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DEMAIN
la ville
Dossier n°3
la « bidonvillisation »
comme perspective
urbaine mondiale ?
Synthèses et Prospective
Une publication de la Mission Prospective et Stratégie
Délégation interministérielle à la ville 1
DEMAIN la ville
AVERTISSEMENT
Directeur de publication :
Adil JAZOULI
Adil.jazouli@ville.gouv.fr
Rédaction, correspondance, contacts :
2
DEMAIN la ville
Sommaire
Édito 4
Conclusion 18
Bibliographie 19
3
DEMAIN la ville
Édito
C’est à un élargissement de notre regard sur les problèmes urbains que nous
invite ce troisième numéro de « Demain la ville » consacré à la « bidonvillisation »
du monde, et nous remercions ici Julien Damon, spécialiste reconnu et auteur,
entre autres ouvrages, de « L’exclusion » et de « Vivre en ville », d’avoir accepté
de collaborer à notre collection.
La troisième partie, qui revient sur notre Hexagone, fait le point sur une situation
La rédaction
4
DEMAIN la ville
LA « BIDONVILLISATION »
COMME PERSPECTIVE
URBAINE MONDIALE ?
Julien Damon
Professeur associé à Sciences-Po (cycle d’urbanisme)
Auteur de Vivre en ville. Observatoire mondial des modes de vie urbains
2008-2009, Paris, PUF, 2008
Introduction déjà, avec des chiffres qui font frémir, que le nombre
de personnes vivant dans des bidonvilles a dépassé
L’avenir ne se prévoit pas. Il se prépare. Tel est
un milliard en 2007. Il pourrait atteindre 1,4 milliard
probablement le principal enseignement de la
en 2020, voire 2 en 2030. Dit autrement, un tiers des
prospective. De quoi demain sera-t-il fait ? Dans le
urbains vivent dans un bidonville. En 2020 ce pourrait
détail, personne n’en sait rien. Certaines inerties
être le cas du quart des urbains. Cette perspective de
démographiques sont néanmoins clairement à l’œuvre.
« bidonvillisation » - qui n’est en rien une fatalité – est
Ceci est particulièrement vrai en matière urbaine.
la matière de cet article.
S’il y a donc quelque chose de certain c’est que le
Après une première partie esquissant les grands traits
monde de demain sera plus urbain. Une grande partie
de cette « bidonvillisation » (le néologisme commençant
des enjeux du 21ème siècle se trouvent dans les villes
d’ailleurs à s’imposer), la deuxième s’intéressera aux
des pays en voie de développement et dans la manière
transformations de la pauvreté urbaine, et la troisième
dont elles seront gérées. C’est ce que soulignent les
partie reviendra sur le cas français.
experts réunis récemment par le Fonds des Nations
Unies pour la population1. Aujourd’hui la moitié de
1• M artine George, McGranahan Gordon, Montgomery Mark, Frenandez-Castilla Rogelio (dir), The New Global Frontier. Urbanization, Poverty and Environment in
the 21st Century, Londres, Earthscan, 2008.
2• Voir les références en bibliographie de cette contribution. Soulignons cependant que le document le plus clair, revenant sur nombre d’idées fallacieuses
est l’ouvrage dirigé par Martine George, McGranahan Gordon, Montgomery Mark, Frenandez-Castilla Rogelio, op. cit.
5
DEMAIN la ville
Part
de la population urbaine par rapport à la population mondiale totale (en %)
80
70
70 65
60
60 55
51
50 47
43
39
40 33 36
29
30
20
10
0
1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050
Source : Perspectives de l’urbanisation mondiale. Révision 2007, New York, Nations Unies, 26 février 2008
Il est certainement discutable d’englober sous S’il y a harmonisation, il ne faut pas oublier que les
le terme d’« urbains » les habitants des centres- processus de fragmentation (embourgeoisement des
villes embourgeoisés des capitales riches, ceux centres, périurbanisation, ghettoïsation6) introduisent
3• Les projections démographiques ont permis d’affirmer dès 2001 que le point d’inflexion se trouverait en 2007. Finalement, 2008 aura été l’année
d’équilibre. Ce passage symbolique n’a probablement pas retenu toute l’attention qu’il méritait. Il marque pourtant ce que certains auteurs éminents
appellent – on devrait dire à nouveau – « la révolution urbaine ». Voir Hall Peter, « Urban Land, Housing and Transportation. The Global Challenge »,
Global Urban Development, vol. 3, n° 1, 2007, www.globalurban.org/GUDMag07Vol3Iss1/Hall.htm. Plus généralement, sur la nouvelle affirmation des
villes, en particulier en tant qu’acteurs majeurs de la mondialisation, voir Burgel Guy, La revanche des villes, Paris, Hachette Littératures, 2006.
