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DEMAIN la ville

DEMAIN
la ville

Dossier n°3

N°3 / L a «  b i donvi l l isat i on » co m m e pe rspect ive u rb a ine m ond i a l e  ?


Mars 2009

la « bidonvillisation »
comme perspective
urbaine mondiale ?

Synthèses et Prospective
Une publication de la Mission Prospective et Stratégie
Délégation interministérielle à la ville 1
DEMAIN la ville

Les dossiers D E M A I N l a v i l l e ont pour objectif la diffusion


des connaissances.

Ils se proposent de présenter des synthèses de recherche ou des articles,


ne dépassant pas une vingtaine de pages, intéressant tous les aspects
de la politique de la ville et présentant des aspects prospectifs.

Chaque numéro est consacré à un sujet et rédigé par un auteur.

AVERTISSEMENT

Les propos des auteurs leur sont personnels et ne reflètent pas


nécessairement les positions de la Délégation interministérielle à la ville.

N°3 / L a «  b i donvi l l isat i on » co m m e pe rspect ive u rb a ine m ond i a l e  ?


Avant impression, pensez à l’environnement 

Directeur de publication :

Adil JAZOULI
Adil.jazouli@ville.gouv.fr

Rédaction, correspondance, contacts :

Marie-José ROUSSEL tel : 01 49 17 45 96


marie-jose.roussel@ville.gouv.fr

2
DEMAIN la ville

Sommaire

Édito 4

LA « BIDONVILLISATION » COMME PERSPECTIVE URBAINE MONDIALE ?  5

1 - L a bidonvillisation du monde urbain  6

2 - Baisse de la pauvreté globale, croissance relative de la pauvreté urbaine 11

3 - Mal logement et bidonvilles en France  15

Conclusion 18

Bibliographie 19

N°3 / La «  b i donvi l l isat i on » co m m e pe rs pect ive u rb a ine m ond i a l e  ?

3
DEMAIN la ville

Édito
­
C’est à un élargissement de notre regard sur les problèmes urbains que nous
invite ce troisième numéro de « Demain la ville » consacré à la « bidonvillisation »
du monde, et nous remercions ici Julien Damon, spécialiste reconnu et auteur,
entre autres ouvrages, de « L’exclusion » et de « Vivre en ville », d’avoir accepté
de collaborer à notre collection.

Les deux premières parties de ce numéro consacrées à l’urbanisation dans les


pays en développement montrent de manière saisissante l’ampleur du problème.
Les cartes anamorphiques (qui proportionnent la taille des pays au phénomène
étudié) sont en effet infiniment plus parlantes que des tableaux de chiffres 
ou des diagrammes ! Pourtant, l’auteur ne cède pas au pessimisme et souligne
que si le nombre de pauvres est en constante augmentation, et si leur présence
devient plus visible (la pauvreté rurale reste souvent invisible), leur proportion
diminue et l’urbanisation est aussi une chance. Les bidonvilles sont certes des
« agglomérats de pollution, d’insécurité et d’infamies », mais ils sont aussi « un
réservoir de créativité culturelle, d’imagination sociale, d’inventivité économique
et urbanistique ». Sur ce point, l’auteur termine son texte en invitant les grands
noms de l’architecture à s’intéresser moins aux tours prestigieuses des métropoles
et plus à l’invention de nouvelles formes d’habitat pour les pauvres des villes…

La troisième partie, qui revient sur notre Hexagone, fait le point sur une situation

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qui malgré une amélioration globale incontestable est marquée par le retour de
ces bidonvilles que l’on croyait définitivement éradiqués.

La rédaction

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DEMAIN la ville

LA « BIDONVILLISATION »
COMME PERSPECTIVE
URBAINE MONDIALE ?
Julien Damon
Professeur associé à Sciences-Po (cycle d’urbanisme)
Auteur de Vivre en ville. Observatoire mondial des modes de vie urbains
2008-2009, Paris, PUF, 2008

Introduction déjà, avec des chiffres qui font frémir, que le nombre
de personnes vivant dans des bidonvilles a dépassé
L’avenir ne se prévoit pas. Il se prépare. Tel est
un milliard en 2007. Il pourrait atteindre 1,4 milliard
probablement le principal enseignement de la
en 2020, voire 2 en 2030. Dit autrement, un tiers des
prospective. De quoi demain sera-t-il fait  ? Dans le
urbains vivent dans un bidonville. En 2020 ce pourrait
détail, personne n’en sait rien. Certaines inerties
être le cas du quart des urbains. Cette perspective de
démographiques sont néanmoins clairement à l’œuvre.
« bidonvillisation » - qui n’est en rien une fatalité – est
Ceci est particulièrement vrai en matière urbaine.
la matière de cet article.

S’il y a donc quelque chose de certain c’est que le
Après une première partie esquissant les grands traits
monde de demain sera plus urbain. Une grande partie
de cette « bidonvillisation » (le néologisme commençant
des enjeux du 21ème siècle se trouvent dans les villes
d’ailleurs à s’imposer), la deuxième s’intéressera aux
des pays en voie de développement et dans la manière
transformations de la pauvreté urbaine, et la troisième
dont elles seront gérées. C’est ce que soulignent les
partie reviendra sur le cas français.
experts réunis récemment par le Fonds des Nations
Unies pour la population1. Aujourd’hui la moitié de

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l’humanité vit en ville. Evidemment, la situation est
bigarrée. L’urbanisation de nombre de pays développés
a atteint des seuils très élevés, qui ne sont pas partout
appelés à être dépassés. A l’inverse, l’urbanisation de
nombre de pays en développement va se poursuivre.
De 2000 à 2030, la population urbaine asiatique devrait
doubler, passant de 1,36 à 2,64 milliards de citadins. En
Afrique, la population vivant en ville passerait de 294
millions à 742.

