoigne de la recherché continue et
ce la créativité du couple intellectuel auquel l’exclusion de la société et
l’oubli dans le milieu slovène ne sont pas étrangers. Probablement c’est bien
en raison de cette expérience qu’ils ne mettent pas leurs réponses dans
l’enveloppe décorative de la political correctness, car, enfin, ils pénètrent
profondement dans leurs analyses et critiques scientifiques et n’aiment pas
les propos superficiels qui n’ont rien à faire avec la science mais qui, dans le
milieu « académique » se substituent de plus en plus au discours scientifique
de l’argumentation raisonnable. À cause de leurs engagements, recherches,
créations et activités incessants dans divers domaines sociaux ils vivent dans
une pénurie de temps constante, et c’est pour cette raison que l’entretien ci-
présent ait été fait par courrier numérique. L’entretien intégral, divisé en
cinq parties, est publié sur les pages suivantes.

1
Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

Partie 1 :

Question : L’Université du Littoral s’apprête à célébrer, l’année prochaine, le dixième


anniversaire de son existence. Or, selon toute évidence, elle s’est laissée dévorer, dans ce
petit laps de temps, par le dragon néolibéral, et se désagréger par la soi-disant réforme de
Bologne. Il semble que sous peu elle sera touchée (comme les deux autres universités
publiques en Slovénie) à son tour par les mesures d’austérité. Est-il possible que
l’Université du Littoral se dérobe à toutes ces agressions ?

Kramberger : Je crains que quelque chose ait cloché déjà au moment même de la fondation
de cette université, notamment de la FHŠ-Faculté des sciences humaines (en français FSH)
et du ZRS–Centre de recherche scientifique [en français CRS] à Koper. Beaucoup de gens de
qualité, surtout des sciences humaines et sociales ayant participé à la création de la FHŠ/FSH
et du ZRS/CRS, ont été impudemment chassés et ne veulent pas même entendre parler de
la collaboration avec le « bijou de Koper » [Cette exaltation par nos ex-collègues à
l’intention de la faculté FHŠ/FSH provient de la lettre ouverte contre 45 illégalement
congédiés en 2010 et, spécialement, contre 6 d’entre eux qui ont eu le courage de se battre
publiquement contre cette illégalité.1 La lettre, moralisante à première vue, est en fait un
prélude à l’appel des 20 au lynchage des 6 – elle se trouve ici] 2 qui est son double obscur.
Encore après départ des attaqués, les « maîtres » de la FSH abusaient leur bonne volonté
d’y travailler dans le passé récent et leurs noms. Là, à la FSH ne restent que les médiocrités
(la plupart des enseignants), les magouilleurs (la direction) et les assaillants idéologiques (les
agents des partis politiques et de l’Eglise catholique de plus en plus puissante en pays). C’est
pour cette raison que tout changement en faveur de la qualité de cette institution soit lié à
une intervention dans la composition du corps enseignant et administratif.

Je ne suis pas voyante : or, pourtant je peux dire que le sauvetage et la réparation des
institutions fourvoyées ne seront pas faciles. Les idéologèmes comme « la rationalisation
des cadres » ou « les mesures d’austérité » ou « tempérance financière » (peut-être plutôt
« persévérance financière », la compétence linguistique des énonciateurs n’est pas très
forte), etc. ne sont, de règle générale, que déguisement des opérations dissimulées qui
devraient être la préoccupation des services judiciaires. Le nouveau recteur [Dragan
Marušič, un mathématicien de renommé international] que j’estime à l’inverse de l’ancien
[Rado Bohinc, un politicien du type néoliberalo-staliniste, hautement positionné dans la

1
Dans la déclaration des 48 membres de l’Assemble académique de la FHŠ/FSH en octobre 2010 (le
congédiement massif était déjà accompli) – pour laquelle la lettre ouverte sur « le bijou » de Koper de juillet
2010 a été l’ouverture – nos luttes pour les droits élémentaires et contre les manigances de la direction de
l’université pendant deux dernières années (dans les médias et devant les tribunaux), ont été réduites aux
assauts « pour des raisons personnelles », aux « règlements publics des comptes sous le couvert de discours
critique » et aux « discrédit de la direction ». Dans cette déclaration, la purge universitaire, justement achevé
par les signataires, était totalement absente. Un vrai chef d’œuvre de l’éloquence staliniste où rien n’est ce
qu’il soit donné à voir.
2
Au début les étudiants étaient de coté des congédiés, et ont répondu avec une lettre pointu et polémique
contre les falsifications et les prétentions des auteurs du « bijou ». La lettre ouverte des étudiants se trouve ici.
Par la suite, les étudiants étaient, pour la plupart, intimidés ou achetés par la direction d’université ou par les
autres structures de pouvoir slovènes.

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

structure du pouvoir yougoslave, et plein des stratégies cachés tirés des services secrets et
installées à l’université à Koper avec son intronisation – parmi les postes politiques qu’il a
occupé figure aussi le ministre des affaires intérieures en Slovénie] a démarré avec
détermination – en s’attaquant à la tête du poisson puant.3 Déjà à cause de cette geste de
dignité, performative et éthiquement orientée, il est devenu pour moi le vainqueur, sans
égard du résultat de ses activités dans l’avenir.

Par cette geste qui est un acte civique d’une personne souveraine dans la démocratie et qui
appartient à un horizon mental totalement différent des efforts poltrons et bonasses et la
brutalité ordonné des « opritschniks » (sbires) de la direction de la FHŠ/FSH parvenant au
sommet de leur activité publique par les écrivasses dénonciatrices et en souscrivant
collectivement aux lettres bijoutières et abjectes, le recteur actuel s’est montré capable de
trancher toute une série des processus insensés et égoïstes menés et contrôlés par les
dirigeants de la faculté, et intervenir énergiquement dans l’impensé collectif et les
événements non démocratiques dans l’établissement (toute comparaison entre les gestes
du nouveau recteur et les agissements de la nomenclature sortante est fallacieuse, tout
comme si l’on mettrait sur le même plan la haute cuisine et les chaussettes sales et non
raccommodées). Certains actes du nouveau recteur pourraient être qualifiés, si’il m’est
permis de m’appuyer sur la parrhêsia foucauldienne c’est-à-dire le courage de la vérité
permettant à n’importe qui (qui en est capable) de se débarrasser du bêlement de la fiction
des corps agglutinés pour devenir personne responsable pour ses actes tout en mettant en
jeu son propre corps.

Et de plus, ici, il ne s’agit pas tellement de la supériorité intellectuelle, éthique et d’habitus


du nouveau recteur – à l’encontre des dirigeants destitués de la FHS et de l’Université,
Dragan Marušič est un véritable scientifique – mais, en premier lieu, de la sauvegarde de
l’institution, peut-être même du vrai démarrage de cette institution et de la mise en valeur
effective de l’autonomie universitaire et de son développement. On ne peut pas parler de
cette autonomie si tous les intéressés, des étudiants à l’administration et la direction de
l’université, n’en ont pas la conscience.

Mais aussi il faut savoir qu’un espace social soit toujours une entité complexe et qu’il est
traversé par nombreuses lignes de force induites par les intérêts, appétits différents des
différents groupes sociaux, et même de différents pièges tendues par les manigances

3
Les troubles à l’université et, notamment à la faculté, à Koper continuaient après 2010 ; les annonces pour
l’avenir de la faculté FHŠ/FSH des « let 20 ou les 48 » dans les documents justement évoqués de 2010 n’étaient
pas réalisés ni dans un seule point. Récemment (en septembre 2016), les protagonistes principaux (pas tous)
de la purge universitaire en 2010 ont finalement vu leurs contrats de travail (pédagogiques) résiliés, mais – à la
différence de nous qui, en 2010, étions tout simplement jetés dans la rue - tous ont reçu au moins une offre de
l'emploie en tant que chercheurs. Alors, il ne s’agit nullement de la purge en 2016 – mais le mot « purge » qui
était alors (2010) prohibé (et même mon libre de poésie a été en 2011 menacé par Madame Vesna Mikolič des
sanctions judiciaires à cause de l’évocation du purge), est en ce moment (octobre 2016) abondement utilisé
par les ex-exécuteurs de la purge réelle de 2010. Ce tour de 2016 a permis aux bourreaux d’jadis de se
proclamer persécutés et dissidents. De cette manière et grâce à l'oubli complet du passé récent (la purge de
2010) en Slovénie les bourreaux deviennent toujours et nécessairement les « victimes » et « dissidents ». Ainsi,
les dissidents réels n’ont ni leur place ni les droits élémentaires dans une telle société.

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

politiques. Parfois les idéaux et les buts se transforment, au cours du parcours par le chemin
vers la mise en œuvre, en quelque chose de totalement différent du souhaité, impliqués
comme ils le sont inévitablement dans l’espace social spécifique avec toute sa pathologie, ce
qui n’est pas contrôlable par une poignée des gens. Dans l’espace social slovène, tout
spécialement rempli par toute une série des torsions et des aberrations non réfléchies (dont
la pire est un anti-intellectualisme viscéral et spontané sur tous les plans), qui est, de plus,
inerte et conformiste, il y a une multitude des forces affectives et refoulées empêchant une
mise en œuvre rapide des réformes nécessaires pour l’amélioration suffisante des
conditions de travail et de communication à l’université. Un absurde singulier et,
simultanément, un indice de l’anti-intellectualisme et de l’inversion carnavalesque des
valeurs dans le milieu est le fait que les gens les plus couards, les plus irrationnels, les plus
myopes se trouvent à la FHŠ/FSH justement là où les collaborateurs devraient disposer
d’une quantité supérieure d’outils pour la compréhension et la transformation efficace des
circonstances sociales. Si l’université ne réussira pas de se débarrasser de ses
obscurantistes, ses receleurs et ses avides intérieurs, les suspendre, les confronter à leur
responsabilité légale, elle sera anéantie avant même qu’elle ne méritera l’appellation
d’université.

Question : Vous étiez six ans à l’Université du Littoral, vous aviez investis énormément de
travail dans une de ses membres (la Faculté des sciences humaines) et, finalement, vous
vous voyez flanquée à la porte. Vous avez dit à propos de cela pas mal de choses mais
nullement tout. Ici, c’est votre vision actuelle de l’université qui m’intéresse. Y-a-t-il plus
de distance qu’avant ?

Kramberger : La purge était bien réelle malgré les


ratiocinations des avocats et des « conseilleurs
juridiques » sur les termes appropriés pour à la fois
nommer et dissimuler la purge sous l’hocus-pocus ou
le passe-passe juridique, et de produire une
décoration appropriée de la situation pourrie. Ces
spécialistes ne se sont aperçu, de même la direction,
qu’il existe une Loi sur l’enseignement supérieur à
laquelle ils ont fermé leurs oreilles quand Braco
(Drago Rotar) en faisait la référence. De plus, le
jargon juridique ne comporte pas à lui seul des
jugements définitifs. Les phénomènes dans les
perspectives sociologique, anthropologique ou
historique ne s’appellent pas également comme
dans le registre juridique et ces dénominations ne
sont pas moins pertinentes, bien au contraire.
Chaque discipline dispose de sa propre pertinence et
de sa propre terminologie et les interférences entre
disciplines ne se font pas selon le gré d’un tel.

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ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

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Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

Comme j’ai déjà dit et écrit à plusieurs reprises, la distance de temps qui par les jours, mois,
ans écoulés se fait la garantie de véracité, n’est pas l’unique distance ; je me demande si elle
est légitime effectivement, si elle n’est qu’une excuse pour léthargie et contrefaction, car,
enfin, un imbécile ou une falsification restent ce qu’ils sont sans égard à l’éloignement de
l’événement qu’ils maltraitent. Plus importants que cette distance aux caractéristiques
mystérieuses sont les outils conceptuels et la distance d’ordre épistémique que j’aie eu, à
vrai dire, bien avant le temps où j’ai travaillé à l’Université du Littoral à Koper (c’est pour
cette raison que j’aie eu la salle de conférences toujours pleine des étudiants, je savais
comment animer les jeunes gens par d’autres moyens que les patrons et les formules
usagés). Cette dernière distance était décisive parce qu’elle était l’effet de la coupure
épistémologique, elle était aussi, en tant que telle, irréversible. Ma vision actuelle de
l’université ne diffère beaucoup de celle de ce temps préalable. Aussi en ce qui concerne la
constitution de l’espace universitaire en tant que l’espace de la liberté intellectuelle sous-
tendu par une structure éthique dominé par l’amour de vérité et de connaissance, et les
rapports non ségrégatifs de collégialité comme les valeurs de base. Cette structure éthique
comporte une limite exprimée comme la structure formelle des disciplines, elle n’est
nullement infinie dans toutes les directions, elle n’est ni conformiste ni arbitraire à
l’encontre de ce qu’en pense le populo de la FHŠ/FSH. La source des paroles qu’inspirent les
jeunes gens et disposent d’une puissance idéelle tout en étant ouvertes pour une
élaboration future est toujours, d’une façon ou de l’autre, la vie individuelle et sociale : elles
stimulent la vie, s’identifient à la vie en lui donnant les formes différentes. Je me suis
efforcée de maintenir ce type d’acquisition du savoir engagé par mon travail à la faculté – et
on faisait bien et beaucoup jusqu’au moment où il est apparu aux membres de la direction
que leurs positions aient été assez fortes pour qu’ils auraient pu leur débarrasser de cette
vie et de ce bouillonnement intellectuel pour leur substituer les calibres qui, tout en ne
mesurant rien, étaient propres à dominer par manigance. Cette manifestation réitérée de la
philosophie du patelin (filosofija palanke) de philosophe serbe Radomir Konstantinović
(fortement réactualisé dans cette période d’après la désagrégation de la Yougoslavie) a été
une expérience extraordinaire. J’ai les matériaux pour les analyses, essais, proses, poésie
pour toute une vie. Dans un lieu, on ne rencontre pas un tel nombre des spécimens
tératologiques (notamment du point de vue psychique et moral) qu’à FHŠ/FSH, même si l’on
les cherche, en plein jour, la torche allumée à la main. Je vois que maintenant où les choses
sont en train de se voir attribuer un cadre juridique et où pêcher dans les eaux troubles ne
sera plus possible, certains d’entre eux se sont mis en fuite comme les rat du bord d’un
navire en perdition.

