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Marc-André J. Paquette, Ph.D.

LY —
*

ON CHE
**

ES ER
AU-DELÀ DE L’ESTHÉTIQUE:
La signification philosophique du sentiment

OS H
en regard de l’unité esthético-morale de la philosophie critique de Kant

RP EC
PU E R
Thèse du Ph. D. (philosophie)
soutenue avec succès, le 10 novembre 2008

CH S D
*
AR FIN **
SE À

Sous les savants auspices de


RE T,

MESSIEURS LES PROFESSEURS


D EN

Francis PEDDLE, Ph. D.


Gabor CSEPREGI, Ph.D.
AN M

du Collège universitaire dominicain


E LE
US SEU

*
**
AL EL
ON N

Collège universitaire dominicain


de philosophie et de théologie
RS ON

96, avenue Empress


Ottawa, Ontario
P E RS

CANADA K1R 7G3


R PE

*
FO E

**
AG
US

Chez l’auteur
le 08 mai 2009
RÉSUMÉ / ABSTRACT
de la Thèse du / of the Thesis for the
DOCTORAT EN PHILOSOPHIE (PH.D.)/ DOCTORATE IN PHILOSOPHY (PH.D.)

LY —
intitulée / entitled

ON CHE
AU-DELÀ DE L’ESTHÉTIQUE:
La signification philosophique du sentiment
en regard de l’unité esthético-morale

ES ER
de la philosophie critique de Kant

OS H
RÉSUMÉ: L’étude du jugement à l’intérieur de la troisième Critique engage l’approfondissement des rapports de la

RP EC
raison et de l’empirie et met en relief l’importance du sentiment pour la philosophie transcendantale. Non seulement
s’avère-t-il y être l’envers du jugement, en mobilisant et en conditionnant l’utilisation de la raison judiciaire ou en
recevant la détermination des principes, mais encore ouvre-t-il sur le principe capital de la vie, essentiel à la

PU E R
compréhension unifiée et intégrée du kantisme.

L’épistémologie kantienne inscrit la finalité essentielle de la rationalité à l’intérieur de la progression historique.

CH S D
La raison y trouve là un épanouissement complet, puisque l’exercice optimal de la liberté, en vertu de l’héautonomie
des facultés de l’esprit coopérant in foro interno, spontanément et harmonieusement, actualise l’imagination. Étant en
général congrue aux conditions de la nature, inclusive des êtres organisés et des choses inertes, celle-ci est parfois
AR FIN
amenée à devoir les surpasser. Le génie créateur de l’esprit se parachève lorsque la raison procure à l’imagination
fantaisiste, une règle qui en modèle l’usage et la rend adéquate au désir d’une transformation originale de la réalité.
L’autonomie rationnelle qui résulte est redevable autant à la substance objective de la nature qu’à l’activité unifiée de
SE À
l’esprit, constitutif de la réalité en théorie et en pratique, en assurant leur mutualité équilibrée avec l’exercice efficace
du jugement sain, que bonifient l’imagination et le sentiment en vue de la réflexion et/ou de la détermination.
RE T,

L’effectivité de la finalité rationnelle tient obligatoirement de la moralité, puisque toute activité personnelle
D EN

concourt au bien général, autant au plan phylogénique qu’au plan ontogénique. La complémentarité de leur synergie
concourt à la survie et à la promotion de l’espèce, en valorisant la nature individuelle et en suscitant son activité
AN M

appropriée.
E LE

Deux principes formels, la primauté du suprasensible sur le sensible et la primauté du pratique sur le théorique,
viennent compléter et subsumer les principes épistémologiques a priori de la finalité subjective de la nature pour
US SEU

l’usage de la raison et de la finalité constitutive de la rationalité objective pour la connaissance systématique de la


nature. Ensemble, ils illustrent la dimension vitale, objective et subjective, du principe téléologique et ils réconcilient la
hiérarchie unifiée des pouvoirs rationnels avec l’immanence de leur destination à opérer concrètement et
significativement sur la réalité. Lorsqu’elle exprime les fins particulières qui procèdent de sa finalité spécifique, la
AL EL

technique de la raison affirme la nécessité de réaliser l’impératif vital. Celui-ci s’avère alors la contrepartie physique de
l’impératif catégorique moral, sans rien enlever pourtant à son statut a priori.
ON N

La subsomption des énergies créatrices et des forces techniques de la vie sous la loi morale insère pleinement la
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raison à l’intérieur du mouvement historique et culturel qu’elle initie, constitue et transforme. La rationalité intégrale
requiert donc la faculté du coeur qui, en conformant les dynamismes du désir aux préceptes de la volonté, informée par
la loi morale, accrédite entièrement le principe de la vie à l’oeuvre dans la raison incarnée. Cette reconnaissance
P E RS

représente une dimension implicite, primordiale et nécessaire de la rationalité complexe et unifiée.


R PE

Si l’Idée et le concept en illustrent l’aspect noétique, le sentiment en révèle le registre psychique: ces trois
éléments trouvent leur complémentarité et leur complétude avec le concept de Gemüt, lequel prolonge l’unité
héautonomique de l’âme et de l’esprit avec l’extériorisation poématique de l’Idée esthétique.
FO E
AG

Le jugement de goût s’ancre à la fois dans le sens interne et dans le sens commun. En puisant aux forces vitales à la
source de l’expérience esthétique, l’esprit judiciaire illustre amplement leur signification ultime pour le processus
US

créatif. Car en associant la beauté à la vérité et à la bonté, la compréhension esthétique intégrale inclut la rationalité
pratique et ressuscite la triade des transcendantaux platoniciens. L’impératif de la loi morale se conjugue ainsi au plan
sensible à la vitalité du principe de créativité, tout en la subsumant nécessairement au plan suprasensible.

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RÉSUMÉ / ABSTRACT

ABSTRACT: The study of judgment within the Third Critique delves into the relation between reason and the
empirical sphere and puts into perspective the importance of feeling for the discipline of transcendental philosophy.
Not only does feeling reveal itself to be the obverse of judgment, either in mobilizing and conditioning the use of

LY —
judicial reason or in receiving the direction of its principles, but it also leads to acknowledge the capital principle of life,
essential to a full and unified understanding of Kantism.

ON CHE
Kantian epistemology inscribes the intrinsic purposiveness of rationality within historical progression. Reason
finds therein a fulfilment, since the optimal exercise of freedom, in virtue of the heautonomy of the faculties of the
mind, harmoniously and spontaneously cooperating in foro interno, actualizes the imagination. Though generally

ES ER
congruent with the conditions of nature, inclusive both of organized beings and inert matter, the imagination is often
required to surpass them. Thus is perfected the mind’s creative genius, whenever reason procures a rule which moulds

OS H
the use of the fanciful imagination and approportions it to the desire for the original transformation of reality. The
resulting rational autonomy owes as much to the objective substance of nature as to the unified activity of the mind,

RP EC
constitutive of reality in theorety and in practice, through the balanced mutuality which the sound and effective exercise
of judgment provides for, to which contribute both the imagination and feeling, when it engages in reflection and/or

PU E R
determination.

The effectiveness of rational purposiveness necessarily involves morality, since every personal activity pursues

CH S D
the good in general within both the phylogenic and the ontogenic spheres. Their complementary synergy preserves and
promotes the advancement of the species, through the adequate appraisal of individual nature and the arousal of its
appropriate activity.
AR FIN
Two formal principles: the primacy of the supersensible over the sensible and the primacy of the practical over the
theoretical, complete and subsume the two epistemological a priori principles, the subjective purposiveness of nature
for rationality and the constitutive purposiveness of rationality for the systematic objective knowledge of nature.
SE À

Together, they illustrate the vital dimension, subjective and objective, of the teleological principle and they reconcile
RE T,

the unified hierarchy of the rational faculties in general with their immanent destination to operate significantly and
concretely upon reality. Whenever particular ends are specified for the expression of its purposiveness, the technic of
D EN

reason affirms the necessity of fulfilling the vital imperative. The latter is therefore the physical counterpart of the
moral categorical imperative, without however taking away from its a priori status.
AN M

The subsumption of the creative energies and of the technical forces of life under the moral law fully establishes
E LE

reason within the historical and cultural movements which it initiates, constitutes and transforms. The completeness of
rationality therefore requires the faculty of the heart which, in conforming the dynamic of desire to the precepts of the
will, informed by the moral law, wholly accredits the principle of life within incarnate reason. This recognition
US SEU

represents an implicit, necessary, and primordial dimension of a complex and unified rationality.

While the Idea and the concept illustrate the spiritual aspect of reason, feeling reveals its psychical register: these
three elements find their complementarity and completion with the concept of Gemüt, which continues the
AL EL

heautonomic unity of the soul and the spirit within the mind with the poematic expression of the aesthetic Idea.
ON N

The judgment of taste is rooted in both the inner sense and the common sense. In drawing from the vital forces at
RS ON

the origin of the aesthetic experience, the judicial mind amply illustrates their utmost significance for the creative
process. For, in associating beauty with truth and goodness, a thorough aesthetic understanding includes the concept of
practical rationality and resurrects the triad of platonic transcendentals. Thus, at the sensible level, the moral imperative
P E RS

conjoins with the vitality of the creative process while it necessarily subsumes the latter within the supersensible
dimension.
R PE

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AG
US

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ADRESSE AU JURY — OPENING REMARKS TO THE JURY
à l’occasion de la / on the occasion of the

LY —
SOUTENANCE / DEFENCE
de la / of the

ON CHE
THÈSE DU DOCTORAT (PH.D.) EN PHILOSOPHIE / DOCTORAL THESIS (PH.D.) IN PHILOSOPHY
intitulée / entitled

ES ER
AU-DELÀ DE L’ESTHÉTIQUE:
La signification philosophique du sentiment

OS H
en regard de l’unité esthético-morale
de la philosophie critique de Kant

RP EC
PU E R
Monsieur le président du Jury de la soutenance;
Messieurs les membres du Jury;

CH S D
Distingués invités et collègues étudiants.

AR FIN
Après cinq années d’un travail incessant, nous voilà maintenant devant l’ultime étape d’un
cheminement dont la longueur et la complexité appréhendées ne laissaient pas entrevoir à son début
qu’il ne pourrait jamais aboutir.
SE À

Cette thèse révèle en partie le fruit de ce travail: loin de voir en elle un accomplissement
RE T,

définitif, nous la situons devant l’immensité et l’inaltérabilité du paysage infini de la connaissance,


D EN

aussi vraie qu’elle est sublime. Or, loin de l’exhausser, le sommet de la connaissance fait apercevoir
la précarité du point de vue qui est le nôtre, lequel souhaiterait ardemment participer néanmoins de
la plénitude inépuisable du Vrai. Et malgré ses ambitions épistémologiques les plus louables, notre
AN M

effort devra donc se résigner peut-être à en être simplement une humble approximation qui autorise
E LE

à toutes les améliorations comme à tous les perfectionnements et qui plus est, dont les prémisses les
plus fondamentales risquent de s’éclipser devant les évidences éloquentes de l’insuffisance à savoir
US SEU

bien les démontrer et les étayer. «Sic transit gloria mundi», répètent à tour de rôle les cardinaux au
nouveau Pape le jour de son élection; «vanité des vanités, tout n’est que vanité», nous rappelle
Qohélet dans le livre de l’Ecclésiaste» : si sur la fin de sa vie, saint Thomas d’Aquin, en
réfléchissant sur son oeuvre, a pu voir en elle de la paille uniquement, quel n’est pas le jugement
AL EL

sévère et intransigeant susceptible d’être formulé à l’endroit d’un écrit académique dont le seul
mérite réel consisterait à reconnaître au départ qu’il est à peine une goutte dans le vaste océan de la
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connaissance humaine.
RS ON

Avec cet effort cependant, nous avons tenté de réaliser quelques fins peut-être en quelques
P E RS

points estimables. La première d’entre elles fut de situer le sentiment à l’intérieur de l’espace
philosophique. Trop occulté peut-être par l’omniprésence de la raison, à l’intérieur d’une discipline
R PE

pour laquelle ses prétentions épistémologiques à réaliser l’universalité de la vérité se fondent pour
l’essentiel sur le mouvement de l’esprit, épuré de sa nature sensible, le sentiment risquait de déchoir
de son statut légitime pour être relégué au rang d’un surgissement aussi malvenu qu’incommode.
FO E

Pourtant, c’était alors compromettre l’unité de l’être de la personne qu’annonce le projet kantien,
AG

celui de retrouver celle de la raison, et avec cela l’unité de la pensée, et par conséquent de nier le
facteur fondamental de leur possibilité respective. Or, autant la raison que la pensée trouvent l’unité
US

de leur expression significative avec la reconnaissance de la valeur éminemment philosophique de


la Vie.
Le Vie est la cause et la fin de la rationalité, avons-nous affirmé à l’intérieur de notre thèse 1.
Elle en est aussi le moyen, avec le sentiment, puisque celui-ci constitue le moment initial d’une
hétéronomie de la raison, lorsqu’elle se laisse constater à l’intérieur de la dissonance qui souvent

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ADRESSE AU JURY — OPENING REMARKS TO THE JURY

caractérise l’interface de l’esprit et du monde. Comme il peut également en confirmer l’autonomie


avérée, lorsque son activité a réussi à rétablir un équilibre perturbé et produire une nouvelle
consonance avec le milieu ambiant, grâce au génie créateur qui, en se donnant une structure et une

LY —
règle qui ne peuvent cependant nier l’essence et la spontanéité propres à la substance de la raison,
révèle et confirme l’efficace de l’esprit actif dont il est la faculté tutélaire.

ON CHE
De la même manière que la raison témoigne de son intelligence à composer effectivement avec
les événements et les conjonctures d’un monde en évolution perpétuelle, le sentiment est le gage de

ES ER
l’intelligence rationnelle adéquate, en vertu de la conformité de la raison à l’a priori vital, lequel ne
saurait se satisfaire d’une finalité aléatoire, superficielle et éphémère. Car sous son expression la

OS H
plus pure, la Vie est la valeur fondamentale de la phylogénie et de l’ontogénie humaines, en même

RP EC
temps que de l’inscription durable et significative à l’intérieur de l’histoire cosmologique de
l’univers, de l’espèce et de ses constituants à qui revient le titre de maître de la Création. L’usage
adéquat et optimal de la raison est le gage et le garant de leur progrès, de leur continuité et de leur

PU E R
perfectionnement avec l’exacerbation réfléchie et anticipée de leur possibilité. Si la finalité de ce
mouvement est assurée avec l’illustration de la finalité judiciaire, laquelle réunit et conjugue

CH S D
l’association harmonieuse de la raison et du sentiment avec son accomplissement et son
épanouissement pleins et entiers, la nécessité pour la faculté et le pouvoir de juger de se conformer
au principe de la Vie requiert que la raison détermine son action en vertu du bien et que par
AR FIN
conséquent elle fonde son action sur la moralité qui en définit les exigences.
Or la vie est le plus grand bien concevable. Sans elle, qui est au fondement de toute réalité et de
SE À

toute conscience, la raison fait face à l’absurdité radicale de sa propre inexistence, puisqu’elle
RE T,

devrait alors admettre qu’elle tirerait son principe du nihilisme le plus complet. Admettant cela, elle
devrait non seulement se figurer elle-même comme étant désormais inexistante, mais encore se
D EN

représenter à elle-même qu’elle n’a jamais existé et que par conséquent la possibilité même
d’entretenir une fiction quant à sa possibilité actuelle serait a priori inconcevable. Ainsi, non
AN M

seulement est-ce vrai que «je pense, donc je suis», comme l’a démontré Descartes dans ses
E LE

Méditations métaphysiques, mais encore est-ce vrai que «je pense, car je suis», en vertu d’initier et
de finaliser spontanément une action qui est la spécification, voire élevée et sublime en
US SEU

reconnaissance du pouvoir directeur de la raison, de l’énergie et de la force vitales dont elle est la
réalisation. Et que, n’étant pas, la pensée risquerait en se niant ainsi d’envisager la négation ab
origino de sa possibilité même, une entreprise inconcevable et impensable, puisque contradictoire
et absurde en vertu du mouvement requis afin de produire une telle conclusion. Car aucune pensée
AL EL

inexistante ne serait susceptible de se procurer à elle-même ce que seule une pensée existante peut
accomplir: la tâche d’opérer actuellement et effectivement au plan de ce qui est.
ON N
RS ON

Le fondement de la moralité, issue de la raison, est donc la Vie — celle que l’homme préserve,
entretient et perpétue, autant en ses semblables que pour soi, autant par ses actions que par ses
réalisations techniques —. Or nous avons tenté de démontrer, à l’intérieur de celle-ci, notre thèse du
P E RS

Ph.D., que le sentiment est la raison de la vie 2, comme de façon analogue la raison spécifie le
moyen de l’enracinement pertinent et adéquat sujet moral à l’intérieur du monde, avec l’illustration
R PE

habile et réfléchie de la pensée et de l’action. D’un monde qui autorise à réaliser toutes les
possibilités inhérentes à la nature, pourvu que dans l’idéal celles-ci expriment à travers cet effort la
FO E

plus haute moralité concevable, celle qui fait la promotion excellente de la vie, puisqu’elle exprime
AG

la Vie elle-même.
*
US

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1 Vide, infra, Chapître IV, Le sentiment et la vie, p. 163.


2 Vide, infra, Chapître IV, Le ceour et le sentiment, p. 195.

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ADRESSE AU JURY — OPENING REMARKS TO THE JURY

Our understanding of the thrust of Kant’s main underlying philosophical project is that, in his
three Critiques, and particularly in the Kritik der Urteilskraft, he attempts to reconcile the rational
with the irrational, which contemporary thinking has nevertheless rendered conceivable in terms of

LY —
the objectifiable intrinsic purposiveness, intimately inherent to the characteristic supersensibility of
human nature. In so doing, he is faced with defeating two opposing, mutually exclusive principles,

ON CHE
which the antinomy of taste illustrates: the exacerbation of reason to the exclusion of feeling which
the form of pure rationalism exemplifies; and conversely the exacerbation of feeling to the
exclusion of reason which a pure form of romanticism shall personify. Thus, as Schiller has

ES ER
remarkably stated, only the civilized man may hope to escape the inexorable dilemma of alternating
between the barbarity which excessively sacrifices feelings to principles and the savagery which

OS H
unduely sacrifices principles to feelings, through achieving a beneficial harmony with nature and

RP EC
realizing freedom with the sagacious and prudent curtailment of arbitrariness 3.
Unless the faculty of judgment accomplishes the integration of the expressible concept and the

PU E R
inexpressible subjective experience, the illustration of its power shall lead to a quandary. The
dilemma involves assent, which is the social dimension of judgment: either a consensus is extorted

CH S D
through opinions which are dictated to authoritatively; or it is achieved inexplicably through a
mysterious and immediate communication of inner feeling. Both solutions appear insufficient,
since they each constitute an alienation of human nature, either extraneously, through the blanket
AR FIN
privation of the personal freedom to conscientiously illustrate the exercise of judicial reason, or
inherently, through the distortion of the natural, moral, and social personhood of the individual.
Consequently, the indeterminacy of the supersensible realm, which subsumes both that which is
SE À

communicable and that which is implicit under the vague explicitness of its metaphysical concepts,
RE T,

constitutes the ground for a mutual understanding which allows both for that which may be
conceptualized and that which is merely actualized subjectively within the inner sense.
D EN

Thus the universal extension of the concept may meet with the singular subjectivity of the
AN M

individual who, as a result of partaking of a transcendental nature, common in principle to every


E LE

incarnate exemplar of humanity, may propose to experience in the common sense that which is
generally apt to be experienced by all, all other things being equal. This is accomplished in a way
US SEU

which is objectively expressible and exteriorized within the sphere of a common collective
experience, with the sublimation of feeling through its proper subsumption under reason. With the
subjective indeterminacy which the Idea accomplishes within the inner supersensible experience of
the moral subject, the possibility for achieving a form of consensual acquiescence is achieved. The
AL EL

latter respects both the objective principle of the freedom of action through cultural activity and the
subjective principle of the heautonomy of the inner sense through the conjoint operation of the
ON N

rational and the irrational faculties of the mind. Thus the supersensible subjective domain conjoins
RS ON

both feeling and reason and preserves the practical a priori principle of liberty as well as the judicial
a priori principle of intrinsic purposiveness, both of which are inherent to the sentient moral person,
as pertaining concurrently to the social dimension of the transcendental rational being, for whom
P E RS

the principle of Life is the original, foundational and final principle. It is the creative process which
serves as the evident testimony to this purposive synergy, upon manifesting itself both
R PE

ontogenetically and phylogenetically within the society of individuals and the culture of persons.
FO E

Both the freedom to be and the freedom to act are aspects of the autonomy for which Life is the
AG

foremost a priori supersensible principle, as well as the archetypical ideational principle which
reconciles the three Ideas of pure reason (God, the World, and the Soul or Person) and the fourth
Idea of practical reason (Liberty). Kant therefore reconciles the rational and the irrational principles
US

within the mind as possessing an explanatory potential for the durability of human society —
through the concept of the unsociable sociability of Man — and the individual’s responsible and
creative capacity to know, to judge, and to act. In so doing, he ensures a well-balanced theory which

3 SCHILLER (1992), p. 106-109.

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ADRESSE AU JURY — OPENING REMARKS TO THE JURY

sacrifices excessively neither to reason nor to feeling the importance which each other merit.
Furthermore, he supplies the principles for their harmonious synergistic relation: the primacy of the
supersensible over the sensible; and the primacy of the practical over the theoretical. Consequently,

LY —
Kant’s theory provides for the existence, within the mind, of an unifying order which
spontaneously initiates, preserves, and further accomplishes the unity of reason, while promoting

ON CHE
the confluence of the mind with nature. This order, which Kant names the heautonomy of reason, is
accomplished with the enhancement of nature through the active process of culture and the
edification and the cultivation of the supersensible possibilities of the mind which acculturation

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brings about in those who undergo its influence.

OS H
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Messieurs les membres du jury, nul mieux que vous êtes en mesure d’apprécier quelle est la

PU E R
complexité du problème qui consiste à réconcilier toutes les facettes de la réalité, de sorte à
accréditer entièrement et adéquatement la place de l’Homme à l’intérieur de l’univers. Ce projet
requiert de comprendre et de justifier l’expérience objective autant que subjective, inclusive du

CH S D
donné naturel et du produit culturel, comme se trouvant à la jonction des deux dimensions
complémentaires, le sensible et le suprasensible, dont la personne humaine est l’ectype
AR FIN
représentatif par excellence, en vertu de sa constitution morale et de sa connaturalité sensible. Car si
celle-là est en définitive le fondement ontologique du statut de l’humanité comme étant la fin finale
de la Création, celle-ci en constitue le moyen de son efficace.
SE À

Notre thèse porte sur cette réalité et, si elle privilégie le sentiment et la Vie dont il procède
RE T,

comme étant le noeud de cette problématique, elle se donne pour fin première de transcender la
D EN

pensée kantienne afin de constituer et de structurer une théorie esthétique qui situe cette pensée au
coeur, c’est-à-dire au centre le plus intime de la moralité humaine. C’est d’une moralité qui est au
AN M

service de la Vie puisqu’elle émane de la Vie et qu’elle retourne à la Vie, en réalisant la plénitude
des possibilités que l’unité de la forme transcendantale archétype et primordiale contient en ses
E LE

virtualités. Plus encore, elle réalise ce mouvement sans nier pour autant tout ce qui d’elle se trouve
illustré à l’intérieur de la diversité historique de la nature et de la culture conjuguées, voire même de
US SEU

celle qui n’est pas encore réalisée et qui néanmoins trouve le germe de sa puissance à l’intérieur de
la possibilité de ce qui est toujours présentement actualisé. Sur ce, et sans plus tarder, nous nous
rendons disponible à recevoir, relativement à cette thématique générale, toutes les questions que
vous autorisent à formuler, selon votre bon plaisir, votre vaste érudition, votre expertise indéniable
AL EL

et votre intelligence insondable, maintes fois éprouvées et jamais épuisées.


ON N
RS ON

par Marc-André J. Paquette


P E RS

le 10 novembre 2008.

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le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page vi de 302 ...


AVANT-PROPOS

LY —
«... nul ne peut fuir l’épreuve
si ce n’est pour aller chercher la force

ON CHE
nécessaire à la rencontre incontournable avec elle,
qu’exige la loi ontologique.»
[Annick DE SOUZENELLE 1]

ES ER
Les raisons qui motivent la rédaction d’une thèse académique et doctorale sont aussi nombreuses sans doute qu’il
y a d’étudiants pour en initier le projet et le mener à terme. Une telle entreprise peut avoir comme fin un objectif aussi
prosaïque que la nécessité de parcourir cette étape afin de satisfaire aux exigences du programme universitaire et aussi

OS H
poétique que celui de combler l’espoir d’une contribution à la substance mnémonique de l’esprit collectif universel, en

RP EC
apportant une perspective et un dessein qui en enrichissent le contenu et inspirent la direction que prendrait
éventuellement son mouvement.

PU E R
Nous ne nions pas l’importance du premier mobile afin d’apporter le sentiment rassurant que s’est accomplie une
réalisation qui permette de passer à autres choses, après avoir investi de nombreuses années à étudier un problème et à

CH S D
fournir un résultat dont il serait souhaité que la qualité fût à la hauteur des expectatives et des énergies déployées à les
rencontrer. Par ailleurs, étant arrivé au programme de philosophie du Collège dominicain après une expérience de vie
aussi variée qu’elle fut riche en épreuves et en sollicitations de toutes sortes, nous aimerions penser avoir modestement
AR FIN
participé à édifier un tant soit peu l’expérience spirituelle de l’humanité avec ce travail. Parmi toutes les expériences
vécues, les moindres en importance ne furent pas celles qui ont requis le recrutement d’un effort de maturité immense et
l’assistance de la réflexion intense, continue et approfondie afin d’y faire face. Ainsi s’agissait-il de ne pas se laisser
submerger par les inévitables contrariétés qui se sont présentées avec elles afin de procurer un sens complet et réel à ce
SE À

qui posait un défi, autant aux convictions profondes qui nous avaient été inculquées depuis notre enfance qu’aux
espérances les plus optimistes que celles-ci nous enjoignaient à couver.
RE T,
D EN

Or, un tel parcours réflexif et herméneutique ne peut se laisser réduire à l’expérience d’un seul, malgré que celle-ci
conservât la valeur unique, primitive et originelle propre à l’originalité des conjonctures et des personnes qui sont en
association. Car il interpelle en réalité tous ceux qui font un projet capital de la quête du sens fondamental aux choses de
AN M

la vie. Il requiert par conséquent une attitude profondément philosophique afin d’en retirer la «substantifique moelle»,
pour citer Rabelais. Une posture qui exige de transcender le plus complètement possible les aléas de l’expérience
E LE

individuelle afin de situer sa réflexion au plan de la vie de l’esprit que tous ont en partage. Si par là, le mystère de la
personne ne saurait se laisser épuiser avec les révélations que l’on en reçoit, puisque le mystère des êtres vivants, et a
US SEU

fortiori celui des êtres humains, se situe bien au-delà de la réduction phénoménologique sous laquelle ils se laissent
apercevoir et la réduction discursive que l’on en accomplit même involontairement, la bonne foi qui lève en partie le
voile sur l’intériorité sert d’assise à la dimension sociale qui se fonde sur une complémentarité des êtres et une mutualité
que seule la gratuité des motifs et des mobiles peut procurer réellement. Autrement, l’intérêt et l’ambition propres à
AL EL

l’amour de soi s’y substituent, lesquels voient en les relations humaines une matière à être ravalée au plan strict des
rapports utilitaires, par lesquels autrui devient uniquement un moyen parmi tant d’autres de réaliser l’expérience, en
vue d’une fin qui ne saurait en aucune façon le considérer telle que sa dignité réelle le commanderait. De cette cécité à
ON N

l’endroit d’autrui ne saurait procéder autre chose qu’une atomisation sociale radicale.
RS ON

Par ailleurs, dès lors que le niveau d’abstraction est trop élevé, dès lors que le degré de généralisation atteint un
plan qui fait oublier les contingences de l’expérience, le danger devient celui d’oublier le mobile originel de la
P E RS

démarche réflexive, à savoir l’intention de cerner adéquatement et complètement la réalité, pour se réfugier à l’intérieur
d’un univers de la pensée dont l’aspect et le déroulement sont parallèles à celui dans lequel tout philosophe se trouve
R PE

ancré, en raison de la nature sensible propre à tout être humain. Or, celle-ci exige de composer adéquatement avec les
exigences très réelles du quotidien de l’expérience en même temps qu’avec la lucidité des anticipations de la pensée
abstrayante, mais d’une façon qui ne déroge pas aux possibilités les plus sublimes de l’essence spirituelle, lorsqu’elle
FO E

inspire la conduite et les réalisations qui en procèdent.


AG

Autant la pensée exprime-t-elle l’effort de survoler le terre-à-terre des contraintes réelles, afin de les dépasser en
motivant le sujet moral à se surpasser lui-même et à progresser à travers elles, autant celles-là se proposent-elles à la
US

conscience de manière parfois décisive, pour exiger un travail d’adaptation et une remise en question des schémas de la
pensée qui obligent à redoubler d’effort afin de ne pas quitter le plan de la transcendance. Cette fin est d’autant plus
désirable qu’au départ, la pensée donnait tout à espérer, mais seulement en l’absence de l’épreuve révélatrice de la
dynamique qui caractérise la dimension physique de l’expérience. Nous oublions trop souvent que celle-ci inclut le

1 In Le féminin de l’être. Pour en finir avec la côte d’Adam. Albin Michel. Paris, 1997. p. 160.

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AVANT-PROPOS

facteur humain, présent à l’intérieur autant des rapports inter-personnels privés que des vastes mouvements
sociologiques de nature surtout publique.

LY —
Or, autant la pensée s’inspire-t-elle de la dimension physique pour alimenter le contenu qui transporte l’esprit
au-dessus de la nécessité des lois et des principes qui en déterminent l’actualité, afin de l’inscrire au plan de la

ON CHE
continuité qui s’esquisse toujours à l’intérieur d’un avenir plus ou moins rapproché, à partir d’un présent plus ou moins
englobant par la vastitude de son étendue et la hauteur de sa perspective, autant la dimension physique se nourrit-elle de
l’interférence qui voit l’esprit humain informer les composantes naturelles et co-exister parmi elles, sans omettre d’y
contribuer et de la transformer, en fournissant l’effort qui l’améliorera, ainsi que tous les êtres vivants qui la peuplent de

ES ER
manière autogène, autonome et interdépendante.

OS H
Il paraît désormais désirable de rechercher l’équilibre qui est obtenu et maintenu, entre d’une part, le plan
métaphysique, qui transcende d’une manière qui est à la fois significative, constitutive et régulatrice, et d’autre part, la

RP EC
dimension physique, qui conditionne, contraint et oblige l’esprit à fournir un effort continuel d’adaptation, de
surgissement et de créativité, en réponse à l’opacité, à l’imperméabilité et à l’inertie caractéristique de son état et de son

PU E R
mouvement. Car cette recherche d’un juste milieu devient la clef de l’épanouissement adéquat du premier, sans nier la
possibilité fondamentale de son exercice, et du développement intelligent et complémentaire du second, lequel non
seulement assure la possibilité du premier à se réaliser mais encore en favorise l’accession à la plénitude et à la

CH S D
complétude de sa perfection, en reconnaissance des lois et des principes de la matière qui la compose, dès lors que cette
entéléchie est concevable, possible et méritoire de l’effort qui permet à la conscience responsable d’y tendre.

AR FIN
Telle serait l’énonciation sommaire de la leçon philosophique que l’expérience nous a permis de retenir de la vie et
qui, croyons-nous, transpire à l’intérieur de chacune des pages de notre thèse, sans pour autant ne rien enlever à son
objectivité. Si le sentiment est le thème sous lequel nous formulons notre propos, c’est qu’il nous apparaît comme étant
le facteur primordial d’une entente par laquelle s’opère l’harmonie avec laquelle la raison agit continuellement sur la
SE À

nature, tout en étant perpétuellement aiguillonnée par elle, autant celle qui existe à l’état brut que celle qui, sous l’effet
de l’esprit, a été transformée et civilisée.
RE T,
D EN

En ayant à nommer tous ceux qui ont contribué, de près ou de loin, à la réalisation de ce projet, nous nous
trouverions devant une énumération trop longue pour être adéquatement gérée, en courant en plus le risque d’oublier les
noms de ceux qui mériteraient de s’y trouver. Nous nous contentons pour cette raison d’exprimer notre plus entière
AN M

reconnaissance à tous ceux que nous avons côtoyés à toutes les étapes de notre vie et qui, en raison d’avoir été
E LE

simplement eux-mêmes, ont laissé une empreinte indélébile à notre souvenir pour nous avoir donné l’occasion de
progresser, de raffiner notre nature et de nous épanouir en leur présence, peut-être simplement en nous fournissant
l’occasion d’être auprès d’eux la personne la plus accomplie que nous puissions être alors. Notre désir le plus cher, c’est
US SEU

de n’avoir jamais manqué le courage d’apparaître ainsi à leurs yeux, tel que l’état intérieur actuel le rendait possible.

Nous aimerions ensuite exprimer notre gratitude envers les professeurs du Département de philosophie de
l’Université d’Ottawa qui nous ont accompagné tout au long de notre Maîtrise-ès-Arts en philosophie, et en particulier
AL EL

les professeurs Danielle LETOCHA, Jean THEAU et Guy LAFRANCE que nous avons côtoyés plus étroitement.
Leurs enseignements experts, judicieux et abondants ne cessent de peupler notre mémoire, pour ressurgir de nos
ON N

souvenirs et enrichir nos réflexions philosophiques à tous les stades de leur progression. Nous aimerions profiter de
l’occasion afin d’honorer la mémoire du regretté professeur Pierre LABERGE, dont le dévouement pédagogique et
RS ON

l’érudition kantienne ont largement inspiré notre démarche et dont nous souhaiterions ardemment que, de son vivant, il
pût autrement reconnaître un peu de cet esprit philosophique rigoureux qui fut le sien, à l’intérieur de la réflexion qui a
P E RS

présidé à l’élaboration de cette thèse. Nous souhaiterions que, si cela était du tout possible, notre propos puisse être vu
comme prolongeant en quelque manière le sien, sans que l’originalité substantielle de ce grand philosophe ni celle de
cet humble candidat au Ph.D. n’en souffrît.
R PE

Nous aimerions aussi formuler un merci tout particulier à l’endroit du professeur Catherine COLLOBERT, dont le
FO E

cours en archéo-philosophie homérique fut une véritable découverte dont nous recueillons encore aujourd’hui,
plusieurs années après, les fruits et les bienfaits. En prenant connaissance des premiers balbutiements de la philosophie,
AG

avant même que cette discipline ne se fût identifiée sous ce vocable, il y avait lieu de comprendre à quelle universalité
potentielle l’activité de l’esprit pouvait prétendre, avant que les aléas de l’histoire en vienne progressivement à
US

façonner et à limiter son propos. Car au départ, l’esprit et l’action étaient intimement liés, de sorte que les acteurs
sociaux agissaient selon les prémisses de leur pensée comme ils pensaient d’une manière qui était entièrement
congruente à leur action. En touchant à la pensée de l’homme, nous avions ainsi la certitude de toucher à l’homme dans
son intégralité. Depuis, nous savons tous en quoi la philosophie a gagné en complexité et combien la nature humaine
s’est diversifiée en se spécialisant, pour laisser aux uns le soin de réfléchir sur l’intrication de la réalité et aux autres
celui d’agir d’une manière à la fois pertinente et sublime.

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AVANT-PROPOS

Nous aimerions remercier ensuite les professeurs du Collège universitaire dominicain de philosophie et de
théologie d’Ottawa, de la contribution précieuse que chacun d’eux ont apporté envers cette thèse de doctorat. Bien
qu’un tel travail requière un investissement profond, durable, patient et constant de la part de l’étudiant qui en fait la

LY —
recherche et la rédige, après avoir suivi les cours et complété les travaux réglementaires qui en sont les prémices, les
piliers de l’oeuvre s’érigent cependant et principalement sur les fondations de l’enseignement dispensé et sur les

ON CHE
occasions d’un approfondissement futur qui en procèdent et qui doivent signifier l’accomplissement heureux de la
trajectoire parcourue. Nous aimerions par conséquent témoigner de notre sincère reconnaissance auprès des
professeurs Lawrence DEWAN, o.p., Maxime ALLARD, o.p., Leslie ARMOUR, Jean-François MÉTHOT, Francis
PEDDLE et James LOWRIE, dont la profondeur des idées n’avait d’égale que leur grande érudition. Nous nous en

ES ER
voudrions amèrement de passer sous silence la contribution inestimable apportée par le bibliothécaire du Collège, le
père Martin LAVOIE, o.p., dont la manière parfois effacée témoigne incomplètement de sa participation au succès de
cette réalisation.

OS H
RP EC
Nous aimerions aussi remercier les professeurs PEDDLE et Gabor CSEPREGI d’avoir eu la bienveillance de
superviser cette recherche et la confiance de nous laisser toute la latitude requise à l’accomplir, d’une manière autant
personnelle qu’elle révélera une qualité que nous espérons ne les portera pas à regretter la généreuse condescendance

PU E R
qui a animé leur choix d’accueillir favorablement notre invitation de s’associer à ce projet. Nous aimerions enfin
remercier nos parents, M. et Mme Del Val PAQUETTE, et tout particulièrement Francine, notre compagne de vie: en
l’absence de leur appui et de leur soutien incessants et indéfectibles, cette oeuvre n’aurait jamais pu voir le jour ni se

CH S D
confirmer avec le succès que signale une fin accomplie. De plus, sans la généreuse participation des professeurs
MÉTHOT, Peter McCORMICK et Eduardo ANDUJAR au processus de la soutenance de la thèse, nous n’aurions pu
expérer avoir l’occasion de faire valoir nos idées parfois osées dans leur originalité devant un auditoire aussi savant
qu’il fut critique. AR FIN
À tous ceux-là, à tous nos parents et amis, à Geneviève, à Claudine et à Annie, ainsi qu’au Dr. Susie DUFF, M.D.,
SE À

F.R.C.P., grâce à qui nous sommes redevable d’un niveau de santé suffisant à rencontrer les exigences incroyables
qu’impose un tel programme d’études à la physiologie de l’organisme, nous offrons nos plus chaleureux remerciements
RE T,

et formulons le souhait sincère et la conviction la plus profonde que l’amour, la bienveillance et la générosité dont ils
auront témoigné à notre égard tout au long de cette période leur sera retourné au centuple.
D EN

La sagesse populaire veut que le passé est le garant de l’avenir, en raison de la qualité judicieuse des choix et des
AN M

anticipations heureuses qui définissent, limitent, et orientent les possibilités à venir. Or, on oublie trop souvent que le
futur est aussi le garant du passé, en retenant, en valorisant, en faisant la promotion et en perpétuant les aspects
E LE

éminemment valables de ce qui fut, grâce auxquels devient possible le présent sur lequel s’édifie le futur. C’est à la
génération montante ainsi qu’à toutes celles qui suivront que nous dédions cette thèse du doctorat en philosophie: notre
US SEU

plus ardent souhait serait qu’elle contribue à améliorer ce monde afin de le rendre encore plus porteur de vie et par
conséquent digne d’être vécu pour les enfants de nos enfants. Parmi ceux-ci, nous aimerions désigner particulièrement
Marie-France, et ses adorables David-Nicolas et Audrey-Rose, Albani, et sa bellissime Isabelle, François, Catherine,
Isabelle, Matthew, Nicholas et Marie-Charlotte. Que la vie leur sourie toujours, ainsi qu’à tous leurs contemporains, et
AL EL

que leur lot soit rien moins que l’abondance et la plénitude inexhaustibles du bonheur.
ON N
RS ON

Marc-André J. Paquette.
P E RS

*
**
R PE
FO E
AG
US

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page ix de 302 ...


PRÉFACE
La relation entre le sentiment et la téléologie

LY —
«C’est déjB une grande et nécessaire preuve

ON CHE
de sagesse ou d’intelligence que de savoir
quelles questions on peut raisonnablement poser.»
(I. KANT 1)

ES ER
M. Renaut, admiratif devant la profondeur de la réflexion philosophique kantienne de la KU 2, voit dans cet
ouvrage «une oeuvre mystérieuse» 3 qui présente à l’exégèse trois défis: celui d’abord d’en comprendre la genèse; celui
ensuite d’en saisir l’unité externe et d’en situer la place à l’intérieur du système philosophique de Kant; et celui enfin

OS H
d’en préciser l’unité interne. Ce dernier défi interpelle à formuler adéquatement l’articulation des divers problèmes que

RP EC
ce texte développe. Or le problème de la réconciliation du sentiment et de la téléologie, étant central à la KU, engage la
perspective à laquelle renvoie chacun de ces défis.

PU E R
C’est l’analogie entre le jugement de connaissance et le jugement esthétique qui est au coeur de cette réflexion 4.
Puisque le jugement esthétique n’est pas un jugement de connaissance, puisqu’il n’engage pas, comme celui-ci, les

CH S D
catégories, c’est-à-dire les concepts a priori de l’entendement, lorsqu’ils déterminent les jugements théoriques portant
sur les intuitions et qu’ils forment les représentations significatives qui procèdent du rapport du sujet avec l’empirie, le
jugement esthétique possède par conséquent une identité propre. C’est l’identité par laquelle on reconnaît à l’objet,
AR FIN
d’une manière non-thétique, une présence au moyen de la représentation pré-conceptuelle que l’on en fait, lorsque
survient dans la conscience l’association d’une perception objective, d’un sentiment et d’une satisfaction. Cette
association devient la condition nécessaire du jugement de réflexion qui lui est implicite. Or, pour que ce jugement
reçoive un fondement, pour qu’il soit effectivement porteur de la nécessité qui en caractérise la vérité, cette base doit
SE À

être a priori. Autrement, l’aspect aléatoire de la production judiciaire ne permettrait pas d’attribuer à l’objet un concept,
dont la présence à l’intérieur de l’esprit est le gage d’une objectivité, laquelle est en même temps universelle et
RE T,

constante pour une même classe d’individus.


D EN

Que le jugement esthétique soit subjectif dans son intériorité consciente, on ne saurait en douter puisqu’à
l’intuition et au concept ainsi rendus possibles dans le sens intime, se surajoute le sentiment qui engage d’une manière
AN M

irrésistible la sensibilité intérieure du sujet, sans pourtant qu’il n’appartienne en propre à la représentation objective.
Qu’il soit a priori, voilà ce qui ressort de ce que le sentiment éprouvé prétende à l’universalité, une condition requise de
E LE

toute nécessité par une caractéristique commune et constante de sa formulation et de son expression, à savoir comme
«dépendant de la représentation de cet objet en tout autre sujet» 5.
US SEU

Ainsi, un parallélisme se laisse observer entre d’une part, le jugement de connaissance, universel et objectif, i.e.
portant sur la représentation d’un objet présent dans l’empirie, en vertu d’un principe épistémologique a priori,
tout-à-fait indépendant de l’expérience 6; et le jugement esthétique, universel et subjectif, i.e. portant sur l’expérience
AL EL

intime du sentiment, évoqué par un objet de l’expérience auquel la réflexion naturellement produite confère la nécessité
convenant à cette condition subjective préalable. La relation qui existe entre les deux types de jugement caractérise
ON N

donc, non pas l’identité, mais la similitude, et remplit les conditions de l’analogie, dont nous verrons dans le chapître de
l’Introduction le caractère bivalent, susceptible de réconcilier dans la distinction des essences la similitude des attributs
RS ON

particuliers 7.
P E RS

Kant tentera donc de fonder, avec cet argument, la nécessité d’une subjectivité intégrale, laquelle inclut tout ce qui
est du domaine de l’irrationnel, au même titre que celle d’une objectivité qui, tout en renvoyant à des représentations
intimes, recrute les conditions mathématiques et dynamiques des catégories fondées exclusivement sur une démarche
R PE

intellectuelle, tournée sur la matière des sens externes. Dans le second cas, c’est le jugement théorique, portant in foro
FO E

1 KRV; AK III, 79; IV, 52.


AG

2 RENAUT, A. Présentation à la Critique de la faculté de juger. (trad. de l’all. par A. Renaut). Flammarion.
Paris, 2000. p. 7.
US

3 Idem, p. 9.
4 KU, §36; AK V, 287-289.
5 Idem; AK V, 288.
6 KRV; IV, 17-18.
7 PKM, §58; AK IV, 357.

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PREFACE

externo sur l’objet, qui sollicite l’accord en tant que répondant aux catégories, les concepts a priori de l’entendement,
valables universellement. Dans le premier cas, c’est le jugement portant sur l’effet subjectif mystérieux que suscite in
foro interno cet objet en tant qu’il répond aux critères du sentiment (la satisfaction ou l’insatisfaction inhérentes au

LY —
plaisir ou au déplaisir ressenti 8), également valables de façon universelle, puisqu’ils sont susceptibles d’une évocation
à la conscience d’un ensemble de sujets distincts que rallie entre eux et en général d’une manière similaire la

ON CHE
conjoncture des sens externes et du sens intérieur en réponse à une expérience particulière.

Il semblerait donc que la KU réalisât son unité interne uniquement en présence de l’éventualité d’une
réconciliation dans l’universalité des multiples dimensions de la possibilité d’un jugement esthétique et théorique que

ES ER
caractérise l’unité de l’objectivité et de la subjectivité, et d’un accord qui respecte leur différence propre, tout en
affirmant et en confirmant la synergie qui est propre à une telle association. Or, s’il concerne uniquement l’objectivité
sensible de la nature et de la culture, de la nature que réalise idéalement la culture, un tel effort pourrait sembler au pire

OS H
superfétatoire — puisqu’il s’exercerait sur un objet accessoire de la conscience — et au mieux comme requérant un

RP EC
investissement philosophique trop important pour le justifier — puisque la réflexion philosophique qui s’y attarderait
serait mieux avisées à s’en tenir à un plan strictement objectif, indépendamment de toute considération affective —.
Mais voilà qu’il porte également sur le concept de nature que caractérise la possibilité systématique de son essence

PU E R
diversifiée, puisque l’unité de la nature est une condition a priori de la possibilité de toute connaissance objective 9, et
l’aspect de cette essence qui est inclusif des êtres organisés qui le peuplent selon une spécificité indéniable, celle de
l’individualité biologique, animée et vivante, irréductible à la simple matière.

CH S D
C’est par conséquent une spécificité qui est susceptible de produire une forme de connaissance distincte et
AR FIN
originale, dont ces organismes seraient spécifiquement la condition empirique, nécessaire et préalable. En ignorant ces
vastes domaines empiriques, on se trouverait donc à restreindre singulièrement la compréhension de l’activité
rationnelle que sont la réflexion et le jugement, une attitude qui en compromettrait sérieusement la prétention à
l’universalité. Car on ne saurait alors songer à construire avec succès une théorie de la nature qui, tout en étant globale,
SE À

serait également susceptible de réconcilier les oppositions radicales. De plus, seul un point de vue adéquat sur la vie est
susceptible de justifier la raison car seule la réalité des êtres organisés est passible d’être associée en tant qu’elle est le
RE T,

fondement existentiel concret à son illustration pleine et entière.


D EN

S’il s’agit bel et bien, comme le propose Renaut, d’opposer l’entendement métaphysique pur de la raison qui, dans
son activité idéelle et systématique, se passe de l’expérience et donc de la sensibilité pour agir uniquement sur les
AN M

concepts, et l’entendement scientifique, i.e. celui qui compose avec l’expérience au moyen de la synthèse a priori
productrice de concepts, le jugement apparaît alors comme un pouvoir rationnel polymorphe, se situant quelque part
E LE

entre les deux. Car d’une part, il ne saurait procéder de l’esprit sans l’expérience nécessaire à la formation synthétique
et donc unificatrice des concepts, et d’autre part, il renvoie à une faculté a priori qui est purement subjective,
US SEU

comportant un je-ne-sais-quoi, une impression ineffable que personne ne se refuserait à reconnaître comme étant
présente à l’intérieur de sa subjectivité propre, mais dont l’expérience du monde empirique ne saurait révéler aucune
évidence, sauf en ce qui concerne la matière d’une induction possible, réalisée grâce à l’activité idéelle de la raison.
D’une raison qui est productrice des notions telles que le sentiment, la vie, la finalité et le système puisque seules ces
AL EL

Idées sont susceptibles de traduire l’originalité radicale d’une expérience intime. En tant qu’elles appartiennent au plan
des valeurs métaphysiques, elles sont susceptibles uniquement d’être symbolisées dans l’imagination, sans pouvoir être
schématisées dans l’entendement concret, puisqu’elles ne comportent aucune contrepartie dans l’empirie. Bref, ce sont
ON N

des concepts qui apparaissent à la raison épistémologique comme étant originaux, puisque, tout en prétendant à une
RS ON

objectivité de bon aloi, ils font reposer celle-ci sur une subjectivité dont le contenu est objectivement invérifiable,
puisqu’il est strictement intime, et qui pourtant révèle une généralité étonnante, susceptible de générer l’accord et
l’assentiment.
P E RS

Si la raison se propose de transcender à la fois l’expérience et la sensibilité, pour s’adonner à son activité de
R PE

systématisation à partir de synthèses idéelles (ayant des concepts pour matière), et si l’entendement requiert à la fois la
sensibilité et l’expérience, pour donner lieu aux connaissances que fournissent les synthèses conceptuelles (ayant les
intuitions pour objet), le jugement quant à lui fait intervenir une sensibilité qui, étant engagée dans son activité
FO E

synthétique, ne saurait se passer de l’expérience, sans pour autant requérir, dans son opération, la médiation de
AG

l’intuition ni donner lieu à la production d’une résultante notionnelle (image ou concept), en dehors de l’activité propre
à un jugement logique de réflexion. Or, cette sensibilité est celle de l’imagination [Einbildung], un pouvoir unificateur
de synthèse portant sur l’intuition pure, susceptible de s’accorder avec la possibilité hic et nunc de l’entendement, ou
US

8 Nous traitons ici globalement, de manière unitaire, deux manières du sentiment, dont la distinction sera mieux
établie lorsque nous aborderons plus loin le complexe judiciaire (au chapître I) et le complexe boulétique (au
chapître VI). Pour l’instant, nous en restons à ce plan général qui nous sert de préambule et d’entrée en matière.
9 KRV; AK III, 184.

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PREFACE

d’en diverger, lorsqu’elle s’exerce selon l’une de ses deux activités majeures, la reproduction [Darstellung]
d’exemplaires, au moyen du souvenir, ou leur production [Vorstellung], au moyen de l’exercice de sa capacité originale
sur l’expérience empirique. Ce rapport des deux pouvoirs de la connaissance est celui qui devient l’occasion d’un

LY —
sentiment, lequel correspond au plaisir dans l’harmonie des facultés ou au déplaisir lorsqu’elles entrent en discordance.

ON CHE
Le jugement est le pouvoir intellectuel qui réalise cette synthèse, sur un mode qui n’est pas celui de la
détermination, mais bien de la réflexion. Et pour cette raison, il apparaît comme étant un pouvoir, immanent à l’esprit,
de transcender les règles et les produits de sa propre opération , en tant qu’il se recrute en même temps les sens externes

ES ER
et le sens interne, et de les orienter en fonction d’une finalité qui obéit autant à des exigences extérieures et subjectives
qu’à des contraintes sensibles et objectives, le tout selon un rapport par lequel le pouvoir suprasensible de l’esprit
subsume la nature, tout en s’enracinant à l’intérieur de celle-ci. Grâce à cette action intime à la conscience, le

OS H
mouvement implicite à une entéléchie de la raison reposant sur la finalité possible de cette faculté acquiert une

RP EC
effectivité réelle.

PU E R
Voilà donc dépassée cette définition du jugement contenue dans la première Critique et qui voyait en celui-ci, en
tant qu’il est une fonction de l’entendement, le pouvoir de subsomption du particulier dans son instance sous l’universel
de la règle 10: si le jugement possède toujours un éventuel pouvoir déterminant et constitutif, il devient par son rôle

CH S D
réfléchissant à la fois un pouvoir de distinction susceptible d’ouvrir sur l’irréel, dès lors que l’entendement réalise une
représentation inconcevable, et sur l’absurde, lorsqu’il présente un concept inimaginable. Ainsi se trouve frayé un
chemin, qui ne donne pas uniquement sur la vérité avérée que présuppose un jugement déterminant (ceci est ...) , mais
AR FIN
qui ouvre sur la vérité simplement possible (ceci serait ...) à laquelle l’entendement, en tant qu’il porte sur l’intuition, et
la raison, en tant qu’elle agit sur la connaissance, peuvent apporter respectivement le concept significatif d’une
connaissance théorique, non pas encore réalisée, à laquelle s’adjoignent l’Idée porteuse du désir, qui se transforme en la
volonté qu’une action éventuelle en découlerait effectivement .
SE À

Pourtant, ni l’entendement, ni la raison ne sont au départ donnés, si l’expérience et la connaissance à laquelle elles
RE T,

peuvent donner lieu sont nouvelles et donc en imposent par leur originalité sur une expérience déjà éprouvée et établie,
D EN

pour lui doner à la fois envergure et expansion. Car la représentation non-encore conçue ouvre sur un éventuel concept
comme le concept non-encore imaginé ouvre sur une présentation éventuelle. Voilà en quoi le jugement, de par son côté
réfléchissant, devient le moyen même de penser le particulier de l’universel, non pas sous le mode d’une mutualité des
AN M

rapports, tels qu’une coordination ou une subordination des termes pourraient permettre de les concevoir, mais sous
celui d’une heuristique qui les pense selon leur spécification mathématique et leur opposition dynamique. Or cette
E LE

réalisation requiert une activité simultanée double: dans l’entendement, la production de concepts nouveaux, et dans
l’imagination, la préparation à accueillir la représentation des intuitions qui seraient susceptibles de recevoir ces
US SEU

concepts. Bref, le jugement de réflexion est au coeur même du processus pratique ou poématique, dans ce que, par
essence, il réalise de plus distinctif et de plus singulier, autant au plan des conduites qu’au plan des créations.

D’où il appert que l’entendement et l’imagination sont entremêlés dans l’espace intérieur de l’esprit: celle-ci
AL EL

accomplit une démarche expectative qui entrevoit l’aperception originale et en confirme le bien-fondé, en s’inspirant
du concept non-encore éprouvé; et celui-là illustre la capacité d’inventer ce qui, en tant qu’il sera une connaissance, ne
ON N

lui appartient pas encore en propre, sous le mode consensuel du connu que spécifie et extériorise le discours . Le tout de
la puissance singulière de ces deux facultés s’inscrit à l’intérieur de la modalité d’une possibilité, d’une hypothèse
RS ON

rationnelle et régulatrice sur les choses, préalable à une présence effective et complète de la raison au monde, une
condition nécessaire à son activité unificatrice dans la formation de concepts, de règles, d’Idées et de propositions, se
référant en dernier ressort à l’expérience et à l’interprétation susceptible de s’en dégager, sans en être toutefois la
P E RS

condition suffisante. C’est par le postulat de la communication universelle directe du sentiment que se réalise la
médiation unificatrice et effective du jugement réflexif, lequel acquiert alors une dimension esthétique. Or cette
R PE

médiation s’exerce en réconciliant le jugement théorique et le jugement pratique et elle donne à l’oeuvre tout son sens, à
l’intérieur du projet critique kantien.
FO E

Toute représentation porte en elle, de toute nécessité, au moins la possibilité d’un sentiment. C’est la leçon que
AG

l’on doit retenir de la troisième Critique, comme en témoigne l’aptitude à reconnaître le Beau à l’intérieur du jugement
esthétique du goût, alors que la conscience conçoit comme étant nécessaire a priori le lien entre la satisfaction et
l’oeuvre 11: la satisfaction que ressent l’auteur devant son projet achevé; la plaisir qu’éprouve le spectateur devant la
US

qualité éminente d’une production exposée. Mais cette nécessité intervient de façon particulière, puisqu’elle est ni
théorique, en présupposant en chacun un état subjectif uniforme et immédiat pour un même objet, ni pratique, en

10 Idem; III, 131; IV, 96.


11 KU, §18; AK V, p. 236-237.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 3 de 302 ...


PREFACE

opérant sur la volonté pure de chacun une incitation invariable à l’action correspondante selon un loi identique, mais
simplement esthétique, en illustrant une règle universelle implicite et transcendantale qui, si elle n’est pas spécifiée
dans son contenu, requerra néanmoins l’adhésion en général de tous. Car, si une telle adhésion peut être supposée a

LY —
priori comme étant exigible, c’est qu’elle repose sur un principe commun à tous.

ON CHE
Or, ce principe est celui de l’assentiment, à ce point influent que l’accord de chacun serait susceptible de résulter
d’une diversité de jugements portant sur un même objetesthétique, lequel se trouve en puissance d’inclure et de
subsumer un cas particulier sous la généralité de son concept 12, sans toutefois au départ le déterminer. Or, une telle
condition ne saurait prévaloir, sauf si la substance du jugement de réflexion existe avant la formulation du concept qui

ES ER
est de son ressort propre, sans toutefois exclure la possibilité que cette opération se produise subséquemment dans le
jugement. Ainsi, l’ordre transcendantal de l’esprit veut que, de la même façon qu’un sentiment est présent
implicitement dans tout jugement, un jugement est associé implicitement à tout sentiment.

OS H
RP EC
Le principe grâce auquel l’accord ou l’assentiment se réalisent émane du sens commun (sensus communis), que les
êtres humains ont en partage et qui juge selon le sentiment dans le libre jeu des facultés de connaître. Il est un principe

PU E R
subjectif qui se distingue de l’entendement commun, qui est lui aussi un sens commun, mais qui n’engage pas
l’intégralité du sujet moral pour en rester uniquement au plan strictement théorique du sujet conscient. Il juge
objectivement selon des notions qui, existant à un stade pré-conceptuel, peuvent cependant ne pas figurer distinctement
à l’esprit sous la forme de concepts 13. Si le principe à l’origine de l’accord est subjectif, l’accord lui-même, qui est la

CH S D
condition subjective de l’acte de connaître en l’absence de tout ajout à l’édifice de la connaissance, ne saurait prévaloir
en l’absence de la possibilité pour le complexe synesthésique judiciaire de participer à la communication universelle,
AR FIN
dans la rencontre de l’état d’esprit et de l’activité de la raison, de la puissance rationnelle passive donc et de sa
réalisation dynamique 14.

Sans le sentiment par conséquent, nul assentiment n’est possible; et sans la possibilité générale pour le sentiment
SE À

de recevoir un aval universel dans la communication, l’accord présupposé par l’assentiment serait seulement fictif et
illusoire. Ainsi, la fondation de l’assentiment général requiert-elle un sentiment commun, dans l’illustration de la
RE T,

dimension éminemment sociale de la communication, en conformité avec l’exemplarité du sentiment particulier,


D EN

suscitant un jugement esthétique qui interpelle nécessairement un sentiment partagé par l’ensemble des consciences
morales, en raison de l’excellence essentielle et de la valeur normative de la raison judiciaire. Si le principe du jugement
est simplement subjectif, il est en même temps admis comme étant subjectivement universel, i.e. ayant la possibilité de
AN M

se recruter une adhésion universelle au même titre qu’un principe objectif 15. La raison en est qu’il se fonde sur un sens
commun, auquel chacun puise dans l’expérience distincte du sentiment éprouvé, lequel comporte cependant un aspect
E LE

suffisamment général que l’ensemble des sujets puisse en revendiquer, pour un objet similaire, la présence dans leur
intimité propre.
US SEU

Tel est, succinctement résumé, le postulat de la communication universelle et directe du sentiment qui effectue la
médiation entre le sensible et le suprasensible: puisque le sentiment, résultant du libre jeu des facultés de la
connaissance, s’enracine dans la sensibilité, il est susceptible de recevoir un discours au même titre que la connaissance
AL EL

théorique; mais puisque le sentiment présent dans le jugement esthétique en vient en symboliser un état transcendant
(v.g. le sentiment de la beauté qui en vient à préfigurer le Bien 16 ), il ouvre sur le suprasensible et anticipe en quelque
ON N

sorte sur la réalisation pratique (inclusive de l’activité poématique) par l’entremise de la loi morale, en tant que la
maxime spécifiant celle-ci selon les conjonctures particulières énonce les conditions de l’effectivité du Bien quant à
RS ON

celles-ci. Le point de jonction réside précisément dans cette exemplarité subjective qui, se sachant idéale malgré qu’elle
soit éprouvée intimement, prétend à l’universalité de l’assentiment autour d’un Idéal esthétique, que la raison pratique
et poématique lui permettra de réaliser, pour celle-là dans la subjectivité de l’action et de la conduite effectives et pour
P E RS

celle-ci dans l’objectivité de l’oeuvre réalisée.


R PE

Ainsi se voit jeté, grâce au jugement esthétique, un pont entre la nature et la liberté 17; entre le système d’une nature
finalisée en vue d’elle-même et de la connaissance susceptible d’en être acquise, et la liberté suprasensible dont la loi
morale en vue du Bien, réalisé effectivement selon les principes de l’autonomie et de la spontanéité, est l’expression
FO E
AG

12 Idem, § 19; AK V, 237.


US

13 Idem, § 20; AK V, p. 237-238.


14 Idem, § 21; AK V, p. 239.
15 Idem, § 22; AK V, p. 239-240.
16 Idem, § 59; AK V, p. 351-354.
17 Idem, Einleitung, § III; AK V, p. 176-179.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 4 de 302 ...


PREFACE

exemplaire dans la conduite et dans les réalisations de chacun. Car l’homme est d’une part un être phénoménal, et à ce
titre, il est la fin dernière de la nature vers laquelle converge la nature dans son ensemble comme illustrant un système
des fins 18, et d’autre part, il appartient à l’univers nouménal, ce qui lui vaut de revendiquer en même temps la

LY —
reconnaissance d’être la fin finale de la Création dont le principe est la liberté effective, laquelle trouve son archétype
avec l’Être providentiel de Dieu. Parallèlement, le droit devient l’évidence extérieure de la conformité de l’être et du

ON CHE
devoir-être, de la nature des libertés potentiellement anarchiques et mutuellement exclusives, se réalisant d’une
manière qui échappe à toute complémentarité, et de la culture de la liberté collective pleinement réalisée et épanouie,
laquelle ne saurait être achevée en l’absence d’une reconnaissance plénière de la liberté subjective bien comprise 19.

ES ER
Or, si le jugement esthétique est avant tout réactif quant à la subjectivité qui en définit pour l’essentiel le terrain
d’action privilégiée, avec la liberté normative des facultés de l’esprit en interaction, il ouvre néanmoins sur la
possibilité d’une action qui, en se fondant sur une prétention à l’universalité d’une subjectivité excellente et exemplaire

OS H
quant à la recherche du Bien que symbolise le Beau, parvient à fonder et à illustrer un sentiment commun, au plan

RP EC
pratique des conduites ou au plan poématique des oeuvres, celui d’un accord et d’un assentiment qui sont alors
révélateurs d’une confluence des coeurs et des consciences. Par ailleurs, si c’est le jugement esthétique qui réussit à
unifier entre eux les jugements théorique et pratique, rien ne laisse supposer au départ que l’un serait prioritaire par

PU E R
rapport à l’autre. Or une telle priorité est supposée, dès que l’on établit une hiérarchie entre les facultés de connaissance,
pour conférer à certaines de celles-ci, et principalement à la raison, une supériorité sur les autres.

CH S D
La présente thèse illustrera en quoi une telle priorité est nécessaire à la compréhension de la théorie
esthético-morale de Kant, alors que celui-ci accordera une primauté à la fois au pratique sur le théorique et à la raison
AR FIN
sur le sentiment, laquelle ascendance assurera à la fois l’éminence de la moralité à l’intérieur d’une compréhension
unifiée de la raison et un statut transcendantal au sentiment que fonde l’omniprésence de la finalité pour une
intelligence dynamique de la nature. Or le point d’intersection qui réunit la raison et le sentiment engagés dans leur
relation adéquate et complémentaire au monde appartient au champ esthétique, lequel associe l’objectivité du monde
SE À

empirique à la subjectivité du processus rationnel et requiert, pour en extérioriser le produit, une intégration
harmonieuse de toutes les facultés rationnelles, en vue d’un Idéal que fondent les trois principes transcendants — la
RE T,

Beauté, la Vérité et la Bonté — et qui satisfasse à leurs exigences respectives et corrélatives.


D EN

ANALYTICAL TABLE
AN M

Preface
E LE

The three challenges presented by an understanding of the Third Critique. — The analogy
between an epistemological judgement and an aesthetical judgement. — The aesthetical judgement
US SEU

as both subjective and a priori. — Epistemological and aesthetical judgements as analogs. —


Comparison between the epistemological and the analogical judgements. — The unity of the KU as
reconciling objectivity and subjectivity. — A theory of judgement may not ignore the heteronomy
AL EL

of nature. — The originality of notions such as feeling, life, purposiveness and system for the
thorough understanding of judgement. — The uniqueness of judgement as relying upon the
ON N

imagination. — judgement as reconciling the powers of knowledge (the understanding and the
imagination) through harmony and feeling. — Reflection as the power behind this synthesis. —
RS ON

With allowing for possibility, the notion of judgement of the KU amplifies upon and surpasses the
same notion as present in the KRV. — judgement as the power to invent concept and images. — In
P E RS

judgement, the powers of knowledge exist in a relationship of mutual complementarity, through the
postulate of universal communication. — An essential teaching of the KU: no representation exists
R PE

without feeling. — It is the aesthetical dimension of reason which deals with the latter principle. —
The relationship between representation and feeling is founded upon an a priori principle, which
FO E

supposes the possibility of grounding universal assent within subjectivity . — The sensus
AG

communis as the seat of universal, subjective assent. — Feeling as founding the possibility of
assent. — Feeling as the nodal point between the sensible and the supersensible. — The
US

18 Idem, § 83; AK V, p. 429-434.


19 IAG, Vierter Satz; AK VIII, 20-21. La thèse de l’insociable sociabilité des êtres humains [die ungesellige
Geselligkeit der Menschen] énonce le paradoxe grâce auquel l’humanité peut espérer atteindre à une
constitution politique et civile parfaites et ainsi parvenir à s’extraire de l’état de nature pour accéder à un monde
qui soit le meilleur possible.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 5 de 302 ...


PREFACE

reconciliation of nature and freedom within humanity: the point of convergence which realizes the
ultimate purpose of nature as a system of ends and of Creation as illustrating absolute freedom. —
Right as reconciling externally the natural and the cultural beingness of humanity. — Aesthetic

LY —
judgement as the faculty in which originates the possibility of the sensus communis. — Kant’s
aesthetico-moral theory as implying a hierarchy of the powers of knowledge. — The two

ON CHE
heautonomic principles ensure the eminence of morality within unified reason and the
transcendentality of feeling based upon the notion of purposiveness, as being legitimate requisites
for a dynamic understanding of nature. — The aesthetical field as reuniting the faculties of reason and of feeling

ES ER
as they adequately uinterrelate with the empirical world, in associating the objectivity of the latter with the subjectivity
of the rational process. — The exteriorization of the product of this association require the harmonious interaction of all
the rational faculties as they exemplify an Ideal, founded upon the three transcendent principles — Beauty, Truth, and

OS H
Goodness — and which adequately satisfy their respective and corellative exigencies.

RP EC
*
**

PU E R
CH S D
AR FIN
SE À
RE T,
D EN
AN M
E LE
US SEU
AL EL
ON N
RS ON
P E RS
R PE
FO E
AG
US

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 6 de 302 ...


INTRODUCTION
LIFE AS THE ORIGINAL A PRIORI OF REASON

LY —
«... la réflexion intellectuelle est un moment

ON CHE
du dynamisme général de la vie,
moment à certains égards essentiels
et dont on peut montrer qu’il est lié intelligemment

ES ER
à la solution ou à l’explication de l’ensemble».
M. BLONDEL 1.

OS H
Two opposing ways

RP EC
The problem of feeling is one which, from the strict perspective of the rational and objective discourse of
philosophy, poses a difficulty of such monumental proportions that caution would enjoin the better course of

PU E R
sidestepping it completely.

To illustrate this assertion from a contemporary perspective, let us turn to analytical philosophy and the linguistic

CH S D
turn which it has produced within philosophy in general, through the establishment of an inexorable and positivistic
relationship between the apprehension of the forms of thought and the linguistic and syntactic forms of its expression 2.
Thus, the substitution of a «way of words» to the more traditional «way of ideas» has tended somewhat to obfuscate the
AR FIN
whole area of feeling within the field of philosophy and to relegate this theme to its younger sister science, the discipline
of psychology. The main tendency in philosophy has thereby shifted toward a normative preference for relying on the
forms of transmitting publicly sanctioned, objectively neutral semantic fields, and in so doing has banished the sharing
SE À
of the more private and subjective forms of ideational content, both formaliter and materialiter, as they relate to moral
or aesthetic judgments 3.
RE T,
D EN

It may be interesting to consider that such an intellectual shift may perhaps have resulted from an attempt to
mitigate the particularizing effect which the discovery of the unconscious has had upon the discipline of philosophy,
whose objective sphere of theoretical activity par excellence concerns all aspects of consciousness, as well as to
AN M

preserve a vague historical link with its original sources and orientations, the expression of which belonged to a more
hermeneutic tradition, inherited from Antiquity. The hope therein would be to escape from the normative disposition
E LE

which the more recent anthropological emphasis has produced for philosophy since Kant, in the process which has seen
the premise of infinity, as encompassing the problematic finitude of the phenomenon of humanity, supplanted by the
US SEU

generalization of the principle of finitude to all that is included within the domain of scientific enquiry, inclusive of
mankind. The contemporary philosopher could then evade dealing with the difficulties which a close consideration of
the problem of finitude has engendered, though in the process the question of infinity would not be addressed 4. Yet, the
strict, objective, and universal formality which this defensive orientation has adopted, has led to a problematic of a
AL EL

different kind. The ensuing abstraction, in its inability to extract itself from the deterministic horizon to which it is
condemned following a strict application of the principle of finitude, only leads to a dehumanization of the human
being, through a process of objectification for which all forms of interiority and transcendence find themselves
ON N

evacuated from the public field of discourse. The only exception would be those forms which proceed from objective
RS ON

formal thought, and serve to ground them.

The aim of public discourse is of course to acquire and to propagate concerns which are universally valid with
P E RS

respect to their specific referential domain and therefore to promote a sense of community with which both the author of
the discourse and his audience may adequately identify. The neutral objectivity to which these areas of common interest
R PE

pretend is seen therefore as a means of achieving this sense of universality, through the adoption of a manner which
neither recruits subjective valuations, nor incites to a passionate response on the part of interlocutors. Whenever some
form of subjectivity on the part of the speaker in involved, there exists the possibility of jeopardizing an expected
FO E

universal assent, as a result of the particularization of feeling. The implicit purpose of strictly conveying conceptual
AG

thought would serve the sense of promoting an actual state of social equilibrium, with the discouragement of any
ensuing possible deviation from the essential content of the intended message, whereas an eventual shift from these
US

1 A. LALANDE (2002), p. 1231.


2 M. DUMMETT. The Linguistic Turn. In Origins of Analytical Philosophy. Duckworth. London, 1993. p. 4.
3 P. ENGEL. Philosophie et psychologie. Gallimard. Paris, 1996. p. 37.
4 M. FOUCAULT. Philosophie et psychologie (transcription révisée par les auteurs de l’entretien avec A.
Badiou). In Dits et Écrits (Vol. 1). Gallimard. Paris, 2001. p. 474.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 7 de 302 ...


INTRODUCTION

premises could constitute an eventual amplification and exaggeration, or maybe even a disruption, of the collective
homeostasis. The effective and escalating intensity of the passions aroused within the souls of the audience, which are
inherently characteristic of the reactive dynamic of emotion, could thereby preclude the presence and maintenance of

LY —
an effective intellectual community of minds, through an overwhelming of their receptivity. Consequently, there could
be produced an analogous split in the social fabric, which otherwise the mediating sensible thought had maintained

ON CHE
through uncommitted forms of communication. A concomitant parsing into separate and potentially conflicting
factions would only serve to finalize the detrimental affect of feeling on discourse.

The purpose of a neutral objective discourse is therefore to promote social unity through increasing the probability

ES ER
of achieving a consensus of minds, based upon a form of universal assent which is immune to compromise by specific
forms of subjective and irrational particularism. It achieves this unity through granting an exclusive privileg to the
abstract and asepticized forms of reason over the more specific, empirically conditioned forms of feeling, pervasive to

OS H
any communication which conveys objective experience, in the belief that a community of minds can only maintain its

RP EC
intactness if feeling is denied in the process. The grounds for such a position are that the latter constitutes a potential
contaminant for the fullness of reason, thereby depriving its wholesome and complete exercise. Thus could be thwarted
the achievement of the necessary extensive validity which is required to achieve the endgoal of universal assent. The

PU E R
underlying belief is that such a consensus may only be based upon an objective and disinterested consideration of truth
as dispassionately defined and upon which its undeniable and unshakeable premises may be founded with certainty.

CH S D
Within this purview, the consideration of feeling is set in opposition to that of reason, for which the former notion
then leads to a contentious concept. The perception is that feeling belongs to an irrational or to a non-rational dimension
AR FIN
within human nature and illustrates an aspect of subjectivity which is alien to the purity of reason, whose universal
essence manifests the truth and completeness of the supersensible form of integral abstraction, if not in actuality, then
at least potentially. Should feeling receive some recognition, as naturally belonging to the essence of humanity, and
therefore as warranting the status of a category of being — within Aristotelician philosophy, as belonging to the
SE À

accidental category of passion —, this accreditation may only be received as pertaining to the private and subjective
aspect of consciousness. The ideational content which finds its expression through the private person bespeaks of
RE T,

particular subjective judgments which engage only the private individual and which, by the same token, allow for the
presence of an intimate and inexpressible state within a self-revealing singular individual, rather than it pretends to
D EN

enounce solemn truths, to be universally publicized and ratified by all men endowed with a fully intact, universal
reason. Such a distinction does not of course provide for the possibility of a hybridization of discourse, wherein the
AN M

objective style of communication may be found to deviate from a precise and complete expression of truth, or when a
subjective, emotionally endowed enunciation of content may in fact conform with the precepts of an integral truth.
E LE

Thus, notwithstanding the difficulties which an unapparent falsification of content or a subjectively


US SEU

communicated truth hold for neutral objectivity 5, as detracting from its basic tenets, though not necessarily as in the
second case from its essential intent, or provoking an undesired emotional reaction with the discovery of falseness
where an expected truthfulness were expected to be found, the way of ideas, the private way of formulating and
communicating Ideas which allow for feeling, is «the psychological way par excellence» 6whose originality, in the
AL EL

usual sense of the term, consists in «the appreciation of the subjective, intimate phenomena of individuals» 7.
ON N

Objectivity and subjectivity in public discourse


RS ON

Yet, subjectivity is not to be perceived as generally conveying a univocal concept. In certain contexts, it may refer
to a percept which is exclusive of conceptualization — v.g. the private evocation in the imagination of an emotional
encounter between lovers —, whilst in others, the percept is necessarily inclusive of concepts which the engendered
P E RS

accompanying thought provides — v.g. the evocation through description, either directly in conversation or indirectly
in writing, of the same affectionate meeting, provided for in the previous example —. Thus, corresponding to the pure
R PE

rational objectivity of a universally valid discourse, there exists a pure emotional subjectivity from which a particularly
valid individual and shareable experience may not be separated.
FO E

Furthermore, though rational objectivity, pure and detached, may take on the formal status of a public ideal, being
AG

in principle devoid of any factor which may detract from its pristine truth-bearing nature, it is not in reality entirely
exclusive of feeling and may in practice even be accompanied with feeling, as when a public figure solemnly reflects
upon a painful and trying collective experience, in a fashion which, though rational and universally valid, nevertheless
US

conveys a very high degree of subjective, emotional involvement, with the express intent of doing so 8, 9.

The distinction in this respect is very great, if not extreme, between the exposition of Pythagoras’ Theorem and the
recitation of a love sonnet by Shakespeare, between the illustration in front of a classroom of students in physics of
Clausius’ Second Law of thermodynamics (which may in reality be attributable to Carnot) and the defence before a
court of the innocence of an individual wrongfully accused. Yet the propositions to which these examples refer rely
upon a capacity for discourse and rest upon abstract concepts for their production, thus establishing, though differently

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 8 de 302 ...


INTRODUCTION

for each, the claim to a rational universality under a variety of guises. What in reality distinguishes these examples from
one another is not the claim for objectivity to which they may pretend, but rather the claim for subjectivity which they
implicitly make.

LY —
If Pythagoras’ Theorem or Clausius’ Law may be formulated dispassionately and with complete disaffection, yet

ON CHE
still hold pretense to a claim for objective universality, one would be ill-advised to maintain this conclusion for either a
sonnet from Shakespeare or a charge by Wendell Holmes whose objectivity does not vary with the appropriate infusion
of sentiment, but whose very universality shall increase, as the depth and sincerity of the emotion which accompanies
the conceptual discourse is conveyed through the words which serve to enounce it. In which case, it would seem

ES ER
necessary to acknowledge the possibility for the communication of emotions through discourse, and thus through this
means of a non-rational form of thought which is also universally valid, a hypothesis which the form of a neutral,
detached public discourse, either does not entertain, or discredits a priori as being unworthy of a rational interlocutor.

OS H
RP EC
True, a mathematical or a physical law remains universally valid, whether one assents to it or not. Such a statement
admits to no possible relativization, whether one has the appropriate genius to appreciate its validity or whether one is

PU E R
devoid of the specific kind of intelligence which makes their appreciation possible. Pythagoras’ Theorem applies to
every rectangular triangle as does Clausius’ Law to every instance of thermodynamic disequilibrium, whether one
agrees with these generalizations or whether one refutes them, whether one’s feelings concur with the principles

CH S D
established or whether these be unfairly denied by them. Yet both the theorem or the law are apt to incur agreement only
conditionally, whether rationally claimed or intuitively accorded, i.e. if and only if the conditions of their veracity are
met.
AR FIN
Were one to discover for instance that there exist certain non-Euclidian geometries for which Pythagoras’ theorem
does not hold true, or certain physical worlds for which a true physical neguentropy is possible, then an attitude of
dissent and a feeling of displeasure would certainly be justified in reason. Thus both these non-rational, subjective
SE À

postures are apt to initiate a more accomplished rational stance, in seeking to adequately contain the exaggerated
breadth of generalization of their initial pronouncements, and of the application which may be effected of the resultant
RE T,

principles. Thus the pretense to a universal validity may be recognized for what it is, as expressing a validity which may
D EN

merely apply to extremely broad but by no means universal conditions; and which, though posing as a universal
statement, merely characterizes a totality. In which case therefore, the non-rational dimension of reason would
accompany a judgment which perceives a discrepancy between the claim to universality and the reality of merely
AN M

signifying a totality, however generalized and extensive the latter may be (though forever falling short of characterizing
a universe).
E LE
US SEU

5 In a true neutrally objective discourse, there appears in fact a tradeoff: in the attempt to escape the risks of
providing a content which may become emotionally sensitive, the choice may be to propose discursive
material, whose neutrality stems from the remoteness of its substance. thus removed from the immediate
preoccupations of the audience. This is achieved, either through a lofty abstractionism or the exposition of a
AL EL

generally dull and uninteresting thematic, the presence of which sacrifices the principle of the effective
significance of the discourse to the principle of objectivity.
ON N

6 «la voie psychologique par excellence» — P. ENGEL. Loc. cit.


RS ON

7 «l’étude de phénomènes subjectifs ou relatifs à l’”intériorité” des individus» — Idem, p. 59.


8 Lincoln’s Gettysburg address, pronounced on the 19th of November 1863, is a prime example of this
P E RS

synaesthetic complexity, in the association both of profound ideational content and strong emotional valence.
9 Maimon’s distinction between subjective truth as a truth which a particular individual recognizes and an
R PE

objective truth, which any rational individual in general must recognize (S. MAÏMON. Versuch über die
Transzendentalphilosophie; GW II, 151-154), may reveal itself productive in bridging the gap between private
discourse, based upon the free exchange of ideas, and public discourse, which through the use of words, seeks
FO E

to incur universal assent to the thoughts enounced, or at least prevent the rejection of established forms of
AG

discourse, for which some previous form of general concurrence exists. § Though subjective truth may indeed
reflect both a logical truth and a metaphysical truth, a critical threshold must be crossed for it to receive the
status of truthful objectivity, i.e. the recognition of at least another (rational) consciousness, the presence of
US

which testifies to a common rational nature and to shared forms of thinking. In the latter case, truth proceeds
from an adequate subsumption under the categories of the understanding (which for Maimon are not identical
to those of Kant), whereas in the former case, epistemological validity stems from the activity of the
understanding in conformity with its own laws, in obedience primarily to a form of internal consistency which
expresses merely a formal reality, a movement within reason for which the principle of non-contradiction is the
ultimate guarantor. § Whether public discourse does satisfy a priori the criterion for receiving universal
recognition or whether it merely sets the stage for the expression of subjective truths susceptible of receiving

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 9 de 302 ...


INTRODUCTION

Yet, is also true that the claim to universal validity which a classic love poem implicity makes, when it reflects
upon and reveals a genuine feeling, rooted in the emotional essence of humanity, or which a judicial charge
ostentatiously carries, as it exposes truthfully and argues forcefully in favour of the irrefutable innocence of a man

LY —
wrongfully accused, obtains essentially and necessarily and proceeds de jure from the fact of their presence, in the face
of disagreement or dissent, albeit for altogether different reasons. In the case of a scientific precept, the stated law or

ON CHE
theorem applies to a class of objects as they generally exist within a specified universe — rectangular triangles in an
Euclidian geometrical plane; empirical objects in a physical world where a disequilibrium in physical states, from rest
to motion, signifies a decrease in energy potential —; in the case of an instantiated event however — for instance, the
sincere love of two beings for one another; or the authentic innocence from wrongdoing of an individual —, the

ES ER
principle which the situation describes applies to particular subjects in a specific context following precise, though
analogously generalizable circumstances.

OS H
Thus what is susceptible to receive universal validity is not an objective, recurrent law, i.e. a law for which the

RP EC
occurrence and predictability of occurrence are objectively ascertainable, but a subjective law, i.e. a law for which the
criterion of truth may only be subjectively inferred, as it refers to the inner disposition of one or a set of individuals
relating to, and interacting with, each other or other beings, inert or living, within a distinct time-space continuum,

PU E R
under original and perpetually changing circumstances.This does not preclude however that it be positively asserted as
susceptible to verification by a mutuality of feeling, which is sensed and acted upon as such, through a process of
identification of a common nature which has at all times constituted an underlying presupposition, for the proper

CH S D
understanding of the social nature of human beings, and the possibility of sharing in a meaningful way a thought content
which, though relevant to a common experience, would otherwise remain private and unexplained.
AR FIN
In the case of scientific principles, both the validity of the perceived rule and the validation process are abstractive
of individual consciousness and sentiments and rely upon an objectively shared outer sense, to which they both refer; in
the case of subjective principles, validity and validation both rely on an intimate inner sense. Thus the validation
SE À

process rests upon hypothetical factors (due to the nature of intimacy whose immediate experience in consciousness is
inaccessible to the outer senses) for which exists a confluence of intellectual and emotional elements, present within a
RE T,

common inner sense, whilst simultaneously appertaining to the framework of a socially and historically determined
though perpetually evolving process. Furthermore, the perception of truth relies upon a subjective impression and the
D EN

probability of its presence, based upon a particular historical knowledge (that of a conjunction grouping specific,
original natures and circumstances) and on the intimate belief in the full adequacy and inalterability of this conviction.
AN M

The fact that the changing nature of the process may only underscore the gestation and the appearance of distinct, novel
situations argues for the mind’s possibility to effectuate generalizations which is founded upon the assumption of a
E LE

lasting, plastic, supersensible (and therefore immediately and empirically unverifiable) substance, whose essence is
common to all living rational beings. In the absence of the premise of a shared consciousness, the possibility of
US SEU

adequately agreeing upon any truth involving the input of a subjective estimation becomes extremely problematic, and
may in fact lead to the radical atomization of the epistemological dimension of the social process, involved in the task of
possibly achieving the pronouncement of an objective truth, upon which any and all rational, thinking beings must
necessarily agree. The end-result would then lead to a position of drastic skepticism, as to the eventuality of obtaining a
AL EL

consensus for an opinion which participates of truth.


ON N
RS ON

such a recognition remains to be established. We may perhaps surmise that, in this process, the principles of
P E RS

tradition and of authority may play a more important role than initially ascertained, in giving rise within free
rational minds, to a recognition which emanates either from history or from social status. Notwithstanding
R PE

these caveats and however fragile public discourse may appear as exemplifying ipso facto the condition of a
universally recognized objective truth, the requisite enunciative form, though expressing in reality merely
subjective truths, may also be perceived as establishing the principles from which may obtain a form of
FO E

universal assent, as well as expressing an underlying belief in the possibility for producing an objective truth, a
AG

truthful enunciation sufficiently forceful to receive a recognition based on the operation of a common sense. §
Such an eventuality would lead however to a greying of distinctions and an overlapping of denotations since as
a result, the common sense from which proceeds the founding of the possibility, within public discourse, to
US

accredit a subjective truth as being objective, would also provide for a subjective truth to be objective previous
to any publicity, since the common sense to which a subjective truth appeals is also present within the
individual consciousness, responsible for its initial formulation. Thus it appears that truth may not remain
satisfied with a formal criterion — a shared common sense —, for it to receive some form of public recognition,
but need also invoke a material principle — the expression of the inner content of thought through the
communicative process —, as well as the epistemological criteria upon which to base an evaluation of its
validity, both in comprehension and in extension.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 10 de 302 ...


INTRODUCTION

The ambiguity of nature


Since Descartes, the criterion of truth is self-evidence, the obviousness which proceeds from the clarity and the
distinction of perception. These attributes reveal two interrelated aspects of thought, its reality as subjectively
perceived and its relational dimension, as capable of producing propositions susceptible of receiving validation and

LY —
therefore of providing a possible ratification of the common sense as belonging to the realm of objective truth.
Notwithstanding this consideration however, most situations issuing from a natural environment, haphazardly evolving

ON CHE
insofar as the human mind may conclude, are ambiguous and indistinct. In order to make sense of these, the mind must
rely upon a capacity to distinguish what is essential from what is merely apparent, within a motley arrangement of
intermingling and often confusing traits which may mimic a variety of contradictory states, while varyingly signifying
one or the other, depending upon the empirical circumstances to which they refer, in separating that which is true from

ES ER
that which only carries with it the appearance of truth 10.

OS H
This is especially characteristic of evolving situations which involve a society of mutually relating animate beings,
as they interact with each other and with their changing environment, whose phylogenic degree of complexity as to the

RP EC
former increases as the organizing principles of the latter become more refined and less specialized, in their ontogenic
capacity to adapt to a greater variety of environments. As a result of the greater number of possible outcomes which

PU E R
ensues from these circumstances, the task of separating the wheat from the chaff becomes progressively more
demanding on the judicial faculty of the mind, involved in its attempt to discriminate essential qualities, those which
produce the greatest (either in quantity or in quality) and/or more durable effect, from merely incidental and distracting

CH S D
factors, those which are merely suggestive of a possibility, which either does not materialize or results in a more modest
realization than expected. Since the contribution of autonomous and spontaneous beings possessing a supersensible
capacity is neither foreign nor negligible to the transformation of the natural theatre, the mutuality of nature and
AR FIN
consciousness further compounds the complexities which underlie the historical movement of nature as it realizes its
open-ended entelechy.

This is due to the ambiguous and multiple possibility of nature as well as that of the form of consciousness as they
SE À

both actively and autonomously interest and relate to a complex diversity of dynamic and interrelated circumstances.
RE T,

What is morally unacceptable in times of peace may become desirable in times of war; and technologies which may be
used destructively in times of war can often be put to constructive use in times of peace. The same metal with which to
D EN

make ploughshares can be melted down and reshaped into swords; and the same peasant who tills and sows his fields
may shake his pitchfork at oncoming invaders. Thus is illustrated, within the confines of the human society, the
plasticity of human morality and of identical, tangible artefacts as they apply to distinct political, cultural and historical
AN M

contexts. Whether this represents an ideal moral situation is surely open to debate, as conforming to a moral imperative
such as the one Kant has deduced 11. Where however morality obeys to more fluid and maybe even conflicting
E LE

principles, one may only reflect upon the variability of conducts and actions, pertaining to distinctive opposite
situations.
US SEU

To further this point still, the confusion may appear even greater when social conditions transform from within the
intimate nature of a society, whose unity is only outwardly preserved as stress and strife, as well as a pervasive rivalry
and disposition to ruse, have come to replace the cooperative and emulative conviviality which optimally characterize
AL EL

peaceful, industrious, and harmonious societies. Within such a disturbed social entity, in which humane qualities
become falsely indicative of personal weakness and whose progressively evident disruption is exacerbated with the
ON N

passage of time, either into internecine factions or a hostile posturing towards its political neighbours, the distinction
between friend and foe becomes extremely problematic, as the effectivity of the foe acquires a greater possibility of
RS ON

success with an accomplished capacity to mimic friendship, just as the weary wariness of the friend may lead one to
conclude erroneously to the presence of a disguised enmity.
P E RS

Since the inner states of love, friendship, and innocence, as well as those of hate, enmity, and self-interest, to
which these examples refer, imply the presence or absence of subjective dispositions for which the external empirical
R PE

manifestations may be incorrectly construed as suggesting the expression, either intentional or mistaken, of an
FO E

10 Nowhere is this better illustrated than in the field of medicine, where a primary symptom, the symptom which
AG

figures prominently in the patient’s complaint, may point to a variety of distinct ailments, whose adequate
appreciation, leading to a clinical decision and to the precise identification of a particular illness, relies upon an
exact analysis of secondary symptoms, as they relate to and interact with particular circumstances.
US

11 Such an apparent relativism may be seen to clash with the universal formulation of Kant’s categorical
imperative which requires that one act according to a maxim, which at the same time may become a universal
law [«handle nach der Maxime, die sich selbst zugleich zum allgemeinen Gesetze machen kann.»] [GMS; AK
IV, 436-437]. For future discussions of the categorical imperative, as it relates to the subject of feeling and its
implications for morality, vide supra in this thesis Chapters I, 39; II, 58-59, 91; III, 112-113; IV, 275-276; and
VI, 371-372.

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INTRODUCTION

altogether different interior state, not only does the possibility become real, of a cleavage between the appearance in the
behaviour and the essence in the subjective experience of the autonomous intent, but also does the status of objectivity
become problematic, in the adequate distinction between that which verily is, and that which merely seems to be. And

LY —
though the problem is profoundly aesthetical, in the mind’s attempt to faithfully relate the externality of an object to its
internal nature — an effort which seems to confirm the assertion that truth essentially characterizes relations between
discourse and thought 12—, the implications are extremely important for existential concerns since the capacity to act

ON CHE
correctly and decisively rests upon the perspicacity to properly and accurately discern that which effectively is and to
distinguish the latter from what may be or even from what is falsely presented as effectively being. For though the
punishment of the truly guilty, a state which defines both the autonomous authorship of an action and the essential

ES ER
nature of an act as being inherently reprobative, becomes a salutary process for any form of imperfect society — on the
essential nature of crime and what constitutes a desirable punishment, there is still much thought and discussion to be
initiated and accomplished, as for a great number of philosophical concepts for that matter —, there exists probably no

OS H
one, save maybe hopefully rare, complicit, interested, and sociopathic natures, to rejoice in or otherwise condone, the

RP EC
iniquitous treatment of the innocent.

And though the clairvoyant appreciation of an inimical, hateful, albeit superficially appealing and amiable, yet

PU E R
crafty foe may not be considered inappropriate, and indeed may be esteemed extremely desirable for deciding upon the
quality of future relationships entered upon with such an individual, we may surmise that no one shall become devoid of
disparagement and self-deprecation, in failing to adequately and punctually recognize he who reveals himself to be, in

CH S D
the highest sense of the word, a true friend, whose loyal, disinterested, and ideally motivated actions find a
correspondence in the intimate experience of feelings of an overwhelming gratitude, which dictates that no level of
reciprocity in kind may be deemed sufficient.
AR FIN
A test for judgment
SE À
Judgment is the eminently comparative faculty which discerns the true from the false. When the object of
judgment is sensate and lifeless, as when the mind is called upon to distinguish between two types of rock or mineral,
RE T,

the implications for an error may reveal themselves of some importance, though they are never as great as when living
beings are involved. Though an expert mineralogist may not escape ridicule or humiliation if he confuses iron pyrites
D EN

with gold, or graphite with diamonds, the consequences are never so impressive as they would be within a contentious
situation, were he, being endowed with an equivalent emotional competence and life experience, to mistake a friend for
AN M

a foe, or to falsely adjudge guilt to an innocent person.


E LE

Both examples illustrate two principles: on one hand the practical limits of objectivity, and even possibly the
exclusive domain of strict objectivity (an objectivity devoid of any non-rational element), to apply merely to lifeless
US SEU

objects, in the consideration of their radically distinct natures, as being separate from those of living, autonomous, and
spontaneous, though nevertheless naturally conditioned living organisms; and, on the other hand, the subjective aspect
of judgment as being itself an exemplification of the supersensible qualities of animate and conscious beings, in their
capacity to experience and manifest sentiency. It is the moral nature of beings however whose sensible dimension
AL EL

escapes neither the scrutiny of perception nor the judgment of observers, in their appreciation of the conduct and actions
which emanate from this nature, which is apt to illustrate the fullness of subjectivity required in distinguishing truth
from falsehood within the supersensible domain. This inclusion is even more relevant when a perceived falsehood
ON N

belies an incipient truth, or when an occult falseness masquerades as an apparent truth.


RS ON

Yet, it is the metaphysical essence neither of truth nor falsehood which comes into question within these examples,
merely the capacity to correctly ascertain their presence, both as proceeding ontologically from the intrinsic
P E RS

subjectivity of complex, conscious, sentient, moral, living individuals, and as illustrating the subjective
epistemological capacity for adequately estimating the qualities of individuals similarly endowed 13. The nature of the
R PE

discerning activity reflects the empirical and essential distinctness of separate individuals in their own right; be that as it
may, it is the fundamental similarities in their internal natures, partaking of the nature of supersensible, moral, albeit
empirically conditioned sentient living beings, which supports a desire for both the adequate recognition in judgment of
FO E

the essence and quality of the intimate nature of the perceived other and for incurring experiences which are congruent,
AG

not only to the content of judgment but also and maybe foremost to the supersensible nature of the rational and sentient
individual. It is this latter congruence which ultimately defines, as to the latter, the inherent value of the particular act of
judging 14.
US

12 MAIMON. Op. cit.; GW II, 147.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 12 de 302 ...


INTRODUCTION

Interiority as an operational analogous notion


The problem lies therefore in establishing the essential criterion which enables the mind to distinguish, on one
hand, the act of fairly perceiving loose and disparate particles of gold contained within a stone and, on the other, that of
adequately discovering and sensing the presence of the true nature of the feeling present in the binding relationship

LY —
between two lovers. The notion of interiority may prove to be useful in ascertaining the act of evaluating both
situations: on one hand, the particles of gold may be said to inhabit the innermost part of the stone in such a way as to

ON CHE
solicit an effort within the mind to discover, hidden within the depth of its inner confines, the exceptionally and
eminently precious substance which proves to be desirable, when distinguished from the otherwise meaningful grains
of rock within which it inhabits. On the other, the mutual, disinterested, and irresistible attraction which emotionally
binds the supersensible soul of two inamorata, even when they are separated, conjures up jointly though distinctly

ES ER
within the bosom of the amorous pair a hidden dynamic potentiality, whose compounded effect in their mind’s eye is to
set each other apart from everyone else as well as to distinguish subjectively the actual experience of being in love from

OS H
every other preceding experience, and maybe even experiences which have yet to arise, were regrettably the love to
flounder from a reciprocally enamoured state. Yet, it must be remarked that the appropriateness of the concept of

RP EC
interiority to the context of the present argument rests nevertheless upon a very loose analogy.

PU E R
For how may one present as being equivalent a materially inert substance which is interior to the indistinct and
common piece of vile matter and a subjectively felt experience which is intimate to the supersensible nature of two
living, dynamic, unique, and spontaneous moral individuals. Furthermore, this experience characterizes their

CH S D
uniqueness in a fashion which, although often defying comprehension from a natural viewpoint, becomes the freely
assumed and shared focal point of their respective emotional lives, to the point of engendering a positive, durable, and
beneficent complicity, both with regards to their present existence and in view of their future, mutually concerted lives.
AR FIN
It could be argued that both experiences refer to a subjective experience, in that a precious object elicits a subjective
experience which is comparable to the kind of experience which proceeds from an emotional attachment to a cherished
person, in acquiring a profound meaningfulness which is present for both in foro interno.
SE À

Notwithstanding that this point addresses the consideration of price as it may become distinguishable from value,
RE T,

two further separate though complementary concepts must be proposed in order to further judicially characterize the
distinctness of the intimacy of lovers, when compared to the subjective experience which a precious material may
D EN

produce: the capacity for eliciting in experience a sense of identification and that of authorizing for a feeling of
sympathy. Both of these rest upon the potential for an intelligent though maybe only vicarious interaction between
involved actors and remote spectators, though nevertheless intent on fully interiorizing the experience of the former.
AN M

Whenever a mineralogist manipulates a rock or a stone, he surely manifests an expectancy through his action, with the
E LE

anticipation that his instrumental involvement with the object shall procure some evidence for the presence of a
precious mineral to which, being met, a concomitant feeling of a joy or satisfaction may become associated. Whenever
his effort successfully meets up with a genuine discovery, a sense of closure ensues. Yet, this achievement represents
US SEU

the limit of the mineralogist’s sentimental involvement with his sample, as there exists no experience of a shared and
reciprocal commonality between himself and the mineral-bearing ore. The purposive epistemological acquaintance
which defines the relationship of his consciousness to the object is purely unilateral: to the active aspect of the
epistemological relationship maintained with the object, there exists no possible mutuality of reciprocity, since no
AL EL

common measure between a living, conscious, sentient being and an inert substance incapable of either intelligence or
feeling may be justifiably discerned.
ON N

No possible area of confluence is perceived to exist in essence between the supersensible nature of a human being
RS ON

and the merely sensible nature of the stone, as concerns those qualities which characterize and define a living being.
There simply exists no common identity, no common ground to establish the existence of a profound analogy of natures
P E RS

between a rock and a human being. For the latter to be able to harbour a sense of identification with a form of opaque,
impenetrable matter, the former would need to harbour a potential for subjective experience; yet, if it is sensed, it has no
possibility for sensing; if it is known, it cannot know; if it is felt, it cannot itself feel. The mineralogist is eminently
R PE

13 For an illustration of the pertinence of this very consideration to Kantian epistemology, vide the concluding
FO E

chapter, p. 260-261, and table VII.2, on page 295 of the Annex.


AG

14 KU, §9; AK V, 219. Kant’s position seems to reprise E. Burke’s, as the following quotation bears out: «We do
and we must suppose that as the conformation of their organs are nearly and altogether the same in all men, so
US

the manner of perceiving external objects is in all men the same, or with little difference. [...] § But there will be
little doubt that bodies present similar images to the whole species, it must necessarily be allowed that the
pleasure and the pains which every object excites in one man, it must raise in all mankind, whilst it operates,
naturally, simply, and by its proper powers only; for if we deny this, we must imagine that the same cause
operating in the same manner, and on subjects of the same kind, will produce different effects, which would be
highly absurd.» E. BURKE. «Essay on the Sublime and Beautiful» (1757). In Essays. Ward, Lock, and Co.
London, n.d. p. 51.

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INTRODUCTION

conscious of a radical distinction existing between himself and his object of study which creates an unsurmountable
boundary between them, a frontier which divides the realm of natural being into animate organic beings and strictly
passive, inorganic matter. No possibility therefore exists for the gemologist to establish a subjective identification with

LY —
his sample and to sympathize in whatever fashion with the thing itself, other than maybe symbolically, whenever
exceptional circumstances obtain. If the rock is hit, it experiences no suffering; if the sample is broken, it does not hurt;

ON CHE
if gold or any other precious mineral is found, it has no feeling.

There exists for inert matter no possibility of any nature to experience any of these states and to acquire an
awareness of them, were there to be even a remote probability over time, for these to be even minutely enjoyed,

ES ER
whenever allowing for the most imaginative of spiritualist projections. To the absence of subjectivity, either rational or
non-rational, which characterizes the nature of simple inorganic matter, the scientist responds with total indifference,
with not the merest shred of a sense of shared identity or commonality of feeling, the possibility for the entertainment of

OS H
which would not even remotely exist, given even the most romantic of scientific dispositions. The knowledge which the

RP EC
scientist acquires is merely objective and expresses a strictly intellectual relationship with his object of enquiry,
characterized by an unemotional, detached, matter-of-fact, routine, and quasi habitual relational stance. Whatever
feeling may transpire from this type of relationship originates within the consciousness of the researcher and returns to

PU E R
the researcher, as a form of fetichism or an emotional projection of a different sort (as maybe satisfying the stuff of
dreams or perhaps as idiosyncratically representing to consciousness the only thing worth striving for). Only if there
exists the possibility of a non-reificatory relationship between himself and another living being, founded on the shared

CH S D
sense of experiencing a capacity for sentiency which finds its ultimate expression whenever a fellow human being is
involved, may one entertain for the rational mind of the ordinarily detached scientist, to eventually experience the
sincere, mutually reciprocal sharing of thoughts and feelings.
AR FIN
The subjective experience
SE À
For the subjective experience of a conscious identification and a felt sympathy to be present, there must exist a
priori a possible mutuality of minds and feelings, the effective and real expression of which occurs through the different
RE T,

forms of communication. And whenever the conscious mind is called upon to reflect upon a situation which belongs to
its immediate experience and opine about the subjective disposition of another, present within that same experience and
D EN

sharing its many aspects in an analogous fashion and from a similar perspective, this activity becomes possible only
through a meeting of individuated subjective natures which the shared sense of a common nature makes possible, and in
AN M

which the presence of the dual, conjoined, and complementary process of identification and sympathy becomes
operant.
E LE

The act of identification involves the recognition of a common supersensible nature which underlies any and all
US SEU

individual differences. Whenever these are present, they are sensed as variations, not of nature, but of degree; not of
essence, but of accident. Through the state of sympathy, there exists a projected confluence of minds and souls within
the subjective sense of being. This is accomplished through a special form of the sensate imagination and leads to an
implied ascertainment as to the presence, the general nature, and the content of another’s subjective state, which known
AL EL

singular dispositions acquired with past experiences shall hypothetically illustrate. This knowledge is based on one’s
own positive experience, as subjectively internalized under identical or more frequently similar circumstances,
conditions, and inner dispositions, whose objective cognizance rests upon a proper disinterestedness within the mind
ON N

and the possibility of experiencing a universality of feeling within the soul, a disposition which is present within the
RS ON

purview of the universal judging mind, and demonstrates the capacity for kenosis, the ability to graciously abnegate
from oneself in order to accomplish the total identification with and recognition of another’s positive or negative
singularity.
P E RS

Succinctly put, the process of identification and sympathy, subjectively operant within the empirical meeting of
R PE

supersensible natures, results in the sentiment as to the presence (or absence) of intimate, supersensible states (v.g. love,
friendship, innocence, good faith, etc.) experienced for a significant other, even despite the apparently conflicting
evidence to the contrary, and acts from the principle of a common nature. For such a state of evidence to be recognized,
FO E

the distinct other is considered as if he were an exemplar of the self through the subjective referral to an intimate
AG

common sense. Thus the other is provided with some form of social significance, in acknowledgment of the fact that
separate individualities are involved, and the mind extrapolates disinterestedly as to the state and supersensible matter
of another’s subjectivity based upon its own, as it relates to real or hypothetical experiences, either identical or similar
US

to the ones encountered by the perceived other, which the sensate imagination again makes present.

Thus it occurs that one’s own personal inclinations and dispositions, as well as one’s numerous particular
experiences, may help to establish, through the recognition of a common nature conjunct with a virtual meeting of
subjectivities, through the process of identification and sympathy, whether or not, when faced with inconclusive or
distracting evidence, there exists (or does not exist) a probable ground for recognizing in another, what would be
present within one’s own inner subjectivity, were one faced with identical or similar circumstances and conditions.

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INTRODUCTION

Two interrelated conclusions immediately result from this principle of a mutuality of minds and feelings, a
complex conjunction which the term Gemüt renders well in the full richness of its ambiguous denotation 15, 16, within
the subjective appreciation of individual circumstances which another endures: first of all, that it is the plenitude of

LY —
subjectivity upon which lie the adequate perception and the fairness of the ensuing judgment in relation to the perceived
other; and secondly, that two interwoven aspects comprise the most comprehensive notion of subjectivity, i.e. a fullness

ON CHE
of experience and a capacity for effective empathy, the latter being the projection of one’s subjective disposition into
the particular circumstances which have impinged upon another’s subjectivity, as if the latter were his own, in order to
decide as to the nature and quality of his subjective experience, with regards to all possible desirable subjective
experience, which the supposition of a common nature may, in imagination, reasonably obtain.

ES ER
Consequently to this understanding, we shall have a confirmation that a true objectivity is founded upon this
completeness, in its attempt to appreciate situations, whenever actively involving the participation of the supersensible

OS H
nature of another. Without a fullness of subjectivity, one may not pretend to achieve an adequate and complete

RP EC
understanding of events, involved in the interaction between autonomous, sentient, and spontaneous supersensible
minds and an infinitely diverse nature comprised of living organisms, manifesting progressively differentiated complex
and refined forms of life, as well as inert matter, whose manifoldness exceeds even that of the living biosphere.

PU E R
Furthermore, this conception constitutes the ipso facto admission to the existence of an uneven mutuality between, on
one hand, the active supersensible mind, reflecting and sentient, whenever it is engaged in relating purposively, though
in a disinterested kenotic manner, and on the other, matter which is passive, unresponsive and totally conditioned. It is

CH S D
this subjective and supersensible dimension of consciousness which is at the heart of the unifying intellectual process
through which the world becomes objectively thinkable and without which the very possibility of matter would in
effect be inconceivable.
AR FIN
Yet, inert objectifiable matter represents only a partial totality of the intellectualizable universe within which, at
the delineating point between the geometrically complex though lifeless crystals and the living, organically
SE À

complex,though parasitic virus, capable merely of reproducing, there is a mysterious and astounding leap which defies
the probability of an expected continuity and propels the mind into a distinctly different world, one in which matter,
RE T,

having acquired the mysterious force or energy for expressing autonomy and manifesting spontaneity, becomes
progressively spiritualized (within the perspective of a serialized time continuum), following the unified and
D EN

coordinated principles of autonomy, intelligence, sentiency, and spontaneity.


AN M

The experience of universality


E LE

To adequately comprehend the universe is to accomplish an act which is capable, not only of perceiving the
originality of totalities, but also of capturing the process and possibilities of interrelationships as they evolve
US SEU

dynamically and creatively, in the mind’s movement to discover their special originality. It therefore recognizes that the
universe unfolds with the production of a movement whose effect illustrates a paradoxical complexity. Though
exemplifying entropy from an ontogenic perspective, the relational universe is also capable of neguentropy from a
phylogenic point of view; though expressing a localized destructive capacity on selective surroundings, it also
AL EL

illustrates a capacity for transforming and refashioning nature; though impassibly and instrumentally objectifying,
through knowledge and action, things present to the mind as unfolding within the imaginable scope of their possible
effectuality, it is also apt at establishing bonds and ties which protect, nurture, share, educate, cooperate with and
ON N

generally co-exist with significant others 17, present within the diverse populations of the biosphere. This is
RS ON

accomplished in accreditation of a mutuality which is suggestive of, and intimately experienced as, a reciprocity based
upon a dimension whose manifestation and expression are available to the senses, yet whose possibility defies the strict
conditions appertaining to the plane of sensibility and projects the mutually shared consciousness of its reality into the
P E RS

realm of the supersensible.


R PE

15 In the XVIIIth century, this concept has a variety of meanings and may denote, as well as the thinking capacity
FO E

of the mind [animus, mens], the feeling capacity of the soul [Herz, Mut, Seele]. Originally, the term refers to
AG

that which constitues the inner dimension of the subject, as distinguishable from the body [unseres inneres
überhaupt im unterschied vom Körper oder Leib], and even more generally the unified inner being of the
person [die Einheit unseres inneren]. It is this holistic point of view which our thesis shall attempt to convey in
US

its many approaches to the philosophical significance of feeling for the integration of Kant’s theories, be they
contained within the purely rational, the practical, or the poematic spheres.
16 The etymologies have been extracted and derived from the following sources, respective to language: GRIMM
(2004) for XVIIIth century German; GEORGIN (1938) and LIDDELL and SCOTT (1901) for Ancient Greek;
and GOELZER (2001) for Classical Latin. All Greek translations are taken from Georgin, unless otherwise
specified.

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INTRODUCTION

The supersensible realm is essentially known through experience yet its very nature defies knowledge and
understanding. Its horizon is progressively expanded as individual experience becomes more diverse in its objective
extension and more profound in its subjective intension. The intricate complex of objective relations with the

LY —
surrounding world and subjective relations within oneself defines the universe of possible experience to which the
mutuality of subjective minds refer, in apprehending the intangible yet real domain of living beings as they interact

ON CHE
intelligently and intelligibly. The subjective experience of affecting and being affected by the naturalness of others,
immediately through socialization (which their conduct and communication define) and through the mediate
exteriorization of their acts (which their deeds and works produce), becomes the halmark of an individual presence to
the world, one which an anthropology and a sociology of Mankind attempts to objectively construe.

ES ER
The perception of universality therefore involves a balanced intermixture of objectivity and subjectivity in their
reciprocal interaction within consciousness, as the latter becomes immersed within the natural world, in complete

OS H
recognition of an analogous, complementary complex within the consciousness of other rational beings, equally though

RP EC
differently situated within an empirical context which provides for it a progressive definition. The epitome of this
conception finds its expression in the phylogenic species of Mankind and the ontogenic being of Man: such that the
greater the completeness of either and both, objectivity and subjectivity, within the consciousness of the individual

PU E R
person, the greater the possibility for this subject to have attained a higher form of cosmic intelligence and to have
evolved a corresponding capacity to subsume individual experience, that of oneself as well as that of others, under the
principles of an accomplished intellectual universality.

CH S D
Thus, the component sentient subjectivity and intellectual objectivity of the supersensible subjectivity of
AR FIN
judgment, both reflect, with rational experience, a dynamic purposive interaction of consciousness with the world in
view of learning and acting (the objective dimension of the former), as well as a capacity of establishing reciprocal and
cooperative social relationships between conscious beings in view of analogous purposive aims (the subjective
dimension of consciousness). Thus, it may not pretend to attain completion in the absence of either the objective or the
SE À

subjective dimensions of consciousness, nor may it defend its completeness with the concomitant underdevelopment of
either the objective or the subjective spheres, as a lack of this nature reflects either an underexposure to pertinent and
RE T,

significant experience, a deficient capacity specific to a particular individual nature, an inadequate commitment to fully
realize an innate potential, or a combination of these three aspects.
D EN

The fullness of subjectivity


AN M

Furthermore, in the same way that the purposive experience involving non-sentient empirical natures recruits the
E LE

objective epistemological faculties of consciousness, a purposeful experience involving a mutual and reciprocal
interaction between sentient supersensible natures is founded on the subjective epistemological faculties. The greater
US SEU

the subjective experience previously acquired in consciousness, both from an individual perspective and within a
society of congeners, engaged in an intensive and completive mutuality, the greater the asset to the faculty of judgment
in reflecting upon present experience and eventually subsuming the latter adequately under the Idea of universal
experience. Furthermore, the greater the plenitude of subjectivity in its appreciation of an experience in which the
AL EL

subjectivity of other conscious, sentient beings is involved, the greater the asset to judgment — a subjective faculty
from the point of view of its development in attaining completeness within theoretical understanding — in the adequate
and full, though merely implicit, intelligence of the subjective dimensions, constitutive of the conscious purposive
ON N

activity of distinct others, in their relationship to the real and concrete world of nature.
RS ON

If the fullness of experience is generally a necessary condition for the plenitude of subjectivity, it is not in itself a
sufficient condition as two other factors are involved, in the process which brings about an entelechy of the mind: both
P E RS

the capacity to identify, and the ability to sympathize with other conscious, sentient, living beings as representing
analogous selfsame beings, i.e. living beings partaking of a common universal nature. Both these powers rely on the
R PE

inner sense that every living being communes with and shares within a similar nature, though from two distinct yet
complementary perspectives: the objective perspective of a sensate knowledge of the other as being similar in nature to
FO E
AG

17 The notion of significant other may pose a difficulty as the usual psychosocial acceptation refers in a limited
sense to those individuals who inhabit a viable habitat and with whom strong emotional bonds and attachments
have been formed. Since however the point of view adopted in this dissertation is universal in scope and
US

involves a form of spritual consciousness in its own right, we shall employ the term in the broader acceptation
of any living individual, and even more especially so, of higher-order living beings (sentient and/or rational)
who, being engaged along the path of life, holds significance for every other as possessing a common nature
and the dignity corresponding both to the transcendental possibility of freedom and to the degree of
commitment in striving towards an adequate realization of this general nature through his own particular
nature. A future discussion of the second and third forms which the categorical imperative takes [GMS; AK IV,
421, 425, 429] shall make this principle clear.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 16 de 302 ...


INTRODUCTION

oneself, though expressing in his singular person an individual and integral difference from oneself; and the subjective
perspective of attraction to, or repulsion from, that which constitutes the true originality of the individual other, as
building upon a common nature however. Within the social experience, this amalgam of subjectivity and objectivity

LY —
within the mind as constituting an implicit motivating social element is further complicated by a possible lack of
mutuality, wherein the full awareness of another’s individual being, as a perceived entity susceptible of eliciting

ON CHE
sympathy or antipathy, only meets with a different or an incomplete sentient awareness in the other. The ensuing result
produces conflicting identities, unrequited desires, and asymmetrical relationships, or the possibility for an occurrence
thereof, either separately or in combination.

ES ER
The perspective of consciousness possesses both an objective and a subjective potential in its universality, that of
respectively conceiving totalities as the integral part of a universal whole and that of relating to these totalities in a
fashion which corresponds to the nature and the quality of the fit as realizing this whole. Yet, within the twofold

OS H
dimensional aspect of the mind, the mutuality of a distinct plurality of consciousnesses, analogously thinking and

RP EC
feeling through diverse yet similar natures, while at the same time belonging and contributing to this whole, gives
standing to the individual differences within a collectivity of similarities as essential to the true constitution of a
universality properly understood. However distinct from each other, and opposite to these, sensed perceptions and

PU E R
sympathies may be at the outset, these find themselves inscribed within a movement toward an undefined and
indeterminable term, whose realization is dependent upon the appropriate congruence and mutuality of the perceptions
of a self wholly inclusive of others, as well as an adequate sympathy toward the latter.

CH S D
The appropriate perception of a congener, as reflecting a conscious, sentient being involved in a historical
AR FIN
movement toward the perfection of an undisclosed yet generally foreseeable though precisely indeterminate end, rests
upon the possibility of accomplishing a disinterested projection of identification. Such an action results in the
perception of another as one senses he would like to be perceived, were he to be adequately, i.e. justly and fairly,
perceived. This perception would be of a self extant in his own integral right, both as to his actuality and to his
SE À

possibility, as seen through the eyes of the disinterested yet universal consciousness of another.
RE T,

As for an adequate sympathy towards the same connatural and historical individual, this disposition also rests on
D EN

the possibility of accomplishing a disinterested projection of feeling, as sympathizing with another in a special manner.
This condition is fulfilled, whenever one senses the sympathy the latter would like to elicit and receive, were the
sympathy he receives as a self, under the guise of the unconditional love, emanating from a disinterested yet universal
AN M

being, for the esential self which he instantiates in reality, i.e. actually and potentially. Such a feeling is therefore
expressed with regards to the undetermined yet foreseeable objective end which the concept of universality implies
E LE

within its essence, both intensively and extensively, as also inclusive of the essence of the distinct other.
US SEU

We may therefore formulate the principle that a complete appropriateness of perception, engaged in a
complementary conjunction with a plenary adequacy of sympathy, constitutes the plenitude of subjectivity, inasmuch
as both intimate activities achieve effectiveness, both as separate entities and as involved in a mutual, conjoined form of
interaction. For such a projection to be conceivable, both in thought and in feeling, one must invoke the presupposition
AL EL

of a common sense whose ultimate expression lies in a form of universal consciousness, inclusive of the self, of all
things inert and living, and of all others as representing distinct selves in their own right, whose participation within an
ON N

all-encompassing whole is accomplished harmoniously towards a foreseeable yet indeterminate end. An end whose
very possibility renders it foreseeable yet indeterminate; an end whose indeterminacy is predicated upon a conjunction
RS ON

of factors, the production of which remains problematic, as it rests upon an as-t-yet inactualization of effects.
P E RS

Life as the a priori condition of subjectivity


Since it follows from this argument that the effective accomplishment of subjectivity, as well as the wholesome
R PE

completeness of objectivity may only describe, in their ontological reality, the perfection of a universally conscious
being, as both existing and acting, one may not, from a strictly human perspective consider this universal and absolute
perfection as anything other than an Ideal worthy of the most intense striving, yet only relatively attainable as the
FO E

utmost possibility of a supersensible yet conditioned being.


AG

On the one hand, the fullness of experience finds a correspondence in a capacity for realizing a complete empathy,
i.e. a sympathy realized on an analogous basis, as proceeding from the adequate identification, in thought and in feeling,
US

with a connatural other who realizes through his own individual identity, a common universal nature to which however
the autonomous and spontaneous individuality is irreducible. On the other hand, though the moral subject realize the
principle of transcendance, he may only of his own power do so incompletely and relatively, since his spiritual nature
allies with the constraints of sensibility, only to be conditioned by that which limits his immediate capacity for both
knowledge and sentiency. More specifically, knowledge becomes contained within the horizons of experience and of
history, and expands, though never absolutely, the potential of the individual inscribed within a sociological
continuum; and sentiency is informed by wants and needs, by desires and drives, and by hopes and fears, whose radical

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 17 de 302 ...


INTRODUCTION

denial through absolute non-being would result in the negation of the very capacity upon which is founded the power of
both sentiency and knowledge, of subjectivity and objectivity. This fundamental and original power from which all
autonomous power emanates and to which it returns is the power of life itself.

LY —
Life is the alpha and omega of being: without life, being has neither reality nor meaning, both of which

ON CHE
possibilities may be entertained only if they proceed from a living consciousness, either creative or hermeneutic. From
the principle and the cause of life proceeds the act of life which in turn both provides life and provides for life.
Consciousness, thought and feeling are expressions of life, as are conduct and action, as well as creation and
destruction. From both the principle and the act of life emanate individuality, collectivity, experience, history, culture,

ES ER
right and might, monuments and institutions, whose forms implicitly and intrinsically idealize the perfection of life as
the necessary end and means of their existence, maintenance, and perpetuation.

OS H
Individuality as the monadic generation, preservation, sustenance and endurance of life through the paradoxical

RP EC
state of a conditioned autonomy, appropriate to a supernatural and supersensible existence, internalized within a
subjective mind, realizing a conjunction with the physical world; collectivity as realizing its social aspect through the

PU E R
social and teleological principles of concertation and cooperation and through the increased potentiality of individual
capacities as well as the proliferation of a manifold of possibilities for their development; experience as both a sense of
participation in, and contribution to, the movement of life as well as the conditioned setting into context, within the

CH S D
primitive and/or civilized nature of individuals as well as the forms which instantiate collective knowledge, values,
inclinations, dispositions, aspirations, hopes, and concrete intentions; history as the socially generated matter and the
transmitted collective forms which the memories of life receive, as they express the different tendencies of its
AR FIN
instantiation, manifest in its appearance, evolution and progression through the multitude of events, circumstances, and
peripeties which inhabit and shape its unfolding; culture as the cherished customs and ideals of various and distinct
collectivities as they identify and ensure the quality of the duration and the perpetuation of the social identity of its
individual members; right as it defines the socially sanctioned obligations and conduct of individuals or aggregates
SE À

thereof; might, as these are publicized and enforced; monuments as the concrete evidence of the spiritually inspired,
purposeful activity of encultured and rightfully governed societies; and institutions as purposive, collective subsets,
RE T,

determined in space and limited in time, constituting the manifestations of a society’s hierarchical ordainment and
perennial movement, in their growth, apogee and decline, though it be itself enclosed within geographical frontiers and
D EN

historical milestones.
AN M

Universality is itself devoid of significance in the absence of life, whose very real possibility is the necessary
condition for all realization and all being, as these are the repository of the actuality and the possibility of life itself, in its
E LE

most eminent illustration of the ultimate form which the unity of all existence takes, as it is no less than the principle for
enduring being. Life formally presenting itself under all of its guises is the greatest of all paradoxical enigmas, since it
US SEU

continually manifests itself under a dual nature, that of being a force when active, or an energy when its potential merely
resides within the inoperative intent. The result is that life is conditioned yet autonomous; directed yet spontaneous;
destructive in its transformational and creative activity, yet judicially conservative in its struggle against adverse and
hostile forces; capable of unleashing terrific power and yet remarkably restrained, gentle, and tender in the face of
AL EL

valued precariousness.
ON N

Life with all of its simplicities and complexities is both the leitmotiv and the purpose of all conscious and sentient
existence, as it expresses the state and the power of self-preservation and self-generation for a natural, moral being to
RS ON

which freedom and morality, freedom as morality realized, morality as freedom actualized, dictate above the
contingencies of the natural world and beyond. Thus life is worthy to be cherished and treasured as the most valuable of
natural possessions and yet at times freely though painfully sacrificed by its owner (as in times of conflict) for the sake
P E RS

of life itself, whenever appears the necessity of preserving at all cost the constitutive essence of its substance, i.e. the
inherent purity of its vivifying virtue, as well as the sanctity of the ground upon which this essence may grow, thrive,
R PE

perfect and multiply itself.

Thus feeling appears as the intimate, subjective revelation to consciousness of the movement of life as intimately
FO E

present within individual consciousness, as being the subjectively experienced advocate to awareness within the
AG

innermost dimension of personhood, of that which founds its very autonomous and spontaneous reality. Both the reality
and the meaning of life realize, or at least approximate with the attempt to reach the fullness of their possibility, the
essence of the person engaged in its continuous unfolding, as they proceed from the actuality of the living being into its
US

future life-fulfilling possibility, actually latent though nevertheless rife with promise. This is accomplished through the
preservation and amplification of life’s primordial entelechy in the direction of an unimpeded well-being, whose true
significance can only be met in the completed realization of the wholistic, multi-layered and multi-faceted, nature of the
generic Man, whose very future is predicated upon a harmonious ordainment of his faculties and powers.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 18 de 302 ...


INTRODUCTION

The unifying analogy


An underlying analogy indirectly reveals and offers a solution to the complexity of the problem of nature in which
so many apparently contradictory dimensions beg to achieve an ultimate unity. It is a solution in the absence of which
the single anticipated resolution would have produced an aggregate of dissimilar though co-existent elements, whose

LY —
boundaries initially precluded a satisfactory integration.

ON CHE
For how else may we understand the problem of reconciling the opposing principles of nature within life, of
reconciling non-rationality with rationality, than to propose that there exists a solution of continuity, wherein these
dimensions, which bespeak of the sensible and the supersensible, of the spirit and of matter, blend together rather than
stand out as foreign and antagonistic elements, within the purview of a generally harmonious universe. Thus the latter

ES ER
becomes the sphere within which life and rationality are not only compatible with nature and the non-rational, but are
interdependent with them on a grandiose scale. They may consequently derive sustention from these, while impressing

OS H
upon them the preeminent value of their respective essences for shaping the inform possibilities of inert substances and
blind forces, for curbing and bridling their overwhelming energies, and for providing an adequate and meaningful

RP EC
direction to the dynamic exteriorization which they forcefully and irresistibly impose upon the cosmological world.

PU E R
Analogies, following Kant, express «a full resemblance in certain respects between otherwise wholly distinct
things» 18. Despite their undeniable kinship, analogical reasoning is also distinct from inductive reasoning: on one
hand, both proceed from the reflective power of judgment, in its capacity to produce merely empirical universal

CH S D
judgments and build upon particular exemplars, in the eventual extraction from them of a universal principle; on the
other hand, whereas analogical reasoning yields a specification, inductive reasoning yields a generalization. Thus,
through the process of induction, proceeding a particulari ad universale, the essential attribute of an object is also
AR FIN
construed as belonging necessarily to another object of the same species, thus underlining a common, generic point of
identity within nature, despite a specific distinctness (v.g. the notion of circumference as characterizing both the
otherwise very different geometric forms of the sphere and the cylinder); and with the process of analogy, the essence of
an object is represented as belonging necessarily, under a certain guise, to an object of a totally separate species, thus
SE À

revealing a fundamental resemblance as to an identifiable principle (v.g. the heart as referring both to the essential
organ of life and the fundamental profound intent of an argument) 19.
RE T,
D EN

The analogy which underlies Kant’s attempt to reconcile sensible nature with the supersensible principle of life is
a complex analogy: it evokes a number of possibilities through which to arrive at the presupposition of an unknown
X-factor, based upon the logical principle which forbids that the analogy produce any conclusion beyond the tertium
AN M

comparationis 20, in contradistinction to induction whose progressive evolvement may yield an indefinite number of
E LE

conclusions. Through the analogical juxtaposition of a contraposition of analogical terms, nature with life and living
beings with rational beings, which defines the essence of a second-power analogy, an analogy of analogies of sorts,
there appears the possibility for extracting a principle which has the advantage of allowing both for the inclusion of
US SEU

inert nature and the concomitant presence of an autonomous entelechy, within a nature for which the teeming of life is
the most significant, if not the only true essential characteristic; within which also some living beings may illustrate, at
the more primitive level, merely the radical originality of sentient life while others present, at a further advanced stage,
the added and no less significant departure of the perfection of reason.
AL EL

This analogy we state graphically in the following manner:


ON N
RS ON

NATURE : LIFE : : LIVING BEINGS : RATIONAL BEINGS


P E RS

What is suggested in this meaningful juxtaposition of contraposited analogical terms is a common principle which may
explain a continuity within the empirical world of experience and which evokes an underlying unity, one which would
R PE

be inexistent, were the mind to stumble upon the irreducible distinctness of the genera invoked, though the second term
be separately less broad in extension than the first, on each part of the analogical equation.
FO E

For instance, it may be observed that the concept «Nature» is a much more general concept than that of «Life»,
AG

both of which possess a higher degree of abstraction than either «living Beings» or «rational Beings», with the former
being more inclusive than the latter. Thus there appears to exist, at the semantic level, a certain logical entropy wherein
exists a loss in comprehension in the movement of specialization upon which the analogy proceeds. And yet, though the
US

18 «eine vollkommene Ähnlichkeit zweier verhältnisse zwischen ganz unähnlichen Dingen». PKM, §58; AK IV,
357.
19 LOG, §84; AK IX, 132-133.
20 Idem.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 19 de 302 ...


INTRODUCTION

mind may perceive a depreciation of sorts, that of a dwindling generality, it also becomes clear that the terms in
opposition also reveal a totally different essence of being than originally comprised in the concept of «Nature». It is an
essence which, upon analysis, appears therefore to be somewhat complex in its denotative scope, being inclusive of

LY —
both non-living and living elements, to which belong both living and rational beings, whose specific essence however
is, for both of these, irreducible to that of the preceding substance. Thus reason may not be reduced to life, which is a

ON CHE
concept generally understood as also possessing non-rational aspects; and life may not be reduced to nature, which is a
concept generally understood as also possessing both non-rational and non-living aspects.

Furthermore, the logical entropy of meaning which may be observed is also complemented by an ontological

ES ER
neguentropy as the essence of the genera proceeding from the most general genus of nature seems to gain in a subtle yet
radical refinement and deployment of their specification, although it also incorporates the attributes of the previous
genus. Within this process, two complementary concepts are adjoined to the basic concept of nature: the concept of life

OS H
as revealing a mysterious supernatural dimension which is unexplainable based merely upon material principles and

RP EC
premises; and the concept of reason, an equally enigmatic supersensible dimension, as unexplainably exceeding the
supernatural principle and premises, inasmuch as these have been discovered and enunciated.

PU E R
Such that those possibilities which a subsequent level of perfection illustrates reveal themselves to be inaccessible
to the preceding levels, while generally replicating and transforming their principal material attributes, with the

CH S D
supersensible and supernatural reason exceeding the possibilities of the supernatural life and the latter those of the
merely natural, inert existence 21.

AR FIN
The parallel which exists between the left side and the right side of the proposed analogy may be further extended:
in the same way that nature radically differs from life, though from a different perspective, while nevertheless fully
comprising life, although through an unspecified selective process whose goal is to facilitate its phylogenic emergence
and continuation of life, while not necessarily expressing life itself in all of its elements, when considered from an
SE À

ontologic perspective, the living being radically differs from the rational being, as inclusive of the latter, yet merely
doing so as a substrate; and in the same way that the genus of life represents a significant leap from the broader genus of
RE T,

nature, thus gaining in intension what it loses in comprehension, in the same way the species of rational being improves
D EN

on the species of living being, as limiting the scope and diversity of a totality, while producing a totality whose
supersensible prospective possibility greatly exceeds the more immediate instantiation of life itself, though in a manner
which may not deny, which indeed must rather affirm and confirm, the essence of the latter.
AN M
E LE

The case for transcendence


The point of analogical equivalence therefore resides in the analogical transition from the genus of life to the
US SEU

species of living being, a passage which is not merely logical, but ontological as well. For if the genus of life implies the
possession of a distinguishing principle which sets apart the essence of life from that of inert matter devoid of life, the
species of living being, though constantly illustrating the distinctive principle, is capable also of realizing this principle
for an empirical substance, one which belongs to nature in its sensible precursory capacity of the rational power and yet
AL EL

one which has not yet achieved the determinant refinement of a totally transcendental supersensible being.
ON N

Being able to proceed along a continuum in leaps and bounds is suggestive both of distinction, following a
principle of differentiation (rather than a principle of radical negation), and a principle of projection within time
RS ON

following a principle of continuity. This principle holds especially true if the leap into a new, discrete and more
advanced stage of differentiation does not infirm the preceding stage. Thus it follows that, if the distinctive, irreducible
characteristic of the subsequent stage proceeds in a fashion which conforms both to a principle of continuity and to a
P E RS

principle of differentiation, the formal, efficient cause with regards to the latter process acts upon the material cause of
the preceding stage, in a manner both purposive and completive. As concerns the perfection of this cause, it is either
R PE

immanent, as proceeding immediately or remotely from the succeeding step, through some form of metamorphic
cooptation which incites to a progressive movement in the direction of an end-point; or transcendent, as existing outside
the series of effects, though illustrating a capacity for formally and efficiently producing the latter, both initially and
FO E

immediately. Were the transcendent cause to be the original cause of a series of immanent causes, then the causative
AG

action leading to the observed effects would appear immanent, in relation to the end-result, though in essence, its
ultimate efficiency, although mediated through intermediate causes, would nevertheless be transcendent.
US

21 The clarifying distinction which Kant makes opposes inert matter, as matter per se which is deprived of life,
capable merely of external determination through causation [also ist alle Veränderung einer Materie auf
äußere Ursache gegründet], and the living substance, illustrating the power of self-determination, in
conformity with an internal principle [«das Vermögen einer Substanz sich aus einem inneren Prinzip zum
Handeln»] [MAN; AK IV, 543-544].

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 20 de 302 ...


INTRODUCTION

Since that which lacks in perfection may not transmit that in respect of which it lacks perfection, this being
especially true when its target possesses a requisite perfection which is more complete 22, the efficient cause, purposive
and completive, is of all necessity more perfect than the object of its effect, in providing for the completion of the

LY —
differentiated, gradient continuum, following a principle of continuity in association with a process of differentiation.
Were this cause strictly immanent, however, it would still require an ultimate transcendent cause from which the

ON CHE
ultimate, immanent, efficient cause would proceed, as the principle and agent of perfection for the preceding immanent
cause, else the ultimate immanent cause would be identical to the transcendent cause as both the principle of its own
immanency and that of the transcendency with regards to subsequent causes. This would constitute an impossible
conjecture within the self-contained closure of the natural world, since the very essence of immanence precludes

ES ER
transcendency for itself, while nevertheless allowing for a principle evocative of the possibility of an infinite series of
successive immanent causalities, in defiance of the principle of finitude. Yet, all forms of contingent nature, however
refined and perfected, must of all necessity submit to the latter principle, since they possess a necessary beginning and a

OS H
necessary end, and therefore reveal the essential, inherent attributes of contingency. Thus is affirmed the need for the

RP EC
original transcendent unity of principle and cause for all immanence, whose essence is potentially and actually creative
of nature, since it does not partake of the nature which it transcends and subsumes, and whose perfection is supreme and
unassailable, since it is the cause for all intermediate and subordinate perfections.

PU E R
The transcendent cause is both creative of nature and other-than-nature: its essence is therefore insensible, since
nature, in its relation to consciousness, possesses the attribute of sensibility. It is therefore not a physical, living being,

CH S D
since, though embodying the supernatural principle of life, a physical being is also a sensate being as exemplifying in
the realm of nature the attribute of sensibility. And it may not be a physical, living, rational being since, though
embodying both the supernatural and the rational principle of life and of reason, a physical being is also, for the same
AR FIN
reason, a sensible being. Yet, since life and reason are insensible qualities, though they be extant within the physical
world to which they bring an originality of form, they are not a priori contrary in essence to that of the transcendent
cause. No justification exists therefore for stating that the principle of transcendence, capable of infusing the
SE À
supersensible within the world of nature, must somehow partake of the supersensible quality which it inspires, as a
metaphysical, living rational being 23.
RE T,

The transcendent cause therefore possesses the capacity to endow nature with existence, with life and with reason,
D EN

thus providing for these perfections within its own being — the postulate of a non-existent entity capable of producing
existence would be tantamount to the affirmation of an absurdity —, not only sufficiently, but eminently, as the
AN M

principle and agent of these perfections in all things, with no exception. Furthermore, this ultimate Being must also be
autonomous and possess a will and a desire for accomplishing the good, since the capacity of illustrating perfection
E LE

involves a capacity for realizing the good (with perfection so understood as the supreme illustration of naught else but
the good, since it is also the supreme illustration of the purity of unadulterated being); and specifically, that which
US SEU

illustrates ultimate perfection must also be supremely good, such that it may desire naught else that which is supremely
good and will to realize naught else than the supreme good 24.

And since to act willfully according to desire is to exteriorize oneself, whenever, when actualizing creation
AL EL

through the creative act stricto sensu, being is produced where no such being pre-existed, the living, rational Being,
ultimate and transcendent, is also capable in some way of feeling, of sensing and estimating as good as such the object
both of His desire and of His will, in addition to that which He realizes as such. And since the act of creation and the
ON N

correlative act of conserving creation is the ultimate purpose of His goodness, as being the supreme conceivable
RS ON

expression of His power for accomplishing the good, it is also the ultimate ground of His supreme perfection,
instantaneously and for all time, in all that He integrally is, as a Being unific in existing, living, reasoning, desiring,
willing, feeling and acting.
P E RS

Life as nexus
R PE

It is our contention notwithstanding that the nexus which separates the epistemological Idea (of nature, of life)
from the ontological Idea (of living being, of rational being) represents a quantum leap which eminently illustrates a
FO E

confluence of both immanence and transcendence. It is an amalgamation which proceeds from the very specialized and
AG

22 Supreme excellence being the attribute of that which is the first in its class, it is only by virtue of the illustration
US

of excellence that a being may pretend to having achieved completeness, since excellence is the fullest
expression of that for which excellence has been achieved. For completeness to become a transmittable quality,
it must therefore be present in the transmitter, save in asserting that being may derive from a deprivation of
being, which is other than a mere latency of being. Vide ARISTOTLE. Metaphysics L, 7; 1072a 35-36.
23 Idem; 1072b 25-30.
24 Idem; 1072b 17-19.

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INTRODUCTION

sensible nature of a rational being, although it also solicits the very transcendent faculty of reason, when it makes use of
the specific abstract form of intuition. This act comprises both judgment and the individual capacity to instantiate such
power. Thus reason demonstrates the capacity to transcend the conditions of space and time, within the conditioned

LY —
empirical experience for which these forms prevail. This surpassment is accomplished with the act of reflection, as it
proceeds to invent concepts and principles, maxims and propositions which partake of an unconditioned essence,

ON CHE
through the meaning which they convey.

Thus it may be asserted that the faculty of judgment originates from an unknown power X — both a power to be
and a power to become —, since it is much more than the power to merely reflect upon representations through the use

ES ER
of categories, and since it far exceeds either the capacity to subsume under principles (the determinant judgment of the
first Critique) or the possibility to discover and conceive of universals (the reflective judgment of the three Critiques, as
they are involved in the production of the concepts and principles of the Kant’s critical theory). The essence of the

OS H
faculty of judgment resides in the ability it possesses to relate both its epistemological activity and the innate living

RP EC
ability of the ontological being of which it is the expression, to a process, a technique, a dynamism, a movement, to
which the end and purpose of its mobilization respond and contribute, both intrinsically within the mind, in relying
upon its two basic functions of reflection and self-reflection, and extrinsically upon the world through the illustration

PU E R
and the instantiation of the purposive maxims of conduct and of action 25.

CH S D
The act of judgment, the externalized force [Kraft] which proceeds from an inherent and intrinsic potential energy
[Vermögen], defines an actuality which relates to and realizes a possibility, and whose evidence points to a necessary
though indeterminate concept. Judgment is therefore an action which is subsumed under and included within a broader
AR FIN
movement, whose respective purposes require a correspondence between a panoply of factors unified in a magnificent
array, to whit the mind with nature, and the components of the mind in their holistic relation to nature. The process of
judgment involves a dynamic which finds itself evolving within the all-inclusive yet subsumable process of history,
whose unequal, progressive, and at times painfully regressive moments and institutions attest either to a successful or to
SE À

a disrupted teleology.
RE T,

Such a purposiveness is illustrative of the principles of perfectibility and evolution, as natures interact with, and
D EN

are present within, a perfectible and evolving world, to which the mind collectively contributes in the multitude of
actions emanating from the multiplicity of exemplars which give reality to its multiple possibilities. Thus the mind
strives towards a perpetually elusive perfection which apparently allows for every and all hypothetical endeavours,
AN M

even the contradictory ones, inasmuch as an ultimate harmony survives as a definite ulterior possibility. These are
endeavours which in their radical opposition, dialectical philosophies attempt to explain as nevertheless furthering the
E LE

successful continuance of the process of life. And in so doing, they commit to the perfection and evolution both of the
world and of its constituent components.
US SEU

Judgment is a capacity of the mind whose action continually encompasses the terms of what is and of what could
be, of what was and of what should be, of what would have been and of what might be, of what merely is and of what
ought to be. In short, the operation of the judicial faculty of the mind is an act which adjudicates between the contingent
AL EL

and the necessary as they relate to a third, elusive and therefore indeterminate term, the transcendent Idea of life,
inclusive of the life of the mind, an Idea whose concept is employed in the fullest of its acceptations. For to give credit to
ON N

the Idea of life is also to acknowledge the reality of its principle as it reveals itself through the agency of the subject and
the possibility contained within the intellectual faculties to actualize this agency.
RS ON

To judge is to hold a perspective on life as it relates both to a continuity of the world and a continuity of self. Each
P E RS

involves a form of perfection, the possibility of which all forms of comparison and superlativeness attest to: as a
legitimate justification for the perpetual striving and search for recognition of the human being; as a foundational
principle and a protracted end for his realizations and achievements; and through these, as the exploration, the
R PE

discovery, the development, and the actualization, through self-reflection and conscious moral activity, of his
multi-faceted nature.
FO E
AG

25 S. MAÏMON [Op. cit.; GW II, 86n] establishes a distinction between the finite understanding (der endliche
Verstand) and the infinite understanding (der unendliche Verstand), both of these concepts being judgments as
to the possibility of things: for the first, through proceeding merely from a synthesis of predicates; and for the
US

second, through proceeding from a formal synthesis of subjects, preceding the act of predication, toward
predicates which may also be necessary consequents. Within the purview of universals as higher-order
concepts, whose eminent matter consists of noumena, i.e. transcendental objects thinkable as objects per se and
serving to produce predicates as their necessary consequents, the capacity of a power of judgment to insert
itself within an all-encompassing movement to which it contributes through its own transcendent spontaneous
activity most certainly defines the activity of an infinite understanding. It accomplishes this with the
formulation of Ideas and words and the initiation of deeds and actions.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 22 de 302 ...


INTRODUCTION

The mysterious and yet unexplained essence of humanity resides in the alchemical reconciliation of contraries: the
lifeless and living; the non-rational and the rational; the conditioned and the unconditioned; the determined and the
spontaneous; the natural and the supernatural; the sensible and the supersensible; with the latter terms of the antitheses

LY —
realizing a form of sublimation into a more refined and irreversible stage, of their coarser, less refined substrate. For
judgment to possess a form of ontological validity, it must both affirm its supersensible nature as proceeding from the

ON CHE
essence of reason and realize that which characterizes the dynamic and paradoxical aspect of life in its developmental
reconciliation of opposites.

Yet, to hold a perspective on something is not to define that thing. This principle becomes especially true

ES ER
whenever the object which provides for the centre of attention and curiosity is previous to the perspective, indeed
previous to any activity which may attempt to encompass it, however incompletely. Though it has been suggested at
this point that the unknown though unifying and transcendental power X, to which corresponds the conjoined power of

OS H
feeling and judgment within the conscious, living, rational mind, is naught else than the power of life itself, either as

RP EC
completely realized or merely potentially present, either as capable of perfection or merely perfectible 26, no intuition
has yet been provided which characterizes the essence or the origin of this archetypical dimorphic substance, either
form or energy, either activity or mere potentiality, from which proceeds all subsequent living forms in their illustration

PU E R
of its complete originality. Though transcendent in its notion, the enigmatic substance of life nevertheless immanently
infuses the state of being of those creatures which are endowed with its possibilities, with all that characterizes a
capacity for autonomy and freedom, even within the material and outward constraints of an inert nature. As for the main

CH S D
aspects of liberty — the possibility of realizing possible actions rationally defined and that of autonomously actualizing
and organizing the power, inherent within an organism, of achieving this end —, they appear to be the potential for the
actualization of life, rather than the proper definitions of its essence.
AR FIN
In order to adequately represent the essence of life, one needs to be able to transcend those contraries for which life
is the principle of their reconciliation, as attests to the very reality of an actuality projected into time, into a realm which
SE À

defies even the greatest intelligence, since it supposes a capacity for surpassing in breadth and in depth the very
substrate upon which intelligence is established. Succinctly put, life is always, de jure and de facto, ontologically prior
RE T,

to the conscious activity which attempts to circumscribe and capture its essence and yet which may only hope, in the
evident incompleteness of its results, to realize in the act of psychic communion with its own energies and
D EN

potentialities, what it fails to achieve in the act of self-reflection. In sum, life is an a priori principle which has at least an
equivalent standing to the a priori principles of nature, whose experience is receptive to the mind’s activity of
AN M

unification, in conformity to its fundamental epistemological interest, and of reason, for which the principles of
legality, of purposiveness and of obligation, a purposive purposiveness, are the three expressions 27. And since the
E LE

principle of life is basic to the very activity of reason, as both a priori and fundamental to its reality, then the importance
of the principle of life becomes apparent as the archetype of all moral and intellectual activity, for which the specific a
US SEU

priori principles become the illustration, the instantiation, and the specification.

What better term then to describe the power of life, the desire to comprehend as fully as possible the nature of life
and to further its progression, in thought as in action, in deed as in works, in foresight as in projection, than the supreme
AL EL

concept of Intelligence (which Kant names Witz and which translators render as «genius»). The vastness of its
comprehension would embrace a dual capacity to know and to sense; to intuit and to conceptualize; to comprehend and
to unify; to foresee and to hypothesize; to harmoniously relate with and to adequately fit within Nature, with all of these
ON N

vital yet rational actions being intimately inscribed within, yet nevertheless transcending, a vast movement too great to
RS ON

be understood yet soliciting every capacity and capability of humanity engaged in its relationship to it. It is a movement
which meets with the most spontaneous expression of his desire, within the wealth of his individuality, singly and/or
collectively, to partake of this cosmological entelechy, to share in its evolvement and to understand its principle
P E RS

fundaments and ends, while succeeding in escaping its determinism through a transformation of its predisposing and
often constraining conditions, and to provide for it a purposive inflection in the direction of a teleology for which an
R PE

ultimate spiritualization becomes the definitive end-point, the supreme perfection. Thus, as it becomes involved in
pursuing the insuperable finality of the Omega-point which Teilhard de Chardin has defined and whose four attributes
are autonomy, actuality, irreversibility, and transcendence 28, life may then be equated with the universal archetype
FO E
AG

26 This point is also developed, though independently and differently, in S. MAIMON [Op. cit.; GW II, 170-172]
for whom the possibility of a concept resides both in the principle of non-contradiction and in the principle of
US

generation, as illustrating the necessity of the possibility [die Notwendigkeit der Möglichkeit] of the concept.
The former principle takes on either a logical form, previous to any empirical determination, or an ontological
form, as compromising the foundation of its possibility through relational and perhaps antagonistic
incompatibilities.
27 EE, §xi; AK XX, 246; KU, Einleitung, §ix; AK V, 197.
28 P. TEILHARD DE CHARDIN. Le phénomène humain. Seuil. Paris, 1955. p. 272.

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INTRODUCTION

from which reason proceeds and to which reason returns, in the fullest exercise of its unified capacities, as illustrating
understanding, judgment, and reason.

LY —
Goal and plan of the present thesis
In the preceding sections, we have provided and developed the points which shall lead up to the main argument

ON CHE
which our thesis shall attempt to defend. Namely that the third Critique, Die Kritik der Urteilskraft, continuously finds
itself entrenched, either implicitly or explicitly, within a dialectic of opposites for which one, and only one resolution is
ultimately possible, the concept of life itself, both as actually present and potentially extant, in pursuing its thematic of

ES ER
the subjective nature of judgment, both as an aesthetic and as a logical power, in its apprehension of non-rational,
sentimental relations, as well as rational, purposive dynamics, characteristic respectively of the inner and outer sense as
they relate to a common sense. The Critique of Judgment implicitly and constantly identifies life as the only principle

OS H
and the sole justifiable purpose for the underlying action of the instantiation and of the unfolding of judicial reason,

RP EC
ensconced within the realm of natural being, as it is understood from a holistic perspective, and yet impinging upon it in
a most constructive fashion, as it illustrates the autonomy and the spontaneity of the living organism through freedom.
For such is the paradox of the extreme philosophical position which affirms a radical negativism of life that any such

PU E R
nihilism requires, for its very effectivity, the reality of life on which it is predicated, in order to negate the former’s
actuality, as it becomes involved in its destructive obsession. Were it not that a profound and hopeless desperation were
at the root of this antinomic ideational stance, a hopelessness which justifies all concrete examples of its own validity,

CH S D
the proposition which opposes life with the state of its negation, through an act which fundamentally illustrates the
power of life, would seem logically to resolve itself in the upholding and defence of that which ultimately makes its
destruction possible, and thus leads to the most radical of absurdities. Nihilism then becomes of all necessity a
AR FIN
counter-idealism, since the negation of the very Idea upon which is founded the possibility of defining any and all ideals
may not therefore legitimately constitute an idealism and may therefore only mimic this positive form of philosophy.
SE À
However bold the attempt may seem, which proposes a unifying concept for the KU, and indeed for the whole of
the three Critiques — though we shall remain satisfied with the more modest ambition in our demonstration —, as
RE T,

providing the ultimate notion for an encyclopaedic work whose purpose it was, in the eyes of its author, to complete the
exposition of the Idea of transcendental philosophy, as it progressively was revealing itself to the eyes of its inceptor, it
D EN

is surely not exclusive, nor may it pretend to a formal originality.


AN M

This goal was no less the goal which Schopenhauer pursued, a strict Kantian whose avowed purpose it was in his
monumental The World as Will and Representation, to further and to complete Kant, and to propose, as the ultimate and
E LE

definitive concept at the root of critical philosophy, the concept of Will. Whether or not one adheres to Schopenhauer’s
solution, which proposes that the Will be the fundamental metaphysical principle of life itself, and not merely, as Kant
US SEU

would have it, one, though not the least, of the faculties of the mind, it may not be denied that Schopenhauer did intend
to give an explicit unity to the critical project and did find in the Will the key metaphysical principle which provides for
a sufficient insight for pursuing his theoretical intent.
AL EL

Let us not however satisfy ourselves with such a broad generalization, and show a preferrence for the words of
Schopenhauer, as he defines both his philosophical relationship to Kant, and his own originality, in presenting the
latter’s «excellent idea» [seiner vortrefflichen Andeutung], to whit that
ON N

« ... with a more profound knowledge of Being itself [des Wesens an sich], for which the objects
RS ON

of nature are merely the appearances [Erscheinung], both in its purely mechanical effects and in
those which are apparently purposive [scheinbar absichtlichen], one would rediscover
P E RS

[wiederfinden] the one and only principle [ein und das selbe Prinzip], which may serve to provide a
general, fundamental explanation to one or the other order of phenomena. I believe to have identified
this principle, in representing the essence itself of the apparent purposiveness and of the harmonious
R PE

synergy [der Harmonie und Zusammenstimmung] within the whole of nature, the Will as [...]
[constituting] the only thing in itself.» 29
FO E

Inasmuch as this statement is both congruent with the unity of reason, a state which was of the paramount
AG

importance to Kant, and with Schopenhauer’s own pretension to have rediscovered in the Will the identity of the
metaphysical principle which alone is apt to account for this unity as the cause for the purposiveness and harmonious
movement of the whole of nature, it would only be reasonable, in all fairness to Kant, to understand wherein lies the
US

latter’s own solution to the problem of unity. For the unity of reason, which, in Kant’s view, is based on a complete
critique of reason’s possibilities and limits, constitutes the only true means of curing reason of its dogmatic inclinations
and of eradicating the ensuing woes to which they gave birth. In their inordinate ambition, particular reasons produce
contradictory doctrines, each possessing from its singular point of view, a valid claim for representing the ultimate

29 A. SCHOPENHAUER. Le monde comme volonté et comme représentation. Paris, 2006. p. 668.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 24 de 302 ...


INTRODUCTION

truth. Yet, this claim is belied by the very fact of a diversity of varying points of view which consistently pretend to
formulate a complete metaphysical Weltanschauung, faithful in all respect to the absolute Truth.

LY —
It would seem altogether improbable that Kant himself, after having posited the problem of unity and discussed at
lengths the totality of the concepts which he has identified as entering into the equation, and which subsequently would

ON CHE
prove useful in offering a positive and satisfactory solution to the questions raised by his project 30, would have balked
at proposing, or at least at suggesting, an archetypical principle for which the eventual supply of a philosophical
justification would be less than adequate to the task itself, as well as to the habitual methodological scrupulousness with
which Kant approaches the philosophical problems he contemplates. Though this assertion involves a leap of faith in

ES ER
Kant’s philosophical consistency, in pursuing to their utmost limits the ultimate consequents of his reflective
endeavour, it is one which we undertake freely to accomplish in our attempt to faithfully and truthfully propose a deep
and complete understanding of Kant’s thinking, in relation to the philosophical significance of feeling. Our theory is

OS H
that feeling not only supplies a possibility for anticipating the existence of an all-encompassing principle to account for

RP EC
the unity of reason, but also that it is the focal point for the expression of such a principle, in that it reveals the presence
of the principle of life within the actuality of reason.

PU E R
What appears clearly to this Ph.D. candidate, and what he shall endeavour to demonstrate in the course of his
thesis, is that the unifying and ultimate principle of unity, as capable of explaining nature from a holistic point of view

CH S D
and of resolving the basic antinomy to which the opposition of the sensible and the supersensible gives rise, is the
concept of life itself, as it communicates itself through every aspect of the possibility of consciousness, and most
especially the capacity for feeling. The latter appears as the non-rational, non-thetical though eminently eloquent
AR FIN
sensate channel through which the dynamic principle of life makes its intimate quality known to awareness, in a manner
which precedes the ordinary tools of reason — concepts, Ideas, rules, and principles —, though it be equally, but
differently capable of guiding conduct and action. This function is accomplished not merely contingently, as dealing
with a principle which defies the rational nature of a living, moral being, but necessarily though complementarily, as
SE À

acknowledging a transcendental a priori principle of reason, rooted in the very essence of the existence upon which
reason is founded.
RE T,
D EN

The required principle shall reveal itself to be doubly purposeful as specifically valid for the complex employment
and deployment of judgment, as it spans across the theoretical and the practical, the necessary and the hypothetic, the
sensible and the supersensible, as well as the conditioned and the unconditioned; but also as generally valid since it is
AN M

the unifying principle of nature itself, inclusive of the problematic nature of living organisms, whose exteriorization
ranges from sentient (animate) beings to rational (spiritual) humanity. Thus feeling, though it may be and often is
E LE

perceived as a restrictive dimension of the finite mind in its inability to escape the materialistic determinations of a
finite, predicated world, may also be considered as an essential aspect of the infinite mind, as reinforcing the sense of
US SEU

life without which both the supersensible capacity of the mind and the infinity of its essence would be realisically and
ontologically conceivable.

We propose to achieve this demonstration in a number of steps: in the FIRST CHAPTER, we shall define the
AL EL

synaesthesic judicial complex, in which both feeling and reason play a necessary and complementary role within the
unity of reason, as differently exemplifying the age-old philosophical transcendentals of truth, of beauty and of
ON N

goodness, though in a synergistic manner, neither negative nor exclusive of each other.
RS ON

In the SECOND CHAPTER, we shall examine feeling as the nodal point of human experience, in an attempt to
reconcile the inner and the outer dimensions of human consciousness, as legitimizing the complementarity of
P E RS

objectivity and subjectivity, through the adequate recognition of nature and interiority, as they each constitute, through
R PE

30 The main questions raised within the third Critique concern the three powers of the mind (the understanding,
reason, and feeling), their respective domain as they relate to each other and to a common end, implicating the
specific ends of each, and the a priori principle which corresponds to each of them; the particular nature of the
FO E

judgments (determinant and reflective) which they entertain; and the teleological principle which underlies all
AG

dimensions of nature (including incarnate moral nature), as either mechanistically or technically explaining its
own movement or the movement which may be imparted to it. One question which this classification begs
however arises from the omission to attribute a specific position to the imagination within these same powers:
US

such an oversight appears problematic as this protean faculty is irrefutably necessary to their respective and
conjunct activity. Such being the case, we may ask why its importance does not warrant that it receive a
promotion to the status of a power in its own right. Another question which is not specifically addressed is that
of the a priori principle for reason as a unified nature and power. This we take to be the suprasensible for which
the expression of its entelechy is absolute perfection. This conclusion then becomes the foundational premise
for the inclusion of perfection as a determining though virtual aesthetico-moral principle, despite Kant’s
reluctance to admit to this philosophical necessity.

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INTRODUCTION

the processes of intuition and of representation, a point of confluence for the benefit of the other, to which contribute the
process of reflection and self-reflection. Within this purview, the discourse on teleology becomes a key dimension as
illustrating the possibility for obtaining an Ideal point of convergence for all those opposites which may otherwise

LY —
confuse the mind and diffuse its energies away from a unified activity, both inherent to its ontogenic principles and
characteristic of its phylogenic, autonomic activity.

ON CHE
Our THIRD CHAPTER shall deal with the unity of feeling and reason and the definition of goodness as being the
final purpose of a unified mind, in which the all-important imagination and the prevailing state of the harmony of the
faculties play a truly undeniable and essential role.

ES ER
The FOURTH CHAPTER shall properly associate feeling and life within the moral rational subject, for which the

OS H
goodness of the moral end finds its resonance within the moral feeling of love. The latter supersensible feeling then
becomes the irrational expression of life as illustrating itself most rationally, in order to ground and instantiate its

RP EC
archetypical standing, and reveals the reality of life as belonging to a supersensible, transcendental essence.

PU E R
The FIFTH CHAPTER shall define a faculty for the act of feeling, one which is analogically to the irrational realm of
being that which reason is to the intellectual realm of thinking. Since reason is the power of possibility — the power to
appreciate the possibilities contained within substances and to devise the means (which are also possibilities) to realize

CH S D
and actualize them —, it may only acquire significance and meaning with the effectivity which its principles and duties
are apt to receive. The heart is the faculty at the centre of morality as it provides reality to beings of reason and as a
result, it elevates life to the standing of being the reason of reason.
AR FIN
The SIXTH CHAPTER shall consider the «bouletical 31» complex, wherein moral feeling, under the guise of
courage, becomes the motivational cause for the affective activity of the will within the moral person. The ultimate goal
being the plenitude of being within the rational subject, the necessity of practical feeling as providing efficiency to the
SE À

moral feeling of respect becomes evident whenever the desire for achieving the good pretends to achieve its manifest
RE T,

perfection.
D EN

In our CONCLUSION, we shall examine what seems to us the major Kantian problem, i.e. the reconciliation, within
consciousness, of the rational and the non-rational, as it further raises the question of the unity of consciousness. The
subjective knowledge of feeling, though relating primarily and immediately to a faculty which is non-cognitive in
AN M

nature, relates to a sense of self which does not deny rational knowledge but rather provides for it a perspective against
E LE

which to estimate the profound and radical meaning of a priority as constituting the simultaneous assertion of the
unified being of Mankind. This unity finds a resolution within a destiny, that of belonging diversely yet fully to the
complementary and reciprocal complex which includes and characterizes a rational-sentient self, nature (inclusive of a
US SEU

social and cultural nature), and the process which illustrates a necessary and enduring, historical, purposive, and
harmonious realization of these distinct concepts.

Illusion, which underlies both the radical skeptical tendency of the dilettante and the libertine way of life, becomes
AL EL

the illustration both of a dissociation between thinking and feeling and the inability to fulfill the requirements of either.
Yet, they found their respective premises upon the hope of achieving a unity wherein reason and life achieve a mutual
ON N

complementarity. As the mind combats the forces of illusion, through having recourse to the art of philosophy which
RS ON

uncovers its many aspects and successfully rises above them, the subsumption of reason under the ineffable and
sublime end of life ultimately appears to being the true underlying purpose of the Kantian project, as it shines through a
thorough understanding of his philosophy. The moral law, whose enunciation belongs to the realm of reason and whose
P E RS

entelechy is the ultimate purpose of life, takes on a new dimension as being the centrepiece of Kant’s criticism, as it
relates not only to the rational mind but also to the responsible, moral person.
R PE

Thus the movement which has led to this conclusion follows from the illustration of the paramount import of
morality, a form of moral feeling which leads to other forms of moral feeling as well, often ignored by Kantian theorists,
FO E

through which the mind’s reflective capacity reaches the metaphysical concepts of the universe and of the
AG

Unconditioned. This is accomplished with the discovery of an adequate and appropriate notion of respect, based upon
its apprehension by the supersensible power of the mind, when it is faced with the inadequacy which the finitude of
human nature may promote, in its relationship to the overwhelming and on occasion threatening power of nature.
US

Proceeding from the world of morality, the mind’s determinative power realizes the foundational principles of life
through love, the will to express it, and the courage to bring about its entelechy. As both the faculty of the intellect,
which provides for universal concepts with the activity of reflection, and the power of reason, which furnishes the
principles and maxims for the act of determination, are realized in judgment, it is only with the principle of liberty that

31 < boulhsiV, ewV, h: will desire; a willing: one’s will, intention, purpose [Liddell and Scott (1901), p. 290].

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INTRODUCTION

the mind may exercise the prime dimensions of autonomy and spontaneity within the theoretical and practical aspects
of reason, a reason which is unified harmoniously in the idealistic pursuit of the Idea of the perfection of life.

LY —
This is the process which this work has attempted to elucidate, reconstruct, call forth synthetically, and present. In
having so succeeded in bringing these aims to fruition, we hope to have truly demonstrated the veracity of the oft-stated

ON CHE
metaphor which sees in Kant’s Critique of Judgment the «jewel in Kant’s crown», as it bridges the otherwise salient gap
extant between theory and practice, through the invention of the complex and highly abstract exercise of the judicial
power. A power which communes both with the supersensible purity of reason and the empirical requirements of the
sensible and historical experience which life allows to accumulate, as it manifests itself through feeling, in unifying the

ES ER
uncommon strength of both, while never failing to acknowledge their respective and essential originality.

OS H
TABLE ANALYTIQUE

RP EC
Deux voies en opposition
Le tournant linguistique en philosophie. — Une préférence pour la voie des mots sur la voie des idées. — Les deux

PU E R
raisons de cette tendance: contrer la découverte de l’Inconscient et préserver contre une généralisation récente du
concept de finitude au détriment de la prévalence historique du concept de l’Infini. — Le rôle du discours public
requiert la promotion de l’unité collective en employant une forme d’universalité objective qu’une reconnaissance du

CH S D
sentiment pourrait compromettre. — Les formes abstraites et aseptisées de la raison importent B une défense du
discours objectif contre les influences éventuellement dissolvantes du sentiment. — Cette action est réalisée au nom de
la plénitude de la raison. — Les objections B l’encontre du sentiment se fondent sur son essence irrationnelle,
AR FIN
passionnelle et subjective qui le situe au plan privé des relations communicatrices. — La voie des idées comme étant la
voie par excellence de la communication intime entre les consciences particuliPres.
L’objectivité et la subjectivité du discours public
SE À

La subjectivité ne communique pas un concept univoque, puisqu’elle se fonde sur une perception qui est tantôt
RE T,

implicite et tantôt explicite. — La rationalité objective n’est pas exclusive au sentiment. — Comparaison entre le
discours scientifique et le discours poétique: les deux prétendent B l’universalité, mais elle est objective pour le premier
D EN

et subjective pour le second. — L’universalité objective fait abstraction du sentiment alors que l’universalité subjective
gagne en raison de la profondeur et de la sincérité du sentiment exprimé. — L’universalité objective se fonde sur la
communication d’une loi objective dont les effets se reproduisent; l’universalité subjective se fonde sur l’inférence B
AN M

partir des dispositions inhérentes B l’intériorité des personnes, que distinguent une situation et des circonstances
E LE

particuliPres. — Les sens externes et le sens interne distinguent l’objectivité et la subjectivité.


L’ambiguVté de la nature
US SEU

L’esprit comme procurant une signification au monde sensible, laquelle requiert l’illustration d’une capacité
discriminante. — L’activité intellectuelle s’exerce avec la conscience active et autonome chevauchant la frontiPre de la
possibilité naturelle multiple et des circonstances mouvantes et intrinsPquement liées qui la caractérisent. — La
conjoncture sociale sert parfois B compliquer davantage le processus discriminant. — Au plan subjectif, la séparation
AL EL

entre la nature de l’intentionnalité et la forme de sa manifestation rend problématique une compréhension adéquate du
concept de l’objectivité. — Le statut de l’objectivité est extrLmement important pour la fondation des distinctions
ON N

existentielles et morales.
L’épreuve du jugement
RS ON

L’essence du jugement: la distinction du vrai et du faux. — Cette distinction comporte des implications
différentes, selon que son objet est une matiPre inerte ou un Ltre vivant. — Si l’essence de la vérité est immuable, c’est
P E RS

la faculté d’en percevoir adéquatement l’expression qui pose problPme.


La notion de l’intériorité: analogue et opératoire
R PE

La notion d’intériorité en tant qu’elle est le critPre de la discrimination adéquate. — Cette notion diffPre selon que
l’objet concerné est inerte ou vivant. — Deux aspects d’une subjectivité propre au jugement discriminant portant sur le
FO E

vivant: le sens de l’identification et le sentiment de sympathie. — L’indifférence du scientifique s’oppose B la


AG

sensibilité sociale.
L’expérience subjective
La possibilité qu’existe une mutualité des esprits et des sentiments fonde l’identification et la sympathie. —
US

Définition de ces deux états subjectifs. — Autrui comme possédant une signification sociale que fonde le registre
suprasensible de l’Ltre vivant. — Le concept de Gemüt comme illustrant l’union de la raison et du sentiment. —
L’objectivité véritable suppose une plénitude de la subjectivité, laquelle est interpellée diversement, selon qu’il s’agit
de choses inertes ou d’Ltres vivants. — Le concept de la vie laisse néanmoins supposer une distinction radicale B
l’intérieur de la continuité naturelle, laquelle se fonde sur une force ou un énergie capable d’exprimer l’autonomie
comme la spontanéité.

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INTRODUCTION

L’expérience universelle
L’expérience de l’univers se fonde sur la perception B la fois de l’originalité essentielle de totalités particuliPres et
de la créativité dynamique de ces totalités engagées dans un rapport mutuel et interactif. — Entropie et néguentropie B

LY —
l’intérieur de la complexité universelle paradoxale. — La dimension suprasensible comme fondant cette expérience. —
La conscience: le point de rencontre et de confusion de l’objectivité et de la subjectivité B l’intérieur de l’expérience de

ON CHE
l’universalité. — La subjectivité judiciaire suprasensible implique une interaction dynamique finalisée de la conscience
avec la nature sensible ainsi qu’avec le monde social.
La plénitude de la subjectivité
La finalité de l’expérience sociale. — La plénitude subjective se fonde sur la plénitude de l’expérience. —

ES ER
L’entéléchie de l’esprit sur fonde sur l’identification et la sympathie, lesquelles sont une dimension du sens commun.
— Le sens commun n’existe pas au dépens du principe d’identité. — Le désintéressement fonde en mLme temps la

OS H
perception adéquate d’autrui et la sympathie appropriée B son égard. — La justesse de la perception et du sentiment
fondent la plénitude objective, ancrée dans le sens commun.

RP EC
La vie: la condition a priori de la subjectivité

PU E R
La perfection de l’Ltre possédant une conscience universelle représente un Idéal digne de réalisation. — La vie
comme étant le fondement et la fin de l’Ltre. — La vie est la source de toute émanation procédant de l’humanité. — Le
concept de l’universalité requiert le concept de la vie. — La vie est la source de toute existence consciente et sensible.

CH S D
— Le sentiment comme étant la conscience de l’entéléchie vitale.
L’analogie unificatrice
AR FIN
Une analogie est requise afin de résoudre les contradictions apparentes entre la rationalité et la non-rationalité B
l’intérieur d’un univers en général harmonieux. — Définition kantienne de l’analogie. — L’analogie sous-jacente B
l’unité qui prévaut B l’intérieur de l’oeuvre de Kant. — Explication de cette analogie.
SE À
Un argument en faveur de la transcendance
Du genre de la vie B l’espPce de l’Ltre vivant: un passage B la fois logique et ontologique. — Le continuum discret
RE T,

du principe et de son accomplissement suppose la combinaison du principe de différentiation et du principe de


continuité. — La gradation de la perfection étiologique. — La nature de la cause transcendante. — Aucune antinomie
D EN

ne sépare la transcendance et le sentiment.


La noeud de la vie
AN M

— La confluence de l’immanence et de la transcendance est au coeur de la distinction entre l’Idée épistémologique


E LE

et l’Idée ontologique. — Le pouvoir du jugement s’ancre dans un pouvoir qui associe l’Ltre et le devenir. — Le
jugement exprime le passage éventuel de la faculté [Vermögen] au pouvoir [Kraft] selon un concept indéterminé. —
Les principes de l’évolution et de la perfectibilité sont au fondement de la finalité. — L’Idée de la vie illustre la fin de
US SEU

l’acte B l’intérieur du principe de finalité, lequel suppose la continuité du monde et du sujet. — L’essence de l’humanité
repose sur la réconciliation d’essences contraires. — Le mystérieux pouvoir qui informe l’entéléchie cosmologique
participe B la fois de la transcendance et de l’immanence. — Le principe de vie précPde de jure et de facto l’activité
consciente qui tente d’en capturer l’essence. — Le concept d’intelligence exprime la plénitude biotique.
AL EL

But et plan de cette thPse


ON N

— La dialectique de termes opposés caractérise la KU. — Celle-ci présente implicitement le principe de vie
comme étant le seul B inspirer la raison judiciaire. — MLme une position nihiliste requiert le principe de vie pour
RS ON

s’exprimer, B défaut de conduire B ce principe dans sa résolution finale. — L’identification d’un principe unificateur de
la critique kantienne ne représente pas une ambition philosophique isolée. — A témoin, le projet philosophique de
P E RS

Schopenhauer cherche B faire de la Volonté un principe unificateur de la philosophie. — La question d’un principe
archétype est implicitement au coeur du projet critique kantien. — La présente thPse présentera une justification de la
thPse biotique comme étant fondatrice du jugement, lequel pouvoir est au centre de la problématique critique. —
R PE

Énonciation, chapître par chapître, du plan de la thPse. — Le principe de moralité, d’une importance capitale pour la
critique kantienne, conduit B la conclusion que la raison est au service de l’amour et donc de la vie.
FO E

*
AG

**
US

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 28 de 302 ...


CHAPÎTRE I
LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE 1

LY —
«L’action doit constituer la synthPse

ON CHE
de la spontanéité de la réflexion, de la réalité de la connaissance,
de la personne morale et de l’ordre universel,
de la vie intérieure de l’esprit et des sources supérieures oj elle s’alimente.»

ES ER
M. BLONDEL 2.

OS H
Le problème de l’unité judiciaire
La section VIII de la Première Introduction de la Critique de la faculté de juger, rédigée en 1789, est d’une

RP EC
complexité telle qu’elle met au défi de savoir poser un regard unifié sur la matièreprésentée. Il importe par conséquent
d’en entreprendre l’interprétation en suivant la méthode cartésienne du Discours et diviser l’objet du propos en autant

PU E R
de parties qu’il est nécessaire pour en résoudre les difficultés 3. Or, en regardant de près ce paragraphe, le lecteur
s’apercevra qu’il se découpe en quatre moments, lesquels incluent un texte principal que viennent préciser une
remarque et deux notes, ayant chacun une thématique spécifique: le jugement esthétique pour le corps central; le

CH S D
jugement téléologique pour la remarque; le défi que pose la distinction entre la dimension intellectuelle et la dimension
esthétique de l’esprit pour l’unité de la conscience, en ce qui concerne la première note; et le pouvoir de désirer pour la
seconde. Ainsi, l’architectonique de cette section, telle que conçue par Kant, comporte l’aspect que nous représentons
plus loin 4.
AR FIN
Si le titre du paragraphe distingue ce que serait l’intention de Kant à ce stade-ci de son exposition — le pouvoir de
porter des jugements appréciatifs et la clarification de son rapport à l’esthétique —, la division proposée afin de mener
SE À

son projet à bonne fin n’est pas sans faire problème par contre, dès que l’unité du discours et de la thématique est
recherchée. Si l’unité du discours paraît souffrir de la quadruple partition effectuée, cette difficulté tendra à disparaître
RE T,

lorsque l’on conviendra de rapporter et de subordonner le problème du jugement téléologique à celui du jugement
D EN

esthétique, pour voir en ces deux sous-thèmes, tels que la première et la seconde note les approfondissent, des
éclaircissements qui permettront de comprendre le sens du propos concernant le premier jugement.
AN M

La première note met en opposition deux types de distinction — la distinction esthétique et la distinction logique.
E LE

La première de ces distinctions opère sur le mode de la continuité dans la transformation, qui est soit qualitative, en ce
qu’elle suppose la métamorphose d’une substance (comme une chenille qui se transforme en papillon ou un embryon
qui devient un être vivant à part entière), soit quantitative, dénotant l’accroissement ou à la diminution des proportions
US SEU

reliées à l’aspect d’une chose dont l’essence demeure néanmoins invariable (comme pour un ballon qui se gonfle ou se
dégonfle ou une route qui se prolonge ou s’élargit). La seconde distinction s’articule autour du mode de l’essence et/ou
de la substance, comme procédant de deux facultés distinctes, l’intuition et l’entendement, lesquels doivent être tenues
séparées dans la compréhension que l’on en acquiert. Cette distinction fait ressortir l’énorme difficulté rencontrée dans
AL EL

la tentative de réconcilier le domaine de l’esthétique et celui de l’intellect. Car celui-là repose sur une gradation de la
conscience des marques distinctives qui se recrute l’attention et elle fait surgir la différence entre l’aperception claire ou
ON N

l’aperception confuse. Quant à celui-ci, l’opposition entre la clarté et la confusion repose non pas sur les perceptions,
mais sur la précision conceptuelle et sur les nuances qui s’en dégagent, dans la détermination d’un champ
RS ON

gnoséologique précis. Or nous trouvons là les éléments d’un dualisme que laisse déjà entrevoir le titre de cette section
VIII, lorsqu’elle oppose dans le jugement la dimension esthétique, relative au phénomène, et le pouvoir de connaître, en
P E RS

tant qu’il est une faculté transcendantale de l’esprit, exerçant éventuellement son effet épistémologique et poématique
sur ledit phénomène.
R PE

1 L’emploi de cet épithète pourrait soulever de nombreuses objections chez les lecteurs de cette thèse, en raison
de la connotation juridique que prend ce terme de nos jours. Pourtant, à une époque plus éloignée, ce mot était la
FO E

forme adjectivale du substantif «jugement» et recouvrait «tout ce qui était relatif au jugement», faculté que
AG

d’ailleurs l’on nommait par ellipse la «judiciaire» [Portail lexical du CNTRL, en-ligne à http://www.cnrtl.fr/].
Nous nous en référons à un usage vieilli du terme «judiciaire» pour dénoter le sens que le vocabulaire
contemporain ne nous permet pas autrement d’exprimer.
US

2 A. LALANDE (2002), p. 21 n.
3 DESCARTES, R. Discours de la méthode (édition G. Rodis-Lewis). Seconde partie. Flammarion. Paris, 1992.
p. 40.
4 Vide en annexe, p. 251, le Tableau I.1, intitulé «Division analytique du §viii de la Première introduction (1789)
de la Critique de la faculté de juger».

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LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

Mais on doit également constater que l’unité de la thématique pose problème en ce qu’elle soulève elle-même des
distinctions majeures dont la résolution au sein de l’unité épistémologique n’est pas acquise, même suite à une lecture
méticuleuse de la démonstration kantienne. Car au-delà de la triple barrière, que constituent la langue, le discours et

LY —
l’écart des intelligences pour une compréhension adéquate du propos, on se retrouve devant l’obstacle d’un nombre
d’oppositions parfois marquées entre les concepts. Cette difficulté invite alors à accomplir leur intégration adéquate et

ON CHE
complète, dès lors que certaines d’entre elles présentent des termes illustrent un mode d’appariement simplement
paradoxal, en proposant une unité fondamentale qui parvient à échapper à l’appréhension. La distinction est alors
simplement apparente et elle fait naître une confusion dans l’intellect, évocatrice d’une pluralité de principes là où un
seul prévaut en réalité. Autrement, les oppositions rapprochent leurs lemmes sous le mode de la contrariété extérieure et

ES ER
de la contradiction intérieure, produisant des situations que caractérisent le conflit ou l’antithèse, l’antinomie ou
l’absurdité. Or de telles occurrences sont problématiques pour la recherche épistémologique de l’unité qu’il est de
l’intérêt particulier de la raison de poursuivre 5.

OS H
RP EC
Ainsi en est-il des modes subjectif et objectif, des domaines du conditionnement sensible et de la liberté
suprasensible, des facultés théoriques et des pouvoirs pratiques, des puissances inférieures et supérieures de la
connaissance, et même plus fondamentalement de l’objet réel et de la représentation simplement idéelle. Considérés

PU E R
uniquement en eux-mêmes, selon les distinctions logiques qui s’offrent à nous pour se les représenter à l’esprit, ces
termes comportent quelque chose d’irréductible: l’univers intérieur et temporel de la pensée ne saurait se laisser
ramener au monde extérieur et extensif de la nature; le pouvoir de détermination que laisse supposer la liberté ne

CH S D
saurait, sous un même regard, se réconcilier avec l’état d’être déterminé; la connaissance théorique qui agit sur le mode
strictement intime et personnel de l’intelligence de l’esprit ne saurait se comparer à la connaissance qui aboutit à
l’action concrète et irréfléchie des formes de l’esprit, selon les contraintes d’une extériorisation qui tient du réflexe, de
AR FIN
l’habitude et de l’automatisme; l’être affecté par la nature, qu’elle existe à l’état brut ou qu’elle ait subi le raffinement
d’une acculturation, ne saurait se laisser confondre avec l’être qui transforme la nature avec l’effectivité de son action
et/ou de sa conduite; les facultés recrutées prioritairement dans l’état plus ou moins passif d’être affecté — la
SE À
sensibilité, l’émotivité, l’attention, l’aperception et l’imagination reproductive (souvenir ou image vive) — ne
sauraient être mises sur le même pied que les pouvoirs suscitant directement les actions et les conduites efficientes — la
RE T,

raison, l’entendement, la volonté et l’imagination productive —. Plus fondamentalement encore, aucune confusion ne
s’autorise à apparaître entre la chose réelle, étant telle qu’elle est hic et nunc et telle qu’elle deviendra à un moment et à
D EN

un lieu futurs de son existence, conformément au principe de la réalisation complète de sa nature intégrale, et la
représentation virtuelle que l’on s’en fait, susceptible (pour une variété de raisons) d’être caractérisée par les aléas de
AN M

l’incomplétude, de la fausseté, du perspectivisme, de l’adultération et de la corruption, autant quant à son essence que
selon les possibilités avérées de celle-ci.
E LE

Pourtant, s’il existe pour la réalité une série de dimensions qui logiquement apparaissent comme étant
US SEU

inconciliables, il existe aussi pour elle l’unité existentielle d’un moment qui se poursuit sous le mode temporel de la
continuité ontologique, qui se fonde sur une infra-structure existentielle possédant consistance et durée, sans laquelle
rien ni nulle possibilité n’existerait et qui elle-même est passible de transformation, soit en raison d’une entéléchie
inhérente à son essence, soit en conséquence de forces qui s’exercent sur elle pour en déterminer les configurations, les
AL EL

exclusions, les actualisations et les réalisations. Par ailleurs, on peut admettre que l’entéléchie endogène ou les forces
exogènes peuvent s’exercer sur elle et se réaliser d’une façon intentionnelle et/ou concertée, sous le mode de la
continuité mobilisant une durée plus ou moins prolongée, au plan des inévitables rapports qui caractérisent les
ON N

mouvements de l’infra-structure, et donc être éventuellement conditionnés autrement que d’une façon strictement
RS ON

aléatoire. Cela étant, il serait alors requis de postuler l’existence d’un principe spirituel, i.e. d’une réalité spirituelle
intangible et suprasensible, susceptible d’opérer sur l’infra-structure et d’informer ses directions, en façonnant son être
et son expression de façon constante (i.e. non-contradictoire), efficace (i.e. de manière à produire l’effet souhaité) et
P E RS

originale (i.e. sans pour autant reproduire à l’identique les actions antérieures ou les effets dont ils seraient la cause).
R PE

Même en présence de la dynamique qui procure d’une telle manifestation existentielle, on n’arrive pas pour autant
à découvrir la solution de la dichotomie radicale qui nous ramène toujours à la possibilité d’une opposition de termes
irréductibles. Car si la réalité peut se concevoir d’une manière systématique, en vue d’expliquer la continuité qui
FO E

sous-tend tout dualisme, possible en tant qu’elle est à la fois une hypothèse sur la réalité d’une chose ou d’un ensemble
AG

et un procès intellectuel menant à la quête d’une solution, nous voilà toujours situé devant l’objet sur lequel porte à la
fois l’hypothèse et le procès, ainsi que l’esprit susceptible de proposer l’un ou de réaliser l’autre. Par contre, c’est grâce
à une telle continuité qui, dans la réciprocité des activités et des forces émanant de part et d’autre, de l’infra-structure et
US

du principe archétype de la réalité, que se laisse dorénavant envisager la conjoncture durable d’une relation entre la
conscience et le monde, sous les formes respectives de la connaissance et de la nature, à laquelle s’ajoute la culture en
tant que celle-ci exprime une nature que transforme la conscience.

5 KRV; AK III, 237; IV, 191.

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Seule la conscience qui se connaît peut répondre d’elle-même adéquatement et complètement. Seule la conscience
qui connaît peut réaliser au moyen de l’action une intention qui résume à la fois la conscience de soi et la responsabilité
immanente à toute affectivité, en même temps qu’elle exprime la nature de sa relation au monde, en tant qu’elle est

LY —
affectée par celui-ci, et qu’elle possède un pouvoir de réalisation sur lui, en raison d’éprouver un désir à le réaliser,
d’illustrer une volonté le réalisant et d’exprimer une activité donnant corps à cette réalisation dans le façonnement

ON CHE
d’une matière sensible, opérant intérieurement quant à la conduite et extérieurement quant à l’oeuvre. Or, quant à
l’oeuvre, c’est au moment où se produit le passage entre l’état pour la conscience d’être affectée et celui de se constituer
en l’agent d’une effectivité, susceptible d’opérer la transformation de la patience vers l’agence, que semble se
manifester la distinction entre les deux attitudes fondamentales d’une conscience que caractérise la continuité de son

ES ER
rapport au monde. D’un rapport qui suppose simplement un changement plus ou moins soudain et général de
l’infra-structure existentielle, en conséquence d’un entrelacs de forces et d’activités subies par elle ainsi que d’actions
et de conduites initiées sur elle. Celles-ci s’en référeront au principe spirituel qui en spécifiera l’effort, sur le mode de

OS H
l’adaptation, de l’intelligence, de la composition et de la créativité, quant à la nature de la définition et de la formation

RP EC
qui les singularisent et occasionneront leur mise-en-contexte.

Or, l’ultime résolution de ces deux attitudes, de la réflexion tournée sur le monde et de l’auto-réflexion qui porte

PU E R
sur soi, résiderait dans l’action puisque toutes les deux s’inscrivent à l’intérieur de la continuité existentielle de
l’infra-structure réelle et du principe spirituel, selon une économie qui favoriserait le rendement optimal de l’effort
présent dans l’action. C’est un effort qui vise triplement à ne pas s’épuiser dans des actions inutiles et infructueuses, à

CH S D
pouvoir affronter avec constance les impondérables et les imprévus, tout en se prémunissant contre eux, et à garder en
réserve des énergies suffisantes de sorte à parer à leur éventualité. Elles seraient tantôt préparatoires à l’action, avec le
cumul des connaissances requises à en spécifier les paramètres, autant conjoncturels que structurels, et tantôt
AR FIN
initiatrices de l’action, suite à une détermination précise et ciblée des paramètres qui guideront l’action dans son
déroulement, son effectivité et son aboutissement. D’où la division fondamentale de la philosophie en philosophie
théorique et en philosophie pratique, dans la relation nécessaire de l’esprit à l’action sur laquelle elles ouvrent en raison
SE À
de leur possibilité et à laquelle, en bout de ligne, aboutit leur effectivité.
RE T,

Quant à l’action réalisée, il existe donc pour la conscience deux possibilités logiques «pures»: celle d’agir et celle
de subir, chacune d’elles comportant dans l’empirie une contrepartie ontologique, l’action et la passion. La fin de toute
D EN

conscience se découvre dans l’action, dont l’achèvement révèle à la fois une technique, i.e. un agencement de conduites
habiles selon des prescriptions que médiatisent soit les sens uniquement, soit une matière telle qu’elle peut recevoir
AN M

l’impression d’une activité, et une finalité au service de laquelle se déploie cette technique, appliquée en vertu d’un art
qui consiste à réaliser ce qui est voulu 6. Il en résulte que le plan logique de la passivité et le plan ontologique de la
E LE

passion s’avèrent les moments d’une gestation dans la généalogie de l’action et que l’acquisition d’une matière
épistémologique est un préalable à l’action, en réponse à une finalité dûment arrêtée. Celle-ci préside à une technique
US SEU

adéquatement menée selon les règles qui en assurent en même temps l’efficace et l’effectivité.

Toute action qui produit un accomplissement adéquat en vue d’une fin spécifiée selon l’utilisation de moyens
appropriés, aura une phase passive, une phase qui est préalable à toute activité et qui se transformera ultérieurement en
AL EL

celle-ci, puisqu’en préparant à la fois la définition, le déroulement et la conclusion. Cela s’effectuera en prévoyant pour
une mutualité de la conscience et du geste qui allouera pour une interaction, continue, constante et réciproque, de
l’activité et de la nature à l’intérieur de laquelle l’action s’inscrit et sur laquelle elle porte. C’est sur le fond d’un
ON N

va-et-vient aux directions multiples, de la conscience à l’activité, de l’activité à la nature et de la conscience à la nature,
RS ON

que se produit l’exercice du pouvoir judiciaire de l’appréciation et de la reconnaissance, i.e. du pouvoir de la conscience
subjective à juger tantôt de la nature, tantôt d’elle-même, en tant qu’elle agit sur la nature et qu’elle illustre le pouvoir de
l’agent à l’origine d’une telle action.
P E RS

Puisqu’il y a lieu de considérer la conscience comme étant tantôt l’expression d’un esprit inconditionné et tantôt
R PE

celle d’une nature sensible, on retrouve posées les trois formes du jugement que présente Kant dans sa Kritik der
Urteilskraft, le jugement esthétique des sens qui produit un jugement de plaisir immédiat; le jugement esthétique de
réflexion pour lequel le sentiment du plaisir est une composante essentielle et qui, lorsqu’il est suscité, évoque la
FO E

possibilité d’exercer le pouvoir de connaissance avant toute connaissance; et le jugement logique de réflexion, dit aussi
AG

simplement le jugement téléologique, qui caractérise uniquement un jugement de connaissance en l’absence de tout
plaisir, dans la reconnaissance de la finalité des choses, autant celle qui leur est intime que celle qui leur est surimposée.
Ainsi, selon Kant, tout jugement est soit esthétique, soit logique: dès lors qu’il est esthétique, il comporte une
US

dimension affective et se recrute une réaction sensible, éprouvée par le sens interne, dont les catégories génériques sont
le plaisir et le déplaisir; dès lors qu’il est logique, cette dimension affective serait absente

6 EE, §i; AK XX, 200.

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LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

7, 8
.

Par ailleurs, tout jugement peut également se concevoir comme étant soit réfléchissant, soit déterminant: étant

LY —
déterminant, il subsume le particulier sous l’universel alors qu’étant réfléchissant, il infère l’universel en se fondant sur
le particulier. Et en tant qu’il est un jugement réfléchissant, il est soit logique et donc susceptible de déterminer

ON CHE
l’essence des paramètres épistémologiques de l’expérience, quant à l’intension et à l’extension de la nature, et à ce titre,
il tient du domaine de la connaissance; soit esthétique et disposé par conséquent à épouser les conditions existentielles
d’une relation de la conscience à la nature, avant toute connaissance, mais sans exclure ni le pouvoir de la connaissance,
ni la possibilité de son exercice, actuel ou éventuel. Lorsque le jugement réfléchissant se conçoit lui-même dans la

ES ER
conscience, il prend alors l’aspect d’un jugement moral intérieur, un analogue du jugement moral extérieur. Ainsi se
perçoit-il comme étant tantôt logique et déterminant et tantôt esthétique et réfléchissant, c’est-à-dire comme portant
tantôt sur les paramètres de la nature, inclusifs de la nature sensible d’une conscience pleinement intégrée, à l’intérieur

OS H
d’un schéma existentiel dont les conditions réalisées de la spatialité se révèlent être contraignantes, et tantôt sur les

RP EC
actions et les réactions d’une essence suprasensible, éprouvées dans la conscience en tant qu’elle appartient à un sens
interne. Alors que la caractéristique principale du jugement moral objectif est de se fonder sur l’autonomie dynamique
de la conscience, le trait principal du jugement moral subjectif est de réaliser le principe tout aussi dynamique d’une

PU E R
conscience que fonde l’héautonomie.

CH S D
C’est que le sens externe possède également le pouvoir de s’extérioriser spontanément et de manière créative sous
le mode de la communication, de l’expression gestuelle, de la conduite ou de la réalisation poématique, en exprimant la
liberté que conditionnent les exigences d’une règle technique en raison d’une fin dûment délimitée, tout en fournissant
AR FIN
un contexte à sa présence au monde en vertu d’un principe dynamique inhérent. Dès qu’il devient agissant, celui-ci est
susceptible d’influer, et influe effectivement, sur une nature sensible que détermine la conscience suprasensible, de
manière à réaliser, de façon unifiée et morale, la conscience chez le sujet moral de sa présence au monde, sous le mode
de l’insertion intégrée selon une hiérarchie adéquate des valeurs, en vertu de possibilités et de fins qui conviennent
SE À

respectivement à ces deux registres.


RE T,

Dès qu’un jugement est uniquement objectif et qu’il porte seulement sur un objet naturel, sans que le jugement
D EN

n’engage en aucune façon la subjectivité individuelle, ni n’est pressenti comme comportant éventuellement une telle
effectivité, c’est alors qu’il peut opérer en l’absence de tout sentiment apparent, i.e. d’un sentiment éprouvé par le sujet
en tant qu’il est ressenti subjectivement ou perçu objectivement. C’est un jugement qui n’engage nullement le sujet
AN M

dans sa dimension ontologique: le jugement procède de lui certes, mais il n’est en aucune façon perçu par lui comme
comportant des conséquences véritablement significatives pour lui ou comme pouvant en avoir de manière prévisible.
E LE

Cela revient à dire que les conséquences anticipées d’un tel jugement sont congruents avec un état en tous points
conforme avec un état naturel objectif, tel qu’il se déroule et tel qu’il serait censé se dérouler, sans préjuger de l’intégrité
US SEU

actuelle ou future de l’individu et sans anticiper qu’il puisse produire un tel effet.

En d’autres mots, le jugement strictement objectif est un jugement qui s’insère à l’intérieur de paramètres qui
n’engagent pas la subjectivité dans sa présence au monde ou qui, le faisant, requièrent de l’individu qu’il fasse
AL EL

abstraction des enjeux existentiels pour en réaliser effectivement les conséquences. Dans sa plus simple expression, il
tient de l’habitude et de la routine; dans son expression la plus complexe, il dénote une compétence maintes fois
ON N

éprouvée à l’intérieur d’une conjoncture qui, si diverse fût-elle selon la multiplicité des possibilités qui pourraient en
surgir, ne serait pas censée comporter de risques qui soient au-delà des possibilités extrêmes du sujet, d’y parer et de les
RS ON

surmonter. C’est un jugement dont les enjeux existentiels sont négligeables pour le sujet, soit parce qu’ils le sont
effectivement, en raison d’une innocuité réelle de l’objet, soit parce qu’ils le seraient en raison d’une composition
structurelle, administrative ou architecturale du milieu, susceptible d’assurer une sécurité minimale à ceux qui entrent
P E RS

en interaction avec le monde sensible objectif qui en endosse ainsi la qualité inoffensive.
R PE

Puisque tout jugement réalise une finalité au moyen d’une technique, l’acte de juger constitue une action effective
au plan de l’intimité, distincte en cela de l’action évidente — une conduite ou une activité —, se réalisant in foro interno
au plan subjectif, mais exprimée in foro externo au plan objectif. Ainsi, comme pour toute action effective, le jugement
FO E

requiert un objet — ce sur quoi il porte —, une fin — ce en vertu de quoi il se porte —, une technique — ce comment il
AG

se porte —, et une conjoncture — ce à l’intérieur de quoi il se porte —. Comme pour toute action donc, le jugement est
conditionné par sa matière, sa finalité, sa forme et son efficience, puisque l’objet du jugement en est la matière; sa raison
US

7 «... wir von dem Zusammentreffen der Wahnehmungen mit den Gesetzen nach allgemeinen Naturbegriffen
(den Kategorien) nacht die mindeste Wirkiung auf das Gefühl der Lust in uns antreffen … ». KU, Einleitung,
§vi; AK V, 187.
8 Vide en annexe, p. 253, le Tableau I.2, intitulé «Illustration compréhensive du jugement et de ses formes, tels
qu’ils figurent à l’intérieur de la Critique de la faculté de juger.».

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LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

— ce vers quoi il tend en tant qu’efficience —, la finalité; le moyen entrepris pour réaliser cette raison, sa forme; et la
conjoncture, en tant qu’elle se prête à cette réalisation, son efficience.

LY —
liberté suprasensible nature sensible

ON CHE
jugement : pensée :: raison : action

ANALOGIE I.1: La continuité de la liberté et de la nature dans le rapport de la

ES ER
raison et de l’action.

OS H
Bref, le rapport entre le fait intime du jugement et le fait sensible de l’action se produit sur le mode de l’analogie,
en ce que le jugement est à la pensée comme l’action est à la motricité, tel que l’illustre le schéma supra, de sorte que le

RP EC
jugement illustre la pensée dans l’exacerbation technique et finalisée de sa possibilité, au même titre que l’action
exprime la motricité engagée selon des modalités et une voie analogues. Leur point de distinction réside en ce que le

PU E R
second terme, réalisant une action qui porte sur la nature, est sensible et donc observable, et le premier, réalisant une
action sur le registre spirituel de l’inconditionné, est suprasensible et donc simplement susceptible d’être éprouvé dans
le sens interne.

CH S D
Or, l’action n’est pas étrangère au jugement en ce qu’elle en est la réalisation, en vertu d’une détermination
concrète auquel donne lieu celui-là. Ainsi le problème de l’action apparaît-il en quelque sorte comme étant celui du
AR FIN
jugement, en même temps qu’il est celui de la possibilité d’une mise en rapport du jugement et de l’action. L’action
serait alors le reflet adéquat du jugement conformément à l’intention [Gesinnung] formulée intérieurement, en tant
qu’elle est une maxime de la volonté susceptible de procurer une action 9 et le jugement constituerait adéquatement
SE À
l’action selon une finalité et une technique exprimées sous des modalités adéquates — l’action poématique, en tant
qu’elle transforme la nature; la conduite morale (ou pratique), en tant qu’elle s’agence simplement avec celle-ci sous le
RE T,

mode de l’adaptation, de l’intégration et de la culture; la communication (qui étant en même temps compétence et
performance tient à la fois de la conduite et de l’action), en tant qu’elle révèle les contenus de l’intériorité sensible et
D EN

suprasensible, sous le mode de la transformation spirituelle réciproque des subjectivités. Par ailleurs le domaine de la
transformation du contenu idéel et sentimental en contenu empirique et sensible est celui du désir et de la volonté:
celui-là exprime la tension intérieure de l’être vers la réalisation d’une finalité, en tant qu’elle est estimée valable; et
AN M

celle-ci réalise la conversion de l’énergie désidérative en force actuelle au moyen d’une technique dont l’activité est
E LE

réglée en vue d’une perfection effective que révèle la finalité en tant qu’elle devient concrètement réalisée 10.
US SEU

Le sentiment et la faculté judiciaire:


le complexe synesthésique
En autant qu’ils ne soient pas conçus comme existant indépendamment l’un de l’autre, mais plutôt comme
AL EL

communiquant entre eux sur le mode de la complémentarité, deux plans s’offrent donc à une appréciation de la réalité
anthropologique de l’Homme: le plan subjectif de ce qui est conditionné et simplement éprouvé, constitutif du sens
interne; et le plan objectif de ce qui agit et donc détermine, constitutif des sens externes. Quant au rapport susceptible
ON N

d’exister pour réunir dans la complémentarité chacun de ces plans, de sorte qu’à l’objectivité déterminante corresponde
RS ON

une subjectivité conditionnée se sachant telle et qu’à la subjectivité déterminante se sachant telle corresponde une
objectivité conditionnée, c’est dans le sentiment ouvrant sur le jugement réfléchissant que se retrouve une telle
mise-en-relation, en ce qui concerne la subjectivité conditionnée, et dans le désir associé au jugement déterminant, en
P E RS

ce qui concerne la subjectivité inconditionnée. Or, si le jugement réfléchissant (inclusif du sentiment) reflète dans
l’esprit et dans son état subjectif correspondant, ce que serait une actualité constituée en tant que telle, sous la forme
R PE

d’une représentation adéquate à laquelle adhère la conscience, dans le plaisir, ou refuse d’adhérer celle-ci, dans le
déplaisir, le jugement déterminant (inclusif du désir) reflète ce que serait une conjoncture réalisable, sous la forme
d’une représentation éventuelle de l’anticipation et de la confiance en sa pertinence effective pour un état idéal, i.e.
FO E

hypothétique, et de l’espérance qu’elle fait naître quant à la possibilité que sa réalisation fût effectivement possible.
AG

Si le plaisir de la représentation ne fournit par ailleurs aucune incitation à une amélioration éventuelle de
l’actualité, et cela d’autant plus que le plaisir est complet, c’est que le déplaisir qui lui est associé a acquis une
US

préséance, en raison d’une dichotomie entre les possibilités idéelles de la représentation dans l’imagination et les

9 GMS; AK IV, 435.


10 Vide en annexe, p. 255, le Tableau I.3, intitulé «Spécification du jugement moral, implicite aux espèces du
jugement de réflexion, en vertu de la nature de leur rapport avec la sensibilité».

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LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

possibilités réelles de la nature, et incite à vouloir transformer l’actualité conformément à celles-ci plutôt qu’à celles-là.
Pour qu’une entéléchie se produise par conséquent, on doit respecter une triple condition relativement à la
représentation: elle reposera sur une expérience réelle; elle anticipera seulement sur une expérience possible, de sorte

LY —
que le désir apparaît comme étant la représentation d’une finalité réelle, susceptible par la suite de faire surgir un
sentiment de plaisir suffisant; et elle réalisera effectivement le passage entre ce qui est imaginé comme étant

ON CHE
simplement possible et ce qui est concrètement réalisable, étant susceptible d’être effectivement réalisé.