Quelques idées reçues ont été récemment balayées2.


La croissance urbaine ne concernera pas d’abord les
« méga cités » de plus de 10 millions d’habitants, mais
les villes « moyennes » (de 0,5 à 1 million d’habitants).
Cette croissance résultera davantage de l’accroissement
naturel des villes que des migrations rurales. Surtout,
elle sera alimentée par une augmentation colossale
du nombre de pauvres. Les Nations unies estiment

1• M artine George, McGranahan Gordon, Montgomery Mark, Frenandez-Castilla Rogelio (dir), The New Global Frontier. Urbanization, Poverty and Environment in
the 21st Century, Londres, Earthscan, 2008.
2• Voir les références en bibliographie de cette contribution. Soulignons cependant que le document le plus clair, revenant sur nombre d’idées fallacieuses
est l’ouvrage dirigé par Martine George, McGranahan Gordon, Montgomery Mark, Frenandez-Castilla Rogelio, op. cit.
5
DEMAIN la ville

1  a bidonvillisation du monde urbain


L
2008 signe dans une certaine mesure un changement de personnes, habitent maintenant effectivement en
majeur dans l’histoire de l’humanité. La population ville. Ils n’étaient qu’un sur dix au début du XXème
urbaine devient majoritaire3. D’une certaine façon, siècle. En un mot, comme en cent, l’homo sapiens
l’humanité entre de plain pied dans l’aire urbaine4. devient homo urbanus.
Un être humain sur deux, soit environ 3,3 milliards

Part
 de la population urbaine par rapport à la population mondiale totale (en %)

80
70
70 65
60
60 55
51
50 47
43
39
40 33 36
29
30

20

10

0
1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050

Source : Perspectives de l’urbanisation mondiale. Révision 2007, New York, Nations Unies, 26 février 2008

Il est certainement discutable d’englober sous S’il y a harmonisation, il ne faut pas oublier que les
le terme d’«  urbains  » les habitants des centres- processus de fragmentation (embourgeoisement des
villes embourgeoisés des capitales riches, ceux centres, périurbanisation, ghettoïsation6) introduisent

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de leurs ghettos périphériques ou centraux5, et le de fortes différenciations au sein des villes. Pauvreté
milliard environ d’être humains vivant dans des et marginalité sont très visibles et choquantes au cœur
bidonvilles. Les réalités ainsi rassemblées manquent des villes riches du Nord. Pauvreté et inégalité sont
incontestablement d’unité. tout aussi visibles mais encore bien plus répandues
dans les villes du Sud. Le fossé séparant le monde
développé du monde en développement reste, malgré
Alors qu’à l’échelle mondiale, l’urbain se généralise, d’incontestables améliorations, immense.
les conditions de vie ne vont pas nécessairement
Rappeler que les défis liés à la pauvreté urbaine sont
s’uniformisant, entre les villes et au sein des villes.
gigantesques est une sorte de leitmotiv des conclusions
Plus que les modes de vie eux-mêmes, ce sont les
des sommets internationaux. Sur la période qui va
dynamiques économiques liées à l’accélération de la
de 2000 à 2030, la population urbaine des pays en
mondialisation et de la métropolisation qui convergent.
développement devrait doubler. Pour s’assurer que
La généralisation de la mobilité et la pénétration des
ces personnes ne se retrouvent pas dans des taudis,
outils de télécommunication rapprochent assurément
il faudrait chaque semaine pendant ces trente années
les citadins.

3• Les projections démographiques ont permis d’affirmer dès 2001 que le point d’inflexion se trouverait en 2007. Finalement, 2008 aura été l’année
d’équilibre. Ce passage symbolique n’a probablement pas retenu toute l’attention qu’il méritait. Il marque pourtant ce que certains auteurs éminents
appellent – on devrait dire à nouveau – « la révolution urbaine ». Voir Hall Peter, « Urban Land, Housing and Transportation. The Global Challenge »,
Global Urban Development, vol. 3, n° 1, 2007, www.globalurban.org/GUDMag07Vol3Iss1/Hall.htm. Plus généralement, sur la nouvelle affirmation des
villes, en particulier en tant qu’acteurs majeurs de la mondialisation, voir Burgel Guy, La revanche des villes, Paris, Hachette Littératures, 2006.
4 Pour reprendre l’expression proposée dans le cadre d’un ambitieux projet international organisé par la London School of Economics et la Deutsche Bank,
l’humanité se trouve dans « l’âge urbain ». Voir le très dense et très beau livre dirigé par Burdett Ricky et Sudjic Deyan, The Endless City, Londres, Phaidon,
2007, ainsi que le site afférent www.urban-age.net
5 Il y a d’ailleurs dans cette présentation la vision d’une ville d’essence européenne, avec un centre favorisé se rénovant et des périphéries dégradées.
Il n’en reste pas moins que partout dans le monde la géographie des villes est une géographie de communautés plus ou moins favorisées, plus ou moins
ouvertes.
6 Repérées dans le cas français, ces trois dynamiques ont été exposées et discutées à partir du dossier « La ville à trois vitesses », Esprit, mars 2004.
6
DEMAIN la ville

