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Edouard Manot, Olympia, 186 8 lavoleur dusage de Vinforme de exposition qu s'est tenue au Centre Georges Pompidou en 1983 [eOnguents, fords, pollens. pp. 6-24) tle hire de Ti Cork, The Painting ot Modern Life: Paris in the Art of Manet ‘ond His Folowers (New York, Aired Knopf, 1985), qui content un tong Cchopitre sur Opa, Clay, tres atten 4 toutes les perversions et rupture de ton dens Teaure de Manet, dé tout net (et plusieurs fois) 50 dette @ fegard de Batale. Clark ny ft reference quune fs, dans une note Sens doute tardive puisquele Figur fon bos de page, alrs que le reste ‘de Fapparel ertique se trowe en fir Layaleur d'usage de inform Ye-Alain Bois Olympia de Manet n'est peut-étre pas «le premier tableau» de l'art moderne (ce titre de gloire mythique étant d’habitude réservé au Déjeuner sur U'herbe du méme artiste). C'est du moins, écrit Georges Bataille, «le premier chef-d'euvre dont la . et ce scandale sans précédent clat d’une rupture radicale Comme le remarque Francoise Cachin & propos d’Olympia dans le catalogue de la grande rétrospective Manet de 1983, «deux réactions ont toujours prévalu en face de ce tableau la premiere, formaliste, s’attache aux valeurs techniques, pic turales, aux nouveautés qu’elles proposent, aux plaisirs qu'elle: donnent [...|. La deuxiéme réaction, largement partagée par Ja critique de I’époque, dans 'horreur ou la dérision, concerne surtout le sujet®.» La premiere lecture est articulée par Zola en 1867: «(...] un tableau pour vous est un simple prétexte a analyse. II vous fallait une femme nue, et vous avez choisi Olympia, la premiere venue; il vous fallait des taches claires et lumineuses, et vous avez mis un bouquet; il vous fallait des taches noires et vous avez placé dans un coin une négresse et un chat®, » Ce n’était pas la premiere fois qu'une telle position avait été défendue — argument de Zola reprend, grosso modo, celui de Baudelaire quatre ans plus t6t propos de Delacroix — mais c’était la premiere fois qu'elle était crédible, Elle le demeura fort longtemps, et lest encore aujourd'hui a certains égards: c'est la lecture qui fait de Manet «le premier peintre mode ‘autre lecture est iconographique:: elle critique avec quelque raison la myopie d'un Clement Greenberg ne voyant des toiles de Manet que la «franchise avec laquelle celles-ci déclaraient la planéité de leur support», et s'inter- roge avant tout sur l'identité du motif lui ie de luxe, prostituée des bas-fonds?) et sur ses sources (de Titien et Goya la photo porno). Soit la forme, soit le contenu: la Vieille opposition métaphysique semble a peu pres incontour- nable dans la littérature consacrée a Manet et, en particulier, 4 Olympia. ily a des exceptions, mais elles sont généralement ignorées des spécialistes*: dans l'ensemble, le bilan rapide- ment dressé par Cachin n'est que trop vrai. ly a pourtant une bizarrerie dans ce bilan: Bataille y est mis au compte des formalistes, parmi ceux qui «privilégient dans leuvre “le morceau de peinture” ». A premiere vue, ce n'est pas si surprenant, Bataille entonnant plusieurs fois le couplet de «la crise du sujet»: Manet tord le cou a I'éloquence réduit la peinture au silence, efface le texte qui la sous-tend en ne considérant le sujet que comme simple «prétexte de ja peinture», Pourtant, ay regarder de plus prés, ce n'est pas tout a fait Bataille qui parle ici, c'est Malraux, qu'll paraphrase aprés lavoir cité a propos de L’Exécution de Maximilien (Malraux avait écrit: «C'est le Trois Mai de Goya, moins c¢ uu signifie »). Bataille semble aequ bien a lui: «A priori, la mort, donnée métho- nent, par des soldats, est défavorable & scer, mais que ce table il ajoute une n diquement, froide la valeur d'usage de informe 8 Sree rotergiote ot 8 cera 6S rpiment en co corer? (corre dre Cyn ne proce ‘sauna ype conscre) 25582 tage sore red, quart 4M Bue ae mente Deora PLS isndamertate que Grearberg © test ‘Sion nue Monet ex prerier here moderate: stn ky, Manet ne an ure sel toi reee= Sourens coe expogrd®, rater ‘orate. Pencowe ex derenes ere {done eae du Dune” Sit Fare poyeap, noire mate, sane degre) a eran une Feria cleagor engobar les cee cone, eatagone seat orare eleame fo, roanyent Pots 220 p78) Le Mane Fred tettenasaur Cine onde coe Soeradre qi ext aux ates ‘cot de Baae & Georges Bt Mane. op. p 52100, 133) F fo p 71 (00, %, 145) Dans ‘cherie sine», ple dans le ‘Desornare crtiqu® de Docume Bort fot anon aux snes comme tes eceur din Ope ego» fDosimerts. 