Kant fait continuellement la distinction entre le sentiment — ce qui est simplement éprouvé, la capacité du sujet à
éprouver quelque chose 11, dans l’expression d’une pure finalité formelle subjective 12, — et la connaissance — qui

ES ER
repose sur une simple relation de la représentation à l’objet. Or si ces deux états renvoient l’un et l’autre à la subjectivité
de la conscience, l’état pathologique d’être éprouvé situe cette subjectivité à un plan qui le distingue de l’état
épistémologique, lequel implique la capacité de percevoir adéquatement, non pas seulement ce qui appartient à la

OS H
nature, mais encore à ce qui en serait la transformation et le prolongement dans l’espace et dans le temps. Le tout se

RP EC
réalise en vertu d’un sentiment qui révèle à la subjectivité la qualité d’un rapport immédiat à l’actualité et la désirabilité
d’un nouveau rapport fondé sur une éventualité qui constitue une amélioration de l’actualité en vertu d’une qualité
estimée insuffisante pour l’instant, mais néanmoins susceptible d’acquérir, dans un délai plus ou moins rapproché, les

PU E R
attributs formels susceptibles de produire un assentiment qui se fonde sur le plaisir, là où auparavant le déplaisir
suscitait la désapprobation.

CH S D
La connaissance constitue la matière du jugement de l’objet que signifie pour la conscience une chose: elle révèle
à la conscience ce qui en est l’essence et la puissance, en vue d’une finalité dont la réalisation repose sur l’application
AR FIN
d’une technique spécifique selon une règle qui en assure l’efficace, relativement à la perfection de la finalité entrevue.
Par contraste, le sentiment révèle à la conscience, en raison de la qualité plaisante ou déplaisante de la chose, ce que
serait la désirabilité d’un jugement déterminant qui procède de la nature du sentiment éprouvé. Elle serait moindre si
l’essence d’une chose ou d’une conjoncture suscite du plaisir, puisqu’alors la raison tendrait à s’abstenir d’interrompre
SE À

ce qui en serait la source; et plus grande s’il en résulte un déplaisir, puisqu’alors la raison cherchetrait à se doner une
situation qui est plus plaisante ou à tout le moins moins déplaisante; elle serait moindre si la puissance de la chose laisse
RE T,

entrevoir, dans la diversité des possibilités qui lui appartiennent, une issue qui est aussi défavorable ou plus défavorable
que celle contenue dans la situation actuelle; et plus grande si l’issue en question représentait une amélioration. Ainsi,
D EN

se situant à l’intérieur de la subjectivité de ce qui est éprouvé, le sentiment renvoie soit à ce qui dans l’actualité se laisse
représenter; soit à ce qui, à l’avenir, se laisse imaginer comme étant possible et réalisable. Et si le concept du sentiment
AN M

se laisse ramener aux catégories générales du plaisir et du déplaisir, celles-ci renvoient nécessairement à une
détermination du sujet par son sentiment, laquelle apparaît alors comme étant soit plaisante, soit déplaisante.
E LE

Si on prend l’acquisition de la connaissance comme représentant un paradigme de l’action, il existe selon Kant
US SEU

deux déterminations possibles pour le sujet naturel: la détermination sensible, subie sous la médiation des sens; et la
détermination suprasensible, qui implique l’action libre des pouvoirs de connaître les uns sur les autres, tantôt pour se
concerter et tantôt pour s’entraver 13. Toutes les deux ont en commun que la détermination sensible implique le plaisir
ou le déplaisir selon une manière qui, étant appropriée à la nature des sens, suscitera l’un ou l’autre selon la règle d’une
AL EL

technique qui peut être, ou ne pas être, conforme à une finalité; la détermination suprasensible produira un effet
analogue selon que les pouvoirs de connaître seront favorisés dans leur concertation ou empêchés de l’être. Ainsi,
peut-on conclure que le sentiment médiatisé par les sens repose sur le registre d’une compatibilité immédiate et
ON N

ontologique de l’individu avec son entourage naturel, laquelle serait susceptible de favoriser ou de compromettre, sous
RS ON

le mode de la continuité et de la qualité ontologique de l’expérience, l’être du sujet en tant qu’il est une partie prenante
d’une nature amicale ou hostile; alors que le sentiment, tel qu’il est révélé à la conscience dans le jugement esthétique,
signifierait simplement quelle serait, dans leur complémentarité effective, l’adéquation des facultés de la connaissance
P E RS

entre elles, telles qu’ensemble elles sont sollicitées d’une manière qui affirme leur unité respective par une nature qui,
n’engageant pas l’être individuel dans son intégrité ontologique et objective, est néanmoins problématique d’un point
R PE

de vue épistémologique. Car elle engage la compréhension exacte du processus qui éveille, à des degrés différents et
selon les circonstances, les facultés de la connaissance — l’entendement, l’imagination, le jugement et le désir —,
lorsqu’elles sont engagées dans leur activité de décryptage, de représentation, de réalisation et de communication.
FO E
AG

Ainsi, selon que le processus de détermination opère sur le sens interne ou sur les sens externes, pour être éprouvé
par le sujet d’une façon originale, étant inconnue «pour aucun autre pouvoir de connaître» [ein Fall der [...] keines
US

11 KU, §01; AK V, 203-204.


12 Idem, Einleitung, §vii; p. 189-190.
13 KRV; AK III, 075.

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LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

andern Erkenntnisvermögens stattfindet] 14, cette épreuve, et la conscience que l’esprit en acquiert, se situe au plan du
mode relationnel, à la fois celui de l’être vivant au monde et celui des facultés de l’esprit entre elles, selon un découpage
qui oppose l’objectivité et la subjectivité ainsi que le sensible et le suprasensible. De plus, c’est une relation qui engage

LY —
(soit en la préservant, soit en la compromettant) le statut de l’être vivant dans sa présence au monde, ou encore celui
d’une opération adéquatement concertée des facultés de la connaissance entre elles, sur un mode de connaissance

ON CHE
entièrement original, celui d’un complexe synesthésique, impliquant le jugement et le sentiment, engagés au plan
dynamique de leur réalisation selon un rapport complémentaire et réciproque. Car si le jugement objectif correspond à
l’activité appartenant au schématisme transcendantal de la faculté de juger, en tant qu’elle est une activité qui
consisterait à procurer une dimension sensible aux concepts de l’entendement, cette actualisation du pouvoir du

ES ER
jugement n’est pas sans affecter le sujet. Cet effet se trouve alors représenté de manière sensible dans le sentiment et
révèle à la conscience l’état du sujet [als sinnliche Vorstellung des Zustandes des Subjekts], tel qu’il est déterminé dans
son intimité par l’action épistémologique de son propre esprit, en réponse à la matière de la connaissance ainsi produite

OS H
et à l’effet subjectif inhérent à cette détermination [nach [...] der subjektive Wirkung] 15. Le sentiment apparaît alors

RP EC
comme étant un élément essentiel et nécessaire de l’héautonomie, par laquelle la conscience se donner à elle-même une
loi dans le rapport qu’elle entretient avec la nature sous le mode de la réflexion 16

PU E R
La finalité judiciaire: l’entéléchie

CH S D
Si l’on peut proposer que, selon la perspective kantienne, la finalité de la connaissance est l’unité de la vérité 17, en
d’autres mots, l’appréhension intégrale de l’universel, c’est uniquement dans l’exercice de la réflexion et dans sa
technique organisée que l’on peut souhaiter atteindre cet objectif. Car dès lors que la connaissance n’est ni infuse, ni le
AR FIN
fruit d’une inspiration, elle requiert l’activité dirigée de l’esprit pour qu’elle se réalise. Ainsi, comme pour toute action,
l’activité de la connaissance réunit la finalité et la technique dans le sens d’une entéléchie dont la réalisation effective se
laissera observer avec l’accession de l’esprit à la vérité une et universelle. La réussite en vue de cette fin laisse supposer
l’exercice ininterrompu de la technique, grâce à laquelle l’Idéal révèle en même temps une possibilité multiple— la
SE À

possibilité de viser l’Idéal dans l’intention, la possibilité d’en faire l’approximation avec l’amélioration de la forme
RE T,

actuelle qui en est la matière, et la possibilité de réaliser cette fin dans le sens de la perfection —.
D EN

Ainsi, puisque l’aperception de la vérité dans son sens le plus complet et le plus sublime constitue le projet
théorique de la connaissance, un tel projet trouve une valeur pratique grâce à une technique. Cette technique repose sur
trois piliers complémentaires: la possibilité de l’Idéal en tant qu’il exerce un effet régulateur sur l’intellect; la possibilité
AN M

de l’activité en tant qu’elle est une technique menant à la réalisation de l’Idéal; et la possibilité d’une concertation de
E LE

tous les éléments (pouvoirs de l’intellect et puissances naturelles) dont la mobilisation est requise afin de réduire l’écart
entre l’Idéal conçu théoriquement et la réalité à laquelle aboutit une activité pratique dans l’actualisation de l’Idéal.
US SEU

Bref, l’action de connaître suppose, à l’instar de toute action, la confluence de l’Idéal, du mouvement et de la
perfection, lesquels éléments s’inscrivent à l’intérieur d’un procès. Cette entéléchie est circonscrite, puisqu’elle est
située à l’intérieur d’un ensemble d’entéléchies naturelles et sensibles dont certaines seulement relèvent d’un type
d’entéléchie que réalisent l’autonomie et la spontanéité rationnelles de la liberté. Ainsi, c’est un genre d’entéléchie dont
AL EL

seuls les êtres vivants peuvent revendiquer l’accomplissement, car la dynamique qui le leur procure requiert
l’actualisation du principe mystérieux et intangible de la vie. Or ce principe est susceptible d’illustrer uniquement une
ON N

évidence indirecte (par l’action que l’on en observe objectivement ou que subjectivement l’on en ressent) et de ne
RS ON

jamais se montrer passible d’une observation directe, à laquelle seule une contemplation immédiate du phénomène
nous permettrait de prétendre. De plus, en raison d’être doués du principe de vitalité, les êtres vivants possèdent la
faculté d’entrer en relation les uns avec les autres, en vertu de leur finalité respective et des moyens techniques
P E RS

employés pour la réaliser, non pas uniquement en facilitant, sous le mode de la concertation, la communauté et la
coopération en vue d’accéder à une finalité unifiée, mais aussi sous le mode de l’indépendance des moyens et de l’effort
distincts, en vue de réaliser des finalités séparées et pour l’essentiel singulières ou, au contraire sous le mode de
R PE

l’opposition et de l’antagonisme, en vue de produire des finalités contraires et mutuellement exclusives.


FO E

14 EE; AK XX, 223.


AG

15 Idem.
16 KU, Einleitung, § v; AKV, 185-186.
US

17 Cette affirmation, qui est en réalité une conclusion, mériterait qu’elle fît elle-même l’objet d’une thèse. C’est
pourquoi elle est présentée ici sous une forme hypothétique. Par ailleurs, l’image d’un pays de la vérité, quyi
serait comme une île entourée par un océan d’illusions [KRV; AK III, 202; AK IV, 155] ainsi que les notions de
l’inconditionné comme étant le principe ultime de la possibilité de l’unité rationnelle [KRV; AK III, 242; AK
IV, 196] et de l’ens realissimum, en tant qu’il est l’unique concept de l’unité absolue [REF 5729; AK XVIII,
338]], sont éminemment suggestifs de l’unité de la vérité vers laquelle tend toute connaissance.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 35 de 302 ...


LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

Il en résulte donc qu’à l’unité intégrale des fins réalisables correspond l’unité intégrale des moyens techniques
susceptibles d’être utilisés ainsi que l’unité intégrale des consciences qui, employant ceux-ci en fonction de celles-là,
réaliseront une concertation suprasensible (au plan individuel) des pouvoirs à l’intérieur de la communauté conative 18

LY —
des êtres (au plan collectif) en vue de l’unité intégrée et intégrale des rationalités que commande le principe de
l’entéléchie (selon les trois formes de la théorie, de la pratique et de la poématique 19).

ON CHE
Or, le concept de l’universel est celui qui représente cette unité suprême, inclusive de l’unité intégrée et intégrale
des rationalités ainsi que celles de toutes les fins possibles, de toutes les réalisations possibles et de toutes les
connaissances possibles, avec la réalisation de la plénitude des individualités et de la communauté, que procure la

ES ER
liberté d’un effort concerté, réciproque et complémentaire. L’actualité d’une telle unité suprême dépend alors sans
faute de chacune de ses espèces subalternes, à défaut de quoi elle tient soit de la fiction — d’un être de raison
entièrement hypothétique sans réalisation possible —, soit de la chimère — d’un être de raison complètement illusoire,

OS H
sans réalisation effective —. Il apparaît alors que le sentiment agit comme étant un révélateur de l’entéléchie, de la

RP EC
possibilité de l’unité suprême en tant qu’elle est susceptible de réalité et de réalisation, à toutes les étapes d’un
mouvement où entrent en confluence la finalité et la technique, définies de manière optimale et associées dans la liberté
de l’action, selon une réciprocité et une complémentarité mutuellement engagées à assurer l’accomplissement de la

PU E R
perfection effective de ce mouvement.

CH S D
En somme, le sentiment serait un indice d’harmonie, extrinsèque quant aux conditions extérieures agissant sur la
conscience et sur l’être naturel qui en est doué, et intrinsèque, quant aux déterminations intérieures d’une conscience
libre et agissante. Celles-là faciliteront ou compromettront la possibilité existentielle de participer de façon optimale à
AR FIN
l’entéléchie possible, effet dont la qualité du sentiment sera l’indice selon ses deux genres du plaisir et du déplaisir.
Quant à la conscience, elle recrute en son sein tous les pouvoirs (théorique, pratique et poématique) susceptibles
d’orienter la possibilité existentielle dans le sens d’une éventualité future, en tous points conforme, ou susceptible de le
devenir, aux principes essentiels de l’entéléchie.
SE À

D’un point de vue historique, le concept d’entéléchie recouvre deux réalités distinctes et donc deux points de vue
RE T,

séparés sur la téléologie: celui de la finalité réalisée (Aristote 20) et celui de la finalité se réalisant (Leibniz 21). Si l’on
D EN

considère que ce qui est réalisé est actuel — sauf lorsque la réalisation inclut la notion de dépérissement ou de
destruction accomplis —, la signification aristotélicienne devient fortement centrée sur la catégorie temporelle du
présent intemporel, qui confirme l’aboutissement d’un procès, alors que le sens leibnizien est tourné vers ce qui n’est
AN M

pas encore, mais qui sera, et engage donc la catégorie temporelle du futur. Puisque ni le monde d’Aristote, ni celui de
Leibniz ne sont immobiles, puisque ces deux mondes supposent le mouvement à partir du non-être qui accède à l’être,
E LE

une puissance qui se transforme en acte, on peut en conclure que la conception aristotélicienne de l’entéléchie est
rétrospective alors que celle de Leibniz est prospective. Car si ce qui réalise une finalité suppose une actualité présente
US SEU

(voire susceptible de se prolonger dans l’avenir), la réalisation implicite qui y est figurée renvoie à un mouvement
historique que seul un regard sur le passé parvient à capter alors que la finalité se réalisant (ou susceptible de se réaliser
puisqu’elle est contenue en germe dans un élément actuel, sans cependant que ne soit découvert le point initial du
mouvement à l’origine de son développement) suppose un mouvement qui, tout en n’étant pas arrivé à terme, serait
AL EL

susceptible d’une réalisation future, si n’en étant pas empêché ou interrompu par un mouvement (et donc une
entéléchie) contraire.
ON N

18 < conatus (latin): effort, élan. Les étymologies proviennent des sources suivantes, selon la langue: GRIMM
RS ON

(2004) pour l’allemand du XVIIIième siècle; GEORGIN (1938) pour le grec ancien; et GOELZER (2001) pour
le latin classique.
P E RS

19 < poihma, to (grec): «oeuvre»; «anything made or done»: generally, «a work»; specifically, «a poetical
work»; «a deed, act» [Liddell and Scott (1901), p. 1235]. Nous conservons la tripartition aristotélicienne de la
R PE

science, qui distingue la théorétique, la pratique et la poïétique [Vide Ph. BECK. «Logique de l’impossibilité».
In ARISTOTE. Poétique. Gallimard. Paris, 1996. p. 8-12] mais nous préférons adopter un néologisme pour
caractériser en général toute oeuvre produite par un agent et qui serait extérieure à celui-ci. Cette mesure a pour
FO E

avantage d’éviter la confusion présente chez Aristote entre la poïétique lato sensu, qui recouvre le même sens,
AG

et la poïétique stricto sensu qu’Aristote nomme la poétique et qui réfère uniquement à l’oeuvre d’art, par
opposition à toute autre forme de réalisation.
20 Vide Métaphysique, q, 8, 1050a 21-23: l’oeuvre est la fin et l’acte, l’oeuvre; l’acte (energeia) dérive du mot
US

oeuvre (ergon) et est synonyme d’entéléchie (enteleceia); et De Anima 412a: l’âme est l’entéléchie du corps,
en tant qu’elle en est le principe de la réalisation.
21 Vide Monadologie I, 18: les substances simples sont des entéléchies puisque elles sont créées avec une certaine
perfection; I, 48: les monades sont des entéléchies qui imitent plus ou moins la Divinité, selon le degré de leur
perfection; et Essai de théodicée, I, 87: l’entéléchie est en même temps la disposition à l’action et l’effort en ce
sens, pour autant que rien n’y fasse obstacle.

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LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

Dès lors qu’il s’agit d’une entéléchie, il s’agit d’un moment dans la réalisation de l’être, soit que celui-ci soit conçu
comme étant réalisé, soit qu’il le soit comme étant toujours en voie de réalisation, en vertu de l’actualisation effective
d’une puissance latente — ce qui représente une possibilité actuelle — ou d’une possibilité latente simplement

LY —
susceptible d’être actualisée — ce qui représente une possibilité virtuelle. Et dès lors qu’une entéléchie est considérée
comme étant finale ou efficiente, en tant qu’elle tend simplement vers une finalité, elle suppose dans son mouvement à

ON CHE
la fois la spécification d’une finalité, l’application d’une technique et le pouvoir d’effectuer l’une et l’autre, le tout
unifié en vertu de la finalité effectivement réalisée ou simplement en voie de l’être.

Nous voilà donc situé devant le noeud de la problématique kantienne (que spécifie ses quatre questions: que

ES ER
puis-je savoir? que dois-je faire? que m’est-il permis d’espérer? qu’est-ce que l’homme? 22) et la clef de la
compréhension de son oeuvre. Celle-ci s’insère à l’intérieur d’une cosmologie en perpétuel mouvement et d’une
téléologie incessante qui consiste à connaître la possibilité objective et idéale des choses (la philosophie théorique); à

OS H
définir les actions susceptibles de l’actualiser (la philosophie pratique); à comprendre les limites à l’intérieur desquelles

RP EC
se situe la conscience dans l’agencement réciproque et complémentaire de l’épistémologie et de la moralité (la
philosophie critique); et d’unifier le tout à l’intérieur de l’expérience humaine, laquelle constitue le carrefour et le point
nodal d’une rencontre et d’une résolution des antinomies, celles qui mettent en présence la physique et la

PU E R
métaphysique; la nature et la liberté; l’être et le non-être; le conditionné et l’inconditionné; la théorie et la pratique. Le
tout se produit en vue de l’unique réalité, qui paradoxalement est située au plan de l’Idéalité, car elle est la réconciliation
dans l’actualité de toutes les fins possibles [Einheit der Zwecke] 23. Ainsi, la philosophie poématique, laquelle trouve

CH S D
son point culminant dans la sagesse, est en tout temps suggestive d’une unité non-encore survenue, puisque sa
réalisation représente un Idéal pratique en état d’accomplissement perpétuel. Car si le discours kantien est proprement
métaphysique, sa fin est proprement physique — et donc esthétique selon la perspective de son accessibilité à la
AR FIN
conscience —, en tant qu’elle trouve sa contrepartie effective dans le monde phénoménal. C’est un monde en lequel le
réel du phénomène et l’idéel du noumène se retrouvent comme étant tout un, grâce à l’activité pratique et poématique de
l’homme qui, en réalisant d’une manière concertée et réciproque la perfection de la nature, réalise en même temps celle
SE À
de sa propre nature. Car alors, toute perfection naturelle devient en même temps le procès achevé de la perfection
humaine, en tant que celle-là réalise l’humanité qui est aussi la fin finale ultime de la nature 24.
RE T,

C’est que la nature humaine — l’essence suprasensible de l’homme qui entre dans un rapport unifié avec sa nature
D EN

sensible — représente en quelque sorte le point de l’intersection et de l’enchevêtrement du monde de la nature et du


monde de l’esprit. Car si la connaissance se fonde sur la dimension sensible et matérielle de l’espace, elle est par
AN M

essence non-sensible et immatérielle. Elle est donc susceptible de ne jamais être perçue objectivement de façon
immédiate mais uniquement d’être subjectivement éprouvée dans son activité spirituelle et seulement alors d’une
E LE

manière par laquelle les actions et les productions manifestes la médiatisent. Chez Kant, la rupture entre le sujet et
l’objet est complète à l’intérieur du principe de la connaissance: il s’agit alors pour la conscience d’interagir, au moyen
US SEU

de la faculté suprasensible, avec une nature sensible, de sorte que tout ce qui est subjectif réside au sein de l’esprit ainsi
que de ses multiples transformations intimes et que tout ce qui est objectif réside au sein du monde de la nature, à
l’intérieur du phénomène tel que représenté par l’intuition sur laquelle porte l’entendement, en vertu du principe: «Nil
est in intellectu quid non prius in sensu fuit» 25.
AL EL

Si la conscience kantienne est transcendantale, si elle plane au-dessus de la réalité un peu comme l’esprit de Dieu
au-dessus des eaux primordiales, elle alloue dans la connaissance ni pour la saisie immédiate de l’essence des choses
ON N

dans l’intuition (son noumène est une réalité suprasensible hypothétique quant à la possibilité phénoménale de la chose
RS ON

26
); ni pour une communion des subjectivités qui obvierait au processus d’une communication sensible; ni pour une
appréhension intime mais objective de la réalité métaphysique des formes pures qui par définition échappent à toute
aperception sensible, sans nier pour autant, ni leur essence immatérielle, ni leur réalité objective. Si la conscience
P E RS

kantienne agit comme l’esprit de Dieu planant au-dessus des eaux primordiales, ni Dieu, ni les eaux primordiales n’ont
de consistance réelle pour elle et comportent pour l’esprit une valeur uniquement idéelle, puisque les concepts qu’elle
R PE

en formule sont réfractaires à toute intuition sensible.

Or, c’est dans le rapport du sentiment et de la connaissance que se réalise la confluence du sens interne, susceptible
FO E

uniquement d’éprouver — de connaître phénoménalement, dans les sensations éprouvées — la vie de l’esprit, et des
AG

sens externes, lesquels réalisent dans l’intuition, l’aperception et l’appréhension d’une réalité que réunit (dans ses
US

22 KRV; AK III, 522-523, pour les trois premières questions; LOG; AK IX, 025, pour la quatrième interrogation.
23 Idem; AK III, 254.
24 KU, §82; AK V, 426.
25 Vide SENTROUL (1913), p. 12-14.
26 PKM, §32; AK IV, 315.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 37 de 302 ...


LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

dimensions temporelles) l’imagination triplement habilitée à évoquer à l’esprit ce qui fut, à représenter
synthétiquement ce qui est et à inventer (ou découvrir) ce qui sera. De plus, l’imagination unifie toutes ces données en
une synthèse complète (ou aussi complète que possible), le tout sous la gouverne de l’entendement constitutif,

LY —
conceptualisant et régulateur auquel la raison, dans son activité idéelle, fournit les éléments hypothétiques d’une
éventuelle unification systématique en vue d’une universalité possible 27.

ON CHE
Selon que la connaissance est plus ou moins présente ou selon que, en d’autres mots, la sensibilité occupe plus ou
moins entièrement la vie de l’esprit, on retrouvera dans le jugement une présence et une intensité variables du
sentiment. Dans la mesure où le jugement est conditionné uniquement par la sensibilité, au détriment de la conscience

ES ER
que l’on en a et qu’il subit par conséquent une détermination empirique, le sentiment devient le plus présent, jusqu’à
l’être immédiatement, alors que la détermination encourue remet en cause l’intégrité naturelle de l’être vivant. En ce
cas, le rapport au monde sensible suscitera les réactions viscérales du plaisir ou du déplaisir (les émotions) qui

OS H
s’articulent pour la personne autour des sentiments de sécurité ou de crainte, de bien-être ou de douleur.

RP EC
Dans la mesure où le sujet judiciaire est la cause d’une détermination, le sentiment est à toutes fins pratiques

PU E R
inexistant, en dehors d’une conjoncture empirique susceptible de faire naître des interactions, à l’intérieur de
l’expérience épistémologique, entre les forces dérivées procédant de la substance des êtres (les sentiments). L’absence
du sentiment caractérise donc le jugement, soit au plan de la conjoncture abstraite et hypothétique d’une activité pure

CH S D
susceptible de faire naître une passivité pure; soit à celui qui procure une conceptualisation abstraite sur la nature ou sur
la finalité substantielle, complètement séparées d’une expérience, actuelle ou éventuelle, susceptible d’être vécue et
éprouvée. Mais elle ne saurait en aucune façon caractériser le jugement, dès lors que celui-ci s’exerce à l’intérieur d’une
AR FIN
situation qui engage l’intégralité de l’individu, puisqu’alors les retombées effectives du jugement ne sauraient être
étrangères au sort de celle-ci.
SE À

Sentiment et entéléchie
RE T,

Or, si ces deux éventualités — le conditionnement et la détermination absolus — sont susceptibles d’être
envisagées à l’intérieur d’une appréciation théorique des possibilités, elles ne représentent en aucune façon
D EN

l’expérience individuelle typique. Celle-ci alloue pour une connaissance qui s’exerce sur un fond de sensibilité
possible, pour une détermination et un conditionnement qui se côtoient et pour une synthèse ontologique du registre
AN M

suprasensible et de la dimension sensible que réalise l’homme. Bref, de la même manière que la faculté de la
connaissance fait en tout temps partie intégrante de la conscience, ainsi en est-il du sentiment dans son rapport au désir,
E LE

en tant qu’il est la faculté qui en dérive, lesquels révèlent pour ceux-ci un lien avec les deux aspects de la détermination,
celle qui est subie et celle qui est produite par le sujet, opérant sur le mode de la réciprocité entre la présence que l’on
US SEU

préserve et le manque auquel on supplée, et la conscience que l’on en a de ces deux états, en tant qu’ils plaisent ou
déplaisent. Or, ce qui plaît, plaît en fonction de quelque chose et ce qui déplaît pareillement.

Pourtant, nous dit Kant, le sentiment comporte une caractéristique distinctive: s’il est une sensation, voire une
AL EL

sensation intime qui porte sur l’intuition et non sur l’objet sensible, il est la seule parmi toutes celles-ci qui n’est pas
susceptible d’une utilisation en vue d’acquérir une connaissance, en raison d’être uniquement subjective 28. Dès lors
qu’il s’agit d’une sensation pour l’essentiel subjective, on doit comprendre que cette sensation tient son principe et son
ON N

origine uniquement de l’intériorité suprasensible de la personne, sans référence préalable, directe et immédiate, à
RS ON

l’univers objectif de l’empirie. Il caractérise par conséquent la nature substantielle de l’être doué de la capacité de
ressentir.
P E RS

En somme, le sentiment serait le principe psychologique par excellence: on assiste avec le sentiment à une relation
qui engage uniquement l’être conscient avec lui-même, autant tel qu’il est actuellement qu’en raison de sa possibilité
R PE

éventuelle, dans l’unité profonde de son être tel qu’il se réalise, tel qu’il s’est réalisé et tel qu’il est enclin à se réaliser.
Car le sentiment pur selon l’essence ne résulte d’aucun rapport avec le monde empirique, en tant qu’il serait déterminé
par la sensibilité, et il révèle uniquement chez le sujet, un état de compatibilité, de congruence, de synergie, de
FO E

complémentarité et de conformité avec une possibilité engagée sur la voie de sa réalisation, à défaut d’être
AG

complètement réalisée, et dont le degré de perfection et de pureté (ou d’imperfection et de carence) se révèle en même
temps selon l’intensité et la qualité des nuances éprouvées à l’intérieur de la conscience. Bref, le sentiment renvoie à
une plénitude de l’être intérieur et prend, selon chacun de ces moments, le triple aspect de la satisfaction, de la beauté et
US

de la sublimité, auxquels s’ajoutent l’affect mixte de l’agrément, qui repose sur un rapport de l’intimité sensible avec
l’empirie, et la connaissance mixte — a priori quant aux principes, mais a posteriori quant aux conséquences — de

27 KRV; AK III, 091-092.


28 KU, Einleitung, §vii; AK V, 189.

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LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

l’entéléchie au sens leibnizien du terme 29.

Plénitude de l’être dans la satisfaction, en tant qu’elle réalise effectivement la puissance subjective de l’être

LY —
conscient de lui-même, en vertu d’une possibilité intrinsèque qui se sait telle, sans référence immédiate, ni au monde
sensible de l’empirie, ni au registre suprasensible de l’inconditionné complet, mais simplement à l’être transcendantal

ON CHE
du sujet. La conscience repose sur une connaissance intégrale, inclusive de la possibilité historique et culturelle, sans
pourtant s’en tenir uniquement à cette dimension, et qui, dans sa réalisation effective en fonction d’une propensité
innée, d’un désir qui l’accomplit et d’un conatus qui se dévoue en ce sens, peut s’autoriser à toutes les intensités, à
toutes les teintes et à toutes les nuances du sentiment, dont l’instance suprême serait le bonheur. Pour cette raison, le

ES ER
sentiment se situe non pas seulement au plan esthétique, mais aussi au plan de la moralité, avec l’extériorisation de la
raison pratique, conformément au désir et à la volonté qui en sont les deux pouvoirs actifs et déterminants.

OS H
Plénitude de l’être dans la beauté, en tant que celle-ci est associée à la conscience d’une réalisation effective et

RP EC
objective selon la connaissance et la représentation intégrale que l’on en possède, lesquelles révéleront une consonance
parfaite et harmonieuse du concept et de l’image selon l’actualisation suprême de ses possibilités effectives: le modèle,

PU E R
l’archétype et le prototype serviront pour elle d’une illustration privilégiée en des contextes différents, de l’Idée qui
inspire la matière de son Idéal accompli. Le modèle jouera ce rôle en informant l’actualité de l’Idée incorporée qui
préside à leur Idéal, de substances analogues engagées sur la voie d’un mouvement de perfection se perfectionnant, en

CH S D
fonction de son déroulement éventuel. Le prototype, en constituant l’entéléchie originaire d’un genre dont les espèces
se réalisent sans cesse et se constituent en de nouveaux modèles, qui sont une amélioration perpétuelle les uns sur les
autres et dont l’originalité et le degré de perfection trouvent entre eux un point de comparaison, à l’intérieur d’une
AR FIN
dynamique à laquelle président une volonté d’émulation que suscitent les circonstances et l’émulation effectivement
produite à l’intérieur de celles-ci. Pour cette raison, le sentiment du beau aurait une affinité essentielle avec l’ontologie,
avec l’illustration et l’usage de la raison poématique.
SE À

Plénitude de l’être dans le sublime, en tant qu’il est la conscience d’une réalisation objective selon des paramètres
qui dépassent toute conceptualisation et toute représentation définies. Le résultat sera de faire naître l’impression d’une
RE T,

grandeur mathématique et d’une puissance dynamique qui dépassent l’entendement et jusque l’expérience vécue, sans
D EN

pour autant exclure la possibilité pour le sujet de situer l’éventualité de l’entéléchie au plan de l’ineffable et de l’infini.
Celle-ci serait passible d’une représentation abstraite dans l’espace, susceptible d’être éprouvée subjectivement dans le
temps, sous le mode d’une continuité illimitée et d’une inclusion autorisant à toutes les possibilités existentielles, y
AN M

compris au plan de la durée. De sorte que le sentiment du sublime ouvre éventuellement sur l’épistémologie, en
suscitant et en contribuant à la mobilisation théorique des pouvoirs de la connaissance en vue de clarifier l’inexpliqué
E LE

sensible, et sur la téléologie, laquelle inclut à la fois le mouvement immanent de la mythologie et la direction
transcendante de la théologie, dans leur tentative pratique de conférer une signification qui, parce qu’elle ne saurait être
US SEU

entièrement hypostasiée dans le domaine du sensible, requiert une élévation de l’esprit au plan suprasensible de la
raison pour être adéquatement reçue.

En plus, deux formes mixtes s’ajoutent aux formes pures que prend le sentiment éprouvé subjectivement en vertu
AL EL

d’une essence qui convient proprement à la vitalité de l’âme. Ces formes renvoient à un autre genre de plénitude, celle
des sens dans le rapport de la conscience à la nature, selon une modalité exclusivement sensible pour l’une, et celle de
ON N

l’intellect dans le rapport de la conscience à la nature, selon une modalité suprasensible pour l’autre.
RS ON

Plénitude de l’être selon les sens, en raison d’une adéquation complète de la nature au sujet existentiel, éprouvant
subjectivement, sous le sceau de l’agrément, un rapport objectif au monde sensible qui laisse entrevoir l’abondance
P E RS

ininterrompue de l’expérience, telle qu’elle se vit avec une conjoncture qui assure la sécurité complète de la personne.

Plénitude de l’être selon l’intellect, en raison d’une adéquation complète du monde objectif à la conscience
R PE

réfléchissante qui entrevoit en toute lucidité, sinon la perfection accomplie des choses, du moins leur possibilité en
fonction de cette perfection, non plus simplement dans l’harmonie d’une représentation, mais aussi dans celle de
FO E

l’expérience que caractérise la confluence parfaite de l’une avec l’autre, de l’Idée et de sa réalité, du noumène et du
phénomène, de la possibilité et de sa réalisation.
AG

Le rapport entre le sentiment et le jugement laisse entrevoir une tension entre le jugement subjectif de l’un,
US

éprouvé sans être conceptualisé, et le jugement purement objectif de l’autre, conceptualisé sans être éprouvé, laquelle
tension renvoie à une dialectique dynamique et complémentaire du coeur et de la raison qui oblige à prendre partie en
faveur de l’un ou de l’autre, même dans le plus pur des équilibres les unissant, comme caractérisant le plus fidèlement

29 Vide en annexe, p. 256, le Tableau I.4, intitulé «Espèces majeures du sentiment, en regard de leur rapport aux
pouvoirs de l’intellect, à l’état de l’esprit et au domaine philosophique correspondant».

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LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

l’originalité proprement humaine, dans la distinction qui lui appartient en tant que participant au genre des êtres animés.
C’est Pascal qui a prononcé la thèse de l’autonomie du sentiment dans l’aphorisme maintenant fameux: «Le coeur a ses
raisons que la raison ne connaît pas» 30, auquel Kant oppose le point de vue de la primauté de la raison sur le sentiment,

LY —
du noologique sur le pathologique 31.

ON CHE
Dès lors que les impulsions du sentiment prévalent dans la conduite — activité ou action —, sans que
n’intervienne l’efficace de la logique de l’entendement ou de la raison en général afin d’en infléchir le cours, d’en
orienter les énergies et de l’insérer à l’intérieur d’une finalité extrinsèque, la conduite sera dite pathologique, étant alors
déterminée intérieurement par des mobiles qui relèvent uniquement du sentiment. Mais selon que la raison acquiert un

ES ER
ascendant sur le sentiment, selon qu’elle lui fournit une règle dans la conduite de façon à le plier à une technique qui
obéit à une finalité selon un mouvement de l’entéléchie au second sens, ayant pour aboutissement ultime une perfection
objective, on peut dire alors que la conduite est proprement noologique.

OS H
RP EC
Or voilà que, à l’intérieur du rapport complémentaire de la raison et du sentiment qui caractérise le jugement
esthétique, existe un équilibre complexe qui, dans la logique de Kant, reflétera nécessairement cette primauté

PU E R
noologique, susceptible de rallier le sentiment et de le mettre au service d’une fin qui est extérieure à sa propre finalité.
Cela aura pour effet de subsumer l’expression immédiate de la conduite subjective en fonction d’une nature singulière,
initiée selon une dynamique qui anticipe sur les notions extrêmes de refoulement et de sublimation rencontrées à
l’aurore du XXième siècle. Le sentiment sera ainsi marqué du sceau d’un principe de réalité, immanent à un espace

CH S D
architectonique et à un temps culturels, tout en s’inscrivant progressivement à l’intérieur du mouvement historique
qu’inspire la valeur objective de la perfection, à partie de valeurs et de choix originels. Ceux-ci seront valables pour
AR FIN
l’ensemble de la collectivité sur laquelle porte le leitmotif formel d’une définition historique originale. Bien que
celui-ci ait subi de nombreuses altérations et modifications, à l’intérieur d’une variété de formulations morales et de
codifications juridiques, qui ne sont pas sans améliorer parfois (et peut-être souvent) des formes antérieures mais qui
ont toujours pour but de composer adéquatement avec une situation actuelle, il se laisse reconnaître à la qualité et à la
SE À

direction que prend la vitalité de l’ensemble à l’intérieur de son expression historique.


RE T,

D’un côté, on retrouve le jugement qui, dans ses principes, ressort aux pouvoirs supérieurs de connaître; de l’autre,
D EN

le sentiment qui, selon l’un ou l’autre de ses genres, le plaisir ou le déplaisir, constitue un principe de détermination sur
le jugement. D’un côté, on aperçoit la réflexion sur une représentation qui est un principe de détermination sur le
sentiment, le faisant apparaître dès lors qu’est mis en branle l’acte de réflexion susceptible de produire ces pouvoirs de
AN M

connaître, avant tout concept et avant toute règle, non seulement en raison de la représentation, mais aussi en vertu du
sentiment susceptible d’être évoqué par elle. De l’autre, la finalité subjective du sentiment, pensée avant que d’être
E LE

éprouvée, logos donc avant que d’être pathos. D’où ressort de cette association privilégiée des deux aspects distincts de
la vie intérieure, la rationalité et la sensibilité, un complexe synesthésique qui unit la raison et le sentiment et subsume la
US SEU

représentation objective sous les conditions de la faculté de juger — qui devient alors le principe déterminant sur la
chose, avec l’identification du concept dans la réflexion et la schématisation de la règle dans la détermination active —,
lesquelles conditions sont alors en même temps subjectives (i.e. éprouvées dans le for intérieur) et universelles (i.e.
valables sauf exception in foro externo pour tous les cas d’espèce). C’est une détermination qui trouve son principe
AL EL

dans la spécification du concept et de la règle qui, même lorsqu’elle est appropriée, s’avère en même temps limitative
quant à l’extension et réductionniste quant à l’intension.
ON N
RS ON

Sentiment et pressentiment
Ce qui pose problème, c’est la synthèse, parfaitement équilibrée dans l’action du pouvoir de juger, de la
P E RS

subjectivité du sentiment dans son effet singularisant et de l’objectivité du jugement dans son résultat totalisant: car il
résulte de la thèse kantienne de la subjectivité qui peut prétendre en même temps à l’universalité que, étant valable pour
R PE

telle représentation spécifique, tel jugement serait néanmoins non pas particulier mais général. La question sera de
savoir de quelle universalité il s’agit, alors que la cause exogène du jugement n’a en elle-même aucune prétention à
l’universalité et peut à la rigueur s’offrir à la conscience judiciaire singulière en une seule occasion unique.
FO E
AG

Posons l’exemple d’un arbre dans la forêt que l’âge avancé pour son espèce rend particulièrement vulnérable aux
bourrasques de vent. Posons en plus un randonneur qui se promène à l’intérieur de cette même forêt, sur un sentier qui
longe le vieil arbre, situé à l’intérieur d’un rayon imaginaire que dessinerait sur le sol la hauteur de l’arbre, si celui-ci
US

venait à s’écraser. Ajoutons à cette conjoncture une journée particulièrement venteuse. Proposons ensuite deux
hypothèses concomitantes: celle d’une forte bourrasque, imprévue et imprévisible, et celle d’un randonneur prudent.

30 B. PASCAL. Pensées 329, 680. In Pensées (édition Sellier). Livre de poche. Paris, 1991. p. 224, 467.
31 KPV; AK V, 072-073.

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Dans la première hypothèse, le vent se lève soudainement, d’une force telle que le promeneur, arrivé à la hauteur
de l’arbre, entend un craquement net et intense suivi d’un froissement progressivement plus prononcé de feuilles dont
une estimation rapide de la provenance donne à entendre qu’il se trouverait en plein sur la trajectoire d’un arbre en

LY —
pleine chute. À peine a-t-il pris conscience de cette forte probabilité, en même temps que du sentiment de crainte quant
au péril auquel il est exposé, s’il ne change pas la trajectoire de sa marche, que le promeneur décide d’accélérer sa

ON CHE
marche au pas de course et réussit à franchir la distance qui le sépare de la course fatale d’un arbre qui s’abat à ses pieds.

Dans la seconde hypothèse, le promeneur est un habitué des longues marches en forêt et a remarqué qu’il se
trouvait à proximité d’un vieil arbre dont la stabilité toute précaire donnait à croire que, si les vents déjà forts se levaient

ES ER
et prédominaient dans une certaine direction, il courrait un danger mortel d’être happé par lui s’il tombait et s’il ne
modifiait pas en conséquence la trajectoire de sa randonnée. Peu de temps après, tel qu’anticipé, le vent se lève et, à son
grand soulagement, le promeneur constate que là où il se trouvait quelques instants auparavant, gît maintenant un arbre

OS H
qui s’est abattu avec violence et fracas.

RP EC
Si le scénario de chacune de ces deux hypothèses connaît une fin analogue, la compromission de la sécurité

PU E R
physique d’un promeneur en forêt, suite à un événement naturel fortuit, il diffère sur un point majeur alors que dans le
premier cas, le promeneur a réagi instantanément et de façon adéquate à un accident qui se produisait, pour éviter un
danger imminent et se mettre à l’abri de celui-ci, et que dans le second, le promeneur a anticipé un danger avant toute

CH S D
évidence claire et explicite de son éventuelle matérialisation, pour prendre les mesures hypothétiquement adéquates
afin d’assurer une sécurité non encore compromise, pour ensuite constater que sa prévoyance n’était pas inutile 32.

AR FIN
Dans la première hypothèse, le sinistre, aperçu suffisamment tôt pour éviter les conséquences de son entéléchie,
conduira à une appréciation qui évoque un complexe synesthésique judiciaire, se fondant sur une association dans
l’esprit subjectif [Gemüt] de la raison et du sentiment, dans lequel la crainte, qui procède du danger que représente pour
l’existence un sinistre en voie de se réaliser, détermine instantanément le jugement. La réaction qui s’ensuit obéit à une
SE À

finalité ontologique, celle de garantir la sécurité du promeneur autonome. Devant le succès de la mesure auquel il a
recours, celui-ci éprouve tantôt un sentiment intellectuel, la satisfaction d’avoir réagi adéquatement — et donc d’avoir
RE T,

accompli une fin désirée avec instance — et par la suite un sentiment sensible, le soulagement d’avoir ainsi échappé à
D EN

un péril certain.

Dans la seconde hypothèse, le sinistre ne donnait aucun indice de se produire au moment où l’action de l’éviter fut
AN M

entreprise. Il était seulement anticipé, de sorte que le facteur déterminant du jugement fut le pressentiment, le sentiment
E LE

vague d’un danger imminent, avant même l’évidence de sa manifestation, donnant lieu à une action qui se révèle
adéquate uniquement ex post facto. Ce n’est pas le moment initial d’un processus périlleux déjà engagé et l’action
d’évitement en résultant qui en affirment le bien-fondé, mais c’est l’éventualité de l’ensemble d’un événement auquel
US SEU

le promeneur a paré au moyen d’une action préventive qui par la suite en confirme la justesse.

Avec la notion de pressentiment, on entre chez Kant dans le domaine de l’incompréhensible, comme en attestent
les quelques références qui en traitent dans son oeuvre. Ainsi, grâce au pressentiment, la nature a-t-elle la possibilité de
AL EL

signifier par anticipation une fin naturelle que la raison est susceptible d’identifier en se fondant sur le principe des
causes possibles et en se fiant à une aptitude rationnelle à remonter la série des causes jusqu’à son point originel et à en
ON N

parer les effets, malgré que le concept de fin naturelle soit étranger aux sciences physiques 33. On retrouve un autre
exemple du pressentiment chez Kant, avec l’exposition du problème que procure la sensation anticipée d’un objet
RS ON

suprasensible — la vérité, le noumène, la Divinité — qui ne tombe pas sous la coupe des sens 34, mais qui fait surgir
l’opposition entre le pressentiment [ahnen] qui échappe au philosophe puisqu’il repose sur un savoir confus, mais dont
P E RS

la source demeure mystérieuse, et la conjecture [raten], qui appartient en propre à la philosophie en tant qu’elle illustre
l’expression d’une raison que guide uniquement la logique 35. Le destin présente un problème particulièrement épineux:
il semble prévaloir sur le libre arbitre et la connaissance que l’on en possède repose sur une des deux manifestations
R PE

possibles de la conscience, lesquelles reprennent la division entre ce qui est logique et ce qui échappe à son pouvoir.
D’une part, le pressentiment [Ahnung], un sens caché [einen verborgenen Sinn] s’exerçant préalablement à la réflexion
mais qui est susceptible de révéler ce qui arrivera avant que cela ne se réalise; de l’autre, la prescience
FO E

[Vorhererwartung], laquelle se fonde sur la réflexion et déduit de proche en proche les effets conformément au principe
AG
US

32 Vide en annexe, p. 258, le Tableau I.5, intitulé «Schéma illustrant la distinction entre le sentiment et le
pressentiment à l’intérieur d’une dynamique conjoncturelle analogue.».
33 KU, §72; AK V, 390.
34 EVT; AK VIII, 397-398.
35 Idem, p. 399.

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de causalité 36.

Pourtant, le principe de l’unité de la conscience dans la constitution unificatrice de l’Idéal de la vérité unique

LY —
semblerait faire échec a priori à la distinction radicale entre ce qui est simplement aperçu comme étant vrai et ce qui,
étant vrai, obéit aux lois de l’évidence discursive. Si on accepte cependant que l’expérience courante rend possible

ON CHE
d’anticiper parfois sur la production d’un événement, en raison de la conjoncture uniquement et en l’absence provisoire
d’une explication philosophique objectivement suffisante et adéquate pour justifier un tel fait (ce que Kant ne nierait
certes pas, comme l’attestent les propos qui ont précédé), nous pouvons proposer que l’action subséquente est soit
réactive, soit proactive, selon que le sentiment ou le pressentiment sont les principes déterminants du jugement.

ES ER
Or, en analysant l’un et l’autre cas, l’on s’aperçoit que, d’un point de vue phénoménologique uniquement, ce qui

OS H
distingue le sentiment et le pressentiment, c’est non pas la série objective des causes et des effets, mais la relation du
sujet à celle-ci, de sorte que, dans la première hypothèse, l’action procède d’une réaction adéquate à une cause aperçue,

RP EC
dans la médiation du complexe synesthésique impliquant le sentiment (v.g. la crainte devant la menace d’un danger
imminent), alors que dans la seconde hypothèse, cette action, tout en parant effectivement à un tel danger, sera initiée

PU E R
simplement dans l’anticipation qu’un sinistre se produise, avant que ne se révèle aux sens la cause efficiente qui en
signifie l’éventualité, par l’entremise d’un jugement impliquant le pressentiment. Celui-ci s’éprouve subjectivement
comme étant un je-ne-sais-quoi qui, malgré qu’il est inconcevable dans l’immédiat, détermine et incline

CH S D
impérieusement, voire adéquatement, à effectuer une action non pas en l’absence de toute cause efficiente, mais avant
que celle-ci ne se manifeste de façon sensible à l’intérieur d’une conjoncture qui en rend hautement probable
l’éventualité et qui présage son échéance imminente.
AR FIN
En d’autres mots, le sentiment et le pressentiment sont des analogues. D’une part, ils impliquent une action qui
intervient à l’intérieur d’une série où interviennent la cause efficiente et l’effet en résultant (en conformité au principe
naturel de causalité, auquel est associé celui de la spontanéité et de l’autonomie suprasensibles). D’autre part, ils se
SE À

distinguent en ce que le sentiment requiert la présence sensible d’une force naturelle déterminante à l’origine du
mouvement efficient selon un rapport de cause à effet; et que le pressentiment anticipe cette production d’une manière
RE T,

inexpliquée, avant toute manifestation explicite de la cause qui en déclenchera le déroulement. En somme, si
D EN

l’association du jugement et de la réaction s’exerce en fonction de la cause uniquement, en tant que celle-ci est le
principe de l’efficience spécifiée, celle du jugement et de la proaction s’exerce en fonction du principe à l’origine de la
cause gouvernant une efficience subséquente, laquelle sera susceptible d’une appréhension immédiate. De sorte que, si
AN M

le sentiment surgit devant la cause, en tant qu’elle est un principe d’efficience, le pressentiment naîtra face à la cause
considérée en elle-même, en tant qu’elle est elle-même un effet, sans qu’elle ne perde en cela son statut de principe
E LE

quant à l’effet objectif dont elle est subséquemment la cause. Il résulte de cette constatation que le statut de la cause sera
réévalué dans l’acte subjectif du jugement.
US SEU

Si la cause est entrevue simplement comme étant, à l’intérieur du complexe synesthésique du jugement, le
principe de l’efficience à laquelle doivent parer le jugement et l’action qui en résulte, c’est qu’elle est considérée
singulièrement, i.e. a posteriori, en tant qu’elle révèle un surgissement indépendant, sans égard pour la conjoncture à
AL EL

l’intérieur de laquelle elle s’inscrit. Dans l’exemple que nous proposons, cette cause est le coup de vent soudain et
imprévu qui rompt l’arbre dont il s’agit d’éviter la chute, sous peine d’être écrasé par lui. Le sentiment accompagne
ON N

alors la manifestation de cette cause et, s’il est un principe de détermination du jugement qui est suscité par lui, dont le
principe transcendantal fondamental se situe pour celui-là dans le pouvoir supérieur de connaître, c’est la cause
RS ON

objective qui est le principe déterminant du sentiment, en tant qu’il le fait naître, étant éprouvé dans la conscience du
sujet en vertu de l’occurrence sensible qui en est à l’origine.
P E RS

Par ailleurs, si à l’intérieur du complexe synesthésique, qui réunit dans la raison (assertorique ou hypothétique) le
jugement et le sentiment, la cause est un effet dont on a identifié le principe; si en d’autres mots, il existe une cause à la
R PE

cause dont l’aperception est suffisante pour déduire la mise en place de ce principe (selon la loi de la causalité), avant
même que l’action ne s’accomplît naturellement pour initier le mouvement qui associe une cause manifestée et une
efficience réalisée, on pourrait à juste titre dire que le pressentiment est le sens caché qui constitue d’une manière
FO E

inopinée et inattendue une aperception du principe originel de la cause, en tant que celle-là produit une anticipation sur
AG

la cause manifestée. Nonobstant qu’une telle disposition tient à une illustration de l’imagination propre au génie, dont
la créativité et l’originalité sont d’autant plus grandes qu’elles s’exercent loin de la contrainte des règles que lui
imposeraient les autres facultés de la connaissance 37, le statut du sens mystérieux qui permet d’anticiper sur le savoir
US

objectif fait problème.

36 APH, §36; AK VII, 186-187.


37 Idem, §57; AK VII, 224.

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Car au lieu de faire confiance simplement au plan sensible de fournir la matière du jugement et du sentiment,
co-existants à l’intérieur d’une relation concertée et mutuelle, l’esprit [Gemüt] repose son activité judiciaire sur le
principe de la causalité synergique, qui alloue pour la conjoncture d’une multiplicité de facteurs, exhausse le jugement

LY —
au plan de l’extrapolation suprasensible et lui adjoint le pressentiment. Le pressentiment est-il alors un sentiment?
Peut-on faire allusion, pour le pressentiment, à un complexe synesthésique judiciaire? La réponse est affirmative, car ce

ON CHE
que l’on nomme le pressentiment est en réalité un sentiment qui porte sur une cause d’un ordre supérieur (une forte
probabilité conjoncturelle), résidant à l’intérieur de la conjoncture dont la cause efficiente la plus immédiatement
perceptible serait une expression, et dont l’aperception adéquate est le principe déterminant du sentiment, en ce qui
concerne la seconde hypothèse.

ES ER
Si dans la première hypothèse (de l’homme prudent), la cause immédiate est considérée singulièrement, comme
surgissant naturellement, de manière spontanée et prévisible, elle reçoit dans la seconde hypothèse (de la forte

OS H
bourrasque) une considération intégrale, i.e. en tant qu’elle appartient à une conjoncture et qu’elle émane de celle-ci,

RP EC
étant l’effet d’une cause antécédente. La présence de celle-ci serait alors la raison suffisante et adéquate de la
production d’une cause efficiente immédiatement apparente sur laquelle porterait un jugement et une action en réaction
à cette cause. De sorte que si une cause efficiente immédiate est passible d’évoquer un sentiment, la cause antécédente

PU E R
qui serait à l’origine de celle-ci serait passible de faire naître un pressentiment, un sentiment suscité par une aperception
qui s’adresse à un ordre de causes plus abstrait, à l’intérieur duquel figurerait, non plus seulement la cause efficiente
immédiate, voire isolée par l’esprit qui n’en capte pas tous les principes et toutes les ramifications, mais une

CH S D
conjoncture qui est prise comme étant un ensemble dont procéderait cette efficience et qui en constituerait le principe,
en rassemblant les conditions suffisantes et en les retrouvant jusque dans les manifestations empiriques.
AR FIN
En percevant cet ensemble de conditions, il serait possible d’évoquer la nécessité (ou à tout le moins la forte
probabilité) de l’apparition d’une cause efficiente immédiate avant même que celle-ci ne devienne manifeste.
L’apparition du sentiment se produirait à l’intérieur de cette conjoncture suprasensible et en procéderait: le sentiment
SE À

qui correspond à l’aperception de cette cause supérieure deviendrait alors le principe déterminant du jugement et de
l’action subséquente. Ceux-ci se rapporteraient alors à une causalité d’un ordre supérieur (tout-à-fait conformément au
RE T,

principe de causalité), tout en semblant proactifs au processus qui repose simplement sur un jugement qui procède
d’une causalité efficiente dans l’immédiat, en l’absence de l’aperception adéquate d’une cause qui puisse être
D EN

supérieure à celle-ci dans l’esprit.


AN M

Ainsi, le pressentiment ressortirait à un jugement d’un ordre supérieur, i.e. un jugement qui considère
l’agencement des éléments d’une conjoncture dans la naissance éventuelle d’une cause efficiente immédiate (en vertu
E LE

d’un principe de nécessité ou de forte probabilité) et envisage l’hypothèse que, dans l’éventualité où l’agencement
suffisant et adéquat se produira, il en résultera l’apparition de la cause efficiente immédiate. Bref, il s’agirait , pour
US SEU

comprendre adéquatement le pressentiment, de le situer à l’intérieur du phénomène de la causalité multiple qui ferait
intervenir — nécessairement ou probablement — une multiplicité de causes individuelles dont c’est la combinaison
uniquement, selon la proportion adéquate et suffisante des éléments, qui serait le principe de la cause efficiente
immédiate. Le pressentiment serait alors l’expression de la capacité imaginative de l’esprit d’anticiper l’effet d’une
AL EL

telle causalité, en raison de la présence concurrente, dûment aperçue, des éléments qui, entrant en combinaison selon
des proportions judicieuses, seraient susceptibles de produire une issue prévisible. C’est alors cette connaissance qui
devient le principe déterminant du sentiment influant sur le jugement en vue d’une action, d’une réaction quant à
ON N

l’aspect complexe de la causalité multiple dont l’appréhension se situe au plan de la raison suprasensible mais
RS ON

cependant déterminante, et d’une proaction quant à l’apparition de la causalité efficiente immédiate à laquelle la
causalité multiple donne lieu, le tout à l’intérieur d’une série de causes, conformément au principe de causalité. Le
pressentiment recouvrirait alors un type particulier du sentiment dont l’origine est suprasensible, mais dont l’efficace
P E RS

est sensible, puisqu’il mène à la production d’un jugement déterminant.


R PE

Subjectivité et universalité
Vu que la perception réactive et l’anticipation proactive requièrent une technique judiciaire analogue, la question
qui relie la subjectivité et l’universalité dans le jugement peut recevoir par conséquent un traitement semblable et
FO E

suffisamment général pour que la solution apportée s’applique au jugement tel que présent dans chacune des deux
AG

hypothèses.
US

Tout repose sur la compréhension du bien-fondé de la prétention du jugement esthétique de réflexion à générer un
état subjectif dont la validité tient de l’universalité et de la nécessité 38. Revenons à notre exemple du vieil arbre dont la
chute imminente présage d’un danger important. Cette éventualité suscite chez le promeneur le jugement d’avoir à
l’éviter. Faisons remarquer que ce jugement, un fait subjectif de la conscience, vaut en ce cas uniquement pour le vieil

38 KU, Einleitung, §vii; AK V, 190-191.

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arbre en question et non pas pour tous les arbres proximaux dont la robustesse mitigerait grandement le risque que
survienne pour eux le sort de celui qui est susceptible de s’écrouler. En quoi un tel jugement, qui a tous les aspects d’un
jugement particulier peut-il comporter dans sa singularité apparente une validité universelle et nécessaire? Car ce

LY —
jugement est valable uniquement pour tel arbre, à un tel stade de sa maturité, présentant les caractéristiques d’une
précarité face à telle conjoncture précise, en un instant précis (celui où le randonneur se balade à proximité de lui).

ON CHE
Deux possibilités se rencontreront pour étayer une telle validité: une possibilité objective, applicable à tous les
arbres comportant les mêmes caractéristiques (ou des caractéristiques suffisamment semblables) et exposés à une
même conjoncture (ou à une conjoncture suffisamment semblable), à savoir un vieil arbre dont la fragilité le rend

ES ER
susceptible de s’écrouler sous l’effet d’une rafale forte et soudaine; et une possibilité subjective, susceptible d’une
généralisation à tous les randonneurs exposés au péril de se retrouver au pied d’un tel arbre lorsque les conditions sont
réunies pour qu’il s’écroule. Mais en réalité, ces deux possibilités n’en forment qu’une seule, puisque c’est la

OS H
conjoncture de la rencontre du péril et du promeneur qui est la cause du jugement et de l’action subséquente.

RP EC
Ni l’arbre seul, si vieux et si précaire fût-il; ni la conjoncture naturelle seule, d’un vieil arbre exposé à la tourmente

PU E R
de vents violents; ni l’action seule du randonneur, une marche dans la forêt; ni même cette action réalisée dans la
tourmente, mais sous d’autres conditions, soit dans un pâturage ou soit dans une forêt peuplée de jeunes arbres; aucune
de ces situations prises séparément ne conduiraient au jugement que cet exemple illustre, quant à la nécessité d’une

CH S D
action qui consisterait à éviter le trajectoire d’un arbre qui s’écroule avec fracas sur tout son long et de tout son poids.
D’autres périls dûs à d’autres conjonctures pourront nécessiter une action préventive analogue, mais celle-ci ne pourra
se revendiquer de la même causalité multiple qui réunira un randonneur expérimenté, un arbre âgé, un climat venteux et
AR FIN
une bourrasque soudaine, pour précipiter la cause du complexe judiciaire, entraînant une action d’évitement
appropriée, même en procédant d’un complexe judiciaire analogue, comportant un sentiment comparable dans la
détermination d’une décision semblable. Si celui-ci peut préparer l’illustration formelle du jugement portant sur une
multiplicité de conditions, dont c’est l’agencement précis qui détermine un effet spécifique, en aucun temps ne
SE À

saura-t-il autoriser à prévoir ce que sera cet effet, et donc le contenu du jugement, en l’absence des conditions spécifiées
qui en seront à l’origine. Puisqu’un jugement esthétique de réflexion vaut pour des conditions particulières impliquant
RE T,

des consciences singulières, ce jugement portera par conséquent sur une situation objective, une expérience qui est ni
universelle, ni nécessaire, qui est donc entièrement contingente, telle qu’elle sera éprouvée par une conscience
D EN

subjective aux attributs également contingents, dans l’action réciproque de cette conscience sur elle.
AN M

Or, pour qu’une chose puisse revendiquer une valeur universelle et nécessaire, elle doit posséder comme attribut
de représenter substantiellement ce qui incomberait à toute autre chose du même genre, sans quoi ni elle, ni cette chose
E LE

ne peuvent se reconnaître l’une dans l’autre, ou l’une par l’autre. Ainsi, un jugement qui serait valable de manière
universelle et nécessaire serait un jugement tel que tous les autres jugements du même genre se reconnaîtraient dans et
US SEU

par celui-là, en ce qu’ils participeront à une même essence, en présentant des attributs qui la révèlent adéquatement. Le
genre de jugement dont il s’agit en ce cas est un jugement subjectif, i.e. un jugement qui appartient à une conscience qui
se saurait telle, dans l’intimité d’une réalité subjective personnelle qui a certes la possibilité de s’extérioriser, mais dont
la propriété essentielle est de constituer une puissance d’autonomie, de spontanéité et de réactivité intérieures. C’est
AL EL

une puissance qui se fonde sur le sens interne [der innere Sinn] en tant qu’il est sensible aux mouvements de l’esprit
[Gemüt], et sur le sens intérieur [der inwendige Sinn], en tant qu’il est sensible aux mouvements de l’âme tels que le
sentiment le révèle 39.
ON N
RS ON

C’est donc à une nature que réfère le jugement subjectif, mais à une nature que caractérise une intimité qui se
sachant, renvoie à un principe rationnel, et qui, se ressentant, renvoie à un principe de vie. Un jugement subjectif qui
serait en même temps universel et nécessaire est par conséquent un jugement que s’autorise à formuler toute conscience
P E RS

douée d’intelligence et de vie, et plus encore qui s’impose à elles, pour les transformer matériellement en les orientant
formellement. C’est un jugement opéré au nom de l’intelligence et de la vie qui en sont le double principe fondateur,
R PE

mutuel et complémentaire, mais qui ne sont pas sans être intéressées ni par l’issue du jugement, ni par les conséquences
qui résulteront pour elles, lorsqu’elles émanent des fruits de ses déterminations. Par ailleurs, il est de la nature de tout
jugement d’exprimer une relation entre la conscience suprasensible et la nature sensible, selon un rapport où celle-ci est
FO E

la cause d’un sentiment qui, en raison de son effet déterminant sur le jugement 40, incline à formuler la règle d’une
AG

action appropriée qui, en s’inscrivant au plan sensible, produit un effet à son tour susceptible d’être apprécié.

C’est donc en réponse à une conjoncture spécifique, alors que l’expérience objective sollicite, au plan de la
US

subjectivité judiciaire, la définition d’une action spécifique et appropriée, que se révèle la validité subjective,
universelle et nécessaire, du jugement. Mais une telle conjoncture est par définition contingente de sorte que, dès lors

39 APH, §15; AK VII, 153.


40 KU, Einleitung, §vii; AK V, 191.

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qu’un jugement à portée universelle et nécessaire dût être formulé, l’universalité et la nécessité en question se
référeront à un critère autre qu’un critère empirique. Critère qui d’ailleurs peut être de deux espèces: soit que cette
universalité et cette nécessité soient valables pour toute conscience subjective, indépendamment des circonstances qui

LY —
présideront à sa formation; soit qu’elles seront valables uniquement pour toute conscience subjective, dès lors que
simplement des circonstances pertinentes seront responsables du jugement obtenu. Par contre, puisqu’un jugement

ON CHE
renvoie toujours à des circonstances contingentes, c’est la seconde espèce de celles-ci qui constituera l’occasion d’un
jugement subjectif, valable a priori, i.e. universellement et nécessairement, pour la conscience qui le formule en son for
intérieur, en raison du principe de finalité qui le fonde, et éventuellement l’énonce ou lui donne suite avec l’action
poématique, dont l’éventuelle valeur pour toute autre conscience argue en fonction d’un principe que toutes les natures

ES ER
intelligibles et subjectives ont en partage.

Par ailleurs, si la raison judiciaire singulière est contingente, l’essence suprasensible à laquelle elle renvoie ne

OS H
saurait l’être, puisque tous les hommes participent à une nature commune qui, tout en préservant la distinction de leur

RP EC
individualité propre, est néanmoins suffisamment identique pour assurer la mutualité des sentiments et des pensées,
dans la culmination des rapports interactifs sur une concertation sympathique et synergique, constitutive de la
dimension sociale et culturelle de l’humanité. C’est à l’intérieur de la communauté des pensées et des sentiments,

PU E R
révélatrice d’une analogie présidant aux natures humaines, que réside le critère de la validité universelle et nécessaire
du jugement subjectif. Car ce sont des natures qui, sous certains égards, sont identiques quant à leur possibilité
substantielle, mais dont la possibilité est distincte sous d’autres respects, quant à leur réalisation effective que

CH S D
conditionnent autant la nature des expériences qui les fondent que la disposition et l’engagement à les vivre selon une
certaine idéalité personnelle, laquelle n’exclut pas la dimension sociale et collective. Si un tel jugement peut et doit
valoir pour toutes les consciences qui le forment, c’est en raison de répondre à une Idée de l’humanité, laquelle
AR FIN
comporte une valeur sociale et culturelle du fait de réaliser adéquatement l’humanité réelle, autant eu égard à son
essence originale qu’aux moyens existentiels propres à celle-ci, tels qu’ils sont au service du progrès de son entéléchie
au second sens leibnizien. Bref, si le jugement subjectif engage les consciences particulières, c’est en vertu d’une
SE À
essence commune à tous les hommes que son genre judiciaire peut comporter une valeur universelle et nécessaire. Car
alors, il se révèle comme étant le seul jugement susceptible d’être formé, à l’intérieur d’une raison et d’une conscience
RE T,

qu’incarne une nature humaine et en manifeste les attributs et les possibilités, dans la pleine accréditation de la
complexité combinatoire et contingente des circonstances qui susciteront un tel jugement.
D EN

Or cette essence commune à tous les hommes est en même temps une essence dynamique, une essence qui tend
AN M

vers un achèvement et qui en fait la promotion active. C’est une essence qui, exprimant une autonomie et une
spontanéité propres à l’espèce, est engagée sur la voie d’une entéléchie qui constitue pour elle un Idéal, c’est-à-dire une
E LE

finalité qui en révèle la nature et en exprime le degré de la réalisation la plus élevée qu’il soit possible d’atteindre; et qui
lui confère à la fois le sens de l’effort à investir et la signification ultime de la valeur de la fin poursuivie. Toute
US SEU

conscience de soi est donc en même temps celle d’un achèvement qui se poursuit et se réalise, selon le niveau
d’expression le plus élevé qu’il est possible d’atteindre au sujet, en tant que celui-ci participe à l’essence individuelle et
sociale de la nature humaine, lorsque tous les efforts personnels tendent à réaliser la communauté des sujets et par elle,
les sujets eux-mêmes, eu égard aux possibilités initiales et aux finalités conjoncturelles susceptibles d’être envisagées.
AL EL

Par conséquent, un jugement subjectif peut prétendre recevoir une valeur universelle et nécessaire en autant qu’il
répond adéquatement au concept de l’idéalité humaine, lequel confère au plan social et culturel un sens et une
signification à l’essence de l’omme, commune à tous les hommes en vertu de l’humanité qu’ils ont en partage. Mais un
ON N

tel Idéal collectif ne saurait inspirer être réellement une source d’inspiration que si un Idéal personnel y contribue, en
RS ON

réalisant, selon les possibilités intérieures et extérieures inhérentes à la subjectivité intime de chacun, l’entéléchie
collective qui, sans le nier, résume, incorpore et assimile les entéléchies individuelles, sans lesquelles pourtant celle-là
ne saurait trouver aucune fondation réelle.
P E RS

En somme, le jugement subjectif remporte son pari de réaliser l’unité de l’intrinsécité, qui repose sur la découverte
R PE

de son sens et de sa signification véritables, et de l’extrincésité qui réfère au critère d’une éventuelle valeur universelle
et nécessaire, en réalisant l’essence de l’humanité à l’intérieur des consciences singulières que sollicitent les
expériences et les conjonctures empiriques particulières. En plus, le jugement subjectif peut être considéré d’autant
FO E

plus universel et nécessaire que, par l’exercice du libre arbitre et l’initiation des actions correspondantes, les principes
AG

de l’universalité et de la nécessité de la nature humaine sont préservés et affirmés alors que celle-ci est engagée sur la
voie d’une entéléchie au sens leibnizien, par l’entremise de natures particulières susceptibles d’une entéléchie au sens
aristotélicien.
US

OBJECTION

Une objection surgit immédiatement à l’esprit, à l’effet que le jugement auquel réfère l’exemple du promeneur
n’est pas un jugement esthétique pur, mais seulement un jugement esthétique des sens. Car un véritable jugement
esthétique de réflexion est uniquement transcendantal et par conséquent ne se préoccupe nullement de considérations

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 45 de 302 ...


LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

qui ressortissent à l’expérience, ni quant à la qualité immédiate de la sensation, ni quant à la réactivité spontanée
résultant d’une intuition présente à l’intellect. Car dès que le jugement que fondent les sens ou l’expérience trouve son
expression, soit pour estimer l’agrément de la sensation, soit pour faire naître une action appropriée à un sentiment qui

LY —
conditionne le jugement auquel il est intimement associé, ce qui constitue le propre du jugement, à savoir la réflexion,
serait alors sacrifié. Car, selon Kant, le jugement et la réflexion sont des termes analogues, en ce que le jugement

ON CHE
illustrerait le pouvoir de la réflexion et en exprimerait l’aboutissement, et la réflexion l’acte propre au jugement, par
lequel il réalise sa finalité, sans pour autant lui nier de pouvoir produire une détermination. Car tous les deux portent sur
une représentation: le jugement est la représentation épistémologique d’une représentation de l’objet 41 et la réflexion
constitue une disposition de l’esprit par laquelle se réalise l’unification épistémologique 42. Le rapport du jugement et

ES ER
de la réflexion appelle donc celui de la puissance et de l’acte: le rapport judiciaire figure au plan de l’intériorité d’une
manière analogue au rapport actif qui se produit avec l’extériorisation de l’action. Ainsi, ce rapprochement analogique
suggère le type de relation de la puissance à l’acte à l’intérieur de la raison, que schématise le tableau infra.

OS H
RP EC
Puisque le rapport éventuel de la puissance d’une faculté au pouvoir de sa réalisation qui en caractérise
l’originalité existe pour la conscience dans le jugement en général, en vertu de la fin objective présente dans la faculté
de juger, lorsque cette puissance est sollicitée par l’expérience empirique, la conceptualisation de sa possibilité dans la

PU E R
réflexion devient l’expression d’un cours normal, reposant sur une technique propre à la conscience et gisant dans
l’intimité de son expérience auto-réfléchissante. Celle-ci suscite une réflexion qui est nulle autre que l’action de juger
portant sur le principe subjectif de la conscience. C’est une réflexion qui comporte toutes les caractéristiques

CH S D
essentielles de la réflexion en général, puisqu’elle est une technique au service d’une fin en regard de laquelle le genre
du sentiment (le plaisir ou le déplaisir) éprouvé de manière concomitante révèle la nature de l’adéquation entre le
concept que l’intellect en réalise et la possibilité que l’imaginationen produit, dans la continuité de l’acte qui réalise
AR FIN
cette fin (ou qui tend en ce sens). C’est une fin qui s’inscrit à l’intérieur d’une finalité subjective globale, la plénitude
réelle du sujet épistémique, conscient à la fois de son pouvoir épistémologique et de la démarche intime qui en
parachève la finalité.
SE À

CONSCIENCE ACTION
RE T,

(intériorité de la puissance) (extériorisation de l’acte)


D EN

jugement : réflexion :: réflexion : action


AN M

ANALOGIE I.2: La continuité du jugement et de l’action, telle qu’elle est


E LE

asurée par la réflexion.


US SEU

Plus généralement encore, la conscience révèle une finalité holistique objective en même temps qu’une finalité
subjective plénière: celle-là se produit dans l’expérience selon un rapport à la nature sensible où l’on retrouve la
complémentarité de la réceptivité dans l’intuition et de l’activité dans l’action (pratique ou poématique). Cet effet
d’ensemble serait en même temps l’expression d’une finalité dont l’originalité se définit en fonction de la nature
AL EL

essentielle d’un être rationnel et conscient, i.e. l’humanité en chacun. Ainsi, l’être humain qui la réalise est l’expression
ni d’une réceptivité pure, ni d’une activité pure, ni d’une conscience pure, mais témoigne plutôt d’une synthèse et d’une
ON N

synergie de ces entéléchies qui s’effectuent d’une manière effective, réciproque et continue, en illustrant une
consécution usuelle qui, dans l’ordre de l’activité, procède de l’intuition des sens externes vers la conscience dans le
RS ON

sens interne et aboutit à l’action.


P E RS

Celle-ci procède du sens interne mais elle devient à nouveau intériorisée par les sens externes, lorsque s’effectue
l’aperception du phénomène réalisé par elle et qu’elle initie à nouveau la série des actions propres à l’intimité de la
conscience en général. S’il est possible que, dans l’immédiat et de façon perceptible pour les sens externes, une
R PE

réflexion ne débouche sur aucune activité qui est autre que celle lui appartenant, en tant qu’elle réalise la finalité
spécifique interne de la conscience, elle ne saurait pour autant se désolidariser de l’essence et du mouvement de la
conscience en général, lorsqu’elle s’exerce sur l’empirie subjective d’une manière théorique et/ou pratique. Autrement,
FO E

ce serait nier le principe et la cause de l’action en général, à la fois ceux de la réflexion dans le complexe synesthésique
AG

judiciaire en ce qui a trait à l’intimité du sujet, et de l’action évoluant dans l’expérience en conséquence de la réflexion.
Or, tel est le sens de la double figuration du concept de la réflexion dans l’équation analogique qui présente cette activité
judiciaire de l’esprit, comme étant tantôt le produit du jugement et tantôt le principe de l’action, sous l’effet médiateur
US

du désir et de la volonté.

41 KRV; AK III, 85; IV, 58.


42 Idem; AK III, 214; IV, 169.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 46 de 302 ...


LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

Maintenant, toute action est à la fois esthétique et morale, en tant qu’elle est susceptible de susciter un jugement
esthétique, se rapportant à l’intellect et aux conditions de son opération, et de procurer un jugement moral, se rapportant
à la désirabilité de la fin qu’elle tend à réaliser. De plus, et en même temps, elle serait susceptible d’un jugement

LY —
technique, i.e. d’un jugement qui se prononce sur la nature et sur la valeur de l’action qui réunit l’actualité et la
possibilité dans la réalisation. En somme, dès que l’on considère la conscience en général, ainsi que le pouvoir du

ON CHE
jugement s’exerçant à l’intérieur de celle-ci, ce serait sombrer dans l’incomplétude métaphysique de considérer cette
faculté uniquement de l’un de trois points de vue: le point de vue esthétique, le point de vue moral ou le point de vue
technique.

ES ER
La raison de cela est triple, puisque tout être est susceptible de manifester une complétude qui illustre la plénitude
de son essence, en tant qu’elle est passible d’une réalisation — ce qui implique dans la conscience esthétique une
hypostase de l’Idée d’harmonie portant de manière spécifique sur la talité ontologique objective, telle que

OS H
l’intuitionnent les sens externes —; que tout être est susceptible de réaliser une perfection objective, en raison d’une

RP EC
action finalisée qui vise à pallier à son incomplétude effective en procurant à l’être une plénitude, ou en fournissant un
effort en ce sens; et que toute action effective est susceptible de considération en tant qu’elle réalise cette finalité et
qu’elle suppose l’illustration de la plénitude (et donc de la perfection) requise, grâce à laquelle la possibilité se

PU E R
transforme en actualité selon la fin visée. Or, la première condition implique dans la conscience un jugement moral
quant à la désirabilité de la finalité imposée à la talité ontologique objective en vertu d’un Idéal de perfection, i.e. d’un
critère objectif dûment défini et suprêmement pertinent; et la seconde, un jugement technique quant à la pertinence et à

CH S D
la validité de l’action accomplie selon une visée objective idéale, tel que cette action devient susceptible d’une
estimation réflexive et objective que conditionnent les sens externes.
AR FIN
En somme, la recherche de l’unité kantienne implique nécessairement l’universalité dans la complémentarité des
rapports susceptibles d’être établis entre les puissances ontologiques objectives et leur réalisation, telles qu’elles
existent et telles qu’elles deviennent. Cet état compréhensif est requis autant à l’intérieur du monde sensible et du
SE À

registre suprasensible, que dans l’interaction harmonieuse et complémentaire entre ces dimensions que réalise, dans la
réceptivité et l’activité, l’essence de la conscience dans son intégralité bien comprise. Le jugement constitue le terrain
RE T,

privilégié de cet interface, que fondent effectivement la complémentarité entre la réflexion et la détermination à
l’intérieur du sens interne, lesquelles procurent respectivement la reconnaissance de l’universel dans le particulier et la
D EN

subsomption du particulier sous l’universel. Ces deux dimensions illustrent le pouvoir transcendant du registre
suprasensible tel qu’il existe dans le jugement, affecté à des degrés variables par le monde sensible selon ses deux
AN M

activités principales: quant à la réflexion, par la consistance phénoménale de la nature objective dans la constitution de
l’objet transcendantal; et quant la détermination, par ce même phénomène naturel en vertu de l’inertie qui le caractérise
E LE

dans l’expérience immédiate et sensible.


US SEU

Le jugement ne saurait cependant accepter d’être soumis à un processus réductionniste, de surcroît limité par une
perspective unique, et qui consisterait à considérer l’universalité uniquement en termes d’une totalité additive et
immobile des totalités. Comme il ne se rallierait en aucune façon à une conception qui, en tant qu’elle est elle-même un
jugement, le comprendrait comme étant ni distinct de la conscience qui lui procure à la fois un sens et une signification
AL EL

par l’entremise du concept de finalité et la possibilité héautonomique de réaliser entièrement son pouvoir; ni étranger à
la possibilité essentielle d’une nature qui est susceptible d’être entrevue au plan esthétique, comme étant passible de
recevoir une fin désirable au plan moral. Or, cette fin est suffisante uniquement à condition qu’elle connaisse une
ON N

actualisation effective en raison de l’application d’une technique appropriée et d’une réalisation qui, au plan
RS ON

déontologique, ne saurait échapper à la raison, laquelle en fera l’estimation, ou sera susceptible de le faire.
P E RS

Expérience esthétique et expérience morale


R PE

Une conception triple du jugement se révèle être fragmentaire cependant, lorsqu’elle tend à distinguer une de ses
éléments des autres, et peut-être même à isoler l’expérience esthétique (ouvrant sur la beauté en tant qu’elle est une
plénitude réalisée), de l’expérience morale (ouvrant sur le bien en tant qu’elle est une plénitude à réaliser) et de
FO E

l’expérience poématique (ouvrant sur la vrai en tant qu’il est l’adéquation intégrale du mouvement et de l’action dans la
AG

poursuite de l’entéléchie). Car une distinction trop radicale entre les formes diverses que prend l’expérience fournirait
une situation contradictoire: celle de l’expérience esthétique qui autoriserait à formuler le jugement d’un nec plus ultra,
simplement à partir de l’extériorité phénoménale d’une forme passible de recevoir un jugement de goût. Car si ce
US

jugement suggère la présence implicite de la notion d’une finalité relativement au substrat objectif du phénomène, il
révélerait en réalité uniquement ce qui, dans la subjectivité, plaît quant aux sens externes et produit une harmonie quant
au sens interne, sans que n’existe l’assurance d’une réalisation objective implicite qui illustrerait l’effectivité d’une
entéléchie. L’illusion se trouverait ainsi du même pied que la réalité à l’intérieur de l’expérience théorique que la raison
en réalise.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 47 de 302 ...


LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

L’impression phénoménale et le jugement esthétique conclusif qui en découle seraient alors purement subjectifs et
ne pourraient prétendre à aucune universalité effective. Car celle-ci ne saurait se réaliser dans le jugement qu’avec la
confirmation réelle de la relation implicite, suggérée par un jugement de goût superlatif, avec l’adéquation complète et

LY —
effective entre ce qui est (le phénomène présent dans l’intuition) et ce qui serait censé être (le noumène présent dans la
raison). Or, seule une entéléchie effective est susceptible de révéler l’ens rationis du noumène, sans quoi il serait

ON CHE
seulement un concept non pas impossible, un concept auquel on ne reconnaît aucune contrepartie exemplaire dans
l’expérience, sans qu’il ne soit contradictoire cependant 43. Or, un concept rationnel pur révèle uniquement le pouvoir
de l’imagination, en tant qu’elle exprime une hypotypose symbolique incomplète: si le concept auquel aucune intuition
sensible ne correspond est bien présent à l’esprit, c’est l’absence de l’intuition analogue qui pose problème puisque,
sans elle, l’intellect ne saurait présenter ce concept au sens commun 44.

ES ER
En tant qu’il révèle une perfection, le jugement de goût serait alors uniquement présomptif: car s’il révèle au sujet

OS H
ce qui, pour la conscience, est à la fois agréable (quant aux sens externes) et harmonieux (quant au sens

RP EC
épistémologique interne des facultés de la connaissance opérant conjointement), il ne peut en aucune façon devenir
l’indice ou le témoignage d’une perfection. Celle-ci ressort plutôt à une adéquation de l’existence effective du
phénomène et de la possibilité réelle du noumène dans la plénitude ontologique de la chose. Et la vérité d’une telle

PU E R
conclusion ressort en effet au jugement moral, lequel se fonde sur la connaissance objective et conceptuelle de la chose,
et non seulement sur l’expérience sensible que l’on en éprouve dans l’imagination. En confrontant l’actualisation de la
chose à sa possibilité et en concluant, le cas échéant, que nulle possibilité meilleure (quant à ce qui est suprêmement

CH S D
désirable) ne pourrait en être attendue ou requise, le jugement moral évoquerait alors un critère du Bien et statuerait
alors sur la réalité d’une entéléchie qui, étant bonne, devient en même temps une obligation.
AR FIN
La confrontation dans la conscience entre ce qui d’une chose est et ce qui de cette chose pourrait être engage à la
fois l’apparence, en tant qu’elle révèle ce qui serait; l’être, en tant qu’il est susceptible d’être révélé adéquatement dans
l’apparence; et l’être dans l’apparence, en tant qu’il révèle une réalisation effective dans le phénomène. Cette triple
SE À

opposition constitue une démarche qui met en présence l’actualité de l’être (telle qu’elle est révélée par l’imagination à
la conscience) au critère objectif de son essence la plus élevée (telle qu’elle est conceptualisée dans l’entendement), et
RE T,

même à conclure à la présence d’une proportionnalité qui signifie la correspondance simultanée dans l’expérience,
d’une harmonie des facultés au plan subjectif et d’une plénitude au plan objectif. Une proportionnalité dont l’absence
D EN

serait en même temps indicative d’une situation contraire — la dissonance des puissances chez le sujet rationnel et
l’incomplétude de l’être objectif éprouvé dans sa conscience —.
AN M

En somme, on ne saurait en réalité produire une dislocation radicale de l’expérience esthétique et de l’expérience
E LE

morale, car à l’intérieur de l’expérience esthétique on retrouve déjà, voire de manière embryonnaire, tous les éléments
de l’expérience morale, dès lors qu’il s’agit, même implicitement, de recruter les pouvoirs de la connaissance et, les
US SEU

opposant selon un processus comparatif, de conclure quant à la plénitude ontologique de la nature sensible selon des
critères immanents à l’entendement et à l’imagination opérant de façon concertée. De sorte qu’une harmonie de
l’imagination et de l’entendement signifie implicitement, avec l’illustration généreuse de leurs possibilités
complémentaires et respectives, que ce dont on devient objectivement conscient révèle une entéléchie, de la même
AL EL

manière qu’il est logique de prétendre à ce qu’une entéléchie objective puisse comporter au plan subjectif l’expérience
d’une harmonie des facultés à l’intérieur de la conscience. Étant l’expression objective d’une confluence maximale
entre l’être et le pouvoir être dans la réalisation optimale de l’être, l’entéléchie ne saurait alors révéler autre chose
ON N

qu’une concordance parfaite entre l’imagination représentant dans la conscience le phénomène de la chose, et
RS ON

l’entendement épistémologique, proposant à la conscience le concept possible de son noumène, en tant qu’il est un
objet non pas impossible — un objet dont la possibilité serait toujours à découvrir et pour lequel un symbole
conviendrait —, pour conclure à l’adéquation parfaitement effective de l’actualité et de la possibilité, telle que réalisant
P E RS

l’entéléchie. Or, si cette entéléchie est susceptible d’être constatée objectivement (ce qui en définit la dimension
esthétique), elle l’est également comme étant, ou n’étant pas, désirable (ce qui en illustre l’aspect moral).
R PE

OBJECTION
FO E
AG

Or, pourrait-on à nouveau objecter, une intelligence kantienne des choses prévoit que l’entendement est
uniquement la faculté des concepts et des règles et qu’il porte donc sur l’intuition qui provient de l’expérience sensible,
et non, comme la raison, la faculté des Idées, qu’intéressent exclusivement les possibilités nouménales qui sont
US

inhérentes à une chose. Comment peut-on alors attribuer à l’entendement ce qui serait pour l’essentiel une
caractéristique de la raison, à savoir de proposer à l’imagination ce qu’il ne saurait actuellement supposer en vertu de
son essence, i.e. ce qui d’une chose est simplement hypothétique et donc par définition irréel (sans exclure son

43 KRV; AK III, 232; AK IV, 186.


44 KU, §59; AK V, 351.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 48 de 302 ...


LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

éventuelle réalisation cependant, soit de façon imaginaire dans l’hypotypose symbolique, soit de façon sensible dans
l’expérience).

LY —
L’erreur serait de concevoir la raison kantienne (entendu au sens général comme étant la liaison des facultés de la
connaissance dans leur ensemble) comme s’exerçant de manière univoque dans le jugement en général, selon ses deux

ON CHE
activités prédominantes, i.e. la réflexion et la détermination. L’essence de la réflexion, vue comme étant la recognition
(ou l’appréhension) de l’universel dans le particulier, définit la nature du rapport existant entre l’imagination et
l’entendement afin de produire un concept 45, lequel serait alors la manifestation (ou la contrepartie) intellectuelle de cet
universel (qui recevrait alors la dénomination de totalité, en raison d’une limitation inhérente à son horizon). En ce cas,

ES ER
l’expérience esthétique trouverait sa résolution dans l’adéquation possible des deux facultés en vue d’une
conceptualisation possible, laquelle procurerait une satisfaction [Wohlgefallen] à la raison, ainsi soulagée de
l’inévitable tension résultant d’une représentation ou d’une présentation sans concept disponible, avec le

OS H
rétablissement du sentiment vital, tenu en suspens en raison de cette incomplétude 46. Paradoxalement, c’est au sublime

RP EC
qu’appartiendrait cette expérience qui voit s’interrompre, puis se rétablir en force, l’énergie vitale [Lebenskraft] qui est
au fondement de cette émotion 47, confirmant ainsi l’intimité du rapport entre la sublimité et la vie.

PU E R
Si par ailleurs on définit la détermination comme étant la subsomption du particulier sous l’universel, on peut alors
supposer que le concept sous lequel s’accomplit cette subsomption a été préalablement découvert. Le rapport entre

CH S D
l’imagination et l’entendement consistera alors à s’assurer que tout phénomène, tel qu’il est révélé par l’imagination à
l’entendement, non seulement sera susceptible d’être recouvert par un tel concept, mais le sera effectivement et plus
généralement, qu’aucun phénomène ne tombera sous un concept, qui ne serait pas susceptible de se le voir attribuer.
AR FIN
Toujours selon la pensée kantienne, tout concept n’est pas une Idée, puisque l’Idée portant sur les concepts purs —
les concepts qui ne renvoient à aucune intuition via la synthèse de l’imagination et qui par conséquent sont immatériels
48
— ne saurait être identique au concept référant toujours à la dimension naturelle et sensible via les facultés de la
SE À

connaissance, mais toute Idée est nécessairement un concept, puisqu’elle illustre la possibilité d’être subsumée par la
table des catégories. De sorte que, dans la démarche réflexive, même si le rapport de l’entendement et de l’imagination
RE T,

renvoie à une expérience qui conditionne l’empirie naturelle, dans la comparaison de l’image et du concept, ce rapport
D EN

peut impliquer une Idée, comme lorsqu’un phénomène jusqu’alors inconnu se révèle aux sens et suscite une
multiplicité d’hypothèses quant à son identité réelle, laquelle seule serait susceptible d’être caractérisée par un concept
unique. L’unique concept retenu — et qui serait le reflet constant et fidèle de l’identité réelle du phénomène en question
AN M

— fera alors ressortir et mettre en valeur la qualité hypothétique et idéelle des concepts provisoires qui furent par la
suite abandonnés.
E LE

Pourtant, si ces derniers concepts furent délaissés, ce n’est pas faute de contenu, mais bel et bien faute du contenu
US SEU

adéquat. Leur défaut fut, non pas de véhiculer aucune signification éventuelle, mais uniquement de véhiculer une
signification qui, dans le contexte qui s’offre à l’esprit, ne s’appliquait pas, ou s’appliquait incomplètement. Sauf s’ils
révélaient autrement une disposition à la légèreté ou à la superficialité intellectuelles, ces concepts ouvraient tous sur
une possibilité légitime. Si elle ne convenait pas, cette possibilité attestait néanmoins d’une valeur en tant qu’elle était
AL EL

simplement possible: cette valeur ne dépréciait pas pour autant du fait que cette possibilité fût rejetée en faveur d’un
autre possible, estimé plus juste dans le reflet épistémologique d’une identité objective.
ON N

À titre d’exemple, on a longtemps épilogué sur la parenté biologique de l’ornithorynque, lequel avait la curieuse
RS ON

propriété de ressembler, par certaines caractéristiques importantes, tantôt aux mammifères (par sa pilosité et l’habitude
pour la mère d’allaiter ses petits), tantôt aux oiseaux (par la morphologie faciale et palmipède) et tantôt aux reptiles (en
P E RS

tant qu’il est ovipare). Lorsque les taxonomistes décidèrent de l’inclure parmi ce premier genre, ce choix n’invalida en
aucune façon la possibilité que cette bête curieuse ait toujours ou ait eu un jour une parenté historique avec les deux
autres groupes. De plus, si cette possibilité multiple ne survit pas quant à l’exemple qui nous préoccupe, puisque le
R PE

consensus scientifique convient de ce que l’ornithorynque est un mammifère, rien n’empêche qu’elle possède toujours
une certaine pertinence méthodologique quant à des cas futurs analogues ou même entièrement nouveaux, non pas
quant au contenu des conclusions formulées, mais quant à la méthode formelle de l’attribution des genres. Cela permet
FO E

d’attribuer au concept une valeur épistémologique réelle pour des cas non encore attestés, dont la probabilité qu’ils le
AG

soient n’est pas éloignée, alors qu’entre-temps leur statut existentiel est simplement idéel et hypothétique, un peu à la
façon des cases vides de la table périodique des éléments en chimie, lesquelles préfigurent par anticipation et avec
US

45 LOG, §6, inclusif de 3.A.1; AK IX, 94.


46 REF 2702 (1780-1789); AK XIX, 276.
47 KU, §14; AK V, 226.
48 LOG, §3, inclusif de 3.A.1; AK IX, 92.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 49 de 302 ...


LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

justesse, comme des exemples concrets en témoignent, quelles seraient les caractéristiques atomiques des éléments
figurant à un endroit précis de cette table, s’ils s’avéraient exister un jour.

LY —
Ainsi, sous certains égards, le concept d’irréalité ne se prononce nullement sur la possibilité qu’une chose soit,
mais simplement sur le fait que cette chose serait effectivement, alors que la chose possible, si elle n’est pas

ON CHE
concrètement démontrée, serait néanmoins un être du fait de sa possibilité, voire un être de raison, à la façon d’un
animal mythique ou d’un personnage de bande dessinée. Et dès lors que l’on emploie le terme d’irréel en ce sens, qui
plus est en référence au prototype ou au modèle, on assistera à l’illustration dans l’idéal d’un principe, sans prétendre
nullement à sa réalisation, mais sans exclure cependant qu’une telle réalisation puisse s’effectuer. Vu sous cet angle, le

ES ER
concept serait effectivement hypothétique, mais il ne proposerait pas à l’imagination ce qu’il ne saurait supposer, pour
autant que l’on convienne que ce qu’il suppose est simplement possible en vertu d’avoir déjà été pensé, et non pas
nécessairement réel en vertu de constituer le concept sur un être parfaitement avéré. Les plans architecturaux abondent

OS H
qui n’ont jamais été retenus, sans pour autant qu’ils aient été estimés irréalisables.

RP EC
Relativement à un être de raison, un être réel et consistant, possède un degré de réalité, celui-ci révèle donc une

PU E R
perfection, laquelle illustre le passage de la simple possibilité à sa réalisation effective. Un jugement esthétique de
réflexion constaterait cette transformation (avec le jugement qui produirait le concept qui le désigne) alors qu’un
jugement déterminant serait à l’origine du mouvement qui, ayant entrevu une fin vers laquelle effectuer une

CH S D
métamorphose du possible en réalité, spécifierait cette transformation comme étant désirable et initierait avec la
volonté l’action qui représenterait l’effort requis, susceptible d’opérer cette transformation au moyen d’une technique,
soit immédiatement, dans l’oeuvre émanant du sujet, soit indirectement dans l’oeuvre qui procède d’une pratique
AR FIN
différente. Or, dès lors qu’elle formule un jugement de goût, la conscience considère le phénomène sous l’aspect
implicite d’une oeuvre susceptible d’entéléchie, de sorte que, la jugeant belle, elle voit en celle-ci un nec plus ultra et
elle en juge l’entéléchie complète. En mitigeant ou en nuançant son jugement esthétique, en comparant le produit à un
Idéal, pour voir un analogue ou un modèle en la réalisation de l’Idée qui a présidé à cet accomplissement, la raison
SE À

considère l’oeuvre comme étant encore susceptible de perfection, en tant qu’elle est une chose dont le potentiel complet
demeure encore à l’état latent sous certains égards.
RE T,
D EN

C’est dire alors que tout jugement esthétique de réflexion, dès lors qu’il implique la possibilité conceptuelle de
l’entendement et la possibilité de l’imagination, productive (quant à un Idéal original) ou reproductive (quant à un
analogue ou un modèle), suppose la perfection d’une entéléchie qui constitue le critère objectif d’une réalisation, telle
AN M

qu’elle accomplit la possibilité que l’imagination pourrait s’attendre de retrouver dans l’être sensible passible d’une
conceptualisation et donc d’un formulation typique idéelle, si celle-ci prétendait manifester un accomplissement
E LE

réalisé, c’est-à-dire le passage effectif et heureux du champ virtuel vers le domaine du réel existant et sensible.
US SEU

Bref, en énonçant un jugement esthétique de goût, on porte un jugement sur la beauté de ce que l’on valorise, en
tant qu’il est passible d’une réalisation, en raison de ce qu’il est désirable et donc digne d’être réalisé. À plus forte raison
le jugement estime-t-il comme étant beau le sujet réalisé ou ce dont le sujet est la cause de la réalisation, en fonction
d’une oeuvre susceptible d’être objectivement valorisée. C’est en vertu du rapport implicite entre l’entendement et
AL EL

l’imagination qu’une telle appréciation est émise car, pour un objet pensé de manière non-thétique, mais non encore
conceptualisé, ce rapport interpelle l’entéléchie qu’une convenance intime entre les deux pouvoirs de l’intellect
ON N

(néanmoins engagés à l’intérieur d’une expérience historique et culturelle) reconnaîtra avec un jugement de goût. Et si
l’expérience de la beauté se vit subjectivement, elle acquiert un statut objectif dès lors que, avec le processus de
RS ON

communication, l’esprit conceptualise cette expérience en la nommant.


P E RS

La beauté libre et indépendante


R PE

Mais il arrive également que l’on valorise ce que l’on trouve beau comme si, ou peut-être parce que, la beauté
possède un statut indépendant 49. En admettant que la beauté puisse posséder une telle caractéristique, ceci laisserait
supposer que le jugement de goût porterait uniquement sur la forme en tant que forme, sans égard pour aucune autre
FO E

considération 50. Or nous avons vu qu’une telle considération est illusoire puisque, toute forme étant le produit d’une
AG

réalisation, elle se réfère à une entéléchie qui en signifie l’accomplissement. Un jugement de goût devient alors l’acte
par lequel l’estimation de cet accomplissement se réalise: l’attribut de la beauté portant sur l,objet du jugement exprime
alors que l’entéléchie se produit selon un concept implicite, d’une manière telle que, relativement à ce principe, l’on ne
US

peut imaginer de représentation plus complète en son genre. Cela signifie également qu’autant le mouvement ayant
contribué à cette réalisation que l’effort qui en a constitué le principe efficient, se sont avérés parfaitement adéquats à
cette entéléchie. Bref, la beauté représente la qualité formelle d’une chose telle qu’elle est effectivement réalisée selon

49 KU, §15; AK V, 226-229.


50 Idem, §16, p. 229.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 50 de 302 ...


LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

la plénitude de son essence (laquelle renferme dans son intimité le comble de sa possibilité esthétique, telle qu’elle
puisse être représentée dans l’imagination productive). Ce qui explique que paradoxalement l’on puisse trouver belle
une chose laide (puisque l’on subodore une possibilité dans l’essence que l’apparence ne réussit pas à communiquer),

LY —
comme on peut trouver simplement superficielle — jolie, agréable, plaisante — la beauté d’une chose qui s’en tient à la
configuration, sans en aucune façon révéler une profondeur ontologique.

ON CHE
D’une part, si une chose laide renvoie à une entéléchie qui ne révèle rien qui puisse procurer un plaisir sensible
dans la réalisation de sa finalité essentielle, elle peut néanmoins contribuer à l’expérience subjective d’un plaisir
intellectuel, étant conforme dans l’imagination qui la représente à la possibilité conceptuelle qu’en possède

ES ER
l’entendement. Qu’une gargouille ou un dragon puissent paraître hideux et inspirer du dégoût quant à leur finalité
essentielle respective, en tant que signifiant quelque chose de monstrueux et de grotesque, cela semble aller de soi. Par
ailleurs, lorsque leur apparence est conforme à celle qui correspond à cette finalité essentielle, elle peut néanmoins être

OS H
estimée comme étant belle, en tant qu’elle est conforme à celle-ci. Ainsi, on peut faire correspondre une «belle»

RP EC
représentation de la chose à la laideur morale que la gargouille ou le dragon figurent en général dans l’objet esthétique,
en tant que celle-là est entièrement conforme au concept que l’on en possède et à l’image que l’on est autorisé de s’en
faire, sans égard pour sa valeur symbolique.

PU E R
D’ailleurs, cette opposition entre la beauté physique et la beauté morale illustre la distinction kantienne entre le

CH S D
jugement esthétique des sens, comme procurant simplement un agrément, et le jugement esthétique de réflexion,
comme étant susceptible de faire naître dans l’intellect une harmonie de l’entendement et de l’imagination, par un
rapport adéquat et réciproque de ces facultés de la connaissance entre elles. De plus, l’exemple fait ressortir la
AR FIN
distinction qui s’opère dans les différents types de jugement, selon qu’ils engagent, pour éventuellement la
compromettre, l’existence de la conscience, i.e. sa vitalité fondamentale, ou selon qu’ils interpellent simplement
celle-ci, en vertu d’une sollicitation à se prononcer uniquement d’un point de vue subjectif sur la qualité formelle
objective de la chose, de façon transcendantale et désintéressée, en l’absence de toute considération existentielle. D’une
SE À

part, le jugement engage la vitalité en tant qu’elle est immédiatement favorisée ou compromise dans l’espèce du
jugement; d’autre part, le jugement opère uniquement, mais d’un point de vue subjectif, sur la finalité objective d’un
RE T,

réel existant, indépendamment des considérations empiriques, ou en faisant abstraction de celles-ci, tout en allouant
pour l’exercice épanoui, plein et entier, d’une vitalité dans la réalisation du pouvoir synesthésique judiciaire de l’esprit.
D EN

Si pour un jugement de goût, on ne saurait omettre les considérations téléologiques, qu’elles réfèrent à une
AN M

effectivité achevée ou simplement à une possibilité susceptible de recevoir l’empreinte d’une activité que dirige la
conscience, rien ne présume a priori que la finalité impliquée dans le jugement de goût sera inhérente à l’objet sur
E LE

lequel porte le jugement, même si elle se recrute l’objet pour se réaliser. Et c’est précisément sur une distinction entre
les espèces de finalité que porte la valorisation de la chose en tant que belle et la valorisation de la chose parce que belle.
US SEU

Dans la valorisation de la chose en tant que belle, le jugement de goût réalise une finalité esthétique et porte sur
l’harmonie des facultés de la connaissance, de sorte à exprimer simplement une finalité formelle subjective de l’objet
[bloß eine subjektive formale Zweckmäßigkeit des Objekts ausdrücken] 51, même si le jugement suppose implicitement
AL EL

une entéléchie réalisant une finalité objective essentielle. Si le jugement esthétique de réflexion peut alors prétendre à
l’universalité, en se conjuguant avec la subjectivité à l’intérieur du complexe synesthésique judiciaire, c’est que la
ON N

finalité objective essentielle dont le jugement de goût reconnaît l’achèvement optimal est susceptible d’être aperçue par
l’ensemble des consciences suffisamment attentives pour la reconnaître en elle, en même temps qu’elles ont en
RS ON

commun une nature spirituelle analogue que les autorise à éprouver de manière subjectivement analogue l’expérience
intime qui en procède. Bref, avec la plénitude de sa réalisation, c’est l’objet lui-même qui constitue le critère d’un
ralliement des jugements de goût, dont le consensus se produit dans l’harmonie réciproque des consciences qu’une
P E RS

nature commune porte à réaliser autour d’un phénomène. Ses caractéristiques objectives amènent à une conclusion
identique, à savoir la réalisation effective et avérée du concept selon l’entièreté de sa possibilité, telle que suprêmement
R PE

confirmée au plan esthétique par l’imagination, la faculté esthétique par excellence.

Dans la valorisation de la chose parce que belle cependant, le jugement de goût ne porte plus sur la finalité
FO E

intrinsèque à la chose, mais sur une finalité extérieure à celle-ci en raison d’une utilisation que l’on serait susceptible
AG

d’en faire 52. Bref elle renvoie, non plus à sa propre possibilité objective en tant qu’elle est une substance séparée, mais à
une possibilité qui lui est attribuée subjectivement. En ce premier cas, elle peut prétendre à une réalisation pleine et
entière, étant un objet distinct de plein droit; mais dans le second, la possibilité subjective porte sur des attributs
US

accidentels ou contingents et ceux-ci sont mis à contribution selon une finalité qui ne ressortit pas à l’essence
individuelle de l’objet.

51 Idem, Einleitung, §vii, p. 189-190.


52 EE, §xii; AK XX, 249-250.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 51 de 302 ...


LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

Ainsi, lorsque l’oeuvre sur laquelle porte le jugement de goût est estimée belle, c’est en raison non pas de la qualité
de son essence mais de l’utilité anticipée qu’elle comportera en tant que belle. Cette utilité se voit en quelque sorte dotée
(faussement, par subreption) de l’attribut esthétique de l’oeuvre, alors qu’en réalité celle-ci est estimée uniquement en

LY —
fonction de la «désirabilité» des avantages que l’on souhaite en récolter. Bref la belle oeuvre devient, par cet exercice,
uniquement un moyen vers une fin, pour laquelle l’attribut de la beauté constitue une estimation de l’oeuvre

ON CHE
uniquement en raison de la perfection de l’utilisation que l’on en fera, i.e. en raison d’une finalité accessoire à la
considération esthétique. Ainsi, c’est le tableau estimé beau parce qu’il attire une foule de spectateurs dans tous les
musées où il est exposé; ou encore parce qu’il promet d’apporter un bénéfice appréciable au marchand en oeuvres d’art.

ES ER
Relativement à l’oeuvre qui est valorisée parce que belle, comme à celle qui est valorisée en tant que belle, il y a
une confluence du jugement esthétique de goût et du jugement moral de réflexion. Pour l’oeuvre valorisée en tant que
belle, c’est l’entéléchie de l’oeuvre qui est considérée comme étant désirable et le jugement de goût constitue un

OS H
jugement sur la complétion adéquate de la finalité en fonction des possibilités essentielles de la chose ainsi parfaite. En

RP EC
d’autres mots, la beauté de la chose confirme qu’elle est bonne, qu’elle réalise l’entière possibilité de sa substance,
qu’elle a procédé du non-être — non pas l’absence absolue de l’être mais simplement la possibilité latente de l’être et
non-encore réalisé —, vers l’être qui réalise la plénitude de cette possibilité simplement en tant qu’être. En somme, il y

PU E R
a une intersection au sein du jugement de réflexion du jugement esthétique et du jugement moral sur le mode de
l’intériorité extériorisée — la réalisation de la possibilité qui ressortit à la bonté — et de l’extériorisation de l’intériorité
— l’expression de cette réalisation dans le domaine sensible —, de sorte que la beauté — et le jugement esthétique

CH S D
correspondant — confirme au plan sensible ce que la bonté — et le jugement moral correspondant — représente au plan
moral.
AR FIN
Pour l’oeuvre qui est valorisée parce que belle, la beauté ne réside plus dans le jugement esthétique de goût,
portant sur tel objet idéalisé par l’action qui exprime l’Idée esthétique, mais dans le jugement moral par lequel cet objet
est amené à contribuer à une finalité extérieure, laquelle à proprement parler est la seule qui est susceptible de recevoir
SE À

un jugement moral. Autrement dit, ce qui en réalité est valorisé en tant qu’elle est belle et bonne, c’est la finalité pour
laquelle la belle oeuvre sera mise à contribution, et non pas la belle oeuvre prise en elle-même en tant qu’elle est une
RE T,

entéléchie à part entière (quoiqu’il soit possible d’attribuer un jugement moral à l’attitude du désintéressement par
lequel un jugement esthétique est susceptible d’être produit, en vertu de la nécessité de cette disposition pour la pureté
D EN

d’un tel jugement 53). De sorte que l’oeuvre ultime, celle qui est révélatrice d’une possibilité dont la désirabilité serait
censée en garantir l’entéléchie, est la seule qui est passible à la fois d’un jugement de goût et d’un jugement moral —
AN M

elle est bonne en tant qu’elle est l’extériorisation achevée d’une possibilité; et elle est belle en tant qu’elle est
l’expression adéquate de cette réalisation dans le domaine sensible. Quant à la belle oeuvre, dont l’entéléchie est
E LE

reconnue en raison d’une finalité extrinsèque, elle possède en réalité uniquement l’attribut de l’utilité, mais c’est d’une
utilité particulière qu’il s’agit, parce qu’elle repose sur la beauté universelle de l’oeuvre, reconnue d’une manière
US SEU

consensuelle par tout jugement désintéressé 54.

En somme, si une oeuvre est valorisée uniquement parce qu’elle est belle, le jugement esthétique qui lui reconnaît
l’attribut de la beauté subsume la beauté esthétique effective — le cas échéant — sous un jugement moral de bonté,
AL EL

portant sur la fin extérieure à laquelle doit servir la belle oeuvre, de sorte que c’est par trope — Kant utilise le concept de
subreption 55— que l’on valorise une chose parce qu’elle est belle, car alors sa beauté devient un substitut pour sa bonté.
C’est dans ce sens alors que pour Kant, la beauté est un symbole du bien 56, dans l’utilisation ultérieure qui est faite de la
ON N

belle oeuvre en vertu, non pas d’une finalité qui lui appartient essentiellement en tant qu’elle est une entéléchie, mais
RS ON

d’une finalité qui est surajoutée à celle-ci et qui lui est conférée en tant qu’elle contribue essentiellement à une
entéléchie, en vue de laquelle la nature essentielle de l’oeuvre est mise à contribution. En ce cas-ci, il s’agit d’une bonté
qui se fonde sur la beauté de l’oeuvre, compatible avec la bonté de la finalité extérieure proposée, en vertu d’une
P E RS

technique adéquate qui lui conférera un achèvement. Ainsi, avec cette symbolisation de la bonté par la beauté, tout
repose sur la sublimité morale de la conception du Bien dont la beauté devient l’ersatz, pour en justifier la pertinence
R PE

morale.
FO E
AG

53 KU, §02; AK V, 211.


US

54 Idem.
55 KPV; AK V, 117. Cet extrait présente le sentiment en tant qu’il est la cause de la détermination de l’action. Or,
si la conscience se situe au plan moral afin d’exercer un pouvoir déterminant, c’est à la moralité en tant qu’elle
est la cause de l’action que reviendrait le privilège de faire naître le sentiment. La subreption consiste à
privilégier la première attitude plutôt que la seconde au plan de la moralité.
56 KU, §59; AK V, 353.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 52 de 302 ...


LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

Le rapport entre le Beau et le Bien


Une dernière question concerne le rapport nécessaire et réciproque entre le beau et le bien, de sorte à permettre de
conclure péremptoirement du beau au bien et du bien au beau. Si l’expérience nous enseigne qu’il serait faux d’associer
directement et de manière décisive l’apparence formelle du beau et la valeur essentielle du bien, le simple fait de réunir

LY —
spontanément et librement ces deux qualités dans l’intellect pourrait nous laisser croire que le beau et le bien seraient
des prédicats complémentaires, existant de manière co-extensive. Cela nous mènerait à conclure que le beau serait en

ON CHE
quelque sorte l’aspect extérieur du bien, comme le bien serait de manière réciproque le fondement intime de la beauté.
Inversement, la laideur semblerait convenir naturellement à ce qui est mal ou vicié comme il semblerait procéder de ces
attributs, que seul ce qui est répugnant et révulsif pourrait en interpréter l’essence. Bref, cette question fait apparaître
toutes les complexités du rapport entre le phénomène réel et le noumène idéel en tant qu’ils se révèlent nécessairement

ES ER
l’un par l’autre. Une telle relation étant simplement fictive ou illusoire, elle pourrait porter l’esprit à se laisser tromper
en croyant (faussement) que de l’un (la joliesse du phénomène), on puisse conclure à l’autre (une bonté commensurable
et proportionnelle au noumène), selon un mécanisme de subreption.

OS H
RP EC
L’hypothèse de l’indépendance du beau devient, en regard de cette question, une solution économique. Si on
admet effectivement qu’aucun rapport nécessaire n’existe entre ce qui du phénomène en définit la beauté et ce qui, de
l’essence intime, en définit la bonté, non seulement la beauté devient-elle une caractéristique tout-à-fait indépendante

PU E R
de la bonté, mais encore est-elle accessoire à la bonté et peut-être même sert-elle de distraction à sa présence, ou à son
absence, de sorte qu’une beauté éclatante en viendrait à camoufler une bonté morale médiocre (comme dans
l’expression «la beauté du diable») ou qu’une laideur du physique masquerait une bonté morale exemplaire (comme en

CH S D
témoigne le personnage de Quasimodo dans le roman Notre-Dame-de-Paris de Victor Hugo, lorsqu’il sauve Esmeralda
du supplice auquel la justice la condamne).
AR FIN
Remarquons cependant que la confusion entretenue par l’équivoque qui fait de la beauté un trait tantôt physique
(un bel arbre, une belle statue, un bel objet) et tantôt moral (une belle âme, un beau caractère, une belle disposition) se
produit plus souvent dans l’esprit lorsqu’il s’agit de conclure du phénomène au noumène que dans le sens inverse, que
SE À

lorsqu’il s’agit de figurer le noumène dans le phénomène. Ainsi, la juste proportion des choses dans la beauté esthétique
pourrait faire croire en l’innocuité de l’objet qui la manifeste avant toute expérience effective de cet objet — la
RE T,

champignon qui malgré sa belle apparence serait vénéneux; un paysage tropical, serein et splendide, qui ne laisse pas
soupçonner la présence d’insectes venimeux et de reptiles dangereux —, mais rarement représentera-t-on comme étant
D EN

esthétiquement accompli dans la beauté ce qui ne correspond en rien à ce qui serait désirable et admirable. En somme,
ce que l’on pourrait nommer «le mensonge de la beauté», i.e. le plaisir formel, l’harmonie qu’une chose peut faire naître
AN M

à l’esprit, malgré qu’elle soit pour l’essentiel indésirable (parce qu’elle est estimée nocive et répugnante), et qui
porterait faussement à conclure de la beauté à la bonté, serait le fait pour l’essentiel d’un conditionnement sensible et
E LE

d’une perception résultante qui porterait à juger faussement de l’essence véritable d’une chose.
US SEU

Mais rien n’indique cependant que le mensonge de la beauté puisse aussi échapper à la dimension culturelle et à
l’intention qui préside à celle-ci, alors que l’on présenterait sous des traits esthétiques tout-à-fait classiques par leur
beauté ce que l’on saurait être déficient en bonté pour quelque raison que ce soit (l’opposition dans le statuaire entre «Le
Beau Dieu d’Amiens» et un «Pluton ravissant Proserpine» en témoigne éloquemment). Le fait que ces deux exemples
AL EL

appartiennent quant au thème à des époques distinctes de l’histoire culturelle de l’humanité pourrait simplement
attester d’une évolution dans les valeurs morales culturellement sanctionnées. Celles-ci pourraient posséder une
désirabilité analogue, malgré la distance historique, mais si l’on admet une invariabilité essentielle du Bien en même
ON N

temps que, dans la conscience de l’humanité, une capacité à en apprécier intellectuellement la valeur, on doit aussi
RS ON

accepter qu’en vertu d’une disposition constante de la nature humaine, il serait aussi possible d’en fausser la
perspective, même à l’intérieur d’un monde radicalement indifférencié, exacerbant le pluralisme moral et culturel, qui
dans sa tolérance verraient se côtoyer les archétypes et les modèles du Bien en même temps que les exemplaires d’une
P E RS

dépravation et d’un libertinage explicites.


R PE

Compte tenu du rapport, dans la représentation, entre le désir moral et la règle de beauté — les canons normatifs
qui, pour telle époque et telle culture, définissent ce que l’on considère comme illustrant cette qualité —, et de son
importance pour la définition de l’Idéal esthétique, on pourrait anticiper que plus on assistera à la promotion d’une
FO E

conception essentielle du Bien et de la vertu, grâce à laquelle elle est répandue, et plus le Bien acquerra une désirabilité
AG

culturelle généralisée dans la conscience collective des peuples, plus étroit sera le lien entre la Bonté que l’on saisit dans
l’essence et la Beauté qui en transmettra la forme. Plus encore, dans la mesure où on acquerra, toujours au plan d’une
conscience culturelle généralisée, la science d’une criminologie par laquelle se trafique la bonté pour en justifier la
US

viciation, sinon a priori, du moins ex post facto, pourra-t-on prévoir une rupture du rapport essentiel et nécessaire entre
la beauté et la bonté, pour embellir ce qui est mal et enlaidir ce qui est bon.

En somme, dès lors que l’on évoque le concept de l’unification de la raison, non seulement évoque-t-on pour elle
une entéléchie mais aussi la possibilité d’un choix entre une dérogation à l’unité de la raison et un parcours vers celle-ci,
en laquelle se résorbe de façon complémentaire et complète les dimensions intellectuelles, pratiques et poématiques,
sur lesquelles président les valeur et la idéaux de vérité, de bonté et de beauté. Il en résulte qu’une entéléchie de la raison

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 53 de 302 ...


LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

suppose une confluence de ces transcendantaux, de sorte que le vrai est en même temps beau et bon, et ainsi de suite
pour les autres transcendantaux. Et qu’une distinction ontologique radicale de ces idéaux, servant à qualifier
différemment les objets sur lesquels ils porteraient comme étant l’un sans égard pour les autres, ou l’un malgré la

LY —
négation ou l’absence des autres, caractériserait une déchéance (dont la cause intégrale serait susceptible d’être
découverte). De l’insatisfaction procédant de cette dévolution naîtrait une inclination à combler l’écart entre l’être

ON CHE
actuel et l’être possible susceptible d’un devenir, entre l’ordre du bien et la finalité, dans le rétablissement de ce qui fut
et la réalisation de ce qui sera, en vertu d’une technique qui réalise adéquatement la quiddité intégrale et unifiée de la
chose. Bref, c’est dans la réduction effective de cet écart, que réside la beauté (une chose est de plus en plus belle parce
que son effectivité et sa possibilité confluent de manière évidente vers l’unité du terme de leur réalisation); comme c’est

ES ER
dans la réalisation effective de la chose que réside la vérité (une chose est de plus en plus vraie puisque la plénitude de sa
possibilité se rapproche du moment de sa réalisation ultime); et dans l’entéléchie de l’être de la chose que réside le bien
(une chose est meilleure en vertu de rendre l’essence intime de son être plus conforme à la plénitude de sa possibilité).

OS H
De sorte que, à l’intérieur de l’entéléchie, l’unité représente la congruence adéquate des trois transcendantaux et l’unité

RP EC
partielle pour chacun de ceux-ci signifie une congruence se réalisant sous certains égards spécifiques, correspondant à
leur champ respectif.

PU E R
Que l’unité des transcendantaux se réalise dans l’unité des pouvoirs de la raison, ou qu’elle tende simplement à
s’accomplir ainsi, on doit alors convenir d’une confluence de la beauté, de la bonté et de la vérité dans l’unité de l’être
qui les actualise parfaitement, une unité qui non seulement fonde la symbolisation de l’un des transcendantaux par

CH S D
l’autre (sous le mode de l’incomplétude qu’inspire l’Idéal de perfection), mais encore permet de supposer que la
présence de l’un des transcendantaux présage celle de l’autre (au plan suprasensible et nouménal de la perfection
effective).
AR FIN
ANALYTICAL TABLE
SE À

The problem of judicial unity


RE T,

The plan of section VIII of the KU. — Kant expresses his intent of defining the power to produce judgments of
appreciation and to clarify its relationship to aesthetics. — The distinction between aesthetics and logic. — Further
D EN

conceptual difficulties, in the metaphysical oppositions which are called forth. — The principle of continuity as
requiring a fundamental unity. — The necessity of invoking a spiritual, intangible, and supersensible reality. —
Consciousness as the active moment for the furtherance of the cosmological entelechy. — Reflection and introspection
as the original activities of consciousness. — Action and passion as the two possible modes of consciousness. — The
AN M

judicial power as unifying all possible moments of consciousness in its relationship with nature. — Reflection and
determination as distinctive modes of this relationship within the active judicial consciousness. — Heautonomy as the
E LE

unifying interior principle in the autonomous and spontaneous externalization of the mind. — Objective judgment as
exclusively intellectual, with no implied reference to the ontological subjective dimension. — Judgment as an effective
action. — The analogy of judgment. — Action as proceeding from judgment. — Judgment as involving feeling.
US SEU

Feeling and judgment: the synaesthesic complex


The subjective and objective dimensions of Humanity. — Three necessary conditions of change within
representation as motivated through feeling. — Feeling and knowledge. — Sensible and supersensible determination.
AL EL

— The living being as basing its relationship to nature upon the relationship between the faculties of knowledge. — The
inner state of subjective consciousness. —
ON N

Judicial purposiveness: entelechy


RS ON

The unity of truth as the essential purpose of knowledge. — The three pillars of a technic of knowledge. — Life as
the practical principle of entelechy. — The unity of purposiveness, technic, and consciousness as realizing the unity of
rationality. — The universal as the supreme concept of unity. — Feeling as revealing harmony. — The Aristotelian and
P E RS

Leibnizian views on entelechy. — The key to understanding Kant’s critical work. — Humanity as the point of
intersection between the world of nature and the supersensible reality. — The relationship of knowledge and feeling as
realizing the confluence of the outer senses and the inner sense. — Feeling and empirical consciousness.
R PE

Feeling and entelechy


The typical individual experience. — Feeling as a non-epistemological principle. — Transcendental feeling as the
FO E

primary psychological principle. — Feeling as revealing the fullness of subjectivity, as concerns the pure forms of the
power of self-awareness, the experience of beauty, the experience of sublimity, and the mixed forms of the senses and
AG

of the intellect. — The tension between purely subjective judgment and purely objective judgment. — Kant’s view on
pathological conduct. — The priority of the supersensible over the sensible. — The tension between feeling and
judgment.
US

Feeling and premonition


The uniqueness of subjective judgment as it relates to the claim of universality. — The example of the tree and the
hiker. — Reaction as proceeding from empirical experience compared to proaction as resulting from the subjective
experience of premonition. — The consequence of this distinction for the principle of the unity of consciousness. —
Feeling and premonition within the synaesthesic judicial complex. — Premonition as proceeding from a higher abstract
form of judgment.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 54 de 302 ...


LE COMPLEXE SYNESTHÉSIQUE JUDICIAIRE

Subjectivity and universality — OBJECTION


Reaction and proaction being judicial analogs, the question of the universality of subjective judgment may be
considered. — The example of the tree and the hiker revisited. — The essence of a universally valid subjective

LY —
judgment. — Judgment as proceeding from a rational, sentient nature. — Judgment as founded upon a common
supersensible nature. — This nature as being both purposive and dynamic in its relationship to an Ideal. — Subjective
judgment as unifying the intrinsic dimension of meaning and the extrinsic dimension of necessity and universality. —

ON CHE
OBJECTION: The example called forth involves merely an aesthetic judgment of the senses and not a pure aesthetic
judgment. — Reflection as leading to a continuity between judgment and action. — Consciousness as thoroughly
involved in realizing a holistic purposiveness, both objective and subjective, within the human being. — Judiciality as
both the product of judgment and the principle of action (involving the faculties of desire and of the will). — Action as
both aesthetic and moral. — Moral judgment and technical judgment are mutual and complementary forms of the

ES ER
judicial faculty, present within action. — Judgment as reconciling reflection and determination through action. —
Determination and technic call forth a relationship between the moral experience and the aesthetic experience.

OS H
The moral experience and the aesthetic experience — OBJECTION

RP EC
A triple conception of judgment as leading to a fragmentation of consciousness, in the absence of a unifying
principle. — The concept of perfection, in realizing the adequacy of both the noumenon and the phenomenon with the
ontological fullness of the object, relies upon a moral judgment. — The opposition within consciousness between

PU E R
actual being and possible being leads to affirming the interior unity of reason and the exterior unity of the aesthetic and
moral experience. — The harmony of the faculties as the guarantor of this unity. — OBJECTION: The understanding
may not be confused with reason: how then to reconcile the former, which deals with intuition, with the faculty of Ideas,
which deals with the hypothetical and the unreal. — The activity of judgment is not univocal, through illustrating either

CH S D
a reflection or a determination, since these activities are complementary to one another. — A concept which acquires
adequacy within the activity of presentation is but one of a possible number of concepts. — The example of the
platypus. — The distinction between morality and possibility. — Real being suggests a perfection which implicitly
AR FIN
enters into an aesthetic judgment of taste, as belonging to an objective reality. — A judgment of taste reflects upon the
external entelechy of being as well as upon the internal harmony of the faculties.
Free and independent beauty
SE À
The notion of free beauty is illusory since all forms relate to an entelechy and to an accomplishment, with the
judgment of taste being implicitly an estimation of this realization. — Ugliness may also produce a subjective
RE T,

intellectual pleasure. — The opposition between physical beauty and moral beauty illustrates the distinction between
the aesthetic judgment of the senses and the aesthetic judgment of taste, as well as that between judgments relating to
D EN

existential concerns and judgments which abstract from these, though acknowledging the biotic principle involved in
the very act of judgment. — Instrinsic and extrinsic purposiveness as related to aesthetic valuation. — The valuation of
an object rests upon a teleological judgment. — A judgment of beauty as realizing the confluence of aesthetic and moral
judgments: the object valued as beautiful relates to its goodness and to an entelechy inherent to its substance. — The
AN M

object valued because of its beauty relates to its usefulness and to an exterior purposiveness for which its beauty is an
instrumental cause.
E LE

The relationship between beauty and goodness


US SEU

Beauty as the phenomenal aspect of the good and the good as the noumenal aspect of beauty. — The economy of
dissociating beauty and goodness. — The confusion of beauty with goodness. — The illusion of beauty. — Beauty as
relating to goodness within the process of cultural evolution. — Beauty as relating to goodness within a unified concept
of reason. — Beauty as reflecting a greater congruence between the actuality of an object and its possibility.
AL EL

*
**
ON N
RS ON
P E RS
R PE
FO E
AG
US

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 55 de 302 ...


CHAPÎTRE II
LE SENTIMENT COMME NOEUD

LY —
DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

ON CHE
«S’il est d’un homme avisé de poursuivre un but utile,
il est d’un homme de bien de se déterminer d’aprPs le beau.»
[ARISTOTE 1.]

ES ER
OS H
Finalité extrinsèque et finalité intrinsèque
Une question ultime concerne le rapport des finalités en vue du Bien, lequel comporte une influence sur une

RP EC
conception idéale du Beau, intimement reliée à une conception idéale de chacun des deux autres transcendantaux.

PU E R
Kant relève pour l’essentiel deux types de finalité objective, la finalité intrinsèque ou essentielle, laquelle ressort à
la nature d’un l’objet quant à la réalisation d’une perfection inhérente à son essence, et la finalité extrinsèque ou
relative, laquelle implique l’intention d’un agent en fonction de laquelle s’opère le mouvement vers une entéléchie dont

CH S D
les fins infléchissent la nature de la chose, en raison d’une utilité que l’on souhaiterait en retirer 2. Or, il appert que selon
la nature générique effective d’une chose, l’imposition d’une fin relative à laquelle elle devra se conformer peut
s’avérer plus ou moins problématique, car aucune finalité ne saurait exister en l’absence d’une fin qui la spécifie dans
l’objet 3.
AR FIN
Afin de mieux comprendre cette dimension, songeons à une conception quadripartite de la réalité selon deux axes,
l’axe de la vie et l’axe de la nature, telles qu’une analogie de l’art et de la nature le révélera. Si l’on accepte que tout part
SE À

de la nature, en tant qu’elle est le lieu originel de la possibilité de toute expérience sensible, on s’aperçoit néanmoins
que, avec le passage des éons, la nature se divise en nature brute et en nature artificielle, selon un axe horizontal qui
RE T,

illustre le mouvement d’une entéléchie, en laquelle les moments successifs reprennent les mouvements précédents; et
D EN

en nature inerte et en nature vivante, selon un axe vertical, alors que les mouvements successifs, s’ils semblent
reprendre les mouvements précédents, s’en distinguent radicalement par une caractéristique essentielle. Celle-ci
représente l’intrinsécité générique à la fois d’une qualité irréductible et d’un aspect distinct de la chose, dans
AN M

l’expression évidente d’une entéléchie particulière. Tel est l’axe de la vie qui, par certains côtés, prolonge la
composition de la nature inerte, sans participer toutefois d’une passivité intégrale en raison d’une spontanéité et d’une
E LE

autonomie possibles qui ressortissent à une dynamique autogène des natures qui en sont douées.
US SEU

On pourrait peut-être nommer l’axe de l’histoire celui de la nature, comme on pourrait désigner par l’axe de
l’esprit celui de la vie, si ce n’était qu’il existe à l’intérieur de chacun de ces axes une double compénétration, de l’esprit
et de l’histoire ainsi que de la vie et de la nature, qui en explique à la fois le mouvement et l’achèvement dans la diversité
innombrable des objets qui peuplent la réalité et qui sont conditionnés, d’une manière à la fois autonome et hétéronome,
AL EL

tantôt par les forces aveugles et tantôt par les énergies directrices que l’on y retrouve. Il est possible de considérer la
nature comme étant le point d’insertion de l’expérience et un mouvement nécessaire à la conscience, comme étant un
ON N

noeud en lequel se rencontrent parfois les principes de la causalité mécanique (nexus effectivus) et de la finalité
organique (nexus finalis), qui tantôt se confondent pour suggérer l’unité due à un intellect archétype et tantôt
RS ON

simplement renvoient au principe de l’unité rationnelle 4.


P E RS

Cela étant, il n’en demeure pas moins que deux séparations radicales permettent d’effectuer des distinctions
catégoriques sur lesquelles toute tentative de réduction achoppera: l’histoire en tant qu’elle réalise la possibilité d’une
action sciemment dirigée sur la matière inerte de sorte à la transformer de manière définitive, par la production
R PE

d’artefacts et la réorganisation structurelle du milieu qui peuvent certes être détruits ou annulés subséquemment, mais
qui pour l’un comme pour l’autre ne sauraient retrouver leur état antérieur, même en opérant un effort de transformation
FO E

régressive; et la vie en tant qu’elle est un mouvement mystérieux mais indéniable, intime à l’être qui en porte le
principe, le manifeste et rend possible l’expression créative de la conscience, engagée dans son rapport actif avec la
AG

nature 5. Ce sont les produits qui en émanent qui en sont les témoins aux yeux de l’histoire, des artefacts qui révèlent une
habitude et une compétence qui ne sauraient être dissociées d’une activité grâce à laquelle elles se réalisent
US

1 ARISTOTE. Rhétorique, III, 16, §IX, 1417a.


2 EE, §xii; AK XX, 249; KU, §15; AK V, 226-227.
3 Idem, p. 227.
4 KRV; AK III, 453.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 57 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

concrètement, sauf peut-être logiquement, en tant qu’ils révèlent de manière immédiate ni leur origine, ni la technique
qui a présidé à leur réalisation. Ils autorisent donc soit au scepticisme quant aux causes proposées, soit à l’agnosticisme
quant à la possibilité même que ces causes puissent faire l’objet d’une découverte. Pour cette raison, ces créations

LY —
rendent problématiques la question d’une cause efficiente autonome qui est au principe de leur finalité actualisée 6.

ON CHE
Avec cette rencontre de l’histoire et de la vie, on ne saurait s’empêcher de s’interroger sur les conditions ultimes de
leur possibilité: d’une part, l’histoire épistémologique de toute matière, qu’elle soit contemporaine ou non d’une vie et
d’une agence dont elle serait le substrat et qui lui confèrent son empreinte généalogique, évoque les termes d’un début
et d’une fin, d’un passé et d’un avenir dont la possibilité même, quant à l’apparition des choses qui en constituent

ES ER
l’évidence, requiert l’énonciation et l’explication d’une causalité. D’autre part, l’originalité de la vie elle-même, dans
cette démarcation radicale et irréductible qui la caractérise à partir de ce qui en ferait office d’une infrastructure,
requiert une conception qui est suffisante à justifier la plénitude irréductible de son essence, même en ce qui concerne

OS H
ses formes les plus élémentaires, pour ne pas s’accommoder d’une hypothèse qui en ferait simplement l’épiphénomène

RP EC
de celle-là. Car en ce qui concerne autant les qualités que les possibilités de l’être animé, du même ne saurait procéder
ce qui s’en distingue quant à l’essence 7.

PU E R
Or, dès qu’il s’agit d’évoquer la possibilité d’une finalité matérielle, quelle qu’en soit la nature, l’hypothèse d’une
raison susceptible d’imprimer une fin précise sur son objet apparaît immédiatement. Car toute finalité suppose une
causalité qui en réalise l’actualité 8, en vertu de laquelle une finalité trouve son sens réel, sur la voie qui la distingue

CH S D
d’une simple possibilité. La possibilité qu’une balle, en vertu de sa forme sphérique, puisse se mettre à rouler dans une
direction ou dans une autre, selon les lois de la physique et de la géométrie qui président à ce mouvement, lorsqu’une
AR FIN
direction lui est attribuée en vue d’une fin précise — la balle qui suit de façon adéquate le contour d’une surface
irrégulière et originale pour aller se nicher plus loin dans un trou à peine plus grand que l’objet —, laisse supposer à la
fois une force qui lui est impartie et qui ne trouve pas son origine dans la balle et une intelligence qui produit cette force
de sorte à défier absolument les lois du hasard et lui faire suivre l’unique trajectoire, grâce à laquelle un effet singulier
SE À

puisse être réussi.


RE T,

Or, toute finalité est de l’un de deux genres, comme l’a remarqué Kant: soit qu’elle est intrinsèque, et en ce cas elle
D EN

réalise la nature de l’objet pour l’inscrire à l’intérieur d’un mouvement dont l’entéléchie correspond adéquatement à
l’essence de la chose; soit qu’elle est relative, en ce que la perfection de la chose est réalisée, non pas en raison de son
essence propre, mais en vue d’une finalité extérieure 9.
AN M
E LE

S’il est le propre de toute matière inerte en général de se réaliser selon une finalité relative, on peut dire également
que c’est le propre de tout être vivant en général de se réaliser selon l’une ou l’autre des deux espèces de finalité —
intrinsèque ou relative —, selon une hiérarchie des espèces vivantes (que reprend d’une manière analogue celle que
US SEU

l’on retrouve à l’intérieur de chaque espèce). Le principe de la hiérarchisation suit en général un schéma de
complication phylogénique et de valorisation ontogénique, que définit et spécifie la moralité de l’homme en vertu de
constituer l’ultime fin de la nature, selon une conception judiciaire qui associe toutes les puissances rationnelles —
théoriques, pratiques et poématiques — de son être intégral, de manière unifiée et concertée en vue de l’unité a priori de
AL EL

la conscience 10. De sorte que, de tous les êtres vivants, seul l’homme peut revendiquer la possibilité et le droit d’être vu
et considéré tel que la raison le révèle à lui-même, en vertu de la nature propre à un être susceptible d’une réalisation en
ON N

vertu exclusivement d’une fin intrinsèque. D’où l’impératif moral kantien qui commande de lire l’impératif
catégorique fondamental — l’agir selon une maxime de la volonté qui serve de principe pour une législation universelle
RS ON

— comme valant universellement pour tout être raisonnable, à l’égard duquel chacun, en tant qu’il est un être
raisonnable, comportera la valeur d’une fin en soi, et la dignité correspondante, à l’intérieur d’un règne universel des
fins 11.
P E RS

Les êtres organisés reposent sur un principe de réciprocité ouvert: s’ils sont composés d’organes dont l’existence à
R PE

l’intérieur de l’organisme à la fois conditionne et est conditionnée par celle de tous les autres 12, en vertu du principe de
finalité 13, la causalité autonome dont l’être humain est la manifestation l’extrait de la simple motricité mécanique
FO E
AG

5 Voir en annexe, p. 259, le tableau II.1 intitulé «Les deux axes de la conception quadripartite de la réalité
qu’autorise à proposer la confluence du suprasensible et du sensible».
6 KU, §10; AK V, 220.
US

7 ARISTOTE. Physique, II, 1, 193b 9-11: l’homme naît d’un homme; V, I, 225a: la génération est un
changement du non-sujet vers un sujet; Métaphysique A, 3, 983b 8-12: la génération est le moyen d’une
persistance de la substance de l’être, sous la diversité de ses détermination; Z, 9, 1034a 21-25: à l’instar de la
génération naturelle, tout artefact provient de son homonyme; De Anima I, 2, 403b 29-30: ce qui ne serait
soi-même en mouvement ne saurait mouvoir autre chose (et par analogie, ce qui ne possède pas soi-même la vie
ne saurait procurer la vie à autre chose).

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LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

[bewegende Kraft] pour le situer au plan de la réalisation culturelle [bildende Kraft], selon une unité qui ne saurait être
exclusive de sa fin particulière, i.e. la vie 14.

LY —
Or, c’est le propre uniquement des êtres vivants organisés et doués de conscience et de libre arbitre, de posséder la
capacité d’agir sur la nature d’une manière autonome et spontanée et d’effectuer une action en vertu d’une fin double

ON CHE
qui est l’objet d’un désir, d’une volonté à le réaliser et d’un jugement quant à la valeur morale de la fin ainsi formulée,
autant quant à sa matière spécifique qu’à sa forme générale. Car la finalité peut être de deux sortes, extrinsèque ou
intrinsèque, auxquelles s’ajoute une espèce mixte, dans la transformation qui en résulte pour la nature d’être ainsi
soumise, à l’intérieur d’un mouvement qui en réalise l’entéléchie, à une action en vertu d’une fin qui trouve une

ES ER
résonance à l’intérieur de chacun des aspects majeurs de la raison, le théorique, le pratique et le poématique. Pour la
raison théorique d’abord, en tant que cette fin est une connaissance procédant de la nature objective et de la possibilité
effective d’une chose; pour la raison pratique ensuite, en tant qu’elle manifeste une conduite susceptible de répondre à

OS H
l’impératif catégorique et de réaliser l’Idée du bien, avec l’expression concomitante et effective du désir et de la volonté

RP EC
en résultant; et pour la raison poématique, en tant qu’elle recrute les capacités appropriées à un pouvoir subjectif et
s’illustre de façon autonome. Elle accomplit cela en s’inscrivant à l’intérieur d’un ensemble selon une complémentarité
des pouvoirs subjectifs et moraux, de manière à produire l’exemplaire concret d’une Idée esthétique jugée conforme à

PU E R
une intention et valable, puisqu’elle exprime l’essence de la dimension suprasensible rationnelle, laquelle est
synonyme de moralité.

CH S D
Dès que la raison envisage une entéléchie, l’action intentionnelle y contribue en vue d’une fin estimée bonne,
quant à une finalité interne, et/ou utile, quant à une finalité externe. Il en résulte un engagement subjectif de la
AR FIN
conscience autonome et spontanée à la réaliser en sollicitant l’efficace de la technique et en produisant l’effort requis à
réaliser cette fin. Ceux-ci ont pour effet non seulement de modifier l’objet sur lequel porte l’action mais en retour
d’interpeller la conscience dans le sens d’un jugement qui, à chaque moment décisif de son action, s’interroge sur la
validité de l’entreprise et de son résultat. Ainsi, non seulement les aboutissants de la finalité théorique seront-ils mis en
SE À

cause — en soulevant le problème de l’action dont la nature est censée correspondre à la définition de la fin telle que
conçue —; mais aussi les termes de la finalité pratique — en s’adressant au problème de l’action, dont l’effet est
RE T,

conforme à une fin qui se réconcilie avec l’Idée universelle du bien, susceptible d’une interprétation et d’une
application universelle —; et enfin ceux de la finalité poématique — en suscitant le problème de l’action dont la forme
D EN

satisfait à la fin d’une technique précise, susceptible d’exprimer adéquatement l’Idée esthétique et de réunir pour cela
ainsi que réaliser ensemble la fin théorique et la fin pratique —.
AN M

L’action devient alors le point focal d’une raison unifiée selon la plénitude de la réalisation de sa possibilité, autant
E LE

selon son déroulement qu’avec son accomplissement. Son entéléchie peut être envisagée par conséquent d’une manière
triple et conjuguée, selon une fin qui est compatible avec l’essence propre de l’objet sur lequel elle porte (la finalité
US SEU

intrinsèque ou essentielle); selon une fin qui ressortit à une essence qui est autre que celle de cet objet (la finalité
extrinsèque ou relative), et qui, trouvant son principe dans la conscience agissante, en servira les fins ou celles d’une
tierce conscience — un aspect qui, en autant que nous le sachions, n’est pas spécifiée chez Kant —; et selon une fin
mixte qui, tout en rencontrant les conditions d’une fin intrinsèque (le bois se prête infiniment mieux à la construction
AL EL

d’un navire qu’une roche), réalise en même temps une fin extrinsèque (le bateau en bois que l’on construit sert non pas
la fin finale du bois, mais celle des passagers qui le navigueront ou de l’armateur qui l’affrétera).
ON N

Or, on s’aperçoit après réflexion que la plupart des finalités auxquelles concourt la conscience dans sa poursuite
RS ON

d’une entéléchie sont du genre mixte. Cela ressort à l’unité organique de la vie qui, en recourant à son activité créatrice,
invente un espace culturel habitable et vivable, avec la manifestation pour elle d’une dynamique, d’une vitalité qui lui
est propre. S’il dépend de la présence, de l’existence et de la contribution de chacune des consciences vivantes et
P E RS

agissantes pour sa constitution et sa formation, cet espace réalise néanmoins un esprit qui se transmet dans la mémoire
collective d’une tradition et qui en constitue la substantialité culturelle, lorsqu’elle est associée aux connaissances, aux
R PE

valeurs (les conceptions du bien) et aux idéaux qui l’habitent et l’inspirent, lesquels sont incorporés prioritairement par
FO E
AG

8 REF 5920 (1776-1789); AK XVIII, 384.


9 EE, §xii; AK XX, 249; KU, §63; AK V, 367.
US

10 REF 5923 (1783-1784); AK XVIII, 386-387.


11 GMS; AK IV, 437-438.
12 KRV, Préface; AK III, 015.
13 GTP; AK VIII, 179.
14 KU, §65; AK V, 374-375.

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LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

des individualités historiques et/ou mythiques. Cette substantialité est ce qui, à l’intérieur d’un espace territorial et
d’une durée historique, est le propre d’une civilisation particulière et identifiable.

LY —
La finalité extrinsèque caractérise surtout l’action formatrice et transformatrice des objets inertes. Étant dépourvus
de conscience et donc de possibilité morale, la soumission à une fin qui rallie leur essence exclusivement à une

ON CHE
intentionnalité extérieure en vue d’une utilité, laquelle procède d’une conscience agissante et retourne, soit à
elle-même, soit à un espace culturel, soit aux deux à la fois, n’est pas susceptible d’éveiller une remise en question au
nom de la dignité morale qui appartient à une raison douée d’une autonomie et d’une spontanéité. Car une telle critique
accorderait à celui-ci un statut moral a priori, équivalent à celui qui revient à la conscience agissante, au nom d’un

ES ER
principe d’égalité immanent à la substance rationnelle. Ainsi, l’intrincésité finale implique-t-elle déjà la question de la
finalité externe, puisque le simple fait d’agir à l’intérieur d’un espace historique et culturel implique la sollicitation des
consciences agissantes, lesquelles sont autant de raisons unifiées en fonction d’une triple capacité, théorique, pratique

OS H
et poématique, dans la conjugaison effective des fins transcendantales immémoriales, la Vérité, la Bonté et la Beauté,

RP EC
qui reviennent respectivement à chacune de ces dimensions de la raison, pour ensemble en caractériser la plénitude
spirituelle intégrale.

PU E R
Toute action en vertu d’une finalité extrinsèque, portant sur une existence dépourvue de vie, est susceptible de
produire un artefact, soit un outil, soit une oeuvre, en raison de la transformation sur la matière qui en résulte. Or aussi

CH S D
longtemps que ceux-ci ne constituent pas, lorsqu’ils sont au service d’une finalité extérieure, l’occasion de la
compromission d’un tiers moral, i.e. d’une raison agissante, ou susceptible de le devenir, en vertu de la possibilité d’une
plénitude rationnelle qui s’épanouit selon l’unité réalisée de ses pouvoirs: du pouvoir théorique en vue de la Vérité; du
AR FIN
pouvoir pratique en vue de la Bonté; et du pouvoir poématique en vue de la Beauté; les transcendantaux figurent
l’entéléchie adéquate d’un pouvoir spirituel se réalisant d’une manière complètement intégrée, en raison d ela
possibilité idéale que se propose la conscience à elle-même.
SE À

Car si les conditions de son activité tiennent de sa dimension inconditionnée, en tant qu’il parvient à transcender
l’actualité de la vie, en vertu d’une envergure qui s’extrait des limites de l’expérience phénoménale et reconstitue ce qui
RE T,

fut, tout en anticipant sur ce qui sera 15, elles se révèlent aussi entièrement immanentes à celle-là, puisqu’elles puisent à
D EN

même les possibilités de la vie, les ressources qui importent à sa subsistance particulière, en même temps qu’elles
retournent au mouvement de la vie les éléments transformés qui en assureront, même de manière hypothétique et
impondérable, la subsistance de la dimension collective. Dédoublement salutaire donc de l’esprit qui, tout en
AN M

reconnaissant ce qui n’est pas encore — et qui fut peut-être à une certaine époque —, sait proposer ce qui sera peut-être
— et qui représenterait peut-être un nouvel âge —, en vertu de critères métaphysiques qui permettent d’en estimer la
E LE

valeur.
US SEU

Au plan des fins, l’outil est ce qui réalise la plénitude de l’extrincésité, puisque sa raison d’être et l’emploi auquel
on le soumet se définissent exclusivement en fonction d’une essence qui est autre. Car sa valeur ultime réside, non pas
dans les possibilités de son essence propre, mais dans le produit qui résulte de leur mise à contribution en vertu de sa
commodité, de sa capacité passive à se prolonger entièrement dans une fin qui lui est attribuée, sans égard pour
AL EL

l’intrincésité d’une valeur qu’il reviendrait à son essence de recevoir, soit en vertu pour l’objet d’être ce qu’il est, soit en
vertu pour lui d’être selon une qualité formelle, indépendante de toute considération boulétique 16. Ayant épuisé la
ON N

possibilité usuelle, l’objet cesse de posséder tout intérêt.


RS ON

Quant à l’oeuvre d’art, elle commence déjà à illustrer une ambivalence des fins qui fait que la fin peut être à la fois
intrinsèque et extrinsèque, selon les circonstances et les occasions. Ainsi peut-elle valoir en raison d’un critère
P E RS

entièrement indépendant de son essence propre, comme elle peut être appréciée en raison d’un attribut global de son
essence universelle, celui de convenir à la plénitude de la raison en tant qu’elle est à la fois théorique, pratique et
poématique, selon son expression à l’intérieur d’une technique reposant sur l’Idée esthétique et sollicitant le jeu des
R PE

pouvoirs de l’imagination à réaliser de façon unifiée la Vérité, la Bonté et la Beauté. D’une part, le chef d’oeuvre qui,
pour un spéculateur, vaut uniquement en raison du bénéfice susceptible d’être réalisé au moment de sa vente et qui
reçoit une estimation subjective qui reflète une appréciation de l’oeuvre, non pas en tant que belle, i.e. reflétant dans son
FO E

apparence la plénitude de son essence et de sa finalité, mais parce que belle, i.e. possédant ces qualités extérieures
AG

susceptibles d’augmenter la marge du bénéfice que l’on escompte en retirer 17. D’autre part, le même chef d’oeuvre en
tant qu’il est une oeuvre originale 18, i.e. en tant qu’il illustre la plénitude du génie (individuel ou collectif) à imaginer et
US

15 KRV, Vorrede; AK III, 013-014.


16 Vide, supra, l’Introduction, note 31, p. 26.
17 Vide, supra, le chapître I, p. 51-52, pour une élaboration plus poussée de ce thème.
18 APH, §30; AK VII, 172; §54; AK VII, 220.

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LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

à réaliser un Idéal esthétique, étant le lieu spirituel d’une rencontre des divers pouvoirs de l’esprit [Gemüt], dont
l’harmonie synergique est orientée en vue d’une finalité créatrice. La raison trouve alors sa complétude en réalisant
l’unification transcendantale et active de ses propres pouvoirs dans l’imagination 19, telle qu’ils s’inscrivent à l’intérieur

LY —
d’un esprit culturel, dont les caractéristiques générales s’implantent sur un espace géographique pour une durée
identifiable (mais seulement en rétrospective).

ON CHE
Il est évident que la conception et la fabrication effectives d’un outil constituent l’évidence d’une réalisation de
l’Idée esthétique, en raison de la finalité de la réalisation qui met à contribution une technique en vue de cette
entéléchie. Car c’est une Idée qui procède simplement de l’intention de réalisation une fin extrinsèque à laquelle l’objet

ES ER
doit contribuer en tant qu’il est la matière d’un outil. Nonobstant cela cependant, il y a dans la confection et l’usinage
d’un outil l’édification d’une substance inerte, en vue du pouvoir de transformation qu’implique la production de
l’outil, lequel trouvera son illustration avec l’usage que l’on en fera. En raison de cette activité et par son intermédiaire,

OS H
on parvient à un degré de complexité dans le processus de réalisation en général, auquel on pouvait seulement songer

RP EC
avant l’invention de l’outil approprié. En somme, l’outil constitue en quelque sorte l’extension de l’intentionnalité
humaine, en lui permettant de raffiner l’action à laquelle l’être humain est naturellement prédisposé en vertu de son
désir et à décupler les forces dont la nature l’a doué en tant qu’il appartient à une espèce vivante, susceptible de

PU E R
transformer la simple aspiration que représente le désir en volonté agissante. Le résultat de la conception et de
l’invention de nouveaux appareils sera de rendre possible l’application d’une technique qui auparavant aurait été
irréalisable.

CH S D
L’édification finalisée de la matière, brute ou raffinée, suppose en soi l’application d’une technologie, en vue
AR FIN
d’une fonction précise, susceptible de maximiser les possibilités de réalisation d’une conscience, lorsqu’elle agit sur
une matière inerte. On y voit par conséquent l’évidence au plan suprasensible, d’une spontanéité et d’une autonomie
rationnelles que limitent cependant, au plan sensible, les possibilités inhérentes à la nature de l’objet façonné (on ne
saurait commander à une poutre de rouler ou à une barre d’acier trempé de démontrer la même flexibilité qu’un bâton en
SE À

hêtre) ainsi que la fin entrevue dans l’utilisation éventuelle de l’outil (on ne choisira pas un métal identique, ni ne lui
donnera une forme semblable, pour produire une égoïne ou un pare-choc d’automobile). Mais il existe néanmoins, avec
RE T,

l’acte d’inventer et de confectionner un outil, l’évidence d’une synergie des facultés à l’intérieur de l’activité
rationnelle, lorsqu’elle rend une matière conforme à la fin que l’on imagine pour elle, en vertu du bien que l’on
D EN

souhaiterait en retirer, au moyen de la technique susceptible de produire l’effet souhaité. Ainsi peut-on comprendre
qu’à la vérité de l’entéléchie correspond une bonté à laquelle s’associe dans leur réalisation effective la beauté, le tout
AN M

en reconnaissance de la sublimité qui naît avec la prise de conscience de l’ampleur et de la profondeur de la fusiV, qui
procure la possibilité au pouvoir suprasensible de l’esprit [Gemüt], de conjuguer son action avec une nature sensible
E LE

aussi diverse qu’elle est immense et puissante.


US SEU

En réalité, la beauté dont il s’agit révèle deux ordres, car l’accord de l’entendement pré-conceptuel et de
l’imagination créatrice de la possibilité, entrevue en vertu d’un désir (et de la supposition par là qu’il y aurait un manque
à combler), autant celle qui est simplement existante que celle qui est effectivement possible, en raison de la réalité
d’une essence accessible à la conscience épistémologique, par l’entremise des catégories de l’entendement, suppose
AL EL

une harmonie qui préside à l’Idée esthétique, et au schème esthétique susceptible d’en résulter. Ce sentiment augure du
succès de l’entreprise visant à leur matérialisation et trouvera la plénitude de son épanouissement et de son expression
avec la réalisation du projet à laquelle la mise en oeuvre d’une technique adéquate donnera lieu 20.
ON N
RS ON

Ainsi ces deux types d’impressions tiennent chacun à un jugement de goût distinct, se suivant et se superposant
dans le temps: un jugement qui évoque une beauté idéelle et subjective; et celui qui énonce une beauté réelle. Le
premier prétend à l’universalité effective en raison de se conformer à des principes a priori et associe de manière
P E RS

hypothétique les trois aspects de la raison selon un désir à réaliser l’Idée esthétique en vue d’un bien possible, avant
toute activité opérée dans l’actualisation de cette fin. Quant au second, l’expérience effective en révèle l’éventualité en
R PE

tant qu’il est un jugement d’ensemble en vue de son actualisation et associe dans l’actualité de l’entéléchie ces mêmes
trois aspects rationnels, se conjuguant en vue de la connaissance concrète et sensible de l’oeuvre achevée; de
l’expérience durable du bien qui en résulte; et de l’appréhension effective p;ar la conscience de la perfection technique.
FO E

Grâce à celle-ci, l’unité de la conscience dans l’instant spirituel individualisé s’est transformée en conscience de l’unité
AG

de l’oeuvre réalisée dans la durée de l’espace culturel, pour une oeuvre planifiée dont l’esprit appréhende la réalisation.
Cela s’effectue de telle manière que l’esprit collectif serait susceptible d’en entériner l’accomplissement et de s’en
approprier l’appartenance selon les conventions, les normes, les traditions et les usages qui cautionnent les réalisations
US

subsumées par les canons et les principes, véhiculés et promus par ceux-là.

Ainsi peut-on affirmer avec justesse que deux types de goût coexistent en rapport complémentaire et réciproque,
sous un mode anagogique, au sens le plus large du terme, alors que les goûts individuels contribuent à façonner le goût

19 Idem, §56.C; AK VII, 225-226; §54; loc. cit.

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LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

émanant d’un esprit collectif, lequel néanmoins fournit, au moyen de l’histoire, de la tradition et de l’éducation
esthétique constitutives de la mémoire collective, des balises, des barèmes et des normes implicites qu’il s’agirait de
compléter, de raffiner et de surpasser avec de nouvelles réalisations particulières. Cela donne lieu à une dynamique qui

LY —
met en présence les modèles et les oppose selon les critères d’une saine émulation, se produisant à l’intérieur d’un
espace culturel dont les limites sont implicitement mais péremptoirement définies, quant aux tendances, aux

ON CHE
orientations et aux écoles, par des exemplaires de créativité qui semblent défier tous les canons et toutes les règles, tout
en affirmant et en confirmant les principes les plus essentiels qui président à leur énonciation. Et surtout qui constituent,
quant à des projets futurs, un nec plus ultra qui a pour fonction de fixer un étalon estimé indépassable dans l’actualité,
que pourtant l’excellence du génie des cohortes et des générations subséquentes parviendra à franchir, pour proposer de

ES ER
nouveaux horizons et de nouveaux termes d’excellence à une étape ultérieure. C’est que toute oeuvre d’art est en même
temps une édification de la matière: elle est donc a priori éminemment sociale quant à sa finalité. Si celle-ci est
subjective, avec l’appréciation que l’on est susceptible d‘en réaliser, elle fait aussi appel à un sens commun grâce

OS H
auquel cette subjectivité est susceptible de se recueillir un aval universel.

RP EC
Qu’un outil serve à édifier la matière en vue d’une finalité qui rencontre les aspirations de plus en plus complexes
et spécialisées de l’esprit, voilà ce dont atteste l’évolution et le perfectionnement historiques des moyens techniques

PU E R
dont dispose l’humanité, dans la maîtrise de plus en plus polyvalente et poussée de la nature, en vue de la rendre
sécuritaire et habitable. Que la conception de l’outil constituât un progrès indéniable et irréductible de la manifestation
de l’esprit, en étant le moment originel de son efflorescence culturelle, voilà ce qui nous semble définitivement acquis,

CH S D
puisque son invention requiert la concertation des exigences techniques plus enracinées dans la réalité empirique et
d’une vision architectonique qui inscrit le tout à l’intérieur d’un mouvement général et durable. Car édifier la matière en
vue de mieux encore édifier l’esprit, lui conférer une élévation et le cultiver, le marquer du sceau d’un Idéal esthétique
AR FIN
digne du nom, représente le mouvement d’un esprit qui réalise l’unité de ses trois dimensions. Cette unité trouve son
fondement avec la réflexion qui ouvre sur l’action réussie en raison d’une finalité désirable (parce qu’elle est bonne et
non uniquement parce qu’elle est agréable). Elle appartient de ce fait, non pas au jugement esthétique des sens, mais au
SE À
jugement esthétique proprement dit, lequel repose sur l’expérience subjective paroxystique que conditionne
l’expérience sensorielle. Le plaisir et le déplaisir ressentis sont en lui la fonction de l’expérience intime fondée sur une
RE T,

intuition objective que subsume la catégorie a priori de la qualité 21.


D EN

Chacune de ces dimensions représente autant de moments à l’intérieur de la réalisation ontologique complète du
sujet engagé dans un rapport de mutualité avec la nature sensible. Cette interaction se résout par un genre de ballet
AN M

cosmique, pour lequel les forces de la nature enjoignent à une manifestation des énergies humaines, en vue d’en
solliciter, par l’immédiateté de l’attention qu’elles requièrent, les directions possibles et de constituer pour ces
E LE

puissances naturelles mais privilégiées, l’établissement, le rétablissement, l’amplification ou la continuation des


conditions sensibles et matérielles d’une intégration et d’une union avec le registre suprasensible. Grâce à celles-ci,
US SEU

l’esprit humain peut découvrir et reconnaître, dans l’intimité d’un sens interne, abritant les intuitions que nourrissent les
sens externes, un substrat exogène propice à son maintien, à son activité, à son développement, à son évolution et à sa
perfection, bref à un mouvement et à une conjoncture dont est redevable de sa réalisation de plus en plus abondante et
complète, l’entéléchie d’un esprit incarné, en raison de contribuer de façon propice et adéquate à la spontanéité et à
AL EL

l’autonomie d’une essence vitale, dont la véritable signification repose sur la subjectivité qui s’assume, et par là lui
donne tout son sens.
ON N
RS ON

20 La notion de schème est très complexe chez Kant, puisqu’elle réfère tantôt à la représentation du procédé
général qu’emploie l’imagination afin de procurer une image qui correspond au concept dont elle dispose
P E RS

[diese Vorstellung nun von einem allgemeinen Verfahren der Einbildungskraft, einem Begriff sein Bild zu
verschaffen] [KRV; AK III, 155; IV 100-101] et tantôt à la diversité et à l’ordonnance essentielles des parties,
déterminées a priori par le principe d’une fin et requises pour qu’une Idée se réalise dans l’oeuvre
R PE

correspondante [eine a priori aus dem Prinzip des Zwecks bestimmten wesentliche Mannigfaltigkeit une
Ordnung der Teile] [KRV; AK III, 539]. Le schème renvoie alors à une technique lorsque sa réalisation est
commandée pour l’essentiel par les contraintes de l’empirie, alors qu’il fonde une unité architectonique
FO E

lorsqu’il repose sur une unité a priori que lui confère la raison selon ses propres principes, indépendamment du
AG

monde sensible. Nous utilisons la notion de schème esthétique dans le second sens de schème architectonique,
puisque la technique à laquelle il donne lieu repose néanmoins sur une Idée abstraite avant toute transformation
de la nature. Par ailleurs, dès lors qu’il s’agira d’une matière sensible plutôt qu’une matière simplement idéelle,
US

le schématisme kantien alloue pour son degré de pureté qui d’une part tient exclusivement de la raison agissante
au plan suprasensible théorique et de l’autre au plan suprasensible poématique impliquant une transformation
de l’empirie que les moyens culturels rendent évidente. Il existe nul doute alors que le schème architectonique
appartienne à l’ordre poématique, de la même manière que le schème transcendantal tient de l’ordre théorique
et le schème moral (la maxime), de l’ordre pratique.
21 KU, §29A; AK V, 266.

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LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

Or, c’est avec une telle compatibilité, pré-existante ou simplement désirable, entre l’organisme vivant et la nature
réalisant avec lui une heureuse complémentarité, que le sentiment prend tout son sens. Car il devient alors la
confirmation d’un état existentiel propice à l’entéléchie spirituelle, selon une perspective qui verrait en l’harmonie de

LY —
l’esprit, la contrepartie d’une réciprocité complémentaire gouvernant les rapports de l’esprit au monde. Ce procès serait
en plus redevable à la médiation d’une entité organique (le corps) qui résume et réconcilie, selon une édification

ON CHE
suprême des principes matériels, conformément aux lois et aux principes dynamiques de la vie, la possibilité inhérente
à une interaction qui, dans la chair, associe les conditionnements hétéronomes propres à la dimension naturelle et les
déterminations, émanant du monde de l’esprit, de l’inconditionné spontané, autonome et subsomptif du tout. Ainsi se
réaliserait le principe trimesgiste d’une continuité analogique entre la nature et l’esprit pour laquelle le pivot central du

ES ER
Ich sert de médiation selon une hiérarchie des natures et des essences, stratifiées en vertu d’un principe de complexité,
de raffinement et de subtilité. C’est un principe qui ferait de l’entéléchie naturelle dynamique, un miroir de l’entéléchie
spirituelle vitale qui à la fois la subsumerait et constituerait un principe d’attraction perfective sur elle, tout en assurant

OS H
aux membres et aux éléments de l’ensemble une situation qui est conforme à un ordonnancement hiérarchique sain.

RP EC
Plaire est un acte éminemment social, en ce sens qu’il exprime la disposition arrêtée pour l’esprit d’être pour autrui
la source d’un plaisir, lequel inscrit l’agent et le principe de son actualisation parmi les sujets qui ne sont en aucune

PU E R
façon une source de consternation et d’inquiétude pour lui. Le plaisir s’adresse donc à la dimension sécuritaire de
l’existence. Si la douleur constitue le signal d’alarme qui avertit d’une situation existentielle compromise par
l’inconfort remarquable qui en est à l’origine, le plaisir quant à lui tend à confirmer la stabilité d’un état existentiel sûr

CH S D
qui ne fournit aucune raison d’éprouver un doute quant à sa continuité ou sa persistance. De sorte que plaire, c’est
rassurer quant à une intention positive sur autrui — pour autant que cette action se fonde sur la sincérité et la droiture
désintéressées de l’intention —; et plaire éminemment, c’est vouloir confirmer autrui dans sa situation présente et
AR FIN
même attester de la valeur hautement désirable de celle-ci, autant pour l’agent du plaisir que pour son patient. En
somme, plaire c’est en même temps exprimer une participation à la vie d’autrui, telle que celle-ci est estimée bonne,
puisqu’elle est le reflet d’une dignité indéniable.
SE À

Ce qui est beau se communique par le plaisir esthétique que l’on en éprouve, en créant les conditions internes
RE T,

d’une harmonie par lesquelles le concept d’un objet est spontanément et de façon étonnante enrichi par une nouvelle
plénitude qualitative que procure à l’esprit — du spectateur ou de l’acteur — le génie d’une créativité qui passe par une
D EN

exacerbation de la capacité imaginative. En contrepartie, avec l’activité de l’ouvrier, de l’agent spirituel par lequel la
beauté se réalise concrètement, on retrouve une intention qui consiste à édifier la matière et en même temps à élever
AN M

l’esprit, par la qualité de l’oeuvre dont le spectateur est amené à en réaliser la contemplation et qui émane de la
transformation de la matière qui en est la cause active principale.
E LE

Toute activité poématique se définit par une expression qui réalise l’Idée comme étant une métamorphose de la
US SEU

matière afin de rendre celle-là sensible 22. Dès lors que l’Idée s’avère d’abord pratique lato sensu, étant au service d’une
fonction qui caractérisera l’emploi auquel sera mis à contribution l’objet qu’infuse cette Idée et qui assure que
l’édification ponctuelle et ciblée de la matière servira généralement à une édification encore plus élevée de la matière,
au moyen d’une technique qui vise l’accomplissement d’un dessein architectonique, l’activité poématique sera dite
AL EL

instrumentale et produira un artefact qui est en même temps un outil. Dès lors cependant que l’Idée s’avère
principalement esthétique, i.e. valant en soi en tant qu’elle est formatrice d’une matière en vue premièrement d’une
édification, non pas de la matière concrète et sensible, mais de l’esprit qui en apprécie la qualité formelle, en suscitant
ON N

l’harmonie à l’intérieur de l’esprit avec l’exemplarité libre, créatrice et imaginative du concept, l’activité poématique
RS ON

sera dite principalement esthétique. Elle produira un artefact qui est en même temps une oeuvre, laquelle ne comporte
pas la valeur utilitaire de l’outil, mais possèdera néanmoins une valeur extrinsèque en incorporant et en transmettant le
sens procédant de l’inspiration originale qu’elle reçoit de l’esprit créateur qui s’érige ainsi en éducateur de l’humanité,
P E RS

ou à tout le moins en promoteur des aptitudes et des préférences des consciences individuelles. En tant que celles-ci
incarnent l’humanité en leur personne, elles seront appelées à contempler l’oeuvre ainsi réalisée et à recevoir d’elle tous
R PE

les bénéfices spirituels, incombant à la perfection d’une oeuvre artistique et d’une réalisation poématique. Car la fin
explicite visée par le créateur est l’édification de l’esprit d’autrui — entendu au sens individuel ou collectif —, lorsqu’il
donne corps avec succès à une Idée inédite, avec la métamorphose d’une matière, avec l’effort et l’énergie qui réalisent
FO E

cette fin, ainsi rendue docile à recevoir la forme éminemment inspirante et saisissante de cette Idée.
AG

Ainsi, en effectuant la présentation originale qui la caractérise premièrement, l’oeuvre artistique ne se contente pas
de confirmer la valeur d’un état actuel digne d’être préservé, cela d’autant plus que l’oeuvre incarne plus hautement
US

encore l’Idéal artistique de favoriser l’harmonie profonde des facultés supérieures de la connaissance, lorsqu’elles
subliment les intuitions sensibles de la manière la plus élevée possible. Plus encore, elle fournit à l’esprit l’évidence
éminemment actuelle de l’insertion d’une possibilité qui anticipe sur l’avenir et l’engage au plus haut point, puisqu’elle
perpétue ce qui à l’intérieur de l’actualité serait censée en représenter dans le jugement, la valeur intime la plus

22 Idem, §72; AK V, 390.

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LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

significative et la plus digne d’être valorisée, à savoir la vie. Celle-ci s’exprime avec la continuité individuelle et
collective par les sujets des valeurs transmissibles les plus éminentes au plan sociologique et elle fonde, non pas
seulement la possibilité esthétique de l’esprit, mais encore la possibilité eudémoniste de l’âme 23. Car le bonheur ultime

LY —
s’ancre dans l’actualisation possible de la Bonté suprême qui, en se réalisant, illustre la plénitude ineffable de l’esprit.
Celle-ci trouve à s’exprimer selon sa dimension vitale, qui comporte en même temps une visée éducative et formative

ON CHE
sur les consciences, en sublimant des énergies passionnelles et affectives en vue de leur harmonisation avec les visées
culturelles de la société qui ainsi en civilise l’expression. Car la culture dépasse le plan esthétique immédiat en se
mettant au service de la durée, de l’expansion et de la perpétuation de la société humaine, pour autant qu’elle sera digne
d’être valorisée par l’ensemble de ses membres et de recevoir l’émulation des sociétés avoisinantes, engagées avec elle

ES ER
sur la voie d’une coexistence complémentaire et pacifique, qui se fonde sur la préservation, la promotion et
l’exacerbation des possibilités éminentes de l’esprit.

OS H
Toute oeuvre appartient au temps, puisqu’elle est en principe constitutive de l’infrastructure matérielle et

RP EC
culturelle de la société qui en subsume la réalisation, en vue de sa continuation et de sa perpétuation. Elle devient alors
le réceptacle et le reposoir de l’esprit qu’incarne à des degrés différents chacun de ses membres. Elle ne peut par
conséquent nier son appartenance à l’espace en tant que celui-ci est le lieu de l’expression de l’Idée poématique —

PU E R
pratique ou esthétique —, telle qu’elle se découvre à l’intérieur des ressources objectives, tant humaines que vivantes
que tenant de la nature inerte, lesquelles ressources se portent garantes, mais différemment, de la possibilité matérielle
de l’édification spirituelle fondée sur l’édification matérielle. Or, ces paliers de l’édification définissent pour l’essentiel

CH S D
la finalité de l’esprit dans son rapport avec la nature sensible, selon un mouvement qui en réalise l’entéléchie, telle
qu’elle est concevable à l’intérieur d’un monde où se rencontrent de façon intime et complémentaire, cohérente et
multiple, tantôt le pouvoir contraignant de la matière de la nature et la puissance libératrice de l’esprit, tantôt la passivité
AR FIN
plastique et l’activitré créatrice du génie, et tantôt les uns et les autres.

C’est une union qui favorise l’éclosion de celles-ci sans nier totalement ceux-là, le tout en relation avec une
SE À

perfection dont les virtualités (que procurent quant à leur possibilité poématique l’imagination et la volonté engagées à
réaliser leur effectivité active) restent à découvrir, tout en fondant leur possibilité réelle sur l’espérance de pouvoir
RE T,

atteindre l’Idéal qui en découle et le désir de s’investir en ce sens, au nom d’une vie qui représente nulle autre chose que
la manifestation et l’expression sublimes et superlativement bénéfiques de l’esprit, au nom d’une fin ultime,
D EN

l’édification progressive et définitive du genre humain. Ainsi, la multiplicité et la diversité des sociétés et des cultures
deviendront les incitatifs à la croissance spirituelle de l’humanité, qui se voit ainsi investie de la mission grandiose et
AN M

infinie de réaliser l’expression et la manifestation les plus élevées concevables de l’énergie vitale, sinon en réalité, du
moins quant à sa possibilité, puisque les termes d’une telle entreprise échappent à tout horizon apercevable dans
E LE

l’immédiat, alors que cette opération facilite la participation du genre humain en entier à la métamorphose de la nature
sensible, en mettant à contribution la dimension suprasensible des consciences et des esprits.
US SEU

Héautonomie subjective
de l’expérience suprasensible
AL EL

De cette entéléchie ressort que le rapport existant entre les conditions de l’expérience et les trois transcendantaux,
tels qu’ils reçoivent la médiation des facultés de l’esprit, soit caractérisé par l’unité intime à l’activité de la conscience.
ON N

D’une part, celles-là maintiennent et perpétuent les énergies vitales dont les facultés de l’esprit recrutées dans le
complexe synesthésique sont les expressions nécessaires et spécialisées, puisqu’elles appartiennent à des sujets
RS ON

vivants, éminemment conscients et rationnels. D’autre part, ces pouvoirs n’auraient aucun intérêt à s’extérioriser, en
l’absence des fins susceptibles d’être formulées, dans la réalisation de la bonté propre à l’activité de l’esprit,
caractéristique de la désirabilité d’une fin, de la vérité qui est le reflet de la plénitude de son entéléchie et de la beauté
P E RS

expressive de la plénitude de l’être et par conséquent de la complétude universelle du tout, avec la réalisation effective
et phénoménale de la bonté et de la vérité. Or, l’aboutissement d’un tel mouvement implique l’identité parfaite ultime
R PE

de l’objet, susceptible de réaliser matériellement l’essence de la Bonté, de la Vérité et de la Beauté, puisque cette
identité réconcilie effectivement l’être et le devoir-être, l’actualité et la possibilité ainsi que la nature sensible et l’esprit
suprasensible, sans qu’elle ne déroge à cette unité.
FO E
AG

Considérant un à un chacun de ces transcendantaux, on peut définir la Bonté comme étant la plénitude de l’être, tel
que nul devoir-être ultérieur ne serait susceptible d’en être conçu et imaginé pour lui; la Vérité comme étant la plénitude
actuelle de l’être, telle que nulle autre possibilité puisse lui être adjointe; et la Beauté comme étant la plénitude de l’être,
US

en tant qu’elle reprend l’un dans l’autre, de façon complémentaire et mutuelle, la dimension sensible du conditionné
naturel et le registre suprasensible de l’inconditionné spirituel, selon l’unité des trois transcendantaux pleinement
enracinés dans l’essence et la destination de l’être. La beauté devient ainsi révélatrice d’une intégration par laquelle la
subjectivité de la conscience rencontre dans l’adéquation ressentie et éprouvée l’objectivité de la plénitude de la chose,

23 Cette considération deviendra plus évidente dans les chapitres qui suivent.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 64 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

que révèlent autant la bonté de la finalité réalisée que la vérité de l’entéléchie effective, en tant qu’ensemble, ils font la
promotion de l’unité organique d’une diversité irréductible, laquelle pourtant fonde et affirme cette unité et son pouvoir
de subsomption, au nom et en fonction de l’agence spirituelle dont il est le principe et la cause. Or, le jugement est le

LY —
pouvoir de l’esprit qui, en vertu de son activité fondée sur la liberté interactive des pouvoirs de la connaissance, procure
l’assurance de la manifestation réelle et effective d’une telle unité, dont l’expression subjective et pré-cognitive est le

ON CHE
sentiment d’une harmonie. Le pouvoir judiciaire, en raison d’appartenir aux facultés supérieures de la connaissance et
donc de l’esprit, illustre son autonomie et sa spontanéité, mais d’une façon qui est particulière à son essence propre 24.

Le thème de l’héautonomie porte sur la dimension, intime à la conscience, de l’autonomie quant à son

ES ER
déroulement au coeur de la subjectivité avant tout rapport objectif, tel qu’il se produit avant toute rencontre de la nature
et de l’entendement dans la constitution théorique de ses lois à partir des intuitions et précédant toute effectivité qui,
émanant de la conscience pratique, viserait à transformer le monde sensible, au moyen de l’action constituée en vue

OS H
d’une finalité morale 25. Bref l’héautonomie, qui par son étymologie renvoie à la notion d’exiV, et donc de l’état acquis

RP EC
de l’esprit et du corps 26, définirait l’essence de l’autonomie lorsqu’elle illustre une possibilité portant différemment sur
les dimensions afférente et efférente de la conscience. Par cette activité, elle définirait une forme particulière de

PU E R
législation, opérant exclusivement à l’intérieur du complexe synesthésique judiciaire, en vue d’extraire à partir des
possibilités intimes au concept, celles qui seraient les plus aptes à rencontrer effectivement une fin morale adéquate 27.

CH S D
La nature transcendantale de la conscience est le gage d’une autonomie pour celle-ci et se réalise sous deux formes
principales: celle qui, étant proprement autonome, attribue les concepts et les lois à partir de l’intuition; et celle qui,
tenant de la spontanéité, se fonde sur le désir et se manifeste dans l’effectivité de la conscience, engagée dans son
AR FIN
opération sur le monde 28. Elle ne saurait par conséquent se laisser comprendre entièrement sans la dimension
entièrement subjective, émanant de la dimension suprasensible, qui autoriserait le passage de l’une à l’autre, de
l’objectivité intellectuelle que procure une subjectivité théorique à une subjectivité pratique qui donne sur une
objectivité manifeste. En somme, l’héautonomie est le point crucial d’une autonomie intime à l’esprit qui, en présence
SE À

d’une conjoncture spatio-temporelle en général, permet de réaliser la réciprocité mutuelle des subjectivités, théorique
et pratique, en vertu d’une subjectivité qui, tout en participant à l’une et à l’autre, n’est proprement ni l’une, ni l’autre.
RE T,

Cette subjectivité est la subjectivité judiciaire, laquelle repose sur le complexe synesthésique, valable uniquement pour
D EN

un jugement qui procède d’un sentiment.

Or, le sentiment révèle le rapport de la conscience à la vie, dès qu’elle émane d’un mouvement qui illustre la
AN M

spontanéité conditionnée de l’esprit engagé dans son rapport au monde, selon le principe de finalité. Ainsi l’esprit
participe à une éventuelle unité en raison de ce principe, d’une unité dont l’entéléchie se reconnaît avec la plénitude de
E LE

l’être, à ce point réalisé que nul devoir-être, nulle possibilité ajoutée et nul effet mensonger ne sauraient en être conçus,
ni imaginés. Par la suite, l’héautonomie devient cet aspect de l’autonomie qui met en contexte l’activité spécifique de la
US SEU

conscience, telle qu’elle porte sur telle expérience, qu’elle donne sur telle effectivité, et qu’elle se produit selon le
mouvement général de l’esprit et de la nature. Ceux-ci sont engagés mutuellement sur une voie qui affirme leur être,
pour l’une comme pour l’autre: leur point de résolution est contenu dans la vitalité des espèces vivantes et leur
excellence culmine dans l’humanité qui (en autant que l’on puisse en conclure de manière définitive) en représenterait
AL EL

l’illustration suprême parmi toutes celles-ci.


ON N

S’agissant du sentiment, on doit comprendre qu’il appartient, non pas à l’ordre du particulier, en tant que tel
sentiment portant sur telle expérience, quoique cet aspect du sentiment se retrouvât nécessairement dans toute
RS ON

expérience subjective et judiciaire, mais à l’ordre transcendantal en tant qu’il se fonde dès l’origine sur des principes a
priori, en vertu desquels une prétention à la validité universelle s’avère possible. Puisqu’il tient de la nature expresse et
singulière du sentiment d’être éprouvé, on doit en conclure que le sentiment possède une valeur phylogénique en vertu
P E RS

du principe commun aux espèces vivantes, et que, par conséquent, il appartient au principe d’une insertion originelle de
l’Homme dans l’histoire (lequel ne saurait être étranger au principe de vie), et donc à une Agence qui puisse en
R PE

constituer la causalité première, puisque ce qui est d’une agence supérieure — celle qui tient de la vie et en manifeste
l’originalité essentielle — peut procéder uniquement d’une cause suprême qui en réalise la supériorité. Son incidence
est donc universelle au règne de la vie, et en particulier de la vie rationnelle et consciente, telle qu’elle s’exprime à
FO E
AG

24 Idem, §39; p. 292.


25 Idem, Einleitung, §v; p. 185-186.
US

26 exis, ewV: «a being in a certain state, a permanent condition as produced by practice; 1. a state or habit of body;
2. a state or habit of mind, opposed to dunamiV, esp. an acquired habit of acting, opp. to, but sometimes
including energeia; 3. skill as a result of practice, experience». — Liddell and Scott. op. cit. p. 502.
27 EE, §viii; AK XX, 225.
28 GMS; AK IV, 452, 454.

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LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

l’intérieur de l’humanité. De plus, on peut supposer que cette Agence n’a pas causé le sentiment de manière aléatoire,
en raison de son association essentielle, nécessaire et constante au jugement en vue soit d’une détermination, soit d’une
réflexion, soit d’une combinaison de ces deux actions de la conscience. Il est alors légitime de présumer que la finalité

LY —
du sentiment s’exerce à l’intérieur de l’activité même du jugement, laquelle s’ancre dans l’expérience par son côté
afférent et retourne à celle-ci par son côté efférent.

ON CHE
La conscience ne peut revendiquer, par son aspect passif, aucune autonomie quant à l’expérience donnée sur
laquelle porte la conscience, sauf en ce qui concerne la réceptivité à l’édification de la nature en culture, laquelle
appartient en propre à la réflexion avant toute conceptualisation. L’autonomie revendiquée tient donc de l’ordre

ES ER
pratique et historique à la fois et ne peut en aucune manière concerner le moment présent de la perception actuelle, sauf
en tant qu’elle procéde d’une activité qui ressortit, non pas à la raison théorique, mais à la raison pratique. Elle peut par
ailleurs revendiquer toute l’autonomie de son effectivité sur l’expérience, en vertu de la réalisation effective du désir,

OS H
pour autant que cette intervention procède effectivement de son pouvoir tel qu’il est exprimé par l’action.

RP EC
Or, la justification d’un passage dans la subjectivité de la passivité réceptive vers la plénitude de l’autonomie

PU E R
requiert, pour la conscience qui en témoigne, l’identification d’un principe et d’une causalité effectives. On ne saurait
autrement expliquer l’occurrence d’un mouvement qui, à partir d’une autonomie absente, aboutit à un état qui participe
à l’expérience en se recrutant l’effectivité d’une activité moralement finalisée, alors qu’elle exprimait auparavant une

CH S D
simple possibilité de l’expérience. En somme, autant l’objectivité susceptible d’opérer une modification de la
conscience, que la subjectivité, dont l’action possible s’exerce sur le monde sensible en vue d’une finalité morale, que
la transformation subjective grâce à laquelle l’une se fond dans l’autre, reposent sur un principe et une causalité qui
AR FIN
expriment, à l’intérieur du complexe synesthésique judiciaire qui associe le jugement et le sentiment, des possibilités
primordiales originelles sans lesquelles cette association serait insensée et aléatoire.

Puisque ces concepts ontologiques renvoient à un éventuel fondement originel, ils sont phylogéniques et par
SE À

conséquent communs à la nature de tous les êtres susceptibles de les manifester. Leur présence en tel individu, sis à
l’intersection de tel moment de l’histoire et de telle culture spécifiques, augure en même temps d’une actualisation
RE T,

ontogénique, en vertu de l’unité d’une expérience subjective qui a la possibilité d’être partagée par d’autres
D EN

subjectivités dans la simultanéité des consciences. Cette actualité participe à une nature consciente raisonnable et
effective, qu’ont en partage, mais à des degrés et selon des modalités d’expression diverses, une généralité de
particuliers pour lesquels cette nature définit une communauté phylogénique. Celle-ci révèle en plus une puissance qui
AN M

singularise en vertu de possibilités et de réalisations diverses, que conditionnent des expériences irréductibles et
singulières. Une telle complexité multi-factorielle, requise en vertu de l’actualisation ontogénique, argue par
E LE

conséquent en faveur d’une identité ontogénique unique, caractéristique de la singularité phylogénique de chaque être
vivant.
US SEU

Or, le Ich constitue le concept objectif qui identifie cette unicité individuelle, telle que d’abord elle se découvre et
est ressentie subjectivement: c’est en lui que se manifestent le principe et la cause d’une autonomie qui non seulement
s’exprime objectivement, avec les conduites et les actions qui l’expriment, mais encore se sait et s’éprouve
AL EL

subjectivement, dans le procès par lequel le sujet individuel conscient recrute en lui-même le moyen d’un passage de
l’état simplement réceptif et réflexif à une disposition active et déterminante, de manière à représenter une mutation
ON N

dynamique de l’intériorité. Étant la manifestation du registre suprasensible présent à l’intérieur de la dimension


sensible, l’autonomie représente un attribut essentiel et évident de l’espèce vivante, comprise en tant qu’elle est une
RS ON

universalité phylogénique; l’héautonomie par contraste constitue l’alliance à l’intérieur de la personne intégrale,
pleinement assumée dans sa nature complète, agissante et morale, et ainsi singularisée dans l’histoire transcendantale
d’un mouvement qui lui est propre, de la quiddité ontogénique individuelle, à la fois passible et expressive d’une
P E RS

autonomie, et de la talité physique de son expérience, que caractérise de façon singulière l’histoire, la culture et
l’expérience particulières.
R PE

La spontanéité définit cette possibilité d’initier une démarche autonome, i.e. de s’en constituer le principe et la
cause 29, et la créativité en illustre l’expression à l’intérieur du complexe judiciaire 30, en recrutant à cet effet tous les
FO E

pouvoirs de la subjectivité. L’héautonomie décrit par contre le conditionnement suprasensible, intérieurement


AG

commandé et initié par la subjectivité particulière, d’une autonomie commune à tous les esprits qui sont doués de
vitalité, et caractérise l’énergie indéfinissable que l’on nomme la vie. Elle trouve sa résolution avec la possibilité
générale, culturellement fondée, de transcender les déterminismes de la nature dans le sens de sa transformation et de
US

son édification, ce qui suppose en même temps chez le sujet une aptitude à se maintenir, à perdurer et à se reproduire.
Sans cette possibilité fondamentale, le sujet ne saurait songer recevoir le sceau de la personnalité — le caractère d’un

29 KRV; AK III, 363.


30 KU, §49; AK V, 318.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 66 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

être vivant, singulier, raisonnable, libre et moral 31— que caractérisent une spontanéité et une créativité judicieusement
commandées, en vertu de l’héautonomie qui se réalise subjectivement et de l’autonomie qui est est la manifestation
objective et adéquate, avec la manifestation librement consentie du Ich, et selon une conjoncture qui réunit de façon

LY —
originale et précise les quiddités subjectives et les talités objectives, situées au croisement de la dimension historique et
de l’espace culturel.

ON CHE
L’expérience peut être envisagée, autant de son point de vue subjectif et judiciaire que d’une perspective objective
et ponctuelle. Grâce à celle-là, l’individualité irréductible de chacun est affirmée et confirmée, et l’intériorité de son
originalité se découvre dans la personnalité, ce qui lui confère un statut pleinement ontologique. Par ailleurs, la

ES ER
prétention à la validité universelle repose sur une essence spirituelle phylogénique, commune à tous en tant qu’elle
caractérise une nature à la fois individuelle et sociale: elle autorise la personne à se reconnaître en autrui, en tant que
l’un et l’autre illustrent des possibilités rationnelles analogues, et, au moyen de l’imagination, de se substituer

OS H
virtuellement à autre que soi, à l’intérieur de l’expérience effectivement vécue par celui-ci, telle qu’elle puisse se

RP EC
révéler à la connaissance et à l’appréciation adéquates du sens intime, susceptible d’une telle identification. Il
s’ensuivrait de la confluence virtuelle des subjectivités, la possibilité de reconnaître en soi la présence éventuelle d’une
attitude consciente plénière, que confirment la présence de l’être qui s’assume et réalise son devoir-être, l’évidence de

PU E R
l’actualité qui est en même temps la plénitude de la possibilité, ainsi que la subsomption des subjectivités comprises
selon tous leurs aspects, sous une finalité intégralement inclusive de ce qui, étant naturel et/ou suprasensible, serait le
gage effectif de l’entéléchie par excellence, celle de la plénitude de l’être.

CH S D
De toutes les activités judiciaires de l’esprit, l’héautonomie est celle qui exprime l’intimité et la profondeur du
AR FIN
pouvoir qui correspond à son essence, en tant que celui-ci révèle une capacité subjective qui, sans se dédoubler, porte et
agit sur elle-même, celle-ci en vertu d’une validité [Gültigkeit] suprasensible, inhérente à la personne. À défaut de cette
validité personnelle — ou même de sa possibilité —, l’esprit ne saurait aspirer à rencontrer complètement les critères
d’une validité commune à plusieurs consciences, susceptibles de vivre la confluence d’un assentiment partagé, puisque
SE À

l’occurrence d’une validité subjective, voire simplement sa possibilité, constitue la pierre de touche d’une prétention à
l’universalité. Car si le propre du jugement esthétique est de savoir prétendre à une telle généralité, c’est en raison d’une
RE T,

espèce de connaissance particulière a priori qui, tout en étant ni proprement intellectuelle, ni proprement morale, relève
néanmoins d’une aperception implicite par le sens interne d’un état subjectif et de sa qualité sensible — susceptible
D EN

d’évoquer le plaisir ou le déplaisir —, avant toute conceptualisation (soit par l’entendement ou par la raison). Cet état
fonde par conséquent toute activité rationnelle, qu’elle soit épistémologique ou morale, qu’elle s’adresse à la nature
AN M

sensible des choses telles qu’elles sont ou qu’elle engage celles-ci dans la réalisation d’une possibilité identifiée, parce
qu’elle est simplement désirable ou parce qu’elle est estimée nécessaire.
E LE

C’est un état intime qui associe le sentiment et l’activité de la conscience simplement réfléchissante, procédant du
US SEU

particulier dans le sens de l’universel jusqu’à la découverte d’un concept ou d’une règle qui s’accomplit avant toute
détermination, que celle-ci en présente la forme qui symbolise le schème correspondant ou qu’elle procède à la
subsomption du particulier sous l’universel du concept ou de la règle qui englobent à leur spécificité. Or, l’activité
réfléchissante qui préside à la connaissance est simplement comparative et repose sur le recrutement, à l’intérieur de
AL EL

l’imagination, de ses pouvoirs de présentation [Darstellung] dans l’intuition, procédant de son activité productrice, et
de représentation [Vorstellung], dérivant de son activité reproductrice, une forme de l’intuition sans contrepartie
objective actuelle. L’effet consiste à signifier a priori, mais d’une manière strictement subjective, que les conditions
ON N

existent quant à la possibilité d’établir leur liaison. Car le rapport de la présentation à la représentation est celui de la
RS ON

conception implicite d’une Idée, sur laquelle la raison fonde son activité in foro interno, quant aux nouveaux schèmes et
aux nouvelles figurations auxquelles il donne lieu avant toute tentative de l’extérioriser, soit par le concept en ce qui
concerne l’entendement, soit par l’image en ce qui concerne l’imagination 32.
P E RS

C’est à l’intérieur de la présentation que se constitue l’originalité de l’expérience immédiate, telle qu’elle se
R PE

construit à l’intérieur de la personnalité unique, mais c’est à l’intérieur de la représentation que s’en appréhende
éventuellement, dans le recoupement des souvenirs et des aperceptions, la pluralité sous des espèces et des genres
possibles, laquelle fonderait toute conceptualisation et toute définition normative. Maintenant, si l’originalité pure
FO E

devient immédiatement suspecte à la conscience engagée dans son oeuvre unificatrice, puisqu’elle pose un défi à
AG

l’effort de réaliser l’unité de la vérité, caractéristique de l’activité rationnelle, et qu’elle serait susceptible de réaliser
alors un «jamais-vu» qui dépasserait tout entendement possible et compromettrait l’assurance de la conscience
d’atteindre à la plénitude universelle, la conformation générale de l’intuition à un modèle préalable, implicite dans le
US

souvenir qui en dessine les contours, et qui ne nierait pas l’originalité de l’aperception singulière tout en lui déniant en

31 RGV; AK VI, 026.


32 EE, §vii; AK XX, 220.

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LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

même temps le statut d’une étrangeté totale, deviendrait le gage d’une possibilité pour la raison d’exercer son activité
judiciaire, préalablement à toute activité théorique ou pratique.

LY —
C’est donc avec la relation de la sensation au sujet à l’intérieur de l’intuition que se réalise pleinement
l’héautonomie, alors qu’elle reflète, plus encore en tant qu’elle garantit, la possibilité pour cette relation de se

ON CHE
conformer à la possibilité générale de la raison — théorique ou pratique — et, par conséquent, de donner suite à son
activité intégrale dans le rapport qu’elle entretient avec l’expérience. De plus, c’est en réponse à un intérêt de la raison
que s’exerce l’héautonomie, en tant qu’elle est un jugement définissant quelle serait la possibilité effective de la raison
particulière à réaliser sa mission unificatrice pour telle expérience individuelle. Ainsi, constate-t-elle, sous le mode de

ES ER
l’épreuve subjective et constitutive du sentiment, s’il existe une conformité entre l’expérience casuelle acquise à la
conscience par l’intuition et la possibilité rationnelle de la conscience, selon une règle implicite, susceptible d’une
application possible à l’intuition. Cela étant, la raison subjective et personnelle se détermine elle-même face à

OS H
l’expérience unique, selon les possibilités afférentes à celle-là et que la philosophie critique se donne pour fonction

RP EC
d’identifier.

PU E R
En d’autres mots, l’héautonomie est à la raison subjective ce que l’autonomie est à la raison objective: la
réconciliation du sensible et du suprasensible, mais à un plan potentiel exclusif de tout apport afférent, comme dans la
connaissance théorique, ou efférent, comme dans la connaissance pratique, et à une dimension qui tient proprement du

CH S D
sens interne. C’est alors situer la raison individuelle à l’intérieur d’une dimension transcendantale où elle est à la fois
conditionnée avec l’aperception des cas particuliers et inconditionnée en ce qui concerne sa possibilité de les
déterminer en fonction d’une essence qui est propre à la nature de la raison en général et qui émane de sa constitution
AR FIN
interne. Quant à celle-ci, elle repose sur une capacité de comparer dans l’imaginaire ce qui est susceptible d’être
présenté dans l’intuition — l’imaginable possible — et ce qui est représenté dans la mémoire — l’imaginable probable,
susceptible de reprendre et de résumer tous les imaginaires préalables possibles —, le tout en vue d’un jugement
déterminant quant à la possibilité d’une action finalisée de la raison sur elle.
SE À

L’héautonomie représente ainsi le moment critique et ponctuel d’une conscience subjective et personnelle
RE T,

engagée sur le champ particulier de l’expérience possible, lorsqu’elle délibère au sujet de la possibilité implicite,
D EN

qu’elle statue sur celle-ci, de la raison à assumer le moment particulier (i.e. casuel), tel que cet instant se révèle à
l’intuition, en vue des finalités particulières à la raison. Le tout s’effectue en fonction du complexe synesthésique qui,
engagé à l’intérieur du mouvement historique de l’expérience subjective, appelée à composer avec une empirie
AN M

perpétuellement changeante, associe le sensible et le suprasensible in foro interno et mobilise le jugement au moyen du
sentiment. Bref, avec l’héautonomie, c’est l’être de la raison — la quiddité rationnelle — qui est mis en cause, en tant
E LE

qu’il est la réalisation — actuelle ou éventuelle — de sa possibilité, telle qu’elle se manifeste à l’intérieur de la
personnalité unique, laquelle entéléchie, dès lors qu’elle est pressentie, devient le critère de la possibilité d’une action
US SEU

rationnelle, adéquate à une situation particulière — la talité casuelle —.

En somme, une réflexion sur l’héautonomie constitue l’effort de comprendre la casuistique rationnelle,
c’est-à-dire les conditions transcendantales de l’implication rationnelle de la conscience individuelle, avec les aspects
AL EL

particuliers de l’expérience, à l’intérieur du rapport historique et culturel que la raison entretient avec elle. C’est une
casuistique qui se distingue d’une casuistique simplement existentielle, susceptible d’un jugement esthétique des sens,
ON N

et impliquant un rapport au sens interne qui tient de la sensation surtout et qui inclut l’épreuve du sentiment pour les
représentations occasionnées, mais sans que ne soit engagé dans cette démarche un principe de la faculté du jugement
RS ON

fondé sur le sentiment a priori, le sentiment transcendantal d’une finalité intime de la raison à laquelle se conforme,
grâce à son action unifiante, le champ empirique particulier. Or, pour Kant, le divorce du sentiment et de la raison, pour
lequel la sensation est susceptible de faire naître le sentiment en l’absence d’une finalité rationnelle, théorique ou
P E RS

pratique — en l’absence d’une validité universelle impliquant un consensus reposant sur un critère de vérité et/ou de
bonté — constitue à proprement parler l’hétéronomie de la conscience et ne saurait se prévaloir de la beauté en laquelle
R PE

culmine les trois transcendantaux, lorsqu’ils reçoivent une manifestation sensible.

Mais si une distinction logique s’impose, entre une conscience autonome, une conscience héautonome et une
FO E

conscience hétéronome, et si on accepte qu’une conscience autonome est celle qui réalise dans l’harmonie, la plénitude
AG

des possibilités de la raison en vue d’une finalité qui, portant sur le monde sensible, recrute à la fois la spontanéité
inconditionnée du registre suprasensible et l’éventail des possibilités intrinsèques à une nature historiquement située et
culturellement spatialisée, on peut fort bien s’interroger sur l’état d’une conscience pour l’essentiel hétéronome. Car ce
US

qui tient de l’association du sensible et du suprasensible tient du jugement qui, tout en se fondant sur le sentiment,
détermine l’implication de la conscience à cet effet, en raison d’une héautonomie réflexive, propre à la raison
transcendantale individuelle et personnelle et qui se sait actuellement sollicitée en vertu de ses possibilités intimes en
même temps qu’elle s’estime capable d’y répondre adéquatement. Pour autant que la condition d’une subsomption du
sensible par le suprasensible prévale, le critère de l’autonomie de la conscience se trouve rencontré dans le jugement
esthétique de réflexion, tel qu’il s’exerce effectivement lorsqu’kil dest enraciné à l’intérieur d’une conjoncture précise,
associant et actualisant l’effort de la conscience selon la nature de la raison en général et le mouvement de la structure

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LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

sensible, de manière à actualiser celle-là en donnant naissance à la culture qui en procède et en lui procurant une
continuité en l’enrichissant.

LY —
Hétéronomie subjective

ON CHE
de l’expérience sensible
La conscience est donc susceptible d’associer la sensation et le sentiment en l’absence des principes
transcendantaux du jugement. Mais c’est uniquement la technique appropriée à celui-ci qui donne lieu à un complexe
synesthésique par lequel l’association des facultés de la connaissance — l’entendement et l’imagination, en vue d’une

ES ER
conceptualisation et d’une production possibles — fait naître un sentiment qui est déterminant dans la mobilisation du
jugement: la beauté lorsque le rapport, étant équilibré et harmonieux, est la source d’un plaisir intellectuel; et le sublime

OS H
lorsque l’équilibre entre les pouvoirs se rompt dans le sens de la dissonance et procure par conséquent un déplaisir
intellectuel. Ainsi, l’hétéronomie résulte de ce que l’appariement de la sensation et du sentiment se produit en l’absence

RP EC
de l’efficace conceptuel et/ou iconique propre à la dimension intellectuelle, alors que la possibilité réflexive de
l’entendement se trouve mobilisée par l’expérience. Le plaisir (ou le déplaisir) obtenus avec l’expérience sensible et

PU E R
l’intuitkion correspondante apparaissent comme se rapportant uniquement aux sensations éprouvées, sans que
n’intervienne la raison, théorique ou pratique, et sans que n’existe pour ces sentiments une association avec ni la Vérité,
ni la Bonté, ni la Beauté transcendantales, en tant que (seules ou ensemble) celles-ci sont des finalités pour le complexe

CH S D
judiciaire transcendantal. En somme, l’hétéronomie de la conscience s’installe, dès lors que le plaisir devient le moyen
de sa propre finalité, puisque l’hétéronomie signifie pour elle, non pas l’absence d’une finalité possible, mais
simplement l’absence d’une finalité idéale. Selon son expression optimale, c’est une absence telle que nulle Idée
AR FIN
transcendantale (ni vérité, ni bonté, ni beauté) n’est réalisée par elle, sauf peut-être dans leurs formes les plus
élémentaires, puisqu’il s’agit de possibilités pouvant comporter dans la subjectivité les indices de manifestations
primitives, dans le sens des «petites perceptions» leibniziennes 33.
SE À

Dès lors surgit la question du plaisir dépourvu de finalité intellectuelle (la finalité sans fin de l’Analytique du beau
34
), i.e. du plaisir strictement sensible faisant l’objet d’un jugement esthétique des sens (un accord des représentations
RE T,

dans le sens interne), mais non pas d’un jugement esthétique de réflexion, impliquant la dimension épistémologique et
D EN

morale de la conscience rationnelle. Ainsi peut-on désigner proprement le plaisir corporel comme étant une jouissance
[Genuss], un plaisir qui surgit dans la conscience de la personne [Gemüt] par l’entremise des sens et qui repose sur une
attitude strictement passive de la part de l’individu 35 (quoiqu’une activité puisse être initiée pour favoriser la
AN M

conjoncture propice à son apparition). Un tel plaisir peut ne pas être réel cependant: car il est possible de s’interroger sur
la possibilité de cette essence à comporter une valeur ontologique réelle pour un être vivant et rationnel, puisque
E LE

supposant pour celui-ci une dimension entièrement aléatoire. Car s’il découle d’une activité cherchant à se le procurer,
en lequel cas le plaisir devient une fin en soi recherchée pour soi, cette activité qui est pourtant autogène ne répond en
US SEU

aucune façon, sauf peut-être de manière contingente, à la destination du sujet en tant qu’il est une personne morale 36.