Question : Vous êtes encore employé à l’université. Si l’on jette un coup d’œil sur ses
valeurs écrites dans la page d’Internet officielle (http://www.upr.si/univerza/predstavitev-
in-vizija/poslanstvovrednote-cilji/) peut-on dire que l’Université du Littoral soit une
université autonome, libre et ouverte ?

Rotar: Je suis en train de mettre la fin à mon emploi à l’Université du Littoral à Koper, mais
je vais travailler à l’université quelque part ailleurs encore un an ou deux. Les « valeurs »
écrites dans les feuilles de présentation de l’Université du Littoral sont intentionnées
comme les public relations voire comme propagande ou publicité et non pas comme

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par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
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quelque chose qui obligera les directions et les collaborateurs. Recteur Bohinc qui participait
à la production de ce verbiage « autonomiste » s’est appliqué à obtenir son contraire
spéculateur et lucratif. Bohinc, qui était d’après la Loi sur l’éducation supérieure le
protecteur de la légalité, a soutenu, par exemple, la purge illicite à la FSH en 2010 et s’est
engagé dans son exécution. Dans les têtes de la direction, l’Université du Littoral était
ouverte come une conserve et libre comme une succursale provinciale de la clique
néolibérale interne et internationale.

Question : Parmi les objectifs de l’Université du Littoral se trouve aussi le suivant : «...
jusqu’à 2013 nous nous rangerons parmi les 1000 meilleurs selon le classement de
Shanghaï. » Combien cet objectif est, selon vous, accessible, tenant compte de la position
du moment de l’Université du Littoral, plus largement, dans l’espace de l’enseignement
supérieur et de l’espace social ? Est-ce qu’il est, après tout, important qu’une université
soit rangée dans un classement quelconque ?

Rotar: Cet objectif que les directions passées et actuelles des universités slovènes
réitéraient comme les perroquets, et avec un sérieux obstiné, est dans beaucoup endroits
objet du persiflage de tout le monde, ainsi les bureaucrates de l’UE ont remplacé le
classement de Shanghaï par un autre, également imbécile et saugrenu. C’est que les
classements et mesurages fournissent un base d’action aux personnes qui ne disposent pas
de la moindre idée sur la science mais qui se trouvent dans nos régimes économico-
bureaucratiques en situation de en décider et, ainsi, de « gouverner ». Si la bande
néolibérale « sera descendue » du pouvoir (probablement cette descente ne sera pas si
paisible que celle du pouvoir « communiste » dans le Bloc de l’Est – vraisemblablement dans
la perspective de sa métamorphose néolibérale préparée d’avance – , et elle ne va pas se
produire jusqu’à 2013), l’Université du Littoral, dans le cas où elle maintiendra cet objectif
imbécile comme la mesure unique, n’aura pas de concurrence trop dure dans ce palmarès
pour les places élevées. Mais, selon toute évidence, la nouvelle direction de l’Université du
Littoral est beaucoup plus intéressée dans un bonne université que dans le positionnement
selon un des classements niais qui prolifèrent parce que la fabrication de tels classements
est un artisanat lucratif.

De plus, Taja et moi avons écrit, en 2009, un article sur ce classement – extrêmement
insignifiant pour la science, pour la recherche scientifique, pour les scientifiques et leurs
preneurs sociaux, mais enthousiasmant pour les bureaucrates et les spéculateurs financiers
dans les gouvernements, et les « think-tanks » - comme un critère « objectif », presque
« scientifique » de l’activité scientifique qui, moyennant une mesure « objective » et
« universelle » mais invalide (comme par exemple le litre ou le mètre pour mesurer
l’énergie) mesure quelque chose qui surpasse cette mesure de toutes les côtés.

Question: L’espace de l’enseignement supérieur en Slovénie se trouve ses dernières


années sous grandes pressions. Je parle de la chute des normes provoquée par la reforme
dite de Bologne, les facultés sont devenues les usines pour produire les diplômés, l’espace
de l’enseignement supérieur est occupé par la mentalité néolibérale, l’applicabilité des

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études est constamment soulignée ... est-ce que la science en tant que science puisse être
applicative ? Quel est le rôle de la science dans notre espace et quel il devrait être ?

Rotar : En tout cas, ce qui se passe à Butale est la mesure de Butale, 4 et non pas des gens
qui ont signalé cette spécialité. L’espace de l’enseignement supérieur en Slovénie, comme
vous le dites courtoisement, s’écroule en lui-même parce qu’il ne dispose d’aucun critère
autonome et accepte toutes les « suggestions » du pouvoir. Les gens de premier plan dans
cet espace ne connaissent pas l’usage du miroir et ne voient ni les conséquences de leurs
positions/gestes non principielles ni leur rôle dans l’effondrement. Or ce n’est qu’une suite
tardive de la mentalité prépondérante dans les champs d’enseignement supérieur local. Par
l’utilitarisme, par l’esprit boutiquier, par la vénalité personnelle, par la mentalité artisanale,
par l’« applicativisme » comme idéologie (pour laquelle ce qui est appliqué et d’où vient ce
qu’y soit appliqué n’a aucune importance pourvu qu’il s’applique) il n’est pas possible ni de
fonder ni de maintenir l’université qui correspondrait à son concept. La science en tant que
le processus cognitif produisant les connaissances ne peut pas être applicative, ce qui peut
être applicatif ce sont les adaptations des connaissances. La formule simple disant qu’il n’est
pas possible d’appliquer quelque chose si cette chose ne préexiste pas à l’application est,
pour les bureaucraties provinciales (et pas exclusivement provinciales) et pour la catégorie
des gens qui s’attribuent eux-mêmes le nom d’économistes ou d’entrepreneurs ou
d’intelligence technique, hors de la portée de leur compréhension. La science dispose de ses
propres canaux de socialisation et l’application n’est que l’un d’entre eux, les autres,
beaucoup plus importants pour les habitants de la planète que les profits obtenus par les
applications interviennent dans la mentalité des populations moyennant les systèmes
d’éducation et de publication. L’employabilité, qui est sans doute un problème social grave
suscité par l’économie capitaliste, n’est, d’une côté, dans le discours régnant, qu’une bulle
d’air (déjà dans l’économie capitaliste classique elle est impossible à pronostiquer, elle l’est
encore moins dans l’économie néolibérale), et de l’autre, il s’agit de la destruction très
concrète de la science et des institutions scientifiques, telle qu’elle était mise en œuvre par
tous les gouvernements de la Slovénie indépendante, et l’effondrement définitif sera
l’œuvre du gouvernement actuel, car le ministre pour n’importe quoi et presque tout
fanfaronne que l’enseignement recevra les nouveaux objectifs. Les usines des diplômés sont
la suite de l’anéantissement de la conscience civique pour laquelle l’instruction est un des
droits fondamentaux de l’homme, en même temps qu’elles sont aussi les instruments de cet
anéantissement. Elles sont sa suite parce qu’elles sont le produit de la mise en relation
idéologique entre l’employabilité (disponibilité pour les employeurs) et l’instruction
(apprentissage pour un meilleur service pour les employeurs et les clientèles au pouvoir). Ce
n’est que d’un tel point de vue qu’il soit possible de dire qu’une société soit trop cultivé
(overcultured) et une population trop instruite (overeducated), tout comme si la culture et
l’instruction feraient l’obstacle a un travail quelconque. Depuis toujours cette platitude est
chaleureusement acceptée dans les milieux non urbanisés et intellectuellement déficitaires
4
Butale – le nom du village fictif où vivent les Butalci (Gribouilles), les habitants roussis et autosuffisants de
Butale. À La source de ces nominations est le livre fameux humoristique d'un écrivain slovène Fran Milčinski
(1867–1932). Dans son livre Butalci (1949) il a bien décrit déjà en ce-temps là le niveau structurel de l'inversion
des tous les valeurs de la société disons-nous « normal et civilisée ». Il était juriste et il a vécu pendant toute sa
vie en Slovénie.

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ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
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comme la vérité évidente. Elle


s’exprime dans les couples
oppositionnels comme : (d’abord)
vacherie (ensuite) vache ; base
(économique) – superstructure
(idéologique et culturelle) ; travail
– luxe superflu, etc. C’est par cette
vérité (de la Palice !) que l’on
puisse vite tourner les couches
sociales les plus démunies contre
ce que puisse les amener à l’issue
des conditions funestes. Ainsi,
dans notre situation, les dominants
ne veulent pas d’issue de ces
conditions qui leur permettent une domination toujours plus totalitaire, et les dominés ne
veulent pas en sortir parce qu’ils ont assimilé les valeurs de leurs oppresseurs. Le chemin
vers la solution est l’instruction comme le droit parce qu’elle réduit la possibilité des
supercheries moralistes, idéologues et de sens commun. Donc la ruine du système
d’enseignement public n’est pas une faute, une erreur ou un faux pas mais bien l’objectif de
cet un pour-cent de la population humaine qui s’est emparé de la puissance sociale dans sa
presque totalité (tout le capital social) à l’exception de la puissance intellectuelle et
culturelle. La dégradation économique, culturelle et intellectuelle des sociétés entières et
des groupes sociaux entiers fait partie du programme néolibéral (néo-conservatif) à partir
de son début par Hayek et la compagnie de Saint-Pèlerin ; les successeurs, les émules et
autres clones de ces « géants de pensée », dont le mérite est le démantèlement de
l’économie en tant que science et en tant que technique sociale, ne font que propager leur
programme partout dans le monde. Aucun Krach n’est pas dû au hasard, même pas celui de
la Slovénie.

Question : Est-ce que vous pouvez dire que vous êtes désespéré de cette université et de
cet État et que vous préférez orienter constructivement votre énergie vers un ailleurs ?
Lequel ?

Rotar : On n’est pas désespéré, mais pendant ce temps où nous travaillions ici, à Koper, on
est parvenu à maintes constations. L’Université du Littoral s’est enlisée dans les mains des
gens tout à fait faux ayant le pouvoir d’exécution dans les moments décisifs, tandis que,
dans les pays comme la Slovénie, il manque systématiquement et constamment des gens
compétents. Ces gens faux, c’est-à-dire les « fondateurs » (mai qui bien sûr de loin n’étaient
pas les seuls à participer dans la création de l’Université du Littoral), pour la plupart les
ambitieux, spéculateurs et imposteurs, jouaient devant le public le spectacle d’altruisme, de
dévouement à la cause, tandis qu’en réalité ils ne voulaient qu’obtenir un fief intouchable
inabordable pour eux sans le soutien, voire l’abus, de certains véritables scientifiques et du
milieu local ébloui. Les scientifiques sérieux ont été devenus ainsi gênants, et, notamment,
dans les disciplines où l’activité scientifique comporterait aussi la réflexion de la distribution
de pouvoir social et des circonstances de cette distribution : ce sont les disciplines des

8
Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

sciences humaines et sociales. Certes, les disciplines naturalistes semblent moins exposées
aux manipulations et abus de la sorte, mais elles le sont néanmoins. Mais elles sont moins
désagrégées et, pour cette raison, elles représentent l’unique espoir pour l’Université du
Littoral. La candidature de Dragan Marušič pour recteur et ses premières mesures montrent
qu’il soit prêt, en tant qu’initiateur, co-fondateur de l’Université à Koper, et en tant que
scientifique, de s’engager pour l’avenir des toutes les sciences abritées par cette université.
Il va de soi que tout ce qui porte le nom de discipline scientifique n’est pas eo ipso une
discipline scientifique. Peut-être cet effort des scientifiques naturalistes pour créer, malgré
les engagements contraires des tenants actuels des places des sciences humaines et
sociales, une possibilité pour les sciences humaines et sociales au sein de l’Université du
Littoral sera couronnée de succès. Taja et moi soutenons Marušič et vice-doyen Drevenšek
dans leurs effort, mais nous ne pouvons collaborer avec un collectif ayant signé en
corporation les lynchages et participé à la traque, répandu les diffamations sur nous et les
autres scientifiques harcelés. De plus, nous sommes convaincus qu’on puisse faire quelque
chose d’utile des employés de la FHŠ/FSH si ceux-ci feraient une autocritique rigoureuse et
exhaustive qui montrerait qu’ils sont capables de l’autoréflexion. Au lieu de se prosterner
devant les véritables dévastateurs des sciences humaines et sociales, ils pourraient prendre
les choses dans leurs mains sans attendre que quelqu’un d’autre le ferait à leur place, tandis
qu’ils (elles) continueraient à rouspéter et jouer les sages.

Partie 2 :

Question: Si l’on dit que le capital financier dirige la politique slovène d’où s’ensuit qu’il
n’y ait pas de différences entre la-oui-disant gauche et la droite. Quelles sont les
possibilités pour qu’une nouvelle politique (de gauche) prenne naissance dans l’espace
politique slovène, telle qui ne s’amarrerait dans les modèles de gouverner néolibéraux ?
Où vous voyez la chance de l’apparition d’un tel mouvement ? Enfin, dans ce dernier
temps, on peut sentir un bouillonnement qui pourrait s’intégrer en un mouvement
puissant.