6.1925, 9 329 (oc, 1 206 Sirces pots, vor Tin Crk, The Painting. op ck. pp. 94 117 529 1 Georges Bata Mane, op. ot pp 6087 (00 147-142) Cox de Imanére Vos combo qu Tn Gok Trae sean qu ereaure Giinp le pesannage nett pas Corrector 200 ree course tabs ps aur conertons du ‘nde gro ele rest pas soumse Soma ist pao un cochesere {ete et pti). Tim Crk. ‘The Painting, op. cit., pp. 131-146. 10 a valeur d'usage de informe rindifférence: c’est un sujet chargé de sens, doit se dégage un sentiment violent, mais Manet parait l'avoir peint comme an esible, le spectateur le suit dans cette apathie profonde. Co tableau rappelle étrangement I'insensibilisation d'une dent {7} ‘Manet fit poser quelques personnes: elles ont pris attitude, Kestunes de ceux qui meurent, les autres de ceux qui tuent, tnaig d'une manire insignifiante, comme ils achéteraient “une hotte de radis"» «Insensibilisation d'une dent», «botte de radis»: rien de plus trivial. Bataille concoit la déflation séman- fique du tableau moins comme une simple absence que comme tne violence, un acte d’agression désublimatoire (méme s'il ne mentionne pas le dégoiit maintes fois affirmé de Manet pour la peinture d'histoire, le genre le plus noble & l’époque). Pranalyse de ce tableau intervient dans le livre de Bataille avant celle d’Olympia, a laquelle il consacre tout un chapitre, mais le ton est donné: l'indifférence de Manet n'est pas simple retrait dans la tour d'ivoire des «recherches purement formelles», c'est une attaque. ‘», «Cheminée d’'usine», «Crustacés», «Méta- morphose»): l'arbitraire alphabétique est remplacé par une que rien ne semble justifier. Bien entendu, il s'agit Ia l'une feinte, et le heurt des fragments n’a rien que de tres concerté: ce n’est pas un hasard, comme I'a montré Denis Hol- lier, si le premier article du «Dictionnaire critique» est consa- eré & architecture («expression de I'étre méme des sociétés», chiffre de 'autorité, métaphore privilégiée de la métaphysique). Car «si l'on s‘en prend a l'architecture [...] on s’en prend en quelque sorte a 'homme™», y éerit Bataille. Ce n'est pas un hasard non plus si lui succede un article (dai a Carl Binstein) sur le rossignol, ce «signe d'un optimisme éternel», ce cliché de l'animalité domestiquée et du sentimentalisme bourgeois. Finstein commence par énoncer la loi qui régit tout diction naire («les mots sont en général des pétrifications qui provo- quent en nous des réactions épidermiques»), puis il démontre et démonte ce mécanisme en égrenant les poncifs rossigno- lesques. Mais ce n’est pas le rossignol en tant que tel qui importe, c'est le refoulement a I'euvre dans les allégories aux- quelles on lui fait prendre part: «On peut remplacer le rossi- gnol a)par la rose, b)par les seins, mais jamais par les jambes, car le rossignol est justement la pour éviler de signer ce fait. Le rossignol appartient a linventaire des divertissements bour- geois, a l'aide desquels on cherche a suggérer des choses impu- diques qu'on semble luder™.» Le ton est donné d’emblée: le «Dictionnaire» de Documents aura pour double but de déni- cher les «jambes» sous les jupons de quelque allégorie que soit, mais aussi de désigner ies termes qui ne se sont pas encore laissé allégoriser, tel le crachat. Larticle que Leiris consacre au crachat explicite en effet la nature désublimatoire du «Dictionnaire» : a la suite de Freud faisant remonter l'origine de l'idée de beauté et du sentiment esthétique au dégoat croissant qu’aurait eu "homme pour la double fonction de ses organes, puis au refoulement et a la sublimation qui en découlent (voir, infra, la notice «Abattoir»), Leiris fait du crachat «le scandale méme, puisqu’il ravale la bouche — qui est le signe visible de l'intelligence — au rang des organes les plus honteux»: «Tout discours