4 Pour reprendre l’expression proposée dans le cadre d’un ambitieux projet international organisé par la London School of Economics et la Deutsche Bank,
l’humanité se trouve dans « l’âge urbain ». Voir le très dense et très beau livre dirigé par Burdett Ricky et Sudjic Deyan, The Endless City, Londres, Phaidon,
2007, ainsi que le site afférent www.urban-age.net
5 Il y a d’ailleurs dans cette présentation la vision d’une ville d’essence européenne, avec un centre favorisé se rénovant et des périphéries dégradées.
Il n’en reste pas moins que partout dans le monde la géographie des villes est une géographie de communautés plus ou moins favorisées, plus ou moins
ouvertes.
6 Repérées dans le cas français, ces trois dynamiques ont été exposées et discutées à partir du dossier « La ville à trois vitesses », Esprit, mars 2004.
6
DEMAIN la ville
produire ce que l’on investit pour une nouvelle ville de statistique n’est peut-être pas parfaite. La tendance
un million d’habitants7. Ce type d’estimation imagée, n’en reste pas moins nette.
mais fondée, ponctue les analyses et déclarations sur la
pauvreté urbaine.La précision statistique ne saurait en
ces matières de pauvreté être parfaite. Les réalités les En 2008, alors que la population mondiale devient
plus sombres échappent à l’investigation statistique, majoritairement urbaine, un tiers des individus recensés
qu’il s’agisse dans les pays riches du dénombrement comme urbains vivent dans des bidonvilles, dont 90 %
des sans-abri8 et dans les pays pauvres du recensement dans les pays en développement. L’Asie compte, et
précis des habitants des taudis. Ce sont donc les de loin, le plus grand nombre de citadins vivant dans
ordres de grandeur qui prévalent. Les Nations unies des bidonvilles – la pire situation étant l’Asie du Sud,
ont affirmé que les habitants des bidonvilles avait où les habitants des bidonvilles représentent la moitié
dépassé le milliard en 2007. Ce nombre – au demeurant de la population urbaine. Chine et Inde réunissent à
discutable - pourrait atteindre 1,4 milliard en 2020, elles deux près de 40 % des taudis du monde. En
voire 2 milliards en 20309. En tout état de précision proportion cependant, c’est l’Afrique subsaharienne
statistique, les chiffres frappent. Plus d'un être humain qui vient en tête avec quelque trois quarts des citadins
sur sept vit aujourd'hui dans un bidonville. Si tout doit dans des bidonvilles. Urbanisation y est devenue quasi
continuer de la sorte, ce sera un sur six en 2020. La synonyme de croissance des taudis.
La
croissance des bidonvilles (en milliards d'habitants)
1,5
1,25
0,75
0,5
0
1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020
Source : Centre des Nations Unies sur les établissements humains, ONU-Habitat, Global Urban Observatory Database (2005) ;
www.devinfo.info
L’expression bidonville désigne, sous des appellations est en fait très riche avec des noms propres à chaque
localement variées, plusieurs types d’habitations langue, voire à chaque ville. On trouve ainsi les favelas
et d’installations. Le mot « bidonville » est employé au Brésil, le kijiji au Kenya, le barrio au Venezuela, les
depuis le début des années 1950 pour désigner, dans campamentos au Chili, les townships d’Afrique du Sud,
le Maghreb, littéralement des « maisons en bidons », le precario au Costa Rica, les bastis de Calcutta, les
c'est-à-dire un ensemble d'habitations construites cheries de Madras, les jhuggis-jhompris de Delhi…
avec des matériaux de récupération. La terminologie
7 Voir le rapport de la troisième session du forum urbain mondial (Habitat III) qui s’est tenu à Vancouver en juin 2006, www.unhabitat.org/downloads/
docs/3406_66571_WUF3-Report-FR-23.pdf Encore une fois il ne s’agit que de projections, toujours discutables et ici parfaitement sujettes à caution dans
la mesure où la collecte des données est particulièrement compliquée.