produire ce que l’on investit pour une nouvelle ville de statistique n’est peut-être pas parfaite. La tendance
un million d’habitants7. Ce type d’estimation imagée, n’en reste pas moins nette.
mais fondée, ponctue les analyses et déclarations sur la
pauvreté urbaine.La précision statistique ne saurait en
ces matières de pauvreté être parfaite. Les réalités les En 2008, alors que la population mondiale devient
plus sombres échappent à l’investigation statistique, majoritairement urbaine, un tiers des individus recensés
qu’il s’agisse dans les pays riches du dénombrement comme urbains vivent dans des bidonvilles, dont 90 %
des sans-abri8 et dans les pays pauvres du recensement dans les pays en développement. L’Asie compte, et
précis des habitants des taudis. Ce sont donc les de loin, le plus grand nombre de citadins vivant dans
ordres de grandeur qui prévalent. Les Nations unies des bidonvilles – la pire situation étant l’Asie du Sud,
ont affirmé que les habitants des bidonvilles avait où les habitants des bidonvilles représentent la moitié
dépassé le milliard en 2007. Ce nombre – au demeurant de la population urbaine. Chine et Inde réunissent à
discutable - pourrait atteindre 1,4 milliard en 2020, elles deux près de 40 % des taudis du monde. En
voire 2 milliards en 20309. En tout état de précision proportion cependant, c’est l’Afrique subsaharienne
statistique, les chiffres frappent. Plus d'un être humain qui vient en tête avec quelque trois quarts des citadins
sur sept vit aujourd'hui dans un bidonville. Si tout doit dans des bidonvilles. Urbanisation y est devenue quasi
continuer de la sorte, ce sera un sur six en 2020. La synonyme de croissance des taudis.

La
 croissance des bidonvilles (en milliards d'habitants)

1,5

1,25

0,75

0,5

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0,25

0
1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020

Monde Asie Afrique Monde développé

Source : Centre des Nations Unies sur les établissements humains, ONU-Habitat, Global Urban Observatory Database (2005) ;
www.devinfo.info

L’expression bidonville désigne, sous des appellations est en fait très riche avec des noms propres à chaque
localement variées, plusieurs types d’habitations langue, voire à chaque ville. On trouve ainsi les favelas
et d’installations. Le mot « bidonville » est employé au Brésil, le kijiji au Kenya, le barrio au Venezuela, les
depuis le début des années 1950 pour désigner, dans campamentos au Chili, les townships d’Afrique du Sud,
le Maghreb, littéralement des « maisons en bidons », le precario au Costa Rica, les bastis de Calcutta, les
c'est-à-dire un ensemble d'habitations construites cheries de Madras, les jhuggis-jhompris de Delhi…
avec des matériaux de récupération. La terminologie

7 Voir le rapport de la troisième session du forum urbain mondial (Habitat III) qui s’est tenu à Vancouver en juin 2006, www.unhabitat.org/downloads/
docs/3406_66571_WUF3-Report-FR-23.pdf Encore une fois il ne s’agit que de projections, toujours discutables et ici parfaitement sujettes à caution dans
la mesure où la collecte des données est particulièrement compliquée.
8 Voir Jencks Christopher, The Homeless, Cambridge, Harvard University Press, 2004 ; Damon Julien, La Question SDF, Paris, PUF, coll. « Le lien social », 2002.
9 Pour les chiffres (jusqu’à 2020), voir le site du Centre des Nations Unies sur les établissements humains, ONU-Habitat, www.unchs.org et, plus précisément,
pour les données, voir www.devinfo.info. En ce qui concerne l’estimation pour 2030, voir le discours de Kajumulo Tibaijuka Anna, directrice générale de ONU-
Habitat, à l’école d’économie de Varsovie le 18 avril 2008, www.unhabitat.org/downloads/docs/5683_16536_ed_warsaw_version12_1804.pdf
7
DEMAIN la ville

La question des bidonvilles n'est pas en marge de Ces phénomènes peuvent être relevés dans le
la problématique urbaine. Elle est centrale, de par contexte occidental, mais avec une ampleur qui n’a
son intensité et sa diversité, mais aussi de par les rien à voir avec ce qu’on observe dans les pays en
nouvelles formes d’organisation qui s’y déploient. développement. Une représentation de ce phénomène
Agglomérat de pollution, d’insécurité et d’infamies, le passe aisément par les cartogrammes12. Cette
bidonville est aussi un réservoir de créativité culturelle, méthode de cartographie permet de «  déformer  »
d'imagination sociale, d'inventivité économique et les territoires en fonction des caractéristiques de la
urbanistique10. Fonctionnellement, le bidonville a un population qui s’y trouve rapportée à la population
rôle de premier accueil pour l’exode rural. C’est un sas mondiale. Une première illustration nette est celle du
pour la ville, même s’il n’est souvent que nasse pour surpeuplement.
les populations de réfugiés.

Le surpeuplement est défini ici comme une situation


Les termes « taudis », « bidonvilles », « établissements où l’on trouve plus de deux personnes par pièces
informels », « squatters » ou bien foyers à « faibles dans une habitation. En Inde, on considère que le
revenus » sont souvent employés de manière phénomène touche 77 % de la population. C’est le cas
interchangeable dans les documents officiels et les également de 72 % des Pakistanais.
travaux d’experts. Le Centre des Nations Unies sur les
établissements humains définit le « ménage habitant
un taudis » comme un groupe de personnes vivant L’Australie, la Nouvelle Zélande, le Japon, l’Europe
dans le même logement urbain dépourvu d’un ou de l’Ouest et le Canada sont quasiment invisibles
de plusieurs des éléments suivants : habitation en sur ce genre de carte, en raison de la faiblesse du
dur, surface habitable suffisante, disponibilité d’eau phénomène observé.
potable, accès à un système d’assainissement, sécurité
d’occupation11.

Les cinq caractéristiques du bidonville sont donc :


la fragilité physique de l’habitat
(il ne pourrait durer plus d’un an) ;

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le surpeuplement (plus de deux personnes
par pièce) ;
l’absence d’eau potable ;
l’absence de connexion à un réseau
d’assainissement ;
un statut d’occupation précaire
(squat, occupation illégale de terrain).