philosophique, grace au fait que langage et crachat proviennent d'une meme source, peut légitimement étre figuré par l'image incongrue d'un orateur qui postillonne.» A ce titre, «par son inconsis- tance, ses contours indéfinis, 'imprécision relative de sa cou- Jour, son humidité», le crachat est «le symbole méme de V'in- forme, de Vinvérifiable, du non-hiérarchisé™». Leiris en fait tun peu trop et atténue la force de son couac en le comm tant sous toutes les coutures”: il fait consister I'inconsistance du crachat, lui donne valeur de symbole (ce que précisément ne fera pas Bataille). Néanmoins, le vocable «informe» t aché”. ‘Au bas de la méme page et lui faisant écho («affirmer que Yunivers ne ressemble & rien et n'est qu'informe revient a dire que T'univers est quelque chose comme une araignée ou un ¢rachat»), ’6conomie du fameux paragraphe de Bataille Ia valeur d'usage de Vinforme 13 18, Denis Holler, Ls Prise la Concorde, op. ct. p. 63. 48, Cest d Dubulft que on dot information aur les chaussures de Fautner Dane une lettre ¢ Poulan sans (ue eoree lelendeman du verissage be Fexpostion «Les rages, i repporte ‘ques forme trouve que eles pemtures {Ge Fauerier le protangent si bien ele parte de san mawwais godt [ses Chovssures de serpent qui ants hier tres remarquées; £0” papier a leres fouteur lemme, son encre pourpre fc]. Letire publ dans Jean Foutner, eataogue dexpostio, Pons, ‘Musee care macserne dels Vile {0 Pars, 1989, p. 22 £20. Georges Batalle, Manet, 0p. a. 103 (06, 1%, 1571. 21. bid contraste avec hyper rubrique «Informe» ‘ments «la place généi a Vartiele *Dictionnaii « (nous n’aurons point la imiter Bataille, et notre dictionnaire étique). Mais cette exposition entend la besogne: non seulement repérer soit peu les mettre en wuvre. Montrer, par exemple, que Full Fathom Five de Jackson Pollock peut se lire comme un wut au plat (méme s'il est de Claes Oldenburg), ou qu'une ceuvre de Jean Fautrier doit plus son pathétique a sa fausseté qu’a son expressionnisme avéré (qu’elle est kitsch, au méme titre que les chaussures en peau de serpent que l'artiste arborait lors duu Vernissage de son exposition «Les Otages» ou que les paillettes d'une Fine di Dio de Lucio Fontana)". Il s’agit done pour nous de redistribuer les cartes du modernisme — non de lenterre: et de perpétuer le deuil maniaque auquel s'est voué, depuis plusieurs années, un certain type de «postmodernisme», mais de faire en sorte que I'unité du modernisme telle qu'elle a été constituée par l'opposition du formalisme et de iconologie soit criblée de part en part, et que certaines ceuvres ne puissent plus étre lues comme avant (que l'on ne puisse pas oublier laut au plat devant un Pollock, par exemple). Bataille écrivait de Manet: «L‘intention d'un glissement oi se perd le sens immédiat n'est pas la négligence du sujet, mais autre chose: il en va de meme dans le sacrifice, qui altere, qui détruit la vietime, qui la tue, sans la négliger*®.» C'est ce type d'altération que nous vou- Jone a la fois décrire et tenter, une altération qui ne concerne pas Jes registres morphologique ou sémantique de tel ou tel objet mais la grille de lecture, la structure qui a longtemps per de les assimiler, Toujours & propos de Manet, Bataille ajoutait ‘Personne ne chargea davantage le sujet: sinon de sens, de ce qui, n’étant que l'au-dela du sens, est plus que lui" la valeur usage de informe 18 Pratiquer le sacrifice et le démembrement requiert organisation (nul n’est plus méthodique que Sade, dont Bataille Voulut recouvrer la «valeur d’usage», et, on’ vu, le désordre Superlatif du «Dictionnaire » de Documents recouvrait une stra- tégie tres préméditée). Les ceuvres figurant & exposition pour laquelle ce livre fait fonction de catalogue et les documents jccnographiques qui y sont assemblés sont regroupés autour de quatre vecteurs différents en lesquels nous décelons, & par- tir de Bataille, le sceau de informe. Quatre opérations (que, par Inesure de raccourci, j'appellerai «horizontalité», «bas maté- Hialisme», «battement» et «entropie»), ce qui suppose done une maniére de classement. Mais ce classement est poreux (les categories» ne sont pas étanches et, a la premidre cuvre de exposition, Asphalt Rundown de Robert Smithson, fait écho Glue Pour, eouvee tres similaire du méme artiste, située tout & la fin du parcours). De plus, ce «classement» a pour fonction de déclassifier les unités plus larges dont histoire de V'art fait son beurre: le style, le theme, la chronologie, et enfin l'@uvre en tant que corpus de la production totale d'un artiste. ‘Un mot sur la maniére dont ces unités sont suspendues. 