8 Voir Jencks Christopher, The Homeless, Cambridge, Harvard University Press, 2004 ; Damon Julien, La Question SDF, Paris, PUF, coll. « Le lien social », 2002.
9 Pour les chiffres (jusqu’à 2020), voir le site du Centre des Nations Unies sur les établissements humains, ONU-Habitat, www.unchs.org et, plus précisément,
pour les données, voir www.devinfo.info. En ce qui concerne l’estimation pour 2030, voir le discours de Kajumulo Tibaijuka Anna, directrice générale de ONU-
Habitat, à l’école d’économie de Varsovie le 18 avril 2008, www.unhabitat.org/downloads/docs/5683_16536_ed_warsaw_version12_1804.pdf
7
DEMAIN la ville
La question des bidonvilles n'est pas en marge de Ces phénomènes peuvent être relevés dans le
la problématique urbaine. Elle est centrale, de par contexte occidental, mais avec une ampleur qui n’a
son intensité et sa diversité, mais aussi de par les rien à voir avec ce qu’on observe dans les pays en
nouvelles formes d’organisation qui s’y déploient. développement. Une représentation de ce phénomène
Agglomérat de pollution, d’insécurité et d’infamies, le passe aisément par les cartogrammes12. Cette
bidonville est aussi un réservoir de créativité culturelle, méthode de cartographie permet de « déformer »
d'imagination sociale, d'inventivité économique et les territoires en fonction des caractéristiques de la
urbanistique10. Fonctionnellement, le bidonville a un population qui s’y trouve rapportée à la population
rôle de premier accueil pour l’exode rural. C’est un sas mondiale. Une première illustration nette est celle du
pour la ville, même s’il n’est souvent que nasse pour surpeuplement.
les populations de réfugiés.
10 Voir le dossier « Illégalités et urbanisation », Urbanisme, n° 318, 2001 ; Bolay Jean-Claude, « Le bidonville ou le mal-développement urbain », Urbanisme,
n° 351, 2006, pp. 75-80 ; et pour le cas de l’Inde, Dupont Véronique, « La place des slums », Urbanisme, n° 355, 2007, pp. 51-55.
11 Pour plus de précisions, voir López Moreno Eduardo, Warah Rasna, « Le Rapport 2006-2007 sur l'état des villes dans le monde. Tendances urbaines et
bidonvilles au XXIème siècle », Chronique ONU, vol. XLIII, n° 2, 2006. www.un.org/french/pubs/chronique/2006/numero2/0206p24.htm. Le Centre des
Nations Unies pour les établissements humans a été créé en 1978, dans les suites du premier forum urbain mondial (Habitat I) à Vancouver en 1976.
12 Voir le formidable site www.worldmapper.org. Voir également Dorling Daniel, Newman Mark, Barford Anna, Atlas du monde réel. Cartographier nos modes
de vie, Paris, La Martinière, 2008
8
DEMAIN la ville
Le
surpeuplement des habitations (2002)
Lecture : la taille de chaque territoire est fonction de la proportion de la population mondiale habitant en logements
surpeuplés vivant sur ce territoire
Répartition
mondiale des habitants de bidonvilles (2001)
Lecture : la taille de chaque territoire est fonction de la proportion de la population mondiale des bidonvilles vivant
sur ce territoire
Au sujet des bidonvilles, si les volumes sont bidonvilles baisse. En 1990, 47 % de la population
impressionnants, tant pour ce qui porte sur les nombres urbaine des pays en développement vivaient dans des
absolus que sur les proportions, il faut néanmoins bidonvilles. Ce n’était plus le cas que de 43 % en 2001
avoir à l’esprit que la situation s’améliore relativement. et de 37 % en 2005. Les images par cartogrammes
En effet, la proportion des personnes vivant dans les n’en demeurent pas moins particulièrement claires.