Kramberger : Mes recherches historico anthropologiques me dirigent vers la constatation


qu’une gauche ayant un programme de gauche consistent n’a pas existé en réalité ni
pendant les décennies passées dans le cadre yougoslave ni dans la Slovénie indépendante.
Une autre question est celle des dominations : qui s’est senti à la gauche, s’est proclamé la
gauche ou s’est appelé gauche, et quelles en étaient les raisons ? Certes, le système de parti
unique est bien différent du système à plusieurs partis, mais aucun n’est pas démocratique
par lui-même. Et il reste que l’espace mental de l’Europe centrale soit, dans sa totalité,
déplacé au moins deux dégrées vers la droite à cause de sa mentalité provenant de la
Contre-Réforme et de la série des ré-évangélisations catholiques dans 16e – 20e siècles. Une
gauche ferme et basée sur les valeurs civiques rationnelles fait défaut car les soi-disant gens
de gauche ne comprennent même pas ce que veut dire une éducation républicaine et
laïque, une séparation des églises de l’État (s’ils les savent la signature du Concordat – Traité
de Vatican et l’État de Slovénie en 2004 – très nocif pour la démocratie dans le pays n’aurait

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

pas eu lieu),5 etc. L’éventail politique slovène, marqué de façon prépondérante par une
politique égoïste et triviale, sans une dimension du politique, c’est-à-dire par la chasse aux
conjonctures politico-économiques et idéologiques et l’accommodation excessive à la
« géopolitique mondiale » où il n’y a pas de place pour une politique effective et
responsable émanant du mandat décerné par les citoyennes et les citoyens. Et qui
commence par ce qui, en France ou en Allemagne, s’appelle le centre politique. En Slovénie
à l’emplacement du centre politique se remue un magma informe et palpitante qui ne
dispose d’aucune idée de l’histoire de la gauche européenne et de ses postulat, mais qu’on
a baptisé, pour l’usage locale (et pour les raisons de dissimulation internationale), la gauche.
C’est probablement l’effet du refoulement total de la gauche pertinente et programmatique
quelconque pendant le régime titoiste (la haine, de la part du PCY régnant, envers les
formations de gauche malingres était incomparablement plus grande qu’envers les cléricaux
ou nationalistes malgré leur collaboration pendant la guerre). L’aile droite dispose d’une
existence relativement plus nette. Mais pourtant ce que, dans les pays de l’Europe
occidentale, est une droite nettement délimitée par rapport à une gauche aux contours
clairs, n’existe pas en Slovénie, la droite locale est une extrême droite par le fait des
traditions auxquelles elle renoue (clérico-fascisme, fascisme yougoslave, nationalisme de
race) et par affinités synchroniques (Orban, par exemple), mais il existe aussi de micro
formations idéologiques et plutôt criminelles à droite de l’extrême droite. Les politiciens et
les penseurs politiques des pays de l ‘Ouest européen ne se rendent pas compte
suffisamment de cette déformation dans l’espace socio-politique de l’Europe centrale et,
pour cette raison, ils ne comprennent pas les menées et le mimétisme-socioculturel
effectué par les tenants centre-européens des fausses apparences et des promesses
frauduleuses. Les activités (politiques) dans le domaine du politique (la sociabilité laïque
incluse) s’avèrent presque impossibles dans les pays de cette région, elles sont
immédiatement bloquées et dévoyées soit par système de répression (une action
d’ébranlement total se déclenche automatiquement contre tout programme politique de
quelque consistance baptisé « radical »), soit par la mentalité générale (les campagnes quasi
spontanées de diffamations, des affaires inventées, les procès montés, les spectacles
médiatiques de dénigrement à côté du silence total sur les dimensions réelles des
phénomènes). Les activités constructives ne sont passibles que dans les communautés
isolées et fermées avec une tendance accentuée d’autarchie, mais cela mène vers un autre
système social qui n’est plus une démocratie civique. La gauche slovène d’aujourd’hui n’est
qu’un semblance de la gauche.

Les gens ne peuvent se déterminer que par l’action civile. Mais, hélas, de règle générale, ils
ne se déterminent pas en fonction de leur constatation ou perception de ce qui ne marche
pas dans le pays mais parce qu’une telle détermination devient aux certain moments
opportune. Quand ceux qui ont participé à l’importation du néolibéralisme dans le pays (e.
g. la gauche et ses porte-paroles intellectuels) par l’intermédiaire de leurs propres modèle
5
Officiellement sous le titre « Accord entre la République Slovénie et le Saint-Siège sur les questions juridiques
» (signé par Dimitrij Rupel pour la Slovénie et par Jean-Louis Tauran pour le Saint-Siège en 2001, ratifié par le
président de la République de Slovénie Janez Drnovšek en 2004). La version italienne se trouve ici en bas. Par
ce concordat tous les autres religions en Slovénie se sont, soudainement, trouvées dans une position
inférieure.

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

culturels se mettent à parler contre le néolibéralisme, les autres, ceux qui le combattaient
pendant deux décennies ne peuvent se ranger à côté des premiers dans un combat
apparent, désormais voué à apporter les bénéfices aux conjoncturistes, qui ne peut plus
susciter ni les changements structurels ni couper la distribution des rôles de pouvoir aux
oppresseurs de hier. L’engagement de ces derniers contre le néolibéralisme ne peut
qu’indiquer le revirement par les « toujours pérennes » ayant terminé l’ « opération
néolibéralisme » pour la remplacer par une autre qui leur permettra justement de se
maintenir au pouvoir. Dès que ces créatures commencent à critiquer le néolibéralisme voire
quand un telle démarche cesse d’être dangereuse, on peut s’attendre que la même
domination abusive, ses agents inclus, soit en train de changer le nom (mais nullement sa
nature). Dans le cas ou s’établit une collaboration des anciens combattant contre le
néolibéralisme avec les anciens néolibéraux, les changements réels du fonctionnement
social en faveur les démunis ne sont plus possibles. C’est qui reste est une révolution
déboussolée – car, grâce à l’engagement mensonger des médias, on a rejeté les repères
historiques « trop radicaux » sans les remplacer par plus plausibles – avec un risque accru de
victoire de l’obscurantisme « populaire » (volkisch, on disait en Troisième Reich). Nous
sommes sur ce point mais les gens ne sont pas en condition de le percevoir. [Ni les collègues
à l’Ouest qui, malheureusement, ont soutenu les oppresseurs à l’ISH et pas la minorité
légaliste, vaillant et brutalement purgée déjà au temps de la purge et du putsch à l’ISH en
2004,6 et ont pour la deuxième fois désavoué nos espérances en 2010. Mais, entretemps,
nos luttes se déroulaient dans plusieurs domaines et nous en sommes sortis renforcés.]

Question : Est-ce que vous pensiez qu’un enseignant ou chercheur universitaire devrait
renoncer, pour des raisons d’hygiène, à son engagement politique et à l’expression
publique de son appartenance politique ?

Kramberger: Non, absolument pas. Ce qu’il est nécessaire, c’est de distinguer entre
l’engagement militant pour un objectif social ou politique et l’engagement
incomparablement plus complexe et bien spécifique d’un enseignant-chercheur dans la
production et transmissions diverses des connaissances. Ce qu’il fait dans son temps libre
(s’il lui reste un temps libre) ne regarde que lui-même. L’université, enfin, n’est pas encore
ni un cloître ni une paroisse mais un lieu de fonctionnement de la science.

Je suis d’accord avec Gérard Noiriel sur son propos disant que l’engagement civique soit une
forme légitime de participation dans l’espace social. Bien sûr, cet engagement n’est pas une
apologie de personnes et des doctrines, ni même agitation électorale dans les salles de
conférence – là il est complètement déplacé ; il y a une différence essentielle entre une
discussion à propos des arguments liés aux perspectives politiques et idéologiques variées
dans une salle de conférence et l’étalement du tapis rouge devant une faculté à l’occasion
d’une visite ministérielle, l’écartement de la rampe des handicapés pour les raisons de
l’esthétique obséquieuse, c’est-à-dire la décoration sacralisant les locaux universitaires à

6
Tous les documents sur le putsch à l'ISH en 2004 ont été publiés dans le numéro spécial du Monitor ZSA (vol.
VII, no. 1-4-, 2005) sous la direction de Taja Kramberger.

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

l’apparition d’un politicien. 7 La première évoquée est une activité intellectuelle normale, le
second n’est qu’une adulation servile et l’abus de la politique. Au moment où un politicien
franchit le seuil d’une université, il devrait suspendre toutes ses prérogatives, car l’espace
universitaire n’est pas un espace de la hiérarchie des services mais de l’argumentation
conclusive. En pénurie d’arguments, le politicien non qualifié y risque d’être coincé par
l’assistance. Dans les pays évolués, démocratiques et monarchiques, ce changement des
critères est quelque chose de normal et d’attendu (sauf dans les cas des régimes totalitaires,
la dictature du capital financier incluse sans égard de son appellation du moment) ; en
Slovénie (et dans d’autres pays de la région de l’Europe centrale et orientale), un étudiant et
un enseignant qui se permettent une discussion sur le pied d’égalité avec un dignitaire
politique sera après l’événement déclassé et exclu à cause de son transgression de la valeur
quasi sacrale attribuée au domaine politique et à ses agents. En s’engageant en tant que
citoyen, on mobilise, grâce à sa pensée critique, les connaissances élaborées pendant
longues années d’efforts intellectuels et de recherches. Participer aux mouvements civiques
pour le bien de la société est le droit, mas aussi le devoir des individus. En s’engageant ainsi
on participe à la pluralité des voix et contribue à ce qu’on n’entend plus que le voix triviales
des politiciens provoquant l’hébétude et la passivité des gens, car les politiciens, par leurs
ratiocinations, ne montrent pas les sorties d’une situation grave pourtant trouvables
moyennant une quantité relativement petite des savoirs. En tout cas, mobiliser les citoyens
et les citoyennes dans l’espace public est un choix incomparablement mieux que de laisser
se trainer par les politiciens et politiciennes dans n’importe quelle direction. Ce qui est
nécessaire ce sont une vigilance constante et une réflexion au fur et à mesure des
événements pour rendre possible un contrôle effective de la part du corps citoyen.

Un des problèmes importants dans l’appréhension des conditions sociales et politiques est
confusion malheureusement très courante de l’histoire et de la mémoire. Les historiens,
sociologues, anthropologues slovènes ne sont même pas en état de s’apercevoir de
l’existence d’une telle distinction, de plus ils n’en ont aucun intérêt, bien au contraire, cette
confusion est elle-même la condition sine qua non de leur position d’interprètes autorisés et
consacrés en fonction des besoins des gouvernants du moment. La distinction, elle, est
néanmoins des plus importantes pour la vie libre de tous le gens dans la société car elle
concerne la nature (déterminante et aveugle ou compréhensive et constructive) du lien avec
le passé. Les membres d’une communauté ont besoin, pour leur vie collective et privée, de
deux : la mémoire qui est constitutive de l’identité personnelle en tant que membre et est
composée des souvenirs sélectivement conservés et transmis dans un groupe, et l’histoire
qui est une collection des connaissances acquises et objectivées dans des perspectives
différentes sans une prétention identitaire.

Les historiographies nationalistes ou ethnocentriques qui tirent leur origine du paradigme


historiciste du 19e siècle (et l’historiographie slovène est de cette espèce) ne rentrent, in

7
Les choses mentionnées (tapis rouge, la rampe cachée, l’adulation envers les politiciens, etc.), se sont
réellement produits à la FHŠ/FSH à Koper, dirigée alors par la doyenne Vesna Mikolič (qui a aussi déclenché la
purge de personnel à la faculté en 2010). Les documents de la purge universitaire à Koper en 2010 se trouvent
ici.

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

stricto sensu, dans le champ de la science historique qu’au titre des objets de recherche –
leur rapport au passé est mémoriel et constructif des traditions (dans le sens d’invention de
tradition). Cela veut dire que les historiens et historiennes de proue de cette orientation
sont en service des enjeux politiques, voire des politiciens, et qu’ils produisent une
« histoire chaude » du groupe auquel ils appartiennent – c’est-à-dire produisent la mémoire
de leur groupe politique.

La mémoire ne se distingue pas de l’histoire scientifique (analytique) tellement par sa


méthode et par la fréquentation des archives mais par le type des questions que l’on se
pose. Et le rôle principale de l’histoire est d’aider les gens à comprendre de façon
rationnelle leur propre rôle et leur propre place dans le monde, voire de les libérer des
pressions mémorielles et identitaires résorbant leur existence réelle dans un imaginaire,
inévitablement psychotique parce que coupé du réel, et dans les conflits qui s’ensuivent.
L’historiographie slovène n’est pas encore à l’heure scientifique, elle refuse opiniâtrement le
horizon cognitif en bloc tout en imposant une seule perspective (nationaliste et vectorielle).
Différence entre l’histoire et la mémoire une fois connue, on comprend mieux les liens entre
ces deux types du rapport au passé : la relation entre eux n’est pas hiérarchique, ils
coexistent en chaque moment. Ce qu’il faut apprendre n’est que contrôler le passage entre
eux sans les confondre, voire en évitant l’instrumentalisation de l’histoire.

En raison de la conglomération obscure des catégories aux natures différentes il semble


parfois plus « hygiénique » qu’on passe sous silence son appartenance politique, mais le
comportement de la sorte n’est pas plausible dans la république qui prend la polyphonie
pour sa base, il fait, par contre, partie de la « décence » dans une situation provinciale
indifférenciée. Tout un chacun dispose d’ailleurs du droit d’exprimer son opinion ou
conviction si seulement elle ne met pas en danger les vies et les existences des autres.

Question : D’où s’ensuit la question si la


séparation du domaine professionnel ou
artistique du domaine privé pourrait être si
simple ? Je pense surtout au fait que les idées
et les convictions d’un particulier ne puissent
être séparées de son activité et qu’on ne
puisse pas les traiter comme quelque chose à
part. Ou bien ?