10 Voir le dossier « Illégalités et urbanisation », Urbanisme, n° 318, 2001 ; Bolay Jean-Claude, « Le bidonville ou le mal-développement urbain », Urbanisme,
n° 351, 2006, pp. 75-80 ; et pour le cas de l’Inde, Dupont Véronique, « La place des slums », Urbanisme, n° 355, 2007, pp. 51-55.
11 Pour plus de précisions, voir López Moreno Eduardo, Warah Rasna, « Le Rapport 2006-2007 sur l'état des villes dans le monde. Tendances urbaines et
bidonvilles au XXIème siècle », Chronique ONU, vol. XLIII, n° 2, 2006. www.un.org/french/pubs/chronique/2006/numero2/0206p24.htm. Le Centre des
Nations Unies pour les établissements humans a été créé en 1978, dans les suites du premier forum urbain mondial (Habitat I) à Vancouver en 1976.
12 Voir le formidable site www.worldmapper.org. Voir également Dorling Daniel, Newman Mark, Barford Anna, Atlas du monde réel. Cartographier nos modes
de vie, Paris, La Martinière, 2008
8
DEMAIN la ville

Le
 surpeuplement des habitations (2002)

Lecture  : la taille de chaque territoire est fonction de la proportion de la population mondiale habitant en logements
surpeuplés vivant sur ce territoire

Répartition
 mondiale des habitants de bidonvilles (2001)

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Lecture  : la taille de chaque territoire est fonction de la proportion de la population mondiale des bidonvilles vivant
sur ce territoire

Au sujet des bidonvilles, si les volumes sont bidonvilles baisse. En 1990, 47 % de la population
impressionnants, tant pour ce qui porte sur les nombres urbaine des pays en développement vivaient dans des
absolus que sur les proportions, il faut néanmoins bidonvilles. Ce n’était plus le cas que de 43 % en 2001
avoir à l’esprit que la situation s’améliore relativement. et de 37 % en 2005. Les images par cartogrammes
En effet, la proportion des personnes vivant dans les n’en demeurent pas moins particulièrement claires.

9
DEMAIN la ville

Croissance
 de la population vivant dans des bidonvilles (1990-2001)

Lecture : la taille de chaque territoire est fonction de la part de la croissance de la population mondiale vivant dans des
bidonvilles, repérable sur chaque territoire, de 1990 à 2001

Les
 logements « durables » dans le monde en 2002

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Lecture  : la taille de chaque territoire est fonction de la part de la population mondiale vivant dans des «  logements
durables ». Le graphique n’est pas tellement déformé car il y a une large effet de structure liée simplement à la taille des
populations.

Note : Les logements durables sont définis comme des structures construites pour durer plusieurs années.
En gros, 4,4 milliards de personnes dans de telles habitations, 1,8 milliard dans des logements non durables.
En Afrique sub-saharienne, seulement 29 % de la population en logements durables (3 % seulement
au Tchad).

10
DEMAIN la ville

2 B
 aisse de la pauvreté globale, croissance
relative de la pauvreté urbaine
Une grande part de l’urbanisation mondiale en cours Tous les pauvres ne vivent pas dans des taudis, et tous
passe donc par la prolifération et l’extension des les habitants de zones définies comme des bidonvilles
bidonvilles13. Jusqu’à une date récente, les zones ne sont pas pauvres. Cependant, dans les rapports et
rurales se situaient à l’épicentre du dénuement et de les statistiques que ces rapports collectent, citadins
la misère humaine. Toutes les mesures de la pauvreté, pauvres, pauvres urbains et habitants des taudis sont
qu’elles soient fondées sur la consommation, le revenu souvent synonymes.
ou les dépenses, indiquaient que la pauvreté était plus
profonde et plus répandue dans les campagnes que
dans les villes. A présent, la pauvreté s’étend plus
rapidement et plus visiblement en milieu urbain.

LES MESURES DE LA PAUVRETÉ


Pour évaluer la pauvreté, deux grandes familles d’approches coexistent.
Dans la plupart des pays développés, ce sont des raisonnements en valeur relative qui délimitent la pauvreté.
Dans la mesure où il s’agit d’observer la situation des moins favorisés au regard des autres, cette première famille
d’approches relève plus de la mesure des inégalités, en se centrant sur la queue de distribution des revenus. Tout
est alors affaire, conventionnelle, de définitions et de seuils. Peuvent être définis comme pauvres les 10 % (ou les
20 %) les moins riches. Une telle définition, qui a sa part d’évidence, a les vertus de la simplicité et de la clarté.
Une autre technique relative consiste à compter comme pauvres les personnes et les ménages dont les revenus
sont inférieurs à un seuil monétaire relatif, fixé en fonction de la distribution des revenus. On utilise comme seuil
de pauvreté, dans l’Union européenne, un montant correspondant nationalement à 60 % de la médiane des
niveaux de vie. Le ménage, à partir d’un seuil arbitraire, est replacé par rapport à l’ensemble des niveaux de vie.
La deuxième famille d’approches consiste à raisonner en valeur absolue.