9
DEMAIN la ville
Croissance
de la population vivant dans des bidonvilles (1990-2001)
Lecture : la taille de chaque territoire est fonction de la part de la croissance de la population mondiale vivant dans des
bidonvilles, repérable sur chaque territoire, de 1990 à 2001
Les
logements « durables » dans le monde en 2002
Lecture : la taille de chaque territoire est fonction de la part de la population mondiale vivant dans des « logements
durables ». Le graphique n’est pas tellement déformé car il y a une large effet de structure liée simplement à la taille des
populations.
Note : Les logements durables sont définis comme des structures construites pour durer plusieurs années.
En gros, 4,4 milliards de personnes dans de telles habitations, 1,8 milliard dans des logements non durables.
En Afrique sub-saharienne, seulement 29 % de la population en logements durables (3 % seulement
au Tchad).
10
DEMAIN la ville
2 B
aisse de la pauvreté globale, croissance
relative de la pauvreté urbaine
Une grande part de l’urbanisation mondiale en cours Tous les pauvres ne vivent pas dans des taudis, et tous
passe donc par la prolifération et l’extension des les habitants de zones définies comme des bidonvilles
bidonvilles13. Jusqu’à une date récente, les zones ne sont pas pauvres. Cependant, dans les rapports et
rurales se situaient à l’épicentre du dénuement et de les statistiques que ces rapports collectent, citadins
la misère humaine. Toutes les mesures de la pauvreté, pauvres, pauvres urbains et habitants des taudis sont
qu’elles soient fondées sur la consommation, le revenu souvent synonymes.
ou les dépenses, indiquaient que la pauvreté était plus
profonde et plus répandue dans les campagnes que
dans les villes. A présent, la pauvreté s’étend plus
rapidement et plus visiblement en milieu urbain.
13 Relevons encore que l’information relative aux bidonvilles et à la lutte contre le phénomène est de plus en plus riche. Voir par exemple le site
www.citiesalliance.org
11
DEMAIN la ville
nécessairement aussi favorablement (si l’on peut dire) que la pauvreté monétaire. La prévalence des maladies
mortelles dans les bidonvilles, par exemple, est davantage imputable aux mauvaises conditions de vie qu’aux
niveaux des revenus.
En outre, le développement dispose maintenant d’autres indicateurs, composites, agrégeant différentes dimensions
(santé, espérance de vie, revenus, etc.). Il existe de la sorte un indice de développement humain (IDH) et un
indicateur de pénurie de capacités (IPC). La pauvreté ne se limitant pas à la déprivation matérielle, il est apparu
qu’il fallait lui joindre d’autres déprivations (en termes éducatifs ou d’environnement de vie) pour tenter d’avoir
une mesure du manque d’opportunités réelles et des restrictions des capacités. Ces travaux et indicateurs sont
inspirés des analyses du prix Nobel d’économie Amartya Sen.
Source : sur les données et débats relatifs à la mesure de la pauvreté dans le monde, voir le site www.undp-
povertycentre.org/
C’est la « Déclaration du Millénaire » qui a attiré indicateurs. Le premier objectif est de « réduire
l’attention sur la pauvreté urbaine. Le Millénaire des l’extrême pauvreté et la faim », avec une cible pour
Nations unies pour le développement prescrit un 2015 qui est de réduire de moitié la proportion de la
ensemble d’objectifs en matière de lutte contre la population dont le revenu est inférieur à un dollar par
pauvreté et de création d’un monde plus durable. Ils jour, ainsi que celle souffrant de faim. Le septième
ont été adoptés par les Nations unies lors du sommet chapitre est baptisé : « Assurer un environnement
du Millénaire en septembre 200014. durable ». Il fixe l’objectif d’ici à 2015 de réduire de
moitié le pourcentage de la population qui n’a pas
accès à l’eau potable. Il fixe aussi l’objectif d’ici à 2020
Les objectifs stratégiques tiennent en huit chapitres de « parvenir à améliorer sensiblement la vie d’au
assortis de cibles chiffrées et de quarante-huit moins 100 millions d’habitants de taudis »15.