Si le plaisir «pur», i.e. le plaisir ressortissant dans l’immédiateté aux sens, est un facteur de la passivité «pure», i.e.
d’une passivité antérieure à tout acte de la connaissance, y compris du jugement lorsqu’il illustre la dimension
AL EL

existentielle de la connaissance, tout en demeurant strictement une affaire du sens interne, c’est qu’il est exclusivement
un attribut de l’intuition en tant qu’elle est la matière de la pensée avant toute pensée et donc simplement celle d’une
sensation subjective. Elle suppose donc la présence d’un objet tel qu’il puisse se révéler à la conscience 37, mais
ON N

uniquement du point de vue de la sensation et de la qualité de l’effet produit en elle, sans intervention cependant de la
RS ON

dimension intellectuelle. De fait, avec cette séparation logique entre ce qui est susceptible d’être simplement éprouvé,
i.e. constitué simplement en objet des sens, et ce qui est susceptible d’être connu, i.e. constitué en objet de la
connaissance, on retrouve la distinction radicale entre la chose singulière [Sonderbarkeit] et l’universel, puisque toute
P E RS

connaissance repose sur la prémisse d’une diversité que chapeaute une généralité conceptuelle, en vertu du principe
d’une règle susceptible d’être connue et spécifiée.
R PE

La singularité constitue déjà une démarcation catégorique à l’intérieur de l’expérience quant au divers dont elle est
issue. Elle signale le passage entre une expérience simplement possible, susceptible d’une représentation hypothétique
FO E

dans la conscience, et l’expérience réelle, qui met la conscience en présence du divers pour lui en révéler la «choséité»,
AG

la possibilité d’une aperception en général, laquelle portera sur des phénomènes singuliers, tels qu’ils sont révélés à
l’intuition (et aux formes d’icelle) par la sensation. Or, c’est avec ce passage que précisément se réalise l’aperception
éventuelle selon les catégories de l’unité (dans la quantité) et de la réalité (dans la qualité), avec la présence de l’objet
US

dans l’intuition selon les formes a priori du temps et de l’espace. Que les jugements subséquents soient simplement
singuliers et affirmatifs, ils reposent néanmoins sur l’état subjectif intérieur, puisqu’ils sont l’expression du pouvoir du
sens interne à faire de ses représentations propres des objets de la pensée 38, et sur la constitution de la subjectivité, dont
le sens interne est la forme déterminée, quant à l’intuition possible que nous en avons 39. En tant qu’il est le lieu des

33 Vide, supra, note 56, page 82-83 du présent chapitre.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 69 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

représentations inhérentes aux phénomènes, et non pas en tant que l’esprit est affecté par sa propre activité, constitutive
d’une intuition intellectuelle émanant de la spontanéité du Ich, le sens interne apparaît comme étant le réceptacle intime
de la matière qui lui parvient au moyen des sens externes, selon les trois modalités temporelles de la succession, de la

LY —
simultanéité et de la permanence 40.

ON CHE
Par ailleurs, la notion de plaisir «pur» fait apparaître un autre ordre dans l’intuition qui serait à la fois sensible (en
tant qu’elle relève de la nature) et interne (en tant qu’elle appartient à l’esprit). Elle révélerait alors un état où l’esprit est
affecté, non pas par sa propre activité, comme dans l’intuition intellectuelle, mais par une activité qui convient à la
présence de l’être conscient dans son rapport au divers sous le mode catégoriel de l’unité et de la réalité. La production

ES ER
qui en résulte est une modification de l’état intérieur (que subsume la forme du temps et qui se recrute une certaine
capacité mnémonique) et révèle par conséquent une activité de la conscience. Celle-ci ressortirait pour l’essentiel d’un
sentiment propre à la représentation, puisque toute représentation [Vorstellung] dérive soit de l’intuition, soit du

OS H
souvenir, et appartient à la synthèse reproductive de l’imagination 41: il y aurait lieu par conséquent de référer à une

RP EC
intuition imaginative avant tout concept, laquelle comporterait en soi une contrepartie hédoniste. De sorte que, à
proprement parler, on peut distinguer un rapport étroit entre l’imagination et le plaisir, par lequel toute représentation
suppose un sentiment et tout sentiment une représentation, et qui serait antérieur aux conditions qui définissent un

PU E R
jugement esthétique de réflexion.

CH S D
Nous voilà ainsi mis en présence, avec le jugement esthétique des sens, d’un complexe fondamental de l’être
vivant, le complexe du plaisir qui associe la représentation et le sentiment dans l’actualité de la synthèse de
l’imagination, pour constituer un premier niveau de connaissance, celui du savoir implicite et immédiat, préalable à
AR FIN
toute réflexion, et qui comporte une finalité au même titre que toute autre connaissance. La connaissance du second
type — la connaissance réfléchie et déterminante de la plénitude de l’être dans la confluence des transcendantaux —
comporte comme finalité une entéléchie éventuelle, avec le mouvement qui fait progresser l’être rationnel d’un
moment actuel vers une fin dont la réalisation représente un aboutissement dans l’avenir (avec ou sans changement de
SE À

lieu géographique et/ou culturel). Par contraste, la connaissance du premier type possède comme finalité une entéléchie
effective, celle que représente pour elle l’être vivant et rationnel dans la continuité de son actualité, en fonction d’une
RE T,

conation, d’un maintien, d’une subsistance, d’une persistance et d’une durée, lesquels procèdent d’une énergie et d’une
force intimes à l’être vivant, engagé dans un rapport immanent avec la nature. Celui-ci suppose alors, pour l’être doué
D EN

de vie, l’activation immédiate et mutuelle des mécanismes de l’action et de la réaction, en réponse aux modifications du
monde sensible, que commandent des causes et des principes extérieurs à cet être.
AN M

En somme, le jugement esthétique des sens exprime une finalité implicite et fondamentale en termes d’une
E LE

harmonie régnant sur ses quatre composantes — la sensation, l’intuition, l’imagination et le sentiment — et présidant
aux destinées de l’être vivant, mais d’une façon simplement immanente, en raison d’une alternance mutuelle de l’action
US SEU

sur la nature et de la réaction à celle-ci, laquelle est régie par des causes ou des principes extérieurs à l’être vivant. Il est
donc le facteur primordial d’une valorisation de l’être, tel qu’il vit son rapport à la nature de manière superficielle,
intuitive et mnémonique, sans exclure toutefois la possibilité d’une réflexion et d’une connaissance, mais simplement
en tant que le sujet subit d’une manière hétérogène les modifications, les tendances, les récurrences et les événements
AL EL

du monde sensible, dont l’occurrence repose sur des principes et des causes exogènes.
ON N

Or, c’est précisément cette disposition à composer uniquement avec les aléas du monde sensible, en vue d’une
persistance dans l’actualité et d’une inscription durable dans le cours des événements, de façon naturelle, immédiate et
RS ON

immanente aux lois qui président à leur déroulement, qui constitue l’hétéronomie de la conscience. Selon cette
conjoncture, où les représentations sont susceptibles d’être comparées entre elles et jugées en fonction du plaisir (ou du
déplaisir) qui leur est associé, quant à l’intuition immédiate qui fait naître cette démarche, on reconnaît une
P E RS

héautonomie ontologique particulière qui oppose l’image à sa règle en fonction d’une finalité, dont l’entéléchie
effective est signalée par un plaisir correspondant, sans que celle-ci ne soit réfléchie, c’est-à-dire sue comme étant.
R PE

34 KU, §17; AK V, 236.


FO E
AG

35 Idem, §39; AK V, 292.


36 Idem.
US

37 PKM, §08; AK IV, 282.


38 SSF, §06; AK II, 060.
39 KRV, §05; AK III, 059.
40 Idem, §08; AK III, 070.
41 Idem; AK IV, 079.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 70 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

C’est avec ce passage de la conscience qui sait à la conscience qui se sait en tant que sachant, que se constitue la
distinction avérée entre l’être vivant, simplement conscient, et l’être rationnel qui est conscient de sa science.

LY —
Autonomie objective

ON CHE
de la conscience suprasensible
Car l’être conscient de sa capacité épistémologique est celui qui est capable de recruter son héautonomie
ontologique et de la subsumer sous le principe de l’autonomie, en vertu d’un désir qui transcende l’actualité et projette
la réalisation de sa finalité implicite à l’intérieur d’un avenir plus ou moins lointain, en faisant l’expérience subjective

ES ER
du sentiment qui correspond à la présence de l’entéléchie objective, dès lors qu’elle est conçue comme étant possible
(en lequel cas elle donne lieu à l’espérance) ou dès lors que le mouvement en révèle la perfection dans son

OS H
aboutissement (en lequel cas elle suscite la satisfaction). Vu sous cet angle, le sentiment de la beauté devient celui qui
est associé à une entéléchie qui représente, à travers l’oeuvre réalisée — qui peut être simplement une conduite

RP EC
construite en raison de l’édification spirituelle possible qui en résulterait pour soi comme pour autrui —, c’est-à-dire
l’expression d’une autonomie rationnelle qui trouve son origine dans une conscience sachant se constituer en principe

PU E R
et en cause du monde sensible. En façonnant ou en transformant la matière empirique, elle révèle ce qui d’une
réalisation poématique est proprement culturel, en vertu de l’édification de l’esprit qui résulte de son activité. Une
révélation qui passe en même temps par l’évidence de la présence rationnelle et responsable de l’homme, que procure la

CH S D
nature ainsi réalisée, et porteuse du signe de son activité, expressive d’une possibilité utilitaire ou d’une évocation
symbolique.

AR FIN
Il resterait alors à définir le moment critique du passage de l’hétéronomie sensible vers l’autonomie morale, de la
patience dans la participation immédiate et immanente du sujet aux forces et aux énergies physiques, en vue de sa
conservation ontogénique et de la préservation phylogénique de l’espèce, vers l’agence par laquelle la conscience
parvient à transcender ces forces et ces énergies de façon à imprimer sur elles, de manière spontanée et intentionnelle,
SE À

l’évidence formelle d’un désir, et de la volonté incombant à sa réalisation. Dans cette veine, elle réussit à faire déborder
l’actualité, en recentrant la conscience sur le passé, qu’elle interprète à nouveau pour s’en inspirer, et en la projetant sur
RE T,

l’avenir, pour le conditionner et s’en approprier les modifications qui procéderont de sont esprit. L’une et l’autre
D EN

extension participent alors à l’édification de la matière et par elle à celle des esprits, en conformant l’aptitude de la
finalité éducatrice de l’esprit à illustrer un principe et une cause évidents de la capacité suprasensible du sujet et de la
spiritualité que celle-ci illustre. Ce moment devient alors la découverte du bien conjointe à celle du pouvoir du sujet
AN M

moral à conformer son action et sa conduite aux principes de sa réalisation, avec la transcendance du plaisir dont il
émane et le déplacement du pôle de son expérience subjective, à partir des sens naturels jusque vers l’esprit
E LE

suprasensible. Ce faisant, l’esprit reconnaît l’importance effective pour la direction que prend l’entéléchie culturelle
qui en est la manifestation, l’achèvement et la perfection, pour qu’il constitue sur la nature et sur le monde un facteur de
US SEU

spontanéité, par son action créatrice, et d’autonomie, par le bienfait de sa conduite finalisée.

Ce qui rend désirable le passage de l’hétéronomie vers l’autonomie, c’est la possibilité d’exercer un effet sur la
nature qui, en transformant celle-ci, définira de façon prévisible les conditions d’un bien-être qui est à la fois constant et
AL EL

durable, alors qu’auparavant, il était aléatoire, intermittent et variable quant à sa durée. En somme, grâce à la
disposition de l’esprit à réaliser l’autonomie, l’être conscient et rationnel parvient à réduire l’écart entre l’imagination
ON N

simplement hypothétique et l’imagination concrètement réalisable, en vertu de la découverte d’une possibilité


inhérente à la nature objective, de supporter l’activité d’une faculté boulétique, apte à formuler des finalités désirables
RS ON

propres à réaliser celle-là et de mettre en branle la volonté à produire, dans et par l’effort, ce qui constituerait le
témoignage du succès de son initiative en ce sens. Bref, l’autonomie morale repose sur une double révélation à la
conscience, des possibilités objectives implicites au monde sensible ainsi que celles, subjectives, qui tiennent du
P E RS

pouvoir de l’agent à constituer avec succès, grâce à la raison assistée de la mémoire, une projection dynamique et
effective sur le monde, en vue de réaliser une fin qui est en même temps un bien-être objectif. Celui-ci est nul autre
R PE

qu’un service rendu à sa conation, à l’instinct de vie qui en est à la fois l’expression, la réalisation et la protection. À ce
titre, il ancre le sujet vivant dans une actualité qui témoigne d’une harmonie à la fois extérieure, quant au rapport de la
conscience suprasensible avec la nature conditionnée, et intérieure quant à l’intégration des facultés rationnelles
FO E

propres à assurer ce rapport. Par ailleurs, l’actualité peut aussi témoigner d’une rupture de l’harmonie, dont les effets se
AG

font ressentir à ces mêmes deux plans. Qu’à cela ne tienne, les mouvements dans l’état intérieur de la subjectivité vitale
se réalisent selon la perspective d’une relation dynamique et durable de la conscience rationnelle et de la nature, telle
que l’histoire de la culture peut l’exprimer.
US

Car c’est avec la perpétuation des formes culturelles que l’espèce se propage sur l’espace géographique et s’inscrit
dans le temps historique alors que l’accession au bien-être qui illustre la réussite économique de cette progression se
fait au prix de nombreux sacrifices individuels. Car en privilégiant certains choix et certaines activités sur ceux qui se
recruteraient une préférence immédiate chez le sujet, ceux-là engageront des individualités distinctes, tantôt en
réalisant différemment et de façon parfois incompatible leur autonomie, et tantôt en procédant soit du mouvement

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LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

naturel propre à l’essence de l’espèce; soit du choc entre les espèces, qu’opposent des mouvements antagoniques et
divergents; soit des collisions entre les espèces et la nature, lorsqu’elles sont confrontées à ses soubresauts violents et
imprévisibles. D’où les guerres, les maladies, les crimes, les accidents et les catastrophes que doit surmonter chaque

LY —
espèce dans sa quête d’un bien-être durable pour l’ensemble de ses membres particuliers, dont la validité est confirmée
quant aux fins recherchées par un consensus des collectivités et par un succès relatif à les rencontrer, parsemé d’aléas et

ON CHE
de détours historiques, qui peuvent mitiger le nombre et la qualité des expériences phylogéniques, telles qu’elles se
réalisent à l’échelle sociologique. C’est une quête qui par ailleurs n’est pas sans faire parfois des victimes en grand
nombre, au nom de raisons qui défient une conception uniquement matérialiste et hédoniste, lorsqu’elle est ancrée
exclusivement autour d’un idéal et d’une finalité inclusifs du bien-être sensible, par les idéaux défendus et le désir ainsi

ES ER
exprimé de vivre en toute indépendance selon ces idéaux, sauf à devoir cesser de vivre, face à un péril qui conjugue tous
les efforts dans le sens d’une survivance que compromet la conjoncture naturelle et culturelle.

OS H
C’est que la notion de finalité, du simplement possible qui réalise autre chose que ce qui est, transporte avec elle la

RP EC
notion implicite du bien, laquelle unit intimement la recherche de l’autonomie face aux contraintes naturelles à
l’accomplissement d’une finalité désirable. Celle-là consiste dans l’émancipation de l’affranchissement du sujet moral
devant des conditions aléatoirement subies, selon des lois propres à une expérience qui trouve sa genèse à l’intérieur du

PU E R
monde sensible et qui est étrangère à la dynamique intérieure, propre à la subjectivité de la conscience, telle qu’elle peut
se vivre à titre individuel ou collectif. La fin est non seulement définie négativement — parce qu’elle est un facteur de
compromission ni de l’existence, ni de la progression de l’espèce et des subjectivités qui la composent —, ou conçue

CH S D
positivement — parce qu’elle favorise l’une et l’autre pour l’ensemble ainsi que pour chacun de ses membres —, mais
encore réside-t-elle dans la faculté de choisir, parmi l’ensemble des finalités possibles celle qui serait la meilleure et la
plus excellente à réaliser — celle qui assure éventuellement une existence parfaite à l’ensemble des subjectivités, selon
AR FIN
une progression infinie qui affirme l’intégralité de la nature et de la disposition propres aux êtres organisés en général.
SE À
Le Bien suprême
En somme, dès lors que la recherche de l’autonomie devient désirable et que la foi en la possibilité d’une agence
RE T,

rationnelle prend le pas sur la disposition à l’hétéronomie qui se fonde sur le rapport sensible et dynamique avec la
nature, le problème pratique se pose de l’existence de la moralité effective qui se fonde sur l’interaction du registre
D EN

inconditionné de la raison avec la nature sensible conditionnée et contraignante, en raison des résistances qu’elle
impose à l’esprit suprasensible. Une telle relation se définit avec une série de déterminations qui infléchissent la nature
AN M

en vue du bien, lequel serait dans l’idéal le meilleur bien possible, à savoir le bonheur d’avoir en partage la possibilité de
vivre une existence parfaite qui s’inscrive à l’intérieur d’une progression infinie et éternelle, un bonheur que seraient
E LE

susceptibles de vivre et de connaître tous ceux qui en sont dignes. Bref, le concept du bonheur éternel est associé
intimement à l’Idée du bien suprême, puisqu’il révélerait la finalité la plus élevée qui puisse animer et unifier
US SEU

absolument les consciences engagées à l’intérieur de leur vie personnelle et collective, de leur vie personnelle au
service d’une collectivité justement reconnaissante des efforts et des contributions individuelles, apportés pour en
assurer le salut, la continuité et la préservation.
AL EL

Une telle conception n’est pas sans soulever la question de la possibilité de sa propre effectivité, comme elle n’est
pas sans s’interroger sur la condition essentielle de l’effectivité d’une autonomie qui tendrait résolument vers le Bien
suprême, ayant pour contrepartie subjective le bonheur éternel, lequel ferait tendre l’effort collectif et individuel vers
ON N

l’aboutissement d’une réalisation qui concerne autant l’ensemble des sujets moraux et que leur individualité propre.
RS ON

S’il importe que la réalisation sera pour soi, c’est qu’il serait absurde que personne ne puisse espérer récolter le fruit de
ses efforts, alors que chacun a concouru à réaliser le Bien suprême, en toute ingénuité et en toute sincérité, en mettant à
contribution toutes ses forces et toutes ses énergies. S’il importe que l’effort en vue de cette entéléchie soit collectif,
P E RS

c’est que la dynamique géo-historique d’une autonomie qui se met en même temps au service du bien engage tout le
genre humain, comme en atteste la pluralité des idéologies religieuses et politiques qui prolifèrent au nom du Bien
R PE

suprême diversement compris dans son essence, sa cause et son principe. Ceci n’est pas dire que cet engagement
mobilisera l’ensemble des êtres humaines d’une manière identique, dans la définition des finalités susceptibles de
contribuer de façon définitive au bien suprême ou même à l’aperception adéquate de son essence. C’est plutôt affirmer
FO E

simplement que le principe du Bien est à ce point infini dans ses possibilités qu’il autorise à autant de théories et de
AG

conceptions qu’il existe de consciences collectives pour le réaliser, pourvu que les fondements profonds sur lesquels il
est établi et les principes directeurs qui l’expriment dans chaque situation soient adéquatement perçus à l’intérieur de la
recherche que l’on en fait.
US

D’autant que la finalité du Bien suprême s’adresse autant à l’individu et à la collectivité, de manière à assurer une
complémentarité équilibrée: elle concerne une collectivité comme elle intéresse des individus, en tant que ceux-ci
constituent une collectivité. Car, sans une collectivité qui, avec sa dynamique propre, soit l’expression sociale du Bien
suprême, un Bien suprême strictement individuel serait insensé puisqu’il nierait alors la plénitude de la personne selon
sa dimension sociale. Car il revient à la collectivité d’assurer, même de façon implicite, les conditions générales de la
réalisation du Bien suprême, de sa conservation et de sa perpétuation, et une telle fin inclut la promotion et la culture de

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LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

la dimension sociale de chaque individu digne d’en faire partie. Par ailleurs, sans réalité individuelle pour incarner et
vivre le Bien suprême, la notion d’un ensemble existant en fonction d’un tel bien serait totalement vide. Puisque
l’entéléchie du Bien suprême trouve son complément au plan subjectif avec le bonheur éternel, autant la collectivité

LY —
bienfaisante que ses membres actifs à réaliser pratiquement le bien sont des réalités effectives, régies selon le principe
idéal d’un état eudémoniste, existant en dehors des contraintes du temps. En somme, le sujets moraux sont des

ON CHE
substances impérissables et immortelles, engagées sur la voie de la réalisation de la plénitude de leur essence sociale,
laquelle est l’expression idoine et complémentaire de leur nature personnelle.

Le concept du Bien suprême est admis dès lors comme étant une finalité qui est non seulement possible, mais

ES ER
également nécessaire, en plus d’être la seule qui est susceptible de réaliser la plénitude de la vie, d’une vie
complètement réalisée que caractérisent la protection immédiate et effective de son état ainsi que la possibilité de sa
course ininterrompue sur une durée infinie. De plus, il révèle implicitement l’inscription de la vie à l’intérieur d’un

OS H
ordre et d’une progression sériels, puisqu’elle est une entéléchie (au second sens) évoluant à l’intérieur d’un

RP EC
mouvement historique qui pose sa négation comme une éventualité possible, non pas simplement empiriquement,
comme en témoignent les événements malencontreux et funestes qui trop nombreux, de manière imprévue et
regrettable, parsèment les parcours existentiels, mais théoriquement, comme appartenant pour l’essentiel à une nature

PU E R
contingente, corruptible et/ou périssable. De sorte que la plénitude de la vie constitue en quelque sorte le point ultime
d’une édification de l’être de manière à dépasser, à surpasser et à transcender sa nature périssable en même temps que
celle du monde sensible et ainsi à accéder à un univers en lequel le malheur et la mort, leur cause et leur principe, sont

CH S D
inconnus parce que désormais inexistants.

AR FIN
Puisque cette édification de l’être passe également et surtout par celle de l’esprit, comme caractérisant un être
social, susceptible d’entrer en relation bénéfique et épanouissante avec ses congénères, avec les autres espèces vivantes
et avec le monde sensible en général, l’art prend ici tout son sens, en tant qu’elle révèle l’instauration d’une activité
transformatrice de la nature en vue de l’édification de l’esprit. Car son rôle est d’assurer une harmonie complète et
SE À

adéquate, autant au plan théorique que dans son expression pratique, entre le registre autonome de l’esprit et les
paramètres du monde sensible qui conditionne et qui limite, avec en vue la réalisation de la plénitude de la vie. Ce
RE T,

plérôme ne saurait plus alors être conçu simplement en termes du plaisir que procure l’amélioration maximale du
bien-être, qui assurerait la possibilité d’une existence au plus haut point confortable, sécuritaire et durable, mais plutôt
D EN

et surtout en termes d’un bonheur qui résulte de la dignité incombant à la mise-en-oeuvre technique d’une activité qui
vise à faire régner la suprématie du bien, lequel ne saurait être a priori exclusif d’autrui, ni de son bien-être personnel.
AN M

Car le principe de la plénitude de la vie inclut l’être social, grâce auquel cette possibilité devient effective, en raison de
son agence, et nécessaire, en vertu de sa dimension universelle, en même temps qu’il actualise la société à l’intérieur de
E LE

laquelle ce plérôme réalise sa possibilité. De plus, la subjectivité de tout être est le siège du jugement: cela étant, c’est en
vertu d’une nature commune à chacun et de la possibilité de la découvrir en autrui, que le jugement acquiert
US SEU

l’universalité qui lui confère le statut d’être véridique, valable de façon nécessaire et susceptible d’être reconnue
comme telle par tous. De sorte que c’est grâce à l’héautonomie mobilisatrice du complexe judiciaire, tel qu’il peut se
réaliser spontanément et librement en chaque sujet moral par l’entremise de sa participation réelle et effective à
l’ensemble, que la conjugaison des finalités ontogénique et phylogénique peut espérer parvenir à une entéléchie
AL EL

complète.

Le principe de société assure l’épanouissement de l’être particulier en fournissant les conditions de la réalisation
ON N

pleine et entière de l’être social, autant au plan du bien-être physique qu’à celui de sa bonté morale. En vertu de ce
RS ON

principe, le bonheur de chacun passe nécessairement par celui d’autrui, en tant qu’il est le signe évident de la possibilité
pour soi d’illustrer un état eudémoniste effectivement présent que cautionne une nature commune, laquelle repose sur
une réciprocité et une mutualité des rapports bénéfiques pour asseoir sa plénitude. S’il en était autrement, on assisterait
P E RS

à une situation contradictoire où le bonheur d’autrui auquel chacun contribue existerait au détriment de chacun. Ainsi,
la conscience d’autrui comme étant un autre soi-même 42, et la volonté d’entrer en rapport avec lui de façon uniquement
R PE

42 La notion d’un autre soi-même est comme telle étrangère à Kant, mais elle se laisse déduire aisément, dès lors
FO E

que l’on admet le principe kantien d’une nature commune à tous les hommes, dont chacun a la possibilité de
AG

prendre conscience. Or on retrouve un tel principe au fondement du jugement de goût et en particulier de son
universalité qui est à l’origine de l’adhésion judiciaire des consciences, étayée par un principe qui est commun
à tous [man dazu einen Grund hat, der allen gemein ist] [KU, §19; AK V, 238], lequel, étant nécessaire pour
US

qu’un assentiment se produise, s’ancre dans la subjectivité du sentiment exclusivement avant tout concept et
qui prend pour nom le sens commun [Idem, §20]. Or un principe subjectif commun qui s’ancre dans le
sentiment laisse entrevoir une nature commune qui alloue alors chez autrui, pour la présence possible d’un état
intérieur qui soit analogue au sien propre lorsqu’en présence de conjonctures similaires et par conséquent pour
la possibilité d’éprouver la compassion avec une conjoncture spécifique qui, si elle se produisait pour soi,
susciterait en soi un sentiment identique à celui que l’on suppose être présent dans la conscience d’autrui. À ces
moments, celui-ci devient comme un autre soi-même, non seulement en raison d’une nature que les hommes

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LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

bienfaisante, en réalisant en soi la vertu de la bonté qui est implicite à un être moralement complet, devient l’unique
gage d’une possibilité pour autrui de vivre l’expérience subjective qui définit un état eudémoniste. Elle deviendrait par
conséquent l’occasion de témoigner de cet état avec la mutualité et la réciprocité des rapports qu’entretient le sujet

LY —
moral avec ses congénères et avec la nature en général. De plus, elle est le fondement d’un contrat social par lequel ce
qui est exigible de soi, en tant que révélant au sujet moral une obligation qui est nécessaire à la participation au

ON CHE
mouvement qui procure l’entéléchie d’une société parfaite, le sera également d’autrui. C’est un principe qui fonde le
droit correspondant à l’obligation morale, laquelle trouve la plénitude de la signification avec l’accession à une société
où règnent partout les conditions objectives, puisqu’elles réalisent le Bien, du bonheur éternel susceptible d’être
éprouvé avec la plénitude vitale de chaque être particulier, en vertu d’une possibilité ontologique essentielle,

ES ER
pleinement réalisée dans sa dimension sociale.

Or, le sentiment par lequel se reconnaît en autrui un autre soi-même et qui trouve sa culmination dans la perception

OS H
d’autrui comme ayant en partage, selon sa particularité propre, une nature qui est commune à tous, une nature qui est

RP EC
donc semblable à celle de l’ensemble de l’humanité, et qui requiert par conséquent, au même titre que pour chacun, la
mise-en-place et la mise-en-oeuvre des conditions propres à son épanouissement moral et à son bien-être existentiel,
auxquels chacun possède l’obligation morale de contribuer, ce sentiment donc se nomme l’amour. C’est un sentiment

PU E R
dont l’expression la plus élevée serait de s’exprimer en toute gratuité, de manière inconditionnelle, en dehors de toute
évidence d’une mutualité et d’une réciprocité en ce sens, sans pour autant nier ni leur possibilité, ni même la nécessité
qu’au nom du principe de justice, elles se réalisent effectivement.

CH S D
Puisque le bien le plus élevé dont chacun puisse disposer est sa propre vie, l’amour le plus élevé dont peut
AR FIN
témoigner une personne morale, dans l’illustration de la plénitude individuelle et sociale de son être, serait de faire
librement le sacrifice de son existence en vue de préserver celle d’autrui, dès lors que les conditions et les circonstances
sont réunies pour rendre cette action à la fois requise et désirable. Nul don n’est plus révélateur d’une plénitude morale,
ni plus édifiant pour les êtres moraux qui le reçoivent ou en sont les témoins, ni plus susceptible de contribuer à la
SE À

constitution d’une société qui soit pleinement et éternellement eudémoniste, i.e. d’une société qui assure la mutualité et
la réciprocité des rapports entre des êtres vivants à la fois sociaux et moraux, qui soient motivés quant à leur aspiration
RE T,

finale par l’accession au Bien suprême et nullement découragés par le prix à verser afin de réaliser cette entéléchie. Or
la plénitude de l’essence du Bien suprême se découvrant subjectivement avec le sentiment du bonheur éternel, la
D EN

condition universelle et nécessaire de sa réalisation serait l’amour, qui est nulle autre chose que la considération
d’autrui comme étant un autre soi-même et le désir d’agir avec lui comme avec soi-même dans la réalisation, le
AN M

maintien, la protection et la continuation de la plénitude de l’être. Une société parfaite serait par conséquent celle où se
vit le double état dans la plénitude d’un bonheur éternel et d’un amour complet, dans la mutualité des êtres, en tant que
E LE

le bonheur et l’amour sont les entéléchies complémentaires d’une autonomie et d’une héautonomie réalisées, lesquelles
ne seraient finalisées par aucune autre considération que la réalisation, la promotion et la propagation du Bien. Ainsi ces
US SEU

états sont-ils, pour cette raison, des états entièrement et intégralement moraux.

Les deux conceptions de la liberté


AL EL

De tout ceci découle qu’il existe deux conceptions générales de la liberté, selon que celle-ci se définisse, soit en
vue du bien-être, soit en vue du bien suprême, quant à la finalité essentielle qui en oriente les exigences.
ON N

La première perspective révèle une conception minimaliste de la liberté pour laquelle le bien-être devient la fin
RS ON

principale de l’existence, entendons par là le cumul des biens susceptible d’assurer la subsistance et le prolongement
autant de l’individu que de l’espèce dans le temps et dans l’espace, de manière à créer les conditions d’un équilibre dans
les rapports entretenus avec la nature par l’être vivant et rationnel. C’est un équilibre qui favorise l’épanouissement de
P E RS

la vie, autant dans sa longévité que dans sa qualité, exprimée pour celle-ci en termes de la plénitude de l’être qui se
fonde sur la satisfaction que procure le comblement du désir, tel que celui-ci est conditionné par la conjoncture
R PE

sociologique.

Toute autonomie de l’expérience suppose une diversité de fins, se présentant soit en succession ou soit
FO E

simultanément, auxquelles correspondent respectivement les efforts requis afin de les réaliser. On peut en général
AG

formuler un principe, quant à la satisfaction éprouvée dans la réalisation de ces fins, lesquelles comportent comme
US

ont en partage, mais aussi en vertu de la possibilité que cette nature subjective et affective fût ressentie aussi
vivement et profondément pour chacun, telle que l’évidence de son expression en témoigne objectivement avec
les gestes et les conduites qui en procèdent consécutivement et dont la congruence avec l’état intérieur supposé
devient le gage de la sincérité. Ainsi, avec la sens commun, le sentiment devient-il non seulement le fondement
d’un assentiment possible quant à un jugement esthétique de goût, mais encore est-il celui d’un jugement quant
à la ressemblance de chaque personne à tout autre et à la possibilité d’entretenir des liens de sympathie avec
elle.

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LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

caractéristique générale de favoriser d’une manière optimale la vie de l’individu et par elle la vie de l’espèce, selon un
modèle politique fondé sur la prudence qui, en regroupant les consciences sagaces et prévoyantes, définira les normes
d’une stabilité sociale. Ce principe est le suivant: devant un défi qui se présente au sujet moral, plus la fin est exigeante

LY —
et plus grand est l’effort déployé afin de la réaliser effectivement, plus l’intensité de la satisfaction personnelle sera
élevée, avec la réussite avérée à rencontrer l’objectif visé. Il résulte de cette conception que les valeurs en découlant

ON CHE
entraîneront à une promiscuité sociale qui encouragera, ou à tout le moins ne découragera pas, la poursuite et la
réalisation de ces fins, telles qu’elles s’inscrivent à l’intérieur d’un modèle existentiel typique. Celui-ci requiert pour
s’y conformer un effort adéquat à celui d’autrui, dont la collaboration, lorsqu’elle est indiquée, constituerait
l’expression mutuelle et complémentaire la plus élevée au plan social.

ES ER
Si la vie de l’espèce passe par celle des individus qui la composent, sa préservation et l’assurance de sa perpétuité
demeurent néanmoins une fin nécessaire, en autant que l’on puisse adéquatement anticiper sur les conditions qui

OS H
servent cet objectif. Car un ensemble d’individus vivant de façon indépendante et distincte, sans interaction unifiée en

RP EC
vue d’une destination sociale collective, si élémentaire fût-elle, ne saurait survivre aux défis que leur propose, le cas
échéant, une nature hostile. Avec la culture, celle-ci le serait devenu éminemment moins, malgré qu’elle ne cesse de
toujours révéler la puissance d’un dynamisme bien au-delà des mesures de l’homme à s’y opposer intégralement de

PU E R
manière efficace, car ce sont les projets et les efforts collectifs des particuliers qui, étant accomplis ponctuellement et
sélectivement selon des visées sociales, en favorisent la domestication et en réduisent la menace. L’état de quiétude
relative dans lequel croît et se développe actuellement l’humanité, grâce aux perfectionnements techniques millénaires

CH S D
de l’agriculture, de l’architecture, du génie, du transport, de la communication et de la navigation, qui sont toutes des
disciplines reposant sur l’art de l’homme et qui définissent en partie, par leur côté fonctionnel, sa culture, constitue un
argument ex post facto pour justifier la nécessité de la vie en société. Par ailleurs, celle-ci repose néanmoins sur l’a
AR FIN
priori du sentiment qui, en conjugaison avec le jugement qui érige ces activités en objets de connaissance possibles,
rapporte toutes les finalités extérieures et objectives de l’homme (qu’elles soient théoriques ou pratiques) à une finalité
subjective, la vie en tant qu’elle est l’expression de la plénitude ontogénique et phylogénique de l’humanité, laquelle
SE À
procède du rapport par lequel la dimension suprasensible de l’homme, engagée dans l’exercice créatif et autonome de
l’ensemble de ses facultés, rencontre la nature objective et sensible, dont la puissance du dynamisme, inclusif des
RE T,

dispositions et des entéléchies de collectivités vivantes, constitue dans l’ensemble un facteur déterminant et
contraignant pour le genre humain.
D EN

Nulle part ce sentiment reçoit-il une confirmation plus éclatante que sous son aspect social alors que, entrant en
AN M

interaction avec d’autres êtres vivants, la conscience autonome et sensible, susceptible d’exprimer la qualité subjective
de l’expérience subie sous le mode du plaisir ou du déplaisir, fait la rencontre de consciences autres mais similairement
E LE

douées, en communiant à l’expérience objective de l’infinité selon la diversité multiple et innnombrable des
possibilités théoriques, pratiques et poématiques susceptibles d’en émaner, auxquelles l’ensemble des consciences
US SEU

confère un ordonnancement et une consistance adéquats à la compréhension qu’elles en possèdent et qu’elles en


communiquent. Or, cette collégialité des consciences dans le partage d’un horizon illimité aura pour contrepartie
subjective une gamme tout aussi plurielle de possibilités, actives ou réactives, autant au plan de la raison qu’à celui du
sentiment, autant dans la profondeur de l’expérience subjective et de l’intensité de son degré que dans la vastitude de
AL EL

son extension et la diversité de ses nuances, que de la complexité de la composition en laquelle entrent à tous les plans
leur possibilité, leur mouvement, leur agencement et leur effectivité.
ON N

C’est donc avec l’équilibre que la normativité politique parvient à maintenir au plan social entre tous les aspects
RS ON

(objectifs et subjectifs) du déroulement de l’expérience subjective que les consciences unifiées réussissent à se donner
une direction qui, avec la sagacité requise, assurera la promotion du bien-être individuel en passant par la perpétuation
de l’espèce. Cela étant, une considération additionnelle s’impose cependant: s’il est possible de concevoir que le
P E RS

bien-être puisse avoir pour fin uniquement la subsistance et la longévité individuelles, on s’aperçoit après réflexion
qu’une telle atomisation s’avère factice, dès que l’on situe chaque individu à l’intérieur d’une série phylogénique, en
R PE

raison de la loi naturelle qui gouverne une telle insertion. Il en résultera la prise de conscience que, à défaut de continuer
indéfiniment la série, chacun en constitue un terme ontologique, lequel sera définitif si une progéniture et une fratrie ne
la prolongent pas.
FO E
AG

Or, c’est justement au moyen de la famille que se produit la phylogénèse, en même temps que la découverte et le
raffinement des propensions sociales de ses membres. Celles-ci illustrent la complémentarité et la synergie des facultés
rationnelles, non seulement en fonction des personnalités engagées à l’intérieur du processus de socialisation, mais
US

aussi en fonction de l’ensemble qui repose sur la connaissance intégrale d’autrui en tant qu’il est un être moral à part
entière, en même temps que sur l’identification et la poursuite d’une finalité collective et des fins communes tenues en
partage conformément à celle-ci. Une telle ouverture à l’être d’autrui repose sur le complexe synesthésique judiciaire,
qui ouvre sur le concept indéterminé de l’universel et non simplement sur la détermination catégorique réifiante de
l’individualité sociologique. En l’absence d’une telle réceptivité sociale, la réalisation des fins ne saurait se fonder sur
la complémentarité des dignités et des ressources personnelles susceptibles de les réaliser de manière optimale, lequel
optimum ressortit à une réussite effective du mouvement qui conduit à une entéléchie.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 75 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

S’il est empiriquement vérifié que la position d’une finalité collective peut servir parfois de prétexte à la
réalisation de fins particulières et ressort à une conception minimaliste et peut-être solipsiste de la liberté, une telle
éventualité laisse supposer soit une inégalité des autonomies, soit l’essence implicitement discriminatoire de la finalité

LY —
poursuivie. Dans le premier cas, certains individus seulement ont la possibilité de concourir activement et prudemment
à leur bien-être mutuel alors que les autres sont soumis aux aléas d’une dynamique naturelle qui rend conditionnelle et

ON CHE
hasardeuse la réalisation de leur bien-être. Dans le second scénario, malgré que tous soient en principe intégralement
impliqués au plan de la fin collective, d’une manière qui reflète adéquatement leur dignité et correspond à leurs facultés
particulières, l’accomplissement de la fin favorisera en réalité le bien-être de certains collaborateurs au détriment des
autres, que ce soit de façon contingente (en raison d’une finitude des ressources disponibles) ou de manière

ES ER
intentionnelle en vertu d’un objectif exclusif (susceptible de susciter une rivalité active). Cela n’est pas pour autant nier
le principe fondamental de justice à l’effet que, malgré l’héritage de facto par certains des fruits de la peine d’autrui, il
existe une reconnaissance et une récompense adéquates qui correspondent de jure à l’effort en vue d’une fin précise que

OS H
couronne une réussite effective. Or, une telle correspondance ressortit à la détermination (actuelle ou possible)

RP EC
procédant d’une conscience juste, i.e. objective, impartiale et désintéressée, qui reconnaisse adéquatement les efforts et
les contributions particulières au mouvement de l’ensemble qui ressort à une finalité bénéfique et qui en témoigne avec
l’éloquence du geste et de la conduite qui procéderont de cette reconnaissance.

PU E R
Il en résulte que la réalité sociale que constitue le principe de justice se fonde sur une triple mutualité de la
conjoncture, de la structure et de la personne. Enfin, cette dynamique se produit à l’intérieur d’un ensemble dont les fins

CH S D
sont définies en fonction d’une répartition équitable du bien-être résultant de l’unité des efforts individuels en vue
d’une entéléchie collective. Ce principe définit une harmonie de l’ensemble social qui procède uniquement d’un état de
justice bien compris. D’une part, il y a la reconnaissance de l’intrincésité d’autrui quant à l’illustration propre à des
AR FIN
talents particuliers et de sa dignité quant à l’autonomie propre à sa subjectivité, dans l’accomplissement d’un effort en
vue de la réalisation de la finalité collective — laquelle procède éventuellement d’une mise-en-commun des fruits de
multiples efforts réalisés individuellement en vue de bénéficier à l’ensemble —. En second lieu, on retrouve la
SE À
signification objective de cette reconnaissance avec l’octroi de la récompense qui constitue une sanction sociale
adéquate de la valeur de l’effort, accompli en vue de rencontrer en toute justesse les fins poursuivies, en même temps
RE T,

que celle de la dignité morale de celui qui, avec compétence, a réalisé cet effort, librement, généreusement et d’une
manière intentionnelle.
D EN

Quant au principe social, la nécessité de faire intervenir un facteur social dans la réalisation du bien-être des
AN M

particuliers révèle deux attitudes individuelles fondamentales. Car si le bien-être individuel semble posséder une
légitimation naturelle, ce concept n’a en réalité aucun sens, dès lors que la capacité phylogénique de l’espèce ne se
E LE

trouve en même temps orientée en vue de sa continuité et de son renouvellement sur les générations successives. D’un
côté, on peut cultiver la dimension sociale du sujet particulier, selon les mécanismes de collaboration, uniquement en
US SEU

vue du bien-être individuel qui en résulte pour soi; et de l’autre, on peut faire reposer exclusivement le bien-être
particulier sur le principe de coopération, lequel érige en finalité propre le principe social et assure en toute justice son
apport aux bien-être individuels.
AL EL

Le principe de collaboration vise le bien-être individuel avant tout et se recrute un agent pour le rechercher, selon
des lois qui sont inhérentes aux mécanismes transcendantaux mis en place par la société, au moyen desquels sont
reconnus le talent et la contribution envers l’entéléchie sociale, avec une récompense appropriée pour en faire foi. Il fait
ON N

reposer son efficace sur la constatation objective de la rémunération de ces facteurs, selon un principe économique qui
RS ON

octroie arbitrairement une valeur au mérite dont témoigne (dans les sociétés organisées en ce sens) un gage manifeste,
susceptible d’une conversion en biens. Le bien-être serait susceptible de se réaliser au moyen de ce témoignage, de
sorte que le particulier a tout le loisir de retirer sa participation, dès lors que la contrepartie apparente serait retenue, en
P E RS

total ou en partie.
R PE

Quant au principe de coopération, il repose sur l’immanence du principe de justice au nom duquel la
reconnaissance se réalise et la récompense est versée, en raison d’un désintéressement fondamental qui préside en
même temps à l’acte coopératif du particulier ainsi qu’à l’immanence judiciaire s’exerçant à l’intérieur du corps social.
FO E

La collectivité se doit de voir dans la coopération désintéressée de ses membres une affirmation de sa valeur propre, de
AG

sorte qu’en déniant à ceux-ci la reconnaissance et la récompense qui leur sont dues, la collectivité se subvertit et se nie à
elle-même, en tant qu’elle est un corps social dûment constitué et dirigé en vue de fins légitimes, pour ainsi établir en
quelque sorte le principe de sa propre déchéance. Car la dimension juridique est l’expression formelle du bien au plan
US

des relations sociales, informelles et organisées, et la participation des personnes morales à l’édification du projet social
par leur entremise, lequel projet garantit en même temps la durée de l’espèce, en assurant doublement l’inscription de la
collectivité à l’intérieur d’une dynamique historique et culturelle, et le bien-être suffisant des particuliers,
intégralement nécessaires au projet social en vertu de constituer le fondement de toute société, en raison d’une dignité
inhérente à leur personne, à leurs capacités uniques et à leurs talents respectifs. C’est ainsi que, malgré leur épopée
glorieuse et leur civilisation grandiose, la fin de Rome était déjà inscrite dans l’assassinat de Rémus; la fin de l’Égypte,
dans la trahison d’Osiris et celle du royaume d’Israël, dans le meurtre d’Abel. Car on ne saurait nier au principe le

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 76 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

moyen essentiel de sa réalisation, en la personne d’un agent qui, lui étant entièrement dévoué, possède la vertu et la
capacité de cette entéléchie, sans que n’en résulte pour celui-là une incomplétude essentielle au plan de sa possibilité et
que s’installe à l’intérieur de la structure socio-culturelle les conditions d’un terme éventuel, même éloigné dans le

LY —
temps, lesquels effets ne se seraient pas produits si la possibilité intégrale du principe avait été protégée en la personne
de celui qui en était le garant.

ON CHE
Le principe de collaboration réalise une démarche intéressée. Il suppose par conséquent une étrangeté du
particulier à l’ordre social, en raison d’une opposition marquée entre les fins particulières et celles de l’ensemble. On ne
retrouve pas cette aliénation avec le principe de coopération alors que, pour celui-ci, la participation à l’ordre social se

ES ER
fait en raison de la valeur intrinsèque du sujet, non pas conçue en raison d’une finalité relative mais en vertu d’une
finalité intrinsèque essentielle, puisque cette valeur repose sur le concept moral du bien, intégralement réalisé selon
l’Idéal du Bien suprême, avant celui du bien-être particulier de ceux qui réalisent et gouvernent l’ordre social, sans pour

OS H
autant nier cette forme du bien cependant. Car le pôle du Bien suprême, qu’il représente une entéléchie achevée ou

RP EC
simplement probable en raison de sa désirabilité, représente le terme d’une conception pleine de la liberté, puisqu’elle
repose sur la complétude de l’autonomie impliquée dans la pleine réalisation, subjective et objective, vivante et
rationnelle, de la nature héautonomique de l’homme et de la qualité de son rapport avec le monde sensible, selon

PU E R
l’excellence qu’en révèle la culture qui, émanant de la nature, en représente la transformation et l’édification en vertu
des lois et des finalités de l’esprit.

CH S D
Si l’on admet que le bien est la seule finalité de l’homme susceptible de recevoir a priori une justification
rationnelle, en tant qu’il procède, non pas d’un objet matériel, mais de la loi morale et qu’il ressort à une loi formelle qui
serait le principe déterminant de la volonté 43, on doit comprendre que sa réalisation est la seule condition grâce à
AR FIN
laquelle l’autonomie de l’homme ne comporte aucune absurdité. Autrement, l’usage de ses facultés rationnelles
opérerait selon le principe interne d’une héautonomie dont l’harmonie seulement illustrerait le parachèvement, et se
ferait en vertu de fins qui ignoreraient et peut-être même détruiraient les possibilités naturelles nécessaires à son
SE À

épanouissement — lesquelles sont en même temps un bien —, y inclus celles qui sont afférentes à son infrastructure
sensible, de manière à compromettre la possibilité même de son existence. Ainsi, la recherche du bien-être en tant que
RE T,

favorisant la plénitude de l’existence représente-t-elle l’essence d’un bien qui assure a posteriori, quant à l’ontogénèse
et à la phylogénèse, l’effectivité de l’autonomie en tant que celle-ci fonde sur une infrastructure naturelle avec laquelle
D EN

elle s’accorde adéquatement, autant avec l’expression organique de la vie qu’avec son maintien et sa durée, autant à
l’échelle individuelle qu’au plan collectif. Une telle recherche du bien ne saurait cependant présager d’une distinction
AN M

pour l’humanité qui serait plus haute que celle des autres espèces vivantes 44, puisque ce serait une conception du bien
qui reposerait sur le sentiment avant la raison 45, ce qui viendrait infirmer le principe kantien de la primauté de la raison
E LE

sur le sentiment 46.


US SEU

L’excellence sociale
Qu’à cela ne tienne cependant, le bien-être des particuliers passe par la vie de l’ensemble, laquelle exige souvent
des particuliers la kénose 47, l’abnégation subjective de leur propre bien-être individuel, en vertu d’une dynamique
AL EL

collective propre aux ensembles organisés qui sont exposés aux vicissitudes menaçantes ou destructrices en
provenance de forces physiques prépondérantes. Cet effacement produit en vue de favoriser une cohésion sociale et un
acquis culturel en réponse à un phénomène naturel à la fois grandiose — quant à la dimension mathématique qui ne
ON N

laisse entrevoir aucun terme quant à la durée ou à la grandeur — et intensive — quant à la dimension dynamique qui
RS ON

repose sur l’expression et forces et d’énergies parfois violentes —, un phénomène qui est donc susceptible d’en dicter à
la petitesse et à la précarité de l’être humain, et de faire naître en la raison le sentiment du sublime qui donne, selon l’un
ou l’autre, soit sur la connaissance qui perfectionne son héautonomie suprasensible, soit sur le désir qui exacerbe son
P E RS

autonomie sensible. Le choix de favoriser le bien-être individuel sur l’attitude du sacrifice signifie soit l’utilisation de la
dynamique sociale à des fins particulières, soit un consensus restreint à l’intérieur de la dynamique sociale quant au
R PE

service prioritaire des fins particulières à travers elle. Une telle situation devient alors l’expression d’un libre arbitre qui
est en même temps une exigence sur autrui de céder sur son propre bien-être individuel, tout en poursuivant au
maximum la finalité de l’ordre social et le bien-être collectif qui en résulte pour tous, sans que tous soient dans
FO E

l’immédiat destinés à en jouir 48.


AG
US

43 KPV; AK V, 064.
44 Idem, p. 061.
45 Idem, p. 063.
46 KU, §24; AK V, 247.
47 < kenosiV (gr.): as to persons, «void, destitute, bereft» [Liddell nd Scott. op. cit. p. 795].

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 77 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

Or, aucun ordre social ne peut exister sans modèles, sans cultiver l’exemple des individus qui illustrent, dans le
quotidien de leur vie, l’excellence qui constitue un idéal pour ses congénères et qui donne un sens à leur vie, en inspirant
leurs actions. Ces modèles deviennent pour eux à la fois un exemple à suivre et l’indice de la plénitude évidente de la

LY —
dimension sociale de la personne, avec l’émulation subséquente que susciteront et motiveront éventuellement pour
chacun d’eux l’expression et l’épanouissement de sa propre subjectivité. Cela étant, la question se pose maintenant de

ON CHE
savoir si le choix pour une personne de poursuivre la fin de son bien-être individuel avant toute autre considération, et
de lui assujettir les fins et la dynamique de l’ordre social, puisse constituer une position morale, susceptible d’inspirer
dans la mesure du possible l’action de tous et par conséquent d’ériger son auteur en modèle et en personne dignes
d’émulation. Car si persuasive que peut être la force de l’exemple, afin d’illustrer en quoi une maxime est praticable et

ES ER
peut-être même encourager à l’émulation, elle ne saurait fonder une maxime de vertu qui trouve son principe dans
l’autonomie subjective de la raison pratique [in der subjektiven Autonomie der praktischen Vernunft] et dans la force
incitative que prend la loi morale pour la personne réellement libre 49.

OS H
RP EC
Supposons par conséquent que la préférence d’agir uniquement en fonction de son propre bien-être soit une
attitude éminemment susceptible d’être valorisée par l’ensemble, de sorte qu’elle est désormais érigée en principe de
l’ordre social. En ce cas, s’il est possible qu’à l’occasion, la pluralité des fins particulières subjectives se combinent

PU E R
avec la disponibilité des moyens objectifs concrets susceptibles d’être employés à cet égard, avec par conséquent la
concentration et la concertation temporaires des énergies employées à les réaliser, l’exacerbation du principe du
bien-être individuel conduira inévitablement, soit à l’élimination, soit à l’asservissement de certains concurrents moins

CH S D
fortunés. Ceci mènera alors, d’une façon ou d’une autre, à une dissolution du principe de l’ensemble social — dont le
seul fondement possible repose sur la reconnaissance et sur la récompense de l’autonomie particulière des sujets,
lorsqu’elle s’accomplit dans la dignité — et à l’instauration d’une stratification sociale fondée a priori sur le principe
AR FIN
de la réciprocité de bien-être particuliers au détriment d’autres bien-être particuliers. Le résultat évident sera
l’installation d’un ordre social inégal ou, de manière plus subtile, celui d’un principe unifiant interne qui en
perpétueront les formes inégales coutumières, qui fonderont alors l’effectivité de l’ordre social et la cohésion qui
SE À
ressort à une harmonie des consciences et des volontés. Sauf à accepter qu’un tel principe social puisse être légitimé par
tous comme valant également pour chacun, le principe de l’égoïsme devient à toutes fins pratiques indéfendable et, en
RE T,

l’absence des moyens de contrôle pour continuer à la favoriser, en maintenant un semblant d’ordre, le principe qui
accorde la priorité au bien-être individuel au détriment du bien-être de l’ensemble, conduira à la dissolution plus ou
D EN

moins rapide du tissu social.


AN M

Plus ordinairement cependant, le principe du bien-être individuel est généralement répandu au sein de la
collectivité en tant qu’il est un principe coutumier: en favorisant l’exclusivité des considérations individuelles au
E LE

détriment de celles d’autrui, cette attitude collective généralisée produit une atomisation de la société en fonction de
fins particulières qui constituent en soi une négation du principe social, laquelle se fonde en définitive sur la mutualité et
US SEU

la réciprocité des intérêts légitimes. L’unique conséquence de cet état de faits sera de créer un amalgame social existant
selon le principe de l’égoïsme, en raison des rivalités poussées et des ostracismes intéressés qui en résulteront. Ainsi
l’appartenance sociale ne procèdera plus d’un principe central qui définira la gouvernance de l’ensemble social et de
chacun des sujets moraux, conformément aux critères de la récompense et de la reconnaissance, octroyées en vertu de la
AL EL

dignité morale avérée.

Le principe de la contribution sociale de l’ensemble, lorsqu’il repose sur un rapport exclusif au bien-être
ON N

particulier de ceux pour qui le bien-être individuel prévaut sur toute autre considération, sans égard pour un principe de
RS ON

justice fondamentale qui soit le reflet d’un engagement moral à contribuer au bien-être de l’ensemble et de ceux qui en
font partie, mènera droit à la tyrannie avec les mécanismes de répression et d’oppression qui seront mis en place pour
courber les aspirations légitimes à l’autonomie de ceux qui sont arbitrairement et capricieusement exclus des
P E RS

mécanismes de la justice sociale. En somme, sauf à justifier l’anarchie et la tyrannie auxquelles il mène
inéluctablement, le principe du bien-être individuel ne peut constituer le fondement d’une collectivité saine. Car c’est
R PE

seulement en reconnaissant adéquatement les talents et en assurant la juste récompense des efforts qu’une collectivité
peut espérer connaître une pérennité historique puisque, sans l’effectivité du principe de la réalisation et de
l’épanouissement de chacun au nom de tous, nul ensemble social ne saurait échapper au cycle inexorable des
FO E

civilisations qui naissent et qui meurent après avoir connu la période plus ou moins brève d’un apogée. Or, l’intégrité de
AG

l’ensemble social requiert que l’on affirmera les actions sociales qui se fondent sur la dignité morale des particuliers —
puisque seule celle-ci peut constituer la condition objective d’un ensemble social qui reçoit la contribution adéquate de
ses membres, tout en fondant la reconnaissance des individus sur un principe de justice réel et effectif —, tout en visant
US

l’entéléchie d’une ontogénèse et d’une phylogénèse optimales. En somme, le principe de l’égoïsme ne saurait
justement inspirer, chez un éventuel participant à l’ordre social, la résolution de fournir sa contribution sous le mode de

48 Les conscriptions en temps de guerre et, à un degré moindre, les enrôlements volontaires, illustrent
concrètement ce principe.
49 MAT, §52; AKVI, 479-480.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 78 de 539 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

l’exemplarité, sauf dans les cas d’un héroïsme et d’une abnégation telles que, en fournissant adéquatement le
contre-pied de l’égoïsme, le sujet moral risquera néanmoins de s’exposer à l’antagonisme ambiant, en même temps
qu’il défend l’Idéal de la société pleinement civilisée, en vertu de parcourir à l’instauration du meilleur monde possible.

LY —
L’excellence sociale, par laquelle l’ordre social acquiert sa signification et son sens doit passer par un autre

ON CHE
principe que le service intéressé et immédiat de chacun à son bien-être individuel. Car celui-ci ne saurait réaliser l’Idéal
social, celui d’atteindre à la complémentarité de la phylogénèse et de l’ontogénèse à l’intérieur de l’histoire et de la
culture, en vue de la mutualité et de la réciprocité des bien-être individuels et collectifs, lesquels s’inscriraient dans la
veine du respect de la dimension suprasensible de chaque subjectivité vivante et rationnelle. En réalité, le principe qui

ES ER
procure une harmonie complète du mouvement et de la réalisation humanitaires est le principe paradoxal de
l’abnégation, du service mutuel et désintéressé rendu à l’ordre social, opérant sous le mode de la coopération selon la
valeur transcendantale de la justice, par lequel la reconnaissance et la poursuite des bien-être individuels seront

OS H
néanmoins adéquatement assurées, avec les mécanismes de justice institués par la collectivité à cet effet. Il résultera du

RP EC
principe de l’altruisme que l’autonomie individuelle, en même temps que l’héautonomie des consciences, trouveront la
plénitude de leur expression et de leur épanouissement à l’intérieur d’une adhésion entière et complète aux valeurs et
aux finalités de l’ordre social (selon la plénitude d’une liberté individuelle, éclairée par la raison et spécifiée par le

PU E R
jugement), d’un engagement à réaliser la complémentarité de la phylogénèse et de l’ontogénèse bien comprises.
Celle-ci réalise dans l’histoire de la culture la longévité des individus et la permanence des institutions, sous le mode de
l’excellence des actions et des réalisations, en vertu de la dignité des sujets que fonde un bien-être individuel équitable

CH S D
et suffisant, pour lequel la justice de la collectivité et de ses institutions devient l’assurance d’une réelle effectivité.

AR FIN
Maintenant, vouloir la justice de l’ordre social en fonction des bien-être individuels que subsume celle-là, c’est en
même temps illustrer une confiance en l’ordre social et une conviction raisonnable, à savoir que la métaphysique de la
justice qui prévaut à l’intérieur de la société est suprêmement profonde et extensive et en même temps que la prudence
par laquelle le droit se réalise est au plus haut point équitable et désintéressée. C’est exprimer une foi inébranlable en la
SE À

constitution d’une définition jurisprudentielle du bien-être individuel et du processus qui y mène, dont l’ordre social est
la garantie puisqu’il est susceptible de reconnaître la dignité inhérente aux personnes, la présence et le développement
RE T,

de leurs talents et l’efficace de leurs contributions en même temps que, guidé par ces principes, récompenser de façon
adéquate les mérites et les réalisations.
D EN

En plus, c’est faire preuve d’une abnégation en ce sens que, dès lors que la justice et la prudence bien comprises
AN M

fondent l’ordre social — ainsi que l’action décisive de ses magistrats —, le bien-être d’autrui prend subjectivement
préséance sur le bien-être propre de chacun, en raison de faire passer les finalités de l’ensemble historique et culturel
E LE

avant les finalités propres de chacun, en vertu d’un engagement moral sincère et ferme en ce sens. Par ailleurs, il revient
à un ordre social organique d’alimenter la dynamique qui caractérise l’ensemble des consciences et de la diriger de
US SEU

façon excellente et désintéressée, en réconciliant la perspective intelligente de cet ensemble et le plus grand respect des
dignités. Il rendra ainsi opérant le principe de la répartition des responsabilités proportionnellement aux talents et aux
dispositions ainsi que celui de l’octroi des récompenses en vertu de l’effort déployé et du mérite qui incombe à la
constatation du succès des initiatives qui résulte du jeu des ressources personnelles et des facultés rationnelles des
AL EL

sujets moraux engagés socialement. En somme, toute conception d’un ensemble social harmonieux et adéquatement
finalisé se fonde sur la maximalisation judicieuse des possibilités internes qui sont inhérentes à son essence: elle se doit
donc d’opérer une fusion équilibrée entre ce qui tient de l’individuel et ce qui tient du social, pour trouver dans la
ON N

dimension sociale de l’être ce qui en réalise la dimension particulière et dans sa dimension particulière ce qui en
RS ON

actualise l’aspect social.


P E RS

L’amour et la vie
Bref, c’est uniquement dans la complémentarité de la subjectivité de la vie intérieure et de l’objectivité de la vie
R PE

sociale que devient réalisable une abnégation des désirs particuliers en vertu du bien-être collectif, non pas pour nier
radicalement le bien-être individuel mais bien pour le réaliser entièrement. Celui-ci est un bien-être que spiritualise,
perfectionne et achève dorénavant une conception adéquate du Bien suprême, à travers l’accomplissement intégral du
FO E

bien-être d’autrui dont l’ordre social se constitue le garant en même temps que le sien propre, en préconisant
AG

l’excellence de la justice qui y règne et en promouvant la prudence qui l’administre. Il en résulte que le bonheur d’autrui
réalisé par une mutualité des consciences présage en même temps du bonheur mutuel de chacun, car l’entéléchie du
bien-être, entendu dans son sens le plus élevé et le plus vaste, consiste dans la plénitude de l’être dont le bonheur
US

éprouvé témoigne subjectivement et dont la promotion devient la première considération pour la finalité d’un ordre
social auquel chacun participe également, d’une façon proportionnelle, désintéressée et mutuelle. Or cette finalité
trouve son aboutissement avec la réalisation historique et culturelle que caractérise la complémentarité phylogénique et
ontogénique.

L’amour est le sentiment qui autorise à une telle abnégation en raison de désirer avant le sien propre, le summum
du bien-être d’autrui dans la plénitude de son être, sans pour autant nier a priori sa propre plénitude ontologique. Mais

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 79 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

on ne doit pas non plus ignorer la possibilité qu’une attitude d’abnégation conséquente avec elle-même, non pas encore
généralisée à l’ensemble de la collectivité, puisse à l’occasion nier la plénitude subjective de l’agent moral autonome,
non pas en raison du principe de justice qui trouve sa réalisation effective, mais à l’intérieur du mouvement qui le fait

LY —
surgir de l’incomplétude d’un ordre social et l’instaure pour pallier à ses carences. Car, étant pris dans le magma d’un
ordonnancement qui peine à se réaliser, un ordre social indifférencié tente de réconcilier (dans l’exacerbation des désirs

ON CHE
particuliers qui sont considérés comme y contribuant prioritairement) les finalités incombant aux bien-être individuels
plutôt que d’unifier la mutualité et la réciprocité des consciences autonomes, sous la bannière spirituelle des finalités
collectives visant la réalisation historique du Bien suprême à l’intérieur d’une culture particulière.

ES ER
Car l’autonomie des consciences se réalise effectivement en surmontant les conditionnements naturels par une
spiritualisation de la matière et des esprits, en vue de la plénitude — théorique, pratique, poématique — de l’être de
chacun à travers celle de tous. L’abnégation complète des désirs particuliers devient alors le garant par excellence d’un

OS H
ordre social juste et prudent, lequel est mis au service d’une ontogénèse et d’une phylogénèse où se rencontrent

RP EC
l’éternité du bonheur — en tant que sentiment — et la plénitude de l’être — en tant qu’elle est une réalité à la fois
objective, puisqu’elle est susceptible de connaissance, et subjective, puisqu’elle est passible d’être éprouvée selon
l’harmonie intime du sens intérieur—. En somme, l’entéléchie ultime, c’est la plénitude de la vie que seule la plénitude

PU E R
de l’amour peut et sait réaliser, puisque seul l’amour est un mobile suffisamment fort pour apporter la kénose et inspirer
l’abnégation requise afin de réaliser la plénitude ontologique des subjectivités qui se fonde préalablement sur la
connaissance et la réalisation de la subjectivité d’autrui.

CH S D
Nous voyons ainsi se juxtaposer et se compléter l’énergie diffuse de la vie et la force dirigée de l’amour, sous le
AR FIN
mode conjoint du sujet en tant qu’il est une entéléchie se réalisant perpétuellement et du sujet en tant qu’il est la source
et le principe du mouvement qui réalise son entéléchie propre, en vertu des possibilités qui s’offrent à lui à l’intérieur
d’une expérience naturelle et culturelle qui réalise, au plan de la personne, le juste rapport du registre suprasensible et
de la dimension naturelle. Or, l’actualité suppose une certaine entéléchie, puisqu’elle est la réalisation achevée d’une
SE À

possibilité complexe mais distincte, dont le concept de la perfection ultime laisse entrevoir la suprême entéléchie, celle
de l’être suprême de Dieu en lequel se résorbe toute entéléchie, pour autant qu’elle affirme la plénitude de la possibilité
RE T,

et de la réalité de l’être. Elle participe alors autant de la perfection qui se réalise que de celle qui est acquise, selon un
mouvement qui découvre le principe à la fois d’une effectivité réalisable et d’une causalité active, avec le concept de la
D EN

perfection ultime . Car tout être vivant et rationnel se trouve inscrit sur une trajectoire qui implique à la fois un terminus
ad quem et un terminus a quo, non pas sur le mode de la stricte passivité, tel un objet inerte subissant les forces et les
AN M

énergies en provenance d’une nature susceptible d’en exprimer, mais sur celui du registre de l’autonomie relative qui
correspond à une réalité qui met l’esprit devant l’obligation d’avoir à composer avec les conditions naturelles et à les
E LE

réconcilier avec la dimension suprasensible et déterminante de sa propre nature, en les transcendant l’une et l’autre sous
l’inspiration de l’Idéal. Car c’est à cette condition seulement que peut s’effectuer le rapport positif et constructif de l’un
US SEU

avec l’autre, de manière à fonder leur perfection respective sur les conditions réelles qui en définissent l’essence sous sa
forme la plus pure, sans rien enlever à celle-ci.

L’esprit obtient ce résultat en infléchissant la nature sensible dans le sens d’une vitalité que réalise l’ontogénèse
AL EL

des existences particulières, précaires et périssables malgré leur longévité relative. Par ailleurs, celles-ci attestent, dans
leur mutualité collective, d’une persistance et d’une durée qui s’étendent au-delà de leurs virtualités apparentes, comme
en témoigne la succession des générations qui définit la phylogénèse, en même temps qu’elles façonnent l’histoire et la
ON N

culture qui en récapitulent et en résument les efforts et les monuments distinctifs, selon le principe biologique par lequel
RS ON

l’ontogénèse récapitule la phylogénèse, du moins dans un premier temps, tout en constituant le terrain de nouvelles
possibilités en ce sens. Si celles-ci trouvent à se concrétiser, c’est qu’une spontanéité créative parvient à les réaliser
avec l’édification de la matière (par l’exacerbation de la puissance poématique en vue du bien-être individuel) et par
P E RS

elle, celle de l’esprit (par l’élévation de la puissance pratique afin de réaliser le bien théorique qui la subsume et en
inspire la direction).
R PE

Or, c’est précisément cette dynamique finalisée qui représente la vie, en tant qu’elle est la plénitude insurpassable
d’un terminus ad quem réalisant avec succès la puissance infinie d’un terminus a quo, en même temps qu’elle est le
FO E

mouvement sensible, conscient, rationnel et responsable, engagé sur la voie qui oppose, dans l’effort qui caractérise une
AG

phylogénèse éventuellement triomphante, l’autonomie de l’esprit aspirant à la plénitude réalisée et participant de la


puissance infinie susceptible de le réaliser, et les déterminations d’une nature qui se spiritualise progressivement, grâce
en partie à cet effort. De sorte que, si la vie se présente à la conscience sous une variété de formes, de possibilités et de
US

gradations, la réflexion représente ce qui semblerait la possibilité la plus élevée que pourrait prendre l’être vivant, à
l’intérieur de cet interface vectoriel que dynamise l’esprit, de la raison qui, étant en présence de la nature, l’informe et la
forme, alors qu’elle a toutes les apparences d’être tout entier englobée et conditionnée par elle, puisqu’elle connaît en
même temps les avatars de la corporalité. Car la vie se présente à la conscience sous la forme également d’une capacité
réflexive sur le sens et la portée de cette entéléchie générale et même sur la possibilité d’en découvrir pour elle une la
dimension subjective (et les possibilités d’une réalisation intime), par les évidences impensées que l’entéléchie
naturelle offre à la sensibilité sous toutes ses formes. Ainsi, de tous les êtres naturels, l’homme serait celui qui, étant le

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 80 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

plus accompli parmi eux, voisine le plus près du terminus ad quem vital, tout en incarnant le mieux la puissance
originale du terminus a quo, puisque réalisant le plus complètement celui-là, il puise de la manière la plus efficace à
celle-ci.

LY —
Depuis le début, le schéma s’offre à nous d’un complexe synesthésique, par lequel la conscience de l’intellect actif

ON CHE
trouve son complément et sa contrepartie dans celle de la sensibilité passive, avec la constitution d’une faculté
judiciaire qui soit spontanée et créatrice quant à sa finalité poématique, tout en se revendiquant du sentiment dont la
finalité présente un aspect double mais unifié, en confirmant l’adéquation de la possibilité de l’Idée, susceptible d’être
présentée à la raison par l’imagination, et de l’effectivité de la réalisation, susceptible d’être réfléchie et déterminée par

ES ER
elle, et connue avec l’entendement, le tout en se rapportant à la dynamique vitale pour en ressentir la pertinence
relativement à celle-là. La capacité réflexive démontre la possibilité d’une prise de conscience quant à l’autonomie du
sens interne qui préside à son mouvement, selon une héautonomie subjective qui est propre à initier et conduire le

OS H
mouvement qui préside à l’entéléchie de la raison active: elle comporte en plus la possibilité d’évaluer la valeur

RP EC
objective de la direction que prend cette trajectoire, eu égard à la conation de l’être rationnel en lequel elle se réalise.

PU E R
Nonobstant cela, la rencontre effective, anticipée dans l’objectivité sensible, de l’Idée esthétique et de la
réalisation poématique qui tendent conjointement à l’affirmation pleine de l’être, fait naître dans la conscience que
l’esprit en acquiert un sentiment qui est celui de l’amour, en confirmation de la contribution appréhendée de l’effort

CH S D
adéquat à l’accomplissement éventuel de la plénitude de l’être, auquel son énergie contribue effectivement pour en
réaliser l’expression. C’est un sentiment qui, en procédant de la partie la plus intime de la vitalité du sujet moral, est
ordinairement réservé à des êtres vivants, comme en témoignent l’intensité et la qualité du sentiment que l’on éprouve
AR FIN
pour ceux-ci, et plus spécialement mais non exclusivement à des êtres vivants situés au même pallier générique. De
plus, il affirme, en les résumant, une adhésion à l’être d’autrui, pouvant aller jusqu’à un désir de fusion, en vertu des
conditions et des attributs propres aux genres et aux natures, qui confirme et promeut à la fois la plénitude relative de
son actualité (la raison de sa perfection actuelle); la promesse de sa possibilité à réaliser plus avant cette plénitude (en
SE À

vertu de sa perfection ultime future); et la manifestation concrète de son engagement, dont attestent l’effort manifesté et
l’activité poursuivie, à réaliser dans la mesure du possible le pont entre la perfection acquise et une perfection qui
RE T,

s’accompli (en vertu de la promesse que laisse entrevoir sa perfection éventuelle probable).
D EN

Ainsi se trouvent transposées, au plan de la plénitude de la vie humaine, laquelle réalise à l’intérieur de l’individu
la conjonction à la fois de la vie dans l’animalité, de la raison téléologique dans l’humanité et de la raison morale dans la
AN M

personnalité 50, les trois questions kantiennes du savoir, de l’espoir et du devoir, que viennent en même temps
déterminer une interrogation sur la nature de l’homme 51, qui réunit la faculté théorique du connaître, la faculté
E LE

poématique du jugement (quant à l’estimation de la réalisation possible et effective) et la faculté pratique du devoir
moral, en vertu de la possibilité héautonomique qui allie la spiritualité et la sensibilité, avec la mobilisation spontanée
US SEU

effective et réglée du mouvement de l’esprit. La conscience intellectuelle, et en particulier la capacité auto-réflexive qui
lui est propre, permet d’appréhender ces composantes dynamiques en tant qu’elles illustrent les possibilités réelles de
l’être selon une vitalité naturelle de l’esprit, sous le mode de l’édification de la matière, et par elle de l’esprit, que
fournissent l’occasion de réaliser les circonstances ambiantes et les dispositions suprasensibles à les rencontrer
AL EL

adéquatement.
ON N

Pourtant, c’est la conjonction de la raison théorique et de la conscience imaginative unies dans l’aperception des
réalisations objectives, y compris de soi-même en tant que réalisant la plénitude de l’être qui est en même temps celle de
RS ON

l’esprit vivant, qui fait naître l’expérience paroxysmique de l’amour. Cette naissance se produit en réponse à la
constatation réfléchie, remplie d’espoir et mobilisatrice du devoir, à l’effet que l’être inscrit dans son actualité est
susceptible de rencontrer l’être qui promet selon sa possibilité, selon la complémentarité, aux plans subjectif, des
P E RS

puissances intellectuelles, poématiques et pratiques, et objectif, des conjonctures naturelles, y compris de celles qui
émanent des activités humaines et résultent de ses réalisations correspondantes. Bref, de la même manière que la vie est
R PE

la manifestation objective de l’esprit, en tant qu’elle réalise la phylogénèse par l’ontogénèse, et l’ontogénèse par la
phylogénèse, l’amour en est l’expression subjective intime en tant qu’il est le principe mobilisateur efficient de la
connaissance, de l’assentiment, du pressentiment et de l’action quant à cette mutualité qui réunit en l’homme les
FO E

dimensions vitales, finales et morales d’une nature unique réalisant la complémentarité et la confluence des puissances
AG

naturelles, sensibles et suprasensibles, en vue de produire un effet intégré au plan pratique comme au plan poématique.
US

50 RGV; AK VI, 028.


51 Nous aborderons plus en profondeur cette question dans les chapîtres qui suivent.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 81 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

Esthétique du plaisir et logique de la perfection


Selon Kant, on ne doit en aucune façon confondre le plaisir esthétique et la perfection, malgré qu’un jugement
superficiel voulût voir dans celui-là la représentation sensible de celle-ci. Car l’on ne saurait voir dans un jugement

LY —
esthétique un jugement de connaissance, alors que le jugement de perfection, i.e. celui qui appréhende avec justesse la
perfection d’un objet, actuelle ou simplement possible, est un jugement logique reposant pour l’essentiel sur un concept
et, par conséquent, un jugement de connaissance, un jugement déterminant ayant au préalable requis la réflexion qui le

ON CHE
donna à l’origine 52. Dès lors que l’on fait intervenir la sensibilité dans l’appréhension et l’aperception de la perfection,
on ne parvient alors qu’à semer la confusion qui constitue un empêchement à distinguer adéquatement entre le plan
esthétique et le plan logique 53. Or, c’est le propre d’un jugement de connaissance d’être clair, de distinguer non quant
aux différences de degré qui président aux aperceptions qualitatives et qui reposent sur la simple intuition, mais quant

ES ER
aux différences de nature sur lesquelles reposent les concepts distinctifs, comportant entre eux une différence
spécifique, et qui se fondent sur l’entendement. De sorte qu’une distinction esthétique, se fondant sur les nuances et les

OS H
différences qualitatives, et reposant sur la catégorie de la qualité, ne saurait en aucune manière se trouver sur le même
plan que la distinction logique, lorsqu’elle se fonde sur les natures et les différences spécifiques et qu’elle repose sur la

RP EC
catégorie de la quantité. L’une tient de l’intuition et de l’imagination; l’autre de l’entendement et du concept.

PU E R
Il y aurait donc une contradiction à évoquer une «représentation sensible de la perfection» [sinnliche Vorstellung
der Vollkommenheit] 54, puisque seul le concept peut représenter ce qui en constitue l’essence, à savoir «l’accord du
divers en une unité» [die Zusammenstimmung des Mannigfaltigen zu Einem] 55, et que, si le concept est une

CH S D
représentation, son lieu dans la raison n’est pas l’intuition mais l’entendement. Ainsi, en prolongeant le raisonnement
de Kant, un jugement quant à la perfection d’une chose ne saurait être en aucune façon un jugement esthétique, mais
uniquement un jugement intellectuel. En proposant cependant que la distinction entre ces deux formes du jugement
AR FIN
réside non pas dans la présence ou l’absence du plaisir que l’on en éprouve dans la connaissance, mais dans celle de la
conscience des concepts qui accompagnent ces jugements, on affirmerait alors que le jugement intellectuel est celui
qui, tout en impliquant le sentiment qui le recrute, inclurait nécessairement en même temps la conscience de l’acte qui
produit ou reproduit le concept portant sur l’intuition alors que le jugement esthétique serait conscient du sentiment,
SE À

mais non pas de l’acte qui le fait naître, i.e. la sensation, puisque celle-ci n’aurait en contrepartie aucune représentation
dans l’entendement. D’où il ressortirait que le jugement esthétique serait intimement lié à ce que Leibniz nommera des
RE T,

«petites perceptions» 56, lesquelles deviendront plus tard ce que Bergson et Freud nommeront l’inconscient, avec des
D EN

acceptions différentes cependant.

Une telle distinction n’existerait pas en réalité puisque, en imputant la différence entre le jugement intellectuel et
AN M

le jugement esthétique au degré de conscience accompagnant l’acte de l’esprit à l’origine de la formulation judiciaire,
E LE

aucune différence réelle n’existerait entre les modes de représentation logique et esthétique et l’on verserait dans le
mysticisme, lequel confond les concepts et l’intuition, le schème et le symbole, pour situer la représentation esthétique
dans l’entendement intuitif uniquement 57. Une telle position nous semble à ce point-ci problématique puisqu’il y aurait
US SEU

lieu de concevoir le concept de perfection, tel que le propose Kant, au plan uniquement de l’irréel (du réel non-sensible
de l’Idée adéquate), avec pour résultat de produire une variété de points de vue divergents sur une même réalité et de
fournir en outre, par les ambiguïtés et les contresens susceptibles d’en être issus, une difficulté supplémentaire à
l’accession à une herméneutique consensuelle, susceptible de délimiter adéquatement la notion de perfection.
AL EL

Si l’on convient de la définition kantienne de la perfection comme étant l’accord du divers dans l’unité, tout
ON N

dépend alors du sens que l’on donne du concept d’unité. D’une part, tout concept repose sur une unité synthétique des
RS ON

substances en fonction des intuitions que l’on en a, de sorte à ordonner, dans l’unité de l’action intellectuelle spontanée
que cela suppose, des représentations diverses sous une représentation commune 58. Par ailleurs, il y a l’unité
systématique de la connaissance en fonction d’un principe 59 qui en constitue l’Idéal 60. Or, si cette seconde acception
P E RS

52 KU, §15; AK V, 228.


R PE

53 Idem, p. 227.
54 EE, §viii; AK XX, 227.
FO E

55 Idem.
AG

56 LEIBNIZ. Préface. Nouveaux essais sur l’entendement humain (1704). — Pour l’essentiel, les «petites
perceptions» de Leibniz sont des perceptions insensibles que caractérisent les variations de l’âme avant toute
US

aperception et toute réflexion, et qui pour cette raison échappent à la conscience que l’on pourrait en avoir.
Elles sont caractérisées par de petits intervalles et seraient responsables des impressions confuses qui seraient à
l’origine du sublime, puisqu’elles donneraient lieu au sentiment de l’infini (en raison de la multiplicité des
expressions qu’elles procurent au sujet conscient à son insu) et de l’éventualité (en préparant l’expérience
subjective du changement, se produisant en vertu du principe de continuité que reprendra plus tard Kant [KRV;
AK III, 194-195.]. § Si les «petites perceptions» étaient entièrement inconscientes, elles seraient passibles
d’aucune prise de conscience et donc d’aucun discours. Il serait plus juste de voir en elles des perceptions

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 82 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

semble rencontrer le concept de perfection tel que Kant le formule dans la section viii de la EE, en tant qu’il est
nullement susceptible d’une représentation sensible — ce qui en définitive caractérise l’Idéal comme étant un concept
irréel, puisqu’il est une réalisation que l’on tend toujours à produire, sans jamais réussir complètement à rencontrer

LY —
cette fin —, il existe nécessairement dans la formation du concept l’aboutissement d’une action telle que le concept est
non seulement possible, mais présente une effectivité. Or, un tel aboutissement représente en soi une perfection, voire

ON CHE
simplement relative, avec l’actualisation qui en résulte.

Qu’une telle conception relative soit admissible tient de l’essence même du concept: pris absolument [schlechtin
betrachtet], la perfection est l’«unité finalisée intégrale» [vollständige zweckmäßige Einheit] 61. Qu’à cela ne tienne

ES ER
cependant, une telle compréhension de la perfection suppose une dimension empirique — sa possibilité pour l’essence
des choses constitutives de l’expérience —; une dimension épistémologique — la possibilité d’en dériver les lois
universelles et nécessaires de la nature, constitutives d’une connaissance objectivement valable —; ainsi qu’une

OS H
dimension théologique — l’Idée de la perfection suprême et absolument nécessaire d’un être premier, qui est en même

RP EC
temps le principe de toute causalité 62. D’où une conception tripartite de la perfection, en tant qu’elle est ontologique
(étiologique), transcendantale (archétype) et transcendante (théologique).

PU E R
Nonobstant que ces trois perfections correspondent aux trois questions kantiennes: la perfection ontologique
constituant le fondement de la prétention à un savoir objectif; la perfection transcendantale, celui à un savoir pratique;
et la perfection théologique, celui à un savoir hypothétique ou «elpidétique» 63; leur énumération suggère la possibilité

CH S D
d’en établir une gradation le long d’un continuum sensible, qui pour le premier implique la réceptivité d’une sensibilité
objective, comportant une contrepartie subjective; qui pour le second implique l’activité d’une sensibilité subjective,
AR FIN
comportant une contrepartie objective; et qui, pour la troisième, implique la proactivité d’une sensibilité subjective
qu’atteste la réalisation objective, selon une conjoncture qui associe la détermination émanant de la spontanéité
suprasensible au déroulement aléatoire des circonstances procédant du conditionnement sensible.
SE À

Chacune de ces gradations procure la forme d’une perfection qui serait tantôt, quant au phénomène, la beauté qui
renvoie à une identité générique idéale; tantôt, quant à la conduite, la bonté que fonde une vérité essentielle intégrale; et
RE T,

tantôt, quant à l’effectivité, le bonheur (et sous sa forme superlative le bonheur suprême) quant à une disposition
D EN

providentielle favorable (plût au Ciel que...), ou à tout le moins une conjoncture heureuse (la chance, le hasard, la
fortune) dont la production, quant à ce qui en est la cause, échappe au pouvoir autonome de la raison particulière. Si par
conséquent on ne peut conclure de la beauté ni à la bonté, ni au bonheur; si à partir d’une espèce de perfection, on ne
AN M

peut postuler la présence d’une autre espèce, en raison d’une indépendance logique entre les dimensions phénoménale,
épistémologique, pratique et poématique, l’Idée d’une perfection suprême implique une confluence dans la réciprocité
E LE

de ces perfections, de sorte qu’au plan de cette entéléchie, le présence de l’une de celles-ci (de la beauté, de la vérité, de
la bonté, ou du bonheur) présage nécessairement des autres.
US SEU

Par ailleurs, compte tenu que la perfection superlative ne se trouverait qu’en l’archétype de Dieu, qui est le
principe et la cause de toute perfection, elle constituerait pour le sujet moral simplement un Idéal, pratiquement
inatteignable, ce qui préserve alors dans les faits la distinction entre le jugement relatif à la beauté et le jugement
AL EL

limitrophes qui, étant situées à la limite de la sensation et de la perception, procurent à l’âme le sentiment
ON N

confus de leur présence, sans que celle-ci ne fût accréditée à l’intérieur de la conscience, tellement elles
semblent peu importantes au produit final de la perception consciente, laquelle engage les activités conscientes
RS ON

de l’attention et de la mémoire. § Par contre, elles seraient à l’origine d’un «je-ne-sais-quoi» qui accompagne
l’expérience de la qualité distinctive d’une chose, comme elles seraient en général le facteur principal à
P E RS

l’origine de la perception des différences entre les individus d’un même genre, les autorisant à revendiquer une
identité singulière propre malgré leur participation d’une nature commune. Pour cette raison, les «petites
perceptions» seraient un concept essentiel à la compréhension du principe d’analogie, quant à sa possibilité et à
R PE

sa portée effective au plan des réalités ontologiques: elles permettraient d’établir des distinctions entre les
individus tout en conservant leur appartenance à une espèce commune. De la même manière, elles
autoriseraient à distinguer les espèces des genres et les sous-genres des genres majeurs.
FO E
AG

57 KPV; AK V, 070-071.
58 KRV; AK III, 085-086.
US

59 Idem, p. 428.
60 Idem, p. 383.
61 Idem, p. 456.
62 Idem.
63 < elpiV, -idoV, -h (grec): «espérance»; «hope, expectation» [Liddell and Scott. op. cit. p. 457-458].

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 83 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

téléologique qui se prononce sur la perfection. Ainsi voit-on que les concepts de beauté, de vérité, de bonté et de
bonheur ne sont pas synonymes, de sorte qu’ils seraient éventuellement les attributs distincts et séparés d’un être,
considéré sous certains égards. Ce qui n’est pas dire cependant qu’ils sont mutuellement exclusifs et qu’ils ne sauraient

LY —
exister simultanément chez le même être, en tant qu’ils appartiennent à son identité, pour être par conséquent aperçus
distinctement ou en concurrence par une conscience disposée, soit à réaliser l’aperception discriminatoire des concepts

ON CHE
de l’entendement, soit à formuler une conception synthétique et universelle des Idées de la raison. Or, de toutes
celles-ci, la plus élevée qui soit en même temps un concept transcendantal de la raison est sans doute la perfection: elle
demeure néanmoins pour l’homme un Idéal, puisque, pour être pleinement comprise dans son concept, elle subsume et
elle résume ensemble dans l’absolu la beauté (quant à l’appartenance phénoménale), la vérité (quant à l’essence

ES ER
nouménale) et la bonté (quant à la finalité ultérieure).

Comment alors ne pas voir en cette interdépendance mutuelle des trois transcendantaux, susceptible uniquement

OS H
d’être réalisée intégralement par un Être suprême, le gage pour l’humanité à la fois de la possibilité d’une réciprocité

RP EC
complète de ses virtualités, telles qu’elles s’actualisent, et du bonheur à réaliser, grâce à leur accomplissement
historique de plus en plus complet pour l’être humain, qui est un être fini au plan physique de sa nature sensible mais
infini quant à la possibilité suprasensible de son essence spirituelle. Car c’est en raison de celle-ci que l’humanité en

PU E R
chaque être moral réussit à se rapprocher de l’Idéal de la plénitude de l’être, autant quant à la connaissance de sa
possibilité qu’à la réalisation de sa capacité morale, qu’à son habileté judiciaire à discerner au plan objectif ce qui
réconcilie, dans l’apparence sensible, la plénitude de l’essence et celle de la finalité, l’une et l’autre étant mutuellement

CH S D
associées, et que la complétude de la personne renvoie à une notion de perfection, laquelle est relative cependant
puisqu’elle autorise à établir une distinction entre les notions transcendantales à l’intérieur de la complémentarité des
formes qui les expriment.
AR FIN
Aussi retrouve-t-on, pour la notion de finalité, la possibilité de choisir en vertu de deux acceptions majeures, selon
le point de vue sous lequel on conçoit le terme: entre la finalité objective de la perfection de la nature et la finalité
SE À

subjective du sentiment pris à l’intuition de cette perfection; comme on peut choisir également, quant à la notion de
perfection, entre deux acceptions majeures, selon la perspective qui prévaut: la perfection ontologique uniquement
RE T,

formelle ou la perfection finale en fonction d’un concept ontologique 64. Dans le premier cas, la distinction s’opère le
long des pôles de l’objectivité et de la subjectivité, du dehors de la connaissance épistémologique selon les sens
D EN

externes et du dedans de l’expérience en vertu du sens interne respectivement, le tout en affirmation d’une entéléchie
complète possible qui associe les perspectives selon le principe de la complémentarité. Dans le second cas, on aperçoit
AN M

la différence sous le mode de la réalisation: alors que la perfection de la première espèce renvoie à l’actualité d’un état
stable, et peut-être stationnaire, à la présence implicite d’une complétude que la conscience est en mesure d’apprécier
E LE

en vertu du rapport de simultanéité entretenu avec elle, celle de la seconde espèce fait intervenir à la fois un état à venir
et une puissance dynamique grâce à laquelle cet état reçoit une effectivité.
US SEU

La dimension du plaisir intervient dans les deux cas cependant, soit pour ratifier l’incidence de la perfection qui est
réalisée, soit pour cautionner l’existence objective d’un objet, en lesquels cas il s’agirait pour l’un de la constitution
d’un plaisir qui surgit de l’avenue heureuse d’une conjoncture complexe en général et pour l’autre du sentiment
AL EL

particulier qui correspond à la rencontre d’une instance singulière. De sorte que, si le plaisir est éprouvé en contrepartie
d’une entéléchie connue dont on prend conscience par ce sentiment, i.e. une perfection ontologique formelle,
susceptible de susciter un plaisir en réaction à l’existence explicite à laquelle elle renvoie dans la conscience, la
ON N

possibilité existe d’une représentation concomitante du moment initial d’un processus dont l’entéléchie signifie le
RS ON

terme et dont l’aboutissement a supposé l’application d’une technique. Or, ni le terme, ni la technique ne sont en soi des
concepts réductibles au sentiment, à l’intérieur de l’appréhension intellectuelle susceptible de procéder des premiers,
même s’ils évoquaient le sentiment en tant qu’il appartient à la conscience de l’entéléchie réalisée, ainsi que des
P E RS

moments discrets de cette réalisation, auxquels contribuent la technique et les découpages en étapes successives.
R PE

La perfection ontologique formelle repose sur quatre concepts distincts: l’unité, la totalité, la coordination et la
subordination. C’est la complétude du multiple qui réalise l’unité, laquelle renvoie également à une totalité, qui
compose ce divers en un agrégat par la coordination et l’inclut par la subordination à l’intérieur d’une série causale,
FO E

comportant un principe fondateur et les conséquences qui en découlent. Dès lors que la perfection ontologique est
AG

simplement possible, en tant qu’elle est une fin à réaliser, la technique définit une légalité, celle de la liaison possible du
divers en vertu de cette fin. Étant contingente, la liaison procède d’une volonté présidant à l’action qui confère
l’efficience de cette légalité. Bref, la perfection finale est celle dont l’achèvement, s’échelonnant sur une période de
US

temps, procure une perfection ontologique: celle-ci est susceptible de susciter le plaisir d’une manière double, d’une
part en signalant l’existence avérée de la chose qui la révèle et d’autre part en révélant le terme de l’action qui préside à
l’entéléchie l’ayant apportée.

64 EE, §viii; AK XX, 228.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 84 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

Telle est la théorie dont la complexité herméneutique requise pour la comprendre — et qui n’est pas sans être
étrangère à la densité du texte par lequel Kant l’expose — fait obstacle à une reconnaissance capitale, à savoir que la
substance de l’expérience dont il s’agit définit un noeud esthétique fondamental qui part de l’être pour retourner à l’être.

LY —
Cela s’effectue, non pas à la manière d’un diallèle qui représenterait en même temps une subreption, pour lequel la
simple possibilité devient la justification de la réalité en tant que celle-ci est possible, mais sous le mode réel d’une

ON CHE
perfection relative qui s’accomplit sans cesse dans l’Idéal, en raison d’une virtualité ultime, grâce à laquelle la réalité se
transforme progressivement et reçoit une nouvelle actualité.

Qu’une perfection ontologique soit une perfection, nul doute, puisque voilà ce qu’affirme ce terme. Puisqu’il

ES ER
n’existe cependant qu’une seule perfection ontologique suprême — que réalise l’être suprême de Dieu —, tout être qui,
étant réel, exprime en même temps une perfection formelle, représente un degré de perfection qui, relativement à la
perfection suprême, se situe nettement — qualitativement, diront peut-être certains — en-deçà du concept de celle-ci,

OS H
pour recevoir une considération uniquement en fonction du concept approprié dont elle réalise la perfection. Or, la

RP EC
perfection de Dieu est en même temps une perfection ontologique (autrement elle serait illusoire et il serait vain d’en
proposer le concept comme illustrant en même temps une réalité), de sorte que si la perfection est la commune mesure
de l’entéléchie de l’être en général en même temps qu’elle est celle de l’entéléchie divine, elle s’avère néanmoins

PU E R
relative d’un point de vue extensif, avec la comparaison hautement inégale, susceptible d’être établie entre le concept
de cet être et celui de l’être de Dieu. Ainsi, la perfection ontologique en général exprime, quant à la réalisation de son
essence, un rapport générique au concept mais non pas, quant à l’entéléchie effective, un rapport à tous les concepts

CH S D
sous le mode de l’extension, ou encore un rapport au concept suprême, dont elle se révèle tantôt simplement distincte à
l’intérieur d’un même genre (la perfection d’une sphère n’est pas celle d’un cube) et tantôt moins élevée, lorsque
l’analogie franchit le fossé qualitatif incommensurable entre deux réalités ontologiques (la perfection d’un cylindre
AR FIN
n’est pas celle d’un arbre).

En somme, la perfection ontologique est une perfection typique, dont la réalisation avec l’exemplaire particulier
SE À

représente un modèle pour tous les exemplaires du même genre alors que la perfection (ontologique) suprême est une
perfection archétype, dont l’entéléchie renvoie non seulement à son essence générique, mais encore à son être en tant
RE T,

qu’il est l’expression originelle du principe et de la cause. De sorte que, si la perfection archétype est à la fois plus
complète (quant à l’essence) et plus élevée (quant au genre), c’est qu’elle est plus complexe quant aux deux qualité qui
D EN

constituent la suprématie de sa réalité et plus diverse quant à sa possibilité ultérieure, laquelle inclut l’autonomie
suprasensible entière que réalise la spontanéité absolue de l’acte créateur ultime, puisqu’elle subsume tous les genres,
AN M

sans être réductible à aucun d’entre eux, et puisqu’elle génère toutes les espèces sans être générée, par aucune d’entre
elles. Ainsi l’acte de la perfection originale et originelle se confond, quant à son effectivité, avec l’intimité de son
E LE

essence, dont elle est la réalisation de l’entière possibilité de sa substance.


US SEU

L’analogie de l’Idéalité
Si, par conséquent, la perfection typique subsume toutes les réalités ontologiques d’un même genre, elle est
néanmoins subsumée par la perfection archétype originelle, laquelle illustre la Perfection divine suprême . De la même
AL EL

façon que les réalités ontologiques participent d’une certaine façon à la perfection typique, de la même façon le type
participe à l’archétype. D’une part, la participation de l’être à la perfection typique résulte d’une possibilité essentielle
en vertu de laquelle, sous un même genre, la réalité objective est comparable à celle du type, lequel réalise à la fois
ON N

l’unité et l’Idéal de chaque être réel. D’autre part, le type participe de l’archétype, non pas en tant que celui-ci
RS ON

proposerait simplement un Idéal factice parce qu’il est entièrement irréalisable, mais puisque celui-là réalise ce qui
serait l’actualisation ontologique accomplie de la possibilité effective de l’être, i.e. une actualisation pour laquelle on ne
saurait imaginer un degré de réalité plus accompli et qui pour cette raison est insurpassable. Or seule la perfection
P E RS

ontologique suprême est passible de se voir attribuer un tel degré de réalité, de sorte que l’unité de l’Idée réalisée par la
perfection divine devient une unité et un Idéal pour la perfection typique qui ainsi, en raison de son essence et de sa
R PE

possibilité, participe de la perfection divine, mais de façon incomplète cependant.

On assiste ainsi à la présence implicite d’une analogie, celle de l’Idéalité qui préserve à la fois la singularité et la
FO E

totalité ontologiques, en passant par la pluralité, pour fournir en même temps, à partir de l’unité réelle de l’être, celle de
AG

l’Être suprême, sans pour autant compromettre les possibilités intermédiaires de la pluralité et de la totalité.
Remarquons que cette équation anagogique suppose la réalité de l’être alors que les notions de singularité, de pluralité
et de totalité propres à la catégorie de la quantité réfèrent aux concepts rationnels portant sur la représentation, laquelle à
US

prime abord, selon le schéma kantien, constitue un affinement générique de la perfection — une représentation que
précise la conscience dans la conception qu’elle formule de son Idéalité — qui à son tour précise la sensation —
subjectivement — ou la connaissance — objectivement —, en raison d’une modification de son état dans le sens intime
de sa conscience et d’une activité subséquente, autant au plan pratique des conduites qu’au plan poématique des
réalisations. Or, on retrouve toujours dans la connaissance un rapport du concept à l’intuition, d’un caractère connu (ou

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 85 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

à découvrir), commun à plusieurs choses, que fournit l’intuition à la conscience perceptive, pour chacune d’elles
singulièrement 66. Ainsi, avec l’acte concret de la connaissance subsumant les catégories sous l’activité de l’esprit, il
existe toujours la supposition de l’objet singulier, lequel dans sa dimension concrète, i.e. sensible et phénoménale,

LY —
renvoie implicitement à l’être, lequel pour Kant est le gage de l’existence effective de l’objet, en vertu duquel la
position d’un concept empirique est possible 67.

ON CHE
RÉALITÉ

ES ER
être réel : être typique :: être typique : être archétype

OS H
(conceptuel et générique) (originel et suprême)

RP EC
ANALOGIE II.1: Analogie de l’Idéalité, par laquelle le type

PU E R
devient le garant d’une réalité unifiée, qui alloue pour une
continuité du sensible et du suprasensible.

CH S D
Là où, chez Kant, se trouve la difficulté, c’est avec l’élucidation de la relation qu’entretient le premier terme de
l’analogie (l’être singulier réel) avec les trois autres. Quant à ceux-ci, ce sont des abstractions progressivement plus
générales, lesquelles fournissent un concept pur, ayant sa source uniquement dans l’esprit [Gemüt], i.e. dans
AR FIN
l’entendement et/ou dans l’imagination, en prenant pour celle-ci la forme de l’image phénoménale et pour celui-là celle
de la notion nouménale, dont l’Idée serait l’entéléchie au sens aristotélicien, autrement dit, dont elle serait la forme
finalisée 68. Bref, dès lors que l’Idée de Dieu peut être démontrée en tant qu’elle est l’Idée suprême — et ne pas
SE À
constituer simplement un principe régulateur de la raison, en tant qu’elle est un Idéal, un principe qui, représentant
l’absolue causalité, nécessaire et suffisante, est le gage d’une unité suprême possible de la série des liaisons dans le
RE T,

monde 69 —, elle devient l’expression d’une existence en soi, d’une entéléchie au premier sens du terme. Or, cette
preuve réside pour Kant dans l’argument moral, lequel fonde subjectivement la nécessité que Dieu existe, puisqu’il est
D EN

la cause morale du monde 70, la source des lois naturelles et le principe suprême du règne moral des fins, omniscient,
tout-puissant et incommensurablement bon dans son inexorable justice 71. L’Idée de Dieu, en tant qu’il est l’Être
AN M

suprême existant, est donc établie selon Kant.


E LE

En tant qu’elle est la possibilité pratique sur les choses, toute Idée est soit réalisée, soit réalisable, soit irréalisable.
Et en tant qu’elle est cette Idée, elle est soit une Idée esthétique, issue de la faculté de connaissance de l’imagination
US SEU

productive, susceptible de faire surgir spontanément une pensée, laquelle demeure toujours inadéquate à la
représentation qui serait susceptible d’en procéder; soit une Idée de la raison, laquelle oppose un défi insurmontable à
toute représentation de l’imagination 72, en raison du contenu irréel que signifie la représentation idéelle et du degré
d’abstraction par lequel s’opère cette signification. Dès lors qu’une Idée existe simplement pour la raison, elle est
AL EL

transcendantale, puisqu’elle devient alors uniquement un principe régulateur, lequel institue une régression empirique
qui aboutit progressivement au concept complet d’un objet, en raison de la nécessité pour l’entendement de fonder sa
connaissance sur une intuition. Cette régression se résout dans une action dont le terme est soit infini, soit indéfini,
ON N

puisqu’elle aboutira toujours à l’absence de la réalisation effective de l’objet, telle qu’elle serait entrevue en vertu de
RS ON

l’Idée. C’est donc le propre de l’Idée rationnelle, étant régulatrice, de motiver à l’action, mais cet effet se produit
indépendamment de l’essence de la chose, dont elle demeure ignorante, ou de sa constitution, pour laquelle elle est
impuissante, puisqu’elle possède uniquement un statut hypothétique sans pouvoir de détermination. Elle requiert alors
P E RS

l’expérience dont elle exacerbe l’extension, sans constituer la possibilité, ni même l’éventualité de sa connaissance
empirique, i.e. connaturelle 73.
R PE

66 KRV; AK III, 249-250.


FO E
AG

67 Idem, p. 402.
68 Idem, p. 250.
US

69 Idem, p. 412-413.
70 KU, §87; AK V, 450.
71 Idem, §86; p. 444.
72 Idem, §49; p. 314.
73 KRV; AK III, 349.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 86 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

Bref, l’Idée transcendantale inspire le pouvoir pratique, alors même qu’elle existe en dehors de lui, soit en tant
qu’il est une action épistémologique en vue de la connaissance sensible, soit en tant qu’il est une action hypothétique en
vue d’une réalisation concrète. Une réalisation qui est simplement possible et indifférente au devoir, comme pour

LY —
l’initiative poématique, ou qui appartient au devoir comme étant une action morale, produite nécessairement
cependant, en vertu d’une loi qui est conforme à l’impératif catégorique. L’Idée irréalisable se distingue de l’Idée

ON CHE
transcendantale: celle-ci est une Idée irréelle de la raison en aucune manière pratique, puisqu’elle ne saurait résulter en
une activité pratico-pratique qui en procéderait et qui serait en même temps inscrite dans le réel. On peut dire par
analogie que l’Idée irréalisable se compare à l’Idée transcendantale, étant comme elle une Idée de la raison, mais elle en
diffère, puisqu’elle en est plutôt la contrepartie au plan esthético-pratique, à la manière du dessin d’une licorne qui peut

ES ER
avoir une valeur substitutive et occulte, dans sa référence à l’animal auquel elle fait allusion — peut-être le narval —,
mais aucunement une valeur réelle et actuelle. Cette distinction devient plus claire lorsqu’une Idée de la raison (v.g. la
licorne) acquiert une valeur symbolique et en vient à représenter une qualité métaphysique — la précarité sauvage de la

OS H
pureté et de l’innocence de l’âme —: elle accède ainsi au plan de l’Idée transcendantale, puisqu’elle motive et elle sert

RP EC
de règle à la conduite dans le sens que procure l’image. Pourtant, rares sont ceux qui se donneront la peine d’organiser
un safari afin de capturer une «vraie» licorne — ce qui représenterait une Idée irréalisable —, alors que plus
nombreuses seront les personnes qui tenteront d’incarner les vertus que représente ce symbole — et ainsi se laisser

PU E R
inspirer par une Idée transcendantale —.

En somme, l’Idéal rationnel suppose un concept pour lequel l’imagination ne peut jamais offrir de présentation

CH S D
adéquate et représente au plan pratique un principe régulateur de l’action sensible, engagée sur la voie d’un projet
indéfini sans fin apercevable, perpétuellement en quête de la réalisation d’une présentation qui l’inspire et dont la
sublimité assure que jamais il ne parviendra à cette entéléchie. Or cela n’est possible que si la nature de l’objet sur
AR FIN
lequel se trouve projetée l’Idée esthétique est seulement formellement malléable (à la façon d’un medium inerte et
plastique) ou si, tout en participant à la nature du concept qui lui sert de modèle, comporte une possibilité qui le situe
en-deçà de la possibilité réalisée de l’archétype (comme pour un être vivant, qui chercherait réaliser sa propre
SE À
perfection en se référant à l’excellence d’un autre être vivant, dont la perfection est reconnue, sans pouvoir la surpasser
en raison de la qualité superlative de celle-ci). Dans le premier cas, il s’agirait d’un ectype qui serait en même temps une
RE T,

oeuvre (le chef-d’oeuvre ou la pièce maîtresse); et dans le second, il s’agirait d’un ectype qui serait en même temps une
personne morale (le modèle) dont on pourrait dire qu’elle est, en raison de sa liberté, une oeuvre qui incarne son propre
D EN

principe de réalisation (en même temps qu’elle est indirectement le principe influent de la réalisation par osmose d’un
sujet moral tout aussi libre, dans la mutualité des consciences morales engagées à l’intérieur d’un rapport que
AN M

caractérisent l’interaction sociale et l’émulation personnelle de l’excellence contenue dans la conduite exemplaire
d’autrui).
E LE

Or, toujours au plan pratique, l’Idée n’a de valeur réelle que si elle est soit réalisée, alors que l’être qui la représente
US SEU

est adéquat à son concept — LA perfection déterminée —, soit réalisable, i.e. l’être qui la représente a la possibilité de
devenir adéquat à son concept, pourvu qu’une action efficace procure une effectivité à cette possibilité — UNE
perfection indéterminée — 74. Selon cette conception, la Perfection suprême ne saurait être simplement une réalisation,
puisqu’elle illustre la suprématie de la perfection et donc en constitue l’archétype originel. Elle ne saurait donc se
AL EL

contenter simplement de devenir ce qu’elle ne saurait prétendre être encore, ce qui constituerait une négation de son
identité organique foncière qui est de constituer le principe et la cause de toute entéléchie, y compris de la sienne propre.
Par conséquent, la Perfection divine est la perfection qui est le principe et la cause de toute perfection, y compris de
ON N

celle qui, au plan pratique, habilite toute possibilité réelle, par opposition à une possibilité simplement virtuelle, et dont
RS ON

l’Idée transcendantale ou l’Idéal esthétique sont l’expression.

Or, à défaut d’illustrer la Perfection suprême, tout objet soit réalise effectivement la perfection que l’essence de son
P E RS

concept contient en sa possibilité achevée, celle d’un être qui réalise effectivement l’accord du divers dans l’unité, soit
la réalise éventuellement avec l’accord non encore obtenu du divers dans l’unité, mais néanmoins proposé en tant que
R PE

fin. C’est en se mettant au service de cette fin qu’une technique énonce la légalité qui fournira la règle de la réalisation
de la possibilité aperçue d’une chose, laquelle trouve une spécification selon l’Idée qui préside à sa définition et
l’agencement des concepts qui précisent la technique de son accomplissement, tout en étant plurielle dans sa plasticité
FO E

substantielle.
AG

La quête de la personne morale, qui cherche à réaliser la perfection objective de sa propre essence, est en réalité
une quête sans fin, en vertu de l’amalgame ontologique d’une nature sensible conditionnée que détermine son essence
US

inconditionnée. C’est ce mélange organisé qui explique que la nature humaine, si morale fût-elle, ne peut jamais
réaliser complètement la Perfection suprême, tout en participant effectivement à celle-ci, cela étant. D’où il ressort que
la distinction entre la transcendance et ce qui est proprement transcendantal se révèle par la différence entre le terme
que l’esprit peut concevoir en tant qu’il est intellectuellement possible et celui que la personne morale peut envisager en

74 EE, §viii; AK XX, 228.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 87 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

tant qu’il est effectivement réalisable. Cela étant, l’Idée de perfection qui est pleinement et de manière superlative
réalisée en l’Être suprême, dont l’essence éminemment morale devient le gage de son existence pour l’être humain,
également doué d’une nature morale, devient pour l’être vivant, rationnel, humain et personnel, un Idéal que sa propre

LY —
nature n’autorise pas à voir autrement que manifestant un principe de réalisation. Celui-ci porte sur une essence a priori
incomplète, puisqu’elle est un composé qui associe, voire de manière harmonieuse et complémentaire, la nature

ON CHE
physique déterminée (y compris par d’autres natures) et la substance spirituelle déterminante (y compris des autres
natures). C’est donc en tant qu’il est un être humain que tout homme peut espérer réaliser le nec plus ultra de
l’Humanité, et non pas en tant qu’il est autre chose. Et c’est au plan moral, i.e. au plan pratico-pratique des conduites et
des réalisations, que cette entéléchie peut espérer recevoir son effectivité entière.

ES ER
Face à son être présent, toute chose est; mais face à son être tel que l’esprit peut se le représenter en général, dans
un avenir plus ou moins distant, tout être représente un devenir qui s’exerce sous le mode de la progression ou de la

OS H
régression, la stagnation étant une phase intermédiaire et temporaire qui présage l’une ou l’autre, d’une manière qui

RP EC
convient à son essence ainsi qu’à sa possibilité réelle. C’est ce double statut dans l’actualité que recouvre le concept de
l’être, lequel revêt tantôt l’acception de l’être qui est ce qui est et tantôt celle de l’être qui est ce qui devient. Ainsi, à
défaut de laisser supposer l’actualité d’une entéléchie au premier sens du terme — révélatrice d’un être pleinement

PU E R
accompli —, l’actualité suggère toujours un procès qui situe l’être à l’intérieur d’un mouvement dont le terme est soit
l’entéléchie — la plénitude de l’être —, soit son contraire — son annihilation, et dont le cours peut être tantôt constant
et tantôt variable, tantôt prévisible et tantôt imprévisible.

CH S D
Or, la plénitude de l’être se conçoit de l’une de deux façons: soit qu’il est un modèle dans la réalisation exacerbée
AR FIN
de son genre; soit en tant qu’il est la Perfection suprême, laquelle résume, subsume et transcende tous les genres, en
illustrant la plénitude de l’être constitutif du principe et de la cause, autant de ceux-là que de sa propre réalité agissante.
En ce premier cas, la réalisation porte sur la substance de l’être et elle en actualise la possibilité essentielle en même
temps qu’elle en illustre la limite — l’oiseau qui réalise sa perfection à travers le vol que son anatomie et sa physiologie
SE À

autorisent à accomplir naturellement, lorsqu’il est par comparé à l’être humain pour qui le vol, tout en constituant
l’illustration du génie créateur de son esprit, doit recourir à un artifice en raison d’une anatomie et d’une physiologie qui
RE T,

définissent naturellement les limites de son rapport avec les éléments physiques du monde sensible—.
D EN

Autrement, tout être se trouve inscrit à l’intérieur d’un mouvement dont l’entéléchie est la fin idéelle et pour lequel
il devient éventuellement, au plan individuel et/ou collectif, un principe et une cause déterminants, tout en demeurant
AN M

susceptible d’une soumission aux forces naturelles prépondérantes (lesquelles peuvent inclure celles qui expriment,
tout en les réalisant, les natures vivantes supérieures et/ou prédominantes). En plus, de tous ces êtres obéissant à la loi de
E LE

l’existence à l’intérieur de laquelle l’esprit se conjugue avec la nature en vue de contribuer aux réalisations de la vie,
lesquelles sont historiques quant aux événements et culturelles selon les productions, seul l’être humain a la possibilité
US SEU

(vivante, consciente, rationnelle et morale) la plus élevée de se constituer ordinairement en principe et en cause
déterminants sur le monde, sans pour autant nier à celui-ci — ni même avoir la possibilité physique de le faire — la
possibilité d’exprimer une dynamique phénoménale, en laquelle se conjuguent les masses, les énergies et les forces.
Car, à la précarité naturelle de l’homme, destiné à se voir éventuellement engouffrer par les forces physiques
AL EL

susceptibles d’émaner de la nature, correspond une légalité naturelle que l’être humain est susceptible d’apprendre à
connaître, à transcender, à maîtriser, à contrôler et à canaliser pour le plus grand bien de l’espèce et de la nature en
général, mais à l’intérieur de certaines limites cependant.
ON N
RS ON

Finalité objective et finalité subjective


Deux finalités s’opposent par conséquent: la finalité objective et la finalité subjective. Quant à la finalité objective,
P E RS

celle-ci ressortit aux choses de la nature [an Dingen der Natur] et en particulier aux êtres organisés [vornehmlich an
organischen Wesen], en tant qu’elle appartient de façon sensible à ces objets selon une démarche herméneutique qui
R PE

attribue à la nature une fin, laquelle autorise à leur conférer une perfection en vertu de son concept. Le jugement qui
donne lieu à une telle conclusion est un jugement téléologique, lequel découvre une simple liaison causale
[Kausalverbindung], exclusive de tout sentiment. Cette antinomie du concept de la perfection et de celui du sentiment,
FO E

présente dans l’acte d’appréciation propre au jugement téléologique, ne saurait être plus clairement énoncée par Kant:
AG

«en général le concept de perfection en tant que finalité objective et le sentiment de plaisir n’ont absolument rien à voir
l’un avec l’autre [überhaupt hat also der Begriff der Vollkommenheit als objektiver Zweckmäßigkeit mit dem Gefühle
der Lust und diese mit jenem gar nichts zu tun]» 75.
US

Que l’acte heuristique débouchant sur un jugement téléologique adéquat soit dénué de sentiment, voilà ce qui est
en soi problématique, en raison d’une théorie de la connaissance qui comporte l’expérience subjective d’une éventuelle
satisfaction [Befriedigung], lorsqu’elle en réalise adéquatement la perfection qui signifie l’entéléchie de l’acte

75 Idem.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 88 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

épistémologique 76. Qu’à cela ne tienne, nous accepterons provisoirement comme étant un artifice de l’exposition, cette
rupture entre le sentiment et le jugement dans la constatation d’une entéléchie au second sens, laquelle présuppose une
fin naturelle — réelle ou poématique — dont le degré de la réalisation dans la chose (selon un degré de perfection

LY —
intrinsèque à son essence) permet d’attribuer à cette chose un degré de perfection. Peut-être s’agirait-il simplement de
distinguer ce qui, à l’intérieur de l’imagination, est une simple présentation du concept, avec l’acte simple de nommer

ON CHE
ce qui est préalablement connu, et ce qui, pour cette même faculté, consiste en l’acte de produire un concept, lequel
portera sur une réalité ayant jusqu’à présent échappé à la conscience épistémologique. Car si la simple présentation
d’un concept est peu susceptible de faire naître un sentiment, en tant qu’elle réalise d’une manière routinière une
activité cognitive — et pourtant, on peut concevoir la nécessité d’une balise subjective qui signalerait la chose, lorsque

ES ER
l’habitus cognitif de l’héautonomie dérogerait à son caractère régulier —, celle par ailleurs qui consiste à repousser les
limites de la connaissance en proposant une conception entièrement originale de la réalité ou en découvrant une
formulation de celle-ci là où auparavant elle était passée inaperçue, peut rarement se contenter de rester indifférente.

OS H
RP EC
Toujours en est-il qu’il s’agit de comprendre que la finalité objective appartient en propre soit à une chose
naturelle, soit à un être organisé, et que l’entéléchie caractéristique de l’un ou de l’autre, susceptible de recevoir
l’attribut de la perfection, découle du principe de la finalité physique, quant au concept susceptible d’une telle

PU E R
attribution. C’est une finalité qui suppose un agent, c’est-à-dire un principe initial qui en soit en même temps la cause.
Ainsi remarque-t-on une opposition marquée entre la conscience qui énonce un jugement appréciatif quant à la
perfection d’une choses, présente en puissance dans son concept en raison d’une fin naturelle, et l’objet lui-même (une

CH S D
chose naturelle ou un être organisé) qui serait passible d’une appréciation judiciaire. Si un état de perfection devient
alors susceptible d’une appréhension, avec l’acte épistémologique qui conduit à un jugement téléologique, cette
perfection revient pour l’essentiel à l’objet en tant qu’il réalise, selon le degré de l’accomplissement passible d’être
AR FIN
constaté, une fin naturelle qui procède d’un principe et d’une cause originelles.

Or, on ne saurait découvrir une telle opposition dans le cas d’un jugement esthétique, lequel repose sur une
SE À

intuition qui évoque certes le sentiment, mais en l’absence de tout concept de perfection dont il constituerait une
antinomie, de sorte que l’état subjectif associé à l’expérience d’un sentiment que suscite une intuition accompagnerait
RE T,

uniquement l’être de l’objet antérieurement à toute entéléchie et par conséquent indépendamment de tout mouvement
susceptible de la réaliser, soit en tant qu’il se déroule, soit en tant qu’il est accompli. C’est donc dire que le jugement
D EN

esthétique s’adresse à ce qui, de la chose naturelle ou de l’être organisé, est éminemment actuel, indépendamment
d’une fin naturelle et du mouvement à l’intérieur duquel s’inscrit l’objet esthétique en raison d’un effort à rencontrer
AN M

cette fin, mais en même temps qu’un sentiment en résulte pour la conscience en vertu de cette actualité. Or, l’expérience
sensible du sentiment apparaissant comme étant une contrepartie de cette actualité, il s’agirait maintenant de
E LE

comprendre le rapport qu’entretient le sentiment dans la conscience avec le jugement téléologique de perfection, dès
lors que le jugement logique appréciatif se distingue aussi radicalement du jugement esthétique réflexif.
US SEU

Sauf si le constat d’une perfection réalisée s’impose, en raison du concept qui en constitue le critère requis d’un
objet pour rencontrer la condition de la perfection, quant à sa forme suprême possible, le jugement concluera
simplement d’une perfection à réaliser, dès lors qu’il s’agit d’une fin pratique qui n’a pas encore abouti (supposant un
AL EL

plaisir pris à l’existence de l’objet) ou que le terme escompté est la contrepartie d’une technique appliquée en vertu
d’une possibilité essentielle, laquelle technique est constitutive de la légalité d’une fin qui s’avère contingente, en
raison d’une pluralité de fins possibles que spécifie et délimite le désir en cette instance. Ainsi, dès lors qu’un objet est,
ON N

soit qu’alors il exprime une entéléchie qui est propre au genre qui le subsume (pour un ébéniste qui l’a façonnée, la
RS ON

chaise qui est une chaise et non une table), soit qu’il se compare à un accomplissement, en vertu de son degré
d’approximation générique au type ou au modèle qui en représente la perfection (la chaise qui, parce qu’elle est unique
en son genre, est la mieux réussie qu’un ébéniste peut espérer réaliser). Puisque, selon la perspective kantienne, il
P E RS

revient au jugement logique appréciatif de constater, soit la perfection effective d’une chose, soit une perfection de la
chose qui la situe face au type qui en réalise l’expression supérieure, et qu’un tel jugement exclut toute expérience
R PE

subjective du sentiment, en raison d’être strictement un jugement logique et objectif, on doit alors conclure que le
jugement esthétique s’inscrit dans le contexte de la reconnaissance, ni d’une perfection avérée, ni d’une étape le long de
la progression qui mène à cette perfection.
FO E
AG

Par ailleurs, tout objet en tant qu’il est un objet, soit réalise une entéléchie, soit se trouve engagé à l’intérieur d’une
démarche perfective, de sorte que le jugement esthétique, s’il demeure en quelque façon étranger à l’entéléchie aux
deux sens du terme, doit porter sur un autre aspect que le mouvement qui procure l’entéléchie. Et puisque le jugement
US

esthétique suppose un mouvement sensible présent dans l’intimité de la conscience judiciaire et auquel est redevable la
naissance d’un sentiment — le plaisir ou le déplaisir —, là où celui-ci était absent auparavant, l’impassibilité que
suppose l’absence de sentiment devant le mouvement présent à l’intérieur du jugement appréciatif d’une éventuelle
perfection, i.e. d’un rapport (accompli ou se réalisant) à une fin supposée de la nature, se voit alors supplanté par le

76 KRV; AK III, 552.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 89 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

mouvement du sentiment, présent dans l’intimité de la conscience, et l’actualité de l’objet en tant qu’il est tout
simplement, sans égard pour sa perfection, ni encore pour sa perfectibilité. Or, cela ne saurait se produire que si la
perception de l’objet esthétique repose sur une certaine immobilité des sens externes, tout en confirmant à l’intérieur du

LY —
sens interne, la présence d’un état subjectif qui soit cautionne l’appréciation que l’on fait de l’être de l’objet comme lui
étant favorable, ou qui soit le réprouve comme lui étant défavorable. Ainsi, la faveur ou la défaveur éprouvées avec la

ON CHE
faculté judiciaire esthétique se rapportent uniquement au sens interne.

Le sens interne, avons-nous dit, est la conscience que possède l’esprit de son état intérieur, par laquelle sont mises
en rapport les déterminations internes et la forme du temps 77. Ce qui est dire que, grâce au sens interne, l’esprit [Gemüt]

ES ER
se sait affecté proprement d’une manière diverse et consécutive, soit en raison de sa passivité, soit en raison de son
activité, lesquelles attitudes suscitent a priori, mais de manière distincte, une détermination phénoménale et temporelle
selon les trois modes que définit l’analogie de l’expérience (la durée, la succession et la simultanéité) 78. De sorte que le

OS H
sens interne gouverne le rapport de la conscience aux phénomènes quant à leur effet intériorisé et selon la conscience

RP EC
que l’esprit peut prendre de l’intuition qui procède de ceux-là.

PU E R
Si toute détermination éprouvée par le sens interne comporte une dimension phénoménale, celle-ci se comprend
diversement selon le degré de l’activité du sujet: étant simplement affecté par les sens, en tant qu’il est déterminé par un
jeu de forces exogènes — ce qui définit le sens métaphysique du phénomène —; ou s’affectant lui-même dans sa propre

CH S D
sensibilité, en vertu d’une activation endogène de ses propres forces motrices — ce qui précise le sens physique du
phénomène 79. L’objet sensible étant un concept métaphysique qui est en même temps un phénomène, il exerce, en
raison de son inertie, un effort dont la contrepartie est une modification subjective de la conscience. Or, la définition que
AR FIN
fournit Kant, de la force dont peut faire usage le sujet en vue d’apporter un changement à un objet sensible, est en réalité
une définition problématique. Car cette force serait la chose elle-même qui, tout en conservant un statut métaphysique,
serait en même temps considérée physiquement comme étant une substance toujours identique à elle-même 80. Une
telle conception aurait pour effet d’envisager la force, non pas selon le point initial et agissant d’un terminus a quo, mais
SE À

selon celui de l’effectivité d’un terminus ad quem, laquelle résulte toujours d’une action, en vertu du principe de
causalité, pour lequel Kant fournit deux formulations distinctes 81 et du principe de la production naturelle, qu’elle
RE T,

repose sur un mécanisme aveugle ou qu’elle suppose un entendement architectonique, telle que l’illustre l’antinomie de
la faculté de juger 82. Par contre, cette définition conserve néanmoins le mérite de proposer une cause endogène qui
D EN

assure à l’autonomie de la nature subjective un statut dans l’expérience qui serait, quant à son effet possible, équivalent
à celui que possède la nature objective lorsqu’elle entre en rapport avec la conscience sous le mode de la détermination.
AN M

De sorte que, de la même façon qu’un plaisir suscité dans le sens interne puisse avoir pour origine et pour principe
E LE

une détermination externe, en raison de l’hétéronomie que comporterait alors un objet sensible pour la conscience, de la
même façon un plaisir pourrait être suscité dans la conscience en raison d’une situation objective qui illustrerait
US SEU

nonobstant son autonomie. Il en résulte par conséquent que le sentiment ne saurait être de façon immédiate un facteur
de l’autonomie ou de l’hétéronomie du sujet, tel qu’il opère dans la détermination du sens interne, mais résultera d’une
autre chose qui est inhérente à cette détermination et à l’opération du sens interne en fonction de celle-ci.
AL EL

Toute détermination suppose, en même temps qu’une destination, ce en vertu de quoi s’opère cette action, à savoir
un principe et une cause. Or, l’effet sensible qui constitue l’évidence d’une destination comporte d’un point de vue
ON N

général trois aspects qui entrent en rapport de co-existence complémentaire: la fin visée en tant qu’elle est une fin
spécifique; la fin visée en tant qu’elle s’intègre à l’ensemble qui accueille cette fin; et la fin visée en tant qu’elle ressort à
RS ON

la nature de l’agent qui la détermine.


P E RS

Toute action ne saurait être isolée de l’ensemble ni divorcée de son agent de sorte qu’un jugement portant sur la
perfection de cette action implique à la fois l’accomplissement réussi d’une fin désirée et le rapport harmonieux de cette
fin avec le milieu phénoménal en même temps qu’avec l’agent de son accomplissement, en tant que la fin concerne un
R PE

phénomène sensible. De sorte que tout plaisir susceptible d’être éprouvé relativement au sens interne et à sa
FO E

77 Idem, p. 052.
AG

78 Idem, p. 184.
79 OP; AK XXII, 325.
US

80 Idem, p. 328.
81 Ce dont la contingence est conforme à une chose antérieure selon une règle [KRV; AK III, 138; IV, 103]; et ce
dont la contingence suppose une succession dans le temps en vertu d’une relation de cause à effet [Idem; AK
III, 166, IV 128.]
82 KU, §70; AK V, 387.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 90 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

détermination objective, qu’elle soit hétéronome à la conscience ou qu’elle exprime son autonomie, engagera qui la
nature de la fin désirée; qui l’insertion éventuelle possible de cette fin à l’intérieur d’une série de phénomènes, lesquels
seraient en même temps des fins, qui procèdent d’une finalité naturelle, le règne de la nature qui est en même temps un

LY —
règne des fins 83; et qui la signification de cette réussite pour l’esprit à qui elle serait imputable.

ON CHE
La question de l’attribut de l’une ou de ces trois considérations surgit alors, qui ferait en sorte que la détermination
objective du sens interne serait susceptible de faire naître le sentiment. Si telle fin spécifique est désirée, c’est qu’elle est
estimée bonne. Il en résulte que la détermination sensible du sens interne refléterait la bonté, objectivement avec la
réalisation de la fin, et subjectivement par le sentiment qui en résulte. Si l’insertion de la fin se produit de façon à

ES ER
l’harmoniser avec des fins préalablement accomplies, mais simultanées à la fin désirée, on peut alors supposer que
l’harmonie constatée se fonde sur une complémentarité des fins. Celles-ci étant bonnes en elles-mêmes, en tant qu’elles
n’excluent pas a priori la possibilité de la bonté de l’issue, en l’absence d’une bonté qui serait immédiatement

OS H
apparente, et qu’elles réalisent un objet estimé subjectivement comme étant au moins en quelque façon désirable, elles

RP EC
se subsumeraient en même temps sous la bonté générale d’une situation qui maintiendrait en équilibre la diversité des
bontés respectives, de sorte que la détermination du sens interne en fonction de cette harmonie produirait un sentiment
qui lui corresponde. Si, de plus, cette fin confirme de quelque façon l’être de la raison qui en serait responsable, puisque

PU E R
non seulement elle génère l’actualité de cette fin, mais aussi qu’elle est digne de poursuivre son action avec la
génération de fins futures, susceptibles également de s’accorder de façon harmonieuse (en autant que cela serait
prévisible) avec les autres fins actuelles et futures qui composent le tout des fins désirées et désirables, la détermination

CH S D
du sens interne en fonction de la destination de la conscience effective confirmera alors la bonté de sa nature active.

AR FIN
Bref, toute détermination réalise un désir, lequel dans l’idéal concourt à concrétiser la possibilité du bien dans la
fin proposée, non pas uniquement quant à cette fin en soi (v.g. la construction d’un aqueduc qui alimenterait en eau
potable les fontaines d’une ville), mais encore quant aux autres fins déjà en place (v.g. le conduit ne s’approvisionnerait
pas à une source de manière à causer une pénurie d’eau pour les habitants de la région en laquelle se trouve cette source,
SE À

ni n’occasionnerait par sa conception ou par les matériaux employés des inconvénients pour la flore et/ou la faune des
régions qu’elle traverse pour atteindre sa destination ultime) et quant à l’auteur de cette réalisation architecturale (v.g. la
RE T,

qualité de l’oeuvre sera suffisante à ne pas entacher sa réputation professionnelle et ainsi compromettre, non seulement
la possibilité pour l’architecte de contribuer à réalisations futures, mais encore sa situation présente de
D EN

maître-d’oeuvre).
AN M

De sorte que tout plaisir résultant d’une détermination du sens interne quant à la réalisation d’une fin désirée, i.e.
quant à la perfection d’une existence, renvoie au bien, lequel confirme la valeur en soi d’une chose subsistante. Cette
E LE

valeur est double puisqu’elle porte sur le rapport harmonieux de la chose aux autres choses existantes, selon les
perspectives de la durée, de la simultanéité et de la complémentarité (réalisée selon les principes architectoniques de la
US SEU

coordination ou de la subordination) et sur la signification qu’elle acquiert pour l’être moral qui en constitue le principe
originel et la raison effective, suite à une médiation naturelle et/ou culturelle. En somme, le sentiment résultant de la
détermination du sens interne, qu’elle procède de l’hétéronomie objective ou qu’elle exprime l’autonomie subjective,
renvoie exclusivement à la notion du bien (ou ce qui est tenu pour tel), en confirmant sa présence appréhendée par le
AL EL

plaisir ou en infirmant celle-ci dans le déplaisir.


ON N

Les deux pôles de la liberté


RS ON

Mais s’il n’existe aucun rapport immédiat du sentiment à l’autonomie, puisque c’est le rapport de l’expérience
interne du sujet conscient au bien réalisé ou espéré qui le fait naître, peut-on dire que n’existe aucun rapport direct quel
qu’il soit qui associe ces deux états à l’intérieur de l’esprit [Gemüt]?
P E RS

L’autonomie se distingue de l’hétéronomie en ce qu’elle illustre, pour la subjectivité, une possibilité pratique
R PE

émanant de la dimension suprasensible du sujet, de sorte à exprimer un désir et à produire éventuellement un effet
objectif qui résulte de l’action de la volonté et qui est la conséquence directe de la dynamique pratique. Ainsi, en ce qui
concerne un effet autogène qui résulte de l’expression subjective de l’autonomie, la détermination du sens interne
FO E

trouve son origine à l’intérieur de la conscience déterminante du sujet, de sorte que la réflexion esthétique du sujet,
AG

portant sur cet effet, est consécutive au jugement déterminant et à l’action qui en découlera subséquemment.

L’hétéronomie ne suppose en aucune façon la complémentarité consécutive de la réflexion esthétique et du


US

jugement déterminant dans la subjectivité. Si une réflexion esthétique, et avec elle la possibilité d’éprouver un
sentiment compatible avec la latence du pouvoir de l’entendement, procède d’un effet objectif présent dans
l’expérience, et si cet effet est éventuellement — mais non nécessairement — le produit d’un jugement déterminant
(comme procédant d’une autonomie autre que celle du sujet réfléchissant), il n’existe dans l’hétéronomie aucune

83 GMS; AK IV, 436, 436n.

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LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

synergie complémentaire des jugements (déterminant et réfléchissant) pour l’identité d’une conscience qui agirait sur
l’une des formes consécutivement à l’autre. Alors que dans l’autonomie, le sujet est l’agent de sa propre passivité
réflexive, selon les trois termes — la durée, la consécution et la simultanéité — de l’analogie de l’expérience, l’agent de

LY —
cette passivité selon une fin naturelle est autre dans l’hétéronomie. Il en résulte par conséquent que le sentiment
inhérent à une réflexion esthétique est soit autonome, soit hétéronome, et révélera soit un bien (ou son contraire) dont le

ON CHE
principe et la cause sont endogènes à la connaissance et à la puissance active que génère celle-ci, soit un bien qui
manifeste l’origine exogène de ces facteurs. Or, c’est précisément l’exogénèse du bien qui fait problème.

En tant qu’il procède d’une agence qui opère son action en vue d’une fin naturelle, susceptible de se voir attribuer

ES ER
le concept de perfection en illustration de son degré de réalisation, tout bien est l’expression d’une liberté. Or, la liberté
associée au bien s’entend selon deux termes, selon que l’on favorise le pôle minimal de la liberté — celui qui consiste à
considérer le bien comme contribuant pour l’essentiel à l’édification de la matière de manière à assurer la préservation

OS H
et le bien-être existentiels du sujet — ou selon que l’on vise son pôle maximal — celui qui poursuit le bien selon une

RP EC
perspective qui préconise avant tout l’édification et la préservation de l’esprit — lorsqu’elles sont compromises, même
au prix de sa propre existence —. La plupart des actions sont susceptibles d’une situation intermédiaire entre ces
termes, en vertu des finalités particulières qui sont servies par elles.

PU E R
Si toute action représente la culmination d’une recherche qui vise le bien, tous les biens obtenus sont ni

CH S D
équivalents, ni même compatibles. Puisque l’esprit [Gemüt] possède éminemment plus de valeur que la matière, en ce
qu’il exprime par sa plénitude et sa perfection ce qui distingue l’homme des autres fins de la création, y compris des
autres espèces vivantes, et l’exhausse pour le constituer en la fin naturelle ultime de celle-ci; puisqu’en plus l’esprit est
AR FIN
le moyen par lequel la matière trouve à recevoir, avec la transformation formelle dont elle est passible, une réalité
nouvelle qui lui confère un statut culturel susceptible, non seulement de refléter une utilité fonctionnelle, mais en même
temps, avec l’art, de constituer la possibilité pure d’édifier d’autres esprits; l’édification et la préservation de l’esprit
sont des fins éminemment plus nobles et parfaites à poursuivre et à réaliser que ne le seraient celles de la matière que
SE À

l’on modifie et donc que l’on conserve, même dans la confirmation la plus sublime et la plus éclatante du pouvoir créatif
de l’esprit. Cela est simplement reconnaître, en même temps que la valeur suprasensible éminente de l’autonomie et de
RE T,

l’héautonomie qui les procurent, au moyen de l’harmonie des facultés et des pouvoirs par lesquels l’esprit s’accomplit à
l’intérieur des existences individuelles, le principe de la primauté du suprasensible sur le sensible ainsi que celui de la
D EN

primauté du pratique sur le théorique, lesquels sont les deux piliers de la morale kantienne.
AN M

Car il arrive aussi — ce qui amène à discuter la question de la compatibilité des conceptions du bien — que dans la
hiérarchisationempirique des valeurs, les biens existentiels et culturels peuvent, d’un point de vue objectif, engendrer
E LE

une convoitise supérieure à la poursuite du bien spirituel. Il en résulte alors que le bien des uns se voit subjectivement
préféré à celui des autres, au nom d’une conception qui favorise exclusivement leur existence sur celle d’autrui, et
US SEU

d’une présumée suprématie dont les fondements et la justification prétendent à l’irréfutabilité au plan des consciences
et des esprits qui en épousent les préceptes. Il en résultera paradoxalement que les défenseurs les plus ardents et les plus
convaincus de cette prétention puissent être appelés à devoir sacrifier le bien naturel le plus précieux qui est le leur, à
savoir leur existence même, au nom de la préservation et de l’édification de l’esprit qui anime leur convictionet devant
AL EL

la prépondérance des forces physiques qui leur sont opposées, même en l’absence d’une argumentation suffisamment
étayée, se fondant sur un concept de la justice adéquat et désintéressé.
ON N

La valeur supérieure de l’autonomie sur l’hétéronomie s’exprime et se réalise justement à travers l’incompatibilité
RS ON

des conceptions du bien. Car si une situation hétéronome peut à l’occasion, sous l’effet d’un gouvernement et/ou d’un
leadership éclairés, rencontrer le critère d’une conception maximale de la liberté, en raison du souverain bien qui est la
loi morale 84, émanant de la liberté vertueuse 85, et des efforts irréprochables à en refléter l’influence capitale dans la
P E RS

conduite et dans les réalisations, rien n’assure qu’il en sera ainsi. La moralité opère indéniablement une contribution à
l’édification et à la préservation de l’esprit qui en assure la possibilité, par la contribution que fait le sujet moral à
R PE

l’édification et à la préservation de sa propre spiritualité, comme à la possibilité existentielle pour lui de révéler
l’éminence de ses qualités personnelles à la conscience de ses congénères, au plan individuel comme au plan collectif.
Or, si louable que soit cet apport, personne n’est pour autant assuré de réaliser naturellement et intégralement sa propre
FO E

dimension morale, laquelle repose sur l’autonomie et la spontanéité de la raison, tellement les sollicitations sensibles
AG

qui prédisposent à l’hétéronomie sont pressantes. C’est par conséquent uniquement avec l’autonomie du désir et de la
volonté, qu’une synergie des pouvoirs réflexifs de la personne est susceptible de se réaliser, pleinement et au plus haut
point, dans la quête du bien suprême, dont un sentiment correspondant affirmerait le succès en même temps que
US

l’efficace de l’action en confirmerait la réalisation, selon les trois termes de l’analogie de l’expérience — la
permanence de la substance 86, la relation selon des lois fixes de la succession 87, ou la réciprocité de l’action entre les

84 KPV; AK V, 122.
85 Idem, p. 113.

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LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

substances en état de coexistence simultanée 88. Car la valeur éminente et la pertinence indéniable pour une conjoncture
précise, de l’autonomie qui s’extériorise avec l’action, engage le sujet moral à réaliser le souverain bien, dans la mesure
du possible, en accomplissant l’effort requis afin d’édifier et de préserver l’héautonomie de l’esprit engagé dans

LY —
l’action concrète. C’est une action d’ailleurs qui n’exclut pas, et même qui inclut, l’édification objective de l’esprit
collectif, avec la transformation de la matière qui procède de son activité selon l’art et dont la plus haute expression est

ON CHE
l’édification de l’esprit humain en vertu de la loi morale, alors qu’il spiritualise, habite, anime et dirige sa propre
matière incarnée.

Or l’unité de l’expérience accomplie en ces termes se réalise pleinement — et donc découvre sa perfection — dès

ES ER
lors que la permanence de la substance complète à la fois la suprématie de l’être, en vertu de l’exacerbation complète de
la possibilité que commande l’action concrète, et sa transcendance suprême, laquelle le situe en dehors et au-dessus du
temps, selon le schéma du partout et du toujours. Par conséquent, toute succession devient pour lui l’autonomie entière

OS H
d’une synergie de réflexions qui réalisent adéquatement la subsomption du particulier sous l’universel. Ainsi le sujet

RP EC
moral se trouve-t-il illustré en raison de son originalité légitime, en tant qu’elle se fonde sur une nature dont
l’accomplissement est le gage de son expression. Il en résulte pour la réflexion la constitution en concepts, en principes
et en lois unificateurs de l’expérience que la détermination a préalablement accompli en la transformant, dans la plus

PU E R
pure des simultanéités complémentaires des consciences et des esprits. La valeur même de la perfection morale
ontologique passe pour ceux-ci par l’édification réalisée (quant au temps historique) de la communauté (quant à
l’espace culturel), dont la poursuite de l’entéléchie devient la vocation des personnes, vivant dans la mutualité parfaite

CH S D
et sans réserve au plan de leurs existences accomplies et s’accomplissant sans cesse.

AR FIN
Or, cette conjoncture définit le point idéel d’une rencontre autour d’un centre unitaire, celui de l’entéléchie en
laquelle se résorbent et se réconcilient toutes les oppositions, en raison des contrastes qui, par les nuances apportées,
exacerbe la plénitude de l’être dans la diversité de sa manifestation et des circonstances qui en spécifient la
configuration. C’est une diversité qui repose sur la notion du non-être en tant qu’il constitue, non pas une absence de
SE À

l’être, mais la confirmation de la plénitude ontologique de la communauté de l’être se réalisant éternellement en chacun
de ses membres, perpétuellement en voie d’une réalisation intégrale. À la conscience qui fait l’expérience de cette
RE T,

sublimité en laquelle se résorbent tous les paradoxes de la contradiction, illustrés en vertu de la découverte de
complémentarités auparavant insoupçonnées, pour contribuer néanmoins à l’exacerbation plénière de l’être,
D EN

correspond un sentiment propre à ce sublime accomplissement. Car c’est l’effervescence de l’amour réellement
éprouvé qui l’a rendu possible avec l’adhésion inconditionnelle à la valeur suprême de l’esprit, ancrée dans la
AN M

spontanéité d’une héautonomie pleinement assumée, qui l’a fait radicalement préférer sur la matière, si raffinée fût-elle
devenue pour l’infra-structure existentielle qui le manifeste. Et seul ce sentiment peut être à l’origine du prix réel et
E LE

inestimable susceptible d’être versé à le réaliser, comme étant au coeur de la vertu qui procure le Bonheur suprême
(quant à la substance), inaltérable et éternel (quant à la succession), dans la convivialité harmonieuse implicite (quant à
US SEU

la simultanéité). Or, sans le rapport plénier de la raison et du sentiment, intégrés l’un à l’autre dans la plus parfaite des
complémentarités, en vertu du complexe synesthésique judiciaire qu’engagent les fins spécifiques parcourues et
réalisées; sans leur assortiment complémentaire avec les fins pré-existantes, inscrites quant à leur possibilité à
l’intérieur d’un règne naturel des fins; et sans la confirmation de leur validité et de leur dignité morales pour la
AL EL

conscience agissante, aucune compatibilité ne saurait réunir les possibilités intérieures aux conditions naturelles et les
pouvoirs intimes aux facultés rationnelles, pour les illustrer en vue d’une entéléchie accomplie. Or, cette finalité ultime
a pour condition première la subsomption double et complémentaire du sensible sous le suprasensible et du théorique
ON N

sous le pratique, laquelle condition est nécessaire à la réalisation de la plénitude de l’essence, de la nature et de
RS ON

l’expérience humaines.
P E RS

ANALYTICAL TABLE
Extrinsic and intrinsic purposiveness
R PE

An ultimate question concerns the relationship of purposiveness to the Good, as it relates to Beauty and the other
transcendentals. — Distinction between extrinsic and intrinsic purposiveness. — A quadripartite conception of reality.
— Nature and life as a fundamental distinction. — The ultimate conditions for the possibility of a confluence of life and
nature. — Reason and purposiveness. — Life and purposiveness. — The morality of intent. — Action as the focal point
FO E

of the fullness of reason. — Inert matter and purposiveness. — The work of art and the tool as exemplars of the artefact.
AG

— The aesthetic Idea. — Entelechy as realizing both beauty and goodness. — Ideal beauty and real beauty. — The
dynamic of individual and collective taste — The edification of the mind through the shaping of matter. — The fullness
of subjective being. — Feeling as expressing the ontological complementarity of life and nature. — The social
US

dimension of pleasure. — Pleasure and creativity. — The essence of the poematic activity. — Art as realizing
possibility. — Art and the collective spirit. — Art as realizing spirit while recognizing matter.

86 KRV; AK III, 162; IV, 124.


87 Idem, AK III, 166; IV, 128.
88 Idem; AK III, 180; IV, 141.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 93 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

The subjective heautonomy of supersensible experience


Existence and the three transcendentals. — Their essence. — Heautonomy as a purely subjective autonomy. —
Heautonomy as expressing the supersensible dimension of consciousness. — Heautonomy and life. — Feeling and
phylogeny. — Autonomy as belonging to practical reason. — Autonomy and the synaesthesic judicious complex. —

LY —
Ontogeny and phylogeny. — The Ich as a crucial concept. — Spontaneity and creativity. — Subjective and objective
experience. — Heautonomy as belonging to the judicious dimension of the mind. — Heautonomy as being the
association of reason and feeling. — Presentation and representation. — Heautonomy and intuition. — Comparison of

ON CHE
heautonomy and autonomy. — Heautonomy and casual experience. — Rational casuistics. — The question of
heteronomous consciousness.
The subjective heteronomy of sensible experience

ES ER
The technic of judgement and feeling. — Heteronomy as an experience exclusive of the effectivity of reason. —
The problem of purposeless purposiveness. — «Pure» pleasure. — Experience as a singularity. — «Pure» pleasure as
resulting from the heteronomy of experience — The pleasure complex. — Harmony of the interior faculties of

OS H
knowledge. — Heteronomy of consciousness defined. — Heautonomy and autonomy revisited.

RP EC
The objective autonomy of the supersensible consciousness
From sensate heteronomy to moral autonomy. — Well-being as the basic motive for autonomy. — Autonomy,

PU E R
conation, and culture. — The perpetuation of vitality as realizing phylogeny at the expense of individual ontogenies. —
Purposiveness and the notion of the Good.
The supreme Good

CH S D
Unconditioned reason and the conditioned sensible nature. — Happiness and the Good. — Desert as a principle of
reason. — The supreme Good as a plenary concept. — The plenitude of goodness and the fullness of life. — Life and art
as both expressing the edification of the mind through the shaping of matter. — Fullness of life and social being. — The
AR FIN
principle of society. — The feeling of love as grounding the common nature of humanity. — Supreme good and
supreme love.
Two conceptions of freedom
The purposiveness of freedom. — The minimal conception of freedom: well-being. — Satisfaction and
SE À

achievement. — The preservation of life. — The a priority of feeling as rooted in the principle of life. — The social
dimension of feeling. — Political equilibrium as both ontogenic and phylogenic. — The family as a crucial social
RE T,

element. — The minimal conception of freedom and the phenomenon of inequality. — The principle of justice and
social reality.
D EN

Social excellence
Individual well-being as resting upon a social dimension. — Collaboration and cooperation. — The fulfilment of
AN M

the moral law as providing a rational meaning to autonomy. — The interdepency of individual well-being and
collective life. — Models and the social order. — A critique of the principle of individual well-being as founding the
E LE

social order. — The atomization of society. — Social excellence and the principle of cooperation. — Justice as both
theoretical and practical. — Definition of the organic social order.
US SEU

Love and life


Abnegation and social well-being. — A definition of love. — The conjunction of love and life. — Life as realizing
a trajectory. — A definition of life. — The synaesthesic judicious complex revisited. — The problem of the fullness of
life as an anthropological transposition of the three Kantian questions. — Love and life as crucial mutual complements.
AL EL

Aesthetic of pleasure and logic of perfection


Pleasure and perfection as mutually exclusive. — The judgement of perfection as merely intellectual. — Aesthetic
ON N

pleasure as realizing partial consciousness. — Judgement, level of consciousness, and mystical confusion. —
Perfection and unity. — The tripartite conception of perfection. — Species of perfection and the transcendentals. —
RS ON

The interdependence of the transcendentals. — The Idea of God as a foundational principle for the fullness of being. —
Two acceptations of purposiveness. — Pleasure as relating to either. — The foundational concepts of ontological
perfection. — The substance of experience as fundamental to a nexus aestheticus. — The relativity of perfection. —
P E RS

Perfection as a type for which the exemplar is the realization. — The archetype of perfection.
The analogy of Ideality
R PE

The originality of the archetype of perfection. — The analogy of Ideality as realizing ontological unity. — Reality,
type, and archetype. — The Idea as a practical possibility. — The transcendental Idea and the unrealizable Idea. — The
rational Ideal. — Determinate perfection and indeterminate perfection. — The technical legality of reason and
determinate perfection. — Supreme perfection as an unattainable Ideal for humanity. — The double status of the
FO E

concept of being within actuality. — Two conceptions of a fullness of being. — Determinate perfection as realizing the
AG

fullness of natural being. — Indeterminate perfection as accomplishing the perfection of cultural being.
Objective and subjective purposiveness
US

Purposiveness and teleological judgement. — The problem of teleological judgement with respect to feeling. —
The concept of a purposiveness of nature rests upon the possibility of a perfective agency. — Aesthetic judgement as
distinct from teleological judgement. — Actual perfection and eventual perfection. — Aesthetic judgement as relating
to the movement of feeling. — Aesthetic judgement as proceeding from the inner sense. — The double status of the
phenomenon as both metaphysical and physical. — The origin of pleasure as being external to considerations
appertaining to the inner sense. — Three aspects of design. — Their implication for the concept of perfection. —
Harmony, design, and the inner sense. — Desire as appertaining to all aspects of design. — Feeling as related to the
Good, independently of autonomy.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 94 de 302 ...


LE NOEUD DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

The two poles of freedom


The issue of some form of relationship of feeling to autonomy. — Aesthetic reflection as related to subjective
determinacy. — Heteronomy as dissociating the aesthetic and determinant forms of judgement. — The problem of
feeling and the «exogenesis» of the Good. — The minimal and maximal poles of freedom. — The eminent value of the

LY —
mind. — A hierarchy of goodness. — The superior value of autonomy over heteronomy. — Supreme moral
accomplishment. — The ultimate plenary entelechy. — Love as its fundamental condition. — Love as the essential
feeling within the synaesthesic judicious complex.

ON CHE
*
**

ES ER
OS H
RP EC
PU E R
CH S D
AR FIN
SE À
RE T,
D EN
AN M
E LE
US SEU
AL EL
ON N
RS ON
P E RS
R PE
FO E
AG
US

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 95 de 302 ...


CHAPÎTRE III
L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

LY —
«C’est avec raison qu’on les nomme [les philosophes] pratiques,

ON CHE
puisque, B l’inverse du philosophe proprement dit,
qui transporte la vie dans le concept,
ils transportent le concept dans la vie.»

ES ER
[A. SCHOPENHAUER 1.]

OS H
Finalité et Idéal

RP EC
Quant à sa destination, la fin d‘un objet utilitaire révèle une finalité relative. Non pas à l’essence ou à l’autonomie
propres à l’objet, mais à celles qui résultent de la volonté du sujet en fonction du désir, et donc du bien, que celui-ci

PU E R
espère réaliser par l’entremise de l’objet et conformément à sa nature. Si, selon Kant, la finalité objective peut faire
l’objet d’une connaissance, en raison du concept de perfection exclusif de tout sentiment, la finalité subjective par
ailleurs fera naître un sentiment (de plaisir ou de déplaisir), avec la représentation qui en résulte, même en l’absence du

CH S D
concept abstrait qui porte sur la dimension finale. Ainsi, avec le jugement esthétique de réflexion, le jugement relatif à
une éventuelle perfection serait à toute fin pratique exclue 2. Le contraste entre le jugement logique de réflexion, portant
sur la finalité objective d’un objet, et le jugement esthétique de réflexion, portant sur son éventuelle finalité subjective,
AR FIN
apparaît donc totale 3.

Ainsi, dès lors qu’il s’agit du jugement esthétique de réflexion, il y a un surgissement du sentiment en l’absence de
tout concept, non pas de façon à nier la capacité conceptuelle de la raison cependant, mais préalablement à tout concept,
SE À

de façon à signifier l’assentiment (ou le dissentiment) de la conscience quant à une représentation en général. Par
ailleurs, la représentation de la destination d’un objet qui permet d’anticiper la réalisation d’un bien, émanant d’une
RE T,

conception minimale, maximale ou intermédiaire de la liberté, s’y associera avec le désir. Car si la position théorique du
D EN

désintéressement qui serait à l’origine du jugement esthétique de réflexion met en suspense la suspension du désir, elle
ne saurait pratiquement ni l’exclure, ni l’ignorer. C’est ainsi que le sentiment constitue le lieu pré-intellectuel d’une
confluence de l’actualité et de l’éventualité en raison non seulement de ce qui est, mais aussi de ce qui sera par
AN M

anticipation.
E LE

Par contre, dès qu’il s’agit d’un jugement logique de réflexion, lequel énonce le degré de perfection dans
l’accomplissement d’une fin propre à l’essence de l’objet, réalisée en vertu d’une dynamique naturelle ou d’une
US SEU

autonomie suprasensible propre à celui-ci, indépendamment du désir qui puisse en naître pour un tiers, aucun sentiment
n’est présent dans le choix du concept qui caractérise l’objet en raison de l’Idéal formulé, lequel devient le critère grâce
auquel sa position sur le continuum de sa réalisation finale devient déterminable. Il en résulte que, étant en présence
d’un jugement réfléchissant de type logique, le concept de perfection exclut le sentiment alors que, en ce qui concerne
AL EL

le jugement réfléchissant de type esthétique, le sentiment issu d’une représentation procurera une expérience intime en
l’absence de tout concept. Une telle distinction fait apparaître un schéma conceptuel à l’intérieur duquel figurent en
ON N

parallèle les deux types de jugement réfléchissant. La séparation entre le jugement téléologique et le jugement
esthétique fait alors figure d’une abîme [eine sehr große Kluft] 4. Il est alors légitime de se demander si deux
RS ON

prédispositions distinctes et séparées de l’esprit n’habitent pas une même conscience pour tantôt évacuer le sentiment
avec un jugement objectif, et tantôt écarter le concept avec un jugement subjectif.
P E RS

Pourtant, Kant ne se résout pas à voir en cette opposition une antinomie radicale et il n’exclut pas la possibilité
qu’en réalité, un même objet puisse comporter une finalité objective qui soit en même temps subjective. Avec l’effort
R PE

qui cherchera à réconcilier, pour une même chose, ce qui en révèle l’intrincésité, lorsqu’elle entre en relation
complémentaire avec son extrincésité, on doit s’attendre à une recherche qui réconciliera la philosophie pratique et la
philosophie poématique (lorsque celle-ci porte tantôt sur la nature et tantôt sur l’art) 5. Cet effort réalisera par
FO E
AG

1 Le monde comme volonté et comme représentation. (trad. de l’all. par A. Burdeau). I, 16. PUF. Paris, 2006. p.
131.
US

2 EE, §viii; AK XX, 228-229.


3 Voir en annexe, p. 261, le tableau III.1 intitulé: «Comparaison des caractéristiques principales des jugements
de réflexion, esthétique et logique».
4 Idem; p. 229.
5 Idem.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 97 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

conséquent l’unité de la philosophie, pour autant qu’il est admissible que ni l’une, ni l’autre de ces aspects distincts de la
philosophie ne puissent en définitive s’exercer au détriment de la philosophie théorique, ou même en faisant abstraction
de celle-ci.

LY —
Afin de constituer une théorie unifiée des choses, laquelle seule peut éviter de créer un cloisonnement de l’esprit

ON CHE
[Gemüt], qui tantôt représenterait le concept en l’absence du sentiment ou qui tantôt éprouverait le sentiment au
détriment de tout concept, ou simplement avant que celui-ci ne soit posé, peut-être s’agirait-il de comprendre que
l’exclusion mutuelle du concept et du sentiment se produit, non pas sur le mode de la contrariété mais sur celui de la
complémentarité. Plutôt que voir en la présence de l’une ou de l’autre de ces manifestations du sens interne l’occasion

ES ER
d’une abrogation, il serait judicieux de convenir en leur mise en latence afin de procéder à la caractérisation de
conceptions pures. Car l’exclusion du sentiment au profit de la raison, ou de la raison à l’avantage du sentiment, est
contraire à la nature du jugement en général, pour lequel existe dans l’idéal, la présupposition d’une harmonie de

OS H
l’entendement, avec la présentation objective du concept, et du sentiment, avec son rapport subjectif à la conscience

RP EC
sous l’effet du pouvoir médiateur de l’imagination.

PU E R
Le jugement qui conclurait à la perfection objective d’une chose quant à sa finalité intrinsèque, sans que cette
perfection ne comporte de valeur subjective, quant à une éventuelle finalité extrinsèque pour cette chose, nous semble
aussi improbable qu’un jugement qui, quant à la finalité subjective d’une chose pour le jugement esthétique en général,

CH S D
susciterait exclusivement un sentiment (simple comme dans celui qui annonce la beauté ou la laideur d’une chose ou
complexe comme dans celui qui concerne sa sublimité, laquelle fait successivement alterner le plaisir et le déplaisir) 6.

AR FIN
Il serait judicieux de faire remarquer d’abord que le concept de la perfection objective, implique la notion d’une
plénitude qui comporte une dimension tantôt mathématique, tantôt dynamique, tantôt les deux à la fois. Elle est
l’illustration absolue d’une grandeur et/ou d’un mouvement qui, avec la représentation d’une essence donnée, reconnaît
à la chose une qualité superlative telle qu’aucune amplification éventuelle ne pourrait se surajouter à elle, ni aucun
SE À

terme nouveau se rejoindre par elle. Cette situation procure à l’esprit la reconnaissance d’une perfection effectivement
réalisée, à laquelle s’ajoute la dimension sentimentale du sublime, susceptible d’ébranler les conceptions sceptiques, à
RE T,

l’effet que n’existerait aucune possibilité de réaliser une magnitude ou un pouvoir indépassables. Elle serait en plus apte
D EN

à susciter la découverte d’un pouvoir idéel (esthétique et/ou théorique) insoupçonné à l’intérieur de la conscience
esthético-morale et une capacité à mobiliser le désir d’agir en fonction de celle-ci, et ce faisant révéler la distinction
suprasensible de la raison 7. C’est précisément cette prise de conscience, conditionnée par l’origine sensible de toute
AN M

représentation cependant, y compris de celle qui se trouve en l’imagination mnémonique qui représente l’intuition en
l’absence de la sensation, qui donne naissance au sentiment du respect 8.
E LE

Il y aurait en plus, de façon corollaire, un apport subjectif présent avec la réalisation effective de la perfection,
US SEU

puisque l’entéléchie confirme une aspiration éminemment désirable au plan subjectif qui la réalise, qui y contribue, ou
qui simplement en prend conscience et en témoigne, laquelle trouve son analogue avec la possibilité mathématique et
dynamique inhérente à la substance de l’objet. Car toute perfection comporte une valeur ontologique intrinsèque,
laquelle suppose une entéléchie réalisable qui repose sur l’adéquation de l’Idée (ce qu’elle peut devenir dans
AL EL

l’appréhension de sa possibilité) et du concept objectif (ce que la chose est devenue), en raison du genre subsomptif de
la chose. Quant à la possibilité intégrale du sujet, elle est inhérente à son être vivant, rationnel et personnel, en tant qu’il
ON N

est considéré selon l’aspect générique de l’humanité, tel que chaque être humain est susceptible de la réaliser en sa
propre personne.
RS ON

Il résulte par conséquent que la perfection objective réalisée acquiert la possibilité d’être en même temps une
P E RS

perfection subjectivement désirable, puisqu’elle illustre un genre, et puisse désormais servir de modèle. Ce nouveau
statut ectypique se trouve autorisé en vertu du rapport analogique établi possiblement entre l’être de l’objet qui est
susceptible de réaliser l’entéléchie et la conscience qui le serait d’en avérer la présence. Or celle-ci suscite l’Idée
R PE

subjective de l’entéléchie réalisable, qu’entérine le désir, que réalise la volonté et que concrétise l’exemplaire,
subséquemment à l’excitation de l’action et de l’effort qui les manifestent. Car le prototype qui représente dans la
conscience la possibilité avérée qu’un genre s’exprimât permet d’entrevoir la possibilité que se réalisent
FO E

éventuellement d’autres genres, dès lors qu’existerait la conjoncture adéquate qui en produit l’effet. C’est avec
AG

l’émulation qui résulte de la foi effective en la possibilité que se réalise, avec l’acte qui en témoigne, la culture
éminemment sociale de la création poématique.
US

6 KU, §27; AK V, 258.


7 Idem, p. 259.
8 Idem, p. 257.

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L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

On retrouve ensuite le concept de la perfection ontologique, implicite à celui de la finalité subjective en général, en
ce que l’objet qui éveille le sentiment dans la conscience [Gemüt], en vertu de répondre ou non à la spécification d’une
finalité, exprime la relation entre deux perfections ontologiques possibles, non pas en tant qu’elles réalisent l’ultime

LY —
perfection quant au genre (et encore moins quant à l’universel), mais en tant qu’elles en illustrent la possibilité à
l’intérieur de l’être. Car toute expérience procédant du principe de la finalité subjective pour la réflexion en général

ON CHE
suppose à la fois l’extrincésité finale de l’objet et l’intérêt que cela se fût produit, en même temps que le détachement
requis pour en faire l’appréciation. Quant à la fin objective, elle réside en la capacité pour l’objet de rencontrer le désir
d’un esprit qui lui est hétéronome pour en actualiser une fin éventuelle, qui soit en même temps conforme aux
possibilités de sa nature objective.

ES ER
Un tel intérêt semble à première vue hétéronome, puisqu’il comporte l’apparence d’être entièrement conditionné
par l’objet, mais en réalité il se révèle être doué d’une complexité étonnante. D’une part, il y a la relation de la nature

OS H
vivante et de la raison: si celui-là est susceptible de réaliser une fin extrinsèque au mouvement essentiel de sa propre

RP EC
vitalité, cela s’accomplit au plan rationnel en ralliant dans l’expérience la fin extrinsèque objective possible de la nature
et une fin subjective propre à l’esprit [Gemüt]. Non seulement cette association confirmera-t-elle la finalité propre à
l’usage rationnel bien compris, mais elle conférera en même temps à cet usage une destination vitale [seiner

PU E R
Bestimmung im Leben], en vertu pour l’homme d’être la fin finale ultime de la nature 9, ce qui permet de proposer le
paradoxe d’une subsomption de la raison sous des mobiles irrationnels.

CH S D
D’autre part, il y a l’impératif moral qui dicte la priorité exclusive accordée à l’intérêt pratique sur l’intérêt
pathologique. Ce principe fonde la gouvernance de la volonté, la faculté qui cause les actions accomplies
AR FIN
conformément aux lois implicites à l’Idée de liberté, et assure que la volonté trouve sa direction avec les principes
universels et généralisables de la raison, plutôt qu’elle ne subisse l’effet strictement contingent de l’inclination,
susceptible de l’infléchir et de l’asservir aveuglément 10. Ainsi l’intérêt pratique repose, non pas sur l’action qui est
conditionneé impulsivement (et naturellement), mais sur les motifs qui donneront libre cours à l’action émanant de la
SE À

volonté pure — que conditionnent par devoir les principes de la raison pure —, à l’intérieur de situations concrètes,
dont le déploiement est exigé a priori avec l’usage pratique de la raison 11.
RE T,
D EN

Il y a lieu en effet d’élargir le principe de la finalité subjective de la raison. Celle-ci trouve son complément avec la
finalité extrinsèque des êtres vivants que subsume le principe de la fin finale ultime que l’humanité en chaque être
humain constitue pour la nature, parce que l’homme est le seul être organisé susceptible d’opérer un usage rationnel des
AN M

facultés de son esprit en vue de la construction d’un système de fins 12. De plus, le principe de la finalité de la nature
pour la conscience, le principe de l’unité légale de la nature qui en rend possible la liaison du divers à l’intérieur de la
E LE

conscience, en vue de constituer une expérience subjective cohérente avec la réflexion qu’elle autorise à faire,13 rend
possible la connaissance de l’originalité de l’humanité. Car celle-ci se distingue des autres espèces de la Création,
US SEU

lorsqu’elle leur est comparée, en raison non plus seulement de sa rationalité, mais aussi de sa moralité 14.

Le principe de l’unité légale de la nature énonce qu’il existe une unité systématique de la nature en raison de lois
strictement empiriques, tout-à-fait mystérieuses et pourtant nécessaires à l’activité unificatrice de la raison. Sans cette
AL EL

unité, aucune prétention gonflée de la raison ne suffirait à masquer son impuissance à réaliser la perfection de l’unité
épistémologique qui suppose la vérité, ni celle de l’unité esthétique dans la pratique, que réalisent la poursuite du devoir
ON N
RS ON

9 KRV; AK III, 277.


10 GMS; AK IV, 413n.
P E RS

11 Kant oppose la sensibilité et la raison, en ce que celle-ci se trouve parfois empêchée de faire simplement ce qui
serait issu de sa nature par des conditions qui procéderaient de celle-là, pour faire du devoir une nécessité
R PE

objective qui vienne contrecarrer ces facteurs dirimants [Idem, p. 449]. Or, ce drame intérieur semblerait se
fonder uniquement sur l’aptitude de la raison à se recruter une force suffisante qui lui permette de prévaloir sur
les penchants que lui opposent la sensiblité. Cela semble occulter cependant un autre drame qui met en
FO E

présence la nature et la volonté, un drame qui est illustré avec la troisième Antinomie de la raison pure, laquelle
AG

oppose la causalité physique des lois naturelles et la causalité métaphysique de la liberté [KRV; AK III,
308-309]. Elle trouve sa résolution dans la reconnaissance que l’usage empirique de la raison fait face à une
maxime fondamentale inviolable [nach einer unverletzlichen Grundmaxime], qui veuille que les actions, par
US

lesquelles la volonté s’exprime, dussent se conformer aux lois immuables de la nature au même titre que tous
les phénomènes [Idem; AK III, 519].
12 KU, §82; AK V, 426-427.
13 Idem, Einleitung; AK V, 183-184.
14 Idem, §86; p. 443-444.

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L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

en vertu de l’impératif catégorique, au plan des conduites, et la conception et la production de l’artefact au plan
poématique, avec la présentation sensible et concrète de l’Idée esthétique. Car si impénétrable que fût le secret de cette
unité, c’est néanmoins en raison même de la qualité ineffable de l’essence du pouvoir probatoire, lorsqu’il est engagé à

LY —
l’intérieur de son activité exploratrice, que l’unité est pensable comme étant nécessaire, sans toutefois qu’elle ne
reçoive a priori une consistance ontologique prévisible 15. Il importe par conséquent de penser comme étant a priori le

ON CHE
principe de la finalité subjective de la nature pour la réflexion, lorsque la conscience est engagée dans son action
épistémologique. D’où surgit la conception de la nature comme procédant de façon hétéronome du pouvoir actif et
unifiant d’un entendement autre, en vue uniquement de la possibilité qu’en résulte une activité systématique éventuelle
de la faculté de connaître, engagée dans son rapport épistémologique avec la nature sensible et avec ses lois pour en
constituer l’expérience subjective 16. Par ailleurs, le postulat de l’hétéronomie naturelle, comme illustrant une

ES ER
intentionnalité distincte qui procure au monde sensible une indépendance essentielle en raison de sa propre légalité, est
au fondement de l’harmonie possible, susceptible de caractériser le rapport existant entre le plan suprasensible de la

OS H
raison humaine et la dimension sensible de l’empirie.

RP EC
Aussi doit-on comprendre qu’à la possibilité rationnelle de l’homme correspond une nature qui, prise dans son
ensemble, réalise a priori une finalité intrinsèque, pensable comme étant possible en général, malgré que sa direction

PU E R
précise tienne toujours de l’inconnu — celle de constituer une unité systématique du divers en vue de la connaissance
réelle et de l’action sur elle qui émane des principes et des lois qu’elle réussit à en extraire —. Sans cette finalité, nulle
expérience ne serait possible. Car elle serait alors réfractaire à l’activité unificatrice et productive de la raison, en

CH S D
reconnaissance de ce que la nature constitue une possibilité extrinsèque pour son opération, en raison seulement d’une
finalité subjective et non pas objective. Par ailleurs, si la raison trouve un intérêt à cet ordre de choses, cet intérêt
concerne la réalisation de sa propre possibilité. C’est un intérêt héautonomique par conséquent, puisque sans la finalité
AR FIN
subjective de la nature pour la raison, celle-ci ne saurait réaliser sa destination première qui est celle d’unifier par la
réflexion le divers sous un concept universel (que présente l’imagination à l’entendement), une activité sans laquelle
aucune activité subséquente de la raison ne pourrait résulter. Mais il y a un autre aspect encore à l’héautonomie
SE À
rationnelle: si l’intérêt de la raison est vital quant à la poursuite de son activité essentielle, puisqu’elle réalise la
puissance réceptive et constitutive grâce à laquelle l’unité épistémologique correspondante sera produite, il est aussi
RE T,

crucial à sa destination active — pratique et/ou poématique — qui est celle de subsumer l’effectivité de son pouvoir
sous le principe de la vie, au nom d’un principe de non-contradiction implicite à la substance ontologique dont elle
D EN

émane.
AN M

L’ordre des fins, selon Kant, est en même temps un ordre de la nature: placée devant la confluence de l’objet
empirique, susceptible de recevoir un jugement assertorique avec la connaissance théorique, et de l’objet
E LE

transcendantal, passible de recevoir simplement un jugement hypothétique avec la connaissance pratique, le pouvoir
pratique de la raison se doit d’élargir celui-là, sans pour autant se nier à lui-même ce qui en constitue l’essence propre,
US SEU

en laissant limiter son pouvoir par les déterminations qui procèdent de l’ordre sensible. Ce faisant, la raison amplifie la
possibilité de projeter l’existence humaine au-delà des limites de l’expérience et de la vie, avec d’une part
l’approfondissement et l’extension de l’espace culturel, et d’autre part, avec la formulation des hypothèses qui
proposent d’envisager une vie future dans l’au-delà 17. De plus, la raison ne saurait entretenir et se justifier à elle-même
AL EL

une contradiction aussi flagrante que celle de concevoir, pour les êtres vivants en général, le principe d’une finalité qui
excluerait toute superfluité et qui proposerait plutôt qu’il existe une adéquation entre l’organe, le pouvoir et/ou
l’impulsion, dont l’usage éventuel se produirait en vue d’une destination vitale, tout en proposant du même souffle que
ON N

l’être humain serait redondant et en l’excluant de la finalité propre au reste de la création. Bien au contraire, car l’être
RS ON

humain possèderait le statut d’être le seul être vivant en lequel se découvrirait la fin finale ultime de la nature entière
[den letzten Endzweck] 18.
P E RS

Or, explique Kant, on retrouve une tension, présente au sein de l’intimité de la nature de l’homme, entre les
dispositions, les talents et les tendances qui le poussent à faire usage de ses facultés, en vertu du principe de la finalité
R PE

vitale, et d’autre part la loi morale qui le dispose à sacrifier et à transcender les mobiles utilitaires et les avantages de la
renommée que lui vaut sa conduite, au nom de la simple conscience de la probité du sentiment intérieur [das bloße
Bewußtsein der Rechtschaffenheit der Gesinnung], le tout afin de procéder à l’édification et à la mise en place de l’Idée
FO E

du meilleur monde possible 19. Remarquons d’ailleurs que c’est une Idée qui ne saurait se réaliser sans la faculté
AG
US

15 Idem, Einleitung; loc. cit.


16 Idem, p. 180.
17 KRV; AK III, 276-277.
18 Idem; AK III, 277.
19 Idem.

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L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

pratique de la raison, en association étroite avec le pouvoir du jugement et de l’activité poématique qui est susceptible
d’en résulter.

LY —
Ainsi, la tension dont il s’agit n’oppose pas la finalité naturelle vitale de l’homme et le pouvoir de la moralité, à la
manière d’un dilemme qui requiert la découverte d’une solution unique. Ainsi, l’usage adéquat des possibilités

ON CHE
humaines ne contredit pas une disposition nécessaire et inéluctable à illustrer une conduite déterminée abstraitement en
raison de principes arrêtés. Quant à ces possibilités, elles révèlent l’envergure et la complexité du défi qui se pose à la
raison, puisqu’elles tiennent tantôt de la constitution et de l’opération physiologiques de l’être organisé, tantôt des
pouvoirs efférents relatifs à sa volition consciente et tantôt encore des impulsions qui ressortissent à l’activation des

ES ER
instincts de base et qui sont suscités avant toute réflexion consciente.

OS H
Il s’agirait plutôt d’associer la finalité vitale de l’organisme humain avec tous les pouvoirs qui sont afférents à la
possibilité d’un être suprasensible, susceptible de se laisser conditionner par ses inclinations, mais également capable

RP EC
de les surmonter et de les dépasser. Cela étant, l’être moral laisse recruter sa conscience par les principes qui incombent
à la loi morale de sorte à éprouver une satisfaction intime et profonde de cette adéquation. Car ces principes procèdent

PU E R
du projet de cultiver l’Idée d’un monde qui soit le meilleur possible, auquel le sujet appartiendrait éventuellement, de
préférence à rechercher seulement les avantages susceptibles de résulter d’une conduite utilitaire et/ou socialement
ambitieuse, laquelle n’est pas sans offrir également une contrepartie dans le sentiment.

CH S D
Premier principe moral transcendantal:
AR FIN
la primauté de la raison pratique sur la raison théorique
Deux principes chers à Kant rendent possible la synergie de la nature et de l’esprit: la primauté du pratique sur le
théorique; et la primauté de la raison pure sur la raison sensible.
SE À

La primauté de la raison pratique sur la raison pure stipule simplement que, lorsque les deux aspects de la raison
RE T,

pure, la raison spéculative et la raison pratique, se trouvent réunies en vue de la connaissance qui associe la théorie et
l’action, on doit accorder le primat à la raison pratique, avec la réalisation du pouvoir de la raison, puisqu’une telle
D EN

union, loin d’être contingente et arbitraire, est fondée a priori sur l’essence de la raison elle-même, laquelle en constitue
le gage de la nécessité 20.
AN M

Cela résulte de deux choses, affirme Kant: de l’unité de la raison d’abord, puisqu’une raison divisée produirait une
E LE

raison en conflit avec elle-même, ce qui exclurait toute possibilité d’une action mutuelle et coordonnée entre ses
différents aspects; de la nature pratique de l’intérêt ensuite, qu’il convient à chacune des formes de la raison de
US SEU

revendiquer et qui, en définitive, exclut la prédominance de la raison spéculative sur la raison pratique.

En supposant la possibilité que l’activité des deux aspects de la raison se juxtaposent simplement, cela
n’empêcherait aucunement la présence d’un mouvement antagonique pour caractériser leur interaction. Car alors,
AL EL

même si la raison se réfugiait à l’intérieur de ses frontières théoriques, avec la mise en oeuvre d’une activité rationnelle
qui tiendrait uniquement de l’idéation, pour se garantir des influences distinctes de la raison pratique, la raison
spéculative s’exposerait alors à ce que la raison pratique, en vertu de sa prétention hégémonique, cherche à soumettre le
ON N

domaine purement conceptuel à ses conditions empiriques.


RS ON

Une raison intégrale s’inspire, par son côté pratique, des règles qu’elle se donne à elle-même par son côté
théorique et qui comportent une validité universelle. Ces règles — les maximes — se fondent sur l’impératif
P E RS

catégorique: elles sont susceptibles d’une déduction à partir du concept d’un être raisonnable en général et servent à
diriger la volonté d’une manière autonome, puisqu’elle procède, non pas des affinités avec la réalité empirique, ayant
R PE

leur source dans la sensibilité, mais plutôt de l’intelligence véridique du sujet réfléchissant (et susceptible d’accomplir
une auto-réflexion), qui parvient ainsi à subordonner de manière adéquate le phénomène à la chose en soi 21.
FO E

Dès lors cependant que la raison théorique refuse d’assumer son rôle capital pour la raison pratique, dès que ses
AG

principes universels cessent d’agir sur la volonté et éclairent uniquement l’intelligence sans égard pour un éventuel
effet produit sur le monde sensible, la volonté souffre non seulement de cécité spirituelle, quant aux principes légitimes
qui autrement inspireraient ses actions, mais encore devient-elle susceptible de succomber aux influences exogènes,
US

susceptibles de conditionner de manière hétéronome les dispositions et les inclinations propres du sujet. C’est à
condition seulement qu’elle prévale sur les influences déterminantes en provenance du monde sensible, lesquelles

20 KPV; AK V, 121.
21 GMS; AK IV, 461.

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L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

seraient susceptibles autrement d’infléchir la raison dans un sens qui serait étranger à ses propres principes, que la
raison peut alors prétendre se fonder sur la nature universelle de l’homme, puisque celle-ci trouve son siège dans
l’essence subjective véritable et intégrale du sujet moral. Autrement, le sujet moral sera passible d’illustrer une

LY —
conduite contingente et superficielle, que conditionnent exclusivement et aléatoirement les propriétés phénoménales
du monde sensible: c’est une conduite que caractérise le concept de l’aliénation, à partir autant de la dimension

ON CHE
nouménale et suprasensible de la réalité que des principes moraux universels susceptibles de procéder de la
compréhension adéquate que la conscience en acquiert.

En abdiquant de son intérêt fondamental, qui est celui d’éclairer a priori la conduite en vertu d’un principe

ES ER
universel et nécessaire, l’absence effective de la raison spéculative crée les conditions de l’hétéronomie que confirme
concrètement la raison pratique, lorsqu’elle est tournée exclusivement vers le monde sensible phénoménal. Il en résulte
alors pour l’homme un déni significatif de sa nature essentielle véritable,expressive de la spiritualité suprasensible, et

OS H
de la possibilité réelle qui est la sienne, de la réaliser avec la compréhension nouménale de la réalité et avec la

RP EC
formulation de principes universels susceptibles par conséquent de régir sa conduite. Car c’est en tant qu’elle est
pratique seulement que la raison pure démontre effectivement la réalité de son essence et de son produit, au moyen des
actes qu’elle spécifie et des concepts qui en procèdent 22. Seulement à ce prix parvient-elle à surmonter l’antinomie

PU E R
d’un inconditionné certes pensable, mais ne comportant aucune garantie de trouver une contrepartie véritable dans la
réalité. Ce faisant, elle parviendra à étayer ainsi le concept de la liberté transcendantale 23.

CH S D
Le premier aspect de l’argument, qui énonce le primat du pratique sur le théorique, souligne la nécessité, au nom
de l’autonomie effective, que la raison théorique ne trouve pas refuge à l’intérieur des confins de l’abstraction complète
AR FIN
et intégrale et songe plutôt son action en vue d’une effectivité pratique, conformément au principe de la liberté
transcendantale. La raison pratique oblige ainsi la raison théorique à ne pas abandonner sa relation unifiée et mutuelle
avec elle: ainsi démontre-t-elle l’importance pour la conscience d’illustrer une raison effective et unifiée qui ne se
contente pas seulement de produire ses concepts et ses principes dans l’intellect, mais qui aspire à leur procurer une
SE À

réalité à l’intérieur du monde sensible. La possibilité que triomphe l’autonomie suprasensible sur l’hétéronomie
sensible devient ainsi affirmée. Le primat du pratique sur le théorique assure ainsi la possibilité qu’existe une
RE T,

complémentarité réelle à l’intérieur de la raison, afin d’assurer que l’unité de son pouvoir puisse se réaliser de manière
optimale à tous les plans.
D EN

Une seconde considération vient s’ajouter à la précédente, laquelle entraîne à discuter le deuxième aspect de
AN M

l’argument, à savoir la nature pratique de l’intérêt qui exclut toute primauté du théorique sur le pratique. Si le premier
aspect de l’argument souligne toute l’importance pour la raison théorique de ne pas dissocier son exercice des
E LE

considérations pratiques, et par conséquent limiter son activité uniquement à un plan idéel, il n’exclut pas néanmoins la
possibilité qu’elle se réfugie dans une telle position. Une telle issue aurait pour effet de constituer ipso facto la condition
US SEU

négative de l’installation de l’hétéronomie sensible au détriment de l’autonomie nouménale, laquelle trouve sa source
dans la dimension suprasensible, responsable et morale, de la personne humaine, en l’absence d’une justification
théorique suffisante qui défende le bien-fondé du fait accompli.
AL EL

Voilà donc que, en plus de rendre éminemment souhaitable le rôle pratique de la raison, le deuxième aspect de
l’argument démontre en même temps que, en imputant à la nature de la raison théorique de se réaliser selon ce qui en
ON N

constitue l’intérêt, l’activité de la raison théorique pure actualisera une dimension pratique qui tantôt émane de son
intérêt et tantôt illustre, par son absence, l’impossibilité pour la raison spéculative de manifester pleinement son
RS ON

essence.
P E RS

Il est de l’essence de la raison théorique d’avoir la possibilité de formuler des principes et des concepts, comme il
est dans son intérêt d’actualiser cette possibilité et de donner effectivement lieu à de telles abstractions. L’intérêt
devient ainsi ce qui, en raison de l’autonomie rationnelle et de sa possibilité créatrice, constitue à la fois le motif et la
R PE

raison de la réalisation autonomique du sujet moral, telle qu’elle trouve son origine dans l’intimité de la conscience
qu’elle en prend. S’il advenait par contre que la raison ne découvrît pas en elle-même le mobile de sa propre activité,
elle demeurerait alors une simple possibilité sans l’éventualité d’une réalité effective. L’effectivité de la raison
FO E

constitue en quelque sorte la raison d’être d’une essence qui ainsi parvient à se donner la plénitude qu’une restriction au
AG

plan de la simple virtualité lui refuserait, parce que c’est dans l’intérêt de la raison de s’accomplir intégralement et ainsi
de révéler son efficace au plan pratique de la réalisation.
US

Être, quant à la puissance qui en réalise l’essence, c’est se réaliser selon cette puissance, selon les spécifications du
sens intérieur que conditionne, sans déterminer complètement, l’expérience [Erfahrung] qui fait l’objet de cette

22 KPV; AK V, 003.
23 Idem.

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L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

entéléchie. L’être autonome trouve en lui-même le principe de cette réalisation et celle-ci devient à la fois le révélateur
de sa possibilité, telle qu’elle caractérise son essence, et la confirmation de son surgissement au plan de l’être, lequel
trouve son origine avec un désir autogène et l’activation sans entraves de la volonté qui le concrétise. Or, puisque la vie

LY —
est le pouvoir du sujet moral de soumettre son action aux lois du désir, elle exprime sa capacité de concrétiser son désir,
de façon spontanée et autonome, en déterminant sa volonté adéquatement en ce sens 24. Mais elle suppose en même

ON CHE
temps l’exercice du pouvoir qui est conforme à sa possibilité, sauf à exclure la réalisation libre de la vie, avec l’absence
de l’effectivité qui autrement caractériserait la situation.

L’intérêt de la raison se découvre avec l’obtention de l’effectivité nécessaire à la pleine activation de son essence.

ES ER
Car l’intérêt renvoie à l’héautonomie de la raison qui assure la préservation de la possibilité vitale future en l’illustrant
actuellement, en raison d’un nombre de principes complémentaires qui veulent que ce qui devient est; que le désir, pour
être effectivement valide, doit trouver son actualisation avec les conditions émanant d’une volonté expresse; que le

OS H
désir le plus fondamental, pour tout être doué de vie, c’est de réaliser la plénitude de sa vitalité en conformité avec les

RP EC
conditions immédiates de son appartenance au monde sensible et en harmonie avec elles, pour autant qu’elles l’y
autorise; et que la première fin de la raison, puisqu’en principe elle exprime la vie, c’est de réaliser sa propre essence
rationnelle, d’où son intérêt indéniable à se conformer à cet impératif existentiel. De plus, la conjoncture de l’essence

PU E R
qui se réalise, du désir qui s’harmonise avec l’empirie et de la raison qui exprime pleinement la vitalité illustre un
caractère propre à l’essence vitale qui, à défaut d’être conservée par l’entretien de son activité continuelle, ne saurait
perdurer au-delà d’une existence momentanée et fugitive.

CH S D
C’est ainsi que la primauté de la raison pratique sur la raison théorique constitue, non seulement l’affirmation de la
AR FIN
dimension ontologique de la raison, mais en même temps sa spécification en vertu de l’identité de la liberté et de la vie,
de la vie qui est la liberté et de la liberté qui est la vie, avec l’autonomie et la spontanéité de l’être qui sont la
manifestation de cette unité. Cette spécification révèle la possibilité intime à l’essence même de la raison pure, avec
l’affirmation de l’unité de la raison pour laquelle serait en effet illusoire, la distinction entre la dimension théorique et le
SE À

registre pratique, malgré son utilité discursive au plan logique des distinctions, des analyses et des déductions.
RE T,

Dès lors que le concept de la volonté pure est possible; dès lors que les principes et les lois purement formels, issus
D EN

de la raison pure, comportent la possibilité de fonder et de déterminer la volonté, sans égard pour les conditions
empiriques avec lesquelles elle est dans l’obligation de composer et sur lesquelles elle est appelée à agir 25, la volonté,
qui est en même temps la faculté de désirer au nom de principes, devient effectivement un pouvoir réel des fins 26. De
AN M

fins que non seulement elle entrevoit comme étant possibles, mais dont elle concourt à concrétiser la nature spirituelle
de l’homme à l’intérieur du monde sensible, en vertu du pouvoir d’acculturation qui est le sien. Or, le principe au
E LE

fondement de la volonté que la raison théorique justifie a priori est nul autre que la possibilité effective de la raison pure
de s’illustrer, en tant qu’elle est une faculté législatrice. Cela étant, la volonté est alors pure de tout conditionnement
US SEU

empirique et par conséquent du sentiment qui procède de l’intuition et qui serait susceptible d’infléchir la faculté de
désirer. Se réalisant en vertu d’une règle pratique, elle procure une causalité pure au monde sensible: c’est une causalité
qui émane de l’essence suprasensible de la nature humaine et trouve son fondement a priori avec le principe formel de
l’impératif catégorique.
AL EL

On voit donc par là que la raison pratique réalise alors pleinement la finalité de la raison pure, non pas en tant
ON N

qu’elle serait seulement l’illustration d’un pouvoir transcendantal, apte à exercer une fonction idéelle et principielle,
mais en tant aussi qu’elle réalise, à l’intérieur des situations concrètes et conditionnelles de la nature sensible de la
RS ON

culture et de la nature conjuguées, la possibilité législatrice de la raison pure que subsume la loi morale. Étant une
causalité libre, celle-ci réalise à la fois la possibilité de la nature suprasensible dce l’être rationnel de l’homme, telle que
l’entendement pur la conçoit, et l’effectivité réelle du principe déterminant adopté par la raison réfléchissante comme
P E RS

étant obligatoire 27. D’où il ressort que l’on assiste, non pas à la juxtaposition des plans logique et ontologique, mais
plutôt à leur complémentarité et à leur complétude réciproque, alors que la portée immense et multiple de la raison
R PE

transcendantale devient l’assurance de la plénitude — et donc de la perfection — rationnelle. Or celle-ci ne saurait être
exclusive, bien plus elle est obligatoirement inclusive de la dimension pratique rationnelle, issue du pouvoir législateur
de la raison que déterminent uniquement des principes purs et une causalité libre.
FO E
AG

Du point de vue strictement transcendantal, la perfection de la raison impliquée à réaliser intégralement son
essence est simplement possible; mais en lui adjoignant la dimension pratique, sa perfection devient effectivement
US

24 KPV; AK V, 009n.
25 KPV; AK V, 015.
26 Idem, p. 059.
27 Idem, p. 043, 047.

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L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

réalisable. Il en résulte que l’entéléchie complète de la raison repose sur la dimension ontologique, laquelle devient fin
ultime et l’épreuve définitive de la vitalité rationnelle dont la réalisation complète reflète ainsi la situation de l’être
humain à l’intérieur de la création. Car, pour s’y établir adéquatement, le sujet moral doit effectivement trouver à

LY —
réaliser le monde sensible, conformément à sa nature générique ainsi qu’à son essence spécifique, et ainsi construire et
illustrer sa propre complétude avec cette oeuvre d’acculturation. L’exercice adéquat et approprié de la raison pratique

ON CHE
devient donc la confirmation de l’autonomie et de la spontanéité suprasensibles de la raison théorique, dont la pureté
essentielle est sans cesse éprouvée et exacerbée par les déterminations de la nature sensible. Celles-ci sont alors
susceptibles de comporter une contrepartie affective dans le sens interne et même servir de mobile à l’activation de la
faculté judiciaire, sans toutefois qu’il en résulte pour la raison d’avoir à démériter de son essence nouménale. Bien plus,

ES ER
grâce au lien étroit qui unit la raison théorique et la raison pratique et qui se résout en leur intégration complète, le
registre nouménal ne risque pas de se constituer en facteur de non-être pour la nature composée de l’homme, laquelle
procure à la sublimité de l’esprit, la possibilité d’un enracinement à l’intérieur de la création et d’une interaction,

OS H
finalisée, propice et judicieuse, avec tous les éléments, inertes ou vivants, qui la constituent. C’est un rapport qui,

RP EC
comme nous l’avons vu, s’établit sur le mode de l’intrincésité et de l’extrincésité.

C’est seulement en assumant qu’il existe pour elle la possibilité d’une réalisation effective et en accordant à la

PU E R
dimension pratique rationnelle toute son importance que l’entéléchie de la raison s’accomplit. Sans cet aspect de la
raison théorique, l’essence suprasensible de la raison demeure la substance d’un pouvoir simplement hypothétique. En
s’ancrant dans l’essence intime et nouménale de la raison et en révélant la possibilité que s’accomplisse effectivement

CH S D
l’entéléchie de sa nature incarnée, le principe de la primauté du pratique sur le théorique assure une consistance réelle à
un pouvoir autrement simplement idéel. Bref, en l’absence de ce principe, la raison demeure simplement une Idée
esthétique et subjective. Par contre, en reconnaissant effectivement l’importance de ce principe, elle acquiert alors la
AR FIN
plénitude de son statut poématique et moral et atteint à la plénitude de son essence suprasensible.
SE À
Second principe moral transcendantal:
la primauté de la raison pure sur la raison sensible
RE T,

Le primat du pratique sur le théorique ne diminue en aucune façon la pureté de la raison suprasensible, alors même
D EN

que ses principes demeurent conditionnés par des considérations empiriques. L’avantage dudit principe est d’allouer
pour l’illustration du concept de la causalité à l’intérieur du monde naturel de la création, concept qui procède de son
essence suprasensible pour en illustrer la vie et la liberté. On peut cependant s’interroger sur l’aspect sentimental du
AN M

jugement, sur cette dimension qui permet au jugement de prendre subjectivement conscience, sous le mode affectif du
plaisir et du déplaisir, de l’impact intime que comporte pour elle la mutualité de la subjectivité intellectuelle et de
E LE

l’objectivité du monde, lorsqu’elle entre en rapport avec la subjectivité transcendantale.


US SEU

La compréhension adéquate de cette question requiert de saisir ce qu’est la nature véritable de l’expérience,
lorsqu’elle réalise pleinement en l’homme l’intégration du registre suprasensible de la raison et de la dimension
sensible de la nature, en vue de fins que définit et réalise celle-ci à l’intérieur de l’espace culturel, étant soumise aux
trois conditions historiques de la durée, de la succession et de la simultanéité. Une réponse apportée à cette question
AL EL

n’est pas sans importance, puisqu’en réalité, elle engage le tout de la philosophie de Kant et qu’en elle se résorbent et se
réconcilient en principe les concepts de l’inconditionné et du conditionné, de l’objectif et du subjectif, de la nature et de
ON N

l’esprit, du sensible et du suprasensible, de la conscience et de la raison, de l’histoire et de la culture, de l’individu et de


la société, de l’actualité et de la finalité, lesquels deviennent marqués au sceau de l’unité avec l’accomplissement
RS ON

éventuel du sujet moral en sa propre personne, tel que se réalisant sous tous les aspects de son inépuisable diversité.
P E RS

Selon Kant, l’expérience résulte de la subsomption d’une perception sous une catégorie, laquelle est un concept a
priori pur de l’entendement 28. Elle accomplit cela en conférant au jugement qui en résulte, plus encore que simplement
la conscience subjective de l’état du sens interne dans l’unité du divers de la sensibilité, à savoir la possibilité d’établir
R PE

sa créance sur la validité universelle et nécessaire du jugement, lequel détermine les perceptions, telles qu’elles se
présentent au sens interne, de manière relative et réciproque 29.
FO E

Dès lors que naît une perception, on retrouve présente à l’intérieur de l’esprit une conscience empirique, i.e. une
AG

conscience que détermine immédiatement la sensation 30 et qui renvoie à une réalité objective, occupant la forme
intuitive de l’espace en tant qu’elle est la représentation d’une effectivité 31. Dès lors que la raison émet un jugement
US

28 PKM, §20; AK IV, 300.


29 Idem, p. 301.
30 KRV; AK III, 152.
31 Idem; AK IV, 234.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 104 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

cependant, et constitue par son entremise une expérience subjective, ladite perception est passible de recevoir une
généralisation, en raison de la valeur universelle et nécessaire de la catégorie qui la subsume et qui procure à la
perception l’appartenance à une communauté objective au même titre que toutes les perceptions analogues. Deux

LY —
principes président à ce mouvement: le principe efficient de l’entendement, grâce auquel la subsomption sous le
concept est rendue possible, et le principe de simultanéité qui veuille que, pour une expérience donnée, à laquelle

ON CHE
participe une diversité de substances sous le mode de la contiguïté spatiale existant à un moment identique, il existe la
supposition d’une action mutuelle et réciproque susceptible de se produire entre elles. Cette action est la condition
nécessaire de la possibilité que les choses perçues soient en même temps estimées comme étant des objets de
l’expérience 32. L’expérience sensible se réalise par conséquent, comme étant la simultanéité à la fois d’une totalité de

ES ER
perceptions hétérogènes, opérées par la conscience et situées par elle dans l’espace réel, et de la subsomption judiciaire
autogène que réalise l’entendement à l’intérieur de l’espace imaginaire, de perceptions communes, regroupées sous une
même catégorie 33. Cette subsomption caractérise une essence qui acquiert, grâce à l’action judiciaire de l’esprit, le

OS H
statut transcendantal de l’universalité et de la nécessité. L’expérience subjective se trouve ainsi située dans la

RP EC
conscience à l’intersection de la dimension logique de l’esprit suprasensible et du registre sensible propre à l’empirie:
elle ouvre par conséquent sur l’essence originale de la nature rationnelle de l’homme, susceptible d’intérioriser son
rapport avec la nature et d’agir sur elle au moyen de l’esprit, pour ainsi la transformer et l’acculturer, sans nier pour

PU E R
autant la dimension sensible et naturelle des choses, laquelle inclut, quant à l’homme lui-même, une nature sensible
susceptible d’être objectivée.

CH S D
Toute chose se conçoit selon l’une de deux perspectives: d’une part, selon sa singularité en tant qu’elle appartient à
l’essence de la chose, indépendamment de l’ensemble spatialisé auquel elle appartient, le cas échéant. Cette perspective
est celle de l’intension 34, laquelle se fonde sur une connaissance en profondeur de la chose, en tant qu’elle appartient à
AR FIN
une verticalité conceptuelle qui permet de constituer un espace imaginaire homogène selon les deux modes
mathématiques de la quantité et de la qualité. Ces modes renvoient aux sens externes et et au sens interne
respectivement, selon qu’il s’agit de distinguer les unités ou les degrés. Alors que ceux sont aptes à exister
SE À
individuellement ou à constituer des ensembles homogènes, ceux-là sont susceptibles, de manière positive, de
conditionner l’être ou, négativement, de lui imposer une restriction.
RE T,

D’autre part, l’esprit peut se figurer la chose selon son rapport à l’ensemble, en tant qu’elle appartient à un tout
D EN

hétérogène, indépendamment de la talité des natures particulières. Cette perspective est celle de l’extension 35qui se
fonde sur une connaissance superficielle de la chose, conçue comme appartenant à un horizon conceptuel qui permet de
AN M

reconstituer l’espace historique hétérogène, en vertu des deux modes dynamiques de la relation — selon la durée de la
substance; l’agence selon le principe étiologique et/ou la patience selon une répercussion effective —; et la
E LE

communauté selon la réciprocité simultanée des substances — coexistant sous le mode mutuel de l’action et de la
passion — et de la modalité — selon que les rapports sont simplement possibles, actuels ou nécessaires — 36.
US SEU

Ainsi, d’un point de vue strictement épistémologique, selon que le concept renvoie au particulier de la chose ou à
la totalité de l’ensemble, selon qu’il s’agit d’une homogénéité ou d’une hétérogénéité conceptuelles que procure la
spontanéité de la conscience, l’activité rationnelle qui en procède se prêtera de préférence à la démarche conceptuelle
AL EL

de l’entendement ou à l’activité productive et/ou reproductive de l’imagination. Dans le premier cas, il s’agit
d’enchaînements intellectuels précis sous le mode de l’actualité; dans le second, la raison se fonde sur des anticipations
de l’imagination quant à ses réalisations éventuelles. Celles-ci donneront soit sur une possibilité simplement entrevue,
ON N

conformément à l’essence plastique de la substance, en vertude l’application d’une technique dont la finalité est
RS ON

arbitraire ou aléatoire; soit à sur une nécessité en attente de la réalisation. Celle-ci présuppose alors l’existence d’une loi
a priori de la conscience susceptible d’appréhender le phénomène que subsume la loi de la causalité et de se
l’approprier dans l’expérience en effectuant l’unité de la synthèse du divers 37. Ayant perçu l’actualité de la cause
P E RS

physique ou, avec le principe, la raison métaphysique de l’occurrence physique anticipée, elle statue sur l’inéluctabilité
d’un effet pour des substances qui figurent de manière corrélative, selon respectivement l’agence et la patience, à
R PE

l’intérieur d’un procès final les réunissant, en vertu d’une volonté, réelle ou simplement présumée, exerçant son
FO E

32 Idem; AK III, 181.


AG

33 Idem, §10; AK III, 093.


34 LOG; AK IX, 049.
US

35 Idem; p. 040.
36 Voir en annexe, p. 263, le tableau III.2 intitulé: «Le concept dans son rapport aux conjonctures objectives, en
vertu des pouvoirs de la raison et de leur portée ontologique, et relativement à leur activité épistémologique
respective».
37 KRV; AK III, 125.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 105 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

intention et son effet en ce sens. Ainsi l’épistémologie phénoménologique débouche-t-elle sur la moralité en raison de
la bonté (ou de son absence) que caractérise lato sensu une finalité non pas aléatoire, mais intentionnelle 38.

LY —
Selon que la dimension particulière ou la perspective universelle se découvrent à l’avant-scène de la conscience,
tout ensemble peut être considéré sous trois égards, en manifestant une complexité organisée en plus en plus grande:

ON CHE
sous le mode de l’agrégat 39, lequel reflète l’uniformité conceptuelle des composants plus ou moins hétérogènes d’une
totalité; et sous ceux soit de la coordination, quant à l’agencement complémentaire et mutuel des membres disparates
d’un ensemble, finalisés en vue d’une entéléchie et du mouvement qui la procure; soit de la subordination, quant à
l’inclusion et le maintien de tels membres à l’intérieur d’un ensemble, en raison d’une volonté qui est au service d’une

ES ER
finalité et de sa réalisation. Cette volonté est soit intériorisée, lorsqu’elle procède d’une volonté hétéronome à
l’ensemble et transcende son mouvement, soit assumée, lorsqu’elle est immanente et signifie la subsomption, tantôt
sous une autorité horizontale, en vertu d’une relation idéologique, et tantôt sous une autorité verticale dont l’ascendant

OS H
provient d’un rapport hiérarchique. Et alors, la raison opère son action sur l’ensemble, en recourant à la réflexion

RP EC
heuristique ou à la détermination légale, pour lesquelles le problème de l’autonomie et de l’inconditionné suprasensible
prend tout son sens, selon que le principe et la cause à l’origine de son action sont immanentes aux raisons impliquées
ou hétéronomes à celles-ci 40.