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Selon cette approche, employée notamment aux Etats-Unis et par les organisations internationales, on considère
une pauvreté dite « absolue ». A partir de l’estimation des ressources nécessaires à l’acquisition d’un panier
minimal de biens (pour se nourrir, se vêtir, se loger), un seuil de pauvreté absolu (qui ne varie donc pas en
fonction de la distribution des revenus) est établi. En 2006, 13 % des Américains (et 18 % des enfants) sont de
la sorte recensés comme pauvres. Le seuil fédéral annuel de pauvreté est de 16 000 dollars pour une famille de
trois personnes. A l’échelle mondiale, sont aussi dénombrées, par la Banque mondiale, les personnes qui vivent
sous un seuil de pauvreté international. Il a été décidé de mesurer le nombre de personnes vivant avec moins
de 1,08 dollar par jour, mesuré en parité de pouvoir d’achat 1993, et celles vivant avec moins de 2,15 dollars
par jour. Par simplification et par souci de communication, on parle de seuils à « un dollar par jour » et à « deux
dollars par jour ». Il s’agit d’un seuil de pauvreté absolu car son montant ne varie pas selon les pays. Il est supposé
représenter le minimum dont a besoin une personne pour se nourrir, se vêtir et se loger. Loin des modes de
vie et de l’opulence qui caractérisent l’Occident, c’est la moitié de la population mondiale qui vit avec moins de
2 dollars par jour. C’est un peu moins de un milliard d’êtres humains qui vivent avec moins de 1 dollar par jour.
Il faut noter que la proportion de personnes vivant sous ces seuils de pauvreté est en claire diminution depuis le
début des années 1980 et que le nombre de pauvres devrait encore fortement se réduire sur les deux prochaines
décennies. Les seuils établis au début des années 1990 en parité de pouvoir d’achat 1993 font débat. Certains
veulent les actualiser ; d’autres souhaitent les abandonner. Ces mesures absolues de la pauvreté dessinent les
contours d’une extrême pauvreté monétaire. D’autres approches sont possibles, en termes de conditions de vie
en particulier. Elles permettent de mettre en lumière d’autres dimensions du dénuement, qui n’évoluent pas

13 Relevons encore que l’information relative aux bidonvilles et à la lutte contre le phénomène est de plus en plus riche. Voir par exemple le site
www.citiesalliance.org
11
DEMAIN la ville

nécessairement aussi favorablement (si l’on peut dire) que la pauvreté monétaire. La prévalence des maladies
mortelles dans les bidonvilles, par exemple, est davantage imputable aux mauvaises conditions de vie qu’aux
niveaux des revenus.
En outre, le développement dispose maintenant d’autres indicateurs, composites, agrégeant différentes dimensions
(santé, espérance de vie, revenus, etc.). Il existe de la sorte un indice de développement humain (IDH) et un
indicateur de pénurie de capacités (IPC). La pauvreté ne se limitant pas à la déprivation matérielle, il est apparu
qu’il fallait lui joindre d’autres déprivations (en termes éducatifs ou d’environnement de vie) pour tenter d’avoir
une mesure du manque d’opportunités réelles et des restrictions des capacités. Ces travaux et indicateurs sont
inspirés des analyses du prix Nobel d’économie Amartya Sen.
Source : sur les données et débats relatifs à la mesure de la pauvreté dans le monde, voir le site www.undp-
povertycentre.org/

C’est la « Déclaration du Millénaire » qui a attiré indicateurs. Le premier objectif est de « réduire
l’attention sur la pauvreté urbaine. Le Millénaire des l’extrême pauvreté et la faim », avec une cible pour
Nations unies pour le développement prescrit un 2015 qui est de réduire de moitié la proportion de la
ensemble d’objectifs en matière de lutte contre la population dont le revenu est inférieur à un dollar par
pauvreté et de création d’un monde plus durable. Ils jour, ainsi que celle souffrant de faim. Le septième
ont été adoptés par les Nations unies lors du sommet chapitre est baptisé : « Assurer un environnement
du Millénaire en septembre 200014. durable ». Il fixe l’objectif d’ici à 2015 de réduire de
moitié le pourcentage de la population qui n’a pas
accès à l’eau potable. Il fixe aussi l’objectif d’ici à 2020
Les objectifs stratégiques tiennent en huit chapitres de « parvenir à améliorer sensiblement la vie d’au
assortis de cibles chiffrées et de quarante-huit moins 100 millions d’habitants de taudis »15.

La
 connexion à des systèmes d’égout et d’assainissement de l’eau (2004)

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Source : www.worldmapper.org

Lecture : la taille de chaque territoire est fonction de la proportion de la population mondiale disposant d’un accès à un
système d’assainissement de l’eau et à des égouts, se trouvant sur ce territoire

14 La Déclaration du Millénaire contient un engagement d’élimination de la pauvreté : « Nous ne ménagerons aucun effort pour délivrer nos semblables
– hommes, femmes et enfants – de la misère, phénomène abject et déshumanisant qui touche actuellement plus d’un milliard de personnes. Nous som-
mes résolus à faire du droit au développement une réalité pour tous et à mettre l’humanité entière à l’abri du besoin ».
15 L’ONU, le FMI, la Banque mondiale, et l’OCDE coopèrent pour le suivi des progrès accomplis. Voir www.un.org/french/millenniumgoals. Voir aussi le
formidable site http://devdata.worldbank.org/atlas-mdg qui génère des graphiques et des cartes très utiles.
12
DEMAIN la ville

Les données sur la pauvreté dans le monde reposent population totale, que de 1 165 millions en 2002.
sur l’emploi du critère de « un dollar par jour » comme Les estimations pour 2004 et 2005 indiquent que le
seuil de pauvreté. On parle alors d’extrême pauvreté. nombre de personnes en situation d’extrême pauvreté
Ce seuil est calculé en parité de pouvoir d’achat, afin est même passé sous la barre de un milliard.
d’être adapté aux contextes locaux. Il est établi à partir
d’enquêtes sur la consommation ou sur les revenus.
Les données nationales collectées diffèrent par leur L’horizon est à une forte baisse de la
ampleur et leur rigueur. Elles sont cependant de plus pauvreté monétaire. Les projections – probable-
en plus cohérentes. Elles autorisent cinq conclusions ment optimistes – de la Banque mondiale prévoient
claires16. 721 millions de pauvres en 2015, 547 en 2030. Seule
l’Afrique sub-saharienne verrait sa population en ex-
La tendance est clairement à la baisse de
trême pauvreté augmenter, au moins jusqu’en 2015.
l’extrême pauvreté. La proportion des personnes
Le nombre de personnes disposant de moins de deux
vivant sous le seuil de pauvreté dans les pays en
dollars par jour pour vivre pourrait être ramené en
développement est, sur la période qui va de 1981 à
dessous de 1,5 milliard en 2030, soit un milliard de
2004, nettement à la baisse. En 1993, 1 271 millions
moins que maintenant. Ce recul en cours et à venir de
de personnes vivaient donc avec un dollar par jour.
la pauvreté est d’autant plus remarquable que l’expan-
Ce n’était plus le cas, malgré l’augmentation de la
sion démographique se poursuit.