Kramberger: Non, elle n’est pas simple. Il s’agit


des niveaux différents des engagements et des
actions humains qui, évidemment,
s’enchevêtrent dans l’individu mais qui ne
sauraient être réduits aux seules inclinations et
à la subjectivité de sa personne. On est lié à la
société par des liens dans les lieux
innombrables et on n’apparaît ni réagit pas
partout de la même manière et, pourtant, ces

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
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par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

apparitions et ces réactions restent nos émanations et les expressions de notre


personnalité. Une profession en elle-même n’est pas séparée de la totalité de notre vie, et,
notamment, dans les cas où il s’agit d’un travail créatif. La séparation est une des
conséquences, à côté de la segmentation de la vie sociale, de la dégradation du travail à la
marchandise et de la valeur du produit à sa valeur marchande. Un des objectif des
idéologies totalitaires, des cléricalismes et fondamentalismes au néolibéralisme, est la
totalisation de cette segmentation et l’élimination définitive de toutes activités hors du
contrôle des puissants.

Donc la séparation du professionnel et du personnel est loin d’être simple ; la seule


simplification valide est d’ailleurs celle qui comprime une complexité en une formule
compacte mais qu’on puisse desserrer de la façon régulière – la formule n’étant qu’un
concentré manipulable. Une simplicité qui ne serait pas un concentré d’une entité complexe
n’est pas, à proprement parler, une simplicité sensible mais un leurre de banalité. Et être
capable d’absorber la complexité veut dire être pleinement engagé dans une réalité, de la
vivre pleinement, de n’avoir pas peur de sa nature peu transparente dans l’immédiat, de se
confronter à ses propres fautes et aux fautes des autres, aux déplaisirs, aux frustrations,
bref, se frayer un passage, autant de manière professionnelle que de façon personnelle, à
travers tous les changements de vie dans tous les rapports compliqués, dans tous les
enchevêtrements possibles. Il n’y a pas de solutions ou de voies faciles. Les connaissances
ne se forment qu’après avoir accompli la réflexion et la rationalisation du vécu, après l’avoir
refait – c’est pour ça qu’il n’y a pas de théorie (distincte de la spéculation) sans pratique.
Entre la conviction ou la réflexion et l’activité existe bien une réciprocité complexe qu’on
doit prendre en compte si l’on veut interpréter les actes d’un particulier / d’une particulière.
Le discours est toujours produit, effet de ces processus.

La frontière entre le privé et le public est un fait social et culturel qui existe partout, bien
que non pas partout dans la même forme et avec la même importance. Dans les sociétés
européennes, notamment dans les classes moyennes de ces sociétés, cette frontière sert de
défense contre l’arbitraire et le contrôle des dominants, dans les autres groupes sociaux il
ne va pas nécessairement de même. Dans le cas du travail scientifique et artistique, le privé
est limité plus strictement aux choses personnelles tandis que les procédés et les résultats
sont publics si le public est partie active de la société et non pas les médias qui sont trop
souvent les émissaires des puissants. Le public est sans interpositions une partie du corps
social. Et il est au pluriel ; ses fraction les plus importantes forment l’espace culturel,
intellectuel, etc. d’une société – ce qui forme un décalage d’avec la totalité du corps social
et est en fait une usurpation.

Les autorités dans un État non démocratique font les obstacles au fonctionnement des
sujets, elles sanctionnent et marginalisent la pensée des gens en la situant délibérément
dans la contradiction avec l’action. Elles y intercalent, moyennant les appareils idéologiques
contrôlés par elles – à commencer par le système d’éducation et les présentations
artistiques – une césure qui met les gens dans l’embarras, stress, mécontentement, en
créant, simultanément à cette dissociation, un espace de manœuvre pour la manipulation
des gens. Être créatif veut dire excéder cette séparation et devenir, selon Jacques Rancière,

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

le corps de la vérité pour ses paroles. C’est probablement le plus qu’on puisse faire dans la
vie.

Question : Qu’en est de la séparation de la poésie de la science ? Est-ce qu’il y a, là aussi,


une interpénétration, un enchevêtrement et transvasement d’un champ vers l’autre, est-
ce que, ce faisant, on doive être plus attentif ? Combien, dans votre cas, la science
complète la poésie et vice versa ?

Kramberger : Pour moi, l’art et la science sont comme la main gauche et la main droite en
faisant du piano : impraticable sans un rôle actif des deux mains. Il faut apprendre de
bouger sur les deux pistes, mentale et sensuelle, les intégrer en une totalité de parcours. Les
problèmes du début y ne sont pas des tribulations mais les supports, richesse, outils de
connaissance auxquels on peut prendre l’appui plus tard. Mais il est vrai que la majorité des
gens ne parviennent pas de passer ce premier niveau, ils en désespèrent avant – peut-être
aussi à cause de l’indolence des enseignants ou des méthodes pédagogiques odieuses. C’est
que les débutants ne savent pas encore c’est que les mêmes méthodes qui les détournent
des difficultés soient aussi bien celles qui empêchent leurs progrès. Donc, pour moi, la
littérature et l’anthropologie historique sont deux grands champs complémentaires
d’investigation du monde. Chacun d’eux fonctionne selon ses propres règles, ordre et
rythme, chacun réagit par ses propres demandes et instruments. Il s’y agit, d’une côte, de la
lecture poétique sensible, du tâtonnement et de la reconnaissance du monde, de l’autre des
fouilles anthropologiques relationnelles dans la poursuite du savoir et des connaissances.
Dans la poésie je trouve beaucoup de raffinage de l’anthropologique, dans l’anthropologie
beaucoup du subtilement poétique. La « prudence » probablement n’est pas un mot
approprié, on doit prendre les risques, engager sa personne jusque à son corps pour ses
paroles. Sans quoi la voie vers les connaissances ultérieures se trouve coupé ou elles
s’inscrivent dans un corps mort comme dirait R. Barthes.

La poésie (mieux: le langage poétique) est mon « éther » principal, ma relation au monde, je
me sens à l’aise dans elle. Cela veut dire que mon appareil mental soit fait de la sorte qu’il
n’ait pas besoin des rajustements supplémentaires pour la poésie, je vois, je comprends
immédiatement les rapports entre ses éléments, son architecture significative.
Probablement il va de même pour un musicien qui comprend, dans toute sa constitution
complexe, une partition, un œuvre de musique immédiatement, en l’écoutant.
L’anthropologie historique consiste surtout en combinaison des savoirs accumulés et la
maîtrise des outils pour la réflexion sur la société. On est capable d’apprendre ces outils et
leur utilisation. Mais dans la reconnaissance des indices et les menus détails dans le
processus historique, une lucidité créative n’est pas sans un grand intérêt.

Partie 3 :

Question : La victoire électorale de François Hollande a marqué un arrêt provisoire dans


l’exercice de la direction fiscale du « développement » supposément « européen ». Dans
quelle mesure les élections en France donnent une impulsion à la (nouvelle ?) gauche
européenne pour résister et à une politique socialement constructive de développement ?

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

Rotar: Hollande a obtenu sa victoire électorale sur Sarkozy en renonçant aux inventions
« économiques » de Mme Merkel et de la droite européenne (« libérale » et « chrétienne »).
Je ne suis pas un spécialiste en économie, mais selon l’opinion des maints gens de politique
raisonnables, et des économistes aussi, ces interventions corrodent l’UE en la tenant dans la
dépendance trop prononcée des États-Unis, voire du capital financier international dictant
la même politique totalitaire dans le monde entier. Personnellement, j’espère que la
victoire électorale des socialistes en France représente le commencement de la fin de
l’Europe (néo)libérale. Il en est le grand temps, car, déjà en ce moment, les effets de la furie
néolibérale sont difficiles à réparer. Une amélioration des conditions de vie pourrait être
immédiate. Bien sûr, pour un tel revirement, une nouvelle gauche devrait se former, être
capable de se détacher des errances historiques et de remettre certains phénomènes dans
leurs cadres authentiques : de détacher la gauche historique en tant que la suite des
mouvements d’émancipation sociale des usurpations monstrueuses comme, par exemple le
socialisme « réel » ou stalinisme sous ses aspects variés mais toujours comme un régime du
parti unique dans un pays conducteur ou élu, dirigé par un Chef entouré de ses courtisans et
lecteur privilégié du passé et de l’avenir et gardien de sa représentation de la pureté
idéologique, au lieu d’investir les efforts pour une découverte douteuse et faussaire de la
« bonne côté » d’un, par exemple, stalinisme ou titisme, et pour sauvegarder un lien
apparent et pourtant néfaste avec ces régimes. Il est, au contraire, urgent de montrer le peu
de liens substantiels qui existent entre les socialismes du 19e siècle et les régimes du
socialisme réel, en contraste, d’ailleurs sautant aux yeux, avec la convertibilité entre les
totalitarismes (stalinisme inclus) et le capitalisme du 20e siècle.

Question : Qu’on jette un coup d’œil sur la participation électorale en France et dans
notre pays. En France, pour les dernières présidentielles, la participation a été de 8o %,
chez nous, les lieux de vote voient au plus un tiers du corps électoral. Quelle est la raison,
selon vous, de cette différence et qu’est-ce qu’on puisse faire pour une participation plus
grande ? Une telle comparaison, a-t-elle un sens ?

Rotar : Leurs choix souvent pas très sages (on a élu Sarkozy, par exemple) mis à côté, les
Français se comprennent eux-mêmes comme les sujets de leur État et de sa politique ce que
soit, pour eux, l’essence du républicanisme et la raison pour laquelle ils portent à la
crispation les prétendants pour les maîtres du monde choisis par un dieu ou par eux-mêmes
(ce qui se réduit à la même chose), tandis que les ressortissants de l’Europe centrale, les
Slovènes inclus, se distinguent par l’esprit de subordination, de docilité et par l’inclination à
l’abrutissement combinés avec le sentiment de supériorité en roublardise et en brutalité qui
ne sont rien d’autre que l’évitement de n’importe quelle exposition individuelle et
responsable, et de n’importe quelle confrontation critique dans laquelle décident les
argument au lieu de l’hurlement et des acclamations. La différence en question se situe
dans la relation au passé ainsi que dans le passé collectif lui-même producteur de cette
relation : demander aux Français d’effacer leurs révolutions et la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen se réduit à leur demander d’effacer eux-mêmes, tandis que, pour les
ressortissants de l’Europe centrale une telle demande ne signifiait que le retour illusoire
dans l’utérus de la « mère » Église. Mais la comparaison a un sens seulement dans le cas où

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

elle englobe sans préjugés toutes


les dimensions des situations à
comparer, et quand elle est
rigoureuse.

Question : En quoi la Slovénie


diffère, par exemple, de la France ?

Rotar : Par beaucoup de choses,


parfois on a l’impression qu’il ne
s’agisse pas des habitants de la
même planète. Par exemple, les
Français ne supporteraient pas avec
la résignation un silence médiatique
à propos des résistances contre le néolibéralisme et ses tenants ou sur un événement
d’envergure, par exemple sur une grève totale et durable des universités dans un pays
quelconque. Les médias slovènes, eux, ont dissimulé à leurs clients la grève de plus que 80
universités publiques en France en 2009 dirigée contre les sévices irresponsables de équipe
néolibérale au pouvoir au sein d’un des meilleurs systèmes de l’enseignement supérieur et
de la recherche au monde pour en faire quelque chose de ressemblant aux systèmes
universitaires problématiques au Royaume-Uni et aux États-Unis.

De même, en accord parfait avec la tradition journalistique du 19e siècle local, on n’est pas
informé par les médias slovènes de ce qui s’est passé et se passe encore en Islande (ils se
taisaient longtemps aussi sur la Grèce et l’Espagne jusqu’au moment où tout cela est
devenu le secret de polichinelle) bien qu’il s’agit des événements d’importance vitale pour
nous et pour l’Europe (une évocation sommaire a été publié dans l’hebdomadaire Mladina
et dans certains petit journaux qui ne sont nullement les média de masse). En outre, les
Français ne supportent même pas le sentiment que quelqu’un voudrait intervenir dans leurs
droits acquis dans les innombrables luttes sociales. Pour surplus, ils lisent les livres, m dans
le métro, et sont bien « overcultured » par rapport aux Slovènes. Malgré le fait que, dans la
ratiocination néolibérale, la culture et, notamment, l’instruction de la population sont, juste
comme sous la domination des Talibans ou de l’Al Qaïda, dès l’installation de cette idéologie
dans les institutions de pouvoir, un gaspillage superflu (pas loin du sacrilège dans un
système de délires dominé par le profit des moins capables et mal éduqués, des
analphabètes intellectuels), même Sarkozy n’a pas osé de fouiller cette affaire avec trop de
persévérance et apportant trop des conséquences non prévues. Dans les cercles auxquels
appartiennent nos amis français, les gens se distinguent par les propriétés dont, en Slovénie,
on ne s’aventure même pas à rêver.

Question : Pourquoi nous, les Slovène, résistons si difficilement, ou bien, pourquoi nous
préférons l’ignorance à l’activisme solidariste dans notre rapport à la spoliation de la
société, voire à la privatisation de l’État ? À la détresse des gens ?