PU E R
Étant immanentes aux raisons particulières et trouvant le principe et la cause de leur initialisation à l’intérieur du

CH S D
sens intime de la raison, la réflexion et la détermination illustrent une spontanéité créative qui se fonde alternativement
mais de manière complémentaire sur les deux pouvoirs de la raison. Sur l’imagination d’abord, lorsqu’elle inspire
l’expression de l’Idée esthétique, ineffable quant au contenu présenté 41, ou qu’elle propose l’Idée transcendantale
AR FIN
universelle (cosmologique, psychologique ou théologique), inénarrable quant aux possibilités qu’elle recèle et sublime
quant à sa représentation 42. Sur l’entendement ensuite, lorsqu’il exprime le concept qui renvoie à une représentation
particulière, dans l’aperception et l’appréhension de l’empirie, en vertu des catégories et des lois qui président à la
réalisation de cette forme de l’expérience.
SE À

Étant la manifestation intérieure de la spontanéité de la connaissance, au moyen du pouvoir de produire soi-même


RE T,

ses représentations, la raison réalise la plénitude de l’autonomie à l’intérieur de l’entendement 43. Étant l’extériorisation
D EN

de la spontanéité pratique, avec le pouvoir de produire la détermination et de faire apparaître une causalité qui, ne
s’inscrivant pas à l’intérieur d’un enchaînement causal, initialise un nouvel enchaînement 44, elle réalise la plénitude de
l’autonomie avec l’activation du désir et de la volonté. Ceux-ci trouvent leur principe avec le sujet nouménal, puisque le
AN M

monde physique de la nature conditionnée et sensible ne saurait produire aucune détermination qui en infléchisse la
direction 45. L’Idée de liberté consiste pour ce sujet dans la formulation de l’hypothèse d’un pouvoir d’absolue
E LE
US SEU

38 La thèse d’une volonté présumée, agissant sur le mécanisme naturel, mais non pas de manière intentionnelle
quant à son déroulement ponctuel, relève de l’idéalisme de la finalité naturelle, alors que celle d’une volonté
réelle, reposant sur la manifestation, immanente et/ou transcendante, d’une intentionnalité agissante sur la
nature, tient du réalisme de la finalité naturelle [KU, §72; AK V, 391-392].
AL EL

39 KANT propose que l’agrégat est le produit de la coordination comme la série est celui de la subordination
[LOG; AK IX, 059]. Ces activité logiques se distinguent comme étant pour l’une l’effet de la juxtaposition des
ON N

caractères ouvrant, dans l’effort de synthèse, sur une plus grande extension; et pour l’autre comme résultant
d’une dépendance des caractères à l’endroit d’un concept inanalysable, ouvrant sur une distinction intensive.
RS ON

Par ailleurs, TIMMERMAN (1998, p. 987) distingue, dans son interprétation des modes kantiens de la relation
à l’intérieur de la Critique de la raison pure, la composition [Zusammensetzung] et la connexion
P E RS

[Verknüpfung], pour situer sous celle-là l’agrégat selon l’extension et la coalition selon l’intension. Or, ce que
KANT nomme la subordination dans la Logique, apparue plus tard que la première Critique, prendrait la forme
d’une coalition dont l’acception semble présenter une affinité plus grande avec la coordination, en ce que
R PE

celle-ci apparaît comme étant plus informelle que la subordination. Par ailleurs, en identifiant la notion
d’agrégat à la coordination, KANT fait peu de place à ces ensembles qui sont constitués d’objets hétéroclites et
épars, sans l’apparence de servir éventuellement une finalité ou de réaliser une entéléchie (v.g. des galets sur
FO E

une plage). Notre classification tente de préserver ces distinctions qui nous semblent importantes, en donnant
AG

un statut particulier à l’agrégat ainsi qu’à la coordination, pour les distinguer de la subordination.
40 Voir en annexe, p. 264, le tableau III.3, intitulé «Les trois aspects de l’ensemble, selon leurs distinctions
US

essentielles quant à la finalité.»


41 KU, §49; AK V, 314.
42 KRV; AK III, 443.
43 Idem, p. 075.
44 Idem, p. 363.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 106 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

spontanéité 46, une possibilité qui, malgré qu’elle ne soit pas encore réalisée, s’avère pourtant nécessaire au plan
suprasensible moral. Cette Idée de la liberté représente par conséquent un Idéal, une fin accessible uniquement et de
façon approximative par l’humanité qui réalise son essence suprasensible conjointement avec sa propre nature sensible

LY —
et à l’intérieur de celle qui appartient au monde empirique. La sensibilité constitue la condition de celle-ci en même
temps qu’elle conditionne éventuellement d’autres substances. L’exemplaire individuel dans la chair devient alors pour

ON CHE
ses congénères, seul ou ex aequo avec d’autres, un modèle qui conservera ce statut tant et aussi longtemps que son
existence représentera le nec plus ultra de l’Idéal de liberté, pour autant que celui-ci soit éminemment réalisable, sans
que son terme ne puisse jamais rejoindre celui que représenterait l’Inconditionné pur, puisqu’il échappe à toute
expérience et donc à toute espèce de connaissance positive 47.

ES ER
Or, comme tout Idéal, l’Idéal de la liberté, qui est celui de l’absolue spontanéité se manifestant avec la plénitude de
l’autonomie, est celui de la raison conçue sous l’aspect unifié d’un esprit législateur se fondant sur des principes a

OS H
priori, universels et nécessaires. Elle s’exerce en vue de fonder, d’une manière cohérente, la subjectivité héautonome

RP EC
de son activité intérieure en même temps que la formation autonome d’une action susceptible d’être constatée
objectivement. L’une et l’autre sont conçues comme ressortissant à une continuité unifiée et indéfectible, pour laquelle
l’évidence véridique de celle-ci est le signe constant de la cohésion et de l’harmonie de l’autre et représente un terme

PU E R
que l’on peut éventuellement dépasser, mais jamais d’une manière qui en épuise les limites. Ce terme est celui d’un état
qui est situé sur un point intermédiaire entre deux infinis, d’un passé dont le souvenir de l’expérience est irrécupérable
dans la mémoire, en raison de son éloignement dans le temps et d’un avenir qui n’est pas encore réalisé, et qui pour cette

CH S D
raison demeurera inconnu jusqu’au moment de sa réalisation, même s’il comporte déjà toutes les possibilités que lui
autorise d’avoir l’actualité sous laquelle il se présente 48. Qu’à cela ne tienne, la raison législatrice est le principe et la
cause pleinement distincts de la possibilité autonome en l’être vivant, agissant sur ell-même comme sur la nature en
AR FIN
vertu de la liberté pleine et entière de l’Inconditionné que représente l’Idée. L’héautonomie se réalise plus
spécifiquement en l’homme, lequel devient alors l’entéléchie accomplie d’un Idéal, celui que commande son essence
suprasensible et inconditionnée. Le terme de cet idéal semble toujours échapper à l’être humain cependant, en raison de
SE À
la dimension empirique de sa nature, malgré sa dimension suprasensible demeure le véhicule de l’archétype de l’Idée
de liberté, tout en étant pleinement intégrée à sa nature sensible. Par ailleurs, la possibilité même de concevoir la réalité
RE T,

en des termes historiques aux confins indéfinis, malgré le flou auquel ils nous condamnent, suggère l’existence d’une
série causale qui défie par ses principes une intelligence historique intégrale de la réalité, qui semble ainsi posséder la
D EN

consistance d’un présent perpétuel.


AN M

Puisque l’Idéal de l’autonomie de l’absolue spontanéité représente une fin qui paraît à jamais inaccessible à l’être
humain, celui-ci doit faire l’expérience de sa moralité en composant avec l’hétéronomie. Car la moralité du sujet
E LE

s’exerce toujours en assujettissant les conditions empiriques de son appartenance naturelle et en subsumant les
conduites par lesquelles les actions et les productions de l’homme lui permettent d’accèder à la maîtrise de la nature, y
US SEU

comprise de la sienne propre. Cette finalité s’opère en vertu des principes nécessaires et universels qui émanent de son
essence suprasensible et qui en dictent à sa moralité, sans toutefois nier ou autrement dénaturer ce qui en serait, en
même temps que celle des autres êtres organisés, une infrastructure qui lui est intimement associée. Ce substrat
constitue à la fois un principe d’existence, de croissance et de possibilité quant à leur vitalité, dont la suprématie
AL EL

s’illustre avec la vie du coeur, puisque celle-ci est la source dans le sentiment, du jugement qui établit quels seraient
l’agencement approprié et la compatibilité implicites des êtres vivants, tels qu’ils sont engagés dans leur rapport avec la
nature et avec les autres êtres organisés. Plus encore, la vitalité du coeur est au fondement de l’esprit, puisqu’il est le
ON N

principe de la définition, de la réalisation, de la transformation et de la détermination du divers de la nature selon des


RS ON

finalités qui, tout en correspondant à l’originalité des essences empiriques concernées, répondront aux désirs et aux
volontés de l’essence morale de l’homme que déterminent la variété effective des conceptions individuelles et
collectives de la vie, telles qu’elles sont connues à différentes époques des cultures et des civilisations distinctes. C’est
P E RS

une essence conditionnée par une nature suprasensible autonome qui en définit spontanément le principe formel a
priori, i.e. l’impératif catégorique, et qui alloue en même temps à la personnalité de l’être humain d’incarner la fin
R PE

finale ultime de la nature. Cela étant, l’essence morale de l’homme cautionne l’existence des êtres vivants en général
qui la prolongent tout en y participant, en vertu de leur nature propre, sous le mode phylogénique de la population et de
l’acculturation et le mode ontogénique de l’individualisation et de la socialisation.
FO E
AG

Or l’hétéronomie subjective est à l’origine de l’expérience esthétique hétérogène, et en particulier de celle de la


sublimité. Elle porte à expérimenter subjectivement ce que les catégories mathématiques et/ou dynamiques comportent
de superlatif, en référant la conscience et en particulier l’imagination à des attributs qui correspondent respectivement
US

45 KPV; AK V, 099.
46 Idem, p. 048.
47 KRV, Vorrede zur zweiten Auflage; AK III, 014.
48 K. JASPERS (1954), p. 329.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 107 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

aux ordres de grandeurs, de magnitude et d’expansion infinies et ultérieurement inconcevables et à la manifestation


ainsi qu’à l’expression de pouvoirs illimités et théoriquement indépassables. Il résulte de cette activité la découverte
subjective d’une capacité morale susceptible de faire naître, avec la prévision des possibilités, des finalités et des

LY —
directions futures, une conduite adéquate qui permette d’en rencontrer les éventualités, inscrites au coeur d’un avenir
qui soit en même temps compatible avec le principe de la vie. C’est un avenir qui ne songe pas immédiatement à la

ON CHE
possibilité d’une transcendance qui transporte la vie jusque dans un au-delà indéfini, selon une conception de l’âme qui
est à la fois immatérielle et immortelle, et dont le mouvement intime et profond en protège, en maintient, en perpétue et
en perfectionne l’actualité, d’une manière qui est adéquate aux conditions présentes à l’intérieur de l’existence qui en
réalise les virtualités.

ES ER
La possibilité vitale s’agence avec les forces existentielles de la nature sensible et avec les énergies intimes aux
êtres organisés, expressives à des degrés divers d’une autonomie fondamentale et de polarités qui se présentent sous

OS H
une variété de modes: celui de la compatibilité ou de l’incompatibilité; celui de la protection, de l’encouragement, de la

RP EC
promotion, de l’amélioration et de la perfection; celui de l’entrave, de la compromission, de la dépréciation, de la
subversion, et de la déchéance; ou encore celui de la valorisation ou de la dévalorisation. La vie se conçoit toujours en
fonction de la liberté cependant, en tant qu’elle est une recherche du bien. Puisque l’hétéronomie ne saurait être la

PU E R
condition a priori du sentiment, lorsqu’il est l’expression subjective de la possibilité vitale qui réalise en même temps
l’exacerbation de la liberté, on doit donc chercher ailleurs ce qui fonde le sentiment, étant à la fois une réalité vitale et
une possibilité en ce sens.

CH S D
Par ailleurs, l’hétéronomie peut recevoir une diversité de visages puisqu’elle est au départ moralement neutre, non
AR FIN
pas quant à l’intelligence et à la volonté que l’on doit supposer en habitent le principe et la cause, mais quant à la nature
de l’effet produit ou recherché, selon une persepctive qui alloue pour l’intentionnalité originelle. D’une part, la cause de
l’hétéronomie est ultimement l’expression d’une autonomie qui trouve son origine à l’intérieur d’un esprit autre que
celui du patient; et d’autre part, l’effet peut être tantôt bénéfique (ou à tout le moins inoffensif) et tantôt maléfique quant
SE À

aux aspirations vitales du sujet. Selon une telle conception, qui n’exclut pas pour autant l’incidence d’une part de
hasard, susceptible de réaliser l’occurrence aléatoire (ou perçue comme telle) d,événements ou de situations à
RE T,

l’intérieur de l’existence de chacun, en raison d’une détermination exogène d’apparence mécaniciste, dont les principes
originels ne sont pas pour le moment adéquatement connus ou expliqués, quelle que soit la désignation employée pour
D EN

en déterminer le principe ou la cause, le sentiment procéderait de l’hétéronomie pour qualifier, par sa nuance et sa
complexité, la qualité de l’effet ressenti selon les trois genres majeurs du plaisir, de l’indifférence et du déplaisir.
AN M

Ceux-ci auront pour caractéristique de varier en intensité et en profondeur, lesquels auraient une magnitude
proportionnelle à la grandeur de la cause (au plan mathématique) et au pouvoir du principe (au plan dynamique) qui
E LE

présideraient à sa mise en oeuvre.


US SEU

Or, dès lors que le sentiment se situe dans l’axe du plaisir (ou tout au moins dans celui de la neutralité affective), à
l’intérieur de limites qui ne constituent pas un rappel trop explicite de la précarité existentielle du patient, une situation
d’hétéronomie ne saurait apparaître à l’esprit comme étant préjudiciable au principe de la vie. Elle peut même
constituer le fondement existentiel de la reconnaissance adéquate de la possibilité et de la réalité vitales, avec
AL EL

l’exploration et le développement du pouvoir d’effectivité que comporte à son insu le sujet, comme en témoignent la
croissance et la maturation des enfants mineurs dont s’occupent les parents (ou encore ceux qui agissent en leur nom in
loco parentis), tels qu’ils sont engagés dans un rôle d’éducation et d’acculturation que cautionne, encourage et même
ON N

sanctionne toute société qui aspire à la perpétuation de sa civilisation.


RS ON

C’est lorsque l’hétéronomie présente (comme dans ces états de minorisation sociologiquement et/ou
psychologiquement commandés) un côté préjudiciable ou qu’elle renvoie pour l’ébranler à la précarité de l’existence
P E RS

subjective qu’elle devient alors problématique. Le principe de la vie s’en trouvant alors soit compromis, soit susceptible
de le devenir, ces situations ne seraient pas sans susciter un sentiment de déplaisir correspondant. La revendication ou la
R PE

culture de l’autonomie apparaissent alors comme étant le meilleur antidote à cette situation, par la possibilité qu’elle
offre au sujet moral de se responsabiliser devant sa conduite et ses actions, avec l’usage de la liberté à des fins
bénéfiques. Celles-ci seront tantôt simplement utilitaires ou esthétiques, susceptibles de s‘agencer avec un point de vue
FO E

hédoniste, comme dans l’action que motive simplement une conception minimale de la liberté; ou elles seront
AG

proprement morales et susceptibles de procurer le bonheur, mais de façon contingente, puisqu’elle s’articule autour
d’une conception intégrale de la liberté qui voit premièrement dans la finalité intrinsèque du bien la fin suprême à
réaliser.
US

La conjoncture qui commande une exposition à des influences hétéronomes, lesquelles dicteront à la volonté
subjective la nature du bien à rechercher — selon l’une ou l’autre des conceptions — , et donc la nature du plaisir auquel
il peut prétendre, se nomme l’aliénation. Et si une telle situation n’est pas a priori nocive (comme lorsqu’elle met en
présence des sujets moraux que séparent en quelque manière un degré de compétence variable ou un niveau de
maturation distinct), elle nie cependant le principe fondamental et radical du pouvoir incombant à un être organisé, et à
plus forte raison du pouvoir organique à son fondement, à savoir le principe de la vie. Étant caractérisée par la

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 108 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

multiplicité de ses formes, telle que l’illustrent les règnes et la variété des espèces biologiques, et par la nécessité de sa
présence pour en animer l’originalité organisée, la vie exige de s’exprimer avec l’activité, que celle-ci prenne l’aspect
d’une passivité et d’une latence lorsqu’elle apporte la croissance, ou qu’elle se révèle effectivement et sous la forme

LY —
pratique de l’action manifeste.

ON CHE
Si toute croissance, trouvant à se réaliser adéquatement, est en général et ultérieurement une source de plaisir, ou à
tout le moins n’est pas une source de déplaisir, puisqu’elle réalise les possibilités implicites du substrat organique de la
vie, tout plaisir n’est pas croissance 49. Si toute activité est également une source possible de plaisir, tout plaisir n’est pas
l’indice d’une autonomie. Le plaisir de l’activité se fonde sur l’usage adéquat de la liberté, en vue d’une fin qui est en

ES ER
même temps un bien (ou quelque chose qui est perçu comme tel), pourvu qu’elle soit réalisée conformément à la fin
proposée, pour conclure sur un achèvement qui présente adéquatement le désir initial et donc le bien que l’on espérait
actualiser avec lui. L’autonomie de l’activité (théorique ou pratique) représente la quête d’un bien, sans nuire au bien

OS H
existentiel fondamental qui est la vie, autant dans son principe que dans sa manifestation adéquate, selon des formes qui

RP EC
en assurent la perpétuation et s’exercent selon des principes rationnels, les seuls qui soient susceptibles de définir des
fins excellentes en même temps que les moyens techniques d’y accéder, ainsi qu’ à inspirer et à diriger la volonté en ce
sens. Or, il ne s’ensuit pas nécessairement que la liberté de l’accomplissement même suprêmement bénéfique suppose

PU E R
une activité dont l’initialisation revient à la raison, en vertu d’une spontanéité qui en définit non seulement la règle
technique, mais encore la désirabilité et l’opportunité de lui donner corps.

CH S D
Pour Kant, le plaisir accompagne toujours la plénitude vitale, à savoir non seulement le pouvoir pour l’homme
d’agir, et de causer par conséquent selon ses représentations 50, mais encore pour lui d’agir selon les lois de la faculté de
désirer 51. Selon une telle conjoncture, le plaisir est le sentiment qui accompagne la promotion de la vie [Beförderung
52 AR FIN
]; son contraire, la douleur est ce qui l’entrave et lui fait obstacle [Hindernis 53]. Considérant que la vie s’ancre soit
dans les représentations de la pensée, soit dans les mobiles de la volonté, on peut conclure que, dans son sens le plus
général, la vie est d’abord et avant tout un pouvoir d’agir: le sentiment est donc un état qui accompagne l’entéléchie
SE À

correspondante, à savoir l’action réalisée et se réalisant. Car, tout en demeurant intimement reliée aux évidences de
l’effectivité, l’action apporte avec elle une modification du sens intérieur, avant même la transformation objective
RE T,

opérée sur la nature que captent les sens externes, .


D EN

Le sentiment, tout comme le jugement qui d’ailleurs en représente la contrepartie dans l’intellect, est l’évidence
subjectivement éprouvée de l’enracinement du sujet moral — rationnel et responsable — dans l’instant présent d’une
AN M

vitalité agissante, qu’elle soit simplement latente ou ouvertement manifeste. Il se situe à ce titre au carrefour du désir et
de la représentation, de la représentation qui suscite le désir et du désir qui transforme l’ensemble des représentations
E LE

préalablement acquises, en leur procurant de nouvelles représentations objectives, en vertu de l’action concrète qui en
procède conformément aux lois de la volonté, et en raison des conduites et des créations issues d’une libre spontanéité
US SEU

suprasensible. Ce carrefour résume à lui seul, dans l’instantanéité du moment, l’intersection des espaces culturels et des
temps historiques; des âges révolus que rendent actuels la mémoire collective et le souvenir à la conscience
imaginative; des événements présents que procurent l’intuition et la représentation consciente, immédiatement dans
l’expérience vécue concrètement ou par le truchement de technologies intermédiaires; et des éventualités que rend
AL EL

problématiquement certaines le jeu de l’intelligence et de l’imagination. Car si l’appréhension adéquate des nécessités
subsistantes dans l’essence des substances est nécessaire à leur durée et à leur perpétuation en raison du principe de
continuité, elle est insuffisante à rencontrer cette fin en l’absence d’une projection originale dans l’imagination
ON N

prospective qui s’étende loin au-delà de la simple possibilité aperçue.


RS ON

Le complexe judiciaire synesthésique porte donc sur le point d’une rencontre tout-à-fait unique et singulière,
puisque les conditions qui en expriment l’originalité ne se reproduiront plus jamais. C’est une rencontre où confluent et
P E RS

s’opposent, sans se contredire nécessairement, l’être, le pouvoir-être, la possibilité d’être, la cessation d’être, le
devoir-être (ce qui sera), le devrait-être (ce qui n’est pas), l’être renouvelé et la nouveauté de l’être, pour y retrouver
R PE

sous le mode de l’invention un principe de continuité et de vitalité à la fois. L’aboutissement est donc à la fois la
continuité de ce qui conserve une valeur relative et la vitalité de ce qui représente la forme la plus élevée de cette valeur,
FO E
AG

49 Cette affirmation, qui établit un lien entre la croissance et le plaisir, n’exclut pas que les moments concrets de la
conscience puissent parfois être pénibles et que c’est en rétrospective seulement que l’on éprouve le plaisir
associé à son entéléchie, en vertu des bienfaits que l’on reconnaît en elle.
US

50 MAR; Einleitung; AK VI, 211.


51 KPV; AK V, 009.
52 (XVIIIième siècle): utilitas; promotio (lat.): utilité, besoin, nécessité; < promovere (lat.): arriver à obtenir,
réussir.
53 (XVIIIième siècle): impedimentum (lat.): empêchement, obstacle, entrave.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 109 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

en étant le principe, la possibilité, la réalité et la réalisation. De plus, elle comporte la possibilité d’assurer cette
conservation, avec une action — une conduite ou une réalisation — portant sur la nature et sur la culture qui s’édifie sur
elle, et résultant de leur transformation, et de l’amplifier en l’augmentant et en l’améliorant, dans le sens du bien et de la

LY —
perfection qui sont pour elle des termes adéquats. Ainsi ces fins apparaissent-elles comme étant, non pas simplement
des concepts idéaux auxquels se comparent les représentations qui proviennent de l’actualité et de la vitalité de la

ON CHE
conscience, mais les principes constitutifs d’une réalité mouvante qui se fonde sur ce qui fut déjà, afin d’établir ce qui
est encore, en vue de ce qui sera éventuellement, bientôt et peut-être toujours (pour ce qui est immatériel et
suprasensible), sans méconnaître pour autant la valeur de ce qui n’est plus et que révèle l’expérience multiforme du
sentiment (la nostalgie ou le soulagement, la désolation ou la révolte).

ES ER
Comme la représentation ouvre sur le désir, en vertu de la possibilité intime à l’objet qui le rend toujours
susceptible de perfectionnement, le désir apporte la perfection avec la réalisation qui en procède. Or, le désir et la

OS H
représentation sont l’expression d’une vitalité, laquelle jauge toute expression du devoir-être à la lumière de sa

RP EC
conservation et de sa promotion. Car tout échec au plan de la conservation de la vie produirait une rupture radicale et
irrémédiable de la continuité de l’être vivant; et toute promotion de la vie représente à la fois la confirmation de la
valeur de ce qui est, la possibilité continue pour cet être de réaliser sa forme suprême, et l’occasion d’une configuration

PU E R
et d’une canalisation de l’énergie vitale, en tant qu’elle incarne la possibilité effective sur les choses en fonction du
bien. Car si bénéfique fût-elle, l’activité singulière est un reflet pâle de la plénitude de la bonté, susceptible de procéder
de l’immensité de la vie, en même temps qu’elle en confirme le mouvement et la finalité, qui sont de constituer le

CH S D
principe et la cause de la Création qui réalise et qui se réalise en réalisant, sans pour autant se nier, ni se dévaloriser, cela
étant. Autrement, on trouverait à illustrer l’absurdité d’un mouvement dont la finalité résiderait dans la contradiction
concrète de son essence, considérée comme comportant néanmoins une valeur intrinsèque, ultime et nécessaire, pour
AR FIN
tout principe existentiel effectivement réalisé.

Ainsi, l’acte de l’esprit qui consiste à se représenter ce qui est désirable, autant dans ce qui est que dans ce qui se
SE À

pourrait et ce qui se devrait être, fait valoir le sentiment comme étant une réflexion fondamentale, sensible et
pré-conceptuelle de la vie sur elle-même, une réflexion intime à la finalité vitale qui est d’assurer qu’en se préservant, la
RE T,

vie continuera d’assurer la possibilité effective d’un suprasensible agissant, lorsqu’il entre en relation avec ce qui est
réalisé, avec ce qui se réalise, avec ce qui pourrait se réaliser et avec ce qui devrait se réaliser. Une telle activité
D EN

paraîtrait insensée, pour ne pas dire absurde, si elle ne se produisait pas en confirmant de la bonté de la vie, ainsi que
celle de la désirabilité de sa préservation, de sa promotion et de sa perpétuation, quelles que soient les modalités sous
AN M

lesquelles elle se présente, pour autant qu’elle tende à affirmer son entéléchie profonde, tel que l’exprime le mouvement
par lequel chacun est susceptible de l’actualiser avec sa propre vitalité. Autrement, elle se contredirait elle-même en
E LE

faisant la négation intégrale de son principe essentiel. Le plaisir, comme le déplaisir, sous toutes les formes et les
nuances qui ressortissent à leur essence, représentent donc l’expression du sentiment, puisqu’ils témoignent
US SEU

respectivement d’un accord ou d’un désaccord avec les modalités que choisissent le sujet afin de réaliser et d’exprimer
la vie — même en ce qui concerne le passé de ce qui est déjà réalisé et exprimé —. Car cet accord, qui au plan
intellectuel prend la forme de l’assentiment, représente en réalité l’accord de la vie avec elle-même, avec le
dédoublement qui voit sa propre activité être représentée et ressentie et son sentiment se transformer en activité, en
AL EL

associant la forme de la représentation et l’énergie d’un désir, en réponse à l’attrait irrésistible d’une perfection
réalisable et réalisée.
ON N

Or, chez Kant, on retrouve deux expressions vitales formelles du sentiment 54: le premier est celui qui existe par soi
RS ON

et pour soi, comme dans le jugement esthétique des sens, lequel situe dans le sentiment éprouvé — autant par sa nature
et que par sa qualité — l’unique critère de sa valeur. Le second est celui qui accompagne le jugement avec l’harmonie
résultant du jeu de l’entendement et de l’imagination, en vertu d’un complexe synesthésique qui définit le jugement
P E RS

esthétique de réflexion, lequel renvoie à la dimension suprasensible de l’être humain et à la liberté de son héautonomie,
laquelle réconcilie la nécessité de l’autonomie du sujet moral et l’inconditionné de sa spontanéité unifie l’hétéronomie
R PE

et l’autonomie, en exprimant l’acte de déterminer sans être lui-même déterminé, puisqu’il est l’objet de sa propre
détermination, conformément aux principes de la raison et de la vie.
FO E

Le premier type de sentiment n’accompagne aucune représentation. Il est par conséquent tout-à-fait étranger à la
AG

raison en tant que celle-ci est la faculté objective de la connaissance. Tout au plus peut-on voir, avec le sentiment du
jugement esthétique des sens, l’occasion d’une connaissance subjective, au moyen d’une réflexion procédant de la
conscience qui en résulte pour le sens interne et qui situe cette forme sensible du sentiment au plan uniquement de la
US

sensation, avec ses genres, son intensité et ses nuances. C’est une sensation par contre qui, pour s’éprouver, se recrute
les énergies et les forces vitales les plus intimes à l’être organisé, sans pour autant témoigner d’une finalité que se révèle
explicitement la raison à elle-même, avec le rapport qu’elle entretient avec la nature sensible et avec la tentative
d’imprimer ses principes et ses volontés sur elle.

54 EE, §viii; AK XX, 223-224; KU, Einleitung; AK V, 189-190.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 110 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

Ce type de sentiment est dit être pathologique [pathologisch ] par Kant, terme qui serait du cru propre de cet auteur
55
, ce qui nous permet de voir en lui la juxtaposition synthétique de concepts distincts, en se fondant sur une étymologie
simple, qui n’a pas encore subi les avatars des glissements sémantiques et des interprétations novatrices, consécutives à

LY —
un emploi spécialisé ou particulier. C’est une hypothèse que rend éminemment probable le caractère agglutinant et
synthétique de la langue allemande, lequel permet l’invention ponctuelle de concepts tuiles pour lesquels aucun

ON CHE
équivalent antérieur n’existe.

Quant au concept de logoV, il rend le sens soit de parole, discours; soit celui de raison: dans le présent sens, c’est
la deuxième notion qui s’impose, avec l’acception de ce qui serait le motif, la cause de quelque chose 56. Quant au

ES ER
concept paqoV, s’il renvoie au sens attendu de sentiment, passion, il réfère aussi à un concept qui chez Kant comporte
une valeur importante pour sa philosophie, celui d’événement, de phénomène 57. Lorsque l’on met en rapport la

OS H
prédominance déterminante que peut prendre le phénomène auquel s’associe un sentiment avec l’affection du sens
interne de la conscience et la modification qualitative qui l’accompagne, il nous semblerait tout-à-fait logique de

RP EC
formuler comme hypothèse que, dès la naissance du terme, le pathologique kantien renvoie en quelque sorte à
l’hétéronomie morale, en tant qu’elle procède d’un complexe qui associe le phénomène et le sentiment dans le sens

PU E R
interne et érige la modification du sens interne, propre au sentiment, en cause de l’activité du sujet phénoménal.

Cette interprétation s’avère d’ailleurs en tous points conforme au sens que donne Kant au terme «pathologique» en

CH S D
différents endroits de son oeuvre. L’affection pathologique, affirme-t-il, repose pour l’essentiel sur un arbitre que
conditionnent les impulsions de la sensibilité [durch Bewegursachen der Sinnlichkeit] et en ce sens, elle s’oppose à la
liberté pratique qui se définit comme étant l’indépendance de la volonté à l’égard des contraintes opérées par les
AR FIN
déterminations sensibles [die Unabhängigkeit der Willkür von der Nötigung durch Antriebe der Sinnlichkeit] 58.

Ce qui rend le sentiment pathologique au plan moral, i.e. au plan de la spontanéité suprasensible qui se fonde sur
les principes de la raison et constitue le principe déterminant de la conduite et des actions, ce n’est pas le sentiment
SE À

lui-même, mais le sentiment dépourvu de sa composante rationnelle, ou à tout le moins le sentiment, dont le
RE T,

mouvement prévaut sur celui de la raison. Ainsi, l’amour qui est en même temps une inclination, résidant dans les
dispositions sensibles et dans les affinités éphémères [schmelzender Teilnehmung] est réfractaire à toute détermination
D EN

rationnelle. Aux yeux de Kant, l’amour qui naît à l’intérieur de la disposition serait pathologique alors que l’amour du
bien, qui porte sur un objet extérieur à lui-même, serait le seul qui est véritablement libre 59. Car l’amour pratique
s’accomplit par devoir, malgré que des influences contraires souvent puissantes s’opposent à son expression, et il se
AN M

fonde sur la volonté qui lui sert de principe à l’action, pour ainsi la rendre amène à une détermination rationnelle.
E LE

L’amour pathologique est donc celui qui pour l’essentiel se fonde sur la sensibilité, à l’exclusion des
considérations rationnelles: ne s’inspirant d’aucune fin objective bonne ni ne motivant aucun sens du devoir, il serait
US SEU

donc par essence indifférent à la moralité réelle, qui trouve sa source à l’intérieur de l’autonomie rationnelle de la
conscience. Il recherche simplement l’expérience subjective de la sensation, procurée avant tout effet objectif dans la
détermination sensible. En bout de ligne, l’amour pathologique révélerait une hétéronomie morale plutôt qu’une
véritable autonomie de la spontanéité suprasensible déterminante, puisque ce sont les sens qui lui dictent son
AL EL

mouvement et non des motifs a priori de la raison. Or, selon Kant, seule la raison pratique constitue, en raison de sa
fonction législatrice, le moyen d’une telle autonomie qu’en vertu de sa nature suprasensible, elle a tout intérêt à
ON N

promouvoir.
RS ON

On assiste ainsi chez Kant à une polarisation nette au plan moral entre d’une part, le sentiment sensible, le plaisir
ou le déplaisir, dont l’effet précède tout principe rationnel et par conséquent tout ordonnancement en vertu d’une loi; et
P E RS

d’autre part, le sentiment moral, dont l’expérience ressentie d’un plaisir ou d’un déplaisir est consécutive à la loi
R PE

55 Ce terme [pathologisch < paqoV + logoV] ne semble pas exister dans le dictionnaire de la langue allemande, le
Grimms Deutsches Wörterbuch (2004) qui est paru initialement en 1837, quelque trente années après la mort de
FO E

Kant.
AG

56 LogoV, o (gr.): corresponds either to 1. vox, oratio (lat.), «that which is said, spoken», esp. «speech, discourse»;
or to 2. ratio (lat.), «the power of the mind, manifested in speech», esp. «reason, ground, plea» [Liddell and
Scott. op. cit. p. 901].
US

57 PaqoV, eoV, to (gr.): coresponds, among many other alternatives, either to 1. «anything that befalls one, an
incident, accident, chance»; 2. «any passive emotion or affection»; 3. «any passive state, a condition, state»
[Idem, p. 1106].
58 KRV; AK III, 363.
59 GMS; AK IV, 399.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 111 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

morale. D’une part, on assiste à une conduite que gouvernent des principes simplement empiriques, suite à une
détermination de l’arbitre que conditionnent les sens à l’intérieur de l’intuition et la teneur du sentiment qui s’y
rattache; de l’autre, on est le témoin d’une action que statue un principe pur a priori (l’impératif catégorique moral),

LY —
lequel est formateur de la volonté déterminante 60, grâce à laquelle la priorité du registre suprasensible sur la dimension
sensible est assurée, de manière à contribuer optimalement à la réalisation culturelle et historique de l’humanité

ON CHE
naturelle.

Or, la fin visée par Kant nous apparaît ainsi clairement: en assurant l’équilibre entre le registre suprasensible et la
dimension sensible à l’intérieur des réalisations humaines, il inscrit son être à l’intérieur de l’espace culturel de manière

ES ER
permanente et irréversible et garantit ainsi la pérennité phylogénique de l’espèce, là où la précarité ontogénique des
individus, soumis simplement à ses mobiles instinctuels, pourrait les priver d’une telle destinée. Seule la conduite
morale, celle qui s’inspire de la raison législatrice, serait apte à procurer le succès de ce dessein, qui correspond à la

OS H
destinée de l’humanité de constituer la fin finales ultime de la Création. Car seule la priorité de la raison permet de

RP EC
transcender les particularités singulières, en raison de la nécessité universelle de l’impératif catégorique à laquelle elle
se réfère, afin de transporter l’espèce au-delà des confins de l’individualité éphémère qui ne révèle aucune oeuvre à
l’histoire, étant soumis aux aléas de la nature, et de l’insérer à l’intérieur d’une succession de générations susceptibles

PU E R
de témoigner de la mission civilisatrice de l’homme, laquelle seule a la possibilité de culminer au plan phylogénique.
Par contre le sentiment laissé à lui-même ne saurait permettre d’accéder à l’élévation d’une phylogénèse aussi durable,
quant à son parcours historique, qu’elle est riche en réalisations culturelles, puisqu’il repose sur des principes

CH S D
simplement empiriques, hypothétiques et contingents, plutôt que sur des principes rationnels, universels et nécessaires.
Malgré qu’il soit susceptible d’assurer les deux dimensions, ontogénique et phylogénique, de l’existence humaine,
voire d’une manière purement aléatoire, en vertu de l’originalité radicale des conjonctures existentielles, il ne saurait
AR FIN
prétendre lui apporter la sublimité de la destinés ou des réalisations qui lui conviennent, lesquelles assurent à l’homme
qu’il est, de toutes les espèces, celle qui les le point central et culminant du monde existant.
SE À

Kant formule déjà, à l’intérieur de sa KPV, le principe qui énonce la priorité de la raison pratique sur la raison
empirique et partant, de la raison sur le sentiment: il y fait voir clairement que la volonté libre n’est pas une volonté sans
RE T,

détermination aucune, mais une volonté dont l’unique détermination est la loi morale. Or, celle-ci exclut radicalement à
la fois l’ensemble des influences en provenance des sens et toutes les dispositions, intimes à la réalité subjective
D EN

non-thétique de l’être humain 61, dès lors que l’une et l’autre s’opposent en contradiction de cette loi 62. Malgré que, tel
qu’il est énoncé ici, le principe prend une forme inflexible, il est nécessaire d’y apporter un bémol afin de sauvegarder
AN M

l’essentiel de la pensée kantienne, tout en opérant la réconciliation nécessaire du sentiment empirique et du sentiment
moral, puisque sans empirie, aucune moralité n’est possible et sans moralité, aucune transformation durable et
E LE

excellente de l’empirie n’est praticable.


US SEU

Mais auparavant, il s’agit de comprendre que, derrière cette exclusivité de la raison morale, il s’opère une
transmutation logique au plan moral, à l’avantage des principes rationnels et au détriment des principes empiriques, par
laquelle la dimension morale qui prive le sentiment d’un statut légitime, renverrait elle-même au sentiment, auquel
Kant accorderait alors un statut transcendantal. Les principes empiriques incluent les inclinations individuelles,
AL EL

susceptibles d’exercer une influence sur la dimension morale, lesquelles précèdent l’expérience sans être purement a
priori et, pour cette raison, elles trouvent leur origine à l’intérieur de l’imagination et en particulier de la représentation
intériorisée par le souvenir. En niant jusqu’aux inclinations individuelles (qui se résolvent dans l’égoïsme,
ON N
RS ON

60 EVT; AK VIII, 395n.


P E RS

61 Que la subjectivité pré-conceptuelle est inexprimée, voilà ce qui est certain; qu’elle soit exprimable, voilà ce
qui par ailleurs pose problème. Car on ne doit pas oublier que l’âge de l’enfance [< infans (lat.): «qui ne peut pas
parler, muet»] se définit étymologiquement comme étant le stade qui précède la parole. Or, si le souvenir de ce
R PE

moment, qui est intimement inscrit à même la fibre biologique et physiologique de la personne, devient parfois
accessible à la mémoire et à la parole qui en assure la communication, il est le plus souvent relégué au plan de
l’expérience vécue qui est perpétuellement vouée à demeurer tacite, en raison de la nature même de l’humanité
FO E

du sujet. Celle-ci fait précéder le développement de la conscience requise afin de mettre en marche la technique
AG

de la communication avec une période d’inconscience qui remonte jusqu’aux origines de la vie et au moment
de la conception, laquelle continue néanmoins à conditionner le sujet moral en vertu de l’impression formelle
que laisse l’expérience éprouvée sur la substance de son être. Ainsi doit-on allouer pour une période de
US

l’ontogénie humaine qui aura une durée, variable selon les consciences humaines particulières, et qui
demeurera inexprimable en raison de l’inaccessibilité au souvenir. Aussi peut-on trouver à celle-ci une
contrepartie phylogénique avec la notion des origines primitives de l’humanité qui précèdent ses débuts
historiques [JASPERS (1954), p. 329] et qui, pour cette raison, demeurent inaccessibles à la mémoire
collective des hommes, telle qu’elle habite l’expérience [Erlebnis] du sens commun.
62 KPV; AK V, 072.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 112 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

l’amour-propre et la présomption), la dimension morale devient la cause d’un sentiment qui est douloureux, en ce qu’il
nie en même temps des tendances enracinées dans les existences particulières, lorsqu’elles s’opposent à la loi morale. Il
s’agit ainsi, non pas d’extirper l’amour de soi, mais de le transformer en amour de soi raisonnable, qui conserve la

LY —
bienveillance envers soi-même — l’aspect d’une conservation ontologique qui caractérise une héautonomie morale
saine, se fondant sur l’intérêt vital —, tout en enrayant la présomption qui ferait passer les intérêts empiriques avant la
loi morale, laquelle reçoit alors une primauté intimement associée à la valeur de la personne 63.

ON CHE
En contrepartie d’une estime de soi indépendante de la loi morale, il existe la liberté. Celle-ci incline la fin en
même temps que la forme de la causalité intellectuelle et elle évoque un sentiment d’un autre ordre en raison de sa

ES ER
positivité. Ce sentiment est le désir, qui naît en vertu de l’intérêt de la raison et du respect éprouvé pour le principe
rationnel qui en fonde la rencontre des fins, à savoir la loi morale qui encadre de façon adéquate la causalité de la
volonté et en fait reposer l’efficace sur des motifs intellectuels et non sur des mobiles naturels et sensibles 64. Par

OS H
ailleurs, la priorité de la loi morale est rendue nécessaire par le concept transcendantal et phylogénique de l’homme et

RP EC
vient épurer l’estime de soi: en la châtiant, ce principe la réconcilie avec les plus hautes destinées de l’être humain. Si la
loi morale devient la raison de l’humiliation de l’amour-propre qui se fonde sur la présomption présomptueuse de la
conscience à pouvoir s’exhausser au dépens de la loi morale, elle devient aussi l’occasion d’une estime de soi, d’un

PU E R
amour-propre qui se fonde sur une valeur personnelle véritable. Elle résulte alors en la capacité de reconnaître la valeur
implicite de la liberté, en tant qu’elle est à la fois un principe et un Idéal, et d’éprouver le respect pour la loi morale,
grâce à laquelle la causalité intellectuelle qui réalise l’essence de l’autonomie, reçoit une possibilité et une finalité

CH S D
effectives. Car en définitive, c’est la plénitude de la liberté qui est l’unique critère de la valeur réelle de l’existence de
l’humanité, lorsqu’elle accomplit son effectivité pratique sans égard pour les avantages de la jouissance ou de l’inaction
65
. Quant à chacun, c’est en vertu de s’accorder avec la moralité, i.e. de réaliser la bonté de l’intention avec la volonté
66
.
AR FIN
sainte qui réalise un accord complet avec les lois de l’autonomie, que tout homme parvient à illustrer sa valeur absolue
SE À

PHYLOGÉNIE ET ONTOGÉNIE
RE T,

En somme, le problème kantien, c’est d’assurer une congruité entre la dimension morale et le plan biologique et
D EN

pour cela, il doit garantir l’intégralité phylogénique dans la plus entière des intégrités ontogéniques. La solution qu’il y
apporte, c’est de soumettre l’ontogénie à la phylogénie, l’individualité à la collectivité, la vitalité individuelle à la vie de
l’ensemble et, pour faire prévaloir cette option, d’accorder un ascendant complet de la moralité sur la sensibilité et par
AN M

conséquent, de la raison pratique et prospective sur le sentiment réactif et actuel. Car si l’ontogénie trouve les
exemplaires sensibles qui en illustrent le concept, en totalité ou en partie à l’intérieur de la réalité historique et
E LE

culturelle, la phylogénie quant à elle repose sur la valeur hypothétique de l’Idée pour se réaliser effectivement, avec la
phénoménalité naturelle qu’il ne lui incombe pas présentement à recevoir, mais que le mouvement civilisateur
US SEU

fondateur de celle-là promet d’illustrer à l’avenir, voire de manière encore imprécise et générale.

Or, la réalité veut que le seul matériau dont dispose l’homme, afin de rencontrer cette finalité phylogénique, repose
sur la dimension ontogénique, telle qu’elle se réalise selon la vitalité inscrite dans l’actualité contemporaine. Le
AL EL

fondement et le procès de la phylogénèse requièrent une ontogénèse pour lui procurer la matière d’une direction, d’une
consistance et d’une permanence, avec les réalisations issues de son mouvement général. Par ailleurs, ce mouvement
ON N

n’est pas la somme des mouvements particuliers des individualités et des ensembles sociologiques qui y participent,
mais il prend plutôt, en réalisant la phylogénie, l’aspect d’un magma informe dont la plasticité lui permet d’adopter telle
RS ON

ou telle conformation, selon l’influence prépondérante des desseins et des mobiles de tel ensemble et selon la durée de
son ascendant. Mais paradoxalement, en se situant à l’échelle d’une pérennité indéterminée, le procès phylogénique
frappe plutôt par une continuité aux contours flous et incertains, dont l’éventualité s’avère toujours problématique,
P E RS

lorsque l’on souhaiterait en faire l’anticipation. C’est que, tout en s’inspirant du fait accompli et de la réalisation qui
acquiert un statut historique et culturel, afin d’assurer une assise à ses accomplissements futurs, l’ontogénèse doit
R PE

allouer pour une spontanéité et pour une créativité qui, en vertu de leur caractère essentiel, se manifesteront dans tout
accomplissement original. Un tel surpassement procède de la vitalité pure de l’esprit, d’une vitalité qui, pour
s’exprimer, est par nature dénuée de considérations empiriques, tout en faisant sentir l’effet de son action sur la
FO E

dimension naturelle, à partir d’une nécessité découlant d’un principe qui est à la fois rationnel et moral. En somme, c’est
AG

la vitalité requise pour réaliser le meilleur monde possible, dont le sujet moral souhaiterait éventuellement devenir le
US

63 Idem, p. 075.
64 Idem.
65 KU, §04; AK V, 208-209.
66 GMS; AK IV, 439.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 113 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

citoyen, sans assurance que le terme de son existence n’expirera pas avant qu’il n’ait pu récolter les bénéfices de son
action, inspirée par la plénitude de la moralité.

LY —
De plus, la phylogénèse s’inscrit à même l’essence de l’ontogénèse, en raison pour celle-là de réaliser, à travers les
individualités morales, un genre dont la durée est le fondement de la pérennité et de la permanence collectives, même si

ON CHE
elle offre nullement l’assurance que celles-ci procéderont de la réalisation de sa forme suprême. C’est en raison du
rapport éventuel entre la fin que vise la phylogénèse superlative et celle de l’ontogénèse qui est profondément vouée à
la conservation des personnes, que l’excellence pratique et poématique parvient à transcender les conditions matérielles
et actuelles de l’existence historique et, avec la qualité de l’espace culturel ainsi développé, à se maintenir, à s’ancrer, à

ES ER
se propulser et à se propager à l’intérieur d’un avenir au terme indéfini. C’est un futur que subsume cependant la
phylogénèse à tous les plans et sous toutes les formes, en raison pour elle d’avoir dépassé et surmonté, au moyen d’une
raison pleinement réalisée, les contingences de la nature sensible, en révélant des potentialités et des énergies physiques

OS H
parfois inouïes, autant par leur manifestation que par la force et l’étendue de leur puissance.

RP EC
Ainsi l’être humain se trouve-t-il situé entre les deux extrêmes ontologiques d’une même ontogénèse, dont les

PU E R
termes recoupent l’espace défini par les extrêmes de la liberté, pour réaliser le plus ou le moindre de la phylogénèse, qui
peut être aussi momentanée que l’histoire culturelle vécue jusqu’à présent ou aussi pérenne que l’autorisent à avoir la
conscience des horizons toujours repoussés d’une imagination prolifique. Quant à la deuxième possibilité, elle requiert

CH S D
que se fasse, avec les finalités visées et poursuivies, l’investissement intégral d’une raison pleinement réalisée, laquelle
inclut la part de raison qui réside dans les profondeurs inexplorées et parfois inentamées de la puissance morale du sujet
agissant, laquelle, rappelons-le, repose sur les virtualités agissantes de la vie. La moralité illustre une raison qui, malgré
AR FIN
les conditions naturelles qui influent sur les possibilités de son exercice en le contextualisant et en contribuant la
matière de son effectivité, découvrira au sein de son essence suprasensible, autonome et spontanée, les règles par
lesquelles la créativité transcendantale imposera sa loi à la nature .
SE À

La réalisation de cette fin a pour terme la transformation en réalisations salutaires et édifiantes, de la matière brute
d’une ontogénèse qui est autrement empêtrée dans les conditions sensibles prépondérantes de la nature environnante et
RE T,

qui, pour toute gratification ou pour toute accréditation de la vitalité présente, laisse à espérer l’expérience du plaisir
D EN

et/ou du déplaisir dont elle est la cause à l’intérieur du cycle réactif sans fin de la conscience. Car telle est la forme
élémentaire et primitive que prend l’intelligence de l’esprit, lorsqu’il est perpétuellement à la merci d’une fluctuation
des forces et des énergies physiques, y comprises de celles qui procèdent des autres natures vivantes, et même de celles
AN M

qui, à l’intérieur du sujet moral, témoignent de l’inaccomplissement ou peut-être même de l’empêchement de la raison,
pour lesquelles la notion de plénitude essentielle demeure latente, en dépassant ainsi la possibilité de son entendement
E LE

et de son intellect.
US SEU

Retour sur les conceptions


minimales et maximales de la liberté
Or, les deux limites phylogéniques représentent les termes d’un continuum moral sur lequel l’accentuation
AL EL

prioritaire de la dimension ontogénique éclipsera une autre vision de l’ontogénie: la première existera en raison de la
prédominance accordée à la nature sensible en raison des conditionnements opérés par elle sur l’être de l’homme,
ON N

lesquels s’adressent pour l’essentiel à une vitalité empirique qui se situe au plan des besoins, des impulsions et des
inclinations et dont la valeur subjective, mais éminemment actuelle, se confirme avec le genre et la qualité du
RS ON

sentiment, indépendamment d’un import spirituel ou en affirmation de la contingence du plan suprasensible. La


seconde prend conscience de son essence suprasensible et de sa possibilité législatrice en vue de la manifestation et de
P E RS

l’édification de l’esprit, de la valeur morale absolue de la personne humaine et de la liberté qui en procède pour en
témoigner. Elle reprend d’abord la finalité idéale, avec la plénitude de l’autonomie des consciences qui se résout avec la
quête et la réalisation du bien, puis elle s’inscrit à l’intérieur de la réalité historique et culturelle, révélatrice de la priorité
R PE

accordée à la raison pratique sur les conditions pressantes et parfois contraignantes d’une nature sensible. C’est une
priorité qui s’avère, étant intimement associée à la faculté législatrice et suprasensible de la raison.
FO E

C’est à partir du rapport de la raison immanente jointe au monde sensible, que les forces et les énergies physiques
AG

de celui-ci deviennent les conditions, à la fois du sentiment de la sublimité et d’un bouleversement épistémologique,
avec l’aliénation ontologique qui en résulte pour la raison. Cette aliénation est positive pour le plan suprasensible de
US

l’être puisqu’il mène à la découverte d’un ordre mathématique et dynamique insoupçonné et suscite une métamorphose
de l’esprit, une ouverture de la conscience sur l’ineffable, sur l’indescriptible, sur l’inimaginable et sur l’inconcevable
qui prélude à une prise de conscience tout aussi inespérée 67, celle qui révèle le pouvoir de la raison à transcender les
états sensibles intimes 68 et à leur superposer la faculté morale qui les subsume 69. Celle-ci institue la liberté de
rechercher le bien avec l’autonomie, la spontanéité et la créativité de l’esprit et offre le mobile éminemment digne du
sentiment moral que réalise le respect, afin d’accompagner la loi morale que fonde le principe formel a priori de
l’impératif catégorique. Grâce à celui-ci, la raison se trouve incitée à viser avec justesse le bien selon le concept qu’elle

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 114 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

en possède, d’en imaginer les possibilités concrètes en réponse aux conjonctures naturelles actuelles qui s’offrent à la
raison pratique et de leur fournir, avec l’action poématique et morale, l’occasion d’une réalisation dont le phénomène,
tout en s’insérant à l’intérieur des paramètres culturels, les dépassera néanmoins dans la phylogénie à laquelle l’oeuvre

LY —
puise. Car si le moment privilégié de la moralité passe par la dimension ontogénique du sujet moral, l’effet
éminemment bénéfique qui en résulte au plan collectif répond à la finalité phylogénique qui assure la perpétuation

ON CHE
optimale de l’espèce, tout en sollicitant la prise de conscience de la fin qui se réalise, du sacrifice personnel requis pour
cela et du motif supérieur au nom duquel en verser le prix. On voit mal comment ces deux extrêmes, prônés par une
collectivité qui se réalise en exigeant l’abnégation, laquelle peut au besoin aller jusqu’à l’héroïsme librement consenti
et le sacrifice de ses membres, pourraient ne pas évoquer les conceptions minimales et maximales de la liberté.

ES ER
Nous avons vu que la conception minimale de la liberté met de l’avant un genre d’hédonisme, qui fait
premièrement reposer le bonheur sur la conservation et la préservation de la sécurité de l’être organisé, en passant par

OS H
l’édification de la matière, selon le principe de la gratification à peu près immédiate. C’est un principe intimement lié à

RP EC
l’état intérieur du sujet et à la conscience qui en résulte pour lui d’une représentation causée dans l’intention de modifier
cet état, susceptible de susciter le désir subjectif de le maintenir ou non 70. Or le propre de toute représentation est d’agir
sur le sentiment vital [das Gefühl des Lebens affizieren] de sorte que, avec la modification du sujet susceptible d’en

PU E R
résulter, aucune d’elle ne peut donner lieu à l’indifférence 71. Par conséquent, une conception minimaliste de la liberté
s’en tiendrait pour l’essentiel à la représentation et à son effet subjectif sur le sens interne, toujours accompagné du
sentiment de plaisir ou de déplaisir, en vertu de révéler la nature de l’effet opéré sur le sentiment vital dont il est

CH S D
l’expression surtout sensible et qui suscite le jugement de maintenir ou non la causalité de la représentation.

AR FIN
Bref, à l’intérieur de la conception minimale de la liberté, l’action se produit généralement en considération du
sentiment vital, selon une boucle fermée qui associe à la représentation, un sentiment que l’on cultive ou que l’on
repousse en vertu du principe du plaisir, lequel est l’indice subjectif de la valeur existentielle prioritaire accordée à
l’affirmation continue de la vie, telle que l’estimation de la conscience l’énonce et que la représentation la réalise. Si la
SE À

boucle est fermée, c’est qu’elle laisse peu de place à la raison de s’exprimer, en faisant l’appréciation
auto-réfléchissante ni des composantes de l’expérience subjective (qui pour cela apparaît comme étant un phénomène
RE T,

d’ensemble), ni de celles qui sont susceptibles d’en orienter l’issue qu’en recevraient les fins. Étant guidée en définitive
uniquement par l’effectivité de causalités exogènes, la conscience exprime une hétéronomie peu compatible avec une
D EN

conception de la liberté pleine et entière, en émettant des choix qui se fondent exclusivement sur les jugements
esthétiques des sens. Or seule la plénitude de la liberté peut servir de prémisse et de fondement à la moralité réelle, celle
AN M

qui se réalise en puissance sinon en actualité et en même temps réalise la dimension dynamique qui permet de tendre
avec succès vers la fin sublime que définit la raison pratique pure pour elle, c’est-à-dire l’entéléchie de la loi morale.
E LE

Pourtant, on ne saurait ignorer, ni diminuer l’importance du sentiment vital pour la moralité, en raison même de la
US SEU

rendre possible. Car la vie est indissociable du substrat sensible, lequel fournit la conjoncture qui rend possible
l’insertion de l’activité organique de la raison au sein du monde. En réagissant à la causalité des représentations, elle
peut éventuellement en modifier la nature, grâce à la médiation du jugement, mais aussi devenir elle-même la cause de
ces représentations, ou de représentations analogues, selon une raison à la fois pratique et proactive. Ainsi la vie
AL EL

opère-t-elle son effet selon les lois de la liberté, celle d’une raison agissante conformément à l’impératif catégorique en
vue d’une finalité dont l’expression suprême serait la plénitude de l’être humain lui-même, puisqu’il devient alors la fin
finale du règne des fins qui préside à la Création. Car l’expression de la finalité à l’intérieur de l’objet par laquelle elle se
ON N

réalise, renvoie en même temps à l’entéléchie du Bien, pourvu qu’elle se conforme au principe fondamental, universel
RS ON

et nécessaire, de l’impératif qui énonce a priori la condition suprasensible suprême de toute finalité morale.

Tout sentiment vital renvoie à un organe corporel dont il est l’expression subjective à l’intérieur de la conscience
P E RS

avant tout concept: le sentiment particulier qui en émane (en réaction soit à la représentation objective, soit à
l’imagination productive et reproductive), selon les deux genres du plaisir et du déplaisir, en est en réalité l’expérience,
R PE

éprouvée subjectivement, de la promotion ou de l’inhibition objectives qui feraient office respectivement de révéler
leur rapport à la vie. Ce sont les impressions de bien-être ou de malaise qui accompagnent les représentations et que
subsument les genres du plaisir et du déplaisir. Ce faisant, ils renvoient à une causalité exogène à la conscience, qu’elle
FO E

s’active avec le phénomène virtuel de l’imagination, autant avec celui que reconstruit le souvenir qu’avec celui que
AG

construit l’effort créatif afin de procurer une possibilité entrevue 72.


US

67 KU, §29A; AK V, 268.


68 Idem, §25; p. 250.
69 Idem, §29; p. 265.
70 Idem, §10; AK V, 220.
71 Idem, §29A; AK V, 227-228.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 115 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

Or, si l’organe corporel est le lieu du sentiment vital, il ne saurait en être le principe, lequel en serait l’esprit
[Gemüt], entendu comme étant simplement un pouvoir complexe de sentir et de penser [als bloßes Vermögen zu
empfinden und zu denken], lequel est présent à l’intérieur du sens interne et pour lequel l’âme [Seele] serait la substance

LY —
incorporelle particulière [als besondere unkörperliche Substanz] 73. Or, l’esprit ne serait nul autre que le principe vital
lui-même 74: la vie serait un principe général qui englobe par conséquent l’intégralité de l’activité consciente, inclusive

ON CHE
de la sensation et de la pensée, de sorte que tous les autres pouvoirs (la représentation, l’entendement, l’imagination, le
sentiment, le jugement et la raison) renvoient au principe de la vie que se révèle être l’esprit, en quelque façon et sous
ces égards qui en caractérisent la singularité essentielle. De la même façon que le corps extériorise l’esprit par son
activité, de la même façon le principe vital de l’esprit est-il l’expression dirigée du pouvoir de l’âme qui, étant

ES ER
elle-même une substance incorporelle, est le principe de l’unité et de la permanence de l’esprit. Ainsi se trouve réalisée
l’union indivise, intime et mutuelle, de l’esprit [Geist] et de l’âme [Seele] à l’intérieur de la conscience [Gemüt] 75.

OS H
C’est donc avec l’appréhension adéquate du concept de l’esprit, en tant qu’il est un principe, que l’on retrouve

RP EC
chez Kant la clef du passage de la faculté morale, qui procède de l’hétéronomie jusque vers l’autonomie. D’un point de
vue strictement ontogénique, l’être humain entre en rapport avec la nature sensible sous le mode de la sensibilité et de la
détermination de l’être en raison de la conation qui vise à la préservation et à la sécurité de l’existence, opérées

PU E R
conformément aux mécanismes d’un jugement esthétique des sens que détermine exclusivement le sentiment du
plaisir. Celui-ci confirme ou infirme les possibilités du sentiment vital et de l’esprit qui en est la substance, puisque
celui-ci est en même temps un pouvoir fondamental de la vie avant toute expression rationnelle, sans exclure toutefois,

CH S D
et même en allouant pour la possibilité de sa réalisation et de sa plénitude unifiée. L’Idée esthétique trouve alors son
aboutissement avec l’édification de la matière au service de l’esprit, i.e. au service du principe vital dont il est
l’expression avec l’exercice effectif de son pouvoir propre, que déterminent cependant les conditions de la nature et les
AR FIN
urgences de la conjoncture pour le sentiment vital.

VIE
SE À

corps : esprit :: esprit : âme


RE T,
D EN

finitude infinitude
dimension sensible registre suprasensible
AN M

nature liberté
E LE

hétéronomie autonomie
US SEU

ANALOGIE III.1. La continuité de l’unité subsomptive de la vie


en vertu de ses trois éléments constitutifs, ordonnés selon leurs
pôles métaphysiques complémentaires.
AL EL

Avec le passage au plan phylogénique cependant, il existe pour la conscience la découverte d’avoir à pourvoir à la
ON N

continuation de l’espèce, afin d’assurer la durée et la persistance de l’individu dans le temps. Cette longévité se réalise
en favorisant l’épanouissement des congénères en même temps que l’éclosion des autres subjectivités — une fonction
RS ON

de l’acculturation qui serait le prolongement du troisième paradigme déontologique, le devoir envers soi-même de se
perfectionner en cultivant son talent 76, que vient élever au plan du devoir imparfait de l’action, non pas par devoir, mais
P E RS

uniquement selon celui-ci, l’obligation de considérer la fin de l’humanité en la personne de chacun 77—, selon les
virtualités propres à une nature qui intègre les dimensions suprasensibles et sensibles de l’être vivant d’une manière
unifiée et ordonnée. Si la conscience est susceptible d’éprouver une hétéronomie (et le sentiment d’aliénation qui
R PE

correspond à cette expérience), elle possède en même temps la capacité de désirer une amélioration des conditions
naturelles, lorsqu’en la défavorisant ou en l’inhibant, elles s’opposent à la finalité de la préservation et de la promotion
FO E
AG

72 Idem.
73 APH, §24; AK VII, 161.
US

74 KU, §29A; AK V, 277-278.


75 Nous reviendrons sur cette question, pour l’aborder plus en profondeur au prochain chapître, particulièrement
aux pages 133, 138-139 et 143 ss. Vide aussi infra, la page 228-229 du Chapître VI.
76 GMS; AK IV, 422-423, 430.
77 MAR, Einleitung; AK VI, 240.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 116 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

du principe vital, et de vouloir conformément à ce désir. Cette faculté conçoit comme étant un bien fondamental,
comme une entéléchie ou comme une fin simplement possible selon qu’il est réalisé ou passible de l’être, ce qui rend
possible toute réalisation ultérieure, susceptible de donner forme au principe vital d’une manière originale et créative,

LY —
selon que l’esprit est sollicité par les conditions issues du monde naturel.

ON CHE
L’utilité se découvre avec la maîtrise de la nature, lorsqu’elle adopte comme fin l’édification de la matière en vue
de la finalité existentielle et des fins spécifiques qui en procèdent. C’est une finalité qui optimalise l’insertion et la
persistance de l’être humain dans le temps. Le sentiment que procure le jugement d’utilité, propre à la finalité relative et
à la détermination par laquelle celle-ci se réalise, est celui de l’agrément, un sentiment qui est propre à un jugement

ES ER
esthétique des sens 78. Puisque toute action suppose en même temps la conscience éventuelle que l’on en possède , ainsi
que la possibilité d’effectuer un jugement de réflexion portant sur la technique du sens interne, grâce à laquelle la
spontanéité d’une action est rendue possible — l’essentielle condition héautonomique d’une autonomie libre —, la

OS H
beauté de l’action apparaît avec l’harmonie qui, par sa présence, exprime une complémentarité finalisée de l’intention

RP EC
et de la réalisation. C’est ainsi que la conscience atteint à une complétude subjective en réunissant l’imagination des
possibilités inhérentes à une conjoncture actuelle, où figurent la nature objective de l’objet que découvre l’essence
réfléchissante du sujet, et la transformation réelle de la nature, résultant d’une activité conforme à l’Idée esthétique que

PU E R
concrétise le génie de l’esprit créatif et susceptible de recevoir un concept dans l’entendement. L’harmonie qui
caractérise cette synergie présume en même temps d’un wozu, d’un ce-en-vertu-de-quoi l’action se réalise, d’un bien tel
que l’éprouve comme fin le sujet pratique, en vertu du principe du Bien qui est au fondement de la finalité de la raison

CH S D
pratique.

AR FIN
Or, tout bien résultant de l’édification de la matière renvoie tantôt à la bonté de l’esprit, grâce à laquelle une telle
édification se produit, et tantôt à la bonté de l’objet résultant de l’activité poématique, non pas tant du point de vue de
son utilité et de l’agrément susceptible d’en provenir, mais de celui de constituer le lien culturel qui est à l’intersection
de la possibilité objective de la nature et de la bonté que l’on espère de sa transformation (y compris celle de la
SE À

possibilité créative de l’esprit humain et qui ressort à l’héautonomie de la raison). Celles-ci réalisent suffisamment,
avec la mise-en-oeuvre de la volonté, l’espérance que permettait d’entrevoir le désir, alors qu’avec l’imagination,
RE T,

l’esprit faisait simplement l’appréciation de cette possibilité.


D EN

L’esprit est ainsi susceptible d’effectuer, au moyen de la réflexion, le partage entre d’une part, ce qui est
simplement utile et agréable, et dont l’appréciation appartient au jugement esthétique des sens, et d’autre part, ce qui
AN M

révèle l’harmonie de l’esprit, non seulement en vertu de sa dimension active et pratique, qui tente de réconcilier
l’intention et la réalisation, mais encore avec celle qui, étant réceptive et sensible, en conditionne l’intuition. L’image
E LE

de l’expérience trouve pour celle-ci un complément adéquat avec le concept qui est susceptible de lui être attribué, non
seulement parce que l’harmonie signale une réalisation du connu, comme dans la copie, l’imitation ou la production
US SEU

d’un ectype, mais aussi en vertu d’un effet original et créatif dont elle est le présage. C’est une effectivité qui procède à
la fois de la possibilité implicite au concept, laquelle reflète l’essence non-encore réalisée de l’objet sensible, et de celle
qui est inhérente à l’esprit, lorsque, avec la création du prototype, elle en réalise à la fois les potentialités ainsi que le
principe vital lui-même.
AL EL

Or tout jugement portant sur la possibilité des choses, dont l’actualisation est rendue éventuelle en vertu d’une
ON N

possibilité intime à l’esprit, ressort à un jugement logique de réflexion qui, pour être téléologique, ne s’en rapporte pas
moins à l’activité réfléchissante de l’esprit, mais uniquement sous le mode d’un rapport proactif. Quant à la réalisation,
RS ON

elle se fonde à la fois sur la spontanéité de l’exercice qui procède de l’autonomie morale de la liberté et sur le génie natif
à la particularité individuelle de la talité spirituelle.
P E RS

L’acte de la réflexion comporte donc deux aspects, selon qu’il est tourné vers l’entéléchie — la réalisation
accomplie — ou vers l’éventualité — la réalisation possible, en raison de la conjugaison des natures objectives et des
R PE

essences (morales et dynamiques) subjectives —. Dans un premier cas, il suscite un jugement ontologique avec le
sentiment correspondant de l’harmonie, présente à l’intérieur de la subjectivité, lorsque tous les facteurs, subjectifs ou
objectifs, qui président à l’unité idéelle et/ou réelle de l’être, se sont rencontrés en vue de l’actualisation d’une
FO E

perfection. Celle-ci est un bien sensible par ce qu’il comporte d’utile et d’agréable, mais en tant seulement qu’il est
AG

associé à la plénitude de l’être réalisé, de l’être qui réconcilie l’intention et la réalisation à l’intérieur de la raison, pour
ce qui est de l’autonomie, et la projection imaginative ainsi que le concept effectif en résultant, pour ce qui est de
l’héautonomie. Dès lors que cette seconde condition est réalisée, le bien (et donc la perfection), constitue ainsi et
US

représente une fin d’un tout autre ordre, puisqu’il s’agit dorénavant du bien suprasensible qui oriente et transforme la
réalisation sensible et l’élève au plan de manifester la plénitude de l’esprit, propre à l’accomplissement de l’intériorité
de l’humanité du sujet moral. Par ailleurs, l’entéléchie de l’esprit est une condition préexistante qui préside à toute
réalisation concrète: elle témoigne du mouvement par lequel la perfection relative de la raison réalise objectivement —

78 EE, §viii; AK XX, 229; KU, §05; AK V, 210.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 117 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

ou serait susceptible de le faire — l’harmonisation complète des facultés subjectives de l’esprit et des natures objectives
sensibles, telles qu’elles se fondent sur les prémisses de la finalité. Ainsi, l’autonomie spontanée de la moralité se
réalise-t-elle en vertu d’une plénitude subjective, actuelle ou éventuelle, le tout sous le mode de la coordination

LY —
immanente des consciences entre elles et/ou de la subordination transcendantale des consciences à un principe
supérieur. Car si la moralité exprime la liberté de consciences individuelles, elle ne saurait être étrangère à la

ON CHE
conjoncture sociale qui en éprouve les bienfaits, ni à l’ensemble des consciences qui revendiquent un droit analogue à la
liberté et à l’estimation critique, avec la réflexion, de leur valeur relative quant à l’Idée espérée et à l’Idéal servi.

Or, en constatant le mouvement qui, à partir des biens sensibles issus d’une nature créée — de la nature au sens

ES ER
propre ou de la culture, attestant du génie créatif de l’être vivant en général, et tout spécialement l’être humain, rationnel
et moral —, mène au bien suprasensible d’une essence spirituelle se réalisant, il est permis d’identifier un procès qui
trouve en même temps une répercussion sur l’activité spécifique générale qui, tout en édifiant la matière selon une fin

OS H
utilitaire, édifie l’esprit avec l’art qui est révélé au moyen de cette transformation. Avec cet art, on parvient à

RP EC
reconnaître comme étant intime à l’activité, tout en les distinguant logiquement, l’Idée de l’artefact sensible qui tombe
sous le mode mathématique de la qualité et celle du génie créateur, que subsume le mode dynamique de la relation:
intérieure selon l’heautonomie, avec l’harmonisation des facultés, coordonnées entre elles ou subordonnées les unes

PU E R
aux autres; extérieure selon l’autonomie, avec le rapport poématique de l’agent aux autres éléments constitutifs et
unifiés de son oeuvre.

CH S D
Si l’achèvement d’une oeuvre en signifie la réalisation, celle-ci n’est pas pour autant la réalisation définitive de sa
perfection ultime. Car celle-ci renvoie à la perfection ontologique extérieure qui consisterait à réaliser le nec plus ultra
AR FIN
d’une création poématique, laquelle serait non seulement entièrement originale, lorsqu’elle est comparée à tout ce qui
s’est jusqu’alors réalisé, mais encore caractériserait-elle un produit indépassable, quant à ce que l’on anticipe pourrait à
l’avenir se réaliser. Elle est en même temps une perfection qualitative, puisqu’elle réalise la plénitude du concept, en
accomplissant l’unité du divers selon une règle, autant qu’elle est quantitative, car elle subsume l’intégralité des
SE À

représentations appropriées à son genre, avec l’achèvement qu’elle en illustre pour chacune d’entre elles 79. C’est aussi
une perfection subjective organique qui, étant intimement associée au principe vital de l’esprit, réalise la plénitude de
RE T,

l’intégration du pouvoir des facultés qui réalisent le libre arbitre de l’homme 80. Elle est par conséquent une perfection
qui comporte, dans la relativité de son expression, l’illustration d’un double principe: le principe de raison suffisante, en
D EN

vertu duquel ce qui est, du fait d’être, a réuni toutes les conditions possibles de sa matérialisation 81; et le principe de
l’incomplétude de sa possibilité selon lequel, sans nier qu’il soit en vertu du premier principe, tout être renferme en soi
AN M

la possibilité d’une réalisation toujours plus complète, la substance de ce qui en exacerbe l’essence en raison d’une
finalité qui, relative ou essentielle, en actualise de façon plus complète l’Idée 82.
E LE

Or, tout être incarne en même temps ce double principe, en vertu de pouvoir répondre à un dessein qui en sublime
US SEU

l’essence avec l’exacerbation de sa possibilité. Pour l’un, il énonce la condition de sa réalité présente; et pour l’autre,
celui d’une réalisation phénoménale éventuelle, laquelle trouve sa légitimité avec la spécification du bien que par elle il
serait désirable de pouvoir réaliser. Ce bien est sensible, lorsqu’il porte sur la nature, selon la définition culturelle qu’en
procure l’homme, en l’affinant et en le raffinant; mais il est suprasensible, lorsqu’il porte sur la possibilité morale de
AL EL

l’être vivant, en tant que, en illustrant la spontanéité de son autonomie, elle est susceptible de réaliser, non seulement le
ON N

79 KU, §15; AK V, 227.


RS ON

80 APH, §08; AK VII, 144.


81 SCHOPENHAUER (1997, §06, p. 51) exprime ainsi le principe de raison suffisante: «... il se trouve que toutes
P E RS

nos représentations sont entre elles dans une division soumise à une règle et dont la forme est a priori
déterminable, liaison telle que rien de subsistant pour soi, rien d’indépendant, rien qui soit isolé ou détaché ne
peut être objet pour nous. C’est cette liaison qu’exprime dans sa généralité le principe de raison suffisante».
R PE

Pourtant, Kant avant lui avait fait du principe de raison suffisante le fondement de toute expérience possible et
de la connaissance objective des phénomènes, en vertu de leur relation mutuelle à l’intérieur de la série des
conditionnés que conditionne la succession du temps [KRV; AK III, 174; AK IV, 135.].
FO E
AG

82 Sauf erreur, on ne retrouve pas ce second principe formulé en toutes lettres chez Kant, mais il découle du
concept de la perfection qui, étant qualitative, illustre le summum d’un objet dans son accord avec le concept
générique qui convient et qui, étant quantitative, réalise la complétude de chaque chose en son genre, Or,
US

puisque la perfection illustre la plénitude de la finalité, puisque par elle une fin est suprêmement réalisée, et que
la fin est le concept qui illustre le principe de la possibilité de l’objet lui-même [KU, §15; AK V, 227.], cette
possibilité renferme en elle l’évidence de l’incomplétude de l’objet qui en témoigne, en constituant le terme de
la réalisation future qui en exprimera éventuellement la perfection. De plus, il est suggéré avec le concept
d’archétype qui, en opposant l’Idée esthétique qui réside dans l’imaginaire à titre de principe, et l’ectype, la
figure qui en constitue l’expression [Idem, §51; p. 322], permet de supposer l’existence d’un écart tel que
l’exemplaire est toujours en-deçà de la perfection qu’elle souhaiterait réaliser objectivement.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 118 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

bien, mais encore le Bien suprême. La moralité sollicite alors le génie du sujet moral qui devient alors susceptible de
réaliser l’invention esthético-morale et de faire surgir, avec l’action créatrice, un bien inédit et une conjoncture
bénéfique inégalée et inégalable, puisqu’il réalise la plénitude de la possibilité essentielle des êtres humains et l’inscrit

LY —
au plan de l’entéléchie d’une fin finale. Or, la possibilité essentielle de tout être moral est en même temps une possibilité
spirituelle et une possibilité vitale, celle tantôt de pouvoir concevoir adéquatement la loi morale et d’en formuler le

ON CHE
principe et tantôt celle de la réaliser par les maximes qui le feront passer du plan de lIdéalité à celui de la réalité.

Il résulte de cela qu’en produisant les biens, l’homme se constitue le facteur d’une édification de la matière à cet
effet et devient en même temps, pour ceux qui sont les témoins de son action, le principe de l’édification des esprits en

ES ER
raison de la nature sociale des êtres humains engagés à l’extérieur d’un rapport de réciprocité. Cette activité implique,
non seulement l’éventualité de parvenir à une réalisation, mais encore celle d’une éventualité que justifie en raison le
principe de finalité. Étant actualisée avec l’aboutissement d’une fin concrète, l’activité illustre une entéléchie

OS H
indéterminée et, étant pleinement actualisée, selon l’entièreté de sa possibilité, elle illustre alors aussi le concept de

RP EC
l’entéléchie déterminée. En mettant ainsi à contribution la spontanéité de son autonomie, en vue de poursuites qui à
première vue seraient strictement empiriques, l’homme réalise en même temps une destination suprasensible: il devient
alors un principe d’émulation pour ses congénères.

PU E R
Quant à la finalité morale, au service de laquelle le sujet moral recrute l’activité unifiée de la raison, elle représente

CH S D
l’illustration d’un pouvoir pleinement réalisé, avec l’exacerbation ultime de sa possibilité. Cela est attesté avec la
perfection sensible de l’oeuvre, qui illustre ainsi le rapport étroit, requis pour la façonner, entretenu entre la raison
pratique et la raison poématique. Ainsi, la beauté n’est pas satisfaite d’associer, au plan de l’héautonomie des facultés
AR FIN
de l’esprit, le rapport des pouvoirs en vue de porter sur une possibilité hypothétique et nécessaire. Pour être réalisée
complètement, elle doit viser la réalisation sensible qui unit la perfection physique et utilitaire de la nature et
l’entéléchie métaphysique des êtres vivants et rationnels, à l’intérieur d’un procès qui ouvre la voie au constat d’une
perfection réalisée. Parce que celle-ci tend de façon autonome et spontanée vers un terme optimal, dont elle en fait
SE À

l’Idéal esthétique avec la présentation qu’en réalise l’imagination, elle illustre la perfection morale de l’agent en même
temps qu’elle en fixe les principes à l’intérieur de l’oeuvre accomplie qui procède de son action. Le bienfait qui
RE T,

résultera de l’oeuvre réalisée témoignera en plous de la dimension morale d el’artisan et par conséquent de la
subsomption de l’activité poématique sous le registre suprasensible pratique.
D EN

Qu’à cela ne tienne cependant, toute personne illustre, avec son accomplissement moral, tantôt le sentiment de la
AN M

beauté et tantôt celui de la sublimité, dépendant du regard sous lequel considérer sa réalisation effective. Car dès lors
qu’une chose illustre l’unité du divers en vertu de son concept, elle illustre en même temps la perfection déterminée:
E LE

l’accord entre les facultés de l’imagination et de l’entendement ne pouvant être plus complet dans l’immédiat et nulle
réalisation éventuelle n’étant entrevue dans l’imagination qui puisse exacerber plus outre sa possibilité, telle qu’elle est
US SEU

illustrée avec son concept, l’harmonie caractéristique du sentiment de la beauté y retrouve les conditions de sa présence
et permet d’énoncer un jugement de goût à son endroit. Par ailleurs, dès lors qu’il s’agit pour la chose d’illustrer l’unité
du divers selon le genre, en plus de l’illustrer selon le concept, en vue non plus de la perfection, mais d’une perfection
indéterminée, ce qui suppose alors non plus seulement l’entéléchie de la perfection ontologique, mais aussi celle d’une
AL EL

perfection générique, c’est illustrer implicitement la capacité rationnelle d’anticiper avec certitude et plénitude sur ce
qui n’est pas encore actualisé. Or, si la perfection ontologique demeure concevable et imaginable, puisqu’elle exacerbe
les canons d’une perfection ontogénique telle qu’une observation méthodique des types permet d’en extrapoler les
ON N

configurations possibles et les comparer entre elles, elle ne saurait présumer d’une perfection générique, et se la
RS ON

représenter avec exactitude, en vertu de l’horizon trop vaste de la phylogénie qui en réserverait toujours le terme d’un
mouvement ultérieur.
P E RS

Ainsi, la conscience se heurte-t-elle à l’un de deux manques: à un défaut de l’imagination à se représenter


adéquatement, de manière fidèle et précise, autant au plan mathématique de la grandeur qu’au plan dynamique de la
R PE

puissance, ce que serait le terme d’une possibilité exacerbée, parmi les possibilités innombrables et généralement
imprévisibles qui ressortent à un mouvement historique pouvant se réaliser selon une variété restreinte de directions
(terrorisme, eudémonisme ou abdéritisme 83) 84; ou encore la déficience du concept, avec la définition scientifique de
FO E

son essence et des principes qui procède de la connaissance approfondie de ses possibilités, à fournir une représentation
AG

épistémologique exacte et exhaustive de ce que serait cette possibilité dûment actualisée, même avant toute réalité
effective. Ainsi se trouve-t-on situé devant ce qui, pour l’entendement, est inconcevable et ineffable et ce qui, pour
l’imagination, est fantastique et mystérieux, avec une démarche à la fois hypothétique et incertaine, qui ouvre sur toutes
US

83 < abdere: «mettre hors de la vue, écarter, reléguer; cacher». La parenté de ce concept avec celui de la kenosiV
[vide, supra, note 47, p. 143.] devient évidente, pour décrire une des trois attitudes politico-philosophiques
fondamentales chez Kant.
84 STF; AK VII, 081-082.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 119 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

les possibilités sans pourtant en cerner aucune de façon définitive, soit au moyen du concept, soit par l’entremise de
l’image. Car si la perfection ontologique réfère à une possibilité qui devient excellente, grâce uniquement à l’essence
propre à la substance, la perfection générique existe en raison d’une excellence qui, tout en recrutant les limites

LY —
entrevues d’une possibilité essentielle, se compare avec la perfection ontologique que subsume un même genre, pour
s’en démarquer sous le mode de ce qui est superlatif, le tout sans que l’on pressente dans l’entendement, ni que l’on

ON CHE
entrevoie dans l’imagination, une possibilité ou une réalisation plus achevées.

La perfection déterminée qui se réalise dans l’actualité, en vertu du principe de raison suffisante, ouvre sur une
harmonie entre ce que l’on sait, avec le concept, et ce que l’on serait en mesure de se représenter avec l’imagination. Par

ES ER
contre, l’éventuelle réalisation une perfection indéterminée en épuiserait toutes les possibilités, autant celles qui sont
réelles que celles qui sont virtuelles, autant celles qui sont actuelles que celles qui sont éventuelles. Elle deviendrait,
quant à son essence singulière et à son appartenance particulière, le modèle et l’Idéal de toutes les choses qui lui sont

OS H
relatives sur le plan de l’analogie, et elle ouvrirait sur l’inharmonie généralisée sous deux aspects interdépendants:

RP EC
quant à la possibilité des pouvoirs héautonomiques respectifs de l’esprit qui, avec l’actualisation de ces choses,
pressentiraient devoir s’exercer pour les concevoir au-delà de la plénitude de leur effectivité, afin de pleinement
appréhender l’écart qui sépare le modèle et les autres représentations; et quant à la complémentarité de la synergie de

PU E R
ces pouvoirs, qui resterait toujours problématique. Car alors, non seulement leur coordination éventuelle
présenterait-elle quelque difficulté, mais la concertation accomplie des facultés, susceptible de procurer une entente
entre elles, puisque tant l’une que l’autre sont toujours situées devant une réalisation inégale et ouvrant sur une tâche

CH S D
irréalisable, celle qui consiste à découvrir ou à façonner la contrepartie empirique d’une perfection idéale et donc vouée
à contempler une oeuvre perpétuellement incomplète.
AR FIN
De cette dissonance résulterait une expérience de la sublimité, analogue à celle que l’esprit éprouve devant un
phénomène naturel, représentant à la fois l’illimité de la grandeur mathématique et l’infinité de la puissance
dynamique. Elle fait alors surgir le sentiment de la destination suprasensible de la raison, laquelle révèle pour l’esprit la
SE À

possibilité de subsumer la nature sensible, si impressionnante fût-elle, sous les Idées qui en procèdent, et ainsi de se
positionner quant à elle comme appartenant à un tout autre ordre de grandeur théorique et de puissance pratique, et par
RE T,

conséquent de s’en démarquer radicalement 85.


D EN

C’est une subsomption qui est en même temps une transcendance, puisque la représentation naturelle qui produit
le sublime interpelle l’Idée dans ce qu’elle a de plus abstrait, en suscitant la notion d’une totalité. Celle-ci est à la fois
AN M

inaccessible à l’imagination qui tenterait de la présenter à l’intérieur de la nature, et inconcevable pour l’entendement,
qui tout en ayant la possibilité de pressentir subjectivement la présence d’un je-ne-sais-quoi, suggestif de la dimension
E LE

ontologique suprasensible, éprouve le sentiment de l’impuissance à fournir une objectivation correspondante devant
l’impossibilité dynamique de présenter un concept réel, i.e. un concept que déterminent les formes de l’intuition
US SEU

(l’espace et le temps) 86.

Bref, l’expérience de l’être devient une fenêtre sur l’inconditionné puisque, en vertu du principe d’incomplétude,
l’inharmonie qui résulte pour l’esprit d’être situé face à l’inconcevable et à l’inimaginable implicites au concept de la
AL EL

réalisation intégrale de l’être (à la fois ontologique et générique), qu’exprimerait l’exacerbation complète de ses
possibilités les plus intimes, permet de prendre conscience à la fois du sublime naturel sous tous ses aspects et de la
ON N

destination suprasensible de la raison. En illustrant l’inconditionné de l’esprit, lorsqu’il entre en rapport avec le monde
sensible, l’esprit fonde en même temps le statut privilégié de l’homme qui est par essence, ab initio en quelque sorte, la
RS ON

fin finale ultime de la nature 87.


P E RS

Or, nous dit Kant, le sentiment de la destination suprasensible de l’être humain possède un fondement moral [eine
moralische Grundlage] qui ne laisse nullement supposer, et qui peut-être même voile à l’esprit qui n’est pas disposé à le
voir, l’obscurité qui le caractérise 88. Car la sublimité de la nature mène à une double prise de conscience, aussi
R PE

importante qu’elle est cruciale à la liberté, à savoir que le pouvoir idéel de la raison a la possibilité de subsumer
l’illimité de la grandeur phénoménale et l’infinité de la puissance naturelle, et en même temps que le sentiment qui les
accompagne et qui manifeste la vitalité de la nature humaine, rationnelle et personnelle, illustre la nécessité de s’insérer
FO E

à l’intérieur d’une nature avec laquelle elle est appelée à interagir adéquatement, pour en surpasser les conditions, et par
AG

là se conserver et se réaliser optimalement. Ce faisant, elle démontre par là, non pas seulement la cause implicite d’une
expérience, à laquelle la raison peut prétendre conférer l’unité puisque l’expérience se prête à une telle possibilité, mais
en même temps une puissance de la raison à se mettre au service de la nature corporelle de l’homme (avec l’édification
US

de la matière) et de sa culture (avec l’édification concomitante de l’esprit). Car la raison laisse entrevoir qu’elle est une
cause suprasensible qui serait sûrement susceptible de surpasser en magnitude et en puissance tous les aspects sous
lesquels seraient aptes de se présenter les multiples formes de son effectivité. Grâce à elle, il devient possible de

85 KU, §27; AK V, 257-258.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 120 de 539 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

surmonter les conditions pré-existantes, naturelles ou culturelles, afin de constituer les conditions futures de leur
éventuel état.

LY —
Or, la réalisation d’un tel projet suppose, présents dans la raison et dans l’essence de l’être personnel de l’homme,
les éléments d’un Inconditionné qui fonde la possibilité d’une autonomie et d’une spontanéité ainsi que l’actualisation

ON CHE
conséquente d’une volonté que motive le désir, animant et dirigeant la conduite pratique ou l’action poématique. Par
contre, l’action finalisée de l’homme n’est jamais sans réaliser un bien déterminé, à défaut d’exprimer en tout temps le
Bien indéterminé, conçu dans son acception la plus élevée. Maintenant, cette question du bien est au coeur de la
problématique morale, puisqu’une raison susceptible de réaliser le bien, voire relativement et selon une conception

ES ER
minimale de la liberté, est une raison que fonde la moralité. Celle-ci s’exprime implicitement à l’intérieur de chacune de
ses extériorisations, qu’elles se manifestent par ses conduites ou qu’elles se concrétisent par une oeuvre. Ceci la rend
passible de la critique que l’on en fait au plan de l’héautonomie qui la mobilise et de l’autonomie dont elle fait preuve,

OS H
en vertu de l’Idéal qu’elle parvient à transmettre, en raison du concept de perfection qui fonde le principe de finalité,

RP EC
ainsi que toute téléologie revêtant en même temps une dimension pratique.

PU E R
Les deux axes de la réalité:
histoire et téléologie

CH S D
Ce double statut de l’être, dont l’ambiguïté du concept exprime tantôt l’actualité de l’être et tantôt sa possibilité,
renferme la clef d’une compréhension holistique, i.e. unifiée, de la réalité par laquelle on en saisit l’ensemble. Car dès
lors que l’on considère les choses sous le regard de leur accomplissement avéré, et donc sous celui qu’elles sont
AR FIN
devenues réellement, on se situe sur l’axe du fait accompli, du devenir qui a trouvé sa réalisation, du mouvement qui, à
partir d’un terminus a quo, a rejoint un terminus ad quem connu, ou susceptible de l’être. Cet axe est celui de la
réalisation effective, du présent qui se sait à partir d’un passé révolu et que l’on peut interroger afin d’en connaître les
secrets. Lorsque le passé est considéré comme ayant préparé l’actualité qui se vit actuellement, en raison de renfermer
SE À

le germe des possibilités (autant actives ou passives que libres ou déterminées) dont l’éclosion a produit les événements
constitutifs du présent, on peut voir en lui une causalité antérieure, sans laquelle l’expérience actuellement vécue
RE T,

n’aurait jamais pu se produire.


D EN

Cet axe est en somme celui de l’histoire, grâce à laquelle la rétrospective qui procure l’actualité au mouvement est
rendue possible et reçoit un sens, en vertu d’antécédents qui présuppose la causalité d’une suprématie intellectuelle et
AN M

morale pour façonner, à partir du nombre infini des possibilités susceptibles de se réaliser, celle que la conscience est
E LE

susceptible de connaître effectivement dans son actualité. Une telle suprématie s’impose, en vertu du principe d’une
US SEU

86 Idem, §29A; AK V, 268.


87 Pour illustrer le sublime naturel de la nature que subsume la raison inconditionnée dans son essence sous la
puissance suprasensible qui en procède, en même temps qu’elle demeure profondément insérée à l’intérieur du
AL EL

monde sensible, étant consubstantielle à la vie rationnelle et personnelle de l’être humain, que l’on songe
simplement à l’aventure atomique que vit l’humanité depuis le milieu du XXième siècle. Elle conduit à la
libération de plus en plus complète de l’immense potentiel énergétique de la matière, par la fission d’abord, par
ON N

la fusion ensuite. Que cette expérience ne soit pas sans suggérer l’inconditionné de la raison, cela semble
RS ON

s’imposer de soi. Car celle-ci réussit à pénétrer jusqu’aux confins de la matière apparemment inoffensive au
départ, en l’absence de tout artisanat et de toute technologie qui la rende compatible avec l’utilisation
énergétique qui recruterait la subsomption de la matière sous les desseins de la volonté. § Pourtant, celle-ci
P E RS

étant acquise, il en résulte le décuplement des millions de fois, de la puissance intime à la nature de celle-là et
rend possible la réalisation d’une Idée esthétique qui se prête à des fins autant belliqueuses que pacifiques, non
R PE

sans risque toutefois. Qui plus est, le progrès en ce sens s’accomplit à un rythme fulgurant, pour rejoindre un
terme tellement inimaginable et inconcevable pour des générations antérieures, que cette découverte marque le
début d’une ère pour l’humanité qui commence seulement à se remettre de son émoi et à s’engaillardir pour en
FO E

explorer les possibilités immenses. § Elle a de surcroît réussi à exacerber les tensions entre les puissances
AG

étatiques ou souveraines, au point de compromettre, non seulement l’équilibre de l’ensemble de la planète,


mais encore et aussi la possibilité même pour la vie d’y perdurer et de s’y maintenir sous sa forme actuelle, avec
l’espérance d’une continuité ininterrompue dans la permanence des formes, de sorte à y préserver en même
US

temps les acquis les plus heureux et les plus achevés de l’esprit. Or, une telle conjoncture nous oblige à situer le
rapport de la raison à la nature à un point de vue autre que celui de l’esthétique stricte. Car elle évoque
spontanément la dimension morale, pour laquelle la notion d’universalité est beaucoup plus que simplement
optative, puisqu’elle est liée éminemment à l’essentiel du problème de la fin finale ultime de la nature, de
l’humanité qui a la capacité d’anéantir jusqu’à la possibilité des réalisations susceptibles de procéder de cet état
éminent, en raison de nier la destination suprasensible, morale et sociale, de sa propre nature, s’exprimant en la
personne de chacun et surtout de ces sujets moraux qui ne consentiraient pas librement à déroger de la position

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 121 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

intelligence nécessaire qui se trouve à l’origine de tout sens et en raison de révéler par lui la raison d’être, le wozu de
toute chose, ou à tout le moins, inciter à interroger celle-là en vue d’acquérir une connaissance encore plus complète des
événements. La causalité suprême comporte un double aspect, en tant qu’elle est transcendante d’abord, puisqu’elle est

LY —
originelle quant à toute nature, y compris la nature humaine; en tant qu’elle est transcendantale ensuite, puisqu’elle
s’ancre dans la liberté de l’esprit et qu’elle fonde la possibilité pour le sujet moral de constituer une causalité ponctuelle
dont l’effectivité produit des conséquences aux répercussions éventuelles, à la fois pour l’acteur et pour le spectateur 89.

ON CHE
Car la liberté devient effectivement manifeste lorsque l’esprit exerce le pouvoir intime de l’héautonomie, inné à
l’espèce humaine, susceptible de lui procurer l’autonomie et la spontanéité, alors qu’elle illustre la capacité uniquement
de choisir ou de refuser de prendre part à son enracinement historique, tel que cette option s’offre à l’ontogénie de la

ES ER
personne individuelle qui en réalité appartient à la phylogénèse de l’ensemble, lorsqu’elle assume pleinement de
contribuer à la destinée de ses semblables.

OS H
L’actualité se trouve donc à l’intersection de ces deux genres de la causalité finale, dont les essences sont

RP EC
susceptibles de se compléter ou d’entrer en antagonisme; de s’harmoniser entre elles ou d’entrer en rapport de conflit
plus ou moins ouvert, soit pour se renforcer dans leur mutualité, soit pour s’annuler dans leur effet, soit pour produire un
effet contraire à une intention originelle, telle que peut en révéler sa possibilité intime. Or, c’est avec le rapport existant

PU E R
entre d’une part, la puissance de la volonté originelle et d’autre part, celle des volontés particulières, issues d’une nature
raisonnable et responsable, communiant en principe à sa réalisation collective par le biais de sa liberté personnelle et
morale, que se découvre le noeud du problème de la théodicée, tel qu’il se révèle à l’esprit philosophique lorsqu’il

CH S D
procède à son interrogation sur le sens de la vie, sur ses origines et sur les contrastes radicaux (l’alternance ou la
simultanéité des transcendantaux du bien et du mal; du beau et du laid; du vrai et du faux) qui semblent en caractériser
les multiples productions à l’intérieur du même être ou dans le divers de l’expérience. Celles-ci sont singulières quant
AR FIN
aux êtres; totales quant aux événements; et conjoncturelles quant aux rapports qu’elles entretiennent entre elles dans le
temps. De plus, elles sont connaissables puisqu’elles sont accessibles au souvenir et à l’imagination, dans la relation
entre ce qui est et ce qui serait censé devenir, pour donner ce qui pourrait être, à partir d’un dédoublement qui, à
SE À
l’intérieur de la nature, met en opposition les êtres objectifs et les présences subjectives, lorsqu’elles sont engagées dans
la complémentarité et dans la mutualité de leurs interactions possibles, mais non pas toujours effectives.
RE T,

Par ailleurs, il se produit une prise de conscience, celle de l’existence d’une alchimie conjoncturelle: celle-ci
D EN

répond au principe d’une dynamique vitale elle s’avère susceptible, à l’intérieur d’une totalité actuelle, d’opposer la
nature et la conscience en même temps que les consciences entre elles, et de mener à la production d’un mouvement
AN M

historique révolu, mais susceptible d’être reconstitué par les souvenirs particuliers et la mémoire collective. Cette prise
de conscience débouche par conséquent sur une actualité éprouvée subjectivement dans la conscience de l’esprit et
E LE

procure la clef d’une ouverture sur le devenir. Car il est possible d’envisager l’être sous le point de vue de
l’accomplissement réalisé, tel qu’en témoignent les êtres conscients qui sont en rapport avec la nature, conformément à
US SEU

la logique des événements qui témoignent de leur capacité à réagir face à eux comme d’agir sur eux. Or, la capacité
d’agir est fournie par la dimension suprasensible de l’esprit et elle est marquée au triple sceau de l’autonomie, de la
spontanéité et du bien, en même temps que de l’héautonomie qui en initie et en entretient la possibilité à l’intérieur du
sujet moral, et permet d’entrevoir le projet phylogénique du façonnement de la nature et de la culture dont les
AL EL

productions éventuelles, c’est-à-dire non-encore réalisées, sont les gages. Celles-ci supposent, pour qu’elles
s’incorporent au plan de la sensibilité, une projection transcendantale de la capacité imaginative qui, à partir d’une
connaissance actuelle, saisit les possibilités intimes aux consciences, aux événements et aux choses et dont les
ON N

virtualités sont susceptibles d’être constituées en réalités futures, suite à une action et à une technique appropriées.
RS ON

Une seconde perspective sur l’être se dessine alors, par laquelle l’esprit en vient à le considérer selon sa possibilité
effective, i.e. selon ce qu’il serait réellement apte à devenir, en supposant une conjoncture heureuse de la possibilité
P E RS

ontologique de tous les sujets moraux, singuliers, particuliers et in toto, réunis en vue d’une destination sensible unifiée
que procure à ceux-ci la destination suprasensible de l’esprit. Cette finalité transcendantale se trouve réalisée lorsque le
R PE

principe moral de la liberté en vient à subsumer la relation qui s’établit entre la singularité des esprits individuels et la
particularité d’une collectivité d’esprits. Car ce principe réunit les principes de l’autonomie, de la spontanéité et de la
finalité, une concertation pleinement unifiée que réalise l’héautonomie de la conscience et dont l’aboutissement sera la
FO E

sécurité, le maintien, la préservation et la perpétuation de la force vitale, à défaut de réaliser directement le bien
AG

souverain et la félicité susceptible de l’accompagner, dès lors que la fin suprême se trouve avérée, avec la réalisation
subjective des possibilités vitales les plus élevées, parcourant à l’édification de l’esprit à l’intérieur de la culture et la
parachevant. Cet accomplissement requiert l’exercice de l’imagination avec la formulation d’une perspective qui
US

philosophique transcendante que leur autorise à prendre leur destinée morale, lorsqu’elle est adéquatement
comprise.
88 KU, §39; AK V, 292.
89 Idem, Einleitung, §v; AK V, 181, en substituant le concept «transcendant» pour le concept «métaphysique».

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 122 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

favorise la rencontre des objectifs, en accentuant la qualité des rapports existentiels et sensibles qui concourent à
l’édification de la matière, sans laquelle tout projet d’acculturation serait simplement idéel.

LY —
Cette activité n’est pas a priori étrangère à la réalité de l’esprit, puisqu’elle en sollicite l’épanouissement en même
temps que l’activation. Comme elle n’est pas non plus a priori étrangère à l’édification de l’esprit, puisqu’à l’intérieur

ON CHE
du processus technique qui mène à la réalisation objective de l’Idée esthétique, on retrouve une composante sociale.
Celle-ci se manifeste autant par sa finalité transcendantale épistémologique, susceptible de rejoindre, à l’intérieur de
l’entendement commun, l’ensemble des esprits susceptibles d’en recevoir les bienfaits, que par une finalité
transcendantale pratique, qui contribue à l’édification des esprits, voire indirectement, sciemment et délibérément, en

ES ER
suscitant, au sein du sens commun, l’admiration pour l’habileté exprimée avec la production originelle et un désir
d’émulation pour animer l’initiative des sujets en qui ces sentiments naissent successivement, pour recruter leur
participation éventuelle au projet d’acculturation. Car, en inspirant la volonté de surpasser les modèles précédents en

OS H
réalisant des oeuvres originales et excellentes, procédant de génies véritablement créateurs, l’édification de l’esprit que

RP EC
produit celle de la matière est à l’origine d’une relève requise pour assurer, en plus de la perpétuation de l’espèce, la
transmission effective des connaissances et des compétences qui la subsument sous la dimension culturelle.

PU E R
L’édification de la matière est intimement associée à l’édification de l’esprit, à l’intérieur du processus qui extrait
l’homme de l’état de nature et l’inscrit à l’intérieur du mouvement de la civilisation, tel qu’en témoigne le niveau de

CH S D
culture qui en spécifie le point actuel de sa progression. Cette association de la matière et de l’esprit est encore
contingente toutefois, dès lors que le principe de sa détermination demeure ancré dans la dimension sensible de
l’homme, que conditionne toujoursla nature de manière créative et autonome, plutôt que dans son registre
AR FIN
suprasensible, en témoignage d’une aspiration à réaliser l’entéléchie d’une coordination parfaite de l’autonomie, de la
spontanéité et de la finalité à l’intérieur de l’héautonomie, auquel le Bien souverain procure la substance, une substance
qui est définie en regard de la liberté intégrale de l’homme, qu’infuse en tout temps la moralité d’une procession et
d’une progression indéfinies.
SE À

La seconde perspective sur l’être en vient à considérer l’actualité, non pas uniquement comme étant un
RE T,

aboutissement — ce qu’elle en définitive, mais non exclusivement —, mais encore comme un moment qui s’inscrit à
D EN

l’intérieur d’un processus, lequel exacerbe les possibilités finales de toute chose dans la direction que lui procure
l’essence morale propre à la destination suprasensible de l’esprit de l’homme. Il ne s’agit plus, en vertu de cette
approche, de reconstituer un terminus a quo à partir d’un terminus ad quem, celui de l’actualité considérée comme étant
AN M

le point final d’un aboutissement définitif, mais de voir en l’actualité un moment séminal, un terminus a quo ouvrant sur
une multitude d’éventualités et dont le terminus ad quem, hypothétique quant à l’imagination qui en définit par la
E LE

prévision l’aspect formel, est un effet de la causalité spirituelle de l’homme. Ainsi la conscience entretient un rapport
avec les possibilités contenues que contient une dynamique actuelle, par laquelle la nature se transforme en culture sous
US SEU

l’effet de la liberté et elle devient alors le facteur créateur d’une entéléchie, c’est-à-dire d’une histoire qui se réalise.
Tout en illustrant la puissance de la destination suprasensible de l’esprit humain, elle demeure néanmoins conditionnée
par les aléas d’une nature physique hétéronome, non pas absolument cependant, mais uniquement en fournissant aux
pouvoirs rationnels l’occasion d’illustrer, en les spécifiant, toutes les possibilités du génie dont elles peuvent
AL EL

témoigner.
ON N

Cet axe est à proprement parler l’axe téléologique, le point de rencontre entre l’hétéronomie physique et
l’autonomie métaphysique, telle que réalisée avec la moralité suprasensible de l’esprit humain et l’héautonomie qui lui
RS ON

permet de l’initier et de l’actualiser avec une pleine conscience de celle-là. Grâce à la moralité, l’esprit assure la
suprématie du suprasensible sur le sensible, dont la culture devient l’évidence par excellence, en vertu de
l’héautonomie qui atteste de sa plénitude. Or c’est au plan de la priorité de la raison sur le sentiment que se réalise cet
P E RS

ascendant. S’étant donné le souverain Bien comme Idéal et comme terme, son accomplissement sera confirmé par le
sentiment éprouvé, la félicité du Bonheur suprême qui est en même temps le gage de l’accession à la vie éternelle de
R PE

l’esprit. Car, en accordant au pouvoir actif et suprasensible de l’esprit humain [Gemüt] d’extérioriser la vitalité de
l’homme, et d’exercer par elle une primauté sur le pouvoir passif et sensible de la raison, celle-ci réalise une destination
double mais unifiée: le procurement d’une fin réalisable à son activité efficiente, tout en faisant la conservation et la
FO E

promotion du fondement vital de sa possibilité.


AG

Bref, le parcours que prend la finalité de l’axe téléologique exacerbe les possibilités inhérentes aux sujet moraux,
lorsqu’ils réalisent le projet culturel et exercent leur liberté créative, et comporte un terme qui en est l’ultime
US

aboutissement, concevable uniquement comme étant une Idée indéterminée, le principe objectif et régulateur d’une
unité systématique que procure à l’entendement la raison, en assurant à l’infini son usage empirique et en lui proposant
des avenues et des perspectives — des êtres de la raison, dira-t-il plus loin — qui, sans compromettre les lois de cet
usage, leur permettent d’avancer sur le terrain de l’inconnu vers des connaissances nouvelles 90.

90 KRV; AK III, 448-449.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 123 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

Cette Idée est en ce cas-ci l’Idée de perfection intime au concept d’entéléchie, matériellement inconcevable et
formellement inimaginable cependant, lorsqu’elle se réalise à l’intérieur d’une production ontologique et
événementielle, puisqu’il se trouve au-delà des horizons de l’entendement et de l’imagination humaines de connaître le

LY —
point ultime de l’aboutissement historique, même avec l’unité héautonomique la plus complète des facultés de la raison
et des pouvoirs de l’esprit. Car la technique rationnelle accomplie commande une démarche qui procède de proche en

ON CHE
proche, sur laquelle l’imagination productive fournit un pouvoir d’anticipation, lequel n’est ni exhaustif, ni absolu
cependant, puisqu’il engage la nature stricto sensu de la raison, comme étant pour l’essentiel essentiel hypothétique 91.
Ainsi, l’entéléchie du Bien à laquelle est associée sa suprématie devient l’objet d’une espérance qui est ni
déraisonnable, ni improbable, en vertu justement du mouvement technique de la raison. Car toute réussite à réaliser une

ES ER
fin qui est en même temps un bien, à l’intérieur de la série des conditions temporelles, est la cause en général d’une
satisfaction qui est une forme du bonheur et, en tant qu’elle est un sentiment, une confirmation de la vie. Et chaque
nouvelle réussite s’insère à l’intérieur d’une gradation dont l’effet portera sur une durée et une compréhension

OS H
objectives, variables quant aux résultats, ainsi que sur une intensité et une complétude du bonheur dont la grandeur et

RP EC
l’abondance apprécieront. Selon la plénitude de l’entéléchie réalisée, le pouvoir d’extrapolation de la raison permettra
de conclure que plus l’entéléchie est parfaite, plus le bonheur associé à cet accomplissement sera grand et plus la
confirmation de la vie sera éclatante.

PU E R
Cette double perspective sur l’être, laquelle aboutit à une conception distincte du temps, selon la direction
épistémologique que l’on privilégie — rétrospective quant au terminus a quo ou prospective quant au terminus ad

CH S D
quem —, risque cependant de conduire à une antinomie. Car selon que le présent fonde l’expérience que la conscience
en acquiert, sur l’appréhension d’une causalité hétéronome et hétérogène ou sur une effectivité qui procède d’une
activité autonome et autogène, celle-ci devient tantôt simplement le produit conjoncturel d’un aboutissement et tantôt
AR FIN
exclusivement l’occasion d’illustrer un pouvoir constitutif dont la résultante serait toujours à venir, malgré qu’une
hypothèse raisonnable sur l’avenir permet d’anticiper qu’elle procédera réellement d’une liberté bien comprise. De
plus, une telle distinction est entretenue par la nature binaire mais intégrée de l’homme, laquelle est tantôt conditionnée
SE À
et tantôt déterminante dans son rapport avec la nature. Car le sujet moral s’inscrit à l’intérieur du monde naturel de
manière à recruter ses propres facultés sensibles, lesquelles lui permetteront de composer adéquatement avec le monde
RE T,

phénoménal. Mais, en activant ses facultés morales, l’esprit opère sur le monde sensible une action qui, avec les
transformations susceptibles d’en résulter, illustre la spontanéité créative et l’autonomie autogène du registre
D EN

suprasensible. Celui-ci est susceptible, non seulement de susciter une expérience du sens interne qui prenne,
alternativement ou ensemble, la forme du sentiment, du désir et de la volonté, mais encore de générer les conditions
AN M

d’une expérience originale que capteront les sens externes. Ainsi, la dimension suprasensible de la conscience est
susceptible de faire naître un complexe synesthésique judiciaire chez le sujet: celui-ci donne alors lieu à une
E LE

appréciation de la liberté qui compare les fins recherchées aux fins véritablement servies, non seulement quant à l’Idéal
moral, mais encore quant à l’Idéal esthétique.
US SEU

Ainsi, deux principes semblent s’opposer l’un à l’autre: d’une part le principe de l’expérience reconnaît une réalité
substantielle au phénomène du monde sensible et objectal, antérieurement à l’expérience subjective que l’on en
possède, et se réalisant intégralement en raison d’une essence intrinsèque, sous le mode de la communauté physique, en
raison des modalités empiriques de la possibilité, de la réalité et de la nécessité 92. D’autre part, le principe de la raison
AL EL

pratique, identique au principe de la moralité qui fonde a priori la possibilité de la détermination causale en dehors de la
sensibilité, et avec cela la transcendance d’une causalité inconditionnée, et le pouvoir héautonomique de la liberté qui
ON N

lui correspond, que complète l’agence d’un être rationnel, personnel et subjectif, lequel s’exprime en vertu des
RS ON

principes immanents à son essence morale et appartient à la fois au monde sensible et au monde intelligible 93.

Le concept d’un être personnel et subjectif est celui qui préserve la raison d’une impasse dualiste qui verrait l’objet
P E RS

et le sujet irrémédiablement mis en opposition 94. Car le sujet moral possède une appartenance à la dimension
suprasensible de l’intelligibilité, en même temps qu’il appartient à la communauté physique des être sensibles, selon les
R PE

conditions relatives au principe de l’expérience. Or, l’intelligence est certes constitutive de l’unité des principes de
l’expérience portant sur une empirie hétéronome, mais elle réalise bien plus. Car elle fournit la règle d’une liberté,
FO E
AG

91 Il s’agit ici de l’usage hypothétique ou problématique de la raison qui, à partir de cas particuliers, détermine si
leur rapport à une Idée ou à une règle laissent supposer qu’ils en découlent, pour ensuite conclure à
l’universalité de la règle, telle qu’elle puisse être dorénavant appliquée à ces cas semblables, mais auparavant
US

inconnus [Idem, p. 429].


92 KRV; AK III, 185-186.
93 KPV; AK V, 105.
94 SCHOPENHAUER [loc. cit.] résume cette réconciliation lorsqu’il énonce: «Être objet pour le sujet ou être
notre représentation, c’est la même chose».

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 124 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

inhérente au principe de moralité, qui fonde la détermination du monde physique sur une causalité inconditionnée, se
réalisant en raison du principe de finalité qui est en même temps un principe du bien.

LY —
Le principe de l’expérience est en même temps un principe historique, puisque toute actualité présentement
réalisée renvoie à un terminus a quo en fonction duquel l’extension du divers, lequel repose sur le principe de la

ON CHE
permanence de la substance, suppose une succession chronologique. Selon la durée du procès, celle-ci en qualifie le
degré dans l’intension, avec l’action réciproque des substances perçues comme appartenant à une communauté
universelle qui, en raison de cette dynamique, ne saurait être, ni demeurer statique. Car tout mouvement suppose un
changement extérieur dans les relations que les choses entretiennent dans l’espace 95 et tout changement renvoie à une

ES ER
transformation du phénomène, lorsqu’il exprime une variation dans les déterminations de la substance, qui devient
alors le sujet du changement en révèlant des modes d’existence successifs 96. Or, l’un comme l’autre, le mouvement et
le changement, supposent de toute nécessité une liaison dans le divers qui, opérant selon le principe de causalité 97, est

OS H
tantôt hétéronome, et tantôt autonome à la conscience. Le principe historique est donc un principe qui, tout en

RP EC
exprimant la succession d’une causalité dans le temps, en vient à considérer l’actualité, i.e. ce qui est présent au regard
du présent, comme étant un terminus ad quem révolu. Cette incidence est susceptible de recevoir une explication, soit
comme étant une condition du sens externe (en tant qu’elle est une causalité selon la nature), soit comme procédant de

PU E R
l’autonomie suprasensible d’une conscience morale (en tant qu’elle est une causalité selon la liberté) 98.

CH S D
Ainsi, le principe historique n’est pas exclusif du principe moral, mais en vient à considérer son effectivité sous le
regard de l’échéance révolue, sous celui d’une production accomplie, constitutive de l’unité du divers selon l’Idée
esthétique qui a présidé à sa réalisation, et par conséquent sous le regard de l’Idée indéterminée de la perfection. Car si
AR FIN
l’unité du divers est susceptible de se réaliser, quant au concept uniquement, ce qui laisse supposer une perfection
déterminée (la perfection), elle est en même temps susceptible d’un accomplissement quant au genre, ce qui non
seulement ouvre sur une perfection indéterminée (une perfection), mais encore laisse supposer l’éventualité d’une
dynamique possible, un mouvement ou un changement au plan de la communauté des substances et des relations
SE À

susceptibles d’être entretenues par elles et qui caractérisent leur action possible. Celle-ci sera à l’origine d’une liaison
de causalités qui se répercutera, au plan des consciences autonomes, en exerçant une influence possible sur les
RE T,

perfections déterminées. Car ces perfections sont susceptibles d’une réalisation en raison de l’indétermination de
possibilités non-encore exprimées, mais néanmoins présentes virtuellement, de sorte à confirmer la spontanéité
D EN

autogène contenue à l’intérieur de la possibilité des substances et inhérente à l’Idée de liberté 99. Or celle-ci ne saurait
adéquatement illustrer, en l’absence de l’originalité propre à un génie véritablement créateur, la qualité illustrée par le
AN M

sujet moral est une aptitude à produire en dehors d’une règle pré-déterminée. C’est que, selon une effectivité
exemplaire qui, plutôt que s’ancrer dans la culture établie et s’en référer à un apprentissage préalable, susceptible de
E LE

reproduire les formes déjà acquises, trouve son principe dans le fonds naturel du sujet et qui le porte à inventer ses
règles d’une manière ineffable et inconcevable: celle-ci échappe même à l’entendement propre du sujet moral et pose
US SEU

par conséquent un défi à la communication qu’il serait susceptible de vouloir en réaliser 100. D’où le propre de toute
oeuvre de génie à être inimitable, ce qu’en atteste l’harmonie générée à l’intérieur de l’esprit par l’imagination dans son
rapport à la faculté des concepts 101et du génie de constituer pour autrui, non pas un exemple à imiter, mais un exemple à
suivre 102.
AL EL

Dès lors que l’on propose l’Inconditionné comme étant le concept de ce qui, étant inconnu de soi, pousse à
s’extraire des limites de l’expérience et de ses phénomènes pour réaliser une perfection, i.e. l’achèvement de la série des
ON N

conditions du conditionné 103, en s’en référant nécessairement et en toute légitimité au monde nouménal de
RS ON

l’inconditionné, on doit voir en ce talent particulier du génie, l’expression d’une capacité poématique qui agit sur le réel
d’une manière entièrement originale, en l’inclinant à tendre vers l’Idéal d’un suprême réel. Ce terme est supposé par
l’Idée indéterminée de la perfection selon une fin qui, en s’accommodant au genre conceptuel, demeure néanmoins une
P E RS

hypothèse sur l’avenir, puisqu’elle n’est pas encore réalisée. C’est une hypothèse qui conserve cependant un statut
R PE

95 MAN; AK IV, 482.


96 KRV; AK III, 165.
FO E
AG

97 Idem, p. 166.
98 Idem, p. 362-363.
US

99 Idem, p. 363.
100KU, §46; AK V, 307-308.
101APH, §30; AK VII, 172.
102KU, §49; AK V, 318.
103KRV, Vorrede; AK III, 013-014.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 125 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

légitime, étant une Idée régulatrice de la raison. Cet Idéal trouve son expression ultime avec le concept transcendantal
de Dieu, l’Être le plus réel de tous [Gott als dem alterrealsten Wesen], lequel constitue en même temps le principe et le
fondement de toute réalité, de tout ce qui, faisant partie intégrale du monde et possédant une finalité, requiert le postulat

LY —
d’une intelligence ultime pour être concevable 104. Or, puisque le génie appartient à la dimension suprasensible du
monde intelligible, on doit en conclure que, avec la perfection ontologique dont l’esprit anticipe la possibilité réalisable

ON CHE
en vue d’une finalité, cette attribution participe en quelque façon au fondement et au principe de toute réalité. Car le
génie est la faculté de la connaissance intégrale (théorique et pratique à la fois) sur ce qui dépasse la réalité actuelle de
façon spontanée et inattendue, pour se situer au plan d’une éventualité effectivement possible.

ES ER
Dès lors cependant qu’il s’agit d’une réalité qui englobe toutes les réalités possibles, autant celles qui sont que
celles qui furent ou encore celles qui seront, il s’agit d’une réalité qui transcende la série des conditions du réel pour
inclure, à l’intérieur de ce qui est, non seulement ce qui fut, mais en même temps ce qui sera; non seulement ce qui est

OS H
échu, mais ce qui arrivera à échéance; non seulement ce qui est pensé comme le terminus a quo d’un terminus ad quem

RP EC
que devient subséquemment l’actualité pour la conscience; mais encore ce qui, à partir d’une actualité maintenant
conçue comme étant un terminus a quo, se prévoit dans l’Idée indéterminée de la possibilité comme étant un terminus
ad quem susceptible de recevoir l’attribut de la perfection ontologique.

PU E R
Or, c’est l’ambivalence même du concept de l’actualité qui constitue le moyeu de la difficulté posée à la raison

CH S D
unifiée. Car l’actualité est tantôt un terminus ad quem et tantôt un terminus a quo, selon qu’elle est vue de façon
rétrospective ou prospective et qu’elle est conçue de manière historique ou téléologique. Ainsi, selon la nature du
discernement que réalise le jugement sur son phénomène, l’actualité opérera tantôt sous le mode simplement théorique
AR FIN
et tantôt sous le mode pratique. Sous le mode théorique, il s’agira pour la raison pure de simplement constater
l’existence de l’unité du divers en vertu du concept qu’incline à former un jugement sur la perfection ontologique. Sous
le mode pratique, la raison déontologique formulera le désir d’une complétude encore plus grande, telle que
l’imagination peut l’entrevoir, et d’une finalité qui se réalisera en raison d’une perfection dont l’Idée servira de principe
SE À

régulateur à la volonté, avec l’initiation et la continuité de l’action qui, quant à la spécification reçue, en réalisera
concrètement l’apparence du phénomène. Or, cete entéléchie se produira si l’esprit se fonde sur le sentiment du
RE T,

déplaisir que procure le jugement, sis devant l’incomplétude qui résulte uniquement de l’opposition du genre et de la
réalisation, en vertu du mécanisme de l’analogie et de la comparaison, afin d’en arriver à la conception d’une fin
D EN

objective qui serait éventuellement possible. Par ailleurs, ce mouvement fournira un sentiment de plaisir, dès lors que le
désir et la volonté seront en mesure de conclure à l’achèvement d’une entéléchie, que procure leur efficace combiné en
AN M

vertu de l’effort réalisé et de la réussite avérée.


E LE

Or, c’est la bonté du terme qui en caractérise la complétude: dès lors que celle-là est suffisante, aucune finalité
additionnelle ne sera entrevue, ni aucun désir postérieur suscité, pour cette chose dont la complétude sera estimée
US SEU

comme étant adéquate, pour le complexe synesthésique judiciaire, parce qu’ayant acquis la perfection ontologique. Le
jugement prend alors l’aspect d’un jugement esthétique de réflexion. Son mécanisme repose sur l’évaluation objective
de la réalité de la chose, en comparant son actualité sentie à sa possibilité pressentie: le jugement conclut alors à la bonté
suffisante de cette conceptualisation, autant quant à la plénitude avérée de la nature propre de l’entéléchie (qui en
AL EL

illustre la beauté) qu’à l’essence du sujet judiciaire, vivant, rationnel et moral qui en appréhende la qualité (témoignant
ainsi de la sublimité de la conscience), comme exacerbant la série des liaisons causales possibles. Si la nature accomplie
de l’objet témoigne de sa beauté, l’héautonomie suprasensible du sujet illustre sa sublimité, puisqu’elle est le produit
ON N

indépassable du pouvoir inconditionné de l’esprit. Or, sans une présence équilibrée et proportionnelle de chacun de ces
RS ON

éléments transcendantaux, aucune conscience judiciaire de la perfection ontologique n’est réalisable.

Dès que, par contre, la bonté objective apparaît comme étant insuffisante, dès que la possibilité pressentie d’une
P E RS

chose apparaît bien au-delà de la réalité qui en est accomplie, lorsque l’on s’interroge sur la bonté susceptible d’en
émaner, autant quant à son concept que relativement à la conscience critique susceptible d’éprouver le complexe
R PE

synesthésique du jugement, le sentiment d’incomplétude qui en résulte fera naître un désir. La fin qui en procèdera sera
régulatrice de la volonté et se transformera en détermination, laquelle cherchera à procurer à la chose la plénitude de
l’être dont la présence effective, le cas échéant, sera confirmée ultérieurement par un jugement subséquent. Son critère
FO E

ultime — l’Idéal qui guide son appréhension — apparaît comme étant la perfection ontologique éventuelle et repose sur
AG

l’exacerbation des possibilités que subsume l’Idée du genre. Celle-ci s’inscrit à l’intérieur de la réalité suprême, de
l’universel subsomptif quant à la plénitude de l’être et assomptif quant à la tout-puissance de l’acte. Le jugement prend
alors l’aspect d’un jugement logique de réflexion, que la raison pratique ou poématique rendra éventuellement
US

disponible au jugement esthétique de réflexion, par la détermination qui est susceptible de procéder de leur pouvoir
effectif, tel qu’il s’exprime avec la volonté.

104EVT; AK VIII, 399-400n.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 126 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

Or, sans le sentiment, aucune forme de jugement ne serait possible. Car sans le déplaisir que suscite le jugement
logique de réflexion avec l’appréhension de ce qui serait désirable en vertu du concept de la réalité suprême, et sans le
plaisir qui confirme pour le jugement esthétique de réflexion que l’effort de la volonté s’est exercé avec succès, et sans

LY —
l’un et/ou l’autre pour qualifier l’état de l’héautonomie subjective susceptible de produire et/ou de réaliser un concept et
d’adjuger favorablement ou défavorablement quant à cette activité, le complexe synesthésique judiciaire serait

ON CHE
tout-à-fait inopérant en raison de l’absence de l’une de ses composantes essentielles. Celle-ci caractérise la sensibilité
intérieure en raison de correspondre ou non à la vitalité du sujet moral qui, tout en illustrant la possibilité de procurer
une fin extrinsèque à la nature sensible, ou en apercevant en elle l’opération d’un jeu de fins intrinsèques ou
extrinsèques, est lui-même finalisé en raison de sa propre nature, laquelle se trouve au point ineffable et mystérieux de

ES ER
l’intersection du sensible et du suprasensible. Or, ce point est celui de la vie, laquelle se fonde à la fois sur l’unité
héautonomique de la raison, le rapport hétéronomique pré-existant du sujet phénoménal avec la nature et la relation
autonomique du sujet rationnel et moral susceptible de transformer une condition hétéronomique en l’occasion

OS H
d’illustrer objectivement une liberté déterminante. Le sujet moral parvient à cet aboutissement en dépassant ses propres

RP EC
inclinations et en surpassant les résistances exogènes naturelles qui s’opposent à sa propre plénitude intégrale, en
exprimant ainsi qu’il est un être organisé, rationnel et vivant, engagé sur la voie de l’entéléchie idéale que réalise une
entéléchie effective. Or, si l’expérience subjective de cet caractérise en propre l’héautonomie de la raison, c’en es tla

PU E R
manifestatin objective avec l’illusgtration effective de la liberté au plan pratique de la conduite et poématique de la
réalisation de l’oeuvre qui révèle quelle serait l’autonomie du sujet moral.

CH S D
ANALYTICAL TABLE

AR FIN
Purposiveness and Ideal
Objective purposiveness as extrinsic purposiveness. — Assent as related to freedom in the aesthetic collective
judgment. — The presence or absence of feeling as radically distinguishing the teleological and aesthetical forms of
SE À

judgment. — In reality, no such antinomy exists. — A unified theory as the only solution to the compartmentalization
of the mind. — The improbability of pure forms of either a subjective or an objective judgment. — The mathematical
RE T,

and dynamic aspects of objective perfection. — The subjective dimension of perfection. — The desirability of
D EN

perfection. — The concept of perfection as implicitly suggested within subjective purposiveness. — The heteronomy
of the desire for objective perfection: a complex problem. — Vital purposiveness. — Moral purposiveness. —
Procuring greater extension to the principle of subjective purposiveness. — The a priori principle of the systematic
AN M

unity of nature as necessary to the interest of reason. — The intrinsic purposiveness of nature. — Biotic purposiveness
and moral law. — The solution to their underlying tension rests with the acknowledgment of a biotic purposiveness,
E LE

though it be subsumed by the higher order of moral purposiveness.


US SEU

The first critico-moral principle: the primacy of practical reason over theoretical reason
Along with the accompanying principle of the primacy of pure reason over sensate reason, the first critico-moral
principle makes possible a purposive synergy for the mutuality of the biotic and the moral forms of purposiveness. —
Definition of the first critico-moral principle. — This principle as anchored within the essence of reason. — Pure reason
AL EL

may not escape the hegemonic pretense of practical reason. — Integral reason recognizes in practice the legislative
value of pure reason. — The recognition of the consequences of the activity of practical reason for the sensible domain
ON N

as a precondition for its prevalence over the latter. — Pure reason may not deny its fundamental interest. — The
practical effectivity of reason as a guarantor for this acknowledgment. — Practical reason as a necessity for theoretical
RS ON

reason: its absence shall only (paradoxically) privilege heteronomy over autonomy. — The interest of reason as the
motive for its own actualization. — Life as the power to realize moral desire. — Life as the central condition of
P E RS

heautonomy. — The primacy of practice over theory as realizing the essential complementarity of life and freedom. —
Pure will as founded on the principle of pure reason. — Practical reason as realizing the purposiveness of pure reason.
— The practical exercise of reason confirms in reality the supersensible possibility of pure reason. — The primacy of
R PE

the practical over the theoretical transforms the ideality of reason into the effectivity of reason.

The second critico-moral principle: the primacy of pure reason over sensate reason — ONTOGENY AND
FO E

PHYLOGENY.
AG

The first principle in no way diminishes the supersensible purity of reason. — The true nature of experience. —
The Kantian definition of experience. — Judgment as constituting subjective experience. — Intension and extension.
US

— Epistemology and morality. — Three organizing perspectives for any given set of concepts. — Judgment and the
two powers of reason. — The fullness of the autonomy of reason. — The Ideal of freedom. — The autonomy of
absolute spontaneity. — Subjective heteronomy. — Biotic possibility and autonomy. — The diversity of heteronomy.
— Heteronomy and the principle of life. — Problematic heteronomy. — Alienation as heteronomy. — Pleasure and the
fullness of life. — Life and the synaesthetic judicious complex. — The originality and the uniqueness of situations. —
Desire as expressing the movement of life. — Feeling as fundamentally related to life. — Two species of feeling. —
Pathological feeling. — Feeling and morality: opposing the sensate and supersensible domains. — The cultural end as

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 127 de 302 ...


L’UNITÉ DU SENTIMENT ET DE LA RAISON

fully realizing humanity. — Reason over feeling. — Morality as procuring a transcendental status to feeling. — Desire
as a form of feeling. — ONTOGENY AND PHYLOGENY: Integrating phylogeny and ontogeny. — Ontogeny as founding
phylogeny. — Phylogeny as present within ontogeny. — Ontogeny as realizing phylogeny.

LY —
The minimal and maximal conceptions of freedom revisited

ON CHE
The ontogenic dilemma. — Natural heteronomy and the moral discovery. — Feeling and the minimal conception
of freedom revisited. — The fullness of freedom as founding morality. — The feeling of life and morality. — Feeling
and body. — The mind as the vital principle. — The mind-body analogy. — The concept of mind as the key to
understanding the procession towards autonomy. — Phylogeny and desire. — The beauty of action as revealing a

ES ER
harmony of consciousness. — The goodness proceeding from the shaping of matter. — Feeling and the harmony of the
mind. — The supersensible good as subsuming the actual good. — Art as a supersensible process. — Ontological

OS H
perfection as promoting heautonomic perfection. — Ontological perfection as jointly supposing two principles: the
principle of sufficient reason and the principle of incompleteness. — Being and these two principles. — Determinate

RP EC
and indeterminate entelechy. — Art as a social endeavour. — Beauty and sublimity as related to determinate and
indeterminate perfection. — Sublimity as realizing a transcendent subsumption. — The experience of being and the

PU E R
Unconditioned. — The moral foundation of the supersensible destiny of humanity as present in every person. —
Goodness as proceeding from freedom in general.

CH S D
The two axes of reality: history and teleology
Towards a holistic understanding of reality. — The axis of history. — Intellectual causality. — The nexus of
theodicy: moral creativity concurrent with particular wills within a dynamic biotic perspective. — The awareness of the
AR FIN
historical conjunction of nature and mind. — Being as effective possibility. — Imagination and mind. — The cultural
process. — Actuality as processional. — The teleological axis. — The Idea of perfection as being an indeterminate
Idea. — The antinomy of experience and practical reason. — The concept of person as preserving from this antinomy.
SE À
— The principle of experience as a historic principle. — The historic principle and the principle of morality. —
Creative genius as attempting to realize the Unconditioned. — Ultimate reality. — The ambivalence of actuality and
RE T,

the unity of reason. — Forms of judgment and the goodness of ends. — Heautonomy and autonomy as two
complementary aspects of moral nature.
D EN

*
**
AN M
E LE
US SEU
AL EL
ON N
RS ON
P E RS
R PE
FO E
AG
US

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 128 de 302 ...


CHAPÎTRE IV
LE SENTIMENT ET LA VIE

LY —
«La vérité n’a rien de statique», dit M. Leroy 1.

ON CHE
Ce n’est pas une chose, mais une vie...
Au fond, le seul critPre, c’est la vie. Est évident d’abord
tout ce qui est vécu B chaque instant par nous:

ES ER
images, affections, sentiments, idées ou
actes pris en eux-mLmes et en tant que faits.

OS H
Est ensuite évident par le progrPs de la pensée,
tout ce qui résiste B l’épreuve de la pratique,

RP EC
peut Ltre assimilé par nous, converti en notre substance,
intégré B notre moi, organisé avec l’ensemble de notre vie...

PU E R
VoilB bien encore une doctrine du primat de la raison pratique,
quoiqu’elle dépasse la doctrine de Kant, et que Kant l’eft désavouée,
comme on désavoue une enfant ... naturelle !»

CH S D
[C. SENTROUL 2.]

Réflexion et sensationAR FIN


Selon Kant, il y aurait lieu de distinguer les facultés quant à la spécification d’un jugement objectif 3,4.
SE À

Parmi ces facultés, c’est la réflexion qui procure le jugement de beauté (ou de goût), un acte qui est enraciné dans
RE T,

l’entendement, puisqu’il porte sur une représentation quelconque sans la médiation du concept, mais sans exclure
qu’une telle médiation fût possible: le jugement esthétique de réflexion exprime le rapport de l’objet à une finalité
D EN

intime au sujet et non à celle qui est interne à l’objet et qui désigne sa perfection, telle que les sens extérieurs peuvent la
révéler à la conscience par l’entremise de l’intuition phénoménale. Or, cette conjoncture laisse supposer qu’un
AN M

jugement esthétique de réflexion comprend en général uniquement deux éléments constitutifs, à savoir l’association
nécessaire du sentiment à la représentation objective (à l’intérieur du complexe synesthésique) et une réflexion intime
E LE

subséquente (l’héautonomie de la raison), portant pour l’essentiel uniquement sur ce sentiment. Cela reviendrait à dire
que l’esprit entre en rapport avec le sentiment éprouvé devant la représentation et formule un jugement relatif à celle-ci,
lequel reflète pour l’essentiel quelle est la qualité du sentiment, telle qu’elle se définit avec ses nuances et ses
US SEU

modulations, regroupées sous les deux genres principaux du plaisir ou du déplaisir.

Or, le sentiment sur lequel porte le jugement est conditionné par la nature de la représentation, selon un mécanisme
intime qui, en associant la conscience et la chose représentée, donnerait naissance au sentiment particulier. Ceci nous
AL EL

mettrait devant une double possibilité dynamique: il y aurait premièrement la possibilité que le jugement s’exercât sur
l’objet et fournît un sentiment approprié quant à celui-ci; il aurait ensuite celle qu’il portât sur le sentiment et en
ON N

appréciât la qualité et la teneur, en confirmant alors le statut objectif que possède effectivement le sentiment pour la
RS ON

conscience. Nous serions alors légitimé de supposer que le jugement esthétique de réflexion porterait en même temps
sur le rapport particulier qui caractériserait la nature de la chose et sur la diversité de ses possibilités sensibles ainsi que
sur le sentiment résultant, dont les modulations traduisent ces variations sensibles dans le sens interne. Cette relation,
P E RS

qui est à la fois objective et subjective, aurait comme finalité générale de révéler la présence ou l’absence de l’intérêt
qu’aurait l’être rationnel de persister dans son association avec la chose.
R PE

C’est donc pour Kant se demander si la nature du jugement esthétique de réflexion est prioritairement empirique,
s’il se fonde d’abord sur le rapport qu’entretient l’esprit avec la chose par le truchement d’une médiation double, celle
FO E

de la conscience dans le sens interne et du sentiment correspondant suscité par cette chose, ou si, étant de nature plutôt
AG

intellectuelle, il implique un rapport de l’esprit à la connaissance, en vertu d’une technique qui l’élèverait en même
US

1 In J. DE TONQUÉDEC. La notion de vérité dans la philosophie nouvelle. Beauchesne. Paris, 1908. p. 6-8. Cité
in C. SENTROUL (1913). p. 284.
2 SENTROUL (1913). Loc. cit.
3 KU, §39; AK V, 291-292.
4 Voir en annexe, p. 267, le tableau IV.1 intitulé «Genres majeurs du sentiment et le rapport à leur objet respectif,
à la faculté qui les produit et au type de jugement résultant».

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 129 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

temps au plan transcendantal. Car dans le second cas, il faudrait supposer qu’il existât pour le sentiment une
détermination a priori qui lui conférerait au une valeur universelle et nécessaire. Cela revient à dire que, voire même
que le jugement esthétique de réflexion se produisît par l’intermédiaire d’un sentiment qui renvoie à la vitalité du sujet,

LY —
le jugement illustrerait a priori les caractéristiques de la connaissance, en raison du principe qui serait au fondement de
son action. Cela représenterait alors la subsomption de l’expérience subjective sous une règle universelle, en vertu de

ON CHE
laquelle une même espèce de sentiment caractériserait de manière analogue toute représentation issue d’une même
espèce, en vertu de la nature suprasensible commune des consciences susceptibles de vivre une expérience semblable.
Par contre, si le premier cas prévaut, si la détermination du jugement est simplement a posteriori, la question se pose
alors de savoir en quoi le jugement esthétique de réflexion peut prétendre se distinguer d’un simple jugement esthétique
des sens 5.

ES ER
La pierre d’achoppement de la distinction vient de ce que, avec le jugement esthétique de réflexion, le rapport de

OS H
l’esprit au sentiment à l’intérieur du jugement se produit avant tout concept — à un plan donc qui se situe en dehors du

RP EC
champ conceptuel de l’entendement —, et ils se voit accorder par conséquent une valeur d’universalité et de nécessité à
l’intérieur du complexe synesthésique du jugement. Étant a priori, la présence de ces attributs transcendantaux
suggérerait la présence d’une règle. De cette règle proviendrait que, sous la médiation du sens commun, tel objet (ou

PU E R
telle classe d’objets) serait susceptible de susciter tel sentiment précis dans le sens interne, et non tel autre, en
conformité non pas seulement avec la singularité subjective de telle conscience, mais avec la généralité subjective de
chaque conscience (l’universalité stricto sensu) ou du moins d’un ensemble de consciences constitutives d’une totalité

CH S D
(l’universalité d’une totalité).

AR FIN
Car on peut concevoir la possibilité qu’il existât un sentiment qui, étant généralisé à un ensemble important dce
consciences et de subjectivités, ne serait pas généralisable à la totalité de celle-ci. Il en résulterait alors qu’un jugement,
tout en répondant d’une façon générale et nécessaire à la finalité subjective du premier ensemble, distinguerait
néanmoins cet ensemble des autres ensembles importants et peut-être même d’un ensemble véritablement universel,
SE À

lequel se reconnaîtrait aux jugements caractérisés par une universalité et une nécessité plus grandes et donc sur un
sentiment qui soit plus englobant des consciences susceptibles de l’éprouver. Il s’ensuivrait alors que l’esprit opérerait
RE T,

une gradation de la validité des jugements, fondée sur les critères implicites de l’universalité et de la nécessité, et
viendrait à la conclusion qu’elle a une portée variable, puisqu’elle peut être plus ou moins universelle et nécessaire,
D EN

selon que l’ensemble des consciences susceptibles de les formuler serait plus ou moins étendu. Les sentiments
correspondants seraient alors fondés distinctement , pour différents ensembles considérés sous un même égard général
AN M

et leur objet serait particularisé en fonction de susciter un assentiment rationnel et une adhésion du sentiment dont
l’intensité et la généralité seraient distinctives et caractériseraient la nature de l’ensemble auquel ils sont associés.
E LE

Nonobstant cette considération, le jugement esthétique autorise à la position théorique qu’il existe un sentiment
US SEU

fondamental, lequel resterait universel et nécessaire, tout en étant néanmoins préalable à toute pensée. Cela signifie que
le sentiment ainsi conçu appartient à une classe tout-à-fait originale de l’a priori, puisqu’il n’appartient pas à
proprement parler à la connaissance, puisque n’en procurant aucune et pouvant seulement en être un effet subjectif 6,
tout en pouvant être su par la réflexion qui est susceptible de porter sur lui. Car il est une affection 7, émanant des
AL EL

profondeurs du sens interne et accessible uniquement à la conscience que le sujet en possède, une expérience subjective
[Erlebnis] qui n’a aucune possibilité de recevoir une vérification sensible correspondante. Il se réfère à la subjectivité
par conséquent, mais à une subjectivité que tous les êtres sensibles ont en partage, non pas seulement à titre de pouvoir
ON N

affectif singulier, mais en vertu d’un pouvoir sensible commun, lequel renvoie à la nature commune à l’ensemble de
RS ON

l’humanité, telle qu’elle trouve à se réaliser dans la personne de chacun.

Ainsi, chaque sujet moral est-il susceptible, mais d’une manière analogue seulement, de réagir individuellement
P E RS

aux situations particulières et d’éprouver des affections sensibles individuelles qui sont en général communes à un
ensemble d’individus, lorsqu’ils sont exposés à une situation généralement identique, tout en étant susceptibles de
R PE

formuler des perspectives distinctes, en raison d’une diversité de facteurs qui singularisent l’expérience particulière au
plan de l’individualité. Ces éléments incluent entre autres la position physique (spatio-temporelle) quant à
l’événement; les dispositions personnelles (le tempérament, le caractère, la physiologie, le gabarit et la physionomie);
FO E
AG

5 Idem.
US

6 KU, Einleitung; AK V, 189.


7 Nous nous en tenons pour l’instant à cette conception du sentiment comme étant strictement passif et subjectif,
étant lié simplement à l’effet éprouvé à l’intérieur de la conscience lorsqu’un sujet est affecté par une
représentation qui sollicite l’expérience qu’il fait de sa vitalité. Pourtant, cet état intérieur n’est pas un état isolé
de la conscience puisque, grâce à lui, c’est le pouvoir entièrement originel de distinguer et d’apprécier qui
trouve son fondement [des Gefühls [...], welches ein ganz besonderes Unterscheidungs- und
Beurteilungsvermögens grundet] [Idem, §01; AK V, 203-204].

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 130 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

la position sociologique de l’individu (le rôle social, le statut, les privilèges et la situation individuelle face à une
normativité collective prédominante); l’histoire sociale des personnes et la nature des expériences individuelles
(l’appartenance socio-culturelle et la conscience de classe, ainsi que celle de la nature des relations subséquentes,

LY —
entretenues avec autrui à l’intérieur de situations concrètes éprouvées par tous); la qualité et la quantité des souvenirs,
des convictions, des espoirs, des résolutions, des projets et des sentiments devant les expériences éventuelles de la vie,

ON CHE
que l’imagination proactive permet d’anticiper et que la formation prépare au préalable à pouvoir les affronter.

Or, jusqu’à maintenant, la notion d’a priori a été réservée par Kant au champ épistémologique objectif, en tant
qu’elle fonde la connaissance au moyen de principes universels et nécessaires qui appartiennent à la raison théorique

ES ER
pure et que réalisent les formes de l’intuition, les catégories de l’entendement ainsi que les Idées de la raison pure (Dieu,
l’âme et le monde) et de la raison pratique (la liberté et le bien). Mais voilà qu’un nouvel a priori se déclare et
caractérise désormais l’originalité de la troisième Critique: cet a priori n’est pas strictement épistémologique et

OS H
pourtant il possède un statut transcendantal, au même titre que tous les autres a priori. L’universalité et la nécessité

RP EC
[wahre Allgemeinheit und strenge Notwendigkeit] le caractérisent éminemment par conséquent, au même titre que tout
autre a priori reposant en dehors du champ de la conscience empirique 8, en même temps qu’il est éminemment
subjectif. Car il appartient au domaine intime de la conscience personnelle, avant toute possibilité d’objectivation.

PU E R
N’étant pas évident, puisqu’il appartient exclusivement au sens interne d’en fournir l’intuition et d’en permettre la
représentation, il échappe à l’examen des sens externes, de façon immédiate du moins, car la médiation possible de
l’action subtile peut le révéler 9. Se produisant avant tout concept, il échappe à la communication, laquelle requiert,

CH S D
pour opérer, au moins les prémisses du concept (l’image organisée susceptible d’être nommée) et la possibilité
d’expression qui leur est intime.
AR FIN
Le passage du théorique au pratique
Le problème majeur chez Kant, lorsque l’on considère le principe de la primauté du pratique sur le théorique, est
SE À
celui du passage du théorique au pratique, i.e. de la connaissance à l’action. En somme, la mobilisation des conduites et
des actions, ancrée dans la subjectivité et impliquant la personne d’autrui, avec la contiguïté des présences et les efforts
RE T,

de la rejoindre par la communication et l’interaction en général, s’avère être le point crucial à envisager, lorsque le
philosophe tente de réaliser l’unité de l’oeuvre de Kant, et des trois Critiques en particulier. Car, en définitive, seule
D EN

l’action au sens large est susceptible de fournir l’expression évidente de la dimension suprasensible qui appartient à
l’être vivant, rationnel et personnel, à l’homme auquel la culture procure, au moyen de l’artefact, de l’outil ou de
AN M

l’oeuvre, la pérennité de la substance que perpétuent le souvenir et la mémoire. Avant toute extériorisation, la pensée
demeure au mieux une affaire privée, évanescente en l’absence des preuves objectives de son activité et susceptible de
E LE

disparaître avec la cessation de l’existence des témoins et du souvenir qu’ils cultivent ensemble ou chacun pour soi 10, et
au pire une actualité anonyme, sans consistance ni signification propres, reléguée instantanément à l’oubli comme étant
indifférente au cours des événements et indigne de recevoir une valorisation extérieure. Or, avant toute action, tout est
US SEU

soit a priori, quant au registre suprasensible ou a posteriori, relativement au domaine sensible, tout est soit un objet
capté par les sens externes ou une réalité éprouvée dans l’intimité du sens interne, tout est soit une pensée ou soit une
sensation, sans que ne soit concrètement engagée la liberté que procurent l’autonomie et la spontanéité des consciences.
Une telle conjoncture ouvre théoriquement sur le problème de la possibilité même de la liberté.
AL EL

Du point de vue de l’a priori d’abord, une liberté sans effectivité est un concept vide. De celui de l’a posteriori
ON N

ensuite, on ne saurait accréditer la liberté avec l’expérience qui fournirait uniquement l’apparence de la créativité et de
RS ON

la spontanéité d’une activité originale et pertinente relativement à une situation donnée, si alors aucune liberté effective
n’est susceptible de se réaliser et si on se trouve devant l’absence de la possibilité pour une autonomie réelle de
s’exprimer et d’une spontanéité de se matérialiser sans entraves. Bref, sans l’action effective pour entamer le monde
P E RS

sensible, grâce à la dimension suprasensible de l’homme susceptible d’opérer sa transformation significative, l’être
humain possède seulement le rôle d’un spectateur face à la nature. Il est alors susceptible uniquement de vivre selon la
conscience et le sentiment conjugués et d’agir selon les virtualités de la pensée, reléguée aux confins de son sens
R PE

interne, sans possibilité d’illustrer manifestement auprès du monde le contenu de son vécu subjectif, tel qu’il est
conditionné par la nature de l’expérience objective. Or, non seulement le statut de l’acteur convient-il à cette interaction
FO E

positive avec le milieu objectif, mais encore s’avère-t-il éminemment nécessaire à la réalisation intégrale du sujet, en
AG

vertu d’une éventuelle possibilité en ce sens. Car en chaque personne existe la faculté de recruter ses énergies vitales en
son for intérieur, afin de leur donner une direction, avec l’action qui produira un effet sur le milieu, en vertu de
l’interaction judicieuse entre l’organisme et la nature, dont la limite procède d’une régulation appropriée, laquelle
US

8 KRV, Einleitung nach Ausgabe A; AK IV, 18.


9 Vide, supra, le concept leibnizien des «petites perceptions» à la note 56 du Chapître II, p. 82-83.
10 Ceux-ci sont également passibles d’une occultation active, en vertu du mécanisme de l’«inexistentialisme»
présent dans la dynamique sociale. Le terme est de M. Gauchet. Voir l’article «Un Eichmann de papier». In P.
VIDAL-NAQUET (1987). p. 14.

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LE SENTIMENT ET LA VIE

témoigne de la perceptivité de l’intelligence du sujet, de l’originalité de la création réalisée par lui et de l’adéquation de
la fin aux finalités respectives de l’homme et de la nature. C’est un résultat qui est généralement conforme, non
seulement au principe de la finalité autonome, susceptible de s’exprimer en dépit des conditions contraignantes

LY —
présentes dans l’empirie naturelle et culturelle, mais aussi à celui de l’intérêt de la raison qui caractérise l’être vivant et
personnel de l’homme, apte à se manifester d’une manière qui est congruente avec la nature.

ON CHE
La clef de la compréhension du concept de la possibilité d’opérer effectivement le passage de la pensée à l’action
nous est fournie chez Kant par celui de l’Idée esthétique, à la fois opposée et complémentaire à l’Idée intellectuelle. Si
l’Idée intellectuelle est un concept qui, émanant de la raison, pose un défi à l’imagination, en ce qu’aucune des

ES ER
représentations s’y rapportant ne saurait lui être entièrement adéquate, l’Idée esthétique est une présentation de
l’imagination qui stimule et entretient la pensée lorsqu’elle est manifestée et connue, mais n’offre à celle-ci aucune
prise. Aucun concept adéquat ne saurait donc être énoncé pour elle et par conséquent son contenu échappe à une

OS H
explication et à une interprétation intégrales au moyen du langage 11. C’est une Idée qui procède du pouvoir de réaliser

RP EC
de l’imagination productive [die Einbildungskraft, als produktives Erkenntnisvermögen], un pouvoir qui excelle à créer
une nature qui est tout autre, à partir de la matière que lui fournit la nature actuelle 12.

PU E R
Ainsi, grâce à l’imagination créative, dont l’Idée esthétique fonde la constitution évidente d’un produit original,
susceptible de fournir une représentation, on assiste à une présentation d’un autre genre, mais analogue à celle qui

CH S D
procède des Idées intellectuelles, les concepts qui appartiennent à l’entendement et à la raison. La présentation à
laquelle l’Idée esthétique donne lieu prend l’apparence d’une réalité objective [den Anschein einer objektiven Realität]
(à l’instar des concepts de la raison) et elle possède en plus le mérite de repousser les limites de l’expérience au-delà du
AR FIN
connu [etwas über die Erfahrungsgrenze hinaus Liegendem wenigstens streben]. Ainsi l’imagination parvient-elle à
dépasser les possibilités actuelles du concept à se montrer adéquat à elle, vu qu’aucune intuition intérieure n’en existe
préalablement 13.
SE À

L’Idée esthétique renchérit sur les Idées intellectuelles et augmente la matière de la représentation que véhicule
leur concept, en se recrutant l’imagination et en spécifiant sous le mode de l’hypothèse ce que la représentation serait,
RE T,

lorsqu’elle est rapportée dans toute sa nouveauté à une situation sensible aux contours délimités par l’espace et par le
D EN

temps. Elle attribue au schéma du concept des attributs esthétiques, en utilisant les ressources de l’imagination, et elle
démultiplie les représentations qui lui conviendraient, en fournissant à la pensée l’occasion de confirmer logiquement
et même d’amplifier les attributs du concept présent à l’intérieur de la pensée. Car la capacité d’imaginer des attributs
AN M

esthétiques nouveaux, constitutifs de l’Idée esthétique et caractéristiques de la poématique qui illustre la qualité
productrice fondamentale de la conscience imaginative, comporte comme utilité première d’animer le for intérieur du
E LE

sujet [um das Gemüt zu beleben], en lui apportant la perspective nouvelle d’un champ inédit de représentations
apparentées [sie ihm die Aussicht in ein unabsehliches Feld verwandter Vorstellungen eröffnet] 14.
US SEU

On assiste donc, avec l’Idée esthétique, à l’expression d’un autre pouvoir de l’esprit [Geist], qui est pour Kant le
principe général qui anime l’âme [Seele] (sous-entendu de façon implicite et inconnue), en apportant une direction et
une finalité à l’énergie vitale, en vertu d’une activité qui tantôt en préserve et en conserve les forces et tantôt les vivifie
AL EL

et les augmente 15. Selon que le sentiment associé à l’Idée tient du plaisir ou du déplaisir, on peut voir en eux l’indice
que l’activité correspond au premier genre pour celui-ci et au second pour celui-là. Bref, si l’esprit est le siège de la
ON N

raison, en tant qu’elle est le pouvoir des Idées intellectuelles, il est également celui de l’imagination, en tant qu’elle est
un pouvoir des Idées esthétiques: en se réalisant, celles-ci acquièrent alors un statut poématique, puisqu’elles
RS ON

définissent l’oeuvre accomplie, et un statut pratique, puisque l’oeuvre actualise un bien. Elles amplifient l’expérience
connue et elles ajoutent à celle-ci, en lui attribuant de nouvelles caractéristiques. Grâce aux Idées esthétiques, la raison
parvient à repousser de proche en proche les frontières de l’expérience au-delà du connu jusque vers l’inconnu. Cette
P E RS

entéléchie west un facteur de l’imagination d’abord, en raison de son pouvoir producteur, et de l’action ensuite, puisque
la matière de l’Idée esthétique, i.e. de l’image qui en est le prototype dans l’imagination productive, trouve à se réaliser
R PE

concrètement, en vertu des gestes et des conduites qui en procèdent. En réalisant la représentation de ce qui n’est pas
encore, mais en se fondant sur la matière objective de ce qui est, l’imagination illustre sa spontanéité et peut être dite
créative pour cette raison. Par ailleurs, elle se conjugue avec le pouvoir de la raison et en recrute la possibilité afin de
FO E

définir les principes de la connaissance, grâce auxquels la forme que propose l’imagination reçoit une règle adéquate à
AG

en autoriser la conformité avec la nature qui en reçoit l’empreinte et la configuration.


US

11 KU, §49; AK V, 314.


12 Idem.
13 Idem.
14 Idem, p. 315.
15 Idem, p. 313.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 132 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

Raison, nature et vie


Chacun des pouvoirs subjectifs de l’esprit [Gemüt 16] — la connaissance, le sentiment et le désir — comporte trois
dimensions majeures: une dimension théorique qui a son siège dans l’esprit — auxquels correspondent respectivement
l’entendement, le jugement et la raison —; le principe transcendantal qui fonde la légitimité de son activité, laquelle

LY —
peut être autant théorique (en tant qu’elle est une activité épistémologique à l’intérieur du jugement réflexif) que
pratique (en tant qu’elle est une activité morale à l’intérieur du jugement déterminant) — auxquels se rapportent

ON CHE
effectivement les a priori de la légalité, de la finalité et de l’obligation —; et un produit — respectivement pour chacun
la nature, l’art et les moeurs 17 —. La nature est donnée à la conscience avec l’expérience [Erfahrung] mais elle est
constituée par la raison en tant qu’elle est une unité légale à l’intérieur de l’entendement. Dans l’Introduction
proprement dite, qui témoigne d’une précision de la pensée kantienne lorsqu’elle est comparée à celle qui se révélait

ES ER
dans la EE, le principe a priori qui correspond au pouvoir de désirer devient la fin finale et le produit devient la liberté 18
, 19
.

OS H
Or, ces distinctions omettent dementionner, tout en les supposant, les deux aspects fondamentaux de l’expérience

RP EC
qui sont la nature, en tant qu’elle est une chose déterminée avant toute conscience, et l’action, en tant qu’elle est le
manifestation effective du pouvoir de détermination de l’esprit. C’est à l’intérieur de sa définition de l’art que Kant

PU E R
vient proposer à la fois ce que serait l’originalité de l’activité artistique et en quoi elle prolongerait à la fois la nature,
l’habileté humaine et sa réalisation, pour ainsi situer l’art sur le plan unifié d’une compréhension intégrale de la réalité,
selon le schéma présenté dans l’Introduction de cette thèse:

CH S D
NATURE : VIE :: ÊTRE VIVANT : ÊTRE RATIONNEL
AR FIN
ANALOGIE IV.1: L’être humain, en tant qu’il réconcilie en sa propre nature
SE À
le principe sensible de la nature et le principe suprasensible de la vie 20.
RE T,

C’est ailleurs que dans les trois Critiques que Kant aborde la question de la nature. Dans son sens formel, il définit
la nature comme étant le premier principe intérieur de tout ce qui appartient à l’existence d’une chose [es das erste
D EN

innere Prinzip alles dessen bedeutet, was zum Dasein eines Dinges gehört], ce qui expliquerait la possibilité que l’on
retrouve autant de sciences de la nature qu’il existe de choses diverses et spécifiques. Dans son sens matériel cependant,
AN M

on n’entend pas le mot «nature» comme caractérisant l’être propre des choses, autant dans son état que dans ses
déterminations et ses accidents [Beschaffenheit 21], mais comme regroupant l’ensemble des choses sensibles
E LE

susceptibles de devenir des objets d’expérience, l’univers des phénomènes susceptibles d’être considérés tantôt comme
les objets des sens extérieurs pour la théorie physique [Körperlehre] de la nature extensive et tantôt comme les objets du
sens interne pour une théorie de l’âme [Seelenlehre] de la nature pensante 22. On retrouve ici la distinction cartésienne
US SEU

de la res extensa et de la res cogitans, de la substance étendue dépourvue de la pensée et de la substance dont la nature
est uniquement de penser (i.e. de concevoir, d’imaginer et de sentir) 23.
AL EL

Or, le sens formel du concept de la nature renvoie à une essence ontologique spécifique qui serait au fondement de
l’unité objective générique d’une chose: étant la résultante d’une aperception intellectuelle, l’essence serait néanmoins
séparée du genre, autant selon la perspective historico-physique de l’enchaînement et de la mise en contexte de ses
ON N

manifestations que selon celle d’une substance métaphysique au fondement de l’être, qui en est le sujet, et de la
RS ON

permanence, qui en est le prédicat dans la perpétuation de la substance et dans l’invariabilité de sa subsistance. Ce sens
reprend donc les connotations historiquement attribuées au concept de fusiV 24, 25.
P E RS

16 Vide, infra, à la section qui traite du concept du Gemüt, à la page 143 et ss. du présent chapître, en quoi celui-ci
s’avère capital à la conception intégrale de la raison chez Kant.
R PE

17 EE; AK XX, 245-246.


18 KU, Einleitung, §ix; AK V, 197.
FO E

19 Voir en annexe, p. 269, le tableau IV.2 intitulé «L’esprit dans son rapport aux principes formels et finaux de son
AG

activité génétique.».
20 Vide supra, au chapître de l’Introduction, à la page 19.
US

21 (XVIIIe s.): conditio; qualitas (lat.): condition, état; qualité, manière d’être.
22 MAN, Vorrede; AK IV, 467.
23 R. DESCARTES (1992). Méditations métaphysiques. VI, §17. p. 118-119.
24 In philosophical language, 1. «nature as an originating or moving power»; 2. «the elementary nature or
substance of things»; 3. «nature, the general constitution of things, the universe» [Liddell and Scott, op. cit., p.
1701-1702].

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 133 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

Par ailleurs, c’est le sens matériel et non métaphysique du concept de nature que Kant semble avoir retenu dans ses
trois Critiques, puisqu’il en fait l’univers des objets sensibles constitutifs de la possibilité de l’expérience 26, en tant par
conséquent qu’elle affecte les sens externes ou le sens interne et qu’elle se réfère à une théorie physique des corps ou à

LY —
une théorie psychologique de l’âme 27. Or, c’est en établissant une relation intime et nécessaire entre la métaphysique
(comme objet du discours) et l’essence dynamique de la faculté de penser que se constitue l’originalité de la pensée

ON CHE
kantienne. En puisant à même son action pour énoncer des concepts et des principes a priori adéquats, l’esprit [Gemüt],
parvient à unir la diversité des représentations objectives et sensibles et à procurer une connaissance empirique qui,
étant assurée de la légitimité de son activité, est constitutive de l’expérience objective et discursive 28.

ES ER
On voit par là que l’ultime démarche philosophique de la métaphysique réunit, dans la finalité de son produit,
l’objet de l’expérience qui est, d’une part, la cause objective de sa possibilité et, d’autre part, la rationalité humaine,
telle qu’elle se réalise plus spécifiquement avec l’acte de représenter et qu’elle est entendue plus généralement comme

OS H
regroupant toutes les facultés, sensibles et rationnelles, susceptibles d’être recrutées par l’esprit dans la poursuite de son

RP EC
intérêt. Car si la représentation révèle une activité distincte de la raison, elle n’est pas isolée de tous les autres actes
rationnels, lorsqu’ils constituent la réalité en objet de la connaissance et de l’expérience. Or, l’intérêt de la raison est à la
fois naturel, de par sa constitution organisée; héautonomique, avec l’agencement harmonieux de ses divers éléments en

PU E R
vue d’une finalité possible; et autonomique, de par la possibilité pour la conscience de se constituer elle-même en un
principe unificateur, puisqu’elle est le principe et la cause de cette action et de l’appréciation susceptible d’en être
effectuée, comme elle est celle de l’action épistémique qui, agissant de manière déterminante sur l’hétéronomie de

CH S D
l’expérience, se trouve à l’origine empirique de ce moment critique.

AR FIN
Ainsi, la métaphysique est-elle à la fois profondément intellectuelle par sa finalité et essentiellement organique par
son actualité. Elle réunit toutes les capacités dont peut disposer l’esprit autour du principe de l’unité de la vérité, la fin
idéale à laquelle elle prétend parvenir, et elle réussit à édifier un ensemble rationnel qui se fonde sur la confluence de la
fin et de l’action. C’est un ensemble qui ne saurait nier, ni l’intérêt suprasensible de la raison à le constituer — en vertu
SE À

de la finalité même de celle-ci —, ni l’intérêt actif propre à la vitalité sensible du sujet vivant, rationnel et personnel. Car
s’il revient à celui-là de viser à l’unité épistémologique de la connaissance, se résolvant avec l’accession à la totalité
RE T,

absolue 29, il revient au sujet, en vertu de sa nature organique, de pouvoir s’interposer entre le monde empirique,
passible d’une ordonnance, et le monde intellectuel, susceptible d’ordonner, de légiférer, de finaliser et de déterminer,
D EN

au nom de la liberté qui est en même temps la moralité.


AN M

L’entéléchie de la discipline philosophique de la métaphysique est la plénitude de sa réalisation. Vue du point de


vue de la finalité, elle est la réconciliation de toutes les oppositions — sauf évidemment de celles qui sont
E LE

contradictoires —, de sorte à rendre concevable l’unité de la vérité et la vérité de l’unité. Grâce à elle, l’esprit réalise
l’abstraction et parvient à transcender toutes les formes de la sensibilité qui, même en étant transformées en objets
US SEU

transcendantaux, demeurent néanmoins conditionnées, en raison de la singularité de l’expérience qui en réalise


l’historicité. Car, en vertu des anticipations de l’expérience, les lieux et les moments se succèdent et constituent un
enchaînement que subsument l’espace et le temps sous la limitation que procurent les concepts de la durée et de
l’étendue, lesquels corrompent la pureté suprasensible de la transcendance pour laquelle la simultanéité dans la durée
AL EL

représente le moment d’une cristallisation hypostatique. Parce qu’elle se réfère uniquement à l’expérience du sens
interne, la durée demeure une expérience pour l’essentiel transcendantale, n’allouant pour aucune des Idées
indéterminées de l’éternité ou de l’infinité. Étant dénuées de toute possibilité sensible, ces Idées appartiennent
ON N

d’ailleurs au registre inconditionné des noumènes qui sont les conditions de la légalité de l’expérience, puisqu’ils sont à
RS ON

la fois de purs êtres de pensée [Gedankenwesen], en même temps que la cause et la substance extra-temporelles de sa
possibilité, en l’absence évidemment des conditions de l’intuition qui en procurent éventuellement la consistance 30.
P E RS

Si la métaphysique s’intéresse aux choses considérées en elles-mêmes, sises au-delà (ou en-dehors) de
l’expérience objective et par conséquent libres de la détermination sensible, ses concepts conservent des fonctions
R PE

strictement logiques, en l’absence de l’intuition qui est la seule condition susceptible de leur procurer une signification
et une valeur pour l’expérience réelle, lorsqu’elle se recrute l’investissement de l’intégralité de l’être rationnel. La
métaphysique est certes susceptible de se représenter une chose en général, i.e. une chose en tant qu’elle est
FO E
AG

25 Voir à ce sujet l’explicitation de J. LACHELIER dans sa critique du mot «Nature» in A. LALANDE.


Vocabulaire technique et critique de la philosophie. Presses universitaires de France. Vrin, 2002. p. 667-668.
US

26 KRV; AK IV, 085.


27 MAN, loc. cit.
28 Idem, p. 472.
29 KRV; AK III, 253.
30 PKM, §45; AK IV, 332.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 134 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

généralement possible, mais à défaut pour elle de recevoir une détermination effective à l’intérieur de la sensibilité, la
qualité idéelle de l’objet transcendantal que constitue la métaphysique ne possède aucune contrepartie effective dans le
monde sensible. Le noumène appartient au sens interne, en tant qu’il est la matière suprasensible d’une expérience

LY —
rationnelle subjective, susceptible d’être représentée ou présentés en tant qu’image et communiquée en tant que
concept, et reposant sur la substance suprasensible de la notion qui lui assure une permanence possible dans le monde
hypothétique des Idées 31: cet état lui assure donc un statut régulateur qui gouverne l’interface de la raison et du monde

ON CHE
sensible.

Cela étant, il ne peut prétendre recevoir la consistance du phénomène qui lui s’inscrit dans la continuité de

ES ER
l’expérience en tant qu’elle est une actualité concevable et une possibilité présomptive, situées à l’intersection d’états
ontologiques confluents mais logiquement discernables, qui pour l’une confirme le principe de raison suffisante et pour
l’autre le principe d’incomplétude, en vertu desquels une chose est et sera à la fois, c’est-à-dire qu’elle est à la fois

OS H
réalisée (d’un point de vue synchronique) et en voie de réalisation (d’un point de vue diachronique). On peut donc

RP EC
considérer toute chose selon l’une de deux perspectives, dont l’intégration s’avère parfois difficile et dont
l’ambivalence de l’usage linguistique à l’intérieur de la philosophique mène à de nombreuses confusions et
amphibolies: eu égard à ce qu’elle est devenue, en vertu d’une trajectoire historique positive, qui n’exclut pas la

PU E R
présence de facteurs négatifs, qu’exprime l’absence relative du bien réalisé ou de l’agence par l’entremise de laquelle
cette réalisation s’accomplit, la chose s’inscrit à l’intérieur de la continuité sérielle des occurrences; mais au regard de
ce qu’elle devient, selon une perspective téléologique, la chose peut soit se maintenir à l’intérieur de cette continuité, en

CH S D
manifestant ainsi le degré de la réalisation intégrale de sa possibilité qui, tout en participant à ce mouvement,
s’échelonne de la simple suffisance à l’excellence paroxystique, soit défaillir à celle-ci, en raison de ne pas rencontrer
les conditions nécessaires à exprimer cette suffisance.
AR FIN
Or, il existe une synonymie entre la connaissance a priori et la connaissance d’après la simple possibilité [nun
heißt etwas a priori erkennen, es aus seiner bloßen Möglichkeit erkennen] 32. Dès lors que la métaphysique est
SE À

constitutive de la connaissance des principes et des concepts a priori, elle devient alors pour l’essentiel une
connaissance double, simplement étiologique quant aux causes et téléologique quant aux effets qui en dérivent, une
RE T,

connaissance qui situe son champ au plan logique uniquement, puisqu’elle ne saurait prétendre procurer une réalité
ontologique aux noumènes, au-delà de les représenter avec un être de pensée, l’Idée, et constituer pour eux le corps du
D EN

phénomène susceptible de lui correspondre à l’intérieur de l’intuition, tel que le monde sensible serait apte à le révéler à
l’entendement par ce biais. Or, c’est avec la possibilité du passage d’un noumène au phénomène correspondant, de la
AN M

matière de l’être de pensée à celle de l’être corporel précisément, que la métaphysique réalise la plénitude de son
essence, lorsqu’elle illustre une discipline réelle et non simplement idéelle. Car cette transformation implique que l’être
E LE

suprasensible et a priori de l’Idée, qui est le simple concept rationnel d’une possibilité, nécessaire, universelle, mais
non-encore suffisante, procédera vers l’exemplarité de l’être naturel de la chose sensible, qui en est la contrepartie
US SEU

évidente. Avec cela, on assiste à la réalisation effective et évidente de la possibilité que captent, ou sont susceptibles de
capter, les sens externes, et que connaît le sens interne de l’entendement, par l’entremise de l’intuition.

D’un point de vue métaphysique essentiel, l’action est donc l’extériorisation poématique (par opposition à
AL EL

éthique) de la raison pratique: celle-ci se fonde à la fois sur l’Idée esthétique, laquelle puise à l’imagination et à son
pouvoir schématique afin de procurer une extension au concept rationnel avec la spontanéité et la créativité des
pouvoirs de l’esprit; et sur l’expression de cette Idée à l’intérieur de l’oeuvre, laquelle par conséquent devient pour elle
ON N

l’illustration d’un exemple. C’est un exemplaire qui, en raison de son unicité singulière, procédant à la fois de son
RS ON

originalité et de son adéquation excellente jusqu’à la conjoncture du pouvoir de l’esprit et de la situation empirique qui
l’engendre, exacerbe à la fois la puissance de l’entendement à se la représenter dans le concept et celle de l’imagination
à la présenter avec l’image. Et paradoxalement, c’est avec la réussite de celle-ci, qui réalise ce qui était auparavant
P E RS

inimaginable, et l’échec de celui-là, qui ne peut se dégager de l’ineffable et le spécifier de manière adéquate avec le
schème conceptuel, que se découvre la sublimité essentielle de l’oeuvre poématique. Car elle est belle, puisqu’elle
R PE

engage l’esprit et favorise l’unité harmonieuse de l’ensemble des facultés de la raison, sollicitées à apercevoir
l’entéléchie subtile, présente au sein de l’actualité ontologique de la chose prélablement à toute conceptualisation;
comme elle est sublime, en tant qu’elle comporte une résonance émotive et répond avec originalité et pertinence à une
FO E

conjoncture qui la dépasse dans ses moments initiaux, et qu’elle défie toute compréhension effective, du fait que toute
AG

connaissance se fonde sur une connaissance empirique acquise au préalable. Avec la dissonance ainsi produite,
l’oeuvre engage l’esprit sur la voie qui pressent, derrière l’ineffable qui s’en dégage, jusqu’à en reconnaître
subjectivement l’évidence certaine, l’essence dynamique du pouvoir suprasensible qui, par les Idées qu’elle autorise à
US

31 Puisque l’Idée réalise la notion au plan suprasensible de la raison, lorsqu’elle en procure l’hypotypose avec le
concept, c’est la notion qui représenterait la forme la plus pure du noumène [KRV; AK III, 249-250; AK IV,
203-204].
32 MAN, Vorrede; AK IV, 470.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 135 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

en avoir, et qui constituent autant d’hypothèses sur sa possibilité, incline à prendre conscience de l’incommensurabilité
de l’esprit et d’éprouver à son égard le sentiment spirituel [Geistesgefühl] correspondant.

LY —
L’oeuvre est donc morale puisque, avec l’usage de la liberté à des fins améliorantes, elle parvient, non seulement à
réaliser l’excellence d’un bien, mais encore ce qui apparaît ponctuellement comme étant le meilleur bien possible,

ON CHE
compte tenu des déterminations sensibles et de l’évolution dynamique de la conjoncture. C’est un bien dont
l’évaluation judiciaire conduit à un sentiment spirituel spécial, le sentiment moral du respect [Achtung], suscité à
l’intérieur d’une conjoncture subjective cependant, avec l’évocation du pouvoir dynamique auparavant insoupçonné de
l’esprit et de ses possibilités suprasensibles propres, lorsqu’il est confronté au sublime naturel sous l’une ou l’autre de

ES ER
ses deux formes, la grandeur mathématique infinie ou la puissance dynamique illimitée, autant quant à la force avec
laquelle elle s’exprime que sa durée et sa capacité. Or, cette conjoncture appartient uniquement à l’univers moral du
sujet rationnel, lorsqu’il entre en relation avec le mystère qui l’environne dans la nature et dépasse ses facultés de

OS H
conceptualisation et/ou de figuration, et ne touche pas encore au contexte sociologique de l’appréciation morale

RP EC
d’autrui. Celui-ci est également susceptible de représenter le respect [Achtung], mais il prend non pas la forme
subjective de la sublimité éprouvée simplement en vertu d’une nature impressionnante et grandiose, ni même celle de
l’admiration qui procède de la hiérarchisation de la valeur des individualités fondée sur un statut sociologique distinctif,

PU E R
mais la forme objective de l’amour qui impose une limitation à l’estime de soi par égard pour une personne morale qui
est susceptible de révéler une dignité analogue à la sienne propre, puisque toutes deux participent moralement à la fin
finale ultime de l’humanité 33.

CH S D
Kant exclut du rang des sciences naturelles la psychologie empirique, puisque le domaine propre de la psychologie
AR FIN
en général est le divers que lui fournit l’introspection [das Mannifältige der inneren Beobachtung] et qui est séparable
uniquement dans la pensée, en raison de la division que celle-ci serait susceptible de lui procurer conceptuellement,
sans pourtant que la diversité aperçue par la pensée puisse persister avec constance, à l’intérieur de l’expérience
subjective, ni faire l’objet de recombinaisons nouvelles au gré du désir. Plus encore, l’intériorité suprasensible d’un
SE À

individu prend pour Kant une spécificité propre: tenant de l’Inconditionné, elle ne saurait se plier à l’expérience
d’autrui et à des fins qui, provenant de son désir, seraient étrangères à la subjectivité autonome bien comprise, telle que
RE T,

peut l’exprimer un sujet moralement libre, dans le sens le plus élevé du terme. De plus, pour autant que la subjectivité
fût observable, le simple fait pour l’intimité d’être soumise à l’hétéronomie de cette observation en modifie l’état, au
D EN

point de la rendre méconnaissable, lorsqu’elle est comparée à un état simple 34.


AN M

Ce qui n’est pas dire qu’aucune psychologie n’est possible: à défaut de rendre compte d’un divers qui puisse être
découpé en autant de segments distincts et discrets, lesquels feraient pour chacun l’objet d’un traitement
E LE

épistémologique distinctif et même seraient passibles d’une manipulation et d’un agencement conceptuels,
l’introspection procure néanmoins avec l’intuition pure un divers phénoménal qui, tout en étant accessible à la
US SEU

conscience intérieure, épuise la dimension unique du temps 35, celle-ci étant le substrat de sa propre représentation
empirique. Cette permanence réflexive rend possible l’appréhension du divers phénoménal comme étant successive et
changeante, en offrant à celui-ci un fond conceptuel constant et immuable 36. Or, l’unité synthétique originaire de
l’aperception fournit à la pensée et non à l’intuition une conscience de soi qui est ni phénoménale, ni nouménale, mais
AL EL

simplement actuelle, en tant qu’elle est un «Ich bin». Cet acte original de l’être, qui consiste en la connaissance
implicite de sa présence, est le substrat de toute connaissance phénoménale accomplie par le sujet, alors que, en
déterminant sa propre existence, le divers est lié par le Ich dans l’intuition interne, suivant la forme du sens interne 37.
ON N

Force est alors de comprendre que la permanence du substrat temporel est le Ich transcendantal, puisqu’il est la
RS ON

substance suprasensible de la personne, étant avant toute détermination sensible et participant de l’Inconditionné, du
surgissement spontané dans l’intelligence morale qui défie toute notion que l’on peut en formuler, autant avec
l’imagination qu’avec l’entendement ou avec la raison. Pourtant, l’Inconditionné fournit la condition, présente dans
P E RS

l’héautonomie des facultés et des pouvoirs de la raison, d’une autonomie qui, étant créatrice, est susceptible de
composer de manière excellente, originale et adéquate avec une conjoncture mouvante. Celle-ci permettra de réaliser la
R PE

primauté du pratique sur le théorique, en recrutant toutes les forces et toutes les possibilités en cause, autant celles qui
conviennent à la nature objective des choses que celles qui reviennent subjectivement au sujet intégral [Gemüt].
FO E

Toute expérience subjective se fonde sur le Ich transcendantal, lequel est un centre unifié, constant et durable,
AG

autour duquel s’articule toute expérience, à la fois empirique et intérieure. Il est une substance récapitulant tous les états
subjectifs antérieurs et fondant la possibilité de tous les états intimes futurs, un acte qui définit l’activité essentielle du
US

33 MAT, §25; AK VI, 449-450.


34 MAN; loc. cit., p. 471.
35 Idem.
36 KRV; AK III, 163; AK IV, 125.
37 Idem, §25; AK III, 123.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 136 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

principe de l’héautonomie. Ces effets représentent différemment l’impression produite sur l’âme par l’enchaînement
des expériences vécues, en raison de leur qualité à la fois objective et subjective, en reconnaissance de l’originalité qui
caractérise chaque moment de l’existence, attribuable autant à la succession des instants dans l’espace, qu’à

LY —
l’individualité irréductible de chacun, qu’à l’interaction particulière qui distinguera leur conjonction, soumise aux
conditions sensibles qui procèdent du monde naturel comme aux déterminations susceptibles d’être engendrées par

ON CHE
l’essence suprasensible de l’être humain à l’intérieur d’une conjoncture sociale.

Il est vrai que pour Kant, la question de l’âme est éminemment problématique. Car au-delà du postulat
transcendantal de la personnalité qui réalise l’unité du sujet, un postulat qui comporte un usage pratique, puisqu’il est

ES ER
nécessaire et suffisant au fondement de sa réalité substantielle, il y aurait seulement le signe objectif d’un Etwas pour
manifester la permanence du phénomène 38. Ce quelque chose, un je-ne-sais-quoi dont la représentation extérieure du
phénomène serait l’apparence et qui est requis pour en illustrer la permanence de l’état constant et durable, malgré les

OS H
changements et les transformations successifs auxquels il est soumis, référerait en définitive à la substance du sujet

RP EC
vivant que l’on nomme l’âme. Celle-ci peut être considérée différemment mais de manière unifiée dans sa simplicité,
dans sa substantialité et dans sa personnalité.

PU E R
Ce qui pose problème toutefois, c’est la connaissance pour l’âme de l’objet transcendantal qui lui correspond dans
l’esprit, de l’an sich qui en serait la matière 39. La difficulté réside avec le passage, à partir du concept de la personnalité

CH S D
qui réalise l’unité du sujet et qui est habilité à procurer, avec l’activité opératoire de la conscience, la liaison complète
des déterminations effectuées en vue de constituer l’unité de la connaissance, vers celle de la persistance dans la
continuité du sujet, procédant de l’expérience subjective [Erlebnis] et se trouvant à la base du concept de l’identité du
AR FIN
Ich, considéré comme étant un objet transcendantal. Car si l’unité du sujet ouvre sur la perspective d’une durée
ininterrompue et d’une substance qui en soit le principe, rien n’assure que celle-ci soit réelle 40. Nonobstant qu’aucune
garantie n’existe que se produira la réunion de l’expérience interne subjective de l’identité individuelle du Ich et de
l’expérience extérieure objective qu’autrui serait susceptible d’en faire sous le mode phénoménal, l’expérience interne
SE À

livre en outre une tautologie, dès lors qu’il s’agit de conclure à l’essence du Ich simplement à partir de l’introspection 41,
puisqu’on retrouve une diversification hétérogène des formes de l’intuition à l’intérieur de l’expérience consciente 42.
RE T,
D EN

L’expérience qui se vit avec la conscience du temps, en tant qu’elle est intimement liée à celle de l’unité subjective
du Ich: elle peut certes mener éventuellement à la conclusion qu’une substance simple correspond à la permanence de
cette unité et lui est associée comme substrat, rien n’oblige un autrui moral à conclure de manière objectivement
AN M

analogue à la permanence du Ich chez le sujet moral qui fait l’objet d’une réflexion. C’est que l’expérience subjective
du Ich renvoie au temps en tant qu’il est la forme du sens interne alors que l’expérience objective d’autrui sollicite
E LE

l’expérience subjective de la continuité du Ich, réalisée avec la conscience d’une persistance objective que conditionne
la forme de l’espace. Cela se produit, nonobstant que l’expérience renvoie à la forme des sens externes, et par
US SEU

conséquent à une phénoménalité esthétique qui interpelle le complexe synesthésique judiciaire, par lequel
l’entendement se trouve opposé à l’imagination pour éventuellement se réconcilier avec elle, en engendrant l’harmonie
susceptible de dissiper cette tension. Parce que l’expérience subjective du Ich évoque simplement la forme intérieure du
temps conjuguée à celle de l’unité du Ich, elle est radicalement distincte de l’expérience de la continuité objective
AL EL

d’autrui, laquelle fait intervenir la forme extérieure de l’espace. Or, pour cette raison, on assiste à deux intuitions
irréconciliables: celle qui premièrement se fonde uniquement sur le sens interne et l’expérience générale du temps,
laquelle inclut toutefois et implique la notion de l’objectivité et de la spatialité, puisqu’elle est la condition a priori de
ON N

l’expérience à l’intérieur de l’intuition en général, sans qu’elle ne soit requise pour faire l’expérience subjective
RS ON

[Erlebnis] du Ich; et celle qui deuxièmement se fonde en grande partie sur les sens extérieurs, avec l’appréciation de la
phénoménalité objective d’autrui, et donc repose pour l’essentiel sur la forme de l’espace, sans que pour autant la forme
du temps ne soit sollicitée, sauf dans l’intuition du Ich , présent dans le sens interne et susceptible de prendre
P E RS

subjectivement conscience de la dimension sociale du rapport à autrui, avec l’acte de l’aperception qui le lui révèle,
lorsque celui-ci devient un objet de l’expérience.
R PE

Or il y a de toute chose ce qui en singularise la substance, à savoir la possibilité d’une permanence dans la
subsistance qui est fortement conjoncturelle, puisqu’elle est conditionnée par la nature sensible et les lois ainsi que les
FO E

principes — l’agence et la causalité —, en vertu desqueles elle reçoit une détermination avant cette expérience.
AG

Autrement dit, toute chose requiert ce qui en assure la continuité et la permanence et qui, en raison de cette continuité,
devient la condition suffisante de son existence caractéristique. Cette singularité substantielle en est l’état fondamental,
US

38 Idem; AK IV, 230.


39 Idem.
40 Idem.
41 «... da dieser Begriff [der Personlichkeit] sich immer um sich selbst herumdreht» [Idem, p. 230].
42 Idem, p. 228.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 137 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

l’état le plus simple de l’être de la chose, en vertu duquel la chose a la subsistance d’un être; en l’absence duquel la
chose ne saurait être réellement; et dont la privation signifie la cessation d’être de cette chose.

LY —
Les deux genres de l’être
Au plan de la nature, tout être illustre en général l’un de deux genres, l’inertie ou la vie, selon que l’être ait la

ON CHE
possibilité ou non de réaliser le principe intérieur de son propre mouvement, lequel exprime alors l’effet d’une chose
dont il est l’agent. L’être inerte est celui qui ne possède pas cette possibilité ou qui, l’ayant déjà possédé, ne la possède
plus. L’être vivant est celui qui possède toujours cette possibilité, laquelle s’illustre à proprement parler avec l’action, et

ES ER
qui prend l’aspect de la croissance sous sa forme la plus élémentaire. De sorte que la substance de l’être vivant est l’être
fondamental par lequel cet être possède de façon constante et ininterrompue la possibilité d’initier une action,
c’est-à-dire de passer d’un état latent à un état patent, et de se révéler être soi-même la cause déterminante d’un effet

OS H
sensible que spécifie l’action, réalisée en conformité avec le principe de la liberté. Or, cet effet peut apparaître à la

RP EC
conscience soit immédiatement dans le sens interne, soit par l’entremise des sens extérieurs. Dans ce premier cas, c’est
la forme du temps qui gouverne l’intuition et dans le second, c’est la conjonction des formes de l’espace et du temps.

PU E R
Lorsque l’être vivant est dans son état latent, tout est possibilité pour lui, sauf la nécessité de parcourir à sa propre
conservation, laquelle en constitue la constance dans l’actualité. De sorte que l’être vivant existant sous son état latent
existe avant toute cause qui, étant autonome ou hétéronome, en spécifie l’actualisation active. Lorsque cette cause

CH S D
devient efficiente selon un principe de liberté et qu’il en devient lui-même à la fois l’agent et le principe, le sujet
agissant accède au plan moral en vertu d’illustrer le principe de l’héautonomie. En l’absence de la capacité autogène, la
question se poserait de savoir distinguer entre l’être simplement inerte et l’être vivant, voire sous un état latent, et
AR FIN
d’expliquer qu’un objet inerte puisse néanmoins exprimer l’élan intime qui convient à la vitalité d’un être animé.
Puisque la manifestation de la causalité en vue d’une fin est le propre de toute activité, en vertu du principe de finalité
qui s’exerçe en vue d’un intérêt qui gouverne l’unité organique, le passage d’un état latent vers un état patent trouve
SE À
nécessairement son origine à l’intérieur de la raison. Lorsque le mouvement est entièrement autogène, il devient
l’expression d’une finalité qui est inhérente à un être organisé et qui exprime, avec la légalité de son autonomie se
RE T,

concertant avec la créativité de sa spontanéité, l’état de la liberté qui subsume la nature sous le principe de la finalité
intelligente, par laquelle s’exprime l’adéquation de l’action aux conditions sensibles de la nature, en vue d’une fin à
D EN

réaliser effectivement. Or, cette fin cherche toujours, en quelque façon, à constituer un bien, chez un sujet moral
fondant son action sur la réalisation intégrée de l’être humain.
AN M

Toute matière inerte possède également un état latent qui en constitue la permanence dans l’actualité. Mais, au
E LE

contraire de l’être vivant, qui a la possibilité héautonomique de transformer l’état latent initial en état patent successif et
constant, l’être inerte subit sans exception les modifications perceptibles de son état latent, soit en raison de l’action
US SEU

apparemment aléatoire des forces et des énergies des autres natures inertes, soit en conséquence de l’activité finalisée et
transformatrice des êtres vivants, tels que l’une et l’autre se manifestent à l’intérieur du monde sensible. C’est un
monde que caractérisent des surgissements et des mouvements qui, tout en laissant deviner qu’ils se produisent selon
des manifestations constantes, qu’un effort épistémologique de l’entendement est susceptible de constituer en principes
AL EL

et en lois, peuvent apparaître éventuellement au plan simplement existentiel comme étant remarquablement
disproportionnées, à une échelle mathématique et dynamique, lorsqu’elles sont comparées aux possibilités effectives
de l’être humain, malgré cependant qu’à l’intérieur d’une grille spatiale et temporelle relativement restreinte, elles
ON N

fournissent la possibilité réduite d’être façonnées ponctuellement par l’activité édifiante de l’homme. Ainsi ces
RS ON

événements physiques deviennent-ils, pour cette raison, des conditions limitatives et contraignantes, autant pour le
microcosme des êtres inertes que pour l’habitat de l’homme qui se greffe et s’édifie sur elles.
P E RS

L’action résulte de la possibilité autogène que possède l’être vivant et rationnel de l’homme de constituer
effectivement pour lui-même la cause autonome et spontanée d’une activité finalisée, laquelle possibilité définit son
R PE

héautonomie. En initiant celle-là, il assure sa propre présence au monde et il illustre une capacité à la fois ontogénique
et phylogénique. Cette virtualité demeure la distinction essentielle qui sépare la matière inerte et l’être vivant. C’est une
différence qui opère, non pas sur le mode d’une opposition radicale, mais sur celui plutôt d’une probiose, grâce à
FO E

laquelle la présence des choses inertes devient l’occasion et le garant de l’implantation, de la croissance, de la
AG

subsistance et de la permanence des formes vivantes, autant au plan ontogénique qu’au plan phylogénique. Ces deux
plans se réunissent en un seul projet pour l’être vivant, celui de se conserver et de se perpétuer, face à une nature parfois
adverse et hostile, mais dont les contrariétés qu’elle manifeste présentent en même temps des défis pour les êtres
US

animés. L’être organisé réalise cette fin essentielle à sa survie et à sa vie en général, en transformant la nature, ou
certains de ses aspects les plus malléables et les plus dociles, au moyen d’activités initiées en vue réaliser concrètement
des fins spécifiques qui sont subordonnées à cette fin supérieure. Les artefacts qui en résultent portent sur une matière
naturelle et rendent patents les efforts finalisés du sujet moral, pour caractériser ce qu’il est convenu de nommer la
culture. Or, la vie est le principe suprasensible qui fonde la propriété incombant à tout être autogène de réaliser une
activité efficiente et finalisée en vue d’un bien, le sujet [Gemüt] en est le principe général et l’esprit [Geist], le principe
directeur en vertu duquel l’âme sensible [Seele] se mobilise pour constituer avec et par l’entremise de l’action une force

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 138 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

déterminante sur la nature, en vertu des possibilités inhérentes à celle-ci et des dispositions propres à celle-là. Le tout se
produit en vue de fins que spécifie la raison et que réalise la volonté, en vertu du désir que fait naître l’imagination,
engagée dans son activité prospective sur la nature en vue d’un bien susceptible d’en procéder. Aussi peut-on affirmer

LY —
que l’héautonomie est le principe par lequel la vie se réalise en chaque être vivant, en initiant et en assurant la
concertation de toutes ses facultés en vue d’une finalité qui est congruente, autant avec les lois et les principes a priori

ON CHE
de la vie qu’avec ceux de la raison qui en émane et de la nature en général.

En tant qu’il fonde toutes les possibilités actives de l’homme, l’état latent de la vie est certes un état minimal et, à
ce titre, c’est un état brut, indifférencié, passif et primitif, pré-existant à toute moralité et à toute conscience, requérant

ES ER
sa propre conservation comme condition fondamentale de sa permanence. Lorsqu’elle est assurée en quelque manière
par autrui, ou lorsque celui-ci participe à cette activité en réalisant une finalité intrinsèque, la conservation du sujet
moral devient alors l’expression d’une valorisation et d’un désir désintéressé (comme c’est le cas pour un être vivant

OS H
dont la précarité fondamentale et/ou acquise requiert un soin approprié en vue d’en assurer la continuité et la longévité).

RP EC
Et pourtant, il existe à l’intérieur de la latence qui caractérise la vulnérabilité et la dépendance d’un être précaire et
fragile quant aux autres, un germe d’autonomie qui, même avant toute moralité, s’inscrit à même la constitution
organisée de l’être vivant, pour en exprimer la condition fondamentale que l’on retrouvera à tous les niveaux de la

PU E R
complexité de son organisation finalisée. Ce principe est celui de la complémentarité mutuelle et réciproque des
organes et des fonctions, en vertu d’un ordonnancement qui définit en même temps l’essence d’un être organisé. Car
l’être organisé en vertu du principe vital est un produit de la nature pour lequel tout réalise la réciprocité de la fin et du

CH S D
moyen 43, en raison d’une confluence des forces vivantes qui entrent les unes avec les autres en rapport de mutualité
intime et qui mobilisent [bewegende Kraft] ainsi que transforment [bildende Kraft] autant le sujet moral que l’objet
sensible. Car la dimension héautonomique de l’âme [Seele] active fonde de façon nécessaire l’aspect créateur et
AR FIN
directeur de la raison [Geist]: tout en réalisant la plénitude de son sens à travers lui, elle ne comporterait sans lui aucun
sens du tout 44. Ainsi se trouve située adéquatement la mutualité finalisée de l’âme [Seele] et de l’esprit [Geist] à
l’intérieur du sujet qui réalise sa possibilité spirituelle, entièrement et de manière intégrée [Gemüt].
SE À

Pour tout dire, l’originalité de l’organisation naturelle propre à l’être vivant est telle qu’elle définit un nouveau
RE T,

genre de causalité, distincte dans son essence de toute autre forme de causalité, celle qui appartient strictement à des
êtres organisés, réalisant des fins qui sont uniquement naturelles [Naturzwecke] inscrites à même l’intimité de leur
D EN

essence, en tant qu’elles sont des perfections naturelles [Naturvollkommenheit] 45. Car étant une fin naturelle; étant un
être organisé s’organisant lui-même [als organisiertes und sich selbst organisierendes Wesen]; étant une totalité à
AN M

l’intérieur de laquelle chaque partie existe en raison des autres, grâce à elles, pour elles et en vue du tout, alors que
chacune des parties produit et interagit de manière réciproque avec chacune des autres, sur le mode de la mutualité
E LE

créative, c’est en raison de tout cela que l’être vivant peut revendiquer l’état de fin naturelle 46.
US SEU

L’être organisé est d’ailleurs hautement problématique puisqu’il est conçu comme étant un produit. C’est donc
dire qu’il procède d’un pouvoir [Vermögen] qui présente des attributs remarquables et une qualité inconcevable
[unerforschlich 47], évocatrice à la fois, sur le mode de l’analogie, de l’art et de la vie 48. Étant un produit, la vie
implique une causalité intelligente qui est tout à la fois hétéronome par rapport à sa réalisation et autonome dans son
AL EL

activité productrice. Celle-ci réunit en chaque être organisé, regroupé selon l’espèce, la constance dans l’uniformité de
l’exemple [nach einerlei Exemplar im ganzen], ce qui tient de l’art; en même temps qu’une diversification convenable
dans son adaptation aux circonstances en vue de sa propre conservation, ce qui tient de la vie. Mais alors, comment
ON N

rendre intelligible cette double caractéristique d’un être vivant ainsi unifié: car si on voit en lui le fait d’être simplement
RS ON

une propriété de la matière, en cette possibilité de composer de manière adéquate et finalisée avec des données
objectives souvent aléatoires et imprévisibles, c’est alors proposer que la matière contienne une essence qui est
incompatible [widerstreiten 49] avec la sienne propre; et si on propose de voir en l’être naturel la juxtaposition et la
P E RS

communauté de principes étrangers (l’âme associée à la matière), on assiste à un dilemme apparemment insoluble. Car
l’intégration de ces principes, par laquelle l’âme entre en rapport avec la matière comme avec un instrument,
R PE

l’informant, l’organisant et se combinant avec elle sous le mode de l’unité, tient autant de l’aporie que si l’âme est
conçue comme étant le principe générique de cette architecture. On s’explique mal en effet comment, s’en distinguant
si éminemment, un principe matériel pourrait alors coexister en elle 50.
FO E
AG

43 KU, §66; AK V, 376.


44 Idem, §65; AK V, 374.
US

45 Idem; p, 375.
46 Idem; p, 374.
47 (XVIIIe s.) < Erforschung = indagatio (lat.): recherche minutieuse.
48 Idem.
49 (XVIIIe s.) = sich wehren; sich widersetzen: se défendre, résister à; s’opposer à.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 139 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

Le mystère de la vie
En réalité, Kant pose là l’essentiel du problème du parallélisme psycho-physiologique, sans prétendre toutefois
leur offrir de solution, et il voit l’illustration d’un mystère avec cette opposition de principes étrangers, pourtant
susceptibles de coexister en association intime. D’une part, l’aperception esthétique de la nature que procure le

LY —
jugement renvoie à l’art, puisqu’il repose sur une intuition externe et sur la réflexion ainsi rendue possible, et d’autre
part, le concept de la perfection naturelle interne, qui organise les êtres sous le mode de l’autonomie, en raison d’une

ON CHE
causalité finale d’après des fins également naturelles, renvoie à un pouvoir naturel [Naturvermögen] qui surpasse tout
pouvoir physique connu.

Le concept de mystère que nous employons rend cette idée d’un état qui réconcilie dans l’enséité d’une fin

ES ER
générale, identique quant à son intrinsécité mais variable quant à son expression, deux essences opposées et
radicalement distinctes, sans que pourtant elles ne soient a priori conflictuelles, sauf à s’annuler mutuellement et à

OS H
écarter la possibilité même de la vie. Ce n’est pas un concept étranger qui est étranger à Kant. Autant la nature que la
sphère politique et la religion sont pour lui des champs imbus de mystère, quoique chacun de ces domaines renvoient à

RP EC
un sens distinct du mot mystère.

PU E R
LA NATURE. En ce qui concerne la nature, c’est le mystère des arcanes dont il s’agit, de phénomènes dont le
concept renferme une part d’inconnu, quant aux lois et aux principes qui les régissent, mais qui sont néanmoins
susceptibles d’être révélés à la connaissance 51. Lorsqu’ils procèdent d’une ignorance qui se fonde sur une absence ou

CH S D
une privation de données suffisantes à l’élaboration d’un savoir, ils sont tantôt irréprochables, dès lors que les choses
que la raison aurait intérêt à connaître sont au-dessus de ses possibilités; tantôt autorisés, dès lors qu’ils existent en
dehors des champs épistémologiques développés; et tantôt reprochables, dès lors qu’ils posent un défi minimal à la
AR FIN
connaissance, tout en étant nécessaires à celle-ci 52.

Seule une exploration approfondie des sources premières de la connaissance, laquelle est au coeur du projet de la
SE À
philosophie critique kantienne, est susceptible d’amener à conclure en l’inéluctabilité de l’ignorance quant aux choses
de la nature. Celle-ci se fonde alors a priori sur la détermination de la raison qui se produit en vertu des limites
RE T,

inhérentes à l’essence de la connaissance pour ainsi procurer l’inscience, ou a posteriori, sur celle qui, en raison de tout
ce qui resterait à connaître, illustre les limites de sa puissance à cerner le champ du savoir et à réaliser l’extension
D EN

complète de sa portée. Ainsi serait-il possible, grâce à la critique, de développer le concept paradoxal d’une science de
l’ignorance qui viserait à la connaître les limites propres à la raison et ainsi à établir les critères qui permettront à
conclure à la présence d’une ignorance irréprochable. Par ailleurs, puisque la détermination a posteriori de la raison
AN M

révèle uniquement l’état actuel de la connaissance, sans présumer de son état éventuel, lorsque son activité révèle une
E LE

continuité épistémologique, elle fonde une ignorance permise qui le demeure tant et aussi longtemps que la
connaissance cherche à repousser les limites de son inscience et donc des perceptions qui l’entretiennent. Toujours en
est-il que, hormis ces domaines pour lesquels l’ignorance apparaît comme étant nécessaire, c’est la conscience de l’état
US SEU

d’ignorance qui est la véritable cause [eigentliche Ursache] des recherches visant à la dissiper 53. Cette cause se
transforme en motif, peut-être en raison du sentiment de l’insatisfaction qui accompagne la conclusion à l’effet que
l’intérêt de la raison est bafoué et qu’il est nécessaire de lui rendre justice en comblant le manque qui est à l’origine de
cette incomplétude 54. Qu’à cela ne tienne, c’est le défaut de mettre en oeuvre cette entreprise, lorsqu’elle est requise par
AL EL

la conjoncture et possible pour la raison, qui spécifiera les conditions de l’ignorance reprochable.
ON N

LA POLITIQUE. Un autre type de mystère tient du secret politique, lequel fait l’objet d’un devoir à ne pas en faire la
RS ON

publicité au grand jour. Ils émane donc de la raison d’État: celle-ci devient une raison collective éminemment morale,
dès lors qu’elle est sujette aux trois principes qui confèrent une valeur morale au devoir, lequel se fonde par conséquent
sur la représentation de la loi morale, telle qu’elle s’exprime conformément à l’impératif catégorique. Car autrement, ce
P E RS

serait divorcer la raison d’État du sujet moral qui est le principe formel de son actualisation, puisqu’il représente
l’intérêt de l’État, lequel est toujours finalisé en vue d’un bien, et en particulier du bien commun et public. Or, le sujet
moral est un être de devoir: il est donc lié par les principes moraux du devoir, celui d’accomplir le bien uniquement par
R PE

devoir, indépendamment de l’inclination (première critère); sans égard pour la fin, mais uniquement en raison de la
maxime en tant qu’elle est un principe rationnel du vouloir (deuxième critère); et par respect uniquement pour la loi
morale (troisième critère) 55. Par ailleurs, le concept du devoir serait vide, en l’absence de la finalité formelle du devoir
FO E

qui réside en la subsomption des maximes particulières du devoir sous l’impératif catégorique. Celui-ci est le principe
AG

50 Idem; p. 375.
US

51 RGV; AK VI, 138n.


52 LOG; AK IX, 044-045.
53 KRV; AK III, 495.
54 Idem; p. 552.]
55 GMS; AK IV, 399-400.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 140 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

nécessaire d’une volonté intégrale qui soit en même temps celui de la simple légalité morale en général,
indépendamment de toute maxime qui serve à gouverner les actions précises. Cette condition sera en outre conforme à
la stipulation déontologique qui veuille qu’une maxime particulière sera destinée à recevoir le statut d’une loi

LY —
universelle 56 et donc qu’elle devrait être nécessairement voulue par chacun, en tant qu’il est un être de devoir et par
conséquent un être moral. Tout comme les arcanes de la nature, les secrets politiques sont susceptibles d’être connus, et
d’échapper à l’ignorance par conséquent, puisqu’ils reposent sur des causes empiriques 57.