La
connexion à des systèmes d’égout et d’assainissement de l’eau (2004)
Source : www.worldmapper.org
Lecture : la taille de chaque territoire est fonction de la proportion de la population mondiale disposant d’un accès à un
système d’assainissement de l’eau et à des égouts, se trouvant sur ce territoire
14 La Déclaration du Millénaire contient un engagement d’élimination de la pauvreté : « Nous ne ménagerons aucun effort pour délivrer nos semblables
– hommes, femmes et enfants – de la misère, phénomène abject et déshumanisant qui touche actuellement plus d’un milliard de personnes. Nous som-
mes résolus à faire du droit au développement une réalité pour tous et à mettre l’humanité entière à l’abri du besoin ».
15 L’ONU, le FMI, la Banque mondiale, et l’OCDE coopèrent pour le suivi des progrès accomplis. Voir www.un.org/french/millenniumgoals. Voir aussi le
formidable site http://devdata.worldbank.org/atlas-mdg qui génère des graphiques et des cartes très utiles.
12
DEMAIN la ville
Les données sur la pauvreté dans le monde reposent population totale, que de 1 165 millions en 2002.
sur l’emploi du critère de « un dollar par jour » comme Les estimations pour 2004 et 2005 indiquent que le
seuil de pauvreté. On parle alors d’extrême pauvreté. nombre de personnes en situation d’extrême pauvreté
Ce seuil est calculé en parité de pouvoir d’achat, afin est même passé sous la barre de un milliard.
d’être adapté aux contextes locaux. Il est établi à partir
d’enquêtes sur la consommation ou sur les revenus.
Les données nationales collectées diffèrent par leur L’horizon est à une forte baisse de la
ampleur et leur rigueur. Elles sont cependant de plus pauvreté monétaire. Les projections – probable-
en plus cohérentes. Elles autorisent cinq conclusions ment optimistes – de la Banque mondiale prévoient
claires16. 721 millions de pauvres en 2015, 547 en 2030. Seule
l’Afrique sub-saharienne verrait sa population en ex-
La tendance est clairement à la baisse de
trême pauvreté augmenter, au moins jusqu’en 2015.
l’extrême pauvreté. La proportion des personnes
Le nombre de personnes disposant de moins de deux
vivant sous le seuil de pauvreté dans les pays en
dollars par jour pour vivre pourrait être ramené en
développement est, sur la période qui va de 1981 à
dessous de 1,5 milliard en 2030, soit un milliard de
2004, nettement à la baisse. En 1993, 1 271 millions
moins que maintenant. Ce recul en cours et à venir de
de personnes vivaient donc avec un dollar par jour.
la pauvreté est d’autant plus remarquable que l’expan-
Ce n’était plus le cas, malgré l’augmentation de la
sion démographique se poursuit.
La
baisse de l’extrême pauvreté dans le monde (au seuil de un dollar par jour)
1200
1000
800
600
200
0
1990 2003 2015 2030
La pauvreté demeure avant tout rurale. Trois passée de 19 % à 24 % entre 1993 et 2002. Durant
personnes sur quatre en situation d’extrême pauvreté la même période, la population urbaine dans son
vivent encore, à l’échelle de la planète, dans le monde ensemble a augmenté de 38 % à 42 %. Il faudrait
rural. Cependant, la proportion de citadins pauvres probablement encore plusieurs décennies pour qu’une
augmente rapidement. Parmi les pauvres vivant avec majorité de pauvres du monde en développement
moins de 1 dollar par jour, la proportion de citadins est vive en zone urbaine.