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

Rotar : Parce que nous ne sommes pas les Français. Ce n’est une facétie futile qu’à première
vue. C’est que « les Français » maintiennent avec leur passé une relation peu fréquente sur
cette planète, et, de surplus, c’est dans leur passé que cette relation s’est élaborée. Là où
leurs ancêtres ont combattu la monarchie pour redistribuer la souveraineté, nos ancêtres à
nous (pas encore les Slovènes) ne voyaient que le blasphème, le sacrilège et le régicide et
s’apprêtaient à participer à une expédition punitive en direction de la France républicaine
pour exterminer les mécréants et les ennemis de la Foi unique. La nation française n’a pas
été façonnée (de toute façon pas uniquement) par l’Église catholique, selon son idée du
peuple humble, docile et surtout subordonné, dans une collaboration intime bien que
souvent contradictoire avec une monarchie qui, de loin, n’était plus éclairée. Elle l’a fait en
créant les Slovènes sous les auspices du prince Metternich et ceux-ci n’osent pas encore le
savoir. À cette naissance de la nation appartient aussi l’interdiction et l’empêchement de
communiquer dans les langues non nationales, dans notre cas hors du slovène ; l’Église et la
monarchie ont détruit, pour empêcher la propagation des idées fausses et néfastes, les
sociétés/culture territoriales plurilingues dans l’Europe centrale en leur substituant les
formations fondamentalistes mixtes : nationalistes et catholiques. Une telle métamorphose
ne s’obtient pas sans recourir à l’instauration de l’anomie et d’un terrorisme officieux – en
vogue pendant la période de Vormärz – et sournois – comme la foi du cœur et pas du
cerveau d’un K. M. Hofbauer – destinée aux peuples de Sa Majesté l’Empereur par la grâce
de Dieu. Désormais l’État n’est plus affectivement « notre » mais un appareil appartenant
aux autres, allophones, étrangers hostiles, Allemands ou Serbes ou à la clique martienne des
stalinistes avec leur newspeak ou la clique extra-terrestre des néolibéraux avec leur lingua
IV imperii, peu importe, on ne croit plus à la possibilité d’avoir une influence quelconque sur
l’État comme phénomène. Malgré la création toute récente de l’État national – un des
derniers au monde, je crois. On ne s’étonne pas beaucoup devant le fait que cet État se
comporte en sbire bruxellois. Devant la récatholisation, après la liquidation de ce peu de
conscience civile obtenue par la lutte contre le régime « autogestionnaire » yougoslave,
grâce au cafardage généralisé et l’écrasement des liens horizontaux de solidarité. Ainsi on
regarde la spoliation de la propriété publique ou « sociale » (de l’autre aussi mais dans une
moindre mesure) comme devant une masse des délits dont on subit les conséquences mais
pour lesquels on n’est pas responsable, car les gens de pouvoir & de business
appartiennent, encore, à un monde étranger où l’on n’a pas d’accès par la nature de la
chose.

Question : On aime mettre en correspondance la question supra et l’obséquiosité


cankarienne.8

Kramberger : J’aime Cankar dans ses textes polémiques, ses critiques fondées, sa
correspondance, ensuite dans ses drames et beaucoup moins dans les textes obligatoires
pour les lectures en scolaires. (Un de ces derniers, Ma vie, j’ai analysé, dans la manière de
l’anthropologie historique, dans ma première thèse de doctorat qui a été stoppé dans les
circonstances bien bizarres ; aujourd’hui je sais qu’elles étaient les motivations et procédés
caractéristiques de l’anéantissement des carrières des jeunes gens disposant d’une attitude

8
Ivan Cankar (1876-1918), écrivain slovène honoré.

18
Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

critique envers les kyrielles de bon sens dans la science littéraire slovène). Dans ses
polémiques, Cankar est tout ranimé, il est lucide et aiguisé, il y active toutes ses forces
vitales et capacités intellectuelles. Sa partie larmoyante et sa collaboration avec les
structures ecclésiastiques (et celles de sa parenté) qui l’ont fait entrer, moyennant un
accaparement spécial, dans le canon littéraire slovène, est en même temps la partie pire de
son œuvre structurée autour sa castration intellectuelle. Je veux dire que, pour le diagnostic
des phénomènes complexes, un seul paramètre, comme par exemple la société et le social,
ne suffit pas ; les valets et l’obséquiosité pourraient être les catégories littéraires et
analytiques, mais ces mots, à eux seuls, ne veulent pas dire beaucoup, ce n’est que dans les
relations avec les autres catégories dans l’espace que leur signification se précise (non pas
dans la relation au maître mais aussi aux animaux, aux enfants, à la nutrition, aux gens des
autres catégories, aux autres groupes et communautés vivant dans le même espace, aux
conditions économiques, au capital culturel, au passé, etc.). Les valets en tant qu’une
catégorie sociale n’ont pas le même sens comme en France ou en Italie où ils n’ont pas le
même habitus comme les valets de Cankar qui poussent d’une deep structure rurale (et
fortement cléricale) de la pastorale slovène du 19e siècle. Parler de obséquiosité
aujourd’hui, lire Cankar aujourd’hui (devant le Parlement) est peut-être, pour les jeunes, un
acte symbolique important d’émancipation (péniblement intégrée dans l’imaginaire de la
société locale), mais il serait mieux si l’on y lirait quelque chose de plus analytique et
approprié aux circonstances sociales contemporaines ce que puisse aider les gens à sortir
effectivement du dispositif d’aliénation et de vallée-de-misère hérité et intériorisé,
impossible à voir pour ceux qui sont immergés dans lui – et qui est leur en propre.

Question : Dans l’entretien pour l’hebdomadaire Mladina (no. 17, le 26 avril 2012), Mitja
Blažič a déclaré que, « dans cet espace, la tradition de la révolte active, de la lutte pour les
droits de l’homme tout simplement n’a pas un droit de cité digne d’être mentionnée. /.../
Le Slovène s’est habitué, à travers les siècles, surtout à survivre, pas tellement vivre. » Est-
ce que viendra un temps où notre espace deviendra capable de créer une masse critique
des gens qui s’insurgeront et demanderont les normes différentes, le respect des droits de
l’homme, etc. ?

Kramberger : Moi aussi, j’ai dit quelque chose de semblable dans un entretien pour Mladina
l’année passée [en mai 2011]. Dite d’une façon un peu imprécise d’après Gramsci : je suis
l’optimiste de la volonté et la pessimiste de l’intellect. Mon énergie vitale, dont j’ai
beaucoup, me pousse vers l’action aussi dans les conditions difficiles tandis que mon savoir
et mes connaissance me disent que cet espace soit - regardé du point de vue du travail
intellectuel et de la créativité et, aussi de celui de la durée d’une vie humaine – quant au
potentiel symbolique et imaginaire - totalement échoué (je parle de la composition de base
de l’imaginaire dans ces lieux que j’aie analysé à partir des textes littéraires slovènes
différents). L’imaginaire de cette espace est incroyablement altéré, déformé (bien sûr, il
s’agit de l’espace de la Bildungsgbürgertum locale, voire de la petite bourgeoisie slovène, en
réalité pitoyablement éduquée, avec une auto-perception déformante) et, en tant que tel,
comme j’ai déjà écrit, un terrain idéal pour y faire prospérer n’importe quelle idéologie
totalitaire, tandis que ses agents persécutent, sans arrêt et avec beaucoup de haine, les

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

intellectuels les plus sensibles et forts, et, encore plus, les intellectuelles (Zofka Kveder9 et
Angela Vode10 pourraient en servir d’exemples). Cet espace est déjà ce qu’on craigne qu’il
soit en train de devenir ; jamais pendant dernier siècle et demi il n’était rien d’autre. Il est
dominé par un soi-disant fascisme de poche qui ne s’y maintient que grâce à son
imperceptibilité pour le monde extérieur et moyennant un ensemble de représentations
que Braco définit comme la construction d’invisibilité – cette variante du fascisme est bien
pour cette raison si infiniment épuisante et tenace. La fétichisation massive, hystérisée des
mesures de quantification, des tendances superficielles, des conjonctures n’a qu’une raison
principale : rendre impossible à voir que le pays déborde des gens déboussolés, insatisfaits
et non saturés incapables de s’intégrer dans une communauté solidaire et encore moins
dans une société.

Maintenant je reviens à ma volonté optimiste et je dis : il n’y a pas d’enfer qui serait éternel
(même pas celui des chrétiens qui, pour ceux qui y croient et connaissent un peu le
Nouveau Testament, ne durera au-delà de la Fin des temps). J’agissais toujours de la sorte
que la société, la communauté environnante aient pu en bénéficier et le ferai ainsi jusqu’au
jour où je quitterai ce pays.

Partie 4 :

Question : Pour comprendre le présent on doit comprendre le passé, je n’y pense à une
connaissance superficielle de l’histoire mais à l’anthropologie historique qui, dans son
essence, est préoccupée par les processus profonds de la compréhension des réalités
sociales différentes dans les moments historiques différents. Qu’est-ce que, pensez-vous,
puisse nous dire sur la situation actuelle en Slovénie, par exemple, le 19 e siècle ? Est-ce
que, peut-être, on y a affaire aux vestiges d’une mentalité d’une époque révolue ?

Rotar: Il est sûr qu’on devrait le comprendre, et non pas d’une façon quelconque mais d’une
façon critique. Une façon critique ne veut pas dire, bien sûr, qu’on choisisse dans le passé
les gens de pouvoir ou les événements selon son goût, elle veut dire, au contraire, qu’on
doive d’abord aborder la question si un tel personnage ou un tel événement est
historiquement pertinent. Or ce que, dans la science historique, soit historiquement
pertinent, est le fait historique (attention : tout ce qu’on proclame le fait historique ne l’est
pas eo ipso ; pour qu’un fait devienne historique il doit subir les objectivations nombreuses
dans perspectives diverses), c’est-à-dire un fait sans lequel on serait dans l’impossibilité de
9
Zofka Kveder (1878-1926), écrivaine, traductrice et publiciste slovène qui a très tôt ressenti les limités
étroites du monde littéraire et intellectuel slovène. Les écrivains slovènes, à l’exception des deux ou trois, l’ont
attaqué en formation compacte. Elle a beaucoup voyagé (Trieste, Bern, Munich, Prague) et s'est, enfin,
stabilisée à Zagreb, Croatie. En 1900, elle a publié un livre important des courtes histoires sous le titre Le
Mystère de la femme. Souvent, dans ses histoires, elle dépeint les femmes dans les circonstances sociales
pénibles.
10
Angela Vode (1892-1985), militante sociale et communiste, intellectuelle et féministe slovène. À cause de
son attitude courageuse intellectuelle, elle est progressivement devenue la cible de la droite et de la gauche.
Ses mémoires sont l'histoire déchirante et horrible du stalinisme à la slovène d'après -guerre. Beaucoup de ses
idées ont été reprises par les membres de la nomenclature tout en effaçant A. Vode en tant qu’auteure et
initiatrice, voire en tant qu'être humain.

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

reconstruire une situation du passé. Être critique veut dire faire une sélection éprouvée ou
vérifiée qui seule rend possible la construction du corps historique. Et ce corps n’est qu’une
image du passé et aucunement le passé lui-même. Ce n’est qu’ici qu’entrent en jeu les
procédés analytiques menant dans les sens différents, l’un d’eux est l’anthropologie
historique ayant pour sa préoccupation spécifique la reconstitution des relations sociales et
des processus sociaux mis en œuvre dans elles. Le 19e siècle n’est qu’une unité apparente :
rien d’historique ne démarre pas – ni ne se termine pas – le 1er janvier 1801 à 00 h 00 min.
Au juste, il est une convention qui découpe, à côté des champs moins extensifs de
l’affirmation des techniques sociales variées (de production, de scolarisation, de
prophylaxie, etc.) et de la formation des institutions publiques, au moins trois champs
historiques : le champs des luttes pour une politiques éclairée et l’abolition de la monarchie
en Europe, développant la zone publique et le public, plein de conflits, des percées et des
revers qui sont les prototypes des conflits ultérieurs ; le champs de la Restauration qui a
effacé et dénaturé, dans l’Europe centrale et, à l’exception du contrôle et de la répression
policière, toute mémoire liée aux Lumières ; et, encore en Europe centrale, le champs du
nationalisme tribal dominé par la notion tricéphale sang-âme-langue bricolé déjà par
Herder. Une bonne parie du 19e siècle était le temps de la fabrication des micro nations sur
cette base (souvent jointe à celle de confession et obligatoirement orienté contre un autre
groupe ethnique, allophone et hétérodoxe) dans les Balkans et dans l’Empire habsbourgeois
où sa fonction de base était d’installer les barrières linguistiques cultivées – ce qui était une
réussite excédant les attentes – et d’arrêter les communications horizontales non
contrôlées dans les ensembles sociaux trop hétérogènes ou pluralistes. La prolifération des
micro-nations a devenu immédiatement la base des règlements des comptes entre les
nouvelles nations apportant les bénéfices aux certains groupes d’intérêt et les tribulations
aux populations « nationalisées ». La peur des autres était aussi un des moteurs de la mise
en œuvre de cet éparpillement provoqué intentionnellement, mais impossible sans
intervention d’une tendance nationaliste supposément innée et réellement mimée dans les
« renaissances nationales » et le « réveils des nations » au milieu du siècle. Dans cette
région européenne, et dans un autre champ historique, le temps était, au cours de la plus
grande partie du 19e siècle, voué à une industrialisation rudimentaire et dispersée et plus ou
moins sous-estimé par les dominants ecclésiastiques et monarchiques. Cette attitude a un
peu changé vers la fin du siècle avec certaines zones, en Cisleithanie, du développement
industriel extrêmement accéléré. Ces champs et leur temps ne se recouvrent entre eux que
partiellement. Le courant historique pluriel qu’on appelle par convention le 19e siècle s’est
terminé par la Première guerre mondiale, et nous, les habitants de cette région, avons
retenu certains blocs de mentalité (dans les autres régions, on a retenu les autres choses) :
une image des Lumières et de la Révolution délibérément dénaturée (mais naturalisée,
intériorisée) et extrêmement sélectionnée, le nationalisme tribal avec la xénophobie, le
fondamentalisme religieux, les purismes aux points d’identification obscurantistes, la
fermeture culturelle et les voies de communications difficiles passant en dehors des
frontières des communautés ethniques de fraiche date et le sous-développement couronné
d’incompréhension soupçonneuse des autres. Par l’analyse du 19e siècle on parvient à la
construction de l’identité nationale de ce type spécial et de la culture qui la reproduit ; cette
construction identitaire et culturelle, qui a généré pratiquement tous les totalitarismes
modernes du cléricalisme au néolibéralisme, pèse sur nous encore aujourd’hui.