La
 baisse de l’extrême pauvreté dans le monde (au seuil de un dollar par jour)

1200

1000

800

600

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400

200

0
1990 2003 2015 2030

Asie de l'Est Europe de l'Est et Asie centrale Amérique latine et Caraïbes


Asie du Sud Afrique sub-saharienne Total

Source : Banque Mondiale, Perspectives pour l’économie mondiale 2007

La pauvreté demeure avant tout rurale. Trois passée de 19 % à 24 % entre 1993 et 2002. Durant
personnes sur quatre en situation d’extrême pauvreté la même période, la population urbaine dans son
vivent encore, à l’échelle de la planète, dans le monde ensemble a augmenté de 38 % à 42 %. Il faudrait
rural. Cependant, la proportion de citadins pauvres probablement encore plusieurs décennies pour qu’une
augmente rapidement. Parmi les pauvres vivant avec majorité de pauvres du monde en développement
moins de 1 dollar par jour, la proportion de citadins est vive en zone urbaine.

16 Pour les plus récentes analyses, voir Ravallion Martin, Chen Shaohua, Sangraula Prem, « New Evidence on the Urbanization of Global Poverty », Population
and Development Review, vol. 33, n° 4, 2007, pp. 667-701. Voir également, sur un plan technique, Ravallion Martin, Chen Shaohua, Sangraula Prem, « Dollar
a Day Revisited », Policy Research Working Paper, n° 4620, Washington, Banque mondiale, mai 2008.
13
DEMAIN la ville

Evolution
 des pauvretés urbaine et rurale (au seuil de un dollar par jour)

Évolution
1993 2002
1993-2002
Nombre de pauvres 1 271 1 165 -106
(millions)
Urbains 236 283 +47
Ruraux 1 035 882 -153
Part de la population 27,8 % 22,3 % -5,5 %
pauvre des pays en
développement
Urbains 13,5 % 12,8 % -0,7 %
Ruraux 36,6 % 29,3 % -7,3 %
Part des urbains 18,5 % 24,2 % +5,7 %
parmi les pauvres
(pauvreté urbaine)

Source : Martin Ravallion, Shaohua Chen, Prem Sangraula, 2007 ; http://iresearch.worldbank.org/PovcalNet

La pauvreté recule moins vite en milieu De ce rapide aperçu de la pauvreté urbaine, on


urbain. Alors que le nombre total de pauvres a peut retenir quelques leçons. Les niveaux absolus
baissé de près de 106 millions entre 1993 et 2002, et relatifs de l’extrême pauvreté baissent. Cette
le nombre de citadins vivant avec moins de un dollar pauvreté s’urbanise lentement. Elle devient ainsi plus
par jour s’est accru de 47 millions. La diminution de concentrée, moins diffuse, plus visible. Les pauvres
153 millions de pauvres en zone rurale est liée à sont, de ce fait, plus proches physiquement des autres
une progression des revenus ruraux, mais aussi à un catégories de la population urbaine. Pauvres et riches
exode rural qui continue. Il s’ensuit que les pauvres deviennent plus interdépendants. Ruraux et urbains le
s’urbanisent, statistiquement, plus vite que l’ensemble sont d’ailleurs également davantage.

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de la population.
Dans un contexte de mondialisation qui transforme les
modes de vie, d’information et de production, toute
réflexion sur l’avenir ne saurait se limiter aux seules
Il existe de grandes disparités régionales.
villes. La généralisation de l’urbain est une dynamique
L’urbanisation la plus rapide de la pauvreté est survenue
bien plus vaste que la seule métropolisation. De plus
en Amérique latine, où la majorité des pauvres vit à
en plus, rural et urbain doivent se penser comme un
présent en zone urbaine. A l’inverse, moins de 10 %
continuum, ce qui invite à ne pas laisser de côté la
des pauvres d’Asie du Sud-Est, vivent en villes, et ce
question du développement rural17. Tout d’abord, parce
parce que la pauvreté en Chine reste essentiellement
que développement urbain et développement rural ne
rurale. En outre, alors que la proportion des pauvres
peuvent qu’aller de pair, qu’il s’agisse de production
vivant en milieu urbain augmente quasiment partout,
alimentaire ou de sécurité sanitaire. Ensuite, parce que
elle baisse nettement en Europe de l’Est et en Asie
l’extrême pauvreté – il faut le répéter – est encore au
centrale. En 1993, les pauvres y étaient pour moitié
trois quart rurale. Enfin parce que la ville ne pourra
urbains. En 2002, les urbains n’y représentent plus
certainement jamais proposer suffisamment d’emplois
que le tiers des pauvres. On parle dans ce cas de
durables et décents pour tous les nouveaux arrivants.
ruralisation de la pauvreté.

17 Voir Sachs Ignacy, « Cinq milliards d’urbains en 2030 : solution ou problème », Urbanisme, n° 359, 2008, pp. 4-5.
14
DEMAIN la ville

3  al logement et bidonvilles en France


M

Ce parcours international a permis, statistiquement Par mal-logement on entend généralement les


et visuellement, de souligner la déformation difficultés rencontrées par des personnes pour accéder
internationale du monde urbain. Il a également été à un logement, pour s’y maintenir ou bien pour y vivre au
l’occasion de faire le point sur la bidonvillisation quotidien quand les équipements sont manifestement
dans le monde. Naturellement la situation française défaillants. Les manifestations du mal-logement sont
n’a pas grand-chose à voir. Et c’est un euphémisme. diverses et difficiles à apprécier statistiquement. On
Quelques informations et remarques sur les questions sait par exemple que près de 130 000 personnes
– si présentes sur l’agenda politique national – du vivent dans des habitations mobiles mais on ne peut
mal logement et des bidonvilles en France peuvent aisément distinguer celles qui subissent ou celles qui
toutefois être présentées. choisissent pour des raisons professionnelles une telle
habitation.