16 Pour les plus récentes analyses, voir Ravallion Martin, Chen Shaohua, Sangraula Prem, « New Evidence on the Urbanization of Global Poverty », Population
and Development Review, vol. 33, n° 4, 2007, pp. 667-701. Voir également, sur un plan technique, Ravallion Martin, Chen Shaohua, Sangraula Prem, « Dollar
a Day Revisited », Policy Research Working Paper, n° 4620, Washington, Banque mondiale, mai 2008.
13
DEMAIN la ville
Evolution
des pauvretés urbaine et rurale (au seuil de un dollar par jour)
Évolution
1993 2002
1993-2002
Nombre de pauvres 1 271 1 165 -106
(millions)
Urbains 236 283 +47
Ruraux 1 035 882 -153
Part de la population 27,8 % 22,3 % -5,5 %
pauvre des pays en
développement
Urbains 13,5 % 12,8 % -0,7 %
Ruraux 36,6 % 29,3 % -7,3 %
Part des urbains 18,5 % 24,2 % +5,7 %
parmi les pauvres
(pauvreté urbaine)
17 Voir Sachs Ignacy, « Cinq milliards d’urbains en 2030 : solution ou problème », Urbanisme, n° 359, 2008, pp. 4-5.
14
DEMAIN la ville
15
DEMAIN la ville
amélioré avec 1 % de ces logements sans installations des années cinquante aux années soixante-dix, au nom
sanitaires jugées confortables, contre 4 % en 1996, de la lutte contre les taudis et les « îlots insalubres »,
15 % en 1984 ou 27 % en 1978. Pour autant, en 2001, avaient considérablement diminué l’importance du
15 % des ménages urbains (unités urbaines de 50 000 phénomène, jusqu’à quasiment l’éradiquer.
habitants et plus) déclaraient que leur logement est
humide ; 13 % qu’il est mal chauffé ; 10 % qu’il est
en mauvais état. Un quart des ménages rencontraient Les bidonvilles ont repris de l’ampleur, mais ils n’ont
au moins un de ces trois problèmes. 10 % en cumulaient pas la même ampleur que ceux qui s’étendaient au
deux. 3 % seulement des ménages déclaraient pourtour de certaines grandes agglomérations il y a
un logement à la fois humide, mal chauffé et en trente ou quarante ans. Au milieu des années 1960
mauvais état. les pouvoirs publics estimaient le nombre de
« résidants » des bidonvilles à 100 000. Les chiffres
n’ont certainement plus rien à voir. En tout état de
En 2006, 6 % des ménages ne sont pas satisfaits cause les rassemblements de caravanes rouillées,
de leurs conditions de logement. Cette proportion de baraques de fortune sans chauffage ni électricité
était de 13 % en 1978 et de 8 % en 1992. Le recul sur des terrains non viabilisés, ou sur des terrains
de l’insatisfaction va de pair avec l’amélioration de camping, ont fait leur réapparition autour de Lyon,
globale de la qualité de base des logements : la part Nantes, Clermont Ferrand ou en région parisienne.
des logements sans confort sanitaire (eau ou W-C Souvent ces constructions abritent des Tziganes venus
ou installation sanitaire) passe de 27 % en 1978 à 6 % des pays de l’ancien bloc de l’Est, mais des franges
en 1992 et à 1 % en 200618. de la population française sont concernées. Certains
de ces campements de fortune ont été très médiatisés,
en raison de leur taille, du caractère choquant de ces
Pour tenter la statistique des mal-logés, les estimations conditions de vie, mais aussi parce que les tensions
reposent sur des travaux de la Fondation abbé Pierre, se sont aggravées entre élus locaux, services de l’Etat
corroborées globalement par l’INSEE. Au total, compte et habitants du voisinage. Autour de 2002 on pouvait
tenu des doubles comptes entre ces différentes signaler les cas de quelque 200 Roms originaires
catégorie (surpeuplement et absence de sanitaires de l’ex-Yougoslavie près de Carcassonne, celui de
se recoupent souvent), et du fait que de nombreuses 1 600 Tzigane à Choisy-le-Roi dans le Val-de-Marne.
situations échappent en fait à la statistique publique,
le nombre de mal-logés est difficile à évaluer.