ON CHE
LA RELIGION. Il n’en va pas ainsi du mystère à proprement parler, un secret sacré [heiliges Geheimnis] qui
appartient au domaine de la religion et qu’il serait utile de savoir et de comprendre, sans pourtant réussir à en pénétrer

ES ER
les contenus ultimes, puisque ceux-ci tombent uniquement sous la possibilité active de la compréhension, telle que seul
l’esprit Dieu peut l’illustrer. Puisque le mystère surpasse le pouvoir de l’homme, il échappe donc à la sphère de son
devoir en vertu de son essence 58. D’ailleurs, celui-ci parvient à obvier aux conséquences que comportent les

OS H
incertitudes du mystère pour la connaissance adéquate de l’obligation: puisqu’il appartient au domaine de la moralité,

RP EC
de possibilité qui se conjugue avec l’obligation, le devoir est donc accessible à l’universalité des êtres humains, pourvu
évidemment que l’on connaisse les maximes qui sont la matière de sa spécification et que l’on en veuille effectivement
la réalisation, en vertu de la volonté qui repose sur le principe de l’héautonomie.

PU E R
Ainsi, en ce qui concerne le mystère en général, il y aurait lieu de plaider l’ignorance nécessaire en vertu des

CH S D
limites inhérentes à l’essence de la raison humaine qui, malgré qu’elle puisse concevoir d’une manière apophatique
l’existence des Idées indéterminées que sont celles de l’Inconnu et de l’Inconditionné, ne saurait prétendre de façon
positive à en décrypter tous les sens et à en apercevoir tous les principes. Car la raison de l’homme est située devant une
AR FIN
nature qui, étant produite, serait susceptible de trouver sa cause dans la réalité d’une raison intelligente dont le pouvoir
surpasse de manière incommensurable celui de l’homme et dont la réalisation dépasse toute compréhension humaine.
Autrement, il s’agirait de pouvoir expliquer d’une manière satisfaisante, l’engendrement de la nature organisée en vue
d’une fin qui réunit en un être organisé, de façon complémentaire et concertée, deux principes étrangers et logiquement
SE À

incompatibles, la sensibilité de la matière inerte et l’essence suprasensible de la force vitale.


RE T,

Mais un tel retranchement à l’intérieur de limites impossibles à franchir répugne à la raison humaine, pour la
D EN

simple raison qu’une saine épistémologie, sachant reposer ses prétentions, non pas sur des causes chimériques, mais
bien sur des motifs avérés quant à leur nécessité, cherchera à déterminer ce qui est véritablement une ignorance a priori.
Ainsi pourrait-elle se défendre de l’imputation vicieuse de céder à une raison paresseuse (ratio ignava), qui croyant
AN M

faussement son oeuvre achevée, se livrerait à la conclusion oiseuse de considérer comme étant constitutives et comme
appartenant à un être transcendant et suprême des Idées transcendantales simplement régulatrices 59. Celles-ci
E LE

réaliseraient en réalité une causalité immanente à la nature, du moins quant à la compréhension que l’on serait
susceptible d’en formuler, puisqu’elle ne dépasse ni les prétentions, ni les ambitions légitimes de la raison.
US SEU

Il existe une similarité cependant entre, d’une part, l’aporie de l’identité du Ich qui se fonde sur l’aperception du
sens interne et sur le jugement subjectif en procédant dont la réalité ne saurait être confirmée, chez autrui, avec un
jugement objectif des sens externes; et d’autre part, celle qui pose le principe d’une finalité naturelle présente chez les
AL EL

êtres organisés, mais qui ne parvient pas à réconcilier la nature sensible de ces êtres avec un pouvoir qui, tout en étant
autant inconcevable, quant à son essence, qu’il est inimaginable, quant à l’extension de sa possibilité, réalise dans
ON N

l’intimité de leur union la perfection d’une qualité inimitable et donc entièrement originale. L’exemplaire qu’en fournit
l’être vivant est doublement unique, puisqu’il se présente uniformément à l’intérieur de la nature sous une variété de
RS ON

genres et de gradations, tout en révélant une qualité stratégique étonnante, inépuisable dans sa susceptibilité à effectuer
les transformations qui le rendent adéquat à recueillir la diversité des connaissances. Une telle flexibilité est requise de
l’être organisé, s’il espère pouvoir préserver son état et en réaliser d’une manière constante la possibilité la plus grande
P E RS

qui soit, de sorte à assurer la projection ontogénique la plus complète possible sur son propre avenir.
R PE

Toutes les deux, autant la diversité de la vie que sa persévérance, se fondent sur des formes de connaissance
diverses, la connaissance objective, esthétique et sensible, et la connaissance subjective, intime et individuelle, que
procurent respectivement la multiplicité pour le concept d’identité et la persistance pour celui de pouvoir [Vermögen].
FO E

Le problème pour Kant est d’en arriver à réconcilier l’aperception objective avec l’appréhension subjective, de sorte à
AG

fournir un concept objectif valable qui renvoie à une expérience communicable, qu’elle trouve son origine dans les sens
externes ou uniquement dans le sens interne. En d’autres mots, ce dont il s’agit, c’est de fournir les prémisses de l’unité
de l’expérience communicable en général, celle d’un discours susceptible de recevoir un aval universel, quoiqu’il
US

56 Idem, p. 402.
57 RGV; AK VI, 138n.
58 Idem, p. 139n.
59 KRV; AK III, 454.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 141 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

procède de la subjectivité du complexe synesthésique judiciaire, peu importe que les exigences du jugement s’ancrent
dans les aléas du monde sensible, ou qu’ils procèdent uniquement de l’intimité suprasensible de l’expérience
subjective, en conservant une valeur uniquement pour le sens interne, puisque zseul celui-ci est susceptible d’en

LY —
éprouver la réalité. Autrement, il en résulterait la séparation et l’isolement des consciences, en raison pour les sujets
moraux de vivre des expériences singulières de manière singulière, sans l’espoir ni la possibilité de découvrir un espace

ON CHE
social qui en permette la discursivité et ainsi de surmonter l’atomisation des consciences et l’aliénation sociale
généralisée qui leur est concomitante.

L’essence poématique du concept

ES ER
En tant qu’ils sont des concepts, l’identité et le pouvoir sont les principes de l’unification sous un genre qui
renvoient à des intuitions, que celles-ci soient empiriques, dépendant des sens externes, ou pures, dépendant

OS H
uniquement du sens interne, lequel est nul autre que la capacité du sujet [Gemüt] à intuitionner son état intérieur 60. Or,

RP EC
puisque les sens externes reçoivent leurs impressions sensibles et objectives du monde phénoménal naturel, ils
renvoient en même temps aux deux formes de l’intuition, l’espace quant à l’étendue de la chose et le temps quant à
l’affection du sens interne, puisque celle-ci est une représentation sensible simplement subjective, susceptible d’être

PU E R
connue par le sens interne 61.

Tout concept comporte une fonction et suppose par conséquent une activité de la conscience, laquelle réalise son

CH S D
unité propre grâce à l’aspect unificateur du concept. Cette unité trouve sa contrepartie avec le sentiment avec la
satisfaction résultant de la prise de conscience qu’il existe une adéquation entre la possibilité immanente à l’activité
conceptuelle et la réalisation survenant avec l’accomplissement effective de sa fin, qui est l’ordonnancement du divers
AR FIN
des représentations sous une représentation commune 62. En d’autres mots, ladite fin consiste en l’activité de la
conscience lorsqu’elle illustre une puissance qui corresponde à l’entéléchie immanente au concept en général,
présageant de la possibilité tout aussi générale de recevoir une illustration. Ainsi, puisque tout concept procède d’une
SE À
perception, d’une représentation dont l’origine se trouve à l’intérieur soit des sens externes, soit du sens interne, il
fournit des concepts empiriques qui peuvent être de genres différents — subjectifs pour la perception interne et
RE T,

objectifs pour la perception externe —. Mais quel que soit son genre, le concept est en tout temps l’expression de l’unité
des représentations associées dans la conscience [der Einheit des Bewußtseins verbundener 63 Vorstellungen] 64, en
D EN

même temps qu’il révèle la conscience de l’activité par laquelle celle-ci réalise la synthèse de la diversité de la
représentation, selon une règle qui en définit l’unité 65. Bref, le concept est un acte de la conscience unifiée qui, portant
AN M

sur la représentation, réalise l’unité synthétique de son divers. Et, en tant qu’elle agit sur la représentation, la conscience
repose sur la subjectivité d’une perception qui est soit interne, soit extérieure.
E LE

Les termes d’identité et de pouvoir sont certes subsumés sous la notion du concept et c’est au regard de cette
US SEU

inclusion qu’ils doivent être considérés. Puisque cependant le concept est à la fois une synthèse (étant une fin
accomplie) et une activité (puisqu’il réalise concomitamment cette fin), il illustre en même temps que sa propre essence
et la compréhension que l’on en possède, le double tableau sur lequel Kant joue constamment d’une entéléchie qui
tantôt reflète une perfection réalisée et tantôt réfère au procès de la perfection se réalisant. Ainsi le livre qui est à la fois
AL EL

un texte publié et l’occasion pour ceux qui le consulteront de parfaire leur connaissance, en se laissant pénétrer de la
valeur épistémologique et esthétique de son contenu. Alors que l’accession à un terme final suppose l’accomplissement
d’une fin et l’actualité d’un aboutissement, le procès qui mène à ce terme suppose la conjoncture d’une possibilité
ON N

objective, d’une agence et d’une finalité, que celle-ci soit conforme à une nature autonome, comme chez l’être organisé
RS ON

qui est en puissance à la fois fin et moyen, ou qu’elle se rapporte à une substance susceptible d’être transformée en vertu
d’une agence qui statue pour ce que sera sa finalité extrinsèque.
P E RS

Or, c’est avec cette association entre la synthèse et son activité que l’on peut évoquer la notion analogique de la vie
du concept, puisqu’il est un produit dont le terme n’est jamais définitif et une entéléchie en voie de réalisation
R PE

continuelle, en vertu de l’unité de la conscience qui lui confère une unité fluide et plastique dont la diversité des
représentations n’est jamais épuisée. En somme, la conscience réévalue de façon continue les prémisses de l’essence
conceptuelle en regard des nouvelles représentations, susceptibles de surgir à l’intérieur de l’expérience objective.
FO E

Ainsi, dès lors que de nouvelles représentations trouvent une contrepartie à l’intérieur de l’intuition, de sorte à susciter
AG

l’évocation éventuelle d’un concept précis et d’en faire évoluer soit l’extension, soit la compréhension acquises, on

60 Idem, p. 052.
US

61 Idem, p. 152.
62 Idem, p. 085.
63 < verbinden (XVIIIe s.) = obligare; conjungere (lat.): lier, attacher; lier associer.
64 STF; AK VII, 113.
65 APH, §07A; AK VII, 141.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 142 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

assiste éventuellement à la transformation de l’unité du concept, telle qu’elle est actuellement constituée par l’esprit.
Quant à sa portée, elle sera soit amplifiée, soit diminuée; et quant à son fondement essentiel, elle se recentrera sur une
nouvelle conception. À titre d’exemple, nous proposons le concept de «maison» comme renvoyant généralement à

LY —
l’habitat enclos de toutes parts et qui abrite une famille: une étude de l’évolution de ce concept nous fera comprendre
qu’il s’inscrit à l’intérieur d’une durée, qu’il a une naissance et que peut-être il connaîtra un terme, comme en

ON CHE
témoignerait l’usage d’autres termes pour signifier la même idée, comme les mots «caverne» à l’époque des
troglodytes, «maison longue» chez les Iroquoïens, laquelle regroupait un ensemble de familles reliées entre elles par le
sang et les alliances contractées, ou «péniche» et «caravane» pour les familles itinérantes ou qui se donnent la
possibilité de vivre en nomades. Plus encore, même s’il peut, à travers différentes époques, conserver une essence

ES ER
identique, la réalité à laquelle réfère le concept peut s’être transformée — v.g. la famille qui, selon les époques et selon
les cultures, prend l’aspect qui de la tribu, qui du clan, qui de la gens, qui de la famille patriarcale, de la famille
paternelle, de la famille étendue, de la famille nucléaire, de la famille reconstituée, etc. — de sorte à transformer

OS H
effectivement l’acception de la notion qui constitue cette réalité à l’intérieur de la pensée et qui en invente une

RP EC
contrepartie concrète dans l’espace géographique (pour inclure implicitement dans sa connotation certains aspects de
cette réalité et en exclure d’autres).

PU E R
Nonobstant cela cependant, c’est la possibilité pour un concept d’être créé qui illustre le plus éloquemment, que
cette genèse, la puissance à la fois créatrice — non pas création ex nihilo, mais innovation — et productrice du sujet
[Gemüt], avec la mise à contribution de l’imagination en vue de l’invention de nouveaux concepts 66 et la vitalité par

CH S D
émanation que prend le concept. Celui-ci devient alors susceptible de voir transformer sa dénotation avec l’usage qui en
caractérise l’emploi et le généralise à un ensemble, que conditionnent l’apparition ou la disparition éventuelles de
nouveaux genres et de nouvelles espèces, de sorte à enrichir ou à appauvrir l’expérience intellectuelle.
AR FIN
Or, c’est la réflexion qui fait naître le concept, non pas immédiatement, mais par l’entremise des trois étapes qui en
caractérisent le procès, lequel a pour fin critique de produire un concept distinctif de bon aloi 67. Parmi celles-ci, les
SE À

deux premières sont dites positives et la troisième négative: il y a d’abord, la comparaison qui oppose les
représentations entre elles avec la médiation de l’unité de la conscience; on retrouve ensuite la réflexion proprement
RE T,

dite, qui scrute et soupèse la diversité des égards sous lesquels la conscience peut considérer ces représentations; et on
distingue enfin l’abstraction qui isole la communauté des aspects, grâce auxquels une espèce de représentations se
D EN

distingue des autres, sous tel point de vue particulier.


AN M

Chacune de ces opérations logiques est requise dans la production d’un concept. Dans l’acte de réflexion en
général, cette condition gouverne la présentation du concept lequel, s’il préexiste à l’acte de réflexion, occupe un lieu
E LE

mnémonique à l’intérieur de l’imagination, puisqu’il est un concept préalablement produit, c’est-à-dire un concept qui
a satisfait auparavant aux exigences logiques de la production qui l’a fait naître. Quant à l’abstraction, elle se situe à un
US SEU

degré de plus en plus élevé selon que les caractères distinctifs, et donc les déterminations, deviennent de moins en
moins précis. De plus, elle semble tout-à-fait distincte de la réflexion qui fait naître le concept en ce que, en dépouillant
le concept de ses particularités pour en illustrer la généralité, elle est une condition strictement négative, mais cependant
nécessaire, afin d’assurer que les concepts produits auront une valeur universelle. Ainsi, l’abstraction fait-elle partie de
AL EL

la réflexion en général en tant qu’elle achève celle-ci et qu’elle constitue la condition de sa plénitude: ainsi assure-t-elle
au concept la possibilité d’une application qui en subsume la talité — tel concept selon telle conjoncture située à
l’intérieur de tel espace et recoupé par tel temps — sous la quiddité — l’essence du concept dépourvu de ses accidents
ON N

conjoncturels —. Or, c’est au plan de l’universalité des concepts que s’accordent les esprits pour en déterminer la
RS ON

validité, grâce à l’expérience subjective du jugement, laquelle expérience trouve son point d’ancrage à la fois dans
l’unité de la conscience et dans une nature commune, celle du sujet vivant qui est en même temps rationnel et personnel.
P E RS

L’unité de l’esprit et de la conscience:


R PE

le concept de Gemüt
L’unité de la conscience est la condition subjective de toute connaissance, puisque grâce à sa possibilité avérée, il
y a une attestation sans exception de la forme de la connaissance des objets, lesquels participent à l’unité sous laquelle le
FO E

divers peut être pensé, en vertu de leur essence transcendantale propre 68. Puisqu’elle tient à la nature suprasensible qui
AG

est commune à tout être rationnel et qu’elle est le premier principe qui, étant intime à une chose, appartient en même
temps à son existence 69, la conscience est l’assise objective de la disposition éminemment sociale de la raison à
philosopher, à raisonner avec méthode au moyen de concepts afin de contribuer au bien-être de l’humanité 70. La
US

66 APH, §28; AK VII, 167.


67 Idem, §05-06; AK IX, 093-095.
68 KRV; AK IV, 094.
69 MAN, Vorrede; AK IV, 467.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 143 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

conscience est un principe sans lequel l’existence morale singulière ne saurait prétendre à une réalisation qui se révèle
être la propriété distinctive de l’homme: car elle est non seulement la cause immédiate de l’activité de sa raison propre,
mais aussi celle de l’unicité de l’âme présente en chacun, en raison de son unité organisée fondamentale et de sa

LY —
spécification en la personne.

ON CHE
Ainsi, les concepts philosophiques sont-ils le fondement de la possibilité à la fois de connaître et de partager la
connaissance avec des congénères, une activité qui ne saurait cependant se produire sans émotion, ni sectarisme
idéologique 71. Par ailleurs, c’est avec la constitution du concept, procédant de la réflexion, que se réalise à la fois
l’aspect subjectif de la connaissance, grâce auquel se crée et se pense le concept dans son universalité, et sa dimension

ES ER
objective, qui consiste à s’en référer à l’entendement commun afin de véhiculer l’universalité abstractive du concept au
moyen du discours et de la communication. Cet accomplissement est redevable à la technique de la réflexion, qui
procure à la conscience un jugement qui sert de règle universelle, sans égard pour l’influence de la sensibilité et pour ce

OS H
qui relève de l’attrait des sens ou du sentiment dans l’élaboration du jugement 72. Car l’entendement commun illustre la

RP EC
capacité de s’en tenir à la raison et d’échapper aux faux attraits de l’illusion, par lequel se commet la faute de la
subreption, l’erreur logique qui consiste à admettre comme étant objectives des conditions particulières intimes à la
conscience et qui sont uniquement subjectives 73. S’il n’est pas encore révélateur de l’entendement civilisé, qui est le

PU E R
véritable critère du sens commun intégral, il l’est néanmoins de l’entendement sain 74. Grâce à l’entendement commun
par conséquent, il existe la possibilité pour la communauté rationnelle de parvenir à une entente qui n’est pas encore un
accord, celle qui consiste à communiquer (et à pouvoir recevoir et comprendre) le fondement objectif et universel du

CH S D
concept que procure la réflexion, dont l’activité se situe à l’étape ultime de la production du concept, celle de
l’abstraction. Tout au plus pourrait-on considérer celle-ci comme étant un terrain sémantique, caractérisé par la
neutralité de l’objectivité, un terraine qui est susceptible de rallier les consciences autour des significations possédant
AR FIN
une même matière intellectuelle, sans que celles-ci puissent toutefois devenir la matière de jugements esthétiques ou
pratiques.
SE À

Cette distinction entre l’entendement commun et l’entendement civilisé, lequel pour celui-ci est à proprement
parler le sens commun, est capitale à la compréhension de la pensée unifiée de Kant. L’épistémologie kantienne réussit
RE T,

en effet à intégrer la dimension théorique et la dimension pratique de la raison, les aspects sensible et le suprasensible de
la réalité, la nature qui conditionne les êtres vivants organisés et la liberté qui détermine les êtres naturels, à travers une
D EN

critique du jugement qui associe dans le complexe judiciaire la téléologie et l’esthétique, toutes deux se rapportant
éventuellement aux deux formes que prend l’intuition, celle qui porte sur le sens intérieur et qui se recrute les sens
AN M

extérieurs. Or, c’est la vitalité de l’être organisé qui est la cause de cette unité, non seulement parce qu’elle est au
fondement de sa possibilité, mais parce qu’elle fait l’objet de son désir qui est la condition essentielle de la plénitude
E LE

humaine, de la raison qui est au service de la vie et de la vie que seule la raison pleinement épanouie peut conduire à son
terme suprême, le Bien absolu réalisé en toute perfection.
US SEU

Si le concept renvoie tantôt aux sens extérieurs et tantôt au sens intérieur, la fonction unificatrice qui est sienne
quant au divers de l’intuition repose sur une représentation qui est somme tout sensible sous ses deux aspects, subjectif
et objectif. Dès lors qu’il s’agit d’une abstraction, effectuée à partir de la réflexion qui, émanant de l’unité de la
AL EL

conscience, effectue ses distinctions au moyen de la fonction élémentaire de la comparaison, l’acte d’abstraire présent
dans la réflexion transcendantale émane d’un état d’esprit [Gemütszustand] constant mais qui renvoie alors à l’unité de
la conscience relative à cette fonction et s’interroge sur la nature du pouvoir de la connaissance (au niveau de
ON N

l’entendement ou à celui de la sensibilité) sollicité par la comparaison, en vertu des concepts fondamentaux qui
RS ON

caractérisent la nature du rapport existant entre les concepts, défini selon quatre pôles majeurs: le rapport de l’identité
ou de la diversité; le rapport de la convenance ou de la disconvenance; le rapport de l’intériorité ou de l’extériorité; le
rapport du déterminable ou de la détermination 75. Selon que la raison ou l’entendement sont impliqués, la manière de
P E RS

penser les rapports dans la comparaison sera différente, même si leur essence et leurs espèces demeurent invariables.
Ainsi, selon qu’il s’agit de l’expérience sensible qu’ordonne l’entendement ou de l’activité intellectuelle sur laquelle
R PE

préside la raison, la démarche comparative renvoie soit à l’univers conceptuel d’une expérience donnée, soit à l’univers
idéel d’une expérience possible 76.
FO E
AG

70 TEF; AK VIII, 414.


71 Idem.
US

72 KU, §40; AK V, 294.


73 KRV; AK IV, 243.
74 KU; loc. cit., p. 293.
75 KRV; AK III, 215.
76 Idem.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 144 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

Or si les champs de l’expérience intellectuelle sont radicalement différents, ils reçoivent néanmoins une unité
grâce à l’éminence transcendantale de l’esprit. D’une part, l’expérience sollicite tantôt l’intuition sensible à l’intérieur
de l’acte de représenter et tantôt l’intuition intellectuelle à l’intérieur de l’acte de juger, de formuler des règles — avec

LY —
l’unification des phénomènes sous des concepts — et d’extraire les principes (le fondement ou la cause) qui
conviennent — des concepts portant sur des concepts et produits en subsumant les règles particulières sous des règles

ON CHE
d’un ordre plus général —. D’autre part, l’esprit fait appel tantôt au pouvoir de l’entendement, lorsqu’il est porte sur
l’expérience et accomplit l’unification des phénomènes sous des règles; et tantôt celui de la raison qui, étant sise en
dehors de l’expérience objective, unifiera les règles sous des principes. Le pouvoir de la raison confère ainsi à la
diversité des connaissances une unité a priori au moyen de concepts d’un autre ordre, des Idées illustrant en quoi le
pouvoir de la raison se distingue de celui de l’entendement 77, en vertu de son pouvoir hypothétique et prospectif sur le

ES ER
réel. Si une telle unification est possible, selon les mécanismes propres à l’abstraction qui s’exerce dorénavant au plan
des principes, c’est en raison de la finalité spécifique à l’intérêt de l’esprit, lequel se situe au faîte de tous les pouvoirs et

OS H
de toutes les facultés rationnels, pour constituer la fin ultime de la raison, qui est nulle autre que l’expression sublime du

RP EC
sujet moral et personnel, lequel est aussi un être organisé.

Mais cela étant, il y aura déjà, grâce aux concepts de la comparaison, une subsomption des concepts particuliers

PU E R
sous des notions plus générales, lesquelles sont constitutives de l’abstraction en vertu de la polarité quadruple — de
l’identité, de la convenance, de l’intériorité et de la détermination —, parmi laquelle figure la notion qui renvoie au
statut de la sensibilité comme provenant de la sensation extérieure ou du sens intérieur. De sorte qu’un jugement portant

CH S D
sur l’identité du Ich est un même jugement, peu importe qu’il soit implicite ou explicite et peu importe qu’il procède de
l’aperception reposant sur le sens intime ou qu’il fasse appel à une représentation que fondent les sens externes. Car il
renvoie à une abstraction identique qui, si elle comporte des aspects distincts selon le sens sur lequel elle se fonde,
AR FIN
renvoie nonobstant à l’unité dans l’abstraction que fonde doublement l’unité spirituelle de la conscience. Car celle-ci
réalise la confluence à l’intérieur de l’esprit [Gemüt] des fonctions subjectives intégrées, de l’âme sensible [Seele] et de
l’esprit rationnel [Geist] qui réalisent leur plénitude respective avec la mutualité d’une complémentarité que subsume et
SE À
rend possible le principe de finalité et en tant qu’elles parviennent à recouvrir, sous une même abstraction, ce qui est une
matière en provenance des sens extérieurs et ce qui est une impression produite sur le sens interne. Peu importe donc
RE T,

qu’un sujet dise ce qu’il pense ou qu’il pense ce qu’il dit, c’est au même Ich que renvoie le concept du sujet, engagé dans
son effort d’extérioriser adéquatement un contenu subjectif ou de réconcilier les termes objectifs de son discours avec
D EN

l’intention subjective qui préside à celui-ci.


AN M

Ainsi, l’unité de la conscience supposée par le concept du Ich transcendantal rend possible la fluidité de
l’abstraction qui est au fondement de la raison. Celle-ci réalise le pouvoir théorique double à la fois de la présentation
E LE

conceptuelle et de la subsomption abstrayante qui sont au fondement de l’expérience épistémologique et le pouvoir


pratique de l’ouverture discursive à autrui qui s’ancre dans le sens commun, lequel répétons-le est la forme complète et
US SEU

accomplie de l’entendement commun, puisqu’il repose sur un principe de civilisation afin de réaliser la plénitude de
l’esprit [Gemüt]. Ainsi parvient-on à dépasser le problème du parallélisme psycho-physiologique en recourant au
principe de l’esprit profondément unifié, en tension continuelle vers la réalisation de la plénitude de son essence,
laquelle ne saurait prévaloir en l’absence de l’accomplissement social de la personne. Or cette nouvelle destinée ouvre
AL EL

sur la dimension de la subjectivité intégrée [Gemüt] qui ne peut se satisfaire d’une activité simplement conservatrice,
sans toutefois nier son importance pour l’intégrité du sujet, de la même manière que l’entendement civilisé ne peut se
satisfaire d’être simplement sain en l’absence de tout accord et de toute entente véritables et concrètes, sans pour autant
ON N

rejeter l’importance de la santé rationnelle, telle qu’une capacité et un fonctionnement logiques inentamés peuvent en
RS ON

attester.

La préservation de la sanité de l’entendement apparaît comme étant la contrepartie effective de la conservation de


P E RS

l’âme, puisqu’elle révèle un état vital latent, porteur de toutes les possibilités à l’intérieur de la perspective unifiée de
l’être humain, qui associe l’âme [Seele] et l’esprit [Geist] à l’intérieur du complexe intégré du sujet [Gemüt]. Cette
R PE

notion de l’âme, qui révèle une substance passive sur laquelle porte le principe mobilisant de l’esprit, lorsqu’il réalise le
principe du sujet vivant, est une addition subséquente du §049 de la troisième Critique. La première Critique nous fait
voir en effet que le Gemüt illustre une parenté logique entre l’Idée psychologique et l’Idée théologique, qui, se
FO E

démarquant en cela de l’Idée cosmologique, ne souffrent en aucune façon de la contradiction ou de l’antinomie que l’on
AG

retrouve dans celle qui oppose la nature et la liberté. L’âme devient pour Kant — comme aussi les notions de
l’Intelligence suprême et de la Cause suprêmement sage — une Idée simplement régulatrice, objective et hypostasiée
(et donc relevant d’une construction de l’esprit) qui propose de dériver les phénomènes intérieurs de l’âme [Seele] —
US

procédant d’une représentation fondée sur l’intuition du sens interne — de l’Idée d’une substance pensante simple, et
plutôt que sur celle d’un être simple 78.

77 Idem; AK III, 239; AK IV, 193.


78 Idem; AK III, 444.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 145 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

Tout s’articule autour des trois aspects sous lesquels considérer le sujet vivant intégral [Gemüt], lorsqu’il est
envisagé du point de vue interne de la totalité des phénomènes, de l’affectivité et des actions qui le caractérisent: le
problème, c’est que l’ensemble des états du sujet, y compris ceux du corps comme en étant les conditions extérieures,

LY —
sont en changement continuel et permanent; et d’autre part, la tradition philosophique le considère comme une
substance simple, dont la vitalité illustre la permanence avec l’identité personnelle. Or, cette notion de substance simple

ON CHE
ne saurait être vue comme étant une notion qui se rapporte à un objet absolu, auquel ne s’appliquent ni condition, ni
restriction [schlechtin 79], mais simplement à un objet transcendantal idéel. Ce qui fonde cette distinction réside dans
l’emploi différentiel du concept, dont l’usage servira à déterminer l’objet — et donc comme comportant une
composante sensible —, soit simplement à le schématiser. Or la notion de Gemüt, comme réalisant à l’intérieur de

ES ER
l’être vivant le complexe mutuellement complémentaire de l’âme en association étroite avec l’esprit, est du second
genre, puisqu’il se réfère à un objet non pas directement, mais simplement de manière hypothétique, en procurant au
champ de l’expérience une unité rationnelle dont l’extension est de plus en plus grande, de façon à faire dériver celle-ci,

OS H
non pas d’un objet effectivement réel, mais d’un objet imaginaire qui en serait à la fois le fondement et le principe

RP EC
causal 80.

Bref, le concept idéel est un concept non pas ontologique, mais méthodologique; non pas ostensible et évident,

PU E R
mais heuristique et spéculatif; non pas relatif à la constitution d’un objet de l’expérience, mais s’adressant uniquement à
l’expérience, et fournissant une avenue, une direction pour la réflexion, la recherche et la découverte qui permettront de
comprendre comment constituer et lier entre eux les objets de l’expérience en général 81. En somme, l’ontologie du

CH S D
concept idéel est purement transcendantale, puisqu’elle anticipe sur la possibilité future que prendra à l’avenir une
expérience déjà constituée au présent, plutôt qu’elle n’énonce celle qui préside effectivement à sa constitution, par
l’entremise d’une action pratique sur les choses, c’est-à-dire une action qui est morale et/ou esthétique. C’est que l’Idée
AR FIN
accrédite les catégories formelles et les concepts nécessaires de l’expérience, sous le mode de la spéculation et non de la
participation active, de sorte à créer dans l’imaginaire de l’esprit un monde transcendantal qui alloue certes pour tous
les aspects de l’expérience, mais seulement au plan de l’Idée, sans référence immédiate aux concepts comparatifs du
SE À
déterminable et de la détermination qui naîtraient seulement de l’actualité, aux plans pratique et poématique de
l’efficience. Tout en procédant de la théorie de la liberté qui repose sur un contexte naturel pour réaliser la possibilité de
RE T,

son activité, l’Idée engagerait le philosophe uniquement au plan de la réflexion qui en identifierait les tenants et les
aboutissants, les principes — l’identité, la convenance, l’intériorité et la détermination simplement possibles — et les
D EN

conséquences, mais sans faire oeuvre de détermination réelle, sauf peut-être avec la réalisation de l’oeuvre
philosophique qui en exposerait les conclusions. Or, c’est uniquement lorsqu’elle se découvre une issue pratique, une
AN M

résolution à l’intérieur de la conduite morale ou de l’activité poématique, que la métaphysique peut se revendiquer
d’appartenir à l’ordre des sciences philosophiques et non pas à celui des conjectures et des supputations simplement
E LE

idéelles.
US SEU

Le passage de la première aux deux autres Critiques constitue donc, au plan transcendantal de l’Idée, la suite d’une
interrogation sur les conditions de l’expérience, non plus seulement lorsqu’elle reçoit une unification théorique, avec la
découverte des principes constitutifs et corrélatifs qui président a priori à sa possibilité ainsi qu’à la conscience que l’on
en acquiert, mais aussi en tant qu’elle ajoute à l’unité une dimension pratique (dans la conduite exprimée) et esthétique
AL EL

(dans l’oeuvre accomplie), afin d’en combler et d’en épuiser les possibilités. Ainsi les Idées de la liberté et du bien
s’ajoutent au second champ de la moralité et celles du jugement et de la possibilité au troisième champ de l’activité
poématique, pour lesquelles l’état subjectif — le sentiment de l’esprit [Geistesgefühl] (prenant alternativement ou
ON N

ensemble la forme de la beauté, de la sublimité, du respect, de l’admiration et du pressentiment [Ahnung]) — constitue


RS ON

un leitmotiv nécessaire, puisqu’il en est une condition transcendantale a priori. Or, le sentiment de l’esprit surgit des
deux dernières Critiques, non pas comme étant un attribut de l’expérience, puisqu’il naît de la liberté et non pas en tant
qu’il est conditionné immédiatement par la sensibilité (comme pour les jugements esthétiques des sens), mais plutôt
P E RS

comme étant un état intime procédant des formes diverses du Gemüt, lequel situe l’esprit au plan de la possibilité
susceptible d’être éprouvée. C’est qu’il s’agit ici d’une virtualité qui est, non pas simplement spéculative, mais en
R PE

même temps réalisable, puisqu’elle requiert, de la part de l’acteur moral, un investissement actif et déterminant pour la
nature, une activité dont témoigne l’oeuvre réalisée et, à un degré moins évident, mais tout aussi réel, la conduite
civilisée.
FO E
AG

Le concept de la possibilité intégrale est un concept unificateur en ce qu’il réunit et réconcilie tous les pouvoirs de
l’être organisé, vivant sous le mode de la synergie des facultés de la connaissance, laquelle met à contribution autant
l’entendement, que le jugement et la raison. En ce qui concerne l’entendement, le concept subsume la connaissance
US

susceptible d’être dérivée à partir de la nature au nom du principe de la légalité théorique; pour ce qui est du jugement, il
inclut le sentiment susceptible d’être éprouvé face à l’oeuvre, au nom du principe de la finalité effective (estimée

79 (XVIIIe s.) = durchaus; ohne Bedingung und Einschränkung: absolument; sans condition ou restriction.
80 KRV; AK III, 442-443.
81 Idem, p. 443.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 146 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

simplement désirable); et eu égard à la raison, il renvoie au désir susceptible d’être suscité afin d’accomplir — la
formulation est paradoxale — l’adoption libre des moeurs au nom du principe de la nécessité morale, lequel lie l’agir
selon le devoir que détermine l’obligation, c’est-à-dire d’une finalité effective qui est en même temps impérative 82.

LY —
Mais plus important encore, il révèle en quoi l’activité particulière de chacune de ces facultés doit s’accorder avec les
autres et avec l’ensemble en vertu du principe de la nature organisée. La question se pose maintenant du statut que l’on

ON CHE
peut donner à ce qui semble bien être l’unique ressort d’une entéléchie qui, en même temps qu’elle est idéale, prétend
pouvoir assumer une pertinence pratique. On possède la conscience de l’entéléchie possible avec le sentiment: il
accompagne la naissance du désir et il sert de précurseur à l’esprit [Geist] qui agit par l’entremise de la volonté: grâce à
cette intuition, l’esprit aperçoit le lien intime que la finalité entretient avec l’action, qui est nulle autre que

ES ER
l’extériorisation de la dimension suprasensible de l’esprit qui se réalise à l’intérieur de la nature.

Dès lors que l’âme est ce sur quoi agit l’esprit pour en exprimer la vitalité, elle révèle pleinement la puissance de la

OS H
vie. Il s’agit cependant de la vie qui existe uniquement à l’état d’une possibilité latente, celle de la réalisation éventuelle

RP EC
de l’être organisé que signale la plénitude essentielle de son essence y compris de celle qui se révèle avec son existence.
L’essence de l’être organisé serait alors l’expression de l’entéléchie qui réalise la complémentarité mutuelle et
indépassable de l’âme et de l’esprit. Cette mutualité est l’essence qui fonde et qu’exprime le concept de Gemüt. Or,

PU E R
cette plénitude requiert qu’elle s’exerce aux trois plans rationnels qui sont en interaction unifiée à l’intérieur de
l’existence: le plan épistémologique de la connaissance théorique; le plan poématique du sentiment critique (ou
judiciaire); et le plan moral du devoir pratique. Cette complémentarité synergique, pour laquelle l’existence constitue le

CH S D
point crucial d’un ralliement finalisé, signifie que chaque plan est logiquement concevable comme possédant son
champ, son pouvoir, son effectivité et son principe transcendantal respectifs. Ensemble, ils sont envisageables du point
de vue ontologique du Dasein, lequel est à la fois un Hiersein et un Nunsein, que valide à la conscience l’expérience
AR FIN
subjective entièrement assumée. Et à ce plan intégré, ils sont commandés par un principe d’unité qui se réalise en vue de
la plénitude de la vie, que confirme l’exacerbation complète de la possibilité morale, avec la réalisation spirituelle qui
consiste à intégrer la connaissance, la production et le devoir, non pas uniquement dans le sens de la conservation vitale,
SE À
mais encore dans celui de l’amplification des possibilités ontologiques de l’être vivant, au terme maximal de laquelle
on retrouve la plénitude intensive et extensive de son épanouissement intégral, au plan vital comme au plan moral.
RE T,

La vie est entendue au sens du pouvoir qui réalise la capacité pour l’être qui en est doué de se déterminer lui-même
D EN

à agir de manière spontanée et autonome en vertu d’un principe interne, le désir auquel s’adjoignent la pensée, le
sentiment et la volonté 83. Ce pouvoir réside autant dans l’unité des facultés, la possibilité pour elle de se réaliser selon
AN M

leur disposition respective, en vertu d’une coordination qui est en même temps unificatrice, qu’avec le passage de la
possibilité vers l’actualité, lequel est initié librement in foro interno, en vue de contribuer à une finalité extérieure qui
E LE

n’est pas indifférente à la sphère morale. Appartenant à la nature particulière d’un individu, la vie se réalise en
s’inscrivant à l’intérieur d’un procès phylogénique, tout en illustrant concurremment une distinction ontogénique. Pour
US SEU

que toutes ces conditions trouvent à s’exercer, le principe de réalisation de la vie doit trouver à s’actualiser à l’intérieur
de la personne, en tant qu’elle est le lieu suprasensible du Gemüt, lequel est nul autre que l’unité accomplie de l’âme et
de l’esprit en vertu d’une finalité essentielle.
AL EL

Dès lors que la vie se définit en termes de liberté, elle implique l’exercice en toute spontanéité de la faculté
rationnelle dont l’autonomie — la capacité de se donner à elle-même une règle — s’exerce de manière créative, en vue
du bien conçu comme étant ce qui est désirable de manière universelle et nécessaire. Il revient par conséquent d’en
ON N

revendiquer la direction à ce qui en manifeste la présence dans l’actualité de la subjectivité active, d’une nature
RS ON

suprasensible soumise aux conditions de la nature sensible qui l’environne, de manière cependant à se recruter une
conscience susceptible néanmoins de la déterminer et de la façonner. Et puisque celle-ci s’exprime autant face à des
natures inertes qu’en relation avec un pléthore de genres et d’espèces vivants, dont la diversité innombrable et la variété
P E RS

de sa complexité graduée vont du moindre au plus, alors qu’elle parcourt toutes les étapes de la réalisation à l’échelle
naturelle du principe vital, la conscience réalise nécessairement les possibilités d’une espèce vivante particulière, celle
R PE

de l’humanité qui peuple la niche ultime de fin finale de la création. L’être humain caractérise donc une espèce naturelle
suprême, comportant une variété et une diversité de congénères pour qui la vie en société exprime, non seulement les
exigences spatiales de la promiscuité grandissante, mais en même temps les obligations propres à une nature sociale qui
FO E

est le fondement de ce qui en manifeste le plus éloquemment la réalisation, i.e. la culture, puisqu’elle inscrit la
AG

possibilité intégrale de l’être, l’évidence de la présence dans le paraître, c’est-à-dire l’extériorisation poématique du
faire et l’expression morale du vivre, autour des axes complémentaires de la conduite et de l’action.
US

82 EE, §xi; AK XX, 246; KU, Einleitung, §ix; AK V, 197.


83 MAN; AK IV, 544.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 147 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

Désir et liberté
Une chose inerte est un objet soumis passivement à la loi de l’inertie, puisqu’elle réagit aux forces exogènes selon
un mouvement que commandent exclusivement celles-ci: elle est caractérisée par une absence de vie [Leblosigkeit] qui

LY —
s’étend jusqu’au coeur de l’enséité de sa matière 84. Or, puisque la privation de la vie est l’état de la matière que
gouverne le principe hétéronome de l’inertie, elle est aussi ce qui est uniquement moyen, ce qui par conséquent ne peut

ON CHE
revendiquer aucune responsabilité de l’action qui est subie par elle, ni être tenue imputable de celle-ci. Elle est ce par
quoi s’exerce toujours le libre arbitre, sans être elle-même, même en puissance, passible d’une liberté réalisée 85. Elle
est pour cette raison le lieu perpétuel et la cible par excellence de la détermination qui répond au principe de la finalité
extrinsèque, malgré que l’art entièrement désintéressé serait susceptible, au nom de son propre principe, d’en réaliser la

ES ER
finalité essentielle: en ce cas, le concept transcendantal de la beauté témoignerait du succès de cette entéléchie sublime.

OS H
Par ailleurs, la personne est à la fois celle qui est susceptible de prendre conscience de sa propre identité, telle que
les différentes situations empiriques peuvent l’affecter en différents moments de ses états existentiels, et celle d’un être

RP EC
rationnel dont la liberté est définie en fonction des lois morales 86, celles qu’elle a le pouvoir de se donner,
individuellement ou collectivement. En tant que telle, la liberté réunit sous son concept tout ce par quoi il peut être

PU E R
lui-même à la fois le sujet et l’objet des concepts de la réflexion, lesquels sont des jugements possibles que produit
l’acte de la comparaison et qui procèdent de l’activité rationnelle du Ich transcendantal. Or, cet acte détermine, au
moyen du jugement, si la personne est, oui ou non, identique à elle-même; si elle s’apparie adéquatement à la

CH S D
conjoncture naturelle ou sociale à l’intérieur de laquelle elle se trouve située; si elle appartient (ou serait susceptible
d’appartenir) à une totalité sous le mode de la ressemblance ou de l’affinité; et si elle illustre effectivement et
judicieusement un pouvoir de détermination, en faisant prévaloir la dimension suprasensible de sa nature sur les
AR FIN
conditions sensibles de son insertion au monde. Ces influences hétérogènes incluent en même temps celles de la
culture, lorsqu’elle prend la forme d’un phénomène social, en illustrant les possibilités déterminantes des natures
suprasensibles qui en font partie, une conjoncture qui définit ce qui de la nature civilisée tient du domaine politique.
SE À

Avec le désir, qui est le premier moment (avant la volonté) de l’héautonomie, de l’auto-détermination subjective et
de la mobilisation de son activité, par laquelle l’agence de la personne se donne à elle-même une direction, en vertu de
RE T,

la représentation d’une éventualité susceptible de procéder de son effectivité propre 87, l’être moral se trouve
D EN

continuellement rapporté au pouvoir-être selon les concepts de la réflexion. Ceux-ci en justifient l’apparition, lorsque
celui-ci trouve sa résonance à l’intérieur de la vie, selon les deux genres du sentiment (le plaisir et/ou le déplaisir) ainsi
que la possibilité et/ou la nécessité de l’action requise afin de combler le déficit, le cas échéant, entre ce qui est et ce qui
AN M

serait désirable. Or, le désirable est non seulement possible en raison de la téléologie, mais encore est-il radicalement
nécessaire, paradoxalement en vertu du principe de la liberté que fonde a priori la raison théorique pratique.
E LE

Quatre aspects caractérisent alors l’Idéal de l’actualité, lorsqu’elle est susceptible de requérir aucune autre activité
US SEU

que la conservation, laquelle signifie à toute fin pratique la présence d’une harmonie complète, pour rallier et conjuguer
le suprasensible rationnel de la personne et le contexte naturel, y compris, en autant qu’elle en constitue le phénomène,
la culture ambiante, lorsqu’elle est l’extériorisation apparente du sens commun de la collectivité. Selon la dimension
mathématique, de la quantité et de la qualité, il s’agit respectivement de l’appartenance, singulière ou particulière, de
AL EL

l’être à une totalité et de l’identité de l’être selon sa réalité, inclusive autant de l’envers de son essence que des facteurs
qui en entravent la pleine réalisation. Selon la dimension dynamique de la relation et de la modalité, on retrouve dans
ON N

l’ordre la convenance respectivement de l’existence à l’être — autant quant à sa substance que ses accidents —; du
rapport aux autres êtres — soit sous le mode de la causalité ou de l’effectivité subordonnantes, soit sous celui de l’action
RS ON

réciproque à l’intérieur d’une communauté coordonnatrice —; et de l’entéléchie de l’être, en tant qu’elle révèle une
simple possibilité, une réalisation effective ou une nécessité impérative 88.
P E RS

Toute plénitude du concept, quelle qu’en soit l’élévation du genre, en sera le gage de la perfection ontologique
indépassable. Celle-ci s’exprimera avec l’appartenance suprême à une totalité et avec la plénitude de son essence que
R PE

refléteront adéquatement, autant sa manière d’être que ses attributs, tels que ceux-ci peuvent l’illustrent à l’intérieur de
rapports intensifs et/ou extensifs. La réalisation effective trouvera à accréditer cet état avec la constance de l’expérience
FO E

qui offre les conditions suffisantes de cette entéléchie, dont le jugement de la personne, pleinement réalisée à tous les
plans de sa nature, constatera l’évidence de la présence de manière adéquate. Ainsi, c’est avec l’harmonie complète des
AG

MAN; AK IV, 544.


US

84
85 MAR; AK VI, 223.
86 Idem.
87 APH, §73; AK VII, 251.
88 Voir en annexe, p. 271, le tableau IV.3 intitulé «Les quatre aspects caractéristiques de l’Idéal de l’actualité, tels
que seule la conservation serait requise pour en assurer le mouvement dans la continuité».

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 148 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

facultés de la personne et du concept que réside la plénitude du sentiment, de l’état intérieur correspondant à
l’appréciation de cette réalisation, lequel confirme alors un ordre optimal des choses. Ainsi, à l’harmonie achevée des
pouvoirs de la connaissance, qui réalisent l’appréhension de l’adéquation de la réalité à sa possibilité essentielle, en

LY —
fonction d’une entéléchie à la mesure de l’homme, laquelle représente en même temps en lui-même la finalité ultime
des fins naturelles, correspond un moment paroxystique du sentiment, trouvant son expression dans l’état intime du

ON CHE
Bonheur suprême. Puisqu’il s’agit d’un état rationnel dont l’intégralité parfaite est constante et durable, il faut alors
allouer pour un état paroxystique permanent et non pas simplement transitoire.

Car cette perfection est en même temps le gage d’un accomplissement moral, en vertu du principe qui veuille que

ES ER
nul bonheur réel ne saurait exister en l’absence de l’accord avec un but final, sans qu’il ne soit en même temps
proportionné à ce qui, de cette fin, interpelle la moralité qui est l’illustration de sa dimension suprasensible 89. De plus,
elle vise la subordination de la nature dans son entièreté, lequel désir est légitime puisque le pouvoir qui le réalise

OS H
appartient à un être qui est en même temps la fin finale de la nature 90. D’autant plus que, étant issu uniquement de

RP EC
l’essence suprasensible de l’homme, le bonheur précède un motif tout autre que l’eudémonisme, à savoir
l’établissement du principe de la primauté du suprasensible sur le sensible. Celui-ci est néanmoins un principe
économique en ce que, la vie appartient pleinement à la dimension suprasensible, toute affirmation du principe vital

PU E R
dans le rapport du sujet avec la nature confirmera, avec le sentiment qui en résulte, l’effectivité de la primauté du
suprasensible sur sa contrepartie sensible.

CH S D
Cela semble révéler que le bonheur est le plus élevé des sentiments, en tant qu’il est associé à une entéléchie qui,
tout en reconnaissant l’intégrité de la personne et la manifestation du principe de l’unité de la conscience, telle qu’elle
AR FIN
se réalise avec la synergie finalisée des pouvoirs de la connaissance, exprime pour l’essentiel un état achevé de la nature
(y compris avec ce qu’elle comporte en culture phénomènale), tel que nul état plus parfait puisse être envisagé ou
imaginé pour elle. Bref, avec le rapport qui réunit la nature et la moralité, on assiste à la mise-en-relief de l’appartenance
double mais unifiée de l’être vivant, rationnel et personnel de l’homme, à un règne des fins tel que le sujet moral,
SE À

puisant à même les principes émanant de sa liberté suprasensible, détermine un règne possible de fins qui serait en
même temps un règne de la nature 91. Et puisque le règne des fins est le concept théorique de ce qui est, c’est -à-dire de
RE T,

ce qui est effectivement accompli, on retrouve un carrefour qui réunit sous la même appellation de la nature, avec la
formulation substantielle d’un principe métaphysique complet qui est en même temps un point focal, quatre dimensions
D EN

anthropologiques complémentaires: l’intériorité suprasensible de la personne (son être); son extériorité sensible (son
paraître); ce qui étant, est en même temps la possibilité sur une autre chose qui, grâce à la transformation qu’elle
AN M

connaît, en est la continuité, c’est-à-dire l’actualité de la nature qui englobe lato sensu les réalisations culturelles de
l’homme (le produit d’un faire); et la réalisation avérée de cette possibilité, i.e. la culture qui exprime son actualité
E LE

projetée, lorsqu’elle compose avec les éléments d’une nature antérieurement cultivée (l’expression d’un vivre). Car
être, paraître, faire et vivre sont en réalité simplement les aspects complémentaires d’une réalité identique, active et
US SEU

progressive, laquelle n’est pas sans connaître cependant les tensions inhérentes à chacun de ces états distincts, autant en
vertu de leur essence particulière qu’en raison de leur contiguïté et de leur réciprocité physique à l’intérieur d’une
même réalité.
AL EL

Ainsi devient-on le témoin d’un vecteur des tensions, dont le mouvement se profile sous le mode de la succession
dans la continuité. C’est un mouvement qui se résout avec l’histoire, laquelle débouche sur un avenir dont le germe e la
vitalité est déjà inscrit dans le présent, en vertu de la raison suprasensible et unifiée, engagée à réussir le projet de sa
ON N

composition avec la nature externe de la Création à laquelle appartient, tout en s’en distinguant radicalement pour
RS ON

l’essentiel, la nature sensible de l’homme. La possibilité intime à la nature extérieure est en attente d’être informée par
l’activité pratique de l’homme, avant de trouver sa réalisation (et son éventuelle perfection) avec la culture qui en est à
la fois l’affirmation, le prolongement et le complément. Considéré de ce point de vue, le bonheur serait l’attestation que
P E RS

fait l’état intérieur du sujet moral conscient, d’un achèvement actuel qui confirme à la fois une continuité essentielle,
qu’assure l’identité respectivement des acteurs et des éléments du monde sensible et qu’engage une relation de
R PE

réciprocité et de mutualité, caractérisée par la reconnaissance et l’excellence, et l’éventualité qu’elle se maintienne avec
les transformations créatrices, subséquentes à l’effort ciblé des premiers, en confirmation de la primauté du règne des
fins possibles, lorsqu’elles inspirent l’édification du règne actuel des fins.
FO E
AG

Or, ce mouvement, que procure la dimension spirituelle de la personne à la nature, en réponse aux dynamismes
inscrits en son sein, tend vers la perfection qui est la vérité de la complétude de la finalité, procédant de l’appréhension
épistémologique adéquate de l’essence des choses que réalise le pouvoir de la connaissance. La confluence du pouvoir
US

qu’informent les lois et de celui qui transforme ce qui est la simple possibilité en une actualité probante sous l’effet

89 KU, §84; AK V, 436n.


90 Idem, p. 436.
91 GMS; AK IV, 436n.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 149 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

d’une technique compétente est la condition requise pour étayer l’entéléchie poématique et pratique. Lorsqu’elle
confirme l’expression de la nécessité morale, telle qu’elle porte sur la nature sensible, l’actualité prend la forme d’une
oeuvre artistique; et lorsqu’elle affirme la nécessité morale, telle que les personnes morales en font l’expression, sous le

LY —
mode de la subordination (l’éthique dont la substance procède du droit) ou celui de la coordination (la morale dont la
substance émane de la vertu), l’actualité est la liberté manifeste dces moeurs.

ON CHE
La liberté est la raison suffisante de l’actualité, car elle confirme la réalisation du principe de la vie avec la
continuité que lui procure l’autonomie spontanée, ce qui suppose que l’on retrouve au sein de la liberté, à la fois la
présence d’un principe de conservation et l’illustration d’un principe de créativité. Mais plus encore, la plénitude de la

ES ER
liberté est la condition sine qua non de la réalisation complète et entière de la nature, selon des directions qui sont
compatibles avec les virtualités inhérentes à son essence, afin que l’on assiste à une actualisation future de ses
possibilités, une éventualité qui ne saurait s’accomplir sans la réalisation tout aussi intégrale des possibilités de la

OS H
personne. Les virtualités morales appartiennent autant aux devoirs subjectifs en fonction de la moralité qu’aux devoirs

RP EC
objectifs en fonction du droit, lorsqu’ils s’intéressent à l’inclination, n’en admettant aucune de jure, ou plutôt la
subsumant entièrement sous le devoir parfait de l’action accomplie par devoir)et composant de façon harmonieuse
avec elle, en tant qu’elle appartient au principe de la conservation de la vie à l’intérieur du devoir imparfait de l’action

PU E R
accomplie uniquement selon le devoir 92. Or, tous les devoirs se fondent sur l’impératif moral catégorique, dès lors qu’il
s’agit de fonder leur composante déontologique 93.

CH S D
Nul doute qu’il existe pour Kant une continuité et une mutualité entre toutes les formes du devoir qui relèvent de
l’essence du concept déontologique, conçue selon son abstraction la plus élevée, lorsque l’on confronte les devoirs
subjectifs et objectifs 94,95. Or ces divisions laissent apercevoir que, selon la place occupée par le suprasensible à
AR FIN
l’intérieur de l’action que commande la déontologie, soit en subsumant l’inclination sous le mode de la subordination,
qui la subsume sous le principe avec le devoir parfait, soit en lui répondant sous le mode de la coordination, qui agence
sans les réconcilier l’inclination et le principe avec le devoir imparfait, le devoir prend ou non une dimension qui serait
SE À

uniquement spirituelle. En se situant au plan de la spiritualité, le devoir semblerait alors nier la composition duelle de
l’homme requise par l’harmonie des pouvoirs de la connaissance, pour situer l’essence rationnelle de la personne
RE T,

uniquement au plan du désir. Cette conclusion est en réalité factice cependant, puisque l’accomplissement devoir ne
saurait être entièrement dénué de sentiment: étant le pouvoir d’agir conformément à la faculté de désirer et à ses lois, il
D EN

se recrute alors le dynamisme de la vie et le sentiment qui en est l’expression à l’intérieur de la conscience, autant avec
l’espérance que fait naître la possibilité définie par le désir que la satisfaction qui en confirme l’accomplissement. Car le
AN M

sentiment, l’expression d’une réflexion implicite, pré-cognitive et non-thétique, dont l’objet est une représentation,
caractérise en même temps le pouvoir de désirer. Selon que la représentation affirme ou non la vie et que le désir réalise
E LE

le principe de la vie ou qu’il fasse défaut à celui-ci, la forme du sentiment consécutive à l’une ou l’autre de ces
éventualités illustrera soit le plaisir, soit le déplaisir.
US SEU

Dès lors que la faculté de désirer consiste à être la cause subjective de la réalité effective de ses propres
représentations objectives, non seulement illustre-t-elle la puissance active de la vie, autant celle que contient l’Idée
morale que celle qui présente l’Idée esthétique, mais encore puise-t-elle à l’essence même de la faculté de juger et du
AL EL

complexe synesthésique qui le caractérise, puisque la faculté judiciaire est la puissance d’éprouver dans le sentiment,
l’accord d’un objet ou d’une action avec les conditions subjectives de la vie, qui sont nulles autres que le pouvoir
inhérent à une représentation d’être la cause de la réalité effective de son objet 96. Autrement dit, la vie se révèle avec la
ON N

possibilité pour la faculté de désirer de pouvoir causer l’objet de son acte de désirer. Ainsi apparaît-il que c’est avec la
RS ON

conjugaison du désir et du jugement, l’affirmation concomitante du principe de la vie qui anime le sujet intégral
[Gemüt], du moins partiellement, en autant que cela est possible, que se révèle la possibilité de l’effectivité par laquelle
la virtualité et la désirabilité de la représentation trouvent leur contrepartie adéquate dans le monde naturel. Ainsi, la
P E RS

conjoncture harmonieuse des pouvoirs judiciaire et boulétique autorise effectivement la possibilité, non seulement de
la subsomption du sensible sous le suprasensible, mais plus radicalement encore du rapport complémentaire entre ces
R PE

deux dimensions qui témoigne de la présence du suprasensible dans le phénomène et de la continuité entre l’archétype
métaphysique et l’ectype physique, que réalisent et confirment pour cellui-ci la possibilité de l’exemple et la réalité de
l’exemplaire qui en est le substrat physique adéquat.
FO E
AG

Car c’est avec la présence du sentiment que la réalisation du désir trouve une confirmation, comme c’est avec le
désir que la matière et la possibilité d’un jugement futur (ainsi que du sentiment qui en procède) se voient anticipées.
US

92 KPV; AK V, 081.
93 GMS; AK IV, 424.
94 Idem; AK IV, 421-423; MAR; AK VI, 239-240.
95 Voir en annexe, p. 273, le tableau IV.4 intitulé «Les devoirs et les paradigmes subjectifs et objectifs».
96 KPV, Vorrede; AK V, 009n.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 150 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

Puisque tous les deux se réfèrent initialement à la vie, différemment cependant, en tant que d’abord, ils sont le pouvoir
de sa manifestation et de son expression, quant au désir, et qu’ensuite, ils confirment effectivement la perpétuation de
ses conditions subjectives, lorsqu’ils procurent l’objet sensible de sa représentation suprasensible, c’est à la vie que

LY —
rendent compte la finalité du jugement comme du désir: celui-ci en tant qu’il réalise le pouvoir proactif de l’esprit, à
l’intérieur du mouvement de l’entéléchie qui est le règne des fins possibles se réalisant, celui-là en tant qu’il en constate

ON CHE
concurremment et rétroactivement la présence continue, avec l’entéléchie accomplie qui est simplement le règne des
fins.

Ainsi le désir procède du pouvoir de la vie pour retourner à l’état vital, selon les deux formes de la congruence (ou

ES ER
de la convenance) qui rendent adéquats pour l’une la volonté à l’objet désiré avec sa réalisation et, pour l’autre, le
sentiment à l’objet réalisé avec son existence. Or la mutualité qui préside au rapport intime qui relie le désir et la vie ne
saurait consciemment infirmer le principe de l’identité du sujet [le Gemüt], tel que la faculté boulétique l’exprime,

OS H
comme procédant de la possibilité fondamentale de l’être humain. Or, le principe fondamental de l’homme, se réalisant

RP EC
en vertu de l’activité rationnelle, est nul autre que le principe de la vie: celui-ci admet seulement comme exception
justifiable à la conservation de sa personne une amplification de sa réalisation, soit sur le mode de la croissance, soit sur
celui de la promotion, soit encore sur le mode de la transformation qualitative, par la diversité et la variété des

PU E R
possibilités que la vie se découvre, avec la réalisation toujours plus complète de son essence suprasensible, une
entéléchie qui est adéquate à sa possibilité infinie.

CH S D
Car dès lors que le désir nierait le principe de vie, il nierait en même temps la possibilité future de sa projection
dans l’espace et de sa perpétuation dans le temps. Car le désir est un pouvoir de réalisation effective en vertu de la
AR FIN
représentation objective donnée par lui à naître dans l’exemplaire (qui peut être aussi un exemplaire de soi extériorisé
dans la conduite), soit le concept pour la copie, soit l’Idée esthétique pour l’oeuvre, la réalisation artistique qui se fonde
sur le principe de l’intrinsécité ou l’outil fonctionnel que réalise celui de l’extrincésité. Dès lors que le sentiment serait
en mesure de constater cette négation, pour autant qu’elle ne fût pas devenue radicale avec l’occasion du fait accompli
SE À

définitif et irréversible, l’intensité et la nature du déplaisir qui le révéleront seraient d’autant plus prononcées que le
principe de vie serait nié par le désir exprimé esthétiquement, non pas immédiatement dans son enséité, mais en tant
RE T,

qu’il subit la médiation du phénomène au plan subjectif ou au plan objectif. Car le principe de vie est, par sa dimension
fondamentale, l’essence fondamentale du sentiment puisqu’il est la manifestation subjective de la substance de l’âme
D EN

[Seele] et que celle-ci en est l’état latent de la possibilité.


AN M

Or, tout désir suppose en même temps une transformation éventuelle de la réalité, en vertu du principe
économique qui veuille que l’esprit se refuserait à un effort, sans qu’il en résulte la possibilité que l’effet anticipé puisse
E LE

effectivement se matérialiser. Autrement, l’intérêt de la volonté ne verrait aucun sens à mettre en branle une technique
aboutissant à une production nulle, i.e. ne comportant aucune valeur esthétique utile, discursive ou morale, pour
US SEU

l’édification des esprits et des consciences. En l’absence d’un mobile nihiliste, tout sentiment émanant de la puissance
complète et intégrale de la vie de l’âme, suppose en même temps la transformation du champ de l’expérience en
affirmation du principe de vie. Cette contribution signifie que l’accroissement de l’effectivité technique mise au service
de la vie en constitue nécessairement la promotion, soit en exprimant une multiplication quantitative de la vitalité, soit
AL EL

en donnant lieu à son expansion qualitative. Elle prendra alors la forme de la création poématique, en faisant apparaître
la singularité de ce qui auparavant était absent et en apportant un attribut innovateur au champ de l’être. Ainsi, en
présentant concrètement le concept, avec l’apport d’un prototype originel, ou en le modifiant et en le transformant,
ON N

lorsqu’il apparaît avec le prototype de la réalisation préalablement accomplie, la création transforme l’expérience aux
RS ON

plans mathématiques de la quantité et de la qualité. Car il tient de la création humaine de toujours porter sur une nature
préalable, que celle-ci se retrouve à l’état brut à l’intérieur de la nature sauvage ou qu’elle provienne d’une nature
préalablement transformée que procure une activité culturelle moins récente.
P E RS

En d’autres mots, l’amélioration et la promotion de l’être peuvent procéder uniquement de la synergie du


R PE

sentiment et du désir en fonction de la vie. Cela signifie que la moralité, considérée selon la tradition kantienne des deux
Introductions de la Critique de la faculté de juger comme étant uniquement une émanation de la faculté du désir, trouve
en réalité son fondement avec la mutualité des rapports existant entre le pouvoir du jugement et le pouvoir du désir.
FO E

Puisque toute moralité se fonde sur les deux piliers de la liberté que sont l’autonomie et la spontanéité, la liberté
AG

réalisera nécessairement le bien, puisqu’elle est conforme à l’identité de l’âme qui est en même temps le principe de la
vie se réalisant avec le désir et se sachant avec le sentiment. Selon la proportion du sensible et du suprasensible que
révélera le produit de l’acte libre et expressif de l’intériorisation du devoir, imparfaitement réalisée lorsque l’action se
US

produit simplement en conformité avec le devoir, ou parfaitement accomplie, lorsqu’elle est entreprise par devoir, le
bien résultant s’échelonnera selon un degré de perfection qui se situera entre les deux extrêmes de la conception
minimale de la liberté (la conservation et la constance du bien-être de l’existence) et de sa conception maximale (la
perfection du bien comme représentant pour le sujet moral la fin ultime). La liberté constituera alors le hédonisme du
bonheur immédiatement éprouvé à l’intérieur d’un règne des fins sensibles, actuelles ou possibles, ou se situera sur la
voie eudémoniste du Bonheur suprême, acquis avec la subsomption, au besoin radicale, de celui-là sous un règne des
fins suprasensibles, actuelles ou possibles. Dès lors que le règne des fins suprasensibles trouvera à s’actualiser avec la

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 151 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

plénitude de son entéléchie effective, ceux-là mêmes qui appartiendront à ce règne seront jugés dignes d’éprouver le
plaisir correspondant, qui est nul autre que la plénitude du sentiment spirituel, c’est-à-dire le Bonheur suprême,
puisqu’ils ont participé moralement à toutes les étapes de son édification, de son accomplissement, de sa conservation

LY —
et de sa perpétuation.

ON CHE
Or, la démarche de la conscience qui vise à accomplir la moralité peut s’accomplir indépendamment des
individualités particulières personnelles, mais non de toutes celles-ci cependant, ou même d’un nombre indéterminé de
celles-ci, lequel constitue un point critique suffisant à réaliser la dimension sociale de la collectivité. Nonobstant cela,
elle révèle le principe de la phylogénie qui est à l’oeuvre au sein des ontogénies, puisqu’il exprime la continuité du

ES ER
genre sans égard pour les concepts singuliers et il conditionne la finalité phylogénique, pour en faire uniquement
l’expression de la dynamique inclusive des individualités immanentes à la nature, en l’absence évidemment du principe
suprasensible qui transcende la nature et en altère le cours, le cas échéant.

OS H
RP EC
L’évidence esthétique, présente à la conscience du sens interne, d’un accomplissement suggestif de l’association
entre l’entéléchie absolument réalisée et le sentiment du Bonheur suprême, devient la preuve subjectivement éprouvée

PU E R
du sentiment se réalisant à l’intérieur de la sphère suprasensible. C’est l’entéléchie, procédant du désir, de la volonté et
de l’effort de contribuer à la réalisation suprasensible du sentiment, proportionnellement à la mesure des moyens
susceptibles d’être apportés par les consciences particulières en ce sens, avec l’adhésion entière de la conscience

CH S D
morale à l’impératif catégorique et, en même temps, au principe de la primauté du pratique sur le théorique. Car la
dimension suprasensible du sentiment révèle l’expression de la forme irrationnelle de la vie, dont la valeur est attestée
par l’universalité et la nécessité des principes qui concourent à sa réalisation, en assurant que la vitalité pure demeurera
AR FIN
inentamée par des considérations sensibles plus appropriées à l’inclination et à l’immédiateté du plaisir qui lui est
associé.

Mais justement, en attestation de la primauté d’un pouvoir de la connaissance sur un autre, laquelle trouve sa
SE À

confirmation et sa résolution avec le primat du suprasensible sur le sensible, on doit comprendre à la fois que, à
l’intérieur du mouvement qui vise la préservation et la promotion de la vie, la raison théorique apporte sa contribution
RE T,

inestimable et que celle-ci prend la forme d’un jugement, celui qu’illustre la maxime par laquelle passe la subordination
D EN

du théorique au pratique. Puisqu’alors la pratique devient le gage de la véracité du théorique, on peut voir en la position
kantienne un précurseur du pragmatisme futur d’un W. James. On ne doit pas conclure avec cela qu’un revirement se
serait opéré et que le sensible prendrait dorénavant le pas sur le suprasensible, puisque la raison pure pratique se fonde
AN M

justement sur la dimension suprasensible et qu’elle ajoute aux trois Idées nécessaires de la raison pure théorique
(comportant néanmoins pour fondement le concept générique de nature), l’Idée tout aussi nécessaire de la liberté
E LE

comme étant le fondement, fourni a priori par la raison, du jugement pur pratique 97.
US SEU

Dès lors que prévale nécessairement la dimension suprasensible de la moralité, à l’intérieur d’une action ou d’une
réalisation portant sur la nature sensible, par où s’affirme le désir et se réalise le rapport par lequel la faculté
déterminante de la connaissance opère son effectivité sur le monde grâce à la volonté, la moralité doit s’en référer à la
causalité inconditionnée de la liberté qui soit parallèle à l’Idée de la nécessité inconditionnée du fondement originaire
AL EL

de la Nature 98. Ainsi, le principe du suprasensible sert à fonder en même temps les origines du monde sensible et
l’activité naturelle, autogène chez les êtres organisés, qui, avec la liberté et la conscience morale de son effectivité, en
ON N

conditionnera, en transformera et en modifiera les apparences phénoménales. En admettant cela, on énonce en même
temps que la dimension morale de la conscience participe à l’Idée de l’essence fondatrice aux origines de la Nature et
RS ON

que l’essence suprasensible fondatrice du monde est une essence morale, en raison de la possibilité pour la raison
pratique d’effectuer une telle participation. Car la moralité est la condition suprasensible du désir qui part de la vie pour
retourner à la vie, selon un mouvement qui, avec l’effectivité sensible en résultant, ouvre nécessairement sur la finalité
P E RS

du bien, pour autant que le principe de vie soit affirmée par ces deux pouvoirs. Ainsi, non seulement Kant a-t-il jeté les
bases de l’argument théologico-moral avec lequel il fonde l’Idée de Dieu, mais encore suggère-t-il que, conformément
R PE

à la plus stricte des vues malebranchiennes, néo-gnostiques et platoniciennes, la causalité suprasensible inconditionnée
de la raison humaine est l’évidence d’une émanation divine.
FO E

Qu’à cela ne tienne cependant, non seulement la liberté est-elle l’assise de la téléologie qui soit en même temps
AG

une moralité — d’une perspective minimale au regard des biens et d’un point de vue maximal au regard du bien —,
mais encore réfère-t-elle l’être nouménal et personnel de l’homme, doué du pouvoir suprasensible boulétique et
susceptible d’être en même temps le principe et l’effet d’une causalité. Ainsi, le regard sur la liberté devient-il
US

l’occasion d’apercevoir la constitution tout-à-fait originale d’un être vivant qui peut se proposer comme fin suprême et
donc comme bien souverain dans le monde 99, en illustrant la superlativité du genre phylogénique, auquel il est participe

97 KU, §31; AK V, 380.


98 Idem, §73; AK V, 403.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 152 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

en raison de son individualité ontogénique et qui l’inclut pleinement à l’intérieur du règne de la nature, sauf à constituer
pour celle-ci le moyen suprasensible de sa transformation culturelle.

LY —
Plus encore, étant informée par les lois morales issues de l’impératif catégorique, et puisqu’elle définit pour la
volonté des fins finales qui leur soient conformes ainsi qu’au bien servi, pour lesquelles elle devient le gage de la

ON CHE
plénitude de leur réalisation, la liberté effective est l’unique preuve de la continuité possible, entre le fondement
suprasensible de la nature (le concept de Dieu quant à la Nature et celui de l’immortalité de l’âme quant à la nature de
l’homme) et l’expérience [Erlebnis] subjective et réelle que la personne morale en réalise. De sorte que, sans l’Idée de
liberté, ainsi que celle des lois transcendantales et des fins finales qui en découlent, autant la nature que l’homme

ES ER
seraient privés des principes qui sont la condition nécessaire de leur possibilité, à savoir l’Auteur du monde pour
celle-là et une âme immortelle pour celui-ci. Il en résulterait par conséquent la possibilité métaphysique de s’en référer
à aucune raison ultime pour fonder et expliquer la connaissance de leur existence et de leur constitution, en tant que

OS H
ceux-là sont des êtres réels et effectifs 100.

RP EC
Ainsi, la liberté suprasensible est-elle aux fins finales sensibles (selon les lois de la nature) comme celles-ci sont à

PU E R
la Nature, une condition sine qua non qui illustre le lien intime et essentiel entre la téléologie et la déontologie, de sorte à
procurer l’évidence de la dimension suprasensible en opération dans le monde, d’une manière qui unit, à l’intérieur de
la présence morale qui en incarne les principes et en réalise les effets, la réalisation qui produit l’actualisation des fins

CH S D
particulières par la volonté, et la moralité qui fournit la règle à son mouvement, en raison du règne des fins que gouverne
non seulement une technique — une aptitude à réaliser les fins, selon une légalité empirique en vertu de l’impératif
hypothétique — mais en même temps une légalité morale, laquelle se fonde alors sur le principe du bien comme en
AR FIN
réalisant la finalité ultime. Étant universel et nécessaire, il ne fait acception de personne a priori, tout en constituant un
pont entre la personne qui est, par sa liberté, à la source de la maxime morale qui informe la conduite de l’action, et
l’humanité, dont le sujet moral devient à la fois le principe de la causalité suprasensible et l’exemplaire dans sa
personne. Par ailleurs, en l’absence de la finalité implicite, mais universelle et nécessaire, que fournit le principe de vie
SE À

à la conscience, qui est en même temps celui du suprasensible en tant qu’il est une possibilité constitutive réelle, autant
les pouvoirs de la raison que leur unité finalisée seraient des concepts factices, puisque n’existerait pour eux aucun
RE T,

principe qui fonde leur possibilité autogène.


D EN

La continuité possible entre


AN M

la théorie et la pratique
Car, dès lors que l’impératif catégorique devient l’assise d’un principe personnel, la maxime qui puisse devenir en
E LE

même temps une loi universelle — à ce point, la question de la compréhension et de l’extension du concept
d’universalité prend tout son sens, puisqu’il devient susceptible, avec la variété des acceptions qui lui sont attribuables,
US SEU

d’une gradation autant mathématique que dynamique, lorsqu’il est comparé aux totalités envisagées et/ou à leur
prépondérance éventuelle à l’intérieur du monde —, il illustre en même temps trois nécessités: la nécessité pratique de
pouvoir se généraliser à l’échelle de la nature 101; la nécessité téléologique de traiter l’humanité uniquement comme fin,
autant dans sa personne que dans la personne d’autrui 102; et la nécessité déontologique de considérer la volonté de tout
AL EL

être raisonnable comme légiférant de manière universelle 103. Or, non seulement un tel mouvement procède-t-il de la
raison pure, puisqu’il reflète la condition transcendantale de la schématisation pratique, mais encore le retrouve-t-on
ON N

avec le rapport qu’entretiennent la maxime, que présente l’imagination à la conscience rationnelle à titre d’impératif
hypothético-technique, et l’impératif catégorique de la loi, dont la formulation abstraite et formelle revient à la raison,
RS ON

sous le mode analogique de la présentation empirique qui devient la figuration concrète de la représentation théorique.
P E RS

Ainsi voit-on s’instaurer à l’intérieur de la raison une complémentarité entre son aspect théorique et sa dimension
pratique. D’une part, le schéma fait succéder de toute nécessité la présentation [Darstellung] dans l’intuition des
concepts généraux de l’entendement à leur représentation [Vorstellung] possible, en vue d’opérer la médiatisation,
R PE

grâce à la forme a priori du temps qui leur est homogène, de l’aspect intellectuel du concept auj moyen du phénomène
sensible, en assurant la subsomption du phénomène sous la catégorie 104. D’autre part, on retrouve l’association du
principe abstrait de l’impératif catégorique et du concept pratique de la maxime, étant applicable au monde sensible de
FO E

la nature, elle assure alors que la possibilité se réalise, de la congruence nomothétique de la fusiV avec la nature
AG

99 Idem, §84; AK V, 435.


US

100 Idem, §91; AK V, 473-474.


101 GMS; AK IV, 431.
102 Idem, p. 429.
103 Idem, p. 431.
104 KRV; AK III, 134-135; AK IV, 099-100.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 153 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

intelligible et conformément aux virtualités de celle-ci. L’intelligence la subsume et l’informe, en vertu de la dimension
suprasensible et de l’essence universelle et nécessaire qui en est le propre, pour ainsi transformer la possibilité
simplement esthétique de la fusiV en effectivité morale pleinement réelle.

LY —
Si la nature suprasensible est susceptible de former, avec l’action théorique de la raison, une variété de contenus

ON CHE
idéels et boulétiques, c’est uniquement avec l’éventualité pour elle de trouver une réalisation pratique par l’entremise
de l’action morale, qu’elle transforme ses contenus en concepts moraux. Car ceux-ci sont des concepts susceptibles
d’inspirer les impératifs hypothétiques des maximes et de rehausser leur statut au rang de préceptes universels, comme
l’exige l’impératif catégorique. C’est à la seule condition que s’opère la typique du schématisme pratique, que l’action

ES ER
morale pourra fonder la finalité judiciaire (la détermination et/ou la production en vertu d’une loi naturelle) sur une
légitimité réelle (une loi de la liberté que lui fournit la raison) 105. Car c’est avec la compatibilité et la congruence entre
d’une part, la volonté universelle quant aux objets de son désir et d’autre part, l’action effective qui confirme sa validité,

OS H
au sein d’une nature à laquelle appartient le Ich conditionné et sur laquelle agit le Ich déterminant, qui devient en même

RP EC
temps l’agent déterminant de l’effectivité particulière, que deviennent possibles les jugements moraux, susceptibles de
départager et de décider en fonction du bien et du mal 106.

PU E R
Ce qui est le propre de l’effectivité apercevable, c’est qu’elle devient alors la matière d’une intuition possible,
susceptible par conséquent d’être constituée en concept de l’entendement par l’esprit spectateur. Il en résulte que

CH S D
l’intuition, loin d’être uniquement le moyen de la connaissance, est également le lieu d’une rencontre entre l’acteur et le
spectateur, entre l’Idée esthétique qui est à l’origine de l’extériorisation de la volonté présente dans la nature, selon les
principes intimes à la raison pure pratique, et la raison pure qui en fait l’appréhension selon les principes et les
AR FIN
techniques transcendantales qui sont au fondement de son activité épistémologique.

Deux constructions s’opposent alors à l’intérieur de l’intuition et deviennent les éléments complémentaires d’une
dynamique et d’une mobilité spatio-temporelle. Celle-ci voit la faculté de la connaissance en général entrer dans un
SE À

rapport de mutualité possible avec l’empirie, qui réalise l’harmonie de l’ensemble des pouvoirs rationnels, lorsqu’ils
sont en conjugaison avec la nature ambiante, une relation qui tombe sous le mode de la connaissance non seulement
RE T,

théorique, mais encore pratique. S’inspirant des acquis de celle-là, mais aussi se fondant sur la possibilité de générer
D EN

une activité spontanée et autonome, la connaqissance pratique ouvre à la fois sur la culture, avec la production des
artefacts, et sur la société, avec la rencontre des consciences aux plans réciproques de l’appréciation, de la
communication et de la moralité.
AN M
E LE

Si la connaissance a priori d’une chose peut se concevoir comme étant simplement la connaissance des
possibilités de cette chose, une condition supplémentaire est requise pour que la connaissance de la possibilité d’une
chose dans l’entendement, qui se fonde sur le principe de l’identité non-contradictoire au plan de l’intellect, devienne
US SEU

en même temps celle d’un objet naturel déterminé, susceptible d’exister en dehors de la pensée et d’acquérir un statut
épistémologique. Aux conditions a priori de l’expérience générale à l’intérieur de l’intuition doit s’ajouter pour cet
objet le donné a priori de l’intuition correspondante au concept qui le représente dans l’intellect, ce que Kant nomme à
l’origine une construction 107, laquelle est susceptible de fournir une connaissance rationnelle simplement
AL EL

mathématique et non pas encore transcendantale.


ON N

La construction du concept de la représentation singulière est en fait analogue à celle de la représentation générale,
RS ON

à cette différence cependant qu’elle n’est pas universelle et que par conséquent, elle ne vaut pas pour toutes les
intuitions possibles d’un même concept général, alors qu’elle vaudra pour toutes celles d’un même concept singulier.
Ainsi s’agit-il pour l’entendement de se figurer a priori, à l’intérieur de l’intuition, le modèle d’une chose spécifique
P E RS

(v.g. une table rectangulaire dont la dimension est de 3’ x 6’), avant toute expérience empirique de cette table, laquelle
ne saurait ni inclure, ni représenter ce qui en spécifierait l’essence générique avec un concept plus abstrait et plus
universel, tout en appartenant indéniablement au genre de «table», dont l’intuition figure également dans
R PE

l’entendement en tant qu’elle est une intuition a priori.


FO E

En somme, la construction mathématique est celle qui ajoute a priori des déterminations limitatives à un concept
AG

d’un ordre abstrait et général, de sorte à en fournir la condition d’une présentation possible dans l’empirie, sans pour
autant en infirmer l’appartenance au genre universel qui en est la condition suprême d’une subsomption 108. Bref, la
construction mathématique constitue la phase intermédiaire dans l’entendement entre la connaissance rationnelle et la
US

105 KPV; AK V, 070.


106 Idem, p. 069.
107 MAN; AK IV, 470.
108 KRV; AK III, 469.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 154 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

connaissance simplement empirique: étant a priori, elle permet de penser le singulier sous l’universel, en tant qu’il est
un principe se réalisant dans la talité des choses; mais étant spécifique, elle permet d’anticiper sur l’illustration concrète
de la généralité à laquelle elle appartient, mais d’une façon qui autorise à la penser comme intuition empirique possible.

LY —
Bien qu’il s’agisse d’une conception de l’a priori qui, étant universelle, renvoie à une totalité qui en spécifie un

ON CHE
genre à l’intérieur du genre ontologique de l’être, l’intérêt de la construction consiste en ce qu’elle permet d’établir dans
l’entendement un mouvement réciproque, dans les deux directions, entre ce qui est purement théorique et ce qui est
simplement empirique, entre l’objet tel que la métaphysique le considère, du point de vue des lois générales de la
pensée qui se rapportent à l’ensemble de ses lois nécessaires, et l’objet tel que les sciences particulières le conçoivent,

ES ER
comme devant être représenté, à l’intérieur de la conscience, d’une manière qui est conforme à l’intuition mixte, à
savoir en vertu des propriétés qui conviennent en même temps à une intuition pure et à une intuition empirique, selon
des déterminations qui conviennent autant à l’abstraction du genre qu’à la limitation de l’espèce dans sa singularité. Car

OS H
si la métaphysique peut prétendre incarner la plénitude de la connaissance, en raison de l’universalité de son objet, elle

RP EC
ne saurait rivaliser quant à la variété des connaissances avec les sciences particulières, dont la diversité des intuitions et
des objets assure un développement à l’infini. La condition universelle de la métaphysique, qui confronte en tout temps

PU E R
les lois générales de la fusiV aux lois nécessaires de la pensée dans la constitution de ses propres a priori, épuise la
possibilité de celle-ci quant au nombre des connaissances susceptibles d’être acquises par elle 109. C’est à partir d’une
multitude d’exemplaires empiriques que l’on arrive à identifier le principe fondateur ou originel dont ils sont la

CH S D
procession et la conséquence; comme il arrive qu’à la simplicité d’un principe peut correspondre une manifestation
complexe et diversifiée (et même parfois inattendue quant à certaines de ses expressions). Ainsi assiste-t-on à une
généalogie de l’a priori qui est susceptible de réunir, à l’intérieur de l’exemplaire et de l’acte de construction qui le rend
AR FIN
schématiquement possible, l’a priori ontologique et l’a priori métaphysique. Leur complémentarité se réalise en ce
que, là où celui-ci gagne en abstraction et en généralité, il perd en réalisme et en dynamique naturelle, extrinsèque à la
vitalité rationnelle, et que là où celui-ci gagne en spécification exemplaire, il perd en possibilité véritablement
universelle, malgré qu’il illustre néanmoins une généralité suffisante à inspirer, sous certains égards, le nomothétisme
SE À

du type applicable aux copies qui peuvent en procéder en vertu d’une démarche simplement reproductive.
RE T,

Avec le concept de construction, l’on retrouve au plan théorique l’analogue au plant poématique de la réalisation
D EN

pratique, à savoir un produit qui est la conséquence d’une activité transformatrice de la matière de l’intuition, i.e. la
chose naturelle dont le phénomène est porteur de l’intuition. Cette activité témoigne de l’unité de la connaissance en ce
que, tout en demeurant théorique, la raison qui aspire à la connaissance pure peut atteindre cette fin uniquement en
AN M

conformité aux principes de la raison pratique. Or, cette conception ne doit pas nous porter à ignorer une autre
caractéristique de la connaissance, la fluidité organique qui fonde une démarche ambivalente. Celle-ci tantôt part de la
E LE

nature empirique et tantôt opère à ce même plan pour effectuer une action qui transforme le monde, en agissant
directement sur la matière sensible ou en se répercutant indirectement sur l’activité des autres natures organiques au
US SEU

moyen de la communication, discursive ou gestuelle.

Toute présentation consiste à faire l’association au concept d’une intuition correspondante: dans le domaine de
l’art, l’oeuvre qui procède de l’imagination en illustre le principe; et en ce qui concerne le fait naturel, on voit en celui-ci
AL EL

la possibilité d’une expression sensible au moyen de l’Idée et par l’entremise du concept de fin 110. On s’aperçoit ainsi
que l’acte de présentation renvoie toujours à une même réalité, à savoir la matérialisation de la substance de l’Idée
ON N

esthétique, mais selon deux voies différentes, comme réalisant effectivement la dimension pratique de la raison pure ou
comme fournissant l’hypothèse théorique qui porte sur une possibilité dont la réalisation requiert le postulat d’un
RS ON

facteur inconnu. Cette induction fonde sa supposition d’un facteur X uniquement sur l’existence d’un changement qui
donne à penser au concept d’une technique et d’une fin naturelle, en vertu du principe que tout effet suppose une cause
qui en est à l’origine et qu’aucun effet ne saurait résulter en l’absence d’une cause qui le réalise. Or, l’originalité de la
P E RS

notion de présentation réside dans un rapport, avéré ou probable, entre d’une part le monde sensible susceptible
d’illustrer une effectivité phénoménale, laquelle renvoie ultimement à un principe originel et à une agence causale qui
R PE

en initient l’occurrence avec l’application d’une technique appropriée, et d’autre part la dimension dont procéderait a
priori cette manifestation finale, autant quant à la possibilité suprasensible de sa nature transcendantale que dans sa
production étiologique spécifique.
FO E
AG
US

109 MAN; AK IV, 473.


110 KU, Einleitung, §vii; AK V, 192-193.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 155 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

MOUVEMENT DE LA RAISON

Intériorisation Extériorisation

LY —
ON CHE
construction : théorie :: présentation : pratique

ANALOGIE IV.2: Illustration schématique de la continuité du théorique et du

ES ER
pratique, en vertu des activités analogues de la raison, la construction pour
l’activité intérieure de la raison et la présentation pour son activité
extérieure.

OS H
RP EC
L’effectivité de l’acte de présenter donne tout son sens au pouvoir de la connaissance, car sans celle-là, l’acte de
construire dans l’aperception théorique apparaîtrait comme étant un acte autant futile qu’il est gratuit: futile, puisqu’il

PU E R
se produirait pour un individu dont la conscience est à toute fin pratique totalement isolée: gratuit, puisque sa possibilité
se limiterait à celle uniquement d’un sujet percevant, sans que son état ne se répercute en aucune façon sur le monde
ambiant, ni même en raison du rapport immédiat aux choses que réalise sa présence. D’autant qu’une telle éventualité

CH S D
serait en même temps factice d’un point de vue ontologique, puisqu’elle ne servirait en aucune façon, et peut-être
même nierait, la prémisse fondamentale de l’âme qui, avec le principe héautonomique, révélerait la possibilité
d’assurer et de mettre en oeuvre les ressources de l’esprit, c’est-à-dire les possibilités de la raison susceptibles d’être
AR FIN
employées à réaliser la connaissance et à poursuivre cet intérêt. Par conséquent, non seulement ne pourrait-on pas
entrevoir la possibilité que, en effectuant la construction en l’absence de la présentation, une atomisation sociale ne
pourrait même pas se réaliser, alors que l’on assisterait à l’institution généralisée du plus pur des solipsismes, mais
encore devrait-on conclure que l’acte intellectuel de la position dudit phénomène serait-il à toute fin pratique absurde.
SE À

Force nous est donc de convenir que la possibilité effective de l’acte de présenter donne tout son sens à la possibilité
théorico-pratique de l’esprit, conclusion qui fournit une autre avenue pour nous permettre de comprendre l’importance
RE T,

du principe de la primauté accordée par Kant au plan pratique sur la dimension théorique.
D EN

Kant alloue indirectement pour la relation utile et nécessaire entre le physique et le métaphysique (du sensible et
du suprasensible), entre deux systèmes qui au plan théorique sont nettement séparés, lorsqu’il déclare l’importance des
AN M

exemplaires pour celle-ci. Car alors, les phénomènes qui apparaissent et les intuitions qui leur correspondent, lesquels
appartiennent à la fois à la théorie générale des corps et à celle des sens extérieurs, gouvernés formellement par
E LE

l’intuition selon ses principes transcendantaux, apportent une signification aux concepts purs de l’entendement. Tant et
si bien que, si les principes de l’intuition externe ne trouvent pas leur accomplissement avec l’activité objective de
US SEU

présenter les contenus des Idées esthétiques de l’imagination auxquelles ils donnent lieu, la conscience métaphysique
se trouve tout-à-fait désorientée d’avoir à composer avec des notions dépourvues de sens. Cela est d’autant plus juste
pour elle qu’il s’agira de s’en référer à la dimension qualitative des catégories du jugement, car alors seulement la
possibilité devient probante que les concepts correspondants puissent éviter les conflits de réalités, provenant de
AL EL

schémas herméneutiques disparates et contradictoires qui prétendent néanmoins à l’universalité et à la nécessité, et


acquérir un statut ontologique objectif, en véhiculant une signification et en énonçant la vérité [Bedeutung und
Wahrheit] 111.
ON N
RS ON

Non seulement retrouve-t-on, avec l’Idée du mouvement intérieur de la raison qui trouve son analogue avec celui
de son extériorisation, l’expression de la relation épistémologique complémentaire et nécessaire entre l’entendement et
l’intuition à l’intérieur du suprasensible; non seulement doit-on envisager une voie à deux directions qui, en
P E RS

caractérisant le rapport du concept et de l’intuition, fournit à l’entendement un contenu et le rend compréhensible au


sens commun, en lui donnant une signification et une direction 112; non seulement par conséquent rend-on possible
R PE

l’exploration de l’extension et de la profondeur de la réalité objective, sous tous ses aspects et selon tous ses
fondements, ainsi que la possibilité de les révéler au moyen de la communication discursive (qui constitue une des
formes que peut prendre sa présentation), mais encore Kant voit-il la possibilité pour l’exemplaire de constituer la voie
FO E

unique qui procure une légitimité complète, voire simplement idéale, aux concepts éminemment abstraits et
AG

indéterminés de la métaphysique. Car il assure alors que, avec l’élucidation de leur matière essentielle et l’éventuel
partage des significations qui peut en résulter avec le discours, les concepts de la métaphysique acquièrent la plénitude
de la vérité. En permettant d’éviter les conflits de réalités, lesquels reposent sur des aperceptions distinctes mais
US

incompatibles et se fondent sur une confusion sémantique issue de la métaphysique que ne confirme aucun exemplaire
empirique, apercevable dans l’intuition objective, celui-ci rend un service insigne à la philosophie qui espère échapper
à la prolifération des dogmatismes qui en caractérise le mal radical au plan épistémologique.

111 MAN, Vorrede; AK IV, 478.


112 KRV; AK III, 075; AK IV, 048.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 156 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

L’ectype
Or, l’ectype [Nachbild] est le type de cet exemplaire, puisqu’il réalise une dimension du suprasensible, lui
conférant ainsi une intelligibilité et une crédibilité à l’intérieur du sens commun. Car c’est uniquement lorsque
l’illustration de l’intelligibilité et de la pertinence de l’exemplaire est susceptible de produire un accord, non seulement

LY —
à l’intérieur de la connaissance théorique, avec la figuration adéquate d’un concept, mais aussi avec la personne
intégrale du sujet moral, alors que la plénitude du concept illustré par l’exemplaire en vient à symboliser la continuité de

ON CHE
l’Idéal de son être pleinement assumé, que l’on peut envisager un entendement commun qui réalise en même temps les
conditions du sens commun. Or, celui-ci trouve son aboutissement avec la complémentarité pleinement adéquate de
l’ontogénie et de la phylogénie.

ES ER
La notion d’ectype a reçu, chez Kant, un traitement divers qui reflète l’évolution de sa pensée et des fins qui la
caractérisent à différentes étapes de sa philosophie, conformément aux emphases particulière qui font l’objet de son

OS H
discours. En tous les cas cependant, le concept d’ectype recouvre les notions d’approximation [mangelhaften Kopeien],
de contrepartie [Gegenbild], de reproduction [Nachbild]: chacune d’elles renvoie à la dimension intelligible qui, à

RP EC
partir de leur nature sensible, inspire tous les aspects esthétiques de leur réalisation.

PU E R
L’ECTYPE-APPROXIMATION. Le passage qui traite de l’ectype comme étant une approximation représente la
détermination nécessaire d’une chose à travers l’objet, laquelle n’est pas l’existence entière d’un Idéal [Urbild =
prototypon], mais sert uniquement de médiation entre l’Idée suprasensible et la reddition réelle de sa possibilité. Ainsi

CH S D
on retrouve, à l’intérieur de la totalité conditionnée de l’ectype, un avatar de la totalité inconditionnée de l’archétype
dont elle procède, puisqu’elle représente alors une limite sur la détermination intégrale qui appartient paradoxalement à
celle-ci 113.
AR FIN
À l’intérieur de la section qui considère l’ectype comme étant une contrepartie, Kant envisage deux natures, la
nature sensible et la nature suprasensible qui, étant toutes deux des natures, contiennent l’existence des choses, mais
SE À
qui, étant distinctes, opèrent cette fonction en raison de la légalité appropriée à l’une ou à l’autre nature: elle est
empiriquement conditionnée et donc elle est hétéronome pour celle-là; elle est indépendante de toute condition
RE T,

empirique parce qu’elle est donnée à elle-même pour celle-ci, en vertu de l’autonomie avec laquelle elle réalise
spontanément sa possibilité créative. Or, lorsque l’ectype est issu de la raison poématique, il devient l’évidence du
D EN

monde sensible qui s’est alors constitué en contrepartie de la nature suprasensible du monde pur de l’entendement. Cela
étant, il illustre le principe de la priorité de l’autonomie suprasensible sur l’hétéronomie sensible, laquelle garantit la
supériorité de la loi morale sur la loi empirique, sauf à abroger l’effectivité de la loi morale qui en est au fondement,
AN M

puisqu’en exprimant l’immanence de l’autonomie en la personne de l’humanité, ce principe assure que revienne à la
E LE

réalité la part de la transcendance que le principe de l’hétéronomie lui refuserait. Le monde sensible renvoie alors à la
nature suprasensible correspondante, à une nature archétype connaissable seulement par la capacité réflexive de la
raison. Car en fondant le conditionnement sensible de la volonté et la possibilité pour elle d’illustrer sa prévalence
US SEU

suprasensible, la nature ectype illustre en cette occasion l’effectivité de l’Idée morale, en même temps que la puissance
boulétique de la raison, grâce à son pouvoir d’inventer les maximes qui en rendront possible la réalisation 114.

L’ECTYPE-REPRODUCTION. Un autre extrait aborde l’ectype comme étant une reproduction et il oppose le principe
AL EL

de l’Idée esthétique à la figure qui en est l’expression. La première réside dans l’imagination à titre d’archétype [Urbild
= prototypon] alors que la seconde en est la spatialisation, une extension qui est soit corporelle (révélant par là une
ON N

manière d’être), soit la juxtaposition de l’apparence à une surface, de sorte à constituer la condition d’une réflexion, en
RS ON

illustrant respectivement la relation de l’Idée à une fin réelle (comme dans la sculpture ou l’architecture) ou simplement
l’aspect que prend une chose ou une scène pour la conscience judiciaire (comme dans le dessin ou la peinture) 115.
P E RS

Ainsi trouvons-nous évoquée, avec le concept de l’ectype, la relation du principe suprasensible à sa manifestation
sensible, tel qu’il se manifeste à l’intérieur de chacun des pouvoirs de la connaissance. Non seulement cette relation
R PE

fait-elle apparaître la priorité de la dimension métaphysique sur le plan physique, en raison de la liberté qu’il appartient
à tous les pouvoirs de la connaissance d’illustrer, avec la conduite du discours ou l’effort qui aboutit à l’action, mais
encore réfère-t-elle son produit à une substance de la pensée qui en serait le principe originel, puisqu’il informe
FO E

effectivement la nature sensible, autant quant à sa forme que sa destination. En activant son jugement, l’intellect
AG

humain peut se représenter la causalité selon deux perspectives: la causalité d’après des fins naturelles que scrute et
cerne la réflexion et comme déterminant des fins et des causes finales. Ainsi doit-il aussi se représenter l’essence propre
et nécessaire de l’Idée archétype, tel que la contingence de l’image et de l’ectype serait susceptible de la révéler 116,
US

113 KRV; AK III, 389.


114 KPV, §08AII; AK V, 043.
115 KU, §51; AK V, 322.
116 Idem, §77; AK V, 408.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 157 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

voire de manière incomplète et dérivée. Nonobstant qu’une telle expression interprète, au plan de l’évidence sensible,
la substance inhérente et intime d’une essence inconditionnée qui est en même temps éventuellement déterminante, en
raison de la nature suprasensible propre à l’intellect humain, le mouvement de l’extériorisation de la conscience vers le

LY —
monde sensible renvoie en outre à l’essence de l’Idée et à son hypotypose, laquelle illustre le pouvoir de présenter la
réalité des concepts sous la forme d’intuitions, qui requiert pour être créée la mobilisation de la possibilité des sens

ON CHE
[Versinnlichung]. Or, ce faisant, la présentation résultante conduit à une transposition du sujet à l’intérieur de la
conscience objective: celui-ci n’est plus apprécié au plan de la raison suprasensible, quant à cet accomplissement, mais
il se trouve situé uniquement à celui de la détermination sensible 117, qu’elle procède de son autonomie propre (comme
pour l’artiste contemplant son oeuvre) ou d’une hétéronomie (comme étant relative à une oeuvre, naturelle ou

ES ER
culturelle, dont la source appartient à une légalité autre que celle de sa raison propre).

La notion d’hypotypose révèle une double complexité, puisqu’elle peut être soit schématique, soit symbolique:

OS H
pour celle-ci, elle réfère à un concept suprasensible (une Idée), auquel nulle intuition ne saurait être adéquate par

RP EC
conséquent, puisqu’elle engendre, sur le mode de l’analogie, une présentation dans la réflexion, sans que celle-ci ne
réussisse à évoquer formellement la plénitude de la réalité suprasensible qui est à la fois son archétype et son objet; pour
celle-là, elle réfère à un concept de l’entendement dont l’intuition correspondante est donnée a priori et qui réalise, sur

PU E R
le mode de la présentation directe par l’ectype, ce qui suggère dans la réflexion une adéquation de l’oeuvre à l’intuition
dont elle est l’extériorisation, au moyen d’un produit plus ou moins ressemblant 118,119.

CH S D
Puisque la représentation discursive du concept exemplifie une hypotypose schématique, elle renvoie à la réalité
du schème sous-jacent selon les lois de l’association dans l’imagination. Il en va tout autrement avec la représentation
AR FIN
symbolique cependant, laquelle évoque un principe formel supérieur sous le mode de l’analogie. Le symbole propose à
l’entendement une image sensible et, au moyen de cette figure, il suggère quel serait le principe archétype que l’on
retrouverait opérant au plan suprasensible (v.g. un corps animé pour une monarchie; une simple mécanique pour une
tyrannie). Ainsi, la réalité physique de la figure symbolique sert d’illustration à un principe suprasensible et la validité
SE À

de l’hypotypose repose sur l’adéquation effective existant entre la présentation et ledit principe que l’on serait apte à
induire à travers elle.
RE T,
D EN

Le concept se substituerait à tout ce que, même de façon négative, l’on serait apte d’affirmer au sujet de l’essence
d’un objet, laquelle affirmation serait d’autant plus générale que le concept est abstrait. Il est à la fois fonction et
conscience: à titre de conscience, le concept est intimement associé à la réflexion, l’activité dont il est l’aboutissement,
AN M

puisqu’il est la pensée de l’objet et se spécifie dans la synthèse par laquelle il réussit, selon une règle, à unifier le divers
des représentations se rapportant à lui 120; à titre de fonction, le concept est discursif et se fonde sur une action qui, s’en
E LE

référant à la spontanéité de la pensée, ordonne la diversité des représentations sous une représentation commune 121,
celle de l’aspect inconditionné du concept. Ainsi le concept renvoie-t-il à la dimension suprasensible de l’intellect et au
US SEU

pouvoir de réaliser la moralité et par conséquent la liberté de la personne.

Par ailleurs, même si la connaissance est la fin du symbole, le processus symbolique suppose une autre forme de la
connaissance que la connaissance simplement intellectuelle acquise par concepts. La connaissance symbolique repose
AL EL

sur la même matière que celle procédant du concept, i.e. les intuitions, et tout comme le concept, le symole fournit une
signification à l’entendement. Mais la signification que procure le symbole procède, non pas d’un schème dont le
ON N

concept serait le caractère, mais d’une image, de la présentation d’un objet qui offre avec le concept ainsi évoqué une
analogie, laquelle repose sur les intuitions communes à l’un et à l’autre 122. Remarquons cependant le double statut dont
RS ON

est passible de recevoir le concept, lorsqu’il sert de véhicule à la signification. Il en résulte de cette fonction que le
concept est en même temps un symbole, dans le sens le plus faible du terme, puisqu’il est le signe d’une action
préalablement accomplie, c’est-à-dire la réflexion qui, en puisant aux ressources créatives de l’imagination, produit le
P E RS

concept particulier qui signifie d’une manière spéciale l’originalité de son signifié.
R PE

Si, pour Kant, le symbole est une forme d’hypotypose plus primitive que le concept, en raison précisément de la
pauvreté conceptuelle illustrée par lui 123. Cependant, malgré que le symbole suppose une sous-utilisation de
FO E
AG

117 Idem, §59; AK V, 351.


118 Idem.
119 Voir en annexe, p. 274, le tableau IV.5 en annexe intitulé «Schéma révélant la variété et la complexité de la
US

notion de l’hypotypose, selon qu’elle passe par le concept ou par l’image pour son illustration».
120 APH, §07A; AK VII, 141.
121 KRV; AK III, 085; AK IV, 058.
122 APH, §38; AK VII, 191.
123 Idem.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 158 de 539 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

l’entendement au profit de l’imagination, il partage néanmoins avec le concept une possibilité qui est le propre de toute
hypotypose. Nonobstant qu’il se fonde sur les lois de l’analogie imaginative et qu’il sollicite la participation et
l’assentiment de la subjectivité plutôt que recruter l’examen et l’accord de l’objectivité, une situation qui pose un

LY —
problème à l’universalité de l’entendement 124, malgré la prétention de la subjectivité à susciter l’adhésion universelle
des consciences, le symbole parvient à présenter adéquatement la réalité des Idées de la raison, en constituant

ON CHE
l’intégralité objective de leur plénitude inentamée, et par conséquent à procurer à la raison la connaissance théorique de
ces Idées 125.

Autant le concept que le symbole expriment à la fois un effort et un aveu: l’effort de parvenir par différents moyens

ES ER
à l’Idéal de la constitution d’une connaissance théorique et l’aveu de l’impossibilité à y parvenir. Si celle-ci repose sur
l’impuissance épistémologique qui est inhérente aux limites de la connaissance humaine, elle révèle néanmoins, à
travers l’effort dépensé, une foi en la fécondité de la connaissance, avec l’illustration de sa capacité à dépasser les

OS H
limites atteintes actuellement par elle, ainsi qu’une espérance de savoir y parvenir. Cet optimisme se fonde sur la

RP EC
fonction régulatrice de l’Idée: elle laisse entrevoir un horizon métaphysique dont la nature suprasensible, commune à la
raison et à l’entendement, articule l’éventualité que celui-ci atteigne, pour la concevoir, la possibilité que celle-là a déjà
entrevue, sans pour autant nier la distinction essentielle entre ces deux facultés ainsi que leur destination spécifique.

PU E R
Cette conjoncture, dont l’entéléchie se résout entre-temps par une réalisation rendue évidente aux, révèle en même
temps le lien intime qui existe entre l’imagination et la raison, puisque la faculté de présenter est susceptible d’anticiper
sur une matière qui fait l’objet du travail de la faculté de produire.

CH S D
Or, puisque l’entendement se fonde sur l’intuition que lui procurent les sens extérieurs, il est tourné vers
AR FIN
l’expérience réelle et il constitue un pouvoir de connaissance physique alors que la raison, étant fondée sur l’intuition
que lui fournit le se sens interne, illustre un pouvoir de connaissance métaphysique, tournée vers l’expérience possible
d’une matière qui se construit perpétuellement. Mais c’est une possibilité qui en réalité en implique deux: la possibilité
de ce qui est simplement possible pour la raison, avec la constitution d’un être de raison à l’intérieur de l’imagination, et
SE À

la possibilité de ce qui est entièrement possible pour l’intellect pratique, avec la position de l’hypothèse réalisable d’un
être réel, d’un être qui, tout en existant objectivement pour la pensée, révèle une puissance d’exister en tant qu’il est une
RE T,

chose qui habite le monde naturel. Ainsi apparaît-il que la pratique devient la garantie, non pas de la réalisation de
l’Idée, dont la représentation formelle est pensée comme étant simplement possible, mais de l’Idée telle qu’elle devient
D EN

éminemment réalisable. Il en résulte alors que l’effort fructueux devient le gage, par la réussite qu’il autorise à
constater, non pas de la possibilité d’engendrer une hypotypose dans le plein sens du terme, celui de l’exemplaire
AN M

constitué qui est entièrement adéquat à la matière de l’Idée, mais de celle de produire une hypotypose dont l’horizon est
au point le plus extrême de sa compréhension, telle qu’elle est formulée actuellement. L’hypotypose fait alors
E LE

l’approximation de l’être suprasensible et inconditionné de l’Idée, proposée comme étant le principe régulateur de ce
qui serait hypothétiquement réalisable, sans en spécifier a priori quelle en serait l’issue manifeste et la conjoncture
US SEU

ultime à l’intérieur du monde sensible, tout en impliquant a priori que la résultante sera toujours en-deçà de ce que
permettrait d’espérer l’essence nouménale de l’Idée.

Or, quel que soit le terrain sur lequel s’exerce l’effort, qu’il se produise au plan discursif du concept, au plan
AL EL

intuitif du symbole ou au plan poématique de la réalisation, laquelle suppose toujours l’évidence d’une nature objective
et physique, incluant pour le sujet moral sa propre personne telle qu’elle s’exprime avec sa corporéité (au plan des
conduites ou, comme au théâtre ou au cinéma, à celui du jeu d’un personnage), il manifeste toujours un écart
ON N

irréconciliable entre la dimension suprasensible et le monde sensible. Le pouvoir de la raison illustre cet écart, puisque
RS ON

le pouvoir de la volonté qui se métamorphose en action et s’exprime au moyen de celle-ci, se montrera toujours
insuffisant à la raison, puisqu’elle ne pourra jamais réaliser, même dans l’Idéal, l’intégralité de l’Idée rationnelle, du
moins en ce qui concerne la volonté humaine. La nature humaine se trouve de ce fait en situation, non pas de créer de
P E RS

toutes pièces les conditions objectives et naturelles de son expérience possible, mais simplement de composer avec une
nature donnée et d’agir sur elle de manière optimale en l’améliorant. Par ailleurs, elle accomplit cela en vue de la
R PE

réalisation des possibilités qui sont inhérentes aux natures spécifiques — inertes et organisées —, telles qu’elles sont
présentées à la raison, via l’entendement, sous une variété de conjonctures et de conditions souvent inattendues et
imprévisibles. Ainsi, influent-elles d’une infinité de manières sur le pouvoir rationnel de l’esprit.
FO E
AG

Tout cela s’accomplit, à l’intérieur de la perspective anthropologique, en tant que l’humanité est une fin finale
naturelle, en vertu du bien vers lequel elle tend et qui ne peut être autre chose que la conservation et la réalisation de la
vie. Sa plénitude est illustrée avec l’épanouissement libre des possibilités naturelles de chacun, que réalisent la
US

plénitude de l’autonomie et de la spontanéité conjuguées, et elle devient l’Idéal à réaliser, puisqu’il est l’expression
d’une perfection suprasensible. C’est une perfection dont l’entéléchie complète demeure néanmoins inatteignable,
alors même que l’humanité initie et utilise l’action appropriée pour transformer le monde sensible, en vertu du pouvoir

124 KU, §59; AK V, 352.


125 Idem, p. 351.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 159 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

législateur inhérent à la constitution transcendante générique, à laquelle l’humanité en chaque personne est réceptive et
se reconnaît en vertu de sa propre nature suprasensible. Or, cette susceptibilité suprasensible est au fondement du
sentiment moral, pour lequel le sentiment du respect est l’expression caractéristique.

LY —
Ce résultat est dû à la distinction radicale des essences et des principes qui autorise néanmoins à concevoir une

ON CHE
conjoncture unifiée et hiérarchisée: le principe de la suprématie du suprasensible sur le sensible; l’activité finalisée de la
transformation du sensible en fonction de celle-là, avec en vue l’édification de la nature et indirectement de l’esprit par
ce moyen; ainsi que, à l’intérieur de l’être organisé, qui trouve son expression la plus élevée avec la nature humaine, la
complémentarité harmonieuse de la dimension suprasensible et de l’aspect sensible. Pourtant, une telle conjonction

ES ER
n’est pas l’illustration de la tout-puissance, mais conduit simplement, afin de se réaliser adéquatement, à la
maximisation de la prévalence du pouvoir rationnel sur les conditions sensibles auxquelles il se heurte, lorsqu’il
s’exerce avec son action sur le monde. Car autant qu’elle fût désirée et demeure concevable, la possibilité d’une

OS H
réalisation boulétique intégrale demeure irréalisable à l’échelle du pouvoir humain, puisqu’elle ne saurait conduire à

RP EC
une métamorphose complète du sensible en suprasensible, accomplie dans la perpétuation phylogénique du genre
humain et/ou la continuité ontogénique du sujet moral. Par ailleurs, cela n’est dire ni que les possibilités de la rationalité
humaine possèdent une envergure définie, ni qu’elles sont inadéquates à la grandeur du cosmos à l’intérieur duquel

PU E R
elles s’illustrent. Autrement, ce serait en même temps affirmer qu’il y aurait une limite au prog`res humain ou que
l’espèce humaine est vouée à l,échec dans sa tentative de s’insérer adéquatement à l’intérieur du cosmos.

CH S D
Or, si les hypotyposes que sont le concept et le symbole renvoient à un Idéal objectif dont ils sont la réalisation
toujours incomplète, tout en fournissant l’évidence de son existence, voire simplement phénoménale et partielle, il
AR FIN
s’agirait de découvrir et de concevoir ce que serait le facteur inconnu X qui en fonderait à la fois la réalité et la
légitimité, en tant que l’un et l’autre sont un être de raison possible et désirable, tout en justifiant les voies distinctes
(selon l’intuition et selon le discours), empruntées par eux afin de constituer une connaissance. Cet élément suprême
apparaît comme étant l’Idée et, plus précisément encore, l’inexprimé de l’Idée. Celui-ci existe avant tout concept et
SE À

donc avant toute possibilité de discours, avant toute image et donc avant toute possibilité d’action. Bref, il existe avant
toute condition, étant simplement une possibilité de l’esprit, ou encore un moment originel de l’esprit à l’intérieur de
RE T,

l’âme, moment qui laisse entrevoir l’essence du principe anthropologique, puisque l’esprit est le principe orienteur et
directeur de la plénitude de sa conservation et de sa réalisation. Or, ce principe est la vie, laquelle est la cause et le
D EN

fondement de toute existence susceptible de se manifester d’une manière autonome et spontanée. Et s’il est le principe
essentiel de tout être vivant, il trouve son expression la plus élevée en l’homme, en vertu de se situer sur l’apex de toutes
AN M

les fins finales naturelles.


E LE

L’Idée est un concept pur de la raison, approprié à l’usage de l’entendement et le déterminant, selon des principes,
à l’intérieur de la généralité et de l’entièreté de l’expérience 126. Or, il y a lieu de concevoir l’expérience de trois points
US SEU

de vue, dès lors que nous ayons compris le principe transcendantal qui en fonde la possibilité avec l’exacerbation du
pouvoir de la raison, dont la finalité réside dans l’universalité de la connaissance qui, avec le jugement, détermine par la
suite et a priori l’expérience, laquelle par ailleurs en fournit la condition avant toute intelligence (v.g. puisque tous les
hommes sont mortels, Gaïus, qui est un homme, est par conséquent mortel).
AL EL

De toutes les connaissances possibles, la plus grande extension (dans l’intégralité des concepts) se nomme
ON N

l’universalité [universalitas] et la plus grande unité (dans l’intégration des intuitions) se nomme la totalité [universitas],
l’un et l’autre portant sur la condition qui les désigne comme telles à l’esprit, l’univers métaphysique pour l’un et
RS ON

l’univers physique pour l’autre. Puisque le concept transcendantal de la raison se rapporte à la totalité des conditions 127,
force nous est de comprendre que pour Kant, c’est la dimension suprasensible de la raison, telle qu’elle se réalise avec
l’intuition et donc avec l’expérience, qui constitue le point de départ fondamental de sa conception sur l’essence de la
P E RS

raison. Par ailleurs, la totalité des conditions a ceci de particulier que, tout en étant elle-même inconditionnée, elle est
rendue possible uniquement par l’Inconditionné. Un concept pur de la raison a par conséquent l’Inconditionné pour
R PE

condition transcendantale, puisqu’il est au fondement de la synthèse du conditionné 128.

Deux notions s’imposent donc comme principes a priori de la raison pure: la condition qui est issue de l’intuition
FO E

et caractérise l’expérience particulière du sujet et l’Inconditionné qui est l’unique fondement logique de la totalité des
AG

conditions, autant à titre d’Idée originelle logique qu’à titre d’Idée indéterminée, compréhensive dans sa généralité.
Nonobstant que l’on retrouve avec cette distinction l’illustration de la dualité qui oppose la logique à l’ontologie et qui
résiste à l’effort de parvenir à les réconcilier complètement, deux questions se présentent à nous. D’une part, comment
US

voir dans l’Inconditionné quelque chose qui puisse exister en soi, dès lors que l’on procède du conditionné vers sa

126 KRV; AK III, 250; AK IV, 204.


127 Idem; AK III, 251; AK IV, 205.
128 Idem.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 160 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

notion, sans que cet objet transcendantal ne soit une condition même négative du conditionné, comme témoigne la
nomenclature apophatique qui tente de suggérer pour l’In-conditionné l’éventualité d’une essence, sans parvenir à
proposer ce qui la spécifierait, en reconnaissance de son indétermination fondamentale. D’autre part, dès lors que l’on

LY —
propose que cette essence repose sur une substance, sans spécifier encore ce qu’elle serait, comment envisager cette
substance en l’absence de la totalité des conditions dont elle serait un principe originaire certes, mais bien plus encore

ON CHE
un horizon et un terme, un au-delà, un supra et même un en-deçà.

La raison hétérosensible

ES ER
Car voilà énoncés ce que sont les trois points de vue sous lesquels éventuellement considérer la totalité de
l’expérience: comme un supra, en tant qu’elle réalise une synthèse des catégories chez le sujet transcendantal, telle que
celui-ci échapperait à toute prédication subsomptive; comme un au-delà, en tant qu’elle opère, pour les éléments

OS H
constitutifs d’un système, leur synthèse disjonctive; comme un en-deçà, le terme ultime de la division de l’agrégat d’un
système, tel que nulle division plus petite ne serait possible 129. Ainsi se trouvent préfigurées, sans être nommées ou

RP EC
autrement spécifiées, les notions de suprématie, d’illimité et d’irréductibilité, qui caractérisent les trois Idées a priori de
la raison, lesquelles notions sont contenues implicitement dans l’unité transcendante de Dieu, la diversité innumérable

PU E R
et la vastitude incommensurable du monde et la simplicité mystérieuse et ineffable de l’âme.

Or, chacun de ces concepts part d’un moment initial qui appartient en propre à la nature suprasensible de la raison,

CH S D
laquelle connote une surnature dont l’essence demeure inconcevable pour l’entendement, puisqu’elle échappe à toute
intuition des sens externes. Sa substance ne participerait par conséquent en aucune façon à la nature du sensible, tout en
pouvant s’adjoindre à celle-ci pour constituer le propre de la personne individuelle, à savoir une nature vivante,
AR FIN
rationnelle et responsable, que la présence au monde engagerait à tenir le premier rôle d’un ballet cosmique de
proportion inimaginable, tel que tantôt la personne morale subit, de façon parfois dramatique, les conditions de sa
nature sensible et que tantôt elle en détermine les conditions, comme en atteste la possibilité pratique, morale et
SE À
poématique, de son activité civilisatrice. Or, il est implicitement admis que, en vertu d’un tel schéma, la condition
idéale qui prévaut à l’intérieur de cette situation est celle d’une substance hétérosensible qui donnerait sa loi en tout
RE T,

temps à la nature sensible des corps, autant des corps inertes que des corps organisés, de sorte à constituer pour eux une
condition qui est elle-même inconditionnée.
D EN

En réalité, une telle conjoncture s’avère fantaisiste, en raison des déterminations propres à l’univers sensible, y
AN M

compris à la nature biologique des corps organisés, comme en témoignent les fonctions de base — la respiration,
l’homéostasie, la circulation des fluides, les mécanismes d’excrétion, etc. — qui, à l’intérieur de chaque individu
E LE

sainement constitué, se concertent en vue de la préservation de la vie, malgré qu’ils échappent à tout contrôle
intentionnel ou volitif. Or, ces déterminations sont révélatrices d’une immensité et d’une puissance qui dépassent celles
US SEU

à laquelle peuvent prétendre les puissances inhérentes à l’homme, autant au plan phylogénique qu’au plan ontogénique.
Par ailleurs, cela n’est pas nier cependant que la notion d’une substance hétérosensible demeure concevable comme
étant distincte des substances sensibles, sans toutefois être incompatible avec elles. D’ailleurs, c’est avec la rencontre
des substances sensibles de la nature objective et de la substance hétérosensible que se réalise la vie, laquelle constitue à
AL EL

la fois un facteur de la transformation des substances sensibles (les molécules organiques) en matière organisée (les
tissus dont les unités simples sont les cellules) et une condition de la substance hétérosensible, déterminable par la
direction que l’esprit est susceptible de lui donner.
ON N
RS ON

Or, dans sa Dissertation inaugurale de 1770, Kant distinguait déjà l’intelligence (ou la rationalité) comme étant le
pouvoir subjectif de se représenter ce qui, de la nature d’un objet, ne tombe pas sous les sens. Quant à cet objet, le
phénomène en est l’aspect sensible et donc connaissable, puisqu’il convient aux lois de la sensibilité; et le noumène en
P E RS

est l’essence accessible uniquement à l’intelligence et susceptible de fournir une connaissance hétérosensible, i.e. une
connaissance intellectuelle 130. Il en résulte par conséquent que, si la connaissance empirique est appréhensive des
R PE

déterminations propres au monde de la nature, la connaissance intellectuelle appréhende ce qui provient uniquement
des lois de l’entendement, en raison de son essence et non de la nature des objets sensibles, et se fonde sur l’abstraction
qui en est l’activité expresse 131. La connaissance intellectuelle illustre les lois de l’entendement pur et génère les
FO E

concepts acquis, constitutifs de la métaphysique: celle-ci est alors le produit de la réflexion sur les activités de l’intellect
AG

[mens=Gemüt] du sujet, telles qu’elles sont suscitées par l’expérience 132. Sous cet aspect, la métaphysique s’identifie
avec la noologie.
US

129 Idem.
130 MSI, §03; AK II, 392.
131 Idem, §06; p. 394.
132 Idem, §08; p. 395.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 161 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

Dans cette section, Kant est tributaire de Locke et réfute les concepts innés. Mais il s’agit ici de concepts de
l’entendement qui par nature portent sur l’expérience et non pas des concepts purs de la raison, tels ceux du bien et du
mal qui sont présents en l’être spirituel de chacun dès la naissance, sans que la naissance n’en soit la cause, puisqu’ils

LY —
sont le fondement de la liberté avant toute expérience 133. Or, les Idées apparaissent comme étant non seulement
indépendantes de toute expérience, mais encore antérieures à cette totalité, en raison de la nécessité et de l’universalité

ON CHE
procédant du pouvoir inconditionné de la raison. Elles caractérisent par conséquent l’entièreté de la possibilité de
l’essence hétérosensible de la raison, autant la possibilité qui est actualisée que celle qui le devient, ou serait susceptible
de le devenir. De sorte que l’hétérosensibilité pure de la raison représenterait une manifestation, à l’échelle de la nature
sensible, d’un pouvoir dont la substance, en raison de l’essence qui lui est propre, serait à la fois indépassable (quant à

ES ER
sa suprématie), illimité (quant à sa possibilité) et irréductible (quant à la simplicité de l’être à laquelle elle appartient).
En somme, cela signifie que la personne morale qui illustre ce pouvoir, participerait en même temps à sa source
archétype ainsi qu’à tous les pouvoirs hétérosensibles qui en émanent, en exprimant une réalité inconditionnée qui est

OS H
en même temps absolue, infinie et une.

RP EC
Mais en raison de sa nature organisée, la personne puise à cette réalité inconditionnée, lorsqu’elle cherche la pleine
réalisation de son être moral, avec la recherche et l’accomplissement du bien qui exprime en même temps l’autonomie

PU E R
de sa conscience et la spontanéité de sa raison, mais elle se confronte en même temps aux conditions que lui imposent
les natures sensibles et sa propre nature organisée, laquelle subit néanmoins les influences en provenance de sa nature
hétérosensible. De sorte que le moment originel de la raison hétérosensible, en tant qu’elle appartient au monde sensible

CH S D
et qu’en même temps, elle est un pouvoir moral susceptible de le déterminer, se trouve à l’intersection historique du
sensible et de l’hétérosensible avant toute expérience et donc avant toute sensation, avant tout concept, avant toute
image et avant toute action. Or cette intersection se réalise uniquement grâce à la vie, laquelle précède toutes ces
AR FIN
dimensions transcendantales et serait simplement le moment initial d’une présence, qui est la plénitude de sa propre
possibilité. Et puisque la plénitude de la possibilité de la vie est son acte, tel qu’il se manifeste avec l’entéléchie de sa
substance conformément à son essence, le moment initial de la vie est l’être dans l’unité de son absoluité, dans la
SE À
simplicité de son intimité et dans la complexité de la possibilité de son unité et il incarne alors la cause indéterminée de
tout ce qui est.
RE T,

Il en résulte par conséquent que l’entéléchie, pleinement réalisée en acte, du plan suprasensible de la raison, est
D EN

uniquement une possibilité à son plan hétérosensible, au plan de l’union complémentaire du corps — une matière
organisée, susceptible de manifester à son fondement la sensibilité — et de la raison — une substance qui, tout en
AN M

conservant son essence suprasensible, prend en même temps l’attribut d’une hétérosensibilité —, avant tout acte qui en
réaliserait les virtualités, lorsqu’il entre en rapport avec le monde sensible. Ces possibilités réalisent un triple produit, à
E LE

l’intérieur du mouvement qui mène à la plénitude de l’entéléchie: quant à l’objet empirique, la connaissance qui se
réalise sur l’axe épistémologique et dont la plénitude du terme évoque l’Idéal de la vérité; quant à l’objet possible, le
US SEU

jugement qui se produit sur l’axe téléologique et dont le nec plus ultra représente l’Idéal de la beauté, lorsque
l’harmonie de la conscience qui lui est associée représente un moment rassurant pour l’aspect dynamique vital de l’être
humain; et quant à l’objet nécessaire, implicitement et éminemment possible, sauf à se révéler chimérique, le désir qui
s’actualise sur l’axe de la moralité et dont le point ultime est réalisé avec l’Idéal de la bonté.
AL EL

Par ailleurs, c’est avec la vie que se réalise la confluence de ces trois axes. Premièrement, en tant que la vie réalise
la plénitude de la connaissance quant à l’être, puisque cette complétude suppose l’exposition de l’être à l’expérience
ON N

objective [Erfahrung] qui en exacerbe la possibilité phénoménale et qui lui permet de vivre pleinement son
RS ON

l’expérience subjective [Erlebnis]. La vie procure donc l’intégralité à l’être, conformément à l’Idée que l’on peut en
avoir, au regard des trois points de vue sur l’Inconditionné: sa situation face à un sujet subsomptif de toute prédication;
sa place quant à un terme, initial et/ou final, qu’aucune supposition n’est susceptible d’excéder; son niveau de
P E RS

complexité et d’organisation quant à l’élément ultime d’un processus de division, dans la continuité d’une nature
irréductible à une autre nature.
R PE

En second lieu, cette réunion se réalise en même temps avec la plénitude du jugement: en se fondant sur la
réflexion, l’esprit vivant qui l’illustre est susceptible de conclure à l’entéléchie réalisée, c’est-à-dire l’état indépassable
FO E

de la possibilité suprêmement actualisée de l’être. Lorsque cette possibilité est en harmonie avec l’entéléchie de la
AG

personne, un sujet vivant, rationnel et responsable, elle évoque le sentiment de la beauté; mais lorsqu’elle entre en
discorde avec cette entéléchie, elle suscite l’émoi et le sentiment de la sublimité, dont l’exacerbation au plan de l’esprit
se trouve face à une dimension, comportant la possibilité de s’imposer ainsi à la vie et prévaloir sur elle, et au pouvoir
US

qui peut en être la cause. Mais en même temps, elle constitue l’incitation à reconnaître en soi ce que serait l’étendue et la
puissance de la vie, s’épanouissant jusque dans les trois directions de l’Inconditionné de la raison suprasensible. La vie
se réalise alors comme ayant la possibilité heuristique de découvrir en soi (au moyen du jugement réflexif), les moyens
de surmonter les contrariétés de l’expérience naturelle et d’en planifier la mise-en-oeuvre (au moyen du jugement

133 RGV; AK VI, 022.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 162 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

déterminant). Elle se situe alors de plain-pied au plan cosmologique comme étant un facteur naturel, au même titre que
les forces et les énergies du monde sensible, tout en appartenant adéquatement au plan suprasensible des causes ultimes
inconditionnées, avec le sentiment moral correspondant, qui manifeste en général une déférence respectueuse pour tout

LY —
ce qui signifie la présence de l’esprit au plan du suprasensible, voire simplement dans le sentiment hétérosensible. Car
si la transcendance inconditionnée de la raison autorise à entretenir toutes les ambitions pour elle, pour autant

ON CHE
qu’aucune distinction ne se fît dans l’imagination entre ce qui est simplement possible, en réalisant la fantaisie de ces
êtres de raison que sont les Idées esthétiques mathématiquement possibles, et ce qui est réellement et dynamiquement
possible, en répondant à une Idée esthétique, porteuse d’une fin extrinsèque et passible de recevoir l’imposition d’une
technique efficace et compétente, c’est la possibilité de la volonté qui extérioriser et en exprime le pouvoir effectif.

ES ER
Lorsqu’elle entre en résonance avec le désir, la volonté est susceptible de se matérialiser avec l’action poématique et
elle fait prendre conscience à la raison quelles sont pour elle les limites de l’immanence qui s’adjoint, à l’intérieur de la
conscience hétérosensible, la raison suprasensible et la sensibilité de la nature humaine organisée.

OS H
RP EC
La faculté judiciaire se réalise avec la plénitude de l’action morale: ainsi décide-t-elle d’une action possible en
fonction de ce qui est déontologique, de ce qui est universel et nécessaire lorsqu’elle se produit en conformité avec
l’impératif moral qui veuille que toute maxime puisse devenir une loi universelle. Étant issue d’une raison pratique

PU E R
particulière, elle évalue comme appartenant au sujet moral, qui en même temps participe de l’humanité, ces actions qui
conviennent en même temps à la nature humaine. Étant la fin finale ultime de la nature, celle-ci doit toujours être traitée,
dans la personne qui en est l’exemplaire particulier, comme étant une fin et jamais comme étant un moyen. Cette fin

CH S D
s’impose pour ne pas aliéner une nature anoblie par le pouvoir suprasensible qui s’exprime avec un exercice constant,
pleinement autonome et spontané, de la liberté en fonction du bien. Car dès qu’une loi est stipulée comme étant
universelle, elle doit en même temps être naturelle et convenir à la nature intégrale — autant suprasensible,
AR FIN
qu’hétérosensible et que sensible — des sujet moraux qui l’énoncent et en vertu de qui elle est énoncée.

Selon cette perspective, l’action vient combler l’écart entre la transcendance et la réalité, comme procédant d’une
SE À

raison que l’entéléchie actuelle rend insatisfaite, puisqu’elle ne rencontre pas les conditions d’une entéléchie
parfaitement réalisée et susceptible de le devenir. Celle-ci réside totalement dans l’unité de la connaissance que réalise
RE T,

la raison théorique pour ce qui est de la vérité; dans l’unité de la réalité que procure la raison judiciaire pour ce qui est de
la beauté et de la sublimité; et dans l’unité de la moralité qu’instaure la raison pratique (libre, parce qu’elle est autonome
D EN

et spontanée), pour ce qui est de la bonté. Or, seule la vie rend cette action possible, dont le moment initial de l’Idée
constitue le point séminal pour le sujet personnel, que l’ontogénie prépare à participer à la phylogénie se réalisant et que
AN M

la phylogénie exige de cultiver avec la réalisation de sa pleine possibilité, selon la diversité et la profondeur de ses
attributs singuliers et particuliers, en communion néanmoins au genre humain et au mouvement qui en caractérise
E LE

l’entéléchie. En subsumant l’entéléchie de l’ontogénie sous celle de la phylogénie, le sujet moral affirme à la fois la
suprématie du suprasensible sur le sensible ainsi que la priorité du sentiment moral sur tout autre sentiment.
US SEU

Or, puisque le suprasensible trouve son expression ultime et sa forme suprême, avec l’acte qui en constitue la
plénitude de la cause; puisque celle-ci, étant la vie, est à la fois origine, efficience, effet, matière, information et
production, elle est donc, sous sa forme la plus pure, l’Inconditionné ultime, autant quant à son absoluité qu’à son
AL EL

infinité et à son unité. Elle fonde donc ultérieurement toute suprématie (quant à la puissance), toute universalité (quant à
la grandeur) et toute unité (quant à la simplicité). De plus, puisqu’il incombe à l’essence suprasensible de la raison de
réaliser la moralité, étant l’archétype à la fois autonome et spontané à l’origine de toutes les hypotyposes, qu’elles
ON N

soient créées comme pour la nature ou qu’elles soient simplement hypostasiées, comme avec l’immanence de la raison,
RS ON

c’est la vie réalisant en elle-même le Bien suprême qui en définit la possibilité et le devoir, comme émanant tous les
deux du sentiment qui en molbilise l’accomplissement, à savoir l’amour. Celui-ci est à la fois l’espérance en
l’accomplissement du bien et en la nécessité qui préside à son actualisation, puisqu’il est le principe a priori de sa
P E RS

réalité, de sa possibilité et de son entéléchie, lesquelles sont unifiées à l’intérieur d’une nature éminemment
transcendante.
R PE

Ainsi, le Devoir devient l’Amour se réalisant à l’échelle de l’Éternité en vertu de sa propre loi, comme fournissant
l’actualisation du Bien dont l’Amour est le Désir et le Devoir la Volonté, avec l’unité de l’Acte qui les manifeste
FO E

objectivement au plan de l’expérience, en même temps que subjectivement à celui de la conscience, pour l’expérience
AG

[Erfahrung] rendue présente à la conscience et la conscience effectivement présente à l’intérieur de l’expérience, avec
l’expérience [Erlebnis] subjective de la Bonté, de la Vérité et de la Beauté à l’intérieur de l’objet qui résulte de son
effectivité. Bref, le sentiment qui éprouve leur qualité à l’intérieur du sens intime procède de la vie pour retourner à la
US

vie. Si le pouvoir suprasensible de la raison s’arroge la suprématie sur la dimension simplement sensible de la vie, c’est
pour en réaliser la possibilité éminemment suprasensible, alors qu’elle transporte en elle la possibilité d’éprouver, à
l’intérieur de la conscience, le plaisir susceptible d’en révéler la préservation et la continuité aux plans conjoints de la
Bonté, de la Vérité et de la Beauté, lesquels attestent, à l’intérieur de la subjectivité, de la forme la plus élevée à laquelle
la vie peut atteindre, lorsqu’elle réalise sa plénitude.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 163 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

ANALYTICAL TABLE
Reflection and sensation
Reflective judgment reconsidered. — The nature of reflection: empirical or transcendental? — The rule within

LY —
feeling. — Greater or lesser universality and necessity of judgment. — Feeling as revealing a unique aspect of the mind.
— Feeling as an analogous subjective state. — The a priority of feeling as belonging to the inner sense.

ON CHE
The transition from theory to practice
The problematic relationship of action to knowledge. — The possibility of freedom examined. — Aesthetic Idea
and intellectual Idea. — The aesthetic Idea as illustrating the spirit.

ES ER
Reason, nature, and life
Three dimensions to the powers of the mind. — Nature and action. — Nature defined. — Metaphysics as
reconciling the experience of nature and the activity of the mind. — A definition of metaphysics. — The purpose of

OS H
metaphysics. — Phenomenology as both synchronous and diachronous. — Being and becoming. — A priori
knowledge as knowledge of possibility. — Action metaphysically defined as a form of purposiveness. — Sublimity and

RP EC
the supersensible power of the mind. — Art and respect. — The impossibility of empirical psychology. — Psychology
as introspection. — The transcendental Ich as founding subjective experience. — The soul as an Etwas, the experience
of a subjective je-ne-sais-quoi. — The problem of psychology: reconciling unity and objective continuity. — The

PU E R
separate and irreconcilable intuition in the experience of self and other. — The fundamental state of being.
The two genera of being

CH S D
Two ontological states: inertness and life. — The latency of life. — The latency of inert matter. — Action
metaphysically defined as a form of causality. — The latency of life as representing a crude state. — Life as defining a
form of causality. — Life as exemplifying the conjunction of heteronomy and autonomy.
The mystery of life AR FIN
The problem of psycho-physiological parallelism. — The concept of mystery as it relates to the latter. —
Necessary ignorance in the physical realm. — Political secrecy. — Sacred mystery. — The limits of reason as founding
SE À
necessary ignorance. — A priori ignorance and lazy reason. — The identity of the Ich and the natural purposiveness of
organic beings. — The premise of the unity of communicable experience in general.
RE T,

The poematic essence of the concept


D EN

The unifying concepts of identity and power. — The concept as realizing the unity of conscience. — Identity and
power as concepts. — The analogy of life as applied to the notion of concept. — The concept as an emanation. —
Reflection as the power to create concepts (through the imagination). — The universality of concept as the condition for
AN M

realizing a community of minds.


E LE

The unity of mind and consciousness: the concept of Gemüt


The unity of consciousness as the subjective condition of knowledge. — The philosophical concept as founding
US SEU

the possibility of acquiring and sharing knowledge. — The common understanding and the common sense. — The
sensible dimension of representation. — Unity of experience through the transcendental mind. — Comparison as
preceding abstraction. — Reason as founded upon abstraction and as being both theoretical and practical. — Sanity of
the understanding and the life of the soul. — The paradox of the integral living being as both continually changing and
the expression of a simple substance. — The notion of Gemüt as being an unifying ideal concept. — The unity of the
AL EL

three Critiques. — The unifying concept of integral possibility. — The soul as the full power of life. — A definition of
life. — Life conceived as freedom implies a spontaneous autonomy finalized toward the a priori Good, by definition
desirable.
ON N

Desire and freedom


RS ON

Inertness as characterizing the absence of life. — Personality as identity and morality. — Desire as reconciling the
theoretical notion of being and the practical notion of the power of being. — Conservation as founding the Ideal of
actuality. — The fullness of the concept as the guarantor of the insuperable ontological perfection. — Supreme
P E RS

happiness as issuing from the latter. — Supreme happiness as a testimony to the moral accomplishment. — Happiness
as the ultimate feeling and its relation to the supreme unity required for a complete and effective entelechy. —
R PE

Happiness as proceeding from the resolution of vectorial tensions. — Perfection as proceeding from the spiritual
dimension of humanity. — The fullness of freedom as the necessary condition for the complete realization of nature. —
Duty and pure spirituality. — Duty and life. — Life as the genus of feeling and desire. — Desire as proceeding from life
and returning to life. — Nihilistic desire as an oxymoron. — Desire as an economical principle. — The purposive
FO E

synergy of feeling and desire as realizing life: the cause of ontological perfection. — Desire and morality. — Morality
AG

and phylogeny. — Feeling as a supersensible concept. — Practical reason as verifying theoretical reason. — Morality
and freedom. — Freedom as founding the morality of teleology and the noumenon of personality. — Freedom as the
sole proof of a possible continuity between the supersensible foundation of nature and the subjective natural experience
of the moral person.— The essential relationship between teleology and deontology.
US

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 164 de 302 ...


LE SENTIMENT ET LA VIE

A possible continuity between theory and practice


Three necessities proceeding from the categorical imperative. — Action as a requisite of integrally moral
concepts. — Intuition as a moral power. — Spatio-temporal dynamics. — The mathematical construct. — The

LY —
bidirectional juncture of the theoretical and the practical through the construct. — The construct as a theoretical analog
of practical presentation. — The presentation as providing the fullness of meaning to the powers of knowledge. — The
exemplars as unifying the physical and the metaphysical dimensions. — The exemplar as providing legitimacy to

ON CHE
metaphysics.
The ectype
The extype as providing intelligibility and credibility to the common sense. — The evolution of the concept of

ES ER
ectype within the Kantian corpus. — Archetype and ectype. — Hypotyposis: schematic or symbolic. — The concept
and the symbol defined and compared. — The purpose of hypotyposis. — Imagined possibility and real possibility. —
Practice as legitimizing the integral Idea. — The successful effort as illustrating the unbridgeable gap between the

OS H
supersensible and the sensible. — Idea and Ideal from the point of view of humanity. — The conceptual Idea as the
foundational principle of the hypotyposis. — Idea and experience. — The Unconditioned as the transcendental

RP EC
condition of a pure concept of reason.
Heterosensible reason

PU E R
The totality of experience. — The notion of heterosensible substance. — Acquired and innate concepts. — The
scope of the heterosensible essence of reason. — Life as the original moment of the heterosensible reason. —
Suprasensible reason and heterosensible reason. — The three axes of heterosensible reason. — Life as realizing the

CH S D
merging of these axes through its necessity for the achievement of their respective Ideals. — Life as a heautonomic
principle. — The fullness of the judicious faculty is dependent upon the fullness of moral action. — Action as bridging
transcendence and reality. — Life as the supreme Unconditioned. — Reason, feeling, and life: the latter as the object of
the fulfilment of reason and the revelation of feeling.
AR FIN
*
**
SE À
RE T,
D EN
AN M
E LE
US SEU
AL EL
ON N
RS ON
P E RS
R PE
FO E
AG
US

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 165 de 302 ...


CHAPÎTRE V
LE COEUR ET LE SENTIMENT

LY —
«La ruine est la conséquence du péché, estimera-t-on dire encore.

ON CHE
Si nous nous répudions et réparions nos fautes par
une vie pure, tout changerait». En effet, c’est bien là
le vieux cri des prophPtes, mais nous ignorons par quel moyen,

ES ER
quand et comment un ordre meilleur succédera
B une vie pure et morale. Nous ne pouvons nier

OS H
la réalité: le bien se voit rarement, comme tel,
couronné de succPs et ne doit pas non plus Ltre

RP EC
recherché dans l’attente d’une récompense. Et cependant, le bien
qui prend sur lui la responsabilité des conséquences d’un acte

PU E R
— heureuses ou non — reste notre seul gage d’espoir.»
[K. JASPERS 1.]

CH S D
La moralité et le Bien
Il est évident que la conception transcendantale, qui propose l’unité du sentiment et de la raison à l’intérieur de
AR FIN
l’Acte qui se sait, ne saurait être celle de Kant, pour qui le sentiment moral s’identifie au respect et non à l’Amour. Afin
de mieux cerner cette problématique, il y aurait lieu cependant de distinguer l’Acte qui se sait et l’Acte qui se connaît.
Car d’une part, le savoir suppose un rapport immédiat de la conscience à l’action, sous le mode de la congruence
intelligente du geste ou de la conduite à la situation qui les fait naître. Alors que d’autre part, la connaissance procède
SE À

sur le mode de la désunion, puisqu’elle présuppose en contrepartie le dédoublement de la raison, en raison qui agit et en
RE T,

raison qui réfléchit son action. Kant vit l’expérience humaine en opposition au drame cosmologique. Il perçoit l’amour
autrement que s’il est la contrepartie d’une harmonie complète, désirable et agissante, de l’ensemble des facultés de la
D EN

connaissance réalisant pleinement, à l’intérieur de l’esprit, l’entéléchie du sujet moral intégral, participant au
déroulement cosmologique en lequel s’associent intimement les Idées a priori de Dieu, de l’âme et du monde.
AN M

Kant voit plutôt l’amour comme étant un état qui s’oppose à la raison, puisqu’il exprime une inclination qui sert
E LE

d’empêchement à la réalisation du devoir. Pour lui, en effet, le sujet moral accomplit le devoir, souvent en dépit de ses
inclinations intérieures, par respect uniquement pour la sublimité de la loi morale et du pouvoir rationnel susceptible de
la reconnaître et de la réaliser, et en particulier de l’amour qui en représenterait une instance spécifique. En somme,
US SEU

l’homme kantien est celui qui aspire à l’unité intégrale de son être moral en se fondant uniquement sur la raison: sa
raison pure et théorique lui est propose cette éventualité comme étant une possibilité, et le respect pour la raison, fondé
sur son pouvoir a priori en vertu des principes de la légalité, de la finalité et de la fin finale qui est en même temps une
obligation 2, confère à cette hypothèse un degré de réalité éventuelle. Ce sentiment de l’esprit élève l’âme en vertu de la
AL EL

possibilité d’accéder à la connaissance de la loi morale, engendrée par la raison théorique et rendue hautement
estimable par le respect. Éveillé par la connaissance de l’impératif catégorique, le sentiment suprasensible du respect
ON N

devient alors l’indice subjectivement éprouvé d’une extraction salutaire, hors des aléas irrationnels du sentiment
sensible qui inhibe le pouvoir suprasensible de l’être humain, en faisant naître en lui les conditions d’un état
RS ON

d’hétéronomie.
P E RS

Or, le conditionnement de l’hétéronomie aurait pour effet d’illustrer la suprématie totale de la phylogénie sur
l’ontogénie, en assurant une primauté des dispositions irréfléchies, ancrées dans la nature incivile de l’homme (pourtant
porté à s’associer avec ses congénères 3), sur les actions raisonnées qui sont les seuls fondements réels d’un état social
R PE

civilisé que règlent les maximes de la moralité et les préceptes du droit 4. Car c’est en parvenant à nier l’instinct naturel
pour, aidé en cela par l’imagination productive, éprouver les premiers moments d’une raison naissante, que l’homme
FO E

fait la découverte de la liberté et, par conséquent, de son originalité distinctive, lorsqu’il se compare aux autres espèces
vivantes 5.
AG
US

1 Origine et sens de l’histoire. (trad. de l’all. par Helena Naef). Plon. Paris, 1954. p. 318.
2 EE, §xi ; AK XX, 246; KU, Einleitung, §ix; AK V, 197.
3 IAG; AK VIII, 020-021.
4 Idem; p. 026.
5 MAM; AK VIII, 111-112.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 167 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

Dès lors que l’on accorde la place qui leur revient à l’autonomie et à la spontanéité, à la primauté de la loi morale
sur le sentiment dans la réalisation du Bien, à la possibilité d’associer un pouvoir rationnel législatif et un sentiment
boulétique bénéfique, dont la coordination caractérise la synergie des rapports, on parvient alors à restaurer l’ontogénie

LY —
à sa place légitime à l’intérieur de l’ordre divin et cosmologique. L’humanité se situe alors adéquatement entre la nature
sensible, qu’il réussit par sa liberté à surmonter, comme en témoigne la culture qui en tout temps fait usage, pour la

ON CHE
transformer, d’une matière physique qui n’est pas de son aloi, et la nature divine dont l’Idée est rendue nécessaire par la
raison pure et dont la supposition à l’intérieur de l’expérience esthétique sert à étayer la grandeur intime et le pouvoir
illimité de son essence. Car ceux-ci sont la source chez le sujet moral, à la fois d’une crainte respectueuse devant ce qui
le dépasse et d’une heureuse découverte qui lui fait découvrir et respecter, mais cette fois-ci en l’honorant avec le

ES ER
devoir, le pouvoir autonome et spontané de la raison. Celle-ci trouve alors sa fondation à l’intérieur de la personne en
tant qu’elle est l’unique réalité susceptible de recevoir une justification ultime, à l’intérieur de la capacité rationnelle
intégrale de l’homme. De plus, elle trouve son expression la plus sublime avec le pouvoir d’harmoniser éventuellement

OS H
ses activités théorique, judiciaire et pratique, fondées respectivement sur ses capacités intellectuelle, poématique et

RP EC
déontologique, et la plénitude de la moralité qui de vient l’évidence de leur unité que finalise le devoir bien compris.

Tel nous semble être le sens réel de l’enseignement de Kant, lorsqu’il accorde à l’âme, au sujet transcendantal qui

PU E R
en est l’expression en vertu de sa nature vivante, de constituer le pont entre une cosmologie inatteignable et
omniprésente, belle et terrible à la fois, et symbolisé chez Kant par le ciel étoilé, et une théologie suprême, inscrite en
l’âme comme étant une simple possibilité 6. Celle-ci ouvre alors à la fois sur la dignité de l’homme et sur le principe

CH S D
ontologique fondateur de toute réalité. Car en réussissant à surmonter les conditions naturelles qui limitent l’expression
de sa nature suprasensible, tout en lui donnant l’occasion de la réaliser par la loi morale, la raison humaine témoigne de
la dignité de l’espèce de l’homme. Car son action pratique est congruente avec la reconnaissance que la nature qui est la
AR FIN
sienne est en même temps la fin finale ultime de la nature sensible. Puisqu’en vertu du principe de l’héautonomie, l’être
de l’homme est la seule cause possible de sa liberté, alors qu’elle émane des possibilités inhérentes à sa personne et les
réalisant, la dignité de l’être humain se voir confirmée en vertu de la plénitude de la Réalité divine qui est à la fois
SE À
immanente à sa nature suprasensible et transcendante à toute nature suprasensible. Elle pénètre l’échelle de la nature et
s’exprime en elle avec toute la sublimité de son essence.
RE T,

L’homme se révèle avec ses propres oeuvres à l’intérieur de la grande oeuvre de la Création 7 d’une manière qui
D EN

semble paradoxale: avec la capacité imaginative et planifiée de sa raison, il agit pleinement avant l’expérience naturelle
immédiate qu’il peut en éprouver; avec son action schématisante, finalisée et effective, il agit pleinement sur la nature
AN M

et, grâce à la matière que lui procure celle-ci, il a la possibilité d’en produire subséquemment des analogues, lesquels
portent la signature essentielle qui est susceptible d’identifier son activité particulière et de la rehausser jusqu’au plan
E LE

culturel. L’action libre des êtres organisés témoigne alors d’une insertion cosmologique qui sollicite le plein emploi de
leurs capacités pour surmonter les conditions qui procèdent de la nature. À plus forte raison celle de l’homme est-elle
US SEU

également mise à l’épreuve, puisqu’il illustre la forme suprême du genre, avec l’extraction de réalisations évidentes qui
sont à la mesure des promesses que permettent d’espérer une nature ainsi parfaite. Grâce à l’art qui en sublime le
phénomène naturel, l’homme exhausse la nature à un plan qui témoigne de la dimension suprasensible de l’esprit.
AL EL

Le problème, c’est que Kant ne semble pas aller assez loin: obnubilé qu’il est par le seul sentiment de l’esprit qui
soit digne de recevoir quelque crédit à ses yeux, il ne voit pas qu’en dehors du respect, il existe un autre mobile à
l’action. Ce ressort est tout aussi a priori que le premier, mais il est encore plus nécessaire, puisque sans lui, aucune
ON N

action véritablement significative n’est possible. Car c’est le sentiment qui incite la raison à réaliser la primauté du
RS ON

pratique sur le théorique et de subordonner le sentiment, présent dans le jugement esthétique des sens, à l’obligation
d’accomplir le devoir, d’une manière qui reconnaît la plénitude de la liberté humaine, avec l’autonomie et la
spontanéité conjuguées de l’esprit héautonomique.
P E RS

Or, proposer cela, c’est en même temps affirmer, non pas que l’Amour et la Volonté sont identiques, mais que
R PE

plutôt, ils sont intimement reliés à l’intérieur de l’entéléchie qui conduit la possibilité humaine au point ultime de sa
perfection. Dès lors que le plus grand Bien possible devient l’objet du Désir, celui-ci devient synonyme de l’Amour et il
précède la Volonté, laquelle est le principe objectif final de son activité et le principe de l’ordonnance des fins en vertu
FO E

de la règle qu’elle se représente à elle-même 8. Car l’Amour est le seul sentiment qui convienne à la réalisation complète
AG

6 KPV; AK V, 161.
US

7 Pour Kant, la Création est la cause de l’être du monde ou des choses qui en composent la substance actuelle [die
Ursache von Dasein einer Welt, oder der Dinge in ihr (der Substanzen) [...] (actuatio substantiae est creatio)],
sans que cela ne suppose encore l’expression d’une cause agissante et libre et par conséquent intellectuelle
et/ou intelligible [die Voraussetzung einer freiwirkenden, folglich verständigen [XVIIIe s. = intellectuelle,
intelligible] Ursache] [KU §87; AK V, 448z].
8 KU, §10; AK V, 220.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 168 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

et entière du Bien, en vertu de la liberté pleine et entière des consciences et des raisons, dont l’action repose, non pas sur
l’hétéronomie de la raison, mais sur le principe de son autonomie. La raison n’est donc pas dictée par la crainte de la
rétribution, procédant de l’évaluation qu’elle ne se serait pas montrée à la hauteur de son principe intérieur, infini et

LY —
illimité, celui de la raison dynamique qui exacerbe la possibilité entière de son extension et de son pouvoir. Étant par
ailleurs la source d’un Idéal inaccessible, issue de l’Idée inconditionnée et indéterminée, la raison devient de ce fait un

ON CHE
facteur d’hétéronomie, sans pour autant qu’elle ne cesse de générer un respect immense et admiratif.

L’hétéronomie qui procède de la raison est engendrée par la confiance en la valeur de l’intention droite
qu’inspirent les principes les plus élevés, avec la découverte qu’il existe des possibilités qui, tout en étant éminemment

ES ER
excellentes, sont en même temps réalisables. Ce sont l’effort le plus sérieux opéré en ce sens et la réalisation
subséquente des fins proposées qui viennent confirmer la rectitude du dessein, lorsque la fin poursuivie rencontre et
réconcilie à la fois les exigences objectives de la phylogénie culturelle et la vocation subjective des destinées

OS H
ontogéniques personnelles. C’est alors que l’action participe à la fin finale de l’humanité, telle qu’elle est susceptible de

RP EC
se réaliser en chaque personne que caractérise l’expression libre et entière de sa moralité, conformément à la singularité
irréductible de toute personne, puisque se fondant sur l’illustration plénière et conjuguée, mais particulière et
momentanée, du talent et du génie, des inclinations et des dispositions, des connaissances et des expériences ainsi que

PU E R
de la sensibilité et du jugement. Nous voilà ainsi situé devant le tout de la solution au problème kantien, qui consiste à
résoudre, au nom de l’unité de la raison, la troisième antinomie de la nature et de la liberté 9: l’action libre en fonction
d’un Idéal à l’intérieur d’une nature qui peut imposer ses conditions certes, mais que l’homme réussit à surmonter de

CH S D
façon optimale et équilibrée, grâce à l’usage intégral de sa raison, pour le plus grand bien de l’ensemble et de chacun,
sans trop enlever ni à l’ontogénie de celui-ci, ni à la phylogénie de celui-là. Or cela s’accomplit en réalisant l’harmonie
des prémisses essentielles à l’une et à l’autre, ou plutôt en sacrifiant prudemment la part judicieuse de ces principes qui
AR FIN
nuirait à leur compatibilité et à leur adéquation.

Selon Kant, le désir prend deux formes. Stricto sensu, le désir est le plaisir lorsqu’il est la cause déterminante de la
SE À

faculté de désirer à l’intérieur du sens interne: elle unit son objet au sentiment, avec l’anticipation que la conscience est
apte à éprouver devant la possibilité de sa réalisation éventuelle. Lato sensu, il est le pouvoir d’agir ou de réserver
RE T,

l’action, en vertu d’un motif déterminant intérieur que définit le bon plaisir [Belieben 10] de la raison. Étant associé à la
conscience de l’action susceptible de réaliser son objet, le désir exprime un libre arbitre; étant associé simplement à la
D EN

possibilité de cette actualité, il prend alors la forme d’un souhait. Par ailleurs, Kant nomme «volonté», le pouvoir de
désirer dont le fondement intérieur consiste dans la complaisance [Belieben] rencontrée à l’intérieur de la raison du
AN M

sujet et qui est à l’origine du mouvement qui lui appartient en propre 11. Il existe ainsi chez Kant une faculté de désirer
qui, en se fondant sur un principe intime de la raison, se distingue du plaisir simplement sensible. Étant associé autant
E LE

au pouvoir de décider librement, qu’au plaisir issu de cette liberté, le désir ne saurait se laisser infléchir par les sens en
constituant la raison de l’exercice de la volonté. Mais outre cette référence à la spontanéité de la raison qui trouve son
US SEU

épanouissement avec la volonté, on a peine à comprendre ce que serait précisément l’essence du sentiment boulétique
en association avec la raison libre et qui, servant à mobiliser la raison d’une manière autogène, serait un aspect que
prendrait l’héautonomie rationnelle.
AL EL

Or, en distinguant entre le Bien [Gut], et son contraire le Mal [Böse], pris absolument, et le bonheur ou le bien-être
[Wohl], et leur contraire, le malheur [Weh], ces deux derniers étant associés au sentiment de plaisir et du déplaisir
respectivement, le Bien et le Mal deviennent des objets nécessaires conformément à un principe de la raison, le premier
ON N

pour la faculté de désirer et le second pour celle de l’aversion [Verabscheungsvermögen] 12. Puisqu’il est une finalité
RS ON

complexe qui associe le sentiment à un objet moral transcendantal, le tout de l’affection qui se sait en raison des
catégories morales se rapporte, non pas à la sensibilité, mais à l’action, et il procède du jugement de tout homme
raisonnable 13. Ainsi, retrouve-t-on avec cette formulation la position d’un rapport entre le Bien et la Volonté qui est de
P E RS

l’ordre de l’action que celle-ci spécifie et initialise à la fin vers laquelle elle tend. Ce processus caractérise un objet à
l’intérieur de la faculté de désirer dont la spécification et l’extériorisation appartiennent exclusivement à la raison, sans
R PE

égard pour la sensibilité, au jugement de détermination téléologique et non au jugement esthétique de réflexion.

Un peu plus loin, Kant distingue l’homme psychique et l’homme noétique, pour utiliser une nomenclature
FO E

paulinienne 14: tous les deux participent à une finalité eudémoniste et mettent en oeuvre leur raison en vue du bonheur,
AG

mais celui-là obéit à sa nature et distingue entre ce qui est bien ou ce qui est mal uniquement pour lui [sein Wohl und

9 KRV; AK III, 308-309.


US

10 (XVIIIe s.) = (lat.) libido: caprice, bon plaisir, envie, fantaisie; arbitrium: droit de décider, pouvoir; (all.)
gefallen: bon plaisir, bon gré, plaisir; verlangen: désir, envie.
11 MAR, Einleitung; AK VI, 213.
12 KPV; AK V, 058.
13 Idem, p. 060.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 169 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

Weh] alors que celui-ci vise une destination supérieure [zu einem höheren Behuf 15], à savoir l’actualisation de la chose
qui est bonne ou mauvaise en soi. L’objet moral nouménal se fonde alors sur une appréciation [urteilen] qui est
uniquement du ressort de la raison pure, en l’absence de tout intérêt pour les choses sensibles. Le résultat sert à

LY —
distinguer réflexivement entre les deux types de considérations — celle qui procède des sens et celle qui se fonde sur la
raison —, pour accorder à celle-ci une valeur déterminante qui est supérieure à celle-là 16. Ainsi, il apparaît de loin

ON CHE
préférable à la moralité de rechercher le bonheur ou le malheur, en effectuant la recherche rationnelle du Bien ou du Mal
plutôt qu’en les fondant simplement sur un état de bien-être ou de mal d’être.

Cette équivalence, qui met sur le même pied le Bien et le Mal, peut sembler curieuse. Une telle indifférence à la

ES ER
qualité de la fin supérieure recherchée laisse présager, en raison de la distinction entre deux essences radicalement
différentes et de l’incompatibilité qui caractérise leur rapport, une dichotomie éventuellement conflictuelle, opposent
des natures morales irréconciliables par les options finales auxquelles elles adhèrent. Au-delà de cette considération

OS H
cependant, Kant tente de démontrer qu’un principe rationnel déterminant pour la volonté uniquement, en raison de la

RP EC
forme légale de la maxime et nullement en conformité aux objets du désir, possède un statut a priori, étant une loi
boulétique qui est immédiatement déterminante pour la volonté avant toutes expérience sensible. Il en résulte que
l’action en procédant sera bonne en elle-même et que la volonté pour laquelle la maxime est toujours conforme à cette

PU E R
loi sera bonne absolument sous tous les rapports. La volonté qui est en même temps l’expression de la loi morale
devient alors la condition suprême de tout Bien 17. Ainsi, le Bien et le Mal sont-ils définis, non pas préalablement à la loi
morale, mais comme en procédant ou en dérogeant, en même temps qu’à la volonté par laquelle elle s’actualise 18. Il en

CH S D
résulte par conséquent que la volonté absolument bonne, i.e. une volonté dont la maxime ne déroge jamais à la loi
morale et est en tout temps conforme à celle-ci, ne saurait agir autrement qu’en raison du Bien et en vue de son
accomplissement. C’est donc dire que le Bien procède d’un critère qui, tout en étant objectif — la loi morale que
AR FIN
spécifient les quatre formes de l’impératif catégorique 19 —, est en même temps subjectif quant à la maxime qui,
conformément à la Volonté, spécifie cette loi morale pour les actions particulières, en ayant recours à toutes les
ressources de la raison et de l’imagination pour en définir le contenu.
SE À

FACULTÉ DE DÉSIRER
RE T,

conscience suprasensible empirie sensible


D EN

Bien : Volonté :: fin : action


AN M
E LE

ANALOGIE V.1: La faculté de désirer comme caractérisant le


moment de l’immanence suprasensible en vertu du jugement
US SEU

téléologique déterminant.
Mais cela a pour effet de changer, non pas le principe pratique de l’existence du Bien, mais le principe intellectuel
de son application aux circonstances spécifiques, alors que ce principe réside dans la conformité — que l’on
AL EL

souhaiterait peut-être voir se réaliser en tout temps — de la Volonté et de la loi morale que conditionnent les aléas de
l’actualité. Celle-ci devient alors le Bien le plus élevé, i.e. le Bien en soi, puisqu’elle est le principe a priori de
l’activation de la volonté, en même temps qu’elle se fonde sur la forme la plus élevée que peut en concevoir la raison.
ON N

Mais là encore, on ne saurait découvrir un lien entre la moralité du Bien en soi et un quelconque sentiment, alors que
RS ON

celui-ci est relégué uniquement au plan du bien et du mal relatifs, du bien-être qui fournit dans le désir accompli une
part de bonheur, un plaisir de l’esprit [Gemüt] auquel s’associe la durée, ou inversement du mal-d’être associé au
malheur qu’exprime le déplaisir 20.
P E RS

On retrouve énoncé un rapport du sentiment à l’action morale seulement dans la troisième Critique, lorsque Kant
R PE

définit ce qui est Bien en soi comme plaisant pour soi [was für sich selbst gefällt], simplement au moyen d’un concept
de la raison. Ainsi, puisque le Bien nouménal suppose une fin spécifique, et donc l’association du vouloir et de la raison,
pour faire suivre une action dans l’actualisation objective de cette fin, l’existence de l’un et de l’autre, de l’objet et de
FO E

l’action, produira une satisfaction [Wohlgefallen 21] qui est nulle autre qu’un intérêt de la raison 22. Or, cette satisfaction,
AG

14 Première épître de saint Paul aux Corinthiens, II, 13-15. Nous utilisons la version de la Bible de Jérusalem.
US

L’utilisation de cette nomenclature est légitimée par l’éducation religieuse de Kant qui ainsi trouve à s’illustrer
sous certains aspects à l’intérieur de la philosophie.
15 (XVIIIe s.) < usus; commodum; finis (lat.): utilité, avantage; avantage, intérêt; profit, fin (i.e intention), but,
dessein.
16 KPV; AK V, 062.
17 Idem.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 170 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

qui équivaut à un plaisir qui est en même temps un bien (et donc quelque chose qui est désirable en soi), est en même
temps associé à l’héautonomie de la raison, avec son pouvoir de se donner à elle-même sa propre loi, selon les principes
a priori de l’impératif moral, lequel est pour Kant le Bien essentiel formellement défini.

LY —
De sorte que la liberté de la raison est interchangeable avec le sentiment de la satisfaction éprouvée à l’intérieur de

ON CHE
cette poursuite, dès lors que la liberté rationnelle a toute lattitude voulue d’agir selon le Bien en soi qui plaît pour soi.
Or, cette conjoncture d’un état de la raison et d’un sentiment correspondant nous amène à proposer l’existence
implicite, dans la raison pratique, d’un complexe moral. Cette structure associe à l’action que définit la maxime
gouvernée par l’impératif moral, une satisfaction qui se confond avec l’intérêt de la raison, lequel n’est nul autre que

ES ER
son devoir. Ceci nous amène à comprendre que l’intérêt d ela raison s’opère à deux niveaux: au plan objectif de la
réalisation du devoir et du recrutement héautonomique des facultés en ce sens et au p^lan subjectif de la satisfaction par
laquelle le sentiment révèle à la conscience que le devoir est bel et bien accompli. À l’instar du complexe judiciaire, qui

OS H
implique pour le jugement l’association implicite du sentiment de plaisir, trouvant son origine avec l’activité

RP EC
harmonieuse de l’esprit, laquelle résulte des pouvoirs de la raison et elle préside à l’adéquation de leur rapport avec la
nature sensible, nous voyons là l’incidence d’un complexe boulétique qui découvre, avec la spontanéité de l’autonomie
morale pleinement et effectivement réalisée, le sentiment correspondant qui reflète cet état à la conscience. Ce

PU E R
sentiment est le bon plaisir [Belieben], un agrément qui s’ancre dans la vie et que l’action entrevue comme étant
désirable fonde sur une maxime qui schématise en même temps une loi naturelle universelle et exprime ante factum la
bonté inhérente à l’action.

CH S D
Or, nous dit Kant, la satisfaction morale qui existe parallèlement au sentiment moral du respect relève non pas du
AR FIN
sentiment de la beauté qui caractérise le jugement esthétique, mais de celui de la sublimité qui accompagne une fin
intellectuelle et morale à la fois, le Bien en-soi de l’impératif moral. Car telle est la puissance de la loi morale qu’elle
prévaut sur tous les mobiles de la personne, y compris ceux qui, étant relatifs à l’expérience sensible, lui sont antérieurs
dans la formation du désir (i.e. le complexe judiciaire en tant qu’il illustre ce qui plaît ou déplaît esthétiquement), et que,
SE À

par conséquent, elle se mérite d’être associée à une satisfaction intellectuelle qui est aussi pure qu’elle est
inconditionnée. De plus, le complexe boulétique semble entretenir un rapport négativement complémentaire avec le
RE T,

complexe judiciaire — l’harmonie des facultés de la connaissance et le sentiment de la beauté en laquelle elle culmine
— en ce que, plus l’intérêt de la raison est servi par la volonté, moins l’intérêt esthétique, en même temps que la
D EN

satisfaction qui lui est liée, recevront d’importance.


AN M

Plus encore, la priorité exclusive que reçoit l’intérêt de la raison, lorsqu’il s’oppose à celui de la sensibilité, et qui
porte le sujet moral à se faire violence pour en assurer la prépondérance, explique que la portée du sentiment présent
E LE

dans le complexe boulétique, fondé sur les mobiles suscités à l’intérieur de l’insondable profondeur du pouvoir
suprasensible de la liberté, tient plutôt du sublime de la personne dont la puissance héautonomique lui permet de
US SEU

surmonter tous les obstacles de la sensibilité, en raison de principes moraux dont il peut revendiquer la paternité et
l’agence en toute légitimité. La conséquence sera l’éveil, non pas des sentiments horizontaux de l’amour et de
l’inclination affectueuse, portant sur les choses qui meublent la nature sensible, mais de celui du respect éprouvé à
l’endroit d’un pouvoir qui dépasse tout entendement, un sentiment moral à ce point puissant qu’il porte à oublier
AL EL

jusqu’aux intérêts proprement existentiels liés à la conservation de la vie 23.


ON N

La conception kantienne de l’amour en est une qui, en vertu de l’inclination et de l’attrait qui lui sont associés,
situe ce sentiment exclusivement à un plan horizontal, puisqu’il relie le sentiment et son objet à l’intérieur du complexe
RS ON

judiciaire, en vertu de la présence immédiate de la conscience à la sensibilité. Il se distinguerait à ce titre du respect qui,
au mépris de l’attrait, situe la personne au plan vertical de l’intelligibilité suprasensible que borne l’infini, à l’intérieur
d’un univers métaphysique pour lequel les considérations sensibles font office d’un faire-valoir 24.
P E RS

Il existe cependant pour Kant un sentiment susceptible d’être associé à l’Idée du bien, un sentiment à ce point infus
R PE

de sublimité, qu’il servirait de mobile à tout ce qui serait grandiose. Ce sentiment est l’enthousiasme, dont le statut
éminent le situe au même plan dans l’opinion générale que l’Idée morale indéterminée. Or, ajoute-t-il, la réputation de
FO E
AG

18 KPV; AK V, 062-063.
19 Vide supra, chapître IV, p. 284-285.
Idem, p. 062.
US

20
21 (XVIIIe s.) = Gutdünken: ce qui semble être bien, d’un point de vue subjectif; Belieben : bon plaisir; Willkür:
libre arbitre.
22 KU, §04; AK V, 207.
23 KU, §29A; AK V, 271.
24 Idem.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 171 de 539 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

l’enthousiasme est largement surfaite puisque ce sentiment ne saurait contribuer, ni au choix rationnel du but, ni à sa
mise-en-oeuvre, sauf peut-être en tant qu’il sert à entretenir l’activité qui sous-tend le mouvement de cette entéléchie,
avec l’anticipation d’un résultat, la foi en sa possibilité et l’espérance d’en toucher les fruits qui en constitueront

LY —
l’occasion pour elle de tendre à son expression complète. L’enthousiasme est donc un sentiment conservateur, distinct
de la satisfaction intellectuelle et sans possibilité de confusion avec elle, un sentiment qui se fonde sur la proactivité de

ON CHE
la pensée, du sentiment et de l’action qui connaît une résolution heureuse. Par ailleurs, voire même qu’il comporte une
part de sublimité, en vertu de sa capacité mobilisatrice pour la conscience, laquelle contribue à unifier les forces
psychiques en tension sous le bannière des Idées et à procurer à celles-ci un élan qui procure la force et la durée à leur
action, l’enthousiasme est de loin inférieur à la noblesse d’un phlegme apathique. Car un tel détachement, présent
jusque dans l’attitude fondamentale qui préside au désintéressement qui accompagne le jugement esthétique de goût 25,

ES ER
révèle une personne qui, avec son activité, suit avec constance les voies que lui inspirent ses principes immuables. Pour
cette raison, l’apathie commune à l’epoch pyrrhonienne 26 et à l’éthique stoïcienne 27, procure une véritable satisfaction

OS H
intellectuelle, en même temps qu’elle suscite l’admiration d’autrui pour le sujet moral qui en témoigne 28.

RP EC
Les Idées comportent une valeur morale lorsqu’elles sont présentées mais elles sont susceptibles néanmoins de

PU E R
jouer un rôle uniquement esthétique. Elles possèdent ainsi un pouvoir uniquement émotif, puisqu’elles sont privées de
la profondeur que leur apporteraient à la fois l’intention que fonde un fin qui en inspire la réalisation et la technique qui
la concrétise. Elles sont susceptibles pour cette raison de procurer une satisfaction uniquement esthétique, impliquant

CH S D
seulement le complexe judiciaire, lorsqu’il associe l’entendement et l’imagination dans la naissance du sentiment
esthétique et de l’harmonie qui le caractérise 29. C’est donc pour le sujet moral apporter son appui à des Idées
faussement morales, plutôt qu’à des Idées morales de bon aloi, et chercher à substituer des Idées esthétiques que l’on
AR FIN
prend pour des Idées morales, en commettant un vice de subreption. La priorité des Idées susceptibles de proposer des
possibilités à la Volonté, puisque ce sont des fins réalisables et donc passibles d’être transformées en actions par elle en
vertu d’une maxime qui est conforme aux principes de l’impératif moral, le cédera avec ce mécanisme sur les Idées qui
seraient en réalité des concepts de l’entendement déguisés, malgré la nouveauté de la présentation sous laquelle il
SE À

revient de les considérer 30. L’étrangeté du sentiment faussement intellectuel, auquel l’on préférerait une absence de
sentiment (l’apathie du phlegme), révélerait par conséquent une forme de méprise plutôt qu’un paradoxe. Elle cacherait
RE T,

une subreption par laquelle le sentiment esthétique acquerrait un statut intellectuel en raison de son aspect dynamique,
en raison de l’intensité et de la qualité du sentiment d’expectative qui est suscité par lui à l’intérieur du sujet moral — à
D EN

la façon du mot qui, par sa forme, laisserait espérer la découverte d’une signification nouvelle alors qu’en réalité, il
serait simplement le synonyme d’un concept connu —, alors qu’en réalité, la sublimité qui lui appartient exprimerait
AN M

celle que serait susceptible de recevoir, à l’instar du pouvoir boulétique, le complexe synesthésique judiciaire, qui
associe le sentiment et la raison à l’intérieur du jugement de goût. C’est l’Idée de la liberté qui propulse le civil à
E LE

s’enrôler allègrement dans un corps armé, au nom de la gloire qu’il espérerait récolter en se couvrant d’honneur sur le
champ de bataille, et de marcher avec un enthousiasme contre l’envahisseur qui lui permettrait d’illustrer son héroïsme,
US SEU

avant d’être l’Idée de la liberté dont on contemple l’essence dans les tranchées, en attendant patiemment et avec
résolution l’assaut fatal de l’ennemi, puisque l’on y est obligé par le haut-commandement, en se demandant si la cause
vaut vraiment le prix exigé.
AL EL

Qu’en serait-il alors d’un éventuel amour du Bien, lequel est nécessairement évoqué avec le concept du désir, alors
qu’il en motive l’actualisation avec l’activation de la volonté? Serait-il uniquement un être de raison, une Idée
entièrement hypothétique, sans contrepartie effective à l’intérieur du pouvoir boulétique où s’associent le sentiment
ON N

intellectuel et la faculté rationnelle? Ou y aurait-il une réalité sentimentale effective, en vertu de la possibilité
RS ON

rationnelle qui répond à l’Idée du Beau par une satisfaction qui soit a priori, celle-ci venant confirmer l’Idée

25 KU, §02; AK V, 204-205.


P E RS

26 LONG et SEDLEY. op. cit. Vol. 1. p. 48-55; J. BRUNSCHWIG. Introduction au Livre IX. In Diogène Laërce.
op. cit. p. 1041.
R PE

27 DIOGÈNE LAËRCE. op. cit. p. 518-541, particulièrement p. 535.


28 KU, §29A; AK V, 271-272.
FO E

29 Idem, p. 272. Telles nous semblent être ces Idées qui sont présentées sans intuition et sans art et qui trouvent
AG

néanmoins à s’accorder avec la satisfaction esthétique. Plutôt qu’étonner en révélant la nouveauté de ce qui
serait entièrement créateur, elles suscitent l’admiration qui se maintient malgré que disparaisse une impression
US

de nouveauté initiale. Or, les Idées qui créent l’impression fugitive de la nouveauté renverraient alors à ce qui se
cache derrière l’apparence, le connu de la substance que révèle le concept préalablement intériorisé.
L’admiration serait alors le sentiment éprouvé à l’endroit de la permanence et de la résilience de la matière du
concept, telle qu’elle se révèle à l’esprit particulier et qu’elle parvient à se maintenir malgré les aléas de
l’opération de la conscience et de la transformation des apparences qui pourrait en voiler l’appréhension à
l’esprit.
30 Idem.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 172 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

indéterminée du Bien comme étant effectivement un Idéal pour la raison théorique judiciaire, réalisable pour la raison
poématique et obligatoire pour la raison déontologique? Car si l’Idée du Beau comporte une dimension esthétique,
étant porteuse de complétude et d’harmonie lorsque l’esprit entre en rapport avec le monde sensible, c’est avec la

LY —
possibilité de voir cette perfection se réaliser que naît le concept du Bien et le désir de parcourir à son instauration.

ON CHE
Un premier argument illustrera la nécessité qu’un sentiment soit associé au Bien, non pas seulement lorsqu’il
reconnaît la sublimité, soit de la loi morale, le seul Bien existant en soi, soit du pouvoir du sujet moral susceptible d’agir
en conformité avec cette loi, en surmontant les exigences et les besoins de la sensibilité pour composer ses préceptes sur
elle; mais puisqu’il est requis en principe par la théorie même de Kant, qui affirme la réalité de l’unité de la raison en

ES ER
vertu de principes a priori procédant de la nature de la substance suprasensible, sans qu’ils n’entrent en contradiction
les uns avec les autres. Car l’unité a priori que confère la raison à l’entendement en vertu de principes 31 ne saurait être
réelle, dès lors que les principes découverts par la raison pour en fonder l’unité essentielle en compromettraient la

OS H
possibilité, étant pour elle l’occasion d’une division insurmontable, en vertu d’énoncer des prémisses fondamentaux

RP EC
qui soient également contraires.

PU E R
Or, un de ces principes a priori, relativement au pouvoir épistémologique de juger [Urteilskraft], et du sentiment
qui en est le pouvoir [Gemütskraft] dans la personne, c’est la finalité en vue de l’oeuvre 32. Ainsi doit-on comprendre
que, sans la finalité que spécifie l’art, laquelle est un faire [Tun, facere] procédant de l’habileté technique dont le
résultat est une oeuvre [Werk, opus] 33, aucun pouvoir épistémologique de juger ne saurait prétendre à l’effectivité,

CH S D
lorsqu’il se fonde sur la possibilité d’illustrer le sentiment. Autrement dit, puisque la connaissance trouve la plénitude
de sa réalisation avec la découverte de la règle universelle, lorsqu’elle donne lieu à un jugement spécifique, et puisque
AR FIN
l’habileté technique lui donnant corps se fonde naturellement sur l’abstraction, exclusive de l’attrait et de l’émotion, en
raison de la constitution suprasensible de la faculté de la connaissance 34, le jugement portant sur une réalisation ne
saurait se produire en l’absence de la référence à un principe de finalité que spécifie l’art, auquel s’adjoint un principe
efficient, le pouvoir de la personne que spécifie le sentiment, en raison de la justesse de la fin en vertu de laquelle une
SE À

activité est commandée et en confirmation de sa pertinence, autant quant à l’actualité que l’on souhaite à en retirer
qu’au bien que l’on souhaiterait réaliser par elle. D’une part, ces deux principes sont ensemble la cause finale de la
RE T,

réalisation objective, engageant le désir et la volonté impliqués dans l’effectivité de l’action, et d’autre part, ils sont la
cause efficiente de la réalisation subjective de la personne individuelle et distincte, laquelle réalisation trouve sa
D EN

confirmation avec un sentiment, la satisfaction personnelle éprouvée devant la conscience qu’une transformation s’est
opérée qui exacerbe positivement la nature essentielle profonde du sujet moral.
AN M

Par ailleurs, la connaissance illustre elle-même une finalité, qui est inhérente à l’intérêt de la raison engagée dans
E LE

cette poursuite. Cette finalité aboutit à la vérité que spécifie la construction adéquate de la règle empirique universelle,
laquelle fait abstraction des influences en provenance du monde sensible et de leur représentation subjective causée
US SEU

dans le sens interne, dont l’affect (i.e. l’attrait et l’émotion [Reiz und Ruhrung]) serait susceptible de corrompre la
compréhension et la profondeur de la formulation. Or, voilà qu’avec l’opposition du sentiment et de l’émotion, de l’état
spirituel qui procède du sens interne, lorsqu’il reflète la médiation adéquate, harmonieuse et unifiée de la raison
(l’entendement et l’idéation) et de l’imagination (productive et reproductive) à l’intérieur de la connaissance, et de
AL EL

l’état psychique qui illustre simplement la présence d’un mouvement intime, plaisant et/ou déplaisant, surgissant à
l’intérieur du sens interne en l’absence d’une illustration des pouvoirs de la connaissance, on aperçoit quel est le rôle
fondamental joué par le sentiment à tous les plans du sujet moral, engagé sur la voie de la plénitude de sa propre
ON N

réalisation, en tant qu’il est un être vivant, rationnel et responsable. Ce sentiment est présent à tous les plans,
RS ON

épistémologique et pratique, de l’être spirituel de la personne, puisqu’il accompagne le principe de la légalité qui
préside a priori à l’exercice de ses pouvoirs de connaissance et dont l’effet serait d’aboutir à la vérité de la
connaissance, telle que les règles qui l’énoncent seraient susceptibles de la révéler au champ épistémologique auquel
P E RS

s’intéresse la raison.
R PE

Ainsi, l’exercice de la connaissance théorique s’exerce toujours en vue de la vérité et elle suppose alors la notion,
simplement idéale cependant, d’un ens realissimum, la représentation d’un être singulier qui soit la détermination
absolue de toute chose 35. Malgré que la recherche qui fonde l’activité épistémologique accomplit éventuellement une
FO E

finalité, celle-ci n’est jamais complètement réalisée. Par conséquent, l’entéléchie qui confirme la possibilité que sont
AG

actualisées les virtualités de la faculté de la connaissance n’étant jamais présente, en raison de l,indétermination de la
fin poursuivie, un sentiment serait susceptible de se révéler à la conscience qui reflète l’inadéquation entre l’Idéal
US

31 KRV; AK III, 239.


32 EE; AK XX, 246; KU, Einleitung, §ix; AK V, 197.
33 KU, §43; AK V, 303.
34 Idem, §40; AK V, 297.
35 KRV; AK III, 388.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 173 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

espéré et l’actualité réelle. Car, dès lors que l’on accepte l’éventualité que la représentation à la conscience d’une
complétude intermédiaire serait celle en même temps d’un état épistémologique que la conscience jugerait préférable
de maintenir, puisque grâce à lui seulement peut-on espérer confirmer le perfectionnement de la connaissance, vers la

LY —
vérité absolue que fonde la possibilité indéterminée de l’ens réalissimum, on doit alors supposer qu’à cette entéléchie
est associé un sentiment qui, se révélant présentement dans le sens intérieur, appartiendrait en général au genre du

ON CHE
plaisir, en raison du rapport entre cette situation d’ignorance relative et l’état épistémologique de la personne que
motive l’intérêt de la raison de fonder son unité sur un principe suprême 36.

Car le sentiment se rapporte à tout ce qui, avec la relation du sujet à ses représentations, transforme l’état intérieur

ES ER
de la conscience, conformément à un conditionnement pressenti qu’il serait souhaitable pour le sujet soit de conserver,
ou soit de faire cesser 37. Le sujet moral devient, grâce à son héautonomie, l’auteur de ses propres représentations,
lorsqu’elles caractérisent la volonté d’une personne dont la maxime réalise une loi universelle au moyen de l’action,

OS H
conformément à l’impératif moral. Cette conjoncture est la seule qui puisse en définitive se mériter le respect et asseoir

RP EC
la dignité de l’humanité en la personne singulière 38. Elle inclut le sujet moral comme étant susceptible d’éprouver un
sentiment face à ses propres représentations, lesquelles figurent autant au plan de la conscience héautonomique de
l’activité intellectuelle que réalisent dans l’unité ses facultés diverses qu’à celle de l’autonomie de l’activité pratique

PU E R
qui en exprimera la matière dans le sens commun.

CH S D
Or, tout ce qui comporte une fin est en même temps estimable en raison du bien qui est anticipé comme devant en
résulter, autant avec l’activité obligatoire du devoir qu’avec l’activité facultative de la réalisation poématique, lesquels
ressortent autant à l’autonomie dont témoigne le sujet moral, en vertu du libre arbitre individuel qui s’illustre selon son
AR FIN
bon plaisir. Or, nous serions en droit de présumer, soit que les mobiles de la volonté en général seraient indifférents à
l’obligation, soit qu’ils tomberaient sous la contrainte générale de l’obligation avec les actions particulières. En ce
premier cas, il s’agirait de les associer à la conduite facultative d’actions qui sont moralement neutres, et dans le second,
la volonté donnerait sur des actions morales que réalise la créativité de la raison, conformément aux exigences du
SE À

devoir. Par contre, cette créativité est insérée dans la mouvance d’une situation naturelle (inclusive de la dimension
culturelle) qui connaît une évolution perpétuelle, en raison des lois propres à l’hétéronomie qui procède de la nature
RE T,

physique. Étant indépendante ab origino de la volonté dans la constitution de ses propres fins, la création échappe en
effet aux fins que la conscience autonome serait susceptible d’imposer au le champ empirique.
D EN

Qu’à cela ne tienne, que la fin poursuivie soit optative ou obligatoire, qu’elle se définisse avec la connaissance
AN M

théorique pour s’illustrer ou qu’elle se formule avec la connaissance pratique pour s’extérioriser, elle requiert en tout
temps l’éveil du jugement et en la mobilisation de la volonté en vue de conserver (ou d’améliorer) cet état et les
E LE

représentations qui en sont à l’origine. Car l’accomplissement de la fin réalise une représentation esthétique qui procure
au sujet moral la conscience du changement de son état et de l’interaction possible entre toutes les facultés rationnelles
US SEU

y ayant concouru et pouvant toujours y contribuer avec l’exercice future de la raison. Lorsque la finalité conservatrice
est servie, l’entéléchie peut être simplement négative et produira la cessation d’un état désagréable, mais elle peut aussi
être positive, en amenant à l’interruption de l’état existant et la substitution à celui-ci d’un état éventuellement meilleur.
AL EL

Or, sauf à postuler que la fin poursuivie soit un mal au plan subjectif et qu’en même temps le sujet moral recherche
sciemment, avec la poursuite de cette fin, ce qui serait un mal en tant que mal, sans qu’en aucune façon ne soient
ON N

entamés sa capacité d’effectuer une appréciation morale, avec le jugement logique qui compare la représentation de
l’être et la présentation du devoir-être, ni son jugement esthétique, lorsqu’il statue sur l’adéquation de l’imagination et
RS ON

de l’entendement quant à la représentation objective actuelle, en raison d’une idéologie radicalement nihiliste qui
identifie le bien et le mal et voit en la réalisation de celui-ci l’unique condition de celui-là, force nous est de convenir
qu’en son for intérieur, le sujet moral qui se reconnaît comme tel et qu’aucune aliénation ne caractérise pour l’en
P E RS

dissuader recherche toujours le bien, que ce concept soit idéalisé par la conception suprême de ce qui constituerait
l’expression la plus élevée possible du bien ou qu’il représente simplement ce qui, au plan du jugement esthétique des
R PE

sens, plaît simplement, en tant qu’il apporte la gratification, l’aise, la sécurité et le confort sensible.

Cela étant, on peut considérer le Bien sous quatre aspects, susceptibles néanmoins d’entrer en rapport de
FO E

complétude mutuelle: l’aspect du Bien qui est susceptible de constituer une fin, en réponse au principe de finalité; celui
AG

du Bien qui est objectivement ou subjectivement causé; celui du Bien que l’on considère, en vertu de la technique
employée pour le réaliser; et celui du Bien, susceptible de produire la reconnaissance (subjective ou objective) que l’on
peut en avoir, autant a priori, dans la théorie, qu’a posteriori, dans la pratique. Car si le Bien, considéré en tant qu’il est
US

une fin, réalise effectivement une fin bonne , comment alors ne pas voir en son agent (sa cause efficiente), en la

36 APH, §60; AK VII, 230-231.


37 Idem, §15; p. 153.
38 GMS; AK IV, 440.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 174 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

spécification qu’il en réalise, grâce à une technique (sa cause formelle), et en la définition de son essence
épistémologique (sa cause matérielle), des manifestations du Bien qui participent réellement à l’essence métaphysique
de l’Idée du Bien. Et alors, comment ne pas éprouver à leur égard, et à leur représentation à l’intérieur de la conscience,

LY —
un sentiment analogue à celui que l’on ressentirait à l’endroit de la présentation achevée de la fin qui en serait
l’évidence.

ON CHE
Devant la confusion qui peut résulter d’une conception du Bien qui en verrait une manifestation uniquement
sensible, laquelle serait alors exclusive de l’apport de la raison, Kant propose que seule doit prévaloir une définition
objective du Bien qui soit en même temps a priori, de sorte à en présumer la qualité suprasensible et teranscendante.

ES ER
Une telle définition offrirait deux avantages: elle permettrait de spécifier ce que seraient, d’un point de vue subjectif, les
conditions morales universelles du Bien, conformément à la première formulation de l’impératif catégorique 39; et elle
assurerait qu’existe, au plan naturel et sensible, la contrepartie effective des conditions morales qui en procurent, non

OS H
seulement la possibilité pratique, mais en même temps la possibilité esthétique, en observance de la seconde

RP EC
formulation «naturaliste» de l’impératif catégorique 40. Cette possibilité-ci serait celle sur laquelle porterait
éventuellement la reconnaissance judiciaire de l’effectivité réelle du Bien spécifié en vertu des circonstances, autant
pour l’acteur que pour le spectateur, et cette reconnaissance se fonderait subjectivement sur la présence et sur la qualité

PU E R
du sentiment qui en résulterait in foro interno. C’est un sentiment qui participerait dans l’idéal au sens commun: il serait
donc susceptible de faire l’objet d’une communication sociale éventuelle, en dehors de l’expression immédiate qui en
révélerait la présence avant toute forme discursive et consécutivement à celle-ci.

CH S D
Afin d’assurer que un passage conceptuel adéquat qui réunisse en théorie la fin issue d’une subjectivité solipsiste
AR FIN
qui s’enracinât dans la volonté humaine singulière et l’objectivité universellement valable d’une fin qui puisse se
recruter l’aval des subjectivités inter-personnelles, à la fois vivantes, rationnelles et responsables, Kant spécifie deux
autres conditions qui permettront de formuler, conformément à la quatrième énonciation de l’impératif catégorique,
une définition a priori complète du Bien: la fin bénéfique doit se réaliser en se subsumant sous des maximes qui ont une
SE À

valeur en soi: elles procéderont de volontés universelles et ne seront pas simplement issues de volontés singulières ou
qui légifèrent de manière particulière, lesquelles prétendraient à tort ou à raison à l’universalité de leurs maximes 41; et
RE T,

la fin des maximes inventées considérera autrui comme soi-même, c’est-à-dire comme représentant en sa personne
l’humanité, qui est la fin ultime de la nature, et comme étant digne par conséquent de représenter pour le sujet moral une
D EN

fin en soi et non pas uniquement un moyen, conformément à la troisième version de l’impératif catégorique 42.
AN M

Ces conditions proviennent de la considération en laquelle la raison doit tenir l’impératif catégorique comme étant
le fondement le plus élevé qui soit de la loi morale, un principe a priori qui, puisqu’il est la condition suprême des
E LE

maximes, servira en général de point de référence et de critère suprême à l’estimation de la valeur des actions pratiques,
accomplies en raison du Bien qui les subsume 43. L’impératif kantien est un principe qui détermine immédiatement la
US SEU

volonté et qui procure par conséquent une action bonne en elle-même. C’est un principe à ce point suprême qu’il
confère la Bonté absolue à l’adéquation de la volonté pratique à son essence déterminante, laquelle est la condition
suprême de tout bien (actuel ou possible) 44. Il résulte de tout cela que l’on doive voir en l’impératif catégorique le
principe moral formel par excellence, lequel reconnaît la nature éminemment objective du Bien 45, comme procédant de
AL EL

la réalisation effective de la volonté par l’action, en vertu de la possibilité avérée que le vouloir de cette action puisse
effectivement s’exercer et en conférer une réalité sensible à son objet 46. Car dès lors qu’une chose résulte de la
détermination objective de la volonté, en vertu de principes qui valent d’une manière universelle pour tout être
ON N

véritablement raisonnable, cette chose sera estimée bonne pratiquement 47.


RS ON

La volonté est le pouvoir de choisir ce que la raison, indépendamment de l’inclination, reconnaît comme étant bon,
i.e. pratiquement nécessaire. Son mérite vient de ce que l’association déterminante qui réunit la capacité et la fin se
P E RS

produit infailliblement, chez un être raisonnable quji est en même temps capable de fonder son action sur des principes.
Ainsi la volonté s’identifie-t-elle avec la raison pratique, en vue de procurer des actions nécessaires, autant au plan
R PE

39 Idem, p. 421.
FO E

40 Idem.
AG

41 Idem, p. 431.
42 Idem, p. 429.
US

43 KPV; AK V, 064.
44 Idem, p. 062.
45 Idem, p. 058.
46 Idem, p. 057.
47 GMS; AK IV, 412.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 175 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

objectif que subjectif 48. L’impératif devient alors la représentation du principe objectif reçu comme étant a priori
contraignant pour la raison et s’exprimant avec le commandement rationnel. Le devoir est l’adoption subjective qu’en
accomplit le sujet moral, malgré que sa matière ne lui convienne pas naturellement, lorsque celle-ci est le reflet

LY —
préalable d’une inclination subjective et hétéronome naturelle 49. Or, l’alchimie subjective, par laquelle se
réalise une transformation par laquelle s’effectue, dans le for intérieur 50 de la personne, le passage de

ON CHE
l’impératif que l’on connaît vers le commandement que l’on assume, constitue la pleine mesure de la pratique infuse de
la liberté conçue intégralement. Car autant la connaissance de l’impératif que la mise-en oeuvre de la maxime qui le
réalise, pour gtelle situation et telles circonstances particulières, procèdent de la liberté: pour la première, elle
caractérise, à l’intérieur de la dimension suprasensible de la personne, la conjoncture unifiée de l’autonomie et de la

ES ER
spontanéité en fonction du Bien que spécifie la maxime, laquelle est subsumée sous l’impératif catégorique, en est le
critère suprême de sa validité. Pour la seconde, elle représente pour le jugement une conception du Bien qui est
conforme à la complexité entière de cette Idée, qui rend explicite l’impératif catégorique, sans que celui-ci ne déroge à

OS H
sa fin propre, l’expression de la moralité que véhicule une volonté universelle, naturelle, objective et humaine.

RP EC
L’adhésion au devoir caractérise, non pas le sujet moral, lorsqu’il est soumis à une conjoncture hétéronome, par

PU E R
laquelle l’obligation d’agir serait dictée par une force qui est extérieure à la raison, mais elle s’illustre chez une
personne morale et libre qui transforme la connaissance du devoir, que spécifie la maxime formulée conformément au
principe moral a priori, en volonté d’agir selon ce devoir. Cela étant, on ne peut plus voir en la valeur contraignante du

CH S D
devoir — le sollen — une obligation de même nature que celle résultant de l’action qui serait adéquate aux exigences et
aux pressions d’une situation critique — le müßen —, laquelle détermine une action qui se produit indépendamment de
la volonté déontologique (v.g. la fuite irrésistible que commande le danger inhérent à la conjoncture empirique, celle
AR FIN
pour un individu de se trouver en proximité d’un volcan en éruption).

Si le devoir est contraignant, c’est qu’il exige de surmonter l’inclination et de sacrifier celle-ci à un Bien plus
grand, l’action que régente une maxime conforme à l’impératif catégorique. En ce qui concerne une situation critique et
SE À

pressante, l’action est emmenée par la situation de manière péremptoire, en raison du rapprochement entre le sujet et le
monde sensible, se réalisant dans un sens prédéterminé issu d’une hétéronomie à laquelle dictent les lois de la nature
RE T,

(v.g. l’instinct de survie que sollicite la proximité à un volcan en activité). À l’intérieur de la situation morale
D EN

cependant, il ne s’agit plus de caractériser un rapport dynamique qui associe les forces du monde sensible et la conduite
du sujet en vertu de lois naturelles prépondérantes, mais d’illustrer une relation qui, en accréditant la confluence du plan
suprasensible de la conscience et de l’inclination de la sensibilité naturelle, accorde néanmoins a priori à celui-là une
AN M

importance universelle et nécessaire pour la raison théorique, sans retirer au sujet la liberté de conformer l’action
susceptible d’être initiée spontanément, non pas à l’hétéronomie de l’inclination, mais au principe qui procède de
E LE

l’autonomie propre à cette liberté. Ce principe prend la forme d’une maxime qui surgit spontanément de la raison
judiciairfe théorico-pratique, laquelle faculté est la plus appropriée à interpréter le principe moral fondamental et
US SEU

originel de l’essence suprasensible de la liberté, i.e. l’impératif catégorique qui est énoncé selon toutes ses formulations
majeures, et les conséquences qui en découlent pour une analyse, et de le transformer en principe de l’action morale
adéquat à la situation et aux circonstances sensibles avec lesquelles celle-ci est appelée à composer.
AL EL

Mais pour que la liberté soit complète, elle doit non seulement infuser la raison théorique qui en aperçoit l’essence
pratique universelle et nécessaire, mais encore assurer, au plan pratique, l’exercice effectif de la volonté au nom du
ON N

principe de l’unité de la raison qui se manifeste avec l’exercice plénier de ses facultés, en effectuant le choix de la
technique la plus appropriée à réaliser le schéma de la maxime. Avec alliance du théorique et du pratique, l’esprit
RS ON

conçoit et exprime quelle serait la forme a priori du principe moral par excellence, susceptible de mener au constat du
succès de la stratégie morale utilisée face à une conjoncture particulière, conformément à la spontanéité de l’activité
P E RS

48 Idem.
R PE

49 Idem, p. 413.
50 Kant distingue [APH, §15; AK VII, 153] entre le sens interne (sensus internus) et le sens intérieur (sensus
FO E

interior): tous les deux caractérisent l’intimité subjective de la personne, mais le second renvoie simplement à
AG

la faculté de la perception qui est distincte du sentiment, alors que le premier qualifie la manière par laquelle le
corps est affecté par l’esprit [Gemüt]. Il inclut donc la notion du sentiment et plus particulièrement celui qui
trouve son origine dans l’intellect, par opposition à celui qui naît avec l’expérience sensible. Par ailleurs, le
US

premier sens que donne Kant [KRV, §02; AK III, 052] au sens interne en fait la manière par laquelle l’esprit
[Gemüt] fait l’intuition [anschauen (XVIIIe s.) = aspicere (lat.): regarder, considérer; contemplari, intueri
(lat.): contempler, observer, examiner] de lui-même, ou fait l’intuition de son état intérieur. Il exprime alors
tantôt la conscience auto-réflexive de l’esprit qui se sait et tantôt la conscience que l’esprit prend de son état
intime. Le sens que nous donnons au for intérieur se rapproche plutôt de la signification de «sens intérieur», tel
qu’il est énoncé dans la première Critique, mais du point de vue de la conscience objective de l’état sous lequel
l’esprit s’auto-réfléchit et prend conscience de lui-même à l’intérieur de l’intuition.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 176 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

rationnelle autonome engagée à réaliser concrètement le principe de la liberté. Car si le principe moral procure
infailliblement le Bien avec la congruence complète des maximes de la volonté et des principes de la raison pure
pratique au plan de la nature suprasensible de la personne, c’est avec la subsomption du particulier sous l’universel du

LY —
jugement déterminant, que le sujet parvient à conformer les configurations et les mouvements du monde sensible aux
impératifs dynamiques et déterminants de la dimension suprasensible, grâce au jugement esthétique qui décrète, le cas

ON CHE
échéant, l’harmonie du concept de l’entendement tel que présenté par lui et de l’Idée esthétique de l’imagination, telle
que réalisée par elle, avec le choix du principe technique qui en inspire la réalisation. Non seulement la raison théorique
s’avère-t-elle participer intégralement à la nature suprasensible de la personne, mais encore la raison pratique
l’illustre-t-elle avec la conduite morale inclusive parfois de l’action poématique et dont le Bien est le fruit, tel qu’il se

ES ER
spécifie à l’intérieur d’une conjoncture particulière. Or celui-ci est le Bien, que se représente à lui-même l’intellect
lorsqu’il spécifie l’impératif catégorique, lorsqu’il fonde formellement la bonté de l’action de deux manières: en
contribuant à spécifier la maxime et la technique qui la procurent; et en fournissant le critère ultime contre lequel

OS H
estimer la valeur et la pertinence de celles-ci, avec l’appréciation de l’effectivité réelle, et non simplement idéelle, que

RP EC
la raison judiciaire en accomplit.