Depuis les années 1980 la question du logement en


France est à nouveau marquée par les problèmes Quatre critères ont été proposés pour permettre
des sans-abri et des mal-logés. Qualitativement et d’évaluer si la situation correspond à du mal-
quantitativement le parc français de logements se logement :
place pourtant en tête des pays de l’Union européenne.
le type d’habitat (logement ordinaire, hôtel, foyer,
Certains immeubles particulièrement vétustes
caravane, espace public, etc.) ;
impliquent néanmoins encore pour leurs habitants
des risques sanitaires importants. Par ailleurs, dans les le statut juridique d’occupation ;
rues des villes, les sans-abri, de plus en plus visibles, le degré de stabilité ou de précarité de l’occupation
semblent de plus en plus nombreux. Les occupations (propriété, location, sous-location, squat, etc.) ;
illégales, sous forme de squats, semblent également
en augmentation. Un peu partout sur le territoire se la qualité du logement (confort, salubrité).

N°3 / La «  b i donvi l l isat i on » co m m e pe rspect ive u r b a ine mon d i a l e  ?


pose le problème des espaces d’accueil pour les gens
du voyage. A certains endroits – il suffit pour cela de
regarder par la fenêtre du train – on note même le La combinaison de ces quatre éléments permet de
retour des bidonvilles, avec des caravanes ou des qualifier les situations de logement, mais il reste malaisé
baraquement rassemblant des centaines d’adultes et de quantifier le mal-logement, faute de nomenclature
d’enfants. aux catégories stabilisées. Les données collectées lors
du recensement général de la population en 1999
autorisent toutefois une estimation du nombre de
Lois et règlements ont été votés et, plus ou moins personnes concernées.
complètement, mis en œuvre pour tenter de remédier
à ces situations. Les pouvoirs publics se mobilisent
ainsi pour le logement des « personnes défavorisées », Parmi celles-ci, près de 850 000 vivent dans des
une appellation générale rassemblant des populations logements dépourvus du confort sanitaire de base (sans
très différentes. Si les publics et les priorités de ces WC intérieur ni douche ou baignoire). Ces résidences
politiques ne sont pas toujours très clairs, une palette principales sans installations sanitaires ni WC sont en
d’interventions vise à lutter contre la précarité des grande majorité des petits logements anciens occupés
statuts et des conditions de logement. Des termes très par des ménages ruraux âgés ou par des étrangers. Le
variés sont utilisés pour désigner ces situations. recensement de 1990 comptait cependant trois fois
plus de personnes dans cette situation. Le parc des
résidences principales s’est en effet considérablement

15
DEMAIN la ville

amélioré avec 1  % de ces logements sans installations des années cinquante aux années soixante-dix, au nom
sanitaires jugées confortables, contre 4  % en 1996, de la lutte contre les taudis et les « îlots insalubres »,
15 % en 1984 ou 27 % en 1978. Pour autant, en 2001, avaient considérablement diminué l’importance du
15 % des ménages urbains (unités urbaines de 50 000 phénomène, jusqu’à quasiment l’éradiquer.
habitants et plus) déclaraient que leur logement est
humide ; 13 % qu’il est mal chauffé ; 10 % qu’il est
en mauvais état. Un quart des ménages rencontraient Les bidonvilles ont repris de l’ampleur, mais ils n’ont
au moins un de ces trois problèmes. 10 % en cumulaient pas la même ampleur que ceux qui s’étendaient au
deux. 3  % seulement des ménages déclaraient pourtour de certaines grandes agglomérations il y a
un logement à la fois humide, mal chauffé et en trente ou quarante ans. Au milieu des années 1960
mauvais état. les pouvoirs publics estimaient le nombre de
«  résidants  » des bidonvilles à 100  000. Les chiffres
n’ont certainement plus rien à voir. En tout état de
En 2006, 6  % des ménages ne sont pas satisfaits cause les rassemblements de caravanes rouillées,
de leurs conditions de logement. Cette proportion de baraques de fortune sans chauffage ni électricité
était de 13  % en 1978 et de 8  % en 1992. Le recul sur des terrains non viabilisés, ou sur des terrains
de l’insatisfaction va de pair avec l’amélioration de camping, ont fait leur réapparition autour de Lyon,
globale de la qualité de base des logements : la part Nantes, Clermont Ferrand ou en région parisienne.
des logements sans confort sanitaire (eau ou W-C Souvent ces constructions abritent des Tziganes venus
ou installation sanitaire) passe de 27 % en 1978 à 6 % des pays de l’ancien bloc de l’Est, mais des franges
en 1992 et à 1 % en 200618. de la population française sont concernées. Certains
de ces campements de fortune ont été très médiatisés,
en raison de leur taille, du caractère choquant de ces
Pour tenter la statistique des mal-logés, les estimations conditions de vie, mais aussi parce que les tensions
reposent sur des travaux de la Fondation abbé Pierre, se sont aggravées entre élus locaux, services de l’Etat
corroborées globalement par l’INSEE. Au total, compte et habitants du voisinage. Autour de 2002 on pouvait
tenu des doubles comptes entre ces différentes signaler les cas de quelque 200 Roms originaires
catégorie (surpeuplement et absence de sanitaires de l’ex-Yougoslavie près de Carcassonne, celui de
se recoupent souvent), et du fait que de nombreuses 1 600 Tzigane à Choisy-le-Roi dans le Val-de-Marne.
situations échappent en fait à la statistique publique,
le nombre de mal-logés est difficile à évaluer.