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

Question : Pourquoi une explication en bon sens est plus attractive qu’un éclaircissement
scientifique, théorique, argumenté ? Pour quoi on est parfois gagné par le sentiment que
certains individus soient contraints de se défendre à cause de leur instruction ?

Kramberger: C’est un effet et le symptôme de l’anti-intellectualisme ; dans le cas où celui-ci


est une composante prépondérante ou normative du milieu culturel – et la Slovénie est un
cas de cette situation – il est nécessaire, pour les intellectuels qui ne consentent pas à toute
trivialité de l’élite économique et politique et des autre agents-usurpateurs (élite culturelle-
artistique autoproclamée et confirmée par la première) du champ national, de se défendre
contre cette domination structurelle. Mais je crois que le bon sens ne comporte beaucoup
d’attraction. Il s’y agit plutôt de la commodité et de l’inertie. Là où il existe une hégémonie
de l’anti-intellectualisme, l’ascension sociale est aussi automatiquement liée à ses
mécanismes et stratégies. De cette manière il garantit à ses porteurs un succès social sans
trop de peine – c’est cette « attractivité » stérile exploité par les lumpen « intellectuels » (à
quelques exceptions près, mais toujours marginalisés et éloignes des centres du pouvoir,
tout le « monde intellectuel » privilégié de Slovénie se trouve ici) - et dans le néolibéralisme
ce sont bien ces spécimens qui sont privilégiés.

La vision du monde scholastique, mimétique qui s’appuie à la réitération vide des formules
et sur le schéma de croyances sans une participation active de la pensée – j’ai écrit sur ce
sujet dans mon texte sur la formation des habiti universitaires – intervient dans la science
sous la forme de l’erreur épistémique à travers laquelle, selon ce qu’en dit Bourdieu – se
projette dans la science une théorie formé expressément en vue d’expliquer la pratique.
Ainsi la pratique réelle reste prisonnière du réseau d’une théorie de l’action rationnelle
empêchant la production des connaissances nouvelles. Autrement dit, un érudit de cabinet,
imprégné de l’anti-intellectualisme, prisonnier de la machinerie du régime en vigueur, reste
sans prises (il en renonce) pour l’établissement des distances critiques et la réflexion par
rapport à la société dans laquelle il vit et agit. C’est aussi pour cette raison que les membres
des élites slovènes ne soient pas capables des confrontations publiques, des polémiques, ils
ne supportent même pas un soupçon léger de critique, ils lâchent immédiatement leurs
chiens dressés et grondants sur ses auteurs. Regardez leurs œuvres et entretiens d’un
Tomaž Šalamun (le « grand poète mondain slovène ») qui peut servir ici d‘un exemple : ce
ne sont que catalogues de leurs succès prétendus, des tournées passées et futures, et, en
conclusion, le mantra éternel sur leur importance incomparable pour la Slovénie. Du point
de vue du contenu, tout cela est plutôt vide et désastreux. Le syndrome « Koseski » ou du
« fusil enchanté »11 : voiler l’absence du contenu et de l’élaboration des connaissances par

11
Jovan/Janez Vesel Koseski (1798-1884), poète slovène, dès son début servile aux tous les régimes politiques
dans l'empire autrichien de la première moitié du XIX e siècle. Il reste pratiquement jusqu'au aujourd'hui le
modèle sous-jacent de tous les poètes slovènes affirmés nationalement et internationalement. Sa poésie est
faite des longues rafales des devises en vogue ; de même le poème évoqué « Le fusil enchanté ». Le contraste
de Koseski est l’œuvre de France Prešeren (1800-1849) qui n’a pas été bien reçu pendant sa vie, et qui reste
mal compris encore par nos contemporaines. Au contraste de ceux de Koseski, les poèmes de Prešeren
montrent un caractère hautement intellectuel et la forme très élaborée. Les poètes rarissimes, par ses esprits
de connaissance, ont suivi le modèle de Prešeren dont Srečko Kosovel (1904-1926).

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

une autoreprésentation importune et une quantité qui, par la suite, se roule sans fin dans
les médias et dans les bouches des autres abonnés du mimétisme.

Question : Est-ce que les idées d’un darwinisme social viennent s’ancrer dans notre
société avec u accent mis sur l’individuation des particuliers ?

Rotar: D’abord, le darwinisme social est le contraire de l’individualisme issu de l’humanisme


et comportant une responsabilité personnelle. Ensuite : dans le milieu slovène ces idées
n’ont rien d’une nouveauté, elles étaient une partie importante du nationalisme laïque et
du nazisme (bien entendu, le nazisme n’est pas une exclusivité allemande) ; de même le fait
qu’elles sont le support du pouvoir d’une clique n’a rien de surprenant, elles ne sont qu’un
legs d’une biologie et d’une sociohistoire préscientifiques et fortement popularisées. De
même un entrecroisement entre l’idéologie économique libérale et le darwinisme social
n’est pas une nouveauté. Peut-être il serait utile de se poser des questions à propos de
l’insistance sur la nouveauté de ces phénomènes vieillots. Ce qui est neuf dans le bousillage
idéologique néolibéral (les bousillages idéologiques sont toutes les idéologies totalitaires
connues) est la puissance transnationale de ses porteurs mais qui elle-même n’est qu’un
effet du jeu des mirages fallacieux tel que la bourse moderne ou les notations numériques
se substituant a conduite des affaires. Individu en général n’existe pas et la conséquence la
plus délétère de l’impact socio-darwiniste, chez la plus grande partie de la population
assaillie, est la dissolution des liens sociaux, voire l’isolation et l’absence de la solidarité qui
se trouvent à la base des totalitarismes modernes, le néolibéral inclus. Aussi ce phénomène
est connu du 19e siècle, mais il n’était si imposant comme aujourd’hui. La nouveauté
d’aujourd’hui c’est l’internet qui permet d’inclure dans les domaines d’influence d’une
source particulière tous les individus susceptibles à être immédiatement contaminés par le
totalitarisme ou un fondamentalisme quelconque et les personnes liées à ces individus par
un lien affectif (notamment celui de parenté et de groupe des copains d’enfance) en
reconstituant, voire en se substituant à des zones de communication traditionnelles mais
détruites pas les clôtures linguistiques et le contrôle des médias par les autorité au service
des puissants de ce monde. Encore aujourd’hui, après les désastres déjà subis, les autorités
« publiques » ne trouvent pas d’autres moyens que ceux déjà appliqués aux médias et
augmentant le profit des compagnies de manipulation numérique.

Question : Oui, il me semble que les autorités du moment stimulent cette logique et ce
fonctionnement. Si, dans le mandat précédent du gouvernement, le problème mis en
évidence était celui de la précarité des emplois, on incite aujourd’hui nos gens de culture
(qui se trouvent politiquement toujours sur la « bonne côté ») de faire gratuitement leur
travail pour une fête nationale tandis qu’une cession des profits n’entre pas en question.
Est-ce qu’une telle logique n’est pas extrêmement dépréciatrice par rapport aux citoyens ?

Rotar : Cela ne nous semble pas, nous le savons (et nous deux ne sommes pas seuls à le
savoir) : l’objectif de l’autorité néolibérale existante est le monde renversé qui commence là
où celui qui travaille est proclamé preneur du travail et celui qui prend ce travail pour le
revendre et obtenir le profit est qualifié de donneur du travail. La misère provoquée par le
néolibéralisme n’est pas un dommage collatéral mais un des buts de la politique néolibérale

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

(ou néoconservatrice, comme vous voulez) et en même temps son moyen : on peut
aisément gouverner une population misérable, totalement dépendante et insuffisamment
ou faussement éduquée et l’exploiter sans résistance. La précarité n’est pas une invention
du capitalisme, elle était la forme de l’exploitation extrême des gens depuis la nuit des
temps (beaucoup plus tôt que les gens aient subi la transformation en force de travail
vendue sur le marché sous le capitalisme), de même que les fraudes et spéculations
financières et le banques sont connues de l’antiquité. La précarité est devenue un problème
aigu parce qu’elle est de retour après plusieurs décennies de l’application des acquisitions
des luttes ouvrières. En outre ce retour du mal prouve que les luttes sociales n’ont pas une
fin, même pas celles contre la monarchie car, par le néolibéralisme, le monarchisme
(antidémocratisme, anti-républicanisme et contre-Lumières) est revenu sous le
déguisement mécaniciste, mais avec les objectifs sociaux identiques. Et ce n’est pas un
hasard que le nazisme et le néolibéralisme tirent leur origine de la conjoncture idéologique
réactionnaire d’Autriche et d’Hongrie post-habsbourgeoises. La destruction de la culture
d’un groupe social est toujours en fonction des intentions qu’ont les détenteurs de la
puissance sociale et leurs exposants dans les gouvernements à propos de ce groupe. En
Slovénie il s’agit de l’élimination des parties non bigotes et non rustiques de la culture
nationale qui collaboraient elles-mêmes, et jusqu’à la veille, dans annihilation des
personnalités et des mouvements différents d’elles. Il s’agit aussi de la précarité du travail
(et des vies) absolvant les autorités des obligations « sociales » en usage jusqu’à présent et
qui est aussi un moyen pour obtenir un certain but culturel : l’élimination d’une activité
virtuellement gênante, destinée « par abus » aux classes sociales (moyennes) superflues
vouées, au cours des pas suivants de l’ « austérité », à la dégradation et au rétrécissement
(par la dévastation du secteur public à laquelle ces autorités n’ont pas contribué la moindre
portion). Aujourd’hui aucun gouvernement n’annonce plus la destruction d’une culture -
peut-être reviendra le temps de telles annonces – elle se produit d’elle même quand un
groupe des undercultured, des personnes stupides et prétentieuses, avec un chef distingué
par la dose spéciale de ces caractères, se hisse au pouvoir. Une prise du pouvoir de la sorte
n’est que la condition ultime pour le démarrage de la dernière étape de la destruction dans
laquelle il n’y a pas de place ni pour les lèche-culs ni pour les collabos. Pourtant cette
destruction est poursuivie par les fonctionnaires de l’ancien ministère de la culture, eux-
mêmes membres des clientèles « culturelles » alors dominantes. Aucune arrogance n’est
étrangère à cette destruction comme elle ne l’était au personnel SS des camps dans le
Troisième Reich dans sa quête de l’anomie et de la désagrégation de la cohésion culturelle ;
à cet effacement de ce peu de choses ayant survécu le agissement de l’« élite » culturelle
aujourd’hui prise de panique. En ce moment elle est en train d’appeler à la solidarité les
mêmes gens qu’elle poussait encore cette année, par son néolibéralisme périphérique, au
bord de la société et de l’existence. Bien que nous ne sommes pas d’accord avec la
suppression de l’institution (en l’occasion du Ministère de la culture) nous n’avons pas signé
(Taja et moi) la même pétition que les gens qui détruisaient cette même culture pendant les
décennies aussi grâce à leur contrôle de ce ministère, et nous ne pourons pas le faire dans
l’avenir. La logique du néolibéralisme est certes plus que humiliante pour les citoyens, elle
est aussi destructrice de la vie sociale et culturelle, mais la logique des clientèles
« culturelles » ayant trait à l’argent public pour les contrefaçons culturels et pour leur
promotion aux frais de tous les autres disqualifie cette « révolte des clercs ». L’humiliant

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
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par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
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pour les citoyens, c’est surtout le fait qu’on tente, à leurs frais, leur glisser comme la culture
et les œuvres d’art. C’est quelque chose de contre-productif et non élaboré du point de vue
mental pour lequel ils s’attendent que les gens l’accepterons sans cesse comme l’acte de
culture ce qu’il n’est ni n’était nullement. Maintenant, au moment de la mise au risque des
féodaux culturels, les gens sont invités à défendre ces supercheries contre les homologues
des cliques culturelles un peu plus rustres.

Kramberger : Cette logique est sans


doute dépréciatrice aussi longtemps
qu’on en consent. Il est vrai que, quand
on sort de ce dispositif, on ne soit plus
humilié de la même manière, or, ce qui
rester à voir c’est si le milieu exclusif en
Slovénie avec sa vision out-out ou bien
« accepte ou dégage » t’accepte encore.
Je veux dire que, quand on parvient aux
certaines connaissances, il semble que
par ce fait même on cesse d’être un
citoyen / une citoyenne acceptable de ce
pays ainsi qu’on ne peut qu’émigrer.
Quand on quitte l’anti-intellectualisme,
le réseau clientéliste et les génies locaux
en personnes des ambitieux maladifs et
des psychopathes, la société slovène
n’est plus en état d’intégrer un telle
personne, ce qu’elle sait bien, c’est de la
cracher dehors. Et à cet acte participent
presque tous (sans égard de degrés ou
rang obtenu dans la société), un
lynchage « spontané » survient à partir
des campagnes de diffamation et des autres « technologies de dégradation » infâmes. La
société slovène n’est ni multiculturelle ni plurielle bien que ses « responsables » aiment à
brandir ostentatoirement ces notions ; elle a les immenses difficultés à se confronter aux
conséquences effectives de la liberté mentale. Plus tôt qu’on le comprenne, tant mieux pour
lui.

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
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par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
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Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

Partie 5 :

Question : Nombreux étaient les gens qui, en voyant vos activités, vous reprochaient
l’infatuation, l’autopromotion, le grand ego, etc., or, il s’agit pourtant d’une position tout
à fait différente, ancrée dans la science comme elle devrait être et non pas dans celle qui
existe et par rapport à laquelle vous êtes critiques. Il y peu, vous avez mentionné que les
interlocuteurs avec les arguments vous manquent. Pour quoi l’enseignement supérieur et
la recherche slovène ne sont pas capables de produire les intellectuels critiques qui, dans
leurs domaines scientifiques, entreraient dans les débats argumentés et qui éviteraient de
s’enrouler dans le manteau de la rancune personnelle, de l’envie et de l’effacement
délibéré des opposants ?