C’est donc en proposant l’intégralité d’une conception qui réunit le principe de l’unité de la raison et la primauté

PU E R
du pratique sur le théorique, que Kant assure la cohérence du propos en même temps que la congruence de l’action et de
l’Idée. Plus encore, l’effectivité manifeste de l’activité poématique procède de la nature rationnelle qu’elle affirme et
confirme à la fois, en démontrant ainsi qu’elle est non seulement désirable ou simplement souhaitable, mais essentielle

CH S D
à une action signifiante et conséquente. Ce qu’elle accomplit en procurant une actualité de l’autonomie suprasensible
de la personne plutôt qu’en se résignant à constater (sans vouloir trop l’admettre) qu’elle subit l’aliénation de
l’hétéronomie. Avec cela, elle réalise le bien particulier qui devient alors l’exemplaire (l’ectype) de l’archétype du Bien
AR FIN
ainsi réalisé, l’archétype qui s’identifie avec le principe formel, universel et nécessaire, valable a priori pour la raison
suprasensible, de l’impératif catégorique et de toutes ses formulations.
SE À

Or, si la découverte du principe a priori de l’impératif catégorique repose sur le pouvoir de la raison pure pratique,
un pouvoir dont la sublimité évoque et suscite chez Kant le sentiment moral du respect, il doit exister un autre pouvoir
RE T,

qui transforme les principes de la raison pratique en activité déterminante, auquel serait également associé, au plan de la
nature suprasensible de la raison, un sentiment moral. Cette nécessité procède du schématisme de base qui propose,
D EN

comme co-existant à l’intérieur de la réalité suprasensible a priori, un principe objectif de la connaissance et un


principe subjectif de son appréciation que véhiculent ces sentiments du plaisir et du déplaisir, en vertu du principe
AN M

suprême sous-jacent et omniprésent de la vie qui, sous sa forme radicale, est à la fois la cause, le moyen et la fin de la
rationalité.
E LE

Les aspects irrationnels de la moralité


US SEU

C’est à ce plan précisément que nous estimons que la théorie de Kant est déficiente, puisqu’elle ne semble
proposer aucun sentiment moral qui soit réellement le ressort de la transformation transcendantale, de l’héautonomie
par laquelle la raison parvient à surmonter les inclinations sensibles et, en se situant au plan de l’autonomie
AL EL

suprasensible, vouloir effectivement le devoir plutôt que le subir, lorsqu’il exprime l’hétéronomie d’une contrainte qui
s’ancre à la fois dans la nature sociale de l’humanité et, en vertu de sa dimension éthique, telle qu’elle se réalise au plan
culturel de ses réalisations poématiques 51. Ainsi, l’effort qui au plan moral procéderait en même temps de l’autonomie
ON N

législatrice et de la spontanéité créatrice, émanant toutes deux de la raison, empêcherait que, malgré le statut a priori qui
RS ON

lui est prêté, lorsqu’il s’exerce au plan suprasensible, la raison exprime néanmoins l’essence d’une hétéronomie, à la
manière d’un Überich freudien, intériorisé à l’intérieur de la conscience et agissant sur les conduites en réponse à la
suprématie des préceptes culturels, mais sans qu’il ne soit réellement assumé, puisqu’il ne s’intègre pas librement au
P E RS

tout de la personnalité pleinement épanouie. Or, c’est à la seule condition d’une transformation de la conscience, par
laquelle le devoir n’est pas simplement imposé, mais se trouve intériorisé et assumé comme possédant une valeur en
soi, que la raison déontologique participera véritablement à l’autonomie suprasensible et créatrice de la personne. Ainsi
R PE

caractérisera-t-elle un sujet réellement libre, ayant puisé à sa propre puissance suprasensible pour définir son devoir et
pour déterminer sa propre action en fonction de lui, et non pas simplement un sujet que subjugue un sens du devoir que
FO E

forment les compositions dictées par la culture sociale, lorsqu’elle définit les principes éthiques qui commandent
AG

l’adhésion de ses membres sans faire appel à la rationalité libre du sujet. Et puisque la transformation déontologique
procure la liberté au sujet moral, ou tout au moins en confirme l’état présent, elle appartient par conséquent à l’univers
transcendant de la raison et elle participe de l’indétermination de l’Idée et ultérieurement de l’Inconditionné.
US

La contrainte subjective de la maxime en vue de l’accomplissement du devoir reçoit chez Kant le nom de vertu.
Grâce à la elle, le sujet moral réussit à triompher de ses inclinations naturelles et réaliser ses maximes en vertu d’un

51 Cette distinction semble illustrer adéquatement la démarcation kantienne contre le devoir parfait de l,action
accomplie par devoir et le devoir imparfait de l’action effectuée simplement selon le devoir.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 177 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

principe de liberté intérieure 52. Elle émane de la quatrième formulation de l’impératif catégorique qui élève au plan
religieux le droit de l’humanité, puisqu’elle lui confère un statut de sainteté 53. Mais demeure toujours une contrainte
[Zwang] et semble refléter, au plan éthique de la législation interne qui est le propre de l’héautonomie subjective, ce qui

LY —
se produit au plan légal de la législation extérieure. Dans le premier cas, elle est un facteur de l’autonomie qui révèle un
pouvoir moral; et dans le second, elle exprime le sentiment moral [Gesinnung 54] du respect éprouvé pour la loi
[Achtung für Gesetz], que forme, spécifie et exécute le corps social légitimement constitué et prescrivant 55.

ON CHE
Dès lors que l’on accorde une valeur culturelle à une législation dont l’origine se trouverait à l’extérieur des
consciences individuelles, tout en procédant de la subjectivité de consciences, constituées en corps et révélant en

ES ER
principe l’autonomie et la spontanéité propres à des êtres libres, lorsqu’elles réalisent la puissance poématique de la
personne morale et que celle-ci contribue à l’édification des esprits, en visant avec la formation de la législation
l’entéléchie d’une fin bonne qui soit en conformité avec un principe de justice, comment alors ne pas voir en ces lois qui

OS H
en sont l’évidence d’une autonomie qui serait en même susceptible de révéler pour le particulier le facteur d’une

RP EC
hétéronomie. Simplement sur cette base, et sans prétendre vouloir apporter une solution à ce problème pour l’essentiel
politique, comment expliquer alors que l’action législative de la raison serait susceptible de recevoir un respect
identique à celui que commandent subjectivement les principes a priori de la raison autonome, dès lors que le sentiment

PU E R
a priori nécessaire du respect trouve sa cause dans l’intellect libre et porte préjudice aux inclinations qui alimentent
l’estime inordonnée de soi [eigendünkel], en opposition à l’estime ordonnée de soi qui est la condition subjective du
sentiment de la moralité 56. Car si l’arrogance de la présomption accompagne naturellement celle-là, puisqu’elle

CH S D
propose que le sentiment de l’estime de soi [Eigenliebe] serait supérieur à l’accord des inclinations avec la loi morale,
voire avec leur subsomption sous elle, l’orgueil qui la caractérise se trouve complètement anéanti par la raison pratique
pure, en raison de la découverte que la raison fait de l’impératif catégorique. L’estime ordonnée de soi se trouve alors
AR FIN
confirmée avec l’accord de la disposition et du principe comme étant préalable à l’invocation de la loi morale, sans que
celle-ci n’ait à souffrir de cette antécédence ontologique 57. Car la congruence que suppose une attitude fondamentale
préalable au contenu moral articulé et favorable à son accueil, illustre alors un état originel à l’intérieur duquel existe
SE À
«naturellement» la reconnaissance du primat du suprasensible sur le sensible, même avant toute réflexion qui le
découvre et tout concept qui le révèle au sens commun.
RE T,

Avec la primauté accordée à la dimension suprasensible de la personne sur le registre du sentiment simplement
D EN

sensible, il se produit une élévation de l’estime de soi qui se transforme en amour de soi raisonnable [vernünftige
Selbstliebe] 58. Or, ce qui définit l’amour de soi, c’est le bienveillance [Wohlwollen] envers soi-même (philautia),
AN M

laquelle, à l’instar du caprice (arrogantia) [Wohlgefallen] passe avant toute chose, mais en se distinguant nettement de
lui, de sorte que tous les deux, lorsqu’ils réalisent la convergence de l’ensemble des inclinations en vue du bonheur, sont
E LE

des expressions distinctes de la promotion de soi [Selbstsucht 59], puisqu’ils tirent avantage des situations à l’exclusion
du registre suprasensible. L’effet de la loi morale donc, dans le rapport qu’elle entretient avec le sentiment qui lui est
US SEU

préalable dans le sujet ontologique, sera de transformer l’amour égoïste éprouvé pour soi en amour raisonnable ressenti
à l’égard de soi, sans pour autant démériter de l’élévation subjective, inhérente à la réalisation en soi-même de l’essence
suprasensible de la moralité. Cette métamorphose devient la cause intellectuelle du sentiment moral du respect, en vertu
de la sublimité qui reconnaît en l’essence de la raison elle-même un pouvoir d’édification pour le Ich du sujet moral,
AL EL

sans que n’en résulte une altération ni une dépréciation de sa propre nature suprasensible. Car la relation constante et
réciproque du sentiment et de la raison à l’intérieur du complexe boulétique se fonde sur le maintien d’un équilibre des
rapports qui respecte les natures respectives et sur la pleine reconnaissance du type de rapports, susceptible de mieux
ON N

concourir à cette fin. Suite à cela, il est légitime par conséquent de s’interroger sur l’amour de soi, et particulièrement
RS ON

sur le rôle joué par celui-ci, le cas échéant, dans l’actualisation de la loi morale et sa spécification aux circonstances et
aux situations. Or, cette entéléchie passe par le jugement, autant sous sa forme réflexive, avec la présentation d’une
maxime et l’évaluation du résultat sensible de son application, que sous sa forme logique, avec la détermination
P E RS

finalisée de la nature.
R PE

MAT, Einleitung; AK VI, 394.


FO E

52
AG

53 KPV; AK V, 087.
54 (XVIII s.): sentiments.
MAT, loc. cit.
US

55
56 KPV; AK V, 073.
57 Idem.
58 Idem.
59 (XVIIIe s.) = Begierde: désir, avidité; streben nach den eigenen Vortheil: chercher à s’avantager soi-même;
Egoismus: égoïsme.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 178 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

Avec la distinction que Kant établit entre les trois aspects de l’homme: son animalité, son humanité et sa
personnalité, on aperçoit l’existence d’une tension entre l’amour de soi et la raison. Eu égard à leur possibilité
respective, l’animalité ne s’enracine aucunement dans la raison et favorise exclusivement l’amour de soi, tel qu’il est

LY —
présent avec l’instinct de la conservation de soi, de l’espèce et de la progéniture (l’instinct sexuel et parental) ainsi que
celui de l’association avec ses pareils (l’instinct social). L’humanité quant à elle trouve prise à l’intérieur de la raison

ON CHE
pratique, pour la subordonner à un amour de soi comparatif, lequel juxtapose les bonheurs individuels dans la
conscience subjective, autant le sien que celui d’autrui, et aspire à réaliser l’égalité avec autrui, telle que les opinions
émises seraient susceptibles de la révéler. Cet idéal fait place tôt ou tard à la constatation objective que l’inégalité serait
plutôt la norme, et crée une situation par laquelle le sujet se défend d’en subir les effets, en briguant injustement pour soi

ES ER
la supériorité et en mettant en oeuvre les moyens d’y parvenir. Quant à la personnalité, elle se réfère exclusivement à la
raison pratique, indépendamment de l’amour de soi: la raison déontologique exerce alors exclusivement sa faculté
législatrice transcendantale et exprime par ses choix moraux la connaissance de l’Idée morale (l’impératif catégorique)

OS H
que vient étayer le sentiment moral du respect, en recrutant sa capacité d’illustrer l’autonomie et la spontanéité morales

RP EC
qui la découvrent au plan théorique de l’a priori et la réalisent au plan pratique de l’a posteriori 60.

Or, le complexe déontologique de l’Idée morale et du sentiment moral du respect est certes nécessaire à la

PU E R
découverte que fait la raison pratique de son effectivité. La thèse de la substance suprasensible mixte, qui allie
l’intellectualité et la sensibilité et la place au fondement de la conscience [Gemüt] du sujet transcendantal, pleinement
intégré quant à ses possibilités rationnelles, vient d’ailleurs supporter cette conjoncture. Ce complexe n’est pas

CH S D
suffisant à la qualifier pleinement cependant, puisque sans personnalité, sans l’Idée transcendantale de l’humanité pour
fonder proprement l’identité subjective au plan d’une nature ontogénique distincte, et du sens commun possédant au
moins autant de légitimité qu’elle, puisqu’il fonde le principe social informel de l’expression, du discours et du
AR FIN
commerce 61, il n’existerait aucun motif en soi de l’arbitre et de la faculté judiciaire, lesquels s’articulent naturellement
autour de l’aptitude du caractère à se montrer réceptif au sentiment moral du respect, une aptitude qui définit le
sentiment moral en général 62. Si la subjectivité a la possibilité de s’ouvrir sur l’universel, c’est parce qu’elle trouve son
SE À
aboutissement à l’intérieur d’un ensemble culturel et phylogénique dont la perpétuation est aussi nécessaire à sa
possibilité que l’essence suprasensible de la subjectivité importe à la constitution et à l’entéléchie finale de l’ensemble.
RE T,

Or, l’observance de la loi morale étant la condition de la réalisation de la subjectivité, puisqu’elle exige l’accession à
l’universalité et à la nécessité qui en définit la valeur suprasensible a priori, tout l’édifice de la civilisation repose sur la
D EN

pierre angulaire indispensable de la moralité qui est le propre a priori de l’ensemble des subjectivités morales.
AN M

On peut comprendre à partir de ce développement que, si l’amour de soi ne disparaît pas spontanément au bénéfice
de la raison en se frottant avec elle, c’est seulement avec la socialisation de l’instinct que l’on aboutit à cette issue. Car
E LE

l’acte objectif et extérieur de la socialisation est accompagné en même temps de la volonté subjective et intérieure de
figurer adéquatement dans l’opinion d’autrui au même titre que tout autre. Le projet moral qui consiste à se situer et à se
US SEU

maintenir dans l’estime d’autrui, sans avoir à succomber aux mécanismes et aux tactiques de la concurrence, se justifie
en raison du principe d’incomplétude 63 qui ne cesse de fonder les aspirations en ce sens, puisque dans l’idéal, les
entéléchies adéquatement et complètement réalisées rendraient caduque toute volonté d’entrer en rivalité avec autrui et
de chercher à le surpasser, en raison d’a voir atteint une perfection suprasensible qui, étant universelle et nécessaire, est
AL EL

inclusive de toute perfection et plus spécifiquement de celle d’autrui. Ainsi, l’effet formateur de la raison suprasensible
s’exerce sur la disposition même bienveillante à faire la promotion de soi, et lui confère un caractère raisonnable, en
l’élevant et en l’orientant vers son accomplissement.
ON N
RS ON

La personnalité est nulle autre que l’Idée intellectuelle (et donc suprasensible) de l’humanité en chacun. Celle-ci
rend le sujet moral digne d’être considéré en tout temps comme étant une fin et jamais comme étant un moyen, pour
soi-même comme pour autrui, conformément à la troisième formulation de l’impératif catégorique. Si la raison pratique
P E RS

qui habite la personnalité n’anéantit pas l’amour même bienveillant de soi — lequel sert peut-être à entretenir les
conditions sociales favorables à l’avancement des opinions égalitaires ou au maintien de la situation qui permet de les
R PE

entretenir —, elle ne lui permet pas pour autant d’accéder au plan suprasensible de la raison pratique pure, telle qu’en
théorie elle est concevable. La raison déontologique requiert une tout autre sensibilité, celle qui correspond au genre du
sentiment moral que spécifie le respect et qui est requise afin d’assurer une réceptivité au complexe déontologique de
FO E

l’Idée morale (l’impératif catégorique), à laquelle s’associe a priori le respect. Si la conception kantienne est l’occasion
AG

pour l’amour de soi de recevoir une si piètre représentation, lorsqu’il tente d’intégrer le sentiment à l’intérieur de la
raison pratique pure, c’est pour une très bonne raison, puisque le choix de l’amour de soi même raisonnable comme
US

60 RGV; AK VI, 026-028.


e
61 (XVII s.) = système de relations réciproques; relation, fréquentation; relations mondaines; correspondance,
échange de lettres. Vide DUBOIS et al. (2001), p. 91.
62 RGV; AK VI, 027-028.
63 Vide supra, chapître III, p. 211.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 179 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

principe des maximes serait à la source même de tout mal 64. Il s’agirait d’identifier par conséquent ce que serait la
sensibilité fondamentale susceptible d’être associée à l’Idée de l’humanité qui est inhérente à celle de la personnalité,
laquelle disposerait alors à la réceptivité de la conscience affective au respect qu’inspire l’Idée morale (l’impératif

LY —
catégorique), sans qu’elle ne soit proprement le respect. Par ailleurs, le sentiment recherché aurait une nature qui est en
général analogue à celui-ci, puisqu’il participerait, au même titre que le respect, à la dimension suprasensible de la

ON CHE
raison à laquelle il est associé dans la personne.

La subsomption du sentiment moral du respect sous un sentiment suprasensible analogue pose un problème
difficile pour le statut dont jouirait celui-là: il y a d’abord que le respect de la loi morale est non seulement un mobile,

ES ER
mais encore est-il une disposition pure, subjective, primitive et permanente, à réaliser le bien et que la personne se doit
simplement de restaurer au plan de l’âme, puisqu’il est le fondement suprême de toutes les maximes 65. Elle définit par
conséquent, comme étant le principe psychique du respect, une innocence originelle que doit réinstaurer l’héautonomie

OS H
subjective de la conscience morale en la personnalité de chacun pour que l’entéléchie complète de l’humanité puisse se

RP EC
réaliser. Puisque le Bien originel consiste en la sainteté des maximes qui assurent l’accomplissement du devoir, on peut
comprendre alors qu’à l’origine de la phylogénie et de l’ontogénie ensemble, il existe une adéquation entre le respect et
la formation de maximes irréprochables 66. Par ailleurs, l’acte de restaurer le respect, qui est nul autre que l’évidence

PU E R
subjective, présente au sens interne, de la disposition originelle au Bien, est en même temps le fondement absolument
pur du libre arbitre, que ne corrompent ni ne subordonnent à eux d’autres mobiles, ce qui en fait le principe en soi
suffisant de la détermination 67. Le problème devient alors celui de savoir réconcilier la notion du sentiment moral

CH S D
indépassable dans le libre arbitre — le sentiment du respect —, avec la notion alternative du sentiment moral qui serait
d’un genre plus élevé, puisqu’il inspire la réceptivité au respect. Par ailleurs, la difficulté disparaît, dès lors que l’on
comprend que la réalisation du Bien suppose implicitement l’existence d’un principe qui, en vertu de la primauté du
AR FIN
pratique sur le théorique, serait supérieur à celui du respect, sans pour autant en renier l’importance capitale, puisque le
respect trouverait son origine à l’intérieur de l’esprit susceptible d’être informé par un état, une situation et une
conjoncture qui, tout en illustrant la raison pratique pure, serait hétéronome à la conscience en tant qu’il illustre la
SE À
raison pratique pure d’autrui.
RE T,

Une autre considération encore pose problème: si l’on conçoit avoir évacué l’amour de soi du plan moral, au nom
du respect et en raison de la pureté qui lui confère un statut unique parmi les mobiles de la raison, voilà qu’il réapparaît
D EN

sous la forme de la philautie, en prenant la forme de la complaisance en soi inconditionnée 68. Celle-ci suppose un
amour de soi raisonnable qui est plus parfait, puisqu’il illustre à la fois la complaisance en soi-même et la bienveillance
AN M

envers soi-même, pour autant qu’elles reflètent une satisfaction subjective [Wohlgefallen], celle qui provient de
l’adoption et de l’application effectives des maximes de la raison pratique qui réalisent la disposition sociale subjective
E LE

envers l’humanité. Celle-ci, rappelons-le, inclut le désir de bien figurer dans l’opinion d’autrui et de se voir reconnu
l’égalité au même titre que tout autre. Or, l’amour de soi qui réalise la complaisance inconditionnée est un état en
US SEU

quelque sorte gratuit, puisqu’il ne regarde pas aux conséquences pour soi de l’action qui en émane. Celle-ci procède
uniquement de la conscience subjective de posséder des maximes subordonnées à la loi morale, pour susciter dans le
cas contraire le mécontentement amer de soi [ein bitteres Mißfallen] (qui est son contraire) et ainsi illustrer la
conscience de procéder selon des maximes qui s’en dissocient 69.
AL EL

Mais si l’amour de soi inconditionné est véritablement à la hauteur de son concept, qui n’est pas sans rappeler la
notion de ce désintéressement esthétique 70, il ne saurait dépendre de la subordination des maximes à la loi morale,
ON N

laquelle suppose une détermination du sentiment par la raison. Tout au plus peut-on admettre à ce sujet qu’il serait
RS ON

concomitant à la loi morale et à la bonté que suppose la subordination des penchants individuels aux maximes de la
raison. La vertu suprasensible de l’amour de soi inconditionné ne saurait supposer que soient corrompus ni le principe
moral, ni le sentiment qui lui est intimement associé. De plus, l’amour inconditionné se heurterait à un autre
P E RS

inconditionné, le sentiment de la dignité d’être heureux, lorsque l’accord de toutes les maximes avec la loi morale s’est
effectivement réalisé, une symétrie qui est l’unique condition objective de la réconciliation de l’eudémonisme avec le
R PE

moralisme, du désir du bonheur que subsume la recherche du Bien avec la puissance législatrice, autonome et
spontanée, de la raison. Étant une condition originelle, non seulement l’amour de soi inconditionné relève-t-il de la
dimension suprasensible de la personne humaine, mais encore est-il l’ultime expression d’un genre suprême. Or, ceci
FO E
AG

64 RGV; AK VI, 045.


65 Idem, p. 045-046.
US

66 Idem, p. 046.
67 Idem.
68 Idem, p. 045-046n.
69 Idem, p. 046n.
70 KU, §02; AK V, 205.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 180 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

nous enferme dans un diallèle paradoxal où l’amour moral de soi, en soi suprême, accompagne la conscience d’une
maxime qui fait du respect de la loi morale le motif suprême du libre arbitre et où la dignité d’être heureux est l’état
objectif indépassable, procédant de la condition ultime de l’accord de toutes les maximes avec la loi morale. Le noeud

LY —
gordien semble entier et indénouable, puisque la position du principe de la suprématie des suprématies révélerait en
réalité une difficulté inxsurmontable, celle qui consisterait à identifier un état intérieur dont la suprématie serait telle

ON CHE
qu’elle subsumerait ce qui, en raison de son essence, serait réfractaire à toute subsomption et qui donc représenterait
l’illustration effective de la suprématie unique et véritable.

Faisons remarquer d’abord que la juxtaposition de ces différents états suprêmes — l’amour moral inconditionné,

ES ER
le respect de la loi morale, l’accord de l’ensemble des maximes avec la loi morale, la dignité d’être heureux —, ne
signifie a priori l’existence d’aucune contradiction. L’amour moral inconditionné peut co-exister avec les trois autres:
le respect de la loi morale, l’accord dans l’unité des maximes avec le principe de la loi morale et la dignité du bonheur.

OS H
Non seulement tous ces éléments peuvent-ils se réaliser de façon concomitante, mais encore est-il nécessaire que cette

RP EC
condition prévale, dès lors que l’un d’eux est présent. Car autrement, comment envisager qu’une personne puisse
revendiquer pour elle-même la dignité du bonheur, en l’absence de l’accord complet de ses maximes avec la loi morale
ou celui-ci en l’absence du respect pour cette loi et celui-ci sans que n’existe un amour moral de soi inconditionné. Cette

PU E R
mutualité nécessaire et réciproque existe en outre pour toutes les permutations possibles de ces quatre principes.

CH S D
C’est qu’en réalité, la juxtaposition complémentaire des états moraux compatibles est non seulement possible,
mais elle est un état nécessaire et par conséquent désirable. Elle suggère la confluence des inhérences propre à une
essence dont la substance est unifiée, celle de l’Être moral suprême, lequel est non seulement la cause de la nature
AR FIN
humaine, mais encore le fondement de la moralité, puisqu’il en est le principe archétype. À telle enseigne que, en
partant de la moralité de l’homme et de la réalisation de l’Idée de l’humanité, à l’intérieur de la personne qui est libre
parce qu’elle est bonne, vu qu’elle réalise l’autonomie et la spontanéité de la raison avec l’accord effectif de ses
maximes avec la loi morale, Kant parvient à «prouver» l’existence de Dieu et voit dans l’argument théologico-moral la
SE À

voie privilégiée de l’accès intellectuel vers Dieu 71, la seule qui soit justifiable au plan de l’épistémologie théologique et
pour laquelle le rejet des autres avenues théologiques probatoires 72 confirme l’unicité de la validité.
RE T,
D EN

Par ailleurs, si cette déduction s’avère insuffisante à établir la confluence des principes moraux en une cause
morale unique et suprême, celle de l’amour moral de soi qui réunirait le respect de la loi morale, la dignité d’être
heureux et la possibilité d’accorder les maximes et la loi morale avec la subsomption de ceux-là sous celle-ci, nous
AN M

retrouvons la condition de cette effectivité avec le concept de la vertu intelligible. Celle-ci est la réalisation du devoir,
avec la légalité apodicto-technique que cela présuppose pour la moralité, adjointe à une résolution ferme et compétente
E LE

en ce sens à subsumer le moyen sous la fin 73. En tant qu’elle est simplement phénoménale (virtus phenomenon), la
vertu trouve son expression à l’intérieur des moeurs, lesquelles deviennent l’évidence manifeste de la constance du
US SEU

sujet moral à conformer sa conduite et son action à la maxime qui est congruente avec la loi morale. Mais en tant qu’elle
est nouménale (virtus noumenon), elle consiste à agir uniquement en raison de la représentation du devoir, une
condition qui procure à l’action, outre la grâce éminente d’être agréable à Dieu, le mérite d’être effectivement morale,
puisqu’elle révèle l’intention ferme et sincère de la personne morale à modeler sa conduite sur la maxime de sainteté 74.
AL EL

Cette distinction qui oppose la légalité phénoménale de la vertu, disposée à reproduire les formes que serait
ON N

susceptible de prendre la loi morale, selon les conditions sensibles qui en régissent l’expression, à la moralité de la vertu
nouménale, encline à réaliser le devoir en reconnaissance simplement de la valeur indéniable de son essence, nous
RS ON

renvoie à la distinction entre les deux formes de l’action quant au devoir 75, soit celle qui s’accomplit conformément
avec celui-ci [dem sittlichen Gesetze gemäß sei], soit celle qui est produite en raison uniquement de lui [um desselben
Willen] 76. Cette deuxième forme illustre le choix moral de privilégier le devoir parfait sur le devoir imparfait, afin
P E RS

d’assurer à la pureté et à l’authenticité de la loi morale une fermeté et une constance de l’adhésion dont ne disposerait
pas la précarité du devoir accompli simplement dans les formes, lequel ne pourrait invoquer ni l’intention sincère, ni la
R PE

profondeur du jugement pour en étayer les raisons. Outre que le dédoublement conceptuel de la vertu fait ressortir le
parallèle avec les formes du devoir, il nous permet d’apercevoir que la vertu nouménale se distingue de la vertu
simplement phénoménale en vertu d’une dynamique intérieure qui la situe au plan, non seulement de l’humanité
FO E

sensible socialisée qu’une confluence des activités rend compatibles sur un même espace géographique, mais de la
AG

71 KU, §87; AK V, 450.


US

72 KRV; AK III, 396.


73 RGV; AK VI, 047.
74 Idem.
75 Vide supra, chapître IV, pp. 140, 150.
76 GMS; AK IV, 390.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 181 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

personnalité suprasensible civilisée, qui ancrait celles-ci dans la permanence d’un état subjectif évolué et accompli. Or,
cette forme comporte le suprême avantage d’extérioriser, grâce à la mutualité des consciences qui en illustrent la
présence et l’effectivité, la pleine harmonie des sens internes individuels que caractérise la congruence entière avec la

LY —
moralité suprême. Pour cette raison, elle assure que l’accord intérieur des esprits [Gemüt] sera le fondement de l’accord
des personnes, lequel ne saurait trouver le principe héautonomique de son initiation au plan social ailleurs qu’en la

ON CHE
mutualité du sens commun.

Pour illustrer même imparfaitement la moralité, il ne suffit pas pour le sujet de connaître la maxime, voire même
celle qui émanerait d’une source qui est hétéronome à sa propre conscience, il faut aussi que l’agent moral éventuel

ES ER
dispose d’un pouvoir de réalisation (même assisté par une agence supérieure et mystérieuse, opérant subtilement à
l’intérieur de la subjectivité avec les moyens propres à l’inspiration et à la grâce) 77. Une transformation doit donc
s’opérer à l’intérieur du sujet moral qui permette la réalisation effective de la connaissance morale. Ainsi assiste-t-on à

OS H
une genèse par laquelle la bonté de la maxime suprasensible se transmue en la bonté sensible d’une action, révélant

RP EC
ainsi au plan phénoménal la réalité substantielle de la dimension nouménale, que seule une conscience proprement
syntonisée à la réalité des prémisses suprasensibles serait susceptible de reconnaître.

PU E R
La puissance morale intime du coeur
Or, de la même manière que la bonté relative se distingue de la bonté absolue, puisque celle-ci réussit à accorder

CH S D
avec la loi morale de l’impératif catégorique, non pas seulement pro forma une partie ou la totalité de ses maximes,
mais intentionnellement l’ensemble de ses maximes, la vertu phénoménale qui procurera l’apparence de se fonder
uniquement sur l’évidence des moeurs, se démarque ainsi de la vertu nouménale qui se fonde sur le principe kantien du
AR FIN
coeur. La purification des moeurs qui, en témoignant in foro externo de l’habitude à se conformer à la loi morale
(laquelle exiV définit la vertu phénoménale), se base sur l’apparence de la réforme de la conduite et sur l’acquisition
laborieuse de la disposition vertueuse plutôt que sur la métamorphise de la nature suprasensible qu’apporte avec elle la
SE À
transformation du coeur [Herzänderung] 78. Seule l’entéléchie vitale permet d’échapper à la superficialité de l’action
déontologique qui n’est pas congruente avec un mobile moral profond, tout en étant conforme à l’apparence de la
RE T,

légalité morale. L’accession au plan de la vertu morale s’opère, avec la réalisation du devoir, uniquement en raison
d’une représentation à l’intérieur de la raison (à la lumière de l’Idée de la maxime) qui repose sur une révolution dans
D EN

l’intention, l’adoption de la maxime de sainteté et la réinvention de l’être intime: or, ces trois conditions peuvent
procéder uniquement d’une métamorphose en profondeur du coeur [Änderung des Herzens] 79. Le coeur est donc le
AN M

facteur primordial qui distingue la moralité hétéronome du conformisme pro forma et la moralité autonome de la
responsabilité que le sujet moral assume véritablement.
E LE

Or, voilà l’indice chez Kant du principe qui serait la cause transcendantale du pouvoir qui siége dans l’intimité de
US SEU

la personne et constitue la source de tout possibilité morale réelle, non seulement en tant qu’elle est susceptible d’être
connue, mais encore en tant qu’elle est passible d’être vécue et de recevoir une évidence pratique. Ce principe devient
alors la raison de la possibilité de l’illustration du pouvoir par lequel une Idée morale est susceptible de recevoir une
entéléchie, confirmant ainsi la réalisation effective du Bien, puisqu’il procède d’une maxime légitime et pertinente à la
AL EL

situation sociale. Étant mûe par l’action de cette cause, elle reçoit l’effectivité qui en ratifie, avec l’avatar de l’acte
sensible approprié, l’éminente réalité suprasensible qui appartient à l’ordre moral de l’impératif catégorique. Telle
serait donc, pour l’essentiel, l’essence profondément métaphysique de la faculté du coeur, dont il resterait maintenant à
ON N

découvrir les attributs inhérents.


RS ON

Pour Kant, le préjugé est une condition de l’hétéronomie de la raison, puisqu’il encourage la passivité et qu’il est à
la racine de la superstition que combat l’esprit des Lumières. Ainsi, l’idée reçue empêche-t-elle de parvenir à une
P E RS

représentation de la nature, susceptible d’être pensée selon les règles de l’entendement, et à la loi essentielle de sa
réalisation, comme en procédant. Car l’entendement est la faculté qui possède a priori la possibilité de donner a priori
R PE

une unité à l’expérience, susceptible a priori de recevoir une telle unification. Cette enfilade de conditions primordiales
laisse entrevoir une substance dont la nature est profondément ancrée dans l’esprit et révèle le plan transcendantal de la
réalité suprasensible dont on peut s’interroger au sujet de son fondement propre. Outre cela cependant, la libération du
FO E

préjugé et la mise-en-oeuvre de la raison, conformément à la maxime qui commande de penser par soi-même,
AG

deviennent par conséquent l’unique moyen de retrouver (ou de découvrir) l’autonomie rationnelle qui permet
d’échapper à l’aveuglement superstitieux qui est ressenti comme étant l’effet de l’hétéronomie de la raison 80.
US

77 RGV; AK VI, 045.


78 Idem, p. 047.
79 Idem.
80 KU, §40; AK V, 294-295.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 182 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

Or, le passage de l’hétéronomie de la raison qui oblige, en raison de lois et de principes exogènes, vers l’autonomie
rationnelle, qui formule les lois et les principes de sa conduite et de son action selon une héautonomie proprement
endogène; d’une attitude qui accorde à tout autre que soi la responsabilité d’un usage correct de la raison, pour ne pas

LY —
s’assumer en vue d’une sagesse, vers celle qui pose cette sagesse comme fin et cette responsabilité comme son moyen;
ce mouvement par lequel la raison passive se transforme en raison active repose donc sur le coeur et sur la

ON CHE
métamorphose qui en est requise, laquelle apparaît comme étant la condition essentielle [um jenem Wesentlichen] à
viser pour que se produise le renversement radical intérieur des dispositions fondamentales de la pensée 81. Puisque la
pensée est le fondement de la vertu intelligible uniquement, c’est avec la conversion du coeur, susceptible de régénérer
et de révolutionner l’intention [Gesinnung], que peut s’opérer une transformation des moeurs selon la vertu 82. Ainsi

ES ER
rencontre-t-on, à l’intérieur de l’univers suprasensible de la raison, deux pouvoirs nouménaux actifs et concourants: le
pouvoir d’énoncer les maximes que subsume la loi morale et de transformer la connaissance transcendantale
préalablement acquise, puisqu’elle est désormais susceptible de recevoir une dérivation à partir de l’expérience

OS H
nouvellement transformée par celles-là; et le pouvoir de vouloir et de réaliser le devoir, libre de tout mobile qui soit

RP EC
autre que celui de la force d’attraction exercée par sa propre intrincésité, reposant sur l’intention sincère et la bonté de
l’intérêt vital, telles que celles-ci sont représentées par la maxime de sainteté comme le moyen envisagé à réaliser la fin
définie. Or, ce pouvoir définit en même temps l’héautonomie qui est le pouvoir de la raison de se donner à elle-même

PU E R
une règle, lorsqu’elle s’ancre dans l’intrincésité nouménale de la vertu plutôt que dans les conditions phénoménales qui
en extroquent l’apparence et constituent pour elle les manifestations hétéronomiques d’une détermination sociale.

CH S D
La symbolisation du coeur est au centre même de la théorie esthético-morale de Kant, laquelle en dernière analyse
renvoie implicitement toute esthétique au concept de perfection. Une telle affirmation peut sembler trahir la pensée de
Kant, pour laquelle aucun jugement de goût, par nature subjectif malgré sa prétention à l’universalité, ne serait censé
AR FIN
pouvoir se fonder sur un concept objectif et de surcroît, le concept trop flou de perfection 83, sauf à comprendre que le
principe subjectif fondateur de l’universalité trouverait son assise, non pas sur la nature de sujets accidentellement
organisés de manière identique, mais sur la découverte par la raison d’une perfection dissimulée dans la chose, ce qui
SE À
ferait en réalité du jugement de goût un jugement téléologique 84. Mais voilà que le lien qui unit l’esthétique et la
moralité à l’intérieur de l’action poématique se fonde sur une compréhension subjective qui ne peut exclure l’entéléchie
RE T,

objective, précisément puisque toute chose est actuelle et changeante à la fois. Le jugement qui, conjointement avec le
sentiment, prononce l’existence d’une adéquation — l’harmonie que suscite l’accord des facultés de la connaissance; la
D EN

satisfaction qui procède de l’accord entre l’être et le devoir-être —, ne saurait en réalité se produire si l’adéquation
recherchée n’illustrait pas en elle-même une forme de perfection. Celle-ci est intérieure et transcendantale quant aux
AN M

facultés rationnelles comme elle est extérieure et métaphysique quant aux possibilités ontologiques de l’univers
sensible.
E LE

Puisque l’entéléchie finale réalise l’intention suprasensible du sujet libre, lorsqu’il vise l’accomplissement du
US SEU

Bien, ce terme ne peut donc pas être dissocié de la perfection morale, dont l’ultime réalisation se produirait avec
l’acquisition de la sagesse. Étant la figure emblématique du sentiment, le coeur est au centre du complexe synesthésique
judiciaire kantien: il évoque une force transcendantale ineffable qui se situe à l’intersection de la dimension
suprasensible théorique et du désir pratique qui convertit en réalisation effective ce que la raison énonce et spécifie
AL EL

comme étant hypothétiquemenbt souhaitable et/ou pratiquement nécessaire. Pour cette raison, la faculté du sentiment
se trouve insérée à l’intérieur du sens commun, à la croisée de la personne privée et de la personne sociale. Il est donc
intimement associé au sens intérieur qui assure l’existence d’une adéquation intégrale entre les êtres, en vertu de
ON N

l’humanité sensible à laquelle participe la vitalité et la raison de chaque sujet moral et que subsume en principe la loi
RS ON

morale, lorsqu’elle gouverne sa conduite et ses actions et qu’elle définit la responsabilité des personnes.

C’est sur le coeur que repose pour l’essentiel l’inexprimable de la nature humaine, tout ce qui fait que, avec le
P E RS

jugement, l’esprit accomplit la reconnaissance et la valorisation des propositions estimatives du goût et des principes
qui les fondent et s’accorde avec elles, en procurant l’adhésion du sujet intégral à leur contenu, en raison de
R PE

l’adéquation qui octroie une priorité entière au devoir, avec la réalisation des conduites et des actions qui sont
moralement nécessaires. Ce mouvement illustre par conséquent une tension entre l’impératif qui peut être ressenti
comme étant hypothétiquement souhaitable et celui qui est reconnu comme étant apodictiquement désirable. De plus, le
FO E

symbole du coeur renvoie à l’essence sous-jacente à la qualité morale des rapports entre les personnes, l’amitié réelle,
AG

alors que la tension entre le sentiment et la raison se déplace sur le terrain de la socialité, avec la subsomption de la
sensibilité éprouvée à ce plan sous la loi morale et les principes avec lesquels celle-ci oriente les actions et les conduites.
US

81 APH, §43; AK VII, 200.


82 RGV; AK VI, 047.
83 KU, §57; AK V, 340.
84 Idem, p. 345-346.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 183 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

Ontogénie: la dimension personnelle du coeur


Le coeur représente avant tout la disposition intérieure, illustrée par la sagesse qui est unie à la joie: si cette
inclination caractérise souvent le tempérament, elle peut ressortir aux principes, et en particulier au principe du plaisir
dans son sens le plus élevé, comme étant l’expression de l’état intérieur du sage, tel qu’il est révélé par la plus stricte

LY —
tradition épicurienne 85. Déjà l’image du coeur nous situe au plan moral, tout comme elle fait accéder le sentiment du
plaisir au plan du principe moral, à la manière d’Épicure pour qui le véritable plaisir est celui qui émane de la sagesse,

ON CHE
puisqu’il procède de sentiments qui sont unis à elle, sans que pour autant ils ne perdent de leur qualité propre de
sentiments (favorables lorsqu’ils fondent le plaisir ou défavorables lorsqu’ils suscitent la peine). Étant dominés par la
raison et transformés par elle, ils deviennent alors édifiants pour autrui. Voilà pourquoi le bonheur, la joie, la
reconnaissance envers ses amis, la pitié devant le malheur d’autrui, le pardon devant le zèle, la constance, la chasteté, la

ES ER
justice, l’économie et la prévoyance sont prisés par le sage comme étant des vertus éminemment louables que même la
douleur physique ne saurait atténuer 86.

OS H
Si Épicure affirme que le plaisir est une fin, en raison de son association intime avec la sagesse, il ne l’identifie pas

RP EC
pourtant avec la jouissance, mais plutôt avec la sérénité de l’âme, laquelle trouve sa contrepartie avec l’absence de la
souffrance pour le corps et provient de la raison qui connaît les causes de ses choix et éloigne les opinions susceptibles

PU E R
de troubler son équanimité. Ainsi le plaisir se fonde-t-il sur la fronesiV 87, la prudence qui est le principe en lequel
toutes les vertus trouveraient naturellement leur origine. Car la vie agréable est associée naturellement à la pratique de
la vertu, puisqu’elle illustre une loi qui s’ancre dans l’expérience [Erlebnis] morale intérieure, de sorte qu’une vie

CH S D
prudente, honorable et juste, à laquelle le sage ne prendrait aucun plaisir moral est aussi impossible en principe qu’une
vie agréable, vécue en l’absence de la prudence, de l’honneur et de la justice 88. Ainsi, à l’instar du philosophe du Jardin,
un coeur joyeux, exprimant le sentiment que caractérise le plaisir que l’on prend à vivre [Lebensgenuß], est pour Kant
AR FIN
un état pour l’essentiel moral: tout en accompagnant éventuellement le plaisir négatif d’être en santé, la joie de vivre
provient d’une intention droite, qui n’a aucune faute délibérée à se reprocher 89.
SE À
De la même manière que la raison s’ancre dans l’univers suprasensible de l’esprit [Geist], ainsi le coeur
s’enracine-t-il dans le monde sensible de la nature, puisqu’il est une aptitude à choisir (ou à ne pas choisir) provenant
RE T,

d’un penchant naturel — et donc inné — à admettre la loi morale comme étant la force réelle qui inspire les maximes de
la raison 90. Bref, pour toute action accomplie en vertu du jugement téléologique qui identifie les possibilités inhérentes
D EN

aux choses, en raison du principe de finalité qui trouve une spécification en elles, il existe un choix qui s’opère
naturellement, celui de subsumer ou non ladite action sous la loi morale de l’impératif catégorique et qui révèle quelle
serait la disposition morale de la personne. Or, c’est en vertu de l’innéité morale du coeur que cette disposition à la
AN M

moralité existe, laquelle trouve son orientation définitive avec les principes que la raison pure pratique est susceptible
E LE

d’énoncer pour elle, autant a priori quant à la loi fondatrice et constitutive de la moralité, qu’a posteriori, quant aux
situations précises dont la détermination morale requiert l’invention des maximes appropriées.
US SEU

Ce qui est le signe de la vertu à l’intérieur de l’apparence transcendantale de la raison, c’est la conformité de
l’intention à la loi du devoir, laquelle trouve son principe profond dans les tréfonds du coeur 91. Celui-ci devient alors le
principe héautonomique suprême, invariable chez l’homme de bien, par lequel le jugement admet comme étant
conformes à la loi morale toutes les maximes susceptibles de procéder de la raison 92. Or, concevoir les choses, ainsi que
AL EL

le fait Kant, c’est voir en le sentiment le siège du jugement pratique moral, mais aussi de tout jugement
hypothético-technique révélateur de l’entéléchie d’une action et de sa fin possible, dès lors qu’elle est estimée
ON N

subjectivement bonne pour soi, étant simplement et de manière facultative désirable. Qui plus est, il fonde le jugement
RS ON

pratique en suprême instance, puisque nul principe ne lui serait supérieur, qui servirait à évaluer l’arrêté critique des
maximes rationnelles comme étant susceptibles effectivement d’être subsumées sous la loi morale. Or, c’est encore une
fois affirmer la suprématie du pratique sur le théorique, que d’accorder au jugement moral une valeur définitive qui
P E RS

trouverait, avec le sentiment qui est le principe efficient du jugement, la confirmation à l’intérieur du sens interne d’une
finalité subjective achevée, laquelle néanmoins était auparavant présente avec l’idéation [gedacht] 93, mais d’une
manière implicite et simplement hypothétique.
R PE

85 APH, §62; AK VII, 235.


FO E
AG

86 DIOGÈNE LAËRCE. op. cit. §117-120. p. 1305-1306.


87 fronesiV, ewV, h: «thoughtfulness, practical wisdom, prudence», being the widsom in the government of men
and the management of affairs [Liddell and Scott, op. cit., p. 1694].
US

88 ÉPICURE. Lettre à Ménecée, 127-132. In LONG et SEDLEY. op. cit. Livre I. p. 233-234.
89 MAT, §53; AK VI, 364.
90 RGV; AK VI, 029.
91 Idem, p. 037.
92 Idem, p. 051.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 184 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

Phylogénie: la dimension humaine du coeur


Mais il y a bien plus encore, puisque le sentiment ne trouve pas sa plus grande justification avec le cachet apposé
sur l’exercice du pouvoir d’attraction mystérieux qu’exerce la loi morale sur l’activité humaine significative par le biais
des maximes, à l’intérieur de la personne véritablement accomplie. Étant un principe de la réalisation du bien, en tant

LY —
que par sa bonté, le sentiment révèle une propension au bien pratique en l’absence de tout principe rationnel 94, existante
avant toute rationalité par conséquent, sans la nier toutefois, ni se poser a priori comme étant son expression contraire,

ON CHE
et il apparaît alors comme étant l’expression la plus pure de l’humanité, laquelle est la présence-au-monde d’une nature
suprasensible que la vitalité consciente et agissante distingue des autres natures. Car l’amour de la loi morale, qui
caractérise de la perfection morale des créatures finies, constitue pour elles un Idéal, précisément parce qu’il est une
perfection indéterminée inatteignable 95. C’est un Idéal dont l’essence vitale empêche qu’il trouve sa source dans la

ES ER
raison cependant: il appartient donc à l’ordre transcendantal du sentiment moral, mais il révèle un autre genre que
simplement le respect, lequel est suscité par l’instance préalable du pouvoir de la raison dûment reconnu, à la façon du

OS H
sentiment réflexif qui porte sur l’effectivité de la finalité subjective, pensée ou imaginée.

RP EC
Or, le respect trouve la justification complète de sa subsomption sous la loi morale avec le suscitement d’un état
révérencieux à l’intérieur de l’esprit, puisque l’impératif est la découverte éminemment sublime de la raison pure

PU E R
pratique. Puisque toute découverte signifie la rupture avec le passé qui s’édifiait sur l’ignorance qui le fondait, le
respect ne parvient pas à expliquer à lui tout seul que l’on veuille prendre sur soi de réaliser la loi morale avec ses
maximes et de les assumer, en tant qu’ils tiennent à la fois de l’ordre suprasensible de la raison et du règne sensible de la

CH S D
nature. Seul un sentiment actif peut réaliser l’intériorisation personnalisée qui confère tout son sens à la responsabilité
humaine en conférant au devoir, non seulement la force qui subordonne les motifs et les mobiles à ses principes, mais
encore la force qui coordonne les efforts et les matières, les pensées et les Idées, les possibilités et les réalités, en raison
AR FIN
du pouvoir inhérent à la fois à la subsistance et à la permanence de la substance rationnelle. Puisqu’elle s’exerce dans
l’au-delà et dans l’en-deçà de celle-ci, la raison est supérieure à la sensibilité, laquelle n’a par conséquent d’autre
possibilité que se montrer réceptive à l’immédiateté de l’actualité. Par contre, la raison est un pouvoir factice, en
l’absence de la permanence effective qui trouve la possibilité, la réalité et la continuité de son expression avec
SE À

l’épanouissement de la vie, dont elle est une manifestation et une expression. Car la vie se recrute l’unité effective des
pouvoirs de la raison en vertu de la finalité, grâce à laquelle se réalise le rapport adéquat du sujet moral à l’expérience,
RE T,

lequel trouve sa résolution optimale avec la maîtrise des inclinations sensibles et le dépassement suprasensible de
D EN

l’actualité que rend possible la conjugaison de la pensée, du sentiment et de l’action, culminant avec l’illustration des
conduites et la production des oeuvres.
AN M

Le cheminement réalisé par la pensée kantienne, depuis l’époque de la Fondation de la métaphysique des moeurs,
E LE

en 1785, jusqu’à celle de la Religion dans les limites de la simple raison, en 1793, donne un ressort à la moralité
engagée dans la réalisation de la loi morale, qui ne tienne pas du sentiment esthétique des sens, mais qui appartienne
néanmoins au domaine du sentiment, lequel, dès la Première introduction à la troisième Critique de 1789, avait acquis
US SEU

un statut transcendantal et donc reposait sur un principe a priori.

Dans la GMS, Kant s’interroge sur le rapport existant entre la prescription déontologique que reçoit l’être
raisonnable et le sentiment du plaisir inspiré à celui-ci pour que s’accomplisse le devoir, de sorte à produire en la
AL EL

personne une volonté de transformer la prescription en action et ainsi de conférer une effectivité à ce qui autrement ne
serait qu’un faible souhait. Le philosophe en conclut que seule l’expérience peut nous apprendre l’existence de la
ON N

faculté de désirer. S’il ne la nomme pas cependant, il la désigne comme étant une réalisation spéciale du principe de
causalité [eine besondere Art von Kausalität], laquelle anticipe sur le plaisir nécessairement lié à l’accomplissement du
RS ON

devoir, sans pouvoir expliquer a priori qu’une Idée en soi suprasensible puisse procurer un sentiment qui serait en soi
sensible 96.
P E RS

Le sentiment moral archétype


R PE

Or, c’est à l’intérieur des deux Introductions à la troisième Critique que Kant identifiera la faculté de juger comme
étant celle du sentiment et la faculté de désirer comme étant celle de la volonté, tout en donnant à ceux-ci des principes a
priori qui ne tiennent pas de la réalité sensible, mais mais renvoient plutôt à la dimension suprasensible, la possibilité
FO E

pour la première et l’obligation pour l’autre. Ce faisant, il n’explique pas pour autant ce qui reste à ce stade un mystère
AG

complet, à savoir le ressort intime qui transformerait la prescription rationnelle du devoir en son expression active,
librement et inconditionnellement assumée en vue du Bien, lequel procurerait la métamorphose étiologique d’une
conscience susceptible dorénavant d’engendrer une conduite ou un oeuvre, une action qui convient à toute personne
US

93 EE, §viii; AK XX, 224-225.


94 APH, Der Charakter der Person, A.I; AK VII, 286.
95 RGV; AK VI, 145.
96 GMS; AK IV, 150-151.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 185 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

manifestement autonome et spontanée 97. Le sentiment a priori du respect apparaît à ce point de l’argumentation
kantienne, puisque sa cause intellectuelle réside à l’intérieur de la loi morale. Car, en énonçant a priori un principe
déterminant de la volonté, la moralité crée l’état subjectif de l’admiration pour ce qui humilie l’amour-propre et incite à

LY —
adopter subjectivement la loi morale comme étant une maxime valable en soi 98. Mais tout en admettant le rôle crucial
que joue le respect à l’intérieur de la conscience morale, lorsqu’elle assentit à la loi morale, on voit mal comment le

ON CHE
respect pourrait constituer un ressort héautonome pour la volonté qui est nécessairement engagée à réaliser la conduite
ou l’action opératoire, étant lui-même un sentiment suprasensible conditionné par la sublimité du pouvoir transcendant
de la raison.

ES ER
Pourtant, la volonté requiert nécessairement un ressort qui la dynamise, au même titre que le sentiment pour le
jugement, et il doit participer de la nature transcendantale et unifiée de la raison qui répond au triple fondement
inconditionné de la loi morale. Celle-ci agit dans l’esprit à la fois comme étant la détermination formelle de l’action, la

OS H
détermination matérielle des possibilités, bénéfiques ou maléfiques, de l’action, et la détermination subjective du

RP EC
mobile de cette action, en influençant la sensibilité intérieure du sujet au moyen d’un sentiment susceptible d’infléchir
la volonté et de la subsumer sous la loi morale 99. Or, qui propose une condition en provenance du suprasensible
inconditionné énonce un surgissement spontané, puisque tout ce qui procède de la liberté constitue l’inauguration d’un

PU E R
état en l’absence d’une cause préalable qui en détermine l’apparition à l’intérieur d’une série causale 100. Or, la cause
qui transforme la loi morale en effort de la volonté, en vertu des prémisses de cette loi, tient nécessairement de cette
essence spontanée 101, puisqu’elle procède de la liberté et donc de l’adhésion éventuelle à la nécessité de l’impératif qui

CH S D
émane de l’intégrité opérante de la conscience judiciaire dûment émancipée, susceptible de sanctionner la validité de sa
propre opération, en vertu de l’héautonomie de la raison théorique, pure et pratique, illustrant à elle-même ses propres
lois. À cette seule condition peut-elle revendiquer d’illustrer la responsabilité morale pleine et entière.
AR FIN
On peut voir avec le respect un ressort moral indéniable. C’est sous l’effet d’une causalité subjective — que
représentent l’humiliation sensible de l’amour-propre et l’élévation intellectuelle de l’estime moral de soi — que le
SE À

respect fait son apparition cependant, en tant qu’il est un sentiment positif a priori. Celui-ci ne comporte par conséquent
aucun aspect objectif qui lui permette de revendiquer, à l’intérieur de la volonté, le statut d’être un facteur déterminant,
RE T,

lequel supporterait éventuellement l’explication du fait que les concepts de l’intérêt moral ou de la maxime puissent
exercer un effet mobilisateur de la volonté 102. Or, l’intérêt et la maxime étant relatifs uniquement à des êtres finis, ils ne
D EN

satisfont pas à la condition requise par la moralité suprasensible, de représenter exceptionnellement le sentiment d’une
vénération illimitée pour la loi morale pure, dépourvue de toute arrière-pensée [in der grenzenlosen Hochschätzung
AN M

[...], von allem Vorteil entblößten] 103. Or, le sentiment requis serait susceptible de susciter l’intérêt moral et le respect,
en même temps qu’il éveille la volonté, sans être à proprement parler ni l’un, ni l’autre. De plus, ce serait un sentiment
E LE

corrélatif à une Idée a priori, un sentiment pur de toute considération émanant de l’affectivité empirique et qui serait
donc indifférent à l’agrément (ou au désagrément) qui serait susceptible d’en résulter 104. Bref, non seulement serait-ce
US SEU

un sentiment moral, mais encore serait-ce le sentiment moral originel, l’archétype moral auquel se référeraient dans
leur genèse et leur participation essentielle tous les sentiments moraux.

Le sentiment moral recherché dépasserait la condition hétéronome du respect, susceptible uniquement de réagir
AL EL

devant ce qui dépasse l’entendement: il serait la raison de la possibilité d’agir librement, de manière autonome et
spontanée, par devoir et non pas uniquement en conformité à la déontologie. Il s’agit ainsi d’une action libre parce que
la loi morale librement assumée la prescrit à la raison autonome et que la raison réfléchissante en apprécie le bien-fondé
ON N

et assentit à celui-ci, au détriment de toute autre considération hétéronome, participant du registre naturel sensible de la
RS ON

réalité à laquelle l’héautonomie répond en réglant la conduite de la raison sur elle, en vertu de la qualité inhérente à
l’essence de la loi morale, et non, comme pour un sujet moral entièrement déterminé, en raison de l’hétéronomie
intérieurement éprouvée qui ferait du devoir une contrainte en raison de la crainte respectueuse que la sublimité de la loi
P E RS

morale impose à la personne. Car la contrainte peut aussi comporter une valeur primordiale pour le sujet, en raison
d’être imposée par la conjoncture naturelle, indicative de la réalisation du registre suprasensible à l’intérieur du monde
R PE

fini et sensible de la nature créée. Une telle constatation permet de postuler l’effectivité d’un éventuel immanentisme
théologique, lequel motiverait l’érection du devoir en Idéal suprasensible et objectif de la raison, mais s’articulant
FO E

97 EE, §xi; AK XX, 245-246; KU, Introduction, §ix; AK V, 197.


AG

98 KPV; AK V, 073, 076.


99 Idem, p. 075.
US

100 KRV; AK III, 363.


101 KPV; AK V, 078.
102 Idem, p. 079.
103 Idem.
104 Idem, p. 080.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 186 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

autour du principe judiciaire subjectif, fondé sur une espèce du sentiment moral seulement, plutôt que sur le sentiment
moral par excellence.

LY —
Même en provenance du sentiment moral commandé intérieurement, la valeur de la contrainte que reconnaît le
sujet moral au respect pour la sublimité de la loi morale l’expose à une hétéronomie qui enlève à la pureté suprasensible

ON CHE
de la raison autonome et spontanée. De plus, cette contrainte extérieure s’accommode mal de la loi morale qui
trouverait sa réalisation avec la spontanéité de l’enthousiasme, procédant de l’Idéal le plus pur auquel elle peut
prétendre atteindre sans présomption ni amour-propre et naissant avec cet lui, avec la quête désintéressée qui en
découvre le terme et le rapprochement progressif que le sujet moral en réalise par sa conduite et son action. Si on assiste

ES ER
à l’accomplissement de cette entéléchie, c’est en raison de la sublimité qui s’accorde malgré tout avec la possibilité la
plus noble et la plus digne du genre humain, qui est la fin finale de la création. Or, cette poursuite exige la plénitude de la
vie, puisqu’elle est l’unique condition de l’accession éventuelle au stade de l’entéléchie de la fin morale pleinement

OS H
réalisée, en raison de la complétude ontologique réelle requise du sujet moral, pour être imaginée par lui comme étant

RP EC
l’ultime possibilité effectivement réalisable pour la raison.

PU E R
Le devoir est l’expression de l’obligation devant laquelle toute personne se trouve de réaliser ses maximes.
Celles-ci étant entièrement inspirées par la loi morale et pleinement articulées sur elle, il suppose par conséquent la
possibilité d’anticiper un royaume moral, auquel chacun puisse participer, en tant qu’il en est un sujet législateur digne

CH S D
de respect. Cette condition importe à la réalisation en toute liberté de chaque personne mais cet accomplissement n’est
pas pour nier le rapport entretenu par la nature humaine créée à ce qui la subsume, l’autorité sacrée de la loi morale.
Cette loi se trouve donc à la confluence de la moralité et du religieux et elle se présente à la raison comme exigeant le
devoir de témoigner de l’amour envers l’Auteur de cette loi 105.
AR FIN
L’interprétation que Kant apporte à cet amour, c’est d’un amour qui ne revêt pas la condition pathologique
d’exprimer une inclination sensible à entrer en rapport avec Dieu, mais un amour pratique. On voit mal que l’amour
SE À

pratique puisse être ni libre, ni amour, puisqu’il enjoint le sujet moral à exécuter les commandements divins et à remplir
ses devoirs envers autrui 106, et qu’il suppose chez le sujet moral qu’il démontre la disposition requise pour mener cette
RE T,

entreprise au terme de son accomplissement. Car il procure une adhésion, autonome et spontanée à la fois, de la
D EN

subjectivité de la personne aux fins qui en procéderont en vue de réaliser l’Idée du Bien, ce qui sert d’indice probant à
l’exercice de la liberté effective et à l’entrée de l’amour pratique à l’intérieur de la sphère de l’héautonomie de la
personne. De plus, il prend l’aspect d’une heureuse complicité, ancrée dans la mutualité du sentiment, qui réunit deux
AN M

personnes ou plus, lorsqu’elles coopèrent à poursuivre activement et en toute réciprocité le Bien suprême, tel qu’il se
révèle à elles à l’intérieur du sens commun. Puisque la coopération en vue de la finalité déontologique ne saurait
E LE

s’accomplir en niant la reconnaissance de la finalité vitale des protagonistes, cela laisse entendre que l’amour s’adjoint
à la liberté qui est la condition fondamentale de la conservation et de la promotion de la vie. Qui plus est, la conjugaison
US SEU

de l’amour et de la liberté est proportionnée à une entéléchie suprême, puisque celle-ci prend la forme de la
reconnaissance, de la réalisation et de la perfection de l’humanité en chaque personne, considérée comme étant une fin
et non pas uniquement un moyen, comme en étant un membre législateur, vivant à l’intérieur d’un royaume de fins
sensibles et naturelles que fonde la raison suprasensible et vivante. Par conséquent, en tant qu’elle est un membre du
AL EL

genre humain qu’il concourt à réaliser, chaque personne morale est en droit de se considérer comme étant la fin finale
ultime de la nature créée en général. Cette finalité procure alors au sentiment un champ d’exercice pratique, qui ne peut
se satisfaire uniquement de l’inclination spirituelle mais requiert un engagement total de la disposition intime et vitale
ON N

afin de rencontrer toutes les formes que peuvent prendre les exigences de la raison.
RS ON

Or, autant la phylogénie que l’ontogénie humaines sont engagées à l’intérieur de l’aventure vaste et grandiose qui
suppose la continuité de la substance collective particulière, le sujet humain et personnel, le long d’une trajectoire qui,
P E RS

parce qu’elle concerne un être fini et limité, suppose un mouvement historique, néanmoins déterminé et positionné
entre deux termes par le principe intellectuel. Puisque cet être est doué de raison, l’histoire recrute à l’intérieur de sa
R PE

nature suprasensible les conditions du dépassement de sa propre condition et de l’amélioration de sa situation naturelle,
comme en témoigneront les réalisations culturelles, empreintes de sensibilité et de spiritualité qui parsèment la nature
en la transformant et qui sont attribuables à ses initiatives. Or, cette entéléchie implique une conjoncture pour laquelle
FO E

les forces et les énergies naturelles, autant écologiques que sociales, qui sont en présence participent à la conservation
AG

de l’espèce et en font la promotion, autant quant à sa perpétuation au plan de la phylogénie collective que dans la
préservation de l’ontogénie individuelle qui en fonde réellement la possibilité, puisqu’elle se réalise à l’intérieur des
natures subjectives, conscientes et rationnelles.
US

L’enjeu premier de l’entéléchie naturelle est clairement la vie, puisque sans celle-ci, ni la nature, ni son
déroulement ne seraient possibles, ni même actuels, du moins sous la forme que nous lui connaissons. Car la vie se

105 Idem, p. 082-083.


106 Idem, p. 083.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 187 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

réalise à la fois collectivement, à l’intérieur de la culture, et individuellement, avec les existences singulières et
particulières: elle est à la croisée du sensible et du suprasensible; elle a une origine, une destination et un parcours; elle
est naturelle, mais elle suppose l’Inconditionné comme à la fois fondant sa propre capacité à se constituer en condition

LY —
pour la nature sensible et procédant d’elle. La possibilité de la vie s’étend par conséquent sur un espace que délimitent
de part et d’autre le néant et l’infini, alors qu’elle aspire et vise à atteindre celui-ci, en poursuivant avec succès l’Idéal

ON CHE
qui se propose à la raison suprasensible, tout en risquant de commettre l’erreur irréparable qui lui fera sombrer dans
celui-là. Pour l’avertir soit de l’impraticabilité de l’un, telle que l’imagination peut l’entrevoir dans sa possibilité
actuelle, ou de l’imminence de l’autre, tel que le sens intime et mystérieux du pressentiment peut le lui révéler, ou
encore pour l’encourager à s’engager dans une direction qui, spécifiée à la raison pour elles et en raison d’elles, favorise

ES ER
la complémentarité harmonieuse de la phylogénie et de l’ontogénie, la conscience possède la capacité d’éprouver avec
le sentiment l’ensemble des illustrations réelles qui en affectent la condition et l’état, la réalité et la possibilité, pour les
réconcilier avec l’Idéal de la plénitude de la vie dont elle peut se rapprocher ou qui peut s’éclipser à chaque moment de

OS H
son activité judiciaire.

RP EC
Vue l’angle de la vie, ou plutôt sous lee regard qui en embrasse tous les horizons, la loi morale est intimement
associée à son essence et en favorise la plénitude, laquelle se vit à l’intérieur de l’âme comme elle se conçoit avec la

PU E R
raison. Elle sert un dessein dont l’extension de son objet et la complexité de ses dimensions sollicitent ensemble la
diversité sensible et un pouvoir suprasensible. Cette conjoncture associe d’une part la dynamique naturelle, dont la
puissance est illimitée à l’intérieur de l’expérience, sans être entièrement inconcevable lorsqu’elle est aperçue par

CH S D
l’entendement qui, en la réduisant à l’apparence qu’il peut en capter, la subsume sous la perspective humaine, et d’autre
part la capacité suprasensible à en surmonter les conditionnements avec l’autonomie et la spontanéité de la raison
agissante, dont l’héautonomie se recrute de manière tantôt déterminante et tantôt réfléchissante. La finalité rationnelle
AR FIN
se réalise alors avec la pose de son empreinte sur la matière inerte, conformément à l’aspiration générale à réaliser la
suprématie dont la législation rationnelle qui en procède réalise le meilleur bien possible, en gouvernant l’actualité
comme la virtualité, la nature sociale comme l’être personnel, de chaque sujet moral qui en réalise à la fois la nature et la
SE À
possibilité.
RE T,

Le coeur et la raison
D EN

Or, connaître ainsi la loi morale, c’est l’aimer, c’est-à-dire lui apporter spontanément et en toute liberté l’adhésion
héautonomique de la conscience, en tant que cette loi suprême est le gage de la présence du sujet moral au monde qui se
AN M

fonde sur la bonté de la disposition intime, lorsqu’elle autorise à tous les choix et fait confiance à toutes les possibilités,
aussi bien sensibles que suprasensibles, conditionnées que déterminantes, y compris celle qu’elle saurait
E LE

ultérieurement négliger de tendre vers le Bien suprême possible, et surtout se répercuter dans l’obligation qui pourrait
en procéder. Ce Bien est celui de réaliser pleinement sa destinée, pour l’homme intégral et unifié participant à tous les
plans de son ontogénie au mouvement phylogénique de l’humanité, en tant que cet homme est la fin finale ultime de la
US SEU

création, en vertu de la finalité qui requiert la complémentarité de la plénitude, à la fois de la vie à son fondement et du
principe de la raison engagée à réaliser son efficience complète. Car la nécessité de cette complémentarité repose sur
l’interdépendance des deux puissances suprasensibles se fondant sur des fins héautonomiques spécifiques, en
reconnaissance de ce que la raison est législatrice quant à la vie et que la vie sert de substrat substantiel dynamique à la
AL EL

raison. La raison voit en la vie la fin de son action, dont le principe originel, fondamental et effectif de sa possibilité
réside en la vie également, autant celle qui procrée la vie que celle qui la protège, qui assure pour elle une continuité et la
ON N

réalise selon la diversité de ses possibilités optimales. Ces virtualités trouvent leur expression vitale autant avec la
RS ON

pérennité phylogénique dont témoigne la culture et les moeurs qu’avec la précarité ontogénique qu’expriment la
créativité du génie et la responsabilité de la moralité, lorsqu’elles triomphent de la fragilité humaine qui en est le porteur
en vertu de la dimension spirituelle de sa raison. En tant qu’il révèle une disposition au Bien, dont la loi morale apparaît
P E RS

comme étant la forme la plus élevée, l’amour de la loi morale apparaît comme étant le sentiment moral par excellence,
autant avec la reconnaissance de la valeur inestimable de l’amour qu’avec la plénitude phylogénique et ontogénique de
la vie, avec la recherche active des maximes concrètes qui en procèdent, lesquelles permettent de réaliser la vitalité au
R PE

plan pratique, et avec la volonté de transformer les principes pratiques en conduites et en activités pratiques.
FO E

Le coeur est la cause naturelle de l’effectivité de la vertu, laquelle réalise le pouvoir moral de l’homme qui est
intime à la volonté 107, mais son efficace ne saurait se produire indépendamment de la dimension religieuse et/ou
AG

morale. Si le coeur représente en quelque sorte l’intelligence du jugement pratique, en appréhendant implicitement et
avant toute conceptualisation l’assentiment final qui avalisera la congruence des maximes avec la loi morale et leur
US

fidélité profonde à ses canons, afin de les voir se transformer en réalisations pratiques correspondantes, il appartient au
plan religieux de la foi qui transforme l’intimité du coeur dans son et le rend réceptif à l’influence surnaturelle de la
grâce 108. La Révélation qui fonde l’action historique de la foi sur le cours des événements positifs peut agir sur le coeur

107 STF; AK VII, 024.


108 Idem.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 188 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

des hommes, c’est-à-dire sur sa capacité à vouloir les aboutissants qui procèdent des principes énoncés par la foi, d’une
manière qui les rend imperméables aux arguments rationnels que la critique savante peut apporter comme preuves s’y
opposant 109.

LY —
Mais le plus souvent, le coeur et la raison s’accordent au nom de l’unité fondamentale de l’esprit [Gemüt], un

ON CHE
animus qui inclut dans l’extension de son concept [Inbegriff] toutes les représentations possibles de l’être humain,
autant celles qui concernent les pouvoirs de la connaissance (la théorie, le sentiment et le désir) que celles qui touchent
aux dimensions de sa nature particulière (le sensible et le suprasensible, i.e. la sensibilité et l’intellectualité rationnelle)
110
ainsi qu’à sa constitution originale.

ES ER
Ainsi, le coeur et l’esprit se conjuguent au sein du tempérament naturel de l’homme, que la bonté de son esprit rend

OS H
accommodant et que le sentiment dispose à réaliser le bien pratique, même avant la connaisance formelle des principes
a priori, clairement articulés par la raison renvoyant mutuellement plutôt au sentiment du plaisir ou du déplaisir

RP EC
sociaux, ressenti au plan des interactions entre des congénères, avant le désir qui ajoute l’objectivité bienfaisante de
l’action à la subjectivité plaisante du sentiment. Car si tous les deux, le sentiment et le désir, sont les expressions de la

PU E R
vie, celle-ci se réalise plus complètement lorsque la maxime et l’action sont effectivement appariés à l’intérieur de
l’expérience intime du sentiment seulement 111. Ainsi apparaît-il que le sentiment appartient autant à l’esprit critique du
complexe judiciaire qu’il est intimement lié au désir dans l’action, puisqu’il révèle leur portée respective sur la

CH S D
dimension vitale. Par ailleurs, la vitalité étant le principe héautonomique de l’insertion plénière de l’être-au-monde, elle
sollicite au plus haut point l’autonomie du sujet moral pour en réveiller l’héautonomie rationnelle et en réaliser aussi
complètement que possible la dimension suprasensible.
AR FIN
Or, le côté naturel de l’homme — et donc la disposition humaine à la moralité — n’explique pas tout, puisque la
perfection morale ajoute la dimension déontologique du devoir à l’inclination. Si le coeur est la source des actions, ce
qui peut lui être imputé appartient soit à la substance de la personne, comme archétype, étant inné et attribuable dès
SE À

l’origine à celle-ci, soit à son état moral, comme étant acquis 112, en raison d’une confluence des expériences subjective
[Erlebnis] et objective [Erfahrung]. Il en résulte par conséquent que, avec l’accomplissement du devoir, la disposition
RE T,

au bien peut constituer et initier la cause efficiente de la réalisation déontologique. Cette disposition serait alors
D EN

attribuable à la tension intérieure qui existe entre l’inclination qui favoriserait la rencontre du bien facultatif et le désir
qui requiert d’accomplir le bien obligatoire. Or seul celui-ci qui illustrerait proprement la moralité humaine, en
adoptant de réaliser, au plan déontologique, la fin bénéfique qui est en même temps une obligation.
AN M
E LE

Nonobstant que cette distinction tendrait à valoriser une certaine dissymétrie entre la disposition et l’effectivité,
entre la préférence et l’option que le devoir impose de choisir prioritairement, autant au point de vue social qu’au point
de vue psychologique, et verrait en la moralité la confirmation ou l’exhaussement de la disposition qui parvient à
US SEU

réaliser l’accord du désir avec la loi morale, on ne peut douter que toute action procède du coeur. Car il est le pouvoir
actif de la faculté de désirer qui, en s’illustrant au plan moral avec la réunion du sentiment et de l’action , réalise leur
mutualité et ainsi parvient à exprimer la vie de la manière la plus entière. Le sentiment et l’action conjugués
représentent alors la seule avenue légitime qui ouvre sur la plénitude de la vie, avec l’unité parfaite des pouvoirs de la
AL EL

connaissance, en réalisant suprêmement l’optimalisation de la complémentarité de leur rapport, dont la fin et le terme
sont l’entéléchie de la loi morale.
ON N

Dès lors que la bonté du coeur réussit à dépasser les confins du simple voeu, si ardent fût-il, et ainsi à éviter les
RS ON

pièges de l’amour-propre 113, pour s’associer à la bonté de l’entendement qui acquiert par là une dimension morale, il
parvient à fonder une véritable sodalité eudémonique. Ce faisant, il devient alors le moyen de l’effectivité sociale, en
P E RS

vertu d’une justice qui sait conserver le bonheur de ceux qui en sont dignes ou de l’accorder à ceux-ci lorsqu’ils en sont
privés 114.
R PE
FO E
AG

109 Idem, p. 061.


110 R. EISLER (1994), à l’article «Esprit [Gemüt]». p. 377. Nous n’avons pu retracer la source de cet extrait parmi
US

les textes du Kants Gesammelten Werke, à la référence précise vers laquelle le lecteur est orienté.
111 APH, Der Carakteristik. loc. cit.
112 Idem, §14; p. 441.
113 MAT, §15; AK VI, 441.
114 Idem, §52; p. 480-481.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 189 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

La faculté du coeur:
le sentiment et l’efficience morale
Qu’à l’instar de Pascal, le coeur soit une forme de l’intelligence pour Kant, voilà ce qui peut sembler osé comme

LY —
affirmation. Pourtant, voilà la seule conclusion qui s’impose, dès lors que l’on admette, comme présidant à l’essence du
coeur, le principe de la religion pure qui trouve son expression vitale avec l’intention morale pure du coeur, antérieure
aux prescriptions qui s’y trouveront inscrites subséquemment 115. Ces prescriptions précèdent donc en même temps le

ON CHE
libre arbitre de la volonté qui, sous l’impulsion du coeur, transformerait les désirs qui en sont la matière en actions
effectives. Cela est dire en même temps tout le poids que reçoit l’intention morale: car celle-ci révèle la nature de la
disposition originaire qui infuse la substance de la conscience personnelle, orientée non pas vers la connaissance de la
loi morale, des principes et des maximes qui en découlent, mais en vue d’en assumer la responsabilité et d’en faire la

ES ER
promotion effective. On retrouve là un naturalisme surprenant chez un rationaliste de la trempe de Kant, pour qui la
connaissance critique de l’a priori est primordiale à tous les plans (théorique, judiciaire, et pratique) de l’exercice

OS H
rationnel. Car à tous les principes rationnels a priori déjà énoncés, il ajoute maintenant un principe héautonomique

RP EC
primordial pour la réalisation de la personne — celui de la primauté de l’intention morale sur les prescriptions de la loi
morale —, que rend effectif l’adhésion pleine et entière de la raison personnelle à la loi morale et la conduite qui, étant
congruente avec la maxime, révèle cette attitude. Or, puisque cet engagement définit le plan religieux des consciences,

PU E R
le divorce de la moralité et de la religion s’avère factice, alors que celle-ci révèle une inclination fondamentale à relier la
dimension religieuse à un système de croyances qui fournisse les termes ultimes véridiques (les Idées et les Idéaux) de
la téléologie morale et en fonde la possibilité pratique au plan génétique du genre humain.

CH S D
La législation morale pure est la condition incontournable de toute vraie religion en général: or, cette législation
n’est rien d’autre que l’illustration de la volonté de Dieu 116 qui, étant identique à la forme suprême de la loi morale —
AR FIN
l’amour suprême de Dieu et celui du prochain comme soi-même 117— , s’identifie aux prescriptions du devoir,
puisqu’ensemble, la législation morale et la prescription déontologique sont inscrites originairement mais
différemment dans le coeur, par la raison pour celle-ci et par la volonté de Dieu pour celle-là. 118. En raison du rapport
SE À
existant entre le devoir et la législation morale comme d’un effet à sa cause, il y a donc lieu de voir en la possibilité de la
raison, grâce à laquelle la conscience accède à la prescription déontologique, la manifestation immanente de la volonté
RE T,

divine qui devient le logoV spermatikoV 119 de la loi morale à l’intérieur des consciences particulières. Mais qui plus
D EN

115 RGV; AK VI, 159.


AN M

116 Idem, p. 104.


E LE

117 KPV; AK V, 083.


118 RGV; AK VI, 084, 104.
US SEU

119 sperma, to: metaphorically, «the germ, origin, element of anything»; spermatikoV, h, on: metaphorically,
«containing the germ of things» [Liddell and Scott. op. cit., p. 1414]. — Si l’expression est empruntée aux
Stoïciens, comme le rapporte DIOGÈNE LAËRCE (1999) à son article sur Zénon [VII, 135, p. 870-871], les
différences entre la théorie stoïcienne et la théorie kantienne demeurent très marquées. § Il y a d’abord que pour
AL EL

les anciens Stoïciens, Dieu est la raison séminale immanente au monde [Idem] et elle engendre son évolution
historique à la manière d’un germe qui suit le cours de sa croissance et du mouvement propre à son
développement. Or, ceux-ci sont les synonymes du destin, lequel représente le cours inéluctable des choses, en
ON N

même temps qu’ils s’identifient à Dieu et à l’Intellect. De plus, il existe une hiérarchie de raisons séminales,
RS ON

pour lesquelles la raison séminale de Dieu représente l’Urtyp. Ainsi, le mouvement par lequel s’accomplit le
destin, et qui n’est nul autre que celui de l’Intellect divin, se produit par l’intermédiaire des raisons séminales
situées à un niveau inférieur qui, tout en possédant leur mouvement propre, trouvent néanmoins leur raison
P E RS

d’être avec les raisons séminales situées à un plan supérieur, lesquelles se rapportent ultimement à la raison
séminale suprême de Dieu [MOREAU. Op. cit., p. 169]. Les quatre éléments physiques archétypes des Anciens
R PE

sont les expressions de l’action créatrice du logoV spermatikoV divin [DIOGÈNE LAËRCE. Op. cit., p. 871].
§ Chez Kant, tout se passe au plan suprasensible de l’esprit alors que la moralité devient le terrain grâce auquel
les consciences particulières, qui sont autant de raisons séminales en puissance, participent à la raison séminale
FO E

de Dieu. De plus, l’essence suprasensible de la conscience et la volonté libre qui est le principe de sa possibilité
AG

morale, requièrent pour l’homme de penser le conceptde l’ens realissimum de Dieu comme étant celui du
principe de toute réalité, et donc de l’origine de tous les êtres du monde. Or, l’acte porteur de la Création serait
incompréhensible en l’absence de la volonté libre qui en est l’auteur [EVT; AK VIII, 400-401n]. § C’est donc
US

avec l’Inconditionné de la volonté libre que la nature suprasensible de la personne humaine trouve une
continuité essentielle qui la rapproche de la nature suprasensible de la Divinité. Celle-ci en étant le principe,
elle en serait en même temps l’Urtyp, auquel la conscience de l’homme participe en tant qu’elle en est issue et
qui autorise seulement à une connaissance pratique par analogie pour la conduite de la vie [Idem]. Par ailleurs,
ce qui est indéniable et dresse une frontière étanche entre la pensée de l’ancien Stoïcisme et la théorie
kantienne, c’est le principe de la liberté qui est au coeur de celle-ci. Ainsi pourrait-on dire que la troisième
Antinomie de la première Critique [KRV; AK III, 308/309 ss] représente le noeud philosophique de

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 190 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

est, l’aboutissement de cette action, qui confère à la faculté du coeur la possibilité d’une connaissance possible, est
rendu effectif uniquement en raison de la réceptivité active du coeur.

LY —
En découvrant et en accueillant la raison de la volonté divine, le coeur témoigne non seulement de l’intention
morale pure qui préside à son sentiment, mais encore de la liberté fondamentale réelle, dont l’élan est présent au sein de

ON CHE
la conscience, et qui, étant préalable à l’inscription morale originelle, manifeste une disposition naturelle qui est innée.
Ainsi assiste-t-on à deux manifestations de l’a priori: celui qui se sait à l’intérieur du coeur avant de se connaître à
l’intérieur de la raison et de celui qui se sait à l’intérieur de la conscience pour être reçu par le coeur et connu par la
raison. Le premier tient de la disposition originelle et appartient à la Vie; le second tient de l’archétype moral et

ES ER
appartient à l’Inconditionné du principe suprasensible. Or, c’est avec le mariage du coeur et de la raison que se réalise la
plénitude à la fois de la Vie et de la moralité, de la moralité en tant qu’elle est le moyen de la Vie et de la Vie en tant
qu’elle est la fin de la moralité, de sorte que vouloir la Vie, c’est vouloir la moralité qui la réalise et vouloir la moralité,

OS H
c’est accomplir la Vie qui lui procure son sens et sa signification.

RP EC
Or, la compréhension de ce point est capitale à l’explicitation complète de la naissance de la conscience morale,

PU E R
qui est nulle autre que celle du jugement auto-réflechissant du sujet. Comprenons d’abord que l’unité des pouvoirs de la
connaissance (la raison comme source de la théorie; le coeur comme source du désir; et la conscience comme source du
complexe synesthésique judiciaire, qui réunit dans l’harmonie les facultés synergiques et complémentaires de la raison

CH S D
et du sentiment) n’est pas dépourvue de finalité et qu’elle existe en vue de pourvoir moralement à la réalisation de
l’humanité. Cette unité assure que la vie de l’homme sera sainte et bonne, pour autant qu’elle se fonde sur l’effectivité
de la loi morale. La sublimité de cette loi étant la cause du sentiment du respect ressenti par la personne morale à son
AR FIN
égard, le respect devient en même temps le gage de la confiance éprouvée à l’égard d’un Être bienveillant qui en serait
le principe originel et qui, en contrepartie de cette fondation et de cette institution, exigerait de l’homme qu’il remplisse
un devoir fondamental suffisant. Cette situation fait naître par ailleurs l’opposition entre l’espérance en une vie bonne,
en raison de l’efficace de la loi morale que fonde la bienveillance de Dieu, et les exigences sévères de l’impératif
SE À

catégorique qui éprouvent sans cesse cette espérance, par l’Idéal élevé qu’elles brandissent sans cesse à la conscience,
comme étant perpétuellement irréalisé. La conscience morale naît de cette opposition, en obligeant la personne à se
RE T,

confier à son pouvoir héautonomique et à se constituer en juge de sa propre conduite, ce qu’il accomplit en mobilisant le
complexe judiciaire à cette fin et à comparer l’actualité de ses actions à l’idéalité de la loi morale, de manière à évaluer
D EN

leur suffisance ou leur insuffisance, eu égard au critère que fournit celle-ci 120.
AN M

Maintenant, la loi morale est une loi de l’amour: l’estime qu’elle reçoit naît par conséquent du respect qu’évoque
naturellement sa sublimité, lequel respect se trouve à l’origine d’une confiance en la bienveillance de Dieu, qui donne
E LE

alors tout à espérer quant au bonheur susceptible d’en résulter, dès lors que la morale est pleinement opérante à
l’intérieur des consciences et qu’elle fait sentir ses effets sur la culture de l’humanité. Mais pour que cela se fît, la
US SEU

réalisation du devoir doit satisfaire aux exigences sévères de cette loi. En d’autres mots, pour que soient remplies toutes
les promesses liées à l’intériorisation effective et opérante de la loi morale, lesquelles tiennent autant de l’ontogénie que
de la phylogénie humaines, puisqu’elle s’ancre dans l’individualité morale pour concourir à édifier l’histoire de la
liberté humaine, la personne morale doit non seulement pouvoir espérer en la légitimité de la loi morale et en son
AL EL

efficace réel et pur, mais encore doit-elle rencontrer les exigences implacables du devoir. Celles-ci requièrent la
constance de l’effort afin de satisfaire à leur sévérité et d’instaurer le règne naturel des fins que réalise chacun en sa
personne, laquelle participe à ce mouvement en réalisant la nature qui appartient à celle du genre humain.
ON N
RS ON

Puisque le coeur est le réceptacle de la loi morale de l’amour, en conformité avec l’intention pure qui le dispose à
l’accueillir; puisque la faculté du coeur tend vers la réalisation de cette loi, en démontrant sa disposition naturelle au
bien; puisque le coeur est la raison fondamentale de l’alchimie qui transforme la désirabilité de la loi morale en une
P E RS

syntonie épistémologique avec elle, pour servir à la découverte des maximes qui la réalisent, en raison de la nécessité de
la loi morale pour la réalisation de la phylogénie et de l’ontogénie du genre humain qui est la fin finale ultime de la
R PE

création, se résorbant en la plénitude de la vie, que conserve, promeut, perfectionne et dirige la raison; puisque le coeur
est susceptible d’apprécier, voir intimement et avant tout concept, autant la valeur théorique des maximes à réaliser que
la valeur effective des maximes sous leur forme réalisée, lorsqu’elles sont comparées aux exigences de la loi morale; et
FO E

puisque le coeur est visé par la loi morale, dont la réalisation suprême passe par le sentiment, grâce auquel l’amour de
AG

Dieu et du prochain devient réel et significatif et illustre qu’il est le seul qui est susceptible de se réaliser la justice
effective, consistant en l’adéquation de l’Idéal et de l’action que réalise la maxime, fondatrice du bonheur sur la dignité
inhérente au sujet véritablement moral; force nous est de conclure avec ces arguments que, tout en étant intimement
US

associé à la raison, grâce à laquelle on parvient à la connaissance de la loi morale, l’originalité essentielle du coeur
réside dans le fait qu’il est la faculté fondamentale du désir. Car il est la cause de toute poématique et de toute moralité
effectives, au même titre que la raison est la faculté fondamentale de toute connaissance, puisqu’elle est la cause a

l’opposition entre la pensée antique et la pensée chrétienne qui ouvre sur la pensée moderne.
120 Idem, p. 144-145.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 191 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

priori de toute théorie: naturelle quant au monde sensible; pratique quant aux moeurs et aux productions poématiques;
et judiciaire, quant aux jugements qui procèdent de ses champs réflexifs, quant à l’accession à l’universel par le
particulier, et déterminants, quant à la subsomption du particulier sous l’universel.

LY —
Le coeur est donc une puissance simple qui se situe dans l’intimité la plus profonde de la personne selon les deux

ON CHE
dimensions polaires, théorique et pratique ainsi qu’ontogénique et phylogénique, de la nature suprasensible de
l’homme: il est le lieu d’abord, à l’intérieur de la simplicité de la conscience, d’un intérêt indélébile pour la
connaissance pratique de la loi morale dûment intériorisée et à laquelle on reconnaît l’obligation absolue 121; il est le
siège ensuite d’un désir sincère de voir l’efficace de son action reconnu par une instance supérieure 122; il porte enfin

ES ER
l’empreinte métaphysique de la loi morale que fondent des principes solides et qui vise à l’amélioration véritable de
l’humanité, en vertu l’intelligence des concepts auxquels se réfèrent des intentions, dont la formulation est
proportionnée à la nature des devoirs auxquels ils donnent lieu, en vue du renouvellement de l’être, rendu divin et sacré

OS H
dorénavant avec l’actualisation que réalise celui-ci de la volonté divine 123.

RP EC
UNITÉ DE LA RAISON

PU E R
raison pratique raison théorique

coeur : moralité :: raison : vérité

CH S D
ANALOGIE V.2: Le coeur en tant qu’il est le facteur X de
AR FIN
l’humanité se réalisant pleinement à l’intérieur du règne des
fins, avec l’unité de la connaissance et de l’action des
personnes morales qui la composent.
SE À

Cette destination profondément métaphysique ne s’accomplit pas sans heurts ni difficultés, puisque la nature de
RE T,

l’homme ne saurait se comprendre autrement qu’avec la confluence du sensible et du suprasensible dont les fins
D EN

particulières ne sont pas toujours en harmonie, puisque l’autonomie entière de la personne à laquelle aspire par essence
le plan suprasensible se trouve continuellement compromise par les pressions et les tiraillements qui proviennent d’une
interaction constante du sujet avec le monde sensible. Or, la nature inerte trouve sa contrepartie, rehaussée et
AN M

profondément transformée par la nature hétérosensible de la Vie, avec la constitution organique finalisée de la personne
humaine, laquelle prend la forme de la sensibilité et de l’imagination qui renvoient toujours à la réalité de l’expérience
E LE

externe, malgré qu’elles soient elles-mêmes constitutives du sens interne du sujet et fassent formellement partie
prenante de l’univers suprasensible de la conscience. Pour cette raison, la tentation est toujours récurrente pour le coeur
US SEU

de céder aux inclinations contraires 124, étant tiraillé entre deux univers en interaction constante. Ceux-ci opposent à la
sublimité des sentiments moraux (l’amour du devoir, le respect pour la pureté de la loi morale et la sainteté de la vertu),
les considérations liées à la vie prosaïque, immédiate et contraignante, des pressions sociales, des intentions mondaine,
des mobiles hédonistes et des préoccupations sécuritaires, auxquels correspondent respectivement, lorsqu’elles sont
AL EL

surmontées par le plan suprasensible de la moralité effective, le sentiment du mérite, l’inclination au bonheur et le souci
de se conserver dans son état 125.
ON N

Le coeur humain est un microcosme, le reflet adéquat de l’humanité qui confronte sa possibilité autant aux
RS ON

conditions de la nature qu’aux exigences de l’esprit. D’une part, il y a le désir qui naît des affects et les représentations
imaginatives qui sont suscitées par lui, pour donner lieu à des Idées esthétiques improbables et fantaisistes qui ont une
valeur objective uniquement pour l’imagination, en raison de l’insuffisance des moyens pour en garantir la réalisation,
P E RS

et qui pour cette raison ne sauraient être retenues par la raison judiciaire 126. D’autre part, une susceptibilité émotive
analogue risque de s’opposer à la fermeté des principes, qui affirment la règle du devoir, le droit des hommes et le
R PE

sentiment moral du respect pour la dignité de l’humanité en chaque personne qui est à son fondement, et de négliger par
conséquent l’aspiration à recevoir et la quête de la faveur de l’Être suprême, en faisant preuve d’une irrésolution à
surmonter les penchants 127.
FO E
AG

121 Idem, p. 181.


122 Idem, p. 172.
US

123 Idem, p. 198n.


124 Idem.
125 Idem, p. 156.
126 KU, Einleitung, §iii; AK V, 177-178n.
127 Idem, §29A; p. 273.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 192 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

Ainsi, la disposition originaire au Bien qui caractérise l’intention morale pure devient continuellement confrontée,
à l’intérieur de la conscience d’une part à ses illusions et de l’autre à ses penchants. L’intention morale siège a priori à
l’intérieur de la faculté du coeur, en tant qu’il illusgtre un pouvoir moral et religieux distinct de la raison. Le pouvoir

LY —
moral s’ancre dans la vie et sert de fondement essentiel à la nature complexe, composée et complémentaire de toute
personne humaine, existant avant toute connaissance (spontanément inspirée, ou acquise dans l’expérience) et tout

ON CHE
exercice de l’arbitre, mais il est constamment confronté à une réalité fantasmatique qui procède du sentiment
esthétique. Celui-ci en vient à poser problème pour la loi morale, puisqu’il s’avère préjudiciable à la moralité
fondamentale qui est la clef de la perfection humaine et du progrès en vue du Bien. Cet obstacle ne survient pas
seulement en raison des possibilités dirimantes de l’imagination déréglée qui se représente, avec les impulsions du
sentiment, la justification ipso facto de leur propre valeur morale, sans référence à un principe a priori de la raison 128.

ES ER
Car on doit voir en la loi morale, non pas seulement une Idée qui inspire par sa sublimité et qui interpelle

OS H
uniquement en raison de celle-ci, puisqu’elle est susceptible de faire naître le respect à l’intérieur du coeur de chaque

RP EC
personne humaine, mais encore et surtout le gage de la réalisation phylogénique et ontogénique optimale, en raison de
matérialiser ce qui est l’intérêt le plus central de l’âme humaine et de la personne morale qui, sous l’oeil bienveillant de
la Providence, en assume l’entéléchie dans les deux sens du terme. C’est ainsi que la vie sous ses deux aspects, celui qui

PU E R
s’épanouit au sein de la nature sous la direction de la raison et celui qui a atteint le point culminant de la perfection avec
l’harmonie la plus totale de ses possibilités ontologiques réalisées, trouve son aboutissement au sein de la nature
pleinement civilisée.

CH S D
La vie s’articule autour de la dimension suprasensible de la réalité, en vertu de sa possibilité ontogénique et
AR FIN
phylogénique, tout en étant néanmoins susceptible de transcender l’actualité, de reconstituer un passé échu pour en tirer
les leçons qui s’imposent et, étant ainsi armée d’une résolution éclairée, de se projeter avec prudence et imagination
vers l’au-delà d’un futur non-encore complètement déterminé. Ce terme indéterminé situe la personne à l’intérieur d’un
mouvement historique effectif pour lequel la réalisation susceptible d’être accomplie est non seulement pressentie en
SE À

vertu de son éminente possibilité, mais encore se voit-elle éventuellement attestée par un accomplissement réel, qui
témoigne à la fois de l’efficience de l’habileté technique requise pour en assurer la production et de la justesse des
RE T,

facultés de la connaissance à anticiper effectivement sur ce qui est simplement possible, à défaut d’être universellement
désirable. Si les facultés de la connaissance orientent leur génie et leur action à réaliser une initiative poématique
D EN

originale, elles procureront à l’Idée esthétique porteuse de la finalité créatrice éventuelle, la règle qui en ordonne avec
originalité l’occasion à l’intérieur de l’univers de l’expérience sensible. L’effet de la règle devient alors susceptible
AN M

d’être entièrement éprouvé à l’intérieur du sens interne, avec la concrétisation de sa réalité esthétique et la valeur
morale susceptible de lui être attribuée, telles qu’elles sont appréhendées objectivement avec la faculté judiciaire et
E LE

ressenties subjectivement avec le sentiment moral qui en saisit la sublimité, puisque la règle elle-même serait inspirée
par la loi morale qui fait en même temps l’objet d’une dilection profonde. De plus, l’amour moral a le mérite de s’allier
US SEU

le respect qui l’ouvre entièrement à la possibilité et à la nécessité de la loi qui en est l’objet et par là se constituer en
mobile déontologique prédominant de la transformation qui réalise la moralité, en vertu de l’alchimie dynamique qui
associe dans l’unité des circonstances, les possibilités, les Idéaux, les maximes, les pouvoirs de la raison et les
virtualités de la vie.
AL EL

Le coeur est le pouvoir de la liberté intérieure, susceptible de faire appel à la résolution rationnelle pour l’aider à
surmonter l’importunité contraignante des inclinations 129. Cela étant, il devient l’ultime condition de la moralité,
ON N

puisqu’il est la raison de l’assentiment, i.e. l’unique et puissant ressort de la réceptivité à l’intérêt moral, de la
RS ON

représentation de la vertu, de la formulation des maximes morales et de la force agissante qui non seulement reconnaît
(parce qu’elle existe) l’éminente pureté des principes fondés par la loi morale, mais encore confère à celle-ci le moyen
d’en spécifier la réalisation avec la conduite qui la reflète et l’action qui lui donne corps 130.
P E RS

Puisqu’il est la source des sentiments et des désirs, le coeur est donc la faculté qui rend possible, en motivant la
R PE

pratique qui leur donne lieu, l’édification de la nature selon les Idées de la raison et par conséquent l’édification des
esprits [Gemüt] qui sont exposés à ses réalisations, en vertu des paramètres suprasensibles de la vie qu’infuse la loi
morale, laquelle devient, pour cette raison, la source agissante de toute pureté. Ainsi parvient-elle à purifier et à
FO E

exhausser les instincts, les penchants, les inclinations et les jouissances hétéronomes de la sensibilité, qui par
AG

conséquent ne s’érigent plus à l’encontre des principes suprasensibles de la raison, et sont alors amenés à se plier aux
exigences de la loi morale, avec l’association de la connaissance intime de ses principes fondamentaux — l’amour de
Dieu et du prochain — et de la foi inébranlable en sa valeur essentielle et inestimable, dont la fin et l’aboutissement sont
US

la plénitude de la vie. Ayant complètement intériorisé l’impératif et assumé le devoir qui en procède, le coeur motive la

128 KPV; AK V, 157.


129 Idem, p. 161.
130 Idem, p. 152-153.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 193 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

conscience à s’y rallier sans réserve et à se laisser pénétrer par la sublimité de son essence comme de sa fin, qui est la vie
se réalisant et en même temps se procurant à elle-même la plénitude de son état. Pour que cette expression ne
corresponde pas à un concept vide, la vie se réalise à l’intérieur de l’expérience sensible, que détermine et perfectionne

LY —
l’esprit et trouve l’attestation de sa réalité avec le témoignage du bonheur mutuel et complet des personnes et l’évidence
de l’harmonie institutionnelle intérieure des sociétés que caractérisent en même temps la mutualité réciproque et

ON CHE
l’esthétique accomplie et spirituellement significative de leurs sous-cultures, lesquelles se manifestent autant avec la
perfection de leurs réalisations qu’avec la pureté profonde de leurs moeurs.

Le désir et le sentiment

ES ER
Or, ce qui distingue le désir et le sentiment kantiens, c’est non pas qu’ils ont l’un et l’autre un principe a priori
distinct, puisqu’ils ont tous deux comme fondement a priori la finalité, mais que le premier révèle une complexité

OS H
déontologique, en voyant ajouter à son objet la condition de la nécessité à celle de la finalité. Cette complication fait du

RP EC
désir une spécification du sentiment, puisqu’il est lié au plaisir que prend l’esprit, non pas à l’accomplissement de
toutes les finalités possibles, mais simplement à celui des finalités qui sont en même temps morales, puisqu’elles
spécifient le devoir avec la maxime formulée conformément la loi morale et que le devoir est l’objet privilégié du désir,

PU E R
étant le seul qui illustre en même temps l’obligation. Aussi pourrait-on dire que d’une part, le sentiment esthétique est le
sentiment pris à une fin en tant qu’elle est simplement et réellement possible, en vertu de l’Idée esthétique qu’en
projette l’imagination, soit dans le monde imaginaire du rêve et du fantasme, soit dans le monde sensible des natures et

CH S D
des réalisations, pourvu qu’aucune illusion ou confusion ne procède de ce que l’on croit possible dans le second, ce qui
l’est simplement dans celui-là. Et que d’autre part, le sentiment qui est pris à une fin à la fois réellement possible et
nécessaire est un sentiment moral, lequel est un sentiment dont le plaisir s’enracine, non pas seulement avec
AR FIN
l’accomplissement de l’Idée esthétique, mais encore avec la réalisation en même temps de ce qui est le sine qua non de
l’engagement significatif de la personne morale dans son rapport au monde, lequel repose sur l’Idéal le plus élevé qui
soit, l’Idéal moral qui procède de l’Idée de la loi morale.
SE À

L’ajout de la nécessité comme étant la condition de l’action morale peut porter à confusion en tant qu’elle semble
RE T,

imposer une contrainte à l’autonomie de l’arbitre, un peu à la façon d’un obstacle apporté à la conscience ou d’une
injonction servie à celle-ci par une circonstance ou un agent extérieurs. Or, il n’en est rien puisque la nécessité dont il
D EN

s’agit présuppose la liberté du sujet et par conséquent l’autonomie de la raison ainsi que la spontanéité de l’imagination
qu’unifie et coordonne le pouvoir héautonomique de la conscience. Cette nécessité consiste en réalité à faire
AN M

l’observance de la loi morale et elle prend la forme de l’assentiment libre à une condition transcendantale, avec pour
résultat d’orienter l’action dans un sens déontologique qui en restreint la possibilité au nom du Bien servi seulement.
E LE

Cette subsomption comporte une finalité cependant, puisque le devoir participe à l’élévation de la phylogénie humaine
par une édification ontogénique librement assumée 131. Celle-ci produit un effet améliorant pour la culture en
fournissant une activité (une conduite ou une action) qui s’inscrit dans le sens de l’entéléchie morale de l’humanité. Ce
US SEU

faisant, elle illustre la perfection morale de la personne engagée sur cette voie, laquelle requiert la subsomption finalisée
de l’inclination sensible sous les maximes de la loi morale.
AL EL

Cela n’est pas dire pour autant que le sentiment esthétique est révélateur uniquement de l’hétéronomie qui est
propre au rapport du sujet au monde naturel, soit en fonction des conditions issues des circonstances et des événements,
soit en fonction des propensions et des dilections que celles-ci font surgir dans le sens interne et qui portent à agir d’une
ON N

façon qui contrarierait absolument ou relativement l’Idéal de la raison, y compris l’Idéal esthétique. Car celui-ci n’est
RS ON

pas dénué de la composante rationnelle, même s’il porte sur la matière sensible, laquelle opère sur la raison un effet de
résistance qui est de beaucoup plus grand que s’il s’agissait d’une activité (une pensée ou une conduite) ne se limitant
pas à une matière opaque. Encore qu’une telle observation serait juste uniquement si elle décrit une activité édifiante
P E RS

qui transforme les objets concrets reçus par les sens externes, sans égard pour l’effet d’entraînement parfois irrésistible
produit par les dynamiques puissantes mais occultes du sens intérieur. Ces éléments constituent alors une matière
invisible pour le travail de la raison et situent alors l’Idéal esthétique au plan de l’édification, non pas de la nature
R PE

sensible et, par elle, des esprits qu’elle impressionnerait, mais de la nature organisée, selon une technique qui requiert
un outillage différent et se fonde sur les ressources subjectives que sollicite l’expérience objective [Erfahrung], vécue
FO E

in foro externo à la limite actuelle de sa possibilité infinie, étant exacerbée par la multitude des interactions sociales qui
AG

se composent entre elles de manière imprévisible ou des conjnctures naturelles qui en émanent consécutivement. Ainsi
la poématique éducative se démarque-t-elle de la poématique artistique, sans toutefois pour autant l’exclure a priori, en
ce que l’art se résout avec une activité productrice, menant à des réalisations discrètes précises, souvent commandées
US

par un rapport plus immédiat et pressant à la société ou à la nature, alors que l’éducation agit directement mais le plus
souvent imperceptiblement sur l’héautonomie des facultés de la raison pour en exacerber à la fois les possibilités
respectives et la complétude de leur mutualité interactive, en vue de fonder le potentiel ontogénique particulier des
élèves à l’intérieur de la dynamique phylogénique.

131 Idem, p. 86-87.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 194 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

Car autant il est possible de concevoir la matière de l’Idéal esthétique comme appartenant au domaine de la nature
sensible, considéré comme étant un medium ou un artefact requérant une action transformatrice en vue de réaliser cet
Idéal, autant il est possible de la concevoir comme appartenant éventuellement au plan organique. L’art pédagogique

LY —
réalise alors la puissance de la vie de façon améliorante, soit de manière optative, soit de manière obligatoire, mais
toujours dans le sens de l’entéléchie vitale, laquelle ne saurait ignorer la loi morale, puisqu’elle en est la condition

ON CHE
nécessaire, en étant le principe formel original, et la fin suprême, vu que son instauration effective et pertinente vise un
Idéal qui participe de l’Inconditionné absolu de la liberté divine. Par ailleurs, elle choisit le meilleur sens qui s’offre à la
personne de pouvoir en réaliser l’effectivité, car il s’agit toujours d’un plan qui conditionne une matière en se moulant
sur l’Inconditionné, pour imposer une détermination, dont la pour fin est de réaliser le suprasensible autonome et

ES ER
spontané au sein de la nature sensible et mouvante, mais passible de recevoir l’empreinte de la raison théorique et
pratique.

OS H
Tout repose donc sur le passage de l’option à l’obligation, alors qu’il s’agit d’établir la distinction entre ce qui tient

RP EC
simplement du sentiment et ce qui appartient à la moralité, non pas au désir qui, en tant qu’il est un sentiment,
répondrait simplement à une inclination, un «goût» si rationnel fût-il, mais encore au désir qui assume le devoir de
réaliser un Idéal dont la nécessité librement considérée apparaît clairement à la conscience, puisqu’il réalise la loi

PU E R
morale objectivement connue et subjectivement intériorisée, en recevant l’aval du coeur. La clef de la solution à la
discontinuité apparente entre le sentiment esthétique et le sentiment moral, en raison précisément de la limitation
supposée de la liberté, lorsqu’au sentiment de ce qui pourrait être s’ajoute le devoir de produire cette fin, c’est de

CH S D
concevoir le sentiment comme étant la raison de la vie, dans le sens où le comprend Pascal dans son aphorisme fameux:
«Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point» 132.
AR FIN
Mais avant d’aborder ce point, faisons remarquer que, s’il existe un facteur de contrainte à l’intérieur du sentiment
moral, pour inciter au devoir accompli, un même facteur n’est pas sans exister avec le sentiment esthétique. Car ce qui
distingue les deux formes, judiciaire et déontologique, que prend le sentiment n’est pas la présence ou l’absence de
SE À

contrainte, mais la nature de la contrainte que l’on y retrouve, laquelle est hétéronome pour le sentiment esthétique et
autonome pour le sentiment moral. Car si le premier procède d’une association entre les dimensions du sensible
RE T,

imaginaire et du suprasensible spirituel, le second se réfère uniquement au plan suprasensible pour la connaissance du
principe a priori, à partir duquel dériver les maximes de l’action morale.
D EN

Puisque le sentiment esthétique naît du rapport entre le sujet et l’objet et de la médiation que leur apporte l’esprit,
AN M

et plus précisément les facultés de la connaissance, le sentiment révèle alors une passivité de l’esprit qui est préalable à
une éventuelle activité intellectuelle, un état que qualifient la nature, la nuance et le degré du sentiment suscité, que ce
E LE

soit le plaisir ou le déplaisir. En admettant que le sentiment soit positif et en supposant qu’une harmonie des facultés de
la connaissance caractérise la subjectivité reliée à ce rapport objectif — qui peut également concerner un objet
US SEU

transcendantal, tel qu’il se révèle à la mémoire, à l’imagerie du rêve ou au souvenir —, le jugement implicite qui en
résulte concourt avec la désirabilité de la situation qui évoque le sentiment et exprime si, oui ou non, cette situation est
passible de conduire au maintien de l’association subjective. Or, si la continuation du rapport subjectif à l’objet ne rend
évidente aucune interruption de l’activité, cette conséquence illustre, non pas l’absence d’une activité intellectuelle,
AL EL

mais la présence d’une telle activité sous la forme d’un jugement, celui de laisser se poursuivre le statu quo ante rem,
précisément parce qu’une telle direction est estimée répondre à une finalité organique. En ce cas, la finalité dont il s’agit
est le plaisir intellectuel associé au sentiment esthétique suscité par la conjoncture ambiante et éprouvé subjectivement
ON N

à l’intérieur de la conscience, lequel plaisir encourage à faire durer l’activité qui le produit, en l’absence d’une
RS ON

contrainte ou d’une influence, extérieures ou intérieures, qui commanderaient de la faire cesser ou de la faire évoluer
vers une autre activité. Or, une telle conjonction peut procéder uniquement en vertu pour l’activité d’affirmer la vitalité
du sujet moral, ou de renchérir sur elle, laquelle importe autant à la réalisation empirique de son être suprasensible qu’à
P E RS

celle de son être sensible tout court, lorsque cette ontogénie est mise au service de la phylogénie.
R PE

Mais qu’il y ait ou non absence de contrainte, cela n’empêche pas que l’hétéronomie empirique est présente, pour
servir de fond indispensable à l’expérience du sentiment esthétique. Ce qu’une telle situation signifie, c’est simplement
que l’hétéronomie susceptible de déboucher sur la réflexion ainsi que sur l’harmonie des facultés qui l’accompagne
FO E

avec le sentiment esthétique, ne contrarie pas la vitalité organique du sujet, telle qu’elle s’actualise et/ou qu’elle est
AG

susceptible de le faire, selon que la réalisation de sa possibilité est plus ou moins rapprochée, tout en favorisant la vie
intellectuelle de la raison et des facultés de la connaissance. Que survienne une autre condition, qui peut tout aussi bien
être intérieure (comme l’ennui ou la faim) qu’extérieure (comme une panne d’électricité ou la foudre qui s’abat sur un
US

édifice) et la situation qui définit le rapport subjectif à l’objet esthétique peut susciter un sentiment qui remet en
question la désirabilité de l’état existentiel sous lequel le sentiment esthétique précédant se présentait et plus
radicalement le motif vital de continuer ou de rompre l’association du sujet avec l’objet du sentiment. Une telle
possibilité s’avère d’autant plus probante qu’elle puisse résulter des choix et des activités moraux de la personne, sauf à

132 PASCAL (1991). Pensée 680. p. 467.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 195 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

remettre librement en question son appartenance continue à son champ ontogénique immédiat, au nom de l’Idéal
phylogénique qui serait servi avec ce sacrifice.

LY —
Or, si cette nouvelle conjoncture n’enlève rien à l’originalité de l’état subjectif de la conscience qui donne lieu à
l’harmonie de la réflexion, accompagnée du sentiment esthétique correspondant, elle illustre néanmoins l’hétéronomie

ON CHE
implicite qui détermine la passivité de l’affect, en reconnaissant la condition objective qui réalise cet état. Autour de la
fin servie se dessine un univers sentimental, puisque la réflexion peut donner cours à une activité sociale, menant à
l’échange et à la communication du sentiment, même si l’activité de l’esprit qui la produit est d’abord subjective. La
finalité poématique est entièrement hétéronome, dès lors qu’elle provienne d’une agence, d’un génie et d’une

ES ER
autonomie qui, lorsqu’ils expriment l’Idée esthétique, révèlent l’altérité du spectateur qui éprouve simplement pour elle
un sentiment esthétique, sans que celui-ci n’engage immédiatement le sens commun. Nonobstant cela, le plaisir qui
sera alors ressenti procédera de la rencontre de l’Idée objective et du jugement subjectif, en raison de la compatibilité

OS H
des expériences qui renvoie aux personnes respectives et qui confirme ou affirme la vitalité intellectuelle. Cela étant,

RP EC
l’expérience est estimée digne d’être poursuivie et peut-être même recherchée dans l’action.

PU E R
C’est avec la recherche de l’expérience que se découvre la dimension morale de l’expérience esthétique: si celle-ci
est simplement possible, puisqu’elle suscite un intérêt qu’il serait facultatif de combler, sans qu’une telle proposition ne
soit en aucune façon nuisible, cette expérience sera dite améliorante. Elle n’exercera au plan moral aucune contrainte

CH S D
apodictique intérieure, procédant du jugement de nécessité, même si une contrainte hypothétique facultative existe,
procédant d’une préférence pour telle activité plutôt que pour telle autre quant à une fin déontologique spécifique. Une
contrainte hypothético-technique, grâce à laquelle le sujet peut donner satisfaction à cette propension, viendra alors
AR FIN
composer et compléter la situation, laquelle possédera néanmoins des conséquences qui illustreront en quoi elle
s’affronte à l’expérience morale ou en quoi elle la poursuit. Car elle favorisera peut-être l’épanouissement de la
personne, ce qui représente la réalisation d’un devoir imparfait puisqu’il fait place à l’inclination 133, un devoir qui est
néanmoins susceptible d’être érigé en loi universelle de la nature, puisqu’elle vise, même de façon simplement
SE À

intellectuelle, le développement de ses possibilités 134.


RE T,

Le spectateur et le créateur
D EN

On peut évoquer aussi un cas où le sentiment esthétique éprouvé ressortit à l’agence du sujet moral en qui surgit la
spontanéité du sentiment, tout en supposant qu’il existe un rapport subjectif à un objet sensible. Il résulte d’une fin que
AN M

le sujet se donne à lui-même, conformément à la liberté qui est la sienne. C’est notamment le cas du sentiment éprouvé
par le maître d’oeuvre pour l’artefact qui est de sa conception. Selon cette conjoncture, le sentiment esthétique naît de
E LE

l’hétéronomie de l’artefact qui, en raison d’être parvenu au terme de son accomplissement, appartient désormais au
monde de la nature, puisqu’il est devenu une chose culturelle. Mais c’est une hétéronomie que l’agent poématique se
US SEU

donne à lui-même, en d’autres mots une hétéronomie qui procède de l’autonomie propre de l’artisan et qui se révèle à
l’intérieur de l’oeuvre qui est de son propre crû. Or, si l’expérience esthétique révèle en ce cas une certaine passivité
réflexive et judiciaire, elle se distingue néanmoins de celle qui procède de la position du simple spectateur. Car alors le
sentiment esthétique de l’artiste se rapporte à une finalité dont la critique repose, non pas sur le complexe du concept
AL EL

objectif et de l’imagination reproductive, quant à son éventuelle expression par tout autre que soi — une conjoncture
qui convient à la position du spectateur —, mais sur le complexe de l’Idée esthétique et de l’imagination productive,
alors que le sujet moral en accomplit l’expression éventuelle.
ON N
RS ON

Le contemplateur rapporte, en les comparant, l’actualité de l’oeuvre à sa possibilité, susceptible d’être imaginée
en évoquant une ou plusieurs expériences esthétiques d’un même genre, préalablement éprouvées dans la conscience,
lesquelles ont fait naître par le passé un concept contre lequel jauger toute expérience future. Le sentiment qui est ainsi
P E RS

vécu in foro interno porte sur une réalisation actuelle pour laquelle l’Idée exprimera soit une continuité, soit une
discontinuité, lorsqu’elle est reportée sur une tradition établie en l’esprit critique et sur l’expectative susceptible de s’y
R PE

adjoindre, quant à l’aspect et la qualité d’une oeuvre future et dont l’Idée constituera dorénavant le critère d’une
réalisation optimale. Si le spectateur en a une Idée préconçue en raison de la schématisation qu’il en fait, l’auteur de
l’oeuvre d’art quant à lui fonde son sentiment sur un jugement réflexif analogue, qui compare aussi l’actualité de
FO E

l’oeuvre à sa possibilité: mais plutôt que chercher à imiter un ectype préalablement réalisé, il aura alors à l’esprit un
AG

modèle, l’image d’un prototype qui est originellement la sienne et qui, étant entièrement originale, illustre
subjectivement une possibilité contre laquelle il opposera la représentation de sa propre réalisation, pour éprouver le
sentiment esthétique approprié à la fois au rendement qui l’a concrétisé, au génie qui a présidé à sa conception et la règle
US

qui en a précisé la réalisation.

133 GMS; AK IV, 421n.


134 Idem, p. 422-423.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 196 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

Bref, le contemplateur de l’oeuvre d’art se distingue de son auteur lorsqu’ils portent tous les deux un jugement sur
sa finalité objective, l’originalité de la création qui réalise l’entière possibilité de l’Idée esthétique, laquelle est en même
temps la finalité subjective de plaire grâce à la production qui s’ensuit, et partagent éventuellement dans l’espace public

LY —
le fruit de leurs réflexions et la nature du sentiment esthétique évoqué subjectivement avec cette expérience. Le tout se
produit à l’intérieur d’une continuité historique objective qui subsume l’histoire particulière de l’oeuvre, mais l’auteur

ON CHE
de cette oeuvre, lorsqu’il en fera l’appréciation, porte un jugement sur la finalité objective qui émane de sa propre
liberté et de sa propre héautonomie, alors que le contemplateur de l’oeuvre énoncera un jugement réflexif analogue,
portant sur la finalité qui procède de l’autonomie et la spontanéité d’autrui, tel qu’il est mesure de l’apprécier en
l’oeuvre qui les exprime. Dès lors que le sentiment esthétique porte sur un bien objectif, celui de l’objet qui est estimé

ES ER
valable en vertu de la poursuite de l’activité qui l’a produit, il illustrera deux attitudes judiciaires distinctes, lorsqu’il se
prononcera sur la valeur de ce bien: pour le spectateur, le jugement renverra à une totalité historique contre laquelle
figure cette oeuvre, dans la comparaison qui opposera celle-ci à toutes les oeuvres qui l’auront précédée; pour l’auteur,

OS H
l’évaluation partira de la singularité qui opposera cette oeuvre, en tant qu’elle se compare non pas à l’Idéal se rapportant

RP EC
immédiatement à une totalité, mais à l’Idée dont l’originalité fait la valeur de l’oeuvre, pour la distinguer a priori de la
totalité à l’intérieur de laquelle elle figurera éventuellement, puisqu’elle appartient au monde sensible des réalisations
poématiques. Ainsi, alors que le spectateur conviendra entièrement a posteriori de l’originalité de l’oeuvre et de la

PU E R
présence du génie auquel elle est attribuable, tout en fondant son jugement sur la capacité que possède l’oeuvre de plaire
subjectivement, mais d’une manière universelle, l’auteur par ailleurs fondera son travail sur une Idée esthétique qui est
originale a priori, puisqu’elle émane de son génie créatif singulier, et qui plaira a posteriori avec la réalisation qui est

CH S D
conforme au prototype préalablement imaginé.

Pour le spectateur, l’appréciation de l’oeuvre repose sur la technique judiciaire objective de la subordination, par
AR FIN
laquelle une oeuvre se trouve située plus ou moins avantageusement à l’intérieur d’un genre, qui le définira
éventuellement et auquel elle pourra peut-être même échapper. Mais pour l’auteur, l’estimation de l’oeuvre repose sur
la technique judiciaire subjective de la coordination, par laquelle toutes ses facultés de connaissance sont réunies en vue
SE À
de concourir à une finalité créative, laquelle unit l’action à l’intellection à l’intérieur de l’activité, en effectuant une
réalisation dont l’objectif est de rendre sensible une Idée esthétique originale — à défaut de quoi il s’agirait simplement
RE T,

de fournir une productivité et de réaliser par imitation l’ectype d’une oeuvre déjà réalisée. En illustrant l’acte autonome,
la raison fournit une règle au génie grâce à laquelle la conception idéale, née dans l’imagination qui préside à la création
D EN

poématique, peut retrouver une contrepartie sensible adéquate avec l’effort poématique réussi qui en résultera. Or, le
spectateur ne saurait se former une impression esthétique autonome de la chose artistique puisque sans l’oeuvre sur
AN M

laquelle porte son activité critique, il dépend de la liberté d’autrui pour exercer sa liberté judiciaire et illustre en cela
l’hétéronomie sur laquelle se fonde sa propre autonomie critique. Par contre, il revient à l’auteur de pouvoir exercer en
E LE

toute liberté sa propre faculté judiciaire, et de manière pleinement autonome, puisque son jugement critique dépend
uniquement, en ce qui concerne ses propres réalisations, de sa propre liberté créatrice et de sa capacité à initier et à
US SEU

mener à terme un projet dont l’actualité intellectuelle et sensible est entièrement de son ressort. Or, qui dit la liberté dit
la moralité, puisque l’autonomie et la spontanéité révéleraient une absurdité, dès lors qu’elles se produisissent en
l’absence d’une fin éventuellement bénéfique lato sensu et de la disposition à la réaliser qui est subjectivement
présente en sa personne.
AL EL

Si le spectateur et le créateur illustrent autant l’un que l’autre la faculté d’exprimer la liberté critique, c’est la
nature respective de leur activité judiciaire que distingue et différencie leur point de vue face à une même réalisation.
ON N

S’agissant du spectateur, celui-ci exerce son autonomie et sa spontanéité réflexives sur un objet hétéronome, lequel
RS ON

appartient au domaine de la nature au même titre que tout ce qui appartient à la nature ou qui en est issu. L’action qui
vient éventuellement compléter la réflexion critique du spectateur trouve une résolution avec le discours dont la finalité
est sociale, puisque la contribution du critique émane du sens commun et comporte des impressions subjectives ayant la
P E RS

prétention de posséder néanmoins une valeur universelle, sous la condition expresse et nécessaire qu’elles puisent aux
ressources du sens commun — un fonds linguistique, imaginaire, mnémonique, symbolique et axiologique que tous les
R PE

hommes ont collectivement en partage — et contribuent à l’enrichir par l’originalité du jugement, à leur extension, et la
justesse du propos, quant à leur profondeur. S’agissant du créateur, celui-ci exerce son autonomie et sa spontanéité par
l’entremise d’une capacité déterminante, en lui attribuant une finalité créatrice qui porte sur un objet hétéronome
FO E

(appartenant également à la nature) et qui définit son action sur lui. Une réflexion concluante vient compléter son
AG

activité poématique, à l’effet que la réalisation sur laquelle elle porte est inédite et elle accomplit donc une fin originale,
dont l’intuition de la possibilité émane de son intellect suprasensible (et en particulier de son imagination), en vue de
contribuer au fonds du sens commun en l’élargissant et en l’édifiant. C’est un fonds auquel dorénavant tous pourront
US

puiser, sans omettre pourtant d’accorder une reconnaissance légitime à l’auteur, sans lequel l’oeuvre n’aurait jamais pu
être réalisée, avec le talent, le génie et l’effort mis à contribution pour mener le projet à terme et dont la dignité
fondamentale à titre de personne morale se manifeste à travers elle.

Deux conceptions poématiques du Bien distinguent le critique et l’artiste: le bien sur lequel débouche la liberté du
spectateur est le discours, lequel porte sur l’Idée originale esthétique, pensée et réalisée par autrui, alors que celui sur
lequel ouvre la liberté de l’artiste est l’entéléchie d’une oeuvre dont celui-ci peut revendiquer en toute légitimité à la

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 197 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

fois la conception et la réalisation. Dès lors que, avec la moralité, le sentiment moral suppose un devoir, l’action du
spectateur (lequel peut aussi faire preuve de créativité à l’intérieur de sa propre discursivité critique) comme celle du
créateur seront morales, en autant que leurs actions respectives seront conformes à la loi morale. Ainsi, le désir, qui

LY —
réunit le sentiment qui est la source du plaisir éprouvé dans la réflexion et l’action qui est la source du plaisir dans
l’objet de la réflexion, aura pour effet de réaliser une maxime qui témoigne de la loi morale. Car si le sentiment

ON CHE
révélateur d’un plaisir ou d’un déplaisir ne saurait être intégralement moral, puisqu’alors il révèle simplement un état
subjectif intime qui est en même temps une puissance de l’âme, c’est lorsque cette puissance initie une transformation
héautonomique, qui la voit passer de la disposition qu’elle révèle avec le désir jusqu’à l’activité à laquelle elle aboutit
avec la volonté, qu’elle appartient pleinement et réellement à la sphère de la moralité. C’est dire aussi que le complexe

ES ER
boulétique du sentiment et de l’action ne saurait être dénué de moralité, lorsqu’il se réalise d’une manière concertée et
objective, en raison même de la teneur morale de la finalité qui est révélée par lui, même en l’absence d’une
spécification expresse en ce sens. Car dès lors qu’une action tend au bien en général, en vertu de la finalité que cette

OS H
tension implique, la possibilité du plus grand bien possible se trouve implicitement évoquée. Or, c’est avec la loi morale

RP EC
que le Bien suprême trouve une entéléchie qui est à la hauteur de son essence superlative.

Cela n’est pas dire cependant que le sentiment se dissocie entièrement de la moralité. Car c’est en tant qu’un objet

PU E R
plaît ou déplaît subjectivement à la personne qu’il est éventuellement susceptible de produire un désir correspondant. Si
celui-ci est tout-à-fait compatible avec le devoir, l’action qui en résulte sera alors entièrement et spontanément
congruent avec le sentiment sous-jacent. Le problème surgit lorsque cette compatibilité est inexistente, lorsque le

CH S D
sentiment, pour quelque raison que ce soit, s’oppose au désir de sorte que, en cédant sans réserve au sentiment, le sujet
moral se trouverait à bafouer sérieusement le devoir avec l’action résultante 135. Si le devoir tel qu’il est connu est un
devoir pur, s’il réalise la plénitude de la loi morale par amour pour celle-ci, en réalisant la congruence avec la maxime
AR FIN
qui la spécifie, la subsomption du sentiment sous le devoir affirmera le principe de la primauté phylogénique de la
perpétuation de l’humanité au plan de son histoire et de sa culture sur les inclinations ontogéniques immédiates de
l’humanité dans le sujet, pour autant que cette subsomption révélât la plénitude de la vitalité dans l’actualité du
SE À
moment. La conscience de la personne ayant ainsi intériorisé sa responsabilité, elle signifiera être dirigée par une
conception qui accorde la priorité à la vie collective sur la vie singulière. Cette orientation se fera en reconnaissance du
RE T,

bien-fondé du principe qui veuille que c’est avec et par la perfection formelle de la phylogénie que la perfection
spirituelle et matérielle de l’ontogénie trouve l’entière possibilité de son plein épanouissement, avec la culmination que
D EN

représente la plénitude de la vie et la possibilité qu’elle révèle alors pour tous d’en éprouver les bienfaits, puisque
chacun y aura participé en témoignant d’une intention désintéressée et d’un effort généreux. Plus encore, la priorité de
AN M

la phylogénie affirme en même temps que la rédemption de son incomplétude ou de sa corruption formelles, le cas
échéant, passe nécessairement par le sacrifice librement consenti des ontogénies particulières, lequel produit par cette
E LE

action l’édification spirituelle des congénères qui sont les témoins de cette immolation, dont l’exemple est la preuve
suprême de sa valeur morale. Étant les témoins de cette geste, directement ou par le truchement de la communication,
US SEU

leur métamorphose spirituelle passera par le jugement esthético-moral ainsi que par le sentiment susceptible d’en
procéder, et rétablira la pureté et la perfection requises du mouvement ontogénique, avec le franchissement d’un seuil
critique à l’intérieur de la conscience, pour que la finalité ontogénique rejoigne la finalité requise par une phylogénie
qui se perpétue, s’accroît et se perfectionne avec la réalisation de sa forme vitale.
AL EL
ON N
RS ON

135 La seule exception à cette règle pourrait se trouver à l’intérieur de la relation amoureuse, précisément parce que
le devoir et l’amour y sont si intimement mélangés, pour se fonder mutuellement. Puisqu’à l’intérieur du
couple, tout repose sur l’amour qui est aussi un devoir, et le devoir qui est aussi un amour, en dérogeant à l’un,
P E RS

le couple déroge à l’autre. Car c’est en vertu du sentiment que le couple s’est constitué, en témoignage de la
vitalité mutuelle intégrale que les amoureux professent l’un à l’égard de l’autre, lequel est le premier fondement
R PE

de leur devoir en tant qu’ils forment un couple. Or, en vertu de la primauté du suprasensible sur le sensible et du
pratique sur le théorique, il s’agira de la vitalité qui affirme pleinement la dimension suprasensible des
personnes et qui s’ancre entièrement à l’intérieur de l’expérience [Erfahrung] objective. Ainsi, chacun est
FO E

membres du couple témoignera de l’amour qui n’est pas pathologique, au sens de Kant, et de le réaliser au plan
AG

de la déontologie qui se traduit concrètement en gestes, par l’intermédiaire des maximes. § Le devoir du couple
est donc avant tout un devoir d’amour, celui de le nourrir et de l’entretenir en vertu de sa dimension
suprasensible et de sa réalisation pratique. Si le devoir en vient à prendre une autre forme, en tant qu’il révèle
US

une composante sociale, en raison des rapports entretenus par le couple avec le monde ambiant, pour rencontrer
les exigences qui en procèdent, c’est en tant que ce devoir n’entre pas en conflit avec la dimension
suprasensible avérée du sentiment, c’est-à-dire la vie du couple, que ce devoir sera estimé légitime. Par contre,
lorsque le devoir lie le couple en tant qu’il constitue un couple, il obéirait alors aux mêmes impératifs que tout
devoir, individuel ou collectif, à savoir de subsumer ses maximes sous la loi morale en accordant une priorité au
suprasensible sur le sensible (le principe de spiritualité) et au pratique sur le théorique (le principe de vérité
morale).

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 198 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

Ainsi s’avère et se confirme au plus haut point le principe du sentiment comme étant la raison de la vie, en ce que,
lorsqu’elle commande au sentiment de manière simplement hypothétique — par exemple, en n’étant pas formellement
reconnue par le corps politique comme étant le principe fondateur de tout droit et de toute législation qui en procéderait

LY —
—, la loi morale amène à établir une démarcation entre ceux qui reconnaîtront à la nécessité logique et morale de
s’autoriser à vivre, à s’épanouir et à exprimer leur amour pour la loi morale, qui est nulle autre que l’amour de

ON CHE
l’humanité en chaque personne, et ceux qui refuseront sciemment à exprimer un tel engagement. Cette nécessité est la
condition sine qua non qui assure la perpétuation et la progression phylogéniques optimales et qui constitue en même
temps la garantie de la possibilité que s’épanouisse la plénitude de la possibilité ontogénique. Celle-ci étant
suprêmement la Vie, elle trouve son expression héautonomique avec les pouvoirs de la raison qui recrutent en

ES ER
eux-mêmes la possibilité de leur activité, sciemment, lucidement et en toute liberté, et opèrent conjointement et
harmonieusement à faire l’acquisition de la connaissance, à laisser exprimer le sentiment judiciaire qui naît et s’active
in foro interno et à réaliser le désir bien compris.

OS H
RP EC
Or, puisque la connaissance qui est adéquate à la plénitude de l’essence illustre la vérité; que l’aperception qui est
conforme à la plénitude de l’existence contemple la beauté; et que le désir, en fondant le devoir sur loi morale et en
réalisant la plénitude de l’essence et de l’existence, exprime et manifeste la bonté; c’est avec la perfection que, en

PU E R
associant la vérité, la bonté et la beauté de manière intime, complémentaire et mutuelle, se réalise la plénitude de la vie.
Car celle-ci se fonde à la fois sur la connaissance, le sentiment et l’action et elle passe prioritairement par la réalisation
de la phylogénie et la subsomption de l’ontogénie (mathématique et dynamique) sous cette entéléchie, laquelle seule est

CH S D
susceptible d’assurer que la possibilité sera adéquate à sa promesse. Or, sans l’inclusion du suprasensible à l’intérieur
du règne du sensible et sans la sublimité qui, procédant du complexe judiciaire, en vient à caractériser l’infinité
incommensurable et la puissance illimitée de la nature à l’intérieur de l’expérience subjective du sentiment, aucune
AR FIN
possibilité n’existerait pour la conscience de concevoir l’infinité mathématique ou la tout-puissance dynamique comme
étant les concept fondamentaux de l’Inconditionné et comme résumant l’Idéal du possible en général, et de recevoir
l’incitation à réaliser cet Idéal avec les choix que le sujet moral serait susceptible d’actualiser de manière optimale .
SE À

Tel est le sens de la confluence du sentiment et de la raison à l’intérieur du coeur, avec l’action par laquelle le coeur
RE T,

imprime une effectivité à la possibilité qu’entrevoit la raison. Cette réalisation s’extériorise d’abord en fonction
d’autrui, en vertu de la conscience que la puissance pratique existe réellement pour la raison pure. Car le pouvoir
D EN

pratique se fonde sur la représentation du devoir que seule peut adéquatement et pleinement justifier la moralité pure.
Celle-ci autorise alors à concevoir la législation qui en procède comme étant à la hauteur de son principe et qui par
AN M

conséquent ne consent pas à ce que celui-ci ne subisse aucune façon l’influence de considérations empiriques, sauf en
ce qu’elle doit reconnaître la nécessité de composer avec la matière étendue et concrète de la nature sensible. C’est une
E LE

législation qui trouve au fondement de son pouvoir la puissance éminemment plus sublime et subtile de la dimension
suprasensible. Or, le suprasensible appartient non seulement à l’archétype de la moralité, mais encore à celui de la
US SEU

nature; il est par conséquent le gage de l’union complémentaire de l’Inconditionné et du conditionné, de l’essence
spirituelle et de la nature sensible, à l’intérieur de la raison de la personne humaine. Tout en trouvant son inspiration
avec l’Idée, le sujet moral parvient à réaliser celle-ci au plan de la nature sensible, conformément au principe de vie qui
est le principe de l’unité au fondement de l’entéléchie naturelle, quant à sa possibilité autant de recevoir une fin que d’en
AL EL

assurer la réalisation. Sans le sentiment donc, nulle possibilité n’existerait d’apprécier ce qui est la raison de la raison, à
savoir la vie, autant avec l’illustration de sa possibilité qu’avec la reconnaissance de son éventuelle plénitude,
susceptible de procéder de cette entéléchie.
ON N
RS ON

ANALYTICAL TABLE
Morality and the Good
P E RS

Kantian moral sentiment relates to respect rather than to Act and Love. — Distinction between ken (immediate
cognizance) and knowledge (mediate cognizance), as they relate to Act. — The genetic effect of the heteronomy
R PE

following from feeling. — The legitimate ontologeny. — The transcendental role of the soul. — Furthering the Kantian
concept of respect. — The role of Love and Will. — The two forms of desire. — Goodness and happiness as necessary
rational concepts. — The psychic and the noetic subject. — The precedence of pursuing a moral end over the quest for
the experience of feeling. — The goodness of the Will. — Moral law as the supreme Good. — Feeling and moral action.
FO E

— An eventual moral complex. — The prevalence of the moral law. — The interest of reason over the interest of
AG

sensibility. — The Kantian conception of Love. — Goodness and enthusiasm. — The aesthetical value of Ideas. —
Love of the Good. — Artistic purposiveness. — The purposiveness of Knowledge. — The concept of ens realissimum.
— Feeling as the transformation of the subjective inner state. — The goodness of purpose. — Purpose, judgment, and
US

the Will. — The goodness of purpose in the moral subject. — Four aspects of the Good. — The a priori concept of the
Good. — The categorical imperative as the highest foundation of the moral law. — The Will as the practical reason. —
Duty as revealing the morality and freedom of the person.— The exigency of duty.— Fullness of freedom and the unity
of reason.— The power to transform the principles of practical reason into the determinacy of action.
Irrational aspects of morality
The insufficiency of Kant’s theory as it relates to moral action. — The concept of virtue. — Two forms of respect:
heteronomous and autonomous. — Self-esteem and reasonable self-love. — The anthropological dimension of reason.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 199 de 302 ...


LE COEUR ET LE SENTIMENT

— The deontological complex. — The socialization of instinct. — The concept of personality. — Respect as a
problematic moral feeling. — Respect as opposed to self-love. — Unconditioned self-love and the maxims of the moral
law. — The compatibility of supreme moral subjective states. — The desirability of such a compatibility. — The

LY —
unifying concept of intellectual virtue. — Two forms of action relative to duty. — The power to realize maxims.
The moral intimate power of the heart

ON CHE
Phenomenal and noumenal virtue. — The heart as the transcendental moral cause. — Prejudice as expressing
rational heteronomy. — The heart as a dynamic moral cause. — The heart as a symbol of ineffability.
Ontogeny: the personal dimension of the heart

ES ER
The heart as the inner disposition which unites wisdom and joy. — The Epicurean theory of pleasure. — Heart and
nature. — Heart as the principle of virtue.

OS H
Phylogeny: the human dimension of the heart

RP EC
The heart as an irrational disposition. — The practical inadequacy of respect. — A progression in Kant’s thinking
relative to moral feeling.

PU E R
The archetype of moral feeling
The feeling of respect in the KU. — The requirement of a supersensible moral force. — Respect as such a force. —
Respect as an insufficient feeling in its relationship to the moral law. — The search for a moral feeling grounded in the

CH S D
principles of pure freedom and the fullness of life. — The duty of love. — The human adventure. — Life as the essential
stake of history. — The moral law and the essence of life.
Heart and reason
AR FIN
Knowledge and love equate with respect for the moral law. — The heart as the natural cause of the effectivity of
virtue. — Gemüt as the unifying principle of the heart and of reason. — The insufficiency of the moral disposition for
achieving moral perfection. — The heart as the genetic cause of action. — The heart as realizing the social effectivity of
SE À
morality.
The faculty of the heart: feeling and moral efficiency
RE T,

The heart as a form of intelligence. — The heart as the seat of morality. — Moral consciousness. — Moral law as
D EN

the law of love. — The heart as a fundamental faculty. — The heart as belonging to the supersensible nature of
humanity. — The heart as vulnerable to heteronomous moral principles. — Illusions and inclinations as opposed to
pure moral intentions. — The heart as the necessary cause for the realization of the moral Idea. — The dynamic
AN M

complex of morality. — The heart as an interior power of freedom. — The heart as the moral power of genius.
E LE

Desire and feeling


The Kantian distinction between desire and feeling. — Necessity and autonomy. — Aesthetic feeling and the
aesthetic Idea. — The aesthetic Idea as belonging to the organic plane. — Feeling as the reason of life. — Constraint as
US SEU

stemming from both moral and aesthetic feeling. — Judgment as an active power. — The consideration of life as
omnipresent, even in empirically heteronomous situations. — The originality of the subjective state of reflection. —
The moral quest for active experience.
The spectator and the creator
AL EL

Agency and aesthetic feeling. — A comparison between the aesthetic feeling of the spectator and that of the
creator. — The nature of purposiveness. — The nature of the judicial technic. — The nature of freedom. — Different
ON N

conceptions of the poematic Good. — Morality and freedom as they relate to the poematic context. — Feeling as the
reason of life revisited. — The heart as realizing the confluence of feeling and reason. — Life as the reason of reason.
RS ON

*
**
P E RS
R PE
FO E
AG
US

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 200 de 302 ...


CHAPÎTRE VI
LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

LY —
«... pour ce qui est de la connaissance intuitive, in concreto,

ON CHE
chaque homme trouve en soi-mLme par la conscience
toutes les vérités philosophiques; mais de les traduire
en savoir abstrait; de les soumettre B la réflexion,

ES ER
voilB l’affaire de la philosophie; elle n’est doit pas,
elle n’en peut pas avoir d’autres.»

OS H
RP EC
«Traduire l’essence de l’univers en concepts abstraits,
généreux et clairs, en donner une image réfléchie
mais stable, toujours B notre disposition et résidant en notre raison,

PU E R
voilB ce que doit, voilB tout ce que doit la philosophie.»
[A. SCHOPENHAUER 1.]

CH S D
Le respect, une condition nécessaire
mais non suffisante de la moralité
AR FIN
Deux facteurs servent à assurer la reconnaissance effective de la légitimité de la primauté de la loi morale sur les
considérations sensibles. D’une part, la conscience que la personne possède de sa dignité, puisqu’elle participe à la
dimension suprasensible des choses avec sa raison pure. Ce sentiment l’empêchera de se laisser influencer, dans la
SE À

mesure du possible, par des considérations empiriques qui somme tout sont pour l’essentielle secondaires au plan de
l’esprit: car elles comportent d’abord une valeur pour la sensibilité et elles s’opposent à l’intérêt de l’esprit de constituer
RE T,

pour le coeur un mobile prépondérant dans l’activation spontanée des possibilités organiques du sujet moral, lorsqu’il
D EN

entre en rapport avec le monde sensible 2. D’autre part, la sympathie ressentie à l’égard du sort dévolu à autrui reconnaît
à la loi morale, ainsi qu’au devoir assumé à la réaliser, la valeur suprêmement prépondérante: elle se transforme alors en
bienveillance à l’égard de l’être d’autrui 3, une inclination qui, si ardente et profonde fût-elle, risquerait de se voir
AN M

confinée au plan du simple voeu et de sa formulation, en vertu de l’amour-propre qui persiste à ne pas évoluer en estime
morale de soi, dès lors que la loi morale est située à l’arrière-plan des considérations judiciaires du sujet 4.
E LE

La dignité morale qui ne repose sur aucune valeur essentielle, sur aucune fin qui soit jugée désirable, qu’elle soit
US SEU

réellement accomplie ou simplement possible, et sur aucun agent susceptible de la réaliser, serait à la fois futile et vaine.
Or, seul l’Inconditionné complètement réalisé peut prétendre conférer une dignité complète à son auteur, puisqu’il
fonde la valeur de toute chose avec la puissance législatrice qui l’amène à terme et qu’il affirme alors l’enséité d’une
perfection, en l’absence de laquelle toute prétention à recevoir la reponnaissance de la dignité serait nulle et non
AL EL

avenue, car elle peut se mériter seulement avec l’effectivité réelle procurée à la fin projetée. Or, puisqu’il participe de
l’Inconditionné, le pouvoir de légiférer en vue de réaliser la valeur de toute chose ne saurait recevoir une
ON N

reconnaissance moindre que la possession d’une valeur incomparable, un état qui est susceptible de mériter le plus
grand des respects à cette capacité suprasensible. L’autonomie du sujet moral et rationnel, susceptible de légiférer à
RS ON

l’exclusion de tout objet sensible et d’engendrer spontanément l’action réglée qui en témoigne à l’intérieur de la
conscience, exprime un pouvoir qui est au fondement à la fois de sa dignité et de sa valeur ultime, en tant que
précisément, il est la fin finale de la nature. Car seule l’humanité en la personne morale de chacun saint exprimer la
P E RS

plénitude de l’héautonomie et peut se donner à elle-même une loi morale qui soit supérieure à toute autre considération,
et imposer sa loi aux autres choses (organiques et inertes) de la nature 5.
R PE

En cédant à l’hétéronomie qui brime la pleine entéléchie de l’autonomie suprasensible, la personne nierait en
même temps sa nature nouménale et déprécierait ce qui en soi est estimable au-delà de tout prix, la valeur intérieure
FO E

absolue d’une puissance morale qui lui mérite le respect de ses congénères raisonnables, avec la mutualité de la
AG

Le monde comme volonté et comme représentation. (trad. de l’all. par A. Burdeau). IV, 68. PUF. Paris, 2006.
US

1
pp. 481, 482.
2 GMS; AK IV, 410-411.
3 Idem, p. 398-399.
4 MAT, §15; AK VI, 441.
5 GMS; AK IV, 436.

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LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

reconnaissance qui caractérise la réciprocité de leur commerce 6. Ce faisant, il se refuserait à lui-même d’accéder à la
dignité morale qui lui est au départ promise, s’il consent à exercer pleinement sa capacité rationnelle (aux trois plans de
sa raison théorique, judiciaire et pratique). Tout l’intérêt du sujet moral réside donc dans la préservation du sentiment

LY —
qui est au fondement de son appartenance sociale, c’est-à-dire le respect qu’il inspire à autrui, puisqu’il se révèle être un
être nouménal et le membre du règne des fins, au même titre que tout autre membre du genre humain. Ce respect sera

ON CHE
d’autant plus grand que le sujet moral se distingue effectivement de ses congénères, puisqu’il réalise de manière
éminente la dimension suprasensible de sa personne, inspirée par la désirabilité et la sainteté inestimables de la loi
morale.

ES ER
Si le respect est la condition nécessaire à une telle appartenance, il n’en est pas une condition suffisante. C’est que
le respect apporté à la personne d’autrui repose non seulement sur sa disposition à assurer l’essence nouménale qui est
la sienne, mais encore à procurer l’effort requis à cette fin. C’est un effort qui sollicite l’ardeur d’un investissement

OS H
personnel et d’une résolution inébranlable devant les sollicitations et les exigences de la nature et dont la preuve se fera

RP EC
autant avec la manifestation extérieure que le sujet moral en témoigne au monde sensible, qu’avec l’expérience
intérieure qu’il en éprouve subjectivement au sens interne. De sorte que le respect ressenti à l’égard de l’autonomie
d’autrui ne saurait se passer de la juste appréciation des obstacles à surmonter pour que celui-ci mobilise en lui-même

PU E R
ses ressources intérieures et rende effective la dimension nouménale de sa propre personne à l’intérieur du monde
sensible. Ce sont des empêchements qui s’exercent avec inégalité à l’intérieur des conditions que doit affronter le sujet
moral avec sa présence-au-monde: ces disparités seront alors la cause de l’autonomie à l’intérieur d’une inégalité

CH S D
éventuelle de l’expression. Car afin de se réaliser adéquatement, celle-ci doit composer, tantôt avec la diversité des
exigences de l’expérience [Erfahrung] qui excitent la mobilisation à la réaliser, tantôt avec la force du caractère requise
afin de surmonter ces exigences, tantôt sur les ressources organiques et/ou techniques (le talent, la richesse, la santé, la
AR FIN
compétence, etc.) disponibles à réaliser cette fin; tantôt avec la disposition, substantielle ou habituelle, qui ne connaît
aucun empêchement dirimant; et tantôt avec une combinaison ou avec la totalité de ces considérations. Or, c’est
précisément avec la compétence, grâce à laquelle les éléments sont subsumés sous les motifs de l’intention et les fins de
SE À
la conscience, que se découvre l’efficace de l’héautonomie personnelle, susceptible de surmonter les embûches et
d’exprimer sa puissance face à celle-ci, afin par cela de se révéler être une personnalité véritable autonome.
RE T,

Le respect est un sentiment complexe puisqu’il suppose au plan subjectif un état d’humiliation, en tant qu’il est un
D EN

sentiment moral, et un état d’exhaussement, en tant qu’il est le mobile du dépassement personnel 7, tout en représentant
à l’intérieur de la conscience l’inadéquation à rencontrer intégralement toutes les possibilités que renferme l’Idéal 8,
AN M

puisque le sujet moral devient conscient à la fois de ses propres limites subjectives face à l’adversité et de l’importance
que prennent les défis objectifs qui s’offrent à lui, aussi nombreux qu’ils sont énormes à surmonter. Lorsqu’il concerne
E LE

la personne d’autrui, le véritable respect découvre le motif de reconnaître en lui autant l’importance de son essence
nouménale fondamentale que son mérite à savoir l’illustrer de manière héautonome devant les empêchements et les
US SEU

obstacles, autant intérieurs qu’extérieurs, qui s’offrent à lui avec l’expérience, au nom du second principe du sens
commun, qui consiste pour le sujet moral à savoir s’identifier dans la pensée à tout autre 9. De manière analogue, si
l’amour de la loi morale est une disposition nécessaire à l’exemplification de celle-ci à l’intérieur de l’expérience, il
n’est pas la condition suffisante de son illustration, car en l’absence du désir et de la volonté subséquente, que suscitent
AL EL

et justifient les motifs de la raison, la moralité demeure simplement virtuelle, puisqu’aucun courage ne lui confère la
force effective [erwecken 10] d’une vertu manifeste 11.
ON N

Il existe par conséquent une confluence des sentiments moraux qui ensemble donneront forme à la moralité et lui
RS ON

procureront une légitimation sociale, laquelle passe autant par la moralité subjective de la personne agissante que par la
moralité objective du spectateur, à l’intérieur du jeu subjectif des sens communs particuliers, lorsqu’ils existent en
rapport de mutualité. Non seulement la dignité fondamentale de chacun est-elle reconnue, puisque, dans l’état de la vie,
P E RS

elle est associée a priori à sa possibilité morale et elle est fondée sur sa nature suprasensible, i.e. autonome et spontanée,
mais encore y a-t-il la constatation de son mérite objectif avec l’illustration effective de la dignité à s’illustrer
R PE

moralement devant les obstacles nombreux et importants à surmonter. En exprimant quelles sont l’intensité et la
profondeur de l’amour de la loi morale, en même temps que l’indomptable courage à lui donner forme, la dignité
morale agissante force à la fois l’admiration à l’intérieur du jugement esthétique du spectateur et l’humilité à l’intérieur
FO E

du jugement esthético-moral de l’acteur, sauf lorsque celui-ci en vient à oublier la distinction kantienne essentielle
AG

entre la promotion de soi [Selbstsucht] et l’amour inconditionné de soi [philautia] 12.

6 MAT, §11; AK VI, 434-435.


US

7 KPV; AK V, 075.
8 KU, §27; AK V, 257.
9 Idem, §40; AK V, 294.
10 (XVIIIe s.) = excitare: mettre en éveil, stimuler; erregen: causer.
11 APH, §77; AK VII, 257.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 202 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

Ainsi voit-on apparaître le triple aspect du sentiment moral à l’intérieur du champ général du respect et du sublime,
lesquels sont suscités par un mouvement heuristique à deux volets. En un premier temps, la perturbation dynamique du
champ vital cause le déséquilibre de l’harmonie des facultés, en raison de la disproportion des forces naturelles en

LY —
présence, laquelle a pour effet d’illustrer une faiblesse et une vulnérabilité subjectives. Afin de contrer cette nouvelle
hétéronomie de l’idéation, l’esprit se transporte en un second temps au plan de la possibilité rationnelle et il

ON CHE
métamorphose l’état de perturbation qui siège à l’intérieur de la conscience en la découverte des fins que l’autorise à
accomplir la virtualité suprasensible de la raison, en procurant à la personne les moyens de la survivance, lesquels se
prolongent dans la mise-en-oeuvre des moyens qui permettront l’accès à une qualité de vie excellente. Ces habiletés
illustreront toutes les deux l’effectivité du pouvoir suprasensible de la raison, susceptible d’agir sous l’impulsion de sa

ES ER
propre dynamique afin de surmonter les forces naturelles prépondérantes et de fournir les conditions formelles d’un
dépassement de soi qui réalise effectivement cette éventualité à l’intérieur de l’expérience [Erfahrung] 13, 14. Car
l’hétéronomie révèle une aliénation de la nature suprasensible du sujet moral et elle devient alors l’indice

OS H
subjectivement éprouvé de la compromission de son état existentiel. Le déplaisir en résultant sert d’incitatif à

RP EC
l’héautonomie subjective, grâce à laquelle il s’extraqiera éventuellement de la privation de sa liberté et retrouvera
l’autonomie et la spontanéité qui caractérisent la personne morale véritablement et pleinement accomplie.

PU E R
L’admiration, l’étonnement et la gratitude côtoient l’humilité, puisqu’ils représentent les quatre facettes
subjectives du respect: l’humilité devant l’expérience objective du sublime naturel, mathématique quant à l’extension
de l’unité et dynamique quant à la puissance de la qualité, d’une nature qui inclut, en même temps que la nature inerte, la

CH S D
nature organique des être vivants en général et des hommes en particulier; l’humilité devant l’appréhension subjective
de la sublimité, lorsqu’elle caractérise la puissance inestimée et inestimable de la faculté subjective, susceptible
d’exercer heureusement son effectivité à ces plans naturels; l’admiration 15 devant la capacité objectivement démontrée
AR FIN
d’autrui, et que pourtant l’on soupçonne d’être présente en lui puisqu’elle ressort à tout être humain pleinement
constitué, à savoir la capacité d’illustrer sa volonté de vivre, à la fois en se dépassant soi-même, en triomphant de ses
déficits, de ses inclinations et de ses dispositions contraires, en réalisant l’excellence ses possibilités rationnelles et en
SE À
surmontant les obstacles naturels qui lui sont présentés; l’humilité mêlée d’étonnement, devant la découverte en soi de
ressources personnelles inopinées dont l’origine archétype ne saurait provenir du Ich qui appartiendrait uniquement à
RE T,

l’architectonique rigide et pré-déterminé de l’univers sensible, voire qui participe au règne de l’Inconditionné
suprasensible 16; la gratitude morale devant la reconnaissance qu’il existe une réciprocité des rapports dans l’unité de
D EN

l’expérience, dont les dimensions mathématiques et dynamiques sont toujours suffisamment importantes et que cette
mutualité des consciences sert à mettre en contexte et à subsumer sous l’universel, l’ontologie naturelle qui, grâce à
AN M

cette activité suprasensible, se prolonge jusque vers la phylogénie et l’ontogénie organiques de l’humanité, sachant se
réaliser en vertu de la finalité finale ultime qu’illustre la personnalité de chacun, alors qu’il est en même temps un
E LE

membre du genre humain.


US SEU

Or, puisque la possibilité suprasensible de la raison est digne de respect, puisqu’elle dépasse éminemment, en
substance comme en développement, la dimension naturelle de la sensibilité, combien plus encore ne le serait-elle,
alors qu’elle est axée sur la nature sensible, laquelle trouve à s’articuler à partir d’un centre suprasensible unifié, qui
exprime à la fois la possibilité et la réalité vitale de la raison se réalisant. Car cette capacité rationnelle infuse alors
AL EL

toutes les dimensions de l’humanité qui se révèlent à l’intérieur des personnalités subjectives, en donnant corps à
l’autonomie suprasensible de la raison et en la manifestant éloquemment, à l’intérieur des moeurs comme de la culture.
La raison se recrute alors la puissance du coeur et elle exprime alors la force de la vertu qui s’extériorise, en mobilisant
ON N

les ressources subjectives qui sont requises à surmonter tous les obstacles naturels qui lui sont proposés. Ainsi le coeur
RS ON

en vient-il à constituer un ingrédient tout aussi indispensable que l’esprit, à l’intérieur de la raison pratique nécessaire,
et il offre le moyen, avec le courage qui en illustre la persistance et la résolution, d’un passage de la puissance à l’acte,
de la simple possibilité présente dans l’Idée à l’entéléchie effective qui se révèle avec l’actualisation. Puisque la raison
P E RS

est le siège de l’unité théorique de l’expérience objective [Erfahrung] qui réalise la connaissance et la faculté du coeur
est celui de l’unité pratique de l’expérience intérieure [Erlebnis] qui procure l’action morale, le produit de la réalisation
R PE

esthético-morale devient par conséquent multidimensionnel, étant à la fois moral et culturel, éthique et poématique,
théorique et pratique, noétique et esthétique, avec la réunion du désir que s’accomplisse la chose réalisable et de
FO E
AG

12 Vide supra, chapître V, pp. 328-329, 332.


13 KU, §29A; AK V, 267, 269.
US

14 Voir en annexe, p. 276, le tableau VI.1 intitulé «Schéma illustrant la continuité esthético-morale, alors que le
pouvoir rationnel trouve sa contrepartie dans le pouvoir moral, en raison de l’autonomie qui caractérise
l’effectivité de l’un et de l’autre.»
15 Idem, §40; AK V, 294. L’aptitude de ressentir de l’admiration se fonde sur le sens commun et sur la capacité
effective d’éprouver l’empathie [Einfühlung], l’art de se mettre dans la pensée à la place de tout autre, lorsqu’il
est perçu in foro interno comme étant un autre soi-même, en raison tous les deux de posséder une nature
commune.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 203 de 539 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

l’appréhension qu’elle est effectivement réalisée, à l’intérieur de l’expérience judiciaire qui, se situant à la croisée de
l’objectivité et de la subjectivité, estime adéquatemenbt les moyenbs de parvenir à cette fin et les difficultés rencontrées
à mener à terme l’initiative proposée.

LY —
ON CHE
Le courage
Nonobstant cette conclusion, Kant propose une définition sublime, celle qui veuille que l’activité pratique de la
raison repose sur deux principes complémentaires: la représentation a priori du devoir-être (par opposition à la
connaissance nécessaire de l’être) 17; et tout ce que rend possible la liberté 18, lorsqu’il réfère à la capacité de l’âme à

ES ER
s’illustrer pratiquement. Kant ne peut omettre de considérer le courage, autant sous l’angle de la sensibilité de
l’expérience naturelle [Erfahrung] que sous le regard de l’expérience subjective suprasensible [Erlebnis]. Une telle vue

OS H
d’ensemble, qui dénote à tout le moins une relation de l’objectivité et de la subjectivité sous la médiation du sentiment,

RP EC
est conforme à la distinction opérée entre ce qui est techniquement pratique en raison de la doctrine de la nature, que
régit la faculté théorique de l’entendement, engagée dans son appréhension et sa compréhension des causes sensibles
hypothétiques, et ce qui est moralement pratique, en vertu de la doctrine des moeurs, que régit la faculté pratique de la

PU E R
raison, alors qu’elle est impliquée à réaliser la causalité libre et nécessaire. En ce qui concerne celle-là, on doit prévoir
pour l’exercice et la gouverne d’une volonté déterminante, en vertu d’une possibilité qui, étant actualisée, illustre post
facto, et a posteriori pour la conscience, son effet qui est inscrit parmi les nombreuses causalités naturelles 19. Car si,

CH S D
d’une part, la nature fournit à la conscience un état réel préalable qui fournit a posteriori l’évidence d’un principe qui en
gouverne a priori le fait accompli dans l’expérience, cela n’enlève pas à l’entendement la possibilité de reconnaître,
parmi tous les effets qui appartiennent au règne de la nature, ceux qui dépendent de son illustration alors qu’elle incarne
AR FIN
ce principe de la volonté déterminante. De sorte que, en penchant soit du côté de la sensibilité, pour illustrer l’effet
pathologique du jugement esthétique des sens qui repose sur l’amour-propre 20; soit du côté du registre suprasensible du
sentiment moral qui découvre la loi morale avec le respect et l’illustre au plan pratique avec l’amour qui dispose
absolument vers elle et le courage qui transforme la disposition vers ce qui serait souhaitable, en réalisation de ce qui est
SE À

désirable, avant toute influence subjective susceptible d’être opérée sur la volonté par la sensibilité 21, la faculté
RE T,

boulétique comporte en même temps une dimension esthétique en raison de l’aspect objectif de son extériorisation.
D EN

Or, dans l’idéal, c’est à ce plan seulement que se révèle la dimension pratique de la raison mais en réalité, la
distinction est ambiguë, en ce qui a trait au courage, entre ce qui est déterminé par l’expérience et ce qui serait redevable
AN M

16 Ce point fait surgir la question de la nature et des limites du Ich qui appartient, d’une part, au monde sensible en
E LE

y actualisant la dimension hétérogène du suprasensible, et d’autre part, au plan suprasensible, en vertu de la


nature transcendantale requise afin d’actualiser la puissance spirituelle qui en émane. Refuser au Ich une
US SEU

qualité suprasensible et une valeur nouménale propres, ce serait le réduire au statut de n’être qu’un simple
épiphénomène, en lequel cas la difficulté se présente de savoir expliquer en quoi le phénomène serait séminal et
produirait à l’intérieur de l’esprit la possibilité de poser son propre noumène. C’est l’Idée en général qui incarne
le mieux le sens du noumène, lorsqu’elle est susceptible de capter a priori ce que serait la plénitude de
AL EL

l’essence du phénomène, et c’est l’Idée esthétique qui illustre le mieux ce que serait la possibilité de réaliser
l’hypostase et de fournir à l’Idée théorique une contrepartie phénoménale, en la rendant présente au monde
ON N

sensible sous la forme de l’ectype. § Or, une telle capacité laisse supposer une puissance de réalisation
esthético-morale qui, étant le tout de la raison pratique intégrale, ne peut trouver sa justification uniquement à
RS ON

l’intérieur de la sphère du suprasensible. Par ailleurs, l’entéléchie de l’hypostase implique une réduction
idéelle, en raison du conditionnement sensible qui résulte de l’acte immanent de rendre l’Idée manifeste, un
acte qui ne pourra jamais rendre adéquatement justice à l’Idée, puisque son essence transcendante et
P E RS

inconditionnée ne saurait en réalité souffrir d,être soumise à aucune condition. L’hypostase laisse par
conséquent apercevoir un univers suprasensible infini qui subsume la finitude de la nature hétérosensible de
R PE

l’être corporel et vivant. Or, ce monde serait celui auquel puise l’esprit en vertu de sa capacité transcendantale:
il serait la source ultime des ressources grâce auxquelles il peut réaliser sa présence-au-monde effective, malgré
les difficultés concrètes qui se dressent sur son chemin. L’Idée de l’Être suprême, vivant et agissant, suggérerait
FO E

que le concept de la grâce efficiente illustrerait l’origine archétype des ressources spirituelles non-pressenties
AG

auparavant, lorsqu’Il est engagé à l’intérieur d’un rapport actif et salutaire avec les esprits susceptibles d’y
participer et qui y participent pleinement, grâce à un apport qui trouve sa source à l’extérieur de ceux-ci et qui
prend nom d’inspiration, de fureur ou de transport mystiques.
US

17 KRV; AK III, 421.


18 Idem, p. 520.
19 KU, Einleitung, §i; AK V, 172.
20 KPV; AK V, 074.
21 Idem, p. 075.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 204 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

uniquement à l’état subjectif suprasensible, propre à l’homo noumenalis. Car si par définition, le courage moral illustre
au plan suprasensible à la fois la capacité du jugement déterminant qui s’exerce en fonction des lois transcendantales
propres à la raison pure, théorique et pratique, et l’énergie dynamique de la vie, au service de laquelle se met l’activité

LY —
qui en émane, c’est en réponse à une conjoncture physique et à la force d’attraction ou de répulsion qu’il exerce sur le
sujet moral que le courage se manifeste et reçoit la forme définitive sous laquelle on le reconnaît. Par ailleurs, cette

ON CHE
ambiguïté logique sert d’indice à la fluidité des facultés unifiées de la connaissance. Avec l’action éminemment pure de
la raison réflexive, le plan ontologique de l’expérience [Erfahrung] sur laquelle elle exerce sa puissance en viendra ni à
nier celle-là, car en même temps serait niée la possibilité même de la raison lorsqu’elle se prend pour un objet de la
réflexion, ni à l’arrêter, car elle se continue à l’intérieur de la conscience avec l’acte de l’auto-réflexion par laquelle la

ES ER
raison entre en communion avec sa propre essence pour se constituer elle-même en objet de l’intuition. Il ne résulte pas
de ces remarques cependant que le dédoublement du pouvoir réflexif et de la puissance actualisée réfléchie est mis en
suspens lorsque la subjectivité rationnelle entreprend de connaître sa substance et son essence.

OS H
RP EC
Par ailleurs, nulle part ailleurs l’intimité du rapport entre l’expérience naturelle [Erfahrung] et l’expérience
morale [Erlebnis] devient-elle plus évidente qu’avec l’acte par lequel le coeur illustre son amour du principe
éminemment sublime de la loi morale. Car en tout temps le courage révèle le triomphe des principes autonomes de la

PU E R
raison sur les inclinations puissantes et parfois irrésistibles du sentiment, même au plan de l’illustration poématique et
pratique sur le plan suprasensible que conditionnent les aléas du monde sensible. Cet ascendant avéré est la clef de la
vérification de la primauté du pratique sur le théorique et de la vérité réelle du principe: il s’avère en même temps

CH S D
salutaire, puisque la raison devient alors le gage de la longévité ontogénique, lorsque les conditions historiques sont
réunies pour favoriser la promotion d’une paix sociale saine, profonde et enracinée dans les résolutions particulières se
prêtent à une telle durée, qui entre en association avec la pérennité phylogénique que fondent la pureté des moeurs et la
AR FIN
richesse de la culture. Ensemble, elles sollicitent la contribution de chacun à la mesure de son génie (le talent brut que
forme et façonne l’intelligence) et de l’effort requis pour qu’il s’enracine à l’intérieur de l’histoire de la culture et de la
culture de l’histoire, en édifiant les esprits au moyen de l’édification sensible de la nature, selon les principes de la
SE À
raison poématique. Or, l’édification de l’esprit procède de la dimension ontogénique du sujet, et de son expression de
manière évidente avec un corps qui, en manifestant avec ses actions quelle serait la matière du désir et de la volonté,
RE T,

constitue en même temps que le temple et le reposoir de l’âme, le véhicule de son insertion à l’intérieur de la nature
sensible au moyen de l’action qui la transforme.
D EN

Ainsi le courage révèle-t-il la sérénité de l’esprit (ataraxia 22) qui est pleinement conscient du danger couru (en
AN M

raison d’une crainte légitime) et qui s’associe la force de l’intrépidité du sens interne: grâce à lui, le sujet moral envisage
uniquement la possibilité à réaliser et parvient à en surmonter l’effet subjectif que réveillent les résistances et les
E LE

menaces externes en provenance du monde sensible, de sorte à manifester en dépit d’elles l’inflexibilité de la résolution
par laquelle il lui apporte la complétude de l’entéléchie. Non seulement le courage repose-t-il sur des principes qui
US SEU

mettent à contribution la raison, lorsqu’il effectue la constitution et l’illustration de la vertu par laquelle la personne
triomphe des obstacles, mais encore puise-t-il une force à l’intérieur de la raison même, laquelle lui donne tout à espérer
de l’utilité effective du courage 23, précisément en raison de la nécessité et de la valeur tout-à-fait estimables, lorsqu’il
sert à accomplir l’objet du respect de la loi morale. Car autant son principe que sa manifestation sont centraux à la
AL EL

plénitude de la vie, considérée du double point de vue de l’entièreté de la possibilité et de la spontanéité de l’esprit, et en
particulier de l’imagination, avec laquelle la raison a la possibilité de se la figurer sous sa forme réalisée.
ON N

Le courage ainsi décrit est un courage physique qui, orienté et stimulé par la raison, témoigne de la bravoure, avec
RS ON

l’illustration de la force qui est mise au service de la vertu — et par conséquent du bien qui en est l’extériorisation
congruente 24. La bravoure est la force masculine par excellence et elle trouve sa contrepartie avec la vertu féminine de
la constance dans la chasteté, lorsque celle-ci est sollicitée et mise à l’épreuve par l’inclination virile qui la presse à
P E RS

céder devant son impulsion et déploie l’effort pour s’en rendre la maîtresse 25. De plus, pour triompher sur des
penchants instinctuels autrement irrésistibles, le courage physique requiert parfois un complément surnaturel qui lui
R PE

permette de transposer au plan phylogénique les exigences de la destination suprasensible de l’homme, laquelle met en
contexte tout ce qui tient de la moralité et rapporte l’être de la réalité telle qu’elle est au devoir-être entièrement infusé
par la sainteté de la loi morale 26. Ainsi, même lorsqu’il s’agit d’associer le courage physique, pour le subsumer sous lui,
FO E

à la vertu féminine de la constance, pour ne pas dériver des conditions strictes, susceptibles éventuellement de produire
AG

une expérience optimale et risquer s’adonner à des considérations mondaines strictement accessoires, le plan
éminemment moral de la législation divine agit discrètement pour étayer la raison technico-pratique avec le respect
US

22 ..., -ih, h: «impassiveness, coolness, calmness» [Liddell and Scott. op. cit. p. 241].
23 APH, §77; AK VII, 256.
24 Idem, p. 257.
25 Idem, Der Charakter des Geschlechts B; p. 303.
26 STF; AK VII, 044.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 205 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

pour le domaine suprasensible que commande la prudence. Car le respect trouve la plénitude de son sens à la fois avec
la verticalité transcendante avec laquelle le sujet moral en témoigne, de la sainteté de la loi morale qui en est la forme
suprême et avec l’horizontalité immanente du courage qui seul est susceptible d’en procurer une manifestation

LY —
sensible. Étant une vertu sociale, le courage requiert de recevoir la reconnaissance d’autrui, autant quant à la prudence
qui préside à son actualisation qu’au jugement a priori universel et nécessaire, qui en définit l’expression ultime avec

ON CHE
l’Idéal qu’en formule la raison judiciaire, lorsqu’elle se figure à elle-même et schématise les conditions de la réalisation
de l’Idée, par l’entremise de la maxime qui lui donne corps.

Au courage physique correspond un autre genre de courage cependant, qui consiste à surmonter, non pas un

ES ER
obstacle naturel, mais un défi social, tel que le mensonge, la raillerie et le sarcasme peuvent le constituer.
Paradoxalement, alors que ces attitudes dévalorisantes visent à humilier et risquent d’abattre le courage, elles le
fouettent plutôt. En ce qui concerne la raillerie et le sarcasme, la seule conscience pour la raison pure de sa finalité

OS H
théorique, et de la compétence exclusive qu’elle possède de parachever son accomplissement pratique, est suffisante

RP EC
pour lui redonner courage 27. Quant au mensonge, dès lors qu’il est associé à l’injure et à la souffrance injustement
subies, car ne trouvant pour en fonder le propos la commission intentionnelle d’aucune action injuste qui soit méritoire
d’un tel châtiment, il peut alors servir à augmenter, en plus du courage, la résolution du sujet moral de maintenir sa

PU E R
dignité devant l’adversité qui l’éprouve 28.

CH S D
Ainsi, autant le courage physique que le courage social peuvent illustrer ce qui est proprement le courage moral.
Celui-ci est le noeud, la qualité centrale du sentiment moral, puisqu’il est le mobile constitutif de la vertu, laquelle
permet au sujet moral de triompher des obstacles avec toute la dignité que lui autorise à avoir l’humanité, telle qu’elle
AR FIN
est exemplifiée en sa personne, lorsqu’il se donne pour objet du désir la concrétisation de sa destination, grâce à la force
avec laquelle le sujet moral définit et met en oeuvre ses maximes 29. Cela étant, celui-ci acquiert la perspicacité et la
sagesse d’entrevoir, comme étant le fondement et la cause de sa dignité, le concept de la divinité sainte et législatrice de
la vertu qui pourrait servir à abattre son courage par l’humiliation qui résulte d’en contempler la sublimité, lorsque la
SE À

plénitude de son essence est envisagée directement. Une attitude prudentielle consisterait alors à orienter d’abord le
courage, et la constance avec laquelle en témoigner, vers des considérations technico-pratiques, avec l’acquisition de
RE T,

l’habileté à se suffire à soi-même, pour ensuite se voir progressivement fortifiée par une théorie de la réconciliation
avec Dieu, qui ouvre sur la voie d’une vie nouvelle 30.
D EN

La fin ultime du courage moral consisterait donc, non seulement a surmonter les obstacles physiques ou sociaux en
AN M

se fondant sur la dimension suprasensible de l’homo noumenalis, mais encore à s’assumer entièrement à l’intérieur du
cosmos suprasensible, autant en effectuant l’actualisation présente et future de ses possibilités qu’en se laissant infuser
E LE

par la présence d’un Être parfait, de la Divinité qui est ensemble la cause et le principe de la loi morale et sainte, dont la
mise-en-oeuvre pratique est la condition de l’accession à une forme de vie nouvelle. Celle-ci repoit la sanction divine et
US SEU

son acquisition est la garantie, lorsque la personne accomplit son devoir et et illustre la plénitude du courage requis à
cette fin.

L’essence du courage moral consiste donc en la résolution et en la capacité de connaître, de poursuivre et


AL EL

d’accomplir son devoir, malgré les pressions sociales — les mensonges, les moqueries et les railleries — qui pourraient
exercer un effet dissuasif pour la réalisation. Cela étant, le sujet moral accède au tout de la dignité et de l’honneur, les
ON N

sentiments qui accompagnent la reconnaissance que le soi nouménal est effectivement réalisé et qui procèdent
respectivement de sa propre distinction pratique pour la première et de la reconnaissance d’autrui pour le second. Le
RS ON

succès déontologique trouve alors une contrepartie avec la connaissance que fournit la raison pure pratique, la seule qui
soit habilitée à fournir le critère de l’entéléchie pratique, avec la découverte et l’import théoriques de la loi morale. Le
sentiment de la fermeté et de la constance de l’âme s’illustrent objectivement au plan social avec la bravoure, laquelle
P E RS

laisse entrevoir au plan nouménal ce qui se révèle déjà au plan phénoménal: l’amour de la vie devant les menaces de
violences physiques; l’amour constant et ferme de l’honneur devant les atteintes que produisent les violences morales
R PE

31
. Car autant l’un que l’autre, l’amour de la vie et l’amour de l’honneur révèlent, en s’ancrant dans la raison vitale du
sentiment, l’appariement de la nature sensible sur laquelle porte l’action et de l’essence suprasensible qui la forme et lui
donne corps avec l’Idée, le sentiment et la vertu, une association grâce à laquelle la possibilité rationnelle acquiert son
FO E

actualité. Celle-ci donne tout son sens à ce par quoi la possibilité peut exister, en accordant la primauté du pratique sur le
AG

théorique, le seul principe qui peut réaliser réellement la priorité du nouménal sur le phénoménal, que rendent évidente
la culture et les moeurs. Cette fin est accomplie en maintenant un équilibre qui reconnaît entièrement le suprasensible,
US

27 KRV; AK III, 486-487.


28 KPV; AK V, 060.
29 RGV; AK VI, 183.
30 Idem, p. 184.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 206 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

sans nier en aucune façon pour autant le sensible, puisque la raison effective doit ancrer dans la connaissance réelle, ce
qui ne serait autrement qu’une idéation perpétuellement et purement prospective.

LY —
L’acte de faire son devoir, qui est celui d’agir selon ce qu’ordonne la loi morale, engage donc entièrement la vie, de
la même manière que la vie souhaitant se réaliser selon la plénitude de sa possibilité requiert qu’elle trouve son

ON CHE
inspiration intégrale en puisant à la source de la loi morale. Le courage moral exemplifie par conséquent autant la
vaillance qui oppose la fermeté de l’âme à la crainte éprouvée devant les situations qui peuvent compromettre la vie 32
qu’avec la constance qui procure l’accomplissement inébranlable de la loi de l’amour. Car la loi morale, dont
l’impératif catégorique est la forme a priori, est le gage de la plénitude de l’être humain (vivant, rationnel et personnel),

ES ER
grâce à laquelle se réalise l’entéléchie de la vie au moyen du commerce 33 des esprits, des âmes et des corps, à tous les
plans conjugués, du nouménal, du social et du phénoménal.

OS H
Que le courage physique ou social face à l’adversité puisse susciter l’amour, la crainte ou l’admiration, lorsqu’il

RP EC
trouve son complément avec la bonne humeur, le pouvoir que confère le rang social ou la simple force physique, cela
peut sembler suffisant à certains, avec l’aptitude éminente que cela démontre d’une prudence technico-pratique. Mais

PU E R
pour que le courage sensible trouve son équivalent au plan moral, avec le respect qu’il est susceptible de susciter, on
doit retrouver le témoignage au plus haut degré de la droiture du caractère de la personne, que fournit l’exemple
sensible du sujet moral, lorsqu’il illustre évidemment la rectitude morale et la sagesse pratique qui se fondent sur

CH S D
l’impératif catégorique de la loi morale. C’est en comparant la conduite ou l’action effectivement illustrées avec celles
qui sont subjectivement présentes à l’imagination, soit quant à la possibilité pressentie de ce qu’elle pourrait être, soit
avec l’évocation du souvenir de ce qu’elles furent, avec en vue la juste appréciation du caractère qui ainsi démontre sa
AR FIN
valeur, que les présomptions trouvent à s’abattre pour le céder au sentiment moral, lorsque la dignité et le mérite sont

31 APH, §77; AK VII, 257. Renaut rend par «bravoure» le terme Tapferkeit [XVIIIe s. = fiducia (lat.): confiance
SE À

(en soi, en autrui), assurance; fortitudo (lat.): force de l’âme, courage, énergie; bellicositas (lat.): vaillance
(devant l’adversité)] qu’utilise Kant dans le texte original. Même si le concept français utilisé est adéquat au
RE T,

sens allemand, le fait que Kant précise le sens de son propre terme avec un néologisme, le mot Tugendstärke
D EN

[Tugend (XVIIIe s.) = Vortrefflichkeit (all.): excellence; Wert (all.): valeur, importance; Auszeichnung (all.):
distinction; virtus (lat.): caractère d’un homme de bien, vertu + Stärke (XVIIIe s.) = robur (lat.): force morale,
énergie, fermeté; vigor (lat.): vigueur, force vitale; vigueur, énergie; fortitudo (lat.): même sens que
AN M

précédemment], nous laisse croire que sa notion allait au-delà de la dénotation habituelle de l’assurance, du
courage et de la vaillance, lesquels nous transportent au plan de la réalité sociale, pour nous élever jusqu’à la
E LE

qualité nouménale, c’est-à-dire jusqu’à la vertu fondamentale qui donne une consistance à chacun de ces états.
Par ailleurs, la seconde partie du néologisme renvoie à une notion qui spécifie celle de Tapferkeit, mais en
US SEU

amplifiant sur celle-ci. Ainsi, à la fortitudo, à la force de l’âme, au courage et à l’énergie de la Tapferkeit
viennent s’ajouter la robur, la force morale et la fermeté, ainsi que la vigor, la vigueur et la force vitale qui, en
animant et en consolidant la vertu, ancrent le courage de la Tapferkeit dans le sentiment de la vie et dans la fin
qui consiste à préserver, conserver et exacerber ses possibilités, non plus seulement parce qu’elles sont un
AL EL

substrat nécessaire de la raison, mais parce qu’elles sont la raison de son épanouissement complet et intégral à
tous les plans de son activité, théorique autant que pratique, éthique autant que poématique. Ainsi, plutôt que
simplement la bravoure et le courage, Kant semble avoir voulu désigner, à titre de vertu nouménale, la fermeté
ON N

du caractère, la force inébranlable de l’âme, la constance devant les difficultés et la vaillance devant l’adversité.
RS ON

§ Une telle compréhension de la pensée kantienne n’est pas sans évoquer une notion apparentée, celle de la
virtù que l’on découvre à l’intérieur des écrits de Machiavel. Celle-ci est intimement liée à la notion de fortuna,
au sens où celle-ci fait naître l’occasion, grâce à laquelle la virtù peut s’illustrer. Elle s’en distingue cependant
P E RS

en ce qu’elle oppose aux entraînements et à la prépondérance du destin, les qualités intérieures grâce auxquelles
l’individu en vient à s’imposer à la fatalité pour en forger les circonstances et procurer un visage aux
R PE

événements qui surviennent dans sa vie qui soit plus convenable à sa nature, à ses intentions et à ses projets.
L’occasion se découvre grâce à la virtù et celle-ci est donc en premier le pouvoir judiciaire de discerner et de
reconnaître ce qui, pour une situation précise, offre au Prince la possibilité matérielle d’exercer son imagination
FO E

et de la façonner à son gré. Mais elle est encore plus puisque, grâce à la virtù, les occasions sont susceptibles de
AG

naître, en réponse aux efforts du Prince, et d’être mises à profit par son talent, dans sa tentative de faire surgir un
ordre nouveau, malgré toutes les résistances offertes par les partisans de l’ordre ancien et même la pusillanimité
des sympathisants de l’ordre nouveau qui, tout en préférant les avantages anticipés qui en découleraient pour
US

eux, éprouveront de la tiédeur par crainte des réactions adverses suscitées par l’anticipation des transformations
structurelles qui en résulteraient. En somme, la virtù machiavélienne consiste dans l’illustration du talent et de
l’énergie requis afin de surmonter les obstacles qui s’offrent au Prince, lorsqu’il entreprend de remplacer
l’ordre ancien par un ordre nouveau et, ayant réussi, de se maintenir en place en récoltant les récompenses en
gloire et en bonheur que son succès lui mérite [MACHIAVEL, N. Le Prince (1983), chapitre VI, p. 27-31]. Il y
a en plus une dimension collective à la virtù machiavélienne, qui consiste à généraliser à l’ensemble d’une
classe les qualités viriles que sont l’habileté, le courage et la prudence, mises au service de l’art militaire, afin

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LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

objectivement constatés 34. Or, pourrait-on supposer, en complétant la pensée de Kant et en suivant le schèma qui alloue
pour un sentiment qui est au fondement de la réalisation pratique qui se veut et qui prend tous les moyens de
s’accomplir, le respect éprouvé devant le pouvoir moral qui réalise évidemment le devoir trouverait un complément

LY —
avec l’amour de la bonté qui dispose en ce sens et la culture de la force de l’âme et de la constance qui président à cette
entéléchie.

ON CHE
Tout courage, physique ou social, quel qu’en soit la magnitude ou l’abondance, s’avère insuffisant dès lors que
manque l’ingrédient essentiel de la bonne volonté qui en oriente et en exprime la puissance, en vertu d’un dessein qui le
rende convenable à la nature morale de la personne qui le manifeste. Car si l’accomplissement de l’action repose sur

ES ER
l’efficacité de la volonté, la faculté que détermine la loi de la raison de faire d’une représentation son objet 35, le
tempérament, le caractère ou les dons de la fortune pourraient, en l’absence de la bonté, infléchir l’âme dans un sens qui
est en-deça de la pleine capacité pratique de la personne et peut même s’avérer contraire à la loi morale, en substituant

OS H
ainsi aux fins universelles possibles des buts simplement particuliers ou même singuliers. Or, puisque

RP EC
l’accomplissement adéquat de fins universelles, qui reconnaîtrait l’humanité en la personne de chacun, conçue
uniquement comme fin et jamais comme moyen, est le seul fondement de la dignité d’être heureux, seule une volonté
qui est en même temps bonne peut prétendre en devenir la condition indispensable 36.

PU E R
Bref, c’est avec l’évidence du courage moral que se rencontre la possibilité de réaliser à la fois l’injonction du

CH S D
temple de Delphes (le gnoti seauton) et la devise des Lumières (le sapere audere). Car autant le courage est requis
pour que la personne se soustraie à la gouverne d’autrui et fasse usage de son proprement entendement 37, autant sa
nécessité pratique s’impose-t-elle lorsque, en réalisant la vertu, elle se fonde, non pas uniquement sur la résolution qui
AR FIN
résiste aux maux et assume les sacrifices requis mais encore, et peut-être surtout, sur la connaissance perspicace des
mauvais principes, subjectivement couvés et entretenus en soi, qui érigent les faiblesses humaines en inclinations
de profiter aux conquêtes de la Cité et à l’agrandissement de son territoire et de son aire d’influence. Mais la
SE À

virtù ne repose pas uniquement sur des dispositions guerrières qui met de l’avant la valeur des armées,
puisqu’elle s’exprime également avec l’habileté dont témoignent les conquérants à se faire des alliés qui
RE T,

appuieront et favoriseront leurs entreprises ainsi qu’avec la sagesse de leur conduite, grâce à laquelle ils
D EN

conserveront les territoires acquis [[MACHIAVEL, N. Discours (1985), livre II, chapitre I, p. 157-160]. § Il est
évident que la vertu kantienne se distingue et se démarque de la virtù machiavélienne. Celle-ci est au service du
politique, et en particulier du mouvement socio-politique qui accompagne un changement de régime, que
AN M

celui-ci résulte d’une entreprise militaire ou simplement d’une métamorphose de l’ordre politique et des
structures sociales qui culmine en la prise du pouvoir par un nouveau chef et en l’instauration d’une nouvelle
E LE

élite dirigeante. Bref, la virtù machiavélienne est d’abord un attribut du chef et en illustre le caractère: elle
alloue certes pour une disposition intérieure qui explique ses succès, c’est-à-dire le talent, l’habileté, le
US SEU

courage, la persévérance et l’entre-gens, grâce auxquels, ayanbt prévalu avec succès sur les obstacles qui
s’opposaient à son projet de renouveler l’ordre politique, il peut désormais goûter à la gloire et aux honneurs,
pour autant qu’il conserve ses acquis, mais elle acquiert une importance uniquement avec la finalité politique
au service de laquelle elle est mise à contribution et avec l’entéléchie qui en signale le terme. En dehors de cette
AL EL

perspective, en dehors d’une conception élitiste qui fait reposer la valeur individuelle sur l’aptitude à acquérir et
à conserver le pouvoir, que favorise d’ailleurs la culture de la virtù, en dehors d’une moralité où la fin justifie
les moyens, quelle qu’en soit par ailleurs la désirabilité effective, au sens kantien du terme, la disposition
ON N

intérieure compte pour peu. En somme, la virtù machiavélienne est d’abord et avant tout la raison du succès
RS ON

politique et la valeur qu’elle reçoit aux yeux d’autrui repose premièrement sur l’aptitude du chef à réaliser
l’ambition qui l’apporte. § La vertu kantienne sert par ailleurs une moralité tout autre. Elle est uniquement au
service de l’édification et de l’élévation de l’être humain, et par elle celles de chaque homme, en raison pour
P E RS

l’être humain de constituer le point générique culminant d’une téléologie naturelle qui voit la vie primer sur la
matière inerte et la nature servir de substrat à la civilisation, en raison d’une victoire du registre suprasensible
R PE

de l’esprit [Gemüt] durement arrachée au domaine sensible de la Création. Pour Kant, il s’agissait d’apercevoir
et d’appréhender quels seraient les prémisses, les principes a priori des possibilités suprasensibles de l’homme,
celles qui touchent à sa connaissance et aux limites de celle-ci, mais aussi celles qui touchent à son action,
FO E

laquelle est toujours requise, non seulement pour extraire du monde sensible les informations pertinentes et les
AG

unifier au moyen de concepts et de lois qui constituent la matière de son activité épistémologique, mais aussi
pour agir sur la nature et avec elle pour la transformer. Elle accomplit cela en s’inspirant de ces lois, bien sûr,
mais surtout en illustrant une finalité et les pouvoirs d’y contribuer selon la plénitude de sa possibilité et de sa
US

destination, c’est-à-dire le bien qu’une telle activité suppose. On y retrouve, comme pour Machiavel, la notion
de lutte, mais c’est une lutte que réalise chaque homme en lui-même contre une nature composée, avec le projet
de la transformer et de la civiliser: la nature sauvage de la Création et la nature brute de l’être humain qui doit
réussir à dépasser son insociable sociabilité et parvenir à instaurer, grâce à l’efficace du pouvoir suprasensible
de la raison, et conformément au plan caché de la nature, l’Idée de la moralité et, par elle, une constitution civile
et parfaite qui gouverne la Société en vertu du droit [IAG, §IV-V; VII-VIII; AK VIII, 21-22; 24-28]. § Or,
parmi tous les biens que l’être humain est susceptible de réaliser, deux d’entre eux méritent d’être mentionnés

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LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

déterminantes et insurmontables 38. En somme, l’importance du courage moral pour la dimension pratique nouménale
nous permet de prendre conscience de l’assise suprasensible du sentiment: car il est indissociable de la raison requise
pour en réaliser la puissance pratique, en raison de fins universelles qui, étant spécifiées avec les maximes qui en

LY —
schématisent la nature au gré des circonstances et de manière à répondre pertinemment aux conditions qui en sont
issues, actualisent la bonté de la loi morale qui «commande» le sentiment (l’amour de Dieu et du prochain qui en dicte à

ON CHE
l’amour-propre et à l’estime moral de soi) et ne saurait puiser à rien d’autre que ce qui est intime au pouvoir particulier
de la personne. Ce pouvoir intime est une disposition qui surgit de l’intériorité vivante du désir, dont le parachèvement
repose sur la reconnaissance, autant de la source active qui vise la conservation de son état et se réalise avec son action
finalisée sur le monde sensible que la raison qui est l’unique principe directeur et la cause effective de sa réalisation. Or,

ES ER
celle-ci s’exprime avec la volonté de réaliser les fins morales qu’elle se propose à elle-même ou qui lui sont proposées
et le courage d’enjamber toutes les pierres d’achoppement contre lesquelles elle risque de se heurter, quelle qu’en soit la
source physique, sociale et/ou morale, une volonté et un courage qui portent à refuser l’argument paresseux 39 qui

OS H
accorde au destin, plutôt qu’à la liberté, d’être la cause du bonheur éventuel et de son amplification, autant en envergure

RP EC
qu’en intensité, jusque vers l’Infini 40.

Lorsqu’il accomplit son devoir avec enthousiasme, le coeur joyeux présente une double caractéristique, qui

PU E R
n’enlève rien à l’unité de la personne qui manifeste cet état: non seulement révèle-t-il toute l’entièreté du courage qui
fut mis à contribution afin de réaliser l’entéléchie déontologique, mais encore s’érige-t-il en signe de l’intention
vertueuse, qui vient compléter son attirance au bien et qui trouve en la maxime le moyen et l’occasion de le réaliser

CH S D
avecl’interprétation de la loi morale et son application aux situations particulières 41. Un complexe de sentiments le
fonde. D’abord la piété, laquelle exprime une résolution toujours plus ferme de réaliser la plénitude de l’être et d’agir
selon ses possibilités optimales 42. Elle réalise cela en sollicitant la grâce à la fois du soutien surnaturel pour surmonter
AR FIN
les défaillances éventuelles du courage et de la naissance en soi du désir de voir se fortifier en la personne du sujet moral

en particulier, puisqu’ensemble, ils sont la condition transcendantale sine qua non de l’insertion intégrale de
SE À

l’humanité à l’intérieur du règne naturel: la liberté et la loi morale. Sans la liberté, la loi morale demeure
entièrement virtuelle et ne saurait inspirer aucune action puisqu’aucune action digne de ce nom ne serait même
RE T,

envisageable; et sans la loi morale, la liberté ne recevrait ni sens, ni signification et procurerait uniquement une
D EN

activité dont on ne saurait dire qu’elle est bonne, puisqu’aucun critère suprême n’existerait contre lequel jauger
de la valeur effective d’une action. Ainsi, la vertu kantienne est d’abord et avant tout au service de la liberté et
de la loi morale, que chaque homme a le devoir de cultiver et d’illustrer, en surmontant les inclinations
AN M

naturelles qui le portent à en déroger et en actualisant les dispositions innées qui tendent à les réaliser. Plutôt
que justifier son essence en fonction de résultats extérieur politiques, comme avec Machiavel, elle la fondera
E LE

sur l’aptitude démontrée à réaliser la perfection morale, laquelle réside en la conjugaison optimale de la liberté
et de la moralité, afin d’assurer la plénitude à la fois phylogénique de l’humanité et ontogénique de chaque sujet
US SEU

moral, et par eux la perfection du règne de la nature et de la Création au complet. Si elle renvoie, comme avec
Machiavel, à un drame qui met en opposition des protagonistes, elle s’oppose au drame machiavélien qui se vit
sur le théâtre extérieur des luttes diplomatiques et politiques, susceptibles de procurer la suprématie
hégémonique des entités politiques, telles qu’elles s’expriment avec la guerre et la formation des réseaux
AL EL

d’alliances, le drame pré-faustien qui se vit sur la scène intérieure d’une nature sensible, engagée à se dépasser
et à surmonter les inclinations contraires, afin de faire triompher la dimension suprasensible de la moralité de
ON N

l’esprit, grâce à laquelle le monde reçoit sa loi et établit son règne, dont attestera la civilisation que fondent le
droit et la vertu.
RS ON

32 Idem, p. 259.
33 Nous employons ce terme dans le sens utilisé au XVIIe siècle. Vide, supra, chapître V, note 61, p. 179.
P E RS

34 KPV; AK V, 076-077.
35 Idem; p. 060.
R PE

36 GMS; AK IV, 393.


37 WIA; AK VIII, 035.
FO E

38 ZEF; AK VIII, 379.


AG

39 Au courage [Mut und Tapferkeit] de laisser s’épanouir en soi la disposition native au bien qui caractérise la
phylogénie humaine [den Keim des Guten, der in unserer Gattung liegt] et de lutter contre les causes du Mal,
US

dont les effets contraires sont également enracinés en la nature de chacun [eine in uns befindliche
entgegenwirkende Ursache des Bösen] — un état qui laisse entrevoir une causalité ontogénique du Mal —,
Kant oppose la manière de penser, en morale et en religion, qui est attentiste et pusillanime [harrende
kleinmütige Denksart] et donc requiert le secours d’une aide extérieure [RGV; AK VI, 057]. Outre que le
philosophe voit en le courage l’illustration exemplaire de la vertu, qui tout en reprenant les connotations viriles
que l’areth des Grecs et la virtus des Romains lui prêtaient, situe au plan intérieur des dispositions et des
inclination morales la qualité éminente que ceux-ci plaçaient au centre de la vaillance au combat et de

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LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

les qualités et les vertus qui le rendent meilleur 43. Ensuite le respect devant la majesté de la loi morale, qui consiste à la
fois en l’humilité devant sa grandeur et en la fierté d’abriter en soi cette puissance suprasensible, est susceptible de
maîtriser la sensibilité en vue de participer à la réalisation de la destinée de l’humanité 44, celle de constituer,

LY —
rappelons-le, la fin finale de la Création. C’est une création par contre dont les formes multiples de l’expression
possible se laissent découvrir à chaque étape de l’achèvement de cette finalité, laquelle ne saurait exclure celle qui est

ON CHE
inhérente à la nature propre de l’agent qui l’accomplit. Cet amalgame de sentiments moraux retourne toujours à la joie
cependant, qui procure un sens profond au mouvement qui est le facteur de sa génération, un mouvement à la réalisation
duquel la subjectivité de la personne est susceptible de participer, en illustrant avec cela la moralité la plus achevée 45.
Cette boucle se produit en raison sans doute d’une affinité des états à l’intérieur sens interne, que fonde l’état plus calme

ES ER
et tempéré de la beauté auquel ils participent et dont ils augmentent l’intensité de l’expérience subjective. Car celle-ci
émane de l’auto-réflexion propre à l’héautonomie qui se sait réalisée et qui trouve son attestation avec le savoir que son
entéléchie déontologique est accomplie et elle son suppose justement la présence de la quiétude et de la tranquillité

OS H
fondamentales de l’esprit qui accompagnent l’esprit esthétique à l’intérieur de la réflexion contemplative qui la suscite,

RP EC
en raison de l’attitude subjective du désintéressement, associé dans la conscience aux principes de la sensibilité que
régit cette disposition 46.

PU E R
C’est que déjà la joie du coeur, qui pour les Épicuriens est le souverain bien 47, anticipe sur la connaissance de la
puissance de la vie, une valeur qui est plus estimable encore que l’existence propre de la personne. Se réalisant avec le
devoir librement assumé que subsume la loi morale, elle l’emporte sur les mobiles sensibles en les surmontant. Lorsque

CH S D
ceux-ci prédominent, c’est au prix de l’expérience subjective et de la vitalité personnelle, car ils compromettent le
mouvement central, propre à l’ontogénie civilisatrice et civilisée pour laquelle la phylogénie est valorisée comme étant
sa finalité suprême, en reconnaissance de son pouvoir fondateur de la vie elle-même 48. Or, nulle part ailleurs le principe
AR FIN
de la complémentarité de l’ontogénie et de la phylogénie, engagées dans la plus complète des réciprocités, devient-il

l’héroïsme devant l’ennemi commun — Kant démontre ainsi en quoi il complète et il dépasse le naturalisme
SE À

machiavélien —, on retrouve en même temps l’évocation d’une attitude de l’esprit, la raison paresseuse [ratio
ignava], qui transpose au plan intellectuel ce qui en serait la négation au plan pratique. Cette forme que prend la
RE T,

raison montre en quoi elle ne s’est pas encore affranchie de ses cadres établis, de ses enseignements reçus et des
D EN

préjugés qui empêchent son déploiement optimal, avec pour résultat de perpétuer l’état de dépendance dans
lequel elle se trouve, en faisant reposer son inaction sur la lâcheté et sur l’irrésolution [WIA; AK VIII, 035].
Mais plus encore, la raison paresseuse caraqctérise un défaut [Fehler] de la raison, lorsqu’elle se leurre à croire
AN M

que son travail est terminé et qu’elle a abouti à son entéléchie véritable, alors qu’il reste encore pour elle de
nombreuses choses à découvrir et d’avenues nouvelles à explorer dans son domaine choisi [KRV; AK III, 454].
E LE

Or, seule l’adoption du principe de l’unité systématique de la nature comme procédant de l’Idée d’une
Intelligence suprême serait apte à remédier à l’inclination d’entretenir ce défaut, car sans ce principe, la raison
US SEU

devra admettre que les lois, qu’elle se propose à elle-même en vertu d’une finalité appréhendée, comporteront
des exceptions. Or, seule l’Idée d’une Intelligence suprême permet d’entrevoir la réussite de la raison à
subsumer, sous une organisation finalisée quant à son fondement, des lois qui seront inclusives de tous les cas
singuliers qu’il serait possible de concevoir à l’intérieur de l’expérience objective [Erfahrung] [Idem; p. 455]. §
AL EL

Le concept de la raison paresseuse n’est pas sans évoquer l’argument paresseux des anciens Stoïciens et de
Chrysippe en particulier. Sous sa forme la plus simple, cet argument énonce que le destin est à ce point
prépondérant que ses préceptes produiront que tel homme guérira de la maladie qui l’afflige, qu’il consulte ou
ON N

non un médecin [CICÉRON. Traité du destin (§ XII-XIII). In Schuhl (1962). p. 484-485]. Or, l’argument
RS ON

paresseux néglige de prendre en considération la «confatalité», c’est-à-dire que certains effets sont liés
ensemble en raison de leur nature commune ou complémentaire — la maladie qui est curable seulement avec
l’intervention du médecin —, et par conséquent les propositions qui, même si elles ne sont pas énoncées à
P E RS

l’intérieur de la prédiction, seront également vraies, dès que l’événement prédit se matérialisera — si le malade
guérit d’une maladie réelle, c’est qu’il a consulté un médecin — [Idem]. Or, la «confatalité» est un concept qui
R PE

restaure en partie le bien-fondé d’accomplir une action, même si un individu est gouverné par le mouvement du
destin, et par conséquent d’opérer un choix et d’illustrer l’héautonomie susceptibles de présider à l’initiation de
l’action que produira éventuellement l’agent. § L’erreur commise avec l’argument paresseux, c’est de s’en
FO E

tenir à la liaison des faits uniquement et de voir en les rapports successifs qui relient entre eux les faits et les
AG

circonstances, le cours inéluctable d’un mouvement que conditionne un déterminisme universel, alors qu’en
réalité, si chaque événement appartient à une série causale à titre d’élément discret à l’intérieur de celle-ci, il
n’admet ni pour l’immanence d’une distinction entre l’effet et la cause pour le caractériser — à savoir que
US

l’effet causé puisse recevoir sa cause d’une chose spatialement et temporellement contiguë qui n’est pas
entièrement un effet —, ni pour la possibilité que la cause immanente soit attribuable à une raison séminale et
par conséquent à une hiérarchie qui suppose qu’elle peut être connue par l’intelligence dont la sagesse lui
permet de participer en esprit à cet ectype rationnel et par conséquent à l’archétype dont il procède [BRÉHIER
(1997), p. 034-036]. Or, le destin n’est en réalité rien d’autre que la reconnaissance d’un enchaînement des
événements que justifie le principe de causalité [BRÉHIER (1971), p. 185-187], lequel suppose en tout temps
une rationalité qui fournisse la raison à l’origine de l’effet qui résulte d’une action causante. § Par ailleurs, nous

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LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

plus évident qu’avec le respect de l’humanité dans la personne d’autrui, en même temps que dans la sienne propre,
puisque ce sentiment moral est le fondement du courage moral que caractérisent la fermeté et de la constance de l’âme
49
en même temps qu’il l’oriente, le forme et l’inspire, en le préparant à se laisser infuser par la connaissance rationnelle

LY —
de la loi morale. Si le principe suprême de la moralité s’impose à l’esprit avec une majesté qui transporte la conscience
au-delà de toute dimension sensible, cette hauteur se trouve néanmoins enracinée dans la réalité vitale de l’humanité

ON CHE
qu’imprègne et forme le principe de la liberté. Car si élevée que fût la prétention de la moralité, elle ne saurait pour
autant nier la liberté sans se nier elle-même, en niant le principe qui est le garant de son effectivité, alors qu’au nom de la
liberté, le déni de la moralité se réalise beaucoup plus aisément. Avec ce refus de la moralité, on assiste pourtant à
l’exemplification d’une contradiction fondamentale puisque l’autonomie et la spontanéité de la liberté sont l’assise

ES ER
même de la moralité et que toutes les deux sont l’envers et l’avers de la nouménalité suprasensible.