1) De notre désinvolture & l'égard du style (notamment des «ismes», dont 'énumération ponctue toute histoire du modernisme} oule la diversité flagrante de chacune de nos sections (cest Tun des aspects du c6té «ruf au plat»): Robert Rauschenberg se retrouvera a la méme enseigne que Dubuffet, et Jacques Villoglé voisinera avec Gordon Matta-Clark. 2) Le theme est en apparence plus tenace (la thématisation est le danger qui guette toute présentation non monographique: rien de plus facile que jaginer quelque chose comme «|'informe en art», au méme titre que «le chien dans l'art» ou «le paysage pastoral»): notre vigilance a cet endroit explique un certain nombre d’exclu- sions. On ne trouvera pas de Merda d'artista de Piero Man- zoni dans la section consacrée au «bas matérialisme», par exemple, car le risque était trop grand de conduire malgré nous a une fétichisation de l’exerément bien étrangére a la pensée de Bataille; de méme, la nouvelle mode de I'«abject» dans l'art de ces dernires années (fluides corporels et autres dégotitants frissons) ne sera pas convoquée (voir sur ce point Ja conclusion que Rosalind Krauss donne a ce volume). La pra- tique contemporaine est interpellée dans chacune de nos quatre sections par une ceuvre ou un ensemble d'ceuvres qui exc?- dent, selon nous, Phorizon thématique dans lequel l'«abjec- tion» d’aujourd’hui semble étre enfermée (de Mike Kelley pour l'«horizontalité», de Cindy Sherman pour le «bas maté- rialisme», de James Coleman pour le «battement», et de Allan MeCollum pour I’«entropie»). Hormis ces exceptions et une poignée d'autres, la majorité des ceuvres ici présentées couvre une époque allant de la fin des années 1920 au milieu des années 1970. 3)Cela ne veut pas dire pour autant que la chronologie ne soit pas malmenée: les 3 Stoppages étalon de Marcel Duchamp, de 1913-1914, edtoient un «mot liquide» d'Edward Ruscha de 1969 ou une Oxidation d’Andy Warhol de 1978; un relief sablé de Picasso de 1930 rencontre un monochrome noir de Rauschenberg datant de 1951; un papier fae Robert Reuschenberg, J Sane titre (Gold Painting), 1959 = la valeur d'usage de informe 17 Piero Manzoni, Achrome, 1962 18 Ia valeur d'usage de informe Piero Manzoni, Achrome, 1967 déchiré de Jean Arp, lui aussi de 1930, voisine avec un collage de Twombly datant de 1959. 4) Enfin, l’unicité de l'euvre, garantie de l'identité de l'artiste, offre la moindre résistance a la transversalité de informe: nous prélevons sans vergogne, ignorons totalement les «fentes» de Fontana ou les toiles tachistes de Wols, a savoir ce par quoi ils sont le plus connus. pour ne retenir de l'un que ses pierreries, ses ors et ses paillettes, et de l'autre que ses photographies. Ceci ne va pas toujours sans heurt: de méme que Dali, faisant serment d’al légeance a Breton, avait refusé a Bataille la photographie du Jeu lugubre que ce dernier voulait commenter dans Documents, de méme Carl Andre s'est opposé & ce que l'on présente les photo- graphies que tira jadis Hollis Frampton de sa série prémini la valeur d’usage de Vinforme i étre pris en compte dans plusieurs d’entre elles), de e un artiste, travaillant dans des veines différentes, se ee diverses «redingotes» (Pollock, Oldenburg jobert Morris apparaissent tous trois au registre de I'chori- zontalité», mais on retrouve aussi Pollock & celui du «bas maté- tialisme», Morris & celui di a pe pnee Morris lu «battement» et Oldenburg a celui Cette taxinomie volatile nous permet done un certain nombre de décloisonnements: certaines cuvres-clefs de la modernité yssont extirpées du discours officiel entourant !’