18 Sur ces chiffres, voir Castéran Bénédicte, Ricroch Layla, « Les logements en 2006. Le confort s’améliore, mais pas pour tous », INSEE Première, n° 1202,
2008. www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1202/ip1202.pdf Voir aussi, en séries longues, Jacquot Alain, « Cinquante ans d’évolution des conditions de logement
des ménages », in Données sociales, 2006.
16
DEMAIN la ville
universitaire pendant un an, ou à Roissy où 400 cara- campements sont souvent finalement évacués par les
vanes ont occupé des terrains de l’aéroport au mois forces de police sans que des solutions durables soient
de mai 2002. trouvées. Il faut dire que se mêlent ici, aux marges
de la réglementation et sous le regard des médias
et des responsables politiques, des problématiques
Pour finir, il faut relever la présence, au cœur même des de salubrité et d’insécurité, d’immigration et d’asile,
villes, de campements de plus petite taille, mais très d’accueil en urgence et de logement de long terme.
visibles, rassemblant des sans-abri. Ceux-ci peuvent Des sans-abri clochardisés aux demandeurs d’asile
vivre dans des tunnels routiers, des souterrains de en passant par les gens du voyage, les populations
gare, des friches industrielles, sous les ponts. concernées et les solutions adaptées sont différentes.
Il s’agit cependant, en termes de logement, d’un
continuum de situations de précarité qu’une politique
Diversement tolérés selon les lieux, les périodes d’ensemble contre le mal-logement peut réellement
de l’année, et l’ampleur des rassemblements, ces prendre en charge.
Logements
sans W-C, ni installation sanitaire en France (en %)
30 %
26,9 %
25 %
20 %
15,0 %
15 %
9,6 %
4,0 %
5% 2,5 %
1,3 %
0%
1978 1984 1988 1992 1996 2002 2006
Source : INSEE
17
DEMAIN la ville
Conclusion
Comparer les deux situations – les bidonvilles des A rebours des thèses qui font de la ville un repoussoir,
pays en voie de développement et le mal logement il faut fermement écrire que ses avantages en termes
en France – a tout son intérêt. Ceci permet d’observer de préservation de l’espace et de l’énergie, d’accès
la cohérence ou l’incohérence des définitions. Ceci à l’éducation, à l’émancipation et aux services, sont
permet surtout de mesurer le décalage abyssal indéniables. Et le bidonville est souvent un sas vers
entre deux situations qui n’entretiennent pas grand une vie urbaine un rien plus agréable. L’ambition d’un
rapport. Conclure ainsi ce n’est pas dire que la urbanisme soucieux des pauvres et de leurs lieux
situation française n’appelle pas de corrections et d’habitation est de tout faire pour que le bidonville
d’investissements massifs. C’est s’ouvrir et considérer soit un sas et non une nasse. Mettant de côté la
qu’une des priorités du 21ème siècle pour la stabilité technique, il faudrait pour cela que les urbanistes
mondiale, le développement durable et un véritable et architectes vedettes s’intéressent moins à la tour
sens de la justice sociale c’est le logement des plus gigantesque et au marquage des esprits mondains,
défavorisés, dans le monde. mais à la prise en compte des difficultés du plus grand
nombre des habitants de la planète. Ce n’est pas une
autre histoire…
Aux visions par trop apocalyptiques de l’avenir urbain
qui rencontrent le succès ici ou là, on peut tout de
même tenter de terminer par une note relativement
optimiste. L’idée force est d’envisager l’urbanisation
comme irréversible et potentiellement positive. Les
villes sont, même avec leurs bidonvilles, les moteurs
de la croissance. Celle-ci permet aux pauvres de voir
leurs conditions de vie s’améliorer. De la qualité de
la gouvernance et de l’urbanisme dans ces villes
dépendront l’amélioration des conditions de vie locales
et le développement durable global.
18
DEMAIN la ville
Bibliographie
Optimisation de la commande publique
· Banque Mondiale, World Development Report 2008. Agriculture for Development, New York, Oxford University
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·B
renner Neil, Keil Roger (dir.), The global cities reader, Londres, Routledge, 2005.
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