Kramberger : Personne ne nous a


reproché rien franchement, mais il en
avait beaucoup qui jasaient dans notre
absence. Il y a quelques jours une de
nos rares amis et excellents
défenseurs en Slovénie, le sociologue
Janez Kolenc, a été mort de la crise
cardiaque – on en est profondément
accablé. Un jour avant, très tôt au
matin, il nous a donné un coup de
téléphone et nous dit qu’il est en train
de lire notre dernier livre (Les
évidences invisibles) qui a suscité en lui
les idées si nombreuses qu’il en ait fait
les ébauches des trois articles. Il était
si plein de zèle de travail et de
confrontation qu’il nous ait annoncé sa
visite. Au moment où nous avons
appris l’événement tragique nous ne
pouvions que trainer dans notre
appartement, dans le jardin et sur les
jetées de Koper. La mort d’un être
humain sensible aux ébranlements de
l’environnement qui a été en premier
lieu une personne de grandeur, et de
plus un intellectuel lucide et travailleur
est pout tout homme pensant librement au milieu d’un ancien régime vampirisé et déguisé
en des vêtements nouveaux (la néolibéralisation des tous les domaines de vie) quelque
chose comme si le phare qui s’éteint au milieu d’une nuit devenue impénétrable ou comme
le soleil qui disparaît dans une galaxie. Je n’ai aucune intention de repousser les reproches
d’infatuation et d’autopromotion, car pour être valides les reproches ont besoin d’un
fondement réel – mais il n’existe pas dans ce cas. On n’a que jeter un coup d’œil sur nos
œuvres respectives, les comparer aux celles de nos adversaires et détracteurs. Nous, on ne
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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
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Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

travaille pas pour les intérêts égoïstes du moment ; dans le cas où on agirait ainsi j’aurais
probablement déjà longtemps mon poste à l’université – on m’a licencié bien au moment où
j’ai offert une partie de mon salaire (le plus bas possible d’ailleurs) aux deux assistants au
département de l’anthropologie qui se sont trouvé, par action du supérieur de département
(Lenart Škof) et de ses propriétaires mentaux, voués à l’abattage. Braco serait membre de la
nomenclature politique et académique nouvelle si seulement il ne travaillait que pour lui-
même. Mais il a fondé la collection Studia Humanitatis [qu’aujourd’hui compte plus que 200
titres de traductions en SHS et qui ressemble un peu à l’édition « Bibliothèque des sciences
humaines » de Gallimard], l’École des hautes études en science humaines – l’ISH à Ljubljana
[où il était le doyen une dizaine d’années jusqu’au putsch en 2004],12 il participait au Comité
de la défense des droits de l’homme et à la création de la pression internationale sur les
autorités yougoslaves pour renoncer à la répression politique, relâcher les prisonniers
politiques et dissolver les cours militaires au moins au temps de la paix. En réalité l’idée
d’éviter la situation d’anomie et d’illégitimité dangereuse au moment de la dissolution de la
Yougoslavie et pour obtenir une garantie d’égalité des droits pour tout un chacun par un
plébiscite d’autodétermination effectué par la population installée à ce du moment en
Slovénie, a été sienne bien qu’elle a été ultérieurement accaparé et modifié
rétroactivement par les politiciens de la droite. Il a aussi écrit une série des textes
scientifiques innovateurs, par exemple, introduit la sémiotique en Slovénie, etc., et a été
partout exclu du jeu et de la mémoire bien parce qu’il n’aimait pas d’autopromotion et de
mensonges d’autoglorification des accapareurs. Publiquement et légitimement comme un
des intellectuels de proue dans le pays, ce qu’il soit de fait, il serait le membre de
l’Académie des sciences si elle ne regorgerait pas des médiocrités, ce que s’efforçaient de
devenir beaucoup de ses anciens collègues, souvent les mêmes qui ont bénéficié de ses
interventions dans la situation universitaire, les mêmes qui se prennent pour les « génies »
ou, au moins, se représentent comme tels, sans avoir derrière eux une œuvre importante.
En réalité, il a été spolié de ses acquis – probablement aussi parce qu’il vit avec moi dans ce
pays spontanément et inconsciemment bigot et plein de préjugés où les intellectuelles et les
femmes poètes provoquent, par leur présence publique, une malaise inconcevable.
N’importe quel benêt à la FHŠ/FSH peut s’imaginer qu’il puisse s’attaquer à lui dans sa
manière d’« intellectuel » semi-alphabétisé. Les choses sont allées si loin que, dans un pays
où l’on vénère frénétiquement n’importe quel imposteur une fois parvenu à un âge
suffisamment élevé on a bel et bien – aussi ses collaborateurs – ignoré son soixante-dixième
anniversaire (bien entendu, Braco s’en fout complètement de toute vénération, moi aussi,
je l’évoque pour illustrer un comportement et un statut assigné). Qu’est-ce qu’on doive
penser d’un pays qui non seulement permet mais ordonne un tel comportement envers les
personnes hors de standard (le dénigrement total de l’œuvre et de la personne) ?

Pour un débat argumenté, on a besoin des décennies de travail et une objectivation


permanente des connaissances, et aussi des bons interlocuteurs, bonnes interlocutrices

12
Les documents et réflexions de ces événements autour de l'avènement des procédures néolibérales dans le
système de l'éducation supérieure en Slovénie se trouvent dans le numéro spécial du Monitor ZSA (vol. VII, no.
1-4, 2005). La parution de ce numéro n’a pas suscité, de la part des nouveaux maîtres de l’ISH, aucune réaction
ni écrite ni publique.

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

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Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

implacables. En Slovénie, comme on a déjà souligné, il n’y a pas beaucoup des intellectuels
et des intellectuelles qui feraient un effort continu d’élaboration de leurs connaissances. Il y
en a encore moins ceux et celles qui s’efforcent de faire progresser leurs recherches et de
les faire vivre dans les débats pour devenir, à travers eux, plus raffinées et plus perspicaces.
Bien sûr, je ne parle pas des débats rituels et sans vie et des sujets sans risques et bien
ruminés d’avance ; dans nos disciplines, il est nécessaire, pour parvenir à des nouvelles
connaissances, de connaître les outils conceptuels actuels anthropologiques, sociologiques,
historiques, linguistiques et non pas exclusivement ceux du 19e siècle. Ni le fait d’être
attaché sur les trends conjoncturels du moment et les projets actuels en ce moment en
mimant la réussite ne mène pas aux connaissances effectivement nouvelles. Ce tapage
pseudo-scientifique dans le domaine des sciences humaines et sociales rend la société
incroyablement conservative. Son trait caractéristique de base est sa nature d’apparence
qui fasse que tout débat glisse instantanément sur le plan d’une querelle et d’une rancune
personnelle. L’argumentation n’est pas une distinction caractéristique de ceux qui
chevauchent les conjonctures et les traditions.

Pour notre autopromotion, ni Braco ni moi n’avons pas bougé ni ne bougerons pas car, pour
faire les singeries dans les médias et dans le « public », nous n’avons pas de temps. Que
nous soyons néanmoins connus exaspère certains des abonnés locaux à la célébrité, et,
notamment, ceux qui ne peuvent pas comprendre que, pour être connu, existent, outre les
adulations et les public relations, aussi les autres raisons, par exemple les ouvrages de
qualité. Donc, je n’aime pas ni les « génies » ni les « organes » littéraires et scientifiques
éternels et prétentieux slovènes, et je crois que le sentiment soit réciproque. À une nuance
près : moi, je n’ai évincé personne de son poste de travail et je n’ai pas joint, en tant que
poète, aucune coterie à l’institution et ni chassé de là les gens doués pour, ensuite, à
l’occasion d’un anniversaire arrondi, m’exalter moi-même de manière infantile ; je n’ai
jamais calomnié personne et je ne le ferai jamais, et notamment pas par la bouche de
jeunes poètes de deux sexes. C’est pour ces raisons que je me ne fasse pas de souci pour
l’avenir, même si tous les agents inertes de l’obscurantisme slovène - qui se présentent eux-
mêmes aux naïfs comme les « forces progressives de la nation » - entrent en alliance contre
nous deux (ce qui est probablement déjà fait).

Question : Dans le cadre de votre activité scientifique vous vous avez consacrés aussi à
l’histoire de l’oubli et vous en avez fait l’expérience personnelle. Quelle est la différence
entre l’oubli conscient et l’oubli inconscient ? Est-ce que l’oubli soit fréquent dans les
champs littéraires et scientifique slovènes ?

Kramberger : L’anxiété en face des connaissances – plus que, dans un espace, l’anti-
intellectualisme soit présent, plus étouffante est l’anxiété – mobilise les mécanismes de
défense. Un des plus importants parmi ces mécanismes est le repoussement (Verdrängung
chez Freud). Comme, par ce processus, les faits et les mobiles déplaisants sont repoussés de
la conscience en l’oubli, on n’est plus en condition de les contrôler. En même temps les
matériaux repoussés conservent, sous forme des pulsions, leur potentiel psychique et
s’efforcent de se frayer un chemin vers l’extérieur en forme des (ré)actions aux sublimations
variées ou en forme des symptômes. La persistance constante dans l’erreur et la signature

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par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

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Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

des lettres de soutien aux « incapables » à la Faculté des sciences humaines à Koper par
exemple sont, pour ainsi dire, un exercice en algèbre freudienne, la réactivation de la
complicité refoulée et l’insistance absurde dans elle au lieu de procéder à la réflexion des
actes accomplis. Dans le cas où ces actes sont mis en marche par une panique ils pourraient
devenir les objets cliniques, mais ils ne sont pas pour autant moins abjects. Un tas des
ouvrages excellents sur le rapport entre la peur et les pressions totalitaires dans la
perspective historique (de Delumeau à Mosse) sont à la disposition de tout le monde. Bref,
l’oubli conscient est le produit d’un triage dans la réalité à partir de nos décisions sur ce qui
nous est utile et sur ce qui ne l’est pas ; il nous aide à vivre et à équilibrer nos gestes ; l’oubli
inconscient peut, parce qu’il est un processus pulsionnel et non soumis à la réflexion, mettre
en péril la propre constitution psychique et la personnalité de celui qui en est l’objet. Dans
le cas où il s’agit d’un phénomène collectif il peut être à la cause d’une névrose ou psychose
collective.

Question : Qu’est-ce que l’Université du Littoral ne devrait oublier jamais ?

Rotar : Qu’elle est une université et non pas un supermarché et une occasion de l’ascension
sociale et de l’enrichissement pour les nigauds et le pouvoir des caïds villageois.

Kramberger : Ses propres stupidités. Elle devrait les reconnaître (notamment à elle-même),
les dénoncer, faire une réflexion publique et les responsables pour elles confronter aux faits,
lancer les sanctions judiciaires. Un bon établissement ne saurait exister sans une honnêteté
intellectuelle et générale, de même une science consistante, une recherche, un
enseignement, une université dignes de foi qui ne sont, dans leur segment le plus distingué
(le seul qui mérite les efforts) la superstructure cognitive des relations interhumaines
collégiales et ouvertes.

Question : Un recueil de poèmes (Du bord de la falaise) est derrière vous, avec Dr. Rotar
vous avez fait paraître, il y a peu, l’ouvrage Les évidences invisibles : penser les "idola
tribus", vous avez été choisie, en tant qu’unique poète slovène, pour le programme
culturel d’accompagnement des Jeux olympiques à Londres. Pouvez-vous dire un peu plus
sur ces événements ?

Kramberger : Braco et moi sommes deux personnes actives et fermes ; les représentations
négatives, les diffamations, que nos antagonistes lancent systématiquement contre nous,
nous ne touchent au vif que rarement ; à vrai dire, on se préoccupe de cela très peu ou
point du tout. Dans le cas où une critique d’un de nos ouvrages semble être rationnelle et
qualifiée, on la lit, on réfléchit sur les assertions qui s’y trouvent. Parfois nous rencontrons
aussi l’auteur. Dans le cas où la critique ne comporte pas même les minima moralia, on n’a
pour le constater nul besoin de la lire dans sa totalité et il nous semble superflue toute
occupation par elle (mais, de temps au temps, il faut analyser aussi une critique de la sorte
comme l’exemple des mécanismes utilisés), encore plus superflu nous semble réfléchir sur
les obsédés par nous deux et sur leurs brigues. Elles ont peut-être une importance à
l’intérieur du pays, au-dehors de lui ce personnel provincial composé des chiens de paille ou
des spécimens exotiques de la folie n’est qu’un folklore bizarre et insignifiant. Parfois ce

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par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

n’est pas perceptible immédiatement, mais au cours des années tout devient bien visible. Si
nous jugeons qu’il soit nécessaire de répondre à une telle critique, nous répondons. Parfois
nous semble aussi dangereux d’arracher les plumes de jeunes kamikazes ou moudjahidins et
nous préférons continuer à faire ce que nous ayons choisi (pour une des jeunes croisées qui
s’est attaquée à nous, sur commande et pour son propre plaisir, bien dans votre revue, il
s’est montré, dans une des derniers numéros du Kažin [décembre 2011-janvier 2012],
qu’elle ne distingue pas entre l’herméneutique et l’hermétisme.13 Comment entrer dans le
débat avec ces gens : on ne saura pas de quoi on parlera. Comment peut-on s’attendre
qu’elle sache ce que soit la poésie ou qu’elle distingue le poète du « poète » ; pauvre jeunes
gens, on pense, qui doivent ainsi semi-alphabétisés écrire les colonnes dans les journaux
pour la survie, qui doivent fouler aux pieds les autres pour monter un échelon misérable
plus haut dans une compagnie mafieuse indigne de l’être humain au lieu de prendre d’abord
un peu du temps pour lire des bons textes, pour s’instruire pour s’alphabétiser tant bien que
mal. Dans nos plans, nous avons trop de choses, on est en ce monde trop peu de temps et
on aime trop la vie et les gens honnêtes pour se laisser préoccuper par une nullité subalpine
qui se heurte contre nous et pense, en raison de je ne sais pas quel complexe, que, après
cette muflerie, elle puisse se permettre aussi l’indiscrétion.