épopée moder- niste (le cas le plus flagrant est celui de Pollock); certaines ceuvres de Totems modernistes, tel Picasso, jusque-la consi- dérées comme mineures, sont mises en avant; certains artistes marginalisés par le grand récit moderniste, tels David Medalla ou les membres du groupe Gutai, semblent soudain détermi. nants. Enfin, il n'est aucunement la question d’exhaustivité: il est quantité d’ceuvres auxquelles nous avons songé mais que, pour diverses raisons, nous n’avons pu inclure (au registre de Tentropie, par exemple, nous avons pensé a Allan Kaprow ou A Dieter Rot — mais comment présenter un happening ou les restes d'une auvre éphémere sans étre d’emblée mortifere? — ou encore a activité proliférante du groupe Fluxus — mais comment montrer une surproduction infinie sans immédiate- ment la trahir en Ia limitant?) Linforme, disais-je plus haut, désigne ici un ensemble d’opé- rations par lesquelles le modernisme est pris a rebrousse-poil. Le modernisme, a savoir ce «mainstream» énoneé par les livres histoire — dont la version la plus cohérente est celle de Clement Greenberg, mais ily en a d'autres —, comme ce qui conduit en ligne droite de Manet a l'expressionnisme abstrait ‘américain et au-dela. Linterprétation moderniste de l'art moderne, qui est un prélévement n’osant dire son nom, partici avant tout d’une entreprise ontologique: une fois l'art libéré lavateur de Vintorme 21 ‘JacquesAndré Boitfard, Bouche, 11928, Documents, 5, 1930, p. 298 des contraintes de la représentation, il s'agissait de justifier son fence en tant que quéte de sa propre essence. L’«indiffé- rence» de Manet, loin d’étre lue comme Ie glissement pervers qu’y voyait Bataille, y est comprise comme le premier pas de Ia peinture vers rauionomie et la parousie de son essence. Cette entreprise ontologique repose sur un certain nombre de pos- tulats et d’exclusions. 1)Le premier postulat est que l'art, la peinture en particulier, s'adresse au seul sens de la vision (cette Se-force est contemporaine de l'impressionnisme, mais aussi des débuts de l'histoire de l'art comme discipline scientifique se'ést'Sa premidre formulation dans les écrits d’Adolf id et de Konrad Fiedler qui inspire Les Concepts aux de Uhistoire de Uart de Heinrich Wélfflin, de » dont parle l'histoire de l'art n'est que la jon visuelle du tactile: la matiare n'y existe qu’in- tle mise en forme. 2) ’exclusion qui en découle (bien ié énoncée avant méme le postulat de la pure vision, wut la faire remonter a Lessing discriminant dans jes arts du temps et les arts de l'espace) porte sur dans le visuel et sur le corps du sujet percevant donne en un instant et ne s'adresse qu’a l'ceil du Deuxieme postulat, fondé sur un refoulement ana- d dans ses Trois essais sur la théorie de la sexua- dans Malaise dans la civilisation: étant «pure- Part s'adresse 4 homme en tant que créature axe horizontal qui régit la viede 'animal. Méme veut plus une «fenétre ouverte sur le monde», le ‘une coupe verticale qui postule du spectateur l'ou- jieds dans la poussiére. 4) Conséquence: l'art est sublimatoire qui rassemble (tout en le séparant de sujet percevant. Il postule une activité synthéti- ‘ensé concevoir I'euvre comme totalité fer- Matisse Mondrian et Pollock, le moder- omplissement de I'artiste a sa capacité de 16), et la jouissance esthétique est indexée ‘melle. Plénitude formelle qui est aussi une ie, car, contrairement A ce que rabichent s iconologues qui confondent référence et indication d’autonomie formelle n'est jamais formulée sans étre glorifiée comme voie royale, comme unique voie méme, vers la pure parousie du sens (Malévitch, Mondrian, par exemple, disent surtout qu’ils veulent peindre l'absolu). Exclusion de tout ce qui se délite: 'ceuvre doit avoir un début et une fin, tout désordre apparent se résorbant dans le fait qu'elle est limitée. Bien entendu, ces postulats et exclusions sont des mythes (on pourrait prendre en écharpe la production de tous les grands artistes de la modernité afin de démontrer qu’ils ne s'y conforment guére que de part en part, et il n’est jusqu’au dis- cours moderniste le plus assuré qui n’admettrait quelque excep- tion). Mais ce sont des mythes fondateurs: leur solidarité scelle la cohérence du modernisme