C’est pourquoi la loi morale révèle le paradoxe de la nécessité hypothétique: malgré la rigueur avec laquelle se

OS H
dessinent les limites intérieures minimales de l’obéissance du sujet moral, à défaut de quoi les effets de la moralité ne

RP EC
sauraient se faire sentir et produire l’accession à la vie nouvelle alimentée pour l’essentiel avec les principes issus de la
faculté nouménale de l’homme, toute liberté est laissée à l’homme d’exprimer la plénitude de sa sagesse et de s’y rallier
avec le devoir, dont la finalité repose sur la poursuite juste et libre de la finalité de la loi morale et dont la réalisation

PU E R
trouve son gage avec la recherche de la plénitude de la vie qui fonde son action sur l’Idée et qui en fournit le terme avec
l’Idéal qui en procède pour le sujet moral. Cette poursuite est donc sans compromission et elle se veut aussi complète
que possible: étant entièrement libre, elle illustre au plus haut point l’autonomie et la spontanéité de son essence

CH S D
suprasensible et la sincérité de son aspiration comme de son effort ainsi que l’élévation de son accomplissement
constituent l’aveu pour le sujet moral de la dignité d’être heureux, laquelle n’est pas sans requérir les faveurs de la grâce
divine. Si elles sont sollicitées avec humilité, elles le sont également avec la ferveur d’une espérance sans borne qui sait
AR FIN
savons depuis Aristote que la philosophie est la science des causes et des principes, ainsi que des premières
SE À
causes et des premiers principes [Métaphysique, A.1, 981b28-982a02], que par conséquent les causes
s’organisent en hiérarchies selon qu’elles exercent un effet plus ou moins englobant et général pour expliquer
RE T,

ces phénomènes qui, étant au départ inexpliqués, suscitent l’étonnement, que ces hiérarchies aboutissent à la
cause et au principe suprême de toutes choses [Idem, A.2, 983a08-10], que la Première cause est une cause
D EN

éternellement agissante, puisqu’elle est antérieure à la puissance du mouvement d’exister toujours, en même
temps qu’elle est la cause de la diversité éternelle qui procède de l’être [Idem, L.6, 1072a06-17] et qu’elle
AN M

réside en un Premier moteur qui, étant nécessaire, est le Bien et le principe du mouvement [Idem, L.7,
1072b09-13]. § Maintenant, le tort que cause l’argument paresseux, qui consiste à voir dans le destin l’exercice
E LE

d’une force et d’une puissance insurmontables contre lesquelles il serait inutile de vouloir, puisque le cours des
choses serait inéluctablement arrêté, c’est d’encourager à l’inaction et de supprimer alors toute activité dans la
US SEU

vie [CICÉRON. op. cit.]. C’est en somme inciter à céder instinctivement aux événements comme si l’action
individuelle était futile et qu’elle ne saurait en aucune manière altérer les effets constatés ou à venir, ni
constituer une véritable causalité à l’intérieur de la série des effets. Bref, l’argument paresseux devient
l’occasion, pour celui qui se laisse prendre à ses pièges, de justifier la fatalité et de s’y résigner, pour se refuser à
lui-même la possibilité d’exercer une puissance héautonomique. Ainsi, la capacité de pouvoir initier des
AL EL

actions significatives par leur efficace réel, d’infléchir les événements et en général de participer à la nature et à
la nécessité du Premier moteur, en devenant soi-même un principe du Bien et du mouvement devient-elle
ON N

problématique. L’argument paresseux constitue donc le principe du refus du principe a priori de la liberté et par
RS ON

conséquent du mérite personnel et de la dignité morale correspondante de savoir l’illustrer, puisqu’ils sont
inhérents à l’espace de la subjectivité, grâce à laquelle la liberté individuelle se découvre et s’exprime. § Or,
l’originalité de Kant réside justement en ce qu’il se soit élevé contre les thèses fatalistes de l’Antiquité et qu’il
P E RS

ait fondé la moralité, à la fois sur l’héautonomie qui consiste à pouvoir librement et spontanément initier et
régler l’action porteuse de l’effectivité possible du bien et sur la définition suprême du Bien comme étant la loi
morale que l’on réalise ainsi à travers les maximes. Étant pleinement et suprêmement actualisée, celle qui
R PE

s’identifie à la loi de l’amour de Dieu et du prochain rend les sujets moraux éminemment dignes d’être heureux,
puisqu’ils ont participé à son instauration effective. Or, cela est possible uniquement si la subjectivité morale se
FO E

conçoit non pas comme dépendant de la raison d’autrui et se résignant à en accepter les canons, un aspect du
destin qui verrait en la raison de l’autre la raison séminale qui en fonderait la causalité, mais comme étant
AG

susceptible de s’extraire de la fatalité du destin en illustrant au plus haut point sa liberté. Bref, la fin
pédagogique de Kant, c’est de s’en référer à la moralité qu’il identifie en chacun comme étant naturellement
US

présente en chacun et de restaurer la puissance de son autonomie rationnelle, en rétablissant en lui la possibilité
de s’en remettre à sa raison comme à une raison séminale dans le sens le plus complet du terme. Par ailleurs, si
cette clarification nous permet de mieux comprendre la perspective kantienne, elle ne fournit pas encore la
raison de cette bifurcation phylogénique qui expliquerait que certains êtres humains seraient susceptibles
d’illustrer la puissance de leur raison séminale alors que les autres doivent apprendre (ou ré-apprendre) à
mobiliser leurs facultés suprasensibles et à utiliser adéquatement leur liberté.
40 RGV; AK VI, 057.

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LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

avoir tout à espérer en vertu de la bonté infinie et inépuisable de Dieu, laquelle s’exprime grâce à l’amour providentiel
que fonde la justice et au souci héautonomique d’instaurer la justice équitable qu’anime l’amour.

LY —
Le sentiment et la spontanéité

ON CHE
L’essentiel du sentiment, nous dit Kant, se résume en deux points: on l’éprouve sans qu’il ne donne lieu à une
connaissance [gefühlt, nicht eingesehen werden]; et on peut le définir de façon vague et superficielle [dürftig 50] comme
étant l’influence [Einfluß] que génère la représentation sur l’activité des pouvoirs de l’esprit 51. Cette formulation
apophatique nous frappe par son aveu d’impuissance, puisqu’elle contient tant de conditions vagues ou négatives. Elle

ES ER
contient pourtant dans son concept le tout de la pureté du sentiment, entendu comme illustrant la transcendantalité et
comme étant exempt d’une matière sensible. Pour en arriver à une telle conclusion, que certains spécialistes de Kant
trouveront peut-être osée, on doit reconstituer un cheminement de la pensée kantienne par laquelle, tout en s’étant

OS H
trouvée à ce niveau de généralité qui tient de la notion imprécise et du mouvement subjectif ressenti dans l’intériorité de

RP EC
l’esprit bien avant toute velléité de l’extérioriser, la raison se trouve ultérieurement à la spécifier et à l’énoncer
subséquemment en proposant une formulation distincte.

PU E R
Chez Kant, le concept de pureté renvoie d’ordinaire au champ de la connaissance et désigne ce qui, de celle-ci, en
représente l’essence intégrale, sans adultération aucune et plus spécifiquement, sans immixtion d’une matière sensible.

CH S D
Car si elle était un tant soit peu étrangère à la substance spirituelle de la raison, en se laissant imprégnée d’une matière
qui trouverait sa source immédiatement dans l’empirie, elle en occasionnerait la corruption 52. La raison pure est la
raison dont les principes de la connaissance sont strictement a priori de toute expérience objective [Erfahrung] 53: si
AR FIN
celle-ci peut aussi fournir des principes a priori — v.g. le concept de cause en tant qu’il est le principe à l’origine du
changement —, ces lois ne sont pas alors des données de la sensibilité — ce qui satisfait au critère minimal de l’a priori
qui, étant suprasensible, est en même temps universel et nécessaire —, tout en ne pouvant s’extraire complètement de la
mouvance physique puisque, selon le Kant de la première Critique, le changement est avant tout un concept
SE À

d’expérience 54. L’a priori de la connaissance est donc une espèce de l’a priori en général qui, dans son sens le plus
noble, trouve son fondement uniquement au plan du suprasensible nouménal de la raison, avant toute expérience qui
RE T,

serve à le dériver. C’est une essence qu’illustre le principe de finalité qui est au fondement de la subjectivité judiciaire.
D EN

Si la représentation de la raison peut se concevoir comme étant pure, on peut également considérer ses produits
comme l’étant, pour autant que ces représentations, étant uniquement formelles, sont dénuées des concepts qui
AN M

renvoient à la sensibilité 55. Mais on peut aussi considérer comme étant pure la moralité, laquelle trouve son siège
pratique avec la disposition morale du coeur à réaliser le bien, avant toute incitation et avant toute influence qui
E LE

l’obligeraient à dévier de cette course, une inclination qu’un caractère intègre et valeureux réussirait à protéger et à
préserver 56. Que cette préservation se fît au prix de la vie elle-même illustre en quoi la vertu s’apparente à la vie,
US SEU

comme étant la propriété par excellence de son épanouissement et de sa réalisation, avec l’effort de conservation que le
sujet moral pratique en sa faveur, lorsque la possibilité existe par conséquent de vivre selon la vertu et d’en pratiquer les
principes. Qu’elle trouve une place au coeur même de la vie et au plan de la phylogénie, cela devient encore plus clair
AL EL

41 Idem, p. 023-024.
42 Idem, p. 023n.
ON N

43 Idem, p. 183.
RS ON

44 Idem.
45 Idem.
P E RS

46 KU, §29A; AK V, 267.


R PE

47 LOG; AK IX, 030.


48 MAT, §06; AK VI, 422.
49 Idem, §07; p. 425.
FO E
AG

50 (XVIIIe s.) = uneigentlich: ni vrai, ni faux; schwach: peu, mal; gering: faible, limité; armselig: piètre, minable;
gehaltlos: superficiel.
51 EE, §viii; AK XX, 232.
US

52 KRV, Einleitung; AK IV, 022n.


53 Idem, p. 043.
54 Idem, p. 028.
55 KRV; AK III, 050; AK IV, 030.
56 KPV; AK V, 155-156.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 212 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

avec l’importance qu’elle reçoit et la priorité qui lui est accordée sur la vie elle-même, lorsqu’un choix radical s’impose
entre la conservation de la vertu et la préservation de la vie. Car si la vertu était inutile et indifférente aux desseins de la
vie, le fait de l’exhausser ainsi, bien au-delà de l’instinct de la préservation et de la promotion de soi, serait tout-à-fait

LY —
incompréhensible.

ON CHE
D’une manière encore plus générale, on peut investir de pureté toutes les facultés de l’esprit, pour autant qu’elles
fournissent leur règle a priori au domaine qui leur est propre 57, et par conséquent qu’elles soient orientées par la raison
théorique, puisque celle-ci est la source de toute connaissance a priori. On voit par là que la préoccupation majeure de
Kant consisgte à assurer la préservation de l’intégrité de l’essence et de la substance suprasensibles de l’esprit et par là

ES ER
de l’originalité de l’essence immarcessible, inhérente à la personnalité nouménale de l’être humain. Malgré qu’elles
agissent sur la nature sensible, et qu’elles interagissent avec elle, ces valeurs nouménales ne sauraient déroger à ce
qu’elles sont en elles-mêmes, avec le processus qui en favorise l’illustration culturelle, ni déchoir de leur dignité propre,

OS H
puisqu’elles procèdent d’une dimension tout-à-fait distincte et suprême, dont ni la subtilité, ni la qualité (autant

RP EC
mathématiques que dynamiques) ne sauraient se laisser réduire à ce que la sensibilité serait susceptible d’en révéler
avec évidence. De là à voir en elles une nature suprasensible de bon aloi, à l’intérieur de la sphère législatrice des
concepts, qui en raison de ses trois concept majeurs, Dieu, la liberté et l’immortalité, appartient au pouvoir qui fait

PU E R
naître les Idées, i.e. la raison, ce seuil est aisément franchi, dès lors que l’on accorde à la raison l’autonomie et la
spontanéité qui, étant nécessaire à la génération idéelle et à la transformation de la nature grâce à elle, la distinguent
alors du monde sensible.

CH S D
L’évidence d’une pétition de principe pourrait venir ternir la valeur apparente de cette déduction. Puisqu’elle
AR FIN
postule un plan suprasensible sur lequel fonder le caractère transcendantal de la raison, pour en découvrir la
manifestation dans les Idées, rien n’empêcherait de conclure que, à bien les considérer, ces Idées seraient en réalité les
produits purement fantaisistes de l’esprit qui caractérisent des êtres de raison uniquement, d’autant plus qu’elles
résulteraient uniquement de l’activité de l’imagination productive, avant et en dehors de toute expérience sensible. À
SE À

cela Kant répondrait par la négative, puisque c’est le statut a priori de ces Idées qui en fondent la portée réelle: si elles
sont régulatrices, elles n’en sont pas moins pour autant universelles et nécessaires, à titre de concepts de la raison, ainsi
RE T,

que suprasensibles, puisqu’elles appartiennent à la sphère transcendantale de l’esprit. C’est en tant que les Idées sont
des concepts rationnels qu’elles peuvent prétendre à la réalité, puisque le concept suppose non seulement la
D EN

contrepartie physique grâce à laquelle il acquiert une signification consensuelle, mais aussi la possibilité d’une
contrepartie physique, grâce à laquelle il reçoit une utilité pratique. Car si le concept XYZ ne correspond à aucun objet
AN M

transcendantal effectif, son invention serait vaine puisque c’est uniquement en raison d’une représentation éventuelle à
l’intérieur du sens commun que l’innovation apportée avec ce concept posséderait une finalité objective, sauf
E LE

évidement pour les cas où il s’agirait de défendre, en l’affirmant exclusivement, la possibilité de la liberté
héautonomique. Mais alors, dirait Kant, c’est un concept qui s’impose à la raison puisque, sans cette Idée, aucune
US SEU

justification n’existerait de la possibilité pour l’esprit d’initier spontanément une activité autonome, en l’absence de
toute contrainte, et par conséquent d’illustrer ce qui est le propre d’un être réellement moral, c’est-à-dire la créativité du
génie qui est susceptible d’improviser face à des situations inescomptées, d’une manière adéquate mais tout-à-fait
inédite, en adoptant les maximes appropriées que le sujet moral se donne à lui-même.
AL EL

La faculté du jugement pose alors problème, elle qui ne suscite pas des connaissances, mais des sentiments,
enpuisant à ses ressources héautonomiques et en formulant des concepts téléologiques — car on ne peut effectivement
ON N

connaître ce qui n’est pas encore —, elle qui apporte par conséquent des changements purement subjectifs à l’état de
RS ON

l’être. Étant uniquement percevables par le sens intérieur, ces transformations seraient par conséquent des faits, non pas
de la raison, mais d’une substance primordiale qui, tout en n’appartenant pas à l’essence de la raison, serait néanmoins
constitutive d’une nature complémentaire au pouvoir de la raison, grâce auquel l’intellect réalise pleinement son sens et
P E RS

sans lequel elle n’en comporterait aucun, du moins en ce qui concerne la réalité organique et naturelle propre au genre
humain. Car poser le problème du sentiment, c’est poser en même temps le problème de l’âme. Si le concept de l’âme
R PE

procède d’une déduction de la raison, étant une Idée hypothétique et régulatrice, il ne saurait être constitutif du
phénomène de l’âme, lorsqu’elle participe de la nature sensible et objective de l’esprit et s’illustre in foro interno dans
les expériences [Erlebnis] particulières 58. Car la notion de l’âme porte en elle le tout de l’expérience subjective unifiée
FO E

de la personne qui entre en interaction avec le monde sensible, avec l’interpénétration continuelle, parallèle et
AG

réciproque de l’esprit par les choses et de la réalité par les êtres organisés. Elle révèle alors ce qui, avec le changement
ininterrompu de ses états, en constitue le principe de continuité, auquel se rapporte l’entièreté des phénomènes, des
actes et de la réceptivité de la personne. L’âme serait alors une substance qui possède une durée, en raison de sa
US

permanence, et dont les conditions extérieures du corps expriment la réalité 59.

57 KU, Einleitung, §iii; AK V, 179.


58 KRV; AK III, 453-454.
59 Idem; p. 444.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 213 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

Cette définition fait ressortir l’importance capitale de l’âme pour une compréhension adéquate de la personne,
puisqu’elle est le lieu théorique, non seulement de l’interaction de l’esprit avec le monde sensible, mais encore de
l’actualisation unifiée des facultés de la connaissance en vertu de penser la réalité objective et de participer à ses

LY —
dynamismes. La plénitude de la conception que l’on en acquiert et de la réalisation intégrale des possibilités qu’elle
contient repose sur l’exacerbation complète de toutes les possibilités du sujet moral et même de celles qui seraient

ON CHE
insoupçonnées au moment présent, lorsque la vérité exige de lui un dépassement inattendu. Cette entéléchie complète
incombe à l’Idée de la vie, puisqu’elle est le principe archétype efficient de l’actualisation de la plénitude de la
possibilité, et elle révèle une finalité intime à l’humanité de chaque personne. Trop souvent éclipsée par la notion de
raison, cette finalité repose de surcroît sur un paradoxe, celui de la permanence de la substance dans le changement

ES ER
continuel de ses états. Le sentiment conserve alors une part focale à l’intérieur du changement au sein de la permanence
— ou à l’intérieur de la permanence du changement — puisqu’il entre en interaction de façon mystérieuse avec les
facultés de l’esprit pour les influencer directement, mais de manière implicite, puisqu’il est situé en dehors de toute

OS H
connaissance 60. Cette affirmation s’avère déjà incomplète puisque la définition du sentiment est à ce stade partielle,

RP EC
étant simplement une influence ressentie qu’exerce la représentation sur l’activité des facultés de la personne et non pas
encore la raison dynamique et héautonomique de la possibilité agissante. Néanmoins, il procure une connaissance
partielle puisque l’esprit a réussi à le rendre concevable grâce au concept en lui attribuant deux genres, le plaisir et le

PU E R
déplaisir, et que par conséquent l’effet du sentiment ressenti à l’intérieur du sens interne de la raison est susceptible
d’infléchir en quelque sorte les activités de la personne dans l’un de deux sens, la continuation de l’activité ou sa
cessation, prêtant à l’une ou l’autre résolution respectivement, conformément au genre et à la qualité du sentiment

CH S D
éprouvé 61.

En allouant pour une conception pure du sentiment, dans le sens où elle est distincte de tout ce qui en exprimerait
AR FIN
une essence ou une origine étrangères 62, elle révélerait ce que serait la nature spéciale du sentiment, en vertu de la
définition du paragraphe précédent: non seulement cette conception distinguerait-elle le sentiment et la connaissance
en raison du principe d’identité, selon lequel un sentiment ne saurait être autre chose qu’un sentiment (ou son
SE À
équivalent synonyme), mais encore exprimerait-elle l’insertion du sentiment à l’intérieur d’un champ téléologique, qui
prévoirait pour l’exercice d’une influence sur la direction objective des activités de l’esprit, en même temps que pour un
RE T,

changement à l’intérieur de l’état du sens intérieur de la personne, selon le sens qui prédomine parmi les deux
possibilités générales de l’agrément ou du désagrément, ou selon les deux à la fois. C’est un changement qui tantôt
D EN

conditionne l’activité du jugement et qui tantôt est suscité par l’effet qui en résulte, qu’il procède d’une activité
simplement théorique de l’esprit ou qu’il soit engendré au plan pratique, avec une poématique susceptible de se
AN M

manifester à l’intérieur du monde physique.


E LE

Toute psychologie en général, affirme Kant, suppose une relation de l’âme et du corps dans l’union des
phénomènes internes et externes, que réalisent l’expérience [Erfahrung] et les représentations hétérogènes qui en
US SEU

procèdent, conformément aux règles propres à l’activité de la raison 63. Or, ajoute celui-ci, cette perspective présente
deux difficultés majeures: la découverte de la cause (et du moyen) du lieu des représentations sensibles entre elles,
propres à fonder les évocations des intuitions extérieures réglées et consistantes 64; et la tentative d’expliquer la
communauté du sujet pensant et de l’être étendu, propres à susciter l’intuition extérieure de l’espace semé de figures et
de mouvements à l’intérieur de la conscience 65. Car si cette considération fait surgir l’Idée de l’objet transcendantal
AL EL

comme étant la cause des phénomènes extérieurs dans leur généralité, cet objet demeure inconnaissable dans l’absolu et
donc il est susceptible de ne fournir aucun concept 66. La réalité serait plutôt que le seul concept fourni par l’objet serait
ON N

un concept indéterminé et sa possibilité reposerait sur l’Idée de l’Inconditionné.


RS ON

Qu’à cela ne tienne, Kant conçoit un rapport intime entre deux substances distinctes, l’âme et le corps: celui-ci est
pour celle-là un substrat inconnu des phénomènes que constitue l’âme du sujet, puisqu’ils sont les représentations de
P E RS

simples formes à l’intérieur de l’intuition. Ce rapport permet de fonder la possibilité, que régissent certaines règles a
priori, de la communauté de l’entendement et de la sensibilité intime au sujet et, partant, de la dépendance nécessaire de
R PE

ces règles sur les choses extérieures, sans pour autant requérir l’abandon de l’idéalisme 67. Or, c’est la distinction
FO E

60 EE, §viii; AK XX, 252.


AG

61 Idem.
62 REF 4728 (1769-1777); AK XVIII, 689.
US

63 KRV; AK IV, 241-242.


64 Idem, p. 242.
65 Idem, p. 245.
66 Idem.
67 UEK; AK VIII, 249.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 214 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

intellectuelle radicale des substances qui permet de saisir quelle est la nature pure de l’âme [Seele], distincte à la foi du
corps et de l’esprit [Geist], au sein de l’unité subjective de la personne [Gemüt] 68.

LY —
Car l’intelligence pure de l’esprit se distingue à la fois de l’âme et du corps et donne sur la psychologie spéciale de
la pneumatologie, avec la connaissance que l’on en acquiert; par ailleurs, la communauté de l’âme et du corps, sans

ON CHE
considération de l’esprit, fournira une psychologie spéciale d’une autre sorte, une psychologie dont le domaine est celui
des âmes à l’état de nature (animae brutorum), i.e. des âmes que n’a pas encore raffinées la civilisation 69. En somme,
c’est uniquement avec son union à l’intelligence de l’esprit que l’âme (au sens pur du terme) peut prétendre participer
au mouvement culturel de la société civilisée, i.e. de la société que caractérisent les moeurs et les artefacts, réalisés en

ES ER
vertu des règles de la raison, autant au plan pratique que poématique. Bref, la psychologie kantienne qui s’en tiendrait à
une notion pure de l’âme toucherait aux tréfonds de l’humanité, avant tout rapport avec l’esprit et donc en l’absence de
tout sentiment qui procède du jugement esthétique de réflexion. L’âme kantienne est donc, dans la pureté du terme, une

OS H
âme strictement sensible, une anima 70 susceptible uniquement du sentiment qui repose sur le jugement esthétique des

RP EC
sens.

PU E R
C’est surtout en tant qu’elle qualifie l’arbitre que la distinction s’impose entre l’état de brutalité et l’état de liberté:
celui-là représente l’état premier de l’âme, en tant qu’il précède toute intuition et donc toute affection ou activation dans
la conscience des sens, le sens interne ou les sens externes. En rapport avec l’arbitre, il exprime alors ce qui constitue le

CH S D
moment fondamental d’une action, alors que son mouvement n’est en aucune façon conditionné par des considérations
rationnelles, qu’elles soient éthico-pratiques ou hypothético-techniques. Bref, l’état de brutalité signifie ce qui est la
simple possibilité de l’action, avant toute incitation téléologique, rationnellement motivée ou naturellement mobilisée,
AR FIN
à fournir une entéléchie et à procurer le mouvement supposé par elle. Un arbitre véritablement libre représente par
conséquent la seule expression véritable du pouvoir d’agir, puisqu’il repose sur la législation interne de la raison et sur
la capacité héautonomique à en initier l’activité, spontanément et de manière adéquate. La raison fait oeuvre alors de
principe de la détermination pratique, opérant indépendamment des déterminations sensibles 71, en se modelant sur la
SE À

loi émanant du législateur suprême ou en se donnant à elle-même une loi, à titre de législateur suprême ayant
uniquement des droits. Cette loi est la loi morale qui oblige a priori et inconditionnellement 72et trouve sa formulation
RE T,

dans les quatre énoncés qui précisent l’impératif catégorique, lequel serait alors l’unique principe d’une héautonomie
véritable.
D EN

Or, le libre arbitre comporte quelque chose qui tient du divin, ou qui s’en rapproche, puisque la loi qui inspire sa
AN M

maxime — qui est nulle autre que la forme pratique de la loi, lorsqu’elle influe sur les circonstances spécifiques et les
informe — représente la forme de la moralité la plus élevée qu’aucune sensibilité ne parvient (ni ne parviendra) à
E LE

atteindre. Par ailleurs, l’arbitre humain n’a pas cette prétention, puisqu’il se reconnaît comme ayant en même temps une
dimension sensible, étant affecté par les impulsions qui émanent de sa nature fondamentale, sans toutefois que celles-ci
US SEU

ne parviennent à le déterminer complètement. L’action qui en procède découle néanmoins de la volonté pure, grâce à
laquelle le sujet surmonte les penchants et les inclinations auxquels le dispose la sensibilité naturelle 73, en se
revendiquant de l’Idée régulatrice de la liberté.
AL EL

Cette observation nous amène donc à évoquer l’existence d’un arbitre humain sensible et ainsi le distinguer de
l’arbitre animal sensible qui en dépend 74, pour lequel les mobiles de la sensibilité d’avèrent prépondérants, i.e.
pathologiquement nécessaires 75; et pour lequel les impulsions sensibles constituent le principe déterminant. Par
ON N

ailleurs, l’arbitre humain sensible se démarque du libre arbitre humain pour lequel les mobiles sont représentés
RS ON

uniquement par la raison 76, et ainsi caractériserait le moment réflexif du jugement esthétique, avant tout concept et
donc avant toute possibilité poématique ou pratique. Par contre, la distinction entre l’arbitre humain sensible et l’arbitre
animal sensible pourrait sembler artificielle si elle repose uniquement sur le critère du sentiment qui est
P E RS

pathologiquement déterminé puisqu’alors tout jugement esthétique des sens pourrait être considéré comme illustrant
une forme de l’arbitre animal sensible, qu’elle appartienne à la bête ou qu’elle réside en le sujet humain. Or, ce qui
R PE

68 Vide, supra, chapître III, p. 213; chapître IV, pp. 244, 256-257 et 265 ss.
FO E

69 REF 4728; loc. cit.


AG

70 KRV; AK III, 363.


71 MAR; AK VI, 213.
US

72 Idem; p. 226-227.
73 Idem.
74 KRV; AK III, 364; MAR; AK VI, 226.
75 KRV; idem.
76 Idem, p. 521.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 215 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

distinguerait l’un et l’autre serait moins la possibilité d’éprouver un affect déterminant que celle de s’extraire de l’état
pathologique afin d’accéder au plan nouménal et ainsi faire prévaloir les motifs de la raison sur les mobiles de la
sensibilité, comme l’illustre amplement l’enfant avec la progression qui caractérise son développement jusqu’à la

LY —
maturité. À ce prix seulement, le sujet humain peut-il revendiquer d’accéder au statut de sujet moral pleinement
actualisé, à partir de l’état latent préexistant du sujet moral en puissance, et puor lequel l’intégration au plan culturel

ON CHE
devient le témoignage le plus éloquent, avec la conduite éthique et l’activité poématique.

Dès lors que l’on reconnaît l’effectivité du désir agissant à l’intérieur de l’arbitre selon des concepts associés à la
conscience, celle de la faculté d’agir engagée dans la production de l’objet 77, la présence préalable d’une sensation

ES ER
s’avère alors imminente pour l’expérience qui débouchera soit sur un arbitre humain, soit sur un arbitre animal.
L’exercice ou la suspension de la volonté pure, lorsque le sujet moral détermine son arbitre, laisse supposer une latence
de l’âme qui est préalable, soit à favoriser une réceptivité à l’effet prépondérant de l’esprit quant à l’orientation de

OS H
l’arbitre humain, soit à suspendre la participation de l’esprit à la détermination de l’action et à céder à l’entraînement de

RP EC
l’inclination ou du penchant que suscite habituellement cette sensation dans l’arbitre animal. Existant à l’état brut, la
latence de l’âme qui favorise au départ la réceptivité à l’action de l’esprit sur elle, est en même temps celle qui est
disposée envers le bien alors que l’âme pour lequel cette réceptivité est soit inexistante, soit trop faible pour en recevoir

PU E R
l’influence, témoigne certes d’un habitus naturel, mais dont la présence situe encore l’âme humaine en-deçà du seuil
minimal pratique susceptible de justifier l’élévation de l’être simplement animé, rendu au stade de l’être civilisé.

CH S D
Car pour Kant, c’est uniquement dans la mesure où la personne est susceptible de se laisser entraîner par les
maximes de l’esprit qui est éveillé à la valeur éminente de la loi morale qu’elle quitte l’état de nature pour se hisser
AR FIN
véritablement à l’état social. Celui-ci est l’état pratique des moeurs et des réalisations qui se fondent sur le sens
commun, lequel dérive sa valeur fondamentale de l’universalité et de la nécessité de la loi morale, susceptible a priori
de diriger effectivement l’arbitre de chaque personne, en vertu du partage phylogénique d’une nature commune. Cette
valeur prend tout son sens, dès lors que la subjectivité [Gemüt] illustre de manière superlative la dynamique de la
SE À

faculté de désirer, lorsqu’elle se conjugue avec le pouvoir de la moralité. Ayant adopté la loi morale pour servir de phare
à son existence, le sujet moral la réalise pleinement à l’intérieur des situations concrètes qui relèvent de son expérience,
RE T,

comme en témoigne l’accomplissement réel mené à terme avec courage et constance. Il devient pour cela l’indice
éloquent de la dignité morale effective, susceptible d’être reconnue à la personne, de participer et de goûter au bonheur
D EN

suprême.
AN M

Ainsi voit-on se dessiner un genre d’hiérarchie pratique qui transpose au plan de l’autonomie morale le plan
héautonomique de la constitution humaine organisée. De la même façon par conséquent que le corps est le substrat de
E LE

l’âme, de la même façon l’âme apparaît comme étant le substrat de l’esprit; et de la même façon que la sensibilité de
l’arbitre animal se compare avec celle de l’arbitre humain, selon que la volonté ait la possibilité ou non d’exercer son
US SEU

effectivité morale; de la même façon le mélange de la sensibilité et de la rationalité présent à l’intérieur de l’arbitre
humain se compare au libre arbitre, dont l’Idée exclut toute influence de la sensibilité dans l’exercice intégral de la
rationalité pure.
AL EL

ONTOLOGIE (RÉALITÉ AVÉRÉE)


héautonomie autonomie
ON N

corps : âme :: âme : esprit


RS ON

DÉONTOLOGIE (VIRTUALITÉ POSSIBLE)


jugement esthétique jugement logique
P E RS

sensibilité : réflexion :: réflexion : détermination


TÉLÉOLOGIE (VIRTUALITÉ AVÉRÉE)
R PE

sensibilité boulétique suprasensibilité boulétique


arbitre animal : arbitre humain :: arbitre humain : libre arbitre
FO E
AG

Analogie VI.1: Unité de l’ontologie et de la téléologie à l’intérieur du


processus vital, grâce auquel le concept statique de l’être s’inscrit à
l’intérieur d’une entéléchie qui en réalise la complétude, en même temps
US

que la plénitude de la vie, en raison du pouvoir du jugement.

L’analogie qui précède illustre en quoi le suprasensible est une facteur distinctif de la liberté, puisqu’elle réalise la
plénitude de l’autonomie du désir, avec le raffinement et la perfection de la vie. Avec la naissance de l’état social que

77 MAR; AK VI, 213.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 216 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

fonde l’Idée indéterminée du libre arbitre, se trouve engendrée une dialectique qui oppose à la pureté du sentiment celle
de la raison et procure au sujet moral la plénitude de la vie dont l’entéléchie se trouve confirmée au plan personnel par la
dignité d’être heureux et au plan de la société avec l’accès à un niveau de civilisation optimal. Ainsi l’état latent de

LY —
l’âme, antérieurement à toute intuition, adjoint à la disposition à conserver et à réaliser la vitalité en exacerbant la
plénitude de sa possibilité intrinsèque, rencontrent le pouvoir de réaliser l’entièreté des possibilités de l’âme en

ON CHE
orientant et en dirigeant celle-ci avec des maximes qui, malgré leur spécificité schématique, sont entièrement
conformes à la loi morale suprême. L’efficace de cette synergie repose à la fois sur l’unité de la raison qui se répercute
sur l’unité de l’être biologique et sur les deux postulats de la primauté, de la priorité du suprasensible sur le sensible et
de la priorité du pratique sur le théorique. Les moeurs et les réalisations qui en témoignent attestent du triomphe de

ES ER
l’esprit sur la sensibilité, laquelle risquerait autrement de laisser s’embourber l’âme à l’intérieur d’un état de réalisation
moindre, qui sacrifierait aux jugements esthétiques des sens les jugements esthétiques de réflexion, par lesquels l’esprit
accède du particulier à l’universel, et les jugements logiques de détermination, par lesquels l’esprit subsume le

OS H
particulier sous l’universel. Or, sans les jugements susceptibles de procurer les concepts et les Idées, dont les maximes

RP EC
sont un exemplaire pour celle-ci, il n’existerait aucune possibilité de fonder la moralité pleinement effective, en la
faisant passer du plan idéel de l’être de raison vers le terrain réel de l’être actuel. Celuji-ci acquiert sa talité en vertu de
l’initiative qui, trouvant son moment originel au plan héautonomique de la raison, parvient à se concrétiser grâce à la

PU E R
règle du génie, à la perspicacité judiciaire du désir ainsi qu’à l’énergie poématique de la volonté.

En insistant de façon trop immédiate sur la reconnaissance de la vitalité existante, l’expérience esthétique

CH S D
inclinerait démesurément vers un arbitre animal. Elle fonderait en même temps un degré minimal de la liberté,
puisqu’elle cultiverait l’état subjectif du contentement associé presqu’exclusivement au principe du plaisir sensible.
Car ainsi, elle privilégierait l’état actuel de sa réalisation et la préservation de ses acquis — ce qui suppose la recherche
AR FIN
d’un bien minimal —, avec la quête simplement de ce qui est agréable (et la fuite ce qui est désagréable) sur laquelle
asseoir son bonheur, sans égard pour les possibilités futures visant la moralité la plus élevée qu’il soit possible
d’envisager et susceptibles d’être réalisées grâce à sa culture chez le sujet moral. La vitalité est une possibilité qui est en
SE À
même temps le substrat fondamental de l’esprit: elle assure la possibilité de son activité et lui procure une signification
ontologique, laquelle consiste en la réalisation la plus entière des possibilités de l’âme moralement disposée, avec la
RE T,

manifestation du plus grand des courages à la réaliser. Et puisque cette entéléchie requiert l’apport d’un matériau
sensible, sur lequel exercer sa puissance, elle sert en même temps la phylogénie de l’espèce en concourant à l’effort de
D EN

civilisation, tel qu’elle apparaît avec la pratique culturelle au plan éthique des conduites et au plan poématique des
oeuvres.
AN M

Par ailleurs, lorsque la raison reconnaît la vitalité pour ce qu’elle est — la source et la raison d’être de son pouvoir
E LE

actif et moral —, l’activité de l’âme trouve un complément parfait avec l’action médiatrice de l’esprit et les principes
qui en sont l’oeuvre, aux plans théorique, pratique et judiciaire. La personne humaine acquiert alors l’espérance de
US SEU

pouvoir accéder à la plénitude de la vie, en exacerbant ses possibilités autant suprasensibles que sensibles. En
découvrant et en interprétant la loi morale au moyen de ses maximes et en prévoyant les conditions de leur mise en
oeuvre, le sujet moral illustre sa volonté à l’intérieur de deux registres distincts: celui de réaliser au plan objectif la
société civilisée et celui au plan subjectif d’accéder à la dignité d’être heureux, lesquelles conditions sont toutes les
AL EL

deux fondées sur le libre arbitre, puisqu’il constitue un Idéal de l’arbitre humain. Or, c’est la reconnaissance de
l’entéléchie objective appropriée à l’état de la liberté optimale qui procure tout son sens à cet Idéal, en fournissant à la
volonté la raison de dépenser un effort qui procurera une consistance sensible de plus en plus perfectionnée à l’être de
ON N

raison de l’Idée suprasensible indéterminée dont elle s’inspire. Cette actualisation laissera présager, avec la réalité qu’il
RS ON

lui incombe de recevoir, des possibilités plus grandes encore, sur la voie d’une entéléchie dont le terme se rapproche de
plus en plus, voire de manière asymptotique, de la fin finale envisage, la plénitude de l’Idée.
P E RS

Or, le sentiment éprouvé dans la conscience n’est pas encore une connaissance mais il a la possibilité de le devenir
avec la tentative d’en conceptualiser, même très généralement, les nuances, les contours et les qualités. Du
R PE

surgissement des deux catégories du plaisir et du déplaisir proviennent les sous-catégories qui les caractérisent dans le
jugement: l’agrément que procure l’objet sensible à l’intérieur l’intuition et qui se rapport au jugement esthétique des
sens; la beauté que fait naître la représentation poématique avec l’entendement réflexif, pour ce qui est du jugement
FO E

esthétique de réflexion; la sublimité que réalise la représentation naturelle avec l’entendement contemplatif, propre au
AG

jugement moral de réflexion; et la perfection actualisée de l’entéléchie objective à l’intérieur de la raison appréciative,
attribuable au jugement logique de réflexion. Le sentiment exprime ainsi les états de l’âme en ses divers moments d’une
interpénétration complémentaire et d’une influence réciproque, avec la raison qui en oriente et en dirige les possibilités
US

vitales, pour tantôt conserver celles-ci en vertu d’un enracinement adéquat à l’intérieur de la réalité de l’expérience et
pour tantôt les réaliser encore plus complètement selon l’Idée morale la plus haute possible qu’il est possible d’en
formuler.

Cette Idée est celle de la loi morale suprême dont la nécessité se conjugue avec l’Idéal de la liberté de l’être vivant,
rationnel et responsable. Elle comporte tantôt une dimension actuelle, étant une condition effective de la plénitude de la
vie, sociale et culturelle par ce qu’elle a de plus humain et de plus personnel, et tantôt une dimension téléologique,

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 217 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

puisqu’elle assume pleinement la conséquence que la dignité d’être heureux est proportionnelle à l’intériorisation
pratique des préceptes de la loi morale, engagée dans le mouvement qui mène à son entéléchie objective, mais non sans
qu’y contribue au plus haut point la responsabilité personnelle, laquelle fonde son état sur le sentiment moral qui allie

LY —
le courage et le respect et sur la pureté de la volonté qui est vouée à la réalisation de la moralité. Or, si à l’état de ce qui
est est associé la caractéristique de l’hétéronomie, puisque ce qui est accompli devient un facteur de contrainte et de

ON CHE
limitation sur les possibilités futures, c’est l’autonomie morale qui permet d’entrevoir ce que serait la spécification de
cette possibilité, lorsqu’elle découvre les principes de la réalisation éventuelle . Par contre, dès lors qu’il existe le
passage effectif entre ce qui est et ce qui pourrait être, l’entéléchie subséquente est l’effet d’une héautonomie
poématique qui seule peut revendiquer la réunion des conditions actives requises pour une réalisation accomplie des

ES ER
fins proposées.

Étant l’expression du mouvement de la vie à l’intérieur de l’âme, le sentiment exprime en même temps la relation

OS H
intime qui existe entre l’âme et l’esprit [Geist] qui en émane, puisque celle-là est une force intérieure et active et elle

RP EC
assure le substrat ontologique de la production des formes rationnelles. Par ailleurs, ces formes confèrent, en les
informant, une direction aux possibilités de l’âme en fonction du Bien, lesquelles servent alors l’intérêt de la raison,
puisqu’elles se trouvent à recevoir leur sens d’elle. Ces éventualités trouvent à s’extérioriser sous l’effet d’une action

PU E R
conjointe de la volonté qui forme l’action et de la force de l’âme, du courage moral qui l’alimente en énergie constante
et durable, lesquelles soutiennent la résolution inaltérable de concrétiser les projections de l’imagination et les désirs du
coeur, lorsqu’ils sont confrontés aux obstacles imposants qui s’offrent à eux et qui prennent souvent l’apparence d’être

CH S D
insurmontables. Mais ce qui caractérise avant tout le sentiment, issu du rapport de l’être avec le monde sensible
[Erfahrung] à l’intérieur de l’expérience qu’en réalise le sujet épistémique et moral [Erlebnis], c’est l’infinie diversité
des nuances sous lesquelles le sentiment se présente, alors qu’elle adopte souvent l’aspect de l’imprévisibilité qui
AR FIN
pourrait faire croire à la spontanéité, de l’expérience qui est médiatisée ou non par le pouvoir de la connaissance,
laquelle est soit intérieure et subjective, en réponse à l’objet transcendantal de la représentation préalablement
intériorisée; soit extérieure et sensible, lorsqu’elle est suscitée dans l’objet de l’intention.
SE À

En réalité, affirme Kant, l’originalité du sentiment n’est qu’apparente, puisqu’elle est un artifice de l’hétéronomie
RE T,

de l’expérience qui obéit à ses propres règles, en raison des principes de l’expérience possible que fondent les lois de la
nature connaissables a priori 78. Cette connaissance possible repose sur un pouvoir de juger en général que spécifient
D EN

tous les principes synthétiques a priori de la table des jugements et qui, relativement à l’entendement, constitue
l’essence de l’expérience [das Wesen der Erfahrung] 79.
AN M

Mais qu’en est-il alors du sentiment qui demeure un pouvoir transcendantal isolé, lorsqu’il figure en relation avec
E LE

l’entendement et aux jugements qui en procèdent, à l’intérieur du complexe synesthésique judiciaire. Étant un principe
tout-à-fait étranger à l’expérience objective, il est alors une dimension privilégiée de la subjectivité avant toute
US SEU

connaissance (sans pourtant en nier la possibilité). Cela s’avère possible, en vertu de la pureté inhérente au sentiment
qui tient à la fois de la sensibilité subjective du sens interne pour laquelle aucune contrepartie n’existe dans les sens
externes, sauf peut-être dans les manifestations corporelles qui en révèlent éventuellement la présence avec le rapport
qui conçoit le corps comme étant le substrat de l’âme, et de la réceptivité à l’essence morale suprasensible de la
AL EL

personne, en vertu de constituer une raison de l’âme.


ON N

Si le sentiment apparaît comme étant un mouvement de l’âme, un changement graduel ou soudain dans l’état de
l’âme éprouvé subjectivement, s’il peut faire l’objet d’une connaissance et occuper par conséquent une place à
RS ON

l’intérieur du sens commun, puisqu’il renvoie à une subjectivité a priori, universelle et nécessaire, appartenant à la
dimension phylogénique des êtres humains et révélant une nature que tous les hommes — en principe — ont en partage
de manière générique, sans être en soi une connaissance qui repose toujours sur des concepts, il est avant tout réactif. Il
P E RS

surgit alors en réponse, soit à la transformation de l’expérience sensible objective, soit au surgissement de la
représentation ou de la présentation qui trouvent leur origine à l’intérieur de la spontanéité subjective de l’expérience
R PE

imaginative, deux réalités hétéronomes qui ont pour effet possible de conditionner la nature et les attributs du
sentiment. Mais tel étant le cas, comment la faculté de juger, qui est celle aussi du sentiment, peut-elle alors prétendre
posséder sa propre autonomie, puisqu’elle est suscitée par lui avec la réceptivité à l’expérience pour retourner à lui avec
FO E

l’activité qui en procède et qui devient le nouveau facteur de sa suscitation, en raison du principe a priori de la finalité
AG

qui distinguerait radicalement ce pouvoir des autres pouvoirs de la connaissance. Or, cette finalité aurait un double
aspect en ce qu’elle fonde le désir d’une part et par conséquent la dimension suprasensible de la moralité, et le coeur
d’autre part et par conséquent le registre hétérosensible de la vitalité.
US

À défaut d’une telle distinction, le pouvoir de juger, qui repose sur le complexe synesthésique associant la raison et
le sentiment, apparaîtrait comme étant une girouette ballottée au gré des vents de l’expérience, selon la diversité des

78 PKM, §23; AK IV, 306.


79 Idem, p. 308.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 218 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

manifestations que les sens externes autant que le sens interne apportent à la conscience. Le jugement serait alors un
pouvoir sans consistance propre, perpétuellement conditionné par les pouvoirs rationnels de l’esprit qui, étant
eux-mêmes autonomes, lui apparaissent comme étant au moins en partie hétéronomes, en l’absence d’un principe

LY —
unificateur: le pouvoir théorique de la connaissance, qui est le pouvoir de sonder et d’appréhender les lois universelles
de la nature qui sont données a priori dans la possibilité même de l’expérience [Erfahrung], et le pouvoir pratique de

ON CHE
désirer, qui se donne à lui-même un objet et active la volonté pour le réaliser dans l’expérience, en vertu de la loi a priori
de la moralité.

La représentation est mise en rapport avec le sentiment au moyen du concept, tant au plan théorique qu’au plan

ES ER
pratique, sans pour autant que le concept puisse en constituer un principe d’explication unique et complet, ni même
suffisant, car en vertu de son caractère réducteur, il exige du sentiment qu’il sacrifie autant de son originalité que de son
caractère ineffable à la compréhension que l’on serait censé en acquérir. Au plan objectif, l’expérience donne bien lieu

OS H
à un concept, avec la représentation qu’elle autorise à l’entendement de formuler à son sujet: ce concept est

RP EC
nécessairement apparié avec le sentiment en général selon ses deux genres, mais ni l’expérience, ni la représentation, ni
le concept ne sauraient produire a priori telle ou telle modalité du sentiment 80. Au plan subjectif de la moralité, si la
représentation du vouloir se trouve nécessairement associé aux sentiments moraux du respect et du courage qui soumet

PU E R
les obstacles même les plus récalcitrants aux désirs qui l’animent, puisqu’il est le pouvoir déterminant que fonde le
principe de la légalité universelle, le rapport de l’Idée au sentiment se produit uniquement d’une manière
phénoménologique 81, puisqu’aucune continuité essentielle ni commune mesure n’apparaissent à l’esprit pour

CH S D
expliquer la co-existence du principe rationnel et de l’état sentimental.

AR FIN
C’est qu’en effet la nature distincte du sentiment renvoie à un troisième principe qui est ni tout-à-fait sensible,
comme le suggérerait une conjoncture du sentiment avec la représentation naturelle objective, ni tout-à-fait
suprasensible, comme le laisserait entendre une confluence du sentiment avec la représentation suprasensible
subjective, mais l’hybride de l’une et l’autre. Car d’une part, elle tient du sensible par sa possibilité réactive spécifique à
SE À

ce qui, à l’intérieur du sensible, serait réalisable — l’actualisation pratique de la maxime qui traduit concrètement la loi
morale en devoir dont la réalisation effective est possible, autrement la loi morale n’aurait aucune raison d’être, sauf à
RE T,

titre de fiction gratuite —; et d’autre part, elle tient du suprasensible avec une réactivité analogue qui associe une
représentation sensible éminemment actuelle à une subjectivité strictement intime dont la consistance et la substance,
D EN

tout en possédant une précarité mouvante et transitoire, ne laissent en rien présager de la sensibilité évidente. À cela
ajoutons que la dynamique relevée s’ancre dans une anthropologie qui, tout en faisant partie prenante du monde
AN M

sensible, invoque l’univers suprasensible des principes et des facultés de l’esprit afin de surmonter les conditions du
présent et de s’inscrire à l’intérieur d’un avenir qui n’est pas encore réalisé. Étant associé à la conscience identitaire du
E LE

Ich transcendantal, puisqu’il révèle autant sa singularité que sa disposition fondamentale et l’appartenance à l’âme
comme à un centre vital qui est la raison de sa propre subjectivité individuelle, le sentiment révèle une dimension
US SEU

suprasensible à laquelle l’Idée absolument a priori de l’immortalité de l’âme vient apporter un poids considérable.
L’harmonie ou l’inharmonie de la conscience identitaire en signifie l’affirmation ou la négation de son état à l’intérieur
de l’âme, avec ce que la conscience se révèle à elle-même de sa possibilité intime avec le sentiment, en vertu d’une
expérience [Erlebnis] subjective seulement, en l’absence de tout concept. En effet, lorsqu’ils sont situés aux plans
AL EL

idéaux de l’éternité et de l’immortalité de l’âme, les états du sentiment transcendantal deviennent alors la révélation
subjective à l’esprit de la consonance ou de la dissonance qui sont associées aux virtualités de l’âme qui tantôt se
développent dans le sens de la plénitude de son essence ou qui tantôt s’en éloignent.
ON N
RS ON

Or, c’est un principe originel et original qui vient accorder sa justification au sentiment, en tant qu’il est un pouvoir
plein et entier de la connaissance fondée a priori. Ce principe est celui de la finalité, et spécifiquement celui de la
finalité formelle subjective des objets, un principe qui offre la triple caractéristique: d’être irréductible à d’autres
P E RS

concepts; d’être un avec le sentiment; et d’être concomitant avec l’action du pouvoir de la représentation (à l’intérieur
de l’entendement), qui est la réflexion objective sur un objet, puisque la finalité se manifeste avec un concept qui
R PE

spécifie pour elle une fin particulière 82. Et à ce titre, la finalité universelle et nécessaire qui est le principe fondateur a
priori du jugement est sensible quant à son opération possible sur un objet réel, mais suprasensible quant à sa possibilité
projective et elle révèle une autonomie et une spontanéité que ni le pouvoir théorique de la connaissance, ni le pouvoir
FO E

pratique de désirer ne laissent au départ deviner. Étant à l’origine de toute possibilité, le principe de finalité est un
AG

principe originel. Mais en entrevoyant la possibilité objective d’une chose et en projetant les moyens techniques de sa
réalisation, ce principe qui anticipe entièrement sur le futur n’autorise encore aucune connaissance, tant que n’existe
aucun exemplaire, même à l’intérieur du schématisme de la raison, sur lequel s’exercerait l’entendement, et il précède
US

tout désir, tant que n’existent pour lui ni le critère de la bonté contre lequel en évaluer la désirabilité, ni le critère
technique, contre lequel en estimer la faisabilité, avec l’acte d’anticiper simplement sur ce qui pourrait être.

80 EE, §viiiA; AK XX, 229.


81 Idem.
82 Idem, p. 230.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 219 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

Bref, le pouvoir de juger, qui est aussi le pouvoir d’éprouver le sentiment et de ressentir autant les états d’âme
discrets que les changements à l’intérieur de ceux-ci, en vertu de la multiplicité des couleurs et de la diversité des
nuances que peuvent avoir les deux genres principaux du sentiment, est un pouvoir d’anticipation et de

LY —
conceptualisation sur ce qui est possible, un pouvoir qui est à la fois intellectuel, avec l’union harmonieuse de
l’entendement et de l’imagination, et vital, avec le sentiment qui est suscité par ce qui est et contribue à former

ON CHE
l’anticipation sur ce qui sera, et l’élan optatif qui mobilise la participation de l’être à un mouvement par lequel
l’expérience [Erfahrung] se révèle objectivement à la conscience, autant relativement aux essences actuelles qu’en
vertu de ce qui devrait être. Le jugement est donc un pouvoir de prévision objective qui, tout en l’animant et en
l’orientant, s’inscrit à l’intérieur du mouvement actif par lequel le désir impose la loi morale qui en fonde la légitimité

ES ER
transcendantale, pour déterminer, parmi toutes les éventualités que révèle une nature actuelle, inerte ou vivante,
naturelle ou culturelle, celles qui feront l’objet d’un devoir, étant jugées nécessaires en vertu de la loi morale suprême,
laquelle est aussi la loi divine du législateur suprême. Ainsi peut-on proposer que le sentiment opère en général un de

OS H
deux effets: soit qu’il confirme au plan de l’intimité vivante l’adéquation actuelle et réelle de l’objet avec sa possibilité,

RP EC
selon qu’elle est toujours estimée désirable, étant en conformité avec la loi morale; soit qu’elle réfute cette adéquation
et qu’elle réfléchisse alors sur les possibilités objectives que présente l’actualité, en vue d’effectuer l’adéquation
éventuelle d’une chose réellement possible avec une maxime proprement définie, laquelle sera par la suite adoptée par

PU E R
la conscience comme étant obligatoire, en autant qu’elle est conforme avec la loi morale suprême, connue absolument a
priori.

CH S D
C’est un principe a priori de la raison pure — que gouverne l’analogie avec la nature dans la considération des
êtres vivants — que tout ce qui caractérise l’usage d’un organisme (organe, pouvoir ou pulsion [Antrieb 83]) est ni
superflu, ni sans pertinence: un être organisé est donc doué de finalité, en même temps que chaque aspect de cet être
AR FIN
incarne et assume la destination de l’être entier et que cette finalité est adéquate à la vie, lorsqu’elle fait l’illustration
complète de sa possibilité. Seul fait exception à ce principe l’être humain, le seul organisme qui illustre dans sa
possibilité la fin finale et donc ce que serait le seuil ultime de la nature 84: non pas qu’il en nie l’aspect essentiel, mais
SE À
parce qu’il a la possibilité d’en réaliser au plus haut point la signification. Car l’être moral de l’homme est le seul qui
puisse dépasser le concept de la durée d’une vie employée au service de l’utilité et de l’avantage immédiats, pour
RE T,

anticiper sur la vie qui le caractérise comme étant le citoyen d’un monde qui, parce qu’il est l’exemplaire suprême du
monde accompli, demeure pour l’instant un monde virtuel. Ainsi, non seulement l’être vivant a-t-il la possibilité de
D EN

constituer une fin pour lui-même, en vertu de posséder implicitement un pouvoir en ce sens — autrement cette
possibilité serait un concept vide —, mais encore cette finalité est-elle inscrite à l’intérieur d’un ordre naturel, l’ordre
AN M

des fins qui est en même temps un ordre de la nature 85, et il trouve sa culmination avec l’être humain qui serait le point
d’aboutissement, le faîte, l’acmé de cet ordre. De la même façon que tout ce qui caractérise le fonctionnement interne de
E LE

l’organisme est proportionné à sa finalité spécifique — qui peut être simplement de croître et de se multiplier, sans
exlure pour autant une possibilité métaphysique plus profonde encore —, tout ce qui caractérise les rapports entre
US SEU

l’organisme et la nature, ou encore ceux qui lient les organismes entre eux, est adéquat à la fin finale ultime de l’être
humain lui-même.

Or, le concept de l’être humain est un concept distinctif: non seulement l’homme se distingue-t-il de tous les autres
êtres vivants, avec sa capacité rationelle et morale (constitutives de son humanité et de sa personnalité) 86, mais encore
AL EL

est-il le seul à pouvoir s’excepter de sa destination de constituer la fin finale de la Création [das einzige Geschöpf [...],
welches davon [den letzten Endzweck] ausgenommen wäre] 87. On peut par là comprendre que c’est en vertu de sa
ON N

rationalité morale et de sa personnalité phylogénique que l’homme, étant en principe la fin finale ultime de la création,
RS ON

peut en dépasser les données immédiates et espérer réaliser encore autre chose qui soit encore plus grandiose, si cela est
du tout concevable. Tout en affirmant cette possibilité, l’originalité spécifique à la nature humaine ouvre sur un
accomplissement possible qui laisse tout à espérer, tellement l’horizon éventuel d’un univers vaste et prometteur
P E RS

s’étend à ses pieds, malgré qu’il soit à ce stade simplement virtuel. La seule condition morale a priori de l’initiative
humaine, si ambitieuse fût-elle autrement, c’est la nécessité universellement assumée de subsumer le projet humain
R PE

sous la loi morale suprême que fonde la Divinité suprêmement morale.

L’animalité, l’humanité et la personnalité; la vie, la raison et la responsabilité 88: ces triades révèlent les mots-clefs
FO E

de la compréhension intégrale de l’être humain et ils trouvent leur résonance, avec un peu d’improvisation et de latitude
AG

d’esprit, avec les trois facultés de la connaissance: la raison synesthésique du jugement, la raison pure de l’entendement

83 (XVIIIe s.): impulsus; stimulus (lat.): penchant naturel; aiguillon, stimulant.


US

84 KRV; AK III, 277.


85 Idem.
86 RGV; AK VI, 026.
87 Idem.
88 Idem.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 220 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

et la raison pratique de la moralité. Car dès lors que l’on accepte le principe de l’unité de la conscience et que l’on admet
qu’elle se réalise sous l’identité de la permanence substantielle, malgré les pressions auxquelles elle est exposée et les
métamorphoses susceptibles de se produire en elle 89, on doit alors convenir que les distinctions logiques, qui consistent

LY —
à découper un concept en ses éléments constitutifs en vue du connaître 90, ne sauraient interpréter adéquatement la
réalité unitaire et intégrée de l’organisme, vivant à l’intérieur du tout auquel il contribue avec l’exacerbation réfléchie

ON CHE
de ses possibilités et qui en retour assure les conditions de son appartenance à l’ensemble phylogénique et de son
soutien ontogénique à l’intérieur de celui-ci.

Car la forme éminemment unique que prennent l’appartenance biologique et la convenance au mouvement qui la

ES ER
caractérise et aux lois qui président à son déroulement se réalise en raison de l’unicité de son actualité distinctive, de ses
possibilités particulières (autant au plan ontogénique que phylogénique), mais de façon néanmoins conforme à une
finalité dont le terme pose un problème à la spécification, tellement sa possibilité est vouée à un inconnu

OS H
épistémologique qui en conditionnera les manifestations innombrables et tellement celles-ci sont susceptibles d’une

RP EC
transformation subséquente, en raison de l’activité théorique et pratique de la raison humaine. Si la finalité organisée
paraît saisissable en raison d’une perspective transcendantale qui, en reconnaissant les diversités, évoque la notion
générale de perfection, elle se réalise par ailleurs en vertu d’une dynamique qui autorise au départ à toutes les

PU E R
conjectures, pour autant qu’elles se découvrent à l’intérieur du mouvement qui reconnaît pleinement la valeur
superlative des virtualités qui sont au service de la vie. Le problème devient alors de cerner le sens de la perfection qui,
tout en révélant la conformité à une conjoncture naturelle, historique et culturelle précise, serait néanmoins susceptible

CH S D
d’accueillir l’achèvement de la multitude des possibilités inhérentes à l’ensemble organisé et à chacun de ses membres
constitutifs, lesquelles se découvriront en dehors de cette conjoncture, tout en la réalisant sous certains aspects du
moins. Plus encore, ce contraste évoque l’immanence du principe agissant, au nom duquel cette entéléchie se réalise
AR FIN
d’une manière conforme à une direction qui, n’étant pas négatrice de la vie, ne saurait en définitive défendre un principe
radicalement nihiliste.
SE À

La capacité de réflexion distingue l’homme des autres espèces en lui conférant une dignité et une importance
insignes et elle caractérise l’unité de la conscience, inscrite à l’intérieur d’une mouvance et d’une logique du
RE T,

changement, en vertu du principe de l’identité qui se sait dans sa spécificité. Étant le membre d’un ordre des fins qui est
aussi un ordre de la nature, l’être humain reconnaît, grâce à son pouvoir réflexif, que le fondement de son existence est
D EN

la vie, laquelle est nulle autre que la possibilité d’exercer une autonomie et une spontanéité boulétiques à l’intérieur de
la nature dynamique, qui est en même temps inerte et/ou vivante ainsi que brute et/ou cultivée. En vertu de cet attribut
AN M

essentiel, les transformations esthétiques qui en manifestent l’évidence sensible révèlent non seulement une puissance,
mais encore une conjonction de puissances dont les forces physiques qui président à leur actualisation sont bien au-delà
E LE

de celles que peut immédiatement leur opposer la personne morale. Afin de triompher complètement sur le pouvoir
déterminant de ces puissances, en même temps que sur les inclinations et les impulsions que font naître celles-ci à
US SEU

l’intérieur de la sensibilité, le sujet moral n’a d’autre ressource que celle de leur opposer la réalisation optimale de son
autonomie créatrice, laquelle pour leur être adéquate doit répondre en espèce à la spontanéité qui semble émaner du
monde sensible, en raison du caractère souvent inopiné et imprévisible des causalités et des effets physiques qui
marquent son expérience. La science se donne la tâche incessante de les démystifier et le mythe se donne la mission
AL EL

d’en conserver et d’en propager la mémoire à l’intérieur de la conscience collective, en même temps que les thèmes et
les moments essentiels que codifie un langage voilé et/ou oublié, au bénéfice des générations futures qui pourront tenter
d’en décrypter les significations et les enseignements profonds.
ON N
RS ON

Le surgissement réactif du sentiment résulte, mais d’une manière différente à chaque fois, d’un jugement
esthétique des sens, d’un jugement esthétique de réflexion ou d’un jugement téléologique moral (en vue du Bien), étant
consécutif à ce qui en constitue la raison initiale pour les sens extérieurs ou à l’intérieur du sens interne. Même si la
P E RS

qualité de la transformation subjective qui accompagne l’aperception du phénomène devient un miroir intérieur et
pré-conceptuel de la cause de son effectivité, le sentiment trouve toujours la raison d’être fondamentale, universelle et
R PE

nécessaire, à l’exercice de la liberté, à l’illustration de l’autonomie créatrice et à l’opération de la spontanéité qui soient
en même temps possibles, c’est-à-dire profondément enracinées dans la réalité sur laquelle elles exercent un effet
déterminant. Or, étant fondées sur le pouvoir héautonomique du Ich à en actualiser ponctuellement le ressort, ces
FO E

facultés prouvent quelle est leur légitimité avec la vie que la personne parvient à conserver dans le moment présent et à
AG

prolonger dans l’avenir, lequel se construit progressivement sur un état actuel lucidement représenté au souvenir, mais
qui procède aussi d’un passé parfois nébuleux et informe.
US

C’est avec l’épanouissement de sa personne et la réalisation subjective de la raison éthico-pratique que l’homme
connaît et réalise sa pleine valeur, celle qui est inhérente à la dignité sans prix de la personne qui découvre sa valeur
avec son ouverture sur la dimension suprasensible de la moralité et qui la fait reposer sur celle-ci. Étant simplement

89 APH, §01; AK VII, 127.


90 LOG; AK IX, 035.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 221 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

l’expression d’une nature phénoménale et agissant simplement en conformité avec les principes de l’arbitre brut,
entièrement déterminé par les occurrences naturelles et les inclinations que font naître celles-ci en lui, l’animalité
vivante de l’homme s’inscrit à l’intérieur de la nature organique et révèle un caractère distinctif qui le démarque de la

LY —
nature inerte. Par contre, cette distinction ne suffit ni à l’en séparer, ni à l’exhausser complètement. Si l’intelligence
dans le sens le plus complet du terme est le pouvoir dont dispose le sujet moral de se donner à lui-même des fins,

ON CHE
d’innover quant aux choix des possibilités que lui permet d’entrevoir, aussi largement que le lui permet, son pouvoir de
connaissance, il est susceptible de recevoir de cette distinction aucune autre appréciation que celle qui est afférente à
une reconnaissance extrinsèque. Ainsi possédera-t-il aux yeux de ses semblables une valeur simplement utilitaire qui,
tout en s’opposant certes à la valeur vulgaire de quelque espèce qu’elle soit que reçoit tout être vivant, ne comporte

ES ER
cependant aucune mesure commune avec celle qu’il incombe à l’homme nouménal de recevoir. Car, étant une fin en
soi, celui-ci est digne de recevoir une reconnaissance essentielle, laquelle repose à la fois sur la dignité que confère
l’autonomie morale à la personne, une autonomie qui est finalisée de manière optimale en vue du Bien, et sur le respect

OS H
que cette qualité fait naître dans l’esprit d’autrui 91.

RP EC
Or, l’autonomie morale apparaît superficielle, factice et peut-être même tout-à-fait irréelle (et irréalisable), sans
l’autre sentiment moral ancré dans le coeur, la fermeté et la constance de l’âme qui prêtent à la volonté de réaliser ses

PU E R
désirs, la force et l’énergie intégrales de la personne, requises afin de faire prévaloir la loi morale sur la loi naturelle et
ainsi réaliser pleinement la puissance de son autonomie. Grâce au courage moral donc, l’homme parvient à surpasser
autant les fins que commande intérieurement la dynamique exogène prédominante d’une conjoncture naturelle et qui, à

CH S D
toute fin pratique, se contentent face à elle d’assurer la sécurité de l’individu en recourant au mécanisme instinctuel de
l’adaptation, que les sollicitations extérieures, lesquelles dans les faits déterminent souvent de manière irrésistible et
éprouvent jusqu’aux possibilités les plus prometteuses de la personne.
AR FIN
L’Idée du dépassement possible s’offre à l’entendement personnel de l’homme, sous la forme de la double
possibilité transformatrice: celle qui porte sur le monde et vise dans l’immédiat l’action simplement utilitaire, sans
SE À

portée culturelle véritable, et celle qui agit subjectivement sur le Ich, sinon en atteignant la profondeur de son être, du
moins en suscitant l’action finalisée qui, tout en conditionnant la nature, la perfectionne et la spiritualise en lui
RE T,

procurant une dimension culturelle et en l’inscrivant à l’intérieur d’un processus qui en éprouve jusqu’aux possibilités
les plus profondes. Avec cette Idée apparaît celle de l’amélioration des conditions de la vie (quant à son émergence, sa
D EN

conservation et sa durée), y compris selon leur dimension collective, en même temps que l’Idée de l’amélioration du
monde sensible en général, grâce aux lois naturelles a priori, à laquelle les conditions a priori de l’unité de l’expérience
AN M

à l’intérieur de l’entendement procurent les fondements épistémologiques d’une réalisation intégrale et unifiée
possible.
E LE

Un rapport simplement réactif au monde, qui sous-tend toute tentative, si complète et si compréhensive fût-elle,
US SEU

d’un approfondissement scientifique, est le point de départ d’une démarche par laquelle l’homme en vient à développer
une relation épistémologique prospective au monde sensible. Celle-ci devient la mesure, non seulement de l’évaluation
de la justesse de ses impératifs hypothétiques, mais encore de l’aperception des bienfaits concrets et tangibles émanant
de ses maximes, avec l’activité résultante qui entreprend de réaliser ce que l’esprit conçoit comme étant une possibilité
AL EL

pratique. La poématique s’appuie donc sur un pouvoir d’anticipation, lequel associe à l’intérieur de la conscience
l’activité de l’imagination et le pressentiment quant à la justesse des possibilités appréhendées, pour procéder à un
pallier de la conscience qui illustre le franchissement d’un seuil critique. Ainsi devient-il le premier moment de
ON N

l’exception par lequel l’homme, étant la fin finale de la nature, se démarque des autres espèces vivantes.
RS ON

Car il marque le début de l’évolution radicale par laquelle l’homme procède vers un rapport de symbiose active et
constructive avec le monde, à partir de la synergie primitive qui voyait l’être vivant de l’homme entrer en relation avec
P E RS

le monde de manière à assurer simplement son intégrité existentielle. Auparavant, il orientait son action dans le sens
d’une conservation la plus durable possible des acquis, lesquels s’insèrent néanmoins à l’intérieur de la dynamique de
R PE

la vie, puisqu’elle est constitutive des conditions de sa préservation et de sa continuité, ontogéniques autant que
phylogéniques. Dorénavant, abvec le franchissement du seuil critique, la conservation du monde prend son sens
uniquement à l’intérieur de la logique de l’utilisation pleine des dispositions naturelles de l’homme et de leur
FO E

finalisation, en vertu des capacités et des inclinations qui sont les siennes et en vue de bénéfices et d’avantages pouvant
AG

résulter de leur contribution effective 92. C’est une téléologie vitale qui anticipe sur une durée de plus en plus longue et
qui soumet les dispositions héautonomiques à passer du plan des réalisations plus immédiates à celui de
l’engendrement d’accomplissements successifs plus lointaines, autant dans l’espace visualisé que dans le temps
US

prévisible.

91 MAT, §11; AK VI, 434-435.


92 KRV; AK III, 277.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 222 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

Mais les réussites de la personne répondent uniquement aux qualités d’une finalité objective phénoménale, avec
les premiers balbutiements d’une compétence nouvellement acquise et malgré une démarche intellectuelle qui arrache
l’esprit à l’immédiateté de ses considérations pour le situer dans un avenir hypothétique. Car l’Idéal projeté est encore

LY —
suffisamment rapproché dans le temps, pour que l’effort requis à sa réalisation puisse recevoir une estimation effective
qui ne perde pas de vue l’utilité sensible que l’on espère en obtenir. Et pourtant, on assiste alors à la naissance historique

ON CHE
d’un moment qui fonde l’activité de l’esprit sur une ouverture au caractère intangible et ineffable des possibilités
réalisables, plutôt que sur la dimension concrète et l’immédiateté absorbante des réalités ambiantes, en raison de se
donner un élan heuristique qui, en même temps qu’il explore les possibilités naturelles, découvre celles qui découlent
de son activité propre. Avec l’accomplissement de cette découverte, la raison étend de proche en proche sa

ES ER
connaissance objective du monde ainsi que l’appréhension subjective de ses capacités innées, lesquelles trouvent à se
réaliser grâce à la nature, la nature sensible de l’expérience qui lui procure l’occasion d’une activité et la nature
suprasensible de l’innéité psychique qui lui en fournit les moyens, en effectuant sur elle-même un recrutement

OS H
héautonomique qui en initie et en exacerbe les possibilités intimes.

RP EC
De l’appréhension du monde sensible actuel, lorsqu’elle favorise simplement l’épanouissement de la vie ou
qu’elle empêche que s’accomplisse son éclosion et sa conservation, le sujet moral en vient à considérer ce qui en sa

PU E R
personne comporterait les éléments essentiels et substantiels de l’héautonomie, suffisamment solides et constants, pour
constituer une garantie sur l’avenir. Car le fait pour la raison de se donner à elle-même une règle, la maxime qui au plan
moral illustre la plus haute légitimité, suppose non seulement la capacité théorique de comprendre quels sont les

CH S D
principes a priori qui sont censés gouverner la pensée, le désir et la volonté, mais encore les pouvoirs de la
discrimination et de la décision, d’adapter ceux-ci aux circonstances avec économie, c’est-à-dire de la manière la plus
adéquate et durable possible. Cette assurance repose sur la possibilité d’une amélioration des conditions de vie
AR FIN
susceptibles de résulter, non pas seulement quant à un horizon immédiatement envisageable, mais aussi quant à un
terme dont l’aboutissement, tout en étant pressenti comme éventuellement certain, ou du moins éminemment probable,
se situerait à l’intérieur de la sphère d’une éventualité appelée néanmoins à composer heureusement avec une part
SE À
d’inconnu et d’aléatoire de plus en plus grande. Ainsi, à partir de la constatation d’un monde qui, grâce à un effort
incessant, s’améliore progressivement, l’esprit passe à la conception d’un monde absolument meilleur, en prenant
RE T,

conscience de son pouvoir d’anticipation qui, à partir des Idées indéterminées de l’Inconditionné et de l’Illimité,
envisage le terme de son action comme étant indépassable, voire de manière simplement idéale. La mise à contribution
D EN

de toutes ses possibilités et de toutes ses activités apparaîtrait, non seulement souhaitable, mais nécessaire à son
édification. La vertu étant la constance inébranlable avec laquelle se réalise la progression à l’infini des maximes que
AN M

fonde la loi morale 93, la culture de la vertu qui réside en la simple conscience de la probité du sens moral [das bloße
Bewußtsein der Rechtschaffenheit der Gesinnung], constitue une disposition beaucoup plus précieuse que la recherche
E LE

de la gloire, lorsque le sujet moral se résout à réaliser cet Idéal, car elle acquiescera à une cession des avantages
immédiatement escomptables, en faveur de ceux qu’un monde superlatif serait — éventuellement — susceptible
d’offrir 94.
US SEU

L’éveil à l’absolu dont témoigne le sentiment de la sublimité accompagne donc le premier moment critique et
déterminant de l’éveil à la moralité, que nourrit la perspective conjuguée de l’immensité de la Création et de la
AL EL

puissance inimaginable qui est contenue en elle, ainsi que celle de leur contrepartie dans l’intellect, c’est-à-dire de la
connaissance d’illimitée et de la faculté rationnelle de l’homme qui transporte en elle une possibilité épistémologique
inépuisable 95. Si l’état naturel sous lequel existe le sujet moral qu’il conditionne vient mitiger cette ambition
ON N

cependant, puisqu’il impose à l’entendement un horizon compréhensif et intensif, le tout unifié de la rencontre du
RS ON

sensible naturel et du suprasensible spirituel réside à l’intérieur du désir qui voit en la possibilité épistémologique la
seule qui en un premier temps serait digne d’être réalisée — et qui pour cette raison apparaît comme étant nécessaire —.
Si éloignée fût-elle du moment anticipé de sa réalisation, la moralité découvre ensuite la possibilité effective de sa
P E RS

confirmation, mais ailleurs que simplement avec la reconnaissance effective de la sublimité intellectuelle de la raison
humaine. Ainsi, la faculté d’imaginer et de construire l’Idée esthétique des conditions effectivement applicables à un
R PE

monde superlatif en fournit la possibilité d’en penser la réalisation définitive à l’intérieur d’une progression historique:
si la moralité acquiert la justification probante que la poursuite de l’Idéal ne s’est pas produite en vain, avec l’entéléchie
effectivement présente de l’Idée qui n’est pas une chimère; elle atteste en même temps de sa propre autonomie — de
FO E

son héautonomie pratique simplement —, en illustrant la sublimité morale du courage, de la faculté du coeur qui se
AG

conjugue avec celle du désir à l’intérieur du pouvoir de la volonté, en vue d’assurer que cette possibilité, entrevue
comme étant à la fois nécessaire et éminemment réalisable, puisse être revendiquée comme lui appartenant en propre et
comme étant issue de sa liberté.
US

93 KPV, §07, Folgerung, Anmerkung; AK V, 032-033.


94 KRV; loc. cit.
95 Idem.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 223 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

Ainsi retrouve-t-on, avec le complexe boulétique qui réunit la constance et la fermeté de l’âme du courage moral et
le désir au sein de la volonté, le terme définitif qui assure, à l’intérieur du complexe synesthésique judiciaire, le passage
de la résolution désidérative à la concrétisation objective, pour lequel le sentiment fait office de l’aliment suprasensible

LY —
catalyseur de l’action. Cette phase finale est celle par laquelle la chose qui est susceptible de devenir acquiert un statut
épistémologique: elle confirme non seulement le pouvoir analytique et synthétique de la raison théorique, mais encore

ON CHE
le pouvoir critique et poématique de la raison pratique. Car d’une part, la raison théorique postule quelles sont les
possibilités optimales qui sont en même temps réalisables; et d’autre part, la raison pratique définit les critères en vertu
desquels leur réalisation sera conforme aux principes a priori qui en gouvernent l’opération: le principe téléologique du
Bien, le principe héautonomique de la liberté et le principe autonomique de la législation. Celle-ci reconnaît à la liberté

ES ER
une importance primordiale qui prend tout son sens uniquement si la raison pratique parvient à lui conférer une règle en
vue du Bien. Or, c’est avec la jonction à l’intérieur du complexe synesthésique des dimensions judiciaire,
déontologique et boulétique, spécifiant ce qui relève du simple arbitre, ce qui relève du devoir, et ce qui est requis pour

OS H
réaliser l’un comme l’autre, que s’effectue la rencontre du théorique et du pratique.

RP EC
Car le complexe judiciaire pleinement parvient à identifier la possibilité réalisable et à distinguer celle-ci de celle
qui est simplement virtuelle ou encore de l’éventualité simplement facultative, mais non pas définitivement cependant,

PU E R
puisque les possibilités qui sont révélées par elles, si elles ne sont pas retenues dans l’immédiat, pourraient s’inscrire
intégralement à l’intérieur de ce monde meilleur, à une étape ultérieure, non encore anticipée ou définie, dès que la
conjoncture le requiert et s’y prête. Par ailleurs, le complexe déontologique établit nettement la différence entre ce qui

CH S D
est simplement possible à l’intérieur d’une situation indifférente à la moralité — l’utilisation prospective de
l’entendement selon les paramètres de la simple utilité, à l’intérieur d’une conjoncture qui reçoit préalablement une
sanction morale 96 — et ce qui est nécessairement possible, selon une situation que définissent de façon spontanée et
AR FIN
autonome, la moralité suprême et les maximes en résultant. Étant confrontées aux exigences de la réalité naturelle dont
la diversité incroyable est en transformation perpétuelle, ce sont les maximes elles-mêmes qui accordent un espace de
réalisation effective à la loi morale, alors qu’elle subsume formellement toutes les situations problématiques, en vertu
SE À
du principe de finalité qui est en même temps une obligation, mais qui illustre une finalité néanmoins.
RE T,

Vers une théorie de la vie


D EN

Or, la finalité obligatoire est d’un genre qui convient à la moralité, tout en demeurant une finalité, puisqu’elle vise
la transmutation objective, grâce à laquelle se constatera l’entéléchie d’un Idéal réalisé parce qu’il est réalisable,
AN M

lorsque les conditions et les conjectures sensibles lui sont suffisamment favorables ou à tout le moins malgré qu’elles ne
lui sont pas entièrement dirimantes. Puisque la maxime réalise l’impératif catégorique, elle se distingue des principes
E LE

qui gouvernent les conditions subsomptives de la réalisation des deux formes que peut prendre l’impératif
problématique — la compétence technique qui procure une règle à l’habileté, avec la réalisation d’une fin strictement
US SEU

poématique et la prudence pragmatique qui fournit une règle de vie, au service du bien-être fondamental des individus
et des collectivités et par conséquent de l’ontogénie et de la phylogénie —, qu’elle lie a priori, d’une manière
universelle et nécessaire, à la conduite morale de la personne qui l’inspire 97.
AL EL

Or, nulle raison, qu’elle soit technique, pragmatique ou éthique, ne saurait en quelque façon s’illustrer
indépendamment du bien-être vital suffisant du sujet moral, et sans égard pour celui-ci. Même que la compétence, la
prudence et la moralité révèlent un lien intime avec le bien-être, illustrant en cela la dimension psychique de la vie. Car
ON N

elle fonde l’activité noétique de la personne en même temps que sa finalité implicite, en concourant à sa propre
RS ON

conservation et à sa propre promotion, au nom de la loi morale elle-même qui commande l’amour de Dieu, d’autrui et
de soi-même comme étant des maximes interchangeables, pour autant que les priorités soient respectées et que la
mutualité du sentiment s’exprime en reconnaissance de l’essence vitale, grâce à laquelle elle est rendue possible. Car de
P E RS

la même façon que la dimension noétique de l’esprit passe par la dimension psychique, pour en reconnaître au plan de
l’effet la valeur, la dignité et la grandeur, de la même manière le principe a priori de l’amour de la loi morale sur lequel
R PE

se fondent les formes qu’en spécifie la maxime qui l’enracine dans une réalité proprement humaine, requiert la
promotion, la conservation et la protection de la vie afin d’acquérir l’efficience et la signification. Car si la vitalité qui
ne s’en réfère à aucune raison pour l’orienter, fluctue de manière aléatoire au gré des influences prépondérantes qui
FO E

s’offrent à elles, la raison sans la vitalité pour en activer, en maintenir, en transporter et en concrétiser l’idéation est une
AG

hypothèse à la fois absurde et inimaginable.

En somme, qu’il s’agisse de compétence technique, de prudence pragmatique ou de maxime éthique — en


US

admettant que celles-ci soient indissociables autrement qu’à l’intérieur de la conceptualisation —, la loi morale est

96 Ayant déterminé qu’il est bon de planter une vis à tel ou tel endroit, il est moralement indifférent de chosir tel
tournevis ou tel autre; ayant décidé qu’il est désirable de se rendre à telle destination, il est indifférent de choisir
avec quel véhicule parcourir le trajet ou laquelle de deux autoroutes parallèles emprunter à cette fin.
97 GMS; AK IV, 416-417.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 224 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

toujours servie par elles puisqu’elle constitue la condition fondamentale à la fois de l’art, du bien-être et des moeurs.
Des moeurs en ce qu’elle énonce les conditions obligatoires de la vie à l’intérieur de la société civilisée, de sorte à
rendre possibles les réalisations de l’art et l’expérience du bien-être. Du bien-être en ce qu’elle voit en le bien-être

LY —
d’autrui l’attestation de l’effectivité de la loi morale que fonde l’amour de Dieu et qui trouve sa résonance avec l’amour
de son semblable, c’est-à-dire avec la mutualité et la réciprocité des maximes énonciatrices du devoir. Car les maximes

ON CHE
sont à bien y réfléchir des conseils de prudence qui se fondent sur la finalité morale avant celle du bien-être, sans
pourtant exclure celle-ci, puisque le bien-être d’autrui devient le gage de son bien-être propre. De l’art en ce que, étant
l’édification de la matière en vue de l’édification des esprits, il vise une forme du bien-être qui trouve son critère
objectif dans l’effet réalisé, lequel ne peut être indifférent, ni à la vie, ni à sa conservation ontogénique, ni à sa

ES ER
perpétuation phylogénique. Or, seules l’universalité et la nécessité implicites à la loi morale a priori peuvent constituer
l’assurance que la finalité vitale fondamentale sera rencontrée à tous les plans de la réalisation humaine, inclusive à la
fois de son plan personnel et de son activité collective.

OS H
RP EC
Par son côté établi et immédiatement accessible à l’esprit par le truchement de la mémoire, la connaissance
apparaît comme étant un sentiment actuel de la raison, étant l’effet et le produit de son activité, à l’intérieur du rapport
heuristique et herméneutique qui caractérise une raison pleinement enracinée dans la plénitude de sa réalisation. Car la

PU E R
raison atteint à sa plénitude avec la découverte des lois et des principes que procure le jugement réflexif dans
l’immédiateté de l’espace intellectuel et leur mise en relation théorique en vue d’une éventuelle application possible, au
moyen du jugement déterminant et eu égard à des situations concrètes. Par ailleurs, la vie apparaît comme étant la

CH S D
raison éventuelle du sentiment, en étant également l’effet, mais d’une façon différente, puisqu’elle suppose la
médiation du temps, en témoignage de l’enracinement de la raison. La dimension suprasensible et nouménale de la
personne confirme la pertinence pratique de la matière idéelle et conceptuelle de la raison, en parachèvant l’édification
AR FIN
des esprits grâce à la contribution par laquelle s’effectue l’édification de la matière, le tout en vue du meilleur monde
possible que conçoit la raison pure théorique comme étant un projet éminemment réalisable, un projet que requiert la
raison pratique pure lorsqu’elle procure une substance à la finalité déontologique.
SE À

C’est uniquement avec la conjugaison de la connaissance et de la vie que l’unité de la raison trouve à se réaliser. La
RE T,

vie donne tout à espérer puisqu’elle se fonde sur l’essence suprasensible de la plasticité et de la malléabilité de ses
propres possibilités dynamiques et insondables: en vertu de requérir un substrat physique, ces virtualités répondent à
D EN

une actualité qui ne manque pourtant pas de présenter les occasions diverses et innombrables pour l’éventualité d’un
exercice effectif de la raison pleinement réalisée, même si dans l’immédiat elle offre souvent l’occasion de résistances
AN M

et de distractions parfois suspensives, lesquelles éprouvent une raison tâtonnante qui n’a d’autre choix alors que leur
reconnaître temporairement une influence décisive. Car il se produit au plan phylogénique un rattrapage par laquelle la
E LE

raison, en exerçant et en perfectionnant de plus en plus avec cela les possibilités de l’esprit, en vient à développer
suffisamment sa compétence à interagir et à composer de manière pertinente et appropriée avec les conditions du
US SEU

monde sensible et à dépasser les limites inhérentes à la situation actuelle et aux conditions naturelles sous lesquelles se
manifestent l’autonomie et la créativité de sa substance suprasensible. Par ailleurs, la plénitude de la raison unifiée
apporte avec elle la plénitude de la vie, puisque la plénitude du Gemüt requiert comme condition fondamentale
l’interaction achevée de l’esprit [Geist] et de l’âme [Seele], laquelle ne saurait exister en l’absence de la plénitude de
AL EL

leur possibilité respective.

La plénitude de la vie réfère à la plénitude suprasensible de la conscience certes, mais elle est bien plus encore,
ON N

puisqu’elle illustre en même temps la vie de l’être de la personne humaine pleinement unifiée et intégrée. Cette
RS ON

entéléchie suppose autant l’accomplissement harmonieux de ses dispositions et de ses talents naturels, mis au service
d’une liberté bien comprise, exercée en vue d’atteindre à des fins possibles et optimales, que la réalisation du meilleur
monde possible. C’est un Idéal qui inclut autant la transformation de sa configuration phénoménale que la
P E RS

métamorphose de sa possibilité active et qui réside autant dans l’expansion du pouvoir autonomique et régulateur de la
raison que dans la diversification de l’excellence de sa puissance créatrice spontanée, lesquelles requièrent que le sujet
R PE

moral trouve en lui-même les motifs, les mobiles et la résolution héautonomique de sde recruter lui-même, afin de
prendre les initiatives créatrices qui contribuent à ce projet et de les mener jusqu’à leur terme ultime. Or, ce monde est à
la fois congruent avec la dignité morale de l’humanité, inscrite à l’intérieur de la personne de chacun, et il constitue le
FO E

facteur du perfectionnement continu de l’humanité, lequel s’accomplit dans le sens de manifester, d’incorporer et
AG

d’incarner des virtualités suprasensibles, éternelles et infinies.

Celles-ci se trouvent d’ailleurs à l’intersection de la présence et de la conscience du Ich qui contemple l’immensité
US

du monde astronomique, sans confins ni limites, en même temps qu’il cultive la loi morale dans l’intimité de son for
intérieur, pour utiliser une image que Kant a façonnée dans sa seconde Critique 98. Car la loi morale est le gage de
l’éternité de l’âme, en reconnaissant pleinement le principe qui seul peut fonder la plénitude de la vie, autant quant au
sens à donner à l’ontogénie qu’à la pérennité historique à laquelle la phylogénie est promise 99. Le Ich dont il s’agit est

98 KPV; AK V, 161.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 225 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

transcendantal et il réfléchit par conséquent sur ce qui est peut-être, malgré le paradoxe qui s’en dégage, le sentiment le
plus fondamental de l’âme humaine, c’est-à-dire la sublimité ressentie devant l’immensité et l’infinité qui trouvent leur
lieu à l’intérieur d’un être corporel fini, un être qui est susceptible néanmoins d’appréhender l’éternité et l’immortalité

LY —
de sa propre substance, malgré que lui-même soit situé dans le temps et dans l’espace 100.

ON CHE
L’âme se découvre pleinement située, autant à l’intérieur d’un espace habitable que délimite le cosmos avec
l’élévation et l’azimuth d’un horizon illimité qui le dépassent de tous côtés, qu’avec un temps infini auquel puise la
conscience, lorsqu’elle appréhende l’expérience intime qui transporte le sujet, en esprit et peut-être aussi en rêve, parmi
les étoiles jusqu’à un au-delà dont il voit mal quels pourraient en être les contours. Car ceux-ci suscitent un vague flou à

ES ER
l’intérieur de la perception individuelle, lorsqu’une limite physique est proposée à la conscience qui serve à distinguer
l’univers matériel de l’expérience physique et ce qui, au-delà de celle-ci, en représente la simple vacuité de l’espace, ne
contenant aucun corps pour servir de point de référence à l’esprit, ni même de présence transcendante pour

OS H
l’accompagner, lorsqu’il fait l’expérience [Erlebnis] de la conscience pure à l’intérieur de sa subjectivité. En admettant

RP EC
qu’un tel état intérieur serait possible, par lequel la conscience deviendrait consciente uniquement d’êlle-même,
comment alors proposer qu’elle puisse éventuellement habiter dans l’immédiat un tel vacuum, sans s’être auparavant
anéantie, faute de trouver la raison d’être de son existence avec une expérience sensible [Erfahrung] qui la nourrisse.

PU E R
Deux mouvements caractérisent la philosophie de Kant: celui qui trouve son sens avec l’Idée de la vérité et son

CH S D
aboutissement avec la finalité théorique de la connaissance; et celui qui trouve son principe, avec l’Idée de la loi morale,
qui est aussi la loi de l’amour, et son objet, avec la finalité pratique de l’action. Mais à la façon des concepts et des
intuitions qui ne sauraient exister l’un sans l’autre, puisque la pensée fournit à celles-ci l’unité de l’Idée, présente dans
AR FIN
la notion ou dans l’image, et puisque l’intuition fournit à ceux-là, par l’entremise de l’expérience possible, la matière de
la représentation qu’informe la pensée unificatrice 101, une action sans connaissance pour en déterminer les paramètres
serait au mieux aléatoire et au pire insensée et futile, puisqu’étant sans objet, alors qu’une connaissance sans action
pour rendre sensible ses possibilités serait au mieux gratuite et au pire vaine et inutile, puisque ne possédant aucune
SE À

raison d’être.
RE T,

De ces deux mouvements ressort un troisième qui est la culmination des précédents puisqu’il en exacerbe les
D EN

possibilités avec la réciprocité de leur finalité respective. D’une part, la plénitude de l’action poursuit l’excellence du
Bien dont la loi morale est à la fois la fin et le moyen: pour réaliser son but, elle requiert la plénitude de la connaissance
qui, reposant sur l’expérience qui est réfléchie et sue, permet d’anticiper avec succès sur l’expérience possible. De
AN M

manière analogue, la plénitude de la connaissance aspire au point suprême de la Vérité, en conformité avec les règles de
l’entendement et de la raison en général, et recherche à l’intérieur de l’esprit le savoir qui est non seulement possible,
E LE

mais également effectivement réel: pour mener sa quête à bien, elle requiert la plénitude de l’action qui lui procurera
une forme enracinée dans l’expérience sensible. Or le mouvement qui réunit les entéléchies et les fait culminer dans la
US SEU

plénitude de l’entéléchie, c’est la Vie. Car celle-ci est la cause motrice et héautonomique de l’exacerbation de toutes les
possibilités de la personne, avec la réalisation complète des possibilités théoriques du savoir et pratiques de l’action, en
raison de leur action combinée que réalise le pouvoir médiateur du jugement. L’être vivant, rationnel et responsable de
l’homme s’inscrit ainsi à l’intérieur du mouvement qui rend possible tous les souvenirs puisque, avec son insertion à
AL EL

l’intérieur du règne de la nature et en vertu de la plasticité de sa constitution organique et native, il est capable du
meilleur comme du pire, en l’absence du principe dont l’efficace garantit contre celui-ci, tout en assurant
l’accomplissement de celui-là.
ON N
RS ON

Par contre, par son côté moral et responsable, le sujet humain ne s’autorisera pas à faire l’application d’un principe
qui entrerait en conflit avec la reconnaissance philosophique mûrement réfléchie qui mène à la reconnaissance de la
suprématie de la loi morale, dont la loi de l’amour est l’expression substantielle avec ce qu’elle a de plus transcendant et
P E RS

de plus immanent à la fois. Cette loi émane de l’amour de Dieu qui, avec l’excellence de sa pureté, fonde l’ensemble de
la multiplicité des formes sensibles que prend l’amour véritable, et en particulier l’amour du prochain, et assure que la
R PE

priorité des formes ne soit pas perdue de vue, alors que les deux principes — la primauté du suprasensible sur le sensible
et celle du pratique sur le théorique — conserve leur pertinence à ce plan également. L’importance de l’amour altruiste
réside en ce qu’il suppose, confirme et atteste le bien-fondé d’une action qui repose sur autre chose que sur la simple
FO E

conservation du mouvement ontogénique et phylogénique de l’humanité. Car autant la diversité de ses activités
AG

possibles que les efforts exceptionnels requis pour en assurer l’efficace, lesquels puisent inévitablement à la dimension
US

99 Idem, p. 162.
100 Cela n’est pas sans faire songer à Pascal, lorsqu’il explique la connaissance que possède l’homme du fini et de
l’infini en sa propre personne: «Nous connaissons donc l’étendue et la nature du fini, parce que nous sommes
finis et étendus comme lui. § Nous connaissons l’existence de l’infini, et ignorons sa matière, parce qu’il a
étendue comme nous, mais non pas les bornes comme nous.» [PASCAL (1991). Pensées. 680. p. 459].
101 Vide KRV; AK III, 075, 250.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 226 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

suprasensible qui est le siège de la moralité, en se référant aux principes qui en orienteront le sens, requièrent que les
accomplissements de l’homme émanent de la plénitude de l’humanité en la personne de chacun. C’est ainsi que
l’altérité morale obtient d’être en tout temps considérée comme fin et jamais comme moyen, en écho au statut éminent

LY —
de l’être humain, puisqu’il est la fin finale ultime de la Création, et en dépassement de l’intérêt immédiat de chaque être
vivant. Et comme chacun est un autrui pour autrui, la parfaite réciprocité de l’amour devient le gage de l’entéléchie de la

ON CHE
loi morale, alors qu’elle réalise au plan sensible des natures vivantes, l’impératif catégorique qui est la condition sine
qua non d’un suprasensible inentamé.

Le tableau sur lequel faire figurer le sentiment est celui de l’humanité qui, dans son propre intérêt, ne peut pas s’en

ES ER
confier seulement à ses dispositions psychiques, si pures fussent-elles, quant à leur préparation à reconnaître la dignité
d’autrui et à réaliser le bien, s’il désire réellement remporter le pari d’une insertion au sein du monde qui réalise la
plénitude de ses possibilités. L’Idéal de la plénitude personnelle à tous les plans procède non seulement du devoir, tel

OS H
que les possibilités transcendantales de la raison peuvent le reconnaître, mais encore des exigences de la nature

RP EC
objective, dynamique et parfois exclusive, révélant des possibilités physiques autant remarquables par leur magnitude
qu’elles sont puissantes par l’énergie susceptible d’être déployée. Or, cet Idéal prend tout son sens, dès que le sentiment
acquiert une signification philosophique et procure à l’esprit une conception aussi intégrale et positive que le permet sa

PU E R
nature mystérieuse et insondable, laquelle est l’wessence au coeur de l’Inconditionné et de l’Illimité. Il s’agit de refuser
au sentiment le statut d’être une occurrence strictement accidentelle, susceptible de troubler la placidité lucide et
détachée du philosophe, lorsqu’il est engagé à contempler l’univers suprasensible des Idées, et de créer une théorie qui

CH S D
intègre le plan subjectif irrationnel à l’unité morale de la personne. Car la raison est aussi un sentiment, celui de l’esprit
qui se sait, en vertu de la vérité qu’elle découvre et protège, plutôt que d’être celui du coeur qui se ressent, en raison de la
vie qu’elle entretient et préserve.
AR FIN
Ainsi, en s’éloignant d’une conception qui voit en le sentiment l’occasion simplement d’un empêchement à
réaliser une attitude philosophique spirituelle et pure, on en vient à concevoir et à énoncer une théorie du sentiment qui
SE À

voit en lui une réalité vitale, essentielle et nécessaire, appartenant à l’humanité autonomique de la personne, autant avec
l’acte de penser qu’avec l’action de réaliser, qui est aussi l’action héautonomique de se réaliser. Ainsi, l’être moral et
RE T,

rationnel du sujet constitue-t-il pour l’ensemble de la Création une exemplarité privilégiée avec ses réalisations
poématiques qui sont en même temps morales, lesquelles trouvent leur excellence avec l’exemplification qu’en
D EN

fournissent autant le génie que le saint, avec l’oeuvre qu’ils produisent, une matière édifiée par l’esprit qui pour celui-là
est objective, puisqu’elle repose sur le modelage et le façonnement avec lesquels s’accomplissent les possibilités la
AN M

matière, et pour celui-ci subjective, puisqu’elle se fonde sur la métamorphose profonde du caractère et de l’esprit,
lorsqu’elle est tournée vers la forme suprasensible la plus élevée que prend l’expression intégrale de la liberté, malgré
E LE

que l’on en aperçoive l’évidence de manière indirecte et vague, étant en présence seulement d’une attitude, d’une
conduite et d’un engagement qui témoignent de l’état intérieur sans que celui-ci soit apparent aux sens.
US SEU

Si la culture est le témoignage de l’histoire qui suit sa trajectoire, selon une moralité qui, dans son sens général,
illustre la disposition à réaliser simplement la liberté de l’esprit humain, celle-ci ne saurait devenir pleinement effective
que si la raison humaine, dont émane l’esprit, est pleinement opérante, étant unifiée selon la plénitude de ses
AL EL

possibilités. Mais puisque l’humanité intégrale révèle une nature sensible, en même temps qu’une essence
suprasensible, l’actualisation de ses possibilités rencontre nécessairement la résistance de la nature (inerte et/ou
vivante; sauvage et/ou civilisée; objective et/ou subjective) qui non seulement exige d’elle qu’elle surmonte les
ON N

obstacles et les empêchements avec lesquels se manifeste la résistance, qui peut parfois prendre l’aspect d’une
RS ON

contrariété systématique, mais aussi que cette suprématie prenne la forme qui convienne à un être moral, i.e. un être qui
recherche le meilleur bien possible à l’intérieur du meilleur monde possible qu’il soit concevable d’imaginer.
P E RS

Car si l’image est la fondation de l’Idée esthétique, avec la présentation figurative de ce qu’elle a de plus réel à
offrir, malgré que, par essence, elle se trouve toujours à la frontière de l’inimaginable et de l’inexprimable 102, elle
R PE

trouve un sens réel uniquement en raison de sa possibilité effective, même lorsqu’elle figure à l’intérieur de l’esprit
comme être de raison uniquement. Car sans l’image qui en présente l’apparence et sans le concept qui en fournit
l’identification et la description, l’emblème mythique de la licorne demeure uniquement une possibilité allégorique,
FO E

sans raison d’être apparente. Ainsi le principe de complétude trouve-t-il son mobile réel avec les sollicitations
AG

pressantes de l’essence vitale, laquelle requiert de toute nécessité que soit remplie la condition de l’effectivité, afin
d’assurer que la vie atteigne, conserve et maintienne la plénitude de sa possibilité. Car une présentation de
l’hypotypose, schème ou symbole, renvoie toujours à l’Idée archétype dont elle est l’extériorisation. En dépit de sa
US

complétude relative, comme étant l’expression momentanée d’une excellence indépassable dans l’ectype, l’archétype
laisse toujours à désirer avec l’actualisation poématique que l’on tente d’en réaliser, puisque celle-ci ne puise jamais
totalement à l’essence de l’Idée, lorsqu’elle se révèle à l’esprit avec la conception théorique que l’on en acquiert.

102 KU, §59; AK V, 351.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 227 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

Or, ce manque rencontre les exigences de la vie qui reconnaît l’aspect dynamique de la connaissance et qui, par
conséquent, réalise ce qu’elle connaît et sait ce qu’elle réalise pour, ce faisant, se réaliser et se connaître. Cette
perfection de la connaissance que procure la réflexion accompagne nécessairement, en lui donnant forme, l’édification

LY —
de l’esprit qui résulte de l’édification de la matière, laquelle inclut toute nature, y incluse la nature suprasensible
subjective, telle qu’elle est révélée par le sens interne. Or, cette finalité est inhérente à l’acte de connaître qui ne saurait

ON CHE
se contenter d’appréhender l’actualité de ce qui est, mais se donne comme devoir de favoriser et de susciter la
réalisation de l’entéléchie, dès qu’une incomplétude réelle devient manifeste aux yeux des critères idéaux objectifs
auxquels elle est comparée. C’est ce dont attestent à la fois les moeurs pour l’esprit subjectivement présent et dès lors
pour l’esprit objectivement agissant.

ES ER
Être et agir sont deux actions qui, en se complétant, ne font en fait qu’une: car l’état révèle au plan latent une action
en puissance et trouve sa correspondance avec l’action qui est réalisable, laquelle est une finalité se finalisant et le

OS H
moment se continuant, puisqu’il est une durée intermédiaire entre ce qui est une simple possibilité et ce qui en constitue

RP EC
la fin accomplie. Tout sentiment produit un changement de l’état intérieur, pour exprimer dans l’irrationnel ce qui du
sujet moral actualisé le situe face à sa propre possibilité, lorsque celle-ci répond tantôt à une intuition pratique — une
résolution de la volonté à réaliser ce qui existe en la personne comme désir —; tantôt à un accomplissement — la

PU E R
constatation que la possibilité entrevue et désirée, que la personne pose comme étant une hypothèse technique ou
pragmatique de sa raison subjective ou qu’elle suppose comme étant la maxime éthique d’un état objectif nécessaire,
est bel et bien finalisée en acte, avec la production d’une oeuvre ou l’illustration d’une conduite appropriée —; et tantôt

CH S D
à une énigme — l’interrogation devant une réalité objective qui se présente comme étant hautement et mystérieusement
problématique quant à l’état qu’elle révèle 103. L’autonomie et la spontanéité rationnelles président toujours à la
réactivité du sentiment qui à son tour préside à l’expérience dont l’unité a priori possible la rend susceptible de recevoir
AR FIN
une transformation éventuelle, grâce à l’opération de la conscience agissante, que dirigent les règles produites avec le
travail de la raison. Car elles surmontent le sentiment avec la mobilisation héautonomique des facultés de l’esprit,
requis par l’esprit complètement libre, lorsqu’il agit sur le monde naturel, un concept qui inclut autant la nature sauvage
SE À
originelle que la nature civilisée. Ainsi, grâce au sentiment qui procède de l’élan vital de l’âme [Seele] et à l’action de
l’esprit [Geist] sur elle, l’histoire de l’humanité réalise son parcours à partir d’un point écologique, sur lequel figure
RE T,

l’homme originaire primitif qui n’a encore ni initié, ni éprouvé l’action transformatrice de l’esprit [Gemüt] sur
lui-même, laquelle constitue le moment initial théorique du lancement sur la voie de la civilisation et de la
D EN

transformation de l’homme que réalisent ses moeurs et ses oeuvres, lesquelles incluent les institutions que la société se
donne à elle-même et avec lesquelles elle s’incorpore.
AN M

Or, le mouvement qui révèle la spiritualisation de la nature émane de la vie, laquelle l’infuse de son énergie, de sa
E LE

fluidité, de sa force et de la qualité sentimentale de son état. Le concept de la vie est un concept composé mais intégré
qui réfère tantôt à la vie ontogénique de l’âme qui tend, avec son effort éclairé et dirigé par l’esprit, à faire la
US SEU

conservation ontologique de la personne, en assurant la continuité et l’amélioration des conditions matérielles qui la
favoriseront, et tantôt à la vie phylogénique de l’être qui trouve sa finalité avec la réalisation intégrale de l’espèce —
autant aux plans biologique, psychologique, social et culturel —, et avec les rapports objectifs qui sont à la source de la
perfection de la personne, pleinement assumée puisqu’elle révèle l’entéléchie suprasensible de sa substance. Les
AL EL

moeurs constituent l’enchevêtrement moralement organisé de ces rapports: elles résultent des conduites collectivement
normalisées et elles situent leur principe à l’intérieur des règles et des préceptes, les maximes rationnelles, formées
avec intelligence en vue de finaliser adéquatement, en les rapportant à la loi morale, les activités et les actions qui
ON N

procèdent de l’esprit humain, tel qu’étant au service de la culture, il se réalise en société. Il en résulte une pratique
RS ON

qu’encadrent structurellement les institutions et que conditionne de manière conjoncturelle la culture, laquelle illustre
l’ensemble de la vie spirituelle de l’humanité, avec tout ce que comporte sa dimension active, sensible et collective. Si
la vie sociale est fondée sur le principe du dépassement de soi, sur l’actualisation finalisée et moralement commandée
P E RS

de la liberté suprasensible, dont l’entéléchie s’accomplit avec la réussite à surmonter les oppositions et les obstacles,
mène à une progression réalisée en vertu des exigences propres à la conservation de la vie et se trouve confirmée avec la
R PE

103 En ce cas, la possibilité révélée par la réalité s’insère avec la subjectivité de la personne à l’intérieur d’une
FO E

dynamique existentielle où l’hétéronomie des rapports dont s’aperçoit la conscience devient l’occasion d’un
AG

désistement en faveur de la dimension naturelle et sensible de l’être, mais au détriment du domaine


suprasensible de la raison. L’effet de ce déséquilibre, qui ne reconnaît pas au registre suprasensible une
entéléchie qui lui est propre, étant susceptible de fonder ce principe naturel, est de nier l’intérêt et en même
US

temps la possibilité pour la personne d’exercer une influence déterminante sur la nature, selon des choix qui
font apparaître son originalité entière. Or, cette nouveauté est proprement morale, en raison du principe divin
qui constitue l’archétype et l’entéléchie fondateurs de l’essence suprasensible de tout être rationnel, engagé
activement à l’intérieur du processus boulétique de la réalisation déontologique qui s’opère à l’enseigne de la
liberté et se réalise en fonction du bien. L’énigme apparaît alors comme étant le défi posé à la conscience de
découvrir le lieu rationnel effectif de l’actualisation confirmée du principe a priori à l’intérieur de l’exemplaire
particulier.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 228 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

durée adéquate de l’existence et l’amélioration des conditions de vie; il revient à la vie culturelle d’exiger un tel
dépassement.

LY —
Une telle exigence porte ailleurs que sur les formes prescrites, lesquelles appartiennent tout autant à la liberté, et
que sur les espaces de liberté et de subjectivité que ces formes autorisent à conserver et à faire fructifier. Elle s’adresse

ON CHE
plutôt à l’expression conjoncturelle et structurelle, qui en illustre la continuité à l’intérieur de l’expérience vitale et du
mouvement naturel à partir du point initial qui est l’état brut de leur naissance commune et qui constitue le point
d’insertion des existences et des actions particulières des êtres vivants, dont l’humanité en chaque personne représente
le pinacle, puisque le sujet moral est la fin finale ultime de la Création. L’ontogénie et la phylogénie co-existent et

ES ER
réalisent un rapport de complémentarité nécessaire, lorsqu’elles s’expriment face aux conditions sensibles issues de la
nature et aux contraintes émanant de la vie sociale. Autant les unes que les autres se manifestent avec les forces
physiques et dynamiques de l’histoire dont les facettes multiples tiennent autant de la géologie, que de la météorologie,

OS H
de la démographie, du socio-politique, de l’économie et du religieux. Mais elles existent aussi en rapport de tension

RP EC
continuelle car ce que construit (ou détruit) l’ontogénie librement réalisée, avec la théorie prospective sur la forme de
l’état phylogénique qui constituerait le moyen privilégié de son prolongement au-delà des générations présentes,
devient pour elles une contrainte double. Car non seulement spécifie-t-elle les paramètres de l’ontogénie présente et à

PU E R
venir avec ses choix (ce qu’illustrent la sociologie des conduites sociales et la démographie des espérances de vie),
mais encore réduit-elle, avec ses nouvelles prémisses, les possibilités sur lesquelles fonder l’évolution et la
perpétuation des phylogénies futures, ce principe étant illustré avec les mouvements, les déclins et la mort des

CH S D
civilisations, parfois à l’avantage de celles qui réussissent à les supplanter, non sans sentir à l’occasion leur influence
positive et peut-être salutaire.
AR FIN
Le sentiment contient le tout de la subjectivité, lorsqu’elle évoque l’harmonie de l’état intérieur comme
l’harmonie ontologique de la personne et de son milieu qui accompagne et prédispose à l’accomplissement des fins de
la volonté, engagée dans sa constitution des objets visés; lorsqu’elle accrédite l’élévation des états de l’âme et de
SE À

l’esprit, en éprouvant l’émotion intense de la sublimité du sentiment moral devant la magnificence terrible de la nature
et en se rendant à l’occasion manifestement plus grande qu’elle-même, alors qu’elle atteint un paroxysme inopiné et
RE T,

inimaginable; et lorsqu’elle distingue le respect devant le pouvoir de la raison et le courage à réaliser la plénitude du
pouvoir de la vie, tout en constituant leur unité avec la fermeté et la constance de la résolution, au fondement de l’action
D EN

qui en témoigne et la procure à l’intérieur de la culture. Le sentiment devient ainsi l’incitation à caractériser
subjectivement le bonheur et la dignité d’être heureux qui accompagnent la perfection morale et subreptivement la
AN M

beauté suggestive de la perfection poématique, pour les distinguer de la capacité mimétique comme de l’activité
cosmétique superficielle qui ne sauraient jamais les rendre adéquats à cette entéléchie perfective.
E LE

Il constitue en même temps le moyen de présager du pouvoir immense et démesuré de la nature, défiant toute
US SEU

compréhension et toute description, et d’acquérir la conscience de l’essence suprasensible et mystérieuse de l’esprit,


par l’étonnement que suscite sa capacité morale de ruser avec la fatalité et de surmonter les déterminations naturelles,
parfois dirimantes et souvent impressionnantes, avec l’excellence de ses maximes. Il est encore le mobile dynamique de
l’unification harmonieuse des facultés de la connaissance à l’intérieur de la raison qui, sachant distinguer entre ce qui
AL EL

est nécessaire comme action et/ou conduite et ce qui serait simplement l’objet d’un désir contingent et accessoire,
agissent de manière synergique et mutuelle de concert avec la résolution de la volonté, afin de surmonter, au nom de
l’Idéal, les obstacles qui s’offrent à elle. Envisageant grâce à lui un meilleur monde possible et la perfection morale
ON N

requise en chaque personne afin de réaliser cette entéléchie, c’est le sentiment qui, en manifestant l’engagement total de
RS ON

l’âme, transportera la conscience à réaliser son devoir, jusque dans la compromission de son bien-être et au sacrifice
librement consenti de sa vie, dès lors que se fait sentir le besoin d’une mesure radicale au plan de l’ontogénie pour
compenser une dérive fatale au plan de la phylogénie. Malgré qu’elles soient susceptibles de recevoir une critique au
P E RS

nom des thèses morales les plus élevées de la philosophie pratique, et principalement de celles qui se revendiquent de la
sagesse naturelle, qui voit dans l’existence un bien à protéger et à préserver à tout prix, toutes les actions héroïques
R PE

attestent de celà, qu’elles soient accomplies pour des motifs religieux ou en témoignage de l’adhésion entière à une
cause idéologique.
FO E

Ainsi, la raison se propose-t-elle et se justifie-t-elle à elle-même ses propres fins, en raison d’illustrer une
AG

intelligence et une lucidité qui permettent d’anticiper jusqu’aux confins de l’avenir et de concevoir les mesures qui
appartient à la plénitude de la vie individuelle et collective, en favorisant l’implantation et la réalisation d’un monde
meilleur, là où l’amélioration apparaît non seulement possible, mais hautement désirable. Mais c’est le sentiment qui
US

permet de discerner implicitement en quoi ces solutions sont conformes aux exigences de la vie et de mobiliser
l’activité objective qui, tout en illustrant le pouvoir de la vie, en fait la promotion et lui permet de se prolonger dans la
continuité jusqu’aux confins de l’espace et du temps, éthiquement avec les moeurs qui sont au service de la vertu et
poématiquement avec les oeuvres qui édifient, entretiennent et inspirent l’esprit à se prolonger au-delà des confins de
l’espace et du temps, tout en se maintenant à l’intérieur de ceux-ci.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 229 de 302 ...


LE COMPLEXE BOULÉTIQUE

Si c’est grâce à la raison que se définissent les moyens de la plénitude de l’être personnel et moral de l’homme,
c’est grâce au sentiment que ces possibilités peuvent espérer recevoir une réalité, pour ainsi transformer la promesse de
l’Idéal en une réalisation concrète qui autorise à plus d’Idéal encore, pour autant qu’avec cela, le principe de la vie

LY —
demeure pleinement agissant et effectif. Or, puisque la plénitude de l’être trouve son aboutissement avec la plénitude de
la vie, la métaphysique pratique de l’être ne saurait trouver son accomplissement en l’absence de la réalité physique de

ON CHE
la vie. Or, sans le courage pour activer la résolution et donner des ailes à la volonté, à l’intérieur du complexe
boulétique, aucune évidence n’existerait de la valeur éminemment pratique de l’Idée morale pour l’ontogénie
sociologique et la phylogénie anthropologique, si sublime et si inspirante fût-elle autrement en théorie. Ainsi, le
sentiment se trouve-t-il à côtoyer la pensée qui illustre la raison, avec l’expérience de la beauté qui accompagne

ES ER
l’harmonie des facultés à l’intérieur du complexe judiciaire; avec celle de la sublimité pour le suprasensible naturel et
du respect pour le suprasensible spirituel, associés au désir à l’intérieur du complexe éthico-pratique; et avec celle du
courage qui est associé à la volonté à l’intérieur du complexe poématico-pratique. Car l’un et l’autre, l’esprit et la vie,

OS H
forment une unité indissociable à l’intérieur de la nature humaine, de sorte que, en possédant et en illustrant l’un, la

RP EC
personne éprouve en même temps l’autre, et en témoigne.

PU E R
ANALYTICAL TABLE
Chapter VI — The «bouletical» complex

CH S D
Respect: a necessary though insufficient condition of morality
The legitimacy of the primacy of the moral law over empirical considerations. — The Unconditioned as the
founding principle of dignity. — The noumenal moral power. — Respect with regards to the noumenal essence of
another moral nature. — The double nature of the feeling of respect. — The legitimation of morality and feeling
AR FIN
through the common sense. — The moral dynamic of overcoming natural forces through the surpassing of oneself. —
The four subjective forces of respect. — Respect for the faculty of the heart. — The multidimensionality of
aesthetico-moral realization.
SE À

Courage
The two complementary principles of the practical activity of reason. — The fluidity of the unified faculties of
RE T,

knowledge. — The unity of natural and moral experience. — Courage as a serenity of the mind. — Physical courage. —
Social courage. — Moral courage as the nexus of courage in general. — The purpose of courage: taking full
D EN

responsibility for the realization of the self within the universe. — The essence of moral courage. — Duty and courage.
— Righteousness as realizing wisdom. — Courage and goodwill. — Courage at the centre of the Delphic and
Enlightenment mottos. — Duty and enthusiasm. — Duty and the power of life. — The paradox of hypothetical
AN M

necessity.
E LE

Feeling and spontaneity


The essence of feeling. — Rational purity. — The integral preservation in the representation of the supersensible
US SEU

dimension. — A petition of principle: the justification of the supersensible through the Idea which is merely a being of
reason. — The capital importance of the soul. — Pure feeling. — The problem of psychology. — The pure soul: the
soul anterior to the process of civilization. — The brute state and the state of freedom. — The divine essence of free
will. — Human and animal free will. — Free will as empirically conditioned in poematic reason. — The analogy of
ontology and teleology within the biotic process. — Optimal freedom as realizing culture and dignity. — Feeling as an
AL EL

aspect of knowledge. — Life as illustrating the unifying principle of the soul and of the spirit [Geist]. — The illusion of
sensible feeling as manifesting spontaneity. — The question of the spontaneity of pure feeling. — The heteronomy of
feeling as precluding the autonomy of judgment. — Feeling as a hybrid nature. — Purposiveness as the legitimating
ON N

principle of feeling. — Judgment as a power of anticipation over reality. — Life as the general purpose of organic
beings. — The distinctness of humanity: the possibility to withhold from ultimate purposiveness. — Perfection as a
RS ON

holistic, organic principle. — Creative autonomy as the antidote to natural determination. — Life as the material
supersensible principle of feeling. — The plenitude of human value. — Courage as the efficient moral feeling. —
Humanity as the possibility to surpass itself. — Reactivity as a fundamental epistemological stance. — Success as
P E RS

founded upon the unreality of prospect. — Heautonomy as contributing to the purpose of life. — The awakening to the
Absolute. — The bouletical complex: the association of courage and desire within the free will. — The judicious and
the deontological complex.
R PE

Toward a theory of life


The problematic empirical situation. — Reason and the well-being of the moral subject, as subsumed under the
FO E

moral law. — The moral law as inspiring all aspects of reason. — Reason and life as analogs. — The unity of reason as
AG

proceeding from the conjunction of knowledge and life. — The realization of the supersensible possibilities, both
infinite and eternal. — Action and knowledge as mutually necessitated. — Life as the culmination of two quests: the
epistemological quest for Truth and the ethical quest for the Good. — Feeling as possessing a philosophical
significance. — Effective freedom as the factor of a fully operational reason. — The inadequacy of the Ideal in its
US

relationship to the Idea as conforming to the exigencies of life. — Being and action as revealing an identical action. —
Life as the founding principle of the spiritualization of nature. — Culture as necessitating the surpassing of self: the
fundamental principle of social life. — Feeling as comprising the whole of subjectivity. — Feeling as the means of
acquiring an integral ken of nature. — Feeling as rooting the autonomy and spontaneity of the power of reason within
the purposiveness of life. — Practical metaphysics as an analog of physical biology.

*
**

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 230 de 302 ...


CONCLUSION
La philosophie esthético-morale de Kant:

LY —
la raison au service du coeur et de la vie

ON CHE
«L’exposé et toute la pensée qui y est renfermée,
doit disparaître devant ce qui est exposé; il n’a pas le droit
de faire de son objet une occasion de réflexion philosophique.

ES ER
La pensée qui expose est continuel effort d’abandonnement
B la pensée d’un autre homme: pensée s’efforçant de trouver

OS H
ce qui réside dans la pensée de l’autre.»

RP EC
[K. JASPERS 1.]

PU E R
L’art philosophique
Il ne serait pas trop osé de conclure, après la longue analyse et la déduction détaillée que nous venons d’accomplir

CH S D
dans les chapitres qui précèdent, que le rôle du sentiment à l’intérieur de la démarche esthétique ne saurait être
mésestimé, ni déconsidéré comme étant négligeable. Car le sentiment est au centre même du mouvement
philosophique, dès lors que celle-ci implique la relation intégrale du philosophe sérieusement engagé à faire aboutir son
AR FIN
projet de dévoilement, de compréhension et d’interprétation de l’univers dont il fait partie prenante et sur lequel il est
appelé à agir de façon réelle et significative. Concevoir les choses autrement, c’est faire preuve de dilettantisme
puisqu’il s’agirait alors de naviguer simplement à la superficie des flots d’une vaste mer de connaissances, sans en
apprécier la profondeur des significations, la complexité des relations que celles-ci entretiennent entre elles, les
SE À

directions qu’elles seraient susceptibles de recevoir, ou encore les principes, les causes et les aboutissements qui en
définissent les origines, en fondant leur déroulement et en anticipant leurs termes. Tout au plus une attitude qui limite
RE T,

ses expllorations à des conceptions reçues et à la défense de préjugés intellectuels laisserait-elle entrevoir l’immense
D EN

étendue des champs intellectuels possibles et permettrait-elle d’en parcourir un tout petit territoire à bord de l’esquif
frêle, emporté et balloté au gré des courants maritimes et éoliens. De surcroît subvertit-elle le projet qui inspire la
philosophie depuis ses premiers moments, celle d’atteindre à l’universalité du savoir qui se fonde sur une science aussi
AN M

sûre qu’elle est complète.


E LE

Faire oeuvre de philosophe, c’est assurément très honorable et très louable. Mais dès que le philosophe se penche
sur l’essence de sa démarche, dès qu’il tente de cerner le noeud de son entreprise, dès qu’il approfondit son action pour
US SEU

saisir ce qui en est à la fois le motif, le moment originel, la raison et l’originalité, le problème devient entier de savoir
quelle est la nature de son accomplissement réel, pour ne pas sombrer dans l’illusion malheureuse d’avoir réalisé un
projet qui serait en réalité factice. Que l’on n’ait pas la prétention de refaire l’histoire et de réinventer la roue, pour oser
proposer un point de vue sur la philosophie qui, à la lumière des nombreuses réflexions déjà accomplies à ce sujet, serait
AL EL

aussi approximatif qu’il est répétitif, voilà ce qui nous semble à la fois prudent et sagace. Que l’on préfère plutôt s’en
fier à des définitions classiques: telle celle de Didier, qui voit en la philosophie «une réflexion sur les expériences
réelles de la conscience humaine» 2, pour en dégager un sens, tel que peuvent le révéler les formes de la connaissance et
ON N

de l’action humaines, les situer à l’intérieur du mouvement de l’histoire et ultérieurement par là approfondir la nature et
RS ON

le contenu de l’esprit humain; ou encore celle de Lalande, qui considère la philosophie tantôt comme un savoir rationnel
en général, tantôt comme un organon de principes directeurs qui préside à l’érection de ce savoir, tantôt comme un
corpus studiorum des choses de l’esprit par opposition à celles de la nature, pour en définir les objets respectifs et en
P E RS

dégager les valeurs 3; on en vient à comprendre que la philosophie est une activité de l’esprit qui part de l’expérience
[Erfahrung] pour retourner à l’expérience [Erfahrung] en passant par l’expérience [Erlebnis].
R PE

D’abord, il y a l’expérience empirique, celle sur laquelle porte la réflexion philosophique qui constitue la
contrepartie intérieure de l’expérience proprement dite, car la réflexion en constitue par la suite le mouvement crucial et
FO E

critique d’une matière spirituellement élaborée, sans en être pourtant ni la somme, ni la fin, ni le terme. Car si complète
AG

et si sérieuse que soit la réflexion qui a servi à l’édifier, aucune somme ne saurait être ni absolument définitive, ni
constituer le moment terminal d’une démarche qui se suffit à elle-même, puisque le mouvement réflexif incite à
parfaire la pensée avec l’expression que le philosophe en accomplit à l’intérieur de son oeuvre. Et non seulement sa
US

propre pensée, indépendamment des acquis intellectuels de la culture qui en définit à son insu les contenus, mais aussi

1 Nietzsche. Introduction B sa philosophie. (trad. de l’all. par H. Niel). Gallimard. Paris, 2000. p. 22.
2 J. DIDIER (1991), p. 213-214.
3 A. LALANDE (2002), p. 774-777.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 231 de 302 ...


CONCLUSION

la pensée de l’humanité dont celle-ci est un exemplaire qui s’accomplit perpétuellement et qui oblige continuellement à
transcender les influences qui se rencontrent en elle, pour ne pas se laisser submerger et engloutir par une entropie
épistémologique qui, par la stagnation qui en résulterait, en nierait le mouvement et la vitalité.

LY —
C’est que sans l’oeuvre, sans le discours et le narratif qui en illustrent à la fois la matière et l’originalité, le texte et

ON CHE
les significations, et qui témoignent d’une contribution à l’édifice culturel de la philosophie, la réflexion philosophique
demeure sans lendemain puisque n’existent ni souvenir, ni support matériel pour en reconnaître, en apprécier et en
perpétuer les enseignements. Sans ce retour à l’expérience par conséquent, sans le travail par lequel la réflexion
philosophique prend la forme d’un discours, sans cette extériorisation par laquelle la forme de la réflexion est appelée à

ES ER
recevoir une valeur esthétique, l’élaboration par laquelle passe nécessairement l’expérience philosophique qui se vit au
sein de l’esprit particulier ne saurait profiter qu’à son auteur et appartiendrait uniquement au brouillon de ses
convictions implicites et vaguement ressenties. En somme, c’est en réalisant une oeuvre susceptible d’être appréciée

OS H
par autrui que la philosophie accède au rang de discipline culturelle et que le philosophe découvre la valeur, la nature, la

RP EC
possibilité et l’extension de son talent. Et c’est en franchissant le seuil qui caractérise l’expérience intime et la distingue
de la réflexion philosophique comme de l’effort de rendre sensibles ses contenus et ses significations, en formant et en
raffinant de manière organisée et unifiée une matière brute, que le philosophe cesse d’être une personne civile et privée

PU E R
pour devenir une personnalité sociale et publique. Bref, c’est avec l’illustration concrète des schémas et des symboles
qui ont présidé à son action réfléchissante que la philosophie fait oeuvre et s’inscrit à l’intérieur du mouvement de la
civilisation, pour contribuer à l’édification philosophique des esprits et peut-être même, cela étant, acquérir une

CH S D
certaine notoriété, malgré les préventions contre une telle ambition que sa modestie naturelle pourrait l’encourager à
avoir.
AR FIN
Bref, si la réflexion est la condition suffisante de la philosophie, puisqu’elle est une activité privée de l’esprit,
grâce à laquelle se réalise le mouvement heuristique et herméneutique qui constitue le propre de son action, elle se
double de la condition nécessaire de la détermination poématique pour accéder au statut d’oeuvre publique et de
SE À

discipline culturelle, en rendant disponibles auprès d’autrui les enseignements — les lois, les principes, les découvertes
et les fins — qui tiennent de son objet, qui procèdent de la réflexion sur celui-ci et qui en constituent l’originalité. Étant
RE T,

un faire et donnant lieu à une production, la philosophie devient sous ce regard un art dont l’oeuvre témoigne au même
titre que tout autre art 4, mais en vertu de l’objet particulier qui distingue la philosophie de chacun des autres arts. Cela
D EN

devient d’autant plus juste, dès lors que l’art associe à la liberté ce qui la réalise à l’intérieur de la production, en rendant
effectifs les principes pratiques — hypothétiques et éthiques — qui fondent cette entéléchie 5.
AN M

Il serait légitime par conséquent de nommer «philosophie» l’art qui consiste à découvrir, à connaître et à révéler
E LE

les principes qui sont au fondement de l’expérience réflexive, lorsque celle-ci se rapporte à l’expérience sensible pour,
en la transformant avec ses concepts et ses Idées, retourner à l’expérience sensible ainsi renouvelée. Le double statut de
US SEU

la personne humaine est ainsi illustré, puisqu’il est appelé à participer par son être autant du suprasensible spirituel que
du sensible naturel, en vertu des deux ordonnancements généraux a priori qui garantissent l’intégrité et l’unité
ontologiques du sujet moral: la primauté du suprasensible sur le sensible et la primauté du pratique sur le théorique.
AL EL

Or, la notion d’art philosophique renvoie implicitement à la notion de dilettantisme qui en révélerait
l’approximation et la dissolution, puisque celle-là suppose non seulement une maturité et une complétude réflexives
ON N

qui en réaliserait la plénitude de la possibilité, mais encore une compétence à transformer la matière suprasensible de la
pensée philosophique en oeuvre physique et sensible, tenant en propre de l’esprit qui lui a donné corps mais susceptible
RS ON

surtout de constituer un phénomène dans le champ empirique de l’expérience objective. Ainsi parvient-elle à inscrire
l’effort philosophique à l’intérieur du champ culturel, pour autant que la profondeur de l’initiative et l’intensité de
l’effort se soient conjugués afin de prolonger, de transcender et de parfaire la matière d’un accomplissement préalable.
P E RS

Dès lors qu’une telle réalisation s’est vu accomplie, elle devient alors susceptible d’être favorablement estimée en
fonction des trois critères transcendantaux fondamentaux — la vérité, la bonté et la beauté — pour ainsi rejoindre et
R PE

parachever les trois champs fondamentaux et traditionnels de la philosophie: la logique, l’éthique et l’esthétique 6. Un
tel aperçu sur la signification sociale de l’oeuvre philosophique renvoie par conséquent à une vision unifiée et prête
alors à l’ensemble de la production philosophique, quelle qu’en soit le thème ou l’objet, une triple dimension
FO E

transcendantale en vertu de l’unité fondamentale qui est constitutive de la discipline philosophique.


AG

Toute production se fonde sur une Idée qui en fournit à la fois la matière, le sens et la valeur. Dès lors que l’énoncé
philosophique, et par extension le discours philosophique, réalise complètement son projet, qui est celui de fournir un
US

corps à la matière spirituelle qui en inspire le propos, d’une manière qui soit à la fois intrinsèquement adéquate à l’Idée

4 KU, §43; AK V, 303.


5 Idem.
6 LALANDE, op. cit., p. 776.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 232 de 302 ...


CONCLUSION

qui la fonde et extrinsèquement bonne pour l’univers sensible qui reçoit cette extériorisation, cet accomplissement
devient le témoignage d’UNE perfection. Celle-ci est d’autant plus achevée que l’Idée fondatrice est entièrement et
essentiellement juste, que l’extériorisation qui en est faite est adéquate, complète et harmonieuse et que la fin morale

LY —
visée par cette démarche réalise librement et conscieusement l’excellence du Bien. Un jugement sur la perfection du
discours philosophique exprime donc une appréciation qui porte à la fois sur l’unité épistémologique du propos sur

ON CHE
l’objet, lorsqu’elle réalise l’intention initiale triple que fondent les trois transcendantaux; sur l’unité de l’esprit
agissant, lorsqu’elle fournit la possibilité de cette réalisation; et sur l’unité de la conscience spectatrice, lorsqu’elle est
susceptible de conclure à cet achèvement.

ES ER
Par ailleurs, puisque l’Idée de perfection ultime suppose un degré d’excellence tel que nulle excellence plus
grande ne puisse être imaginée, ni accomplie, un jugement qui conclurait à la perfection du discours philosophique
porterait à la fois sur la matière du discours, l’Idée qui est au fondement du propos, sur le sens à donner à ce qui

OS H
constitue l’extériorisation adéquate de cette matière, ainsi que sur le bien à réaliser par l’entremise de cette réalisation.

RP EC
Un discours philosophique parfait serait alors l’exemplaire accompli d’un propos dont l’excellence superlative
s’exprime autant au plan logique de la vérité avec laquelle l’esprit conçoit la réalité, au plan esthétique de la beauté qui
exprime le sentiment que fait naître la réalité à l’intérieur de l’esprit et au plan éthique de la bonté qui qualifie la

PU E R
réalisation lorsqu’elle est comparée à la réalité optimale qui en est la destination et qui en fournit le critère estimatif. La
perfection étant par définition inatteignable, en raison des contraintes sensibles qu’opère la nature sur l’essence
nouménale de la personne morale, lorsqu’elle endosse la plénitude phylogénique de son humanité et telle qu’en

CH S D
témoigne l’évidence de l’action avec laquelle l’esprit transforme la nature sensible, elle devient par conséquent un Idéal
régulateur que l’esprit tend perpétuellement à réaliser plutôt que la fin idéelle dont le terme de la réalisation ne saurait
être imaginé comme étant effectivement possible, une conclusion qui prêterait le flanc à l’argument fataliste.
AR FIN
L’art philosophique sous tous ses aspects repose à la fois sur la vérité intrinsèque du propos, sur la fidélité à le
présenter adéquatement et sur la bonté que sert une telle extériorisation, en réconciliant ainsi entre eux les trois
SE À

transcendantaux en réalisant l’ensemble sous les différents égards de ses éléments constitutifs, mais caractéristiques
d’un projet unique. Il ne saurait cependant parachever entièrement cette unité, ni par conséquent aucun des trois
RE T,

transcendantaux pris isolément, puisque le mouvement global de la pensée qui les harmonise poursuite simplement un
Idéal, si élevé fût-il, et que les transcendantaux sur lesquels il s’édifie sont également des Idéaux, voire des Idéaux qui
D EN

se réfèrent à des Idées suprasensibles particulières, mais dont l’envergure n’est pas pour autant moins importante,
puisqu’elles renvoient toutes au plan de l’Inconditionné. Car en cherchant à réaliser l’Idéal de la profondeur et de la
AN M

complétude suprêmes, la philosophie ne saurait sacrifier celles des transcendantaux particuliers qui y contribuent sous
différentes perspectives. Comme elle ne saurait espérer accomplir son aspiration, lorsqu’elle parcourt l’entéléchie de
E LE

chaque transcendantal pris séparément, en ignorant chacun des autres transcendantaux, ni en refusant de prendre en
considération le principe qui subsume leur essence particulière.
US SEU

Cette considération est d’une importance capitale pour une évaluation de l’oeuvre philosophique qui se
distinguerait du simple dilettantisme, sans oublier que l’estimation appartient en droit, mais différemment, autant à
l’esprit qui agit en fonction de la réalisation de l’oeuvre qu’à la conscience simplement spectatrice, susceptible de
AL EL

l’apprécier avec justesse et de lui accorder une valeur adéquate à sa qualité. Car dès que l’auteur d’une oeuvre s’arrête à
elle, en se référant aux trois transcendantaux qui en caractérisent respectivement les trois aspects logique, esthétique et
éthique, pour s’en laisser pénétrer, et à l’unité complémentaire des transcendantaux pour en apprécier la perfection, il
ON N

fait alors oeuvre de spectateur qui réfléchit sur une oeuvre, à la différence près que celle-ci est en même temps la sienne
RS ON

propre.
P E RS

Dilettantisme et libertinage
La question du dilettantisme a pris une importance particulière au XIXième siècle, surtout en Europe alors que le
dilettante s’est vu opposé à l’artiste et que le parangon de celui-ci devient le contraire de celui-là. L’artiste représente
R PE

celui qui trouve sa satisfaction avec l’action créative mais le dilettante est celui qui se borne à contempler les oeuvres et
à éprouve pour elles un plaisir simplement esthétique. Et s’il arrive au dilettante de verser dans la production artistique,
son principe n’est pas l’ars gratia artis de l’artiste, mais simplement la virtuosité technique: car il se contente de réaliser
FO E

les formes de l’art qui, tout en possédant un certain attrait, exercent pour tout effet uniquement la stérilité et la vacuité
AG

des formes qui ne parviennent pas à évoquer le sentiment.


US

La position philosophique qui correspond au dilettantisme du monde de l’art consiste à réaliser un syncrétisme
épistémologique qui est analogue au pyrrhonisme radical, tout en s’en distinguant cependant. Alors qu’en philosophie,
la thèse pyrrhoniste fondamentale affirme l’impossibilité de proposer une certitude, la thèse dilettantiste se fonde sur
une attitude pré-philosophique, celle qui s’avère incapable de distinguer parmi les certitudes qui lui sont présentées afin
de retenir celle qui lui semblerait la plus juste, ou, en les rejetant toutes comme étant incomplètes ou insuffisantes, de
concevoir une théorie aussi compréhensive et profonde qu’elle est éminemment valable par sa justesse et par sa
pertinence. C’est dire que l’attitude du dilettante est pré-critique et qu’elle se fonde sur une créance [Fürwahrhalten]

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 233 de 302 ...


CONCLUSION

qui n’est pas immédiatement apparente. Si l’esthétisme du dilettante ne repousse pas la connaissance, et même
ambitionne de vivre une expérience subjective, universelle et intégrale, pour ainsi voir se réconcilier en soi l’unité de la
dimension esthétique du sentiment et la dimension épistémologique de l’intellect, son rapport à l’univers objectif de la

LY —
connaissance révèle un scepticisme métaphysique pour lequel l’ontologie n’a d’autre justification que le principe de
l’illusion 7. Par conséquent, si la connaissance susceptible d’être accumulée par le dilettante est importante par la

ON CHE
diversité et l’étendue qu’il lui aura procurée, elle ne saurait prétendre à une intension qui lui permet d’accéder au coeur
de l’être, cette réalisation ou encore cette réalité lui semblant entièrement inatteignable. Il en résulte ainsi que le
dilettante ne peut concevoir l’univers métaphysique comme ayant une consistance propre, ni même comme étant douée
d’existence. Il se contente par conséquent de réaliser une appréciation superficielle des choses et, pour cette raison, il

ES ER
apprécie la beauté en esthète pur. Ainsi, la qualité esthétique par excellence est-elle considérée comme ne comportant
aucune valeur transcendante en soi et par conséquent comme étant susceptible ni de référer à un univers transcendantal,
ni même de concevoir la possibilité qu’un tel univers soit. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, s’étant trop laissé

OS H
influencer par le dilettantisme esthétique, une certaine philosophie esthétique contemporaine éprouve de la peine à se

RP EC
hisser au plan transcendantal pour voir en la beauté autre chose qu’un simple attrait superficiel, c’est-à-dire une qualité
transcendantale qui trouve son apogée avec la réunion des trois transcendantaux fondamentaux à l’intérieur de la
plénitude de la Vie.

PU E R
Ne sachant fonder son expérience sur des principes métaphysiques inébranlables, qui fonderaient l’existence de
toute chose, y compris de celles qui seraient dans l’actualité inexistantes (étant des êtres de raison ou des choses

CH S D
non-encore révolues), le moment présent de la perception sensible apparaît comme étant superficiel et aléatoire, sans
raison ni finalité, de sorte qu’il existe une seule constante qui permette d’en apprécier la qualité et la valeur. C’est le
sentiment qui se rapporte dans l’esprit à l’immédiateté de l’expérience et qui exerce un effet sur l’esprit, étant suscité à
AR FIN
l’intérieur de lui. Bref, la position dilettante constituerait le premier moment du rapport esthétique à l’existence qui,
sans accorder à l’esprit l’éventualité de pouvoir réaliser sa pleine capacité, ne nierait pas pour autant à celui-ci la
possibilité que l’expérience le situât face à l’immédiateté actuelle et qu’il fût possible d’éprouver face à elle un
SE À
complexe synesthésique judiciaire. Celui-ci ouvre sur la consonance héautonomique intérieure des facultés de la
connaissance et sur l’harmonie intime correspondante, convenant à l’expérience de la beauté, ou au contraire sur la
RE T,

dissonance de ces facultés, dont témoigne le sentiment de la disharmonie initiale à laquelle correspond l’expérience du
sublime. Or, l’une et l’autre sont requises pour éprouver la satisfaction contemplative devant une oeuvre pleinement
D EN

achevée ou pour servir de ressort à l’efficace de l’action qui est bonne parce qu’elle est morale et morale parce qu’elle
est bonne, en dépit des obstacles parfois énormes que l’expérience peut présenter à la conscience, de savoir être
AN M

pleinement opérante et mettre en oeuvre ses projets.


E LE

Il y aurait un parallèle à établir entre, d’une part, la doxa dilettante et d’autre part, la doxa libertine, laquelle a
caractérisé le XVIIIième siècle comme le dilettantisme a surtout marqué le XIXième siècle. Si la prémisse dilettante
US SEU

propose que toute expérience se fonde sur l’illusion, pour voir dans le rapport de l’esprit à la nature sensible l’occasion
de fonder toutes les convictions, la prémisse libertine quant à elle propose que n’existe aucun amour véritable. La
croyance en l’amour reposerait par conséquent sur une illusion qui témoigne plutôt d’une immaturité propre à être
dépassée naturellement avec les années et avec la croissance morale que parfont les expériences vécues durant cette
période 8. Ainsi, autant pour le dilettantisme que pour le libertinage, il existe l’impression subjective de vivre une
AL EL

illusion radicale, pour ceux qui en épuisent les principes implicites: pour le premier, l’épistémologie se voit niée toute
prétention à la vérité, puisque le fondement du principe transcendantal qui en garantirait les deux qualités
ON N

fondamentales, l’universalité et la nécessité, serait contesté à celle-ci; et, pour le second, l’éthique se voit niée toute
RS ON

prétention à la bonté, puisque celle-ci se voit également déniée de son principe fondamental. En somme, c’est en
contraposition à l’attitude libertine que Kant a découvert les fondements transcendantaux de la loi de l’Amour, la forme
la plus élevée que prend l’impératif catégorique, lorsqu’il se réalise sous toutes ses formes: l’universalité de la
P E RS

compréhension, l’hypostase naturelle, la finalité du règne des fins et l’humanité en chaque sujet moral, laquelle s’insère
à l’intérieur de ce règne et contribue à le réaliser comme en représentant en sa propre personne la fin finale.
R PE

Puisque le dilettantisme trouve son complément avec le libertinage, la tentation serait grande alors d’en voir un
prolongement, en raison de la séquence chronologique que l’histoire nous enseigne et qui voit le premier succéder au
FO E

second. Puisque tous les deux se fondent sur l’illusion, laquelle prend l’aspect tantôt d’une illusion métaphysique et
AG

tantôt celui d’une illusion éthique, il s’agirait alors de comprendre qu’ils sont les aspects complémentaires d’une même
réalité, celle qui interpelle la conscience à s’interroger sur ce qui est indubitablement et irréfutablement vrai. Une
doctrine des sens prend ici toute son importance, puisqu’elle apparaît alors comme étant à la fois le point de départ et le
US

point d’aboutissement d’un scepticisme qui n’autorise à aucune certitude quant à ce qui serait en même temps vrai, avec
la relation de l’intellect à son objet, et/ou bon, avec le rapport de l’objet à une fin jugée bonne.

7 DE GRÈVE et DE GRÈVE (2008).


8 Ph. SOLLERS (1998), p. 203.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 234 de 302 ...


CONCLUSION

Résultant d’un échec à fonder en principe la certitude, le sensationnisme 9 devient alors la prémisse immédiate
d’une connaissance qui se cherche et qui trouve avec la sensation les premiers éléments d’une certitude subjective que
lui refusent sur le terrain du savoir, les contradictions épistémologiques qui s’opposent, sans parvenir à se réconcilier.

LY —
Ainsi, le principe de l’équivalence des certitudes du dilettante et celui de l’inexistence de l’amour du libertin
apparaissent comme étant simplement un modus vivendi philosophique et/ou moral qui, à défaut de savoir trancher

ON CHE
entre les contradictions et d’adjuger en faveur de l’un ou de l’autre des termes en opposition, en faisant ressortir la part
de vérité qu’elles renferment en elles pour en justifier la position, mettent l’accent sur leur côté illusoire et
démissionnent devant les incongruités systémiques d’une discipline qui, tout en véhiculant un Idéal implicite, ne
parvient ni à l’atteindre, ni à en faire l’approximation d’une manière manifeste et tangible.

ES ER
Par ailleurs, ayant découvert le point ultime du recul épistémologique et moral, pour lequel la sensation devient le
premier moment d’une interaction effective avec le monde sensible, la possibilité d’une autonomie apparaît qui lance la

OS H
conscience du sujet sur la voie de la découverte des principes, grâce auxquels cette autonomie devient réalisable. Car

RP EC
l’expérience individuelle autorise néanmoins à tous les jugements esthétiques des sens, puisque ceux-ci sont le premier
moyen, au plan fondamental de la vie, de la composition adéquate avec les contraintes qui sont issues d’une nature
hétéronome. Ainsi, l’hétéronomie sensationniste devient-elle, par le négativisme qu’elle renferme, le premier moment

PU E R
de la découverte épistémologique et/ou éthique, lorsqu’elle pressent et parvient à faire l’illustration d’un complexe de
principes suprasensibles possibles, en réunissant la vérité qui est au fondement de la connaissance et l’amour qui est au
fondement de la vie. Nous voyons déjà là l’amorce d’une activation du complexe synesthésique judiciaire, puisque sans

CH S D
la vie qui le fonde avec le sentiment qui en exprime le mouvement des tréfonds, il n’y aurait nulle possibilité de
connaître, en vertu du principe a priori systématique de la nature pour la connaissance, et sans connaissance, aucune
possibilité n’existerait pour les forces vitales de s’exercer ou de s’épanouir, d’une manière qui soit conforme aux
AR FIN
exigences émanant de l’essence et de l’unité naturelles.

Il serait tentant d’établir un lien entre l’illusion du dilettante et du libertin et le négativisme ainsi que
SE À

l’illusionnisme que l’on attribue souvent à la pensée traditionnelle hindoue 10. Le philosophe mystique indien
Aurobindo Ghose 11 voit dans la diversité phénoménale la source de l’illusion qui trouve son exacerbation avec la
RE T,

perception que les révélations de l’univers révèle ne sont rien, hormis l’expression d’un onirisme irréel, et que les Idées
suprasensibles de Dieu et de l’Au-delà sont parfaitement illusoires. Pourtant, cette ignorance ne peut s’empêcher de
D EN

révéler la vérité au fondement des perceptions. Car si elle empêche l’esprit de concevoir dans l’immédiat la possibilité
d’une expérience supraphysique et si elle permet d’accéder simplement à la dimension de la réalité incorporelle, voire
AN M

de manière simplement hypothétique, l’expérience de l’ignorance ne saurait être éprouvée en l’absence de celle par
laquelle les sens sont affectés et excitent un sentiment analogue de vivre au plan du rêve et de l’hallucination, en raison
E LE

du rapport qu’entretient la conscience avec le monde sensible. Ainsi se trouve établi, voir négativement, le lien entre la
dimension suprasensible de l’esprit et la dimension de la sensation, puisque l’on ne saurait refuser à l’impression
US SEU

d’irréalité qui surgit à l’intérieur de la conscience d’appartenir néanmoins à l’expérience suprasensible.

Par ailleurs, le monde des formes qui résulte de la perception trouve son fondement avec l’activation de la
conscience physique qui partage avec les plus hautes manifestations de la conscience de reposer sur une harmonie
AL EL

intime. De plus, la subsistance, indépendamment de la conscience, de la forme et de la matière devient l’évidence même
de la validité des concepts d’incorporéité et d’immatérialité alors que, n’étant rien d’autre que la figure et la substance
d’une manifestation, ils en procèdent néanmoins comme étant leur aboutissement naturel 12. Le point final où aboutit la
ON N

confusion onirique, résultant de la concentration trop localisée sur la richesse intime de la diversité phénoménale,
RS ON

devient alors le point de départ de l’expérience spirituelle qui, accréditant l’illusion pour ce qu’elle est, c’est-à-dire la
forme la plus élémentaire de la conscience, retourne les tables et illustre en quoi c’est l’ignorance qui est illusion, étant
l’ignorance des stades plus évolués et des contenus plus approfondis que la conscience est susceptible d’atteindre.
P E RS

L’accession au plan «métaphysique» se trouve alors légitimée, puisqu’elle révèle une manifestation procédant du
pouvoir unifié de la conscience intime à se délimiter elle-même et à se présenter sous la multitude des formes qui la
R PE

9 Terme proposé par O. HAMELIN, dans son Essai sur les éléments principaux de la représentation (1907), pour
FO E

remplacer le terme de «sensualisme», jugé trop péjoratif. Voir LALANDE (2002), p. 984.
AG

10 S. RADHAKRISHNAN et C.A. MOORE (1957), p. 576.


11 Aurobindo, Aurobindo Ghose ou Aurobindo Gosh (1872-1950) est un philosophe mystique indien dont les
US

gthèses révèlent la volonté d’opérer une synthèse entre les pensées orientale et occidentale. Subsumant le
politique sous le spirituel, son oeuvre apparaît comme étant la tentative de formuler une vision qui cherchât à
réconcilier la multiplicité et l’unité, le devenir et l’éternité. Sa notion de l’éution humaine et cosmique qui
propose «une doctrine de l’évolution dans le plein» constitue le point de rencontre avec la philosophie du père
Teilhard de Chardin avec lequel on l’a parfois comparé. — G. Bugault. «La philosophie indienne
contemporaine». In Y. BELAVAL (1974). III, 2. 1189-1211.
12 Idem, p. 583-584.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 235 de 302 ...


CONCLUSION

révèlent, dès lors que ces apparences cessent de recevoir une considération superficielle. Ainsi, la réalité cesse-t-elle
d’être conçue sous le regard de la fixité et de l’invariabilité pour être aperçue comme étant «la vérité ordonnée d’un être
agissant», lequel est le seul qui, manifestant sa suprématie sur le réel en raison de sa vérité essentielle, peut être

LY —
considéré comme étant immobile 13.

ON CHE
Le dilettantisme chez Kant
Les thèmes du dilettantisme et du libertinage ne sont pas prédominants chez Kant. Le dilettante est avant tout un
amateur et un connaisseur d’art 14, quelqu’un qui révèle un goût contemporain en sachant les apprécier et les suivre,
étant à l’affût des modes et des tendances actuelles 15. Plus généralement, le dilettante est celui dont la connaissance

ES ER
s’aligne sur celle de l’ensemble et reflète la popularité des opinions [Inhalt] et des manières [Manier] 16.

OS H
Une constante se dégage cependant de cet aperçu de l’emploi que fait Kant du mot «dilettante»: si le dilettante se
réfère en grande partie au sens commun pour y découvrir le critère idéal de son jugement, c’est uniquement en vertu de

RP EC
constituer le reposoir perpétuellement changeant des opinions courantes, qu’elles s’expriment au moyen des Idées ou
qu’elles se manifestent à travers les différentes tendances culturelles, servies à la sauce du jour. Ce faisant cependant, il

PU E R
est exclu que le dilettante fasse acte de philosophe et se rapporte au sens collectif comme à l’expression de la raison
humaine tout entière 17, en comparant ainsi en quoi ses jugements subjectifs, produits en vertu de l’autonomie et de la
spontanéité de sa propre conscience, peuvent rencontrer ceux qui sont du ressort de l’ensemble, sans pourtant déroger à

CH S D
l’essence de la raison critique, mature et pondérée 18.

C’est plutôt un rapport de déférence à l’opinion majoritaire qui caractérise le dilettante, en ce qu’il en prend
AR FIN
faussement acte comme étant valable a priori et donc comme ayant une valeur d’autorité, étant légitimée alors à en

13 Idem, p. 596.
SE À

14 REF 2042 (1771-1778); AK XVI, 211.


RE T,

15 REF 2027 (1776-1804); AK XVI, 201.


D EN

16 REF 2040 (1776-1804); AK XVI, 209.


17 KU, §40; AK V, 293.
AN M

18 Puisque le sens commun est l’expression collective de la raison humaine, le philosophe ne saurait en nier
l’importance. Là où il se distingue du dilettante cependant, c’est de voir en lui un terrain d’action plutôt que
E LE

simplement le reposoir des principes déterminants de l’action. Le dilettante est celui qui n’a pas découvert la
plénitude de l’activité de sa conscience personnelle et la possibilité inhérente à celle-ci de contribuer au sens
US SEU

collectif en vertu de posséder lui-même un sens commun. Grâce à celui-ci, il peut référer sa conscience
particulière à l’univers social de l’ensemble des consciences particulières, afin d’y puiser et de découvrir les
principes a priori sur lesquels la culture fonde son histoire, mais sans s’abandonner totalement à ceux-ci,
puisqu’ils ne sauraient être complets, autrement le mouvement de l’histoire s’arrêterait, ni leur possibilité
AL EL

entière être épuisée avec leur action déterminante sur le monde, autrement l’humanité aurait accompli la pleine
entéléchie de sa possibilité phylogénique et ontologique. Or, ce sont deux éventualité qui pour le moment
s’avèrent hautement improbables. §Le rapport des consciences singulières à la conscience collective à laquelle
ON N

réfère le sens commun n’est pas simple à élucider. D’une part, le principe qui est a priori pour le sens commun
RS ON

ne le serait pas moins pour le sens intime particulier. Par ailleurs, ce qui distinguerait le sens commun du sens
particulier, c’est l’activité de celui-ci lorsqu’il se compare à la progression de celui-là. Car si le sens commun
gagne en extension comme en diversification, il demeure néanmoins une faculté qui dépend des sens intimes
P E RS

particuliers pour en appréhender et en amplifier les contenus, lesquels sont le propre de la nature humaine en
général, autant en vertu de son essence qu’en raison de sa possibilité. Par contre, comme pour la nature en
R PE

général, l’expérience de la nature humaine requiert, pour qu’elle soit susceptible de recevoir l’unité que le
pouvoir de la raison lui autorise à avoir, le postulat nécessaire de l’unité a priori de ses phénomènes sous les
conditions de la raison [KRV; AK IV, 92.], grâce auquel est rendue possible la subsomption synthétique de
FO E

l’unité du divers sous le principe de l’entendement [Idem, p. 93.]. § Or, autant l’activité de la conscience
AG

unificatrice, que l’unité a priori de la liaison du divers des phénomènes, que leur contribution au contenu du
sens commun évoquent la nécessité du principe archétype qui puisse être à l’origine, autant de la nature que de
ces consciences, grâce auxquelles la nature est passible d’une subsomption culturelle, résultant de l’activité
US

poématique qui renvoie en même temps à la moralité et qui inclut l’activation unifiée des possibilités de tous les
aspects de la raison. Car sans ce terme, par lequel le discours accède au stade d’illustrer l’activité de la
conscience particulière, initiée en vue d’enrichir le contenu de la mémoire humaine et d’inspirer les autres
consciences particulières avec les impressions qui y sont gravées avec la découverte et l’intériorisation des
principes intellectuels appropriés, le travail de la conscience n’aurait ni la possibilité d’être sue, ni celle d’être
reconnue. § Or, le principe archétype suprême est originel, non seulement quant à la nature, mais aussi quant au
sens interne dont la conscience particulière et le sens commun sont les manifestations. De sorte que tous les

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 236 de 302 ...


CONCLUSION

dicter à son propre goût. En somme, le dilettante est celui qui, ne s’étant pas affranchi de l’état de minorité qui
caractérise son rapport avec la société, fait siennes toutes les opinions et tous les courants, sans s’en démarquer de
manière originale. De sorte que le dilettante est proprement celui qui n’a pas le courage de se servir de son propre

LY —
entendement et à qui s’applique la devise des Lumières, servie comme injonction, le Sapere aude ! dont l’intelligence
associée au courage de la mettre en oeuvre est la garantie d’une émancipation tutélaire 19.

ON CHE
C’est que le dilettante est celui qui n’a pas compris que, dans l’idéal, l’opinion majoritaire se compose de
l’intelligence de tous ceux qui ont réussi le passage difficile de la minorité judiciaire à l’usage public et libre de la
raison, malgré toutes les pressions et toutes les contraintes qui s’y opposent et qui sont souvent le fait des personnages

ES ER
en autorité (i.e. les tuteurs) 20. Grâce à cette émancipation, les consciences libres réussissent à accéder à un public qui
s’éclaire lui-même, à un ensemble d’individus qui pensent par eux-mêmes. Même lorsqu’ils appartiennent à la classe
des tuteurs, leur maturité rationnelle les autorise à rejeter l’état de tutelle et à répandre leur conviction, comme quoi non

OS H
seulement ils sont en droit de réaliser l’estimation raisonnée de leur propre personne, mais encore il incombe à chacun

RP EC
de penser d’une manière libre et autonome 21, en tant que participant activement à un règne des fins qui sollicite le sujet
moral et humain et en interpelle la complétude et la plénitude.

PU E R
Car les maximes du sens commun 22, 23 — le penser par soi-même, en se mettant à la place de tout autre, tout en
demeurant en accord avec soi-même — sont en même temps celles de tout sujet moral qui a accédé à l’état de majorité

CH S D
rationnelle. L’opinion majoritaire est alors constituée en réalité du jugement généralisé à l’ensemble de l’humanité, tel
qu’un esprit rationnel pleinement épanoui serait susceptible de la lui fournir, à l’intérieur du mouvement dialectique qui
voit les jugements singuliers et particuliers se confronter au jugement qui est commun à l’ensemble 24. Or, le dilettante
AR FIN
est celui qui abdique de sa prétention à se joindre à l’ensemble des consciences judiciaires qui servent à ériger la sagesse

trois, la nature, le sens interne et le sens commun, renvoient l’un à l’autre: la nature au sens interne comme étant
SE À
la cause matérielle de son activité; le sens commun comme étant le réceptacle de la connaissance et des
souvenirs en provenance des consciences particulières et adoptés par l’ensemble de l’humanité, comme étant
RE T,

susceptible d’inspirer le mouvement de son histoire, et d’y contribuer, en fournissant la matière culturelle dont
les possibilités sont susceptibles de caractériser un accomplissement jugé digne d’être retenu par elle, afin de
D EN

constituer la matière de ses choix. Mais voilà que ceux-ci n’ont d’autre fondement que la liberté, telle qu’elle a
la possibilité de s’exprimer uniquement au plan suprasensible des personnes morales. § Le tort du dilettante par
AN M

conséquent n’est pas de méconnaître l’importance du sens commun, autant quant à ses acquis historiques qu’à
ses fluctuations actuelles, ni même de négliger les principes a priori qui fondent sa valeur, puisque ceux-ci sont
E LE

les mêmes, qu’ils habitent les souvenirs des consciences particulières ou qu’ils composent le bagage
mnémonique et culturel du sens commun. Son tort plutôt est de méconnaître la participation du sens interne
particulier au sens commun, rendu possible en vertu de la puissance inhérente à la nature humaine, s’exprimant
US SEU

en chacun de ses représentants, et par conséquent de la liberté qui peut émaner seulement de ceux-ci. Or, la
liberté est le principe formel de la créativité réglée, c’est-à-dire de la créativité qui reconnaît autant les lois de la
nature que celles de l’esprit et qui édifie sur la matière de l’intériorité ce qui en représente la continuité et
l’avenir, en vertu de possibilités essentielles qui sont, non pas inventées, mais découvertes. Celà fait que
AL EL

l’accession à la majorité philosophique, laquelle devient reconnaissable à l’affirmation de l’essence archétype


et de la puissance réelle véritables de la liberté, est celle-là même que le dilettante se refuse à reconnaître par
ON N

son attitude, comme étant une Idée légitime de la raison théorique pure et de la réaliser comme étant un Idéal
RS ON

valable de la raison pratique effective.


19 WIA; AK VIII, 035.
20 Idem, p. 036-037.
P E RS

21 Idem, p. 036.
R PE

22 Les maximes du sens commun représentent une autre instance de la division du champ philosophique en trois
disciplines majeures. Car au «penser par soi-même» correspond la dimension théorique de la philosophie que
gouvernent les principes de l’épistémologie en vertu de l’héautonomie de la raison, la possibilité que possède
FO E

celle-ci de se donner à elle-même une règle. La valeur idéale qui gouverne ce plan est le vrai, laquelle renvoie à
AG

l’Idée transcendantale de la Vérité qui, comme toute Idée de la raison, est perpétuellement vouée à
l’indétermination, avec la tentative perpétuelle d’en rencontrer l’Idéal, sans jamais réussir tout-à-fait
cependant. Au «penser en se mettant à la place de tout autre» correspond la dimension pratique de la
US

philosophie, soumise aux principes de l’éthique en vertu de la spontanéité de la raison qui s’alimente à
l’Inconditionné suprasensible et à l’impératif catégorique pour réaliser les maximes de la loi morale, étant
l’expression suprême de cet impératif. La valeur idéale qui gouverne cet aspect est la bonté, laquelle renvoie à
l’Idée transcendantale du Bien, dont l’Amour serait le principe et la forme suprêmes, puisqu’il engage
intérieurement le sujet moral, en vertu de la possibilité suprasensible de réaliser tout bien. Or, le Bien répondant
à une finalité extérieure et l’Amour constituant une disposition intérieure, on assiste à une entéléchie qui repose
sur la convergence du genre transcendantal et de la puissance qui le réalise. C’est une entéléchie qui culmine

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 237 de 302 ...


CONCLUSION

commune et à y contribuer avec une conscience émancipée. Cette contribution s’accomplit en prolongeant, en
approfondissant, en amplifiant et en clarifiant la matière à laquelle toutes les consciences sont susceptible de puiser afin
d’en réaliser les principes, les préceptes, les injonctions, les maximes, les mémoires et les hypothèses, consacrés par

LY —
l’histoire comme étant éminemment valables, puisqu’ils révélent le mouvement de l’esprit qui a présidé à leur
énonciation et à leur adoption comme étant dignes de siéger à l’intérieur du sens commun, d’y être cultivées et d’être

ON CHE
publiées à l’intention de cette génération et des générations à venir.

En préférant plutôt se rallier sans esprit d’opposition ni disposition critique aux édits du sens commun, fondés sur
une reconnaissance adéquate des principes a priori théoriques, dont la portée est épistémologique autant que pratique,

ES ER
et ainsi attester d’une créance en la valeur prioritaire de leur prépondérance effective, le dilettante refuse donc de
participer au mouvement par lequel l’histoire ontogénique et phylogénique se réalise. Ainsi se constitue-t-il plutôt en
principe vivant de l’incomplétude du sens commun. Le danger que se produise la généralisation de cette inertie

OS H
philosophique devient clair puisque, en refusant la progression de l’histoire qui se fonde sur la connaissance adéquate

RP EC
de ses principes essentiels, le dilettante reconnaît à l’entropie épistémologique une valeur dont l’adoption effective
serait le gage de l’immobilisme historique, que voilerait l’apparence d’un changement en superficie. Or, l’immobilité
historique est un facteur, symptomatique ou pronostique, de l’empêchement de l’exercice plénier de la spontanéité de la

PU E R
raison et par conséquent de la négation de son essence suprasensible intégral ainsi que de l’activité transcendantale qui
rend la possible. En bref, le dilettante est celui qui, en refusant d’assumer la poursuite de la fin de l’humanité en sa
propre personne, refuse en même temps de participer au mouvement historique de l’épistémologie qui rend cette fin

CH S D
possible. Le dilettante représente donc pour Kant le prototype de l’esprit asservi, subjugué par l’état de tutelle autant
qu’il le soutient et le prolonge dans le temps culturel, et par conséquent, il serait le premier visé par l’injonction du
Sapere aude ! dont le doyen de l’université de Königsburg a fait la devise des Lumières.
AR FIN
chez Kant en l’extérorisation de la loi morale, en fondant cette action sur la nécessité de parfaire la forme
SE À

suprasensible intérieure, l’impératif catégorique qui, par sa substance, exige l’amour de Dieu et du prochain.
Or, cela n’est possible que si en même temps la valeur a priori du principe de la liberté est reconnue. § C’est
RE T,

qu’en tout temps, l’autonomie théorique et la spontanéité pratique se réunissent chez Kant afin non seulement
D EN

de réaliser la liberté du sujet moral, mais encore d’adapter les formes suprasensibles de l’esprit aux conditions
sensibles perpétuellement changeantes de la nature, en initiant spontanément l’activité rationnelle en vue de
cette fin. De sorte que seul l’Inconditionné représentant la constance du principe immuable mais néanmoins
AN M

prolifique quant aux possibilités innombrables susceptibles d’en procéder — l’impératif catégorique que
spécifie pratiquement la loi morale —, la subjectivité qui y participe en illustrant subjectivement son
E LE

héautonomie et en concrétisant objectivement le principe au plan sensible, puise à même l’Inconditionné pour
le réaliser, non pas intégralement, mais en vertu d’une disposition à la réaliser intégralement. Ainsi, le monde
US SEU

de la matière physique devient-il le lieu d’une résistance à l’instauration de la perfection suprasensible, malgré
le plus grand des engagements en ce sens. Par contre, la disposition présente à l’intérieur de la personne
kantienne étant le siège dans l’âme d’une résolution inaltérable à réaliser la forme suprême de l’impératif
catégorique, elle devient la condition essentielle de son hypostase au plan de la nature sensible, sans que puisse
AL EL

être précisée au départ la forme qui spécifiera éventuellement le Bien, en allouant pour l’opacité et la variété
des résistances naturelles. § On voit par là qu’il existe par conséquent un lien intime qui réunit les trois maximes
du sens commun. Car dès lors que le théorique et le pratique convergent et se réunissent dans la conscience
ON N

individuelle pour réaliser les valeurs transcendantales au plan immanent de la réalité sensible, une troisième
RS ON

condition existe qui est celle de «penser d’une manière qui voit le sujet moral être en accord avec lui-même»,
selon les principes esthétiques d’une héautonomie par laquelle se rencontre en lui toutes les conditions de sa
présence-au-monde. Celles-ci incluent bien sûr le suprasensible nouménal de la vie intérieure qui réconcilie, à
P E RS

l’intérieur du sens intime, l’irrationalité de la sensibilité vitale et la rationalité de l’esprit transcendant, dont on
pourrait dire qu’ensemble, ils caractérisent pleinement l’univers transcendantal kantien. Mais ils supposent en
R PE

même temps un rapport au monde par lequel l’Inconditionné suprasensible se heurte aux conditions sensibles
de la nature dont les formes suprasensibles sont déjà présentes a priori dans l’intuition. Celles-ci constituent
alors le risque pour le sujet de succomber à l’hétéronomie exogène, tout en procurant l’occasion que triomphe
FO E

son autonomie morale avec le dépassement qui est exigé de lui, en dépensant l’effort requis pour la réaliser,
AG

lequel en témoignera éloquemment, lorsque cette condition est remplie. § Ainsi assiste-t-on à une vérification
nouvelle des deux principes implicites à la philosophie kantienne: la primauté du suprasensible sur le sensible
et la primauté du pratique sur le théorique. Avec le premier, Kant assure que l’hétéronomie du monde de la
US

nature ne l’emportera pas en droit sur l’autonomie de la dimension suprasensible de la raison, sans que cela ne
constitue une usurpation par elle de l’ascendant qu’exerce de jure la raison sur les conditions naturelles et par
conséquent une atteinte à sa légitimité a priori. Et avec le second, le grand Philosophe empêche que l’esprit ne
se perde à l’intérieur des dédales de ses propres ratiocinations, sans égard pour le monde sur lequel il est appelé
à s’exercer ou encore pour la nature incarnée du «suprasensible sensibilisé», grâce à laquelle la possibilité de la
raison a la possibilité de s’épanouir et de se réaliser et ainsi de réaliser la dynamique vitale qui est essentielle à
son opération effective.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 238 de 302 ...


CONCLUSION

Le libertinage chez Kant


Quant au libertinage, il comporte pour Kant tantôt un sens éthique et tantôt un sens logique. Par ailleurs, le sens
éthique qui renvoie à la notion de la dépravation et de la corruption des moeurs occupe une place somme tout mineure à
l’intérieur de son oeuvre, mais il ouvre sur une dimension épistémologique qui révèle toute l’ampleur de la pensée

LY —
kantienne, lorsqu’elle est engagée dans sa tentative de réaliser l’unité de la raison. Tout en étant systématique, celle-ci
ne peut s’autoriser à incarner la fixité, sauf à se condamner elle-même au dépérissement, en raison de nier la plasticité et

ON CHE
la mobilité qui conviennent à l’échelle cosmologique du monde qui conditionne le mouvement spirituel intime et
l’action qui en découle, lesquels en retour en façonnent et en rehaussent la configuration naturelle.

D’une part, Kant affirme que la bonne santé est la cause des excès [Ausschweifung] que l’on peut commettre et que

ES ER
les ennuis physiques peuvent parfois servir à prévenir 25. Si la sexualité est un bienfait pour l’humanité, puisqu’il répond
aux exigences et à la finalité de la nature tout en contribuant au bonheur des individus, c’est uniquement avec la
limitation de l’appétit, qui autrement ne connaîtrait aucun frein, que le sujet peut moraliser et empêcher qu’il ne

OS H
dégénère vers le libertinage et la débauche [Ausschweifung und Lüderlichkeit 26] 27. Ceux-ci se fondent sur le principe

RP EC
de la diversification et de l’intensification de la jouissance: ainsi, plutôt qu’être contenues par le mariage, qui
participerait alors à la civilisation de l’instinct en encourageant la fidélité conjugale, la monotonie des rapports
monogames risquerait d’en exacerber la tendance, puisqu’elle motiverait à combler l’ennui qui en procéderait avec des

PU E R
poursuites hédonistes 28. D’ailleurs, l’état de libertinage [Lüderlichkeit] n’est pas sans conséquences sur la physiologie
des particuliers, puisqu’il laisse tôt ou tard son empreinte sur la physionomie de ses praticiens 29.

CH S D
La tentation serait grande de voir en la discussion des moeurs sexuelles une simple digression à l’intérieur de la
pensée kantienne, tellement le thème occupe une place restreinte et apparemment excentrique à l’intérieur de son
AR FIN
oeuvre. Cette conclusion trahirait la réalité philosophique cependant, puisque l’on retrouve à l’intérieur du mini-corpus
qui en traite l’essentiel des thèmes kantiens — la discipline, la moralité, la finalité naturelle et la fin suprasensible du
sujet —, tels qu’ils se retrouvent à tous les plans de son oeuvre principale. Mais plus encore, la discussion de la sexualité
révèle les dangers qui accompagnent les excès commis au nom de l’ontogénie, puisqu’ils se commettent en même
SE À

temps au détriment de la phylogénie, peut-être en affaiblissant et en compromettant l’excellence de la base sur laquelle
l’humanité fonde la qualité de son état et le succès durable de son mouvement, et constitue une phénoménologie qui se
RE T,

rapporte aux trois principes logiques majeurs dont la discussion suit et qui trouvent leur contrepartie dans la phylogénie,
dans l’ontogénie et dans l’histoire des espèces. Or, ces préceptes ont pour mérite peu négligeable d’apporter une
D EN

solution au problème de l’unité et de la multiplicité, dont nous savons depuis qu’Aristote en a constitué l’épine au pied
d’une métaphysique unitaire.
AN M
E LE

Les trois principes de l’entendement dynamique


Trois lois métaphysiques gouvernent donc l’entendement quant à la gestion des concepts qui en composent le
champ: le principe de l’homogénéité; le principe de la spécification; et le principe de la continuité 30. Le principe de
US SEU

l’homogénéité est celui qui laisse ramener le divers sous des genres supérieurs, jusqu’à l’identification du genre
suprême qui constitue en quelque sorte le point ultime de l’exacerbation des concepts et de la réalisation de l’activité
réflexive de la raison, lorsqu’elle se donne pour objet l’entendement et les produits idéels qui en sont issus. Le
mouvement logique propre à l’homogénéité réalise un mouvement ascendant en ce sens qu’il renvoie nécessairement
AL EL

aux origines: en embrassant tous les concept possibles et donc en anticipant formellement sur les concepts non-encore
réalisés, l’univers épistémologique complet se trouve inclus sous ce mouvement. Tout en constituant un mouvement
ON N

qui est en même temps progressif, il renvoie cependant au principe originaire qui fonde cette diversité croissante, sans
qu’il ne soit lui-même divers. Car la diversité originaire générique, qui ne serait rien d’autre qu’un amalgame de genres
RS ON

distincts, isolés et séparés les uns des autres à l’intérieur de l’esprit, ne saurait être a priori inclusif des autres, tout en
co-existant avec eux. L’effet serait de reporter sine die le problème des origines, comme trouvant sa solution éventuelle
dans un au-delà virtuel futur — ce qui révélerait une contradiction implicite —, en refusant à toute interrogation sur le
P E RS

23 KU; loc. cit., p. 294.


R PE

24 Voir à l’annexe, p. 279, le TABLEAU VII.1, intitulé «Tableau récapitulatif de la thèse kantienne, telle qu’elle
s’inscrit à l’intérieur du projet des Lumières et en tant qu’elle réalise l’unité multidimentionnelle de la
FO E

philosophie».
AG

25 GMS; AK IV, 418.


26 Cet orthographe est spécifique à Kant alors que tous les dictionnaires consultés donnent pour équivalent du mot
«libertinage» le terme de «Liederlichkeit». Nous conservons l’orthographe de Kant par souci de rester fidèle à
US

l’intention première de sa pensée, laquelle nous n’avons pas la prétention de connaître.


27 GSE; AK II, 238.
28 APH, Charakter des Volks; AK VII, 309.
29 Idem, Charakter der Person; AK VII, 301.
30 KRV; AK III, 436-437.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 239 de 302 ...


CONCLUSION

passé de pouvoir retracer avec succès un moment originel légitime — ce qui tiendrait de l’absurdité —. Ainsi, au nom
du principe non datur vacuum formarum, la diversification qui caractérise le champ épistémologique des concepts se
ramène nécessairement à un genre unique, suprême et universel [einer einzigen obersten und allgemeinen Gattung],

LY —
dont procèdent tous les genres qui le spécifient et qui constitue le seul principe d’inclusion possible de toutes les
possibilités subséquentes, y comprises de celles qui comportent encore uniquement un statut éventuel, puisqu’elles sont

ON CHE
des concepts et des espèces non-encore présentés.

Le principe de la spécification réfère par contre à un mouvement descendant, en ce qu’il postule la diversification
de l’homogène sous des espèces inférieures qui en spécifient le genre. Ce second principe du datur continuum

ES ER
formarum découle directement du principe d’homogénéité en vertu du genre suprême, mais il illustre la possibilité
infinie et la capacité déterminante de la raison. Puisque le genre suprême se spécifie en genres inférieures, mais à partir
d’une substance qui leur est commune, malgré les différences qui en caractérisent les manifestations distinctes,

OS H
conformément à la loi de la diversité, ce sont ces espèces qui comporteront une valeur ontologique prédominante.

RP EC
L’effet sera pour les genres inférieurs de constituer l’un pour l’autre une limitation, laquelle s’exprimera avec une
spécification encore plus grande, d’une manière progressive cependant, puisque cette différenciation s’opère de proche
en proche en recherchant la plus petite spécification possible qui puisse réaliser cette distinction.

PU E R
Ainsi en vient-on au troisième principe de la continuation des formes, lequel trouve sa formule avec le continuum

CH S D
specierum (formarum logicarum). Ce précepte assure que les différences spécifiques, tout en procédant d’une manière
continue à partir d’un genre homogène, viendront combler en sous-genres les niches que laisseront vides les genres
supérieurs, de sorte à réaliser pleinement leur possibilités, mais d’une façon telle que la distinction subséquente s’en
AR FIN
démarquera suffisamment pour constituer une espèce différente, susceptible à son tour de perpétuer le mouvement
descendant et ainsi de suite jusqu’au stade de l’individu, lequel est l’ultime expression du processus par lequel se
spécifie dans la continuité le genre suprême ainsi que les sous-genres et les espèces intermédiaires. Or, le principe de la
continuité des formes réalise une loi de l’affinité des concepts les uns pour les autres [ein Gesetz der Affinität aller
SE À

Begriffe], laquelle veille à ce que l’accroissement graduel de la diversité préside à la continuité des espèces, avec la
distinction qui se réalise à partir d’une substance originaire qui leur est commune. Cette loi constitue par conséquent un
RE T,

principe d’unité systématique, en ce que l’Idée de l’agencement des éléments conceptuels qui composent la totalité de
leur champ unifié parvient à intégrer les deux mouvements directionnels opposés: l’ascendance qui, procédant de la
D EN

diversité des concepts, remonte jusqu’au genre suprême; et la descendance qui, issue du genre suprême, en spécifie de
proche en proche la substance jusque vers l’unité singulière et irréductible de l’individu.
AN M

C’est avec l’allégorie de l’horizon que Kant tente de représenter l’unité systématique qui réalise le troisième
E LE

principe de la continuité et en même temps les principes qui le fondent, le principe de l’homogénéité et le principe de la
spécification. Prenant le concept comme premier élément constitutif, il en imagine un horizon qui embrasse à la fois
US SEU

l’univers des concepts analogues ainsi que toutes les choses qui, pour chaque concept, peuvent en spécifier un horizon
logique plus étroit, et ainsi de suite en passant d’une espèce à une sous-espèce jusqu’aux individus. Ceux-ci doivent être
conçus autrement que l’on conçoit les points géométriques: puisqu’ils ne sont pas privés d’extension, à la différence de
ceux-ci, ils sont donc susceptibles de peupler un univers matériel, ce que ceux-ci ne sont pas habilités à faire. Par
AL EL

ailleurs, autant d’horizons laissent entrevoir la possibilité de dégager un horizon central commun qui en serait le genre
supérieur et ainsi de suite jusqu’à ce que l’esprit [Gemüt] découvre le genre suprême qui, embrassant sans exception
toute la diversité, serait l’horizon universel et vrai [die höchste Gattung der allgemeine und wahre Horizont ist]. En
ON N

somme, à partir d’un horizon restreint, qui est celui du concept particulier, lequel autorise à un regard logique qui est à
RS ON

la fois extensif et intensif, l’esprit [Gemüt] parvient tantôt à la notion du genre suprême, susceptible de résumer l’entière
diversité des concepts, et tantôt à celle de l’individu, susceptible de réaliser l’infinité des formes susceptibles d’en
procéder.
P E RS

Or, l’unité systématique que procure le principe de continuité, se trouve par ailleurs soumise elle-même à une loi
R PE

transcendantale, le principe de la continuité naturelle, la lex continui in natura qui assure une compatibilité et une
complémentarité entre les lois de la raison et les lois de la nature. Car si les lois de la raison prescrivent la parcimonie
des causes premières, la diversité des effets et l’association interactive des éléments constituants de la nature [eine
FO E

daherrühren der Verwandschaft der Glieder der Natur], elles illustrent en même temps la conformité à l’essence
AG

fondamentale de la raison et la congruence avec les principes naturels qui gouvernent les phénomènes et les
mouvements du monde sensible. Non seulement l’unité de la raison est-elle par conséquent une exigence
héautonomique, puisqu’elle caractérise une raison pleinement épanouie quant à ses possibilités virtuelles — celles qui
US

gouvernent son effort épistémologique et métaphysique, éminemment valable et pertinent, puisqu’ils émanent de son
essence suprasensible —, mais encore est-elle une exigence pratique, en réalisant un rapport harmonieux entre
l’univers suprasensible de l’esprit et le monde sensible de la nature.

Kant ajoute que les trois lois ont une fonction dynamique pour la raison: en recommandant l’homogénéité, la
première évite l’égarement [Ausschweifung] qui procéderait inévitablement pour la raison de s’engager à l’intérieur de
la recherche qui propose des genres originaires, sans qu’elle n’aboutisse à la subsomption des individus, des espèces et

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 240 de 302 ...


CONCLUSION

des genres sous un genre suprême, et la seconde loi de la spécification limite une application trop étroite du principe
d’intégration, qui empêcherait que l’on ne reconnaisse de manière adéquate le procès qui mène à la diversification des
espèces pour aboutir à l’individu. La loi de la continuité des formes constitue par contre la base du mouvement rationnel

LY —
comparatif qui procure l’analogie par laquelle, tout en identifiant au plan du concept l’homogénéité originaire dont
serait issue l’hétérogénéité subséquente, la raison reconnaît en celle-ci un résultat progressif indéniable et irréversible,

ON CHE
qui ne peut néanmoins renier l’affinité générique qui lie entre eux les concepts individuels, issus de genres supérieurs
qui sont en convergence vers un genre suprême 31.

L’entendement dynamique, qui alloue pour toutes les possibilités épistémologiques, y compris celles qui ne se

ES ER
sont pas encore réalisées et qui donc réfèrent implicitement au mouvement grâce auquel devient possible une entéléchie
virtuelle, se fonde par conséquent sur un entrelacs de principes distincts qui constituent, chacun à leur façon, une
protection contre les divagations de la raison. L’intégration des concepts prévient contre la cécité rationnelle à la

OS H
possibilité que, derrière une diversité abondante et innombrable, puissent exister des principes qui en simplifient la

RP EC
compréhension, en favorisant la découverte de l’unité fondamentale qui en fonde la réalité. Par ailleurs, la spécification
des concepts empêche que cette découverte ne constitue la justification d’une situation où la raison s’immobiliserait
autour d’un centre épistémologique et s’imposerait à elle-même l’arrêt du mouvement spontané qui en caractérise la

PU E R
liberté intérieure de l’héautonomie, avec l’effet d’en nier l’efflorescence et l’épanouissement en vertu d’une propension
créative qui appartient autant à son essence que la tendance à l’unification. Ensuite, la continuité des formes protège
contre l’oubli à l’intérieur duquel risquerait de sombrer la conscience, qu’il existe effectivement une parenté entre les

CH S D
concepts qui, sans nier ni leur individualité, ni la spécificité des genres dont ils proviennent, en reconnaîtra la similitude
en même temps que le mouvement progressif qui est porteur de différence, mais affirmant néanmoins à travers celle-ci
la ressemblance.
AR FIN
L’illusion: le mal épistémologique radical
Or, la conservation de l’intégrité de la raison, par laquelle celle-ci maintient le cap d’un usage transcendantal
SE À

adéquat selon de simples concepts [in ihrem transzendantalen Gebrauche, nach bloßen Begriffen], est immanente à la
nature de l’intuition, quelle soit pure ou empirique. Dans l’éventualité cependant où celle-ci ne suffise pas à contenir la
RE T,

raison à l’intérieur des bornes et des balises de l’expérience possible et à la garder contre les excès et les erreurs [von
D EN

Ausschweifung und Irrtum abhalte], il importe alors à la raison de s’imposer une discipline, une contrainte qui
spécifiera pour la raison une législation. Cette restriction héautonomique en guidera l’usage et ainsi la raison obviera
aux tendances, lesquelles seraient inhérentes à la plénitude essentielle et réelle de la raison et fatales à l’héautonomie
AN M

qui autrement en exacerberait les possibilités de se constituer un système illusoire et mystificateur [Täuschungen und
Blendwerken] 32. L’illusion [Ausschweifung] devient alors pour l’entendement et pour l’imagination déductive le mal
E LE

radical qu’il faille prévenir ou éradiquer, puisqu’elle a pour effet de brouiller le concept et d’entraver le processus par
lequel l’intelligence parvient à rectifier les malentendus 33, de manière à préserver l’intégrité de la raison pour laquelle
US SEU

l’excellence de son activité sert d’indice ou la réatblir lorsqu’elle s’est perdue.

Les genres de l’illusion sont nombreux pour Kant et elle passe pour être naturelle et inévitable, en l’absence de la
discipline qui servira à prévenir toutes les formes que sa capacité protéenne est susceptible de revêtir et d’illustrer.
AL EL

L’apparence transcendantale se fonde sur des règles fondamentales et des maximes de la raison qui, ayant l’apparence
seulement de principes objectifs, mène à supposer une nécessité objective, là où auparavant prévalait seulement une
ON N

nécessité subjective. Elle culmine avec le vice de la subreption 34, qui trouve une illustration avec l’illusion d’optique
qui consistera à conclure que le diamètre de la lune est variable, de ce qu’elle paraît plus grande à son lever 35.
RS ON

Le paralogisme transcendantal, qui a son fondement au plan transcendantal de la raison humaine, incite à tirer des
P E RS

conclusions formellement fausses et donc sert à induire l’illusion, à l’intérieur de la raison autrement intacte 36. Une
doctrine de l’âme illustrerait cette forme de l’illusion lorsque, en même temps qu’elle se dit rationnelle, elle fonderait
néanmoins ses principes épistémologiques sur des perceptions particulières de l’état interne de l’âme, lesquelles
R PE

seraient dites empiriques pour cette raison 37. La conviction de savoir réaliser l’Idéal, lequel est nul autre en théorie que
la complétude achevée de l’Idée vers laquelle une entéléchie appropriée tend, porte atteinte à une compréhension
adéquate des limites pratiques de la raison: c’est une illusion morale qui comporte une séquelle particulièrement
FO E
AG

31 KRV; AK III, 437.


32 Idem; p. 466-468.
US

33 Idem; AK IV, 242.


34 < vitium subreptionis (lat.): proprement, le vice du glissement ou de l’insinuation.
35 Idem; AK III, 236-237; AK IV, 190-191.
36 Idem; AK III, 262; AK IV, 215-216.
37 Idem; AK III, 263; AK IV, 216.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 241 de 302 ...


CONCLUSION

nuisible, puisqu’elle conduit à rendre suspect le Bien que contient l’Idée et ainsi en subvertit la crédibilité, pour lui
retirer la part de légitimité à laquelle elle peut honnêtement prétendre. Car, en affirmant que l’Idéal est, non pas
régulateur, mais constitutif de l’action morale, la personne morale nie les limites naturelles qui, en opposant une

LY —
résistance aux ambitions illimitées du registre suprasensible, rendent improbable la réussite de la recherche de LA
perfection, de quelque nature qu’elle fût 38. Une autre illusion consiste à conclure de la possibilité effective d’une chose

ON CHE
sensible à la nécessité de toutes les choses en général, de sorte à voir dans le donné de la réalité empirique particulière la
condition de la possibilité de toute réalité empirique 39. L’illusion contraire porterait à conclure, à partir de la nécessité
logique essentielle, qu’une nécessité empirique dût en découler réellement, pour ainsi décerner au concept a priori
d’une chose (v.g. la ligne en tant qu’elle est la distance la plus courte entre deux points) un pouvoir de détermination de
la chose elle-même (v.g. cette ligne comme existant effectivement) 40. Ainsi, de l’être de raison (v.g. la licorne), on ne

ES ER
saurait conclure nécessairement à l’être réel (v.g. qu’il existe en quelque lieu et à quelque époque une espèce naturelle
qui est conforme à la notion que l’on possède de la licorne). Les trois exemples qui ont précédé sont autant de formes

OS H
sous lesquelles peut se présenter le paralogisme transcendantal pour tromper la raison et falsifier subtilement ses

RP EC
conclusions.

L’illusion procède de la confusion entre le prédicat logique, qui définit la chose sans égard pour son contenu, et le

PU E R
prédicat réel, qui limite la compréhension de la chose à la détermination que l’on opère sur elle, pour ainsi accroître la
chose en lui ajoutant un contenu qui n’y figurait pas auparavant 41, sans pourtant éviter que l’on enlève à l’Idée de la
chose, la substance qui en caractérise l’illimité nouménal. L’illusion peut être simplement perceptuelle, comme pour la

CH S D
subreption sensorielle, alors que les sens témoignent d’un état et déclarent comme étant vrai ce que l’entendement
tiendrait pour impossible. Elle est alors un leurre dont les effets persistants se maintiennent en l’absence de l’existence
réelle de l’objet présumé (v.g. un mirage) 42. Ou encore, elle peut s’ancrer à l’intérieur d’un habitus social et sert à
AR FIN
prévenir les excès qui pourraient découler de l’expression effrénée des passions. Ainsi, la pudeur [Sittsamkeit 43]
consiste en une contrainte qui maintient la distance entre les sexes et empêche qu’autrui ne vienne à dégrader pour un
congénère au rang d’un simple instrument hédoniste. Et plus généralement, la bienséance [Wohlanständigkeit,
SE À
decorum] consiste avant tout à bien paraître 44, une définition qui donne en puissance beaucoup d’emprise au
mouvement dilettante et camoufle en certains cas la disposition privée au libertinage.
RE T,

L’illusion peut être aussi du genre psychique alors que l’âme, étant l’organe de l’impression interne que l’homme
D EN

reçoit de lui-même, peut succomber tantôt à la fiction, en prenant les phénomènes subjectifs que sont les produits de
l’imagination pour des phénomènes objectifs, c’est-à-dire les impressions que procure la sensation; tantôt à la culture
AN M

d’un esprit artificiel, en tenant ces produits pour des suggestions en provenance d’un être qui n’appartient pas aux sens
externes en tant que cette chose. Or, explique Kant, si ces tromperies du sens interne (que Kant identifie explicitement à
E LE

l’âme) peuvent être salutaires parfois, en permettant de s’élever au-dessus des bassesses des représentations sensibles,
elles révèlent néanmoins un état pathologique de l’esprit 45.
US SEU

Enfin, l’illusion peut être morale alors qu’elle amène à confondre par subreption la vertu des actions commises et
le sentiment de probité que l’on est susceptible d’éprouver en leur présence. L’association de la vertu et de la probité, de
l’état intime originaire associé à la volonté et à l’action et de l’impression que laisse cet état dans l’âme, est à l’origine
AL EL

de la joie de vivre. Elle réunit donc à l’intérieur du complexe boulétique la détermination de la fin possible prise pour
désirable, l’évaluation de la fin réellement accomplie et le sentiment qui provient d’une adéquation entre ce qui doit être
et ce qui est, telle qu’elle est réalisée par le sujet moral. Or, la subreption morale consisterait précisément à voir en la
ON N

satisfaction éprouvée, plutôt qu’en le pouvoir déterminant immédiat de la volonté qu’inspire la simple raison pratique,
RS ON

le mobile primordial effectif de la détermination de l’action. Bref, la subreption morale serait illusoire en ce qu’elle
renverse, à l’intérieur du sujet, l’ordre qui correspond à l’application adéquate du principe de la primauté du
suprasensible sur le sensible, pour accorder à la sensibilité du sentiment un pouvoir de détermination sur l’action.
P E RS

Puisque le sentiment ne saurait jamais être entièrement dénué d’une composante empirique, même lorsqu’il procède
d’un souvenir qu’emmagasina un jour la mémoire, en référence à une expérience échue depuis longtemps, mais qui
R PE

38 Idem; AK III, 384.


FO E

39 Idem; p. 391.
AG

40 Idem; p. 398.
41 Idem; p. 400-401.
US

42 APH, §13; AK VII, 149.


43 (XVIIIe s.) = modestia, morum civitas (lat.): décence, pudeur, simplicité des moeurs; elegantia, urbanitas
(lat.): délicatesse, savoir-vivre; ingenium mite, morum dulcedo ac suavitas (lat.): caractère patient, moeurs
douces et agréables.
44 Idem, §14; p. 152.
45 Idem, §24; p. 161.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 242 de 302 ...


CONCLUSION

conserve une résonance qui se répercute avec persistance à l’intérieur de l’esprit, la préséance de l’hétéronomie
empirique sur l’autonomie morale recevrait une légitimité factice. L’accès de la sensibilité à une telle dignité est
complètement irrecevable par Kant, puisque la liberté émane de l’Inconditionné suprasensible et que celui-ci est pur de

LY —
tout conditionnement en provenance du monde de la nature, en principe du moins.

ON CHE
L’illusion de l’antinomie du goût
En ce qui concerne la troisième Critique, c’est l’antinomie du goût qui se révèle être l’illusion la plus complexe.
Comme toute antinomie, elle oppose deux lemmes: ce ne sont pas les deux lemmes pris séparément qui posent la
difficulté, puisqu’en tenant l’un pour vrai, la possibilité demeure que l’autre soit tenue pour faux. Le problème réside

ES ER
avec l’irrecevabilité des deux lemmes à la fois et l’impossibilité de les réconcilier nous obligerait à devoir comprendre
qu’en matière de goût, il n’existerait effectivement aucune possibilité de produire un consensus, en raison de manquer

OS H
toujours à l’une ou l’autre des deux conditions nécessaires. Or, sans l’accord des deux conditions, un consensus serait
inatteignable. De plus, il résulte de l’argumentation produite avec la tentative de résoudre la contradiction, un diallèle

RP EC
ou cercle vicieux par laquel, en réfutant un des lemmes, avec l’effort d’en démontrer la validité avec la preuve par
l’absurde, on admettrait implicitement l’autre. Mais lorsque celui-ci est soumis à un même traitement, cela amène à

PU E R
poser à nouveau le premier lemme, et ainsi ad infinitum.

Dans la première thèse de l’antinomie, on affirme que le jugement de goût ne se fonde pas sur des concepts: si cette

CH S D
proposition était irrecevable, cela impliquerait que l’on puisse disputer [disputieren 46] d’un jugement de goût et de sa
validité puisque, en l’absence de concepts, nulle démonstration n’est possible, alors que le plan social de la
communication repose sur la possibilité de fonder cette action sur des concepts contenus à l’intérieur du sens commun.
AR FIN
Cela nous amène à formuler l’antithèse de l’antinomie, par laquelle on énonce (par conséquent) que le jugement de
goût se fonde sur des concepts: en admettant que cette proposition est irrecevable, cela impliquerait que l’on ne saurait
discuter [streiten 47] d’un jugement de goût et donc prétendre produire un assentiment qui aurait pour autrui la valeur
SE À

d’une nécessité universelle 48.


RE T,

La solution que Kant apporte à cette antinomie n’est nullement définitive, puisqu’il se contente simplement de
D EN

lever la contradiction entre les deux lemmes du dilemme, pour ainsi faire comprendre que le problème soulevé par cette
antinomie est un faux problème. Cette approche, qui semble porter atteinte à la minutie et à la complétude habituelles
AN M

qui caractérisent l’oeuvre de Kant, serait compréhensible seulement s’il prépare la scène à effectuer une exploration
plus définitive du problème à un stade ultérieur de sa réflexion. Sauf à comprendre qu’il se refuserait en réalité à une
E LE

tentative de solution au nom d’impondérables qui échappent au pouvoir rationnel de l’esprit humain, pour des raisons
que les considérations qui suivent peuvent permettre d’entrevoir. Ainsi, en levant la contradiction qui caractérise les
thèses en opposition, chacune d’entre elles peut dorénavant être débattue comme étant soit vraie, soit fausse, soit en
US SEU

partie l’une et l’autre.

Nonobstant cela, Kant affirme qu’au-delà de la contradiction apparente, l’importance pour l’intelligibilité réside
AL EL

en la coexistence possible de concepts, même en l’absence de la compréhension adéquate de chacune des deux
propositions qui sont mises en opposition, car ce manque serait attribuable à des notions qui renvoient à un niveau
d’intelligence qui dépasse l’entendement humain. Ainsi, Kant fait-il remarquer que le premier lemme est irrecevable
ON N

uniquement en partie et que le jugement esthétique de goût, étant un jugement qui obéit à une finalité subjective, repose
RS ON

sur des concepts de la raison seulement réflexifs, des concepts qui ne sont pas déterminants par conséquent et qui
renvoient au substrat suprasensible de l’humanité, celui de la raison intégrale. Quant au lemme contraire, il est aussi
recevable en partie seulement, puisque si le jugement de goût implique des concepts, c’est de concepts indéterminés
P E RS

qu’il s’agit, lesquels engagent le substrat suprasensible des phénomènes, c’est-à-dire le noumène intégral. Le substrat
suprasensible devient par conséquent la commune mesure qui permet d’établir l’absence de contradiction entre les deux
thèses en présence, alors que le premier lemme renvoie aupouvoir suprasensible de la raison et que le second renvoie au
R PE

champ nouménal sur lequel s’exerce de pouvoir.


FO E

Il importerait de souligner en même temps que deux types de confusion se superposent quant au problème suscité
AG

par l’antinomie du goût: une confusion propre à la logique formelle et une confusion propre à la sémantique, lesquelles
complications ressortent aux formes de la suprasensibilité particulières à chacun des deux lemmes, le pouvoir de la
raison et le champ du noumène.
US

46 PLUHAR (1987), p. 210, traduit par «dispute».


47 Idem, traduit par «quarrel».
48 KU, §56; AK V, 338-339.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 243 de 302 ...


CONCLUSION

1) En ce qui concerne la confusion logique, elle repose sur l’emploi copieux de la négation qui renvoie de manière
circulaire et continue à l’autre lemme, pour ainsi produire une boucle sans fin, un peu à la façon d’une bande de
Moebius. Afin d’illustrer la structure formelle du raisonnement contradictoire de l’antinomie du goût, nous détachons

LY —
l’équation modale suivante.

ON CHE
Posons que:

X = le jugement de goût;
Y = la fondation du concept;

ES ER
Z = la conclusion, une de deux possibilités, la dispute [disputieren] [D] ou la discussion

OS H
[streiten] [S], lesquelles renvoient l’une et l’autre au sens commun.

RP EC
Ainsi, le premier lemme prend la forme suivante:

X ® ~ Y : ‡ X ® Y, \ ~ Z ;

PU E R
et le second lemme, celle-ci

CH S D
X ® Y : ‡ X ® ~ Y, \ ~ Z .
Or, on s’aperçoit que formellement les deux lemmes possèdent une structure parallèle qui consiste à proposer une
AR FIN
thèse, puis à conclure à la conséquence possible, advenant que la thèse contraire se vérifiât et que parconséquent la
thèse initiale fût susceptible d’être rejetée. Or, non seulement le conséquent est-il similaire dans l’un et l’autre cas
(l’impossibilité de disputer pour l’une et l’impossibilité de discuter pour l’autre 49), mais encore est-il celui de
SE À
l’antithèse qui est posée comme négation de la thèse, pour conclure à la validité de celle-ci, et vice-versa. De sorte que
l’impossibilité de disputer est en réalité le conséquent de la fondation du jugement de goût par le concept et
RE T,

l’impossibilité de discuter, celui de l’absence de concept pour fonder un même jugement. La forme logique
sous-jacente de l’antinomie devient donc la suivante:
D EN

X ® ~ Y : ‡ X ® Y, \ uniquement D;
AN M

X ® Y : ‡ X ® ~ Y, \ uniquement S.
E LE

Ainsi, à défaut de comprendre, avec l’illustration de la thèse contraire, que Kant se sert du second lemme pour
US SEU

proposer une impossibilité qui appartient à celui-ci et non au premier lemme préalablement posé, on en vient à conclure
faussement que le lemme illustré par le conséquent négatif est le lemme posé plutôt que son lemme contraire. Il en
résulte par conséquent que l’on passe systématiquement d’un lemme à l’autre, en risquant de ne pas s’apercevoir en
bout de ligne que pour chaque lemme, un seul des deux est effectivement affirmé, en excluant que le second puisse
AL EL

l’être également et que, à chaque étape de cet exercice sans fin, c’est toujours l’autre lemme qui a l’apparence de valoir,
jusqu’à ce qu’il soit examiné en profondeur. Ainsi, chacun des deux lemmes est tour à tour accepté puis rejeté, sans que
ON N

l’on ne parvienne à décider d’une solution qui permettrait de surmonter le problème fondamental posé par l’antinomie.
Or, une solution adéquate de l’antinomie du goût passe nécessairement par la possibilité que les deux lemmes puissent
RS ON

valoir en même temps en quelque façon pour que chacun des conséquents puisse s’avérer possible. À cette condition
seulement réussit-on à échapper au diallèle inopportun.
P E RS

2) En ce qui concerne la confusion sémantique, tout repose sur la distinction que l’on peut établir entre les
conséquents que l’on ne saurait produire (dans la forme initiale que prend la formulation de l’antinomie), la dispute
R PE

probatoire [disputieren] qui oblige au consentement (sans comporter d’assentiment subjectif) et la discussion
persuasive [streiten] qui suscite l’assentiment (sans comporter d’adhésion logique). Or, l’on ne peut nier que la
FO E

distinction repose sur une analogie à laquelle des mots quasi-synonymes permettent d’arriver plutôt que sur des
antonymes réels. En fait, l’antinomie du goût fait ressortir une problématique qui est intimement liée à la
AG

communication, puisque autant la dispute que la discussion appartiennent à un champ social qui implique au moins
deux personnes engagées à l’intérieur d’un rapport intellectuel et mutuel qui illustre la créance [Fürwahrhalten 50] au
moyen du discours 51.
US

Toute créance appartient à la fois au jugement subjectif et au sens commun: au jugement subjectif d’abord,
puisqu’il illustre un rapport de la conscience à la vérité, laquelle est une propriété objective de la connaissance 52, que

49 La paronymie entre les deux modes du discours est seulement accidentelle et ne doit pas servir à offusquer
l’argument essentiel.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 244 de 302 ...