À vrai dire, le fait d’être choisi, de la part d’un jury anglo-international, d’entre 205 poètes
du monde entier pour me présenter aux manifestations du Poetry Parnasus organisées dans
le cadre des Jeux Olympiques par une des plus grandes institutions à Londres (Southbank
Centre), est une défaite curieuse des critères du champ littéraire slovène.

J’ai déjà beaucoup écrit sur le désemparement des rois littéraires des rues Tomšičeva14 et
Aškerčeva15 qui, à l’exception du clientélisme et des racontars Ljubljanais n’ont aucun appui
valide littéraire. On se sent bien quand ses produits échappent, d’une manière ou d’une
autre, aux cribles et à l’omertà slovènes. Mon dernier livre Du bord de la falaise (2011) a
pénétré singulièrement loin même en Slovénie – jusqu’aux gens ordinaires qui m’écrivent et
m’appellent et me remercient pour l’avoir écrire. Ils ne savaient pas – disent-ils – que la
poésie puisse être si puissante et claire. Je crois qu’une telle présence n’est pas très
appréciée de la phalange littéraire et de la critique qui tentent de m’effacer, mais elle n’est
qu’un simple fait : si le temps est très dur, les gens savent juger eux-mêmes la valeur de ce

13
Le texte calomniateur contre nous deux (présenté dans une manière très vulgaire et rempli des mensonges
sans scrupules : voir le texte ici) – autour de la purge universitaire – écrite par une certaine Monika Vrečar qui
se présente, selon toute apparence, comme notre ex-étudiante, mais elle ne figure pas ni dans nos évidences
d’étudiants ni dans nos mémoires respectives. Et même, si elle fréquentait nos cours à Koper (de libre accès),
elle n'y a jamais soufflé un mot. Pourtant, elle a, évidemment, bien profité de ses calomnies sur la purge
universitaire à Koper (et de juxtaposition stupide et lascive de Tomaž Šalamun et moi en tant que poètes – un
de topoi permanents et agressifs de nos détracteurs infantiles qui pensent que la poésie est un fuck et que «
les poètes se baisent entre eux par les pennées / en faisant par cela la poésie éternelle » cf. le sous-titre du
texte de Vrečar) : sa carrière des lettres s’est lancée et montée vertigineusement vers 2012.
14
Rue Tomšičeva 5 à Ljubljana, où se trouve le bâtiment de l'Association des écrivains slovènes (AES).
15
Rue Aškerčeva 2 à Ljubljana, où se trouve la Faculté des arts et des lettres, où le Département de la
littérature comparée (DLC) a son siège. Ensemble, l’AES et le DLC, c’est-à-dire quelques gens, les mêmes
pendant les décennies (liés entre eux soit par les mariages réciproques soit par le clientélisme), construisent le
canon littéraire slovène.

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

qu’ils lisent et pour ce jugement ils n’ont nul besoin des entremetteurs – dans certaines
bibliothèques en Slovénie on doit attendre ce livre plusieurs semaines. Mais, elle est
extraordinaire, cette histoire. En outre, je circule en tournées un peu partout dans le monde
et l’invitation que nous venons d’évoquer n’est ni première, ni dernière, ni unique, mais elle
est pourtant un peu spéciale.

Et il n’y a pas d’illustration plus belle des farces littéraires slovènes que celle-ci : un peu
après l’invitation au Poetry Parnassus à Londres en forme due et digne, j’ai reçu de la part
du Jury littéraire slovène pour les bourses littéraires auprès de l’Agence slovène du livre le
refus illettré et impertinent de ma candidature pour la bourse de travail soutenu par une
constatation misérable du « jury des spécialistes » que ma personne « en tant que auteure
littéraire en ce dernier temps, n’est plus reconnue, par le public spécialisé, comme l’auteure
littéraire du sommet » (les critères de recensement des demandes publiés dans l’appel se
sont engouffrés dans l’ « argumentation » de la décision). Cet événement est aussi très belle
illustration de la manière de la distribution des moyens et du superflu de composer et de
payer les jurys des « spécialistes », étant parfaitement et a priori clair qui est qui en matière
de la division de l’argent.

Question : Quels plans vous aimeriez mettre en œuvre dans les mois futurs ?

Rotar : On a beaucoup de plans, à vrai dire, des obligations à remplir et on a bien peu du
temps. Au moins jusqu’à la première on participera au travail de théâtre fait surtout par Taja
avec le groupe des amies et des amis qui sont presque tous nos anciens étudiants ou
auditeurs de nos conférences à l’université. On terminera encore quelques livres,
probablement en première place la monographie exhaustive sur l’université en tant
qu’institution sociale qui aurait dû paraître déjà en 2010 ce qui n’était pas possible à cause
des circonstances connues.

Kramberger : En ce moment je suis préoccupé – et à côté de moi aussi deux douzaines des
gens – par l’avant-première de notre performance théâtrale « Si se calla el cantor »
(d’auprès et en hommage à Horacio Guarany ; en français cela serait « Si le chanteur/la
chanteuse se tait ») pour laquelle j’ai écrit le scénario (il s’agit de l’adaptation de la poésie
de résistance, de la musique et d’un court texte de Karl Kraus – en combinaison avec mon
texte, la danse et le jeu). On s’entraine à peu près six mois. Le processus de la production de
cette pièce et de sa mise en scène lui-même est pour la plupart des impliqués une
expérience merveilleuse (du travail en commun) qui n’est pas encore terminée. On est
devenu amis avec nos anciens étudiants et étudiantes, et on est transféré l’activité de
recherche pour laquelle il n’y a plus de place à la faculté dans les pratiques symboliques.
J’aimerais de réaliser cette représentation avant notre départ de Slovénie.16

16
Juste avant notre départ en France, la groupe de théâtre s'est effondré à cause d’une intrigue sale et pleine
des conséquences. Mais, avant cette chute, on a réussi à faire une répétition publique qui a été enregistré : Če
utišate pevca/pevko (2012).

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

Quand on se décide de devenir l’agent (d’après Bourdieu l’agent est une force active, le
sujet agissant) des changements sociaux et aider les gens, par ses expériences et son savoir,
à parvenir aux pleins pouvoirs moyennant leurs propres pratiques qui intègrent les
connaissances intellectuelles issues des situations vitales des injustices et de l’oppression,
c’est quelque chose de plus beau qu’on puisse éprouver. Cet été m’attend, en outre du
théâtre, un certain nombre des colloques internationaux et des tournées. Je prépare aussi
quelques articles et ouvrages. Et cela est pour nous deux le rythme normal du
fonctionnement.

Question : Tenant compte du dit, vous quitterez cet espace, tôt ou tard, mais pour
toujours. Alors un trou intellectuel et artistique béant s’ouvrira. Est-ce que ce sera plutôt
une migration ou bien ce sera une décision plus durable ? L’espace slovène, comment
devrait-il se transmuer pour vous offrir plus de l’air parmi ces gens et dans ce lieu ?

Rotar : On s’en ira, d’abord au moins pour un an, et ensuite pour toujours. Notre opinion est
qu’il est moins problématique si l’on se heurte sur un trou financier que si l’on resterait et
tomberait dans un trou préparé par les fanfarons égoïstes en manque de l’autocritique qui
représentent la crème de cette province. On déplore tous qui, dans une province, ne vivent
pas une vie provinciale. Probablement ils viendront nous joindre au-dehors de ses
frontières.

Kramberger : Je ne sais pas quoi faire des trous. Elles sont assez agréables sur les sandales,
mais dans le sac à la nourriture ou dans les chaussures en plein hiver elles sauraient être
fatales. Certaines d’entre elles sont évidemment nécessaires pour que les gens prennent
conscience de ce qu’ils aient possédé et perdu. Un des effets des révolutions artistiques et
scientifiques est une transformation des hiérarchies d’importance comme le constate
Bourdieu ; par ce changement, les choses, qui auparavant passaient pour avoir peu
d’importance, pourraient se (ré)activer en fonction d’une nouvelle façon de faire de l’art ou
de la science et vice versa, les secteurs entiers de l’activité scientifique ou artistique
pourraient en devenir périmés.

Les luttes à l’intérieur des champs sont les combats pour que ceux qui occupent les
postions, tout en étant les porteurs des valeurs désuètes, restent en vigueur. Celui qui
introduit un nouveau mode légitime de travail perturbe, par cet acte même, les relations et
fait valoir aussi les nouvelles relations temporelles. Pour commencer, les Slovène devraient
comprendre que leur espace n’est pas un ghetto protecteur et clôturant où seraient, pour
les activités sociales, en vigueur le règles spécialement grossières et un Sonderweg des
connaissance apparentes, des impostures avec les idoles et espérances factices ; que,
malgré tout, ce notre pays n’est qu’une composante du monde concret où les
confrontations, les polémiques, découvertes et révolutions ne sont que quelque chose du
nécessaire, du réel et du quotidien. Ce clivage illusoire entre la particularité de l’espace
slovène et les autres milieux est à la cause d’une pathologie identitaire singulière de
« génies » nationaux slovènes qui fait que, par exemple, les Slovènes « réussis » se
présentent à l’extérieur de la Slovénie comme les dissidents politiques et progressistes
tandis que, à l’intérieur ils font la partie intégrante de l’establishment oppressif qu’ils

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Entretien pour la revue Kažin (vol. VIII ; no 8-9, mai-juin 2012 ; texte slovène raccourci publié dans la revue est disponible ici ; la version longue est disponible
ici) a été publié par des étudiants de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Littoral (abrégé slov. UP FHŠ) à Koper, Slovénie. L’entretien a été fait
par notre ex-étudiant et publiciste Marko Gavriloski, après la purge illicite des intellectuels critiques en 2010 à cette université et après les multiples pressions
sociales accrues sur nous mais généralement invisibles pour le public, avant notre départ en exil à Paris en automne 2012.

Traduction française ci-dessous est faite par Drago Braco Rotar et Taja Kramberger (toutes les erreurs sont à attribuer à nous deux).
Les explications et éclaircissements dans la traduction sont dans les crochets ou dans les notes.

contribuent à maintenir. Les personnes qui s’efforcent d’elles-mêmes, et pour leur propre
compte, de nous évincer et celles qui en sont chargés ou prises à la solde par les premières
ne font que nous enfoncer dans un monde connu par elles et où il n’y a de place que pour
elles-mêmes et leurs clones.

Même si nous leur dirions qu’on se fiche de leur monde et qu’elles puissent, quant à nous
deux, continuer à être ses propriétaires jusqu’à leur mort et après, si elles le désirent, parce
que ce monde n’est pour nous qu’un cul-de-sac, elles ne sont pas capables d’en prendre la
connaissance car déjà l’existence même d’une alternative réelle annule la valeur de leur
monde unique, pour ne pas parler de leurs œuvres. Donc ces personnes ne peuvent pas
comprendre que nous ne sommes pas partie intégrante ni de leur monde des
représentations ni de leur horizon de perception sans égard de leurs efforts pour l’obtenir.
Nous sommes d’un pays mentalement différent où règnent les autres lois d’action (fair-play)
et les autres valeurs (humaines, intellectuelles, démocratiques, horizontales) ; ceux qui
venons de là nous comprenons et nous nous entendons vite entre nous.

Question : Probablement la question suivante aurait dû être plutôt posée au début,


néanmoins je la pose maintenant : comment allez-vous ? Est-ce que, dans les tourbillons
de ces dernières années, il y a eu des moments rares où on vous a posé cette question ?
Probablement vous désirez aussi un peu du calme et du repos ...

Rotar: Bien entendu, le sens de cette question dépend de celui qui la pose et du milieu où
elle est posée. Dit d’une manière drastiquement contrastée: dans le cas où le milieu est un
camp de concentration et la personne qui pose la question est Dr. Mengele, son sens est
fortement spécifique, et, dans le cas où elle est posée par Marko Gavriloski, il est
totalement différent. Comme, cette fois, la question vient de ce second je peux répondre :
nullement si mal comme le souhaitent beaucoup dans ce pays, et pas si bien comme nous le
souhaitons nous-mêmes. Les questions sur notre état général par les Mengele locaux ne
sont pas très fréquentes, ils préfèrent à guetter l’occasion pour nous couper des autres ;
quant aux amis qui nous sont restés, ils connaissent notre état et ils s’efforcent de ne pas le
laisser s’empirer.

Kramberger : Je me sens, à cause des luttes incessantes pour la légitimité de mon activité
pendant ces dernière deux décennies, un peu fatiguée bien que ce ne se voit absolument
pas comme me disent mes proches. Les expériences et la paix que les engagements pour le
bonum communis rendent amortissent, évidemment, la fatigue et renouvellent la volonté et
le plaisir de travail et de vie. En effet, malgré les attaques de toutes les sortes sur ma
représentation en Slovénie et ailleurs dans le monde (par les agents de l’élite slovène en
poésie, littérature et SHS et ses preneurs), je me sens très bien, tout comme un des
personnages dans mon scénario pour la performance que je vienne d’évoquer, qui, par les
mots d’Otto René Castillo dit : « … et il est excellent/ de savoir qu’on est vainqueur/ quand
tout autour toi/ est si froid/ et obscur. »

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