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Les associations avancent le chiffre d’environ 3 millions Aux occupations illégales de terrains s’ajoutent
de personnes (soit environ 5  % de la population les occupations illégales d’appartements. En 2002
recensée en France). Cet ordre de grandeur est à on estimait que près de 2  000 appartements,
prendre avec précaution. Il s’agit en tout cas du chiffre rassemblant plus de 5  000 personnes, étaient ainsi
le plus couramment avancé dans le débat sur le sujet. squattés en Ile-de-France. Si les squats renvoient à des
Il s’agit probablement d’un maximum. situations disparates (toxicomanes, sans-abri, collectifs
d’artistes, familles en détresse), il semble que les
occupants des squats collectifs soient majoritairement
Alors que les conditions de logement, en général, des familles nombreuses, ressortissantes d’Afrique
continuent à s’améliorer, la précarité sous des formes subsaharienne.
non conventionnelle (squats, habitats atypiques,
bidonvilles, campements dans l’espace public)
progresse assurément. Ces dernières années ont Le stationnement des gens du voyage est paral-
vu réapparaître, à la périphérie des grandes villes, lèlement devenu de plus en plus problématique.
des bidonvilles. Le terme, importé d’Afrique du Nord, Des conflits avec les élus, les habitants, et la po-
a été utilisé en France pour caractériser, à partir des lice ont été enregistrés, tandis que le faible nombre
années 1950, des terrains sur lesquels sont utilisés d’aires aménagées était dénoncé. Ces difficultés ont
aux fins d’habitation des locaux ou des installations été particulièrement relayées par la presse dans le cas
impropres à toute occupation dans des conditions d’implantations sauvages comme à Grenoble où
régulières d’hygiène et de sécurité. Les efforts entrepris 150 caravanes ont occupé le parking d’un campus

18 Sur ces chiffres, voir Castéran Bénédicte, Ricroch Layla, « Les logements en 2006. Le confort s’améliore, mais pas pour tous », INSEE Première, n° 1202,
2008. www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1202/ip1202.pdf Voir aussi, en séries longues, Jacquot Alain, « Cinquante ans d’évolution des conditions de logement
des ménages », in Données sociales, 2006.
16
DEMAIN la ville

universitaire pendant un an, ou à Roissy où 400 cara- campements sont souvent finalement évacués par les
vanes ont occupé des terrains de l’aéroport au mois forces de police sans que des solutions durables soient
de mai 2002. trouvées. Il faut dire que se mêlent ici, aux marges
de la réglementation et sous le regard des médias
et des responsables politiques, des problématiques
Pour finir, il faut relever la présence, au cœur même des de salubrité et d’insécurité, d’immigration et d’asile,
villes, de campements de plus petite taille, mais très d’accueil en urgence et de logement de long terme.
visibles, rassemblant des sans-abri. Ceux-ci peuvent Des sans-abri clochardisés aux demandeurs d’asile
vivre dans des tunnels routiers, des souterrains de en passant par les gens du voyage, les populations
gare, des friches industrielles, sous les ponts. concernées et les solutions adaptées sont différentes.
Il s’agit cependant, en termes de logement, d’un
continuum de situations de précarité qu’une politique
Diversement tolérés selon les lieux, les périodes d’ensemble contre le mal-logement peut réellement
de l’année, et l’ampleur des rassemblements, ces prendre en charge.

Logements
 sans W-C, ni installation sanitaire en France (en %)

30 %
26,9 %

25 %

20 %

15,0 %

15 %

9,6 %

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10 %
6,2 %

4,0 %
5% 2,5 %
1,3 %

0%
1978 1984 1988 1992 1996 2002 2006

Source : INSEE

17
DEMAIN la ville

Conclusion
Comparer les deux situations – les bidonvilles des A rebours des thèses qui font de la ville un repoussoir,
pays en voie de développement et le mal logement il faut fermement écrire que ses avantages en termes
en France – a tout son intérêt. Ceci permet d’observer de préservation de l’espace et de l’énergie, d’accès
la cohérence ou l’incohérence des définitions. Ceci à l’éducation, à l’émancipation et aux services, sont
permet surtout de mesurer le décalage abyssal indéniables. Et le bidonville est souvent un sas vers
entre deux situations qui n’entretiennent pas grand une vie urbaine un rien plus agréable. L’ambition d’un
rapport. Conclure ainsi ce n’est pas dire que la urbanisme soucieux des pauvres et de leurs lieux
situation française n’appelle pas de corrections et d’habitation est de tout faire pour que le bidonville
d’investissements massifs. C’est s’ouvrir et considérer soit un sas et non une nasse. Mettant de côté la
qu’une des priorités du 21ème siècle pour la stabilité technique, il faudrait pour cela que les urbanistes
mondiale, le développement durable et un véritable et architectes vedettes s’intéressent moins à la tour
sens de la justice sociale c’est le logement des plus gigantesque et au marquage des esprits mondains,
défavorisés, dans le monde. mais à la prise en compte des difficultés du plus grand
nombre des habitants de la planète. Ce n’est pas une
autre histoire…
Aux visions par trop apocalyptiques de l’avenir urbain
qui rencontrent le succès ici ou là, on peut tout de
même tenter de terminer par une note relativement
optimiste. L’idée force est d’envisager l’urbanisation
comme irréversible et potentiellement positive. Les
villes sont, même avec leurs bidonvilles, les moteurs
de la croissance. Celle-ci permet aux pauvres de voir
leurs conditions de vie s’améliorer. De la qualité de
la gouvernance et de l’urbanisme dans ces villes
dépendront l’amélioration des conditions de vie locales
et le développement durable global.

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DEMAIN la ville

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