CONCLUSION

rendent possible deux conditions: l’exercice du pouvoir du jugement, lequel rapporte son objet à l’entendement pour
l’accorder entièrement à ses lois 53, et l’enchaînement des représentations, lequel se déroule conformément aux lois de
l’expérience 54. Au sens commun ensuite, puisque la créance sincère porte sur la réalité de cet accord et repose à la fois

LY —
sur la possibilité rationnelle de la rendre évidente au moyen de la communication et sur un fondement commun, à savoir
l’objet transcendantal qui est susceptible de produire l’accord de tous les jugements subjectifs, aptes à être portés sur

ON CHE
lui, sous un même regard et indépendamment de la diversité des sujets, en raison pour les consciences qui en font
l’expérience de partager une nature commune. En lequel cas, c’est le fait de l’existence d’un tel accord qui prouvera la
véracité du jugement 55. On voit ainsi s’établir un rapport étroit entre, d’une part, la conformité de la raison avec l’objet
et l’intersubjectivité des consciences qui confère à celle-là une valeur simplement hypothétique, préalablement à la
validation finale que procure la production du consensus intersubjectif 56. La conviction, dont l’aboutissement reposera

ES ER
sur un jugement particulier, devient alors le moyen discursif que l’esprit se donne, lorsqu’il décide de mettre à l’épreuve
la matière de la persuasion qui est la sienne et qui se fonde au plan subjectif sur un jugement suffisant 57, en l’exposant

OS H
aux exigences canoniques de l’entendement d’autrui. Son but est alors de découvrir si la valeur simplement privée d’un

RP EC
jugement peut posséder en même temps une valeur pour autrui et ultimement pour l’ensemble des êtres humains, de
sorte à déborder la créance qu’il incombe de recevoir à un jugement valable uniquement pour soi 58. Grâce à cette
démarche, le jugement sera alors érigé au plan de l’intersubjectivité universelle.

PU E R
Ainsi, peut-on admettre que la conviction est le résultat d’une persuasion qui reçoit un aval social en la personne
d’autrui et qui, par conséquent, acquiert la valeur d’une certitude. Or autant la dispute que la discussion appartiennent

CH S D
au domaine de la communication [mitteilen], sans qu’à ce stade l’on n’ait établi de distinction entre ces deux modes du
discours. En réalité, la distinction porterait sur la valeur sociale du rapport discursif entre les interlocuteurs: alors que la
discussion [streiten 59] tiendrait plutôt de l’échange informel entre deux protagonistes, la dispute [disputieren 60]
AR FIN
renverrait au contexte plus formel de l’entretien officiel qui implique un savoir objectif et qui, étant public, est ouvert à
un auditoire, en recourant à une manière de solennité (v.g. une table ronde scientifique à laquelle assistent les membres
intéressés d’un public averti).
SE À

Nonobstant que le climat d’une rencontre académique puisse être informel et qu’un échange d’idées entre deux
RE T,

personnes puisse revêtir un caractère étudié, la distinction à établir entre la dispute et la discussion serait que, même si
elles se produisent in foro externo, la dispute tenterait de convaincre avec la force des arguments rhétoriques,
D EN

formellement ostentatoires et logiquement rigoureux, alors que la discussion se contenterait de persuader au moyen de
prises de position plus informelles, situées à l’intérieur d’un contexte précisé, en se réfèrant par conséquent à une
AN M

expérience personnelle commune, susceptible de faire surgir en l’un et l’autre des interlocuteurs un sentiment analogue,
en raison de la similarité des expériences vécues et de la nature subjective de chacun, laquelle puise à l’humanité que
E LE

tous ont en pratage, malgré qu’elle ait été exacerbé différemment par les expériences qui l’ont formée ainsi qu’avec
l’intensité et le sérieux de l’engagement héautonomique avec lequel il est disposé à la réaliser en sa personne.
US SEU

Le sens usuel que l’on confère ordinairement à ces termes nous permet alors de distinguer la dispute et la
discussion: pour celle-là, le concept renvoie plutôt au processus logique grâce auquel l’interlocuteur tente, avec des
raisons claires et précises qui se fondent sur des représentations abstraites, de faire triompher l’aperception d’une vérité
AL EL

objective auprès d’un autre interlocuteur; pour celle-ci, le concept suppose une démarche empirique qui implique deux
interlocuteurs et suscite l’adhésion de l’un de ceux-ci au point de vue de l’autre, au moyen de l’imagination et du
sentiment producteurs d’un discours narratif et descriptif, auquel est associée la sincérité de la disposition qui l’amène.
ON N

Si la sincérité du propos atteste de la vérité subjective de la représentation, elle n’exclut pas pour autant l’erreur
RS ON

50 PLUHAR (1996), p. 747, traduit par «assent».


P E RS

51 Voir en annexe, p. 281, le TABLEAU VII.2, intitulé «Les modalités du jugement subjectif dans leur rapport à la
vérité: évolution de la pensée kantienne du début à la fin de la période critique (1781-1800).»
R PE

52 LOG, §ix; AK IX, 066.


53 KRV; AK III, 234; AK IV, 188.
FO E

54 PKM, §49; AK IV, 336.


AG

55 KRV; AK III, 532.


56 A. RENAUD, In E. Kant. Critique de la raison pure (2001). Note 167. p. 720.
US

57 Vide le tableau VII.2 en annexe pour la distinction que fait Kant entre la conviction et la persuasion.
58 KRV; loc. cit.
59 (XVIIIe s.) = kämpfen: défendre une idée; auseinandersetzen; exposer, expliquer.
60 (XVIIIe s.) = in wechselrede streiten, besonders über wissenschaftliche Gegenstände, offentlich und feierlich:
conversation, entretien, spécialement concernant des questions scientifiques, se produisant ouvertement et
solennellement.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 245 de 302 ...


CONCLUSION

objective, laquelle dénoterait alors la perception inadéquate ou incomplète par l’interlocuteur concerné du phénomène
empirique sur lequel se fonde la représentation.

LY —
En somme, la dispute émanerait d’une certitude épistémologique, qui ne laisserait place à aucun doute, dès que les
principes qui fondent les propositions reçues comme étant vraies sont partagés et reconnus, alors que la discussion

ON CHE
s’ancrerait dans une croyance en la véracité d’une proposition, même si les raisons pour lesquelles elle s’avère
resteraient obscures, vagues ou mystérieuses: la première chercherait alors à faire naître une communauté des
intelligences et la seconde à réaliser une communion des âmes, en cultivant un climat d’empathie et peut-être même de
sympathie, en raison de participer sélectivement à une même connaissance. La dispute viserait à créer un accord qui

ES ER
confirmerait une vérité objective irréfutable; la discussion trouverait sa fin dans l’accession à une entente par laquelle se
réaliserait la confluence des jugements subjectifs autour de la représentation d’une configuration empirique qui, si elle
ne fait pas partie de l’expérience réelle de chacun des interlocuteurs, se rapproche suffisamment de l’expérience

OS H
possiblement vécue pour être plausible et pour susciter un complexe judiciaire analogue et convergent en chacun d’eux.

RP EC
La dispute établirait dans l’idéal à la pleine satisfaction des autres interlocuteurs l’objectivité du jugement de
l’interlocuteur quant à une représentation intellectuelle commune et la discussion illustrerait la sincérité de
l’interlocuteur, lorsqu’il est engagé à réaliser la prestation de son jugement, en évoquant une présentation qui serait

PU E R
susceptible de créer un climat intellectuel et affectif analogue à l’intérieur du sens commun. Ainsi peut-on conclure que
la première appartient plutôt au domaine de la rationalité, sans pour autant exclure l’irrationalité — le sentiment de la
satisfaction, susceptible d’être partagé, d’être parvenu à un accord épistémologique —, et que la seconde appartient

CH S D
plutôt au domaine de l’irrationalité, sans pour autant exclure la rationalité — la possibilité simplement contingente que
l’entente se fonde sur une vérité objective effective, comme lorsque l’avocat persuade à un juge ou à un jury que son
client est innocent en recourant au pathos, plutôt qu’à des arguments logiques, sans exclure pour autant que celui-ci
AR FIN
serait effectivement innocent des torts qui lui sont imputés et en confirmation de la très forte présomption, pour des
motifs entièrement pressentis reposant sur la conviction intime, que cette innocence est réelle et entière —.
SE À

Compte tenu de ces considérations, l’antinomie du goût prendrait l’aspect suivant: quant au premier lemme de la
thèse, si le jugement de goût ne se fonde sur aucun concept, aucune possibilité n’existe pour un accord qui confirme la
RE T,

vérité objective de la créance; quant au second lemme de l’antithèse, si le jugement de goût se fonde sur un concept,
aucune possibilité n’existe pour une entente qui établisse la vérité subjective de la créance. Or, pour que le jugement de
D EN

goût se vérifiât, il doit satisfaire à deux critères: il doit porter sur la satisfaction que procure à l’esprit [Gemüt] un objet,
tout en revendiquant pour lui un assentiment général, comme si le jugement était proprement objectif 61; et il ne saurait
AN M

être déterminé par des arguments probatoires, comme si le jugement était simplement subjectif 62. Ainsi, avec le
jugement esthétique susceptible de recueillir l’aval d’un assentiment en raison de son universalité, c’est la vérité
E LE

subjective du sentiment qui est mise de l’avant et non la vérité objective de l’attribut, de sorte que l’assentiment porte
non pas tant sur la possibilité qu’existe une conformité rationnelle adéquate de la raison à la chose, logiquement et
US SEU

objectivement démontrable, mais sur celle de la présence d’un état intrasubjectif, le complexe synesthésique judiciaire
qui, parce qu’il comporte une possibilité intersubjective, est susceptible pour cette raison d’être généralisé à l’ensemble
des esprits qui le produisent, en s’ancrant dans l’expérience [Erlebnis] intime de chacun, lorsqu’elle renvoie à une
expérience objective [Erfahrung] suffisante. C’est la nature commune à chacun des intellects, leur humanité qui tient à
AL EL

la fois du sensible naturel et du suprasensible spirituel, qui sert de fondement à la possibilité que naisse à l’intérieur de
leur conscience respective, un état intrasubjectif analogue qui réunisse et harmonise, conformément aux lois de
l’humanité inscrites en chacun, la raison, l’imagination et le sentiment. Le jugement de goût établit par conséquent la
ON N

condition simplement transcendantale d’une confluence de sentiments analogues que suscite une même expérience
RS ON

[Erfahrung], prise sous un regard identique suffisamment général pour subsumer les regards particuliers. Il se distingue
ainsi du jugement épistémologique qui procure la rencontre des consciences autour d’une propriété objective,
appartenant nécessairement à l’objet de la connaissance, sans que n’intervienne le vice de subreption, sous aucune des
P E RS

formes qu’il serait susceptible de recevoir.


R PE

Puisque le jugement épistémologique se fonde sur la représentation objective de la chose extérieure, puisqu’il
appartient à la forme spatiale de l’intuition, la chose étant un objet des sens externes et se fondant, pour être aperçue et
estimée, sur la liaison des phénomènes du sens interne, il caractérise pour l’essentiel une activité rationnelle qui n’est
FO E

pas exclusive à l’âme qui rend cette liaison possible 63. La capacité d’accomplir celle-ci étant le propre d’un être
AG

pensant, elle est alors un objet du sens interne avec la conceptualisation que l’on serait susceptible d’en réaliser, sans
toutefois être en même temps un objet des sens externes, susceptible d’être constitué en phénomène spatial 64. Puisque
le jugement esthétique se fonde sur le sentiment, c’est-à-dire sur l’impression sensible d’une manifestation de l’âme
US

61 KU, §32; AK V, 281.


62 Idem, §33; AK V, 284.
63 PKM, §49; AK IV, 336.
64 KRV; AK IV, 225.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 246 de 302 ...


CONCLUSION

susceptible d’être subséquemment représentée à la conscience, puisque celle-ci est à la fois l’organe du sens interne,
susceptible d’acquérir une conscience de l’expérience subie du sujet, et l’objet transcendantal de son activité,
susceptible de faire naître dans l’intuition interne le rapport des représentations dans le temps 65, le sentiment

LY —
caractérise une activité irrationnelle qui n’est pas exclusive de l’esprit [Geist], puisque celui-ci rend possible un
discours relatif autant à l’expérience ressentie par l’âme qu’aux représentations qui s’y rapportent, simultanément ou

ON CHE
successivement, pour la faire naître et l’entretenir. Or, autant l’activité rationnelle de l’esprit [Geist] que l’activité
irrationnelle de l’âme [Seele] appartiennent au plan suprasensible de la raison [Gemüt], dès lors que le jugement
subjectif du goût trouve là son siège — plutôt qu’uniquement avec la sensation physique —, autant à l’intérieur du sens
intime qu’avec le sens commun qui en rend possible le partage in foro externo.

ES ER
Le sens commun et l’illusion

OS H
Le sens commun est à proprement parler l’entendement civilisé de l’homme: il parvient à réconcilier les
différentes polarités de l’expérience humaine, les dimensions théorique et pratique de la raison, le sensible et le

RP EC
suprasensible, l’hétéronomie de la nature et l’autonomie des êtres vivants, en associant le jugement logique de la
téléologie et le jugement réflexif de l’esthétique 66. Il se distingue de l’entendement commun, lequel est à l’origine de

PU E R
l’universalité abstractive qui fonde la possibilité de la communication intersubjective, se recrutant exclusivement la
raison et nettoyée par lui notamment de l’illusion qui résulte de la subreption, l’erreur qui consiste à prendre pour un
principe objectif, celui qui appartient uniquement au plan de la subjectivité conditionnée par l’expérience empirique.

CH S D
Puisque l’entendement civilisé est celui qui participe de la culture des sociétés et de l’humanité en général, il représente
la plénitude du sens commun, tel qu’il amplifie sur l’entendement commun et le complète au nom des deux principes
qui préservent l’équilibre des rapports entre les facultés rationnelles et la situation naturelle de la personne humaine: la
AR FIN
primauté du suprasensible sur le sensible et la primauté du pratique sur le théorique.

Or, affirme Kant, le sens commun assure une défense contre l’illusion qui, en altérant la capacité objective de la
conscience et en lui présentant des perspectives fausses et/ou biaisées, pourrait influencer le jugement d’une manière
SE À

qui en altérerait la pureté 67. Étant un sens intime que l’ensemble des raisons vivantes tiennent en partage entre elles, il
est un pouvoir de juger qui se distingue du pouvoir de juger simplement personnel, lequel se contente de comparer les
RE T,

facultés internes à la conscience, l’entendement et l’imagination (productive et reproductive), et d’éprouver le


D EN

sentiment du plaisir ou du déplaisir qui résulte de cette activité. Car si le sens commun utilise les mêmes schémas
judiciaires que le sens privé, il reproduit la raison humaine tout entière [die gesamte Menschenvernunft] à l’intérieur de
l’imagination, dont le contenu sert alors de point de comparaison aux jugements subjectifs particuliers. Et puisque la
AN M

raison collective de l’humanité est réputée infaillible 68, elle devient alors le critère qui sert à jauger la valeur et le
fondement des jugements individuels, lorsque ceux-ci sont susceptibles de confirmer ou d’affirmer une vérité
E LE

universelle et intemporelle qui appartient au genre humain en entier et ne se réfèrent pas simplement aux intérêts des
consciences particulières qui en font partie. Plus encore, la raison de l’humanité en chacun devient le moyen par lequel
US SEU

les jugements subjectifs particuliers réussissent à transcender les données immédiates de l’histoire, ainsi que les
conditions en résultant pour les ressortissants qui en subissent les effets, autant à titre d’individus qu’à titre de membres
d’un ensemble qui vivent de manière analogue et cohésive les influences homogènes en provenance de situations
existentielles semblables, mais toujours selon une perspective individuelle et distinctive cependant.
AL EL

65 APH, §24; AK VII, 161.


ON N

66 Vide le chapître IV, p. 25-26.


RS ON

67 KU, §40; AK V, 293.


68 Ce point semblerait donner raison au dilettantisme contre le criticisme en ce qu’un jugement collectif infaillible
P E RS

enlève à la raison particulière le mobile d’un examen personnel et encourage à admettre sans les critiquer, la
matière et les principes qui sont au fondement du jugement. Sauf évidemment à tenter de comprendre quelles
R PE

sont les raisons déterminantes qui fondent la prétention à l’infaillibilité de la raison collective. Par contre, il y a
une part d’infaillibilité collective que l’on peut admettre et qui est celle que fondent les principes a priori
clairement perçus et adéquatement compris, lesquels trouveraient leur place à l’intérieur du sens commun en
FO E

procédant, voire en des temps immémoriaux ou autrement insondables, des consciences particulières
AG

éminemment éclairées et possédant par conséquent un ascendant suffisant pour avoir laissé l’empreinte de leur
connaissance et de leur activité sur la mémoire collective sur laquelle se fonde le sens commun, avec les valeurs
et les exemples admirables qui s’y trouvent véhiculés et propagés. Or, le sens commun, ne l’oublions pas,
US

accompagne la naissance, l’éveil et le développement de la conscience humaine et peut espérer avoir la même
destinée qu’elle, lui étant simultanée et complémentaire. Le défi est alors de faire le partage adéquat entre les
idées reçues qui sont vraies de manière seulement superficielles, et qui pour cette raison fondent un habitus
culturel susceptible de recevoir une remise en question, et celles qui sont éminemment valables en vertu de
refléter une perfection transcendantale qui est constitutive de l’héritage et du trésor spirituels inestimables de
l’humanité, puisqu’elles sont fondées sur des principes a priori de bon aloi et qu’elles sont ancrées dans
l’éternité à laquelle appartient l’ordre de l’a priori suprasensible.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 247 de 302 ...


CONCLUSION

Puisque le sens commun est une faculté qui ressort à l’humanité tout entière et dont la possession revient à chacun,
en tant qu’il appartient de droit à l’humanité, il est l’expression la plus abstraite de l’esprit suprasensible puisqu’il
subsume tous les esprits particuliers et il établit au sein de ceux-ci une hiérarchie. Celle-ci repose à la fois sur une

LY —
gradation à l’intérieur de l’aperception adéquate de la raison humaine intégrale, de la capacité subjective et individuelle
de chacun à ajuster son jugement personnel aux principes transcendantaux qui le subsument et de l’habileté à élaborer

ON CHE
des maximes qui en appliquent effectivement la substance et la transforme en lois adéquates aux situations et aux
acteurs, autant au plan théorique du discours qu’au plan de la conduite éthique et de l’activité poématique. Car c’est à
l’intérieur du sens commun que réside l’ultime critère de la vérité [Wahrheit], de la convenance héautonomique des
facultés [Schicklichkeit 69], de la beauté [Schönheit] et de la justice [Gerechtigkeit] que tous se doivent de rencontrer en
développant la plénitude de leur personnalité70.

ES ER
En somme, c’est le sens commun qui incarne la sublimité de l’Idée suprême de l’humanité puisqu’il réalise le point

OS H
suprême du suprasensible, à l’intérieur de la personne que conditionne la nature sensible. Cet acmé indéterminé, dont la

RP EC
réalisation complète demeure inatteignable à l’échelle de l’humanité, devient l’expression de la plénitude subjective de
chacun en même temps que le critère de sa situation effective, quant à ce terme et à cet aboutissement, en constituant
l’occasion d’une distinction et d’une gradation le long du continuum de la perfection. Ainsi, le sublime devient

PU E R
l’expression de l’unité suprême de la vérité, de la convenance, de la beauté et de la justice qui non seulement renvoie
aux trois transcendantaux (du Vrai, du Beau et du Bien) qui sont en rapport de coexistence mutuelle, mais encore stipule
que leur rencontre effective est nécessaire puisqu’ils répondent à un principe d’identité sous-jacent. Celui-ci résulte

CH S D
peut-être du principe négatif de la non-contradiction qui gouverne le maintien de l’intégralité du champ interactif, pour
lequel chacun des éléments conserve une valeur en soi, mais il illustre surtout la qualité positive de la complémentarité
perfective, grâce auquel chacun de ses éléments en vient à compléter et à augmenter l’autre.
AR FIN
Or, toute convenance comme toute complémentarité se produisent conformément au principe de finalité qui,
lorsqu’il concerne le pouvoir de la raison humaine, comporte deux dimensions distinctes mais mutuelles: la finalité
SE À

intrinsèque de la vie qui est fondamentale à la possibilité de son activité; et la finalité extrinsèque de la culture qui en
détermine, en vertu de la nature sensible sur laquelle porte cette activité, les fins spécifiques et les directions qui en
RE T,

caractériseront, aux yeux de l’histoire, les aspects phénoménaux. En somme, étant le moteur intime de toute raison, en
tant qu’elle en couve la possibilité et en permet l’extériorisation, la Vie est la condition a priori fondamentale de l’être
D EN

de l’humanité, la condition capitale de sa distinction, puisqu’elle est la fin finale de la Création, mais aussi de la
continuité par laquelle l’humanité illustre combien elle est semblable à tous les autres genres vivants, tout en
AN M

constituant l’occasion de leur préservation, de leur prolongement et de la culmination de leurs possibilités les plus
intimes à l’intérieur d’un genre aui à la fois les résume, les transcende et les subsume. La Vie pose comme prérequis à
E LE

l’origine de leur possibilité organisée le principe de la convenance extrinsèque par laquelle les rapports mutuels entre la
nature et les espèces vivantes sont dans l’idéal non seulement dénués de nocivité — autrement la continuité et la
US SEU

permanence de l’une autant que des autres seraient compromises —, mais encore sont empreints de l’Idée du Bien,
autant le bien que réalise une fin idoine, que le bien qui entretient la possibilité organique que la finalité grâce à laquelle
l’Idéal du Bien acquiert une possibilité régulative, s’inscrivît à l’intérieur du grand plan cosmologique. Ainsi, si le
principe du règne des fins appartient au Bien, puisqu’il est susceptible de rallier les consciences, la possibilité pour
AL EL

l’humanité d’appartenir à ce règne et d’en représenter la fin finale émane du Bien qui affère à la possibilité vitale de
l’humanité et qui est intime à la moindre parcelle de sa réalité unifiée.
ON N

Puisque la notion du bien au service duquel s’établit le rapport du sujet humain moral à la Création est une notion
RS ON

intime au sens commun, puisque celui-ci est le reposoir des conceptions et des Idéaux suprêmes de l’humanité entière et
que ladite notion alloue pour toutes les gradations et toutes les nuances à l’intérieur l’interprétation que l’on peut en
effectuer, seule la notion de Bien suprême peut être retenue comme étant celle qui est susceptible de fonder toutes les
P E RS

conceptions et toutes les actions bénéfiques, puisque seule celle-ci est susceptible de n’en exclure aucune, sauf en
raison de viser la réalisation d’un plus grand Bien encore et de se donner les moyens d’y accéder. Or, le Bien suprême ne
R PE

saurait cependant nier le principe qui est au centre de son essence, en annihilant au nom du Bien même la plus infime
partie et la forme la plus incomplète du bien, lorsqu’elles participent effectivement au Bien et le réalisent avec leurs
humbles et modestes moyens. C’est ainsi que la notion du Bien suprême devient la seule qui puisse alimenter l’esprit
FO E

humain [Gemüt] et constituer un facteur d’émulation pour ceux qu’elle anime et motive. Puisque ce Bien est la loi de
AG

l’Amour, on peut alors conclure que la philosophie de Kant est la philosophie de la Raison, mise au service de l’Amour
qui en transcende, en inspire et en subsume la réalisation, au nom de la Vie qui en est le principe archétype et final
ultime, le plérôme de la perfection transcendantale en laquelle se résorbent tous les autres transcendantaux qui en sont
US

chacun simplement un aspect, lorsqu’elle est considérée sous une de ses multiples perspectives.

69 (XVIIIe s.) = im Sinne von Ordnung: qui provient de l’ordre de l’esprit; Fügung: coïncidence; dispositio (lat.):
ordonnance parfaite, régularité.
70 Idem.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 248 de 302 ...


CONCLUSION

ANALYTICAL TABLE
CONCLUSION: Kant’s aesthetico-moral philosophy:
reason in the service of the heart and of life

LY —
The philosophical art
Feeling as central to the philosophical process. — The nature of the philosophical accomplishment. — Philosophy

ON CHE
as a movement originating in experience and returning to experience through the undergoing of (subjective)
experience. — Empirical and interior experience. — Exteriorizing the interior experience of philosophy through the
philosophical work. — Reflection and poematic determination. — Definition of philosophy. — Art and dilettanteism.
— The triple transcendental dimension of a philosophical work. — The Idea of perfection applied to philosophy. — A
proper understanding of this Ideal is of capital importance for distinguishing the true philosopher from the mere

ES ER
dilettante.
Dilettanteism and libertinism

OS H
The artist as opposed to the dilettante. — A common underlying belief unites pyrrhonism and dilettanteism. —

RP EC
The dilettante as favouring the aesthetical experience over the metaphysical experience. — A comparison between the
doxas of dilettanteism and libertinism. — Illusion as common to both, in the epistemological field for the former and in
the ethical field for the latter. — Dilettanteism and libertinism as analogs. — Sensationnism as a refuge against logical

PU E R
or ethical scepticism. — Sensation as actually founding experience. — The illusion of dilettanteism and libertinism
compared with illusion in traditional Hindu thought. — In the latter, the illusion of diversity leads to the apperception of
the supraphysical reality of thought.

CH S D
The theme of dilettanteism in Kant
Dilettanteism as a form of mainstream thinking. — Dilettanteism as subservient to the common sense. —
Dilettanteism as peripheral to the common sense. — The moral subject as a full participant in the common sense. —
AR FIN
The dilettante as the prototype of the philosophically immature mind.
The theme of libertinism in Kant
The two meanings of libertinism. — Ethical libertinism. — Morality as a prelude to the discussion of the major
SE À

logical principles.
RE T,

The three principles, unified by a fourth, of a dynamic understanding


D EN

The principle of homogeneity. — The principle of specification. — The principle of the continuity of forms. —
The allegory of the horizon as illustrating the dynamic unification of the three principles. — A fourth principle, the law
of natural continuity, ensures a compatibility between the laws of nature and the laws of reason. — The importance of
these three principles for reason. — The three principles of a dynamic understanding as preventing the ramblings of
AN M

reason.
E LE

Illusion: the radical epistemological evil


Intuition as maintaining a direction for the transcendental use of reason. — The discipline of reason as an
US SEU

additional measure. — The three forms of illusion, the radical evil which reason seeks to prevent. — Transcendental
appearance. — Transcendental paralogisms. — Moral illusion: a subreption which has roots in the feeling of
satisfaction, a moral causation which is in reality attributable to the Will.
The antinomy of taste of the KU as illusion
AL EL

A complex illusion. — Summary of the thesis, the antithesis and the solution which Kant provides for the
antinomy of taste. — Two forms of confusion to which the antinomy gives rise. — Elucidation of the logical confusion.
ON N

— Elucidation of the semantic confusion. — The notion of assent. — Assent as participating of the subjective
judgment and of the common sense. — Semantic considerations relating to the notions of disputieren (to dispute) and
RS ON

streiten (to exchange). — A reformulation of the antinomy of taste, following these concerns.
Common sense and illusion
P E RS

The civilized understanding and the common understanding. — The common sense as preserving pure reason
from illusion. — The common sense as the highest expression of the supersensible mind. — The common sense as the
seat of the transcendental and the heautonomic Ideals. — Culture and life as realizing the purposiveness of the common
R PE

sense. — The notion of the supreme Good as central to the aspirations of humanity which are contained within the
common sense. — Love and life as illustrating the ultimate purposiveness of reason. — Life as the ultimate perfection.
FO E

*
AG

**
US

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 249 de 302 ...


ANNEXES

LY —
Chapître I (page 29)

ON CHE
Structure
Thèmes

Texte principal (AK XX, 221-226)

ES ER
Jugement esthétique

OS H
Remarque (AK XX, 226-232)
Jugement téléologique

RP EC
Note 1 (AK XX, 227-228) Note 2 (AK XX, 230-231)

PU E R
Distinction (intuition et concept) Pouvoir de désirer

CH S D
TABLEAU I.1: Division analytique du §viii de la Première introduction
(1789) de la Critique de la faculté de juger.

AR FIN
Ce tableau représente une analyse thématique générale du §viii de la EE, qui a servi de point de départ B notre thPse
du doctorat. La raison principale de ce choix réside en ce que l’on y retrouvait tous les concepts fondamentaux qui
devaient constituer le propos central de notre recherche: les deux formes du jugement, la notion de perfection et le
pouvoir de désirer. Une analyse approfondie de cette section nous a révélé que thème du sentiment y figurait comme
SE À

toile de fond et constituait le leitmotiv d’un propos unifié qui réunissait ces éléments autrement disparates. Ce faisant, il
permettait d’apercevoir le fond de la pensée kantienne quant B la question du jugement. Le propre d’une introduction est
RE T,

de fournir un aperçu de la matiPre qui sera abordée et discutée dans le corps du texte, par le condensé que l’auteur en
D EN

fait: elle doit donc B la fois anticiper sur le propos subséquent, tout en proposant au lecteur une vision synthétique des
significations qui seront reprises et approfondies à l’intérieur du corps du texte qui la prolongera et la complétera. Elle
fera donc l’emploi d’un niveau d’abstraction élevé lorsqu’elle énonce l’Idée directrice et des principes thématiques
AN M

fondamentaux de son propos. Les développements B venir plus loin à l’intérieur de l’oeuvre en exploreront les
E LE

ramifications et les conséquences pour l’examen qu’en fera le lecteur qui est étranger B l’espace théorique original de
Kant et que son oeuvre a rendu public. La Erste Einleitung accomplit ceci en leur procurant une compréhension et une
extension qui rendront plus abordables et plus recevables les notions recouvertes par les essences qui font l’objet de
US SEU

l’étude philosophique.

Cependant, l’introduction fait plus qu’anticiper sur les Idées qui seront exprimées subséquemment: elle en est le
séminaire, le réceptacle déjB complet d’une matiPre qui gagnerait amplement B Ltre explorée par la suite, en raison de la
AL EL

richesse idéologique que masque trop souvent la simplicité et la banalité apparentes de l’abstraction. La EE est une
introduction qui se situe B un point intermédiaire des trois Critiques: elle introduit l’Einleitung proprement dite de la
ON N

KU et elle sert en quelque sorte de goulot d’étranglement entre la matiPre hautement théorique de la KRV et de la KPV
et celle de la KU qui, n’étant pas moins abstraite, doit assurer que l’analyse kantienne des possibilités de la raison ne se
RS ON

termine pas en impasse réelle, en raison de se buter à des limites pratico-pratiques, incombant à la raison qui se connaît
amplement quant à l’entièreté de son pouvoir, sans qu’elle ne découvre ni les critères, ni les moyens de sa puissance, ni
P E RS

même ceux de son actualisation. Elle reprend donc les considérations des deux Critiques qui l’ont précédée pour
énoncer sa matière originale, préparer l’oeuvre B venir, celle qui voit naître entre autres la Métaphysique des moeurs,
l’Anthropologie et la Religion, et assurer que la possibilité de la raison offre en mLme temps l’espoir qu’elle puisse
R PE

devenir réelle. C’est le rôle par conséquent de la KU que celui de nous rassurer qu’il existe une continuité entre, d’une
part, la dimension suprasensible de l’intériorité subjective et consciente de la personne humaine et, d’autre part, le
FO E

monde sensible de la nature.


AG

La nature comporte ses propres lois et soulPve ses propres questions, tel que l’illustrent l’ontologie métaphysique
et la phénoménologie physique traditionnelles. Ainsi, le transcendantalisme kantien constitue-t-il une sortie hors de
US

l’impasse métaphysique qui guettait le philosophie, de déboucher uniquement sur des êtres de raison, sans offrir de
contrepartie ou de résolution réelles, tous en prétendant expliquer adéquatement la réalité. Le criticisme accomplit cela
en ouvrant sur la nature de l’homme et en découvrant la dimension mystérieuse de la raison qui rend possible l’activité
philosophique. L’effet sera de procurer B celle-ci un fondement qui est ancré sur un monde qui permet d’entrevoir
autant le microcosme invisible de l’intériorité qui repose sur l’immédiateté de l’activité subjective, ressentie comme
étant ponctuelle et instantanée, et le macrocosme de l’extériorité qui permet d’envisager l’espace et le temps comme
étant formellement et logiquement préexistants B la nature, tout en la caractérisant effectivement et réellement. Quant B

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 251 de 302 ...


ANNEXES

savoir si Kant a lieu de se féliciter du succPs avec lequel il a rencontré ses objectifs, voilB une tout autre question que
cette génération philosophique et celles qui la remplaceront n’auront cesse de vouloir encore clarifier, comme n’ont
cessé de le faire celles qui ont précédé.

LY —
Tout point de départ comporte quelque chose d’arbitraire puisqu’il situe le processus décisionnel au plan de

ON CHE
l’irrationnel judiciaire. Par la suite, la raison tentera de rattraper a posteriori son action décisive avec les justifications
qui la fondent et qui renvoient B un a priori qui jusque-lB était passé inaperçu. En reprenant le principe biologique qui
veuille que l’ontogénPse récapitule la phylogénPse, et en se situant B la grande échelle historique, on pourrait peut-Ltre
voir en l’oeuvre de Kant la tentative, longtemps attendue et mûrement réfléchie au cours des âges, de dégager les a

ES ER
priori transcendantaux qui avaient jusque-lB marqué le progrPs philosophique, B l’insu mLme des auteurs grâce auquel
ce mouvement s’est accompli. En s’intéressant aux limites de la connaissance, Kant devait nécessairement considérer
la faculté et le pouvoir qui rendait possible l’acquisition, la démultiplication et l’utilité épistémologiques. Or, la raison

OS H
qui est devenue l’objet transcendantal de son propos n’est pas apparue comme nature à cette époque de son histoire. Elle

RP EC
était déjà à l’oeuvre dès les premières balbutiements d’une longue carrière qui était amorcée bien avant Kant et qui se
continue bien après lui. Si, avec l’étude de la raison, Kant en a découvert les concepts, le sprincipes et les lois, en même

PU E R
temps que la dimension suprasensible qui en caractérise la nature et le terrain privilégié de son activité, son
accomplissement principal a été de révéler à la conscience de l’humanité le dunamiV qui préside à son mouvement
depuis toujours, c’est-à-dire depuis le moment où la raison a découvert le pouvoir qu’elle possédait d’agir sur le monde

CH S D
et de le transformer, pour s’enquérir des conditions sous lesquelles sont effectivité serait désirable et méritoire. Ainsi, la
raison de Kant est la raison de l’humanité, dès qu’elle fut et telle qu’elle sera toujours, puisque ses concepts, ses
principes et ses lois sont a priori, c’est-à-dire universels — aptes à caractériser toute rationalité — et nécessaires —
AR FIN
puisqu’ils décrivent et illustrent la substance de cette rationnalité et que, sans eux, la raison cesserait d’être raison —.

Le choix que nous avons fait d’une section de la EE pour servir de point de départ B notre thPse ne fait pas
exception B cette rPgle épistémo-pratique. Celle-ci est peut-Ltre aprPs tout simplement l’illustration par excellence, des
SE À

principes de la spontanéité et de l’Inconditionné B l’oeuvre à l’intérieur de toute activité poématique, lorsque son objet
est exposé aux contraintes et aux réalités sensibles. Cette décision est le fruit d’un eureka semblable B celui
RE T,

qu’ArchimPde a poussé un jour dans les rues de Syracuse, lorsqu’il fit la découverte du principe de la spécificité
D EN

gravitationnelle: faire la critique de cette inspiration serait faire en mLme temps la critique du processus qui mena un
jour B ce cri d’exubérance et de soulagement, poussé par le physicien de renom.
AN M

Or, tout chercheur qui a un jour tenté de dérouler l’écheveau complexe d’un problème difficile et narguant et qui,
E LE

en un seul moment de lucidité intense, a pris conscience de la clef qui en rend la solution possible a participé à l’instant
heuristique paroxystique qui témoigne du soulagement, de la satisfaction et de la joie qui accompagnent un effort
épistémologique fructueux. Étant issu d’une intériorité penchée depuis de nombreux mois sur la problématique
US SEU

thétique B résoudre et qui consistait à dégager la signification philosophique du sentiment à l’intérieur de la critique
kantienne, nous en réalisons par la suite l’ensemble des tenants et des aboutissants, lesquels seront plus nombreux,
variés et prolifiques qu’au départ nous aurions pu le croire. Or, telle nous semble Ltre l’issue de chaque recherche qui,
procédant d’intuitions en découvertes et d’éclaircissements en compréhension, offre en mLme temps de nombreuses
AL EL

occasions de se réjouir et de s’émerveiller de toutes les possibilités que le moment initial de cette entreprise ne
permettait aucunement d’entrevoir mais offrait tout B espérer. Et surtout de se réjouir et de s’émerveiller d’un succès
ON N

aussi inespéré au départ qu’il semblait éloigné dans le temps, si jamais l’effort devait aboutir. Car si l’effort est requis
RS ON

pour faire oeuvre d’originalité et de découverte, c’est la foi en la possibilité de la raison et la confiance en la bonne étoile
qui présidera, tel que l’a fait Ariane avec Thésée dont la quête ne se terminait pas avec la victoire sur le Minotaure, à
l’initiation, au déroulement et à l’aboutissement de son exploration qui sont les assises de la constance avec laquelle elle
P E RS

relève le défi. En cela, notre thèse ne se distinguera aucunement de toutes les autres qui ont précédé et de celles encore
qui lui succéderont.
R PE

*
FO E

**
AG
US

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 252 de 302 ...


ANNEXES

(page 32)

JUGEMENT ESTHÉTIQUE JUGEMENT LOGIQUE

LY —
sensible réfléchissant réfléchissant déterminant

ON CHE
Sentiment médiatisé Réalité
Sentiment immédiat par l’intellect avant Possibilité
toute connaissance Hypothétique Apodictique

ES ER
Principe de Principe
État ontologique État intellectuel Principe d’idéalité
connaissance d’effectivité

OS H
RP EC
Harmonie/dis-
Harmonie/dis- harmonie des
harmonie de l’être

PU E R
facultés épisté-
du sujet dans son Idée objective si ... donc puisque... donc
mologiques du sujet
rapport avec la dans son rapport
nature

CH S D
avec la nature

TABLEAU I.2: Illustration compréhensive du jugement et de ses formes, tels


AR FIN
qu’ils figurent à l’intérieur de la Critique de la faculté de juger.

Le présent tableau illustre l’unité du jugement et de ses dimensions sensible et suprasensible. Étant par essence
SE À

suprasensible, le jugement révèle sa pureté avec ce qui en caractérise le mouvement, pour autant que l’on s’éloigne de la
dynamique empirique et que l’on s’intéresse à celle qui est propre B la substance spirituelle de la raison, lorsqu’elle
RE T,

illustre sa puissance transformatrice du mouvement déterminant et de la matière de l’empirie.


D EN

L’Idée objective est le pivot du retournement qui voit s’opposer l’a priori de l’expérience naturelle, l’unité
systématique des phénomPnes de la nature comme ayant a priori la possibilité de recevoir l’activité législatrice et
AN M

unificatrice de la raison 1, et l’activité poématique qui vient compléter et prolonger l’activité épistémologique de la
raison avec l’action qui constitue, non seulement la condition de la détermination naturelle possible en vertu des
E LE

principes suprasensibles au fondement de celle-là, mais encore le moment privilégié de la créativité qui, en façonnant la
nature d’une manière inédite, exprime le mouvement civilisateur de l’esprit et ancre la finalité de l’homme dans la
US SEU

nature qui tantôt en couve les possibilités et qui tantôt en reçoit l’empreinte, sans pour cela cesser d’encadrer
l’originalité de l’activité rationnelle enlui fournissant les conditions de sa destination radicale.

Ainsi voit-on l’état de l’héautonomie rationnelle — la possibilité pour la raison de se donner une rPgle B elle-mLme
AL EL

à l’intérieur du rapport réflexif qui porte tantôt sur la nature et tant^pot sur sa propre nature 2 — procéder vers l’état
autonomique de l’entendement actif, susceptible de produire l’Idée et d’en reconnaître la beauté, la vérité et la bonté, B
ON N

partir de l’état hétéronomique de l’Ltre affecté, puis de la connaissance passive qu’il en acquiert, lorsqu’il est engagé
dans sa relation avec la nature. Car les trois transcendantaux qui, depuis Socrate et Platon, ont marqué l’histoire de la
RS ON

philosophie depuis ses débuts 3, constituent les moments ontologiques discrets du rapport de la raison avec la nature et
avec elle-mLme: la beauté pour signifier la réconciliation de l’Idée avec la possibilité simplement entrevue de son objet,
telle qu’elle se manifeste aux sens — actuellement ou éventuellement —, avec l’harmonie des pouvoirs de la
P E RS

connaissance; la vérité, pour entériner l’achèvement de cette réconciliation de l’Idée avec l’entiPreté de la possibilité
effectivement reconnue de l’objet; et la bonté pour centrer le mouvement autour de la conformité de l’Idée et de la
R PE

possibilité entrevue pour l’objet, telle qu’elle est conçue comm étant éminemment désirable à l’intérieur de la
conscience, et en réaliser l’entéléchie, parce qu’elle s’impose nécessairement comme étant obligatoire B toute
conscience morale qui se sait telle et agit conformément avec sa nature.
FO E
AG

Ainsi le rapport intime qui existe entre le sentiment et le jugement et qui caractérise l’activité réflexive de la raison,
B tous les moments de sa dynamique qui transforme l’hétéronomie initiale en autonomie effective, grâce à
US

l’héautonomie qui en mobilise l’activité, apparaît comme étant une nécessité naturelle et inhérente B l’essence de la

1 KRV; AK III, 092-093.


2 EE, §viii; AK XX, 225; KU, Einleitung, §v; AK V, 185-186.
3 THAKARA (2005), §05, 09.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 253 de 302 ...


ANNEXES

raison. Si l’on accorde à l’Idée qu’elle est simplement régulatrice lorsqu’elle porte sur l’expérience objective
[Erfahrung] 4, elle devient cependant constitutive de l’expérience [Erlebnis] , mais seulement B l’intérieur de la
subjectivité et selon les différents points de vue sous lesquels elle se présente à la conscience: selon celui qui gouverne

LY —
les sens internes par lesquels s’effectue la réconciliation de la réalité avec ce que l’on en entrevoit comme étant possible
à l’intérieur de l’actualité, autant quant B ce que l’objet de l’entendement autorise B en apercevoir que quant B la

ON CHE
possibilité que la raison en dégage au plan conceptuel, qu’elle concerne uniquement l’Idée ou qu’elle possPde une
contrepartie éventuelle à l’intérieur de la réalité, avant toute hypothPse ou tout désir conscients et exprimables sur cette
réalisation. Selon celui ensuite qui préside au sens interne et régit la conversion de l’Idée théorique en Idée esthétique,
non sans qu’il n’en résulte toujours une certaine entropie: car ce que l’Idée esthétique gagne en possibilité effective se

ES ER
fait toujours au détriment de la perfection inhérente B sa possibilité idéelle et théorique, laquelle tient de l’illimité, de
l’infinité, de l’inconditionné et de l’éternité suprasensibles qui infusent l’Idée en soi, sans qu’elle ne puisse être
intégralement préservée lorsque l’Idéal informe la matière sensible et concrète. Selon celui enfin qui gouverne le sens

OS H
interne, lorsque la réalisation pratique de l’Idée requiert que la détermination esthétique devienne un facteur de la

RP EC
nécessité morale, celle qui exige a priori que la réalisation de l’Idée ne saurait exclure l’illustration de la finalité morale,
celle que spécifie la maxime éthico-pratique. Car la moralité effective se fonde sur une définition positive, au plan des
conduites et des réalisations qui inscrivent pleinement l’humanité B l’intérieur du rPgne des fins puisqu’elle en est la fin

PU E R
finale, par l’entremise de la moralité des maximes qui inspirent et réalisent la liberté des sujets moraux particuliers.

CH S D
Puisque toute conduite et toute action proprement civilisées réalisent la nécessité éthico-pratique, en mLme temps
qu’elles exacerbent la possibilité esthético-poématique de l’Idée B laquelle la situation réelle fournit les contraintes et
les limites propres à l’expérience empirique singulière, la moralité intégralement comprise se trouve B la confluence
AR FIN
idéelle des trois transcendantaux (le Beau, le Vrai et le Bien), c’est-à-dire au plan de l’ultime fondation qui est celle de
la Vie. Comme tout acte de création est en mLme temps une activité qui extériorise un contenu idéel et fournit une
idéation sensible qui porte B réaliser l’intériorisation réflexive et à déterminer la nature selon la matière et la figure de
son concept, cet acte ne saurait se refuser B Ltre ni bon, ni beau, étant B la fois moral et idéel, alors qu’il est vrai et qu’il a
SE À

exacerbé par son effet la pleine possibilité qu’il a entrevue à l’intérieur de la matière sensible avec le produit qu’il a ainsi
réalisé. Quant B la simple idéation propre à l’entendement réflexif, elle est B la fois belle, vraie et bonne puisqu’elle
RE T,

contient dans son principe, en dehors de toute vélléité à l’exprimer en quelque manière, le germe de l’héautonomie, de
D EN

la spontanéité avec laquelle elle réalise l’autonomie du sujet moral, en vertu de la plénitude qu’il leur revient de
recevoir, laquelle ne pourrait susciter B réaliser ce qui est étranger B l’essence fondementale de l’Ltre suprasensible qui
en est le substrat, à savoir la vitalité de la personne susceptible éventuellement de réaliser effectivement sa nature
AN M

morale.
E LE

*
US SEU

**
AL EL
ON N
RS ON
P E RS
R PE
FO E
AG
US

4 KRV; AK III, 349.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 254 de 302 ...


ANNEXES

(page 33)

Jugement réfléchissant

LY —
esthétique logique

ON CHE
Jugement moral

Sens interne Sens externes

ES ER
Moralité essentielle Moralité existentielle

OS H
Conscience en tant que Conscience en tant que

RP EC
l’auto-réflexion portant sur sa l’auto-réflexion portant sur sa
propre actualité propre effectivité

PU E R
Principe d’héautonomie Principe d’autonomie

CH S D
TABLEAU I.3: Spécification du jugement moral implicite aux espèces du
jugement de réflexion, en vertude la nature de leur rapport avec la
sensibilité.
AR FIN
Le présent tableau illustre la complémentarité nécessaire entre le jugement réfléchissant et le jugement
déterminant. Celui-ci est en mLme temps un jugement moral, dPs lors qu’il est régi formaliter par l’impératif
SE À
catégorique et materialiter par la loi morale. La loi de l’amour est donc la spécification suprLme de l’impératif
catégorique et illustre le principe de l’insertion historique du suprasensible B l’intérieur du rPgne de la nature, grâce
RE T,

auquel se réalise le parcours social de l’humanité.


D EN

Puisque la sensibilité constitue le point subjectif de la jonction qui met en présence les conditions naturelles et la
dynamique boulétique, c’est elle qui est mise en évidence avec la liberté. Car celle-ci trouve sa contrepartie autant au
AN M

plan empirique de la conduite et de l’opération consommée qu’au plan essentiel de l’actualité de l’esprit, grâce B
laquelle l’extériorisation de la liberté se produit. Le tout se réalise selon un mouvement qui fait prévaloir tantôt la nature
E LE

et tantôt la volonté, selon que la positivité hétéronome du monde sensible ou l’activité autonome du sujet moral sont B
l’avant-plan de l’interaction de l’esprit [Gemüt] et de la raison avec le monde sensible, pour éventuellement laisser sur
US SEU

ce dernier l’empreinte du registre suprasensible pleinement assumé (puisque réalisant la plénitude de la beauté, de la
vérité et de la bonté en rapport de complémentarité et de mutualité). Lorsque la dimension suprasensible de la
poersonne trouve à s’accomplir intégralement, c’est alors seulement que l’on peut conclure à l’exercice complet de la
liberté.
AL EL

Puisque la moralité requiert une scène sensible qui en illustre concrètement le principe, elle comporte
nécessairement un aspect esthétique estimable quant B sa beauté; et puisque l’esthétique définit en même temps la bonté
ON N

qui se réalise, elle renvoie nécessairement B la moralité. Or, l’entéléchie procPde de la vérité esthético-morale et celle-ci
RS ON

requiert la congruence de l’intériorité et de l’extériorité: car l’extériorité révPle l’intériorité et celle-ci ouvre
adéquatement et effectivement sur celle-là, puisque l’intention qui produit l’action se vérifie par la fin qui est servie par
elle, comme la finalité de l’action est la révélation éminente de l’intention qui préside B sa réalisation.
P E RS

La congruence esthético-morale adopte trois formes B l’intérieur du processus qui l’amène: la congruence
R PE

héautonomique des facultés de la connaissance qui, en se donnant une loi B elle-mLme, réalise l’harmonie formelle du
sujet et du monde à l’origine de l’épanouissement de la possibilité biotique qui se sait in foro interno et qui se connaît in
foro externo; la congruence autonomique du sujet moral qui, avec l’effectivité de son action pratique (une conduite ou
FO E

une oeuvre), illustre de façon évidente, i.e. au plan sensible, le principe fondateur archétype de la moralité (la loi
AG

morale); et la congruence poématique qui réunit les principes de l’actualité matérielle et de la possibilité formelle d’une
maniPre qui transpose au plan de l’effectivité réelle ce qui autrement resterait simplement virtuel, en l’absence de
l’effort, du désir et de la volonté qui assurent cette transistion. Car le recrutement librement initié de toutes les
US

ressources intimes au sujet moral et vivant est requis afin de convertir le potentiel de ses facultés et d’en faire un pouvoir
de transformation sur la réalité et en mLme temps sur les esprits de ses congénPres.

Or, la congruence esthético-morale spécifie la vérité en ce qu’elle illustre la dimension relationnelle de l’esprit B la
chose, non pas simplement en termes du contenu de l’imagination, lorsqu’elle révèle simplement la possibilité avant
l’épreuve empirique — v.g. un firmament rose s’étendant sous un canapé de fleurs de toutes les espPces imaginables et

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 255 de 302 ...


ANNEXES

inimaginables et qui laissent choir une pluie de pétales odorantes lorsqu’elles sont ébranlées par des vents irisés —,
mais en termes du contenu imaginaire de ce qui serait une possibilité effectivement réalisable — v.g. un firmament bleu
qui baigne de sa lumiPre éclatante la verdure luxuriante de la forêt, doucement ébranlée par une brise rafraîchissante —.

LY —
Ainsi la vérité devient-elle non seulement l’état logique de l’esprit, lorsqu’il perçoit adéquatement la réalité des choses,
mais encore l’état complet de l’esprit [Gémüt] qui, grâce au pouvoir naturel propre à l’illustration de son génie créateur,

ON CHE
parvient B réconcilier la puissance de son intériorité suprasensible avec les exigences sensibles de la nature et B faire
coVncider l’Idée esthétique et sa présentation concrPte, le projet et sa réalisation, le concept et son image. Transposée au
plan des réalisations humaines, la vérité distingue alors entre l’onirisme du souhait et le réalisme du désir.

ES ER
Est beau donc ce qui, étant réalisé conformément aux rPgles de l’esprit, est en mLme temps congruent avec la
nature des choses, y comprise celle de l’Ltre vivant qui rend possible cette expérience; est bon ce qui, étant conforme
aux rPgles de la liberté, illustre la prépondérance du registre suprasensible sur la dimension sensible, en vertu de la

OS H
rencontre de l’Idéal qui est estimé nécessaire; et est vrai ce qui, étant conforme aux rPgles de la créativité, réalise

RP EC
pleinement la possibilité complémentaire de la nature et de l’esprit, de sorte B donner une effectivité B une fin qui ne nie
ni les lois de celle-lB, ni la vitalité de celui-ci. Le beau tient donc de l’hétéronomie; le bien de l’autonomie; et le vrai de

PU E R
l’héautonomie.

CH S D
*
**

(page 39) AR FIN


SE À
GNOSÉOLOGIE DU SENTIMENT
Espèce Domaine Produit Pouvoir de l’intellect
RE T,

satisfaction déontologie bonheur raison pratique


D EN

beauté ontologie harmonie raison poématique


AN M

épistémologie étonnement
sublimité téléologie mythologie sentiment admiration raison pure
E LE

moral
théologie ravissement
US SEU

TABLEAU I.4: Espèces majeures du sentiment, en regard de leur rapport aux pouvoirs de
l’intellect, à l’état de l’esprit et au domaine philosophique correspondant.
AL EL

On retrouve chez Kant trois catégories générales du sentiment, la satisfaction, la beauté et la sublimité, auxquelles
sont associés des sentiments précis. Or, ces sentiments, qui sont le bonheur, l’harmonie et les trois formes du sentiment
ON N

moral, représentent chacun des aspects du complexe esthético-moral en général, étant associés aux concepts qui en
précisent la nature, en raison du rapport nécessaire du sentiment et de la raison à l’intérieur de l’esprit [Gemüt].
RS ON

Ainsi, la satisfaction renvoie-t-elle au bonheur B l’intérieur de ce complexe; la beauté B l’harmonie et la sublimité


P E RS

au sentiment moral que Kant désigne sous l’appellation générale du respect, mais qui en réalité comporte trois
manifestations: l’étonnement (quant aux choses naturelles), l’admiration (quant aux Ltres vivants et principalement les
sujets moraux) le ravissement (quant B la dimension religieuse du sacré). Ainsi la sublimité se trouve-t-elle B
R PE

caractériser différemment les trois aspects de la téléologie objective: celle-ci est suscitée par la dissonance du sens
interne, lorsqu’elle accompagne la conscience de la précarité existentielle et qu’elle relPve tantôt de l’épistémologie des
FO E

phénomPnes naturels inexpliqués, tantôt de la mythologie des êtres vivants héroïques et tantôt de la théologie des
phénomPnes cosmiques B la fois grandioses (par leur dimension), mystérieux (par leur origine) et imposants (par leur
AG

force).
US

Il existe une continuité qui relie les phénomPnes naturels et les phénomPnes cosmiques, puisqu’autant l’un comme
l’autre tiennent du monde des objets inertes (ou considérés comme tels en raison d’une position épistémologique
réductionniste). Si on distingue ces deux genres de phénomène, c’est que, pour les uns, ils participent de l’expérience
horizontale [Erfahrung] de la conscience, tournée sur le monde sensible, et sont saisissables par celle-ci comme étant
plus susceptibles de susciter l’expérience subjective immédiate [Erlebnis] de la conscience morale. Pour les autres par
ailleurs, ils appartiennent B un au-delB de l’expérience objective dont l’influence sur la vitalité de l’esprit se produit bien
avant que de solliciter l’intégralité active de l’Ltre vivant, en raison d el’énigme que leur nature impose à l’intelligence

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 256 de 302 ...


ANNEXES

de l’esprit. La sublimité est le propre de la téléologie, car elle renvoie toujours B l’aspect irréel d’une possibilité qui se
situe toujours au-delB de l’aperception immédiate, en raison de l’hétéronomie implicite B l’expérience [Erfahrung] qui
la caractérise, lorsqu’elle est comparée B celle [Erlebnis] qui se vit à l’intérieure de la conscience.

LY —
Puisque toute expérience objective interpelle ab initio à l’intérieur de l’imaginaire, puisque la synthèse de la

ON CHE
reproduction dans l’imagination précède celle de la recognition conceptuelle dans l’entendement 5, celle qui incombe B
la sublimité tient toujours du domaine du possible dont la réalisation est perpétuellement et hautement hypothétique.
Car alors l’expérience subjective renvoie à l’inconnu qui caractérise la chose dont on ne parvient pas B concevoir quelle
serait la nature, mais dont on pressent néanmoins pour cela qu’elle existe conformément à des lois, mais à des lois qui

ES ER
sont d’un autre ordre que celui que la conscience humaine serait actuellement susceptible de découvrir pour lui, en
réponse à son expérience sensible immédiate et au nom du principe de causalité qui veuille que tout phénomPne a une
cause 6, malgré que la nature épistémologique de celle-ci lui seraient présentement inacessibles. Il engage donc en un

OS H
premier temps la dimension épistémologique de l’esprit, laquelle tentera d’expliquer ce qui était auparavant

RP EC
inexplicable et y parviendra éventuellement, pour faire suite à l’étonnement initial éprouvé devant ce qui est inhabituel
et hautement improbable. Lorsque l’objet de la conscience tient de la nature vivante, obéissant aux mLmes lois que tout

PU E R
autre Ltre vivant, mais d’une maniPre telle que ses réalisations échappent B l’entendement, en raison de prendre l’aspect
d’accomplissements et d’exploits auparavant inimaginables, mais néanmoins irréfutables, en vertu de leur actualité, et
hautement estimables, en raison des bienfaits apportés, il engage alors la mythologie qui associe B la phénoménologie

CH S D
narrative un sens de l’admiration susceptible de gagner mLme les natures les plus sceptiques. Lorsque la causalité est
évoquée pour expliquer et justifier l’ordre extraordinaire qui procPde du mouvement de la vie et sur lequel l’ensemble
des consciences s’entendent pour lui accorder la crédibilité, l’étiologie prendra l’aspect d’une généalogie qui engager
AR FIN
l’ascendance ancestrale du héros pour éventuellement ancrer son héroVsme à l’intérieur des origines qui B la fois le
singularisent et le réconcilient avec la collectivité, celle des Ltres exceptionnels qui sont apparentés B d’autres Ltres tout
aussi exceptionnels, mais de manière analogue, en vertu d’illustrer une filiation, non pas naturelle, mais métaphysique.
Telles sont les généalogies de l’Antiquité qui ont fait l’objet de la théorie evhémérienne et qui reconnaissent la part de la
SE À

nature humaine, présente dans les Ltres divinisés que sont par la suite devenus les héros mythiques aux yeux des
RE T,

générations subséquentes et suffisamment éloignées dans le temps pour avoir oublié les filiations humaines.
D EN

Lorsque l’objet de la conscience tient du cosmos en général, du mouvement et de l’aspect des astres, lesquels
échappent absolument au libre arbitre de l’humanité et de ses membres, la sublimité donne lieu au ravissement pour
AN M

lequel les explications et les justifications renvoient nécessairement B la causalité transcendante, laquelle se situe par
essence au-delB de toutes les catégories idéelles possibles, lorsqu’elles sont appelées à caractériser l’immensité du
E LE

cosmos, la diversité de ses phénomènes et la puissance des forces susceptibles d’être générées à l’intérieur de celui-ci.
Ainsi peut-on affirmer que la raison pure est la faculté du sublime, lorsqu’elle tente de réaliser une prise de conscience
sur le mystPre de l’esprit et de la vie, en associant sa dimension transcendantale B la dimension cosmologique et
US SEU

transcendante du monde, et tout en participant à celle-ci. Par ailleurs, tous les autres aspects de la raison — la raison
théorique pratique et la raison poématique —, qui sont l’évidence de la possibilité héautonomique et autonomique du
sujet moral agissant et ils expriment un enracinement B l’intérieur du monde naturel qui ne saurait nier, ni la dimension
suprasensible du sujet, ni l’essence sensible de son rapport au monde. Tout sentiment participe donc à la fois de
AL EL

l’objectivité et de la subjectivité, puisqu’il révPle par son intensité quel est le degré d’adéquation du sensible et du
suprasensible, lorsqu’il concerne la vitalité organique intégrante de ces forces et de ces puissances actives. Par ailleurs,
ON N

la qualité essentielle du sentiment exprimera à la fois la nature de l’expérience sensible et les pouvoirs de la raison
RS ON

sollicités pour approprier le plus justement cette adéquation à la conjoncture immédiate et à en exacerber la possibilité
de l’effectivité.
P E RS

*
R PE

**
FO E
AG
US

5 KRV; AK IV, 077-083.


6 LALANDE (2002), p. 126.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 257 de 302 ...


ANNEXES

(page 41)

CONJONCTURE SITUATION ACTION

LY —
ON CHE
jugement satisfaction
Schéma I:
aperception évaluation de la réaction
adéquate d’un situation

ES ER
transformation du
sinistre imminent sentiment éprouvé
sentiment
(crainte >

OS H
soulagement)

RP EC
Schéma II: jugement satisfaction

PU E R
anticipation évaluation de la proaction
adéquate d’un situation

CH S D
sinistre éventuel sentiment éprouvé
pressentiment
(soulagement)

AR FIN
TABLEAU I.5: Schéma illustrant la distinction entre le sentiment et le pressentiment à l’intérieur
d’une dynamique conjoncturelle analogue.
SE À

Ce schéma distingue et compare les deux formes subjectives, susceptibles de résulter d’une expérience objective
analogue, le sentiment et le pressentiment. Malgré la similarité des formes substantives, l’une et l’autre renvoient B
RE T,

deux types distincts de la composition active du sujet moral avec une situation naturelle identique.
D EN

Nous proposons par conséquent de voir, dans ces deux états subjectifs, les moments analogues qui correspondent
respectivement aux actions de la réaction et de l’anticipation. Si celle-lB trouve sa cause dans la résolution d’une
AN M

conjoncture, telle qu’elle apparaît clairement aux sens externes, celle-ci par contre a pour cause l’éventualité probable
de cette résolution, prévue par la conscience à l’intérieur du sens interne, avant mLme que le sujet ne fasse l’expérience
E LE

d’une résolution objective effective. Ainsi, le jugement déterminant qui convient B l’évaluation de la situation que
caractérise l’action réparatrice est-il a posteriori quant B l’incidence de sa cause alors que celui convenant B la situation
US SEU

que règle une action préventive est-elle a priori quant B celle-ci. Une telle distinction à l’intérieur de l’illustration des
deux formes que prend le jugement déterminant soulPve alors la question du statut devant être accordé au sens interne
que conditionne un phénomPne naturel, alors que l’on peut prévoir l’incidence de l’une de ses manifestations
spécifiques, lorsque l’avènement d’une conjoncture particuliPre s’avère probable.
AL EL

Toute réaction repose sur l’évidence de la conjoncture empirique et son action est suscitée de maniPre hétéronome
ON N

avec la production de cette conjoncture. Par ailleurs la prévention repose sur l’évidence, aperçue à l’intérieur de
RS ON

l’entendement, qu’il existe une interaction de facteurs qui produiront inéluctablement une conjoncture prévisible,
lorsque les uns sont mis en présence des autres. Ainsi, dans le cas oj il s’agit de fournir un jugement réparateur, le
sentiment s’ancre dans le sens interne ex post facto, en réaction B une conjoncture qui résulte de la mise en présence,
P E RS

contingente ou intentionnelle, de facteurs déterminants auxquels il importerait de pallier alors que, pour un jugement
préventif, le pressentiment s’ancre ante factum dans la probabilité qu’un cumul de facteurs déterminants serait
imminent et causerait une incidence phénoménale anticipée, lorsque son point critique aura atteint une intensité et une
R PE

magnitude suffisantes. La perception a posteriori de cet événement suscitera une action réparatrice, mais son
anticipation a priori fournira une action préventive. Tout repose donc sur la connaissance des facteurs causants
FO E

possibles et du mouvement qui pourrait favoriser leur agencement et ainsi leur procurer une effectivité. Le
pressentiment devient alors le sentiment qui qualifie l’esthétique de l’esprit, par laquelle les concepts réels, portant sur
AG

une situation actuelle, se comparent aux concepts imaginables, anticipant sur un événement probable. L’harmonie ou la
dysharmonie qui résulteront dans l’esprit de cette comparaison influeront sur la génération de l’action, en maintenant
US

de l’activité favorable pour celle-lB ou en recourant B l’activité préventive pour corriger les effets susceptibles de
produire celle-ci.

Si une telle distinction s’impose, c’est qu’elle importe B la différence que nous établissons entre la possibilité
idéelle et la possibilité réelle. La possibilité idéelle est simplement celle qui est imaginée comme pouvant surgir, en
raison de la spontanéité prospective simplement irrationnelle de l’esprit, lorsqu’il postule que certaines choses sont
susceptibles d’entrer en interaction sous le mode de l’éventualité possible mais hautement improbable, lorsque

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 258 de 302 ...


ANNEXES

l’anticipation de l’imagination se fonde sur la connaissance réelle et adéquate de la nature des choses et des relations
véritables qu’elles sont susceptibles d’entretenir entre elles. Car si la possibilité est un produit de l’imagination,
l’anticipation quant B son éventuelle réalisation est l’illustration par excellence de l’activité véridique et fidèle de cette

LY —
faculté. La possibilité idéelle est donc une possibilité simplement hypothétique qui s’ancre dans une connaissance
incomplPte ou erronée de la nature des choses dont les contingences entrevues pour elles rendent improbables que telle

ON CHE
ou telle occurrence anticipée se produise effectivement (v.g. la possibilité d’Ltre attaqué par un tigre en pleine forLt
boréale américaine ou celle d’Ltre happé par un train en naviguant en catamaran sur l’Océan).

La possibilité réelle repose par ailleurs sur une conjecture tout-B-fait rationnelle: si elle fait intervenir la faculté

ES ER
imaginative, en postulant un événement possible et probable B la fois, elle fonde en mLme temps son anticipation sur la
probabilité, fondeé sur la connaissance réelle et adéquate des natures en présence, que se produise réellement une
interférence des facteurs susceptibles de susciter une éventualité redoutée, en raison de la nature inhérente à ces facteurs

OS H
(v.g. la possibilité d’Ltre attaqué par un tigre en zone urbaine, B proximité d’un jardin zoologique dont on sait qu’un

RP EC
tigre s’est échappé; la possibilité pour le conducteur d’un automobile d’Ltre happé par un train qui traverse B toute allure
un passage B niveau, en croyant faussement pouvoir franchir ce passage avant lui). En somme, la possibilité idéelle tient

PU E R
de l’invention pure et simple, sans contrepartie empirique probable, alors que la possibilité réelle tient de la prévision et
de l’aperception, opérées avec justesse, qu’une l’éventualité appréhendée se réalisera effectivement, en conformité à
certaines lois naturelles, si les conditions naturelles propices se réunissaient pour en permettre l’incidence et

CH S D
l’expression. Par ailleurs, autant l’une que l’autre possibilkité tiennent de l’irréel, puisqu’elles ne participent pas
actuellement du monde sensible, étant simplement touhjours des possibilités jusqu’à ce que la conjoncture soit réunie
p;our en illustrer la réalité ou la fiction.
AR FIN
*
**
SE À
RE T,

Chapître II (page 58)


D EN

V AXE DE L’HISTOIRE
AN M

A I Genres Nature Culture


E LE

X T
US SEU

Vie Êtres organisés Société


E A
Artefacts
L Matière brute Êtres inertes
AL EL

(oeuvres et outils)
ON N

TABLEAU II.1: Les deux axes de la conception quadripartite de la réalité qu’autorise à proposer
RS ON

la confluence du suprasensible et du sensible.

La juxtaposition qui met en présence la vie et l’histoire, B l’intérieur de ce tableau, requiert une explication
P E RS

additionnelle. Car en réalité, ce contraste laisserait apparaître une pétition de principe par laquelle se justifieraient l’un
par l’autre, deux aspects indissociables d’une mLme chose puisque l’un procéderait de l’autre comme un phénomPne de
R PE

son principe. Car sans la vie, aucune histoire ne serait possible, comme sans histoire, la vie se trouverait niée dans ce qui
est intime B son essence mLme, la dynamique autogPne qui trouve son support dans le milieu naturel certes, mais pour
lequel le milieu est insuffisant, soit B en illustrer entièrement le principe, soit B en justifier la cause originelle.
FO E
AG

Car en dehors de la vie coexistant de maniPre complémentaire et synergique avec le milieu naturel qui n’est pas
exclusif de la diversité biotique, B la fois générique, spécifique et intra-spécifique, il n’y a rien B l’intérieur du milieu qui
US

puisse donner B penser qu’il puisse lui-mLme engendrer la vie ab initio, comme le proposaient autrefois les théories de
la génération spontanée qui ont précédé la découverte des microbes et des microfaunes, ainsi que celle des Ltres vivants
qui en illustrent le principe, tels les spores et les germes 7. La vie comporte une originalité telle que, si elle fait corps
avec la nature en général, pour résider en son sein et en utiliser les éléments B des fins de subsistance, de préservation, de
conservation, de continuation et de perpétuation inter-générationnelle, ni la nature, ni l’Ltre organisé lui-mLme ne
peuvent se revendiquer de constituer le principe et la cause de son apparition, puisque ceux-ci étant pour l’essentiel des

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 259 de 302 ...


ANNEXES

inconditionnés, ils appartiennent au rPgne suprasensible qui est au-delB de la dimension hétérosensible pour laquelle la
condition est un état naturel, constitutif de l’a priori de l’expérience.

LY —
Tout en étant conditionnée par le milieu qui l’abrite, la vie est susceptible d’une autonomie et d’une spontanéité
par lesquelles elle est susceptible de s’extraire imperceptiblement mais réellement et graduellement de la série des

ON CHE
conditions, comme en témoignent B la fois sa victoire progressive sur la matiPre pour se constituer en espPces de plus en
plus complexes et développées et la culture dont elle témoigne, par laquelle elle asservit la matiPre B des fins qui sont
issues de l’intelligence qui en est l’expression héautonome et qui rendent encore plus définitive, malgré qu’elles soient
encore précaires, B la fois son enracinement à l’intérieur de la nature et son indépendance face B elle. Ainsi la vie

ES ER
participe-t-elle en mLme temps du suprasensible dont elle réalise progressivement, mais de façon asymptotique, les
virtualités puisque les conditions que lui imposent la nature en définissent en même temps les limites, face à
l’Inconditionné que permet d’entrevoir son essence suprasensible. De sorte que toute tentative naturelle B s’extraire

OS H
définitivement des contraintes de l’histoire, d’une maniPre qui soit conforme aux lois de la vie, est d’emblée vouée B

RP EC
l’échec, sauf B faire intervenir une causalité surnaturelle qui agirait d’une maniPre analogue B la vie pour en faire
prévaloir les possibilités.

PU E R
Car si propice que soient l’espace favorable B l’épanouissement de la vie et le temps qui programme la durée de la
vie, autant pour les individus que pour les ensembles ainsi que les organes et les cellules qui les composent, ils s’avèrent

CH S D
insuffisants B expliquer l’apparition de la vie B l’intérieur de l’univers qui en apporte la possibilité, voire même la
naisance du cosmos, ainsi que les ressources mystérieuses et extraordinaires grâce auxquelles la vie a réussi à se
maintenir à l’intérieur d’un environnement hostile et parfois catastrophique, malgré les pressions incroyables qui
AR FIN
s’exerçaient sur elle pour en faire éventuellement l’extinction. Par ailleurs, rien n’empLche que la vie ne dépasse de
proche en proche les limites et les obstacles qui s’opposent B son épanouissement et B sa progression, et ne surpasse ses
propres contingences existentielles, inhérentes B son essence «naturalisée», pour spécifier dans son imagination ce qui
SE À
serait éventuellement réalisable, avec la conjoncture heureuse du désir, de l’effort et des conditions naturelles. Même
que cette finalité apparaît comme étant tout-à-fait conforme à la substance et aux lois de la vie, en dehors des qualités
RE T,

extrêmes qui en compromettraient l’entéléchie. Ainsi, la vie est-elle un principe qui illustre la confluence de
l’immanence et de la transcendance, puisque tout en tenant de la dimension suprasensible, elle s’épanouit, prolifPre, se
D EN

développe et évolue de maniPre autogPne et synergique, B l’intérieur des conditions inhérentes B la nature sensible.
AN M

MLme que l’excellence dont la vie témoigne appartient B son essence, lorsqu’elle est entièrement conforme à ses
possibilités autogPnes, en vertu de la plasticité dont témoigne l’adaptation créative des espPces et le génie des cultures
E LE

et des civilisations. Car ces facultés sont engagées ab initio B conquérir et B soumettre une nature parfois inhospitaliPre
au nom de la vie elle-mLme, au nom des espPces qui en sont les exemplaires et de la hiérarchisation progressive qui en
US SEU

identifie, parmi toutes celles-ci, celle qui est destinée B régner sur l’ensemble des autres. L’histoire apparaît certes avec
la vie, puisqu’aucune matiPre sensible quelle qu’elle soit n’illustre de propriété autogPne absolue, et que la possibilité
de faire surgir du néant ce qui n’existait pas auparavant appartient à un pouvoir surnaturel encore plus élémentaire que
celle qui ferait surgir la vie de la matiPre, puisqu’il est plus raffiné de faire naître la vie à l’intérieur de la nature que de
AL EL

faire apparaître la nature là où elle n’existait pas auparavant, encore que ces possibilités ressortissent toutes deux B un
plan poématique qui excPde les capacités même virtuelles des formes de la vie telles que nous les connaissons de
maniPre évidente, tout en illustrant le radicalisme d’une créativité qui est une caractéristique propre B la vie.
ON N
RS ON

Cela étant, l’histoire est antérieure B la conscience réfléchie que l’on peut en posséder de maniPre immanente,
puisque le développement suffisant de cette puissance incombe aux espPces supérieures qui peuplent l’arbre de la vie,
mLme si ab initio, elle existe d’une maniPre latente et séminale B l’intérieur de chaque espPce vivante, mLme la plus
P E RS

humble. Cela implique que figure implicitement B l’intérieur de ce tableau un point-zéro, un moment initial sur lequel
s’édifie B la fois le mouvement historique et la dynamique vitale, un point fondamental qui renvoie B l’histoire de la
R PE

matiPre avant toute vie naturelle et qui donc constitue le point initial d’une histoire naturelle qui embrasse autant les
conditions géologiques existant sur terre et B l’intérieur de l’ensemble du cosmos, avant la zoogénPse des procaryotes
et des eucaryotes (ou encore d’autres espPces primitives encore inconnues de la science) que celles qui ont suivi
FO E

l’apparition de la vie sur terre et B l’intérieur de l’univers. Or, ce point originel initial, qui illustre le commencement de
AG

tout ce qui est accessible à la conscience et à l’esprit humains et que la métaphysique connaît depuis la plus haute
Antiquité comme étant nécessaire, est celui que recherche encore aujourd’hui la physique théorique contemporaine.
US

7 La théorie de la panspermie, qui proposerait que la vie sur terre serait apparue suite à une insémination dont la
source serait ailleurs dans l’univers ne fait que repousser la question de l’origine primordiale de la Vie et de son
principe archétype et causal.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 260 de 302 ...


ANNEXES

*
**

LY —
Chapître III (page 97)

ON CHE
JUGEMENT SUBSTANCE OBJET PRINCIPE ATTRIBUT
RÉFLÉCHISSANT

intrincésité du concept sans

ES ER
Logique téléologie objective phénomPne perfection sentiment

extrincésité de la sentiment sans

OS H
Esthétique vitalité subjective représentation beauté/sublimité concept

RP EC
TABLEAU III.1: Comparaison des caractéristiques principales des jugements de réflexion,

PU E R
esthétique et logique.

CH S D
Le présent tableau fait apparaître la complémentarité des deux espPces du jugement réfléchissant, le jugement
logique et le jugement esthétique. Cette complémentarité définit et illustre le complexe synesthésique judiciaire dont
nous postulons l’existence chez Kant B l’intérieur de cette thPse, pour fonder l’unité effective de la raison au plan de
AR FIN
l’héautonomie des facultés, grâce à laquelle la possibilité que possède la raison de se donner à elle-même une règle est
susceptible de se fonder effectivement en réalité.

Le jugement logique de réflexion suppose un concept de l’objet et une finalité objective en vertu de laquelle la
SE À

conscience est en mesure d’en apprécier la perfection en l’absence de tout sentiment et il se distingue du jugement
esthétique de réflexion qui se fonde sur la finalité subjective de l’objet auquel est associé le sentiment en l’absence de
RE T,

tout concept 8. Or, cette distinction suggPre implicitement qu’il existe une opposition fondamentale entre la finalité
D EN

naturelle des choses et la finalité suprasensible des Ltres vivants. C’est une opposition qui obscurcit B la fois la
participation des Ltres vivants au rPgne des fins naturelles, dont l’humanité est la fin finale, lorsqu’elle est inclusive du
sujet moral qui en est l’exemplaire en la personne de chacun, et la possibilité pour l’humanité de «s’approprier» le
AN M

mouvement naturel que finalisent dorénavant des fins qui lui sont surimposées et qui trouveront leur justification B
l’intérieur du pouvoir propre à la nature subjective et suprasensible commune au genre humain et que réalise la raison
E LE

imaginative et créative de chaque sujet moral.


US SEU

Qu’il puisse exister une fin réelle de la nature, c’est B n’en point douter pour Kant, qui situe celle-ci en dehors du
jugement 9. Mais dPs que le sujet moral fait intervenir le jugement, il apparaît pour lui une finalité subjective de l’objet
pour les facultés de la connaissance (l’entendement et l’imagination) avant tout concept 10. Or, nonobstant que le
principe de la finalité naturelle objective puisse Ltre entrevu comme opérant indépendamment du pouvoir de la raison,
AL EL

en ce sens qu’il échappe a priori B la possibilité que la raison exerce une prétention hégémonique à régner absolument
sur la nature qui en fait l’illustration, c’est l’intérLt de la raison qui veuille que l’on reconnaisse un ordre naturel au
ON N

monde et que la spéculation rapporte cette ordonnance B un dessein suprLme 11. Même le concept de l’unité finalisée des
choses, lequel ne peut faire abstraction des fins particuliPres, devient alors l’expression d’une interférence de la nature
RS ON

et de la raison, en vertu de la finalité subjective de la raison. Puisque l’activité rationnelle exprime en mLme temps la vie
de la nature organisée, en laquelle celle-lB existe et opère B la maniPre de la partie B l’intérieur d’un tout, l’intérLt
P E RS

simplement suprasensible de la raison — la découverte des concepts, des lois et des principes et leur subsomption sous
des genres plus vastes — se trouve de toute nécessité intimement liée B la destination de la nature vivante B laquelle elle
appartient et qui tient de la finalité vitale 12.
R PE

Si la personne humaine est la seule nature B pouvoir échapper B cette généralisation, puisqu’elle appartient au tout
FO E

de l’humanité possédant le statut correspondant à la destination de réaliser et de constituer la fin finale de la nature, c’est
AG

uniquement en réponse B un motif phylogénique que cela s’avPre possible, l’espoir entièrement assumé par la personne
US

8 EE, §viii; AK XX, 228-229.


9 EE, §ix; AK XX, 233.
10 Idem.
11 KRV; AK III, 452.
12 Idem, p. 277.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 261 de 302 ...


ANNEXES

de réaliser l’Idéal d’un monde meilleur auquel il participerait comme citoyen, en réalisant la loi morale qui seule peut
l’instaurer et le continuer 13. Cela n’est pas dire cependant que les lois simplement empiriques de la nature offriraient la
garantie individuelle pour chacun d’Ltre lB pour jouir des bienfaits d’un tel monde, s’il advenait que l’effort collectif

LY —
auquel le sujet moral a contribué de manière si excellente parvînt un jour B l’établir. Seul un concept suprasensible
indéterminé, celui de la dignité d’être heureux, peut justifier l’espérance de la juste rétribution, laquelle requiert que la

ON CHE
raison ait recours aux Idées inconditionnées de l’immortalité de l’âme et de l’Archétype moral suprême pour en assurer
l’entéléchie complète et parfaite.

Le concept de perfection ne saurait donc Ltre étranger B la finalité subjective de la raison humaine: d’abord, il

ES ER
ressort au concept de la raison de s’en référer à son propre pouvoir héautonomique et de réaliser sa destination
particuliPre et par conséquent sa perfection, qui est celle de se représenter la vérité intégrale, autant celle qui appartient

OS H
au phénomPne de l’objet sensible, que celle qui convient B sa nature subjective propre, que celle qui exprime l’essence
intégrale de la nature et le sens de leur relation et de leur interaction. Ensuite, la raison ne saurait rester indifférente B

RP EC
cette réalisation puisque non seulement s’inscrit-elle B l’intérieur d’une destination vitale, mais encore parvient-elle B
transformer le monde sensible selon des lois qui ne sauraient nier les propriétés de celui-ci, ni la spontanéité et

PU E R
l’autonomie vitales, grâce auxquelles cette transformation devient éminemment possible. Plus encore, si la puissance et
l’activité de la raison sur le monde se réalisent selon les pouvoirs unifiés de la raison théorique, de la raison pratique et
de la raison poématique se concertant harmonieusement, en vertu de la capacité autogPne de la vie à user de sa

CH S D
spontanéité afin de s’affranchir, voire incomplètement, des conditions naturelles qui agissent sur elle, c’est au nom de la
vie qu’elles se manifestent, sauf pour la raison à devoir se nier elle-même, en niant la possibilité et la bonté du
mouvement grâce auquel elle peut s’exercer.
AR FIN
En somme, si un concept sans sentiment est un concept théoriquement possible, l’indifférence affective à l’objet
transcendantal est possible uniquement si par lB, la propension vitale qui rend possible la démarche logique n’est en
aucune façon compromise. Autrement, le sentiment est simplement mis en suspens au nom de l’intérêt de la raison à se
SE À

réaliser adéquatement aux conditions empiriques qui s’offrent à elle, sans se trouver offusquée par l’illusion qui en
fausse la perspective ou par l’affect qui la distrait ou en paralyse l’activité. Or, ceci n’est pas dire qu’il existe une
RE T,

absence de sentiment à l’intérieur de la démarche téléologique, mais c’est seulement comprendre qu’il existe des
D EN

conditions préalables B une harmonie et que celle-ci suppose implicitement que le sentiment propre B l’exercice adéquat
de la raison est présent. Or, celui-ci prend la forme de la sérénité ou de la tranquillité de l’esprit, accompagne toute
réflexion philosophique et en révPle la possibilité B l’intérieur d’une conjoncture vitale adéquate, de sorte que l’usage
AN M

adéquat et optimal du pouvoir réfléchissant de la raison suppose en même temps l’ataraxia, grâce auquel rien n’en
E LE

trouble l’activité, et l’effort visant son rétablissement, lorsqu’il vient à disparaître.


US SEU

*
**
AL EL
ON N
RS ON
P E RS
R PE
FO E
AG
US

13 Idem.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 262 de 302 ...


ANNEXES

(page 105)

CONCEPT ÉTAT OBJECTIF FACULTÉ STATUT ONTOLOGIQUE

LY —
particulier homogénéité de la représentation de actualité

ON CHE
singularité l’entendement
RÉALITÉ

ES ER
universel hétérogénéité de présentation de éventualité
l’ensemble l’imagination

OS H
possibilité possibilité
facultative obligatoire

RP EC
PU E R
TABLEAU III.2: Le concept dans son rapport aux conjonctures objectives, en vertu des pouvoirs
de la raison et de leur portée ontologique et relativement B leur activité épistémologique
respective.

CH S D
Ce schéma illustre le point d’intersection, B l’intérieur de la réalité, entre l’actualité et l’éventualité, dont la
mutualité et la complémentarité sont constitutives de la continuité du temps historique. Nous supposons comme étant
AR FIN
implicitement effective la distinction entre le jugement réfléchissant qui tire l’universel du particulier et le jugement
déterminant, qui subsume le particulier sous l’universel, pour illustrer en quoi les concepts du particulier et de
l’universel ne s’excluent pas l’un et l’autre mais plutôt s’interpénètrent et se fondent entre eux. Cette mutualité
caractérise l’activité dynamique de la raison et réalise le phénomPne du temps qui court du connu de l’expérience
SE À

actuelle, telle qu’elle est éprouvée subjectivement, vers l’inconnu de l’expérience éventuelle. La conscience que
RE T,

l’esprit possède de la forme temporelle n’est pas absolue, puisqu’elle est susceptible de se dissiper lorsque surgit
l’événement qui caractérise la nouvelle expérience B venir auquel se prête un concours original des circonstances, et de
D EN

se fondre en un nouveau courant de conscience, en raison de l’activité des raisons agissantes et participantes qui
ensemble ont contribué à la produire, en vertu de leur interaction réciproque avec la nature.
AN M

C’est l’horizon de la conscience qui délimite le particulier, en ce sens que le connu renvoie toujours B la
E LE

transcendance du concept, lequel élPve la diversité de l’ensemble disparate et lui procure le caractPre d’un événement
singulier et unifié, en vertu de faire naître un Gestalt spirituel qui est nul autre que le produit de l’acte par lequel
s’effectue la synthPse de l’appréhension. Celle-ci procPde de l’intuition et, grâce B l’imagination, elle fait abstraction de
US SEU

la disparité de l’expérience pour découvrir en elle une unité absolue avec l’instantanéité de la représentation 14. Or, dPs
que cette unité devient l’objet du discours possible, elle reçoit l’opération de concept, en témoignage de
l’aboutissement de l’activité rationnelle issue de la spontanéité de l’entendement, par laquelle s’effectue
l’ordonnancement des représentations diverses sous une représentation commune, pour ainsi constituer le prédicat d’un
AL EL

jugement possible 15.


ON N

Ainsi se trouve illustrée la complémentarité de l’entendement et de l’imagination par laquelle la capacité


RS ON

spontanée et unificatrice de l’imagination qui agit sur la sensibilité intuitive se transforme en récognition spontanée de
l’entendement. Celui-ci est alors en mesure d’extérioriser l’acte intime de la conscience appréhensive et d’en faire une
activité discursive et communicatrice de la raison, en illustrant ainsi le concept particulier qui est le concept fondateur
P E RS

du jugement. Ce terme du processus, qui fait intervenir la réflexion, c’est-à-dire la conscience de l’activité ordonnatrice
de l’imagination conformément à une rPgle unificatrice 16, devient le premier moment par lequel se produit, avec
l’appréhension intuitive, le passage du particulier de l’expérience unifiée vers l’universel du concept qu’en réalise
R PE

l’entendement avec l’activité de la réflexion, de sorte B rendre possible l’acte plus complexe de l’édification des
jugements et la présentation élaborée et continue du contenu de la pensée à l’intérieur du discours.
FO E
AG

Or, l’universel caractérise un principe de connaissance dont la généralité comporte une compréhension
susceptible de recouvrir les situations particuliPres suffisamment identiques B l’intérieur de l’expérience effective qui
leur a donné lieu, mais aussi un niveau d’abstraction tel qu’il peut Ltre généralisé B toutes les situations d’un mLme
US

genre, qu’elles se soient déjB produites ou qu’elles aient la possibilité de se produire. C’est précisément l’universalité

14 KRV; AK IV, 077.


15 Idem; AK III, 085-086.
16 APH, §07A; AK VII, 141.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 263 de 302 ...


ANNEXES

du concept et des jugements rendus possibles par lui qui constitue l’aspect déterminant du jugement subsomptif des cas
particuliers sous une rPgle générale, qu’ils soient présents actuellement B l’esprit ou qu’ils soient simplement
susceptibles de le devenir, en procurant le fondement commun, grâce auquel l’expérience objective est unifiée par la

LY —
raison et est considérée par elle comme appartenant au genre que spécifie le concept, de maniPre B pouvoir constituer la
représentation, juste ou erronée, de ce qui serait une possibilité réelle. Car c’est uniquement avec la réalisation

ON CHE
éventuelle de la possibilité que l’esprit peut se conforter d’avoir pressenti avec justesse et anticipé adéquatement ce qui
serait susceptible d’advenir.

La possibilité réelle est de deux genres: elle est soit facultative, soit obligatoire. Si elle est facultative, elle repose

ES ER
sur la liberté du sujet moral de subsumer ses maximes sous un impératif technico-pratique qui spécifie les moyens
d’une action, susceptible de s’inscrire B l’intérieur d’un schéma moral établi qui serait plus près d’épouser les
conditions naturelles de la dimension phylogénique de la personne (v.g. le fait de dormir ou de s’alimenter

OS H
suffisamment pour demeurer en santé). Si par ailleurs, elle est obligatoire, elle se fonde toujours sur la liberté du sujet de

RP EC
subsumer ses maximes sous un impératif éthico-pratique qui fait la promotion de fins véritablement morales, lesquelles
participent plus directement du suprasensible inconditionné (v.g. l’illustration de la dignité pour autrui d’Ltre heureux,

PU E R
en favorisant les conditions qui permettront B celui-ci de demeurer en santé). Quant B l’hétéronomie cependant, qu’elle
soit simplement naturelle ou qu’elle procPde de la dimension sociogénique de l’humanité, c’est le postulat d’un
ordonnancement de la nature comme reflétant le dessein de la raison suprLme, régissant la dimension du pratiquement

CH S D
possible, lequel s’ancre dans la dimension suprasensible de la raison spéculative pour retourner au registre
suprasensible de l’altérité rationnelle, laquelle comporte nécessairement une essence morale puisqu’elle illustre le
suprasensible 17. La spontanéité de la liberté énonce le principe pratique spécifique qui gouverne l’éventualité: elle tient
AR FIN
par conséquent B la fois de la réflexion qui présente le concept et de la détermination qui le généralise B l’ensemble des
situations susceptibles de le recevoir. Or, c’est la dimension synthétique transcendantale du concept, et des jugements
qui regroupent les concepts en une unité abstractive plus élevée, qui rend possible la subsomption du particulier sous
l’universel qui caractérise la détermination.
SE À
RE T,

*
D EN

**
AN M

(page 106)
E LE

ASPECT ESSENCE
US SEU

Agrégat Repose uniquement sur l’uniformité conceptuelle des


composants d’une totalité, avant toute finalité
Repose sur un agencement complémentaire et mutuel
AL EL

Coordination des membres disparates d’un ensemble, réalisé selon


une finalité et en vertu d’une volonté autonome
commune opérant selon le sens commun
ON N
RS ON

L’inclusion et le maintien des membres de l’ensemble


Subordination se produisent en vue d’une finalité procédant d’une
volonté exogPne manifeste et opérant selon le principe
d’autorité
P E RS

Le principe d’autorité s’exprime sous le mode de


R PE

transcendante l’obéissance, selon une relation que commande une


idéologie intériorisée
FO E

Le principe d’autorité s’exprime sous le mode de la


immanente soumission, selon une relation que commande un
AG

rapport hiérarchique formel


US

TABLEAU III.3: Les trois aspects de l’ensemble, selon leurs distinctions


essentielles quant B la finalité.

17 KRV; AK III, 452.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 264 de 302 ...


ANNEXES

Ce schéma-ci illustre les différentes formes que peut prendre le report d’un ensemble B la finalité qui en gouverne
l’organisation et la direction, selon que l’unité finale sera dictée tantôt par une volonté commune pour laquelle le sens
commun sert de principe fondateur ou tantôt par une volonté collective pour laquelle le principe d’autorité constitue

LY —
l’expression hétéronome de la volonté. Celle-ci se fondera alors, soit sur l’idéologie intériorisée au nom de laquelle
l’obéissance de l’ensemble devient effective, soit sur le rapport formel, hiérarchique et prépondérant, qui commande la

ON CHE
soumission de l’ensemble. Il est évident que ce tableau B lui seul comporte tous les éléments auxquels pourraient se
rattacher la conception et la formulation d’une théorie politique et qui serait aptes à fournir les catégories d’une analyse
historique. De plus, la distinction logique qui articule ces éléments autour de catégories discrPtes peuvent amener B
concevoir la théorie politique qui s’en inspirerait éventuellement et le rapport au mouvement historique qui en

ES ER
procéderait comme étant d’une fixité et d’un immobilisme qui expliqueraient adéquatement, ni les progressions ou les
régressions d’une catégorie B l’autre, ni l’émergence de formes mixtes et/ou originales qui pourraient soit transcender,
soit combiner, alternativement, consécutivement ou simultanément, les différents aspects que peut prendre l’ensemble

OS H
finalisé.

RP EC
Il nous apparaît clairement par contre que Kant favoriserait plutôt l’ensemble que finaliserait le principe de la

PU E R
coordination: s’il transporte l’effet libérateur éventuel de la philosophie des LumiPres vers un au-delB historique que
rend possible l’usage public de la raison, selon une technique qui associe le savant et le lecteur autour de l’art livresque
18
, c’est en réaction B une attitude généralisée qui fonderait, au détriment de l’autonomie des sujets et des citoyens, la
dynamique politique sur une subordination qui est soit minorisante, exclusive de tout usage rationnel 19, ou soit

CH S D
hiérarchisée, lorsqu’elle associe au libre usage de la raison (à l’intérieur de l’espace public) l’obéissance sans réserve (à
l’intérieur de l’espace privé) 20. Car, en fondant la raison éclairée et émancipée sur le sens interne qui est commun B
AR FIN
l’ensemble de l’humanité, auquel chacun est en droit d’aspirer B fournir une contribution, dès qu’il accPde B la majorité
rationnelle 21, la coordination devient le moyen implicite de la réalisation sociale accomplie qui se fonde sur une science
profonde et adéquate, sous réserve cependant que l’intelligentsia savante ne succombe pas B la tentation de
subordonner ses élèves et ses disciples à ses thèses, en se constituant en l’arbitre ultime, irrévocable et exclusif du sens
SE À

commun.
RE T,

Par ailleurs, le thPme de l’impératif catégorique et de la loi morale qui infuse les écrits moraux de Kant transporte
D EN

l’unité des consciences au plan de la subordination transcendante. Celles-ci s’en réfPrent alors B un principe unique
formel afin d’en déduire l’unique loi morale désirable, susceptible d’inspirer nécessairement l’ensemble des
consciences qui sont engagées à l’intérieur de leurs rapports, horizontaux au plan social et verticaux au plan
AN M

hiérarchique. Car l’autorité idéologique qui rallie les consciences devient en mLme temps celle qui inspire le souverain,
lorsqu’il spécifie, en incarnant le droit, quelles seront les conditions matérielles de la vie B l’intérieur de l’espace privé
E LE

22
. En considérant l’échelonnement et l’évolution historique des écrits kantiens, le postulat de la subsomption
US SEU

18 WIA; AK VIII, 037.


19 Idem, p. 036-037.
AL EL

20 Idem, p. 041.
21 KU, §40; AK V, 293-294.
ON N

22 Pour Kant, l’espace privé inclut celui sur lequel se produit l’activité professionnelle du sujet moral [WIA; AK
RS ON

VIII, p. 38]. La condition de l’universalité est donc déterminante pour réaliser la distinction entre l’espace privé
et l’espace public: dès que l’ensemble au complet est visé avec l’activité de la raison, il s’agit d’un usge public
de la raison. Autrement, en visant une partie de l’ensemble, si vaste fût-elle, l’usage est simplement privé.
P E RS

Ainsi, la raison publique se trouve-t-elle à véhiculer les principes a priori universels et nécessaires, alors que la
raison privée est toujours conditionnée par les circonstances et les intérêts particuliers qui ne peuvent prétendre
R PE

à une telle envergure suprasensible. En somme, l’usage public de la raison caractérise le mouvement de la
civilisation, susceptible d’influer sur l’ensemble universel de la population et de l’entraîner dans son sillage.
On voit là en quoi la notion d’espace public rejoint celle du cosmopolitisme de Kant: car si celui-ci regroupe
FO E

l’univers des êtres rationnels et des personnes morales, sous la bannière d’un État unique qui regroupe les
AG

peuples et qui substitue à la liberté sauvage originelle des lois publiques contraignantes [ZEF; AK VIII, 357],
celui-là en constitue le lieu de la réalisation à l’intérieur du sens commun de l’esprit collectif. § Puisqu’au plan
pratique, la maxime constitue toujours une dérogation à la pureté du principe suprasensible a priori, en
US

adaptant celui-ci aux conditions de la situation et des circonstances, lesquelles ont sans exception une
composante sensible objective, l’usage pratique de la raison ne peut par conséquent réaliser autre chose qu’un
usage privé. On voit par là quelle aporie résulte de cette déduction: dès lors que l’usage public de la raison tente
d’informer ses semblables, il existe nécessairement, avec le passage de l’Idée théorique pure vers l’Idée
esthétique pratique, une tentative de réconcilier la matière de l’Idée et les conditions de son expression,
lesquelles incluent les contraintes phatiques de la langue en même temps que celles qui appartiennent à
l’univers sociologique des interlocuteurs. En effet, ceux-ci participeront à des degrés variables au sens

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 265 de 302 ...


ANNEXES

immédiate de la coordination sous la subordination exprimerait plus adéquatement cette pensée, B l’intérieur d’une
conjoncture qui reconnaît certes les deux principes de l’égalité civile se réalisant avec la réciprocité du pouvoir moral
d’obliger, B l’intérieur d’une société oj chacun donne son assentiment aux lois qui le lient 23, et de la souveraineté

LY —
universelle du peuple unifié par les lois de la liberté 24, tout en reconnaissant B la personne (morale ou physique) du
souverain (rex, princeps) l’agence effective, le gouvernement au nom de l’État, du pouvoir exécutif qui peut ou non

ON CHE
réconcilier la fonction législative B l’intérieur de l’ensemble.

Or, dPs que l’institutionnalisation de la société politique crée un pouvoir et une autorité intermédiaires entre la
population et l’Idée juridique, on assiste B l’instauration d’une inégalité qui, tout en étant vue par Kant comme n’étant

ES ER
pas inconciliable avec l’égalité civile, crée néanmoins une distinction entre le citoyen et l’associé de l’État 25. Ainsi
apparaît-il que la subordination immanente côtoie à la fois la subordination transcendante et la coordination B l’intérieur

OS H
de la finalité de l’État, lequel reconnaît par conséquent au sens commun des consciences associées que la maturité
philosophique des particuliers rend propice à une action bénéfique, la possibilité d’une réalisation éthico-politique au

RP EC
nom du suprasensible inconditionné. Solution de compromis, syncrétisme idéalo-politique ou républicanisme mitigé
par les circonstances historiques et les structures coutumiPres, la question demeure posée et sollicite

PU E R
l’approfondissement d’une étude susceptible de proposer une ou plusieurs solutions particuliPres. Tout porte B croire
cependant que, en raison de sa théorie des Idées, le principe démocratique qui fonde la théorie du citoyen de Kant
représente un Idéal vers lequel tendre perpétuellement. Ainsi, le principe régulateur de l’Idée égalitaire devient-il un

CH S D
principe de perfectionnement qui ne saurait en aucun temps ébranler les fondements de la société hiérarchiquement
organisée, en raison des institutions, des fonctions et des structures qui la composent, et idéologiquement divisée, en
vertu des conceptions de l’autorité qui s’opposent dans l’intimité des raisons particulières de ses membres.
AR FIN
*
**
SE À
RE T,
D EN
AN M
E LE
US SEU
AL EL
ON N

commun universel, en vertu de s’en référer à des expériences [Erlebnis] subjectives, individuelles et/ou
collectives, qui ont pour effet de singulariser radicalement et qui, pour cette raison, resteront inénarrables à
RS ON

l’égard de quiconque n’appartient pas à l’univers subjectif de celui qui a vécu cette expérience (v.g. l’horreur de
la torture subie par un individu ou d’un génocide auquel un groupe a échappé) ou encore de la dimension du
P E RS

sens commun qui, tout en référant à une expérience commune au genre humain (v.g. l’expérience intra-utérine)
peut s’avérer inacessible aux souvenirs particuliers et par conséquent ne pas réussir à franchir le seuil qui mène
à une prise de conscience collective. Ainsi, la notion de l’usage public de la raison illustre des difficultés qui
R PE

sont inhérentes au mystère de l’esprit et de la dimension suprasensible, lequel peut être tout-à-fait étranger au
sens commun par certains de ses aspects, tout en comportant une valeur indéniable pour l’expérience
individuelle. Or, si le sens commun devient l’ultime critère du mouvement historique culturel et si l’usage
FO E

public de la raison devient l’unique moyen de cette entéléchie, la difficulté demeure entière d’assurer que
AG

celle-ci se produisît, sans préjuger de la valeur suprasensible a priori de l’expérience individuelle et/ou
particulière qui échapperait aux principes du discours et du sens commun qui le fonde. Resterait alors
uniquement l’exemple pour inspirer les actions et les conduites, ce qui n’est pas sans présenter aussi une
US

difficulté, puisque son effet peut éventuellement se faire sentir en l’absence d’une référence au sens commun de
l’ensemble, pour en ratifier à la fois la valeur éminente et en opérer l’effet sur les consciences particulières.
23 MAR, §46; AK VI, 313.
24 Idem, §47; AK VI, 315.
25 Idem, §46; p. 315.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 266 de 302 ...


ANNEXES

Chapître IV (page 129)

GENRE OBJET FACULTÉ JUGEMENT

LY —
agrément chose (actualité) sensation (intuition) esthétique des sens

ON CHE
représentation
beauté (nature qua art) entendement (réflexion)

représentation

ES ER
sublimité entendement esthétique de réflexion
( nature qua nature) (contemplation)

OS H
satisfaction action raison (réflexion)

RP EC
joie chose (perfection) raison (appréciation) logique de réflexion

PU E R
TABLEAU IV.1: Genres majeurs du sentiment et le rapport B leur objet respectif, B la faculté qui
les produit et au type de jugement résultant.

CH S D
Ce schéma propose un aperçu des différents genres du sentiment chez Kant, en raison des trois types du jugement
réfléchissant: le jugement esthétique des sens, le jugement esthétique de réflexion et le jugement logique de perfection.
AR FIN
Il vise B compléter le tableau I.4 26, lequel reliait le sentiment aux différents pouvoirs de l’intellect et donc B l’univers
suprasensible de la raison en général.
SE À
Si ce tableau suit de plus prPs la nomenclature kantienne qui, à l’intérieur de la KU, met l’emphase sur la beauté et
la sublimité, et s’il reproduit l’ajout du sentiment de la satisfaction que le tableau susnommé avait intégré et qui figure B
RE T,

l’intérieur de la KRV en tant qu’il est un sentiment associé B la raison, son originalité réelle consiste en trois choses: B
inclure l’agrément comme étant un sentiment spécifique légitime, quoiqu’il ne fasse pas appel B la raison proprement
D EN

dite; B considérer la perfection comme étant également un sentiment; et B relier l’ensemble des sentiments B leur objet
ainsi qu’B un spécification plus détaillée des facultés. Ainsi observe-t-on que le jugement esthétique de réflexion
AN M

comprend trois formes du sentiment, selon qu’il se réfPre B la réflexion et B la contemplation qui appartiennent B
l’entendement ou B la réflexion qui est plus intimement liée B la raison et à sa capacité déterminante.
E LE

Kant affirme explicitement que la perfection est un concept et qu’elle ne saurait donc en aucune façon Ltre
US SEU

associée au sentiment 27. Par ailleurs, la perfection caractérise une chose qui appartient B l’expérience et sert à constituer
une connaissance objective et valable: elle en définit l’unité finale complPte et elle convient B son essence comme elle
renvoie B l’Idée d’un Ktre premier qui réalise a priori la perfection suprLme, une Idée qui est nécessaire B l’origine de la
série des causalités 28. Cette Idée devient alors le critPre absolu contre lequel estimer la perfection transcendantale d’une
AL EL

chose, illustrant un achPvement complet B l’intérieur de son genre, ou la perfection métaphysique illustrant l’enséité
d’une chose. Plus encore, elle est le concept qui décrit l’aptitude ou le talent pratique B réaliser une diversité de fins 29.
ON N

Or, si le concept de la perfection ressort B l’entendement en vertu de sa nature conceptuelle, il ressort également au
RS ON

jugement et à la conclusion possible d’un constat prononcé B son endroit, étant le prédicat possible sur une chose. Cette
conjoncture associe donc le concept de la perfection au sentiment qui existe B l’intérieur du complexe judiciaire, lequel
sentiment serait d’un genre B refléter l’affect éprouvé devant l’illustration de l’exception et de la rareté de la réalisation
P E RS

éventuelle de la forme suprLme pour un exemplaire singulier: soit une chose qui se compare B une autre chose B
l’intérieur d’un genre particulier; soit encore la puissance et l’intensité héautonomiques pour le sujet moral de faire
R PE

usage de sa liberté et, d’une manière B la fois excellente et inégalée, B réaliser une diversité de fins et plus précisément
une fin particuliPre . Ce sentiment, que nous nommons joie, prend l’aspect paroxystique de l’exultation et s’apparente B
la béatitude et au ravissement éprouvés devant ce qui ne saurait Ltre surpassé. Par ailleurs, ces derniers concepts sont
FO E

habituellement réservés B l’expérience théologique, laquelle comporte une dimension mystique et témoigne du
AG

sentiment d’Ltre en la présence immédiate de Dieu, ou d’un Ltre surnaturel, c’est-à-dire l’expérience subjective de ce
US

26 Vide supra, page 469.


27 EE, §vii; AK XX, 228-229.
28 KRV; AK III, 456.
29 KPV, §8.II; AK V, 041.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 267 de 302 ...


ANNEXES

que R. Otto nomme le numineux. Celui-ci serait «un principe vivant dans toutes les religions», en constituant «la partie
la plus intime» et sans laquelle une religion ne saurait se mériter une telle désignation 30.

LY —
Or, si la joie est susceptible d’évoquer une telle appellation, lorsqu’elle surgit en confirmation de la perfection
d’un phénomPne sensible, tellement l’unicité et la rareté de la chose qui échappe au pouvoir déterminant de la personne

ON CHE
morale renverraient B une explication surnaturelle, on ne sent pas que chez Kant la notion de perfection que contient sa
philosophie puisse posséder une dimension mystique ou sacrée, sauf en ce qui concerne la révérence respectueuse que
l’esprit [Gemüt] entretient pour la raison, lorsqu’elle illustre la capacité à se surpasser l’état affectif paroxystique que
fait surgir en lui une expérience grandiose et ineffable et à découvrir formaliter l’impératif catégorique qui est à la

ES ER
racine de son expérience morale intime ainsi que la loi morale de l’amour de Dieu et du prochain qui en procède
materialiter. En somme, l’unique sentiment kantien qui serait susceptible d’élever et de transporter l’âme hors
d’elle-mLme pour retourner B elle-mLme est le sublime. En un premier temps, celui-ci se recrute la vitalité avec

OS H
l’émotion qui signifie subjectivement l’expérience [Erlebnis] intérieurement ressentie de la dysharmonie devant

RP EC
l’immensité ou la démesure du phénomène sensible 31, en suggérant implicitement à la conscience qu’elle trouve son
origine à l’intérieur d’une puissance archétype active qui infuse jusqu’B sa conception 32; et en un deuxiPme, il s’attache

PU E R
B la raison qui porte en elle la possibilité dynamique de surmonter l’hétéronomie sensible, en pratiquant un basculement
héautonomique 33, et de la subsumer au moyen de l’autonomie rationnelle (quoique toujours d’une maniPre relative). Si
l’on retrouve chez Kant quelque chose de numineux, c’est bien le noumPne suprasensible de la raison, mais ce serait lB

CH S D
pousser trop loin l’analogie terminologique avec la pensée d’Otto. D’autant que, en favorisant l’autonomie
suprasensible sur l’hétéronomie sensible, comme étant essentielle à la prééminence de l’être humain à l’intérieur de la
Création, Kant nie en quelque sorte le sentiment métaphysique associé à la contemplation du numineux pour insister
AR FIN
plutôt sur le sentiment moral et transcendantal du respect, comme étant le prélude du désir d’autonomie qui seul serait
apte à satisfaire le statut et la destination de l’humanité en chaque personne morale.

Pourtant, on retrouve une ouverture sur l‘inexprimable et sur l’ineffable, avec la distinction entre l’Idée esthétique
SE À

qui, avec la représentation de l’imagination, suscite l’abondance de la pensée sans qu’aucun concept déterminé ne
puisse lui Ltre attribué, et l’Idée de la raison que nulle intuition ne saurait adéquatement représenter 34. Sfrement une
RE T,

perfection réalisée renverrait B l’inexprimable comme le concept de la perfection lui-mLme renvoie B l’ineffable. Mais
D EN

ces termes, plus que l’expression du sentiment, sont l’aveu d’une insufisance discursive ou intuitive qui pourrait donner
sur un sentiment — v.g. l’ataraxia —, sans Ltre elle-mLme un sentiment, au sens de constituer la conscience d’une
réaction non-thétique, régissant l’état du sens intérieur par laquelle la sensation de la vitalité profonde que l’Ltre
AN M

organisé éprouve en lui-mLme est suscitée, remuée et modifiée.


E LE

Nous continuerons par conséquent B nommer joie le sentiment qui accompagne le jugement de perfection lorsqu’il
US SEU

se révPle B la conscience, soit avec l’Idée esthétique, soit avec l’Idée rationnelle, et lorsqu’il interpelle l’esprit au-delB
du conditionné vers l’Inconditionné. Peut-Ltre pourrait-on voir en celle-lB simplement une élévation intime de l’esprit
dont l’état entraîne les pouvoirs de la raison B dépasser leur possibilité manifeste, de sorte encore B mieux imaginer
l’inexprimable et B mieux concevoir l’inimaginable de l’expérience objective. Par ailleurs, cela ne doit pas nous
AL EL

entraîner à oublier que, en vertu de l’expérience humaine qui se situe B l’intersection de l’immanence et de la
transcendance, l’exacerbation ultime de l’état non-thétique de l’esprit qui parviendrait jusque à l’Inconditionné intégral
serait hautement improbable, en raison des limites implicites qui convienne B l’expérience réelle, autant quant B la
ON N

nature sensible qu’en raison de la constitution de la nature humaine. Fût-elle atteinte cependant qu’il serait concevable
RS ON

qu’elle serait sûrement l’occasion d’éprouver une joie profonde et intense, puisqu’elle évoquerait, même à titre
seulement d’Idée et d’être de raison, l’accession de l’être intégral de la personne au plan de l’existence suprasensible,
ayant échappé aux contraintes et aux restriction sinhérentes à la phylogénie de la condition humaine, que chacun a en
P E RS

partage en raison de vivre en sa personne l’humnanité qui est l’apanage de tous.


R PE

*
**
FO E
AG
US

30 R. OTTO (1969), p. 20.


31 KU, §26; AK V, 251-252.
32 Idem, §86; AK V, 444.
33 Idem, §27; AK V, 257.
34 Idem, §49; AK V, 314.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 268 de 302 ...


ANNEXES

(page 133)

FACULTÉ DE PRINCIPE TRANSCENDANTAL A

LY —
POUVOIR DE L’ESPRIT L’ESPRIT PRIORI PRODUIT

ON CHE
connaissance entendement légalité nature
sentiment jugement finalité art

ES ER
obligation fin finale moeurs liberté
désir raison
EE (1789) KU (1790) EE (1789) KU (1790)

OS H
(cause formelle) (cause efficiente) (cause archétype/informatrice) (cause matérielle/finale)

RP EC
PU E R
TABLEAU IV.2: L’esprit dans son rapport aux principes formels et finaux de son activité
génétique.

CH S D
Ce tableau reprend simplement, en les comparant, le tableau de l’unité systématique des pouvoirs supérieurs de
l’esprit, que l’on retrouve à l’intérieur des deux Introductions de la KU 35. Sauf B tenter d’opérer un rapprochement avec
les causes aristotéliciennes, ce schéma ne présente rien de nouveau.
AR FIN
Pourtant, cette tentative nous ouvre des portes sur une variété de perspectives, puisqu’elle illustre l’originalité de
la pensée étiologique kantienne, lorsqu’elle est comparée B celle d’Aristote, dont la métaphysique est fortement
SE À
imprégnée de la dimension physique, comme on l’a si bien compris ailleurs 36. Or, ce tableau illustre en quoi l’étiologie
kantienne est entiPrement transcendantale, puisqu’elle ne fait intervenir aucune dimension sensible, sauf peut-Ltre le
RE T,

sentiment qui appartient au sens interne mais qui trouve pourtant une justification suprasensible avec le principe a
priori de finalité.
D EN

Par ailleurs, c’est bien d’une étiologie qu’il s’agit dans ce schéma puisque l’on peut y retrouver un mouvement qui
AN M

unit B l’horizontale chaque cellule de ce tableau. Ainsi, la faculté de l’entendement met-elle en oeuvre son pouvoir de
connaissance pour informer la nature grâce au principe a priori de la légalité. Et pareillement pour les deux autres
E LE

facultés. En se remémorant les quatre causes aristotéliciennes, la cause efficiente, la cause formelle, la cause matérielle
et la cause finale 37, on peut tenter d’établir un parallPle entre les conception kantienne et aristotélicienne qui ne trahisse
US SEU

pas l’essentiel de la pensée de celle-ci, tout en ne constituant pas une réduction sur celle du premier. Ainsi, puisque le
produit (la nature, l’art, les moeurs/la liberté) est le bien en vertu duquel le mouvement de l’esprit se réalise, nous
pourrions voir en lui sa cause finale. Puisque ensuite la faculté (l’entendement, le jugement, la raison) B laquelle
correspond le produit est en mLme temps celle qui initie le mouvement dont il est l’aboutissement, on peut voir en elle
AL EL

sa cause efficiente. Par ailleurs, puisque le pouvoir de l’esprit (la connaissance, le sentiment, le désir) détermine et
spécifie le genre ou l’essence B la fois du mouvement et du produit, on serait justifié B voir en lui la cause formelle.
ON N

Quant B la cause matérielle, elle pose problPme, puisque ce sur quoi le mouvement de l’esprit agit n’est pas
RS ON

apparemment distingué du produit, B la fois en raison de la nature du mouvement, une transformation qui suppose la
constance du substrat, de son caractPre spirituel et de l’ambiguVté que cultive Kant avec la nomenclature utilisée. Ainsi
la nature qui fait l’objet de la connaissance est B la fois la nature sensible sur laquelle porte l’entendement et la nature
P E RS

transcendantale unifiée dans l’esprit, en vertu des rPgles de l’entendement et de son unité systématique a priori, de sorte
que la nature-produit qui est l’effet de l’acte épistémologique est en mLme temps la nature-matiPre sur laquelle porte cet
R PE

acte. De plus, un raisonnement analogue s’applique aux autres produits, en ce que le produit de l’art est une
nature-matiPre qui reçoit une unité, non pas intellectuelle, mais esthétique en vertu des rPgles du jugement
(réfléchissant et déterminant) susceptibles de gouverner l’acte poématique. Et c’est au plan de la raison que le double
FO E

statut de produit devient plus clairement défini, puisque Kant lui-mLme apporte la distinction entre la «nature-matiPre»
AG

des moeurs, lesquelles émanent de la dimension suprasensible de la raison qui s’extériorise de maniPre sensible et
progressive (ou régressive), en vertu d’une interférence du corps vivant et des corps inertes B l’intérieur de l’univers
US

35 EE, §xi; AK XX, 246; KU, Einleitung, §ix; AK V, 197.


36 Vide SENTROUL (1913), p. 315. «La méprise la plus radicale que puisse commettre un interprPte du grand
philosophe [Aristote] consisterait précisément B lui faire établir entre la science et la métaphysique une cloison
étanche, ou une indifférence radicale.»
37 ARISTOTE. Physique, II, 3; 194b 22-195a 2; Métaphysique, A, 3; 983a 26-32; D, 2; 1013a 22-35.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 269 de 302 ...


ANNEXES

social, et le produit qui est la liberté. Ainsi, en venant B considérer l’Idée métaphysique de la liberté comme étant
intimement liée B son hypostase dans les moeurs, pour voir en celle-lB la cause de la transformation de celles-ci, et en
celles-ci le produit d’une activité conformément B cet Idéal, le tout s’effectuant selon les lois de la raison, pourrait-on

LY —
voir en le produit l’illustration d’une cause complexe qui, selon la terminologie aristotélicienne, est B la fois une cause
finale et une cause matérielle.

ON CHE
Il resterait maintenant B élucider le statut du principe transcendantal a priori qui, apparemment, ne saurait Ltre
subsumé sous les catégories étiologiques aristotéliciennes. Par ailleurs, Aristote inclut parmi la cause formelle d’une
chose B la fois sa raison d’Ltre essentielle, qui en est la notion, et la raison d’Ltre primordiale qui en est la cause et le

ES ER
principe 38. Étant un principe, le principe transcendantal kantien tiendrait par conséquent de la cause formelle, mais
d’une maniPre distincte du pouvoir de l’esprit qui, en illustrant sa puissance, est la forme subjective du produit. Par

OS H
ailleurs, le pouvoir de l’esprit informant de maniPre spécifique l’esprit, puisqu’il procPde d’une faculté distincte B
l’intérieur de celui-ci, et qu’en mLme temps il informe la «nature-matiPre», conformément B l’essence du principe

RP EC
transcendantal (la légalité quant B la connaissance pour l’entendement; la finalité quant au sentiment pour le jugement;
et l’obligation/la fin finale quant au désir pour la raison), il s’en réfPre par conséquent B une cause qui est premiPre quant

PU E R
B lui. Car, en l’absence du principe transcendantal a priori, la cause formelle du pouvoir de l’esprit serait B la fois
inefficace B fonder et à illustrer la faculté dont il procPde et impuissant B informer la «nature-matiPre» en vertu de
l’efficience qui par son entremise lui est communiquée de façon afin de réaliser le produit.

CH S D
La question devient maintenant celle de fonder le statut du principe transcendantal a priori. Puisque celui-ci est un
principe formel déterminant qui porte sur un principe substantiel déterminant, on doit voir en lui un principe qui est
AR FIN
d’un ordre supérieur B la cause formelle du pouvoir de l’esprit. Puisqu’il spécifie la cause formelle en termes de la fin
distinctive inhérente au produit de la raison, pour la distinguer des autres fins distinctives appartenant à ses autres
produits, on peut voir en le principe a priori une cause informatrice de la cause formelle. Car grâce à elle, l’esprit
cherche B donner une direction précise B l’action qu’elle opère sur la «nature-matière» et ainsi B réaliser une perfection
SE À

qui réalise soit l’unité intellectuelle de la nature en vertu de l’aperception de ses lois, soit l’unité poématique de la nature
en vertu de l’extériorisation sensible de l’Idée esthétique, soit l’unité morale de la nature sauvage en vertu de l’effet
RE T,

libérateur et civilisateur de l’Idée morale.


D EN

Ceci nous permet de comprendre que le principe transcendantal est une cause d’un genre plus élevé que les autres
causes puisque non seulement il fonde la cause formelle, mais encore en informe-t-il l’action en fonction des desseins
AN M

de l’esprit, de maniPre B leur procurer une possibilité effective. Parce qu’elle lui est intime, cette puissance est inhérente
E LE

B la «nature-matiPre» et elle trouve sa résolution avec la transformation que reçoit celle-ci et avec l’aboutissement dont
atteste le produit auquel cette action donne lieu. Or, l’effet informateur du principe transcendantal n’est pas sans
rappeler l’influence originelle qui procPde de l’essence de la Cause premiPre, telle que celle-ci est présentée à
US SEU

l’intérieur du Livre des causes 39. Chez Kant, cette cause trouve son principe avec le présupposé de l’Inconditionné, le
principe suprLme déterminant de toute chose, un principe qui échappe lui-mLme B toute condition, puisqu’il échappe B
la série des conditions. Tout en procédant logiquement de celle-ci, il en postule B la fois l’intégralité, la synthPse et
l’achPvement dans l’unité et ainsi il fonde les propositions synthétiques qui, étant a priori, sont transcendantes
AL EL

relativement aux phénomPnes 40.


ON N

Qui dit principe ne dit pas encore cause, puisque le principe énonce simplement ce que serait la possibilité de
RS ON

l’expérience 41 alors que la cause, étant la condition d’une effectivité 42, devient le principe agissant grâce auquel la
possibilité de l’expérience reçoit une réalisation et une actualité. Puisque la liberté est une causalité inconditionnée 43,
elle est donc une causalité suprLme qui renvoie par conséquent B un Agent moral suprLme (car la finalité de la liberté
P E RS

suppose une effectivité grâce B laquelle elle se réalise), une causalité ultime qui illustre le principe de l’Inconditionné,
tel qu’il se réalise au plan moral. Ainsi, puisque l’Inconditionné est un principe suprLme, il renvoie B un Agent suprLme
R PE

qui est en mLme temps la cause premiPre et originelle de toute chose.


FO E
AG

38 ARISTOTE. Métaphysique. A, 3; 983a 27-28.


39 ANONYME. Liber de causis — Le Livre des causes (trad. du latin par A Bocognano (1937) et révisé par P.
US

Magnard (1991). Section XVII (XVIII).148. En ligne à URL: http://www.docteurangelique.free.fr/.


40 KRV; AK III, 243.
41 Idem, p. 201-202.
42 Idem, p. 289.
43 Idem.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 270 de 302 ...


ANNEXES

On aperçoit avec ceci en quoi la philosophie transcendantale de Kant est un émanationnisme: étant a priori, et
donc par définition universel et nécessaire 44, le principe transcendantal renvoie implicitement B l’Inconditionné qui
échappe, par sa liberté, B la série des conditions morales, lesquelles requiPrent pour l’initier un Agent moral originel qui

LY —
illustre son héautonomie, tout en demeurant extérieur B cette série, sans pour autant lui-mLme connaître ni
commencement, ni condition déterminante extrinsèque sur son Ltre ou son action. Or, l’esprit particulier participe

ON CHE
nécessairement de cette nature morale suprLme, en raison de son autonomie et de sa spontanéité héautonomique qui,
étant du domaine suprasensible obligeant a priori dans la moralité, tiennent d’une essence commune B l’essence divine,
celle d’un Ktre moral qui oblige tous les autres Ltres moraux 45, sans Ltre obligé par eux par conséquent. Étant a priori, le
principe transcendantal est donc un principe originel auquel se réfPrent tous les Ltres qui participent de la dimension

ES ER
suprasensible de la conscience et qui se trouvent en mLme temps informés par lui. Ce principe tient donc de
l’Inconditionné, puisqu’il se trouve en dehors de la série des causes sur laquelle porte néanmoins son influence et il
appartient B la Sphère divine suprLme, puisque tout Ltre se résorbe en Elle. Ainsi, le principe transcendantal devient-il la

OS H
cause du lien par lequel l’intimité de l’essence spirituelle du sujet moral participe de la Nature morale suprLme, laquelle

RP EC
est celle de l’Ltre de Dieu. Procédant de Dieu, elle est une cause informatrice; remontant B Dieu, elle est une cause
archétype. Ainsi se trouve définie l’originalité de la cause du principe transcendantal a priori, dont le principe
ontologique se retrouve B l’intérieur d’un petit traité obscur méconnu de la philosophie arabe du IXiPme siPcle de notre

PU E R
Pre, lequel continua néanmoins, en la complétant, la tradition étiologique aristotélicienne.

CH S D
*
**
AR FIN
(page 148)
SE À

DOMAINE MATHÉMATIQUE DIMENSION DYNAMIQUE


RE T,

Quantité Qualité Relation Modalité


D EN

Appartenance Identité de
de l’être à l’être selon sa Convenance ... Entéléchie de l’être ...
AN M

une totalité réalité


E LE

... de ... du rapport ... selon la ... selon ... selon la


l’existence à de l’être aux possibilité l’effectivité nécessité
US SEU

l’être autres êtres

TABLEAU IV.3: Les quatre aspects caractéristiques de l’Idéal de l’actualité, tels que seule la
AL EL

conservation serait requise pour en assurer la continuité du mouvement.


ON N

Ce schéma se réfPre aux genres majeurs de la table des catégories du concept, ainsi qu’B leurs sous-genres, afin
d’illustrer les quatre regards sous lesquels considérer l’Ltre existant réellement dans l’actualité. Au fondement de la
RS ON

spécification que fait le tableau que nous présentons des sept conditions subsomptives de la réalité ontologique, on
retrouve deux présuppositions: celle qui veuille que la matrice de la réalité est unifiée; et l’autre qui implique que les
distinctions logiques opérées afin d’en clarifier le sens et d’en faciliter l’explication voilent la complémentarité, la
P E RS

mutualité et l’interdépendance de chacun de ces critPres entre eux, lorsqu’ils sont mis en rapport avec le concept
central. Car le signifiant de l’Ltre qui est au coeur de la thématique de ce tableau réfère en mLme temps à la quiddité des
R PE

attributs essentiels qui définissent les champs sous lesquels ce signifiant est considéré. Or, ces attributs sont
l’appartenance, qui suppose la diversité et qui renvoie l’Ltre B un ensemble dont il illustre l’essence générale; l’identité
qui suppose l’unicité et qui renvoie l’Ltre B son essence propre en vertu de la réalité de sa spécificité; la convenance qui,
FO E

en supposant la relativité et l’interactivité, renvoie en mLme temps B une conjoncture physique sur le mode de la
AG

subsistance et B une conjoncture ontologique se réalisant sur le mode de la co-existence; ainsi que l’entéléchie qui
suppose la perfectivité et qui peut Ltre envisagé du point de vue B la fois de sa possibilité (la plénitude idéelle de l’Ltre),
de son effectivité (la plénitude réalisée de l’Ltre) et de sa nécessité (la plénitude absolument requise de l’Ltre).
US

44 Idem; Einleitung nach Ausgabe A; AK IV, 17-18z.


45 TEF; AK VIII, 418.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 271 de 302 ...


ANNEXES

Une explication plus étoffée et abondante de ce tableau requerrait plus d’espace que n’autorise l’actuel projet de
thPse, dont l’ampleur a déjB atteint une compréhension qui le situe presque au-delB d’une ambition légitime et réaliste.
Il comporte cependant une originalité majeure qui lui mérite la valeur que l’on pourrait lui prLter, celui de compléter la

LY —
table des catégories 46 et celle des jugements 47, en fournissant une dimension métaphysique objective sur laquelle faire
porter la dimension transcendantale subjective de l’esprit, lorsqu’il entreprend une activité en vertu de laquelle ses

ON CHE
facultés principales acquièrent une effectivité héautonomique afin de réaliser ses pouvoirs principaux — l’imagination
[Einbildungskraft] quant B l’entendement, le jugement [Urteilskraft] quant au sentiment et la volonté [Wille ou
Willenskraft] quant au désir et B la raison —, qui ensemble composent le pouvoir de l’esprit [Gemütskraft]. Ainsi, pour
qu’un concept, qui fournit la possibilité du jugement, puisse procurer un contenu qui soit réellement significatif, il doit

ES ER
implicitement porter sur un objet transcendantal qui incarne en même temps un Ltre, que ce soit un Ltre de raison ou un
Ltre réel, sauf B signifier aucune chose et constituer en réalité un concept vide, en ne réfPrant B rien 48.

OS H
Puisque la raison, et l’esprit qui en réunit les facultés, comporte des possibilités qui sont pratiques en mLme temps

RP EC
qu’elles sont théoriques; et puisque son efficace porte théoriquement sur l’expérience objective [Erfahrung] pour
retourner pratiquement B l’expérience objective, en passant par l’héautonomie de l’expérience subjective [Erlebnis],

PU E R
une théorie complPte et unifiée de la raison requiert une métaphysique objective qui soit autre que nouménale et
transcendantale. Car seule cette condition autorise à rencontrer les exigences d’une expérience qui est
systématiquement unifiée a priori selon les lois de la nature, en vue de fonder adéquatement l’activité épistémologique,

CH S D
poématique et pratique de la raison, lorsqu’elle opère de manière autonome en conformité avec ses propres rPgles. Car
la raison opérante est en mLme temps celle qui s’insPre, progresse et s’épanouit B l’intérieur de l’entéléchie naturelle,
pour en réaliser la continuité qui est favorable à la destination du genre humain et en constituer, en la transformant sous
AR FIN
cet égard, la nouveauté phénoménale. De sorte qu’elle renvoie elle-mLme B une nature sensible, sans jamais renier son
essence suprasensible primordiale, laquelle est le principe et la cause de se réalisation morale et libre.

Or, seul le point de vue ontologique que l’on apprécie plainement peut assurer la complémentarité synergique avec
SE À

laquelle l’esprit suprasensible se conjugue avec la nature sensible, d’une manière qui convienne B l’anthropologie B
laquelle aboutit le questionnement kantien. Car une véritable anthropologie alloue pour le plein épanouissement de
RE T,

l’humanité, qu’incarnent les personne morales qui en composent l’ensemble, lorsque celle-lB est un rPgne des fins
D EN

morales qui s’exerce pleinement en harmonie avec la systPme de la nature, tout en représentant de façon éminente la fin
finale de celle-ci.
AN M
E LE

*
**
US SEU
AL EL
ON N
RS ON
P E RS
R PE
FO E
AG
US

46 KRV; AK III, 093; AK IV, 066.


47 Idem; AK III, 087; AK IV, 060.
48 Idem; AK III, 233.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 272 de 302 ...


ANNEXES

(page 150)

MORALITÉ DROIT

LY —
Devoir envers soi-même Devoir envers autrui

ON CHE
DEVOIR PARFAIT Le devoir de l’humanité en la
(action par devoir) personne de chacun Le droit des hommes

ES ER
(Paradigme) (Le problPme du suicide) (Le problPme de la promesse
insincPre)

OS H
DEVOIR IMPARFAIT La fin de l’humanité en la personne
(action selon le devoir) de chacun La fins des hommes

RP EC
(Paradigme) (Le problPme de la culture du (Le problPme de l’altruisme et de

PU E R
talent) l’assistance prLtée B autrui)

CH S D
TABLEAU IV.4: Les devoirs et les paradigmes subjectifs et objectifs.

Ce schéma reproduit simplement, en les condensant, les formes que prend le devoir, telles qu’elles sont
AR FIN
susceptibles d’Ltre découvertes B l’intérieur de la GMS 49 et de la MAR 50. Les entLtes des catégories reprennent celles
que nous trouvons dans la MAR, alors que les paradigmes exemplaires sont ceux du GMS. Puisque l’exemplaire est la
transposition B l’échelle sensible de la réalité suprasensible, cette réunion du principe et du paradigme B l’intérieur d’un
mLme tableau réalise la complétude et la complémentarité du théorique et du pratique, en mLme temps qu’elle illustre
SE À

schématiquement la structure essentielle de la thPse kantienne, en ce qui concerne la génétique de la moralité. Car non
seulement trouve-t-on B l’intérieur de ce tableau la matiPre d’une complémentarité ontogénique et phylogénique, alors
RE T,

que l’humanité, définie implicitement comme étant la personne collective des hommes, devient le principe générique
D EN

universel que reflPte la personne de chacun, mais encore illustre-t-il, au plan de la déontologie, la distinction entre le
devoir librement assumé, le devoir parfait de l’action accomplie par devoir, par opposition au devoir qui comporte une
part d’hétéronomie et de contrainte, le devoir imparfait de l’action accomplie uniquement selon le devoir, alors que les
AN M

inclinations et les exigences en provenance de la nature inciteraient à négliger ou à omettre l’accomplissement de son
E LE

devoir, en l’absence d’un mobile qui y dispose préremptoirement.

Plus encore, en opposant le devoir envers soi-mLme et le devoir envers autrui, Kant parvient B unifier le droit et la
US SEU

moralité (ou la vertu) B l’intérieur de la continuité objective et subjective, laquelle trouve sa résolution avec le Ich et le
sens interne accessible B la force unificatrice de la raison, en tant qu’icelui est le réceptacle des sensations trouvant leur
origine in foro externo et des impressions qui ont leur lieu dans l’intimité in foro interno de la conscience. En somme, ce
tableau est d’une richesse incroyable pour l’approfondissement de la doctrine morale de Kant, lorsqu’elle illustre le
AL EL

principe intime et inconditionné de la liberté que réalisent les moeurs, lesquelles sont l’aboutissement de la dimension
pratique de la raison librement engagée à réaliser sa mission civilisatrice. Car elle sert B extraire l’humanité de
ON N

l’hétéronomie sensible, sauvage et primitive, pour la transporter au plan de l’autonomie culturelle et libératrice, dont la
constitution civile et la constitution politique parfaites seraient les illustrations les plus éloquentes 51.
RS ON
P E RS

*
**
R PE
FO E
AG
US

49 AK IV, 421-423; 429-430.


50 Einleitung; AK VI, 240.
51 IAG, Propositions VII et VIII; AK VIII, 021ss et 027ss.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 273 de 302 ...


ANNEXES

(page 158)

GENRE ESPÈCE ESSENCE PRODUIT PRINCIPE DÉFINITION

LY —
concept pur de subsomption

ON CHE
schPme > l’entendement caractPre de la partie au
> présentation tout dans la
schématique directe; détermination,
démonstration; selon une
concept déduction rPgle que
exemple > artefact

ES ER
empirique > procure la
réflexion

OS H
HYPOTYPOSE
sursomption
de la partie B

RP EC
présentation un ensemble
indirecte; indéterminé,
symbolique analogie image symbole selon une

PU E R
suggestion; rPgle qui
inférence procPde de la
nature de la

CH S D
réflexion

TABLEAU IV.5: Schéma révélant la variété et la complexité de la notion de l’hypotypose, selon


AR FIN
qu’elle passe par le concept ou par l’image pour son illustration.

Ce tableau résumée la théorie kantienne de l’hypotypose, telle qu’elle est exposée au §59 de la KU 52. Cette théorie
SE À

illustre en somme la division majeure de l’activité critique de l’esprit, selon qu’elle reflPte l’activité du jugement
déterminant ou selon qu’elle interpelle le jugement simplement réfléchissant. Toutes les deux formes que prend le
RE T,

jugement produisent une présentation, mais dans le premier cas, elle est issue d’une rPgle que l’esprit impose B la nature
D EN

sensible, de maniPre B caractériser épistémologiquement la matière sensible ou B réaliser un artefact à partir d’elle,
lesquels se fondent sur les deux formes du concept, le concept pur de l’entendement ou le concept empirique. Quant au
second cas, elle renvoie au concept indéterminé qui, s’il ne contribue à la formation d’aucun principe ou d’aucune rPgle
AN M

précise, découvre néanmoins la rPgle de l’opération de l’esprit engagé dans son activité réfléchissante et renvoie au
symbole évocateur de l’image qui est simplement suggestif de la réalité intellectuelle sous-jacente, sans que celle-ci ne
E LE

soit précisée ou délimitée.


US SEU

Le jugement déterminant est le révélateur par excellence de l’autonomie rationnelle et de la capacité


héautonomique de l’esprit, telle qu’elles se manifestent avec le rapport de la raison avec la nature sensible. C’est un
jugement qui est producteur de culture, que celle-ci se manifeste par l’entremise de l’abstraction intellectuelle ou en
recourant à l’ineffable artistique. Ainsi l’hypotypose schématique établit-elle clairement la distinction entre le concept
AL EL

rationnel qui échappe entiPrement aux prétentions de l’imagination B lui Ltre adéquate dans l’intuition — et donc
interpelle uniquement le concept pour en cerner l’essence et les attributs, la nature, la configuration et les propriétés —
ON N

et le concept esthétique qui est réfractaire B tout effort de la pensée qui tenterait d’en arrLter, au moyen du concept
intellectuel, une théorie définitive 53.
RS ON

Bref, tous les deux genres du concept supposent un Inconditionné, mais le saisissent — le savent — de points de
P E RS

vue différents: pour le concept pur, en vertu d’un niveau d’abstraction qui renvoie B une dimension idéelle qui tient de
l’illimité et de l’infini; ou, pour le concept esthético-empirique, en raison d’une réalisation incontestable dont l’essence
procéderait de l’ineffable du mystPre dont le phénomène se révPle entiPrement, sans que l’esprit ne parvienne à en
R PE

percer ni les origines, ni les secrets, soit de sa possibilité, soit de son actualité.
FO E

Ainsi se rejoignent-ils tous les deux à l’intérieur de l’art qui leur procure un caractPre sensible, en vertu de la nature
sociale qui est le propre de l’humanité engagée à réaliser la mutualité de relations réciproques, grâce B laquelle
AG

s’effectue une progression historique dont témoignent les étapes et les réalisations de la nature comme procédant d’un
esprit collectif et des esprits individuels qui y participent, en contribuant à son entéléchie. Car si la pensée B laquelle est
US

redevable l’Idée se trouve B s’exprimer, puisque celle-ci procède de l’activité intime de la raison qui la soumet aux
formules de la subjectivité morale que sont les maximes, elle demeure néanmoins pour l’essentiel une réalité idéelle qui
réside B jamais dans la sphPre de l’inexprimé, sans possibilité pour elle d’exercer un effet direct sur le monde sensible,

52 AK V, 351-354.
53 KU, §49; AK V, 314.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 274 de 302 ...


ANNEXES

puisque la possibilité entière ne saurait jamais être épuisée, malgré toutes les tentatives susceptibles d’être effectuées en
ce sens. Par contre, la nature demeure le substrat matériel de l’énergie et de la force qui en autorisent la réalisation
toujours incomplète de cette possibilité, B savoir celles qui illustrent la Vie.

LY —
Par contre, l’un art qui correspond à l’esthétisme schématisant est synthétique et conceptuel, en ce qu’il fait appel

ON CHE
tantôt B l’écriture et tantôt au discours pour manifester ce qui est proprement idéel pour lui, alors que l’art qui
correspond à l’esthétisme symbolique est représentatif et évocateur, en faisant intervenir une matiPre plastique qui est
formée, laquelle renvoie plutôt B une dimension de l’Ltre ainsi figuré, lorsqu’il révèle la qualité de son intériorité vitale B
un moment ou l’autre de son existence. Ainsi cette distinction rend-elle évidente la ténacité de l’opposition entre la

ES ER
pensée et le sentiment à l’intérieur de l’esprit: tantôt l’esprit fait-il abstraction de celui-ci pour s’exprimer au plan
uniquement spirituel dces concepts, des images et des Idées; et tantôt l’esprit conjugue-t-il la pensée et le sentiment en
reconnaissant ainsi l’unité fondamentale de la nature humaine qui est appelée B réconcilier dans l’harmonie toutes les

OS H
dimensions de son intimité vivante. Il accomplit cela en intégrant le sensible et le suprasensible d’une manière

RP EC
accomplie et vivante.

PU E R
Par ailleurs, ni la pensée, ni le sentiment ne sauraient ignorer l’essence active de l’esprit qui participe de plain-pied
au mystPre cosmologique de l’existence, lequel renvoie en même temps B l’imperceptible et B l’inconcevable; aux
sources et aux origines; B la causalité et B la finalité; B la puissance qui réalise et B la réalité qui requiert l’expression

CH S D
d’une puissance; B l’Ltre qui exprime l’actualité et B celui qui promet l’éventualité. Ce sont les termes dont les
complexités, les prémisses, les principes, les fins, les effets et les causes sont B ce point profonds, compréhensifs,
enchevLtrés et élevés qu’ils incitent peut-Ltre B l’action — rhétorique ou poématique — pour en exprimer toujours
AR FIN
incomplPtement les multiples considérations et les innombrables aspects, mais qui peuvent aussi proposer la simplicité
d’une image symbolisée pour en évoquer l’indétermination essentielle, selon les formes fondamentales de l’intuition
qui s’inspire d’un moment focal et concentré de l’expérience.
SE À

L’esprit s’ancre ainsi d’une part dans une conception qui sera toujours inachevée pour, à partir du point
RE T,

ontologique suprLme qui échappe B toute spécification, espérer parvenir B l’évoquer de manière sensible à l’intérieur
d’une sphPre inconcevable, celle qui résume à elle seule les concepts indégterminés de la culture et de la civilisation; et
D EN

de l’autre, dans une expérience inexprimable pour, B partir du mystPre inconnaissable, ouvrir sur des horizons spirituels
perpétuellement changeants. D’une part, l’esprit se trouve situé devant une tâche sans fin dont les résultats définitifs
sont improbables, mais qui n’est pas sans comporter une utilité culturelle, par le raffinement de l’esprit et les artefacts
AN M

qui en résultent; d’autre part, la diversité innombrable et la profondeur insondable de son expérience interpellent
E LE

l’intégralité de la conscience vivante simplement B communier activement et de maniPre constructive B l’énergie


incommensurable et indicible de la Vie et B se laisser infuser de ses vertus bénéfiques.
US SEU

Quant B la qualité de sa possibilité spirituelle, la réflexion rationnelle serait donc une activité de l’esprit de
beaucoup supérieure B la détermination rationnelle qui résulte du concept judiciaire, puisqu’elle ne s’embourbe pas B
l’intérieur d’une activité productive de conceptualisations dont les fondements sont trop précaires et mouvants pour
mener B une conception définitive. Par ailleurs, seule l’activité théorique constitue une base suffisamment solide pour
AL EL

d’exacerber la dimension sociale de la vie morale. Car celle-ci fait reposer l’intégralité du mouvement historique dont
l’aboutissement est la constitution politique et civile parfaite, le gage par excellence de la société civilisée que fonde la
ON N

transformation de la matiPre et par elle la culture de l’esprit. Peut-Ltre alors la plénitude de l’humanité trouve-t-elle sa
RS ON

résolution avec la prise de conscience de la précarité d’une qui réussit B faire l’intuition spirituelle de l’infini, tout en
devant s’accommoder de l’inhérence de sa propre finitude. Par contre, ses termes sont suffisamment éloignés et sa
possibilité est suffisamment abondante qu’elle trouvera B s’épanouir malgré tout au-delB de toute espérance et de toute
P E RS

prévision initiales, avec l’expression de la bonté et avec l’expérience du bonheur qui en procPde (conformément B
l’impératif catégorique et la loi de l’amour qui le réalise).
R PE

*
FO E

**
AG
US

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 275 de 302 ...


ANNEXES

Chapître VI (page 203)

SÉRIE CAUSALE DES EFFECTIVITÉS

LY —
Conditions empiriques Pouvoir rationnel Pouvoir moral

ON CHE
phénoménologie hétéronomie sensible autonomie suprasensible
1er temps:

ES ER
rupture de sublime amour
l’har-
dispropor- illustra- monie dignité
tion des loi satisfac-

OS H
forces tion de la technique tion loi morale d’être
précarité 2 iPme heureux

RP EC
naturelles
temps: respect courage
décou-
verte

PU E R
TABLEAU VI.1: Schéma illustrant la continuité esthético-morale, alors que le pouvoir rationnel

CH S D
trouve sa contrepartie dans le pouvoir moral, en raison de l’autonomie qui caractérise
l’effectivité de l’un et de l’autre.

AR FIN
Ce tableau nous ramPne B l’intérieur de la série causale des effectivités et il illustre l’intimité qui préside au
mouvement par lequel la conscience se montre adéquate aux conditions empiriques que révèle la phénoménologie,
lorsqu’elle est soumise aux conditions de la perception sensible. Kant distingue entre quatre aspects B l’intérieur de la
SE À
théorie intégrale du mouvement: la phoronomie étudie le mouvement en tant qu’il est une grandeur mesurable, sans
égard pour la qualité; la dynamique l’étudie en tant qu’il est une puissance et donc serait susceptible de révéler une
RE T,

qualité immanente B son essence; la mécanique étudie le mouvement en tant qu’il est son propre principe interne, dans
la réciprocité des relations objectives entre les parties, sans égard pour un effet subjectif; et la phénoménologie l’étudie
D EN

sous son aspect modal, en tant qu’il est un phénomPne pour les sens externes 54 et que par conséquent il est susceptible
de produire un effet subjectif. Ainsi la phénoménologie devient-elle le point objectif de l’intersection entre
AN M

l’hétéronomie naturelle et l’autonomie de la conscience, en vertu des modalités de la possibilité, de l’effectivité et de la


nécessité 55, grâce B l’héautonomie de la raison qui en réconcilie les oppositions avec l’activité réglée de la pensée, de la
E LE

conduite et de l’action.
US SEU

L’esprit s’illustre selon l’une de deux dimensions: tantôt avec l’entendement et l’activité épistémologique que
conditionne l’hétéronomie de la sensibilité et tantôt avec la raison et la réalisation morale qui se fonde sur l’autonomie
suprasensible. Puisqu’autant l’entendement que la raison participent de la dimension suprasensible de l’esprit, il serait
injuste de dissocier radicalement ces deux facultés, pour voir en celui-lB une faculté uniquement technique, illustrant la
AL EL

dimension problématique de la conscience hypothético-pratique, et en celle-ci une faculté essentiellement morale,


participant de la dimension apodictique de la conscience éthico-pratique.
ON N

Nous n’avons cessé d’arguer, tout au long de cette thPse, en faveur d’une intelligence intégrée et de l’unité
RS ON

rationnelle qui se refuserait B dissocier réellement la technique poématique de l’actualisation pratique. Autrement, la
conscience courrait le risque de compartimenter la réalité, ce qui procurerait d’une part des situations qui requiPrent de
l’activité de l’esprit qu’elle se transforme uniquement en interventions finalisées portant sur une action ciblée et,
P E RS

d’autre part, des occasions qui sollicitent l’esprit B agir d’une maniPre qui exprime avec sa conduite et ses réalisations
un accomplissement éthico-moral, laquelle transcenderait alors les contraintes de l’expérience au point que celles-ci
R PE

s’évanouiraient et deviendraient inexistantes. Une théorie esthético-morale qui soit en mLme temps réaliste ne saurait
se contenter, en postulant l’unité de la raison, l’harmonie des facultés et la convenance finalisée des personnes
humaines engagées à réaliser et à vivre une expérience commune, de simplement contempler les transcendantaux (le
FO E

Beau, le Vrai et le Bien): encore doit-il les réaliser activement avec l’Ltre, l’avoir et le faire, «les catégories cardinales
AG

de la réalité humaine» qui en sont les contreparties B l’intérieur d’une terminologie sartrienne 56.
US

54 MAN, Vorrede; AK IV, 477.


55 Vide, supra, le tableau IV.3, p. 493.
56 SARTRE (2006). p. 475.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 276 de 302 ...


ANNEXES

Ce n’est pas lB nier l’importance ou la nécessité de la contemplation, puisqu’autant la détermination que la


réflexion y ont recours pour réaliser leur finalité propre, la subjectivité qui se sait participant de l’Inconditionné et de
l’indéterminé pour celle-ci; et pour celle-là, la subjectivité qui produit la connaissance objective, fondatrice des

LY —
maximes hypothético- et éthico-pratiques susceptibles de définir une action subséquente. C’est seulement la situer B
l’intérieur d’un contexte qui en relativise l’activité en fonction des impératifs de l’expérience qui comporte également,

ON CHE
en vertu de ses propres a priori, une dimension suprasensible fondamentale qui en couve et en nourrit le principe. Que
la suprasensibiloité nouménale demeure voilée par le phénomPne objectif et l’hétéronomie qui est propre aux forces
apparemment aveugles et prépondérantes de la nature, elle n’en est pas moins réelle et agissante, voire sur l’étendue
d’un temps cosmique et B travers la subtilité de la généralisation spatiale qui la rendent perceptible et accessible

ES ER
uniquement B ceux dont la vision spirituelle a été suffisamment développée.

Ce tableau comporte une richesse de possibilités pour la spéculation philosophique, que les contraintes propres B

OS H
la présente exercition thétique nous oblige pour la plupart B reporter dans un au-delB temporel et peut-Ltre aussi un

RP EC
ailleurs spatial indéterminés. Qu’B cela ne tienne, nous relevons le point suivant, B l’effet que toute action sensible
repose sur l’impression subjective d’une urgence dont la perception est soit immédiate dans le pressentiment, soit

PU E R
médiatisée par le sentiment. Or, l’urgence ressentie illustre une précarité ontologique, que met en évidence la
disproportion des forces naturelles dont l’appréciation subjective fait l’estimation, et elle fait naître une panoplie de
sentiments complémentaires, autant au plan du pouvoir rationnel qui est interpellé par la situation que caractérise

CH S D
l’hétéronomie sensible qu’B celui du pouvoir moral procédant de l’héautonomie de la conscience, grâce à laquelle cette
hétéronomie est subsumée sous l’autonomie suprasensible. Le pouvoir moral s’illustre en spécifiant la maxime qui est
utile et bonne B la fois: cette règle subjective est bonne en raison de son utilité hypothético-pratique certes, mais elle est
AR FIN
surtout bonne puisqu’elle réalise au mieux de sa possibilité l’Idéal moral, celui qui puise B la condition suprasensible,
formelle et générale, de l’impératif catégorique a priori et B sa spécification nomothétique avec la loi de l’amour qui est
le centre essentiel de la loi morale.
SE À

Ainsi, la sublimité de l’Idée esthétique, laquelle est aussi B la base de l’activité hypothético-technique puisqu’elle
porte sur l’effectivité poématique qui en procède, est-il un sublime qui se fonde sur l’interaction entre deux pouvoirs qui
RE T,

s’exacerbent: les forces naturelles qui, en manifestant mécaniquement et dynamiquement leur puissance, est B l’origine
D EN

de l’impression de la disproportion phénoménologique, ressentie à l’intérieur du sens interne; et le pouvoir de la raison


de savoir les surmonter en vertu de la nature suprasensible qui appartient en propre B celle-ci. L’effet est de faire naître
en la raison le respect pour sa qualité suprasensible et la satisfaction qui résulte de savoir composer adéquatement avec
AN M

la conjoncture problématique, afin de rétablir l’homéostasie de l’harmonie intérieure et de retrouver un état exogène qui
soit compatible avec la promotion de la vie qui se maintient et qui s’épanouit. Mais le respect entretenu envers la raison
E LE

est un sentiment de l’esprit qui est ni compartimenté, ni univoque. Puisqu’il participe du registre suprasensible, il est en
mesure d’en pressentir le plein pouvoir intégral, lequel embrasse en mLme temps la sphPre idéale de l’impératif
US SEU

catégorique et de la loi morale. Ceux-ci commandent l’amour et le courage, les sentiments suprasensibles qui sont B la
source de la réalisation morale pleinement congruente avec la possibilité humaine, puisqu’elle initie l’action par
laquelle le rPgne des fins de la Création est pleinement accompli au plan phylogénique et, avec cela, la fin finale de
l’humanité, illustrée librement et spontanément en chacun au plan ontogénique, est complètement réalisée.
AL EL

Le sentiment de la dignité d’Ltre heureux en résulte qui devient alors, non pas le complément naturel de l’amour et
ON N

du courage B l’intérieur uniquement du registre suprasensible, mais le complément de tous les autres sentiments qui se
RS ON

sont conjugués pour procurer l’efficace de l’action hypothético-technique, laquelle apparaît alors en mLme temps
comme illustrant le caractère éthico-pratique de la conduite hautement et essentiellement morale. Ainsi se trouve-t-on B
résoudre l’énigme de l’action qui serait en soi moralement neutre: puisqu’elle se réfère pour l’essentiel à l’hétéronomie
P E RS

du monde sensible afin d’employer ses maximes à réaliser sur lui une transformation compatible avec des fins
strictement esthétiques, elle encourt le reproche de ne pas échapper B l’absurdité qui met en opposition le sens intérieur
particulier et le sens commun généralisé. Car, en se contentant des illusions superficielles d’une esthétique
R PE

phénoménale qui s’intéresse peu aux raisons profondes et réelles des choses, en se fondant sur la nouménalité de l’Idée
pour les révéler à la conscience, tout en se recrutant éventuellement des expériences et des souvenirs qui peuvent
FO E

composer et amplifier la charge émotive qu’engendre, souvent par évocation, la conjoncture physique, sans que ni elle,
ni l’action engendrée n’acquiPrent par cela une signification transcendante, l’esprit [Gemüt] s’inscrit à l’intérieur d’une
AG

boucle par laquelle l’excellence à laquelle il prétend n’est jamais à la hauteur de sa possibilité transcendantale. Plutôt
que contribuer au mouvement de la civilisation qui se renouvelle et se parfait en édifiant sur des bases de plus en plus
US

variées et excellentes, parce qu’elles épuisent momentanément les possibilités de la matière sensible et des pouvoirs
suprasensibles de la raison, l’esprit participe d’une dynamique culturelle qui s’en laisse dicter exclusivement par les
contraintes naturelles au détriment de la qualité superlative qui pourrait en procéder.

La raison profonde de la conduite humaine repose non pas seulement sur la capacité d’anticipation qui fonde
l’efficace de la technique, mais encore sur le pouvoir moral qui définit pour elle la maxime du plus grand bien réalisable
possible. Cette Idée indéterminée situe éventuellement le sujet moral au plan de participer et de contribuer au projet de

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 277 de 539 ...


ANNEXES

formuler et de réaliser la constitution civile et politique la plus parfaite du meilleur monde qu’il soit possible d’imaginer
comme pouvant appartenir au domaine du réel. De sorte que, si l’activité poématique est susceptible de se jauger B
l’aune de l’utilité et de l’agrément qui peuvent en résulter, elle est surtout estimable lorsqu’elle hisse le jugement

LY —
esthético-technique au plan suprasensible du monde idéal, lequel comporte nécessairement les concepts de la
perfectibilité et du perfectionnement que fonde l’Idée, lorsqu’elle exerce son influence capitale et prépondérante sur

ON CHE
l’élaboration des maximes qui réaliseront cette possibilité et cette entéléchie.

Or, c’est avec l’aspiration B réaliser l’Idée indéterminée de la perfection que s’exprime adéquatement le pouvoir
régulateur de l’Idée: alors qu’elle tient de la spiritualité suprasensible pure, son essence éternelle et infinie concorde

ES ER
mal avec les possibilités réelles de la dimension humaine qui, en vertu des Ltres incarnés qui en sont les exemplaires,
compose perpétuellement avec l’hétéronomie du monde sensible, lesquelles possibilités se découvrent une limite

OS H
immanente, avec la réconciliation adéquate des ambitions célestes et des contingences terrestres que tente d’accomplir
la sagesse de la raison. Le compromis réside en savoir reconnaître l’effet formateur de l’Idée sur l’activité humaine, tout

RP EC
en se résignant B accepter que sa spécification ne sera jamais complPtement B la hauteur de la matière nouménale à
laquelle l’esprit [Geist] cherche à procurer une forme réelle. Telle est pour nous le sens profond de l’allégorie que l’on

PU E R
retrouve B la conclusion de la deuxiPme Critique 57, dPs lors qu’elle est opposée B la théorie kantienne de l’Idée
simplement régulatrice de la réalité, mais jamais constitutive de celle-ci.

CH S D
Nous aimerions ajouter une autre considération, relativement B ce tableau: ce schéma pPche par l’absence d’un
concept qui nous avons évoqué dans les lignes qui précPdent et qui trouverait B s’insérer B chacune de ses deux
extrémités, si par lB on évitait l’erreur capitale de ne pas comprendre qu’il infuse l’ensemble. Ce concept est celui du
AR FIN
suprasensible qui, B la maniPre de la réflexion qui le révèle à l’intérieur de l’esprit et le manifeste, serait susceptible de
déterminer toutes les dimensions de l’Ltre, en vertu de la rPgle qui en procPde de la constitution héautonomique de son
essence substantielle. Ainsi, tout en étant en dehors de la Création pour en constituer le moment originel et présider B sa
progression, B son évolution et B sa conservation, le suprasensible est immanent B la Création et agit sur elle d’une
SE À

maniPre intime par l’intermédiaire de l’esprit de l’humanité qui le réalise en l’esprit particulier de chaque personne qui
RE T,

se revendique effectivement de cette humanité en marche. Le suprasensible accomplit cela en composant avec la
conjoncture physique qui en exacerbe incessamment les possibilités particuliPres et les dimensions sociales, pour
D EN

actualiser parmi elles celles qui répondent le mieux B des aspirations et B des ambitions qui, tout en étant naturellement
conditionnées, réussissent néanmoins B dépasser cet état, tout en le transformant grâce à la puissance vitale que dirige
l’esprit [Geist], d’une maniPre qui soit plus compatible avec les possibilités et les limites de la nature humaine.
AN M
E LE

Sans doute ne rendons-nous justice B aucun des deux philosophes qui se situent aux antipodes historiques de la
carriPre intellectuelle de Kant, en affirmant qu’B ce point Leibniz rencontre Hegel B l’intérieur de la pensée kantienne.
US SEU

Car si l’esprit est omniprésent B l’intérieur de l’univers kantien, puisque le suprasensible est B la fois immanent et
transcendant, malgré l’opposition du sensible et du suprasensible ainsi que du théorique et du pratique, B un univers qui
ne saurait se comprendre dans la pensée, ni mLme se concevoir dans l’imagination sans l’une et l’autre qualité, cette
présence se situe toujours quelque part entre le meilleur qu’attirent vers le bas les forces pressantes de la sensibilité
AL EL

entropique et le pire que tente de rédimer la moralité néguentropique de l’humanité en chaque personne. Et puisque
cette situation réalise en chaque instant une gradation du suprasensible, lequel suppose la procession hypostatique des
trois transcendantaux (le Beau, le Vrai et le Bon) à l’intérieur des trois activités fondamentales de l’humanité (l’Ltre,
ON N

l’avoir et le faire), en vertu des deux principes esthético-moraux qui se renforcent mutuellement B l’intérieur de la
RS ON

conjoncture vitale (le primat du suprasensible sur le sensible et du pratique sur le théorique), nous pouvons supposer
alors que le mouvement de l’esprit réalise en tout temps le meilleur des mondes possibles, lequel est l’instance
ponctuelle de la liberté humaine se réalisant.
P E RS

Nous sommes conscient cependant qu’une telle affirmation, plutôt que constituer une conclusion
R PE

péremptoirement concluante et mettre un terme au débat, risque de mettre de l’huile sur le feu et le prolonger
indéfiniment. Mais ainsi n’est-ce pas donner encore une fois l’occasion au suprasensible de se manifester, selon la rPgle
d’un génie tutélaire qui a depuis toujours caractérisé la pensée pédagogique, celui de la question qui donne beaucoup B
FO E

penser, sans nécessairement ouvrir sur l’avenue magique dont le terme serait la production d’une réponse B la fois
AG

définitive et complPte.
US

*
**

57 KPV; AK V, 288-289.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 278 de 302 ...


ANNEXES

CONCLUSION (page 239)

UNITÉ FINALE DE LA PERFECTION (le possible que fonde l’actuel)

LY —
Division Domaine Faculté Qualité Maxime Impératif Valeur État final

ON CHE
penser par
Logique Théorie Verstand autonomie soi-mLme catégorique Vérité universalité
...

ES ER
… à la
Éthique Pratique Vernünft spontanéité place de pratique Bonté amour

OS H
tout autre...

RP EC
… en
Esthétique Boulétique Urteil héautonomie accord avec biotique Beauté vie
soi-mLme

PU E R
UNITÉ DYNAMIQUE DE LA LIBERTÉ (l’actuel que justifie le possible)

CH S D
TABLEAU VII.1: Tableau récapitulatif de la thPse kantienne, telle qu’elle s’inscrit B l’intérieur
du projet des LumiPres et en tant qu’elle réalise l’unité multi-dimentionnelle de la
AR FIN
philosophie.

Ce schéma résume le projet philosophique kantien, tel qu’il s’exprime B l’intérieur de la conjonction historique des
SE À
LumiPres et comme en constituant l’aboutissement. Ainsi trouvons-nous B l’intérieur de ce tableau l’amplification de la
devise des LumiPres, telles qu’elle apparaît B l’intérieur de la troisiPme Critique 58, aprPs avoir été énoncée dans les
RE T,

premiers paragraphes de la WIA 59. Or, cette devise cadre bien avec les divisions bifides, telles que nous avons pu les
identifier tout au long de notre exposé de la théorie esthético-morale de Kant, laquelle trouvait sa résolution avec le
D EN

concept général du complexe qui associe intimement les dimensions de la raison et du sentiment, dont l’équilibre
héautonomique est assuré avec les deux principes: de la primauté du suprasensible sur le sensible et du pratique sur le
AN M

théorique.
E LE

Ainsi, la possibilité de penser par soi-mLme débouche-t-elle sur l’universalité scientifique du propos, en tant que
celle-lB se propose la Vérité comme étant la finalité qui lui est propre et procure-t-elle la découverte de l’impératif
US SEU

catégorique qui trouve son domaine par excellence au plan de la philosophie pratique pure. Celui-ci illustre l’autonomie
de la pensée qui réussit B se libérer des contraintes empiriques qui sont le lot phylogénique de chaque sujet moral, pour
se situer entiPrement au plan suprasensible de la raison inconditionnée, laquelle est B l’origine de la série des
conditionnés qui procPdent de son action. La possibilité de penser B la place de tout autre, fondatrice du sens commun,
AL EL

ainsi que tout discours comme tout assentiment susceptibles d’en procéder, aboutit-elle B l’amour en ce qu’elle se
propose la Bonté comme étant la finalité morale éminente, puisque toute action est B la fois finalisée dans son intention
et sociale par son effet. Visant par conséquent à l’excellence du bienfait qui ne peut se contenter d’un horizon
ON N

strictement singulier, en raison mLme de la nature du Bien qui en réfère au pouvoir moral pour se réaliser de manière
RS ON

universelle et nécessaire, elle doit néanmoins s’interroger sur le bien visé qui est conditionné par la conjoncture et que
spécifie en mLme temps l’impératif hypothético-pratique, lequel est un énoncé théorique en raison du contenu de sa
formulation et de la finalité qui préside à son élaboration. Or, si l’impératif catégorique est vrai quant B sa forme, il est
P E RS

en mLme temps bon par sa fin, puisque la nature mLme de l’injonction est de fournir un principe suprasensible qui
éclaire et conditionne la réalité sensible, avec une spécification substantielle d’abord, qui transforme l’impératif formel
R PE

catégorique en loi «matérielle» de l’amour, puis avec une spécification conjoncturelle, qui propose une maxime grâce B
laquelle cette loi trouve son application B telle ou telle situation plus ou moins générale et particuliPre. Le penser B la
place de tout autre devient B la fois le moyen et le gage d’une fin bonne qui ne soit pas en mLme temps préjudiciable B la
FO E

compréhension d’autrui, laquelle participe, par l’entremise du sens commun, B la nature de l’esprit qui est commun B
AG

l’humanité, bien que chacun en illustre l’essence en sa personne différemment mais de maniPre complémentaire. Et
puisque l’application du principe suppose une certaine hétéronomie, qui trouve sa justification à l’intérieur des
particularités propres aux situations naturelles et en raison desquelles aucune maxime pratique n’est parfaitement
US

identique, voire qu’elle s’ajuste néanmoins sur les quatre formulations qui sont autant d’aspects de l’impératif
catégorique — l’agir selon une loi universelle, qui est en même temps une loi de la nature, de manière à traiter

58 KU, §40; AK V, 294-295.


59 WIA; AK VIII, 35-36.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 279 de 302 ...


ANNEXES

l’humanité en autrui comme en soi-même comme une fin en soi, en adoptant une maxime qui puisse elle-même devenir
un principe universel 60—, la dimension pratique du domaine suprasensible de la raison en illustre pleinement la
spontanéité, puisqu’elle émane du pouvoir héautonomique que possède la raison de se donner une règle à elle-même.

LY —
Car la raison réalise en tout temps la créativité qui incombe B une puissance qui s’inscrit B l’intérieur du monde
cosmologique que caractérisent le mouvement et le changement perpétuels, mais en vertu de lois et de principes

ON CHE
immuables qu’il revient B la raison théorique de découvrir et de connaître et B la raison pratique de spécifier et
d’appliquer.

Par ailleurs, le penser en accord avec soi-mLme, lequel vise au plan de l’ontologie l’identité substantielle des

ES ER
choses inertes et des Ltres organisés, dont la beauté exprime la finalité réalisée en conformité B lapossibilité inhérente B
chacun de ceux-ci, repose sur la conservation et la promotion de la vie qui ultimement est le seul état que caractérise la
finalité essentielle, i.e. la finalité B laquelle se rapportent toutes les autres finalités lorsque celles-ci sont des finalités

OS H
extrinsPques. Ainsi la pensée cohérente illustre-t-elle l’héautonomie de la conscience auto-régulatrice, en réconciliant

RP EC
d’une maniPre qui est congruente avec la nature suprasensible de la raison qui compose perpétuellement avec
l’hétéronomie du monde sensible, pour réaliser un monde qui est progressivement plus civilisé B partir des origines

PU E R
brutes et sauvages du chaos informe qui en fut la matière initiale, puisqu’il est continuellement infusé par une
conscience vraie, finalisée et active. Or, seul l’impératif biotique peut assurer une telle intégration, en commandant
l’unité de la raison et de ses trois pouvoirs, lorsqu’ils sont coordonnés d’une maniPre optimale, puisque seule cette Idée,

CH S D
et l’Idéal qui en procPde, peuvent assurer B l’humanité d’atteindre la fin ultime de son cheminement historique, celle
d’édifier le meilleur monde (politique et civilisé) possible, et d’y résider en tant que cette fin résulte de la participation
active d’une pluralité d’agents, c’est-B-dire de personnes morales — universelles en raison de la compréhension de leur
AR FIN
conception épistémologique, aimantes en vertu de leur engagement et de leur réalisation déontologique et vivantes avec
l’illustration autogPne effective de leur possibilité ontologique.

Or, une telle unité nous oblige B comprendre que tout moment historique est B l’intersection B la fois du principe de
SE À

finalité et du principe dynamique, sans lesquels l’actualité ne saurait être pensée, puisque grâce à celui-ci, elle a la
possibilité de recevoir un sens et grâce à celui-lB celle de posséder une réalité. Car c’est le principe de perfection qui, en
RE T,

s’inspirant de l’actualité présente, procure B celle-ci une direction qui soit compatible avec les prémisses qui reposent
D EN

sur les possibilités inhérentes B son intimité substantielle. Comme c’est au principe dynamique que revient le crédit de
pouvoir réaliser cette possibilité, avec la transformation qui reconnaît la substance de son objet et la complPte avec une
action qui en réalise les virtualités futures: elle fait correspondre celles-ci, non seulement au principe de finalité qui
AN M

s’ancre uniquement dans la raison réfléchissante et déterminante, mais encore au principe de finalité qui inclut et
E LE

embrasse la vie elle-mLme à l’intérieur de ses horizons, puisque celle-ci est la condition essentielle de toute chose, non
seulement quant B sa finalité ultérieure, mais originalement quant B sa possibilité elle-mLme. Car la vie est au
fondement de la possibilité de la Création elle-mLme, et a fortiori de toutes les créatures vivantes et de tous les objets
US SEU

inertes qui l’habitent. Tout en illustrant le principe grâce auquel le monde a la possibilité d’exister en vertu de sa nature,
les Ltre organisés deviennent les agents de la conservation, de la promotion et de la perpétuation de la vie comme
illustrant la possibilité de leur propre conservation, de leur propre promotion et de leur propre perpétuation. Autrement,
ils devraient admettre qu’ils risqueraient eux-mLmes de succomber B la négligence des autres créatures, procédant de
AL EL

l’état d’indifférence, de ne pas se sentir liées par un devoir de conservation, de préservation et de promotion de la vie
que tous ont en partage, tout en manifestant singuliPrement et particuliPrement en leur propre Ltre l’impulsion et la
ON N

disposition qui est B sa source.


RS ON

Or, si la vie incline dans le sens d’une intégration perpétuelle et harmonieuse des Ltres vivants B l’intérieur de la
nature qui obéit B ses propres déterminations, en vertu de ses propres principes constitutifs, c’est la raison qui en dirige
P E RS

suprLmement les destinées, en vue de la meilleure réalisation possible de toutes les possibilités naturelles et morales de
la Création: de celles que contient tantôt la nature, tantôt la personne d’autrui et tantôt la sienne personne. Les trois
piliers sur lesquels la raison fait reposer son action sont l’universalité, l’amour et la vie, en vertu desquelles tout ce qui
R PE

est beau, bon et vrai se réalise pleinement et que seule une intégration harmonieuse peut adéquatement réaliser,
puisqu’elle est réalisée en vertu d’illustrer la nature unifiée de la raison comme se complémentant et s’interpénétrant
FO E

mutuellement. Telle nous semble Ltre, exprimée de la maniPre la plus succincte, abstraite et générale possible, l’essence
de la pensée esthético-morale kantienne.
AG
US

*
**

60 GMS; AK IV, 421; 429; 434.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 280 de 302 ...


ANNEXES

(page 245)

VÉRITÉ

LY —
OBJECTIVITÉ
propriété objective de la connaissance 61

ON CHE
JUGEMENT
rapport subjectif B la vérité

ES ER
CRÉANCE ou ASSENTIMENT

OS H
validité subjective du jugement, relativement B la le jugement subjectif par lequel une63chose
conviction, celle-ci possédant une valeur

RP EC
objective 62 est représentée comme vraie

PU E R
Opinion Croyance Savoir Certitude Incertitude

assentiment
certain, lié

CH S D
assentiment, lié B la
B la conscience de la contingence
SUBJECTIVITÉ une créance conscience ou de la possibilité du
consciente conscience de conscience de de la contraire
AR FIN
d’Ltre
insuffisante,
l’insuffisance
objective de
la suffisance
subjective et
objective de
nécessité

subjectivement la créance la créance Savoir Croyance Opinion


et (persuasion) (conviction)
SE À
objectivement insuffisance B
suffisance insuffisance la fois
subjective uniquement
RE T,

et objective objective subjective et


objective
D EN

possPde une possPde B la


conviction,
AN M

possPde ni sans certitude fois la jugement jugement jugement


conviction, ni (une conviction et apodictique assertorique problématique
la certitude
E LE

certitude persuasion (une du savoir du savoir du savoir


sans conviction)
conviction)
US SEU

TABLEAU VII.2: Les modalités du jugement subjectif dans leur rapport B la vérité: évolution de
la pensée kantienne du début B la fin de la période critique (1781-1800).
AL EL

On retrouve B l’intérieur de ce schéma l’essentiel de la théorie kantienne de la vérité, selon les deux points de vue
ON N

de la subjectivité et de l’objectivité, lesquels font voir le cheminement de la pensée de Kant depuis la KRV et apercevoir
l’influence de sa théorie sur la réflexion, énoncée à l’intérieur de la KU, sur l’épistémologie ultérieure de sa LOG.
RS ON

Si Kant définit la vérité comme étant une propriété objective de la connaissance, c’est le rapport subjectif B la
P E RS

vérité qui fait verser la logique kantienne dans le sens de l’esthétique, alors que la finalité épistémologique présage une
variété de possibilités judiciaires. Celles-ci viennent alors qualifier l’attitude philosophique adoptée par le sujet devant
le phénomPne sensible ainsi que les interprétations que la conscience est susceptible d’en établir et d’en formuler. Car
R PE

pour le Kant de la LOG, tout n’est pas certitude et donc tout ne mène pas au savoir, puisque l’incertitude vient
caractériser deux positions épistémologiques qui ont le pouvoir de conditionner l’action, mais d’une maniPre qui
FO E

associe la conscience de l’insuffisance judiciaire partielle ou complète à l’assentiment qui accompagne la


AG

représentation de la vérité. Il en résulte par conséquent les deux formes de scepticisme que sont la croyance, qui possède
une valeur épistémologique seulement subjective, et l’opinion, dont la valeur épistémologique est entièrement
contestable.
US

61 LOG; AK IX, 016.


62 KRV; AK III, 532-533.
63 LOG; AK IX, 066.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 281 de 302 ...


ANNEXES

Le dédoublement de la raison en action et en conscience est repris à l’intérieur de ce tableau, alors que le jugement
illustre l’activité rationnelle et que la conscience caractérise l’essence du jugement, demeuré accessible au sens interne.
Cette dichotomie est déjB préparée par celle qui oppose le jugement B la connaissance puisque, en distinguant la vérité

LY —
du rapport que le sujet entretient subjectivement avec elle à l’intérieur de la conscience, il s’agit moins d’en définir
l’essence et les attributs logiques que de relativiser les différentes attitudes de la conscience entre elles, afin de

ON CHE
comprendre les diverses positions psychologiques qui peuvent caractériser l’attitude judiciaire qui se réfléchit
elle-mLme, tout en demeurant engagée à l’intérieur de sa réflexion empirique sur le monde sensible. Or, les trois
positions évoquées sont le savoir intégral qui caractérise la science, la croyance qui caractérise la foi et l’ignorance qui
caractérise l’inscience absolue de l’ignorance (le pyrrhonisme) ou l’inscience relative de la suspension du jugement

ES ER
(l’empirisme).

Remarquons que pour Kant, ce qui pose problPme, ce n’est pas tant la vérité, mais le rapport subjectif entretenu par

OS H
la conscience avec elle dans le jugement. La vérité existe dans l’objet et son illustration en saisit l’essence, laquelle est

RP EC
un en-soi nouménal qui échappe B la possibilité appréhensive de la conscience. Celle-ci doit alors se contenter, pour
faire l’acquisition d’une connaissance, du phénomPne et de la représentation que l’entendement est susceptible d’en

PU E R
faire, grâce B l’intuition, B la synthPse de l’imagination et au processus de schématisation qui procPdent tous de
l’héautonomie de la raison. Or, le produit de l’activité de l’intellect, la représentation et les jugements (les concepts, les
lois et les principes) qui en résultent, fait l’objet d’une adhésion consciente que Kant nomme créance ou assentiment

CH S D
[Führwahrhalten], selon les différents traducteurs.

Dans la KRV, c’est la double validité, subjective et objective, du jugement qui atteste de la créance et celle-ci
AR FIN
trouve sa forme supérieure avec la conviction, laquelle se fonde sur le principe de suffisance; dans la LOG, c’est la
représentation subjective de la chose comme étant vraie qui procure l’assentiment, dont la forme la plus élevée trouve
sa fondation avec le principe de nécessité. Or, le principe de la raison suffisante énonce la condition fondamentale de
l’actualité d’une chose, i.e. le fait qu’elle soit de maniPre telle qu’elle s’inscrit B l’intérieur de la succession du temps et
SE À

de la série des phénomPnes: puisque le principe de la raison suffisante est un principe de nécessité, étant au fondement
de toute expérience possible et de la mutualité des phénomPnes selon le mode de la relation qui les caractérise 64, il
RE T,

s’agit de distinguer entre les genres de nécessité auxquels réfPrent la créance de la KRV et celle de la LOG.
D EN

Dans le savoir de la KRV, la conviction se fonde sur la conscience d’un mouvement bifide, qui fait porter la valeur
du jugement sur la confluence des rPgles empiriques, que fonde le principe de l’unité systématique de l’expérience pour
AN M

l’entendement, et des rPgles de la raison, en vertu desquelles l’expérience objective, tombant sous le domaine de la
E LE

raison, reçoit l’unité que lui confPre sa capacité réflexive. C’est donc dire qu’il existe une mutualité entre, d’une part,
l’expérience objective [Erfahrung] et l’expérience subjective [Erlebnis], de sorte qu’elles renvoient l’une B l’autre en
vertu de la confluence de leurs rPgles respectives, celles qui gouvernent la production naturelle de l’expérience
US SEU

empirique et celles par lesquelles l’intériorité consciente de l’expérience subjective en appréhende la nature,
conformément à l’opération schématique qui porte sur la synthPse de l’imagination au moyen des concepts, des rPgles,
des lois et des principes. La conscience réfléchissante étant en mesure de constater que cette mutualité existe entre la
série des causes phénoménales, considérées sous certains égards, et l’aperception que la raison en réalise en vertu des
AL EL

rPgles qui conviennent B son opération héautonomique, elle a donc la possibilité de statuer avec conviction dorénavant
sur la justesse de l’adéquation, grâce B laquelle elle a réalisé la congruence entre la réalité objective et l’impression
ON N

subjective qu’en reçoit le sens interne.


RS ON

Cette certitude repose cependant sur une espèce de la nécessité, celle qui caractérise en propre le principe de la
raison suffisante, en vertu duquel c’est l’agencement en une conjoncture qui rend possible cette adéquation,
P E RS

indépendamment de l’autonomie et de la spontanéité de la raison qui en prend conscience, malgré toutefois qu’elle
puisse y contribuer en certaines circonstances. Car le Kant de la premiPre Critique n’avait pas encore découvert, ou B
tout le moins exposé et démontré, le principe a priori de la liberté qui accorde B la raison, en vertu de sa nature
R PE

suprasensible et morale, une autonomie et une spontanéité qui en rendent l’opération selon des principes moraux
tout-B-fait indépendante des contraintes empiriques. C’est une action qui est accomplie en vertu d’une finalité — le
FO E

rPgne des fins qui exacerbe, en se conjuguant intimement avec elle, la possibilité d’un monde meilleur — qui échappe B
AG

toute nature, y compris B la nature ontogénique du sujet moral, lorsqu’il participe B l’édification d’un monde que seule
la conviction fidéiste lui présenterait comme lui revenant légitimement d’en faire l’expérience, en vertu d’un principe
de justice transcendant qui soit conforme aux principes de la foi intériorisée et vécue.
US

Or, cette nécessité-ci est une nécessité morale qui est entiPrement extérieure B la nécessité empirique. Elle ajoute
au principe de la raison suffisante un principe de perfection en vertu duquel la culture et la civilisation, existantes en vue
du meilleur monde qu’il soit possible d’imaginer (quant B ses possibilités) et de réaliser (quant aux possibilités

64 Vide, supra, chapître III, note 81, p. 217.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 282 de 302 ...


ANNEXES

effectivement susceptibles d’Ltre actualisées et à celles qui incombent à la puissance qui entreprend de faire aboutir
cette entéléchie), deviennent des considérations de premiPre importance dans l’histoire de la nature. Plus encore, une
autre forme de la nécessité vient se surajouter B celles-lB pour les compléter, une nécessité en l’absence de laquelle les

LY —
formes précédentes de la nécessité pourraient tenir de l’aléas et de l’hétéronomie purs. Car alors, elles manqueraient de
la coordination directionnelle qu’il leur incomberait de recevoir et qui fournit aux deux nécessités précédentes le champ

ON CHE
phylogénique auquel autrement elles contribueraient d’une maniPre qui est profitable, autant B la nature inerte qu’B la
nature vivante. Car celles-ci illustrent la complémentarité réciproque et naturelle par laquelle celle-lB fournit les
éléments essentiels de la conservation, de la promotion et de la continuité de celle-ci, lesquels éléments font alors
l’objet de la protection et de l’exploitation qui sont mis au service de la vie pour en assurer B la fois la pérennité et

ES ER
l’épanouissement, tout en demeurant conformes B la fois aux lois qui gouvernent la nature et B la finalité extrinsPque
que celle-ci serait susceptible de recevoir, lorsqu’elle est à la portée de la puissance du sujet moral — Kant laisse
ouverte la question d’une finalité intrinsPque de la nature —.

OS H
RP EC
Ce principe est celui du rPgne des fins B l’intérieur duquel l’humanité figure de maniPre éminente, puisqu’elle est
la fin finale de la nature, telle que chacun serait susceptible de la réaliser en la subjectivité responsable de sa personne

PU E R
morale. Or, si le principe du rPgne des fins ne saurait exister en l’absence du principe a priori de la finalité que le
sentiment révPle B la conscience comme réalisant adéquatement son héautonomie, en subsument la légalité de la nature
sous la moralité de la liberté, tout en les coordonnant l’une avec l’autre, en accord avec les fins transcendantales qui

CH S D
appartiennent en propre B la raison théorique et B la raison pratique, le principe de finalité lui-mLme serait chimérique,
comme le seraient ceux de la légalité et de la moralité, s’il n’étaient fondés sur le principe de la vie qui en fonde B la fois
la cause et la raison premiPres, en mLme temps que celles de l’héautonomie de la conscience qui initie spontanément et
AR FIN
de manière créative l’activité rationnelle à l’origine de l’entéléchie qui les conjugue.

Car le paradoxe de la vie réside en ce qu’elle est B la fois la cause substantielle et la cause finale de la raison,
puisque celle-ci procPde de la vie pour en conserver, en développer et en exacerber les possibilités, en inscrivant les
SE À

Ltres vivants qui manifestent et expriment ses virtualités B l’intérieur du processus historique dont la continuité
RE T,

favorable à son épanouissement et à son efficace est en mLme temps essentielle aux générations et aux civilisations
futures. Puisque cette continuité se fonde sur la phylogénie qui voit se démultiplier au plan ontogénique les espPces et
D EN

les individus, sous la présence hégémonique de l’humanité et de ses membres, la promiscuité qui en caractérise et en
gouverne l’expression exige d’elle un déroulement qui illustre l’autonomie du perfectionnement, en raison d’exprimer
la possibilité suprasensible la plus élevée, susceptible d’assurer que le sensible sera subsumé sous la moralité qui en
AN M

procure le sens et la direction salutaires, puisqu’ils tendent vers l’Inconditionné archétype. L’autonomie interpelle les
E LE

consciences supérieures qui en exemplifient au plus haut point le mouvement au plan suprasensible de la moralité, qui
est nulle autre que la finalité qui optimalise les actions et les conduites en vue du bien, lequel définit l’Idéal du meilleur
bien possible en vertu de l’Idée indéterminée du Bien.
US SEU

Or, la nécessité du principe du règne des fins, pour lesquel l’humanité représente la fin finale de la nature, apparaît
dans la LOG comme devant susciter l’assentiment, puisqu’elle interpelle non seulement B produire la réunion adéquate
de la raison théorique et de la dynamique physique avec la naissance d’une conviction qui est B la fois subjective et
AL EL

objective, débouchant sur la science apodictique irréfutable, mais encore B procurer l’adéquation de la raison
pleinement épanouie et achevée avec la possibilité physique réelle. Ainsi, avec la rencontre effective du pouvoir de la
ON N

raison et de la possibilité physique que fournit l’activité inspirée par le désir et dynamisée par la volonté, le sujet moral
RS ON

assiste à la finalisation de l’entéléchie qui, puisqu’elle est morale, défend, favorise et exacerbe le pouvoir de la vie , le
tout sur le terrain de la nature sensible que la conscience soumet B ses fins, sans déroger ni aux lois de la nature, ni aux
principes suprasensibles du sujet moral qui se sait tel et qui s’épanouit pleinement comme tel, grâce à sa capacité
P E RS

héautonomique subjective et à l’autonomie objective qui en témoigne adéquatement.


R PE

*
**
FO E
AG
US

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 283 de 302 ...


BIBLIOGRAPHIE

LY —
ABBRÉVIATIONS

APH Anthropologie in pragmatischer Hinsicht (1798);

ON CHE
[AK VII] L’Anthropologie du point de vue pragmatique;
Anthropology from a Pragmatic Point of View.

ES ER
EAD Das Ende aller Dinge (1794);
[AK VIII] La fin de toute chose;

OS H
The End of All Things.

RP EC
EE Erste Einleitung in die Kritik der Urteilskraft (1789);

PU E R
[AK XX] Première introduction à la Critique du jugement;
First Introduction to the Critique of the Power of Judgment.

CH S D
EVT Von einem neuerdings erhobenen vornehmen Ton in der Philosophie (1796);
[AK VIII] Sur un ton supérieur adopté naguère en philosophie;
AR FIN
On a Newly Raised Noble Tone in Philosophy.

GMS Grundlegung zur Metaphysik der Sitten (1785);


SE À

[AK IV] Fondements de la métaphysique des moeurs;


RE T,

Groundwork of the Metaphysics of Morals.


D EN

GSE Beobachtungen über das Gefühl des Schönen und Erhabenen (1764)
[AK II] Observations sur le sentiment du beau et du sublime;
AN M

Observations on the Feeling of the Beautiful and the Sublime.


E LE

GTP Über den Gebrauch teleologischer Prinzipien in der Philosophie (1788);


[AK IV] Sur l’emploi des principes téléologiques en philosophie;
US SEU

On the Use of Teleological Principles in Philosophy.

IAG Idee zu einer allgemeinen Geschichte in weltbürgerlicher Absicht (1784);


AL EL

[AK VIII] Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolite;


Idea for a Universal History of Mankind.
ON N
RS ON

KPV Kritik der praktischen Vernunft (1788);


[AK V] Critique de la raison pratique;
P E RS

Critique of Practical Reason.

KRV Kritik der reinen Vernunft (1781, 1787);


R PE

[AK IV, III] Critique de la raison pure;


Critique of Pure Reason.
FO E
AG

KU Kritik der Urteilskraft (1790);


[AK V] Critique du jugement;
US

Critique of the Power of Judgment.

LGK Logik (1800);


[AK IX] Logique (cours de Jasche);
Logik (edited by Jasche).

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 285 de 302 ...


BIBLIOGRAPHIE

MAM Mutmasslicher Anfang des Meschengeschichte (1786);


[AK VIII] Conjectures sur les débuts de l’histoire humaine;
Conjectural Beginning of the Human Race.

LY —
MAN Metaphysische Anfangsgründe der Naturwissenschaft (1786);

ON CHE
[AK IV] Premiers principes métaphysiques des sciences de la nature;
Metaphysical Foundations of Natural Science.
MAR Metaphysische Anfangsgründe der Rechtslehre (1797);

ES ER
[AK VI] Premiers principes métaphysiques d’une doctrine du droit;
Metaphysical Foundations of a Doctrine of Right.

OS H
RP EC
MAT Metaphysische Anfangsgründe der Tugendslehre (1797);
[AK VI] Premiers principes métaphysiques d’une doctrine de la vertu;

PU E R
Metaphysical Foundations of a Doctrine of Virtue.

CH S D
MSI De Mundi sensibilis atque intelligibilis forma et principiis (1770);
[AK II] De la forme et des principes du monde sensible et du monde intelligible;
Inaugural Dissertation (August 21st, 1770).

OP
AR FIN
Opus posthumum;
[AK XXI Oeuvres posthumes;
SE À

-XXII] Posthumous Works.


RE T,

PKM Prolegomena zur einer jeden künftigen Metaphysik die als Wissenschaft wird
D EN

[AK IV] auftreten können (1783);


Prolégomènes à toute métaphysique future, qui pourra se représenter
AN M

comme science;
E LE

Prolegomena.
US SEU

REF Reflexionen (Band III-VII) (verschiedene Jahre);


[AK XIV Réflexions (Livre III-VII);
-XX] Reflexions (Book III-VII).
AL EL

RGV Die Religion innerhalb der Grenzen der bloßen Vernunft (1793);
[AK VI] La Religion dans les limites de la simple raison;
ON N

Religion within the Boundary of Mere Reason.


RS ON

SDO Was heißt, sich im Denken orientieren ? (1786);


P E RS

[AK VIII] Que signifie s’orienter dans la pensée ?


What does ‘Orientation in Thinking’ mean ?
R PE

SSF Die falsche Spitzfindigkeit der vier syllogistischen Figuren erwiesen (1762);
FO E

[AK II] La fausse subtilité des quatre figures du syllogisme;


AG

The False Subtlety of the Four Syllogistic Figures.

STF Der Streit der Facultaten (1798);


US

[AK VII] Le Conflit des facultés;


The Dispute of the Faculties.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 286 de 302 ...


BIBLIOGRAPHIE

TEF Verkündigen des nahen Anschlusses einer Traktats zum ewigen Frieden in der
[AK VIII] Philosophie (1796);
Annonce de la proche conclusion d’un traité de paix perpétuelle en philosophie;

LY —
Announcement of the Soon to Be Completed Tract on Eternal Peace in Philosophy.

ON CHE
TEG Träume eines Geisterssehers (1766)
[AK II] Rêves d’un visionnaire;
Dreams of a Spirit-seer.

ES ER
UEK Über eine Entdeckung nach der alle neue Kritik der reinen Vernunft durch eine

OS H
[AK VIII] ältere entbehrlich gemacht werden soll (1790);

RP EC
Sur une découverte d’après laquelle toute nouvelle critique de la raison pure
serait rendue inutile par une ancienne;

PU E R
On a new Discorery Which Makes All New Critique of Pure Reason Unecessary
Because of an Older One.

CH S D
WIA Beantwortung der Frage: Was ist Aufklärung ? (1784);
[AK VIII] Réponse à la question: Qu’est-ce que les Lumières ?
AR FIN
Answer to the Question: What is Enlightenment ?

ZEF Zum Ewigen Frieden (1795);


SE À

[AK VIII] Vers la paix perpétuelle;


On Eternal Peace.
RE T,
D EN

SOURCES PRIMAIRES
1. Auteur principal
AN M

KANT, Immanuel. Bereitstellung und Pflege von Kant. Gesammelten Werken in elektronischer Form. Online at
E LE

URL: http://www.korpora.org/kant/.
US SEU

______ «Annonce de la prochaine conclusion d’un traité de paix perpétuelle en philosophie». In Vers la paix
perpétuelle. (trad. de l’all. par J.F. Poirier et F. Proust). Flammarion. Paris, 1990. p. 135-143.

______ «Annonce de la proche conclusion d’un traité de paix perpétuelle en philosophie». In Première Introduction
AL EL

à la Critique de la faculté de juger. (trad. de l’all. par L. Guillermit). Vrin. Paris, 1997. p. 111-124.
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______ «Announcement of the Near Conclusion of a Treaty for Eternal Peace in Philosophy» (trans. from the
German by P. Fenves). In P. Fenves. Raising the Tone of Philosophy. The John Hopkins University Pres. Baltimore,
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______ Anthropologie du point de vue pragmatique. (trad. de l’all. par A. Renaut). Flammarion. Paris, 1993.

______ Anthropologie in pragmatischer Hinsicht. F. Meiner. Hamburg, 2000.


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______ «Compte-rendu de l’ouvrage de Herder: “Idées en vue d’une philosophie de l’histoire de l’humanité”». In
FO E

Opuscules sur l’histoire. (trad. de l’all. par S. Piobetta). Flammarion. Paris, 1990. p. 91-122.
AG

______ Le Conflit des facultés. (trad. de l’all. par J. Gibelin). Vrin. Paris, 1997.
US

______ «Conjectures sur les débuts de l’histoire humaine». In Opuscules sur l’histoire. (trad. de l’all. par S.
Piobetta). Flammarion. Paris, 1990. p. 145-164.

______ Critique de la faculté de juger. (trad. de l’all. par A. Renaut). Flammarion. Paris, 2000.

______ Critique de la raison pratique. (trad. de l’all. par J.-P. Fussler). Flammarion. Paris, 2003.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 287 de 302 ...


BIBLIOGRAPHIE

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______ Critique of Practical Reason. (trans. from the German by W.S. Pluhar). Hackett. Indianapolis, 2002.

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______ Premiers principes métaphysiques de la science de la nature. (trad. de l’all. par J. Gibelin). Vrin. Paris,
1990. AR FIN
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______ Grounding for the Metaphysics of Morals. (trans. from the German by J.W. Ellington). Hackett.
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______ «Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique». In Opuscules sur l’histoire. (trad. de l’all.
par S. Piobetta). Flammarion. Paris, 1990. p. 69-89.
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TABLE DES MATIÈRES

LY —
RÉSUMÉ / ABSTRACT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . i

ON CHE
ADRESSE AU JURY / OPENING REMARKS TO THE JURY . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . iii

AVANT-PROPOS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ix

ES ER
PRÉFACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 001

OS H
Analytical Table (English)

RP EC
INTRODUCTION — Life as the Original A Priori of Reason . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 007

PU E R
Two Opposing Ways ¼ 07. Objectivity and Subjectivity in Public Discourse ¼ 08. The Ambiguity of Nature ¼
11. A Test for Judgment ¼ 12. Interiority as an Operational Analogous Notion ¼ 13. The Subjective Experience ¼ 14.

CH S D
The Experience of Universality ¼ 15. The Fullness of Subjectivity ¼ 16. Life as the A Priori Condition of Subjectivity
¼ 17. The Unifying Analogy ¼ 19. The Case for Transcendance ¼ 20. Life as Nexus ¼ 21. Goal and Plan of the
Present Thesis ¼ 24. Table analytique (Français) ¼ 27.
AR FIN
CHAPÎTRE I — Le Complexe synesthésique judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 029
SE À

Le Problème de l’unité judiciaire ¼ 29. Le Sentiment et la faculté judiciaire: le complexe synesthésique ¼ 33. La
RE T,

Finalité judiciaire: l’entéléchie ¼ 35. Sentiment et entéléchie ¼ 38. Sentiment et pressentiment ¼ 40. Subjectivité et
D EN

universalité — OBJECTION ¼ 43. Expérience esthétique et expérience morale — OBJECTION ¼ 47. La beauté libre et
indépendante ¼ 50. Le rapport entre le Beau et le Bien ¼ 53. Analytical Table (English) ¼ 54.
AN M
E LE

CHAPÎTRE II — Le Sentiment comme noeud de l’expérience humaine . . . . . . . . . . . . . . . . 057


US SEU

Finalité extrinsèque et finalité intrinsèque ¼ 57. Héautonomie subjective de l’expérience suprasensible ¼ 64.
Hétéronomie subjective de l’expérience sensible ¼ 69. Autonomie objective de la conscience suprasensible ¼ 71. Le
Bien suprême ¼ 72. Les Deux conceptions de la liberté ¼ 74. L’Excellence sociale ¼ 77. L’Amour et la vie ¼ 79.
AL EL

Esthétique du plaisir et logique de la perfection ¼ 82. L’Analogie de l’idéalité ¼ 85. Finalité objective et finalité
subjective ¼ 88. Les Deux pôles de la liberté ¼ 91. Analytical Table (English) ¼ 93.
ON N
RS ON

CHAPÎTRE III — L’Unité du sentiment et de la raison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 097


P E RS

Finalité et Idéal ¼ 97. Premier principe moral transcendantal: la primauté de la raison pratique sur la raison
théorique ¼ 101. Second principe moral transcendantal: la primauté de la raison pure sur la raison sensible —
R PE

PHYLOGÉNIE ET ONTOGÉNIE ¼ 104. Retour sur les conceptions minimales et maximales de la liberté ¼ 114. Les Deux
axes de la réalité: histoire et téléologie ¼ 121. Analytical Table (English) ¼ 127.
FO E
AG

CHAPÎTRE IV — Le Sentiment et la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129


US

Réflexion et sensation ¼ 129. Le Passage du théorique au pratique ¼ 131. Raison, nature et vie ¼ 133. Les Deux
genres de l’être ¼ 138. Le Mystère de la vie ¼ 140. L’Essence poématique du concept ¼ 142. L’Unité de l’esprit et de
la conscience: le concept de Gemüt ¼ 143. Désir et liberté ¼ 148. La continuité possible entre la théorie et la pratique
¼ 153. L’ectype ¼ 157. La raison hétérosensible ¼ 161. Analytical Table (English) ¼ 164.

le 15 août 2009 Marc-André J. Paquette page 301 de 302 ...


TABLES DES MATIÈRES

CHAPÎTRE V — Le Coeur et le sentiment . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167

La moralité et le Bien ¼ 167. Les aspects irrationnels de la moralité ¼ 177. La Puissance morale intime du coeur

LY —
¼ 182. Ontogénie: la dimension personnelle du coeur ¼ 184. Phylogénie: la dimension humaine du coeur ¼ 185. Le
Sentiment moral archétype ¼ 185. Le Coeur et la raison ¼ 188. La Faculté du coeur: le sentiment et l’efficience

ON CHE
morale ¼ 190. Le Désir et le sentiment ¼ 194. Le Le Spectateur et le créateur ¼ 196. Analytical Table (English) ¼
199.

ES ER
CHAPÎTRE VI — Le Complexe boulétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201

OS H
Le Respect: une condition nécessaire mais non pas suffisante de la moralité ¼ 201. Le Courage ¼ 204. Le

RP EC
Sentiment et la spontanéité ¼ 212. Vers une théorie de la vie ¼ 224. Analytical Table (English) ¼ 230.

PU E R
CONCLUSION — La Philosophie esthético-morale de Kant:
la raison au service du coeur et de la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231

CH S D
L’Art philosophique ¼ 231. Dilettantisme et libertinage ¼ 233. Le dilettantisme chez Kant ¼ 236. Le
Libertinage chez Kant ¼ 239. Les Trois principes de l’entendement dynamique ¼ 239. L’illusion: le mal
AR FIN
épistémologique radical ¼ 241. L’Illusion de l’antinomie du goût ¼ 243. Le Sens commun et l’illusion ¼ 247.
Analytical Table (English) ¼ 249.
SE À
ANNEXES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251
I.1: Division analytique du §viii de la PremiPre introduction (1789) de la Critique de la faculté de juger ¼ 251. I.2:
RE T,

Illustration compréhensive du jugement et de ses formes, tels qu’ils figurent à l’intérieur de la Critique de la faculté de
D EN

juger ¼ 253. I.3: Spécification du jugement moral implicite aux espPces du jugement de réflexion, en vertu de la nature
de leur rapport avec la sensibilité ¼ 255. I.4: EspPces majeures du sentiment, en regard de leur rapport aux pouvoirs de
AN M

l’intellect, B l’état de l’esprit et au domaine philosophique correspondant ¼ 256. I.5: Schéma illustrant la distinction
entre le sentiment et le pressentiment à l’intérieur d’une dynamique conjoncturelle analogue ¼ 258. II.1: Les deux axes
E LE

d’une conception quadripartite de la réalité avec la confluence du suprasensible et du sensible ¼ 259. III.1:
Comparaison des caractéristiques principales des jugements de réflexion, esthétique et logique ¼ 261. III.2: Le
US SEU

concept dans son rapport aux conjonctures objectives, en vertu des pouvoirs de la raison et de leur portée ontologique,
et relativement B leur activité épistémologique respective ¼ 263. III.3: Les trois aspects de l’ensemble, selon leurs
distinctions essentielles quant B la finalité ¼ 264. IV.1: Genres majeurs du sentiment et le rapport B leur objet respectif,
B la faculté qui les produit et au type de jugement résultant ¼ 267. IV.2: L’esprit dans son rapport aux principes formels
AL EL

et finaux de son activité génétique ¼ 269. IV.3: Les quatre aspects caractéristiques de l’Idéal de l’actualité, tels que
seule la conservation serait requise pour en assurer le mouvement dans la continuité ¼ 271. IV.4: Les devoirs et les
ON N

paradigmes subjectifs et objectifs ¼ 273. IV.5: Schéma révélant la variété et la complexité de la notion de
RS ON

l’hypotypose, selon qu’elle passe par le concept ou par l’image pour son illustration ¼ 274. VI.1: Schéma illustrant la
continuité esthético-morale, alors que le pouvoir rationnel trouve sa contrepartie dans le pouvoir moral, en raison de
l’autonomie qui caractérise l’effectivité de l’un et de l’autre ¼ 276. VII.1: Tableau récapitulatif de la thPse kantienne,
P E RS

telle qu’elle s’inscrit B l’intérieur du projet des LumiPres et en tant qu’elle réalise l’unité multidimentionnelle de la
philosophie ¼ 279. VII.2: Les modalités du jugement subjectif dans leur rapport B la vérité: évolution de la pensée
R PE

kantienne du début B la fin de la période critique (1781-1800) ¼ 281.

BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285
FO E
AG

TABLE DES MATIÈRES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301


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