en tant que grille de lecture. Les quatre opérations que nous avons retenues au titre de forme répondent du tac au tac a ces exigences modernistes. Jacques-André Boitfard, Gros orteil, sujet féminin, 24 ans, Documents, 6, 1929, p.301 Ces opérations faisant chacune l'objet d’une notice dans notre abécédaire, je voudrais surtout, ici, dire briévement l'usage quien a été fait dans Vorganigramme de l'exposition ainsi que dans la sélection des objets présentés. A. Nous avons d’abord pensé¢ a I'horizontalité, car c'est la que la nature opératoire de I'«informey est la plus patente (a vrai dire, chorizontalité», désignant un état, dénomme assez impar faitement la nature dynamique de l’opération — il faudrait plu tot dire «basculement du vertical vers I'horizontal» ou encoré la valeur d'usage de informe 23 24 Ia valeur usage de informe mais c’est pécant, «horizontalisation»). Le chavirement dont i cravat est Lune des stratégies mises en cpuvre de la maniére la ius insistante par Bataille elle gouverne plusieurs textes de Pncuments, tels article « Bouche » du «Dictionnaire critique» aevoncore «Le gros orteil», mais aussi tout le dossier de « Lil pinéal», publié titre posthume): Fhomme est tres fier de s'étre Feige (et d’avoir quitté ainsi la condition animale, dont axe biologique bouche-anus est horizontal), mais cette fierté est fonder sur un refoulement. Vertical, homme n’a biologique- nent de sens qu’a regarder le soleil a s’en braler les yeux ou i contempler ses pieds dans la boue: son architecture actuelle, par quoi son regard horizontal traverse un champ visuel ver Tical_ est un travestissement (voir, infra, la notice « Gestalt»), Tl faut cependant noter que opposition vertical/horizontal rest pas tout entidre circonscrite par les rapports hiérarchiques (que Bataille cherchera toujours a inverser d’abord pour mieux jes dénoncer) entre 'homme et l'animal. De fait, une autre ver- 616 mise en place par le modernisme sion de cette opposition at Jacques-André Boitferd, Gros orteil, sujet masculin, 30 ans, Documents, 6, 1929, p.298 Pablo Picasso, Nature morte @ la chaise cannée, 1972 dans le seul champ des pratiques symboliques humaines, et c'est cette version moderniste de l'opposition que 'opération de Bataille révele en tant que refoulement. Peu apres l’exaltation de la «pure vision» par les impressionnistes, une crise, épin- giée du nom de Cézanne, avait en effet secoué les arts visuels. Il devint soudain parfaitement clair que la stricte démarcation entre le domaine du «purement visible» (la verticalité du champ visuel) et le domaine charnel (I’espace que notre corps occupe), démareation théorisée depuis la Renaissance par la concep- tion du tableau comme «fenétre ouverte sur le monde », était une vue de I’esprit. Avec Cézanne, par exemple la Vénus @ UAmour en platre du Courtauld, oit le plan au sol est verticalisé A outrance, les objets sont préts a glisser de leur position, a se décrocher pour débouler sous nos pieds: la ligne de démarca tion entre le mur et le sol s'abolit. (II peut sembler surprenant que cette division du visible et du charnel soit demeurée étanche si longtemps, la sculpture jouant censément des deux termes de l'opposition; mais la sculpture occidentale jusqu’a Rodin fut, sinon toujours fron- tale, du moins «picturale», a savoir qu’elle avait sans cesse rabattu 'ordre du charnel sur le plan du visible. Par ailleurs on a parfois rappelé que Valéry, dans Degas Danse Dessin, avait parlé d’«informe» a propos de la verticalisation du sol dans certaines ceuvres de Degas: mais, chez Degas, il s'agit d'un point de vue cavalier — la danseuse est croquée d'un palcon, c’est un homme debout qui dépeint la femme accrou- pie dans son bain. Quelle que soit la nouveauté de ce point de yue [dont la fonction, pour Valéry, est avant tout de répartir la lumiere réfléchie], quelle que soit la déformation a laquelle il soumet le motif [Valéry dit de la forme d'une danseuse vue d’en haut qu'elle «se projette sur un plan du plateau, comme ‘on voit un crabe sur une plage »}. il ne perturbe en rien unit la valeur d'usage de Vinforme 25

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